De la cuisine à l'autel.: Les sacrifices en question dans les sociétés de la méditerranée ancienne 2503517390, 9782503517391

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De la cuisine à l'autel.: Les sacrifices en question dans les sociétés de la méditerranée ancienne
 2503517390, 9782503517391

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LA CUISINE ET L’AUTEL. LES SACRIFICES EN QUESTIONS DANS LES SOCIÉTÉS DE LA MÉDITERRANÉE ANCIENNE

BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES SCIENCES RELIGIEUSES

VOLUME

124

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LA CUISINE ET L’AUTEL LES SACRIFICES EN QUESTIONS DANS LES SOCIÉTÉS DE LA MÉDITERRANÉE ANCIENNE

Sous la direction de Stella GEORGOUDI, Renée KOCH PIETTRE et Francis SCHMIDT

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La Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences Religieuses La collection Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences Religieuses, fondée en 1889 et riche de plus de cent-vingt volumes, reflète la diversité des enseignements et des recherches qui sont menés au sein de la Section des Sciences Religieuses de l’École Pratique des Hautes Études (Sorbonne, Paris). Dans l’esprit de la section qui met en œuvre une étude scientifique, laïque et pluraliste des faits religieux, on retrouve dans cette collection tant la diversité des religions et aires culturelles étudiées que la pluralité des disciplines pratiquées: philologie, archéologie, histoire, droit, philosophie, anthropologie, sociologie. Avec le haut niveau de spécialisation et d’érudition qui caractérise les études menées à l’E.P.H.E., la collection Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences Religieuses aborde aussi bien les religions anciennes disparues que les religions contemporaines, s’intéresse aussi bien à l’originalité historique, philosophique et théologique des trois grands monothéismes – judaïsme, christianisme, islam – qu’à la diversité religieuse en Inde, au Tibet, en Chine, au Japon, en Afrique et en Amérique, dans la Mésopotamie et l’Égypte anciennes, dans la Grèce et la Rome antiques. Cette collection n’oublie pas non plus l’étude des marges religieuses et des formes de dissidence, l’analyse des modalités mêmes de sortie de la religion. Les ouvrages sont signés par les meilleurs spécialistes français et étrangers dans le domaine des sciences religieuses (chercheurs enseignant à l’E.P.H.E., anciens élèves de l’École, chercheurs invités…).

© 2005 Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this book may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2005/0095/140 ISBN 2-503-51739-0 Printed in the E.U. on acid-free paper

PRÉSENTATION Stella GEORGOUDI, Renée KOCH PIETTRE, Francis SCHMIDT École pratique des Hautes Études, Section des sciences religieuses En 1979 paraissait l’ouvrage collectif La Cuisine du sacrifice en pays grec, qui entendait dénoncer l’emprise du modèle biblique allié à une vision évolutionniste érigeant le sacrifice du dieu en forme ultime du développement sacrificiel, rompre avec les théorisations générales, et proposer pour le monde grec une analyse fondée sur les faits grecs. Depuis cette publication, la question du sacrifice n’a rien perdu de son actualité. Mais tout au long de ces années, le besoin s’est fait sentir non seulement de tester la solidité des conclusions formulées il y a plus de vingt-cinq ans, mais aussi de reconsidérer, en réexaminant les dossiers, une série de questions, et, enfin, de s’ouvrir, par une démarche pluraliste et comparative, au monde méditerranéen, en sortant du “pays grec” qui dominait dans la Cuisine1. Car le risque existait bel et bien, par quelque effet pervers dû au retentissement même de cet ouvrage bien au-delà des études grecques, qu’un nouveau modèle “hellénocentré” vienne se substituer au modèle “judéochrétien” dont la Cuisine remettait en cause la pertinence. Ce livre majeur se proposait d’interroger les Grecs sur le sacrifice sanglant et mettait en lumière la place centrale du sacrifice aussi bien dans les pratiques alimentaires qu’à tous les niveaux du politique au sein de la cité grecque. Tout en exprimant la dette de reconnaissance due à ce livre qui a fait date, le titre du présent recueil, «La cuisine et l’autel», annonce l’intention de revisiter, d’étendre et de prolonger ses analyses. Au-delà des seuls sacrifices sanglants, d’autres types d’offrandes, à commencer par les offrandes végétales, sont ici interrogés; au-delà des seuls sacrifices de commensalité, l’analyse est étendue à d’autres formes de rites sacrificiels, notamment les holocaustes ou les sacrifices de purification. Au-delà de la cuisine, le regard se tourne vers l’autel pour poser la question des dieux: sinon la question des dieux dans la conscience religieuse des acteurs du sacrifice, du moins celle des conditions observables de l’approche des puissances divines, de la place que le rituel leur aménage, des parts qui leur sont réservées2. Le présent recueil est issu d’une Table Ronde, préparée par quatre années de séminaires et de rencontres, qui s’est tenue à Paris en juin 2001, dans le cadre de la Section des sciences religieuses de l’École Pratique des Hautes Études. Elle a réuni des spécialistes de quatre sociétés de la Méditerranée ancienne: l’Égypte, l’ancien Israël, la Grèce et Rome, quatre sociétés qui obéissent, certes, à leurs caractères et schèmes propres, mais qui méritent d’être mises en relation, voire en confrontation, et de ne

1 Marcel Detienne, Jean-Pierre Vernant et alii, La cuisine du sacrifice en pays grec, Paris, Gallimard, 1979. Sur certains aspects et thèses de cet ouvrage, voir ci-dessous, p. 115-147, la contribution de Stella Georgoudi. 2 Les emplois grecs du mot thusia autorisent eux-mêmes ce dépassement de la catégorie historiographique de même nom.

V

Stella Georgoudi, Renée Koch Piettre, Francis Schmidt pas rester isolées les unes par rapport aux autres3. De la lecture et de la comparaison entre les différentes contributions, on verra souvent apparaître certaines divergences significatives, portant sur la façon dont ces diverses cultures conçoivent la relation entre dieux et hommes. À Rome par exemple, l’immolatio n’est pas la mise à mort de la victime, mais sa consécration rituelle, qui précède l’abattage; en Israël on ne sacrifie pas pour obtenir un “contre don”, une amoibê thusias: à l’encontre des dieux grecs qui ne se contentent pas de l’odeur appétissante montant de leur part consumée sur l’autel, les mets offerts sur l’autel à l’intention du dieu d’Israël, plus qu’une nourriture dont il aurait besoin, sont médiation entre lui et son peuple; ou encore, en Égypte, la notion de sacrifice n’est pas toujours appropriée aux usages observés: ainsi la mise à mort d’animaux nocifs, représentants de l’ennemi mais non destinés à la consommation alimentaire, a une fonction apotropaïque et vise à l’élimination du mal. Cependant cette lecture comparative permet aussi d’entrevoir certaines convergences, comme, par exemple, le fait que l’acte de mise à mort de la victime sacrificielle n’a pas la signification essentielle qu’on a voulu lui attribuer: une observation que l’on peut faire pour Israël, mais aussi pour la Grèce – malgré des théories qui surchargent cet acte de caractères qui ne semblent pas lui appartenir4. En optant pour un comparatisme de classement et de définition, ce recueil permet donc au lecteur d’identifier des formes distinctes, de percevoir des écarts – pour mieux les définir –, mais aussi de marquer des ressemblances, tout en saisissant les caractères particuliers de telle ou telle pratique sacrificielle dans une cité, dans une région, dans un pays. Un tel comparatisme peut être mis en œuvre dans deux directions: soit en se déplaçant d’un système religieux à un autre, en allant de Rome en Grèce, de Grèce en Égypte ou en Judée; soit encore en restant à l’intérieur d’une même culture, pour identifier les spécificités locales qui, chacune à sa façon, donnent du sens à l’ensemble5. Faut-il rappeler que la démarche comparative ne va pas sans l’application des règles de la “bonne méthode historique”? Quelle que soit la diversité de leur objet propre, les études qui suivent ont toutes en commun une même défiance à l’endroit des reconstructions généralisantes, un même souci de distinguer les différents registres d’analyse, en posant toujours la question du statut des documents utilisés, ainsi que celle de leur logique propre. Les études ici présentées sont organisées en quatre sections thématiques. À l’intérieur de chacune de ces sections, sont regroupés, sous des intitulés plus ciblés, des articles qui, tout en concernant des aires culturelles différentes, portent sur des préoccupations communes, expriment des interrogations partagées. Le but recherché est de mettre en lumière, dans chaque contribution, non seulement les questions propres au domaine de chacun, mais aussi les idées fortes que l’étude du rite sacrificiel y véhicule,

3 On trouvera une stimulante exploration de leurs contacts réciproques dans Philippe Borgeaud, Aux origines de l’histoire des religions, Paris, Seuil, 2004. 4 Cf. la contribution de F. van Straten pour la critique de ces théories. 5 Sur les problèmes que pose le comparatisme entre cultures différentes et sur la manière de «constuire des comparables», voir le point de vue de Marcel Detienne, Comparer l’incomparable, Paris, Seuil, 2000.

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Présentation ou encore les problématiques qui, au-delà d’une culture donnée, intéressent plus généralement l’anthropologie religieuse. La première section pose des questions de définition. La deuxième s’interroge sur le traitement de la victime ainsi que sur les pratiques et les règles qui constituent les rituels sacrificiels comme lieu de rencontre avec le divin. La troisième traite plus particulièrement de la place et des parts respectives assignées aux hommes et aux dieux dans les banquets sacrificiels. Enfin les études réunies dans la quatrième section posent la question de savoir ce que deviennent les systèmes sacrificiels face à l’acculturation ou aux ruptures de l’histoire: qu’advient-il des sacrifices quand les temples sont détruits, quand les autels sont abattus, quand sont oubliés des spécialistes les lois cérémonielles, les paroles et les gestes du rituel? *** Dans le cadre de cette organisation thématique, la première section commence par des questions de définition qui se formulent, dans une large mesure, à travers trois verbes clefs: “offrir, tuer, manger”6. On a donc fait appel à deux mondes, l’ancien Israël et la Grèce, qui constituent des champs particulièrement privilégiés pour l’étude du sacrifice. Ainsi, concernant l’ancien Israël, Alfred Marx met surtout en avant trois idées, qui donnent à réfléchir aux spécialistes des autres cultures: à savoir, que «tuer n’est qu’un préliminaire en vue du sacrifice proprement dit»; que le sacrifice «n’est pas un don», mais un «hommage», un signe fort de sujétion «au divin roi»; que «le motif du repas», bien que fondamental, serait insuffisant pour «rendre pleinement compte de la fonction du sacrifice». Cette dernière constatation pourrait, en effet, nous mettre en garde contre la tendance à interpréter le sacrifice au moyen surtout de son aspect “alimentaire”. Car, comme chacun sait, l’action sacrificielle constitue un rituel trop complexe pour pouvoir être réduite à une seule de ses composantes. C’est justement cette complexité que Folkert van Straten fait apparaître, à partir d’un objet bien délimité, à savoir le sacrifice animal dans la Grèce grosso modo de l’époque classique. Outre la nécessité évidente, pour chaque chercheur, de prendre en compte toute sorte de documentation disponible (sans se limiter, par exemple, aux seuls textes, ou aux seules images), l’auteur souligne la «pluralité de significations» que peut revêtir l’immolation d’une bête – qui ne représente qu’une des catégories d’offrir. Le problème, ce n’est donc pas de “dénicher” le Sens d’un acte sacrificiel, mais de comprendre où l’on met, chaque fois, l’accent; et cet accent dépend largement de celui qui parle ou, en général, des acteurs impliqués dans l’opération. Établissant un lien vertical (voire une “communion”, une koinônia) entre hommes et dieux, mais aussi un lien horizontal entre les participants, le sacrifice animal, sous ses diverses formes, reste pour les Grecs un don aux dieux, un dôron, qui appelle, en échange, une récompense, ce qui crée, en fin de compte, un commerce mutuel entre les humains et le monde divin.

6 Cf. C. Grottanelli, «Uccidere, donare, mangiare: problematiche attuali del sacrificio antico», dans C. Grottanelli & N. F. Parise ed., Sacrificio e società nel mondo antico, Roma-Bari, 1988, 3-53; plus généralement, C. Grottanelli, Il sacrificio, Roma, Laterza, 1999.

VII

Stella Georgoudi, Renée Koch Piettre, Francis Schmidt Mais peut-on considérer le sacrifice animal, en faisant plus ou moins abstraction des offrandes végétales? C’est à cette question importante que Louise Bruit entreprend de répondre, en proposant, à juste titre, une révision du modèle hésiodique de la thusia grecque. Car, en fait, on ne saurait appréhender l’ensemble des procédures sacrificielles et les relations qu’elles établissent entre hommes et dieux, sans cette articulation essentielle entre l’offrande carnée et l’offrande végétale. L’opposition sacrifice animal/sacrifice végétal – opposition chère aujourd’hui encore à certains modernes – n’est, en réalité, que le produit d’une «construction théologico-philosophique», élaborée par des mouvements sectaires et contestataires de l’Antiquité. À travers donc la dialectique de la table (trapeza) et de l’autel, mais aussi de deux verbes (thuein et tithenai) qui désignent une double pratique de consécration («par le feu» et «par dépôt»), l’auteur met en évidence le fait que dieux et hommes peuvent partager les mêmes nourritures, sans devenir pour autant de vrais commensaux. À l’encontre de la Grèce, rien n’indique qu’il existait, dans l’ancienne Égypte, «une étroite connexion entre des animaux de sacrifice et des plantes cultivées». C’est la remarque intéressante que fait Catherine Graindorge-Tacke, dans une contribution où cependant l’offrande végétale est bien présente. Mais il s’agit d’une offrande précise, constituée d’une gerbe de blé qu’on offre au taureau blanc, forme animale du dieu anthropomorphe et ithyphallique Min, «un dieu de régénération et de la croissance des végétaux». Or ce rituel donne à l’auteur une excellente occasion de faire la critique de certaines interprétations, largement inspirées des théories de Frazer et de la Myth and Ritual School, ce qui l’amène à proposer une autre explication de cette offrande végétale, en la replaçant dans une perspective historique et anthropologique. Parallèlement, l’examen de cet ensemble rituel soulève des questions d’un intérêt plus général, comme l’aspect public/privé d’une fête, ou encore la fonction royale en tant que pouvoir assurant «la pérennité des rythmes agraires et des récoltes», en tant que force garante de la paix dans un pays. La définition des systèmes sacrificiels suppose aussi l’exploration de leurs limites et de certaines formes du rite plus ou moins délaissées par les spécialistes. Parce qu’ils cadrent mal avec les séquences habituelles d’une opération sacrificielle, ces rites sont souvent rejetés à la marge du sacrifice “normatif”, malgré leur foisonnante richesse. C’est justement ce terrain négligé qu’a choisi Renée Koch Piettre, en examinant dans ses multiples dimensions le rite de “précipitation” en Grèce, un rite qui jouit pourtant d’une respectable ancienneté et d’une longue durée, puisqu’il est attesté depuis Homère jusqu’à la fin du paganisme dans l’empire romain. Cet examen a donc le mérite d’élargir la problématique même du sacrifice. Car, d’une part, le «geste de jeter» un objet ou une victime dans un espace aquatique ou dans un précipice met en lumière un lexique spécifique, qui enrichit et diversifie le champ du vocabulaire cultuel grec; mais d’autre part, ce rite polyvalent contribue aussi à doter d’un meilleur éclairage des oppositions où l’on voit jouer, dans des gestes concrets, les articulations du système sacrificiel, de la victime animale (voire humaine) à l’offrande d’un gâteau ou d’un objet précieux, du sacrifice juratoire au sacrifice divinatoire et propitiatoire pour une heureuse traversée, du sacrifice de purification à l’offrande aux morts, de l’offrande au rejet. De la Grèce au judaïsme du deuxième Temple, nous retrouvons la question de la relation entre une pratique cultuelle particulière et le système sacrificiel. Cependant, dans le cas du sacrifice juif par rapport au Ìêrem de guerre qu’étudie Christophe Batsch, VIII

Présentation nous avons affaire à des rites qui ne sont ni substituables, ni équivalents. L’auteur marque même très clairement l’opposition, terme à terme, entre sacrifice et Ìêrem, terme qui désigne aussi bien les offrandes inaliénables faites à Yhwh, que l’extermination des cités idolâtres. Une opposition, qui est de l’ordre de celles «qui fondent la société juive du deuxième Temple: pur versus impur, sacré versus profane, Israël versus les nations». Cela dit, tout en accusant un contraste avec le sacrifice, le Ìêrem n’en est pas moins associé à certains types de sacrifice, comme à des sacrifices votifs, ou à des holocaustes. Mais cette contribution se penche aussi sur la réception du terme Ìêrem par les traducteurs de la Septante – une analyse particulièrement intéressante pour les hellénistes. Car tout en traduisant habituellement ce mot par anathêma (offrande), le grec a parfois recours à des verbes comme aphanizein ou de la famille de ollumi, pour rendre justement l’idée de l’extermination. *** Le mot “violence”, qui définit, avec ceux de “sacralisation” et d’“élimination”, la thématique de la deuxième section de cet ouvrage, n’est pas un terme facile à manier. En schématisant, nous pourrions dire que le thème même de la “violence” dans le contexte sacrificiel a suscité, chez les modernes, deux attitudes apparemment opposées. Certains ont inscrit la violence au cœur même d’une “scène originelle”, en l’érigeant en principe fondateur de toute société humaine. Cette “violence nécessaire” des origines aurait continué à exercer son influence à travers la religion, en se manifestant surtout dans la mise à mort de la victime sacrificielle, un acte considéré comme le “rituel central” par excellence7. Mais selon une autre conception, les protagonistes du cérémonial sacrificiel, se sentant coupables de l’acte qu’ils allaient commettre, auraient manifesté la ferme volonté d’occulter, d’effacer cette violence, comme s’il fallait se disculper d’avance de la mise à mort programmée de la victime8. Cependant, qu’on mette au cœur du sacrifice la violence et le meurtre, ou que l’on voie dans l’abattage et la mort de l’animal un ensemble de procédures visant à exclure tout signe de violence, on pourrait se demander, avec F. van Straten, si le problème est finalement posé en termes adéquats. Car, pour ne prendre que l’exemple du sacrifice grec, il n’est pas sûr que la notion de “violence” que nous utilisons (pour l’accepter ou pour la récuser) soit pertinente pour décrire certains moments du processus sacrificiel. Il faudrait sans doute reprendre ailleurs cette question de définition, pour réfléchir sur l’emploi de termes moins chargés que le mot “violence”, des termes susceptibles de rendre avec plus de justesse la teneur d’une pratique sacrificielle. Quoi qu’il en soit, c’est sur la thèse de l’“occultation de la violence”, mais aussi sur la théorie de la “culpabilité” dans le sacrifice grec, que revient la contribution de Stella Georgoudi, en essayant de reconsidérer ces idées reçues. Occasion de réfléchir à nouveau sur le sens du couteau (machaira) et sur le problème du geste qui tue, un

7 Cf. surtout les théories de René Girard et de Walter Burkert, résumées par Burkert lui-même dans G. Hamerton-Kelly ed., Violent Origins. Walter Burkert, René Girard, and Jonathan Z. Smith on Ritual Killing and Cultural Formation, Stanford, 1987, en particulier p. 162-164. 8 Cf. surtout l’ouvrage collectif La cuisine du sacrifice (supra, n. 1), ainsi que Jean-Pierre Vernant, «Théorie générale du sacrifice et mise à mort dans la qusiva grecque», dans Le sacrifice dans l’Antiquité, Fondation Hardt, Genève, 1981, 1-39.

IX

Stella Georgoudi, Renée Koch Piettre, Francis Schmidt acte que les Grecs auraient volontairement passé sous silence – selon une opinion largement partagée. Mais occasion aussi de se rendre compte, une fois de plus, que tout réexamen d’un dossier nécessite l’utilisation de documents les plus divers, afin qu’on évite justement de surinterpréter certaines sources (qu’elles soient littéraires, philosophiques, iconographiques ou autres), en les généralisant parfois de façon abusive. En passant de la Grèce en Égypte, on remarque alors que le fait de ne pas montrer «la séquence du geste sanglant» – comme le note Catherine Bouanich, en se référant aux animaux d’élevage mais aussi aux animaux sauvages comestibles – n’a rien à voir avec une soi-disant réticence devant cet acte “violent”. Ce qui importe, c’est de mettre en images mais aussi en mots, la mise à mort cruelle et brutale des animaux sauvages qui, identifiés aux ennemis, sont tués avec violence par le Pharaon, représenté toujours, devant la divinité, en taille héroïque. Cependant, l’auteur montre bien que les animaux domestiques n’échappent pas non plus à cette assimilation aux ennemis. Mais dans ce cas, c’est dans le dépeçage de ces bêtes comestibles que l’on voit le sort des adversaires, «taillés en pièces» – une assimilation, en outre, qui revêt un sens prophylactique. Du point de vue de la comparaison avec d’autres cultures, outre cette distinction, particulièrement soulignée, entre animaux comestibles et bêtes sauvages ou non comestibles, on ne saurait manquer de signaler la grande diversité des animaux que les Égyptiens offraient à leurs dieux, mais sans que cela donne lieu à une consommation collective. Cette identification entre victimes animales et ennemis du dieu ou du roi – un thème qui semble particulièrement cher à l’iconographie et à la littérature égyptienne – est également mise en valeur par Françoise Labrique. Abattre et consommer ces victimes signifie détruire, voire anéantir complètement les adversaires, ceux qui sont rebelles à la puissance divine, comme au pouvoir royal. En liaison cependant avec ce thème, c’est sur le marquage que l’accent est spécialement placé, marquage aussi bien des victimes offertes, que des ennemis faits prisonniers. Or le marquage du bétail et des esclaves ou des prisonniers de guerre, à l’aide d’un sceau (sphragis) ou au fer rouge, n’est pas inconnu d’autres civilisations de l’Antiquité (comme le montrent, par exemple, les témoignages grecs). Mais, pour l’Égypte, l’auteur attire l’attention sur un fait particulier, en démontrant que l’expression le “Bras de Sekhmet” – cette déesse lionne, qui est le feu même du sacrifice, manifestation dévorante du divin – pourrait être comprise comme le “fer à marquer”, comme l’instrument cultuel qui, dans le contexte sacrificiel, transforme l’animal en victime, vouée au dieu. Si la victime et son traitement étaient au centre de ces trois contributions, qui nous ont amenés en Grèce et en Égypte, les deux études qui viennent clore cette deuxième section posent des questions de non moindre importance. Et tout d’abord, la contribution de Francis Schmidt, qui porte sur une époque précise du judaïsme, celle du deuxième Temple, va bien au-delà de cette période, en proposant à la réflexion un ensemble de problèmes essentiels, qui incitent à la comparaison avec les autres cultures. L’auteur s’interroge sur la rupture radicale et nécessaire, qui s’opère entre le champ du sacré et le champ du profane, dans le rite sacrificiel biblique et juif antique. Or, cette séparation entre sacré et profane entraîne un processus de spatialisation du régime carné, selon lequel l’espace s’organise en fonction de trois sortes de viandes, provenant des bêtes ordinaires, des animaux impropres au sacrifice, des victimes animales sacrifiées sur l’autel. Par cet aménagement méticuleux, par cette articulation X

Présentation entre spatialité et boucherie, on tient ainsi séparées les quatre catégories constitutives de ce que Francis Schmidt appelle «la pensée du Temple»: le sacré et le profane, le pur et l’impur – des oppositions qu’on chercherait en vain, sous cette forme, dans d’autres cultures. Mais ces dichotomies, qui montrent la volonté d’empêcher tout contact sacrilège entre l’espace sacré et les impuretés qui peuvent le souiller, ne semblent pas si absolues. Car si, dans le domaine du sacré, seul le pur est tolérable, dans le champ du profane, le pur et l’impur sont, en fait, inextricablement mêlés. Avec la contribution d’Athanassia Zografou, c’est une autre question qui est posée, question d’autant plus intéressante qu’elle est rarement abordée par les spécialistes. Il s’agit de ce qu’on peut appeler “les restes”, des substances qu’on élimine, abandonne ou éloigne, mais en accomplissant des gestes qui introduisent au cœur d’un rituel. En analysant trois catégories de cette élimination rituelle (“restes” de purification, objets ou matières contaminés, restes “sacrés” de sacrifices ou d’offrandes), ainsi que les divers modes d’élimination (précipiter, enterrer, détruire par le feu, abandonner aux chiens), ou enfin les différents lieux d’abandon (terre, mer, montagne), l’auteur montre toute l’ambiguïté qui marque ces “restes”, dont une partie est frappée par la souillure. Or, pour éviter que cette souillure ne se propage et ne gagne du terrain, on pouvait sans doute confier, consacrer ces “restes” à certaines puissances divines, capables de neutraliser ces impuretés dangereuses. Mais en agissant ainsi, c’est une sorte d’offrande qu’on fait à ces puissances, comme si le geste de jeter ou de verser constituait une autre façon d’offrir – une opération où l’on pourrait aussi saisir la relation entre élimination, purification et sacrifice, ce qui ne manquera pas de donner matière à réfléchir dans le cadre d’autres cultures. *** C’est sans doute un lieu commun de dire que l’action sacrificielle implique, d’une façon ou d’une autre, une forme de communication entre l’homme et le divin. Mais lorsqu’on essaie de reconstituer, d’une culture à l’autre, cette relation verticale, on se heurte à des complexités d’autant plus grandes qu’à l’intérieur même d’une culture donnée, le contact entre hommes et dieux peut se réaliser de diverses manières, selon les lieux, les circonstances, ou les fins auxquelles on voudrait atteindre. Dans un ouvrage consacré aux sacrifices, les dieux et leurs autels – comme espaces privilégiés de jonction entre les instances surnaturelles et les humains – ne sauraient être absents. Mais si les dieux parcourent, à des allures variées, toutes les contributions de ce volume, c’est dans la troisième section qu’ils se manifestent davantage. Ainsi, Jesper Svenbro se penche sur les relations de partage qui se nouent, à l’occasion de la thusia grecque, entre sacrifiants et destinataires, en attirant tout particulièrement l’attention sur la part de la victime qu’on fait brûler sur l’autel, en l’honneur des dieux. Or, l’idée forte, développée par l’auteur, c’est que cette combustion n’équivaut pas à une “destruction sacrificielle”. Grâce à l’action du feu, c’est une modification que subit cette matière oblatoire, une modification dont le signe visible n’est autre que la fumée. Sans ce rôle absolument central du feu et de la fumée, la part réservée aux destinataires n’aurait pas pu être “transportée”, non pas dans le néant, mais dans l’au-delà, dans l’invisible, «ce qui n’est pas la même chose» – comme le souligne Jesper Svenbro. Dans cette optique, l’étymologie du verbe thuein («fumer», «faire fumer») prend un relief particulier, surtout en opposition avec le verbe enagizein, qui XI

Stella Georgoudi, Renée Koch Piettre, Francis Schmidt renvoie à la combustion d’un animal entier, destiné à des héros ou à des morts. Car, si dans la thusia, l’action du feu rend possible le partage entre hommes et dieux (ou héros) – nous dirions volontiers, une des formes de ce partage –, dans l’enagismos, qui évoque la “souillure” (agos), cette “communauté participante” devient impossible. Pour la réflexion comparatiste, la contribution de Jörg Rüpke développe une problématique fort stimulante. Car, à l’encontre de ce qui se passe en Grèce, “offrir l’hospitalité” aux dieux, les “inviter à un repas”, bref, organiser en leur honneur une forme de Theoxenia, ne semble pas être une attitude courante à Rome. Certes, lorsque les Grecs “invitent à table” des puissances divines ou héroïques, pendant le rituel des Théoxénies ou des Hêroxenia, ou encore dans d’autres formes de pratiques (sacrificielles ou non), cela n’implique pas forcément qu’hommes et dieux partagent les mêmes tables, qu’il existe une commensalité de fait9. En constatant que l’expression inuitare deum n’est pas usuelle chez les Romains, l’auteur cherche à définir les frontières entre «banquet sacrificiel» (Opferbankett) et «banquet pour les hommes» (Bankett für die Menschen), en mettant l’accent sur l’ambiguïté qui règne dans le cadre du sacrifice, où le profil même de l’invitant (homme ou dieu?) reste incertain. De ce point de vue, les lectisternia montrent, selon l’auteur, que les tables étaient strictement hiérarchisées, qu’on avait affaire à deux banquets distincts: celui des dieux et celui des hommes, ce qui implique que la commensalité romaine ne peut se réaliser que parmi des êtres jouissant de l’égalité du rang. On ne se lassera pas de souligner l’extrême complexité du fait sacrificiel, ses multiples ramifications, ses effets parfois contrastés au sein même d’une seule culture, bref, son irréductibilité obstinée à des systèmes clos, à des modèles univoques. La contribution de Guy Berthiaume constitue une nouvelle confirmation de ces constatations. Par une analyse, tant subtile que prudente, de la nature des mêria qui, selon un large consensus parmi les savants, ne seraient que les fémurs des victimes sacrificielles, l’auteur repose le problème de la nourriture des dieux. Car, si l’on se fie au seul modèle hésiodique – exposé soigneusement dans l’ouvrage collectif La cuisine du sacrifice en pays grec, et largement accepté depuis –, les dieux se seraient contentés du “fumet odorant” des “os nus” de l’animal, brûlés sur leurs autels. Or les mêria, qui représentent, en effet, la part divine par excellence, relèvent d’une “structure floue”: ils «pouvaient tantôt être les cuisses de la victime, tantôt n’être que les fémurs». Mais ce n’est pas tout. Ajoutés à ce fait sémantique, d’autres indices – littéraires, épigraphiques, iconographiques etc. – montrent bien, une fois de plus, que les dieux grecs sont aussi carnivores: non seulement ils ne refusent pas de manger de la viande, mais ils se sentent même offensés et ils se mettent en colère, lorsqu’ils sont privés de ces chairs succulentes. Cependant, si, pour leurs invités surnaturels, les hommes prennent bien soin de dresser la table (en grec trapeza), ou de disposer des lits (en grec strônnumi klinan, ou strômnas; en latin lectum sternere), ils ne pensent pas moins à créer des structures adéquates pour leurs propres repas. Grâce aux apports de l’archéologie, la question de 9 Sur cette question, cf. les remarques de Michael H. Jameson, «Theoxenia», dans R. Hägg ed., Ancient Greek Cult Practice from the Epigraphical Evidence, Stockholm, 1994, 35-57, ainsi que la contribution de Louise Bruit dans ce volume.

XII

Présentation l’aménagement, dans les lieux de culte, d’espaces particuliers où les célébrants pouvaient banqueter, revient de plus en plus dans l’étude des cultures anciennes. Pour ne parler que des faits grecs ou romains, on pourrait dire qu’entre des structures temporaires, (du type skênai ou stibades/stibadium), et des constructions plus ou moins permanentes (hestiatoria, deipnêtêria, triklinia), les formes varient selon l’emplacement du sanctuaire, l’importance du culte, les goûts artistiques de l’époque etc. C’est sur cette importante question que porte la contribution de Ulrike Egelhaaf-Gaiser. À partir de quelques exemples de Pompéi et en centrant son analyse sur certaines communautés cultuelles, l’auteur s’interroge sur la relation entre les formes architecturales des sanctuaires et celles des maisons. En effet, on peut remarquer une association étroite entre la typologie des salles à manger et des cuisines dans les maisons, et celle des structures analogues dans les sanctuaires, ce qui montre l’influence de l’architecture domestique sur celle qui est mise en œuvre dans les lieux de culte. Mais, comme le démontre Ulrike Egelhaaf-Gaiser, ce fait n’est pas étranger à une tendance vers le luxe et le faste de la table, une tendance qui se développe à partir du IIe siècle av. n.è., et qui va de pair avec les premiers bains privés. Des dieux aux hommes et des hommes aux dieux, ce va-et-vient, dans le cadre du sacrifice, n’est finalement jamais simple. Et la relation entre ces deux mondes se complique, lorsqu’il faut les envisager par rapport à la nourriture et à sa distribution, au manger et à ses modalités. Au cœur de cette problématique, l’étude de John Scheid pose une série de questions pertinentes, qui vont au-delà du contexte romain. Peut-on soutenir, par exemple, l’idée d’une autonomie presque complète du banquet – en l’occurrence, du banquet romain – par rapport au sacrifice? En d’autres termes: peuton dépouiller un fait culturel de tout aspect cultuel, en traçant une ligne trop nette entre, d’une part, le religieux, et d’autre part, le politique, le social ou l’économique? L’auteur s’élève contre cette tendance – qui se manifeste aussi dans le domaine des études grecques. Il montre, après un réexamen de la documentation, mal interprétée parfois par certains chercheurs, qu’il ne peut pas y avoir de partage alimentaire sans participation divine, même si les sources romaines «ne fournissent généralement aucun renseignement sur ces partages», contrairement aux lois sacrées grecques. Le fait que le sacrifice représentait «un banquet parallèle des divinités et des humains», ne signifie pas que les mortels sauraient banqueter entre eux, sans partager avec les dieux. En fin de compte, tout animal était sacrifié, abattu rituellement, ce qui nous rappelle un trait essentiel de la culture aussi bien romaine que grecque: à savoir, que «manger» est «une activité éminemment religieuse». *** Mais, pour plusieurs cultures, le sacrifice n’est pas seulement un acte majeur de leur vie cultuelle, il ne se résume pas à un ensemble de modalités et de gestes, il ne se limite pas à établir une communication à formes multiples entre les humains et les puissances surnaturelles. Car le sacrifice donne aussi à penser, devient objet de discours, prête à des réinterprétations philosophiques ou théologiques, se trouve au centre de conflits, pendant des périodes mouvantes, où les mutations sociales et politiques, la transition longue et variable d’un système polythéiste et plurivalent à la nouvelle religion montante, ébranlent profondément l’action sacrificielle, avant de l’abroger définitivement, ou de transformer complètement, le cas échéant, son sens et son contenu. XIII

Stella Georgoudi, Renée Koch Piettre, Francis Schmidt Comment une culture perçoit-elle une autre culture? Que peut produire le contact entre deux mondes différents, entre deux systèmes dissemblables, entre deux sensibilités diverses? Et, dans un registre plus spécifique: comment interpréter les images d’une société, surtout lorsqu’elles représentent des thèmes qui renvoient à une autre culture? C’est justement à ce type d’interrogations que nous fait réfléchir la contribution de Mareile Haase, en choisissant de poser le problème de l’imagerie étrusque, où les sujets “grecs” sont largement présents. En prenant comme exemple deux représentations étrusques de sacrifice “dionysiaque”, l’auteur propose une analyse de fond, en mettant en question une opinion courante chez les érudits, qui voit dans ces scènes le reflet “réaliste” de rituels indigènes. En fait, ce qu’on pourrait déceler sur ces images, ce sont plutôt certains éléments de la fête athénienne des Anthestéries, et la présence de ce thème iconographique serait surtout révélatrice de la façon dont les Étrusques reçoivent et perçoivent la culture grecque, ainsi que du rôle que peut jouer cette imagerie dans un processus d’acculturation. Mais le contact entre deux cultures peut aussi se manifester à travers d’autres supports que l’image, comme le sont les mots et leur sens, traduits dans une langue étrangère. Certes, essayer de saisir, à l’intérieur même d’une culture donnée, la signification des mots qui désignent, par exemple, le sacrifice ou le don, est une condition sine qua non pour la compréhension de ces réalités cultuelles. Il est cependant tout aussi intéressant, voire éloquent, d’examiner les choix lexicaux pour lesquels opte cette culture, afin de rendre intelligibles, dans sa propre langue, ces mêmes réalités d’une société étrangère. C’est précisément cet examen que propose Gilles Dorival, en étudiant comment la Septante traduit en grec le vocabulaire hébraïque du sacrifice biblique. Un examen qui va au-delà d’une simple comparaison entre la terminologie de deux langues différentes. Car le lexique de la Septante est confronté non seulement au lexique hébreu, mais également au lexique grec du sacrifice, ce qui amène l’auteur à une constatation frappante: à savoir, que «le monde de la LXX évoque le monde grec, mais s’en écarte aussi». Constatation qui se double d’une autre, non moins intéressante. Car, comme le démontre Gilles Dorival à travers l’étude d’une série de mots hébreux et leurs correspondants grecs, il n’y a pas «une seule traduction strictement littérale». Pour rendre compte des réalités bibliques, la Septante procède par réinterprétations, voire par création de mots nouveaux, là où elle considère qu’il n’existe pas de véritables équivalents dans le domaine sacrificiel grec. Avec la contribution de Laurent Pernot, on aborde un autre problème fréquemment rencontré par le lecteur de textes: comment faire la part des choses entre réalité cultuelle et imaginaire littéraire, d’autant plus que cette même réalité ne se résume jamais à des pratiques toutes “transparentes”, immédiatement intelligibles? Plus précisément, lorsqu’on a affaire, en l’occurrence, à des œuvres qui se rattachent à un même milieu intellectuel et culturel, celui de la seconde sophistique, lorsqu’on aborde ainsi les textes d’un Aelius Aristide ou d’un Lucien, ou encore des romans comme ceux d’Héliodore ou de Lollianos, on est obligé, en effet, d’avancer avec prudence, comme le remarque avec justesse l’auteur. Car, pour exploiter le riche matériel sur les rites sacrificiels que nous offrent ces sources grecques de l’époque impériale, on prendra à tâche de distinguer entre, d’une part, la pratique et le vécu du sacrifice et, d’autre part, le goût du sensationnel, la tendance à idéologiser, voire à dépayser ou, le cas échéant, à blâmer les coutumes sacrificielles. À travers le thème du sacrifice qui devient ainsi objet de discussion, c’est finalement le problème de l’identité grecque qui se pose, un thème qui marque la littérature grecque de l’époque romaine. XIV

Présentation C’est également le thème du sacrifice qui conduit Stéphane Toulouse à défendre l’œuvre de Porphyre, contre l’avis des polémistes chrétiens qui voulaient imputer à cet auteur des “contradictions”, au sujet des sacrifices et du culte, en opposant son traité De abstinentia à son ouvrage La philosophie tirée des oracles. En abordant la question de la reformulation du thème du sacrifice et la mise en valeur, par Porphyre, de l’acte central que constitue le «sacrifice intellectif» (noera thusia), l’auteur établit la continuité et la cohérence de vues exprimées par Porphyre. C’est à ce disciple de Plotin, à la fois philologue et philosophe, qu’Eusèbe attribue l’emploi du terme de «théosophie», qu’on devrait plutôt comprendre en fonction du projet philosophique de Porphyre, un terme qui semble désigner «une visée plus haute de la philosophie elle-même». Dans la conception de Porphyre, le sacrifice «intérieur», «intellectuel», grâce auquel l’homme se purifie et se sanctifie, s’adresse au dieu suprême et constitue l’ultime forme du don sacrificiel, une forme qui conduit, au terme d’une élévation intellective, à l’abandon de soi et à l’assimilation à dieu. Cette réflexion sur les écrits de Porphyre, dans lesquels S. Toulouse constate les «mêmes préoccupations de salut de l’âme et de retour vers les dieux», devrait nous mettre en garde contre la tendance à isoler quelques passages du traité De abstinentia – passages relatifs aux sacrifices –, pour les interpréter dans un sens qui est parfois étranger à la pensée de Porphyre. Diverses contributions, dans ce volume, se sont attachées à reconsidérer certaines opinions ou théories qui, à force d’être répétées au long du temps, sont devenues des évidences, voire des certitudes. En se situant dans ces siècles de mutation qui, de Constantin à Théodose, ont accompagné la transition de la religion païenne vers le christianisme établi, Nicole Belayche critique justement l’une de ces idées reçues, que l’historiographie chrétienne continue à nourrir: à savoir, que tous les sacrifices auraient été interdits très tôt au IVe siècle de notre ère. Or, par une analyse minutieuse de la législation sur les sacrifices tout au long de ce siècle, Nicole Belayche démontre que cette idée tenace vient, en fait, de l’assimilation opérée, par la tradition chrétienne, entre les rites sacrificiels et les actions magiques. En réalité, avant la dernière décennie du IVe siècle – date qui marque le début d’une véritable législation anti-sacrificielle –, c’est la religion officielle romaine qui est en œuvre et qui se manifeste dans ses aspects publics, tandis que la répression ne s’exerce que contre les formes déviantes de la superstitio, formes qui concernent tout particulièrement les pratiques divinatoires privées, susceptibles de porter atteinte au pouvoir politique. À travers cette nouvelle évaluation de la documentation disponible, c’est également le problème du “public” et du “privé” qui se pose, un problème qui ne cesse de préoccuper les spécialistes de cultures les plus diverses. C’est aussi à un thème d’un intérêt plus général que se rattache l’étude de Joan R. Branham, un thème qui constitue un point particulièrement sensible de la problématique du sacrifice: à savoir, la relation que les différentes cultures établissent entre les deux sexes et le système sacrificiel, une relation qui pose souvent le problème de la place des femmes à l’intérieur de ce système. Bien évidemment, chaque culture donne ses propres réponses à cette question. Dans le cas grec, par exemple, on s’interroge sur la capacité de certaines femmes à jouer un rôle actif et de premier plan dans le processus sacrificiel, et à ne pas rester des simples spectatrices de cette action fondamentale. Mais avec J. Branham, on est déjà en milieu chrétien du IVe siècle, où le vrai sacrifice ne saurait être que celui du Christ. Or, dans le cadre cultuel de l’Église ancienne, structurer l’espace sacré signifie qu’on crée des barrières, aussi bien matérielles XV

Stella Georgoudi, Renée Koch Piettre, Francis Schmidt que symboliques, afin de tracer des domaines distincts, développer le sens de la hiérarchie, établir des divisions sociales. Mais cette différenciation de l’espace sacré de l’église contribuait aussi à “séparer”, à “isoler” les femmes, et tout particulièrement les femmes “non procréatrices”, telles les vierges et les veuves qui, comparées à l’autel et aux offrandes, peuvent finalement être constituées en «objets de sacrifice». D’Israël à la Grèce ancienne, de l’Égypte à l’Empire romain, le sacrifice animal ou végétal – ou les deux à la fois – représente, répétons-le, un rite central qui marque profondément la vie cultuelle de ces cultures anciennes. Avec l’entrée en scène du christianisme, à la fin de ce volume, ce n’est pas du sacrifice symbolique du Christ qu’il sera question dans la contribution de Cristiano Grottanelli, mais d’une “boucherie” sanctifiée qui constitue, en fait, le phénomène original du christianisme victorieux. L’auteur montre, en effet, que loin d’être une simple continuation, voire une survivance des sacrifices païens, cette “boucherie sacrée”, suivie d’un banquet pour les pauvres, relève d’une transformation de la religiosité, d’une réinterprétation chrétienne du votum traditionnel, en éliminant l’offrande sanglante, en inventant de nouvelles formes de comportements religieux. Tuer des animaux pour manger et, tout particulièrement, pour gratifier les pauvres d’une nourriture carnée, c’est finalement accomplir un acte de foi, c’est louer et remercier Dieu, en lui offrant non pas une part de la victime, selon la tradition sacrificielle païenne, mais la louange et la gratitude qu’on lui doit. *** En présentant cet ouvrage collectif, nous sommes conscients de l’absence de certains thèmes qui auraient pu trouver leur place dans une réflexion générale et comparative sur les pratiques sacrificielles. On pourrait, par exemple, saisir avec plus de précision la relation entre les destinataires surnaturels et le choix des espèces végétales et des victimes animales, voire humaines, selon les circonstances où s’accomplit le rite; on pourrait aussi approfondir la question de certaines formes particulières de sacrifices ou de mises à mort rituelles, ainsi les “sacrifices” dits purificatoires, divinatoires ou juratoires; on pourrait encore développer le difficile problème de la place qu’occupe l’opération sacrificielle tant dans le cours de la vie individuelle que dans les systèmes politiques des sociétés envisagées. On pourrait ouvrir enfin un chapitre comparatif consacré au regard que les différentes cultures de la Méditerranée ancienne portaient sur les sacrifices des autres, en les idéalisant ou les dénaturant, en les dénonçant ou se les appropriant par acculturation. Au terme de cette aventure collégiale, nous pourrions ainsi avoir un sentiment d’incomplétude, voire d’inachèvement. Sans doute l’étude des sacrifices anciens exiget-elle, elle aussi, une part de perte et de renoncement. Mais si cette entreprise commune peut faire avancer les débats, si elle réussit à ébranler des certitudes, à ouvrir quelques perspectives nouvelles, alors il aura valu la peine d’offrir aux dieux le fruit de ces échanges comparatifs. Qu’il nous soit permis enfin de mentionner tous celles et ceux qui ont participé à la préparation puis à l’organisation scientifique de la Table Ronde, tenue les 24-26 juin 2001 à l’École Pratique des Hautes Études et au Collège de France (où furent présentées et discutées les contributions réunies dans ce recueil): Nicole Belayche (EPHE), Philippe Borgeaud (Université de Genève), Louise Bruit (Université de Paris VII), XVI

Présentation Françoise Frontisi-Ducroux (Collège de France), Cristiano Grottanelli (Université de Florence), Ivan Guermeur (EPHE), Philippe Hoffmann (EPHE), François Lissarrague (EHESS), Guy Le Moal (CNRS), Constantin Macris (EPHE), Alfred Marx (Université de Strasbourg), Maria Patera (EPHE), Hedwige Rouillard Bonraisin (EPHE), Jörg Rüpke (Université d’Erfurt), Christiane Zivie Coche (EPHE). Cette recherche comparative sur les sacrifices a été menée dans le cadre d’une étroite collaboration francoallemande (projet Procope) avec des Instituts travaillant sur le même thème à l’Université d’Erfurt et de Potsdam. Jean-Louis Ferrary et Annie Pralong l’ont accueillie dans le cadre d’un programme quadriennal du Centre Gustave Glotz (UMR 8585CNRS). Gabriella Pironti (EPHE) a participé à la préparation du manuscrit. John Scheid (Collège de France), qui est à l’initiative de ce projet, en a animé la progression étape par étape. Que chacun trouve ici les remerciements de tous.

XVII

PREMIÈRE SECTION

QUESTIONS DE DÉFINITIONS I. Tuer, offrir, manger? II. Sacrifice animal, offrande végétale? III. Aux limites du sacrifice?

TUER, DONNER, MANGER DANS LE CULTE SACRIFICIEL DE L’ANCIEN ISRAËL Alfred MARX Faculté de Théologie Protestante, Université Marc Bloch, Strasbourg Ainsi que le relevaient Henri Hubert et Marcel Mauss, l’ancien Israël constitue un champ particulièrement privilégié pour l’étude du sacrifice1. De fait, la Bible hébraïque (=BH) est une source de tout premier ordre. Document à plusieurs voix d’époques et de milieux différents, elle permet à la fois d’esquisser les grandes lignes de l’évolution du sacrifice israélite et de dégager ses constantes. Mais surtout, et c’est là ce qui fait principalement son intérêt, elle contient, à côté de données isolées et externes, des systèmes sacrificiels homogènes, d’origine sacerdotale, où sont exposées, à l’intention des Israélites, les principales caractéristiques du sacrifice. La présence de ces systèmes permet non seulement de répertorier de manière exhaustive les rites significatifs, de les inscrire dans leur séquence rituelle, de déterminer la fonction spécifique de chaque catégorie de sacrifice et d’inventorier l’ensemble des circonstances où ils sont offerts, mais également, parce qu’ils apparaissent dans un contexte littéraire, de connaître les représentations théologiques dans lesquelles le sacrifice s’inscrit. La BH contient plus précisément deux systèmes sacrificiels, tous deux rédigés autour du VIe siècle, sous forme programmatique. L’un, attribué à Ézéchiel, un prophète de lignée sacerdotale, s’intéresse uniquement aux sacrifices réguliers et aux rituels liés au fonctionnement du Temple (Ez 40 – 48). L’autre, communément appelé «code sacerdotal» (= P), qui est décrit pour l’essentiel dans le Lévitique, porte sur l’ensemble des sacrifices, privés ou publics, du culte régulier et des autres rituels obligatoires. La BH nous permet ainsi de voir quelles sont, dans une religion donnée, la place et la fonction précises du sacrifice. Pour rendre compte de la fonction du sacrifice, on a généralement eu recours à l’un ou l’autre des trois motifs du tuer, donner et manger. Quelle est la part effective de ces différents motifs dans l’acte de sacrifier2?

1 H. Hubert & M. Mauss, «Essai sur la nature et la fonction du sacrifice », Mélanges d’histoire des religions, Paris, 19292, 7 et 8. 2 Pour une approche classique du sacrifice de l’ancien Israël voir R. de Vaux, Les sacrifices de l’Ancien Testament, Paris, 1964. Pour un inventaire complet des données, voir R. Rendtorff, Studien zur Geschichte des Opfers im Alten Israel, Neukirchen-Vluyn, 1967. Pour un commentaire détaillé du rituel sacrificiel du Lévitique voir J. Milgrom, Leviticus 1-16, New York, 1991. Pour une présentation succincte des recherches de ces dernières décennies, voir A. Marx, «Le sacrifice dans l’Ancien Testament. Regard impressionniste sur un quart de siècle de recherches», Foi et Vie, Cahier biblique 35, 1996, 3-17. Bibliographie: V. Rosset, «Bibliographie 1969-1991 zum Opfer in der Bibel», dans A. Schenker ed., Studien zu Opfer und Kult im Alten Testament, Tübingen, 1992, 107-151.

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Alfred Marx

I. Tuer La mise à mort de la victime a été traditionnellement considérée comme le motif central du sacrifice de l’ancien Israël, ceci sous l’influence de la dogmatique chrétienne à qui elle permettait ainsi de mettre le sacrifice de l’ancienne alliance en relation avec la mort rédemptrice du Christ sur la croix. Pourtant, pour autant que l’on puisse en juger à partir des données bibliques, l’ancien Israël n’a jamais fait de l’immolation l’acte central du sacrifice à Yhwh3. Celle-ci n’y est d’ailleurs quasiment jamais mentionnée4. Lorsque les prophètes en font mention, c’est uniquement en rapport avec les sacrifices d’enfants offerts aux idoles (Es 57, 5; Ez 16, 21; 23, 39), dans le but de souligner l’horreur que leur inspire cette pratique. Plus significatif encore, le verbe ‡æÌa†, immoler, ou son dérivé ‡eÌî†æh, immolation (dont l’unique attestation se trouve en 2 Chroniques 30, 17), ne sont jamais utilisés dans un sens générique pour désigner le culte sacrificiel. Ce verbe ne sert pas davantage à exprimer l’action d’offrir un sacrifice: en Exode 34, 25, il a, avec comme objet le sang sacrificiel, le sens de «verser»5. Sans doute, la BH connaît un certain nombre de rites centrés sur la mise à mort d’une victime. Mais aucun d’entre eux n’a été compris comme un sacrifice. L’abattage d’une génisse réclamé en cas de découverte d’un cadavre, lorsque le meurtrier est inconnu (Dt 21, 1-9), est un rite d’élimination, et non un sacrifice. Le Ìêrem, l’interdit, dont Yhwh frappe le territoire ennemi et dont il résulte que tous les êtres vivants – hommes et femmes, enfants et vieillards, et tous les animaux, chameaux, bœufs, moutons, ânes – sont passés au fil de l’épée (voir par exemple Dt 13, 16; Jos 6, 17.21; 11, 11-12; 1 S 15, 3.8; cf. Lv 27, 29), la ville adverse étant, le cas échéant, incendiée (ainsi par exemple Dt 13, 17; Jos 6, 24; 11, 11), n’est pas considéré comme un sacrifice, alors même que tout ce qui est placé sous interdit revient à Yhwh (Dt 13, 17; Jos 6, 17; cf. Mi 4, 13)6. Ce n’est qu’en Ésaïe 34, mais ici sous forme de métaphore, que l’interdit est présenté comme tel. Le cas du premier-né de l’âne est à cet égard particulièrement révélateur. Car tandis que les premiers-nés, dévolus de droit à Yhwh, font l’objet d’un sacrifice s’agissant de bovins, ovins et caprins, les premiers-nés de l’âne sont, soit rachetés par un sacrifice, soit simplement soustraits à tout usage (on leur brise la nuque, Ex 13, 13; 34, 20), mais jamais offerts en sacrifice. L’examen du rituel sacrificiel, tel qu’il est décrit principalement en Lévitique 1 à 7, confirme ces observations. Quelle que soit la nature du sacrifice, l’immolation de 3 Sur l’immolation voir N.H. Snaith, «The Verbs zæbaÌ and ‡æÌa†», Vetus Testamentum 25, 1975, 242-246 ; R.E. Clements, «‡Ì†», Theologisches Wörterbuch zum Alten Testament 7, 1993, 1214-1218. 4 Parmi la soixantaine de narrations qui se rapportent à un sacrifice elle n’est citée que dans deux cas: à propos du sacrifice interrompu d’Isaac, en vue d’accentuer l’intensité dramatique du récit (Gn 22, 10) – lorsque aussitôt après Abraham offrira un bélier en holocauste, v. 13, elle n’est plus mentionnée – et du sevrage de Samuel (1 S 1, 25), où l’emploi du verbe “immoler” vient sans doute de la volonté du narrateur d’insister sur la rupture que marque l’offrande du sacrifice. L’unique autre attestation de l’immolation en relation avec le sacrifice à Yhwh se trouve en Es 66, 3, dans un cadre polémique, où le rédacteur cherche à mieux assimiler le sacrifice à un meurtre. 5 En 2 Ch 30, 15.17; 35, 1.6.11 «tuer la pâque» n’est qu’une expression stéréotypée reprise d’Ex 12, 21 (où d’ailleurs la pâque n’est pas considérée comme un sacrifice). 6 Sur le Ìêrem voir, dans ce volume, Chr. Batsch, «Le Ìêrem de guerre dans le judaïsme du deuxième Temple».

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Tuer, donner, manger dans le culte sacrificiel de l’ancien Israël la victime y apparaît toujours comme un simple rite préliminaire. Effectuée en règle générale par l’initiateur du sacrifice, elle intervient toujours en marge de l’autel – selon Lévitique 1, 11 du côté nord de l’autel, chez Ézéchiel, sur des tables spécialement destinées à cet effet (Ez 40, 39-43) –, alors que le sacrifice proprement dit, la transmission de la matière sacrificielle à Yhwh, est du ressort exclusif des prêtres et se fait sur l’autel. La spécificité de chacune de ces deux phases du rituel est clairement indiquée en Ézéchiel 44, 10-16: à l’abattage des victimes – imposé là aux lévites en lieu et place du peuple, en châtiment de leur infidélité –, qualifié de «service du peuple», le prophète oppose le «service de Yhwh» qui, lui, est confié aux prêtres lévites fils de Zadoq et consiste en l’offrande de la graisse et du sang. La mise à mort de la victime se situe plus précisément à l’articulation de ces deux phases. Elle est le lieu où se fait la synergie entre le sacrifiant, qui tue la victime, et le prêtre qui en recueille le sang afin de le porter sur l’autel. Elle ne constitue jamais une fin en elle-même, et d’ailleurs l’effet attendu du sacrifice – selon le cas être un parfum agréable pour Yhwh ou obtenir l’absolution – n’y est jamais rattaché. Destinée à libérer la matière sacrificielle – sang, chair ou graisses – elle n’est que le dernier acte de la phase préparatoire, et non le sommet du sacrifice. On observera, au demeurant, que partout où, dans un contexte non-sacrificiel, la BH mentionne l’abattage d’un animal, cette immolation n’est, de même, qu’un préalable: elle se fait, selon le cas, en vue de pouvoir consommer la victime (Ex 12, 68; Nb 11, 22; 1 S 14, 32.34; Es 22, 13; Esd 6, 20-21) – dans tous ces cas (sauf Nb 11) le verbe ‡æÌa†, immoler, est suivi du verbe ‘ækal, manger –, ou afin d’utiliser son sang (Gn 37, 31; Ex 12, 6.21; Lv 14, 5-6.50-51), ou en vue de préparer l’eau lustrale destinée à purifier ceux qui se sont rendus impurs par suite du contact avec un mort (Nb 19, 3). Elle ne constitue jamais une fin en soi. À l’évidence, la BH n’a jamais compris l’abattage de la victime comme étant l’élément déterminant du sacrifice. Tuer n’est qu’un préliminaire en vue du sacrifice proprement dit. Il ne pouvait d’ailleurs en être autrement dans la mesure même où, parallèlement au sacrifice sanglant, l’ancien Israël pratique des offrandes végétales et des libations dont l’importance est allée en augmentant7. L’existence même de tels sacrifices interdit de faire de la mise à mort de la victime le motif central du sacrifice. La théorie traditionnelle est, d’ailleurs, généralement abandonnée8.

II. Donner Donner, par contre, est incontestablement une caractéristique essentielle du sacrifice9. Le sacrifice, en effet, n’est pas une réalité spirituelle, une simple disposition d’esprit, un mouvement de l’âme, mais une prestation en nature apportée par l’offrant

7 Sur ces offrandes, voir A. Marx, Les offrandes végétales dans l’Ancien Testament, Leiden, 1994. 8 Voir toutefois G.J. Wenham, The Book of Leviticus, Grand Rapids, 1979, 28. 9 Voir notamment A. Schenker, Versöhnung und Sühne, Freiburg, 1981; Milgrom 1991, 441. Cf. aussi H. Gese, Zur biblischen Theologie. Alttestamentliche Vorträge, München, 1977 et B. Janowski, Sühne als Heilsgeschehen, Neukirchen-Vluyn, 1982 pour qui le sacrifice représente fondamentalement le don de soi.

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Alfred Marx à son Dieu. Il est, ainsi que l’indique nommément l’un des principaux termes génériques pour le culte sacrificiel, un présent, minÌæh, que l’on fait à Yhwh. Cette caractéristique du sacrifice comme transfert d’un bien matériel par celui qui en est le propriétaire à Yhwh est clairement exprimée par la phraséologie utilisée pour désigner l’action de sacrifier: celle-ci précise généralement la nature de ce qui est offert et/ou le type de sacrifice effectué et mentionne expressément celui à qui ce bien est remis. Elle est également signifiée par le rituel sacrificiel. Lorsqu’un Israélite veut offrir un sacrifice, il présente son offrande à l’entrée de la Tente de la Rencontre, puis, dans le cas d’un sacrifice animal, impose sa main sur la tête de la victime et ensuite l’immole (voir par exemple Lv 1, 3-5; 3, 1-2 et, pour l’offrande végétale, Lv 2, 1-2). Ces rites expriment les différentes étapes de la phase négative du don, celle par laquelle l’offrant manifeste sa volonté d’apporter une offrande à Yhwh et de renoncer à son bien, une renonciation à laquelle il donne un caractère définitif en tuant la victime et en l’abandonnant au prêtre. Ce dernier, prenant le relais, conduit le processus à son terme et réalise la phase positive du don en transmettant la matière sacrificielle à Yhwh (voir par exemple Lv 1, 5-9; 3, 3-5 et, pour l’offrande végétale, Lv 2, 2) qui en prend possession, læqaÌ (ainsi expressément Jg 13, 23). L’offrande n’est donc pas simplement soustraite à son propriétaire et détruite. Elle est portée sur l’autel et transmise à Yhwh par le moyen du rite du sang et de la combustion. Cette combustion, qui fait pendant à la présentation de la matière sacrificielle, est, avec celle-ci, le seul rite commun à l’ensemble des sacrifices, qu’ils soient animal ou végétal. Elle marque l’aboutissement du rituel. Elle en constitue le point culminant. Dans l’ancien Israël, tout sacrifice comprend, nécessairement, la combustion de la matière sacrificielle sur l’autel, qu’il s’agisse de la chair de la victime, de sa seule graisse, d’une poignée de farine imbibée d’huile ou d’une fraction de pain. Cette combustion, qui réalise la transmission à Yhwh, est la caractéristique qui différencie le sacrifice de tout autre type d’offrande. Pourtant, la notion de don est trop large et ne permet pas de rendre compte de manière satisfaisante des traits distinctifs du sacrifice. D’abord, parce que tout don fait à Yhwh n’est pas nécessairement un sacrifice. Or, argent, pierres précieuses, bijoux et pièces d’orfèvrerie, objets en bronze ou en fer, vêtements ou tout autre produit manufacturé (voir par exemple Nb 7, 3.84-86; 31, 5054; Jos 6, 19.24; 1 R 7, 51; Esd 2, 69; 1 Ch 29, 7-8), et même propriétés immobilières et foncières (Lv 27, 14-25) peuvent, eux aussi, faire l’objet d’un don à Yhwh. Ce ne sont pas pour autant des sacrifices. Les biens apportés à Yhwh sont, selon le cas, versés au trésor du Temple ou intégrés au domaine de Dieu. Ils ne sont jamais brûlés sur l’autel, comme l’est un sacrifice. Seuls peuvent faire l’objet d’un sacrifice des animaux et des végétaux. Mais même la nature de la matière sacrificielle n’est pas un critère suffisant puisqu’il est parfaitement possible d’offrir à Yhwh des animaux et des végétaux, sans pour autant les lui sacrifier. Tel est le cas, en particulier, des prémices et de la dîme, destinées à Yhwh, mais intégralement cédées par lui aux prêtres (Nb 18, 11-13.21-24; Ne 10, 36-40). Tel est également le cas du premier-né de l’âne ou d’autres animaux impropres au sacrifice (Lv 27, 11-13). Même des animaux sacrifiables peuvent être simplement donnés à Yhwh (Nb 7, 3-9). La notion de don, autrement dit, de prestation librement consentie, ne convient pas non plus pour qualifier le sacrifice dans la mesure où, dans nombre de cas, le sacrifice est expressément exigé par Yhwh. Il en est ainsi des sacrifices servant à l’absolution, sacrifice «pour le péché», Ìa††æ‘t, et sacrifice de réparation, ‘æ‡æm, pour lesquels la nature exacte et les circonstances sont clairement fixées (voir notamment Lv 4, 1 - 5, 26). Il en va de même pour les holocaustes, sacrifices de communion, offrandes 6

Tuer, donner, manger dans le culte sacrificiel de l’ancien Israël végétales et libations destinés au culte régulier (voir principalement Nb 28 - 29) et aux rituels de consécration, de désécration et de purification. Tel est également le cas des offrandes végétales et libations, qui doivent obligatoirement accompagner tout holocauste et tout sacrifice de communion, même spontanés, et dont la nature et la quantité sont fixées avec précision (Nb 15, 3-16). Sans compter que holocauste et sacrifice de communion peuvent aussi faire l’objet d’un vœu, et ainsi constituer la contrepartie obligée d’un marché conclu avec Yhwh (Nb 15, 3). Il est d’ailleurs tout particulièrement significatif à cet égard qu’à l’unique exception de Qohéleth 4, 17 (!) la BH n’utilise jamais le verbe nætan, donner, en relation avec le sacrifice à Yhwh. On fait ©æôæh, un sacrifice à Dieu (par exemple 2 R 5, 17), on lui sacrifie, zæbaÌ (par exemple Ex 24, 5), on fait monter, ©ælæh hi, la matière sacrificielle à Yhwh (par exemple 2 S 24, 24), on la lui fait (par)venir, bœ‘ hi (par exemple Es 43, 23) ou encore on la fait approcher, qærab hi, de lui (par exemple Ez 46, 4), mais, jamais, on ne lui donne un sacrifice10. Seuls sont considérés comme des dons les sacrifices idolâtres (Ez 6, 13; 16, 19; 20, 28.39), et singulièrement les sacrifices humains (Ez 16, 21.36; 20, 26.31). Et ici, dans tous les cas, on emploie le verbe nætan ou son dérivé mattænæh! Cela étant, un certain nombre de textes attestent que le sacrifice a aussi été compris comme un don destiné à attirer les faveurs divines. C’est ainsi que David propose à Saül d’apaiser Yhwh par le moyen d’un présent (1 S 26, 19). Mais cette conception a été vivement combattue. Le prophète Michée condamne énergiquement ceux qui espèrent obtenir l’absolution de leurs péchés grâce à l’importance quantitative ou qualitative de leur sacrifice, et qui envisagent même de donner, nætan !, leur fils (Mi 6, 6-7). Le psalmiste souligne que Dieu n’a pas besoin qu’on lui offre des animaux en sacrifice puisque tous les animaux lui appartiennent (Ps 50, 9-11). Et le deutéro-Ésaïe fait remarquer que toutes les bêtes du Liban réunies ne suffiraient pas pour constituer un holocauste digne de Yhwh (Es 40, 16). Pour la BH, le sacrifice n’est pas don, il est minÌæh. Il est un présent que le sujet apporte à son suzerain, afin de lui rendre hommage et de lui exprimer sa soumission (voir notamment 1 S 10, 27; Os 10, 6; 2 Ch 17, 5)11. En qualifiant le sacrifice de minÌæh, la BH interprète celui-ci comme un geste d’hommage au divin roi. Et elle l’inscrit dans le cadre de cette obligation, imposée par Yhwh à chaque Israélite, comme l’une des clauses de l’alliance qu’il a conclue avec son peuple, de se présenter trois fois par an devant lui et de lui apporter son tribut (Ex 23, 15.17; 34, 20.23-24; Dt 16, 16; voir aussi Es 1, 12-13a). Qu’il soit requis ou spontané, tout sacrifice participe à cette fonction. Cette conception du sacrifice n’est pas particulière à une époque ou à un milieu. Elle traverse toute la BH. Elle sera tout spécialement accentuée par Malachie pour qui ne sont agréés par Yhwh que les sacrifices qui sont une marque d’hommage et de soumission (Ml 1, 6-14). L’offrande végétale, la minÌæh, représente, de ce point de vue, la quintessence du sacrifice israélite.

10 Par contre, on donne, nætan, à Yhwh toutes sortes de biens. Ainsi, Nb 18, 12; Jos 6, 24; 1 R 7, 51; Esd 2, 69; 1 Ch 29, 7-8. 11 Sur les différents emplois de minÌæh, voir H.J. Fabry & M. Weinfeld, «minÌæh», Theologisches Wörterbuch zum Alten Testament 3, 1984, 987-1001; G.A. Anderson, Sacrifices and Offerings in Ancient Israel, Atlanta, 1987, 27-34; Marx 1994: 1-28.

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Alfred Marx La notion de don est, en définitive, incompatible avec la représentation que se fait la BH de Dieu. Car, considéré comme le propriétaire ultime de tout bien, il ne saurait rien recevoir qui ne lui appartienne déjà. Et, à la différence des “idoles”, il ne saurait être lié par ces liens d’obligation qui, par l’effet du don, se seraient créés entre le donataire et le donateur.

III. Manger Comme aussi dans le monde grec, le sacrifice est fondamentalement un repas offert à Yhwh12. Il est, pour reprendre la principale désignation générique du culte sacrificiel, zebaÌ, sacrifice, et plus précisément repas, que l’on sacrifie, zæbaÌ, autrement dit, que l’on prépare à l’intention de Yhwh. Car, ainsi que l’indiquent les emplois profanes de zæbaÌ, sacrifier, c’est tuer un animal et l’apprêter en vue de le consommer (ainsi, par exemple, Dt 12, 15.21; 1 S 28, 24-25; Ez 34, 3; 2 Ch 18, 2). De sorte que le sacrifice par excellence sera le zebaÌ, le sacrifice de communion, partagé entre Dieu et l’hôte, qui lui-même le partage avec ses invités. De fait, la matière du sacrifice consiste exclusivement en denrées alimentaires. Et, parmi celles-ci, uniquement celles provenant de l’élevage – bovins, ovins et caprins, auxquels s’ajouteront les colombes – et de l’agriculture; et, plus précisément, celles qui constituent à la fois la principale production et la principale richesse d’Israël (voir par ex. Dt 7, 13) et la matière du repas habituel (céréales et huile d’olive) ou exceptionnel (viande, vin) des Israélites. Ces produits ne sont jamais offerts à Yhwh dans leur état brut, mais toujours transformés, sous une forme prête à une élaboration culinaire, ou même directement consommables: les animaux sont abattus, écorchés, dépecés, les abats sont lavés (voir par ex. Lv 1, 5-9) – Jg 6, 18-20 connaît même une forme de sacrifice où la viande est apportée déjà cuite, avec son jus; les grains de blés sont moulus en farine ou bien grillés et concassés, ou encore cuits en pains (Lv 2, 1.4.5.7.14); les olives sont pressurées afin d’en extraire l’huile, laquelle est versée sur la farine ou lui est incorporée (Lv 2, 1.4.5.7; Nb 15, 4); les raisins sont transformés en vin; l’offrande est salée (Lv 2, 13). Le sacrifice est d’ailleurs expressément qualifié de nourriture, leÌem, de Yhwh (par ex. Lv 3, 16; 21, 6; Nb 28, 2; Ez 44, 7; Ml 1, 7) et l’autel, de table, ‡ulÌæn (Ez 41, 22; 44, 16; Ml 1, 7). Cette nourriture lui est apportée quotidiennement (voir notamment Ex 29, 38-42a // Nb 28, 3-8) en sa Demeure (Ex 29, 42b-46). En somme, le repas de Yhwh est constitué des mêmes aliments que ceux dont se nourrissent les Israélites, et par là même Yhwh est considéré comme appartenant à la même communauté. Et, parce qu’il est considéré en plus comme leur suzerain, le repas qui lui est offert est composé des produits caractéristiques de son pays. Ce repas auquel Yhwh est convié peut emprunter une double forme. Il peut prendre la forme d’un holocauste, mode d’hospitalité le plus déférent, où le repas est préparé à l’intention exclusive de l’hôte de marque que l’on souhaite ainsi honorer tout particulièrement (voir Gn 18, 1-8; 1 S 28, 21-25). C’est cette forme que prennent notamment les sacrifices du culte régulier. Il peut aussi se présenter sous une forme plus 12 M. Detienne, J.-P. Vernant et alii, La cuisine du sacrifice en pays grec, Paris, 1979 et, pour l’ancien Israël, A. Marx, «Familiarité et transcendance. La fonction du sacrifice d’après l’Ancien Testament», dans Schenker 1992: 1-14.

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Tuer, donner, manger dans le culte sacrificiel de l’ancien Israël conviviale, comme sacrifice de communion, le repas étant ici partagé avec l’hôte, que l’on sert en premier et à qui on offre la part d’honneur, tandis que le reste est réparti entre les autres invités réunis pour la circonstance. Ce dernier type de sacrifice, où l’on mange et boit joyeusement avec son Dieu, ou, plutôt, devant son Dieu, comme invité de Dieu (voir par ex. Dt 12, 7; 1 S 1, 4-16!; Jr 33, 10-11)13, a été la forme habituelle du sacrifice, ceci du moins jusqu’à la centralisation radicale du culte sacrificiel au seul Temple de Jérusalem, décrétée par le roi Josias au VIIe siècle (Dt 12, 4-27). Jusqu’à cette date, en effet, tout repas constitué d’une pièce de bétail était obligatoirement partagé avec Yhwh et prenait ainsi la forme d’un sacrifice de communion. Sans doute, cette conception du sacrifice comportait le risque d’une dérive, comme le montrent les polémiques contre ceux qui s’imaginaient nourrir Dieu et le faire dépendre de cette nourriture (ainsi Es 1, 11; Ps 50, 12-13). Mais le sacrifice, principalement sous la forme du sacrifice de communion, de par la convivialité qu’il crée, n’en représente pas moins un idéal qui a trouvé son expression la plus parfaite lorsque, aux origines, après la conclusion de l’alliance de Yhwh avec Israël, Moïse et Aaron, accompagnés de soixante douze anciens, étaient montés sur la montagne où se trouvait Yhwh et, là, avaient mangé et bu en sa présence (Ex 24, 1-11). Le système complexe de relations créé par le sacrifice de communion est tout spécialement mis en évidence par le rituel sacrificiel tel que l’a élaboré le code sacerdotal. Ce rituel, du fait de la diversification des portions, leur mode de préparation, leur répartition entre Yhwh, le corps des prêtres, le prêtre officiant, le sacrifiant et ses invités, engendre un système complexe de circulation de nourriture qui permet à la fois d’unir entre eux les différents convives et, en même temps, de les différencier. Parmi ces convives, Yhwh est clairement mis à part. Il est l’hôte de marque, servi en tout premier, en un lieu distinct qui lui est strictement réservé, à savoir l’autel, et reçoit la portion d’honneur, laquelle consiste dans le sang de la victime, aspergé contre l’autel, et la graisse, brûlée sur l’autel. Ce qui est graisse est scrupuleusement défini: «la graisse qui recouvre l’intestin et toute la graisse qui est au-dessus de l’intestin, les deux rognons et la graisse qui est sur eux, près des lombes, ainsi que le lobe du foie qu’on enlèvera avec les rognons» (Lv 3, 3-4), à quoi s’ajoute, lorsque la victime est un agneau, la queue (Lv 3, 9). Présentée à l’état cru, cette part est rigoureusement interdite, même dans le cas d’un repas profane, à la consommation humaine, sous peine de mise au ban (Lv 7, 23-27). À cette part s’ajoute obligatoirement une poignée de farine imbibée d’huile, ainsi qu’une libation de vin (Nb 15, 2-16), qui, comme le sang et la graisse, est intégralement destinée à Dieu. Les autres convives, prêtres, sacrifiant et invités, se partagent la chair de la victime. Celle-ci est systématiquement cuite à l’eau. Les prêtres reçoivent en propre la poitrine et le gigot droit. La poitrine revient plus précisément au corps des prêtres. Elle est présentée par l’offrant à Yhwh en même temps que la graisse, mais leur est cédée par Yhwh (Lv 7, 30-31). Leur revient également le reste de l’offrande végétale (Lv 7, 10). Le gigot droit, quant à lui, est attribué au prêtre officiant, auquel il est directement remis par le sacrifiant, comme une redevance concédée par Yhwh (Lv 7, 32-33). Ces parts, apportées aux prêtres à l’état cru, sont cuites puis consommées en un lieu saint (Lv 10, 12-15), peut-être à côté de l’autel (ainsi expressément Lv 10, 12 pour l’offrande végétale).

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Pour ce sens de «manger devant», voir Gn 43, 33; 2 S 11, 13; 1 R 1, 25.

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Alfred Marx Le reste de la victime est pour le sacrifiant et ses invités. Après avoir fait cuire la viande dans des chaudrons, ils la consommeront, en état de pureté, selon le cas le jour même (Lv 7, 15), ou dans un délai de trois jours (Lv 7, 16-21). Il y a ainsi plusieurs niveaux dans la commensalité. Le degré de commensalité le plus élevé est celui qui unit Yhwh au sacerdoce. L’association des deux partenaires est ici particulièrement étroite. D’abord, parce que la part de Yhwh consumée sur l’autel, à savoir la graisse, et celle destinée aux prêtres, la poitrine, sont présentées conjointes devant l’autel, celle-là étant posée sur celle-ci. Ensuite, parce que recevant cette part de Yhwh, les prêtres deviennent ses propres invités. Mais surtout, parce que, grâce à l’offrande végétale, ils partagent avec Yhwh une même matière sacrificielle, différenciée uniquement par son mode de préparation14. Avec tous les autres partenaires de Yhwh, la commensalité n’est qu’indirecte, et résulte uniquement du fait que leurs parts respectives proviennent de la même victime, le prêtre officiant étant toutefois différencié du sacrifiant et de ses invités en ce qu’il consomme sa part à proximité de Yhwh. Les liens de commensalité les plus étroits sont ceux entre les partenaires humains du sacrifice. Car, reliés à Yhwh, les prêtres le sont aussi au sacrifiant et à ses invités avec qui ils partagent la chair de la même victime, préparée de la même manière, tout en la préparant et en la consommant en un lieu distinct. Quant au sacrifiant et à ses invités, qui consomment ensemble une viande préparée de manière identique en un même lieu, ils sont unis entre eux par une commensalité “horizontale” parfaite. Le sacrifice de communion hiérarchise. La distance entre les différents partenaires est clairement marquée, chacun recevant une part spécifique, qui lui est attribuée en propre. Par ces cercles concentriques ainsi tracés autour de l’autel, le sacrifice de communion manifeste davantage l’altérité de Yhwh que sa familiarité, sa distance, laquelle exige l’intervention de médiateurs, plutôt que sa proximité. Pour P, le sacrifice de communion apparaît, en définitive, moins comme le lieu de la convivialité avec Yhwh que comme le lieu où Yhwh marque sa différence et sa singularité. P tend, en effet, à minimiser la dimension repas du sacrifice de communion. Il est significatif, à cet égard, qu’il n’utilise jamais le verbe zæbaÌ dans son sens générique et seulement exceptionnellement à propos d’un sacrifice de communion (Lv 9, 4; 17, 5.7; 19, 5; 22, 29). Pour lui, le sacrifice, s’il est repas, est, plus fondamentalement encore, présent, qorbæn – catégorie qui inclut l’ensemble des offrandes cultuelles, qu’elles soient sacrifiables ou non – qu’Israël apporte, qærab hi, à Yhwh15. L’emploi privilégié de ce verbe pour exprimer l’offrande d’un sacrifice lui permet de mettre l’accent sur deux aspects. D’abord sur l’aspect tribut. Dans ses emplois profanes, qærab hi désigne, en effet, la remise d’un présent d’hommage par le vassal à son suzerain (ainsi Jg, 3, 17.18; Ps 72, 10), par le sujet à son souverain (Ml 1, 8; cf. Jg 5, 25). Cette dimension donnée par P au sacrifice se traduit également par l’obligation d’accompa-

14 Par contre, dans le cas d’une offrande de pains, en accompagnement d’un sacrifice de louange, to^ dæh (la forme plus élevée du sacrifice de communion, voir Lv 7, 11-15) ou comme offrande indépendante, la communion qui s’établit entre le prêtre officiant (voir Lv 7, 9) et Yhwh est d’une intensité toute particulière puisque c’est la même matière, préparée de façon identique, qui est partagée. 15 Sur ces termes, voir respectivement H.J. Fabry, «qorbæn», Theologisches Wörterbuch zum Alten Testament 7, 1993, 165-171 et J. Milgrom, «qærab», Theologisches Wörterbuch zum Alten Testament 7, 1993, 153-156.

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Tuer, donner, manger dans le culte sacrificiel de l’ancien Israël gner tout holocauste et tout sacrifice de communion d’une offrande végétale (Nb 15, 3-16) dont le nom même de minÌæh, présent d’hommage, tribut, exprime la fonction. Il est significatif, au demeurant, que pour P seule l’offrande végétale peut être offerte de manière indépendante, sans être associée à une autre forme de sacrifice. Mais l’usage du verbe qærab hi permet aussi à P d’insister sur un autre point. Qærab, c’est, littéralement, approcher, et, au factitif, faire approcher. Qærab hi implique ainsi à la fois l’idée de proximité et celle de distance. Sacrifier, c’est faire approcher une offrande de Yhwh, ce qui présuppose sa présence, et ce mouvement exprime une aspiration à entrer en relation avec lui. Mais, en même temps, l’emploi du factitif souligne la distance: l’Israélite ne s’approche pas directement de Yhwh, il s’approche de lui par l’intermédiaire de son offrande qu’il fait approcher de l’autel; et cette offrande, il ne la fait pas personnellement approcher de Yhwh, mais par l’intermédiaire du prêtre, lequel, à son tour, la fait approcher de Yhwh. Pour P, comme pour toute la tradition vétérotestamentaire, le sacrifice est indiscutablement un repas offert à Yhwh. Ce repas lui est apporté quotidiennement par Israël, à la fois en geste d’hospitalité envers le divin hôte dont on espère ainsi pérenniser la présence, et en témoignage d’hommage et de soumission. Tous les sacrifices que les Israélites, individuellement ou collectivement, apportent à Yhwh participent à cette fonction. Mais, par delà cette fonction première et la dépassant, le sacrifice est principalement destiné à permettre à Israël de s’approcher de son Dieu, d’un Dieu que l’on ne peut pleinement rencontrer. Le mets est médiation. Il associe Yhwh à son peuple, non pas tant par la commensalité, qui est réservée chez P aux seuls prêtres, mais de par sa nature, par le fait que les produits qui le composent sont les mêmes que ceux que consomment les Israélites. Cette réinterprétation du sacrifice comme un médiat permet d’enrayer toute déviation qui en ferait une simple nourriture dont Yhwh aurait besoin. Elle s’oppose aussi à une trop grande familiarité avec Yhwh. Au terme de cette revue des motifs constitutifs du sacrifice, force est pourtant de constater que le motif du repas, s’il est bien le motif fondamental, ne suffit pas à rendre pleinement compte de la fonction du sacrifice. La concentration unilatérale sur le seul rituel est forcément réductrice. Une étude du sacrifice doit nécessairement inclure l’examen des circonstances dans lesquelles il est exigé. Ainsi, pour l’époque perse, un tel examen met notamment en évidence l’importance du couple holocauste-Ìa††æ‘t et révèle une fonction essentielle du culte sacrificiel, à savoir réaliser tous les passages qui sont d’un intérêt vital pour Israël. Holocauste – accompagné selon le cas d’une offrande végétale et d’une libation – et Ìa††æ‘t sont, en effet, requis aux principales articulations de l’année solaire, lunaire et agricole (voir principalement Nb 28 - 29; Ez 45, 18 - 46, 15). Ils permettent, au tournant de l’année, de débarrasser le territoire de tous les péchés et impuretés qui l’avaient souillé et de régénérer le pays à l’aube de la nouvelle année (Lv 16). Au reste, par un jeu sur les quantités, en imprimant sur l’année le chiffre sept, les holocaustes relient le temps d’Israël au temps de Dieu et marquent l’appartenance à Yhwh de la terre d’Israël et de tout ce qu’elle contient16. Ils servent à réintégrer, après qu’ils se sont purifiés, tous ceux qui ont été facteurs d’impureté (Lv 12; 14, 2-32; 15, 2-15.25-30). Ils sont indispensables pour permettre la consécration des prêtres et de l’autel (Ex 29, 1-37 // Lv

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Marx 1994: 99-103.

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Alfred Marx 8; Ez 43, 18-26), l’ordination des lévites (Nb 8, 6-22), la désécration du nazir à l’issue de sa période de consécration (Nb 6, 13-20). Holocauste et Ìa††æ‘t ont ainsi pour fonction de garantir le passage du temps, de mettre en place les médiations nécessaires au culte, de rétablir la communication avec Yhwh, de réintégrer ceux qui, du fait de leurs manquements ou de leur impureté, s’étaient trouvés exclus de la communauté. Et ce, en réalisant les deux pôles de tout rite de passage, le pôle négatif de la séparation, par l’effet du rite du sang du Ìa††æ‘t, et le pôle positif de l’agrégation, par le moyen de la combustion, combustion de l’holocauste ou simplement combustion des graisses du . Ìa††æ‘t17 C’est sur ces fonctions et, plus généralement, sur son importance politique, économique et sociale, que devra porter prioritairement l’étude du sacrifice. Car si sa finalité est bel et bien d’établir ou d’entretenir une relation harmonieuse avec Yhwh par le moyen d’un repas, le culte sacrificiel d’Israël, principalement à l’époque perse, a aussi, plus largement, pour autre fonction de créer les conditions de cette rencontre. Il est destiné, en dernière instance, à rendre possible l’existence d’Israël, et ce, à tous les niveaux.

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17 Sur cette fonction du sacrifice, voir A. Marx, «Sacrifice pour les péchés ou rite de passage? Quelques réflexions sur la fonction du Ìa††æ’t», Revue Biblique 96, 1989, 27-48.

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Abstract The Hebrew Bible offers codification of two sacrificial systems and allows for a study of sacrifice in a systematic way. Killing is not the main point, since slaughtering, which is merely a preliminary rite before the very sacrifice, is accomplished by the donor. The very sacrifice is carried out by priests: but vegetal offerings as well as animals may be given. Nor could the idea of giving be the distinctive point of sacrificial ritual. One of the main terms referring to the sacrifice is minÌæh, meaning a tribute the subject pays to the lord as a gesture of homage and submission. Eating is of course a main point, since sacrificial worship allows a meal, zæbaÌ, prepared for YHWH; but zæbaÌ means a complex, indirect and hierarchised community of eaters. The basic point with zæbaÌ, as it is argued, seems to be mediation, the function of which is to create the conditions for the meeting between YHWH and his nation.

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ANCIENT GREEK ANIMAL SACRIFICE: GIFT, RITUAL SLAUGHTER, COMMUNION, FOOD SUPPLY, OR WHAT? SOME THOUGHTS ON SIMPLE EXPLANATIONS OF A COMPLEX RITUAL Folkert VAN STRATEN Université de Leyde To begin with, let me make clear what I will and will not try to do in this paper. In the following remarks I shall concentrate on Greek animal sacrifice in (roughly) the Classical period. I shall not concern myself with the origins of various components of sacrificial ritual. Firstly because the search for origins would take us into a distant past, where there is very little if any direct evidence to work with. Secondly, since knowledge of origins, if at all attainable, does not necessarily tell us anything useful about what these rituals meant to Greeks in the Classical period1. So my chronological limits are dictated by purely practical considerations: for the Classical period we have a relatively (and we might stress the word relatively) large amount of evidence, and this evidence is of a fairly wide range (literary texts, texts of a more documentary nature in inscriptions, images of various types). In trying to elicit from this evidence some indications of what sacrificial rituals meant to the Greeks who were involved in them, participated in them on a more or less regular basis, I hope to provide some starting-points for discussion. Yes, I am interested in meaning, but “meaning” without a capital M, and I will not be disappointed if we should be confronted with a plurality of meanings that are not readily reducible to one singular meaning.

I. Terminology and definition Most studies of ancient Greek sacrifice begin, quite rightly, with the observation that the word “sacrifice”, or its equivalent in other modern languages, covers a multitude of different phenomena that rather defy classification, although a primary distinction between two main types is often found: (1) sacrifices where only some parts of the animal were burnt for the gods, and a large portion was eaten by the human sac-

1 J. Rudhardt, Notions fondamentales de la pensée religieuse et actes constitutifs du culte dans la Grèce classique. Étude préliminaire pour aider à la compréhension de la piété athénienne au IVe siècle, Genève, 1958, 295: «Mais, si la recherche préhistorique décèle l’origine de certains gestes inclus dans le rituel sacrificiel, elle ne nous fait pas connaître la fonction qu’ils y remplissent». J.-P. Vernant, «Théorie générale du sacrifice et mise à mort dans la qusiva grecque», in Le Sacrifice dans l’Antiquité, Vandœuvres - Genève, 1981, 11: «Quelle qu’ait pu être, dans le lointain passé indo-européen, l’origine des pratiques sacrificielles, quelles qu’en soient les fonctions sociales et les valeurs religieuses dans d’autres civilisations, l’essentiel est de comprendre ce que les Grecs, quant à eux, en ont fait...».

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Folkert van Straten rificers2; (2) sacrifices of which nothing was eaten (thusiai ageustoi, «sacrifices not tasted»). The various ancient rituals subsumed under the modern term “sacrifice” perhaps have little more in common than the killing of an animal. Some may find such a definition too broad, and may question whether, for instance, the killing of a piglet for purificatory purposes should really be considered as a sacrifice. It is worth mentioning that there is some linguistic justification in the ancient Greek expression katharsion thuein used for such an occurrence3, containing the Greek word thuein which probably comes closest as an equivalent of the English verb «to sacrifice». But apart from that, a more inclusive definition would also seem to be preferable because it facilitates comparison of similar phenomena across cultural boundaries. On the other hand, some might opt for an even broader perspective, and include non-animal offerings (cakes, fruits, etc.) in the study of sacrifice. Indeed, German «Opfer» and Dutch «offer» may be used both for animal and vegetable offerings. The use of «sacrifice» in French and English to include non-animal offerings does not feel very natural, my colleagues tell me, but that obviously is no objection against the inclusion of both animal sacrifice and vegetable offerings in one comprehensive investigation. The down-side might be that the common denominator of these two kinds of offerings, namely their edibility, might gain undue importance. Then again, it is not unthinkable to widen the field even further and to include a third category of offerings: non-comestible objects of a more durable nature that were set up in sanctuaries as votive offerings to the gods. That for the ancient Greeks votive offerings and sacrifice were related is suggested by the use in the Arcadian dialect of the word anathuein (also unthuein, onthuein)4 for the setting up of a votive offering (the more generally used Greek term being anatithenai). But here again, broadening our perspective to include animal sacrifice, vegetable offerings and non-comestible votive offerings brings the risk of narrowing our perception of what these rituals imply to what they have in common, i.e. the act of giving something to the gods. Still, if due care is taken to avoid these pitfalls, a more inclusive approach would have much to recommend it, and it is purely for practical reasons that in this paper I concentrate on only one category of offering: animal sacrifice. Next a few words on terminology. Discussing ancient Greek rituals using ancient Greek terms would seem to have the advantage of a certain neatness, of not contaminating the discussion with anachronistic modern concepts. This, however, is largely a deceptive impression, for it would only work if we were familiar with the precise meaning of the relevant ancient Greek terms. But studies by such eminent scholars as Rudhardt and Casabona have made abundantly clear how complex and controversial a matter this is. And anyway, in the interest of intelligibility outside the narrow circle of specialists, and the exchange of ideas between disciplines, the use of modern terminology to describe ancient phenomena is to be preferred. Even so, we should be

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Modern studies sometimes use the term thusia for this type of sacrifice, although in ancient Greek usage this word had a broader meaning, see e.g. J. Casabona, Recherches sur le vocabulaire des sacrifices en grec, des origines à la fin de l’époque classique, Paris, 1966, 126-139. 3 E.g. Pausanias 1, 34, 5. 4 M.-L. Lazzarini, Le formule delle dediche votive nella Grecia arcaica, 1976, 72 and no. 106-111, 290.

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Ancient Greek Animal Sacrifice careful which words we choose, as I hope to illustrate with one example. If in the context of the study of animal sacrifice we want to speak about the killing of the sacrificial animal, it would be wise to do so in rather neutral terms (perhaps “the killing of the animal” would be a sufficiently neutral expression). Referring to this act as “la violence”5 admittedly makes for much more compelling reading, but it does have the significant disadvantage of prejudging the argument: once we have grown accustomed to thinking of the act of killing the animal as “la violence”, it will be very hard seriously to consider the possibility that little importance may have been attached to this aspect of animal sacrifice.

II. Giving It is not very fashionable nowadays to try and understand Greek sacrifice merely in terms of a gift to the gods, and indeed it is hard to see how this complex ritual could be satisfactorily explained within the framework of giving alone. Yet, we should not entirely give up on this thought too hastily. In several instances our ancient sources mention votive offerings and sacrifices in the same breath6. Votive offerings are often referred to, in the inscriptions, as dôra, and more than once the act of setting up a votive offering is explicitly represented as part of a do ut des transaction between god and man: man gives something tangible to the god in gratitude for the prosperity the god has provided, and at the same time he asks the god to show his gratitude by giving something suitable (health, prosperity etc.) in return7. The ritual of animal sacrifice might seem to be something essentially different from setting up a votive offering. There are, however, some well known ancient texts that equate sacrificing with the giving of gifts. Perhaps most often quoted in this respect is Plato’s Euthyphro (14 c-e)8: Sokrates: What do you say the holy, or holiness (to; o{sion kai; th;n oJsiovthta), is? Do you not say that it is a kind of science of sacrificing and praying (ejpisthvmhn tina; tou` quvein te kai; eu[cesqai)? Euthyphro: Yes. Sokrates: And sacrificing is making gifts to the gods (to; quvein dwrei`sqaiv ejsti toi`" qeoi`") and praying is asking from them? Euthyphro: Exactly, Sokrates. Sokrates: Then holiness, according to this definition, would be a science of giving and asking. Euthyphro: You understand perfectly what I said, Sokrates.

5 See e.g. R. Girard, La violence et le sacré, Paris, 1972; Vernant 1981; R.G. HamertonKelly ed., Violent Origins. Walter Burkert, René Girard and Jonathan Z. Smith on Ritual Killing and Cultural Formation, Stanford, 1987. 6 E.g. Plato, Leges, 909-910; Herondas IV, 11-19. 7 Lazzarini 1976, 102-103; 131-136; 283-284; 289-292; F.T. van Straten, «Gifts for the gods», in H.S. Versnel ed., Faith, Hope and Worship, Leiden, 1981, 66. 8 See now L. Bruit Zaidman, Le commerce des dieux. Eusebeia. Essai sur la piété en Grèce ancienne, Paris, 2001.

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Folkert van Straten Sokrates: Yes, my friend, for I am eager for your wisdom, and give my mind to it, so that nothing you say shall fall to the ground. But tell me, what is this service of the gods? Do you say that it consists in asking from them and giving to them? Euthyphro: Yes. Sokrates: Would not the right way of asking be to ask of them what we need from them? Euthyphro: What else? Sokrates: And the right way of giving, to present them with what they need from us? For it would not be scientific giving to give anyone what he does not need. Euthyphro: You are right, Sokrates. Sokrates: Then holiness would be an art of barter (emporikê technê) between gods and men? Euthyphro: Yes, of barter, if you like to call it so.

Context, as ever, is important. In Plato’s (Sokrates’) exploration of the concept of hosiotês, Euthyphro is more or less talked into a corner. But Euthyphro is represented by Plato in this dialogue as a (probably freelance) mantis, and although that does not necessarily mean that he was a very deep thinker on the fundamental concepts of religion, he would at least have had some thoughts on things like prayer and sacrifice. So while the definition of sacrificing as «making gifts to the gods» is here adroitly thrust upon Euthyphro by Sokrates for the sake of his argument, and would obviously not have been Sokrates’ (or Plato’s) final definition, it would still be acceptable, I think, to infer from this passage that for many Greeks sacrificing would at least imply the notion of «making gifts to the gods». This is also found in a (probable) fragment of Theophrastos’ Peri eusebeias: Those who have introduced extravagance into the sacrifices do not realise that they have thereby introduced a mass of evil, exaggerated religious fear, luxury, the idea that one could bribe the deity and right wrongs with sacrifices9.

Admittedly, this is far from an unbiassed source: the author is squarely against animal sacrifice in any form. But for his argument to have any force at all, we must assume that it appealed to some more widely held views. That animal sacrifice could, in some way, be thought of as a gift to the gods, also seems to follow from the emphasis which in several literary texts is put on the value, the cost, of the sacrificial animal10. Furthermore, inscriptions with so called sacrificial calendars regularly list the prices of the animals to be sacrificed. It may be true that these documents often are more of a financial than of a religious nature, but that does not diminish the relevance of their insistence on the victims’ prices. The evidence from Classical Greek representations of animal sacrifice, I believe, should also be considered. Such representations on votive reliefs always (or almost always) show the worshippers either leading the animal to the altar, or performing preliminary rites at the altar with the animal standing ready, but still alive and whole. These representations may be compared with the well known votive relief portraying 9

W. Pötscher, Theophrastos Peri Eusebeias, Leiden, 1964, 160 fr. 8. References in F.T. van Straten, Hierà kalá. Images of Animal Sacrifice in Archaic and Classical Greece, Leiden, 1995, 180-181. 10

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Ancient Greek Animal Sacrifice Lysimachides setting up his votive offering (a colossal image of a leg with a varicose vein) in the sanctuary11. In both cases the point of the votive image is, that the worshippers have themselves depicted in the act of presenting their gift to the god. Votive reliefs are very personal documents. If on my votive relief I choose to have me and my family depicted while making sacrifice, it is very important to me that my sacrificial animal, for which I payed with my own money, should be clearly and recognizably depicted. It is to be expected that in these cases the gift-aspect of animal sacrifice comes to the foreground.

III. Killing To begin by restating the obvious: there can be no animal sacrifice without the killing of an animal, and therefore killing must be an indispensable part of the sacrificial ritual. Burkert’s thesis on the central importance of the act of killing, the «Opfertötung» as «Grunderlebnis des Heiligen», and Vernant’s objections, have been a prominent part of the history of our studies for more than two decades now12. Others have looked at the problem from different angles. I do not intend to retrace this whole discussion, but I shall limit myself to a few marginal remarks. Burkert’s view might find some indirect support in a piece of iconographical evidence. Priests, in the Classical period, are quite often depicted holding a sacrificial knife (machaira), even when they are clearly not involved in any sacrificial ritual13. Apparently the machaira could serve as a distinctive attribute of the priest, and this, it could be argued, implies that the act of killing, with which this knife was closely associated, was of central importance. On the other hand, we can not exclude the possibility that among the various attributes of the priest this one was chosen for etymological reasons: the obvious relationship between the word hiereus and the verb hiereuein, which is normally used for the killing of the victim14. The killing as the high point of the sacrificial ritual is marked, in Burkert’s view, by the cry (ololugê) of the women present, as is so strikingly illustrated in Nestor’s sacrifice (Odyssey 3, 450). In Aischylos’ Seven against Thebes 267-269, the ololugmos is described as a thustas boê («sacrificial cry»), a typically Greek custom (hellênikon nomisma). It must be said, however, that from Homer onwards the cry indicated by ololugê, ololugmos, and related words, is not restricted to animal sacrifice. It also accompanies prayer and bloodless offerings, e.g. of Penelope (Odyssey 4, 759767) and Hekabe (Iliad 6, 301). And in the very few instances where we have a historical reference to the ololugê accompanying animal sacrifice, it does not always coin-

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Van Straten 1981: 113 nr. 2.1. E.g. W. Burkert, Homo necans Interpretationen altgriechischer Opferriten und Mythen, Berlin etc., 1972; Vernant 1981. See also C. Grottanelli, «Uccidere, donare, mangiare: Problematiche attuali del sacrificio antico», in C. Grottanelli & N.F. Parise ed., Sacrificio e società nel mondo antico, Roma / Bari, 1993, 3-53. 13 A.G. Mantes, Problémata tes eikonographías ton iereión kai ton ieréon sten archaía elleniké téchne, Athens, 1990, 82-92; Gilotta, F., «Scena di thysia greca da una tomba etrusca di Cerveteri», Studi Etruschi 60, 1995, 93-104, publishes a vase painting showing a priest (labelled hiereus) on the verge of killing an animal with the machaira. 14 Rudhardt 1958: 291-292; Casabona 1966: 18-26. 12

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Folkert van Straten cide with the moment of killing. Xenophon, Anabasis 4, 3, 17-19, is an interesting case. Before the crossing of a river under difficult circumstances, animals are sacrificed (it is a sacrifice of the sphagia-type, belonging to the category of thusiai ageustoi)15: When they reached the ford, they halted under arms, and Cheirisophos put a wreath upon his head, threw off his cloak, and took up his arms, giving orders to all the others to do the same; he also directed the captains to lead their companies in column, part of them upon his left and the rest upon his right. Meanwhile the manteis were slaughtering sacrificial animals into the river (ejsfagiavzonto eij" to;n potamovn, i.e. in such a way that the blood flowed into the river), and the enemy were shooting arrows and discharging slings, but not yet reaching their mark; and when the sacrifices proved favourable (kala; h\n ta; sfavgia), all the soldiers struck up the paean and raised the war shout, while the women, everyone of them, joined their cries (sunololuzon) with the shouting of the men–for there were a large number of women in the camp.

Xenophon states quite clearly that the cry of the women did not sound at the moment the animals were killed, but later, when the omens (probably taken, in these cases, from the flow of the blood of the victims) proved favourable. In fact, by the time that the soldiers struck up the paean and the women sunololuzon, attention had already shifted away from the sacrificial ritual towards the military reality of the moment. Let us go back to iconography. Jean-Pierre Vernant, referring to the subtle analysis of the material by Jean-Louis Durand, observed that in the sacrificial scenes painted on Greek vases there is not a single one to be found that shows the killing of the animal16. This absolute absence of the moment of killing, however, is directly connected with Durand’s very precise definition of what constitutes a depiction of the killing. It is perhaps best demonstrated if we look at the often reproduced red figure cup in the Louvre17. A youth, squatting at the altar, supports a small pig with his right hand and forearm, at the same time grasping its snout with his left hand, thus closing its mouth, and, by drawing the head up and back, exposing the throat. The sacrificial knife is held ready by a bearded man, who with an eloquent gesture of his left hand indicates that the animal should be held well over the altar. According to Durand’s way of looking at it, this is not a representation of the killing of the animal, since the knife has not yet pierced its throat, and that, of course, is indisputably correct. I would be inclined, however, to use a somewhat more inclusive definition. If we think of the sacrificial ritual in broad terms as a tripartite chronological sequence (preparatory rites, the killing, consumption/disposal of the various parts of the animal), then the subject of the Louvre cup clearly is the act of killing the sacrificial animal, even if the exact moment depicted is just before its throat is pierced or slit.

15 For sphagia on the battlefield, see W.K. Pritchett, The Greek state at war III: Religion, Berkeley, 1979, 83-85. 16 Vernant 1981: 7; J.-L. Durand, «Bêtes grecques. Propositions pour une topologique des corps à manger», in Detienne & Vernant ed. 1979: 136-138. 17 Paris Louvre G 112: van Straten 1995, 104; 220 V 147.

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Ancient Greek Animal Sacrifice In the bull-lifting scene on the black figure amphora in Viterbo, the knife does seem to touch the animal’s throat, although Durand may be correct in asserting that even in this case the knife has not quite pierced the skin18. Furthermore, in two vase paintings the throat of the animal is clearly being pierced by the knife19. In both these instances the sacrificial animal is slaughtered in a military context. These pictures must refer to sphagia on a battlefield, and it would seem appropriate that in these cases the act of sphazein is depicted in a more literal manner than elsewhere. Anyway, even according to my more optimistic count the number of vase paintings representing the killing of the victim is still very small: it is less than 5% of all sacrificial scenes on vases, which, you might think, is close enough to 0%. Statistically speaking that may be true, but for the interpretation of this modest amount of evidence it makes a big difference whether there are very few depictions of the act of killing the sacrificial animal, or none at all. A total absence of killing representations allows the hypothesis that the act is intentionally passed over in silence, as a sort of taboo20. If, on the other hand, there are some such representations, although few, then this could probably just be attributed to a lack of interest in this particular part of the ritual. Perhaps at this point I may introduce a question of a more general methodological nature. It is fairly common practice in our studies to take the relative frequency, or rarity, of certain motifs or themes in ancient iconography as significant evidence, to be accounted for in our interpretation. I have done so myself. But are such belated popularity polls regarding ancient images really helpful? I am aware that some of my colleagues would deny that such quantitative data have any clear significance. My own position is a more (cautiously) positive one: if the statistical data constitute a very clear pattern, they may be taken as probably significant (but even then their interpretation may, of course, be controversial).

IV. Bonding Making sacrifice together, and in fact performing any ritual together, is an excellent strategy for defining, redefining, confirming, the social group to which one belongs21. On the level of the family group this is nicely illustrated in Isaios’ speech On the estate of Kiron (8, 15-16):

18 G. Barbieri, & J.-L. Durand, «Con il bue a spalla», Bollettino d’Arte 70 Nr. 29, 1985, 1112; van Straten 1995: 111, 219 V 141. 19 Cleveland 26.242: van Straten 1995, 219 V 144; Malibu JPGM 86.AE.213: ibid. 220 V 146. 20 Not that I find this hypothesis very convincing in any case. It is not as if killing a sacrificial animal was of the same order as, for instance, the most holy rites of the Eleusinian mysteries. The killing of sacrificial animals normally took place out in the open, there was nothing secret or hidden about it, and most Greeks during their lifetime would be present at such a happening hundreds of times. It is hard to see why depictions of this act would be religiously shunned. 21 Rudhardt 1958: 257 s., 294-5; H.P. Foley, Ritual Irony. Poetry and sacrifice in Euripides, Ithaca / London, 1985, 34.

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Folkert van Straten Now there are other proofs which we can bring forward to show that we are the children of Kiron’s daughter. For, as was natural, seeing that we were the sons of his own daughter, Kiron never offered a sacrifice (thusian epoiêsen) without our presence; whether he was performing a great or small sacrifice, we were always there and took part in the ceremony (sunethuomen). And not only were we invited to such rites but he also always took us into the country for the Dionysia, and we always went with him to public spectacles and sat at his side, and we went to his house to keep all the festivals; and when he sacrificed to Zeus Ktesios – a festival to which he attached a special importance, to which he admitted neither slaves nor free men outside his own family, at which he personally performed all the rites – we participated in this celebration (ekoinônoumen), together we prepared/cut out the god’s portion and together we placed it on the altar and together we performed all the other rites (ta; iJera; suneceirourgou`men kai; sunepetivqemen kai; ta\lla sunepoiou`men), and he prayed for our health and wealth, as he naturally would, being our grandfather.

The speaker wants to prove that he is Kiron’s grandson, and therefore it is understandable that for his purpose he somewhat one-sidedly puts forward the social aspect of sacrifice, but he does seem to have a valid point. Among the various activities that were part of an animal sacrifice, he singles out the cutting out of the portions that were destined for the god, and the placing of these parts on the altar. Perhaps the fact that these actions concerned the hiera, the most holy parts of the sacrifice, was supposed to add force to his argument. There are various other parts of the sacrificial ritual that were especially effective in involving the participants as a group. During the preparations at the altar, before the animal was killed, the rites of the chernips and the kanoun were carried out. Water in a special container (chernips) was used by the sacrificer and his assistant to wash their hands. It was also carried round the altar, and a piece of firewood from the altar was dipped in the container and then water was sprinkled on the animal (which was expected to nod or shudder as a token of its assent) and on the people participating in the ritual. Barley corns were taken from the sacrificial basket (kanoun) and scattered over the animal, the altar, and again over the people present at the sacrifice22. By the sprinkling with water and barley corns, the bond between the group of people making sacrifice was strengthened. That chernips and kanoun were a crucial part of the ritual, and not just any two among many sacrificial utensils, can be inferred from the fact that Demosthenes uses the expression «handling chernibes and kana» as a concise and vivid summarization of «officiating at sacrificial ceremonies»23. In Aristophanes’ comedy Lysistrata, the heroine reproaches the Spartan and Athenian antagonists that they seem to forget their common bond, having on many occasions sprinkled the altar from one bowl, like kinsmen (oi} mia`" ejk cevrnibo" bwmou;" perirraivnonte" w{sper xuggenei`"...)24.

22 This reconstruction of the ritual is based partly on the assumption that its representation in Greek comedy is in its main points faithful to the real ritual (though admittedly with some comic exaggeration and distortion), and not free invention; see van Straten 1995: 31-43. 23 Demosthenes, 22 (Against Androtion), 78. 24 Aristophanes, Lysistrata, 1128-1132.

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Ancient Greek Animal Sacrifice In the post-kill phase of sacrifice, all activities concerned with the distribution of parts of the animal among the people who sacrificed would have a bonding effect. It is likely, however, that this bonding effect would be felt particularly strongly in the ritual of the splagchna. After the animal had been killed, the thoracic (and abdominal?) cavity was carefully opened up with a lengthwise incision, and some of the inner organs (splagchna) were extracted. These were skewered on spits and roasted in the fire on the altar, where at the same time the god’s portion is being burnt. When the splagchna were done, they were cut in pieces, distributed among those participating in the sacrifice, and immediately consumed on the spot, while still warm. This consumption of the splagchna is accompanied by libation and prayer. It stands to reason that the bond created by the collective eating of the splagchna would be believed to be an especially strong one, if only because of the location of the rite (in the sanctuary, at the altar) and its timing. The splagchna were consumed when they were still warm from the fire in which they had been roasted, the same fire that had sent up the smell and savour of the god’s portion being burnt on the altar (knisa) towards the deity for whom the sacrifice was intended25. Looked at in this way, the rite of the splagchna would appear not only to strengthen the horizontal bond between the individual worshippers, but also the vertical bond between the people making sacrifice on the one hand, and the god receiving sacrifice on the other. We may perhaps call it a sort of “communion”. This view finds support in the fact that there are some indications that the gods themselves also were given a part of the splagchna. At least that is what we may infer from two passages in Aristophanes. In the Birds, since the city in the clouds was built, the gods’ portions of the sacrifices can no longer reach them. What they miss are, among other things, parts cut from the splagchna26. And in a somewhat similar situation in the Plutus (the redistribution of wealth by Ploutos, who has regained his eyesight, has caused people to stop sacrificing to the gods), Hermes regretfully remembers the warm splagchna he used to gobble up27. How, in actual ritual, a portion of the splagchna would be given to the god, is a matter of conjecture. It may have been thrown into the still burning fire on the altar. But in Aristophanes’ Birds we are told of the custom of placing the splagchna literally in the hands of the gods (i{vn’ o{tan quvwn ti" e[peit’ aujtoi`" eij" th;n cei`r’, wJ" novmo" ejstivn, ta; splavgcna didw`/)28. For this to be possible, there would have to be present a cult statue of the god such as Aristophanes describes elsewhere, with its hand outstretched, palm upwards, in an appropriately greedy fashion29. Outside Athens, a similar custom is attested in some leges sacrae from Chios. They mention «splagchna into the hands» or more often «splagchna into the hands and onto the knees» (which eventually would fall to the priest)30. The splagchna that were placed on the knees would require a seated cult image. Many cult images held a phiale in the

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E.g. Aristophanes, Aves, 1515-1519. Aristophanes, Aves, 1515-1524. 27 Aristophanes, Plutus, 1130. 28 Aristophanes, Aves, 518-9. 29 Aristophanes, Ecclesiazusae, 778-783. 30 LSS 129, 4-6; LSS 77, 6-7; see also LSS 76, 4; 78, 6; LS 119, 4; 120, 2. F. Graf, Nordionische Kulte. Religionsgeschichtliche und epigraphische Untersuchungen zu den Kulten von Chios, Erythrai, Klazomenai und Phokaia, Rome, 1985, 40-41. 26

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Folkert van Straten outstretched right hand, which would make a convenient receptacle for the «splagchna into the hands»31. An inscription from Erythrai concerning the cult of Apollo and Asklepios stipulates that whoever sacrificed to Apollo and Asklepios «should set splagchna on the table for both gods» (ejpi; th;n travpezan paratiqevtw tw``/ qew``/ eJkatevrw/ - - splavgcna)32. These too later fell to the priest. But at the time of the sacrifice, the text explicitly states, they were set apart for the gods. If, as Eryximachos in Plato’s Symposium puts it, sacrifices are all about the communion (koinônia) between gods and men33, this communion is most succinctly demonstrated in the ritual of the splagchna as expressed by such Greek phrases as susplagchneuein (join in eating the splagchna)34, splagchnoisi suggignesthai or paragignesthai (come together with the splagchna)35, splagchnôn metousia (communion of the splagchna)36. To be barred from this communion was considered a terrible fate. Jean-Pierre Vernant, in his insightful commentary on the Prometheus myth in Hesiod’s Theogony, observed that, when Hesiod describes Prometheus’ deceitful division of the sacrificial animal between god and man, he does not mention the splagchna: since in this story the emphasis is on division, separation, the splagchna as tokens of bonding and communion par excellence have no place in it37. In vase paintings with sacrificial scenes, insofar as they depict the ritual after the killing of the animal, the splagchna are strikingly popular. Most often we see boys or young men roasting the splagchna on spits over the altar fire. In many instances this is combined with a depiction of the tail of the victim (the most readily recognizable part of the standard portion of the gods), curving upward in the heat of the fire and thereby giving a favourable sign: any Greek would understand this as a clear indication of a successful sacrifice, accepted by the gods. As an illustration of vertical communion and communication, between man and god, these vase paintings could hardly be more explicit: the splagchna to be shared out among the group of sacrificers and the god, the knisa from the burning thighbones, tail, etc. rising up towards the god, and the god acknowledging his acceptance by the sign of the tail.

V. «Tuer pour manger» In his exploration of Greek sacrificial ritual, Vernant has attached much significance to the observation that man has to kill to eat38. From Homer onwards there is a definite link between Greek animal sacrifice and the eating of meat. 31 E.g. Attic red figure squat lekythos Oxford 1966.714, ARV2 1325/51: manner of the Meidias Painter; Beazley Gifts, 1967, nr. 277; LIMC II, Aphrodite 44. 32 Inschriften. Erythrai und Klazomenai, nr. 205; LSA 24; Graf 1985: 250 ff. 33 Plato, Symposium, 188 b-c. 34 Aristophanes, Pax, 1115-1116. 35 Eupolis, Demoi (412 B.C.) fr. 99 Kassel-Austin, 41-43; Aristophanes, Equites, 410. Cf. Aristophanes, Vespae, 654. 36 Dionysios of Halikarnassos I 40, 4 (p. 103 Jacoby). 37 J.-P. Vernant, «À la table des hommes. Mythe de fondation du sacrifice chez Hésiode», in Detienne & Vernant ed. 1979: 45. 38 E.g. Vernant 1981: 18.

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Ancient Greek Animal Sacrifice In the Homeric descriptions of sacrifice we observe a clear dichotomy of the postkill phase of the ritual. The first part is concerned with the god’s portion, the splagchna and libation. After the thighbones have been burnt and the splagchna consumed, the second part is introduced with the standard formula: And then they cut up the rest and skewered it on spits39. This rest, in fact the best part of the animal, is then carefully prepared, and thus provides for a festive banquet. In Homer, in this second part the ritual aspect of the sacrifice is no longer very much in the foreground. In Classical Greece animal sacrifice was the main source (probably almost the only source) of meat for human consumption40. So it is only to be expected that there would have been considerable interest in this aspect of the ritual. Cult regulations in inscriptions may stipulate that the sacrificial meat should be consumed within the sacred precinct (or, more precisely, that it should not be taken away). Sometimes, on the other hand, the flesh of the sacrificed animals could be sold. Normally, if no such special regulations were in force, those who participated in the sacrifice took home part of the sacrificial meat. At the great festivals of the state, when many animals were slaughtered, large scale distributions of meat had to be organized. The fourth century law regulating the Lesser Panathenaia contains detailed instructions for the distribution of the meat of the two main sacrifices: several groups of officials had their share guaranteed before the general distribution was made to the other participants in the festivities41. Private sacrifice at home would entail a banquet to which a generous host might invite his friends. Probably at times the priorities were the other way round: the wish to have a banquet would suggest the idea to sacrifice an animal. In New Comedy this culinary aspect of animal sacrifice is often in the foreground, and sometimes criticized42. In any case, the sacrificial banquet in general must have had an important social dimension. If we look at the relevant iconographical material, however, we encounter some problems. There is no lack of material. As long as we are prepared to use a comprehensive definition of banquet, including both the meal and the subsequent symposion, an impressive corpus of banquet scenes on vases is at our disposal43. On closer inspection, however, we observe that there is much more drinking than eating going on: the

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Iliad 1, 465; Odyssey 3, 462; 12, 365; cf. 14, 430. G. Berthiaume, Les rôles du mágeiros. Étude sur la boucherie, la cuisine et le sacrifice dans la Grèce ancienne, Leiden, 1982, 81 s.; M.H. Jameson, «Sacrifice and animal husbandry in Classical Greece», in C.R. Wittaker ed., Pastoral economies in Classical Antiquity, 1988, 87. 41 IG II2 334 + SEG 18, 13 (LS 33), B 10-16 and 24-27. An earlier decree, of c. 422/416 B.C., was restored by Sokolowski, LSS 8, to provide for a distribution of sacrificial meat to all citizens; see, however, Lewis’s reservations, IG I3 137. 42 E.g. Menander, Pseuderakles fr. 451 Koerte; Menander, Dyskolos, 447-453. 43 F. Lissarrague, Un flot d’images: une esthétique du banquet grec, Paris, 1987; P. Schmitt Pantel, La cité au banquet. Histoire des repas publics dans les cités grecques, École française de Rome, 1992; O. Murray ed., Sympotica. A symposium on the symposion, Oxford, 1990; I. Peschel, Die Hetäre bei Symposion und Komos in der attisch-rotfigurigen Vasenmalerei des 6.-4. Jahrhunderts v.Chr., Frankfurt etc., 1987; K. Vierneisel & B. Kaeser ed., Kunst der Schale, Kultur des Trinkens, Munich, 1990. 40

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Folkert van Straten majority of the pictures focus on the symposion. There is no total absence of references to eating: in some banquet scenes there are tables with meat and other food, but they are a modest minority. Even more serious for our present purpose is the observation that these banquet or symposion scenes only very rarely hint at the fact that they are part of, or at least connected with, a sacrificial ritual44. The neat separation, already present in Homer, between the sacrificial ritual up to and including the consumption of the splagchna, and the ensuing banquet, seems to have been taken one step further. Let us try to be precise. Meat eaten at a banquet came from sacrificed animals. We know that; the Classical Greeks who took part in a banquet, thought about a banquet, painted or looked at a picture of a banquet–they all knew that. But evidently when they imagined or depicted a banquet or symposion, for the vast majority the provenance of the meat and the ritual connection did not occupy much of their interest.

VI. So what? The above outline, though far from a complete survey, does, I hope, give sufficient indication that animal sacrifice for Classical Greeks did not have one simple clearly circumscribed meaning. However, to speak of several distinct meanings may not be the best way of putting it either, for, as we saw, there is a considerable overlap between these “meanings”. Perhaps we come closer to an understanding if we think of a continuous field of overlapping shades of meaning or potential meaning. Which of these in any given case would be realized, would depend on the person involved in and reflecting on sacrifice. His thoughts would, among other things, depend on his social group and his intellectual level, on the situation in which the sacrifice took place, and on the extent of his involvement in it. Let me clarify this with a couple of examples. For a tragic poet, seeking to make the death of his hero or heroine more poignant by comparing it to, or speaking of it in terms of, sacrificial ritual, the emphasis, inevitably, would be on the act of killing (sphagia, sphazein). In this context the voluntary sacrifice of a young woman may even evoke the ritual fiction of the sacrificial animal assenting to its own killing45. People involved in real-life sacrifices would not necessarily have the same interests and the same priorities. For a very poor citizen who hardly ever could afford the sacrifice of an animal himself, the experience of sacrifice might mainly be that of a recipient of meat at communal sacrifices46. A person of average means, who could afford to sacrifice a sheep now and then, would probably feel rather differently about,

44 L. Bruit Zaidman & P. Schmitt Pantel, translated by P. Cartledge, Religion in the ancient Greek city, Cambridge, 1992, 227. 45 For examples see W. Burkert, «Greek tragedy and sacrificial ritual», Greek, Roman and Byzantine Studies 7, 1966, 87-122; F.I. Zeitlin, «The motif of corrupted sacrifice in Aeschylus’ Oresteia», Transactions and Proceedings of the American Philological Association 96, 1965, 463-508; F.I. Zeitlin, «Postscript to sacrificial imagery in the Oresteia (Agamemnon 1235-37)», Transactions and Proceedings of the American Philological Association 97, 1966, 645-653; H.P. Foley, Ritual Irony. Poetry and sacrifice in Euripides, Ithaca / London, 1985. 46 Cf. The Old Oligarch: Pseudo-Xenophon, Athenaiôn Politeia, 2, 9.

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Ancient Greek Animal Sacrifice on the one hand, the private sacrifice made by himself and his family, and on the other hand the sumptuous sacrifices made at a public festival such as the Great Panathenaia. Such variations are reflected in our evidence. For instance, the cogitations and speculations of the interlocutors in Plato’s dialogues usually were on a different level from the audience a comic writer was aiming at. And taken as a whole the literary testimonia, though diverse in themselves, would probably be of a more intellectual nature than the beliefs reflected in the iconographical material. But the iconographical testimonia cannot be taken as the expression of one uniform view either. Apart from all sorts of differences between individual artisans and patrons, there is also a more general distinction that can be made between certain classes of material. I think it is a reasonable assumption that a person would feel less personal involvement with a sacrificial scene on, let us say, a krater he happened to own, than with de representation on a votive relief that had been made to order, depicting himself and his wife and children, identified by inscriptions and recognizable by the composition of the family, leading a sacrificial animal to the altar, as they had done in reality. The differences in the iconographical repertoire of sacrificial scenes on vases and on votive reliefs, in my opinion, reflect not only the difference in usage of these objects (e.g. used for a symposion versus set up in a sanctuary), but also the different degree of personal involvement with the sacrifice depicted. To end on a trivial, though not necessarily false, note: let us not forget all those ancient Greeks who participated in countless sacrificial rituals without a thought in their heads of any deeper meaning, but content to play their part in the familiar procedure, seeing to it that everything went as it should, as they had been taught by their parents when they were young. For the correct performance of a familiar ritual brings its own fulfilment.

Abbreviations ARV2 IG LIMC LS LSS SEG

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Folkert van Straten Burkert, W. 1966, «Greek tragedy and sacrificial ritual», Greek, Roman and Byzantine Studies 7, 87-122. Burkert, W. 1972, Homo necans. Interpretationen altgriechischer Opferriten und Mythen, Berlin / New York (Religionsgeschichtliche Versuche und Vorarbeiten 32). Casabona, J. 1966, Recherches sur le vocabulaire des sacrifices en grec, des origines à la fin de l’époque classique, Aix-en-Provence (Publications des Annales de la Faculté des Lettres d’Aix-en-Provence, nouvelle série, 56). Detienne, M., Vernant, J.-P. et alii ed. 1979, La cuisine du sacrifice en pays grec, Paris. Durand, J.-L. 1979, «Bêtes grecques. Propositions pour une topologique des corps à manger», Detienne, Vernant et alii ed., 133-165. Foley, H.P. 1985, Ritual Irony. Poetry and sacrifice in Euripides, Ithaca / London. Gilotta, F. 1995, «Scena di thysia greca da una tomba etrusca di Cerveteri», Studi Etruschi 60, 93-104. Girard, R. 1972, La violence et le sacré, Paris. Graf, F. 1985, Nordionische Kulte Religionsgeschichtliche und epigraphische Untersuchungen zu den Kulten von Chios, Erythrai, Klazomenai und Phokaia (Bibliotheca Helvetica Romana, 21), Rome. Grottanelli, C. 1993, «Uccidere, donare, mangiare: Problematiche attuali del sacrificio antico», C. Grottanelli & N.F. Parise ed., Sacrificio e società nel mondo antico, Roma / Bari, 3-53. Hamerton-Kelly, R.G. ed. 1987, Violent Origins. Walter Burkert, René Girard and Jonathan Z. Smith on Ritual Killing and Cultural Formation, Stanford. Jameson, M.H. 1988, «Sacrifice and animal husbandry in Classical Greece», C.R. Wittaker ed., Pastoral economies in Classical Antiquity, 87-119 (ProcCambrPhilSoc Sup., 14). Lazzarini, M.L. 1976, Le formule delle dediche votive nella Grecia arcaica (MemLinc VIII, XIX 2). Lissarrague, F. 1987, Un flot d’images. Une esthétique du banquet grec, Paris. Mantes, A.G. 1990, Problémata tes eikonographías ton iereión kai ton ieréon sten archaía elleniké téchne, Athens (Demosieúmata tou Archaiologikoú Deltíou, 42). Murray, O. ed. 1990, Sympotica. A symposium on the symposion, Oxford. Peschel, I. 1987, Die Hetäre bei Symposion und Komos in der attisch-rotfigurigen Vasenmalerei des 6.-4. Jahrhunderts v.Chr., Frankfurt etc. Pötscher, W. 1964, Theophrastos Peri Eusebeias, Leiden. Pritchett, W.K. 1979, The Greek state at war III: Religion, Berkeley. Rudhardt, J. 1958, Notions fondamentales de la pensée religieuse et actes constitutifs du culte dans la Grèce classique. Étude préliminaire pour aider à la compréhension de la piété athénienne au IVe siècle, Geneva. Schmitt Pantel, P. 1992, La cité au banquet. Histoire des repas publics dans les cités grecques, Rome: École française de Rome, Paris (Collection de l’École Française de Rome, 157). van Straten, F.T. 1981, «Gifts for the gods», H.S. Versnel ed., Faith, Hope and Worship, Leiden, 65-151 (Studies in Greek and Roman Religion, 2). van Straten, F.T. 1995, Hierà kalá. Images of Animal Sacrifice in Archaic and Classical Greece, Leiden (Religions in the Graeco-Roman World, 127). Vernant, J.-P. 1979, «À la table des hommes. Mythe de fondation du sacrifice chez Hésiode», Detienne, Vernant et alii ed., 37-132.

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Ancient Greek Animal Sacrifice Vernant, J.-P. 1981, «Théorie générale du sacrifice et mise à mort dans la qusiva grecque», O. Reverdin & J. Rudhardt ed., Le Sacrifice dans l’Antiquité, Vandœuvres / Genève (Entretiens Hardt, 27), 1-21. Vierneisel, K. & Kaeser, B. ed. 1990, Kunst der Schale, Kultur des Trinkens, Munich. Zeitlin, F.I. 1965, «The motif of corrupted sacrifice in Aeschylus’ Oresteia», Transactions and Proceedings of the American Philological Assoc. 96, 463-508. Zeitlin, F.I. 1966, «Postscript to sacrificial imagery in the Oresteia (Agamemnon 123537)», Transactions and Proceedings of the American Philological Association 97, 645-653.

Résumé Quel sens donner au sacrifice animal en Grèce classique, sous ses deux formes de partage de la chair entre hommes et dieux, et d’abandon total de l’animal au dieu? Qu’il s’agisse de dons paraît évident sur les plaques votives où le fidèle est montré avec son apport devant le dieu, comme l’indiquent aussi un passage de l’Euthyphron ou un autre de Théophraste, ainsi que l’accent souvent placé sur le prix des victimes. W. Burkert appuyait sa théorie de l’importance de la mise à mort par des arguments contestables, mais on ne peut pas davantage affirmer que le geste sanglant soit absent des représentations. La communion sacrificielle est soulignée dans Isée 8, 15-16, ou bien par les aspersions rituelles d’eau et de grains d’orge qui tracent le cercle des participants, ou bien par la consommation des splagchna, grillés dans la même flamme que la part du dieu, et dont un morceau revient explicitement au dieu. Enfin on tuait certes pour manger (sur place ou chez soi, selon les règlements), mais les scènes de banquet sont muettes sur leur contexte sacrificiel. Le sens donné au rite dépendait largement de l’implication personnelle de chacun.

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OFFRANDES ET NOURRITURES: REPAS DES DIEUX ET REPAS DES HOMMES EN GRÈCE ANCIENNE Louise BRUIT ZAIDMAN Université de Paris VII-Denis Diderot On se propose d’examiner quelle place occupaient les offrandes végétales dans l’ensemble des procédures sacrificielles et dans la configuration générale des relations établies par les hommes avec leurs dieux en Grèce ancienne, et quels étaient les rapports entre offrandes et nourritures. Dans la représentation proposée par Hésiode dans la Théogonie, l’offrande aux dieux, à l’occasion de la thusia, d’une partie non comestible de la bête (ta ostea leuka, «les os nus»), brûlée sur l’autel après l’immolation, réserve aux hommes la viande sacrificielle et les parties vitales de la bête (sarkas te kai egkata piona: «les chairs et les entrailles lourdes de graisse», Théogonie, 538-540) et consacre aux dieux la fumée et le sang1. Ce partage inégal, que le récit d’Hésiode a pour objet de justifier, enferme l’humanité dans son statut mortel. Dans ce partage, offrande et consommation s’opposent, comme les statuts des hommes mortels et des dieux immortels. L’épopée semble faire écho à cette représentation lorsqu’elle évoque les dieux se nourrissant de nectar et d’ambroisie, nourritures, comme euxmêmes, imputrescibles et immortelles, ou quand elle repousse aux limites du monde humain, ou dans un passé révolu les rencontres au banquet entre hommes et dieux2. Qu’en est-il de la perception des rapports établis, par le biais des offrandes et des nourritures, entre les hommes et le divin dans les cultes et les pratiques rituelles des cités? D’un côté les dieux sont entièrement séparés des hommes par leur nature immortelle que reflète leur nourriture spécifique et qu’est censé sanctionner le sacrifice sanglant et le partage qu’institue la thusia. Mais d’un autre côté, ils reçoivent en partage les nourritures mêmes des hommes, brûlées sur les autels ou déposées sur les tables. Ils peuvent même être invités à manger aux tables des hommes, sinon avec eux, installés sur des lits où leurs images sont parfois déposées. Les vases représentent à d’innombrables exemplaires des dieux présents au sacrifice, les reliefs votifs les figurent “en personne” en face des dédicants, les inscriptions signalent les pratiques d’hospitalité (xenia) et le détail du matériel qui est prévu pour elles. La réalité cultuelle quotidienne brouille la vision trop bien ordonnée du sacrifice sanglant modèle, dessiné par Hésiode ou reconstruit par nous. Dès Homère d’ailleurs, les pratiques sacrificielles s’écartent par de sensibles variantes du modèle hésiodique. Pour tenter de rendre compte de la grande variété de pratiques que présente la réalité cultuelle, on pourrait partir de la définition de la thusia «comme pratique sacrificielle dominante et généralisée» proposée par Annie

1

Cf. ci-dessous l’article de G. Berthiaume, p. 241 sq.

2 Cf. Hyperboréens et Phéaciens, notamment chez P. Vidal-Naquet, Le chasseur noir. Formes

de pensée et formes de société dans le monde grec, Paris, 19913, «Valeurs religieuses et mythiques de la terre et du sacrifice dans l’Odyssée», 60-66.

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Louise Bruit Zaidman Verbanck-Piérard dans un article récent3. Elle y voit un ensemble où sont regroupés la plupart des sacrifices grecs, qu’ils soient adressés à des divinités dites olympiennes ou chthoniennes, à des grands dieux ou à des héros considérés en tant que divinités... «Cette thusia consiste généralement, mais pas exclusivement, en un sacrifice animal avec partage alimentaire et consécration d’une partie de la victime à la divinité honorée. Ce terme de thusia – ajoute-t-elle – peut aussi désigner des offrandes non-sanglantes...». L’aspect général «est centré sur la notion de consommation et de partage». La définition englobante qu’elle propose nous paraît opératoire dans la mesure où elle permet d’intégrer les différentes sortes d’offrandes comestibles au modèle le plus général du sacrifice et de rendre compte de la cohérence du comportement sacrificiel des Grecs à travers la diversité de leurs pratiques. Déjà J. Rudhardt, en même temps qu’il désignait le sacrifice sanglant animal comme «l’acte central du culte», soulignait l’«absence de rupture et de discontinuité radicale entre offrandes végétales et sacrifices sanglants»4. Lucien lui-même, dans le traité Sur les sacrifices, fait figurer libanôton ou popanon: «de l’encens ou un gâteau», dans l’énumération qu’il présente des divers sacrifices offerts par les hommes, après le bœuf, le mouton ou la chèvre5. Cette définition permet aussi de montrer que l’opposition entre les sacrifices dits “non sanglants” et les sacrifices d’animaux est empruntée à la théorisation idéologique des Anciens eux-mêmes. La notion de sacrifice non sanglant correspond en effet à une construction théologico-philosophique qui alimente des représentations liées aux mouvements contestataires ou réformateurs des sectes orphiques et pythagoriciennes6. Dans ces représentations, les offrandes végétales sont associées aux pratiques des premiers temps de l’humanité et de l’âge d’or, ou elles sont proposées comme un mode de vie qui doit assurer la pureté et le salut des hommes vraiment pieux7. Je voudrais reprendre ici la notion d’offrandes végétales non pas comme opposées au sacrifice animal, mais comme un des éléments qui construit l’espace du sacrifice comme un lieu de l’offrande et de la consommation, en instaurant une circulation par le biais des nourritures offertes, mais aussi des modalités de l’offrande, entre les deux mondes des hommes et des dieux. Offrandes et consommation des nourritures: on mettra moins l’accent sur le caractère carné ou non carné de l’offrande, que sur son caractère de nourriture potentielle, pour examiner dans un second temps dans quelle mesure repas des hommes et repas des dieux se répondent ou se rencontrent, non seulement 3 A. Verbanck-Piérard, «Les héros guérisseurs: des dieux comme les autres! À propos des cultes médicaux dans l’Attique classique», Héros et héroïnes, Kernos, Supplément 10, Liège, 2000, 281-332; réflexion formulée à partir d’une révision de la distinction entre sacrifices ouraniens et sacrifices chthoniens, sacrifices à des dieux ou à des héros, à propos d’Héraklès. 4 J. Rudhardt, Notions fondamentales de la pensée religieuse et actes constitutifs du culte dans la Grèce classique, Genève, 19581, 249 sq. Cf. aussi A. D. Nock, «The Cult of Heroes», Harvard Theological Review 37, 1944, 141-173, repris dans Essays on Religion and the Ancient World II; et M. H. Jameson, «Notes on the Sacrificial Calendar from Erchia», Bulletin de Correspondance Hellénique 89, 1965, 154-172. 5 «Une fois qu’ils ont établi des autels, des formules et des rites de lustration, ils offrent leurs sacrifices, le laboureur, le bœuf de labour, le berger un agneau, le chevrier une chèvre, un autre de l’encens ou un gâteau» (Sur les sacrifices, 11). 6 M. Detienne, Les jardins d’Adonis, Paris, 1972, notamment «Le bœuf aux aromates», 71114. 7 L. Bruit Zaidman, «La piété pythagoricienne et l’Apollon de Délos», Mètis VIII,1-2, 1993, 261-269; Le commerce des dieux, Paris, 2001, IIIe partie sur Théophraste.

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Repas des dieux et repas des hommes en Grèce ancienne dans leur composition et leur contenu, mais aussi dans leurs modalités et dans le vocabulaire qui les désigne ainsi que dans les opérations qui les organisent.

I. Offrandes et consommation des nourritures 1. Prémices des viandes Les dieux reçoivent, à côté ou en plus des mêria brûlés sur l’autel, des morceaux de viande: dès l’Odyssée, aux os des cuisses enveloppés de graisse et placés sur l’autel on ajoute des morceaux de viande crue, avant de brûler le tout8. Quant au porc immolé par Eumée en l’honneur d’Ulysse9, la procédure suivie est si peu en accord avec la description canonique de la thusia de l’époque classique, que Jean Rudhardt ne veut pas y reconnaître un sacrifice: pas de consécration à un dieu, pas de mêria consumés sur l’autel, pas de splagchna partagés entre co-sacrifiants. Pourtant, les dieux ne sont pas oubliés: avant d’assommer la bête, Eumée prélève quelques poils de la hure qu’il jette dans la flamme avec une prière. Il s’agit bien d’une offrande de prémices (422: aparchomenos), et, avant que la viande ne soit découpée et enfilée sur les broches, le porcher jette dans le feu allumé (en puri balle) sur l’eschara, le foyer au ras du sol, des morceaux de viande crue, prélevés sur tous les membres, recouverts de graisse et saupoudrés d’une fine farine. Après la cuisson enfin, des sept parts qu’il fait, il consacre l’une à Hermès et aux Nymphes (thêken epeuxamenos), avant d’offrir les autres aux convives10. Ainsi les dieux (athanatôn) reçoivent, semble-t-il, deux parts: collectivement et anonymement une part de viande crue brûlée sur la flamme consacrée (même si elle est allumée sur une eschara et non sur un bômos), accompagnée d’une prière à tous les dieux (kai; ejpeuvceto pa``si qeoi`s ` i). Une seconde part est destinée, cette fois nommément, à un groupe de divinités placées, du point de vue du partage, sur le même plan que les convives. Les deux actions de dépôt et de prière s’adressent ensemble aux divinités désignées, Hermès et les Nymphes, souvent associés comme divinités de la vie pastorale. Quant à savoir ce que devient cette part mise de côté pour les dieux, cela renvoie à la question qui concerne toutes les offrandes par dépôt et j’y reviendrai. Ce qui importe en l’occurence, c’est le geste du dépôt rituel. Son devenir ultérieur est 8 Par ex. Iliade II, 420, sacrifice d’Agamemnon à Zeus; Odyssée III, 448 sq., sacrifice de Nestor à Athéna. 9 Odyssée XIV, 418-450. Le verbe employé est hiereuô que l’on trouve à plusieurs reprises dans l’épopée pour désigner la mise à mort des bêtes. 10 Pour le commentaire de ce passage et les discussions qu’il entraîne cf. notamment J. Casabona, Recherches sur le vocabulaire des sacrifices en grec des origines à la fin de l’époque classique, Aix-en-Provence, 1966, 70 et A. Petropoulou, «The sacrifice of Eumaeus reconsidered», Greek, Roman and Byzantine Studies 28, 1987, 135-149. Les discussions portent entre autres sur la valeur de thêke, «il offrit» ou «il mit de côté». Ce dernier sens est préféré par Casabona et repris par P. Veyne («Inviter les dieux, sacrifier, banqueter. Quelques nuances de la religiosité gréco-romaine», Annales HSS, 1, 2000, 3-42) qui considère qu’Eumée met une part de côté pour lui-même. Mais si thêke est mis pour le verbe paratithêmi, le simple pour le composé, ce qui est courant en poésie, on rejoint l’emploi du verbe appliqué aux trapezômata, ces parts de viandes «déposées sur les tables des dieux» (cf. infra et D. Gill, Greek Cult Tables, London-New York, 1991).

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Louise Bruit Zaidman affaire d’usage et de redistribution: prêtre, pauvre, serviteur, selon les contextes plusieurs possibilités peuvent être envisagées. Dans un troisième temps, Eumée jette dans le feu les argmata, les prémices, prélevées cette fois sur la viande cuite, accompagnées d’une libation de vin. Tous peuvent alors se livrer aux joies du festin.11 Le repas offert par Eumée en l’honneur d’Ulysse, dans sa modeste maison, s’il se distingue du sacrifice public solennellement consacré aux dieux, n’en contient pas moins un certain nombre d’offrandes sacrificielles associant les dieux aux nourritures des hommes. On ne mange pas sans qu’une part revienne aux dieux, sous une forme ou sous une autre: prémices de la bête immolée sous la forme de poils jetés dans le feu, morceaux crus brûlés sur le foyer ou part de viande cuite déposée sur la table. Toutes sortes d’autres nourritures peuvent s’y ajouter. Nous en verrons des exemples. Les questions que posent ces modalités de l’offrande on les retrouve, hors de l’épopée, dans la diversité des cultes de l’époque classique et au-delà. Elles témoignent de la diversité de la nature des offrandes et de leurs modalités. 2. Offrandes végétales Les céréales, sont présentes dès l’ouverture de la thusia, sous la forme des oulochutai, des grains d’orges, répandus avant même l’immolation, en même temps que l’eau lustrale (Od., III, 445): «les graines sont associées aux gouttes d’eau pour obtenir l’accord de la victime»12. C’est ce que signifie la présence du kanoun sur les images de sacrifice, dont le contenu est attesté par Aristophane13 («Voici la corbeille avec les orges sacrés (olas), une guirlande, un coutelas, et aussi du feu. Rien ne nous retient que le mouton...»), et par son scholiaste: «Le couteau sacrificiel était caché dans le panier par les orges et les bandelettes»... Mais la présence du panier aux graines sur les images de sacrifice et dans les scènes de rôtissage à l’autel est aussi une manière de rendre «la nécessité de faire apparaître au plan des valeurs symboliques la liaison des nourritures à la viande avec les nourritures aux céréales»14. À partir de cette liaison fondatrice entre viande et céréales, c’est l’ensemble des offrandes végétales qui apparaissent comme autant de formes prises par la nécessité de consacrer aux dieux une part des nourritures qui assurent la vie. Si la plus riche est le bœuf, ce n’en est pas moins le pain et le vin qui définissent dans l’Iliade (V, 342) puis dans l’Odyssée (IX, l’épisode des Cyclopes) les hommes (sitophagoi: «mangeurs de blé») par opposition aux dieux qui se nourrissent de nectar et d’ambroisie, et aux Cyclopes qui ignorent le travail de la terre et la vigne. Les offrandes végétales les plus fréquentes et les plus régulières sont les pâtes versées sur les viandes et brûlées avec elles, comme la farine dans le sacrifice d’Eumée, ou les thulêmata, définies par le scholiaste d’Aristophane (Paix 1040) comme la farine dont on couvre les cuisseaux avant de les brûler sur l’autel, et à laquelle on ajoute du vin et de l’huile (qulhvmata ta; toi`" ` qeoi`" ` ejpiquovmena a[lfita. E j pirraivnetai de;

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Pour cette interprétation des argmata cf. Petropoulou 1987: 138 sq. Cf. J.-L. Durand, Sacrifice et labour en Grèce ancienne. Essai d’anthropologie religieuse, Paris-Rome, 1986, 124, qui souligne la symétrie entre le kanoun et la chernips sur de nombreuses “scènes à l’autel”. La chernips est le bassin contenant l’eau dont on asperge la victime à l’autel. 13 Paix, 948-49. 14 Je renvoie ici aux analyses de Durand 1986, cf. spécialement le chapitre «De la cérémonie», 135-143. 12

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Repas des dieux et repas des hommes en Grèce ancienne oi[nw/ kai; ejlaivw)/ , obtenant ainsi une pâte qui ressemble à une bouillie15. Dans la comédie, l’immolation a été accomplie hors de la scène, et le serviteur, faisant office de mageiros, a été chargé par Trygée d’apporter les cuisses pour les déposer sur le feu. Dans un deuxième temps, Trygée se charge de rapporter splagchna et thulêmata. S’agitil alors d’offrandes à brûler en même temps que les cuisses? ou ne faut-il pas plutôt les associer aux viandes qui seront, dans un deuxième temps grillées (optan: «faire cuire, griller ou rôtir») pour les hommes? Chez Théophraste, les thulêmata sont associés au pelanos déposé sur la table d’offrande et destiné à Zeus (II, 29, 1), avant que le bœuf de labour, retour des champs, ne les piétine et ne les mange. Faut-il les assimiler aux psaista et en faire des “morceaux de pâte crue”16? Il s’agirait alors de sortes de crêpes (interprétation qui éclairerait le fait que le mot est toujours employé au pluriel), farine mélangée à un liquide et à d’autres produits et destinées à être brûlées en même temps que les viandes consacrées, ou rôties sur la braise en même temps que les splagchna. Le même Théophraste (II, 6, 2) fait de l’usage des psaistheisi thulêmasi, associées à l’accomplissement des sacrifices, un souvenir de la seconde étape dans l’histoire des sacrifices, après l’offrande des grains d’orge, la première céréale, fruit de Déméter, à chaque étape de la nourriture humaine correspondant d’autres formes d’offrandes aux dieux.

3. Gâteaux Des thulêmata on distinguera les gâteaux, galettes ou pains cuits, pelanoi, pemmata ou popana qui peuvent eux-mêmes être brûlés sur le feu de l’autel, en même temps que les viandes du sacrifice ou à leur place, ou encore déposés à côté de l’autel, le plus souvent sur la table prévue à cet effet, seuls ou accompagnés d’autres nourritures: gâteaux de farine d’orge ou de froment, mêlés ou non de miel, voire gâteaux de légumes broyés. Bien sûr, chaque divinité ou circonstance pourra recommander des choix différents, marqués par la tradition ou les exigences du culte. On ne peut qu’être frappé par la plasticité de ces exigences qui donne un panorama d’une grande diversité organisé par des règles récurrentes ou implicites. Selon Pausanias, chaque année à Athènes, on déposait des gâteaux (pelanous ou pemmata) sur l’autel de Zeus Hypatos, devant l’entrée de l’Érechtheion. «Sur cet autel, ils ne sacrifient aucun être animé (entha empsuchon thuousin ouden), mais ils ont l’habitude de déposer des gâteaux et ils ne font pas de libations de vin (pevmmata de; qevnte", oujde;n e[ti oi[nw/ crhvsasqai nomivzousin)». Ce sacrifice, nous dit encore Pausanias, célèbre le sacrifice mythique accompli autrefois par Cécrops qui avait consacré par le feu (kathêgise) des pemmata epichôria (des «gâteaux du pays») sur le même autel. Du sacrifice fondateur au culte qui le perpétue, on est donc passé d’un sacrifice par consumation et destruction (kathêgise) à une offrande par dépôt (thentes)17. C’est encore de dépôt, mais cette fois traité comme une offrande préliminaire qu’il est question dans le cas des Bouphonies. Les pelanoi kai thulêmata déposés en offrande par Diomos sur la table près de l’autel sont destinés à être “sacrifiés” (thuoi: brûlés pour les dieux?) (ejpi; th`" trapevzh" ejnargw`" ` keimevnwn, i{na toi`" ` qeoi`"

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Cf. Casabona 1966: 123-25. Ibid. 17 Pausanias I, 26, 5 et VIII, 2, 3. 16

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Louise Bruit Zaidman tau`ta quvoi)18. Le dépôt (keimenôn) semble être une étape préliminaire, et c’est pendant leur exposition que le bœuf revenu des champs les dévore katephage avant de tomber sous les coups de la hache... On connaît la suite de l’histoire, qui sert de récit fondateur pour le sacrifice du bœuf laboureur à Athènes, et le festin (dais) qui suit le partage de la viande. Là encore, le culte historique est donné comme remaniement d’un sacrifice ancien. Le gâteau et la pâte déposés sur la table de bronze lors des Dipolies, les fêtes de Zeus Polieus (qevnte" ga;r ejpi; th`" ` calkh`" trapevzh" pelano;n kai; yaistav) ne seront pas sacrifiés après leur consécration (c’est-à-dire brûlés), mais ils serviront au choix du bœuf qui se désigne ainsi lui-même pour le sacrifice en les mangeant. Bien d’autres témoignages nous montrent les gâteaux, sous des formes et des appellations diverses, tantôt servant d’offrande préalable au sacrifice sanglant (prothumata), tantôt tenant lieu de sacrifice: l’expression pelanon thuein, employée dans un vers souvent cité de l’Ion d’Euripide, signale l’offrande d’un gâteau brûlé sur un autel devant l’entrée du temple d’Apollon, offrande qui est bien perçue comme un sacrifice autorisant l’entrée dans le temple du consultant, mais qui ne le dispense pas d’un sacrifice sanglant. Pelanon thusai, c’est aussi l’expression employée par Eschyle dans les Perses pour désigner l’offrande par Atossa, sur l’autel, d’un pelanon aux divinités apotropaïques (apotropoisi daimosi). Ces témoignages littéraires sont corroborés par des inscriptions, par exemple une inscription du IVe av. n.è.19, qui désigne par thuein prothumata les rites préliminaires accomplis avant le sacrifice principal de la fête (heortê) en l’honneur d’Asclépios au sanctuaire du Pirée. La fête comprend cette fois une thusia suivie d’un partage et d’une distribution de viandes (krea nemein). Une autre inscription du Pirée20, parle de prothuesthai des popana à différentes divinités, dans le même sanctuaire, avant le sacrifice au dieu guérisseur, ce qui semble bien, étant donné le sens du verbe, indiquer une crémation21. Qu’en est-il des offrandes aux Diasia, et des «offrandes sacrificielles régionales» (thumata epichôria) évoquées par Thucydide dans un passage du livre I? «Les Athéniens ont la fête appelée Diasia, la plus grande fête de Zeus Meilichios; elle se célèbre hors la ville; tout le monde participe aux sacrifices, beaucoup de gens avec, au lieu de victimes, des offrandes locales (quvousi polloi; oujcV iJerei`a, ajlla; q´umata ejpicwvria)»22. Pour le scholiaste de Thucydide, ces offrandes, apportées par chaque famille, avaient la forme d’animaux, et elles étaient brûlées23. Il y voit une offrande expiatoire, liée au meurtre de Cylon et de ses partisans, malgré leur statut de suppliants, après leur coup de force manqué sur l’Acropole d’Athènes, comme si les rites de purification appelés par la souillure du meurtre, étaient intégrés dans un culte plus ancien. Mais d’autres références à cette fête font allusion à des offrandes ani-

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Porphyre, De l’abstinence, II, 30, 4; cf. Durand 1986. IG II2, 47, l. 1-3 et l. 10-15. 20 IG II2, 4962A, l. 1-10. 21 LSCG 21A, p. 50-52; Verbanck 2000: 315-17. Quoique A. Verbanck affirme «aucun des termes des inscriptions ne permet de préciser le sort réservé à ces offrandes», il semble, compte tenu des exemples fournis par Casabona (cf. p.104 sur les emplois de prothuesthai, «sacrifier à une divinité avant une autre»), que le verbe prothuesthai soit appliqué aussi bien à des victimes qu’à des gâteaux. 22 Thucydide, I, 126, 6. 23 Tivna pevmmata eij" zw/w v n morfa;" tetupwmevna e[quon. 19

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Repas des dieux et repas des hommes en Grèce ancienne males: une phrase de Xénophon évoque un sacrifice holocaustique24, et Aristophane, dans les Nuées (408), parle de la cuisine de Strepsiade aux Diasies, qui fait rôtir le ventre d’une victime pour ses proches: [Optwn gastevra toi``" suggenevsin... M. Jameson, rapprochant la citation de Thucydide d’un passage du calendrier d’Erchia25, estime qu’il faut distinguer plusieurs phases dans une fête complexe qui pourrait comporter à la fois une libation sans vin, une victime offerte en holocauste, et une offrande avec partage des viandes. Ainsi serait-il tenu compte, à la fois de la fête “familiale” évoquée par Thucydide, et du caractère endeuillé signalé notamment par Hésychius. Quant aux thumata epichôria, devenues offrandes “non sanglantes” à partir de l’addition d’un hagna inséré tardivement par Pollux, M. Jameson propose d’y voir, non pas nécessairement des gâteaux, mais des offrandes diverses ne consistant pas en victimes animales mais n’excluant pas non plus que la fête en comporte26. 4. Offrandes et alimentation humaine Les pains et gâteaux représentent un chapitre important de ces offrandes végétales, précisément à cause de la place des céréales dans l’alimentation humaine, place symbolique et place réelle. Au sanctuaire de Déméter et Koré à Corinthe, les fouilles ont livré quantité de terres cuites votives, représentant des gâteaux de formes diverses, présentés dans des vans, corbeilles associées au sacrifice et aux repas pris dans le sanctuaire, et sans doute dédiés en souvenir de la cérémonie au cours de laquelle de vrais gâteaux étaient consacrés aux déesses27. Les fouilles systématiques, menées sur le site à partir de 1994 par Nancy Bookidis, Julie Hansen, Lynn Snyder et Paul Goldberg28, confirment que les restes végétaux et animaux renseignent à la fois sur les offrandes et sur les repas pris sur place. Les archéologues ont exploré méthodiquement, sur de nouveaux frais, et en s’appuyant sur des techniques jamais encore appliquées sur ce site, une des trente-six salles de banquet identifiées. Les résultats conduisent à modifier les hypothèses avancées jusque-là, qui supposaient, faute d’en avoir trouvé des traces, qu’on ne mangeait sans doute pas de viande dans les banquets pris au sanctuaire. L’enquête a abouti à dresser un tableau des plantes et des animaux représentés sur le site à l’époque classique. Ce tableau permet de conclure, d’abord qu’il faut sans doute admettre que des viandes, essentiellement des porcs, étaient consommées dans les repas rituels; ensuite que les restes végétaux et animaux proviennent sans doute à la fois des repas communs et des sacrifices. Les nourritures identifiées étaient à la fois offertes et consommées sur place, même si on ne peut dire toujours sous quelle forme. Ici, les textes littéraires et les inscriptions peuvent venir à l’aide de l’archéologie. Les auteurs observent, par exemple, que la liste des produits énumérés par l’inscription de Cholargos, qui nous renseigne sur les matières premières utilisées à l’occasion des

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Xénophon, Anabase VII, 8, 5. G. Daux, « La grande démarchie : un nouveau calendrier sacrificiel d’Attique », Bulletin de Correspondance hellénique 87, 1963, 603-634. LSCG, 18 A l. 37-43 ∆Anqesthriw`no⁄", Diasivoi", ejn ⁄ a[stei ejn “Agra", ⁄⁄ Dii; Milicivwi, ⁄ oi\", nhfavlio" ⁄⁄ mevcri splavgc⁄[n]wn... Pour une étude et une discussion détaillée cf. Jameson 1965. 26 Cf. Jameson 1965. 27 A. Brumfield, « Cakes in the liknon. Votives from the sanctuary of Demeter and Kore on Acrocorinth », Hesperia 66/1, 1997, 150-170. 28 «Dining in the Sanctuary of Demeter and Kore», Hesperia 68/1, 1999, 1-54. 25

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Louise Bruit Zaidman Thesmophories29, recoupe celle des produits retrouvés en plus grand nombre lors de la fouille de 1994 à Corinthe. Ils pourraient entrer dans la fabrication de gâteaux du même type que ceux qui sont représentés sur les corbeilles de terre cuite, et sans doute destinés à être offerts aux deux déesses, mais peut-être aussi consommés. Ce qui en tout cas est fort clair, c’est que les restes de produits identifiés correspondent tout à fait à la diète de la Grèce du Ve siècle, avec, au premier rang, le blé, l’orge, le raisin, les figues, les olives.

II. Repas des hommes et repas des dieux 1. Dépôt et crémation, table et autel Les deux types d’offrandes, carnée et végétale, peuvent donc connaître, y compris dans la même célébration, les deux types de consécration: la crémation, la transformation par le feu d’une richesse symboliquement transmuée en fumée pour être offerte aux dieux; et l’abandon par dépôt, c’est à dire la mise à la disposition de la divinité d’une part comestible, dans le même temps où les sacrifiants partagent entre eux la nourriture qui les fait partie prenante d’une communauté. Ce dieu devenu convive, n’implique nullement une notion de communion de l’humain avec le divin. Le dépôt est plutôt un mode d’offrande qui diversifie et élargit la gamme des produits offerts. Certes, il permet des dons plus modestes, mais il ne fonctionne pas nécessairement comme moyen d’économie. Certains de ces produits végétaux ont une valeur bien précise liée à la nature de l’opération rituelle ou à la spécificité d’un aspect du divin concerné. Ainsi, le miel mêlé à certaines libations ou à certains gâteaux, est destiné à apaiser les puissances du sol, ou à se concilier une divinité, comme la melittouta offerte à Trophonios, ou l’arestêr (à rapprocher de areskô, «apaiser, se concilier») associé à des rayons de miel (kêria) dans des offrandes à Mnémosyne ou à Hélios ou encore aux Moires au sanctuaire d’Asclépios30. D’autres offrandes sont définies par leur place dans le cycle des fêtes qui rythment l’année, comme les marmites de céréales ou de légumineuses associées aux thusiai offertes à Apollon aux Thargélies puis aux Pyanopsies à Athènes31. Composées des produits qui constituent la base de la nourriture humaine, elles ressemblent à des prémices qui autorisent la consommation, en désacralisant les nourritures dont une part symbolique a été abandonnée aux dieux32. 29 IG II2, 1184, Ier s. av. n.è. La liste des fournitures comprend: «Un hémiecte d’orge, un hémiecte de blé, un hémiecte de farine d’orge, un hémiecte de farine de blé, un hémiecte de figues sèches, un conge de vin, un demi-conge d’huile, deux cotyles de miel, un chénice de sésame blanc et un de noir, un chénice de pavot, deux fromages frais pesant au moins huit statères chacun, deux statères d’ail»… Cf. E. Michon, «Un décret du dème de Cholargos relatif aux Thesmophories», Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 13, 1923, 1-24 (cf. P. Schmitt Pantel, La cité au banquet, École Française de Rome, 1992, 132-134). 30 LSCG 21B, l.18-28; 22; 26. 31 C. Calame, Thésée et l’imaginaire athénien. Légende et culte en Grèce antique, Lausanne,1990, 289 sq. 32 Cf. la «soupe de Thésée», bouillie de légumineuses (ospria) que consomment ensemble les démotes compagnons de Chrémyle, évoquée par Aristophane dans Ploutos, 427-30, et son aition chez Plutarque, Vie de Thésée, 22, 4-7.

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Repas des dieux et repas des hommes en Grèce ancienne Ces offrandes se conjuguent avec la pratique du grand sacrifice sanglant, qui s’est mis en place, sous sa forme publique et civique, en même temps que la cité archaïque, et qui définit et célèbre la communauté des citoyens en même temps que son rapport aux puissances tutélaires. La présence de la table, à côté de l’autel, donne d’ailleurs une réalité concrète à cette double pratique. Tables de pierre, attestées par l’archéologie33 (ou tables de bronze...), tables mentionnées par les inscriptions, elles attestent la double pratique de consécration désignée par les deux verbes employés: thuein, «sacrifier», qui implique une consécration par le feu, et tithenai «consacrer par dépôt» (avec leurs composés), l’un et l’autre verbe pouvant s’appliquer aux deux types d’offrandes comestibles, la chair des animaux (krea) et les offrandes végétales sous des formes diverses, l’autel et la table pouvant d’ailleurs recevoir les deux types d’offrande. Ainsi, à Érythrées (fin du IVe siècle), un règlement de culte (LSA, 21) prévoit que l’on déposera sur l’autel (paratithenai epi tom bômon) des parts de l’animal sacrifié et du pain (arton). Par contre, à Priène (LSA 37, l. 8-10), le prêtre de Dionysos Phleos recevra des parts de l’animal sacrifié par la cité (w|n povli" quvei skevlo", glw`ssan, devrma), et «des parts de l’autel»: para; bwmou` moivra" ce qui suppose que ces parts ont été déposées sans être brûlées. Mais le plus souvent, c’est sur la table, à côté de l’autel que ces parts sont déposées: ce sont les trapezômata34. Une autre inscription concernant le culte d’Asclépios à Érythrées, dans la première moitié du IVe siècle, précise, pour chaque type de victime sacrifiée, la part destinée à la table35: «Et s’il (le particulier désigné) sacrifie (thuêi) des thusta (gâteaux de sacrifice36) qu’il dépose sur la table ( paratithetô) pour chacun des dieux (énumérés plus haut) une galette ronde (phthois) et un gâteau (hermêtês). Tout ce qui aura été déposé sur la table (o{sa de; ejpi; [th;n] travpezan parateqh`i` ), constituera les gera du prêtre». Un grand nombre de documents permettent d’affirmer que le plus souvent, cette part des dieux (theomoiria, ou hiera moira), déposée sur la table sacrée à côté de l’autel, quand il n’est pas précisé qu’elle doit se dessécher sur place, revient légitimement au prêtre37. Ce qui signifie que le geste de consécration, le dépôt, et le rituel qui l’accompagne éventuellement, suffisent à établir avec les dieux la relation souhaitée, indépendamment du sort ultérieur des biens abandonnés. C’est la piété du geste d’offrande ou d’abandon qui est décisive. Il est d’ailleurs d’autres offrandes dont la destination finale est incertaine ou qui doivent revenir après leur consécration à la consommation humaine. Ce sont par exemple les “repas” (deipna) consacrés à Hécate et déposés aux carrefours à l’occasion de la nouvelle lune, ou les marmites offertes à Hermès38. Offrandes végétales ou autres, elles reviennent en dernier lieu aux passants, pauvres, là encore, ou aux voyageurs.

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Gill 1991. Gill 1991: 11 sq. 35 LSA 24 A, l. 13-25. On remarquera l’ordre décroissant dans l’importance des victimes envisagées. 36 Casabona 1966: 117. 37 Cf. B. Le Guen-Pollet, «Espace sacrificiel et corps des bêtes immolées», R. Etienne et M.-T. Le Dinahet ed., L’espace sacrificiel dans les civilisations méditerranéennes de l’Antiquité, Lyon, 1991, 12-20 (16-17). 38 Cf. A. Zografou, Passage à travers Hécate. Portes, routes, carrefours et autres figures de l’entre-deux, thèse EPHE, Paris, 2000, à paraître; et Aristophane, Ploutos, 924. 34

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Louise Bruit Zaidman 2. Tables dressées et théoxénies Arrêtons-nous encore à cette table, qui peut être garnie d’offrandes diverses, et au vocabulaire employé pour désigner le rituel de l’offrande. Garnir la table, se dit kosmêsai. Une inscription fragmentaire de l’île de Samos (LSCGSuppl., 80) semble évoquer un repas dressé sur une table pour Artémis et Apollon. Elle fait écho à d’autres tables dressées, auxquelles se réfèrent les calendriers des dèmes attiques. Ainsi à Thorikos39, le héros éponyme, sa femme Procris, Képhalos et ses héroïnes, constituent une sorte de groupe héroïque, bénéficiaire de sacrifices et de lieux de culte40. En Boedromion, alors que Képhalos reçoit un mouton sélectionné, Procris reçoit une trapeza; même chose pour Thorikos, qui reçoit un mouton sélectionné, tandis que les Héroïnes reçoivent une trapeza. M. H. Jameson y voit une façon d’honorer à moindres frais des divinités secondaires, et une illustration de l’économie générale des sacrifices, dans une communauté civique où le nombre de divinités honorées, et le nombre de cultes, dépassent les moyens des groupes locaux, voire de la cité toute entière, une fois assurées les grandes manifestations spectaculaires41. Mais il reste à rendre compte de la valeur symbolique de ce mode rituel. Il renvoie à cette double dimension des rapports avec la divinité que j’évoquais plus haut. Puissance supérieure avec laquelle le sacrifice établit un contact par la crémation d’une partie des bêtes sacrifiées, que ces parties soient non comestibles par nature (les os, la graisse) ou par l’absence de cuisson. Mais le contact est aussi établi par la mise à la disposition des dieux d’autres offrandes, morceaux de viande cuite ou offrandes végétales sous une forme brute non traitée ou au contraire, travaillée par l’homme et cuite. À Marathon, au mois de Skirophôrion (juillet-août), le démarque sacrifie pour les Tritopatores, les aïeux collectifs, un mouton (ois), et une année sur deux, il dresse pour eux une table (trapeza), qui s’ajoute donc au sacrifice du mouton42. À Sélinonte aussi, la table dressée s’ajoute au sacrifice destiné aux Tritopatores «purs»43 (katharoi): «Aux purs, qu’ils sacrifient une victime adulte (teleon thuonto), qu’ils versent un mélange miellé; que (l’on dresse) une table et un lit (trapezan kai klinan) et que l’on mette un tissu propre et des couronnes d’olivier et des mélanges miellés dans des petites coupes neuves, et des gâteaux (?) et des morceaux de viande (plasmata kai kra)». Tous les éléments de préparatifs d’un banquet sont cette fois réunis en l’honneur de ces Tritopatores, ni dieux ni héros, qui reçoivent un culte en tant qu’«ancêtres collectifs de la cité»44, sous la forme de ce qu’on nomme ailleurs théoxénies, héroxénies ou théodaisies, et qui consiste en tout cas à honorer des puissances non humaines à travers un repas offert avec toutes les formes d’un repas humain.

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G. Daux, «Le calendrier de Thorikos», L’Antiquité Classique 52, 1983, 150-174. E. Kearns, The Heroes of Attica, Londres, 1989, 169 et 177. 41 M. H. Jameson, «The spectacular and the obscure in Athenian religion», dans S. Goldhill et R. Osborne ed., Performance, culture and Athenian democracy, Cambridge, 1999, 321 sq. 42 S. Georgoudi, «Ancêtres de Sélinonte et d’ailleurs: le cas des Tritopatores», dans G. Hoffmann ed., Les pierres de l’offrande, Zürich, 2001, 152-163 (155). 43 Cf. M. H. Jameson, D. R. Jordan, R. D. Kotansky, A lex sacra from Selinous, Durham, 1993, et Georgoudi 2001: 155 sq. Pour le traitement différencié des Tritopatores impurs (miaroi) et purs, cf. les développements ibid. 44 Cf. Georgoudi 2001: ibid. 40

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Repas des dieux et repas des hommes en Grèce ancienne Les Théoxénies45, connues à travers la littérature par les fêtes données à Delphes en l’honneur d’Apollon et des héros (Pindare et scholiastes)46, à Sparte et à Athènes par l’accueil des Dioscures par la cité (Pausanias et Athénée), en de nombreux endroits par la réception, privée ou publique, d’Héraklès47, prennent donc place dans un ensemble duquel participent toutes les offrandes de nourritures “humaines” aux dieux, nourritures qui vont des viandes cuites aux pains et gâteaux, en passant par les “marmite” et les deipna. Mais pour qu’il y ait théoxénies, il faut qu’il y ait présence supposée ou symbolique de la ou des divinités, ce qu’implique la couche dressée devant la table, et que suggèrent les représentations figurées des Dioscures en cavaliers, au-dessus des tables chargées de gâteaux et de fruits48. Il arrive aussi que les images des dieux soient explicitement déplacées pour assister au repas offert. C’est le cas à Magnésie du Méandre, à l’occasion du culte de Sosipolis, comme nous en instruit un long décret du tout début du IIe siècle av. n.è.49. À l’occasion de la grande fête annuelle en son honneur, les xoana: les statues des Douze dieux, sont conduites en procession et installées sur des lits magnifiques dressés pour la circonstance, abrités sous une tholos construite sur l’agora. Suit la description détaillée des différents moments de la fête, de ses participants, des divinités honorées, et des victimes qui seront sacrifiées pour le salut de la cité et pour sa prospérité (l. 26-31). Cependant, pour Charlotte Long, cette présence réelle des dieux sous forme de xoana est une première en Grèce: d’ordinaire, les représentations de theoxénies montrent des dieux sous l’aspect d’êtres vivants, et non d’images50. Cette pratique serait-elle empruntée aux lectisternes romains, comme elle le suggère? À Paros, un décret récompense un évergète, Killos, qui a promis devant l’Assemblée d’offrir un banquet public (dêmothoinêsein), au gymnase, à l’occasion des Théoxénies des Dioscures, «voulant accroître la panégyrie pour les dieux et que tous participent aux cérémonies sacrées»51. Cette évocation des deux banquets, le banquet humain et le banquet divin, dans les mêmes lignes, souligne évidemment la question du partage des nourritures. Si les dieux sont conviés par les hommes, ils ne partagent pas les mêmes tables, s’ils reçoivent des parts des mêmes bêtes immolées, c’est à l’occasion d’une thusia qui a, dans un premier temps, respecté la part de l’autel où s’est consumée la part réservée aux dieux. À l’occasion de ces fêtes civiques, faut-il dire que les dieux sont plus proches des hommes52? On dira plutôt qu’ils sont requis d’une manière plus pressante, sous deux formes concomitantes, la deuxième, la xenia

45 M. H. Jameson, «Theoxenia», dans R. Hägg ed., Ancient Greek Cult Practice from the Epigraphic Evidence, Stockholm, 1994, 35-57. 46 L. Bruit, «Sacrifices à Delphes: sur deux figures d’Apollon», Revue de l’Histoire des Religions CCI-4, 1984, 339-367. 47 Cf. A. Verbanck-Piérard, «The Iconography of Greek Cult in the Archaic and Classical period», Kernos Suppl. 1, 1992, 85-106. 48 Fragments d’un relief en terre cuite, Tarente, daté du IVe s. av. n.è., cité par F. T. van Straten, «Gifts to the gods», H. S. Versnel ed., Faith, Hope and Worship: Aspects of religious mentality in the Ancient World, Leyde, 1981, 86 et fig. 20. 49 LSA 32, l. 41-59. Cf. Jameson 1994: 41-42, et S. Georgoudi, «Les Douze Dieux et les autres dans l’espace cultuel grec», Kernos 11, 1998, 73-83, p. 82 en particulier. 50 C. Long, The Twelve Gods of Greece and Rome, Leyde, 1987, 221-222 et 248-251. 51 IG XII 5,129, l. 58-59 et 59-61: ejpelqw;n ªejpi;º to;n dh`mon ejpaggevlletai dhmoqoinhvsein ªejn tºoi`" qeoxenivoi". 52 Cf. par ex. F. Salviat, Bulletin de Correspondance Hellénique 82, 1958, 254 sq.

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Louise Bruit Zaidman renforçant la première sans s’y substituer. Non que la première paraisse trop maigre53, mais que les hommes souhaitent manifester leur générosité vis-à-vis des dieux dans les formes spectaculaires d’un repas solennel, en attendant en retour une générosité égale sous la forme de la prospérité et de la paix. En somme, ils leur offrent double hommage. Tout se passe comme si la commensalité entre les hommes d’une part, entre les dieux d’autre part, créait, par le biais des nourritures offertes et partagées, un espace dans lequel la générosité appelle la générosité. On est bien loin, ici, de la modeste part ajoutée au sacrifice sanglant par le gâteau déposé sur la table d’offrande. Mais il s’agit toujours de jouer sur les valeurs de la nourriture et du sacrifice. Les Théoxénies ne supposent pas des dieux “plus proches”, mais elle les rapproche le temps du rituel pour rendre plus immédiat, plus efficace et plus spectaculaire le don qui leur est fait et qui appelle, en contre-don, leur protection.

III. Nourriture carnée et nourriture végétarienne dans le discours des philosophes Revenons pour finir à la notion de sacrifice non sanglant associée à celle d’offrande végétale. L’encens, la pâte et les galettes, offerts chaque mois, à la nouvelle lune, à Hermès, à Hécate et aux autres figures sacrées léguées par ses ancêtres à Cléarque de Methydrion, est désignée par la Pythie comme l’offrande la plus pieuse, surpassant l’hécatombe offerte annuellement par l’homme riche54. Mais cette piété, louée par Delphes et utilisée par le discours végétarien (Porphyre emprunte l’anecdote à Théopompe dans son argumentation en faveur de l’abstinence de nourriture carnée), se trouve coïncider avec les exigences cultuelles des divinités dont les images habitent les rues et les carrefours55. Autant que la nature végétale des offrandes (ces divinités ne recevaient pas des offrandes exclusivement végétales), c’est l’exactitude dans l’observation du rituel, en toutes circonstances, qui définit sa piété. Dans le cadre des fêtes publiques, Cléarque s’associe au culte par des offrandes à sa portée: «de tous les fruits mis à notre disposition par les saisons, il offrait aux dieux les prémices (tois theois tas aparchas aponemein), déposant les unes en offrande (ta men paratithenai) brûlant les autres pour eux (ta de kathagizein)»: où l’on retrouve les deux modes d’offrandes déjà évoqués. En somme, la générosité du dévôt est fonction des moyens et de l’intention, et non pas de la valeur absolue de l’offrande. Libre aux défenseurs du végétarisme d’annexer ce comportement pour le donner en exemple, à côté de cultes non sanglants comme celui de Délos. Dès lors, l’autel d’Apollon Genetôr peut devenir l’emblème d’une piété pure, cet autel sur lequel «aucun animal ne peut être sacrifié» et sur lequel la seule offrande possible consiste en blé, orges, galettes (popana), déposées sans être brûlées56, à quoi Plutarque ajoute la mauve et l’asphodèle, «spécimens de la nourriture primitive parmi d’autres produits simples et naturels» (158A), mais qui figurent par ailleurs parmi les adipsa et alima, ces substituts de la nourriture humaine, révélés par les dieux eux-mêmes, selon la tradition pythagoricienne57. Selon 53

Hypothèse avancée par Gill 1991: 19-20. Porphyre, De l’abst. II, 16. 55 Cf. Zografou 2000. 56 Diogène Laërce, Vie de Pythagore 13. 57 Cf. M. Detienne, Les jardins d’Adonis, Paris, 1972, 71-113, notamment p. 91. 54

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Repas des dieux et repas des hommes en Grèce ancienne Athénée, après sa victoire olympique à la course de chars, Empédocle, qui pratiquait une rigoureuse abstinence de toute nourriture carnée, pour répondre à la tradition qui voulait que le vainqueur offre le sacrifice d’un bœuf, aurait fait façonner un bœuf de myrrhe, d’encens et d’aromates, qu’il partagea selon le rite, entre les assistants (Athénée I, 3e). Pythagore lui-même, selon Porphyre (Vie de Pythagore, 36), aurait offert un bœuf de pâte après la découverte de la formule du carré de l’hypoténuse. L’anecdote appelle un rapprochement avec les nombreux sacrifices de gâteaux en forme d’animal qui jalonnent l’histoire des offrandes végétales. Substituts motivés par la pauvreté des sacrifiants? C’est ce que laissent penser certains documents tardifs, notamment les commentaires des scholiastes, qui s’appuient sur une épigramme comme celle de Macédonios58. Il offre des bœufs en pâte de froment (ek mazês), pour épargner les bœufs de son étable, qui seuls peuvent lui éviter la pauvreté et il demande à Deo sa protection pour ses récoltes à venir. L’offrande du bous hebdomos, offrande, elle, attestée par des inscriptions, se trouve expliquée par le même type d’interprétation: «Les pauvres, n’ayant pas de victime vivante à sacrifier, en fabriquaient une de farine»59. Le bous hebdomos est aussi associé par Eustathe à la selênê, deux gâteaux mis en relation avec les phases de la lune: l’un rond, l’autre en forme de croissant, offrandes associées à Hécate et à Séléné, mais offertes aussi à Apollon et à Artémis, selon Pollux (VI, 76). L’ambivalence de sa forme expliquerait aussi son nom: cornes de la lune ou cornes du bœuf, s’il est offert à Apollon le 7e jour du mois, jour qui, comme on le sait, est consacré à ce dieu, comme jour de sa naissance. C’est par ce biais peut-être qu’il devient, l’offrande des pauvres. Bien d’autres gâteaux sont définis par une forme symbolique. L’amphiphôn, par exemple, galette piquée de bougies, dont le nom viendrait de l’apparition simultanée dans le ciel, le soir de la pleine lune, du soleil et de la lune. Ces gâteaux sont offerts à Artémis et à Hécate, et insérés dans la fête publique d’Artémis Mounichia60. Une inscription dorienne de la cité de Théra (IVe siècle) prescrit: «La première année on offrira un bœuf fait d’un médimne de froment et de deux medimnes d’orge, une mesure de vin et les autres prémices, prises sur les produits de la saison» 61. L’explication économique pas plus que la piété dans l’exemple de Cléarque de Methydrion ne suffisent à rendre compte de sacrifices complexes qui mettent en jeu des pratiques associées renvoyant à la fois aux fonctions spécifiques des divinités honorées et aux traditions locales. Quant à Empédocle, on constate que l’anecdote qui le concerne est enchâssée, dans le passage d’Athénée qui y fait référence, dans une série d’exemples destinés à mettre en évidence... la munificence des riches. Son bœuf est fait de myrrhe, d’encens et des aromates les plus coûteux (ejk smuvrnh" kai; libanwtou` kai; tw`n polutelestavtwn 58 Anthologie Palatine VI, 40. On a vu ce type d’explication avancé pour expliquer les thumata epichôria des Diasia à Athènes. 59Souda, s.v.; Athénée XIV, 646e. 60 Artémis serait apparue, selon Plutarque, le 16 Mounichion sous son aspect lunaire pour secourir les Grecs à Salamine; cf. aussi son rôle dans le renversement des Trente: Ph. Borgeaud, Recherches sur le dieu Pan, Genève, 1979, 230-31; P. Ellinger, La légende nationale phocidienne, Paris, 1993, 228 sq.; Zografou 2000. 61 Collitz 4765, l. 6-15, cité par Casabona (1966: 76), qui souligne que c’est le seul exemple où le verbe thuein est appliqué à une mesure de vin: tw`i e[tei tw`i prativstwi quvsonti bou`n` kai; purw`i` ejg medivmnou kai ; kriqa`n` ejg duvo medivmnwn kai; oi[nou metrhta;n kai; a[lla ejpavrgmata w|n aiJ w|rai fevrousin).

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Louise Bruit Zaidman ajrwmavtwn). Il faut ajouter que selon Diogène Laërce, qui cite lui-même Favorinus d’Arles, Empédocle aurait offert aux Théores un bœuf fait, non pas d’aromates, mais de miel et de farine. Quant à la victoire à Olympie, il faudrait peut-être la rapporter à son grand-père, qui portait le même nom que lui... Restent les vers d’Empédocle, cités par Porphyre, et qui pourraient, suggère Jean-François Balaudé, avoir inspiré l’anecdote: (Les premiers hommes) n’avaient pour dieux ni Arès, ni Tumulte, ni le roi Zeus, pas plus Cronos, ni Poséidon, mais la reine Cypris. Ils cherchaient à lui plaire avec de pieux présents ou des animaux peints, avec mille parfums à l’essence subtile et avec des offrandes de myrrhe purifiée et de fumées d’encens. Ils versaient le miel blond à terre, en libations. Leurs autels ignoraient le sang pur des taureaux... 62

Ainsi, les bœufs de pâte attribués à la pauvreté des Athéniens, seraient devenus des bœufs d’aromates, plaçant Empédocle en compétition avec les hommes les plus riches de la tradition grecque, et permettant aux assistants aux jeux olympiques de goûter un aliment divin, privilège qu’on aurait cru réservé aux disciples du maître et qui consistait à manger comme les dieux, sinon avec eux. En face de la commensalité, qui caractérise les grandes fêtes de viande à l’occasion desquelles les fidèles reçoivent leur part des sacrifices, tandis que les dieux se réjouissent des tables cultuelles dressées pour eux, les offrandes végétales, devenues “non sanglantes”, sont l’objet d’une réinterprétation qui, par le jeu de l’archaïque et du pieux, les font entrer dans l’argumentation des philosophes plus ou moins influencés par la lecture pythagoricienne ou orphique. Nourriture carnée et nourriture végétarienne s’opposent désormais sur les tables des hommes et sur les autels des dieux, au moins dans le discours des philosophes.

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Abstract The paper offers a new look into the Hesiodic model of Greek sacrifice: in a thusia we may find both blood and bloodless sacrifices, Olympian and chthonic sacrifices, food for human beings and food for gods. Cereals may be offered as well as meat; at each stage of the rite, some special vegetarian offerings refer to the past of Greek culture, from raw barley to cakes; they may just be laid upon the altar, and yet, if not a first offering, be thought of as equivalent to a burnt sacrifice: the verb thuein, «to sacrifice by burning», may be connected with complements like «cakes», «first offerings», or even an internal complement (thumata) which they clearly oppose to animal victims (hiereia); finally the vegetarian offerings may complete the meat dishes at banquets of humans. So gods and men eat one and the same food using one and the same cooking, but there is no common meal, even though physical presence of gods is shown during a theoxenia festival.

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LE TAUREAU BLANC DU DIEU MIN ET L’OFFRANDE DE LA GERBE DE BLÉ Catherine GRAINDORGE Université Libre de Berlin La fête du dieu Min est une très ancienne fête célébrée une fois par an dans toute l’Égypte. Certains aspects de sa liturgie solennelle, mettant en œuvre la sortie en procession d’un taureau blanc1, incarnation de Min-Kamoutef, sont restés à ce jour inexpliqués. Certains auteurs ont suggéré que le taureau blanc était sacrifié en l’honneur de Min. L’étude même du texte-programme de la liturgie laisse apparaître des incohérences dans le rituel et de fortes dichotomies entre les représentations des séquences du rituel et le texte-programme de la fête. Une traduction nouvelle du texte-programme, augmentée de parallèles conservés dans les temples ptolémaïques permet de proposer une nouvelle succession des actes rituels, qui met en avant le rôle clef du taureau blanc de Min-Kamoutef. Ce dernier n’est pas offert en sacrifice, mais reçoit lui-même l’offrande de la gerbe de blé. L’apport et le don de cette gerbe de céreales présentent certains aspects rituels pouvant évoquer un sacrifice végétal.

I. État de la question 1. Le dieu Force procréatrice au caractère génésique affiché, Min est le plus souvent un dieu anthropomorphe ithyphallique2 coiffé d’un bandeau frontal3 ou d’un mortier4 dans lequel sont fichées deux hautes plumes5 comme celles du dieu Amon6. Il arbore la barbe divine habituelle. Son bras droit levé vers l’arrière7 tient le fouet8, le rapprochant

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Fig. 1. Dunand & Zivie-Coche 1991: 27-28. 3 Traunecker 1992: 159 n.f. En outre, ce bandeau de couleur blanche pourrait évoquer la bandelette blanche (Moret 1902b: 179-80) réservée à l’emmaillotement de la tête, être en quelque sorte un “résidu” d’un dieu à l’origine complètement emmailloté. 4 Appelé mƒ”t: Gabolde1994: 267-268. 5 Adams 1997: 7. 6 On a voulu y voir un dieu du ciel: Wainwright 1931: 185-195; Id. 1934: 139-153. 7 Ogdon 1985-1986: 29-41 (caractère “agressif” de Min, le bras levé pour intimider d’éventuels ennemis); Wilkinson 1991: 109-118 (transforme le geste du dieu en mouvement apotropaïque et protecteur brandissant un verrou de porte!). 8 Kuhlmann 1983: 196-206. 2

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Catherine Graindorge d’un autre dieu Horus surnommé «fort de bras»9, l’héritier de la royauté divine10, et pouvant évoquer la forme plus récente d’Amon d’Opê (Amenemopê)11. Sa main gauche se referme sur son phallus. Ses épithètes les plus fréquentes sont «maître d’Achmim» et «maître de Coptos» où il est assimilé à un vieil Horus royal12. Dieu prospecteur des déserts, Min est celui qui «fait accroître les minéraux» du désert oriental dont il a la garde. Il est assimilé à travers cette fonction à l’astre lunaire13, nommé «taureau de l’Ennéade», qui renaît à l’est du désert égyptien et qui se renouvelle de lui-même chaque mois. La forme animale de Min, le taureau, traduit avant tout le caractère lunaire du dieu. Associé à Amon en Amon-Min et à Horus en Horus-Min, il hérite nécessairement de certains aspects du dieu Rê contenus dans les manifestations d’Amon ou d’Horus. Des aspects solaires lui sont également légués à l’occasion de la célébration de sa fête. Mais sa personnalité spécifique est celle de Kamoutef «le taureau de sa mère», incarné par le taureau blanc pendant la fête de Min. Kamoutef est un dieu fécondant une déesse, qui est à la fois sa mère14 et son épouse, pour renaître comme son fils15. Ce schéma sert naturellement à illustrer le mythe de la succession royale incarnée également par le concept ka, sorte de “corps politique” du roi16. 2. La fête de Min17 La fête de Min est mentionnée très tôt sur la Pierre de Palerme, puis dans les listes de fêtes durant l’Ancien Empire sous le nom de prt-Mnw «la sortie de Min»18. Au Nouvel Empire, deux termes mswt-Mnw «la naissance de Min», et prt-Mnw «la sortie de Min» sont utilisés en même temps et confondus par les auteurs. Il s’agit cependant de deux rituels différents: le premier évoque la fabrication de la statue de Min puis sa dédicace, le deuxième la sortie en procession de cette statue sur son estrade le 11 Pakhons19, premier mois de la saison-chemou annonçant les moissons et consacré à Khonsou, dieu lunaire, “présidant” ainsi aux manifestations de Min «taureau de la lune». Selon les calendriers, la fête du 11 Pakhons appartient à l’origine aux fêtes dites «du ciel» reposant sur un comput du temps lunaire20, puisqu’elle est célébrée lors de

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Aufrère 2000: 338, 341, 559 (§ 235 n.j). Un peu à l’image plus tard d’Horus de Khemmis, rejeton d’Osiris mais aussi, par l’intermédiaire d’Haroéris et de l’Horus de Pé-Mesen, le défenseur de son père Osiris sous l’aspect d’un taureau puissant: Malaise 1998: 671-672. 11 Doresse 1971: pl. 8; 1973: 102, pl. 9; Traunecker 1992: 203-204. 12 LÄ IV, 1982, 137-138. 13 Aufrère 1999: 72, 78 n. 111; Morfin 1997: 317-318 (la lune est aussi réputée pour son influence génésique et son rôle sur la croissance des minéraux); Aufrère 2000: 275. 14 Stricker 1975: 5. 15 Greven 1952: 41-44; Chassinat 1968: 672, 691; Haeny 1986: 33-4. 16 Schweitzer 1956: 71-72; Jacobsohn 1939, 13-22. L’auteur se demande si Kamoutef n’est pas une forme particulière de ka, capacité créatrice, et le taureau la forme symbolisant la capacité de procréation du roi. 17 Bleeker 1967: 23-50; Bleeker 1956; Gauthier 1931. 18 Moens 1985: 61-73; Redford 1967: 22; Fairman 1958: 85-86; Smith 1932: 107-108. 19 Schott 1934: 75 sq.; Id 1950: 104. 20 Spalinger 1995: 27-28. 10

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Le taureau blanc du dieu Min l’apparition de la nouvelle lune. Fête nationale, elle n’est pas pour autant jour chômé21, à l’instar de toutes les autres grandes fêtes annuelles, et peu d’offrandes sont réalisées durant les célébrations, contrairement à toutes les autres liturgies à procession: ce fait notable, jamais souligné par les auteurs est important; il souligne le caractère quasi privé de cette fête se déroulant entièrement à l’intérieur du téménos du temple22. La «sortie en procession» de Min est représentée seulement et partiellement à partir du règne de Thoutmosis III à Thèbes, même si d’autres épisodes du culte solennel de Min sont figurés dès l’Ancien Empire (comme le transport de la statue23). À partir du Nouvel Empire, les sources iconographiques sont essentiellement thébaines, sans doute parce que Min est essentiellement présent dans le sud de l’Égypte. La fête de Min sera célébrée jusqu’à l’époque gréco-romaine durant laquelle elle sera clairement associée à la fête de Renenoutet, déesse de la moisson. Henri Gauthier a proposé dans sa monographie (Les fêtes du dieu Min) un ordre des différents actes rituels accomplis durant la fête de Min. À ce jour, cette reconstitution d’une liturgie repose essentiellement sur la traduction du texte-programme et des représentations figurées sur les parois de deux temples: le Ramesseum (Ramsès II) et le temple de Medinet Habou (Ramsès III) à Thèbes-ouest. Le roi sort en grand apparat de son palais, escorté de proches, militaires et prêtres du clergé de Min, pour se rendre dans une chapelle retirée du temple abritant la statue du dieu Min. Celle-ci est alors hissée sur un pavois, portée en procession dans le temple, et est l’objet de rites avant de regagner sa chapelle. Les épisodes ont été ainsi reconstitués par l’auteur: 1. le cortège royal sort du palais; 2. une offrande royale est faite devant la chapelle de Min; 3. le dieu sort de sa chapelle pour être porté en procession sur son pavois, accompagné d’un taureau blanc; 4. quatre oiseaux sont relâchés vers les quatre points cardinaux et quatre flêches sont tirées; 5. une gerbe de blé est offerte par le roi devant le taureau blanc; 6. le roi fait l’encensement et la libation devant la statue de Min revenue dans sa chapelle; 7. le taureau blanc est sacrifié en fin de cérémonie. Il a été admis que la fête de Min, marquée par une procession du dieu évoquant la fécondité et la fertilité, était destinée à célébrer la moisson à venir24. En témoignerait encore l’offrande de la gerbe. Pharaon, acteur, car garant des cycles de la nature, était conforté dans son rôle de roi-dieu sur terre, Horus terrestre. Des éléments appartenant au rituel de couronnement ou à la confirmation du pouvoir royal mettent l’accent sur le rôle de Pharaon, tel le lâcher de quatre oiseaux messagers qui annoncent habituellement la venue d’un nouveau roi. Un taureau blanc est alors sacrifié, selon Gauthier, afin que sa mort garantisse la renaissance prochaine des forces de la nature végétante25.

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Helck 1964: 138, 150-151. Assmann 1994: 16, 21; Bleeker 1983: 368. 23 Jéquier 1938: 17-19, pl. 13-15; Lacau & Chevrier 1956: 81-4, 134-6, pl. 18, 41. 24 Blackman 1933: 32-33; Bleeker 1983: 367. 25 Gauthier 1931: 176-177. 22

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Catherine Graindorge Cette analyse est largement inspirée des théories de la Myth and Ritual School représentées par Frazer, transmises par Moret26, reprenant lui-même Lefébure27. E. Chassinat28, pour qui la mise à mort du taureau était déjà pratiquée à la XIXe dynastie, soulignera cependant qu’aucune allusion à cette pratique n’a été relevée dans les textes égyptiens. Malgré cette restriction importante, Mercer29 et Moret30 développent les théories frazériennes, le deuxième n’hésitant pas à faire du taureau une image d’Osiris31 pouvant alors devenir une victime sacrifiée. Dans ce contexte, la gerbe de blé offerte devient l’esprit du blé et de la fécondité mis à mort puis se réincarnant dans son successeur vigoureux, Horus le roi. À ce stade naissant de la recherche, deux points sont à retenir: la signification de la fête est donnée d’une part par le lien existant entre le taureau et la gerbe de blé, et d’autre part par le meurtre rituel du roi32. On pourrait retenir l’interprétation de la fête donnée par Gauthier, si différents éléments ne s’y opposaient pas. 1. Le rituel de la fête repose sur un texte qui n’entretient parfois aucun rapport avec les représentations qui l’accompagnent33. 2. Certains passages des légendes du texte-programme sont restés à ce jour incompréhensibles. Très lacunaires et allusifs, ils ont été qualifiés de textes “archaïques” délicats à interpréter. 3. L’analyse des conditions matérielles du déroulement de la procession soulève des questions incompatibles avec les séquences des actes rituels proposées: comment un cortège pénètre-t-il ensuite au plus profond du temple dans une petite chapelle?34. D’où vient le taureau? Où est-il tué (s’il est tué...)? Quel est le chemin accompli par le taureau depuis l’enclos abritant le troupeau? On ne trouve aucune allusion à un sacrifice et aucune mise en scène mentionnant un espace sacrificiel ou des traces maté-

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Moret 1908: 86-87. Lefébure 1904: 6, 9-11. 28 Chassinat 1916: 33, 60. 29 Mercer 1922: 51-52, Id. 1934: 20-23. 30 Moret 1927: 23. 31 Pour Osiris sous forme de taureau, cf. Goyon 1999: 32-34 (dans le «décret mis en œuvre à l’égard du nome d’Igeret»). 32 Le meurtre rituel du roi réapparaît périodiquement dans la bibliographie égyptologique depuis Moret, Davy (1926: 173-175), jusqu’à Storck (1973: 31-32), malgré une opposition à l’existence du véritable régicide en Égypte (en dernier lieu: Menu 1998: 107-119). Pour une véritable confrontation de l’idée du sacrifice humain en général avec les données archéologiques, voir désormais l’excellent article de Albert, Crubézy, Midant-Reynes 2000: 9-18 (surtout 1011). 33 Egberts 1998: 361. L’auteur mentionne le texte-programme de la fête de Min à Medinet Habou pour l’intégrer dans la catégorie large des prescriptions liturgiques qui se réfèrent à la liturgie d’une fête, à la différence des calendriers de fêtes qui recensent toutes les fêtes célébrées durant l’année liturgique. 34 Existait-il une chapelle nommée «château de la lune» ou «château du taureau» dans le temple? Était-elle celle de Min? Cf. Barguet 1986: 175-178, 259-260, 264, 309, 529, 646 (chapitres 36, 37, 137, 146, 247-248, 475, 1094); Id. 1967: 118, 222 (chapitres 80 et 153 B). Le «château de la lune» est le temple de la ville d’Akhmim, dans le 9e nome de Haute-Égypte. Mais il en existait aussi à Héliopolis et à Thèbes (porte d’Évergète à Karnak: Urk. VIII, 94 ligne 15 = Clère 1961: pl. 54 A; porte de Montou à Karnak-Nord: Aufrère 2000: 275). 27

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Le taureau blanc du dieu Min rielles liées au sacrifice35. Tout au plus peut-on noter à l’Ancien Empire, dans le temple de Neferirkarê-Kakaï, la présence dans le tableau de service de la fête de Min du «scribe de la maison du charbon de bois», du «scribe des bêtes de sacrifice», scribes associés à «ceux qui descendent vers le reposoir de Min»36. Cela ne signifiait pas pour autant qu’un taureau blanc était offert en holocauste à Min le jour de sa sortie en procession. De même peut-on souligner pour la période tardive que certaines mentions de «directeur des bovins d’Amon» ou «directeur des vaches d’Amon» voisinent, dans un contexte de sanctuaire consacré à Min, avec des titres tels que «transporteur de matières précieuses» et de «transporteur de pierre», suggérant ainsi que les deux fonctions aient pu être exercées par les mêmes personnes dans le contexte de la fête de Min37. Les pratiques de sacrifices en Égypte ancienne sont par ailleurs encore mal connues. Les travaux de Jean Yoyotte38 ont montré qu’aucun rituel ne détaille le déroulement et les suites d’une immolation. Par ailleurs, le taureau, même à l’époque tardive, n’est sacrifié qu’exceptionnellement39 et l’on sait que les taureaux destinés à l’abattage étaient soigneusement examinés par des prêtres spécialistes qui s’assuraient que les animaux ne présentaient pas de marques distinctives propres aux différents taureaux divins. Ces deux raisons écartent a priori toute hypothèse de sacrifice du taureau blanc de Min. 4. L’étude de l’iconographie et des textes souligne des allusions à des rituels non figurés, mais qui devaient faire partie de la fête. Il importe de rappeler que le déroulement complet de la cérémonie n’est jamais figuré. D’autres rituels spécifiques du dieu Min n’apparaissent pas, alors qu’ils devaient pourtant nécessairement être accomplis («ériger le mât de Min», «conduire les quatre veaux», «haler les quatre coffres»). 5. Les faits suivants, uniques dans la religion égyptienne, ne sont pas explicités à travers l’interprétation de la liturgie. Pourquoi a-t-on la présence d’un taureau aux côtés de la statue ithyphallique de Min? Pourquoi cette dernière est-elle transportée sur un pavois et non sur une barque processionnelle comme il est d’usage lors de toutes les sorties en procession des dieux? Quelles relations entre le taureau et la statue de Min président à cette sortie en procession ou sont définies durant la sortie en procession? Aurait-on ici, avec le transport de la statue de Min sur son pavois entouré d’un voile un précédent à la “châsse” d’Amon d’Opê? 6. Plusieurs “fonds” mythiques transparaissent dans les hymnes psalmodiés (vieux rites de statues, de couronnes, de protection du roi, éléments démiurgiques de Min coptite célestes...). Ils ne sont pas identifiés et analysés. Ces questions montrent qu’il s’agit d’une fête dont l’étude n’a pas été renouvelée40. Ses particularités s’affichent pourtant clairement. Une procession de statue divine est en principe destinée à montrer le dieu et, par cette épiphanie, à en exalter la nature.

35 Étienne 1991: 7-8; Traunecker 1988: 9-11; Helck 1997: 62, 73-74. Aucun taureau n’est mentionné dans les listes d’offrandes le jour de la fête de Min. 36 Posener-Kriéger 1976/1: 108 sq.; 1976/2: 561-562. 37 Remarques de Colin 1998: 98, 101. 38 Yoyotte 1980-81: 42, 45, 52-53. 39 Nachtergael 1998: 164 (sacrifice du taureau blanc). Mise au point dans Charron 1990: 209-213. 40 Lacau (1953: 21) le soulignait déjà. Cf. Assmann 1991: 112; Spalinger 1998: 246-247; Id. 2001: 521.

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Catherine Graindorge Elle suppose la participation d’une assemblée nombreuse et emprunte en général des circuits le long desquels un vaste public, autre que les prêtres, est présent et se manifeste. Or, ici, il s’agit d’un aller-retour vers une chapelle du dieu dans l’intimité du temple. Dans un cadre restreint, la garde personnelle du roi agit aux côtés d’un nombre réduit de prêtres. L’action jouée alors ressemble plus au rituel journalier ou aux rituels se déroulant à l’intérieur des temples (tels «l’union au soleil»41) qu’aux grandes sorties de la statue voyageant dans sa barque. Min est un dieu de régénération et de la croissance des végétaux: il agit seul dans le repli. Cette contradiction apparente avec le principe même d’une procession serait due à la nature lunaire du dieu, luminaire aux pouvoirs cosmiques dont la fonction de démiurge et de dieu transmettant le pouvoir horien se joue dans l’obscurité. 3. Les accessoires du dieu Trois éléments accompagnent la statue du dieu portée en procession. Le premier est la hutte-sanctuaire sÌnt (en bois, paille et roseau représentant le sanctuaire primitif du dieu de Coptos et faisant office de grenier à grain)42. Par la nature de ses matériaux, il n’en existe plus d’exemple conservé, mais des modèles en argile et les représentations nous en fournissent un témoignage: c’est un édifice pourvu d’un mât, avec ou sans fleur, et sommé de deux cornes de bovidé avec une corde (une des épithètes du dieu est par ailleurs «maître du troupeau»). Le deuxième élément est une estrade démontable ≈tjw destinée à retenir la statue43 et à abriter dans une cavité ménagée à cet effet le jardin du dieu (Ìsp) où est cultivé le troisième élément, la laitue montée (¢bw- Lactuca sativa L.)44. Cette dernière, dont le suc blanc évoque une nature génésique, était considérée comme aphrodisiaque et offerte au taureau blanc de Min. Cette plante, ou plutôt son modèle45, était portée en procession dans la réplique de la chapelle de Min, située derrière la statue ithyphallique du dieu46.

II. Définition et établissement de nouvelles séquences du rituel 1. Sources iconographiques Ces résultats préliminaires s’appuient sur des sources iconographiques et textuelles multiples et d’époques diverses, bien qu’essentiellement ramessides. Ont été pris en

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Alliot 1949: 275-276 et 353-355; Sauneron 1962: 122 sq. Munro 1983: 38-41 surtout; Feder 1998: 31-54; Chassinat 1968: 691. 43 Gauthier 1929: 52-56, 78-79. Pour l’Auteur, les gradins de cette estrade évoqueraient un paysage de désert montagneux à l’image du désert arabique sur lequel règne Min. 44 Keimer 1924: 140-143; Germer 1980: 84-87; Defossez 1985: 1-4; Aufrère 1986: 3; Schoske, Kreißl, Germer 1992: 27-28; Belluccio 1995: 15-31; Koemoth 1994: 39-42; Murray 2000: 615 fig. 24.3 et 631-632. 45 Adams 1980: 9-15. Remarques sur l’évolution chronologique du motif de la laitue portée en procession lors de la fête de Min dans Colin 1998: 104, 119 fig. 11a. 46 Leitz 1994: 262, 339. 42

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Le taureau blanc du dieu Min compte les reliefs d’Amenhotep Ier du temple d´Amon à Karnak47, le relief du temple de Coptos daté de Thoutmosis III48, les reliefs de Thoutmosis III de la chapelle de MinKamoutef à Karnak49, ceux du Ve pylône50 du temple d’Amon à Karnak (Thoutmosis III), de la cour nord du VIe Pylône51 et de ceux des magasins nord de Thoutmosis III52 et du mur d’enceinte de Thoutmosis III décoré par Ramsès II (parois extérieures nord et sud)53 dans le temple d’Amon à Karnak, les reliefs de Thoutmosis III dans le sanctuaire de barque (paroi nord) du temple de la XVIIIe dynastie à Medinet Habou54, ceux du temple de Kalabsha (Thoutmosis III)55, ceux de la colonnade d’Amenhotep III (second registre de la paroi intérieure ouest) et du pylône de Ramsès II à Louxor56, ceux de la salle hypostyle de Séthi Ier-Ramsès II du temple d’Amon à Karnak57, les représentations du second pylône du Ramesseum (Ramsès II)58, celles de Ramsès III dans la deuxième cour et dans la salle 46 du temple de Medinet Habou59, les reliefs du temple reposoir de Ramsès III à Karnak sur le mur ouest de la cour intérieure60, ceux du temple de Khonsou à Karnak (mur est de la cour du roi Herihor)61, ceux de la paroi extérieure nord du sanctuaire de Philippe Arrhidée à Karnak62, ceux de la chambre de Min à Edfou63, ceux du temple d’Hibis à Charga64. Les tombes thébaines ne possèdent pas de figuration de cette fête, contrairement aux autres liturgies solennelles thébaines souvent évoquées dans les nécropoles, ce qui témoigne encore d’une liturgie se déroulant entièrement à l’intérieur d’un temple, sans être accompagnée de manifestation populaire. 2. Sources textuelles Les textes funéraires (Textes des Sarcophages, ch. 464-468, le Livre des Morts, ch. 17, 109-110, 175)65, les livres funéraires royaux (Amdouat. Livre des Portes)66,

47 L’érection de la sÌnt est représentée deux fois sur la paroi extérieure sud de la chapelle de calcite et sur la paroi extérieure sud des murs écrans d’Amenhotep Ier (reliefs inédits, à paraître dans C. Graindorge, Les monuments d’Amenhotep Ier à Karnak, 3 tomes). 48 Gabolde & Galliano 2000: 72 n° 35. 49 Ricke 1954: 30-50. 50 The Epigraphic Survey 1940, pl. 215; Legrain, 1917: 57. 51 PM II2, 1991, p. 92 n° 266 (inédit). 52 Schwaller de Lubicz 1982/1: 150; 1982/2: pl. 177-179. 53 Helck 1968, 1: 33, 116; 2: pl. 29, 100. 54 The Epigraphic survey 1940: pl. 210 B-D. 55 Gauthier 1911, 1: 162; 2: pl. LV. 56 The Epigraphic survey 1998: 3-4, 42-43, pl. 133-136, 190; Johnson 1994: 140-141; Kuentz 1971: 10, 13-14, pl. XII, XVII. 57 The Epigraphic survey 1981: pl. 20, 147, 153, 158-9; Legrain 1917: 57. 58 Maher-Taha & Loyrette 1979: pl. I-XXXV. 59 The Epigraphic survey 1940: pl. 196-209; Murnane 1980: 32-9, 67 fig. 2. 60 The Epigraphic survey 1936: pl. 17-20; Legrain 1917: 57. 61 The Epigraphic survey 1979: pl. 55. 62 The Epigraphic survey 1940: pl. 217; Schwaller de Lubicz 1982, 1: 146; 2: pl. 152. 63 Ed. I/3, 1987: 387-408; Cauville 1987: 36-42. 64 Davies 1953: 25, 29, pl. 32-33, 51. 65 Barguet 1986: 75-83; Id. 1967: 57-64, 143-148, 260-263. 66 Hornung 1963: 133; Hornung 1979, 1: 362; 1980, 2: 253-254.

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Catherine Graindorge les textes des temples ptolémaïques d’Edfou67, de Dendera68, d’Esna69, de Kom Ombo70, de la porte d’Évergète à Karnak71, d’Athribis72, du temple d’Hibis à Charga73, fournissent parallèles ou informations complémentaires aux textes les mieux conservés de la deuxième cour du temple de Medinet Habou. 3. Les séquences du rituel a. La sortie du palais et l’érection du mât de Min devant le temple74 Le roi sort de son palais. Cette apparition solennelle est comparée à la venue de l’astre lunaire. Le roi est porté en procession dans la litière royale portée par les fils royaux vers le parvis du temple proche. Soldats et gardes du corps, prêtres les accompagnent. Le cortège est clos par les prêtres du clergé de Min porteurs de l’estrade du dieu. Vêtus d’un pagne court et pieds nus pour se rendre dans un espace sacré, le temple, ils s’apprêteraient à grimper sur le mât de Min lors de l’érection de tente de Min-sÌnt. La scène se passe probablement dans une des parties antérieures du temple assez vaste pour cela, la première cour et/ou le parvis. b. Offrande à la statue de Min dans son naos et révélation de la face du dieu Min dispose de sa propre chapelle dans certains temples dont il est ainsi l’hôte permanent. Cette chapelle est située à l’arrière du temple dans un secteur où est entreposé dans de petites pièces magasins le mobilier de culte. Lorsque le cortège parvient devant la chapelle du dieu, celle-ci est alors ouverte, et le roi entame le rite de purification, récite des prières, alors que la statue est extraite de son naos par le «Père Divin» préposé au transport de la statue de Min au moins depuis le Moyen Empire, comme l’attestent les reliefs de la Chapelle Blanche de Sésostris Ier à Karnak75. Cette séquence ancienne du culte de Min se retrouvera plusieurs siècles plus tard à Athribis76. Elle constitue en effet un temps fort du rituel: c’est la première épiphanie divine de la fête. c. La «naissance» de Min (mswt Mnw) ou la dédicace de sa statue, et la grande offrande qui lui est faite Le premier témoignage évoquant une cérémonie nommée «naissance de Min» se trouve déjà sur la Pierre de Palerme. Le terme mswt désigne non pas une naissance, mais la confection et la dédicace de la statue du dieu. Très tôt, mswt Mnw77 et prt 67 Outre les textes de la chambre de Min (supra n. 62), cf. Ed. I/1: 123 (2-3); Ed. I/3: 384385; Ed. VI: 269 (8 sq.), 280-281; Chassinat 1910: 112-114. 68 D. IV 69. 69 Esna IV,1, n° 435 et VI/1, n° 492. 70 Gutbub 1973: 86, 89-91 (n. f) = monographie 181, 208 n. c = monographie 766, 407, 410 n. l (texte 314). 71 Clère 1961: pl. 44. 72 Petrie 1908: 10-12, 21-23, pl. XXXI-XXXIV; El-Masry 2001: 205-218. 73 Davies 1953: 25, 29, pl. 32-33, 51. 74 Lacau 1953: 13-22; Rochholz 1994: 264; et surtout Feder 1998: 31-54. Par ailleurs, V. Vikentiev (1956: 309) y voit la réminiscence d’une coutume célébrant la renaissance de la nature et le renouveau des céréales et du bétail. 75 Lacau & Chevrier 1956: 81-4, 134-6, pl. 18, 41. 76 Petrie 1908: pl. XXXI-XXXIV. 77 Assmann 1982: 15.

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Le taureau blanc du dieu Min Mnw sont mises en parallèle. La «naissance (de la statue) de Min» aurait été cependant à l’origine une simple présentation de la statue de la divinité (avec un rituel d’animation?), suivie d’une sortie de la statue à certaines occasions, lors de la fêtesed par exemple. Après le deuxième épisode, qui puisait dans le répertoire le plus ancien du culte de Min pour introduire la statue divine, le troisième épisode constitue aussi un élément marquant de la cérémonie. La chapelle de Min, pièce retirée et obscure au fond du temple est le lieu de l’action. Sont présents probablement encore quelques acteurs du cortège initial ayant introduit le roi dans le temple et ayant participé à l’érection du mât de Min, tels les «Fils royaux», mais le clergé de Min est le premier intervenant78. Précédés d’un chœur de trois femmes79 qui ouvre la marche, les membres du clergé de Min (le danseur de Min, le stoliste chargé des étoffes de Min80, la prêtresse de Min et la joueuse de sistre, un prêtre-sem) sont assimilés à de véritables puissances divines qui, pour certaines d’entre elles, portent des enseignes81. Parmi celles-ci, on remarquera une image aniconique pouvant évoquer une des manifestations de Min (Min “aniconique”82 ou Amon d’Opê, acteur ou bénéficiaire des rites décadaires, Min en tant que fils d’Osiris? taureau momifié?). On peut se demander si le défilé des enseignes équivaut ici à une procession de richesses minérales83 en l’honneur de Min, ou s’il s’agit d’une procession géographique des lieux de culte consacrés à Min?84 Le chœur des chanteuses accompagne les danseurs, tandis qu’un hymne85 est psalmodié: des formules de protection du dieu Min alternent avec des formules semblables prononcées au bénéfice du roi. Leur contenu et le parallèle constant entre la protection du dieu et celle du roi classent cet hymne dans le registre du cycle osirien de transmission du pouvoir royal: le véritable noyau de la cérémonie apparaît ainsi. Deux fonds rituels se rencontrent autour de la statue de Min: le couronnement du roi et celui du dieu: c’est peut-être le sens de Mswt Mnw: la consécration, par le couronnement86, de la statue de Min87. Une grande offrande peut désormais être réalisée devant la chapelle de Min contenant la statue consacrée. La grande offrande sert d’entracte: pendant ce temps, on prépare le taureau blanc et on amène le mobilier liturgique au même endroit que la statue de Min. L’avènement du taureau conté dans le quatrième épisode est en fait contemporain de la pro-

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Gauthier 1932. Aufrère 1999: 78 n. 112: la chanteuse-‡m”yt serait le rappel d’une bédouine servant de compagne à Min (Gauthier 1931: 97-99). 80 Kees 1959: 64-65; Grdseloff 1943: 357-366; Kanawati 1992: 200-203; Blasius 1999: 49-51. 81 Assmann 1991: 107-108. 82 Pour cette appellation, cf. Traunecker 1992: 201-204. 83 Telle l’enseigne de Nemty pour le XIIe nome de Haute-Égypte, divinité de la prospection liée à l’extraction de l’argent: Aufrère 1991, 1: 136. 84 Par exemple dans Herbin 1999: 150-151, 154, 164-165. 85 Chassinat 1968: 672; Cauville 1987: 40: la chapelle de Min de ce temple possède aussi des hymnes importants invoquant Min sous son aspect de dieu de la fécondité et fertilité et «exaltant le couronnement du dieu après qu’il a reçu l’héritage divin». 86 Assmann 1982: 15; Egberts 1995: 408. 87 À l’instar du taureau blanc. Cf. les remarques de Borgeaud & Volokhine 2000: 64, pour l’intronisation du taureau Apis «constituant un véritable cycle – solidaire de celui de la royauté – dont le principe est la régénérescence». 79

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Catherine Graindorge cession de la statue de Min. Les deux vont se rejoindre dans ce qui doit jouer le rôle de cours de fêtes du temple. La statue de Min sort alors effectivement de sa chapelle, portée par le «Père Divin». d. La procession du taureau blanc Le cortège du taureau blanc est conduit par les deux chacals «ouvreurs de chemins» et la Grande Épouse Royale qui encadrent les statues des rois défunts. Le taureau blanc a été préparé (le texte détaille: «les deux plumes sur sa tête88, les broderies sur l’étoffe à son cou, sa marque temporale étant sur son côté gauche»). Les plumes sont celles de la couronne à disque solaire, l’écharpe richement décorée rappelle celle du taureau Apis à la robe noire89. La marque temporale devait être noire90 pour ce taureau blanc portant des marques distinctives comme animal spécifique de la liturgie de Min. Le texte accompagnant l’image du taureau blanc est un hymne91 dont on trouve des parallèles dans Le Livre du Jour et de la Nuit (rituel royal héliopolitain)92. Dans un lieu mythique, le dieu soleil Rê combat son ennemi le serpent Apopis. L’astre solaire vainqueur est aidé des «Âmes de l´Orient», d’un agathodémon du monde souterrain «le grand crocodile» (¢b‡ wr)93 et de Thot, la lune. Dans l’hymne du taureau de la fête de Min, particulièrement riche, le taureau blanc est assimilé au vainqueur, mais sous un aspect lunaire. Ce texte méconnu décrit donc le processus d’une apparition astrale du taureau de Min. Son symbolisme lunaire peut être en partie explicité à l’aide des textes du plafond astronomique d’Esna où le personnage central de la renaissance lunaire est en relation avec «le grand crocodile» qui est une étoile du matin et la dernière à s’éteindre, faisant ainsi la jonction entre la lune et le soleil94. Cet épisode reposant entièrement sur l’apparition du taureau blanc est une véritable épiphanie royale. Le principe royal est incarné par le pharaon, Horus sur terre «dont les deux yeux sont le soleil et la lune». Le deuxième épisode avait exalté le principe divin passif contenu dans la statue de Min par une première épiphanie de la nature du dieu (pouvoir de régénération95 contenu dans la statue). Le quatrième épisode situe résolument cette épiphanie divine dans le registre du mythe royal (astre lumineux vainqueur des pouvoirs néfastes de la nuit), le matérialise sous forme de taureau blanc sur terre, Min-Kamoutef, principe actif de la régénération royale, celui qui féconde sa mère96 pour renaître en fils97. La mère est d’ailleurs présente: la grande épouse royale accompagne la pro88

Comme celles de la couronne-henou: Laboury 1998: 409-410. Vos 1998: 70. Pour le culte des taureaux en général, cf. Otto 1938: 47-48. 90 Aufrère 1998b: 53. 91 Gauthier 1931: 179-184 (“premier hymne chanté”). 92 Piankoff 1942 et Piankoff & Rambova 1954: 409-428. 93 Von Lieven 2000: 174-175. Il faut rajouter à la note de l’auteur, pour les mentions de ¢b‡, Hornung 1963: 133; Hornung 1979, 1: 362; 1980, 2: 253-254. 94 Il n’est pas certain que l’on puisse retenir ici le rapprochement entre «le grand crocodile» ¢b‡ wr de l’hymne de la fête de Min et «la plume», opéré par von Lieven 2000: 175, reprenant la traduction de Gauthier (1931: 180) d’un passage comportant à cet endroit une lacune importante. Le «grand crocodile» est une étoile et la relation directe avec une plume s’avère difficile à préciser. Pour le dieu crocodile Sobek assimilé à une étoile, voir Gardiner 1957: 47 n. 17. 95 Roberts 1995: 81-96. 96 Sander-Hansen 1940: 18 n. 6. La mère du taureau blanc de Min est une vache noire: DuQuesne 1996: 21. 97 Assmann 1976: 31-32, 46-48; Id. 1982: 33. 89

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Le taureau blanc du dieu Min cession du taureau blanc, et il est tentant de reconnaître en elle la contrepartie de Min à Coptos, la déesse Isis (voir tableau récapitulatif). Elle s’unirait ici à Min sous forme de taureau Min-Kamoutef pour donner naissance à Min renouvelé ou Min-Horus, le pharaon sur terre dont le ka est le corps politique98. Cet Horus et son ka sont les derniers avatars d’une longue chaîne dynastique terrestre figurée par le cortège des rois ancêtres qui accompagnent le taureau blanc. Il semble donc capital de reconsidérer la fonction monarchique des aspects lunaires de Min99 dans la théologie thébaine, et de reconsidérer chaque élément de l’hymne au taureau blanc Kamoutef. En outre, un passage fait référence à un taureau dans le rituel de confirmation du pouvoir royal100, et dans les rites du Nouvel An, il est fait allusion à un rite d’héritage du taureau enseveli dans la «chambre vénérable». Geb (la terre)101 y est le taureau mort enseveli dans une étoffe à l’origine de l’héritage transmis à Horus. L’enseigne d’apparence curieuse, déjà mentionnée plus haut à propos de la procession d’enseignes, pourrait-elle représenter ce taureau recouvert d’un linceul (Min “aniconique”)?102 e. La procession de la statue du dieu et le halage des quatre coffres (?) Le premier élément, la procession de la statue du dieu103, est le seul épisode figuré sans variante dans les différentes sources iconographiques, peut-être parce qu’il constitue à lui seul le fond ancien de la fête: la statue sort en procession portée à bras d’hommes sur son pavois rouge. Cette vieille divinité terrestre dont le culte est très ancien ne possède pas, on l’a souligné, de barque, mais transporte avec elle tous les éléments d’un sanctuaire mobile en quelque sorte. Le dieu et son principe divin peuvent être partout. Il est possible que le taureau et la statue de Min fassent procession ensemble. Il nous semble plus vraisemblable que les deux “voyagent” à part, le message du taureau blanc détaillé ci-dessus s’articulant plus sur le deuxième épisode. Les porteurs de la statue disparaissent sous une sorte de voile, une étoffe rouge à étoiles entourées d’un cercle104, prenant alors l’apparence de rosettes comme celles du voile d’Amenemôpé, et alternant parfois avec des cartouches du roi105. La présence d’un voile est habituelle lors de la procession d’un dieu en présence d’un vaste public. Le dieu est alors soustrait aux regards profanes. Dans cette cérémonie privée, elle a pu avoir une autre raison d’être. Seules les têtes des porteurs dépassent. La symbolique de cette étoffe est sans doute en relation avec la cérémonie (pour la couleur rouge, voir ci-dessous). Des raisons matérielles interviennent aussi: ou bien le voile recouvre et cache le pavois différent d’Amon présent dans chaque temple, ou bien ce voile sert à un moment de la cérémonie à cacher la statue de Min. Mais un paravent transporté avec le mobilier liturgique a dû servir aussi à cet usage. Le voile apparaît donc ici plus destiné à habiller la statue divine, voire à en souligner une personnalité liée à la résurrection et à la régénération106, plutôt qu’à masquer la forme ithyphallique

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Jacobsohn 1939. Aufrère 1993: 14 et id. 1991: 135, 420-421. 100 Goyon 1972: 72-73. 101 Cela fait penser à Apis: Borgeaud & Volokhine 2000: 64. 102 Cf. supra n. 81; Doresse 1971: 114-115, Id. 1973: 114. 103 Redford 1967: 22 n. 94; Traunecker 1991: 308. 104 Schott 1950: 69 n. 4. 105 Legrain 1917: 57-58. Pour les rosettes du voile d’Amenemôpé, cf. Doresse 1973: 115. 106 À l’instar d’autres dieux tels Sokar: Graindorge 1994, 1: 26-33. 99

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Catherine Graindorge du dieu Min107. Lorsque la procession de la statue de Min ithyphallique arrive à destination, le roi fait le tour du pavois de Min et un hymne est chanté108. Ce texte corrompu et très lacunaire est difficile à traduire, mais il y est fait allusion à la venue du grand ka sur son pavois et à une invocation à un support (le mât de la tente de Min?) qui sépare les nuages109. en d’autres termes, qui atteint le ciel. Serait-ce une allusion au souffle des vents marins de l’est et aux pluies venant de la mer pendant le mois précédant les moissons? Ces vents de l’est sont en effet la manifestation du dieu Min, «maître des déserts de l’est», celui qui «vient de l’est», comme le chante l’hymne. Ils sont très fréquents tout le mois de Pakhons110. Puis le texte poursuit en assimilant Min à Geb. Min reviendrait du désert sous la forme de Geb111. La procession du taureau blanc avait débouché sur la consécration du pouvoir royal d’un Horus terrestre, le roi, en partant du schéma mythique de la succession divine. La procession de la statue de Min ithyphallique transmet l’héritage de Min, garant des moissons de la terre-Geb dont la manifestation (le ba) est rouge. Outre la mise en place de ces deux couleurs, blanc et rouge, évoquant la couronne blanche de HauteÉgypte et la couleur rouge de la couronne de Basse-Égypte, il est tentant d’évoquer la teinte bleu-noir de Min112 ithyphallique porteur des moissons (couleur verte)113 qu’on célèbre dans le sixième épisode en coupant une gerbe de blé. Après que le roi a fait le tour du pavois et que l’hymne a été chanté, il n´est pas impossible que le roi hale les quatre coffres114 contenant les étoffes de couleur blanche, rouge, bleu et verte, ou qu’il hale les quatre coffres en même temps qu’il fait le tour du pavois, célébrant ainsi la confirmation de son pouvoir (les couronnes blanche et rouge) et la prise de possession de son héritage (la terre d’Égypte, corps d’Osiris, symbolisée par les quatre coffres). Un hymne adressé à Thot dans la version du temple de Ramsès III à Medinet Habou, considéré par les auteurs comme incompréhensible, mentionne ces couleurs en relation avec des accessoires relevant du rituel de couronnement (étoffes, couronnes et uraeus).

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Ce même raisonnement a été développé pour la statue voilée d’Amenemôpé par D. van der Plas 1987: 6. 108 Gauthier 1931: 188-192 (“deuxième hymne dansé”). Écouter ces chants est un souhait très cher; van der Plas 1989: 28, 35 n. 115 (TT 106 Paser). 109 Assmann 1991: 109. 110 Leitz 1994: 364 n. 10 (avec bibliographie). 111 Assmann 2000: 70. 112 Aufrère 1998b: 53; DuQuesne 1996: 21. 113 Il est intéressant de mentionner ici, à titre de rapprochement, les cérémonies accomplies en l’honneur d’Hathor consistant à parsemer le sol devant la déesse avec des produits en grains aux colorations choisies (vert, or, jaune d´or, brun-rouge) destinées à recréer un paysage agricole changeant sous l’action de la croissance des céréales: Goyon 1997: 89, 96. 114 Egberts 1995: 344-345, 372, 387-388, 393, 396 sq., 409. On y joindra l’article de Barguet 1960: 62-64 non mentionné par Egberts, ainsi que les remarques d’Assmann 1992: 96-99.

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Le taureau blanc du dieu Min f. Couper la gerbe de blé-bdt115 devant le taureau et conduire les quatre veaux Le rite de couper la gerbe de blé116 est réalisé par un prêtre devant le taureau blanc. Ce rite est associé dans la fête de Min comme dans le rituel de confirmation du pouvoir royal au massacre des ennemis. Le texte récité par le roi lorsqu’il coupe la gerbe de blé appartient au rituel de confirmation du pouvoir royal117. Par ailleurs, on peut se demander si le taureau blanc foule le grain issu de la gerbe de blé qui lui est offerte. Aucun élément, même allusif, ne le suggère. Gauthier affirme (supra) que le taureau blanc était mis à mort. Cependant l’analyse précédente le place au centre du rituel de la fête et lui attribue un rôle trop important pour que l’immolation ait pu suivre immédiatement. Aucune légende n’éclaire la présence du taureau blanc dans cet épisode. On remarquera que les statues des rois ancêtres ainsi que la Grande Épouse Royale sont les mêmes acteurs que ceux du quatrième épisode lors de la procession du taureau blanc ou Min-Kamoutef, qui donnait naissance, en se renouvelant, à un Horus incarné par le ka du roi. Cet épisode définirait après la naissance de la royauté terrestre, la fonction royale: le roi est garant de la paix en Égypte dont il assure la pérennité des rythmes agraires et des récoltes: Min est le taureau-Kamoutef, le principe actif pourvoyeur des richesses de la terre-Geb. Sa hutte-sanctuaire, la sÌnt, devient le grenier à blé du roi. Dans ce contexte, si les graines de la gerbe sont à nouveau ensemencées par le taureau blanc (qui les piétine) pour amorcer un nouveau cycle végétatif, dont la statue de Min ithyphallique retirée au fond du temple garantira la bonne marche, on peut penser que trois autres rites souvent associés à Min seraient, au cours de ce sixième épisode, réalisés. Le premier rite serait celui de «piocher la terre» (≈bs-t”) par le roi qui creuse des sillons et les met en eau. Ce rite capital est celui qui confère la couronne blanche d’après de nombreux textes. La chapelle de Min du temple d’Horus à Edfou souligne le rattachement de Min à El-Kab, alors que le culte de Min n’est pas attesté à El-Kab. Ce rapprochement serait dû à la couronne blanche portée par Min et que le roi lui transmet118. Le deuxième rite consiste à mettre en eau des bassins (la «cuve-jardin» pour Min) où l’on a fait le µwÌ b‡”: «l’arrosage du grain»119. Cet acte est alors l’annonce de la récolte de la nouvelle année agricole et de l’eau nouvelle ou inondation. Le troisième rite serait le Ìwt-bÌsw «conduire les quatre veaux» par le roi devant Min-Kamoutef: les semailles sont piétinées par les bovidés pour le taureau blanc, ou avec le taureau blanc, comme on l’a suggéré plus haut.

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Alex I, 77.1344; II, 78.1393; III, 79.0947; Meeks 1993: 72-75. Il s’agit d’une céréale apparue soudainement en Égypte autour de 5000 av. J.-C. On l’identifie au blé amidonnier (Triticum dicoccum): Täckholm 1941: 227-228. Le blé est traditionnellement coupé la nuit et jusqu’à l’aube au moment où les épis sont recouverts de rosée (ibid. 238). Cette phase des cérémonies atteste donc un rite nocturne. 116 James 1958: 52-53. L’offrande d’épis apparaît ailleurs dans des contextes de fêtes saisonnières (Renenoutet, Opet) et de fêtes lunaires: Guilhou 1999: 335-364. 117 Goyon 1972: 45, 71, n. 238 p. 109. 118 Cauville 1987: 37 et l’analyse de El-Kordy 1984: 121-126 (p. 125 surtout). 119 Posener-Kriéger 1978: 67-71.

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Catherine Graindorge Enfin, une partie du texte se rapportant à cet épisode s’avère intéressant: il s’agit d’un hymne qui fait allusion à des prêtres de Min portant des couronnes120. Cet acte non représenté est mentionné dans la version conservée de cet hymne à Athribis, que l’on psalmodiait trois fois. Des noms étranges de couronne qui évoquent la couronne blanche et la couronne rouge retiennent l’attention si on les associe à notre hypothèse de travail: des accessoires de couronnement avaient déjà été signalés dans le texte se rapportant au cinquième épisode. La procession du taureau blanc (quatrième épisode) est l’amorce d’un rite de transmission du pouvoir royal (cinquième épisode). Le sixième épisode consacre le nouveau roi et définit l’exercice de son pouvoir. Il reste à savoir si le taureau était aussi couronné. g. Le tir des quatre flèches et le lâcher des oiseaux Au cours de cet épisode, le roi vient à la rencontre des prêtres amenant les quatre oiseaux. Acteur du rite, il tire quatre flèches en direction des quatre points cardinaux, affirmant ainsi sa domination sur l’univers entier. Puis, il relâche quatre oiseauxswrwt121 vers les quatre points cardinaux122, vraisemblablement des rolliers bleus (Coracias garrulus Linn.)123, oiseaux migrateurs et messagers124 devant annoncer la venue du nouveau roi125. Il porte la double couronne de Haute-et-Basse-Égypte ceinte d’un diadème à 365 uraei (couronne reçue au cours du cinquième épisode?). On connaît une couronne d’Osiris (en rapport avec Héracléopolis) comportant un diadème de 365 uraei. Pendant ce temps, un hymne est chanté126 près ou au-dessus du jardin de Min (Ìsp). Cet hymne rapporte deux informations capitales: 1) l’héritier du trône, Min-Horus a reçu la couronne-sÚnw, don de Min-Kamoutef. Comme à Athribis et au temple d’Hibis à Charga, la couronne-sÚnw est la couronne (blanche) par excellence du couronnement, qui a même la préséance sur la couronne rouge de Basse-Égypte. Il pourrait s’agir de la couronne à 365 uraei;

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Gauthier 1931: 244 sq. Alex I, 77.3455. 122 À l’image du taureau «qui illumine les quatre coins de la terre de sa lumière» à Coptos, cf. Traunecker 1992: 291, qui fournit par ailleurs un parallèle au texte de Medinet Habou (Gauthier 1931: 136 sq.). 123 Gauthier 1931: 222; Brehm 1911: 121; Houlihan 1986: 111-113, 140, 161 (avec bibliographie). Les rolliers bleus sont des oiseaux migrateurs qui sont assez nombreux en Égypte. Ils arrivent du Nord vers la fin d’avril et repartent à l’automne. Leur livrée très colorée (allant du bleu clair au bleu-vert et bleu sombre) et leur queue assez longue et subarrondie constituent leurs principales caractéristiques. Essentiellement insectivores, ils peuvent aussi occasionner de sérieux dommages aux récoltes de fruits. 124 Leitz 1994: 333-335, avec bibliographie et remarques sur les articles de O. Keel (1977: 109 sq.). Et Keel 1990, 2: 626. Pour les oiseaux migrateurs messagers: Graindorge 1996: 8591; Refai 1998: 185. 125 Comme dans le rituel thébain de confirmation du pouvoir royal (Goyon 1983: 3-5) et dans le rituel du couronnement du faucon d’Edfou (Alliot 1954: 523-526) où le lâcher des oiseaux messagers précède le tir des flèches, suivi – faut-il le souligner pour notre propos? – à Thèbes de l’onction sacralisante d’un taurillon roux, et à Edfou du sacrifice du bœuf roux égorgé. Cf. Moret 1902a: 105. 126 Meyer 1998: 141. 121

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Le taureau blanc du dieu Min 2) lorsque le roi apparaît avec cette couronne-sÚnw, il a déjà lui-même couronné le dieu sans doute du mortier à deux hautes plumes (qui valent les deux yeux de Min dans le rituel de purification royale du couronnement). h. Encens et libation pour la statue de Min ithyphallique qui retourne dans sa chapelle Le roi portant à nouveau la couronne bleue (couronne du rituel de confirmation du pouvoir royal), comme dans le premier épisode, effectue l’encensement127 et la libation pour la statue de Min ithyphallique dans sa chapelle. On peut se demander s’il y a deux statues de Min ithyphallique: celle que l’on sort en procession sur son pavois hors de sa chapelle et celle qui reste protégée de son naos dans sa chapelle à l’arrière du temple. Il s’agit probablement du rite de clôture de la fête qui dépasserait ici la convention et serait destiné à fondre dans une même entité divine le descendant du taureau, le roi héritier Horus sur terre, et Min comme principe fécondateur dynastique. Ce dieu Min-Horus, au caractère cosmique au moins depuis la Deuxième Période Intermédiaire128, se manifeste alors en Amon-Rê-Kamoutef.

III. Interprétation générale de la fête de Min 1. Min est le garant de la moisson Les textes décrivent le roi tel l’astre lunaire apparaissant dans le ciel. La cour du temple est le cosmos. S’y joue le drame reposant sur la théologie peu connue d’un des plus anciens dieux à nature cosmique (yeux, plumes)129 entretenant des liens avec la fertilité (ithyphallique) et avec la royauté. Dans un premier temps, on fait revenir à la néoménie de Pakhons dans la plaine fertile (l’Égypte-Kemet, la «Noire»130), le dieu Min, explorateur et gardien des richesses du désert oriental. Le dieu revient de l’est vers l’ouest comme «taureau de sa mère» en Pakhons (mars-avril). La terre a reçu l’inondation, et la germination est achevée. La fête de Min entre dans une série de célébrations marquant le début des moissons. 2. Min couronne le roi La journée 11 Pakhons est une fête privée où le roi garant de la moisson reçoit son héritage: la terre d’Égypte dont l’élément passif est Min ithyphallique-Geb (minéral) et l’élément actif est le taureau Min-Kamoutef (force de croissance). Le taureau blanc est le vecteur de cet héritage. Le soir du 11 Pakhons correspond à la fête de la nouvelle lune, l’apothéose de Min sous sa forme lunaire, puissance qui féconde le boisseau, qui l’emplit de blé. On peut se demander si la complétion de l’œil lunaire (µp

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Cauville 1987: 41. Feder 2001: 117-118. 129 Belluccio 1998: 29-30. 130 Aufrère 1998b: 53; DuQuesne 1996: 18-23; Vos 1998: 715. 128

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Catherine Graindorge pour chaque partie comptée de l’œil131) ne serait pas évoquée lors du sixième épisode: la gerbe de blé serait offerte comme prélude au remplissage d’un boisseau (µpt). L’offrande de l’œil-oudjat ou des deux yeux-oudjat deviendra même une offrande caractéristique pour Min à l’époque gréco-romaine, comme à Philae132 où Min recevant l’oudjat est «taureau puissant, celui-qui-dépose-les-offrandes-dans-l’abaton» et dont la colonne d’encadrement du dieu précise: «Tant que Min sera stable dans Senmout, à déposer les offrandes en son temps pour son père Osiris, à faire les oblations à son ka, donnant la ration journalière afin de raviver son ba tous les dix jours; il sera comme Horus roi qui soulève son bras chargé des offrandes pour son père, celuiqui-dépose-les-offrandes, dit-on de son ka»133. Min est aussi «le roi des dieux dans le château de la lune, le taureau grand d’amour à la vue duquel chacun jubile»134. Le 12 Pakhons au matin, commence la fête d’Amon qui durera jusqu’au 16. Cette fête est, d’une part, le prolongement direct de la fête de Min et, d’autre part, semble être l’amorce de la fête de la Vallée qui a lieu un mois plus tard135. La néoménie marque le rythme lunaire ascendant permettant au taureau qui est la lune, en tant que Kamoutef, de se manifester. Le quartier de lune apparaît sur la couronne à plumes du taureau blanc. La mise en place de ce taureau lunaire se fait dans un contexte de couronnement de tradition héliopolitaine (solaire). Il est encore difficile de dire si cette union astrale (Min taureau coptite136 et lunaire mis en parallèle avec Min thébain ou Amon-Min ithyphallique et solaire) est l’ancêtre de l’union des deux taureaux (snsn k”wj) telle qu’on la trouve dans les temples ptolémaïques137. Il est à noter que ces deux taureaux peuvent porter des colliers de cornaline138 dont la couleur rouge n’évoque pas, dans ce contexte, la couleur du dieu Seth symbolisant la violence des puissances ennemies à la royauté égyptienne139, celle du taurillon rouge abattu lors des rites lunaires de confirmation du pouvoir royal140. La cornaline serait plutôt associée ici à la protection du corps, en éloignant les rebelles. On rappellera que Thot est le dieu lunaire qui gouverne les minéraux rouges. C’est lui qui les offre à l’œil-oudjat afin de conférer à celui-ci une défense absolue141.

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Aufrère 1997: 134-135. Inconnu-Bocquillon 2001: 35-36, 64-65, 78, 111, 167-170 (doc. 42, 102, 132, 196). 133 Ibid. 35-36 (règne d’Auguste). 134 Ibid. 64-65 (règne d’Aulète). 135 Remarques de Herbin 1994: 170 (T 32 III, 31). 136 L’épithète nb pt «maître du ciel», par ailleurs courante, pourrait être à l’origine spécifique de Min de Coptos en tant que divinité astrale (Colin 1998: 111). 137 Labrique 1998: 885 n. 5; voir aussi Clère 1961: pl. 60 (= Urk. VIII, p. 74 n° 89 b); Gutbub 1973: 86, 89-91 (n. f), 208 n. c, 407, 410 n. l; et Aufrère 2000: 231 n. 73 (qui ne renvoie pas aux précédentes références). 138 Comme dans les représentations de la porte d’Évergète: Clère 1961: pl. 40 (= Urk. VIII, p. 89 n° 104 f). Ce fait m’a été signalé par F. Labrique que je remercie ici chaleureusement. 139 Aufrère 1991,1: 216; 2: 554-6, 575; Willems 1990: 48-49. 140 Goyon 1983: 2-9. 141 Aufrère 1991, 2: 743, 756. 132

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Le taureau blanc du dieu Min Quoi qu’il en soit, l’héritier de Min possède ainsi les deux luminaires142, la lune et le soleil, qui sont les deux yeux143 d’Horus que Pharaon incarne sur terre. Les statues des rois ancêtres, au nombre de neuf, affirment la présence de l’Ennéade autour du dieu dynastique Amon-Min thébain. 3. Du taureau blanc de Min-Kamoutef à Amenemopê Le débat portant sur la fête de Min afin de savoir s’il s’agit d’une célébration agraire ou d’une commémoration du couronnement trouve sa propre réponse dans la compréhension du vecteur de la liturgie: le taureau blanc de Min-Kamoutef. Il semble plus que jamais improbable qu’un tel animal puisse intégrer le schème du sacrifice d’un dieu, forme achevée de l’évolution historique du système sacrificiel144, puisqu’il sert à la mise au point au Nouvel Empire d’une théologie thébaine dans laquelle le roi devient Horus entretenant la création après avoir reçu l’héritage de son père Osiris. Le taureau blanc de Min-Kamoutef constitue ainsi l’un des fondements de l’idéologie royale au début du Nouvel Empire. La lecture et l’interprétation du texte liturgique ainsi que l’absence d’indications sur un éventuel sacrifice conduit à dégager deux thèmes centraux, le taureau et la gerbe de blé, qui s’ordonnent autour de l’architecture d’un mythe. Ainsi, depuis la XVIIIe dynastie, la manifestation de Min-Kamoutef côtoie une autre forme d’Amon-Min “aniconique”: la statue du dieu ithyphallique assis sur un trône portatif et recouverte d’un voile d’où seule la tête émerge145. Cet Amon est nommé Amenemopê (Amon d’OpêLouxor) qui est le possesseur de la couronne à double plume. Il rejoint les dieux de l’Occident, lorsqu’il navigue vers la butte de Djemê où sont enterrés les dieux primordiaux, au début de chaque décade (voir tableau récapitulatif), pour leur déposer une offrande végétale, bouquet où alternent le lotus et le papyrus, plantes de la Hauteet-Basse-Égypte «dont la réunion résume la nation toute entière»146. Il est alors le «fils du taureau-de-sa-mère» (le «fils de Kamoutef»). Les rapports du dieu voilé Amenemôpé avec la végétation sont évoqués par les inscriptions: dieu agraire, il est le soleil, celui qui fait croître les plantes. Amenemopê est aussi nommé «taureau qui lève le bras» et reprend d’autres épithètes de Min, telles «celui qui est sur son reposoir». Amenemopê taureau garde la même ambiguïté que le taureau blanc de Min. Il est l’acteur garantissant la fertilité de toute la terre d’Égypte, à l’image du taureau blanc de Min, garant du labourage et des richesses de la terre, mais recevant en retour aussi la gerbe de blé lors de rites qui pourraient s’apparenter à un sacrifice végétal pour lequel l’usage du feu n’est pas nécessaire, la production végétale étant considérée comme une production spontanée se régénérant cycli142 Bel exemple du temple de Repyt à Wennina: Baum 1995: 26, 35-36; Belluccio 1998: 32-35. 143 C’est à ce titre sans doute que Min reçoit l’offrande des fards verts et noirs, étant ainsi «Horus muni de ses yeux qui emplit l’œil-oudjat sans affaiblissement». Dans cette offrande, Min est le «dispensateur de merveilles» (sr bµ”) et sa parèdre est Isis, mère du dieu: Z. El-Kordy 1982: 197, 200-201. On peut donc penser, allusions des textes du Nouvel Empire et mentions et représentations explicites des temples de l’époque gréco-romaine à l’appui, que l’offrande des fards vert et noir était réalisée par le roi pour Min lors de sa fête. 144 Selon Hubert & Mauss 1899: 115-117. 145 Doresse 1971: 113-136; Id. 1973: 92-135; Id. 1979: 36-65. 146 Doresse 1973: 116-122.

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Catherine Graindorge quement. Il est cependant trop tôt pour affirmer que la gerbe de blé se situe dans un registre de sacrifice proche de celui qu’occupe le blé de Déméter en Grèce où il possède, dans la Théogonie d’Hésiode, une «position analogue à celle du bœuf sacrifié, des morceaux de viande, de la nourriture carnée». Aucune étude n’a montré à ce jour, pour l’ancienne Égypte, une étroite connexion entre des animaux de sacrifice et des plantes cultivées, à l’instar du mythe prométhéen147. En revanche, rien n’empêche de voir dans la procession du taureau-support de dieu un acte de dédicace: dédié aux dieux-ancêtres, le taureau devient l’ancêtre des dieux. Lorsqu’il meurt, un autre vient prendre sa place148. Ce message, livré par la liturgie thébaine du taureau blanc de Min durant le Nouvel Empire, demeurera intact dans les rites décadaires d’Amenemopê. La plus ancienne mention de la fête de la décade remonte à Thoutmosis II (temple funéraire). Pour la circonstance, «on offre de la graisse de taureau»149. Mais on ne sait pas, pour cette époque, si les rites décadaires sont plus que des offrandes funéraires et s’ils sont accompagnés d’une procession à Medinet-Habou-Djemê. Plus tard, à la XIXe dynastie, on trouve à Louxor une mention dans une chapelle-station (chapelle d’Hatchepsout et de Thoutmosis III réemployée par Ramsès II) qui atteste pour le premier jour de chaque décade une halte dans ce lieu de la statue d’Amon d’Opê150. Cette chapelle-station accueillait par ailleurs une fois l’an l’Amon de Karnak qui venait rendre visite à l’Amon de Louxor lors de la fête d’Opet. Cela signifie qu’à partir du règne de Ramsès II le dieu de Louxor, Amon d’Opê, quittait trois fois par mois la partie retirée de son temple pour se rendre personnellement au sanctuaire de Thoutmosis III dans la première cour de Louxor. La première mention d’un voyage décadaire de la rive est vers la rive ouest date de la XXIe dynastie avec un texte de dédicace de Pinedjem I gravé sur le mur extérieur est du temple d’Hatshepsout-Thoutmosis III à Medinet Habou, construit à l’emplacement d’un sanctuaire du Moyen Empire151. Un culte des dieux primordiaux défunts entretenant la création et la fertilité et enterrés à Medinet Habou y est alors rendu et reçu par le dernier avatar du taureau blanc: Amenemopê. Ces dieux primordiaux sont les dieux ancêtres qui constituent l’ogdoade hermopolitaine dont Amon est le chef. Le fils est encore et toujours dépendant de ses ancêtres fondateurs de son propre statut152. On peut donc supposer que la procession du taureau de Min dans le cadre intime du temple sera supplantée par celle d’Amenemopê, recouvert d’un voile, dont le culte se développera à l’extérieur des temples. En effet, elle disparaît des sources153 peu de temps avant l’apparition du voyage décadaire d’Amenemopê154. De même le sacrifice végétal de la gerbe de blé offerte au taureau de Min deviendra une simple offrande végétale signifiant la fertilité de la terre. 147

J.-P. Vernant, «À la table des hommes. Mythe de fondation du sacrifice chez Hésiode», M. Detienne, J.-P. Vernant et al., La cuisine du sacrifice en pays grec, Paris, 1979, 59-62. 148 Luc de Heusch, Le sacrifice dans les religions africaines, Paris, 1986, 153-154. 149 Doresse 1979: 36-37. 150 Récemment Cabrol 2001: 520. 151 Doresse 1979: 40; Traunecker 1995: 193-194; van der Plas 1987: 3-4. 152 Testart 1993: 76. 153 Par ex. stèle de Ramsès IV d’Abydos, Caire n° 48831 (Peden 1994: 167). 154 Herbin 1984: 105-126; Id. 1994: 52-53 et 140-147 (T 32 II, 29-30, III, 1), 56 et 168-170 (T 32 III, 29-31, IV, 1 où il y a bien une mention de la procession de Kamoutef le jour de la nouvelle lune, mais dans le cadre de liturgies se déroulant entièrement à l’intérieur du temple de Karnak), 70 et 254 (T 32 VIII, 7), 298, 305.

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Le taureau blanc du dieu Min

Principales articulations

Min garde son caractère lunaire et sa fête est célébrée.

Évolution du contenu à l’époque ptolémaïque

La fête de Min devient une fête royale à caractère jubilaire. Le roi apparaît lors de la fête de Min en Horus-Min.

L’apparition de Min taureau de la lune disparaît, remplacée par celle d’Amenemopê de Louxor. Procession publique à l’extérieur du temple. Mise en place de 2 Amon: de Louxor (d’Opê) et de Karnak. Voyage décadaire dès la XXIe dynastie de l’Amon d’Opê à Medinet Habou (Djemê). Amenemopê est le ba des Huit de Djemê, dieux ancêtres dont il reçoit l’héritage.

Le roi est Horus. Schéma de transmission du pouvoir selon un schéma héliopolitain.

Horus-Min devient à Coptos le fils d’Isis et d’Osiris. Théologie coptite

Rites décadaires. Entretien de la création des Huit d’Hermopolis. Nouvelle théologie thébaine.

Offrande végétale (lotus et papyrus valant la terre de Haute-et-Basse-Égypte) aux dieux de Medinet Habou-Djemê. Amenemopê massacre les ennemis d’Égypte et accomplit le culte funéraire des dieux.

Rites de clôture avec la couronne bleue. Horus et Min ne font qu’un.

Confirmation du pouvoir et définition de la fonction royale. Le ba de Geb est déjà Horus qui prend soin de son père Osiris dont il est l’héritier.

Offrande au ba de Geb, à sa manifestation, donc au roi: rites de couronnement.

2e épiphanie Royale: le roi est fils de Geb.

1re épiphanie divine du dieu dynastique qui crée la fonction royale. 1re épiphanie royale. Le roi est «en» la statue de Min portée jusqu’à la tente. Un hymne royal est chanté. 2e épiphanie divine du dieu qui crée la fonction divine sur terre en Horus. Cet aspect est développé dans la fête d’Opet.

Mise en scène du mythe: sanctuairestation et temps lunaire.

TABLEAU RÉCAPITULATIF DES ACTES LITURGIQUES Hypothèse de travail pour Thèbes au Nouvel Empire 1. Sortie du palais du roi assimilé à la lune, érection du mât de Min pour construire une chapelle de Min sur le parvis du temple à l’est: ALLER VERS L’EST. 2. Offrande à Min dans sa chapelle avec révélation de la face du dieu et 1er contact roi-Min: ALLER VERS L’OUEST. 3. Consécration de la statue de Min, portée en procession par le Père Divin de sa chapelle à l’ouest vers le parvis à l’est jusqu’à la tente de Min déjà érigée: ALLER VERS L’EST. 4. Procession du taureau blanc, en même temps que la statue de Min, ou non, dans le temple jusqu’au parvis. 2 supports (le taureau de Min et la statue d’Amon-Min). Le taureau est la lune comme le roi sur le parvis. Par le taureau blanc, le dieu Min (astre) se renouvelle de lui-même et s’incarne dans le pharaon (terre) qui reçoit l’héritage d’Égypte. 5. Procession de la statue de Min sur le parvis et halage des 4 coffres valant la terre d’Égypte. Le roi prend possession de son héritage symbolisé par Amon-Min sur son pavois appelé le grand ka. Le retour du dieu à l’est en fait le ba du dieu Geb qui porte les moissons: L’EST EST ATTEINT. 6. Le ba de Geb est celui qui reçoit le couronnement (couronne, uraeus, étoffes): COURONNEMENT À L’EST. 7. Le roi coupe la gerbe de blé devant le taureau et mène les 4 veaux. Il est devenu le ba de Geb, la terre portant les prémices des moissons. Contexte de confirmation du pouvoir et massacre des ennemis d’Égypte. Le roi est garant de la paix et des moissons. Il pioche la terre comme possesseur de la couronne blanche, apporte l’eau nouvelle et mène les 4 veaux pour enfouir les semailles et protéger la tombe d’Osiris: L’exercice du pouvoir est ainsi défini. 8. Lancer des 4 flèches et lâcher des 4 oiseaux: le roi prend la couronne à 365 uraei, celle d’Osiris qu’il a peut-être reçue lors du rite précédent de mener les 4 veaux. 9. Retour dans la chapelle de la statue de Min qui reçoit encens et libation: RETOUR À L’OUEST.

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Catherine Graindorge

Lexique Amon d’Opê, Amenemopê: forme divine d’Amon résidant dans le temple de Louxor. Ba: élément de la personnalité humaine et divine souvent traduit par «âme» qui est une faculté dynamique de l’être permettant de passer d’un monde à l’autre, et qui sert de support pour un transfert d’énergie entre deux mondes. Conduire les quatre veaux: rite de foulage du grain, à l’origine, qui acquiert ensuite une teinte osirienne dans le cadre des rites liés à la butte de Djemê. Les quatre veaux valant les quatre fils d’Horus matérialisent la division du monde en quatre parts orientées selon les quatre points cardinaux. Ils piétinent la tombe d’Osiris (identifié aussi au grain) afin de la dissimuler aux ennemis du dieu. Djemê: désigne une aire située à Medinet Habou, près du petit temple de la XVIIIe dynastie, butte contenant les dieux ancêtres qui y reçoivent un culte. Ennéade: groupement de 9 dieux à l’origine dont le prototype est l’ennéade d’Héliopolis mis au monde par le démiurge Atoum. Geb: dieu de la terre, époux de Nout le ciel et fils de Chou et Tefnout. Cette puissance chthonienne anthropomorphe appartient à la deuxième génération de puissances divines issues d’Atoum (voir «Ennéade») et sert parfois à évoquer l’héritage de la royauté divine et terrestre. Haler les quatre coffres: rite possédant différents niveaux de signification. Appartenant aux quatre fils d’Horus ayant collaboré avec Horus à la préparation de la momie d’Osiris, les quatre coffres contiennent les étoffes de couleur aux vertus apotropaïques, liées aux quatre points cardinaux. Mais le halage des quatre coffres évoque aussi la quête des membres dispersés d’Osiris dans les différentes parties de l’Égypte, puis leur réunion. Ce rite est souvent cité et illustré en parallèle avec le rite de «conduire les quatre veaux». Ka: autre élément de la personnalité humaine et divine avec le ba (supra), le ka est abusivement traduit par “double”. Il s’agit avant tout de la force vitale propre à chaque individu. Kamoutef: littéralement «le taureau (ka) de sa mère». Forme ithyphallique de Min et d’Amon. Père Divin: littéralement «Père du Dieu». Ce titre sacerdotal est à l’origine celui de personnes de sang royal ou liées à la famille royale, avant d’être porté par les membres importants du clergé. Ce prêtre est celui qui porte la statue du dieu lors des processions.

Abréviations ÄA = Ägyptologische Abhandlungen, Wiesbaden ÄAT = Ägypten und Altes Testament, Wiesbaden ACE Studies = The Australian Centre for Egyptology Studies, Warminster ÄF = Ägyptologische Forschungen, Glückstadt AegLeod = Ægyptiaca Leodiensia, Liège AH = Ægyptiaca Helvetica, Bâle/Genève Alex = D. Meeks, Année Lexicographique, Paris Ann. ÉPHÉ = Annuaire de la Section des Sciences religieuses (EPHE), Paris AnSoc = Année Sociologique, Paris 66

Le taureau blanc du dieu Min Archéo-Nil = Archéo-Nil. Bulletin de la société pour l’étude des cultures prépharaoniques de la vallée du Nil, Paris ARG = Archiv für Religionsgeschichte, Leipzig ASAÉ = Annales du Service des Antiquités de l’Égypte, Le Caire AAWLM = Abhandlungen der Akademie der Wissenschaften und der Literatur in Mainz, Wiesbaden BACE = The Bulletin of the Australian Centre for Egyptology, Sydney BCLÉ = Bulletin du Cercle Lyonnais d’Égyptologie, Université Lyon II BdÉ = Bibliothèque d’Étude, Institut Français d’Archéologie Orientale, Le Caire BeiträgeBf = Beiträge zur ägyptischen Bauforschung und Altertumskunde, Le Caire, Zürich,Wiesbaden BES = Bulletin of the Egyptological Seminar, New York BIÉ = Bulletin de l’Institut égyptien, puis Bulletin de l’Institut d’Égypte, Le Caire BIFAO = Bulletin de l’Institut Français d’Archéologie Orientale, Le Caire BiOr = Bibliotheca Orientalis, Leyde BLReinach = Bulletin de Liaison de la Société des Amis de la Bibliothèque Salomon Reinach, Université Lyon II BS = Bollingen Series XL. Egyptian Religious Texts and Representations, Princeton BSAE = British School of Archæology in Egypt (and Egyptian Research Account), Londres BSÉG = Bulletin de la Société d’Égyptologie de Genève, Genève BSFÉ = Bulletin de la Société d’Égyptologie Française, Paris CCEPOA = Cahiers du Centre d’Étude du Proche-Orient Ancien, Université de Genève, Louvain CdÉ = Chronique d’Égypte, Bruxelles CRIPEL = Cahiers de recherches de l’Institut de papyrologie et d’égyptologie de Lille, Université de Lille CEDAE CS = Centre d’étude et de documentation sur l’ancienne Égypte. Collection Scientifique, Paris DE = Discussions in Egyptology, Oxford D. = É. Chassinat, puis É. Chassinat, Fr. Daumas, Le temple de Dendara, Le Caire DMA = Documenta Mundi Ægyptiaca, Jonsered Ed. = Le M. de Rochemonteix puis É. Chassinat, Le temple d’Edfou, Le Caire EgMem = Egyptological Memoirs, Groningen ERUV = Encyclopédie Religieuse de l’Univers Végétal, Université Paul Valéry Montpellier III Esna = S. Sauneron, Le temple d’Esna, Le Caire EU = Egyptologische Uitgaven, Leyde GM = Göttinger Miszellen. Beiträge zur ägyptologischen Diskussion, Göttingen GOF = Göttinger Orientforschungen. IV. Reihe Ägypten, Wiesbaden HÄB = Hildesheimer ägyptologische Beiträge, Hildesheim JARCE = Journal of the American Reseach Center in Egypt, Boston JEA = Journal of Egyptian Archæology, Londres JESHO = Journal of the Economic and Social History of the Orient, Leyde JNES = Journal of Near Eastern Studies, Chicago JSOR = Journal of the Society of Oriental Research, Université de Toronto JSSEA = Journal of the Society of the Studies of Egyptian Antiquities, Toronto Kêmi = Kêmi. Revue de philologie et d’archéologie égyptiennes et coptes, Paris LÄ = Lexikon der Ägyptologie, Wiesbaden 67

Catherine Graindorge LAPO = Littératures anciennes du Proche-Orient, Paris MÄS = Münchener ägyptologische Studien, Berlin, Munich, Mayence MDAIK = Mitteilungen des Deutschen Archäologischen Instituts, Abteilung Kairo, Berlin, Wiesbaden, Mayence Memnonia = Memnonia. Bulletin édité par l’Association pour la Sauvegarde du Ramesseum, Paris MIFAO = Mémoires publiés par les membres de l’Institut français d’archéologie orientale, le Caire MKNAW = Mededelingen der Koninklijke Nederlandse Akademie van Wetenschappen, Afd. Letterkunde, Nieuwe Reeks, Amsterdam, Oxford MMAF = Mémoires publiés par les membres de la Mission archéologique française du Caire, Le Caire OBO = Orbis biblicus et orientalis, Fribourg, Göttingen OCE = Oxfordshire Communications in Egyptology, Londres OIP = Oriental Institute Publications, Université de Chicago OLA = Orientalia Lovaniensia Analecta, Louvain OrMonsp = Orientalia Monspeliensia, Leyde, Montpellier PÄ = Probleme der Ägyptologie, Leyde PhRel = Philosophy and Religion, Leyde, New York, Cologne P.L.Bat = Papyrologica Lugduno Batava, Leyde, New York, Cologne PM = B. Porter, R. Moss, Topographical Bibliography of Ancient Egyptian Hieroglyphic Texts, Reliefs and Paintings, Oxford PMMA = Publications of the Metropolitan Museum of Art. Dept. of Eg. Art, New York RAPH = Recherches d’archéologie, de philologie et d’histoire, IFAO, Le Caire RdÉ = Revue d’Égyptologie, Le Caire, Paris RecTrav = Recueil de Travaux relatifs à la philologie et à l’archéologie égyptiennes et assyriennes, Paris SAOC = Studies in Ancient Oriental Civilizations, Chicago SAK = Studien zur altägyptischen Kultur, Hamburg SÄS = Schriften aus der ägyptischen Sammlung, Staatliche Sammlung ägyptischer Kunst München, Munich SHR Suppl. to Numen = Studies in the History of Religions (Supplements to Numen), Leyde SKDVS = Historisk-filologiske Skrifter uidgivet af det Kongelige Danske Videnskabernes Selskab, Copenhague Sphinx = Sphinx. Revue critique embrassant le domaine entier de l’égyptologie, Uppsala UGAÄ = Untersuchungen zur Geschichte und Altertumskunde Ägyptens, Leipzig, Berlin, Hildesheim Urk. = O. Firchow (Hrsg.), Thebanische Tempelinschriften aus Griechisch-Römischer Zeit Urkunden VIII, Berlin 1957 WdO = Die Welt des Orients. Wissenschaftliche Beiträge zur Kunde des Morgenlandes, Wuppertal, Stuttgart, Göttingen ZÄS = Zeitschrift für ägyptische Sprache und Altertumskunde, Leipzig, Berlin

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Abstract The very ancient festival of the god Min was held once a year. It develops a solemn liturgy with the procession of a white bull, considered to embody the divine shape of Min-Kamoutef. Some authors interpreting the festival maintained the opinion that the bull was sacrificed after having received a vegetal offering composed of a sheaf of corn. A new phenomenological approach allows to challenge that opinion. From an anthropological and historical view, the offering of the sheaf could lead us to the very opposite inference, that is to say the protection of the bull. For the bull then becomes the principle of royal regeneration, since the animal gives birth to the god Horus whom Pharaoh embodies in this world, as a warrant for the agrarian cycles.

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Catherine Graindorge

Fig. 1. La procession du taureau blanc et le rite de couper la gerbe de blé, Ramesseum (Ramsès II), deuxième cour du temple, massif nord du second pylône, paroi est, d’après M. Maher-Taha et A.-M. Loyrette, Le Ramesseum XI, CEDAE CS 36, Le Caire, 1979, pl. V.

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PRÉCIPITATIONS SACRIFICIELLES EN GRÈCE ANCIENNE Renée KOCH PIETTRE École Pratique des Hautes Études Comment peut-on détruire pour offrir? Tel est le paradoxe du sacrifice. Tâchons de l’interroger à partir de ce geste radical qu’est la précipitation en contexte sacrificiel. La question devient alors: comment peut-on jeter pour offrir? Jeter au gouffre une offrande vivante ou un objet: ce geste rituel est attesté en Grèce ancienne depuis Homère1 jusqu’aux derniers jours du paganisme dans l’empire romain2; mais il est, dans sa spécificité, absent des études sur le sacrifice grec depuis des décennies. Par exemple il n’entre ni dans le vocabulaire de Jean Casabona, ni, bien sûr, dans la “cuisine du sacrifice” ou dans son imagerie3. Cependant il affleure dans les études sur le plongeon rituel et mythique4, sur l’auto-immolation5 ou sur le sacrifice humain6. D’autre part des travaux plus anciens, orientés vers les gestes de la violence ou du renoncement plutôt que vers les manipulations précises et la convivialité de la thusia, ne manquaient pas de s’intéresser un peu à notre sujet, sous le titre de Sacrifices de chevaux, Versenkungsopfer, ou l’entrée Katapontismos des encyclopédies7. On rencontre enfin la précipitation quand on s’intéresse aux cultes des eaux: fleuves, nymphes, divinités marines8. Les sources, essentiellement textuelles, ne se sont guère enrichies depuis. Nous abordons la question pour voir jouer le système sacrificiel grec dans ce cas limite où offrir et abolir paraissent se confondre, où le même geste s’applique à l’animé et à l’inanimé, tout en sollicitant vivement l’abîme destinataire. 1 Iliade XXI, 130-132: oujdV uJmi``n potamov" per ejuvrroo" ajrgurodivnh" ajrkevsei, w/| dh; dhqa; polei`" iJereuvete tauvrou", zwou;" dV ejn divnh/si kaqivete mwvnuca" i{ppou", «et le beau fleuve aux tourbillons d’argent ne vous défendra pas. Vous aurez eu beau lui immoler force taureaux et jeter tout vivants dans ses tourbillons des chevaux aux sabots massifs…» (trad. CUF). Cf. le commentaire d’Eustathe, p. 1227, 32-37. 2 Tardieu 1990: 65-67. 3 Casabona 1966; Detienne, Vernant et alii 1979. On trouve une phrase sur la question dans le long chapitre de Rudhardt 19922 sur le sacrifice (p. 287). Nilsson 19673 en faisait mention (109 sq., à propos du pharmakos; 132, distinction des offrandes immergées – simples dons, mais qui éveillent la pensée d’un sacrifice – et des sacrifices animaux dans les eaux; 236, sacrifices aux dieux-fleuves); voir aussi Nilsson 1906: 71-72. Une approche de fond est amorcée dans la discussion qui suit l’article de Versnell 1981. 4 Le thème apparaît à ce titre dans Burkert 1981: 148 sq. et 174 sq.: l’immersion comme gage à la mort, garant de résurrection, car la mer restitue ce qu’on lui a livré. Cf. déjà Toutain 1916. Également Eitrem 1923: 127 sq.; Id. 1925; sur la «Tombe du plongeur», Warland 1999. 5 Par ex. Roussel 1922; Versnell 1981. 6 L’autorité en la matière est Bonnechere 1994. Voir aussi Bremmer 2000; Graf 2000; Georgoudi 1999. 7 Gannini 1963; Closs 1952; Ziehen 1942; Id. 1929; Schulthess 1919; Stengel 1910: 102 (sacrifice dans la mer), 154 sq. (sacrifices de chevaux); Id. 1880; Glotz 1900 ; Id. 1904. 8 Piettre 2002 (Glaucos le marin); Graf 1998; Tardieu 1990: 65 sq.; Wachsmuth 1967; Nilsson 19673: I, 236-240, «Die Flussgötter. Acheloos»; Toutain 1935; Id. 1926; Farnell 1909: V, 420-424; Stengel 1891; Id. 1882.

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Renée Koch Piettre D’emblée, l’éventail des pratiques et des mythes concernés s’ouvre à des catégories connexes: ordalie9 ou victime émissaire (en précipitant un être vivant on lui laisse une chance, avec l’aide des dieux, de ne pas mourir10), rites de passage (le saut comme mise à l’épreuve11), dévouement12, divination (l’eau rejettera-t-elle ou non ce qu’on y a plongé?)13, purification (les eaux digèrent, nettoient la souillure14), serment (le gage englouti garantit la pérennité de l’engagement15), peine de mort (on punit ainsi les sacrilèges, quand ils ne sont pas lapidés ou emmurés16), sont autant d’entrées latérales pertinentes. Mais n’assignons pas trop vite une fonction au rite, et limitons-nous à ce geste: précipiter.

9 Cf. l’ordalie par le Rhin (les bâtards coulent, les nouveaux-nés surnagent: Julien, Discours III [II] 25, p. 156, 24-29 Bidez; Anthologie palatine IX, 125; voir Chuvin 1991: 20 n. 6. 10 Glotz 1900: «L’idée religieuse est donc inséparable de l’idée juridique… On offre une victime aux dieux: à eux de la prendre ou de l’épargner». Cf. Strabon X, 2, 9 = C 452: «Les Leucadiens avaient aussi pour coutume de choisir chaque année, à l’occasion des sacrifices (thusia) en l’honneur d’Apollon, entre tous ceux sur lesquels pesait une inculpation, un homme que l’on précipitait (rhiptesthai) en guise de victime apotropaïque du haut du poste de guet installé sur le cap. On attachait cependant à son corps des plumes variées et des oiseaux susceptibles de ralentir sa chute en battant des ailes, tandis que de nombreux équipages montés dans de petites barques de pêche attendaient en cercle au pied de la falaise, prêts à lui porter secours s’ils le pouvaient et à le transporter en sécurité hors des frontières du territoire après l’avoir recueilli» (trad. F. Lasserre). 11 Pausanias X, 32, 6: une grotte dédiée à Apollon à Hylai près de Magnésie. «Des hommes consacrés au dieu sautent de hauteurs à pic et de rochers élevés, déracinent des arbres gigantesques, et cheminent avec ce fardeau sur les sentiers les plus étroits». Hulai: taillis, lieux non défrichés; les précipitations d’Apollon sont en rapport avec le défrichement, la fondation, cf. Detienne 1998: 22, 117, 121. 12 Par ex. Aglauros, cf. Philochore, fr. 14 (FHG I, 386 Müller); le fils de Midas, cf. Curtius à Rome (Plutarque, Mor. 306e-307a); dans Euripide, Makaria (Héraclides, 47 sq.), cf. Roussel 1922. 13 Cf. Pline, H. N. II, 231 (Carrinum en Espagne); Pausanias III, 23, 8 (lac d’Inô en Laconie); Zosime I, 58, 2-3 (lac d’Aphrodite d’Aphaca); Damascius, Vie d’Isidore, dans Photius, Bibliothèque, 242, § 199 (fr. 6 Zintzen), voir Tardieu 1990: 45 et 66 sq. (Styx d’Arabie); dans Eusèbe, Hist. Eccl. VII, 17 (sources du Jourdain), la victime est un sphagion qui doit disparaître au fond de l’eau, en signe d’agrément de la divinité (et non surnager, epipolasai). 14 La mer reçoit toute souillure (Etymologicum Magnum 127, 13; Hippocrate, Maladie sacrée, 1), sans jamais se souiller (Eschyle, Perses, 578), et «lave toutes les fautes des hommes», Euripide, Iphigénie en Tauride, 1193. 15 Infra n. 111. 16 Voir le barathron d’Athènes, Cantarella 2000: 86-93; selon Strabon XIV, 6, 3 (C 683), à Chypre, près de Kourion, du haut d’une pointe rocheuse on précipitait (rJivptousi) dans la mer ceux qui avaient touché (aJyamevnou") l’autel d’Apollon (Apollon Hulatês, cf. n. 12, et scholies à Lycophron 448). Quant au goût d’Apollon pour les châtiments par précipitation, notamment à Delphes depuis les roches Phédriades, cf. Glotz 1904: 88, et Cantarella 2000: 84; ajouter une inscription lycienne du second siècle, FGrHist 570 F 5. Voir par ailleurs Plutarque, Mor. 162b163a: châtiment des meurtriers d’Hésiode. À Olympie, les femmes qui transgressaient l’interdit de franchir l’Alphée au temps des Jeux étaient précipitées du mont Typaion (Pausanias V, 6, 7). Cf. encore Cantarella 2000: 67-78, 80-93, 267-278; Detienne 1986, passim; Gernet 1984; Id. 1936.

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Précipitations sacrificielles en Grèce ancienne

I. Le lexique Il existe en effet des termes spécifiques: le nom d’une fête Hippokathesia attestée à Rhodes17 suppose des chevaux vivants lâchés à la verticale dans la mer, comme le sont ailleurs des agneaux, des taureaux, un attelage entier de chevaux blancs18, ou tel animal dit kathiemenos, «précipité». Les verbes afférents sont kathienai, aphienai19, kataballein, emballein, katagein (les préfixes indiquant la direction spatiale des gestes de «laisser aller», «lancer»), le plus souvent suivis du complément de lieu (avec la préposition eis, «dans», ou le datif de destination: «dans la mer», «dans le fleuve»20). Diodore21 (V, 4) utilise en association avec thusia le verbe buthizein, «envoyer (des taureaux) par le fond», pour décrire les sacrifices syracusains dans la source Kyané: ce mot évoque les profondeurs de l’Hadès, sur le théâtre du rapt de Koré. Le verbe le plus proche d’un emploi technique paraît être kathienai, sur lequel a été substantivé l’adjectif verbal kathetos, désignant l’agneau ou le bœuf précipités dans la mer en guise de victimes – peut-on dire sacrificielles22? Là aussi, le mot thusia est utilisé par les lexicographes. «La précipitation était… une mort sacrificielle», estime Eva Cantarella23, et c’est justement cette définition qu’il s’agit pour nous d’interroger. On rencontre également le substantif katapontismos, «noyade» (et les verbes katapontizein, katapon-

17 Voir Segre & Pugliese-Carratelli 1949-1951: 153, 8 (inscription du IIIe s. av. J.-C: «Aux Hippokathesia on sacrifie, le onze du mois d’Agrianios ou plus tôt, un tout jeune bélier; la viande est consommée sur place»); Blinkenberg 1941: 490, 11. Selon Morelli 1959: 169, c’était une fête ennéaétéride en l’honneur de Poséidon Hippios, cf. une coutume d’Illyrie selon Paul Diacre, p. 101 Müller [Festus s.v. Hippius]: «Pour Neptune en Illyrie on précipitait à la mer des quadriges tous les huit ans». Hiller von Gärtringen 1929 y voyait un rite de précipitation de chevaux, que, sur la foi de Festus (s.v. October equus: «les Rhodiens, qui chaque année lancent dans la mer des quadriges consacrés au Soleil, parce que la légende lui prête un tel véhicule dans ses révolutions»), il assignait au culte d’Hélios (p. 354; cf. Blinkenberg 1938); mais Maiuri 1925-1926, et Segre 1951: 141, renvoient à de multiples rites du même ordre en l’honneur de Poséidon Hippios (Nilsson 19673: 449 sq.; Farnell, Cults IV: 95, n. 112). Voir aussi PuglieseCarratelli 1952-1954: 251 [5]. 18 Appien, Mithridate 70, p. 84: leukw`n ` i{ppwn a{rma kaqei;" ej" to; pevlago". 19 Antikleides, FGrHist 140 F 4 Jacoby: ajfeqeivsh" eij" th;n qavlassan parqevnou. 20 Par ex. Souda s.v. perivyhma: ejnevballon th`/` qalavssh/. Cf. aussi note suivante. 21 Diodore V, 4: «Les particuliers sacrifient (thuousin) les plus petites des victimes, mais c’est à frais publics qu’on plonge dans le lac des taureaux: cette forme de sacrifice (thusian) fut enseignée par Héraclès». La mention d’Héraclès suggère un exploit sportif: le taureau était-il porté à bras d’hommes pour être égorgé au-dessus de l’eau? Cf. le sphagion des sources du Jourdain dans Eusèbe, supra n. 13, ou, infra p. 88, un sacrifice de taureau dans Euripide, Hélène. 22 Harp., Souda et Photius s.v. (Lysias fr. 227 Sauppe, 221 Müller; Meliton fr. 1, p. 59 Tresp: «le kathetos est un agneau lâché en haute mer»; Bekker, Anecdota graeca I, 279, 8: kaqeto;n bou`n tina;, kaqievmenon eij" th;n qavlattan tw`/` Poseidw`n` i qusivan, «le kathetos est un bœuf lâché dans la mer en sacrifice à Poséidon»). 23 Cantarella 2000: 84, cf. 228 sq. Sur le mont Taygète, le gouffre des Apothètes (nouveaunés exposés, cf. Plutarque, Lycurgue, 16) avoisine le gouffre du Caiadas (découvert jonché d’ossements humains: Sparte y précipitait les criminels, Pausanias IV, 18, 4), et des sacrifices de chevaux offerts à Hélios à la mode perse sur le sommet nommé Taletos, selon Pausanias III, 20, 4 (infra n. 64).

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Renée Koch Piettre toun24, de pontos, la haute mer); katakrêmnismos (et le verbe katakrêmnizein, de krêmnos, précipice) pourrait s’appliquer aux précipitations dans un abîme non aquatique, mais la connotation sacrificielle est moins nette25: c’est avec aphienai et katagein que Lucien26 décrit la précipitation très nettement sacrificielle (emploi des mots thusia, irêion, «victime consacrée») de victimes animales couronnées, ou d’enfants enfermés dans des sacs et traités de «bœufs», du haut des propylées de la déesse d’Hiérapolis. On jette ses propres enfants, de sa propre main. Les victimes, précise l’auteur, meurent de leur chute. Le substantif kathetos connaît des emplois variés: au féminin, il s’agira d’une ligne de pêche (également dans ce sens kathetêr) ou d’une hauteur à pic, ou bien, en géométrie, de la ligne perpendiculaire. La perpendiculaire indique le plus court chemin d’un point à une droite; le fil à plomb en est une application pratique. Une pierre attachée au corps, l’ajout d’un équipement métallique27, pouvaient faire en sorte que la verticalité de la précipitation ne fût qu’à peine ralentie par la rencontre de l’eau. Remarquons les fréquentes occurrences, non pas techniques mais descriptives, du radical rhip-, qui connote un lancer parfois violent, un élan dans un mouvement de (re)jet traversé par un souffle, une inspiration involontaires. Chantraine28 parle d’une étymologie «obscure» (*Ûri`p ` -) qu’il rapproche de «mots germaniques signifiant ‘frotter, tourner’» (cf. allemand reiben), et il renvoie d’autre part à rJivy, «natte, claie de roseau, de paille», «terme technique sans étymologie», qu’Hésychius (s.v. rJipivr) glose par to; plevgma, «entrelacement», et qu’«on a tenté de rattacher à rJip v tw», lui-même rapproché de l’allemand werfen («jeter», «lancer»). Le sens général serait «jeter violemment, brandir, jeter à bas, arracher», impliquant (par opposition à bavllw) «vivacité, violence». Mais le rapprochement avec rJiy v permet, nous semble-t-il, d’introduire l’idée de torsion, présente dans le tressage comme dans le lancer ou dans les tourbillons des eaux. Parmi les dérivés, notons mhtrovrripto" pour Héphaistos rejeté par sa mère; rJiphv, «jet, élan, mouvement rapide», qui se dit aussi bien d’une javeline que «du vent, de l’élan des passions»; avec rJipiv" (éventail), rJipivzw («ventiler, attiser») ou rJifhv, se présente l’idée du souffle; la rJi`yi" est le lancer, agi ou subi; avec ajporrivyimo" et rJivyimon nous atteignons l’idée d’«excrément», de déchet; enfin les rJivmmata sont des «mouvements rapides», les diarrivmmata les «bonds en tous sens d’un chien». Ces divers sens permettent de décomposer le trajet du projectile, depuis son brandissement jusqu’à sa transformation en déchet, et d’une extrémité à l’autre on passe simultanément de l’actif au passif, puis du passif à un objet mort: la torsion du geste produit l’élan qui devient souffle pour habiter le projectile et lui faire comme éprouver la passion qui simultanément le nie; au bout de la course le projectile atterrit inerte, bon à jeter – face morte de l’élan initial.

24 Latin immergere: cf. Servius à Géorg. I, 12, «chaque année, les Illyriens précipitaient (immergere) un cheval à l’eau, en guise de sacrifices (ritu sacrorum)» (cf. Paul Diacre, supra n. 17). 25 Par ex. Plutarque, Marius 45, 3 (roche Tarpéienne). Le verbe décrit la précipitation d’hommes à la mer en contexte guerrier dans Xénophon, Helléniques II, 1, 31. 26 Lucien, La déesse syrienne, 58. 27 Patrocle, général de Ptolémée, fut précipité à la mer dans un vase de plomb (Athénée XIV, 621a), saint Lucien avec une pierre attachée au bras (Migne, Patrol. Gr. CXIV, 412). 28 Chantraine 1999, s.v. rJip v tw et rJivy.

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II. Jeter, se jeter Le trajet de l’offrande s’apparente à celui de la libation – déversée à la verticale – qui peut se dire, poétiquement, avec katheinai ou rhiptein29. Dans la mesure où dans la précipitation ce qui est “déversé” l’est jusqu’au bout, sans qu’on en garde rien, la comparaison vaut pour les choai (libations aux morts, dont on ne boit jamais), et pour les spondai (uniquement quand elles ne précèdent pas l’acte de boire)30. À la limite, dans le katapontismos la phiale à libation va rejoindre son contenu dans la mer au terme du geste31. La phiale lancée dans la mer suit le même élan que les kathetoi: lorsqu’il s’agissait de pousser à la mer un quadrige entier, de quelle violence se servait-on32? La précipitation verticale n’est alors que l’aboutissement d’un élan horizontal, comme on l’a suggéré33 à propos de la deuotio romaine: le katapempein (pousser dans l’abîme) commence par un apopempein (expulser), ou bien l’un peut se substituer à l’autre34. Se jeter dans la mêlée à dos de cheval, comme dans la deuotio romaine, ou se jeter d’un cheval (avec le cheval?) dans un précipice, cela revient au même35. Le kathetos n’est jamais loin de l’aphetos ou de l’anetos, de l’animal consacré qu’on lâche et laisse aller librement. À la fête des Hippokathesia répond, bien plus douce, celle des Ploiaphesia, des lâchers de barques remplies d’offrandes et de prières, en l’honneur d’Isis36. Pour propitier ou remercier un fleuve, on peut lui sacrifier un cheval37, mais aussi libérer en son honneur un troupeau de cavales38. Le Boulimos («Famine»), bouc émissaire rituel de Chéronée39, les «printemps sacrés» des peuples d’Italie40, forment 29 Sponda;" rJip v tein: Empédocle, fr. 128 D.-K.; – kaqei`n` ai: Euripide, Iphigénie à Aulis, 59-60, cf. Iliade XXIV, 641-642. 30 Casabona 1966: 279 sq. et 234; Chantraine 1999, s.v. leivbw, spevn v dw, cevw. Plutarque, Sertorius XIV, 5, nomme kataspeisis (de kataspendô, asperger d’eau lustrale) le dévouement jusqu’à la mort des guerriers ibères attachés à leur chef. 31 Arrien VI, 19: speivsa" ejpi; th`/` qusiva/ thvn te fiavlhn crush`n ` ou\san kai; krath`r` a" crusou`` ejnevbalen ej" to;n povnton caristhvria. «Au cours du sacrifice, ayant fait libation il jeta la phiale, qui était en or, et des cratères d’or dans la mer en guise d’action de grâces». 32 Quand il s’agit de sauts humains, on ne s’étonnera pas de rencontrer ici le vin de Dionysos, la passion d’Aphrodite (par ex. le suicide de Sappho, cf. Nagy 1973; ou Plutarque, Mor. 311ab), ou, dans le champ d’Athéna, l’épouvante (les Cécropides par ex., Philochore, FGrHist 328 F 105). 33 Versnell 1981: 154 sq. 34 L’exemple donné par Versnell est celui d’Althaïménès, fils de Catreus et petit-fils de Minos: pour avoir sans le vouloir tué son père, il fut, sur sa prière, englouti dans une crevasse selon Apollodore, Bibl. III, 15; mais selon Diodore V 59, 1-4 il s’exila au désert pour une mort volontaire. 35 Cf. Plutarque, Mor. 306e-307a. 36 Un tel rite se pratiquait dans le culte de Brizo à Délos (Semos de Délos, FGrHist 396 F 4, cf. Athénée VIII, 12; Hésychius s.v. Brizomavnti"; Etym. Magn. s.v. Brizwv; Eustathe à Od. p. 1720); Apulée, Mét. XI, 16, en offre pour les fêtes d’Isis une description détaillée. 37 Cf. supra n. 1. 38 Suétone, Caes. 81: «Quelques jours avant sa fin, César apprit que des troupeaux de chevaux, qu’il avait consacrés lors du franchissement du Rubicon et envoyés paître librement et sans gardien dans les champs, refusaient toute nourriture et pleuraient abondamment». 39 Plutarque, Mor. 693-694. Cf. Rotolo 1980. 40 Agréable présentation dans Frazer 1983: II, 130 et n. 6.

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Renée Koch Piettre autant de rejets qui ailleurs, comme à Leucade ou peut-être à Marseille41, se seraient soldés par des précipitations. Les victimes de poursuites rituelles se sauvent, quand elles le peuvent, vers la mer42 – le salut ou la tombe: de même les victimes précipitées vives peuvent toujours espérer, telles Arion, rencontrer un dauphin salvateur ou la sollicitude d’Amphitrite43, à moins qu’un oiseau ne vienne, comme à Pénélope, leur apporter le parachute de ses ailes44. Cet élan du rhiptein nous mène à la précipitation humaine et volontaire. Le persécuté n’a d’autre issue que de confier aux dieux son destin: à Dieu vat! La poursuite mène d’un trait à l’auto-sacrifice, comme dans la noyade du chasseur Saron lancé derrière une biche45. Dans un récit tardif (passio des saints Caesarius et Julianus à Terracine), un “bouc émissaire” nommé Lucianus, nourri à frais publics toute une année, le jour de la fête d’Apollon officie au sacrifice d’une truie, puis «immédiatement après le sacrifice, il monte à cheval; saisi de folie, il presse l’animal avec furie, il gravit la montagne et se précipite de son sommet»46. Contagieux, porteur d’ivresse, l’élan se fait suicidaire: le rhipsokindunos47 se jette de lui-même dans le danger. Les enfants avaient fait un jeu de cet emportement: leuka`n` ajfV i{ppwn eij" qavlassan a{lato, «de ses chevaux blancs il s’élança dans la mer», criait la fillette qui devait attraper les autres, dans une sorte de “pigeon-vole”48. Un même récit peut associer dans la précipitation rituelle un “sacrifice” animal, un “sacrifice” humain et un suicide49. Le saut remplace le jet, le hasard d’une destination à tous les diables se fige en

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Servius à Énéide III, 57. Lactance Placide (à Thébaïde X, 793) remplace la précipitation par la lapidation. Cf. Bonnechere 1994: 296. 42 Épigramme, tardive, de Termessos (TAM III, 103): on honore un certain Honoratus pour avoir «chassé la faim vers la mer»; Élien, Nat. anim. XII, 34: à Ténédos le sacrificateur, après avoir immolé la victime, court sous une volée de pierres jusqu’à la plage. Cf. les courses-poursuites mythiques finissant par un plongeon: Ino-Leucothée, Britomartis, l’enfant Dionysos. 43 S’il s’agit d’une image divine jetée à la mer elle a chance d’être repêchée dans des filets de pêcheurs, cf. Pausanias VII, 21, 10 ou X, 19, 3. 44 Didyme cité par Eustathe, p. 1422, 7 sq.; sch. à Od. IV, 797: Pénélope devait son nom de «sarcelle», phnevloy, à un oiseau de mer qui avait amorti sa chute, alors que Nauplios la précipitait à la mer pour venger la mort de son fils Palamède, dont Ulysse avait provoqué la mort. Autre version dans sch. à Lycophron, 791. Voir Detienne 1958 et rapprocher du saut de Leucade (supra n. 9). 45 Pausanias II, 30, 7. 46 Toutain 1916: «Le pontife de Terracine, Firminus, recueille le corps du malheureux; selon la coutume il le fait transporter au temple d’Apollon, le brûle et célèbre un sacrifice». 47 Souda, s.v. 48 Pollux IX, 125, cf. 113-114. 49 Plutarque, Mor. 163a-d (trad. CUF): L’oracle prescrivit aux fondateurs de Lesbos, quand ils rencontreraient un écueil nommé Mésogée, «d’y jeter à la mer (kaqei`n` ai), pour Poséidon un taureau, pour Amphitrite et les Néréides une jeune fille vivante». (…) La jeune fille désignée par le sort, richement parée pour le rite, se trouve être aimée d’un dénommé Énalos qui se précipite à l’eau avec elle et dont on raconte le sauvetage par des dauphins et la réapparition miraculeuse. Cf. Mor. 984e, d’après le récit de Myrtilos de Lesbos [FHG IV, 459]. La légende est située à Méthymna, patrie d’Arion, dans Antikleidès d’Athènes, FGrHist 140 F 4 (Athénée XI, 466C): Énalos réapparaît à Méthymna porteur d’une coupe d’or et de récits merveilleux.

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Précipitations sacrificielles en Grèce ancienne destin, et la perspective plongeante vers l’abîme où disparaît le corps précipité se dit volontiers avec kruptein, «cacher», connotant, pour le bonheur de nos interprètes, la cryptie adolescente50. L’attention des commentateurs s’est concentrée sur le drame du plongeon mythique ou rituel. On n’a guère précisé ses rapports avec le sacrifice, sinon dans la perspective chrétienne du renoncement, du baptême et de la rédemption, ou bien celle, anthropologique, du bouc émissaire. Un article de Clara Gannini consacré au «Catapontismos» tente d’expliquer ce «symbole mythico-rituel» en identifiant, à la manière d’Ernesto de Martino51, la crise existentielle que ce symbole canalise. L’immersion dans l’eau, élément matriciel, répondrait aux angoisses de la transition vers l’âge adulte52, ou d’un sentiment de culpabilité dont l’auteur cherche l’origine dans des conflits familiaux53. La pulsion érotique comme son évitement trouveraient leur résolution symbolique dans le paradigme du saut de Leucade54. L’enthousiasme notamment dionysiaque rencontrerait dans le plongeon mythico-rituel une expression adéquate. Enfin les initiations conduisant des groupes de jeunes gens vers une rivière, comme à Patras (Pausanias VII,19-20) ou à Corinthe (Id. II,7,7), sauveraient, par le rite, du retour au chaos. Bref, l’eau guérit de la folie55. Peut-on requérir des symboles réputés universels (la mer-mère etc.) pour interpréter les réalités grecques? Contentons-nous de reconnaître dans les précipitations rituelles ce qu’il serait absurde de nier: une expression de la «pulsion de mort» au sens freudien56, face noire de l’éros, qui, en ses déclinaisons agressive ou masochiste, se travestit en sursaut de défense ou se veut purification, propitiation, rédemption57. Et rappelons avec Gustave Glotz (supra n. 10) le caractère simultanément juridique et religieux du katapontismos. Le sacrifiant y joue son va-tout et provoque avidement le verdict

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Cf. Calame 1990: 97-98; 190 sq.; Vidal-Naquet 1981: 249-266; Brelich 1968: 367 sq. et 378. 51 La méthode d’E. de Martino est exposée dans De Martino 1957, et mise en œuvre dans Id. 1958 et 1961, 1967. 52 Le second jour sans doute des Grands Mystères («À la mer les mystes!», cf. Mylonas 1961: 155 n. 1 et 249; Foucart 1914: 176), le futur hiérophante d’Éleusis entrait dans la mer, où il recevait son nom mystique, le rite répétant la descente en mer paradigmatique de l’ancêtre Eumolpe, fils de Poséidon (IG II2 3811). Cf. l’éducation de dieux ou de héros dans les profondeurs d’Océan (Héra) ou des mers (Dionysos, Héphaïstos, Thésée). 53 Le De fluuiis du Pseudo-Plutarque offre une riche moisson de telles légendes (ainsi Aliacmon de Tyrinthe devient fou pour avoir surpris les ébats amoureux de Zeus et d’Héra, et se jette dans le fleuve qui portera son nom). 54 Voir Anacréon, fr. 31 Page: ∆Arqei;" dhu\tV ajpo; Leukavdo" pevtrh" ej" polio;n ku`m ` a kolumbw`` mequvwn e[rwti, « D’un bond, du haut de la roche de Leucade je plonge dans le flot argenté, ivre d’amour ». 55 La source Alyssos guérit de la rage (Pausanias VIII, 19, 2); Les eaux de Lousoi guérissent les filles de Proitos (Étienne de Byzance, s.v. Lousoiv). 56 Ou symptôme d’hystérie – lâcher le plaisir pour conserver la jouissance (cf. l’anneau de Polycrate)? Outre les textes fondamentaux de Freud et de Lacan (Encore), cf. par ex. L. Israël, Pulsions de mort, Éditions Arcanes, Paris, 1998. 57 Cf. Rosolato 2002 [1987]: 74 sq., qui pourrait rendre justice à l’idée de rédemption que J. Toutain (1916) a voulu trouver dans notre rite. Également Le sacrifice, Actes du colloque international, Montpellier 8-9 déc. 1989, I. Théorie et clinique psychanalytique, Montpellier, Univ. Paul-Valéry, 1991.

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Renée Koch Piettre d’une loi manifestée en apocalypse du signifiant dans le “laisser aller” du corps rendu à l’obscénité de la chose. La précipitation en Grèce relève souvent de situations de danger, un danger que l’on provoque avant d’être acculé à le subir58; là où elle est la norme rituelle, en-dehors du culte des fleuves, elle présente parfois une périodicité exceptionnellement longue (Hippokathesia tous les huit ans), ou bien le geste intervient dans un contexte par définition anormal comme la progression en territoire étranger (armée, colons), ou les voyages en mer: chaque départ est une aventure et réclame un rite d’exception. Dans un roman byzantin qui se pique d’atticisme, lors d’une terrible tempête un voyageur s’inquiète de ce qu’il convient de faire: l’usage, c’est de jeter par-dessus bord une victime humaine (en l’occurrence la jeune Hysminé) en guise de qu`ma kai; luvtron, de victime sacrificielle et de rançon, d’expiation, explique le marin59. La précipitation n’est pas un rite habituel, mais c’est un rite. La réponse qu’elle apporte prendra sens dans le langage du rite, celui du sacrifice grec, que notre Byzantin indique ici par thuma, et précise, dans sa fonction, avec lutron.

III. La précipitation dans le système sacrificiel des Grecs 1. Kathienai vs kathagizein: un geste radical Les précipitations s’apparentent aux holocaustes et au kathagizein60 dans la mesure où la matière oblatoire passe aux dieux tout entière61. On les comparera donc à des sacrifices sans repas: thusiai ageustoi, adaitoi. Mais la matière oblatoire y est abandonnée radicalement et d’un seul coup. Par ce trait, Hubert et Mauss les isolaient comme une pratique spécifique, qu’ils rapprochaient du bouc émissaire62. Or la conséquence d’anéantissement radical a d’autres corrélats. Dans la note où Festus nous fait connaître la précipitation rhodienne d’un quadrige entier en l’honneur d’Hélios, ce sacrifice spectaculaire est associé avec d’une part l’holocauste, sur le Taygète, d’un cheval (le texte

58 Ce que remarquent Nilsson 19673: I, 132, ou Stengel 1910, à propos des sacrifices de chevaux: Mithridate avant d’entreprendre la guerre avec les Romains précipite un attelage de chevaux blancs dans la mer (Appien, Mithridate 70, p. 84). Ainsi font Sextus Pompée (se prenant pour fils de Poséidon, revêtu d’une robe bleu sombre, il précipita vivants des chevaux, voire des hommes: Dion Cassius XLVIII, 48) et Alexandre le Grand sur le point d’envoyer ses vaisseaux sur un Océan inconnu (Arrien, Anabase VI, 19, 5: mais il s’agit d’un sacrifice avec égorgement préalable, sphaxas). 59 Eumathios 7, 12, 2-15, 2 (Hercher, ESG 2, 232-4). 60 «Faire disparaître entièrement dans l’a[go"», selon Casabona 1966: 202 (sur agos et «l’ambivalence du sacré», alliant l’interdit à la sainteté, cf. Id.: 197), d’où «brûler en holocauste». 61 Cf. Casabona 1966, s.v.; Rudhardt 19922: 236 sq. et 287. 62 Cf. Hubert et Mauss 1899: 241 sq. «Parmi les cas de destruction complète, il en est un certain nombre qui présentent une physionomie spéciale. L’immolation de la victime et la destruction de son corps s’opéraient d’un seul coup. On ne commençait pas par la tuer pour incinérer ensuite ses restes: tout se passait à la fois. Tels étaient les sacrifices par précipitation. Qu’on jetât l’animal dans un abîme, qu’on le précipitât de la tour d’une ville ou du haut d’un temple, on réalisait ipso facto la séparation brutale qui était le signe de la consécration…».

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Précipitations sacrificielles en Grèce ancienne insiste sur l’enchaînement immédiat de l’immolation et de la destruction totale, immolant ibidemque adolent) dont on attend que les cendres soient dispersées aussi loin que possible par le souffle des vents qui en sont les destinataires63, et d’autre part le sacrifice d’un cheval jeté vivant au feu par les gens de Sallente, en l’honneur de Jupiter Menzana64. Les vierges locriennes servantes d’Athéna Ilias, qui cumulaient tous les mauvais traitements, étaient «précipitées des hauteurs du Traron65», leurs corps brûlés sur du bois stérile, puis leurs cendres dispersées au vent66. 2. Un rite élémentaire, un panthéon complexe Les précipitations ont d’autre part un caractère tout à fait primaire (non primitif pour autant67), puisque le destinataire se confond largement avec le lieu même de l’oblation ou avec ses habitants: fleuve ou source “divinisés”, puissances “chthoniennes”, atmosphériques (Vents, Zeus) ou marines, douées de la capacité d’emporter ou d’engloutir, Poséidon, Amphitrite, Thétis, les Néréides68. Hubert et Mauss remarquaient que «ces sortes de sacrifices s’adressaient très généralement aux divinités infernales ou aux mauvais génies. Chargées d’influences mauvaises, il s’agissait surtout de les éloigner, de les retrancher du réel. Sans doute toute idée d’attribution n’était pas absente de l’opération (…)»69. Lorsque Edward Burnett Tylor cherchait à expliquer l’origine du sacrifice en général par un raisonnement valide des peuples «non civilisés», il se référait à l’usage de verser des liquides sur la terre ou de jeter des offrandes dans des eaux: terre et eaux engloutissent visiblement et réellement la nourriture qu’on leur offre70.

63 Cette dispersion des cendres sur la totalité du territoire aura peut-être une vertu fécondante, mais n’en radicalise pas moins la destruction. 64 Festus, 181 a 2 sq. Müller: Lacedaemoni, qui in monte Taygeto equum ventis immolant, ibidemque adolent, ut eorum flatu cinis eius per finis latissime differatur. Et Sallentini, apud quos Menzanae Iovi dicatus vivos conicitur in ignem, et Rhodi... Voir Cook 1925: i, 180 sq. n. 5. 65 Ou bien c’est la cendre qui était précipitée de cette hauteur, où une jeune fille nommée Traron avait été violée et tuée. 66 Lycophron, Alexandra, 1141-1174. 67 On ne s’est pas privé d’émettre cette hypothèse, qui imprègne l’article monographique de Closs 1952. Cf. Eitrem 1915: 472; Wachsmuth 1967: 119 n. 189. 68 Appien, Mithridate 70, p. 84: «Au commencement du printemps Mithridate fit des manœuvres avec sa flotte et sacrifia (ethue) à Zeus Stratios de la manière accoutumée, et aussi à Poséidon, en plongeant (katheis) dans la mer un chariot attelé de chevaux blancs»; à comparer avec Dion Cassius 48, 48, 5: Sextus Pompée «jeta des chevaux vivants dans la mer»; cf. Florus, Epit. 2, 18, 2; Plutarque, supra n. 49. 69 Hubert & Mauss 1899: 242. 70 Tylor 1871.

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Renée Koch Piettre Hélios est pourtant un destinataire privilégié des précipitations: dieu aurige, il se plaît, dit-on, aux chevaux71. Cependant la polysémie du verbe rhiptein introduit tout un panthéon qui ne se réduit pas à une liste de destinataires divins, mais articule les dieux entre eux. Quelle sera la position des agents divins quand le dispositif sacrificiel se limite à une offrande précipitée, qui emporte symboliquement avec elle le sacrifiant lui-même? Les dieux se pressent sur le parcours du projectile, il existe une rJiphv d’Apollon72, une rJiphv de Dionysos, d’Aphrodite73, des vents, du feu, etc. On peut jouer à placer tout l’Olympe sur le trajet: Apollon précipite les sacrilèges à l’à-pic des falaises, quand Hermès a glissé sous leurs pas la peau qui les fait déraper74; Dionysos est dans le trébuchement qui les désigne comme le projectile même, traversé par l’élan; Aphrodite est dans la passion affolante et la séduction du gouffre, les Nymphes dans le trouble entraînement où la raison se noie; Poséidon reçoit l’impact et enfonce le projectile, Terre ou les déesses marines accueillent la victime en leur sein, cependant qu’en Hadès elle disparaît, Hécate assurant la digestion des restes. Cet exercice n’est pas gratuit: témoin Dionysos, que de multiples exemples montrent, lui-même, ou son image, ou ses possédés, en position de victimes de la précipitation dans la mer «liede-vin»75. Complémentaire, Apollon a le geste sans appel qui cible la victime. Quand il est dauphin, ce n’est pas pour sauter dans la mer mais pour bondir sur le navire et le piloter droit au port76.

71 Hérodote VII, 54, se demande si les objets précieux que Xerxès jette à la mer sont destinés à Hélios ou à l’Hellespont. Quant aux chevaux, la glose de Festus (supra n. 17) repose peutêtre sur une méprise, mais on connaît d’autres sacrifices de chevaux à Hélios, alors que les Grecs ne mangent pas la viande de cheval: sur le Taygète encore (Pausanias III, 20, 4, cf. Cook 1925: ii, 8906; Tzetzès à Lycophron, Al. 484); dans Philostrate, Heroïcus X, 1, p. 309, Palamède conseille aux Grecs un sacrifice (katathusantes) d’un poulain blanc et indompté (aneton), après une éclipse de soleil: ici le verbe katathuein indique «l’abandon complet» (Casabona 1966: 98). Les sacrifices de chevaux au Soleil sont plus fréquents chez les Perses: Hérodote I, 133; VII, 113; Xénophon, Cyropédie VIII, 3, 24; Anabase IV, 5, 35; Philostrate, Vie d’Apollonios de Tyane. I, 31: sacrifice au Soleil «d’un cheval blanc, du plus haut prix, de la race niséenne, qui avait été couvert de harnais magnifiques comme pour une procession». Pour le caractère “chthonien” du culte d’Hélios, auquel on offre des nêphalia, cf. Stengel, 1910: 156 sq. 72 Cf. supra n. 10, 11, 16. 73 Nagy 1973; Sergent 1984: 146 sq., «Katapontismoi». 74 Hermès, c’est aussi le moment où la flèche de la mort brutale touche la cible, par surprise (kigchanei, Eschyle, Choéphores, 622, cf. Iliade XI, 451). 75 Ainsi, poursuivi par Lycurgue, Dionysos se jette dans la mer où il est recueilli par Thétis (Iliade VI, 130 sq.). Les pirates tyrrhéniens, affolés par Dionysos, sautent à l’eau et se changent en dauphins (Hymne homérique à Dionysos, 52-53). Un étranger fou arrive à Patras porteur d’une larnax qui renferme le dieu (Pausanias VII, 19, 6 sq.) etc. Le vin possède une rhipê, il saisit et emporte (Pindare, fr. 166, 1: la rhipê du vin précipite les Centaures sur leur corne à boire; cf. Euripide, Cyclope, 164-167: «Oui, je raffolerais de vider une coupe, une seule… et de sauter dans l’onde amère, du roc de Leucade, pour un moment d’ivresse...»); pour tout ce Dionysos trébuchant et bondissant, cf. Detienne 1986a. 76 Dans l’Hymne homérique à Apollon, 400 sq.

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Précipitations sacrificielles en Grèce ancienne 3. Empsucha, apsucha: offrandes vivantes, offrandes inanimées On peut précipiter une offrande non animale (non d’empsucha), voire non comestible: couronnes, gâteaux, objets précieux, parts de soi-même, dont cette part précieuse (cf. une version grecque de l’aventure de Samson77) que sont les cheveux78. On peut aussi précipiter ce dont on se débarrasse: pierre où était inscrite la condamnation d’Alcibiade, après sa réhabilitation79, statue meurtrière de Théagène de Thasos80, hache ou couteau des Bouphonies81. Pour savoir si l’eau accepte ou rejette l’offrande, on recourt à des techniques divinatoires spécifiques. La mer rejette les souillures qu’elle ne digère pas, ou plutôt ce qui ne méritait pas d’être traité en souillure: larnax de jeunes filles violées82, statue de Théagène, qu’il faudra alors se propitier par des honneurs héroïques83. Faut-il dissocier alors, comme Nilsson y invite, Gabe et Opfergabe84, offrande non animale (non vivante), et sacrifice animal (d’un empsuchon)? On répondra ici par la négative: d’une part, le geste est le même dans les deux cas, la violence pas toujours en moins. Abandonner un objet précieux aux tourbillons, c’est au moins se faire violence à soi-même. L’offrande des cheveux coupés est un substitut évident du don total de soi: quand on prenait la mer, il a pu être interdit de se couper les ongles ou les cheveux pendant le temps de la traversée, hormis en cas de tempête (où jeter à la mer ses rognures d’ongle et sa chevelure évitait parfois d’être soi-même jeté par-dessus bord)85. Et c’est dans des circonstances identiquement dramatiques qu’on précipite à la mer des chevaux vivants et qu’on lui abandonne des cratères d’or. D’autre part, dans les deux cas le rite a son versant divinatoire. Enfin, dans les deux cas, le geste peut avoir valeur cathartique et représenter un rejet plutôt qu’une offrande. 4. Kathienai vs sphazein: offrandes simples, victimes égorgées La distinction pertinente est ailleurs: entre la précipitation simple, où l’offrande est jetée telle quelle (vivante, s’il s’agit d’un empsuchon), et la précipitation d’un vivant préalablement égorgé, qui n’est qu’une variante des sphagia86, sacrifices adaitoi87, où

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Pausanias I, 19, 4 (Scylla). Geste lié au rôle courotrophe des cours d’eau: cf. Iliade XXIII, 146-147; Hésiode, Théogonie, 346 sq.; Eschyle, Choéphores, 6, LSS 17 B 6; Pausanias I, 37, 3; II, 7, 8; VIII, 20, 3; VIII, 41, 3. 79 Diodore XIII, 69, 2 (katepontisan). 80 Pausanias VI, 11, 6: un ennemi de l’athlète venait quotidiennement frapper sa statue, qui finit par tomber sur l’outrageur et l’écrasa. En représailles, on noya la statue (katapontousin). 81 Théophraste, Sur la piété, fr. 16 et 18 (Porphyre, De abstinentia II, 28, 4-31, 1); Pausanias I, 28, 10. Cf. Durand 1986: 43-80. 82 Voir Augé et autres filles mères, abandonnées aux flots avec leur enfant dans un coffre. 83 Pausanias VI, 11, 8-9: des pêcheurs ramènent la statue dans leurs filets, et on lui rend un culte. 84 Nilsson 1955: I, 132. 85 Pétrone 103, 5 et 104, 4: «Non licere cuiquam mortalium in naue neque ungues neque capillos deponere, nisi cum pelago uentus irascitur». Cf. Wachsmuth 1967: 302 sq. 86 L. Ziehen, RE 18, 588, 26 sq. (à côté des sfavgia, «bei denen das Blut des getöteten Opfertieres, das man unmittelbar in das Meer strömen liess, die Entscheidende Opfergabe war», la précipitation est «die Versenkung ganzer lebendiger Opfer in das Wasser»). 87 Casabona 1966: 186. 78

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Renée Koch Piettre le sang joue un rôle essentiel88: ainsi Jason égorge (sphaxe), debout sur la poupe qui est l’espace requis pour un tel sacrifice en pleine mer89, un bélier à Triton, en «tranchant la gorge en direction de l’eau» (ej" u{data laimotomhvsa")90. Les précipitations simples au contraire excluent le versement de sang. Leurs affinités avec les sphagia dans l’eau sont pourtant difficiles à nier, et requièrent examen91. Dans un épisode de l’Hélène d’Euripide, Ménélas, sous le prétexte d’offrandes funéraires en l’honneur de l’époux d’Hélène qu’il donne pour noyé, embarque un taureau et un cheval: le poète décrit l’égorgement du taureau sur le navire, mais rien n’est dit du traitement du cheval92, vraisemblablement destiné à un rite du type des hippokathesia (cf. les armes et les offrandes alimentaires que Ménélas embarque d’autre part pour les précipiter à l’eau93). Un comportement opposé des deux bêtes, dont l’une, le taureau, fait de la résistance à l’embarquement, et l’autre, le cheval, se laisse conduire tout uniment, place les précipitations simples du côté d’un sacrifice consenti (rappelons la proximité du kathetos avec l’anetos ou aphetos)94. La résistance du taureau a de plus un rôle balistique, la rétention préalable renforçant la puissance du jet de sang libéré par le glaive: jaillissement concentré, qui pour être de bon augure doit viser la mer tout droit; le verbe employé v. 1588, esêkontizon, évoque des flèches dardées vers les eaux. Dans les sphagia aux eaux, au lieu de recueillir le sang dans un récipient pour le verser sur l’autel95, on en dirige le jet directement vers les flots (on dira sfagiavzev sqai th`/` qalassh`,/` tw`/` potamw`,/ eij" to;n potamovn96, ou bien on emploie, comme pour les précipitations simples, aphiêmi ou emballein devant le complément de destination97), le cadavre allant ensuite rejoindre le lieu où son sang a coulé, dans une offrande en deux temps très rapprochés. La fonction du gouffre qui reçoit le sang n’est guère différent, alors, d’un bothros98, fosse sacrificielle, si l’on choisit de le

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En guise de parodie, dans Aristophane, Lysistrata 204, on «égorge un pot de vin». En concurrence avec la proue. Voir Wachsmuth 1967: 342 sq. 90 Apollonios de Rhodes IV, 1595. 91 Cf. Nilsson 19673: I, 237 et n. 1. Les deux usages paraissent complémentaires. Si les sfavgia sont dans près de la moitié des cas des sacrifices offerts avant une action militaire imminente, ils sont aussi fréquemment offerts aux fleuves qu’une armée va traverser (diabathvria), ou bien aux vents avant une traversée (sfagiavzesqai en est le terme technique, cf. Xénophon, Anab. IV, 5, 4). 92 1255 prosfavzetai est une proposition de Ménélas à un moment où il ne connaissait pas encore la nature des victimes que Théoclymène lui donnerait à sacrifier. 93 Kathêsein 1375, cf. 1260. Le traitement des marins égyptiens vers lesquels se retourne ensuite la rage meurtrière de Ménélas fait d’eux les victimes tantôt d’un sphazein et tantôt d’un rhiptein, d’un égorgement ou d’une précipitation (1594 sq.). 94 Ou bien Ménélas compte-t-il conserver le cheval dans sa fuite? Le comportement des deux bêtes traduirait alors un pressentiment de leur destinée. 95 Cf. Stengel 1910: 102. 96 Cf. Rudhardt 1990: 275. 97 Athénée, VI, 261d (embalôsin); Arrien VI, 19, 5 (aphêken). 98 Le sang coule dans un bothros au cours des sacrifices aux vents décrits par Pausanias II, 12, 1. 89

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Précipitations sacrificielles en Grèce ancienne référer à l’enagizein, ou bien d’un sphageion, vase à recueillir le sang99, si l’on se réfère à la thusia sur l’autel (bômos)100; et l’immersion d’autre part correspond à une crémation totale de la victime: deux façons, aussi, de traiter un reste. Mais le corps de la bête ne suit pas toujours le trajet de son sang: un autel peut servir à le réduire en cendres – qu’il sera loisible de jeter à l’eau à leur tour, quand elles se seront trop accumulées! On interprétera ainsi le dispositif sacrificiel au bord du Sperchios, évoqué par Achille dans l’Iliade (XXIII, 146-148): Pélée avait fait vœu, si son fils revenait de Troie, de consacrer sa chevelure au Sperchios et d’immoler (hiereuein) dans sa source une hécatombe de cinquante boucs à l’endroit où se dresse l’autel «odorant» du fleuve, en son enclos sacré (temenos)101. Ici encore, selon le schéma binaire qui paraît structurel102, les cheveux servent à une précipitation simple, les boucs à des sphagia aux eaux. Un règlement d’un calendrier des cultes de Mykonos103 nous montre deux groupes de jeunes gens assistant le prêtre d’Apollon et offrant au fleuve Acheloos cinq victimes chacun, «dont deux, selon Sokolowski, et le teleion (victime adulte) fourni par l’Etat sont sacrifiés à l’autel» (pro;" tw`i b[wm]w`i s[favt]tet[ai]), le reste jeté dans le fleuve (ta; [de;] [a[lla ej" to;n potamovn). Mais le verbe sfavttetai gouverne cette fois les deux compléments, pro;" tw`i b[wm]w`i et ej" to;n potamovn: le texte oppose non un sacrifice et une précipitation, mais deux façons d’égorger (sphazein), vers (pros) l’autel (le sang inonde l’autel), ou bien vers les eaux du fleuve (le sang coule directement dans le fleuve). Nous nous situons donc dans une procédure sacrificielle par égorgement. Rien n’étant dit de la destination des cadavres (le règlement ne rend compte que de modifications apportées à un usage traditionnel), une précipitation éventuelle des cadavres dans le fleuve reste de pure supposition. Eustathe remarque avec bon sens104 que si l’on égorgeait (hiereuonto) des taureaux aux cours d’eau, on précipitait (kathiento) des chevaux vivants dans les tourbillons des grands fleuves – mais certes pas dans les sources. À ce stade, nous constatons donc une articulation systématique entre deux formes de thusiai ageustoi: avec ou sans versement de sang, précipitation simple et destruction totale d’une victime égorgée. Curieusement, le geste le plus radical est celui qui ne tue pas: il laisse aux dieux la décision de la mort.

99 Cf. le passage de Théophraste dans Athénée (ibid.), analysé par Stengel 1910: 101 sq. Sphagion pouvait être la victime mais aussi le vase où l’on recueille le sang de la victime, sphageion. Or dans un sacrifice où le sang est versé dans la mer, le sphageion c’est la mer elle-même. 100 Pour ces distinctions, renvoyons à Casabona 1966, passim. 101 Iliade XXIII, 146-148: soiv te kovmhn kerevein rJex v ein qV iJerh;n eJkatovmbhn, penthvkonta dV e[norca parV aujtovqi mh`lV iJereuvsein ej" phgav", o{qi toi tevmeno" bwmov" te quhvei". 102 Nous renvoyons notamment ici à Iliade XXI, 130-132 (supra n. 1); Euripide, Hélène, 1050 sq. (supra); Plutarque, Moralia 163a (supra n. 49); Appien, Mithr. 70, p. 84 (supra n. 68), et supra n. 91. 103 LSCG 96, 29 sq. 104 À Iliade XXIII, 148, p. 1293, cf. supra n. 1: ouj movnon tau``roi potamoi``" iJereuvonto, ajlla; kai; i{ppoi zw/oi; ejn tai`" ` divnai" kaqivento, ouj mh;n ejn phgai`" ` .

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Renée Koch Piettre 5. Peripsêma, horkia: précipitation cathartique, précipitation juratoire Le sang peut ainsi couler ailleurs que dans l’abîme où le cadavre est jeté: ce cadavre précipité n’est rien de plus alors qu’un reste qu’on élimine, hors des frontières, et notamment à la mer (exorismos, katapontismos). Or la précipitation simple a souvent elle-même valeur cathartique ou apotropaïque: ainsi le terme technique peripsêma (Photius, Souda, Hésychius s.v.), «balayure», «ordure qu’on enlève par frottement», «raclure», glosé chez les lexicographes par apolutrôsis, antilutra (rachat, rançon: les chrétiens en feront la rédemption), est illustré dans ces mêmes lexicographes par la précipitation d’un “bouc émissaire”: selon Photius et la Souda, «on disait au jeune homme que chaque année on jetait à la mer pour écarter les malheurs de la cité: ‘Sois notre peripsêma, c’est-à-dire notre salut (sôtêria) et notre rédemption (apolutrôsis)’. Et c’est ainsi qu’ils le jetaient à la mer (ejnevballon th`/` qalavssh/) comme pour un sacrifice payé à Poséidon (wJsanei; tw`/` Poseidw`n` i qusivan ajpotivnnunte")»105. La précipitation simple comprend un “comme si”, une volonté de donner le change, un maquignonnage. Le risque demeure, qu’on se révèle avoir payé en monnaie de singe. Et le choix du geste, celui de la mise au rebut, en constitue comme un aveu. Dans les mises à mort animales accompagnant des traités solennels106, la précipitation du cadavre peut paraître si secondaire que le récit l’escamote107, ou qu’elle est confiée à une second rôle. L’important est alors l’incision de la victime, qui a fait apparaître les termes techniques de temnein, tomia: on prête serment entre ou sur les morceaux fumants de l’animal divisé108. La même élimination négligente se rencontre dans les sacrifices aux morts, où l’essentiel est de faire couler le sang sur la tombe109, ou dans la mer si le défunt a péri noyé: le cadavre est traité en déchet110. Pourtant, un procédé d’immersion peut être constitutif de l’acte même de prêter serment: c’est rendre une promesse inébranlable, que d’en confier le gage à un gouffre d’où on est assuré qu’il ne remontera jamais. Dans Hérodote des confédérés scellent leur traité par l’immersion d’une masse de fer en fusion111. Poséidon qui règne sur les fondements,

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Rappelons Hysminé, à la fois thuma et lutron, supra n. 59. Il est d’usage depuis Stengel (1910: 20), de considérer que les victimes égorgées pour un serment, en l’absence d’un destinataire divin, ne constituent pas un sacrifice ou une offrande. Or les divinités invoquées pour un pacte, par ex. dans Iliade III, 276-278, sont proches des destinataires de précipitations: Zeus, Hélios, les Fleuves, Terre... 107 Priam repart en emportant les cadavres des agneaux égorgés (Iliade III, 310). Que va-t-il en faire? Eitrem (1915: 472) a là-dessus une intéressante analyse. Cf. aussi Piettre 2003: 8-10. 108 Voir Casabona 1966: 211-229. 109 Euripide, Électre 514: «Le sang du bélier a été répandu; la bête est restée là; doit-elle être enterrée ou brûlée?» 110 Casabona 1966: 184 et n. 43: «Un objet chargé de force religieuse est comme frappé d’interdit. On doit le faire disparaître (kaqagivzein) pour éviter à l’homme des contacts qui le souilleraient. Crémation et immersion sont les deux modes normaux de destruction de ces objets». 111 Hérodote I, 165 (les Phocéens). Cf. Callimaque fr. 388, 9 Pfeiffer; Soudas, s.v. Fwkaivwn ajra; Aristote, Const. Ath. 23 (kai; tou;" muvdrou" ejn tw``/ pelavgei kaqei``san); Plutarque, Aristide, 25. 106

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Précipitations sacrificielles en Grèce ancienne le dieu Asphaleios, pour cette raison règne aussi sur les serments112: c’est aussi en son honneur qu’on immerge des offrandes. Mais, si fort qu’on se lie, Poséidon peut encore refuser le gage et le renvoyer à la surface: le Styx par lequel les dieux prêtent serment dissout tout ce qu’on y plonge – sauf le sabot de cheval113. Dans le récit du serment d’Agamemnon à Achille (Iliade XIX, 266 sq.), le poète énonce tout du long le texte de l’engagement, puis décrit les gestes en trois vers: un verrat est égorgé par le prestataire du serment, un héraut jette le cadavre à la mer, d’un mouvement large et brutal: «Il dit, et, d’un bronze impitoyable, il fend la gorge au verrat. Puis Talthybios, faisant tournoyer le corps, le jette (rJiy ` V ejpidinhs v a") au gouffre immense de la blanche mer, où il nourrira les poissons». Ici le déchet rejoint significativement l’offrande la plus dispendieuse: le geste tournoyant de Talthybios anticipe les tourbillons de la mer où le verrat est englouti, comme sont engloutis vivants, en un rite spectaculaire, les chevaux jetés tout harnachés dans le tourbillon de Dinê, au large de l’Argolide114. 6. Tomia, entoma, et le reste: l’émergence du signifiant Essayons de préciser où se situe, entre la précipitation simple et les sphagia aux eaux, le point d’articulation. Nous exclurons d’emblée un critère sémantique: l’unité rituelle paraît se situer en deçà de l’unité signifiante autant que le phonème ou la syllabe se situent en deçà du mot115. Le même geste sert aux intentions les plus diverses. Le Ménélas d’Euripide, s’étant embarqué sous le prétexte d’un sacrifice funéraire, offre en réalité un sacrifice diabatêria, pour solliciter une heureuse traversée116. Les gestes à faire étaient identiques, égorgement et précipitation à la mer. Seule changeait l’intention, exprimée dans une prière. C’est le barbare Théoclymène qui recommande à Ménélas le choix exorbitant d’un taureau et d’un cheval117: ils se trouveront être providentiellement pour Poséidon et les Néréides les victimes les plus adéquates. En soulevant le taureau rétif sur leurs épaules au moment d’embarquer, les hommes de Ménélas achèvent d’helléniser ce qui restait de barbare, tout en annonçant le détournement du sacrifice: l’ambiguïté marque les conduites excessives. Or, ce même excès apparaît sous la forme d’un sacrifice humain aux vents dans la version hérodotéenne du séjour égyptien de Ménélas: «Comme il voulait s’embarquer et que les vents contraires le retenaient, après avoir longtemps attendu, il imagina d’immoler deux enfants du pays.»118. Cette réédition du 112

Cf. la thèse de Sonia Darthou, Poséidon en terre d’Athènes. Un dieu entre séisme et fondation, M. Detienne dir., Paris, EPHE, 2000, 266-269. 113 Pausanias VIII, 18, 4-6, et les variantes du mythe dans le commentaire de Frazer à VIII, 18, 5. 114 Pausanias VIII, 7, 2: Dinê est une résurgence d’eau douce dans le golfe de l’Argolide. To; de; ajrcai`on kai; kaqivesan ej" th;n Divnhn tw`/` Poseidw`n` i i{ppou" oiJ ∆Argei`oi kekosmhmevnou" calinoi``". 115 Voir dans Casabona 1966 : 240, les analyses de spevndw, verbe qui, dès Homère, «convenait pour n’importe quelle libation, offerte en n’importe quelle circonstance», mais comporte toujours une connotation religieuse, même si le rite se réduit à un geste simple (236). 116 Euripide, Hélène, 1584 sq., cf. supra. 117 À Athènes, Solon avait interdit le sacrifice d’un bœuf pour un mort. Mais cf. un usage barbare dans Lucien, Scyth. 2: les Athéniens sacrifient un cheval blanc sur la tombe du Scythe Toxaris. 118 Hérodote II, 119 (trad. CUF).

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Renée Koch Piettre sacrifice d’Iphigénie se dit e[ntomav sfea ejpoivhse, que Casabona rapporte au verbe entemnein décrivant des sacrifices aux guerriers morts119, «égorger en faisant couler le sang dans»120. Hérodote ne précise pas «dans» quoi: ce pourrait être dans la mer, puisque Ménélas s’enfuit sur son navire. Entoma poiein s’applique en un autre passage d’Hérodote121 à des immolations aux vents, avec incantations et sacrifices (thuein) «à Thétis et aux Néréides», à l’issue d’une tempête qui décima la flotte de Xerxès: là encore, le sang a pu couler dans la mer, et le cadavre de la victime y être précipité122. En combinant Euripide et Hérodote nous obtenons trois significations d’un sacrifice par égorgement, sans doute en mer, offert par Ménélas: (faux) sphagia aux morts, diabatêria, entoma pour «enchanter» les vents123. L’usage du neutre pluriel entoma, proche de tomia, suggère que, s’il avait été question de sceller un serment, les gestes n’auraient guère été différents124. Un excès paraît menacer le rite des sphagia. Comment en effet agit ce sang qui coule, pour apaiser un mort, enchanter les vents, obtenir une traversée favorable? Dans le sacrifice d’Ulysse aux morts125, l’incision de la victime piège, dans la palpitante entame et vers le liquide épais et chaud qui en jaillit, les ombres que la prière invite à s’en rassasier, et qui vont venir à l’existence manifeste par ce sang même: dans le sang se concentrent la matière de l’offrande, la présence des morts, le signe attendu et l’anticipation de l’effet souhaité. Mais le sacrifice juratoire montre que les acteurs, en faisant couler le sang, se piègent aussi eux-mêmes. La victime investie se confond chaque fois avec la totalité rituelle: elle est désignée du même mot. Les agneaux horkia sont aussi les serments126, les victimes sphagia sont aussi le rite qui les égorge et les signes divinatoires attendus127, le vin de la spondê est le pacte lui-même128. Corrélativement, l’épiclèse d’un dieu peut décrire le geste de son fidèle: Zeus Suppliant est incarné dans son suppliant129. Sortir de tels rites, où le fidèle est dangereusement engagé, c’est les enclore en eux-mêmes, empêcher tout débordement collatéral, et par conséquent éliminer, une fois les gestes accomplis, tout ce qui les a constitués. Pour être consommé, 119 Cf. LSS 64: les e[ntoma sont les honneurs accordés aux soldats morts pour la patrie. On fait couler le sang dans la tombe (ou en mer, pour des noyés). Voir Casabona 1966: 227-229. 120 Nous doutons que ces formes préfixées n’aient rien à voir, comme le veut Casabona, avec tovmia et tevmnein rapportés aux serments. Cf. Stengel 1910: 80 – mais il est acquis que, contrairement à ce que voulait Stengel, il ne s’agisse pas de castration! 121 Hérodote VII, 191. 122 Du côté des Athéniens, l’épisode est encadré par une invocation à Borée d’une part, des libations (en mer?) à Poséidon Sôter d’autre part: puissances élémentaires, atmosphériques ou marines. 123 Cf. aussi Eschyle, Agamemnon, 1418. 124 Sur les rapports de tevmnein et de ejntevmnein, cf. Aristophane, Lysistrata 192 sq.: proposition est faite de sacrifier un cheval blanc pour sceller le pacte féminin: eij leukovn poqen i{ppon labou`s ` ai tovmion ejntemoivmeqa (cf. Pausanias III, 20, 9: Tyndare sacrifie un cheval pour le serment des Prétendants). 125 Odyssée XI, 23 sq. Cf. Euripide, Hécube, 535-536: le sang de Polyxène est coa;" nekrw`n ` ajgwgouv ", «libation qui fait venir les morts». 126 Iliade III, 245 et 269. 127 Eschyle, Sept 378-379: le devin n’autorise pas la traversée du fleuve, les sacrifices (sfavgia) n’étant pas agréés (kalav) par le dieu. 128 «Les Grecs ne conçoivent un acte que dans l’objet matériel qui le réalise» (Casabona 1966: 255, à propos de spondhv). 129 Zeus Aphiktôr: l’épiclèse du dieu décrit le geste de son suppliant.

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Précipitations sacrificielles en Grèce ancienne le sacrifice exige la liquidation exhaustive de la réalité qui le constitue130. Autocuiseur131, il consume entièrement sa matière propre. Le problème est qu’ici l’absence de consommation laisse un reste. Dans les sphagia il reste, justement, à éliminer ce reste ou à lui trouver un statut. Aussi Ulysse, à peine a-t-il fait couler le sang de l’agneau et de la brebis noirs, charge ses compagnons (là encore, la besogne est déléguée) «d’écorcher et de brûler entièrement»132 les dépouilles, en priant Hadès et Perséphone. Pour la même raison, la phiale à libations est fréquemment, si précieuse soit-elle, jetée dans la mer à la suite de son contenu133. Mais du cadavre à la phiale, un renversement s’est opéré: ce qui était pure élimination est devenu consécration, c’est-à-dire que le reste a lui-même acquis un statut d’offrande. Ce renversement seul peut clore sans reste les sphagia. C’est pourquoi il acquiert une importance superlative et même une autonomie, tout en continuant à dépendre des sphagia au plan structurel. La précipitation clôt le sacrifice dans l’épure d’un geste qui conduit la victime de la main du sacrifiant à la mort ou au salut, en déclinant tout un panthéon, véhiculé par le canal des quatre éléments: une clôture concrétisée par le corps même de la victime, dans le parcours où elle entraîne aussi le sacrifiant, tout en le libérant provisoirement. Le système sacrificiel se concentre, là comme ailleurs mais avec tout un appareil d’accessoires en moins, sur ce corps signifiant.

IV. Offrir et rejeter 1. Prodigalité et divination Mais quel est alors son coût! L’instantanéité du geste, qui fait l’économie de l’extraction du sang ou des splagchna134, exige une prodigalité accrue: quand on ne donne pas le plus précieux, on donne à tout va135. Les Syracusains plongeaient dans la source Kyané chacun ce qu’il pouvait136. À Lycosoura en Arcadie on sacrifie à Despoina pollav te kai; a[fqona, «à l’envi», et de folle manière: chacun donne ce qu’il a, sans autre règle, et au lieu de trancher la gorge de la victime il coupe au hasard. Puis la bête mutilée est jetée au Megaron, dans lequel on veut voir d’ordinaire une fosse aména-

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Voir l’interdit fréquent d’emporter la viande du sacrifice, l’obligation de tout consommer sur place: oujk ajpoforav. 131 Cf. le «bœuf autocuiseur» de F. Hartog, dans Detienne, Vernant et alii 1979: 251-269. 132 Odyssée XI, 46: deivranta" katakh`ai. 133 Supra n. 31. 134 Les Romains, lors d’un embarquement militaire, jettent les exta crus à la mer (Tite Live 29, 27, 5; Virgile, Én. V, 237 sq.; 775 sq.; Servius à Én. V, 238; Macrobe, Sat. 3, 2, 5; Stace, Ach. II, 16; Silius Italicus 17, 51). 135 Il est caractéristique qu’on harnache la victime à grands frais: char, mors, harnais des chevaux. Plutarque, Mor. 160e-162b, décrit Arion paré comme en un concours musical, pour être précipité à la mer. 136 Diodore V, 4.

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Renée Koch Piettre gée137: ce dispositif était nécessaire, puisque les victimes restaient vivantes et agitées en proportion inverse de la gravité de leurs blessures. À Patras, le culte d’Artémis Laphria autorisait de semblables débauches: sur un grand autel chargé de bois sec précédé d’une rampe de terre, et entouré d’une haute palissade de bois vert (qui s’enflammera tard), on poussait vivantes (esballein, emballein) des bêtes de toutes espèces, de tous âges, de tous règnes, tant sauvages que domestiques, et l’on offrait aussi des fruits cultivés – bref, une «précipitation» horizontale. Pausanias laisse deviner le charivari de tous ces animaux, lions et sangliers mêlés aux volailles et aux chevreuils, au moment où le piège flambe. Il n’est d’ailleurs pas question qu’aucun en réchappe: si l’un d’eux force la palissade, on le repousse au bûcher138. À Potniai en Béotie, Déméter encore et sa fille reçoivent, dans des megara qui sont sûrement des fosses, des porcelets qu’on y jette (aphiasin) vivants, puisqu’ils sont censés voyager souterrainement pour reparaître à Dodone l’année suivante139. Avec des offrandes différentes, une telle croyance est attestée aux bords du Céphise béotien: «Les gens de Lilaia... en certains jours précis lâchent (aphiasin) dans la source du Céphise des gâteaux locaux (pemmata epichôria) et d’autres offrandes traditionnelles, dont on dit qu’ils réapparaissent dans Castalie»140. La réapparition à Dodone ou à Delphes témoigne de l’acceptation de l’offrande par la terre ou la source, qui la sanctifient en la restituant en un lieu saint: le sacrifice est devenu consécration (anathêma). Le cas inverse des offrandes qui ne ressurgissent pas relève en réalité du même procès de consécration, dans un espace naturel sanctuarisé: à Épidaure Limera, dans l’étang d’Ino, trou d’eau étroit et profond, l’on jette (emballousi) des gâteaux de farine d’orge, peut-être de forme humaine, et c’est un bon présage si l’offrande ne refait pas surface141. Les riverains de l’Etna jettent (aphiasin) dans le cratère du volcan des objets d’or et d’argent, et des victimes de toute sorte: il est de bon augure que le feu consume l’offrande, on se désole s’il la recrache142. Frappante est l’anxiété de voir l’offrande agréée par l’élément destinataire, eau, terre ou feu. Il faut envisager chaque fois un temps d’observation, où la curiosité guette les soubresauts d’agonie, les remous de l’eau, les bouillonnements de lave, la lente dissolution des pâtisseries. Les bêtes ne sont pas mortes. On ne s’en désintéresse pas comme d’un cadavre au trou: de ce qui advient dépend le sort du donateur. Dans une certaine mesure on s’est jeté soi-même, dans cette eau, ce trou, ce brasier. Si inversement l’officiant se désintéresse d’un cadavre à précipiter, ne serait-ce pas que ce cadavre est un peu le sien? Il y a laissé quelque chose de lui-même. On ne s’occupe pas de son propre cadavre. La bête vivante, elle, se trouve entraînée dans un drame où se jouent tous les possibles. Les sacrifiants se sont privés du pouvoir d’intervention, et par là, de toute responsabilité (au procès des Bouphonies, le couteau finit dans la mer143). Les dieux alors 137 Pausanias VIII, 37, 8. L’existence de ces fosses et ce sens de megaron sont contestés. Voir

récemment, outre Jost 1985, Voutiras 1999. 138 Pausanias VII, 18, 11-13: témoignage visuel (ejqeasavmhn, 13). Cf. Piccaluga 1981. 139 Pausanias IX, 8, 1. 140 Pausanias X, 8, 10. 141 Même usage et même croyance au bord du Styx syrien (supra n. 13). 142 Pausanias III, 23, 8-9. 143 Porphyre, De Abstinentia, II, 28, 4-31, 1 (= Théophraste, Peri; eujsebeiva"). Les Bouphonies sont depuis W. Robertson Smith au cœur de la question du sacrifice en général et du sacrifice grec en particulier. Cf. Durand 1986.

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Précipitations sacrificielles en Grèce ancienne peuvent intervenir, ou le hasard des eaux144: certains fleuves disparaissent sous terre où ils sont réputés se ramifier jusqu’à des résurgences très éloignées, et l’on guette le destin des offrandes jetées dans leurs ondes – elles seront agréées si elles réapparaissent à l’endroit souhaité145. La divination porte sur l’aléatoire même: le signe est dans l’événement, dans le destin de l’offrande. En témoignent les bateliers guettant le sort du plongeur au pied du roc de Leucade. Lors des sphagia dans l’eau, au passage d’un fleuve (diabatêria) ou à l’occasion d’un embarquement (embatêria), on consulte la manière dont le sang jaillit ou se mêle aux eaux146: le sang du taureau offert par Ménélas jaillit dru, «livrant à l’étranger un présage propice» (ou[rioi xevnw/)147. Le consultant scrute son propre destin, livré au hasard de la guerre ou des intempéries. Or la réponse ici reste ambiguë et livrée à l’interprétation. Le destin reste en suspens. On a même des échos de critiques qu’a pu soulever cette divination imprécise148. La temporalité des deux rites n’est pas la même. Dans les sphagia, les signes, quoique codifiés, restent équivoques. Dans les précipitations, l’avenir apparaît définitivement scellé: le report éventuel de la mort en fait simultanément apparaître la nécessité, car le sacrifiant s’est placé ipso facto de l’autre côté, dans la sacralité et la mort. Il s’est consacré lui-même, quoiqu’en escomptant par là différer le destin: l’agrément de l’offrande lui garantit un sursis, le rejet de l’offrande serait une requête en paiement immédiat. Aussi a-t-on intérêt à donner d’emblée le maximum pour satisfaire provisoirement le créancier – cela n’empêchera pas d’avoir à payer le reste. 2. Le sacrifice, le don, la monnaie: éléments de théorisation Quand Marcel Mauss analysait le don, il observait à la fois l’incroyable prodigalité de ses acteurs et la concentration de toute une économie symbolique et réelle, agents et objets d’échange confondus, dans le poids mince et lourdement concret du cadeau qui circule en emportant le hau, l’esprit de son premier possesseur. Il notait simultanément le caractère agressif et violent du don: le donateur jette son cadeau avec une indifférence insultante, aux pieds du destinataire qui le reçoit comme un dû, avec un dédain affecté149. Le don est une affirmation de soi brutale et non un renoncement à soi, mais il oblige à se mettre à découvert face à l’autre. L’honneur de chacun y est en jeu, en danger.

144 Une traversée heureuse vaut ordalie: on l’allègue devant les tribunaux comme une «preuve très grande et très digne de foi», un «signe des dieux»: un homme coupable d’impiété ou de meurtre ne peut impunément traverser la mer ou un cours d’eau (Eschyle, Sept, 602-604; Andocide, Sur les mystères, 137-139; Callimaque dans sch. à Iliade, XIII, 66; Euripide, Héraklès furieux, 1295-1297; Antiphon, Sur le meurtre d’Hérode, 80-83; Apollodore, Bibliothèque II, 8, 3). 145 Strabon 6, 2, 9 = 275 C, cf. Pausanias X, 8, 10. 146 Hérodote VI, 76; VII, 113; Xénophon, Anab. 4, 3, 18-19. Cf. Casabona 1966: 184. 147 Euripide, Hélène, v. 1588. 148 Tacite, Annales 6, 43 (37): «Les présages fournis par la terre ou le ciel offraient plus de garantie; les cours d’eau, à cause de leur instabilité naturelle, ne faisaient que montrer et emporter les présages» (trad. Goelzer). 149 Mauss 1997: 177.

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Renée Koch Piettre Dans les précipitations se dessine en raccourci ce même geste rageur, avec cette labilité de la conscience150 emportée dans l’élan du jet à la suite du don. Georges Bataille parlait de l’immanence de l’animal au monde, «comme de l’eau dans l’eau»151: le geste sacrificiel ouvre, disait-il, à la menace et à la tentation de cette immanence originelle. La violence, la prodigalité, le dédain, voire le geste d’auto-destruction provoquent et déjouent simultanément cette attirance du gouffre. Une analyse anthropologique récente152 du sumbolon, entendu non comme ce qui lie, mais comme ce qui sépare (l’hôte est un étranger qu’il faut tenir à distance en lui donnant satisfaction à outrance, en épuisant son avoir pour mieux être et garder la face), établit le sacrifice aussi, où il veut reconnaître la racine du don, sur cette disjonction153. Revenons cependant au monde grec: notre enquête a fait surgir maintes fois la tentation de citer le plongeon de Thésée, l’anneau de Polycrate ou le trépied des sept sages. Dans un article fameux154, Louis Gernet interrogeait ces agalmata, objets brillants et précieux offerts notamment aux morts, et dont il faisait les ancêtres de la monnaie: leur possession talismanique garantit la force magique du roi, qu’ils symbolisent en affectant parfois la forme même de la richesse agricole ou pastorale, gerbe, agneau, toison, veau, ou cep d’or. Or, ces joyaux sont faits pour être simultanément enfouis jalousement – par exemple dans une larnax, confiée à la terre ou aux eaux –, et montrés, exhibés, si l’on veut s’en prévaloir en effet. Mais entre le cacher et le montrer s’établit une circulation logique et nécessaire: les agalmata disposent d’une capacité autonome de circulation, en sorte qu’on a beau les cacher, ils ressurgissent d’euxmêmes pour désigner leur possesseur; ou bien, inversement, ils entraînent symboliquement leur propriétaire dans l’abîme où il prétend les cacher. On ne peut pas davantage les détruire, car ils appartiennent déjà et définitivement au monde de la mort. Louis Gernet range alors la précipitation d’animaux vivants parmi ces enfouissements d’agalmata: on y perçoit, dit-il «un besoin intense de destruction», mais celleci porte souvent sur un «signe par excellence d’une richesse privilégiée» (ainsi un attelage), et, loin de représenter un anéantissement, permet au contraire d’actualiser la vertu de l’objet englouti155. L’auteur (p. 150) cite encore l’anecdote d’Hérodote V, 92 sur le “sacrifice” de Périandre à la morte Mélissa (p. 224 dans le présent volume), «un immense holocauste qui a pour matière spéciale des symboles caractérisés de richesse», tout en récusant la qualification de sacrifice. Nous ne pouvons aller plus loin que ces simples suggestions qui esquissent un élargissement vers une anthropologie générale. Pour les Grecs, nous l’avons vu, la précipitation simple est une thusia, et cette thusia jette un pont entre le sacrifice et le don, entre l’immolation et la consécration, entre hiereuein et anatithenai. Un texte d’Arrien (Périple du Pont Euxin, 22) présente une articulation entre anetos et victime sacrificielle que nous proposons comme complémentaire de celle que nous avons pu établir entre kathetos et sphagia dans l’eau: les voyageurs abordant sur

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Pour cette labilité, voir E. de Martino 1967: chap. II. Georges Bataille, Théorie de la religion, Paris, Gallimard, 1973. 152 Scubla 1998. 153 Selon De Heusch 1986: 21-28, le sacrifice est de l’ordre non de la conjonction mais de la disjonction. Il maintient les dieux à distance, et rétablit une bonne distance entre les hommes. 154 Gernet 1982. 155 Selon l’exemple de la motte de terre offerte par Triton et jetée à la mer par les compagnons d’Euphamos (Pindare, Pythiques IV, 28 sq.). 151

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Précipitations sacrificielles en Grèce ancienne l’île Blanche, séjour outre-tombe d’Achille, perdue au fond de la Mer Noire, emportent, dit-on, deux bêtes: ils sacrifient l’une et «consacrent» (anatithenai) l’autre, lâchée dans l’île. Les bêtes libérées servent ensuite de réserve pour les voyageurs perdus qui accosteront par mégarde, sans avoir emporté les chèvres nécessaires. Néanmoins on n’élira pas la victime au hasard: l’élue viendra d’elle-même au sacrifice, à condition qu’on ait déposé au préalable l’équivalent du prix qui agrée au dieu, consulté par un dispositif oraculaire. Aussi l’île d’Achille, île des morts, regorge-t-elle de trésors, comme si elle avait recueilli simultanément tous les gages laissés par les voyageurs du monde des vivants. L’anetos comme le kathetos servent à des sacrifices dilatoires. L’offrande, si proche du rebut (de ce qu’on abandonne), est aussi la matière d’un recyclage en circuit fermé, cependant que la garantie déposée autorise à rester chez les vivants pour faire circuler une monnaie de singe. Louis Robert156 avait reconnu pour le mot rhimmata le sens de cadeaux, friandises, lancés à poignées en direction d’un public de théâtre. Dans cet emploi aussi, mais sur un mode mineur, donner c’est jeter. En gratifiant les spectateurs, au prix d’écorner sa fortune l’évergète, provisoirement, se sauve lui-même.

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Abstract The Greek rite of throwing down a victim has been given up in recent studies: is it offering or sacrifice? By concentrating on the very movement of throwing we notice in Greek some specific words, similitudes with the rite of libation, with the willing dive, with the victim as a scapegoat, and an often extreme character. The addressees may be the same as natural elements (waters, winds, Poseidon), or belong to the infernal world, and yet no god can be excluded. Objects, a piece of cake, a part of one’s own body (hair…), or an animal, and even human beings can be thrown down in the same way. Comparison with slaughtering above sea or rivers, often associated with the throwing down of the corpse, brings into relief special features. The proximity between throwing down and giving or rejecting seems to increase the necessary prodigality, while it leaves to chance the care of revealing a divine intervention, depending on whether or not the abyss rejects the offering.

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LE ÎÊREM DE GUERRE DANS LE JUDAÏSME DU DEUXIÈME TEMPLE Christophe BATSCH École Pratique des Hautes Études, Paris Le judaïsme ancien a peu pratiqué les sacrifices de guerre. En revanche il a codifié un rite situé aux limites du sacrifice et de la guerre, et portant à son paroxysme la violence commune aux deux institutions: le Ìêrem. L’archétype narratif du Ìêrem dans la Bible hébraïque, est le récit de la capture et de la destruction de Jéricho par Josué (Jos 6,15-21). Le rite du Ìêrem a suscité un vif intérêt de la part des spécialistes de la Bible, mais n’a encore été que peu étudié pour l’époque du deuxième Temple. Cela tient sans doute à la pesanteur du modèle historiographique dominant, celui d’un affaiblissement continu du Ìêrem dès l’époque de Néhémie1. Contre ce modèle d’une disparition progressive, nous verrons que le Ìêrem de guerre demeure bien attesté à l’époque du deuxième Temple. Les chercheurs qui ont étudié le Ìêrem biblique au premier millénaire av. n.è. se regroupent autour de deux grandes définitions du phénomène. Pour les uns le Ìêrem de guerre est assimilable à un sacrifice: «Human sacrifices to the deity. (...) The deaths are perceived as sacrifices to God in exchange for his help in war»2. Pour les autres, la catégorie pertinente est celle de l’interdit ou du tabou: «Quelque chose d’interdit, de sacré au point d’en interdire l’usage humain (…). Quelque chose ou quelqu’un qui est voué/réservé à la divinité et auquel on ne doit pas toucher»3. Ces deux définitions sont contradictoires: en général ceux qui analysent le Ìêrem comme un interdit l’excluent du champ des sacrifices4. Dans l’autre camp, la définition du Ìêrem comme un sacrifice conduit à poser la question des sacrifices humains. Cette divergence d’analyse reflète une difficulté réelle, née de l’emploi dans la Bible du même mot Ìêrem pour désigner deux choses apparemment distinctes: d’une part les objets et les biens consacrés de façon inaliénable à une divinité, les anathêmata des Grecs; on est ici du côté de l’interdit et du tabou. D’autre part la destruction par le fer et par le feu des cités idolâtres, étrangères ou juives: c’est le versant du sacrifice. Il n’est pas satisfaisant de dissocier ainsi un concept pour en faciliter l’analyse. On reformulera donc ces questions, à partir des écrits juifs du deuxième Temple:

1 Cf. encore cette “théorie mythologique” chez Ph. Stern, The Biblical Herem: A Window on Israel’s Religious Experience, Atlanta, 1991. 2 S. Niditch, War in the Hebrew Bible: A Study in the Ethic of Violence, Oxford, 1993. Cf. aussi C. Brekelmans, De herem in het Oude Testament, Nimègue, 1959. 3 A. Lemaire, «Le Îêrem dans le monde nord-ouest sémitique», dans L. Nehmé ed., Guerre et conquête dans le Proche-Orient ancien, Paris, 1999, 79-80. 4 «Îêrem has sometimes been thought of as a sacrifice, as the working out of a war vow, as a control on the distribution of booty, and as a religious justification for total war. All these are misconceptions»: R. Nelson, «Îêrem and the Deuteronomic Social Conscience», dans M. Vervenne & J. Lust ed., Deuteronomy and Deuteronomic Literature, Louvain, 1997, 47.

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Christophe Batsch le Ìêrem est-il ou non un sacrifice? Quels sont ses liens avec le système sacrificiel? Et finalement: qu’est-ce qui fonde l’unité fondamentale du Ìêrem?

I. Quelques données sur le Ìêrem 1. Définition Est Ìêrem tout bien ou tout être, investi d’un tel niveau de sacralité que son accès devient interdit aux hommes; il ne peut appartenir en dernier ressort qu’à YHWH exclusivement. Ainsi l’exprime Lv 27,28b: «Tout Ìêrem est un saint des saints pour YHWH»5. Cet interdit est volontaire et définitif. Volontaire: devient Ìêrem ce qui est voué comme tel à YHWH; la prononciation du vœu exprime le renoncement des hommes à toute jouissance sur ces êtres et ces biens. Définitif: ce vœu est performatif, c’est-à-dire que le transfert de propriété à la divinité est immédiat: la condamnation à mort est irrévocable, le bien offert devient aussitôt inaliénable (Lv 27,28-29). Cependant l’exécution du Ìêrem reste le fait des hommes: elle peut s’effectuer sous les deux formes de la destruction (et de la mise à mort), ou de la cession au Temple. Dans la Torah et les écrits historiographiques, le Ìêrem désigne donc à la fois: A) des objets et des biens consacrés, confiés à la garde des prêtres; juifs (Lv 27,21; Nb 18,14) ou idolâtres (Dt 7,25-26; Jos 6,18); B) l’extermination de trois catégories de peuples et/ou cités idolâtres: i. Amalec, éternellement (1 S 15 passim, qui renvoie à Ex 17, 14-16 et Dt 25,19); ii. Les sept peuples cananéens nommément désignés (Dt 7,1-5 et 20,16-18). Cependant le Ìêrem contre ces peuples a été clos par Salomon (1 R 9,20-21); iii. Les villes idolâtres et apostates en Israël (Dt 13,13-19). Les prophètes ont élargi la portée de ce Ìêrem d’extermination, pour en menacer aussi bien les “nations” que tout Israël plongé dans le péché. 2. Les traductions grecques Les deux expressions «vouer quelque chose ou quelqu’un au Ìêrem» et «accomplir le Ìêrem» s’expriment en hébreu par le même verbe ÎRM6. Pour tous les traducteurs depuis la LXX, la difficulté est donc venue de ce que cette racine désignait à la fois le vœu fait à YHWH et l’accomplissement de ce vœu par les hommes. Presque toujours, les LXX ont choisi de traduire Ìêrem par anathêma et anathêmatizein7. Mais le grec a parfois aussi recours à des verbes signifiant l’extermination, comme aphanizein (Dt 7,2) ou des verbes de la famille de ollumi (Ex 22,19; Dt 2,34; 3,6). En réalité l’usage de anathêma au sens de «personne ou bien voué à la destruc-

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kol- Ìêrem qœde‡-qodæ‡îm hû’ laYHWH (Lv 27, 28b). Sur le champ sémantique de ÎRM en hébreu biblique et dans l’aire sémitique, cf. Lemaire 1999: 79-81. 7 Cf. S. Daniel, Recherches sur le vocabulaire du culte dans la LXX, Paris, 1966; et N. Lohfink, s.v. ÎRM, dans Theologisches Wörterbuch zum Alten Testament, vol. III, Stuttgart, 1982, 192213. 6

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Le Ìêrem de guerre dans le judaïsme du deuxième temple tion» représentait pour le grec classique un véritable «néologisme sémantique»8. Au prix de cette innovation, les traducteurs de la LXX ont néanmoins choisi de maintenir l’unité sémantique du Ìêrem hébreu. Philon d’Alexandrie n’utilise anathêma que vingt-sept fois et presque toujours dans le sens grec classique d’une offrande consacrée à une divinité. Une seule fois, dans De vita Mosis I, 253 (commentaire sur le Ìêrem d’Arad de Nb 21,1-2), son usage de anathêma se rapproche du Ìêrem hébreu d’extermination. Flavius Josèphe recourt beaucoup plus largement à anathêma et à ses dérivés, mais uniquement dans le sens d’offrande consacrée à un dieu ou à un temple, y compris païens. Lorsqu’une paraphrase biblique l’amène à mentionner le Ìêrem d’extermination, il utilise, comme parfois les LXX, un dérivé de ollumi (par ex. Antiquités Juives V, 49, 59 et 72). 3. Les sources du deuxième Temple Le premier livre des Maccabées rapporte comment, en 163 av. n.è., au cours des campagnes qui suivirent la répurgation de l’autel de Jérusalem, Juda Maccabée “herémisa” (anethêmatisen) un clan iduméen, les Baïanites, en les incendiant dans leurs citadelles (1 M 5,5). La même année, après qu’une armée grecque vaincue a cherché refuge dans l’enceinte sacrée du temple de Karnaïn, Juda Maccabée résout la difficulté en incendiant le temenos avec tous ses occupants9. Il accomplissait là aussi un Ìêrem, détruisant des sacra étrangers et tous ceux qui s’étaient consacrés à leur contact (1 M 5,43-44). Au terme de cette campagne Juda monte offrir des holocaustes à Jérusalem, en l’un des rares sacrifices de guerre mentionnés dans la littérature du deuxième Temple: nous verrons que ces holocaustes ne sont pas sans rapport avec les Ìêrem précédents. Dans un passage du deuxième livre des Maccabées décrivant la même campagne de 163, il est question d’un autre temple païen, celui «des idoles de Jamnia», dont la destruction se révèle incomplète: plusieurs des combattants de Juda Maccabée ont conservé des hierômata (objets consacrés du temple) comme butin personnel. Ces transgresseurs du Ìêrem trouvent aussitôt la mort au combat, et l’armée de Juda offre alors un sacrifice de réparation (2 M 12,39-45). Les manuscrits de Qoumrân témoignent aussi que le Ìêrem de guerre conservait son plein effet aux yeux de leurs auteurs. Le préambule du Rouleau du Temple (11QT II, 4-15) offre ainsi un montage exégétique de textes bibliques dont l’effet est de réintroduire le Ìêrem des sacra étrangers au cœur des obligations de l’Alliance. Le grand rouleau eschatologique du Règlement de la guerre mentionne aussi à deux reprises le Ìêrem final des ennemis de Dieu (1QM IX, 6-7 et XVIII, 4-5).

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Selon les termes de C. Dogniez & M. Harl, La Bible d’Alexandrie. 5. Le Deutéronome, Paris, 1992, 167. Cf. aussi sur cette “innovation” des LXX: P. Harlé & D. Pralon, La Bible d’Alexandrie. 3. Le Lévitique, Paris, 1988, 214; et G. Dorival, La Bible d’Alexandrie. 4. Les Nombres, Paris, 1994, 172-173. 9 Karnaïn était un temple consacré à Astarté, la déesse «aux deux cornes»; cf. F.-M. Abel, Les Livres des Maccabées, Paris, 1949. Sur le mécanisme du refuge, cf. J. Milgrom, Leviticus 1-16, New York, 1991, 45: «Precisely because the altar sanctified those who touched it, it thereby automatically gave them asylum».

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Christophe Batsch Les grandes paraphrases du texte biblique offrent un autre type d’exégèse. Philon condense ainsi tous les Ìêrem bibliques contre Canaan dans le seul récit du Ìêrem d’Arad (Nb 21,1-3), considéré comme une offrande des prémices de la terre promise (Mosis I, 252 sq.). Philon et Josèphe complètent par des sacrifices, conformes à l’usage de leur temps, le récit biblique de la victoire de Moïse sur Amalec (seule figure d’étranger voué perpétuellement au Ìêrem), là où la Torah ne mentionnait que l’érection d’un autel au soir de la bataille (Ex 17,15). Enfin en quelques occasions, notamment dans l’histoire du roi Saül (AJ VI, passim), Josèphe manie la paraphrase biblique comme un véritable midrach exégétique exprimant sa propre interprétation du Ìêrem. Ce dossier atteste la permanence du Ìêrem de guerre dans le judaïsme du deuxième Temple.

II. Îêrem vs Sacrifice 1. Les deux fautes du roi Saül10 Le drame de l’extermination jamais achevée d’Amalec se poursuit dans l’histoire biblique de Saül. Saül pèche gravement contre YHWH en ne menant pas à son terme le Ìêrem des Amalécites; il tente ensuite de s’en justifier, face au prophète Samuel qui le rappelle à l’obéissance (1 S 15,13-26). Dans sa paraphrase de ce dialogue Josèphe introduit dans la bouche de Samuel une réflexion inédite sur la distinction entre Ìêrem et sacrifice (AJ VI, 150): «Comment donc penses-tu qu’Il considère le sacrifice de ce qu’Il condamna à être détruit? À moins que tu ne juges équivalent au Ìêrem le fait de les sacrifier à Dieu»11. Cette novation est riche d’enseignement; la source en est évidemment 1 S 15,22, mais l’écart avec le sous-texte biblique est frappant. Dans la Bible, Samuel exposait la supériorité de l’obéissance à Dieu sur le rite sacrificiel: ajkoh; uJpe;r qusivan ajgaqhv, «écouter vaut mieux qu’un sacrifice» (1 Règnes 15,22 [LXX] = 1 R 15,22). Dans la version de Josèphe, il n’est plus question d’écoute et d’obéissance. Samuel oppose deux rites dont l’un ne peut se substituer à l’autre car ils ne sont pas équivalents, homoioi. Qu’est-ce qui les distingue? Fondamentalement ceci: il n’y aurait aucun sens à sacrifier quelque chose qui est déjà situé au-delà de tout échange, «ayant déjà été condamné à être détruit», katevkrinen ajpolevsqai ginomevnhn (AJ VI, 150). «To sacrifice herem would be to try to derive a human benefit profit from it»12. La logique du Ìêrem interdit l’échange opéré dans le sacrifice, puisque ce qui est voué au Ìêrem appartient déjà à YHWH.

10 Cf. C. Grottanelli, «Aspetti del sacrificio nel mondo greco e nella Bibbia ebraica», dans C. Grottanelli & N. Parise ed., Sacrificio e società nel mondo antico, Rome, 1993, 143-153. 11 Pw`ı ou\n th;n qusivan a]n aujto;n prosblevpein ejx w|n katevkrinen ajpolevsqai ginomevnhn … plh;n eij mh; nomivzeiı o{moion ojlevqrw/ to; quvesqai tau`ta tw`/` qew/` (AJ VI, 150). 12 Nelson 1997 : 48.

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Le Ìêrem de guerre dans le judaïsme du deuxième temple Le caractère performatif du vœu différencie donc le Ìêrem du sacrifice: la formulation du Ìêrem consacre aussitôt à YHWH l’être ou la chose qui lui sont voués, à la différence du sacrifice où la victime devient qœde‡ seulement après que le rite a été accompli et le sang répandu sur l’autel13. Dans le récit de Josèphe, Saül incarne la transgression et le brouillage entre ces deux domaines du sacrifice et du Ìêrem, entre le prêtre et le guerrier. Une première fois il a péché en se substituant à Samuel pour offrir un holocauste sur le mont Guilgal (AJ VI, 101 sq., sur 1 S 13,9 sq.). Puis il prétend substituer un sacrifice au Ìêrem d’Amalec: n’ayant pas accompli sa tâche de guerrier en menant le Ìêrem à son terme, il oblige le prêtre Samuel à la terminer à sa place. Dans la brève nécrologie où il ramasse la destinée du roi (AJ VI, 378)14, Josèphe attribue deux fautes au roi Saül: le Ìêrem inachevé contre Amalec; et la destruction, au contraire trop bien accomplie (anairein) de la ville sacerdotale de Nob et de tous ses prêtres (AJ VI, 259-261): «Il les fit tous exécuter, n’épargnant ni les femmes, ni les enfants, ni les vieillards»15. Le destin du guerrier Saül s’inscrit ainsi entre les images spéculaires de ces deux massacres: celui qui n’a pas été accompli et celui qui l’a trop bien été, tous les deux à tort. Les Sages de la Michna ont souligné l’existence d’un lien logique entre ces deux fautes de Saül: comme si la négligence fautive du Ìêrem inachevé d’Amalec devait nécessairement s’inverser symétriquement dans l’extermination des prêtres de Nob. Les Sages signifient ce lien en appliquant aux deux fautes de Saül deux versets parallèles du Qohelet (b.Yoma 22b): ’al-tehî Òaddîq harebêh, «ne sois pas exagérément juste» pour Amalec (Qo 7,16); et ’al-tire‡a‘ harebêh, «ne (sois) pas exagérément mauvais» contre Nob (Qo 7,17). De Flavius Josèphe aux Sages, une théorie du Ìêrem paraît ainsi s’élaborer. Le sacrifice ne peut pas se substituer au Ìêrem: les deux rites ne sont pas équivalents, homoioi. La transgression de Saül demeure une faute inexpiée, dont la souillure contamine tout son peuple au-delà de sa personne, jusqu’à ce que les conséquences s’en fassent sentir dans le massacre de Nob. 2. L’opposition entre Ìêrem et sacrifice D’autres caractères interdisent d’assimiler le Ìêrem au sacrifice, dans la société juive du deuxième Temple. Le sacrifice juif y est en effet caractérisé par les éléments suivants: le prêtre, l’autel, la ville du sanctuaire unique et une victime animale parfaite. Le Ìêrem s’y oppose terme à terme: au prêtre il substitue le guerrier; à l’autel, l’épée (Ex 20,25 définit leur incompatibilité); à Jérusalem, les villes étrangères; à la victime parfaite, un amalgame impur d’hommes, d’animaux et d’idoles,

13

Milgrom 1991 : 444.

14 Sur cette notion de destin chez Josèphe, cf. F. Schmidt, « Destin et providence chez Flavius

Josèphe », dans F. Hartog, P. Schmitt, A. Schnapp ed., Pierre Vidal-Naquet, un historien dans la cité, Paris, 1998, 169-190. 15 pavntaı te aujtou;ı ajpevkteinen ouj gunaikw`n ouj nhpivwn oujd j a[llhı hJlikivaı feisavmenoı (AJ VI, 260). « Flavius Josèphe paraît penser à l’anathème proprement dit (cf. Jéricho, AJ V, 28) », remarque judicieusement É. Nodet, Les Antiquités bibliques, livres VI et VII, Paris, 2000, 79, n.1.

105

Christophe Batsch un horrible mélange d’os et de chair meurtris, et traînés dans la fange. (J. Racine, Athalie, II, 5)

Le caractère systématique de ces oppositions n’est pas fortuit16. Îêrem et sacrifice ne sont pas des rites substituables ni équivalents. La distinction qu’il importe de maintenir entre eux est de l’ordre des oppositions qui fondent la société juive du deuxième Temple: pur vs impur; sacré vs profane; Israël vs les nations17. En même temps ce rapport d’inversion symétrique entre le Ìêrem et le sacrifice les inscrit au sein d’un même système de transfert des êtres et des biens à YHWH. Ce rapport spéculaire établi par le judaïsme du deuxième Temple entre Ìêrem et sacrifice, permet-il de rendre compte de la diversité des modalités sacrificielles associées à un Ìêrem dans les écrits juifs de l’époque? La Torah ne prescrit pas de sacrifice particulier pour la guerre; à l’époque du deuxième Temple on note même une forme d’exclusion mutuelle entre poursuite de la guerre et maintien des sacrifices. Pourtant Philon et Josèphe rajoutent au récit biblique de la victoire sur Amalec, des sacrifices accomplis par Moïse. Et le premier livre des Maccabées associe des holocaustes aux Ìêrem de Juda Maccabée, tandis que le second Maccabées y associe un sacrifice expiatoire. Tentons de préciser quels sont les sacrifices associés au Ìêrem dans ces récits, pour quel objet, et dans quelles circonstances.

III. Le Ìêrem et le système sacrificiel du deuxième Temple 1. Les sacrifices midrachiques de Moïse Dans leur paraphrase de l’Exode, Philon et Josèphe attribuent tous deux à Moïse des sacrifices, absents du récit biblique, au terme de la victoire sur Amalec et de sa condamnation à un Ìêrem perpétuel18. Pour les Juifs du deuxième Temple (et selon la Bible, depuis le règne de Salomon), Amalec représente symboliquement la seule nation contre qui le Ìêrem doive encore s’appliquer. Philon nomme ces sacrifices «des victorieux», ta epinikia; il ajoute que Moïse «offrit ces sacrifices par reconnaissance et en votifs», e[que caristhrivouı eujca;ı ajpodidouvı (Mosis I, 219). Pour Josèphe, ce sont des « sacrifices de reconnaissance », thusas de charistêria (AJ III, 60). Quel sacrifice spécifique désigne ce terme, charistêria, dans le système sacrificiel juif? Le mot est absent du vocabulaire sacrificiel de la LXX; le terme hébreu qui pourrait lui correspondre, tôdæh (sacrifice de «remerciement»), est traduit dans la LXX par le néologisme ainesis19. 16 Je remercie G. Dorival et F. Lissarrague d’avoit attiré mon attention, lors du colloque, sur la dimension structurelle de ces oppositions. 17 Cf. F. Schmidt, La Pensée du Temple. De Jérusalem à Qoumrân. Identité et lien social dans le Judaïsme ancien, Paris, 1994. 18 Le sous-texte biblique est Ex 17,15: kai; w/k j odovmhsen Mwush`ı qusiasthvrion kurivw/ kai; ejpwnovmasen to; o[noma aujtou` Kuvriovı mou katafughv, « Et Moïse bâtit un autel pour le Seigneur et il le nomma du nom : le Seigneur (est) mon refuge ». 19 Cf. S. Daniel, De specialibus legibus. Livres I-II, Paris, 1975, 144; et Harlé & Pralon 1988: 108.

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Le Ìêrem de guerre dans le judaïsme du deuxième temple Le terme charistêrios, chez Philon, est habituellement réservé aux offrandes et consécrations des prémices20. Dans le De vita Mosis, il est utilisé deux fois: ici, à l’occasion de la victoire sur Amalec; puis pour caractériser le Ìêrem contre Arad (Mosis I, 253). Si Philon interprète le Ìêrem comme une offrande de prémices, c’est avec le souci d’en rejeter la pratique dans un passé lointain et aboli: le Ìêrem aurait été offert un fois pour toutes en prémices de la Conquête. S’exprime là le compromis philonien entre l’horreur philosophique des massacres (cf. De specialibus legibus IV, 222-225) et l’existence du rite d’extermination. En revanche les «sacrifices de victoire» n’appartiennent pas au système sacrificiel établi dans la Torah21. La mention des euchai vient heureusement nous éclairer: il s’agit ici de sacrifices votifs (neder). Chez Josèphe charistêrios, lorsque le terme désigne un sacrifice juif, s’applique à la catégorie générale des ‡elæmîm (sacrifices de commensalité) par opposition à celle des holocaustes (AJ III, 225); dans la mesure où ils restent consommables pendant deux jours (AJ III, 228-229), les charistêria désignent plus précisément parmi les ‡elæmîm, les sacrifices votifs et volontaires (neder et nedæbæh). Un Ìêrem ne paraît donc pouvoir s’envisager, pour les deux auteurs, sans accompagnement de ces sacrifices votifs. 2. Les holocaustes de Juda Maccabée Juda Maccabée monte au Temple offrir des holocaustes à son retour d’expédition (1 M 5,54): «Ils offrirent des holocaustes parce qu’aucun d’entre eux n’avait succombé jusqu’à ce qu’ils fussent revenus sains et saufs»22. On a attribué ces sacrifices aux célébrations de la Pentecôte, évoquée dans le récit parallèle de 2 M 12,31-3223. Mais le texte de 1 Maccabées ne parle pas de la Pentecôte; il assigne explicitement à ces holocaustes un autre motif: hoti etc. Et son explication se révèle une citation quasi parfaite de Nb 31,49: des officiers de l’armée de Moïse y font une offrande au Sanctuaire, pour cette même raison que leur troupe est revenue du combat sans une seule victime: «Tes serviteurs ont fait le compte des hommes de guerre sous notre commandement, et aucun d’entre eux ne manque. Nous offrons donc en offrande à YHWH chacun ce qu’il a ramassé d’objets en or» (Nb 31,49-50)24. 1 M 5,54 reprend Nb 31,49b: «Il ne manque aucun d’entre eux». L’absence de victime au retour d’une expédition constituait certainement un événement assez exceptionnel pour être célébré. Mais ici il y a plus: la survie de tous les combattants juifs est en rapport avec l’accomplissement du Ìêrem. L’inaccomplissement, même partiel, du Ìêrem des sacra étrangers menaçait de mort le peuple tout

20 Offrande des prémices agricoles: Spec. I, 152, 183, 185; II, 187; Decal. 160; Virt. 159; consécration des premiers-nés, Spec. I, 138; II, 134; dîme du butin, Congr. 93. 21 Ils relèvent en revanche d’une catégorie usuelle de sacrifices offerts par les armées grecques. Cf. M. Launey, Recherches sur les armées hellénistiques, Paris, 1949-1950. 22 Kai; proshvgagon oJlokautwvmata, o{ti oujk e[pesen ejx aujtw`n oujqei;ı e{wı tou`` ejpistrevyai ejn eijrhvnh/ (1 M 22,54). Traduction A. Guillaumont (Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 1956). 23 Abel, 1949 : 104, n. 54. 24 welœ’-nif eqad mimmennº ’î‡. wannaqerêb ’et-qareban YHWH (Nb 31, 49b-50a).

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Christophe Batsch entier, en raison de la contagion du sacré et du caractère collectif de la faute25. Inversement la survie de tous signifiait donc, aussi, un bon accomplissement du Ìêrem. Ces deux récits, celui de Nombres comme celui de 1 Maccabées, s’inscrivent dans un contexte de Ìêrem menés à bien: le premier contre Madian, dont Moïse exige et obtient qu’il soit mené à son terme (Nb 31,14-18); et ceux de Juda Maccabée visant les Baïanites puis l’enceinte sacrée de Karnaïn (1 M 5,5 et 43-44). Si les sacrifices offerts par Juda sont donc à mettre en rapport avec les Ìêrem qu’il a accomplis, de quels sacrifices s’agit-il? 1 M 5,54 parle d’holocaustes (holokautômata), une catégorie très vaste: quel type d’holocauste? Dans la version joséphienne de cet épisode (AJ XII, 349), Juda et les siens offrent à Jérusalem, non pas des holocaustes mais des charistêria: ethusan de charistêrious. Il n’existe dans le système sacrificiel juif qu’une catégorie de sacrifices susceptibles d’être offerts, selon les circonstances, soit en holocauste, soit en ‡elæmîm: les neder et les nedæbæh, sacrifices votifs et/ou volontaires26. Nouvel indice que le Ìêrem de guerre devait s’accompagner de cette catégorie de sacrifices. Non sans raisons: dans le judaïsme du deuxième Temple tous les vœux, surtout les plus solennels, exigent d’être déliés au moyen d’un sacrifice votif, neder. L’association entre le Ìêrem et le neder (votif) se justifie parce que le Ìêrem prend ordinairement la forme d’un vœu, comme le montre la formule de Nb 21,2a: «Et Israël voua un vœu à YHWH»27. Le rite performatif du vœu offrait la méthode la plus sûre pour traiter la sacralité menaçante des dieux étrangers en la transférant à YHWH. Mais l’accomplissement du vœu ne peut pas se substituer au sacrifice votif. Conçu comme un vœu, le Ìêrem exige un neder sans lequel le rite n’est pas complet. 3. Un Ìa††æ’t de Juda Maccabée Mais que se passe-t-il lorsqu’un Ìêrem a été transgressé ou demeure inachevé? La Bible suggérait deux réponses: le coupable lui-même trouvait la mort (Akan après Jéricho dans Jos 7); ou, s’il ne pouvait être atteint par le châtiment, la mort risquait de s’abattre sur son peuple (cf. le massacre de Nob). La question est au cœur d’un autre récit de sacrifice accompli par Juda lors des campagnes de 163 (2 M 12,39-45). Juda et son armée se sont emparés de la ville de Jamnia dont ils ont incendié le port et, doit-on supposer, les temples. Quelques semaines plus tard ils affrontent une armée iduméenne, en une bataille incertaine où périssent de nombreux combattants. En enterrant leurs morts, les Juifs découvrent que ceux-ci avaient transgressé le Ìêrem en pillant les iJerwvmata tw`n ajpo; Iamneiv j aı eijdwvlwn, « les objets consacrés aux idoles de Jamnia » (2 M 12,40). Le récit souligne que la mort des combattants tombés durant la bataille fut la sanction directe de cette faute. Juda décide alors d’offrir un sacrifice au Temple: «Ayant fait une collecte auprès de chacun d’environ 2 000 drachmes en pièces, il envoya à Jérusalem les offrir pour un sacrifice du péché» (2 M 12,43)28. 25 Cf. 1 R 20,42: «Parce que tu as laissé échapper l’homme de mon Ìêrem de ta main, ta vie répondra pour sa vie et ton peuple pour son peuple!» 26 Cf. Lv 7,16; 22,18 et 21; Nb 15,3 et 8. 27 wayyiddar yisræ’êl neder laYHWH. 28 poihsavmenovı te katV a[ndra logivan eijı ajrgurivou dracma;ı discilivaı ajpevsteilen eijı Ierosov J luma prosagagei`n peri; aJmartivaı qusivan (2 M 12,43).

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Le Ìêrem de guerre dans le judaïsme du deuxième temple Quel sacrifice et pourquoi? Dans la LXX, l’expression hamartias thusia utilisée ici désigne toujours un Ìa††æ’t. Mais au verset 45 ce sacrifice est nommé un peu différemment: to;n ejxilasmo;n ejpoihvsato th`ı aJmartivaı ajpoluqh`nai, « il accomplit cette expiation afin qu’ils fussent lavés de leurs fautes ». En grec biblique, exilasmos est la traduction habituelle de kipper (purgation)29. Le sacrifice est offert au nom de toute l’armée puisqu’en matière de sacrifices, qui paye est le bénéficiaire du rite. Juda se conforme ici à une prescription du Lévitique (Lv 4,20): «Le prêtre fera kipper sur eux et la faute leur sera remise»30. Ce sacrifice est donc celui, défini en Lv 4,13-21, que la terminologie biblique nomme «Ìa††æ’t pour la communauté». Pour quelle raison faut-il l’offrir? Quelle est la faute dont l’armée s’est rendue coupable? Elle relève de la contagion du sacré et de la contamination de tout le groupe (peuple ou armée) par la faute de quelques-uns. Juda le rappelle à ses troupes en les invitant à constater «les événement advenus à cause de la faute de ceux qui étaient morts» (2 M 12,42b)31. En d’autres termes, les transgresseurs directs du Ìêrem ont trouvé leur châtiment dans la mort au combat. Mais ce châtiment ne suffit pas. Un sacrifice doit purger (kipper) toute l’armée de la responsabilité de ce Ìêrem inachevé. Conclusions Le Ìêrem de guerre n’est pas un rite sacrificiel mais il s’accompagne nécessairement de sacrifices: correctement accompli, il appelle un sacrifice votif car il est un vœu et doit être délié. Transgressé ou mal accompli, il représente une menace mortelle pour toute la communauté tant que la faute n’en est pas purgée. Dans la représentation juive de la “contamination des sancta”, le contact avec le sacré entraînait pour un profane sa sanctification ou sa mort32. Que faire lorsque, dans les guerres, on se trouve confronté au sacré des autres, aux sacra des dieux étrangers? Le Ìêrem fut la réponse du judaïsme, qu’on peut caractériser en quelques traits: 1) Le sacré des étrangers doit être pris au sérieux. La Torah codifie ce degré élevé de sacralité et de contagion des sacra étrangers en précisant qu’ils sont Ìêrem: Ex 22,19; Dt 7,25-26. 2) Le vœu à YHWH puis la destruction à distance par le feu évitent le contact et la contamination; ils opèrent un transfert instantané et effectif des sacra étrangers dangereux à YHWH. Vœu et destruction constituent les deux faces de l’efficacité protectrice du Ìêrem. 3) Un problème a été posé par l’incorruptibilité des métaux précieux. Le bois brûle et disparaît dans l’incendie, mais l’or fond et subsiste. Une solution secondaire du Ìêrem a donc consisté à remettre ces métaux au Temple, après leur passage par le feu (cf. Nb 31,22-23).

29

Cf. Daniel 1966 : 299-328 et Dorival 1994 : 505-506. Kai; ejxilavsetai peri; aujtw`n oJ iJereu;ı kai; ajfeqhvsetai aujtoi`ı hJ aJmartiva (Lv 4,20). 31 Ta; gegonovta dia; th;n tw`n propeptwkovtwn aJmartivan (2 M 12,42b). Sur cette notion de “contagion du sacré”, cf. J. Milgrom, « Sancta Contagion and Altar / City Asylum », Vetus Testamentum Supplément 32, 1981, 278-310, et la note suivante. 32 Cf. J. Milgrom, «The Priestly Laws of Sancta Contamination», dans M. Fishbane & E. Tov ed., ‘Sha`arei Talmon’, Winona Lake, 1992, 137-146. 30

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Christophe Batsch 4) La mise à mort des habitants, la destruction des troupeaux et des biens relèvent également de la contagion du sacré. Jusqu’où la contamination s’était étendue, pouvait varier selon les circonstances: on observe en effet des Ìêrem d’intensités variables. Cependant l’ordre dans lequel opère la contagion ne change pas: des sacra, d’abord aux hommes, puis aux bêtes et aux biens. Parmi les hommes, d’abord les mâles adultes, puis les femmes mariées, les garçons et enfin les filles vierges (Nb 31,15-18). Cette progression de la contagion du sacré explique, beaucoup mieux que l’hypothèse de l’exécution systématique des hommes en âge de combattre ou celle de sacrifices humains, le fait que les Ìêrem comport toujours un massacre d’êtres humains, même lorsque les troupeaux et les biens étaient épargnés.

Bibliographie Abel, F.-M. 1949, Les Livres des Maccabées, Paris. Brekelmans, C. 1959, De herem in het Oude Testament, Nimègue. Daniel, S. 1966, Recherches sur le vocabulaire du culte dans la Septante, Paris. — 1975, Philon d’Alexandrie. De specialibus legibus. Livres I-II, Paris. Dogniez, C. & Harl, M. 1992, La Bible d’Alexandrie. 5. Le Deutéronome, Paris. Dorival, G. 1994, La Bible d’Alexandrie. 4. Les Nombres, Paris. Grottanelli, C. 1993, «Aspetti del sacrificio nel mondo greco e nella Bibbia ebraica», C. Grottanelli & N. Parise ed., Sacrificio e società nel mondo antico, Rome, 123162. Harlé, P. & Pralon, D. 1988, La Bible d’Alexandrie. 3. Le Lévitique, Paris. Launey, M. 1949-1950, Recherches sur les armées hellénistiques, Paris. Lemaire, A. 1999, «Le Îêrem dans le monde nord-ouest sémitique», L. Nehmé ed., Guerre et conquête dans le Proche-Orient ancien. Actes de la table ronde du 14 Novembre 1998, Paris, 79-92. Lohfink, N. 1982, s.v. ÎRM, dans Theologisches Wörterbuch zum Alten Testament, vol. III, Stuttgart, 192-213. Milgrom, J. 1981, «Sancta Contagion and Altar / City Asylum», Vetus Testamentum Supplément 32, 278-310. — 1991, Leviticus 1-16. A New Translation with Introduction and Commentary, New York. — 1992, «The Priestly Laws of Sancta Contamination», M. Fishbane & E. Tov ed., ‘Sha`arei Talmon’. Studies in the Bible, Qumran, and the Ancient Near East Presented to Shemaryahu Talmon, Winona Lake, 137-146. Nelson, R.D. 1997, «Herem and the Deuteronomic Social Conscience», M. Vervenne & J. Lust ed., Deuteronomy and Deuteronomic Literature. Festschrift C. H. W. Brekelmans, Louvain, 39-54. Niditch, S. 1993, War in the Hebrew Bible: A Study in the Ethic of Violence, OxfordNew York. Nodet, É. 2000, Flavius Josèphe. Les Antiquités bibliques, livres VI et VII, Paris. Schmidt, F. 1994, La Pensée du Temple. De Jérusalem à Qoumrân. Identité et lien social dans le Judaïsme ancien, Paris. — 1998, «Destin et providence chez Flavius Josèphe», F. Hartog, P. Schmitt, A. Schnapp ed., Pierre Vidal-Naquet, un historien dans la cité, Paris, 169-190. Stern, P. 1991, The Biblical Herem: A Window on Israel’s Religious Experience, Atlanta. 110

Le Ìêrem de guerre dans le judaïsme du deuxième temple

Abstract We find the war-Ìêrem attested to until the time of the Second Temple: does it have to do with sacrifice or with taboo? The word applies to inalienable offerings to gods as well as to killing people of idolatrous cities, but the Septuagint has it translated into anathêma in both cases: to make something Ìêrem means to vow to God only either an object or a city. The vow is performative in both cases, the Ìêrem becomes vowed to YHWH even before the rite has been performed, and so the sacrifice itself is avoided, as far as in sacrifice, consecration is performed by rite.

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DEUXIÈME SECTION

VIOLENCE, SACRALISATION, ÉLIMINATION I. Autour de la victime II. Sacralisation, élimination

L’«OCCULTATION DE LA VIOLENCE» DANS LE SACRIFICE GREC: DONNÉES ANCIENNES, DISCOURS MODERNES Stella GEORGOUDI École Pratique des Hautes Études, Paris Plus de vingt ans se sont écoulés depuis la parution de La cuisine du sacrifice en pays grec, livre collectif1, réunissant, sous la direction de Marcel Detienne et de JeanPierre Vernant, outre leurs propres écrits, les contributions de Jean-Louis Durand, François Hartog, Jesper Svenbro, et moi-même. Sans fausse modestie, on peut dire que cet ouvrage, qu’il soit loué ou critiqué, est devenu un livre de référence, suscitant de nombreux débats. Dans ce livre, l’analyse du système sacrificiel grec se fondait sur quatre axes majeurs, que Marcel Detienne avait pertinemment définis dans son texte introductif (Cuisine: 12). Ces axes visaient: (1) à reconnaître ce système de l’extérieur, en explorant «les formes de protestations, explicitées par les différentes orientations du mysticisme grec»; (2) à procéder à une analyse interne du système sacrificiel (victime, modes de découpe, types de cuisson, modalités de distribution des viandes etc.); (3) à mettre en évidence «la vocation alimentaire et politique des pratiques sacrificielles»; (4) à explorer le sacrifice comme «opérateur mythique», dans ses relations avec la chasse, la guerre, la culture de la terre. Par ailleurs, au moyen d’une «analyse anthropologique», nous voulions, dans cet ouvrage, «mettre en cause la pertinence d’un modèle judéo-chrétien», saisissable à travers les analyses de sociologues, d’historiens ou de philosophes; un modèle qui, du repas totémique à l’Eucharistie, en passant par les “épreuves” d’un Dionysos mis à mort par les Titans, cherche, par un mouvement évolutionniste, à produire «la figure unitaire du Sacrifice», mais aussi à sublimer le sacrifice “désintéressé” et hautement “spirituel” du dieu des chrétiens (Cuisine, p. 24 et suivantes). Ce livre commun mettait en valeur, grâce surtout à la contribution de Jean-Pierre Vernant, le modèle hésiodique du sacrifice, tel qu’il ressort du mythe de Prométhée, en insistant tout particulièrement sur un fait majeur: que les hommes doivent sacrifier aux dieux pour qu’il soit licite et pieux de manger de la viande. En effet, les études de cet ouvrage étaient surtout centrées sur “l’alimentation carnée”, sans laquelle, disionsnous, «il n’y a ni société civile, ni communauté politique»2. Par conséquent, si quelqu’un voulait «renoncer au monde», il lui fallait devenir végétarien ou encore 1 Que nous qualifiions alors de «dernier-né du Centre de Recherches comparées sur les socié-

tés anciennes» (nommé plus tard Centre Louis Gernet). Pour plusieurs collègues (surtout à l’étranger), il s’agissait d’une “production” de ce qu’ils continuent à appeler “Paris school”, “la scuola (ou l’équipe) parigina”, “l’école de Vernant”. Cette étiquette n’a, bien évidemment, rien de gênant en soi; mais vue de l’intérieur, elle apparaît quelque peu réductrice, voire statique, car elle gomme, d’une certaine façon, la diversité des approches, les cheminements parfois divergents, voire les changements intervenus au fil des ans. 2 Cette mise en avant du sacrifice en tant que “pratique alimentaire” laissait de côté une série d’autres procédés, tout aussi “sacrificiels” (comme, par exemple, les immolations animales avant la bataille): cf., à ce propos, les justes remarques de R. Parker (2000, surtout p. 307-308).

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Stella Georgoudi «refuser de manger les chairs grillées ou bouillies d’une bête domestique», comme c’était le cas dans certaines sectes orphiques ou pythagoriciennes. Nous avons donc beaucoup parlé, dans ce livre, de broches, de chaudrons, du bouilli ou du rôti, mais aussi de la découpe des victimes sacrificielles, de la distribution de la viande, de l’importance du “manger ensemble”, ainsi que des associations qui se créent entre les différentes modalités sacrificielles et l’espace civique, politique ou social. Nous avons encore exploré la place de la femme dans ce modèle sacrificiel, mais aussi l’image de l’altérité que donne un peuple non grec, en l’occurrence les Scythes. Or, revisiter un ouvrage qui a depuis longtemps atteint sa majorité, reconsidérer certaines de ses conclusions ou réexaminer certaines directions tracées par ses auteurs (dont on fait partie), n’est pas une tâche aisée. Cette tâche, cependant, doit être menée avec toute l’attention et tout le respect qu’on doit au labeur accompli, aux options théoriques prises dans ce travail, d’autant plus que ces options – comme d’ailleurs toute approche qu’on expérimente en un moment donné – étaient conditionnées par les thématiques et les problématiques d’alors. Elles répondaient ainsi à des préoccupations et à des interrogations de cette période, ce qui doit nous mettre en garde contre des critiques anachroniques. Mais le respect ou le souci de cette dimension temporelle n’impliquent ni la complaisance, ni l’autojustification. Assumer pleinement et collectivement3 la responsabilité des thèses développées alors dans cet ouvrage ne signifie pas qu’on doive continuer à adhérer à toutes les positions que nous y avions défendues. D’autant plus qu’au fil des années, on s’est senti moins en phase avec certaines des affirmations ou des hypothèses énoncées de façon sans doute trop tranchée, et critiquées parfois à juste titre. On a pris de plus en plus conscience de la nécessité de tout prendre en compte, dans l’exploration des pratiques sacrificielles (mais aussi des autres faits cultuels): données littéraires, bien sûr, mais aussi épigraphiques, archéologiques, iconographiques, numismatiques, etc.4 Car, en privilégiant parfois presque exclusivement un type de documents (par exemple les sources littéraires), on risque d’interpréter les sacrifices des cités grecques selon un seul modèle (qu’il soit homérique, hésiodique, tragique ou autre). Ou encore, en donnant une dimension générale aux réflexions d’un penseur (par exemple Porphyre), on risque de jauger le système sacrificiel grec à travers le regard particulier de cet auteur. Ainsi, l’analyse et l’interprétation d’un rituel comme les Bouphonia, dans le cadre de la fête athénienne des Dipolieia, ont été fondées essentiellement sur un long texte du traité de Porphyre De l’abstinence (II, 2930), un texte qui, comme on le sait, fait appel à la littérature pythagoricienne et au traité de Théophraste Sur la piété, dans le but de s’élever contre les sacrifices d’animaux et la consommation de viande (je reviendrai sur ces questions à la fin de cet article). Enfin, l’examen iconographique des thèmes du sacrifice ne saurait être limité aux vases, et encore moins à la céramique des époques de préférence archaïque et classique. Il faudrait prendre en considération d’autres supports, comme par exemple les reliefs, qui nous donnent à voir d’autres aspects de la pratique sacrificielle – aspects qui se trouvent parfois confirmés par les fouilles archéologiques (voir infra). Certes, il existe beaucoup d’autres questions qui méritent d’être reprises et reconsidérées, dans cette quête toujours recommencée des sacrifices grecs; mais pour ma 3

C’est pourquoi j’ai pris le parti de me référer à la Cuisine, en signalant, chaque fois, les pages concernées, sans “départager” les contributions. 4 Je ne veux pas dire par là qu’on arrive toujours à mettre en œuvre et avec la compétence requise un tel procédé.

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L’«occultation de la violence» dans le sacrifice grec part, j’aimerais consacrer ici ces quelques réflexions au problème de la violence ou de la contrainte dans les pratiques sacrificielles, un thème qui a été traité de façon plus ou moins uniforme dans La Cuisine du sacrifice.

Violence “dissimulée”? En effet, lorsque nous parlions de la violence, dans ce livre, c’était surtout pour dire que les Grecs avaient volontairement gommé, occulté toute manifestation, tout geste, tout comportement qui pouvaient évoquer la violence ou la contrainte dans les modalités sacrificielles. Nous pensions (et je dis nous, car nous étions tous d’accord, indépendamment de qui parlait chaque fois), qu’il y avait «dans le cérémonial sacrificiel une volonté d’effacer la violence, comme s’il fallait d’avance se disculper de l’accusation de meurtre»5. Les Grecs, en sacrifiant, auraient donc essayé de se libérer d’un sentiment de culpabilité, en déniant tout élément, tout geste susceptible de paraître violent. Deux années plus tard, Jean-Pierre Vernant, dans un article important, avait formulé ainsi ce “rejet” de la violence: «Dans son déroulement général et dans le détail de ses séquences, la pratique sacrificielle des Grecs manifeste à l’égard de la violence et du meurtre la même attitude de dénégation, la même volonté de refus que les silences du mythe [sc. du mythe de fondation du sacrifice par Prométhée]... la cérémonie du sacrifice pourrait se définir comme l’ensemble des procédures permettant d’abattre un animal dans des conditions telles que la violence en apparaisse exclue et que la mise à mort revête sans équivoque un caractère la distinguant nettement du meurtre...»6. Enfin, nous pensions aussi que l’absence, par exemple, d’une “consécration de la victime” à la façon grecque – en l’occurrence, chez un peuple barbare, comme les Scythes – marque «toute la distance entre un sacrifice “non violent” [comme celui des Grecs] et un sacrifice “violent”» [comme celui des Scythes]7. Mais que faire lorsque certains sacrifices présentent des traits qui semblent sortir de ce cadre “normatif” d’une immolation lénifiante, où tout est censé se dérouler dans le calme et la bonne entente entre hommes et animaux? Que faire quand certaines victimes refusent d’aller vers leur mort? Dans ce cas – et je parle en général – on avait parfois tendance à raisonner en termes de “déviance”, de “marginalité”, voire de “sauvagerie” des victimes. On considérait ainsi qu’on avait affaire à un type de sacrifice “dénaturé”, distordu, éloigné de l’“orthodoxie sacrificielle”, à une mise à mort plus proche, pourrait-on dire, de ce “sacrifice corrompu” dont la tragédie nous aurait fourni le modèle8. 5 Cf. Cuisine: 18 (c’est moi qui souligne). Cf. aussi Durand (1986: 195): «le sacrifice, malgré le sang qui coule, est... un acte pacifique... qui ne se fonde pas sur la violence. Des récits aux images, la cohérence est totale: la mise à mort est déniée». 6 Vernant 1981: 6-7. 7 Cf. Cuisine: 257. 8 Cf. Cuisine: 18. Sur le thème du “sacrifice corrompu”, cf. surtout Zeitlin (1965) et VidalNaquet (1973). Sans aller aussi loin, dans une étude capitale sur les sacrifices avant la bataille, M. Jameson (1991), établit une distinction entre normal sacrifice et des actes sacrificiels relevant du mot sphagia. Qu’une telle distinction puisse, le cas échéant, être opérante n’est pas impossible; on remarque, cependant, qu’elle s’estompe souvent devant la variété, le mélange, le chevauchement des pratiques sacrificielles. Mais, en fait, qu’est-ce que le “normal” pour un Grec?

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Stella Georgoudi Cette théorie de la non violence, nous l’avons fondée essentiellement sur trois idées majeures qui sont, en fait, liées, voire interdépendantes: a) l’idée que l’animal marche paisiblement à côté des hommes, et du “même pas” qu’eux, sans aucune contrainte, en se dirigeant “de son plein gré” vers sa propre mort; b) l’idée que le couteau (la machaira) reste dissimulé jusqu’au moment de la mise à mort; et c) l’idée que la victime “consent” à la fin qu’on lui réserve. Faute d’espace, je n’examinerai pas ici cette dernière idée qui mériterait, elle aussi, une attention particulière. Je voudrais seulement remarquer qu’à force de disserter sur le “consentement” de l’animal, on crée l’impression qu’il s’agit d’un sujet de première importance pour les Grecs. En fait, nous n’avons, sur cette question, que peu de sources9, dont la plupart concernent surtout les modalités sacrificielles à Delphes, dans un contexte particulier, où le comportement de la victime aspergée est mis en rapport avec l’activité oraculaire. On constate la même “pénurie” dans l’iconographie, où – pour citer la juste remarque de Folkert van Straten (1995: 102) – «the formal sign of consent of the sacrificial victim clearly was not an aspect of the ritual that was thought particularly interesting or important». Je me limite donc aux deux premières idées, en essayant de réévaluer (autant que faire se peut dans le cadre restreint d’un article) les données sur lesquelles on avait fondé ces conceptions et ces jugements. Mais je préférerais inverser l’ordre et commencer par la question du couteau, car elle préside, d’une certaine façon, aux autres10.

Autour du couteau Or, ce que nous avons répété dans la Cuisine, c’est que l’instrument de la mise à mort de la victime (la fameuse machaira) «doit rester invisible», «dissimulé sous les grains de céréales». Le couteau, signe de la mort de l’animal, signe violent donc, doit être mis complètement hors de vue, pour qu’il ne perturbe pas le caractère paisible et anti-violent du sacrifice. Il y aurait donc une «discrétion du couteau», qui nous apparaissait comme quelque chose d’intentionnel, une “discrétion” que nous voyions aussi sur les images. Ainsi, les vases disaient, pour nous, la même chose, à savoir que «mort et sacrifice sont disjoints sans exception», que «le geste qui ouvre le passage de la mort dans la gorge des bêtes n’est jamais représenté». Bref, nous étions persuadés que «la mort que donne la machaira reste soigneusement cachée», du fait que ce couteau est déposé dans ce panier “pacifique” qu’est le kanoun, bien dissimulé sous les grains. Le sacrifice grec montrerait ainsi qu’on parle «le moins possible de la hache ou du couteau»11. J’ajoute simplement que cette idée n’était pas seulement nôtre. Elle était déjà présente dans certains ouvrages12, et on la retrouve depuis, de façon récur-

9 Cf. Aristophane, La Paix, 960 (avec la scholie); Plutarque, Sur la disparition des oracles, 46, Mor., 435 BC; 49, Mor., 437 AB; Propos de table, VIII, 8, 3, Mor., 729 F; Porphyre, De l’abstinence, II, 9. 10 Le problème du couteau a déjà été réexaminé par P. Bonnechere (1999), dans un excellent article, auquel je renvoie pour les détails; j’examinerai donc ici tout particulièrement le thème de la “dissimulation”. 11 Cf. Cuisine: 19, 22, 138, 178, 234 etc. (c’est moi qui souligne). 12 Cf. J. Rudhardt (1958: 259), qui parle de «corbeilles qui contiennent un couteau dissimulé sous une couche de grains d’orge mêlés de sel».

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L’«occultation de la violence» dans le sacrifice grec rente, chez la plupart des chercheurs et «dans tous les manuels de qualité», comme le remarque, avec justesse, Pierre Bonnechere13. Tout d’abord, il faut essayer de clarifier, brièvement, trois points: si le couteau sacrificiel est effectivement déposé dans la corbeille; si, porté en procession, il est toujours “caché” dans le kanoun; et s’il s’agit d’une “dissimulation” faite dans un but précis, à savoir pour occulter l’aspect violent de la mort sacrificielle. Diverses sources mettent, en effet, en relation le couteau et la corbeille. Je prends trois exemples, parmi les plus significatifs, en mettant toujours l’accent sur le prétendu “camouflage” de la machaira, et renvoyant, pour les autres aspects, à l’étude de Pierre Bonnechere. Empruntons notre premier exemple à l’Électre d’Euripide (v. 800 sq.). La scène se passe au palais de Mycènes, devant l’autel des Nymphes, où Égisthe est en train d’accomplir un sacrifice en leur honneur. Après avoir jeté sur l’autel “ce qu’on répand”, et prononcé la prière, Égisthe, « prenant d’une corbeille le couteau égorgeur droit (ejk kanou`n d∆ eJlw;n ojrqh;n ... sfagivda), et coupant (quelques) poils du veau, les posa, de sa main droite, sur le feu pur, et égorgea le veau, que, de leurs mains, les serviteurs ont soulevé sur leurs épaules»14. Certes, il n’est pas question ici de procession, pendant laquelle on porterait le couteau, “caché” dans la corbeille; tout se passe au palais, et la victime, comme aussi les autres objets nécessaires, sont déjà sur place. Quant au couteau, il se trouve bien dans la corbeille, ou, plus précisément dans une des corbeilles, car en fait, comme on le voit dans d’autres sources, on parle parfois de plusieurs corbeilles (cf. v. 800, kana). Mais rien dans ce texte ne nous autorise à parler de “dissimulation” du couteau, d’une soi-disant “occultation de la violence”. Égisthe prend tout simplement le couteau dans un kanoun, où on l’avait déposé auparavant. Le deuxième exemple, où l’association entre le kanoun et la machaira se présente comme toute naturelle, nous amène à un passage de la Paix d’Aristophane, auquel on fait souvent appel pour étayer la thèse de la “dissimulation”. Défenseur intraitable de la paix, Trygée décide d’honorer la déesse Eirènè, fraîchement délivrée du terrible Polémos, en lui sacrifiant un mouton, selon le conseil du Chœur. Il envoie donc son serviteur chercher “au plus vite” cette victime réputée pour sa docilité, tandis que luimême va se procurer un autel (qui serait donc portable), ainsi que tout ce qui est nécessaire pour le sacrifice. À son retour il dit (vers 948-949): To; kanou`n pavrest∆ ojla;" e[con kai; stevmma kai; mavcairan, kai; pu`r ge toutiv, koujde;n i[scei plh;n to; provbaton uJma`". La corbeille est là, ayant des grains d’orge et une bandelette et un couteau, et aussi du feu que voilà; rien ne nous retient sauf le mouton.

13 Bonnechere 1999: 23 et n. 6, avec des références. Le motif du “couteau caché” est devenu ainsi une formule répétitive, comme le montrent ces citations choisies parmi plusieurs autres: Burkert (1983: 5): «Hidden beneath the grains in the basket was the knife...»; Gould (1985: 17): «the sacrificial knife is kept out of sight beneath the grain»; Bremmer (1996: 258-259): «Il coltello sacrificale, che era stato nascosto sul fondo del cesto, appariva finalmente sotto i fiocchi di orzo». 14 Cf. aussi les vers 1142-1144, où corbeille et couteau sont mentionnés ensemble. Sur le sens de l’expression kanou`n d∆ ejnh`rktai du vers 1142, voir infra.

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Stella Georgoudi Et, quelques vers plus loin (1017-1018), Trygée dit au serviteur: «Prends le couteau (lavbe th;n mavcairan) pour que tu égorges aussitôt le mouton à la manière d’un cuisinier (mageirikôs)»15. Comme on le voit, dans ce passage il n’est pas non plus question d’une procession, mais cela semble normal, puisque tout se passe sur place, sans doute devant la ferme de Trygée, où il a déposé l’«autel à la porte» (v. 942: oJ... bwmo;" quvrasi). Cependant, il n’y a rien non plus qui puisse nous faire penser à une “dissimulation” du couteau dans la corbeille, sous la bandelette et les grains d’orge. Trygée ordonne tout simplement à son serviteur de prendre la machaira et d’égorger la victime. Ce qui est clair, c’est cette relation étroite entre la corbeille et le couteau, puisque ce dernier se trouve d’habitude dans le kanoun. Et cette relation est devenue au fil des siècles quelque chose de normal, un signe qui renvoyait au sacrifice sanglant, comme on le voit dans un passage de Philostrate, se référant à Pythagore qui ne mangeait pas de viande (Vie d’Apollonius, I, 1): Car il n’ensanglantait pas les autels, mais c’était avec des gâteaux au miel et l’encens et les hymnes que cet homme-là fréquentait les dieux, et il savait que les dieux accueillent ces choses plus que les hécatombes et le couteau sur la corbeille (th;n mavcairan ejpi; tou` kanou`).

Encore une fois, il n’est pas question de couteau caché au fond du panier. Venons-en maintenant à un troisième exemple, qui décrit cette fois une scène de sacrifice humain, celui d’Iphigénie, selon la version d’Euripide dans l’Iphigénie à Aulis. Je n’entrerai pas ici dans le débat sur les relations entre sacrifice animal et sacrifice humain16. Disons seulement que, du point de vue du vocabulaire et des gestes sacrificiels, il existe une grande ressemblance entre ces deux types de sacrifices, mais aussi une différence de taille: le sacrifice humain est un sacrifice adaitos (“sans festin”). On est donc à Aulis, où l’on se prépare pour la mise à mort d’Iphigénie. Après l’annonce du silence rituel (euphêmia), le devin Calchas (v. 1565-1569): déposa (e[qhken) dans une corbeille travaillée en or un glaive tranchant (ojxu; ... favsganon) qu’il avait tiré du fourreau, puis couronna la tête de la jeune fille. Et le fils de Pélée (= Achille), prenant la corbeille et l’eau lustrale, aspergea en cercle (ejn kuvklw/) l’autel de la déesse.

Ici encore, on voit que Calchas dépose à la vue de tous, dans une corbeille (eis kanoun), l’épée qui lui sert, en l’occurrence, de couteau, et cela se passe devant l’autel, avant la circumambulation, comme si l’on voulait, par ce mouvement circulaire autour de l’autel, sanctifier, d’une certaine façon, cet outil de la mort. Mais il y a aussi un autre détail. Comme on l’a constaté ailleurs, dans cette longue préparation du sacrifice d’Iphigénie, il est question de plusieurs corbeilles: kana. En effet, avant d’être

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Sur ce passage et sur le mageiros, qui peut en même temps « jouer le triple rôle d’abatteur, de boucher et de cuisinier », cf. Berthiaume 1982: 14. 16 Cf. Bonnechere 1994, surtout p. 227 sq., et 311 sq. Sur les positions de cet auteur, cf. Georgoudi 1999.

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L’«occultation de la violence» dans le sacrifice grec amenée à l’autel en procession, à l’image d’une victime animale17, Iphigénie, qui accepte, dans un élan panhellénique, d’être sacrifiée pour « donner aux Grecs un salut victorieux », dit à l’assistance (v. 1470 sq.): Que quelqu’un kana` d∆ ejnarcevsqw, et que le feu brûle avec les grains d’orges purificateurs, et que mon père fasse par la droite le tour de l’autel.

Quel sens faut-il donner à l’expression kana enarchesthai ? Commentant le vers 1142 de l’Électre d’Euripide, où apparaît la même phrase (kanou`n d∆ ejnh`rktai), Pierre Bonnechere (art. cit., p. 30) pense qu’ejnavrcesqai signifierait, dans ce contexte, «le chargement de la corbeille en graines, ou encore l’offrande de cette corbeille emplie d’orge sur l’autel». On pourrait donc traduire aussi bien «préparer les corbeilles» – et c’est la traduction habituelle – qu’«offrir les corbeilles». Je remarquerai seulement que la comparaison entre les acceptions d’enarchesthai et le champ sémantique d’autres formes composées du verbe archesthai – comme katarchesthai, eparchesthai ou aparchesthai – privilégie plutôt le sens d’«offrir», de «consacrer». En effet, ces verbes, qui signifient, de façon littérale, «commencer»18, nous orientent vers le début d’une procédure, ils dénotent, dans un contexte cultuel, des rituels préliminaires. De ce point de vue, l’expression kana enarchesthai pourrait être traduite plus précisément: «commencer à consacrer les corbeilles», c’est-à-dire à offrir leur contenu aux dieux19. Mais elle pourrait aussi prendre, le cas échéant, un sens plus général et signifier «commencer le sacrifice», comme semble le suggérer un passage d’Eschine qu’on devrait lire avec les Scholies (III, Contre Ctésiphon, 120): jEnh`rktai me;n ta; kana`, et les victimes se tiennent auprès les autels, et vous allez demander aux dieux des biens, et pour la collectivité, et pour les particuliers.

Certes, si l’on préfère voir, derrière cette expression, la “préparation des corbeilles” pour le sacrifice, il est possible d’imaginer qu’on déposait aussi le couteau dans un des kana, avec les différentes offrandes végétales. Mais de cette phrase, qu’elle soit chez Eschine ou ailleurs, on ne saurait déduire qu’on y “dissimulait” le couteau «sous une couche de grains d’orge mêlés de sel»20. Par ailleurs, si l’on voulait occulter la présence du couteau, faire en sorte qu’il passe, d’une certaine façon, inaperçu, on n’aurait pas parlé si ouvertement de cette machaira, ou de la hache, comme on le fait souvent. Certes, on dira qu’il s’agit parfois de textes de tragédie ou de comédie, avec leurs propres effets poétiques et dramatiques; mais si, dans le cas du sacrifice humain, on pouvait dire que l’accent mis, parfois, sur l’instrument de la mort renforce l’aspect “extrême” d’un tel sacrifice, la mention ouverte du couteau, par exemple, dans le passage de la Paix d’Aristophane, ne semble pas faite dans le but de produire une impression particulière. D’autre part,

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Comme l’a bien vu P. Bonnechere (1999: 28-29). Cf. Chantraine, DELG, s. v. a[rcw. 19 C’est d’ailleurs le sens que revêt, dans la même tragédie (Iphigénie à Aulis, 955), le verbe enarchesthai (selon l’heureuse correction de Musgrave, au lieu de l’impossible anarchesthai): le devin Calchas «offrira grains d’orge et eau lustrale» (procuvta" cevrnibav" t∆ ejnavrxetai). 20 Comme le dit, par exemple, J. Rudhardt (1958: 259, et n. 12), en renvoyant, entre autres, à ce passage d’Eschine et aux Scholies. 18

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Stella Georgoudi il faudrait toujours se rappeler que le couteau et la hache, outils indispensables des sacrifices, sont nommés sans ambages dans les inventaires des sanctuaires, à côté d’autres instruments de culte (comme, par exemple, la kreagra, le crochet ou la fourchette utilisée pour saisir la viande)21. Bien évidemment, dans plusieurs sources il est question de corbeilles sans mention du couteau, car la relation la plus étroite et la plus récurrente est établie non pas entre le kanoun et le couteau, mais entre la corbeille et les diverses offrandes et “prémices” (ajparcaiv), dont elle est remplie: grains d’orge, bien sûr, mais également gâteaux, encens, bandelettes etc. D’autre part, c’est également l’association entre la corbeille et l’eau lustrale (chernips) qui est souvent mise en valeur, comme si le couteau n’était qu’un moyen pratique pour immoler l’animal, sans que l’on ait senti le besoin de lui accorder une importance particulière, dont le sens caché nous aurait échappé22. Mais, s’il en est ainsi, d’où vient l’idée de la “dissimulation” intentionnelle de cet instrument? Pour prouver cette “occultation”, on a souvent évoqué les images. Cependant, avant de s’interroger sur les données iconographiques, il serait intéressant de se demander sur quelles sources littéraires on se fonde pour bâtir cette théorie de la “dissimulation”. Or, comme l’a très bien vu Pierre Bonnechere (art. cit., surtout p. 34-35), nous n’avons, en fait, que deux sources tardives qui emploient un vocabulaire susceptible de suggérer un “masquage” du couteau: tout d’abord, les Scholies à Aristoph. Paix, 948, qui commentent le mot olas, dans le passage que nous avons déjà vu (supra, p. 119): C’est que le couteau était caché (ejkevkrupto) dans la corbeille (ejn tw/` kanw`/) par les orges et les bandelettes (tai`" ojlai`" kai; toi`" stevmmasi); d’où le (mot) kanou`n de kanei`n23. Platon [le Comique] dans le Paidavrion [le «Jeune enfant»]: «apporte-moi ça, montre-moi la corbeille, ici même; n’y a-t-il pas de couteau?» Car ils ont coutume de porter le couteau sur la corbeille (ejpi; to; kanou`n th;n mavcairan fevrein), en le cachant (katakruvptonte") par les orges et les bandelettes.

Comme on le constate, le fait de «cacher» (kruptô) le couteau semble être plutôt une déduction du Scholiaste, car ce verbe ne figure pas dans Aristophane. Et ce qui est plus important: le passage du poète comique Platon, cité par le commentateur, ne dit rien de tel. Or, on retrouve, dans la Souda (s.v. kanou`n), deux phrases presque identiques au texte du Scholiaste d’Aristophane:

21 Cf., parmi plusieurs exemples: inventaire d’Artémis de Brauron, 416-415 av. n.è.: kreavgrai, ejscavrai, mavcairai (Knoepfler 1988: 336); inventaire d’un sanctuaire des Thespiens: kreagra et haches (Bull. de corr. hell., 98, 1974, p. 645); inventaire du temple d’Aphaia à Égine (c. 430 av. n.è.): pevleku" ... macaivria (IG, II3, 1456, l. 16-17 = Guarducci 1978, vol. IV: 293296). Les nombreux couteaux, trouvés dans les fouilles de sanctuaires grecs, et dont certains faisaient sûrement partie des instruments sacrificiels, confirment et complètent les données épigraphiques; cf. Kron 1992: 621, 639 sq.; Boukidis 1993: 54. Voir aussi infra, note 49. 22 Sur ces aspects, cf. Bonnechere 1999: 31 sq. 23 Kanei`n: inf. aor. du verbe kaivnw = «tuer, faire périr» (cf. Hésychius, s.v. kanei`n, kteivnein, ajnelei`n; Scholies à Eur. Oreste, 195); mais il s’agit d’une étymologie fausse, puisque kanou`n est un dérivé de kavnna = «roseau» (cf. Chantraine, DELG, s.v.).

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L’«occultation de la violence» dans le sacrifice grec ... et le kanou`n (vient) de kanei`n; car dans la corbeille (ejn tw/` kanw`/) le couteau était caché (ejkruvpteto) et par les orges, et par les bandelettes (kai; tai`" ojlai`" kai; toi`" stevmmasin).

On ne possède donc que ces deux textes tardifs, dont l’un n’est, en fin de compte, que la copie de l’autre. Quoi qu’il en soit, on ne saurait généraliser et conclure, sur la base de ces maigres et incertains indices, que, dans le sacrifice grec, une fille, à savoir une canéphore «porte sur la tête, à l’avant de la procession, la corbeille sacrificielle (“Opferkorb”) dans laquelle se trouve le couteau sacrificiel (“Opfermesser”), caché par des céréales ou des gâteaux»24. Et il serait tout aussi abusif de voir, dans cette “conclusion”, une intention bien grecque d’occulter la violence, comme on l’a souvent fait.

Images et mise à mort Il est bien connu que, pour fonder cette théorie de la “dissimulation de la violence”, on a fait largement appel aux images. Certes, après la redécouverte de l’amphore attique de Viterbo, et son excellente publication par Gabriella Barbieri et Jean-Louis Durand, nous ne pouvions plus dire que «le geste qui ouvre le passage de la mort dans la gorge des bêtes n’est jamais représenté»25. Mais je ne suis pas sûre non plus que nous puissions parler de discrétion, voire d’invisibilité, en tant que première qualité du couteau sacrificateur, même si l’on s’accorde à dire, avec Marcel Detienne, que «le couteau delphique n’est pas un couteau comme les autres»26. J’ai même l’impression que cette conviction nous avait, d’une certaine façon, empêchés d’évaluer à sa juste mesure la place du couteau, mais aussi de la hache dans les représentations iconographiques27. Il est vrai qu’on n’y trouve pas beaucoup d’images montrant la hache ou le couteau sacrificiel, ou encore la mise à mort de l’animal. Mais, pour que l’enquête soit menée sans idées préconçues, il faudrait soumettre à un examen attentif l’ensemble du dossier iconographique du sacrifice, qui comprend non seulement les vases28, mais aussi – comme il a été dit plus haut – les reliefs. Et en comparaison avec les images, il faudrait également se demander pourquoi les textes qui décrivent des scènes sacrificielles parlent du couteau ou de la hache, sans aucune gêne, sans aucune volonté d’occulter

24 Comme l’écrit, par exemple, W. Burkert, dans sa précieuse somme sur la religion grecque (1977: 101) – c’est moi qui souligne. 25 Cuisine: 138; Vernant 1981: 7. 26 Detienne 1998: 178-179. Dans ce livre, qui a mis si magistralement en évidence l’aspect “sanguinaire” d’Apollon, M. Detienne nuance les propos tenus dans la Cuisine, en remarquant justement que le couteau sacrificiel n’est pas, en fin de compte, entouré du silence «le plus complet» (ibid.). 27 Sur ces vases, voir maintenant l’intéressante étude critique de Sarah Peirce (1993). 28 Cf., entre autres, les exemples cités et commentés par S. Peirce (1993), et van Straten 1995 (Index: axe et máchaira).

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Stella Georgoudi la violence, et cela depuis Homère29, pourquoi on n’y trouve pas de preuves d’un quelconque sentiment de “culpabilité”. Enfin, il faudrait comprendre ce que les Grecs choisissent particulièrement pour illustrer leur activité sacrificielle. Car le fait qu’on ne montre pas souvent le moment de l’égorgement ne signifie pas nécessairement que, du point de vue iconographique, on évite ce sujet à cause d’une supposée réticence, qu’auraient ressentie les peintres ou ceux qui regardaient ou utilisaient ces vases. Il est vrai qu’il est difficile, sinon impossible, d’appréhender les raisons qui incitent les imagiers à préférer un thème plutôt qu’un autre. Du point de vue de ces choix iconographiques, le livre de Folkert van Straten (Hierà kalá) constitue une synthèse riche et indispensable30. Il a mis surtout en évidence l’importance du motif de la procession et, en général, de la “première phase” du sacrifice (Pre-kill), contrairement au nombre limité d’images montrant la “deuxième phase”, la mise à mort (The killing). Devant les interprétations multiples, voire contradictoires, qui ont été proposées pour élucider cette “sous-représentation” du coup mortel, van Straten a préféré l’explication la plus simple: à savoir, le «manque d’intérêt» pour ce moment du sacrifice de la part des artistes et de leurs clients, pendant l’époque classique31. Il est possible que cette explication puisse paraître à certains très “prosaïque”, trop “terre à terre”. Mais, faute de mieux, elle est toujours préférable à des hypothèses fragiles et indémontrables, telle le “camouflage” intentionnel de la “violence” sacrificielle. J’aimerais cependant relativiser ce «manque d’intérêt», qui est loin d’être “total”32. Car, s’il est vrai que peu de représentations donnent à voir l’instant même du coup fatal, ou encore le moment qui précède immédiatement la mise à mort de la victime33, il n’en reste pas moins que ces images sont parfaitement claires et explicites, ne révélant aucun signe d’hésitation, aucune attitude de réserve ou de “discrétion” de la part des acteurs du sacrifice. Rien n’est “suggéré” dans cette iconographie: lorsque les imagiers choisissent le motif de l’immolation sacrificielle, ils le font ouvertement, sans se montrer “gênés” devant la “violence” du geste, devant le sang qui va couler sur l’autel ou dans le sphageion, le vase destiné à recevoir le flux sanguin. Les instruments mêmes de la mort, le couteau et la hache, sont ainsi représentés de façon évidente, visible, dans différents moments de la procédure sacrificielle: juste avant le coup mortel, à l’instant même de l’immolation, ou (surtout, pour la machaira) pendant la découpe et le partage. Je dirais même qu’on montre clairement le couteau (ou encore des couteaux), pendant la procession. On pense, en effet, au moins à deux exemples, provenant de l’Acropole d’Athènes, où l’on voit des personnages marchant à côté des victimes et 29

Pour Homère, il suffit de renvoyer au fameux sacrifice de Nestor dans le IIIe chant de l’Odyssée (v. 430 sq.), où l’on décrit une habituelle scène de mise à mort d’une victime sacrificielle, en l’occurrence d’une vache, en parlant de «hache tranchante» (pevlekun ojxuvn), d’abattage (ejpikovywn), d’égorgement (sfavxen), sans montrer aucune hésitation, aucun embarras. À l’autre bout de la chaîne, on pourrait citer le sacrifice de Jason, dans les Argonautiques d’Apollonios de Rhodes (I, 425 sq.), et la description “crue” de la mise à mort de deux victimes bovines, aux «muscles puissants». Le fait que ces gestes sacrificiels soient accomplis ici par des personnages “héroïques” ne les rend pas moins “réels”, moins conformes aux pratiques cultuelles courantes. 30 À propos de cet ouvrage de référence, voir le compte rendu circonstancié de P. Bonnechere (1998). 31 F. van Straten 1995: 86 sq. 32 Comme le dit, sans doute incidemment, P. Bonnechere (1998: 383). 33 Cf. le recensement de ces images par van Straten 1995: 103-114.

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L’«occultation de la violence» dans le sacrifice grec portant des étuis avec des couteaux (fig. 1 et 2)34. On pense aussi à la fameuse hydrie à figures noires de Caere (520-510 av. n.è.; Musée national de Copenhague), réunissant les deux outils qui vont donner la mort: derrière un personnage, qu’on peut qualifier de “frappe-bœufs” (boutuvpo")35, et qui s’apprête à assommer un grand bovidé avec une hache, solidement tenue des deux mains, marche un autre officiant, portant – comme on en convient volontiers – le «vase au sang» (sphageion) et la machaira. Suivent une canéphore portant le kanoun et une autre femme jouant de la flûte (fig. 3)36. S’agirait-il d’une procession sacrificielle? La réponse a été parfois négative, parce que, selon une conviction partagée alors collectivement, on ne saurait montrer, pendant le défilé, les instruments de la mort sanglante: le pelekus, bien sûr, mais aussi la machaira, qui, elle, devrait «rester invisible», “cachée” dans le kanoun 37. Cependant, à bien regarder cette hydrie, il ne semble pas que l’on puisse en gommer l’aspect processionnel. C’est d’ailleurs l’avis d’autres spécialistes, qui préfèrent parler d’une «procession menant un bœuf vers un autel sur lequel le feu est déjà allumé»38, ou, en tout cas, d’une scène qui fait fusionner, en une seule image, divers moments de la cérémonie sacrificielle, dont, bien entendu, le moment du défilé39. À ce propos et par rapport surtout à la machaira que tient le deuxième personnage, marchant derrière le “porte-hache”, Pierre Bonnechere observe, avec raison, qu’on n’a pas affaire ici à un “chevauchement” entre deux moments différents, à savoir le moment où le couteau est amené dans le kanoun par la canéphore, et celui où le même couteau est montré dans les mains d’un autre officiant, pour signifier la mort imminente. Car – insiste Pierre Bonnechere – il n’est, de toute façon, «nullement assuré que le couteau fut apporté [sc. caché dans le kanoun] lors de la procession»40. Je serais d’accord pour dire qu’on n’est pas obligé d’imaginer ici une sorte de “télescopage” de deux séquences sacrificielles. Mais je ne pense pas qu’il faille, en l’occurrence, exclure la machaira de la procession. Car, à condition de prendre ses distances avec la théorie

34 Exemples bien connus, à figures noires: il s’agit d’un dinos (fragments) du peintre Lydos (560-540 av. n.è.), ainsi que d’un skyphos fragmentaire (cf. van Straten 1995: 17-18, fig. 6 et 7). Sur les machairai et leur étui, cf. aussi infra, note 49. 35 Sur le boutupos à Athènes, cf. infra p. 135. Une inscription d’Éphèse (IVe s. av. n.è.) nous a livré assez récemment un nouveau terme, boukovpo", attesté seulement jusqu’ici dans une glose d’Hésychius, s.v. (cf. L. Dubois, dans la Revue des Études Grecques, 101, 1988, Bull. épigr., p. 369, n° 464). Cette personne, appelée donc “abat-bœufs” (boukopos: de bous + koptô = couper, abattre), avait sans doute la même fonction sacrificielle que le boutupos. Le terme boukopos n’est pas sans rappeler l’expression homérique boun epikopsôn, se référant au fils de Nestor, Thrasymède, qui, la hache à la main, «va abattre» la vache en l’honneur d’Athéna (Odyssée, III, 443; voir supra, note 29). Le «belliqueux» Thrasymède agirait, dans ce cas, comme un boukopos. 36 F. van Straten, 1995: 107-108, fig. 114. 37 Cf. Cuisine: 178: «Malgré le schéma formel de la succession de personnages, il ne semble pas s’agir d’une pompé». Cf., dans le même esprit, une présentation plus détaillée de cette image par J.-L. Durand (1986: 106-107). 38 Berthiaume 1982: 18. 39 Cf. van Straten 1995: 108. 40 Bonnechere 1998: 380. Sur cette thèse de P. Bonnechere, qui ne se limite pas seulement à une critique rigoureuse de la théorie de la “dissimulation”, mais qui pense, sur la base de certains témoignages, que le couteau pouvait être déposé, dans la corbeille, après la procession, devant l’autel, voir surtout son étude de 1999.

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Stella Georgoudi de la “dissimulation” et d’accepter une certaine diversité iconographique, on pourrait très bien concevoir qu’un artiste décide, le cas échéant, de montrer un personnage qui avance, en tenant la machaira sacrificielle à nu, sous le regard de tous. C’est, peut-être, ce type de choix qu’a fait le peintre d’un vase béotien (une lekanis, à figures noires, c. 550 av. n.è.) représentant, avec de riches détails, une longue procession en l’honneur d’une Athéna armée, du type de Promachos. Parmi les nombreux participants qui s’avancent vers l’autel allumé (la canéphore en tête, suivie de la victime conduite par deux personnes, de l’aulète, etc.), l’artiste a placé deux hommes tenant, de la main gauche et de façon plus ou moins verticale, des objets dans lesquels on reconnaît, selon toute vraisemblance, des couteaux (fig. 4)41. Bien plus tard (c. 350330 av. n.è.), un autre peintre a opté pour une scène plus explicite, où trois jeunes hommes avancent, selon toute probabilité, vers un lieu de sacrifice: entre le premier, qui porte sur ses épaules un gros porc renversé, en le maintenant solidement par les pattes, et le dernier, qui apporte du bois et un plateau, l’homme du milieu avance, un maillet sur l’épaule gauche et tenant, dans la main droite, sans doute un lot de broches, ainsi qu’un couteau parfaitement visible (fig. 5)42. Cet homme, chargé des deux instruments de la mort et des outils du rôtissage, pourrait donc représenter un bel exemple de mageiros, dans son «triple rôle d’abatteur, de boucher et de cuisinier»43, un mageiros qui aurait utilisé le maillet, comme le boutupos se sert de la hache, pour porter le coup fatal sur la nuque de la victime, avant de la saigner et d’en embrocher les chairs grasses. Une manière de procéder qui rappelle les gestes d’un lointain ancêtre, le “divin porcher” Eumée, dans l’Odyssée (XIV, 413 sq.): en l’honneur de son hôte (qui n’est autre que son maître Ulysse), Eumée adresse des prières à «tous les dieux», avant d’immoler un porc «de belle graisse», en l’assommant «d’une bûche de chêne». On a voulu nier le caractère sacrificiel de cette mise à mort, sous prétexte qu’il n’y est pas question de consommation des splagchna44. Mais la description détaillée des actes accomplis par le porcher, les termes utilisés45, les parts d’honneur destinées à Hermès et aux Nymphes, les prémices offertes aux «dieux éternels», sont autant d’indices qui nous placent dans un contexte de sacrifice46. Quoi qu’il en soit, on pourrait peut-être se représenter Eumée en train de “lever les bras” (anaschomenos, v. 425), pour frapper la victime de toutes ses forces, à l’image de cet homme qu’une terre cuite thébaine nous montre prêt à abattre un porcelet posé sur un billot, au moyen d’un gourdin qu’il soulève au-dessus de sa tête, comme pour prendre son élan47. Certes, en ce qui concerne surtout la céramique grecque, on peut toujours objecter qu’elle offre peu d’images de ce type, images qu’on se presse de qualifier de rares, voire d’“exceptionnelles”. Mais “rares” ne signifie pas qu’elles soient 41 C’est l’opinion de F. van Straten (1995: 21-22, fig. 14), qui préfère y voir plutôt des machai-

rai que des bâtons courts ou des branches, comme le pense, par exemple, A. Ure (1929: 167 sq.). Ure avait en outre proposé d’associer les scènes de ce vase à la fête des Pamboiôtia et au culte d’Athéna Itônia, près de la ville béotienne de Coronée. Sur les vases béotiens et leurs motifs festifs, cf. C. Scheffer 1992. 42 F. van Straten 1995: 216, V 125. 43 Tel qu’il a été défini par G. Berthiaume (1982: 14). 44 Rudhardt 1958: 255; cf. l’opinion, beaucoup plus nuancée, de G. Berthiaume (1982: 65-66). 45 Cf. le verbe iJereuvw (v. 414), qui ne peut signifier ici qu’«immoler (en sacrifice)», selon la juste analyse de J. Casabona (1966: 24). 46 Comme l’avait déjà fait observer, avec raison, M. Nilsson (1967: 145-146). 47 Musée du Louvre, vers 500 av. n.è., voir Mollard-Besques 1954: 21, B 122, pl. 16.

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L’«occultation de la violence» dans le sacrifice grec en contradiction avec les modalités sacrificielles habituelles, et qu’il faille, par conséquent, les interpréter comme une sorte de “déviation” par rapport à une supposée “normalité” figurative. Quant au type de couteau porté dans son étui pendant la procession, il a été parfois considéré non pas comme le véritable instrument de la mort, mais comme le coutelas servant seulement à la découpe48. Il faut cependant noter qu’il est impossible de distinguer entre couteau qui égorge et couteau qui découpe. En effet, comme l’a montré G. Berthiaume, «la machaira sera utilisée pour égorger et découper les victimes, aussi bien que pour cuisiner»49. Avant d’aller plus loin, essayons de formuler quelques réflexions: – le couteau sacrificiel peut, le cas échéant, être déposé dans le kanoun avec les offrandes, et transporté ainsi au lieu du sacrifice50; mais ce transfert ne signifie, ni n’implique qu’on “dissimule” cet instrument, pour occulter sa présence; – la machaira peut aussi, d’après certains témoignages, être déposée dans la corbeille, après la procession, comme l’a montré P. Bonnechere; – et enfin, il arrive que cet outil de la mort soit dissocié du kanoun et montré, d’une façon ou d’une autre, pendant le défilé, ce qui ne laisse aucun doute sur le sort qui attend les victimes qui s’acheminent vers l’autel. Cette visibilité de la machaira, je dirais même des machairai, au pluriel, parle ouvertement contre la soi-disant “occultation” de la mise à mort de l’animal, une mort qui ne semble pas avoir suscité, chez les participants, des sentiments de crainte ou de culpabilité. Mais cette idée, à savoir que la mort de la victime aurait troublé les esprits des anciens, est une idée si profondément ancrée dans les esprits des modernes, que même un archéologue assez “neutre” et précautionneux, comme John Boardman, parle (à propos du dinos de Lydos) de cet officiant qui porte «a case of wicked looking knives»51.

L’apport des reliefs Si l’on prend, maintenant, en considération les reliefs, on constate que les gestes y sont souvent beaucoup plus clairs et précis. Nous avons, en effet, toute une série de stèles votives, allant du IIIe s. av. n.è. jusqu’au IIIe s. de n.è., et provenant surtout d’Asie Mineure, monuments qui montrent sans aucune ambiguïté les outils de la mort, ainsi que l’immolation elle-même de la victime (il s’agit surtout de bovidés), une mise à mort qui évoque, parfois, certains détails décrits dans les textes.

48 Ainsi pense S. Peirce (1993: 256), tout en soulignant cette présence manifeste des couteaux dans l’iconographie. 49 Berthiaume 1982: 109, note 14, avec références. Comme il a déjà été noté (supra, p. 122), ces instruments pouvaient faire partie de tout un ensemble d’ustensiles possédés par les sanctuaires. En témoigne, entre autres, un inventaire de l’Héraion de Samos (346-345 av. n.è.), où l’on recense «neuf couteaux dans un étui» (mavcaira(i) ejm macairoqhvkei ejnn⁄eva, Michel 1900: n° 832, l. 52-53). Voir aussi supra, n. 21. 50 C’est le sens que peut prendre, dans ce contexte, le verbe fevrein, « porter », « transporter »: cf. Scholies à Euripide, Oreste, 195, où il est question de kanoun, «dans lequel est (trans)porté le couteau cérémoniel» (eij" o} fevretai hJ iJerourgikh; mavcaira). 51 Boardman 1974: 53, et fig. 64, 4 (c’est moi qui souligne).

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Stella Georgoudi Ces reliefs méritent donc d’être examinés, scrutés, étudiés à fond, car ils constituent un témoignage non négligeable sur l’acte sacrificiel dans les cités grecques52. Dans l’impossibilité d’entreprendre ici un tel travail détaillé, contentons-nous d’un bref détour par cette source iconographique qui est digne, autant que les autres, de retenir l’attention du chercheur. Mais avant d’aller en Asie Mineure, restons encore un petit instant en Grèce propre, pour évoquer un relief votif fort éloquent (fig. 6), découvert récemment à Achinos (ancien Echinos), près du Golfe maliaque, entre Malis et Phthiotide (c. 300 av. n.è., Éphorie archéologique de Lamia)53. On y voit trois figures féminines qui avancent vers l’autel et la divinité honorée, Artémis: la première femme tend vers la déesse un petit enfant qu’elle tient dans les bras, dans un geste de “présentation”; la deuxième porte sur la tête un plateau plein de fruits et de gâteaux et tient un petit vase (askos), qui servira sans doute à la libation; quant à la troisième, couverte entièrement de son himation, elle tient un objet qui ressemble à une puxis. Entre la déesse et les adorantes, le sculpteur a figuré un petit homme qui amène à l’autel un bovidé, qu’il saisit, de la main gauche, par une des cornes, tandis qu’il tient, dans la droite et de façon parfaitement visible, une machaira, avec sa lame effilée, pointée vers le haut. Ce “porte-couteau” n’est pas nécessairement un “garçon” à cause de sa petite taille, comme le disent les deux éditrices pensant à un pais. En fait, sur ce relief, comme sur d’autres stèles votives analogues, on remarque que la victime et la personne qui la conduit ou l’abat54 sont représentées plus petites par rapport non seulement à la figure divine qui reçoit le sacrifice, mais aussi aux fidèles qui lui rendent cet hommage. Comme si artistes et clients voulaient mettre surtout en évidence la stature et les gestes des adorants, leur façon de manifester leur dévotion devant l’image de la divinité qui les accueille, les dominant par sa haute taille et sa magnificence. S’il en est ainsi, on pourra penser que les dimensions modestes du couple conducteur-sacrificateur/ victime seraient sans doute jugées suffisantes pour indiquer le type d’offrande qu’on a choisi, pour marquer l’acte sacrificiel destiné à la puissance divine. Pour en revenir à la machaira du relief de Lamia, il me semble qu’on ne saurait mettre en doute sa présence pendant la marche vers la divinité, sous prétexte que l’instrument de la mort, “quel qu’il soit” doit rester caché. On n’est pas obligé non plus d’inventer une imbrication de scènes, en considérant que le couteau, “dissimulé” sous les fruits et les gâteaux tout au long du cheminement vers l’autel, ne ferait son apparition qu’au moment même de la mise à mort. Ce qu’on a, semble-t-il, voulu fixer sur la pierre, c’est l’offrande faite en l’honneur d’Artémis, sous son aspect sans doute de “Nourricière d’enfants”55, une offrande sacrificielle présentée par des membres féminins d’une famille, à l’occasion peut-être d’un événement relatif au petit enfant. Un acte pieux donc, accompli par des particuliers dans un espace cultuel public56, un acte qui, par le geste éloquent du sacrificateur, ne veut laisser aucun doute sur la nature san52 F. van Straten (1995: 101-102, 108-109) attire aussi l’attention sur ces reliefs, bien qu’ils dépassent le cadre chronologique de son ouvrage. 53 Voir l’editio princeps: Dakoronia & Gounaropoulou 1992; cf. van Straten 1995: 82-84, fig. 88. 54 Ce type de personnages, en contact direct avec les victimes sacrificielles, mériterait un examen plus attentif; car il n’est pas sûr qu’il s’agisse toujours de “servants”, comme on le dit couramment. 55 Cf. Artémis Paidotrophos (Pausanias, IV, 34, 6), ou Kourotrophos (Diodore, V, 73, 5). 56 Sur la relation entre “public” et “privé” dans le contexte sacrificiel, cf. Georgoudi 1998.

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L’«occultation de la violence» dans le sacrifice grec glante de cette offrande. Mais, en même temps, tout en donnant à ce geste une visibilité évidente, en le situant de surcroît presque au milieu de l’image, l’artiste semble vouloir accorder une importance particulière aux personnes qui honorent la déesse. Par cette formulation claire d’une mise à mort imminente, le relief de Lamia se rapproche davantage des stèles votives de l’Asie Mineure citées plus haut57, que de certains reliefs (surtout attiques), où l’animal est conduit vers l’autel sans que le sort qu’on lui réserve soit indiqué de façon si manifeste. En fait, ces stèles vont encore plus loin que le relief de Lamia. Elles donnent à voir, de façon crue, parfois même brutale, la mise à mort de la victime, où encore le moment qui précède son immolation. Un bref survol de ces scènes donne l’impression qu’elles jouent diverses variations sur le même thème: tiré par la “corde du sacrifice”58 fixée à ses cornes, l’animal – en l’occurrence un bovidé reconnu souvent comme un taureau – est présenté fermement attaché à un anneau encastré dans le sol ou dans un bloc de pierre. Divers reliefs votifs nous montrent le “mode d’emploi” de ce type d’attaches59. Mais ce sont surtout les fouilles archéologiques qui, ces dernières années, nous ont révélé plusieurs de ces “blocs à anneau”, aménagés autour des autels pour tenir, solidement “liées”, les bêtes vouées au couteau sacrificateur. Il suffit de regarder le plan du sanctuaire de Claros, avec ses quatre rangées de “blocs à anneau”, disposées entre l’autel d’Apollon et celui d’Artémis, pour se représenter, autant que faire se peut, ces dizaines de victimes attachées, qui attendaient la mort, en remplissant de leurs mugissements la scène sacrificielle. Car, selon les fouilleurs de Claros, le nombre originel de ces blocs «devait avoisiner ou atteindre la centaine», justifiant ainsi pleinement l’épithète Hekatombaios, que porte Apollon ailleurs, en tant que dieu qu’on honore grandement en lui offrant des “hécatombes”60. Ainsi immobilisée, la victime est souvent montrée dans une position, dirait-on, de soumission complète: arc-boutée, fléchie, ou tombée carrément sur ses pattes antérieures, avec la tête parfois courbée à même la terre61, elle attend le coup de la hache, cet instrument redoutable que le sacrificateur brandit, des deux mains, au-dessus de la tête de l’animal62. Sur une autre dédicace à Zeus Olbios, celui qui avait sans doute la charge de boutupos suit le taureau, en portant une double hache sur l’épaule et en tenant, semble-t-il, l’animal par une corde fixée à une des pattes postérieures, tandis qu’un autre personnage, placé devant la victime, tire sur une autre corde passée dans un

57 F. van Straten (1995: 84) remarque avec raison que ce relief constitue, d’une certaine façon, le chaînon manquant entre les reliefs votifs de l’époque classique et ceux des périodes postérieures. 58 L’expression est de L. Robert (1983: 546). 59 Cf. G. Mendel, Catalogue, II, n° 547; III, n° 836, 1382 etc. 60 Voir J. de La Genière 1998: 247 sq.; eadem 2001. Des dispositifs semblables ont été mis au jour également à Amphipolis, à Thasos, à Dion etc. (ibid.). 61 Cf. le relief dédié à Zeus Aithrios par un certain Artémidoros (territoire de Cyzique, IIe s. av. n.è.): Robert 1983, 547, fig. 1. Sur le culte de ce dieu, voir Robert 1955: 17-24. 62 Comme on le voit clairement sur une stèle dédiée à Zeus Olbios par son prêtre Euodiôn (trouvée en Mysie, Ier s. av. n.è. ?): cf. Édhem bey 1908; Mendel, Catalogue, III, n° 836, p. 3941 (voir ici fig. 7). C’est, sans doute, cette action d’abattre l’animal, en le terrassant par un coup violent, qu’illustre parfois le verbe kataballô: cf. Euripide, Bacchantes, 1246; Oreste, 1603; Isocrate, À Nicoclès (II), 20, etc.

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Stella Georgoudi anneau63. Toutes proportions gardées, ce “porte-hache” fait penser à ces hommes décrits par Héliodore, qui, en tête d’une «procession fameuse» (pomph;n ojnomasthvn), emmenaient une hécatombe de bœufs, en brandissant dans leur main droite «une hache à double tranchant»64. On pourrait, certes, taxer cet auteur d’une imagination débordante, d’un goût particulier pour les scènes à grand spectacle. Mais comme on l’a fait justement remarquer, Héliodore «excelle à brosser des tableaux, dont l’ampleur n’exclut pas l’exactitude et la vérité, ainsi que l’on a pu l’apprécier et le démontrer, notamment à propos des fêtes delphiques»65. Cela dit, c’est le couteau qui est, le plus souvent, montré sur ces reliefs. Ainsi, on y voit parfois la machaira qui s’enfonce dans les chairs de la victime placée devant l’autel, entre la puissance divine et les fidèles qui lui rendent cet hommage sacrificiel (cf. fig. 8)66. Sur d’autres stèles, le sacrificateur s’apprête à frapper la bête qui se raidit, ou tombe déjà sur les pattes antérieures67. Ailleurs, le couteau fait défaut, mais la position de la victime, qui s’affale presque sur le sol, en dit long sur la fin tout proche qu’on lui réserve68. Ajoutons encore deux exemples qui ont la particularité de représenter, sur la paroi même d’un autel, la mise à mort imminente. Il s’agit, tout d’abord, d’un petit bômos de Cyzique, où l’on a figuré un sacrificateur imberbe qui, de la main droite, brandit un large couteau vers une victime qu’il tient solidement par une longe, un bovidé déjà tombé sur ses pattes de devant (fig. 9). Le deuxième exemple présente un intérêt particulier. Il s’agit d’une stèle dédiée à Zeus Chalazios Sôzôn, par les paysans d’un village de la plaine de Cyzique: sur la face visible de l’autel, placé entre l’adorant et le Dieu, on a sculpté une autre scène représentant la victime bovine, à moitié courbée vers le sol, immobilisée ainsi par celui qui la maintient fermement par les cornes et qui va sans doute lui donner la mort. On aurait donc une image saisie “dans l’image”, une scène fixée pour toujours sur l’autel du dieu, et qui renvoie peut-être non pas à un sacrifice ponctuel, mais à une offrande sacrificielle récurrente, destinée par les fidèles à ce Zeus “Sauveur”, seul capable de protéger leurs champs contre la grêle (chalaza) ou tout autre danger, en assurant ainsi l’abondance des fruits (eukarpia)69. Ces quelques exemples, choisis parmi d’autres comparables, montrent bien que plusieurs stèles votives n’hésitent pas à proclamer haut et fort que la victime animale, traitée parfois sans ménagement, est vouée à la hache et au couteau du sacrificateur,

63 Cf. Robert 1969: 1343-1344, pl. XXVIII (à droite; IIe ou IIIe siècle de n.è.); voir aussi infra, n. 76. 64 Éthiopiques, III, 3 sq.: cei;r de; hJ dexia; ... pevlekun divstomon ejpekravdainen. 65 Voir Sirinelli 1993: 386-390 (la citation est à la p. 388). J’hésiterais donc à suivre ceux qui pensent que la hache n’est “jamais” nommée ou montrée en relation avec des cortèges sacrificiels (cf. Bremmer 1996: 259). 66 Cf. trois stèles représentant des sacrifices à Zeus, et comportant des épigrammes honorifiques, Schwertheim 1983: n° 3, fig. 6 (IIe - Ier s. av. n.è.), n° 20, fig. 19 (même période), n° 23, fig. 21 (époque hellénistique). 67 Cf., entre autres, la stèle votive à Zeus Megistos, Apollon Bathulimeneitês et Artémis: L. Robert 1955: 125-131, pl. XIX, 3 (Ier s. av. n.è.); la stèle votive à Apollon Prokentês et Artémis: Mendel, Catalogue, III, n° 854, p. 65-66 (même époque). 68 Cf. la stèle dédiée à Apollon par une association cultuelle: Schwertheim 1983: n° 7, fig. 8 (IIIe s. av. n.è.); ou la stèle votive à Cybèle et Hermès: ibid., n° 16, fig. 18. 69 L’autel de Cyzique: Mendel, Catalogue, III, n° 1144, p. 378-379 (IIe ou IIIe s. de n.è.). La stèle de Zeus: ibid., n° 837, p. 41-42; cf. aussi Robert 1950: 63, pl. II.

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L’«occultation de la violence» dans le sacrifice grec et que son immolation, aussi “violente” qu’elle puisse paraître, fait partie intégrante de ces “actions de grâces”70, qu’on rend aux dieux en les remerciant de leur bienfaisance.

La victime maîtrisée Certes, tous les reliefs votifs de l’Asie Mineure ne font pas le même choix thématique. Il en existe même certains qui montrent une scène sacrificielle présumée “calme” et “sereine”, plus proche de celles qui ont nourri la spéculation sur l’aspect “non violent” du sacrifice grec. On y voit, par exemple, l’animal (habituellement une chèvre ou un mouton) conduit vers l’autel sans contrainte apparente, sans la présence des instruments de la mort71. Or, c’est justement ce type de scènes qui a donné naissance à cette première idée, que nous avons signalée au début de cet article (supra, p. 118), une idée qu’on trouve souvent formulée de diverses façons: à savoir, que la victime s’avance d’un “pas paisible”, à côté des hommes, tout au long de la procession “tranquille”; que la “douceur” régit les rapports des sacrifiants et des bêtes vouées à la mort; que l’animal est «d’un bout à l’autre, conduit sans violence, sans lien, sans coercition, de plein gré» vers l’autel72. Certes, cette idée n’est pas fausse. Les spécialistes des images peuvent facilement la confirmer, en apportant comme preuves des scènes sacrificielles marquées de ce caractère “pacifique”, de cette “bonne entente” entre l’homme et l’animal. Cependant, il faut, encore une fois, relativiser ces propos. Tout d’abord, certaines de ces mêmes scènes qualifiées de “paisibles”, qui semblent baignées dans une sorte de quiétude consensuelle, montrent que l’image de la victime “sans lien”, “sans attaches”, est plutôt un mirage. Il suffit de prendre, comme exemple, deux célèbres processions, où tout se déroule dans un calme évident, mais où les victimes, en l’occurrence des victimes bovines, sont conduites au sacrifice tenues par une corde fixée aux cornes73. D’autres défilés, tout aussi “paisibles”, ne manquent pas de montrer ces “liens” (desmoi)74, par lesquels on tient fermement les bêtes qu’on amène vers leur mort, ces cordes qu’on voit attachées au cou, aux cornes, ou aux pattes. Pour qu’on se rende

70 Qu’on signifie en grec par des termes comme eujcaristhvrion, eujchv, caristhvrion, qui figurent parfois à la fin de certaines dédicaces: cf. les stèles (citées ci-dessus, avec références) à Zeus Olbios, à Apollon Prokentês et Artémis, à Hermès Melêtênos, ou à Cybèle etc. 71 Cf. les stèles votives à Hermès Melêtênos, à Dionysos ou à Cybèle: voir, dans l’ordre, Schwertheim 1983: n° 8, fig. 9 (IIe - Ier s. av. n.è.), n° 10, fig. 11 (IIe s. av. n.è.), n° 11, fig. 12ab (IIe s. de n.è.). 72 Cf. Cuisine: 176-177; Durand 1986: 91; Idem 1987: 227; Vernant 1981: 7 (c’est moi qui souligne). 73 Il s’agit des processions en l’honneur d’Athéna (coupe attique à figures noires, 560-550 av. n.è.) et d’Apollon (cratère de Ferrare, à figures rouges, du peintre Kléophon, 440-420 av. n.è.): cf. van Straten 1995: fig. 2 et 13. 74 Pour les cérémonies qu’accomplissent les Molpes de Milet en l’honneur d’Apollon (mais aussi d’autres puissances divines ou héroïques), on prescrit, parmi d’autres fournitures, « des liens pour les victimes » (pavrexi"...⁄ desmw`n toi`" iJerhivoisin): Sokolowski, LSAM, 50, l. 3233 (sur l’activité cultuelle de cette confrérie, cf. Georgoudi 2001). Dans une étude concluante, J. Scheid (1995) a montré que le terme desmos peut, à l’occasion, désigner «le point de fixation», cet «anneau» dans lequel on fait passer la corde pour immobiliser la victime.

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Stella Georgoudi compte de la présence répétitive de ces liens contraignants sur plusieurs scènes sacrificielles, qu’il s’agisse de vases ou de reliefs, il aurait fallu, en effet, qu’on s’intéresse à la question des attaches, qu’on lui accorde une attention appropriée75. Ainsi, même si certaines images nous donnent l’impression que, pendant la procession, la victime avance “de son plein gré”, je doute fort qu’elle soit “affranchie de tout lien”, qu’elle soit véritablement “laissée libre” (aphetos) de s’acheminer vers l’autel “sans coercition”, sans la moindre contrainte76. Cette impression ne semble d’ailleurs pas confirmée par les textes. En effet, sous réserve d’une enquête plus poussée, on n’y trouve pas, semble-t-il, de références à une absence de liens chez les bêtes qu’on conduit au sacrifice. Et il apparaît que les textes grecs restent également muets sur ces rapports amicaux entre l’homme et la victime, sur ces gestes pleins de “douceur”, qu’on croit pouvoir identifier sur des documents iconographiques77. D’autre part, la tendance à mettre trop l’accent sur la “victime consentante” nous fait, d’une certaine façon, négliger l’image de l’animal récalcitrant, rebelle, qui refuse sa mise à mort, une image que nous renvoient aussi bien certains textes, que certaines représentations figurées. Abstraction faite de l’exagération comique, une telle victime rétive pourrait présenter quelques ressemblances avec ce mouton que Sicon – le «cuisinier-sacrificateur» (mageiros), dans Le Dyscolos de Ménandre (v. 393 sq.) – essaie de «remorquer au long du chemin», jusqu’au lieu du sacrifice: «Si je l’enlève en l’air pour le porter, il s’accroche des dents à une branche de figuier, il dévore les feuilles et tire violemment; mais qu’on le laisse aller à terre et il n’avance pas»78. Certes, ce probaton -là n’est pas un animal “ordinaire” (ou tuchon). Mais d’autres indices montrent aussi que la victime sacrificielle (hiereion) doit être, par exemple, «maîtrisée», «dominée» (kratoumenon), et qu’elle peut avoir peur du sort qui l’attend, être «épouvantée», «effrayée» (dedittomenon)79. Sans doute pour mieux le contrôler, on peut amener l’animal directement «par les cornes»80, en les saisissant des deux mains ou parfois au moyen de cordes pour dompter plus facilement sa résistance81; il arrive même qu’on le «traîne» carrément près de l’autel82. 75 Cf. van Straten 1995: 100-102, et figs 2, 4, 10, 12-14, 17-19, 54, 115 etc., ainsi que son catalogue des vases: V39, V41, V43, V61, V68, V72, V73, V76 etc. Voir aussi les très nombreux exemples iconographiques (vases et reliefs) rassemblés par Véronique Mehl (2000) – je remercie vivement l’auteur de m’avoir permis de consulter cette thèse. 76 On ne saurait confondre – comme il arrive parfois – le statut des victimes sacrificielles avec celui des animaux qualifiés d’apheta (voir infra). D’autre part, on remarque parfois la présence de deux personnes encadrant la victime, comme si l’on se tenait prêt à brider toute réaction intempestive de la bête: cf. le relief de Zeus Olbios (supra, p. 129-130 et n. 63). 77 À ma connaissance, les sacrifiants, en Grèce ancienne, ne se comportaient pas comme certains paysans néo-grecs qui, pendant les kourbania – ces mises à mort “sanctifiées” d’une bête, dans le cadre de la religion orthodoxe – appellent les animaux voués au couteau «mes fils», «mes garçons», «mes braves» (cf. Cuisine: 298-299). 78 Cf., sur un relief attique du IVe s. av. n.è., l’attitude d’un mouton, offert à Zeus, qui semble avancer à son corps défendant (van Straten 1995: 75, fig. 76). 79 Cf. Plutarque, Dion, 57, 4. 80 Cf. Odyssée, III, 439: bou`n d∆ ajgevthn keravwn. 81 Cf. van Straten 1995: fig. 21, 39. Sur le thème de l’«unhappy and unwilling victim», thème qui prend parfois un aspect comique, cf. S. Peirce, 1993: 255-256. 82 Cf. Apollonios de Rhodes, Argonautiques, I, 407-408: tou;" (sc. bou`") ejruvsanto kourovteroi eJtavrwn bwmou` scedovn (eruô = «tirer», «entraîner»)

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L’«occultation de la violence» dans le sacrifice grec Sous la contrainte, la victime, surtout la victime bovine, résiste en se débattant, comme le montre superbement cette coupe attique de Florence, où cinq éphèbes essaient de dominer et de maitriser un bovin en tirant, entre autres, sur la queue et sur les cornes, tandis qu’à gauche, un autre jeune «aiguise l’une contre l’autre... deux immenses machairai» (fig. 10)83. Leur intention est, en l’occurrence, de “soulever” la bête, pour la porter sur leurs épaules et l’amener à l’autel, selon une pratique sacrificielle bien connue, celle qu’exprime la phrase hairesthai tous bous, «soulever les bœufs», et que nous font connaître divers textes littéraires et épigraphiques84. Au-delà de l’aspect agonistique qu’on pourrait reconnaître dans cette pratique, cette façon d’agir semble avoir un avantage non négligeable: empêcher la victime de faire marche arrière, ou de refuser obstinément d’avancer à l’approche de l’autel85. Maîtrisé, “entraîné”, “tiré” ainsi par les hommes, l’animal sacrificiel, arrivé devant l’autel, n’a que sa voix pour protester, à l’instar de ce taureau qui, «traîné» (helkomenos) par les jeunes gens pour être immolé en l’honneur de Poséidon, criait fortement, «mugissait» (êrugen), à la grande joie de «l’Ébranleur du sol» (ganutai... Enosichtôn)86. Aurait-on donc affaire, en l’occurrence, à une victime qui se révolte, qui ne veut pas être sacrifiée au dieu ? Nullement, semble répondre une certaine tradition ionienne, qui essaie de contourner cette question en interprétant la résistance de l’animal de façon positive (selon Strabon, VIII, 7, 2, 384): «les Ioniens estiment en effet que le sacrifice se présente sous des auspices favorables (kallierein) quand, au moment où on l’immole, le taureau se met à mugir (ho tauros mukêsêtai)». Certains vont même plus loin dans ce type d’explication. D’après Pausanias (IV, 32, 3), pour honorer le brave Aristomène, les gens de Messène lui sacrifient un taureau, qu’on attache à une colonne sur la tombe du héros. Or, si l’animal, «inaccoutumé aux liens» (aêthês desmôn), fait bouger la colonne, en se démenant et en bondissant, alors il s’agit d’un bon présage (aision) pour les Messéniens; mais si la colonne ne bouge pas, c’est un signe qui annonce des mésaventures (asumphora). Il semblerait que la résistance de la victime se trouve, en l’occurrence, revalorisée, transformée en signe positif, un signe que la puissance (divine ou héroïque) envoie aux hommes, pour leur faire comprendre qu’elle accepte cette offrande sacrificielle. À tout cela on pourrait objecter une série de cas, montrant un animal qui vient s’offrir de lui-même à la divinité, qui avance de son plein gré et sans intervention humaine vers l’autel, pour y être immolé. De tels cas sont souvent évoqués par certains modernes comme autant de preuves du “consentement” de la victime sacrificielle. Cependant, à regarder de près, on s’aperçoit qu’il ne s’agit pas de victimes “ordinaires”. On a plutôt affaire à des bêtes appartenant aux «troupeaux sacrés» (hierai agelai) d’une divinité, à des animaux déjà “consacrés”, qui errent en liberté (aphetoi)87, mar-

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Durand 1987: 237-238, fig. 18; van Straten 1995: 111, fig. 116. Cf. van Straten 1995: 109-113 (avec références). 85 Comme l’avait déjà suggéré L. Ziehen (1939: col. 611). 86 Iliade, XX, 403-405. 87 Il faudrait reprendre le dossier des zôia apheta, car sous le qualificatif aphetos, on mélange quelquefois des cas différents. Par ailleurs, on peut très bien exercer une violence certaine contre des animaux “lâchés” dans un enclos sacré, comme il arrive, par exemple, avec ces taureaux aphetoi, laissés libres dans le sanctuaire de Poséidon sur l’île Atlantide; car on va les chasser «avec des épieux et de lassos», afin de «capturer» celui des taureaux qui servira comme la «victime agréable» au dieu (Platon, Critias, 119 d-e). 84

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Stella Georgoudi qués de l’emblème de leur propriétaire divin. Or, il arrive qu’une de ces bêtes vienne, parfois, «volontairement» (aph’ heautês), «de son propre mouvement» (automaton), à l’autel, pour offrir son cou au couteau sacrificateur. Cette offre “spontanée” est d’habitude suscitée par la divinité elle-même, pour répondre à une situation de crise (absence, par exemple, de victimes “profanes”), ou pour envoyer aux hommes un signe divin88. Cependant, dans certains cas, la victime “volontaire” et “consentante” n’appartient pas aux hiera zôia, aux “animaux sacrés”. Mais c’est encore la divinité qui prend l’initiative, c’est elle qui, la première, conduit les bêtes à l’autel89, à l’image de cette «génisse poussée par les dieux» (theêlatos bous), à laquelle est comparée Cassandre dans l’Agamemnon d’Eschyle (v. 1296-1298). Remarquons enfin que les animaux qui viennent d’eux-mêmes s’offrir aux dieux, sans être conduits par personne, sans liens et sans attaches (oudeni desmôi), relèvent plutôt des «choses merveilleuses», de ce qui constitue, pour les humains, des thaumasia, des thaumata90. Et l’on peut considérer comme tout aussi «merveilleux» (thaumaston), le fait qu’une victime “ordinaire” (en l’occurrence une chèvre), qu’on amène «attachée avec une corde» (dedemenê schoiniôi), puisse avancer pendant la procession sans être nullement troublée, et sans s’écarter de la route91.

Porphyre et la question de la culpabilité Il est temps cependant de mettre un point final, certes provisoire, à ces réflexions, quitte à les reprendre ailleurs. Mais, en guise d’épilogue, accordons-nous quelques instants encore pour revenir brièvement au traité de Porphyre et à l’histoire des Bouphonia, dont il a été question au début. Car c’est surtout dans ce rituel qu’on cherche la “preuve majeure” de l’existence du sentiment de “culpabilité” auquel j’ai fait souvent allusion. Un rituel singulier, voire unique, dans la tradition grecque, qui met en scène, à Athènes, la première «mise à mort du bœuf» (bouphonia)92 et, partant, la fondation d’un tel sacrifice pendant la fête athénienne des Dipolieia, en l’honneur de Zeus Polieus, le Zeus «de la Cité». Dans les limites de cet article, je n’ai pas la prétention de procéder à un réexamen du dossier des Bouphonies, dossier compliqué et controversé s’il en fut93. Je me contente seulement de m’interroger sur certains points qui continuent, me semble-t-il, à poser problème, et qui touchent, en particulier, aux questions qui nous intéressent ici. Car, bien que les interprètes modernes de cet ensemble divergent de façon plus ou moins manifeste sur plusieurs points, ils s’accordent souvent pour y 88 Cf. Plutarque, Lucullus, 10, 1; 24, 4-5; Porphyre, De l’abstinence, I, 25, 8-9; Appien, Histoire romaine, XII (H. de Mithridate), 75. 89 Cf. Élien, De la nature des animaux, X, 50: a[gei de; a[ra aujta; prwvth me;n hJ qeov". 90 Cf. Apollonios, Histoires merveilleuses, 13 (dans l’édition d’Otto Keller, Rerum Naturalium Scriptores Graeci Minores, I, Lipsiae, 1877); Philostrate, Héroïcos, 8 (où il est question même de «bêtes sauvages», thêria). 91 Aristote, Mirabilia, 137, 844 b 1 sq. Mais tous ces récits relatifs aux victimes animales volontaires exigent une analyse ultérieure, car ils n’appartiennent pas exactement au même registre. 92 Bien que les Bouphonia soient qualifiés parfois de «fête», eJorthv (cf. Souda, s. v. Boufovnia), il semble bien que ce mot désigne surtout l’acte le plus significatif des Dipolieia, à savoir l’abattage du bœuf; sur ce point, cf. Deubner 1932: 158 sq., où sont données aussi toutes les sources. 93 Parmi plusieurs analyses de ce rituel, cf. l’étude stimulante de J.-L. Durand (1986).

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L’«occultation de la violence» dans le sacrifice grec reconnaître un “sentiment de culpabilité” devant ce qu’ils appellent couramment le “Meurtre du bœuf”94. Les acteurs de ce rituel auraient ressenti et rejeté la “culpabilité” de ce “meurtre”, les uns contre les autres, et à tour de rôle, jusqu’à incriminer à la fin les instruments mêmes employés pour immoler l’animal, à savoir la hache et le couteau: ce dernier sera ainsi jeté à la mer, selon Porphyre (De l’abstinence [DA], II, 30, 5), tandis que la hache sera traduite en justice, d’après la version de Pausanias (I, 24, 4 et 28, 10). En premier lieu, en traduisant, comme on le fait d’habitude, le mot bouphonia (sc. hiera) par «meurtre (phonos) du bœuf», on se place d’emblée dans un contexte de “faute”, susceptible de créer un sentiment d’“anxiété”, d’“inquiétude”, d’“angoisse” devant la mort de la bête95. Cependant, si le mot phonos peut, dans le cadre juridique, désigner le “meurtre”, ce mot d’action dérive du verbe theinô qui signifie, en fait, «frapper» (cf. Chantraine, DELG, s. v. qeivnw). On pourrait dire ainsi que le bouphonos, «un des prêtres» – selon la formule de Pausanias (I, 24, 4) – qui tue le bœuf sur l’autel du Zeus Polieus, est, plus simplement, celui qui “frappe”, qui “abat” l’animal et, dans ce sens, il peut être appelé aussi boutupos (de bous = «bœuf» + tuptô = «frapper»). En effet, ce prêtre-bouphonos de Zeus de la Cité est qualifié ailleurs de boutupos 96. C’est d’ailleurs dans ce sens que semble aller le récit même de Porphyre. Car, à bien regarder ce texte, on s’aperçoit que, tout en parlant de phonos du bœuf, Porphyre n’emploie ni le mot bouphonia, ni le terme bouphonos. En revanche, pour désigner l’acte de la mise à mort de l’animal, le verbe qu’il utilise le plus souvent dans ces passages du DA (II, 29-30), est patassô = «frapper». Qui plus est, tous les descendants de l’homme qui a frappé le bœuf, et qui continuent, «depuis ce temps-là jusqu’à nos jours», d’accomplir ces rites pendant la fête des Diipolies, s’appellent boutupoi, dit Porphyre (et non pas bouphonoi). En deuxième lieu, comme on l’a fait justement remarquer, nous manquons d’indices ou de témoignages sur d’éventuels sentiments de “culpabilité”, d’angoisse ou de peur, que les Grecs auraient éprouvés, en général, pendant la mise à mort d’une victime sacrificielle97. Or, comme il a déjà été souligné plus haut, en l’absence de telles preuves, on a souvent tendance à donner au récit et au rituel des Bouphonies athéniens une ampleur générale, une dimension, on dirait, “panhellénique”, comme si l’on avait affaire à l’acte crucial et fondateur d’une pratique mise en scène par les Grecs, et à travers laquelle on pourrait appréhender le sacrifice grec, accompli au sein de la cité grecque. Certes, on prend soin de signaler que le long exposé de Porphyre, notre source majeure sur les Bouphonies, traduit une pensée qui s’apparente à celle des sectes pythagoriciennes, donc à une pensée à part, opposée en principe au sacrifice sanglant, qu’elle assimile au meurtre (phonos). Mais, une fois énoncé le caractère marginal de ce rituel 94 Cf., à titre d’exemple, W. Burkert (1983: 137) qui qualifie la mise à mort du bœuf de «guiltladen crime»; cf. aussi sur les «feelings» et les «gestures of guilt» (ibid.: 16, 34, 38, 67, 200); voir aussi sur la “culpabilité” et “le sang qui coule”, Cuisine: 22; Durand 1986: 60, 80. 95 Cf. Burkert 1983: 16, 25 (sur l’anxiety qui sous-tend, selon ce savant, toute action sacrificielle); Durand 1986: 17, 63 (sur “l’angoisse primordiale” par rapport aux Bouphonies). 96 Sur la possible identification entre boufovno" et boutuvpo" dans le cadre des Dipolieia, cf. Mommsen 1898: 521; Deubner 1932: 161 sq., et Cook 1940: 586. 97 Cf. Bremmer 1996: 276 sq. Cependant J. Bremmer accepte l’existence d’une «certaine gêne”», dans de nombreuses cultures, devant la mort sacrificielle (p. 279; cf. idem 1994: 4243), une conviction partagée aussi par C. Grottanelli (1988: 20; idem 1999: 33). Mais cela reste à prouver dans le cadre de chacune d’elles.

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Stella Georgoudi athénien, on ne pense pas moins qu’il puisse servir, de façon exemplaire, à la compréhension, à “l’intelligence” de la thusia grecque ou, plus particulièrement, qu’il puisse nous fournir le modèle explicatif du “sacrifice alimentaire”98. Laissons de côté le fait que le sacrifice grec reste irréductible à des modèles. Car, comme on en convient de plus en plus, on n’a pas affaire à une pratique sacrificielle, mais à une pluralité de modalités sacrificielles, parfois fort différentes les unes des autres, à une variété donc de procédés, dont le centre de gravité se déplace selon les circonstances, les lieux ou les buts recherchés par les particuliers et les cités grecques. Posons plutôt une question qui n’est pas dénuée d’intérêt: à qui s’adresse Porphyre, lorsqu’il s’appuie, entre autres, sur le récit de Théophraste – relatif à la fondation des Bouphonia – pour se dresser contre le sacrifice sanglant, le flux du sang animal et l’alimentation carnée? En d’autres termes et de façon plus générale, quel auditoire viset-il en écrivant son traité De l’abstinence, «un ouvrage d’exhortation, de direction de conscience»99? Or, en rapportant la fondation, à Athènes, de la “mise à mort” du bœuf, voire du bœuf laboureur, en décrivant par la bouche de Théophraste toutes les séquences étranges de ce rite, Porphyre ne semble pas s’intéresser à la cité et à ses citoyens, fût-elle la cité d’Athènes. Il ne semble pas non plus avoir souci de présenter un “cas privilégié”, une sorte de “condensé”, pour que les commentateurs postérieurs puissent y déceler les traits fondamentaux de l’institution sacrificielle grecque. S’il examine «à fond la question des sacrifices, en exposant quelles sont leurs origines, quels furent la nature et le caractère des premiers d’entre eux, comment ils se sont transformés et à quelle date»100, c’est pour réfuter les arguments de ses adversaires (tw`n ajntilegomevnwn), partisans des sacrifices sanglants et de la manducation de la viande, c’est surtout pour prôner l’«abstinence des êtres animés». Mais cette ajpoch; tw`n ejmyuvcwn n’est pas «un précepte absolu valable pour tous les hommes (pa`sin ajnqrwvpoiß); elle ne concerne que les philosophes, et parmi les philosophes ceux-là surtout qui font dépendre leur bonheur de Dieu et de son imitation»101. Ce n’est donc pas la foule (oiJ polloiv), ce ne sont pas la cité et ses lois qui se trouvent au centre de ses préoccupations. Ce qui l’intéresse avant tout, c’est le comportement individuel de certains philosophes – même pas de tous! – auxquels il propose un modèle de piété, en les exhortant «à se détourner des pratiques religieuses ordinaires»102. Il faudrait sans doute prendre mieux en compte ces intentions affichées de Porphyre, lorsqu’on essaie de “décortiquer” son long passage sur les Bouphonies, emprunté à Théophraste (DA, II, 29-30). Car ce texte, plein d’embûches, peut se prêter à diverses approches et interprétations103. Mais il n’est pas dans mon propos de présenter ici une 98

Dans cette optique, voir l’argumentation de J.-P. Vernant (1981: surtout p. 14 sq.), avec les objections de M. Kirk (ibid.: 31). Contre la tendance à généraliser à partir de ce rite particulier, cf. les remarques d’A. Henrichs (1992: 156-160), suivi par J.N. Bremmer (1994: 42, et 1996: 277). 99 Selon la juste formulation de J. Bouffartigue et M. Patillon (1977: LIV). 100 Porphyre, DA, II, 4, 4 (trad. J. Bouffartigue). 101 Ibid., II, 3, 1 (trad. J. Bouffartigue). Sur Porphyre et sa pensée, voir, entre autres, l’«Introduction» instructive de J. Bouffartigue et M. Patillon (1977), ainsi que le bel exposé de Louise Bruit (2001: 201 sq.). 102 Cf. Bouffartigue & Patillon 1977: XXXIV. 103 Cf. M.A Katz (1993: surtout p. 172 sq.), qui met en question les différentes interprétations unilatérales, voire exclusives – et forcément partielles – des Bouphonies/Diipolies.

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L’«occultation de la violence» dans le sacrifice grec nouvelle “explication de texte”, ce qui pourrait nous jeter dans une errance trop longue. Je me permets seulement de revenir, rapidement, à l’idée de “culpabilité”, pour remarquer que, souvent, entraîné par cette idée, on surcharge la traduction du récit de Porphyre, en ajoutant le mot “coupable”, même là où le texte grec ne l’exige pas forcément. Deux exemples: en DA, II, 29, 1-2, il est dit que celui104 qui, le premier, «frappa» (patavxai: cf. supra) un bœuf laboureur à Athènes, s’enfuit de lui même en Crète wJ" hjsebhkwv". Or, cette phrase, avec le participe passé du verbe ajsebw`, signifie littéralement «comme quelqu’un ayant commis une impiété»; il n’est pas besoin de traduire “comme un homme coupable d’impiété”105. De même, en DA, II, 30, 3, lorsque les participants à la mise à mort du bœuf s’accusent mutuellement de cet acte, la phrase: aiJ me;n uJdrofovroi tou;" ajkonhvsanta" auJtw`n hjt / iw`nto ma`llon, est traduite ainsi: «les porteuses d’eau désignèrent comme plus coupables qu’elles ceux qui avaient aiguisé les instruments»106. Cependant, le verbe aijtiw`mai n’implique pas obligatoirement la notion de “culpabilité”, mais le fait de “mettre en cause” quelqu’un, de le désigner comme “auteur” d’un acte, de lui attribuer la “responsabilité” de cet acte – ce qui n’est pas la même chose107. De ce point de vue, il est significatif que le fugitif volontaire soit qualifié, dans le texte, de metaivtio" th`" pravxew" (pas simplement ai[tio"), à savoir «co-responsable de l’acte». En effet, ce qui ressort de cette affaire, ce n’est pas tant la notion de “culpabilité”, mais plutôt l’idée de la “responsabilité” collective, de la “participation” à une action impliquant, en fin de compte, tout le monde108. Cette idée est renforcée, entre autres, par un autre passage du DA (II, 10, 2), qui doit être considéré en liaison avec II, 29-30, puisqu’il se réfère, bien que de façon beaucoup plus lapidaire, au même épisode. Or, selon ce passage, dont la source utilisée par Porphyre n’est pas Théophraste109, c’était Diomos, un prêtre de Zeus Polieus, qui, le premier, égorgea (esphaxe) le bœuf; mais, en fait, il tua (apekteine) l’animal «en prenant tous ceux qui étaient présents comme sunergous», comme des personnes qui ont travaillé avec lui, qui lui ont prêté leur aide. Mais arrêtons-nous là. Ces réflexions, qu’on pourrait attribuer à un esprit trop vétilleux, n’ont pas – je le répète – l’intention de “refaire” l’histoire des Bouphonies, mais de s’interroger sur cette notion de “culpabilité”, qui revient souvent dans les écrits des modernes. Une notion qui, entre temps, a été fortement remise en question pour 104 Porphyre parle d’«un certain Diomos ou Sopatros, de naissance non indigène». Or, selon une autre version qu’il rapporte (DA, II, 10, 2), ce Diomos est dit «prêtre de Zeus Polieus» (voir infra), ce qui doit nous mettre en garde contre une opposition trop rigide, dans cette histoire, entre “étrangers” et “citoyens”, entre un “monde primordial, inorganique” et la “cité organisée”, entre “sauvagerie” et “civilisation”. 105 C’est la traduction habituelle: cf., à titre d’exemple, DA, II, 29, 2, dans la CUF, ou Durand (1986: 46): «comme un homme qui se sent coupable d’impiété» (c’est moi qui souligne). 106 Traduction de J. Bouffartigue, CUF. Voir, sur ce point, le commentaire de J.-L. Durand, dans son examen détaillé de ce texte (1986: 60): «Chacun renvoie donc la culpabilité sur plus coupable que lui… Les niveaux de culpabilité sont ainsi reconnus et concrètement marqués…» (c’est moi qui souligne); cf. également, Cuisine: 21-22. 107 Sur ces définitions, voir l’article très instructif de Chantraine, DELG, s. v. ai[tio"; il n’y est pas question de “coupable” ou de “culpabilité”. 108 Sur la richesse du champ sémantique des mots aitios/aitia, voir les analyses subtiles de Catherine Darbo-Peschanski 1997. 109 Voir Bouffartigue, «Notice» au livre II du DA, p. 52, CUF.

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Stella Georgoudi d’autres cultures, comme, par exemple, pour la culture et le sacrifice romains110. Une notion enfin qui nous servira de tremplin pour revenir à l’interrogation initiale: l’occultation de la violence, le sentiment de culpabilité, la volonté de se disculper de l’accusation du meurtre de la victime sacrificielle, peuvent-ils être considérés comme des dispositions représentatives des faits cultuels grecs111? Voilà une question bonne à méditer...

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Voir la démonstration solide de J. Scheid (1998: surtout p. 521 sq.). Cf. aussi, sur le plan ethnologique, les critiques de P.G. Solinas (1985: surtout p. 104-105) contre le «sentiment de culpabilité» comme trait caractéristique des peuples chasseurs, selon la fameuse thèse de Karl Meuli suivi par W. Burkert. Chez les Bochimans, par exemple, ou les Aborigènes australiens, il n’y a pas de «signes de crainte», il n’y a pas «d’appréhension ou de remords» devant l’acte sanglant, pas «d’actes expiatoires ou de refoulement». 111 Le sentiment de “culpabilité”, la gêne, voire la peur qu’on aurait éprouvée devant le sang versé d’un animal, ce sont là des idées qu’on trouve également, bien que formulées différemment, dans la théorie de W. Burkert sur «la comédie de l’innocence», idées critiquées, entre autres, par A. Henrichs (1987: 29-30), qui pose la question de leur association avec la tradition judéo-chrétienne; cf. aussi Peirce 1993: 225. * Je remercie vivement mon amie et collègue Jeannie Carlier pour sa relecture attentive.

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Abstract The article recalls the achievements of the book La cuisine du sacrifice en pays grec (1979), and reviews some of the theses defended in this work. It re-examines particularly the assertion that the “concealment of violence” is a central element of Greek blood sacrifice. Reconsidering the ancient evidence as well as the archeological and iconographic material, including not only vases but also a number of votive reliefs, this study discusses especially the statement that the sacrificial knife (machaira) was intentionally kept out of sight, “buried” in the sacrificial basket (kanoun), under the barley corns and the fillets. It discusses also the idea – which is almost a cliché in Greek studies – that the victims should go without being restrained by ropes or other kind of desmoi. Finally, in the light of Porphyrius (de Abstinentia, about the Bouphonia and the Dipolieia), this article reconsiders the theory of “bad conscience” and “guilt” in killing sacrificial animals, among ancient Greeks.

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Stella Georgoudi

Fig. 1. Dinos attique, du peintre de Lydos, à figures noires (fragments; 560-540 av. n.è.), Athènes, Musée National de l’Acropole 607.

Fig. 2. Skyphos attique à figures noires (fragments), Athènes, Agora A-P 2197 (American School of Classical Studies at Athens). 142

L’«occultation de la violence» dans le sacrifice grec

Fig. 3. Hydrie à figures noires de Caere (520-510 av. n.è.), Musée National de Copenhague 13567.

Fig. 4. Lekanis béotienne à figures noires (c. 550 av. n.è.), Londres, British Museum B 80. 143

Stella Georgoudi

Fig. 5. Œnochoè campanienne à figures rouges (350-330 av. n.è.), Collection privée, Sant’Agata dei Goti (détail).

Fig. 6. Relief votif d’Achinos (c. 300 av. n.è.), Éphorie archéologique de Lamia 1041. 144

L’«occultation de la violence» dans le sacrifice grec

Fig. 6 (détail).

Fig. 6 (détail). 145

Stella Georgoudi

Fig. 7. Stèle votive dédiée à Zeus Olbios par son prêtre Euodiôn (Ier s. av. n.è.?), Musée d’Istanbul. Un grand merci à François Lissarrague pour les dessins des figures 7, 8 et 9.

Fig. 8. Stèle votive à Zeus (IIe-Ier s. av. n. è.), Musée de Bursa (Schwertheim 1983: n° 20). 146

L’«occultation de la violence» dans le sacrifice grec

Fig. 9. Autel de Cyzique (IIe ou IIIe s. de n.è.), Musée d’Istanbul.

Fig. 10. Coupe attique à figures rouges (c. 500 av. n.è.), Musée archéologique de Florence 81600. 147

MISE À MORT RITUELLE DE L’ANIMAL, OFFRANDE CARNÉE DANS LE TEMPLE ÉGYPTIEN Catherine BOUANICH École Pratique des Hautes Études, Paris La mise à mort de l’animal, dans le contexte égyptien, s’inscrit dans plusieurs rituels ayant trait à la régénération cosmique, la manifestation du pouvoir politique, l’alimentation du dieu quotidienne et solennelle. Autant d’auteurs spécialistes des religions anciennes, autant de définitions du mot «sacrifice». Si l’on s’en tient à une définition communément admise, par exemple «offrande faite à la divinité avec certaines cérémonies», dans la religion égyptienne antique l’offrande carnée et son corollaire implicite, la mise à mort, entrent dans ce cadre. En revanche, dans les autres civilisations, l’action de sacrifier recouvre des réalités très différentes. Nous suivrons notamment les recherches de Jean Yoyotte1, Philippe Derchain2, Claude Traunecker3 et Françoise Labrique4 sur la question débattue du «sacrifice» en Égypte ancienne. Nous proposons ici de distinguer, dans une présentation de la mise à mort rituelle de l’animal, le traitement de l’animal comestible et le traitement de l’animal sauvage. L’offrande carnée n’est jamais l’acte central du culte. Elle s’intègre dans une série de rituels permettant au dieu de venir à sa statue et de réaliser ainsi une hiérophanie. Le dieu principal de chaque temple commande la pratique cultuelle de celui-ci. Par exemple, les temples d’époque ptolémaïque (304-30 avant l’ère commune) d’Horus à Edfou, d’Hathor à Dendera, s’ils possèdent chacun sa spécificité, ont une majorité de rituels en commun5. Les temples ptolémaïques, abondamment inscrits et figurés, constituent une documentation importante pour la religion égyptienne en général. Nous y prendrons la plupart de nos références, mais ferons également appel à d’autres périodes quand celles des temples d’Edfou et de Dendera ne suffiront pas à éclairer le propos. Sur des points précis, avec toutes les précautions qu’il convient d’adopter, le thème de l’offrande

1 J. Yoyotte, «Héra d’Héliopolis et le sacrifice humain», Annuaire de la Section des Sciences religieuses (EPHE), t. 89, 1980-1981, 31-102. 2 Ph. Derchain, Le sacrifice de l’oryx, Rites Égyptiens 1, Bruxelles, 1962. 3 C. Traunecker, Coptos. Hommes et dieux sur le parvis de Geb, OLA 43, 1992, 174-179. 4 F. Labrique, Stylistique et théologie à Edfou, OLA 51, 1992; Id., «Transpercer l’âne à Edfou», dans Ritual and Sacrifice in The Ancient Near East, OLA 55, 1992, 176-189. 5 Edfou, 15 volumes, MMAF 10 à 32, D. Devauchelle et S. Cauville pour la réédition des vol.1-2 IFAO (texte), E. Chassinat pour les vol. 3-15 (texte et planches). Dendara, 11 volumes, IFAO, E. Chassinat pour les vol. 1-5 (texte et planches), E. Chassinat et F. Daumas pour les vol. 6-8 (texte et planches), F. Daumas pour les vol. 8-9 (texte et planches), S. Cauville pour les vol. 10-11.

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Catherine Bouanich carnée a traversé l’ensemble de l’histoire égyptienne, ce qui nous autoriserait à en avoir une approche diachronique. Dans une première partie, nous examinerons la mise à mort rituelle de l’animal d’élevage propre à la consommation, puis celle de l’animal sauvage. Dans la seconde, nous préciserons les circonstances de l’offrande carnée et les problèmes afférents. En conclusion, nous tenterons de définir ce qui constitue l’originalité de la “pratique sacrificielle” égyptienne.

I. La mise à mort rituelle d’un animal La lecture des textes et l’observation des parois des temples ptolémaïques permettent de mesurer la grande diversité des animaux offerts aux dieux. On y voit des crocodiles, des bovins, des oies, des hippopotames, des oryx, des gazelles, des oiseaux, des serpents, des tortues, des ânes. De nombreuses espèces semblent donc soumises à une mise à mort rituelle ; toutefois, un examen plus précis montre qu’une sélection est opérée, puisque le choix est dépendant de la personnalité des dieux devant lesquels le roi agit, du sens du rituel dans lequel cette offrande particulière s’inscrit. D’abord, l’offrande carnée est présentée parfois lors des services journaliers, mais le plus souvent lors des grandes fêtes. Les dieux qui agréent des morceaux de viande en offrande sont responsables de la sauvegarde de l’ordre du monde. Mais, Amon de Karnak reçoit aussi bien des offrandes “végétales” que de la viande. Plus particulièrement, les divinités concernées possèdent le plus souvent un caractère violent qu’il faut apaiser; ainsi les dieux et déesses léonins, Mahès par exemple, les filles du dieu Rê, Hathor-Sekhmet-Tefnout-Neseret; de même tous les dieux mâles qui développent des aspects belliqueux pour telle ou telle raison: Horus devant combattre pour son accession au trône d’Égypte6 (thème principal du temple d’Horus d’Edfou), Khnoum, Thoth, qui sont, dans le contexte du rite de la chasse au filet, des dieux chasseurs7. 1. Mise à mort rituelle de l’animal propre à la consommation Sur les représentations funéraires8, par exemple au tombeau de Petosiris9 (IVe s. avant l’ère commune), on constate que les bêtes sacrifiées étaient préalablement contrôlées et marquées d’un sceau. Il fallait que les prêtres-purs se livrent à un examen

6

M. Alliot, Le culte d’Horus à Edfou au temps des Ptolémées, BdÉ 20, vol. 2, 1954, 727-

803. 7

M. Alliot, «Les rites de la chasse au filet aux temples de Karnak, d’Edfou et d’Esneh», RdÉ 5, 1946, 57-118 8 J. Leibovitch, «Une scène de sacrifice rituel chez les Anciens Égyptiens», JNES 12, 1953, 59-60. 9 G. Lefebvre, Le tombeau de Petosiris, Service des Antiquités Égyptiennes, vol. 1, Le Caire, 1924, 92-94.

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Mise à mort rituelle de l’animal attentif pour repérer la bête portant des signes particuliers sur son pelage ou son corps, caractéristiques en fonction desquelles elle pouvait être présentée aux dieux10. Salima Ikram11 définit, dans la partie de son ouvrage consacrée au bétail, le bovidé comme un animal très prisé, car il répond à la plupart des besoins nutritionnels et matériels d’un homme. Au Nouvel Empire et à l’époque tardive, les thèmes de la présentation du bétail et les modes de traitement de la viande se trouvent volontiers sur les scènes des grandes processions et des fêtes des temples12. Tous les animaux étaient tués selon le même procédé: l’égorgement. Les méthodes d’écorchement et de découpage, ont pu varier plus en fonction de la taille que de l’espèce animale13. L’auteur a reconstitué les différentes séquences du mode d’abattage des animaux en Égypte ancienne: plaquer l’animal au sol, lui couper la gorge, l’écorcher, l’éviscérer, découper grossièrement la carcasse. Toutes ces méthodes de boucherie sont résumées dans Hérodote II, 39-40: «La bête marquée par le vérificateur est conduite à l’autel du sacrifice; on allume le feu, on verse sur la victime, près de l’autel, une libation de vin, on invoque le dieu, puis on égorge la bête; ensuite on lui coupe la tête (…)». Les observations d’Hérodote remontent à une époque où l’Égypte était sous domination perse. Néanmoins, le mode d’abattage qu’il décrit était probablement conforme à ce qui était pratiqué généralement. Quant au lieu où se déroulaient ces opérations, il se situait vraisemblablement à l’extérieur du temple proprement dit, mais on ne peut affirmer qu’elles se pratiquaient dans «l’abattoir pur»14. Dès le Nouvel Empire et jusqu’à l’époque tardive, il serait souhaitable de faire la distinction entre deux types d’animaux. Il ressort d’un premier examen que les animaux d’élevage, comestibles par définition (bétail, oiseaux), ne subissaient pas le même traitement que les animaux sauvages et dangereux.

10 Ainsi, par exemple, le taureau noir devait être distingué des autres taureaux. Lorsque ce contrôle était effectué, l’animal recevait une marque. Sur une statue du musée du Caire (C.G.C. 42230), son propriétaire déclare: «J’ai protégé tout taureau noir, de sorte qu’il ne fût pas sacrifié à l’abattoir du dieu». La stèle de la Famine apporte une confirmation (P. Barguet, BdÉ 24, 1953, p. 30 et note 8): «Que l’on donne les bêtes marquées du sceau en tout holocauste et offrandes de chaque jour». À l’époque tardive, le sceau était attaché aux cornes de la bête et représentait, selon Castor de Rhodes (FGrHist 250 F 17 Jacoby), un homme à genoux, mains liées derrière le dos, une épée plongée dans la gorge. Plutarque, De Iside et Osiride, 31, décrit les mêmes précautions pour choisir les bêtes destinées au sacrifice. Voir également F. Von Känel, Les prêtres-ouâb de Sekhmet et les conjurateurs de Serket, BEHE 87, 1984, 255-277. Cf. dans le présent volume l’article de Françoise Labrique. 11 S. Ikram, Choice Cuts: Meat Production in Ancient Egypt, OLA 69, 1995, 97. 12 On peut rappeler que la scène la plus commune dans les tombes de l’Ancien Empire est l’abattage du bétail. Presque chaque tombe présente ce thème qui apparaît aux 3e et 4 e dynasties et se poursuit travers toute l’histoire de l’Égypte ancienne. Voir Leibovitch 1953. Au Nouvel Empire, la séquence est moins volontiers montrée entièrement, mais à la période amarnienne (1359-1342 avant l’ère commune), ainsi qu’à l’époque saïte (664 avant l’ère commune), on constate une recrudescence de ce motif. 13 Les petits animaux pouvaient être suspendus aux arbres, alors que les animaux de grande taille étaient tués et découpés au sol. Les oiseaux subissent un traitement différent. Par exemple, ils ne sont pas montrés décapités, mais plutôt étranglés. 14 Sur «l’abattoir pur» ou «boucherie pure», termes équivalents, voir infra.

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Catherine Bouanich En effet, pour les animaux d’élevage en général, mais d’ordinaire aussi pour les animaux sauvages comestibles non dangereux, la séquence à proprement parler du geste sanglant n’est pas montrée. La paroi est de la cour du temple de Ramsès II (Nouvel Empire) à Abydos, présente le choix des bêtes: bœufs, oryx, gazelles, oies. Elles sont emmenées vers la «boucherie pure». Juste après, les serviteurs transportent les morceaux de choix «consacrés purs»: tête de?, patte avant droite de boeuf, arrière-train, tête de veau15. De même, au temple d’Edfou, lors de la rencontre d’Hathor et d’Horus pendant la grande fête «de la bonne réunion», la représentation de la procession montre une offrande de bétail et de volatiles vivants alors que le texte décrivant la scène ajoute: «on place une grande offrande consumée devant ce dieu vénérable; on fait (le rite du) bétail sur l’autel-khaout»16. En revanche, les relations écrites de ces mises à mort rituelles abondent en descriptifs sanglants et violents dès l’instant où la mise à mort est passée17. Il existe au moins une exception à l’absence de représentation de la mise à mort de l’animal comestible: l’abattage de l’oryx. La scène du temple de Louxor (Nouvel Empire)18 montre le roi tenant par les cornes, d’une seule main, un oryx dressé sur ses pattes postérieures, tandis qu’il l’égorge avec un couteau tenu dans l’autre19. L’exemple de Dendera offre une légère variante: l’oryx est présenté à la déesse sur un autel. L’action du roi est caractérisée par les mêmes traits iconographiques20. 2. Les animaux sauvages ou non comestibles21 Parce que la plupart sont dangereuses ou nuisibles, ces bêtes ont été, dès les premiers temps, incluses dans des rituels apotropaïques. Les parois des temples ptolémaïques montrent à l’envi Pharaon transperçant de sa lance ou de son harpon crocodiles, hippopotames, serpents, tortues... avec une violence extrême. La représentation égyptienne du sacrifice d’une bête sauvage laisse peu de place au naturalisme: le roi est toujours représenté en taille héroïque tuant devant la divinité un animal exagérément petit (fig. 3).

15

A. Mariette-Pacha, Abydos. Description des fouilles exécutées sur l’emplacement de cette ville, t. II, 1880, Paris, pl. VII. Voir ici fig. 1. 16 Edfou V, p. 1255-8; traduction dans Alliot 1954: 466. 17 Par exemple, Edfou III, p. 13817, Edfou II, p. 7416-758. 18 D’après A. Gayet, Le temple de Louxor, pl. 68, fig. 214. Voir ici fig. 2. 19 Ph. Derchain, Le sacrifice de l’oryx, Rites Égyptiens 1, Bruxelles, 1962, p. 27, 30-36. Cette manière d’abattre l’oryx est matériellement impossible à cause de sa force et il n’est pas entravé. Cette scène aurait pu faire penser que l’on est en présence d’un véritable sacrifice animal devant le dieu. En raison de son aspect irréaliste, on est obligé de trouver son explication dans la symbolisation de la force surnaturelle de Pharaon. 20 Voir Dendara IV, pl. 302. 21 Même si dans le mythe, ces animaux étaient mangés. Par exemple, l’hippopotame, la tortue, sont violemment dépecés ou harponnés pour être mangés, sans cuisson parfois. Voir la fête des dix harpons à Edfou par exemple, Alliot 1954: 705-751.

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Mise à mort rituelle de l’animal Les animaux sauvages, symboles des ennemis en tous genres, sont l’objet d’une mise à mort brutale tant dans la représentation que dans la description22. L’action de transpercer avec une lance ou un harpon est le motif iconographique le plus fréquent pour cette catégorie d’animaux. Ce moment précis de la mort de l’animal est délibérément montré, contrairement à ce qui semble se passer pour l’animal d’élevage. Encore une fois, le manque de naturalisme laisse penser qu’il ne convient pas ici de parler d’un sacrifice stricto sensu. Les scènes de mise à mort des animaux sauvages sont souvent placées aux endroits de passage, zones fragilisées par le contact entre l’impur (l’extérieur) et le pur (le temple). C’est plutôt la valeur métaphorique de la protection du temple contre l’impur, les ennemis cosmiques et réels de l’Égypte, qui est mise en avant.

II. L’offrande carnée À l’époque ptolémaïque, Edfou et Dendera sont aussi des mondes en eux-mêmes. Véritable maison du dieu patron et des dieux y séjournant (parèdre, dieu fils et autres figures divines présentes à divers titres), le temple servait à ses divinités trois services quotidiens où étaient pratiquées devant le dieu les opérations et offrandes suivantes: - préparation des offrandes dans les annexes du temple et purification de celles-ci; - introduction de l’offrande, et à nouveau purification; - ouverture des portes du naos avec hymne d’éveil; - révélation de la face au moment où le soleil point à l’horizon; - adoration; - repas divin avec encensement et libation; - service de la parure; - onction; - fermeture des portes du naos et apposition du sceau. Le repas divin comporte plusieurs types d’offrandes, dont la plus fameuse est l’offrande «des morceaux de choix» (fig. 4). Dans le rituel alimentaire, le roi est décrit comme nourricier par nature. Opulent, il contrôle tous les facteurs de richesse alimentaire, produits manufacturés, produits du jardin, vin, gibier. La “doctrine” pharaonique de la mise à mort de l’animal fait de même assumer par le roi, gardien de l’ordre établi, la série des gestes destructeurs que requiert l’offrande carnée (capture, immobilisation, meurtre, démembrement, mise au feu) et elle fait magiquement subir le contrecoup de ces gestes aux ennemis de l’ordre, tant aux dimensions du cosmos qu’à celles de la société23. «Cette identification globale des bêtes sacrifiées à l’ennemi remonte sans doute fort loin dans la tradition»24.

22 Mais il ne faut pas perdre de vue que ces formes animales dangereuses possèdent presque toujours leur contrepartie bénéfique et protectrice. Ainsi, à la basse époque, la tortue peut symboliser (temple d’Esna) la crue du Nil, l’hippopotame femelle peut être divinisée et protéger les parturientes… Cette polyvalence est délicate à cerner car il y a, par exemple, des cas où l’animal est déclaré dangereux et pourtant n’est pas destiné à être sacrifié: le lion ou le scorpion ne font pas partie des représentations “sacrificielles”. 23 K. Sethe, Dramatische Texte Zu Altaegyptischen Mysterienspielen, Leipzig, vol. 1, 1928, p. 47. 24 Yoyotte 1980-81: 37.

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Catherine Bouanich Les textes nous apprennent que la mise à mort des animaux a lieu dans la « boucherie pure » (s≈w w©b) ou « abattoir divin » (nmt-pr) des temples pour fournir la table des dieux25. 1. La «boucherie pure» «Le “(prêtre)-pur de Sekhmet” entre à l’abattoir pur. La victime (?) est abattue; on purifie les quartiers de choix avec [l’eau qui vient du puits-pur (?)]» (Edfou VI, 346, 2-8)26. La majorité des pièces appelées «boucherie pure» sont illustrées de scènes de tuerie d’animaux: bœufs, bétail-rnnwt, bétail sans corne etc. Il semblerait pourtant que les «boucheries pures» des temples tardifs n’aient servi qu’à un certain type d’opérations (même si toute généralisation dans ce problème complexe de l’abattage des animaux est délicate), et que les phases de mise à mort, de découpage, ne se soient pas déroulées dans les salles cultuelles retraçant ces actions. En effet, ces espaces, au vu d’examens précis, ne présentent pas de traces d’enclos, d’anneaux d’arrimage, les pierres de découpage sont ils absentes. Les dimensions réduites des lieux interdisent souvent le passage des bêtes de grande taille. Ces pièces servaient peut-être à préparer les offrandes carnées, au préalable grossièrement débitées dans un autre endroit, situé à l’extérieur du temple mais dans l’enceinte sacrée27. Une étude archéologique de ces emplacements qui ont souvent été négligés est entreprise sur les lieux où il est possible de le faire: Karnak, Ramesseum28, par exemple. En revanche, pour Edfou, la zone des “communs” se trouve sous la ville actuelle. 2. L’offrande carnée dans les rituels quotidiens et festifs Un texte de Dendera décrit l’idée que l’on se faisait de l’appétit d’Hathor-TefnoutSekhmet: «L’oie est réjouie (= gavée?), l’antilope est engraissée, et maintenant le stylet est dans son corps. Les épices sont choisies, l’encens est sur le feu... Les graisses fument jusqu’au ciel. Ô! Œil-de-Rê, viens et manges-en, que ta majesté fasse ce que son cœur désire» (Dendara V, 78, 2-5)29. Là, les morceaux de viande et des substituts graisseux comme les huiles, les parfums, sont présentés devant la déesse sur un autel-à-feu30, avec les aromates et l’encens, et Hathor s’en nourrit.

25 En dépit du grand nombre de temples du Nouvel Empire, seuls quatre exemples sont conservés. Le differentiel étant peut-être due à des accidents de préservation, des manques d’identification de fouilles anciennes. Les deux exemples les plus probants sont le temple de Sethi à Gournah (pour les références, voir H. Nelson, «The identity of Amon-Re of United-withEternity», JNES 1, 1942, p. 127-155) et le temple de Ramsès III à Médinet Habou (pour la publication, voir H. Nelson, Medinet Habou III, 1934, Chicago). 26 Alliot 1949: 28. 27 Ikram 1995: 81 sq. Voir également Cl. Traunecker, «Les temples hauts», RdÉ 38, 1987, 158-159; J.-L. Fougerousse, «L’édifice en briques crues», dans P. Montet, Les nouvelles fouilles de Tanis (1929-1932), Paris, 1933, 76-88. 28 L. Gabolde, «La cour des fêtes de Thoutmôsis II», Cahiers de Karnak IX, 1993, 1-108. 29 Ph. Derchain, Elkab I, Les Monuments religieux à l’entrée de l’Ouady Hellal, Bruxelles, 1971, p. 62-63 et note 66. 30 J. Quaegebeur, «L’autel à feu et l’abattoir en Égypte tardive», OLA 55, 1993, 329-353.

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Mise à mort rituelle de l’animal Plus encore, les grandes cérémonies processionnelles abondent en descriptifs d’offrandes carnées: Cette belle porte du “grand-siège” (sert) à fournir à la table d’autel du Maître des dieux toutes bonnes choses qui viennent de Nepyt31: (ce sont) les pains (d’offrande) par milliers, les mets (d’offrande) par centaines de mille, sortant de l’atelier, (chaque fois (?)) que l’on “découvre la Face divine”. Ce sont aussi les bœufs-ioua, les bœufs-oundjou et les oiseaux que l’on engraisse pour tous les autels-aba et khaout du “dieu au-plumagemoucheté”, afin de baigner sa demeure de leur parfum, afin d’emplir son autel-khaout de vin et de moût, afin de lui offrir les huiles-medjet et setchi-ib, afin de brûler pour lui l’oliban et la résine sur le feu, qui sont les dons de la déesse Nebet-fag (Edfou II, 153, 1-4)32.

Un autre exemple pris également au temple d’Edfou33 par Françoise Labrique nous fait comprendre l’aspect réel et métaphorique du processus de l’offrande animale. Le roi pousse devant lui trois bœufs retenus par des longes qu’il va offrir au dieu. Dans la scène suivante, il consacre l’offrande de ces trois bœufs ligotés et abattus. Le texte de la première scène est le suivant: «Je place des bœufs gras dans ton étable, du bétail à cornes courtes dans ton enclos». Celui de la deuxième scène se traduit ainsi: «Je t’accorde que tes rebelles [soient… sous] ton couteau et que leurs conjurés soient réduits en cendre [dans] le feu ; je t’accorde que tes adversaires soient taillés en pièces [en] ce [pays] et fais (des habitants) de tous les pays étrangers tes serviteurs »34. Le contraste entre les légendes est frappant: nous constatons qu’une fois l’animal tué, le vocabulaire change singulièrement de registre. D’un animal savoureux et «gras» voué au repas du dieu, on passe à une terminologie violente où les animaux sont assimilés aux rebelles coupés en pièces afin que, magiquement, le dieu et le roi réduisent à néant les ennemis extérieurs ou intérieurs de l’Égypte. L’assimilation de ces animaux aux ennemis après la mise à mort prend un sens rituel prophylactique. Les scènes et textes des temples ptolémaïques développent des motifs qui mettent en scène les dieux belliqueux ou le roi guerrier, responsables de la création et de la marche du monde. Pour que celui-ci demeure en équilibre, il faut repousser les forces d’entropie, voire les annihiler. La cosmologie égyptienne étant cyclique, il est impératif d’assurer également quotidiennement et annuellement aux dieux leurs pouvoirs victorieux face à isefet, que nous traduisons par «mal», ou «désordre». Ces exemples présentent évidemment les thèmes d’un abattage ritualisé et, comme le fait remarquer D. Meeks35, les pièces de viande offertes ne sont autres que les chairs dépecées des ennemis, dont le dieu absorbe la vitalité en les mangeant.

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Nepyt: forme féminine du dieu du grain Neper. Alliot 1949: 39. Les termes égyptiens translitérés sont accolés à leur traduction française car, pour les espèces animales, les appellations égyptiennes sont parfois plus nombreuses et précises que le français. Ainsi les bœufs sema, oundjou ou ioua, semblent être désignés non seulement comme un type spécifique, mais également sous un aspect fonctionnel, religieux ou économique. 33 Fr. Labrique, Stylistique et théologie à Edfou, OLA 51, 1992, p. 96-97. 34 Traduction de Françoise Labrique, ibid. 35 D. Meeks, «Pureté et purification en Égypte», Supplément au Dictionnaire de la Bible, IX, 1976, col. 430-452. 32

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Catherine Bouanich Dans les exemples d’abattage d’animaux comestibles, l’acte sanglant n’est pas, ou n’est que très rarement, montré. Répétons que nous ne possédons pas à proprement parler de représentations “canoniques” d’un animal d’élevage présenté devant le dieu en train d’être massacré36. 3. La réversion de l’offrande Si, aux époques tardives, les temples sont prodixes sur les offrandes carnées et l’acte violent, en revanche, nous n’avons que très peu de renseignements sur le devenir de l’offrande après sa présentation dans la «Salle des Offrandes». Une interprétation attentive des textes nous laisse avancer l’hypothèse que la plupart des offrandes n’entraient pas dans le saint des saints. Il faut rappeler la profonde originalité de la religion égyptienne: la performativité de l’énoncé. Il suffit de réciter la liturgie, rituels et prières pour que la parole devienne acte. L’anéantissement des ennemis symbolisés par l’offrande carnée est obtenu par la magie opératoire, doublant, dans le temple, l’action politique et guerrière de Pharaon dans le monde séculier. Nous savons que les prêtres effectuant leur service auprès du dieu devaient recevoir leur part de viande ainsi que des offrandes végétales et manufacturées37. Rares sont les textes qui en parlent. Si nous savons qu’il y avait réversion des offrandes aux officiants, en revanche, à la différence de ce qu’on rencontre dans d’autres civilisations, il ne semble pas qu’il y ait eu de consommation collective. De l’ensemble de la documentation il ressort donc que l’offrande carnée était présente dans l’alimentation du dieu. Offrande spécifique ou accompagnée d’autres produits manufacturés, elle a son importance dans une société qui n’est pas végétarienne. Pharaon et ses prêtres offrent les meilleurs morceaux de viande. Les dieux égyptiens semblent les apprécier lors des services journaliers présentés dans les temples; les hommes également, lors des sorties processionnelles de la divinité. Même si des prêtres étaient affectés aux différentes étapes de l’abattage et de la présentation aux dieux des pièces de viande, aucun particulier ne le faisait en son nom personnel dans le temple. Aucune salle cultuelle n’a pour fonction de se prêter au partage collectif, sous forme de banquet, de cette viande présentée aux dieux. L’égorgement de l’animal n’est pas une dramaturgie. Si la mise à mort d’un animal est un rite contribuant au maintien de l’ordre cosmique, elle est telle qu’elle est représentée sur les parois des temples avant tout un geste métaphorique: le rapport entre le sacrificateur, représentant la puissance royale, et la victime est l’image du rapport entre le gardien de l’ordre et l’ennemi. Pharaon, par cet acte symbolique, rappelle également que les sphères du pur et de l’impur ne doivent pas s’interpénétrer.

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Voir supra pour le sacrifice non réaliste de l’oryx et de l’animal sauvage. Une inscription sur une porte du temple d’Edfou donne la description suivante: «(Puis) la viande choisie du mois (?), la chair à rôtir (fixée par) fondation (?) est placée sur les autelskhaout du temple-Mesenet (Edfou), en présence d’Horus d’Edfou; on en donne une portion à chaque desservant (?) vénérable, chaque fois qu’on fait le compte de l’offrande» (Edfou II, 159, 11 à 160, 4). Pour la traduction, voir Alliot 1949: 41. 37

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Mise à mort rituelle de l’animal

Abréviations BdE: Bibliothèque d’Étude, Le Caire BEHE: Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Section des sciences religieuses, Paris BIFAO: Bulletin de l’Institut Français d’Archéologie Orientale, Le Caire BSFE: Bulletin de la Société Française d’Égyptologie, Paris CGC: Catalogue Général du Caire JNES: Journal of Near Eastern Studies, Chicago MDAIK: Mitteilungen des Deutschen Archäologischen Instituts Abteilung Kairo, Le Caire OIP: Oriental Institute Publications, Chicago OLA: Orientalia Lovaniensia Analecta, Louvain RdÉ: Revue d’Égyptologie, Paris RHR: Revue de l’Histoire des Religions, Paris ZÄS: Zeitschrift für Ägyptische Sprache und Altertumskunde, Berlin

Bibliographie Alliot, M. 1946, «Les rites de la chasse au filet», RdÉ 5, 57-118. — 1949 et 1954, Le culte d’Horus à Edfou au temps des Ptolémées, BdÉ 20, 2 vol. Derchain, Ph. 1962, Le sacrifice de l’oryx, Rites Égyptiens 1, Bruxelles. — 1971, Elkab I, Les Monuments religieux à l’entrée de l’Ouady Hellal, Bruxelles. The Epigraphic Survey ed. 1954, Reliefs and Inscriptions at Karnak III, The Bubastite Portal, OIP 74, pl. 18-19. Gabolde, L. 1993, «La cour des fêtes de Thoutmôsis II», Cahiers de Karnak IX, 1108. Gayet, A. 1894, Le temple de Louxor, MMAF 15, fasc. 1, Paris. Ikram, S. 1995, Choice Cuts: Meat Production in Ancient Egypt, OLA 69. Labrique, F. 1992a, Stylistique et théologie à Edfou, OLA 51. — 1992b, «Transpercer l’âne à Edfou», dans Ritual and Sacrifice in The Ancient Near East, OLA 55, 176-189. Lefebvre, G. 1924, Le tombeau de Pétosiris, Service des Antiquités Égyptiennes vol. 1, Le Caire. Leibovitch, J. 1953, «Une scène de sacrifice rituel chez les Anciens Égyptiens», JNES 12, 59-60. Meeks, D. 1976, «Pureté et purification en Égypte», Supplément au Dictionnaire de la Bible, IX, col. 430-452. Moret, A. 1908, «Du sacrifice en Égypte ancienne», RHR 57, 81 sq. Nelson, H. 1942, «The identity of Amon-Re of United-with-Eternity», JNES 1, p. 127-155. Sethe, K. 1928, Dramatische Texte Zu Altaegyptischen Mysterienspielen, Leipzig, vol. 1, 47. Traunecker, Cl. 1987, «Les temples hauts», RdÉ 38, 158-159. Von Känel, F. 1984, Les prêtres-ouâb de Sekhmet et les conjurateurs de Serket, 255-277 (Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences religieuses, vol 87). Yoyotte, J. 1980-81, «Héra d’Héliopolis et le sacrifice humain», Annuaire de la Section des Sciences religieuses (EPHE), t. 89, 31-102. 157

Catherine Bouanich

Abstract Among several edible animals Pharaoh is shown offering to the gods, a seal is first branded on cattle; the slauthering of edible animals is not represented, except by words. On the contrary, the slaughtering of unedible animals is shown forcibly in its violence: thus Pharaoh magically destroys the enemies. Only Pharaoh may provide food for the gods: it is also his proper task to kill the animals which provide the meat offerings. The true act is performed more particularly in the “pure butchering room”. The actual consumption is never taken as an opportunity for a communal meal. Meat offerings are given to the gods like other food, and the slaughtering they presuppose metaphorically means the killing of enemies.

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Mise à mort rituelle de l’animal

(fig. 1 sur 2 p.) 159

Catherine Bouanich

Fig. 1. – Choix des bêtes et morceaux de choix. Abydos, temple de Ramsès, cour A. D’après A. Mariette-Pacha, Abydos. Description des fouilles exécutées sur l’emplacement de cette ville, t. II, Paris, 1880, pl. VII. 160

Mise à mort rituelle de l’animal

Fig. 2. – Sacrifice de l’antilope. D’après A. Gayet, Le temple de Louxor, Mémoires de la Mission Archéologique du Caire 15, Paris, 1894, pl. 68.

Fig. 3. – Harponnage du serpent Apophis. D’après S. Aufrère, Le propylône d’AmonRê-Montou à Karnak Nord, MIFAO 117, p. 175, pl. XXVII (nord, extérieur, montant est, 4e tableau). 161

Catherine Bouanich

Fig. 4. – La grande offrande. E. Chassinat, Edfou V, MMAF, p. 125, pl. 136. 162

LE BRAS DE SEKHMET Françoise LABRIQUE Université de Franche-Comté Dans le secteur sud-ouest de l’aire consacrée à Amon, à Karnak, se trouve un temple dédié à Khonsou, dieu lunaire. Le propylône qui se dresse dans le mur d’enceinte devant le parvis de Khonsou a été décoré à l’époque de Ptolémée III Évergète1. Comme le montre le programme décoratif de cette porte, Amon est le propriétaire du sol2; Khonsou est le dieu-fils de la triade locale de Karnak (Amon, Mout, Khonsou), héritier du trône de son père Amon3. La majeure partie des rites représentés s’adresse à Khonsou, et parmi ceux-ci, on signalera la mise à mort rituelle de l’oryx et celle du serpent Apophis. Les deux victimes sont décrites comme des perturbateurs: l’oryx est puni pour avoir attaqué l’œil lunaire qu’il est contraint de restituer; le serpent constitue un obstacle à la course solaire. Leur anéantissement protège ainsi respectivement les fonctions lunaire et solaire du dieu, et l’association des deux rites représentés symétriquement sur les montants est et ouest de la porte évoque très précisément la syzygie au soir du quatorzième jour du mois lunaire4. La mise à mort du bétail, du gibier du désert, de la sauvagine, s’intègre aussi dans le repas solennel – l’offrande-âabet –, offert en l’occurrence à quelques divinités majeures. C’est ainsi que, devant Amon de Karnak suivi de Khonsou ou de Mout5, le roi tend le sceptre de consécration au-dessus d’un amoncellement d’animaux dépecés, de gâteaux, de fruits et de lotus; on distingue notamment trois volatiles, un bovin ligoté dont on a détaché la tête et une patte antérieure, un oryx mâle dont la tête a également été détachée; si le texte n’exprime dans ce cas précis aucune violence, ces offrandes représentent «les tributs de Haute Égypte et les livraisons de Nubie» (scène de l’est) et «tous les biens de Basse Égypte… avec les tributs des Asiatiques» (scène de l’ouest): en d’autres termes, elles signifient la souveraineté du dieu sur le monde habité, structuré par un axe sud-nord, et impliquent la soumission des princes étrangers6.

1 P. Clère, La Porte d’Évergète à Karnak, MIFAO 84, Le Caire 1961, cité dorénavant Porte d’Év. 2 Porte d’Év., pl. 3 et pl. 4.. 3 Porte d’Év., pl. 3 - 4; 14 - 15; 20 - 21. 4Porte d’Év., pl. 11 et 12; Fr. Labrique, «Rapiéçage ou réécriture? La porte d’Évergète, le temple d’Esna» dans W. Clarysse, A. Schoors, H. Willems ed., Egyptian Religion: the last thousand years (Studies ded. to the mem. of J. Quaegebeur), OLA 85, 1998, 883-902; Fr. Colin & Fr. Labrique, «Semenekh oudjat dans la Petite Oasis», dans Fr. Labrique ed., Religions méditerranéennes et orientales de l’Antiquité (Actes du Coll. Intern. ISTA des 15-17 avril 1999, Besançon), BdÉ 135, Le Caire, 2002, 53-54. 5 Face nord, 1er reg., Porte d’Év., pl. 20 (montant est): Amon et Khonsou; pl. 21 (montant ouest): Amon et Mout. 6 Porte d’Év., pl. 20, 7 (discours du roi); pl. 21, 6-7 (discours du roi).

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Françoise Labrique Un bovin décapité, disposé de la même manière que dans l’exemple précédent, et des oiseaux troussés, figurent aussi dans la scène de consécration d’un repas solennel, pêle-mêle avec des gâteaux, de la bière, de l’encens, des linges, en l’honneur d’Osiris et d’Opet. Le contexte mythique de l’offrande est cette fois la nuit où la déesse a (re)mis Osiris au monde dans le temple d’Opet, édifice situé juste à l’ouest du temple de Khonsou, et où, dès la fin de l’accouchement, elle l’a fait roi sur le trône d’Amon, d’où il «prélève des tributs dans le monde entier»7. La violence nécessaire à la prise et au maintien du pouvoir reste implicite dans le cas présent, tout comme celle qui a été infligée à la victime offerte déjà abattue. Cette discrétion est compensée par le sadisme mis en évidence dans un tableau associé à cette scène de consécration par les lois de la symétrie et présentant donc des éléments complémentaires: devant Osiris et Isis, le roi brandit la massue au-dessus d’un être humain, d’allure asiatique, agenouillé et entravé. «Voici celui qui se rebelle contre toi: si je l’abats en ta présence, c’est pour renverser ton ennemi dans son abattoir, ses suppôts sur le billot, ses complices dans le feu, et pour éliminer son nom sur la terre à jamais. … si j’empoigne l’adversaire entravé dans ses liens, c’est pour procéder à son exécution devant toi: oui, je le décapite, lui tranche le larynx, lui arrache le souffle du nez et lui extirpe le cœur de son côté gauche – lui qui fomente le mal contre plus grand que lui! –, tandis qu’est arrachée sa langue à l’extrémité de sa trachée, – lui qui tire railleusement la langue contre le Seigneur unique»8: la transmission du trône d’Osiris à son héritier légitime incarné par le roi d’Égypte – en l’occurrence Ptolémée III – est assurée en réponse à cette radicale exécution. Plus haut, sur les mêmes parois, le roi encense une offrande solennelle constituée d’une oie, de pain, de myrrhe, d’huile, de collyre et de fards, pour Amonet de Karnak. Cette déesse primordiale est redoutable: le fumet des vivres intégrés dans l’offrande apaise ses génies-émissaires et épargne ainsi au pays le fléau des maladies annuelles9. Khonsou reçoit lui aussi des offrandes alimentaires solides, sous des formes variées: le roi lui présente les productions du sol, sous la forme de gâteaux et de fruits10, ou encore il purifie en l’encensant une grande offrande alimentaire solennelle, au sein de laquelle figure un bovidé décapité selon les modalités habituelles; dans ce dernier cas, le dieu réagit en juge incorruptible «qui repousse l’injustice» et assure la protection du roi «contre toute chose maligne», actions dont l’aspect apotropaïque correspond à une des fonctions de l’offrande sanglante11. Une scène en particulier, située sur la face intérieure ouest du montant sud, au 4e registre, nous apporte une information intéressante pour notre propos: le roi y consacre devant Khonsou hiéracocéphale trois mammifères ligotés et décapités.

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Face intér. ouest, montant sud, 2e reg., Porte d’Év., pl. 42, 16 (descriptif d’Osiris). Face intér. est, montant sud, 2e reg., Porte d’Év., pl. 62, 7 et 5-6 (discours du roi). 9 Face intér. ouest, montant sud, 5 e reg., Porte d’Év., pl. 48; voir, pour des rites prophylactiques comparables, Ph. Germond, Les invocations à la Bonne Année au temple d’Edfou, AH 11, 1986. 10 Face sud, montant ouest et est, 2 e reg., Porte d’Év., pl. 5 (à Khonsou et son épouse Hathor) et 6 (à Khonsou et sa mère Mout). 11 Face nord, montant ouest, 2 e reg., Porte d’Év., pl. 23 (pour Khonsou et Hathor), l. 15 (colonne marginale) et l. 16 (colonne devant le dieu). 8

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Le bras de Sekhmet Texte (Porte d’Évergète, pl. 46, voir fig. 1): Le roi: «(4) Le protecteur des dieux, défenseur des Deux Régions Aquatiques, le rempart bienfaisant de l’Égypte-Ta-mery». Discours du roi (colonne latérale): «(5) Si je me suis saisi du bâton et ai empoigné le sceptre de consécration, c’est pour replier les bras en aiguillonnant les victimes (≈ry(t))12 que je dirige le billot anéantis en adversaires, c’est pour te consacrer les morceaux de choix de petit bétail, ces incarnations (µ≈ry) de rebelles qui ont comploté contre l’apparence-caractéristique-du-dieu (“bwt-nÚr)13, (6) c’est pour t’apporter leurs chairs en (en) garnissant tes autels afin de parfumer ta maison du fumet de leur graisse; comme ces pièces grasses sont parfaites par essence, sans leur pareil, avec leur apparence de criminels». Discours du roi (centre du tableau): «(7) Regarde! le bétail à longue corne est abattu, la gazelle est égorgée, (8) le Rebelle-à-l’Œil-Sain est victime sacrificielle (≈ry(t))14 ; le fumet de la graisse, (montant) vers le ciel, parfume jusqu’au firmament, (9) l’odeur de fête t’environne : c’est pour ton ka, Protecteur des dieux, défenseur parfait de ceux qui vivent sur terre ». Les victimes : « (10) Jeune bovin à longue corne; jeune gazelle; jeune oryx». Khonsou: «(11) Khonsou le Champion15 en Thèbes Victorieuse, (12) bourreau des quatre coins des cieux, centre de cuivre (13) défendant la Régente des villes, rempart de bronze autour de la Ville-empyrée, qui protège ceux qui se trouvent sous le ciel, (14) et veille16 sur ceux qui sont sur la terre, de sorte que l’intérieur de leurs bouches est rempli de sa puissance, (15) efficace dans la surveillance, veillant sur sa ville, dont la protection en entoure les habitants; (16) le seul et unique, sans qu’il y en ait un autre à sa ressemblance, qui prête son assistance, le protecteur du Double-Pays». Discours de Khonsou (colonne latérale): «(17) Récitation: oui, j’accepte ce que tu as anéanti, pour avoir constaté ta force en me réjouissant que tu renverses mes adversaires; si je te donne tes victimes (≈ryw=k), bel et bien renversées dans l’abattoir, ceux qui te sont rebelles, proprement égorgés par ton couteau, la marque (“b) du bras de Sekhmet (© n S≈mt) sur leurs chairs (m ‡t“t=sn), c’est pour qu’ils ne puissent échapper à ton contrôle, à jamais ». Discours de Khonsou (centre et haut du tableau): «(18) J’exalte ta Majesté sur le Siège d’Horus, tandis que tes adversaires ont bel et bien péri sur terre. (19) Je t’accorde que ceux qui te sont rebelles soient proprement renversés sous ton couteau, tandis que celui qui t’est infidèle n’existe plus».

La thématique est claire: les victimes symbolisent l’ennemi – du dieu, du roi –; les abattre et les consommer signifie détruire le fauteur de trouble. En corollaire, roi et dieu sont tous deux décrits en protecteurs de leur domaine et de ses habitants:

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D. Meeks, Année lexicographique, 77.3147 ; 78.3104 ; 79.2259 : « animal de sacrifice ».

13 Sur µ≈ry(t), “bwt et “bwy, cf. J. Yoyotte, «Héra d’Héliopolis et le sacrifice humain», Annuaire

de la Section des Sciences religieuses (EPHE), t. 89, 1980-1981, 48-52. 14 Cf. supra, note 12. 15 Épithète identique pour Amon, dans un contexte similaire: Edfou II, 47, 5 et 8. J.E. Hoch, Semitic Words in Egyptian Texts of the New Kingdom and the Third Intermediate Period, Princeton, New Jersey, 1994, n° 108, 88-89: «Helper»; D. Meeks, BiOr 54, 1997, p. 39. 16 «Accorder son attention à»? Cf. S. Sauneron, Esna V, 116 note hh: «remarquer, distinguer, choisir». Voir, dans un contexte similaire, Edfou II, 47, 8.

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Françoise Labrique «Rempart bienfaisant de l’Égypte» (l.4, le roi), «rempart de bronze autour de la villeempyrée» (l. 13, Khonsou), ils assurent une sauvegarde qui implique l’anéantissement d’ennemis de tout acabit. Comme Jean Yoyotte l’a défini, «tous les animaux mis à mort dans la “boucherie pure” (s≈w w©b) ou “abattoir divin” (nmt-nÚr) des temples pour fournir la table des dieux servent de support à un envoûtement » et ce, à chaque phase du traitement qu’ils subissent17. Parmi eux, l’accent est mis sur l’oryx, agresseur spécifique de l’œil lunaire, auquel Khonsou, en dieu lunaire, est donc particulièrement attentif. La réaction du dieu obéit sans surprise au principe du do ut des: ceux qui s’opposent au roi sont efficacement maîtrisés. Toutefois, alors que l’ensemble du texte nous décrit un rite selon un procédé qui nous est familier18, le discours de Khonsou nous apporte un élément étranger à la phraséologie attendue: les rebelles ont été marqués par «le bras de Sekhmet». Plusieurs hypothèses peuvent être proposées pour expliquer de quoi il est précisément question dans cet énoncé sans parallèle connu: 1) Ce «bras de Sekhmet» serait-il à interpréter au sens métaphorique? Il pourrait par exemple désigner la puissante patte de la déesse-lionne, et la «marque sur les chairs», la blessure infligée par les griffes. La relation particulière entre la terrifiante déesse et le sacrifice a déjà fait l’objet d’études approfondies. Jean Yoyotte a montré notamment que Sekhmet, ainsi que d’autres déesses lionnes, était instrumentalisée: elle est le feu du sacrifice, «la manifestation ignée, dévorante, du divin»19, selon un modèle qui n’est pas sans rappeler celui du dieu védique Agni ou de l’Hermès archaïque20. La marque du «bras de Sekhmet sur leur corps» désignerait alors la brûlure infligée par le rôtissage. 2) Cependant, à la recherche de parallèles, on trouvera la mention d’autres bras divins: sur les parois des temples tardifs, le «bras d’Horus» désigne couramment l’encensoir 21, le «bras de Ir», la palette du scribe22; il pourrait aussi être question, à Esna, d’un «bras de Sechat», instrument qui présenterait l’onguent-Ìknw23. Par ailleurs, un papyrus d’époque ramesside atteste l’existence d’un «bras de Chou», apparemment un instrument dont le prêtre se sert pour «glorifier» la divinité24. À côté de ces «bras» divins qui s’avèrent instruments cultuels ou objets d’offrande, quelques allusions mythiques, dont l’une remonte au Moyen Empire, évoquent un bras de Thot arraché par Seth, mutilation qualifiante qui évoquerait une coudée votive ou encore un attri-

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Yoyotte 1980-1981: 46-47. Voir dans ce volume la contribution de C. Bouanich. 19 Yoyotte 1980-1981: 43. 20 Cf. P.-L. van Berg, “Hermès et Agni”, dans Labrique ed. 2002: 185-216. 21 Wb I 156. 22 Cf. S. Cauville, «À propos des désignations de la palette du scribe», RdÉ 38, 1987, 185. 23 Esna n° 110, 4: je remercie Dagmar Budde de m’avoir signalé ce passage intéressant, dont l’interprétation ne nous paraît cependant pas sûre. 24 pLansing 13b, 1; cf. N. Tacke, Verspunkte als Gliederungsmittel in ramessidischen Schülerhandschriften, SAGA 12, 2001, 119 note e: je remercie Catherine Graindorge, pour m’avoir signalé ce passage. Les moyens de «glorifier» (s“≈) la divinité ne manquent pas, outre les hymnes. C’est ainsi que, Porte d’Év. pl. 27, 7 et pl. 60, 6, l’huile, appliquée sur le front du dieu ou sur le mufle du veau sacré « glorifie » ceux qu’elle a touchés. 18

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Le bras de Sekhmet but lunaire de ce dieu25. Faute de connaître une allusion mythologique relative au «bras de Sekhmet», peut-être pourrait-on songer à un objet concret utilisé par les prêtres et lié à l’activité de la terrible lionne dans le sacrifice. Jan Quaegebeur s’est intéressé à une statue de Sekhmet qui se dresse à côté d’un autel à cornes sur le parvis du temple d’Opet. Il a fait valoir à cette occasion les liens «entre cette déesse et l’anéantissement des ennemis par le feu, d’une part, et entre les déesses-léonines carnivores et la boucherie, d’autre part», et, sur un plan concret, montré que l’association de l’aire d’abattage et d’autels-à-feu était très bien attestée dans les temples à l’époque tardive, tant par l’archéologie que par les textes26. Sur le propylône du temple de Khonsou, le rite de consécration des victimes abattues, dont le texte a été présenté plus haut, est le prélude du rite de la scène symétrique, sur la face intérieure est du montant sud, par lequel le roi présente un petit autel-à-feu portatif, garni de viandes mises à rôtir (Porte d’Évergète, pl. 66, voir fig. 2). Sekhmet est bel et bien présente dans les deux tableaux: alors que le premier évoque son «bras», dans le second, Khonsou adresse au roi les mots suivants: «Je fais que Sekhmet prenne possession des adversaires à ton intention et que Bastet brûle tes opposants»27, promesse qu’il reformule en termes concrets: «Je renforce pour toi la flamme (“≈t) qui brûle les rebelles à ton intention, la dévoreuse (wnmyt) qui dévore (wnm) tes adversaires»28. La relation qui s’affirme en l’occurrence entre victimes égorgées et victimes rôties autour de Sekhmet correspond aux observations de Jan Quaegebeur. La terrible déesse est autant brasier de l’autel-à-feu que maîtresse de l’abattoir (nmt)29. Le «bras» imprime une marque (“b) sur les victimes. Le terme “b signifie couramment «marquer au fer», et occasionnellement aussi «marquer du sceau, tamponner d’un sceau»30.

25 G. Posener, «or», dans L. Lesko ed., Egyptological Studies in Hon. of R.A Parker, 1986, 111; A.-P. Zivie, «L’ibis, Thot et la coudée», BSFÉ 79, 1977, 22-41; J.F. Quack, «Das Pavianshaar und die Taten des Thot (pBrooklyn 47.218.48+85 3,1-6)», SAK 23, 1996, 326330. 26 J. Quaegebeur, «L’autel-à-feu et l’abattoir en Égypte tardive», dans J. Quaegebeur ed., Ritual and Sacrifice in the Ancient Near East (Actes du coll. intern. Louvain 17-20 avril 1990), OLA 55, 1993, 329-353 et plus particulièrement 332-333. Voir aussi J. Yoyotte 1981: 90-91. 27 Porte d’Év., pl. 66, 16. Sur la mention de Bastet en contexte thébain, cf. P. Vernus, «La déesse dangereuse et le rituel de protéger la ville au début de la XIIe dynastie», RdÉ38, 1987, 163-167 et la littérature citée n. 23. 28 Porte d’Év., pl. 66, 17. L’image de la flamme dévoreuse est un topos dans les textes pariétaux des temples et n’est pas une nouveauté: on la retrouve en une formulation analogue e.g. à l’époque ramesside, S. Schott, Kanais, der Tempel Sethos. I im Wâdi Mia, NAWG, 1961, pl. 19, texte C, coll. 15-16 et p. 155-156, n° 25 : (le mauvais fonctionnaire est destiné) « à la flamme (“≈t), pour qu’elle dévore (wnm) ses membres ». 29 Pour l’abattoir de Sekhmet, voir e.g. G. Lefebvre, Tombeau de Petosiris, II, 1923, 63.4. Pour l’activité de Sekhmet en général, voir Ph. Germond, Sekhmet et la protection du monde, AH 9, 1981. 30 «Marquer au fer»: D. Meeks, Année Lexicographique 77.0025, 78.0017, 79.0017; W. Erichsen, Dem. Glossar, 17; «marquer du sceau»: P. Anastasi V, 10, 2; H. Wild, «Statue de Hor-Néfer au Musée des Beaux-Arts de Lausanne», BIFAO 54, 1954, 200 et n. 35; H.-W. Fischer-Elfert, Die Vision von der Statue im Stein, Schriften der Philosophisch-historischen Klasse der Heidelberger Akademie der Wissenschaften, Bd 5, Heidelberg 1998, 34, 45, 50.

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Françoise Labrique Le clergé de la déesse, «prêtres-ouâb de Sekhmet», rassemblait les experts chargés de la sélection des animaux, attestés depuis l’Ancien Empire31. Hérodote raconte qu’après l’expertise, le prêtre – du moins à Memphis – marque (shmaivnetai) la bête «avec une bande de papyrus qu’il enroule autour des cornes, met dessus de la terre sigillaire et y appose son cachet (to;n daktuvlion); cela fait, on emmène la bête. À quiconque sacrifie un taureau ne portant pas la marque, la punition infligée est la mort»32. Il existe un terme, m≈tmw, « bêtes marquées du sceau », pour désigner les animaux sélectionnés de la sorte pour le sacrifice sur l’autel-à-feu33. Comme le signale Jean Yoyotte, la pratique décrite en l’occurrence trouve un écho notamment dans un texte hiéroglyphique qui évoque l’expertise des victimes par le prêtre de Sekhmet: «nombre de tes bestiaux mâles sont dans l’enclos-où-on-scelle (m≈tmt), conformément à la science du prêtre-ouâb de Sekhmet, et les brasiers (©≈) qui en sont chargés brûlent à ton profit à la fête de chaque dieu»34 . Cette opération marque le début des gestes conduisant à l’exécution du sacrifice dans le temple. L’image imprimée par le sceau du moschosphragiste est généralement celle de l’ennemi, auquel elle assimile la victime35. Toutefois, le support de l’empreinte est de la terre sigillaire, qui sèche et durcit, sans intervention du feu; il scelle une bandelette de papyrus, mais ne s’applique pas sur le corps. La tradition égyptienne nous informe sur divers ennemis marqués, dont certains, à l’aide d’un sceau (≈tm). C’est le sort décrit par des textes d’exécration datant de la XXXe dynastie : on scelle les bouches, les lèvres, les bras, les jambes, les cous, les gorges, les corps, de tous ceux qui expriment leur opposition au roi, pour anéantir successivement toutes leurs fonctions vitales et leur ôter leur mobilité36. Mais en l’occurrence, ces victimes ne sont pas des êtres animés: ce sont des figurines que l’on manipule de la sorte.

31 Yoyotte 1980-1981: 53; Fr. von Känel, Les prêtres-ouâb de Sekhmet et les conjurateurs de Serket, (Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences religieuses, vol. 87), Paris 1984, 255-277; H. Engelmann & J. Hallof, «Der Sachmetpriester, ein früher Repräsentant der Hygiene und des Seuchenschutzes», SAK 23, 1996, 103-146. 32 II, 38. 33 Stèle de la Famine, 26 (voir P. Barguet, Bibliothèque d’Études 24, 1953, 30: «Que l’on donne les bêtes marquées du sceau (m≈tmw) en tout holocauste (“‡rw) et offrandes de chaque jour » ; contra : H. Goedicke, Comments on the “Famine Stela”, Varia Aegyptiaca Supplement 5, 1994, 104-105). 34 G. Lefebvre, Tombeau de Petosiris, II, 1923, 58.26; von Känel 1984: 119-120, n° 31 (o). Voir aussi Edfou VII, 317, 4. Engelmann & Hallof 1996; le prêtre de Sekhmet vérifie que l’animal ne porte pas les marques d’un animal sacré et que sa chair est saine et donc propre à la consommation; il dirige aussi le dépeçage et la répartition des morceaux: il est responsable du rituel mais aussi de l’hygiène (p. 123 sq.). C’est un spécialiste dans le personnel des maisons de vie, maîtrisant la littérature médicale et veillant dans ce domaine à l’usage pratique des textes sacrés (p. 132). Son activité se commercialise à l’époque romaine. Son rôle principal demeure la protection des vivres de la table du dieu (p. 135). 35 Cf. G. Posener, «Les empreintes magiques de Giseh et les morts dangereux», MDAIK 16, 1958, 257; W. Boochs, Siegel und Siegeln im Alten Ägypten, Kölner Forschungen zu Kunst und Altertum 4, 1982, 25-26. 36 S. Schott, «Drei Sprüche gegen Feinde», ZÄS 65, 1930, 35-42.

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Le bras de Sekhmet On connaît aussi un certain nombre d’“ennemis” marqués au fer rouge, qu’il s’agisse de condamnés ou de captifs de guerre37. Sur les parois du temple de Médinet Habou à Thèbes, dans une scène qui célèbre la victoire de Ramsès III sur les peuples de la mer, les Égyptiens marquent au fer l’épaule droite des prisonniers de guerre réduits en esclavage38; selon le Papyrus Harris I, ce traitement s’applique, dans le cas des Libyens vaincus par le même roi, aux combattants vaincus, à leurs femmes et à leurs enfants39. Sur le propylône ptolémaïque de Khonsou, le dieu est qualifié de «Marqueur (“b) qui punit le crime des criminels tandis que ceux qui ont le cœur droit ont sa faveur». Dans l’au-delà, le défunt court le risque d’être marqué de la sorte40. Selon une grande compilation sacerdotale d’époque tardive, Seth, réduit à l’impuissance par Anubis, est lui aussi marqué au fer41. Au plan métaphorique, un chant d’amour évoque l’amant marqué du sceau de sa bien-aimée42. La ferrade du bétail était d’usage courant; elle est représentée de manière précise et détaillée dans les tombes de Houy et de Nebamon: dressé sur les braises ou appliqué sur la bête entravée et couchée, le fer est constitué d’un manche droit ou de la forme de l’hiéroglyphe w“Ì, et d’une base ovale ou rectangulaire contenant le nom du propriétaire43. Jean-Luc Chappaz m’a très aimablement signalé l’existence d’un fer à marquer, dont la photographie a paru dans un catalogue de vente zürichois. Le manche droit mesure 16 cm, et la marque hiéroglyphique à imprimer, 5,8 cm de long. «S’il est authentique», il remonte à l’époque amarnienne et «marquait le bétail au nom de s“-nsw.t Mk-Ótn»44. Les marques apparaissent clairement sur l’arrière-train des bœufs gras défilant dans la procession de Ramsès II au temple de Louxor45. Dans le mobilier funéraire de Toutankhamon, un ibex est représenté en albâtre, couché sur le ventre, les pattes repliées,

37 Cf. D. Meeks, «Notes de lexicographie (§ 1)», RdÉ 26, 1974, 64; Sh. Allam, «Trois missives d’un commandant (Pap. CGC 58053-5)», ASAE 71, 1987, 18 n. jj: sur le marquage de conscrits. 38 H.H. Nelson, Medinet Habu I (OIP VIII), pl. 42, bas, à droite. 39 77, 5-6 (P. Grandet, BdÉ 109, 1, trad. 337). 40 J. Zandee, Death as an Enemy, Leyde 1960, 225. 41 pJumilhac, II, 11. Pour le marquage de Seth ou de ses affidés, voir aussi pChester Beatty III, 11 (A.H. Gardiner, Hieratic Papyri in the British Museum, Third Series, London, British Museum, 1935, pl. 8 et p. 20: texte lacunaire); Meeks 1974: 64. 42 pChester-Beatty I, rt, 17, 3 (A.H. Gardiner, The Chester Beatty Papyri, n° I, London 1931, p. 37, n. 2; trad. B. Mathieu, La poésie amoureuse de l’Égypte ancienne, BdÉ 115, 1996, 3334 et commentaire 50 n. 134). 43 N. de Garis Davies & A.H. Gardiner, The Tomb of Îuy “Viceroy” of Nubia in the reign of Tut’ankhamun’, TTS 4, 1926, pl. 40, 1; N. de Garis Davies, The Tombs of two officials of Thutmosis the Fourth, TTS 3, 1923, pl. 32; Meeks 1974: 63-64. Voir aussi H. Loffet & V. Matoïan, «Le papyrus de Varzy», RdÉ 47, 1996, 31-32; pVarzy, 1-2 (p. 34-35), document que je remercie Ph. Collombert de m’avoir signalé. 44 J.-L. Chappaz, lettre du 4 août 2000; photographie parue dans Nefer 2, 1984 (Galerie Nefer, Augustinergasse 14, 8001, Zürich), n° 26. 45 J. Leclant, «La “Mascarade” des bœufs gras et le triomphe de l’Égypte», MDAIK 14, 1956, pl. VII-VIII et p. 133 n. 5.

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Françoise Labrique la tête dressée, tirant légèrement la langue: sur son épaule gauche est peint un cartouche royal contenant Nebkheperourê, le nom du trône de Toutankhamon46. Le but de ces marques au fer paraît différent de celui des sceaux utilisés par les prêtres chargés de sélectionner les animaux à sacrifier: il s’agit ici d’indiquer le nom du propriétaire de l’être marqué. Celui-ci ne s’appartient plus mais n’est pas nécessairement mis à mort. Les captifs de Ramsès III sont réduits en esclavage et gardés en vie. Le marquage des bestiaux permet de reconnaître de quel troupeau ils font partie. Seth marqué par Anubis a perdu sa liberté: il est soumis sans être anéanti. L’amant se veut propriété bien vivante de sa belle. Le «bras de Sekhmet» pourrait désigner un fer à marquer, imprimant le nom du roi sur les ennemis que Khonsou lui livre. Selon le discours du dieu «si je te donne… ceux qui te sont rebelles, proprement égorgés par ton couteau, la marque du bras de Sekhmet sur leur corps, c’est pour qu’ils ne puissent échapper à ton contrôle, à jamais», les ennemis du roi sont certes exterminés, mais la marque au fer signale de surcroît qu’ils sont entièrement dépossédés et donc définitivement sous le contrôle du roi dont ils portent le nom, jusque dans l’au-delà. Eugene Cruz-Uribe a étudié quelques documents démotiques, relatifs pour la plupart à la vente, à la location ou encore à l’échange de têtes de bétail. Pour les animaux concernés, on mentionne le plus souvent le sexe, l’état – la vache est-elle gravide? –, l’utilité, et en particulier la marque au fer (µ“b), présente sur une patte antérieure ou sur la cuisse. Les marques sont généralement mises en relation avec une divinité: Amon, Amon de Djêmé, Horus, Isis, ce qui, selon l’auteur, pourrait indiquer que les propriétaires étaient associés aux cultes de ces divinités ou utilisaient du moins des symboles en vogue dans leur société47; sans doute existait-il un livre dans lequel ces marques étaient répertoriées48. Aurions-nous affaire, avec le «bras de Sekhmet», à une marque au fer (µ“b) au nom de Sekhmet? On pourrait songer éventuellement à l’estampille de l’expert signalant que la viande est propre à la consommation. Il reste que les ennemis sont livrés par Khonsou au roi et à son contrôle absolu, de sorte qu’on attendrait logiquement, me semble-t-il, une marque au nom du roi. Dans ce cas, le «bras» de cette déesse-flamme pourrait être, dans la langue des arcanes, le nom rituel correspondant au trivial “bw «fer à marquer», tout comme le «bras d’Horus» alterne avec

46 JE 62122 = PM I 580 (vase Carter n° 584): I.E.S. Edwards, Tutankhamun: his tomb and its treasures, New York, 1978, 219; je remercie Luc Delvaux d’avoir attiré mon attention sur cet objet. Voir aussi le couvercle de jarre à onguent n° JE 62119 (= Carter n° 211; voir le catalogue Tutanchamun in Köln, Mainz 1980, n° 49): un lion en albâtre, représenté dans la même position que l’ibex, avec le même cartouche sur l’épaule droite. 47 Saite and Persian Demotic Cattle Documents, American Studies in Papyrology 26, Chico 1985, 51: documents originaires d’El-Hibeh, de Thèbes, et sans doute d’Edfou. Sur la partie du corps marquée selon le type d’animal, cf. Sv. P. Vleeming, The Gooseherds of Hou, Studia Demotica III, 1991, 133 note ii; sur les noms divins de plusieurs de ces marques: ibid. 118119; je remercie Philippe Collombert de m’avoir signalé ce dernier ouvrage. 48 Suggestion d’U. Verhoeven, Das Saitische Totenbuch der Iahtesnacht, Papyrologische Texte und Abhandlungen, Bd 41, 1, Bonn, 1993, 215 n. 1, sur laquelle Dagmar Budde a attiré mon attention.

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Le bras de Sekhmet sÌtpy, «l’encensoir», ou «bras de Ir» avec gstµ, «la palette», selon un principe qui a été évoqué notamment pour le rituel de l’Ouverture de la Bouche49. Si le «Bras de Sekhmet» est à comprendre comme un «fer à marquer», on se demandera pourquoi, alors que le sacrifice est fréquent, ce que nous interprétons comme le nom rituel de l’instrument de marquage, outil courant, n’est apparemment attesté qu’une seule fois. On suggèrera l’hypothèse suivante: dans la pratique du culte, si l’encensoir, la palette, font partie de l’attirail utilisé dans le temple, le fer à marquer ne trouve sa place que dans un espace extérieur au temple proprement dit et dans un temps préalable à la sélection des victimes choisies dans le troupeau appartenant au dieu. La marque au fer signale le début du processus conduisant au sacrifice. L’animal marqué est signalé comme victime potentielle. Ceci se passe non dans le sanctuaire mais dans le domaine du dieu, à l’aide d’un instrument qui n’a normalement pas sa place dans le temple. Ce n’est qu’ensuite, parfois bien plus tard que la bête, éventuellement engraissée, peut être sélectionnée dans les troupeaux appartenant déjà au dieu, marquée du sceau des experts, prêtres de Sekhmet, et sacrifiée dans le temple. Le fait de décrire un rite en en présentant les étapes préliminaires concrètes, ou encore en évoquant une glose théologique rare, caractérise le style de l’auteur des textes du propylône de Khonsou50. Sekhmet est évoquée dans les deux scènes symétriques de la consécration des trois mammifères (pl. 46) et du rôtissage de la viande (pl. 66); elle se trouve ainsi présente aux deux étapes extrêmes de la transformation de l’animal en victime: lorsque le fer à marquer fait de lui la propriété du dieu dans le domaine (pl. 46), et lorsque la flamme de l’autel prend possession de ses chairs (pl. 66).

Abréviations AH = Aegyptiaca Helvetica, Bâle/Genève ASAÉ = Annales du Service des Antiquités de l’Égypte, Le Caire BdÉ = Bibliothèque d’Études, Institut Français d’Archéologie Orientale, Le Caire BiOr = Bibliotheca Orientalis, Leyde BSFÉ = Bulletin de la Société d’Égyptologie Française, Paris MDAIK = Mitteilungen des Deutschen Archäologischen Instituts, Abteilung Kairo, Berlin, Wiesbaden, Mayence MIFAO = Mémoires publiés par les membres de l’Institut français d’archéologie orientale, Le Caire NAWG = Nachrichten von der Akademie der Wissenschaften zu Göttingen, Phil. hist. Klasse OIP = Oriental Institute Publications, Université de Chicago OLA = Orientalia Lovaniensia Analecta, Louvain RdÉ = Revue d’Égyptologie, Le Caire, Paris SAGA = Studien zur Archäologie und Geschichte Altägyptens, Heidelberg

49 Fischer-Elfert 1998: 8 sq., en particulier 50 n. 117, renvoyant, pour les textes des sarcophages, à D. Bidoli, Die Sprüche der Fangnetze in den altägyptischen Sargtexten, Glückstadt 1976, 30; je ne pense donc pas qu’il faille nécessairement envisager deux types de palettes, comme le font Loffet & Matoïan 1996: 33. 50 Cf. Labrique 1998.

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Françoise Labrique SAK = Studien zur altägyptischen Kultur, Hamburg TTS = The Theban Tombs Series, London ZÄS = Zeitschrift für ägyptische Sprache und Altertumskunde, Leipzig, Berlin

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Abstract The propylon with Ptolemaic decoration at the temple of Khonsu in Karnak details the items of this solemn meal the king offers to the god: the animal victims, set among other foods and riches, are clearly shown as the enemies the king destroys with the help of the god, to lay hands on the riches of Egypt. The paper focuses on the references to Sekhmet’s arm branding the rebels (alias the victims). Sekhmet, a voracious lioness, is the fire that annihilates the enemies as well as the victims on the fire altars. 173

Françoise Labrique Now the animals selected by the priests for the divine meal were marked with the seal and not branded. Sekhmet’s arm must point especially to the branding iron used for marking the sign of the divine or human owner on the cattle or on the prisoners that belonged to him. Thus Sekhmet frames the fate of the victim at both its ends, the moment when it is branded for the god and the moment when the flames of the altar seize upon its flesh.

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Le bras de Sekhmet

Fig. 1. – Le roi consacre devant Khonsou hiéracocéphale trois mammifères ligotés et décapités. D’après P. Clère, La Porte d’Évergète à Karnak, MIFAO 84, Le Caire, 1961, pl. 46 (intérieur ouest – montant sud – 4e registre).

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Françoise Labrique

Fig. 2. – Le roi présente à Khonsou hiéracocéphale un autel-à-feu portatif garni de viandes mises à rôtir. D’après P. Clère, La Porte d’Évergète à Karnak, MIFAO 84, Le Caire, 1961, pl. 66 (intérieur est – montant sud – 4e registre).

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L’ESPACE SACRIFICIEL DANS LE JUDAÏSME DU SECOND TEMPLE Francis SCHMIDT École Pratique des Hautes Études, Paris Entre toutes les théories générales sur le sacrifice, les quelques pages que Claude Lévi-Strauss a consacrées à ce sujet dans la Pensée sauvage1, illuminent d’une vive clarté le sacrifice biblique et juif antique. Dans ces pages, partant de l’exemple des Nuer, Lévi-Strauss définit le sacrifice comme étant fondé sur la contiguïté (ou la métonymie) par opposition à la pensée totémique qui, elle, est fondée sur la métaphore. Pourquoi la contiguïté? Parce que le sacrifice a pour fonction de mettre en relation deux «réservoirs», le «réservoir humain» et le «réservoir divin». Dans la première phase du rituel sacrificiel, l’offrande de l’animal instaure un rapport de contiguïté qui va «du sacrifiant au sacrificateur, du sacrificateur à la victime, et de la victime sacralisée au contact de l’autel à la divinité». Le point essentiel de la définition de Lévi-Strauss est que, pour qu’il y ait communication d’un réservoir à l’autre, il faut qu’il y ait rupture. Vient en effet une deuxième phase, où la destruction de la victime rompt cette chaîne de contiguïté allant de l’homme à la divinité. Cette rupture crée alors les conditions nécessaires à la troisième phase, celle d’une «continuité compensatrice», que Lévi-Strauss désigne comme «l’octroi de la grâce divine». Mon propos n’est pas d’approfondir cette question du sacrifice comme destruction2. Je voudrais m’interroger ici sur une autre rupture, dont Lévi-Strauss ne parle pas, qui est la radicale et nécessaire rupture, dans le rite sacrificiel biblique et juif antique, du champ du sacré avec le champ du profane3. * Les contradictions entre les lois bibliques régissant les conditions d’abattage, tant des victimes sacrificielles au Temple que du bétail égorgé hors du Temple ou du gibier tué à la chasse, et les prescriptions relatives à la consommation des viandes (qu’il s’agisse des viandes sacrificielles ou des viandes de consommation ordinaire) ont donné lieu à l’époque du second Temple à diverses interprétations qui sont à l’origine de plusieurs législations. Celle de la Communauté de Qoumrân sera examinée à partir de deux documents du deuxième siècle avant notre ère. Celle des autorités du Temple sera présentée par un témoignage indirect remontant à la fin du troisième siècle, celui de l’Édit d’Antiochos III. Enfin la législation rabbinique sera analysée, pour la fin de

1

Lévi-Strauss 1962: 295-302. Sur la destruction par le feu dans le sacrifice grec, voir, dans ce volume, les remarques de Jesper Svenbro. 3 Une version longue de cette recherche sur l’espace sacrificiel est parue dans le volume Food and Identity (History of the Ancient Near East Studies, IX), Padoue, 2004, sous la direction de Cristiano Grottanelli et Lucio Milano. Le texte ci-dessous en est la version remaniée et abrégée. Mes vifs remerciements aux auditeurs de mon séminaire de l’EPHE, ainsi qu’à Christophe Batsch, Joan Branham, Christian Grappe, Cristiano Grottanelli, Alfred Marx, Lucio Milano, Évelyne et John Scheid pour leurs suggestions et leurs observations critiques. 2

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Francis Schmidt la période du Second Temple, à partir des traditions anciennes conservées dans la Michna et les Midrachim halakhiques. Trois modèles donc, qui témoignent en particulier des variations du statut de Jérusalem au regard des lois régissant la consommation des viandes sacrificielles, ainsi que des polémiques auxquelles se livraient sur cette question les différentes composantes de la société juive.

I. Les Lois bibliques sur l’abattage et la consommation des viandes: Lévitique 17 versus Deutéronome 12 S’agissant de la viande consommable provenant des animaux purs, la Torah énonce les règles qui en régissent la consommation ainsi que les modalités d’abattage, sous deux formes différentes, en Lévitique 17 et en Deutéronome 12. La législation de Lévitique 17 se donne comme étant celle des Hébreux assemblés autour de la Tente de la Rencontre dans le camp au désert. Qu’il suffise ici de rappeler que sur la question des conditions d’abattage et de consommation des viandes la tradition sacerdotale oppose les viandes sacrificielles (Lv 17, 3-12) à celle des animaux chassés (Lv 17, 13-14). Il fait interdiction à tout Israélite d’abattre (‡æÌa†) un animal sacrifiable «dans le camp» ou même «hors du camp» sans l’amener devant la Tente de la rencontre (Lv 17, 3-4). Les viandes sacrificielles doivent être consommées à proximité de la Demeure de Yahvé, après que le sang en aura été aspergé sur le pourtour de l’autel (cf. Lv 3, 2; 17, 6), à l’occasion du seul sacrifice donnant lieu à un partage de la victime entre Dieu, les prêtres et l’offrant: le sacrifice «de communion» (‡elæmîm). Pour ce qui est du gibier, comme la gazelle ou le cerf, le chasseur en versera le sang et le recouvrira de terre (Lv 17, 13), puis en consommera la viande à distance de l’espace sacré de la Demeure. À cette législation du Lévitique, s’oppose celle de Deutéronome 12, qui légifère pour un temps où le peuple habitera la terre d’Israël autour d’un Sanctuaire unique. Comparé à Lévitique 17, Deutéronome 12 présente un écart significatif sur la question du mode d’abattage et des lieux de consommation. Comme dans le Lévitique, les viandes sacrificielles sont consommées à proximité du Lieu choisi par le Seigneur (Dt 12, 5-7, 27). De même la consommation du gibier est autorisée dans les villes éloignées du Sanctuaire (Dt 12, 15, 22). Mais à ces deux modes d’abattage et de consommation communs au Lévitique et au Deutéronome, Dt 12 en ajoute un troisième. Ceux qui habitent les villes éloignées du Sanctuaire sont autorisés à abattre de façon profane gros ou petit bétail (c’est-à-dire les animaux sacrifiables) et à en consommer la viande au titre de viande ordinaire (Dt 12, 20-21). De plus sont précisées les conditions dans lesquelles doit être effectué cet abattage profane: comme dans le cas de la chasse (cerf ou gazelle), on en versera le sang sur la terre «comme de l’eau» (Dt 12, 24). Autrement dit, contrairement à la législation du Lévitique, il n’est plus nécessaire de recouvrir le sang de terre. Ces deux législations se différencient sur la question des modalités de l’abattage ordinaire. Un premier écart porte sur les conditions rituelles dans lesquelles est effectué l’abattage ordinaire, en particulier sur le rite de versement du sang, avec ou sans recouvrement de terre4. 4 Ce rite de versement du sang a donné naissance, à la fin de la période du Second Temple, à deux traditions halakhiques, l’une “sacerdotale” (et notamment qoumrânienne), l’autre rabbinique, qui ont été analysées et comparées par Werman 1995: 621-636.

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L’espace sacrificiel dans le judaïsme du second Temple Surtout le principal écart entre ces deux lois bibliques tient au fait que Dt 12 autorise explicitement l’abattage ordinaire des espèces sacrifiables, alors que Lv 17 ne se prononce pas sur ce point. Toute la question est de savoir s’il faut interpréter ce silence du Lévitique comme une interdiction de tout abattage profane autre que celui des bêtes chassées (et dans ce cas Lv 17, 3-4 et Dt 12, 20 sont en contradiction), ou si au contraire il doit être interprété comme une autorisation implicite de l’abattage des animaux sacrifiables en d’autres lieux que l’autel du Sanctuaire (dans ce cas il n’y a pas contradiction entre les deux lois). Comment cette difficulté a-t-elle été résolue dans le Judaïsme ancien? Différentes exégèses ont été proposées sur lesquelles ont été fondées différentes halakhot organisant diversement l’espace sacrificiel. On analysera tout d’abord deux documents représentatifs des exégèses et de la législation qoumrânienne.

II. La législation qoumrânienne. Le Rouleau du Temple (11QT 52, 13b 53, 8) La date et le milieu d’origine du Rouleau du Temple sont des questions très discutées5. La plupart des commentateurs considèrent que dans son état actuel le Rouleau du Temple a été achevé dans la deuxième moitié du deuxième siècle ou au début du premier siècle avant notre ère, et qu’il exprime les idées et la halakha de la Communauté6. C’est un écrit de caractère utopique qui légifère non pas pour le temps présent, mais pour un temps à venir, où toutes les tribus d’Israël seront à nouveau rassemblées autour d’un Sanctuaire restauré. Dans le Rouleau du Temple, la législation relative à l’abattage des animaux et à la consommation des viandes est énoncée aux colonnes 52, 13b à 53, 8. Cette législation se présente comme une harmonisation des deux codes de lois bibliques, Lv 17 et Dt 127. Voyons tout d’abord comment la législation du Rouleau du Temple concilie ou précise les données divergentes de Lv 17 et de Dt 12 sur la question des espaces d’abattage et de consommation des viandes?8 1. À trois jours de marche Tu n’immoleras (zæbaÌ) de bœuf, de mouton ou de chèvre purs dans aucune de tes villes (si elle est) à trois jours de marche de mon Sanctuaire, mais c’est au milieu de mon Sanctuaire que tu l’immoleras (zæbaÌ) en en faisant un holocauste ou un sacrifice de communion, et tu le mangeras en faisant fête devant moi, dans le lieu que je choisirai pour y mettre mon nom (52, 13b-16a).

5 Qimron 1996: 76-77 (dans E. Qimron & F.G. García Martínez 1996). Yadin 1983: I, 308320; II, 231-241. Je reprends ici la traduction de Caquot 1987: 113-114. 6 Sur cette discussion, voir Schmidt 1994: 159-168. 7 Tov 1991: 169-173. 8 Schiffman 1995: 69-84.

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Francis Schmidt La première règle (11QT 52, 13b-14a) interdit l’abattage sacrificiel «dans les villes» situées au-delà de trois jours de marche du Sanctuaire9. À cet interdit correspond la prescription suivante (14b-16a): à l’intérieur de ce périmètre toute bête sacrifiable sera conduite dans le Sanctuaire pour y être immolée. Dans le cas des sacrifices de communion la viande sera consommée «dans le lieu que je choisirai pour y mettre mon nom»10. Alors qu’en Dt 12 la loi biblique ne spécifie pas à quelle distance de l’autel l’abattage profane est interdit, 11QT 52, 14 apporte la précision: «à trois jours de marche». Cette distance séparant l’autel sacrificiel de l’espace où l’abattage et la consommation profanes sont autorisés est reprise d’Ex 3, 18 et 8, 21-2411. En effet dans ce récit de l’Exode les trois jours de marche indiquent la distance séparant les frontières de l’Égypte du lieu où les Hébreux sont autorisés à sacrifier sur l’autel du Tabernacle au désert. 2. À trente stades du Sanctuaire Toute bête pure qui porte une tare, tu la mangeras derrière ta porte (si c’est) à une distance de trente stades autour de mon Sanctuaire. Tu ne l’immoleras pas (zæbaÌ) à proximité du Sanctuaire, car c’est une viande impropre (52, 16b-18).

Cette nouvelle précision apportée par le Rouleau du Temple à la loi biblique concerne l’espace d’abattage et de consommation des bêtes affectées d’une tare et par conséquent impropres au sacrifice: ces animaux doivent être abattus et consommés «à une distance de trente stades autour de mon Sanctuaire». Cette précision topographique, absente du texte biblique, est propre au Rouleau du Temple et à un recueil législatif

9 Le sous-texte biblique de ce passage est Dt 12, 1-12 et 14 avec des références à Lv 17, 3 (Yadin 1983: I, 315-317; II, 231-232; Schiffman 1995: 73 et 76). Le verbe qui est utilisé ici n’est pas (‡æÌa† «égorger» comme en Lv 17, 3, mais zæbaÌ, «immoler» (comparer Dt 12, 15 et 21). Ce même verbe zæbaÌ, est repris en Rouleau du Temple 53, 3 dans un contexte où il s’agit de l’abattage ordinaire. Comme l’a établi Milgrom 1976: 1-17 (repris dans Milgrom 1991: 713718), dans la Bible, zæbaÌ désigne presque toujours l’abattage sacrificiel. Les seules exceptions sont précisément Dt 12, 15 et 21. Utiliser un vocable cultuel à propos de l’abattage ordinaire est une façon de souligner que pour être effectuée en-dehors de l’enceinte du Temple, cette mise à mort n’en est pas moins ritualisée. En utilisant le même verbe zæbaÌ, «immoler», pour désigner l’abattage sacrificiel (52, 13 et 15) et l’abattage ordinaire (53, 3), le Rouleau du Temple signifie que dans les deux cas il s’agit d’une mise à mort ritualisée. De ce point de vue il est impropre d’opposer à l’abattage sacré un abattage “profane”. 10 Comparer Dt 12, 5, 12. Ci-dessous, en Rouleau du Temple 52, 19-20, l’expression désigne la «Ville du Sanctuaire». 11 Yadin 1983: I, 317; Schiffman 1995: 77. D’après Shemesh 1999: 126-138, l’espace circonscrit par ces «trois jours de marche» correspondrait aux limites du pays d’Israël telles qu’elles sont précisées dans la Michna (Maaser chéni V, 2). Dans cette hypothèse, la loi interdisant l’abattage sacrificiel en tout autre lieu que le Temple de Jérusalem ferait partie des lois qui s’appliquent uniquement à l’intérieur du pays d’Israël, mais ne s’appliquent pas en-dehors d’Israël. L’auteur en donne pour preuve les sacrifices offerts en Égypte au Temple de Léontopolis. Cette hypothèse me paraît irrecevable. On ne peut pas interpréter le Rouleau du Temple en prenant pour norme la loi michnique, dans la mesure où il s’agit de deux traditions halakhiques en conflit. C’est avant tout le sous-texte biblique qui permet d’expliquer les apories du texte qoumrânien.

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L’espace sacrificiel dans le judaïsme du second Temple apparenté tout à la fois à l’Écrit de Damas et à la Règle de la Communauté12. Situé au-delà d’une distance de trente stades du Sanctuaire (c’est-à-dire à un peu plus de 5 km) et en deçà de la limite des trois jours de marche, ce nouvel espace est réservé à l’abattage et à la consommation des animaux disqualifiés pour l’autel. Quant aux règles d’abattage et de consommation de ces animaux impropres, elles sont précisées en 11QT 52, 10b-12a à propos des lois concernant les premiers-nés. Ainsi dans le cas des bêtes impropres au sacrifice qui doivent être abattues et consommées au-delà d’une distance de trente stades du Sanctuaire, l’abattage et la consommation se font suivant les même règles que celles prévues pour le gibier. 3. Dans la Ville du Sanctuaire Tu ne mangeras pas de viande de bœuf, de mouton ou de chèvre à l’intérieur de ma ville, celle que je consacrerai pour y mettre mon nom, sans que (la bête) soit entrée dans mon Sanctuaire. Là ils l’immoleront (zæbaÌ), répandront son sang sur la base de l’autel de l’holocauste et feront fumer sa graisse (52, 19-21)13.

L’expression «à l’intérieur de ma ville» désigne la «Ville du Sanctuaire» (¢ir hamiqda‡), c’est-à-dire la ville à l’intérieur de laquelle se trouve le Sanctuaire14, dont le statut au regard de la pureté est tout différent de celui des autres villes. Dans la Ville du Sanctuaire, dont les règles de pureté sont fixées sur le modèle de celles régissant le camp du désert, les rapports sexuels sont interdits15; les impurs, les aveugles, les hommes atteints d’écoulement, les lépreux sont exclus (11QT 45, 11-18)16. À l’inverse, tout ce qui entre dans cette ville, aliments et boissons, doit être pur (11QT 47, 3-18). En matière d’abattage et de nourriture carnée, les viandes d’animaux n’ayant pas été sacrifiés au Temple y sont interdites. Dans la Ville du Sanctuaire seules sont autorisées à la consommation les viandes des bêtes rituellement immolées à l’autel.

12 Sur le ris comme unité de distance, équivalente à un stade, cf. Yadin 1983: I, 317-318. Cette distance de trente stades est également mentionnée dans un fragment de 4Q265, dans un contexte traitant des lois sabbatiques. Le fragment est mutilé. Baumgarten (1999: 69-71) restaure la lacune à partir de Rouleau du Temple 52, 18-19 et propose la traduction suivante: «[Let no man eat the meat of an ox or lamb near the T]emple by a distance of thirty stades» (4Q265 fragment 7, II, 5-6). 13 Schiffman 1995: 78-80. Le sous-texte biblique de ce passage est Dt 12, 5-7. 14 D’après Schiffman 1985: 306-314, la «Ville du Sanctuaire» ne serait qu’une autre façon de désigner le Sanctuaire. Pour Schiffman en effet les limites de la Ville du Sanctuaire recoupent celle de l’enceinte du Temple, car il lui paraît impossible que les relations sexuelles soient interdites à Jérusalem (Rouleau du Temple 45, 11-12; Écrit de Damas 12, 1-2). Sur la critique de cet argument, voir Milgrom 1994: 125-128. Dans le même sens Schmidt 1994: 180-182 (et fig. 10). Et plus récemment Crawford 2001: 242-254. 15 Sur la souillure de la Ville du Sanctuaire à la suite de rapports sexuels, voir également Écrit de Damas 12, 1-2. Sur la souillure du Sanctuaire après des rapports sexuels, voir Rouleau du Temple 45, 10, Écrit de Damas 5, 7, et Psaumes de Salomon 8, 12: «Ils ont fréquenté l’autel du Seigneur, à la suite de toutes leurs souillures, et, du sang menstruel, ils ont souillé les sacrifices (thusias), telles des viandes profanes (hôs krea bebêla)». 16 Schiffman 1985: 306-314.

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Francis Schmidt 4. L’abattage ordinaire au-delà de trois jours de marche La colonne 53 du Rouleau du Temple porte entièrement sur les conditions d’abattage des bêtes d’élevage et de la consommation ordinaire de leurs viandes dans un troisième cercle, celui des villes situées au-delà de trois jours de marche du Sanctuaire. Tu immoleras (zæbaÌ) de ton bétail, petit ou gros, selon la bénédiction que je t’aurai accordée et tu le mangeras derrière ta porte, que tu sois pur ou impur, comme (si tu mangeais) de la gazelle ou du cerf. Seulement garde-toi bien de consommer le sang. Tu le répandras à terre comme de l’eau et tu le couvriras de poussière (11QT 53, 3-6)17.

Le rituel prévu par 11QT pour l’abattage ordinaire ne reprend pas les règles minimales de Dt 12, 24, où il suffit de verser le sang sur terre «comme de l’eau», mais celles plus exigeantes de Lv 17, 13, qui prescrivent de recouvrir de terre le sang versé. En définitive, le Rouleau du Temple organise le régime carné en trois cercles18. Le cercle intérieur, qui inclut la Ville du Sanctuaire, est celui de l’abattage et de la consommation sacrificiels. Le cercle médian, situé au-delà de trente stades et en deçà des trois jours de marche du Sanctuaire, est réservé à l’abattage et la consommation des bêtes impropres au sacrifice. Enfin le cercle extérieur, situé au-delà d’une distance de trois jours de marche du Sanctuaire, est celui de l’abattage profane. Ce dispositif spatial est confirmé par l’Exposé polémique de pratiques sectaires (4QMMT). Alors que le Rouleau du Temple énonce une législation de caractère utopique portant sur un avenir éloigné, l’Exposé polémique est un écrit qui, loin de se situer dans l’utopie, rapporte une controverse halakhique contemporaine des origines du mouvement sectaire. À la veille de la scission avec les autorités du Temple, les porte-parole de la secte marquent leur désaccord sur la question du statut de Jérusalem et des règles de pureté régissant la Ville Sainte.

II. L’Exposé polémique de pratiques sectaires (4QMMT) Ce document est un écrit polémique mettant en scène trois groupes opposés. Les rédacteurs s’expriment au nom d’une communauté dans laquelle on reconnaît un groupe précurseur de la Communauté de Qoumrân. Ce premier groupe s’adresse aux autorités du Temple, qu’il prend à témoin du conflit halakhique l’opposant à un troisième groupe dont l’interprétation de la Loi est proche de celle des Pharisiens. Il s’agit donc d’un écrit rédigé au milieu du deuxième siècle avant notre ère, dans la période précédant immédiatement la rupture de la Communauté de Qoumrân avec les autorités du Temple19.

17

Sur la comparaison du Rouleau du Temple 53, 2-8 avec Dt 12, 20-25, voir Tov 1991: 171-

173. 18

Ces trois aires ont été reconnues par Schiffman 1995: 83-84; et Milgrom 2000: 809-810.

19 Qimron & Strugnell 1994: 109-121. Traduction française et commentaire de Caquot 1996:

257-276.

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L’espace sacrificiel dans le judaïsme du second Temple 1. Le statut de Jérusalem [Au su]jet du texte “Un homme qui abat dans le camp ou] à l’extérieur du camp un bœuf, un mouton une chèvre [...]”, nous estimons quant à nous que c’est le Sanctuaire [qui est le Tabernacle, “Tente de la Rencontre”, et que c‘est Jé]rusalem qui est le “camp”. L’“extérieur du camp” [...] c’est le camp de leurs villes (4QMMT B, 27-31).

La halakha sur le lieu d’abattage à laquelle introduisent ces lignes est fondée sur l’exégèse de Lv 17, 3-4 20. Cette exégèse halakhique est celle du groupe des rédacteurs, précurseurs de la Communauté de Qoumrân. Le contexte polémique indique que les rédacteurs sont en conflit avec le troisième groupe sur l’interprétation de ces versets de la Torah, et en particulier sur les espaces avec lesquels il convient d’identifier le «camp» et l’«extérieur au camp». Pour les rédacteurs de 4QMMT, le «Tabernacle», «le camp» et «l’extérieur du camp» au désert mentionnés en Lv 17, 3-4 correspondent respectivement au Sanctuaire, à Jérusalem et aux autres villes du pays d’Israël. Plus loin l’Exposé polémique apporte une précision sur le statut de Jérusalem: «Or Jérusalem est le camp sacré et c’est le Lieu qu’Il a choisi parmi toutes les tribus [d’Israël], elle est la capitale des camps d’Israël» (B, 59-62). Pour les rédacteurs, l’espace de la ville de Jérusalem identifié au camp du désert est également un espace sacré. La mention de Jérusalem comme étant le Lieu (mæqôm) choisi par Dieu fait référence à Dt 12, 11 qui prescrit aux Israélites d’apporter leurs sacrifices «dans le Lieu choisi par le Seigneur votre Dieu pour y faire demeurer son nom». À ce titre Jérusalem fait partie intégrante de l’enceinte sacrée du Sanctuaire. Autrement dit, en identifiant Jérusalem au camp sacré du désert et au Lieu choisi par Dieu, 4QMMT étend l’aire de sacralité du Sanctuaire à la ville de Jérusalem21. C’est précisément sur cette question du statut de Jérusalem que porte le conflit exégétique et halakhique opposant les rédacteurs à leurs adversaires. Pour les premiers Jérusalem était incluse dans l’enceinte sacrée, alors que pour les seconds elle était audelà des limites du Sanctuaire. Si, pour les précurseurs de la Communauté de Qoumrân, Jérusalem est comprise comme une extension des parvis sacrés du Temple, cette ville doit être préservée de toute forme d’impureté, au même titre que la Ville du Sanctuaire dont il est question dans le Rouleau du Temple. On voit donc que le Rouleau du Temple et l’Exposé polémique des pratiques sectaires mettent en place ce que l’on pourrait appeler une spatialisation du régime carné (figure 1).

20

Qimron & Strugnell 1994: 142-144; 156-7. Caquot 1996: 265-6. Qimron & Strugnell 1994: 156-157. Voir en outre les pénétrantes analyses de Harrington 1997: 112-114. 21

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Francis Schmidt

Fig. 1. Spatialisation du régime carné d’après 11QT 52, 13-53, 8 et 4QMMT B, 27-31 Comment expliquer cette organisation de l’espace en différentes aires d’abattage et de consommation? Quelle est la fonction de ces limites topographiques? Et pour quelles raisons l’enceinte sacrée du Temple est-elle étendue à Jérusalem, la «Ville du Sanctuaire»? Une première constatation s’impose. L’espace est organisé en fonction de trois catégories de viandes: les viandes des bêtes ordinaires tuées et consommées au-delà de trois jours de marche du Sanctuaire; les viandes provenant des bêtes impropres au sacrifice; enfin les viandes des animaux sacrifiés sur l’autel, dont la manipulation requiert des conditions particulières de pureté. 2. Les viandes sacrificielles et la question des sancta L’occasion de manger des viandes sacrificielles est offerte, notamment à l’occasion des fêtes, par les sacrifices de communion, ‡elæmîm (Rouleau du Temple 52, 15). Ces viandes sacrificielles font partie d’une catégorie très particulière appelée qodæ‡îm ou sancta22. Est appelé sancta (qodæ‡îm), ou «choses saintes du Seigneur» (Lv 5, 15), tout ce qui est consacré à Dieu, ou se trouve en relation direct avec le Sanctuaire, qu’il s’agisse du personnel, des salles, du mobilier ou des objets cultuels, notamment ceux qui sont portés au contact de l’autel. À l’intérieur de la catégorie des sancta, on distingue ce qui est «très sacré» (qœde‡ qodæ‡îm) et ce qui est simplement «sacré» (qœde‡). En matière de sacrifice et de viandes sacrificielles, toutes relèvent de la première catégorie, celle des qœde‡ qodæ‡îm, à l’exception des viandes provenant des sacrifices de communion qui, elles, sont simplement qœde‡. On sait que les prêtres ont pour fonction de tenir séparées, de distinguer (hibdîl) les quatre catégories constitutives de ce que j’ai appelé “la pensée du Temple”: le sacré (qœde‡), le profane (Ìœl), le pur (†æhôr) et l’impur (†æmê‘)23. En ce qui concerne les 22 Sur les sancta, voir Milgrom 1974-75: 205-216 (repris dans Milgrom 1991: 320-326); Milgrom 1981: 278-310 (repris dans Milgrom 1991: 443-456); et Milgrom 1992: 137-146. 23 Cf. Lv 10, 10 et le commentaire de Milgrom 1991: 615-617. Schmidt 1994: 81-84.

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L’espace sacrificiel dans le judaïsme du second Temple viandes sacrées des sacrifices de communion, différents cas de figure sont susceptibles de se présenter24, dont les conséquences sont prévues par la Loi. Le seul cas de figure légitime et acceptable est la mise en contact des sancta avec le pur: «quiconque est pur peut manger de la viande» (Lv 7, 19). Ainsi les prêtres sont-ils tenus de manger les parts qui leur reviennent en compagnie de leur familles «dans un endroit pur» (Lv 10, 14). En revanche, il y a totale incompatibilité entre les sancta et l’impureté. Celui qui mange de la viande sacrificielle en état d’impureté est puni de la peine du retranchement (kærêt) de la communauté (Lv 7, 19-20). Et qu’en est-il du contact entre les sancta et le profane? En lui-même, le profane n’est ni pur ni impur. C’est un mélange de pur et d’impur: il est non marqué. C’est ici que se pose la question de la contamination et de la dangerosité du sacré. Car un contact illégitime entre les «choses saintes du Seigneur» et le profane constitue un sacrilège (ma¢al). Si la faute est involontaire, elle est passible d’une amende qui doit être remise aux prêtres et d’un sacrifice de réparation (Lv 5, 14-26). Si elle est volontaire, elle est passible de la peine de mort25. Qu’en est-il de la contamination (et de la dangerosité) de ce type particulier de sancta que sont les viandes saintes provenant des sacrifices de communion? Depuis le retour de l’Exil et pendant la période du Second Temple, non pas tout le champ du profane, humain et non-humain, mais seulement certains objets profanes sont susceptibles d’être exposés à la contamination des sancta. Dans un lumineux commentaire de Aggée 2, 12, J. Milgrom a mis en évidence la portée et les limites de la contamination des sancta: «Si quelqu’un – demande le prophète – porte de la viande sanctifiée dans le pan de son vêtement et, de ce pan, touche du pain, des légumes, du vin, de l’huile ou n’importe quel aliment, seront-ils sanctifiés?» Les prêtres répondirent et déclarèrent: «Non».

Que déduire de cette réponse autorisée des prêtres? À l’époque de Aggée la viande sacrée ne contamine plus les personnes; la sacralité ne se communique qu’aux objets; et encore ne se communique-t-elle pas à tous les objets: elle ne contamine pas les vêtements. Par contact direct, elle ne contamine que les nourritures. Il y a donc un double danger. Le premier menace l’enceinte du Sanctuaire de l’extérieur: c’est celui de l’impureté qui menace de souiller l’espace sacré. Le second danger provient de l’intérieur même du Sanctuaire: c’est celui du sacrilège occasionné par le contact illégitime des sancta avec quelque objet profane contaminable. Au contact des sancta, ces objets profanes deviennent sacrés. À ce titre ils doivent à leur tour être tenus à l’écart de toutes formes d’impureté26. En définitive, comment expliquer l’organisation de l’espace sacrificiel dans la législation qoumrânienne? La réponse à cette question réside dans l’incompatibilité entre les sancta et l’impureté, et dans les risques auxquels expose la contamination du pro-

24

Sur les cinq cas de figure pouvant théoriquement se présenter, voir Milgrom 1992: 139-

140. 25

Sur le sacrilège, voir Milgrom 1991: 345-356. Pour une comparaison avec les dangers encourus au contact de la sacralité (ou sacra) des dieux étrangers, voir, dans ce volume, la contribution de Chr. Batsch. 26

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Francis Schmidt fane par les sancta. Dans la législation qoumrânienne, le contrôle de ces deux dangers se fait par le contrôle de l’espace. Le contrôle de l’espace permet de circonscrire un lieu pur d’où soient rejetés les impurs et les sources d’impureté, et dont l’accès soit autorisé à ceux qui viennent des espaces profanes uniquement dans les conditions de pureté requise. Ce contrôle de l’espace permet également de réguler la circulation des viandes sacrificielles et des viandes ordinaires. Dans le Rouleau du Temple, la spatialisation de la consommation des sancta commence à l’intérieur même des parvis du Temple et s’étend jusqu’aux limites de la Ville du Sanctuaire. Suivant les circonstances et l’ordre auquel appartient le consommateur, prêtre, lévite ou laïc, les viandes sacrificielles sont consommées dans un lieu pur, soit dans les parvis intérieurs, soit dans la Ville du Sanctuaire27. Vient ensuite l’aire médiane, située au-delà de trente stades et en deçà de trois jours de marche du Sanctuaire. Dans la mesure où ce bétail est élevé en deçà de la limite des trois jours de marche, il est théoriquement destiné à être mis à mort dans les abattoirs du Temple et sacrifié sur l’autel. Si toutefois l’animal présente une tare, il devient impropre au sacrifice, et doit être abattu et consommé de façon ordinaire sur son lieu d’élevage. Le Rouleau du Temple (52, 16b-18) ne semble pas prévoir le cas des tares internes, qui ne sont décelables que dans l’abattoir du Temple, au moment où le corps dépecé de l’animal est examiné par les bouchers sacrificiels. Dans ce cas, la viande impropre au sacrifice est refusée par les sacrificateurs. Que les tares soient externes ou internes, ces viandes impropres, n’ayant pas été en contact avec l’autel, ne sont pas sanctifiées et n’ont pas le statut de sancta: ce sont des viandes ordinaires. Dès lors elles ne peuvent pas être consommées à Jérusalem dont la législation qoumrânienne fait une extension de l’enceinte sacrée du Sanctuaire. Tout comme les invalides et les impurs sont exclus de l’enceinte sacrée de la Ville du Sanctuaire et du Temple, de même y sont interdits les animaux et les viandes impropres.

III. L’Édit d’Antiochos III (Antiquités Juives XII, 145-146) Le troisième document énonce les prescriptions et les interdits régissant le régime carné des étrangers de passage ou résidant à Jérusalem. Il s’agit d’un document séleucide officiel rapporté par Flavius Josèphe, le Programma d’Antiochos III, dont l’authenticité a été établie par Bickerman28. Le document a été rédigé vers 200, à la fin de la cinquième guerre de Syrie qui met un terme à la domination lagide en Judée, lors du passage d’Antiochos III à Jérusalem29. Les autorités du Temple sont à l’initiative de cette réglementation qu’une ambassade juive conduite par Jean père d’Eupolème (2 Mac 4, 11) aura négociée auprès du Roi Antiochos. À la différence des législations

27 Quand les prêtres sont en service à proximité de l’autel, ils mangent leurs parts sacrificielles dans le parvis intérieur (Rouleau du Temple 37, 10-12). Quand ils ne sont pas en service, ils consomment leurs parts respectives en compagnie de leur famille dans le parvis extérieur (Rouleau du Temple 22, 8-14). Quant aux laïcs, les viandes sacrifiées à l’autel doivent obligatoirement être consommées à l’intérieur de la Ville du Sanctuaire (Rouleau du Temple 52, 1920). 28 Bickerman 1946-48: 67-85. Pour la discussion antérieure à Bickerman 1946-48, voir Marcus 1943-1966: 761-64. 29 Pour une analyse de l’arrière-plan historique, Will & Orrieux 1986: 97-112.

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L’espace sacrificiel dans le judaïsme du second Temple que nous venons de voir, pour lesquelles l’étranger restait en-dehors de la Terre Sainte, l’intérêt de ce Programma est de légiférer pour une situation nouvelle, celle où «l’étranger est dans la maison». Dès lors la question des viandes impures, qui étaient aux limites extérieures du système, se trouve maintenant posée au centre même du dispositif spatial du pur et de l’impur. Le principal intérêt de ce document est de nous présenter ce qui est défendu et ce qui est permis aux étrangers en matière de circulation et de consommation des viandes et des animaux à Jérusalem. Il s’agit de régler l’usage de ces viandes et de ces bêtes par les étrangers, en sorte que cet usage soit compatible avec la loi juive traditionnelle, telle du moins que l’interprètent les prêtres qui ont négocié ce compromis avec l’autorité séleucide. Article 1. «Il est interdit à tout étranger de pénétrer dans l’enceinte du Temple (eis ton peribolon tou hierou), qui est interdite aux Juifs eux-mêmes, si ce n’est à ceux qui le font après s’être purifiés conformément à la Loi de leurs ancêtres».

L’enceinte sacrée du Temple est donc nettement distinguée de la cité de Jérusalem dont il est question dans l’article suivant. Article 2. «Et qu’on n’importe dans la cité (eis tên polin) ni viande (krea) de cheval, ni de mulet, ni d’âne sauvage ou domestique, ni de léopard30, ni de renard, ni de lièvre, ni de façon générale, d’aucun animal interdit aux Juifs».

Toutes ces viandes interdites d’importation dans Jérusalem proviennent toutes d’animaux impurs interdits par la Loi (Lv 11 et Dt 14). A contrario, cet article implique que les seules viandes que les étrangers sont autorisés à faire entrer dans Jérusalem sont celles des animaux purs. Les viandes des animaux impurs sont interdites à Jérusalem non pas en vue d’en interdire la consommation aux étrangers (qui restent en-dehors du système du pur et de l’impur), mais parce qu’étant impures ces viandes sont elles-mêmes facteur d’impureté dans la Ville sainte. Quant aux viandes des animaux purs que les étrangers pourraient introduire à Jérusalem, dans la mesure où leur provenance (viandes sacrifiées aux idoles) et leur mode d’abattage (interdit du sang) sont incertains, elles ne sont ni achetables ni consommables par les Juifs. Elles ne sont destinées qu’à l’usage et à la consommation des étrangers eux-mêmes. Article 3. «Et qu’on n’y introduise non plus leurs peaux (tas doras)».

De même les peaux des animaux impurs sont interdites d’entrée à Jérusalem. Qu’il suffise ici de préciser, comme l’indique la comparaison avec le Rouleau du Temple 47, 7-18, qu’il s’agit des peaux susceptibles d’être utilisées pour la confection des outres dans lesquelles sont transportés l’huile, le vin et autres denrées alimentaires. Comparées à la législation du Rouleau du Temple, qui interdit dans la Ville du Sanctuaire les peaux des animaux purs abattus de façon profane dans d’autres villes, les dispositions du Programma sont moins radicales31. En effet celles-ci n’interdisent dans la cité 30 31

Grec: pardalis. Bickerman (1946-48: 73) traduit: «panthère». Milgrom 1980: 98.

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Francis Schmidt de Jérusalem que les peaux des animaux impurs mentionnés dans l’article 2. Le motif de cette interdiction est que, si elles étaient utilisées pour la fabrication d’outres, ces peaux, comme les viandes, seraient facteur d’impureté dans la Ville Sainte. Article 4. «Et même qu’on n’élève (trephein) aucun de ces animaux dans la ville».

Il s’agit maintenant des animaux vivants (articles 4 et 5). À l’interdiction, pour les étrangers, de faire entrer dans Jérusalem la viande (article 2) et les peaux (article 3) d’animaux impurs, s’ajoute l’interdiction d’élever dans la cité ces mêmes animaux vivants (tant domestiques que sauvages) interdits par la loi juive32. Il résulte en particulier de cette prescription, que des bêtes de somme ou de trait comme le cheval, le mulet ou l’âne, étant impurs (articles 2), sont interdits d’entrée et d’utilisation à Jérusalem. Article 5. «Il ne leur sera permis d’user (chrêsthai) que des animaux [sacrifiables] de leurs ancêtres (tois progonikois thumasin), parmi lesquels il faut aussi (aph’ hôn kai) choisir [les victimes] pour Dieu».

Après les commandements négatifs, vient enfin un commandement positif. Si tous les animaux impurs sont interdits à Jérusalem (article 4), quels sont alors les animaux vivants dont la présence y est autorisée? S’agit-il de tous les animaux purs, domestiques et sauvages (y compris ceux de la catégorie des herbivores purs, comme le cerf ou la gazelle), ou s’agit-il seulement des animaux domestiques sacrifiables (gros et petit bétail)? Autrement dit, faut-il comprendre tois progonikois thumasin au sens large: «les bêtes de boucherie traditionnelles» (traduction Bickerman)? Ou bien faut-il comprendre cette expression au sens étroit: «les animaux sacrificiels de leurs ancêtres» (traduction Will-Orrieux)? C’est-à-dire uniquement les bêtes sacrifiables sur l’autel, à l’exclusion de tout autre animal consommable (herbivore sauvage pur et bétail imparfait)? La difficulté tient à la traduction de thuma. Ce mot appartient au vocabulaire sacrificiel et désigne d’abord la victime. Mais dans la koiné, par extension de sens, il en vient à désigner tout bétail sur pied33. Bikerman propose d’étendre le sens premier de to thuma, «victime sacrificielle», au sens de «bétail sur pied». Mais puisque le contexte précise que ces animaux sont ceux «parmi lesquels il faut aussi (aph’ hôn kai) choisir [les victimes] pour Dieu», il paraît difficile qu’ici le mot thuma puisse également inclure les animaux sauvages purs qui eux ne sont pas sacrifiables. Quels sont alors les animaux vivants dont les étrangers sont autorisés à se servir dans Jérusalem? Dans cette interprétation sont autorisés tous les animaux purs théoriquement sacrifiables (sans préjuger du fait qu’ils soient propres ou impropres au sacrifice), à l’exclusion de tous les autres, sauvages purs ou domestiques impurs. 32 Caquot (1996: 269) rapproche cet article 4 de l’Édit d’Antiochos avec le cas du chien mentionné dans 4QMMT (4Q 394, 6, IV + 397, 6-13). Il semble pourtant que le cas du chien pose un problème particulier. En effet 4QMMT interdit sa présence dans Jérusalem, qui est «le camp sacré», dans la mesure où cet animal impur est susceptible de manger les os des sancta. 33 Bickerman 1946-48: 77-78; voir par ex. Gn 43, 16 (à l’arrivée des fils de Jacob en Égypte, Joseph demande à son intendant de tuer et de préparer des thumata). M. Harl (1986: 284) traduit «victimes».

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L’espace sacrificiel dans le judaïsme du second Temple De quel usage s’agit-il? D’après ce règlement, rien n’interdit aux étrangers résidents à Jérusalem d’utiliser ces bêtes vivantes soit comme bêtes de somme ou de trait, soit pour leur propre consommation, voire de les offrir en holocauste au Temple34. Rien non plus n’interdit aux étrangers de tirer profit de ces bêtes en les vendant aux Juifs. Comparant les règles énoncées dans ce Décret à la législation qoumrânienne relative au statut de Jérusalem, J. Milgrom35 a montré que cette dernière n’était pas le fruit d’une exégèse purement théorique. En effet la mention, commune à ces différents documents (voir ci-dessus l’article 3), de l’interdit des peaux indique que la législation du Rouleau du Temple, loin d’être pure utopie, correspond, sur ce point au moins, à une réglementation historiquement attestée au début de l’époque séleucide. La correspondance entre ces deux législations met en lumière la volonté des Qoumrâniens de restaurer Jérusalem dans un statut qui fut effectivement le sien dans la période prémaccabéenne36. Faut-il aller plus loin et déduire des règles de pureté très strictes confirmées par Antiochos III que la Jérusalem du troisième siècle avait un statut comparable à celui de la Ville du Sanctuaire que le Rouleau du Temple décrit comme une extension de l’enceinte sacrée du Temple et que l’Exposé polémique des pratiques sectaires (4QMMT) identifie au «camp sacré» du désert? Certainement pas. En effet les articles 1 et 2 du Programma distinguent nettement l’enceinte du Temple, interdite aux étrangers, de la polis qui au contraire leur est ouverte. De plus cette distinction entre l’espace sacré du Sanctuaire et l’espace de la Ville est confirmée par la Lettre royale à laquelle l’Édit est annexé37. Dans cette Lettre, le Roi annonce un certain nombre de mesures fiscales «afin que la cité soit rapidement repeuplée» (Antiquités juives XII, 143). La cité à laquelle s’applique une telle politique de repeuplement n’a évidemment rien à voir avec une cité qui serait organisée sur le modèle de la Ville du Sanctuaire dans laquelle les rapports sexuels sont interdits et d’où les impurs sont exclus. La Jérusalem d’Antiochos n’a donc pas un statut de haute sacralité équivalent à celui que le Rouleau du Temple attribue à la Ville du Sanctuaire. Néanmoins, en préservant Jérusalem de l’impureté des viandes, des peaux et des animaux impurs, le Programma reconnaît en elle une ville sainte, régie par des règles très strictes en matière de pureté.

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Sur les contributions sacrificielles au Temple de Jérusalem, tant animales que végétales, d’Antiochos III, voir la Lettre royale (Flavius Josèphe, Antiquités juives XII, 140), et le commentaire de Bickermann 1935: 12-15, 28-32. Sur le sacrifice de l’étranger, voir Schmidt 1994: 91-105. 35 Milgrom 1980: 98. Voir antérieurement Milgrom dans Yadin 1983: I, 310. Cette idée a été reprise par Milgrom 1989: 176; et à nouveau Milgrom 1994: 127. 36 Pour L.H. Schiffman au contraire, les prescriptions en matière de pureté de 4QMMT et du Rouleau du Temple sont «uniques et hautement originales». Il lui paraît donc excessif de soutenir que l’édit d’Antiochos témoignerait de l’existence au troisième siècle de pratiques similaires à celles sur lesquelles légifèrent les deux documents qoumrâniens. Voir Schiffman 1990: 442-448 (sur les peaux), et 445 (sur le décret d’Antiochos III). 37 Sur la Lettre royale, voir Bickermann 1935 : 4-35. Pour Will & Orrieux 1986: 97-103, la proclamation (programma) et la Lettre royale sont deux documents élaborés dans les mêmes circonstances. Dans la Lettre, Antiochos prend des mesures favorables aux Juifs, en raison de l’appui qu’il a trouvé au sein de la population juive, et notamment des notables, lors de son entrée à Jérusalem.

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Francis Schmidt Ces mesures, que les prêtres de Jérusalem obtinrent du Roi vers 200, furent de courte durée. Elles furent abolies en 174 par Jason, grand-prêtre hellénisé qui «inaugura des usages contraires à la Loi» (2 Mac 4, 11), et par la suite ne furent restaurées ni par les dirigeants maccabéens ni par les prêtres hasmonéens. Qu’au milieu du second siècle la question du statut de Jérusalem ait été un motif de désaccord entre les Qoumrâniens et les autorités du Temple, c’est ce dont témoigne l’Exposé polémique des pratiques sectaires (4QMMT). Que les Qoumrâniens aient été les seuls à conserver la volonté de restaurer Jérusalem dans son ancien statut, et qu’après leur rupture avec le Temple, ils aient radicalisé ce modèle et l’aient projeté dans une législation utopique, c’est ce dont témoigne le Rouleau du Temple.

IV. La législation rabbinique La Loi biblique dans sa double formulation, celle de Lv 17 et celle de Dt 12, est potentiellement porteuse d’une opposition entre deux conceptions et deux pratiques du régime carné. À la fin de la période du Second Temple, le fossé entre ces deux conceptions s’est creusé au point d’aboutir à ce qu’il n’est pas exagéré, je crois, d’appeler une véritable bataille des viandes, derrière laquelle résident d’autres divergences présentant d’autres enjeux: un conflit sur la question des sancta et des règles de pureté. Ce conflit a vu s’opposer en particulier les rigoristes que sont les gens de Qoumrân et les prédécesseurs immédiats des rabbins, les Pharisiens, qui, pour les Qoumrâniens, ne sont que «chercheurs d’accommodements». 1. Le statut de Jérusalem Qu’en est-il du statut de Jérusalem? On a vu que dans la législation qoumrânienne, Jérusalem appartient pleinement à l’enceinte sacrée du Temple. L’interprétation des Sages est toute différente38. Dans la tradition rabbinique en effet les limites de l’espace sacré du Sanctuaire, identifié au camp lévitique (maÌaneh lewiyyæh), s’arrêtent au Mont du Temple. En revanche la ville de Jérusalem, identifiée au camp d’Israël (maÌaneh yisræ‘êl), est en dehors de l’enceinte sacrée39. 2. La Halakha et la question de la spatialisation Parmi toutes les lois édictées par les Sages, les plus significatives sont certainement celles qui touchent à la question de la spatialisation. La législation qoumrânienne conciliait Lv 17 et Dt 12 en situant l’aire d’abattage et de consommation des viandes ordinaires à trois jours de marche du Sanctuaire et en prescrivant de consommer les sancta à l’intérieur de la Ville du Sanctuaire. Qu’en est-il de l’organisation de l’espace sacrificiel dans le système rabbinique? En quel lieu autorise-t-il l’abattage et la consommation des viandes ordinaires? En quel lieu prescrit-il de consommer les sancta?

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Sur l’utilisation de la littérature rabbinique ancienne, et notamment de la Michna, pour documenter l’histoire du Judaïsme du Second Temple, voir Baumgarten 1996: 1023-1024. De même, sur l’apport des Midrachim halakhiques, voir Fraade 1999: 109-125. 39 Schiffman 1985: 308.

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L’espace sacrificiel dans le judaïsme du second Temple 3. L’aire d’abattage et de consommation des viandes ordinaires Le Sifre sur le Deutéronome définit l’aire d’abattage et de consommation des viandes ordinaires dans son commentaire à Dt 12, 21: «Trop éloigné du lieu (mæqôm) choisi par l’Éternel, ton Dieu, comme siège de son Nom, tu pourras tuer (zæbaÌ), de la manière que je t’ai prescrite, de ton gros ou menu bétail...»40. Dans ce verset, le verbe zæbaÌ fait difficulté. Il s’agit d’un terme cultuel désignant presque toujours dans la Bible l’abattage sacrificiel, généralement traduit par «immoler» ou «tuer» (en vue d’un sacrifice). Dt 12, 15 et 21 sont les seules occurrences faisant exception à cet emploi général. L’anomalie sémantique tient au fait que dans ces deux versets zæbaÌ est employé dans un contexte d’abattage profane et non pas sacrificiel41. Le commentaire du Sifre à Dt 12, 21 commence par expliquer cette anomalie sémantique: pour fournir les viandes ordinaires, l’abattage “profane” n’en est pas moins un abattage rituel, réglé par une prescription divine au même titre que l’abattage sacrificiel. Il établit ensuite une comparaison entre ces deux formes d’abattage. Elles ont en commun la même technique de mise à mort: l’égorgement (‡æÌa†)42. Mais elles diffèrent sur l’endroit où l’abattage doit être effectué. De la manière que je t’ai prescrite: Tout comme les animaux consacrés (qodæ‡îm) doivent être égorgés rituellement (‡æÌa†), de même les animaux profanes (̺llîn) doivent être égorgés rituellement (‡æÌa†). [On pourrait penser que] tout comme les animaux consacrés doivent être égorgés dans “le lieu”, ainsi les animaux profanes doivent être égorgés dans “le lieu”; le verset dit: Trop éloigné du lieu (...) tu pourras tuer (zæbaÌ) etc. Lorsque le lieu est loin de vous, vous pouvez les tuer (zæbaÌ); mais non lorsque le lieu est proche, à la seule exception des animaux profanes égorgés (‡æÌa†) dans le parvis du Temple. Ce qui ne peut faire référence qu’aux animaux sans défaut. D’où savonsnous que cela s’applique aussi aux animaux présentant des défauts? [Nous le savons] du verset: Et on l’égorgera (‡æÌa†) à l’entrée de la Tente de la rencontre (Lv 3, 2) (Sifre Dt, Piska 75)43.

Les dernières lignes de cette citation du Sifre sont difficiles à comprendre. En effet, comment expliquer la présence d’animaux impropres dans le Sanctuaire? Et comment peut-on effectuer un abattage ordinaire à l’intérieur des parvis sacrés ? On est ici aux antipodes du dispositif qoumrânien. Le texte commence par s’interroger sur la situation de l’aire de l’abattage ordinaire. Tandis que les animaux consacrés (qodæ‡îm) sont tués (zæbaÌ) dans le «lieu», les animaux profanes (̺llîn) en revanche sont tués (zæbaÌ)

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Je cite ici les textes bibliques d’après la traduction du Rabbinat, Z. Kahn ed. 1999. Milgrom 1976: 1-3; 1991: 713-718. 42 Sur le problème lexicographique posé par l’ambiguïté du verbe ‡æÌa† et les exégèses rabbiniques, cf. Werman, 1995: 626, 632-633. Sur les emplois bibliques de ‡æÌa† et de zæbaÌ, voir ci-dessus, note 9. 43 Sur Sifre Dt, Piska 75, voir l’édition de Finkelstein 1939: 140. Traduction allemande: Bietenhard 1984: 242. Traduction anglaise: Hammer 1986: 128-129 et notes p. 426. Bietenhard, 1984: 242, n. 25 cite TB Qiddouchin 57b qui, de façon plus explicite, déduit de la répétition du verbe «égorger» (‡æÌa†) en Lv 3, 2, 8 et 13 que les animaux présentant des défauts peuvent également être égorgés (‡æÌa†) en prévision d’un sacrifice. Toutefois ces animaux reconnus impropres en raison de leur malformation interne ne pourront être consacrés à l’autel. 41

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Francis Schmidt loin du «lieu». Le «lieu» (mæqôm) désigne ici, comme ailleurs dans l’interprétation rabbinique, l’enceinte sacrée située sur le Mont du Temple, la ville de Jérusalem restant extérieure au temenos. L’abattage profane n’est donc autorisé qu’à l’extérieur du Mont du Temple. En ce qui concerne l’abattage sacrificiel, pour que les viandes acquièrent le statut de sancta, encore faut-il que le sang soit versé autour de l’autel, que la bête dépecée soit examinée et déclarée parfaite, et que les viandes découpées soient mises en contact avec l’autel. Telle est la règle générale. Toutefois la fin de la citation du Sifre envisage le cas particulier des animaux irrecevables parce que présentant quelque défaut interne qui aurait été détecté à l’examen44. Ne pouvant pas être portées à l’autel, ces viandes ne sont pas consacrables et demeurent «profanes» (̺llîn). Ces animaux impropres (sans doute faut-il préciser: dont l’impropriété est interne) appartiennent donc à une catégorie exceptionnelle, celle dont l’abattage profane est effectué à l’intérieur même de l’enceinte sacrée du Sanctuaire. En revanche les viandes de ces animaux impropres au sacrifice sont interdites de consommation dans les parvis du Temple. Sur tout le parvis [du Temple] il est permis de consommer des choses très saintes et d’abattre des choses saintes. Celui qui abat des bêtes profanes [sur le parvis], ne doit pas en faire usage (Tosefta, Kélim I, 9).

Interdire l’usage des viandes profanes sur le parvis du Temple, c’est en interdire à cet endroit la consommation ou la vente. Ces viandes impropres doivent être consommées en-dehors du parvis sacré, c’est-à-dire dans Jérusalem. En définitive, d’après l’exégèse rabbinique, Lv 17, 3-7 interdit de procéder à un abattage sacrificiel ailleurs que sur l’autel du Sanctuaire. Dans cette exégèse l’abattage profane (‡eÌî†æh) n’est interdit ni à Jérusalem («dans le camp») ni dans les autres villes du pays d’Israël («en-dehors du camp»). Quelles sont alors les prescriptions relatives aux aires d’abattage et de consommation ordinaire? La seule prescription spatiale concernant l’abattage ordinaire est d’être effectué à l’extérieur du Sanctuaire, c’est-à-dire en dehors du Mont du Temple. Toutefois il y a un cas d’abattage ordinaire qui pourrait prêter à confusion avec l’abattage sacrificiel: c’est celui des animaux impropres dont la malformation interne n’est mise au jour qu’après égorgement dans les abattoirs du Temple. Écartées de l’autel, interdites de consommation sur le temenos, ces viandes impropres peuvent être consommées à Jérusalem. Autrement dit, dans la législation rabbinique, Jérusalem étant extérieure à l’enceinte du Temple, rien n’interdit d’abattre ou de consommer des viandes ordinaires dans cette ville. 4. L’aire de consommation des sancta Quant aux parts des victimes sacrificielles (‡elæmîm) qui, au désert, étaient consommées dans le camp des Israélites, la législation rabbinique prescrit de les consommer à l’intérieur des murailles de Jérusalem.

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Sur les tares rendant un animal impropre au sacrifice, Michna, Bekhorot, VI, 1-12.

L’espace sacrificiel dans le judaïsme du second Temple Quand le Tabernacle fut établi [au désert], (...) les sacrifices de sainteté inférieure [étaient mangés] dans tout le camp des Israélites. (...) Quand on vint à Jérusalem (...) les sacrifices de sainteté inférieure et les secondes dîmes [étaient mangés] à l’intérieur des remparts [de Jérusalem]. (Michna, ZevaÌim XIV, 4 et 8)45

Les victimes offertes en sacrifice de communion peuvent être égorgées dans tout l’espace du parvis intérieur du Temple et les laïcs peuvent consommer les parts qui leur reviennent en tout lieu à Jérusalem. Pour ce qui est des prêtres46, ils peuvent eux aussi manger partout dans Jérusalem les parts qui leur sont réservées, mais ils ne doivent les partager qu’avec leurs femmes, leurs enfants et leurs serviteurs (Michna, ZevaÌim V, 7).

Conclusion La législation qoumrânienne répartit l’abattage et la consommation des viandes en trois aires distinctes: l’aire située au-delà de trois jours de marche du Sanctuaire pour les profanes; l’aire située entre trente stades et trois jours de marche du Sanctuaire pour les impropres; enfin l’intérieur de l’enceinte sacrée, dans laquelle est incluse Jérusalem, pour les sancta. Comparée à ce dispositif tripartite, la législation rabbinique ne distingue plus que deux aires d’abattage et de consommation. L’aire des sancta s’étend du parvis intérieur du Temple (où a lieu l’immolation) à Jérusalem (où elles sont consommées). L’aire d’abattage et de consommation des profanes, à la seule exception des bêtes impropres égorgées (mais non consommées) dans le parvis intérieur du Temple, commence à Jérusalem et s’étend à tout le pays et au-delà à la diaspora. Ainsi dans le dispositif rabbinique les viandes impropres sont incluses dans la catégorie des viandes ordinaires: ce dispositif bipartite ne distingue donc que deux catégories de viandes (les ordinaires et les sancta), et non plus trois (les ordinaires, les impropres et les sancta) comme le faisait la législation qoumrânienne. Enfin dans la halakha rabbinique, le statut de Jérusalem est entièrement modifié. L’Édit d’Antiochos faisait de Jérusalem un espace médian, situé à mi-distance entre le tout profane et le tout sacré. Dans la législation qoumrânienne, l’espace sacré incluait la Ville du Sanctuaire. Dans la législation rabbinique, la ville n’est plus intérieure mais extérieure au temenos, et de plus elle devient un espace mixte où non seulement l’abattage profane est autorisé, mais où il devient possible de consommer les viandes ordinaires aussi bien que les viandes sacrées.

45 Voir aussi Michna, Kélim I, 8: «L’intérieur du rempart [de Jérusalem] est encore plus saint [que les autres villes du pays d’Israël entourées d’un rempart], car là [seulement] on peut manger les saintetés inférieures et la seconde dîme.» 46 Les prêtres en service au Temple consomment la part qui leur revient «à l’intérieur des tentures» (du Tabernacle), c’est-à-dire dans la cour des prêtres, cf. Michna, ZevaÌim VI, 1.

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Francis Schmidt En définitive, comment expliquer ces transformations dans le dispositif spatial ? Le dispositif spatial mis en place par la législation qoumrânienne avait pour fonction de séparer strictement les sancta de tout contact avec les impurs et toute forme d’impureté. Les Qoumrâniens sont des rigoristes qui étendent la sacralité du Temple à la Ville du Sanctuaire. Plus accommodants, les Rabbins étendent la sainteté du Temple par paliers dégressifs, au-delà de Jérusalem, à tout le pays d’Israël. Dès lors chez les Rabbins la crainte que l’impureté n’empiète sur la sphère du sacré n’est plus endiguée par un strict contrôle de l’espace comme à Qoumrân, mais par un transfert et une adaptation des lois de pureté lévitiques à tout le peuple d’Israël 47. * Dans le modèle de Lévi-Strauss que j’évoquais en introduction, la destruction de la victime crée les conditions de la mise en relation entre le «réservoir humain» et le «réservoir divin». Dans le système sacrificiel juif ancien, une autre rupture, préalable, est en outre nécessaire: l’éradication de toute impureté du «réservoir humain». Pour que s’instaure une zone de sacralité où l’humain puisse, sinon pleinement rencontrer, du moins approcher le divin48, encore faut-il qu’en amont le domaine du sacré – celui de l’autel et des prêtres, mais aussi celui des viandes sacrificielles – soit totalement coupé des impuretés du monde profane. Car si de quelque façon l’impureté réussissait à se communiquer du profane au sacré, de l’humain au divin, le risque encouru ne serait rien moins qu’un foudroiement mortel, tel celui que met en scène le récit des fils d’Aaron pénétrant à contretemps dans le Saint des Saints (Lv 10, 1-2). La fonction du dispositif spatial, changeant et controversé à la fin de la période du second Temple, est d’aménager cette séparation entre le champ du profane, dans lequel le pur et l’impur sont inextricablement mêlés, et le domaine du sacré, où seul le pur est tolérable. Que l’impureté soit tenue en dehors de l’espace sacrificiel, alors sont réunies les conditions pour que les sancta, diversement découpés, préparés et répartis, puissent réunir en une commensalité strictement hiérarchisée les différents participants du sacrifice, humains et divin.

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47 Sur l’extension des règles de pureté à tout Israël, cf. Schmidt 1994: 232-235. Sur l’opposition entre l’extension “minimaliste” des Qoumrâniens et celle, “maximaliste”, des Sages, voir Milgrom 1989: 165-180. 48 Sur ce point essentiel, qui exclut l’idée d’une commensalité impliquant égalité de partage et “union mystique” avec la divinité, voir dans ce volume les remarques de A. Marx, p. 7-9.

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Abstract The contradictions which emerge from the Torah regarding the slaughter of animals and the eating of sacrificial and common meat were variously interpreted during the Second Temple period. Different legislations emerged from the exegesis of these conflicting laws. First, the legislation of the Qumran community is examined on the basis of two documents dating from the second century BCE (11QTemple 52.13 - 53.8; 4QMMT B, 27-31, 59-62). Second, the legislation applied in the Temple is inferred from the Edict of Antiochus III (Josephus, Ant. 12, 145-146), a testimony from the end of the third century BCE. Third, the rabbinic legislation is analysed from the older traditions reported by the halakhic Midrashim, the Mishna and the Tosefta. The comparison of these conflicting legislations highlights an outright opposition between the Qumranic and the rabbinic arrangement of space. The main function of the way that the space is arranged is to maintain a separation between the sacred and the profane area, and to keep sacrificial meat and sancta away from impure persons and impurities.

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ÉLIMINATION RITUELLE ET SACRIFICE EN GRÈCE ANCIENNE Athanassia ZOGRAFOU Université d’Ioannina Étudier les cas où offrir se rapproche, dans la religion grecque, d’éloigner ou d’éliminer n’est pas une façon de présenter le sacrifice sous une lumière noire. Si ces rares cas méritent notre attention, c’est parce qu’ils permettent, croyons-nous, de saisir les gestes élémentaires qui nous introduisent au cœur d’un rituel; ainsi, avant de classer telle ou telle opération comme élimination, purification, sacrifice ou rite de passage, nous avons peut-être la chance de mieux la comprendre en respectant son ambiguïté. L’ambiguïté est d’ailleurs le lot, non seulement de quelques cas étranges, mais aussi de rituels plus habituels, comme nous essaierons de le montrer dans la deuxième partie de notre étude.

I. Les «repas d’Hécate» Notre point de départ est une réflexion sur les «repas d’Hécate», offrandes souvent confondues ou assimilées aux restes de purification ainsi qu’à d’autres résidus1. En fait, comme le laissent entendre certaines sources qui remontent jusqu’au IVe siècle av. n.è.2, ces mets, préparés pour faire plaisir à la déesse, une fois déposés aux intersections de trois routes (triodoi), se mêlaient aux restes abandonnés aux mêmes endroits afin d’être consumés par le feu (oxuthumia), restes des purifications ainsi que branches d’arbres ayant servi à une pendaison3. Il est significatif, de ce point de vue, que les “repas” comprenaient tant des ingrédients rappelant la cuisine humaine ordinaire (galettes, gâteaux) que d’autres plus étranges: le chien, animal utilisé dans certaines purifications (periskulakismoi), le «mulet rouge» (triglê) dont la consommation était souvent interdite et, peut-être aussi, les morceaux de pain au moyen desquels on se nettoie les mains à la fin du repas4. Enfin, selon une glose d’Hésychius, hekatê en nom propre désignerait le poteau de bois où l’on attachait les condamnés pour les torturer et dont le sort devait être analogue à celui des bois utilisés pour des pendaisons5. 1 Pour l’ensemble des sources et pour la bibliographie concernant les rites ayant lieu aux triodoi en Grèce ancienne voir notamment S.I. Johnston, «Crossroads», Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 88, 1991, 217-224, ainsi que A. Zografou, Passage à travers Hécate, thèse EPHE, 2000, p. 156 sq.; 177-181. 2 Voir notamment Harpocration s.v. ojxuquvmia qui puise ses informations aux sources remontant jusqu’au Ve s. av. n.è. (au comique Eupolis). 3 Quant aux morceaux de bois ayant servi à une pendaison, voir Harpocration, ibid. (citant un grammairien du III/IIe s.): «… les bois d’où certains se pendent…» et Photius s.v. ojxuquvmia «… les bois de pendaison; selon certains, les endroits où ceux-ci étaient brûlés…». 4 Pour les magides, «galettes» ou «morceaux de pain», voir infra n. 49. D’après une scholie à Lucien, Dialogues des morts I, 1, certains des ingrédients des “repas” étaient cuits, tandis que d’autres étaient crus. 5 Hésychius s.v.

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Athanassia Zografou Certes, les «repas d’Hécate», pour proches qu’ils soient – littérairement et conceptuellement – des rebuts et des souillures, ne laissent de constituer une offrande dont certaines caractéristiques résistent à une assimilation complète avec un rituel d’élimination6. Cependant, il est clair que la propitiation de la déesse s’avérait, au moins dans certains cas, très proche d’un éloignement des sources de pollution (apopompê). Dans ces cas, l’offrande à un destinataire divin constituerait en même temps l’occasion de disposer des matières ou des objets chargés d’une force dangereuse. Y avait-il, à part les «repas d’Hécate», d’autres offrandes qui pouvaient faire plaisir aux dieux tout en permettant aux humains de se débarrasser de tels rebuts?

II. Types de restes et lieux d’élimination Pour des raisons de clarté, nous pourrions d’abord regrouper les objets d’élimination rituelle dans trois catégories, qui n’ont cependant rien d’absolu. Il est clair que dans cette énumération la notion de “reste” dépasse celle d’“impureté”. Il s’agit donc: (1) des “restes” de purifications vers lesquels a été intentionnellement transféré l’impur (eaux de bain, cadavres des chiots, œufs etc.) et qui doivent être éliminés ou neutralisés à leur tour; (2) des objets ou des matières “contaminés” par la maladie, la mort ou le sang (vêtements des malades, cordes des suicidés, armes de meurtre), ou symboliquement liés à un passage angoissant; et (3) des restes “sacrés” qui exigent un traitement particulier: restes de sacrifices et d’offrandes (cendres, ossements, tessons), morceaux d’un animal sur lesquels un serment a été prêté (tomia). Dans une esquisse de cartographie rituelle, les lieux d’abandon de tels objets permettraient de tracer les grandes lignes de démarcation. Ici, nous nous bornerons cependant à une énumération rapide des lieux les plus habituels qui absorbaient ces “déchets dangereux”. Hippocrate nous en offre d’ailleurs une liste toute prête: «Ils les cachent (sc. les restes de purifications) dans la terre, ils les jettent dans la mer, ils les transportent dans les montagnes, là où personne n’y touchera ni ne marchera dessus»7. À cette liste, qui ne concerne qu’un type de restes (ceux des purifications des personnes qui se croient frappées de la «maladie sacrée»), nous devons ajouter tout lieu désertique, la terre en dehors des frontières d’une cité, les eaux courantes8, mais aussi les tombeaux (au moins pour des souillures dues à la mort elle-même), les triodoi, parfois aussi les portes ou les seuils9. Enfin, dans les enclos sacrés sont en général stoc-

6 Par exemple: les «repas d’Hécate» n’étaient pas consacrés par le feu comme les oxuthumia; les oxuthumia étaient rejetés de façon spontanée à des moments qui ne coïncidaient pas forcément avec le dépôt des “repas”. Nous sommes donc loin d’affirmer, comme le fait E. Rohde, Psyché, Paris, 1952, p. 227 n. 4, que «l’abandon des moyens de purification est absolument identique au rite des sacrifices offerts aux âmes ou aux banquets d’Hécate». Cf. R. Parker, Miasma, Oxford, 1983, p. 30. 7 Hippocrate, De la maladie sacrée, 6, p. 362 Littré. 8 La purification à l’eau courante des fleuves et des sources est notamment indispensable après l’accouchement: Callimaque, Hymne à Zeus, 16-17; Pausanias, VIII, 41, 2. Des eaux communiquant avec Hadès, comme celles du lac de Lerne, pouvaient aussi débarrasser les vivants de toute sorte de souillure: Hésychius s.v. Levrnh qeatw`n. 9 Purification réalisée «sur le seuil» dans LSS, 115 B, 50-55 (Cyrène, IVe s. av. n.è).

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Élimination rituelle et sacrifice kés les restes saints (sur les autels ou dans des fosses spécialement aménagées), mais peut-être aussi d’autres objets de statut particulier qui ne pourraient pas trouver de place ailleurs. Parmi tous ces dépotoirs, la mer jouit d’un statut particulier, considérée comme une décharge miraculeuse, un «gouffre immense» (mega laitma), capable d’entraîner et d’inactiver toute sorte de mal10. Au pouvoir corrosif de la salure, s’ajoute l’action des poissons qui, à l’instar des chiens sur la terre, sont susceptibles d’avaler toute chose impure11. Aussi Hésychius considère-t-il le participe thalassôtheis comme un synonyme d’hagnissamenos, «purifié»12. En effet, tout paraît indiquer que certains procédés d’élimination des restes (p. ex. le lavage à l’eau artificiellement salée) sont inventés pour pallier l’absence d’une côte proche. Ainsi D. J. Pallas a-t-il pensé que tant la thalassa de l’Acropole que certains autres cas de “mers” miraculeuses surgissant loin du littoral13 devraient leurs noms à leur fonction de réceptacles des restes14. L’hypothèse est certes très difficile à prouver, mais il est intéressant de suivre l’auteur quand il étudie la thalassa des églises chrétiennes, excavation ou sorte de bassin proche de l’autel, destinée à recevoir les eaux des lavages rituels, mais aussi des offrandes et peut-être des reliques15. Les modes d’élimination (précipitation, enterrement, destruction par le feu, consommation par les chiens etc.) varient selon le lieu. Il s’agit, d’habitude, d’une mise à l’écart ou, plus rarement, d’une sorte de recyclage rituel qui fait entrer le reste dans une autre catégorie (utilisation des cendres sacrées, consécration des objets impurs). Une puissance devient-elle “destinataire de l’impur” en raison de son emprise sur le lieu d’élimination? Le fait que la précipitation du pharmakos peut prendre l’aspect

10 Euripide, Iphigénie en Tauride, 1193, cf. Homère, Iliade I, 313-316; XIX, 267-268 (élimination des tomia du serment) ainsi que Diphilus, fr. 126 (purification des Proitides). Au sujet de la purification dans la mer des mystes éleusiniens le 16 boédromion voir, entre autres, P. Foucart, Les mystères d’Éleusis, Paris, 1914, p. 314 sq. et G. Mylonas, Eleusis and the Eleusinian Mysteries, Princeton, 1961, p. 249. Cf. Pausanias IX, 20, 4 (purification avant une fête dionysiaque). Quant aux influences pernicieuses de la mer, envisagées par Platon, voir J. Luccioni, «Platon et la mer», Revue des Études Anciennes 61, 1959, p. 20 sq. 11 Iliade XIX, 267-268 (les restes redoutables sont jetés dans la mer en tant que «nourriture pour les poissons»). Certains poissons sont censés avoir une prédilection pour les saletés; c’est notamment le cas de la triglê qui aime tout ce qui sent mauvais, des saletés aux cadavres: Aristote, Histoire des animaux, 7, 10; Élien, De la nature des animaux II, 40-42; Oppien, Halieutiques III, 432-440. 12 Hésychius s.v. qalasswqeiv". Il faut noter l’emploi du mot qavlassa désignant l’«eau de mer» en tant qu’agent de purification: A. Lesky, «Qavlassa», Hermes 78, 1943, 260. 13 Pausanias I, 26, 5, décrit la «mer» de l’Acropole comme un «puits rempli d’eau de mer», ce qui est confirmé par une inscription mentionnant l’embouchure de cette construction (IG II2, 1006, 11). 14 D.J. Pallas, La “thalassa” dans l’église chrétienne, Athènes, 1952, p. 154 sq. 15 L’auteur parle de thalassa-bothros et de thalassa-chernips. G. Thomson proposait d’ailleurs déjà de comparer la mer d’Érechthée tant à l’apsu babylonien qu’à la thalassa des églises chrétiennes (G. Thomson, Studies in Ancient Greek Society, London, 1954, p. 263, n. 62).

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Athanassia Zografou d’une offrande à Poséidon16 pourrait être simplement expliqué par la domination de cette divinité sur la mer, et nous pourrions suggérer la même explication dans le cas de l’Hécate maîtresse des triodoi. Cependant, il y a lieu de se demander si dans ces cas il n’y avait pas le souci de mieux circonscrire la souillure en la confiant à une divinité17. Fleuves et sources divinisés ou habités par les Nymphes18 rentreraient théoriquement dans la même catégorie: ils reçoivent dans leurs eaux les lumata des accouchements ou des maladies, de même que des offrandes (pièces de monnaie, gâteaux ou victimes sacrificielles). Cependant, il y a une distinction claire entre les impuretés et les offrandes qui y sont jetées, même si les unes et les autres sont frappées parfois des mêmes interdits19. Dans les cas qui suivent, nous estimons que l’intention d’offrir se croise plus clairement avec celle d’éliminer, d’éloigner.

III. La consécration des tissus Hippocrate, dans le passage cité, s’en prend à l’irrationalité du comportement des gens qui considèrent les divinités comme responsables de leurs maux. Et il ajoute: «Il faudrait porter ces objets (c’est-à-dire les restes de purifications) dans les temples et en faire offrande à la divinité, si tant est que la divinité soit en cause». Cependant, consacrer un objet souillé à une divinité n’était peut-être pas une démarche complètement inconcevable. Selon Euripide, Iphigénie prêtresse d’Artémis en Tauride serait honorée à Brauron, où elle aurait été inhumée après sa mort. Elle recevrait là une offrande doublement souillée, les tissus des femmes mortes en couches: «les somptueux tissus que laisseront chez elles les femmes mortes en couches»20. Qu’il s’agisse des vêtements de la défunte réellement souillés de sang, de ses vêtements propres, ou encore de ses tra-

16 Photius s.v. perivyhma. Cf. P. Bonnechere, Le sacrifice humain en Grèce ancienne, Athènes-

Liège, 1994, p. 293: «Certaines sources anciennes parlent… de cérémonies de lustration plus inquiétantes en ce qu’elles seraient achevées par la mise à mort des pharmakoi et auraient pris alors des allures de sacrifice humain officiellement prescrit dans les usages religieux des cités, y compris celles de l’âge classique». 17 Cela nous rapprocherait du cas des tomia (morceaux des victimes sur lesquels un serment a été prêté) qui, sans destinataire à l’origine (voir J. Casabona, Recherches sur le vocabulaire des sacrifices en Grèce, Aix-en-Provence, 1966, p. 215-216), pouvaient dans certains cas être consacrés à la divinité auprès de laquelle a eu lieu la prestation du serment (Iliade XIX, 197, offerts à Zeus et au Soleil). Plutôt qu’une sorte d’imitation du sacrifice, on pourrait détecter le souci de disposer de ces chairs investies de puissance maléfique. 18 Nymphes et Naïades peuvent d’ailleurs assister aux purifications mythiques; voir Pausanias VIII, 41, 2; Apollonius de Rhodes, Argonautiques IV, 707 sq. 19 Voir, par exemple, LSCG 152 (interdiction de jeter des gâteaux ainsi que toute autre chose dans l’eau de la fontaine des Nymphes, Cos, IVe s. av. J.-C). Cf. S. Guettel Cole, «The Uses of Water in Greek Sanctuaries», dans R. Hägg, N. Marinatos, G.C. Nordquist ed., Early Greek Cult Practice, Stockholm, 1988, p. 161. 20 Euripide, IT, 1462-1467. Cf. J. Kondis, «Artémis Brauronia», jArcaiologiko;n Deltivon 22, 1967, 174-175, qui identifie l’endroit où il croit qu’on exposait ces vêtements dédiés à Iphigénie.

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Élimination rituelle et sacrifice vaux non terminés, comme ceux qui étaient parfois offerts à Artémis Brauronia de l’Acropole21, l’offrande est la marque d’un passage inachevé – ce qui n’empêche pas cette offrande de réjouir la divinité. Avons-nous ici les traces d’un usage consistant à consacrer aux divinités liées à la vie féminine des vêtements ou autres objets dont il fallait se séparer avant d’entrer dans une nouvelle période de la vie? La théorie d’A. Mommsen d’après laquelle les rhakoi des inventaires du temple d’Artémis Brauronia à Athènes étaient les tissus tachés du sang des premières règles des filles, critiquée avec raison par T. Linders, est certes problématique22. Cependant, comme le remarque T. Linders, les vêtements dédiés étaient d’habitude des vêtements qui avaient déjà été portés par celles qui les offraient23; leur consécration devait probablement correspondre à une rupture avec une période antérieure de la vie (enfance, grossesse, maladie)24. Parmi les épigrammes votives de l’Anthologie Palatine, plusieurs concernent des offrandes de vêtements (bandeaux, voiles, ceintures et tout ce qui attache, en tant que ces liens symbolisent, une fois dénoués, la délivrance du corps, mais aussi parce qu’ils peuvent facilement être attachés à une statue). L’épigramme qui commente l’offrande du peplos d’Ambrosia à Ilithyie précise qu’il s’agit du vêtement que la femme avait porté et «dans lequel, au dixième mois, elle a mis au monde le double fruit qu’elle portait sous sa ceinture»25. L’épithète Chitônê / Chitônia, attribuée à Artémis, la désigne sans doute comme destinataire de telles offrandes26. Outre les divinités protectrices des femmes et des enfants, les divinités guérisseuses étaient d’ailleurs concernées par ce type de consécrations27. Aussi Pausanias nous apprend-il que la statue d’Hygeia à Titanê (Corinthe) était pratiquement invisible à cause des cheveux et des bandes d’étoffe qui la couvraient28. Il est très difficile, dans les exemples cités, de distinguer dans quelle mesure ces vêtements étaient considérés comme impurs ou dangereux29. Il est donc préférable de parler de consécrations qui effacent les traces d’un passé inquiétant.

21 T. Linders, Studies in the Treasure Records of Artemis Brauronia Found in Athens, Stockholm, 1972, p. 17-18. Le vêtement inachevé, plus que le vêtement porté – par un mort, un malade, ou une femme en couches –, pourrait être un tabou. Pour une hypothèse différente voir Kondis 1967: 189. 22 A. Mommsen, « JRavko" auf attischen Inschriften», Philologus 58, 1899, 343-347; contra Linders 1972: 58-59. 23 Linders 1972: 12-13 et 59. 24 L’idée que les vêtements du malade étaient porteurs de son mal et que, une fois abandonnés (aux carrefours, sur les arbres, mais aussi très souvent dans l’église ou son enclos ou encore directement consacrés aux saints guérisseurs), ils pourraient entraîner la maladie est répandue en Grèce moderne: N.G. Politis, Laografikav Suvmmeikta III, Athènes, 1931, 97-100. 25 Anthologie Palatine (Léonidas de Tarente) VI, 200, 3-4. 26 Voir, entre autres, Scholies à Callimaque, Hymne à Artémis, 1, 77b ainsi que Kondis 1967: 184. 27 W.H.D. Rouse, Greek Votive Offerings, Hildesheim – New York, 1976, p. 224-225. 28 Pausanias II, 11, 6. Sur l’offrande de cheveux faite parfois dans des conditions analogues voir S. Eitrem, Opferritus und Voropfer der Griechen und Römer, Kristiania, 1915, 344-415 et K. Meuli, «Griechische Opferbraüche», dans Phyllobolia für P. von der Mühll, Bâle, 1946, p. 205, n. 1. 29 Les cas où, par ex., une incantation transférait explicitement le mal vers un objet offert par la suite à une divinité nous font défaut.

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IV. Artémis Aristoboulê et les «violemment morts» Plutarque raconte, dans la Vie de Thémistocle, que ce dernier avait établi après la bataille navale de Salamine un sanctuaire d’Artémis Aristoboulê, «d’excellent conseil», à l’endroit où il était d’usage à son époque de jeter (proballousi kai ekpherousin) «les corps des exécutés de même que les vêtements des suicidés et les cordes des pendus»30. Nous ne savons malheureusement pas si l’endroit où se trouvait le sanctuaire, à l’époque de Plutarque, conservait encore les marques du culte ancien d’Artémis Aristoboulê. Néanmoins, le témoignage de Porphyre plaide en faveur d’un véritable rapport d’Artémis Aristoboulê avec les «violemment morts» (biaiothanatoi): on égorgeait, dans le cadre de la fête des Kronia à Rhodes, un des condamnés à mort à l’extérieur des portes de la ville, face à l’image d’une déesse, désignée cette fois simplement par Aristoboulê31. En associant les deux passages, H. Usener propose de reconnaître en Aristoboulê la déesse de l’ultima ratio32, celle qui détourne la vengeance (nemesis) du mort33, interprétation qui nous semble vraisemblable, même si ce nom fait allusion à d’autres fonctions aussi (notamment dans le domaine politique). Rappelons, d’ailleurs, qu’Artémidore croit que l’apparition d’Aristoboulê en rêve équivaut à celle d’Eunomia et de Nemesis34. Aristoboulê – aspect d’Artémis ou déesse autonome – semble donc un destinataire idéal des objets contaminés par une mort violente.

V. Rites funéraires 1. Balayures et restes de nourriture La loi funéraire de Ioulis de Céos s’insère dans la tendance de la législation funéraire (à partir du VIe siècle) à simplifier le passage du défunt au monde des morts et le

30 Plutarque, Vies, Thémistocle, 22, 1. Selon une autre interprétation, il s’agirait des «vêtements et des cordes de ceux qui se sont suicidés par pendaison». Ces objets nous rappellent les xula de pendaison brûlés aux triodoi. En ce qui concerne le traitement spécial des objets «meurtriers» et des cadavres de suicidés, voir aussi Eschine, 3, 244; Platon, Lois IX, 873d et 874a, ainsi que LSCG 154, l. 35-36 (loi sacrée de Cos, IIIe s. av. J.-C.). Cf. A.D. Keramopoullos, JO ajpotumpanismov", Athènes, 1923, p. 49-50, n. 3. 31 Porphyre, De l’abstinence II, 54, 2. Il s’agit d’un usage qui a remplacé le sacrifice humain offert à l’origine à Kronos, d’après le récit de Porphyre. En ce qui concerne cette Aristoboulê de Rhodes, nous signalons l’existence d’une confrérie de même nom (Aristobouliastai): IG XII, 163. 32 H. Usener, Götternamen, Frankfurt/Main, 1958, p. 51, malgré Plutarque, Moralia 869d, qui associe l’épithète d’Artémis Aristoboulê au choix de Thémistocle d’affronter les Perses devant Salamine. 33 Voir par ex. Sophocle, Électre, 792. Quant à la fête des morts au nom Nemesia voir S. Georgoudi, «Commémoration des morts dans les cités grecques», dans P. Gignoux ed., La Commémoration, Louvain - Paris, 1988, p. 75-76. 34Artémidore, Oneirokritikon II, 37. À noter qu’Aristê, «l’excellente», est aussi une épithète d’Artémis ou de Déméter, voir Farnell 1896: 492, 585, n. 120; Jessen, «Ariste», dans RE II, 1895, 876; elle se rencontre enfin toute seule dans les papyrus magiques; voir PGM IV, 1451, où «Aristê Chthonia» est invoquée juste après les «serments chthoniens».

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Élimination rituelle et sacrifice retour de sa famille à la vie normale35. Dans ce texte de la deuxième moitié du Ve siècle nous trouvons, entre autres, une interdiction d’exécuter les rites «du trentième jour» (triêkostia), de mettre un vase (kulix) sous le lit du défunt, de «répandre l’eau», ainsi que d’apporter les balayures (kallusmata)36 sur le tombeau37. Considérés comme exagérés ou superstitieux, ces usages devaient être suffisamment populaires pour faire l’objet d’une interdiction formelle38. Nous ne savons pratiquement rien des triêkostia. S’agit-il de rites qui avaient quelque chose à voir avec les restes amenés aux triodoi ou, comme le suggère leur nom, d’une simple répétition des rites du troisième et du neuvième jour (trita et enata) ayant lieu sur le tombeau39? Certaines sources plus tardives suggèrent un lien entre les rites mensuels d’Hécate (ayant lieu selon les sources tantôt «au trentième jour du mois», tantôt «à la nouvelle lune») et les morts; il y est question des «rites du trentième jour» (triakades) d’Hécate situés à l’Hadès ou des «repas d’Hécate» identifiés aux rites funéraires (enagismata)40. Enfin, les oxuthumia – tellement liés aux «repas d’Hécate» – sont définis par l’Etymologicum Magnum comme «les restes des purifications des morts ou des maisons»41. Il est ensuite question, dans la loi de Ioulis, de l’eau qu’il ne fallait pas répandre. Le verbe utilisé, «verser d’un seul coup» (ekchein), met l’accent sur la façon dont il faut procéder, tout en renvoyant aux choai, libations funéraires ordinaires42. Cette eau ne devait pas être comprise comme celle contenue dans la kulix mentionnée juste avant (ce qui serait un pléonasme). Est-il question de l’eau provenant du bain funéraire, d’autres lavages rituels, ou bien de l’eau pure43? Il est impossible de le préciser. La dernière interdiction du passage cité offre une indication locale: il faut jeter les balayures «sur le tombeau». Rendre aux morts les dernières poussières contaminées par leur passage, est-ce une étrange offrande (le geste ressemble à une consécration), ou bien une façon plutôt impolie (d’où l’interdiction) de les congédier définitivement44?

35 Voir R. Garland, «The Well-ordered corpse: an Investigation into Motives

behind Funerary Legislation», Bulletin of the Institute of the Classical Studies 36, 1989, 1-3, qui y voit une combinaison de raisons hygiéniques, urbanistiques, religieuses et politiques. 36 Hésychius s.v. savrmata; cf. Photius s.v. kovrhma et Anecdota Græca (Bekker) I, 14, 2 s.v. ajnakalluvnein. 37 LSCG, 97A, l. 20-23, cf. SIG3, 1218; IG XII, 5, 593. 38 Garland 1988: 11-13. Essais d’interprétation aussi chez F.B. Jevons, «Greek Law and Folklore», Classical Review 9, 1895, p. 247 sq. et B. Schmidt, «Totengebräuche und Gräberkultus im heutigen Griechenland», Archiv für Religionswissenschaft 25, 1927, p. 82. 39 Voir R. Garland, The Greek Way of Death, New York, 1985, p. 146. 40 Plutarque, De Proverbiis Alexandrinorum (in Corpus Parœmiographorum Gaecorum IIIa, Leutsch), 8, expliquant l’expression proverbiale tas en Aidou triakadas qu’on trouve chez Sophron isolée de tout contexte (CGF I, 169b, Kaibel). Le témoignage non daté des Anecdota Graeca (Bekker) s.v. ÔEkatai`a va peut-être trop loin en identifiant en général les offrandes à Hécate aux enagismata. 41 Etymologicum Magnum s.v. ojxuquvmia. 42 Voir Casabona 1966: 290. 43 Jevons 1895: 247 sq. pense que cette eau est versée au tombeau. 44 Parker 1983: 35-36 interprète tant le versement de l’eau que les kallusmata comme des mesures de purification contre la pollution de la mort.

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Athanassia Zografou Si cet usage ne nous est pas transmis par d’autres documents grecs anciens, nous connaissons plusieurs coutumes analogues dans d’autres sociétés: balayer pour chasser ce qui reste du mort; respecter, au contraire, les poussières pendant un certain délai pour le retenir; ne pas jeter les balayures n’importe où; les réserver au cimetière45. Une pratique grecque, attribuée aux croyances pythagoriciennes, nous rappelle le lien entre les morts et les restes; il ne s’agit plus des restes souillés par la mort ellemême comme les balayures, mais de ceux qui sont tombés accidentellement de la table des vivants. La pratique en question consistait à consacrer aux morts ces morceaux de nourriture et à ne plus y toucher46: façon d’inviter les morts au repas, tout en leur réservant une place bien marginale (sous la table…) et façon, très probablement, d’exclure de l’alimentation ce qui n’est plus bon à manger, tout en donnant un statut positif à ce qui est devenu un reste47. Certes, il est difficile de soutenir que les morts venaient débarrasser les vivants comme des chiens qui rôdent autour de la table, mais on n’est peut-être pas très loin de ce modèle. En effet, le chien reçoit traditionnellement les morceaux de pain qui servaient d’essuie-mains à la fin du repas (apo)magdaliai/ides, mais aussi kunades pour les Lacédémoniens; ces morceaux, «salis de graisse», étaient en même temps des cadeaux qui apaisaient les chiens (meiligmata thumou). Y avait-il d’autres destinataires? Athénée mentionne la coutume des Phigaliens de ne pas offrir aux chiens leurs apomagdaliai, mais de garder ces morceaux de pain avec eux «à cause des terreurs nocturnes qui les guettaient dans les rues de la ville»48; il est donc probable que ces morceaux de pain emportés servaient à écarter les éventuelles attaques des puissances malfaisantes. D’ailleurs, les magides destinées à Hécate des triodoi pourraient bien évoquer le même type d’offrande49. Enfin, dans les papyrus magiques, des restes de nourriture, prélevés intentionnellement sur le repas du praticien, sont offerts aux morts dans le but de les lier par une relation intime avec celui-ci. C’est un usage qui rappelle la prescription pythagori45 E. Sampter, Geburt, Hochzeit und Tod, Leipzig - Berlin, 1911, p. 30-33 (une liste très longue de parallèles) ainsi que Jevons 1895: 248 (usages romains et allemands). Quant aux parallèles grecs modernes, voir M. Alexiou, The Ritual Lament in Greek Tradition, Cambridge, 1974, p. 5, qui croit d’ailleurs que les kallusmata devaient être une partie de triêkostia mentionnés dans la loi de Ioulis. 46 Aristophane, fr. 320, Kassel – Austin (chez Diogène Laërce VIII, 34). Voir aussi Euripide, fr. 644 Nauck (d’après Athénée, 10, 427e) et Souda s.v. Puqagovra". Cf. S.I. Johnston, «Le sacrifice dans les papyrus grecs», dans A. Moreau & J.-C. Turpin, La Magie II, Montpellier, 2000, p. 28 et Rohde 1952: 201, n. 3. Selon une croyance romaine les miettes tombées étaient réservées aux Lares. 47 La motivation complexe de cette pratique se reflète dans les essais d’interprétation; combattre la gourmandise ou faire honneur à la mort de quelqu’un, partager son repas avec les amis décédés. 48 Athénée IV, 149c. 49 Voir, entre autres, Schol. Odyssée X, 217; Hésychius s.v. ajpomagdaliav et kunavde", Photius s.v. ajpomagdaliav et Athénée IX, 409d. Le terme (apo)magdalia/is est rapproché du verbe apo/ekmassein, «enlever en pétrissant, en frottant», qui est fréquent dans les procédures purificatoires. Magis, un terme pratiquement synonyme d’apomagdalia – Hésychius s.v. magivde" – qui désigne également les “repas” d’Hécate aux triodoi – Sophocle, T.G.F. 4, 374 (Radt) et Photius s.v. magivde" – ainsi que les galettes que précipitent ceux qui veulent consulter l’oracle de Trophonios, doit appartenir à la même famille. Quant aux restes de nourriture finissant aux triodoi, voir d’ailleurs Callimaque, Hymne à Déméter, 115.

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Élimination rituelle et sacrifice cienne que nous venons de mentionner, mais qui brouille plutôt qu’il ne renforce la ligne de séparation entre morts et vivants50. 2. Verser de l’eau sale Une autre offrande étrange qui peut s’associer aux kallusmata est celle de l’aponimma, «eau qui a servi au lavage»51. Selon un texte de Kleidêmos52, cet aponimma devait être versé dans une fosse à l’ouest du tombeau53: «Creuse une fosse à l’ouest du tombeau; ensuite mets-toi à côté et en regardant vers l’ouest prononce ceci: aponimma pour vous à qui il faut et à qui il est approprié de l’offrir; ensuite, verse du parfum en abondance». Ce fragment appartient à une partie de l’Exégétique de Kleidêmos intitulée Peri enagismôn, «Sur les rites en l’honneur des morts»54. Athénée précise d’ailleurs que l’aponimma faisait partie des rites athéniens effectués «en l’honneur des morts», ainsi que des rites concernant la purification des «souillés» (enageis). Ce qui suit chez Athénée est encore plus obscur. Il s’agit d’un passage du lexicographe Dorothéos – que ce dernier faisait remonter aux «coutumes ancestrales» d’Eupatrides – portant sur la purification des suppliants: selon les prescriptions données, l’eau mêlée au sang provenant d’une purification devait être versée à un endroit particulier, ayant apparemment déjà reçu des restes ou des libations versés «au même endroit» (eis tauto)55. Quoi qu’il en soit, les deux passages parlent de l’eau souillée et de son utilisation dans un but religieux; au moins dans le premier cas, son élimination donne lieu à une sorte d’offrande funéraire. Karl Meuli considère plus particulièrement l’aponimma de Kleidêmos comme l’eau dans laquelle se sont lavés ceux qui ont participé à l’enterrement56. En fait, verser de l’eau, comme nous l’avons déjà vu dans la loi de Ioulis, est un geste très habituel dans un contexte funéraire. Une pratique très répandue dans différentes cultures consiste à verser de l’eau juste derrière le mort au moment où il est sorti de la maison. Or cette eau provient parfois du lavage du cadavre. Quant au lavage de ceux qui ont suivi l’enterrement ou qui ont creusé la fosse, il peut avoir lieu «sur la tombe». Les explications recueillies font référence à la crainte d’un retour de la mort ou du mort lui-même. Enfin, 50 Voir par ex. PGM IV, 1390 sq., cf. Johnston 2000: 28 et D.R. Jordan, «Late Feasts for Ghosts», dans Hägg, Marinatos, Nordquist ed. 1988: 131-143. 51 Hésychius s.v. louvtrion; les termes loutrion et aponiptron (Aristophane, Les Acharniens, 616; Eustathe à Odyssée XIX, 343 [1867, 25], Photius s.v. louvtrion) sont synonymes, tandis que podaniptron (Aristophane, fr. 319 Kassel – Austin) désigne plus particulièrement l’eau qui a servi au lavage des pieds. Apobam(m)a, associé à (e)latêrion, «qui repousse», se rencontre dans un contexte de purification funéraire (LGS, II, 50, 3 = LSCG, 56, 1), cf. Eschyle, Choéphores 967: kaqarmoi``sin... ejlathrivoi". 52 Athénée IX, 409f-410b et FGrHist, 323, F 14 Jacoby. 53 V.K. Lambrinoudakis, «Venerations of Ancestors in Geometric Naxos», dans R. Hägg, N. Marinatos, G.C. Nordquist ed., Early Greek Cult Practice, Stockholm, 1988, p. 240, associe le passage de Kleidêmos aux trouvailles d’un enclos de Naxos; à l’ouest du tombeau ont vu le jour un bassin temporaire ainsi que les fragments d’une petite oinochoé que l’auteur interprète comme une structure servant aux lustrations à l’eau de mer cherchée à la côte proche. 54 Sur le terme enagismos voir Casabona 1966: 204 sq. 55 FGrHist, 356, F 1 Jacoby. Voir, entre autres, L. Moulinier, Le pur et l’impur, Paris, 1950, p. 209 n. 5, qui critique la façon dont J.H. Harrison associe les deux passages et n’accepte pas d’identifier les enageis aux suppliants; pour lui, Dorothéos décrit une purification de meurtrier. 56 Meuli 1946: 205 n. 1.

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Athanassia Zografou l’usage de verser toute l’eau qui se trouve dans une maison au moment où la mort est survenue témoigne d’une crainte de pollution, exprimée parfois plus précisément comme une crainte que l’âme du mort soit contenue dans l’eau (comme elle pourrait l’être dans les poussières)57. Le fait qu’en Grèce ancienne, l’eau servant à la purification de ceux qui sortaient de la maison frappée par la mort était cherchée ailleurs, reflète la même crainte de pollution58. 3. Bains funéraires Le vocabulaire qui désigne, dans l’Électre de Sophocle et dans les Choéphores d’Eschyle, les offrandes liquides sur le tombeau d’Agamemnon oscille entre les termes désignant clairement des libations (loibai, choai) et ceux qui évoquent un lavage rituel (loutra, chernibes). Christine Mauduit a montré, dans un excellent article, qu’il ne fallait pas traduire, dans l’Électre, le mot loutra par «libations». Contrairement à P. Stengel59, et comme l’avait montré déjà R. Ginouvès, elle croit qu’il ne s’agit que des «bains funèbres» tels que les définit une glose d’Hésychius60, et qui n’ont rien à voir avec les loibai et les choai apportées sur la tombe d’Agamemnon61. En fait, les loutra d’Agamemnon dans l’Électre de Sophocle est un mot chargé d’autant de sens tragique que «la triple route» ou la «route fendue» arrosée de sang dans l’Œdipe Roi. Il n’y a aucun doute qu’ils rappellent l’eau teintée de sang du bain fatal d’Agamemnon (chez Eschyle, Agamemnon est appelé loutrodaïktos, «égorgé dans son bain»)62 et, sur ce point, nous ne pouvons que souscrire à la démonstration de Christine Mauduit. Cependant si, comme elle l’affirme, les loutra sont bel et bien des «bains», nous ne voyons pas pourquoi ils ne constitueraient pas, en même temps, une libation, dans le sens large d’offrandes liquides auxquelles se réfèrent également les termes loibai et choai dans le texte. L’aspect de purification ou de «bain» devait être souvent présent dans les offrandes de liquides aux morts (surtout dans le cas où c’était de l’eau pure qui était versée)63 et, dans ces cas, les intentions d’assouvir la soif, de rafraîchir et de purifier pouvaient se croiser. Nous croyons donc que dans l’Électre,

57 Sampter 1911: 85. Cf. Eitrem 1915: 119-120 qui croit que l’eau absorbe et attache les âmes. 58 Voir Rohde 1952: 181 n. 3 ainsi que Parker 1983: 35. 59 P. Stengel, «Opferspenden», Hermes 57, 1922, 535-550, a voulu trancher trop clairement entre deux types parfaitement distincts de loutra ou de chernibes, à savoir (a) ceux qui désignent des ablutions qui, pour lui, n’entrent pas vraiment dans le domaine du sacré, et (b) ceux qui ne sont que des offrandes d’eau n’ayant rien gardé de la signification du «bain» ou de l’aspersion. 60 Hésychius s.v. loutrav Cf. R. Ginouvès, Balaneutikè, Paris, 1962, p. 244 n. 6. 61 C. Mauduit, «Bain et libations: à propos de deux emplois de loutrav dans l’Électre de Sophocle», Bulletin de Correspondance Hellénique Suppl. 28, 1994, 131-145. Ginouvès 1962: 244, qui n’accepte pas non plus que les “bains” aient été de simples libations funéraires, ne rejette pas complètement l’aspect d’offrande. 62 Eschyle, Ch., 1072. 63 Dans Œdipe à Colone, 466 sq., les mots choai et cheumata désignent les triples libations (du miel et de l’eau) qui, intégrées dans une procédure purificatoire (katharmos), visent à remédier au fait qu’Œdipe a foulé le sol sacré des Euménides.

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Élimination rituelle et sacrifice les loutra représentent l’«aspect lustral» des choai, qu’ils sont en même temps des libations et des bains64. Si les loutra apportés à Agamemnon évoquent son bain meurtrier (qui, au lieu de purifier, répand la souillure), il nous semble que ces libations, connues comme «loutra chthoniens», rappelaient en général le lavage du cadavre. Ils constituaient sans doute une sorte de répétition de ce dernier bain, qui préparait le mort pour son voyage en le détachant du monde des vivants. D’où l’intérêt pour Clytemnestre d’envoyer cette sorte de «bains» sur la tombe; elle espère, comme dit Électre, qu’ils sont des lutêria tou phonou, «offrandes qui délient du sang versé», qui écartent le défunt et empêchent sa vengeance. Électre, en parlant du traitement réservé au corps de son père, associe les loutra (dans ce cas, le mot désigne le bain ultime du défunt) aux procédures rituelles qui visent à protéger le meurtrier du sang qu’il vient de faire couler: «elle l’a mutilé (emaschalisthê) comme un ennemi et, au lieu de lui offrir son bain (epi loutroisi), a essuyé son arme ensanglantée sur sa tête». Le premier usage est celui de maschalismos, une sorte de mutilation qui empêchait la vengeance du mort65. Le deuxième, qui a tenu lieu, selon l’ironie amère d’Électre, de bain ultime consiste à essuyer l’arme meurtrière sur le cadavre afin de rendre toutes les gouttes de sang au corps auquel elles appartiennent66. Nous croyons qu’il ne s’agit pas seulement d’une «métaphore poétique», mais d’une image qui puise sa force dans l’exactitude de l’acte rituel. Car il nous semble que les loutra dont il est question – tant le bain du cadavre que ceux versés au tombeau – constituent l’équivalent ordinaire de ces usages exceptionnels. Il ne serait d’ailleurs pas inutile de rappeler que, de même que les loutra prennent les allures de libations, les maschalismata (appelés plus tard aussi apargmata ou exargmata67) trouvent leurs homologues dans le domaine du sacrifice: les extrémités mutilées et attachées au cadavre correspondent aux morceaux de chair crue prélevés sur la victime pour être brûlés sur l’autel avec les cuisseaux68. Comme le remarque R. C. Jebb, pour les auteurs anciens, cette pratique est liée à la crainte tantôt de la vengeance du mort, tantôt de la souillure du meurtre. Il peut s’agir en fait de deux aspects de la même chose. Comme dans le cas des kallusmata ou des bains funéraires, purifier aurait le sens d’une mise à l’écart de tout ce qui a rapport avec la mort, en commençant par le défunt lui-même. C’était, à notre avis, le cadavre 64

Voir aussi Parker 1983: 35 n. 11. Sophocle, Él., 442-444. Sur le contenu exact du maschalismos voir, entre autres, Rohde 1952: 599-603; R.C. Jebb, Sophocles 6, Amsterdam, 1962, 211-212. Cf. Sophocle, fr. 623 (avec le commentaire de Pearson). 66 Un troisième usage non évoqué par Électre, mais qui est calqué sur le même modèle, est celui de sucer le sang de la victime et de le recracher dans sa bouche: Schol. Apollonios de Rhodes, Arg. IV, 477. 67 Voir Etymologicum Magnum s.v. ajpavrgmata ainsi que Apollonios de Rhodes, Arg. IV, 477. 68 Voir, entre autres, Souda s.v. mascalivsmata cf. Photius et Hésychius s.v. ainsi que E. Vanderpool, «A lex sacra of the deme Phrearrhioi», Hesperia 39, 1970, 47-53 (SEG 35 [1985] 113 et 36, l. 15-17): prescription de «mettre sur les autels» des maschalismata à côté des cuisses (IIIe s. av. J.-C.). Cf. M. Detienne, «Le doigt d’Oreste», dans M. Cartry & M. Detienne ed., Destin de meurtriers, Paris, 1996, p. 34-35, qui parle d’une transformation du cadavre en victime sacrificielle. 65

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Athanassia Zografou (et non pas les dieux chthoniens) qui, en recevant ses propres membres ou son propre sang en guise de première offrande, obtenait violemment le statut de mort. Le cadavre devait donc amener avec lui ce qui a été «contaminé» par son contact: poussières, saletés de ceux qui ont suivi l’enterrement, qui se trouvent dissoutes dans l’eau de lavage, ustensiles utilisés pendant les funérailles, bref tout ce qui contient la mort (en particules quasi visibles!). Tout cela bien arrosé par l’eau des «bains», offrandes d’eau propre qui renouvellent la séparation et facilitent, peut-on dire, la digestion du mort par la terre et le non-retour de son état. Dans le cas des morts violentes, le cadavre pourrait enfin essuyer lui-même la souillure du meurtre en recevant son propre sang. Offrandes qui cherchent à tracer une limite infranchissable en rendant au mort cette partie de lui qui est encore en suspens parmi les vivants; offrandes qui assurent simultanément la tranquillité des vivants et le confort des morts69.

VI. Tracés d’eau et préliminaires du sacrifice «Verser» un liquide – et surtout le verser totalement – semble parfois tracer une limite, ce qui justifie sans doute les termes évoquant des purifications. Dans l’Hypsipyle d’Euripide, Amphiaraos cherche de l’eau pure afin de verser une «libation d’eau lustrale» (chernips) aux dieux en faveur de l’armée argienne qui vient d’arriver à Némée. Dans le fragment en question, cette libation est d’ailleurs probablement mise en relation avec la «route», le voyage des Argiens (chernips hodios) ; c’est au moins ce que propose le texte selon la lecture de G. Murray. Le geste de cette libation doit être lié au moment précis de l’expédition, c’est-à-dire à l’entrée dans un pays étranger; c’est ce que nous suggèrent quelques mots conservés qui mentionnent un sacrifice (prothusai) en faveur d’une armée qui est sur le point de franchir les frontières [ho]ria huperbainontes70. Nous sommes donc dans un contexte d’«offrandes motivées par une traversée» (diabatêria)71. L’eau lustrale (chernips) est d’ailleurs régulièrement utilisée tant avant la prière qu’avant la célébration d’un sacrifice72. Dans le dernier cas, l’aspersion est un geste

69 Nous pouvons mettre les pratiques grecques en parallèle avec une série d’usages de la Mésopotamie ancienne. Durant certaines périodes de l’année, les vivants accueillent temporairement les revenants; quand ces derniers partent de nouveau au monde des morts, ils se voient chargés non seulement d’offrandes, mais aussi de tous les maux qui dérangent les vivants: J.A. Scurlock, «Magical Uses of Ancient Mesopotamian Festivals of the Dead», M. Meyer & P. Mirecki ed., Ancient Magic and Ritual Power, Leiden, 1995, 93-107. 70 G.W. Bond, Euripides Hypsipyle, Oxford, 1963, v. 35-36 dont nous trouvons un écho au fr. 60, 62, stratia`" provquma ∆Argei`on wJ" d[ . Nous croyons que Bond a raison de déduire du présent huperbainontes que l’opération de passage n’est pas encore achevée. 71 P. Stengel, « Cevrniy », Hermès 44, 1909, 373-374 exclut à tort cette offrande des rites de passage de frontières. Le fait que le vague theois pourrait désigner comme destinataire les dieux du pays (et non pas forcément les puissances “chthoniennes”, comme le veut Stengel – Gê et les héros epichôrioi – mais aussi Bond) ne serait pas incompatible avec la ritualisation du passage. Quant à l’argument de Stengel que la traversée a été déjà opérée, voir note précédente; d’ailleurs, il fallait peut-être, comme le propose Bond, comprendre les diabatêria dans un sens plus large. 72 Voir, entre autres, Ginouvès 1962: 313-314.

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Élimination rituelle et sacrifice étroitement lié au jet de grains d’orge (sur la victime, l’autel et les participants)73. Si l’aspersion à l’eau lustrale est comprise, tant par les anciens que par les modernes, comme une purification préliminaire, l’usage de répandre des grains est plus difficile à comprendre. Dans l’Iphigénie à Aulis, les prochutai – terme qui, comme celui d’oulochutai ou olai74, désigne les grains d’orge (krithai) répandus au début du sacrifice – sont explicitement désignés comme katharsioi75. Le fait que ces grains étaient mélangés avec du sel nous encourage à leur reconnaître un aspect “cathartique” et à leur attribuer donc une fonction proche de celle de l’aspersion à la chernips76. Or le sel (en forme solide, en grains ou dilué dans l’eau) fait partie des substances couramment utilisées dans les opérations purificatoires77. Mélangé souvent à l’eau, il semble remplacer l’eau de mer. En effet, selon une glose d’Hésychius, les grains d’orge et le sel pouvaient, d’ailleurs, se trouver mélangés dans de l’eau lustrale. Cela montre clairement que le jet des oulochutai était, au moins à partir d’un certain moment, conçu comme appartenant à la même étape préliminaire que l’aspersion à la chernips dont le but, toujours selon Hésychius, était purificatoire (hagnisthênai)78. Enfin, quant au pouvoir purificatoire des grains en général, il faut mentionner cette «purification… au moyen d’un ustensile d’or et d’un mélange de grains (prospermeia)» prescrite par un règlement de Cos79. De même que le rituel de la chernips peut être comparé à une libation, le jet de grains rappelle une offrande (les scholies à l’Odyssée parlent explicitement d’un sacrifice préliminaire80). Cependant, comme l’a soutenu I. Ziehen81, à partir de l’époque

73 Une bonne description de ces préparatifs se trouve chez Moulinier 1952: 71-74 ainsi que chez F.T. van Straten, Hierà Kalá, Leiden - New York - Köln, 1995, p. 31-40. 74 Sur le problème de la signification exacte de ces termes qui se présentent comme synonymes, ainsi que sur leur rapprochement avec cheein, «verser», voir Casabona (1966: 283): tant oulochutai que prochutai mettent l’accent sur le geste de «répandre» et sur la façon dont on répand. Quant à l’orge et son utilisation religieuse – en forme de grains, de farine, ou d’autres préparations – voir, entre autres, A.S.F. Gow, Theocritus II, Cambridge, 1952, p. 41 en commentaire d’alphita, «farine d’orge» de la IIe idylle de Théocrite citant Odyssée X, 520 et XI, 28 (offrande aux morts); M.-C. Amouretti, Le pain et l’huile dans la Grèce antique, Paris, 1986, p. 130 ainsi que PGM IV, 2574 où la farine d’orge est utilisée dans un rite divinatoire. 75 Euripide, Iphigénie à Aulis, 1471 (prochutais katharsioisi, «orges lustrales»). Selon H. von Fritze, «Oujlaiv», Hermes 32, 1897, 248, n. 1, le qualificatif «purificatoires» serait dû au caractère expiatoire de l’ensemble du sacrifice. 76 Schol. Aristophane, Cavaliers, 1167. 77 Sophron, fr. 73 dans D.L. Page, Literary Papyri I, 1942, p. 328; Ménandre, Phasme, 54. Voir, entre autres, Eitrem 1915: 309, qui souligne le double pouvoir du sel (de conservation et de corruption); Sampter 1911: 158; Parker 1983: 227 ainsi que Gow 1952: 430 sq. Nous trouvons d’ailleurs le sel utilisé dans la préparation de la victime: Virgile, Enéide II, 132-36. 78 Hésychius s.v. cernibei`on, cf. Schol. Odyssée III, 441: «on mélangeait des grains d’orge et du sel soit avec chutos soit avec de l’eau soit avec du vin et on les sacrifiait avant la victime…». 79 LSCG, 154 A, 29, 30, 44; B 2 , 6, 15, 26 (Cos, IIIe s.); cf. LSCG 156 A, 15 (texte établi). Cf. R. Herzog, «Aus dem Asklepieion von Kos», Archiv für Religionswissenschaft 10, 409410. 80 Voir note 77. 81 I. Ziehen, «Oujlocuvtai», Hermes 37, 1903, 391-399 ainsi que Moulinier 1952: 73. Cf. Ginouvès 1962: 397 n. 8.

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Athanassia Zografou classique, le geste de répandre des grains et du sel, associé à l’aspersion, est souvent compris comme une purification préliminaire82. Dans ce cas, le geste d’offrir prend le sens de créer ou de renforcer le tracé d’un cercle sacré, de renouveler ou de réactiver la sacralité du lieu, ainsi que d’y introduire de nouveaux éléments (la victime et les principaux participants)83. Rappelons ici la frontière de sel à la fin de la procédure d’une purification prescrite par la loi sacrée de Sélinonte: «après avoir tracé une frontière de sel (dioruxas hali) et avoir procédé à une aspersion à l’aide d’un ustensile en or, qu’il s’en aille»84. * Nous n’avons certainement pas épuisé les exemples où élimination et offrande semblent coïncider85. Dans la plupart des cas, il serait d’ailleurs impossible de distinguer clairement les motivations variées qui suscitent les mêmes gestes rituels. L’acte de verser – cheein –, cette «étrange façon de donner»86, est souvent au cœur de cette complexité. Ce n’est peut-être pas un hasard s’il s’agit, selon É. Benveniste, du terme le plus généralement attesté pour désigner le sacrifice87.

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Élimination rituelle et sacrifice

Abstract The paper investigates the rather exceptional instances where the putting away of scraps and impurities looks very much like an offering; is there any logic in such a concentrated ritual? Some boundary places may absorb the dangerous remains (substances by means of which impurities were cleansed, impurities itself, “sacred” remains); nevertheless in these very places dwell the divine beings to whom the impurities are more or less given. Who are these beings? What gesture may both eliminate and consecrate something? Are there any factors allowing a clear concurrence? We examine the rite of consecrating to Artemis Brauronia the clothes of women who died in child-birth, or to Artemis Aristoboule the corpses of executed criminals. We try to find what happens with the everyday lumata (dropped food, pieces of bread used as a towel), with remains of funeral or purifying rituals. We examine at some length a passage from Sophocles, Electra, where we find together both drink-offering and purifying bath, mutilated corpse of an enemy and cuttings of raw flesh taken from a sacrificial victim. The act of pouring out, cheein, seems to be a central point if we want to know how offering and purifying may coincide.

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TROISIÈME SECTION

ENTRE HOMMES ET DIEUX: PARTAGE ET COMMENSALITÉ I. Des convives séparés? II. Découpe et distribution

LA THUSIA ET LE PARTAGE. REMARQUES SUR LA “DESTRUCTION” PAR LE FEU DANS LE SACRIFICE GREC Jesper SVENBRO Centre Louis Gernet, Paris Le point de départ de ces remarques est une thèse soutenue en 1999 par Gunnel Ekroth sous le titre The Sacrificial rituals of Greek hero-cults1. L’auteur s’y attaque notamment à la façon dont on nous présente habituellement le sacrifice héroïque en Grèce ancienne: le sacrifice héroïque, nous explique-t-on, prenait soit la forme d’un holocauste, soit la forme de rituels de sang, soit la forme de théoxénies où l’on dressait la table pour le héros; au contraire, il ne prenait que très rarement la forme d’une thusia, c’est-à-dire d’un sacrifice suivi d’un repas communautaire, du même type que les dieux en recevaient. La position se retrouve, par exemple, chez Jean Rudhardt: «Il est rare sans doute de voir quvein signifier un sacrifice héroïque ou funèbre»2. Arthur D. Nock semble avoir été le seul à critiquer cette façon de voir, en suggérant que la fréquence des thusiai reçues par des héros était en réalité beaucoup plus importante3. Or, la thèse défendue par Gunnel Ekroth est précisément celle-là, et elle va jusqu’à dire que la thusia était la forme normale du sacrifice héroïque – de l’époque archaïque jusqu’au début de l’époque hellénistique. Cela entraîne une conséquence sur le plan de la théologie grecque où, selon Gunnel Ekroth, dieux et héros se retrouvent du même côté, tandis que les humains, ou plutôt ceux qu’elle appelle les «morts ordinaires», se retrouvent de l’autre. D’habitude, on rapproche le culte des héros du culte des morts ordinaires, en l’opposant au culte des dieux, qui ne sont pas morts comme les héros (ou les humains ordinaires) et qui normalement n’ont pas de tombeaux. Si j’ai une remarque à adresser à l’excellent travail de Gunnel Ekroth, c’est sur un plan qui ne concerne pas vraiment sa thèse centrale. Ma remarque vise un point précis de terminologie, sur lequel je ne me serais pas attardé, si je n’avais pas le sentiment qu’il pourrait nous rendre attentifs à nos propres présupposés et au regard que nous portons sur la thusia, l’enagismos et l’holokautos, trois termes bien distincts aux yeux des Grecs mais qu’on traduit, de façon indistincte, par le terme de «sacrifice». Et, plus précisément, à la façon de penser un aspect du partage dans le “sacrifice”. Dans la thèse de Gunnel Ekroth, il est question, de façon répétée, de quelque chose appelé destruction sacrifices. Par «sacrifice de destruction», l’auteur entend surtout les holocaustes mais également toute mise à mort d’un animal sacrificiel qui ne donne pas lieu à une consommation, par les humains, des viandes de la bête. Donc, non seulement des actes de combustion mais encore, par exemple, le fait de laisser un cadavre pourrir. Plus important pour nous, cependant, la “destruction” peut intervenir même 1 G. Ekroth, The Sacrificial rituals of Greek hero-cults in the Archaic to the early Hellenistic periods, thèse, Université de Stockholm, Stockholm, 1999. 2 J. Rudhardt, Notions fondamentales de la pensée religieuse et actes constitutifs du culte dans la Grèce classique, Paris, 19922 [1958], 264. 3 A.D. Nock, «The Cult of Heroes», Harvard Theological Review 37, 1944, 141-174.

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Jesper Svenbro au cœur de la thusia, lorsque la portion de la divinité est brûlée sur l’autel et part en fumée au lieu d’être mangée. Or, d’où vient le terme destruction sacrifice, employé par Gunnel Ekroth avec un naturel qui semble présupposer une théorie sous-jacente? En toute circonstance, le problème qu’il pose n’est pas passé inaperçu de l’auteur. Voici ce qu’elle écrit au sujet des destruction sacrifices, désignant une «catégorie rituelle» à côté de trois autres, à savoir blood rituals, theoxenia et thysia sacrifices: «The term “destruction sacrifice” is a modern construct, which does not correspond to “destruction” in the sense covered by fqeivrw/fqavrrw. Here, “destruction” refers to the treatment of the offerings from the point of view of the human worshippers, who at these sacrifices received less meat than usual or no meat at all. The divinity, on the other hand, received his share of the sacrifice, which was even larger than at a regular thysia»4. Effectivement, il n’y a rien du côté grec qui suggère que la combustion était perçue comme une destruction ou une phthora. Pourtant, nous lisons sous la plume de Gunnel Ekroth: «Destruction lies at the heart also of a regular thysia sacrifice, since it cannot be accomplished without the burning of the divinity’s portion of the victim, a partial destruction which, however, does not affect the share of the animal falling to the worshippers»5. Pourquoi est-il impossible d’accepter une telle description des faits sacrificiels? D’abord, parce que les Grecs eux-mêmes ne qualifient pas la combustion de “destruction”, ainsi que le dit Gunnel Ekroth elle-même. Ensuite, parce que la combustion n’est pas plus “destructrice” que la consommation de la viande par les sacrifiants, ce qui rend le terme “destruction” inopérant ici. Finalement, parce que le “traitement par le feu” est l’opération qui, du point de vue des sacrifiants, vise à faire passer la part de la divinité ou du héros non pas dans le néant mais dans l’invisible, ce qui n’est pas la même chose. À l’occasion d’un sacrifice, dieux et héros ne sont pas à table de la même façon que les hommes. Si dieux et héros participent au partage, s’ils sont ses “parti-cipants”6 au sens fort, il faut que leurs parts subissent un traitement qui les rend en quelque sorte “consommables” dans l’au-delà, où il serait tentant, mais pas forcément adéquat, de les imaginer, avec Héraclite, comme percevant tout, dans un monde de fumée et de fumigations, avec leur seul nez7. Du point de vue des Grecs, me semble-t-il, il n’y a pas de destruction ici, bien au contraire. C’est donc avec une certaine perplexité que j’ai constaté par la suite que quelqu’un comme le très prudent Jean Rudhardt fait un usage assez fréquent du terme «destruction» ou de son synonyme «anéantissement» – d’une manière qui rappelle celle de Gunnel Ekroth, qui, à cet égard, aurait pu s’appuyer sur Notions fondamentales8. Ceci est d’autant plus étonnant que Jean Rudhardt s’est efforcé de comprendre le sacrifice “de l’intérieur”, dans ses propres termes, dans une entreprise de phénoménologie religieuse très poussée, dont nous restons tributaires. On peut ajouter que,

4

G. Ekroth 1999: 109, n. 471. Ibid.: 269. 6 Cf. John Scheid, «La spartizione sacrificale a Roma», C. Grottanelli & N.F. Parise ed., Sacrificio e società nel mondo antico, Roma-Bari, 1988, 267-292. 7 Héraclite, fr. 7 Diels-Kranz. Se nourrissent-ils également de la fumée des bûchers funéraires? 8 Rudhardt 1992: 288 («destruction rituelle par combustion», «sacrifices de destruction», «sacrifice d’anéantissement»), 293-294 («rites de destruction», «gestes d’anéantissement») etc. 5

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La thusia et le partage du côté germanophone, Walter Burkert utilise le terme Vernichtungsopfer dans le même sens9 et que Burkert aurait pu être cité, par Gunnel Ekroth, au même titre que Jean Rudhardt pour justifier son emploi du terme destruction sacrifice. J’ai essayé de comprendre ce qui s’est passé depuis la publication des Notions fondamentales en 1958, ou de la Griechische Religion en 1977, et qui m’a rendu spontanément méfiant devant l’emploi du terme destruction, voire Vernichtung, dans des propos portant sur le partage – j’insiste sur cet aspect – à l’occasion de la thusia ou bien sur la combustion d’un animal entier dans l’enagismos. Si l’on veut comprendre les relations de partage qui se nouent entre sacrifiants et destinataires, il ne suffit pas de constater, comme Rudhardt, que la fumée part verticalement vers le ciel et ainsi vers les destinataires10. Le mouvement vertical de la fumée est certainement important, puisqu’il établit un lien entre terre et ciel et, donc, entre sacrifiants et destinataires. Mais, à mes yeux, la fumée est surtout le signe de la modification subie par la part réservée à la divinité ou au héros, – le signe visible qui annonce que le “transport” est en train d’avoir lieu. La modification de la viande par l’action du feu ne “détruit” pas la part destinée à la divinité ou au héros; au contraire, elle la fait passer dans l’invisible, c’est-à-dire chez les destinataires. Autrement dit, le feu est le moyen d’établir, sinon une véritable “commensalité” (autour d’une seule et même table), du moins une “communauté participante”, une Mahlzeitsgemeinschaft, avec dieux et héros, – au cours d’un repas où tout le monde, destinataires et sacrifiants, ont leur part. Or, en quoi consiste la part des dieux pour qu’ils soient “à jeun” lorsque, dans les Oiseaux d’Aristophane11, les sacrifices cessent sur terre? En “fumée” destinée à les nourrir par inhalation? Sans doute, le texte comique risque de déformer, dans l’intention de faire rire, la façon dont on se représentait la “participation” des dieux à la thusia. Plus précisément, il est susceptible de la déformer en prenant tout à la lettre et en mettant l’aspect concret et trivial en avant, ainsi que les conséquences cocasses, comme la perspective de la mort imminente d’un Zeus affamé et les questions d’héritage qui en surgissent. En revanche, l’Hymne homérique à Déméter ne déforme pas les circonstances de cette façon, mais n’apporte malheureusement aucune précision sur l’“état de manque” prévu pour les dieux: la stérilité dont Déméter a frappé la terre sera fatale pour les hommes, qui mourront de faim, ce qui privera les dieux du culte auquel ils sont habitués12. Entre les Notions fondamentales de Rudhardt et nous-mêmes aujourd’hui, il y a eu, je pense, une réflexion menée notamment par Jean-Pierre Vernant et qui commence dans le long chapitre d’ouverture de La cuisine du sacrifice (1979), en particulier la section 3, «Cuire les mets, brûler les morts»13, complétée par l’article «La belle mort et le cadavre outragé» dans La mort, les Morts dans les sociétés anciennes (1982) sur

9 Griechische Religion der archaischen und klassischen Epoche, Stuttgart, 1977, 277, au sujet, notamment, d’Iliade XXIII, 166-176, où les douze jeunes Troyens tués et brûlés avec Patrocle ne sont pas “anéantis” mais, précisément, expédiés dans l’au-delà avec Patrocle, sans doute pour lui servir d’esclaves. 10 Rudhardt 1992: 293. 11 Aristophane, Oiseaux, 1514-1524. 12 Hymne homérique à Déméter, 301-333. 13 M. Detienne, J.-P. Vernant et alii, La cuisine du sacrifice en pays grec, Paris, 1979, 63-71.

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Jesper Svenbro le passage, dans l’au-delà, du guerrier mort14. Passage rendu possible par le feu qui enlève le cadavre «à la vue des humains», ap’ ophthalmôn15, pour l’expédier intact, dans une espèce de perfection idéale, dans le monde invisible de l’au-delà. La disparition du cadavre n’est pas plus que la disparition de la part du dieu dans le sacrifice une “destruction” mais une modification par le feu qui lui ouvre l’accès à l’au-delà. Ces observations me permettent d’insister sur l’étymologie du verbe thuein, dont on sait qu’il signifie fondamentalement «fumer, faire fumer»16. Le dérivé thusia, «sacrifice», évoque ainsi inévitablement la «fumée caractéristique des sacrifices» et place la combustion et la fumée au centre du sacrifice suivi d’un partage entre destinataires divins ou héroïques et destinateurs humains. Si, pour les Grecs, le partage caractérisant la thusia n’est complet qu’à condition d’y inclure les dieux ou les héros, destinataires du sacrifice, on comprend le rôle absolument central du feu et de la fumée qui monte de l’autel sacrificiel: c’est le feu qui rend le partage avec les destinataires divins ou héroïques possible; sans lui, il n’y aurait pas de “transport”, dans l’au-delà, de la part réservée aux destinataires, transport qui est tout autre que destruction ou anéantissement et dont la fumée est le signe. En revanche, la «souillure» (agos)17 évoquée par le terme de l’autre forme principale du sacrifice grec, à savoir par enagismos (et les autres termes de la même famille, notamment enagizein et enagisma)18, rendrait le partage avec les défunts et les héros, destinataires de l’enagismos, impossible. Autrement dit, l’enagismos s’oppose à la thusia en excluant tout partage entre destinateurs vivants et destinataires défunts19. Si l’enagismos prend la forme d’un partage, ce partage a lieu exclusivement entre destinataires dans l’au-delà (ainsi que nous allons le voir dans quelques instants). Cette façon de distinguer enagismos et thusia permet de mieux comprendre le scénario du double sacrifice à Achille que nous a transmis Philostrate dans l’Heroicus20. Le texte raconte que les enagismata rendus tous les ans à Achille en Troade par les Thessaliens ont eu une préhistoire, où l’on ne se limitait pas aux enagismata pour honorer le héros mais où l’on lui faisait également des thusiai comme à un dieu. En reconstituant le rite archaïque, le texte met en place un Achille en partie mortel, en partie immortel: comme Héraklès dans Hérodote21, il reçoit des enagismata aussi bien que des thusiai, jusqu’à ce que le rite subisse une réforme qui efface le côté immortel du héros comme religieusement irrecevable: désormais, Achille ne recevra que des enagismata.

14 J.-P. Vernant, «La belle mort et le cadavre outragé», G. Gnoli & J.-P. Vernant ed., La Mort,

les Morts dans les sociétés anciennes, Cambridge-Paris, 1982, 45-76 [repris dans J.-P. Vernant, L’individu, la mort, l’amour. Soi-même et l’autre en Grèce ancienne, Paris 1989, 41-79]. 15 Iliade XXIII, 53. 16 Voir P. Chantraine, s.v. quvw 2, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, 1980, 448-449. 17 Ibid., s.v. a[go". 18 Cf. G. Nagy, The Best of the Achaeans, Baltimore-Londres, 1979, 308, n. 4. 19 Pour le fait de goûter de la nourriture appartenant au monde des défunts, on se rappelle le passage bien connu de l’Hymne homérique à Déméter, 370-374: «C’est ainsi que Hadès a parlé. Et la sage Perséphone s’en réjouit et, rapidement, elle se lève de joie. Mais secrètement [Hadès] lui a donné une douce graine de grenade à manger, prenant cette mesure dans son propre intérêt afin qu’elle ne reste pas tous les jours auprès de la vénérable Déméter au sombre péplos». 20 Philostrate, Heroicus, 208, 7 - 209, 29 Kayser: voir la traduction proposée infra, Appendice 1, 223-224. 21 Hérodote II, 44.

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La thusia et le partage Au départ, on devait sacrifier à Achille de deux façons: des victimes apportées, certaines devaient avoir été égorgées (verbe: sphattein) comme à un dieu, d’autres comme à un défunt. Les victimes étaient des taureaux: un noir, sacrifié la nuit sur le tumulus, un blanc, sacrifié vers l’aube et consommé le jour. Après la réforme du culte, avec la suppression des thusiai, l’obligation de sacrifier un taureau n’était plus retenue mais on pouvait sacrifier l’animal qu’on voulait. On amène pratiquement tout de la Thessalie pour ce sacrifice: les victimes, le bois pour l’holocauste et pour la thusia, le feu, l’eau du Sperchéios pour les spondai, des fleurs cueillies près du même fleuve pour les couronnes – afin de ne pas dépendre en quoi que ce soit de la cité ennemie, à savoir de la cité de Troie. Avant de débarquer, en pleine nuit, on chante un hymne à Thétis, invitée à assister, sinon à participer, aux sacrifices “ignés”. L’hymne met en avant la double nature d’Achille: il est mortel et immortel. Pour le premier sacrifice, on mime une bataille en faisant retentir un bouclier22 et on accourt au sommet en appelant Achille; puis, on pose les couronnes au sommet, creuse des fosses et égorge le taureau noir (on est toujours en pleine nuit). On appelle Patrocle à venir partager le repas (dais) d’Achille: les sacrifiants, eux, n’y participent pas. On allume le bûcher, et on brûle le taureau noir pour le rendre consommable dans l’au-delà. Le deuxième sacrifice a lieu immédiatement après, mais sur le rivage, au moment où le jour commence à pointer. On procède à une thusia régulière avec le taureau blanc amené à un autel où le feu brûle déjà, on répand de l’eau provenant du Sperchéios, on procède à l’égorgement de la victime «avec le rite du kanoun et des splagchna», et on prend finalement la mer à l’aube, en emportant la viande pour ne pas festoyer en terre ennemie mais en mer, ce qui semble approprié pour la thusia destinée au fils d’une divinité marine. Entre le partage, dans l’au-delà, du taureau noir, dont les sacrifiants ne goûtent point et celui du taureau blanc, dont le destinataire, dans son au-delà, est censé goûter autant que les sacrifiants ici-bas, le contraste est instructif, et l’on regrette seulement que ce témoignage nous provienne d’une date si tardive. Tournons donc notre regard vers Hérodote, attestant une croyance parfaitement analogue pour l’époque archaïque, non pas dans le domaine du sacrifice alimentaire mais dans celui du “sacrifice” vestimentaire. «Sacrifice monstre», selon l’expression de Louis Gernet23, l’opération en question fait apparaître la logique de la combustion, et cela avec encore plus de précision que la crémation du cadavre dans les exemples utilisés par Vernant. Il y est question de quelque chose qui, en surface, a l’air d’une dépense destructrice, spectaculaire et folle, digne des pires tyrans, mais qui, si nous faisons attention à sa logique, nous dit également autre chose. Le texte dont il est question est un passage du discours sur la nature de la tyrannie que le Corinthien Soclès adresse aux Lacédémoniens au livre V d’Hérodote24. Gernet y a consacré quelques pages dans sa «Notion mythique de la valeur en Grèce» et, d’entrée de jeu, il fait la distinction entre «destruction» et «anéantissement»25, distinction que, par exemple, Jean Rudhardt ne retiendra pas26 et à laquelle je reviendrai.

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Cf. la trompette dans le rite à Platées: Plutarque, Vie d’Aristide, 21, 1-6. L. Gernet, «La notion mythique de la valeur en Grèce» [1948], dans Anthropologie de la Grèce antique, Paris, 1968 , 115. 24 Hérodote V, 92 h, 1-4: pour le texte, voir infra, Appendice 2, 224. 25 Gernet 1968: 114. 26 Apparemment, Rudhardt utilise les deux termes comme synonymes (1992: 236-238, 288, 293-294). 23

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Jesper Svenbro En réponse à la proposition des Lacédémoniens de réinstaurer la tyrannie à Athènes, Soclès raconte les méfaits des tyrans corinthiens Cypsélos et Périandre. Ce dernier, assassin de son épouse Mélissa27, éprouve le besoin de consulter l’ombre de la défunte au sujet d’un dépôt d’argent qu’il voudrait récupérer. Il envoie des messagers auprès d’un oracle en Thesprotie dans le but de la consulter. L’ombre de Mélissa apparaît, mais refuse de révéler l’endroit où se trouve le dépôt. La raison du refus est que Mélissa se trouve mal dans l’outre-tombe: elle est nue et elle a froid, car ses vêtements n’ont pas été brûlés avec elle lors de sa crémation; ils étaient restés tels quels dans sa tombe. Périandre est convaincu du récit des messagers et comprend que, pour rendre son épouse propice, il faut lui faire parvenir des vêtements. Ce qu’il fait de la manière suivante. Il convoque toutes les femmes de Corinthe à venir dans le sanctuaire d’Héra, habillées comme pour une grande fête. À l’aide de ses gardes, il les déshabille toutes et ramasse leurs vêtements dans une fosse. En adressant des prières à l’ombre de son épouse, il les fait ensuite brûler. Sur quoi des hommes sont envoyés de nouveau à l’oracle thesprote pour consulter la défunte. Et cette fois-ci, elle rompt son silence et indique l’endroit où se trouve le dépôt. De toute évidence, les vêtements brûlés ont été expédiés dans l’au-delà, permettant à Mélissa de s’habiller. Il serait erroné de dire que leur combustion les a détruits28. Il serait non moins erroné de dire qu’elle les a anéantis. À première vue, la distinction posée d’entrée de jeu par Gernet semble sans doute raisonnable: toute destruction n’est pas un anéantissement, tandis que tout anéantissement comporte nécessairement une destruction. Mais même ce qui, pour nous, semble une destruction de tissus et non pas leur anéantissement complet – car laissant des restes, méconnaissables, certes, et «soustrait[s] à l’usage des vivants»29 – n’en est pas une pour les Grecs. On ne peut pas affirmer, par exemple, que la combustion du cadavre est, aux yeux des Grecs, une destruction plutôt qu’un anéantissement. Elle n’est ni l’une ni l’autre. Elle vise au contraire à expédier le cadavre intact dans l’au-delà. La même logique vaut pour la combustion des parts sacrificielles destinées aux dieux et aux héros dans la thusia; pour la combustion de l’animal entier au profit de destinataires héroïques ou humains dans l’enagismos; et pour la combustion des vêtements de Mélissa. La tâche scientifique qui nous incombe n’est pas de “rectifier” ce qui dans la culture étudiée nous apparaît comme une erreur de perception ou de compréhension, comme si les Grecs, au fond, étaient d’accord avec nous (“ce n’est qu’une destruction”), mais plutôt d’essayer de repérer et de comprendre ce qui, à la limite, est impensable pour nous. De le maintenir dans son altérité contre la tentation de le “traduire” pour le rendre assimilable.

27

Hérodote III, 50. Cf. Gernet 1968: 115, au sujet des objets incinérés avec le mort: «du fait même qu’ils sont détruits par le feu, ils lui sont assurés», où la proposition principale apporte une nuance paradoxale, mais nécessaire, à la subordonnée. 29 Voici ce que Rudhardt écrit (1992: 239), sous la rubrique ENAGIZEIN, au sujet de l’offrande qu’on ne brûle pas mais qu’on laisse pourrir sur le tombeau: «elle est, sinon tout à fait anéantie par l’acte rituel, du moins complètement soustraite à l’usage des vivants». 28

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La thusia et le partage

APPENDICE 1: Philostrate, Heroicus, 208, 7 - 209, 29 Kayser Les enagismata thessaliens qui, de la Thessalie, reviennent à Achille sont la conséquence d’une réponse oraculaire (echrêsthê) de Dodone aux Thessaliens. L’oracle ordonna aux Thessaliens de prendre la mer pour aller à Troie sacrifier à Achille (thuein) tous les ans et lui égorger (sphattein) certaines victimes (ta men) comme à un dieu, d’autres (ta de) comme dans le cas de défunts mortels. Au début, cela se passait de la façon suivante: Un navire aux voiles noires allait à Troie avec deux fois sept théores à bord ainsi que des taureaux, l’un blanc et l’autre noir, tous deux domestiqués, et du bois du Mont Pélion, pour qu’on n’ait besoin en rien de la cité30; et ils apportaient du feu de la Thessalie, puisant libations (spondas) et eau31 dans le Sperchéios, où les premiers Thessaliens avaient la coutume de chercher également les couronnes impérissables pour les honneurs funéraires32, afin de ne pas les apporter dépéries et périmées, si les vents déviaient le navire. Ils devaient mouiller l’ancre en pleine nuit mais, avant de mettre pied sur terre, ils devaient chanter à Thétis, du navire, un hymne de la teneur suivante: «Ô Thétis bleu sombre, Thétis épouse de Pélée, toi qui a donné naissance à un fils immense, Achille, dont Troie a reçu tout ce que sa nature mortelle a produit, tandis que la mer possède tout ce que ton enfant a tiré de ta race immortelle! Viens à ce tumulus élevé au milieu des sacrifices empura33. Viens sans larmes, avec Thessalia34, ô Thétis bleu sombre, Thétis épouse de Pélée!» Lorsque, après l’hymne, ils s’avançaient vers le sêma, un bouclier faisait un bruit sourd comme au combat, et en accourant ils poussaient des cris au rythme de leurs pas, appelant (anakalountes) Achille; et après avoir posé des couronnes au sommet du tumulus et creusé des fosses (bothrous) là-dessus, ils égorgeaient (esphatton) le taureau noir comme à un défunt. Ils appelaient également Patrocle (ekaloun) à venir au repas (daita) faisant cela pour plaire à Achille aussi. Après avoir accompli l’entemnein35 et l’enagizein, ils descendaient aussitôt au navire et, après avoir de nouveau sacrifié (thusantes) à Achille sur la plage l’autre taureau et entamé ce sacrifice-là (ekeinêi têi thusiai) avec le rite du kanoûn et des splagchna – car cette thusia-ci (tên thusian tautên) ils la faisaient (ethuon) comme à un dieu –, ils prenaient la mer à l’aube en emportant le hiereion, pour ne pas festoyer en terre ennemie. On dit que ces choses-là, si vénérables et anciennes, ont été supprimées par les tyrans (qui, selon la tradition, ont régné en Thessalie après les Éacides) et négligées par les Thessaliens: certaines des cités envoyaient [des théores], d’autres ne pensaient pas que cela en valait la peine, d’autres disaient qu’elles allaient le faire l’année d’après, d’autres encore laissaient tomber la chose. Lorsque le territoire subit une sécheresse et que l’oracle ordonna de rendre un culte (timan) à Achille hôs themis36, ils enlevèrent des rites ce qu’ils considéraient [destiné à Achille] hôs theôi, explicitant ainsi le sens de l’expression hôs themis, et ils lui sacrifiaient, 30

Il s’agit de Troie. C’est-à-dire: l’eau pour les libations. 32 Les fleurs impérissables pour les couronnes funéraires. 33 Ces sacrifices empura s’opposent à des sacrifices apura, «sans feu». 34 La «déesse Thessalie». 35 On peut entemnein aux dieux aussi bien qu’aux héros; le terme n’est donc pas le synonyme d’enagizein – cela également pour la raison que enagizein ne désigne pas nécessairement un sacrifice sanglant, ainsi que le fait entemnein. 36 C’est-à-dire «selon la loi». 31

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Jesper Svenbro enêgizon, comme à un défunt et procédaient à l’entemnein de n’importe quelle victime, jusqu’à l’invasion de la Grèce par Xerxès, pendant laquelle les Thessaliens, en se mettant avec les Perses, abandonnèrent de nouveau le culte d’Achille, depuis qu’un navire, avec la maison des Éacides à bord, se rendit d’Égine en Salamine pour rejoindre l’alliance grecque.

APPENDICE 2: Hérodote V, 92 h, 1-4 De plus, en un seul jour Périandre dépouilla de leurs parures toutes les femmes de Corinthe, à cause de sa femme Mélissa. Il avait envoyé des messagers sur les bords de l’Achéron, chez les Thesprotes, au lieu où l’on évoque les morts (nekuomantêion), afin de la consulter sur une somme d’argent qu’elle avait reçue en dépôt d’un hôte: l’ombre de Mélissa était bien apparue, mais avait refusé de donner le moindre signe et de révéler l’endroit où se trouvait l’argent, car elle avait froid, déclara-t-elle, et elle était nue (rJigou`n` te kai; ei\nai gumnhv); les vêtements qu’il avait ensevelis avec elle ne lui servaient de rien, puisqu’ils n’avaient pas été brûlés (tw`n ga;r oiJ sugkatevqaye eiJmavtwn o[felo" ei\nai oujde;n ouj katakauqevntwn). Et, pour prouver à Périandre qu’elle disait vrai, elle ajouta qu’il avait mis ses pains dans le four froid. Quand Périandre apprit cette réponse – le signe donné lui parut irrécusable, car il s’était uni au cadavre de Mélissa – par la voix du héraut il fit convoquer immédiatement toutes les femmes de Corinthe au temple d’Héra. Elles s’y rendirent comme à une fête, dans leurs plus beaux atours (wJ" ej" oJrth;n h[isan kovsmw/ tw`/ kallivstw/ crewvmenai), et Périandre les en fit toutes dépouiller (apeduse), les femmes libres comme les servantes, par les gardes qu’il avait apostés; puis il fit brûler (katekaie) tous ces vêtements amoncelés dans une fosse (es orugma), en adressant des prières à Mélissa (Melissêi epeuchomenos). Après quoi il envoya de nouveau consulter l’ombre de Mélissa, qui indiqua l’endroit où elle avait déposé l’argent de son hôte. (Traduction d’Andrée Barguet)

Bibliographie Burkert, W. 1977, Griechische Religion der archaischen und klassischen Epoche, Stuttgart. Chantraine, P. 1980, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris. Detienne, M., Vernant, J.-P. et alii, 1979, La cuisine du sacrifice en pays grec, Paris. Ekroth, G. 1999, The Sacrificial rituals of Greek hero-cults in the Archaic to the early Hellenistic periods, thèse, Université de Stockholm, Stockholm. Gernet, L. 1968, «La notion mythique de la valeur en Grèce» [1948], dans Anthropologie de la Grèce antique, Paris. Gnoli, G. & Vernant, J.-P. ed. 1982, La Mort, les Morts dans les sociétés anciennes, Cambridge-Paris. Nagy, G. 1979, The Best of the Achaeans, Baltimore-Londres. Nock, A.D. 1944, «The Cult of Heroes», Harvard Theological Review 37, 141-174. Rudhardt, J. 19922, Notions fondamentales de la pensée religieuse et actes constitutifs du culte dans la Grèce classique, Paris [1958]. Scheid, J. 1988, «La spartizione sacrificale a Roma», C. Grottanelli & N.F. Parise ed., Sacrificio e società nel mondo antico, Roma-Bari, 267-292. Vernant, J.-P. 1989, L’individu, la mort, l’amour. Soi-même et l’autre en Grèce ancienne, Paris. 224

La thusia et le partage

Abstract According to G. Ekroth’s forcefully argued thesis (1999), heroes receive thusia sacrifices no less than gods do, as opposed to the common dead. However, G. Ekroth’s term “destruction sacrifice”, used also by Rudhardt and Burkert, should be avoided, as the sacrificial shares intended for the gods, or the heroes, are neither destroyed nor annihilated. They are rather communicated to them by means of combustion, the “smoke” of which (thusia, according to etymology) is the sign of the communion taking place between god (hero) and worshipper. Conversely, the enagismos sacrifice excludes such a communion between the heroes (or deceased humans) receiving it and the living worshippers. Philostratus (Heroicus) is quoted in support of this distinction, whereas a key passage in Herodotus is invoked to reveal the logic of sacrificial combustion.

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GÄSTE DER GÖTTER – GÖTTER ALS GÄSTE: ZUR KONSTRUKTION DES RÖMISCHEN OPFERBANKETTS

Jörg Rüpke Universität Erfurt Vorbemerkung Opfer und Bankett gehören zusammen. John Scheid, der wohl beste Kenner des römischen Opferwesens, hat diesen Zusammenhang mehrfach betont1 und ihn auch in einem Beitrag dieses Bandes2 wieder unterstrichen. Der Zusammenhang ist in der Tat evident und findet durch normative Vorschriften über den rituellen Ablauf des Opfers – man denke etwa an die Bemerkungen in Catos De re rustica – bis hin zu archäologisch-architektonischen Zeugnissen3 Bestätigung. Dieser Zusammenhang, und damit ein wesentliches Moment der gemein-altmediterranen Struktur blutiger Tieropfer, soll auch hier nicht in Frage gestellt werden. Es soll aber auf einige Probleme aufmerksam gemacht werden, die einer zu einfachen Deutung des Zusammenhangs zwischen Opfer und Bankett im Sinne einer direkten Kommensalität von Menschen und Göttern widersprechen. Genau auf dieses Problem weist Paul Veyne4 in einem im Jahr 2000 erschienenen Beitrag «Die Götter Einladen, Opfern und Bankettieren» hin. Veyne – und das deutet der Untertitel («Quelques nuances») an – bemüht sich um Differenzierung und lotet das Spektrum von der fehlenden direkten Tischgemeinschaft bis zur Einladung der Gottheit an einen an der menschlichen Tafel freigelassenen Platz aus. Individuelle Frömmigkeit in ihren Variationen und eine Veränderung religiöser Mentalität seit dem zweiten Jahrhundert n. Chr. bieten ihm die Deutungsschlüssel5. Es ist diese Differenzierung, der ich folgen, die ich vertiefen und modifizieren möchte.

Das Problem Ausgangspunkt der folgenden Überlegungen ist der auffällige Befund, daß – trotz des logisch, zeitlich und wirtschaftlich engen Zusammenhanges zwischen dem Opfer für die Götter und dem Bankett für die Menschen – diese Verbindung in römischen 1 Besonders in Scheid 1985 und 1988. – Für die Korrektur des Textes und bibliographische Recherchen danke ich Frau Franca Fabricius, Erfurt, und den Herausgebern. Der Beitrag entstand im Rahmen des Procope-Projekts «Opfer» (Erfurt/Paris). 2 «Manger avec les dieux», 273-287. 3 Siehe den Beitrag von Ulrike Egelhaaf-Gaiser, 253-272. 4 Veyne 2000. Ich danke John Scheid für den Hinweis auf diesen Beitrag sowie den weiteren Beteiligten an der Diskussionsrunde vom August 2000 in Paris. 5 Veyne 2000: 36 f. 6 Siehe Veyne 2000: 3.

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Jörg Rüpke Quellen kaum angesprochen wird – in deutlichem Unterschied zum griechischen Befund. Warum, so die Kernfrage dieses Beitrags, wird dieser Zusammenhang nicht thematisiert? Warum ist die Formulierung «die Götter einladen», inuitare deum, keine – und hier muß ich den ersten Dissens mit Veyne formulieren – «expression usuelle»6? Es bestehen zwei Möglichkeiten, mit diesem Befund umzugehen. Die erste hat John Scheid bereits vorgeführt7. Es ist nicht nötig, sie hier zu wiederholen. Diese Möglichkeit besteht darin, auf der schwachen römischen Zeugnislage aufbauend die griechische Idee, daß die Menschen die Götter einladen und gemeinsam oder wenigstens im engsten räumlichen und zeitlichen Zusammenhang mit ihnen speisen, auch für Rom zu unterstellen. Es scheint unzweifelhaft, diese Idee zur altorientalisch-altmediterranen Opferpraxis allgemein zu rechnen8. Auch die Art und Weise, wie in Rom das durch das Opfer angefallene Fleisch in mehreren Schritten zwischen den göttlichen Adressaten und den Menschen aufgeteilt wird, läßt sich am ehesten mit dieser Vorstellung zusammenbringen9. Hier soll eine Alternative, soll die zweite Möglichkeit verfolgt werden, nämlich die Diskrepanz mit anderen kulturellen Praktiken zu vergleichen und sie “strukturalistisch” zu erklären. Ausgangspunkt wird nun das “normale” römische Bankett in seiner zwischenmenschlichen Dimension sein: Wer feiert hier miteinander und teilt in welcher Weise? Im Vergleich zum Opfer-Bankett kann dann nach jenen Inkonsistenzen gesucht werden, die zu einer Präzisierung des eingangs festgestellten Zusammenhangs beziehungsweise seines Fehlens führen könnten.

Das Bankett als zentrale Kommunikationsform der römischen Oberschicht Bankette, gemeinsames Speisen (mehr noch als Trinken)10, gehören zu den zentralen Aktivitäten der römischen Aristokratie. Das wird schon aus der Architektur der römischen Villa deutlich. Der Speiseraum (triclinium) ist der Fluchtpunkt des klassischen römischen Hauses. Die namengebende Grundausstattung mit “drei Liegen” ist für drei mal drei (meist) männliche Teilnehmer – die Einbeziehung von weiblichen Familienmitgliedern markiert einen ersten Punkt griechisch-römischer Differenz11 – bestimmt, dient also nicht primär den Familienmahlzeiten12. Im Rahmen des schwach möblierten römischen Hauses13 gewinnt dieser Raum eine besonders betonte funktionale Zuspitzung. 7

Im schon genannten Beitrag Scheid 1988. Cf. die weiteren Beiträge in Amadasi Guzzo et al. 1988. 9 Dazu detailliert Scheid in dem schon mehrfach zitierten Artikel (1988). 10 Zu dieser Differenz Gowers 1993: 29; Rüpke 1998: 194. 11 Siehe Booth 1991; Bremmer 1990; D’Arms 1991. Das Thema “Symposion” hat gerade im vergangenen Jahrzehnt stimulierend gewirkt, allerdings mit deutlichem Übergewicht auf gräzistischem Gebiet: Murray 1990; Slater 1991; cf. aber Longo, Scarpi 1989; Landolfi 1990. In der Kaiserzeit erlangen die C-förmigen “Sigma-Speiseliegen” in Kombination mit Rundtischen Beliebtheit; sie dominieren die Mahldarstellungen in den Katakomben. 12 Die Fiktion des auf neun Personen (drei je Triclinium) beschränkten Mahles unter Freunden bestimmen auch die Regelungen der Lex Ursonensis aus dem Jahr 44 v. Chr., die in Kapitel 132 festlegt, daß Bankette zur Wahlwerbung, zu denen der Bewerber selbst einlädt, nicht mehr als neun Gäste (je Tag) umfassen dürfen. S. a. die Regel bei Varro, Menippeische Satiren 333 = Gellius 13,11; s. a. Horaz carm. 3,19,17 f. mit Rüpke 1996; cf. aber Hor. sat. 1,4,86: drei mal vier. 13 Soweit darf man wohl den Befund der ausführlichen Mobiliar-Untersuchungen aus Augusta Raurica (Deschler-Erb 1998) verallgemeinern. 8

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Gäste der Götter – Götter als Gäste Die Nutzung dieses Raumes dient nicht der Cliquen-Bildung. Was den carmina conuiualia zugeschrieben wird14, weist darauf hin, daß hier ein Kommunikationsraum imaginiert wird, der der Konstitution und Sicherung einer einheitlichen Oberschicht mit Hilfe eines gemeinsamen Bezugssystems an Figuren und Werten dient. Die frühe epische Dichtung in Rom leistet genau dieses, wird allerdings auch im Rahmen der entstehenden hofartigen Zirkel einzelner, herausragender Mitglieder der römischen Oberschicht instrumentalisiert15. Auch für die republikanischen Priesterschaften, die Kollegien der sacerdotes publici, spielen Bankette eine zentrale Rolle als internes Gesprächsforum; der hohe Aufwand dieser Gastmähler wird sogar sprichwörtlich16. “Öffentlichkeit” und “Privatraum” gehen hier ineinander über. Nicht nur an diesen festen, aber andere “Fraktionen” wiederum durchkreuzenden Gruppierungen läßt sich ablesen, daß Bankette (wie natürlich Opfer auch) einen institutionellen Ort besaßen. Die Salier, jene “Tanz”-Priesterschaft, die sich vor allem aus ganz jungen Aristokraten rekrutierte, “übte” den Monat März hindurch Tanzen – und Essen17. Als der Kult der Mater magna am Ende des Zweiten Punischen Krieges in Rom eingeführt wurde, hatte die Oberschicht nichts Eiligeres zu tun, als einen neuen Typ von Bankett, mutationes, “wechselseitige Einladungen”, zu erfinden18. Das alles sorgte für Kommunikation und Konsens, bot aber auch eine neue Ebene für den Wettbewerb. Wertvolles Tafelgeschirr ist schon im archäologischen Befund der orientalisierenden Phase auffällig häufig vertreten; herausragend sind hier im engeren römisch-latinischen Bereich die Funde von Ficana19. Im zweiten Jahrhundert v. Chr. mußten «(Anti-) Aufwand-Gesetze» (leges sumptuariae) Exzesse bremsen20. Die Kehrseite der Medaille ist, daß die Konstitution eines (wenn auch weiten) Kommunikationsraumes nur funktioniert, wenn die Inklusion mit Exklusion, wenn der Einschluß von Zugelassenen mit dem Ausschluß von Nichtdazugehörenden verbunden wird. Die Behandlung der Klienten eines Aristokraten, also einer durchaus eng verbundenen Gruppe, macht deutlich, wie das funktionieren kann: Nicht einen Platz an der Tafel des Patrons erhält der Klient, sondern ein Körbchen mit Speisen zum Nachhausetragen. Und noch einmal umgekehrt: Aus dem hinreichenden sozialen Rang ergibt sich auch ein Anspruch auf Einladung: «Gibt es irgendeinen Staat ... der so mächtig oder so frei oder so roh und barbarisch ist, gibt es schließlich irgendeinen König, der einen Senator des römischen Volkes nicht unter sein Dach und in sein Haus einladen würde?» fragt Cicero21. Wie, so lautet die Frage, der im folgenden nachgegangen werden soll, stellt sich das ungleiche Verhältnis von Göttern und Menschen im Kontext von Opfer und Bankett dar?

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Das Material umfassend bei Zorzetti 1990. Ausführlich Rüpke 2002. 16 Festus 439,8-10 L. 17 Rüpke 1998; die Annahme von Aktivitäten im Oktober ist ein sich beharrlich haltender Irrtum. 18 Gellius 2,24,2. 19 Cornell 1995: 89-92; weiteres Tagliente 1985. 20 Die Reihe beginnt mit der lex Orchia 182 v. Chr.; s. etwa Gell. 2,24. 21 Cicero Verr. 2,4,25. Cf. die Betonung der besonderen Anstrengung eines Niedrigergestellten, eines bloßen Ritters, in 2,4,44. 15

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Jörg Rüpke

Opferbankette: Wer lädt wen ein? Wenn irgendwo fundamentale Klassifikationen von Lebewesen stattfinden, dann im Opfer: Der Mensch tötet, das Tier wird getötet, die Gottheit läßt töten und profitiert davon. Die “Teilung des Fleisches” buchstabiert das aus, und zwar mit erstaunlicher Präzision, so etwa im Übergang vom lebenden Menschen zum verstorbenen Ahnengott22. Wie können nun zwei so ungleiche Parteien miteinander essen? Die Frage läßt sich auf einen überraschenden Negativbefund hin konkretisieren: Die doch entscheidende Frage des Speisens, wer wen einlädt, scheint im Opferbankett aus römischer Sicht keine klare Antwort zu finden. Mit Hilfe einer Untersuchung der Verwendungsgeschichte von inuitare in diesem Zusammenhang soll die Beobachtung präzisiert werden. Die Götter laden die Menschen ein: Das ist von Plautus bis Martial, von 200 v. Chr. bis 100 n. Chr., ironisch gemeint: als Einladung zum Tod, als Einladung, vor der man sich hüten muß. Neptun etwa bietet einen salzigen Trank; wer dieser Einladung folgt, wird ertrinken23. In die Gegenrichtung zielt die Einladung Iuppiters, die Martials Persona ausschlägt: Ad cenam si me diuersa uocaret in astra Hinc inuitator Caesaris, inde Iouis, Astra licet propius, Palatia longius essent, Responsa ad superos haec referenda darem: ‘Quaerite qui malit fieri conuiua Tonantis: Me meus in terris Iuppiter, ecce, tenet’24.

Auch hier hieße der Einladung zu folgen sterben. Betrachten wir nun den umgekehrten Fall, die Einladung der Götter durch die Menschen. In der Übersetzung der etruskischen Blitzlehre, die Caecina bot, gab es nach Seneca fulgura hospitalia, †quae sacrificiis ad nos Iouem arcessunt, et,† ut uerbo eorum molliore utar, inuitant (sed non irasceretur inuitatus: nunc uenire eum magno consultantium periculo adfirmant)25.

Die in der Edition von Hine (1996) als unheilbar verderbt markierte Stelle macht klar, daß es um einen divinatorischen Kontext geht, in dem Iuppiter nicht als stiller Gast einer durch Opfer gestalteten “Einladung” folgt, sondern in höchst gefährlicher Form, als Blitz nämlich, erscheint. Die Stelle bleibt ohne mir bekannte Parallele. Die Menschen laden die Götter: Das ist wohl im Normalfall als Einladung zum Wohnen, als das Anbieten eines Tempels gemeint26.

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Scheid im Rahmen eines durch das Procope-Programm finanzierten Erfurter Vortrages (2000), jetzt 2005; s. mit besonderem Bezug zum Griechischen G.J. Baudy 1983 und in weiterem Rahmen Gladigow 1984. 23 Plautus Rud. 362 und 590. 24 Martial 9,91. 25 Seneca nat. 2,49,3. 26 Das gilt selbst Statius silv. 3,1,138 ff.: Der kultische Aufwand unterstreicht nur die Attraktivität des Tempelsitzes.

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Gäste der Götter – Götter als Gäste Paul Veyne hat das Belegmaterial des Thesaurus linguae latinae um zwei Passagen ergänzt, die einer kurzen Würdigung bedürfen. Aus Tiberischer Zeit stammt eine Inschrift, die eine Art lex arae für eine kleine, wohl im Fundort, im etrurischen Forum Clodii, gestiftete aedicula bietet. Die entscheidende Passage lautet: Et ut natalibus Augusti et Ti. Caesarum, prius quam ad uescendum decuriones irent, thure et uino genii eorum ad epulandum ara numinis Augusti inuitarentur27.

Daß hier von “Einladung” die Rede ist, läßt sich nicht bestreiten; es ist aber eine Einladung, die sich nicht auf das Essen (uesciri) bezieht, zu dem die Dekurionen streben. Die Einladung an die Genien der Kaiser ist durch den kulinarischen Gehalt wie durch den Ort klar bestimmt: Weihrauch und Wein locken, und zwar genau an den Altar, von dem die ganze Zeit schon die Rede ist. Angesichts der möglichen Differenzen zwischen römischem und griechischem Umgang mit den Göttern im Symposium kommt dem Beleg auch aus prinzipiellen Gründen kein großes Gewicht zu. Die letztere Einschränkung gilt für Horazens Satiren nicht. Die in Frage kommende Passage steht im zweiten Satirenbuch: O noctes cenaeque deum, quibus ipse meique ante Larem proprium uescor uernasque procacis pasco libatis dapibus28.

Veyne nutzt diese Stelle als Kronzeugin einer persönlichen Frömmigkeit, die mit kleinen rituellen Gesten den Alltag strukturiert29. Zwar kann sich Veyne hier im Einklang mit Fraenkels Interpretation der Satire wissen, der hier ein durchaus aufrichtiges «Zeugnis altväterischer Frömmigkeit» findet30. Aber stimmt das auch? Gegenstand des als Gebet an Merkur (V. 5) eröffneten Monologs ist das Verhältnis von Stadt- und Landleben, das in der Fabel von der Landmaus und der Stadtmaus (V. 79-117 = Ende) seinen Abschluß findet. Es geht aber, wie verschiedentlich deutlich wird, nicht um ein plattes Lob des Landlebens, sondern der Gegensatz selbst wird ausgebeutet, um nach dem Wesentlichen des menschlichen Lebens zu fragen. Die “satirische” Schilderung des zu betriebsamen Stadtlebens führt so auf ein dreifaches, anaphorisches o, das die dezidiert intellektuell-städtische Vision ländlicher Erholung evoziert (V. 60-70). Dies geschieht durch die Hervorhebung von Zeitpunkten, von Situationen, die das Gegenbild in besonderer Weise verdichten: O rus, quando ego te adspiciam quandoque licebit nunc ueterum libris, nunc somno et inertibus horis ducere collicitae iucunda obliuia uitae? O quando faba Pythagorae cognata simulque uncta satis pingui ponentur holuscula lardo? O noctes cenaeque deum, quibus ipse meique ante Larem proprium uescor uernasque procacis

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Inscriptiones Latinae Selectae 154 = Corpus Inscriptionum Latinarum 11, 3303. Hor. sat. 2,6,65-67. 29 Veyne 2000 : 38. 30 Ibid., 41 ; Fraenkel 1957 : 141 (dt. 168). 28

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Jörg Rüpke pasco libatis dapibus. Prout cuique libido est, siccat inaequalis calices conuiua solutus legibus insanis, seu quis capit acria fortis pocula seu modicis uuescit laetius. Ergo sermo oritur ...31

Der Abbruch meines Zitats bezeichnet den Punkt, an dem das Gedicht in der Intention des Autors interessant wird: mit den philosophischen Fragen nach Übeln, Tugend und Glück als Gegenstand des aufkommenden Gespräches (V. 72-76). Veynes Interpretation dieser Passage in ihrem anfangs zitierten Ausschnitt ist, zusammengefaßt, diese: Cenae deum bezeichne Mahlzeiten, bei denen Teile den Göttern reserviert würden, die später – das ist Fakt, nicht Absicht – von den Sklaven verzehrt würden. Die Portionen aber würden, das weise ante Larem aus, den zu diesem Zweck herausgeholten Laren (Plural) vorgelegt32. Eine solche Interpretation kann ich nicht widerlegen, möchte ihr aber doch eine entgegensetzen, die meines Erachtens plausibler gemacht werden kann. Dabei muß das religionsgeschichtliche Interesse zunächst hinter die literarischen Bezüge im Text selbst zurücktreten. Das dreimalige o beginnt zwar mit dem Vokativ rus, «Land», aber im Vordergrund stehen Zeitangaben: quando ... nunc ... nunc ..., quando, noctes. Diese bilden das Widerlager zu den zahlreichen Zeitangaben des städtischen Gedränges: ante secundam (V. 34), hodie (V. 37), hora quota est (V. 44), matutina (V. 45). Der Höhepunkt der Belästigungen wird durch zwei generalisierende Aussagen über die Zeit gerahmt: Per totum hoc tempus subiectior in diem et horam inuidiae noster (V. 47 f.).

Und Vers 59: Perditur haec inter misero lux non sine uotis ...

Das führt direkt in die o-Ausrufe hinein. Es ist deutlich, daß gerade noctes den Gegenbegriff zum vergeudeten «Tag» darstellt. Die dreifache Anapher hat damit ein klares Ziel, das sich auch in der Länge der Glieder widerspiegelt. Das zweite Glied, o quando faba (V. 63 f.), nimmt insofern eine Übergangsposition ein, als es vorwegnehmend die Mahlzeit kulinarisch (faba, lardo) charakterisiert und eine erste philosophische Deutung (Pythagorae cognata) liefert. Aber es ist nicht der tägliche Zeitrhythmus des Landes, der hier das Gegenbild liefert. Es ist gerade die nicht verfügbare Zeiteinteilung – quando –, die das ganz andere (Zeit-) Erleben charakterisiert. Die parataktische Stellung von noctes und cenae – man beachte, daß beides im Plural steht – will gerade nicht «allabendliche Göttermähler» postulieren, sondern die mögliche Kombination bezeichnen. Die Ode 3,28 der ersten Odensammlung wird das später illustrieren: Sie beginnt mit Festo quid potius die / Neptuni faciam? und schließt mit ... dicetur merita Nox quoque nenia (V. 16).

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Hor. sat. 2,6,60-71. Veyne 2000: 41.

Gäste der Götter – Götter als Gäste Was aber sind diese cenae deum? Zur Beantwortung dieser Frage ist der Kontext noch einmal zu erweitern, nämlich auf das gesamte zweite Satirenbuch. Nicht nur zwischen den Satiren 4 und 8 (sowie 3 und 7) bestehen, wie Fraenkel gezeigt hat, Beziehungen33. Gerade das Sujet cena verbindet (selbst eingebettet in einen Diskurs über bescheidene Lebensführung und Glück) die Satiren 2, 4, 6 und 8, das heißt, alternierend jede zweite Satire des zweiten Horazischen Satirenbuchs. Nasidieni ... cena ist das Thema der letzten Satire, in der vierten ist es ein Catius, der sich im Referat von Gelerntem als perfekter Gastgeber entpuppt. Ein solcher Gastgeber fehlt in der sechsten Satire. Treten die Götter dafür ein? In gewissem Sinne ja, aber primär im zeitlichen Sinne: siue diem festum rediens aduexerit annus, «oder wenn das wiederkehrende Jahr den Festtag wieder herangebracht» lautet die Formulierung in sat. 2,2,83, die am präzisesten zum Ausdruck bringt, was cenae deum – der Plural ist erneut zu beachten – stark verkürzt meint. Die Götter sind “Gast-Geber” also nur insofern, als sie “Gelegenheits-Geber” sind. Es liegt gerade im Fokus des Textes, daß diese Form des Mahles den Zumutungen ständiger Ortswechsel, die das geschäftige Treiben in Rom mit sich bringen, entkommt. Ante Larem proprium betont in erster Linie: Das Mahl findet im eigenen Hause statt34. Damit werden auch Maßstäbe zurechtgerückt, die im vorangegangenen Gedicht (2,5) verschoben worden waren, als es um die Frage nach Reichtum, genauer: Erbschleicherei ging: «Süßes Obst und was auch immer an Frucht dir das Gut bringen wird als Ehrengeschenke möge vor dem Lar der kosten, der dir verehrungswürdiger als der Lar ist, der Reiche»35. Veynes bloßer Vorschlag, “auch” an ein direktes Larenopfer zu denken, wird damit Gewißheit. Aber zugleich wird auch deutlich, daß es nicht angeht, nun die Götter – Plural deum – und die Larenstatuetten – Plural nur bei Veyne, Singular Larem bei Horaz – zu identifizieren. Die Götter sind lediglich Anlaß für das Gedenken an den Lar; es geht gerade nicht um die tägliche Mahlzeit des frommen Bauern mit seinen Laren. Die Präsenz des Laren, die durch Haus oder spezifisch Herd gegeben ist, wird rituell konstruiert durch das Speiseopfer: libatis dapibus wird man wohl durch den Bezug auf die eben zitierte vorangehende Satire als «Mahlzeit, von der dem Laren geopfert wurde», verstehen müssen; das hat keinen Bezug zu jenen Göttern, die das Mahl veranlaßt haben. Wer das Belegmaterial des Thesaurus linguae Latinae für inuitare prüft, wird sich mit meiner Dekonstruktion weniger Belegstellen kaum zufrieden geben können. Leicht ließen sich etliche Belegstellen für die Einladung von Göttern (aktiv wie passiv) beibringen. Bei genauerem Hinsehen ergibt sich freilich eine Gemeinsamkeit hinsichtlich der Verfasser: Es handelt sich um Christen. Bei Tertullian lädt Christus – nun positiv – zum «ewigen, nicht langlebigen Leben» ein36; auch die Bibel etwa lädt verschiedentlich ein. In der negativen Betrachtung ist es für die christlichen Autoren selbst33

Fraenkel 1957: 137 (dt. 163). Es ist nicht auszuschließen, daß auch vor dem eigenen Hause verstanden werden kann und darf. Das würde die “Natürlichkeit” der ländlichen Feier unterstreichen, die auch sonst im Freien stattfinden kann (z. B. carm. 1,38,7 f.: sub arta uite). Allerdings zeigt das spätere carmen 3,29,14 f., daß das keineswegs zwingend ist: mundaeque paruo sub lare pauperum / cenae sine aulaeis et ostro. 35 Hor. sat. 2,5,12-14: Dulcia poma / et quoscumque feret cultus tibi fundus honores / ante Larem gustet uenerabilior Lare diues. 36 Tertullian ad Marc. 4,25 p. 508,21; cf. bapt. 44: sitientes ad aquam suam inuitat sempiternam. 34

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Jörg Rüpke verständlich davon zu sprechen, wie die Nichtchristen ihre Dämonen “einladen”37. Diesen negativen Sprachgebrauch kennt auch Apuleius im zweiten Jahrhundert n. Chr., auch er bezieht die Einladung auf Dämonen38. Die “Einladung” der Götter zum gemeinsamen Mahl mit den Menschen (und sei es indirekt) ist im vor- und nichtchristlichen Rom negativ besetzt. Warum? Aufschlußreiches Testmaterial bietet das Ritual, das in besonderer Weise eine Einladung der Götter zum Mahl umsetzt: das lectisternium. Bereits das Wort selbst ist aufschlußreich: lectisternium heißt nicht «Götter-Bewirtung»; «Bettenbauen» wäre die bessere Übersetzung39. Es wird die Infrastruktur für ein Bankett eingerichtet, das lectisternium wird gemacht oder abgehalten, nicht Götter dazu “eingeladen”: Das Bankett führen die Götter selbst durch (ich spreche von Vorstellungen, nicht davon, ob Menschen auch noch Götterfiguren und Speisen herantragen). Dem entspricht das Nebeneinander von lectisternium für die Götter und conuiuium publicum für die Menschen40. Dieses Nebeneinander scheint auch das epulum Iouis auszuzeichnen. Dazu wird Iuppiter nicht “eingeladen”, vielmehr wird es ihm von den Epulonen “angesetzt”.41 Nur ein einziges Mal findet sich hier der Ausdruck “einladen”, und zwar im zusammenfassenden Referat des Valerius Maximus, der die Bequemlichkeit der Umstände des göttlichen Speisens betonen will: Iouis epulo ipse in lectulum, Iuno et Minerua in sellas ad cenam inuitabantur42.

Gleich und gleich gesellt sich gern: Ein Lösungsversuch Die Schwierigkeit, von gegenseitiger Einladung zu reden, hängt sicher damit zusammen, daß Römer nur mit ihresgleichen tafeln. Diese Gleichheit – ein wichtiger Unterschied zu griechischen Verfahren – ist nicht durch das Bürgerrecht hergestellt; nicht rechtliche, sondern soziale Gleichheit ist erforderlich. Ciceros anfangs zitierte Gleichstellung von Königen und Senatoren bezeugt das ebenso wie die in einem Grafitto aus Pompeji formulierte Gegenperspektive: «Bei wem ich nicht speise, der ist für mich ein Barbar»43. In der Cena Trimalchionis des Petronschen Romans ist der Anspruch auf Statusgleichheit das zentrale Gesprächsthema der Gäste. Es ist keine Frage, daß diese Gleichheit nicht grenzenlos ist: Im Bankett selbst wird die Differenz von Herren und Sklaven nur allzu offensichtlich (und daher gelegentlich Objekt ritueller Umkehrung); aber nicht standesgemäße “Parasiten” bleiben die Ausnahme44. Im großen und ganzen sorgt ein System von institutionalisierten Bankettzirkeln dafür, daß man

37 Z. B. Arnobius nat. 1,49: ut Aesculapium et precibus fatigarent et inuitarent miserrimis uotis. 38 Apuleius Socr. 13. 39 Cf. Livius 5,13,6: ... apparari poterat stratis lectis placauere. 40 So etwa Liv. 22,1,19. 41 Fest. 193 L: Epulonos dicebant antiqui, quos nos epulones dicimus ; datum est autem his nomen, quod epulas indicendi Ioui ceterisque diis potestatem haberent. 42 Valerius Maximus 2,1,2. 43 At quem non ceno, barbarus ille mihi est. Ernst Diehl, Pompeianische Inschriften und Verwandtes, Bonn, 1910: 641, zit. bei Gowers 1993: 26. 44 D’Arms 1991; zu den Parasiten Guastella 1989.

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Gäste der Götter – Götter als Gäste unter seinesgleichen tafelt – das reicht von den Kollegien der großen Priesterschaften bis zu den mutationes, den wechselseitigen Einladungen zu den Festtagen der Mater magna. Eine eigene Priesterschaft, die Salier, dient wie oben dargelegt der Einübung in die Kunst des conuiuium45. Eine weitere Beobachtung läßt sich an diese soziale Restriktion anschließen. Selbst die Frage, wer ex sacrificio, wer “vom” Opfer essen darf, wird den Römern zum Problem. Das kostenlose Speisen von den Opfern, die vom Gemeinwesen ausgerichtet und finanziert werden, kann damit nicht – erneut ein Unterschied zu Griechenland – Sache der Vollbürger sein, sondern ist ein Privileg, das wohl gehütet ist und vielleicht unter dem Begriff des ius publice epulandi, des «Rechtes auf öffentliches Speisen» gehandelt wird46. Dieses ius publice epulandi ist keine Sozialleistung, im Gegenteil: Es bleibt auf (Ex-) Magistrate und sacerdotes publici beschränkt. Es sind diese Institutionen, die als Kontext für die Frage nach dem gemeinsamen Speisen von Menschen und Göttern in Rom reflektiert werden müssen. Es ist keine Frage, daß zwischen Göttern und Menschen ein hierarchisches Gefälle besteht, das rituell konstituiert und nur in Ausnahmesituationen überwunden wird. Im Opfer wird geteilt – die Topographie des Opfertieres ist hier eine Abbildungsebene47. Die Zeitebene, Gleichzeitigkeit oder enge zeitliche Koordination, ist die zweite48. Problematisch bleibt aber die direkte Kommensalität. Je krasser die Götter als Speisende vorgeführt werden, desto klarer sind die Menschen vom Tisch der Götter getrennt; das Lectisternium bezeichnet wohl das Extrem. Es gibt Annäherungen, wie Paul Veyne vorgeführt hat, aber sie bleiben im römischen Bereich gering49.

Entwicklungen Die Schwierigkeiten betreffen schließlich auch die Frage, wer eigentlich der Einladende ist. Die Menschen als Gastgeber, die doch im Tempelareal, auf göttlichem Grund und Boden, mit Hilfe der dortigen Infrastruktur tafeln? Schwer vorstellbar. Die Götter als Gastgeber? Es sind aber doch gerade die Menschen, die die Götter ehren wollen: Gegessen wird zwar von dem, was die Opferadressaten freigegeben haben, vom “Profanierten”, aber dieses ist ja gerade Mitgebrachtes und erst durch einen rituellen Prozeß in göttliches Eigentum Überführtes, “sacer-Gemachtes”. Und natürlich speist man zusätzlich von weiterem Mitgebrachten.

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Zu diesen Institutionalisierungsformen ausführlich Rüpke 1998, der gerade die republikanischen Priesterschaften als organisierte Bankettzirkel deutet. 46 Die Formulierung stammt, auf Senatoren bezogen, aus Sueton Aug. 35,2: ... seruauitque (scil. Augustus) etiam excusantibus insigne uestis et spectandi in orchestra epulandique publice ius. Die terminologische Fixierung bei Wissowa (1912: 419 und 500, in Anschluß an Mommsen). 47 Für den griechischen Bereich: Durand 1979; für Rom: Rüpke 2001a: 146 f. 48 Siehe etwa Rüpke 1991. 49 Das entspricht dem in der Interpretation von Stellen aus Catos De agricultura (50; 132) gewonnenen Ergebnis Nocks (1944: 169 f. = 1972: 598 f.): «the Romans did not think of a communion with the deities in Food».

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Jörg Rüpke Diese Konstellation macht die Verwendung des Wortes inuitare, das ansonsten ganz in das Wortfeld von Essen und Bankett gehört, problematisch. Laden Menschen in ihrem Verhältnis zu den Göttern und im Kontext von Opfern ein, scheint sich diese Einladung auf “Gottheiten zweiter Klasse”, auf Dämonen, auf Situationen der Instrumentalisierung übermenschlicher Mächte zu konzentrieren: Das legt der negative Klang bei der Verwendung des Begriffes nahe. In diesem Sinne wird es – gerne – von christlichen Autoren aufgegriffen, um zu polemisieren. Für eine christliche Gedankenführung und für die spätantike Überhöhung des Göttlichen wird aber auch die Konzeptualisierung des Gottes als einladende Seite unproblematisch. Es ist kein Problem mehr, den als alleinigen inuitator zu sehen, per quem omnia facta sunt. Epilog Wie andere Opfertheorien haben auch die Arbeiten, die die Kommensalität betont haben, zuvor vernachlässigte Aspekte in den Vordergrund gerückt. Die erneute Auseinandersetzung mit dem Thema beruht auf diesen Vorarbeiten, sie zeigt die Grenzen der großen Theorien auf, kann differenzieren, historisch, geographisch, kann die Selbstwahrnehmung der historischen Subjekte stärker einbeziehen. Die Kritik an einer Theorie ist aber nicht das Ende von Theorie. Die Frage, wer wen einlädt, hat vor allem den Prozeßcharakter und den Kommunikationscharakter der untersuchten Rituale deutlich werden lassen: Es handelt sich um Kommunikationsprozesse, bei denen die Adressaten der Kommunikation, die Götter, nicht einfach gegeben sind, sondern im Ritual selbst konstruiert werden müssen, man sich ihrer versichern muß – ein wichtiger Aspekt der älteren Gabentheorie, aber auch ein wichtiger Aspekt unter der Frage, wie die göttlichen Mahlteilnehmer angesprochen werden, was sie essen und in welcher Form sie es erhalten können. Das ist um so wichtiger, als der Erfolg der Kommunikation nicht unmittelbar abzulesen ist. Die vielfältigen Mittel direkter menschlicher Kommunikation, Mißverständnisse zu signalisieren (etwa in nonverbaler Kommunikation) und dann auszuschließen, fehlen weitgehend. Nicht nur die göttlichen Gegenüber, sondern auch die Konstruktion von risikobehafteter Kommunikation und die Lösung dieses Problems sind dem Ritual, sind den Vollziehenden aufgegeben. Das Sichtbare ist gerade aus der Sicht der Teilnehmer nicht das letzte. Wenn die Priester sichergestellt haben, daß die Kommunikation gelungen ist, können die Gaben auch von ihnen gegessen werden. Gelegentlich machen die Götter allerdings die Probe aufs Exempel und testen Gastfreundschaft und Mahlgemeinschaft in menschlicher Gestalt, gerade auch zu Festzeiten – so wird jedenfalls erzählt50. Auch Rituale sind nur Teile weiterer Kommunikationszusammenhänge, nicht die uneinnehmbare Bastion antiker Religionen. In dieser Tatsache finden alle Ritualtheorien eine grundsätzliche Grenze.

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Siehe Flückiger-Guggenheim 1984: 11-31; zur Festzeit: 26.

Gäste der Götter – Götter als Gäste

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Résumé / Abstract À la différence du cas grec, le lien entre sacrifice aux dieux et banquet des hommes n’est quasi jamais explicité à Rome; inuitare deum n’est pas une expression usuelle. Qu’est-ce qui distingue un banquet ordinaire d’un banquet sacrificiel? La salle à manger est à Rome, même dans l’espace privé, un théâtre d’émulation sociale tel qu’il fallut en limiter le luxe par des lois somptuaires, et pour la multitude les sénateurs sont des hôtes aussi inaccessibles que les dieux eux-mêmes. Au sacrifice, qui doit pourtant dessiner le partage entre l’animal, l’homme et le dieu, qui de ces deux invite et qui est l’invité? Les emplois classiques du verbe inuitare montrent qu’être invité par les dieux c’est mourir, que les inviter c’est consacrer un espace pour leur culte, ou les appeler à leur autel par une libation de vin et l’encens brûlé. L’expression «repas des dieux» dans Horace, Satire 2, 6, 60-71 et le large éventail d’emplois du verbe inuitare chez les Chrétiens sont également objet de cette étude. Elle montre que le lectisterne et l’epulum Iouis ne font pas exception à la règle: la commensalité romaine exige l’égalité du rang, et même la distribution des viandes provenant de sacrifices est strictement hiérarchisée. Contrasting with the Greek case, the link between sacrifice to the gods and banquet for humans is practically never found explicit among the Romans. Inuitare deum is no usual locution. How can we distinguish between an ordinary and a sacrificial banquet? In private spaces the dining-room offers a playing field for social competition 238

Gäste der Götter – Götter als Gäste to such a point, that it became necessary to limit the luxury by means of sumptuary laws. In the eyes of many, senators are just as unapproachable as gods themselves. By performing a sacrifice—an event that divides animals from men and gods–, is man inviting god, or god inviting man? Classical uses of the verb inuitare shows that to be invited by the gods means to die, that inviting the gods means consecrating a cult space or calling them down to their altar by pouring out wine and burning incense. The paper also examines the expression «meal of the gods» in a poem from Horace (Sat. 2, 6, 60-71), and the large scale of uses of the verb inuitare among the Christians. It shows that lectisternium and epulum Iouis are no exceptions to the rule: a Roman communal meal requires social equality even in the sharing of sacrificial flesh.

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L’AILE OU LES MÊRIA. SUR LA NOURRITURE CARNÉE DES DIEUX GRECS Guy BERTHIAUME Université de Montréal Le schéma de la thusia est connu. C’est la ruse de Prométhée qui a décidé du partage de la victime entre hommes et dieux, comme Jean-Pierre Vernant l’a montré de façon éclairante: – pour les hommes, la part qui est en apparence la bonne part: la viande; – pour les dieux, la part qui est en apparence la mauvaise part: les os nus de l’animal, qui seront brûlés sur l’autel avec parfums et aromates, fournissant aux dieux une nourriture faite de fumée1. Par ce partage, Prométhée condamne les hommes à travailler pour satisfaire leur ventre, leur gastêr, et à mourir, alors que les dieux connaîtront l’immortalité en humant les fumets des autels. Pour reprendre l’expression de Marcel Detienne, le mythe de Prométhée ferait office de «mythe fondateur» du sacrifice2. Jean-Pierre Vernant parle, quant à lui, de la «valeur étiologique»3 de la séquence du mythe où Prométhée effectue le premier partage d’une victime. «Mythe fondateur», mythe à «valeur étiologique», voilà des expressions qui étonnent sous la plume de deux savants qui ont insisté pour montrer que mythe et rituel avaient chacun leur mode propre d’expression et que l’un n’était pas subordonné à l’autre4. Soyons clair: l’analyse du mythe de fondation du sacrifice par Prométhée à laquelle s’est livré Jean-Pierre Vernant, notamment dans La cuisine du sacrifice, est un modèle du genre et ce n’est pas mon intention de tenter de l’invalider. Je crois toutefois qu’il n’est pas nécessaire, pour que l’analyse soit valide, que l’on retrouve, dans les gestes concrets de la pratique rituelle, l’écho parfait, terme à terme, du texte d’Hésiode. Vernant lui-même en a convenu lorsqu’il a fait remarquer qu’un aspect central du rituel sacrificiel est passé sous silence par Hésiode. Cet épisode, c’est celui de la manducation des viscères, des splagchna, rôtis à la broche sur le feu de l’autel, et de la consommation de ces parts qui sont les plus précieuses de la victime, et dont la manducation assure la participation maximale au sacrifice. Voici comment Vernant s’explique de cette omission:

1 Fumée, knisê, qui a la double nature de « fumet odorant» mais aussi d’«odeur de graillon». Cf. M. Detienne, Apollon le couteau à la main, Paris, 1998, p. 70-72 en particulier. 2 M. Detienne, J.-P. Vernant et alii, La cuisine du sacrifice en pays grec, Paris, 1979, p. 16. 3 Ibid., p. 38. 4 J.-P. Vernant mentionne non pas deux, mais trois modes d’expression – verbale, gestuelle et imagée – qui constituent chacun «un langage spécifique qui, jusque dans son association aux deux autres, répond à des besoins particuliers et assume une fonction autonome» (Mythe et religion en Grèce ancienne, Paris, 1990, p. 34).

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Guy Berthiaume Le texte d’Hésiode ne mentionne pas les splagchna, les viscères. Étant donné l’importance religieuse de ces organes et de leur consommation rituelle, il ne peut s’agir d’un oubli. C’est volontairement que le poète les passe sous silence: il ne veut considérer, dans la victime, que les deux parties qui, par leur destination et leur traitement distincts, traduisent sans équivoque le contraste entre la race des dieux «qui sont toujours» et celle des hommes mortels qui, pour subsister, sont soumis à la nécessité de manger un certain type de nourriture. Organes sanguins rôtis directement sur la flamme de l’autel, les splagchna, tout en étant nourriture humaine, ont un statut qui les met davantage du côté des dieux et qui rend moins tranchée la coupure séparant les deux formes d’existence5.

Je soumets à l’attention du lecteur que les os blancs dont Prométhée fait la part des dieux dans le partage de la victime, les ostea leuka, sont aussi là pour que la démonstration d’Hésiode soit claire, et qu’il est possible que, dans la vérité du rituel, la part des dieux ait été un peu plus copieuse. Si j’ai raison, à l’omission des splagchna dont le statut met davantage les hommes du côté des dieux, pour citer Vernant, répondrait le silence sur la viande consacrée aux dieux qui, elle, a pour effet de rapprocher les immortels de la condition des mortels. Dans les deux cas, le mythe de Prométhée aurait accentué la coupure entre hommes et dieux pour que le message soit plus clair. Avant que Prométhée n’opère son partage, les dieux et les hommes partageaient la même table6. Ce temps où régnait la commensalité est exposé de façon très didactique par le mythe de Tantale7 et l’on me permettra un détour de ce côté avant de revenir aux ostea leuka. Tantale était le commensal des dieux: invité à leur table par Zeus son père lui-même8, il y partage avec eux le nectar et l’ambroisie, deux nourritures divines9. Comme les règles de l’étiquette l’exigent, Tantale invite à son tour les dieux chez lui pour un festin, un deipnon nous dit Pindare10. Et, tout comme Tantale, lorsqu’il était à la table des dieux, se repaissait de la nourriture des immortels, le nectar et l’ambroisie, chez lui, sur le mont Sipyle, ce sera de la nourriture terrestre qui sera offerte aux immortels. Les dieux seront donc conviés à un banquet de viandes (krea), apprêtées

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Detienne, Vernant et al. 1979: 45, n. 1. Autre moment où dieux et hommes partagent le même repas, la même table: celui des Théoxénies delphiques. Voir L. Bruit, « Sacrifices à Delphes. Sur deux figures d’Apollon», Revue de l’histoire des religions 201/4, 1984, en particulier 358-367, et Detienne 1998: 192193, avec les sources rassemblées dans les notes. La licence comique autorise aussi les auteurs à évoquer des dieux mangeant viande et poisson: cf. J. Wilkins, The Boastful Chef. The Discourse of Food dans Ancient Greek Comedy, Oxford, 2000, p. 46, 89, 304. 7 Les sources sur le mythe de Tantale sont rassemblées par C. Sourvinou-Inwood, «Crime and Punishment: Tityos, Tantalos and Sisyphos in Odyssey 11», Bull. of the Institute of Classical Studies of the University of London, 33, 1986, 37-58 et M. Halm-Tisserant, Cannibalisme et immortalité. L’enfant dans le chaudron en Grèce ancienne, Paris, 1993. 8 Diodore de Sicile, IV, 74; Hygin, Fabulae, LXXXII; Ovide, Métamorphoses, VI, 172-173. 9 Scholies à Odyssée, XI, 282; [Apollodore] Epitome, II, 1. Sur nectar et ambroisie, voir M. Detienne et G. Sissa, La vie quotidienne des dieux grecs, Paris, 1989, p. 94-97. Autre dérogation à cette diète stricte des dieux «ne mangeant pas le pain, ne buvant pas le vin aux sombres feux» (Iliade, V, 341, trad. CUF): la cuite administrée à Héphaïstos par Dionysos pour le convaincre de libérer Héra des liens du trône d’or. Voir les sources rassemblées par Marie Delcourt, Héphaistos ou la légende du magicien, [19571] Paris, 1982, p. 86-95. Wilkins 2000: 227 donne d’autres exemples de dieux œnophiles dans la comédie. 10 Olympiques, I, 36 sq. 6

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L’aile ou les mêria selon les règles de l’art de la cuisine sacrificielle: tout d’abord tranchées par la machaira, elles seront ensuite mises à bouillir sur une vive flamme dans un chaudron lebês11. Et Tantale servira aux dieux présents la viande ainsi apprêtée et ceux-ci12, Déméter en particulier, se saisiront de cette viande et la dévoreront, pour reprendre les mots du scholiaste à Lycophron13. Le reste de l’histoire est connu: c’est son propre fils, Pélops, que Tantale avait servi aux dieux, provoquant chez eux l’horreur lorsqu’ils découvrirent la supercherie. Fautil le préciser, ce que les dieux refusent, c’est de participer à un banquet cannibale et non de manger de la viande (krea). En témoigne le fait que Déméter, parce qu’elle avait l’esprit préoccupé par le rapt de sa fille nous dit Lycophron (Alexandra, 152), ne reconnaît pas la chair humaine et ronge Pelops de ses propres dents. Pour conclure: avant le partage opéré par Prométhée, les dieux ne refusaient pas de goûter de la viande d’animal, ce qui apparaît d’ailleurs en creux dans le récit d’Hésiode même. En effet, comme l’a fait remarquer Giulia Sissa14, le fait que Zeus éprouve de la colère en découvrant le lot que lui réservait Prométhée ne peut se comprendre que si l’Olympien est déçu d’être privé de viande. Et après le partage opéré par Prométhée, comme le fait encore valoir G. Sissa, les dieux grecs restent résolument carnivores, mais à la condition que la viande animale leur soit servie sous forme d’odeur. À preuve, le fait que chez Homère, l’on dépose dans le feu de l’autel des morceaux de viande crue de la bête. Le procédé se nomme ômothetein et il est bien attesté dans le sacrifice homérique15. Pour les périodes postérieures au monde d’Ulysse, nous disposons du témoignage des lexicographes qui nous apprennent que le terme maschalismata désignait la chair des épaules (ou des aisselles = maschalê?) des victimes mise à brûler sur les autels16. Ces maschalismata, sont attestés au moins à une reprise dans le corpus des inscriptions grecques, dans un règlement cultuel du dème attique des Phrearrhioi gravé pendant le IIIe siècle avant notre ère17 qui prévoit que, lors du sacrifice à Déméter et Korè, des maschalismata seront brûlés sur l’autel avec les mêria de la victime et une hêmikrairan, une demi-mesure de saucisse ou de boudin»18. Outre ces morceaux de viande rarement aperçus, la part des dieux était-elle limitée aux seuls fumets et odeurs provenant des os longs enrobés de graisse de la victime? On sait que des morceaux de choix des victimes étaient déposés sur les tables de sacrifice, les trapezai. Ces parts portent le nom de trapezômata ou, encore, de theomoiria. Elles sont, bien sûr, en dernier lieu, récupérées par les prêtres, les inscriptions et les railleries des poètes comiques en attestent. Cependant, comme l’a fait remar-

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Olympiques, I, 46 sq. «Les dieux», et non seulement Déméter, selon la tradition rapportée dans l’Iphigénie en Tauride d’Euripide (387-388). 13 Alexandra, 152. C’est l’épaule (ômos) que Déméter avait mangée comme nous l’apprend Pindare (Olympique, I, 60 sq.), une part dont les inscriptions nous apprennent qu’elle peut faire partie du casuel des prêtres (e.g.: LSCG, 55, 18; 69, 34). 14 Dans Detienne & Sissa 1989: 92. 15 Iliade, I, 461; II, 424; Odyssée, III, 458; XIV, 427. 16 Voir les sources rassemblées par F.T. van Straten, Hierà kalá. Images of Animal Sacrifice in Archaic & Classical Greece, Leiden, 1995, p. 127. 17 SEG 35, 1985, 113 et SEG 36, 1986, 206. 18 Comme dans LSCG, 28, 4, 9, 11, 19 et 23 où il s’agit toutefois du casuel des prêtresses. 12

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Guy Berthiaume quer le père David Gill, celui qui, le premier, s’est penché sur ces parts19, les lois sacrées distinguent scrupuleusement les parts des dieux des parts qui constituaient le casuel du personnel religieux et nous aurions tort de ne pas faire de même. Une autre pratique de partage de la victime qui vient singulièrement complexifier le portrait dressé par le sacrifice prométhéen a été mise en lumière par F. T. van Straten. Il s’agit de la pratique de «mettre dans la main» des dieux une part de splagchna. Ce partage est représenté dans les Oiseaux (518-519), alors qu’Aristophane évoque les oiseaux qui s’emparent des splagchna des victimes qui sont mises dans la main des dieux20. Cet extrait de comédie est toujours mis en parallèle avec un autre tiré de L’assemblée des femmes qui lui répond si nettement qu’on se prend à penser qu’Aristophane s’est amusé à devenir son propre scholiaste: Recevoir, c’est tout ce que nous devons faire, par Zeus. Ainsi d’ailleurs font les dieux. Tu le verras aux mains des statues: car, quand nous les prions de nous accorder leurs faveurs, elles sont là debout qui tendent le creux de la main, non dans la pensée de donner, mais pour recevoir21.

Des lois sacrées de l’île de Chios datant du IVe siècle avant notre ère font également allusion aux «splagchna pour les mains et les genoux» (ta eis cheiras kai gounata), qui doivent faire partie du casuel des prêtres et des prêtresses22. Ces parts remises au personnel sacré étaient-elles à l’origine mises dans les mains ou sur les genoux des statues représentant un dieu assis? Van Straten rapproche les textes d’Aristophane et les lois de Chios de scènes peintes sur des vases attiques représentant des dieux portant un plat de type phialê dans la main. Ces phialai, selon lui, constituaient des réceptacles tout désignés pour les «splagchna pour les mains»23. Dans le Ploutos d’Aristophane (1128-1130), Hermès semble faire allusion à la fois à la pratique des trapezômata et à celle ces splagchna eis cheiras. En effet, se plaignant de ce que les sacrifices aux dieux ont cessé, le dieu dit regretter aussi bien le jambon (kôlê) qu’il mangeait que les splagchna bien chauds qu’il dévorait. Y a-t-il d’autres parts de viande qui pouvaient être destinées aux dieux? Qu’en estil des mêria, qui constituent la part des dieux par excellence? Depuis un article de Karl Meuli paru en 194624, il y a consensus chez les historiens de la religion grecque: les mêria des victimes sacrificielles sont les fémurs. Je dis bien «les mêria des victimes», car hors du contexte sacrificiel, mêria peut aussi bien désigner les cuisses. Quand les héros d’Homère se frappent les mêria [duel mêrô] du plat de la main en gémissant, il est difficile de penser qu’ils se frappent les fémurs25.

19 «Trapezomata: A Neglected Aspect of Greek Sacrifice», Harvard Theological Review, 67, 1974, 117-137. Voir aussi, Detienne 1998: 177-178 et les notes abondantes ad loc, ainsi que L. Bruit Zaidman, Le commerce des dieux. Eusebeia. Essai sur la piété en Grèce ancienne, Paris, 2001, p. 42-44. 20 Vers 518-519. Sur le vol de parts sacrées par des oiseaux, aigles ou milans, cf. infra. 21 Vers 779-783. Trad CUF. 22 LSCG 119, 120 et LSCG Suppl. 76 et 78. 23 Van Straten 1995: 133. 24 «Griechische Opferbräuche», Phyllobolia für Peter von der Mühll, Bâle, 1946, 185-288. 25 E.g.: Odyssée, XIII, 198-199. Voir D. Lateiner, Sardonic Smile. Nonverbal Behavior in Homeric Epic, Ann Arbor, 1995, p. 87 et n. 6.

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L’aile ou les mêria Dans Apollon le couteau à la main, Marcel Detienne remet en question le consensus des savants et appelle à un nouvel examen du dossier des mêria26. Commençons par nous demander comment on traite les mêria au cours du grand sacrifice offert par Nestor dans l’Odyssée: On dépèce à la hâte, en détachant tous les mêria, selon le rite; sur l’une et l’autre face, on les couvre de graisse; on empile, dessus d’autres morceaux saignants…27.

Imaginons que les mêria soient les cuisses. On peut comprendre que les assistants au sacrifice recouvrent les cuisses d’une double couche de graisse knisê diptucha et mettent par-dessus (ep’autôn) des morceaux de chair. Il s’agirait alors de larder les cuisses avant de les mettre à brûler sur l’autel. Mais on peut aussi comprendre avec van Straten28, qui cite à l’appui un fragment corrompu du comique Eubule, que la graisse placée sur les autels du sacrifice est l’epiploon de l’animal, une partie du péritoine, une membrane faite de suif (stear) ou de graisse (pimelê) selon Aristote dans Parties des animaux. Selon van Straten, la knisê diptucha serait une couche repliée de graisse, c’est-à-dire l’epiploon de l’animal grâce auquel on aurait recouvert les mêria. Autre texte problématique, un passage de l’Antigone de Sophocle: … j’ai recours alors aux sacrifices que la règle est d’offrir sur des autels à feu. Mais la flamme ne jaillit pas de mes offrandes. Les mêria se mettent à fondre, à suinter, à baver sur la cendre; ils fument, ils crachent; la poche de la bile éclate et saute en l’air; les os enfin ressortent de la graisse (pimelê) qui d’abord les couvrait et qui maintenant ruisselle sur eux29.

Aux partisans des os blancs, la fin de l’extrait semble donner raison: les os se dégagent de la couche de graisse dans laquelle ils étaient enveloppés. En revanche, les amateurs de cuisses trouveront aussi du réconfort dans ces mêria qui fondent, qui suintent et qui bavent. C’est beaucoup demander à des os nus. Appelons la science vétérinaire à la rescousse. En 1989, Reese a publié les résultats des analyses qu’il avait effectuées sur les os découverts dans une cavité d’un autel monumental dédié à Aphrodite Ourania sur l’agora d’Athènes. Selon ces analyses, les os qui ont été brûlés sur l’autel n’étaient pas nus ou dégarnis. La façon dont ils se sont fracturés et se sont tordus en brûlant indique des os recouverts. Toutefois, à la question posée par van Straten, Reese a répondu que le résultat aurait été le même, que les os aient été recouverts de chair ou de la graisse de l’epiploon30. En désespoir de cause, c’est vers Prométhée lui-même, l’auteur du partage hésiodique, qu’il faut se tourner pour faire avancer le débat. Dans le Prométhée enchaîné, Prométhée se vante d’avoir enseigné aux hommes les différentes techniques de l’art divinatoire, dont celle qu’il décrit de la façon suivante:

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Detienne 1998: 264 n. 43: «Cuisses entières ou seuls fémurs? Impossible de trancher». III, 456-458. Trad. CUF. 28 Van Straten 1995: 125-126. Les textes cités sont Eubule, fr. 95 Edmonds = fr. 94 KasselAustin, et Aristote, Parties des animaux, 677b. 29 Antigone, 1005-1011. Trad. CUF. 30 D.S. Reese, «Faunal remains from the altar of Aphrodite Ourania, Athens», Hesperia 58, 1989, 63-70, et van Straten 1995: 131. 27

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Guy Berthiaume Je fis brûler les kôla enveloppés de graisse (knisê) et l’échine (osphus) allongée, pour guider les mortels dans l’art obscur des présages, et je leur rendis clairs les signes de flamme jusque là enveloppés d’ombre31.

Kôlon ou kolê, c’est la cuisse, le jambon, la partie de l’animal qui revient le plus souvent au prêtre dans les lois sacrées. Peut-on faire des kôla d’Eschyle des ostea leuka? Je le crois impossible. Certes Eschyle n’utilise pas le terme mêria, mais il n’atteste pas moins que des cuisseaux peuvent être brûlés dans les flammes de l’autel. Toutefois, le fait que les cuisses, kôla, fassent régulièrement partie du casuel amène à ne pas postuler qu’elles étaient invariablement brûlées sur l’autel. Jean-Louis Durand a rassemblé non moins de dix-huit vases dont les scènes peintes laissent voir des acolytes porteurs de cuisses dont les fémurs ont manifestement été retirés. C’est la série qu’il a nommée les «variations sur un gigot mou»32. Devant cette belle série, on peut toutefois présenter d’autres vases qui montrent des scènes de boucherie sacrificielle dans lesquelles la cuisse de l’animal ne semble pas détachée de son fémur33. Je cite Jean-Louis Durand lui-même pour résoudre l’apparente aporie: La cohérence n’est pas dans l’uniformité de la gestuelle; ni dans l’invariance des enchaînements ni même la fixation de tous les gestes. Une structure floue n’en révèle pas moins les contraintes réelles du modèle34.

Acceptant le principe de la structure floue, je soumets que, dans la thusia grecque, les mêria brûlés sur l’autel pouvaient tantôt être les cuisses de la victime, tantôt n’être que les fémurs. J’en veux pour preuve la légende de fondation d’Antioche sur l’Oronte. Voici les événements tels qu’ils nous sont rapportés par le rhéteur Libanios, lui-même résident de la capitale de l’antique Syrie au moment où il écrit son onzième Discours, en 356 ou en 360 de notre ère35. À quarante stades de notre cité, il y avait une cité portant le nom d’Antigone qui avait été érigée par Antigone. Séleucos [Séleucos Ier fondateur de la dynastie des Séleucides] y faisait un sacrifice après sa victoire sur Antigone [la bataille d’Ipsos où Antigone de Macédoine mourut en 301 av. J.-C.]. Le bœuf avait été sacrifié, les autels avaient reçu leurs parts habituelles et le feu léchait déjà les offrandes d’une flamme vive lorsque Zeus retira de son sceptre son compagnon et oiseau favori [l’aigle] et l’envoya vers l’autel. Celui-ci vola au milieu des flammes, s’empara des mêria enflammées, et s’envola … Séleucos demanda à son fils de prendre un cheval et de suivre le vol de l’oiseau … son fils … fut guidé par le vol jusqu’à la montagne nommée Émathia. Là l’aigle descendit et déposa son fardeau sur l’autel de Zeus Bottiaios [Zeus du village de Bottia] qu’Alexandre avait érigé là parce qu’il avait été charmé par la vue de la source qui s’y 31

Eschyle, Prométhée enchaîné, 496-500. Trad. CUF.

32 «Le faire et le dire. Vers une anthropologie des gestes iconiques», History and Anthropology,

vol. 1, 1984, 29-48. 33 Louvre C 10918 (ARV2 467/130; van Straten V232) et Louvre E635 (CVP I 147/1; van Straten V240) reproduites dans G. Berthiaume, Les rôles du mágeiros, Leiden, 1982, pl. 12,1 et 12,2. 34 Detienne, Vernant et al. 1979: 140. 35 G. Downey, A History of Antioch, Princeton, 1961, p. 56.

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L’aile ou les mêria trouve. Tous, même ceux qui n’étaient pas dotés de pouvoirs divinatoires, pouvaient comprendre que Zeus voulait qu’ils construisent une cité à cet endroit36.

Cette légende de fondation rappelle par son motif un oracle de Dodone rendu à deux Hyperboréens. Il leur fut ordonné de marcher, l’un vers l’Est, l’autre vers l’Ouest, jusqu’à ce qu’un aigle vienne voler les mêria de leurs victimes. Là ils devaient élever un autel et s’établir. Étienne de Byzance qui rapporte l’anecdote (Ethnica, s.v. Galeôta)37 ne donne pas d’indications sur la nature des mêria, mais il me semble qu’il aurait fallu beaucoup de patience à nos Hyperboréens s’ils avaient dû attendre qu’un aigle s’en prenne à des os nus! L’aigle ou son cousin le milan ne dédaignent pas de voler les splagchna mis à rôtir sur l’autel, un événement qui, nous apprend Pausanias, est un mauvais présage pour ceux qui offrent le sacrifice38. On ne voit toutefois pas les rapaces s’en prendre à des ostea leuka. Revenons à Antioche. Le vol des mêria par l’aigle de Zeus fait l’objet de représentations sur de très nombreuses monnaies frappées dans cette ville de Syrie, au cours du siècle séparant le début du règne d’Hadrien, en 117 de notre ère, de la fin de celui de Caracalla, en 217. Sur les monnaies, l’on voit l’aigle de Zeus, une couronne dans le bec, tenant dans ses serres une cuisse d’animal. Un bel exemple nous en est donné par un tétradrachme d’Hadrien daté de 118 conservé au Cabinet des médailles (fig. 1)39. Comme on le voit aisément, les mêria dont cet aigle se saisit sur l’ordre de Zeus sont bien des cuisses et ils n’ont rien des ostea leuka d’Hésiode. Plusieurs autres monnaies conservées au Cabinet des médailles et au British Museum en témoignent aussi40. * Dans quelles circonstances brûlait-on les fémurs et à quelles occasions consumaiton les cuisses entières? J’exclus d’entrée de jeu que le sacrifice de Séleucos ait été pratiqué à la mode macédonienne et qu’il ne puisse nous informer sur le rituel grec. Je m’appuie, pour ce faire, sur les travaux récents des spécialistes de l’histoire macé-

36 Orationes, XI, 85-88. Une version moins précise est rapportée par Malalas qui se contente de faire état du vol de viande (krea); p. 200 Dindorf, dans Corpus Scriptorum Historiae Byzantinae, Bonn, 1831. Le texte de Malalas est cité in extenso dans M. Sartre, D’Alexandre à Zénobie. Histoire du Levant antique, IVe siècle av. J.-C. – IIIe siècle ap. J.-C., Paris, 2001, p. 124-126. 37 Cf. L. Brisson, Le Mythe de Tirésias, Leyde, 1976, p. 96. 38 Pausanias, V, 14, 1. Voir Berthiaume 1982: 67-68. 39 Cabinet des médailles, FG 413. Voir A. Dieudonné, « Les monnaies grecques de Syrie au cabinet des médailles (suite)», Revue numismatique 4, 32, 1929, p. 15-16 et pl. II (IV), 3. Le lien entre la représentation sur la monnaie et la légende sur la fondation d’Antioche est souligné par A. Dieudonné. Voir aussi sur le sujet: H. Seyrig, «Scène historique sur un chapiteau du musée de Beyrouth», Mélanges Radet, Revue des Études Anciennes 42, 1940, 340-344, repris dans Scripta varia. Mélanges d’archéologie et d’histoire, Paris, 1985, 347-352; et A.B. Cook, Zeus, vol. III, Cambridge, 1940, p. 1188, n. 1 et p. 1193, fig. 1001. 40 E.g.: W. Wroth, Catalogue of the Greek Coins of Galatia, Cappadocia and Syria, Londres, British Museum, 1899, 303; 343; pl. XXIII et XXIV; A. R. Bellinger, The Syrian Tetradrachms of Caracalla and Macrinus, New York, American Numismatic Society, 1940, p. 21, fig. 1 (tetradrachme daté de 202) et pl. I et II. Pour les monnaies du Cabinet des médailles, l’on se reportera à l’article de Dieudonné cité à la note précédente.

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Guy Berthiaume donienne qui concluent qu’à compter de Philippe, sinon à plus haute époque, les Macédoniens font leurs offrandes et leurs sacrifices «d’après le même rituel que les Grecs»41. En m’appuyant sur les pratiques parallèles en matière de choix des victimes, j’aurais tendance à penser qu’il s’agissait d’une question de piété, ou, si l’on préfère, de générosité42. Rappelons d’entrée de jeu la définition du Socrate de Platon: «Sacrifier c’est faire un don aux dieux»43. Lorsque la thusia n’était pas un sacrifice civique dont les circonstances étaient fixées par une ou des lois sacrées et lorsque la nature de la victime n’était pas dictée par celle de la divinité, c’était l’affaire du sacrifiant de choisir la victime. D’après les calculs de van Straten44 basés sur l’étude des calendriers religieux du Ve siècle avant notre ère, les trois types de victimes le plus souvent offertes entretenaient entre eux un rapport du simple au double eu égard à leur valeur: un mouton (ois) se vendait de 10 à 17 drachmes, un porc (hus), de 20 à 40 drachmes et un bœuf (bous) nécessitait un investissement de 40 à 90 drachmes. Plusieurs passages de comédie colligés par van Straten45 se moquent des sacrifiants choisissant des petites victimes parce qu’ils sont pingres. Qu’il suffise de rappeler ce mime d’Hérondas, dans lequel une bonne dame s’excuse de n’avoir offert à Asklépios qu’un coq: Nous sommes des femmes aux moyens modestes, sinon nous aurions offert un bœuf ou un porc gras (IV, 14-17).

Inversement, offrir une grande victime était un geste de piété dont son responsable pouvait tirer beaucoup de fierté, comme l’«Ambitieux» (microphilotimos) des Caractères de Théophraste le prouve par l’absurde en faisant étalage du crâne de sa victime dans sa maison46. S’il y a du vrai dans ce qui précède et qu’en fonction de la générosité ou de la piété du sacrifiant, les mêria brûlés sur l’autel pouvaient tantôt être les cuisses de la victime, tantôt n’être que les fémurs, certains passages de comédie recouvrent un sens nouveau. Par exemple, un passage célèbre du Dyscolos que l’on interprète généralement comme un commentaire sur les pratiques sacrificielles grecques peut plutôt être compris comme une tirade contre les gens qui ne font pas preuve de suffisamment de piété et de générosité à l’occasion de leurs sacrifices:

41 J.N. Kalléris, Les anciens Macédoniens. Étude linguistique et historique II, 1ère partie, Athènes, 1988, p. 551. Pour Sartre 2001: 286, le culte de Zeus Bottaios, divinité macédonienne, est un culte «d’origine grecque … que les colons ont apporté … de leurs cités». 42 C’est également le terme choisi par L. Bruit Zaidman (2001: 33) pour caractériser la relation entre les cités et les dieux qu’instaure le sacrifice. 43 Euthyphron, 14c. Dans sa communication à la table ronde de juin 2001, F. van Straten s’est penché sur ce texte et a lui aussi insisté sur l’aspect généreux du sacrifice. 44 Van Straten 1995: 176-177. 45 Van Straten 1995: 180-181. Voir aussi Wilkins 2000: 10-11. 46 La coutume de suspendre le crâne des bovins aux murs des sanctuaires est bien attestée dans la céramique: au moins cinq vases du corpus de van Straten en témoignent (V 124; V 128; V 131; V 182; V 190). Il n’est pas exclu qu’une certaine volonté de faire connaître sa générosité soit à l’origine de cette pratique, tout comme le fait de laisser un ex-voto en bois, en pierre ou en argile, représentant le sacrifice offert ou imitant la forme de l’offrande animale ou végétale est bien attesté.

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L’aile ou les mêria Voyez comment ils sacrifient, ces voleurs! Ils apportent des lits et des cruches de vin, non pas pour les dieux mais pour eux-mêmes. De l’encens et une galette d’orge voilà qui est empreint de piété. Cela est destiné tout entier au dieu lorsque c’est placé dans le feu. Et aux dieux, ils offrent le sacrum et la vésicule biliaire parce qu’ils sont immangeables. Et le reste, ils l’engloutissent eux-mêmes47.

Cette lecture me semble beaucoup plus proche de l’esprit de la comédie nouvelle que celle qui imagine, comme les éditeurs des Belles Lettres et de la Loeb Classical Library, que Ménandre se fait l’écho du Peri Eusebeias de Théophraste48. En conclusion, je rappelle que, pour moi, une définition plus souple des mêria n’invalide en rien la démonstration de Vernant au sujet du partage effectué par le Prométhée d’Hésiode. Le détail ne fait que mettre en lumière l’intention didactique du partage prométhéen, au même titre que l’absence des splagchna de la description du partage opéré par le Titan. Le fait que les dieux aient été un peu plus gourmands qu’Hésiode ne l’a souhaité n’empêche pas le sacrifice de jouer son rôle de vecteur de communication entre hommes et dieux.

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47 48

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249

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Abstract Hesiod presents a pedagogically efficient, although ritualistically simplistic model of the division of the sacrificial victim: meat for the humans, and clean bones and aromas for the gods. Jean-Pierre Vernant has already noticed, in La Cuisine du sacrifice, that there is nothing about insides (splagchna) in the promethean sharing. Actually the sharing of victims’ flesh is more complex, as is revealed by a new examination of the nature of the mêria (at times thighs, at others thigh-bones) which made up the gods’ share par excellence.

250

L’aile ou les mêria

Fig. 1. – Tétradrachme d’Hadrien, daté de 118. Cabinet des Médailles, FG 413. 251

SAKRALLANDSCHAFTEN UND TAFELLUXUS: ADAPTATION UND NATURINSZENIERUNG IN BANKETTRÄUMEN POMPEJANISCHER KULTGEMEINSCHAFTEN1 Ulrike EGELHAAF-GAISER Justus-Liebig-Universität Giessen

Einleitung «Dinnerparty bei Isis» – unter diesem Schlagwort informierte die Frankfurter Zeitung am 15. Mai 2001 über den Neufund eines Isis und Magna Mater geweihten Tempelbezirks in Mainz, der im Vorjahr unerwartet entdeckt worden war2. Gegründet im späten 1. Jh. n. Chr. von einer Freigelassenen des Kaiserhauses und laut Münzbildern durch Vespasian gefördert, wurde die Anlage bis ins 3. Jh. stetig vergrößert. An den zweistöckigen Tempelbau lagert sich eine Reihe von Nebenräumen an: Entlang einer Stichstraße liegen in dichter Reihung aus Ziegeln oder Scherben gemauerte Herdstellen. Durch Bretterwände abgetrennt, bilden sie kleine Kochparzellen, die von einzelnen Kultgemeinschaften zur Zubereitung des Opfermahls genutzt werden konnten. Einer der Herde liegt in einem Rechteckbau aus Holz, der einer größeren Kultgemeinschaft zum Opfermahl gedient haben könnte. Exzeptionell ist insbesondere die Multiplikation permanenter Kochstellen als “Besucherservice” des Heiligtums. Der Neufund wirft viele Fragen auf: 1. Ab wann entstehen solche Zweckräume in Kultanlagen? Welche Kulthandlungen sind dafür vorauszusetzen, und welchen Stellenwert nahmen sie ein? Welche Alternativen gab es zur permanenten Installation von Speiseräumen in Kultanlagen (z.B. Gelage auf Festwiesen oder in den Privathäusern der Kultvorsteher), und wo sind solche Alternativen belegt? 2. Welche Raumkonzeptionen wurden bevorzugt? Lassen sich kultspezifische Eigenheiten in der Gestaltung sakraler Speiseräume nachweisen, oder werden die Bauformen aus anderen Kontexten (der Hausarchitektur, der öffentlichen Architektur) adaptiert? Wie wirkt sich die (städtische oder ländliche) Umgebung der Kultanlage auf deren Raumgestaltung und Infrastruktur aus? 3. Wie wurden die Speiseräume vom Benutzer wahrgenommen? Wurden sie als funktionale Zweckeinrichtung betrachtet, oder tragen sie einen eigenen

1

Sämtliche Angaben der Sekundärliteratur sind im Beitrag abgekürzt zitiert; ausführliche Zitierung im Literaturverzeichnis. Der vorliegende Beitrag stellt eine vertiefende Interpretation des in Egelhaaf-Gaiser 2000: 272-329 vorgelegten Befundmaterials dar. Die Reise zur Tagung in Paris im Juni 2001 wurde durch das Programm Procope finanziert. Gedankt sei an dieser Stelle Vera Binder (Gießen) für die Durchsicht der Vortragsfassung. 2 Lampe 2001; vgl. Erche 2001; Witteyer 2000a und 2000b.

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Ulrike Egelhaaf-Gaiser Repräsentationswert in sich? Ab welchem Zeitpunkt kann man von religiösem Tafelluxus sprechen? Ich möchte diesen Fragen am Beispiel der von Kultgemeinschaften genutzten Speiseräume in Pompeji nachgehen, die sich aufgrund der guten Befundlage sowie ihrer zeitlichen Geschlossenheit für eine derartige Untersuchung besonders eignen. Drei Aspekte werden thematisiert: – Ursprung und Motivation des Tafelluxus in pompejanischen Kultanlagen – die Rolle der Natur und der Sakrallandschaften als Ambiente für den Tafelluxus – die engen Beziehungen zwischen Heiligtum und Hausarchitektur sowie die Gründe für die Adaptation einzelner Formelemente und Raumtypen3.

I. Laudamus veteres, sed nostris utimur annis4: Speiseräume im Dionysoskult In diesem Zitat aus Ovids erstem Fastenbuch wird die Armut der ehemaligen “Goldenen Zeit” der Kultiviertheit der Gegenwart (inklusive ihrer negativen Begleiterscheinungen) gegenübergestellt. Der Zwiespalt zwischen der Verklärung ländlicher Einfachheit und dem wachsenden Komfortbedürfnis einer städtisch geprägten Gesellschaft ist charakteristisch für die frühe Kaiserzeit: Obwohl die augusteische Dichtung oft das schattige Wiesenlager als Merkmal der mythisch-goldenen Zeit oder als Emblem einer ländlich-idealisierten Gegenwelt zu den Belastungen der Stadt stilisiert5, will doch faktisch keiner der Dichter den modernen Komfort zugunsten der früheren Einfachheit aufgeben6. Wenn v.a. Ovid mehrfach das archaische Bankett auf weichem Wiesenlager unter Bäumen heraufbeschwört7, so verweist er es doch immer im Rahmen einer mythologischen Erzählung auf gebührende Distanz. Das einzige zeitgenössische ländliche Fest, der Jahrestag der Anna Perenna, mutiert hingegen zu einem typischen Freiluft-Picknick luxusverwöhnter Städter, die sich für diesen Ausflugstag 3 Diese Aspekte wurden in der Forschung zumeist vernachlässigt: Während das Verhältnis von Villa und Natur sich in den letzten Jahren eines breiten Forschungsinteresses erfreute (Littlewood 1987; Schneider 1995; Förtsch 1993), fanden die Naturinszenierung und -wahrnehmung in Kultanlagen kaum Erwähnung (Jashemski I 1979: 115-153; Grimal 1969, 301335). Und während der Tafelluxus und die zugehörigen Repräsentationsräume im Villenkontext jüngst mehrfach behandelt wurden (Dunbabin 1991; Zanker 1995; Wallace-Hadrill 1994; Dickmann 1999), liegen bisher keine systematischen Untersuchungen zu den Banketträumen in Kultanlagen vor: Nicht einmal im Katalog von Foss 1994 finden die Küchen- und Speiseräume der Kultanlagen Erwähnung. Untersuchungen zur Adaptation von Architekturformen und Ausstattungsprogrammen gibt es bisher primär zur Sepulkralkunst: Ghedini 1990; Heinzelmann 1995: 77f. 4 Ovid fast. 1,223-226: nos quoque templa iuvant, quamvis antiqua probemus, / aurea: maiestas convenit ista deo. / laudamus veteres, sed nostris utimur annis, / mos tamen est aeque dignus uterque coli. Zur Stelle Galinsky 1981: 201; Johnson 1978: 16f. 5 Vergil Aen. 5,100-103; 7,107-111; 8,102-104; 8,175-178; Tibull 2,5,95-100; Properz 4,6,69-86; Horaz c. 1,17,21f. 6 Bezeichnenderweise wird mit dem weichen Wiesenlager nie die realistische Arbeitswelt der Bauern, sondern immer ein Moment der Muße und Festatmosphäre geschildert (Hor. c. 1,1,19-22; c. 3,18,11f.). Ein ähnliches Phänomen hat Schneider 1995: 111-143 (bes. 114ff.) für die sakralidyllischen Wandbilder konstatiert: Diese zeigen nie Bauern bei der Arbeit, sondern Hirten oder Angler in typischer Mußehaltung. 7 Ov. fast. 1,401-422; 6,321-332; vgl. 3,655f.

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Sakrallandschaften und Tafelluxus mittels Laubhütten, Sonnensegeln und Kleiderpolstern mit den ungewohnten Unbequemlichkeiten einer Festwiese zu arrangieren suchen8. Häufig begegnen uns die Festbankette auf idyllischen Wiesen im Rahmen des Dionysoskultes9. Die Forschung10 hat mit dieser Art des Banketts eine spezifische Architekturform verbunden: Das halbkreisförmige stibadium wurde aus den archaischen stibades hergeleitet, einem aus Blättern aufgeschichteten Lager oder einer Matratzen- und Kissenfüllung aus Blättern, die beim Freiluftgelage Verwendung fand. Archaische Vasenbilder des unter Weinreben oder Bäumen gelagerten Weingottes samt seines thiasos belegen eine enge Verbindung dieser Gelageform mit dem Dionysoskult. Begründet ist dies durch den Charakter des Gottes, der bekanntlich dem Weingarten oder Hain bzw. schattigen Grotten gegenüber städtischen Bauten den Vorzug gab11. Aus der einfachen, spontan improvisierten Lagerstätte auf freier Wiese oder unter schattigen Bäumen hat sich seit hellenistischer Zeit im Zuge der allgemeinen Luxussteigerung die Gewohnheit des Freiluftbanketts auf tragbaren Liegen oder Matratzen entwickelt12, das sich – anders als das auf eine feste Rangordnung fixierte triclinium – durch eine größere räumliche Flexibilität und soziale Gleichstellung der Teilnehmer auszeichnete. Als permanente Architekturform seit spätrepublikanischer Zeit gesichert13, findet das gemauerte stibadium seit der frühen Kaiserzeit Verbreitung14; es tritt jedoch erst seit dem 3. Jh. regelmäßig in geschlossenen Räumen auf, um in der Spätantike das triclinium aus seiner Vorrangposition zu verdrängen und seinerseits eine strengere Gelageordnung mit Ehrenplatz am rechten Ende auszubilden15. 1. Das Heiligtum von S. Abbondio Trinkgelage fanden auch beim suburbanen Liber-Pater-Heiligtum von Pompeji statt (Abb. 1): Anfang bis Mitte des 2. Jhs. v. Chr.16 wurde dort ein kleiner vorstädtischer Liber-Pater-Tempel errichtet, mit Cella (A), tiefem Pronaos (B) sowie Aufgangsrampe (C) und vorgelagertem Altar (D)17. Nach dem Erdbeben 62 n. Chr. wurde das Heiligtum umgebaut und erweitert: Zu beiden Seiten des Altars mauerte man zwei große FreiluftTriclinien (E) auf. An die Südseite des Pronaos schloß sich nun eine halbrunde Sitzbank

8 Ov. fast. 3,523-40. Verräterisch sind v.a. die anstelle von “starren Säulen” errichteten Holzstäbe, die auf den augusteischen Bauluxus anspielen (529f.). 9 Kaeser 1990. 10 Dunbabin 1991: 134f.; Picard 1944 (mit problematischer Identifikation der Befunde); Poland 1929a und 1929b. 11 Zur Verbindung des Dionysos mit heiligen Grotten Boyancé 1960; literarisch gespiegelt z.B. in Hor. c. 2,19,1-4; 3,25,1-6. Zu Bacchus im Nymphenhain vgl. Hor. c. 1,1,29-36; noch in einer Inschrift des 3. Jhs n. Chr. (CIL 6,461) weihen die spirae eines Kultvereins Liber Pater ein sacrarium cum aedicula et columnis in einem Garten der Nymphen. 12 Ghedini 1990: 49-53. 13 Als erster Beleg wird für gewöhnlich der Speiseraum im Vogelhaus des Varro angeführt. 14 Vgl. Martial 14,87; Plinius epist. 5,6,36; zu den stibadia in der Villa Hadriana Förtsch 1993: 94f. 15 Dunbabin 1991: 135. 16 Datierung nach Kockel 1985: 570. 17 Zum Heiligtum, Elia & Carratelli 1979; Jashemski I 1979: 157f.; II 1993, Abb. 284; Kockel 1985: 568ff.

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Ulrike Egelhaaf-Gaiser (F) an; möglicherweise gestiftet von einer Privatperson, könnte die schola unabhängig von den Triclinien durch eine kleinere Kultgemeinschaft zum Kultvollzug (Weinspenden, Bankette, Festlichkeiten, etc.) genutzt worden sein. Bei Grabungen entdeckte man insgesamt 16 Vertiefungen im Areal der schola und der Triclinien, die auf Weinstöcke und stützende Holzpfähle weisen18. Daraus läßt sich die Überdachung der Klinen mit jeweils einer Pergola rekonstruieren. Zwei große Höhlungen beiderseits der schola lassen auf zwei Bäume schließen, die den Sitzplatz überschatteten. Der Ausbau des Tempelbezirks belegt die “Verstädterung” eines suburbanen Heiligtums in der frühen Kaiserzeit: Da wir davon ausgehen können, daß die Festbankette bereits lange vor der Errichtung der Steinklinen in Form eines improvisierten Gelages auf der Wiese begangen wurden, läßt sich die Einführung einer permanenten Architektur nur aus dem wachsenden Komfortbedürfnis der Kultgemeinschaft erklären. Unterstrichen wird das Prestigestreben durch die überproportionalen Dimensionen der beiden Triclinien, die alle bisher im Stadtgebiet Pompejis ergrabenen Freiluft-Triclinien überbieten19: Die engste Parallele für einen solchermaßen artikulierten Repräsentationsanspruch bietet ein Freiluft-Triclinium in der Nekropole vor dem Herkulaner Tor, dessen Betten gleichfalls überproportioniert sind, so daß sie die Malerei der Sockelzone teilweise überdecken20. In S. Abbondio scheinen die ausladenden Klinen samt ihren Pergolen die schmale Frontseite des Tempels und den kleinen Altar geradezu zu erdrücken; zudem muß der hellenistische Tufftempel, der nur in einigen Details modernisiert wurde, im Vergleich mit der neuen Luxusarchitektur bescheiden und altertümlich gewirkt haben21. Nach der Bauerweiterung dürfte sich der Status der Kultanhänger in ihrer Plazierung auf den Klinen artikuliert haben: Da bei größeren Festen die beiden Triclinien trotz ihrer Dimensionen kaum allen Teilnehmern Platz bieten konnten, mußte der Großteil der Kultgemeinschaft auf die schola oder die Wiese ausweichen. Das Privileg des gesteigerten Tafelluxus blieb allein den führenden Mitgliedern vorbehalten. Als permanente Architekturform wurde aber gerade nicht das stibadium gewählt, obwohl dieser Gelagetyp zu jener Zeit zweifellos wohlbekannt war22. Offenbar hat die Kultgemeinschaft die Bankettform des stibadium nicht als kultspezifische und somit identitätsstiftende Architekturform wahrgenommen23. Statt religiöser Tradition strebte man fortschrittsbewußt nach Innovation, indem man das in der zeitgenössischen

18

Auf dem künstlich angelegten Weingarten beruht – neben den Göttern (Dionysos und Aphrodite) im Tempelgiebel – auch die Identifikation des Kultbezirks als Liber-Pater-Heiligtum. 19 Vgl. Soprano 1950: 304 Nr. 22. 20 Zur Anlage Kockel 1983: 109-111. 21 Eine solche Diskrepanz zwischen der reichen Bankettausstattung einer “Freizeitgesellschaft” und einem archaischen Tempel führt bei Statius, silv. 3,1,67ff. tatsächlich zur aufwendigen Restauration eines Herkulesheiligtums. 22 Ein stibadium als permanente Architektur besitzt die Casa di Adone: Soprano 1950: 306f. Nr. 28; Jashemski II 1993: 211 Nr. 422; zu gemalten stibadia auf pompejanischen Wandbildern s. Soprano 1950: 309f. 23 In der Tat bestätigen die Belege, daß das Bodenlager keineswegs auf den Dionysoskult beschränkt war, sondern generell Verwendung fand, wenn man auf häuslichen Komfort verzichten mußte – sei es im Feld, auf der Flucht, auf der Jagd oder beim ländlich-bukolischen Mahl: Siehe Förtsch 1993: 97. Auch im sakralen Kontext ist das stibadium keineswegs allein Dionysos vorbehalten: Vgl. Athenaios 15,673b-c zu den Heraia in Samos; zu den Thesmophorien und Hyakinthien Kron 1988: 138 mit Anm. 16.

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Sakrallandschaften und Tafelluxus Hausarchitektur als Luxus- und Statussymbol etablierte Freiluft-Triclinium24 für die Kultmähler adaptierte25. Zur Imagination eines ländlichen Ambientes diente also nicht mehr die Gelageform, sondern einzig die Sakrallandschaft, wobei man bezeichnenderweise auch hier die freie Natur in die kultivierte Form eines Weingartens überführte26. Der Weingarten von S. Abbondio schließt damit unmittelbar an die zeitgleichen Wein- und Obstgärten innerhalb des pompejanischen Stadtgebiets an, deren weitläufiges Anbauareal (bis zu 300 Obstbäume) kommerziell genutzt wurde27. Die in diese Nutzgärten eingebauten FreiluftTriclinien samt Altären und sacella standen vermutlich städtischen Kult- und Festgemeinschaften zur temporären Anmietung zur Verfügung. Tierknochen mit Spuren der gewaltsamen Tötung belegen die Durchführung von Opfer und Schlachtung am Altar. Die prunkvolle Ausstattung mancher triclinia mit Buntmarmor sowie die Funde gläserner Trinkgefäße verdeutlichen die enge Verschmelzung von luxuriöser “Gartenparty”, Kultvollzug und pragmatischen Wirtschaftsinteressen des Besitzers. Aristokratische Bankettgesellschaften und dionysische Kultgemeinschaft stehen einander näher als oft postuliert. Angesichts dieser Befunde ist auch die von der Forschung vorgenommene Bewertung des stibadium als typischer Architekturform des Dionysoskultes zu modifizieren: Das einfache Bodenlager auf stibades dürfte in der Kaiserzeit weniger als kultspezifisches Merkmal denn generell als Verweis auf eine altertümliche – in unserem Fall sogar als unzeitgemäße – Gelageform wahrgenommen worden sein. In der Literatur28 oder in der Wandmalerei mag man das Bodenlager auf Matten und Laubmatratzen idealisiert haben, und auf kaiserzeitlichen Sarkophagen wurde der althergebrachte Bildtypus des dionysischen Lagers auf unebenem Felsuntergrund immer noch tradiert29. Aber zugleich verwies man diese Form des Festgelages in eine mythische Frühzeit oder eine ferne Lebenssphäre – ob diese nun bukolische Züge trug oder sich auf eine exotische Nillandschaft bezog30. Was den real praktizierten Kultvollzug betraf, ging man dagegen Unbequemlichkeiten möglichst aus dem Weg und gab der ungleich komfortableren Gelageform des aus der Haus- und Palastarchitektur importierten triclinium vor dem Bodenlager den Vorzug. Und sollte tatsächlich einmal im Kontext des Dionysoskultes

24 Vgl. Caesar civ. 3,96,1; Varro rust. 1,59,2. Der im Villenkontext praktizierte Tafelluxus spiegelt sich auch in zahlreichen pompejanischen Gemälden, welche eine noble Festgemeinschaft unter Sonnensegeln beim Freiluftgelage zeigen: Dierichs 1997: 61-66. 25 Eine ähnliche Adaptation des Freiluft-Triclinium findet sich in der Grabarchitektur: Vgl. neben dem erwähnten Triclinium im Grab vor dem Herkulaner Tor CIL 6,4305; 4711; 10237; 15593; 29394; 8,21269; 14,1636 u.a. 26 Das daraus abzulesende distanzierte Naturempfinden geht auf hellenistische Vorbilder zurück: Zu Theokrits Idyllien Amedick 1988: 215ff., zur Entwicklung des ästhetischen Naturzugangs Schneider 1995: 53-59. 27 I 22,1-3: Obstgarten mit baumbeschattetem triclinium und Altar; I 20,1-3: Weingarten mit triclinium, Gladiatorenstatue, Lararium und Altar; I 21,1-3: Rosen- und Weingarten mit triclinium; III 7,6-7 Weingarten mit triclinium unter Pergola. Beschreibung bei Jashemski I 1979: 227-265; II 1993: 67-74. 28 Besonders im Zuge der Luxuskritik: Vgl. Lukrez 2,22-33; Hor. c. 1,38. 29 Amedick 1988: 228. 30 Zum Bodenlager unter freiem Himmel in ägyptisierenden Wandbildern Ghedini 1990: 50f. Die Distanz zu dieser Gegenwelt schlägt sich v.a. in den humoristischen Pygmäenbildern nieder.

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Ulrike Egelhaaf-Gaiser ein stibadium zum Einsatz kommen31, so belegt auch hier bereits die Existenz einer permanenten Architektur, daß man sich von dem rustikalen Wiesenlager verabschiedet hatte. Um nochmals auf das Ovidzitat zurückzukommen: Laudamus veteres sed nostris utimur annis – das würde, auf die Gegenüberstellung von altertümlicher und moderner Bankettform übertragen, bedeuten: «Wir loben zwar gerne die Tradition der Festwiesen – aber zum Glück benutzen wir heutzutage komfortable Klinen, weiche Decken und Polster!»32 2. Bankettsäle in Stadtvillen Wie sieht es nun mit den Speiseräumen im städtischen Kontext aus? Hier sind v.a. die luxuriösen Bankettsäle der Mysterienvilla und der Casa del Criptoportico zu nennen33. Anlaß zur hypothetischen Identifizierung dieser Räume als Festsäle dionysischer Kultgemeinschaften gaben die Wandmalereien mit dionysischer oder orphischer Thematik34, die nach der Kolonisierung Pompejis im Jahr 80 v. Chr. entstanden sind. In der Mysterienvilla konnte mit Hilfe des großräumigen Küchentraktes ohne weiteres ein Bankett für 20 bis 30 Personen ausgerichtet werden35. Der sogenannte Mysteriensaal lag etwas entfernt in der Südecke einer umlaufenden Aussichtsportikus, von der sich der Ausblick auf den Garten bot. Vom übrigen Haus weitgehend isoliert, war der Saal nur mit einem benachbarten cubiculum verbunden. Die räumliche Zusammengehörigkeit von cubiculum und Festsaal wird durch die gemeinsame Thematik der Wandmalerei unterstrichen, die auch in dem Zwei-Betten-cubiculum dionysische Szenen zeigt36. Die Raumkombination von Festsaal und cubiculum ist in der Haus- und Villenarchitektur weit verbreitet: Allein die Mysterienvilla verfügt über drei solche Raumeinheiten. Die Zuweisung dieser beiden Repräsentationsräume an eine dionysische Kultgemeinschaft beruht somit nicht auf einer kultspezifischen Architektur, sondern ausschließlich auf der mystisch-dionysischen Thematik der großformatigen Wandmalereien37.

31

So in CIL 6,2251f.; Die Inschriften von Pergamon, M. Fraenkel ed., Berlin, 1890-1895, I

222. 32

Vgl. die ausführliche Schilderung eines archaischen Hirtengelages auf der Wiese durch Lukrez (5,1379-1417), der abschließend resigniert feststellen muß, daß die Menschen heutzutage von der ländlichen rusticitas und simplicitas nichts mehr wissen wollen. 33 Zur Mysterienvilla s. Maiuri 1960; Dickmann 1999: 170ff.; 223ff.; 245ff.; zur Casa del Criptoportico Maiuri 1933; Spinazzola 1953: 435-593; Dickmann 1999: 262-264; Foss 1994: 211ff. und Abb. 5.50. 34 Zu den Malereien des Festsaals und des anschließenden cubiculum in der Mysterienvilla Maiuri 1960: 51-92; neuere Deutungsansätze des vieldiskutierten Frieses bei Kockel 1986: 556ff. zusammenfassend vorgestellt. Zum Festsaal in der Casa del Criptoportico zuletzt ausführlich Pompei 1990: 254-273. 35 Zur Küche Maiuri 1960: 36f. 36 Während früher der Saal und das cubiculum als privater Wohnbereich des Hausherrn und seiner Frau angesprochen wurden (Maiuri 1960: 24-27; 81f.), haben neuere Untersuchungen (Dickmann 1999: 219-227; Wallace-Hadrill 1994: 17ff.) plausibel gezeigt, daß solche luxuriös ausgestatteten cubicula dem Empfang ausgesuchter Gäste dienten und ebenso auf Repräsentation zielten wie die großen Festsäle. 37 Einheitlich dionysische Wanddekorationen sind in pompejanischen Bankettsälen erstaunlich selten: Vgl. die statistische Analyse bei Ling 1995: 239-241.

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Sakrallandschaften und Tafelluxus In der Casa del Criptoportico erfolgte die Vorbereitung von Gelagen in den Dienstleistungstrakten des anschließenden Bads38. Von der Küche aus konnte auch das angrenzende caldarium beheizt werden. Der Zugang zum Festsaal war nur über einen langen Korridor möglich. Die große Entfernung vom Speisesaal ist nicht ungewöhnlich: Mehrfach wurden in pompejanischen Privathäusern Dienstleistungskorridore nachgewiesen, die einen vom Besucherverkehr völlig isolierten Personalservice ermöglichten39. Die Identifikation des prunkvoll ausgestatteten Saals als Bankettraum einer dionysischen Kultgemeinschaft wird begründet mit der Abgeschlossenheit des Raumes, der – anders als vergleichbare Gartensäle in Häusern und Villen – nur durch eine Tür betretbar ist und keinerlei Ausblick in den Peristylgarten bietet40. Hinzukommt die Thematik der Wandbilder, die auf Pinakes zwischen rahmenden Satyrn und Mänaden mehrere Stilleben sowie eine Sequenz dionysischer Szenen41, eine Charonszene – vielleicht ein Verweis auf eine mystische Jenseitserwartung – und zwei apollinische Mythenbilder (Niobe, Tod des Laios) zeigen. Aus dem Bildprogramm auf einen realen Vollzug von Mysterien in den Banketträumen zu schließen, scheint mir höchst problematisch. Allerdings schließt dies m.E. noch nicht die Raumnutzung für dionysische Festgelage automatisch aus: Bekanntlich fanden sich in republikanischen Privathäusern auch andere religiöse collegia bei festlichen Anlässen zu Bankettgemeinschaften zusammen42 – und doch würde in diesen Fällen niemand eine Raumnutzung einzig und allein durch diese Priesterschaften postulieren. Ein exklusives Nutzungsprivileg durch eine dionysische Kult- oder umgekehrt durch eine aristokratische Bankett- und “Freizeitgemeinschaft” ist also nach augenblicklichem Kenntnisstand kaum nachweisbar und dürfte antiken Konventionen der multifunktionalen Raumnutzung widersprechen, zumal es oftmals zu einer personellen Überlappung zwischen beiden Teilnehmerkreisen gekommen sein dürfte. Die Befunde können bestätigen, daß beide potentiellen Nutzergruppen miteinander mehr Charakteristika teilten als oft unterstellt. Vermutlich waren trotz unterschiedlicher Bankettanlässe letztlich nur die Akzente verschoben – vereinfacht ausgedrückt: Kein geselliges Gelage ohne Trankspende an den Gott des Weins, umgekehrt kein Dionysosfest ohne geselliges Bankett. In jedem Fall bleibt bemerkenswert, daß in beiden Häusern die Raumgestaltung keinerlei Verbindung zum ländlichen Dionysoskult zeigt: Die Gelage dieser städtischen Bankettgemeinschaften fanden nicht unter freiem Himmel, sondern in dekorativen Festsälen statt. Abzuleiten sind die pompejanischen Prunksäle von der hellenistischen Palastarchitektur: Dort wurde der Boden der Speisesäle z.T. kniehoch mit Blumen bedeckt, um im Innenraum ein dionysisches Gartenambiente zu imaginieren43. Marc Anton soll als Kulisse eines spektakulären Schauessens44 durch die temporäre 38

Foss 1994: 212. Dickmann 1999: 270-272. 40 Laut Maiuri 1933: 265f. diente der Raum deshalb nur dem intimen Familienkreis im Kontext des Bads zur Entspannung – eine Vermutung, die jedoch angesichts der luxuriösen Ausstattung wenig plausibel erscheint. 41 Hochzeit der Ariadne, Unterweisung einer Mystin, Satyrn beim Bankett, eine Orakeldeutung und ein mit Fransentuch verdeckter Früchtekorb. 42 Ausführlich hierzu Rüpke 2002. 43 Athen. 4,148b (Gastmahl der Kleopatra); 5,196c-e (Festzelt des Ptolemaios II). 44 Mit irgenwelchen Mysterienriten hatte dieses Festspektakel nichts zu tun (vgl. Boyancé 1960: 122f.). 39

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Ulrike Egelhaaf-Gaiser Errichtung einer Weinpergola über dem Athener Theater “bacchische Grotten” kunstvoll imitiert haben45. Seit dem Hellenismus wurde somit verstärkt die dionysische Sakrallandschaft in einen städtischen Baukontext transponiert und dort als künstlich geschaffene Naturkulisse inszeniert46. Im pompejanischen Stadthaus fungierte Dionysos bereits seit dem späten 2. Jh. als Chiffre des kultivierten, verfeinerten Lebensgenusses47. Die Hausbesitzer nutzten die Dionysosembleme zur ostentativen Identifikation mit der griechischen Bildung und genußreichen Lebenswelt, die sich im Theater und Symposion manifestiert48. Der Vegetationsgott hat sich damit zum Kulturträger gewandelt; die naturbezogenen Kultelemente hatten nur noch in ästhetisierter Form als Wandmalereien und dekorative Skulpturen49 im Gartenambiente eine Existenzberechtigung – und auch dort wurden sie oft mit der Theaterkultur (aufgehängte Masken) verbunden50.

II. Nemora in domibus sacros imitantia lucos51: Speiseräume im Sabazioskult Eine Alternative zum suburbanen Heiligtum, wie es in S. Abbondio vorliegt, bot die künstliche Imitation ländlicher Haine im städtischen Kontext: Das Tibullzitat führt die Übertragung heiliger Haine in Privatpaläste und Villen im Rahmen einer umfassenden Luxuskritik an. Offensichtlich stellten solche als künstliche Wildnis stilisierten Wäldchen ebenso wie die marmorverkleideten oder goldgetäfelten Repräsentationsräume der Villenpaläste ein Prestigeobjekt dar52. Der im Peristylgarten simulierte heilige Hain führt zu einer Sakralisierung der Hausarchitektur. Jedoch war auch umgekehrt die Urbanisierung eines innerstädtischen heiligen Hains durch Versatzelemente der pompejanischen Hausarchitektur möglich:

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Athen. 4,148b-c. Den Schauwert künstlich geformter Natur betont auch Varro rust. 1,59,2. 47 Zanker 1995: 41-49 mit Verweis auf die Casa dei Capitelli figurati und das Haus des Faun; Zanker 1998: 17-22 und 81-85. 48 Eine solche Assoziation stellen auch die Maskenbilder im cubiculum neben dem Mysteriensaal in der Mysterienvilla her. Gegen die etablierte Dionysossymbolik wendete sich 50 Jahre später Cicero, als er die Statuenaufstellung einer Bacchantinnengruppe entrüstet von sich wies und statt dessen nachdrücklich Minerva zur persönlichen Schutzgöttin erhob (Cicero fam. 7,23,2). 49 S. etwa Jashemski II 1993: 154-160. Zum dionysischen Gartenprospekt im Haus des M. Lucretius vgl. das folgende Kapitel. Zu Dionysos im Statuenprogramm der Gärten s. auch Grimal 1969: 317-330. 50 Z.B. in der Casa di Venere di Conchiglia (II 3,3). In einem Raum der Insula Occidentalis (VI 17,42) z.B. wird die Gartenmalerei durch Mänaden und Masken angereichert: Pompeji wiederentdeckt 1993: 226-237. 51 Tib. 3,3,13-16: quidve domus prodest Phrygiis innixa columnis, / Taenare sive tuis, sive Caryste tuis, / et nemora in domibus sacros imitantia lucos / aurataque trabes marmoreumque solum? 52 Anekdotisch verarbeitet bei Plinius nat. 17,1-6. Zur Bedeutung der silvae im Villenkontext Förtsch 1993: 76-78; Jashemski I 1979: 115ff. 46

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Sakrallandschaften und Tafelluxus Das Kultlokal der Sabazios-Anhänger53 (II 1,12; Abb. 2) entstand durch Umbauten aus einem Privathaus nach dem Erdbeben54. Wie beim Dionysoskult hat die Forschung auch bei Sabazios auf die Naturverbundenheit der Gottheit und ihres Kultes verwiesen55: In Reliefbildern artikuliert sich in Bäumen, Grotten und Schlangendarstellungen der chthonische Charakter einer Vegetationsgottheit, die Bezüge zu Dionysos zeigt. In Pompeji weisen die weitläufigen Dimensionen und die Zahl der Gärten auf die Bedeutung des Naturaspekts hin. Um so bemerkenswerter ist die Urbanisierung des Kultbezirks: Nicht nur, daß man das Heiligtum mitten im Stadtareal erbaute, statt wie für Liber Pater einen suburbanen Kultbezirk außerhalb der Stadtmauern einzurichten. Auffällig ist zudem, daß man trotz der Naturverbundenheit des Kultes nicht auf den Komfort der Banketträume verzichten wollte: Die Vorsteher und angesehenen Mitglieder der Kultgemeinschaft dürften in dem kleinen, mit Stilleben dekorierten Triclinium (3), dem großen Festsaal (8) im Zentrum des Areals, der angrenzenden Pergola (10) und eventuell in zwei weiteren Portikusräumen (6) Platz gefunden haben. Die architektonische Gestaltung dieser Räume ist wiederum der Haus- und Villenarchitektur entlehnt: Darauf weist neben dem Gartensaal mit weiter Fensterfront insbesondere die Pergola mit großer Fensteröffnung – ein Bautyp, der sich gerade in der Spätphase Pompejis in vielen Privathäusern besonderer Beliebtheit erfreute56. Das marmorverkleidete Wasserbecken in der Raummitte läßt vermuten, daß man die Pergola temporär als Biclinium möblierte. Der integrierte Arbeitsbereich (9) mit aufgemauerter Kochfläche und im Boden eingelassenem dolium entspricht den Ausstattungsnormen von Küchen in Privathäusern57. Der ländliche Kultcharakter wird somit auf die Gartenanlagen reduziert: Im Unterschied zu den kaiserzeitlichen Villengärten, die durch regelmäßige und übersichtliche Beetanlagen, beschnittene Büsche und Hecken sowie reichen Skulpturenschmuck in hohem Maße künstlerisch durchgestaltet waren58, bestand die Bepflanzung des großen Peristylgartens (4) im Wesentlichen aus einer Reihe von vier großen Bäumen rechts neben dem Altar (4a), die einen heiligen Hain imaginieren sollte. Der künstlich angelegte “Wald” und die großflächigen Gärten wurden als ästhetischer Ausblick vom geschlossenen Innenraum aus erlebt und durch die architektonischen Fenster- und Türrahmungen auf angemessene Distanz gehalten. Angeregt dürfte dieses Naturverständnis wiederum von der Privatarchitektur sein59. Die engste Parallele zum Sabaziosheiligtum bildet der Hain der Diana60 in der Casa 53 Die Anlage ist nur mangelhaft publiziert: Jashemski I 1979: 135-137; II 1993: 76 sowie Eschebach 1993: 87. 54 Die Zuschreibung an Iuppiter Sabazios beruht auf zwei magischen Bronzehänden und zwei Schlangenvasen (Pompeji wiederentdeckt 1993: 138f.; 146f.), die alle im Peristylgarten gefunden wurden, sowie einigen Graffiti an den Pfeilern des sacellum (5). 55 Fellmann 1981. 56 Vgl. Soprano 1950; Zanker 1995: 181-190. 57 Vgl. Foss 1994: 78. Eine langgezogene Arbeitsfläche war zudem außerhalb der Pergola an der Umfassungsmauer des anschließenden Gartenareals aufgemauert (11a). Sie könnte der im Garten lagernden Kultgemeinschaft gedient haben. 58 Dickmann 1999: 351-358; Schneider 1995: 42-48. 59 Zum Prospekt in der Villenarchitektur Schneider 1995: 85-93; Dickmann 1999: 359364; Jung 1984. Zu Speiseräumen mit “Fensterfront” zum Garten Dickmann 1999: 355-358; Schneider 1995: 40f. 60 Oder der Isis-Diana: Jashemski I 1979: 134f.; II 1993: 102f., Nr. 157-159.

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Ulrike Egelhaaf-Gaiser di Moralista61: Aus den Fenstern eines großräumigen Tricliniums eröffnete sich dort der Blick in den Garten, in dem die sonst üblichen Blumenbeete durch sieben Platanen ersetzt worden waren. Im Mittelpunkt dieses Wäldchens wurden eine Dianastatue und ein Thymiaterion gefunden. Im Haus des M. Lucretius (IX 3,5) schuf man eine dionysische Sakrallandschaft als spektakuläre Kulisse für das Mahl62. Auf engstem Raum wurde der Garten rings um das zentrale Wasserbecken mit zahlreichen Skulpturen bestückt, die sich dem Betrachter räumlich gestaffelt wie vor einer Theaterkulisse präsentierten. Dieses Schaubild konnte prospekthaft ebenso vom Tablinum wie vom rechts anschließenden Speisesaal durch ein großes Fenster betrachtet werden. Gestik und Themenwahl der Skulpturen (Eroten, verschiedene Tiere, Satyr im Gestus des aposkopein, Dornausziehergruppe eines Satyrs und Pan, Satyrherme mit hochspringender Ziege, Silen als Brunnenfigur, bacchische Hermen als “Bildrahmen”) spielen dabei auf das naturhafte Wesen des dionysischen Gefolges an, dem die elegante Gastmahlskultur im Speiseraum gegenübersteht. Denn auch in dessen Innenraum herrscht in seltener thematischer Geschlossenheit die dionysische Thematik vor63: Die großformatigen mythologischen Tafelbilder, variierende Aussagen über die Macht des Weins und Weingottes, werden dort jedoch ausdrücklich in den kleineren Seitenfeldern mit Aspekten der kultivierten Gastmahlsunterhaltung (Eroten beim Gelage und als Personal bei Drama, Tanz und Chorgesang) kombiniert. Der prunkvoll dekorierte Innenraum und die halbzivilisierte “Wildnis” des Gartens wurden auch in der Kaiservilla von Torre Annunziata mittels der Skulpturenaufstellung als Gegenpole inszeniert64: Vom prächtigen Festsaal aus konnte man dort auf zwei im Garten plazierte Kentaurengruppen blicken65. Wie das geschulterte Wild und die Trinkgefäße beweisen, rüsten sich diese gleichfalls zu einem Symposion. Der Opposition der Raumerfahrungen von “Natur” versus “Architektur” entspricht hier ein Gegensatzpaar der Verhaltensformen, bei dem das kultivierte, von strengen Regeln diktierte convivium mit dem unkontrollierten Freiluftgelage kontrastiert wird. Die in Torre Annunziata künstlerisch inszenierten Normunterschiede wurden vermutlich im Sabaziosheiligtum tatsächlich umgesetzt: Während in den geschlossenen Speiseräumen unter den ranghohen Mitgliederen eine strenge Tafelordnung und Sitzplatzverteilung praktiziert worden sein dürfte, unterlag das Lager der übrigen Kultgemeinschaft auf der freien Wiese vermutlich kaum einer sozialen Kontrolle; Sitzplatzregelungen und Verhaltensvorschriften dürften allenfalls in reduzierter Form zur Anwendung gebracht worden sein.

III. Et suaves epulae et faceta convivia66: Banketträume im Isiskult Nicht die künstliche Imagination unberührter Natur, sondern die Beschwörung einer exotisch-fremdartigen, im Kultmythos überhöhten Ideallandschaft, fokussiert im ägyp-

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Zanker 1995: 169-174; Spinazzola 1953: 727-762. Zanker 1995: 179-181 und Abb. 96; Jashemski II 1993: 233, Abb. 268-271. 63 Ling 1995: 241. 64 Förtsch 1993: 99; Neudecker 1988: 49. 65 Jashemski I 1979: 344, Abb. 466. 66 Apuleius met. 11,24,4: exhinc festissimum celebravi natalem sacrorum, et suaves epulae et faceta convivia. 62

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Sakrallandschaften und Tafelluxus tischen Nildelta, bestimmt Ausstattung und Dekor der Banketträume im Isiskult. Die Verbindung von Initiation und Festmahl ist durch Apuleius bezeugt; reflektiert wird hier wohl die Praxis der kline des Serapis, die unter den religiösen Festbanketten einen kultspezifischen Sonderfall darstellt67. Die Mahlzeiten konnten in Privathäusern68 wie in Gebäuden des Kultbezirks69 stattfinden. Papyri, Inschriften, Grabungsbefunde und literarische Quellen bestätigen den religiösen Charakter dieser Bankette und machen sie zu einer der bestbelegten Kulthandlungen im Isis- und Serapiskult70. 1. Das Iseum Das Iseum in Pompeji wurde in der Mitte des 2. Jhs. v. Chr. errichtet, nach 3/2 v. Chr. um die Nebenräume im Süden und Westen erweitert und nach dem Erdbeben von Numerius Popidius Celsinus aufwendig restauriert71; aus dieser Zeit stammt die dekorative Ausstattung der gesamten Anlage mit Mosaiken, Stuckarbeiten und Malereien72. Im Unterschied zum Personalbereich (Küche, Bad und Wohnräume) zeichnet sich der Festsaal im Westen durch seinen hohen Prestigewert aus: Mit ca. 13 x 7,5 m war er der größte Raum im ganzen Iseum. Fünf Arkadenbögen als Eingang, ein Bodenmosaik sowie die hohe Qualität der Wandmalerei unterstreichen die repräsentative Raumfunktion73. Möglicherweise erhielt der Raum, dessen schlichtes Architekturschema dem weitverbreiteten Typus des als Saalbau realisierten Vereinsgebäudes folgt74, erst in dieser letzten Bauphase seine hohe Repräsentationskraft: Für diese Annahme spricht nicht zuletzt die Inschrift im Mosaikboden, auf dem die Eintretenden die Namen des Stifters und seiner Eltern, Numerius Popidius Ampliatus und Corelia Celsa, lesen konnten75. Die sakralidyllischen und mythologischen Malereien erinnern an kostbare Tafelbilder. Gerahmt von Sakrallandschaften, zeigen die Mittelfelder Szenen des IoMythos – links des Eingangs die Befreiung der von Argos bewachten Io durch Hermes76, rechts gegenüber die Ankunft und den Empfang Ios durch Isis in Ägypten77. Das Mittelbild der zentralen Hauptwand stellte vermutlich ebenfalls eine Szene des IoMythos dar78. Die erhaltenen Sakralidyllen79 stehen ganz in der Tradition der Wandmalerei in römischen Villen: Im Vordergrund erscheinen Aediculae oder Tholoi mit ägyptisierender Statuenausstattung (v.a. Sphingen) und vereinzelt Adoranten oder Angler. Durch die Kombination der Landschafts- mit den Iobildern wird aber nun die 67

Milne 1925; Youtie 1948; Koenen 1967. Vandoni 1964: Nr. 141-143. 69 Pap. Oxyrh. 2592 und Vandoni 1964: Nr. 138; 145. 70 Aelius Aristides Or. 45,27 K; SIRIS 44; 109; 120f.; 265; 275; 291; 720; Archäologie: Serapeum A in Delos, Serapeum in Ostia, Iseum in Mainz. 71 CIL 10,846. Ausführliche Baubeschreibungen mit Grundriß finden sich bei De Caro 1992: 7-12, Hoffmann 1993: 42-71; Rieger 1994: 24-42; Egelhaaf-Gaiser 2000: 185-195. 72 Hoffmann 1993: 212f.; Sampaolo 1992: 36. 73 Sampaolo 1992: 34-37 und Katalog 54-59, Nr. 1.57-1.70; Hoffmann 1993: 109-117. 74 Zum Typus der multifunktionalen Saalbauten Bollmann 1998: 103-113. 75 CIL 10,848. 76 De Caro 1992: Taf. 14, Nr. 1.69 = Merkelbach 1995: 501, Abb. 20. 77 De Caro 1992: Taf. 10, Nr. 1.63 = Merkelbach 1995: 502, Abb. 21. 78 Hoffmann 1993: 111. Vgl. Rieger 1994: 34. 79 De Caro 1992: Taf. 9, 11, 13, 15. 68

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Ulrike Egelhaaf-Gaiser utopische Szenerie in eine kultspezifische Sakraltopographie überführt; die “fiktionalen Traumlandschaften” werden durch konkrete lokale Bezugspunkte, nämlich Argos und das Nildelta, örtlich fixiert, die “schwebende Szenerie” der Idyllen80 wird im Kultmythos verankert. Nicht nur die Sakralidyllen, sondern auch die mythologischen Bilder sind dem Repertoire der Privathäuser entlehnt81: So wurde dasselbe Motiv von Ios Ankunft in Ägypten bereits etwa zehn Jahre zuvor als Einzelbild in der Casa del Duca di Aumale (VI 9,1) verwendet82. Das Motiv von Io und Argos findet in pompejanischen Wohnhäusern gleich mehrfache Parallelen – etwa in der Casa dei Dioscuri (VI 9,6-7), del Banchiere (VII 14,5), di Io e Argos (VI 7,19) und del Citarista (I 4,5)83. Die Bilder waren also nicht für das Iseum speziell entworfen, sondern wurden aus einem begrenzten, ursprünglich für die Hausarchitektur konzipierten “Bildkatalog” ausgewählt und miteinander kombiniert. Übertragbar waren auch die Wertmaßstäbe aus der Hausarchitektur: Dort waren großformatige mythologische Tafelbilder für gewöhnlich besonders anspruchsvollen Räumen vorbehalten. Der in ihnen artikulierte Bildungsanspruch sorgte für eine Aufwertung des Raums84. Eine ähnliche Intention läßt sich daher auch für das Iseum postulieren: Trotz seiner Dimensionen dürfte der Speisesaal bei Festlichkeiten nur hochrangigen Kultanhängern Platz geboten haben, so daß wohl ein großer Teil der Mahlgemeinschaft auf die angrenzenden Portiken ausweichen mußte. Zwar waren die Tafelbilder des Saals aufgrund ihrer Dimensionen auch vom Portikuseingang aus noch erkennbar; doch der Tafelgenuß in der künstlich geschaffenen Sakrallandschaft blieb exklusiv der Führungselite vorbehalten. 2. Das Haus des Octavius Quartio Die im Iseum malerisch entworfene Nillandschaft wird ungefähr zeitgleich (ebenfalls nach dem Erdbeben) im Haus des Octavius Quartio (II 2,2) architektonisch inszeniert und dadurch räumlich erfahrbar gemacht (Abb. 3)85: Von dem mit Ilias- und Heraklesbildern prunkvoll ausgeschmückten Festsaal (g) öffnete sich der Blick in den weitläufigen Garten, der in der Längsachse durch einen Wasserkanal zerschnitten wurde. Ein zweiter, den Räumen vorgelagerter Euripus (d) schuf die Verbindungslinie zwischen einem der Isis-Diana geweihten sacellum (c)86 und einem Freiluft-Biclinium (a) mit Wasserspielen (b). Dessen mythologischer Dekor (Narciss, Pyramus und Thisbe) knüpft an die Malereien an den Außenwänden des sacellum (Diana und Aktaion) und des Festsaals (Orpheus unter den Tieren) an. Der Kanal wurde von miniaturhaften 80

Vgl. hierzu Schneider 1995: 111-143. Rieger 1994: 34f. 82 Tran Tam Tinh 1964: 128, Nr. 14; Taf. 16.2. 83 Weitere Belege bei Tran Tam Tinh 1964: 36. 84 Zanker 1995: 158; 199; Ling 1995: 247. 85 Beschreibung des Hauses bei Spinazzola 1953: 369-434; Tran Tam Tinh 1964: 42-46; Jung 1984: 71f. 106-114; Salza Prina Ricotti 1987: 169-172; Jashemski I 1979: 45-47; II 1993, 78-83; La Rocca & De Vos 1990: 310-315; Zanker 1995: 150-162. 86 Die Zuweisung stützt sich auf die Bildmotive – Diana-Aktaion am Eingang und ein Isispriester auf den Innenwänden – und die Funde vor dem sacellum: einen Ibis aus Marmor und glasierte Tonstatuetten, die ägyptische und alexandrinische Gottheiten darstellen, u.a. Bes und einen Pharao. Von den 30 im Haus gefundenen Lampen ist eine mit einer Zeus-AmmonBüste, die andere mit einer Lotosblüte verziert. 81

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Sakrallandschaften und Tafelluxus Statuetten bunter Thematik gerahmt (Abb. 4), u.a. einem gelagerten Nil und einer Sphinx, einem schlangenwürgenden Herkules und zwei Tierkampfgruppen87. Die heutige Rekonstruktion einer Pergola-Überdachung ist vermutlich falsch; es dürfte sich vielmehr um eine freistehende Pfeilerreihe gehandelt haben, die den ägyptischen Canopus imitieren sollte88. Dem Besucher sollte also kein beliebiger Gartenprospekt vor Augen treten, sondern eine idealisierte ägyptische Sakrallandschaft, die zugleich alexandrinischen Luxus89 und Lebensgenuß verhieß. Als Parallele ist der Canopus in der Villa Hadriana anzuführen, der ebenfalls ein Sarapisheiligtum, ein FreiluftStibadium mit Wasserspielen und eine Statuenkolonnade kombiniert. Ob die Bau- und Ausstattungskonzeption im Haus des Octavius Quartio nur durch die übliche Ägyptomanie motiviert war oder hier tatsächlich religiöse Mahlzeiten in Verbindung mit dem Isiskult stattfanden, ist Spekulation. Immerhin lassen es die erwähnten Textzeugnisse zur kline des Serapis möglich erscheinen, daß eine private Kultgemeinschaft in dem Festsaal und auf dem Freiluft-Biclinium nächtliche Gelage abhielt. Die Unsicherheit bei der Bewertung der Funde entspringt einerseits der Themenvielfalt im Ausstattungsprogramm, andererseits der engen Verwandtschaft der Architekturformen in der Haus- und Sakralarchitektur. Denn für praktisch alle Einzelaspekte – Wasser-Biclinium, Euripus90, ägyptisierende Wandbilder91, bewegliche Kultgegenstände und Skulpturenausstattung92, Hausheiligtum – gibt es in den pompejanischen Wohnhäusern Entsprechungen. Nicht kultspezifische Eigenheiten der Architektur, sondern erst die Fülle der Bezüge zum Isiskult und der bei aller dekorativen Themenvielfalt dominierende Großentwurf einer ägyptisierenden Sakrallandschaft lassen somit an die konkrete Durchführung von Kulthandlungen und religiösen Banketten im Haus des Octavius Quartio denken. Die einzelnen Architekturelemente waren dagegen ebenso wie die damit verbundenen Wertkonnotation vielseitig verwendbar, die Grenzen zwischen den Architekturgattungen durchlässig: Auch das Haus des Octavius Quartio belegt die vielfachen Wechselbeziehungen zwischen Heiligtum und Hausarchitektur.

IV. Triclinia templis concertant93: Zur Motivation des Tafelluxus in pompejanischen Kultanlagen Die Ausbreitung kostbarer Dekormaterialien – Marmor, Gold – von den öffentlichen Tempeln auf die Speisezimmer der Privathäuser und Villen bewertet Manilius, 87 Jung 1984: 111 erklärt die zwergartigen Ausmaße der Statuetten mit ihrem Aufstellungskonzept: Die Statuetten sind in Dimensionen und Plazierung auf das Biclinium hin konzipiert. 88 Jung 1984: 112ff. 89 Man denke an die berühmte, auf den Canopus anspielende Gelageszene auf dem Nilmosaik in Präneste. 90 Z.B. in den praedia der Iulia Felix. 91 Villa des N. Popidius Florus, Casa degli amorini dorati: Tran Tam Tinh 1964: 153 Nr. 67; 129f. Nr. 17f. 92 Haus des C. Vibius Italus: Tran Tam Tinh 1964: 155, Nr. 77; 181, Nr. 171f. 93 Manilius 5,290-292: haec fuerat quondam divis concessa figura, / nunc iam luxuriae pars est: triclinia templis / concertant, tectique auro iam vescimur auro.

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Ulrike Egelhaaf-Gaiser in guter Tradition der spätrepublikanischen Luxuskritik94, programmatisch als Dekadenzsymptom. Der private Bauluxus fungiert als Indiz für den Verfall von pietas und senatorischer Standessolidarität, von Gemeinsinn und Staatswohl zugunsten konkurrierender Repräsentationsprojekte einzelner nobiles, deren Verhalten dann wiederum die untergeordneten Schichten der Ritter und Freigelassenen zur ehrgeizigen Imitation animierte95. Erzielt wurde die Prestigesteigerung der Häuser und Villen mittels der Übernahme einzelner Bau- und Dekorelemente inklusive ihrer Wertkonnotationen aus der Sakral- in die Privatarchitektur96. Anhand der Befunde in Pompeji ließ sich eine gegenläufige Richtung des Adaptationsprozesses dokumentieren: Kultgemeinschaften machten sich zur Befriedigung wachsender Komfortbedürfnisse und eines gesteigerten Prestigeanspruchs Ausstattungselemente und bewährte Raumkonzeptionen der privaten Architektur zu eigen. Insbesondere im 1. Jh. n. Chr. griff der im Haus- und Villenambiente gepflegte Tafelluxus auf die Heiligtümer über. Die dekorativen Elemente wurden dabei nicht nur adaptiert, sondern zugleich für die Kreation einer eigenen, kultspezifischen Sakrallandschaft fruchtbar gemacht. Es ist wohl kaum ein Zufall, daß gerade in der Spätphase Pompejis der Repräsentationsfaktor sakral genutzter Speiseräume so stark an Bedeutung gewann: Die alteingesessene städtische Oberschicht, der etwa noch die Hausbesitzer der Mysterienvilla und der Casa del Criptoportico zuzurechnen waren, unterlag seit claudisch-neronischer Zeit und insbesondere nach dem Erdbeben einem tiefgreifenden Wandel. Die Aristokratie zog sich zunehmend auf Villen in der Umgebung zurück und ermöglichte damit ganz neuen Familien und Nachkömmlingen von Freigelassenen einen bis dahin undenkbaren Aufstieg: Typisches Beispiel ist der Restaurator des Iseums, der Sohn eines mutmaßlichen Freigelassenen, der sich im Alter von sechs Jahren mit seiner Tempelrestauration in den pompejanischen Stadtrat einkaufte. Sein hohes Repräsentationsbedürfnis bringen der reiche Ausstattungsdekor und die doppelte Stifterinschrift am Haupteingang und im Speisesaal zum Ausdruck. Leit- und Vorbild dieser Aufsteigerschicht war aber offenbar die Lebenswelt des römischen Adels, die man in der spätpompejanischen Hausarchitektur und Ausstattung zu imitieren suchte97. Die in den Häusern des Octavius Quartio und des M. Lucretius beobachtete Bilderflut, die selbst auf engstem Raum und ohne Rücksicht auf angemessene Proportionen und eine geschmackvolle Abstimmung der Themen inszeniert wurde, wäre dann durch das übersteigerte Prestigestreben dieser Aufsteiger motiviert. Dieselbe neue Führungsschicht muß zeitgleich auch in den Kultanlagen aktiv gewesen sein: Dazu würde neben der ambitionierten Restauration des Iseums die Einrichtung der überdimensionalen Triclinien in S. Abbondio ebenso passen wie die Installation des überproportionierten Tricliniums im Grab vor dem Herkulaner Tor, dessen Erbauer Cn. Vibrius Callistus laut inschriftlicher Selbstaussage98 ein libertus war.

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Etwa Cic. Flacc. 28; vgl. Hor. c. 2,15. Zur Luxuskritik Romano 1994. Vgl. Cic. off. 1,138ff.; leg. 3,30f.; Varro rust. 1,13,7; Plin. nat. 17,1f.; zum spätrepublikanischen Konkurrenzkampf in den privaten Bauprojekten Häuber 1994. 96 Bekanntester Referenztext ist Vitruv 6,5,1f.; s. dazu Wallace-Hadrill 1994: 18ff. 97 Zanker 1995: 200-210. 98 CIL 10,1033. 95

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Sakrallandschaften und Tafelluxus Geändert wurde durch die dekorative bzw. architektonische Aufwertung der Speiseräume wohl weniger der Kultvollzug an sich – Funktion und Inhalte des sakralen Mahls dürften im Wesentlichen dieselben geblieben sein – als vielmehr die Inszenierung der sozialen Rangordnung. Denn die begrenzte Verfügbarkeit von Komfort verlieh der internen Rangabstufung der Mitglieder visuell Ausdruck: Sichtbar wurde die soziale Differenzierung beim Liber-Pater-Heiligtum von S. Abbondio, im Sabaziosheiligtum und im Iseum. Die gesteigerte Repräsentationskraft sakraler Speiseräume konnte im Extremfall sogar zu einem Prestigekampf zwischen Tempel und angelagerten Speiseräumen führen: Bilden sacellum und Biclinium im Haus des Octavius Quartio noch ein gleichberechtigtes Pendant, so wurde im Iseum (abgesehen von der Inschrift über dem Haupteingang) die zweite Stifterinschrift bezeichnenderweise nicht am Tempelbau, sondern im prestigeträchtigen Speisesaal plaziert; und in S. Abbondio scheinen die modernen Triclinien dem altertümlichen Tempel buchstäblich die Schau gestohlen zu haben. Triclinia templis concertant – das ließe sich in diesem Fall auf das konkurrierende Verhältnis zwischen Tempel und prestigereichen Speiseräumen innerhalb ein und desselben Kultbezirks übertragen.

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Résumé À partir de quelques exemples dans Pompéi, l’article examine la typologie des bâtiments permanents aménagés pour servir aux repas cultuels dans les espaces sacrés. Cette étude aborde trois points: 1. quand et pourquoi on commença à équiper des locaux en vue de repas cultuels; 2. la signification de ces aménagements artificiels, en guise de mise en scène rehaussant le luxe de la table; 3. les relations étroites entre la typologie des salles à manger privées et celle des aménagements religieux. La mise en valeur des espaces destinés à la consommation en commun, qui s’est accentuée surtout dans les derniers temps de Pompéi, n’est pas due à un changement des pratiques cultuelles, mais provient d’un besoin croissant de confort et d’apparat: c’est pour satisfaire ce besoin que des collectivités religieuses adoptèrent certains types d’architecture particulièrement prestigieux et des modèles de décoration empruntés à l’architecture domestique.

Abstract The paper examines in some examples of Pompeji the typology of permanent buildings used as dining-rooms in the sacred areas. It focuses on three issues: 1. why and when people began to equip some rooms for their sacred meals; 2. the meaning of these artificial equipments, as a scenery which emphasizes the luxury of the table; 3. the strong connections between the typology of dining-rooms in private houses and in sanctuaries. The growing importance given to collective dining-rooms, especially during the last years of Pompeji, was not due to a change in religious practice, but originates in a growing need of comfort and glamour: to fulfil that need religious communities adopted some very amazing architectures and some decorative patterns of the private architecture.

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Sakrallandschaften und Tafelluxus

Abb. 1: Heiligtum des Liber Pater bei Pompeji, rekonstruierender Aufriß. (Elia & Pugliese Carratelli 1979, 446, Abb. 2). A B

Tempelcella Pronaos

C D

Rampe Hauptaltar

E F

Triclinien halbrunde Sitzbank

Abb. 2: Heiligtum des Sabazios (“Komplex der magischen Riten”), Pompeji. (Jashemski II 1993, 76, Abb. 24). 1 2 3 4 4a 5

Eingangskorridor Vestibül Triclinium Peristylgarten gemauerte Altarbasis Heiligtum

5a 5b 6 7 7a 8

Kultbildpodium Depoträume Portikusräume quadratischer Gartenbezirk ummauerter Bezirk Festsaal

9 10 11 11a

gemauerte Herdstelle Pergola mit Wasserbecken Gartenareal gemauerte Arbeitsfläche

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Ulrike Egelhaaf-Gaiser

Abb. 3: Haus des Octavius Quartio, Pompeji, rekonstruierender Aufriß. (Der Neue Pauly. Enzyklopädie der Antike, H. Cancik & H. Schneider (Hrsg.), Bd. 3, StuttgartWeimar, 1997, 949-950, © Metzler). a b c d

Freiluft-Biclinium Nymphäum sacellum der Isis-Diana Wasserkanal

e f g

Brücke Zugang zum Garten repräsentativer Festsaal

Abb. 4: Haus des Octavius Quartio, Pompeji, Rekonstruktion: Blick vom Freiluft-Biclinium auf den oberen Euripus, das gegenüber liegende sacellum (im Hintergrund) und den Garten. (Jung 1984, Abb. 39).

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MANGER AVEC LES DIEUX. PARTAGE SACRIFICIEL ET COMMENSALITÉ DANS LA ROME ANTIQUE John SCHEID Collège de France «Nous rendons sacré tout ce que nous allons manger, en en offrant les prémices» Plutarque, Fragm. 95 Sandbach Les relations entre sacrifice et banquet dans la Rome du début de notre ère constituent une question irritante. Rome était devenue une cité énorme, et cette croissance a certainement influé sur la nature des rites communautaires. Comment, par exemple, faire participer plusieurs centaines de milliers de citoyens à un banquet et notamment à un banquet sacrificiel? Alors que les pratiques traditionnelles pouvaient se poursuivre sans changement majeur dans les familles, les collèges ou les cités d’Italie et d’ailleurs, les grands rites publics réunissant, en principe, l’ensemble du peuple romain, posent un problème à l’historien du sacrifice et du banquet romains. Il réussira d’autant moins à donner une réponse immédiate que, contrairement aux lois sacrées grecques, les documents romains ne fournissent généralement aucun renseignement sur ces partages. J’ai tenté, il y a quinze ans, de proposer quelques réponses à cette question, en recherchant des témoignages sur les liens entre sacrifice et banquet, et en spéculant sur l’origine rituelle de termes comme particeps et princeps1. Je voudrais revenir à ces études, parce qu’elles méritent des retouches, et aussi mettre en garde contre la tendance qui consiste à donner aux banquets collectifs une autonomie presque complète par rapport au sacrifice et à la religion, qui n’a, à mes yeux jamais existé. Par commodité, je partirai de l’excellente étude que Mika Kajava a consacrée à la uisceratio2. * M. Kajava s’intéresse notamment aux emplois de ce terme chez Tite Live, comme par exemple dans le passage concernant la distribution de viande qu’un certain M. Flavius offrit au peuple à l’occasion des funérailles de sa mère3. Beaucoup de manuels et dictionnaires relient le terme uisceratio au sacrifice, au partage et au ban1 Scheid 1984 et 1985. J’ai supposé que les règlements romains n’avaient généralement pas à préciser les parts qui revenaient aux différents citoyens lors des partages, puisque les rangs étaient prédéterminés par le système censitaire romain. On peut ajouter qu’ils l’exprimaient, si nécessaire, autrement, par la hiérarchie des sportules en numéraire, c’est-à-dire de manière plus abstraite que les lois sacrées grecques. 2 Kajava 1998. 3 Tite Live 8, 22, 2-4.

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John Scheid quet de viande sacrificielle4. Mettant en cause ces affirmations, M. Kajava fait d’abord remarquer que pour désigner la distribution de viande sacrificielle les Romains employaient des termes plus spécifiques, profanare et pollucere. Kajava pense qu’il est inexact de relier le terme uisceratio au sacrifice, surtout de manière exclusive, et que le terme signifie distribution publique de viande, dans des contextes variables. Son étude comporte de nombreuses et excellentes remarques qui prouvent l’exactitude de cette conclusion. Je voudrais signaler d’emblée que je n’ai jamais voulu affirmer que toute la viande consommée à Rome provenait de sacrifices. Mon intention, il y a quinze ans, était de vérifier le statut de la viande consommée lors des banquets collectifs et publics dans la Rome du début de notre ère. Tel est également l’objectif de M. Kajava. D’ailleurs, en écrivant que le banquet sacrificiel s’appelait uisceratio, les auteurs incriminés par M. Kajava n’ont jamais voulu restreindre l’usage du terme au seul contexte sacrificiel. Il est toutefois indéniable que certaines définitions antiques du terme, qui le mettent en relation avec le sacrifice, sont plutôt des spéculations lexicales que des arguments certains, et que la chronologie des emplois du terme uisceratio doit être revue à la lumière des recherches de M. Kajava. Il me semble qu’au-delà du sens précis et de l’histoire du terme uisceratio se pose une question plus générale. Indépendamment du fait que le terme uisceratio puisse désigner une simple distribution publique de viande achetée au marché, il convient de se demander s’il pouvait y avoir un partage alimentaire sans participation divine. C’est parce qu’il représente l’une des modalités de réalisation de cette participation des dieux aux activités collectives des mortels que le banquet est intéressant. La question sera donc: y avait-il des repas “laïcs”? pouvait-il y avoir à Rome des repas et des partages alimentaires non religieux, sans dieux? La question semble en fait rhétorique, car tout repas collectif était un partage avec les dieux. Les dieux étaient invités à tout repas, puisque, entre le premier service et le second, les convives leur offraient un sacrifice par l’encens et le vin, en y ajoutant éventuellement d’autres offrandes. Cette coutume suffit, à elle seule, pour apporter la preuve que la notion de partage alimentaire “laïc” n’existait pas dans la Rome antique. Mais, dira-t-on, bien qu’elle rende tout repas religieux, cette offrande ne correspond pas exactement au grand service religieux du sacrifice, qui partage une victime avec une divinité, et qui célèbre de façon beaucoup plus solennelle la “commensalité” des dieux et des hommes. C’est donc ce type de rite que nous examinerons, en oubliant pour un temps le sacrifice régulier lié aux banquets. Précisons tout de suite que cette participation divine n’équivaut pas à une commensalité stricte. Le partage avec les dieux, qui consiste à leur “servir” la première part et une part d’honneur, définit la supériorité et l’altérité des dieux: le partage alimentaire sépare des dieux plus qu’il ne les unit aux humains5. Mais revenons à la démonstration de M. Kajava. M. Kajava admet que lors des sacrifices, la viande sacrificielle était partagée entre les présents, comme dans les sacrifices collégiaux et publics, et que cette viande était consommée sur place ou vendue. Il accepte également la substance des réflexions que

4 W. Eisenhut, RE, s.v. uisceratio (1961); Walde-Hoffmann, Lateinisches etymologisches Wörterbuch, 19664: «öffentliche Fleischspende», et «bei den Opfern der Rest des Opfertieres außer den exta»; de même le Dictionnaire étymologique de la langue latine d’Ernout-Meillet, s.v. uiscus. 5 Voir en dernier lieu Veyne 2000: 7-8; 39-42.

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Manger avec les dieux j’ai consacrées à cette question en 19856, même s’il conteste la valeur de certains témoignages invoqués. Ses réserves me donnent l’occasion de les réexaminer en détail. Notre point de désaccord porte sur le fait que l’on ne peut pas prouver que tout banquet avait une relation directe avec un sacrifice. Dont acte. L’objectif de mon enquête était justement de dépasser ce constat. La question ne porte toutefois pas sur la discrétion des sources quant aux liens entre sacrifice et banquet, mais sur les différentes modalités du banquet sacrificiel dans une société complexe. D’ailleurs M. Kajava évoque lui-même une série de questions qu’il faut poser: quel lien existait-il entre la viande qui était conservée, comme les jambons, et l’éventuel sacrifice? J’ajouterais que le même problème se pose pour la viande sacrificielle vendue en boucherie. Car il n’est pas certain que dans une société complexe comme celle de la Rome du début de notre ère, la commensalité ait toujours été directe. Dans les collèges, dans les familles et au cours de certaines fêtes, un banquet suivait le sacrifice sur le lieu même où le rite était célébré. Mais ce n’était pas toujours le cas. Comment apprécier alors les sacrifices qui ne sont pas suivis de banquets, et comment définir les banquets dont on ne voit pas le rapport avec un sacrifice? Autrement dit, il s’agit du problème à résoudre et non d’un argument dans cette enquête. Mais quelle était la nature de la viande vendue en boucherie? Était-elle forcément sacrificielle? Abordant cette question, M. Kajava écrit: «…there is evidence also that whole carcases together with all the innards were roasted for dinners which means that the inspection of exta with the subsequent gift to a god was omitted»7. Il cite à l’appui le vers 343 du Pseudolus de Plaute (cum intestinis omnibus) et son commentaire par Joan Frayn8. L’argument paraît être de poids, et il convient de l’examiner de près. Il s’agit d’un débat entre le marchand d’esclaves Ballion et Calidore, l’amant de Phénicie, que Ballion dit avoir vendue. Le passage qui nous intéresse concerne cette révélation. Ballion dit d’abord à Calidore qu’il ne veut plus vendre Phénicie (vers 325). Calidore s’exclame alors: Tu ne veux plus? Ballion. – Non, vraiment, par Hercule. Calidore. – Pseudolus, va chercher les petites victimes, les grandes victimes; les victimaires, que je sacrifie à ce Jupiter, à mon dieu suprême. Car c’est lui maintenant mon Jupiter, et cent fois préférable à Jupiter même. Ball. – Non, point de grandes victimes, je n’en veux pas. Je ne veux, pour me rendre propice, que de la fressure d’agneau. Calid. – Dépêche-toi; qu’est-ce que tu attends? Va chercher des agneaux: tu entends ce que dit Jupiter? Pseud. – Je serai ici dans un instant; mais il faut d’abord que je coure aussi à la porte de la ville. Calid. – Pourquoi là? Pseud. – J’irai y chercher deux victimaires avec des clochettes; en même temps j’en ramènerai deux troupeaux de verges d’orme, pour que ton Jupiter en ait tout son saoul, et consente à nous exaucer. Ball. – Va te faire pendre au diable. Pseud. – C’est là qu’ira le Jupiter lénonien. Ball. – Il est de ton intérêt que je meure. Calid. – Pourquoi donc? Ball. – Je vais te le dire: parce que, par Pollux, tant que je serai vivant et de ce monde, tu ne seras jamais qu’un mauvais sujet. Il n’est pas de ton intérêt que je meure. Pseud. – Pourquoi donc? Ball. – Pourquoi? parce que si j’étais mort, il n’y aurait pas dans Athènes un drôle pire que toi. Calid. – Je t’en prie, par Hercule, réponds maintenant sérieusement à ma question. Tu ne veux plus vendre ma maîtresse Phénicie?

6

Scheid 1985. Kajava 1998: 117-8. 8 Frayn 1995: 110 sq. 7

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John Scheid Ball. – Assurément non, ma foi; car je l’ai déjà vendue depuis un bon bout de temps. Calid. – Comment? Ball. – Sans ses nippes; mais avec tripes et boyaux. Calid. – Tu as vendu ma maîtresse? Ball. – Parfaitement, vingt mines9.

La lecture de l’ensemble du passage révèle d’abord qu’il ne s’agit pas de la vente d’un animal, mais de celle d’une jeune fille, et il convient de l’examiner de plus près. J. Frayn souligne qu’il s’agit d’une plaisanterie, mais elle surinterprète le texte en considérant que l’expression sine ornamentis cum intestinis omnibus appartient au registre de la vente en boucherie. D’autre part, elle estime que les deux lanii que Pseudolus prétend aller chercher à la porte de la ville prouvent simplement que les bouchers sont assimilés à des victimaires10, et enfin que ce passage établit qu’il y avait des bouchers qui abattaient le bétail à l’extérieur de la porte11. Les choses sont un peu plus compliquées. D’abord, il s’agit en effet d’une plaisanterie de Plaute. Croyant que Ballion lui accorde ce qu’il lui demande, Calidore le traite en Jupiter et convoque petites et grandes victimes ainsi que les lanii, les bouchers. Il est manifestement question ici de sacrifices, et les lanii doivent servir de victimaires. Continuant sur le même ton, Ballion fait le gourmand et réclame une délicatesse, des exta d’agneaux. Calidore envoie donc Pseudolus chercher des agneaux. Ce dernier, qui en sait long sur le marchand d’esclaves, répond en deux temps: qu’il sera revenu sous peu, mais qu’il doit également (etiam) courir extra portam. Avant d’aller chercher les agneaux et les bouchers, il doit donc faire une autre course12. Autrement dit, les marchands de victimes et les bouchers ne se trouvent pas «à la porte», et on a tort de citer ce passage à l’appui d’une telle affirmation. La raison de la course que le rusé esclave doit faire avant d’aller chercher les vraies victimes est claire: de la porte, il amènera effectivement d’autres bouchers et troupeaux: plus exactement des lanii cum tintinnabulis «des bouchers avec des clochettes», et «deux troupeaux de verges». La plaisanterie est évidente. En se référant comme son maître au contexte sacrificiel, il parle en fait de bourreaux et de verges qui doivent venir étriller «Jupiter». On sait qu’à Rome les carnifices se trouvaient à l’extérieur de la porte Esquiline, et le règlement de Pouzzoles atteste que les bourreaux venant récupérer les cadavres des sup9 Plaute, Pseudolus, 325-344: Bal. Quia enim non uenalem iam habeo Phoenicium. Cal. Non habes? Bal. Non hercle uero. Cal. Pseudole, i, accerse hostias, uictumas, lanios, ut ego huic sacruficem summo Ioui. nam hic mihi nunc est multo potior Iuppiter quam Iuppiter. Bal. Nolo uictumas: agninis me extis placari uolo. Cal. Propera, quid stas? ei accerse agnos. audin quid ait Iuppiter? Ps. Iam hic ero; uerum extra portam mi etiam currendumst prius. Cal. Quid eo? Ps. Lanios inde accersam duo cum tintinnabulis; eadem duo greges uirgarum inde ulmearum adegero, ut hodie ad litationem huic suppetat satias Ioui. Bal. I in malam crucem. Ps. Istuc ibit Iuppiter lenonius. [Bal. Ex tua re est, ut ego emoriar. Ps. Quidum? Bal. Ego dicam tibi: quia edepol, dum ego uiuos uiuam, numquam eris frugi bonæ.] Ex tua re non est, ut ego emoriar. Ps. Quidum? Bal. Sic: quia si ego emortuus sim, Athenis te sit nemo nequior. Cal. Dic mihi; obsecro hercle, uerum serio, hoc quod te rogo: non habes uenalem amicam tu meam Phoenicium? Bal. Non edepol habeo profecto, nam iam pridem uendidi. Cal. Quo modo? Bal. Sine ornamentis, cum intestinis omnibus. Cal. Meam tu amicam uendidisti? Bal. Valde, uiginti minis. (Trad. A. Ernout). 10 Frayn 1995: 110. 11 Frayn 1995: 109; d’après E. De Ruggiero, Dizionario epigrafico di antichità romane, Rome, 1886, s.v. lanius (De Ruggiero, S. Mazzarino, 1946), il s’agissait de la Porte Capène. En fait, comme on le verra, il s’agit sans doute de la Porte Esquiline. 12 A. Ernout, traducteur du Pseudolus dans la CUF, rend très justement etiam par «d’abord».

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Manger avec les dieux pliciés effectuaient leur besogne en agitant des clochettes13. C’est bien ainsi que E. Fraenkel, M. Willcock et E. Lefèvre14, interprètent ce passage. On ne peut donc pas le considérer comme une description de l’endroit où l’on trouve les vrais bouchers ou victimaires, ni bien entendu comme celui où étaient abattus les animaux. Car Pseudolus ne précise pas où se trouve le marché des victimes. En outre, la plaisanterie de Ballion sur la vente de Phœnicium se réfère, certes, toujours au contexte sacrificiel, mais n’apporte en fait aucun témoignage sur la vente d’animaux complets. Ballion répond qu’il a vendu la jeune fille, sine ornamentis cum intestinis omnibus, «sans ses nippes, avec tripes et boyaux», traduit Ernout. La plaisanterie a, en fait, un sous-entendu salé, qui n’a rien à voir avec la vente des victimes ou des animaux: la victime a été vendue dépouillée des ornements et avec ses exta, ce qui signifie que la jeune fille a été vendue nue et «entière», avec tout ce que cela peut vouloir dire. Autrement dit, le texte dit sans doute exactement le contraire de ce que l’on veut lui faire dire, et ne saurait être invoqué dans notre enquête! En ce qui concerne le problème de la vente des victimes, on sait par Varron15 qu’à son époque il y avait deux types de bétail, celui qui était élevé pour les sacrifices (ad altaria), et celui qui était destiné à l’abattage pur et simple (ad cultrum). Voilà le texte qu’il fallait citer. On peut supposer qu’aux temps anciens il en allait différemment, mais au cours des derniers siècles de notre ère, les marchés vendaient aussi de la viande qui n’avait pas été sacrifiée dans les sacrifices publics. Cela ne prouve, toutefois, pas encore que la viande vendue était essentiellement de la viande non sacrifiée, et que les distributions publiques et privées de viande n’avaient plus aucun rapport avec le sacrifice et la religion. Tout dépend de la quantité de viande d’abattage disponible. On reviendra à cette question plus loin. * M. Kajava admet ensuite que s’il était normal en pays grec que les sacrifices fussent suivis de distributions de viande, tel n’était pas le cas à Rome. Les banquets y auraient accompagné plutôt les munera et autres spectacles. Comme exemples il cite les Ludi Apollinares, où des sacrifices Græco ritu précèdent des banquets pris à l’extérieur des maisons, selon le modèle delphique. À part quelques consommations de viande sacrificielle par des soldats, il n’y aurait pas d’attestation de distribution massive de viande sacrificielle aux masses populaires. Même les rites de l’Ara maxima ne pourraient pas attester clairement de telles distributions. C’est dans ce contexte que M. Kajava16 discute les exemples que j’avais invoqués en 1985. Deux exemples attestent des grands banquets sacrificiels dans l’armée. Le premier fut offert lors de l’acclamation impératoriale de Titus en Judée17, le second doit illus-

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L’Année épigraphique 1971, 88, II, l. 13-4. Frænkel 1922: 115-116; Willcock 1987; 110; et Lefèvre 1997: 53. 15 Varron, De re rustica 2, 5, 10-11: Eos cum emimus domitos, stipulamur sic,“illosce boues sanos esse noxisque præstari”; cum emimus indomitos, sic, “illosce iuuencos sanos recte deque pecore sano esse noxisque præstari spondesne?”11. Paulo uerbosius hæc, qui Manili actiones secuntur lanii, qui ad cultrum bouem emunt; qui ad altaria, hostiæ sanitatem non solent stipulari. 16 Kajava 1998: 118-9, n. 32. 17 Flavius Josèphe, BJ 7, 1, 16 (et non 7, 16 comme j’avais écrit par erreur en 1985). 14

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John Scheid trer le zèle sacrificiel de Julien à Antioche18. Cas spécifiques d’après Kajava, car une distribution dans un camp militaire éloigné de Rome ne pourrait pas être identifiée à une distribution faite à des civils, à Rome et ailleurs. Le deuxième exemple ne se référerait même pas à un vrai banquet, mais à des soldats ivres pillant des sanctuaires. M. Kajava écarte également un témoignage étrange, que j’avais découvert dans la Vie d’Aurélien de l’Histoire Auguste19. Passage fictif, certes, mais dans lequel un banquet de sénateurs et de chevaliers est évalué en nombre de victimes: ce serait, d’après M. Kajava, un banquet d’aristocrates et non un banquet populaire. La relation entre la cena publique et le sacrifice mentionnés sur une inscription de Forum Clodii20 ne lui paraît pas clairement spécifiée, relation qu’enfin il n’accepte pas non plus dans une anecdote survenue lors d’une distribution faite le jour du Septimontium par Domitien21. Regardons de plus près ces documents: 1) le sacrifice-banquet offert par Titus22 est, certes, offert loin de Rome, et dans un camp. Mais il s’agit de l’armée romaine, de son commandant en chef et de toute évidence de l’acquittement de vœux publics (eujcav") par Titus, ou d’un sacrifice d’action de grâces. Autrement dit, nous sommes en présence de rites publics au plus haut niveau de l’État romain. Or ces rites étaient partout les mêmes. Dans l’entourage du commandant en chef d’une armée romaine, qui était de surcroît César, on se trouve en quelque sorte à Rome, et les rites célébrés ne sont pas des pratiques de tranchées ou des anecdotes de mess militaire: il s’agit banalement de ce qui se produit lors d’un sacrifice public. Ce sacrifice anticipe en quelque sorte sur les banquets qui seront offerts au peuple lors de l’éventuel triomphe à Rome. Donc des rites romains, et des soldats, autrement dit le peuple mobilisé: cet épisode n’a rien de spécifique, il s’agit d’un rite romain banal célébré dans un contexte spécifique; 2) le texte d’Ammien Marcellin, quant à lui, est parfaitement clair et explicite, et ne se trouve nullement hors sujet, comme M. Kajava a l’air de penser, puisqu’il y voit «des soldats ivres volant de la viande dans des sanctuaires publics»23. Il suffit de lire le texte d’Ammien: «Julien inondait les autels, avec une fréquence excessive, des flots du sang des victimes, immolant parfois cent taureaux, d’innombrables troupeaux de petit bétail divers et des oiseaux blancs qu’on allait chercher sur terre et sur mer24. Au point que, chaque jour ou presque, les soldats, devenus obèses à force de se gaver de viande, menaient une vie fort indisciplinée, et qu’abrutis par leur ivrognerie ils étaient transportés sur les épaules des passants jusqu’à leurs logements, à travers les avenues, 18

Ammien, 22, 12, 6. Scriptores Historiae Augustae, Vit. Aur. 12, 2. 20 CIL XI, 3303 (ILS 154). 21 Suétone, Dom. 4, 12. 22 Flavius Josèphe, BJ 7, 1, 16: Pavntwn de; tetimhmevnwn o{pw" [a ‘ n] aujto;" e{kaston hjxivwse, th/` sumpavsh/ stratia/` poihsavmeno" eujca;" ejpi; pollh/` katevbainen eujfhmiva/ te pro;" qusiva" ejpinikivou", kai; pollou`` bow`n` plhvqou" toi`" ` bwmoi`" ` paresthkovto" kataquvsa" a{panta" th/` stratia/` diadivdwsin eij" eujwcivan («Lorsqu’ils eurent tous reçu la récompense dont il jugeait chacun digne, il acquitta les vœux pour l’ensemble de l’armée, descendit de la tribune au milieu de nombreuses acclamations et célébra les sacrifices en l’honneur de la victoire; une grande quantité de bœufs furent amenés près des autels; il les immola tous et les distribua à l’armée pour un banquet»). 23 Kajava 1998: 119, n. 32. 24 Malgré l’exagération rhétorique, cette information est intéressante, car elle confirme les sacrifices de volatiles peu attestés dans les textes, mais bien par les fouilles archéologiques. 19

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Manger avec les dieux depuis les temples publics où ils se laissaient aller à des banquets qui méritaient plutôt le châtiment que l’indulgence»25 (trad. CUF). Le commentateur de l’édition d’Ammien dans la Collection des Universités de France a fort bien compris l’allusion: «Les viandes des sacrifices étaient consommées par les fidèles, et les soldats, en service commandé, devaient manifester une piété intéressée». Les publicæ ædes, ajoutet-il, en se référant à ce que Rolfe, l’auteur de l’Ammien dans la Collection Lœb, avait déjà vu, «sont les temples où avaient lieu ces sacrifices». Je ne vois pas comment on peut lire différemment ce passage qui établit formellement le lien sacrifice-banquet public. Il s’agit de rites liés à l’empereur, ou de rites locaux que Julien tentait de ranimer, mais en tout cas, de sacrifices dans des temples publics, suivis de banquets auxquels les soldats sont censés se rendre, ou se rendent parce qu’il y a beaucoup à manger. Malgré la date et le contexte particuliers, ce témoignage précis ne peut pas être récusé; 3) l’exemple suivant s’inscrit également dans un contexte particulier, comme je l’avais signalé en 1985, car il est vraisemblable qu’il s’agit d’une histoire inventée. Non inventée, en revanche, semble être la formule employée26. Il s’agit d’un banquet public, dont la relation avec le sacrifice est clairement indiquée par l’emploi du terme de hostia. Et un banquet public de ce type est un banquet de viande sacrificielle, qu’il s’agisse de sénateurs, de chevaliers ou de simples citoyens romains: ce qui changeait, c’étaient les parts et les différents privilèges concernant l’élite, mais non le rite. L’intérêt de ce document réside dans l’estimation des sportules. Au lieu de spécifier que le banquet des sénateurs et des chevaliers sera évalué à des sportules de tant de deniers ou de sesterces, comme sur d’innombrables tarifs de banquets, notre texte évalue l’importance du banquet en nombre et types de victimes. Sans l’emploi du terme hostia, nous serions incapables d’affirmer que le conuiuium publicum en question était en fait lié à un sacrifice, d’une manière ou d’une autre: ou bien le banquet était immédiatement précédé du sacrifice des victimes mentionnées, ou bien ceux qui devaient le préparer se procuraient les carcasses de victimes auprès des temples ou des bouchers vendant la viande sacrifiée; 4) le passage de Suétone27 est plus vague, il est vrai. Le chapitre où il figure concerne les spectacles et jeux célébrés par Domitien, dans l’ordre les spectacles de l’amphithéâtre et du cirque en général, les Jeux séculaires, le Concours Capitolin, les Quinquatrus dans sa villa d’Albe, et enfin notre passage: «Il fit trois fois distribuer au peuple 300 sesterces par tête, et lui offrit, au cours d’un spectacle, un festin des plus magni-

25 Ammien 22, 12, 6: Hostiarum tamen sanguine plurimo aras crebritate nimia perfundebat, tauros aliquotiens immolando centenos, et innumeros uarii pecoris greges, auesque candidas terra quæsitas et mari, adeo ut in dies pæne singulos milites carnis distentiore sagina uictitantes incultius, potusque auiditate corrupti, umeris inpositi traseuntium, per plateas ex publicis ædibus, ubi uindicandis potius quam cedendis conuiuiis indulgebant, ad sua diuersoria portarentur. 26 Scriptores Historiae Augustae, Vit. Aur. 12, 2: Conuiuium autem publicum edi iubebis senatoribus et equitibus Romanis, hostias maiores duas, minores quattuor («Tu feras, d’autre part, donner un banquet public aux sénateurs et aux chevaliers romains et apporter des victimes pour le sacrifice, deux grosses et quatre petites»). 27 Suétone, Dom. 4, 5: Congiarium populo nummorum trecenorum ter dedit atque inter spectacula muneris largissimum epulum Septimantiali sacro, cum quidem senatui equitique panariis, plebei sportellis cum obsonio distributis initium uescendi primus fecit.

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John Scheid fiques, lors des fêtes du Septimontium28: dans ces circonstances, les vivres (obsonium) furent distribués aux sénateurs et aux chevaliers dans des corbeilles à pain (panariis), à la plèbe dans de petits paniers (sportellis), et ce fut lui-même qui donna le signal du manger». On voit que le lien n’est pas explicite; 5) M. Kajava considère que la relation exacte entre le sacrifice et le banquet public n’est pas spécifié dans l’inscription de Forum Clodii29. Commentons de près ce texte exceptionnellement précis: Sous le consulat de Tibère César pour la troisième fois, et celui de Germanicus César, pour la deuxième fois [= 18 ap. n.è.], sous les IIvirs Cnæus Acceius Rufus Lutatius, fils de Cnæus, de la tribu Arnensis, et Titus Petilius, fils de Publius, de la tribu Quirina, on a décrété: – une chapelle et ces statues, une victime pour la dédicace; – les deux victimes qui sont immolées à l’occasion de l’anniversaire d’Auguste, le 22 septembre, d’après une coutume perpétuelle auprès de l’autel qui a été dédié à la Puissance auguste, doivent être immolées les 22 et le 23 septembre; – de même, qu’à l’occasion de l’anniversaire de Tibère César (16 novembre) qu’ils célébreront perpétuellement, les décurions et le peuple banquettent – vu que Quintus Cascellius Labeo promet de couvrir cette dépense pour toujours, que des grâces soient rendues à sa munificence! – et que lors de cet anniversaire soit sacrifié chaque année un veau …

Le texte doit être bien compris. Il prescrit, d’une part, un certain nombre de financements pour l’aménagement d’un lieu de culte, de l’autre, les obligations religieuses attachées à ce lieu. D’abord il prévoit les frais de construction de la chapelle pour les statues des deux empereurs et de Livie, auxquels s’ajoute la victime offerte lors de la dédicace. C’est de toute évidence sur cette chapelle ou sur une stèle placée à proximité que l’inscription fut gravée. Le passage est laconique pour ce qui concerne notre problème, car il précise uniquement que la cité finance la victime sacrifiée lors de la

28 Passage corrompu: epulum Septimontiali† sacrorum. Faut-il comprendre epulum Septimontiali sacro[rum], c’est-à-dire «banquet lors des fêtes du Septimontium» ou «le banquet des sacrifices ou des rites du Septimontium»? Dans le deuxième cas, le texte cesserait d’être vague et fournirait un argument direct en faveur de mes reconstructions. 29 CIL XI, 3303 (ILS 154), Forum Clodii, Étrurie: Ti. Cæsare tert. Germanico Cæsare iter. cos./ Cn. Acceio Cn. f. Arn. Rufo Lutatio, T. Petillio P. f. Qui. IIuir., / decreta: Aediculam et statuás hás, hostiam dedicationi. Victimæ natali Aug. VIII k. Octobr. duæ, quæ p(er)p(etuo) /5 inmolari adsueta[e] sunt ad aram, quæ Numini Augusto dedic. est, VIIII et VIII k. Octobr. / inmolentur; item natali Ti. Cæsaris perpetue acturi decuriones / et populus cenarent, – quam inpensam Q. Cascell[i]o Labeone / in perpetuo pollicenti, ut gratiæ agerentur munificentiæ eius – eoque, natali ut quotannis uitulus inmolaretur. /10 Et ut natalibus Augusti et Ti. Cæsarum, prius quam ad uescendum / decuriones irent, thure et uino Genii eorum ad epulandum ara / Numinis Augusti inuitarentur. / Ara(m) Numini Augusto pecunia nostra faciendam curauimus; ludos / ex idibus Augustis diebus sex p(ecunia) n(ostra) faciendos curauimus. /15 Natali Augustæ mulsum et crustlum mulieribus uicanis ad / Bonam deam pecunia nostra dedimus. / Item dedicatione statuarum Cæsarum et Augustæ mulsum et crustla / pecunia nostra decurionib. et populo dedimus, perpetuoque eius die / dedicationis daturo[s] nos testati sumus, quem diem quo frequentior quod/annis sit, seruabimus VI idus Martias, qua die / Ti. Cæsar pontif. maximus felicissime est creatus.

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Manger avec les dieux dédicace. Je rappelle, toutefois, que de nombreuses inscriptions précisent que lors des dédicaces de statues ou d’édifices, on organise des banquets. Dans un deuxième temps, le décret ordonne de sacrifier deux victimes à l’occasion de l’anniversaire d’Auguste, les 22 et 23 septembre; aucun financement public n’est prévu, puisque la coutume existe déjà (inmolari adsueta[e] sunt), en vertu d’une décision précédente qui est sousentendue. Le texte prescrit ensuite de célébrer chaque année l’anniversaire de Tibère par un banquet des décurions et du peuple, et de sacrifier chaque année un veau en ce jour. En même temps, les IIvirs remercient Cascellius pour le geste évergétique par lequel il réglait perpétuellement cette dépense, celle du banquet et sans doute celle du veau. Sans vouloir forcer le sens du texte, il faut se demander quel peut être le rapport entre ces sacrifices et ces cenæ. La formulation est ambiguë pour l’anniversaire d’Auguste, car le texte ne mentionne que les sacrifices, alors qu’il est certain qu’à cette occasion également il y avait un banquet; pour le natalis de Tibère, les deux sont mentionnés, juxtaposés. La viande des sacrifices des 22 et 23 septembre était-elle simplement vendue en boucherie? ou distribuée sans banquet? Celle du 16 novembre étaitelle achetée en boucherie? N’y avait-il aucun rapport entre le banquet et le sacrifice du 16 novembre? Il est difficile de répondre à toutes ces questions, mais j’ai davantage de problèmes en supposant que ce rapport n’existe pas que dans le cas contraire. Le décret ordonne ensuite «que, lors des anniversaires d’Auguste et de Tibère Césars, avant que les décurions aillent manger, leurs Génies30 soient invités par l’encens et le vin au repas sur l’autel de la Puissance auguste». Ce passage me paraît tout à fait clair. Il établit un parallélisme entre le banquet (epulandum) des divinités, sur l’autel, et celui des décurions (uescendum). Cette disposition du décret pose clairement la question qui nous intéresse: que vont manger les Génies des princes? que vont manger les décurions et le peuple? Commençons par les Génies. Que signifie la formule «inviter par l’encens et le vin»? D’abord, comme Paul Veyne31 le suppose, que les célébrants les invitent à haute voix lors de la præfatio du sacrifice. La formule implique-t-elle que les divinités consomment seulement l’encens et le vin? C’est possible, car d’autres documents désignent les offrandes faites au milieu des banquets comme des sacrifices. Les arvales sacrifient également par l’encens et le vin, notamment après le premier service du banquet sacrificiel qui a lieu après le sacrifice de l’agnelle, le deuxième jour du sacrifice32. Le “banquet” de la déesse33 précède celui des prêtres, de la même manière qu’à Forum Clodii les Génies banquettent avant les décurions. Au contraire, lors des services qui se déroulent à Rome, le premier et le troisième jour du sacrifice à Dea Dia, les arvales ne font que banqueter, et le sacrifice par l’encens et le vin qui a lieu pendant le banquet (donc après la 30

Il s’agit des Génies d’Auguste et de Tibère. On notera le flottement qui existe encore à cette date quant aux formes du culte impérial. Après la divinisation d’Auguste, en 14 ap. J.-C., l’invocation aurait dû s’adresser au Divin Auguste et au Génie de Tibère. Il n’est pas impossible que le rédacteur du document se soit inspiré d’un décret sur la célébration de l’anniversaire d’Auguste antérieur à l’année 14 et sur lequel figurait fort justement l’invocation au Génie d’Auguste. 31 Veyne 2000: 7. 32 Scheid 1990: 634 sq. (le texte est restitué, mais pratiquement certain); voir aussi ibid. 640, le sacrifice le soir du deuxième jour in domo magistri. 33 L’utilisation de ce terme est autorisé, non seulement par le décret de Forum Clodii, mais par les commentaires des arvales, d’après lesquels la Mater Larum reçoit des arvales une cena, voir Scheid 1998: 334, n° 114, col. II, l. 24.

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John Scheid première partie du banquet des prêtres) se conclut par une offrande de céréales, conformément à l’enjeu du rite34. Mais il n’est jamais question d’immolation, de victimes ou d’exta dans ces sacrifices ture et uino ou à l’aide de céréales. Reste donc à savoir si les divinités invitées par les décurions de Forum Clodii sont censées manger autre chose que l’encens et le vin. Par référence à certains calendriers35, on pourrait être tenté de remplacer dans le décret l’injonction de sacrifier par l’encens et le vin par la mention Genii… ture et uino supplicarentur. Je pense toutefois que la formule est elliptique, comme le sont souvent celles des documents sacrificiels, même dans les commentaires des arvales. Le décret de Forum Clodii énonce sans doute de cette manière qu’il convient de sacrifier avant d’aller banqueter, autrement dit, qu’il faut célébrer la præfatio, et offrir, après leur cuisson, les exta, avant d’aller banqueter. Surprenante et intéressante demeure la locution par laquelle cette prescription, habituellement implicite, est énoncée: que les Génies «soient invités … au repas sur l’autel de la Puissance auguste». Elle trahit que les rédacteurs de ce texte avaient conscience de ce que le sacrifice représentait, au sens littéral, un banquet parallèle des divinités et des humains. Comme c’est généralement le cas pour les documents de ce type, la rédaction du décret est un peu embrouillée, mais le sens est clair. Le décret mentionne explicitement trois sacrifices (dédicace et anniversaire, natales d’Auguste et de Tibère) et trois distributions ou banquets (dédicace, anniversaire de Tibère, anniversaire de Livie). Seul dans le cas de l’anniversaire de Tibère le lien entre sacrifice et banquet est évident. Mais on comprend pourquoi. Comme il s’agissait de souligner une évergésie, le texte précise qu’en ce jour les décurions et le peuple banquettent, en ajoutant ensuite le tarif sacrificiel: un veau. Pourquoi les sacrifices du natalis d’Auguste et l’anniversaire de la dédicace ne seraient-ils pas suivis de banquets? Une preuve indirecte en est donné par le fait que l’anniversaire de Livie est fêté, comme celui de Tibère par une distribution; par ailleurs, on apprend que lors de la dédicace, outre la distribution de gâteaux et de moût, la cité offrait une victime36. Rien ne permet de conclure de ce texte que la divinité recevait également une part de la distribution de crustulum et de mulsum. On pourrait penser à une forme mineure de sacrifice, à une libation accompagnée de friandises, telle que Dea Dia la recevait au cours du sacrifice annuel offert par les arvales37. Le seul argument que nous puissions invoquer consiste dans le fait que la distribution aux matrones a lieu devant le temple de Bona dea, la déesse matronale typique. Donc l’hypothèse qu’une partie de ces aliments ait été également offerte à Bona dea pour honorer l’anniversaire de Livie, la matrone la plus éminente de Rome, ne serait pas absurde. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une forme mineure de distribution par rapport à la distribution de viande, qui doit traduire la relative infériorité des femmes par rapport aux hommes. On notera par ailleurs que le décret n’évoque pas un sacrifice à la Junon de l’Augusta38, parallèle aux sacrifices offerts aux

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Scheid 1990: 647 sq. Je pense au Feriale Cumanum: A. Degrassi, Fasti anni Numani et Iuliani. (Inscriptiones Italiae. XIII, 2), Rome, 1963, 279 et à celui de Doura Europos (Fink 1940). 36 L. 15 sq.: «Nous avons pris soin de faire faire à nos frais [= les IIvirs] l’autel à la Puissance auguste. Nous avons pris soin de faire célébrer à nos frais des jeux pendant six jours à partir des ides d’août [= 13 août]. Lors de l’anniversaire de Livie [= 30 janvier], nous avons distribué auprès du temple de Bona dea, à nos frais, des gâteaux et du moût aux matrones des uici. 37 Scheid 1990: 611-615; 658-660. 38 La Iuno d’une femme est l’équivalente du Génie d’un homme. 35

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Manger avec les dieux Génies des Augustes. Dans la mesure où ces sacrifices sont attestés plus tard39, il n’est pas exclu que Tibère, qui refusait que l’on accorde trop d’honneurs à sa mère ait recommandé cette hiérarchie des rites. Mais on peut également songer à des traditions locales. Comment expliquer toutefois, la distributions de friandises et de moût le jour et l’anniversaire de la dédicace des statues? Le sacrifice offert lors de la dédicace ne donna-t-il lieu à aucune distribution de viande? On doit aussi se demander à quelle divinité s’adressait la hostia offerte le jour de la dédicace. Étant donné que la dédicace coïncide avec l’anniversaire de l’élection de Tibère au grand-pontificat, le Génie de Tibère serait un bon candidat, mais on peut également songer au Numen augustum. Quoi qu’il en soit, et sans vouloir rechercher une unification de toutes les pratiques sacrificielles, ou exclure que la variété des sacrifices et celle des banquets qui y étaient liés d’une manière ou d’une autre aient été plus grandes qu’on ne l’imagine, je suis d’avis que les dispositions du décret sont formulées de manière laconique. Et comme c’est souvent le cas, le résumé cache une séquence plus complexe de rites. Autrement, on se demande ce que devient ou deviennent la ou les victimes mentionnées à propos des natales. Car s’il y a immolation, près de l’autel, il y a eu offrande d’exta et récupération de viande. Pour notre propos, de toute façon, ces détails ne changent rien, car même si cette viande était livrée aux bouchers ou vendue par les sacrificateurs, le lien avec le sacrifice existerait. Mais revenons aux banquets. On notera que seuls les décurions sont concernés par l’injonction concernant l’invitation des Génies, alors que le peuple participe lui aussi à ces banquets publics, du moins le 16 novembre. S’il ne faut pas y reconnaître une simple maladresse du rédacteur ou du quadratarius, cette nuance est intéressante. Les décurions seuls seraient censés manger avec, c’est-à-dire après les Génies des Césars. Ou du moins, leur banquet seul mériterait d’être mentionné dans ce contexte. Le banquet des décurions aurait un rapport immédiat avec le sacrifice, et sans doute se déroulait-il à proximité de l’autel en question. On ne peut manquer d’établir un parallèle avec le sacrifice de l’Epulum Iouis des Jeux romains et plébéiens, lors duquel les sénateurs banquettent au Capitole, devant le lit de table (puluinar) du dieu suprême, une fois le sacrifice célébré40. Il est néanmoins possible et même vraisemblable que le banquet populaire ait également été en relation directe avec ce sacrifice. Il faut, à ce point, poser une question matérielle que M. Kajava pose également41, celle des quantités de viande disponibles lors de ces sacrifices. Quel est le nombre de personnes qui pouvaient banqueter avec la viande d’un veau? On ignore quelles étaient les victimes offertes lors de l’anniversaire d’Auguste: deux béliers, deux taureaux? Les deux sont possibles42. Quoi qu’il en soit, la viande produite par ces sacrifices suffisait pour nourrir un nombre important de personnes. D’après Patrice Méniel43, un mouton romain peut donner 20 à 25 kg de viande soit 200 à 250 portions de 100 g, un veau de 1 à 2 ans environ 100 kg, soit 1000 portions de 100 g, et un bœuf 300 kg, soit 3000 portions de 100 g. Si on augmente un peu les rations, on arrive à un nombre de rations un peu inférieures, et si l’on admet, suivant les règles de partage romaine que 39

Sur les comptes rendus des arvales, les sacrifices à la Concordia ou à la Junon de l’impératrice apparaissent sous Néron (Scheid 1998 n° 25-26 en 58-59, n° 29, en 63; n° 30, en 66). 40 Wissowa 1912: 423. 41 Voir ci-dessous. 42 Le Génie reçoit des victimes non châtrées. 43 Communication orale. Voir en dernier lieu, Méniel 2001. Lepetz 1996: 137-138 propose des chiffres voisins pour les animaux gallo-romains (320 kg pour le bœuf, 104 kg pour le porc, 18 kg pour les caprins). Pour d’autres calculs voir Wörrle 1988: 254 sq., n. 160.

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John Scheid certains recevaient davantage que d’autres, il convient de revoir ces rations à la baisse. Néanmoins, on constate qu’il est possible d’imaginer des banquets impliquant un nombre important d’invités. Le sacrifice du veau pouvait ainsi servir à offrir un banquet de 500 à 1000 personnes, et si l’on sacrifiait un taureau, entre 1500 et 3000. Ce nombre de rations ne porte, toutefois, que sur la viande produite par la victime citée. Mais était-ce la seule? Au moins lors de l’anniversaire de Tibère, les frais du banquet étaient offerts par un bienfaiteur. Que faut-il comprendre par là? L’évergète payaitil les victimes, et seulement les victimes? Ou bien fournissait-il également le pain, le vin, et la viande supplémentaire requise pour un grand banquet? Ou donnait-il seulement le banquet? En posant ainsi la question pour le banquet de l’anniversaire de Tibère, on se rend compte de la relative absurdité de nos spéculations sur les liens entre le sacrifice et le banquet. Si le sacrifice produisait entre 500 ou 1000 rations de viande de 100 à 200 g, on voit mal pourquoi l’évergète aurait acheté d’autres viandes pour le banquet célébré le même jour, en liaison directe avec le sacrifice. De toute évidence, il s’agit d’une seule et même dépense qui concernait le sacrifice et le banquet. S’il faut spéculer sur la distribution, il convient de se demander plutôt si le bienfaiteur complétait éventuellement la viande sacrificielle proprement dite à l’aide de viande achetée pour produire la quantité voulue de parts. Car il n’est pas évident que les tarifs sacrificiels suffisaient toujours pour nourrir correctement un groupe plus important, malgré la quantité relativement importante de viande produite par un sacrifice. Pour augmenter la quantité de viande, on pouvait, soit associer d’autres victimes à celles qui étaient prévues, soit apporter d’autres mets. * Tout en accordant à M. Kajava ses justes observations sur la sémantique de uisceratio, et sa conclusion, bien étayée, que le terme uisceratio ne renvoie pas systématiquement à un banquet sacrificiel, il faut reconnaître que son étude porte davantage sur l’ambiguïté des sources que sur le fond du problème. La question que j’avais essayé de poser en 1985 et continue de poser est beaucoup plus simple: puisqu’il y avait des sacrifices publics à Rome, que devenait la viande de ces sacrifices? et puisqu’il y avait des banquets publics, le plus souvent, sinon toujours, lors de fêtes religieuses publiques ou privées, d’où provenait la viande consommée lors de ces banquets? Le fait que les tarifs de banquets publics soient elliptiques ne me trouble guère, puisque l’intention de ces documents était uniquement de fixer des tarifs pour des pratiques connues de tous. Et le fait que ces tarifs sont exprimés en monnaie et que la distribution se fait même sous forme de monnaie, ne s’oppose pas à l’hypothèse que l’on ait pu utiliser la «sportule» pour acheter de la viande en boucherie44. Il peut s’agir de jargon presque 44 Dans le cas où il n’y avait pas de banquet organisé sur place, mais seulement une distribution, le problème était plus simple puisque le bienfaiteur donnait à chacun un montant en argent correspondant à son rang, avec lequel il pouvait en principe acheter de la viande. Dans le cas présent, toutefois, il y eut des repas collectifs en règle et le problème se pose donc autrement: il faut disposer d’une quantité suffisante de viande. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’indication des seuls montants monétaires servant à évaluer les sportules distribuées n’implique pas forcément qu’il n’y avait pas de banquets. Les arvales eux aussi recevaient une sportule de 100 deniers par jour, et pourtant on sait qu’ils banquetaient en fait pour un montant de 100 deniers. Voir Scheid 1990: 514-516; 529 sq. Le système est sans doute beaucoup plus compliqué que nous ne le supposons. Il est urgent de refaire le travail de Toller 1889, d’un point de vue ouvert à toutes ces questions matérielles.

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Manger avec les dieux incompréhensible pour nous, qui exprimait en valeur monétaire la hiérarchie des parts et le montant des financements nécessaires, et passe sous silence ce qui se passait ensuite. Notre réflexion aboutit, en fait, à une deuxième question, qui est centrale: pouvait-on banqueter entre mortels, sans partager avec les dieux? pouvait-on abattre un animal sans sacrifier, sans un partage, même minimal, avec les dieux? Dans beaucoup de religions, c’est ainsi. Qu’en était-il à Rome? Autrement dit, que faire du témoignage de Varron cité ci-dessus45? À la première lecture, on a l’impression que Varron distingue le bétail sacrificiel de celui qui est seulement destiné à l’abattage. Or, si les sacrifices produisaient autant de viande46, pourquoi avait-on besoin de viande non sacrifiée? Pour suppléer aux déficits de viande lors des mois qui ne comportaient pas beaucoup de grandes fêtes, et plus généralement pour garantir un approvisionnement constant. Mais considérons ce texte extrait des Guerres civiles d’Appien, qui aide à poser la question autrement. Lorsque Décimus Brutus se rend compte, en 44, que la situation évolue à son désavantage, il se décide à se mettre en route sans attendre Marc Antoine: «Puis, levant le camp, il se retira en direction de l’Italie: partout, considérant qu’il partait, on le laissait entrer, et finalement, lors de son passage à Modène, une ville prospère, il fit fermer les portes, employa les ressources des habitants pour se procurer des vivres, fit sacrifier et saler tout le bétail qui se trouvait là, par crainte d’un siège prolongé et se mit à attendre Antoine»47. Une vérification dans la littérature grecque d’époque impériale fait découvrir que kataquvein était toujours employé au sens de «sacrifier», et non d’«abattre», slaughter, comme le traduit, significativement, le traducteur d’Appien dans la collection Loeb48. Ainsi un général romain prend-il la peine, dans une situation très critique, de «sacrifier» tout le bétail qu’il peut trouver, de le faire saler pour en faire des provisions pour le siège qui menaçait. Outre le fait que ce passage prouve que la viande salée pouvait provenir d’animaux sacrifiés, ce témoignage paraît attester que tout abattage était en fait un sacrifice, même quand il s’agissait d’un abattage en masse. Ou plutôt il mon-

45

Voir p. 277, n.15. Pour d’autres données voir J. Scheid, Quand faire, c’est croire. Les rites sacrificiels des Romains, Paris, 2005, 229-235. 47 Appien, Bellum Ciuile 3, 8, 198: … kai; ajnazeuvxa" ejcwvrei th;n ejpi; th`" ` ∆Italiva", uJpodecomevnwn aujto;n wJ" ajpiovnta pavntwn, mevcri Moutivnhn parodeuvwn, povlin eujdaivmona, tav" te puvla" ajpevkleie kai; ta; tw`n` Moutinaivwn ej" ta;" trofa;" sunevferen, uJpozuvgiav te o{sa h\n katevque kai; ejtarivceue devei, mh; crovnio" hJ poliorkiva gevnoito, kai; to;n ∆Antwvnion uJpevmene. 48 Strabon: passim; Plutarque: 10 occurrences; Élien: 15 occ.; Flavius Josèphe (9 occ.). Appien emploie le même verbe dans deux autres passages. Dans le premier, Mithridatica 102, 471, il s’agit du sens sacrificiel. Dans le second, Mithrid. 38, 147, on peut hésiter: il s’agit du siège d’Athènes par Sylla et de l’assaut, quand les Romains se rendent compte que les Athéniens ont abattu tout leur bétail et même bouilli les peaux pour se nourrir en les léchant, et ont même consommé de la chair humaine. Le verbe employé pour le bétail est kataquvw: faut-il le traduire par «sacrifier» ou par «abattre»? Je pense que le parallèle du passage concernant D. Brutus, le deuxième passage des Mithridatica, ainsi que le consensus des auteurs contemporains, recommandent la première traduction. Voir cependant les remarques de P. Veyne 2000: 14 à propos de quvein. 46

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John Scheid trerait qu’il n’était pas possible d’abattre autrement un animal que de manière rituelle, même quand celui-ci n’était pas destiné à ce que nous appelons un “sacrifice”. Le texte de Varron est d’ailleurs parfaitement clair. Il traite des stipulations du contrat de vente du bétail. Comme le bétail élevé pour l’autel était présélectionné et contrôlé, contrairement aux autres troupeaux, il convenait de formuler, au moment de la vente, des garanties sur la santé des animaux provenant des autres troupeaux, alors que pour les bêtes destinées à l’autel de telles stipulations étaient inutiles. Ce qui ne prouve nullement que le bétail destiné «au couteau» n’était pas sacrifié. Au contraire, d’après le témoignage d’Appien, on peut admettre que tout animal était en fait sacrifié. Certaines victimes étaient présélectionnées, et sans doute sacrifiées lors de cérémonies solennelles, les autres étant sacrifiées par quelques gestes élémentaires ou une formule au moment de l’abattage. Et cette formule et ce geste d’offrande suffisaient pour initier un partage avec les dieux. Solennel ou simple, ce partage énonçait la supériorité et l’immortalité divines face à l’humble mortalité des humains. Que ce partage ait servi également à l’introduction de hiérarchies supplémentaires entre les humains n’enlève rien au fait que les banquets faisaient également plaisir aux convives. Mais ce plaisir et les fins intéressées poursuivies par les uns et les autres ne doivent pas faire oublier l’essentiel: que manger était, à Rome, une activité éminemment religieuse.

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Abstract The paper reacts against the new idea, that the sacrificial banquet among Romans did not exist as a social issue concerning the whole people, that public banquets were “secular” issues, and that merely the matters of supply, political propaganda, and table-company are the point here. Those who express these ideas (Kajava) make some serious mistakes (cf. Plautus, Pseudolus 325-344; Ammianus 22, 12, 6). In an inscription from Forum Clodii (CIL XI, 3303), we examine the very sacrificial banquet in order to display how the banquet could work in a complex society. It is a matter of fact that the flesh of the victims would easily be enough even for the many; sharing perhaps was of money which permitted the purchase meat at the butcher. We also call back to mind that every Roman banquet, be it sacrificial or not (for Varro divides animals intended for butchering from animals bred for the altar), was staging the sharing with the gods. In any case butchering was a ritual act implying a sharing with the gods, even as a simple matter of food supply.

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QUATRIÈME SECTION

RÉINTERPRÉTATIONS DES SACRIFICICES I. Contacts II. Rhétorique et philosophie III. Mutations

ETRUSKISCHE TIEROPFERDARSTELLUNGEN: BILD UND HANDLUNG1 Mareile HAASE Universität Erfurt

I. Problem und Methode 1. Das Problem Ausgangspunkt der folgenden Überlegungen sind zwei Bilder, die offensichtlich dieselbe Handlung zeigen: auf einer schwarzfigurigen Amphore in Dresden2 ebenso wie auf einem Bronzegriffspiegel in Florenz3, beide um 500 v. Chr. entstanden, ist eine Satyrgestalt abgebildet. Sie führt einen Bock zu einem Altar, an dem eine weitere Figur Handlungen mit einer Schale und anderen Gegenständen ausführt. Thema der Darstellung ist ein “Opfer”, eine rituelle Tierschlachtung. Gezeigt ist ein Moment vor der Schlachtung. Im folgenden soll versucht werden, zu einer exakteren Bestimmung dessen zu gelangen, was auf diesen Bildern dargestellt ist. Es wird gefragt, ob es möglich ist, die dargestellten (“Opfer”-)Handlungen als Teile einer größeren rituellen Handlungssequenz zu erklären. Hintergrund dieser Frage ist das in der Forschung gelegentlich vertretene Postulat, daß man aus solchen und vergleichbaren Bildern4 auf praktizierten etruskischen Kult schließen könne. So wurde beispielsweise von einflußreichen Forschern noch in der Gegenwart vertreten, etruskische Ritualdarstellungen, darunter auch die beiden hier behandelten, sollten «documentare adeguatamente il tipo delle cerimonie rituali solenni

1 Den folgenden Überlegungen liegt ein überarbeiteter und stark komprimierter Abschnitt aus

meiner Dissertation «Etruskische Kultdarstellungen. Bild und Handlung», Diss. Tübingen 2000, zugrunde. Die Teilnahme im Kolloquium erfolgte im Rahmen des Procope-Projekts Erfurt-Paris. 2 Etruskisch-schwarzfigurige Halsamphore. Dresden, Staatliche Kunstsammlungen, Skulpturensammlung ZV 1653; ex Sammlung Pollak. Höhe 41,5 cm. Fundort unbekannt. Erstes Viertel 5. Jh. v. Chr.; “Gruppe Vatikan 265”. Beischriften auf der Gefäßseite mit Altar: erzkeli; (a)th rpe th; naste mi. – Beischriften auf der anderen Gefäßseite (Waffentanzdarstellung): hermchiathe mi; step. – Lit. (Auswahl): Herrmann 1898: 134 f. Nr. 20; I. Knoll - V. Kästner in Welt der Etrusker 1988: 151 f. Nr. B 5.33 Abb. S. 151; Martelli 1992: Taf. 73, 3. 4; 74; Cristofani 1995: Taf. 19 a; M. Lesky, Untersuchungen zur Ikonographie und Bedeutung antiker Waffentänze in Griechenland und Etrurien, München, 2000: 192. 273 Nr. Etr 25 Abb. 42. 3 Bronzegriffspiegel Florenz, Museo Archeologico 646. - Höhe 21 cm; Durchmesser 15,5 cm. Aus Palestrina. Um 500 v. Chr. - Lit. (Auswahl): Gerhard 1884-97: 47, Taf. 36; MayerProkop 1967: 21 f. 77-79, 107. 121 Nr. S 19 Taf. 17. 52, 5; Martelli 1992: 344 mit Anm. 9; Cristofani 1995: Taf. 20 b; Naso 1996: 387 Abb. 285; Jannot 1998: 56 Abb. 24. 4 Etruskische Opferdarstellungen sind katalogisiert in Haase 2000.

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Mareile Haase nelle prescrizioni»5. Mit den «prescrizioni» sind hier die in dem etruskischen Ritualkalender aus Capua überlieferten Ritualvorschriften gemeint. Auf eine mangelnde Unterscheidung zwischen bildlich dargestelltem und praktiziertem Ritual lassen Formulierungen wie die folgende schließen: «Yet the belief of the Romans that their religious ritual was in large part inherited from Etruria is amply borne out by the evidence from Etruscan art»6. Diese Annahme, daß nämlich bildliche Kultdarstellungen als Dokumente praktizierter Religion interpretiert werden könnten, soll hier am konkreten Beispiel der vorliegenden Bilder kritisch hinterfragt werden. Mit solchen Bildern verbunden ist noch eine weitere Annahme. Solche Bilder, die, wie die hier vorliegenden, Zeichen enthalten, die auf Dionysos verweisen – darunter vor allem Zeichen für Weinherstellung und -verbrauch: Reben, Trauben, Trinkgefäße, aber auch die als Satyrn bezeichneten Mischgestalten aus Mensch und Pferd oder “ekstatische”, ausgreifend sich bewegende Frauenfiguren, schließlich narrative Darstellungen von Szenen aus mythischen Stoffen um Dionysos –, sind auf Gegenständen etruskischer Herstellung häufig zu sehen, insbesondere auf den Tongefäßen7. Sie wurden für eine Verbreitung dionysischer Kulte, und zwar insbesondere dionysischer Mysterien in Etrurien, in Anspruch genommen8. So ist beispielsweise von einer «ampia diffusione di Baccanali» die Rede; «le associazioni di Baccanti [in Etruria] ... sono precedute da una messe di ceramiche figurate con scene e simboli connessi con i culti dionisiaci»9. Die Annahme, die etruskischen Bilder mit “dionysischen” Zeichen zeigten etruskische Kulthandlung, und zwei weitere Vorannahmen der Forschung haben sich gegenseitig unterstützt. Erstens wurden von einflußreichen Autoren wie Thulin sogenannte «orphische»10 oder «orphischdionysische Strömungen» als Bestandteile etruskischer Religion diskutiert; die Annahme ihrer Existenz wird bis heute in der Forschung vertreten11. Zum anderen hat der Bericht des Livius über den sogenannten “Bacchanalienskandal”12 dazu geführt, eine dionysische Massenbewegung in Etrurien zu postulieren, die mit den Dionysos-Zeichen auf Bildern verbunden wurde13. Eine Analyse der psychagogischen Mittel und der gattungsmäßigen Bedingtheit der Topoi, mit deren Hilfe Livius seinen Text bewußt tendenziös gestaltet14, steht im Vordergrund

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Cristofani 1995, 113 f. Scott Ryberg 1955: 17. 7 Vgl. nur die Zusammenstellung der früheren Produkte faliskischer Keramikwerkstätten bei Adembri 1987. 8 Vgl. z.B. Bomati 1983: die von den etruskischen Vasenmalern ausgewählten Themen des Dionysos-Mythos bezögen sich auf Jenseitshoffnungen, also seien sie Belege für dionysische Mysterien. Vorsichtiger z.B. Colonna 1991. 9 Cristofani 1986: 531. 10 Vgl. etwa Thulin 1909: 59-61. Er spricht S. 59 von der «sicheren Erkenntnis ..., daß orphisch-pythagoreische Weisheit von Unteritalien nach Etrurien und Rom hinaufgewandert ist». 11 Vgl. z.B. Aigner-Foresti 1998: 191, die von «orphisch-pythagoreischem ... Einfluß» spricht. 12 Livius 39, 13 ff., sehr ausführlich kontextualisiert in Pailler 1988. 13 Der Livius-Text ist als Plateau für die eigenen Orgien-Phantasien benutzt z.B. von Kern 1935: 1304-1306, der von «wildem Jubel und berauschendem Trunk» spricht, von «Unzucht in schamloser Weise», von «Ausschweifungen» und «wüstem Treiben», von «rituellen Morden» und einer «Volkskrankheit», die der Senat «auszurotten» beabsichtigt habe. 14 Cancik-Lindemaier 1996; Walsh 1996. 6

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Etruskische Tieropferdarstellungen erst jüngerer Publikationen15; ferner wurde darauf hingewiesen, daß etwa archäologische Belege, die den Livius-Text ergänzen könnten, fehlen16. Dennoch besteht die alte Auffassung weiter17. Ein Grund dafür, daß sich die Annahme einer “etruskischen Orphik” so lange und so erfolgreich halten konnte, kann gerade darin gesehen werden, daß zwischen Bild und (Kult-)Handlung nicht immer ausreichend deutlich unterschieden wurde. Um die Frage nach dem Verhältnis von Bild und Handlung zu überprüfen, soll daher im folgenden versucht werden, die auf den Bildern gezeigten Handlungen so exakt wie möglich zu bestimmen und die dargestellte “Opfer”-Handlung in einen möglichst präzisen rituellen Kontext einzuordnen. – Für den zweiten, komplementären Schritt der Untersuchung, nämlich für eine Überprüfung der tatsächlich vorhandenen Belege für praktizierte Dionysos-Religion in etruskischen Städten – zu denken ist hier vor allem an Votivinschriften und an die allerdings weniger eindeutigen Befunde einiger Heiligtümer –, kann hier aus Platzgründen nur knapp auf die Ergebnisse der eingangs zitierten Arbeit verwiesen werden18: Praktizierte Dionysos-Religion ist in etruskischen Städten den betrachteten Belegen zufolge nur im 5. Jh. v. Chr. in Vulci und im 3. Jh. in Tarquinia (einschließlich des im Einzugsgebiet der Stadt gelegenen Tuscania) nachweisbar. Die Belege dafür sind Votivinschriften, keine eschatologischen Texte: ein Mysterienkult läßt sich aus diesen Quellen nicht sicher rekonstruieren. Der so nachweisbare Votivkult ist nicht gesamtetruskisch, sondern lokal und auch zeitlich deutlich eingrenzbar. Dieses Ergebnis widerspricht der herrschenden Annahme einer dionysischen Massenbewegung in Etrurien und verstärkt dadurch die Notwendigkeit, den Quellenwert der Bilder mit dionysischen Symbolen für praktizierte etruskische Religion kritisch zu hinterfragen. 2. Zur Methode Methodischer Ausgangspunkt eines Abgleichs von Bild- und Handlungsebene ist ein zeichentheoretischer Ansatz. Sowohl rituelle Handlungssequenzen als auch Bilder können als aus einzelnen Zeichen zusammengesetzte Einheiten oder Zeichenkonstellationen aufgefaßt und analysiert werden und können als solche direkt zueinander in Beziehung gesetzt werden. Je spezifischer die Bedeutung des gesamten Zeichens ist, desto geringer ist die Wahrscheinlichkeit, daß Entsprechungen zwischen der bildlichen Ebene und der Handlungsebene auf Zufall beruhen. Die Bedeutung eines zusammengesetzten Zeichens (eines Bildes, einer rituellen Handlungssequenz) ist um so spezifischer, je größer die Anzahl der Zeichenbausteine (Bildzeichen; Handlungselemente) ist, aus denen das zusammengesetzte Zeichen besteht, oder je seltener die Einzelbausteine in der Überlieferung belegt sind. Das rituelle Ausgießen von Flüssigkeiten beispielsweise ist häufig und in den unterschiedlichsten

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Vgl. aber bereits Pfiffig 1975: 295 zur Livius-Passage: «Es ist jedenfalls nicht angängig, aus dem ganzen (angeblichen) Unrat des römischen Bacchanalienprozesses irgendwelche Schlüsse auf den Kult des Dionysos/Fufluns/Pacha in Etrurien zu ziehen» . 16 Frateantonio 1997: 390. 17 Vgl. z.B. Aigner-Foresti 1998: 192: «Über etruskische Bacchanalien erfahren wir kaum mehr als ihre bei Livius ... bezeugte Existenz.»; Kloft 1999: 32-34: Das «Profil der Dionysosbzw. Bacchusfeiern» werde aufgrund der Livius-Passage «für uns halbwegs greifbar». 18 Haase 2000: 289-305.

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Mareile Haase Handlungszusammenhängen belegt19 und daher für sich allein genommen wenig aussagekräftig. Dagegen ist beispielsweise die rituelle Schlachtung eines Ziegenbocks seltener belegt; die möglichen Handlungskontexte, auf die dieses Zeichen verweisen kann, sind begrenzt. Eine aussagekräftige Übereinstimmung besteht dann, wenn eine Konstellation, eine definierte Menge und Anordnung von Zeichen, sowohl auf den Bildern als auch auf der Handlungsebene, soweit sich diese rekonstruieren läßt, nachweisbar ist. Der erste Arbeitsschritt besteht also darin, die Bestandteile, aus denen die Bilder bestehen, und damit auch die gesuchte Zeichenkonstellation, zu identifizieren, um dann nach möglichst detaillierten Entsprechungen auf der Ebene der Handlung, der Kultpraxis, zu suchen.

II. Die Bilder 1. Ikonographie Zu sehen ist auf der Amphore wie auf dem Spiegel jeweils ein Satyr, der sich über einen Bock beugt und ihn zu einem Altar mit sanduhrförmigem Profil zu treiben scheint. Auf dem Spiegel scheint der Satyr den Bock am Hals zu fassen; auf der Amphore scheint er eine Hand an den Hals, die andere auf den Rücken des Tiers zu legen. Vor dem Altar steht jeweils eine Gestalt in langem Gewand, die eine Schale und einen weiteren Gegenstand in der Hand hält und sie mit einer Geste des Gebens über den Altar streckt. So weit stimmt das Bildzeichen-Repertoire auf beiden Darstellungen überein. Auf der Amphore ist eine bislang nicht verstandene Inschrift angebracht20. Sie wurde vor dem Brand aufgetragen und darf daher als integrierender Bestandteil der Darstellung aufgefaßt werden. Sie ist allerdings bislang zu wenig verstanden, um für die hier interessierende Frage nach der dargestellten Handlung hinzugezogen zu werden21. Weitere Unterschiede liegen zum einen darin, daß auf der Spiegelgravur weitere Figuren und Gegenstände dargestellt sind; auf dem Spiegel steht links vom Altar, von der Satyrfigur räumlich überschnitten, ein Doppelaulosbläser in langem Gewand und Mantel22; rechts ist neben der bärtigen Figur noch ein unbekleideter Knabe zu sehen. Zum anderen unterscheiden sich die Bilder in ihrem Aufbau: die Figuren sind sym19

Beispiele zu den unterschiedlichen Handlungszusammenhängen sind zusammengestellt in M. Haase, Artikel «Trankopfer», DNP XII 1, 2002. 20 Die Inschrift auf der hier interessierenden Gefäßseite mit Altardarstellung wurde gelesen erzkele (a) th vpe th masteimi in Welt der Etrusker 1988: 151 f. (Knoll - Kästner). 21 Die Aufschrift ist ausführlich besprochen in M. Haase, Etruskische Altarszenen vorhellenistischer Zeit. Magisterarbeit, Tübingen, 1993: 103. Dort ist für erzkele eine mögliche Lesung erzke vorgeschlagen, da Schrift und Malerei, soweit auf den bei Martelli 1992 publizierten Photographien erkennbar, ineinander überzugehen scheinen. Die Beobachtung wurde übernommen, ohne Verweis auf die von ihm benutzte Magisterarbeit, von Lesky 2000 (s.o. Anm. 2), 193 mit Anm. 776. – Für freundliche briefliche Auskunft zu der Inschrift vom 3.2.1998 danke ich hier noch einmal sehr herzlich Helmut Rix. Die Aufschrift ist nicht enthalten in Rix 1991. 22 Auch auf der Amphore ist ein Doppelaulosbläser abgebildet; er begleitet den Waffentänzer, der auf der anderen Gefäßseite gezeigt ist. Zur Möglichkeit einer inhaltlichen Zusammengehörigkeit beider Gefäßseiten vgl. Martelli 1992, 344 f.

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Etruskische Tieropferdarstellungen metrisch um den Altar gruppiert auf dem runden Bildfeld des Spiegels, linear vor dem Altar gereiht auf dem rechteckigen Bildfeld der Amphore: Die Vermutung liegt nahe, daß die unterschiedliche Anordnung durch die jeweilige Form des Bildfeldes (mit-) bedingt sei. Die stehende Gestalt mit Schale auf dem Spiegel hält in der Rechten einen flachen, in der Linken einen birnenförmig gerundeten Gegenstand; auf der Amphore hält sie eine Henkelschale (Kylix) in der Rechten, in der Linken drei Zweige. Ein kleiner Baum steht auf der Spiegelgravur hinter dem Altar; von seinen Zweigen hängt ein Band23. Der flache Gegenstand, der auf der Spiegelgravur über den Altar gehalten wird, sieht auf der Umzeichnung flach und starr aus, erhält aber auf der Originalgravur durch Punktierung der oberen Umrißlinie eine gerundete Körperhaftigkeit: gemeint sein wird eine Schale ohne Henkel (Phiale). Der birnenförmig gerundete Gegenstand könnte zunächst die Assoziation mit einem Fleischstück oder mit Innereien nahelegen. Er weist aber links einen Stiel auf. Auf dem Original ist eine Binnenpunktierung deutlich sichtbar. Auf einem Bronzeplektron in Frankfurt ist ein ähnlich geformter und strukturierter Gegenstand eindeutig als Weintraube erkennbar. Auch auf dem Spiegel wird eine Traube gemeint sein. Die Punktierung gibt einzelne Weinbeeren an und suggeriert Volumen. Nicht auf der Amphore, aber auf dem Spiegel dargestellt sind schließlich ein Thyrsos-Stab links im Bildfeld, ein Feuer auf dem Altar sowie eine unbekleidete Knabenfigur mit Oberarmreif ganz rechts. Die Figuren sind also auf dem Spiegel symmetrisch je zu zweit um den Altar gruppiert, während sie auf der Amphore vor dem Altar ganz rechts im Bild gereiht sind. Die Figur des Dionysos selbst gehört nicht zum Repertoire der Zeichen. Die Traube, die die bärtige Gestalt auf dem Spiegel in Florenz in der Hand hält, sowie auch die Satyrfigur machen die Vermutung sehr wahrscheinlich, daß er der gedachte Adressat der auf den Bildern gezeigten Kulthandlungen ist. Diese Annahme wird den folgenden Überlegungen zugrundegelegt. Es läßt sich zum einen festhalten, daß beide Darstellungen Bildelemente aufweisen, die auf die rituelle Schlachtung, das “Opfer”, eines Ziegenbocks für Dionysos hindeuten, zum anderen, daß bei allen Unterschieden in der Anordnung das Repertoire der Bildelemente – und darauf kommt es hier an – einen hohen Grad an Übereinstimmung aufweist. Das verdeutlicht auch die folgende Übersicht.

23 Die Größe des Baums, die Blattform und das Band erinnern an die Baumdarstellungen in etruskischen Gräbern, etwa in der Tomba dei Tori; zu diesen Darstellungen Simon 1973: bes. 28-30.

295

Mareile Haase 2. Das Repertoire der Bildzeichen Die folgende Übersicht führt die dargestellten Bildelemente auf: HANDELNDE

GERÄTE/MATERIAL/HANDLUNGEN

EINRICHTUNGEN

Spiegel Florenz: Satyr

Ziegenbock

Treiben

Bärtige Figur mit langem Gewand Traube, Henkelschale

Geben

Instrumentalist

Doppelaulos

Blasen

Unbekleideter Knabe

Altar mit Feuer vor Baum

Amphore Dresden: Satyr

Ziegenbock

Treiben

Figur mit langem Gewand

Zweige, Schale ohne Henkel

Geben

Altar ohne Feuer

Wie die Übersicht zeigt, soll die gesuchte Handlung einen Bock als Schlachttier und eine flüssige Gabe enthalten; unter den Ausführenden sollte die Satyr-Rolle vertreten sein; schließlich sollte die Handlung an Dionysos gerichtet sein. Gesucht wird nach der Zeichenkonstellation Satyr + rituelles Gießen + rituelles Schlachten eines Ziegenbocks + Dionysos. Die Nachweisbarkeit einer rituellen Zeichenkonstellation in dieser Vollständigkeit wäre allerdings ein Idealfall und ist angesichts der im allgemeinen lückenhaften Beleglage zur Rekonstruktion antiker Rituale nicht zwingend zu erwarten. Es bietet sich daher an, von einer kleineren, aber sehr spezifischen Konstellation ritueller Zeichen auszugehen. Eine solche spezifische Konstellation bietet die Kombination “Dionysos + Ziegenbock”.

III. Die Zeichenkonstellation Dionysos + Ziegenbock Mangels erhaltener Texte in etruskischer Sprache wird bei der Suche nach Entsprechungen auf Belege und Forschungen zu griechischen Dionysos-Ritualen zurückgegriffen. Einige der Belege haben dabei den Vorteil, zeitgleich mit den hier interessierenden Bildern entstanden zu sein. Gesucht wird zunächst nach der Kombination der Handlungselemente “Dionysos + Ziege(-nbock)” (aix, eriphos, tragos, chimaros). Als Primärquellen zur Rekonstruktion praktizierter Religion stehen inschriftliche und literarische Texte zur Verfügung. Ihre Zuordnung zu bestimmten Ritualen ist in der Sekundärliteratur meist umstritten; das gilt noch mehr für die Zuordnung von Bildern etwa auf attischen Tongefäßen; ein Beispiel sind hier die “Lenäenvasen”. Grundsätzlich scheint es im Falle des Dionysos-Kults sinnvoll, zunächst den Kult auf der Polis-Ebene, wie er in Athen betrieben wurde, von der Ebene der Mysterien zu unterscheiden24. Im Gegensatz zu den von der Polis Athen organisierten Festen war die formale Ausprägung der Mysterien nicht notwendig ortsgebunden. Sie wurden von privaten Kultvereinen organisiert, nicht vom Staat, außerhalb dessen Einflußnahme 24

296

Zu den Unterschieden vgl. Schlesier 1997: 656.

Etruskische Tieropferdarstellungen sie offenbar standen. Bakchische Mysterien sind in Unteritalien, Thessalien und Kreta durch die früher als “orphisch” eingeordneten Metallinschriften aus Gräbern belegt. 1. Die Zeichenkonstellation Dionysos + Ziegenbock in den griechischen leges sacrae Wichtige Hinweise auf die Bedeutung der Zeichenkonstellation enthalten die sogenannten leges sacrae25. In ihnen ist die Konstellation “Dionysos + Ziegenbock” nicht häufig und erst recht nicht zwingend. In Verbindung mit Dionysos als Kultadressat sind auch andere Schlachttiere belegt26; umgekehrt werden Ziegen(-böcke) auch für andere Gottheiten geschlachtet27. In einigen Inschriften, die das Schlachten einer Ziege erwähnen, ist der Kultadressat nicht erhalten28. Insgesamt erscheint die Zeichenkonstellation also nicht allgemein verbreitet, sondern im Gegenteil sehr spezifisch; aus diesem Grunde ist sie als “leitendes” Zeichen für die Suche nach dem rituellen Muster, das hinter den etruskischen Bildern stehen könnte, sehr gut geeignet: falls sich ein Ritual findet, dessen Bestandteil die besagte Zeichenkombination ist, ist die Wahrscheinlichkeit hoch, daß eben dieses Ritual auch auf den etruskischen Bildern gemeint ist. Folgende Belege für die Zeichenkombination “Dionysos + Ziege(-nbock)” lassen sich auf der Grundlage der Sakralinschriften-Corpora29 aufführen: 1. Thorikos/Attika (ca. 440/420 v. Chr.30): 12. Anthesterion: aix. 2. Erchia/Attika (1. Hälfte 4. Jh. v. Chr.): 2. Anthesterion: eriphos31. 3. Ebendort am 16. Elaphebolion: aix32 . 25

Weitere Belege für die Zeichenkonstellation “Dionysos + Ziegenbock”, die hier aus Platzgründen nicht behandelt werden können, bieten die bakchischen Metallinschriften, der sog. Kalenderfries an der Kleinen Metropolis in Athen sowie Plutarch, De cupiditate divitiarum, 8; dazu Haase 2000: 273-275. 279 f. 26 Rinder (boes): Priene/Kleinasien, 2. Jh. v. Chr.: an Dionysos Phleos: Sokolowski 1955: 105 f. Nr. 37 Z. 11. — Thasos, ausgehendes 4./beginnendes 3. Jh. v. Chr.: Sokolowski 1962: 129 Nr. 70. — Die Wahl einer Ziege für Dionysos ist fakultativ in Sokolowski 1962: 125 Nr. 67, aus Thasos, 4. Jh. v. Chr., alternativ können auch ein Rind oder ein Widder geschlachtet werden; von den hier zusammengestellten Belegen für die Konstellation Dionysos + Ziege bleibt diese Inschrift daher besser ausgeschlossen. 27 Kourotrophos: Sokolowski 1962: 49-54 Nr. 19 Z. 83, Dekret des Genos der Salaminioi, 363/362 v. Chr. (aix).- In Verbindung mit verschiedenen Kultadressaten sind Ziegen (aix) besonders im Kalender von Erchia (1. Hälfte 4. Jh. v. Chr.) erwähnt: Daux 1963: 606 Z. 32-36 (Apollon Apotropaios). 46-48 (Semele). 54-56 (Leto); 607 Z. 11-13 (Artemis). 47-49 (Apollon Pythios); 608 Z. 8-10 (Artemis) 33-35 (Apollon Apotropaios); 609 Z. 8-10 (Artemis); 610 Z. 40-42 (Apollon Nymphegetes). 44-46 (Nymphai). — Allgemein zur Ziege als Schlachttier vgl. van Straten 1995: 171 Anm. 47; 176. 28 Marathon, 4. Jh. v. Chr.: Richardson 1895: 210 f. Kol. 1 Z. 17 f. (tragos); Kol. 2 Z. 34 (aix): der Adressat ist nicht erhalten; es wurde an Apollon Apotropaios gedacht; vgl. Whitehead 1986: 191 mit Anm. 84. — Athen 403/399 v. Chr.: Sokolowski 1962: 27-31 Nr. 10 Kol. B Z. 3: aix. 29 Von Prott - Ziehen 1896-1906; Sokolowski 1955; Sokolowski 1962. — Vgl. zu den Ritualkalendern der attischen Demen zusammenfassend auch Whitehead 1986: 185-208; van Straten 1995: 171-173 (Lit.). 30 Es wurde auch eine Datierung in die 1. Hälfte des 4. Jhs. v. Chr. vorgeschlagen; die Diskussion ist referiert bei van Straten 1995: 171 f. Anm. 48. 31 Daux 1963: 608 Z. 42-47. 32 Daux 1963: 609 Z. 35 f.

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Mareile Haase 4. Mykonos: 10. Bakchion: chimaros an Dionysos Baccheus. 5. Kamiros/Rhodos (1. Jh. v. Chr.33): 10. Panamos: tragos 34.

Tatsächlich enthalten diese Belege bereits einschlägige Hinweise auf das komplexe Ritual, dem die Zeichenkonstellation “Bock + Dionysos” zuzurechnen ist: Von Seiten der Epigraphik wurde vermutet, daß die hier unter 1. 2. 4. und 5. genannten Daten einander entsprechen; daraus wurde gefolgert, daß die aufgeführten Erwähnungen sich auf die Anthesterien beziehen könnten35. 2. Das römische Mosaik in Cuicul/Algerien Eine sehr hohe Übereinstimmung mit der Konstellation der Bildzeichen auf dem etruskischen Spiegel in Florenz und auf der Amphore in Dresden findet sich an eher unerwarteter Stelle und wurde zur Behandlung der etruskischen Bilder bislang nicht herangezogen: es handelt sich um eines der Bildfelder eines um die Mitte des 2. Jhs. n. Chr. datierbaren nordafrikanischen Mosaiks in Djemila/Cuicul (Algerien)36. Auf dem Mosaik ist das hier interessierende Bild von weiteren Bildern umgeben. Es wäre daher denkbar, daß dieser erweiterte Kontext zusätzliche Aufschlüsse über das dargestellte Thema erlaubt. Das soll im folgenden geprüft werden. Zu sehen ist ein Altar, auf dem ursprünglich, vor einer Restaurierung des Mosaiks, noch ein Feuer zu erkennen war37. An dem Altar lehnt ein knotiger Ast, hinter dem Altar steht ein kahler Baum. Von links schleppt ein Satyr einen Ziegenbock an den Hörnern heran. Links, zur anderen Seite des Altars, steht eine bärtige männliche Gestalt in langem Gewand. Sie hält eine Schale über den Altar. Hinter dem Bärtigen steht ein Knabe in knielangem Gewand, der eine Platte mit beiden Händen trägt. Ganz links beschließt ein Sockel das Bild, auf dem eine große Weintraube liegt. An dem Sockel lehnt ein oben gebogener länglicher Gegenstand, vielleicht ein Hirtenstab oder ein Thyrsos. Die folgende vergleichende Übersicht kann verdeutlichen, daß das Repertoire und die Anordnung der Zeichen auf den etruskischen Bildern und auf dem römischen Mosaik weitgehend übereinstimmen:

33

Laut Sokolowski 1962: 172 könnte es sich um die Abschrift eines älteren Textes handeln. Sokolowski 1962: 172 Nr. 104 Z. 3 f. 35 Robertson 1993: 219 f. 36 Das Mosaik von Djemila: Leschi 1936: bes. 150-154 zu dem hier interessierenden Bildfeld mit Satyr und Bock; Dunbabin 1978: 179 f.; Blanchard 1980: Abb. 1. 2; Merkelbach 1988: 224 Abb. 20. 37 Leschi 1936: 150 mit Anm. 1. Vgl. Leschi auch zu den weiteren Restaurierungen, die am Repertoire und an der Konstellation der Bildzeichen jedoch nichts ändern. 34

298

Etruskische Tieropferdarstellungen HANDELNDE Spiegel Florenz: Satyr Bärtige Figur mit langem Gewand Instrumentalist Unbekleideter Knabe Amphore Dresden: Satyr Figur mit langem Gewand

GERÄTE/MATERIAL

HANDLUNGEN/EINRICHTUNGEN

Ziegenbock Traube, Henkelschale Doppelaulos Altar mit Feuer vor Baum

Treiben Geben Blasen

Ziegenbock Zweige, Schale ohne Henkel

Treiben Geben

Altar ohne Feuer Mosaik Cuicul: Satyr Bärtige Figur mit langem Gewand Knabe mit kurzem Gewand

Ziegenbock Schale ohne Henkel Platte Altar mit Feuer vor Baum Traube Knotenstock und gebogener Stock

Treiben Geben

Die deutlichen Übereinstimmungen können als Hinweis darauf gewertet werden, daß den etruskischen Bildern und dem Mosaik derselbe Stoff zugrundeliegt, daß sie dasselbe Thema darstellen. Es stellt sich die Frage, ob der angenommene gemeinsame Stoff, der die hier interessierenden etruskischen Bilder und das Mosaik verbinden könnte, ein mythischer Stoff ist oder ein Ritual oder aber die Aktualisierung eines mythischen Stoffes in rituellem Kontext. Das Mosaik von Cuicul zeigt insgesamt fünf Bildfelder: gezeigt ist im Mittelbild die Verwandlung der Nymphe Ambrosia in einen Weinstock, in den restlichen drei Bildfeldern die Nymphen von Nysa, die den DionysosKnaben säugen, der Dionysos-Knabe, wie er auf einem Tiger reitet, und die Enthüllung des Phallos in einem Liknon. Die hier interessierende Bildszene ist also auf dem Mosaik in einen größeren bildlichen Zusammenhang eingebettet. Seit der Erstpublikation durch Leschi wurde angenommen, daß die hier in Frage stehende Darstellung den Ikarios-Mythos zeige38. Geyer vermutet eine Handlungsdarstellung des Ikarios-Mythos im Rahmen einer Mysterienfeier39. Blanchard denkt an die Lenäen, hält das Mosaik aber gleichzeitig für «profondément mystique»40: Mysterien und städtische Dionysos-Feste sind in Blanchards Interpretation nicht unterschieden. Bei Merkelbach ist das Mosaik dem Kapitel über die Mysterien-Riten zugeordnet41. Es ist also nicht möglich, aus den in 38 Leschi 1936: bes. 152 f. – Ikarios ist ein Hirte in Attika. Er gewährt im Mythos dem Dionysos Gastfreundschaft, der gekommen ist, um den Wein und die Rebe nach Attika zu bringen. Dionysos belohnt den Ikarios mit Wein, den dieser unter den Hirten Attikas verteilt. Betrunken, glauben diese sich vergiftet und erschlagen den Ikarios. Dessen Tochter Erigone sucht ihn überall und erhängt sich, nachdem sie seinen Leichnam gefunden hat. 39 Geyer 1977: 142-153 bes. 148-150. 40 Blanchard 1980: 180 f. 41 Merkelbach 1988: 117-119. – An einen Bezug aller Bildfelder zu Mysterien-Ritualen denkt auch Dunbabin 1978: 179 f.

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Mareile Haase der Sekundärliteratur vorgeschlagenen Interpretationen ohne weiteres auf die Bedeutung des hier interessierenden Bildfeldes zu schließen und so zu versuchen, das mythische und/oder rituelle Muster aufzudecken, das auch hinter den etruskischen Bildern stehen könnte. Auch über die Funktion des Raumes, dessen Fußboden mit dem Mosaik ausgelegt war, lassen sich keine weitere Aufschlüsse gewinnen; die gelegentliche Interpretation als Versammlungsraum eines Mysterienvereins42 beruht auf den Bildern des Mosaiks und enthält daher keinen unabhängigen Hinweis auf die Bedeutung des Bildes. Interessant ist aber die Verbindung mit dem Ikarios-Mythos vor dem Hintergrund einer näheren Betrachtung der athenischen Dionysos-Feste: der IkariosMythos ist Aition für Bestandteile der Anthesterien in Athen; das Mosaik weist insofern in dieselbe Richtung wie die Auswertung der leges sacrae.

IV. Dionysos-Rituale der Stadt Athen 1. Rekonstruktionen der Sekundärliteratur In Athen wurden alljährlich im Winter vier Feste für Dionysos begangen, in der hier aufgeführten Reihenfolge: die Oschophorien, die Großen oder Städtischen Dionysien, die Lenäen, die Anthesterien43. Die Oschophorien, das «Tragen der Weinstöcke», wurden als Weinlesefest erklärt. Weinzweige werden in einer Prozession getragen; ein Tier wird geschlachtet, Lieder und Tänze werden aufgeführt. Die Lenäen umfassen eine Prozession und einen musischen Agon. Bestandteil der Städtischen Dionysien sind eine Prozession, bei der die Nachbildung eines Phallos transportiert wird, und eine weitere Prozession mit Fackeln; im Anschluß wird ein Stier geschlachtet. Es folgen über fünf Tage hinweg die Aufführungen von Dithyrambos, Komödien und Tragödien. Vor den Aufführungen wird ein Schwein geschlachtet und das Theaterrund mit dem Blut markiert. Die Städtischen Dionysien enthalten wahrscheinlich Bestandteile der Ländlichen Dionysien, die in den ländlichen Gebieten Attikas begangen werden, sowie möglicherweise Bestandteile anderer Dionysos-Feste44. Mit den Anthesterien wird das erste Trinken des neuen Weins begangen. Der Wein wird an die Verbraucher verteilt; es folgen Wettrinken, Tierschlachtung, Umzüge. Rituelle Tierschlachtung und Prozession waren wahrscheinlich Bestandteil aller genannten Feste45. Für keines der Feste existiert ein geschlossenes Belegcorpus. Der Ablauf muß aus inschriftlichen und literarischen Belegen rekonstruiert werden46. Die Unvollständigkeit der Belege hat dazu geführt, daß die Rekonstruktionen von verschiedenen Forschern

42 Zum Bauzusammenhang und seinen bisherigen Interpretationen s. Geyer 1977: 152 f.; vgl. Dunbabin 1978: 180. 43 Vgl. zu den Festen Deubner 1932: 93-151; Pickard-Cambridge 1953 (mit reichen Textbelegen); Simon 1983: 89-104; Köhler 1996: 24-27; Schlesier 1997: 658. 44 Vgl. Simon 1983: 101; Robertson 1993: 221 f. 45 Nach Köhler 1996: 25 sind bei allen Dionysos-Festen Opfer, Prozessionen und Bankett anzunehmen, auch wenn die einzelnen Handlungen nicht in allen Fällen belegt sind. 46 Vgl. das Vorgehen von Pickard-Cambridge 1953; Cole 1993 zu den Dionysien; Robertson 1993 zu den Anthesterien.

300

Etruskische Tieropferdarstellungen zum Teil unterschiedlich ausgeführt wurden47. Eine verbindliche Handlungsrekonstruktion ist auf der Grundlage des gegenwärtigen Forschungsstandes daher problematisch. Eine neuere Rekonstruktion der Städtischen und Ländlichen Dionysien hat Cole vorgelegt48; eine detaillierte Handlungsrekonstruktion der Anthesterien hat Robertson unternommen49; aufgrund dieses Forschungsstandes bietet es sich an, zuerst hier zu suchen, beginnend bei den Anthesterien, die schon bei der Auswertung der leges sacrae und des Mosaiks von Cuicul in den Blick gekommen sind. Die Anthesterien sind in verschiedenen ionischen Städten belegt; Details sind aber nur aus Athen bekannt. Die im folgenden gegebene Übersicht stammt nicht von Robertson, faßt aber seine Rekonstruktion des Anthesterien-Rituals in Athen zusammen. Seine Rekonstruktion überzeugt durch unvoreingenommene und präzise Auswertung aller zur Verfügung stehenden Quellengattungen, der Inschriften, literarischen Texte und der Bilder; unter anderem zitiert er das oben unabhängig herangezogene Mosaik aus Cuicul50. Robertsons Rekonstruktion unterscheidet sich von anderen in Aspekten, die die Reihenfolge der Handlungen und die Gesamtbedeutung des Festes betreffen51. 2. Die Anthesterien in Athen: Rekonstruktion nach Robertson in Übersicht HANDELNDER

ORT

1. Tag: Pithoigia “Öffnen der Pithoi (Lagerkrüge)” Basilinna Bukoleion

Weinhersteller, Weintrinker

Stadtzentrum

Archôn Basileus

Bukoleion

2. Tag: Choes “Kannen” Weintrinker Weintrinker

Haushalte Heiligtum en Limnais

Basilinna

Heiligtum en Limnais

47

HANDLUNG

Treffen (summeixis) und “Hochzeit” (gamos) mit Dionysos Verteilen des Wein von Herstellern an Verbraucher Lagerung des für den Trinkwettbewerb bestimmten Weins Wett Trinken Schlachten eines Bocks Zusammengießen der Weinreste; Weinguß im Heiligtum in Verbindung mit der Bocksschlachtung Schreibt die geraiai (“Greisinnen” – Trägerinnen ritueller Funktionen) ein

Vgl. dazu die Bemerkungen von Robertson 1993: 197.

48 Cole 1993. Die Rekonstruktion ist über weite Strecken auf das Werk von Pickard-Cambridge

gestützt, bezieht aber auch weitere inschriftliche Quellen ein. 49 Robertson 1993. 50 Robertson 1993, 220 Anm. 64; 222 Anm. 70. 51 Der Autor richtet sich mit seiner Rekonstruktion vor allem gegen die traditionelle Meinung, das dreitägige Fest sei zweigeteilt in einen “dionysisch-fröhlichen” (erste beide Tage) und einen “chthonisch-ernsten” Teil (dritter Tag).

301

Mareile Haase HANDELNDER

3. Tag: Chytroi “Töpfe” geraiai

Kostümierte (ithyphallische) Sänger Junge Mädchen

ORT

en Limnais

HANDLUNG

Mischen von Wein und Quellwasser (Theoinia?) Lieder an die Quellnymphen Ekstatisches Musizieren und Tanzen? (Iobaccheia?)

Umzug vom Heiligtum zum Theater Umherstreifen; rituelles Schaukeln

V. Bestandteile lokaler griechischer Rituale auf den etruskischen Bildern: Ergebnisse und methodische Schlußfolgerungen Die Anthesterien sind ein mehrtägiges, “komplexes” Ritual. Unter Beteiligung zahlreicher Akteure werden die verschiedensten Handlungen durchgeführt. Die Handlung, die im Zusammenhang mit den Bildern interessiert, ist die rituelle Schlachtung eines Ziegenbocks52 am zweiten Tag des Festes im Dionysos-Heiligtum en Limnais. Sie war begleitet von einem Weinguß53. Hier findet sich also nicht nur die Zeichenkonstellation Dionysos + Ziegenbock, sondern die vollständigere und daher aussagekräftigere Konstellation Dionysos + rituelles Gießen + rituelles Schlachten eines Ziegenbocks. Diese Konstellation stimmt mit dem zentralen Teil der Bildelemente auf den etruskischen Bildern überein54. Damit soll nicht gesagt sein, daß diese Bilder athenische Rituale dokumentarisch abbildeten, denn eine solche Schlußfolgerung würde das methodische Problem der Rekonstruktion praktizierter Religion aus Bildern von der Ebene etruskischer Kultpraxis auf die Ebene griechischer Kultpraxis lediglich verschieben. Sagen läßt sich aber, daß die Bilder Elemente enthalten, die, der Rekonstruktion Robertsons zufolge, als Handlungselemente des zweiten Tages der athenischen Anthesterien nachweisbar sind55. Ein weiteres Argument für diese Konvergenz ist der Ikarios-Mythos, der von der Forschung bei der Deutung des Mosaiks zugrundegelegt wird; dieses zeigt, wie zu sehen war, mit hoher Wahrscheinlichkeit dasselbe Thema wie die in Rede stehenden etruskischen Bilder. Die mythische Parallele zu der auf den Bildern gezeigten Tierschlachtungsszene, das Aition zur Bocksschlachtung, ist, so darf 52

Quellen zu der Bocksschlachtung sind gesammelt bei: Burkert 1966; Blanchard 1980; Merkelbach 1988: 13 f. 117-120. Zwischen Belegen zum Ritual und zwischen Bildern und literarischen Stellen - d.h., zwischen “Kunst” und Religion - wird bei diesen Autoren nicht unterschieden. 53 Robertson 1993: 222 f. 54 Daß das Satyr-Zeichen fehlt, bleibt allerdings erklärungsbedürftig; es ist dabei aber nicht auszuschließen, daß dieser Befund auf den lückenhaften Belegbestand zur Rekonstruktion des Anthesterien-Rituals zurückzuführen ist. 55 Grundsätzlich denkbar wäre auch eine Verbindung zu lokalen Kulten anderer ionischer Städte, in denen ebenfalls die Anthesterien gefeiert wurden. Daß die Verbindung zu Athen am deutlichsten wird, liegt an der Überlieferungslage zu den Anthesterien, die für die anderen Städte weniger dicht ist. Allerdings wird die Annahme einer Verbindung zu Athen auch dadurch sehr wahrscheinlich, daß in der Entstehungszeit der hier in Rede stehenden etruskischen Bilder die Keramikproduktion gerade Athens vorbildhaften Charakter für die etruskische Produktion besaß.

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Etruskische Tieropferdarstellungen man annehmen, die Bocksschlachtung durch Ikarios, ebenso wie das Verteilen des Weins am ersten Tag der Anthesterien auf die Verteilung des Weins durch Ikarios zurückgeführt wird und das Wettrinken auf das Trinken der Bewohner Attikas, die auf diese Weise den Wein erhalten haben sollen56. Akzeptiert man das bisher Gesagte, dann ergeben sich mehrere Schlußfolgerungen: 1. Wenn man akzeptiert, daß die Bilder Handlungsmomente aufweisen, die in den offiziellen städtischen Dionysos-Festen Athens nachweisbar sind, wird eine Deutung als Darstellung von Mysterien-Ritualen unwahrscheinlich. Zumindest die beiden hier behandelten Bilder können dann nicht mit dem Konstrukt der in Etrurien angeblich verbreiteten “orphisch-dionysischen Mysterien” in Verbindung gebracht werden. Der Quellenwert anderer Bilder etruskischer Herstellung mit dionysischen Symbolen für die angebliche Massenbewegung sollte umso kritischer hinterfragt werden. Das Ergebnis ist außerdem von Belang für das Mosaik von Cuicul, das dann möglicherweise ebenfalls nicht «profondément mystique» ist. 2. Wenn es zutrifft, daß die etruskischen Bilder Bildelemente enthalten, die als Handlungselemente lokaler Rituale Athens nachweisbar sind, so wirft das Zweifel an dem Postulat auf, daß diese etruskischen Darstellungen praktizierte etruskische Religion dokumentarisch abbildeten; zumindest würde die Aufrechterhaltung des Postulats den Nachweis erfordern, daß die Anthesterien nach Etrurien exportiert worden seien oder aber daß vergleichbare Rituale auch in Etrurien belegt seien. Wenn man die hier vorgetragenen Überlegungen akzeptiert, dann sollte umso kritischer hinterfragt werden, ob die Bilder als Quellen zur Rekonstruktion “des etruskischen Opfers” – das in der von dieser Formulierung suggerierten Homogenität nicht existiert haben dürfte, da die Kulte etruskischer Städte, wie polytheistische Systeme andernorts auch, lokal zu differenzieren sind57 – überhaupt benutzt werden sollten, und falls ja, dann unter welchen Bedingungen. 3. Wenn man diese Schlußfolgerung akzeptiert, dann stellt sich die Frage, welche Bedeutung solche Bilder für einen etruskischen Betrachter, für den etruskischen Käufer eines solchen Gefäßes, besitzen können. Eine mögliche Antwort auf diese Frage soll hier lediglich, auch im Sinne einer Forschungsperspektive, angedeutet, andere Möglichkeiten damit keineswegs ausgeschlossen werden. Daß der Verbrauch von Wein, mit dem zugehörigen Gerät, ein Zeichen der Adaptation griechischer Kultur der etruskischen Oberschichten ist, ist ein Gemeinplatz der Forschung58. Es wäre denkbar, daß das Interesse der etruskischen Käufer solcher Gegenstände wie des Spiegels und der Tongefäße ihr Interesse am Wein, am Weinverzehr und an der griechischen Kultur belegt. Wenn das zutrifft, dann sind die Bilder, um den beiden oben formulierten “negativen” Ergebnissen ein “positives” hinzuzufügen, geeignet als Quellen zur Rekonstruktion der Mechanismen und Themen eines Diskurses über griechische Kultur, der in etruskischen Städten (auch) auf der Ebene der Produktion von Bildern geführt wurde. Auf diese Deutungsmöglichkeit verweist auch die Analyse anderer ritueller

56

Zum Ikarios-Mythos als Aition der Anthesterien s. Robertson 1993: 214. Vgl. dazu Haase 2000: 115-120. 58 Vgl. Cristofani Martelli 1978: 132, die einen Zusammenhang zwischen den Inschriften aus Vulci an Fufluns Pachies und der Bedeutung des Weins in der Stadt annehmen; vgl. Bonfante 1993: 222. – Zur sozialen Bedeutung der Trink- und Gelagesitten in Etrurien und im antiken Italien allgemein seit dem ausgehenden 8. Jh. v. Chr. s. die Beiträge in Murray & Tecu‚an 1995: 167-235 ; Delpino 2000 (Lit.). 57

303

Mareile Haase Bildthemen auf etruskischen Darstellungen59. Solche Bilder sind dann zu interpretieren als Instrumente und Faktoren innerhalb von Akkulturationsprozessen. 4. Wenn es zutrifft, daß die hier betrachteten Bilder das Interesse an gehobener Trinkkultur in Etrurien zeigen, ist es nicht notwendig anzunehmen, daß die Anthesterien oder ein vergleichbares Fest auch in Etrurien gefeiert worden seien. Es ist auch nicht zwingend nötig, daß der Vasenmaler und der Käufer des Gefäßes sich der Zugehörigkeit des Bildes zu den Dionysos-Ritualen der Stadt Athen bewußt waren. Das hat allerdings nicht damit zu tun, daß die Bilder nicht verstanden worden wären – daß also das Phänomen vorliege, das von der etruskologischen Forschung der 60er Jahre, insbesondere von der italienischen Forschung, mit Bezug auf bildliche Darstellungen des griechischen Mythos als “Banalisierung” (banalizzazione) bezeichnet wurde60. Die “athenische Bedeutung” ist nicht mehr wichtig; das Bildzeichen hätte, wenn man die hier angedeutete Interpretationsmöglichkeit akzeptiert, seine Bedeutung mit dem Handlungskontext – und in diesem Fall auch mit dem kulturellen Kontext – verändert. Das Abbild eines griechischen Rituals hätte in Etrurien eine neue Bedeutung gewonnen; das ist keine Banalisierung, sondern die Ästhetisierung eines sakralen Bildmotivs: Zeichen mit der Bedeutung “sakral” können mit der Änderung des kulturellen, sozialen und geschichtlichen Kontexts diese Bedeutung verlieren; diesen Vorgang kann man als “Desakralisierung” bezeichnen61. Die pejorative Konnotation, die der Ausdruck “Banalisierung” beinhaltet, entfällt: zwischen sakraler und nichtsakraler Deutung des Motivs besteht kein qualitativer, sondern ein durch den kulturellen Kontext bedingter Unterschied. Das “spezifisch Etruskische” an den Bildern besteht dann wohl weniger in ihrem formalen Aufbau62 –, wobei es sich aufgrund der Lückenhaftigkeit der griechischen wie der etruskischen Bildüberlieferung ohnehin als problematisch erweist, den Grad der Zufälligkeit der Abweichungen von der auf griechischen Darstellungen verbreiteten Ikonographie zuverlässig zu bestimmen –, sondern in der Bedeutung, die sie für einen etruskischen Betrachter hatten. Diese Bedeutung ist schwierig zu fassen; das “spezifisch Etruskische” ist damit schwierig zu bestimmen. 5. Die Vermutung, daß auf den hier behandelten Bildern lokale Rituale der Stadt Athen dargestellt sind, führt zu einer vor dem Hintergrund der gegenwärtigen Forschungstendenzen überraschenden Folgerung. Wenn nämlich gezeigt werden konnte, daß die etruskischen Bilder Elemente griechischer Rituale enthalten, dann könnten diese Bilder als – ergänzende – Quellen für die Geschichte der griechischen Religion einen bisher nicht wahrgenommenen Wert besitzen. Im Feld etruskischer Ikonographie ist es üblich, griechische Belege zum Vergleich heranzuziehen; meines Wissens existieren bislang keine Versuche seitens der Erforscher griechischer Religionsgeschichte, attischer Feste, athenischer Rituale, die aus kunstkritischer Sicht als minderwertig eingestuften etruskischen Bilder für ihre Zwecke zu verwenden. Aber diese Bilder können vielleicht zusätzliche, im Detail über das in griechischen Quellen Enthaltene und Erhaltene hinausgehende Informationen zur Rekonstruktion athenischer Feste liefern. Damit soll, wie bereits betont wurde, nicht gesagt sein, daß die Bilder statt der etrus-

59

Haase 2000 zu etruskischen Innereienschau- und Totenbefragungsdarstellungen. Lit. zu dieser Diskussion ist zusammengestellt bei Prayon 1977: 181 Anm. 1. 61 Vgl. zu diesen Prozessen innerhalb des systematischen Kontexts einer Religionsästhetik Cancik, Mohr 1988: 127. 62 Anders: z.B. Prayon 1977. 60

304

Etruskische Tieropferdarstellungen kischen griechische Ritualpraxis dokumentarisch abbildeten. Es ließ sich jedoch nachweisen, daß die Bilder Zeichen enthalten, die auch als Bestandteile der Anthesterien nachweisbar sind. Rekonstruktionsversuche wie diejenigen Robertsons und anderer ließen sich möglicherweise mit Hilfe der etruskischen Bilder detaillierter gestalten und vervollständigen; ebenso wie das Mosaik von Cuicul, das von Robertson zur Rekonstruktion des Ritualablaufs herangezogen wird, könnte man sich die etruskischen Bilder vielleicht zu ähnlichen Zwecken zunutzemachen. Gerade die DionysosRituale erscheinen in dieser Hinsicht ein vielversprechendes Forschungsfeld angesichts der zahlreichen und vielfältigen etruskischen Bilder, die dionysische Zeichen aufweisen.

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Résumé / Abstract L’article a pour point de départ l’interprétation de deux représentations étrusques de sacrifices “dionysiaques” (Ve siècle av. n.è.), que la critique autorisée a parfois tenues pour des représentations “réalistes” d’un rituel sacrificiel étrusque et des mystères bachiques prétendus caractéristiques de l’Italie centrale. On montre ici que ces représentations sacrificielles offrent à la vue des indices qu’on peut avec une certaine probabilité identifier comme des éléments de la fête athénienne des Anthestéries. On veut montrer ensuite que ces scènes – la même analyse peut s’appliquer à d’autres représentations de sacrifices et de rites provenant des ateliers étrusques – peuvent être interprétées comme éléments d’un discours étrusque sur la culture grecque – un discours manifeste jusque sur le terrain de l’imagerie produite dans les ateliers étrusques. À partir de là, plutôt que sources d’information sur les rites et les sacrifices pratiqués dans les cités étrusques, il faudrait appréhender ces représentations comme les vecteurs d’un processus d’acculturation des indigènes. The paper begins with interpreting two Etruscan representations of “Dionysiac” sacrifice from the 5th century BCE which current scholarship has sometimes taken as “realistic” representations of Etruscan sacrificial ritual and of the Bacchic mysteries allegedly typical of Central Italy. It is shown here that these sacrificial representations contain visual signs that, with some probability, may be identified as part of the Athenian festival of the Anthesteria. It is then argued that these scenes–an analogous case may be made for other sacrificial and ritual scenes from Etruscan workshops– can be interpreted as elements within an Etruscan discourse about Greek culture: this discourse was manifest in several realms of Etruscan culture, including the imagery produced in Etruscan workshops. Hence, rather than being a source for ritual and sacrifice as practised in Etruscan cities, these representations should be understood as tools within a process of native acculturation.

307

L’ORIGINALITÉ DE LA BIBLE GRECQUE DES SEPTANTE EN MATIÈRE DE SACRIFICE Gilles DORIVAL Université d’Aix-Marseille I, Institut Universitaire de France En octobre 2000, s’est tenu à Sacrofano près de Rome un colloque intitulé: Sacrificio e Scrittura tra Giudaismo e Cristianesimo. Les organisateurs de cette rencontre m’avaient demandé une contribution sur le sacrifice dans la traduction grecque de la Septante. Les textes de l’ensemble des interventions présentées lors du colloque viennent d’être publiés dans la revue bolognaise Annali di Storia dell’Esegesi1. Lorsque les organisateurs de la table ronde m’ont proposé d’intervenir sur la question du sacrifice hébreu et du sacrifice grec, je leur ai annoncé que je reprendrais mon travail de Sacrofano, en lui apportant un aspect plus synthétique et en introduisant divers compléments. De la sorte, le texte qui suit n’est pas un simple résumé de l’article des Annali di Storia dell’Esegesi, même s’il en suit la démarche. L’exigence de synthèse a entraîné quelques modifications dans l’ordre de l’exposé, ainsi que la présence d’un plus grand nombre de tableaux. C’est donc en partie un travail sur frais nouveaux qui est présenté maintenant. La Septante (LXX) est prise ici au sens qu’elle avait dans le judaïsme hellénistique: non pas tous les livres de l’Ancien Testament traduits ou écrits en grec, mais seulement la traduction en grec des cinq livres de la Torah hébraïque, faite dans les premières décennies du IIIe siècle avant notre ère par des lettrés juifs probablement venus de Jérusalem à Alexandrie.

I. Le premier sacrifice biblique (Genèse 4, 1-8) Le livre de la Genèse contient sept récits de sacrifice: les sacrifices d’Abel et Caïn, qui sacrifient, le premier, des premiers-nés de son petit bétail, le second, des fruits de la terre (4, 1-8); le sacrifice de Noé (8, 20-21); les deux sacrifices d’Abraam (15, 811; 22, 1-19); les trois sacrifices de Jacob (31, 53-54; 35, 14; 46, 1). L’enquête a privilégié le premier de ces rituels, parce qu’il est présenté comme le premier sacrifice jamais accompli par des hommes et parce que le texte massorétique (TM) de la Bible hébraïque et le texte grec de la LXX diffèrent notablement. Il est impossible d’analyser ce sacrifice sans faire appel aux traditions d’interprétation du judaïsme hellénistique (Philon, Flavius Josèphe) et du judaïsme rabbinique (les traductions des targums araméens, les deux talmuds de Babylone et de Jérusalem, les commentaires des midrashs). Ces traditions éclairent utilement certains points du texte: par exemple, elles affirment que Caïn et Abel sacrifient sur un autel; ces derniers sont à la fois en position d’offrants et de prêtres; la faute de Caïn consiste dans le caractère tardif de son prélèvement. Mais elles restent muettes sur d’autres points: par exemple, il n’est pas possible de savoir si Caïn a brûlé son offrande végétale ou s’il l’a simplement abandonnée.

1

Voir notamment G. Dorival, «Le sacrifice dans la traduction grecque de la Septante», ASE 18, 2001, 61-79.

309

Gilles Dorival Le premier résultat de l’enquête est que la Bible (TM et LXX) fait entrer le rite des prémices dans la sphère du sacrifice. Il n’est pas, comme dans d’autres civilisations, un rite parasacrificiel, mais un sacrifice au sens plein du terme. Outre notre texte, trois textes tirés du Lévitique (2, 11-16; 23, 9-14; 23, 15-22), trois textes tirés des Nombres (5, 5-10; 18, 8-19; 28, 26-31) et un texte du Deutéronome (12, 1-19) permettent d’établir ce point. Un deuxième point est que les termes grecs thusia et dôron, employés pour parler du rite accompli par Caïn et de celui d’Abel, sont à peu près synonymes, d’une part parce qu’ils traduisent tous deux minÌæh, d’autre part, parce que la logique du récit biblique impose de considérer que les deux frères accomplissent un acte équivalent. Le choix de deux mots grecs différents ne s’explique pas par une opposition entre sacrifice formel et sacrifice véritable, ou entre le diviseur, Caïn, et le donateur, Abel, ou entre le végétal et l’animal, mais par l’opposition entre sacrifice susceptible d’être refusé (thusia) et sacrifice à coup sûr agréé (dôron). La principale différence entre LXX et TM est le verset 7. Dans la LXX, Dieu oppose l’apport correct de Caïn au partage incorrect auquel il a procédé: «Si tu as fait l’apport correctement, mais que tu n’as pas partagé correctement, n’as-tu pas péché? Tiens-toi tranquille». Le TM, peu clair, oppose à l’action bonne, qui se traduit par une élévation, l’action mauvaise: «Est-ce qu’il n’y aura pas, si tu agis bien, élévation? Et si tu n’agis pas bien, à la porte le péché (est) tapi» (lapetaÌ Ìa††æ’t robêÒ). De la sorte, la LXX donne un récit à peu près complet d’un sacrifice comportant la phrase préparatoire d’apport, puis la phase de destruction de l’offrande, ensuite la phase de renonciation à une partie de l’offrande, enfin la phase de consommation. Elle permet de comprendre la complexité du partage, à la fois antérieur et postérieur à l’apport: il lui est antérieur, puisque ce sont les premiers produits (animaux et végétaux) qui font l’objet de l’apport; il lui est postérieur, parce que les produits n’appartiennent aux cultivateurs et aux bergers qu’après l’accomplissement du rituel des prémices. Le TM n’offre pas la dernière phase de consommation, ni peut-être la phase précédente de renonciation. En revanche, il invite à une réflexion sur le péché et doit sans doute être lu à la lumière de la faute d’Ève et d’Adam: le “péché” (Ìa††æ’t), qui est un mot féminin, est “tapi” (robêÒ) un adjectif masculin. Cette aporie du TM signifie, selon Midrash Rabbah sur Genèse 4, 7, que le péché, au début faible comme une femme, devient ensuite fort comme un homme. Il faut probablement mettre cette interprétation en relation avec le récit du paradis: le péché a commencé par la femme et a continué par l’homme.

II. Mots hébreux et grecs pour le sacrifice Le TM n’a pas de mots pour désigner le sacrifice en tant que rite: qorbæn, littéralement le fait de faire approcher (de l’autel, de Dieu), aurait pu désigner la sélection de l’offrande, son abandon à Dieu, sa destruction, voire sa consommation. Mais le sens de départ n’est pas attesté dans les textes. De plus, il peut signifier non seulement l’offrande animale ou végétale, mais aussi les produits offerts au sanctuaire ou les présents lors de l’inauguration de l’autel (Nombres 7). Les treize mots principaux employés dans le TM à propos du sacrifice et leurs correspondants grecs sont présentés dans le tableau 1. Les chiffres donnés entre parenthèses désignent le nombre d’occurrences des dits mots dans le Pentateuque.

310

L’originalité de la Bible grecque des LXX Tableau 1 — Mots hébreux et correspondants grecs MOTS HÉBREUX ’azkæræh (7) (zækar, «se rappeler»)

CORRESPONDANTS GRECS - ajnavmnhsi" (1) - mnhmovsunon (6)

- qusiva (7), qusiazovmena (1), qusivasma (1) - kavrpwma (37), oJlokavrpwma (1?) - oJlokauvtwma (10) - prokeivmena (1) ’æ‡æm (25) - plhmmevleia (20), peri; (th`") plhmme(’æ‡æm, «commettre une négligence») leiva" (2), to; th`" plhmmeleiva" (3) zebaÌ (70), zæbaÌ (42) («tuer un animal») - quvein (38), qu`ma (1), qumivama (3) qusiva (62), qusiavzein (1), qusivasma (2) - sfavzein (1) Ìa††æ’t (de Ìæ†æ’,“manquer la cible”, - aJmavrthma (1), aJmartiva, peri; ou “faire un faux pas”) aJmartiva", to; (peri;) th`" aJmartiva" kælîl (3) (de kælal, «rendre complet») - oJlovkauto"(1) - pa`" (2) leÌem (sacrifice: 7) (de læÌam, - dovma (1) «manger», mais aussi «combattre») - dw`ra (6) minÌæh (107) - dw`ra (10, tous en Gn) (*mænaÌ, «distribuer», «donner») - qusiva (85), qusivasma (2)

’i‡‡eh (57) (de ’ê‡, «feu»?)

©œlæh (146) (©ælæh, «monter»)

qorbæn (75) (qærab, «approcher») rêaÌ nîÌœaÌ (27) («odeur de repos»?) ‡æÌa† (46) («égorger» un animal ou un homme) ‡elæmîm (54) (‡ælam, «être entier, sauf»)

- qusiva (4) - kavrpwma (11), kavrpwsi" (2), oJlokavrpwma (3), oJlokavrpwsi" (8) - oJlokauvtwma (95), oJlokauvtwsi" (25) - dwrei`sqai (1) dw`ron (73) - non traduit (1) - ojsmh; eujwdiva" (27) - quvein (1) - katastrwnnuvnai (1) - sfavzein (44) - qusiva tou` swthrivou (4) - to; swthvrion (50)

L’étude de ces correspondances montre qu’il n’y a pas une seule traduction strictement littérale. Cependant, certaines inflexions sont minimales: ’æ‡æm et Ìa††æ’t sont toujours traduits par plêmmeleia et hamartia (préjudice et faute), mais, par la présence, ou non, de l’article neutre to devant le substantif, précédé, ou non, de la préposition peri, la LXX distingue la bête sacrifiée et le rite lui-même. Autre inflexion minimale: la traduction de ‡elæmîm par to sôtêrion. La traduction littérale attendue serait sôtêria, pluriel neutre sans article. La traduction retenue permet de faire écho aux sacrifices de salut du monde grec, tout en distinguant le rite judéen du rite païen. Dernier exemple: l’expression rêaÌ nîÌœaÌ, qui signifie “odeur de repos”, est toujours rendu par osmê euôdias, qui apporte deux inflexions: le grec contient une figure 311

Gilles Dorival étymologique autour du radical od- qui est absente de l’hébreu; d’autre part le préfixe de sens favorable eu- se substitue apparemment au repos ou à l’apaisement de l’hébreu, lequel fait allusion à l’apaisement de la colère de Dieu contre les hommes grâce au sacrifice de Noé, dont le nom, NœaÌ, rappelle le second substantif de l’expression. Ce préfixe eu- dénote l’acceptabilité de l’offrande par Dieu, à laquelle un verset du Lévitique, absent dans le TM, mais présent dans le Samaritain et la LXX, fait allusion (Lv 17, 4). La LXX élimine l’anthropomorphisme de l’hébreu, tout en conservant l’idée de l’agrément de Dieu. La LXX présente encore deux traductions de type targumique, c’est-à-dire qui apportent des éclaircissements. D’abord, elle rend ’azkæræh, de la racine zækar, se rappeler, par mnêmosunon, mémorial, quand il s’agit de l’offrande appelée minÌæh, et par anamnêsis, réminiscence, quand il s’agit des pains de réminiscence. Le radical mnê- fait écho à la racine hébraïque. La variation de traduction s’explique ainsi: comme l’a montré Suzanne Daniel2, le mémorial est la part de l’offrande végétale déposée sur l’autel et brûlée, le reste de l’offrande allant aux prêtres à titre de rétrocession faite par Dieu pour leur service dans le sanctuaire. La part brûlée est donc le mémorial de l’offrande entière. Quant aux pains de réminiscence, et sur ce point il faut se séparer de Suzanne Daniel, ils font rappel de l’alliance entre Dieu et son peuple selon Lévitique 24, 5-9. En second lieu, le verbe zæbaÌ, qui signifie “tuer un animal” et, dans un contexte sacrificiel, “immoler”, est traduit par thuein, qui signifie effectivement souvent “sacrifier un animal”, tandis que le verbe ‡æÌa†, “tuer des animaux ou des êtres humains”, d’où “immoler”, a pour correspondant habituel sphazein. Or sphazein traduit une fois zæbaÌ, en Lévitique 17, 15, pour indiquer que les offrandes dont parle le texte sont animales, et non végétales. À son tour, thuein correspond à ‡æÌa† en Exode 12, 21, où il est question de l’immolation de la Pâque. Enfin, la traduction de ‡æÌa† par katastrônnunai en Nombres 14, 16 est un “rabbinisme”: les traducteurs ont lu la racine hébraïque à la lumière d’une autre racine ayant deux consonnes communes avec elle, ‡æ†aÌ, “étendre”. Aux sept derniers substantifs hébreux correspondent quatre familles de mots grecs. On remarque que la LXX unifie le lexique du sacrifice plus que ne le fait le TM. En particulier, les mots kælîl et leÌem, quand ils sont employés en contexte sacrificiel, sont traduits par holokautos et dôra/doma, comme s’ils avaient le même sens que ©œlæh et qorban. Le tableau 2 de fréquence entre les termes hébreux et grecs permet de distinguer deux cas simples, un cas moyen et deux cas complexes. Tableau 2 — Tableau de fréquence dw`ron qusiva kavrpwma oJlokauvtwma

2

’i‡‡eh

zebaÌ

9 37 10

67

minÌæh 10 87

©œlæh

qorbæn 74

4 24 120

S. Daniel, Recherches sur le vocabulaire du culte dans la Septante, Paris, 1966, 233-236.

312

L’originalité de la Bible grecque des LXX Les cas simples sont ceux de zebaÌ et qorbæn, traduits respectivement par thusia et dôron. Le cas moyen est celui de minÌæh, rendu tantôt par dôra tantôt par thusia. Les cas complexes sont ceux de ’i‡‡eh et ©œlæh tous deux rendus par thusia, karpôma et kaiein, mais non par dôron. Le tableau permet aussi de dégager quelques conclusions. D’abord le mot thusia est retenu pour tous les types de sacrifices hébreux. L’exception de qorbæn est apparente, car ce mot est traduit par dôron, qui sert aussi à rendre minÌæh, mot auquel correspond précisément thusia. De plus, dans la mentalité religieuse grecque, thuein et dôreisthai sont synonymes, comme le montre la question que Socrate pose au prêtre Euthyphron: «Sacrifier (thuein), n’est-ce pas faire des présents (dôreisthai) aux dieux?» (Platon, Euthyphron 14c). Il ne faut pas voir dans l’emploi de dôron, plus employé qu’on ne s’y attendrait de la part d’une traduction littérale, l’indice d’une théologie du sacrifice propre à la LXX et selon laquelle le sacrifice serait fondamentalement un don fait à Dieu. En fait, l’emploi de dôron insère la LXX dans le monde de l’hellénisme. Pour la LXX, les sacrifices ‘i‡‡eh et ©œlæh relèvent clairement de la catégorie générale de la thusia et peuvent être décrits en termes de karpôma et d’holokautôma. Le premier de ces mots hébreux désigne une offrande entièrement brûlée sur l’autel; le second, littéralement “ce qui monte”, désigne également une offrande entièrement brûlée. Cette idée de combustion complète se retrouve dans le grec holokautôma. Mais, malgré l’avis de Suzanne Daniel et d’autres commentateurs, ce n’est pas le cas de karpôma, comme on le verra dans un instant.

III. L’originalité du lexique grec de la LXX Quand on confronte le lexique de la LXX, non plus au lexique hébreu, mais au lexique grec du sacrifice, on est frappé par ceci: le monde de la LXX évoque le monde grec, mais s’en écarte aussi. Ce qui rappelle le monde grec du sacrifice, c’est l’abondance du mot thusia (167 occurrences), le mot par excellence du sacrifice grec. C’est la grande fréquence du mot dôron (84 occurrences). C’est aussi la présence d’une troisième famille de mots: celle d’holokautôma et d’holokautôsis, qui sont des néologismes, celle aussi d’holokautos, un adjectif attesté au IIIe siècle avant notre ère, qui ne peuvent pas ne pas évoquer le verbe holokauteîn/holokautoûn, présent dès Xénophon pour désigner un sacrifice se traduisant par la combustion totale de l’offrande. Plus délicate est la présence de la famille de karpôma (voir tableau 3). Tableau 3 — La famille de karpôma — karpou`n Lv 2, 11; Dt 26, 14 — oJlokavrpwma 4 occurrences — kavrpwma 53 occurrences — oJlokavrpwsi" 8 occurrences — kavrpwsi" 3 occurrences, toutes en Lévitique

Cette famille de mots peut-elle désigner le brûlage intégral de l’offrande animale ou végétale, par opposition à thuein qui impliquerait qu’une part seulement est consumée, le reste étant consommé? C’est ce qu’affirme notamment Suzanne Daniel. Mais cette signification paraît improbable au niveau de la LXX, qui a précisément créé, pour désigner les offrandes entièrement brûlées, les substantifs holokautôma/holokautôsis. Elle n’est pas crédible non plus au niveau du grec, comme le montrent les indications 313

Gilles Dorival des lexiques d’Hésychius, de Photios et de la Souda (voir tableau 4), qui, certes, définissent le mot à l’aide du verbe kaiein, mais utilisent aussi le verbe enagizein/kathagizein, “consacrer”. Tableau 4 —Lexiques d’Hésychius, de Photios et de la Souda Hésychius (éd. M. Schmidt, 1965): karpwqevnta: ta; ejpi; bwmou` kaqagisqevnta. kavrpwma: kevrdo", gevno", spevrma, prosforav, dw`ra, qusiva. kavrpwsi": qusiva ∆Afrodivth" ejn ∆Amaqou`nti. oJlokarpouvmenon: o{lon prosferovmenon. oJlokauvtwma: o{lon puri; kaqagizovmenon, oJlovklhron. Photius (éd. S. A. Naber, 1864-1865, repr. 1965; Chr. Theodorides, 1998, 2 vol. parus): kaustovn: karpwtovn, o} ejnagivzetai toi`" teteleuthkovsin. kavrpwma: qusiva, prosforav. oJlokarpouvmenon: o{lon prosferovmenon. oJlokautismov": oJlokarpiva. Souda (éd. A. Adler, 1967): aJgiavsai: karpw`sai, kau`sai aJgivw". kavrpwma: qusiva, prosforav. oJlokarpouvmenon: o{lon prosferovmenon. oJlokautwvmata: hJ qusiva.

En fait il semble que karpôma désigne l’animal ou le végétal dont la divinité a la jouissance pour elle seule. Il faut ajouter qu’à l’époque où est traduite la LXX, et plus tard, le verbe karpoun et le substantif karpôsis sont employés dans des inscriptions où il est question de sacrifices dans un sens qui fait problème aux yeux des épigraphistes, mais qui doit être celui de la LXX. Cette dernière pourrait bien avoir emprunté au paganisme de son temps ce vocabulaire, auquel elle apporte une inflexion: karpôma est beaucoup plus utilisé que karpôsis. Quant à ce qui distingue le sacrifice de la LXX du sacrifice grec, c’est d’abord l’absence de mots usuels dans la religion grecque (voir tableau 5). Tableau 5 — Les mots grecs du sacrifice absents de la LXX aJgivzein (ejnagivzein, kaqagivzein) ajpavrcesqai ejntevmnein ejpifevrein (la LXX emploie ce verbe, mais pas dans un contexte de sacrifice) quvesqai (au moyen pour désigner le sacrifice que l’on fait avant une entreprise dangereuse; l’actif quvein est fréquent dans la LXX) iJerei`on, iJerou`n, ajnierou`n, kaqierou`n, iJerov" (notamment l’expression ta; iJera; kalav) kaqosiou`n oJlokautei`n (mais les substantifs correspondants sont fréquents dans la LXX) sfagiavzesqai (ta;) tovmia

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L’originalité de la Bible grecque des LXX C’est ensuite la présence de mots caractéristiques du sacrifice grec, mais qui reçoivent une signification nouvelle dans la LXX, ainsi le substantif anathêma, qui n’est plus un objet consacré et mis en réserve, mais un objet consacré et qu’on détruit. C’est encore la présence de mots qui à la fois font écho aux mots grecs et s’en distinguent: ainsi les verbes anapherein et prospherein sont employés par la LXX pour le rite de l’apport de l’offrande, là où le grec dit epipherein. De plus, il y a des rites sacrificiels propres au monde biblique sans équivalent dans le monde grec, comme les sacrifices pour le préjudice et la faute3. Enfin, la LXX a créé des mots nouveaux pour rendre compte des réalités bibliques considérées par elle comme sans vrai équivalent dans le monde grec. Par exemple, elle emploie le mot bômos pour parler de l’autel païen, mais elle crée le mot thusiastêrion pour désigner l’autel de la tente du témoignage réservé aux sacrifices offerts au Dieu unique.

Bibliographie Alexandre, M. 1988, Le Commencement du livre. Genèse I-IV. La version grecque de la Septante et sa réception, Paris Daniel, S. 1966, Recherches sur le vocabulaire du culte dans la Septante, Paris. Dogniez, C. & Harl, M.ed. 2001, La Bible des Septante. Le Pentateuque d’Alexandrie, texte grec et traduction, Paris [reprenant les traductions de M. Harl, Genèse, 1986; A. Le Boulluec et P. Sandevoir, Exode, 1989; P. Harlé et D. Pralon, Lévitique, 1988; G. Dorival, Nombres, 1994; C. Dogniez et M. Harl, Deutéronome, 1992]. Dorival, G. 2001, «Le sacrifice dans la traduction grecque de la Septante», ASE 18, 61-79. Petzl, G. 1994, Die Beichtinschriften Westkleinasiens, Bonn (Epigraphica Anatolica, 22). Rudhardt, J. 1992, Notions fondamentales de la pensée religieuse et actes constitutifs du culte dans la Grèce classique, Paris. Stengel, P. 1910, Opferbräuche der Griechen, Leipzig-Berlin.

Abstract Having first briefly compared the account of Cain and Abel’s sacrifice in the Greek text and in the Septuagint, the paper shows by means of a range of lexical charts that the Septuagint each time adds to the Hebrew (massoretic) text an inflexion or interpretation which makes sense, especially in comparison with Greek sacrifice.

3 Le sacrifice pour la faute paraît attesté au début du IIIe siècle de notre ère en Anatolie d’après une inscription publiée par G. Petzl, Die Beichtinschriften Westkleinasiens, Epigraphica Anatolica 22, Bonn, 1994, 7-8. Je remercie Nicole Belayche de m’avoir indiqué ce texte qui ne manque pas d’intriguer (y aurait-il eu une influence juive dans cette région de l’Asie?) et sur lequel je me réserve de revenir un jour.

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LE SACRIFICE DANS LA LITTÉRATURE GRECQUE DE L’ÉPOQUE IMPÉRIALE Laurent PERNOT Université de Strasbourg II La présente contribution a pour but d’étudier le sacrifice à travers les sources littéraires grecques de l’époque impériale, et plus précisément – car il faut se limiter – à travers des œuvres d’Aelius Aristide et de Lucien et des passages de romans. Quoique de nature variée, ces textes se rattachent, de près ou de loin, à un même milieu intellectuel et culturel, celui de la seconde sophistique, et ils sont fondés dans une large mesure sur des présupposés communs. C’est pourquoi il est justifié de les traiter ensemble et de les confronter les uns aux autres. Les passages pertinents étant disséminés dans les œuvres, il ne faut pas en attendre un tableau d’ensemble unitaire et cohérent. Par ailleurs, l’analyse de chaque passage doit être conduite avec une grande prudence, parce qu’il s’agit de textes littéraires, qui n’entendent pas refléter fidèlement la réalité et qui obéissent à des visées d’un autre ordre. Les auteurs ont coutume de passer rapidement sur les rites ordinaires, pour évoquer les sacrifices de manière plus développée lorsqu’ils ont quelque chose de spécial à dire à leur sujet: une scène à faire, un prodige à relater, une folie à dénoncer. Les sources littéraires sont, autant que d’autres, plus que d’autres, des sources particulières et orientées. Ces avertissements préalables ayant été formulés, nous voudrions suggérer que les textes grecs de l’époque impériale offrent un matériel intéressant, et largement inexploité, sur le sacrifice. D’une part, ils livrent des informations sur la pratique et, ce qui n’est pas moins important, sur le vécu du sacrifice dans le monde grec à l’époque de l’Empire romain. D’autre part, ils posent des problèmes, en particulier le problème des conceptions ou des modèles grecs du sacrifice par opposition aux rites exotiques ou barbares. Pour illustrer ces différents aspects, les pages qui suivent présentent un repérage, destiné à attirer l’attention sur les textes les plus significatifs et à ouvrir un domaine d’investigation.

I. Mises en scène romanesques Parmi les romans, Chairéas et Callirhoé de Chariton (Ier - IIe siècle ap. J.-C.) et Les Éthiopiques d’Héliodore (IIIe - IVe siècle ap. J.-C.) constituent le terrain le plus riche1.

1 Les références renvoient au texte et à la traduction de la Collection des Universités de France, par G. Molinié, révisé par A. Billault, 1989, (Chariton) et par R.M. Rattenbury, T.W. Lumb, J. Maillon, 1935-1943 (Héliodore).

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Laurent Pernot Dans ces ouvrages, où les dieux et le sacré jouent un grand rôle, le sacrifice – sacrifice sanglant dans la plupart des cas2 – fait partie des marques de piété déployées par les personnages. Un relevé, qui ne vise pas à l’exhaustivité, fait apparaître que les sacrifices sont offerts soit par les particuliers à titre privé, soit par les autorités des cités, les satrapes ou les rois à titre public3; soit par les gens du pays, soit aussi, dans le cas de divinités très révérées, par des dévots venus de plus loin et par des étrangers4. En général, ils expriment une action de grâces5, mais ils peuvent également être propitiatoires6. Ils sont inclus dans des cérémonies et ont pour fonction de célébrer un mariage7, une grossesse8, une naissance9, une entrée en charge10, une victoire militaire11, le salut12. Après le sacrifice, on examine les entrailles des victimes pour prédire l’avenir13. Lorsque les personnages se trouvent en danger, ils n’oublient pas de rappeler, à titre d’argument de prière, les sacrifices qu’ils ont faits, en disant au dieu: «Exaucemoi, au nom des sacrifices que je t’ai offerts» (da quia dedi)14. Pour marquer la piété d’une personne, on dit – thème qui se rencontre chez Chariton et reparaît chez Aelius Aristide – qu’elle ne passe jamais devant un sanctuaire sans s’y arrêter pour sacrifier15. Çà et là se présentent des détails intéressants sur les rapports entre le sacrifice et le banquet. Par exemple, lorsque des commerçants phéniciens organisent une fête en l’honneur d’Héraclès Tyrien, pour célébrer une victoire gymnique remportée par l’un d’entre eux et en même temps pour obtenir une heureuse traversée, les festivités comportent un banquet, avec des divertissements de musique et de danse, et un sacrifice: or le texte ne dit rien du sacrifice et s’étend complaisamment sur le banquet. Comme l’a très justement fait observer Paul Veyne, pour ces marchands, «la bombance» et «le nationalisme sportif» sont les principaux moteurs du sacrifice16. En revanche, dans le sacrifice public, et somptueux, offert par un autre marchand, le pieux Nausiclès, en l’honneur d’Hermès, les rites sont mentionnés. Au cours du banquet, auquel sont invités tous les assistants, il est précisé que les femmes mangent à part, les hommes étant 2 Du moins chaque fois que cela est précisé. Chez Héliodore IV, 16, 4, «faire brûler de l’encens et répandre une libation d’eau pure» fait figure d’offrande particulièrement modeste. 3 Chariton III, 2, 15: pour le mariage de Dionysios et Callirhoé, «chacun offrait des sacrifices devant sa propre maison, et non pas seulement dans les sanctuaires». 4 Chariton II, 2, 5; Héliodore II, 27, 2. 5 Chariton VI, 5, 7 (sacrifier pour remercier les dieux); Héliodore IV, 14, 1; V, 12-13; V, 27, 9 (thuein ou apothuein charistêria). 6 Héliodore VII, 11, 2 (sacrifice pour conjurer les menaces d’un songe). 7 Chariton III, 1, 3; III, 2, 15. Cf. l’expression gamous thuein = «célébrer un mariage» (Chariton II, 4, 5; IV, 3, 10). 8 Héliodore IV, 8, 5. 9 Chariton III, 8, 3. 10 Héliodore VII, 2, 2 (tas eisitêrious thusias telein). 11 Chariton VII, 4, 10; VIII, 5, 2 (thuein ta epinikia). – Voir aussi Chariton IV, 7, 4 (le sacrifice comme marque d’allégresse); V, 3, 11 (fête et sacrifice). 12 Chariton IV, 3, 7 (thuein sôtêria). 13 Héliodore V, 13, 2. À ce propos, voir S. Saïd, «Oracles et devins dans le roman grec», dans J.-G. Heintz ed., Oracles et prophéties dans l’Antiquité, Paris, 1997, 371-372. 14 Chariton V, 7, 10; V, 10, 1. 15 Chariton II, 2, 5; Aelius Aristide, Discours sacrés V, 7. 16 Héliodore IV, 16-17. Cf. P. Veyne, «Inviter les dieux, sacrifier, banqueter. Quelques nuances de la religiosité gréco-romaine», Annales. Histoire, Sciences sociales 1, 2000, 31.

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Le sacrifice dans la littérature grecque de l’époque impériale servis quant à eux devant le parvis du temple17. Autre cas encore, celui du brigand Trachinos, qui offre à Poséidon un sacrifice d’action de grâces consistant en moutons et en porcs, mais qui veut par la même occasion célébrer son mariage avec une jeune captive, transformant ainsi le banquet sacrificiel en repas de noces. Le texte donne à comprendre que c’est là un procédé de brigand18. En tout ceci les romans n’apportent pas de faits nouveaux, mais plutôt des attestations supplémentaires de faits et de vocables religieux connus par ailleurs. Encore fautil être très circonspect pour assigner une date à ces attestations, car les romans de Chariton et d’Héliodore sont des romans historiques, dont l’action se situe, pour l’un, vers la fin du Ve siècle av. J.-C., et pour l’autre, à une époque non précisée qui est, vaguement, le Ve-IVe siècle av. J.-C. Il y a un écart de six ou sept siècles entre la date dramatique et la date de composition des ouvrages, et, qui plus est, les auteurs ne se veulent pas historiens. D’où d’importantes possibilités d’entorses par rapport à la vérité et des jeux continuels entre reconstitution historique et message actuel, entre passé et présent. Dans ces conditions, ce qui caractérise surtout le projet romanesque et qui fait la spécificité de ce type de source, est le souci d’intéresser le lecteur en le transportant dans un monde supérieur à la réalité quotidienne. À cet effet, sont présentés des sacrifices hors du commun, soit en quantité, soit en qualité. Le satrape Dionysios offre une hécatombe, sacrifice fastueux, pour la naissance de l’enfant qu’il croit être son fils19. Ou encore, on relève des sacrifices prescrits par des songes (point qui reviendra chez Aelius Aristide). Le Grand Roi, qui était déjà très pieux, puisqu’il avait l’habitude de sacrifier chaque jour, voit les dieux lui apparaître pour lui réclamer des sacrifices, ordre qu’il exécute sans tarder20. On apprendra par la suite que les dieux voulaient ainsi lui annoncer des dangers et la victoire21. Héliodore régale ses lecteurs de détails pittoresques, comme la description de sacrifices offerts à Isis dans son sanctuaire de Memphis22 ou la mention de sacrifices et de cérémonies accompagnant la fête du Nil23. Le morceau de bravoure, à cet égard, est constitué par la description détaillée de la procession et du sacrifice célébrés tous les quatre ans à Delphes par les Énianes, peuple thessalien, en l’honneur de Néoptolème24. Ce passage constitue un moment crucial dans l’économie du récit, puisque c’est au cours de cette cérémonie que le héros et l’héroïne du roman se rencontrent pour la première fois et tombent amoureux l’un de l’autre. Héliodore développe à plaisir l’arrivée de l’hécatombe, composée de cent bœufs noirs, conduite par des sacrificateurs en tenue et suivie par d’autres victimes variées et nombreuses. Puis il décrit le reste du cortège, la rencontre des héros, l’immolation des bêtes, les libations, les invocations, et enfin il abandonne les Énianes au moment où ceux-ci se mettent à banqueter.

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Héliodore V, 13-16. Héliodore V, 27-29. 19 Chariton III, 8, 3. 20 Chariton VI, 2, 2-4. 21 Chariton VI, 8, 3. 22 Héliodore I, 18, 4; I, 30, 4 (dans un songe). Voir une autre mention de sacrifices à Isis en II, 25, 2. 23 Héliodore IX, 10, 2. – Voir aussi, entre autres exemples, la description d’un somptueux sacrifice à Tyr dans le roman Leucippé et Clitophon d’Achille Tatius, II, 15. 24 Héliodore II, 34 - III, 6. 18

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Laurent Pernot Le sacrifice des Énianes, qui n’est pas attesté dans d’autres sources, a suscité des discussions, portant sur la question de savoir s’il s’agit d’un fait réel ou d’une invention romanesque. Les études de Jean Pouilloux et de Georges Rougemont concluent qu’il doit s’agir d’un rite qui était effectivement en usage à l’époque impériale et qu’Héliodore a fait entrer dans son roman, où il fait figure d’écho de la réalité contemporaine (écho anachronique, puisque l’action du roman, on l’a dit, est censée se dérouler à une époque bien antérieure). Mais, naturellement, Héliodore n’écrit pas un reportage; il présente ce fait et le met en scène à sa manière25. En conclusion, le sacrifice participe de manière significative à l’atmosphère religieuse qui est celle des romans. Il constitue un élément de décor et, mieux que cela, joue un rôle dans la construction de l’intrigue et dans la caractérisation des personnages. C’est pourquoi il est traité dans un souci de grandissement et de dépaysement. Les auteurs embellissent, idéalisent, pour séduire les lecteurs par des scènes d’exception; il transposent l’intrigue dans un passé grec défini plus ou moins précisément et accordent une large place à l’évocation de coutumes considérées comme curieuses ou exotiques. Cela rend difficile l’utilisation de ces sources, mais il ne s’ensuit pas pour autant qu’elles doivent être négligées. Étant donné le nombre important des mentions de sacrifices dans les romans, les détails qui sont fournis, la précision du vocabulaire, il vaudrait la peine de mener une enquête systématique, qui conduirait à des résultats factuels et à des résultats idéologiques. Dans l’ordre factuel, il reste à glaner des précisions et même des informations nouvelles, comme à propos des Énianes. Dans l’ordre idéologique, les romans offrent des aperçus sur l’imaginaire du sacrifice, sur sa portée et sa signification pour les Grecs de l’époque impériale, dans la mesure où il met en jeu le rapport entre le présent et le passé de la Grèce et le rapport entre les Grecs et les barbares.

II. Aelius Aristide et le vécu du sacrifice Chez Aelius Aristide, il ne s’agit plus de fiction, mais de vécu. Le texte aristidien dans lequel les sacrifices occupent la plus large place, en effet, est la série des Discours sacrés, mémoires autobiographiques que l’auteur a rédigés vers les années 170 ap. J.C., en se fondant sur ses souvenirs et sur des notes très détaillées qu’il avait prises depuis sa jeunesse. Aristide, comme on sait, était valétudinaire et dévot d’Asclépios; il raconte dans les Discours sacrés comment le dieu l’a continuellement protégé et sauvé. Cet ouvrage sans équivalent dans la littérature conservée est d’un intérêt exceptionnel pour l’histoire de la religion gréco-romaine26. Aristide livre des informations sur sa pratique habituelle. Par exemple, il indique que s’élevait à proximité de sa maison de famille, en Mysie, un sanctuaire de Zeus

25 J. Pouilloux, «Delphes dans les Éthiopiques d’Héliodore. La réalité dans la fiction», Journal des savants, 1983, 271-276; Id., «Roman grec et réalité: un épisode delphique des Éthiopiques d’Héliodore», dans H. Walter ed., Hommages à Lucien Lerat II, Paris, 1984, 693-696; G. Rougemont, «Delphes chez Héliodore», dans M.-F. Baslez, P. Hoffmann, M. Trédé ed., Le monde du roman grec, Paris, 1992, 96. 26 Nous renvoyons au texte édité par B. Keil, Aelii Aristidis Smyrnaei quae supersunt omnia, II, Berlin, 1898, et à la traduction française de A.-J. Festugière, dans A.-J. Festugière & H.-D. Saffrey, Aelius Aristide, Discours sacrés, Paris, 1986.

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Le sacrifice dans la littérature grecque de l’époque impériale Olympien où il avait l’habitude d’aller sacrifier lorsqu’il était de retour chez lui et où se déroulait aussi un sacrifice public27. Dans la maison elle-même, il y avait un endroit où se trouvaient des statues de différents dieux et où l’on pouvait faire des prières, des offrandes, des sacrifices, «témoignage précieux sur le culte domestique»28. Mais Aristide évoque les sacrifices, de préférence, lorsqu’ils sont liés à quelque intervention notable d’Asclépios, puisque ces interventions constituent le propos de son ouvrage, et en particulier lorsqu’ils figurent dans des rêves envoyés par le dieu. Aristide rêvait souvent qu’il sacrifiait: les sacrifices faisaient partie pour lui des activités importantes de l’état de veille, qui revenaient et étaient réinterprétées, à titre de restes diurnes, dans son activité onirique. Dans les rêves de sacrifice du cinquième Discours sacré, l’élément principal qui se dégage est la divination à partir de l’observation des victimes. Ainsi, Aristide rêve qu’après avoir sacrifié une victime, il examine celle-ci; survient un des devins, qui n’est pas sûr de la justesse de l’interprétation proposée par Aristide, et qui, pour excuser sa propre incertitude, incrimine le climat et les astres29. Plus loin, Aristide rêve de l’empereur sacrifiant un coq, grâce auquel il va être possible de prédire l’avenir, et d’un «exégète» affirmant que les présages sont favorables après un sacrifice en l’honneur d’Éros30. Le troisième Discours sacré développe un épisode particulièrement remarquable, qui mérite d’être reproduit in extenso. [37] De la viande bovine je fus détourné de la manière suivante. Je rêvai qu’il avait été prononcé en oracle à Zosime qu’il vivrait aussi longtemps «que la vache au pré». Aussitôt je lui dis: «Sais-tu ce que signifie l’oracle? Il t’ordonne de t’abstenir de viande bovine». Ce Zosime, disait-on, outre le refroidissement dont il mourut, était tombé malade pour avoir touché à de la viande bovine à la suite d’un sacrifice. Je faisais donc, comme il est naturel, la plus grande attention, et prenais les plus grandes précautions pour n’en pas toucher à mon insu, même du bout du doigt. [38] Or, quelque temps plus tard, survinrent les tremblements de terre, nombreux et fréquents, Albus étant proconsul de l’Asie; Mytilène fut presque entièrement jetée à bas, dans beaucoup des autres villes de nombreux quartiers s’écroulèrent, des bourgades furent anéanties, les Éphésiens et les Smyrniotes couraient affolés les uns chez les autres. La succession des secousses et des terreurs passait l’entendement. Tantôt on envoyait des députés à Claros et le lieu d’oracle était assiégé; tantôt, par manière de supplications, on faisait le tour des autels et des agoras et on processionnait autour des villes, personne n’osant demeurer chez soi: à la fin, on désespéra même des supplications. [39] Dans ces conditions, tandis que je séjournais alors à Smyrne, ou plutôt dans ma campagne en avant de la ville, le dieu m’ordonna d’offrir un bœuf en sacrifice public à Zeus Sôtêr. Comme j’étais effrayé de cet ordre, rempli de doute et de crainte à la pensée de ce premier oracle que j’avais reçu, il me vint en tête cette idée que ce n’était pas une vache du moins que j’aurais à sacrifier, et qu’il ne m’était pas nécessaire d’y goûter. Or il me fut donné ce signe tout à fait clair, à la suite duquel, ayant repris confiance, je sacrifiai. Je rêvai que, tandis que j’étais debout

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Discours sacrés V, 10 et 47. Cf. III, 41. Disc. sacr. III, 13, avec la note de H.-D. Saffrey, ad loc. 29 Disc. sacr. V, 20 (texte corrompu et d’interprétation délicate). 30 Disc. sacr. V, 44 et 65. Voir aussi V, 66. – Artémidore, interprète des songes contemporain d’Aristide, connaît les rêves de sacrifice (Onirokritika V, 66: interprétation d’un rêve enjoignant d’offrir un sacrifice à Asclépios). 28

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Laurent Pernot près de l’autel même de Zeus dans l’agora et demandais qu’un signe m’apparût pour savoir s’il valait mieux sacrifier, un astre brillant bondissant à travers l’agora me confirmait le sacrifice: ainsi encouragé, je sacrifiai. [40] Après cela, que celui qui veut croire croie; pour celui qui s’y refuse, qu’il aille au diable. Bref, tous ces tremblements s’arrêtèrent et il n’y eut plus aucun trouble après ce jour-là, par la providence et le pouvoir des dieux, et par mon ministère forcé. (Trad. A.-J. Festugière, légèrement modifiée au début).

Dans une première étape (§ 37), Aristide se voit signifier l’interdiction de consommer de la viande bovine. Interdiction très forte, car elle passe par le personnage de Zosime, qui était le «nourricier» (tropheus) d’Aristide, c’est-à-dire un serviteur qui s’était occupé de lui durant son enfance, qui lui était très cher, et qui était également médecin. Alors qu’Aristide était âgé d’une trentaine d’années, Zosime mourut, victime d’un refroidissement après avoir fait une chute de char dans la neige, et aussi, apprenons-nous par ce texte, d’une maladie due à la consommation de viande de bœuf, contractée à la suite d’un sacrifice. Aristide fut très affligé de cette mort, qui, pour diverses raisons, provoquait en lui un obscur sentiment de culpabilité, et il continua pendant longtemps de voir Zosime dans ses rêves. Ici le rêve se situe apparemment quelques mois après la mort de l’intéressé31. Mais voilà que, peu de temps après, le même Asclépios qui avait interdit la viande bovine donne l’ordre de sacrifier un bœuf (§ 39). Pour résoudre l’apparente contradiction, Aristide effrayé effectue un travail d’exégèse visant à éclairer la volonté du dieu: il remarque qu’il s’agit de sacrifier un bœuf et non une vache (or l’interdiction pouvait être interprétée, compte tenu de l’expression «la vache au pré», comme visant spécifiquement les vaches); il imagine de sacrifier sans goûter la viande. Pour confirmer son analyse, il demande, et reçoit, un deuxième ordre confirmant le premier. Moyennant ces précautions, il se décide à sacrifier, et obtient un résultat merveilleux, puisque les tremblements de terre qui avaient frappé Mytilène et qui menaçaient d’autres cités cessent immédiatement32. Dans ce texte d’une grande complexité psychologique, s’exprime la conscience de l’élu. Aristide est persuadé d’être en communication constante et précise avec Asclépios et d’exercer un «ministère» (diakonia), grâce auquel ses actions personnelles sont plus efficaces que les supplications publiques des cités (§ 38). Mais il sait qu’on peut ne pas le croire (§ 40), et c’est pourquoi, sur le moment, il n’a rien dit (§ 43). La tension est grande entre la certitude de vivre une expérience extraordinaire et le souci de conserver une apparence normale, sans extérioriser le sentiment de sa différence. Aristide est un «holy man» qui se cache. Ou plutôt qui se cachait: car les Discours sacrés décla-

31 Suivant la dernière reconstruction chronologique (qui nécessairement reste conjecturale pour une part) proposée par C.A. Behr, «Studies on the Biography of Aelius Aristides», Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II, 34, 2, 1994, 1204, l’ensemble de l’épisode (tant le rêve mettant en scène Zosime que le tremblement de terre de Mytilène) se situerait durant l’année 148. La mort de Zosime est relatée en Disc. sacr. I, 74-77. Sur les rêves faisant intervenir Zosime après la mort de celui-ci, voir Revue de philologie 61, 1987, 313. 32 Voir un parallèle chez Philostrate, Vie d’Apollonios de Tyane VI, 41 (le sage arrête un tremblement de terre, également par des sacrifices). La suite du passage d’Aristide (§ 41-42) relate un miracle supplémentaire: la protection divine dont a bénéficié l’auteur.

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Le sacrifice dans la littérature grecque de l’époque impériale rent publiquement ce qui n’avait pas été dit, sont un acte de révélation religieuse, en quelque sorte33. Ainsi les textes d’Aristide jettent-ils une lumière vive sur le vécu du sacrifice et sur la foi dans l’efficacité des sacrifices sanglants de la part d’un intellectuel grec du IIe siècle ap. J.-C..

III. La critique des sacrifices chez Lucien Un point de vue tout différent est représenté par Lucien, contemporain exact d’Aristide, en particulier dans le traité Sur les sacrifices34. Dans cet opuscule, formé de trois parties, Lucien commence par blâmer les sacrifices, au motif que ceux-ci supposent que les dieux ont besoin des hommes et qu’ils se laissent acheter, en somme, par les offrandes humaines (§ 1-3). Puis la démonstration s’élargit à une critique des fables de la mythologie et de la religion en général (§ 4-11). Pour finir, l’auteur revient aux sacrifices et raille les usages étranges des Scythes et des Égyptiens en la matière (§ 12-15). Il s’agit d’une critique radicale, d’esprit philosophique, dénonçant tout sacrifice comme inutile et inepte. Ce texte fait écho aux nombreuses attaques contre la religion dont l’œuvre de Lucien est parsemée. Il peut également être mis en parallèle avec le petit traité Sur le deuil, qui a lui aussi pour propos de dénoncer la folie des hommes à travers une de leurs pratiques les plus courantes. Les savants ont porté un jugement sévère à l’encontre du traité Sur les sacrifices, lui reprochant d’être banal, mal composé, sans intérêt d’actualité35. Il est vrai que la critique des sacrifices a de nombreux parallèles dans la littérature et la philosophie avant Lucien. Mais il convient de ne pas s’arrêter à la considération des sources, pour éviter de sous-estimer l’intérêt de la pensée de Lucien et la part d’actualité existant dans son œuvre. Cette actualité existe, tant dans le domaine rhétorique que dans le domaine intellectuel en général et dans le domaine religieux. Lucien, tout en étant un admirateur des classiques, avait les yeux ouverts sur son temps. C’est dans cet esprit qu’il vaut la peine d’entreprendre une nouvelle lecture du traité Sur les sacrifices. La composition du traité a paru déséquilibrée, parce que les sacrifices proprement dits ne sont traités qu’au début et à la fin, mais en fait elle est significative, puisqu’elle lie le sacrifice au problème du culte, de la mythologie, de la reli33

Ceci nuance peut-être l’interprétation de P. Brown, Genèse de l’Antiquité tardive, trad. fr. par A. Rousselle, Paris, 1983, 93, selon laquelle le souci de discrétion en pareille matière était un trait de l’époque des Antonins, qui disparut au cours des générations suivantes, lorsque de nouveaux modèles culturels (notamment chrétiens) donnèrent la possibilité d’affirmer plus ouvertement une proximité avec le divin. Aristide déjà, non seulement dans les Discours sacrés, mais aussi dans ses hymnes, affirme ouvertement une telle proximité. Mais il est vrai qu’Aristide était un cas hors du commun. 34 Édition par M.D. Macleod, Luciani opera, II, Oxford, 1974; traduction française par É. Chambry, Lucien de Samosate, Œuvres complètes I, Paris, 1933. 35 M. Caster, Lucien et la pensée religieuse de son temps, Paris, 1937, 180; J. Bompaire, Lucien écrivain, Paris, 1958, 492; J. Schwartz, Biographie de Lucien de Samosate, Bruxelles, 1965, 77. Toutefois l’étude de Caster, après un début acerbe, se développe de manière équilibrée et perspicace (op. cit., 181-186, 271-273). C.P. Jones, Culture and Society in Lucian, Cambridge (Mass.), 1986, 27, reconnaît au traité un «ton truculent».

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Laurent Pernot gion en général. Lucien a pris le sacrifice sanglant comme emblème du fait religieux dans son ensemble, et ce choix mérite d’être reconnu. Chemin faisant, l’auteur donne des détails qui ne sont probablement pas tous passéistes. Ainsi, au § 2, il évoque une sorte d’échelle des tarifs, depuis les grains d’encens et les gâteaux, qui constituent l’offrande minimale, jusqu’aux bœufs et aux taureaux, en passant par les coqs, les brebis, les chèvres. Aux § 12-13, il envisage le modus operandi et décrit avec précision les gestes accomplis par le sacrificateur. Fondamentalement, ce traité bat en brèche le fameux modèle grec du sacrifice. Les sacrifices grecs sont définis par comparaison avec les sacrifices barbares, l’auteur se montrant soucieux de distinguer les coutumes des différents peuples et d’opposer les différentes pratiques existant en la matière. L’usage grec est par là même relativisé, perdu au milieu d’une pluralité d’attitudes dont la philosophie dénonce l’égale absurdité. Enfin, on notera que la critique lucianesque rejoint les critiques formulées par les polémistes chrétiens de la même époque. Si les passages parallèles ont été relevés, par M. Caster notamment, la réflexion sur les rapprochements constatés reste à approfondir, car il ne s’agit pas seulement de repérer des sources communes, mais d’apprécier la signification des thèmes dans le contexte où ils sont développés. Le sacrifice grec devient objet de discussion, entre relativisme ethnographique, polémique philosophique et polémique chrétienne.

IV. Meurtres rituels et sacrifices humains Le dernier thème abordé par les sophistes et les romanciers de l’époque impériale est celui des meurtres rituels et des sacrifices humains. Il revêt une importance inattendue36. Chez Aelius Aristide, le rêve des Discours sacrés V, 20, qui a été mentionné plus haut, comporte une suite tout à fait remarquable. Deux nuits plus tard, Aristide rêva d’une jeune fille, Philouméné, qui était la fille de sa sœur de lait et dont il venait d’apprendre la mort. Il vit le corps de celle-ci, les entrailles à nu, et sur les replis intestinaux il lut son propre nom, Ailios Aristeidês, ainsi que le nom Sôsimenês et d’autres mots encore. Aristide n’eut aucun doute quant à l’interprétation de ce rêve: il y vit l’indication que Philouméné était morte pour lui, à sa place, qu’elle avait donné sa vie pour qu’il fût sauvé, selon le mécanisme de la mort par substitution (ou «antipsychie», c’est-à-dire échange de vies)37. Un fait important est ici que le corps humain, comme celui d’une victime animale, se prête à l’extispicine38. Il y a assimilation de l’être humain à une victime, et par conséquent, dans le subconscient d’Aristide, flotte peut-être l’idée d’un sacrifice humain destiné à gagner la faveur des dieux à son propre profit.

36 Sur la problématique de ce sujet, voir l’important article de S. Georgoudi, «À propos du sacrifice humain en Grèce ancienne: remarques critiques», Archiv für Religionsgeschichte 1, 1999, 61-82. 37 Disc. sacr. V, 22-24. Voir un autre exemple du même mécanisme, ibid. II, 44. 38 Comparer Héliodore X, 33, 3.

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Le sacrifice dans la littérature grecque de l’époque impériale Le thème du sacrifice humain a été exploité par Héliodore, qui en a fait le point culminant de ses Éthiopiques39. À la fin du roman, les deux héros, Théagène et Chariclée, sont faits prisonniers par le roi d’Éthiopie, Hydaspe, qui s’empare d’eux au cours d’une guerre et qui décide de les immoler à Hélios et à Séléné, en signe de victoire, selon la coutume de son pays. Le livre X et dernier du roman est tout entier dominé par cette menace de mise à mort40 qui pèse sur le jeune homme et la jeune fille. On commence les préparatifs, on vérifie la virginité de Chariclée (condition nécessaire pour qu’elle puisse être offerte à Séléné), quand – coup de théâtre – il se révèle que Chariclée n’est autre que la fille du roi Hydaspe. Le monarque, qui est pieux, serait prêt à la sacrifier néanmoins, mais le peuple, pris de pitié, s’y oppose. Chariclée est donc sauvée: reste Théagène. Après plusieurs rebondissements, des témoignages dignes de foi établissent que Théagène est le fiancé de Chariclée. Dès lors, le roi et le peuple n’ont plus le cœur à le sacrifier, lui non plus, et l’histoire se termine par le mariage des deux héros, qui deviendront prêtre et prêtresse d’Hélios et de Séléné. Ce résumé suffit à faire apparaître le rôle narratologique que joue le sacrifice humain dans les Éthiopiques. La fin du roman obéissant aux conventions du genre (réunion des amants, scènes de reconnaissance, mariage, “happy ending”), le sacrifice humain est un élément de tension supplémentaire. C’est un facteur d’horreur et d’effroi, d’autant plus que les victimes ne sont autres que les héros de l’ouvrage. Mais au-delà de son rôle narratologique (et des souvenirs tragiques, en particulier le souvenir du sacrifice d’Iphigénie), le sacrifice humain présente aux yeux du romancier et de ses lecteurs un intérêt intrinsèque. Héliodore décrit ce rite comme une coutume exotique. Il en détaille les particularités et les conditions (ce type de sacrifice ne s’applique qu’aux prisonniers de guerre; les femmes en sont exclues, sauf la prêtresse et la victime; les victimes doivent obligatoirement être vierges). Il instaure un débat à ce sujet, car le roi est conseillé par un gymnosophiste qui se déclare, pour sa part, hostile aux sacrifices humains, et qui finit pas avoir gain de cause. Dans les dernières pages du roman, en effet, Hydaspe renonce au sacrifice commencé, en reconnaissant que, visiblement, il n’agrée pas aux dieux, puisque ceux-ci ont tout fait pour que Théagène et Chariclée échappent à la mort41. Le sacrifice humain apparaît ici comme un degré supérieur, ou un passage à la limite, par rapport au sacrifice sanglant normal (le gymnosophiste était hostile aussi aux sacrifices animaux42, mais il n’obtient pas gain de cause sur cet article). Sacrifice animal et sacrifice humain présentent des similitudes dans la motivation et dans le déroulement, mais la différence de nature des victimes utilisées instaure une opposition entre ces deux formes de rite43.

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IX, 1, 4; IX, 24-25; X, passim. Le romancier emploie le mot anthrôpoktonia (Héliodore X, 7, 2). 41 Stella Georgoudi nous fait observer l’importance de ce point. Hydaspe ne renonce pas au sacrifice de son propre chef, mais parce que les dieux ont manifesté cette volonté (Héliodore X, 39-40). Le sacrifice est réclamé par les dieux et ne peut être aboli que par eux. 42 Héliodore X, 9, 6-7. 43 Nous rejoignons sur ce point une conclusion de P. Bonnechere, «La notion d’ ‘acte collectif’ dans le sacrifice humain grec», Phoenix 52, 1998, 212. 40

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Laurent Pernot Si on laisse de côté d’autres occurrences moins importantes chez Lucien44 et Xénophon d’Éphèse45, le dernier texte qui mérite l’attention figure dans les Phoinikika (Histoires phéniciennes) de Lollianos (IIe siècle ap. J.-C.), roman conservé par deux papyrus46. Bien que l’état du texte soit très fragmentaire et la reconstitution de l’intrigue à peu près impossible, les Phoinikika sont importants parce qu’ils offrent des aperçus nouveaux sur le genre du roman grec, tant du point de vue des thèmes traités que des niveaux de langue utilisés et des rapports avec les textes latins (Apulée). On a envisagé la possibilité que l’auteur soit identique au sophiste P. Hordeonius Lollianus, connu notamment par les Vies des sophistes de Philostrate, ce qui constituerait un pont supplémentaire entre roman et sophistique. À un certain moment de l’histoire, l’auteur décrit le meurtre rituel d’un pais (enfant ou esclave) par un homme vêtu d’un pagne pourpre, qui arrache le cœur de la victime, le fait cuire et le donne à consommer aux assistants, appelés «initiés» (muoumenoi), en leur ordonnant de jurer. Ce rite macabre semble avoir pour fonction de créer un lien entre les membres d’une bande, des brigands peut-être, et de sanctifier le serment qu’ils prêtent ensemble. On remarque que les dieux, dans cet extrait, ne sont pas invoqués, et que le verbe thuein n’est pas employé, si bien qu’il est préférable de parler de meurtre rituel ou magique plutôt que de sacrifice proprement dit47. L’apport du texte de Lollianos, par rapport aux autres romans, consiste dans le fait que le meurtre est effectivement perpétré, selon toute apparence48, au lieu de rester à l’état de simple menace, et qu’en outre, il s’accompagne de cannibalisme, par manducation des viscères de la victime49. Malheureusement, le contexte ne permet pas de donner une interprétation d’ensemble de cet épisode50. On sent bien que le romancier veut capter l’attention du lecteur par une scène violente, choquante, mais les autres implications sont difficiles à préciser. En tout cas ce passage peut être rapproché d’agissements analogues décrits par plusieurs textes ou séries de textes: Catilina et ses complices scellant leur conjuration en immolant un homme dont ils goûtent les chairs51; les brigands d’Égypte tuant 44 Dans le traité Sur les sacrifices, Lucien cite des exemples de sacrifices humains: le sacrifice d’Iphigénie (§ 2); les sacrifices offerts à Artémis par les Scythes (§ 13). Voir aussi La déesse syrienne 58. 45 Xénophon d’Éphèse, Les Éphésiaques II, 13: sacrifice programmé d’Anthia à Arès. 46 Édition, traduction et commentaire par S.A. Stephens & J.J. Winkler, Ancient Greek Novels. The Fragments, Princeton, 1995. À consulter également: M.P. Lopez Martinez, Fragmentos papiraceos de novela griega, Alicante, 1998. La scène visée ici figure sur le papyrus de Cologne, B. 1 recto (Stephens-Winkler, 338; Lopez Martinez, 176-177). 47 Suivant le conseil de prudence méthodologique et de clarté dans les définitions donné par J. Scheid, «Vorbemerkung zum ersten Halbjahresheft (Neue Erkenntnisse über das Menschenopfer)», Archiv für Religionsgeschichte 1, 1999, III. 48 On a parfois supposé qu’il pouvait s’agir d’un Scheintod, comme chez Achille Tatius (infra, n. 52), mais rien dans le texte ne l’indique. 49 Sur la question du festin cannibale, en rapport avec le sacrifice humain, voir Georgoudi 1999: 80. 50 Les discussions modernes ont porté notamment sur la question du réalisme et sur la valeur religieuse de la scène: voir J.R. Morgan, «On the Fringes of the Canon: Works on the Fragments of Ancient Greek Fiction 1936-1994», Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II, 34, 4, 1998, 3366-3369. 51 Plutarque, Vie de Cicéron 10, 4.

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Le sacrifice dans la littérature grecque de l’époque impériale et consommant des victimes humaines52; les chrétiens perpétrant des meurtres rituels sur des enfants, au dire de leurs ennemis53. * On constate la richesse, quantitative et qualitative, des sources d’époque impériale, qui sont relativement peu connues. L’intérêt de ces sources tient à ce qu’elles ne se contentent pas de décrire, mais qu’elles mettent le sacrifice en scène et le transforment en objet de discussion. S’il y a un modèle grec du sacrifice à cette époque, il n’est pas seulement transmis par les rites, mais il est conscient, et plus encore il est discuté et contesté. D’où une image plurielle, complexe. Cette image répond aux problématiques de l’époque. À travers le thème du sacrifice, se pose le problème de l’identité grecque (thème important dans la littérature grecque de l’époque romaine), du respect des formes considérées comme traditionnelles, du rôle social du sacrifice, de l’opposition entre Grecs et barbares. L’opposition entre Grecs et Romains n’est pas présente dans les textes que nous avons discutés, mais on la rencontre ailleurs54. La discussion philosophique, autre trait de l’époque impériale (même s’il ne lui est pas propre), n’est jamais loin, comme le montrent le refus du sacrifice sanglant chez le gymnosophiste d’Héliodore et le refus de tout sacrifice chez Lucien. Le thème du «holy man» (plus nettement propre à l’époque) apparaît aussi, à la faveur des sacrifices à effet merveilleux chez Aristide et Philostrate et des scènes de communication entre certains personnages et les dieux dans les romans. Enfin, le christianisme, dans le monde de l’époque impériale, fut – avant de s’imposer – une doctrine parmi d’autres, qui avait des points de contact avec les autres, et ceci se vérifie à propos de la réflexion sur le sacrifice, la critique lucianesque se rencontrant avec celle des penseurs chrétiens, et le thème des meurtres rituels étant abordé à la fois en milieu païen et en milieu chrétien. Reste le sacrifice humain. On n’attendait pas qu’il revêtît une telle importance. Et pourtant il est là, au moins en imagination.

Bibliographie Behr, C.A. 1994, «Studies on the Biography of Aelius Aristides», Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II, 34, 2, 1140-1233. Bompaire, J. 1958, Lucien écrivain, Paris. Bonnechere, P. 1998, «La notion d’‘acte collectif’ dans le sacrifice humain grec», 52 Achille Tatius III, 15: les brigands tuent Leucippé, puis cuisent et mangent ses entrailles (on comprendra ensuite qu’ils ont été abusés par un complice de la jeune fille, qui a fait semblant de la sacrifier en utilisant un poignard rétractable et en perçant un ventre postiche rempli d’entrailles d’animaux); Dion Cassius LXXII, 4: les «bouviers» (boukoloi) d’Égypte tuent un centurion romain, prêtent serment sur ses entrailles et les dévorent. Voir J. Yoyotte, «Héra d’Héliopolis et le sacrifice humain», Annuaire de la Section des Sciences religieuses (EPHE) 89, 1980-1981, 33-34. 53 Voir A. Henrichs, «Pagan Ritual and the Alleged Crimes of the Early Christians. A Reconsideration», dans P. Granfeld & J.A. Jungmann ed., Kyriakon. Festschrift J. Quasten I, Münster, 1970, 18-35 (29-35 sur le texte de Lollianos). 54 Par exemple dans les Questions romaines de Plutarque.

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Laurent Pernot Phoenix, 52, 191-215. Brown, P. 1983, Genèse de l’Antiquité tardive, trad. fr. par A. Rousselle, Paris. Caster, M. 1937, Lucien et la pensée religieuse de son temps, Paris. Festugière, A.-J. & Saffrey, H.-D. 1986, Aelius Aristide, Discours sacrés, Paris. Georgoudi, S. 1999, «À propos du sacrifice humain en Grèce ancienne: remarques critiques», Archiv für Religionsgeschichte 1, 61-82. Henrichs, A. 1970, «Pagan Ritual and the Alleged Crimes of the Early Christians. A Reconsideration», P. Granfeld & J. A. Jungmann ed., Kyriakon. Festschrift J. Quasten I, Münster, 18-35. Jones, C.P. 1986, Culture and Society in Lucian, Cambridge (Mass.). Morgan, J.R. 1998, «On the Fringes of the Canon: Works on the Fragments of Ancient Greek Fiction 1936-1994», Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II, 34, 4, 3293-3390. Pouilloux, J. 1983, «Delphes dans les Éthiopiques d’Héliodore. La réalité dans la fiction», Journal des savants, 259-286. — 1984, «Roman grec et réalité: un épisode delphique des Éthiopiques d’Héliodore», H. Walter ed., Hommages à Lucien Lerat II, Paris, 691-703. Rougemont, G. 1992, «Delphes chez Héliodore», M.-F. Baslez, P. Hoffmann, M. Trédé ed., Le monde du roman grec, Paris, 93-99. Saïd, S. 1997, «Oracles et devins dans le roman grec», J.-G. Heintz ed., Oracles et prophéties dans l’Antiquité, Paris, 367-403. Scheid, J. 1999, «Vorbemerkung zum ersten Halbjahresheft (Neue Erkenntnisse über das Menschenopfer)», Archiv für Religionsgeschichte 1, III. Schwartz, J. 1965, Biographie de Lucien de Samosate, Bruxelles. Veyne, P. 2000, «Inviter les dieux, sacrifier, banqueter. Quelques nuances de la religiosité gréco-romaine», Annales. Histoire, Sciences sociales 1, 3-42. Yoyotte, J. 1980-1981, «Héra d’Héliopolis et le sacrifice humain», Annuaire de la Section des Sciences religieuses (EPHE) 89, 31-102.

Abstract Practice, experience and ideology of sacrifice at the time of the Roman Empire are illustrated by the literary sources. The novels insert sacrifices into plots, slipping out the common use of sacrifice, in search of thrilling stories which have also a documentary interest. Aristides shows the gap between the private experience of life and the public practices. He calls attention to gains men may hope from sacrificial divination, or to his own sense of being elected by Asclepius. On the contrary, according to his treatise about sacrifices, as the philosophers and the Christians do, Lucian denounces pagan religion itself, with its emblematic focus on sacrifice, while he down plays the Greek practice by comparison with barbarian rites. Human sacrifice, which gives an opportunity for discussing sacrifice, is far more important in that literature than was expected.

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LA THÉOSOPHIE DE PORPHYRE ET SA CONCEPTION DU SACRIFICE INTÉRIEUR Stéphane TOULOUSE École Normale Supérieure, Paris Au second siècle de l’ère chrétienne, un renouveau oraculaire a eu lieu qui correspond au début de cet âge d’anxiété décrit par Dodds1 – anxiété et renouveau qui ne sont que les symptômes d’une modification de l’esprit religieux. Pour caractériser la floraison de ce nouveau type de réponses divines et les préoccupations religieuses qu’elles reflètent, Nock a proposé le nom d’«oracles théologiques»2. Dans la seconde moitié du IIIe siècle, le philosophe Porphyre, le disciple et l’éditeur de Plotin, recueillit un certain nombre d’oracles qui manifestent cette nouvelle sensibilité religieuse, «pour exhorter les hommes à ce qu’il lui plaît d’appeler la théosophie»3. L’œuvre dans laquelle il les rassemble a pour titre La philosophie tirée des oracles4. L’ouvrage, connu de manière fragmentaire et, pour l’essentiel, par des citations et paraphrases critiques dans la Préparation évangélique d’Eusèbe de Césarée5, est traditionnellement présenté comme un ouvrage de la première période d’activité de Porphyre, composé avant qu’il ne rencontre Plotin6 et qu’il ne donne une impulsion proprement néoplatonicienne à sa pensée et en particulier à sa philosophie religieuse. En abordant ici la question de la reformulation du thème du sacrifice qu’il élabore au nom de la conception philosophique qu’il se fait de la piété et du lien authentiquement religieux qui unit l’homme à la divinité, nous aurons l’occasion de suggérer la continuité et la cohérence de ses vues dans cet ouvrage et dans les livres composés sous l’influence indéniable de la théologie mystique de Plotin.

I. Le projet de La philosophie tirée des oracles Porphyre a recueilli et utilisé des oracles qui s’accordent à sa propre spiritualité: par ce moyen, il entendait conférer une assise traditionnelle à sa démarche philosophique, une attestation divine, “épiphanique”, de la vérité, qui mette fin à la doulou-

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Dodds 1979. Voir son article homonyme (Nock 1928). 3 Eusèbe, Préparation évangélique IV, 6, 3 (ed. É. Des Places et trad. O. Zink, Sources chrétiennes, n° 262, Paris, 1979, 118-119 = Porphyrius, Fragmenta, 303F, l. 9, ed. A. Smith, Stuttgart et Leipzig, 1993, 352). 4 Le titre grec est hJ ejk tw`n ` logivwn filosofiva, précédé éventuellement de periv. 5 Voir l’édition des Fragments procurée par Smith: le traité d’Eusèbe est le témoin de 40 fragments sur 48 (un même fragment peut être attesté par deux sources différentes); les autres sources sont Firmicus Maternus (De errore profan. relig.), Augustin (Civitas Dei) et Jean Philopon (De opificio mundi). 6 La rencontre a eu lieu à Rome en 263. Rien n’exclut en réalité qu’il s’agisse d’une œuvre de la maturité de Porphyre; voir, en ce sens, Digeser 1998. 2

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Stéphane Toulouse reuse aporie des chercheurs de sagesse. C’est ce que montre la préface de La philosophie tirée des oracles7: Le présent recueil comportera l’exposition d’un grand nombre de doctrines philosophiques, dans la mesure où les dieux en ont assuré la vérité dans leurs oracles; sous peu, nous traiterons également de l’activité prophétique — de celle qui sera utile à la contemplation ainsi qu’à la purification de la vie. L’utilité de ce recueil sera particulièrement sensible à tous ceux qui, pour avoir cherché dans la douleur à enfanter la vérité, ont souhaité d’obtenir, un jour, une manifestation des dieux, qui mît un terme à leurs difficultés par l’enseignement digne de foi de ceux qui parlent.

Le propos de Porphyre et l’image de la parturition du vrai sont à comparer à ce qui est dit, dans sa Vie de Plotin, de la supériorité de son maître, qui, de manière exceptionnelle, a accédé à des contemplations divines, difficilement accessibles aux sophiês maiêtores («chercheurs de sagesse») selon l’oracle d’Apollon que cite Porphyre8. La double visée, contemplative et cathartique, s’accorde elle-même avec les enseignements de Plotin, et il est clair que, malgré le découpage des citations pratiqué par Eusèbe, le traité, loin d’être seulement un recueil de textes oraculaires, était pour Porphyre l’occasion d’exposer «un grand nombre de doctrines philosophiques». Malgré ces indices, et d’autres qui apparaîtront dans la suite de cette étude, il est curieusement devenu habituel, depuis le livre classique de Joseph Bidez consacré à Porphyre9, d’opposer la voie mystique d’union au divin inspirée à Porphyre par l’enseignement de Plotin, et qui représenterait un moment postérieur dans sa pensée, et les enseignements démonologiques et théurgiques fondés sur les révélations oraculaires qui seraient sa marque dans La philosophie tirée des oracles, tenue pour une œuvre de jeunesse. L’étude du thème du sacrifice chez ce philosophe devrait permettre, sur un exemple précis, de dissiper l’illusion sur laquelle repose la construction chronologique de Bidez, à savoir l’idée d’une opposition dans la démarche philosophique et le contenu doctrinal entre La philosophie tirée des oracles et des œuvres tenues pour postérieures, comme le traité De l’abstinence et la Lettre à Marcella. Cette illusion consiste à adopter une vue partielle et erronée du contenu du traité Sur la philosophie des oracles, une vue accordée à la partialité polémique d’Eusèbe, mais non aux préoccupations explicites de Porphyre dans les quelques citations de sa préface qu’Eusèbe consent à nous distiller. La citation que nous avons faite de la préface du traité montre déjà, pour le moins, que le projet du Tyrien est essentiellement philosophique. Qui plus est, loin qu’il soit question de prescriptions théurgiques tirées des paroles divines, Porphyre considère manifestement dans sa préface les oracles qu’il recueille à la fois comme un objet philologique d’exégèse (méthode) et un fondement sûr pour la quête de la vérité et du salut (visée): Il est sûr de lui et inébranlable celui qui puise à cette source, la seule qui soit sûre à ses yeux, ses espérances de salut; c’est à ceux-là que tu communiqueras mes oracles sans

7 Eusèbe, Prép. év., IV, 7, 2 (120-123 Des Places et Zink: traduction corrigée = Porphyre, Fragmenta, 303F, l. 25-34, 352-353 Smith). 8 Voir Porphyre, Vie de Plotin, 22, 44, dans La vie de Plotin, II, par Luc Brisson et alii, Vrin, Paris, 1992, 172. 9 Bidez 1913.

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La théosophie de Porphyre en rien soustraire; car moi aussi, je prends les dieux à témoin que je n’ai rien ajouté ni rien omis de la pensée des oracles, si ce n’est que j’ai fait quelque correction à un mot fautif, ou quelque changement pour plus de clarté, ou bien que j’ai complété un vers défectueux; ou bien encore, j’ai supprimé ce qui ne se rapportait pas au sujet; du moins, je jure que j’ai conservé intact l’esprit des oracles, en me gardant de l’impiété qui pourrait s’en dégager plutôt que de la Justice vengeresse qui poursuit le sacrilège10.

On voit comment le souci à la fois philologique et philosophique de l’exégète l’emporte sur le respect strictement religieux du texte sacré11: et la fin du texte laisse entendre que l’impiété n’est pas où l’on l’attend, et que la véritable piété se trouve du côté de la correction philologique et du respect philosophique des noêmata divins, et non du côté du respect de la lettre même des réponses oraculaires, d’autant plus que les dieux, comme le remarque peu après Porphyre, «n’ont même pas parlé clairement dans leurs oracles»12. Comme dans d’autres de ses œuvres, Porphyre demande à des paroles de l’antique sagesse d’être le fondement assuré d’un cheminement de type philosophique dans lequel la méthode exégétique, par le fait même de dégager les contenus de pensée authentiques livrés par les anciennes traditions, est une étape nécessaire dans le parcours de l’âme vers la contemplation et le salut13. Outre les oracles des sanctuaires classiques ici commentés, Porphyre a constitué d’autres textes de la tradition en autorités doctrinales: les Oracles chaldaïques14, les Sentences “pythagoriciennes”15, ou encore le texte homérique dans l’Antre des Nymphes ou dans le traité Du Styx. La visée de Porphyre, quand il fait appel à ces traditions divinement inspirées, est constamment le salut de l’âme et la quête de la vérité, et La philosophie tirée des oracles ne paraît pas déroger à ce principe platonicien: le premier fragment met déjà fermement l’accent sur ce point, et l’idée revient à trois reprises dans les fragments conservés par Eusèbe16. Enfin, Eusèbe attribue à Porphyre l’emploi du terme de théosophie pour qualifier apparemment le but ultime visé par le philosophe et la portée proprement psychagogique du propos qui a présidé à ce rassemblement d’oracles: son but est «d’exhorter les hommes à ce qu’il lui plaît d’appeler la théosophie»17. Il est permis de se deman-

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Eusèbe, Prép. Ev. IV, 7, 1 (120-121 Des Places et Zink). Cependant L. Robert a bien montré, contre Wolff (l’éditeur de la Philosophie tirée des oracles), que l’accord étroit entre la doctrine de Porphyre et un oracle théologique (le n° 37 de la Théosophie de Tübingen en l’occurrence, rendu par Apollon à propos de l’immortalité de l’âme) n’autorise nullement à mettre en doute son authenticité (voir Robert 1968: 589-590, et, pour la nouvelle religiosité exprimée par les oracles de Didymes, Robert 1971, notamment 616-617; c’est sur cette religiosité estampillée d’un sceau divin que, précisément, fait fond Porphyre pour consolider les assises de sa religio mentis). 12 Ibid., IV, 8, 2 (124-125 Des Places et Zink). 13 Sur ce type de lecture, voir Toulouse 2000. 14 Voir notamment Synésius de Cyrène, Des songes, N. Terzaghi ed., Rome, 1944. Cette œuvre est un assez bon témoin de l’usage philosophique que Porphyre pouvait faire de la tradition “chaldaïque”. 15 Dans la Lettre à Marcella (É. Des Places ed., Paris, 1982). 16 Voir Prép. év. IV, 7, 2, l. 1-8 (120-123 Des Places et Zink); 8, 1, l. 6-7 (124-125 D.P. et Z.); XIV, 10, 5, l. 3-9 (ed. Des Places, Sources chrétiennes n° 338, Paris, 1987, 104-105). 17 Ibid., IV, 6, 3 (118-119 Des Places et Zink = Porphyre, Fragmenta, 303F, 352 Smith). 11

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Stéphane Toulouse der si l’on a affaire à un projet réellement philosophique, ou à un commentaire révérencieux et sans distance critique des oracles recueillis; dans ce second cas, le terme de théosophie indiquerait une forme d’adhésion religieuse immédiate à un savoir divin infus, ou désignerait même la théurgie sous son aspect de révélation de la sagesse divine préalable à l’acte religieux. Nous avons déjà indiqué que le naturel à la fois philologue et philosophe de Porphyre, qui est une constante de son exégèse philosophique, dont on trouve trace également dans des allusions biographiques de la Vie de Plotin, était très sensible dans la préface du traité, où la philologie est mise au service de la clarification des noêmata divins, comme une méthode de constitution de la vérité à partir de la parole divine. D’autre part, le titre du traité comporte le terme de philosophie, et ce titre est attesté non seulement par de nombreux fragments d’Eusèbe, mais aussi par Firmicus Maternus, Augustin et Jean Philopon. Il est donc plus raisonnable de faire l’hypothèse que le terme de théosophie, loin de désigner la même chose que la théurgie ou la part “doctrinale”, si l’on peut dire, de la pratique théurgique, qui n’est absolument pas mentionnée par Eusèbe ni évoquée par Porphyre dans les fragments, que ce terme donc, bien plutôt, est à comprendre dans le cadre même du projet philosophique de Porphyre et qu’il doit désigner, par delà la philosophie, une visée plus haute de la philosophie elle-même, une fois clarifié le contenu “noétique” de la parole poétique oraculaire. La théosophie, nous allons le voir, est sans doute l’assise stable qui garantit le salut de l’âme, autre leitmotiv porphyrien.

II. La philosophie tirée des oracles replacée dans la perspective de la philosophie de Porphyre: le thème du sacrifice comme anagogie de l’âme Les polémistes chrétiens ont toujours eu l’habitude, ou l’habileté, de jouer, pour ainsi dire, Porphyre contre lui-même, et en particulier le De abstinentia contre la Philosophie tirée des oracles. Ces auteurs voulaient marquer les contradictions de Porphyre sur le sujet des sacrifices et du culte (au dieu suprême, aux dieux, aux démons). C’est ainsi qu’Eusèbe oppose le traité De abstinentia (livre II) à la Philosophie tirée des oracles18. Cyrille d’Alexandrie utilise au siècle suivant le même livre du De abstinentia pour réfuter Julien, sur le même sujet19; précisons que Julien lui-même, dont le Contre les Galiléens est visé par les attaques de Cyrille, avait repris dans cet ouvrage des arguments anti-chrétiens développés par Porphyre, notamment à propos du sacrifice20. Dans La Cité de Dieu, Augustin utilise la Lettre à Anébon pour combattre les doctrines du De regressu animae21; plus loin, dans le livre XIX du même ouvrage, il attaque de nouveau Porphyre en sa Philosophie des Oracles, et le met en contradiction avec lui-même à l’intérieur même de cet ouvrage, sur la question du sacrifice au dieu suprême comme seul vrai culte22; pour ce faire, il cite ou évoque des passages

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Voir tout le développement dans Prép. év., IV, 8, 4 - 15, 2 (124-157 D.P. et Z.). Voir son Contre Julien, II, 37, 280 dans l’édition de P. Burguière et P. Évieux, Sources chrétiennes, n°322, Paris, 1985. 20 Voir Geffcken 1907: 297 sq., notamment 305-307. 21 Voir La Cité de Dieu, X, 11 (Bibliothèque Augustinienne, n° 34, 462-471 = I, 418-421 ed. Dombart et Kalb, Leipzig, 1928-19294). 22 Voir ibid., XIX, 23 (B.A. n° 37, 146-159 = II, 392-398 D. et K.). 19

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La théosophie de Porphyre de la Philosophie des Oracles qui décrivent le culte du dieu suprême dans une tonalité spiritualiste assez semblable à celle du De abstinentia23. Nous reviendrons bientôt sur ces passages spiritualistes de la Philosophie tirée des oracles qui éclairent la notion de sacrifice intellectuel chez Porphyre. Il suffit ici de dire que ce dernier exemple montre que l’on ne peut se contenter de faire fond sur une présentation du traité porphyrien qui dépend des intentions et des procédés propres au genre apologétique. En réalité, il convient de relever une remarquable continuité, voire des constantes dans l’expression comme dans la doctrine, même entre ces deux œuvres24, si l’on examine les thèmes du sacrifice intérieur, de la purification par les vertus et de la divinisation philosophique. 1. Le sacrifice intellectif chez Porphyre Par une analogie caractéristique de son discours, Porphyre transfère les termes de la religion à la description de la vie de l’esprit: temple, autel, sacrifice, offrandes et entrailles s’appliquent chez lui à la vie intellective purifiée des passions, et c’est par là que le philosophe est le vrai prêtre du dieu suprême. Voici un exemple typique de la manière dont il orchestre les correspondances entre l’intérieur et l’extérieur: La pureté rituelle (hagneia), intérieure et extérieure, est donc le fait de l’homme divin, qui s’efforce de pratiquer le jeûne à l’égard des passions de l’âme comme il le pratique à l’égard des aliments susceptibles d’éveiller les passions, qui se nourrit de la connaissance des choses divines (theosophia), qui se rend semblable au divin grâce à des pensées droites au sujet du divin, d’un homme qui se sanctifie par le sacrifice intellectuel (hê noera thusia) et qui se présente devant Dieu avec un vêtement blanc, une impassibilité d’âme véritablement pure, un corps léger et non pas accablé du poids des sucs étrangers pris à d’autres êtres, ni du poids des passions de l’âme25.

Il ne s’agit pas d’un simple transfert de termes par métaphore, du corps à l’âme; l’état de pureté doit être tenu des deux côtés: une authentique pureté d’âme ne saurait être maintenue si les pratiques corporelles et les comportements ne suivent pas, si le corps n’est pas lui-même tenu dans un état de pureté favorable à l’impassibilité de l’âme (c’est que l’impureté corporelle favorise l’intrusion en nous des démons maté23 Comparer La Cité de Dieu XIX, 23 (B.A. n° 37, 156 = II, 397 D. et K.), au De abstinentia, II, en particulier aux chapitres 34, 45, 52 et 61. 24 Ainsi, le terme de théosophie, présent dans le passage du De abstinentia que nous allons citer ci-après. Notons que Bouffartigue et Patillon, dans leur introduction générale au De abstinentia (livre I, Paris, 1977, XXXVIII), avaient déjà remarqué que «Porphyre n’y renie pas les préoccupations de ses premiers ouvrages, comme par exemple la Philosophie des Oracles». Pour illustrer leur propos, soulignons que le souci du salut de l’âme (par opposition aux prescriptions purement corporelles) et de la contemplation – souci exprimé par deux fois en De abst. II, 34, 5 (101 B. et P.) et 35, 2 (102 B. et P.), à propos du culte philosophique – est ce qui motive la collection et l’interprétation des oracles dans le De philosophia ex oraculis: voir Porphyre, Fragmenta, 303F (préface, l. 15-16, 352 Smith), 324F (fin du livre I? – exégèse, l. 2-3, 371-372 Smith) et 303F (l. 29, 353 Smith). 25 De abst. II, 45, 4 (111-112 Bouffartigue et Patillon).

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Stéphane Toulouse riels). La pureté rituelle est bien le modèle de référence le plus haut, mais elle doit être traduite en termes philosophiques, parce que c’est désormais la pratique philosophique qui est conçue comme la voie royale de purification qui fait accéder au divin – c’est à dire, comme le suggère d’ailleurs le texte, au statut d’homme divin, et non plus seulement de sacrificateur ou de devin. Comprenons que les trois thèmes précédemment évoqués, ceux du sacrifice intérieur, de la purification par les vertus et de la divinisation philosophique, désignent en fait les trois stades ultimes d’une progression, qu’ils sous-tendent la description de l’état de pureté inhérent à l’homme divin selon trois aspects, chaque terme supérieur dépassant et accomplissant le(s) précédent(s): il s’assimile au dieu grâce à des pensées droites, il se sanctifie par un sacrifice intellectuel, il se présente au dieu avec une âme impassible et pure26.

Dans le processus, le sacrifice intellectuel (l’élévation de soi) est le point central, l’acte dans lequel se résument l’état de pureté à l’égard des passions, donné pour acquis, et le terme dernier, qui désigne aussi l’état final, la résorption (autant qu’il peut se faire) dans l’intelligence divine. Il semble donc bien qu’il s’agisse ici du salut de l’âme intellectuelle, pour lequel, selon le De regressu, la théurgie n’est d’aucun secours: il n’est pas sans conséquence que Porphyre emploie un terme à résonance chaldaïque, celui d’anagôgê, qui désigne le sacrement de l’élévation27, et qu’il lui confère un sens qu’on dirait plus intellectuel que rituel28. Cette “élévation de soi” consiste pour l’âme à élever pour ainsi dire son niveau de vie, pour vivre d’une vie intellective; et c’est ce progrès intellectuel lui-même duquel nous ferons don au dieu suprême, au terme du processus. Ce sacrifice des pensées devra s’accomplir sur l’autel du cœur, puisque, on l’a vu, Dieu «a son siège dans les véritables entrailles» du philosophe. Porphyre développe également ces métaphores du rituel dans la Lettre à Marcella, où il use abondamment, pour les donner à méditer, de sentences issues d’un recueil qu’on connaît par ailleurs sous le nom de Sentences de Sextus, recueil qui date au plus tard de la première moitié du IIIe siècle, et qui fut placé sous l’autorité de la sagesse pythagoricienne29. Voici quatre sentences que Porphyre a reprises et retravaillées:

26 Comparer la définition, inversée (car ascendante), du telos platonicien de l’âme selon Jamblique dans le De anima (Stobée, Anthologium, I, 49, 42 - tome I, 382, 25-383, 2 Wachsmuth: katharsis, anagôgê, teleiôsis). 27 Voir Lewy 1978: Excursus VIII, 487-489. 28 De abst. II, 34, 3 (101 B. et P.). Une page de la Lettre à Marcella indique que l’agent élévateur (anagôgos) de l’âme raisonnable est l’intellect, qui «profère silencieusement la vérité et lui permet [à l’âme] d’expliciter la loi divine qui la gouverne» (Lettre à Marcella 26, ed. É. Des Places, Paris, 1982, 121). 29 Voir l’édition de Chadwick 1959. Pour la question du rapport entre Porphyre et les différents recueils de sentences, voir ibid., 144-158, et Rocca-Serra 1971; on se reportera commodément aux pages de l’introduction de Bouffartigue et Patillon (De l’abstinence, livres II-III, Paris, 1979, 11-16), où l’on trouvera un tableau des rapprochements certains (Lettre à Marcella) ou possibles (De l’abstinence).

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La théosophie de Porphyre Le plus grand honneur qu’on puisse faire au dieu est de le connaître et de s’assimiler à lui (theou gnôsis kai homoiôma) (n° 44). Il honore au mieux la divinité celui qui a assimilé sa pensée (dianoia) au dieu autant qu’il est possible (n° 381). Le saint temple du dieu, c’est la pensée (dianoia) de l’homme pieux (n° 46a). Le meilleur autel, pour le dieu, c’est un cœur (kardia) pur et sans reproche (n° 46b)30.

Si la sentence 381 trouve un écho précis dans la Lettre (§ 16) et, plus discret, dans le De abstinentia (II, 45, 4), Porphyre, à la fin du livre II du De abstinentia, paraît avoir modifié la sentence 46b de la manière suivante, dans le sens d’un progrès noétique: «Pour les dieux, la meilleure consécration est un intellect pur et une âme impassible»31. Le passage du mot “autel” au mot “consécration” est d’importance, car il signifie que le cœur (ou l’intellect) n’est plus, banalement, le lieu métaphorique du sacrifice, mais son objet même; on doit donc comprendre que le progrès vers le vrai soi, en dernière instance, sera un abandon de soi, le don de l’intellect, c’est-à-dire une imitation vertueuse, au niveau de l’intelligence humaine, de la vertu paradigmatique du Père des dieux, qui, étant source de tous biens, diffuse généreusement son être même (le Bien). Ce n’est là que la troisième et ultime forme du don sacrificiel dans la conception de Porphyre: celuici distingue, au livre II du De abstinentia, le sacrifice sanglant, qui convient aux démons – forme qu’il condamne –, l’offrande végétale, qui convient aux dieux de la cité – forme correcte de sacrifice collectif –, et le sacrifice intérieur, de type intellectuel, qui s’adresse au dieu suprême; cette dernière forme est un (aban-)don de soi (l’intellect étant le vrai soi), une générosité qui imite la générosité divine sans l’égaler, comme l’indique Porphyre dans cette formule remarquable: «le sacrifice est la consécration à chaque divinité d’une part de ses dons, de ce par quoi elle nourrit notre essence et la maintient dans l’être32». La nourriture ici évoquée ne correspond pas seulement aux deux premières formes de sacrifice, mais aussi, par une allusion au Phèdre33, à la nourriture de la vérité divine, que le Tyrien appelle un peu plus loin dans ce livre, précisément, la théosophie34, de même que l’être dont il est ici question ne s’entend pas seulement de notre être matériel ou physique, mais des réalités authentiques35 qui nourrissent l’intelligence et nous font participer à l’être substantiel. On voit cependant par la première partie de la phrase que, quelle que soit la forme du don, et s’agît-il même du don de l’intellect comme don de soi au Père des dieux, le contre-don humain reste inférieur aux dons divins. Mais le fait le plus notable est l’application du schéma du contre-don à l’expérience mystique, inaugurée, semble-t-il, par l’expression plotinienne d’epidosis hautou36.

30 Voir le texte grec dans le tableau comparatif de Bouffartigue et Patillon évoqué à la note précédente (op. cit., 14). 31 De abst. II, 61, 1, (t. II, 122 B. et P.): c’est la première phrase de la conclusion du livre II, consacrée au culte philosophique. 32 De abst. II, 34, 4, (t. II, 101 B. et P). 33 Voir 247d 1-5: «… la pensée divine, qui se nourrit d’intelligence et de savoir sans mélange – et aussi la pensée de toute âme qui va recevoir l’aliment qui lui convient – apercevant l’être en soi… dans cette contemplation de la vérité trouve sa nourriture»; voir aussi 248b 6-c 2. 34 De abst. II, 45, 4 (111 B. et P.): «qui se nourrit de la sagesse divine» (theosophian). 35 «Celle qui est vraiment science de ce qui est la vraie réalité», dit le même passage du Phèdre (247e 3). 36 Voir Ennéades V 8 [31: sur la beauté intelligible], c. 11, l. 16-20 et 23, cités infra, n. 43 et 49.

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Stéphane Toulouse 2. La montée par l’exercice des vertus La sentence 44 présente un autre élément que Porphyre s’est approprié: le couple “connaissance et assimilation”, qui sont conçues comme les offrandes les plus appropriées, et qui nous semblent désigner, chez lui, la pratique des vertus les plus hautes, comme paraît l’indiquer cette citation du traité de la Philosophie tirée des Oracles: «sed nobis est bene, cum eum per justitiam et castitatem aliasque virtutes adoramus, ipsam vitam precem ad ipsum facientes37 per imitationem et inquisitionem de ipso. Inquisitio enim purgat, inquit; imitatio deificat affectionem ad ipsum operando»38. Ce texte peut être éclairé par un passage de Macrobe sur les vertus39: solae faciunt virtutes beatum, nullaque alia quisquam via hoc nomen adipiscitur. unde qui aestimant nullis nisi philosophantibus inesse virtutes, nullos praeter philosophos beatos esse pronuntiant. agnitionem enim rerum divinarum sapientiam proprie vocantes40 eos tantum modo dicunt esse sapientes, qui superna et acie mentis requirunt et quaerendi sagaci diligentia comprehendunt et, quantum vivendi perspicuitas praestat, imitantur: et in hoc solo esse aiunt exercitia virtutum.

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Comparer la description de la pratique du sage dans la Lettre à Marcella 16 (115,19-116,1 Des Places): «“Ce n’est pas la langue du sage qui est précieuse devant Dieu, ce sont ses œuvres. Car le sage, même sans parler, honore Dieu… Ainsi seul est prêtre le sage, seul il est cher à Dieu, seul il sait prier”». Ce culte silencieux est la vie même du sage, qui est par sa pratique même le vrai prêtre, idée qui coïncide tout à fait avec la citation augustinienne et avec les textes du livre II du De abstinentia. 38 Augustin, Cité de Dieu XIX, 23, 4 (B.A. n° 37, 156 = II, 397 D. et K. = Porphyre, Fragmenta, 346F, l. 24-28, 399-400 Smith): «mais pour nous c’est un bienfait que de l’adorer [Dieu] dans la justice, la chasteté et les autres vertus, faisant ainsi de notre vie elle-même une prière vers lui, en l’imitant et en cherchant à le connaître. Car, dit-il, la recherche purifie; et en produisant une inclination vers lui, l’imitation déifie». 39 Macrobe, Commentarii in Somnium Scipionis I, 8, 3 (ed. J.A. Willis, Stuttgart-Leipzig, 1994 [= 19702], 37): «Seules les vertus rendent l’homme heureux, et il n’est pas d’autre moyen d’obtenir cette qualité. De là vient que certains jugent que les vertus n’appartiennent en propre qu’à ceux qui philosophent, et qu’ils n’acceptent d’appeler heureux nul autre que les philosophes. Car ils définissent proprement la sagesse comme la connaissance des réalités divines, et disent en conséquence que ceux-là seuls sont sages, qui, à la fois, cherchent les réalités d’enhaut avec un esprit pénétrant, les saisissent par une recherche scrupuleuse et approfondie, et, autant que le permet la clarté de leur vie, les imitent; et c’est en cela seulement, disent-ils, que réside l’exercice des vertus». Nous pensons que ce texte est porphyrien, et non plotinien, d’abord par la présentation de Macrobe (plus loin, § 5, 37, l. 22, on a: «Sed Plotinus…»), ensuite par les relations entre ce passage et les textes indubitablement porphyriens que nous évoquons ici. J.J. O’Meara le pensait également (O’Meara 1959: 131). Il va de soi que les deux doctrines concordent pour une bonne part, si l’on compare le court traité de Plotin, Sur les vertus (Ennéades, I, 2 [= 19]) et la Sentence 32 de Porphyre (dans Sententiae…, 22-35 Lamberz). 40 C’est la déclaration même de Porphyre dans la Lettre à Marcella 17 (116, 1-2 Des Places): «Et “celui qui pratique la sagesse pratique la science de Dieu”, non pas en ne cessant de supplier et de sacrifier, mais en pratiquant par ses œuvres la piété envers Dieu».

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La théosophie de Porphyre Le texte de Macrobe décrit ensuite les officia des quatre vertus platoniciennes, ainsi que les quatre gradus ordonnés selon lesquels ces quatre vertus peuvent se pratiquer (l’officium de chaque vertu ayant une définition différente selon le gradus auquel on la pratique). La citation du De philosophia ex oraculis ne donne pas tout ce détail, et le texte porphyrien ne le comportait vraisemblablement pas; mais la conception d’ensemble est bien la même: la seule voie vers le bonheur est la pratique des vertus et la vie vertueuse est le seul hommage authentique au dieu suprême41; les deux formulations coïncident, puisque le culte en question n’est autre que la vie philosophique de qui possède les vertus et que l’assimilation à dieu en est le terme bienheureux. À son plus haut point, qui est la contemplation parfaite, la pratique du sage coïncide parfaitement avec la science de dieu et, par la perfection de ses actes, sa vie est une prière silencieuse: le Porphyre d’Augustin et de Macrobe trouve ici des formules parentes des maximes de son bréviaire à Marcella42. Ce que vise le philosophe, c’est un au-delà du discours43, les actes intellectifs de l’âme quand elle accomplit sa vertu propre, puisque l’âme est de nature intellective: ces actes constituent son plus haut telos; à ce niveau, l’être et l’acte de l’âme coïncident dans l’unité de l’intelligence divine: c’est l’assimilation à dieu. Par conséquent, ces textes entendent décrire les vertus que Plotin appelle supérieures44, et Porphyre, dans les Sententiae, cathartiques et théorétiques45. Dans la citation du De philosophia ex oraculis, la pratique ou l’exercice des vertus est caractérisé par deux termes: recherche (inquisitio) et imitation (imitatio) des réalités d’en-haut; le texte de Macrobe ajoute un moyen terme: la connaissance (requirere, comprehendere, imitari). Pour comprendre ce que veut dire Porphyre, il faut sans doute se reporter au texte de Plotin qui décrit le processus difficile d’union avec le dieu46: pour qui a reçu un dieu en lui, le premier degré consiste à se livrer à une 41

Ce que Porphyre, dans Augustin, avait exprimé peu avant par «ea sola per quae Deus adoratur», où le pronom neutre annonce les virtutes de la phrase suivante. 42 Voir ci-dessus les textes cités aux notes 37 et 39. 43 À l’exemple de son maître Plotin (cf. Ennéades V, 8 [31: Sur la beauté intelligible], 11, l. 4-7): «[si l’un de nous]… abandonnant l’image [de lui-même], pour belle qu’elle soit, en vient à l’unité pour lui-même et ne scinde plus cette unité, de sorte qu’il est toutes choses ensemble avec ce dieu présent dans le silence» (notre traduction). C’est dans ce même chapitre que se rencontre, une dizaine de lignes plus loin, une expression du don intellectif qui a pu inspirer Porphyre: «Quand il apprend à connaître [le dieu], il faut qu’il s’attache à l’impression qu’il a de lui et que, par une recherche, il s’en fasse une idée; mais une fois qu’il a appris de la sorte en quoi il entre, certain que c’est en quelque chose d’enviable, il faut que désormais il s’abandonne lui-même à l’intérieur (hauton dounai eis to eisô) et devienne désormais, de spectateur qu’il était, spectacle pour un autre qui le contemple comme un être resplendissant de ce genre de pensées qui viennent de là-haut» (notre traduction). 44 Voir Ennéades, I, 2 [19: Sur les vertus], 3, l. 1-2: «Mais puisque Platon indique que la ressemblance [avec dieu] est différente, en tant qu’elle relève de la vertu supérieure, il nous faut parler de cette ressemblance-là» (notre traduction). Cette vertu est distinguée de la vertu civique. 45 Voir Porphyre, Sententiae…, c. 32 (25, l. 8-9 Lamberz): «… la disposition qui correspond aux vertus théorétiques s’observe dans l’impassibilité, dont la fin est l’assimilation à dieu» (notre traduction). Là encore, ces vertus sont distinguées des vertus civiques caractérisées par la maîtrise des passions, et qui ont leur telos propre, manifestement inférieur: to; zh`n` wJ" a[nqrwpon kata; fuvsin (ibid., 25, l. 6-8). 46 Voir à la note 43.

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Stéphane Toulouse recherche raisonnée47 à partir de l’empreinte du dieu en soi; le second et dernier, une fois cette connaissance assurée48, à s’abandonner soi-même et à devenir spectacle à son tour pour le dieu49. C’est le degré qui correspond au sacrifice intellectif selon Porphyre; au-delà donc de l’inquisitio et de la cognitio dei, la phase de connaissance, il y a une étape mystique et époptique. Mais cette étape ultime, dans le texte de Plotin, correspond-elle à l’imitatio dei? Il nous semble, s’il est vrai qu’il décrit en fait le retournement complet de l’âme, qui l’unit au dieu, de la manière suivante: de même qu’elle avait reçu le dieu en elle et en avait eu la vision50, de même désormais, une fois parvenue au terme du processus cognitif, l’âme se donne au dieu en qui elle entre et devient l’objet de sa vision. Telle est cette imitation qui mène à dieu, qui déifie par-delà les mathêmata51. Porphyre intègre ces degrés de l’élévation dans une description hiérarchisée de l’exercice des vertus, en distinguant leur exercice cognitif comme un degré lui-même préparatoire, au-delà duquel l’intellect s’abandonne et se laisse illuminer par l’intelligence divine: la phase de recherche de dieu est un processus de purification, quand l’imitation, vertu étrangement passive dans son effet (affectionem… operando), divinise. Cet ordre s’accorde avec le rôle purificateur que Porphyre assigne aux logoi et aux mathêmata dans le De abstinentia52. De ce fait, les sciences ne sont plus, comme dans le texte du traité 38 de Plotin, distinguées des purifications et des vertus, comme la théorie le serait de la pratique, mais elles constituent elles-mêmes des vertus intermédiaires de l’âme dialoguant avec elle-même, une préparation qui consiste à articuler les notions de l’âme, les rassembler et les unifier, et qui permet ainsi de dépasser

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Ennéades, V, 8 [31: Sur la beauté intelligible], 11, l. 13-15: katamanthanonta et meta tou zêtein = inquisitio/requirere (Augustin, Macrobe). 48 Ibid., 11, l. 15-16: mathonta kata pistin (kata coni. Armstrong: kai pistin Volkmann) = comprehendere/gnôsis (Macrobe, Sentences de Sextus). 49 Ibid., 11, l. 16-20: hauton dounai eis to eisô… = imitatio/imitari/homoiôma (Augustin, Macrobe, Sentences de Sextus)? Dans le traité 9 (Du Bien ou de l’Un = Ennéades, VI, 9), 11, pour évoquer la “vision” de l’Un, Plotin emploie une série de termes qui ont valeur d’approximation (car «il s’agit d’une autre manière de voir» [l. 22]); parmi ceux-ci, epidosis hautou (l. 23), qui signifie à la fois don au sens de devotio sui, sacrifice, comme chez Porphyre, mais aussi épanchement, expansion de soi, comme si l’âme imitait alors la générosité toujours intacte du premier principe. C’est certainement au terme de ce progrès que l’âme pourrait «posséder», par-delà «le chœur des vertus» (ibid., l. 17-18), ce que Porphyre appellera les vertus paradigmatiques, qui sont en fait les modèles dont les vertus de l’âme sont les imitations (homoiômata): voir la sententia 32 (28, 6-29, 7 Lamberz), et Macrobe, in Somnium Scipionis, I, 8, 10 (39, 210 Willis). 50 Cf. ibid., 11, l. 1-2. 51 Voir Enn. VI, 7 [38: Comment la multiplicité des idées a été produite et sur le bien], 36, l. 5 sq., passage qui permet de comprendre que les deux voies (science et processus d’assimilation par les purifications et les vertus) ne sont pas seulement complémentaires et parallèles, mais que la voie de la science est un degré qu’il faut d’abord franchir, puis abandonner, pour accéder à l’époptie. 52 Voir De abst. I, 29 (tome I, 63-64 B. et P., traduction légèrement modifiée): «En fait, bien loin que toute sorte de connaissance puisse réaliser pleinement la contemplation, les connaissances portant sur les étants essentiels en sont elles-mêmes incapables, s’il ne s’y ajoute une seconde nature et une vie conforme à ces réalités. (…) la fin est de vivre selon l’intellect. Dans cette perspective interviennent aussi les raisonnements et les connaissances extrinsèques; mais s’ils jouent en nous un rôle purificateur, ils sont incapables de nous apporter la plénitude du bonheur».

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La théosophie de Porphyre le stade du pur et simple discours sur l’intellect et les intelligibles et dispose à la vie selon l’intellect53. Cependant, même quand elles ont pour objet les «réellement étants», les sciences sont encore sous le régime de l’extériorité par rapport à l’objet de la contemplation. Si la purification par les logoi ne suffit pas à parfaire la contemplation, c’est donc qu’elle est inopérante pour produire l’union bienheureuse avec le dieu, qui est l’objet dernier de la philosophie. Pour parvenir à ce terme, il faut activer la ressemblance que nous avons par nature avec les dieux. Ce travail de la ressemblance est l’imitation. Il est clair que Porphyre fait de l’assimilation au dieu le fruit d’une vertu et que l’opération elle-même est pour lui, comme pour son maître Plotin, une forme ultime de la vertu; la première idée se rencontre dans une sentence que cite Porphyre dans la Lettre à Marcella (§ 16): «Tu honoreras Dieu de la plus excellente manière en lui assimilant ta pensée (dianoia); or l’assimilation s’opérera au moyen de la seule vertu, car seule la vertu tire l’âme en haut vers l’être qui lui est connaturel»54. On a déjà trouvé un écho précis à la première partie de cette sentence dans les pages du De abstinentia où sont définis le sacrifice intellectuel et l’hommage au dieu suprême; mais la seconde partie explicite l’affirmation sous-jacente au texte de la Philosophie tirée des Oracles, à savoir que c’est seulement par les vertus (per… virtutes) que l’on se déifie. Quant à l’idée que la forme ultime de la vertu doit être un exercice d’imitation55, elle repose certainement sur l’analyse plotinienne de l’homoiôsis considérée comme une vertu supérieure: en effet, si l’âme était identique au bien, il suffirait qu’elle se purifiât pour être le bien. Mais elle n’est pas identique au bien, sans quoi elle n’aurait pas été dans le mal; en réalité l’âme est agathoeidês, c’est-à-dire qu’elle a une ressemblance avec le bien comme avec un principe supérieur à elle56, et c’est pourquoi elle exerce sa vertu propre quand cette ressemblance est actuée. C’est en ce sens que Porphyre peut laisser entendre et que la purification ne suffit pas à lui faire atteindre son telos, et que la vertu supérieure à la purification est imitation. Il existe donc pour ce philosophe, et ce dès le De philosophia ex oraculis, un exercice ordonné des vertus, par lequel s’opèrent non seulement la purification, qui est l’œuvre, notamment, des raisonnements et

53 Voir De abst. I, 31, 2 (t. I, 66 B. et P.), pour l’utilité générale de l’articulation des notions, ainsi que la Lettre à Marcella 10, 111, 14-22 Des Places, pour une description plus précise. 54 Lettre à Marcella 16 (115, l. 7-10 Des Places); le texte correspond à la sentence 102 de Pythagore et aux sentences 381+ 402 de Sextus. Cette vertu imitative ne peut opérer que parce qu’elle est la puissance de l’âme qui est parente (suggenês) avec son principe (cf. Plotin, Ennéades, VI, 9 [9: Du Bien ou de l’Un], 4, 26-29). Apparemment, lorsque le sentiment de cette parenté de nature est réveillé par l’imitation, l’amour de Dieu, l’affectio ad deum, est du même coup réactivé, «car comme l’âme est autre que Dieu, mais qu’elle vient de lui, elle est nécessairement amoureuse de lui» (Plotin, ibid., 9, 27-28). 55 Pour honorer le Père des dieux, Porphyre, dans une page du De regressu animae, «donne l’excellent conseil de les imiter [sc. les anges messagers du Père, qu’Augustin assimile un peu cavalièrement aux anges de la Bible] plutôt que de les invoquer (imitandos… invocandos)» (Augustin, Cité de Dieu X, 26, B.A. n° 34, 518 = I, 442 D. et K. = Porphyre, Fragmenta, 285F, l. 10-11, 322 Smith): c’est l’acte suprême que décrit Plotin, sous le signe du Phèdre, dans le traité Sur la beauté intelligible, et, de manière générale, la vie du sage que Porphyre qualifie de prière silencieuse. 56 L’adjectif, qui sert à distinguer des réalités inférieures au bien en soi, se trouve chez Platon, en République VI, 509a. Pour l’analyse de Plotin, qui reprend le terme, voir Enn., I, 2 [19: Sur les vertus], 4, 1-20.

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Stéphane Toulouse connaissances (rien ne dit que des actes soient exclus), mais aussi, au terme de l’élévation intellective, conçue comme une offrande sacrificielle au Père, l’assimilation à dieu. Cette divinisation est un don ou abandon de soi; mais qu’on ne s’y trompe pas: l’abandon, pour Porphyre, est le fruit d’un effort intime57.

Conclusion Nous sommes donc en présence de tout un réseau d’images et de significations que Porphyre puise dans les traditions oraculaire et gnomique, et qu’il élabore et renouvelle dans le cadre de sa conception anagogique de la pratique des vertus; il les adapte certes au contexte de ses diverses discussions, mais avec des constantes reconnaissables: la condamnation du culte exclusivement matériel ou corporel; la purification, conçue comme un processus graduel et raisonné, et qui doit être obtenue par un travail sur soi-même qui est l’exercice même des vertus; et même la déification, opérée par l’assimilation de l’intellect à l’objet de “sa” vision, que Porphyre dénomme le sacrifice intellectuel. Toutes ces opérations intérieures sont exprimées par une série de métaphores empruntées au domaine du rituel, et par ce sacrifice intellectuel du philosophe, on doit sans doute entendre l’accomplissement, dans un acte unique, des deux mots d’ordre d’Aristote, to;n qeo;n qerapeuvein kai; qewrei`n58. On constate à cet égard que la Philosophie tirée des oracles témoigne à tout le moins des mêmes préoccupations de salut de l’âme et de retour vers les dieux que le De regressu animae ou le De abstinentia, et qu’elle contient même une métaphore et un message spiritualistes (la vie entière comme prière, les vertus pour seul hommage) qui n’ont rien à envier aux déclarations de ce dernier ouvrage et de la Lettre à Marcella.

Bibliographie Bidez, J. 1913, Vie de Porphyre, le philosophe néo-platonicien, Gand-Leipzig. Bruit Zaidman, L. 2001, Le commerce des dieux. Eusebeia. Essai sur la piété en Grèce ancienne, Paris. Chadwick, H. 1959, The Sentences of Sextus. A Contribution to the History of early Christian Ethics, Cambridge. Digeser, E.D. 1998, «Lactantius, Porphyry and the debate over religious toleration», Journal of Roman Studies 88, 129-146. Dodds, E.R. 1979, Païens et chrétiens dans un âge d’angoisse, trad. fr., Claix [éd. angl., 1965]. Geffcken, J. 1907, Zwei griechische Apologeten, Leipzig-Berlin. Lewy, H. 1978, Chaldaean Oracles and Theurgy. Mysticism, Magic and Platonism in the Later Roman Empire, (nouvelle édition par Michel Tardieu), Paris.

57 Voir la Lettre à Marcella 17 (116, l. 5-7 Des Places): «C’est de soi-même qu’on se rend agréable à dieu (aujto;" de; eJauto;n poiei`), qu’on se divinise en conformant ses dispositions intimes à l’indestructiblement bienheureux (ejkqeoi`` th`/` th`"` ijdiva" diaqevsew" oJmoiovthti)», et ibid., 10, 111, l. 14-22 (dia; aujtou` ponei`n` ) voir aussi De abst. II, 49, 1 (114 B. et P.): «[le philosophe] s’efforce de parvenir seul à seul et de son propre fait (dia; tou` eJautou`) auprès du dieu». 58 «Servir et connaître la divinité», Éthique à Eudème VIII, 3, 1249b 20.

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La théosophie de Porphyre Nock, A.D. 1928, «Oracles théologiques», Revue des études anciennes 30, 280-290 [repris dans A.D. Nock, Essays on Religion and the Ancient World, Oxford, 1972, 160-168]. O’Meara, J.J. 1959, Porphyry’s Philosophy from Oracles in Augustine, Paris. Robert, L. 1968, «Trois oracles de la théosophie et un prophète d’Apollon», Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 568-599 [repris dans L. Robert, Opera minora selecta, t. V, Amsterdam, 1989, 584-616]. — 1971, «Un oracle gravé à Oinoanda», Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres 1971, 597-619 [repris dans L. Robert, Opera minora selecta, t. V, Amsterdam, 1989, 617-639]. Rocca-Serra, G. 1971, «La Lettre à Marcella de Porphyre et les Sentences des Pythagoriciens», Le Néoplatonisme (Royaumont 9-13 juin 1969), Paris, 193-199. Toulouse, S. 2000, «La lecture allégorique d’Homère chez Porphyre: principes et méthode d’une pratique philosophique», La Lecture Littéraire 4: L’allégorie, 25-50. Van Liefferinge, C. 1999, La théurgie. Des Oracles chaldaïques à Proclus, Kernos Suppl. 9, Liège.

Abstract Contrary to the common view, this paper argues that Porphyry's Philosophy from oracles is not an early work lacking in neoplatonic, even plotinian notions. Far from expounding theurgical doctrine, this philosophical work exhorts to theosophy, in terms of contemplation and purification, through an ad sensum exegesis of the oracles. Here, theosophy has to be understood as a higher aim pursued by philosophy itself, being a stable foundation necessary for the salvation of the soul. The paper shows how the vocabulary of sacrifice is used in a similar and coherent way in different texts of Porphyry, including Philosophy from oracles; it also explains what theosophy, intellectual sacrifice and related metaphors of cultual significance mean to him. It not only parallels fragments of Philosophy from oracles in Eusebius and the treatise On abstinence, but also deals with other neglected fragments of the same work in Augustine, in order to identify a porphyrian scheme of the ascent of the soul through stages. That intellectual and somehow mystical scheme of a religio mentis rests on a plotinian basis, and nonetheless expresses a religious quest which relies on the exegesis of traditional, divinely revealed wisdom, with the aim of laying the philosophical foundations of a purified worship, a vera religio.

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REALIA VERSUS LEGES? LES SACRIFICES DE LA RELIGION D’ÉTAT AU IVe SIÈCLE Nicole BELAYCHE EPHE, Sciences religieuses Adite aras publicas… et consuetudinis uestrae celebrate sollemnia. Constantin, le 15 mai 319 (CTh 9.16.2.5-6). La collection des lois du Code théodosien: De paganis, sacrificiis et templis offre l’une des définitions les plus exactes de ce qu’était le culte romain, c’est-à-dire la religio selon Cicéron: simulacris uel [… ] uictimam caedat uel […] larem igne, mero genium, penates odore ueneratus accendat lumina, inponat tura, serta suspendat (que nul ne sacrifie de victime à des idoles, ne vénère son lar par le feu, son génie avec un vin pur, ses pénates avec des parfums, ni ne leur allume des lumières, ni ne leur dépose de l’encens ni ne suspende de couronnes en leur honneur)1. Cette loi de 392, qui interdisait les divers rituels sacrificiels, affirme la place centrale du sacrifice – sanglant ou non –2 dans la conception romaine de l’ordo rerum, où il déterminait les ordres hiérarchiques entre les hommes et les dieux3. Donc, une politique chrétienne soucieuse de changer la religion d’État devait nécessairement s’attaquer aux sacrifices.

I. Un paradoxe des historiens Les historiens de l’empire romain tardif s’accordent aujourd’hui pour reconnaître que les empereurs du IVe siècle antérieurs à Gratien et Théodose n’ont pas mené de politique antipaïenne systématique, tout en favorisant progressivement le christianisme. Pourtant, même un ouvrage récent, pertinent sur la politique religieuse impériale au IVe siècle et dégagé de la vision dépassée d’une atteinte aux rites païens dès Constantin, affirme: «Since Constantine, sacrifice had been in disfavour in imperial circles»4. La question de l’interdiction des sacrifices au IVe siècle demeure sous-jacente dans bien des études, entre autres raisons parce qu’elle est couplée avec la signification à

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CTh 16.10.12.4-6 (8 novembre 392), cf. app. I. Scheid 1998: 71-93; Beard, North, Price 1998: I, passim; Rüpke 2001: 140-146. 3 Scheid 1979-80 et 1985. 4 Beard, North, Price 1998: 369-375 (374 pour la citation). Les auteurs reconnaissent pourtant que seuls les sacrifices divinatoires privés furent interdits. Ou bien Maraval 1997: 10, Constantin interdit «en 323 les sacrifices sanglants lors des anniversaires impériaux», ce qui est une interprétation libre de la loi (app. I). De même, Harl 1990: 11. 2

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Nicole Belayche donner à l’emploi de superstitio dans la législation du siècle (app. II), dans lequel on a souvent voulu entendre une dénonciation des pratiques sacrificielles. Or, la pratique régulière des sacrifices, publics ou privés, pendant la période n’a plus besoin d’être démontrée, ce qui n’empêchait pas la désaffection progressive5. Puisque, jusqu’au début des années 380, la religion officielle est restée le paganisme traditionnel, les pratiques sacrificielles ne trahissent des attitudes “réactionnaires” de «derniers païens» que si on les examine de façon rétroactive, à la lumière des décisions postérieures. Les lois des titres De paganis … ou De maleficiis … antérieures à 380, interprétées longtemps à la lumière de la tradition historiographique chrétienne, connaissent – pour cette raison? – une utilisation paradoxale. Elles sont convoquées pour prouver soit que la lutte contre les cultes païens a commencé dès Constantin, soit que la «résistance» des derniers païens fut énergique puisque les supposées lois seraient restées sans effet jusqu’à l’interdiction théodosienne6. En réalité, les deux raisonnements se rejoignent. Certes, fonder une analyse sur un corpus législatif risque de fausser la perspective. Le domaine des pratiques religieuses – a fortiori lorsqu’il s’agit de gestes aussi peu spectaculaires et durables que de verser quelques grains d’encens ou gouttes de vin sur un autel – est l’un de ceux où les injonctions du législateur sont les plus lentes à se diffuser: J. Gaudemet a appelé cela «les limites de la loi quand il s’agit de foi»7. Les empereurs romains qui ont précédé Constantin l’ont d’ailleurs expérimenté face aux chrétiens, au point de supprimer les obligations à sacrifier comme Gallien en 260 et Galère en 311. Incidemment, on notera ici que le parallèle entre la politique antichrétienne d’avant 311 et une politique antipaïenne qui se serait affirmée dès Constantin tourne déjà court puisqu’il n’y eut pas de persécution contre les païens avant la fin du IVe siècle, ni même de marginalisation de ceux-ci aux plus hauts postes de l’État, y compris les grandes préfectures8. Ce n’est que dans les dernières décennies du siècle que se vérifie vraiment le jugement déçu de Symmaque sur les courtisans de son temps: nunc aris deesse Romanos genus est ambiendi9. On devrait donc conclure que la législation éventuelle ne fut pas appliquée… ce qui serait étonnant dans une époque de renforcement du pouvoir impérial et d’optimisation de la centralisation administrative. Mais cette inefficacité pourrait venir du fait que l’appareil d’État et les autorités locales en charge de l’application des décisions sont restés païens jusque très avant dans le siècle10.

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Chuvin 19912: 237-242. MacMullen 1987: 212: «Il est surprenant que tout l’arsenal de lois interdisant les sacrifices… n’ait pas fait passer tout le monde au christianisme». 7 Gaudemet 1990: 467. Sur le rôle limité de la législation dans la christianisation, Hunt 1993: 157. 8 Chastagnol 1962: 185 sq. pour la christianisation progressive des préfets du prétoire à partir de Valentinien Ier. En 386 seulement, une loi prise à Constantinople (CTh. 12.1.12) restreint l’accès aux emplois publics pour «ceux qui n’ont pas abandonné le culte des temples». Pour Mazzarino 1974: I, 378-388, les années 395-409, sont «il periodo decisivo» pour la conversion du Sénat. 9 Symmaque, Lettres I, 51. 10 La législation confie aux defensores et curiales singularum urbium (CTh 16.10.12.4) l’application des décisions. Cf. par ex. à Gaza en Palestine où les autorités civiques locales subornent le fonctionnaire constantinopolitain venu faire appliquer un édit de fermeture du Marneion, Marc le Diacre, Vie de Porphyre, 27, 16-20; cf. aussi 21, 23-27. D’ailleurs les lois théodosiennes d’interdiction du paganisme contiennent toutes une clause faisant pression sur les fonctionnaires pour qu’ils appliquent les décisions, cf. app. I. 6

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Realia versus leges? La solution de ce paradoxe pourrait se trouver dans la législation elle-même. L’analyse proposée ici montre que la question des sacrifices ne s’est pas posée – sauf ponctuellement et localement – avant 380, puisque les empereurs chrétiens jusqu’à Valentinien n’ont pas cherché à changer de religion officielle. La loi du 29 mai 371 (app. I) est la meilleure introduction pour qui veut apprécier la signification des interdictions édictées car, chose rare, elle emploie un vocabulaire très précis. L’exercice du culte officiel n’a jamais été interdit (l. 3 et 4-5), ni les sacrifices divinatoires pratiqués publiquement (l. 1 et 5). Seuls les usages nocenter (l. 5) de ces rites sont prohibés. Cette loi11 résume parfaitement ce que fut l’attitude des premiers empereurs chrétiens face aux rites du paganisme. La réglementation attestée de certaines pratiques sacrificielles se situe dans une tradition pluriséculaire de contrôle par le pouvoir des actes jugés déviants – superstitiosi12 –, donc dangereux pour la maiestas impériale13. La prétendue législation véhiculée par la tradition chrétienne14 vient d’Eusèbe de Césarée, biographe apologète de Constantin, et de la polémique chrétienne selon laquelle tous les sacrifices aux idoles relèvent de la magie. L’interdiction des sacrifices date des années 379-38215, en même temps que les mesures d’interdiction du paganisme (fermeture des temples et arrêt du financement public).

II. La réalité des sacrifices Sans prétendre offrir une monographie sur les sacrifices païens au IVe siècle, il faut néanmoins rappeler la pratique continue des sacrifices, qui est l’un des aspects de la vitalité du paganisme de l’époque16. Les exemples qui suivent ont pour seul but de souligner la cohérence géographique et sociale de l’information et la fréquence de rituels fondés sur la tradition – sans besoin de réaction –, aussi bien à l’échelon central que dans les cultes locaux ou privés. Les mesures favorables au christianisme prises dès les années 317/321 n’ont pas enlevé à la religion romaine son statut de religion d’État dont le pontifex maximus est l’empereur jusqu’à Gratien17. Les collèges de prêtres assurent donc les fêtes du férial public connues pour la période par le chronographe de 354 et le calendrier de Capoue

11 Les lois précédentes du même empereur signalées l. 4-5 (leges a me in exordio imperii mei datae) sont inconnues. 12 Pour une bonne mise au point sur la signification de superstitio, Salzman 1987 (avec bibl. antérieure). 13 Pharr 1932; Barb 1968; et Fögen 1993: 315-321. 14 Théodoret commence son Histoire ecclésiastique (I, 1) en établissant une corrélation parfaite entre l’interdiction des sacrifices et la construction de l’Église: quvein me;n eijdwvloi" ajpeivrgwn, dwma`sqai de; ta;" ejkklhsiva" paregguvwn. 15 Gaudemet 1958(1989): 646: «380 marque un tournant législatif»; l’auteur parle de «demitolérance» pour la période antérieure. Cf. aussi l’analyse de Ch. Pietri dans Histoire du christianisme 1995: 210-212. 16 La bibliographie est abondante, cf. par ex., Nilsson 1945; Bloch 19703; Piganiol 1972: 258-264; Macmullen 1984: 74-85; pour Rome, Curran 2000: 169-217. 17 Sur la date du rejet du manteau pontifical (Zosime, 4, 36, 5): 376, 379 ou 382, Cameron 1968; Piganiol 1972: 250; Paschoud 1975: 63-99.

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Nicole Belayche en 38718. Les prêtrises sont occupées continûment par les principaux membres de l’aristocratie sénatoriale19, certes de façon de plus en plus ostentatoire à mesure que le conflit religieux s’exacerbe. Comme à plus haute époque, les Romains les plus influents accomplissent les rites traditionnels20 et tirent gloire de leur publicité21. Les temples de la Ville de Rome, mieux documentés, reçoivent des faveurs évergètes. Sous Constance, le préfet de la Ville Vitrasius Orfitus dédie un temple à Apollon22. Le grand Prétextat restaura en 367 sur le forum le portique des dei consentes23 et sous Gratien, celui d’Isis au Portus Romae est également restauré24. Ces cérémonies n’ont pas pu se dérouler sans sacrifice: en 359, le préfet de la Ville Tertullus apud Ostia in aede sacrificat Castorum pour garantir l’accostage de la flotte annonaire25. À la fin du IVe siècle, on sacrifie toujours à l’Ara Maxima selon le rite grec26; à Sardes, un vicaire d’Asie et un gouverneur de Lydie restaurèrent les autels des dieux et les sacrifices27. L’art des sacrifices reste connu. Pendant l’usurpation d’Eugène, Rufin en dresse un tableau qui rappelle la grande période sacrificielle que fut le règne de Julien: «Les païens … faisaient d’innombrables sacrifices et ensanglantaient Rome de funestes victimes, scrutant les organes de bêtes abattues, et ils prédisaient à Eugène une victoire certaine d’après la science des entrailles»28. Le Navigium Isidis est attesté dans les calendriers et les sources littéraires tardives; or, nous savons par Apulée qu’il comportait un rite sacrificiel29. Les tauroboles pratiqués si publiquement au Phrygianum du Vatican jusqu’en 390 sont une preuve que même l’interdiction des sacrifices du 30 novembre 382 (app. I) n’avait qu’une portée locale. Le culte impérial est régulièrement pratiqué30, jusqu’à l’apothéose des empereurs défunts. En dehors des limitations rituelles édictées pour Hispellum en Ombrie (infra p. 353), nous n’avons pas d’indication explicite sur des changements apportés aux hommages rendus aux empereurs. Une loi du 5 mai 425 18 Stern 1952 ; Dessau, ILS 4918. La suppression des vacances aux fêtes païennes date de 389 (CTh 2.8.19). Fraschetti 1999: 296-306. 19 Sur l’activité des pontifes jusqu’à la fin du IVe siècle, cf. Symmaque, Lettres 2, 36. 20 Cf. Vettius Praetextatus, PV en 374 et PP en 384, chez Macrobe, Saturnales I, 7, 17: sacrorum omnium Vettius unice conscius. Cf. Horstkotte 1989. 21 En 374 le sacrifice offert par le préfet de la Ville Hermogenianus, Dessau, ILS 4147-4151 = Duthoy 1969: n° 13. 22 CIL, VI, 45 = Dessau, ILS 3222. 23 CIL, VI, 102. 24 Chastagnol 1969: II, 135. On ne retiendra pas la restauration du temple d’Hercule à Ostie en 394 par Nicomaque Flavien (Année Épigraphique 1941, n° 66; Bloch 1945: 192-247), ni la procession isiaque de la même année pour le Navigium Isidis car elles interviennent après les lois de 391-393 et pendant la «réaction païenne» de l’usurpation d’Eugène. 25 Ammien Marcellin, 19, 10, 4. 26 Macrobe, Sat. III, 6, 17. 27 Eunape, Vie des Sophistes 503 (Loeb p. 554). 28 Rufin, Histoire ecclésiastique XII, 2, 33. La thèse de Briquel 1997 est de rapporter ces attitudes à un attachement étrusque revivifié, alors qu’il faut les voir comme faisant partie de la tradition romaine. 29 Fasti Filocali en 354; Ausone, De Feriis Romanis 24; Apulée, Métamorphoses 11, 10 et 16. Ross Taylor 1913[1985]: 23-24 et 70-71. En Gaule, les rites isiaques sont attestés en 417, Rutilius Namatianus, Sur son retour I, 371-376. 30 Cf. la remarque judicieuse de Bagnall/Rives 2000: 85: «Sacrifice was not simply a stick with which to beat the Christians, but was instead a key element in a system of exchange that bound together the emperor, the people of the empire, and the gods». Cf. Cameron 1986.

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Realia versus leges? proscrivant «un culte excessif» aux images impériales laisse même penser que la figure des empereurs fut longtemps honorée à la façon des dieux31. Les témoignages relatifs au maintien du flaminat du culte impérial jusqu’au Ve siècle sont connus en Afrique32 et ailleurs33. Une loi, prise à Trêves en 37134, récompense même celui qui aura accédé au rang de grand prêtre provincial. Ces dispositions laissent penser que les pénitences des canons 2 à 4 du Concile d’Elvire au tout début du IVe siècle, sanctionnant les prêtres du culte impérial qui, bien que chrétiens, sacrifiaient35, sont toujours d’actualité. La participation des chrétiens à ces divers rituels civiques où le sacrifice était au centre des cérémonies était suffisamment assidue pour provoquer des débats au sein de l’Église d’après les Consultationes Zacchei christiani et Apollonii philosophi36. Pour les cultes qui relevaient des pratiques privées, domestiques ou associatives, les témoignages abondent. À Athènes, les fouilles archéologiques ne laissent pas de doute sur la poursuite des sacrifices dans un cadre privé37, et en Grèce continentale, le sacrifice d’un taureau scande toujours les honneurs aux héros38. En Égypte dans les années 324-348, à Deir el-Bahari, un collège de travailleurs du fer d’Hermonthis sacrifiait des ânes puis banquetait39. L’épigraphie du IVe siècle offre de nombreuses dédicaces votives à des divinités dites orientales ou pas. Les sacrifices pratiqués dans le culte de Mithra durèrent tant que les sanctuaires furent ouverts, c’est-à-dire à Rome jusqu’en 377 quand le préfet de la Ville Maccius Gracchus, récemment converti au christianisme, les fit fermer40. Le culte funéraire avec pratiques sacrificielles peut d’autant mieux persister que les autorités de l’État veillent au respect de la législation sur les tombeaux41. Jusqu’à la fin du siècle, de pieux chrétiens comme la mère d’Augustin versent des libations sur les tombes42. Même en Orient où la christianisation était plus avancée et le rôle des clercs et des moines plus militant43, les pratiques 31 CTh 15.4.1. Eusèbe (Vie de Constantin IV, 16) fait allusion à une loi – inconnue – qui «interdisait que des images de lui (Constantin) soient installées dans des temples». Cf. Bréhier & Battifol 1920: en part. 15-28. 32 Lepelley 1979: 347-351 ; DAGR II, 2 (1896), art. «Flamen» (C. Jullian), 1188. 33 Cf. le Panégyrique de Théodose 37, 4, lors d’un aduentus triomphal: «les flamines vénérables couverts de la pourpre municipale, les prêtres reconnaissables au bonnet sacerdotal». Cf. Chastagnol & Duval 1972; Wardman 1986: 258. 34 CTh 12.1.75. 35 Canon 2: «Si des flamines, baptisés, ont, dans l’accomplissement de leurs fonctions, sacrifié à l’empereur ou pris part, en organisant des jeux de gladiateurs …». 36 Questions d’un païen à un chrétien 28, 3-9. Ce texte anonyme date des années 408-410. Cf. aussi dans ce volume l’article de C. Grottanelli. 37 Karivieri 1994. 38 C. Jones, «Le héros et le saint», Conférence au Collège de France (Paris), 28 mars 2001. Trombley 1995: I, 292-307. 39 Lajtar 1991. Plus généralement, Frankfurter 1998. 40 Jérôme, Lettres CVII (ad Laetam) 2; Prudence, Contre Symmaque I, 561. Cf. Thrams 1992: 208-209. 41 CTh 9.17.2 (en 349). La législation exclut les violateurs de l’amnistie de Pâques, CTh 9.38.3 (de 367), 7 (de 384) et 8 (de 385). CTh 3.16.1 (loi constantinienne) autorise une femme à demander le divorce si son mari est un destructeur de tombes. Le Titre 17 du livre 9 du CTh traite de sepulcris violatis (Mommsen & Meyer 1905: 463-466), repris dans une Novelle de Valentinien III (de 447), 23, 1. Cf. Nötlichs 1982 et Belayche 2001b. 42 Février 1996. 43 Libanios, Orationes 30, 8 et Zosime, 4, 37, 3.

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Nicole Belayche sacrificielles dans les grands sanctuaires sont attestées archéologiquement, littérairement et juridiquement44, En Palestine par exemple, à Mambré ou à Gaza, on en connaît jusqu’au début du Ve siècle au moins45. Or, à Mambré, au puits et au chêne d’Abraham, Constantin avait ordonné de brûler les idoles, de détruire l’autel et d’empêcher à l’avenir tout retour des païens sur le lieu46. C’est probablement sur le terrain divinatoire que la pratique sacrificielle était la plus universelle, portée par l’engouement croissant pour les pratiques magiques et occultes47. La consultation des haruspices d’État était une règle de gouvernement48. Ambroise de Milan s’en offusque dans la prosopopée qu’il fait prononcer à Rome dans sa réfutation de la Relatio III de Symmaque: «Pourquoi m’ensanglantez-vous chaque jour vainement du sang de bêtes innocentes? Ce n’est pas dans les entrailles des victimes, mais dans la force de ses soldats, que sont les trophées de la victoire»49. Certes, on est alors en pleine “affaire” de l’autel de la Victoire et les pratiques des sénateurs païens commencent à être réprouvées par les Augustes. Dans le cadre privé, les pratiques divinatoires accompagnent si régulièrement la vie quotidienne que c’est le domaine où le législateur inquiet va intervenir le plus souvent (infra p. 350). Donc le débat qui parcourt les cercles lettrés hermétiques et néoplatoniciens – auxquels appartient précisément l’aristocratie sénatoriale romaine – sur la nécessité des sacrifices, en particulier sanglants50, et leur remplacement par la logikê thusia et l’action de grâce51, guère éloignées du sacrifice du cœur de la tradition prophétique et chrétienne52, n’a visiblement pas affecté leurs pratiques sacrificielles. Eunape illustre l’intérêt de l’élite envers les sacrifices et la théurgie à travers la figure de Chrysanthius grand prêtre de Lydie53. D’une part, ce débat mettait en œuvre des spéculations intellectuelles que les Romains ont toujours séparées de leurs engagements concrets et politiques54. D’autre part, la théurgie telle que Jamblique en a conceptualisé le principe dans les Mystères d’Égypte maintenait la nécessité des sacrifices55. Le doute est pourtant permis sur la désaffection de ces pratiques, du moins dans le culte public. En effet, Julien 44

Loi de 382 au duc d’Osrhoène; Trombley 1995: 17-18.

45 Pour Mambré, Sozomène, Histoire ecclésiastique 2, 4 et les

preuves archéologiques, Mader 1957; pour Gaza, urbs gentilium, Marc le Diacre, Vie de Porphyre évêque de Gaza, par ex. 74, 10-14; cf. Belayche 2001a: 96-99 et 245. 46 Eusèbe, VC III, 53, 2 (Constantin prescrivait aussi la construction d’une église). Cf. Caseau 2001: 70. 47 Lane Fox 1988: 124-129; Graf 1994. 48 Sous Jovien, Ammien 25, 6, 1 et 10, 1 et 2; sous Valentinien, Zosime 4, 18; sous Valens, Ammien 30, 1, 2. 49 Ambroise, Lettres 18, 7. 50 Il commence avec Porphyre, De abstinentia 2, 34. 51 Corpus Hermétique 13, 18 et 21; Asclepios 41; Or. Chald. fr. 107. Cf. Harl 1990: 12-13; P. Hoffmann et C. Macris, «Le sacrifice antique sous le regard des philosophes», Séminaire EPHE, Section Sciences religieuses, «Sociétés et religions de la Méditerranée ancienne», 14 mars 2000. 52 Cf. par ex., Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 29. Young 1979. 53 Eunape, V. Soph. 501. 54 Cf. par ex. l’attitude double de Cicéron face à la divination et la partition des trois théologies chez Varron. 55 Jamblique, Mystères d’Égypte V, 25-26. Saloustios, Des dieux et du monde XVI, 1, résume la position: «Les prières sans les sacrifices ne sont que des mots». Van Liefferinge 1999; Belayche 2001c.

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Realia versus leges? arrive au pouvoir en 361 après une fin de règne de Constance marquée pour la première fois par une politique anti-païenne active. Et il se désole: «Jusqu’ici, je ne vois que des gens qui refusent de sacrifier ou bien un petit nombre qui voudraient le faire mais qui ne savent comment s’y prendre»56. Son activité de templorum restaurator57 indique que le culte d’État avait souffert des décisions de Constance. L’examen de la législation va permettre de mesurer si cette désaffection, perceptible mais non générale, est à mettre au compte d’une législation répressive ou d’un effet de la christianisation en marche.

III. Libéralisme de Constantin face aux sacrifices L’analyse des textes de lois58 est instructive par le vocabulaire employé, la chronologie des décisions et la nature réelle des interdictions. L’appendice I (pp. 360-364) répertorie toutes les décisions impériales mentionnant les sacrifices (sacrificium) ou des éléments rituels appartenant au sacrifice (exta, tus)59. Il montre que les décisions des empereurs chrétiens en la matière, outre qu’elles ne relèvent pas de l’interdiction drastique avant 392, ne constituent pas une ligne de leur politique religieuse. Celle-ci ne fut pas nécessairement cohérente ou linéaire chronologiquement. Quelle que que fût l’image exemplaire du «premier empereur chrétien», les politiques respectives de ses successeurs reflètent les personnalités de chacun et sont surtout révélatrices des situations politiques au long du siècle. Bon nombre de lois semblent répondre à des motivations plus ponctuelles que systématiques et à des considérations plus politiques que religieuses60. Les mesures des Constantinides par exemple appartiennent toutes à des périodes politiquement chahutées: pour Constantin, la période du conflit avec Licinius (319/323) et pour ses fils, des moments de légitimation de leur pouvoir ou de renforcement du pouvoir unique (341/2 et 353/8). Même quand la pratique sacrificielle était dénoncée comme relevant d’un système religieux erroné et caduc, ce n’était pas le terrain retenu par le législateur. Car depuis les édits de 311 et 313, la liberté religieuse est reconnue et réaffirmée comme en 324. Bien que Constantin ait évité personnellement à plusieurs reprises de sacrifier61, il n’a pas dédaigné que plusieurs scènes de sacrifices provenant de monuments antoniens

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Julien, Lettres 78 (4) [375c]. Cf. aussi Chuvin 19912: 240-241. Oikonomides 1987. 58 Elle s’appuie sur les trois études les plus serrées: Gaudemet 1990, Salzman 1987 (mais qui n’étudie de près que les lois antérieures à Julien) et pour les lois relatives à la magie Martroye 1930. 59 Pour le CTh. à partir de l’index de Gradenwitz 1925: 221, 84 et 260. 60 La loi de 353 (CTh 16.10.5) qui abolit une décision de l’usurpateur Magnence prouve la sensibilité des mesures religieuses à la situation politique. 61 Eusèbe, VC I, 48: «Il offrit des prières d’action de grâce au Dieu roi de tous les sacrifices sans feu et fumée». Zosime (2, 29, 5) situe l’événement en 326 lors de sa conversion. Cf. De Giovanni 1977: 33-36; Briquel 1997: 48-49; Fögen 1993: 34-39. La littérature abonde car la date (312, 313, 326?) comme l’occasion de la fête (aduentus triomphal, Ludi Romani ou decennalia?) sont controversées, cf. un bon résumé des débats historiographiques dans Paschoud 1975: 44-62 et Id. 1992. Récemment, Fraschetti 1999: 23-31. Cette double incertitude n’influe pas sur la démonstration. 57

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Nicole Belayche figurent sur l’arc de triomphe offert par le Sénat dans la vallée du Colisée62. Dès 317, il prend des dispositions favorisant les clercs chrétiens et prononce que le culte des dieux est désormais une praeterita usurpatio (l. 8), un usage révolu de l’usurpateur Maxence, qualifié de ritus alienae superstitionis dans une loi de décembre 323 (l. 3, app. I)63. Pourtant, l’édit au peuple de Rome du 15 mai 319 (app. I)64 qui bannit les haruspices et leurs pratiques des maisons privées65, incite les païens (qui … id uobis existimatis conducere) à aller pratiquer leurs rites habituels (sollemnia, l. 6) aux autels et dans les temples publics, officia luce (l. 7). L’accent mis sur le caractère public et manifeste des célébrations est le thème que nous allons retrouver dans toute la législation du IVe siècle touchant directement ou non les sacrifices. Le caractère licite des célébrations sacrificielles publiques et leur interdiction en cadre privé – sacrificia domestica selon une décision de décembre 321 (l. 5, app. I) – indiquent que la législation a souhaité prévenir les potentialités subversives des rites païens en particulier divinatoires. D’ailleurs la loi du 25 décembre 323 (app. I)66 prouve que, en plein conflit avec Licinius qui durcit la compétition religieuse entre les deux Augustes, aucune entrave n’était mise aux sacrifices de lustration, bien que ceux-ci fussent considérés comme relevant d’une «mauvaise religion des autres»67. La règle est la tolérance de tous les cultes, païen et chrétien, puisque l’empereur réserve une punition publique aux païens qui obligeraient des chrétiens à sacrifier et dispense nommément les clercs et les catholiques de ces rites. Il ne faisait là qu’appliquer sa propre législation de tolérance religieuse pour tous68. Les lois limitant l’usage de l’haruspicine éclairent le débat puisque cette disciplina etrusca consistait à lire l’avenir dans les entrailles d’un animal sacrifié69. Celle de décembre 321 (app. I) rétablie dans son contexte ne peut guère marquer le début d’une lutte contre le paganisme70. Ce rescrit répond à une interrogation déposée par le Préfet de la Ville Maximus, un païen, auprès du tribun et maître des offices, à propos de la foudre qui avait frappé l’amphithéâtre flavien71. L’inquiétude du Praefectus Vrbi vient du fait que le prodige était deux fois impérial. La foudre est par excellence un présage de la sphère royale72, dont la procuration est la spécialité du collège des soixante haruspices publics. De plus, elle était tombée sur le haut-lieu romain de la

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Sacrifice à Sylvain, à Diane, à Apollon, à Hercule, dans un camp militaire après une victoire contre les Quades et les Marcomans, Coarelli 1974: 129-130. 63 Sur l’interprétation dépréciative du terme, De Giovanni 1977: 134 sq. 64 Corcoran 2000: n° 45, 193-194. Il est répété dans des termes similaires (publice ritum proprium exercere, l. 8) dans une loi adressée au préfet de la Ville Maximus en 320, app. I. Sur le problème de la date, De Giovanni 1977: 24-25. 65 Le concile d’Ancyre en 314 avait déjà condamné les pratiques magiques et divinatoires (canon 24). 66 Corcoran 2000: 314. 67 Grodzynski 1974: 52. 68 Thrams 1992: 36-51. 69 Lucrezi 1987; Briquel 1997: 17-19. 70 Karpp 1952 et Alföldi 1948. Contra De Giovanni 1977: 41, qui y reconnaît «un Leitmotiv della propaganda dell’epoca». 71 L. 5-7: Eam autem denuntiationem adque interpretationem, quae de tactu amphitheatri scribta est, de qua ad Heraclianum tribunum et mag(istrum) officiorum scribseras… De Giovanni 1977: 26-28. 72 Montero 1991: 72-75.

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Realia versus leges? rencontre du Prince avec ses sujets: le Colisée, alors que Rome est encore la capitale de Constantin73. Bien que la réponse impériale prescrive de continuer de recourir à l’une des deux formes traditionnelles de divination d’État74, l’empereur sent le besoin de rappeler la tolérance de tous les cultes, ce qui indique que les gestes en faveur des chrétiens pouvaient apparaître comme s’opposant aux pratiques traditionnelles. La réserve touche les haruspices (publics ou autres)75 qui utiliseraient la liberté de consultation à des fins domestica, c’est-à-dire privées donc incontrôlables. Ce n’est donc pas le sacrifice préalable à l’examen du foie et des exta76 qui est proscrit, mais l’usage éventuel qui pourrait être fait des prédictions en l’absence de contrôle public. L’empereur entend bien se réserver la divination qui touche aux affaires d’État, conformément à une tradition qui remonte aux débuts mêmes du Principat77 et qui court pendant tout le siècle. La loi du 25 mai 385 promet les pires supplices à ceux qui contra uetitum praesentium uel futurarum rerum explorare temptauerint ueritatem (app. I, l. 4-5)78. Celle du 8 novembre 392 énonce explicitement la nature juridique du crime: ad exemplum maiestatis… etiamsi nihil contra salutem principum aut de salute quaesierit (app. I, l. 7-9)79. Dans sa Vie de Constantin, Eusèbe revient à plusieurs reprises sur des mesures législatives qui qualifieraient une politique ouvertement antipaïenne, mais que l’historien peine à confirmer80. Une loi de 324 aurait interdit les sacrifices (app. I) et «dans une série de lois et d’ordonnances, il interdit à quiconque de sacrifier aux idoles, de pratiquer la divination, de dresser des statues de culte, de pratiquer des rites secrets, et de souiller les cités avec les massacres des jeux de gladiateurs»81. En réalité, pour brosser le portrait exemplaire de “l’empereur chrétien” pourfendeur du paganisme82 et champion de la vraie foi83, l’évêque mêle une législation effective («pratiquer des rites secrets») à une amplification, érigée en système, de mesures ponctuelles et ciblées (glissement de l’arrêt des condamnations à la gladiature par la loi du 1er octobre 32584 à l’interdiction des jeux de gladiateurs). Or, la tradition des jeux qui relevait de l’éver-

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Rea 2000. L. 2-4: Retento more ueteris obseruantiae quid portendat, ab haruspicibus requiratur et diligentissime scribtura collecta ad nostram scientiam referatur. Dans la loi CTh 9.16.3 (en 317319), Constantin reconnaît comme licite la magie “blanche” à des fins médicales ou météorologiques (nullis criminationibus inplicanda sunt …). 75 L. 4: Ceteris etiam usurpandae huius consuetudinis licentia tribuenda. 76 Cf. CTh 16.10.9: inspectione iecoris extorumque (l. 2). 77 Suétone, Tibère 63: haruspices secreto ac sine testibus consuli uetuit. 78 L. 2-3: Praesagio uanae spem promissionis accipiat uel, quod est deterius, futura sub execrabili consultatione cognoscat. 79 L. 9-11: Sufficit enim ad criminis molem naturae ipsius leges uelle rescindere, inlicita perscrutari, occulta recludere, interdicta temptare, finem quaerere salutis alienae, spem alieni interitus polliceri. 80 Contra Barnes 1989: 103-123. 81 Eusèbe, VC IV, 25, 1; id. en IV 23: «il interdit à tous toute forme d’idolâtrie et bannit toute forme de sacrifice». Cf. aussi Théodoret, V, 20: toi`" daivmosi quvein pantavpasin ajphgovreue. 82 Or, Constantin n’aurait fait fermer que quatre temples, Eusèbe, VC III, 55, 56 et 58 et III, 26-27. Cf. De Giovanni 1977: 95-99; Caseau 1999: 30-32 et 2001: 86-89. 83 Par ex. Eusèbe, VC IV, 22. Cameron 1997. 84 CTh 15.12.1. Kyle 1998: 55 (avec note). 74

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Nicole Belayche gétisme public constitutif des rapports socio-politiques s’est perpétuée et fut entretenue, même par les empereurs qui, comme Constance, ont agi contre les sacrifices85. La tradition chrétienne la présenta comme une législation antipaïenne entrant dans la réprobation des sacrifices sanglants, alors qu’elle s’inscrivait dans une tendance juridique de réflexion sur les peines, à l’œuvre depuis les Sévères86. Malgré l’autorité scientifique de T.D. Barnes qui croit à la réalité de la loi de 32487, et bien que Constance et Constant fassent allusion à une loi paternelle dans leur règlement de 341 (app. I et infra p. 354), il serait surprenant que le Code Théodosien ne l’ait pas conservée et qu’elle n’ait pas d’autre écho dans la politique de Constantin88. La citation des fils pourrait ne concerner que leur première interdiction (cesset superstitio) et donc rappeler la législation paternelle de 320 et 323 où les rites sacrificiels – dont la pratique est limitée mais pas interdite – sont inclus dans la définition générale de superstitio (app. II)89. Il faut garder la même prudence devant l’indication eusébienne selon laquelle Constantin aurait interdit aux fonctionnaires païens, gouverneurs et préfets du prétoire, de sacrifier90, puisque son règne ne manifeste pas de discrimination religieuse lors des nominations91. Le biographe cite d’ailleurs la lettre de Constantin aux Orientaux, postérieure à la mort de Licinius – et donc contemporaine de la supposée loi –, où il renouvelle pour l’empire unifié la politique de liberté religieuse «pour ceux qui sont dans l’erreur, comme pour les croyants» et autorise «ceux qui le souhaitent à conserver leurs sanctuaires de mensonge»92. La rhétorique impériale ne cache pas le camp religieux choisi par le titulaire de la pourpre93, mais s’empresse de préciser aux païens inquiets que les rumeurs sur «la suppression des coutumes des temples» sont infondées. Le fait que la cité d’Orcistos en Phrygie, détachée de Nacoleia à forte tradition païenne, ait dû demander en 325 une dispense pour ne pas financer le culte public94 confirme cette lecture, autant que l’inauguration de Constantinople selon les deux rites, païen et chrétien95. Enfin Libanios dans son Pro Templis félicite Constantin de n’avoir

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Cf. CTh 16.10.3 (en 342), app. I. Sozomène, HE, I, 8. De Giovanni 1977: 77-94. 87 Barnes 1984 (suivi par Bradbury 1994); sa position s’appuie sur sa thèse générale relative à l’histoire religieuse de la période: «In 324, Constantine established Christianity as the official religion of the Roman Empire» (70). 88 Cf. aussi les doutes de Lane Fox 1988: 667; Errington 1988; Gaudemet 1990: 455; Briquel 1997: 165; Corcoran 2000: 315-316; et de Cameron & Hall 1999: 243, «if he did, the law was not strongly enforced» et «Eusebius has exaggerated the extent to which Constantine actually proscribed pagan cult». 89 Martroye 1930: 672-677. Piganiol 1972: 58, considère qu’il s’agissait des sacrifices nocturnes. 90 Eusèbe, VC II, 44. 91 Novak 1979. Barnes 1994: ch. IX («The Religious Affiliations of Consuls and Prefects, 317-361») et Id. 1995. Marcone 1992. 92 Eusèbe, VC II, 56, 1-2. Maraval 1997: 7-11. 93 Eusèbe, VC II, 60, 2: «Je ne souhaite pas cacher ma foi dans la vérité». Lane Fox 1988: 666. 94 Chastagnol 1981. 95 La Rocca 1992: en part. 561. Malgré la vision eusébienne d’une Constantinople chrétienne (VC III, 48, 2), Constantin y a fait construire deux temples (à Rhéa et à la Fortune de Rome), Zosime, 2, 31; cf. Dagron 1974: 373-377 et Ando 2001: 399-403. 86

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Realia versus leges? «rien changé aux formes traditionnelles du culte (th`" kata; novmon de; qerapeiva" ejkivnhsen oujde; e{n)», à la différence de son fils Constance II (mhkevtV ei\nai qusiva")96. Seul, le rescrit d’Hispellum, dont la copie conservée doit suivre de peu la mort de Constantin (app. I), montre qu’il a pu réglementer les types de pratiques rituelles. Ce célèbre rescrit a suscité une abondante littérature97 qui a souvent interprété la contagiosa superstitio (l. 45-46) comme l’interdiction des sacrifices, au moins sanglants. Or, il ne faut pas oublier la portée locale – qui plus est en Italie – de la décision, ainsi que le contexte de fin de vie dévote98 dans lequel il a été rédigé. Ensuite, la décision première du rescrit est l’instauration d’un temple99 pour la famille flavienne et d’un culte avec prêtres100 et jeux scéniques et gladiatoriaux, calqué sur celui pratiqué au sanctuaire provincial de Volsinies. Elle maintient donc la religion romaine d’État et son grand volet, le culte impérial101. La restriction rituelle marquée par un vocabulaire obscur et ambigu ne peut se comprendre qu’à la lumière des autres emplois de superstitio par la chancellerie constantinienne (app. II)102, dans les lois de 320 et 323 (cf. supra) qui interdisaient les pratiques divinatoires privées. Dans les deux cas, superstitio désigne la religion non chrétienne, la gentilicia superstitio de la loi de Théodose en 392. Mais les restrictions ne s’y appliquent pas aux pratiques sacrificielles, mais au cadre dans lequel elles se déroulent (public/privé, liberté/coercition). C’est dans ce même sens qu’il faudrait comprendre à mon sens le rescrit de 337 et considérer que sacrifices publice et jeux de gladiateurs n’étaient pas prohibés par le législateur103. Les futurs prêtres de la gens Flavia d’Hispellum, comme les flamines, prêtres provinciaux et autres pontifes rencontrés, avaient comme rite central le sacrifice. On ne voit pas quel autre rituel ils auraient pu pratiquer puisque le modèle était pris sur la panégyrie de Volsinies. La libation préalable ture et vino est donc assurée et le sacrifice sanglant

96 Libanios, Or. 30, 6; cf. aussi 37 et 38. Barnes 1984: 72, doute de la crédibilité de Libanios.

Or il est établi que Libanios a utilisé la VC de Constantin, Petit 1950: 569-573 et 578-580. Wiemer 1994: 522, reconnaît là une «persistant pagan tradition», mais n’en doute pas (523). Même appréciation chez Julien, Contre Heraclios VII, 22 [228b] Cf. aussi Thémistios, Or. 5, 70d-71a, saluant Jovien comme un nouveau Constantin pour sa politique tolérante; Dagron 1968: 170-172 et Ando 1996: 176-182. 97 Depuis Gascou 1967, cf. récemment Tabata 1995. 98 Cf. ses intentions de conversion spitiruelle après son baptême, Eusèbe, VC IV 62. 99 On peut remarquer que la cité de Volsinies demande un templum Flauiae gentis (l. 28) et Constantin accorde une aedes. Hélas, le vocabulaire ne peut servir d’argument définitif car l’usage des termes est souple, cf. Dubourdieu & Scheid 2000: 68-71. 100 Aurelius Victor, Césars 40, 28, signale une prêtrise de la famille flavienne en Afrique et une inscription (CIL VI, 1690/1691) mentionne un pontifex Flauialis à Rome. 101 D’ailleurs, à sa mort, Constantin a reçu les honneurs de l’apothéose et est devenu diuus, cf. CTh 16.10.2 (app. I). En outre la définition du pouvoir impérial donnée l. 6-15 repose sur les valeurs de protection, providence et bienfaisance qui caractérisent la définition de l’empereur depuis Auguste. Pourtant, Eusèbe, VC IV, 16, évoque une loi de Constantin qui aurait interdit son image dans les temples (supra n. 31). 102 Pour tout le CTh jusqu’à Théodose Ier, il y a 8 emplois (sur un total de 41), mais 3 concernent des chrétiens hérétiques et les Juifs. Sur le caractère volontairement ambigu de l’utilisation du terme, Salzman 1987. 103 Gaudemet 1990: 453-454. Pour Gascou 1967: 649, il limitait le nombre des gladiateurs. Contra Wardman 1986, pense qu’il s’agissait des sacrifices païens: l’installation du culte devenait acceptable pour des chrétiens.

353

Nicole Belayche devait dépendre du rapport de force entre païens et chrétiens, qui, à Hispellum, devait être en faveur des païens vu la demande104. Donc la législation constantinienne me semble avoir suivi le principe des édits de tolérance de 313 et de 324105 qui ont jalonné la prise de pouvoir unique, tout en désapprouvant fermement l’ancienne croyance106 et en légiférant contre les pratiques douteuses. Mais Constantin a soutenu la légitimité des pratiques traditionnelles dans le cadre public. Les seules interdictions cohérentes et récurrentes concernent les pratiques divinatoires privées réputées potentiellement subversives. Il n’y eut pas plus de mise en cause des rites du paganisme que de la place officielle de la religion romaine et on ne trouve aucune décision explicite ou clairement repérable contre les sacrifices sanglants.

IV. Les interdictions de sacrifier sous Constance II Aussi, la lex diui principis parentis nostri évoquée par Constant et Constance en 341 (app. I) apparaît-elle comme une interprétation maximaliste des décisions de 319323, pour appuyer sans doute le contenu du nouveau texte. Car la loi des fils devait sonner comme un retournement vers l’intolérance de la politique impériale. Elle interdit la superstitio dans son sens global de religion des païens et proscrit les sacrifices (l. 2) considérés comme une insania, selon une tradition connue des conduites déviantes assimilées à un dérèglement mental. La seule mention de Constance, Auguste d’Orient, comme auteur de la décision, alors qu’il informe le vicaire d’Italie et d’Afrique de sa volonté (hanc nostrae mansuetudinis iussionem, l. 3), mérite une explication puisque ces territoires sont sous l’autorité de son frère Constant, Auguste d’Occident, qui vient d’éliminer son frère Constantin II. Il faut donc considérer que les deux frères furent co-signataires107. Pour Constant, il est urgent d’asseoir sa légitimité dynastique après l’élimination de son frère; cela pourrait aussi expliquer la référence à une prétendue loi du père et sa volonté de situer son règne dans une ambiance ambiguë ménageant païens (qui l’ont soutenu108) et chrétiens. D’où l’emploi de superstitio, que les païens pouvaient entendre comme une mauvaise attitude religieuse qu’eux-mêmes dénonçaient109. Les sanctions prévues sont fermes et immédiates bien qu’elles soient laissées à l’appréciation des autorités provinciales110. Pour la première fois, une loi était générale. Elle dut provoquer des remous puisque l’année suivante (app. I), les deux Augustes précisèrent que, quamquam omnis superstitio penitus eruenda sit (l. 12), les temples extra-urbains et les divers ludi qui s’y déroulaient n’étaient pas touchés par cette disposition (l. 2-5). La loi de 342 renvoyait donc à une situation du type 104

Il est inverse à Antioche sous Julien, Misopogon VII, 35 [362cd et 363b]. Édit dit de Milan, Eusèbe, HE X, 5, 1-14 et lettre aux provinciaux d’Orient, supra n. 92. 106 Barnes 1981: 210-212. Hunt 1993: 144-147. 107 La pratique est normale dans le Code théodosien puisque, légalement, il n’y a pas de partitio imperii mais une répartition territoriale des pouvoirs. La mention de Constance seul provient soit d’une erreur lors de la confection du code (cf. les autres erreurs de datation pour les lois de 342 et 346, app. I), soit de la similitude que les compilateurs ont remarquée avec la législation ultérieure. 108 Piganiol 1972: 84. 109 Cf. l’interprétation de Salzman 1987: 179-180, sur le jeu sur l’ambiguïté. 110 Depuis 331, il n’y a plus d’appel possible à l’empereur. 105

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Realia versus leges? de celle d’Hispellum. Elle ôtait à la précédente une bonne part de son efficacité antipaïenne. La protection des temples et de leurs activités religieuses était une condition préalable à la tenue des jeux auxquels le peuple était très attaché et qui faisaient partie de l’arsenal de la bienveillance impériale. D’où la nécessité de les maintenir en les dégageant non pas de leur dimension religieuse, mais de certaines pratiques rituelles effectivement condamnées depuis Constantin. Mais on voit mal comment tous les sacrifices pouvaient être supprimés. Les établissements de spectacles avaient tous une chapelle et un autel111 et les processions qui ouvraient les jeux comportaient des sacrifices qui, nous l’avons vu, continuaient. En 350, Magnence a éliminé Constant. Face à l’engagement chrétien de Constance, l’usurpateur occidental s’appuie sur l’opposition païenne112, à l’image des engagements religieux opposés qui avaient supporté la lutte entre Constantin et Licinius. Magnence a donc probablement rapporté la loi de 341, mais sa législation n’est détectable que par défaut, à travers la loi du 23 novembre 353 (l. 1-2, app. I) qui annule ses décisions après sa disparition. Il est difficile de penser que l’usurpateur mal installé n’aurait autorisé que les sacrifices nocturnes, alors qu’ils étaient notoirement considérés comme les plus dangereux113. Magnence a donc dû autoriser tous les sacrifices dans la pars occidentalis, abolissant par là même la loi de 341. En ce cas, la loi de 353 serait une reprise en douceur de la législation de 341 puisqu’elle n’interdit que les sacrifices nocturnes. Mais elle est suivie par les deux lois très répressives de 356 (app. I)114. Ce doublet de lois est l’inverse de celui de 341/342. En février, Constance condamne à mort ceux qui osent operam sacrificiis dare uel colere simulacra (l. 2). La formule pourrait servir de définition aux religions païennes appelées jusqu’alors superstitio. En décembre115, il renforce la législation en fermant les temples, condition favorable à l’application de la loi de février. Il renouvelle l’interdiction des pratiques sacrificielles, sous peine de mort et de confiscation des biens, et, pour la première fois, engage la responsabilité des gouverneurs de province. Ces décisions touchant au culte pratiqué publiquement étaient suivies par un train de mesures s’attaquant aux pratiques magiques. Le 4 décembre 357116, l’empereur promettait également le glaive à ceux qui oseraient magicis artibus […] elementa turbare et le 25 janvier 357 (app. I)117, il frappait de mort toute pratique de divination, de l’haruspicine à l’augurat en passant par des agissements avérés magiques. La place des augures dans une énumération de spé111

Golvin 1988: 337-340. Rubin 1998. 113 Dans l’optique chrétienne, ils sont également licencieux, cf. la loi de 353 (app. I) et le canon 35 du concile d’Elvire. 114 Elles sont peut-être inspirées par la personne d’un Flavius Leontius, alors Préfet de la Ville, et par la présence de courtisans fraîchement convertis comme Firmicus Maternus flattant le christianisme de l’empereur. 115 Mommsen 1905: ad. loc., corrigeait la datation consulaire affichée de 346 en 354 sans utiliser l’argument du contenu: autant en 346, la dureté de la loi apparaîtrait comme incohérente par rapport à la loi précédente prise un mois plus tôt et protégeant les temples (CTh 16.10.3), autant dix ans plus tard, elle s’insère dans une politique continue depuis la mort de Magnence de répression du culte païen. La datation de 356 est préférable à celle de 354 (cf. Piganiol 1972: 108, qui suit la datation de O. Seeck) car Flavius Taurus a géré la préfecture du prétoire de 355 à 361, PLRE I, 879. 116 CTh 9.16.5.1-2. 117 Renouvellement le 5 juillet 358 pour les honestiores, app. I. Cf. Maurice 1927: 111-113. 112

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Nicole Belayche cialistes connus pour être en rapport avec les pratiques magiques laisse penser qu’il faut y voir des magiciens118 et non pas les augures populi Romani de la religion officielle, nommés par Constance lui-même en 357 et attestés épigraphiquement jusqu’à la fin du siècle. Même dans ce cas, leur mention ne pourrait être versée au dossier de l’interdiction des sacrifices puisque l’art augural consiste en l’examen du vol des oiseaux dans un templum et de l’appétit des poulets sacrés. Constance est donc le premier empereur à s’être clairement attaqué aux sacrifices, plus précisément dans les années 356/357 lorsqu’il est seul Auguste et qu’il mène également une politique interventionniste du côté chrétien119. Cet empereur autoritaire et parfois enclin à la paranoïa, “césaropapiste”120, fut un militant religieux actif, ce qui l’a fait accuser par Ammien Marcellin d’avoir travesti le christianisme en une anilis superstitio au sens cicéronien du terme: la crainte excessive du divin121. Cela pourrait expliquer une politique de lutte antipaïenne plus délibérée, alors même qu’il faisait inscrire le philosophe païen Thémistios parmi les sénateurs de sa capitale. Pourtant, même sa politique ne fut ni constamment ni continûment répressive. L’effet réel des décisions de 356 est difficile à apprécier. Pour la ville de Rome en tout cas, la visite émerveillée de l’Auguste en 357 semble avoir infléchi son “intégrisme” religieux. Aussi Symmaque, pour les besoins de sa plaidoirie pour l’autel de la Victoire, le gratifie-til d’avoir nommé les nobiles aux prêtrises de la religion d’État et d’avoir financé ses cérémonies122. Néanmoins, à la lumière de ce que nous savons du début du règne de Julien (cf. supra), les sacrifices publics “nationaux” durent effectivement être arrêtés au moins un temps. Mais qu’en fut-il de ceux pratiqués dans les circonscriptions territoriales ou dans les associations? Le test mené en commençant a montré que les habitudes sacrificielles se sont poursuivies. D’autre part, on peut penser que seule Constantinople où l’empereur résidait et où le poids des chrétiens était par fondation influent était obligée de suivre à la lettre les dispositions123. Ailleurs, les cités ou le personnel d’empire, de confessions païenne ou chrétienne plus ou moins équilibrées, devaient tenir compte des rapports de force locaux ou régionaux. Ce fut le cas à Rome où l’autel de la Victoire placé dans la Curie ne fut enlevé que le temps de la visite de Constance124. Cependant, la politique énergique – et très controversée – de son successeur pour le rétablissement du culte païen et la restauration des sacrifices prouve leur désaffection125. Mais elle est sans doute à mettre au compte de la christianisation montante et de la modification de la façon dont les élites locales s’illustrent auprès de leurs concitoyens126, plus que de la législation impériale, comme Julien en fit l’amère 118

Cf. CTh 9.16.8 (12 décembre 370) interdisant l’enseignement de l’astrologie considérée comme un cohibitus error. D’ailleurs le titre 16 du livre 9 s’appelle de maleficiis et mathematicis et ceteris similibus (c’est moi qui souligne). 119 Cuneo 1997. 120 Pietri 1987 et Barnes 1987. 121 Amm. 21, 16, 18. Salzman 1987: 183. 122 Symmaque, Relatio III, 7: Repleuit nobilibus sacerdotia, Romanis caerimoniis non negauit impensas. 123 Cf. l’évêque Maris empêchant Julien de monter sacrifier sur l’autel de la Fortune, Socrate III, 11, 3 sq. et Sozomène V, 4, 8 sq. 124 Ambroise, Lettres 18, 32. 125 Cf. le cas paradoxal des sacrifices à Ilion pratiqués par l’«évêque» Pégase, Julien, Lettres 79 (78). 126 Brown 1998: en part. 15-55.

356

Realia versus leges? expérience à Antioche. Donc la désaffection pour les sacrifices sanglants, publics en tout cas, fut réelle, d’où la stupeur ou l’horreur provoquées par la frénésie sacrificielle de Julien127. Mais son ampleur dépendait beaucoup des situations locales. Les grands sanctuaires proche-orientaux et égyptiens continuaient les rites traditionnels128. Ces destins divers sont bien à l’image du culte païen lui-même, au fonctionnement atomisé et qui ne subissait pas encore de répression générale durable.

V. Les Valentinides et Théodose Ier La mort de Julien n’a pas provoqué de retour à la politique répressive de Constance. L’information de Libanios relative à une interdiction des sacrifices sanglants sous Jovien (app. I) est en contradiction avec l’éloge de sa tolérance religieuse prononcé par Thémistios dans le discours programme de janvier 364 devant le Sénat de Constantinople129. Les lois de Valentinien de 364 et de 371 (app. I) apparaissent motivées par des soucis d’ordre public et de tranquillité. Elles s’attaquent aux pratiques sacrificielles nocturnes et veillent à distinguer clairement l’haruspicine de la «religion des ancêtres» – licite – et les pratiques magiques – condamnables –. D’ailleurs Valentinien a renouvelé par deux fois (en 364 et 371)130 les privilèges des grands prêtres du culte provincial, ce qui aurait été contradictoire avec une limite édictée à leurs rites. Même la loi du 21 décembre 381, répétée en mai 385 (app. I), pourtant postérieure au rejet par Théodose du manteau de grand pontife lors de son accession à l’Augustat le 19 janvier 379 et au rétablissement nicéen établi par l’édit de Thessalonique en février 380131, n’interdit que les sacrifices divinatoires (inspectione iecoris extorumque132) de jour comme de nuit133. Ils sont appelés «sacrifices interdits» dans le mandat envoyé au duc d’Osrhoène en 382 (l. 6, app. I). Mais l’ambiance a radicalement changé puisque cette même loi de 381 prescrit d’honorer le Dieu chrétien par des prières (moneamus castis deum precibus excolendum) et sépare clairement le camp de la pureté de celui des «incantations néfastes» (l. 6). Les mesures qui suivent en 382 et 385 (app. I) demeurent modérées et n’opèrent le renversement de la politique religieuse que de façon progressive, avec le souci de respecter les temples en tant que bâtiments publics et de tenir compte des rapports de force locaux comme à Édesse134. Il n’y eut donc pas d’interdiction systématique et durable des sacrifices avant la dernière décennie du IVe siècle, marquée également par des opérations systématiques de destruction de temples135. On ne doit donc pas s’étonner qu’ils aient continué. En 127

Belayche 2001c. Trombley 1995. 129 Thémistios, Or. V, 68B: «Chaque âme est libre de suivre la route de la piété qu’elle veut» = Dagron 1968: 169. 130 CTh 12.1.60 et 75. 131 CTh 16.1.2. 132 CTh 16.10.9.2. 133 L. 2-4: Si quis uetitis sacrificiis diurnis nocturnisque uelut uesanus ac sacrilegus, incertorum consultorem se immersit fanumque sibi aut templum ad huiuscemodi sceleris executionem adsumendum crediderit uel putaverit adeundum. 134 La législation de 382 envoyée au duc d’Osrhoène, app. I. 135 Testa 1991. 128

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Nicole Belayche revanche, la christianisation progressive les a fait disparaître, sans doute davantage que le débat entre païens sur la légitimité du sacrifice sanglant. N’ont progressivement subsisté que des formes sacrificielles moins spectaculaires et donc non répertoriées, comme jeter quelques grains d’encens sur un autel allumé, tel celui de la Victoire à Rome… qui doit d’être connu à l’affaire qu’il déclencha136. Il faut attendre le train de lois de 391-392 pour parler véritablement d’interdiction des sacrifices avec celle du paganisme d’État public et privé137. Même la décision prise par Théodose en 389138 de supprimer le financement public des sacrifices tient autant de la décision budgétaire que de la volonté d’éradiquer la fausse religion, du moins si l’on doit croire la relation que fait Zosime du discours de l’empereur au Sénat récalcitrant: «L’État était accablé par les dépenses pour les cérémonies religieuses et les sacrifices (ta; iJera; kai; ta;" qusiva") et il voulait supprimer cela, vu qu’il n’approuvait pas ce qui se faisait, et que par ailleurs le budget militaire exigeait des ressources accrues»139. La véritable législation anti-sacrificielle date du 24 février 391140. Elle ouvre la série des quatre lois qui, en deux ans (391-392), interdisent le paganisme dans tout l’empire et sous toutes ses formes rituelles (app. I). L’interdiction détaillée des pratiques rituelles qui figure dans la loi du 8 novembre 392 (app. I) – d’autant plus radicale qu’elle est prise pendant l’usurpation d’Eugène141 – s’accompagnait logiquement de la fermeture des temples et de pénalités particulières pour les membres de l’administration qui devaient montrer l’exemple142. La législation n’opérait plus de distinction dans les sacrifices prohibés. Les sacrifices divinatoires publics de la tradition étrusque (spirantia exta consulere) entraient désormais eux aussi dans la catégorie du crime de lèse-majesté143.

VI. Les sacrifices sont des maléfices … ou la levée du paradoxe La constante de la législation relative aux rites païens au IVe siècle n’a pas concerné les sacrifices en général ou les sacrifices sanglants, mais l’haruspicine privée à buts jugés magiques144. On a déjà noté que les lois qui limitaient la liberté d’exercice des haruspices, comme celles de 319 et 357 (app. I), procédaient de motifs plus politiques

136 Sheridan 1966; Piganiol 1972: 270-271; Mazzarino 1974: 351-361, pour la distinction entre l’autel et la statue. 137 Piganiol 1972: 243: «la soudaineté, la cohésion et l’obstination de cette politique». Cf. Thrams 1992: 186-203 et Trombley I, 1995: 13-23. 138 Et non en 394 comme le dit Zosime, cf. le commentaire de F. Paschoud, Zosime, 2, 2 (livre 4), n. 213 p. 470-473. Briquel 1997: 170, conserve la date de 394. 139 Zosime, 4, 59, 2. 140 Elle est doublée en juin (app. I) par une loi spéciale envoyée au comte d’Égypte qui signe l’arrêt de mort du Serapeum d’Alexandrie. 141 Palanque 1933: 278, s’est demandé si cette loi s’appliquait à l’Occident. 142 Cette législation est complétée en 393 et 394 par l’interdiction des jeux, CTh 15.5.2. 143 CTh 16.10.12.7. 144 Martroye 1930: 689-701 et Briquel 2000: 186-190.

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Realia versus leges? que religieux145. Celles de juillet 357 et décembre 371146 s’attaquaient plus spécialement aux dignitaires de la cour et aux membres de l’ordre sénatorial qui s’adonneraient à de telles pratiques. La loi de Valentinien et Valens du 9 septembre 364 (app. I) interdisait les sacrifices nocturnes et l’ambiance générale du texte est très clairement magique (nefarias preces aut magicos, l. 2). Cette disposition n’avait pas non plus de but antipaïen, mais visait à protéger le nouvel empereur de pratiques magiques attentant à son pouvoir147, comme plus tard la loi de 385, qui intervenait à la suite de menées inquiétantes pour le pouvoir148. D’ailleurs, d’après Zosime qui en signale également l’existence (app. I), à la suite de l’intervention de Prétextat alors proconsul de Grèce et soucieux de protéger les mystères d’Éleusis, «il (Valentinien) suspendit la loi et ordonna que toutes les cérémonies fussent célébrées selon les traditions originelles»149. La loi de 371 renouvelant l’autorisation de l’haruspicine confirme cette lecture, comme le fait que l’action des haruspices dans un cadre public est attestée tardivement, jusqu’en 408150. Le corpus des lois relatives au paganisme au IVe siècle fournit donc une belle illustration de la distinction entre public et privé dans les conceptions romaines et dans les politiques impériales, même chez des empereurs chrétiens. Aussi, l’idée tenace selon laquelle tous les sacrifices auraient été interdits très tôt dans le IVe siècle vient-elle, à mon sens, du fait que la tradition chrétienne a assimilé les rites sacrificiels à des actions magiques, même quand elle reconnaissait qu’il s’agissait d’actes cultuels d’une religion organisée151. La présentation démoniaque des (faux) dieux du polythéisme éclaire la distorsion entre la législation et la tradition historiographique. L’assimilation opérée entre des rites de nature pourtant différente152, bâtie sur une définition théologique, justifiait déjà le canon 6 du concile d’Elvire au début du siècle: «Si quelqu’un par des maléfices a tué quelqu’un, eo quod sine idolatria perficere scelus non potuerit…». Elle est particulièrement explicite chez un ascète égyptien de la Thébaïde rapportant un souvenir d’enfance. «J’étais fils d’un prêtre païen. Lorsque j’étais jeune, je voyais souvent mon père qui venait sacrifier à l’idole. Un jour que j’entrais en cachette derrière lui, je vis Satan et toute son armée autour de lui»153. Comme la législation sur la magie fut particulièrement fournie, un glissement s’est opéré vers l’idée que c’étaient les pratiques sacrificielles dans leur ensemble qui étaient combattues. Paris, 2001

145

Cf. les procès qui se sont tenus à Scythopolis en Palestine (Amm. 19, 12, 6); celui de Barbation en 359 (Amm. 23, 5, 10); ceux de Campestris et d’Amantius en 369 et 371, Amm., 28, 1, 8 et 29, 28, 1, 19-21. Cf. Maurice 1927: 114-117; Fünke 1967. Plus généralement, MacMullen 1984: 96; De Giovanni 1977: 15 sq.; Montero 1991: 67-71 et 131-132. Contra Briquel 1997: 162, insiste sur les raisons religieuses. 146 CTh 9.16.6 et 10. 147 La législation du IVe siècle liant devins et astrologues vise toujours les pratiques de conspiration. Cf. aussi le commentaire de F. Paschoud, Zosime, 2, 2 (livre 4), n. 111 p. 337. 148 Themistios, Or. XIX. 149 Zosime, 4, 3, 3. 150 Zosime, 5, 41; cf. Briquel 1997, 182-186. 151 Cf. par ex. Grégoire de Nazianze, Or. IV, 83. 152 Cf. Fögen 1993: 192-202; Graf 1995; Frankfurter 2000. 153 Nau 1908: ch. 191, 275 et trad. 291. Harl 1990: 19.

359

360

320 (mais CTh. = 1 II 319)

17 XII 321

25 XII 323 (mais CTh. = V)

337 (après la mort de Constantin)

?

fin 324 ?

CTh 9.16.2 Eusèbe, VC 4.25.1 mais non datée

CTh 9.16.1

CTh 16.10.1

CTh. 16.2.5

CIL XI.5265 = ILS 705

CTh 16.10.2

? = Eusèbe, VC 2.45 ? CTh 16.10.2

341

Date

15 V 319

Référence

Lieu

Constantinople

Sirmium

Serdica

Rome

Rome

Constance [Constant]

?

Constantin ? lex diui principis parentis nostri Constantin ?

Constantin II Constant Constance

Constantin

Constantin

Constantin

Constantin

Règne

Madalianus vicaire d’Italie et d’Afrique

?

?

Rescrit à la cité d’Hispellum (Ombrie)

Maximus PV, à la suite de la foudre sur le Colisée Helpidius vicaire du PP à Rome

Maximus PV

Ad populum

Destinataire

Cesset superstitio, sacrificiorum aboleatur insania

mhvte mh;n quvein kaqovlou mhdevna

La même que la suivante?

Temple et jeux à la gens Flavia Ne cuiusquam contagiose superstitionis fraudibus polluatur

Haruspicine autorisée mais sans sacrificia domestica specialiter prohibita Clercs et catholiques dispensés ad lustrorum sacrificia alors que forcés à diversarum religionum hominibus

Haruspicine interdite dans les priuatae domus Adite aras publicas adque delubra et consuetudinis uestrae celebrate sollemnia Haruspices interdits ad domum alienam poterunt publice ritum proprium exercere

Décision

conpetens uindicta et praesens sententia

?

Pas d’indication ea observatione perscripta ?

Verges en public pour ceux qui les obligeraient; lourde amende pour les honestiores

Haruspices brûlés; clients relégués dans une île; délateurs récompensés Pas d’indication dummodo abstineant

poena

Sanction

Décisions impériales sûres ou douteuses réglementant les sacrifices d’après la législation conservée et les sources littéraires

APPENDICE I Nicole Belayche

19 II 356

1 XII 356 Constance ? (mais datation

consulaire = 346 et Mommsen = 354) 25 I 357 Constance Milan Julien Caes.

CTh 16.10.4

Jovien ?

Valentinien Valens

363-364

9 IX 364

? Libanios, Ep. 1147 ? ? Socrate, HE III.24 ? CTh 9.16.7 (= PERGAMI 1993: 76-77) Zosime, IV.3.3

Constance Julien Caes.

5 VII 358

CTh 9.16.6

CTh 9.16.4

Constance Julien Caes.

Constance Gallus Caes.

Lieu

?

Ariminium

Milan

?

CTh 16.10.6

CTh 16.10.5

Règne

CTh 16.10.3

Constance [Constant]

Date

1 XI 342 (mais datation consulaire = 346) 23 XI 353

Référence

Destinataire

Secundus, PP d’Orient

?

Taurus PP

Ad populum

Taurus PP

Lex

Cerealis PV

Catullinus PV

Décision

Sanctio

poena capitis

Pas d’indication et cetera

Pas d’indication

pravttesqai pavnta kata; ta; ejx ajrch`" pavtria

Fermeture des temples? mais ne parle pas de loi Interdit les sacrificia funesta de Mactari nuit (interprétation: nocturna (Interprétation: sacrificia daemonum) capite puniatur) Intervention de Prétextat, proconsul d’Achaïe; loi suspendue;

claudi templa en tous lieux et dans gladium; toutes les villes biens confisqués; cunctos sacrificiis abstinere rectores adfligi si neglexerint Interdit la consultation des Supplicium capitis haruspices, devins, magiciens gladio ultore et augures Sileat omnibus perpetuo divinandi curiositas Interdit la consultation des Cruciatus et tormenta haruspices, devins, magiciens même pour les et augures honestiores Interdiction des sacrifices sanglants? ?

omnis superstitio eruenda, mais temples extra-urbains et jeux protégés Aboleantur sacrificia nocturna Magnentio auctore permissa nefaria licentia repellatur operam sacrificiis dare uel colere simulacra

Realia versus leges?

361

362

Gratien

Gratien Valentinien II Théodose Valentinien II Théodose Arcadius Valentinien II Théodose Arcadius

Automne 382

30 XI 382

25 V 385

24 II 391

11 V 391

Ambroise, Epist. 17 et 57 CTh 16.10.8

CTh 16.10.9

CTh 16.10.10

CTh 16.7.5

Valentinien II Théodose Arcadius

Gratien Valentinien II Théodose

21 XII 381

Règne

Valentinien Valens Gratien

CTh 16.10.7

Date

29 V 371

CTh 9.16.9 (= PERGAMI 1993: 548)

Référence

Lieu

Concordia

Constantinople

Constantinople

Constantinople

Milan

Constantinople

Trêves

Destinataire

Flavianus PP

Albinus PP

Cynégius PP

Palladius dux d’Osrhoène

Florus PP

Sénat

Décision

Membres de l’élite qui se sacrificiis mancipare dégradés

Nemo se hostiis polluat, nemo insontem uictimam caedat, nemo delubra adeat - Si un membre de l’administration entre dans un temple

Nullum consortium entre haruspicine et magie. Aucun crimen dans l’haruspicine ni dans aliquam concessam a maioribus religionem. Pour preuve les lois antérieures du règne: colendi libera facultas nec haruspicinam reprehendimus, sed nocenter exerceri vetamus. Vetitis sacrificiis diurnis nocturnisque dans un temple à des fins divinatoires Diris carminibus profanandum Suppression de l’autel de la Victoire dans la Curie de Rome patere templum ne illic prohibitorum usus sacrificiorum permissus esse credatur ne quis faciendi sacrificii sumat audaciam à des fins divinatoires

Perpetua infamia Ignobilis

- Amende, ainsi qu’à son officium complaisant, selon le grade

Diuinis adque humanis sanctionibus

acerbioris supplicii cruciatus

Pas d’indication

Proscribtione subiugandum

Sanction Nicole Belayche

Date

16 VI 391

8 XI 392

Référence

CTh 16.10.11

CTh 16.10.12

Règne

Théodose Arcadius Honorius

Valentinien II Théodose Arcadius

Lieu

Constantinople

Aquilée

Destinataire

Décision

- Vénérer les simulacra inposito ture, construire un autel de gazon, turis vapore fumasse dans un cadre privé: gentilicia superstitio. - sacrifice dans les temples publics ou dans une maison étrangère

Evagrius Pr. Augustal et Nulli sacrificandi tribuatur potestas Romanus comte et interdiction de fréquenter d’Égypte les temples - Si un juge en fonction entre dans un temple Rufinus PP - Interdiction universelle et absolue de la moindre pratique sacrificielle: Insontem victimam, larem igne, mero genium, penates odore, lumina, tura, serta, immolare hostiam sacrificaturus, spirantia exta consulere

Sanction

- amende ainsi qu’à son officium complaisant - Ad exemplum maiestatis, sententia conpetens, etiamsi nihil contra salutem principum Crimen attentatoire aux lois de la nature de scruter l’avenir - plena religionis iniuria, violatae religionis reus, confiscation des biens - amende ilico; magistrats civiques doivent déférer aux iudices; - amendes pour les administrations laxistes ou complices.

nullis indulgentiis

Realia versus leges?

363

364

8 XI 392

16.10.12.16

16.10.3.1

17 IV 392

1 XI 342 (mais datation consulaire = 346) 3 VIII 379

16.10.2.2

16.8.8.4

341

16.2.5.3

20 VI 383

25 XII 323 (mais CTh. = V)

9.16.1.7

16.5.5.7 (= PERGAMI 1993: 655-656) 16.5.10.2

Date

320 (mais CTh. = 1 II 319)

Référence

Gratien Valentinien Théodose Gratien Valentinien Théodose Théodose Arcadius Honorius Théodose Arcadius Honorius

Constance [Constant]

Constance [Constant]

Constantin

Constantin

Règne

Constantinople

Constantinople

Constantinople

Milan

?

?

Sirmium

Rome

Lieu

Cesset superstitio

Judaïsme = ea superstitio mais = aussi religio (ligne 6) Vénérer les simulacra inposito ture, construire un autel de gazon, turis vapor fumasse dans un cadre privé = gentilicia superstitio.

Tatianus PP

Rufinus PP

omnis superstitio eruenda mais temples extra-urbains et jeux protégés Hesperius PP Loi contre les haereses et le rebaptême et contre les peruersae istius superstitionis magistri et ministri Constantianus vicaire Les Tascodrogites, haereticae du diocèse du Pont superstitionis turba

Catullinus PV

Madalianus vicaire d’Italie et d’Afrique

Helpidius vicaire du PP à Rome

Décision Haruspices interdits ad domum alienam Superstitioni suae seruire cupientes poterunt publice ritum proprium exercere Ritus alienae superstitionis par opposition à ceux qui sanctissimae legi seruiunt

Destinataire Maximus PV

Les usages de superstitio dans le CTh de Constantin à Théodose

APPENDICE II

Sanction

plena religionis iniuria, uiolatae religionis reus, confiscation des biens

Expulsés des églises

Haruspices brûlés Clients relégués dans une île; Délateurs récompensés Verges en public pour ceux qui les obligeraient aux sacrifices; lourde amende pour les honestiores Conpetens uindicta et praesens sententia

Nicole Belayche

Realia versus leges?

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Abstract The study of Roman legislation from Constantine to Theodosius I highlights the fact that there was no systematic legal process intended to forbid pagan cults – therefore sacrifices – before the end of the fourth century. Until the early 380s, the state religion remained a ritualistic, traditional one. Divinatory practices using sacrifice were common in public and in private as well, even at philosophers: according to Iamblichus, they considered sacrifice as necessary to theurgy. Prohibition only addressed nocturnal and domestic practices, which were suspected of being deviant. Public sacrifices, however, became less frequent, a phenomenon linked to the Christianisation of the imperial staff and to the attraction of a “spiritualized” form of religiosity; the 369

Nicole Belayche failure of Julian’s ritualistic episode is a proof of the change. On the contrary, private sacrificial practices had always been prohibited, because the political power was afraid of the potential, revolutionary consequences of this type of divination. Christian historiography extended these prohibitions to any type of sacrifice, because it considered sacrifice as a whole as demoniac.

370

WOMEN AS OBJECTS OF SACRIFICE? AN EARLY CHRISTIAN «CHANCEL OF THE VIRGINS» Joan R. BRANHAM Providence College «Let a widow know that she is the altar of God». Didascalia Apostolorum 15,3,6 Third century C.E. «Woman’s body is a secret, sacred space. It is a temenos or ritual precinct». Camille Paglia Sexual Personae, 1991 As the two quotations at the mast of this article indicate, this essay is a comparative one, throwing into conversation a variety of voices – at times harmonious, at times discordant – that shed light on the relationship of sacrifice and gender in early Christianity. Paglia’s statement reveals a modern attempt to reappropriate and reassign the female body, from its historical status as excluded and controlled, to an alternative figuration as powerful, mysterious, and sacrosanct. But the Syrian Christian text from the third-century – figuring women as altars – may likewise allude to ancient perceptions of resonance and resemblance between the female body and sacred space, and specifically, sacrificial arenas1. An intriguing stone fragment, discovered in Roman North Africa, emerges as yet another voice in the investigation of early Christian women and sacrificial symbolism. The marble slab, concurrently architectural and epigraphic, now resides in the Louvre in fragmentary form (Figure 1) and carries the inscription:

B

VIRG INUM B CANC

1 This study is part of a larger project, «Sacred Space as Gendered Space: Women, Blood, and Sacrifice in Late Antiquity», undertaken in 2002 as a Fellow in the Women’s Studies in Religion Program, Harvard Divinity School. I would like to thank my WSRP colleagues, Andrew McGowan, Lawrence Wills, Ellen Aitken, Joan Taylor, Laura Beth Bugg, and Francis Schmidt for their critical readings and comments, my students Bruno Borenstein and Kevin O’Neill for their research assistance and theoretical contributions, and the support of a CAFR grant from Providence College for research travel to the Louvre.

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Joan R. Branham VIRGINUM CANC(ELLUS) B(ONIS) B(ENE) – «Chancel of the Virgins. All good things to the good»2. According to excavation reports, this plaque–no bigger than a writing tablet now (18 cm high x 26 cm wide) – once belonged to an early Christian chancel screen and was sawed from the rest of the balustrade for transportation to Paris in the nineteenth century3. The chancel remnant – displaying its unusual, if not completely unique self-referential inscription – throws into problematic juxtaposition a number of crucial features of early Christian worship. Having originally been part of a chancel screen and identified by archaeologists and epigraphers as denoting an area reserved for virgins4, the marble fragment once played an active role in dividing, organizing, and labeling space within an ordered ecclesiastical structure. But literary evidence and archaeological remains from the fourth century point to chancel screens as powerful agencies of sacrificial ritual, announcing, establishing, and classifying sacred space dedicated to the symbolic sacrifice of Christ on the altar. The unmistakable subject of this chancel screen is, however, a group of women, in particular, virgins. The remarkable intersection of sacrificial, hierarchical, and gendered implications in a single material object (an art historian’s delight!), provides the point of departure then for the following discussion of sacred space, gendered space, and sacrificial space in early Christianity. Having just set out the categories that will structure this paper, I immediately hasten to reject them outright as «given categories» universally applicable to any time or place. Classifications such as «sacred» and «gendered» are produced and constituted through and together with religious practices in a particular historical setting and time period. Recent scholarship in ritual theory emphasizes the dynamic interplay among individuals, spaces, ritual strategies, and power relationships5. Through this lens, chancel screens contribute to the production of historically-located social and political categories and persons. Sacred space only functions through and together with cultic activ2 Henri Leclercq, «B B» and «Cancel», Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, 2, Fernand Cabrol ed., Paris, 1910, 1, 1823, fig. 1159. According to P.J. Mesnage, the screen comes from the area of Groun, Henchir Tifa, or Aïn Sfar (L’Afrique chrétienne, Paris, 1912, 295). I thank Agnès Scherer at the Louvre for allowing me access to the plaque. 3 Auguste Audollent, «Mission épigraphique en Algérie», Mélanges d’archéologie et d’histoire de l’École Française de Rome X 1890, n° 77, 505-08, and A. Poulle, «Inscriptions diverses de la Numidie et de la Mauritanie sétifienne», Recueil de la Société archéologique de Constantine 25, 1888-89, 410-12. 4 «C’est la balustrade qui, dans l’église, indiquait la place des jeunes filles», Poulle 188889: 412; «La dalle, ainsi que l’indiquent les termes de l’inscriptions, servait de balustrade pour séparer la place occupée à l’église par les vierges, de l’espace réservé au reste des fidèles», Audollent 1890: 506; «Die Tabelle hatte ihren Platz an den Schranken, welche die gottgeweihten Jungfrauen von den übringen Gläubigen schieden», Anton de Waal, «Zeitschriftenschau», Römische Quartalschrift 5, 1891, 212; «Inscription gravée sur un cartel et indiquant la place réservée aux vierges dans une basilique (Salle des Antiquités chrétiennes)», Antoine Héron de Villefosse, Description de l’Afrique du Nord. Musée et collections archéologiques de l’Algérie et de la Tunisie. Musée africain du Louvre (Archives Réserve AGR 88 Catalogue 35,2 au Louvre, Paris, 1906) 13, no. 145; «Cette dalle servait de balustrade à l’espace réservé dans l’église aux vierges chrétiennes», Leclercq 1910: 1 and 1823; «Inscription destinée à marquer la place réservée aux vierges dans une église», Serge Ducroux, Catalogue analytique des inscriptions latines sur pierre conservées au Musée du Louvre (Paris: Musée du Louvre, 1975) 231. 5 One helpful methodological model can be found in Catherine Bell’s Ritual Theory, Ritual Practice, New York, 1992.

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Women as objects of sacrifice? ity. Before beginning, then, we must avoid the tendency to ask, «who or what qualifies as sacred, gendered, or sacrificial?» and reformulate the question to inquire «how have the categories of sacred, gendered, and sacrificial been constructed through discursive and non-discursive forces?». As I intend to show, the chancel of the virgins plays a pivotal role in this inquiry, generating a relationship between virgins and sacrifice through both its discursive and non-discursive properties, as bearer of inscription/text and as architectural divider/marker of space.

I. Sacred Space Walls, by their very nature, are in the business of cutting space. They physically demarcate and endow separate spatial entities with qualitatively distinctive significations. Walls operate, therefore, on a number of levels; they function as material, structural equipment within architectural compounds, but they also double as symbolic vocabulary within a larger system of signs and meanings. Moreover, the sheer presence of a wall generates a multitude of dualistic relationships, such as us/them, included/excluded, accessible/inaccessible, sacred/profane. This ability to sever and partition spaces carries heavy consequences for the gestures, substances, participants, and words associated with those spaces. The virgins’ screen refers to itself unequivocally as a chancel or cancellus (CANC), yet its original placement within ecclesiastical space is unclear due to its removal from original context6. Such positive identification and contextual uncertainty prompt a brief examination of the piece in relation to other chancel screens from the early Christian period. Elsewhere, I have tried to interpret the origins and meanings of both church chancels and synagogue screens as generators of and markers around sacred and hierarchical spaces. These symbolic and liturgical barriers find their prototypes in Greek and Roman temenê, as well as critical dividers of space within the Jewish Temple in Jerusalem7. The early Christian church takes its cue from these ancient models and appropriates much of their architectural language in its considerable transition from private to public space in the third and fourth centuries. That transmutation was not only accompanied by, but in some sense originated through the deployment of chancel screens – low walls or barriers, appearing either solid or of lattice-work, sometimes with decorative or iconographical motifs. Chancel screens acted to generate, concentrate, and distinguish spaces constructed as sacred from areas constituted as less so. Simultaneously, these barriers helped to co-author a developing sense of hierarchy in the church, often mirroring the pre-established social divisions within Greco-Roman society8. 6 Compare this chancel screen with funerary inscriptions dedicated to virgins from the area of Carthage in Liliane Ennabli, Les inscriptions funéraires chrétiennes de Carthage III, Rome, 1991, n° 200 «virgo sacra», 149; n° 352 restored as virgines sacrae, 229. See Frederick Van der Meer’s discussion of this screen in relation to liturgical space, in Augustine the Bishop, London and New York, 1961, 22. 7 See my essay, «Sacred Space Under Erasure in Ancient Synagogues and Early Churches», The Art Bulletin 74/ 3, 1992, 375-94. For further discussion of synagogue soregim, also refer to my investigation of «Vicarious Sacrality: Temple Space in Ancient Synagogues», Ancient Synagogues: Historical Analysis and Archaeological Discovery, II, Dan Urman & Paul V. M. Flesher ed., Leiden, 1995, 319-345. 8 Branham 1992: 380-383.

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Joan R. Branham The increasing desire to structure Christian space and its inhabitants appears, however, before screens do. In the third-century Syrian document, the Didascalia Apostolorum, for example, bishops are instructed to orchestrate a precise relationship between church space and its occupants: «And in your congregations in the holy churches hold your assemblies with all decent order, and appoint the places for the brethren with care and gravity…and let the deacon see that each on entering goes to his place, so that no one sits out of place»9. The text divides the community into an emerging taxonomy – bishop, presbyters, deacons, lay men and women, young and old – and organizes the participants in relation first, to the site of sacrifice in the East, and subsequently, away from the altar toward the West. As we shall see, sacrifice plays a critical role in determining spatial and social hierarchies, as well as dictating the placement of chancel screens in the early church. Chancel screens make a prominent appearance in Christian structures during the fourth century, the possible date of our virgins’ chancel. This should come as no surprise, because the church’s movement from domestic-oriented, communal settings to monumental basilica structures within the Roman empire culminates at this time, the consummation of much flux and experimentation in early Christianity. It is against the volatile backdrop of the first four centuries of the Common Era, then, that we consider the chancel of the virgins in relation to relevant sources throughout the late-antique Mediterranean world. One of the earliest descriptions of a chancel screen comes from Eusebius’ fourthcentury discussion of the basilica-church at Tyre. He delineates a variety of spaces set off by balustrades10 and tells us that the bishop «placed in the midst the holy of holies… the altar, and again surrounded this part also, that the multitude might not tread thereon, with a fence of wooden lattice-work»11. In North Africa, Augustine associates chancels with the Christian sacrifice, the eucharist, as well. In a sermon he warns, «Let those who know that I am aware of their sins hold themselves back from communion, lest they be expelled from the altar rails (ne de cancellis projiciantur)»12. Archaeological evidence confirms these descriptions and reveals chancel screens situated almost without exception in front of altar areas13. Art historical reconstructions of Hippo’s Basilica Major, as well as other North African churches, posit chancel screens as the key means of segregation between symbolic, sacrificial space and congregational space14. By the

9Didascalia Apostolorum, 2, 57 (Syriac 12), R. Hugh Connolly, Didascalia Apostolorum: The Syriac Version Translated and Accompanied by the Verona Latin Fragments, Oxford, 1929, 119-20; Franciscus Xaverius Funk, Didascalia et Constitutiones Apostolorum, Paderborn, 1905, 158-67; see also Arthur Vööbus, The Didascalia Apostolorum in Syriac, CSCO 401-02, 40708, Louvain, 1979. 10 Eusebius describes an outer court for washing feet surrounded by a railing in Ecclesiastical History 10, 4, 37-40 ( trans. by J.E.L. Oulton, Loeb Classical Library), London, 1932, 422-23. 11 Ibid., 54, 44-45, Oulton 1932: 426-27. For a longer discussion, see Branham 1992: 380-381. 12 Augustine, Sermon 392, 5 (PL 39, 1712). 13 Consult, for example, Melchior de Vogüé, Les Églises de la Terre sainte, Paris, 1973, and Thomas F. Matthews, «An Early Roman Chancel Arrangement and its Liturgical Functions», Rivista Archeologia Cristiana 38, 1962, 73-95. 14 A full survey of the archaeological remains of North African churches and chancels is beyond the scope of this paper. See Robin Jensen & J. Patout Burns, «The Eucharistic Liturgy in Hippo’s Basilica Major at the Time of Augustine», in Allan D. Fitzgerald ed., Augustine through the Ages, Grand Rapids, Mich., 1999, 335-336.

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Women as objects of sacrifice? end of the sixth century, the connection between chancels and sacrifice is explicit. In the Theotokos chapel at Mt. Nebo, for example, chancels cut off the altar area and enclose mosaics that depict sacrificial animals headed toward a huge fire burning on an altar within a schematized figure of the Temple in Jerusalem15. Paramount in this process of arranging and qualifying space is sacrifice itself. The locus of symbolic sacrificial ritual – primarily on and around the altar – acted as an ordering principle to design, pattern, and orient the ground plan of the rest of the church. The eucharist choreographed a multitude of spaces that radiated from it and that remained both referential and deferential to it. The principal apparatus to realize this spatial network was the chancel screen, setting the altar area off from the rest of the church. Chancel screens united actively and strategically with ritual objects and actions to formulate, generate, and negotiate sacred, sacrificial space.

II. Gendered Space All bodies exist within space. Spatial boundaries define and constitute the bodies they enclose, just as bodily boundaries reciprocally structure and impart meaning to the spaces they populate. This mutual, symbiotic relationship takes on special significance in ritualized arenas, where bodies and spaces become symbolic referents to realities beyond themselves. In cultic spheres, then, the disposition of bodies in spaces not only inscribes both body and space with meaning, but also sets up a non-discursive social and political relationship with neighboring, asymmetrical bodies in adjacent spaces. Catherine Bell comments on the ritualized body, in relation to the action of genuflecting: The molding of the body within a highly structured environment… primarily acts to restructure bodies in the very doing of acts themselves. Hence, required kneeling does not merely communicate subordination to the kneeler. For all intents and purposes, kneeling produces a subordinate kneeler in and through the act itself16.

Gendered space, seen through this theoretical lens, emerges as a place in which ritual acts and symbolic architectural devices constitute ritualized bodies. That is, spaces and bodies are not inherently sacred or gendered, rather they reciprocally and cooperatively generate spaces and persons that are rendered sacred and/or gendered17. One of the earliest examples illustrating the interdependent dynamic among gender separation, architectural dividers, and sacred space shows up in a passage from Philo on the Therapeutae, an ascetic Jewish group in first-century Alexandria18. Describing a constructed sacred place, Philo states: 15 See figures 11 and 12 and further discussion in Branham 1992: 381, and Sylvester J. Saller,

The Memorial of Moses on Mount Nebo, Jerusalem, 1941. 16 Bell 1992: 100. 17 For the dynamic interplay among social groups, architectural context, and thought/ritual systems, see the work of Francis Schmidt, How the Temple Thinks: Identity and Social Cohesion in Ancient Judaism, Sheffield, 2001. 18 The first-century Jewish context for Philo’s report must take into account gendered spaces in antecedent Jewish liturgical ritual and Greco-Roman traditions–a full discussion of which is

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Joan R. Branham This common sanctuary (semneion) in which they meet every seventh day is a double enclosure (peribolos), one portion set apart for the use of the men, the other for the women. For women too regularly make part of the audience with the same ardour and the same sense of their calling. The wall (toichos) between the two chambers rises up from the ground to three or four cubits built in the form of a breast work (thôrakiou), while the space above up to the roof is left open. This arrangement serves two purposes; the modesty becoming to the female sex is preserved, while the women sitting within ear-shot can easily follow what is said since there is nothing to obstruct the voice of the speaker19.

Philo’s account, situated in a larger narrative discourse about the communal nature of this group, points to the essential transformation of a communally-defined room into a semnos – an area holy, august, revered20. As part of Philo’s rhetorical strategy, he pairs semnos and teichos – sacred space with a substantial wall dividing men and women – to describe the organized production of gendered spaces. In so doing, Philo’s narrative intimately binds together spatial dividers, gender, and sanctity in an interdependent network of entities, each initiating, constructing, and constituting the other. Moreover, the architectonic curtain doubles as a cloaking device to «clothe» women according to Philo’s explanation of the very purpose of this wall – to preserve «modesty becoming to the female sex». As we shall see, the relationship among separating, enclosing, and veiling women takes on specific import in relation to nascent Christianity.

beyond the scope of this paper. While no special or separated areas were designated to virgins, widows, or elderly women in the Jerusalem Temple, the Court of the Women did circumscribe spatial limits to women as a gathering place for both men and women, but beyond which women were not allowed to advance. Virgins holding special places in Greco-Roman temple traditions seem to be more prevalent. For a more in-depth treatment of women in the Jewish tradition, see Judith Romney Wegner, «‘Coming before the LORD’: Lpny yhwh and the Exclusion of Women from the Divine Presence», Jodi Magness & Seymour Gitin ed., Hesed ve-Emet: Studies in Honor of Ernest S. Frerichs (Brown Judaic Studies, n° 320), Atlanta, 1998, 81-91; Bernadette Brooten, Women Leaders in Ancient Synagogues, Chico, California, 1982, 103-38; Shaye J.D. Cohen, «Menstruants and the Sacred in Judaism and Christianity», Sarah B. Pomeroy ed., Women’s Health and Ancient History, Chapel Hill, North Carolina, 1991, 273-300; Charlotte Elisheva Fonrobert, Menstrual Purity: Rabbinic and Christian Reconstructions of Biblical Gender, Stanford, California, 2000, 50ff., 161-65; and my article, «Blood in Flux, Sanctity at Issue», RES 31: Anthropology and Aesthetics, Spring 1997, 53-70. For the role and placement of women in Greco-Roman religious traditions, see John Scheid’s article, «The Religious Roles of Roman Women», in Pauline Schmitt Pantel ed., A History of Women in the West I, Cambridge, Mass., 1992, 381ff. See also, in the same volume, Louise Bruit Zaidman «Pandora’s Daughters and Rituals in Grecian Cities», 338-376, and François Lissarrague, «Figures of Women», 139229. 19 Philo, De vita contemplativa, 32-33, trans. F.H. Colson, Loeb Classical Library, Cambridge, Mass., 1985 [repr. of 1941], 130-33. For a discussion of Philo’s masculine and feminine designations within the larger cultic language in this text, as well as the gender-inclusive hierarchy of the of the community, see Joan E. Taylor & Philip R. Davies, «The So-called Therapeutae of ‘De vita contemplativa’: Identity and Character», Harvard Theological Review 91, 1998, 13ff. 20 LSJ 1591.

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Women as objects of sacrifice? The earliest Christian liturgies were conducted most notably in communal, domestic spheres – i.e., the traditional dominion of women21. The transition to structured, public ecclesiastical space in fourth-century churches carried with it serious implications for women and their placement within sacred structures22. In the words of Teresa Berger, there developed «a noticeable and growing genderization of public liturgical space (that)… can be interpreted as another way of enforcing liturgical gender boundaries»23. Textual evidence from both the West and East confirms this genderization of space and sheds light on the enigmatic «chancel of the virgins.» Addressing female worshipers, the Didascalia Apostolorum already assigns detached locations to categories of women, stating, «The young girls should also sit separately… young women who are married and have children should stand separately, and elderly women and widows should sit separately»24. Tertullian, writing in Carthage at the same time, describes special areas reserved for virgins and widows; in his work on modesty, De pudicitia, Tertullian reports that sinners are made to prostrate themselves in front of the widows25. Tertullian dedicates another work to the veiling of the virgins, De virginibus velandis, where the veil acts as a «dividing» and «separating» device, physically marking and partitioning women’s bodies from the rest of the world, thereby functioning much like chancel screens in spatial complexes and the dividing wall in Philo’s account26. Recent scholarship on the body and sexuality in ancient Greek and Roman traditions suggests that a virgin’s or bride’s veil symbolized the hymen and was etymologically connected to it27. At a certain level, then, we might also interpret the «chancel of the virgins» as a symbolic membrane, announcing and assuring the unaltered condition of virginal bodies.

21 For scholarly discussions on women and the transition from private, domestic spaces to public ones in early Christianity, see, Teresa Berger, Women’s Ways of Worship, Collegeville, Minnesota, 1999, 33ff; Margaret MacDonald, Early Christian Women and Pagan Opinion, Cambridge, 1996, 112ff, 217ff; Karen Jo Torjesen,When Women Were Priests, San Francisco, 1993, 155-76; Ross Kraemer, Her Share of the Blessings, New York, 1992, 174ff; Elisabeth Schüssler Fiorenza, In Memory of Her: A Feminist Theological Reconstruction of Christian Origins, New York, 1984, 175-184. 22 I refer the reader to Robert Taft’s discussion of the spatial placement of Byzantine women and the use of the gynaeceum: «Women at Church in Byzantium: Where, When–and Why?», Dumbarton Oaks Papers 52, 1998, 27-87. Other references can be found in Cohen 1991: 297, n. 53. 23 Berger 1999: 54. 24Didascalia Apostolorum, 2, 57 (Syriac 12), in Connolly 1929: 120. Note that the Ethiopic version renders girls as “virgins” (see Vööbus 1979 [CSCO 408]: 132 n. 25). 25 De pudicitia, 13, 7 (CCSL 1, 1304): «…the repentant adulterer, lead into the midst and prostrate him, all in haircloth and ashes, a compound of disgrace and horror, before the widows, before the elders». See Berger 1999: 37. 26Tertullian, De virginibus velandis 9, 2-3 (PL 2, 950-51; CCSL, 2, 1219, 15-29). See Roger Gryson, The Ministry of Women in the Early Church, Collegeville, Minnesota, 1976, 21-22. 27 See recent readings on the relationship of veil and hymen in Lloyd Llewellyn-Jones, «Sexy Athena: The Dress and Erotic Representation of a Virgin War Goddess», Susan Deacy & Alexandra Villing ed., Athena in the Classical World, Leiden, 2001, 233-57. Also of interest, see the gender reversal of veil and hymen in Judith’s penetration of Holofernes’ tent veil in Lawrence M. Wills, The Jewish Novel in the Ancient World, Ithaca, 1995, 148-151.

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Joan R. Branham The Apostolic Constitutions from the fourth-century, list a veritable hierarchy of women in the church, stating that «the younger women also sit by themselves... but let the virgins, widows, and elderly women stand or sit before all the others»28. Similarly, the contemporary text De lapsu Virginis consecratae, speaks of women in designated places separated by barriers – tabulis separatum29 – while the Testamentum Domini, a century later, mentions at least six different times the phrase, «widows that sit in front,» denoting some sort of prominent spatial arrangement for these women30. And in North Africa, Augustine speaks of gender division in church worship «where a seemly separation of sexes is observed»31. In late fourth-century Antioch, John Chrysostom gives specific clues about the physical nature and origins of genderizing dividers. In his Homily 73 on the Gospel of Matthew, he admonishes his congregation: It would indeed that you had within you the wall (teichos) to part you from the women; but since you are not so minded, our fathers thought it necessary by these boards (sanis) to wall you off; since I hear from the elder ones, that of old there were not so much as these partitions32.

Here, Chrysostom uses two different and specific Greek terms for walls. The first, teichos, indicates a substantial city wall, embankment, or fortification33 – just the sort of edifice Chrysostom wishes the men had spiritually and behaviorally constructed within themselves. The second term, sanis (the physical and present reality to which Chrysostom refers), implies far less massive structural elements, such as wooden boards, planks, scaffolding, or painted panels34. These more tenuous architectonic dividers, like most chancel screens, do not function as impenetrable architectural barriers, but 28

Apostolic Constitutions, 2, 57, 12-13; Funk 1905: 165. De lapsu Virginis consecratae 6, 24 seems to be reminding the congregation that the barriers designate a special space for women who are saintly and worthy of it: Nonne vel illum locum tabulis separatum, in quo in Ecclesia stabas, recordari debuisti, ad quem religiosae matronae et nobiles certatim currebant, tua oscula petentes, quae sanctiores et digniores te erant? (PL 16, 390). See A. de Waal, 1891: 212. Van der Meer speaks of cancelli in similar terms in his recreation of the liturgy: «Then the men exchange the kiss of peace with one another, as do also the women. The noblest of the matrons comes to the cancelli of the virgins to receive the kiss from their superior, who is Augustine’s sister» (Van der Meer 1961: 401). He also states (218) that in Rome and Milan, virgins – called sanctimoniales or «dedicated to God» – «stood together in a particular place quite close to the altar». 30Testamentum Domini, 1, 19, 7; 1, 34, 4; 1, 41, 1; 1, 43, 2; 2, 4, 4; 2, 8, 12, cited in Gryson 1976: 66, n. 195-97. Testamentum Domini also has women entering the church through separate doors supervised by deaconesses, and worshiping separated from men. Although widows and deaconesses here had their own space in the sanctuary (contrast canon 44 of the fourth-century Council of Laodicea), they were excluded during menstruation; see Berger 1999: 55. For parallels between dietary and sexual asceticism in relation to orders of widows, see Andrew McGowan, Ascetic Eucharists: Food and Drink in Early Christian Ritual Meals, Oxford, 1999, 184, 196. 31 De Civitate Dei, 2, 28 (CCSL 47, 63). 32 Homily 73 on the Gospel of Matthew, PG 58, 677, trans. adapted from P. Schaff ed., Nicene and Post-Nicene Fathers, First Series, Peabody, Mass., 1994, X, 443. 33 LSJ 1767. 34 LSJ 1583. 29

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Women as objects of sacrifice? rather as symbolic devices generating and separating gendered areas. Moreover, Chrysostom’s reference to the older members of the congregation suggests that only within the last generation were these wooden dividers even erected. Here, we are allowed to glimpse the possible birth and proliferation of genderizing dividers within ecclesiastical organization. In the passages discussed thus far, women’s bodies are figured as «separated», «walled off», «veiled», «divided», «by themselves», «in front», «before all others», and «partitioned». The inscription on the virgins’ screen suggests that they were «chancelled» as well.35 In light of this evidence, the chancel of the virgins, together with ritual practice, may have helped to engineer a specifically female-gendered space by separating virgins, young girls, and possibly widows from the rest of ecclesiastical space. In reciprocal fashion, the special status of virgins demanded strategic placement within the church, thereby transforming homogeneous space into qualitatively differentiated space. This process is similar to the one in which chancels constituted sacrificial space by isolating altars and hierarchical participants. It is to the final question of women as sacrifice that we now turn.

III. Sacrificial Space Sacrifice orders realities. As the point of intersection and communication between human and divine realms, sacrifice structures cosmological relationships, and in so doing, shapes concrete, socio-political ones as well. In the early church, sacrificial ritual, in its centralized, theological role, demonstrably defines categories of community, gender, and space – and more specifically, gives rise to various strategies of dividing and constituting space. The chancel of the virgins raises perplexing questions about the designation of cancellus – a signifier normally inseparable from sacred, sacrificial space, specifically around the altar area, in fourth-century Christianity36. Would participants in the early church have perceived the «chancel of the virgins» as some sort of sacrificial space as well? Literary evidence may in fact reveal a perceived resonance between sacrifice and certain categories of women, in particular virgins and widows, who, as we have already encountered, are often mentioned or grouped together. As early as the second century, Polycarp’s Epistle to the Philippians uses sacrificial imagery in connection with widows: Our widows must be sober-minded as touching the faith of the Lord, making intercession without ceasing for all men, abstaining from … every evil thing, knowing that they are God’s altar, and that all sacrifices are carefully inspected, and nothing escapeth Him either of their thoughts or intents or any of the secret things of the heart37.

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On the etymology and multivalent meaning of chancel, see Branham 1992: 392-393. See part one of this essay, as well as Branham 1992: 379-383. 37 (My emphasis.) Epistle to the Philippians 4, 3; J.B. Lightfoot, The Apostolic Fathers, II, 2; St. Ignatius and St. Polycarp, London, 1885, I, 585. The term here for «inspected» is mômoskopeitai: «le mot, assez rare… désigne l’examen des victimes avant la sacrifice; l’image s’inspire des usages des sacrifices» ( P. Th. Camelot, Ignace d’Antioche, Polycarpe de Smyrne: Lettres, Martyre de Polycarpe, SC 10/2, Paris, 1951, 208-209, n. 3). 36

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Joan R. Branham Here widows appear as both altar and sacrifices, carefully examined for blemishes and agents of intercession between God and people38. Likewise, in the third century, Tertullian compares ordained widows to the purity of sacrificial altars when he discourages widows from second marriages, stating, «for it behooves God’s altar to be set forth pure»39. Similarly, the Didascalia Apostolorum states that «orphans and widows shall be reckoned by you in the likeness of the altar»40, and widows «are the holy altar of God, of Jesus Christ»41. In the context of telling widows not to go from house to house, the text says «Let a widow know she is the altar of God… the altar of God does not go wandering about everywhere, but it is fixed in a single place»42. Here, sacrificial imagery and its stationary character serve to construct a static, gendered space for widows. Roger Gryson points out that a century later, the author of the Apostolic Constitutions, working from the Didascalia, intentionally adds the category of virgins to the discussion of widows, privileging the former. Both are depicted as typological fulfillments of the Levites, as figures of the altar, and as occupying a special place in church43. While the Apostolic Constitutions consider widows and orphans as “types” of the bronze altar (thusiastêrion) that existed for burnt sacrifices in the precincts of the Jerusalem Temple, virgins represent “types” of the golden altar for incense in the Temple. This text even goes so far as to compare virgins with offerings themselves: «consider the virgins as a type of censer (thumiatêrion) and the incense (thumiama)»44. Although many of the texts discussed earlier group virgins and widows in similar or adjacent taxonomies, here we see a deliberate distinction made between them, which may indicate a developed attention to virgins in the fourth century. In a like manner, Pseudo-Ignatius writes in the fourth century, «Honor those (who continue) in virginity, as the priestesses of Christ; and the widows (that persevere) in gravity of behavior, as the altar (thusiastêrion) of God»45. And Methodius of Olympus (d. 311) gives us an extended typological description of widows and virgins in relation to the altars of the Jewish Tabernacle and Temple tradition. He begins by situating his discussion of women as altars within a larger, pre-existent typological tradition: Moreover, it has been handed down that the unbloody altar of God signifies the assembly of the chaste; thus virginity appears to be something great and glorious. Therefore it ought to be preserved undefiled and altogether pure, having no participation in the

38 See Gryson’s interpretation of widows as altars, receiving alms and offerings from the faithful, as does an altar; he draws on the work of Daniélou, who sees their uninterrupted prayer sent up to God (1 Tm 5, 5) as smoke from sacrifice (Gryson 1976: 13); see Jean Daniélou, The Ministry of Women in the Early Church, New York, 1961, 18. 39 Ad uxorem, 1, 7, 4 (CCSL 1, 381); A. Cleveland Coxe ed., Ante-Nicene Fathers, Peabody, Mass., 1994, IV, 43, also quoted in Gryson 1976: 21. 40 Didascalia Apostolorum 2, 26, 8 (Syriac 9); Funk 1905: 104; Connolly 1929: 88. 41 Didascalia Apostolorum, 3, 10, 7 (Syriac 15); Funk 1905: 204, Connolly 1929: 143. 42 Didascalia 3, 6, 3 (Syriac 15); Funk 1905: 190, Connolly 1929: 133. See also Gryson 1976: 43. 43 Gryson 1976: 58. 44 Apostolic Constitutions, 2, 26, 8; Funk 1905: 104-05; Gryson 1976: 59. 45 Epistle to Tarsians, 9, 1; Coxe 1994: I, 109.

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Women as objects of sacrifice? impurities of the flesh; but it should be set up before the presence of the testimony, gilded with wisdom, for the Holy of holies, sending forth a sweet savour of love to the Lord.46

Methodius continues in typological rhetoric and distinguishes widows from virgins, allocating preeminent status to virgins: Since the Tabernacle was a symbol of the Church…it is fitting that the altars should signify some of the things in the Church. And we have already compared the brazen altar to the company and circuit of widows; for they are a living altar of God, to which they bring calves and tithes, and free-will offerings, as a sacrifice to the Lord; but the golden altar within the Holy of holies, before the presence of the testimony, on which it is forbidden to offer sacrifice and libation, has reference to those in a state of virginity, as those who have their bodies preserved pure, like unalloyed gold, from carnal intercourse… Therefore, also, it stands nearer to God within the Holy of Holies, and before the veil, with undefiled hands, like incense, offering up prayers to the Lord, acceptable as a sweet savour.47

In an effort to cast virgins as a golden altar and offering, accentuate their proximity to the sacred, and draw parallels between the veil of the Holy of Holies and the veil Christian virgins wear, Methodius actually misplaces the golden incense altar by locating it inside the Holy of Holies instead of the area outside of it. In all of these typological narratives, the authors attempt to co-opt the sacrality associated with the sacrificial tradition of the Jews, making a bid for the lineage of the Tabernacle/Temple tradition. Two incongruent maps result – «sacrificial spaces and objects» and «holy women» – which are superimposed one upon the other, creating an intertwined and metonymic dynamic. Finally, virgins are compared to Christian sacrifice as well. In Augustine’s work on holy virginity, De sancta virginitate, he uses sacrificial language to figure virgins as spotless, sacrificial lambs of God, analogous to Christ, and ready to give up their lives for others: The special joy of Christ’s virgins is not the same as that of non-virgins… follow the Lamb, because without doubt the body of the Lamb is virginal too… you have lived devoutly and purely in the holy chastity of spotless virginity…In the end you have that supreme degree of love, such that you would lay down your life for your brothers and sisters.48

A picture begins to emerge in these early Christian liturgical settings of a powerful convergence of the following elements: 1) textual evidence that decisively associates widows and virgins with altars and offerings, 2) textual evidence alluding to the spatial placement of widows and virgins in privileged proximity to chancels surrounding

46

Symposium, 5, 6; Coxe 1994: VI, 328. Ibid., 5, 8. 48 De sancta virginitate, 27; 40 (41); 53 (54); trans. Ray Kearney, Marriage and Virginity: The Works of Saint Augustine, A Translation for the 21st Century, I/9, New York, 1999, p. 85, 95, 104. 47

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Joan R. Branham sacrificial altars, and 3) epigraphic and architectural evidence associating virgins with chancels. These intriguing references suggest that widows and virgins are associated with sacrifice, and may provide one of the keys to understanding the figural affinities between women’s bodily space and sacrificial space. At one level, we might interpret early Christian efforts to mythologize and elevate women’s bodies to the status of sacrificial objects as a deflective strategy while excluding women from actual sacrificial arenas. At another level, I have argued elsewhere that the incompatible relationship between sacrificial blood and women’s reproductive blood – evidenced in legislative material barring menstruants and new mothers from access to the Jerusalem Temple and Christian eucharistic practices – stemmed not from the differences of these two bloods, but rather from their analogous associations with forces of life, creation, and procreation49. Widows and virgins – categories that recur in these texts – refer to non-reproducing types of females. These types, like an increasing number of priests at this time, refrain from employing their procreative potentials, allowing for a metaphorical and spatial relationship to develop between widows, virgins, and sacrificial space. Our early Christian stone fragment might be understood, then, against a body of literature that links women’s bodies to sacrificial arenas. Moreover, the virgins’ chancel acted as part of a strategic apparatus that contributed to the production of earlyChristian, North African categories of sacred space, gendered space, and sacrificial space. I have tried to show that these categories were produced in an interconnected, reciprocally informing manner, that is, the category of “sacred” cannot be understood apart from the category of “chancel”, “virgin” likewise apart from “veil”, “sacrifice” apart from “hierarchy” and so forth. The stone fragment is at one level historical evidence that virgins, unmarried women, and possibly widows were separated from the rest of the congregation by an architectural screen in the fourth century. At another, the screen’s discursive and non-discursive mechanisms – inscribed authoritative text and physical barrier – in concert with sermons, literary traditions, and ritual practices not only segregated widows and virgins from other members of the congregation, but more importantly, constituted these women as objects of sacrifice.

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49 See Branham 1997, Cohen 1991, and Fonrobert 2000 in note 17, and Berger 1999: 58. Also see Nancy Jay, Throughout Your Generations Forever: Sacrifice, Religion, and Paternity, Chicago, 1992, for a discussion of sacrifice as male means to social kinship in response to female means to biological lineage. An analysis of women’s reproductive blood and its relationship to Christian sacrificial blood can be found in my article, «Blutende Frauen und Blutige Räume: Menstruation und Eucharistie in der Spätantike und im Frühen Mittelalter», Vorträge aus dem Warburg-Haus, 3, 1999, 129-161, reprinted in English as «Bloody Women and Bloody Spaces: Menses and the Eucharist in Late Antiquity and the Early Middle Ages», Harvard Divinity Bulletin 30/4, 2002, 15-22.

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Résumé Un fragment de marbre datant de l’Antiquité tardive et provenant d’Afrique du Nord porte l’inscription «chancel des vierges», et juxtapose nombre de traits caractéristiques du culte chrétien primitif, y compris la dimension spatiale du genre, du sacrifice et du sacré. Insérée à l’origine dans une clôture de chœur, l’inscription a dû contribuer activement à l’organisation spatiale de la structure ecclésiale. La documentation écrite et matérielle du IVe siècle suggère que les chœurs matérialisaient avec force le statut et les différenciations de l’espace sacré voué à l’eucharistie, au sacrifice symbolique du Christ sur l’autel. À l’évidence pourtant, cette clôture de chœur s’applique à un groupe de femmes vierges. Des textes patristiques décrivent du reste la femme chrétienne comme «séparée», «isolée par un rempart», «voilée» et «cloîtrée», en comparant les vierges et les veuves à des éléments du dispositif sacrificiel (par ex. l’autel) de l’espace du Tabernacle ou Temple juif. Le fonctionnement discursif et non discursif de la clôture – règlement inscrit et séparateur physique – non seulement mettait ces femmes à part, mais contribuait à les transformer en objets d’un sacrifice.

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Joan R. Branham

Fig. 1. – Early Christian inscription from North Africa denoting a chancel of the virgins. MA3015, Courtesy: Musée du Louvre, Département des Antiquités grecques, étrusques et romaines.

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TUER DES ANIMAUX POUR LA FÊTE DE SAINT FÉLIX Cristiano GROTTANELLI Université de Florence

I. Paulin de Nole et la boucherie sacrée (Carmen XX) Le Carmen XX de Paulin de Nole est le douzième des Carmina Natalicia de ce poète, qui fut évêque de la ville de Nole en Campanie. Comme tous les Carmina Natalicia de Paulin1, ce Carmen célèbre la fête de Saint Félix, le protecteur de cette ville, qui avait lieu le 14 Janvier. Dans ce texte, composé en 406, sont racontés trois cas tout récents de boucherie sanctifiée, et ces récits se terminent par la description de comportements exceptionnels de la part de certains animaux. Premier récit: un homme de la ville d’Abellinum essaie de rapporter chez lui la plus grande partie d’un porc qu’il a tué à l’occasion de la fête du saint et dans son sanctuaire, mais voilà qu’il tombe de son cheval et reste à terre, paralysé, tandis que la bête de somme ramène le corps de la victime jusque dans le lieu saint; après que le fidèle avare a donné tout son porc et qu’il a prié le saint de lui accorder son pardon, il est guéri et peut revenir à sa ville. Second récit: un porc engraissé par son propriétaire qui l’avait promis à Félix devient trop lourd pour que son maître puisse le transporter au sanctuaire, mais l’animal réussit à se traîner lui-même jusqu’à l’autel. Troisième récit: une génisse, également promise au saint mais rebelle au joug, s’échappe; mais là-dessus elle suit librement son maître et sa maîtresse et vient se faire tuer dans le lieu saint, en offrant son cou à la hache. Ces épisodes assez bien connus ont été lus jusqu’ici comme des survivances de sacrifices païens dans le rituel chrétien de la fête anniversaire de la mort d’un martyr. Il y a six ans, Dennis Trout a illustré cette interprétation simple dans un article efficace et clair du Journal of Early Christian Studies2 en présentant les pratiques décrites par Paulin comme the continuation of certain sacrificial and votive practices that were firmly embedded in the cultural logic of the Italian countryside. Je voudrais montrer, de manière générale, que ce qu’on appelle survivance n’est jamais une simple continuation, et en particulier que les trois vignettes du Carmen XX de Paulin de Nole sont riches en complexités et en paradoxes, parce que la boucherie sanctifiée racontée par le poème chrétien ressemble aux anciens sacrifices sanglants du polythéisme, sans être pour autant un rite sacrificiel. Je m’occuperai ensuite de quelques aspects de la transformation, sur une échelle millénaire, du contrat dit votum et des traditions narratives ayant comme protagonistes des animaux “miraculeux”. Enfin, je dirai quelques mots sur les stratégies qui régissent le procès complexe de formation – et de transformation – qui changea profondément la religiosité du bassin de la Méditerranée entre la fin de

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Sur Paulin de Nole, Trout 1999. Pour les Carmina, je me suis servi de Ruggiero 1996. Trout 1995.

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Cristiano Grottanelli l’Antiquité et les premiers siècles de ce que nous appelons encore le Moyen Âge, surtout dans le domaine des comportements rituels. Mon souci de rendre compte des spécificités ne devrait pas empêcher la compréhension des ressemblances et des continuités (ou du moins des continuités apparentes); au contraire, c’est justement à partir des ressemblances qu’il est possible de comprendre les distinctions. Soulignons pour commencer le caractère traditionnel de la forme du Carmen XX, qui s’organise autour de la correspondance entre le poème et un repas sacré. Il est possible de reconnaître dans une telle correspondance un thème très ancien de la poétique grecque, et non seulement grecque, que Jesper Svenbro avait discuté en 19883, et que j’ai traité dans mon petit livre Il sacrificio4. Mais, si le thème est traditionnel, la façon de le présenter est, au contraire, dans le poème de Paulin, assez nouvelle, et nous aide à comprendre le problème que je voudrais traiter ici. Au début du Carmen, Paulin explique que, grâce à la générosité de son patronus, l’auteur a pu offrir, pour la fête de Saint Félix, un epulum très riche, avec la chair de deux porcs et d’une génisse (v. 5-19): Et si quis eorum, moris ut humani sollemnis postulat usus, votum aliquot celebrare velit neque possit egenis id patrare opibus, studio curatur erili servus inops, cui dives opum, qua pauper egebat, contulerit dominus cumulandae inpendia mensae. Haec mihi condicio est data sub Felice patrono; nulla mihi ex me sint, ut sint mihi cuncta per illum; namque ad natalem nunc ipsius, ut quidem et ante, praeteritis quibus ista dies mihi floruit annis, non erat unde epulum votis sollemne pararem, instabatque dies, nec adhuc mihi prompta facultas ex aliquo suberat; subito ecce patronus abundans unde dapem largam struerem geminos dedit una cum iunice sues,...

Ces trois animaux lui offrirent en même temps la viande pour l’epulum et la matière de sa composition poétique, consacrée aux louanges du saint (v. 19-24): ... quorum de carne cibatis pauperibus nos materiam ex animalibus isdem sumpsimus, egregiis quoniam miracula signis per pecudes ipsas nuper deus edidit, alta destimulans ratione homines adtendere Christo nec desiderium carnis praeferre fidei;

Le Carmen montre que Dieu a donné, moyennant des animaux (plus précisément moyennant deux porcs et une génisse, la qualité et la quantité d’animaux que Paulin

3 4

Svenbro 1988. Grottanelli 1999: 55-59.

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Tuer des animaux pour la fête de saint Félix avait donnés pour nourrir les pauvres pendant la fête), des signes aux pécheurs pour qu’il puissent pleurer et se repentir de leur avarice (v. 25-28): namque ad avaritiae nostrae lacrimabile probrum per pecora humanae rationis egentia summum signa dedisse deum, series recitanda docebit.

Après avoir consacré quelques vers (v. 28-61) au caractère historique de ce qu’il va raconter, Paulin revient au thème qu’il se propose de traiter, et compare encore son poème au repas qu’il vient d’offrir pour la fête du saint (v. 62-64): Sed referam ad mea coepta pedem; nam tempus et hora est promissas offerre dapes, adponere vobis prandia sollicitas caste sumenda per aures

Cette comparaison est répétée encore une fois au moment de passer au deuxième épisode de la series (v. 301-304): Unus abit missus. Nunc mensae grata secundae fercula ponemus; sed quamvis rursus eandem diverso carnem conditam iure feremus.

Il est donc évident que le thème traditionnel de la correspondance entre le poème et le repas sacré est central dans le Carmen XX de Paulin de Nole. Mais sa forme est spécifique. Paulin – il est vrai – appelle ce repas un epulum; ailleurs, il dit que l’animal en question est mactatus (v. 319), il l’appelle victima (v. 431), et il emploie le terme votiuum munus (v. 392) et les verbes vouere (v. 73: iugulat de more vouentum) et votum solvere (v. 68)5. D’autre part, il ne parle jamais, que je sache, de sacrificium, et il emploie le terme sacra pour indiquer les rituels de la vraie religion, en particulier l’eucharistie (Carmen XIX, 520; Carmen XXIII, 112), ainsi que pour nommer les rites voués aux démons (par exemple: Carmen XIX, 171; 278). Quant à la description des formes de ce repas, dont la préparation, racontée trois fois, est indiquée par les verbes que je viens de citer, elle ne correspond pas précisément à ce que les textes du polythéisme romain nous disent des sacrifices de l’ancienne religion. Cela est très clair dans le récit qui présente le premier des trois miracula (v. 21) racontés par le Carmen. Car le propriétaire du porc qui emmène son animal de l’urbs Abellina aux tecta de saint Félix (v. 68) et le tue (iugulat, v. 73) dans le sanctuaire est coupable d’une erreur présentée d’après une formule fréquente dans les descriptions des comportements sacrificiels pré-chrétiens. Les vers 76-77 nous disent que ce fidèle non partibus aequis dividit incisas carnes. Mais c’est justement ce partage inégal qui qualifie la boucherie et l’epulum du lieu saint de Nole comme profondément différents des sacrifices traditionnels. Voyons cela.

5

Sur le problème spécifique du votum, voir infra.

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Cristiano Grottanelli

II. Le partage inégal (v. 67-300) Voici comment les vers 65-85 du Carmen XX présentent la faute du visiteur d’Abellinum: Non veteri repetam quae sum dicturus ab aevo; ante dies paucos istic spectata profabor. Venerat huc quidam placitum sibi solvere votum urbis Abellinae de finibus advena nostris sedibus. Hic porcus studio curante paratum dilatumque diu, ut simul annis atque sagina cresceret, huc illinc perduxerat; atque ubi venit, pingue pecus voti iugulat de more voventum. Fama suis magni per egentum accenderat acrem ora famem et cuncti magnae spe partis hiantem tendebant ad opima senes convivia faucem. Interea largitor inops non partibus aequis dividit incisas carnes, medium suis aufert sinciput et tantum secti coquit intima ventris solaque pauperibus caesi vitalia porci dividit ac totum sibi corpus habere relinquit, et votum conplesse putat laetusque redire incipit, ausus eas iumento inponere secum reliquias, et in his placiti se pignora voti sancta referre domum male credulus, in quibus idem damnum animae nodumque viae portabat avarus.

L’advena d’Abellinum partage donc la viande de l’animal qu’il a tué en donnant les viscères internes, intima ventris (v. 78), c’est à dire les organes de la vie, vitalia (v. 79), et en gardant pour lui-même le reste de la carcasse. Ce reste, qui est en réalité presque la totalité de l’animal, totum corpus, il l’emporte, et, heureux d’avoir accompli son vœu, il reprend le chemin du retour. C’est, dit Paulin, le comportement d’un avare (avarus, v. 85). Mais c’est aussi, semble-t-il, le comportement de quelqu’un qui se trompe parce qu’il croit que sa façon de partager est correcte – du moins d’après des expressions de Paulin comme votum conplesse putat laetusque redire/ incipit (v. 81-82), ou male credulus (v. 84). Comment expliquer ce mélange d’avarice et de crédulité trompeuse, que Paulin attribue au largitor inops (v. 76)? Je pense qu’il est impossible de répondre à cette question sans s’interroger sur la différence entre les sacrifices traditionnels du polythéisme romain et la boucherie et le partage nécessaires pour l’epulum de saint Félix à l’occasion de son Natalicium. Car il est clair que la méthode de partage suivie par l’advena, que le poète chrétien considère comme le comportement d’un avare et en même temps d’un male credulus, et dont il raconte comment elle fut punie, est en réalité la façon normale de partager dans le sacrifice traditionnel pré-chrétien, qui comporte l’offrande aux dieux d’un mélange de parties internes (exta) de la victime: après quoi le reste de l’animal est consommé par les êtres humains. Cette manière de partager pouvait comprendre une distribution généreuse de viande, du genre de celles qui suivaient, pendant les grandes fêtes de l’époque hellénistique, et à l’époque de l’Empire romain, les sacrifices offerts par les évergètes ou par les souverains, mais l’intention sacri390

Tuer des animaux pour la fête de saint Félix ficielle, et donc l’offrande aux dieux de quelques parties de la victime, restait le centre du rituel6. À leur tour, d’un rituel à l’autre les différentes façons de partager s’expliquent par les différentes destinations des offrandes. Dans le monde du polythéisme, la partie de l’animal dont le sacrifiant se prive est destinée avant tout aux dieux; dans l’epulum pour la fête du saint, comme Paulin l’explique bien, l’offrande est pour les pauvres. Et, depuis le partage mythique de Prométhée, il était correct d’offrir aux dieux des parties purement symboliques de l’animal, qui sont moins comestibles et ont donc moins de valeur, du point de vue humain – et en tout cas des quantités minimales du corps partagé; mais les pauvres, eux, il faut les nourrir. C’est bien à cause de cette destination différente que le bouilli, et non pas le brûlé, est au cœur même de l’offrande chrétienne qui suit la boucherie sacrée – comme le montrent les vers 190-205 du Carmen XX, où, après avoir raconté la punition et le repentir de l’advena, le poète décrit le banquet: Talia clamantem, dum postibus haeret in ipsis Felicis sancti lambensque per oscula tergit, adtonitis illum pia turba et cernit et audit coetibus, ipse iacens etiam nunc erigitur spe increpitatque moras omnes et tarda suorum obsequia. Adferri porcum totasque iubet mox pauperibus reddi partes, sibi vivere tantum concedi petit atque inopum saturamine pasci. Certatim socii cito iussa fidelia curant. Itur ad hospitium notum, deponitur illic sarcina iumento, carnes in frusta secantur et divisa coquit spumantibus ignis aenis. Cocta inportantur patulis numerosa catinis. Exsaturata fames inopum gratantia reddit verba deo et veniam petit ut placata datori.

Ajoutons que les modèles littéraires du texte de Paulin ici discuté ne sont presque jamais des descriptions de sacrifices. Ainsi, par exemple, depuis longtemps, les philologues ont reconnu dans les vers que je viens de citer un écho de Virgile. Les vers de l’Énéide (I 211-213) imités par Paulin sont les suivants: Tergora diripiunt costis et viscera nudant, pars in frusta secant veribusque trementia figunt, litore aena locant alii flammasque ministrant.

Mais c’est justement dans la comparaison des deux scènes que la différence se révèle: dans le Carmen XX, nous avons une boucherie sacrée suivie par un banquet offert aux pauvres, où le bouilli est le plat de résistance, tandis que, dans la scène de

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Sur le partage sacrificiel, Grottanelli 1999: 46-54. Pour le partage sacrificiel à Rome, Santini 1988 et Scheid 1988.

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Cristiano Grottanelli l’Énéide, la chasse est suivie par le partage des corps de trois cerfs dont les viandes sont rôties sur des épieux. Et, dans le cas des vers 76-77 du Carmen XX, qui expriment le partage du porc, la situation est encore plus paradoxale, car le modèle proposé, Énéide IX 754, se réfère au sort de Pandare, coupé en deux par Turnus qui ferro gemina inter tempora frontem/ dividit impubesque immani volnere malas. La boucherie sacrée et l’epulum des pauvres sont donc le rite qui a pris, dans le culte chrétien du sanctuaire de saint Félix à Nola, une place à peu près correspondante à celle qu’occupait, dans l’ancien culte polythéiste, le sacrifice animal, sans être pour autant la continuation du sacrifice. En particulier, au-delà de toute distinction nécessaire, ces rites jouent un rôle précis, semblable à l’ancien rôle du sacrifice sanglant, dans le régime de l’échange entre les êtres humains et la divinité. Il est facile de reconnaître un aspect de ce rôle dans le mécanisme du votum, si important dans les poèmes de Paulin, et sur lequel je reviendrai dans quelques instants. Un autre aspect du même rôle est représenté, dans l’histoire de l’advena d’Abellinum, par la prière des pauvres dont la fames demande que le généreux largitor soit pardonné (v. 204: veniam petit… datori).

III. Nourrir les pauvres, nourrir les démons Si les pauvres sont faméliques, il sont bien ordonnés. Au moment où le cheval de l’advena rejoint le sanctuaire avec son onus fait de sola (caro) porcina, et où le maître de cet animal est emporté, blessé et pleurant, à la maison du saint, les inopes attendent le repas. Les voilà bien rangés autour de la table de l’epulum, dans les vers 112-116 de notre Carmen: Illum homines interque manus interque catervas in sacra vectatum mirantibus atria turbis dispositi trino per longa sedilia coetu obstipuere senes, inopum miserabile vulgus et socio canae residentes agmine matres.

La foule (v. 113: mirantibus… turbis) est organisée en groupes (manus, catervas 112; trino coetu 114; socio agmine 116) et les pauvres, senes et matres, sont assis (voir longa sedilia 114; residentes 116) devant de longues tables, dont chacune est destinée à l’un des deux sexes et à une classe d’âge différente. C’est pour cette foule si bien préparée que se fait la sainte boucherie de Félix. Mais cette boucherie et ce repas ne sont pas seulement méritoires et bien ordonnés. Ces gestes sont aussi le contraire des sacrifices sanglants des ennemis du christianisme. Les Carmina de Paulin de Nole le montrent très nettement. Pour comprendre cela, il faudra jeter un coup d’œil sur la conception chrétienne des sacrifices sanglants du polythéisme. Pour ces auteurs du premier christianisme que l’on appelle encore les Apologistes, et pour les Pères de l’Église, ces sacrifices sont pour les sectateurs des idoles la bonne manière de nourrir les êtres puissants mais mortels qu’ils adorent. La plus ancienne pensée chrétienne ne dénonce point les sacrifices des polythéismes comme des actions vides et trompeuses (c’est plutôt chez quelques philosophes non chrétiens, ou même anti-chrétiens, tels que Porphyre, que l’on trouve ces accusations): elle les condamne comme étant vouées à des êtres immondes, les démons adorés par les païens, et comme capables de maintenir en vie ces entités néfastes7. Les démons sont même, pour ces auteurs, des brigands (lê(i)stai, latrones, praedones) qui ravissent les êtres humains, en les possédant ou en les faisant tomber malades, après 392

Tuer des animaux pour la fête de saint Félix quoi ils acceptent de les délivrer, pourvu qu’on leur offre en échange des victimes animales, dont ils boivent le sang, en aspirant la fumée de leurs entrailles brûlées. Il m’est impossible ici de fournir des détails sur ce thème bien connu mais mal étudié. Ce qui m’intéresse c’est de montrer que dans les poèmes de Paulin de Nole les sacrifices des polythéismes, envisagés d’après cette conception, sont parfaitement symétriques et contraires aux epula sacrés de l’anniversaire de Saint Félix. Cela est très clair, je pense, si nous considérons le Carmen XIX de Paulin, c’est-à-dire le onzième Carmen natalicium, composé à Nole un an avant le Carmen XX que j’examine ici, et donc écrit pour la fête de Saint Félix de l’année 405. Ce Carmen insiste sur la lutte engagée à l’époque de Paulin entre le culte des dieux (des démons) des polythéismes et la vénération chrétienne pour les saints: d’un côté, Paulin décrit les comportements des fidèles de Jupiter, du taureau Apis, d’Osiris, de Cybèle, de Vénus, de Bacchus; de l’autre, il énumère Ambroise d’Italie, Vincent d’Espagne, Martin de Gaule, Delphinus d’Aquitaine. Les démons s’emparent des êtres humains moyennant la possession, et cela se passe même dans le sanctuaire de Nole, mais Félix est capable de guérir les possédés (v. 256-316) – comme le sont d’ailleurs les autres saints énumérés par le Carmen. La facies des possédés est tout à fait identique à celle des furentes des anciens cultes, et les expressions de la transe ressemblent aux grimaces des démons affamés qui désirent les entrailles (exta) des victimes (Carmen XIX, 266-289): Sed magis ut pateat quia nunc hi, qui cruciantur daemones ante fores aut ante sepulcra piorum idem sint illi, quibus olim serva litabat gens hominum et sacros demens libabat honores, ipsa docet vocum species; nam saepius illa voce gemunt, solitum ut noscas clamore furorem. Sic plerumque velut resoluto laxius ore dente fremunt, spumant labris horrentque capillis, utque manu prensante comam excutiunt in altum, et pede pendentes stant crinibus, interea illic sacrorum memores veterum, quibus exta solebant lambere caesarum pecudum aut libamine pasci lascivosque choros hederatis ducere pompis, nunc etiam sua testantes sacra illa fuisse, in quibus insanos dabat ebria turba tumultus, euhoe, Bacchi sonum, fractis imitantur anheli vocibus et lento iactant sua colla rotatu. Sed quia non poterat mortalis unius aetas sufficere, ut longo contagia tempore tracta diluerent paucis quos corpore viveret annis confessor Felix et presbyter, ore magister, elogio martyr, merito officioque sacerdos, omnipotens dominus finitum corporis aevum Felici potiore via persistere fecit... 7

Grottanelli 1989. Voir sur cette question les différentes perspectives modernes présentées par Pesce et al. 2002. Pour le thème des Alternatives to Sacrifice, voir la deuxième partie de Baumgarten ed. 2002: 152-312. Sur la crise des sacrifices pendant l’Antiquité tardive, il est important de lire Sorabji 1993.

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Cristiano Grottanelli Si l’attitude des possédés fait penser aux démons et à leurs sacrifices, la victoire du christianisme est au contraire présentée dans le Carmen XIX, d’après un topos très répandu, comme la fuite des démons; et l’un de ces démons, un serpent livide, ouvre sa gueule, toute rouge du sang des victimes, en pleurant à cause de la fin des offrandes sacrificielles et en volant au dessus des autels secs (Carmen XIX 71-75): Diffugiunt trepidi desertas daemones aedes. Lividus incassum serpens fremit ore cruento lugens humanam ieiuna fauce salutem seque simul pecudum iam sanguine defraudatum; praedo gemens frustra siccas circumvolat aras.

C’est justement la ieiuna faux du démon-serpent qui nous indique au mieux la qualité symétrique de l’opposition entre les sacra des polythéismes et l’epulum des pauvres dans le sanctuaire de saint Félix. Car – le lecteur ne l’a sûrement pas oublié – les gueules des pauvres affamés sont ouvertes d’après le Carmen XX (v. 73-75), quand ces turbae (Carmen XX, 113) attendent le repas offert par l’advena d’Abellinum: Fama suis magni per egentum accenderant acrem ora famem et cuncti magnae spe partis hiantem tendebant ad opima senes convivia faucem.

Entre l’ebria turba des fidèles de Bacchus (Carmen XIX, 280) et les turbae ordonnées des inopes ou la pia turba du sanctuaire de Paulin (Carmen XX, 113; 192), l’opposition est précise, non moins que celle que l’on constate entre la faim (ieiuna fauce: Carmen XIX, 73) du serpent ensanglanté et la faim (hiantem... faucem, Carmen XX, 75) des senes pendant le repas des pauvres dans le lieu saint de Félix. La faim des démons privés des exta est le signe de la salus garantie par les saints et par leurs reliques; la faim des pauvres dépourvus de la (caro) porcina qu’ils attendaient est le signe du péché d’un avare; et le repas qu’ils reçoivent grâce aux vota accomplis par un fidèle de saint Félix promet au contraire le pardon de ce péché et le salut procuré par le thaumaturge. Même dans l’étude des différences et des spécificités il est donc possible – et nécessaire – de chercher des distinctions ultérieures. J’ai montré que la boucherie sacrée et l’epulum de la fête de saint Félix étaient, dans les textes poétiques de Paulin de Nole, très différents du sacrifice sanglant des polythéismes, car on tuait dans ces rites chrétiens pour les pauvres, et cette intention de l’offrande en faisait un phénomène tout à fait original, caractérisé par un geste non plus symbolique mais réel, à savoir le don du corps entier de la victime. Mais cela ne m’empêche pas de voir que, du point de vue de Paulin, l’epulum pour les pauvres était précisément le contraire des sacra sanglants des démons. Le manque de symétrie que m’avait révélé la comparaison directe entre les sacrifices des “païens” et les rituels de la fête chrétienne est donc remplacé par une symétrie parfaite si j’essaye de comprendre comment l’évêque de Nole envisageait le rapport entre ces deux comportements. Il ne me semble pas nécessaire de choisir entre ces deux perspectives. Il vaut mieux, je crois, admettre que les deux genres de rituels sanglants entretiennent des relations qui sont à la fois symétriques et dissymétriques.

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Tuer des animaux pour la fête de saint Félix

IV. Les formes changeantes du votum En réalité, il est possible de reconnaître dans les vers du Carmen XX une troisième perspective. Je pense évidemment au point de vue de l’advena, qui croit (male credulus) pouvoir donner seulement les vitalia du porc – et donc, si j’ai bien interprété ce passage, pouvoir identifier l’epulum du saint avec les anciens sacrifices. C’est bien là la perspective de la continuation, que j’ai proposé de lire – et de critiquer – dans les textes modernes sur la boucherie rituelle et sur les repas collectifs du sanctuaire de Félix. J’ai répété souvent que la différence entre la boucherie sacrée de la fête du saint et les sacrifices des polythéismes reposait sur la destination des offrandes, les destinataires directs étant les dieux dans les rituels plus anciens, et les pauvres dans les epula des fidèles chrétiens du martyre Félix. Mais les textes de Paulin de Nole que j’ai présentés jusqu’ici montrent en même temps que les inopes étaient des intermédiaires dont la médiation servait à rejoindre des destinataires puissants: nous avons vu que Félix se réjouissait des offrandes faites aux pauvres (cela est très bien exprimé par les vers 319-320, corpore de magno ut multos mactatus egenos/ pasceret et saturo gauderet paupere martyr), et que les senes nourris par l’advena d’Abellina priaient le saint de lui pardonner son péché. La différence entre les deux rituels, tout en étant nettement marquée, n’arrivait pas jusqu’au point d’effacer les ressemblances, dont j’ai déjà parlé en mentionnant le rôle de la boucherie sacrée et celui de l’epulum des pauvres comme aspects de l’échange entre les êtres humains et les pouvoirs supérieurs, et en particulier le mécanisme du votum8. Le Carmen XX pourrait bien être défini comme le Carmen du votum. C’est bien à son désir – à son devoir – d’accomplir un votum (epulum votis sollemne parare) que se réfère le poète au commencement du Carmen (v. 15), pour expliquer l’occasion et l’origine du poème et du thème qu’il a choisi, et c’est encore le votum qu’il présente, en racontant les trois miracula, comme régissant la forme des rituels accomplis dans le sanctuaire. Même si Paulin écrit, aux vers 392-393 du Carmen XX, que la génisse miraculeuse de son troisième épisode était votivo munere pactam/ pauperibus («promise comme don votif pour les pauvres»), les vota qui causent les événements racontés ne lient pas officiellement les personnages du Carmen aux pauvres qui dévorent les viandes promises: ils les lient au saint, et, par la médiation du saint, à la divinité. Le votum n’est donc pas seulement le nom – préservé malgré les innovations religieuses et rituelles – du rapport établi, dans le texte du Carmen XX, entre les êtres humains et leur protecteur surnaturel. Il s’agit d’un terme technique, tout à fait actuel au moment de la composition des Carmina, qui indique un contrat formel entre deux partenaires – le saint et son fidèle – en donnant une forme précise, officielle à ce rapport. Ce terme est arrivé jusqu’à nous, et sa présence dans les Carmina de Paulin de Nole marque un point de départ important dans la longue histoire de son usage chrétien.

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Sur le votum, Scheid 1989-1990; Scheid 2002: 14-16. En général pour l’échange sacrificiel entre les êtres humains et les dieux, Grottanelli 1989-1990; Scheid-Tissinier 2000. Les lieux de la vénération de Saint Félix à Nola ont restitué des inscriptions votives enregistrant l’offrande de vota à ce saint. Ces inscriptions sont fidèles à la terminologie traditionnelle du votum romain. Elles datent de l’époque de Paulin: voir Ferrua 1963.

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Cristiano Grottanelli Pour comprendre le votum dont parle Paulin, il est nécessaire avant tout de considérer un récit hagiographique du Carmen XVIII (Natalicium VI, Janvier 400 de l’ère chrétienne). Dans ce texte, l’énoncé narratif semble préparer, et même demander, un votum, mais le poète ne raconte point la clause d’un tel contrat. Le personnage central de ce récit est un pauvre rusticus qui supplie le saint de lui faire retrouver les bœufs qu’il a perdus, et qui sont sa seule richesse (v. 219-229): Quidam homo re tenuis, plebeius origine, cultu rusticus, e geminis angustam bubus alebat pauperiem mercede iugi, nunc subdere plaustris suetus eos oneri pacta regione vehendo, nunc operae pretium sub aratra aliena locatis paupertatis habens reditum; spes anxia resque tota inopi par illud erat. Non carior illi progenies aut ipse sibi; sed pignora et ipsos quam dulces natos educere, parcior immo natis quam pecori caro...

Quand il supplie Félix de lui rendre les deux animaux, le rusticus, qui n’a pas les moyens nécessaires pour faire un votum, essaie néanmoins de proposer au saint un contrat, un pactum, en lui suggérant de dividere avec lui les biens disponibles, et donc en offrant le seul bien dont il pense, lui, pouvoir disposer, c’est à dire l’impunité pour les voleurs (Carmen XVIII, 296-298; 302-308): Deus unus ubique, Christi blanda piis, sed iniquis dextera vindex, Redde igitur mihi, redde boves et corripe furem. Conveniat nobis igitur: sic divide mecum quae tua, quae mea sunt; indemnis stet mea per te utilitas iuxtaque tuas clementia partes vindicet aequatoque tuum libramine constet iudicium; tibi solve reos, mihi redde iuvencos.

Ce que le bouvier ajoute encore au contrat qu’il a proposé, c’est cet extrême chantage qui, depuis l’âge archaïque de la Grèce, est typique du comportement du suppliant (hiketês, supplex): il déclare qu’il va se tuer devant la porte du supplié (dans ce cas, devant la porte du sanctuaire: Carmen XVIII, 309-312; 319-323): Nam mihi certa manet sententia cedere nusquam, donec subvenias, nec ab isto poste refigi; ni properas, isto deponam in limine vitam, nec iam repperies cui reddas sero reductos. Interea labente die iam vespere ducto nec precibus dabat ille modum nec fletibus, una vox erat adfixi foribus: non eruar istinc; hic moriar, vitae nisi causam protinus istos accipiam.

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Tuer des animaux pour la fête de saint Félix Paulin me paraît envisager cet homo re tenuis, qui ne peut offrir que l’impunité des voleurs ou sa propre vie, à la lumière de la veuve évangélique (Mc 12. 41-44; Lc 21. 1-4) qui, étant très pauvre, accumule beaucoup de mérite à cause d’un petit don (v. 211-216 du Carmen XVIII): cette veuve, au début du même poème (v. 1-16), il la compare explicitement à lui-même, car, dit-il, il ne peut offrir au saint que son Carmen. L’absence d’un votum dans l’histoire du rusticus à qui le saint fait retrouver ses bœufs marque une sorte de degré zéro de la contractualité entre fidèle et saint; et précisément ce genre de “miracle” (Paulin dit magnum opus, v. 212) deviendra un topos de l’hagiographie médiévale, étudié par Jacques Le Goff dans un article fameux. À côté de ce cas exceptionnel mais tout à fait canonique, les cas de contrats ayant la forme traditionnelle du votum sont nombreux dans l’hagiographie, et bien sûr dans la pratique religieuse chrétienne; ils sont fréquents, en particulier, dans les textes de l’époque de Paulin de Nole. Mais il faut noter que la forme des vota que nous trouvons dans les Carmina de l’évêque de Nole, et qui comporte l’offrande d’une vie animale et d’un repas carné, ressemble d’une façon particulière aux cas spécifiques qui sont fréquents dans le monde des polythéismes. Pour comprendre cela, il est utile, je pense, d’examiner brièvement un cas de votum “païen”. J’ai choisi une sorte de caricature ésopique du système des vota: la Fable 74 de l’édition d’Émile Chambry, Le bouvier et le lion: Un bouvier, qui paissait un troupeau de bœufs, perdit un veau. Il fit le tour du voisinage, sans le retrouver. Alors il promit (euxato) à Zeus, s’il découvrait le voleur, de lui sacrifier (thusai) un chevreau. Or, étant entré dans un bois, il vit un lion qui dévorait le veau; épouvanté, il leva les mains au ciel en s’écriant: «O souverain Zeus, naguère j’ai fait vœu de t’immoler un chevreau, si je trouvais le voleur; à présent je t’immolerai un taureau, si j’échappe aux griffes du voleur».

Cette fable est le témoignage éloquent d’un système votif de type spécifiquement sacrificiel. Ce type est loin d’être le seul que nous connaissions pour l’antiquité préchrétienne ou non chrétienne, car les promesses formelles d’offrir aux dieux des biens autres que la vie animale sont extrêmement fréquentes dans les contextes polythéistes. Ce qui est frappant, c’est plutôt la relative rareté des vota chrétiens, décrits par l’hagiographie de l’époque de Paulin de Nole ou des époques voisines, comportant des rituels de boucherie sacrée et des repas collectifs. Si l’on regarde attentivement, par exemple, les textes latins chrétiens relatifs au culte de saint Martin de Tours (un culte et des textes que Paulin connaissait bien, lui qui était né en Gaule, et qui avait été guéri par ce saint), on y trouvera de nombreux témoignages du système des vota, sans que soit attesté un seul cas de promesse d’une victima animale. Ainsi, la Vita Martini, que Grégoire de Tours acheva vers l’an 567, suivant une tradition hagiographique commencée même avant la mort de saint Martin en 397, raconte que son auteur promit de recueillir et de publier les exploits du thaumaturge (Vita Martini 1. Praef.), et que Martin l’avait guéri (1.32; 2.1; 2.60; 3.1) et avait guéri un jeune clerc qui le servait (1.33) ainsi que la mère de Grégoire (3.10), comme il arrivait souvent à de nombreux pèlerins qui faisaient vœu de rejoindre son sépulcre (Vita Martini 1. Praef.)9. Il s’agit, je pense, d’une version un peu différente 9

Mohrmann ed. 1975; Donaldson 1980; Van Dam 1993: 142-146. Pour le contexte de ces récits, voir Brown 1981; pour les récits du haut Moyen Âge qui continuent cette tradition, Le Goff 1966.

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Cristiano Grottanelli du thème de l’offrande d’un texte, que nous avons trouvé, dans le Carmen XX de Paulin, au début de cet exposé, et en même temps d’une matière comparable aux arétalogies, aux inscriptions des sanctuaires d’Asklépios, et autres textes épigraphiques du monde ancien se référant aux interventions merveilleuses des dieux pour le salut de leurs fidèles. Nous trouvons encore – pour présenter d’autres exemples – dans la Vita Martini l’histoire d’un muet qui, guéri par le saint pendant qu’il était en marche vers le sanctuaire de Tours, voulut terminer son voyage pour solvere votum (Vita Martini 4.40), ainsi que le cas du prêtre Symon, dont l’esclave, Veranus, fut guéri par Martin parce que son maître avait promis au saint, de façon solennelle, en cas de guérison, de lui donner la liberté et de le faire tondre pour le transférer au service du sanctuaire (2.4). Ou encore le cas de Gunthedrud, une femme aveugle du territoire de SaintQuentin, qui voyagea jusqu’au sanctuaire de Tours, y servit pendant plusieurs années, fut guérie de sa cécité et finit par abandonner son mari et ses enfants pour devenir une nonne dans cette sainte église (2.9). Enfin, un épisode ressemble à l’histoire du porc engraissé qui forme le deuxième miraculum du Carmen XX: un prêtre boiteux, Leboveus, qui, à cause de sa pauvreté, ne peut pas se faire transporter jusqu’au sanctuaire, le rejoint en se traînant sur le sol, et pleure devant les portes du lieu saint jusqu’au moment de sa guérison miraculeuse (2.7). Le porc engraissé qui, malgré son poids, rejoint le sanctuaire de Félix à Nole est, dans le contexte des vota d’offrande animale du Carmen XX, ce que le boiteux qui se traîne jusqu’au sanctuaire de Martin à Tours représente dans le contexte des vota de pèlerinage de la Vita Martini10. Cette rareté de l’offrande sanglante et du repas sacré de viande dans le répertoire de l’hagiographie chrétienne ne contraste pas avec la présence, dans le même répertoire, de vota comportant l’offrande d’animaux aux sanctuaires. En voici un exemple dans un texte médiéval beaucoup plus récent que les textes examinés jusqu’ici, la Vita Bononii, composée dans la vallée du Po au onzième siècle (19, p. 1032)11: Circum quam dum multi sues adessent et, ut illorum mos est, rimando per ecclesiae cimiterium discurrerent, ipsius muros tetigerunt. Unde quodam contagio ita in renibus sunt percussi, ut inde funditus omnem vim amitterent et ea die, excepta una sue, cuncta interirent. Quam videlicet suem dum rusticus, cuius erat, mirabiliter contractam et muribundam videret, votum vouit domino et sancto confessori Bononio, quod, si inde convalesceret, unus e prioribus quos fetuo gigneret in ipsius ecclesiae servientium stipendio offerret. Facto autem voto mox ipsius sus sana efficitur. Qua ex re evidenter ostenditur, custodivit immundis, cuius sacra loca immundos suos non passus est tetigisse impune.

Dans le cas spécifique de cet épisode de la Vita Bononii, il est bien possible que la promesse d’offrir un cochon de lait destiné au stipendium du personnel de l’église implique la consommation immédiate de la chair de l’animal. Mais, même si c’est à cela que le récit se réfère, la boucherie et le repas, loin d’être les traits principaux de l’offrande, sont passés sous silence. Et, dans d’autres épisodes du même genre, l’animal voué reste bien vivant, et va rejoindre des troupeaux du même genre que les greges de moutons présentés par la Vita Martini (V.7) comme faisant partie des propriétés du sanctuaire de Tours. Cet usage d’offrir un animal vivant était encore attesté, pour n’évoquer qu’un seul exemple, dans ce culte de Saint Besse (Alpes Graies) que Robert Hertz 10 11

Van Dam 1993: 199-303. Anti 1998: 118-119.

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Tuer des animaux pour la fête de saint Félix décrivit en 1913, en y reconnaissant le don, à l’occasion de la fête du saint, d’agneaux ou de veaux, rachetés aussitôt par les fidèles moyennant une offrande substitutive en argent12.

V. Les animaux miraculeux: continuités et transformations Si le votum a une histoire très longue et très complexe, et s’il laisse derrière lui, quelques siècles après la victoire du christianisme, la boucherie sacrée et le repas carné dont parlent les Carmina de Paulin de Nole, le miraculum de l’animal qui vient tout seul rejoindre les lieux sacrés ou qui s’approche, sans qu’un être humain le conduise, des personnages surnaturels qui sont l’objet d’un culte, dura tout aussi longtemps que le votum et se transforma de maintes façons, tout aussi radicales. Le répertoire des témoignages de ce genre de miracle pendant l’Antiquité et dans les contextes des religions polythéistes de la Méditerranée remplit une longue note (à peu près une page) du grand livre de Walter Burkert, Homo Necans. Je ne cite ici qu’un exemple, que je trouve dans la Vita Luculli (X 1) de Plutarque. Il s’agit d’un épisode qui marque un moment important des exploits guerriers de Lucullus: le siège que le War Lord romain subit, de la part de son ennemi, Mithridate, roi du Pont, dans la ville de Cyzique. Pendant ce siège, quatre signes (sêmeiois) indiquèrent que la faveur du ciel assistait les gens de Cyzique et Lucullus à cause de leur bravoure (andragathia). Ces signes étaient des rêves, dans lesquels apparaissaient des déesses (Perséphone, Athéna), des vents et des tempêtes, et, premier de la série, le phénomène suivant: La fête de Perséphone approchait et les gens de la ville, comme il leur manquait la génisse noire nécessaire pour le sacrifice, firent une génisse de pâte, qu’ils amenèrent à l’autel. Mais la génisse sacrée qui pâturait de l’autre côté du golfe, avec les troupeaux des gens de Cyzique, se détacha des autres animaux, traversa toute seule, à la nage, le bras de mer jusqu’à la ville, et se présenta pour le sacrifice.

Comme le comportement du cheval de l’advena, du porc engraissé, et de la génisse rebelle au joug dans le Carmen XX de Paulin, l’exploit merveilleux de la génisse sacrée de Perséphone est un signe. Mais le sêmeion du récit de Plutarque signale quelque chose de bien différent de ce qu’indiquent les signa du poème chrétien. Dans l’épisode de la vie du chef de guerre romain, ce sêmeion prouve que le destin de Lucullus, de ses soldats et de ses alliés, est favorable, parce que les dieux (et surtout les déesses) le protègent; les épisodes du Carmen XX montrent la puissance divine et le pouvoir de saint Félix, que les animaux indiquent en devenant les témoins ignares de la foi dans le contexte d’un conflit entre deux religiosités différentes. Les derniers vers du Carmen (v. 437-444) expliquent cela très clairement: Quorsum istaec? Numquid pecudum est, ut apostulus inquit, cura deo? Sed qui propter nos omnia fecit, omnia pro nobis operatur in omnibus auctor atque per ignaras pecudes operantia nobis 12

Hertz 1913. Sur l’égorgement pour les saints en Grèce moderne, voir Georgoudi 1979; Georgoudi 1985. Plus général, Conybeare 1901; Cristiani 1987.

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Cristiano Grottanelli signa facit, brutas per clara insignia mentes sollicitans firmare fidem et confidere vero, ut dominum dociles linguis in verba solutis non taceant homines, quem signis muta loquuntur.

La tradition chrétienne des animaux miraculeux qui, sans le comprendre, sentent le sacré et l’indiquent aux hommes connaît deux motifs principaux. Le premier, qui est plus répandu, est d’origine biblique, et dérive de l’épisode (I Samuel 3-4) des vaches qui traînent le char de l’Arche du Seigneur, et qui s’arrêtent justement à l’endroit où l’Arche devra être conservée et vénérée. Ce modèle est très répandu, et il sert à fonder le choix des lieux de culte: souvent, surtout dans le bassin de la Méditerranée, ce sont précisément des bovins, attelés à un char contenant le corps du saint ou l’image religieuse, qui choisissent l’emplacement de l’église ou de la chapelle, en s’arrêtant à un endroit donné et en refusant de bouger de là. Dans le récit biblique, les vaches du char de l’Arche sont sacrifiées à l’endroit qui deviendra le site de l’objet sacré – comme l’est, dans le mythe grec, la vache qui guide le héros fondateur jusqu’au site de la future ville de Thèbes en Béotie: cet aspect final disparaît, cela va sans dire, des récits chrétiens correspondants. Quant au deuxième motif, il est probablement apparenté à une tradition des polythéismes méditerranéens, qui dérive à son tour de l’idée que la victime d’un sacrifice doit consentir à être tuée pour que le rite soit de bon augure. Dans cet aspect de la tradition chrétienne, l’animal miraculeux se montre obéissant à l’égard de la volonté divine, et donne aux êtres humains le bon exemple d’une docilité et d’une sensibilité religieuse qui ne sont pas menacées par l’inclination humaine au péché. C’est à ce deuxième motif qu’il faut se référer pour comprendre les miracula du Carmen XX de Paulin de Nole. Ces miracula sont donc des miracles qui renforcent la foi et combattent contre l’incroyance grâce à leur valeur exemplaire; et le miracle que Paulin raconte avec le plus de grâce est le dernier de la série, riche en nuances et en subtilité. La génisse éloignée des mamelles de sa mère mais nourrie soigneusement par les homines qui l’ont promise comme don votif «pour les pauvres» (votivo munere pacta pauperibus) fuit le joug, mais précède le plaustrum de ses propriétaires et court toute seule s’offrir comme nourriture pauperibus (Carmen XX, v. 409-415; 423-436): Verum ubi iam propriata iugo conspexit habenas cervicique suae persensit lora parari, indignata dolis et permutata repente fit fera, nec cervice iugum nec vincula collo suscipit et victis manibus lorisque recussis prosilit a coetu retinentum et devia longe rura petit, fugiens dominos adsuetaque tecta. Nec longe comes est, tardis comes orbibus ire spernit, et excursu velut insultante gementes praetervecta rotas lenti moliminis agmen respicit anteuolans nec iam timet ad iuga cogi, invisoque prius fit amica et praevia plaustro, donec sacratam ventum Felicis ad aulam. Illic sponte gradum sistit seseque vocanti

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Tuer des animaux pour la fête de saint Félix adplicat et tamquam voti rea gaudet in ipso stare loco, propriam cui debet victima caedem. Illa rebellis et humana non subdita vinclis ducitur ad placidam nullo luctamine mortem; intemerata iugis submittens colla securi, pauperibus factura cibos de corpore caeso, laeta suum fundit dominorum in vota cruorem.

Le texte du Carmen insiste sur ce que l’auteur semble envisager comme un paradoxe: sur le fait que la génisse refuse d’être attelée, tandis qu’elle accepte un destin apparemment bien plus terrible en offrant à la hache ce cou qu’elle n’avait pas voulu soumettre au joug. Les vers 412-413 (nec cervice iugum nec vincula collo/ suscipit) et 434 (intemerata iugis submittens colla securi) sont très clairs à cet égard. Or, cet apparent paradoxe était en réalité envisagé par l’idéologie pré-chrétienne du sacrifice sanglant comme une règle dictée par l’économie pastorale et céréalière, car l’animal oisif était ipso facto la victime sacrificielle. Le témoignage de la Fable ésopique 92 de l’édition d’Émile Chambry (La génisse et le bœuf) me semble très éloquent: Une génisse, voyant un bœuf au travail, le plaignait de sa peine. Mais une solennité religieuse étant arrivée, on détela le bœuf et l’on s’empara de la génisse pour l’égorger. À cette vue le bœuf sourit et lui dit: «O génisse, voilà pourquoi tu n’avais rien à faire: on te destinait à être immolée bientôt».

Je ne pense pas que l’attitude de Paulin à l’égard du rapport entre le joug et la hache – dans les vers cités supra – représente un refus implicite de la règle de la destination sacrificielle de l’animal oisif. Il est cependant vrai que le paradoxe exprimé par ces passages du Carmen XX illustre un aspect de l’ancien régime sacrificiel qui n’était pas normalement présenté de cette façon par les textes des polythéismes. Ce qu’il faut chercher dans l’opposition, soulignée par Paulin, entre le travail productif et l’offrande de soi pour le salut des croyants et des pauvres, c’est un symbole de l’opposition entre la vie “active” des rustici ou d’autres et la vie religieuse de ceux qui se vouent à la divinité. Mais ici il est plus important, je pense, de souligner que le paradoxe de la génisse rebelle au joug mais prête à devenir la nourriture des pauvres signale que nous sommes près de la limite extrême, historique et idéologique, de ce régime dans lequel le sacrifice sanglant était strictement lié à l’économie agraire de la céréaliculture méditerranéenne. La preuve indirecte de cette hypothèse on la trouve, je crois, dans un texte poétique beaucoup moins ancien que les Carmina de Paulin, qui nous montre un jeune bœuf voué par son maître à la Vierge Marie. Ce texte est l’une des Cantigas de Santa Maria, écrites en gallégo-portugais par le roi de Castille et de Léon, Alphonse X le Sage (el Sabio: 1221-1284)13. Il s’agit précisément de la Cantiga n° 31, qui raconte «Comment Sainte Marie enleva le bœuf du vilain de Segovia qui le lui avait promis et ne voulait point le lui donner». Le récit, nous le connaissons déjà: le vilain en question avait perdu une vache, et il promit à la Vierge que, si elle lui sauvait l’animal du loup et des voleurs, et si elle le lui faisait retrouver, il lui donnerait ce que la vache portait dans 13

Beretta ed. 1999: 758-763; 1256. Voir aussi Beretta ed. 1999: 986-989, pour un récit semblable.

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Cristiano Grottanelli son ventre. La vache revint à son maître sans dommage ni blessure; mais, quand le veau naquit et devint un bœuf, le vilain décida de le vendre au marché (v. 40-46): Pois creceu aquel bezerro e foi almall’arrizado, a ssa moller o vilâo diss’ «Irey cras a mercado; mas este novelo non yrá nas offereçudas bestias qu’en offereçon sson aos santos rendudas

La fin de l’histoire est tout aussi canonique que le début: quand le vilain essaie d’amener le bœuf au marché, l’animal s’enfuit et rejoint l’église de la Vierge, où il se place d’abord devant l’image vénérée de Marie. Après cela, il rejoint les autres animaux qui viennent d’être vendus ou donnés au sanctuaire (v. 47-59). Mais une surprise nous attend à la conclusion de la Cantiga (v. 61-66): E de ali adelante non ouv’y boi nen almallo que tan ben tirar podesse o carr’e soffrer traballo, de quantas bestias y son que an as unnas fendudas, sen feri-lo de baston nen d’aguillon a’ scodudas.

Le jeune animal devient le plus fort de tous les bovins du sanctuaire, et le plus capable de supporter la fatigue. Si l’on compare ce récit à l’histoire de la génisse merveilleuse du Carmen XX de Paulin de Nole, on verra que le rapport entre travail et offrande de soi est profondément différent car, loin de refuser le travail et d’offrir le cou à la hache, le bœuf du vilain de Segovia reste fidèle au vœu de son maître en se donnant à la Vierge comme bête de trait. Cette différence est le signe d’une transformation profonde: elle marque, à côté et, pour ainsi dire, en dépit de la continuité – non sans changements – du contrat que les anciens appelaient votum, l’abandon de l’offrande d’une vie animale: l’abandon même de cette forme chrétienne de l’offrande sanglante, qui avait substitué, à l’oblation sacrificielle d’exta brûlés pour les dieux (pour les démons), le don providentiel de viandes bouillies pour les pauvres.

VI. Stratégies de la nouvelle religion Il ne me semble pas suffisant de déclarer que la continuation dont parlait trop simplement Dennis Trout n’a jamais existé, et que les transformations sont la règle, même dans les cas de conservation apparente. Il faut aussi – il faut surtout – comprendre que les changements que j’ai essayé jusqu’ici de reconstruire n’ont pas eu lieu sans conflit, sans choix, sans stratégie. Transformer le votum, éliminer l’offrande sanglante, en inventer une forme nouvelle – tous ces changements furent de longue durée, et constituèrent les résultats d’une lutte et en même temps d’une négociation douloureuse et complexe entre les idéologies et les comportements, traditionnels d’un côté et, de l’autre, les divers genres ou types d’innovation – et, qui plus est, entre les différentes composantes des sociétés pendant l’Antiquité tardive et le début du Moyen Âge. Ces problèmes mériteraient une étude à part, plus difficile et plus longue que les propos 402

Tuer des animaux pour la fête de saint Félix que j’ai tenus jusqu’ici. J’espère pouvoir m’en occuper un jour de façon adéquate. Mais, comme il n’est pas possible ici de les passer sous silence, je pense qu’il est nécessaire d’en dire quelques mots, à partir de ce Carmen XIX de Paulin de Nole qui exprime la position du poète à l’égard des cultes polythéistes. Les vers 249-255 de ce Carmen présentent une attaque lancée de plusieurs côtés contre les démons: ils mentionnent ensemble la lutte menée contre les êtres immondes (surtout, si j’ai bien compris, contre la possession) dans les lieux saints de la nouvelle religion et les lois toutes récentes de l’Empire chrétien qui prohibaient leur culte: Ecce dies accepta deo, modo vera salutis lux micat, omnia iam nobis bene versa videmus; diffugere doli, cecidit Bel, interit error quique colebantur totis quasi numina templis daemones, hi per templa dei torquentur inermes, et qui divinos audebant sumere honores, hi modo ab humana plectuntur lege subacti.

La lex humana que mentionne le v. 255 est la législation impériale, en particulier cette loi de Théodose I qui prohibait en 392 la divination, les sacrifices sanglants et le culte, même privé, des divinités des polythéismes14. Paulin envisage ces nouvelles règles comme la preuve du fait qu’enfin pour les chrétiens (nobis) les choses vont bien (bene versa videmus) et comme une raison d’espérer que les démons seront bientôt complètement détruits. Dans ce contexte, la présence de la boucherie sacrée et des epula des pauvres comme composantes du culte du martyr Félix à Nole ne peuvent s’expliquer que de la façon que j’ai choisie plus haut, comme des rituels complètement différents des sacrifices offerts aux démons. Si la perspective de l’évêque de Nole semble en même temps claire et paradoxale (comment pouvait-il ignorer, se demandent sûrement les naïfs, les ressemblances entre les epula des pauvres et les sacra des démons?), il ne manque pas de textes plus tardifs qui nous permettent de comprendre les stratégies de la nouvelle religion et de ses institutions à l’égard des sectateurs des démons qu’il était urgent de transformer en vrais chrétiens. Voilà par exemple, tirée de l’Historia Ecclesiae (I.30) du vénérable Bède (673-735), une lettre du pape Grégoire le Grand. Écrivant à l’abbé Mellitus, le 10 juillet 601, à propos des Anglo-Saxons récemment convertis, il lui recommandait de modifier les usages sacrificiels de ce peuple: Et quia boves solent in sacrificio daemonum multos occidere, debet his etiam de re aliqua solemnitas immutari, ut die dedicationis vel nataliciis sanctorum martyrum, quorum illic reliquiae ponuntur, tabernacula sibi circa easdem ecclesias, quae ex fanis commutatae sunt, de ramis arborum faciant, et religiosis conviviis solemnitatem celebrent. Nec diabolo iam animalia immolent, sed ad laudem Dei in esum suum animalia occidant, et donatori omnium de satietate sua gratias referant [.....] Sic Israelitico populo in Aegypto Dominus se quidem innotuit; sed tamen eis sacrificiorum usus, quos diabolo solebant exhibere, in cultu proprio reservavit, ut eis in sacrificio suo animalia immolare praeciperet; quatenus, cor mutantes, aliud de sacrificio amittererent, aliud retine14

Joannou 1972. Sur l’Empire et les sacrifices, voir dans le présent volume l’article de N. Belayche.

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Cristiano Grottanelli rent, ut etsi ipsa essent animalia quae offerre consueverant, verumtamen Deo haec et non idolis immolantes, iam sacrificia ipsa non essent.

Les propos du pape Grégoire semblent vouloir rapprocher deux cas qui sont – c’est le texte de sa lettre qui le dit – profondément différents. En effet, la transformation, présentée par ce texte, des sacrifices des Israelitae, qui offrent au vrai Dieu les oblations qu’ils offraient autrefois (in Aegypto) au diable, ne correspond pas vraiment à la transformation (voir le verbe: immutari) bien plus profonde – il me semble – des mœurs des AngloSaxons que le pape propose à l’abbé Mellitus d’induire moyennant une stratégie astucieuse, qui devra permettre de aliud amittere, aliud retinere. Car les sacrificia des Israelitae restent sacrificia, et conservent donc ce nom dans le texte de Grégoire, même si la phrase Deo haec et non idolis immolantes, iam sacrificia ipsa non esset propose qu’il ne s’agit plus des mêmes sacrifices. Au contraire, les sacrifices des Anglo-Saxons, modifiés par l’intervention stratégique que le pape décrit, ne seront vraiment plus des sacrifices: Nec diabolo iam animalia immolent, sed ad laudem Dei in esum suum animalia occidant, et donatori omnium de sanctitate sua gratiam referant. Il ne s’agira plus donc d’immoler pour le diable, mais de tuer pour manger, et de faire cela pour louer Dieu et pour le remercier de sa sanctitas. On n’offre donc rien à Dieu, sinon la louange et la gratitude qu’on lui doit; les animaux sont mangés par les hommes. Cette transformation est garantie par des changements de temps et de lieux: les rites devront êtres liés aux natalicia des saints martyrs, et célébrés près des églises, qui étaient autrefois des fana de démons. Pour lire ce texte avec les Carmina de Paulin en cherchant à comprendre ensemble les deux témoignages différents d’une même transformation profonde, il est encore intéressant de citer ce que J. Tixeront écrivait en 191315 sur les rapports entre les deux textes et sur ce que chacun d’eux signifie: Avons-nous bien [....] cependant, dans les deux cas de saint Grégoire et de saint Paulin, des sacrifices proprement dits; et ces tueries d’animaux étaient-elles considérées comme telles par leurs auteurs plus éclairés et par nos deux évêques? Je ne le crois pas. Saint Grégoire écrit sans doute que les Anglo-Saxons tueront leurs bœufs ad laudem Dei, pour fêter, par leurs repas, la consécration à Dieu de la nouvelle église, mais il écrit aussi qu’il les tueront, sans rite déterminé, pour leur nourriture,[....] et non pas, comme il l’a écrit à propos de leur anciens sacrifices, qu’ils les immoleront. [....] Au fond, ce que le pape veut, c’est qu’on change le moins possible extérieurement des coutumes tolérables des peuples convertis, mais il entend bien d’ailleurs que l’esprit et la signification de ces pratiques soient changés (commutantes), et l’on aurait sans doute fort scandalisé ce disciple de saint Augustin, si on lui avait parlé d’autoriser les sacrifices sanglants dans le christianisme, à côté du sacrifice eucharistique. Et c’est dans le même sens qu’il faut expliquer l’usage signalé par saint Paulin. Prendre ici à la rigueur les expressions du poète, et presser le sens de mots comme victima, securis, votum, pour conclure qu’il parle de vrais sacrifices, c’est lui attribuer une acribie verbale dont il s’est peu soucié; l’objet même de sa composition les suggérait.[...] C’était, en somme, une aumône que les Campaniens accomplissaient en l’honneur de saint Félix et pour obtenir sa protection. Les catholiques n’agissent pas autrement qui promettent à la Vierge ou à tel saint de donner en leur honneur telle somme aux pauvres, s’ils obtiennent telle grâce demandée. L’objet matériel seul de l’aumône est différent. 15

Tixeront 1921.

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Tuer des animaux pour la fête de saint Félix J’ai commencé en citant une théorie de la continuation du sacrifice, que je ne pensais pas pouvoir accepter. Il convient de conclure en discutant une théorie symétrique et opposée, qui insiste presque seulement sur la discontinuité, sur la distinction, entre les sacrifices des démons et les offrandes chrétiennes. Cette théorie, présentée par J. Tixeront comme tout à fait évidente, est, elle aussi, difficile à accepter, même si l’on choisit d’ignorer ses aspects les plus absurdes (par exemple l’affirmation qu’il ne faut pas attribuer à Paulin de Nole «trop d’acribie verbale», ou l’étrange idée, que j’ai évité jusqu’ici de citer, que dans les Carmina «l’égorgement de l’animal a dû être moins simple que celui des bœufs chez les Anglo-Saxons: il semble qu’un certain cérémonial l’ait accompagné [...] mais la portée du geste n’était pas changée»). Si la position de Trout me semblait simpliste, l’interprétation de Tixeront a un arrière-goût apologétique. Mais ce qui est hors de doute, c’est que la lettre de pape Grégoire suggère indirectement que, derrière le dosage de traditionnel et de nouveau que nous trouvons dans les Carmina Natalicia de Paulin, il faut peut-être chercher une stratégie cohérente. Quant aux mérites pratiques, à l’efficacité effective de cette méthode éventuelle de conversion par degrés, il est difficile d’en juger. Le risque existait, nous le savons, d’une évaluation future toute négative de cette stratégie, à la lumière d’exigences, et d’expériences, nouvelles. On comprendra cette possibilité en lisant un Capitulare du roi des Francs, Carloman, promulgué l’an 742 et confirmé en 769, dont l’inspiration est semblable à celle que l’on reconnaît dans les lois de Théodose contre le sacrifice16. Dans cet ukase, la stratégie illustrée par pape Grégoire en 601 est renversée, et sa politique semble présentée comme la brèche à travers laquelle l’ennemi se faufile dans le territoire des saints: Ut populus Dei paganias non faciat, sed ut omnes spurcitias gentilitatis abiciat et respuat, sive profana sacrificia mortuorum sive sortilegos vel divinos sive phylacteria et auguria sive incantationes sive hostias immolatitias, quas stulti homines iuxta ecclesias ritu pagano faciunt sub nomine sanctorum martyrum uel confessorum Domini, qui potius quam ad misericordiam sanctos suos ad iracundiam provocant.

Les correspondances et les contrastes entre ce Capitulare et la lettre de Grégoire sont très évidents. Mais, encore une fois, il est difficile d’apprécier le rapport entre deux textes d’époques différentes qui jouent de façon apparemment opposée sur des thèmes communs. En particulier, il est presque impossible de comprendre si le deuxième texte renverse la stratégie de conversion par degrés que le premier conseille, ou si, au contraire, le texte plus récent, étant cohérent avec le plus ancien, ne fait que représenter de façon très claire un degré ultérieur de ce procès de conversion.

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Abstract Three examples of sanctified butchering with miraculous behaviour of the future victims in the time of Saint Felix’s day, narrated by Paulinus of Nola in his XXth Carmen, illustrate neither pagan survivals nor a radical transformation, but new Christian interpretations of the traditional votum, within gradual conversion strategies. The poem itself is equivalent to a consecrated meal (epulum), while it shows for the conversion of the faithful the signs offered by the behaviour of the slaughtered animals. The paper discusses the way in which the words and description of the meal subtly deviate from pagan sacrifice. Nevertheless these vota ending into a sacred meal in Christian hagiography are very rare, and contrast with the frequent accounts of miraculous animals, about which apologetic introduces a new meaning.

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LES AUTEURS Christophe BATSCH, docteur en sciences religieuses, après avoir été chargé de conférences à l’École Pratique des Hautes Études à Paris, enseigne l’hébreu à l’Université de Lille 3. Il a notamment publié Zwischen Krise und Alltag. Antike Religionen im Mittelmeerraum, Stuttgart, Steiner, 1999 (en collaboration avec U. Egelhaaf-Gaiser et R. Stepper), et La gurerre et les rites de guerre dans le judaïsme du deuxième Temple, Leiden-Boston, Brill, 2005. Nicole BELAYCHE est directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études, chaire des «Religions de Rome et du monde romain». Ses recherches portent sur les contacts religieux dans le monde romain et sur les rites païens dans l’Antiquité tardive. Elle a notamment fait paraître: Iudaea-Palaestina. The Pagan Cults in Roman Palestine (Second to Fourth Century), Tübingen (Religion der Römischen Provinzen,1), 2001. Guy BERTHIAUME est vice-recteur à l’Université de Montréal. Il est l’auteur de: Les rôles du mageiros. Étude sur la boucherie, la cuisine et le sacrifice dans la Grèce ancienne (1982) et de nombreux articles sur l’histoire sociale et religieuse de la Grèce ancienne. Catherine BOUANICH appartient à l’École Pratique des Hautes Études et à son Centre Wladimir Golenischeff «Religions de l’Égypte ancienne». «De l’offrande carnée à l’acte violent dans le temple égyptien», elle étudie les paradoxes de la question du sacrifice en Égypte ancienne. Joan R. BRANHAM est professeur d’histoire de l’art à Providence College; elle a été professeur invitée à l’Université de Harvard, à l’EPHE (Paris) et au Centre Getty. Elle est l’auteur de nombreuses études critiques sur l’espace sacré dans le judaïsme ancien et le christianisme primitif, et s’intéresse au rôle du genre, du sang et du sacrifice dans ces différentes traditions. Elle a notamment publié Blutende Frauen, blutige Räume. Menstruation und Eucharistie in der Spätantike und im frühen Mittelalter (Vorträge aus dem Warburg-Haus, Band 3), 1999. Louise BRUIT ZAIDMAN, professeur d’histoire grecque à l’Université de Paris VII-Denis Diderot, travaille sur l’histoire du polythéisme et de la religion grecque et sur l’histoire du genre en Grèce ancienne. Elle a publié à Paris La religion grecque, avec P. Schmitt-Pantel (Armand Colin, 19993), et Le commerce des dieux. Essai sur la piété en Grèce ancienne (La découverte, 2001). Elle a également participé à l’Histoire des femmes en Occident (G. Duby & M. Perrot ed., Laterza 1990, Plon 1991, Perrin 2002). Gilles DORIVAL est professeur de langue et littérature grecques à l’Université d’Aix-Marseille I et membre senior de l’Institut Universitaire de France. Ses recherches portent sur le judaïsme hellénistique, la Bible grecque des Septante, le christianisme ancien et la patristique. Il co-dirige la collection «La Bible d’Alexandrie», publiée à Paris aux Éditions du Cerf. Ulrike EGELHAAF-GAISER a été assistante scientifique au Philologische Seminar de Tübingen, puis à la Berlin-Brandenburgische Akademie der Wissenschaften (Inscriptiones Graecae). Depuis 1999 elle est assistante scientifique à l’Institut de philologie classique de l’Université JustusLiebig à Giessen. Ses recherches portent sur le banquet et la littérature à Rome, sur l’ekphrasis, sur l’histoire religieuse et culturelle de l’Empire romain.

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Les auteurs Stella GEORGOUDI est directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études, chaire des «Institutions religieuses des cités grecques». Outre de nombreuses études sur l’animal grec (Des chevaux et des bœufs dans le monde grec. Réalités et représentations animalières à partir des livres xvi et xvii des «Géoponiques», Paris-Athènes, 1990), elle travaille actuellement sur le sacrifice et sur la divination en Grèce ancienne. Elle a collaboré au volume La cuisine du sacrifice en pays grec (1979), et a publié avec J.-P. Vernant un ouvrage collectif sur les mythes (Mythes grecs au figuré, Gallimard, 1996). Catherine GRAINDORGE a effectué de nombreuses missions en Égypte auprès du Centre FrancoÉgyptien d’Étude des Temples de Karnak (CNRS). Chargée de cours auprès de l’Université Libre de Berlin (Religion et Archéologie) depuis 1995, elle a été lauréate en 1997 de la Fondation Alexander von Humboldt. Elle prépare son habilitation à diriger des recherches en égyptologie. Cristiano GROTTANELLI est professeur en histoire des religions à l’Université de Florence. Ses recherches portent sur les mondes anciens, grec, biblique et oriental, sur des questions comme le sacrifice et la divination, sur l’historiographie des sciences des religions. Il a publié notamment Sette storie biblice (Brescia, 1998), Kings and Prophets (Oxford-New York, 1999), Il sacrificio (Roma-Bari, 1999) et I Profeti biblici (Brescia, 2003). Mareile HAASE, titulaire d’un doctorat sur les représentations cultuelles étrusques (2000), travaille actuellement à l’Université d’Erfurt dans le cadre d’un projet collectif de recherche sur les cultes de la province d’Égypte dans l’empire romain. Elle a publié sur différents domaines de l’histoire des religions de l’Antiquité, notamment sur la religion étrusque et sur la religion égyptienne d’époque impériale. Renée KOCH PIETTRE est maître de conférences à l’École Pratique des Hautes Études, chaire «Historiographie et épistémologie des sciences des religions». Auteur d’une thèse sur «Le corps des dieux dans les épiphanies divines en Grèce ancienne», elle publie une approche historique et anthropologique de la secte épicurienne (Comment peut-on être dieu? La secte d’Épicure, Paris, Berlin, 2005), et collabore à des recherches comparatives sur les polythéismes. Françoise LABRIQUE est professeur d’égyptologie à l’Université Libre de Bruxelles (partim) depuis 1991, et depuis 1998, professeur d’histoire des religions et d’histoire grecque à l’Université de Franche-Comté. Outre de nombreux travaux sur le temple d’Edfou et sur l’Égypte aux époques ptolémaïque et romaine, elle a publié en particulier: Stylistique et théologie à Edfou, Orientalia Lovaniensia Analecta 51, Éd. Peeters, 1992. Alfred MARX est professeur à la Faculté de Théologie Protestante de l’Université Marc Bloch – Strasbourg II. Il est notamment l’auteur de Les offrandes végétales dans l’Ancien Testament. Du tribut d’hommage au repas eschatologique (Leiden, 1994, E.J. Brill), et prépare une étude sur Les systèmes sacrificiels de l’Ancien Testament. Laurent PERNOT, professeur et directeur de l’Institut de Grec à l’Université de Strasbourg II, dirige le Centre d’Analyse des Rhétoriques Religieuses de l’Antiquité (CARRA) de Strasbourg. Spécialiste de littérature grecque et d’histoire de la rhétorique, il a récemment publié: La Rhétorique dans l’Antiquité (Livre de Poche) et Actualité de la Rhétorique, sous la présidence de Marc Fumaroli (Klincksieck).

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Les auteurs Jörg RÜPKE, après avoir été assistant dans le cadre du projet «Histoire sociale de la religion romaine» (Prof. H. Cancik, Tübingen), a enseigné à Constance puis à l’Université de Potsdam (philologie classique). Depuis avril 1999, il est professeur de Religions comparées (polythéismes européens) à l’Université d’Erfurt. Ses recherches portent sur l’histoire des religions antiques et contemporaines, la sociologie de la religion, l’historiographie, l’histoire de la discipline. John SCHEID, directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études de 1983 à 2001 (chaire des «Religions de Rome»), est professeur au Collège de France depuis 2001. Il est notamment l’auteur de Romulus et ses frères. Le collège des frères arvales, modèle du culte public dans la Rome des empereurs (Bibliothèque des Écoles Françaises d’Athènes et de Rome, vol. 275), Rome, 1990; Commentarii fratrum arvalium qui supersunt. Les copies épigraphiques des protocoles annuels de la confrérie arvale (21 av.-304 ap. J.-C.), Rome, 1998; Religion et piété à Rome, Paris, 2001; Quand faire c’est croire. Les rites sacrificiels des Romains, Paris, 2005. Francis SCHMIDT est directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études. Spécialiste de l’histoire du judaïsme à l’époque hellénistique et romaine, il a notamment publié La Pensée du Temple. De Jérusalem à Qoumrân, Paris, Seuil, 1994 (trad. anglaise: Sheffield Academic Press, 2001) et, en collaboration, L’Impensable polythéisme. Études d’historiographie religieuse, Éditions des archives contemporaines (collection des Ordres sociaux), Paris, 1988 (trad. anglaise dans History and Anthropology, vol. 3, 1987). Jesper SVENBRO, né en Suède, a consacré sa thèse à la poétique préplatonicienne avant de participer au volume La cuisine du sacrifice en pays grec en 1979. Travaillant en France depuis 1977, il est l’auteur de Phrasikleia. Anthropologie de la lecture en Grèce ancienne (1988) et il a publié en collaboration avec John Scheid Le Métier de Zeus. Mythe du tissage et du tissu dans le monde gréco-romain (1993). Stéphane TOULOUSE est agrégé-répétiteur à l’École Normale Supérieure d’Ulm (Paris). Ses travaux portent principalement sur la psychologie et la philosophie religieuses du néoplatonisme. Il est l’auteur d’une thèse sur les théories du véhicule de l’âme dans le néoplatonisme (2001), et prépare une traduction commentée du traité Des songes de Synésius de Cyrène. Folkert VAN STRATEN est professeur d’archéologie classique et spécialiste de la religion grecque ancienne à l’Université de Leyde. Il a notamment étudié les offrandes et les sacrifices grecs, et il travaille actuellement sur l’iconographie de l’espace sacré et sur les mystères d’Éleusis. Il est l’auteur d’un ouvrage fondamental sur le sacrifice grec, Hierà kalá (Leiden, 1995), et d’articles de référence comme «Gifts for the Gods» (dans Versnel ed., Faith, Hope and Worship, Leiden, 1981, p. 65-151). Athanassia ZOGRAFOU, après avoir été assistante à l’Université de Genève, enseigne actuellement à l’Université d’Ioannina. Spécialiste du polythéisme grec, après des études à Paris (EPHE) elle a publié des articles sur la déesse Hécate, les fêtes des femmes (Clio 14, 2001), ou les noms des dieux. Sa thèse de sur Hécate l’EPHE doit paraître en Supplément à Kernos (Liège).

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Index des noms propres Abel, 309 sq. Abraham, 4 n.4, 348 Achille, 89, 91, 97, 120, 220 sq., 223 sq. Aelius Aristide, XIV, 263 n.70, 317-324, 327 Afrique, 347, 353 n.100 Agamemnon, 33 n.8, 91, 206 sq. Akan, 108 Alexandre le Grand, 84 n.58, 246 Alexandrie, 309, 358 n.140 Amalec, 102, 104-107 Ambroise de Milan, 348, 362, 393 Ambrosia, 201 (dédicante), 297 (nymphe) Ammien Marcellin, 278 sq., 356 Amon, 47 sq., 64-66, 150, 163 sq., 165 n.15, 170 – Amon d´Opê (Amenemôpé), 48, 63-6 – Amon de Djêmé, 170 – Amon-Min, 48, 62, 65 – Amon-Rê-Kamoutef, 61 – Amonet, 164 Antioche, 246 sq., 278, 354 n.104, 357, 378 Antiochos III (Édit d’–), 177, 186-9, 193 Aphrodite, 78 n.13, 81 n.32, 86, 256 n.18 Aphrodite Ourania, 245 Apollon, 24, 36, 38, 40 sq., 43, 78 n.10 & 11, 82, 86, 89, 123 n.26, 129, 130 n.68, 131 n.73 sq., 330, 331 n.11, 346, 350 n.62 – Apotropaios, 297 n.27 sq. – Bathulimeneitês, 130 n.67 – Genetôr, 42 – Hekatombaios, 129 – Hulatês, 78 n.16 – Nymphêgetês, 297 n.27 – Prokentês, 130 n.67, 131 n.70 – Pythios, 297 n.27 Apollonios de Rhodes, 124 n.29, 132 n.82, 207 n.66 Apop(h)is, 56, 163 Appien, 79 n.18, 84 n.58, 85 n.68, 285 sq. Apulée, 81 n.36, 326, 346 n.28 Ara Maxima, 277, 346 Arad, 104 Arès, 44, 326 n.45 Aristophane, 22 sq., 24 n.34 sq., 34-8, 88 n.88, 92 n.124, 119-22, 244 Aristote, 90 n.111, 134 n.91, 199 n.11, 245, 340 Arrien, 81 n.31, 84 n.58, 88 n.97, 96 Artémidore, 202, 321 n.30 Artémis, 40, 43, 128 sq., 200 – Aristê, 202 n.34

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Index des noms propres – Aristoboulê, 202 – Braurônia, 120 n.21, 201 – Chitônê / Chitônia, 201 – Kourotrophos, 128 n.55 – Laphria, 94 – Mounichia, 43 – Paidotrophos, 128 n.55, cf. – Kourotrophos Asclépios, 24, 36, 38 sq., 320-2 Astarté, 103 n.8 Athéna, 33 n.8, 81 n.32, 125 n.35, 131 n.73, 377 n.27, 399 – Ilias, 85 – Itônia, 126 n.41 – Promachos, 126 Athénée, 41-3, 80 n.27, 81 n.36, 82 n.49, 88 n.97, 204 sq., 256 n.23 Athribis, 54, 60 Auguste, 62 n.133, 231, 235 n.46, 280 sq., 282 sq. Augustes, 348, 350, 354, 356 sq. Augustin (saint), 329 n.6, 332, 336 n.37sq., 337, 339 n.55, 347, 374, 378, 381, 404 Aurelius Victor, 353 n.100 Bacchus, Bacchanales, 255 n.11, 293 n.17, 393 sq., cf. Dionysos et Liber Baïanites, 103, 108 Bastet, 167, cf. Sekhmet Bède le Vénérable, 403 Capoue, 345 Carloman, 405 Carthage, 373 n.6, 377 Chios, 23, 244 Chou, 66, 166 Cicéron, 229, 260 n.48, 343, 348 n.54, 356 Claros, 129, 321 Cléarque de Méthydrion, 42 sq. Constantin, Constantinides, 343 sq., 346, 349, 351-7, 360 sq. Constantinople, 344 n.10, 353, 356 sq. Constitutions apostoliques, 378 Coptos, 48, 52 sq.57, 60 n.122, 62 n.136 Corinthe, 37 sq., 83, 201, 222, 224 Cos, 200 n.19, 202 n.30, 209 Cybèle, 130 n.68, 131 n.70, 393 Cyzique, 130, 147, 399 David, 7 Deir el-Bahari, 347 Délos, 42, 81 n.36, 263 n.70 Delphes, 41 sq., 78 n.16, 94, 118, 319 sq. Déméter, 35, 37, 64, 94, 202 n.34, 219 sq., 243 Dendera, 54, 149, 152-4 Deo, 43, cf. Déméter Diane, 261 sq., 264, 350 n.62, cf. Isis

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Index des noms propres Diasies, 36 sq. Didascalia Apostolorum, 380 Diodore de Sicile, 79, 81 n.34, 87 n.79, 93 n.136, 242 n.8 Diogène Laërce, 42 n.56, 44, 204 n.46 Diomos, 35, 137, cf. gr. Bouphonia Dion Cassius, 84 n.58, 85 n.68, 327 n.52 Dionysos, 81 n.32, 82 n.42, 83 n.52, 86, 115, 131 n.71, 242 n.9, 254-7, 259-62, 292-305, cf. Bacchus – Baccheus, 298 – Phleos, 39, 295 n.28 Dioscures, 41, 264 Djemê, 63-6, 170 Dodone, 94, 223, 247 Edfou, 53 sq., 59, 149 sq., 152-5, 156 n.39, 162, 165 n.15 sq., 168 n.34, 170 n.47 Égine, 122 n.21, 224 Électre, 119, 121, 206 sq. Éleusis, 83 n.52, 199 n.10, 359, 411 Élien, 82 n.42, 134 n.89, 199 n.11 Empédocle, 42-4, 81 n.29 Ennéade, 48, 63, 66 Erchia (dème attique), 32 n.4, 37, 297 Érythrées, 24, 39, Eschine, 121, 202 n.30 Eschyle, 19, 36, 92 n.127, 134, 205 n.51, 206, 246 Esna, 54, 56, 153 n.24, 166 Eucharistie, 115, 374 sq., 382, 389, 409 Eugène (usurpateur), 346, 358 Eumée, 33 sq., 126 Eunape, 348 Euripide, 36, 78 n.12 & 14, 81 n.29, 86 n.75, 88, 90 n.109, 91 sq., 119-121, 127 n.50 (sc.), 199 n.10, 200, 208, 209 n.75, 243 n.12 Eusèbe, XV, 78 n.13, 79 n.21, 329-32, 345, 347 n.31, 349 n.61, 351-4, 378 Eustathe, 43, 77 n.1, 81 n.36, 82 n.44, 205 n.51, cf. Homère Félix (saint), 387-403 Festus, 79 n.17, 84, 85 n.64, 86 n.71, 229 n.16 Firmicus Maternus, 329 n.5, 332, 355 n.114 Flavius Josèphe, 103-9, 182, 189 n.34, 277 n.17, 278 n.22, 309 Forum Clodii, 231, 280-2 Gaza, 344 n.10, 348 Gê, 208 n.71, cf. Terre Geb, 57, 59, 65 sq. Gratien, 343, 346 Grégoire le Grand, 403-5 Grégoire de Tours, 397 Guilgal (mont), 105 Hadès, 79, 86, 93, 198 n.8, 203, 220 n.19 Hathor, 58 n.113, 149sq., 152, 154, 164 n.10 sq.

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Index des noms propres Hécate, 39, 42 sq., 86, 197 sq., 200, 203 sq., 411 Héliodore, 14, 130, 317-20, 325, 327 Héliopolis, 50 n.34, 66 Hélios, 38, 79 n.17 & 23, 84, 86, 90 n.106, 325 Héra, 83 n.52 sq., 127 n.49, 222, 224, 242 n.9 Héraclès, 32, 41, 79 n.21, 220 Héraclès de Tyr, 318 Hercule, 275, 346 n.24, 350 n.62 Hermès, 23, 33, 39, 41 sq., 86, 126, 130 n.68, 166, 244, 263, 318 – Melêtênos, 131 n.70 sq. Hermopolis, 65 Hérodote, 86 n.71, 90, 92, 96, 151, 168, 220 sq., 224 Hérondas, 17 n.6, 248 Hésiode, 24, 31, 64, 78 n.16, 87 n.78, 241-3, 247, 249 Hibis (de Charga), 53 sq., 60 Hiérapolis (déesse d’–), 80 Hippocrate, 78 n.14, 198, 200 Hispellum (rescrit d’–), 346, 353-5 Homère, VIII, 19, 31, 77, 91 n.115, 123, 124 n.29, 243 sq. –, Iliade, 19, 33 n.8, 34, 77 n.1, 86 n.75, 89, 90 n.106 sq., 91, 199 n.10 sq., 200 n.17, 219 n.9, 242 n.9, 264 –, Odyssée, 19, 24-6, 33 sq., 93, 124 n.29, 125 n.35, 126, 132 n.80, 209, 245 Horace, 231-3 Horus, 48-50, 58 sq., 61-3, 65 sq., 149 sq., 152, 156 n.39, 165 sq., 170 Horus-Min, 48, 65 Hyakinthies, 256 n.3 Hygeia, 201 Hyperboréen, 31 n.2, 247 Ignace (Pseudo–), 380 Iphigénie, 92, 120 sq., 200, 325, 326 n.44 Isis, 57, 63 n.143, 65, 81, 164, 170, 253, 261 n.60, 262-5, 272, 319 – Isis-Diana, 264, 272 Jacob, 188 n.33, 309 Jamblique, 333 n.26, 348 Jamnia, 103, 108 Jean Chrysostome, 378 sq. Jéricho, 108 Jérusalem, 9, 103, 105, 108, 178-94, 309 Jourdain, 78 n.13 Juda Maccabée, 103 Julien (Empereur), 278 sq., 332, 346, 348 sq., 354, n. 104, 356 n.123 Junon, 234, 282 n.38 – de l’Augusta, 282 sq. Jupiter, 90, 230, 234, 275 sq., 393, cf. lat. Epulum Iouis – Menzana, 85 – Sabazios, 261 n.54

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Index des noms propres Kamoutef, 48, 59, 62 sq., cf. Min Karnaïn, 103, 108 Karnak, 50 n.34, 53 sq., 64 sq., 150, 154, 161, 163 sq., 175 Khonsou, 48, 53, 163-71, 175 Kom Ombo, 54 Koré, 37, 79 Kourotrophos, 297 n.27, cf. Artémis Lacédémonien, cf. Sparte Leucade, 82, 83, 86 n.75, 95 Libanios, 246, 352 sq., 357, 361 Liber Pater, 255-8, 267, 271 Louxor, 53, 64 sq., 152, 169 Lucien de Samosate, XIV, 32, 80, 91 n.117, 197 n.4 (sc.), 317, 323 sq., 326 sq. Lucien, saint, 80 n.27 Lucullus, 399, cf. 132 n.88 Lycophron, 243 Macrobe, 336-8 Madian, 108 Magnésie du Méandre, 41, 78 n.11 Mambré, 348 Marathon, 40, 297 n.28 Marc le Diacre, 344 n. 10 Marneion, 344 n.10 Martial, 230, 253 n.14 Martin de Tours (saint), 393, 397 sq. Mater magna, 229, 235 Medinet Habou, 49, 50 n.33, 53 sq., 58, 60 n.124, 64 sq., 154 n.27 – Medinet-Habou-Djemê, 64 Mélissa, 96, 222, 224 Memphis, 168, 319 Ménandre, 25 n.42, 132, 249 Mercure, 231 Méthode d’Olympe, 380 sq. Michna, 105 Min, VIII, 47-66 – Min-Kamoutef, 47, 53, 56 sq., 59-61, 63 – Min-Horus, 57, 60 sq. Minerve, 234, 260 n.48 Mithra, 347 Mithridate, 84 n.58, 85 n.68, 134 n.88, 399 Moïse, 9, 104, 106-8 Montou, 50 n.34 Mout, 77, 163 Mykonos, 89, 298 Mysie, 129 n.62, 320 Némésis, 202 Neptune, 79 n.17, 230, 232

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Index des noms propres Nestor, 19, 33 n.8, 124 n.29, 125 n.35, 245 Nicomaque Flavien, 346 n.24 Nob, 105, 108 Nymphe(s), 33, 77, 86, 119, 126, 200, 255 n.11, 297 n.27, 299, 302 Olympie, 44, 78 n.16, Opet, 59 n.116, 64 sq., 164, 167 Oppien, 199 n.11 Osiris, 48 n.10, 50, 55, 58, 60, 63, 65 sq., 164, 393 Ostie, 263 n.70, 346 Ovide, 254 sq., 258 Palestine, 344 n.10, 348, 359 n.145 Panathénées, 25, 27 Pâques, 347 n.41 Patrocle, 221, 223 Patrocle (général), 80 n.27 Paulin de Nole, 387-405 Pélée, 89, cf. Achille Périandre, 96, 222, 224, cf. Mélissa Perséphone, 93, 220 n.19, 399 Perses, 86 n.71, 202 n.32, 224 Petosiris (tombeau de), 150 Pétrone, 87 n.85, 234 Philae, 62 Philon d’Alexandrie, 103 sq., 106 sq., 309, 375-7 Philostrate, 86 n.71, 120, 134 n.90, 220, 223, 322 n.32, 326 sq. Pierre de Palerme, 48, 54 Pindare, 41, 86 n.75, 96 n.155, 242, 243 n.13 Platon, 24, 27, 133 n.87, 199 n.10, 202 n.30, 248, 313, 331, 337, 339 n.56 –, Euthyphron, 17 sq., 248, 313 Plaute, 230, 275-7 Plotin, XV, 329 sq., 336-9 Ploutos, 23, 244 Plutarque, 42, 78 n.12&16, 79 n.23, 80 n.25, 81 n.30, 82 n.49, 93 n.135, 151 n.11, 202, 203 n.40, 221 n.22, 275, 399 Pollux (rhéteur), 37, 43 Polycarpe de Smyrne, 379 Polycrate (anneau de), 96 Pompéi, XIII, 234, 253-267, 272 Porphyre, XV, 42-4, 94 n.143, 116, 134-7, 202, 329-40, 392 Porte d’Évergète, 50 n.34, 54, 62 n.138, 163-7, 175 Poséidon, 42, 85 sq., 90 sq., 133, 200, 319 – Hippios, 79 n.17 Prétextat, 346, 359 Prométhée (sacrifice de –), 64, 115, 117, 241-5, 249, cf. Hésiode Pyanopsies, 38, Pythagore, Pythagoricien, 32, 42-4, 116, 120, 135, 204 sq., 231 sq., 292 n.10 sq., 331, 334, 339 n.54

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Index des noms propres Qoumrân (communauté de –), 178 n.4, 182 sq., 189 sq., 194 Qoumrân (manuscrits de –), 103, 177-86, 189 n.36, 191, 193 Ramesseum, 47, 53, 76, 154 Rê, 59, 64, 150 Rhodes, 79, 202 Rufin, 346 Sabazios, 260-2, 267, 271 Salamine, 43 n.60, 55, 224 Salomon, 102, 106 Samos, 40, 127 n.49, 256 n.25 Samuel, 104 sq. Sarapis, 263, 265, 358 n.140 Satyre(s), 259, 262, 291 sq., 293-6, 298 sq., 302 Saül, 104 sq. Scythes, 116 sq., 323, 326 n.44 Sekhmet, X, 150, 154, 163, 165-71 Sélinonte (loi sacrée de–), 40, 210 Seth, 62, 166, 169 sq. Sobek, 56 n.94, Socrate, 248, 313 Socrate de Constantinople, 356 n.123, 361 Sophocle, 206, 245 Sparte, 41, 79 n.23, 204, 221 sq. Sperchios, 89 Stace, 256 n.21 Strabon, 78 n.10 & 16, 133 Styx, 76 n.13, 91 Suétone, 81 n.38, 279, 351 n.77 Sylvain, 350 n.62 Symmaque, 348, 356 Syrie, 186, 246 sq. Taygète, 79 n.23, 85 n.64, 86 n.71 Tefnout, 66, 150 Terre, 90 n.106, cf. Gê Tertullien, 233, 377, 380 Thargélies, 38 Thasos, 87, 129 n.60, 297 n.26 Théagène de Thasos, 87 Thèbes (d’Égypte), 49, 65, 165, 169 Thémistios, 356 sq. Théocrite, 202, 237 Théodaisies, 40, cf.Théoxénies Théodoret, 345 n.14, 351 n.81 Théodose, XV, 343, 353, 357 sq., 362-4, 403, 405 – Code théodosien, 343-364, passim Théophraste, 18, 35, 116, 136 sq., 249 Théoxénies, XII, 40-2, 217

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Index des noms propres Thérapeutes, 375 Thésée, 38 n.32, 96 Thesmophories, 37, 38 n.29, 256 n.23 Thessalie, 220 sq., 223, 297, 320 Thétis, 85, 92, 221, 223, cf. Achille Thorikos (dème attique), 40, 297 Thot, 56, 58, 62, 150, 166 Thucydide, 36 sq. Tibère, 231, 280-4 Titan(s), 115, 249 (cf. Prométhée) Tite Live, 234 n.39, 273, 292 sq. Tritopatores, 40 Troie, 89, 221, 223 Trophonios, 38, 204 n.49 Trygée, 35, 119 sq. Ulysse, 33 sq., 82 n.44, 92 sq., 126, 243 Valentinien, Valentinides, 344, 347 n.41, 348 n.48, 357, 359, 361-3 Varron, 228 n.12, 255 n.13, 260 n.46, 277, 285 sq., 348 n.54 Victoire (autel de la), 348, 356, 358, 362 Virgile, 391 Vita Bononii, 398 Viterbo (amphore de), 20, 123 Xénophon, 20, 36, 80 n.25, 313 Xénophon d’Éphèse, 326 Xerxès, 91, 97, 206 Zeus, 35, 44, 85, 130 n.66, 146, 242-4, 246 sq., 397 – Aithrios, 129 n.61 – Ammon, 264 n.86 – Aphiktôr, 92 n.129 – Bottiaios, 246 – Chalazios Sôzôn, 130 – Hypatos, 35 – Ktêsios, 22 – Megistos, 130 n.67 – Meilichios, 36 – Olbios, 129, 131 n.70, 146 – Olympien, 321 – Polieus, 36, 134-7 – Sauveur, Sôtêr/Sôzôn, 130, 321 – Stratios, 85 n.68 – Suppliant, 92, cf. Aphiktôr Zosime, 358 sq., 361 Zosime, nourricier d’Aristide, 321 sq.

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Index rerum abandon, 38 sq., 86 n.71, 87, 198, 309 sq. – de soi, 335, 338, 340, cf. don abattoir, abattage, VI, IX, 4 sq., 25, 51, 129, 135, 151, 154 sq., 164-7, 177-183, 186, 190-3, 257, 276-7, 285, 291, 294, 296 sq., 300-2 absolution, 5-7 abstinence, 42 sq., 136, 322, 382, voir ascèse accouchement, 164, 198 n.8, 200 acculturation, XIV, XVI, 304 agrément, 24, 94 sq., 310, 312 agraire, agriculture, 8, 31-44, 49-66, 115, 310, 401 aigle, voir oiseau ail, 38 n.29 alimentaire/ation, V, 8, 221, cf. nourriture – carnivore, XII – repas du dieu, 8 sq. (viande cuite avec son jus, 8), 149, 156, 163 sq., 281, cf. ambroisie, fumée, odeur alliance, 4, 8 sq., 312, 326, cf. serment altérité, 10, 116, 222, 319, cf. barbare ambiguïté, XII, 197 ambroisie (et nectar), 31, 34, 242 ancêtres, 40, 56, 59, 62, 64, 83 n.52 angoisse/anxiété, 83, 94, 135, 329 aniconique, 55 animal sacrifié/non sacrifiable, cf. victime (voir aussi oiseau, poisson, serpent) – âne, 4, 6, 150, 187-8, 347 – bovidé: - bœuf , 8, 32, 35 sq., 43 sq. (de pâte ou d’aromates), 51, 64, 79, 91 n.170, 124 sq., 127 sq., 130 sq., 133-7, 150-2, 154 sq., 163-5, 179, 1813, 248, 283, 297 n.26, 319, 324, 387, 396 sq., 399-401, 404 - génisse, 4, 134, 387 sq., 399 - taureau, VIII, 20 (soulevé), 47-68, 79, 88 sq., 91, 95, 129, 133, 150 sq., 168, 221, 223, 278, 283-4, 300, 324, 347, 397 - vache, 170 (gravide), 124 n.29, 125 n.35, 321-2, 400-2 - veau, 119, 152, 166 n.24, 281-4, 399 – caprin (bouc, chèvre, chevreau), 4, 8, 32, 89, 97, 131, 134, 179, 181-3, 262, 291, 294-9, 301 sq., 324, 397 – chameau, 4 – cheval, 79, 81 sq., 84, 86 n.71 (poulain), 87-9, 91, 92 n.124, 188 – chien, 188 n.32, 197, 199, 204 – comestible, X, 150-3 – d’élevage, X, 4, 8, 150-1, 155, 163, 177, 182, 188 – de somme, 188-9 – de trait, 188-9, 402 – domestique, X, 94, 116, 187-8, 223 – en liberté, 81, 132-3, 387 – miraculeux, 387-402

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Index rerum – mulet, 187-8 – oryx, 152, 161, 163, 165-6 – ovin: - agneau, 9, 33 n.5, 79, 90 n.107, 92-3, 275-6, 381, 399-402 - agnelle, 281 - bélier, 79 n.17, 90 n.109, 283, 297 n.26 - brebis, 93, 324 - mouton 4, 8, 26, 32, 40, 119 sq., 131-2, 179, 181-3, 248, 283, 319 – porc, 16 (porcelet), 20, 32, 37, 82 (truie), 91 (verrat), 94 & 126 (porcelet), 248, 300, 319, 387-392, 395, 398 sq. – sauvage, X, 94, 149-153, 163, 165, 170 n.46, 177-8 & 181-2 (gibier), 187 (âne, léopard, lièvre, renard), 188 – vivant, 77 n.1, 84 n.58, 85, 87, 89, 91, 94, 152, 188, 398 – volatile, 8 (colombes), 150 & 152 (oie), 155, 163 (sauvagine), 164 (oie), 248 (coq), 278, 321 & 324 (coq) anneau d’arrimage, 129 sq., 131 n.74, 154 anniversaire, 281-4, 387, 393 anthropomorphisme, 236, 312 anthropophagie, 243, 326 apaisement, 312 aphrodisiaque, 52 apothéose, 61, 346, 353 n.100 apotropaïque, VI, 36, 47 n.7, 78 n.10, 155, 164, 318 n.6 apport, 310, 315 arbre, 78 n.11, 201 n.24, 254 sq., 262, 295 sq., 298 sq. arétalogie, 398 aristocratie, 346 aromates, 43 sq., 154 sq. ascèse, ascétisme, 329-338, 378 n.30 aspersion, 9, 22, 118, 120, 178, 206 n.59, 208 asphodèle, 42 astrologie, 321, 356 n.118, 359 n.147 au-delà, XI, 218-21 augure, 355, 361 – de bon augure, 94, 133, 400, cf. favorable aumône, 404 autel, V, VIII, X-XII, XVI, 5, 8 (= « table »), 9 sq., 20, 22-4, 27, 31-6, 38 sq., 41, 44, 78 n.16, 89, 94, 103-6, 119-121, 124-132, 134 sq., 151, 155, 178-182, 184, 186, 191-2, 199, 207, 218, 221, 231, 245-8, 255-7, 278, 281, 282 n.36, 283, 286, 291, 294-6, 298-9, 309 sq., 315, 348, 355, 358, 374-5, 378 n.29, 379-381, 387, 394 – à cornes, 167 – à feu, 154, 167-8 – de gazon, 364 – de la Fortune, 356 n.123 – de la Victoire, 356, 358, 362 – d’or, 381 – du cœur, 334-5 – vivant, 381 avarice, 389 sq., 394, cf. générosité

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Index rerum bain, 198, 203, 205-8 balançoire, 302 balayure, 90, 202-6, voir déchet bandelette, 34, 47 n.3, 119 sq., 122, 168 banquet, XII, XVI, 25-6, 31, 36-8, 41, 156, 227-236, 243, 273-5, 277-286, 300 n.45, 318-9, 389, 391 – salle de – , 37, 253-267 barbare, XIV, 91, 317, 323-7 barque, 51 sq., 57, 81 bénéficiaire, 109 beuverie, 25 bière, 164 billot, 126, 164 sq. bois (à brûler), 109, 221 bois sacré, 255 n.11, 260 sq. bouc émissaire, 81, 83, 90, 199 boucher/boucherie, XVI, 8, 36, 151, 154, 166 sq., 186, 188, 246, 276, 279, 281, 283 sq., 387-405 bouclier (son du–), 221, 223 boudin, 243 bouilli, 116, 391, 402, cf. cuisson & viande bouillie, 35, 38 n.32 bourreau, 276, cf. boucher brigand, 319, 326, 393, 397, 401 broche, 23-5, 33, 241, 116, 126 bûcher, 94, 210 n.84, 218 n.7, 221 bucolique, 257, cf. idyllique butin, 103, 107 n. 20 cadavre, 4, 88, 90-4, 198-217 passim, 222, 276 (de suppliciés) calendrier, 18, 40, 89, 248, 282, 297 n.25 & 29, 345 camp, 178, 181, 183, 189-90, 192-3, 278-9, cf. désert canéphore, 123, 125 sq., casuel, 243 sq. cathartique, 87, 90, cf. pur cendres, 85, 89, 198-9 céréales, 8, 34 sq., 47, 54 n.74, 58 n.113, 118, 123, 282 – blé, 35, 38, 42, 49 sq. (gerbe de –, esprit du –), 58 sq., 61, 63 sq. – orge, 22, 34 sq., 38, 42, 94, 118 n.12, 119-122, 209 chair, 5 sq., cf. viande chancel, 371-382 chapelle, 49-55, 61, 64, 231, 257, 262 sq., 280, 355, 400 chasse, 115, 150, 153, 177 sq, 392 chasteté, 336 n.38, 381, cf. abstinence châtiment, 5, 78 n.16, 108 sq. chaudron, 10, 116, 243 cheveux, 87, 89, 201 choix, voir sélection christianisation, 349, 358

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Index rerum chthonien, 32, cf. olympien circulation (de la nourriture), 9, 186 circumambulation, 22, 120 sq. cité, 116, 136 sq. clôture, XV, 373, 376, 378, 382 – (délimitation) 93 – rite de–, 61 code sacerdotal, 3, 9 cœur (de la victime), 325 colère, XII, 312 combustion, XII, 6, 11 sq., 15, 23, 217-221, cf. crémation commensalité, VIII, XII, 10 sq., 37-8, 42 sq., 193 sq., 219, 228, 235, 242, 274 commentaire, 309, 332 commerce, VII, 17, 104, 170, 392 sq., 395 communauté/taire, 8, 12, 39 sq., 185, 219, 253 sq., 256-9, 265 sq., 273 communication, XI, 12, 229, 236, 249, 322, 379 communion, VII, 23 sq., 38, cf. sacrifice comparativisme, V sq., X compétition, 229 concile, 347, 350 n.65, 359 concours – dramatique, 300 – de beuverie, 300 sq., 303 conflit religieux, 346 consécration, VI, VIII, 7, 11-2, 33, 38-9, 55, 58, 78 n.11, 81, 84 n.62, 937, 117, 121, 133, 164, 171, 175, 192, 199-203, 315, 335 – sceptre de –, 163 consentement, 6, 34, 118, 131-3 consommation (des viandes, etc.), VII, X, 5, 8-10, 15, 24-26, 37, 39, 93, 116, 126, 155-6, 165, 168 n.34, 170, 177-182, 184, 186 sq., 190-3, 199, 217 sq., 241, 277, 310, 390, 398, cf. nourriture – consommable, 178, 188, 218, 221 – sur place, 9, 23-5, 37, 79 n.17, 274 conspiration, 359 n.147 contamination, 185, 198, 202, cf. sacré (contagion) contemplation, 330 sq., 333 n.24, 339 contiguïté, 177 contrainte, 117, 132 sq. conversion, 405 convive/convivialité, 8-9, 77, 274, 286, cf. commensalité corbeille, 22, 34, 38, 118-123, 125, 127, 280 corde, 52, 129, 131 sq., 198, 202 cornes, 43, 52, 128-132, 152, 154 sq., 165, 168 corps, – féminin 371, 382 – ritualisé 375 – virginal 377 cortège, 300 cosmique, 61, 149, 153, 156

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Index rerum couleur, 47-66 passim, 399 – blanc/noir, 48sq., 79, 82, 93, 97, 221, 223, 278, 319, 333, 399, cf. animal coupe (/phiale, tasse), 23, 81, 82 n.49, 86 n.75, 93, 291, 294-6, 298 sq. couronne, 40, 51, 56, 58-63, 87, 120, 221, 223, 247 – couronnement, 49, 55 couteau, IX, 19-21, 34, 87, 94, 117-130, 132 n.77, 134 sq., 152, 165, 170 crâne, 248 crémation, 36, 38, 40, 89, 90 n.110, 221 sq., 224 cri, 19 sq., 223 crochet, 122 cuisine, cuisinier, 8, 10, 25, 120, 127, 132, 197, 243, 253, 259 cuisses, cuisseaux, XII, 24, 33-5, 207 cuisson, 33, 40, 282, 327 n.52, cf. viande culpabilité, IX, 83, 117, 123, 127, 134 sq., 137 sq. culte – funéraire, 347 – impérial, 347, 353 danger, 84, 95, 152, 185, 314, 318-9 danse, 262, 300, 302, 318 – danse armée, 229 (Saliens), 294 n.22 dauphin, 82, 86 n.75 décapiter, 151 n. 13, 164, 175 déchet, 80, 90, 97, 198-200, cf. rejet découpe, 116, 124, 127, 192, cf. dépeçage décurion, 231, 280-3 dédicace/dédicant, 31, 48, 54, 64, 131 n.70, 280-3 – dédicace votive, 347 défrichement, 78 n.11 démon, 234, 330, 332 sq., 335, 389, 392-4, 403 sq. dépeçage, X, 8, 168 n.34, 186, cf. boucherie dépense, voir prodigalité, tarif dépôt, – d’offrandes, VIII, 33, 35 sq., 38 sq., – d’argent, 222 désécration, 7, 12 désert (et minéraux), 48, 58, 61, 81 n.34, 178, 181, 183, 189, 192 désordre, 155, 163, 165 destinataire, 23, 78, 85, 90 n.106, 95, 198 sq., 201, 219-222, 228, 235 sq., 295, 297 destruction, X sq., 35, 77, 84 n.62, 85, 90 n.110, 96, 102, 109, 163, 177, 199, 217-222, 310, 315 – auto –, 96 – des temples, 357 – de tombes, 347 n.41 devin, voir divination dévouement, 78, 81 dévot, dévotion, 128, 318 diaconie, 322, 378 n.30 dilatoire, 97

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Index rerum dîme, 6, 107 n. 20 distribution, 25, 36, 116, 273-4, 277-280, 282-4, 301, 390, cf. partage, sportule dithyrambe, 300 divination, VIII, XV, 18, 20, 78, 87, 95, 230, 245, 318, 321, 348, 350 sq., 353-5, 359 n.147, 361 sq., 403 don, contre-don, VI sq., XV, 5-8, 17-19, 42, 47, 77 n.3, 87, 95 sq., 310, 313, 334-6, 337 n.43, 338 n.49, 340, 395, 397, cf. échange et vœu donateur/aire, 8, 94 douceur, 131 eau, – cours d’–, plans d’–, 77-95, 198 – d’arrosage, 59 – à usage rituel (libation, lavage, lustration), 5, 22, 34, 120-2, 203-210 passim, 221, 318 n.2 – sang versé comme de l’–, 178, 182 échange, voir commerce efficacité, 109 effroi, 132, 325 égalité, 234 égorgement, 20-1, 84 n.58, 87-91, 119, 137, 165, 167, 170, 177, 180 n.9, 191-3, 221, 223, cf. abattage, mise à mort égyptomanie, 257, 263-5, 319 élection, 322 élévation, 310, 334 élimination, 4, 197-210 passim enceinte, 183, 185-7, 189, 192-3, cf. clôture encens, 32, 44, 49, 61, 120, 122, 153 sq., 164, 231, 274, 281 sq., 318 n.2, 324, 344, 358, 380 sq., cf. lat. t(h)us encensoir, 166, 171 enclos, 50, 89, 154, 198, 201 n.24 ennemi, VI, X, 62, 153, 155, 164-170, 221 enterrement, 199 entrailles, 324, 327 n.52, 334, cf. viscères entraves, 152 n.19, 164, cf. anneau, corde envoûtement, 166 épiclèse, 92 épiphanie, 51, 54, 56 époptie, 338 eschatologie, 103 espace, spatialisation, voir sacrificiel étoffes, 55, 57 sq., 164, 201, 222, cf. linge, tissus étrangers, 109, 137, 186-8 étui, 124, 127 n.49 étrangler, 151 n.13 eucharistie, 389 évergète, 97, 281 sq., 284, 346, 351 sq., 390 excès, 92 exclusion, 12, 185, 229, 325

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Index rerum exécration, 168 exégèse, 103 sq., 179, 183, 189, 321 sq., 331 sq. expiation, 84, 109 extatique, 292, 302 extermination, IX, 4, 102, 107, 170 extispicine, 324, cf. divination extra-urbain (temple), 364 faim, 219, 393 sq. famille, 22, 27 fards, 63 n. 143, 164 farine, 6, 8, 33 sq. faute, 108-109, 135, 309-311, 315, cf. péché – (in)volontaire, 185 favorable, 24, 92, cf. (bon) augure femme, XV, 19, 78 n.16, 116, 292 – chrétienne, 371 – épouse royale, 56, 59 – jeune, 26 – mariée, matrone, 110, 282 – participante, 228 – veuve, XVI, 376 n.18, 377-382, 397 – vierge, XVI, 82 n.49, 85 n.65, 110, 325, 371 sq., 376 n.18, 377, 380-2 fer, ferrade, 169-71 férial, 345 fermeture (des temples), 358 festin, voir banquet fête, 41, 47-66, 150, 152, 165, 179, 184, 222, 254, 256, 285, 300-5, 318, 387-99 feu, VIII, XI, 23-4, 33-5, 38, 63, 85 sq., 109, 119, 121, 125, 153, 155, 166-171, 198 n.6, 218224, 241, 295 sq., 298 fiction vs vécu, 320 flambeaux, 300 flèches (tir de–), 60 fleurs, 221, cf. couronne foie, 351 fondation, 78 n.11, 247 fosse, 199, 205, 221, 223, 224 foudre, 230, 350 foyer, 32, 233, 253 frairies, 254-8 fressure, voir viscères friandises, 282 sq. fromage, 38 n. 29 frontière, 90, 180, 198, 208-210 fruits, 16, 38 (figues, raisin), 41, 94, 128, 163 sq. fumée, XI, 31, 44, 181, 218-220, , 241, 393 fumet, voir odeur funérailles/funéraire, 64, 150, 202-208, 223, 273, 347

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Index rerum galette, 42, 197 gâteau, VIII, 16, 32, 35-8, 40-2, 87, 94, 120, 122 sq., 128, 163 sq., 197, 200, 282, 324 – brûlé, 35-6 gender, XV, 371-382 générosité, 25, 42 sq., 248, 335, 338 n.49, 390 génuflexion, 375 gladiateur, 351, 353 gouffre, 77-95 gourdin, 126, 164 sq., 298 sq. grâce, gratitude, XVI, 17, 177 – (actions de –), 131, 318 sq., 348 grain, grenier, 52, 59, cf. céréales graisse, 5 sq., 9-12, 40, 64, 126, 154, 165, 181, 243, 245 grappe, 295 sq., 298 sq. gratitude, 404 grillade, griller, 23, 35, 116 guérison, 201 n.24, 387, 393, 398 guerre (sacrifices de –), 101-110 guirlande, 34 gymnosophiste, 325 hache, 36, 87, 118, 121-4, 126, 129 sq., 135, 387, 401 sq. hagiographie, 397 harpon, 152 sq. haruspice/haruspicine, 348, 350, 355, 357 sq., 360-2, 364 hécatombe, 42, 89, 120, 129 sq., 278, 319 héritage, 57 sq., 61, 63, 164 héros, héroïque, 32 n.3, 40 sq., 87, 124 n.29, 152, 217-222, 347 hiérarchie, XII, XVI, 10, 194, 229, 234 sq., 283, 285 sq., 372sq., 382 hiérophanie, 149 holocauste, V, IX, 4 n.4, 6-8, 11 sq., 36 sq., 51, 84 n.60, 96, 103, 105-8, 168 n.33, 179, 181, 189, 217, 221, 313 hommage, VII, 7, 10 sq., 42, 128, 130 hospitalité, hôte, XII, 8-11, 25, 31, 227-236, 299 n.38, cf. gr. Theoxenia huile, 6, 8, 34, 154, 164, 166 n.24, 185, 187 hybride, 292 hydrophores, 137 hymne, 51, 56, 58, 60, 120, 166 n.24, 221, 300, 302 idéologie, 402 idoles, IX, 4, 7 sq., 103, 105, 108, 187, 345, 348, 351, 392-4 idyllique (paysage, peinture), 254-265 imitation, 136 immersion, 77-95, passim immolation, VII, 4 sq., 31, 34 sq., 41, 51, 59, 84 n.62, 85, 89, 92, 96, 124, 126 sq., 129 sq., 179-181, 191, 283, 312, 319, 401 – comme rite préliminaire, 4 immortalité, 241 impiété, voir piété

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Index rerum impropre (au sacrifice), 180, 182, 184, 186, 191 n.43, cf. tare impur, voir pur inaccomplissement, 108 inauguration, 310 incantation, 92, 357 incarnation, 47, 59 inhalation, 219, cf. alimentation, fumée initié, 326 intention, 91, 394 interdiction, 178, 203, 322, 343-64, passim interdit, 4, 84 n.60, 90 n.110, 101 sq., 180-2, 187-9, cf. tabou interprétation, XIII, XVI, 21, 43, 95, 136, 182, 309 intronisation, 55 n. 87 invitation/invité, XII, 204, 227-236, 274, cf. hospitalité – mutuelle, 229, 234-5 jambon, 244-6, 275, cf. cuisses jardin, 52, 258-262, 265 jeûne, 333, cf. abstinence jeux, 279, 282 n.36, 354, 360, 364, cf. gladiateur joug, 401 laïc, 186, 193 laitue, 52 lavage, 199, 206, cf. bain, purification légumes, 35, 38, 185 lévite, 186 lexique, 15-17, 217, 310-315 libation, 5, 7, 9, 11, 23, 25, 34 sq., 38, 44, 49, 61, 81, 92 n.122, 93, 128, 153, 203, 223, 256, 282, 293, 296, 301 sq., 318 n.2, 319, 347, 353, 381 – sans vin, 37 lien, VII, XI, 21-24, cf. alliance, communauté linge, voir étoffe lit (de banquet), X, 31, 40 sq., 255-8 – lectisterne, 234 sq. liturgie, 49 sq., 53, 55 sq., 63, 156 loi sacrée, législation, XV, 23-5, 177-193, 202 sq., 244, 246, 248 loisir, 259 lotus, 63, 163 lune, lunaire, 43, 48, 50 n.34, 52, 54, 61-3, 163, 166 lustration, 200 n.16, 350 luxe, XIII, 18, 253-272 passim magie, XV, 153, 345, 348, 349 n.53, 350 n.65, 355-9, 361 sq. – blanche, 351 n.74 maillet, 126 maladie, 164, 198, 200 sq., 322 mâle, 110 maléfice, 359 manducation, 136, 241, 326, cf. nourriture

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Index rerum manger, voir alimentation, banquet, consommation, nourriture marché, 7, cf. don, échange mariage sacré, 301, 318 n.3 marmite, 39, 41 marque, marquage, X, 165-171, cf. fer, signe massacre, 107, 154-6, 165, 351 mât, 51 sq., 54, 58 mauve, 42 médiation, VI, 10-2, 395 mélange, 40, 302 mer, 77-97 passim, 198-200, 205 n.53, 209, 221, 223, 399 métaphore/métonymie, 177, 333 méthodologie, 21 meurtre, IX, 4, 36, 50, 87, 88 n.93, 93 n.144, 117, 135, 138, 153, 198, 203 n.55, 207 sq., 324-7 miel, 35, 38, 40, 43, 120, 206 n.53 militaire, 278-9 miracle, 134, 321 sq., 327, 387, 397-9 mise à mort, VI, IX, XVI, 4-5, 16-7, 19-21, 59, 102, 124, 126, 128-9, 132, 134-7, 149 sq., 152-3, 155, 163, 180 n.9, 191, 200 n.16, 325 moine, 347 moisson, 49, 58 sq., 61 monnaie, 200 morceau (de choix, de viande), 40, 64, 90, 150, 152, 160, 165, 243, 245 mort (individuelle), 26, 202, 219-224, 230 mortel/immortel, 221 moût, 282-3 mugissement, 129, 133 musicien, 55, 126, 294-6, 299 mutilation, 93, 166, 207 myrrhe, 44, 164 mystères, 83 n.52, 199 n.10, 292, 296, 300, 359 mystique, 336, 338 mythe, 115, 117, 152, 164, 166 sq., 200 n.18, 259, 262-4, 292, 303 – critique du –, 323 nation, 106 nécropole, 53, 256 néfaste, 357 nocturne, 59 n.115, 221, 352 n.89, 355, 357, 359 nourriture, 8 sq., 31, 34, 37 sq., 41 sq., 85, 185, 231, 241, 335, 400 – carnée, XVI, 42, 44, 64, 115, 136, 181-3, 186, 190, 404 – végétarienne, 42, 44, 150, 156 nuque (brisée), 4, 126 occulte, 348 odeur, XII, 164 sq., 243, cf. encens, fumée, parfum officiant, 9 sq. offrande, VI, XVI, 5, 10, 31-44, 54, 62, 85, 94, 103, 107, 128, 153, 163 sq., 198, 208, 248,

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Index rerum 274, 286, 318, 336 – animale, 177, cf. carnée – brûlée, 35, 309, 312 sq., 391 – alimentaire, 88, 164 – carnée/sanglante, VIII, 38, 128, 149, 153 sq., 156, 164, 309-10, 313, 397-9, 402 – comestible, non –, 16, 31 sq., 38-40, 87, 391 – d’armes, 88 – de soi, 401 – d’un poème, 388, 398 – expiatoire, 36 – funéraire, aux morts, VIII, 64, 96 – inanimée, 87 – liquide, 206, cf. libation – manufacturée, 156 – préliminaire, 35, 121, 210 – non sanglante, 19, 32, 37 – végétale, V, VIII, 5-7, 9-11, 16, 31-44, 63 sq., 121, 156, 282, 309 sq., 313, 335 – vivante, 152 – votive, 16-7, cf. vœu offrant, 178, cf. sacrifiant oiseau, 49, 60, 82, 244, 246-7 – troussé, 164 olive, 38 olympien, 32, cf. chthonien onction, onguent, 60 n.125, 153, 166, 170 n.46 or, 94, 109, 210, 380 sq. oracle, 97, 118, 222 sq., 247, 321, 329-331 ordalie, 78, 95 n.144 ordinaire, 178, 180 n.9, 182, 184, 186, 190-3, 217, cf. abattage, consommation, viande ordination, 12 ordre, 392, cf. désordre orphelin, 380 orphisme, 292 n.11, 293, 297 os (nus, blancs, longs), XII, 33, 40, 188 n.32, 241-8 ossements, 198 ouranien, 32 n.3, cf. olympien outre, 187-8 paganisme, païen, 343-364, passim pain, 8, 10 n.14, 34, 37, 39, 41, 155, 164, 185, 197, 280, 284 – de réminiscence, 312 – fraction (morceau) de –, 6, 197 n.4, 204 paix, 42 pâque, 4 n.5 paradis, 310 paravent, 57 parèdre, 63 n.143, 153 parfum, 5, 154 sq., 205, 241

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Index rerum part, partage, XI sq., 8 sq., 22-5, 31-4, 36-9, 41-2, 44, 124, 156, 178, 193, 217-221, 228 sq., 232, 241, 243 sq., 249, 273 sq., 283 (ration), 284, 286, 310, 390-2, cf. morceau – part d’honneur, 9 participant/ation, 22 sq., 25, 137, 219, 274 (divine) parure, 93 n.135, 153 parvis (extérieur, intérieur), 186, 191-3 passage (rite de –), 12, 78, 95, 109, 118, 153, 197 sq., 201 sq., 220 passants, 39 pastoral, 32, 310, 401 pâte, 34, 36, 42-44, 399 patron (divin), 153 pauvre, XVI, 26, 39, 43 sq., 389, 391 sq., 394-7, 400 sq., 403 sq. pavot, 38 n.29 peaux, 187-8 péché, 7, 11, 102, 310, 389, 394 sq., 400 pelage, 151, cf. couleur pénitence, 347 performativité, 156 péritoine, 245 persécution, 344 personnel religieux, 156, 243 sq., cf. prêtre phallus, 47 sq., 52, 57-9, 61 sq., 299 sq. phiale, voir coupe philosophe/philosophie, VIII, XIII, XV, 42-44, 107, 115 sq., 136, 232, 323 sq., 327, 329-340, 356, 392 piété vs impiété, 17 sq., 42-4, 95 n.144, 128, 136 sq., 227, 231, 248, 318, 325, 329-340, passim piétinement, 35, 59, 66 plat, 244 pluie, 58 poils (coupés), 119 points cardinaux, 60 poissons, 91, 197 (mulet rouge), 199, 242 n.6 polémique, XV, 183, 324, 345 politique, V, XV, 48, 57, 115 sq., 149, 156, 189, 202, 343-364, 402-405 porte, 47 n.7, 120, 153, 180, 182, 198, 202, 276, 285, 398 possession, 393 sq. précieux (objets, métaux), VIII, 6, 86 n.71, 87, 94, 96 précipitation, VIII, 77-97, 199 préfecture, 344, 346 prélèvement, 310 premiers-nés, 4, 6, 107 n. 20, 181, 309 prémices, 6, 33 sq., 38, 42 sq., 104, 107, 122, 126, 310 présage, 94 sq., 133, 247, 321, 350 prescriptions rituelles, 25, 177, 180, 187, 189 n.36, 227 prêtre, 5, 9-12, 19, 23, 39, 49, 54 sq., 60, 102, 105, 109, 135, 137, 150, 156, 168, 178, 184-7, 189 sq., 193 n.46, 229, 235, 243, 259, 274 sq. (collèges), 281 sq. (arvales), 309, 325, 345 sq., 353, 357, 398 prêtresse, 325, 380

432

Index rerum prière, 17 sq., 23, 33, 54, 91 sq., 119, 126, 156, 222, 224, 231, 318-9, 336 n.38, 337, 340, 357, 381, 387 privation, 219 privé, voir public privilège, 279, cf. hiérarchie procession, 47-52, 55-66, 86 n.71, 121, 123 sq., 127, 130 sq., 151 sq., 169, 300, 319, 355 – d’enseignes, 56 prodigalité, 93, 96, 221, cf. dépense, générosité prodige, 317, 350 produits locaux, 8, 35-7, 94 profane, voir sacré prophète, 3 sq., 102, 185 propitiation, VIII, 87, 198, 222, 318 propriété/aire, 6, 170 sq. prospérité, 17, 41, 130 protection, 165 sq. providence, 322 public vs privé, XIII, XV, 25, 27, 49, 57, 128 n.56, 229, 273 sq., 277-9, 284, 318, 321, 344 sq., 348, 350, 353, 358, 359, 363 sq., 377 pur/impur, purification, V, VIII sq., XI, XV sq., 5, 7, 10-2, 16, 36, 40, 54, 61, 78, 83, 106, 121, 150-4, 156, 164, 178, 180-190, 194, 197-210 passim, 330, 333-340, 357, 380 sq. purgation, répurgation, 103, 109 queue, 24 rabbinique, 177 sq., 190-194, 309 sq., 312 rameau, 295 sq., 299 recouvrir de terre, 178 rédemption, 4, 83, 90 régénération, 11, 50, 52, 54 n.74, 55 n.87, 56 sq., 149 régime carné, cf. nourriture réglementation, 345 rejet, VIII, 82, cf. bouc émissaire, élimination reliques, 394, 400 renoncement/renonciation, 6, 77, 83, 95, 310 repas, voir banquet repentir, 389 responsabilité, 109 reste, 86, 89 sq., 197-204, 222 rétrocession, 312 rêve, 319, 321-4, 399 réversion (des offrandes), 156 roi, 9, 48, 51, 54, 150, 152, 156, 163-171, 318 – meurtre rituel du roi, 50 – fonction, pouvoir royal, VIII, 49, 55, 58-60, 62, 149, 164 rustique, 231-3 sacré vs profane, IX-XI, 9, 57, 106, 109, 177-80, 182, 184 sq., 24, 189, 191-3 – contagion du sacré, 108 sq., 185, cf. contamination

433

Index rerum – espace –, 178, 371-5 – rendu profane, 235 sacrifiable/non –, 6, 10 sq., 179 sq., 188 sacrifiant, 9 sq., 93 sq., 218 sq., 248 sacrificateur, 128, 130, 177, 186, 283, 324 sacrifice – animal, VII, 6, 16-27, cf. animal, sacrifice sanglant, victime – aux morts, 90-2 – de commensalité, 107 – de communion, 6, 8-10, 178-180, 184 sq. – de louange, 10 n.14 – de reconnaissance, 106 – de réparation, 6, 103, 185 – de salut, 311 – de victoire, 106, 318, 325 – divinatoire, 343 n.4, 357-8, cf. divination – expiatoire, 106, cf. expiation – fonction du –, 3 – héroïque, 217, cf. héros – humain, 4 (enfants), 7, 50, 77, 82, 91, 101, 109, 120 sq., 200 n.16, 202 n.31, 324-7 – idolâtre, 7, cf. idole – intellectuel, XV, 333-340 – juratoire, VIII, XVI, cf. serment – mangé/non mangé, 15 sq., cf. consommation – mémorial, 312 – (pour le) péché, 6, 108 – régulier, 3, 7 sq. – sanglant (animal)/ non sanglant, 31 sq., 36, 38, 42, 115-138, 227, 310, 318, 323, 325, 335, 343, 348, 352-4, 357 sq., 361, 387, 392, 394, 403 sq. – spontané, 97, 134, 400 sq., cf. consentement – symbolique, 371 sq., 374 – végétal, 47, 63 sq. – volontaire, 26, 77, 108 sacrificiel (espace), X, 177-193 sacrilège, VIII, 78, 185 sadisme, 164 sainteté, 84 n.60, 376 salut, 82, 90, 93, 318, 330-2, 333 n.24, 335, 394, 401 sanctification, 109 sang, 4 sq., 9, 12, 31, 87 n.86, 88-90, 92, 95, 105, 124-6, 136, 178, 182, 187, 192, 198, 206, 217, 278, 300, 393 sq., cf. offrande et sacrifice – des menstrues/accouchements, 200 sq., 376 n.30, 382 – rite du –, 6 – verser le –, 4, 178, 182 sanguinaire, 123 n.26 sarment, 300 satyre, 259, 262, 291-2, 294-6, 299 sauvagerie, 117, 137 n.104, cf. animal sceau, 150 sq., 153, 167-9, 171, cf. marque

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Index rerum secret, 351, cf. occulte sel, 8, 118 n.12, 209 sq. – salaison, 285 – salure, 199 sélection, 40, 150, 152, 168, 171, 286, 310 séparation, 11-2, 24 – des sexes, XVI, 318 sq., 325, 376 sq., 379 serment, 78, 90-2, 198, 199 n.10, 202 n.34, 326, 327 n.52 serpent, 56, 150, 152, 161, 163, 394 service quotidien, 150 sésame, 38 n.29 signe, 24, 51, 56, 133 sq., 151, 322, 399 simultanéité (des participations), 10, 235 sq. soleil, solaire, 43, 52, 56, 62 sq., 163, cf. Hélios souillure, XI sq., 11, 36, 78 n.14, 87, 90, 105, 181 n.15, 185, 198-210 passim, 220 soumission, 7, 11, 129, 163 sportule, 279, 284, cf. distribution statue, 23, 41, 48 sq., 51 sq., 54, 56, 59, 62, 87, 128, 149, 201, 244, 280 sq., 283, 402 stérilité, 219 substitut(ion), 43 sq., 87, 310, 324, 399 suicide, 82, 198, 202 suppliant, 36, 92, 205, 396 supplications, 322 supplicié, 197, 276 survivance, 387 symbole/symbolique, 43, 56, 62, 83, 86, 96, 152 n.21, 153, 156, 170, 391, 394, 401 synagogue, 373 système sacrificiel, VIII, XV, 3, 77, 93, 108, 115 tabernacle, 381 table, VIII, XII, 5, 24, 26, 31 sq., 35 sq., 38-40, 42, 44, 154, 217, 243 tabou, 101, 201 n.21, cf. interdit tare (externe, interne), 180, 186, 191 (sans défaut) tarifs (des offrandes), 18, 279, 282, 284, 324 taurobole, 346 temple, 47-66, 149-156, 163-171, 230, 253, 255-7, 265-7, 279, 319, voir aussi destruction – Temple, 3, 9, 177-194 terminologie, cf. lexique terre cuite, 37 thaumaturgie, 394, 397 théâtre, 260, 262, 300, 302 théologie, VIII, XIII, 3, 61, 63, 171, 217, 313, 329-340, passim, 348 n.54 théorie, V sq., XV, 177, 189, 236 théosophie, 329-340, passim théurgie, 330-2, 334, 348 thyrse, 295, 298 tissu, 200-1 tolérance, 350 tombeau, 90, 198, 203-8 passim, 217, 222

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Index rerum totémisme, 177 traduction, XIV, 222, 309-15 transaction, voir commerce transfert, transmission, transport, 5 sq., 51, 106, 219-220 transgression, 103, 105, 109 traversée (cours d’eau, mer), VIII, 20, 87, 91 sq., 208, 318 trésor, 6, 96 sq., triade, 163 tribunal, 95 n.144, 135 tribut, 7, 9 sq., 163 sq. trône, 163, cf. roi troupeau, 50, 52, 81 n.38, 110, 133, 170 sq., 275 sq., 286, 398 sq. tuer, voir mise à mort tuerie, 154, 404, cf. massacre valeur, 18, cf. aussi tarif van, 37, 299 vent, 58, 80, 85 sq., 88 n.98, 91 sq., 399 vente, – du bétail, 286 – en boucherie, cf. viande ventre, 37, 241, 327 n.52 vertu, 336-40, cf. aussi chasteté, piété vêtement, 185, 200-2, 221 sq., 224 viande, X, 8-10, 24-6, 31 sq., 36 sq., 44, 115 sq., 120, 136, 150 sq., 155 sq., 177-9, 184-8, 190-2, 217 sq., 221, 228, 241-7, 273-286, 295, 388, 390 – brûlée, 34 – crue, 9, 33 sq., 152 n.23 – cuite, 8 (avec son jus), 9 (à l’eau), 34, 40 sq., cf. bouilli – emportée chez soi, 25 – ordinaire/impropre/sacrifiable, voir ces mots – rôtie, 126, 166 sq., 171, 392, cf. grillade – vendue en boucherie, 25, 274-7, 283 victimaire, 275-6 victime, VI sq, IX sq., 4, 6, 9, 32, 34, 36 n.21, 37, 39, 50, 77-97, 117-138, 156, 163-171, 177 sq., 188, 192, 200, 221, 241, 243, 248, 275, 278, 280, 282, 284, 319, 324-6, 387, 390, 393 sq., 400, voir animal – adulte, 40 – émissaire, 78 vigne, vigneron, vendanges, 255 sq., 292, 295, 298-305 vin, 8-9, 34 sq., 43, 86 n.75, 155, 185, 187, 231, 259, 274, 281 sq., 284, 344, cf. lat. uinum – nouveau, 300 violence, IX, 17, 62, 77, 80, 87, 95, 115-138, 150, 152, 155 sq., 163 sq., 202, 257 – dissimulée, IX, 118 sq. viscères, 23-6, 31, 35, 241 sq., 275-7, 282 sq., 295, 318, 326, 350, 390, 393 – dans les mains des dieux, 23 sq., cf. gr. cheir, gounata vœu, votif, IX sq., XVI, 7, 18 sq., 27, 31, 37, 102, 105, 107-9, 127, 130 sq., 166, 293, 395-8 – ex-voto, 248 n.46 voile, 51, 57, 64, 376 sq., 382

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Index des termes égyptiens “b, 165, 167 “bw, 170 “bwy, 165 n.13 “bwt, 165 n.13 “bwt-nÚr, 165 “ßt, 167 “‡rw, 168 n.33 µ“b, 170 µw“, 155 µwÌ b‡“, 59 µßry, 165 µp, 61 µpt, 62 ©“bt, 163 ©b“, 155 ©bw, 52 ©b‡ wr, 56 ©ß, 168 w“Ì, 169 w©b, 168 wnƒw, 155 wt, 62 wnm, 167 wnmyt, 167 b“, 58, 65 bdt, 59 prt Mnw, 48, 54 sq. mßtmw, 168 mswt, 54 mswt Mnw, 48, 54 sq. mƒt, 155 mƒ“t, 47 n.4

nb pt, 62 n.136 nmt, 167 nmt-pr, 154 nmt-nÚr, 166 rnnwt, 154 Ìwt bÌsw, 59 Ìb-sd, 55 Ìsp, 52, 60 Ìknw, 166 ß“wt, 152, 155, 156 n.39 ßbs t“, 59 ßry(t), 165 ßtjw, 52 ßtm, 168 s“ß, 166 n. 24 s“ nsw.t Mk-Ótn, 169 swrwt, 60 sm, 55 sm“, 155 n.34 snsn k“wy, 62 sÌnt, 53 n.47, 54, 59 sÌtpy, 171 sÌw w©b, 154, 166 sr bµ“, 61 n.143 sÚµ-µb, 155 sÚnw, 60 sq. ‡mw, 48 ‡m“yt, 55 n.79 ‡t“t, 165 k“, 57-9, 66, 165 Kmt, 61

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Index des termes hébraïques ‘ækal, 5 ©ælæh, 311 ©ælæh hi, 7 ©æôæh, 7 ‘æ‡æm, 6, 311 ’azkæræh, 311, 312 bœ‘ hi, 7 ’ê‡, 311 Ìa††æ‘t, 6, 11, 12, 109, 310 sq. Ìa†æ‘, 311 Ìêrem, IX, 4, 101-11 Ìœl, 184 ÎRM, 102 ̺llîn, 191sq. ¢ir ha-miqda‡, 181 ’i‡‡eh, 311-3 kælal, 311 kælîl, 311sq. kærêt, 185 kipper, 109 læÌam, 311 læqaÌ, 6 lapetaÌ Ìa††æ’t robêÒ, 310 leÌem, 8, 311sq. ma¢al, 185 mæqôm, 183, 191 sq. maÌaneh lewiyyæh, 190 maÌaneh yisræ‘êl, 190

*mænaÌ, 311 mattænæh, 7 minÌæh, 6, 7, 11, 310-3 nætan, 7 neder, 107, 108 n.27 nedæbæh, 107sq. ©œlæh, 311-13 qærab, 11, 311 qærab hi, 7, 10sq. qœde‡, qodæ‡îm, 105, 184, 191 qorbæn, 10, 310-3 rêaÌ nîÌœaÌ, 311 robêÒ, 310 ris, 181 n.12 ‡æÌa†, 4, 178, 180 n.9, 191, 311sq. ‡ælam, 311 ‡æ†aÌ, 312 ‡eÌî†æh, 4, 192 ‡elæmîm, 107sq., 178, 184, 192, 311 ‡ulÌæn, 8 †æhôr, 184 †æmê‘, 184 tôdæh, 10 n.14, 106 zæbaÌ, 7sq., 10, 179 , 180 n.9, 181sq., 191, 311sq. zækar, 311sq. zebaÌ, 8, 311-3

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Index des termes grecs adaitos, 84, 87, 120 adipsa, 42 agalma, 96 agathoeidês, 339 ageustos, 84, 89 agos, XII, 84 n.60, 220 ainesis, 106 airomai (tous bous), 132 aisios, 133 aitiaomai, 137 aitios, 137 aix, 296 sq. akonaô, 137 alima, 42 alphita, 34 amoibê (thusias), VI amphiphôn, 43 anagôgê, 334 n.26 anaireô, 105 anakaleô, 223 anamnêsis, 311sq. anapherô, 315 anathêma, IX, 94, 101-3, 116, 315 anathêmatizô, 102 sq. anathuô, 16 anatithêmi, 16, 96 sq. andragathia, 380 anechomai, 126 anetos, 81, 86 n.71, 88, 96 sq. anieroô, 314 Anthesthêria, XIV, 297 sq., 300-5 anthrôpoktonia, 325 n.40 antilutra, 90 aparchê, 42, 122, aparchomai, 33, 121, 314 apargmata, 207 aphanizô, IX, 102 aphetos, 81, 88, 132, 133 aphiêmi, 79 sq., 88, 94 apobam(m)a, 205 n.51 apochê (tôn empsuchôn), 136 apokteinô, 105 n.15, 137 apollumi, 104 apolutrôsis, 90 apoluô, 109 apomagdalia, cf. magdalia

apomassô, 204 n.49 aponemô, 42 aponimma, 205 aponiptron, 205 n.51 apopempô, apopompê, 81, 198 apophora, 93 n.130 apothuô, 318 n.5, cf. thuô apotinnumi, 90 apotropos (daimôn), 36 apsucha, 92 apura, 223 n.33 Archôn Basileus, 279 areskô, arestêr, 38 Aristobouliastai , 202 arômata, 44 argmata, 46 artos, 39 asebeô, 137 askos, 128 asumphoros, 133 athanatos, 33 automaton, 134 barathron, 78 n.16 bebêlos, 181 n.15 biaiothanatos, 202 bômos, 22, 33, 51, 89, 120, 130, 132 n.82, 278 n.22, 314 sq. bothros, 88, 199 n.15, 223 boukopos, 125 n.35, cf. boutupos Boulimos, 81 Bouphonia, 35, 116, 134-7, cf. Di(i)polieia bouphonos, 135, cf. boutupos bous, 43, 79 n.22, 125 n.35, 132 n.80, 133135, 248, 278 n.276 bous hebdomos, 43 boutupos, 124-126, 129, 135 buthizô, 79 chalaza, 130 charistêrion/os, 81 n.31, 106-8, 131 n.70, 318 cheir, 23, 244 (cf. eis) cheô, 202, 204, 210 chernibeion, 209 n.78 chernips, 22, 34, 122, 199 n.15, 206, 208 sq. chernips hodios, 208 cheumata, 206 n.63

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Index des termes grecs chimaros, 296, 298 choai, 81, 92 n.125, 203, 205, 207 Choes, 301 chraomai, 181, 205 chutos, 209 n.78 Chutroi, 302 daimôn, 36, 351 n.81 dais, 36, 221, 223 daktulion, 168 dedemenos, 134 dedittomai, 132 deipnêtêrion, XIII deipnon, 39, 41, 242 de(i)rô, 93 n.134 dêmothoineô, 41 derma, 39 desmoi, 131, 133 sq., 141 diabatêria, 88 n.91, 91 sq., 95, 208 diakonia, 322 dianoia, 335 Diasia, 36 diathesis, 319 didômi, 23, 337 n.43 Dinê, 91 Dionysia, 22, 300 sq. diorussô (hali), 210 Di(i)polieia, 116, 134 sq., cf. Bouphonia doma, 289 dora, 187 dôreomai, 17, 311, 313 dôron/a, VII, 17, 310-4 egkata piona, 31 eidôla, 108, 325, 345 n.14 e(i)s (– ton potamon; – cheiras/gounata; – to eisô), 20, 23, 79, 88 sq., 244, 337 n.43 eisakontizô, 88 eisitêrios (thusia), 318 n.10 ekcheô, 203 ekmassô, cf. apomassô ekpherô, 202 ektheoô, 340 elaion, 35 (e)latêrion, 205 n.51 emballô, 33 (en puri ballô), 79, 81 n.31, 88, 90, 94 embatêria, 95 emporikê technê, 30 empsuchos, 35, 87, 93, 136 empura, 223

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enagês, 205 enagisma, 197, 220, 203, 205 enagismos, XII, 205, 217, 219 sq., 222 enagizô, XI, 89, 220, 223, 314 enarchomai, 121 enata, 203 entemnô, 92 n.124, 223, 314 entoma, 92 eparchomai, 121 epargmata, 43 n.61 epeuchomai, 33, 224 epichôrios, 35, 37, 94, cf. pemmata epidosis (hautou), 336, 338 n.49 epikoptô, 125 n.35 epinikia/os, 112, 278 n.22, 318 n.11 epipherô, 314 sq. epiploon, 245 epipolazô, 78 n.13 epirrhainô, 34, cf. perirrhainô epithuô, 34 êreugomai, 133 eriphos, 294 sq. eruô, 132 n.82 esballô, 94 eschara, 33, 122 n.21 esakontizô, 88 eucharistêrion, 131 n.70 euchê, 106, 131 n.70, 278 euchomai, 17, 397 eukarpia, 130 euphêmia, 120 euôchia, 278 n.22 exargmata, 207 exilasmos, exilaskomai, 109 exorismos, 90 gamos, 301, 318 n.7 ganumai, 133 gastêr, 37, 241 gera, 51 geraiai, 301 sq. glôssa, 39 gnôsis, 335 gounata, 244, cf. eis hagi(a)zô, hagiôs 314 hagneia, 333 hagnizô, 199, 209 hagnos, 37, hals, 210 hamartêma, 311

Index des termes grecs hamartia, 109, 311, cf. thusia peri hamartias, to (peri) tês hamartias, 115, 311 h(e)auton (didonai), hautou (epidosis), aph'heautês, 134, 337 n.43, 338 n.49, 319 hekatê, 191 hekatombê, 89 n.101 helkomai, 133 hellênikon (nomisma), 19 hêmikraira, 243 heortê, 36, 134 n.92 hermêtês, 39 Heraia, 256 n.3 Hêroxenia, XII, 40 hestiatorion, XIII hiera, 22, 134, 135, 358, hiera kala, n. 10, 30, 41, 124, 138, 141, 225, 232, 392 hiereion (hirêion), 36, 80, 131 n.74, 132, 223, 314 hiereuô, 31, 77 n.1, 89, 96, 126 n.45 hiereus, 19 n.13 hierômata, 103, 108 hieron, 187 hieroô, 314 hieros, 39, 133, 314 hierai agelai, 133 hiera moira, 39 hiera zôia, 134 hierourgikos, 127 n.50 hiketês, 396 himation, 128 Hippokathesia, 79 n.17, 81, 84, 88 hippos, 77 n.1, 91 n.114 hirêion, 86, cf. hiereion holokarpia, 314 holokarpôma, 311, 313 holokarpoô, 314 holokarpôsis, 311, 313 holokauteô/holokautoô, 313 sq. holokautismos, 314 holokautôma, 107 n.22, 108, 311-4 holokautos, 217, 311-3 holokautôsis, 311, 313 holoklêros, 314 holos, 293 homoioi, 110, 111 homoiôma, 335, 338 homoiôsis, 339

homoiotês, 340 horkia, 90, 92 hosion, hosiotês, 17 sq. hudrophoros, 137 hulê, 78 n.11 hus, 248 idios, 319 Iobaccheia, 302 kainô, 123 n.23 kalos, 32, 294 kaleô, 223 kalliereô, 133 kallusmata, 203-4, 207 kanoun, 22, 34, 118- 22, 125, 127, 141, 221, 223 kana enarchesthai, 121 kardia, 335 karpôma, 311-4 karpoô, 313sq. karpôsis, 311, 313 sq. karpôton, 314 kataballô, 79 katagô, 79 sq. katakaiô, 93 n.132, 224 katakrêmnismos, 80 katakrêmnizô, 80 katamanthanô, 317 katapempô, 81 katapontismos, 77, 83, 87, 89 sq., 95 katapontizô/-oô, 79, 87 n.79 sq., katarchomai, 121 kataspeisis/spendô, 81 n.30 katastrônnumi, 311 sq. katathuô, 86 n.71, 278 n.22, 285 katephagon, 36 kathagizô, 35, 42, 84, 90 n.110, 314 katharmos, 205 n.51, 206 n.63 katharos, 40 katharsios, 16, 209 katharsis, 334 n.26 kathetos, 79-81, 88, 96 sq. kathiemenos, 79 kathiêmi, 77, 79, 81, 82 n.49, 85 n.68, 87-91 kathieroô, 314 kathosioô, 314 kauô, kauston, 313 sq. keimenos, 35 keras, 132 n.80 kerdos, 293

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Index des termes grecs kêria, 38 klinê, 8, 53, 263, 265 knisa, knisê, 23 sq., 37, 245 sq. – diptucha, 245 koinôneô, 22 koinônia, VII, 22 kôlon, 246 kolê, 244, 246 kosmeô, 40 krateô, 132 kr(e)a, 36, 39 sq., 181 n.15, 187, 242 sq., 247 n.36 kreagra, 122 krêmnos, 85 krithai, 43 n.61, 209 kruptô, 83, 122 kuklos (en kuklôi), 120 kulix, 203 kunas, 204 laimotomeô, 88 laitma, 199 larnax, 86 n.75, 87, 96 lebês, 243 lekanis, 125 libanôton, 32, 43 logikê (thusia), 348 logion, 309 logos, 338 loibai, 206 loutra, 206sq. loutrion , 205 n.51 loutrodaiktos, 206 lumata, 200 lutêria (tou phonou), 207 lutron, 84, 90 n.105 machaira, IX, 19, 118-22, 124-8, 130, 133, 141, 243 machairion, 122 n.21 machairothêkê, 125 n.49 magdalia/is, 204 mageiros, mageirikôs, 35, 120, 126, 132 magides, 197, 204 mantis, 18 maschalismata, maschalismos, 207, 243 maschalizô, 207 mathêmata, 338 maza, 43 megara, Megaron , 93 sq. meiligmata (thumou), 204

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melittouta, 38 mêria, XII, 33, 241, 243-9 mêrô, 244 metaitios, 137 mnêmosunon, 311 sq. moira, 39, cf. hieros mômoskopeô, 379 mukaomai, 133 muoumenos, 326 nekuomantêion, 224 nemesis, 202 nemô, 36 nêphalios, 37 n.25 noêmata, 331 sq. noeros, 333 nomisma, nomizein, nomos, 19, 23, 35 oinos, 35, 43 n.61 ois, 37 n.25, 52, 248 olai, oulai, 34, 119, 122, 209 ollumi, IX, 102sq. ololugê, ololugmos, 19 ômos, 243 n.13 ômotheteô, 243 onthuô, voir anathuô, 16 optaô, 2, 35, 37 orugma, 224 osmê euôdias, 311 osphus, 246 ospria, 38 n.32 ostea leuka, 31, 242, 246 sq. oulochutai, 34, 209 oxuthumia, 197, 198 n.6, 203 pais, 128, 326 Pamboiôtia, 126 paratithêmi, 24, 33 n.10, 39, 42, cf. tithêmi pardalis, 187 n.30 pas, 311 patassô, 135, 137 pelanos, 35sq., cf. pelanon thuein pelekus, 122 n.21, 124 n.29, 125 pemmata, 35, 36 n.23, 94 peplos, 201 peribolos, 187, 376 peripsêma, 79 n.29, 90, 200 n.16 perirrhainô, 22 periskulakismos, 197 pharmakos, 77, 200 n.16 phasganon, 120 phialê, 244

Index des termes grecs phonos, 135, 207 phthois, 39 phthora, 218 pimelê, 245 pistis, 338 n.48 pithoi, 279 Pithoigia, 301 plasmata, 40 plêmmeleia (peri [tês] plêmmeleias, to tês plêmmeleias), 311 Ploiaphesia, 81 pompê, 130 pontos, 80, 81 n.31 popanon, 32, 35, 42 popana prothuesthai, 36 potamos, 20, 88 sq. proballô, 202 probaton, 119, 132 prochutai, 209 progonikos, 188 prokeimena, 311 prospermeia, 209 prosphazomai, 88 n.92 prospherô, prosphora, 314 sq. prothuma, 48, 208 n.70 prothuô, 36, 49, 208 psaista, 35 pur, 33, 119, 314 puros, 43 n.61 puxis, 128 rhakoi, 194 rhimmata, 80, 97 rhipê, 80, 86 rhipsokindunos, 82 rhiptô, 78 n.10 & 16, 80 sq., 86, 88 n.93 sanis, 358 sarx, 31 schoinion, 134 selênê, 43 sêma, sêmeion 206, 399 sêmainô, 168 semneion, 376 semnos, 376 sitophagos, 34 skelos, 39 skênê, XIII smurna, 43 sophiês (maiêtores), 330 sôtêria, sôtêrion, 90, 311, 318 n.12

spendô, 79 n.31, 91 n.115, cf. spondê sperma, 314 sphageion, 89, 124 sq. sphagia, 20, 21, 26, 87-9, 91-3, 95 sq., 117 n.8 sphagiazô, 20, 88, 314 sphagion, 78 n.13, 79 n.21 sphagis, 117 sphattô, sphazô, 21, 26, 84 n.58, 87-9, 124 n.29, 137, 221, 223, 206, 311 sq. sphragis, X splagchna, 23-5, 33, 35, 37, 93, 126, 221, 241sq., 244, 247, 249 splagchnôn metousia, 24 splagchnoisi para-/suggignomai, 24 spondê, 81, 87, 92, 221 stear, 245 stemma, 119, 122 stibas, cf. lat. stibadium, XIII, 255 strômnê, strônnumi (klinan), XII sugcheirourgeô, 22 sumbolon, 96 summeixis, 301 sumpoieô, 22 sunepitithêmi, 22, cf. tithêmi sunergos, 137 sunololuzô, 20, cf. ololugê sunthuô, 22, cf. thuô susplagchneuô, 36, cf. splagchna summeixis, 279 tauros, 77 n.1, 89 n.104, 133, 259 teichos/toichos, 376, 378 tele(i)on, 40, 89 teleiôsis, 334 n.26 teleô, 318 telos, 334, 337, 339 temenos, 89, 103, 192 sq., 373 temnô, 90 thalassa, 79 n.22, 88, 90, 199 thalassoô, 199 thaumasia, thaumaston, thaumata, 134 theêlatos (bous), 134 theinô, 135 thêkê, 33, cf. tithêmi themis, 223 Theodaisia, 40 Theoinia, 302 theomoiria, 39, 243 theôreô, 340

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Index des termes grecs theos, 33, 41, 223 hôs theôi, 206 theou gnôsis kai homoiôma, 314 theosophia, 333, 335 n.34 theoxenia, XII, 40-42, 218 therapeia, therapeuô, 340, 353 thêria, 134 n.90 thiasos, 235 tholos, 41 thôrakion, 376 thulêmata, 34 sq. thuma, 36, 49, 55, 58, 84, 90 n.105, 188, 311 thumata epichôria, 36 thumiama, 311, 380 thumiatêrion, 262, 380 thuô, VIII, XI, 16, 17, 23, 35, 36 n.23, 39 sq., 56, 58, 85 n.68, 92, 104 n.11, 106, 108, 217, 220, 223, 311-4, 345 n.14, 351 n.81, 360, 397 charistêria –, 318 n.5 empsuchon –, 35 epinikia –, 318 n.11 gamous –, 318 n.7 katharsion –, 16 pelanon/pemmata/thusta –, 36 prothumata –, 36 sôtêria –, 318 n.12 thusia, VIII, XI sq., 16 n.2, 22, 31-4, 38, 41, 77-81, 84, 89 sq., 96, 104 n.10, 108 n.28, 136, 181, 217-222, 241, 246, 278 n.22, 310-4, 353, 358 ageustos, 16, 20, 89, 95

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eisitêrios, 318 n.10 epinikios, 278 n.22 logikê, 348 noera, XV, 333 peri hamartias, 108 n.28, 311 tou sôtêriou, 311 thusiasma, 311 thusiastêrion, 106 n.18, 315, 380 thusiazô, 311 thusta, 39, cf. thuô thustas (boê), 19, cf. ololugê timaô, 223 tithêmi, VIII, 33, 35 sq., 39, 120, tomia, 90-2, 198, 199 n.2, 200 n.17, 314 tragos, 296, 298 trapeza, VIII, 8, 24, 35 sq., 39 sq., 225 trapezômata, 33, 39, 243 sq. trephô, 188 triakades, 203 triêkostia, 203 triglê, 197 triklinion, XIII, cf. lat. triclinium triodoi, 197sq., 200 n.30, 201 sq. trita, 203 tropheus, 322 tuchon, 132 tuptô, 135 unthuô, voir anathuô, 16 xenia, 31, 41 xoana, 41 xula, 202 n.30 zôion, zôios, 77 n.1, 89 n.104, 134

Index des termes latins adolere, 85 adventus, 347 n.33, 349 n.61 aedes, 279, 346, 353 n.99, 394 aedicula, 231, 263 aequae (partes), 390 altaria (ad –), 277, cf. cultrum ara, 279 n.25, 280 n.29, 344, 360, 394, cf. Ara Maxima bos, 277 n.15, 403 caedere, caedes, 343, 362, 390, 393, 401 carmen, 229, 387-402 cancellus, 371-4 carnifex, 276 caro, 388-392, 394 castus, castitas, 336, 357 cena, 231-4, 279, 281 cenare, 234 n.43, 280 n.29 cognitio (dei), cognoscere, 338, 351 n.78 colere, 254 n.4, 355, 361 sq., 403 collegium, 259 comprehendere, 336 sq., 338 n.48 congiarium, 279 n.27 conicere, 85 n.64 consulere/consultare, -tatio, -tor, 230, 351 n.77 sq., 357 n.133, 358, 363 contagiosus, 333 conuiualis, conuiuium, 229, 234 sq., 262, 279, 394, 403 coquere, 390 sq. crustlum, 280 n.29, 282 cultrum (ad –), 277, cf. altaria daemon, 361, 393 sq., 403 daps, dapes, 231-3, 388 sq. dare, dator, 17, 166, 318, 391 sq. dedicatio, 280 n.29, 403 delubra, 360, 362 deuotio, 81, 338 n.49 disciplina etrusca, 350, cf. haruspex distribuere, 279 n.27 diuidere, 389-392, 396 diuinare, 361 domus, domesticus, 260, 281 n.32, 351, 360 donator, 403 sq., cf. dare egenus, egere, 388, 395, cf. pauper epulae, 234 n.41, 262 n.66 epulari, 231, 235, 280 n.29, 281, cf. ius epulo, 234 n.41 epulum, 279 sq. n.27 & 28, 388 sq., 391-5, 403 Epulum Iouis, 234, 283 error, 356, 403

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Index des termes latins exercere, exercitium, 330, 336, 341, 347 exta, 93 n.134, 275, 277, 282 sq., 349, 351, 357 sq., 363, 390, 393 sq., 402 fanum, 357 n.133, 403 sq. festus, 232 sq., 262 n.66 frustum, 391 fulgura (hospitalia), 230 futura(e) (res), 351 genius, 231, 282, 343, 363 haeres, haereticus, 364 haruspex, 351 n.74 & 77, 362 hospitalis, 230 hospitium, 391 hostia, 279, 280 n.29, 283, 362, 405 hostiae maiores/minores, 279 n.26 idola, idolatria, 359, 404 iecur, 351 n.76, 357 ignis, 343, 363 illicitus, 351 n.79, cf. licentia imitari, 336 sq., 338 n.49, 339 n.55, 393 imitatio (dei), 336-8 immergere, 80 n.24 immolatio, immolare, immolatitia, VI, 85, 279 sq. n.25 & 29, 281, 363, 404 sq. impensa, 356 n.122 incerta, 337 inops, 388, 390-2, 395 sq. inquisitio, 336-8 insania, 354, 360 inspectio, 351 n.76, 357 interdictus, 351 n.79, cf. uetare intestina, intima, 275, 390, cf. uitalia, exta inuitare (deum), inuitator, XII, 228, 230 sq., 234, 236 inuocare, 339 n.55 iugulare, 389 sq. ius publice epulandi, 235 lanius, 276 Lar, 231, 233 n.34 sq., 343 lardum, 231 sq. largitor, 390, 392 lectisternium, lectum sternere, XII, 41, 234 lex, 354, 358-364, 403 lex arae, 231 lex sacra, 23 lex sumptuaria, 229 libare, libamen, 231-3, 393 licentia, 351 n.75, 361 lucus, 260 n.51 Ludi Apollinares, 277 Romani, 349 n.61 Decennalia, 349 n.61

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Index des termes latins Septimonti, 278, 280 lumina, 343, 363 lux, 249, 330 luxuria, 265 n.93 mactare, 361, 389, 395 magia, magicae artes, 355, 359 maiestas, 345, 351, 363 maleficium, 324, 336 merum, 343, 363 miraculum, 388 sq., 395, 398 sq., 400 missilia, 97 n.156, cf. gr. rhimmata mulsum, 280 n.29, 282 munus, 279 n.27, 389, 395, 400 mutationes, 229, 235 natalis, natalicia, 231, 262 n.66, 280 n.29, 281-3, 388, 403 sq. Nauigium Isidis, 346 nefarius, 359 nocturnus, nox, 231 sq., 357 n.133, 361 sq. obseruantia, 331 obsonium, 279 n.27, 280 occidere, 403 sq. occultus, 351 n.79 October equus, 79 odor, 363 operare, 336, 338 pactum, 396, 400 paganus, 323, 324 panaria, 279 n.27, 280 partes, 389-391, 396 particeps, 273 pascere, 391, 395 pauper, paupertas, 233 n.34, 388, 391, 395 sq., 400 sq., cf. egere, inops penates, 343, 363 polliceri, 351 n.79 pollucere, 274 polluere, 342 porcus, 390 portendere, 351 n.74 præfatio, 281 sq. praesagium, 351 n.78 praesentes (res), 351 prandium, 389 preces, 234 n.37, 336, 357, 359 priuatus, 360, cf. publicus profanare, 274, 362 profanus, 405 prohibere, 360, 362 promissio, promittere, 351 n.78, 388 publice/publicus, 229, 235, 279, 353, 360, 364 puluinar, 283

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Index des termes latins quaerere, 351, cf. requirere religio, 360, 363 sq. religio mentis, 331 n.11 requirere, 337, 338 n.47, 351 n.74 ritus, 80 n.24, 350 n.64, 364, 405 ritus Graecus, 277, 347 rus, rusticus, rusticitas, 231, 258 n.32, 396-8, 401 sacellum, 257, 261 n.54, 264, 267 sacer, 236, 260 n.51 sacerdos, sacerdotium, 229, 356 n.122, 393 sacra, 80 n.24, 103, 109 sq., 185 n.26, 389, 394, 403 sacrarium, 255 n.11 sacrificium, sacrificare, 235, 346 sq., 355, 357 n.133, 360-3, 403 sq. sacrilegus, 357 n.133 salus (principum, aliena, humana), 351, 363, 394 sancta, sanctus, sanctimoniales, 109, 184-6, 190, 192-4, 378 n.29, 398, 405 schola, 255 securis, 401, 404 sedile, sella, 234, 392 sertum, 343, 363 signum, 388, 399 sq. simulacrum, 355, 363 sq. sollemne sollemnitas, 343, 350, 360, 388, 395, 403 spectaculum, 279 n.27 sportella, 279 n.27, 280 stibadium, XIII, 255-8 stipendium, 398 superstitio, superstitiosus, XV, 344 sq., 350, 352-6, 360 sq., 363 sq. supplex, 396 supplicari, 262 tabulae, 378 taurus, 279 n.25 templum, 265, 267, 343, 349, 356, 403 t(h)us, 343, 349, 363 sq. t(h)ure et uino, 231, 280 n.29, 282, 353 triclinium, 228, 255, 257, 265 n.93, 267 uesci, 231, 265 n.93, 279 n.27, 280 n.29, 281 uetare, 351, 357 n.133, 362 uictima, 362 sq., 389, 397, 401, 404 uinculum, 400 sq. uinum, cf. t(h)us uirtus, 336, 339 uiscera, 391 uisceratio, 273 sq., 284 uitalia, 390, 395 uitulus, 280 n.29 uotum, uotiuus, 232, 234 n.37, 387-390, 392, 394-8, 402, 404

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TABLE DES ILLUSTRATIONS P. 76, fig. 1. – La procession du taureau blanc et l’offrande de la gerbe de blé. Ramesseum (Ramsès II). Deuxième cour du temple, massif nord du second pylône, paroi est. D’après M. Maher-Taha et A.-M. Loyrette, Le Ramesseum XI, CEDAE CS 36, Le Caire, 1979, pl. V. P. 142, fig. 1. – Dinos attique, du peintre de Lydos, à figures noires (fragments; 560540 av. n.è.), Athènes, Musée National de l’Acropole 607. P. 142, fig. 2. – Skyphos attique à figures noires (fragments), Athènes, Agora A-P 2197 (American School of Classical Studies at Athens). P. 143, fig. 3. – Hydrie à figures noires de Caere (520-510 av. n.è.), Musée National de Copenhague 13567. P. 143, fig. 4. – Lekanis béotienne à figures noires (c. 550 av. n.è.), Londres, British Museum B 80. P. 144, fig. 5. – Œnochoè campanienne à figures rouges (350-330 av. n.è.), Collection privée, Sant’Agata dei Goti (détail). P 144-145, fig. 6. – Relief votif d’Achinos (c. 300 av. n.è.), Éphorie archéologique de Lamia 1041. P. 146, fig. 7. – Stèle votive dédiée à Zeus Olbios par son prêtre Euodiôn (Ier s. av. n.è.?), Musée d’Istanbul. P. 146, fig. 8. – Stèle votive à Zeus (IIe-Ier s. av. n.è.), Musée de Bursa (Schwertheim 1983: n° 20). P. 147, fig. 9. – Autel de Cyzique (IIe ou IIIe s. de n.è.), Musée d’Istanbul. P. 147, fig. 10. – Coupe attique à figures rouges (c. 500 av. n.è.), Musée archéologique de Florence 81600. P. 159-160, fig. 1. – Choix des bêtes et morceaux de choix. Abydos, temple de Ramsès, cour A. D’après A. Mariette-Pacha, Abydos. Description des fouilles exécutées sur l’emplacement de cette ville, t. II, Paris, 1880, pl. VII. P. 161, fig. 2. – Sacrifice de l’antilope. D’après A. Gayet, Le temple de Louxor, Mémoires de la Mission Archéologique du Caire 15, Paris, 1894, pl. 68. P. 161, fig. 3. – Harponnage du serpent Apophis. D’après S. Aufrère, Le propylône d’Amon-Rê-Montou à Karnak Nord, MIFAO 117, p. 175, pl. XXVII (nord, extérieur, montant est, 4e tableau). P. 162, fig. 4. – La grande offrande. E. Chassinat, Edfou V, MMAF, p. 125, pl. 136. P. 175, fig. 1. – Le roi consacre devant Khonsou hiéracocéphale trois mammifères ligotés et décapités. D’après P. Clère, La Porte d’Évergète à Karnak, MIFAO 84, Le Caire, 1961, pl. 46 (intérieur ouest – montant sud – 4e registre). P. 176, fig. 2. – Le roi présente à Khonsou hiéracocéphale un autel-à-feu portatif garni de viandes mises à rôtir. D’après P. Clère, La Porte d’Évergète à Karnak, MIFAO 84, Le Caire, 1961, pl. 66 (intérieur est – montant sud – 4e registre). P. 251, fig. 1. – Tétradrachme d’Hadrien, daté de 118. Cabinet des Médailles, FG 413. P. 271, fig. 1. – Sanctuaire de Liber Pater, environs de Pompéi. Essai de reconstitu-

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Table des illustrations tion de l’ensemble. D’après O. Eliat† & G. Pugliese-Caratelli, “Il Santuario Dionisiaco di Pompei”, La Parola del Passato 34, 1979, p. 446, fig. 2. P. 271, fig. 2. – Sanctuaire de Sabazios («Bâtiments des rites magiques»), Pompéi. D’après F. Jahshemski, The Gardens of Pompeii Herculaneum and the Villas Destroyed by Vesuvius, II, 1993, New Rochelle-New York, p. 76, fig. 24. P. 272, fig. 3. – Maison d’Octavius Quartio, Pompéi. Essai de reconstitution de l’ensemble. D’après Der Neue Pauly. Enzyklopädie der Antike, H. Cancik & H. Schneider ed., vol. 3, Stuttgart-Weimar, 1997, p. 949-950, © Metzler. P. 272, fig. 4. – Maison d’Octavius Quartio, Pompéi. Reconstitution. D’après F. Jung, «Gebaute Bilder», Antike Kunst 27, 1984, p. 71-122, fig. 39. P. 386, fig. 1. – Inscription chrétienne primitive identifiant un chancel des vierges. Afrique du Nord. MA3015, Musée du Louvre, Département des Antiquités grecques, étrusques et romaines.

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TABLE DES MATIÈRES Stella GEORGOUDI, Renée KOCH PIETTRE, Francis SCHMIDT Présentation ..................................................................................................... V

Première section Questions de définitions .......................................................................................... 1 I. Tuer, offrir, manger? Alfred MARX Tuer, donner, manger dans le culte sacrificiel de l’Ancien Israël ........................................................ 3 Folkert VAN STRATEN Ancient Greek animal sacrifice: gift, ritual slaughter, communion, food supply, or what? Some thoughts on simple explanations of a complex ritual ........................... 15 II. Sacrifice animal, offrande végétale? Louise BRUIT-ZAIDMAN Offrandes et nourritures: repas des dieux et repas des hommes en Grèce ancienne ............................... 31 Catherine GRAINDORGE Le taureau blanc du dieu Min et l'offrande de la gerbe de blé ....................... 47 III. Aux limites du sacrifice? Renée KOCH PIETTRE Précipitations sacrificielles en Grèce ancienne ............................................... 77 Christophe BATSCH Le Ìêrem de guerre dans le judaïsme du deuxième Temple ......................... 101

Deuxième section Violence, sacralisation, élimination .................................................................. 113 I. Autour de la victime Stella GEORGOUDI L’“occultation de la violence” dans le sacrifice grec:

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Table des matières données anciennes, discours modernes ......................................................... 115 Catherine BOUANICH Mise à mort rituelle de l’animal, offrande carnée dans le temple égyptien ................................................................................. 149 Françoise LABRIQUE Le bras de Sekhmet ....................................................................................... 163 II. Sacralisation, élimination. Francis SCHMIDT L’espace sacrificiel dans le judaïsme du second Temple .............................................................. 177 Athanassia ZOGRAFOU Élimination rituelle et sacrifice en Grèce ancienne ...................................... 197

Troisième section Entre hommes et dieux: partage et commensalité .......................................... 215 I. Des convives séparés? Jesper SVENBRO La thusia et le partage. Remarques sur la “destruction” par le feu dans le sacrifice grec ................. 217 Jörg RÜPKE Gäste der Götter - Götter als Gäste: zur Konstruktion des römischen Opferbanketts ............................................ 227 II. Découpe et distribution Guy BERTHIAUME L’aile ou les mêria. Sur la nourriture carnée des dieux grecs ....................................................... 241 Ulrike EGELHAAF-GAISER Sakrallandschaften und Tafelluxus: Adaptation und Naturinszenierung in Banketträumen Pompejanischer Kultgemeinschaften .............................. 253 John SCHEID Manger avec les dieux. Partage sacrificiel et commensalité dans la Rome antique ............................ 273

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Table des matières Quatrième section Réinterprétations des sacrifices ........................................................................ 289 I. Contacts Mareile HAASE Etruskische Tieropferdarstellungen: Bild und Handlung ............................. 291 Gilles DORIVAL L’originalité de la Bible grecque des Septante en matière de sacrifice ........ 309 II. Rhétorique et philosophie Laurent PERNOT Le sacrifice dans la littérature grecque de l’époque impériale ..................... 317 Stéphane TOULOUSE La théosophie de Porphyre et sa conception du sacrifice intérieur .................. 329 III. Mutations Nicole BELAYCHE Realia versus leges? les sacrifices de la religion d’État au IVe siècle .......... 343 Joan R. BRANHAM Women as Objects of Sacrifice? An Early Christian «Chancel of the Virgins» .............................................. 371 Cristiano GROTTANELLI Tuer des animaux pour la fête de Saint Félix ............................................... 387 Les auteurs ........................................................................................................... 409 Les index .............................................................................................................. 413 Table des illustrations .......................................................................................... 451

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BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES, SCIENCES RELIGIEUSES Déjà publié: vol. 105 J. Bronkhorst Langage et réalité: sur un épisode de la pensée indienne. 133 p., 155 x 240 mm, 1999, PB, ISBN 2-503-50865-0 vol. 106 Ph. Gignoux (dir.) Ressembler au monde. Nouveaux documents sur la théorie du macro-microcosme dans l’Antiquité orientale. 194 p., 155 x 240 mm, 1999, PB, ISBN 2-503-50898-7 vol. 107 J.-L. Achard L’Essence Perlée du Secret. Recherches philologiques et historiques sur l’origine de la Grande Perfection dans la tradition ‘rNying ma pa’. 333 p., 155 x 240 mm, 1999, PB, ISBN 2-503-50964-9 vol. 108 J. Scheid, V. Huet (dir.) Autour de la colonne Aurélienne. Geste et image sur la colonne de Marc Aurèle à Rome. 446 p., 176 fig., 155 x 240 mm, 2000, PB, ISBN 2-503-50965-7 vol. 109 D. Aigle (dir.) Miracle et Kara¯ma. Hagiographies médiévales comparées. 690 p., 11 fig., 155 x 240 mm, 2000, PB, ISBN 2-503-50899-5 vol. 110 M.A. Amir-Moezzi, J. Scheid (dir.) L’Orient dans l’histoire religieuse de l’Europe. L’invention des origines, Préface de Jacques Le Brun. 246 p., 155 x 240 mm, 2000, PB, ISBN 2-503-51102-3 vol. 111 D.-O. Hurel (dir.) Guide pour l’histoire des ordres et congrégations religieuses (France, XVIe-XXe siècles). 467 p., 155 x 240 mm, 2001, PB, ISBN 2-503-51193-7 457

vol. 112 D.-M. Dauzet Marie Odiot de la Paillonne, fondatrice des Norbertines de Bonlieu (Drôme, 1840-1905). xviii + 386 p., 155 x 240 mm, 2001, PB, ISBN 2-503-51194-5 vol. 113 S. Mimouni (dir.) Apocryphité. Histoire d’un concept transversal aux religions du Livre. 333 p., 2002, PB, ISBN 2-503-51349-2 vol. 114 F. Gautier La retraite et le sacerdoce chez Grégoire de Nazianze 457 p., 155 x 240 mm, 2002, PB, ISBN 2-503-51354-9 vol. 115 M. Milot Laïcité dans le Nouveau Monde. Le cas du Québec. 180 p., 155 x 240 mm, 2002, PB, ISBN 2-503-52205-X vol. 116 F. Randaxhe, V. Zuber (dir.) Laïcité-démocratie: des relations ambigües. 170 p., 155 x 240 mm, 2003, PB, ISBN 2-503-52176-2 vol. 117 N. Belayche, S. Mimouni (dir.) Les communautés religieuses dans le monde gréco-romain. Essais de définition. 351 p., 155 x 240 mm, 2003, PB, ISBN 2-503-52204-1 vol. 118 Sylvain Lévi La doctrine du sacrifice dans Les Brahmanas 216 p., 155 x 240 mm, 2003, PB, ISBN 2-503-51534-7 vol. 119 J.R. Armogathe & J.-P. Willaime (éd.) Les mutations contemporaines du religieux xxx + 128 p., 155 x 240 mm, 2003, PB, ISBN 2-503-51428-6 vol. 120 F. Randaxhe, L’être Amish, entre tradition et modernité 256 p., 155 x 240 mm, 2004, PB, ISBN 2-503-51588-6 458

vol. 121 S. Fath (dir.) Le protestantisme évangélique: un christianisme de conversion XII + 380 p., 155 x 240 mm, 2004, PB, ISBN 2-503-51587-8 vol. 122 A. Le Boulluec (dir.) À la recherche des villes saintes viii + 178 p., 155 x 240 mm, 2004, PB, ISBN 2-503-51589-4 vol. 123 I. Guermeur Les cultes d’Amon hors de Thèbes. Recherches de géographie religieuse xii + 638 p., avec 22 planches, 155 x 240 mm, 2005, PB, ISBN 2-503-51427-8 vol. 124 S. Georgoudi, R. Koch Piettre, F. Schmidt (dir.) La cuisine et l’autel. Les sacrifices en questions dans les sociétés de la Méditerranée ancienne xviii + 460 p., 155 x 240 mm, 2005, PB, ISBN 2-503-51739-0 vol. 125 L. Châtellier, Ph. Martin (dir.) L’écriture du croyant vii + 215 p., 155 x 240 mm, 2005, PB, ISBN 2-503-51829-X vol. 126 (Série “Histoire et prosopographie de la Section” n° I) M. A. Amir-Moezzi, C. Jambet, P. Lory (dir.) Henry Corbin. Philosophies et sagesses des religions du Livre 248 p., 5 fig., 155 x 240 mm, 2005, PB, ISBN 2-503-51904-0 vol. 127 J.-M. Leniaud, I. Saint Martin (dir.) L’historiographie de l’histoire de l’art religieux en France à l’époque moderne et contemporaine. Bilan bibliographique (1975-2000) et perspectives 296 p., 115 x 240 mm, 2005, PB, ISBN 2-503-52019-7

En préparation: vol. 128 (Série “Histoire et prosopographie de la Section” N° 2) S. Mimouni, I. Ullern-Weité (dir.) Pierre Geoltrain ou Comment «faire l’histoire» des religions ?

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vol. 129 (Série “Histoire et prosopographie de la Section” N° 3) L. Bansat-Boudon, R. Lardinois (dir.) Sylvain Lévi (1836-1935). Études indiennes, histoire sociale

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