De la crise à la communisation

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Polecaj historie

De la crise à la communisation

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Genève

Paris

Gilles Dauvé De la crise à la communisation

entremonde

rupture

Cet ouvrage a été composé en Charter et en Akkurat. Il a été achevé d'imprimer en Bulgarie en mai 2017 sur les papiers Salzer et Pop'Set. ISBN 978-2-940426-36-2 ISSN 1662-3231 Couverture : Gravure sur bois, Franz W.Seiwert (1922) Entremonde, 2017.

Table des matières

Introduction — 9 Classe en crise—11 1960-1980 : « L'anti-travail» —11 1980-2000 : Un « nouveau » capitalisme ? — 1 6 Trouble dans la classe —18 Naissance d'une notion —24 Préliminaires — 2 4 Expériences — 2 5 1 1968 et après —25 2 La classe contre la bureaucratie — 2 6 3 Solution-problème (Portugal et Pologne) —27 4 L'héritage (était sans testament) —28 Le Bien commun et ses évidences —30 1

Communauté — 3 0

3 Égalité — 3 3 Maturation —34 1 2

Le concept —34 Le mot — 3 5

Se défaire du travail —39 Faux chantiers —39 Relire Marx : de Marx au marxisme — 4 0 ' 1 Marchandise et travail —40 2 Travailler dans un monde sans argent —41 3 4 5

Le plan —42 Quelle définition du travail? — 4 3 Mesurer par le temps (en relisant les Grundrisse) — 4 5

6

Communisme et temps de travail (le projet conseilliste) —47 7 La valeur s'abolit-elle elle-même ? —50 8 Marx marxiste —52 9 Marxisme — 5 5 Travail et valeur —57 1

Qui dit travail dit classes —57

2

Le travail réduit toute activité à une substance unique —58

3 4

Le salariat fait du travail une marchandise —59 Le travail est activité séparée —59

5 6

Le travail est productivité et comptabilité —60 Le travail est réduction de tout

à un minimum de temps —61 7 La société du travail-roi —64 Ni travail ni économie —66 1

Production n'est pas économie — 6 6

2

Le communisme comme activité —69

Crise de civilisation —74 « Civilisation » ? —74 1917-1945 : Une guerre civile européenne —76 Comment le capitalisme a mondialisé sa crise des années 1960-1970 —80 Quel néo-libéralisme? — 8 6 Salaires, prix et profits —87 L'impossibilité de tout réduire à du temps —91 Tout le pouvoir à l'actionnaire — 9 3 Déséquilibres bourgeois —95 Échec du «tout marchand » —97 Un système voué à s'étendre mais non généralisable —98 Le capitalisme ne s'auto-réforme pas —104 Blocage historique —106 Pas (encore?) de «destruction créatrice» —109 Un rapport social non reproductible? —114

L'insurrection créatrice —116 Une insurrection contre le travail et « anti-prolétarienne »? —117 Comment passer du travail à l'activité ? —119 Comment satisfaire les besoins élémentaires? —122 Un monde sans argent? —127 Les mots ou les voitures? —130 Trop tard pour sauver la planète ? —132 Changer la vie ? — 134 Cultivateur le matin, maçon l'après-midi et poète le soir?—139 Et le genre?—143 Et la violence?—148 Comment atteindre le point de rupture? —154 Quelle valeur attribuer à ces questions? —159 D'ici là—161

Introduction Confusion des sens

«Depuis plusieurs années, le thème de la communisation soulève des polémiques qui, très souvent, sont mal informées », écrivait Bruno Astarian en 20101. Ô combien ! Communisation est maintenant un mot à la mode, répandu bien audelà de ceux que Ton nomme « communisateurs », terme dont l'usage hélas fréquent suffit à donner la mesure des contresens sur le sujet : si le mot a un sens, les seuls communisateurs seront ceux qui communiseront effectivement le monde dans et par une révolution - non encore advenue, faut-il le préciser. Appeler communisateur celui qui aujourd'hui théorise la communisation, c'est la réduire à une théorie, faire comme si elle avait déjà commencé, donc effacer rien moins que l'exigence de révolution. Dans les années 1970, le gauchisme se réclamait d'un marxisme où capitalisme, classe ouvrière, prolétariat, lutte des classes, socialisme, communisme, parti, etc., fonctionnaient comme marqueurs idéologiques justifiant à peu près tout, du néosyndicalisme au culte de Mao. Quarante ans plus tard, ce cadre a éclaté, le parti est aux oubliettes, lutte des classes sonne vieillot, mais si communisme suscite encore la méfiance, communisation a quelque chose de rassurant quand la notion sert de lieu commun où chacun ajoute et recombine à sa guise classe, genre, race, pratiques alternatives, éventuellement art critique, etc., le débat portant sur le dosage des composantes du mélange. Sans espérer dissiper définitivement toutes les confusions, ce livre part de l'idée que le concept de communisation a été le produit d'une époque, et est aujourd'hui marqué par une autre. Né voici

1

B. Astarian, « Activité de crise et communisation » in : Hic Salta — Communisation, disponible en ligne.

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10

De la crise à la communisation

plusieurs décennies d'une crise spécifique, il se développe maintenant au milieu d'une autre grande crise qui pèse sur son évolution. On ne lira pas ici une histoire des idées. Ni une histoire impersonnelle. Il nous faudra revenir sur ce qu'ont vécu un certain nombre de personnes, leurs expériences autour de 1968 et dans Paprès-68, comment elles ont lu Marx, la Gauche communiste («germano-hollandaise » et « italienne ») ainsi que les situationnistes, et comment l'idée de communisation a émergé et évolué2.

2

Quoique ce livre porte le même titre que From Crisis to Communisation (PM Press, paru en 2017), et que le fond théorique soit le même, les deux ouvrages sont différents. D'une part, beaucoup de passages ont été refondus et réécrits. D'autre part, j'ai ajouté ici (chap. III, § 1) une indispensable critique de Marx, absente du livre de PM Press parce qu'elle figurait dans un précédent recueil chez le même éditeur, Eclipse and Re-Emergence of the Communist Movement (2015). Par ailleurs, From Crisis to Communisation contient diverses critiques : de groupes ayant théorisé la communisation (Appel, Théorie communiste, Endnotes), mais aussi, brièvement, du postmodernisme, des théoriciens «des communs» et de «la forme-valeur», et quelques autres. Afin de ne pas alourdir le présent volume, ces pages ont été retirées. La polémique viendra à son heure. En attendant, comme Nietzsche, «j'envoie un pot de confiture à mon adversaire pour le débarrasser de son aigreur. » (F. Nietzsche, Ecce Homo, Paris, GarnierFlammarion, 1999 (1888), § 5.)

Classe en crise

1960-1980 : « L'anti-travail »

Vers 1970, le fordisme paraît à son zénith, mais il commence à entrer en crise de rentabilité et intensifie le travail : alors, la résistance des OS croît et approche d'un seuil qualitativement différent1. Après 1969, en Italie, des ouvriers désorganisent, voire sabotent la production, mettant en péril le fonctionnement de l'usine et leur propre survie de salariés dans l'entreprise. À Mirafiori et d'autres usines de T\irin, le 3 juillet 1969, des affiches proclament : « Ce que nous voulons ? Tout. » Ces OS atteignaient le point où lutter pour des revendications commençait à perdre son sens, comparé à une possible remise en cause de l'imbrication capital-travail. L'offensive était à la croisée des chemins. Elle pouvait passer du négatif au positif, de l'insubordination locale destructrice à un refus global, actif, en sortant de l'usine, en occupant le quartier, en initiant des relations non-mercantiles, en détruisant le travail comme sphère séparée et en affrontant l'État, ce qui supposait d'élargir son champ d'action et de transformer l'émeute en insurrection. Ou bien elle pouvait mettre le conflit à profit afin d'obtenir le maximum du patron dans la négociation qui ne manquerait pas de s'ensuivre. C'est cette seconde voie qu'a prise la lutte dans les années 1970. La question de l'auto-suppression de la condition prolétarienne a été posée et laissée sans réponse : le mouvement a alors dépéri jusqu'à ce que la contradiction soit finalement résolue par la restructuration2.

1 2

Cf. X. Vigna, L'Insubordination ouvrière dans les années 68. Essai d'histoire politique des usines, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008. Cf. D. Giachetti, M. Scavino, La Fiat aux mains des ouvriers, L'Automne chaud de 1969 à Thrin, Paris, Les Nuits rouges, 2005 ; E. Mentasi, La