« De grace especial »: Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge 9791035102395, 9782859442095

Au Moyen Age, partout régnerait la violence, expression exacerbée de la brutalité des mœurs. Une étude quantitative stri

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« De grace especial »: Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge
 9791035102395, 9782859442095

Table of contents :
Avant-propos
Index des tableaux et graphiques
Avertissement
Abréviations
Sources
Bibliographie
Introduction
Première partie. Cerner le crime
Introduction
Chapitre 1. Typologie des sources accords, répression, discours...
I. — Minutes des accords du Parlement de Paris
II. — Arrêts, lettres et plaidoiries du Parlement de Paris
III. — Les registres du Châtelet
IV. — Documents relatifs aux justices seigneuriales et urbaines, officialités
V. — Chroniques, journaux, récits de crimes et d’exécutions
VI. — Traités théoriques, coutumiers, actes législatifs relatifs à l’exercice de la justice
Chapitre 2. La rémission source et méthode
LES LETTRES DE RÉMISSION
LA GRILLE DE DÉPOUILLEMENT
POIDS DES DONNÉES INCONNUES
TRAITEMENT INFORMATIQUE ET ANALYSE DES DONNÉES
Chapitre 3. Dire le crime
LES MOTS
DES MOTS DU CRIME AU FAIT CRIMINEL
CRIMINEL : UN ÉTAT
LA RENOMMÉE
Chapitre 4. Prouvez le crime
UN IDÉAL DE VÉRITÉ
DE L’AVEU À LA TORTURE
FUIR LOIN DU CRIME
LE JUGEMENT DE DIEU
MIRACLE ET VOIX DU SANG
Chapitre 5. La peur du crime
CRIME ET FAIT DIVERS
LES STÉRÉOTYPES DE LA GRANDE CRIMINALITÉ
L’OPINION SENSIBLE AU CRIME
PURIFIER LE ROYAUME
RÉFORME DU ROYAUME ET CRIMINALITÉ
Conclusion
Deuxième partie. Un monde ordinaire
Introduction
Chapitre 6. Ville et campagne
PARTOUT LES MÊMES CRIMES
AUX FRONTIÈRES DU ROYAUME
QUELLE CRIMINALITÉ URBAINE ?
PARIS, CAPITALE DU CRIME ?
PUBLIC ET PRIVÉ
NATURE SAUVAGE ET NATURE CULTIVÉE
Chapitre 7. Homme et femme
UNE CRIMINALITÉ INÉGALE
VIOLENCE AU MASCULIN
RÉPARTITION DES DÉLITS
FEMMES ET SOCIÉTÉ
FEMME-OBJET ?
LES FEMMES ET LA PAIX
Chapitre 8. Jeune et vieux
UNE IMPRÉCISION VOLONTAIRE
BIOLOGIE ET CLASSES D’ÂGE
« FAIRE JEUNESSES »
DE REDOUTABLES VIEILLARDS
JEUNES CONTRE VIEUX
Chapitre 9. Nanti et marginal
MARIÉS ET CÉLIBATAIRES
LES CLERCS OU LA JUSTE VISION DU FOLKLORE
QUELLE PAUVRETÉ ?
HARMONIE ET CLIVAGES SOCIAUX
NON-NOBLES CONTRE NOBLES
Chapitre 10. Normal et pathologique
SANTÉ ET MALADIE
DU DIABLE À LA SORCELLERIE
L’« ÉCHAUFFEMENT »
LES PROFESSIONNELS DU CRIME
Conclusion
Troisième partie. Un monde solidaire
Introduction
Chapitre 11. L’espace maîtrisé
DIRE LE TEMPS
ESPACE RÉEL, ESPACE OFFICIEL
ESPACE RÉEL, ESPACE VÉCU
ESPACE ET RITUEL
EN PAYS DE CONNAISSANCE
Chapitre 12. L’espace perturbé
LA MORT : UNE FATALITÉ
LES HOMMES DE GUERRE : DES CRIMINELS DIFFÉRENTS
DE L’ÉTRANGER À L’ENNEMI
LA FORCE DE LA PEUR
DU PAYS AU ROYAUME
DE DIFFICILES RÉVOLTES
Chapitre 13. Le couple
LE NÉCESSAIRE MARIAGE
UN ÂGE POUR SE MARIER
UNE MONOGAMIE DIFFICILE
MARIAGE ET SEXUALITÉ
SI L’AMOUR ÉTAIT CONTÉ
Chapitre 14. La parenté
QUERELLES ENTRE PARENTS
CELLULE LARGE, CELLULE ÉTROITE
SANG ET LIGNAGE
SANG ET ALLIANCE
AMOUR NATUREL ET AMIS CHARNELS
AMOUR PATERNEL, AMOUR FILIAL
Chapitre 15. Des solidarités limitées
PARRAINAGES
CONFRÈRES
VOISINS
AMIS ET COMPAGNONS
LE JEU DES PARTIS
SUJET ET PARENT
Conclusion
Quatrième partie. Un monde codifié
Introduction
Chapitre 16. L’honneur blessé
L’IMPOSSIBLE DIALOGUE
NÉCESSITÉ DU DÉMENTI
FORCE DE L’INJURE SEXUELLE
AUTRES AGRESSIONS VERBALES
DE L’HONNEUR À LA RENOMMÉE
L’HONNEUR ET LES AUTORITÉS
Chapitre 17. La vengeance
POURQUOI SE VENGER ?
QUI SE VENGE ?
VENGEANCE ET VENDETTA
VENGEANCE ET ASSEUREMENT
Chapitre 18. La hiérarchie des crimes
DU CRIME À LA RÉMISSION : RÉSULTATS D’UN GRAPHIQUE
MEURTRES ET HOMICIDES
LE CRIME ET LE SACRÉ : TUER DIEU ET SOI-MÊME
LE CRIME ET LE SACRÉ : VIOLER ET TROMPER
LE CRIME ET LE SACRÉ : L’ENFANT
LES CRIMES CONTRE LES BIENS
LES CRIMES POLITIQUES
Chapitre 19. Le sujet idéal
« MOURIR POUR LA PATRIE » OU SERVIR LE ROI ?
DU SERVICE ARMÉ AU SERVICE CIVIL
VIVRE EN PAIX
CROÎTRE ET MULTIPLIER
L’HONNEUR D’ÊTRE INNOCENT
ÊTRE « PRUD’HOMME »
Chapitre 20. Pardonner et punir
CONDAMNER POUR L’EXEMPLE
AUX ORIGINES DU DROIT DE GRÂCE
JUSTICE ET MISÉRICORDE
LIER ET DÉLIER
SAUVER LES ÂMES
Conclusion
Conclusion générale
Appendices
Index des noms de lieux
Index des noms de personnes
Index analytique

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« De grace especial » Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge

Claude Gauvard

DOI : 10.4000/books.psorbonne.35658 Éditeur : Éditions de la Sorbonne Année d'édition : 1991 Date de mise en ligne : 18 septembre 2019 Collection : Histoire ancienne et médiévale ISBN électronique : 9791035102395

http://books.openedition.org Édition imprimée ISBN : 9782859442095 Nombre de pages : [LXXXV]-1025 Référence électronique GAUVARD, Claude. « De grace especial » : Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Éditions de la Sorbonne, 1991 (généré le 20 septembre 2019). Disponible sur Internet : . ISBN : 9791035102395. DOI : 10.4000/ books.psorbonne.35658.

Ce document a été généré automatiquement le 20 septembre 2019. Il est issu d'une numérisation par reconnaissance optique de caractères. © Éditions de la Sorbonne, 1991 Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

1

Au Moyen Age, partout régnerait la violence, expression exacerbée de la brutalité des mœurs. Une étude quantitative strictement menée à partir des lettres de rémission émises par la Chancellerie royale, des archives du Parlement et du Châtelet donne une autre image du crime dans le royaume de France aux XIVe et XV e siècles. Certes la violence existe, et l'homicide constitue, en nombre, le premier des crimes capitaux. Mais il est loin d'être le plus grave. Non que la vie d'un homme soit sans valeur, mais que vaut-elle si la renommée est bafouée ? La société est en tout lieu régie par un code de l'honneur que partagent toutes les couches sociales. Pour saisir la portée de ces valeurs communes, il convenait de faire appel aux sciences humaines que sait utiliser l'historien, le tout servi par l'outil informatique. La population des coupables et des victimes ainsi que les solidarités qui se tissent autour du criminel sont analysées en des termes aussi exhaustifs que possible. Quant à l'étude des gestes et des mots qui servent à dire le crime, elle ouvre sur un autre registre : celui du politique. Or le roi de la fin du Moyen Age, en France, continue, malgré les théoriciens réformateurs et les praticiens d'une procédure devenue de plus en plus complexe, à résoudre les crimes capitaux par le droit de grâce que lui confère son pouvoir sacré plus que par la rigueur de sa justice. Le crime et la violence ont pu contribuer à construire la société et l'Etat en même temps qu'ils en menaçaient l'existence. Comment tous, hommes de pouvoir, rois et juges, mais aussi l'opinion publique qui reste en fin de compte maîtresse du jeu, ont-ils manipulé le crime ?

CLAUDE GAUVARD Ancien maître de conférences à l'Université de Paris-I, est professeur d'Histoire du Moyen Age à l'Université de Reims.

2

SOMMAIRE Avant-propos Index des tableaux et graphiques Avertissement Abréviations Sources Bibliographie

Introduction

Première partie. Cerner le crime Introduction Chapitre 1. Typologie des sources accords, répression, discours... I. — Minutes des accords du Parlement de Paris II. — Arrêts, lettres et plaidoiries du Parlement de Paris III. — Les registres du Châtelet IV. — Documents relatifs aux justices seigneuriales et urbaines, officialités V. — Chroniques, journaux, récits de crimes et d’exécutions VI. — Traités théoriques, coutumiers, actes législatifs relatifs à l’exercice de la justice

Chapitre 2. La rémission source et méthode LES LETTRES DE RÉMISSION LA GRILLE DE DÉPOUILLEMENT POIDS DES DONNÉES INCONNUES TRAITEMENT INFORMATIQUE ET ANALYSE DES DONNÉES

Chapitre 3. Dire le crime LES MOTS DES MOTS DU CRIME AU FAIT CRIMINEL CRIMINEL : UN ÉTAT LA RENOMMÉE

Chapitre 4. Prouvez le crime UN IDÉAL DE VÉRITÉ DE L’AVEU À LA TORTURE FUIR LOIN DU CRIME LE JUGEMENT DE DIEU MIRACLE ET VOIX DU SANG

Chapitre 5. La peur du crime CRIME ET FAIT DIVERS LES STÉRÉOTYPES DE LA GRANDE CRIMINALITÉ L’OPINION SENSIBLE AU CRIME PURIFIER LE ROYAUME RÉFORME DU ROYAUME ET CRIMINALITÉ

3

Conclusion

Deuxième partie. Un monde ordinaire Introduction Chapitre 6. Ville et campagne PARTOUT LES MÊMES CRIMES AUX FRONTIÈRES DU ROYAUME QUELLE CRIMINALITÉ URBAINE ? PARIS, CAPITALE DU CRIME ? PUBLIC ET PRIVÉ NATURE SAUVAGE ET NATURE CULTIVÉE

Chapitre 7. Homme et femme UNE CRIMINALITÉ INÉGALE VIOLENCE AU MASCULIN RÉPARTITION DES DÉLITS FEMMES ET SOCIÉTÉ FEMME-OBJET ? LES FEMMES ET LA PAIX

Chapitre 8. Jeune et vieux UNE IMPRÉCISION VOLONTAIRE BIOLOGIE ET CLASSES D’ÂGE « FAIRE JEUNESSES » DE REDOUTABLES VIEILLARDS JEUNES CONTRE VIEUX

Chapitre 9. Nanti et marginal MARIÉS ET CÉLIBATAIRES LES CLERCS OU LA JUSTE VISION DU FOLKLORE QUELLE PAUVRETÉ ? HARMONIE ET CLIVAGES SOCIAUX NON-NOBLES CONTRE NOBLES

Chapitre 10. Normal et pathologique SANTÉ ET MALADIE DU DIABLE À LA SORCELLERIE L’« ÉCHAUFFEMENT » LES PROFESSIONNELS DU CRIME

4

Conclusion

Troisième partie. Un monde solidaire Introduction Chapitre 11. L’espace maîtrisé DIRE LE TEMPS ESPACE RÉEL, ESPACE OFFICIEL ESPACE RÉEL, ESPACE VÉCU ESPACE ET RITUEL EN PAYS DE CONNAISSANCE

Chapitre 12. L’espace perturbé LA MORT : UNE FATALITÉ LES HOMMES DE GUERRE : DES CRIMINELS DIFFÉRENTS DE L’ÉTRANGER À L’ENNEMI LA FORCE DE LA PEUR DU PAYS AU ROYAUME DE DIFFICILES RÉVOLTES

Chapitre 13. Le couple LE NÉCESSAIRE MARIAGE UN ÂGE POUR SE MARIER UNE MONOGAMIE DIFFICILE MARIAGE ET SEXUALITÉ SI L’AMOUR ÉTAIT CONTÉ

Chapitre 14. La parenté QUERELLES ENTRE PARENTS CELLULE LARGE, CELLULE ÉTROITE SANG ET LIGNAGE SANG ET ALLIANCE AMOUR NATUREL ET AMIS CHARNELS AMOUR PATERNEL, AMOUR FILIAL

Chapitre 15. Des solidarités limitées PARRAINAGES CONFRÈRES VOISINS AMIS ET COMPAGNONS LE JEU DES PARTIS SUJET ET PARENT

5

Conclusion

Quatrième partie. Un monde codifié Introduction Chapitre 16. L’honneur blessé L’IMPOSSIBLE DIALOGUE NÉCESSITÉ DU DÉMENTI FORCE DE L’INJURE SEXUELLE AUTRES AGRESSIONS VERBALES DE L’HONNEUR À LA RENOMMÉE L’HONNEUR ET LES AUTORITÉS

Chapitre 17. La vengeance POURQUOI SE VENGER ? QUI SE VENGE ? VENGEANCE ET VENDETTA VENGEANCE ET ASSEUREMENT

Chapitre 18. La hiérarchie des crimes DU CRIME À LA RÉMISSION : RÉSULTATS D’UN GRAPHIQUE MEURTRES ET HOMICIDES LE CRIME ET LE SACRÉ : TUER DIEU ET SOI-MÊME LE CRIME ET LE SACRÉ : VIOLER ET TROMPER LE CRIME ET LE SACRÉ : L’ENFANT LES CRIMES CONTRE LES BIENS LES CRIMES POLITIQUES

Chapitre 19. Le sujet idéal « MOURIR POUR LA PATRIE » OU SERVIR LE ROI ? DU SERVICE ARMÉ AU SERVICE CIVIL VIVRE EN PAIX CROÎTRE ET MULTIPLIER L’HONNEUR D’ÊTRE INNOCENT ÊTRE « PRUD’HOMME »

Chapitre 20. Pardonner et punir CONDAMNER POUR L’EXEMPLE AUX ORIGINES DU DROIT DE GRÂCE JUSTICE ET MISÉRICORDE LIER ET DÉLIER SAUVER LES ÂMES

Conclusion Conclusion générale Appendices Index des noms de lieux Index des noms de personnes Index analytique

6

NOTE DE L’ÉDITEUR Cet ouvrage a été honoré du Premier Prix Gobert 1991, de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, et du prix Malesherbes 1992 de l'Association française pour l'Histoire de la Justice. Ouvrage publié avec le concours du CNRS, de l'I.H.E.S.I. et du Conseil scientifique de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne).

7

Avant-propos

1

Cette recherche est née de rencontres successives. La première est celle qui a décidé de ma carrière quand, jeune étudiante d’agrégation, Jean Favier a bien voulu me faire confiance. Je lui dois d’avoir été introduite dans l’Enseignement supérieur : l’achèvement de ce travail est un hommage de gratitude.

2

Je voulais faire de l’histoire politique et l’histoire politique, à la Sorbonne, avait un Maître. Auprès de Bernard Guenée, j’ai appris la rigueur des recherches historiques, la traque des mots et des hommes qui se cachent derrière les institutions. Le séminaire de recherche qu’il a dirigé à l’Université de Paris-I, et qu’il dirige maintenant à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, est un lieu de pensée, de stimulation intellectuelle et d’amitié. Une équipe est née, à laquelle je suis fière d’appartenir et au sein de laquelle j’ai pu confronter mes idées. Je lui dois des initiatives que je n’aurais pas osé assumer seule. C’est à Hélène Millet et Jean-Philippe Genet que je dois d’avoir pu recourir au traitement informatique. Hélène Millet a su assurer les passages obligés d’une technique difficile à dominer, tandis que le Centre de calcul de l’Université de Paris-I et l’U.A. 1004 du CNRS (traitement informatique des sources du Bas Moyen Age) assuraient le déroulement matériel du travail. La compétence et la disponibilité des informaticiens ont été sans réserve. Sans eux, le raisonnement n’aurait pas pu s’appuyer sur des données quantitatives : qu’ils en soient remerciés.

3

Les difficultés ont commencé avec les dépouillements. J’ai toujours trouvé auprès des Archives Nationales le meilleur accueil. La lecture des originaux m’a facilité le codage. Mais surtout, j’ai pu bénéficier de la compétence de ceux qui connaissent le mieux les fonds d’archives que j’utilisais : Yvonne Lanhers, Monique Langlois, Aline Vallée, JeanPierre Brunterc’h m’ont apporté leurs conseils. J’ai entraîné dans cette entreprise les étudiants de maîtrise qui ont bien voulu me faire confiance. Leur enthousiasme a été le meilleur des encouragements.

4

Le sujet qui, au fur et à mesure des recherches et de mon évolution personnelle, se profilait, entraînait d’autres rencontres, celles qui unissent dans ce travail l’histoire et l’anthropologie, l’histoire et le droit. Auprès de Jacques Le Goff, à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales, j’ai compris que l’approche de la criminalité médiévale ne pouvait pas se séparer d’une étude anthropologique. Les recherches entreprises par André Burguière, Christiane Klapisch-Zuber et Françoise Zonabend m’ont confortée dans cette voie. Les liens que j’ai pu tisser avec les historiens du droit dans le cadre de

8

la Société Jean Bodin et de l’Action Thématique programmée par le CNRS, « Genèse de l’Etat moderne », ont achevé de me convaincre que les barrières entre les disciplines sont regrettables. Je l’avais déjà constaté en ce qui concerne l’histoire littéraire. Heureusement, dans ce domaine, j’ai pu bénéficier de la compétence et de l’amicale disponibilité des membres de l’équipe de Gilbert Ouy, qu’il s’agisse d’Ezio Omato ou de Nicole Pons. 5

Le doute s’est souvent installé. La confiance que m’a témoignée Bernard Guenée n’a pas failli. Les rencontres que j’ai pu faire avec d’autres chercheurs confrontés aux mêmes problèmes, qu’il s’agisse de Jean-Claude Maire-Vigueur ou de Jacques Chiffoleau, m’ont puissamment aidée. Philippe Contamine et Françoise Autrand ne m’ont pas ménagé leurs encouragements. Enfin, parce que l’enseignement ne se sépare pas de la recherche, j’ai beaucoup reçu des étudiants de l’Université de Paris-I. Ils ont su me faire comprendre qu’ils prenaient plaisir à m’écouter et je me suis sentie capable de finir ce que j’avais entrepris. Parmi eux, Camille Duvigneau et Véronique Julerot ont assuré une première lecture du texte tandis que, par ailleurs, Philippe Charon revoyait les citations médiévales.

6

Ce travail est aussi une histoire de famille. Celle de mon enfance, qui m’a fait sans doute préférer une approche concrète de l’histoire politique à l’étude des théories que j’avais envisagée initialement. Celle enfin que j’ai contribué à construire. Cette thèse est aussi la sienne.

7

Montbrieux, août 1989.

8

Cette thèse a été soutenue le 16 décembre 1989 à l’Université de Paris-I, sous le titre « Une question d’Etat et de Société : violence et criminalité en France à la fin du Moyen Age ». Le jury était composé de M.M. J.-M. Carbasse, Ph. Contamine, R. Fossier, B. Guenée et A. Vauchez. Je les remercie des remarques qu’ils m’ont faites. Les membres du jury ont souhaité que le texte soit publié dans son intégralité. Cette entreprise n’aurait pas été possible sans la subvention que le Centre National de la Recherche Scientifique a bien voulu m’accorder et sans l’aide généreuse de l’Institut des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure. Les Publications de la Sorbonne, avec le concours du Conseil scientifique de l’Université de Paris-I, ont pris le risque de publier un ouvrage fidèle à sa version dactylographiée et d’où seules les pièces justificatives ont été exclues. Tous ont ainsi contribué à réaliser un de mes voeux les plus chers : rendre ce travail accessible au plus grand nombre.

9

Paris, juin 1991.

9

Index des tableaux et graphiques

1 – Délits recensés au Parlement

29

2 – Origine sociale des criminels

30

3 – Fréquence des lettres de rémission (1300-1500)

65

4 – Délai entre le crime et la rémission

71

5 – Données inconnues

100

6 – Le coupable a été dénoncé/aucune dénonciation précisée 164 7 – Fuite et jugement

167

8 – Types de délits

242

9 – Origine administrative des coupables

244

10 – Crimes par régions

250

11 – Typologie des lieux

265

12 – Les circonstances du crime

296

13 – Types de délits par sexe

308

14 – Déplacement du coupable avant le crime

311

15 – Nombre de participants (par sexe)

315

16 – Âge du coupable et de la victime

348

17 – Âge qualifié et âge chiffré

350

18 – Âge du coupable et types de délits

364

10

19 – Types de délits et situation de famille

389

20 – Profession et pauvreté

403

21 – Profession et hiérarchie

413

22 – Circonstances du crime

430

23 – Motifs de la rémission

430

24 – Types de crimes et nombre de participants

469

25 – Le temps du crime

482

26 – Profession et précision du temps et de l’espace

487

27 – Distance et motifs du déplacement

503

28 – L’endroit du crime

516

29 – Crime et profession

529

30 – Distances parcourues avant le crime

537

31 – La guerre et le crime

539

32 – Les participants aux côtés du coupable, et de la victime

614

33 – Nature des participants

617

34 – Liens entre la victime et le coupable

619

35 – Types de délits entre parents

620

36 – Nature des intercesseurs

646

37 – Typologie de l’agression

707

38 – Première initiative du crime

709

39 – L’injure et le crime

716

40 – L’homicide

737

41 – Vengeance et types de délits

756

42 – Les délais de la vengeance

759

43 – Vengeance, profession du coupable et statut social

767

44 – Motifs de la rémission et types de délits

817

45 – Motifs de la rémission et profession du coupable

850

11

46 – Motifs de la rémission et aristocratie

851

47 – Formules pour justifier le coupable

882

48 – Rémission et interventions extérieures

916

49 – Formules de la rémission

918

50 – Peines en sus et types de délits

933

L’amende honorable

746

Graphique des solidarités

696-697

Graphique des distances

698-699

Graphique de la rémission

794-795

12

Avertissement

1

Les sources judiciaires, qu’il s’agisse des plaidoiries du Parlement ou des lettres de rémission, laissent entendre, même filtrées, la voix des criminels, des victimes ou des témoins. De nombreuses citations leur sont empruntées. Quand elles sont apparues plus probantes pour la démonstration que la paraphrase de l’historien, elles ont été insérées dans le texte courant. Etant donné le faible nombre des citations latines et leur style emprunté au parler, il n’a pas été jugé utile de les traduire.

2

La bibliographie est un recensement correspondant au travail présent. Elle ne prétend donc pas être exhaustive. En revanche, elle comprend des ouvrages de méthodologie ou de réflexion qui, même s’ils n’appartiennent pas directement au domaine historique, ont pu inspirer le déroulement de la recherche. Il a paru nécessaire de les indiquer. Afin d’alléger le contenu des notes, seuls les premiers mots du titre des ouvrages répertoriés dans la bibliographie ont été retenus. Les références relatives aux lettres de rémission précisent le numéro du registre conservé aux Archives Nationales, le numéro de la pièce dans le registre, la date d’émission de la lettre, le lieu d’habitation du suppliant s’il est mentionné, et la circonscription administrative où est envoyée la lettre. Celle-ci peut être différente de celle dans laquelle habite le coupable au moment où il demande sa rémission. Pour les autres types de documents, y compris de la série JJ, la référence au folio a été préférée.

13

Abréviations

ABSHF

Annuaire Bulletin de la Société historique de France.

AESC

Annales (Economies, Sociétés, Civilisations).

AN

Archives nationales.

BEC

Bibliothèque de l’Ecole des Chartes.

BIHR

Bulletin of the Institute of Historical Research.

BN

Bibliothèque nationale.

BPH

Bulletin philologique et historique du Comité des travaux historiques et scientifiques.

CRAIBL

Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres.

DDC

Dictionnaire de droit canonique.

DTC

Dictionnaire de théologie catholique.

MA

Le Moyen Age.

MEFRM Mélanges de l’Ecole française de Rome. Moyen Age. Temps modernes. NRHDFE Nouvelle revue historique de droit français et étranger. ORE

Ordonnances des rois de France de la troisième race.

RH

Revue historique.

RHD

Revue d’histoire du droit, Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis.

RHDFE

Revue historique de droit français et étranger.

RHF

Recueil des Historiens des Gaules et de la France.

14

SHMESP Société des historiens médiévistes de l’Enseignement Supérieur public. SHP

Société de l’histoire de Paris et de l'ile de France.

15

Sources

I. – SOURCES MANUSCRITES L’analyse de ces sources fait l’objet des chapitres 1 et 2.

A. ARCHIVES NATIONALES Série JJ Registres du Trésor des chartes Par sondage : JJ 98 à JJ 211 (1364-1486). En totalité :

98, 102, 103, 107, 118, 120, 127, 129, 130, 133, 143, 151, 155,

JJ

160, 165, 169, 172, 181, 182, 183, 207, 208, 211

Série L Justices seigneuriales et urbaines, officialités L 445

Saint-Magloire (1310-1655)

L 774

Offïcialité, justice (1211-1781)

L 862

Procès du chef de Saint-Denis (1409-1410)

L 867A Offïcialité, justice, droits perçus par Saint-Denis (1185-1783) L 873

Justice de Saint-Martin-des-Champs (1144-1762)

L 879

Justice de Sainte-Geneviève (1116-1766)

Série X Parlement de Paris X 1 Parlement civil X la Registres (par sondage) :

16

X la 1469-1477 Conseil et plaidoiries (1364-1394) X la 1478-1483 Conseil (1400-1457) X la 4784-4793 Plaidoiries matinées (1395-1424) X la 8300-8305 Plaidoiries après-dînées (1373-1455) X la 8853-8855 Amendes (1399-1477) X la 9182-9188 Grands Jours de Troyes (1367-1409) X la 9190-9201 Parlement de Poitiers (1418-1436)

X lc Accords (par sondage) : X lc 41-124 (1380-1422), Parlement civil. X 2 Parlement criminel X 2a Registres (en totalité) :

X 2a 9

Lettres et arrêts (1375-1382)

X 2a 10

Procès-verbaux des séances (1375-1387)

X 2a 11

Lettres et arrêts (1382-1393)

X 2a 12

Procès verbaux des séances (1387-1400)

X 2a 13

Lettres et arrêts (1393-1400)

X 2a 14

Procès-verbaux des séances (1400-1408)

X 2a 15

Lettres et arrêts (1404-1409)

X 2a 16

Lettres et arrêts (1409-1425)

X 2a 17

Procès-verbaux des séances (1411-1417)

X 2a 18-X2a21 Procès-verbaux et arrêts du Parlement de Poitiers (1422-1436), dépouillé par sondage.

Série Y Châtelet de Paris Y2

Livre rouge vieil

Y 5220-5232 Registres de la Prévôté de Paris au Châtelet (1395-1455) Y 5266

Registre des prisonniers entrés au Châtelet (14 juin 1488-31 janv. 1489)

Y 10531

Registre criminel du Châtelet de Paris (6 sept. 1389-18 mai 1392)

17

Série Z Z lh 1-7

Procès-verbaux de séances du tribunal municipal (1395-1421)

Z lo 1-3

Officialité de l’archidiacre de Paris, causes civiles et criminelles (1460-1466)

Z 1 ο 17

Registre d’excommunications prononcées par l’archidiacre de Paris (1426-1439)

Z lo 27

Registre d’audience de l’officialité du Chapitre de Notre-Dame-de-Paris (1486-1488)

Z lo 242

Officialité de Saint-Germain-des-Prés (1407-1659)

Z 2 3098-3117 Minutes criminelles, sentences et procédures diverses (1238-1666) Z 2 3118

Chapitre de Notre-Dame-de-Paris (1404-1406)

Z 2 3257-3258 Saint-Eloi (1457-1458) Z 2 3264-3269 Saint-Germain-des-Prés (1407-1464) Z 2 3756

Le Temple (1411-1420)

B. ARCHIVES MUNICIPALES AMIENS En totalité :

BB1 Registre petit, 88 feuillets. Délibérations de l’échevinage (1406-1410) BB2 Registre, 187 feuillets. Délibérations de l’échevinage (1412-1421) BB3 Registre petit, 95 feuillets. Délibérations de l’échevinage (1424-1428)

Par sondage :

BB4-BB14 Délibérations de l’échevinage (1430-1485)

ABBEVILLE Inventaire sommaire (originaux disparus) :

BB11 Année 1393, Relations de Charles VI et de la ville BB12 Vidimus de lettres de Jean sans Peur BB55 Registre, 161 feuillets (1386-1394) BB56 Registre, 146 feuillets (1403-1414) BB57 Registre, 329 feuillets (1408-1460)

18

BB60 Registre, 140 feuillets (1426-1460)

C. BIBLIOTHÈQUE NATIONALE Fonds français

Fr 607

Fr 991 Fr 1968

Fr 2699

Christine de Pizan, Livre de prudence et de prod’hommie de l’homme Discours, lettres et récits concernant le meurtre du duc d’Orléans Fol. 33-40, Débat entre trois princes chevalereux. Fol. 54v.-59, Epître sur la juste seigneurie Documents relatifs aux insurrections flamandes pendant le règne de Charles VI et aux rémissions qui ont suivi

Fr 2846

Actes et lettres concernant la guerre civile

Fr 2885

Discours, lettres et récits concernant le meurtre du duc d’Orléans

Fr 3863

Fol. 28, Lettre d’abolition générale de 1418

Fr 4768

Actes et lettres concernant la guerre civile

Fr 4846, 4847, et 4848

Conflits entre les ducs de Lorraine et les rois de France

Fr 5024

Formulaire d’Odart Morchesne

Fr 5037

Christine de Pizan, Livre de Prudence et de Prod’hommie

Fr 5060 et 5061

Discours, lettres et récits concernant le meurtre du duc d’Orléans

Fr 5271

Formulaire de Chancellerie composé d’actes des XIVe et XVe siècles

Fr 5275 et 5287

Actes et lettres divers de Charles VI et de Charles VII

Fr 5624 et 5733

Discours, lettres et récits concernant le meurtre du duc d’Orléans

Fr 6022

Formulaire composé d’actes du règne de Charles VII

Fr 9610

Pierre Salmon, Les demandes faites par le roi Charles VI

Fr 10185

Discours, lettres et récits concernant le meurtre du duc d’Orléans

Fr 14370

Formulaire du règne de Charles VII, incomplet

Fr 14371

Formulaire du règne de Charles VII comportant 19 rubriques

Fr 15465, 17293, 17295, 17513 et 17517

Fr 18114

Fr 18674

Discours, lettres et récits concernant le meurtre du duc d’Orléans

Recueil d’actes de Charles V et Charles VI destinés à servir de formulaire (XV e siècle) Formulaires et protocoles (XVe siècle)

19

Fr 18849,18869, 18886, 18896

Conflits entre les ducs de Lorraine et les rois de France

Collection Clairambault

Clairb. 763 et 764 Extraits des registres d’audience du Châtelet (1401-1528)

Collection Lorraine Lorraine 6, 64 et 156 Documents relatifs aux conflits entre les ducs de Lorraine et le roi de France, et aux rémissions qui ont suivi sous les règnes de Charles V et Charles VI.

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Introduction

1

Le Moyen Age serait, par excellence, le temps de la violence, celui où, sans cesse sur le qui-vive, la population tremblerait de rencontrer, au coin du bois voisin, bandits et voleurs de grand chemin. Cette image à sensation sort tout droit de l’imagination de ceux qui ont contribué à créer un Moyen Age obscur et trouble et son histoire se confond avec celle de ce Moyen Age-là1. Mon propos n’est pas d’esquisser une historiographie de ces descriptions où se cristallisent les fantasmes de ce qui est, aujourd’hui, notre violence imaginaire. Il n’est pas non plus de s’interroger sur leur fonction dans la vie collective contemporaine, quitte à y trouver les éléments de leur pérennité. Mais il faut bien se rendre à l’évidence : les discours sur la violence médiévale ont réussi à brouiller les pistes.

2

Ecrivant une histoire de la violence, synthèse récente dont les résultats font autorité en ce qui concerne la criminalité contemporaine, J.Cl. Chesnais, reprend l’ensemble de ces lieux communs pour caractériser la période médiévale : « La violence règne, elle est souveraine : c’est elle qui au sein des différents ordres sociaux scelle les hiérarchies et établit les réputations... La violence fait partie du mode de vie. Souvent elle est principe de survie ». Et il ajoute : « Les villageois sont régulièrement harcelés par des bandes de brigands qui détournent le bétail, pillent les greniers, saccagent les maisons. L’homicide est en fait plus l’affaire de ces bandes que d’individus isolés ; la grande criminalité se confond, pour l’essentiel, avec le banditisme... Ce sont des associations de quatre ou cinq malfaiteurs, parfois plus, liés par le sang, l’habitat ou, plus prosaïquement, le hasard d’une beuverie : les tavernes sont des cavernes de voleurs » 2.

3

De ce discours sur la violence et sur le crime, les historiens sont en partie responsables. Ils ont cherché, en priorité, dans les archives judiciaires, les affaires au retentissement sensationnel : crimes liés à la guerre ou politiques, crimes passionnels ou sorcellerie. Ils ont décrit la cruauté des tortures et le goût de la foule pour les exécutions publiques. Par une sorte de décalage dans l’interprétation des sources, des séries qui étaient par ailleurs considérées comme précieuses pour appréhender la vie quotidienne, se trouvaient délaissées en tant que telles pour appréhender la criminalité 3.

4

L’impressionnisme de la méthode a eu pour conséquence de conforter l’image d’une violence floue et latente dont l’expression pouvait, par instants, plus ou moins fréquemment, s’exacerber en actions d’éclat. Les conditions économiques ou politiques difficiles des XIVe et XV e siècles ajoutaient encore aux inclinaisons physiologiques. J.

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Huizinga a montré comment, en cet automne du Moyen Age, l’émotion nourrie des guerres, des pestes et des famines prédisposait à une violence diffuse prête à éclore à tous moments4. En fait, il convient de situer cette histoire de la violence médiévale, aux conclusions souvent moralisantes, dans la perspective philosophique qui lui est propre : celle qui, du mal au bien, sous-entend une évolution de l’humanité dont l’historien se doit d’écrire les progrès. 5

L’apport de la psychanalyse et de l’anthropologie à l’histoire ont réduit ce courant à quelques entreprises caduques. Aux psychanalystes, les historiens doivent une meilleure approche de la violence comme phénomène diffus dans la société, une réflexion sur son ambivalence, même si les distinctions qu’il convient de faire entre violence et agressivité, significatives pour l’étude des comportements individuels, ne sont pas toujours très opérantes pour l’historien5. Quant à l’anthropologie, depuis les travaux de Br. Malinowski sur les sociétés mélanésiennes, elle n’a pas cessé de montrer que la violence et le crime ne sont pas inhérents aux sociétés primitives. Les crimes sanglants suivis de vendettas, la sorcellerie criminelle, l’inceste, l’adultère, la violation des tabous relèvent moins de la réalité quotidienne des sociétés étudiées que d’un propos plus ou moins délibéré de chercheurs en quête d’exotisme 6. Le développement de l’anthropologie politique permet aussi de saisir ce que représentent l’infraction et la répression dans les sociétés traditionnelles, qu’elles soient segmentaires ou étatiques 7. Enfin, sans comporter d’analyse systématique du crime, l’anthropologie définit, implicitement, une hiérarchie des délits, ne serait-ce qu’en mettant l’accent sur ceux qui enfreignent le sacré8. A ces apports fondamentaux pour l’historien de la criminalité s’ajoutent ceux des sociologues qui, à la suite d’E. Durkheim, ont réfléchi sur les rapports entre déviance et société9. Leur analyse fait preuve de préoccupations à l’opposé du sensationnel. Elle se veut une science de la criminologie. Elle range par catégories les criminels selon l’âge, le sexe, la condition sociale ; elle dresse une typologie des crimes, de leur lieu, de leur heure ; elle classe les mobiles du crime ; elle cherche enfin les relations, pour ne pas dire les lois, entre ces différents éléments et les structures sociales, soucieuse en particulier d’opposer la criminalité urbaine à la criminalité rurale10.

6

S’inspirant de ces méthodes, les historiens ont pu poser aux archives judiciaires les questions susceptibles de traiter les séries qu’elles renfermaient. Les études les plus nombreuses et les plus achevées concernent l’époque moderne. Dès 1962, P. Chaunu et son équipe remettaient en cause la notion de « criminalité diffuse » tandis que se dégageait par ailleurs une méthode d’analyse de la criminalité 11. Les travaux de N. et Y. Castan relatifs au Languedoc, ceux d’A. Farge sur la criminalité parisienne, ceux enfin de R. Muchembled concernant l’Artois, pour ne citer que les principaux, montrent bien les résultats auxquels les historiens de l’époque moderne ont pu parvenir 12. Ils confortent l’idée des sociologues, celle d’une grande coupure dans les types de crimes au cours du XVIIIe siècle, quand les délits contre les personnes marquent le pas devant les délits contre les biens. Pour être satisfaisante, l’histoire de la criminalité doit donc se situer aux confins de sciences humaines diverses13.

7

Dans cette quête de la violence passée, le Moyen Age français est resté en retrait. La voie ouverte par Ch. Petit-Dutaillis n’a pas été suivie : les seules synthèses relatives à la violence et à la criminalité aux XIVe et XV e siècles sont le fait d’historiens anglosaxons14. Et, dans le domaine français, seules la région d’Avignon et le Lyonnais, l’ilôt de Montaillou et Manosque viennent, pour cette période, d’être étudiés15. Cela n’implique

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pas que les sources judiciaires sont totalement négligées : elles sont étudiées dans le cadre des monographies rurales et urbaines, au service de l’histoire sociale. Ou encore, elles constituent une source privilégiée des manifestations du folklore comme R. Vaultier Ta montré dans son livre pionnier en utilisant les lettres de rémission 16. De ces études, on peut retenir deux tendances. 8

La première approche repose sur une sorte de postulat qui lie étroitement le crime et la marginalité. Les archives de la répression, pour reprendre l’expression de Br. Geremek, sont considérées comme « le reflet le plus important de l’existence et des activités des groupes marginaux »17. Cette piste, si elle ne doit pas être négligée, présente des inconvénients. Elle fait de l’histoire sociale une histoire des cas sociaux et, en mettant l’accent sur cette biographie des exclus, elle empêche de comprendre quels sont les ressorts de la société18. A décrire l’exception, celle des bas-fonds, on risque de laisser de côté l’ordinaire ou de ne le considérer qu’à travers des marges qui en sont devenues le symbole. Ainsi se profile une vision manichéenne de la société et du pouvoir : les dominants, sans infraction à la loi, imposant leur loi aux dominés que le crime fait enfin sortir de l’ombre. Les problèmes posés sont essentiels pour comprendre ce qu’est la violence de ces deux derniers siècles du Moyen Age, qu’il s’agisse de la place des marginaux dans le crime ou des raisons d’être de la criminalité. Qu’en est-il cependant de ces enchaînements quasiment automatiques que le crime et la violence nouent avec la déchéance. Quelle place y prennent l’urbanisation et les crises ? A quelle réalité renvoient les discours répressifs qui jouent de la peur en évoquant les bas-fonds ?

9

La seconde tendance s’intéresse aux significations folkloriques du crime et de la violence, indicateurs privilégiés de la dynamique sociale et mentale. N.Z. Davis pour les débuts de l’époque moderne, et J. Rossiaud pour la fin du Moyen Age, ont montré comment, surtout en milieu urbain, des groupes privilégiés, jeunes, prostituées, pouvaient s’exprimer dans le cadre d’une violence ritualisée19. La comparaison s’impose avec les anthropologues de la rébellion, tel M. Gluckman et ses disciples, de façon à ne pas voir seulement dans ces manifestations un simple langage des muets de l’histoire, mais un rituel cohérent, facteur d’unanimité sociale, une quête de l’ordre dans le désordre20. Le crime est alors considéré comme le prolongement d’une violence bénéfique, nécessaire à la survie de la société. C’est dire que le corps social fonctionne grâce à des lois « naturelles » qui se juxtaposent aux lois « civiles ». Les unes et les autres peuvent se révéler antithétiques, le système pénal venant ici contrecarrer ou freiner les débordements de ce qui constitue le « droit naturel ». Sans ce conflit, ces lois naturelles qui appartiennent plutôt au domaine infra-juridique, n’auraient jamais pu être perçues. Et, déjà, à travers cette analyse, se profile l’idée que la violence et le crime s’inscrivent dans une histoire des valeurs dont le champ se doit d’être à la fois social et politique.

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Et le crime lui-même ? Ne peut-on pas dresser son histoire comme celle d’un phénomène objectif ? Qu’entendre alors par crime ? Aucune définition précise n’est satisfaisante. Celle donnée par E. Durkheim voyant dans le crime « tout acte qui heurte un état fort et défini de conscience collective » s’avère trop vague 21. Celle qui emprunte au juridique et définit le crime comme un acte interdit par la loi sous menace d’une peine, ne convient pas aux tâtonnements, à l’ambivalence de l’ancien droit. La criminologie médiévale ne peut pas, comme de nos jours, étudier les infractions réparties selon des définitions légales, et les classifications utilisées par l’ancien droit sont d’un faible secours ; comme le montrent A. Laingui et A. Lebigre, « pendant des

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siècles la justice a sanctionné des faits qu’aucun texte législatif ne définit ni même ne prévoit (...) le droit pénal est en grande partie indépendant des lois du roi » 22. Toute étude de la criminalité s’accompagne donc, en premier lieu, d’une étude de vocabulaire désignant le crime sans pour autant abandonner l’idée d’une classification qui se révèle obligatoirement arbitraire. Mais là ne s’arrête pas la difficulté ; encore faut-il pouvoir se donner les moyens de saisir les infractions. Or, quantitativement, le crime médiéval fuit. La masse des documents est énorme, mais les sources sont diverses, discontinues. Elles ne peuvent pas, par conséquent, être comparées. Comment, en effet, rassembler dans le but d’effectuer des statistiques, des archives décousues, relevant de juridictions complexes et rivales, traitant soit de la haute, soit de la basse justice, de compétences diverses selon qu’il s’agit d’officialités ou de tribunaux royaux, seigneuriaux ou urbains ? Les résultats risquent d’être faussés pour avoir ajouté des données inégales 23. 11

La critique des sources, habituelle à l’historien, ne suffit pas : il convient de comparer ce qui est comparable. Pour mener cette étude, il fallait pallier cet inconvénient, c’està-dire faire un choix qui devait être cohérent. Dans la mesure du possible, les délits ont été retenus en fonction de l’issue probable du jugement par rapport à la gravité du cas. Ainsi, seules ont été envisagées, en vue de l’étude sérielle, les sources qui, dans leur ensemble, traitent des crimes de haute justice, ceux qui condamnent le criminel à la mort, au bannissement, ou à de fortes amendes, ou bien celles qui à l’inverse, par la lettre de rémission, substituent la grâce à la condamnation capitale. Les cas envisagés relèvent donc de ce qui est considéré, aux XIVe et XV e siècles, comme la grande criminalité. Ce souci de joindre ces impératifs qualitatifs aux données quantitatives de séries relativement continues imposait le recours aux archives de la Chancellerie royale et à celles des registres criminels du Parlement de Paris. Ces deux séries constituent donc l’essentiel de la documentation.

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Ce choix a l’inconvénient de laisser dans l’ombre une éventuelle pesée du nombre des crimes par rapport à la population totale ainsi que la proportion des crimes de haute justice dans l’ensemble des délits. Etait-ce une entreprise par ailleurs possible ? Les réflexions critiques que formulent les sociologues sur les statistiques criminelles contemporaines incitent à des conclusions modestes pour la période proto-statistique qui nous concerne24. On pourra néanmoins essayer d’envisager ces problèmes dans quelques cas précis, quand les études démographiques existantes permettront d’émettre un certain nombre d’hypothèses, en particulier quand il s’agira de l’âge au crime, du statut du criminel, noble ou non, clerc ou laïc. Mais il faut bien garder à l’idée que ces conclusions sont fragiles.

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Ces statistiques, une fois établies, sont loin de dire la réalité de tous les crimes capitaux. Elles sont soumises aux aléas du système pénal qui, dans chaque cas, a pu avoir connaissance du fait et qui a accepté de s’en saisir. Les opacités sont nombreuses. Les chances d’aboutir aux tribunaux sont incontestablement liées à la force d’implantation du pouvoir et à sa nature plus ou moins coercitive. Dans le bailliage de Senlis, B. Guenée décrit comment, en ces derniers siècles du Moyen Age, « la légalité s’est mise à l’heure de l’efficacité » dans des juridictions dont les mailles ne sont ni lâches ni floues 25. Quant au Parlement de Paris, Fr. Autrand le voit se constituer en corps au moment où s’érige la doctrine de l’impartialité des juges26. Mais les institutions ne sont pas seules en cause. Les méthodes qu’utilise la procédure sont essentielles pour mesurer l’efficacité de la justice27. Or les moyens sont nombreux d’échapper à la justice légale. Ils ne tiennent pas seulement à la ruse des criminels et de leur entourage. L’évolution de la

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procédure leur en donne les moyens. Ainsi, le développement de la procédure inquisitoire qui tend à se substituer à la procédure accusatoire fait la part belle aux réactions des populations devant le crime. Elles peuvent le dénoncer ou le taire. Selon quels critères ? La question est sans doute sans réponse ou plus exactement partagée, au choix du milieu social concerné et en fonction de la place du criminel dans ce même milieu. Il convient tantôt de prêter main-forte pour arrêter le coupable, tantôt de le couvrir de son silence. Le méfait commis a, en soi, peu d’importance : seule compte la satisfaction que prétend retirer la communauté d’une décision judiciaire 28. De cette sélectivité dans l’accueil, nous ne pouvons rien savoir en termes de données chiffrées, sinon que le crime est une affaire de société avant d’être une affaire d’Etat. 14

Avec l’intervention de la société dans le sort réservé au criminel, nous touchons aux manifestations les plus évidentes des règles non écrites de la criminalité, dont les effets aboutissent à ce que les spécialistes appellent le chiffre noir des crimes. Encore une fois, sur ce point délicat et en cours d’étude, les historiens du Moyen Age ont beaucoup à retenir des résultats obtenus par les historiens de l’époque moderne et par les anthropologues. Les premiers tentent de mesurer les rares manifestations écrites de l’arbitrage en matière criminelle29. Les seconds ont démontré l’existence de règles de comportements qui conduisent à résorber les conflits avant leur apparition sur la scène contentieuse30. Les exemples relevés par H. Platelle dans la seigneurie de Saint-Amand jusqu’au XVIe siècle pour des délits de sang, ceux qu’étudie J.M. Carbasse pour le Midi, incitent à penser que le recours aux boni homines se poursuit dans la continuité aux XIV e et XVe siècles31. Il existe bien, pour reprendre l’expression de N. et Y. Castan, une « économie de justice », une « infra-justice », une « justice parrallèle » 32. Aussi faut-il se contenter de penser que les sources écrites de la justice officielle, ces lettres de rémission, ces procès que les sources révèlent, entamés devant les tribunaux et parfois résolus, ne sont qu’une face émergée de la criminalité réelle. Mais, malgré ses imperfections, le bilan statistique est indispensable ; sans son support l’histoire du crime irait à la dérive, tandis que reviendraient en force les impressions et les a priori : le quantitatif est le garde-fou du raisonnement, à condition de garder présent à l’esprit que toute extrapolation risque d’être fallacieuse.

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Qu’attendre alors de ces sources écrites qui révèlent les décisions de la justice et dont les témoignages ne cessent de s’amplifier jusqu’à envahir les registres de Chancellerie quand il s’agit des lettres de rémission, ou nécessiter l’appel à un greffier spécialisé quand il s’agit du Parlement criminel33 ? Qu’attendre aussi de ces sources savantes qui disent le droit, recueils de coutumes, de procès exemplaires destinés aux praticiens et dont le nombre se multiplie aux XIVe et XVe siècles ? Ils révèlent des tendances dans la répartition des types de crimes, des profils de criminels, de complices, de victimes. Mais l’étude de cette jurisprudence révèle autant, et parfois même davantage, les profils de la procédure que la sociologie du crime34. Aucune de ces sources ne dit à elle seule le crime, mais chacune donne un discours sur le crime. N’espérons donc pas cerner la réalité de la violence et de la criminalité mais plutôt son expression, sa mise en forme et par conséquent ce qu’elle reflète des normes que la société et l’Etat imposent et qui se trouvent, par le délit, contestées. Nous voici de nouveau aux confins du social et du politique, de la régulation sociale et de la répression légale. Quelles normes et quels conflits se profilent entre les valeurs de la société et celles dont se prévaut l’Etat ?

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Les sources relatives à la violence et au crime placent cette étude au cœur d’une construction politique, celle de l’Etat naissant en ces deux derniers siècles du Moyen Age. Le règne choisi comme référence, celui de Charles VI, ne peut qu’y contribuer. La folie du roi pourrait faire croire à un règne faible. Les études récentes montrent comment les luttes des princes rivaux, les effets du Grand Schisme, l’âpreté de l’impôt et de la guerre, ont stimulé la pensée politique et l’action de la bureaucratie pour placer le règne au cœur de la genèse de l’Etat35. Incontestablement, la lutte contre la violence et le crime ont leur place dans cette construction.

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Une première approche des rapports entre la construction de l’Etat, la répression et la société se situe dans la perspective ouverte par les travaux d’A. Esmein relatifs à la procédure criminelle36. Elle décrit les nécessaires progrès de l’institution judiciaire selon des règles imposées d’en haut et selon une répression d’autant plus arbitraire que l’Etat s’impose comme maître du jeu social. En même temps que l’appareil coercitif évolue vers une plus grande centralisation et, par conséquent, vers une plus grande efficacité, les formes de sanction se transforment. A la vengeance dite privée se substitue la peine, fille étatisée de la vengeance. On voit ce que ces théories peuvent emprunter à l’évolutionnisme du XIXe siècle. Les anthropologues du droit, et en particulier R. Verdier, viennent de montrer l’inefficacité d’un tel schéma37. Les spécialistes de l’histoire du droit pénal séparent désormais nettement ces deux concepts de vengeance et de peine38. En ce qui concerne l’histoire médiévale, la question des permanences de la vengeance n’a été réellement posée qu’en fonction d’un groupe social, celui de la noblesse qui continue à pratiquer la guerre privée au titre de ses privilèges39. Le champ d’investigation reste donc quasiment entier pour répondre à cette question que doivent permettre de poser les sources : comment s’est imposée la répression ?

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La coexistence de l’arbitrage et des tribunaux, celle de la vengeance et de la peine incitent à penser que le fonctionnement du pouvoir étatique, en matière de répression, est en cette fin de Moyen Age, complexe. L’État « froid », susceptible de revendiquer avec succès le monopole de la contrainte physique légitime, et dont Max Weber peut être considéré comme le théoricien, ne peut pas longtemps nous retenir 40. Sans doute faut-il, dans la même perspective, s’interroger sur les schémas que suggère le « procès de civilisation », aussi stimulants soient-ils. N. Elias saisit un lien étroit entre le monopole de la violence légitime que s’attribue le roi entre les XII e et XVI e siècles, le « conditionnement social » qui impose à chaque individu un autocontrôlé permanent des « affects » et l’évolution des sensiblités41. Cette naissance de l’homme moderne, sorti de la gangue des pulsions et des émotions par le mimétisme et la concurrence qui le poussent à imiter les couches supérieures de la société devenues policées, vient d’être reprise par les travaux de R. Muchembled42. Elle suppose a contrario que la violence médiévale se débride en éclats au cours desquels l’homme est conduit au crime parce qu’il n’a pas appris à s’observer lui-même ni à observer les autres. Mais cette violence criminelle n’est-elle pas encore, aux XIVe et XV e siècles, l’objet de règles spécifiques, d’un code de l’honneur parfaitement intériorisé et contraignant plutôt que de pulsions ? Et, si l'évocation des pulsions est un argument avancé pour expliquer le crime, n’est-ce pas là un langage du pouvoir religieux ou du pouvoir d’Etat soucieux justement d’imposer leur contrainte à un corps présenté comme malade ? Quant aux modèles qui peuvent contribuer à définir les habitus, leur existence et leur rôle se devront d’être discutés.

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Le discours sur le crime et sur la violence que colportent les archives judiciaires est au coeur de l’enquête. Il raconte le dialogue qui s’engage entre le criminel et le pouvoir, prenant en compte l’exception du cas, mais pour le noyer aussitôt dans un ensemble de signes obligés et répétitifs. Tous ces stéréotypes sont signifiants. Ils disent par quels mots et par quels actes, par quelle liturgie, se réalise ce que P. Legendre appelle « l’amour du censeur »43. L’histoire des rapports entre l’Etat et le crime est celle d’une transmutation au terme de laquelle le pouvoir justicier peut s’octroyer le droit de punir ou de pardonner tout en restant objet d’amour44. A cette opération d’ordre politique, il existe un témoin qui est aussi un garant, l’opinion publique que révèlent à la fois les obsessions des chroniques et les normes non écrites que le crime a bafouées. Quels liens se tissent alors ? Est-ce un langage à trois voix plus ou moins discordantes, celle d’un criminel s’opposant aux lois de son groupe et à l’Etat, celle d’un Etat imposant ses normes, celle enfin d’une opinion cantonnée dans des valeurs traditionnelles, voire passéistes ? Seule l’étude à la fois sociologique et juridique des sources judiciaires doit permettre de repérer les liens qui ont pu exister entre ces trois mondes et qui expliquent, en partie, la genèse du pouvoir.

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Le but dernier est bien de comprendre comment le crime et la violence ont pu construire la société et l’Etat en même temps qu’ils en menaçaient l’existence. Le phénomène ne se mesure pas seulement en termes de propagande, sous peine de retomber dans les a priori politiques d’un Etat désincarné et machiavélique. Cette propagande capable de jouer du crime a certes existé à l’époque qui nous concerne. Mais il convient de se demander immédiatement quelles croyances et quelles peurs profondes elle cherche à éveiller. La réflexion des théoriciens politiques du règne de Charles VI s’avère riche à ce sujet. La démarche ne consiste pas à confronter leurs affirmations apocalyptiques avec la réalité mais, encore une fois, à analyser les mots qu’ils emploient, plus ou moins fictifs et stéréotypés, qui se réfèrent à la violence et au crime pour exprimer un malaise moral ou politique. Ils colportent cette violence imaginaire que j’évoquais en commençant, mais celle des XIV e et XV e siècles, tramant dans son sillage les idées et les mots du chaos et de la mort propres aux gens de cette époque. Or, leur discours est essentiellement proféré par des réformateurs politiques ; il permet donc de mesurer jusqu’à quel degré la survie du pouvoir est menacée par les crimes et la violence que celui-ci ne peut, réellement ou fictivement, enrayer. Le vrai pouvoir protège, rassure, apaise. Le crime et la violence remettent en jeu ses fondements.

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Tous, hommes de pouvoir, ceux de la vie politique et religieuse comme de la réalité quotidienne, manipulent donc le crime. La question alors est double et concerne aussi bien la Société que l’Etat : jusqu’où et sous quelles formes s’enracine et se résout la peur du mal ? A quel domaine, celui de la raison ou du sacré, appartiennent, en ces XIV e et XVe siècles, les désordres qu’engendrent la violence et le crime ?

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NOTES 1. On voit ce que cette vision du Moyen Age doit au goût pour le sensationnel et à la quête mythique d’un âge dont notre propre temps se serait, heureusement, libéré. Même Michelet n’y échappe pas. Les travaux historiographiques, menés sous la direction de B. Guenée, ont souvent montré l’utilisation déformée qui pouvait être faite des événements médiévaux. La violence et le crime, parce qu’ils pêchent en eau trouble, se prêtent volontiers à tous les fantasmes. Cette étude devra donc, souvent, compter avec les idées préconçues. 2. J.Cl. CHESNAIS, Histoire de la violence..., p. 39. Les méthodes que l’auteur emploie en ce qui concerne la criminalité contemporaine ne doivent rien à cet impressionnisme ; elles permettent une fructueuse comparaison avec la période médiévale, en particulier en ce qui concerne l’homicide. Les morts violentes..., p. 15-38. 3. Tel est le cas des lettres de rémission dont L. CÉLIER, « Les mœurs rurales au XV e siècle... », p. 412, peut écrire qu’elles fournissent « des renseignements nombreux et intéressants », pour ajouter ensuite qu’elles « se répètent d’une affaire à l’autre, jusque dans les mots. L’on voit, d’un coup d’œil, ce qui peut paraître digne d’une fiche ». Les thèmes retenus pour l’édition de lettres de rémission du règne de Charles VI sont significatifs de l’attention apportée soit aux faits les plus extraordinaires ou utiles à la compréhension politique du règne, L. DOUËT-D’ARCQ, Choix de pièces inédites..., par exemple, t. 1, p. 42-43, p. 49, soit aux couches sociales privilégiées, clergé, noblesse et marchands, t. 2, p. 1-172, soit aux crimes les plus spectaculaires, viols ou adultères, p. 209-211, 220. 4. J. HL1IZINGA, L’automne du Moyen Age, p. 10-34. 5. Sur la distinction entre violence et agressivité dans le comportement individuel, D. LAGACHE, Œuvres. Agressivité... p. 145-175, qui distingue agression et agressivité, analyse la pulsion de mort pour finalement montrer l’ambivalence de toutes les relations humaines, et j. BERGERET, La violence fondamentale, p. 205 et suiv., qui fait le point historiographique de la question. Les travaux de S. FREUD sont essentiels pour comprendre la place de la violence dans la société, en particulier Psychologie des foules, p. 189 et suiv. A la suite de Freud, philosophes et historiens du droit ont analysé les rapports entre l’individu et l’appareil répressif, Th. REIK, Le besoin d'avouer..., p. 348 et suiv. Actuellement, les travaux de P. LEGENDRE, L’amour du censeur, p. 5, montrent comment, au Moyen Age, les théoriciens du droit savant, civilistes et canonistes, ont su codifier une « médecine de l’âme » susceptible de lier le pouvoir au « noeud du désir ». 6. Br. MALINOWSKI, « Le crime et le châtiment dans les sociétés primitives », p. 51 et suiv. 7. Sur l’apport de l’anthropologie politique, se reporter aux travaux de G. BALANDIER, en particulier Le désordre, p. 91-115, où l’auteur montre comment, dans les sociétés de la tradition, « le désordre travaille caché ». Sur le lien entre les systèmes politiques et le droit, particulièrement la justice répressive, voir les exemples réunis par M. FORTES et E.E. EVANSPRITCHARD, Systèmes politiques africains, en particulier le cas des Bantous Kavirondo, p. 185-192, et les considérations générales de la préface p. XVI-XIX. Les renseignements tirés des sociétés lignagères permettent aussi de comprendre les rapports entre l’individu et les institutions répressives, M. AUGÉ, Pouvoirs de vie..., p. 16 et 17. 8. En particulier l’inceste. Travaux rassemblés par L. de HEUSCH, Ecrits sur la royauté sacrée, p. 15-62. 9. E. DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, p. 64 et suiv. En s’interrogeant sur « Qu’est-ce qu’un criminel ? », les sociologues permettent de comprendre que le crime ne se limite pas à sa répression légale, M.E. WOLFGANG, L. SAVITZ, N. JOHNSTON, The Sociology of Crime..., p. 14, 28-36, 59-68.

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10. Par exemple, selon J.H. and M.A. STRAUS, « Suicide, Homicide... », p. 469, les taux de suicides et d’homicides sont inversement proportionnels, et cela en fonction de la rigidité des structures sociales concernées. Une synthèse récente permet de mesurer les apports de la sociologie à l'analyse du crime, J.M. BESSETTE, Sociologie du crime, p. 15-23. 11. En particulier J.Cl. GEGOT, « Criminalité diffuse... », p. 103 et suiv. L’ensemble des travaux poursuivis par les élèves de P. Chaunu a fait l’objet d’une publication synthétique : Marginalité... Sur les problèmes méthodologiques posés à l’historien par la criminalité de l’époque moderne, Crimes et criminalité..., p. 11, p. 176-186, p. 257. 12. Dans leur étude de la criminalité, N. et Y. Castan privilégient la transgression des valeurs qui sous-tendent les rapports sociaux : Y. CASTAN, Honnêteté et relations sociales..., p. 208 et suiv., N. CASTAN, Justice et répression..., p. 57 et suiv., et Les criminels de Languedoc..., p. 159 et suiv. Une autre approche consiste à étudier les lieux du crime, en particulier la rue, privilégiée dans les travaux d’A. Farge. Voir enfin la méthode utilisée par R. MUCHEMBLED, Violence et Société..., t. 1, p. 131 et suiv., qui traite des lettres de rémission de l’époque moderne en Artois, complétées par les amendes échevinales. 13. Un bilan historiographique est dressé par N. CASTAN, « Bilan de l’apport... », p. 9 et suiv. Pour un exemple stimulant, voir la synthèse entre le droit et les sciences humaines opérée par M. CUSSON, Pourquoi punir ?, p. 7-26. 14. Ch. PETIT-DUTAILLIS, Documents nouveaux sur les mœurs..., p. 40, n. 5, dans une démarche de précurseur, appelait à une histoire de la vengeance au Moyen Age, sinon à une histoire de la criminalité. Parmi les principales synthèses, L. MARTINES, « The Historical Approach to Violence », Violence and Civil Disorder..., p. 265-291, J.G. BELLAMY, Crime and Public Order..., p. 1-36. 15. Sur les sources utilisées par ces différentes monographies, E. LE ROY LADURIE, Montaillou..., p. 10-21 ; J. CHIFFOLEAU, Les justices..., p. 19-25 ; Vie privée et ordre public..., p. 9 ; N. GONTHIER, Délinquance, justice et société..., t. 1, P-8 et suiv. 16. « Les lettres de rémission du Trésor des chartes nous ont paru être un des meilleurs types de ces sources folkloriques du Moyen Age », R. VAULTIER, Le folklore..., p. IV. 17. Br. GEREMEK, « Criminalité, vagabondage, paupérisme... », p. 337. Les travaux de Br. Geremek lient étroitement pauvreté, marginalité et criminalité, en particulier Les marginaux parisiens..., p. 189 et suiv. 18. Ces inconvénients sont bien marqués par R. ROTH, « Histoire pénale, histoire sociale... », p. 187, quand il dénonce le postulat qui fait du pénal une excroissance du social. 19. N.Z. DAVIS, Les cultures du peuple..., p. 159-291 ; J. ROSSIAUD, « Fraternités de jeunesse... », p. 69 et suiv., et « Prostitution, jeunesse... », p. 292-300, qui lie le crime à « l’économie sexuelle ». 20. Les travaux de M. Gluckman et des anthropologues de l’école de Manchester montrent bien la fonction du rituel dans la résolution des conflits. Nombreux exemples dans M. GLUCKMAN, Essays on the Ritual..., qui définit ainsi son approche anthropologique : « Ritual dearly does not settle disputes or act as a long-term effective catharsis for anger or ambition. But the struggle for leadership produces a series of rituals which, in aiming at reconciling the parties, in fact may lead temporal truces, and at times conceals the basic conflicts between competitors. Hence their « functiuns » are not to be sought in their relation to emotional needs alone, but in a study of social relationships », ibid., p. 46. 21. Sur la critique des théories d’E. Durkheim, J. LARGUIER, Criminologie et science pénitentiaire, p. 6. 22. A. LAINGUI et A. LEBIGRE, Histoire du droit pénal, t. 1, p. 5-10. 23. Les limites et les aléas de la recherche quant à la valeur des archives judiciaires sont indiqués par J.P. CHARNAY, « Sur une méthode de sociologie juridique... », p. 522 ; il montre qu’une totalité du phénomène juridique est nécessaire à l’appréhension de la criminalité. La criminalité parisienne fournit un bel exemple de disparité des résultats en fonction des sources envisagées, Cl. GAUVARD, « La criminalité parisienne... », p. 361-370. Un autre exemple est fourni par les chiffres de la criminalité féminine. N. Gonthier l’évalue à 20 % environ des délinquants, alors que,

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dans les lettres de rémission, elle se limite à 5 % ; le résultat obtenu à Lyon prend en compte des types de délits de gravité différente, allant de la plus basse amende à la peine de mort, jugés par des tribunaux aux compétences variables, souvent rivales : N. GONTHIER, Délinquance..., t. 2, p. 343. En revanche, le taux de criminalité féminine calculé d’après les lettres de rémission reflète les résultats de la grande criminalité envisagée d’après une source homogène. Il est comparable à celui que connaissent les pays du Val-de-Loire au XIVe siècle, évalué à 6,5 % par M. BOURIN et B. CHEVALIER, « Le comportement criminel... », p. 151, au moyen de sources de même nature que celles que j’ai pu utiliser. 24. Ph. ROBERT. « Les statistiques criminelles et la recherche... », p. 5, insiste sur la différence entre la criminalité commise et l’image qu’en donnent les statistiques criminelles, et cela y compris à l'époque contemporaine, de 1831 à 1982, pour laquelle le « chiffre noir » des crimes reste important : du même auteur, Les comptes du crime..., p. 23-47. Les sources judiciaires sont aussi étroitement soumises aux effets de la conjoncture. L’exemple de Pérouse, où les archives judiciaires se gonflent démesurément dans la seconde moitié du XIII e siècle, pose clairement le problème du rapport entre les sources, la criminalité réelle, et les périodes de tension politique et sociale, J.Cl. MAIRE-VIGUEUR, « Justice et politique... », p. 312-313. 25. B. GUENEE, Tribunaux..., p. 307. 26. Fr. AUTRAND, Naissance..., p. 144 et suiv. 27. A. LAINGUI et A. LEBIGRE, Histoire du droit pénal, t. 2, p. 47-70. 28. Y. CASTAN, « Exemplarité judiciaire... », p. 58, trouve dans ce phénomène l’origine des peines exemplaires établies comme correctif de pertinence. 29. Sur la critique des sources et les rapports entre justice légale et infra-justice, voir A. SOMAN, « L’infra-justice à Paris... », p. 369, qui, après avoir dénoncé la « vanité des extrapolations » menées à partir des archives de la justice publique, écrit : « les procès entamés devant les tribunaux ne représentent qu’une fraction indéterminée de la criminalité apparente ». 30. Par exemple M. GLUCKMAN, « The Peace in the Feud », p. 14. 31. H. PLATELLE, La justice seigneuriale..., p. 322-323 et J.M. CARBASSE, « Philippe Ill le Hardi et les “mauvaises coutumes” pénales... », p. 157. 32. N. et Y. CASTAN, « Une économie de justice... », p. 361-362, et N. CASTAN, Justice el répression..., p. 13-51. 33. Sur l’inflation des lettres de rémission pendant le règne de Charles VI, M. FRANÇOIS, « Notes sur les lettres de rémission... », p. 322-323, et tableau 3. 34. C’est là encore une constatation bien connue des sociologues du droit pénal, R. LEVY et Ph. ROBERT, « Le sociologue... », p. 408, qui écrivent : « nous nous bornerons à rappeler qu’il est maintenant établi de façon décisive que les statistiques pénales reflètent, en règle générale, l’activité des services qui les produisent et non pas-ne serait-ce que de manière approchée-les infractions commises ». 35. Pour une synthèse de ces apports nouveaux, Fr. AUTRAND, Charles VI, en particulier p. 189-213. L’ATP du CNRS, « Genèse de l’Etat moderne », a donné lieu à de nombreuses publications qui montrent l’importance du règne dans cette construction. 36. A. ESMEIN, Histoire de la procédure criminelle..., p. 21 et suiv. 37. La vengeance peut en effet coexister avec la peine ; nombreux exemples rassemblés par R. VERDIER, La vengeance..., t. 1, p. 14 et suiv. 38. Cette distinction a été considérée comme un a priori lors des discussions relatives au concept de peine, au cours du Congrès de la Société Jean Bodin, La peine... 39. R. CAZELLES, « La réglementation... », p. 543-545, montre que les différentes mesures royales prises pour autoriser la guerre privée, y compris sous le règne de Charles V, sont une façon de céder aux revendications nobiliaires dont l’aire géographique recoupe celle des ligues de 1315. 40. J’ai déjà tenté de montrer la relation complexe qui pouvait lier l’Etat naissant et l’opinion publique, Cl. GAUVARD, « Le roi de France et l’opinion... », p. 355.

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41. En particulier N. ELIAS, La dynamique de l'Occident, p. 193-194. 42. R. MUCHEMBLED, L'invention de l’homme moderne, chap. 1. 43. On voit bien ce que cette démarche doit à la pensée de Freud, P. LEGENDRE, L'amour du censeur, p. 24-25. 44. Sur la fonction du pardon et de l’exécution capitale dans la construction de l’Etat, Cl. GAUVARD, « Le roi de France et l’opinion... », p. 365.

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Première partie. Cerner le crime

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Introduction

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La confusion qui prévaut quant aux interprétations de la criminalité médiévale tient à une double difficulté : analyser les sources en respectant leur typologie et distinguer la réalité du crime des descriptions qu’il suscite. Les crimes sont sans cesse imprégnés d’une image dont la signification peut varier en fonction de la source considérée, et par conséquent du but recherché par le rédacteur des actes étudiés. D’autres facteurs peuvent aussi biaiser cette image. L’enquête bute sur une longue tradition orale qui freine la rédaction des sentences, tandis qu’à l’inverse, l’influence du droit canon et du droit romain ainsi que les effets de l’humanisme naissant sont difficiles à cerner. La transformation des procédures et l’ingérence de l’Etat dans la résolution des conflits aux XIVe et XV e siècles brouillent aussi les données, car le pouvoir, muni de moyens nouveaux, manie un discours utilitariste. Enfin, la peur et les phénomènes de foule qu’elle engendre, que cette peur soit fondée ou suscitée, décuplent les effets du crime. Tiraillé entre ces pôles, le crime fuit. Il convient donc dans un premier temps de le cerner.

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La difficulté qui consiste à confronter des sources qui, par leur but, leurs auteurs et la nature des crimes envisagés, ne sont pas homogènes, a imposé des choix. Définir le champ de la violence n’était pas non plus chose facile. Celle-ci a été envisagée en étroite relation avec la criminalité la plus grave, si bien que, quand la violence ne débouchait pas sur le crime, elle n’a pas été traitée en soi. Pour cette raison, les mouvements de révolte sont restés hors du champ de l’étude, sauf quand ils ont permis de caractériser des types de crimes. Les procès d’inquisition n’ont pas pu être abordés, car les crimes qu’ils évoquent les éloignent de la criminalité royale. Quant aux procès faits à Jeanne d’Arc, ils constituent, par leur nature mais aussi par leur contenu, un cas exemplaire, difficile à intégrer dans une perspective générale. Pour cette raison, leur cas a été réservé.

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Chapitre 1. Typologie des sources accords, répression, discours...

1

Les constatations qui ouvrent cette étude peuvent paraître à la fois ambitieuses et pessimistes. Elles engagent, en fait, à une analyse extrêmement attentive des sources utilisées. Ce travail, habituel à l’historien, doit ici être mené jusqu’à définir une typologie des principales sources employées. Aussi, plutôt que d’énumérer leur contenu, série par série, en les rattachant à leur lieu de conservation, il a semblé préférable de les rassembler et classer en fonction de la juridiction dont elles émanent et de leur typologie, que les éléments soient conservés aux Archives Nationales, à la Bibliothèque Nationale, ou qu’ils aient donné lieu à des publications. Ainsi, peut-on espérer limiter les effets pervers, d’un point de vue quantitatif et qualitatif, que risque de provoquer, pour l’histoire du crime, l’addition factice des sources utilisées.

I. — Minutes des accords du Parlement de Paris ARCHIVES NATIONALES 2

Ont été étudiés par sondage les recueils de minutes d’accords concernant le règne de Charles VI :

3

X 1c 41-124 Parlement civil (1380-1422)

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Il peut sembler paradoxal de commencer par une forme de résolution des conflits qui touche aux marges de la justice publique. Mais il convient de répéter, encore une fois, qu’une grande partie des accords entre individus échappe à l’historien de la criminalité médiévale. Celui-ci doit se limiter, dans l’état actuel des études, et peut-être définitivement du fait des prestations orales que supposent les résolutions privées, à subodorer leur existence. Sur ce point il n’existe pas de différence entre la transaction, où les deux parties s’entendent seules, et l’arbitrage, quand les deux parties s’en remettent à la décision d’un ou de plusieurs arbitres dont elles s’engagent à suivre la décision : l’une et l’autre peuvent rester orales. Transactions et arbitrages ont cependant des chances d’avoir laissé une trace écrite quand ils ont pu être homologués soit par une charte, soit par un acte notarié, soit par une cour de justice. La période des

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XIVe et XVe siècles semble, du point de vue des sources écrites, peu privilégiée. Avec la restriction du nombre des cartulaires au cours du XIIIe siècle, la trace des transactions et des sentences arbitrales, en cette fin de Moyen Age, s’estompe sans que les archives notariales, au moins au nord du royaume, aient encore nettement pris le relais 1. Le règlement du contentieux criminel homologué par le notaire, connu dans les villes italiennes dès le XIVe siècle, apparaît sans doute en France à une date plus tardive, même si les Artes notariae qui comprennent dans leurs rubriques les judicia sont alors diffusées sur le modèle des ouvrages de Rainerius Perusinus et de Rolandinus Passagerii2. A Paris, le nombre des accommodements ainsi repérés dans les archives notariales n’est pas probant avant la seconde moitié du XVIe siècle : d’après les premiers sondages d’A. Soman, ils atteignent alors 5 % des actes étudiés 3. En ce qui concerne la fin du Moyen Age, il a donc fallu abandonner l’espoir d’atteindre des données chiffrées du phénomène en se référant à ce type d’archives 4. 5

L’étude par sondage de la série X le des Archives Nationales confirme la difficulté d’interprétation. Les accords entre les parties, acceptés par le roi, sont soit des transactions soit des arbitrages. Ils interviennent en général au cours d’un procès en la Cour de Parlement, mais qui n’a pas été plaidé et qui, a fortiori, n’a pas donné lieu à un arrêt. Le roi, saisi à la requête de l’appelant, peut adresser une lettre aux gens du Parlement par laquelle il leur demande de mettre l’appellation au néant, sans amende, afin que les parties puissent s’accorder et pacifier, à charge de rapporter l’accord fait entre elles devant le Parlement.

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Cette procédure publique reconnaît par là-même la validité des résolutions privées. Celles-ci ne sont pas pour autant faciles à cerner. La façon de procéder aux transactions reste souvent du strict domaine privé et leurs motivations échappent à l’historien. En revanche, en matière d’arbitrage, le choix et la tâche des arbitres recrutés parmi les boni homines ou probi homines de la communauté à laquelle appartiennent les protagonistes sont maintenant bien connus. Ces « faiseurs de paix » ou « paiseurs » existent dans les villes du Nord au moins dès le XII e siècle ; en revanche, leur rôle semble plus limité dans le Midi où règne, sous l’influence du droit romain, et en particulier du code théodosien, une justice publique coercitive qui se doit d’être terrible5. Dans tous les cas, la paix privée est réglée par un rituel dont le déroulement garantit la validité des actes, mais qui reste difficile à saisir. La permanence de ce rituel jusqu’à nos jours dans certaines régions, qu’il s’agisse des Nuer du Soudan ou des populations sardes, permet de mieux comprendre l’importance de la cérémonie au cours de laquelle ces accords sont prononcés oralement et garantis par le serment 6. Une véritable logique symbolique est ainsi mise en place ; elle assure le lien entre le social et le sacré. Partant d’une telle analyse, on pourrait penser que le rôle des accommodements dans la résolution des conflits s’est affaibli à la fin du Moyen Age, en même temps que s’affadissait la croyance aux vertus du serment. Les tentatives d’H. Platelle pour mesurer leur place par rapport à la justice publique montrent que, dans la seigneurie de Saint-Amand, le nombre des sentences arbitrales continue à être élevé aux XIVe et XVe siècles puisqu’il correspond à un tiers des crimes repérés 7.

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Pour mesurer la place des accords dans la résolution des conflits, il importe de savoir quel rapport ce type de règlement entretient avec la justice publique. Encore une fois l’arbitrage est le mieux connu. Si, comme le montre C. Giardina quand il retrace la figure historico-juridique de l’arbitrage dans l’Italie du Haut Moyen Age, le rôle des médiateurs s’est développé plus largement dans les lieux où l’autorité de l’Etat n’était

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pas suffisamment forte, il ne semble pas pour autant y avoir, à l’époque qui nous intéresse, d’antagonisme entre le système de l’arbitrage et la justice publique 8. Les travaux d’Y. Jeanclos confirment bien que l’arbitrage, en Champagne et en Bourgogne, n’a pas précédé la justice et ne s’est pas développé aux XIV e et XVe siècles contre la loi9. D’ailleurs, les liens qui existent entre l’arbitrage et l’Eglise sont nombreux, justifiés par la finalité de paix et d’amour qui doit régner entre les parties ; les statuts synodaux de Paris au XIIIe siècle font par exemple état du rôle des boni viri susceptibles de restituer un bien possédé injustement si le coupable n’ose pas le faire lui-même, le pardon étant la meilleure solution, même en cas de délit grave10. Mais jusqu’où placer la limite de gravité ? L’accord entre les parties, même en droit canon, peut-il concerner tous les crimes ? 8

« Tuit li cas de crime en sont excepté » écrit Philippe de Beaumanoir car « Li souverain doivent savoir comment li vilain fet qui aviennent en la justice de leur sougies sont vengié »11. Que désigne l’expression « vilain fait » ? S’agit-il du crime en général ou seulement de certains crimes parmi les plus graves et ceux-ci incluent-ils l’homicide pour l’honneur que les textes du Nord désignent, à l’inverse, comme « un beau fait » 12 ? L’analyse de Jean Bouteiller, à la fin du XIVe siècle, explicite celle de Beaumanoir. Les cas criminels sont, par principe, exclus des transactions et certains, par nature, se doivent obligatoirement d’y échapper : « Item nul cas criminel ne chet en arbitrage, par especial de rapt, de meurtre, de trayson, de pillerie : car supposé que les parties ne fussent d’accord ou non, si ne le souffriroit mie le seigneur car l’action ne compete mie a partie mais au seigneur »13. L’interprétation de ce texte est claire, sauf en ce qui concerne les crimes de sang : le meurtre inclut-il l’homicide ? Seule une analyse des mots qui désignent le crime pourra permettre de répondre. Les glossateurs comme Pierre de Belleperche ou Albertus Gandinus sont plus précis. Ils excluent les crimes réputés extraordinaires par le droit romain des transactions entre parties mais ils acceptent celles-ci en cas d’homicide. Néanmoins, ces accords privés n’empêchent pas l’autorité publique d’intervenir en vertu du principe que rappelle Albertus Gandinus : « Omnes delinquens offendit rem publicam civitatis » ; cette position nuancée contraste peutêtre avec celle des canonistes dont ce même Albertus Gandinus rapporte, en s’inspirant de Gratien, que « secundum canones de nullo crimine potest transigi quia omne crimen videtur esse publicum »14. La théorie se révèle donc complexe, sensible à la nature du crime, et la pratique, où perce une rivalité certaine entre les civilistes et les canonistes, ajoute à la confusion. Au XVIe siècle, à Saint-Amand, des homicides peuvent encore être réglés par accords passés entre les parties15. On ne peut donc que conclure à la fluidité de la frontière qui existe encore entre le civil et le criminel, le privé et le public. Le clivage achoppe en particulier sur la résolution de l’homicide.

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Que peut apporter l’étude des accords passés devant le Parlement de Paris avec l’autorisation du roi ? Cette série, si elle ne témoigne pas exactement de toutes les résolutions privées, a l’avantage de nous faire connaître les types de crimes pour lesquels la justice publique reconnaît le recours possible à l’accord entre les parties. Il s’agit, en principe, de cas civils : testaments, héritages, dettes, limites de propriétés, règlements de droits paroissiaux... Mais, sous ce terme, sont rangés des accords qui peuvent porter sur de sévères blessures avec préméditation, des ports d’armes prohibés, des tentatives de viols, des rapts, des ruptures de sauvegarde, des fauxmonnayages16. Le sondage porte sur 1000 cas répartis pendant le règne de Charles VI et,

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au total, les cas qui relèvent de la grande criminalité constituent environ 1 % du total, c’est-à-dire que leur proportion est presque négligeable. 10

Une première différence apparaît d’emblée avec les règnes précédents. En effet, dans la première moitié du XIVe siècle, le Parlement criminel peut encore accepter que les deux parties procèdent à un accord en cas d’homicide ; dans le dernier quart du XIV e siècle, le procureur du roi conteste le recours à l’accommodement pour un tel crime « sous peine de voir blecier son droit »17. Quant aux accords du Parlement proprement dits, le sondage effectué pour le règne de Charles VI n’a justement pas permis de relever d’homicide, si ce n’est l’affaire Franquet dont tous les protagonistes sont décédés et qui donne lieu à une transaction entre les héritiers 18. Quant aux meurtres, ils n’existent que sous forme de tentative, par exemple celle dont l’abbé de Saint-Martinaux-Bois a été victime en 140119. On décèle là une évolution qui suit les préceptes des théoriciens du droit et tend à réserver les accords du Parlement à des causes civiles. Seuls alors les actes notariés peuvent conserver, à titre privé, des transactions et des arbitrages relatifs à la grande criminalité. Mais ne nous y trompons pas : l’évolution qui donne à la justice publique le monopole des affaires de grande criminalité est loin d’être achevée. Les accords du règne de Charles VI qui portent sur des rapts, des ruptures de sauvegarde, des faux-monnayages traitent de crimes extraordinaires dénoncés par les théoriciens du droit et ils devraient faire l’objet d’une plaidoirie au Parlement criminel ou nécessiter une lettre de rémission. Néanmoins ce sont des exceptions et les crimes répertoriés dans les accords sont plutôt des délits considérés comme mineurs, des injures en priorité, des ports d’armes prohibés. Enfin, s’il s’agit de grande criminalité, les délits arrivent atténués. C’est le cas des crimes politiques, qu’il s’agisse de crimes commis contre les officiers ou par les officiers eux-mêmes ; le langage s’interdit des formulations susceptibles de créer des situations irréversibles comme celles de « traison » ou de lèse-majesté. A peine emploie-t-on le mot « rebellion ». Ces crimes graves peuvent donc être volontairement atténués et le choix de la procédure semble bien dépendre du degré de dénonciation publique et de scandale que veulent obtenir les parties20. En se prêtant à l’accord, le Parlement, à la demande du roi, reste sensible à ce jeu d’opinion.

11

Que déduire de ces constatations ? En aucun cas les types de crimes réglés par les accords ne peuvent donner une idée de la hiérarchie des délits. Certes, l’utilisation de cette procédure peut impliquer une place de second rang : c’est le cas pour les injures. Mais qu’en est-il pour les ruptures de sauvegarde ? Si elles font l’objet d’accords passés au Parlement, n’est-ce pas parce que ce type de crime regarde en priorité la Cour souveraine et qu’elle entend bien ne pas voir les transactions et les arbitrages relatifs à ces délits lui échapper ? Dès le milieu du XIVe siècle, le Parlement cherche à se réserver l’autorisation de procéder à des accords en cas de crimes politiques, ruptures de sauvegarde ou faux-monnayages21. En ce qui concerne les homicides, il convient de mettre le recul de cette procédure en rapport avec le développement des lettres de rémission qui sont, comme nous le verrons, le mode de résolution privilégié de ce type de crime. La disparition de l’homicide dans les accords du Parlement ne veut pas dire pour autant que c’est le crime le plus atroce aux yeux des juges et qu’il nécessite une répression sans faille. Son mode de résolution est devenu autre. Le règlement des conflits varie bien en fonction des types de crimes. A ce titre, il n’existe pas à proprement parler, au sein de la justice royale, d’antagonisme entre la justice publique et la résolution privée.

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La série des accords peut-elle pour autant servir à l’histoire de la criminalité ? Outre le caractère sélectif des délits concernés, il est rare que les circonstances du crime soient relatées et que la personnalité des parties apparaisse. Parfois, pour appuyer sa demande au Parlement, la Chancellerie royale mentionne l’identité de l’appelant, marié, père de famille, « laboureur», bref un bon sujet. Mais, cette déclinaison apparaît de façon si sélective que les données ne concerneraient que les personnes âgées, les pères de famille nombreuse et les veuves, qui s’y trouveraient sur-représentés. Quant aux lieux du crime, le nombre des mentions est trop rare pour être significatif. Le sondage indique que les demandes d’accords relèvent de la juridiction du Parlement et que le roi ne néglige pas ainsi de pénétrer dans les justices seigneuriales ou princières 22. Au total, la quête est maigre. Ce constat tient en fait à la signification de ce type d’acte pour lequel la personnalité de l’appelant et la nature du crime sont moins importantes que la cérémonie de paix qui est ainsi célébrée.

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La reconnaissance par le Parlement de l’accord entre les parties, sa rédaction sous forme d’acte, ont certainement facilité sa « domestication » et atténué sa signification symbolique. Mais, à travers les formules employées pour parvenir à l’accord, transparaît encore un rituel dont désormais le roi est devenu l’ultime officiant. Son intervention se justifie par une apologie de la paix : paix entre les parents ou entre les voisins. Dans ce domaine, le roi peut d’ailleurs prendre le relais des « amis » et des « parents » qui sont déjà intervenus entre les parties. Par exemple, dans une affaire qui oppose Esmeline Mannourrie et Pierre Dubus, curé de l’église paroissiale de SaintPierre de Montreuil, un accord est intervenu, sans doute dès octobre 1402, « pour le bien de paix et par le conseil de leurs amis ». Son application est suspendue à la décision du roi et du Parlement car les parties « sont d’accord s’il plaist au roy nostre sire et a sa Court de Parlement »23. Nicolas de Baye signe finalement la lettre autorisant à passer l’accord le 22 février 1403. Rien ne semble donc différencier le roi des conciliateurs habituels ou des arbitres, à cela près qu’il est le conciliateur suprême et que son pouvoir est supérieur à celui des arbitres. Ces deux parties du bailliage de Sens ont commencé par élire « trois arbitres, arbitrateurs ou aimables compositeurs », puis elles se sont tournées vers le Parlement « comme a arbitrage de bon homme », pour enfin solliciter du roi l’autorisation de mettre au néant l’appellation et de procéder à un accord...24.

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La répétition des formules de paix dans chacune des lettres royales qui préludent à l’accord prend alors tout son sens : celui d’une incantation qui, de la même façon que les gestes de l’arbitre dans une civilisation de l’oral, apprivoise le sacré pour le rendre bénéfique et générateur de paix. D’ailleurs, les formules employées sont parfaitement stéréotypées, condition essentielle de leur vertu : « Avons donné et octroié, donnons et octroions par ces presentes, de grace especial, congié et licence de pacifier et accorder ensemble en et sur la dicte cause d’appel et de partir de Court sans amende ». Alors, l’acte peut changer de registre. Exaltant la « misericorde », le roi montre du doigt la « rigueur » des conflits. Sous surveillance royale, l’accord s’inscrit dans une économie du pardon. Il fait partie intégrante de ce qu’est devenue, à la fin du XIV e siècle, la fonction religieuse du souverain25.

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Le roi se présente comme le conciliateur suprême ; mais les motifs qu’il invoque montrent que l’on a quitté le registre privé et que la vie de relations s’inscrit dans un cadre politique, de la famille à l’Etat, de l’individu et de son groupe au sujet. A ces deux parties qui déclarent s’accorder « voulentiers » ensemble, le roi dispense sa grâce de

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procéder ainsi « Pourquoy nous ces choses considerees, qui voulons briesve fin estre reprise es causes et proces et paix et amour nourrir entre noz subjez, auxdittes parties avons donné et octroyé ». La grâce royale ne remplace donc pas exactement le rituel de la résolution privée. Elle agit au terme d’un processus qui laisse la part belle à l’initiative des parties ; il faut, pour qu’elle soit efficace, que celles-ci soient parfaitement prêtes à s’accorder. Si les soins des amis et des parents ne sont pas suffisants, il convient d’avoir éventuellement recours à des tiers qui préparent l’affaire ; ce peut même être des conseillers du roi qui sont nommés « pour en ordonner » quand les positions des deux parties sont difficiles à négocier. Le roi est alors un arbitre, mais il ne se substitue pas aux arbitres. Enfin, l’accord autorisé par le roi et reconnu par le Parlement n’interdit pas que les gestes de l’accord se manifestent, en particulier le serment qui scelle son respect. Les habitants de La Chaume, rebellés contre Marguerite de Thouars à propos d’un impôt, obtiennent en 1403 un accord qui met fin au procès en cours, mais tous l’« ont promis tenir, garder, enterrigner et accomplir par la foy et serment de leurs corps »26. 16

Une hiérarchie s’est ainsi créée qui n’a pas étouffé les initiatives privées. Jusqu’où cerner son champ d’action ? Pour bien saisir les relations entre la transaction et la justice légale, il conviendrait de comprendre quels avantages les protagonistes peuvent avoir à recourir à l’un ou l’autre de ces moyens de résolution. Sans entrer dans les détails de la procédure, il est possible de constater deux points : l’accord est une voie ni plus rapide ni moins coûteuse que le procès ou la rémission. En ce qui concerne la rapidité, il suffit de se référer aux exemples pris dans les sociétés primitives. Ils montrent la lenteur des procédures de paix privées qui s’accompagnent de longues interventions des amis et parents des deux parties27. Quant à leur coût, en ce qui concerne l’arbitrage proprement dit, il semble élevé28.

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On peut alors se demander s’il n’y a pas là un élément du succès de la justice légale qui, malgré sa lenteur et son coût, s’avère plus efficace dans la résolution des conflits. Il est en particulier probable que la lettre de rémission, en activant les accords entre les parties, a largement diminué le recours aux boni homines.

18

On pouvait imaginer repérer des types de crimes qui soient des failles aux raisonnements des théoriciens du droit, ou une justice en mal d’infiltrer perfidement les résolutions privées. Les accords passés devant le Parlement de Paris sont plutôt une reconnaissance de ces résolutions privées par la justice publique, sans qu’il y ait d’antagonisme entre les formes de résolution des conflits, mais avec une parfaite continuité dans le processus. Peut-être convient-il de voir là l’une des influences du droit canon en matière d’arbitrage29 ? Le gagnant, encore une fois, est le pouvoir royal, arbitre suprême qui donne à la procédure privée une fin qui la transcende sans la faire disparaître, avec une extrême souplesse. A ce titre, déjà apparaissent les limites de la source. Elle ne nous permet ni de connaître le monde du crime, ni même de mesurer le poids des accords dans la résolution des conflits ; seule apparaît la procédure qui peut, dans certains cas, par la volonté des parties unie à celle du roi, en marquer le terme. Son enseignement, il faudra y revenir, est politique plus que social.

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II. — Arrêts, lettres et plaidoiries du Parlement de Paris ARCHIVES NATIONALES 19

Ont été étudiés par sondage les registres du Parlement civil :

X la 1469-1477 Conseil et plaidoiries (1364-1394) X la 1478-1483 Conseil (1400-1457) X la 4784-4793 Plaidoiries matinées (1395-1424) X la 8300-8305 Plaidoiries après-dînées (1373-1455) X la 9182-9188 Grands Jours de Troyes (1367-1409) X la 9190-9201 Parlement de Poitiers (1418-1436) X la 8853-8855 Amendes (1399-1477)

20

Ont été entièrement dépouillés les registres du Parlement criminel. Les lettres et arrêts sont en latin, les procès-verbaux ou plaidoiries, en français :

X 2a 9

Lettres et arrêts (1375-1382)

X 2a 10 Procès-verbaux des séances (1375-1387) X 2a 11 Lettres et arrêts (1382-1393) X 2a 12 Procès-verbaux des séances (1387-1400) X 2a 13 Lettres et arrêts (1393-1400) X 2a 14 Procès-verbaux des séances (1400-1408) X 2a 15 Lettres et arrêts (1404-1409) X 2a 16 Lettres et arrêts (1409-1425) X 2a 17 Procès-verbaux des séances (1411-1417)

21

Ont été dépouillés par sondage les registres du Parlement criminel de Poitiers :

22

X 2a 18 à X 2a 21 Procès-verbaux et arrêts (1422-1436)

23

Pour les registres antérieurs à X 2a 9, la table alphabétique et analytique des registres d’arrêts établie par J. Malion et Y. Bezart a pu être utilisée (Inv. 925, n o402) ainsi que l’inventaire analytique des registres X 2a 2 à 5 établi par B. Labat-Poussin, M. Langlois et Y. Lanhers30.

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Les sources relatives au Parlement sont à la fois bien répertoriées et mal connues. Les difficultés tiennent en premier lieu au mélange qui, comme on l’a vu pour les accords, peut encore exister entre le civil et le criminel. Le développement du Parlement criminel à partir de 1319 n’a pas entièrement résolu la répartition des délits. Ainsi, lorsqu’en 1414 Regnault Le Set, prévôt fermier à Laon, est accusé par trois habitants d’excès sur leurs personnes allant du rançonnement jusqu’à la question, le procès, débattu au civil, s’engage bien sur le terrain criminel ; le fait que le prévôt a fait suivre une rémission dûment entérinée d’une forte composition financière accompagnée de sévices corporels ne change rien au déroulement du procès qui reste de la compétence du Parlement civil31. De tels excès de la part d’un prévôt peuvent aussi bien faire l’objet, au même moment, de procès devant le Parlement criminel32. Il peut néanmoins arriver que les délits soient jugés trop importants pour être débattus au civil : tel est le cas du procès lancé en 1414 contre Robert, sire de Peletot, ancien bailli de Cotentin, qui réclame la restitution de son office contre Jean d’Ivoy qui se prétend élu à bon escient. Pour mieux contrer Peletot, le procureur du roi fait alors état des « exces » commis par l’ancien bailli et le procès passe le même jour au criminel où sont énumérés les différents délits, essentiellement des compositions illicites 33. Mais, on le voit, une telle procédure qui consiste à passer nettement du Parlement civil au Parlement criminel n’est pas employée sans arrière-pensée : elle se doit de perdre l’accusé et ici, en cette période de guerre civile, elle contribue à soutenir le changement opéré dans le personnel politique34. Elle n’est donc pas généralisable.

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Difficiles à répartir entre le civil et le criminel, les causes conservées par le Parlement ne sont pas facilement quantifiables, même si l’investigation se limite aux registres du Parlement criminel. Cette impossibilité tient à plusieurs raisons, à commencer par la nature même des actes contenus dans les registres. Les arrêts comportent des jugements interlocutoires plus que des décisions définitives 35. L’affaire est en général appointée au Conseil et l’issue en demeure inconnue36. Quant aux lettres de commissions, elles renseignent plutôt sur la procédure qui a été et qui sera suivie, qu’il s’agisse de transferts ou d’élargissements, ou encore de renvois devant des juridictions inférieures. Cette étude n’a pas été retenue pour elle-même dans le cadre de ce travail.

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D’autre part, dans cette source, la formulation du type de crime est incomplète. Je reviendrai sur le problème général que posent le vocabulaire et la typologie des crimes, mais il convient de noter que, en ce qui concerne le Parlement criminel et en particulier les lettres de commissions plus précises sur ce point que les plaidoiries, il subsiste énormément de crimes inconnus (tableau 1). Dans plus d’un quart des cas, le crime est indifférencié et le suspect est chargé « super certis criminibus seu malefîciis et excessibus »37. Tableau 1 : Délits recensés au Parlement

Types de délits

Fréquence (en %)

1 Non précisé

26,0

2 Homicide

25,0

3 Crime contre les biens

7,0

88

4 Contestation d’héritage

6,0

5 Viol

5,0

6 Rupture d’asseurement

2,0

7 Faux-monnayage

4,0

8 Crime politique

7,5

9 Crime professionnel

0,5

10 Conflit de juridiction

6,0

11 Contestation de rémission 8,0 12 Autres

3,0 100

Le recensement des délits est établi par sondage portant sur 300 lettres de commissions conservées pour la période 1380-1422. 27

Le crime est un excès dont la procédure s’empare et cela seul compte. Aucune logique ne peut alors être appliquée pour déterminer quel délit peut conduire plus facilement qu’un autre à l’élargissement ou à la condamnation immédiate. Il faut renoncer à saisir, à partir de telles sources, une éventuelle hiérarchie des crimes. Les lettres de commissions et les arrêts ne révèlent donc guère la sentence et imparfaitement la nature de l’infraction. En revanche, on pourrait penser que les plaidoiries, plus disertes, leur servent de complément en nous renseignant sur la cause du crime et sur la personnalité du criminel.

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L’origine sociale des demandeurs et des défendeurs n’est pas toujours facile à cerner. La déclinaison d’identité est d’ailleurs un objet de litige, en particulier en ce qui concerne les clercs et les nobles38. Tableau 2 : Origine sociale des criminels

Origine sociale Fréquence (en %) 1 Non précisée

24,5

2 Noble

28,5

3 Clerc

10,0

4 Laboureur

3,0

5 Officier

15,0

6 Serviteur

5,0

89

7 Communauté 4,5 8 Autres

9,5 100

L’origine sociale des criminels au Parlement est établie par sondage portant sur 150 plaidoiries conservées pour la période 1380-1422. 29

Dans 25 % des cas, l’origine sociale des individus n’est pas précisée. La noblesse impliquée dans 30 % des cas environ, les officiers seigneuriaux ou royaux dans 15 % des cas et les clercs dans 10 % des cas sont sur-représentés par rapport à la place qu’ils occupent dans la population totale, mais aussi par rapport à d’autres types de sources judiciaires plus facilement ouvertes au peuple, telles les lettres de rémission 39. La place des communautés d’habitants – environ 5 % des cas au criminel – pourrait aussi donner l’idée que la violence collective est importante ; en fait, au Parlement, elle est privilégiée, plus nettement encore au civil qu’au criminel, car la Cour joue ainsi le rôle d’arbitre entre les habitants et leur seigneur. Les cas de refus du guet et de la garde, ou celui de la taille, se règlent en priorité devant le Parlement 40. Si environ 10 % de ceux qui voient leur procès plaidé, soit comme demandeur, soit comme défendeur, s’efforcent sans être nobles de se montrer notables, il reste, en ne tenant pas compte des inconnus, seulement 5 % de cas où la situation sociale avouée est inférieure, répartie entre les laboureurs et les serviteurs. On ne peut pas en déduire pour autant que les conflits entre nobles et non-nobles sont fréquents même s’ils sont importants car, dans plus de la moitié des cas, les nobles ont des procès entre eux. La juridiction du Parlement s’adresse bien en priorité à des catégories privilégiées.

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Quant aux renseignements sur la situation de famille et les niveaux de fortune, ils sont indigents, impliqués directement dans une image stéréotypée qui lie ces éléments à la renommée, en particulier quand il s’agit d’une richesse trop rapidement acquise ou d’une naissance illégitime : il faudra y revenir41. Au total, la quête est décevante et les registres du Parlement ne permettent pas d’esquisser une sociologie criminelle fiable. Mais là n’est pas sans doute l’intérêt de la source.

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Revenons aux plaidoiries qui constituent la partie la plus vivante des registres. Elles constituent un type d’actes, et elles utilisent un langage codé qu’il convient d’étudier comme tel. Elles se déroulent en effet selon un jeu verbal qui obéit aux lois de la théâtralité où chacun sait d’avance, demandeur, défendeur et juge, comment il doit parler. Les avocats en ont fait leur métier et le succès du Stilus Curie Parlamenti de Guillaume Du Breuil dès la première moitié du XIVe siècle, ou celui du Grand Coutumier de Jacques d’Ableiges à la fin du XIVe siècle, confirment l’importance donnée au paraître, celui de la parole et des gestes, à tout ce qui, dans un procès, relève des masques42. L’importance accordée à la parole dans la procédure d’enquête suivie en Cour laïque au XIVe siècle, les progrès de la rhétorique et le recours au modèle cicéronien chez les lettrés du règne de Charles VI ont encore accru le goût pour l’art oratoire. Fr. Autrand a montré le nombre élevé des traités de rhétorique et des sermons dans les bibliothèques des gens du Parlement à cette époque. Il est probable que le greffier criminel Jean de Cessières qui occupe cette place de 1375 à 1404, faisait partie de cette élite intellectuelle, à la pointe du progrès humaniste, comme son homologue au civil, Nicolas de Baye43. Les registres du Parlement reflètent une modeste part de

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cette oralité, celle que l’écriture a fixée, mais le résultat est clair. Les plaidoiries créent un objet qui, à lui seul, est objet d’histoire et qui a, finalement, peu de relations avec le vrai, à peine avec le vraisemblable. Ayant dans la plupart des cas choisi de plaider non coupable, l’avocat construit son discours sur des portraits réciproquement antithétiques du demandeur et du défendeur, du coupable et de la victime 44. 32

Quelle place accorder à ces figures de rhétorique ? Il convient d’analyser leur récit de façon structurale plutôt que d’y rechercher le portrait concret d’éventuels coupables ou victimes. Alors se profile une déclinaison d’identité fonctionnant comme modèle social et politique. Elle s’avère être celle du sujet idéal ou pervers, du bien et du mal au service de la communauté politique qui, à l’échelon du Parlement, est celle du royaume. De la même façon apparaissent les grandes lignes des crimes qui se doivent d’exclure l’individu de cette même communauté en le faisant reconnaître coupable aux yeux de tous et par conséquent punissable. Car la transmutation consiste bien à échanger le crime contre la peine requise. Les plaidoiries ont donc une double fonction : elles alimentent la preuve par persuasion et elles disent ce que doivent être le bien et le mal dans le langage du pouvoir et de la société. Il faudra donc répertorier ces images, en analyser le sens pour tenter de répondre à la question suivante : quelle place occupent ces modèles culturels dans la construction de la répression ? Mais, étant donné ce que nous savons de la sociologie des « clients » du Parlement, le danger consisterait à ne voir là, à travers ce discours de privilégiés, destiné en principe à des privilégiés, qu’un modèle dont le contenu s’impose d’en haut aux autres couches sociales 45. Le jeu culturel n’est-il pas plus subtil que celui d’une simple vulgarisation de modèles empruntés aux classes dirigeantes ? A qui appartiennent ces valeurs que le langage du pouvoir fait siennes selon un processus d’acculturation à long terme ? De ce point de vue, l’enseignement politique des archives du Parlement est immense, à condition de le confronter à d’autres sources judiciaires où le poids de la noblesse s’avère moins fort. Cette utilisation des sources interdit alors de limiter leur intérêt à la seule jurisprudence, à défaut d’une analyse criminologique impossible. Elles permettent de mesurer le champ perturbateur du crime.

III. — Les registres du Châtelet ARCHIVES NATIONALES 33

Y 2 Livre rouge vieil.

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Actes divers dont de nombreuses ordonnances de police criées dans la prévôté de Paris entre 1355 et 1408. Pour les autres livres de couleur et des bannières du Châtelet, l’inventaire établi par A. Tuetey a été consulté46.

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Y 10531 Registre criminel du Châtelet de Paris (6 septembre 1389-18 mai 1392).

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Ce registre de 284 feuillets sur papier de la fin du XIV e siècle comporte 107 procès ; il est entièrement édité par H. Duplès-Agier47. Il convient d’ajouter aux procès édités une table de la même époque, non-éditée (fol. 1lv.) qui sélectionne 26 cas et relate en marge le sort qui a été réservé aux accusés.

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Y 5266 Registre des prisonniers entrés au Châtelet (14juin 1488-31 janvier 1489).

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Ce registre sur papier de 220 feuillets mêle les cas civils (dettes) aux cas criminels. Il comporte en marge des mentions plus ou moins abrégées. Il peut s’agir d’un renvoi

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dans le même registre si le cas des prisonniers y est évoqué une autre fois, d’une abréviation pour marquer leur délit quand celui-ci est une dette, du sort réservé aux prisonniers, évoqué soit par une croix dont le sens n’est pas toujours clair, soit par des mentions abrégées (del indique leur simple délivrance, est leur élargissement), soit par des mentions en clair indiquant qu’ils ont été questionnés, battus ou pendus ou simplement mis hors sans rien payer. 39

Y 5220-5232 Registres de la Prévôté de Paris au Châtelet (1395-1455).

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Ces registres concernent les causes civiles. Ils ont été étudiés par sondage 48.

BIBLIOTHEQUE NATIONALE 41

Collection Clairambault 763, 764 : extraits des registres d’audience du Châtelet (1401-1528), avec une table alphabétique à la fin de chaque volume.

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Le problème le plus délicat est posé par les archives criminelles du Châtelet dont les seules conservées, pour le Moyen Age, sont les registres Y 5266 et 10531. Ils ne sont que les épaves de registres dont on connaît l’existence par des allusions dans les archives du Parlement du règne de Charles VI. Certains mentionnaient l’entrée des prisonniers et leur état civil, mais ils n’étaient pas toujours bien tenus et ne restaient pas obligatoirement à la disposition des prévôts successifs. Les décisions prises au XIV e siècle pour organiser le Châtelet n’ont pas réussi à imposer la constitution d’archives continues. Il se peut donc que le registre Y 5266, Registre des écrous du Châtelet, soit un vestige d’archives qui, pour le XIVe siècle, auraient été très fragmentaires49.

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Le cas du registre Y 10531 est beaucoup plus délicat et il convient de s’y arrêter longuement pour comprendre à quel type de documents il se rattache. Ce registre sert traditionnellement de source aux travaux relatifs à la criminalité parisienne, en particulier à ceux menés par Br. Geremek et E. Cohen50. Avant d’en reprendre l’étude, et sans s’étendre sur les problèmes de juridiction, il convient de remarquer que le ressort du Châtelet ne se limite pas à la ville de Paris et que, au cours du XIV e siècle, les pouvoirs coercitifs du prévôt de Paris se sont étendus à l’ensemble du royaume 51. Le droit de suite donne ainsi pouvoir au prévôt et à ses officiers de continuer les affaires commencées au Châtelet52. Les cas évoqués par le Registre criminel du Châtelet ne sont donc pas strictement limités à la ville de Paris et les prisonniers, qui ne sont pas tous domiciliés à Paris, n’ont pas été obligatoirement pris dans l’enceinte même de la ville. Sur les 123 individus recensés, 72 seulement ont été arrêtés à Paris et il est arrivé que les officiers du Châtelet se déplacent pour quérir des criminels comme ce fut le cas en 1390-1391, lors des procès relatifs aux empoisonnements des fontaines qui conduisirent maître Jean Truquam et Gérard de La Haye, examinateurs au Châtelet, jusqu’au Mans, à Tours et à Rouen53. Le registre ne reflète donc, au mieux, qu’une partie de la criminalité parisienne.

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La seconde réserve quant à la fiabilité du registre pour dévoiler la criminalité parisienne tient aux liens qu’il convient d’établir entre le Châtelet et le Parlement de Paris, sur lesquels les études manquent cruellement54. Les lettres de commissions conservées au Parlement criminel montrent que les liens avec le Châtelet sont étroits. Là sont incarcérés les prisonniers qui y sont mentionnés. Les crimes que ces lettres relatent, consignés pour les années 1389-1392 dans les registres X 2a 11 et X 2a 12, permettent de nuancer les conclusions auxquelles la seule étude du Registre criminel du Châtelet risquerait de faire aboutir. On assiste pendant ces années, comme pendant le

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reste du règne de Charles VI, à un va-et-vient complémentaire entre les deux juridictions, si bien que les criminels mentionnés par les lettres de commissions font partie des criminels incarcérés au Châtelet55. Or les crimes répertoriés n’ont pas le même profil. En effet, d’après le Registre criminel du Châtelet, Y 10531, les vols constituent le premier type de crime avec plus de 66 % des cas, chiffre qui tranche avec celui que permettent de déceler toutes les autres sources qui lui sont contemporaines, et en particulier avec les lettres de commissions conservées dans les registres du Parlement. Les homicides y sont en effet prépondérants et les vols sont réduits à 6 % des cas criminels (tableau 1). Même en tenant compte des 20 % de crimes dont la nature n’est pas précisée, la proportion des vols est loin d’atteindre le chiffre record détenu par le Registre criminel du Châtelet56. 45

La comparaison menée avec les types de crimes contenus dans le Registre des écrous du Châtelet, Y 5266, est aussi très significative, même s’il est possible d’émettre des réserves sur cette source qui comporte des crimes non précisés et des emprisonnements pour dettes : l’incarcération pour vol y atteint environ 12 %, chiffre qu’il convient de corriger à la hausse avec le pourcentage de crimes inconnus – environ 19 % –, qui se rapproche par conséquent de celui que nous retrouverons pour les lettres de rémission 57. Par rapport à ces données dont nous essaierons d’affiner le sens au cours de l’étude, le Registre criminel du Châtelet présente donc des aberrations dans le profil des crimes qu’il convient d’expliquer avant de pouvoir l’utiliser.

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L’importance des élargissements sous caution accordés par le Parlement ajoute aux difficultés de l’analyse en faussant encore les chiffres de la criminalité parisienne. La pratique n’est pas propre à cette juridiction mais il s’agit là d’un des abus dénoncés par les ordonnances quant au fonctionnement de la Cour58. De nombreuses mentions de ces élargissements existent dans les registres criminels, qu’il s’agisse d’élargissements dans la ville ou aux frontières du royaume59. Le témoignage du Registre des écrous du Châtelet confirme l’importance de l’élargissement puisque c’est le sort réservé à plus de 20 % des prisonniers, sans préjuger d’ailleurs de leur sort définitif 60 Il faut enfin tenir compte de la rapidité avec laquelle sont expédiés les criminels incarcérés au Châtelet. Pour toutes ces raisons, il ne faut pas s’attendre à ce que l’approche de la criminalité parisienne soit plus facile que celle du reste du royaume.

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Etant donné les considérations précédentes, l’originalité du Registre criminel du Châtelet reste entière. Une autre approche du document est donc nécessaire : elle consiste moins à s’interroger exclusivement sur la sociologie des criminels et sur les types de crimes commis que de les mettre en rapport avec la procédure employée, et avec le but poursuivi par son auteur, le clerc criminel Aleaume Cachemarée.

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Le Registre criminel du Châtelet fait état de la procédure extraordinaire puisque près des trois quarts des prisonniers sont soumis à la torture afin de leur extorquer des aveux. A ce titre, il ne peut donc pas être réellement comparé aux registres criminels du Parlement qui comportent en majorité la mention de procédures ordinaires et, dans très peu de cas, le recours à la question61. Seuls ces rares procès et ceux, plus nombreux, qui mentionnent des cas de torture devant d’autres juridictions dont le suspect a appelé au Parlement, peuvent lui être comparés. Or, à la torture abusive telle qu’elle est rapportée dans ces procès du Parlement criminel, s’oppose la torture en règle décrite dans le Registre criminel du Châtelet. On pourrait, pour reprendre l’expression employée par les plaidoiries, la considérer comme « courtoise »62. Les aveux, pour être « légaux », sont obtenus après la séance et par conséquent hors de la torture, lorsque le suspect,

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homme ou femme, est « rechauffé à la cuisine ». Mais, pour en arriver là, il faut qu’un certain ordre soit respecté. 49

Prenons un exemple assez simple mais typique, celui de Jaquet de Lyembois, prisonnier pour avoir dérobé à son maître, Coisme de Grimaude, écuyer, plusieurs biens, pièces de monnaie, vêtements et vaisselle63. Dans un premier temps, le 3 mai 1390, il confesse ces vols sans torture, en décrivant l’effraction du coffre qui lui a permis de prendre les écus d’or. L’affaire se poursuit le 19 mai quand le prévôt, en jugement sur les carreaux, le fait revenir devant son lieutenant et sept examinateurs. Le prévenu commence par confirmer ses confessions « disans et affermant par serement icelles confessions estre vrayes, et que oncques ne meffist autre chose que dit est cy-dessus » 64.

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Suit alors une délibération, sans la présence de l’accusé, au cours de laquelle le prévôt de Paris demande l’avis des conseillers présents, la décision étant prise à la majeure partie d’entre eux et si possible à Tunanimité : « Et, ce fait, fu fait traire arriéré sur lesdis carreaux, et par ledit mons. le prevost demandé ausdiz presens conseillers leur advis et oppinions comment l’en avoit a proceder contre icellui prisonnier. Tous lesquelz, veu l’estat et personne d’icellui prisonnier, qui a continué et frequenté rouste de gens d’armes, lesdiz larrecins et reiteracions d’iceulx, par lui fais et cogneuz, et la traïson par lui commise contre sondit maistre, en rompant sondit coffre, delibererent et furent d’oppinion que, pour savoir par sa bouche la verité des autres crimes et deliz faiz et commiz par ledit prisonnier, il feust mis a question. Et ad ce fu condempné par ledit mons. le prevost ».

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La procédure suit alors son cours bien réglé. Comme le prévôt lui demande de dire la vérité sous peine d’être mis à la question et que Jaquet de Lyembois refuse de passer aux aveux, il « fu mis a question sur le petit et le grant tresteau ; et requist instanment que l’en le voulsist mettre hors d’icelle, et il diroit verité des crimes par lui commis, dont il en avoit fait plusieurs. Si fu mis hors d’icelle question, mené choffer en la cuisine en la maniere accoustumee. Hors de laquelle question, sans aucune force ou contrainte, icellui prisonnier cogneut et confessa... »65.

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Aucune de ces phases de la procédure ne doit être escamotée comme le prouve leur répétition dans chaque cas où la torture est employée. Leur succession et leur respect garantissent la véracité de l’aveu et par conséquent le bon exercice de la justice. Le récit de ces confessions a donc bien pour but de mettre en place le rituel de l’aveu dans le cas de la procédure extraordinaire. Il ne s’agit pas seulement de justifier l’usage de la torture. Le déroulement de la confession accorde aussi une grande place aux décisions des juges prises par voie de délibération, qu’il s’agisse de décider de la question ou du sort définitif réservé au prisonnier. Pour reprendre l’exemple précédent, une fois les seconds aveux confirmés par le coupable le 26 mai, il fut « par ledit mons. le prevost demandé ausdiz conseillers leurs advis et oppinions qu’il estoit bon a faire dudit prisonnier. Tous lesquelz, veu le proces et confessions dudit prisonnier, attendu les perseveracions, reiteracions, traïson de larrecins dessus diz, par lui faiz et commiz par plusieurs et diverses fois et journées, tant a sondit maistre comme a autre, delibererent et furent d’oppinion qu’il feust penduz comme larron. Ouyes lesqueles oppinions et veu ledit proces, ledit mons. le prevost le condempna ad ce » 66.

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Dans d’autres cas, les avis des juges, s’ils diffèrent entre eux, sont soigneusement notés. Ainsi, les actions de Jean Petit qui a confessé avoir plusieurs fois volé et suivi les gens d’armes mais qui prétend être sou-sâgé, n’entraînent pas la décision des juges, la moitié d’entre eux voulant sa mort, l’autre moitié son bannissement ; le prévôt sursoit à la

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décision et demande « que chascun pensast et advisast la plus seure et meure oppinion »67. La séance suivante, il est fait mention des conseils que le prévôt a demandés sur ce point « a des sages hommes et notables » et la condamnation à mort est décidée. La présence du prévôt de Paris, de son lieutenant et des examinateurs, est chaque fois consignée, même si le nom des personnes qui ont entendu les diverses confessions ne sont pas les mêmes que celles qui procèdent au jugement ; il importe sans doute plutôt de montrer que le nombre et la qualité des juges sont adéquats. Or, à considérer les seuls jugements, la présence du prévôt apparaît dans 85 % des cas, ce qui, sur un laps de temps de trois années, semble une belle performance. Cette assiduité rompt avec les critiques formulées auparavant par les ordonnances quant à l’absence répétée du prévôt68. Tout tend donc à faire du Registre criminel du Châtelet un modèle pour l’exercice de la procédure extraordinaire selon les principes réformateurs répétés depuis le milieu du XIVe siècle, en partie appliqués sous le règne de Charles V, qu’il s’agisse de la délibération démocratique dans les décisions prises ou de l’assiduité aux offices69. En ce sens, le registre répond aux critiques menées contre les abus, ceux des officiers comme ceux de registres déficients ou mal tenus : il est à la fois réponse et construction. 54

L’apparence matérielle du document conforte cette idée de construction que révèle la répétition structurelle du récit. On pourrait en effet penser qu’il s’agit là d’une sorte de plumitif des séances, tels qu’ils existent pour l’époque moderne. Le soin apporté à l’écriture et surtout le rassemblement des phases de la confession selon un ordre chronologique respecté à l’intérieur de chaque cas, ce qui implique des chevauchements de dates d’un cas à l’autre, obligent à abandonner cette hypothèse. En fait, comme l’a déjà suggéré Y. Lanhers, le Registre criminel du Châtelet se rapproche des confessions consignées par les greffiers criminels du Parlement de Paris, Etienne de Gien et Geoffroi de Malicorne, de 1319 à 1350 ; on sait par ailleurs qu’il existait au Châtelet, au moins en 1385, un registre de confessions des prisonniers 70. L’habitude de consigner par écrit les aveux des criminels n’est donc pas nouvelle ; d’autre part Etienne de Gien montrait déjà ce souci de noter l’aveu en présence des juges ainsi que leur accord si possible unanime sur la décision judiciaire 71. Mais, à la différence du Registre criminel du Châtelet, le registre du Parlement ne révèle pas l’usage systématique de la question. Depuis le milieu du XIVe siècle, la procédure extraordinaire s’est développée, parfois de façon anarchique ; il convenait de la discipliner.

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La rédaction de tels documents n’a pas seulement pour but de consigner une procédure en gestation. Il s’agit d’une habitude qui s’inscrit dans un mouvement plus vaste : celui qui pousse certains praticiens, depuis les années 1320, à consigner des modèles de procédure par écrit. Les ouvrages d’Eudes de Sens, de Guillaume et Pierre de Maucreux, suivis par ceux de Guillaume Du Breuil et d’autres praticiens inconnus révèlent ce souci de « montrer et apprendre a chascun la maniere de proceder en la prevote et vicomté de Paris »72.

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La mode revient en force dans le milieu parlementaire, vers 1385, pour connaître son apothéose avec les Marmousets. Ce sont des notes d’audience prises par des praticiens anonymes, recueils de décisions notables ou sortes de journaux où sont consignés de nombreux cas jugés exemplaires, en particulier des conflits de juridiction 73. Ce sont les Questiones recueillies par Jean Le Coq que le célèbre avocat du roi définit ainsi : « Sequntur plura notabilia arresta que vidit et audivit pronunciari in curia Parlamenti et alibi, magister Johannes Galli, quondam regis advocatus »74. Ce sont encore les compilations de

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Jacques d’Ableiges qui donnent naissance au Grand Coutumier de France, et celles de Jean Bouteiller pour La Somme rural 75. Entre ces personnages se nouent des liens professionnels et sans doute amicaux. Les profils de carrière se ressemblent ; les avis des uns et des autres sont sollicités dans les cours royales et princières ; les manuscrits s’échangent76. Bref, je l’ai déjà suggéré avec les avocats du Parlement, un milieu intellectuel et professionnel se crée sans lequel il est impossible de comprendre la rédaction de ces documents de procédure, et en partie aussi la rédaction des registres du quotidien confiée à la plume de Jean de Cessières ou à celle de Nicolas de Baye 77. La comparaison avec le milieu de la Chancellerie auquel plusieurs sont liés, s’impose : un même goût de la rhétorique unit ces hommes dévoués au service de l’Etat et plus précisément, à ce moment du règne de Charles VI, au service de la réforme du Royaume78. Notre clerc criminel, Aleaume Cachemarée, leur contemporain, n’a peutêtre pas échappé à cette ébullition qui couche la parole en écrit pour mieux la faire paraître. Mais l’entreprise qu’il mène n’est pas, comme la plupart de ces recueils, de caractère privé et, comme tel, susceptible d’alimenter la plume d’amis en mal de faire mouche. Elle n’est écrite ni pour un salon ni pour des clients de cour. Répétitive, elle a le sérieux de l’oeuvre d’un tâcheron menant à bien ce que son auteur conçoit comme son office79. Le Registre criminel du Châtelet porte la marque d’Aleaume Cachemarée. 57

Malgré sa signature apposée au bas de chaque cas évoqué, l’homme n’est pas facile à débusquer. Ses origines géographiques sont peut-être normandes comme le suggère H. Duplès-Agier, à moins qu’elles ne soient picardes comme pourrait aussi le laisser penser l’évolution de sa carrière qui le lie étroitement au prévôt de Paris, Jean de Folleville, dont les biens sont répertoriés en Picardie, à proximité de Corbie 80. Ni ses origines sociales, ni les études qu’il a pu faire ne sont connues et l’appellation de « maître » qu’il reçoit dans un procès qui l’oppose le 12 janvier 1391 à l’Université de Paris ou dans celui qui, le 24 mai 1414, le fait paraître au registre des sentences civiles du Châtelet pour une affaire d’héritage, n’est pas très significative 81. Mais, dès les premières tâches qui lui sont confiées, se révèlent les qualités du serviteur de l’Etat. Le voici actif dans le bailliage de Caen où à partir de 1381, d’abord comme clerc tabellion et garde du sceau des obligations de la Vicomté de Caen, puis en 1385, comme procureur du roi au bailliage de Caen, il défend avec acharnement les droits du roi, droits d’épave contre des navires anglais, droits d’obliger les prélats à restaurer les édifices religieux tombés en ruine82. Dans cette dernière tâche qui demandait fermeté et honnêteté, Aleaume Cachemarée sert donc d’intermédiaire entre la décision législative et son application, au nom de principes qui font du roi le zélé protecteur des biens de l’Eglise, biens dont l’intégrité – grand thème réformateur – est assimilée à celle des biens de la Couronne 83. On le connaît donc à Paris où il lui arrive de siéger au Conseil et le voici nommé, le 24 juillet 1389, clerc criminel du Châtelet84. La date de cette prise en charge et son instigateur, Jean de Folleville, doivent nous arrêter.

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Les Marmousets sont au pouvoir et ne laissent rien au hasard, ni dans le but qu’ils poursuivent, ni dans le choix des hommes, de « leurs » hommes qu’un véritable réseau d’alliances enserre85. Quelle place y a tenue Aleaume Cachemarée ? Est-ce une coïncidence si sa charge de clerc criminel prend fin avec celle des Marmousets, en 1392, pour le conduire à celle, moins exposée, d’huissier du Parlement 86 ? L’homme n’était sans doute pas d’un tempérament facile, comme en témoigne sa résistance aux prétentions de l’Université de Paris, quand il couvre de son autorité l’incarcération

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d’un clerc resté trois jours dans la prison des oubliettes. Mais il y a plus qu’un homme dévoué sans réflexion à son office. 59

Les textes révèlent une haute conception de la charge et une parfaite continuité dans les choix politiques. Réforme des abus et souci de l’écriture témoignent de son idéal. On le voit bien lorsque, au titre de substitut du procureur du roi au bailliage d’Amiens, il est chargé d’enquêter en 1402-1403 sur cette longue affaire d’abus dans la gestion de la ville qui secoue Amiens depuis 1383 et rebondit au début du XV e siècle87. L’action dont il est chargé par le Parlement le conduit encore sur les pas de Jean de Folleville qui avait commencé le procès. Elle est menée fermement, à en juger par les plaintes de la ville qui ne sont pas seulement d’ordre financier88. Il exerce à Amiens pendant huit à neuf mois, en grande partie seul car les deux commissaires sont retournés à Paris ; son enquête financière est un véritable gouvernement de la ville dont la magistrature élue a été suspendue. Son souci consiste en ce qu’Amiens tienne désormais des registres et qu’ils soient conservés dans un lieu approprié. La bonne gestion passe par la tenue de l’écrit, comme au Châtelet. Cet excès d’autorité le fait-il suspendre ? Lorsque les commissaires sont renouvelés, Aleaume Cachemarée est écarté : son intransigeance dérange89.

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Son attitude pendant les événements de 1417-1418 et jusqu’à sa mort montre la même suite dans les idées politiques. Considéré comme suspect aux yeux des Armagnacs quand commence la chasse aux sorcières, il est expulsé de Paris le 28 août 1417, mais il n’y revient pas après l’entrée des Bourguignons, preuve que les excès politiques ne sont pas son idéal et que, pour lui, la réforme passe par une solide construction de l’Etat, loin de la violence et des appels démagogiques90. Le voici alors à Poitiers où se retrouve, comme le dit Fr. Autrand, « l’unité profonde du milieu »91. Il est mentionné comme huissier au Parlement jusqu’à sa mort, sans doute en 1426, et il n’abandonne rien de son autorité et de son sens du service du roi. Chargé par le dauphin en 1420 de requérir des Etats d’Auvergne une aide de 1000 hommes d’armes équipés et soldés, il s’acquitte heureusement de cette mission92. Il est possible que la vie privée de l’homme ait eu à souffrir de ses choix politiques. On le sait marié et père d’une fille, Isabelle, dont le mari n’était autre que maître Gilles Veau, mentionné comme clerc des comptes du roi à Paris pendant l’occupation anglaise : de nombreux démêlés financiers ont opposé les deux hommes jusqu’à ce que Gilles Veau acquiert la maison que Cachemarée s’était vue confisquée après son départ de Paris et qui était située rue des Marmousets... 93.

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Le personnage n’est donc pas indifférent. S’il n’est pas de premier plan, il est néanmoins typique de ces serviteurs de l’Etat qui ont appliqué les impératifs de la réforme jusqu’à l’extrême, jusqu’à heurter les intérêts acquis et tomber dans des procès qui les font, heureusement pour l’historien, sortir de l’ombre. Mais n’imaginons pas cependant ce milieu qui exécute les ordres comme celui de pantins serviles d’idées qui les dépassent. A l’heure des choix, en 1389 comme en 1418, Cachemarée a aussi embrassé une cause. Sa signature, au bas du registre Y 10531, lie ces confessions de criminels à une idéologie. Le registre est Marmouset ; son enseignement n’est pas seulement social et juridique, il est politique. Il lie le crime à une certaine conception de l’Etat.

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IV. — Documents relatifs aux justices seigneuriales et urbaines, officialités ARCHIVES NATIONALES Séries L et LL 62

L’enquête, par sondages, a porté sur les justices des établissements parisiens dont le ressort s’étend largement en dehors de Paris.

L 445

Saint-Magloire (1310-1655)

L 774

Officialité, justice.(1211-1781)

L 862

Procès du chef de Saint-Denis (1409-1410)

L 867A Officialité, justice, droits perçus par Saint-Denis (1185-1783)

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L 873

Justice de Saint-Martin-des-Champs (1144-1762)

L 879

Justice de Sainte-Geneviève (1116-1766)

Les sources de la série LL intéressant les grands établissements parisiens ont été publiées par L. TANON94. Série Z

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Z 1h 1-7 Procès-verbaux de séances du tribunal municipal (1395-1421)

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Peu de données relatives aux criminels. Une partie de ces documents a été publiée par G. HUISMAN95.

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Z 2 3098-3117 Minutes criminelles, sentences et procédures diverses (1238-1666)

Z 2 3118

Chapitre de Notre-Dame de Paris (1404-1406)

Z 2 3257-3258 Saint-Éloi (1457-1458) Z 2 3264-3269 Saint-Germain-des-Prés (1407-1464) Z 2 3756

Le Temple (1411-1420)

Z lo 1-3

Officialité de l’archidiacre de Paris, causes civiles et criminelles (1460-1466)

Z lo 17

Registre d’excommunications prononcées par l’archidiacre de Paris (1426-1439)

Z lo 27

Registre d’audience de l’officialité du chapitre de Notre-Dame de Paris (1486-1488)

Z lo 242

Officialité de Saint-Germain-des-Prés (1407-1659).

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Ces documents présentent deux inconvénients majeurs. Rares sont ceux qui sont contemporains du règne de Charles VI ; ils sont par conséquent difficilement comparables aux séries judiciaires de la Chancellerie royale et du Parlement. Leur caractère fragmentaire les rend aussi peu utilisables. Souvent quelques feuillets ont été conservés. Ce n’est pas tant la preuve de destructions que de la faible place de l’écrit dans la procédure judiciaire. Comme le fait remarquer A. Terroine à propos de l’abbaye Saint-Magloire, « les décisions de justice ne sont pas faites pour être conservées » ; elles ne reflètent d’ailleurs qu’une faible partie des cas, car les décisions prises « de bouche » devaient aussi être très nombreuses, en particulier en matière d’acquittement 96.

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Quel sens donner aux documents qui ont été conservés ? Ne l’ont-ils pas été de façon sélective, pour affirmer des droits de justice ? Ici, c’est un criminel arrêté pour montrer que le lieu du crime ou celui de la saisie du criminel dépend de la juridiction de l’établissement97. Là, c’est un châtiment qui se trouve décrit pour prouver à tous les justiciables, mais aussi aux justiciers rivaux, l’existence d’un pouvoir haut justicier 98. Les remarques que contiennent le Registre Bertrand, composé en 1340 à Saint-MartindesChamps, résument bien le but de ces grands établissements parisiens à cette époque : « Nos habemus in toto territorio nostro Sancti Martini tam Parisius quam in suburbis et vicis adherentibus ville Parisius ubi sunt triginta millia foci vel circiter, omnimodam justiciam altam, mediam et bassam »99.

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La sélection des exemples criminels par l’abbaye procède d’une volonté politique qui collectionne les preuves pour mieux prouver le droit. La démarche est de même nature que celle qui a permis la confection des cartulaires. Dans ces conditions, aucune enquête sociologique des types de crime n’est fiable : la variété des résultats obtenus par Br. Geremek le prouve bien. On ne peut pas expliquer pourquoi les vols sont prépondérants à Sainte-Geneviève et à Saint-Germain-des-Prés dans la première moitié du XIVe siècle, alors que la place des rixes-homicides est écrasante au Temple et à Notre-Dame de Paris dans les documents conservés au début du XV e siècle100. La différence ne tient pas à une évolution des mœurs, mais à la nature des documents et il convient de bien distinguer ceux qui apparaissent au début du XV e siècle de ceux qui ont été rédigés au cours des deux siècles précédents.

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Dès que les registres de tribunaux seigneuriaux ou urbains prennent un caractère suivi dans leur rédaction comme c’est le cas au début du XVe siècle au Temple, même si, comme à Notre-Dame de Paris, la source reste limitée dans le temps à une seule année complète, les rixes-homicides sont nettement prépondérantes et atteignent 60 % des délits recensés. Or ce sont là les premiers témoignages parisiens de la pratique judiciaire courante. Est-ce l’influence de l’administration royale qui pousse à noter par écrit les événements judiciaires à cette époque ? Est-ce l’effet des mesures de police qui, encadrant de mieux en mieux la population parisienne, donnent de plus en plus d’importance au repérage en ce domaine ? C’est possible. Par bribes, la criminalité s’éclaire et il convient sans doute de se fier à ces témoignages plutôt qu’aux constructions habiles des documents antérieurs dont les preuves juridictionnelles qu’elles renferment, relèvent en priorité de la volonté de puissance des grands établissements parisiens. Mais, encore une fois, les registres judiciaires sont rares et leur utilisation délicate. Une comparaison avec les archives des justices seigneuriales ou urbaines de province publiées, au nord comme au sud du royaume, montre d’ailleurs que les inconvénients de telles sources ne sont pas limités aux établissements parisiens101.

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Les résultats obtenus à partir des officialités sont difficilement exploitables en euxmêmes car les registres contiennent beaucoup d’épaves. Il est probable aussi que les archives ne révèlent qu’une faible partie de l’activité de l’official 102. Pour Paris, les seuls documents substantiels sont les causes civiles de l’officialité diocésaine (1384-1385) 103. Mais, comme devant les tribunaux du roi, les causes ne sont pas toujours nettement séparées et on trouve traitées au civil de nombreuses affaires d’injures, de coups, d’asseurements. La mansuétude de ces tribunaux qui préfèrent l’amende ou l’accord entre les parties comme mode de résolution des conflits n’est pas étrangère à ce phénomène. A Paris, les décisions de recourir au criminel s’avèrent partielles et tardives104. Les exemples de registres d’officialités existant à Paris, Cerisy ou Chartres, montrent que ces sources sont riches en couleurs, très fournies sur les affaires de moeurs, les fiançailles, les mariages et les mariages clandestins, mais qu’elles ne peuvent pas servir, en soi, à élaborer une typologie criminelle 105. Enfin, la fréquentation de ces tribunaux par un nombre élevé de clercs, mais aussi de femmes, pourrait donner une idée fausse de la sociologie criminelle106. Dans notre perspective, ce seront donc des sources d’appoint.

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Les sources judiciaires de ces différentes juridictions sont, soit par leur nature, soit par leur état de conservation, trop disparates pour être suffisantes. Il n’est pas possible de compenser cette carence en ajoutant les uns aux autres les témoignages qu’elles conservent, pour constituer un ensemble quantitativement satisfaisant, sous peine de confondre des sources de nature différente. Ce total, fictivement obtenu, ne peut être ni révélateur des tendances de la criminalité ni de sa perception par les tribunaux. Ces sources plus riches pour la procédure et pour l’histoire des grands établissements religieux que pour la criminalité seront donc utilisées cas par cas, à titre de comparaison.

V. — Chroniques, journaux, récits de crimes et d’exécutions 73

Les chroniques et journaux contemporains des archives judiciaires ont été systématiquement dépouillés en utilisant les éditions existantes 107. On pourrait, par ce biais, dresser une historiographie des crimes ou des exécutions capitales retenus par l’opinion. Un recensement systématique serait, en soi, un sujet d’étude dont le contenu culturel et politique m’a paru dépasser les préoccupations présentes. Le meurtre du duc d’Orléans doit faire l’objet d’une synthèse séparée108. La perspective retenue ne cherche donc qu’à traquer le souvenir du crime ou de sa punition sans en dégager toute la signification politique. Ont aussi été utilisés à cette fin des registres de délibérations de villes ou des lettres conservées dans les archives urbaines. Le souvenir d’événements criminels ou considérés comme tels pouvait y subsister, comme l’ont montré les documents édités par F. Bourquelot, P. Dognon, L. Mirot ou J. Vieillard 109. Parmi les archives publiées, l’étude ne pouvait pas prétendre à l’exhaustivité. Seuls les exemples d’Amiens, de Beauvais, de Reims et de Troyes ont été retenus parce qu’ils étaient situés dans des zones pour lesquelles les archives de la Chancellerie royale et les archives du Parlement sont riches. Un sondage dans les archives municipales de la Somme a tenté de compléter les archives publiées :

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AMIENS 74

Ont été entièrement dépouillés :

BB1 Registre petit, 88 feuillets. Délibérations de l’échevinage (1406-1410). BB2 Registre, 187 feuillets. Délibérations de l’échevinage (1412-1421). BB3 Registre petit, 95 feuillets. Délibérations de l’échevinage (1424-1428).

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Par sondage :

BB4-BB14 Délibérations de l’échevinage (1430-1485).

ABBEVILLE 76

Archives disparus. Inventaire sommaire110 :

BB11 Année 1393, Relations de Charles VI et de la ville. BB12 Vidimus de lettres de Jean sans Peur. BB55 Registre, 161 feuillets (1386-1394). BB56 Registre, 146 feuillets (1403-1414). BB57 Registre, 329 feuillets (1408-1460). BB60 Registre, 140 feuillets (1426-1460).

BIBLIOTHEQUE NATIONALE

Fr. 2699

Copies de lettres de Charles VI relatives à la guerre civile ; d’ordonnances de réforme ; des pourparlers de paix entre le duc de Bourgogne et Gand en 1385 ; d’un petit traité pour exorter à la paix.

Fr. 2846 et 4768 Actes et lettres concernant la guerre civile.

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Fr. 991, 2885, 5060, 5061, 5624, 5733, 10185, 15465, 17293, 17295, 17513, 17517

78

Discours, lettres et récits divers concernant le meurtre du duc d’Orléans.

101

Fr. 5275 et 5287 Actes et lettres divers de Charles VI et de Charles VII.

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Chroniques, journaux, registres de délibérations ont en commun de ne pas raconter le crime, ou plus exactement n’importe quel crime. Le fait divers relatif au crime y est extrêmement rare. Ce n’est pas le cas pour d’autres faits considérés comme anormaux mais significatifs, en particulier les événements météorologiques. Toutes les chroniques parisiennes mentionnent la rupture des ponts de la ville sous l’effet des crues de la Seine, ou le spectacle de l’éclipse de lune, mais beaucoup sont indifférentes aux voleurs dont les actes législatifs brandissent au même moment la menace 111. L’arrivée des Bohémiens à Paris, en 1427, fait peur aux bonnes gens mais elle ne fait pas croire au Bourgeois de Paris que ces créatures sont venues pour voler ; il se contente de rapporter, non sans critique, le bruit qui court : « Et quy pis estoit, en parlant aux creatures, par art magicque ou autrement, ou par l’ennemy d’enfer, ou par entregent d’abilité, faisoient vuyder les bourses aux gens et le mettoient en leur bource, comme on disoit. Et vrayement, je y fu IIII foys pour parler a eulx, mais oncques ne m’aperceu d’un denier de perte, ne ne les vy regarder en main, mais ainsi le disoit le peuple partout... »112. Restés entre eux, les Parisiens badauds se pressent pour aller voir la naissance de siamoises ou de bêtes monstrueuses, mais la rixe-homicide ne les effraye guère113. Attentifs aux variations du cours de la monnaie, ils se montrent peu inquiets des méfaits des faux-monnayeurs. Aussi, quand le crime fait l’objet d’un récit, le but poursuivi n’est pas anodin. Il conviendra donc de comprendre quels délits sont recensés, qui en sont les protagonistes, pourquoi et à quel moment ils apparaissent.

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Comme dans les archives de la pratique criminelle, il convient de séparer les récits. Dans certaines chroniques, l’évocation de crimes participe du même souci que nous avons repéré dans la genèse des registres seigneuriaux ou urbains : prouver le bon droit. Il en est ainsi à Limoges où les Chroniques de Saint-Martial font état, pour l’année 1294, d’un crime dont le déroulement et le dénouement concernent les droits des moines qui, soutenus par l’administration royale, s’imposent face au vicomte de la ville : « habuerunt rixam cum preposito et judice et cum pluribus aliis de familia vicecomitis Lemovicensis... Venit serviens domini regis, videlicet Simon de Paris, et cepit prepositum et omnes complices suos, et judicem reddidit officiait »114.

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En ce qui concerne les délibérations des villes, l’entérinement d’une rémission, la nécessité de passer à l’extraordinaire pour obtenir des aveux, le recours à des mesures de police, ou encore le désir de punir les injures faites à l’échevinage, peuvent être prétexte à raconter le fait divers comme c’est le cas plusieurs fois à Amiens. Mais il s’agit, encore une fois, d’affirmer ou de confirmer le pouvoir judiciaire 115.

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Cette carence générale peut avoir des variantes. La personnalité de l’auteur entre sans doute en ligne de compte, car Nicolas de Baye, peu bavard sur les faits divers, l’est cependant plus que Clément de Fauquembergue. Certaines chroniques flairent le scandale sans qu’il soit d’ailleurs possible de déceler des parentés entre elles 116. Peutêtre faut-il, du moins en ce qui concerne le milieu parisien, les voir liées à un public plus simple que celui, habituel, de la grande noblesse ? Ce n’est là qu’une hypothèse difficile à vérifier117. Toute mention de crime a donc un sens qu’il faudra tenter de déceler. Est-ce de façon anodine que le Bourgeois de Paris, que nous avons vu très

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circonspect sur les crimes ordinaires, décrit les vols à la tire qui accompagnent le dîner du sacre d’Henri VI118 ? 83

Relativement silencieuses sur les crimes, les sources narratives le sont moins sur les exécutions capitales. Le Bourgeois de Paris en mentionne vingt-deux. Mais, là encore, il faut tenir compte de la diversité des auteurs. L’exemple de l’exécution de Jean de Montaigu, en 1409, est assez significatif. Rapporté en particulier par le Bourgeois de Paris, Enguerran de Monstrelet, Nicolas de Baye et la Chronique rimée parisienne, le récit de l’exécution ne suit pas exactement les mêmes schémas narratifs 119. Chez Nicolas de Baye, les séquences s’enchaînent selon une suite sèche où tous les mots sont indispensables, ancrés dans la date, l’heure et le lieu de l’événement ; le récit est celui de l’homme de loi. Le Bourgeois de Paris, par une description somptuaire du personnage, se fait l’écho plus ou moins conscient du portrait haut en morgue et en richesse qu’évoquait quelques temps auparavant l’auteur du Songe véritable ; son registre tourne vite au politique pour l’intégrer dans les affres de la guerre civile et conclure sur la portée d’un événement « dont la rumeur dura a aucuns des Seigneurs de France, comme Berry, Bourbon, Alençon et plusieurs »120.

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L’auteur de la Chronique rimée parisienne, peu disert, se fait l’écho de la durée du « règne » de Montaigu – 20 ans – qui faisait l’objet d’une anecdocte qu’on prêtait à Jean de Brabant s’adressant à Pierre des Essarts ; elle circulait dans les rues de Paris et le Bourgeois de Paris la rapporte : « Prevost de Paris, Jehan de Montagu a mis XXII ans a soy faire coupper la teste, mais vrayement vous n’y mettrez pas trois » 121. Chronique et « ragot » vont ici de pair.

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Enfin, Enguerran de Monstrelet, soucieux de donner de la véracité à son récit et peutêtre de magnifier le rôle du prévôt Pierre des Essarts, bourguignon, met en scène l’arrestation : « lequel prevost accompagné des dessusdiz quant il le rencontra mist la main a lui... » : – « Je mets la main a vous de par l’autorité royale a moy commise en ceste partie » —. Et adonc icellui Montagu oyant les paroles dudit prevost fut fort emerveillé et eut tres grant fraieur. Mais tantost que le cueur lui fut revenu, il dist audit prevost : – « Et tu ribault traistre, comment es-tu si hardy de moy oser toucher » – Lequel prevost lui dist – « Il n’en yra pas ainsi que vous cuidez mais durement comparrez les tres grans maulx que vous avez commis et perpetrez – » 122.

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Dans cette scène d’arrestation, où est la réalité ? Quelle part accorder aux réminiscences bibliques de Jésus arrêté sur dénonciation de Judas ou des scènes de la vie judiciaire contemporaine ? La complicité avec le lecteur est le premier effet recherché. Son édification morale suit de près. Les récits d’exécutions capitales sont souvent destinés à montrer l’exemplarité du fait, terrain idéal sur lequel se situent largement les ouvrages historiques du Moyen Age123.

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Ne cherchons donc pas dans ces récits les faits d’une histoire brute, car la nature des crimes et le nombre des exécutions y sont le plus souvent cachés. Leur enchaînement aux événements, la sélection de leur souvenir, les mots employés pour les décrire nous disent plutôt la valeur qui était attachée aux crimes et aux exécutions capitales. Ainsi conçus, on peut les voir servir la propagande, et comme tels ils permettent de mieux comprendre le fonctionnement social et politique de la société : à quel moment le crime entre-t-il au service de l’histoire et quelles obsessions, partagées par l’ensemble de la société, son récit révèle-t-il ?

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VI. — Traités théoriques, coutumiers, actes législatifs relatifs à l’exercice de la justice 88

Les sources relatives à la définition théorique de la justice et à son application par les coutumiers et les textes législatifs ont donné lieu à de nombreuses publications. Quelques manuscrits, importants pour l’étude du pouvoir judiciaire, ont aussi été utilisés.

BIBLIOTHEQUE NATIONALE Fr. 607 et 5037

Christine de Pizan, Livre de prudence et de prod’hommie de l’homme.

Fr. 1023

Jacques Le Grant, Des bonnes meurs.

Fr. 1968

Débat entre trois princes chevalereux, fol. 33-40 ; Epître sur la juste seigneurie, fol. 54v.-59 (XVe siècle).

Fr. 5 032, 9610 Pierre Salemon, Les demandes faites par le roi Charles VI touchant son etat et le et 23 279 gouvernement de sa personne avec les reponses de Pierre Salemon 124.

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Le règne de Charles VI connaît un large débat sur la définition de la justice et sur son application. Nous avons déjà vu les effets que cette fièvre d’écriture avait pu avoir dans la tenue des registres judiciaires au début du XVe siècle. L’importance des études de droit, l’influence de la littérature antique, et en particulier de Cicéron, ont sans doute facilité une réflexion écrite sur la justice. La rédaction des coutumiers n’y a pas échappé. Les documents qui sont alors rédigés constituent un ensemble qu’il convient d’analyser comme tel.

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Ces textes ont une portée politique. Un premier objectif peut consister à magnifier le pouvoir princier face au pouvoir royal, comme le dit expressément Le Coutumier bourguignon glosé à la fin du XIV e siècle : « La terre de Bourgoingne fait le seigneur d’icelle par en paire du roy de France, car le tres noble dux de Bourgoingne use en sa terre de toute paire, comme avoir toutes congnoissance de grans chemins, (estre) sires d’eschoites de bastars, amortir et bailler amortissemens, anoblir qui lui plaist, tenir et acquerir en fief, pardonner et remettre touz crimes capitaulx, de punir touz crimes de laissier majesté et tout ce que a paire appartient »125. On reconnaît là les prétentions bourguignonnes, mais aussi les réflexions sur la pairie et les discussions sur le droit de grâce qui peut alors être accaparé par les grands princes territoriaux 126.

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L’autre courant, constitué des textes les plus nombreux, se propose de réformer le royaume. Les textes théoriques ne constituent pas, comme au XIII e siècle, de grandes encyclopédies ou sommes. Ils se composent de tractatus ou de libelles, de disputationes, de lettres ou de lamentations. De taille souvent réduite, ces petits traités ont un contenu général, liant les excès en matière de justice à la tyrannie pour mieux définir l’idéal du prince justicier. Mais leur démonstration n’est pas gratuite. Elle répond à la place que ces penseurs politiques ont prise à la cour des princes et à la fonction morale qui est devenue la leur127. Elle est aussi soumise aux exigences de la conjoncture. En prise sur l’événement, les textes théoriques tentent de répondre, pour la période qui nous

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concerne, aux aléas de la carence royale, à la guerre contre les Anglais, aux controverses de la guerre civile128. Tout se passe comme si, en ce début du XVe siècle, la mission dont s’investissent ces écrivains du premier humanisme français, se trouvait affermie par une conjoncture politique stimulante. Leurs références culturelles les y encouragent. Rien ne ressemble plus aux dissensions du moment que les épisodes de la guerre civile romaine dont ces auteurs sont imprégnés : même course aux clientèles, même besoin de trouver un mentor, mêmes luttes militaires. De la culture du passé à celle du présent, de Lucain ou Cicéron à leurs propres écrits, la continuité est frappante. L’épreuve du Grand Schisme et l’aspiration à la réforme de l’Eglise ajoutent à leurs préoccupations. Héritiers du dux togatus que prétendait être Cicéron, ces auteurs font passer leur réussite politique par l’efficacité de leur écriture. Cette implication profonde du verbe et du service politique est une des originalités du premier humanisme français, courant auquel appartiennent la plupart de ces auteurs 129. Sa vocation est, indissociablement, littéraire et politique. Pour la première fois depuis l’Antiquité, l’écriture, celle des traités ou des sermons, est, pour ces auteurs, susceptible de changer le monde et de lutter contre les caprices de la Fortune 130. Les mots ont un pouvoir que seuls savent mettre en œuvre le poète et l’écrivain. Du moins le croient-ils, jusqu’aux événements sanglants de 1418, quand la plume se brise sous les armes. Christine de Pizan et Jean Gerson entrent en silence. Nicolas de Clamanges, dans une négation toute rhétoricienne, à la veille de sa mort, écrit au service de l’échec : « Non est imperator, non est pontifex certus Scismatis reliquiis adhux perdurantibus, non est nobis rex, non est lex, non est propheta, non est fides in terra, non est justitia, non est veritas, non est cura salutis, non zelus animarum, non timor Dei, non metus Gehenne, non obediencie disciplina, non virtutis studium, nec fervor caritatis, lacerata est lex, perdita et prostrata » 131. L’échec de 1418 ne signe pas seulement la mort des hommes ; il est celui d’une génération qui avait pour espoir, par sa plume, de changer le monde. 92

La justice est au coeur du débat car tous les maux proviennent des excès commis et des crimes accomplis. Quels crimes ? Ceux du commun ou ceux des princes, ceux du quotidien ou ceux qui perturbent, au plus profond, la cohésion sociale ? La réponse n’est pas tant dans les traités théoriques que dans leur confrontation avec les sources judiciaires. Les traités donnent surtout des recettes. Pour limiter les effets pervers du crime, ils s’efforcent de définir à quelle condition le prince peut et doit punir ; par quels officiers il doit être secondé ; quel doit être le profil des juges. Ils reprennent, au gré des événements de la guerre contre les Anglais et de la guerre civile, une réflexion sur la lèse-majesté. La pensée des théoriciens s’accompagne donc d’une définition de l’Etat naissant qui, à peine en place, est immédiatement remis en cause. Les ordonnances de réforme qui s’inspirent largement de ce courant théorique sont de la même veine 132. Il conviendra donc de comprendre le rôle de cette contestation de la justice dans la naissance de l’Etat. Dans quelle mesure la critique des abus, sans cesse renouvelée jusqu’à l'Ordonnance cabochienne, est-elle le signe d’une faiblesse du pouvoir face aux officiers de justice et face aux criminels ? Pourquoi enfin, tel Job couvert de pustules, tous, théoriciens et législateurs se demandent-ils : quels crimes la société a-t-elle commis ?

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Aucune de ces sources, essentiellement répressives, ne sait dire, à elle seule, de quel poids pèse la criminalité médiévale. On peut attribuer cette carence à l’absence de statistiques criminelles : attitude facile et anachronique ! Les sources ont en fait la limite que leur assignent la société et l’Etat. Car le crime perturbe les deux à la fois, et tout le problème est de savoir qui impose la réparation. Les sources judiciaires sont des

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preuves de pouvoir plus que des énumérations récapitulatives. Et, quand elles commencent à compter systématiquement les criminels, au début du XV e siècle, c’est que le pouvoir, qu’il soit royal ou seigneurial, est devenu volontairement coercitif. Mais l’évolution est loin d’être achevée. Souvent silencieuses sur les crimes les plus nombreux parce qu’ils sont les plus ordinaires et les plus simples à résoudre par la transaction ou l’arbitrage, les sources répressives disent aussi jusqu’à quel degré la violence déchire le tissu social. Elles définissent, par conséquent, à quelles valeurs obéissent la société et l’Etat. 94

La méthode employée découle de cette analyse des différents types de sources. Quantitativement, elles ne peuvent pas être ajoutées, à peine peuvent-elles être comparées. Aussi, pour établir les tendances criminelles de la période envisagée, il fallait privilégier une série continue : c’est l’une des raisons qui rendent irremplaçables les lettres de rémission.

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Mais, pour comprendre, ce qui est sans doute l’essentiel, comment, par la condamnation ou par la grâce, l’Etat s’impose à la société, pour déceler les valeurs que le crime bouleverse, toutes ces données doivent être confrontées. Face au crime et aux criminels, comment s’est imposé le pouvoir coercitif ? A-t-il respecté la hiérarchie de ces valeurs que trouble le crime ? Pour répondre à ces questions, il a été nécessaire de comparer les actes de la pratique répressive aux visions des contemporains, simples témoins des événements ou théoriciens du prince justicier. Enfin, il a fallu tenter de comprendre pourquoi, en même temps que s’imposait la répression, se codifiait la grâce.

NOTES 1. Les transactions sont finalement mieux connues au XIII e siècle qu’aux deux derniers siècles du Moyen Age. Voir les remarques de B. GUENÉE, Tribunaux..., p. 117-120, et H. PLATELLE, « Mœurs populaires... », p. 32-33. Pour les régions méridionales, un recensement des transactions a été entrepris par J.M. CARBASSE, « Philippe III le Hardi et les “mauvaises coutumes” pénales... », p. 160, n. 28. 2. W.M. BOWSKY, « The Medieval Commune and Internal Violence... », p. 12-13. Voir en particulier Rainerius Perusinus, Liber formularius..., De pace, chap. 121, et H.J. BECKER, Formel..., col. 1161-1162. 3. A. SOMAN, « L’infra-justice à Paris... », p. 370 et suiv. Entre 1500 et 1529, les archives notariales parisiennes comptent seulement 1,4 % des actes relatifs à des cas criminels : transactions pour homicides, concubinages, excès, coups et injures, soit une proportion presque négligeable. 4. On trouve mention de règlements notariés pour coups et blessures à Paris en 1488, Y 5266, fol. 117, 8 octobre 1488. Dans ce cas, la composition n’avait pas été intégralement payée, d’où le recours à la justice. Cas identique entre deux sergents à verge, ibid., fol. 130v., 21 octobre 1488. 5. Y. BONGERT, Recherches sur les cours laïques..., p. 163-175. En Biterrois, on doit distinguer les boni viri carolingiens, les boni homines du XI e siècle et les probi homines qui apparaissent à partir de 1140, M. BOURIN-DERRUAU, Villages médiévaux..., t. 1, p. 313-330.

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6. E.E. EVANS-PRITCHARD, Les Nuer, p. 180 et 201, décrit le rôle des arbitres, « hommes de la terre », et du « chef à peau de léopard », dans une société sans Etat. A propos de cette étude, M. GLUCKMAN, « The Peace in the Feud... », p. 14, écrit : « Hence ritual reconciliation and sacrifice often follow the settlement of a quarrel, and ritual methods are used to reach adjustment ». Même analyse dans le cadre d’un petit village sarde où, au XX e siècle, les arbitres, boni homines, restent les officiants du rituel, M. CAROSSO, « Parole d’homme... », p. 140 et suiv. 7. H. PLATELLE, « Mœurs populaires... », p. 28. Les deux procédures, arbitrage et justice publique, peuvent être employées pour une même affaire criminelle. 8. L’analyse de C. GIARDINA, « I boni homines in Italia... », p. 28 et suiv., couvre plusieurs régions, du Piémont à la Sicile. Sur les liens entre les transactions et le pouvoir en Angleterre, E. POWELL, « Settlement of Disputes... », p. 21-43. 9. Y. JEANCLOS, L’arbitrage en Bourgogne..., p. 10-14. 10. « Sin autem mediante sacerdote vel alio bono viro nemine nominato, vel compenset lesor per servitia que poterit animo restituendi », cité par O. PONTAL, Les statuts synodaux..., t. 2, paragr. 107, p. 213. Sur le lien entre l’arbitrage et le droit canon, J. DAUVILLIER, « La juridiction arbitrale... », p. 121 et suiv. Il convient néanmoins de tenir compte de la nature du délit, voir infra, η. 15. 11. Ph. de BEAUMANOIR, Coutumes de Beauvaisis, chap. XLI, art. 1293. 12. A Tournai, les bourgeois ont le privilège de recourir à la procédure accusatoire si l’homicide est « de beau fait », c’est-à-dire s’il est commis « apres deffiances », X 2a 10, septembre 1382, fol. 149. 13. J. BOUTEILLER, Somme rural, p. 698. 14. Albertus GANDINUS, Tractatus de maleflciis.... De transactione et pace in maleficiis faciendis, parag. 10, p. 194. Les crimes pour lesquels toute transaction est interdite sont décrits ibid., parag. 2, p. 187. Sur la genèse de ces interdictions, A. PADOA SCHIOPPA, « Delitto... », p. 286-287. Sur le pouvoir supérieur de la justice publique, voir Albertus GANDINUS, Tractatus de maleficiis..., parag. 2, p. 186 et GRATIEN, 1.68.5. 15. H. PLATELLE, La justice seigneuriale..., p. 322-323. Ce recours à la transaction pénale en cas d’homicide est typique du nord du royaume où le droit communal « est resté très longtemps encore fidèle aux conceptions “privatistes” », comme l’écrit J. M. CARBASSE, Introduction historique au droit pénal, p. 103-104. 16. Par exemple, pour les injures et les coups et blessures avec préméditation : X lc 50A, 22, 29 août 1384 ; ibid., 98, 21 février 1385 ; « pour exces et injures a port d’armes », X le 70A, 32, 14 janvier 1395 ; pour l’infraction de sauvegarde, X lc 50B, 138, 10 novembre 1382 ; ibid., 235, 21 avril 1385 ; X lc 70A, 52, janvier 1395 ; conflits relatifs à des lettres de rémission, X lc 70B, 200, 30 mars 1395. Un cas comparable de guet apens avec port d’armes et rupture de sauvegarde a donné lieu à un accord passé sous le sceau du Châtelet de Paris, le 29 décembre 1347, X 2a 5, fol. 128v., cité dans Actes du Parlement de Paris. Parlement criminel..., p. 307. En ce qui concerne les crimes de mœurs, voir par exemple X lc 50A, 97, 19 décembre 1384, relatif à un problème de consanguinité ; X lc 50B, 163, mars 1385, rapt d’un jeune écolier parisien en vue d’un mariage ; X lc 81 A, 5, 10 janvier 1401, tentative de viol par messire Guillaume Cassurel le Jeune, chevalier, qui « avoit plusieurs foiz sollicité la femme du dit Condraeel qui est aagiee de cinquante ans ou environ de faire sa volenté ». 17. X 2a 10, fol. 20v., juin 1376. En revanche, le 5 janvier 1341, la Cour a donné à Isabelle, mère de feu Jean Cornet, et à Jean de Cottenchy, l’autorisation de s’accorder à propos de la mort par homicide de Jean Cornet, X 2a 4, fol. 25v.-26, cit. dans Actes du Parlement. Parlement criminel..., p. 131. Jean de Cottenchy est libéré de prison. Le recours à l’accord a sans doute été facilité par la découverte du véritable coupable de l’homicide, déjà pendu au gibet de Laon. Autre exemple d’accord pour homicide dans la première moitié du XIVe siècle, X 2a 4, fol. 120v., ibid., p. 182 et X 2a 5, fol. 3, ibid., p. 231. Mais les critiques commencent à être vives dès cette époque, J. M. CARBASSE, « Philippe III le Hardi... », p. 160, n. 33.

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18. X lc 70B, 246, 18 janvier 1385. 19. X lc 81 A, 121, 22 février 1401. Le responsable est le seigneur du Sauchoy. 20. Par exemple X lc 50A, 24, janvier 1385, à ARQUES, pour les « commocions et sedicions » de la ville à l’instigation des Flamands ; X lc 50B, 211, mai 1385, pour la « commocion et pillerie » sur les juifs de MANTES ; X lc 84A, 26, 18 juillet 1402, lutte contre un officier du duc de Bourgogne dans le bailliage d’Auxois ; X lc 85B, 27 mars 1403, rébellion contre des gens d’armes à CHASSIGNY. 21. Un accord passé à titre privé pour bris d’asseurement et de sauvegarde est remis en cause par le Parlement, X 2a 5, fol. 103v., 4 décembre 1347 ; même chose pour le fauxmonnayage, ibid., fol. 210v. 20 mai 1350. 22. Par exemple, X lc 70A, 52, janvier 1395, accord entre le duc d’Orléans et Hue du Plessier « pour cause de certaines injures, bastures et exces commis et perpetuez par lediz escuier », sur trois personnes dépendant du duc, avec infraction de sauvegarde. On voit aussi de nombreuses interventions du duc d’Orléans pour qu’il soit procédé à des accords qui concernent ses protégés, ibid., 59, 82, 151. 23. X le 85B, 22 février 1403. Même procédé ibid., 19 mars 1403. Les formules varient en fonction des circonstances : « Pour bien de pais et amour nourrir entre eulx qui sont voisins et amis », X lc 84A, 3 juillet 1402, ou « les dictes parties qui sont voisines et d’un païs », ibid., 6juillet 1402. Sur la place des relations de parenté, voir X le 85B, 19 mars 1403 « pour nourrir paix et amour entre eulx comme de mere et d’enffans ». 24. X lc 81 A, 141, février 1399. 25. Pour le conflit qui oppose l’abbé aux religieux de Saint-Médard de Soissons, Henri de Marie et Jean Jouvenel sont chargés de faire la paix et de procéder à un accord, X lc 81A, 274, 18 septembre 1401. Ils montrent « les maux et inconveniens qui s’en suivroient se eulz tenoient les voyes de rigueur les uns envers les autres ». Sur l’appel à la « misericorde » qui prélude à l’accord, voir X lc 70A, 99, février 1395. Les mots du pardon montrent qu’il est devenu nécessaire à la tenue et à la durée de l’accord. 26. X lc 85B, 19 mars 1403, LA CHAUME. Par exemple, un procès qui a longuement duré par devant l'official de Saint-Germain-des-Prés, le Châtelet et le Parlement, n’a pas encore abouti en 1403. Il s’agit d’un viol en la personne d’Alisson pour lequel le mari, Arnault Ramelin, et le père, Jean Frison, accusent Guibert de Saint-Benoit : « maintenoient que ledit Guibert a connu Alisson oultre son gré, ledit Guibert disant au contraire que ycelle Alisson estoit venue en sa maison de son gré et voulenté ». Pour en arriver à un accord entre les parties, messire Nicolas d’Orgemont, maître Jean de Nanterre et maître Jacques Du Gard, conseillers du roi, sont nommés « arbitres », X lc 85B, 21 mars 1403. D’autres exemples peuvent mentionner aussi les arbitres « élus » qui ont procédé à l’accord, X lc 84B, 3 juillet 1402, seigneurie de Coucy. 27. Cette lenteur de l’arbitrage découle de l’importance de l’offense et de la complexité des rituels de résolution, E.E. EVANS-PRITCHARD, Les Nuer, p. 180-183. 28. Quelques indications sur le prix des accords sont données dans les documents, par exemple X 2a 4, fol. 2v., mai 1340 : la somme reçue par le comte de Roucy, comme arbitre, est de 40 livres ; X 2a 5, fol. 202v., juillet 1350 : le prix atteint 400 écus d’or. Pour une comparaison avec les lettres de rémission, se reporter au chapitre 2. Y. JEANCLOS, L’arbitrage en Bourgogne..., p. 250, n. 153, montre que l’arbitrage coûte cher aux parties, et que les arbitres sont mieux rémunérés que les officiers ducaux. 29. L’étude des accords passés au Parlement de Paris confirme que, comme dans la principauté d’Orange à la fin du Moyen Age, le juge n’est pas un arbitre dans le sens du droit romain, W.F. LEEMANS, « Juge ne peut accepter arbitrage... », p. 99 et suiv. 30. Ces registres concernent le règne de Philippe VI de Valois, Actes du Parlement de Paris. Parlement criminel...

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31. X la 4790, fol. 31v., janvier 1414. D’un premier appelant, Nicolas Cochet, Le Set a exigé une rançon de 20 écus et, pour l'obtenir, l’a mis en prison, transporté pendant trois jours lié sur un cheval, puis le « questionna tres durement et puiz en soy moquant de lui ly demandoit comment se portoient ses bras », et lui extirpa ainsi 16 écus. En ce qui concerne Jean Cuillier qui a obtenu une lettre de rémission pour homicide, il a été attaché à un poteau puis questionné jusqu’à ce que sa femme ait composé à 15 francs. Sur la difficulté de définir la justice criminelle aussi bien au nord qu’au sud du royaume, B. GUENÉE, Tribunaux..., p. 81 et suiv., et J.M. CARBASSE, Consulats méridionaux..., p. 5-9. 32. Par exemple, le procès qui, dans le bailliage de Vermandois, oppose Jean d’Ausale, drapier demeurant à Reims, appelant en cas d’excès du prévôt, des doyens et chapitre de Reims, X 2a 16, fol. 89-91, 13 septembre 1410. Le drapier aurait été emprisonné huit jours sans information, le temps de fabriquer des faux témoignages. Finalement, raison est donnée au prévôt. 33. X la 4790, fol. 87-89, 5 juin 1414 et, le même jour, X 2a 17, fol. 144-144v., où le sire de Peletot est accusé d’avoir reçu de l’argent de ceux qui ont voulu éviter de répondre à l’arrière-ban, ainsi que de vols et d’injures contre le roi. Autre exemple à propos des troubles politiques qui agitent Amiens en mars et mai 1420 et qui sont rapportés au civil, X la 4792, fol. 230v., et au criminel X 2a 16, fol. 387v. 34. Sur le sens politique de ces mutations, voir A. DEMURGER, « Guerre civile et changements du pérsonnel... », p. 284. Il convient d’ajouter aux reproches adressés à Peletot ceux qui sont mentionnés par le procès criminel cité supra, n. 33. 35. Voir sur ce point les remarques générales de M. LANGLOIS, « Les archives criminelles du Parlement de Paris... », p. 7-14. Pour une vue synthétique de ces difficultés, R. FILHOL, « Les archives du Parlement de Paris... », p. 40 et suiv. 36. Cette carence subsiste jusqu’en 1535, quand apparaissent les registres du Conseil : B. SCHNAPPER, « La justice criminelle... », p. 252. 37. Cet exemple est typique du vocabulaire employé. Il s’agit de Richard Blanchard, prisonnier au Châtelet, X 2a 15, fol. lv., 20 novembre 1404. 38. L’enquête chiffrée a porté sur les registres d’arrêts et de lettres, X 2a 9, 11, 13, 15, 16. Les procès relatifs à la cléricature constituent 6 % des délits. Ils font l’objet de belles plaidoiries, par exemple X 2a 14, fol. 34v., juillet 1401 : Perrin Molart est réclamé par l’évêque de Paris comme clerc, auquel le procureur du roi répond que c’est « un larron publique marié en habit laïc car il a les pungnez frangiez de draps de diverses couleurs et est le colet de son gippon de draps de diverses couleurs », alors que les clercs ne doivent porter « manches ne rouges ne verdes ». Les mêmes litiges existent à propos de la noblesse. On ne sait pas si Picaut est « noble » ou « cousturier », si Bayart est « notable » ou « pelletier », ou si Robert de la Honguerie est « noble » ou « valet monnoier », ibid., fol. 69v., mai 1402 ; fol. 194, juillet 1404 ; fol. 249v., mai 1405. Dans l’enquête chiffrée, les écuyers ont été comptés avec les nobles. Sur cette distinction, voir chapitre 12, p. 533 et suiv. 39. Voir chapitres 6 et suivants. 40. Par exemple, X 2a 12, fol. 171-173v., 1393, à propos du guet et de la garde que la dame de Craon prétendait imposer aux habitants de sa châtellenie. Même cas pour l’aide levée par le duc d’Orléans à Blois, X 2a 14, fol. 20 lv., 202v„ août 1404, BLOIS, et pour une taille prélevée à Abbeville, X 2a 17, fol. 246-247, janvier 1417, ABBEVILLE. Mais, encore une fois, l’infraction au guet et à la garde comme le refus de payer l’impôt peuvent être plaidés au civil, voir les exemples que j’ai pu rassembler, Cl. GAUVARD, « L’opinion publique aux confins des états et des principautés... », p. 137-139, n. 32-38. 41. Par exemple, X 2a 14, fol. 51v., février 1402. La sorcellerie peut d’ailleurs être liée aux formes de l’enrichissement comme c’est le cas pour Guillaume de Béthune, barbier, ibid., fol. 257, juin 1405. 42. G. DU BREUIL, Stilus Curie Parlamenti, p. 2, et J. D’ABLEIGES, Le Grand Coutumier, p. 399.

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43. Fr. AUTRAND, « Culture et mentalité... », p. 1233-1234. Jean de Cessières est peu connu : on sait seulement que la tenue de ses registres suscitait l’admiration de ses contemporains, tel Jacques d’Ableiges, F. AUBERT, « Les sources de la procédure... », t. 77, p. 239, n. 2. Sur cette culture juridique parisienne, voir infra n. 73 et 77. 44. Sur l’utilisation des portraits dans les plaidoiries, Cl. GAUVARD, « La déclinaison d’identité... ». Le discours juridique est doté de sa dynamique propre, comme le montre P. BOURDIEU, Ce que parler veut dire..., p. 21. Selon P. GUILHIERMOZ, « De la persistance du caractère oral... », p. 22-23, l’écriture, au XIVe siècle, tient une place « modeste » dans la procédure suivie par le Parlement, à la différence de ce qui se passe dans la procédure canonique : « au lieu de remplacer la parole, elle servit uniquement à la fixer, pour permettre à la mémoire des juges de se décharger d’un poids trop lourd à porter ». Sur les problèmes généraux que pose, au Moyen Age, la « parole fondatrice » et la transformation de cette « oralité », voir les réflexions suggestives de P. ZUMTHOR, La lettre et la voix..., p. 95-106 et p. 121-129. 45. On ne peut pas adopter sans critique des sources le point de vue de H. BENVENISTE, Stratégies judiciaires..., p. 184 et suiv., qui voit dans la diffusion de l’honneur que révèle le crime, une vulgarisation des modèles nobiliaires. 46. A. TUETEY, Inventaire analytique des Livres de couleur... 47. Registre criminel du Châtelet... 48. En partie publiés par Olivier MARTIN, « Sentences civiles du Châtelet de Paris... ». 49. Un procès du Parlement civil de juillet 1391 révèle qu’il y avait à la geôle un clerc chargé de tenir un registre de criminels amenés au Châtelet, cité dans Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. XIV et p. 203, η. 1. Autre mention X 2a 12, fol. 139v., déc. 1391, sur le cas de Jehan Louvart : « Le registre dudit Chastellet a esté veu et le contenu d’icelui rapporté a la cour ». Même mention en mai 1392, où il est indiqué que « Regnaut Barre, prisonnier en Chastellet avoit esté prins et emprisonné par Oudinet de Rochefort sergent oudit Chastellet pour certains cas declairiés ou registre de la geole dudit Chastellet » ; Regnaut, ayant appelé, demande son élargissement, prétextant qu’il n’est pas détenu pour un cas criminel, « et pour savoir la vérité des cas pour lesquelx il a esté emprisonné, a esté sceu au registre dudit Chastellet », ibid., fol. 146. Une autre mention de ce registre de la geôle se trouve dans X 2a 17, fol. 170v., 19 janvier 1415. L’avocat de l’évêque de Paris réclame au prévôt de Paris six prisonniers comme clercs et déclare que, au temps passé, l’évêque savait quand ses clercs étaient au Châtelet car sur le registre on mettait un signe rond, « ce que aujourdhui on a delaissié ». A cet argument, le procureur du roi répond qu’on fait le registre « comme on souloit ». Ces registres n’étaient pas toujours bien tenus et ne constituaient pas des archives conservées au Châtelet, comme en témoignent, dès 1320, les ordonnances relatives à cette juridiction, ORF, t. 1, p. 743 : « il n’y a pas les registres des bannis, ni les délivrances des prisonniers, ni les amendes imposes, ni les recreances des prisonniers », car « les prevosts qui pour le temps ont esté chascuns en droit loy, en apporte ses registres dont li roy a perdu moult de amendes et moult de fais sont demourés impunis ». Le registre Y 5266 est donc, lui aussi, exceptionnel comme registre des écrous. Mais il mentionne l’existence d’un autre registre, appelé « petit registre », dont nous ne savons rien, Y 5266, fol. 130v., qui précise que le prisonnier est « rayé sur le petit registre » ; de même fol. 135v., où il est « rayé sur le petit papier ». 50. Br. GEREMEK, Les marginaux..., p. 58-62, et E. COHEN, « Patterns of Crime... », p. 307 et suiv. Aucun de ces auteurs n’a utilisé le registre Y 5266. 51. Sur l’organisation du Châtelet pendant le règne de Charles VI, voir Ch. DESMAZE, Le Châtelet de Paris..., p. 52 et suiv., et p. 130 et suiv. Sur le pouvoir donné au prévôt, voir chapitre 5, n. 177. 52. B. GUENÉE donne l’image d’un Châtelet « toujours avide d’étendre sa juridiction », « Etude sur l’influence du Châtelet au XVIe siècle. Une fausse lettre de garde-gardienne », dans Politique et Histoire.... p. 93-110. 53. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 419 et suiv., et t. 2, p. 1-6.

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54. Voir les remarques de Y. LANHERS, dans Guide des recherches..., p. 163 et suiv., et M. LANGLOIS et Y. LANHERS, Confessions et jugements..., p. 21 et suiv. 55. Il s’agit des registres X 2a 11, fol. 81-314, et X 2a 12, fol. 51-155v. Les résultats de cette confrontation sont analysés chapitre 4, p. 161. 56. De telles conclusions obligent à nuancer celles de Br. GEREMEK, Les marginaux..., p. 59, qui écrit : « La majorité des infractions qu’avait à juger le prévôt de Paris étaient donc des vols » ; et celles d’E. COHEN, « Patterns of Crime... », p. 326, qui tente d’expliquer par des raisons juridiques et économiques le profil des crimes révélé par ce registre : « The Châtelet register, then, reflects both a warped system of justice and an abnormal set of social and economic circumstances ». 57. Les pourcentages obtenus portent sur 675 cas, certains feuillets étant illisibles. La date tardive du registre (1488) ne doit pas être un obstacle à la comparaison, puisque, au même moment, la proportion des crimes calculée à partir des lettres de rémission reste très proche de celle qui prévaut à la fin du XIVe siècle. Voir l’étude de la criminalité parisienne chapitre 6, p. 270-281. 58. Sur la généralisation de cette pratique, F. AUBERT, « Le Parlement et les prisonniers... », p. 110 et suiv., et A. PORTEAU-BITKER, « Le système de l’élargissement... », p. 60 : « Dès qu’il est fait mention d’une arrestation et d’une incarcération, il est fait également mention d’un élargissement, soit immédiat, soit ultérieurement, après un délai fort bref ». Sur les limites imposées à l’élargissement, ORF, t. 8, 20 avril 1402, p. 502, et X 2a 14, fol. 84v., 20 avril 1402. Interdiction est faite aux chambellans, secrétaires, huissiers, sergents d’armes et autres officiers, de procéder aux élargissements et délivrances, et d’emmener de fait, où il leur plaît, les prisonniers du Châtelet « soubz umbre d’aucuns commandemens de bouche » qui sont faits « legierement plus par impression et importunité, requestes et prieres des amis des parties ainsi emprisonnées ». Ces abus n’ont pas cessé et ils sont encore l’objet de critiques formulées dans l'Ordonnance cabochienne. 59. Le système de l’élargissement fonctionne dès la mise en place du Parlement criminel. Les élargissements sont d’autant plus fréquents que le prisonnier est réclamé par une juridiction ecclésiastique, par exemple, X 2a 15, fol. 3v., décembre 1404 ; fol. 5v., janvier 1405 ; fol. 9v., février 1405, etc. La nature du crime n’entre pas en compte : il s’agit indifféremment d’un viol, d’un homicide ou d’un vol. 60. On peut même élargir d’anciens bannis et « mal renommez », Y 5266, fol. 71, 20août 1488. 61. Par exemple X 2a 12, fol. 145, 1392 : « Interrogué et veues ses responses avec les informacions, il fu deliberé par le conseil du roy que icelui Ernart soit mis en proces extraordinaire et fu mis en question a la corde ». Sur la procédure extraordinaire suivie au Châtelet d’après le registre Y 10531, A. ESMEIN, Histoire de la procédure criminelle..., p. 124 et suiv. 62. X 2a 10, fol. 22v.-23, 1376, où « courtoisement », s’oppose à « villainement ». Cette « courtoisie » doit s’appliquer même si la torture est pratiquée plusieurs fois. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 167 et p. 206. 63. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 225 et suiv. Coisme de Grimaude était maître des arbalétriers génois, ibid., p. 225, η. 1. 64. Ibid., p. 227. 65. Ibid., p. 228. 66. Ibid., p. 229-230. 67. Ibid., p. 237-238, mai 1390. 68. Voir supra n. 51. Le rôle du prévôt est largement développé dans l'ordonnance de réforme du 3 mars 1357, ORF, t. 3, p. 125 et suiv. 69. Aucun travail de synthèse ne traite de cet idéal réformateur du milieu du XIV e siècle, R. CAZELLES, Société politique, noblesse et couronne..., p. 242-274, et p. 505 et suiv. J’ai tenté d’en donner quelques aperçus, Cl. GAUVARD, « Portrait du prince d’après l’oeuvre de Guillaume de Machaut... ». p. 23 et suiv.

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70. M. LANGLOIS et Y. LANHERS, Confessions et jugements.... p. 23. L’existence d’un registre de « confessions » est mentionné pour le Châtelet lors du procès de Thevenin de Braine, le 26 mai 1390. Ce dernier avait été banni pour dix ans après une confession précédente, le 22 décembre 1385. et les juges avaient pu consulter le registre « qui fu veu et leu » et constater que le temps de bannissement n’avait pas expiré, Registre criminel du Châtelet, t. 2, p. 142. 71. Ibid., p. 63-64, affaire Guiart de Noireterre, en 1332. Sur la méthode suivie pour extorquer cet aveu, voir M. VINCENT-CASSY, « Comment obtenir un aveu ?... », p. 386 et suiv. 72. Cité par F. AUBERT, « Les sources de la procédure... », t. 76, p. 524. 73. Tel est le cas des Arresta lata in Parlamento, que G. NAUD date de la fin du XIV e siècle, « Un recueil de jurisprudence... », p. 77-78, et qui recense des arrêts entre 1351 et 1376. Autre exemple édité par Olivier MARTIN, « Notes d’audience... », p. 519, qui définit ainsi le document : « ce n’est pas un ouvrage composé méthodiquement avec des prétentions scientifiques, mais un simple recueil de notes prises au jour le jour par quelque praticien assidu aux séances ». 74. M. BOULET, Questiones..., chapitre 1. 75. F. AUBERT, op. cit. supra, n. 72, en particulier t. 77, p. 217 et suiv. 76. Jacques d’Ableiges connaît bien le Châtelet où il a exercé comme examinateur et avocat. Jean le Coq est conseiller du roi au Châtelet avant de devenir avocat au Parlement. Comme pour les autres serviteurs de l’Etat, à cette époque qui précède la guerre civile, il existe une sorte d’osmose entre le milieu royal et les milieux princiers : Jean le Coq est pensionné par le duc de Bourgogne. Enfin, ces juristes sont liés à l’œuvre des réformateurs. Ils peuvent être chargés d’enquêtes comme Jacques d’Ableiges et Jean Bouteiller à Tournai en 1388. Comme pour les théoriciens politiques, il est donc nécessaire de lier leurs préoccupations théoriques à la conjoncture politique, Cl. GAUVARD, « Christine de Pisan a-t-elle eu une pensée politique ?... », p. 422. Des liens familiaux structurent aussi le réseau, Fr. AUTRAND, Naissance..., p. 41 et suiv. 77. Sur Nicolas de Baye, greffier du Parlement civil de 1400 à 1417, N. de BAYE, Journal, t. 2, notice biographique, p. I et suiv. Ces personnages sont bien connus des rédacteurs de manuels de procédure qui les citent. Ils sont aussi mêlés au milieu des humanistes parisiens, Nicolas de Baye ayant pour ami Nicolas de Clamanges avec qui il échangeait des manuscrits. 78. Jean Le Coq était fils d’un notaire de Charles V. Les liens de ces juristes avec les humanistes parisiens mériteraient d’être élucidés. Un même idéal culturel et politique les unit. La justice est au cœur de la réforme, comme le montrent les écrits de Nicolas de Clamanges ou de Jean Gerson. Ce dernier s’adresse plusieurs fois au Parlement. Sur ce milieu culturel, voir les travaux de G. OUY, « Paris, l’un des principaux foyers de l’Humanisme... », et « Le collège de Navarre... », et N. PONS, « Les chancelleries parisiennes... ». Sur un exemple de juriste humaniste, H. GILLES, « Gilles Bellemère... », p. 211 et suiv. 79. Sur cet idéal du règne de Charles VI, Fr. AUTRAND, « Offices et officiers royaux... » qui conclut p. 338 : « c’est alors que la notion de fonction publique prend corps et s’étend à l’ensemble des serviteurs du roi ». 80. Registre criminel du Châtelet, p. VII. Aleaume Cachemarée serait peut-être de la famille de Jean Aubery dit Cachemarée dont le nom apparaît en 1361 comme receveur des profits et émoluments appartenant à la clôture de Montivilliers. En revanche, Jean de Folleville, entré au Parlement en 1372, prévôt de Paris en 1389, puis entré à la Chambre des Comptes en 1401, est un noble de Picardie dont la famille a été très liée à l’abbaye de Corbie, H. GAILLARD, « Essai de biographie de Jean de Folleville... », p. 369-404. 81. « Chartularium... », t. 3, N o 1590, p. 541, et X la 1475, fol. 175v.-176 et fol. 345. L’Université se plaint au Parlement de l’emprisonnement abusif de maître Yves de Kaergolen, contre maître Dreux d’Ars, auditeur au Châtelet, maître Aleaume Chassemarée et Jehan le Queux, valet de la geôle. Sur l’affaire de 1414, voir Olivier MARTIN, « Sentences civiles... », NRHDFE, 1914, p. 78-79. Nicolas Rappin est « procureur de maistre Aleaume Cachemaree », face à Jehan Le Lorrain, « lequel s’est opposé aux criees et subhastations faites de par le roy notre sire, a la requeste de

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maistre Aleaume, des heritages Guillaume de Billy, dit le Chanon ». Malheureusement, le lieu où se trouvent les héritages n’est pas précisé dans le document. En revanche, lors des procès qui l’opposent à la ville d’Amiens en 1403, Aleaume Cachemarée est simplement appelé par son nom. De la même façon, le roi s’adressant le 22 mars aux gens du Parlement pour faire quérir Jean de Pinol et autres, s’adresse « A Aleaume Cachemaree, huissier d’icelui Parlement, salut », sans autre précision. N. de BAYE, Journal, t. 1, p. 30, 82, 125 et 131, se contente aussi de l’appeler par son nom. Sur l’emploi de « maître » au Parlement, Fr. AUTRAND, Naissance..., p. 182-184. 82. Il reçoit quatre quittances de gages, comme procureur du roi au bailliage de Caen, entre le 16 avril 1385 et le 22 mai 1385, BN PO 565, dossier CACHEMARÉE, pièces 2,3,4 et 7 ; Registre criminel du Châtelet, p. VIII et IX, et G. DUPONT-FERRIER, Gallia Regia..., t. 1, p. 471. Dans sa tâche, Aleaume Cachemarée ne fait qu’appliquer les ordonnances royales relatives à l’entretien des biens du clergé, ORF, t. 7, p. 133-137, 6 octobre 1385. Le 16 février 1386, le Parlement enjoint aux baillis et sénéchaux d’exécuter cette ordonnance. Son application a donné lieu à un problème de fond relatif aux relations entre l’Eglise et l’Etat : dans quelle mesure le roi a-t-il le droit d’intervenir dans la réparation des églises ? Sur ce problème, X la 1475, fol. 73, juin 1390. 83. Chronique du religieux de Saint-Denys, t. 1, p. 401, et ORF, t. 7, p. 133-134. 84. Il est institué en remplacement de maître Andry Le Preux, Registre criminel du Châtelet, p. XI. 85. Fr. AUTRAND, Charles VI, p. 189 et suiv. Outre ses liens avec Jean de Folleville, Aleaume Cachemarée est chargé de l’exécution testamentaire d’un autre Marmouset célèbre, Jean Tabari, évêque de Thérouanne, mais finalement Jean Le Fevre est subrogé en son nom, Fr. AUTRAND, Naissance..., p. 310, n. 161. 86. Aleaume Cachemarée est nommé huissier du Parlement en 1393, F. AUBERT, Les huissiers du Parlement de Paris..., p. 392. Sur son travail d'huissier, voir N. de BAYE, Journal, t. 1, cit. supra n. 81, et t. 2, p. 20. Sur le résumé de cette carrière. Cl. GAUVARD, « La criminalité parisienne... », p. 361 et suiv. 87. X lc 85B, 27 mars 1403. Cette autorisation d’accord sollicitée par le roi à la demande des maire et échevins d’Amiens est la pièce manquante du puzzle reconstitué par É. MAUGIS, Documents inédits concernant la ville et le siège du bailliage d’Amiens..., t. 1, p. 224-237. Aleaume Cachemarée n’est pas répertorié parmi les substituts du procureur du bailliage d’Amiens à cette date, par G. DUPONT-FERRIER, Gallia Regia..., t. 1, p. 96. Il est vrai que, étant donné la conjoncture politique, les procureurs se succèdent rapidement. L’action de Cachemarée fait suite à de nombreuses plaintes, car la gestion de la ville était critiquée, en particulier le paiement des deniers d’orphelins mis en dépôt au milieu du XIVe siècle, voir E. MAUGIS, Essai sur le régime financier de la ville d’Amiens..., p. 223 et suiv. 88. L’aspect financier n’est évidemment pas négligeable et Aleaume Cachemarée n’a pas dû, outre ses dépenses personnelles, se rendre populaire en procédant à l’adjudication de la ferme des aides, É. MAUGIS, Documents inédits..., t. 1, p. 232-233. 89. Ibid., p. 235-236. Ce goût des archives est typique de ce milieu des officiers royaux. En septembre 1410, Nicolas de Baye fait « murer l'uis de la Tournelle » de crainte que les registres des procès soient détruits par les gens d’armes « qui seroit dommage inestimable à tous de quelque estat que ce soit de ce royaume », N. de BAYE, Journal, t. 1, p. 335. 90. Il perd son office en 1418, comme « ennemi et rebelle et adherent de la cause armagnaque », cit. dans Registre criminel du Châtelet, p. XXI. Il avait consenti à prêter au roi le serment de fidélité exigé des justiciers, officiers et sujets, le 5 août 1417, X la 1480, fol. 100v. 91. Fr. AUTRAND, Naissance..., p. 154. 92. A. THOMAS, Les états provinciaux..., t. 1, p. 300. L’action d’Aleaume Cachemarée à Poitiers est évoquée par R. G. LITTLE, The « Parlement » of Poitiers..., p. 42 et 159. 93. Cette maison jouxtait celle de Jean Jouvenel. Sur Gilles Veau, voir X la 1480, fol. 282, septembre 1423 ; fol. 347, mai 1426. Il est possible que les rapports entre les époux aient été très difficiles dès 1414 si on en juge par les procès qui les ont opposés, X la 1480, fol. 6v., janvier 1415 ;

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fol. 103, août 1417, où il est fait mention de plaidoiries du 19 juillet 1417 dont je n’ai pas retrouvé trace. Isabeau Cachemarée, toujours mentionnée comme femme de Gilles Veau, est morte dès 1440, en ayant au moins une fille, X la 1482, fol. 265-265v. Par ailleurs, un nommé Pierre Cachemarée est mentionné à Poitiers en 1426-1427, X la 9198, fol. 248v.-249. Sur la carrière de Gilles Veau, voir Cl. de FAUQUEMBERGUE, Journal, t. 2, p. 107-108. 94. L. TANON, Histoire des justices... Sur l’analyse de ces sources, voir P. VIOLLET, « Registres judiciaires... », p. 331-342. 95. G. HUISMAN, La juridiction de ta municipalité parisienne..., p. 211-245. 96. A. TERROINE, L. FOSSIER, Chartes et documents..., p. LI. Les documents judiciaires (A.N. L 445) doivent faire l’objet d'une prochaine publication. L'importance de l'oral dans la procédure suivie par les justices ecclésiastiques ne diffère guère de ce que connaît le Parlement au même moment, P. GUILHIERMOZ, « De la persistance du caractère oral... », cité supra n. 44. 97. Voir, en 1335-1336, l’épisode des trois figures restituées par le prévôt de Paris qui a fait pendre trois Anglais justiciables de Saint-Martin-des-Champs, cit. par L. TANON, Histoire des justices..., p. 477-478. 98. Par exemple, lors d’une peine d’enfouissement réservée à une femme justiciable de SaintGermain-des-Prés accusée d’infanticide, tout le village de Meudon est convoqué « a beau cri », LL 1077, fol. 8. 1291. 99. Registre Bertrand, LL 1355, cité par L. TANON, op. cit. supra, n. 97, p. 120. 100. Ces registres ont été étudiés par Br. GEREMEK, Les marginaux..., en particulier sous forme de tableaux p. 64-70. Mais la solution adoptée par Br. Geremek, qui consiste à privilégier les vols pour harmoniser ces résultats avec le Registre criminel du Châtelet, ne peut pas être retenue quand il écrit : « si on excepte les affaires de rixes, les vols retrouvent la première place parmi les délits », ibid., p. 71. A Notre-Dame, les rixes atteignent 53,7 % des crimes alors que les vols n’excèdent pas 6 % des cas. Au Temple, le taux s’élève à 76,6 % pour 7 % de vols. 101. Par exemple, à Mireval où ont été conservés 31 procès de 1351 à 1354, témoignages de la justice rendue par les consuls de la ville, M. SHERWOOD, « Un registre de la cour criminelle de Mireval... », p. 78 et suiv. La thèse de N. GONTHIER, Délinquance, justice et société..., montre par ailleurs ce qu’on peut attendre de diverses sources seigneuriales pour cerner une criminalité urbaine. Le comptage des crimes et de la population criminelle reste incertain. 102. C’est la conclusion à laquelle se range L. MERLET, « Registres des officialités de Chartres... », p. 575, η. 1. 103. J. PETIT, Registre des causes civiles... Il couvre trois années, du 17 novembre 1384 au 7 septembre 1387. 104. Elles ont été utilisées par L. POMMERAY, L’officialité archidiaconale..., p. 205-206, qui remarque la rareté des cas criminels. A Chartres, L. MERLET, op. cit. supra, n. 102, p. 581 et 587-588, ne relève qu’un seul jugement au criminel, mais, pour faire avouer les accusés, l’official n’hésite pas à recourir à la question. 105. Voir en particulier les remarques typologiques de J.Ph. LÉVY, « L’officialité de Paris et les questions familiales... », p. 1265, n. 2. Il ne faut pas oublier que ce type de document ne permet de cerner que les déviations du mariage à la fin du Moyen Age, J.L. DUFRESNE, « Les comportements amoureux... », p. 131 et suiv. 106. En cas d’asseurement, l’un des protagonistes est obligatoirement un clerc. Mais les coups et les injures traités devant l’officialité peuvent être le fait de laïcs. Si on considère les jeux, tous les protagonistes sont des clercs : peut-on en déduire pour autant que le jeu est l’apanage des clercs qui peuvent y perdre jusqu'à leur chemise ? Enfin, les femmes sont peut-être sur-représentées, comme le montre le registre d’excommunication de l’archidiacre de Paris entre 1426 et 1439, Z lo 17. Dans la paroisse de Saint-Germain-l’Auxerrois, elles constituent 15,5 % des personnes excommuniées, et 11 % dans celle de Saint-Jacques-de-la-Boucherie, chiffres qui ne donnent pas

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une image exacte de leur implication dans la grande criminalité au même moment, voir chapitre 7, p. 304. 107. Avec G. Labory, j’ai pu éditer une de ces courtes, mais nombreuses, chroniques parisiennes anonymes, Cl. GAUVARD et G. LABORY, Une chronique rimée parisienne... J’ai aussi utilisé des listes d’événements contenus dans les manuels de chancellerie ou dans d’autres manuscrits dont ils constituent parfois un seul feuillet, par exemple B.N. Fr. 19 186, fol. 146 : notes sur divers événements des années 1302 à 1417. Il n’est pas indifférent de noter que ce feuillet accompagne divers traités destinés à l’édification morale et religieuse. Autres exemples dans B.N. Fr. 1623, fol. 96v., courte chronologie de 1214 à 1423 ; B.N. Fr. 23 998, fol. 104, chroniques abrégées 1403-1442. 108. Projet de B. Guenée, séminaire de l’E.P.H.E, IVe section, 1987-1989. 109. Voir les textes édités par F. BOURQUELOT, « Correspondance... » ; P. DOGNON, « Les Armagnacs et les Bourguignons... » ; L. MIROT, « Lettres closes... » ; J. VIEILLARD, « Les journées parisiennes... ». 110. D’après A. LEDIEU, Inventaire sommaire... 111. A titre d’exemple, sur l’éclipse de lune de 1406, voir N. de BAYE, Journal, t. 1, p. 159 ; Chronique du religieux de Saint-Denys, t. 3, p. 391, et Cl. GAUVARD et G. LABORY, Une chronique rimée parisienne..., p. 221. 112. Journal d'un bourgeois de Paris, p. 220-221. La nouvelle parvenant à l’évêque, les Bohémiens sont excommuniés et expulsés. 113. Ibid., p. 238-239. 114. Varia chronicorum fragmenta ab anno DCCC XLVIII ad ann. 1658, dans Chronique de Saint-Martial de Limoges, p. 197-198. Sur les rapports étroits entre cartulaires et chroniques, J.Ph. GENET, « Cartulaires, registres et histoire... », p. 111 et suiv. 115. Par exemple, Amiens, BB 1, fol. 30v., 1407 ; fol. 54, 1408 ; fol. 55, 1408 ; fol. 66, 1409. 116. Ainsi, la Chronique anonyme finissant en 1356..., la Chronique rimée parisienne..., éd. cit. supra n. 107, et surtout l’œuvre de J. de ROYE, Journal..., comportent des faits divers plus abondants que les chroniques qui leur sont contemporaines. 117. Sur cette complicité entre l’écrivain et son public, A.J. GREIMAS, Du sens..., t. 1, p. 45 et suiv. et t. 2, p. 103 et suiv. 118. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 277. 119. Comparer Journal d’un bourgeois de Paris, p. 6, N. de BAYE, Journal, t. 1, p. 290-292, et récit abrégé dans X 2a 9188, fol. 108v. ; E. de MONSTRELET, Chronique, t. 2, p. 44 ; la Chronique rimée parisienne..., éd. cit. supra n. 107, p. 224. Sur le « paraître » détesté du personnage qui sert à diffamer son image et à le menacer du gibet, voir Le Songe véritable, vers 899-906. 120. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 34. 121. Éd. cit. supra n. 107, p. 224, n. 162. 122. E. de MONSTRELET, cit. supra, η. 119. Même utilisation du dialogue pour l’exécution du prévôt Henri Taperel dans Chronique parisienne anonyme..., chapitre 52. 123. Voir les remarques de B. GUENÉE, Histoire et culture historique..., p. 27-29. 124. En raison des variantes entre les différents manuscrits que ne respecte pas l’édition du texte par G. A. Crapelet, Demandes..., la référence aux manuscrits a été conservée dans le cours du travail. 125. Le Coutumier bourguignon glosé..., p. 59. 126. Même attitude en Bretagne, en Lorraine, en Bourbonnais et chez les grands feudataires gascons, Y. B. BRISSAUD, Le droit de grâce..., p. 14 et suiv. 127. Sur ce point, voir Cl. GAUVARD, « L’engagement politique des écrivains... », et J. BLANCHARD, « L’entrée du poète... », p. 51 : « Le poète a la charge de la formation et de la conduite de l’âme du prince ». 128. Les tractatus de Jean de Terrevermeille sont significatifs de ce type de sources. Pétris de thèmes repris d’Aristote, ce sont d’abord des œuvres de circonstances, J. BARBEY, La fonction

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royale..., p. 93 et suiv. Des traités de taille plus conséquente peuvent aussi être immergés dans leur temps, par exemple le Livre de prudence et de prod’hommie de l’homme, Cl. GAUVARD, « Christine de Pizan a-t-elle eu une pensée politique ?... », p. 426-427. 129. Par exemple, Jean de Montreuil, N. GRÉVY-PONS, « Propagande et sentiment national... », p. 128 et p. 132-133. 130. A ma connaissance, Guillaume de Machaut est le premier auteur français à croire aux vertus orphiques de l’écriture, Cl. GAUVARD, « Portrait du prince... », p. 38-39. Le thème de la fortune est au cœur des débats qui animent la cour de Charles V depuis le passage de Pétrarque, R. DELACHENAL, Histoire de Charles V, t. 3, p. 271-272. Mais l’évolution du thème est lente, vu le poids des stéréotypes joint à celui des événements. Sur les conceptions de la Fortune au milieu du XV e siècle, voir O. ROTH, « Martin le Franc... », p. 405. 131. N. de CLAMANGES, Expositio super Ysayam, cité dans Traité de la ruine de l’Eglise, p. 103. Ce commentaire date de 1425 environ, ibid., p. 96. 132. Cl. GAUVARD, « Ordonnance de réforme... », p. 94-96.

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Chapitre 2. La rémission source et méthode

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La méthode employée pour traiter les sources judiciaires s’efforce de répondre aux contraintes que leur typologie impose. Elle doit aussi tenir compte de la nature disparate des délits commis. Même s’il n’existe pas un rapport strict entre les délits et les peines appliquées, l’échelle des peines peut donner une idée de la gravité des délits. Il est impossible de confondre la répression donnant lieu à de simples amendes, même répétées, avec celle qui débouche sur la peine de mort, en principe réservée à ce que les textes normatifs appellent les « crimes capitaux »1. L’historien de la criminalité ne peut pas se limiter à l’étude des listes d’amendes. Celles-ci risquent de donner l’image faussée d’une justice encline à la mansuétude par souci du profit. Les remarques de J. Chiffoleau relatives à la justice exercée par la Cour temporelle d’Avignon le montrent bien : le recensement des peines est d’abord effectué dans un but fiscal et il n’est pas sûr que les peines, autres que les amendes, soient toutes mentionnées 2. Ce type de sources néglige en particulier la peine de mort.

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Peut-on tenter d’ajouter les données de différentes sources correspondant à toutes les échelles des peines, des amendes aux condamnations capitales, pour obtenir une vision totale de la criminalité ? Le résultat semble aléatoire et cela d’autant plus que les séries sont loin de prendre en compte tous les types de crimes, et tous les degrés des délits dans ces différents types de crimes. Aucune des sources ne présente une homogénéité au terme de laquelle il est possible de dresser un profil convenable de la criminalité. Seul le Registre des écrous du Châtelet de la fin du XV e siècle englobe dans une même série les délits susceptibles de relaxation, de simple amende, de bannissement et de pendaison3. Mais le texte est trop tardif et partiel pour être utilisé comme base quantitative. Il est seulement révélateur du cas parisien où l’organisation policière est peut-être plus précoce que dans l’ensemble du royaume4.

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Quant à la possiblité de suivre les affaires d’une juridiction à l’autre, elle est apparue extrêment limitée. Les relations entre le Parlement et la Chancellerie ont laissé les traces les plus nombreuses. En 1404, un homme, en procès au Parlement, est accusé par la partie adverse d’être un criminel endurci. Il répond qu’il n’en est rien, et que, si autrefois il a commis un crime en cueillant des roses pour la Fête-Dieu, il a obtenu une rémission. De fait, cette rémission existe bien au Trésor des chartes et elle se rapporte à

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l’année 13925. La relation entre la rémission et le procès n’est pas utile au champ quantitatif, mais elle permet de mesurer l’étendue et la portée de la mémoire pour un crime qui, lorsqu’il a été commis, était pourtant considéré comme un « fait de jeunesse ». Les contestations de rémissions au Parlement constituent aussi une série particulière où il est intéressant de retrouver le texte de la Chancellerie. Par exemple, la rémission obtenue en novembre 1400 par Robert de Sales pour s’être vengé d’un délit d’adultère est l’objet d’un procès au Parlement au mois de mars suivant. Merigot, l’amant supposé, se présente comme une victime dont le mari a « esrachié les genitoires » sans cause et à la suite d’une expédition punitive menée « d’aguet appensé »6. Ces comparaisons sont essentielles pour comprendre la valeur du crime aux yeux de l’opinion et de la justice légale, mais elles n’apportent pas de données supplémentaires pour cerner l’identité des criminels ou des victimes, et à peine pour identifier la nature du crime. 4

La carence générale des sources a un sens politique : la fonction judiciaire reste encore, au début du XVe siècle, marquée par le profit plus que par le désir policier d’assurer un contrôle social efficace7. Les résultats quantitatifs ne peuvent donc être donnés qu’en fonction de la source utilisée, et doivent par conséquent rester significatifs d’un type de justice dans un lieu donné. Il en est ainsi des paysans étudiés par M.Th. Lorcin, voleurs, mais voleurs de petite envergure, tels qu’ils peuvent être jugés par les justices seigneuriales du Lyonnais, quand l’amende ne peut pas dépasser 60 sous 8. Même si certains seigneurs disposent théoriquement de la haute justice, la grande criminalité ne relève pas de ces justices là ; et, à regarder les délits dans leur ensemble, le Lyonnais n’échappe pas, en matière de crimes capitaux, aux tendances générales de la violence qui place l’homicide à leur tête9. Enfin, la logique de la répression, déjà difficile à cerner en matière de crimes de sang, est encore plus complexe quand il s’agit de la basse justice. Elle varie en fonction du lieu, de la personnalité seigneuriale ou urbaine, voire de la richesse du coupable10.

5

Tous ces éléments doivent être pris en compte pour cerner les tendances criminelles ; le choix de la base quantitative est dépendant des sources disponibles, mais il doit aussi définir une logique des crimes recensés. Trop complexes dans les choix qu’elles retiennent, les sources relatives à la basse justice ont été abandonnées. Pour toutes ces raisons, et pour prendre en compte le contenu politique que de simples listes de crimes révèlent difficilement, la série des lettres de rémission s’est imposée. La méthode quantitative s’applique donc à la série des lettres de rémission du Trésor des chartes, sans négliger cependant des comparaisons avec d’autres sources que sont les actes législatifs, les traités théoriques et les procès du Parlement de Paris qui tous portent en priorité sur la grande criminalité. L’analyse cherche à donner un profil quantitatif de la criminalité médiévale, mais aussi à saisir la nature politique des documents que révèlent la structure du récit et l’usage des mots.

LES LETTRES DE RÉMISSION Archives nationales 6

Tous les registres relatifs au règne de Charles VI, de JJ 118 à JJ 172, ont été consultés. Ils comportent en moyenne 300 lettres chacun. Malheureusement, la table des registres du Trésor des chartes n’a pas été, pour notre propos, d’une grande utilité.

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7

Onze registres ont été systématiquement dépouillés, en respectant un rythme approximativement quinquennal11 : JJ 118 1380-1381 (317 lettres) JJ 120 1381-1382 (321 lettres) JJ 127 1385

(252 lettres)

JJ 133 1388

(202 lettres)

JJ 143 1392

(267 lettres)

JJ 151 1396-1397 (329 lettres) JJ 155 1400-1401 (366 lettres) JJ 160 1405-1406 (356 lettres) JJ 165 1410-1411 (331 lettres) JJ 169 1415-1417 (479 lettres) JJ 172 1419-1424 (532 lettres)

8

Quelques sondages ont pu être menés dans les registres antérieurs et postérieurs relatifs au règne de Charles V, de Charles VII, de Louis XI et de Louis XII 12. Au total, près de 7500 lettres ont donc été consultées. Pour la première moitié du XIV e siècle, l’inventaire des actes de l’époque de Philippe VI dressé par Aline Vallée est précieux, en particulier en ce qui concerne les mentions hors teneur13.

Bibliothèque nationale 9

Formulaires de chancellerie :

Fr 5024

Formulaire d’Odart Morchesne

Fr 5271

Formulaire de chancellerie composé d’actes des XIVe et XVe siècles.

Fr 6022

Formulaire composé d’actes du règne de Charles VII.

Fr 14370 Formulaire du règne de Charles VII, incomplet. Fr 14371 Formulaire du règne de Charles VII comportant 19 rubriques. Fr 18114 Recueil d’actes de Charles V et Charles VI destinés à servir de formulaire (XV e siècle). Fr 18674 Formulaires et protocoles (XVe siècle).

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10

Cette étude des lettres de rémission est complétée par celle des manuels de chancellerie. Ils indiquent à quels modes de fonctionnement doivent, théoriquement, obéir les lettres de rémission, et ils permettent des comparaisons avec d’autres types d’actes émis par la Chancellerie. Le dépouillement concerne essentiellement le règne de Charles VII14.

11

Paix et rémissions :

12

Fr 2699 Documents relatifs aux insurrections flamandes pendant le règne de Charles VI et aux rémissions qui ont suivi.

13

Fr 3863 Lettre d’abolition générale de 1418 (fol. 28).

14

Fr 4846, 4847, 4848

15

Fr 18849, 18869, 18886, 18896

16

Coll. Lorraine, n° 6, 64, 156

17

Documents relatifs aux conflits entre les ducs de Lorraine et le roi de France, et aux rémissions qui ont suivi sous les règnes de Charles V et Charles VI.

18

La lettre de rémission est un acte de la Chancellerie par lequel le roi octroie son pardon à la suite d’un crime ou d’un délit, arrêtant ainsi le cours ordinaire de la justice, qu’elle soit royale, seigneuriale, urbaine ou ecclésiastique. Outre la remise de peine, l’accusé est pleinement rétabli dans sa bonne renommée et dans ses biens, les intérêts de la partie adverse étant néanmoins préservés. Cet acte, régalien par excellence, caractéristique de la justice retenue, obéit à des règles administratives strictes que les traités théoriques, les ordonnances des XIVe et XV e siècles et les manuels de chancellerie se sont efforcés de préciser15. Pour répondre à ces impératifs, les lettres de rémission se présentent de façon assez uniforme.

19

La lettre proprement dite est précédée d’une supplique au cours de laquelle l’accusé appelé « exposant » ou « suppliant », lui-même ou par l’intermédiaire de ses proches, requiert la grâce royale. Les maîtres des requêtes sont chargés de la transmettre au conseil royal et, si la rémission est accordée, de la confier à la Chancellerie chargée de la rédiger puis de la faire enregistrer moyennant finances. En règle générale, ce processus obligé était respecté. Il existe, à côté de ces rémissions écrites, des « lettres de bouche » que dénoncent les ordonnances de réforme16. Quel a été leur poids dans le fonctionnement de la justice ? On ne peut évidemment pas le mesurer et seules quelques mentions de ces abus nous sont parvenus17. Mais, dans ce qui subsiste des rémissions écrites, l’ensemble présente une grande homogénéité. Seul l’enregistrement peut présenter des variantes. La plupart des rémissions se présentent sous forme de lettres patentes scellées de cire verte, mais certaines peuvent être également sur cire jaune ou blanche ou même expédiées sous le sceau du secret 18. En ce qui concerne le contenu de l’acte, la distinction la plus nette oppose la lettre de rémission proprement dite, qui s’applique aux délits de droit commun, à la lettre d’abolition réservée aux cas jugés irrémissibles, et accordée en général aux collectivités19. En réalité, cette différence n’a pas toujours été respectée, et la rédaction des deux types de grâce se fait sous une forme identique. J’ai donc choisi de les étudier globalement et de les placer sous le terme général de « rémission ».

20

Les lettres de rémission ont longtemps été négligées par les historiens et, au mieux, partiellement utilisées, privilégiant des régions, des thèmes, des types de crimes. Trois grands reproches sont, en effet, régulièrement adressés à cette source. Le premier

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concerne son caractère répétitif. Quantitativement, la série est sûre, sans interruption depuis sa première apparition écrite dans les registres du Trésor des chartes, en mai 130420. On assiste ensuite, pendant le règne de Charles VI, à une inflation du nombre de lettres dont il faudra expliquer la signification politique (tableau 3) 21. De ce caractère continu, les spécialistes se sont méfiés, y voyant l’inconvénient de la répétition, et, comme il s’agit d’un acte administratif obéissant à des règles de chancellerie codifiées, du stéréotype. En fait, cette répétition est signifiante. Elle permet de mieux saisir le type de document qu’est la lettre de rémission où se noue, dans un jeu subtil, le dialogue entre le roi justicier et le sujet, les formules convenues de la grâce et la réalité d’un crime dont chaque cas est unique. Ces jeux de miroirs aux enseignements à la fois sociaux et politiques sont au coeur de l’enquête sur la criminalité en France à la fin du Moyen Age22. Tableau 3 : Fréquence des lettres de rémission (1300-1500)

Années

Code Fréquence (en %)

1300-1320

1

0,1

1320-1340

2

0,3

1340-1360

3

5,8

1360-1380

4

15,3

1380-1400

5

23,7

1400-1420

6

13,9

1420-1440

7

4,0

1440-1460

8

9,0

1460-1480

9

9,7

1480-1500

10

18,2 100

121

Les lettres de rémission émises par la Chancellerie connaissent une inflation pendant la période 1360-1420 avec une pointe entre 1380 et 1400. A ce moment, les réformateurs critiquent le laxisme de la Chancellerie, d’autant que tous les types de crimes sont remis. L’augmentation du nombre de lettres à partir de 1480 s’accompagne d’un appauvrissement des types de délits remis au profit de l’homicide. 21

Le second reproche fait aux lettres de rémission consiste à douter de la véracité des cas criminels qu’elles rapportent. Nous avons déjà vu que les sources criminelles sont loin de décrire une réalité positive, et que leur transcription n’est jamais, à l’époque qui nous intéresse, dépouillée des formes conventionnelles d’un langage de circonstance : les manuels de chancellerie qui s’élaborent au même moment sont là pour le rappeler. Le récit n’est pas non plus l’expression brute d’une quelconque culture populaire. En effet, qui écrit la lettre ? Son enregistrement est le fait des notaires de la Chancellerie, mais qu’enregistrent-ils ? L’absence de tournures idiomatiques montre le filtrage opéré entre un récit initial, écrit ou oral, et le récit transcrit dans la lettre. Et, si par hasard le notaire laisse passer une expression du terroir, il la traduit immédiatement en langage compréhensible. Le fait est frappant pour les injures dont il convient de rapporter le contenu au plus proche de la voix qui les a prononcées pour mesurer le degré d’offense qu’elles contiennent. Lorsque ce suppliant du bailliage de SaintPierre-le-Moûtier se plaint d’avoir été appelé « grant comart », la lettre ajoute aussitôt « qui vault autant a dire selon la coutume du païs comme un grant coup »23. Pour la même raison, nombre de lettres adressées à des suppliants du Languedoc sont rédigées soit en latin, soit en langue d’oïl. Il n’est pas impossible aussi qu’avant de présenter leur requête devant le notaire, les suppliants aient pris conseil d’hommes de loi. Au total, on peut conclure avec N. Z. Davis que « ces lettres procédaient d’un échange entre plusieurs personnes, qui étaient amenées à mettre en commun des données événementielles, des connaissances juridiques et un style langagier recommandé par les manuels de chancellerie »24.

22

Ces remarques n’entachent pas le document d’une tare quelconque. Elles permettent de préciser que la recherche du crime a pour source une narration qui, comme tous les

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récits, est adaptée à un public, ici le pouvoir royal et la partie adverse, voire l’ensemble de la communauté concernée par le crime. Surtout, dans ce récit, il serait vain de chercher ce qui est vrai. Certes, nous saisissons, à travers ce type de document, une confession restée proche de l’oralité, l’écho d’une « voix vive » au sens que P. Zumthor donne à ce mot25. Mais, en admettant que ce cri soit encore perceptible, il ne serait pas pour autant une garantie de la vérité. La narration ne prend couleur de vérité que par rapport à une authenticité dont les décodages appartiennent au narrateur, à la partie adverse et à la Chancellerie. En fait, il nous reste l’essentiel : ce qui a été reconnu crédible par les contemporains. Il était normal que le crime se passe ainsi. Les enchaînements qui ordonnent le récit pour le rendre vraisemblable, ne font alors que rendre compte de la façon dont s’authentifie la confession. Ils devraient nous permettre de saisir le code selon lequel les hommes, en matière criminelle, négocient ce qu’on peut appeler avec A. Boureau leur « contrat de croyance »26. 23

D’autres impératifs interfèrent dans le choix du récit pour biaiser la véracité. Il est parfaitement exact que, dans le cas de la rémission, l’exposant ou ses amis se doivent d’employer un langage destiné à blanchir le coupable, à charger la victime, à atténuer le délit, bref à obtenir la grâce royale. De criminel, de victime, de crime même, il n’y en a point : il y a des images du criminel, de la victime et du crime qui répondent aux exigences de la grâce royale. Mais ce jeu des transformations a des limites que lui imposent les exigences éventuelles de la partie adverse et du juge chargé d’entériner la rémission. En effet, une fois obtenue, la rémission doit être entérinée par un juge royal qui procède contradictoirement, en présence des parties adverses, et vérifie l’exactitude des faits relatés dans la lettre. En cas d’inexactitude ou d’omission, le juge peut refuser l’entérinement, et la lettre obtenue frauduleusement est privée de tout effet. Cette procédure n’exclut pas la vérification faite par les autorités qui ont pu procéder au jugement qui, parfois, précède la grâce royale. Les registres municipaux montrent l’importance que les justices urbaines attachent à la vérification des faits. A Amiens, l’entérinement n’est pas immédiat ; à Abbeville, les vérifications sont réglementées à la demande du maire et des échevins qui obtiennent du roi un accord pour que les lettres soient vérifiées par le sénéchal de Ponthieu en dehors de la ville, afin de ne pas permettre l’entrée des bannis avant vérification de leur lettre ; à Tournai, la ville ne cesse de répéter qu’elle a tout regard sur les faiseurs d’homicides et que, par conséquent, elle doit vérifier les lettres accordées27.

24

De nombreux procès relatifs à des rémissions jugées « subreptices » agitent le Parlement criminel. Ils constituent 8 % des litiges examinés. On ne peut donc pas dire que les rémissions ne déforment pas la réalité, mais elles sont sévèrement contrôlées. Elles le sont d’autant plus que se définit au cours du XIV e siècle la notion de crime irrémissible, et qu’au début du XVe siècle, la préméditation du crime, « l’aguet apensé », apparaît comme une clause suffisante de non recevabilité. Tout crime commis ainsi devrait échapper à la grâce royale. La partie adverse peut donc avoir intérêt à le faire préciser. Il en est de même de la nuit, heure qui est considérée comme aggravante 28. Cette procédure entraîne de nombreuses enquêtes qui font encore une fois intervenir les « amis charnels », remettent en cause les témoignages, obligent à manier les archives locales pour retrouver les faits qui y sont consignés 29. Les images du crime et du criminel ne peuvent donc pas être infiniment déformées, et on peut raisonnablement penser que, sur des points litigieux comme la préméditation ou l’heure du crime, les documents sont fiables, à cette réserve près que la partie lésée reste maîtresse du jeu : elle agit en fonction de l’intérêt qu’elle peut trouver à faire la

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paix avec l’aide de la lettre de rémission, quelle que soit l’exactitude de son contenu. Alors, pour tous, quand l’accord est conclu avec la partie lésée, la lettre est « belle et bonne »30. 25

Le coût de la rémission, jugé élevé, est un autre reproche fait à ce type d’acte qui, par voie de conséquence, serait réservé à une catégorie favorisée de la population 31. On sait que, dès le XIVe siècle, le prix de la lettre est fixé et qu’au total il ne doit pas excéder 32 sous32. Mais ce prix « officiel » est l’objet d’abus que les ordonnances de réforme tentent, au début du XVe siècle, de réprimer en publiant le montant normal des diverses opérations, rédaction, sceau, entérinement33. Cet effort n’a guère été suivi d’effet et, incontestablement, ces chiffres sont une limite inférieure que viennent gonfler les pots-de-vin dont il faut bien se résoudre à ne jamais connaître le montant. Aussi, comparer le prix de la lettre aux salaires n’a pas réellement de sens. Mieux vaut saisir comment ce paiement est perçu par les intéressés. La somme exigée est parfois présentée comme un obstacle à la grâce et, de fait, si la lettre n’est pas payée, la décision royale se trouve annulée. Ce suppliant en est un exemple : il ne peut faire entériner sa lettre, « attendu que dudit cas il avoit obtenu noz lettres de ce present moys et qu’il n’avoit de quoy payer le seel d’icelles tout fust tenu en suspens » 34 et il doit procéder à une nouvelle demande. Ne nous laissons pas cependant prendre au jeu de ces plaintes. Ces allusions à la pauvreté peuvent être un prétexte. Que penser de ce suppliant qui, trop pauvre en février 1380 pour payer sa rémission, est assez riche en novembre de la même année ? Certes, il déclare que, depuis son crime, il a « gaignié son pain loialment », mais est-ce raison ou prétexte35 ? En fait, la rigueur observée dans le paiement des droits de chancellerie est tempérée par une certaine libéralité en cas de pauvreté. Les rémissions peuvent alors être envoyées gratuitement, de la même façon que les autorités peuvent remettre les amendes imposées par le jugement 36.

26

A ces frais plus ou moins officiels s’ajoutent ceux qui sont engagés pour obtenir la rémission. La quête d’une grâce est une rude affaire qui met en cause la vie et les finances du suppliant, de ses parents, de ses amis. Ces frères, originaires de Péronne, « simples et poures gens » accusés d’homicide, ne craignent pas d’invoquer « les grans frais et missions que ilz ont soustenus et leurs besoignes laissiez a faire pour poursuir noz assises pour cause dudiz cas par l’espace de quatre ans ou environ » 37. Au total, 1 % des criminels sont ainsi obligés de requérir une seconde lettre de rémission pour un crime qui leur a déjà été pardonné sans que la procédure ait pu aboutir. Les sources ne rapportent donc que les cas heureux de ceux qui ont assez d’argent, mais aussi assez de temps et de témérité pour affronter, eux ou leurs proches, le voyage vers le roi, en général jusqu’à Paris. Car l’aventure est d’autant plus périlleuse qu’elle est lointaine. Il faut trois jours pour aller d’Abbeville à Paris, mais deux semaines pour venir de Carcassonne. Aux risques et à la longueur des voyages, s’ajoutent les frais de séjour à proximité du Palais, toutes choses capables de décourager les moins fortunés comme les moins téméraires38.

27

La lettre coûte cher. N’en déduisons pas pour autant que c’est là un handicap irréductible, et que ceux qui ne peuvent pas payer nous échappent parce qu’ils n’ont pas d’autre issue que la condamnation à mort. Cette logique resterait à démontrer pour la période qui nous intéresse. Il vaut mieux se demander quelles sont les possibilités de composition offertes à celui qui vient de commettre un crime. Pour mesurer les limites sociologiques du document, il conviendrait de savoir combien coûtent les autres formes de règlement des crimes, et avec quelle rapidité elles permettent la résolution des

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conflits. Le recours aux tribunaux coûte également très cher en temps et en argent. Les témoignages ne font que confirmer ce que les études locales ont pu démontrer : en 1401, le roi reprend à son compte les plaintes de ce « poure homme laboureur de braz » qui « n’a pas mestier de plaider et n’aroit de quoy faire son enqueste et a moult esté grevé ou temps passé par le fait de noz guerres et aussi ne vouldroit point entreprendre rigueur de plait »39. Quant à l’arbitrage, si on en croit l’exemple bourguignon, son coût se révèle, comme je l’ai déjà suggéré, très élevé40. Les témoignages parisiens viennent le confirmer à la fin du XVe siècle puisque dans le Registre des écrous du Châtelet figurent des hommes qui n’ont pas pu pu payer la somme qu’ils devaient pour arbitrage 41. Quant aux délais, la lettre a l’avantage d’apporter une résolution rapide dans 60 % des cas environ, puisque le délai est alors inférieur à un an (tableau 4) D’après l’exemple du bailliage de Senlis, ce délai est moindre que celui requis pour l’exercice des tribunaux 42. Qu’en est-il par rapport aux transactions et en particulier à l’arbitrage ? La réponse est impossible à donner par le seul sondage effectué ; en effet, l’origine du conflit est très rarement mentionnée dans les accords du Parlement et ceux-ci sont considérés comme un substitut de l’appel, donc d’une procédure publique déjà engagée. On peut néanmoins constater que, dans certains cas, un délai supérieur à deux ans sépare la lettre du roi au Parlement pour autoriser l’accord et l’octroi de l’accord par ce dernier43. Tableau 4 : Délai entre le crime et la rémission

Délai

Fréquence (en %)

1 Moins de 15 jours

5,0

2 Moins d’un mois

8,5

3 Un mois

18,0

4 De un à six mois

20,0

5 De six mois à un an

8,0

6 Supérieur à un an

28,0

7 II y a longtemps

9,0

8 Peu de temps

3,5 100

Le délai a été calculé en faisant la différence entre la date d'émission de la lettre et la date du crime. Les rubriques « il y a longtemps » ou « peu de temps » incluent les expressions qui, dans le récit, évoquent un temps long ou court. 28

Enfin, d’autres éléments doivent être pris en compte. La lettre de rémission est un mode de résolution qui laisse une large initiative à l’entourage du suppliant. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point, mais il faut noter, dès la définition typologique de l’acte, que sa genèse s’inscrit dans un réseau de solidarités que le crime stimule. Le nombre de lettres demandées par les amis charnels est là pour le prouver

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(tableau 36, chapitre 14). Encore une fois, la comparaison avec les sociétés primitives n’est pas inutile. Chez les Nuer, par exemple, l’homicide met en cause la parenté, non seulement pour organiser les représailles et dédommager la partie adverse, mais aussi pour procéder à l’accord et régler les frais qui en découlent 44. Sans assimiler la civilisation médiévale à une civilisation tribale, on peut affirmer que le réseau des solidarités s’implique dans la résolution du conflit et que, comme l’ont affirmé les spécialistes de l’histoire sociale, l’individu isolé n’existe pas 45. 29

Si ces hypothèses sont exactes, la lettre de rémission prend tout son sens face aux autres modes de résolution : celui d’un acte obtenu avec une certaine rapidité, d’un coût raisonnable, obligeant la partie adverse à recevoir un dédommagement sans chantage et sans engrenage dans d’éven tuelles mesures de rétorsion. Ainsi s’explique sans doute son succès au cours du XIVe siècle. Si la lettre de rémission écarte effectivement ceux qui ne sont insérés dans aucun réseau de solidarité et qui, en aucune façon, ne peuvent payer la justice, elle risque de répondre aux besoins de la partie la plus significative, numériquement et sociologiquement, du royaume.

30

Le poids des faveurs est plus inquiétant que le coût de la lettre. L’approche sociale des bénéficiaires de la lettre pose le large problème des interventions extérieures dans le mécanisme de la requête. Le processus est mal connu. A en croire les ordonnances de réforme, la faveur entache la grâce de ses abus. L’argument, déjà nettement en place au milieu du XIVe siècle, est bien résumé par l’Ordonnance cabochienne ; il est repris par les Parisiens insurgés en 1418 qui, pour justifier le massacre des prisonniers, « disoient que ceulx que on mettoit oudit chasteau estoient touzjours delivrez par argent » 46. Mais il est probable que tous les suppliants n’ont pas la chance de voir leur cause défendue par l’éloquence d’un Juvenal des Ursins exhortant Charles VII à gracier le duc d’Alençon coupable de lèse-majesté en 145847 !

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Quel a été le poids des intervenants hauts placés, princes ou officiers royaux ? En termes numériques, il se révèle assez faible puisqu’il n’atteint pas 4 % à un moment où, sous Charles VI, le pouvoir des ducs pouvait donner lieu à de nombreux excès. Parmi les exemples portés sur la place publique, figure la rémission présentée le 25 janvier 1404 par Charles de Savoisy, à la suite de l’affaire Morgueval. Elle avait fait, au Conseil et au Parlement, l’objet d’un débat théorique sur la nécessité de faire exemple, mais l’appui du duc d’Orléans finit par l’emporter48. Un cas analogue fait intervenir le duc de Berry quand, le 1er septembre 1406, ses gens s’attaquent à l’hôtel de l’évêque du Puy, Hélie de Lestranges. Elargis dès le 2 septembre, les fautifs obtiennent rémission, même si l’affaire a fait grand bruit au Parlement où le duc les a soutenus : « Et pour ce que ce estoit contre les droiz et honneur du roy qui a ce jour estoit encloz et enfermez malade, et que c’estoit empescher justice, mesme en la ville de Paris ou moult d’exces se faisoient... »49.

32

Ces cas qui doivent leur éclat aux luttes entre factions rivales, qu’il s’agisse des ducs ou du Grand Schisme, sont-ils significatifs de l’ensemble des interventions ? Certes, les lettres peuvent porter la marque des grands, princes du sang ou officiers soucieux de défendre leur clientèle, et il peut arriver que le roi indique en clair la sollicitation dont il a été l’objet. C’est aussi pour lui un moyen de contenter les intercesseurs et d’affirmer, face à eux, sa puissance50. Mais, au total, répétons-le, ces cas sont peu nombreux. Ils ne concernent pas non plus exclusivement des nobles : 71 % de ceux qui obtiennent leur grâce par intervention d’un tiers ne précisent pas leur statut social. Il est peu probable qu’ils soient nobles. En revanche, la noblesse sait parfaitement

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recourir aux interventions puisque 25 % de ceux qui se disent nobles font appel à un tiers et 75 % des chevaliers n’hésitent pas à recourir à ce procédé. Mais, à côté des nobles, comment mesurer le poids des « familiers », des solidarités d’origine géographique dont on sait, par l’étude des alliances, qu’elles créent, à cette époque, des liens efficaces ? Quant aux notaires, leur influence ne semble pas non plus déterminante puisque leur signature au bas de la lettre est indépendante du type de crime et du lieu d’habitation de l’exposant. Et, pour conclure sur ce point, on peut dire que les pressions à la Chancellerie ne sont sans doute pas plus nettes qu’au Parlement 51. 33

Les gauchissements de la justice sont loin d’avoir une apparente clarté. Il existe aussi dans la rémission des peines le non-dit d’une insidieuse discrimination qui préfère le maître au valet, l’enfant légitime au bâtard, le noble au non-noble. En 1397, un homme de Lanchy organise un vol avec son valet. Pris à Saint-Quentin, le valet est exécuté, le maître est emprisonné, et il sort avec une rémission. La même année, en Beauce, un père voit ses deux fils accourir pour le venger : l’un est bâtard, l’autre légitime, le premier est exécuté, le second emprisonné52. La différence de fortune, on le voit dans ce dernier exemple, n’est pas seule en cause, car la lettre ne se prive pas de mentionner la naissance illégitime du criminel. Cette ségrégation larvée, qui n’est sans doute pas seulement le fait du pouvoir mais rencontre l’adhésion sociale, se manifeste nettement dans le cas des nobles.

34

Ceux qui se disent nobles dans la déclinaison d’identité sont peu nombreux puisqu’ils constituent environ 0,5 % des suppliants. On peut y ajouter 1,1 % de cas où la noblesse est mentionnée dans le corps de la lettre, soit au total 1,6 % des suppliants. Il faut sans doute leur ajouter les chevaliers qui se contentent d’évoquer ce titre et qui constituent 1,4 % des suppliants. On parvient donc à un total de criminels nobles d’environ 3 %. Ce pourcentage est déjà nettement plus élevé que celui des nobles dans la population totale du royaume que Ph. Contamine évalue entre 1 et 2 %53. Cette proportion s’accroît avec les écuyers dont la plupart sont probablement nobles. Au total, les nobles constitueraient 5,7 % des exposants. On peut dire que la noblesse est sur-représentée dans le corpus. N’est-ce pas la preuve que la rémission lui est plus accessible ? N’est-ce pas aussi que la guerre peut l’entraîner sur la pente du délit ? La fonction conduit les nobles au crime, mais elle leur vaut aussi la rémission. La mention des services rendus entre dans les circonstances atténuantes de leurs délits. La réflexion générale d’un notaire en 1416, à partir de l’exemple de Pierre Corbel, écuyer, résume bien le point de vue de la Chancellerie. Montrant comment cet homme a bien servi le roi en ses guerres et a grandement perdu du sien et de sa « chevance », il conclut à la rémission car le suppliant fait partie des « nobles de notre royaume qui bien et loyaument nous ont servy et servent en nos guerres »54. La réflexion ne s’embarrasse pas toujours de telles justifications. Affirmer sa noblesse suffit à être remis. Pierre de Vosguillaume, écuyer de 18 ans, voit son crime gracié simplement parce que « il est extrait de noble generacion et lignee »55. La race assure le privilège et oppose dans le couple criminelvictime le « gentil homme » au « vilain »56.

35

Ces discriminations latentes sont-elles un handicap à la connaissance des milieux criminels ? N’en surestimons pas les effets. Le favoritisme trouve ses limites dans la nature même du pouvoir royal. Miséricordieux, le roi se doit de l’être pour tous. Le temps n’est pas encore venu de filtrer les requêtes. Certes, les réformateurs appellent de leurs voeux une planification des demandes et des audiences. Mais, aux XIV e et XVe siècles, cette « programmation » ne fait pas encore partie de la pratique judiciaire. A la

127

fin du XVe siècle, Louis XI se montre encore sensible aux demandes de grâce requises de façon anarchique. Jean de Roye s’en fait l’écho. En 1467, alors que le roi se rend en pèlerinage de Paris à Saint-Denis, le voici sollicité par « trois ribaulx qui lui vindrent requerir grace et remission de ce que tout leur temps ilz avoient esté larrons, murdriers et espieurs de chemins, laquelle chose le roy leur accorda benignement » 57. Et, en 1481, le roi venu prier devant les reliques de saint Hilaire à Poitiers, accorde une grâce à une pauvre femme accusée d’infanticide58. Le pouvoir royal s’affirme bien, à la fin du Moyen Age, religieux et encore patriarcal. Cette spécificité, dans le domaine judiciaire, constitue le meilleur garde-fou contre les abus. 36

Reste le problème des crimes irrémissibles. Les lettres de rémission ne prennent en compte que les crimes remis par la Chancellerie. Or, au moment où la pratique écrite de la grâce se met en place, les théoriciens réformateurs s’insurgent contre la facilité avec laquelle on peut l’accorder. Ils tentent, au milieu du XIVe siècle, d’en limiter les secteurs d’application et l’ordonnance du 3 mars 1357 le résume bien : « Nous ne ferons pardons ou remissions de murdres ou de mutillacions de membres faiz et perpetrés de mauvais agait, par mauvaise volunté et par deliberacion, ne de ravissement ou efforcement de femmes, memement de religions, mariees ou pucelles, de feus bouter en esglises ou en autres lieux par mauvais agait, de trieves, asseurement ou paix jurees, rompues ou brisees par semblables manieres ne de sauvegardes enfraintes ou autres cas semblables plus grans et se estoit par importunité. Nous voulions que il ne vaille et que obey n’y soit »59.

37

Or la réalité est autre : aucun crime n’est irrémissible. Les lettres de rémission du règne de Charles VI n’opèrent pas la sélection criminelle que révèle l’étude des lettres de l’époque moderne qui privilégient nettement l’homicide. Avec plus de 97 % de cas dans l’Artois étudié par R. Muchembled, les crimes de sang ayant entraîné mort d’homme représentent la quasitotalité des crimes remis, ce qui réduit du même coup la criminalité féminine à des proportions infimes, les femmes étant écartées de la rixe 60.

38

Cette variation est incontestablement le fruit d’une évolution de la rémission sur laquelle nous aurons à nous interroger61. Mais, à l’époque qui nous concerne, il ne semble pas que les tentatives pour sélectionner les crimes aient été suivies d’effet. Nous sommes au temps vivant de la grâce.

39

Les lettres de rémission constituent donc, aux XIVe et XV e siècles, une source privilégiée pour l’étude de la criminalité sous son double visage, celui, objectif, des types de crimes et de criminels, et celui, biaisé, du discours sur le crime, celui que profère le roi et qu’aime entendre l’opinion. Cette relation avec un pouvoir politique dont on croit qu’il est capable de gracier est une donnée essentielle pour comprendre la portée de la source. L’octroi de la rémission n’est pas le signe que les crimes remis sont banals, même s’ils sont graves. Au contraire, parce qu’ils sont graves, leur rémission est tributaire de la charge sacrée que détient le souverain, de sa fonction religieuse et de la valeur du pardon qui lui sont reconnues62. L’évolution des types de crimes remis, du XVe au XVIIe siècle, est moins le fruit d’une évolution de la valeur accordée aux crimes que du pouvoir de gracier. Pour cette raison, la criminalité ne peut pas être analysée sans une étroite relation avec le pouvoir. La méthode employée doit en tenir compte.

128

LA GRILLE DE DÉPOUILLEMENT 40

La lettre de rémission est, comme nous l’avons vu, un type de document doté de son genre propre. Elle codifie, selon des règles fixées à l’avance, un dialogue entre le roi et le sujet dont les enjeux sont triples : grâce, retour à la bonne renommée du suppliant, obligation de la partie lésée à accepter la paix que le roi impose. Cette transmutation passe par la description du criminel et du crime qui ne peuvent pas être retenus pour eux seuls, sous peine de briser le jeu de miroirs qui relie subtilement le roi à son sujet, le coupable à la victime, mais aussi le roi à la parenté du coupable et de la victime 63. A l’inverse, une étude systématique des formules de chancellerie que comporte la rémission, n’aurait pas eu de sens pour le sujet traité. Elle ne se justifie que reliée à l’ensemble du document, comme une partie indissociable de la structure du récit 64. La méthode a pour but de comprendre comment les principales phases du document se répondent, comment elles s’enrichissent les unes les autres. Exhaustivité et cohésion : la lettre de rémission doit être traitée dans sa totalité.

41

L’étude des documents que suppose une telle ambition – codage des hommes, des faits, des formules – n’aurait pas été possible sans le recours à un traitement informatique. En effet, pour chaque lettre, 172 données ont été envisagées. Le codage, dont dépend la fiabilité des résultats, a d’abord été soumis à une expérimentation manuelle 65. Et, quand la grille a paru être au point, j’ai procédé au codage informatique. Mais, étant donné le nombre de questions posées, il n’était pas possible d’interroger sous cette forme l’ensemble des lettres dépouillées. Il semblait raisonnable de procéder à un sondage limité à 750 lettres du règne de Charles VI. Pour éviter de choisir les documents en fonction de leur qualité supposée, des séries ont été constituées par tranches de trente lettres, réparties dans les registres suivants : JJ 118, JJ 120, JJ 127, JJ 133, JJ 143, JJ 151, JJ 160, JJ 165, JJ 169, JJ17266. Compte tenu des questions posées, le corpus repose donc sur 129 000 réponses. Mais ces réponses sont elles-mêmes, cas par cas, le résultat d’un choix entre plusieurs éventualités. L’avantage de la machine est énorme, car elle permet de traiter une telle somme, et surtout de mettre en relations les éléments pris dans différentes parties de la lettre en procédant par tris croisés et par analyses factorielles. Le traitement automatique a été techniquement réalisé par H. Millet, dans le cadre du centre de calcul de l’Université de Paris-I et de l’UA 1004 du CNRS 67.

42

La grille de dépouillement a été établie en tenant compte à la fois de la structure du document et, autant que possible, du vocabulaire employé dans la rédaction de l’acte. Le caractère stéréotypé de la lettre a favorisé sa division selon six grands thèmes. Ils concernent l’aspect diplomatique du document, la déclinaison d’identité du coupable et de la victime, le sort du coupable après le crime, les participants aux côtés du coupable et de la victime, soit au moment de la rédaction de l’acte, soit au moment du crime, le crime proprement dit et sa préparation, enfin les formules qui conduisent le pouvoir à accorder la rémission. Pour mieux respecter l’apparence diplomatique du document, les mentions hors teneur ont été traitées en soi, ce qui n’interdit pas, dans le cours du travail, de les croiser avec les données de même type, en particulier avec celles qui sont incluses dans le cours de la rémission.

129

Thème 1 : l’aspect diplomatique. 43

L’essentiel de l’analyse porte sur la mention hors teneur et sur l’énumération des bailliages, sénéchaussées ou autres officiers auxquels la Chancellerie laisse le soin de faire appliquer la rémission. Ces autorités administratives ont été regroupées par ordre alphabétique. Au total 47 bailliages et sénéchaussées sont répertoriés 68. Il peut arriver que plusieurs autorités administratives aient à faire entériner la lettre de rémission : le cas a donc été envisagé. Une rubrique « autres » regroupant 2,3 % des cas concerne surtout la mention « A tous nos officiers ». Il est par ailleurs extrêmement rare que le bailliage ou la sénéchaussée ne soit pas mentionné.

44

Tous les éléments de la mention hors teneur ont été pris en compte, à l’exception de la signature des notaires car la liste obtenue ne pouvait pas, matériellement, entrer dans les capacités numériques du dépouillement69. Cette lacune est regrettable, car il aurait été intéressant de lier la personnalité des notaires à celle des présents au moment de l’octroi de la lettre pour mieux repérer l’existence d’éventuelles clientèles. Il aurait aussi été significatif de croiser le nom des notaires avec celui des bailliages et sénéchaussées pour mesurer le poids des solidarités géographiques dans l’octroi de la grâce. A ces questions dont les travaux de R. Cazelles ont montré l’intérêt, il n’a pas été possible de donner une réponse fine70. Le repérage alphabétique dont les résultats sont peu significatifs quand il s’agit des tris à plat montre néanmoins, par les tris croisés, que, comme je l’ai dit précédemment, la rémission n’est guère influencée par la personnalité des notaires71. Le fonctionnement de la Chancellerie royale serait donc plus administratif que politique. L’impartialité des notaires a néanmoins ses limites, et on voit Gontier Col signer, de préférence, les lettres à la relation du duc de Berry dont il est à ce moment secrétaire72.

45

Les formules employées par la Chancellerie dans les mentions hors teneur sont stéréotypées, ce qui facilite leur codage. Elles sont essentielles pour marquer la présence du roi, l’importance des organes de gouvernement dans la prise des décisions, l’influence des officiers ou des ducs. Les études menées par R.H. Bautier pour la France de la première moitié du XIVe siècle, et celles de J.M. Cauchies pour le Hainaut, à partir de telles données, montrent bien comment s’y inscrivent, concrètement, les prises de décisions politiques73. J’ai déjà tenté de montrer ce que le contenu de ces mentions pouvait apporter à l’histoire politique74. Il est important de faire des distinctions fines et de prendre en compte les mentions relatives à la présence des ducs rivaux. Ainsi, l’expression « Par le roy a la relation de » marque l’absence du roi au moment de la décision75.

46

Les résultats obtenus peuvent donc déceler les initiatives des officiers et des princes du sang dans la décision de gracier. En période de lutte entre les princes pour contrôler les rouages de l’Etat, la question est d’actualité. Elle l’est aussi au Parlement ou dans les coutumiers, quand on débat de la validité des rémissions octroyées par les princes en l’absence du roi. Si l’auteur du Coutumier bourguignon glosé peut affirmer que le duc, en tant que pair du royaume, peut, dans son duché, pardonner tous les crimes, ce privilège lui est difficilement reconnu dans l’ensemble du royaume comme en témoigne le procès qui, en janvier 1387 oppose Rouget à Carpentin au sujet d’une nomination à un bénéfice. Pour appuyer son droit, Rouget, dont la lettre est signée « Par le roy, present Mons. le duc de Bourgogne » alors que celle de Carpentin porte la mention « Par le roy a la relacion de Mons. le duc de Bourgogne », invoque la signification différente de ces

130

deux mentions hors teneur : « Rouget dit que, quand le roy confere un benefice, il a grant difference dans la maniere de signer, car quand le roy le donne, le nommé ou secretaire qui signe la lettre mect “par le roy present tel ou tel” ». Mais quant un de messieurs ses oncles confere on mect “par le roy a la relacion Mgr” ». A cet argument, Carpentin répond « que le roy notre sire a esté soubz aagez et messires ses oncles avec le roy notre sire ont eu le gouvernement de ce royaume et n’a pas le duc de Bourgogne confere le benefice, mais l’a confere le roy a la relacion du duc ». Il convient, conclut-il, d’ajouter foi à une lettre ainsi signée76. Il n’en reste pas moins que les clauses de la mention hors teneur peuvent faire l’objet de débats portant sur la validité de l’acte et qu’elles nous renseignent sur le fonctionnement de la Chancellerie et des décisions politiques qui y sont prises. L’opposition larvée entre le comte de Flandre et le Parlement de Paris à propos des « fols appels », même quand il s’agit de cas royaux, montre que le conflit ne se limite pas à l’exercice du droit de grâce mais relève d’une âpre lutte de pouvoirs entre les principautés et les officiers du roi 77. 47

Ces considérations ont incité à prendre en compte les divisions suivantes : Par qui est commandée la lettre

48

1 — Pas de mention

49

2 — Le roi

50

3 — Les Requêtes de l’Hôtel

51

4 — Le chancelier

52

5 — Le Conseil

53

6 — Autres officiers

54

7 — Autres. A la relation de qui est commandée la lettre

55

1 — Pas de mention de relation

56

2 — Les Requêtes de l’Hôtel

57

3 — Le chancelier

58

4 — Le Conseil

59

5 — Autres officiers

60

6 — Duc de Bourgogne

61

7 — Duc de Berry

62

8 — Duc d’Orléans

63

9 — Plusieurs relations

64

10 — Autres Sont présents à l’octroi de la lettre

65

1 — Sans mention

66

2 — Les Requêtes de l’Hôtel

67

3 — Le chancelier

131

68

4 — Le Conseil

69

5 — Autres officiers

70

6 — Duc de Bourgogne

71

7 — Duc de Berry

72

8 — Duc d’Orléans

73

9 — Plusieurs mentions

74

10 — Double mention dont un duc

Thème 2 : la déclinaison d’identité. 75

La description du coupable s’impose d’emblée car le suppliant, de luimême ou par l’intermédiaire de ses amis, dresse son propre portrait. L’ordre dans lequel sont présentées les données de la déclinaison d’identité n’est pas indifférent et nous aurons à y revenir. En règle générale, il suit ce schéma : fortune, sexe, âge, situation de famille, métier, lieu d’habitation. Mais il peut contenir des variantes dans la présentation, et des données supplémentaires peuvent s’introduire comme le lieu de naissance ou la relation de parenté si le suppliant est un mineur ou une femme. Quand le suppliant est un noble ou un clerc, il peut se qualifier, avant toute autre précision, sous la forme « noble homme » ou « pauvre clerc ». En ce qui concerne l’âge, s’il apparaît sous la forme d’un qualificatif, il est mentionné avant le sexe, par exemple sous la forme de « jeune homme ». L’ordre de ces apparitions, important pour l’interprétation des valeurs sociales, n’est pas essentiel pour le comptage informatique, étant donné les croisements auxquels il est ensuite possible de procéder entre les différentes données.

76

Les difficultés rencontrées tiennent à l’interprétation du vocabulaire employé pour désigner l’identité. Il est souvent ambigu. Par exemple, le mot « homme », révélateur du sexe du coupable, donne aussi, par sa formulation, une information sur le qualificatif de son âge78. Il est même probable que, compte tenu de l’importance de l’âge dans l’octroi de la rémission, cette seconde signification est la plus importante pour le suppliant. Ce double renseignement est à la fois porté à la donnée « sexe du coupable » et « âge qualifié ». La grille a donc voulu tenir compte à la fois de nos classifications contemporaines et des nuances du vocabulaire médiéval. Encore ne faut-il pas être totalement dupe du vocabulaire employé pour décliner l’identité. Ainsi, le « pauvre » est-il analysé selon les différents stades de son apparition. Mentionné seul, sans autre précision introduite dans la lettre, il est répertorié comme tel ; mais, si des dettes viennent au cours du récit confirmer la pauvreté, celle-ci change de catégorie ; à l’inverse, des biens peuvent amener à nuancer la valeur réelle du mot « pauvre » et celui-ci est alors classé selon une nouvelle rubrique qui tient compte à la fois du mot et de la valeur de son contenu. Ce mélange entre les données les plus concrètes du vocabulaire et celles, abstraites, des concepts de l’historien, peut paraître confus. La souplesse du traitement informatique permet, en fait, de décomposer et de juxtaposer ces données de nature diverse.

77

Certaines données peuvent s’avérer imprécises, en particulier l’âge chiffré. Les mentions numériques sont souvent des multiples de 10, par exemple sous la forme « 20 ans ou environ ». Dans quelle tranche les répertorier ? Comme la jeunesse est une circonstance atténuante du crime, il s’agit sans doute d’une estimation à la limite

132

inférieure du vraisemblable. L’âge ainsi mentionné a donc toujours été répertorié dans la tranche dont il est effectivement la limite inférieure, ici celle des 20-30 ans. 78

Enfin, ont été ajoutés à la déclinaison d’identité proprement dite les renseignements sur les activités du suppliant avant le crime, en particulier en matière de déplacements. Le caractère concret du récit sert ainsi de support à une enquête sur les activités quotidiennes que peu de sources permettent par ailleurs de cerner.

79

Les questions posées ont donc été ainsi réparties : Âge chiffré

80

Les tranches d’âge sont réparties de 10 ans en 10 ans. Âge qualifié

81

1 — Sans réponse

82

2 — Enfant

83

3 — Jeune enfant

84

4 — Jeune

85

5 — Jeune homme

86

6 — Homme

87

7 — Vieux

88

8 — Autres Lieu de naissance

89

Le classement par départements actuels a été adopté de préférence à celui par bailliages et sénéchaussées. En effet, la typologie du lieu ne donne que très rarement la référence administrative. D’autre part, le classement du lieu de naissance ou du domicile par bailliage ou par sénéchaussée pourrait prêter à confusion, car les baillis et sénéchaux qui sont chargés d’entériner la rémission et sont mentionnés dans la lettre peuvent appartenir à des circonscriptions différentes. Typologie du lieu de naissance

90

1 — Sans réponse

91

2 — Ville

92

3 — Village

93

4 — Bourg

94

5 — Paroisse

95

6 — Localisation administrative

96

7 — Localisation géographique

97

8 — Plusieurs mentions

98

9 — Autres

133

Statut civil 99

1 — Sans réponse 100

2 — Bâtard 101

3 — Fils ou fille de 102

4 — Collectivité Statut ecclésiastique 103

1 — Sans réponse 104

2 — Clerc Statut social 105

1 — Sans réponse 106

2 — Noble 107

3 — Chevalier 108

4 — Ecuyer 109

5 — Seigneur de 110

6 — Douteux 111

7 — Autres 112

La mention « autres » regroupe en fait les rares cas où le suppliant se déclare « bourgeois ». Situation de famille

113

1 — Sans réponse

114

2 — Célibataire

115

3 — Marié

116

4 — Veuf

117

5 — Remarié

118

6 — En concubinage

134

Nombre d’enfants 119

1 — Sans réponse

120

2 — Un enfant

121

3 — Deux enfants

122

4 — Trois enfants

123

5 — Plus de trois enfants

124

6 — Nombre inconnu

125

7 — Enfants à charge

126

8 — Femme enceinte Type de Profession

127

1 — Sans réponse

128

2 — Laboureur

129

3 — Laboureur de bras

130

4 — Gens de métier

131

5 — Métier des armes

132

6 — Offices

133

7 — Charge ecclésiastique

134

8 — Double profession

135

9 — Autres

136

Le terme « métier » regroupe toutes les activités artisanales énumérées de façon précise, y compris celles du tavemier. Il n’est donc pas pris au strict sens corporatif. Une classification rigoureuse entre les types de métiers, envisagée dans un premier dépouillement, s’est avérée impossible étant donné l’ambiguïté de l’activité professionnelle. Pour cette raison, il a d’ailleurs été nécessaire de réserver une mention « double profession ». Hiérarchie professionnelle

137

1 — Sans réponse

138

2 — Maître

139

3 — Valet

140

4 — Compagnon

141

5 — En la compagnie de

142

6 — Serviteur

143

7 — Au service de

144

8 — Autres

145

Ce classement respecte autant que possible les nuances du vocabulaire employé dans les lettres de rémission. Pour cette raison, le terme « valet », qui peut impliquer une nuance d’âge plus qu’une nuance professionnelle, n’a pas été confondu avec celui de

135

« compagnon » ; celui de « compagnon » a été distingué de l’expression « en la compagnie de » qui peut relever d’une sociabilité plus ou moins monnayée par un contrat. Enfin, la notion « au service de » est moins avilissante que celle de « serviteur » : elle ne recouvre pas le même milieu social. Un écuyer peut être « au service » d’un maître. Fortune 146

1 — Sans réponse

147

2 — Pauvre

148

3 — Pauvre avec éléments de richesse

149

4 — Pauvre avec dettes

150

5 — Éléments de richesse

151

6 — Autres Mode d’habitation

152

1 — Sans réponse

153

2 — Cellule conjugale

154

3 — Cellule élargie

155

4 — Célibataire habitant chez autrui Domicile

156

Même classement par département que pour le lieu de naissance. Le traitement des lieux est identique pour l’ensemble de la grille. Typologie du domicile

157

Même classement que pour la typologie du lieu de naissance. Distance entre le domicile et le lieu de naissance

158

1 — Sans réponse

159

2— Même domicile

160

3 — Même lieu

161

4 — 1 à 5 km

162

5 — 5 à 15 km

163

6— 15 à 30 km

164

7 — Plus de 30 km

165

8 — Indéterminée

166

Les distances retenues s’inspirent des recherches sur les mouvements de population qui alimentent les agglomérations urbaines médiévales79. Elles sont calculées en fonction de la facilité à parcourir le trajet aller et retour en une journée. Au delà de 30 kilomètres, le retour dans la journée s’avère impossible. Quant au choix de la référence

136

en kilomètres, il s’est imposé du fait des données. En général, au cours du récit des lettres de rémission, les trajets effectués avant le crime ne sont pas mesurés. Sont mentionnés de préférence les points de départ et d’arrivée qui, quand ils ont pu être localisés — et les résultats prouvent que la précision du récit est tout à fait satisfaisante — ont été chiffrés en kilomètres sur la carte départementale correspondante. Pour arriver à un tableau cohérent, il a donc paru judicieux de s’en tenir à l’unité contemporaine, quitte à convertir les rares mentions de distances chiffrées en lieues qui nous sont parvenues. Motif du déplacement 167

1 — Sans réponse

168

2 — Pèlerinage

169

3 — Guerre

170

4 — Taverne

171

5 — Professionnel

172

6 — Foire

173

7 — Loisir

174

8 — Amour

175

9 — Crime lui-même

176

10 — Autres Portrait psychologique et physiologique

177

1 — Sans réponse

178

2 — Qualités

179

3 — Défauts

180

4 — Ébriété

181

5 — Maladie

182

6 — Fille de joie

183

7 — Autres

184

Les éléments de la déclinaison d’identité du coupable dans les lettres de rémission sont donc exceptionnellement riches et il faudra les comparer à ceux que comportent les autres types d’actes judiciaires80.

185

La comparaison avec la façon dont est traitée l’identité de la victime permet de poursuivre l’analyse. La même grille de dépouillement lui a été appliquée. Son portrait peut être dressé au cours de la lettre, soit de façon explicite, soit par bribes dont les données peuvent être regroupées. La part des mentions non précisées y est plus importante que pour le coupable et il faudra y revenir. La comparaison entre les données est très significative des procédés suivis dans la lettre de rémission pour blanchir le coupable. Enfin les liens entre la victime et le coupable, ainsi que la distance entre leurs domiciles, ont été relevés sous la forme suivante :

137

Lien victime-coupable 186

1 — Sans réponse

187

2 — Aucun lien (précisé comme tel dans la lettre)

188

3 — Mari-femme

189

4 — Enfant

190

5 — Ascendant

191

6 — Collatéral

192

7 — Parent

193

8 — Ami charnel

194

9 — Ami

195

10 — Compagnon

196

11 — Serviteur

197

12 — Maître

198

13 — Voisin

199

14 — Lien professionnel

200

15 — Lien administratif

201

16 — Autres Distance du domicile victime-coupable

202

La grille reprend les questions qui ont été posées pour analyser les déplacements du coupable avant le crime.

203

La déclinaison d’identité du coupable et de la victime doivent donc permettre de mieux comprendre quels sont les profils des criminels, mais aussi de quelle nature est ce dialogue que le suppliant a entrepris avec les puissances administratives. On voit ce que peuvent apporter les tris croisés : d’une part, comparer la déclinaison d’identité du coupable et celle de la victime ; d’autre part, mettre en rapport le portrait du coupable et le type de crime ; enfin, déceler les liens possibles entre les différents éléments de la déclinaison d’identité et les formules de rémission de la Chancellerie. Alors risquent d’apparaître les valeurs communes derrière lesquelles se rangent l’Etat et ses sujets.

Thème 3 : sort du coupable après le crime 204

Les éléments de la grille ne traitent que du coupable, sauf en ce qui concerne l’antécédent pénal qui a pu être aussi relevé pour la victime. La plupart des données ne sont pas déclarées de façon explicite dans le récit ; elles sont déduites par l’analyse du texte. Pour cette raison, il a semblé judicieux de séparer l’antécédent pénal du coupable de la déclinaison d’identité, pour le lier aux renseignements de procédure pénale qui pouvaient être mentionnés. En effet, la récidive, comme la mention d’un premier crime n’entrent pas dans la partie de la lettre consacrée à la déclinaison d’identité telle qu’elle est libellée par le coupable ou par ses intercesseurs.

138

Antécédent pénal du coupable et de la victime 205

1 — Sans réponse

206

5 — Récidiviste pour un même type

207

2 — Premier crime précisé de crime

208

3 — Récidiviste

209

6 — Récidiviste pour un autre type de crime

210

4 — Récidiviste ayant déjà eu rémission

211

7 — Nouvelle rémission demandée Dénonciation

212

1 — Sans réponse

213

2 — Dénonciation précisée

214

3 — N’a pas été dénoncé

215

4 — Dénonciation envisagée par le coupable Sort du coupable après le crime

216

1 — Sans réponse

217

2 — Hors-la-loi

218

3 — Emprisonné préventif

219

4 — Emprisonné évadé

220

5 — A été laissé en liberté

221

6 — Plusieurs peines

222

7 — Autres Tribunal ayant procédé à un jugement

223

1 — Sans réponse

224

2 — Type de tribunal non précisé

225

3 — Tribunal royal

226

4 — Tribunal seigneurial

227

5 — Tribunal ecclésiastique

228

6 — Tribunal urbain

229

7 — Pas de jugement Condamnation

230

1 — Sans réponse

231

2 — Prison

232

3 — Bannissement

233

4 — Peine pécuniaire

139

234

5 — Biens confisqués

235

6 — Plusieurs peines

236

7 — Laissé en liberté Juridiction ayant procédé à l'emprisonnement

237

1 — Indéterminée

238

2 — Royale

239

3 — Seigneuriale

240

4 — Ecclésiastique

241

5 — Urbaine Durée de l’emprisonnement

242

1 — Moins de 8 jours

243

2 — De 8 à 15 jours

244

3—3 semaines

245

4 — Un mois

246

5 — Plus d’un mois

247

6 — Indéterminée

248

Les critères de classement tiennent compte des expressions les plus fréquentes de la durée d’emprisonnement, qui servent par conséquent de point de repères aux suppliants et à la Chancellerie pour mesurer le poids de la peine. Il s’agit le plus souvent, comme nous le verrons, d’un emprisonnement préventif. Torture

249

1 — Sans réponse

250

2 — A été torturé

251

3 — N’a pas été torturé

252

Etant donné l’importance que prend la question dans la procédure de la fin du XIV e siècle, il a paru instructif de mentionner les cas où la torture était invoquée, en général comme une circonstance facilitant la rémission, et ceux où il est précisé qu’elle n’a pas été employée. Ainsi se trouve affinée la mention « autres » qui figure aux circonstances évoquées par la Chancellerie pour justifier l’octroi de la rémission (voir thème 6).

Thème 4 : les participants du crime. 253

La grille de dépouillement ne peut plus suivre exactement la structure du texte de la lettre de rémission comme dans le cas de la déclinaison d’identité du coupable. Les renseignements obtenus sont en général épars dans le cours du récit. Les interrogations reprennent celles des historiens de la criminalité qui ont traité de l’existence de professionnels du crime et de bandes criminelles81. L’importance des réseaux de parenté dans le crime, quand des participants agissent aux côtés du coupable et de la victime, est telle qu’il a paru judicieux de regrouper les participants à proximité des

140

intercesseurs de la lettre de rémission mentionnés en tête du document. Les questions posées sont donc les suivantes : Intercesseurs 254

1 — Sans réponse

255

2 — De la partie de

256

3 — Amis

257

4 — Amis charnels

258

5 — Amis et parents

259

6 — Amis charnels et parents

260

7 — Autres

261

L’expression « de la partie de » qui figure explicitement dans les lettres, a été nettement dégagée à cause de l’ambiguïté de son contenu. Elle ne peut pas être confondue avec la mention du suppliant évoquée sans intercesseur et qui constitue ici la catégorie « sans réponse » ; elle ne peut pas être exactement assimilée aux « amis charnels ». L’importance du vocabulaire relatif à la parenté oblige à respecter ces distinctions subtiles même si les cas concernés ne sont pas toujours en nombre important. Témoins

262

1 — Sans réponse

263

2 — Aucun témoin

264

3 — Un témoin

265

4 — Deux ou plusieurs témoins

266

5 — Chiffre exact supérieur à quatre

267

6 — Une collectivité

268

7 — Autres Participants du côté du coupable

269

1 — Sans réponse

270

2 — Aucun participant

271

3 — Un participant

272

4 — Deux ou plusieurs participants

273

5 — Chiffre exact supérieur à quatre

274

6 — Une collectivité

275

7 — Autres

276

La réponse « autres » regroupe en général les cas où les participants sont les mêmes du côté du coupable et du côté de la victime.

141

Identité des participants du côté du coupable 277

1 — Situation de famille

278

2 — Nombre d’enfants

279

3 — Portrait psychologique et physiologique

280

4 — Distance du domicile du participant à celui du coupable

281

5 — Distance du domicile du participant à celui de la victime

282

6 — Lien entre le participant et le coupable

283

Le nombre des participants pour lesquels des données précises ont pu être répertoriées n’a pas excédé quatre. Cette limite était justifiée par les capacités de traitement de l’ordinateur, par le fait qu’au-delà de ce chiffre commence le groupe, et enfin par le faible nombre de cas où les participants, numériquement comptés, sont plus de quatre82. L’identité de chaque participant répond à une partie des questions posées lors de la déclinaison d’identité du coupable. Seules ont été retenues les mentions où les données étaient les plus fréquentes. Des questions supplémentaires ont été posées sur les relations entretenues avec le coupable, qu’il s’agisse de la proximité du domicile ou d’un lien quelconque avec le coupable. Etant donné les éléments de réponse, il a paru judicieux de mettre aussi en relation le domicile du participant du côté du coupable avec celui de la victime ; en revanche, les liens entre le participant et la victime donnaient trop de réponses inconnues pour être comptabilisés. Les questions posées suivent les schémas déjà retenus pour définir les relations du coupable et de la victime.

284

Ces questions relatives au nombre et à la nature des participants ont été posées de la même façon pour les participants du côté de la victime. Ainsi a pu se dessiner un profil des groupes criminels quand ils existent, qu’il s’agisse de la nature de leurs solidarités ou de l’ampleur géographique de leurs aires de relations.

Thème 5 : le déroulement du crime 285

Le caractère concret du récit des crimes s’est avéré un handicap pour choisir les questions posées. Elles se rapportent à un schéma qui prend en compte la façon dont se situe le récit du crime dans le temps et dans l’espace, la nature de la violence, puis le déroulement de l’acte criminel. Celui-ci est saisi de sa préméditation éventuelle jusqu’à l’acte final, en général la mort. Chacun de ces thèmes est divisé en différentes rubriques. Temps et espace du crime 1) Heure du crime

286

1 — Sans réponse

287

2 — Jour

288

3 — Nuit

289

4 — Charnière du jour et de la nuit

142

2) Vocabulaire de l’heure du crime 290

1 — Sans réponse

291

2 — Heure horlogère

292

3 — Heure ecclésiastique

293

4 — Heure folklorique

294

5 — Heure définie par rapport aux repas

295

6 — Heure définie par rapport à la lumière

296

7 — Plusieurs définitions

297

8 — Autres 3) Jour

298

1 — Sans réponse

299

2 — Jour ordinaire

300

3 — Veille de fête

301

4 — Jour de fête

302

5 — Jour de foire

303

6 — Événement familial

304

7 — Autres 4) Mode de calcul du jour

305

1 — Sans réponse

306

2 — Quantième du mois

307

3 — Calcul par rapport à une fête

308

4 — Autres 5) Mois du crime

309

Chaque mois de l’année a sa référence. 6) Année du crime

310

Chaque année a sa référence.

311

Ces interrogations, inspirées par les travaux des sociologues, ont pour but de savoir à quelles influences extérieures, quasiment indépendantes de sa volonté, peut obéir le criminel83. Elles tiennent compte aussi des remarques des coutumiers qui distinguent nettement les crimes commis de jour de ceux commis de nuit 84. La mention « charnière du jour et de la nuit » a été choisie pour rester le plus près du temps du crime et des données concrètes du texte, quelle que soit l’expression choisie pour désigner ce moment. Les premiers résultats, mais aussi la sensibilité des contemporains, ont montré l’importance de ce temps de transition dans le crime. Les expressions sont elles-mêmes l’objet d’une étude typologique destinée à comprendre la manière de compter le temps.

143

7) Délai entre le crime et la rémission 312

1 — Sans réponse

313

2 — Mois de 15 jours

314

3 — Moins d’un mois

315

4 — Environ un mois

316

5 — De un à six mois

317

6 — De six mois à un an

318

7 — Supérieur à un an

319

8 — Mal déterminé

320

Ce délai est calculé par déduction entre la date du crime et celle de la rémission. Il n’est jamais mentionné en clair dans le texte. Par conséquent, les catégories retenues ne correspondent pas à la façon de compter le temps dans les lettres de rémission. 8) Lieu du crime

321

Mêmes interrogations par départements que pour le lieu de naissance et le domicile du coupable et de la victime. 9) Typologie du lieu du crime

322

Mêmes interrogations que précédemment. Ce découpage systématique doit permettre de comparer les éléments de la déclinaison d’identité du coupable relatifs à l’espace et la référence au lieu du crime. Celle-ci est certainement énoncée de façon moins contraignante que lorsqu’il s’agit de décliner une identité. Il importe néanmoins de bien montrer que le crime a eu lieu dans le royaume. Elle peut donc servir à mesurer quels sont les automatismes acquis par le sujet pour s’y situer spontanément. 10) Distance entre le lieu du crime et le domicile du coupable et de la victime

323

Le but est toujours de mesurer l’aire des relations. 11) Endroit où est commis le crime

324

1 — Sans réponse

325

2 — Maison

326

3 — Taverne

327

4 — Autres lieux clos

328

5 — Rue

329

6 — Nature cultivée

330

7 — Nature sauvage

331

8 — Terrain de jeux

332

9 — Autres

144

333

Ces questions, comme celles qui sont relatives à l’heure et au jour du crime, sont inspirées par les préoccupations des sociologues et des spécialistes du droit pénal 85. Les réponses doivent permettre de cerner le comportement criminel médiéval : s’enracinet-il dans une sociabilité quotidienne, ou est-il l’effet du hasard et de la marginalité ? Nature de la violence

334

Plusieurs moyens sont possibles pour cerner la nature de la violence. Le nombre des blessures et des blessés, les types d’armes utilisées et leurs détenteurs, le délai de la mort, les soins apportés à la victime donnent une idée de l’acharnement du geste violent. Les questions posées tiennent aussi compte des exigences de l’ancien droit pour lequel l’effusion de sang, par exemple, est une circonstance criminelle aggravante ; ou des changements d’attitude vis-à-vis du corps qui, blessé, se doit d’être soigné par un « mire » aux qualités reconnues ; ou encore de l’évolution de la spiritualité qui insiste sur la remise des derniers sacrements à la victime. Ceux-ci peuvent être évoqués comme une circonstance criminelle atténuante. Réconciliée avec Dieu, la victime l’est, de fait et devant Dieu, avec le coupable ; ces derniers sacrements magnifient l’accord de paix qui a pu être prononcé en même temps par la victime sur son lit de mort 86. L’extrême-onction contribue donc à effacer les effets pervers de la violence, ce qui constitue un prélude irréfutable à l’octroi de la grâce royale. 1) Blessures sur la victime

335

1 — Sans réponse

336

2 — Aucune blessure précisée

337

3 — Une blessure

338

4 — Une blessure avec effusion de sang

339

5 — Plusieurs blessures

340

6 — Plusieurs blessures avec effusion de sang 2) Blessures sur d’autres personnes

341

1 — Sans réponse

342

2 — Aucun autre blessé

343

3 — Blessure sur le coupable

344

4 — Blessure sur le coupable avec effusion de sang

345

5 — Blessure sur les comparses du coupable avec sang

346

6 — Blessure sur les comparses du coupable avec sang

347

7 — Blessure sur les comparses de la victime

348

8 — Blessure sur les comparses de la victime avec sang

349

9 — Blessures dans les deux camps

350

10 — Blessures dans les deux camps

145

3) Armes du crime 351

Elles ont été réparties en « force humaine », « arme militaire », « arme domestique », « arme de travail », « arme de fortune ». Cette division est importante pour déceler les éventuels subterfuges de la rémission qui déclare en homicide ce qui est en fait un assassinat87. Mais la classification des armes du crime n’a pas toujours été facile à cerner, car certains objets professionnels ou domestiques deviennent armes du crime par hasard, tel le pichet, la bêche ou la quenouille. Pour cette raison, les objets ayant servi au crime ont donc été classés selon leur fonction initiale. Ainsi, le couteau à trancher le pain est classé « arme domestique ». Malgré cet effort, il reste quelques ambiguïtés, par exemple celles qui concernent le bâton : est-ce une arme de fortune ou déjà une arme militaire ? Les mentions « armez et embastonnez », « basions et autres ferrements », ou encore « garniz d’espees et autres basions » permettent parfois de lever le doute : il s’agit alors d’une arme militaire. Mais, dans d’autres cas, le bâton est un objet de travail comme ce « baston d’un chariot » que manie un suppliant venu au secours de son père ou un objet de fortune quand aucune précision ne permet de caractériser son emploi, même s’il s’agit d’un « gros baston de boys » que seul le hasard de la querelle permet de saisir à proximité de la taverne 88.

352

A chacune de ces catégories d’armes correspondent des questions relatives à ceux qui les ont employées : 4) Utilisateurs de l’arme du crime

353

1 — Sans réponse

354

2 — Le coupable

355

3 — La victime

356

4 — Coupable et victime

357

5 — Les complices du coupable

358

6 — Les complices de la victime

359

7 — Tous ensemble 5) Délai de la mort

360

1 — Sans réponse

361

2 — Pas de mort

362

3 — Immédiat

363

4 — Rapide mais sans précision

364

5 — Moins d’une semaine

365

6 — Moins de trois semaines

366

7 — Plus de trois semaines

367

8 — Long mais sans précision

368

Les délais retenus correspondent à ceux qui étaient significatifs dans le récit des lettres de rémission. La coupure en semaines y est plus employée que la coupure mensuelle, même si le délai est très long89. Au delà de trois semaines, sauf exception, le délai tend à se diluer dans les dédales de la mémoire puisque son souvenir n’atteint plus que 3,5 %

146

des cas. Il faut remarquer que la référence aux quarante jours que comptent les coutumiers pour que le délit ne soit pas considéré comme un crime, n’a pas pu être retenue comme critère de classement90. Sa mention n’apparaît pas dans les lettres de rémission dépouillées. 6) Soins apportés à la victime 369

1 — Sans réponse

370

2 — N’a pas été soignée

371

3 — A été soignée

372

4 — A reçu les sacrements Circonstances du crime

373

1 — Sans réponse

374

2 — Boisson

375

3 — Jeu

376

4 — Guerre

377

5 — Diable

378

6 — Péché

379

7 — Magie

380

8 — Pauvreté

381

9 — Colère

382

10 — Plusieurs facteurs

383

11 — Autres

384

Les circonstances du crime évoquées par le récit montrent comment les rédacteurs de la lettre expliquent la genèse de la violence. Il importait donc de préserver au mieux le vocabulaire et les concepts retenus par les lettres de rémission, sans préjuger de ce qui avait pu être décrit dans la déclinaison d’identité du coupable ou de la victime. Ainsi, un suppliant peut-il être présenté comme parfaitement sain et doté de grandes vertus, tout en ayant commis son crime en état d’ivresse. L’intervention de « l’Ennemi » dans le crime a aussi sa place dans cette rubrique qui revient à recenser toutes les forces extérieures explicatives du délit telles qu’elles sont mentionnées dans le récit. Elles sont le prélude aux circonstances atténuantes que répertorient les juristes de l’ancien droit91. Typologie du crime

385

1 — Sans réponse

386

2 — Homicide

387

3 — Crime d’argent ou d’héritage

388

4 — Vol

389

5 — Pillage

390

6 — Dispute conjugale

147

391

7 — Adultère

392

8 — Viol individuel

393

9 — Viol collectif

394

10 — Avortement

395

11 — Infanticide

396

12 — Blasphème

397

13 — Rupture d’asseurement

398

14 — Crime contre la chose publique

399

15 — Crime lié à la guerre

400

16 — Injure

401

17 — Accident

402

18 — Suicide

403

19 — Faute professionnelle

404

20 — Plusieurs crimes

405

21 — Autres

406

La grille de dépouillement se heurte à un problème majeur sur lequel il faudra revenir pour en clarifier la signification, celui de la typologie des délits 92. La difficulté est double, car elle tient d’une part à l’absence et à la fluctuation du vocabulaire susceptible de définir le crime dans les lettres de rémission, d’autre part à une terminologie qui, lorsqu’elle existe, s’avère différente du classement contemporain. Les critères actuels distinguent en effet les crimes contre les personnes, les crimes contre les biens et les crimes contre la chose publique93. Les crimes contre les personnes regroupent les homicides, mais aussi les adultères, les viols, les avortements, les infanticides, les accidents et les suicides. Appliqué à la période médiévale, ce type de regroupement accentuerait le poids des crimes contre les personnes, qui atteindrait environ 65 % des délits, et les homicides, qui constituent environ 57 % des délits, se trouveraient confondus dans un ensemble dont les composantes ne relèvent pas obligatoirement des mêmes causes et ne subit pas le même déroulement. L’homicide à la suite d’une rixe ne peut pas être confondu avec l’infanticide : enjeux et valeurs ne sont pas identiques. De même, la référence aux classements contemporains risque de ne pas prendre en compte des délits typiquement médiévaux comme la « rupture d’asseurement ». Fallait-il la classer dans les délits contre la chose publique, alors qu’elle met en jeu un conflit entre personnes, même si les officiers ont en charge le maintien de l’asseurement ? La typologie retenue a cherché à préserver ces spécificités. Mais il fallait aussi créer des catégories de crimes là où les sources restent uniquement descriptives. Ainsi, le terme « pillage » a peu de chance d’apparaître dans le récit du délit. Il a néanmoins été retenu dans le classement pour le distinguer du vol. Cette foisci, la description du crime et son interprétation sont donc à la base de la classification adoptée. Même si cette typologie est proche des critères retenus par les historiens de la criminalité de l’époque moderne, elle en diffère cependant pour mieux respecter les nuances que la série des lettres de rémission impose 94.

407

Une fois cette large palette recensée, on a pu procéder à des regroupements pour la commodité de l’analyse. Ainsi, les crimes contre la chose publique regroupent les « crimes contre les institutions », les « crimes politiques » et les « crimes politiques

148

avec mention de lèse-majesté » ; les crimes liés à la guerre sont eux-mêmes divisés en « crimes liés à la guerre contre les Anglais » et « crimes liés à la guerre civile ». Le détail subsiste dans le comptage primitif, et même si les résultats obtenus sont parfois inférieurs à 1 % des délits, leur mention reste importante pour analyser la variété des crimes commis et les valeurs bafouées qui leur correspondent. 408

La même typologie a été appliquée aux délits qui ont pu servir d’antécédents au crime. Pour préserver la richesse des descriptions que comportent les lettres, trois possibilités de réponses ont été réservées aux antécédents, alors que le crime final qui conduit à la rémission, n’en comporte obligatoirement qu’une seule. Le but est de saisir le déroulement de l’acte criminel. Aussi, pour compléter cette analyse, il convenait d’établir les rapports entre les antécédents et le crime. Les antécédents du crime et le crime 1) Liens entre les antécédents et le crime

409

1 — Sans réponse

410

2 — Sans préméditation précisée

411

3 — Sans préméditation déduite

412

4 — Vengeance précisée

413

5 — Vengeance déduite

414

6 — Préméditation déduite 2) Délai entre les antécédents et le crime

415

1 — Sans réponse

416

2 — Immédiat

417

3— Même journée

418

4 — Deux jours

419

5 — De deux jours à un mois

420

6 — D’un mois à un an

421

7 — Supérieur à un an

422

8 — Délai non précisé

423

Ces indications sont rarement indiquées en clair dans la lettre. Elles sont le plus souvent déduites du cours du récit. Le comptage n’emprunte donc pas aux concepts médiévaux de division du temps. Responsabilités dans le déroulement du crime

424

Cette analyse tente de décomposer le crime en séquences successives. La grille de dépouillement s’interroge en premier lieu sur les présents lors du crime de façon à approfondir les responsabilités des participants. 1) Les protagonistes

425

1 — Sans réponse

149

426

2— Coupable et victime seuls

427

3 — Coupable, victime et participants

428

4 — Coupable seul, victime et participants

429

5 — Coupable et participants, victime seule

430

6 — Coupable seul

431

7 — Coupable et participants seuls

432

8 — Autres cas 2) Les responsables

433

Plutôt que de déterminer de façon ponctuelle les responsabilités, cellesci ont été croisées, dès le dépouillement, en fonction :

434

— d’une part, de la nature des échanges entre les parties adverses :

435

1 — Échange verbal

436

2 — Échange de gestes

437

3 — Échange de coups

438

4 — Échange de coups avec blessure

439

5 — Coup du crime ayant provoqué la rémission

440

— d’autre part, du premier intervenant dans le déroulement du crime :

441

1 — Le coupable

442

2 — La victime du côté du coupable

443

3 — Le coupable et la victime

444

4 — Les participants du côté du côté de la victime

445

5 — Les participants du côté de la victime

446

6 — Le coupable et les participants

447

7 — La victime et les participants du coupable

448

8 — Les deux parties

449

9 — Autres cas

450

Pour tenir compte de la progression chronologique, plusieurs possibilités de réponses ont été retenues, quatre pour le crime et deux pour les antécédents. Ainsi s’établit un schéma chronologique des responsabilités en fonction de la nature des échanges entre les deux camps. Il a pour intérêt de dégager les formes initiales de la violence, paroles ou gestes, puis les étapes de leur progression. Ce schéma est essentiel pour analyser la rixehomicide et répondre aux lieux communs sur la violence larvée et la brutalité médiévale. Il tente d’autre part de déceler les contradictions entre le discours d’un coupable qui essaie de se blanchir, et une action saisie dans un déroulement dont la description est moins conditionnée que celles de la déclinaison d’identité ou des circonstances du crime.

150

Thème 6 : l’octroi de la rémission 451

Cette partie de l’analyse porte sur les formules plus ou moins stéréotypées qui permettent à la Chancellerie d’octroyer la rémission soit en utilisant un vocabulaire convenu, soit en reprenant des éléments empruntés à la déclinaison d’identité du coupable ou à la description du crime. Tous ces éléments ont été analysés selon leur spécificité sans tenir compte des données antérieures. Formules employées pour justifier le coupable

452

Elles sont choisies parmi les expressions « bonne fame ou renommee », « bonne vie », « honneste conversation », « aucun blame ou reproche » :

453

1 — Sans réponse

454

2 — Une expression

455

3 — Deux expressions

456

4 — Trois expressions

457

5 — Quatre expressions

458

6 — Autres expressions Motifs tenant à la personnalité du coupable

459

1 — Sans réponse

460

2 — Qualité psychologique

461

3 — Age

462

5 — Fortune

463

4 — État physiologique

464

6 — Charges de famille

465

7 — Services rendus

466

8 — Services attendus

467

9 — Condition sociale

468

10 — Autres

469

Etant donné l’accumulation des motifs qui précèdent l’accord de la rémission, les quatre premiers mentionnés ont été successivement retenus, ce qui permet de voir dans quel ordre ils apparaissent, et comment ils se maintiennent dans la description. Motifs tenant aux circonstances du crime

470

1 — Sans réponse

471

2 — Réputation de la victime

472

3 — Légitime défense

473

4 — Sentiment pour la victime

474

5 — Prison déjà effectuée par le coupable

475

6 — Bannisement subi par le coupable

151

476

7 — Intervention du diable

477

8 — Hasard

478

9— Accord des parties

479

10 — Autres

480

Les questions posées résument les principaux cas rencontrés. Comme pour la personnalité du coupable, elles peuvent donner lieu à quatre réponses successives selon l’ordre d’apparition des motifs. La grille permet de saisir la place que la Chancellerie reconnaît à l’absence de préméditation, qui est au coeur des discussions entre théoriciens et avocats, sur la valeur de la rémission et sur la définition du crime irrémissible95. L’accord entre les parties a une place qui est loin d’être négligeable pendant les quatre séquences. Un tableau récapitulatif résume les différentes apparitions et leur poids total dans l’octroi de la rémission. Motivation royale

481

Face à ces données qui varient en fonction de chaque crime, le roi exprime la rémission par des formules incantatoires dont il a fallu respecter le vocabulaire pour bien comprendre le mécanisme de la grâce.

482

1 — Sans réponse

483

2 — Pitié

484

3 — Miséricorde

485

4 — Pitié et miséricorde

486

5 — Simple modification de la justice

487

6 — Plaisir

488

7 — Autre motivation

489

8 — Délégation de pouvoir

490

9 — Plusieurs motivations

491

10 — Autres formules Interventions extérieures

492

Ces interventions peuvent être mentionnées au moment où la rémission est prononcée. Leur recensement ne préjuge pas du contenu des mentions hors teneur ou de l’intercession des amis charnels en tête de la lettre de rémission.

493

1 — Sans réponse

494

2 — Événement royal qui favorise la rémission

495

3 — Fête religieuse qui favorise la rémission

496

4 — Intervention d’un tiers

497

5 — Amis charnels

498

6 — Plusieurs interventions

499

7 — Autres formes d’intervention

152

Conditions mises à la rémission 1) Peines en sus 500

1 — Sans réponse

501

2 — Emprisonnement

502

3 — Pèlerinage expiatoire

503

4 — Autres réparations liturgiques

504

5 — Deux sortes de peines

505

6 — Simple commutation de la peine

506

7 — Autres peines 2) Satisfaction à remplir par le coupable

507

1 — Sans réponse

508

2 — Envers la partie civile

509

3 — Envers le pouvoir royal

510

4 — Envers les deux

511

5 — Autres

512

La grille de dépouillement obéit donc à un principe simple, celui du respect du vocabulaire employé quand il est à la fois significatif et répétitif. Mais elle tient compte aussi de la structure du document. Celui-ci est divisé en plusieurs parties que la rédaction de la lettre a laissé apparentes, depuis la requête originale jusqu’à l’accord du pardon rédigé par la Chancellerie. Les questions posées peuvent paraître répétitives : elles tentent seulement d’éclaircir les différents moments de l’acte que les tris croisés doivent mettre en rapport.

POIDS DES DONNÉES INCONNUES 513

La grille de dépouillement tient compte, dans chaque cas, d’une mention « sans réponse ». Certaines interrogations montrent la part écrasante du poids des données inconnues, ce qui risque d’affaiblir considérablement la portée du raisonnement (tableau 5). Comment peut-on par exemple raisonner sur le lieu de naissance du coupable quand la mention « sans réponse » atteint 92 % ? En fait, ces données inconnues ne sont pas toujours innocentes, et il convient de raisonner cas par cas au cours de l’étude, en particulier en ce qui concerne l’âge, la fortune, la condition sociale, le temps et l’espace. Cela nécessite néanmoins quelques remarques méthodologiques.

514

Le poids des données inconnues dans des enquêtes similaires est rarement abordé, qu’il s’agisse des études historiques ou sociologiques. En matière de prosopographie, il a fait l’objet d’interrogations que N. Bulst a pu résumer et qui intéressent notre propos : dans quelle mesure une catégorie d’inconnus est-elle représentative du groupe social étudié 96 ?

515

Appliquée à notre enquête, cette problématique confirme qu’il faut être d’une grande prudence. Peut-on dire, par exemple, que tous ceux qui ne se disent pas nobles ou clercs ne le sont pas, sous prétexte que la noblesse ou la cléricature permettent

153

d’obtenir plus facilement une lettre de rémission, ou que cet état se définit aisément quand le coupable procède à sa déclinaison d’identité97 ? La réponse n’est pas évidente, même s’il y a de fortes chances pour que les intéressés ne soient pas effectivement nobles ou clercs. La comparaison avec les études prosopographiques a néanmoins ses limites, car celles-ci rassemblent des données venant de sources disparates dont les buts ne sont pas toujours identiques. En revanche, dans la série des lettres de rémission, il convient de conserver présent à l’esprit que tous les criminels sont unis par le même souci de recourir à la grâce. La question posée devient alors celle-ci : pourquoi certaines données sont-elles passées sous silence ? Tableau 5 : Données inconnues

Différentes variables

Inconnues en %

Bailliage

0,1

Par qui est commandée la lettre

0,8

A la relation de qui est commandée la lettre

38,1

Sont présents à l’octroi de la lettre

84,4

Âge du coupable

75,0

Qualificatif de l’âge du coupable

64,5

Lieu de naissance

92,0

Typologie du lieu de naissance

92,5

Sexe du coupable

0,5

Statut civil

92,0

Statut ecclésiastique

96,5

Statut social

90,0

Situation familiale du coupable

41,5

Nombre d'enfants chez le coupable

65,5

Profession du coupable

57,0

Hiérarchie professionnelle

79,0

Fortune du coupable

54,5

Mode d'habitation du coupable

87,7

Lieu d'habitation du coupable

7,5

Typologie du lieu d’habitation du coupable

38,5

154

Distance domicile/'Iieu de naissance

91,0

Longueur des déplacements avant le crime

6,0

Motif des déplacements du coupable

11,5

Portrait du coupable

65,2

Antécédent pénal du coupable

78,5

Dénonciation

90,7

Sort du coupable après le crime

6,7

Type du tribunal

13,0

Condamnation

89,9

Juridiction

72,4

Durée de l'emprisonnement

86,3

Age de la victime

97,5

Qualificatif de l'âge de la victime

95,5

Lieu de naissance de la victime

97,5

Typologie du lieu de naissance de la victime

96,3

Sexe de la victime

12,0

Statut civil

92,5

Statut ecclésiastique

96,0

Statut social

95,0

Situation familiale de la victime

80,5

Nombre d’enfants chez la victime

95,5

Profession de la victime

78,0

Hiérarchie professionnelle de la victime

85,0

Fortune de la victime

93,0

Mode d'habitation de la victime

96,0

Lieu d'habitation de la victime

23,0

Typologie du lieu d'habitation de la victime

59,0

155

Distance domicile/lieu de naissance

96,0

Longueur des déplacements de la victime avant le crime

29,5

Motif des déplacements de la victime

43,5

Portrait de la victime

57,0

Distance du domicile du coupable à celui de la victime

25,9

Liens victime/coupable

41,0

Antécédent pénal de la victime

96,1

Intercesseurs

37,0

Témoins

29,1

Nombre de participants

1,5

Liens 1er participant/coupable

42,5

Liens 2e participant/coupable

66,0

Nombre de participants pour la victime

6,5

Heure du crime

48,5

Vocabulaire utilisé pour l’heure du crime

66,0

Définition du jour du crime

31,5

Mode de calcul du jour du crime

26,0

Mois du crime

30,5

Année du crime

22,0

Délai entre le crime et la rémission

1,5

Lieu du crime

4,0

Typologie du lieu du crime

33,5

Distance crime/domicile de la victime

18,0

Distance crime/domicile du coupable

10,0

Endroit où est commis le crime

10,0

Blessures sur la victime

4,5

Blessures sur d’autres personnes

7,0

156

516

Armes : force humaine

82,0

Armes militaires

74,0

Armes domestiques

76,0

Armes du travail

91,0

Armes de fortune

72,0

Délai de la mort

4,5

Soins apportés à la victime

87,0

Nature du 1er antécédent

21,0

Nature du 2e antécédent

83,0

Nature du 3e antécédent

95,5

Nature du crime

0,0

Circonstances extérieures

34,5

Liens entre les antécédents et le crime

8,0

Délai entre l’antécédent et le crime

20,0

Crime solitaire ?

3,5

Première initiative

23,0

Première initiative par : gestes, etc.

1,0

Formules utilisées pour justifier le coupable

17,0

Motifs tenant à la personnalité du coupable

47,5

Motifs tenant aux circonstances du crime

19,5

Motivation royale

3,2

Intervention extérieure

69,3

Conditions de la rémission : peines en sus

77,5

Conditions de la rémission : satisfaction partie adverse

8,9

Certaines mentions « sans réponse » peuvent avoir une signification simple : la catégorie évoquée par la grille de dépouillement n’existe pas dans la lettre parce qu’elle n’existe pas dans le crime. Tel est le cas des mentions « sans réponse » relatives aux antécédents du crime, qui comptent respectivement 21 % de mentions inconnues pour définir l’antécédent du crime et 20 % pour définir le lien entre l’antécédent et le crime.

157

L’homogénéité des deux chiffres montre bien qu’il s’agit en fait des cas où le crime ne comporte pas d’antécédent. Le « sans réponse » correspond ici à « aucun antécédent ». En revanche, dans le cas du crime proprement dit, la même rubrique comporte aucune « sans réponse », ce qui est parfaitement normal étant donné la nature de la source : il n’y a pas de lettre de rémission sans crime. Mais le souci d’aligner les questions posées à l’antécédent du crime et au crime lui-même implique de ne pas avoir distingué de mention « aucun antécédent » qui n’a pas de sens pour le crime proprement dit. Le résultat se déduit logiquement. 517

D’autres mentions « sans réponse » peuvent aussi être facilement interprétées comme l’équivalent d’« aucun ». Par exemple, les 37 % de « sans réponse » relatifs aux intercesseurs doivent être interprétés comme des cas où les intercesseurs n’apparaissent pas du tout et où le suppliant s’est exprimé directement. Dans ce cas, il convient de ne pas supprimer la mention « sans réponse » des données générales de sa catégorie.

518

En revanche, la mention « sans réponse » peut demander à être distinguée de « aucun ». Tel est le cas pour la rubrique délai de la mort. « Aucune mort » rassemble les crimes, nombreux, qui ne sont pas suivis de mort, alors que « sans réponse » indique le silence total de la lettre quant au délai de la mort en cas de décès de la victime. De la même façon, quand on considère le nombre des participants, il importe de distinguer la mention « sans réponse » d’« aucun participant » pour mesurer le poids des complicités.

519

La façon d’obtenir les mentions « sans réponse » peut aussi infléchir leur interprétation et la valeur qu’il convient d’attribuer aux renseignements tirés des lettres de rémission. Il faut, en effet, repérer les réponses qui tiennent au caractère objectif des questions posées et qui ne reflètent pas les préoccupations du récit du crime. L’exemple du mode d’habitation du coupable est significatif. Il comporte 87 % de mentions inconnues. Comment les interpréter ? La mention du mode d’habitation n’est pas un élément subjectif de la déclinaison d’identité, et elle ne correspond de la part du suppliant à aucun oubli. Il s’avère d’ailleurs que les mentions « sans réponse » relatives à la victime sont parfaitement comparables puisqu’elles s’élèvent à 96 %. La précision du mode d’habitation résulte des hasards du récit. Sa mise en évidence tient avant tout à l’historien soucieux de traquer la cellule large ou de voir apparaître la cellule conjugale. En fait, le raisonnement ne pourra s’appliquer qu’au 13 % de cas où le mode d’habitation apparaît dans le récit. On ne peut donc pas déduire des lettres de rémission quel était le mode d’habitation, mais déceler si les tendances criminelles peuvent être influencées par le mode d’habitation en comparant les différents croisements de la variable, y compris les « sans réponse » avec les types de crimes 98. Il existe donc des questions de la grille où la mention « sans réponse » indique que le récit a pu donner des précisions par hasard, hasard dont s’empare l’historien pour confirmer ou affiner des problèmes posés par ailleurs.

520

Le poids des mentions inconnues requiert une autre interprétation, car il peut mettre en cause les jeux complexes de l’oubli volontaire ou imposé, pathologique ou culturel, que la rédaction de la grille a déjà permis d’aborder. Il en est ainsi de la déclinaison d’identité sur laquelle nous reviendrons99. Une première constatation s’impose : aucune donnée de l’identité ne permet de généraliser les résultats à l’ensemble de la population du royaume, non seulement parce qu’il s’agit de criminels, mais aussi parce que la déclinaison d’identité de ces criminels comporte trop de données inconnues. Les

158

mêmes constatations s’imposent à propos du statut familial. Le nombre de criminels qui se disent mariés ne laisse pas présager d’un chiffre identique pour l’ensemble de la population. Le poids de certaines mentions inconnues a cependant un sens en soi que permet de confirmer le reste de la lettre, ainsi que la comparaison avec d’autres sources, telles les plaidoiries du Parlement. Pour répondre à la question posée précédemment, il y a toute chance pour que ceux qui ne donnent pas mention de cléricature ne soient pas clercs, et que ceux qui ne donnent aucune trace de noblesse ne soient pas nobles. Mais, dans l’ensemble, les chiffres, dans leur réalité brute, ne sont pas très significatifs, étant donné le nombre d’inconnus. 521

Il pouvait être tentant de compenser les lacunes en procédant par comparaison avec les autres données de la lettre de rémission. Les tris croisés offrent cette possibilité. Ils permettent de déceler le comportement de ces « sans réponse » en le comparant à celui des catégories qui comportent des précisions. Ainsi a-t-on procédé pour les âges et les situations de famille100. De quel âge précisé se rapproche le plus le comportement des âges inconnus ? Les inconnus en matière de situation civile ont-ils des réactions qui les apparentent aux gens mariés ou aux célibataires ? Ceux qui ne déclinent aucun métier sont-ils comparables à ceux qui avouent d’emblée une profession ? Ces mentions inconnues, confrontées cas par cas, deviennent des profils et sortent en partie de l’ombre ; mais le problème du sens qu’elles peuvent avoir en soi reste posé.

522

La comparaison entre les mentions « sans réponse » relatives au coupable et à la victime permet une première interprétation. Le poids des données inconnues est beaucoup plus élevé chez la victime que chez le coupable. Ce résultat tient à une double cause : la méthode employée pour l’analyse et la volonté du suppliant. La grille de dépouillement pose à la victime les mêmes questions qu’au coupable alors qu’il n’existe pas de déclinaison d’identité de la victime au sens strict du terme. La victime ne se présente évidemment pas ; son portrait apparaît au fil de la description qu’en donne le criminel, complété parfois par quelques détails au cours du récit du crime. La victime est donc saisie par bribes, ce qui augmente le poids des mentions inconnues. Mais la victime est aussi saisie en reflet, par le biais d’un discours qui l’oblitère au gré des besoins du suppliant. Pourquoi dire qu’elle est jeune, mariée, chargée d’enfants, « pauvre » ? Ce sont là des éléments susceptibles d’apitoyer la Chancellerie. Les mentions « sans réponse » relatives à la victime donnent en fait l’exacte mesure de ce que le coupable a intérêt à dire, ou à ne pas dire, pour obtenir la grâce.

523

Toutes ces réserves étant faites, l’approche quantitative du monde criminel se précise. Elle tend à établir des profils plus qu’à raisonner sur des données absolues. Dans ces conditions, il a paru utile de comparer point par point l’identité du coupable à celle de la victime, sans tenir compte des mentions inconnues. De la même façon, les mentions « sans réponse » ont pu être éliminées pour les principaux éléments de la grille afin de mieux cerner les tendances de ce qui était mentionné en clair dans la lettre de rémission. Cette méthode a pour avantage de mettre en valeur les différentes données précisées dans les lettres, sans qu’elles soient écrasées par le poids des données inconnues. Mais, si ces tableaux sont révélateurs, ils ne doivent pas totalement se substituer à ceux qui donnent le résultat complet des réponses, mentions inconnues comprises. Ce sont elles qui servent en priorité à appuyer le raisonnement 101. Mais, quoique imparfaite dans ses résultats, cette étude quantitative est absolument nécessaire pour se sauvegarder d’une dérive impressionniste que la qualité de certaines

159

lettres pourrait entraîner102. Elle n’implique pas pour autant que l’historien reste insensible à la verdeur ou à l’émotion du récit. 524

Reste la question de fond, celle qui consiste à s’interroger sur le sens du silence. Elle a été déjà plusieurs fois abordée sans être totalement résolue. Si le coupable a intérêt à décliner en détail son identité, pourquoi ne le fait-il pas toujours de façon complète ? Ce silence est-il suffisant pour classer le coupable dans un monde sans âge, sans famille, sans métier, et qui ressemblerait fort à celui de la marginalité ? L’enjeu est de taille, car la réponse est susceptible de caractériser la criminalité médiévale. Mais, pour y répondre, tous les éléments de la lettre doivent entrer en jeu, depuis la nature du crime jusqu’à l’octroi administratif de la grâce. Le recours aux tris croisés et aux analyses factorielles est donc essentiel.

TRAITEMENT INFORMATIQUE ET ANALYSE DES DONNÉES 525

Les différentes données dégagées par la grille de dépouillement ont été codées selon les techniques classiques. Les renseignements concernant chaque lettre de rémission ont été reportés en langage codé sur des bordereaux qui ont servi à la réalisation de cartes perforées103. Cette méthode est actuellement considérée comme archaïque ; le recours à des procédés plus modernes aurait fait gagner du temps, sans changer les résultats. Le principe du codage est maintenant bien connu104. Au total, comme je l’ai dit, 172 variables ont pu être recensées. La fiabilité de ce codage dépend moins du transfert sous forme mathématique de données brutes que des choix retenus lors de la grille de dépouillement décrite précédemment. Comme l’ont montré Fr. Autrand et J.Ph. Genet, les principes du questionnaire posé sont essentiels105. C’est alors, et alors seulement, comme l’écrit H. Millet « que l’historien exerce à plein son métier » 106. Une première opération de tris à plat a pu ainsi être effectuée. Elle donne pour chaque variable une répartition entre les questions posées et reportées dans la grille de dépouillement. De nombreux exemples figurent dans les tableaux insérés dans le cours de la rédaction.

526

Un programme de tris à croisements multiples a permis de répondre à des questions déjà complexes : par exemple, quels sont les criminels qui, ayant entre 20 et 30 ans, se qualifient « jeunes » ? Existe-t-il un lien entre la profession et le type de crime 107 ? Environ 500 tris ont été réalisés, dont certains donnent lieu à des tableaux figurés selon la technique des représentations en surface108. Chaque tableau croisé a donné des résultats en lignes et en colonnes. Dans l’interprétation des résultats, il a été tenu compte, le plus possible, des méthodes utilisées dans l’analyse des données en sociologie, tel le calcul des écarts à l’indépendance109. Par exemple, dire que les suppliants qui ont plus de 40 ans sont très nombreux à ne pas qualifier leur âge puisqu’ils représentent 59 % de la série considérée, serait un point de vue partiel et inexact110. Il doit être immédiatement corrigé par une comparaison avec la moyenne qui porte à 47,7 % des cas ceux qui, donnant un âge chiffré, ne donnent pas un âge qualifié. L’écart par rapport à cette moyenne se réduit à 11 %. Telle est la raison pour laquelle, quand il a fallu croiser deux variables, les histogrammes ont été accolés pour permettre une comparaison entre les différentes données que comporte chaque variable et que donne en clair le tableau correspondant. Une comparaison des profils ainsi visualisée corrige l’effet pervers de chiffres sortis de leur contexte comparatif.

160

527

Ces premiers tris ont pour conséquence de clarifier les données. Ils ont été systématiques pour certaines variables comme l’âge, le sexe, la profession, la situation sociale, bref, pour tous les éléments qui constituent la déclinaison d’identité. La démarche est simple et s’inspire de méthodes sociologiques. Elle repose sur les données qui peuvent paraître le plus facilement quantifiables, et elles le sont, traditionnellement, dans les études historiques. Les résultats de cette première démarche, bien que fructueux en euxmêmes, seraient nécessairement restés en retrait de ce que peut apporter la méthode employée pour cerner le type d’acte qu’est la lettre de rémission. En effet, les données obtenues permettent d’inventorier la population criminelle plutôt que les rapports entre le crime et la rémission. Elles constituent les tableaux de la partie II. En fait, l’intérêt s’est vite fait sentir d’étendre les croisements à des données moins conformistes telles les formules de chancellerie. Au fur et à mesure des études, l’importance du type de crime s’est dégagée, incitant à de nouveaux tris pour mieux mettre en valeur les premiers résultats. Alors, s’est trouvé enserré, par les croisements, l’ensemble des données de la lettre de rémission.

528

Au total, ces tris croisés permettent de détruire un certain nombre d’idées reçues. Par exemple, les tris opérés entre la nature du crime et les motifs évoqués par la Chancellerie pour accorder la grâce montrent l’intérêt qu’il y a eu de coder l’ensemble de formules qui se révèlent moins stéréotypées qu’il pouvait y paraître 111. Mais surtout, ils permettent de constituer une « métasource » qui, certes, réduit obligatoirement le réel historique en données finies, mais le construit en répondant aux questions que l’historien décide de poser à la machine112.

529

La représentation des tableaux croisés trouve son aboutissement naturel dans la réalisation des analyses factorielles. Il ne s’agit pas ici de faire un exposé complet de la méthode fondée sur la formule du khi 2 utilisée en statistique, mais d’en exposer les grands principes qui permettent la lecture des graphiques113.

530

Aucun des graphiques de l’analyse factorielle ne fait entrer de données que nous ne connaissions déjà par les tris croisés et, comme je l’ai dit, la comparaison des histogrammes amorce déjà des ressemblances ou des différences entre les données. Néanmoins, cette comparaison ne peut être que limitée. Il est nécessaire, en particulier, de décomposer en deux tableaux les lignes et les colonnes sur lesquelles étaient rangées les fréquences exprimées en pourcentages, et de multiplier cette disposition pour les croisements successifs. Malheureusement, l’intérêt que suppose la comparaison entre les profils se dilue dans la quantité des tableaux obtenus par tris croisés. L’analyse factorielle présente alors l’avantage de rassembler plusieurs données et de mesurer la distance entre les profils quand on dispose, comme c’est le cas ici, d’un nombre important de croisements. Chaque point du graphique représente un profil, qu’il s’agisse des fréquences calculées en lignes ou en colonnes. L’intérêt consiste à évaluer la distance entre ces profils, car, comme l’écrit J.L. Robert, on part du principe que « la distance entre deux individus i, i’est d’autant plus petite que leurs profils sont voisins » 114 .

531

Pour compléter la réflexion, il convient de déterminer selon quels axes se trouve structuré le nuage de points. Etant donné qu’il s’agit d’un espace à plusieurs dimensions puisqu’il y a plusieurs variables, les axes se décomposent en une suite, en ordre décroissant de leur valeur propre. Seul le premier couple, axes 1 et 2, a été retenu, car sa valeur est la plus élevée. Sur le graphique, on a pu déterminer les points qui ont servi à la construction des axes et ceux qui n’ont pas eu de poids 115. La liaison

161

entre les points et les axes est indispensable à la lecture du graphique. Ce sont les axes qui donnent tout leur sens à la lecture de l’analyse factorielle puisque, comme le montre H. Millet à travers l’exemple concret des chanoines de Laon, « pour chaque axe, on recherche ce qu’il y a de commun aux points situés d’un même côté de l’origine » 116. 532

Enfin, les résultats de l’analyse factorielle doivent être vérifiés par le retour aux données des tableaux croisés. En principe, aucune donnée nouvelle ne doit apparaître et tous les résultats peuvent être prouvés. Il n’en reste pas moins que l’analyse est un moyen d’investigation commode pour sa clarté et séduisant pour sa vision synthétique.

533

Au total, trois analyses factorielles ont pu être insérées dans le cours du raisonnement. Elles ont été conçues comme des conclusions aux différentes démonstrations qu’apportaient les tris à plat et les tris croisés. Elles sont organisées autour d’un thème qui a donné le nom du graphique : analyse des solidarités, des distances parcourues, de la rémission du crime117.

534

Le recours à l’informatique est donc facilité par la nature sérielle des lettres de rémission. Il a l’avantage de ne laisser dans l’ombre aucun des aspects contenus dans le document, qu’il s’agisse de renseignements diplomatiques ou sociaux qui se trouvent ainsi associés. Cette entreprise n’a de sens que parce que nous sommes confrontés à un type de document doté de charges positives diverses. Les suppliants s’y présentent pour des crimes variés qui incitent aux comparaisons. La grâce royale s’y exprime pleinement, riche encore de recherches d’écriture pour fixer fictivement la parole du souverain ou de son conseil, sans recourir, comme ce sera le cas dès la seconde moitié du XVe siècle, à des formules abrégées. Alors, sauf exception, la grâce royale des lettres de rémission se réduit à un jeu d’ombres et l’analyse quantitative à une seule étude sociologique. Mais, ne nous y trompons pas, le parcours est semé d’embûches. Le plus grand danger serait de céder la place aux statistiques sans savourer le texte. L’un et l’autre doivent apparaître. Aussi, outre le recours aux données brutes que suggèrent de larges citations, j’ai pu procéder à une étude du vocabulaire analysé en Full Text 118. Et, j’ai, toutes les fois que cela m’a été possible, comparé le vocabulaire le plus significatif avec celui des traités théoriques de la même époque. Ainsi, à travers les chiffres qui tentent de respecter les schémas de pensée et d’expression tels qu’ils sont rapportés par la Chancellerie de Charles VI, comme par le retour aux textes d’origine, place est laissée, du moins je l'espère, à l’histoire des mots.

NOTES 1. Sur cette notion de crimes capitaux, voir chapitre 18, p. 798-806. 2. J. CHIFFOLEAU, Les justices..., p. 86, n. 4. 3. Y 5266 : sur ce registre, voir chapitre 1, p. 33 et suiv. 4. Voir les textes rassemblés par N. de LA MARE, Traité de la police, t. 4, livre VI, p. 172 et p. 663. 5. X 2a 14, fol. 187v.-189 ; ce procès oppose Guillaume Champion, lieutenant du bailli de la Charité-sur-Loire, à Colin Le Mercier. Ce dernier est présenté par la partie adverse comme « savetier estrangier et vagabond mal renommé et diffamé de murtres et autres malefices et

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moult doubté au pais » (fol. 187v.) et, Colin, pour sa défense dit « qu’il est mercier et demouroit a Saint-Florentin et se voult retraire a Saint-Satur pour l’affection qu’il avoit de y demourer » et « qu’il a esté assailli par de Lorme la nuit de la Fete-Dieu quand il allait cueillir des roses et il a eu remission et estoit le cas vieilz et partie adverse a esté contentee » (fol. 188v.). La rémission correspondant à ce cas est répertoriée dans JJ 143, 5, juin 1392, SAINT-SATUR (bailliage de SaintPierre-le-Moûtier). 6. JJ 155, 298, novembre 1400, CHANTEMERLE (sénéchaussée de Saintonge), et X 2a 14, fol. 4v. et 17v., 22 mars 1401. 7. B. GUENÉE, Tribunaux..., p. 160, insiste sur ce pouvoir d’exploitation. Conclusions identiques chez Y. GRAVA, « Justice et pouvoirs à Martigues... », p. 305, et R. LAVOIE, « Les statistiques criminelles... », p. 7. Voir aussi supra, n. 2. 8. M.Th. LORCIN, « Les paysans et la justice... », p. 269 et suiv. 9. N. GONTHIER, Délinquance, justice et société..., t. 1, p. 235 et suiv. 10. M.Th. LORCIN, op. cit. supra, n. 8, p. 287. 11. Sur les motifs qui ont conduit à retenir cette méthode, Cl. GAUVARD, « L’image du roi justicier... », p. 166-167. 12. Pour le règne de Charles V, un rythme quinquennal a pu être respecté : JJ 98 (1365), JJ 102-103 (1370-1372), JJ 107 (1375). Pour les règnes de Charles VII, Louis XI et Charles VIII, l’enquête a été moins systématique. J’ai pu consulter JJ 181 (1451-1453), JJ 182-187 (1453-1456), JJ 198-199 (1461-1463), JJ 207-208 (1480-1482), JJ 211 (1483-1486). Ces registres ont fait l’objet de mémoires de maîtrise dont Monsieur le Professeur B. Guenée a bien voulu me confier le suivi et qui ont été soutenus à l’Université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne. La grille de dépouillement décrite infra leur a été appliquée pour un traitement manuel. Monsieur le Professeur H. Dubois a bien voulu aussi m’associer à l’encadrement de quelques mémoires de maîtrise concernant le règne de Charles VII, soutenus à l’Université de Paris-IV-Sorbonne. 13. A. VALLÉE, Registres du Trésor des chartes, t. 3, 3 e partie. 14. Sur la genèse de ces manuels et leur utilisation, G. TESSIER, « Le formulaire d’Odart Morchesne », p. 83. 15. Sur le mécanisme de la rémission aux XIV e et XVe siècles, P. DUPARC, Les origines de la grâce..., p. 90 et suiv. Sur le lien entre les théoriciens et la rémission, J. KRYNEN, Idéal du prince..., p. 184-199. 16. Ces lettres de bouche sont par exemple dénoncées en 1413, L’Ordonnance cabochienne, paragr. 220. 17. Par exemple X 2a 15, fol. 80v., février 1406 ; X 2a 14, fol. 310, mars 1406 : cette plaidoirie oppose le procureur du roi à trois prisonniers à qui il est reproché d’avoir empêché l’exécution d’un condamné à mort. Le procureur du roi affirme « qui empeche l’execucion des condempnez a morir il commet hault crime maxima », et les prisonniers font état du « commandement de bouche du roi » qui les a autorisés. Le procureur du roi élève alors le débat en rappelant les condamnations des lettres de bouche faites par les ordonnances : « et savoient qu’il a esté ordonné que on ne face requeste au roy pour empescher sa justice et ne le povoient ignorer car autres ont vu reprendre de venir contre et devoient advenir le roy du commandement qui estoit contre son honneur et lequel il ne devoient point executer ». 18. P. TEXIER, « La rémission au XIV e siècle... », p. 195, n. 12. Sur ces modes de scellement, voir R.H. BAUTIER, « Recherches sur la chancellerie royale... », p. 387-389. 19. La lettre d’abolition efface jusqu’au souvenir du crime, Y.B. BRISSAUD, Le droit de grâce..., p. 14-16 et p. 264-297. 20. JJ 37, 26, mai 1304, CHÂLONS-SUR-MARNE (bailliages de Vermandois et de Vitry). 21. M. FRANÇOIS, « Notes sur les lettres de rémission... », p. 104, voir infra, tableau 3. 22. J’ai déjà tenté de cerner cette typologie de la lettre de rémission, Cl. GAUVARD, « L’image du roi justicier... », p. 165-167.

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23. JJ 155, 132, juillet 1400, ISSOUDUN (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). Même variation locale du vocabulaire à Amiens, qui nécessite une traduction entre « wissot » et « coup », « qui vero juralum suum, servum, recredentem, traditorem, "wissot” id est "coup", appellaverit, viginti solidos persolvet ». Charte d’Amiens art. 42, cit. par J. BOCA, La justice criminelle..., p. 202. 24. N.Z. DAVIS, Pour sauver sa vie..., p. 55. 25. P. ZUMTHOR, La lettre et la voix..., p. 17-25. 26. Nous sommes effectivement dans le domaine de l’« authentifié » ; voir les degrés subtils distingués par A. BOUREAU entre « l’autorisé », « l’authentifié » et « l’allégué », La papesse Jeanne, p. 146-147. 27. Tel est le cas à Amiens, le 9 août 1408, pour Jehan de La Boissière, BB1 AMIENS, fol. 40v., « deliberé est que l’information faicte sur ledit cas sera veue ». Cette vérification est achevée le 23 août suivant, ibid., fol. 41. Sur les réglementations de l’entérinement à Abbeville, X lc 70B, 200, 30 mars 1395. Un exemple concret de ces difficultés est fourni dans X 2a 16, fol. 285-290, janvier 1415. Sur les réclamations de Tournai, X 2a 10, fol. 2, novembre 1375 ; X 2a 11, fol. 236-238v., juillet 1389 ; X 2a 15, fol. 82v., mars 1406 ; X 2a 16, fol. 265v., mai 1414. La présentation des lettres pouvait aussi être l’objet de conflits de juridiction entre bailliages. En janvier 1405, la demande d’entérinement présentée par Colard d’Harcourt au bailli d’Amiens entraîne un conflit avec le sénéchal de Ponthieu, X 2a 15, fol. 7, janvier 1405. Pour un exemple général de lettre non entérinée, X 2a 12, fol. 113v., juillet 1380, car elle « n’a pas esté verifiee devant justice et si ne fut onques accort fait aus amis ». 28. Par exemple, X 2a 15, fol. 96v., août 1406, pour un homicide qui est en fait un meurtre. 29. Sur le maniement des archives que suppose le refus d’entérinement, par exemple X 2a 15, fol. 18, juin 1405, (bailliage de Vermandois) : l’accusé a obtenu des lettres de rémission pour injures et blessures alors qu’il a passé une paix avec son adversaire devant le bailli de Vermandois à Saint-Quentin et devant témoins, et que la lettre ne mentionne pas qu’il y a rupture d’asseurement. Il est ordonné par le Parlement que le bailli de Vermandois ou son lieutenant à Saint-Quentin devront retrouver les lettres de paix avant le 1er septembre suivant. Les appels au Parlement peuvent relancer l’enquête, X 2a 15, fol. 7, janvier 1405, et même entraîner le recours à la torture, ibid., fol. 215v.-216, mai 1408. Sur la rémission et le fauxtémoignage, X 2a 16, fol. 27v.-28, août 1410, (sénéchaussée de Ponthieu) où s’expriment les arguments de la partie lésée « quod certes testes se duxisse, corupuisse vel subornasse in hac parte dicebantur ». 30. X 2a 14, fol. 58v., mars 1402. 31. Br. GEREMEK, Les marginaux parisiens..., p. 72. 32. Sur le détail de cette somme, voir O. MOREL, La grande chancellerie..., p. 355-378. En revanche, R. SCEIEURER, « L’enregistrement... », p. 123, évalue à 8 livres 8 sous parisis la somme totale payée pour la lettre criminelle à la fin du XVe siècle. Les chiffres donnés par N.Z. DAVIS, Pour sauver sa vie..., p. 34, pour la première moitié du XVI e siècle sont encore différents puisqu’il s’agit de 6 livres qui passent à plus de 10 livres à partir de 1550. 33. ORF, t. 8, p. 396, et L'Ordonnance cabochienne..., p. 154. Les frais d’écriture sont de 6 sous parisis comme ceux du sceau et les frais d’enregistrement sont fixés à 20 sous. 34. JJ 198, 141, décembre 1461, BOVES (sans mention de juridiction). 35. JJ 118, 35, novembre 1380, (bailliage de Senlis). 36. Exemples dans O. MOREL, La grande chancellerie..., p. 366-369. Cette pratique n’est pas propre à la Chancellerie royale ; elle est suivie par les juridictions urbaines, AMIENS, BB1, fol. 30v., 1407, où la ville décide de supprimer l’amende imposée à Perrote de Coquerel suite à la supplication de cette dernière, « pauvre femme, filleresse au rouet, carguee de deux pauvres orphelins ses nepveux par laquelle elle supplioit que une amende de IX livres en le quelle elle avoit esté condempnee pour avoir feru de sa queloigne Maroie Sans Paix ». 37. JJ 155, 140, juin 1400, PÉRONNE (bailliage de Vermandois). 38. F. LOT, « Les frais de justice... », (1872), p. 243-253.

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39. X lc, 82B, 247, 21 novembre 1401, THONNANCE. F. LOT, « Les frais de justice... », (1873), p. 204-232, donne une série de pièces justificatives tirées des accords du Parlement de la première moitié du XIVe siècle. Nombreux exemples de la lenteur et du coût des procès dans B. GUENÉE, Tribunaux..., p. 221-276, qui écrit p. 260 : « Sauf à se ruiner, le justiciable modeste doit renoncer à se faire rendre justice par les tribunaux ». 40. Voir chapitre 1, n. 28. 41. Y 5266, fol. 117, 8 octobre 1488. La composition pour coups et blessures avait été fixée à 32 sous parisis. 42. B. GUENÉE, op. cit. supra, n. 39, p. 302. 43. Par exemple, pour les accords passés en 1385, X lc 70B, 187, du 28 Juin 1393 à mars 1395 ; 226, du 13 mai 1392 à mai 1395 ; 235, du 12 juillet 1393 à mai 1395. En 1401, unexemple mentionne une transaction qui a traîné en longueur pendant quatre ans, X lc 84A, 6, 11 novembre 1401, (bailliage d’Auvergne). 44. E.E. EVANS-PRITCHARD, Les Nuer..., p. 200, et chapitre 1, n. 27. 45. Sur le rôle des « amis charnels », voir chapitre 14, p. 643-648. On les voit agir pour défendre l'entérinement de la grâce ou pour discuter des dédommagements faits aux parents de la victime ; deux groupes d’« amis charnels » se trouvent ainsi confrontés, X 2a 15, fol. 221, juin 1408. (bailliage d'Amiens). 46. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 108. Sur cette critique de la faveur dès 1357, ORF, t. 3, p. 128. On peut trouver l’argument dans les procès relatifs aux lettres de rémission, par exemple X 2a 16, fol. 162v., avril 1412 : Colard Le Cuisinier, prévôt forain de Laon, est accusé par la partie adverse d’avoir obtenu des lettres de rémission « per amicorum potentiam ». 47. J. JUVÉNAL DES URSINS, Exortacion faicte au Roy, Ecrits politiques, p. 410. 48. N. de BAYE, Journal, t. 1, p. 53-58. Sur la discussion théorique qui a lieu au Parlement, voir X 2a 14, fol. 110-113. En février 1406, l’action du duc d’Orléans au Châtelet, en faveur de l’un de ses protégés soupçonné de meurtre et libéré par ses soins, se trouve contestée. La rémission a été obtenue « nonnullis rationibus allegatis ». X 2a 15, fol. 80v. ; février 1406. 49. N. de BAYE, ibid., p. 169, et X 2a 14, fol. 345-346. L’évêque du Puy, Helie de Lestranges, était un partisan acharné de Benoît XIII. Cette descente armée à son domicile s’inscrit dans la lutte qui l’oppose au duc de Berry qui avait fait saisir deux fois son temporel. 50. Par exemple JJ 155, 239, octobre 1400, PARIS (prévôté de Paris) : la rémission est prise pour Jean Helias, « famillier et pelletier de notre tres chiere et tres amee cousine la duchesse et de nostre tres chier et tres amé fïlz le duc de Bretaigne », en évoquant les services rendus au duc de Bretagne « et aussi a la requeste et pour contemplacion d’iceulx noz. cousine et filz qui tant par leurs lettres comme par leurs ambassadeurs et messaiges et d’aucuns autres de notre sang qui nous ont sur ce requis et fait requerre et supplier tres affectueusement ». Cette lettre comporte une mention hors teneur particulièrement explicite : « Par le roy en son conseil messires ducs de Bourgoigne et d’Orleans, messire Pierre de Navarre, messire Charles de Lebret, le connestable, vous, messire Guillaume Martel, messire Robert Du Boissay et autres presents. Signé Barrau ». Autres exemples, JJ 118, 30, 12 novembre 1380, ARNONCOURT (bailliage de Chaumont) : rémission prise « a la supplication d’aucun noz conseillers et familiers qui nous en ont supplié » ; ibid., 55, 22 novembre 1380, (bailliages de Mâcon et de Saint-Pierre-le-Moùtier) : « pour contemplacion de notre cher et amé cousin Charles ainsné filz du Roy de Navarre ». La lettre est aussi un moyen de se concilier un prince turbulent. 51. Ce sont aussi les conclusions de Fr. AUTRAND, Naissance..., p. 117-132. Sur les nuances à apporter entre la théorie et la pratique, Cl. GAUVARD, « Les officiers royaux et l’opinion publique... », p. 590-591. En ce qui concerne l’intervention princière telle qu’elle figure au bas des mentions hors teneur, voir infra n. 72 et 74. 52. JJ 151, 232, avril 1397, LANCHY (bailliage de Vermandois). Le maître a cependant été mis à la question avant d’obtenir la rémission. JJ 151, 34, janvier 1397, (bailliage de Chartres).

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53. Ph. CONTAMINE, La noblesse au Moyen Age..., p. 31. 54. JJ 169, 141, avril 1416, FALAISE (bailliage de Caen). 55. JJ 143, 6, mai 1392, LEBEC THOMAS (bailliage de Rouen). 56. JJ 208, 150, février 1481, MAILLÉ (bailliage de Touraine). 57. J. de ROYE, Journal..., t. 1, p. 102. 58. JJ 208, 48, janvier 1481, CHINON (bailliage de Touraine). 59. ORF, t. 3, p. 128. Cette ordonnance n’a pas été suivie d’effets, Cl. GAUVARD, « Le roi de France et l’opinion publique... », p. 359 ; « De la théorie à la pratique... », p. 319, et chapitre 20, p. 909-913. 60. R. MUCHEMBLED, Violence et Société..., t. 1, p. 131 et suiv. Dans ces conditions, la criminalité féminine est réduite à 2 % des crimes pardonnés. Même constatation chez N. Z. DAVIS, Pour sauver sa vie..., p. 31, qui écrit : « Quelques rémissions purent être accordées à des faux-témoins, des voleurs, des receleurs d’objets volés, des individus ayant défloré une vierge, s’étant révoltés contre les levées d'impôts, ayant résisté aux officiers royaux ou accusés d’hérésie, mais elles sont loin d’être représentatives de l’ensemble des textes dont nous disposons pour le XVI e siècle ». L’auteur ne donne aucune précision quantitative. 61. R. MUCHEMBLED souligne la différence qui existe entre le XV e siècle et les siècles suivants, ibid., t. 1, p. 134-135. 62. On ne peut donc pas affirmer comme le fait R. MUCHEMBLED, qu’au XV e siècle, « l’octroi d’une grâce princière à des coupables de crimes sexuels très graves, comme la sodomie ou le viol, ou encore à des individus qui ont commis un acte de lèse-majesté humaine, témoigne d’une relative banalisation de tels actes », ibid., p. 135. 63. Sur les motifs qui ont conduit à retenir cette méthode, voir Cl. GAUVARD, « L’image du roi justicier... », p. 166-167. 64. Ces remarques s’inspirent de l’analyse structurale du récit, et en particulier des travaux de A.J. GREIMAS. 65. Je remercie les étudiants de l’Université de Paris-I qui ont bien voulu participer à cette expérimentation manuelle de la grille de dépouillement, en particulier A.C BRES, J. DEYDIER et C. DUVIGNEAU. 66. Les résultats pour un registre entier montrent que les chiffres obtenus par le sondage sont parfaitement cohérents. Néanmoins, le sondage tend à écraser la conjoncture fine du règne de Charles VI. Par exemple, comme on pouvait s’y attendre, les rémissions pour « joyeux avènement » qui constituent 4,4 % des cas dans le sondage, s’élèvent à 14 % des cas en 1380 (JJ 118). De la même façon, les crimes liés à la guerre augmentent à partir de 1415 pour atteindre un tiers des cas en 1422-1423 (JJ 172). 67. Ce travail a été réalisé en 1982 ; H. Millet était alors I.T.A. de l’ERA 713 du CNRS, devenue depuis UA 1004. J’ai déjà eu l’occasion de dire tout ce que je dois à cette collaboration, Cl. GAUVARD, « Les jeunes... », p. 22. Le travail pionnier d’H. Millet a largement contribué à unir l’informatique à l’histoire. 68. Les travaux d’A. DEMURGER m’ont aidée à constituer cette liste, « Guerre civile et changements du personnel... », p. 219. 69. Les notaires sont trop nombreux pour être affectés, personnellement, d’un numéro qui les aurait fait entrer nominalement dans le traitement. Leur mention au bas des actes renseigne sur leur activité à la Chancellerie, mais aussi sur leur qualité de clerc ou de laïc puisque seuls les laïcs sont habilités à rédiger des lettres de sang. 70. R. CAZELLES, « Le parti navarrais... ». p. 839 et suiv. La solidarité géographique est un moyen de pression réel, mais difficile à cerner. En 1462, les habitants d’Amiens disent clairement qu’ils comptent sur l’intervention du chancelier de France, Philippe de Morvilliers, pour renouveler leur sauvegarde car il est « extrait des notables gens de ladite ville d’Amiens et que s’est offert autrefois de les soutenir aupres du roi », AMIENS, BB9, fol. 62, 29 mars 1462.

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71. Ce travail, extrêmement long, n’a pu être fait que pour un cas précis. Il concerne l’année 1410-1411, choisie dans la chronologie de la guerre civile pour son importance politique. Dans les 150 premières lettres du registre JJ 165, 47 noms de notaires apparaissent. Chacun intervient dans des bailliages variés. J. de Rouvres qui signe le plus grand nombre de lettres, en a envoyé 19 dans 8 bailliages différents : 5 à Paris, 3 dans les bailliages de Vermandois et de Touraine, 2 dans les bailliages d’Amiens, de Senlis et de Sens, 1 dans ceux d’Évreux et de Rouen. Le travail de Coingnet au même moment (17 lettres) connaît la même diversité. 72. En juin 1386, de nombreuses lettres sont signées par Gontier Col, JJ 129, 14, juin 1386, VILLEFARGEAU (bailliage de Sens et d’Auxerre) ; ibid., 18, 25, 27, 28, juin 1386, PRONLEROY (bailliage de Senlis). Toutes ne concernent pas les terres ducales, et elles peuvent être adressées à des gens de condition modeste, laboureur, servante, valet. Un autre acte de la Chancellerie, du 14 juin 1386, signé par Gontier Col est réécrit sous la correction du chancelier par Henry. Privilège est accordé à Guillaume de Grimoville, écuyer, de céder une partie des terres qu’il tient en fief dans le bailliage de Cotentin en raison des « agreables services » qu’il a rendus. La lettre initiale signée par Gontier Col et écrite à la relation du duc de Berry n’est pas datée, JJ 129. 38, (bailliage de Cotentin). Il est probable que Gontier Col dont on sait qu’il exerce en 1379-1380, à la demande du roi, la charge de « receveur des aides sur les terres que souloit tenir le roi de Navarre », connaissait le sire de Grimoville, BN, Fr. 25 704, n° 523 et 26 015. n° 2392. Sur les activités de Gontier Col auprès du duc de Berry, A. COVILLE, Gontier et Pierre Col.... p. 15-16. 73. R.H. BAUTIER, « Recherches sur la chancellerie royale... ». p. 119, et J.M. CAUCHIES, La législation princière.... p. 116 et suiv. 74. Cl. GAUVARD. « L’image du roi justicier... », p. 167-168. Malheureusement, les possibilités de l’étude sont limitées car la mention des présents est loin d’être exhaustive, ce qui ne permet pas de dresser un tableau complet des personnalités qui peuplent le Conseil. 11 faudrait pouvoir compléter les données avec celles qui concernent l'ensemble des actes de la Chancellerie du règne. C’est un autre objet d’étude. Le nombre d’actes pris à la relation d’un ou de plusieurs ducs est de 3,5 % pour l’ensemble du règne de Charles VI ; en 1385, il est de 17 %, la majeure partie de ces lettres (28 sur 31 recensées) ayant été prises à la relation du duc de Bourgogne (JJ 127). Cette inflation correspond au gouvernement de la minorité et à la présence, en première ligne, de Philippe le Hardi. Malgré les affres de la guerre civile, on ne retrouve plus une intervention aussi affirmée : en 1410-1411, 1 % des lettres est à la relation du duc de Guyenne qui choisit aussi d’intervenir comme chef du Conseil ou des Requêtes dans 9 % des cas. Son action passe par la mention « Par le roy a la relacion du grant conseil, tenu par Mgr le duc de Guyenne », ou « Es requestes tenues par Mgr le duc de Guyenne ». Même l’héritier du trône a besoin de passer par ces organes officiels. L’intervention s’est faite insidieuse. 75. O. MOREL, La grande chancellerie.... p. 299 et suiv. 76. Le Coutumier bourguignon glosé, p. 59, et X la 1473, fol. 264, 10 janvier 1387. Le 18 janvier 1384, Carpentin avait reçu la provende de Guise qui vaquait en régale. 77. Le conflit, au milieu du XV e siècle, semble se terminer à l’avantage du comte, S. DAUCHY, « Quelques remarques... », p. 49-55. 78. Il est en particulier important d’opérer une différence entre « jeune » employé seul, et « jeune homme », Cl. GAUVARD, « Les jeunes... », p. 230-233. 79. Voir en particulier P. DESPORTES, Reims et les Rémois..., p. 398-424 et p. 570-581. 80. Cl. GAUVARD, « La déclinaison d’identité... ». 81. En particulier pour l’époque médiévale, J.B. GIVEN, Society and Homicide..., p. 156, tableau 21. 82. Le nombre des cas où les participants, numériquement comptés, sont plus de quatre, est de 1,7 % du côté du coupable et de 1,6 % du côté de la victime. 83. Mise au point dans I. TAYLOR, P. WALTON et J. YOUNG, The New Criminology..., p. 270-271.

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84. Par exemple, Ph. de BEAUMANOIR, Coutumes de Beauvaisis, paragr. 825, définit ainsi le meurtre : « Meurtre si est quand aucun tue ou fait tuer autrui en aguet apensé depuis soleil couchant jusqu’à soleil levant », 85. Elles sont résumées par J. LARGUIER, Criminologie et science pénitentiaire..., p. 45-67. 86. Les coutumiers accordent une large place à l’effusion de sang pour reconnaître la gravité du crime, par exemple : La très ancienne coutume de Bretagne, p. 120, chapitre 61. En revanche, les derniers sacrements reçus par la victime ne sont pas reconnus comme circonstance atténuante officielle. Sur ce lien entre l’accord de paix et les sacrements, voir H. PLATELLE, « La violence et ses remèdes... », p. 144 et suiv. L’auteur montre comment, dès le XI'siècle, l’accord de paix s’apparente à la pénitence. 87. La doctrine de l’ancien droit considère que la manière dont les coups sont portés, révèle l’intention meurtrière, A. LAINGUI et A. LEBIGRE, Histoire du droit pénal..., t. 1, p. 151-152. 88. Exemples empruntés pour l’année 1415-1416 à JJ 169, pièces 26, 70, 124, 141, 159. 89. Un suppliant déclare que sa victime, blessée au cours d’une rixe, est restée sept semaines au lit. Vu le délai, le blessé a déchargé le suppliant de toute accusation « si comme il a recogneu en la presence du prevost de Voisines, de plusieurs ses freres et autres bonnes genz dignes de foy au pays », JJ 130, 253, mai 1387, VOISINES (bailliage de Sens). Les sociologues et les anthropologues ont montré l’importance des modes de référence au temps dans les sociétés traditionnelles. D’un point de vue méthodologique, voir E.E EVANS-PRITCHARD, Les Nuer, p. 117 et suiv. La périodisation en semaines, déjà rencontrée pour évaluer le temps de l’emprisonnement, est typique des XIVe et XVe siècles : le temps se structure par rapport à l’événement dominical. 90. « Et si aucun avoit feru autre malement, et ceul qui seroit feru peut vivre quarante jours apres les dites colees donnees, il devroit estre absouls de tout crime selon reson de droit sauf a faire amende par pecune et a desdopmagier les amis a qui il appartendroit et justice comme il devroit estre de reson et de coustume », La très ancienne coutume de Bretagne, p. 182, chapitre 169. 91. A. LAINGUI et A. LEBIGRE, Histoire du droit pénal..., t. 1, p. 69 et suiv. 92. Voir chapitre 3, p. 123 et suiv., et chapitre 18, p. 800 et suiv. 93. Ces distinctions sont établies selon les catégories du code pénal, J.M. BESSETTE, Sociologie du crime..., p. 19-20. 94. Mêmes obstacles rencontrés pour la classification des délits par Br. GEREMEK, Les marginaux..., p. 66-67, et N. CASTAN, Justice et répression en Languedoc..., p. 19. 95. Voir chapitre 20, p. 907 et suiv. 96. N. BULST, « Zum Gegenstand... », p. 9-10. 97. Le problème est clairement posé par J.B. FREED, « Prosopography... », p. 38-43. H. MILLET, « La composition du chapitre... », p. 120-121, a une vue nuancée du rôle que jouent les données inconnues dans le traitement informatique. 98. Voir chapitre 14, p. 625 et suiv. 99. Cl. GAUVARD, « La déclinaison d'identité... », et chapitre 3, p. 129 et suiv. 100. Cl. GAUVARD, « Les jeunes... », p. 227. 101. La plupart des tableaux relatifs à la rémission inclus dans le cours de l’ouvrage comportent la mention des données inconnues. Pour la comparaison des profils coupablevictime, une fois que les données inconnues ont été déduites, voir la version dactylographiée de la thèse t. 7. 102. L’analyse de N.Z. DAVIS, Pour sauver sa vie..., p. 21 et 98, a volontairement privilégié le qualitatif en sélectionnant les lettres selon le critère du récit. Ce choix ne permet pas de comprendre la place exacte de l’homicide dans le corpus, de mesurer le lien entre le crime et la fête, et de comparer point par point la criminalité masculine et la criminalité féminine, ibid., p. 104-108. Pourquoi la mesure quantitative serait-elle réservée à l’histoire sociale ? 103. J'ai effectué les opérations concernant le langage codé, mais la perforation, délicate, a été assurée par le personnel du Centre de Calcul de l’Université de Paris-I que je remercie pour sa diligence.

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104. Sur cette méthode, J.P. FÉNELON, Qu’est-ce que l'analyse des données ?, p. 105-108. 105. Fr. AUTRAND, « Le personnel du Parlement de Paris... », p. 240, met l’accent sur l’importance du code choisi, ce que j’ai appelé la grille de dépouillement, qui établit un « compromis entre les sources, reflet de la réalité passée, et le questionnaire. En effet, la machine traite, non point une source brute, mais un ensemble d’informations organisé et pourvu d’un caractère sériel, qui constitue une sorte de source au second degré ». La constitution de cette « métasource » est essentielle, J.Ph. GENET, « Histoire sociale et ordinateur... », p. 232. 106. H. MILLET, « La composition du chapitre... », p. 119. 107. Tableau 18, chapitre 8 ; tableau 30, chapitre 12. 108. Des exemples sont donnés au cours de l’ouvrage. Sur la construction de ces histogrammes, voir Ph. CIBOIS, L'analyse des données..., p. 25 et suiv. 109. Sur la définition de cet écart à l’indépendance et son rôle dans l’interprétation statistique, ibid., p. 73 et suiv. 110. Sur la représentation graphique idéale, ibid., p. 55. 111. Tableau 44, chapitre 20. On voit nettement qu’une opposition se manifeste entre les motifs réservés à l'homicide et au vol, par exemple en ce qui concerne l’invocation de la prison. En règle générale, le profil du croisement obtenu avec l’homicide s’oppose à celui des autres types de crimes. 112. Sur la constitution de cette « métasource », son intérêt et ses limites, J.Ph. GENET, « Histoire, informatique, mesure », p. 10-13. 113. Sur l’approche mathématique de l’analyse factorielle, voir les principes dans Ph. CIBOIS, L'analyse factorielle... Des remarques pertinentes dans « Introduction à l’analyse factorielle... », p. 1-24. 114. J.L. ROBERT, « L’analyse factorielle... », p. 3-5. 115. Ces opérations mathématiques sont effectuées par l’ordinateur. Sur la lecture des graphiques, J.P. BENZÉCRI. L’analyse des données, t. 2, p. 47 et suiv. 116. H. MILLET, « La composition du chapitre... », p. 124. Un exposé général de la méthode informatique est donné dans sa thèse. Les chanoines.... p. 19-31. 117. Pour l’ensemble des graphiques et les données numériques qui les accompagnent, il convient de se reporter à la version dactylographiée de la thèse, t. 7. 118. Ces traitements ont été réalisés dans le cadre de l’UA 1004 du CNRS. Sur l’emploi du logiciel ALINE, voir J.Ph. GENET, « Automatic text processing... », p. 150.

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Chapitre 3. Dire le crime

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Pour mesurer l’impact du crime dans la société et dans l’Etat, il faut commencer par l’histoire des mots. Le problème est double : il relève de l’outillage mental dont les hommes des XIVe et XV e siècles peuvent disposer, mais aussi et surtout de la crainte qu’ils éprouvent de transmuer en paroles un acte perturbateur. Depuis les travaux pionniers de J.G. Frazer, les études relatives aux sociétés traditionnelles ont montré à quel point les crimes bouleversaient l’ordre établi et quels tabous entouraient le criminel et la victime1. Une étude attentive de la loi salique comme du droit romain antique ne fait que confirmer l’analyse : la répression du crime n’est pas seulement une compensation ou une mesure coercitive ; elle est une réparation de l’ordre social et de l’ordre cosmique que le crime perturbe2. Encore faut-il analyser la nature de ce désordre. Du désordre transcendantal à celui de la conscience, de la pollution du sacré à la quête de la vérité, l’analyse louvoie entre des attitudes antithétiques. Où en est la société française des XIVe et XVe siècles ? Y est-il alors si facile de dire le crime ?

LES MOTS 2

A ce point de l’analyse, le vocabulaire envisagé s’attache moins aux nuances qui différencient des crimes spécifiques, homicide, vol, lèse-majesté, qu’aux grandes catégories qui répertorient l’acte criminel. Etant donné les sources, il convient de séparer les mots latins de ceux qu’emploie la langue vulgaire. Pour désigner le crime, le Digeste et le Code Justinien raisonnent en employant le mot crimen, mais aussi delictum et maleficium3. Les civilistes et les canonistes emploient le plus fréquemment crimen qui, par conséquent, a rarement conservé son sens classique de chef d’accusation 4. Par exemple, il sert à désigner le crime dans les ouvrages de Tancrède dont l’Ordo judiciarius, connu pour avoir inspiré le Style du Parlement de Paris, a été largement diffusé. Le criminel y est aussi appelé criminosus. Tancrède, puis Guillaume Durand emploient aussi l’expression litis contestatio, y compris quand il s’agit d’un procès pénal 5. Quant à scelus, dans les textes juridiques, son emploi est plus rare, et il se trouve accolé aux crimes de moeurs6. Le vocabulaire savant des juristes sert à établir la procédure. Le crime est une affaire de technicien.

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En revanche, le vocabulaire de la pratique est déjà nuancé. Au Parlement de Paris, on emploie le mot crimen, mais maleficium lui est systématiquement accolé. Par exemple, en 1404, Guillaume de Nyelles est emprisonné à Montreuil-sur-Mer, « pro suspicione certorum criminum et maleficiorum »7. Cette juxtaposition fait en partie perdre à crimen sa signification juridique primitive pour désigner le fait criminel. Le terme excessus peut aussi être accolé à celui de crimen, sans désigner seulement la mort d’homme 8. Ces mentions montrent que, même dans les lettres de commissions dont le libellé est plus neutre que celui des plaidoiries, une connotation sociale et morale caractérise le vocabulaire du crime. L’événement est désigné comme perturbateur face à autrui et aux valeurs que la société se reconnaît. Son libellé plonge aux racines du désordre et du mal. C’est là un emploi extrêmement fréquent dans les actes de la pratique, mais aussi dans les traités théoriques rédigés en latin. Nicolas de Clamanges, parlant des vices des cardinaux, et en particulier de leur âpreté au gain, unit ainsi les deux mots : « Si quis apud eos clericus pro furto, pro homicidio, pro raptu aut sacrilegio aut alio quovis enormi crimine in carcerem conjectus sit tristique panis et aque edulio addictus, tamdiu pene subjacebit et tanquam reus sua commissa luet, donec pro modo census aut suorum a se quesitam pecuniam persolverit […] Omnis noxa, omnis error, omnia maleficia, etiamsi capitalia sint, per pecuniam laxantur ac delentur » ; l’association entre maleficia et capitalia montre les emprunts faits aux glossateurs, démarche typique d’une pensée où le théologien ne peut pas renier le juriste ; d’autres exemples, empruntés à son petit traité De lapsu et reparatione justicie ou à ses lettres relatives à la vie politique du royaume, laissent à penser que crimen et maleficium sont unis dans sa pensée qui oscille du mal à la loi, celle de l’Eglise et de l’Etat bafoués9.

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Les humanistes parisiens apportent à ce vocabulaire leur marque personnelle. Chez le Religieux de Saint-Denis, le crime est le plus fréquemment désigné sous le terme scelus et, accessoirement, sous la forme facinus. Les crimes que le prévôt de Paris, Hugues Aubriot, a commis contre Dieu et l’Eglise sont répertoriés sous la forme scelus ; ou le meurtre du précepteur royal qui précède la révolte de mars 1382, scelere perpetrate ; ou encore les forfaits de Jean de Bétizac que celui-ci est condamné à avouer 10. De la même façon Jean de Montreuil, dans ses lettres, trouve pour décrire les crimes engendrés par la guerre civile, les mots de l’histoire romaine scelera, facinora et accessoirement neces 11. Enfin, Nicolas de Clamanges utilise largement ce vocabulaire, ainsi que le mot sceleratus12. La référence littéraire est évidente. Scelus apparaît dès les premiers vers de la Pharsale, quand Lucain chante le crime devenu un droit de la guerre « plus que civile » ; Salluste et Cicéron désignent ainsi les forfaits de Catilina ou de Verrès 13. La connaissance de ces auteurs en cette fin du XIVe siècle, au moins pour Lucain et Salluste, n’est pas nouvelle14. A quel moment at-elle réussi à imprégner le vocabulaire du crime au point que l’emploi de scelus l’emporte par sa fréquence et dans son sens antique qui implique un désordre fondamental ?

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Prenons l’exemple du milieu historiographique de Saint-Denis. Au XII e siècle, Suger sait désigner le criminel comme facinorosus et sceleratus, mais il qualifie le crime des châtelains indociles de malitia et d’iniquitas, c’est-à-dire des mots de la faute qui conduit en enfer15. Rigord utilise un vocabulaire moins conceptuel que Suger pour se contenter de décrire l’acte criminel par des verbes, occidere, interficere, sauf s’il s’agit de crimes contre les églises et le roi où le mot malum peut réapparaître 16. Guillaume de Nangis connaît le mot scelus puisqu’il l’utilise à bon escient pour désigner le meurtre du comte de Flandre en 1127 « quod scelus a Ludovico rege Francie citius et viriliter vindicatur »,

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ou celui d’Henri d’Allemagne, commis dans une église en 1271 17 Mais cet emploi est extrêmement rare (trois fois) et il n’est pas systématique puisqu’il ne désigne pas d’autres meurtres qui sont pourtant comparables, par exemple l’assassinat de Thomas Becket, celui de l’évêque du Puy, Robert de Meun, ou encore la tentative d’assassinat de Louis IX en 1236. Dans tous ces autres cas, Guillaume de Nangis décrit le meurtre ou sa tentative par le verbe occiditur18. Et, pour désigner le délit, il se contente aussi d’utiliser damna et maleficia, surtout dans les récits qui concernent la seconde moitié du XIII e siècle19. Les deux premiers continuateurs de Guillaume de Nangis, qui appartiennent aussi à l’abbaye de Saint-Denis, ont un vocabulaire encore plus varié. Crimen y fait irruption pour désigner les crimes de Boniface VIII ou de Guichard, ceux des Templiers, d’Enguerrand de Marigny, de Pierre de Lathilli ou de Jourdain de L’Isle, des lépreux, de Robert d’Artois et d’Hugues de Cuisi20. Incontestablement, son emploi montre une assimilation de la procédure dans un contexte qui l’associe à accusare et qui lui donne le sens de chef d’accusation. Mais crimen est aussi associé à confiteri pour des crimes horribles comme ceux qu’avouent les Templiers, ou la pollution des puits par les lépreux, ce qui montre son ambiguïté. Maleficium entre aussi largement dans le champ sémantique, surtout chez le second continuateur de Guillaume de Nangis. Il désigne des crimes graves, tels les actes des Templiers ou des Pastoureaux, les puits infestés par les lépreux, ou les sortilèges, mais il peut aussi, comme dans les textes juridiques, se substituer à crimen qu’il vient compléter ou remplacer pour éviter une redite 21. L’emploi de scelus reste extrêmement rare (3 fois). Dans deux cas, il désigne un crime d’une gravité supérieure puisqu’il s’agit de la rébellion du peuple parisien contre la maison de Barbette dont les coupables sont appelés actores sceleris et de l’adultère des brus du roi dont les auteurs confessi sunt hoc scelus 22. Le troisième emploi concerne l’affaire dont Henri Taperel a été complice au Châtelet en 1320, quand il permit à un homme riche de laisser accuser et condamner à sa place un homme pauvre mais innocent. Scelus n’est pas alors employé pour désigner une hiérarchie dans le crime, mais pour désigner le fait criminel, par opposition à crimen qui continue ici de désigner le chef d’accusation : « de quo scelere convidus, ut dicitur, multisque aliis criminibus, suae nequitiae poenas luens, super hoc a deputatis a rege suspendium judicatur »23. 6

L’évolution du vocabulaire montre donc l’intrusion du droit sans aboutir à une réelle stratigraphie des crimes. Au même moment, Richard Lescot ne fait pas preuve d’une évolution plus nette. Dans sa chronique, le crime peut être désigné par crimen, mais il l’est rarement, ce qui montre que la culture juridique n’est pas chez lui prépondérante. Les crimes sont regroupés sous un vocable moral : mala. Faute de mots susceptibles de désigner une hiérarchie dans le délit, les crimes capitaux sont énumérés ou qualifiés de multa mala24. On peut donc dire que, dans cette première moitié du XIVe siècle, les mots qui désignent le crime sont sujets à une évolution qui s’avère plus juridique que littéraire et plus morale que métaphysique. Le vocabulaire retenu n’est pas encore systématiquement adapté à l’importance que le chroniqueur, mais aussi les autorités attachent aux crimes qui sont décrits. Tout semble se passer comme si le maniement conceptuel du crime était en retrait de la grande vague de supplices imposés par le roi, qu’il s’agisse de Philippe le Bel ou de ses fils. La répression a précédé la réflexion sur les concepts. Elle est probablement plus empirique que planifiée.

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Avec la Continuation de la chronique de Richard Lescot et avec la dernière continuation de celle de Guillaume de Nangis rédigée par Jean de Venette, c’est-à-dire après 1340-1345, le vocabulaire change. Même si Jean de Venette n’appartient pas au milieu sandyonisien mais à celui des Carmes parisiens, il est intéressant de comparer les deux

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chroniques. Si le vocabulaire du crime continue à relever en priorité de la morale, sa portée s’aggrave : mala est devenu dampna et le mot nefas se répand 25. Surtout, scelus est systématiquement employé pour désigner les crimes les plus graves. Jean de Venette le réserve aux crimes qui accompagnent certaines prophéties dans les moments de désordres extrêmes. En 1356, le cordelier Jean de Roquetaillade annonce l’arrivée de l’Ange, vicaire du Christ, qui réformera le monde et apportera la paix et, condition de ces bienfaits, « universa scelera scrutabitur et exstirpabit, et universas virtutes ecclesiasticas in mundo seminabit »26. L’opposition entre les mots est claire. Le crime est l’antithèse de la vertu qui, si elle suit les règles de l’Eglise, s’avère bénéfique à la reproduction du monde. Ainsi s’explique que scelus et ses dérivés soient désormais liés à la violation de la paix, forme socio-politique de la vertu, et que soient désignés comme scelerati les membres des grandes compagnies27. Le mot a retrouvé son sens antique, celui qui met en péril l’ordre du monde. Néanmoins son emploi reste rare et peu contingent. Quand son contenu se précise, comme chez le continuateur de Richard Lescot, l’usage du mot est lié aux crimes les plus hauts dans la hiérarchie du désordre. Scelus est employé pour la première fois en 1354 pour désigner le meurtre de Charles d’Espagne : « Unde cum propter hoc coram rege comparens, justiciam inde de illo facere precepisset et de conseils sceleris perpetrati… »28. Son emploi désigne ensuite systématiquement les crimes commis contre le roi et le royaume : ravages des grandes compagnies, jacquerie, meurtre des Maréchaux, ces deux derniers faits étant désignés sous la rubrique nephanda scelera perpetrata29. 8

Comment interpréter cette évolution ? Incontestablement elle est la preuve d’une intrusion du droit romain qui, comme nous l’avons vu, avait conservé le mot scelus pour désigner les crimes de moeurs, mais surtout d’une poussée humaniste. Si, à la fin du XIVe siècle, scelus est définitivement adopté par le Religieux de Saint-Denis, par Jean de Montreuil et par Nicolas de Clamanges, ces auteurs doivent ce réflexe à leurs modèles antiques et en particulier à l’imitation rhétorique et historique de Cicéron 30. Remarquons que le terme scelus n’exclut pas d’ailleurs chez eux l’emploi de crimen, de delictus ou de excessus. Il est significatif de voir que crimen apparaît sous la plume de Jean de Montreuil quand le discours s’applique à des précisions de procédure, par exemple pour distinguer les cas civils des criminels. Alors, la technicité, de façon plus ou moins consciente, reprend ses droits, aux dépens de l’érudition 31. Cette remarque montre que, encore une fois, il convient de distinguer les types de sources. Rien ne prouve que le greffier du Parlement criminel, Jean de Cessières, qui était aussi mêlé à ces milieux humanistes, n’était pas capable d’employer le mot scelus avec ses amis, mais il réserve à ses registres les termes du vocabulaire obligé, celui des juristes.

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Si, comme l’a montré G. Ouy, cet apport humaniste envahit Paris vers 1380, il convient néanmoins d’en relever les prémices dès 1350. L’engagement politique des écrivains au service de la réforme, qu’il s’agisse de Philippe de Vitry ou de Guillaume de Machaut, en est une première preuve32. Il convient aussi d’en mesurer les limites. Tous les chroniqueurs n’appartiennent pas à ce courant, ou plus exactement tous ne se sentent pas engagés de la même façon dans les événements qui les entourent. Ainsi, à SaintDenis même, l’auteur anonyme de la Chronographia reste très traditionnel dans les descriptions des crimes qu’il rapporte. Les insurrections de 1382, la mort de Richard II ou le portrait de Tamerlan lui donnent l’occasion de décrire des crimes sans pour autant leur donner un sens qui les dépasse33. La prise de conscience des menaces contre la société et contre l’Etat que constitue le crime, est un élément essentiel dans le développement du vocabulaire. Certes, elle s’exprime avec des termes empruntés à

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l’Antiquité mais la culture n’explique pas, à elle seule, l’appel à des mots qui donnent aux crimes une dimension cosmique, qui remettent en cause l’ordre du monde. L’apport culturel répond, chez certains auteurs seulement, à l’urgence du temps. 10

La diffusion du mot scelus au cours du XIV e siècle n’est pas anodine : elle témoigne d’une parfaite rencontre entre la culture et les exigences de la politique. Sa charge éthique remet en cause les lois humaines et divines : elle désigne des forfaits commis contre l’Eglise ou contre l’Etat, comme autrefois elle désignait les crimes commis contre les dieux, la Cité, l’épouse et la parenté. Si l’usage du mot devient de plus en plus fréquent, c’est que les humanistes, nouveaux orateurs inquiets de l’avenir du royaume, s’intéressent à ces crimes-là en priorité, et qu’ils retrouvent l’antique notion du sacrilège. Les Tuchins, auteurs de crimes atroces répertoriés sous le nom de scelera sont, sous la plume du Religieux de Saint-Denis, « divini et humani juris transgressores », comme le sont les clercs que décrit Nicolas de Clamanges quand ils font vaciller l’Eglise, ou les officiers royaux quand leur injustice fait affront à l’intérêt public 34. Comme l’Eglise, l’Etat naissant a un pouvoir sacré.

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Les textes en langue vulgaire ne permettent pas de suivre une évolution sémantique aussi riche. Elle varie en fonction des sources. « Crime » est le mot courant. Cependant, au total, il apparaît peu. Il est quasiment absent des plaidoiries où tout se passe comme si le fait délictueux n’était pas au coeur de la discussion. Il faudra en éclaircir les raisons. De la même façon, le mot « crime » apparaît peu dans les lettres de rémission. Sa fréquence n’excède pas 6 dans les sondages opérés et, chaque fois, il n’est pas employé plus d’une fois par lettre. Son emploi semble de moins en moins fréquent après 1400, quel que soit le notaire qui a rédigé l’acte. Encore faut-il aussi repérer à quel endroit de la lettre le mot apparaît. Il est totalement absent de la confession qu’est sensé faire le suppliant. Celui-ci avoue douter rigueur de justice « pour laquelle chose », « pour ledit fait », et finit par affirmer qu’il n’a jamais été atteint « d’aucun autre vilain cas, blasme ou reprouche ». L’expression « vilain cas » qui peut avoir un sens technique particulier sur lequel nous reviendrons puisqu’elle désigne très précisément au nord du royaume le meurtre prémédité, doit être prise ici dans un sens large ; « vilain » donne au mot « cas » sa notation morale péjorative.

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Ces contournements du vocabulaire pourraient être le résultat d’un discours populaire qui manie difficilement les concepts abstraits des juristes. En fait, le mot « crime » semble réservé aux déclarations de la Chancellerie et cela sous quatre formes. Soit pour affirmer le droit de grâce du souverain lors de son joyeux avènement dans une ville : « Nous loyse delivrer touz prisonniers pour quelconques crimes ou deliz perpetrez, et soubz quelconques juridiccions qu’ilz soient detenuz » ; soit pour désigner des crimes spécifiques comme le crime de lèse-majesté ; soit pour formuler la grâce : « par la teneur de ces presentes lettres remettons, quittons et pardonnons de grace especial, puissance et auctorité royal, le crime, delit et meffaiz dessus diz, ensemble toute peine corporelle, criminele et civile que pour ceste cause il ont peu encourir envers nous… » ; enfin pour désigner la renommée du suppliant et faciliter sa rémission : « sans oncques avoir esté repris ou actains d’aucun autre crime »35. Mais, répétons-le, ces cas sont rares. Ils tendent même à se tarir après 1400 puisque, dans les sondages opérés, la fréquence du mot n’est pas supérieure à 1 et qu’elle ne concerne plus que la renommée du suppliant dont on peut continuer à dire, pour le gracier, qu’il n’a commis aucun crime. La Chancellerie ne manie pas facilement le mot « crime », encore moins à partir du XVe siècle qu’au siècle précédent.

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Le vocabulaire officiel parle plus fréquemment de « vilain cas » ou de « vilain fait », de « blame » ou de « reproche », de « mehaing », que de « crime » ou de « delit », voire de « malefice ». En fait, pour pardonner, la Chancellerie emploie systématiquement la formule « Nous, ces choses considerees », noyant le crime dans l’ensemble des considérations relatives à l’identité et à la description du fait. Si bien, qu’au total, le mot « chose » fait partie du vocabulaire de la base (fréquence totale supérieure à 100 dont 40 pour le discours réservé au suppliant). Tout se passe comme si, semble-t-il, le vocabulaire qui désigne habituellement le crime était banalisé.

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Certes, on voit apparaître le mot « criminel ». Mais il ne désigne jamais le suppliant ; il est utilisé comme qualificatif pour se rapporter à l’amende due par le coupable au « cas criminel » par opposition au « civil », et il est évoqué à la suite des formules de pardon. Dans ces mentions terminales de la lettre de rémission, et seulement quand la grâce a opéré, le vocabulaire juridique reprend ses droits. Auparavant il est banni, inquiétant. N’est-ce pas parce que son évocation est dangereuse ? Prononcer le mot crime est en soi tabou, un tabou si fort qu’il ne peut pas être aboli par les effets de la grâce royale. Prononcer le mot pour obtenir la grâce est impossible car cette évocation est dotée d’une portée irréversible que le pardon royal serait impuissant à inverser. La grâce ne peut donc fonctionner que si un certain silence entoure la désignation du délit. Et, pour arriver à leurs fins, le suppliant comme le roi sont obligés de contourner l’obstacle ; ils rusent avec les mots.

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Le vocabulaire du crime dans les textes législatifs confirme cette analyse. Certes, les ordonnances royales considérées, celles de la réforme, peuvent utiliser les mots « crime » et « criminel » pour désigner les méfaits que les enquêteurs généraux sont chargés de punir ou de pardonner. Mais, l’action de ces officiers ne reste pas neutre ; ils traquent le « malefice » plus que le « crime » ; ils agissent « selon la nature des cas et la consideracion des personnes et de leur malice »36. Comme dans le développement des récits des chroniqueurs en latin, ce vocabulaire vient de loin. On le trouve en place dès le milieu du XIVe siècle, lors du mouvement réformateur qui aboutit à l’ordonnance du 3 mars 1357, les neuf réformateurs institués par le dauphin à la demande des Etats ayant charge de traquer les « meffaits » dont les sujets ont à se plaindre 37. Dans tous les cas, la procédure prévue est parfaitement calquée sur l’enquête judiciaire puisqu’elle est précédée par l’information.

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L’emploi du mot « malefice » qui se substitue à celui de « crime » n’est pas insignifiant. Le méfait politique a, d’emblée, un contenu social et moral. La description du mauvais gouvernement qui précède la réforme fait aussi appel à un autre vocabulaire qui renforce la portée politique et morale du délit. En 1390, les Marmousets décrivent « moult de fraudes, griefs, oppressions, extorsions et autres malefices » ; en 1409, l’ordonnance de réforme, d’obédience bourguignonne, se charge d’un vocabulaire religieux en évoquant la « faute » et la « coulpe » des officiers. Cette notation va de pair avec l’emploi de « damnable » et de ses dérivés, et à l’inverse de « corriger » et de ses dérivés. N’oublions pas que Dieu est particulièrement présent dans cette ordonnance que le roi prend « pour le salut des ames » et en ayant « Dieu devant les yeux » 38. L’Ordonnance cabochienne, peut-être sous l’influence des juristes, revient à une plus stricte neutralité : « crime » s’accompagne de « delit » ; néanmoins, il y est plus souvent parlé de « malfaiteurs » que de « criminels »39. En général, dans ces ordonnances de réforme, le mot « crime » enchasssé dans ces notations morales perd sa neutralité juridique pour se situer aux frontières du politique et du religieux. La fonction de ce

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vocabulaire est de montrer combien l’état présent doit être détruit jusqu’aux racines du mal afin que la reconstruction, qui est une « reformation », s’opère, purificatrice. Le vocabulaire du crime s’avère indispensable à la construction d’un Etat que l’aveu de la faute régénère. 17

Enfin, chez les théologiens comme Jean Gerson, le mot « crime » est rare et sa conceptualisation est faible : le crime est décrit en actes, ce qui s’explique en partie par le type de document qu’est le sermon dont l’argumentation puise dans la description concrète. Le mot « crime » n’apparaît ni dans les sermons « politiques » comme le Vivat Rex en 1405 ou Le discours au roi pour la réconciliation de 1408, ni dans les discours relatifs à la justice prononcés contre Charles de Savoisy et Guillaume de Tignonville. L’action de Savoisy contre les étudiants parisiens est qualifiée de « meffait », de « forfait », ses auteurs sont des « malfaiteurs » et des « coupables »40. Si dans le Vivat Rex « mefait » et « malfaiteurs » n’apparaissent qu’une fois, « delit » (fréquence 18) est prépondérant. Mais son emploi n’est pas juridique ; il est moral et religieux.

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Chez tous ces théoriciens réformateurs du règne de Charles VI, le crime se trouve étroitement associé au péché. Le « delit » que fustige Jean Gerson est « voluptueux » : « Mais, helas, délit voluptueux, souldoier mauldit de peché le vilain tirant, qui couppe la gorge en baisant et murtrit en embrassant, empoisonne en abruvant… » 41. De la même façon et au même moment, Nicolas de Clamanges emploie peccata et vitia comme substituts de crimina ou de scelus. Il montre comment les jours de fête devraient être institués « a peccato abstinere, cum non nisi propter vitanda peccata sit ab epulis abstinentia indicia, ita ille est verus et dignus solennitatis cultus Deo sanctisque gratissimus si tam a corpori labore quam a peccato et crimine sit feriata solennitas »42. Ecrivant à Jean Gerson sur les méfaits de la simonie, il rappelle cette sentence « Omne animi vitium tanto conspectius in se crimen habet, quanto maior qui pectat habetur »43. Quant à la rapine et au vol, ce sont des vices autant que des crimes44. Enfin, Babylone devient, sous la plume de Nicolas de Clamanges, « fornax Babylonia », le repaire symbolique où se cumulent ces maux, crimes ou péchés, et dont il utilise largement l’exemple dans ses traités et dans ses lettres 45. Chez les réformateurs, le vocabulaire de la violence est au coeur des démonstrations, et la frontière se dessine mal entre les crimes de la vie publique et ceux de la vie spirituelle. On voit comment s’opère entre leur réflexion et les actes de la pratique une sorte d’osmose ; en cette fin du XIVe siècle, tout se passe comme si les actes législatifs s’étaient imprégnés du vocabulaire des théoriciens.

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Qu’il s’agisse des lettres de rémission ou des ordonnances de réforme, des actes de la pratique ou des traités théoriques, du latin ou de la langue vulgaire, le vocabulaire du crime est chargé d’une telle force qu’il convient de ruser avec lui. Le suppliant qui avoue son méfait ou la Chancellerie qui octroie la grâce ne peuvent pas dépasser certaines limites. En revanche, la réforme implique une mise à nu de la chose publique, tandis que les troubles poussent le besoin d’avouer dans ses limites les plus extrêmes. Ces remarques ne font que renforcer la portée de termes qui s’éclairent de la comparaison entre les types de documents. Elles confirment que le pouvoir et les hommes politiques savent utiliser les mots du crime à bon escient. Or, le martèlement de ces mots a d’autant plus de portée que leur contenu, quand on quitte le domaine des techniciens de la procédure, est dangereux pour la communauté. Les assauts des calamités, joints aux apports des exemples antiques, ont fait retrouver, au moins depuis le milieu du XIVe siècle, les anciens termes qui touchent au sacré. On peut en conclure

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que l’évocation du crime est une arme redoutable dont le maniement ne peut pas être considéré comme anodin.

DES MOTS DU CRIME AU FAIT CRIMINEL 20

La manière de classer les types de crimes et de les définir se heurte à des réticences comparables à celles qui ont été décelées précédemment. Cette méthode, et par conséquent ce mode de pensée, est l’affaire des coutumiers ou des recueils juridiques plus que des archives judiciaires. Il n’y a d’ailleurs pas d’opposition sur ce point entre les coutumiers et les manuels de droit puisque les divisions des coutumiers peuvent démarquer le droit romain, comme c’est le cas du Livre de Jostice et de Plet par rapport au Digeste46. Le but est de définir la peine afférente au délit ou de tracer la procédure en fonction de ce délit. La très ancienne coutume de Bretagne est très nette à ce sujet quand elle évoque « Pour combien de larrecin et lesquelx doivent estre panduz » ou « Quant homme ou famme sont achesonnez de crime, cornent ils doivent requerre importer et cornent il doit estre fait »47. Et, particulièrement pendant le règne de Charles VI, le rédacteur peut aussi tenter de définir les cas dont la connaissance appartient au roi, ceux qui sont appelés au XVIe siècle « cas royaux », qu’il s’agisse du port d’armes ou de la lèse-majesté. Jacques d’Ableiges s’y est longuement arrêté 48. Cette mise en forme des catégories criminelles montre qu’en la matière, la conceptualisation n’est pas absente de la pensée médiévale. Il convient donc de se demander pourquoi les archives judiciaires semblent se contenter d’une relative imprécision.

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Les archives judiciaires nomment rarement le crime selon de grandes catégories spécifiques. Dans 26 % des lettres du Parlement criminel, le crime est indifférencié ou non précisé. On se contente du vocabulaire général du crime évoqué précédemment et on se trouve incarcéré « occasione nonnullorum criminum et excessuum » ou « super certis criminibus seu maleficiis rebellionibus et excessibus »49. Ce sont-là les termes génériques employés.

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Certains crimes comme l’incendie, la subornation de témoins et le faux-témoignage, la rupture d’asseurement, l’enfreinte de sauvegarde connaissent l’appellation la plus précise sous la forme de incendium, subornatio, seductio vel corruptio quorumdam testium, infractio assecuramentum, infractio salvegardiae50. La même précision peut s’appliquer à la lèse-majesté, appelée crimen lese majestatis, plus rare dans les lettres ou dans les arrêts que dans les procès, donc plus rarement mentionnée en latin qu’en ancien français 51. Les termes qui désignent le vol sont assez nombreux, surtout en latin, qu’il s’agisse de furtum, desrobacio, mais aussi latrocinium. Il est probable que ces mots ne recouvrent pas tout à fait le même délit, mais la pauvreté de traduction en langue vernaculaire ne permet pas d’en distinguer nettement le sens52. Quant à l’homicide, il est rangé sous la double appellation homicidium et murtrum sans qu’on puisse toujours faire la différence entre les deux termes. Le 7 mai 1409, Jean Viel voit son cas évoqué par le Parlement de Paris, car son procès déclenche un conflit de juridiction entre le duc de Bourbon, « ut habente regimen carissimi consanguinei nostri comitis Clarimontis ejus fîlii », et Arnaud de Corbie, sire de Thoiry : il est tout simplement prisonnier « occasione certi murtri seu homicidii »53. Cela n’est certainement pas une forme supplémentaire de l’imprécision médiévale, mais, dans le cas évoqué, le conflit de juridiction est plus important que la définition du crime. Enfin, comme la distinction entre l’homicide volontaire et l’homicide involontaire n’est pas encore achevée, il existe encore beaucoup de

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confusions en ce qui concerne l’homicide. Il faudra y revenir 54. Au total, les lettres, voire les arrêts du Parlement criminel, semblent répugner à classer les délits de façon définitive. 23

D’ailleurs, la mention de ces crimes est le plus souvent suivie de formules ouvertes laissant supposer l’existence de délits supplémentaires. Lors d’un conflit de juridiction entre l’église cathédrale de Soissons et le procureur général, la commission rapporte les raisons qui ont poussé le procureur à emprisonner un homme considéré comme coupable d’un homicide. Il est « homo male famatus et de dicta morte et aliis furtis, criminibus et maleficiis, per dictas informaciones per dictos officiarios nostros factas repertus culpabilis »55. En juillet 1406, un sergent du bailliage de Senlis est arrêté par le bailli et conduit au Parlement sous prétexte de « raptus seu violationis cujusdam mulieris vocale Bernarde et certorum excessuum seu defectuum per ipsum in officio sergenterie » ; en août de la même année, un coupable se trouve emprisonné à Pierrefonds pour meurtre « pro suspicione certorum murtrorum duorum hominum et aliorum maleficiorum » 56. La précision des crimes évoqués au premier chef contraste avec le caractère vague des faits supposés. Cette pratique est générale : elle consiste à suggérer l’existence d’une foule de délits supplémentaires.

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Faut-il, encore une fois, accuser la pensée médiévale d’imprécision ? Les types de textes envisagés et les buts poursuivis par leurs rédacteurs sont largement responsables. L’imprécision peut, comme dans le cas précédent, servir la cause de la partie adverse. Elle peut aussi, comme dans de nombreuses autres lettres du Parlement, être liée à la procédure qui s’engage et qui ordonne une enquête sur demande de la victime ou de ses proches. Le mot « crime », comme en latin le mot crimen, peut encore avoir le simple sens de « chef d’accusation ». Les faits criminels restent ouverts, en attendant le résultat de l’information.

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Les nécessités de la procédure expliquent aussi que, le plus souvent, les documents définissent moins le crime qu’ils ne le décrivent en acte. Dans les archives du Parlement, l’homicide et le meurtre sont plutôt mentionnés par la mort d’homme. D’ailleurs, murtrum peut avoir tout simplement le sens de mort, comme dans le cas de ce coupable qui a obtenu une lettre de rémission contestée « murtri sive mortuum duorum hominum et aliorum maleficiorum »57. En général, l’acte concret qui conduit au crime est privilégié. On est poursuivi « pro suspicione mortis seu occisionis defuncti » 58. Cela tient à ce que l’information est demandée sur « la mort et occision » de la victime. De la même façon, le rapt et le viol sont loin d’être toujours libellés sous leur forme conceptualisée : raptus, violatio, defloratio 59. Le crime est décrit en acte. Le 3 mars 1405, Macet Gaillard est accusé d’avoir violé Jeannette, fille de Jean Herpin « propter et contra ipsius voluntatem carnaliter cognovisse dicebatur »60. Suit la visite des matrones jurées qui démentent la réalité du fait quelques jours plus tard.

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Le vocabulaire de la violence est donc, dans les archives judiciaires, d’une certaine élasticité. Il privilégie de surcroît la description concrète de l’acte criminel par rapport à la définition du cas. On pourrait imaginer que cette attitude change avec la formulation du jugement. Or, les arrêts du Parlement, comme les décisions du Châtelet ou celles des juridictions ecclésiastiques parisiennes n’apportent pas de correctif important à ces constatations. Lorsqu’en 1410, trois frères de la sénéchaussée de Lyon sont accusés d’avoir caché le corps de leur victime, ce qui est une forte présomption de meurtre, le libellé de l’arrêt retient seulement une culpabilité « pretextu mortis et submersionis defuncti Johannis »61. De la même façon et au même moment, on ne retient

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d’un accusé emprisonné par le prévôt du duc de Berry que ce qu’il déclare à sa décharge, « respondens, dixit et asseruit quod licet de dicta morte et occisione innocens et sine culpa fuisset et esset »62. 27

L’arrêt ne conceptualise guère, sans doute parce qu’il lie rarement la nature du crime à la peine. Et, quand il y a une étroite relation entre les deux, comme dans certains registres criminels des juridictions ecclésiastiques du XIII e siècle, il faut peut-être y voir la survivance de traditions antérieures, celles qui privilégiaient les peines fixes 63. Cette différence apparaît nettement en cas de vol. Prenons l’exemple du registre de SainteGeneviève en février 1302 où le vol est, dans ce cas, précisé comme « larrecin » : « Le jeudi, jour de Saint-Aubin ensuivant, l’an dessus dit, fu le dit Henri banis, sus la hart, par touz les quarrefours de la terre Sainte-Geneviève, pour cas de larrecin » 64. Au même moment, on peut trouver une notation comparable, quoique plus rare que pour le vol, en cas d’homicide. Ainsi, deux femmes sont emprisonnées « pour soupeçon de l’omicide dessus dit »65. Mais ce procédé n’est suivi, ni par le Parlement de Paris, ni par la Prévôté aux XIVe et XV e siècles. Le vocabulaire du crime s’attache, en priorité, à décrire l’événement criminel. Pour quelles raisons ?

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Les résultats obtenus à partir des lettres du Parlement montrent à quel point il faut rester sensible à la nature des actes étudiés. Or, l’arrêt criminel a aussi sa spécificité. Comme le montre M. Langlois, il n’a pas pour but unique ni même pour but premier de punir le crime66. A ce titre, il peut ordonner une enquête ou renvoyer devant une juridiction inférieure. L’ouverture reste de mise. L’appel reste aussi un procédé extrêmement rare, ce qui corrobore, pour l’époque médiévale, les conclusions auxquelles aboutit A. Soman pour les XVIe-XVIIe siècles67. Enfin, son objet est moins de définir le crime que de réparer un honneur bafoué, celui du défunt et de sa famille qui a subi l’injure de la mort, celui du volé qui a subi le préjudice dans l’intégrité de ses biens, celui de la femme violée désormais diffamée. A la description d’un acte criminel répond point par point celle de la restitution de l’honneur68. Certains arrêts ne portent justement que sur la réparation de l’honneur bafoué. Prenons l’exemple de celui qui, en août 1410, relate le conflit entre le maire et les échevins d’Amiens, acteurs, et Henri de Roye et Jean Maignen, défendeurs. L’affaire se poursuit depuis les événements de 1381-1382 au cours desquels le père de Jean Maignen et Henri de Roye avaient été accusés d’avoir favorisé l’entrée des ennemis du roi, de nuit, dans la ville. Or, Henri de Roye, condamné au bannissement par la ville, puis gracié par une rémission en 1383, reste accusé d’avoir injurié le maire et les échevins en disant qu’ils avaient gouverné « rigoureusement » et « tyranniquement »69. Ces derniers exigent donc une amende honorable et profitable, tandis que le procureur du roi réclame le pilori et une amende de 8000 livres tournois. L’arrêt retient finalement l’amende honorable qui, quoique édulcorée par rapport aux exigences initiales, doit être faite publiquement à Paris et à Amiens. La fonction de l’arrêt apparaît clairement : le Parlement cherche à clore une querelle dont les soubressauts agitent la ville depuis longtemps. La définition du crime dont est coupable Jean de Roye n’est pas formulée. Bien qu’il s’agisse d’un crime commis par un ennemi capital, que les textes contemporains de l’arrêt présentent comme crime de lèse-majesté, cette définition n’est pas reprise par le Parlement et elle compte moins que la restitution de l’honneur blessé. Le but est de garantir la paix plutôt que de définir les actes par des concepts aux arêtes vives, irréversibles.

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Les réflexions relatives aux archives du Parlement peuvent s’appliquer à la série des lettres de rémission. En effet, la liste des crimes rangés par grande catégorie s’avère

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restreinte. On peut relever le vol, l’asseurement enfreint et la lèse-majesté sans que, néanmoins, la description de l’acte criminel soit systématiquement suivie de sa dénomination. Le cas de l’homicide est encore plus net. Le mot est extrêmement rare (il n’apparaît pas dans le corpus qui a été établi pour analyser le vocabulaire) alors que le crime de sang y est le plus fréquent. En revanche, la mort fait partie des mots de la base (fréquence supérieure à 30) ainsi que les verbes d’action qui conduisent à l’homicide comme « ferir » ou « navrer ». L’homicide est qualifié de « meurtre », dérivé direct de la mort, mais sa fréquence ne dépasse pas 4. Quant au parricide, il est entouré d’un épais silence. La nomination du viol n’apparaît guère, moins souvent que la description de l’acte lui-même. Il en est de même de la bestialité et de l’homosexualité. Etant donné qu’aucun type de crime n’est absent de la rémission, il faut bien en déduire que l’analyse catégorielle y est particulièrement imprécise. Cela tient encore une fois à la source considérée. Le but de la rémission n’est pas de répertorier le crime sous de grandes catégories pour conduire à une pénitence qui, comme dans le cas des péchés, serait dosée en fonction de la faute. Il est d’accorder un pardon sans restriction de la part du pouvoir dispensateur de la grâce, et ceci dans un domaine qui ressortit pour l’essentiel à la vie privée. Il est significatif de voir que les crimes les mieux répertoriés sont ceux qui sont entrés dans le domaine public comme le vol ou la rupture d’asseurement, ou ceux que l’Etat naissant est en train de formuler comme la lèsemajesté. L’image du crime dans les lettres de rémission n’est donc pas contenue dans les mots qui désignent le type de crime. La hiérarchie des valeurs que révèle le crime doit tenir compte d’autres données qui relient dans le document le récit du fait criminel à la grâce. 30

Résumons-nous : ranger le crime en grandes catégories n’est pas affaire de pratique judiciaire et, de ce point de vue, les chroniques qui décrivent l’acte du crime, ne présentent aucune incohérence par rapport au vocabulaire des juristes 70. L’existence de ces grandes catégories dans les manuels de droit interdit de penser que le recours au concret ou à la fluidité des définitions pour évoquer le crime est une carence de l’esprit médiéval. Le frottement des esprits avec le droit romain ou avec les coutumes peut certes favoriser le classement en types de crimes : par exemple, les consuls de Castelnaudary passent facilement de la description du crime à sa conceptualisation 71. Mais, dans les florilèges retenus par les meilleurs juristes parisiens, tel Jean Le Coq à la fin du XIVe siècle, l’intérêt se porte sur la quaestio rédigée sous forme d’arrêts notables que l’auteur a vu et entendu prononcer au Parlement sans que celui-ci éprouve le besoin de les classer en catégories criminelles72. Le crime y est bien saisi dans son déroulement, tel que le moule la procédure, jusqu’au jugement éventuel. Il y est raconté à la manière d’un exemplum sans parvenir à une réelle abstraction, même quand il est fait clairement référence au droit romain pour désigner la lèse-majesté et les crimes extraordinaires. Comme l’exemplum dont l’usage se répand au même moment dans la prédication, la quaestio cherche, avant tout, à être métaphorique pour être efficace73.

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En dernière analyse, la démarche générale que révèle cette pensée, comme le vocabulaire qu’elle emploie, est celle de la procédure judiciaire qui fonctionne aux XIV e et XVe siècles. La façon de désigner le crime évolue avec le développement de la procédure inquisitoire qui supplante largement la procédure accusatoire. A la première phase, celle de l’information, qu’on peut appeler pré-judiciaire, succède la seconde phase, l’enquête, lorsque le procès vient à l’audience. Cette division, assez claire dans le cadre des justices municipales, à en juger par les justices méridionales, se complique au

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Parlement criminel, mais elle est à la base de la procédure employée 74. L’attentisme que reflètent en général les archives judiciaires étudiées, respecte les différentes phases de cette procédure, tandis que l’arbitraire des juges se substitue à la fixité des peines, ce qui rend en partie inutile de définir en priorité le type de crime commis. Place est laissée aux hommes, criminels, juges et témoins.

CRIMINEL : UN ÉTAT 32

La procédure inquisitoire ne se borne pas à biaiser le vocabulaire du crime. Elle s’interroge longuement sur la personne du criminel et, au coeur de l’information et de l’enquête, se trouve décrit l’« état » de celui qui est considéré comme coupable. Remarquons que cette notion n’était pas étrangère au droit romain antique pour lequel l’homme accusé, avec sa personnalité toute entière, se trouvait objet de la preuve 75. Le recours à un jugement moral pour désigner le coupable, enrichi par les réflexions des canonistes et des théologiens sur la personne humaine, ne fait donc que reprendre une longue tradition.

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Qu’entend-on par « état » ? Avant de s’appliquer au suspect, le terme s’applique aux témoins qui sont requis lors de l’information. Quand, après le meurtre du duc d’Orléans, le prévôt de Paris, Guillaume de Tignonville, commence la procédure d’enquête, il fait interroger une vingtaine de témoins qui déclinent soigneusement leur identité, nom, état civil, métier, lieu d’habitation, âge 76. Les témoins de Jean Fusoris, chanoine de Paris, accusé de complicité avec les Anglais, en 1416, font de même. Ainsi, Raoul Le Gay, prisonnier avec Jean Fusoris, et interrogé comme témoin « sur sa vie, estat et gouvernement, circunstances et dependances, dit et confessa de sa liberale voulenté, sans aucune contrainte ce qui s’ensuit : c’est assavoir que il est né du lieudit Hamel Helot, en la paroisse de Troys, pres a deux lieues de Lislebonne, que fu filz de feu Richart le Gay et de Perrette sa femme, ses pere et mere, en leur vivans gens de labours, demourans ou hameau dessusdit, que en toute sa jeunesse ou la plus grant partie d’icelle, il fut demourant, tant avec ses dis pere et mere comme ou pais d’environ » 77. Suivent la prêtrise puis la quête des bénéfices afin de trouver « mieux son profit ». Pour chaque charge ecclésiastique, lieux et temps sont soigneusement notés, et ainsi, Raoul Le Gay montre que cette « errance » n’est pas un vagabondage, que par conséquent il est un témoin fiable, et qu’à plus forte raison il n’est en rien coupable.

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La réponse consiste donc à décliner l’identité, c’est-à-dire l’âge, le lieu de naissance, le lieu et la durée de résidence, le métier et toute précision sur la manière dont chacun a pu gagner sa vie. Cette définition garantit la validité du témoignage, mais elle contribue aussi à illustrer le jugement global qui doit être donné sur la personnalité de l’accusé. Les relations qu’il entretient avec le monde extérieur, les solidarités qu’il a pu nouer entrent en ligne de compte pour définir son propre état. Ces considérations montrent combien la procédure est insérée dans le vif du tissu social et qu’il serait vain de la décrire comme une simple progression des idées.

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La façon de décliner son identité est moins une question de savoir que de typologie des actes judiciaires78. Comment expliquer autrement l’opposition qui existe entre la précision extrême des témoignages et l’imprécision de certaines déclinaisons d’identité des accusés ? Les Parisiens interrogés en 1407 sont loin d’être des lettrés ; or, tous donnent des réponses précises aux commissaires du Châtelet, officiers d’un prévôt dont l’administration est particulièrement efficace79. C’est dire que la déclinaison d’identité

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faite devant la justice peut être aussi complète qu’elle sait l’être quand il s’agit d’un dénombrement de feux80. Le silence susceptible de cacher certaines données est un fait de volonté, celle de l’accusé ou de l’administration, plus qu’une incapacité : il doit être décodé et la fonction des actes s’avère essentielle. 36

Si l’enjeu est faible, comme dans les accords du Parlement où il ne s’agit ni de vie ni de mort mais d’un changement de procédure dans le règlement d’un conflit, la déclinaison d’identité joue de la seule efficacité. Le lieu d’habitation est mentionné pour démontrer l’appartenance au royaume. Sont indiqués accessoirement la situation civile, les charges de famille, la profession et les services rendus, si ces données peuvent être efficaces : veuvage catastrophique, nombreux enfants à charge, travail exemplaire et liens étroits entre la royauté et le requérant81.

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Les plaidoiries du Parlement jouent d’un autre registre. La déclinaison d’identité fait partie intégrante de la démonstration qui vise à désigner le coupable. Les parties se battent par déclinaisons d’identité interposées. Quels critères sont retenus ? Il est très rare qu’apparaissent l’âge et le domicile des intéressés. La déclinaison d’identité se construit plutôt autour des valeurs que la société exalte ou rejette. Prenons un exemple, celui de Guillaume Culier, soupçonné d’un meurtre en 1415 lors d’une commotion à Bourges82. D’emblée, il se déclare « bon et loyal prudomme de la ville de Bourges, courdouannier bon et loyal marchant, paisible, sans quelque meffait contre lequel aucuns de l’ostel Monseigneur de Berry sans cause raisonnable (…) ont conçu haine contre lui ». L’identité s’est muée en portrait dont les qualificatifs ont un sens très précis, moral, professionnel et politique. Leur énumération a une première fonction : rejeter les fautes sur les « haineux » selon un système classique de défense. Une seconde fonction consiste à placer le suspect hors de tout soupçon en montrant que, par sa personnalité, il appartient à la catégorie des hommes, marchands et sujets exemplaires. Comme tel, il est incapable d’avoir commis un meurtre. Enfin, cette déclinaison d’identité répond d’avance aux arguments de la partie adverse qui le montrent armé, sillonnant la ville avec des compagnons pendant la guerre civile et finalement membre actif des dissensions qui ont provoqué mort d’homme. Aucun de ces portraits n’est donc innocent et seuls sont retenus les arguments utiles à une démonstration qui doit se conclure par une peine ou par l’acquittement.

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Le recours à la procédure extraordinaire n’élimine pas la nécessité de décliner l’identité. Dans le registre du Châtelet rédigé par Aleaume Cachemarée, celle-ci fait figure de préoccupation première. Une fois le serment prêté, les juges s’inquiètent de définir l’« estat » du prévenu. Ainsi en est-il de Guillaume de Bruc « auquel nous demandasmes de quel estat il estoit et de quel mestier, lequel nous respondi que il estoit de nul mestier, mais estoit gentilhomme et avoit poursuy et poursuioit les guerres »83. On voit que le prévenu tente d’échapper à l’extraordinaire en se définissant comme noble ; une autre fois ce peut être comme clerc84. La déclinaison d’identité est prononcée par le prévenu pour tenter de se disculper. A l’inverse, les juges peuvent en saisir les « variations » pour décider de recourir à la torture. Les données que comportent ces différentes déclinaisons ne sont donc pas innocentes et il importe d’en déceler l’originalité.

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Le lieu de naissance est quasiment toujours évoqué. Le lieu d’habitation peut être mentionné, mais il est loin de toujours être complété par le temps de résidence comme dans la procédure ordinaire. La typologie employée pour le désigner est aussi moins précise que celle qui définit le lieu de naissance. Philippot Le Clerc se déclare « nez de la

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ville de Coinchy l’Abbaye, près de Chasteau-Thierry », et Jean Petit « nez de la ville de Thiesbert, pres du Boucachart en Normendie, assez pres de Montfort » 85. En revanche, le premier se dit « demourant tant a Montmorency, a Paris comme environ » et le second se contente de déclarer qu’il a continuellement chevauché « parmi le royaume ». Cette différence de référence s’explique aisément. Les inculpés, comme l’a montré Br. Geremek, appartiennent à un monde instable86. Dans près de la moitié des cas, leur lieu de naissance est distant de plus de 150 kilomètres du lieu où ils sont supposés avoir commis leur crime et, entre les deux, les étapes ont été longues et nombreuses. Le lieu de naissance est le seul point d’ancrage qui leur assure une certaine respectabilité dans le royaume. Pris au piège, ces hommes et ces femmes peuvent d’ailleurs lui accoler la référence à leur père et à leur mère qui ont continué à y résider, embryon de stabilité et de généalogie qui rompt avec un sujet devenu ensuite insaisissable87. Enfin, ces parents sont présentés comme les dépositaires d’événements que la suite des tribulations a fait oublier, par exemple la lettre de tonsure de Jean de Soubz le Mur dont celui-ci a perdu la preuve avec la mort de son père 88. Pour ces gens perdus, l’enfance est le temps de la seule innocence, celle autour de laquelle ils tentent de construire une identité qui les rattache aux normes de la société et du royaume. 40

L’âge des prévenus n’est pas mentionné. Cette lacune n’est pas preuve d’imprécision. Quand la procédure extraordinaire a été précédée par une enquête, comme dans l’affaire des empoisonnements de puits en 1390, la déclinaison d’identité en reprend les données, et l’âge se trouve précisé. Regnaut de Poilly est décrit comme « poure homme charretier, querant sa vie, né de la ville de Troyes en Champaigne, aagié de L ans environ, sy comme il dit »89. On voit aussi les prévenus discuter de leur âge quand ils se considèrent comme sous-âgés, prétexte pour échapper à la torture. L’interrogatoire de Jean Petit porte les traces de l’hésitation des juges face à ses protestations. Condamné comme larron pour vols à la tire successifs, les juges déclarent « qu’il estoit homme capable de punicion, et agiez pour recevoir tele pugnicion »90. En revanche, les juges font allusion à l’âge de leur inculpé s’ils désirent finalement le gracier, et par un renversement significatif, leur parole s’inspire alors largement des considérations prises en compte par la rémission au même moment91. Ainsi en est-il de Marion Du Val, confessée sans torture et condamnée seulement au pilori, en particulier à cause de sa « jeunesse »92.

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Si les accusés soumis à la procédure extraordinaire au Châtelet ne donnent pas une déclinaison d’identité complète, ce n’est pas un fait d’ignorance. Dans le cours de l’interrogatoire, ils peuvent être amenés à décliner l’identité de complices de façon parfaitement homogène quand ils veulent se décharger sur eux des crimes qui leur sont reprochés. Voici un prisonnier qui, pour mieux se sauver, accuse un de ses cousins de l’avoir incité au meurtre en précisant qu’il est « cordouennier, homme aagé de XXXVI ans ou environ qui demeure pres de la porte ou l’en va a Laon et est cousturier non marié, tenant une fillette de pechié avecques lui »93. En fait, on peut même aller jusqu’à penser que ces récidivistes connaissent mieux que d’autres les automatismes de la déclinaison d’identité parce qu’ils les ont pratiqués plus que d’autres et qu’ils sont capables de les manier comme une sorte de réflexe.

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Quelle place occupe finalement la déclinaison d’identité dans le déroulement de la procédure ? Elle semble essentielle en ce qui concerne la procédure ordinaire. Le but de la plaidoirie est d’en prouver les termes ou de les inverser. Il n’est ni de définir le crime ni de le prouver. Tout le discours est construit autour du suspect. Les preuves sont en

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lui. Il faut montrer qu’il n’est pas ce qu’il dit, qu’il est d’un autre état social ou moral, et que cet état le rend apte au crime. Ainsi, en avril 1415, à propos de l’entérinement d’une lettre de rémission, la plaidoirie s’enlise dans un débat sur la déclinaison d’identité en démontrant que le bénéficiaire de la lettre « est natif de Chars en Bonlgueton, filz d’un foumier, poure de sa nativité et lignage non noble. Dit qu’il est moult riche devenus et tenu pour le plus riche des non nobles de la viconté de Paris quo medio non sciet »94. De ces arguments relatifs à l’identité du suspect saisie dans sa définition et dans son devenir, la plaidoirie passe à la description d’un état criminel, larron, batteur de gens, efforceur de femmes95. Cet état s’enrichit de profils politiques quand se développe la guerre civile. Ainsi, en juillet 1415, un procès évoque le personnage de Pierre Ravaudel décrit par la partie adverse comme un « homme sedicieux et cappitaine de brigans et a fait moult de dommage autour de Senlis et par ses parolles a mis en danger les habitans de Senlis » 96. Ces considérations placent finalement le cas criminel au second rang. 43

La procédure extraordinaire n’est pas loin d’utiliser le même processus. Lorsque cette procédure débute au Parlement de Paris, la déclinaison d’identité est parfaitement inexistante et l’accent est mis sur l’aveu. Entre 1319 et 1350, sur 42 cas évoqués, moins d’une dizaine seulement donnent un embryon de déclinaison, en précisant seulement la situation sociale de l’accusé, en général chevalier ou écuyer, parfois la profession et le lieu d’habitation97. A la fin du XIVe siècle, cette déclinaison d’identité, quoique tronquée, est systématiquement exigée. Est-ce l’effet de considérations humanistes ? Il n’est pas sûr que les juges fassent grand cas de la personnalité du suspect. A ce prévenu qui s’applique à dresser un portrait fleurant la bonne vie, décrivant les lieux où il a pu travailler, la femme qu’il a pu épouser, la mère chez qui il loge, les juges répliquent qu’il doit être soumis à la question comme « homme vacabond » 98. Tout est dit dans la définition de cet état qui l’emporte sur tous les autres détails, et tout se passe comme si le Châtelet était finalement peu attentif à cerner le profil des individus. La déclinaison d’identité sert seulement à enclencher le recours à la torture, ce qui explique que l’âge ne soit pas mentionné, ainsi que nous l’avons vu précédemment. D’ailleurs, celle-ci est moins utilisée pour rectifier ce que la déclinaison d’identité aurait de fallacieux que pour faire avouer le crime. L’essentiel est donc l’aveu du fait criminel. Néanmoins la décision finale ne statue pas sur la culpabilité du prévenu en considérant les crimes que la torture a réussi à lui faire avouer, mais sur l’état de perversion auquel est parvenu sa personnalité. Dans le cas de vol par exemple, les juges ne concluent pas : faut-il le condamner pour vol ? Mais doit-on le condamner comme « larron » ? Le cas de Jehannin Noyon est clair. Le prévôt demande aux conseillers « se les confessions par lui faites estoient teles qu’il feust digne d’estre executé comme larron ou non » 99.

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On pourrait penser que la façon de formuler la décision finale ne relève que d’un automatisme qui, au lieu de lier le type de crime au type de peine et de supplice comme à l’époque antérieure, le lie automatiquement au type de criminel ainsi inventorié. Il y a là un élément important d’explication qui montrerait seulement que la personne est devenue centrale dans la décision. On peut le vérifier pour les autres types de crimes qui entraînent d’autres modes de supplices100. En fait, l’automatisme qui, d’une certaine façon est une garantie contre l’arbitraire des juges, n’exclut pas le jugement de valeur que porte la justice. L’emploi de superlatifs pour désigner le criminel est significatif : on peut être un « tres fort larron », ce qui n’accroît pas la peine mais justifie a fortiori la décision des juges d’expulser de la société celui qui, par la perversion de sa personnalité, est devenu indésirable. L’ambiguïté est parfaitement levée en la personne

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de Robinet de Gournay pour lequel les juges « veue la confession dudit prisonnier, furent d’oppinion et delibererent que c’estoit un tres fort larron et espieur de chemin et ne les povoit l’en espargnier qu’il ne feust dignes de souffrir mort comme larron » 101. Au terme de la démonstration, l’état du suspect s’est transformé en un état criminel irréversible. Alors peut venir la condamnation à mort.

LA RENOMMÉE 45

A côté des éléments propres à la déclinaison d’identité, la procédure inquisitoire tient le plus grand compte de la « commune renommée ». Elle contribue aussi à définir l’état du suspect. C’est, avec le flagrant délit et la dénonciation, l’un des modes de saisine du juge. Mais son contenu est ambigu. La renommée peut aussi bien désigner le fait criminel que la personne dénoncée. Ainsi, le 19 mars 1406, le Parlement de Paris appelé à connaître du cas de Jean d’Avesnes, écuyer, qui a été emprisonné à Abbeville puis amené à Paris pour être interrogé sur ses crimes et maléfices, ordonne une enquête « super vita et fama dicti Johannis et predictis casibus seu criminibus » 102.

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Appliquée au fait criminel, la commune renommée trouve son sens le plus ancien, hérité du droit canonique103. Dès le début du XIVe siècle, les exemples sont nombreux. En 1345, en Poitou, des suspects sont examinés « tant sur le fait duquel ils estoient poursuiz […] que sur la fame et renommee de euls »104. Au même moment, le Parlement utilise la « notoriété du fait ». Ainsi, en 1339, un mandement est envoyé au bailli de Vermandois pour faire information sur les faits de notoriété publique reprochés à Thomas Maigret, bourgeois de Reims, que la rumeur publique accuse d’un crime pour lequel un autre a été pendu105. Pendant le règne de Charles VI, la pratique est courante. En mars 1401, plusieurs reliques ont été dérobées à l’église de Rampillon et les frères Avenier, marguilliers, parce qu’ils « estoient renommez dudit larrecin » sont emprisonnés106. Ils sont ensuite délivrés et demandent conseil au bailli de Melun, mais celui-ci « leur envoya le bourreau et deux mittres de papier et leur fist dire qu’ilz seroient menez au pillory », signe que la renommée, qui est ici précisément celle du crime, court toujours. Tout se passe comme si le fait criminel, quand il est doté d’une grande publicité, rendait la voie de recours irrecevable.

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Les innovations de la procédure inquisitoire, telles qu’elles avaient été définies officiellement par Innocent III et Latran IV dans un souci conjoncturel de lutte contre l’hérésie, puis par les ordonnances royales de 1254 et 1258, font désormais partie des rouages de la justice laïque107. Avec la procédure d’office, l’enquête place la renommée au coeur du débat. Si Tancrède et Guillaume Durand n’ont pas exactement mesuré au XIIIe siècle les effets pervers de la preuve per famam, au XIV e siècle des voix s’élèvent pour inciter à la méfiance vis à vis de ce mode de preuve. Bariole, par exemple, parle de la varia vox populi, et la preuve per famam se distingue nettement du notorium facti réservé à tout ce qui ne peut pas être nié ; l’écart se creuse entre ce que tout le monde sait et ce que tout le monde dit, en même temps que se dégage l’idée de crime « publique »108. Mais, dans l’exercice de la justice, est-il encore si facile de séparer ces notions ? En 1404, Périer, pour défendre l’un de ses clients, Pierre de Cuisel, écuyer, accusé d’avoir empoisonné une vieille dame, est obligé d’aller à contre-courant de la renommée. Celle-ci rapporte le bruit du ventre enflé, signe d’empoisonnement ; à cette renommée qui n’est que conjoncturelle, il oppose une autre forme de la renommée, existant par essence, celle de l’honneur social qu’assure sa noblesse dont il a

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auparavant démontré l’ancienneté. Pour ce faire, il « allegue que renommee ne seroit pas preuve souffisant, aussi renommee ne prent pas sa naissance de vraye science, ne pour presumpcions un homme d’onneur et de tel estat qui est Pierre ne doit estre molesté par un oir dire aval la ville, ne on n’y doit adjouster foy mesmement en tel cas »109. Comment limiter de tels débordements de la fama ? Le secret de l’information est un faible palliatif et les soupçons restent un élément capital de la preuve. De ce fait, l’attention se porte sur le criminel plus que sur le crime. 48

A la renommée du crime, déjà redoutable dans ses effets, s’ajoute une autre renommée, beaucoup plus insidieuse encore que la précédente, celle qui porte justement sur l’état du suspect tel qu’il est perçu par les yeux des autres. La collectivité y tient une place essentielle, celle du premier juge. En donnant sa définition de la renommée, Jean Bouteiller montre bien ce glissement du fait criminel à l’homme qui en est accusé par l’ensemble des autres lorsqu’il précise : « Par commune renommee qu’on appelle en Cour laie par information precedente ou autrement par fame et renommee notoire, si comme aucun serait si famé au pays qu’il seroit meurtrier ou desrobeur en chemin, qu’il seroit clair et connu qu’ainsi fut a tous, par cestuy cas se peut faire poursuite de crime par l’office de justice sans aucune partie, ou par office ou par le procureur d’office »110. Ainsi se trouve définie la fama. La procédure inquisitoire, tout en mettant l’accent sur l’homme, le conçoit moins comme une personnalité que comme la partie d’un tout collectif chargé, entre autre, de le surveiller. On voit ce qu’une telle évolution juridique doit aux tentatives contemporaines de définir, dans l’Eglise comme dans l’Etat, la major et sanior pars. Il n’est pas étonnant que Philippe de Beaumanoir, premier théoricien coutumier du bien commun, ait réfléchi sur le contenu de la notoriété publique qu’il analyse comme ce qui est dit par « une grant plenté de gens » ; un peu plus tard, La très ancienne coutume de Bretagne, pour justifier le recours à la torture dans certains cas, tente de cerner ce qui est « notoirement a commun de paroisse, de foire ou de marché »111 Ces notions restent vagues, mais elles allient la réflexion théorique au caractère concret des situations : justice, politique et société sont inséparables.

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En règle générale, la relation étroite qui existe ainsi entre l’individu et la collectivité est loin d’être vécue comme une pesanteur. D’ailleurs, si l’information et l’enquête sur la renommée peuvent être demandées par le juge, elles peuvent l’être par le criminel luimême. Appelant au Parlement en 1407, Guillaume Rivet dit « qu’il est de Bretaigne, laboureur, et vint en France pour gaignier sa vie et a demouré V ans sur Jehan Lainsné ; apres ce a demouré a Paris longtemps ou il se gouverna bien et loyaument. Apres Rivet s’en ala en Bretaigne et se maria et apres s’en revint en France et vint demourer a Argenteuil puis a Poissy ». Soumis à la question par le prévôt de Poissy, il réclame « qu’on fasse informacion de sa vie et renommee »112. C’est dire que les contemporains savent bien quelle différence il peut y avoir entre la procédure ordinaire fondée sur l’enquête, secrète ou non, et la procédure extraordinaire qui, en règle générale, utilise l’enquête secrète suivie de la torture. Ils ont à y gagner car une information sur la renommée, même pour un bâtard, peut se traduire par un élargissement si elle se révèle positive113.

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A ce point du raisonnement, il importe de bien comprendre que ces deux procédures sont antithétiques, si bien que les accusés peuvent demander l’application de la première qui risque de les sauver pour tenter d’échapper à la seconde dont l’issue est irréversible. Les exemples sont nombreux au Châtelet et dans la juridiction des bailliages. Ainsi, en 1407, Willemot Briart, soupçonné d’un meurtre et d’un viol, se voit

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menacé d’être mis à la question par le bailli de Vermandois. Il clame son innocence et « offroit en ester a la renommee et enqueste du pays »114. Jean Bouteiller en annonce clairement le principe quand il dit « que le prisonnier doit estre mis en question de fait (…) car question ne se doit asseoir quant le cas est tel que preuve ne s’y peut asseoir ne trouver, et toutefois est le cas presomptueux quand informacion en appert » 115. 51

Quoique clairement séparées, ces deux formes de la procédure peuvent prêter à confusion. Celle-ci peut tenir au concept de procédure extraordinaire que les civilistes médiévaux comme Balde appliquent à tout ce qui n’est pas la procédure accusatoire qu’ils considèrent comme la seule procédure ordinaire116. Cette définition ne peut pas être retenue dans les sources étudiées. En effet, à la fin du XIV e siècle, dans les actes de la pratique judiciaire, le mot « extraordinaire » appliqué à la procédure désigne nettement celle qui est réservée aux cas « énormes » pour lesquels s’appliquent l’enquête d’office, le secret, la torture, l’aveu117. Une autre confusion tient aux sources et à l’utilisation abusive et généralisatrice du Registre criminel du Châtelet de 1389-1392 dont il faut toujours se rappeler le caractère exceptionnel. Les cas retenus par Aleaume Cachemarée relèvent bien de la procédure extraordinaire, de type inquisitorial, mais elle est encore loin d’être la norme dans les justices royales, y compris au Châtelet 118. La lecture des grands procès ne doit pas nous faire perdre de vue qu’ils ne reflètent pas la procédure ordinaire qui est devenue inquisitoire sans pour autant être systématiquement inquisitoriale.

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Pourquoi la procédure inquisitoire a-t-elle connu un tel succès ? Ses retombées politiques et religieuses, du fait de son efficacité, ont souvent été mises en valeur. Elles ne peuvent pas être séparées de sa signification sociale. Celle-ci est sans doute difficile à cerner, mais elle devrait nous éclairer sur les rapports entre la justice et l’opinion. De la perception du crime à sa dénonciation ou à la réponse qui est faite aux enquêteurs lors de l’information, on voit se succéder les mots qui définissent l’ampleur du bruit, depuis le « murmure » jusqu’à la « rumeur ». Empruntant les canaux propres à tous les bruits, « la renommee court » et l’individu soupçonné s’efforce, en utilisant les mêmes réseaux, de la « tolir et esteindre »119. Enfin, les expressions latines comme dicebatur ou ut dicitur montrent que la renommée se structure dans la collectivité pour s’exprimer dans l’anonymat120.

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Quel est le contenu de ces bruits ? On pourrait les imaginer nourris de faits divers, concrets. Ils ne sont sans doute pas absents de la rumeur comme l’a montré le bruit du ventre enflé, ou comme le montreraient d’autres allusions aux cheveux qui tombent, aux ongles qui noircissent, bruits qui colportent à l’évidence un empoisonnement. Mais ces cas sont rares, réservés à un crime difficile par ailleurs à démontrer autrement que par ses manifestations extérieures. En règle générale, lorsque la renommée nous parvient, elle s’exprime en grandes entités morales, sans nuances. Elle se définit en termes antagonistes qui opposent le bien et le mal. De façon manichéenne, la renommée est bonne ou mauvaise. Ainsi définie, elle suffit à disculper ou à charger l’accusé de façon définitive, même en cas de crimes énormes. En 1330, un homme dénoncé comme faux-monnayeur se trouve totalement déchargé à la suite de l’interrogation des témoins sur sa renommée121.

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De la même façon que se transforme l’identité, on glisse à l’idée qu’il existe des gens dont la renommée est telle qu’ils ne peuvent pas être accusés d’un crime. Ce pas est nettement franchi au Parlement criminel à la fin du XIV e siècle. En 1401, lors d’un procès qui oppose maître Guillaume Rabigois, avocat au Châtelet, à Raoulin de La

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Chaussée, la seule argumentation du professionnel qu’est Rabigois consiste à dire « qu’il est homme d’onneur et bien cogneu », et qu’en face de lui son adversaire est aussi, mais en mal, « bien cogneu ». Aussi, la conclusion s’impose, « et pour ce n’en parle plus » 122. Cette argumentation n’est pas réservée aux puissants. Ce laboureur se plaint d’avoir été pris par la justice car il dit « que un homme renommé d’estre preudomme et bon laboureur ne doit pas estre pris par l’accusation crimineulx » 123. La société s’avère donc composée de deux catégories d’hommes : ceux susceptibles de commettre un crime et les autres. Pour prouver une culpabilité, il suffit alors de faire glisser le prévenu d’une catégorie à l’autre. Ainsi se construit le raisonnement du juge, mais aussi la plaidoirie qui cherche moins à définir le crime qu’à cerner le criminel. 55

La nature du crime intéresse moins que l’homme qui est susceptible de l’avoir commis. Cette constatation se poursuit du procès à la sentence.

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Entre l’information ou l’enquête qui tiennent encore compte des faits criminels, et le procès, se produit une sorte de cassure : les arguments changent de registre. Partant de la déclinaison d’identité et de la renommée qui définissent un état social, la logique se poursuit jusqu’à faire découler de cet état social l’existence d’un état criminel. L’argumentation des avocats repose sur ce principe qu’a ouvert la procédure inquisistoire et qu’ils appliquent jusqu’au bout. Prenons un exemple typique. Jean Du Bois dit Sauvage, prisonnier élargi, est accusé, en 1405, d’avoir volé les calices de l’église de Houdan. Le crime fait partie des sacrilèges. Le suspect est accusé parce qu’il n’a qu’un faible revenu et qu’il « a tousiours vescu grandement sanz faire aucune marchandise ou labeur et est de tres mauvaise vie et renommee et est chargié de deux murtres et de XII larrecins faites en bois et si est larron publique de garenne » 124. La conclusion n’est pas exactement adaptée au crime précis qui lui est reproché mais elle découle de la fama de l’accusé. D’ailleurs, l’avocat poursuit pour conclure qu’il est « mauvais garnement et bateur de gens ». Au terme de la plaidoirie, quelle place occupent les calices volés ? Peu importe : démonstration est faite que Jean du Bois était apte à les voler.

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La déclinaison d’identité et la renommée se confortent l’une l’autre pour aboutir aux mêmes effets. Ainsi s’explique le fait que les avocats se battent sur l’état de leurs clients, par renommées interposées, fouillant la mémoire de la plus grande noblesse, définissant, par l’accumulation qualitative, des états dont les protagonistes sortent coupables ou innocents. Les voix qui, dans le feu du plaidoyer, s’élèvent contre de tels procédés sont rares. Que sert à un suspect de dire que de le traiter ainsi de « larron » ou de « meurtrier » est lui faire injure125 ? Les plaidoiries sont l’écho des bruits par lesquels la collectivité désigne le coupable. La main est passée aux professionnels, mais le résultat est identique.

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Les conflits de juridiction entre clercs et laïcs ont accru ce type de raisonnement. Si la justice laïque arrive à démontrer que le clerc qu’elle détient est diffamé, c’est-à-dire « ribaud » ou « houllier » ou encore « joueur de dés », elle a le droit de le conserver par devers elle. Ainsi, le 21 novembre 1416, le Parlement décide que Poncelet de Montchauve, clerc, restera au Châtelet où il a été conduit sur ordre du prévôt de Paris, alors qu’il avait été condamné à la prison perpétuelle par le tribunal épiscopal pour avoir tué la veuve d’Humbert de Boisy, conseiller à la Cour de Parlement, et sa servante126. Le prévôt avait opéré ce transfert car il s’agissait d’un crime crapuleux. En fait, l’argumentation prend moins en compte ce motif que la discussion sur l’état du criminel : est-il « goliard » ou non ? Dans ce cas, le statut de la victime a dû accroître la

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diligence des gens du Parlement. Lors des conflits de juridiction, en nombre non négligeable par rapport aux autres crimes puisqu’ils constituent 6 % des crimes répertoriés, la discussion sur la renommée du clerc suspect a, le plus souvent, des retombées juridiques. 59

Les archives judiciaires répressives enserrent donc le suspect dans un ensemble de stéréotypes qui le prédisposent à entrer dans le monde du mal. Détruire la personnalité pour avoir le droit de faire mourir : cette constatation implique un certain nombre de remarques. La première consiste en ce que la justice, au tournant des XIV e et XV e siècles, n’a pas aussi facilement que le laisseraient supposer les idées reçues le droit de condamner à mort127. Ce n’est pas là un acte d’autorité facile. Il faut que la procédure s’étaye sur la fama, sur l’opinion générale qui désigne par là-même le coupable à la vindicte officielle. L’arme est redoutable, porte ouverte aux délations et il faudra y revenir pour nous demander comment et pourquoi l’opinion s’en est servie. Contentons-nous de constater, dans un premier temps, que ce concours entre l’opinion et les différents degrés de la procédure est indispensable à la bonne marche de la justice répressive alors que celle-ci s’installe dans un cadre territorial élargi, celui du royaume, et au service de l’Etat naissant.

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La seconde remarque concerne le choix de ceux qu’on peut considérer comme les prédisposés à la condamnation. Sur quels critères les repère-ton ? La morale y a, on l’a vu, une large part et on pourrait, à travers les stéréotypes, dresser une première esquisse des lois qui régissent les moeurs. Elles ne sont pas entièrement figées. Si le fait de ne pas être marié et de ne pas avoir d’enfants donne un profil bas, on voit aussi nettement apparaître en cette fin du XIVe siècle l’obsession du vagabondage que la crise et les mesures législatives ont mis à l’index. A la fin du XV e siècle, le concept est à ce point enraciné dans la fama que le mot « vagabond » entre dans la déclinaison d’identité, y compris pour désigner un homme qui exerce par ailleurs un métier, ou une femme qui se déclare mariée128. Se joignent à ces stéréotypes, les distinctions sociales qui opposent le maître au valet ou le noble au non-noble, l’inférieur au supérieur. Etre de « petite astraction » implique facilement d’être de « mauvaise vie et renommee et concubinaire de bordeau », tel ce Jean de La Haye du Petit Breton qui, en avril 1416, appelle du sénéchal de Ponthieu ; en revanche, être « noble, escuier de bien et d’onneur » devrait suffire pour ne pas être envoyé en prison 129. A l’époque où se situe cette étude du crime, l’état social et l’état moral sont devenus perméables, peut-être parce que la noblesse cherche à se distinguer du commun, à durcir ses privilèges. La poursuite du crime est finalement révélatrice d’antagonismes sociaux plus ou moins larvés que l’évolution de la procédure contribue à cristalliser.

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Le crime n’est pas facile à dire du fait de la charge sacrée qu’il contient et de la perturbation qu’il engendre. Il n’est pas non plus facile à punir, du moins par une condamnation à mort. Comment cette société qui fonde sa richesse sur le nombre de ses hommes pourrait-elle s’accommoder si facilement de leur disparition ? La justice oscille entre l’horreur du crime et son désir de punition. Ces deux composantes sont essentielles pour comprendre l’emploi du vocabulaire et l’évolution de la procédure. Même la procédure extraordinaire, si efficace qu’elle se prétende sous les Marmousets, ne réussit pas à échapper à ces lois-là. Elle ne peut condamner à mort qu’après avoir détruit complètement la personnalité du coupable. La torture qui fait plier le corps n’est rien à côté de l’injure terminale qui pulvérise l’honneur. Déclaré publiquement larron ou meurtrier, le coupable est devenu « incorrigible », irrécupérable pour la

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société. Mais ce sont là, ne l’oublions pas, des cas extrêmes et rares, infiniment moins nombreux que la composition financière et la rémission. Néanmoins, c’est en fonction de ces données qu’il est possible de comprendre la perturbation que provoque le crime.

NOTES 1. Sur ce point, l’analyse fondamentale reste celle de J.G. FRAZER. Le rameau d’or… Tabou et les périls de l’âme…, p. 579 et suiv. Un bel exemple relatif aux effets du crime est donné par E.E. EVANS-PRITCHARD, Sorcellerie, oracles…, p. 59 et suiv., et p. 607 et suiv. 2. Pactus Legis Salicae, Formulae merowingici…, p. 154, titre XLI. Sur la Legis actio sacramento en droit romain, G. BROGGINI, « La preuve dans l’ancien droit romain… », p. 231. 3. Ce glissement de sens apparaît nettement dès le XI e siècle dans les exemples répertoriés pour le Novum Glossarium aussi bien chez Fulbert de Chartres que dans les cartulaires. 4. Par exemple. De privalis delictis. Digeste, XLVII, 1, De extraordinariis criminibus, ibid., XI. « Si magnum et capitale crimen ac non leve, frater contra fratrem suum instituit, non solum audiendus non est. sed etiam exsilii poena plectendus », Code, IX, 1. 5. TANCRÈDE, Ordo judiciarius. Partie II, titres VII et VIII. Même emploi dans Summula de criminibus…, où. au sujet des clercs, il est traité par exemple « de criminibus et qualiter agatur contra criminosos », p. 29. Sur la diffusion des oeuvres de Tancrède. L. CHEVAILLER, « Tancrède », col. 1162-1164. L’auteur remarque que les développements relatifs au procès pénal sont plus nombreux dans le Speculum judiciale de Guillaume DURAND. L’expression litis contestatio peut encore être employée pour désigner les procès extraordinaires menés au Châtelet entre 1389 et 1392, Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 392. 6. Par exemple Albertus GANDINUS. Tractatus de maleficiis… Le terme scelus est employé dans le Digeste pour désigner les crimes de moeurs qui portent atteinte aux femmes mariées ; ils sont répertoriés en tête des crimes extraordinaires, XLVII, 11. Néanmoins l’emploi de scelus est rare dans le vocabulaire juridique. 7. X 2a 15, fol. 3v., décembre 1404. 8. Ibid., fol. 5, décembre 1404 ; même cas. ibid., fol. 5v., janvier 1405 : Colin de Beaurespect est soupçonné « certorum excessuum seu injuriarum in personna Perretta ». 9. N. de CLAMANGES, Traité de la ruine de l’Eglise, p. 129 et p. 144. Autres exemples dans Opera omnia. Ad Gerardum Macheti…, Epistola LXVII, p. 191, ibid., De praesulibus simoniacis, p. 164, et ibid., Oratio ad illustrissimos Galliarum principes, p. 171, où l’auteur dénonce les conséquences de la guerre civile « Imo effrenata et dissolutissima omnium maleficiorum licentia ». En droit romain, capitale est associé à crimen pour désigner certaines catégories de crimes qui entraînent des peines capitales. De publicis judiciis. Digeste, XLVIII, 1, et exemples cités supra, n. 4. 10. Chronique du religieux de Saint-Denys, t. 1, p. 104-105, 136-137, 310-311, 629-631. Facinus est moins fréquent, ibid., p. 354-355. 11. J. de MONTREUIL, Opera…, t. 1, lettres no 202, 74 ; no 214, 232, 258, 428-429 ; no 215, 149, 349 ; no 223, 639-640. 12. N. de CLAMANGES, Traité de la ruine de l’Eglise…, chapitres 39-40, p. 145. L’usage du mot est si fréquent chez cet auteur qu’il ne peut être facilement répertorié. Dans la lettre à Gérard Machet, cit. supra, n. 9, p. 192, se trouvent réunis tous les mots employés par Nicolas de Clamanges pour désigner le crime : crimen, facinus, malum et scelus.

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13. LUCAIN, Belli civilis, Livre I, v. 1-2 : « Bella per Emathios plus quam civilia campos/iusque datum sceleri canimus… ». Dans la suite du poème, scelus peut être associé à nefas, ibid., v. 37. Sur cette référence à Lucain, voir N. de BAYE, Journal, t. 2, p. 71, qui, le 15 juin 1412, parle des « batailles et divisions plus que civiles » qui ont lieu dans le royaume à l’occasion de la mort du duc d’Orléans. Dès son prologue, Salluste emploie scelus ou facinus pour désigner les crimes de Catilina : « Igitur de Catilinae conjuratione quam verissume potero paucis absolvam ; nam id facinus in primis ego memorabile existumo sceleris atque periculi novitate », De conjuratione Catilinae, paragr. 4. Quant à Cicéron, il réserve ce terme aux crimes commis contre les dieux. De signis, XXVIII, et à ceux commis contre l’épouse et la parenté, Première Catilinaire, VI. Voir aussi De finibus, III, 75 et Verr., V, 72. 14. Sur cette diffusion de Lucain et de Salluste, piliers de la culture historique dès les XII e-XIIIe siècles, B. GUENÉE, Histoire et culture historique…, p. 303-305. 15. Le comte de Roucy est qualifié facinorosus vir, Thomas de Marie homo perditissimus, SUGER. Vie de Louis 17 le Gros. p. 26 et 30. Le terme sceleratus a un sens social plus qu’éthique. Il est associé à l’infamie, voir le portrait de Thomas de Marle, ibid., p. 176. 16. RIGORD, OEuvres…, t. 1, année 1186, p. 51, à propos des excès commis contre les églises, et année 1199, p. 145, où il écrit : « multa mala regi machinatus fuerat ».Chez Guillaume le Breton, le crime est, de la même façon, décrit en acte, y compris pour désigner les délits du comte de Flandre, ibid., p. 193 et 182. L’auteur se contente une seule fois d’expliquer les faits qui se passent en 1191-1192, « crescente iniquitate et malitia hominum », ibid., p. 194. 17. Guillaume de NANGIS, Chronique latine…, t. 1, p. 17 et p. 242. Il emploie aussi le mot facinus, ibid., p. 243. 18. Par exemple pour le meurtre de Thomas Becket en 1171, il écrit : « occisus est ab impiis ministris Henrici Regis Angliae », ibid., p. 63. De même en 1220, « Robertus de Meduno Aniciensis episcopus a quodam milite occiditur quern excommunicaverat pro injuriis Ecclesiae irrogatis. Quod populus Aniciensis grave ferens, in parentes ipsius militis graviter insurrexit », ibid., p. 164. Dans ces deux cas, la gravité d’un crime touchant au sacré n’a pas requis l’usage de scelus. Quant au « Vieux de la Montagne », en 1236, il a seulement payé des envoyés « ut occiderent regem Francie Ludovicum », ibid., p. 188. 19. Par exemple ibid., p. 208, en 1251, à propos des crimes commis par les Pastoureaux : « propter maleficia sua interfactis atque suspensis ». 20. Ibid., p. 361, les Templiers « detestandis criminibus erant irretiti pariter et infecti »·, p. 400, Guichard se déclare innocent « pro suo crimine » ; p. 402, de nouveau pour les Templiers en 1313, « crimina sibi imposita palam et publiée confessi fuissent » ; p. 416, pour Enguerrand de Marigny, « nimium criminibus notorie palam et publice accusatur turpiter », ibid., t. 2, p. 31, à propos des lépreux « propter quod crimen confitentes multi leprosi » ; p. 45, Jourdain de L’Isle « a multis criminibus coram rege accusatus est »·, p. 127, à propos de Robert d’Artois « impositis criminibus »·, p. 153, Hugues de Cuisi « accusatus etiam multis aliis criminibus ». 21. Ibid., t. 1, p. 418 ; t. 2, p. 25, 33, 47-50, 60, 120. Malum peut être associé au scandale ; par exemple, les décisions du concile de Vienne, en 1312, contre les Templiers, sont prises « propter alia mala removenda et scandala evitanda », ibid., p. 390. 22. Ibid., t. 1, p. 356 et 405 (employé deux fois). Ces emplois correspondent à la première Continuation de la chronique de Guillaume de Nangis. 23. Ibid., t. 2, p. 24-25. Cet emploi correspond à la seconde Continuation… 24. Sur l’emploi de crimen, Chronique de Richard Lescot…, p. 57, 61, de malum, p. 57 ; mala peut désigner les crimes liés à la guerre, ibid., p. 59. L’expression multa mala désigne les crimes reprochés à Olivier de Clisson en 1343, ibid., p. 62. 25. Par exemple, J. de VENETTE, Continuationis…, t. 2, p. 249, écrit à propos du meurtre des maréchaux le 22 février 1358 : « Sed heu ! Quare ista flagitia perpetraverunt ? Nam quae et quanta mala ex hoc excessu provenerunt, quot homines postea ex hoc occasionaliter sunt occisi, et villae devastatae describere non valerem. Tantum nefas impunitum non remansit, prout in parte videbitur consequenter ».

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De même sur les méfaits des Jacques qui ont inversé les statuts des nobles « convertunt se ad opera vilia et nefanda », ibid., p. 264. 26. Ibid., p. 236. 27. Ibid., p. 311-312 et p. 316. 28. Continuation de la chronique de Richard Lescot…, p. 100, 109, 115, 141. 29. Ibid., p. 93, 119, 140, 149. 30. Sur la culture humaniste du Religieux-de-Saint-Denis, N. GRÉVY-PONS et E. ORNATO, « Qui est l’auteur… », p. 85. Cette influence cicéronienne est aussi sensible au XII e siècle, chez Hugues de Saint-Victor qui associe scelus et nefas, mais les occurences sont nettement plus rares que chez les humanistes du XIVe siècle. Cette information m’a été aimablement communiquée par les responsables du Novum glossarium. 31. J. de MONTREUIL, Epistolario, Opera, vol. 1, part. 2, lettre 223, 680-681 : « executiones justicie in rebus criminum et civilitatum ». 32. D’un point de vue politique, la génération parisienne du milieu du XIV e siècle est déjà humaniste, comme le prouvent les écrits de P. Bersuire, G. de Machaut et Ph. de Vitry, Cl. GAUVARD, « Portrait du prince… », p. 29. 33. Chronographia, t. 3 : par exemple p. 29, malefactores, à propos des insurgés parisiens de 1382 ; p. 171, « accusaverunt eum multis criminibus » à propos de Richard II. En règle générale, l’auteur se contente de décrire l’acte criminel par l’emploi de occidere et de mortis, ou en énumérant les crimes, par exemple p. 142 à propos de l’arrêt pris en Parlement contre le comte de Périgord en février 1397 : « propter homicidia, incendia et rapinas multaque alia que Archaenbaldus comes fecerat in Petragorica civitate ». 34. Chronique du religieux de Saint-Denys, t. 1, p. 310. Voir les exemples cités supra, n. 10. N. de CLAMANGES, Traité de la ruine de l’Eglise…, p. 39-40 et 145, et Ad Johannem de Gersonio… Epistola LIX, Opera omnia, p. 162 et 164. 35. La première forme, liée à l’existence d’un préambule, est rare, JJ 127, 10, avril 1385, HAM (bailliage de Vermandois). Pour la deuxième forme, par exemple JJ 120, 23, décembre 1381, ANDRES (bailliage d’Amiens et sénéchaussée de Ponthieu). Sur cette troisème forme, JJ 120, 1, avril 1381, CHÂTEAU-REGNAULT (prévôté de Paris), et JJ 127, 1, juin 1385, ARDIN (gouvernorat de La Rochelle). Elle peut comporter des variantes, par exemple « quittons, pardonnons ledit fait et bans dessus diz quant au crime et lui avons mué et muons le cas criminel en civil », ibid., 47, janvier 1382, ABBEVILLE (sénéchaussée de Ponthieu), ou « et le crime dudit fait avons osté et osions du tout », ibid., 29, juillet 1385, (prévôté de Paris et bailliage de Rouen). Sur la dernière forme qui se conserve le plus longtemps, voir JJ 120, 15, janvier 1382, MERLAUT (bailliage de Vermandois) : JJ 127, 3, juin 1385, NEUVY-SURLOIRE (bailliage de Touraine) ; ibid., 30, 1385, CHEMY (bailliage de Vermandois) ; JJ 165, 42, février 1411, OUDRY (bailliage de Mâcon) ; « et aussi n’a fait ou commis aucun autre crime » ; ibid., 47, février 1411, (prévôté de Paris) ; JJ 169, 20, octobre 1415, CARLEPONT (bailliage de Vermandois). 36. ORF, t. 7, 28 janvier 1390, p. 329. De la même façon, les réformateurs généraux sont chargés, en octobre 1409, de faire une information, puis de prendre les coupables afin qu’ils répondent « des cas et crimes dessus-dits », ibid., t. 9, p. 475, 20 octobre 1409. 37. En témoigne la charge confiée le 8 mars 1357 aux réformateurs généraux désignés pour écouter les plaintes de tous ceux qui « desdiz officiers et autres personnes ou d’aucuns d’eulx se voudroyent doloir » et s’enquérir des « meffaits desdiz officiers », JJ 69, fol. 69-69v. 38. ORF, t. 7, p. 328. Le voyage en Languedoc auquel il est fait allusion dans cette ordonnance, a été organisé pour savoir « la verité des malefices » commis par les officiers. On rencontre les mêmes expressions dans l’ordonnance de février 1389. Sur l’ordonnance de 1409, ORF, t. 9, p. 468. Ces mots ne font pas partie des mots-thèmes mais leur fréquence, de 6 à 12, en fait des mots de la base. Remarquons que, dans cette ordonnance, le mot « dommage » a une fréquence 11. Sur la

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signification politique et religieuse de ce vocabulaire, Cl. GAUVARD, « Ordonnance de réforme… », p. 95-96. 39. Ordonnance cabochienne…, p. 92-93, 112 et 122. 40. J. GERSON, Œuvres complètes, t. 7, p. 338. Cet épisode a été longuement raconté par les chroniqueurs. Le meilleur récit est celui de la Chronique du religieux de Saint-Denys, t. 3, p. 186. 41. J. GERSON, Vivat Rex, Œuvres complètes, t. 7, p. 1167 et suiv. 42. N. de CLAMANGES, De novis celebritatibus…, Opera omnia, p. 151, trad. Mgr P. Glorieux, « Moeurs de chrétienté… », p. 24. 43. N. de CLAMANGES, De praesulibus simoniacis, Opera omnia, p. 161. 44. N. de CLAMANGES, Opera omnia, p. 53, 175, 193, et Epistola LXXIV, ibid., p. 213, où l’auteur dénonce « tunc vitiis atque criminibus foedus ». 45. Nombreux exemples dont les plus développés se trouvent Epistola ad Gerardum Maketi doctorem Parisiensem…, ibid., p. 175 et Ad scholasticos theologosde Collegio Navarrae Parisiis… Epistola LXXVII, ibid., p. 231 : « Tunc Babylon, meretrix mater magna fornicationum, et abominationum terrae, quae coetum reproborum signar. secundum Joannis Apocalypsin damnanda legitur, dirisque afficienda cruciatibus, quando peccata ejus ad coelum usque pervenerunt. Quid enim illi restat, quo peccando ascendat, qui coelum attigit. Quod ergo ad coelum pervenit peccatum, cum illic stare nequeat, mere necesse est, nisi dicamus, hominum scelera coelum perferre posse, quod angelorum peccata nequaquam pertulit ». 46. A. ESMEIN, Histoire de la procédure criminelle…, p. 96. 47. La très ancienne coutume de Bretagne, paragr. 98, p. 141, et paragr. 100, p. 142. Ce dernier paragraphe se développe ainsi : « Et se il est ainssi que il soit achesonné de murtre, ou de meson ardre, ou de traïson, ou de aguestours de chemins, ou de robours, ou de ravissours, ou de soustenir les malfectours, et de autres faiz dont il devroit prendre mort, quant aucun est accusé des meffaiz dessurdiz il pout requerre que fin li port, et doit le finporter estre jugié, et suffist a requerre ceulx ou ceulles a qui les meffaiz auroient esté faiz ou cas que ils ne auroient homme ou famme murtriz ou morz ». Autre exemple, ibid., paragr. 114, p. 154, où pour les « gros meffaiz » est stipulée la poursuite d’office. 48. J. d’ABLEIGES, Le Grand Coutumier, Livre I, chapitre 3, p. 98 et suiv. L’auteur a en particulier traduit un extrait de G. DU BREUIL, Stilus Curie Parlamenti, paragr. 29, p. 204 et suiv. Sur l’élaboration de ces cas royaux, E. PERROT, Les cas royaux…, p. 11-27. 49. Par exemple, X 2a 15, fol. 210, février 1408. Le cas concerne Bertrand Vacherin de la FertéMilon, incarcéré après information des officiers du duc d’Orléans. L’appel est rejeté par le Parlement qui renvoie l’affaire aux assises du bailli de la duchesse d’Orléans. Autre cas ibid., fol. 149v., juin 1407 ; une autre lettre relative à cette affaire permet de comprendre que ces crimes non précisés sont, en fait, une querelle – discordia – entre deux écuyers, ibid., fol. 150. Voir aussi supra, n. 7. 50. Ibid., fol. 150, juin 1407 ; fol. 202, novembre 1407 ; fol. 188, juillet 1407 ; fol. 103, septembre 1407. 51. Par exemple X 2a 16, fol. 220, décembre 1412, (sénéchaussée de Périgord). Arrêt pris contre Jean de Beaufort et ses complices à la suite de crimes commis en 1405-1407 contre Adémar de La Roche. 52. Par exemple, X 2a 15, fol. 1v., novembre 1404 ; X 2a 16, fol. 17, juin 1410. 53. X 2a 15, fol. 268, mai 1409. 54. Voir chapitre 18, p. 800-801. 55. X 2a 15, fol. 189v., août 1407. Sur cette ouverture du vocabulaire qui désigne le crime, voir les remarques de J.M. CARBASSE, Consulats méridionaux…, p. 5 et 6, qui écrit : « La justice criminelle nous apparaît comme la mise en oeuvre du droit pénal dans sa totalité ». 56. Ibid., fol. 93v., 21 juillet 1406 ; fol. 96v., 18 août 1406. 57. Ibid., fol. 136v., novembre 1406. 58. Ibid., fol. 135v., novembre 1406, (bailliage de Vermandois).

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59. Ibid., fol. 87, mai 1406 ; X 2a 17, fol. 24v., mai 1411. 60. X 2a 15, fol. 11, mars 1405, (prévôté de Paris). 61. X 2a 16, fol. 55v., mai 1410, (sénéchaussée de Lyon). 62. Ibid., fol. 60, juin 1410, AUBIGNY. 63. Voir B. SCHNAPPER, « Les peines arbitraires… », t. 41, p. 237-277. 64. L. TANON, Histoire des justices…, p. 351. Autre exemple ibid., p. 360. 65. Ibid., p. 352. 66. M. LANGLOIS, « Les archives criminelles… », p. 10-12. 67. A. SOMAN, « La justice criminelle… », tableau p. 26. 68. Sur ces restitutions d’honneur, voir chapitre 16, p. 745 et suiv. et Cl. GAUVARD, « Pendre et dépendre… ». 69. « Valde rigorose et tirannice gubernaverant », X 2a 16, fol. 81v. et suiv., août 1410, AMIENS. Sur cette affaire et le rôle qu’Henri de Roye a joué comme chef du mouvement démocratique, É. MAUGIS, Documents inédits…, p. 224-225. Sur la « réformation » de 1402-1403 qui constitue un épisode intermédiaire de cette affaire, et le rôle d’Aleaume Cachemarée, voir chapitre 1, n. 87. 70. Voir les exemples cités n. 33. 71. J. M. CARBASSE, « La justice criminelle à Castelnaudary… », pièce justificative p. 145-148. L’enquête concernant un meurtre, après avoir décrit concrètement le crime, se poursuit « unde tam talia et tanta crimina, omicidia, excessus, delicta et malefficia, si vera sint et veritate nitantur oculis », et jusqu’à ce que les consuls décident de recourir à la question « attenta enormitate criminis de quo est accusatus et preventus ». 72. M. BOULET, Questiones…, q. 341, p. 418-422. Le procès qui opposa, en 1395, le prévôt de Paris, Jean de Folleville, à l’évêque, à propos des juifs qui avaient été condamnés à être brûlés, fait l’objet d’un débat où sont opposées différentes références juridiques, sans parvenir à définir le ou les crimes dont les juifs sont coupables. Comme dans le cas d’Henri de Roye, l’arrêt insiste sur l’amende honorable qui leur est imposée. C’est elle qui est d’ailleurs retenue par les chroniqueurs, par exemple Chronique du religieux de Saint-Denys, t. 1, p. 121-123. 73. Sur le caractère concret de l’exemplum assimilé à une « icône verbale », J. BERLIOZ, « Le récit efficace… », p. 122. 74. A. ESMEIN, Histoire de la procédure criminelle…, p. 66 et suiv. Sur l’adoption de cette procédure au Parlement, G. DU BREUIL, Stilus curie Parlamenti, p. VIII. 75. G. BROGGINI, « La preuve dans l’ancien droit romain… », p. 240. 76. P. RAYMOND, « Enquête… », p. 219 et suiv. 77. L. MIROT, « Le procès de maître Jean Fusoris… », p. 204. 78. Sur ces rapports entre typologie et déclinaison d’identité, Cl. GAUVARD, « La déclinaison d’identité… ». 79. Sur les dix-sept témoins interrogés sur ordre de Guillaume de Tignonville, seul Jean Pagot est clerc d’un procureur au Parlement ; les autres, dont six femmes, sont des artisans, et des valets plutôt que des maîtres. Or, aucun de ces témoins n’omet de préciser son âge et son métier. En revanche, la déposition des porteurs d’eau, des vendeurs d’écuelles de bois, de tranchoirs et de paniers, requise pour compléter l’information, donne lieu à des identités tronquées. Il ne s’agit pas là de véritables témoignages et l’affaire est menée avec moins de soin. Pour un témoin, décliner son identité, c’est définir, avant de jurer, la personnalité qui est incluse dans le serment. 80. Voir en particulier le cas de Reims, P. DESPORTES, « La population de Reims… », p. 493 et suiv. 81. Voir les exemples cités dans Cl. GAUVARD, « La déclinaison d’identité… ». 82. X 2a 17, fol. 207, décembre 1415, BOURGES. 83. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 16. 84. Par exemple, ibid., p. 74 : Honoré Du Puis « par serement requis, dist et afferma pour verité qu’il estoit clerc, et que ja pieça l’evesque de Carpentras, lors arcevesque de Rouen, lui donna couronne en la ville de Lysieux ».

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85. Ibid., p. 220 et 232, COINCY et BOURGACHARD. 86. Br. GEREMEK, Les marginaux parisiens…, p. 285 et suiv. 87. Cette quête de l’enfance répond aux questions des juges, Fr. MIGLIORINO, Fama e infamia…, p. 62, et à la construction de l’identité, N. BERRY, Le sentiment d’identité, p. 169 et suiv. 88. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 76 : « Dit aussi que, paravant ce qu’il aprenist audit mestier de conroyer cuirs, son pere qu’il avoit lors, le fist aprendre a l’escolle sa paternostre et ses sept psaumes, et lui fist avoir couronne dont il a lettre, ne scet ou elle est, ne que son dit pere en a fait, parce qu’il est alez de vie a trespassement ». 89. Ibid., p. 156. Même cas pour Jehannin Le Fournier qui a été d’abord emprisonné à Tours où il a fait une première confession dans le cadre d’une procédure ordinaire et qui, au Châtelet, reprend les éléments de cette première confession, dont l’âge, pour les compléter. Il dit ainsi avoir 28 ans, ibid., t. 2, p. 2 et 4. 90. Ibid., p. 219-220. Sans préciser l’âge que devait avoir l’accusé, les juges complètent leur information et donnent une appréciation par recoupements, car celui-ci « confessoit estre plus aagiez qu’une sienne suer qu’il a ou pays de sa nativité, et laquelle a ia eu enfans en mariage et qui est de l’aage de XVII ans et plus ». 91. La jeunesse fait partie des circonstances atténuantes, voir chapitre 8, p. 348 et suiv. 92. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 195 et suiv. 93. Ibid., p. 171. 94. X 2a 17, fol. 179, avril 1415, CHARS. 95. Par exemple Colin Jauvre, prisonnier appelant du duc d’Orléans, est défini comme « murtrier, larron et efforceur de femmes », X 2a 14, fol. 53, février 1402. 96. X 2a 17, fol. 193-193v., juillet 1415. 97. Par exemple, Jourdain de l’Isle se définit comme « chevalier », M. LANGLOIS et Y. LANHERS, Confessions et jugements…, p. 38 ; Jean Des Prés comme « jadis prevost de Saint-Riquier », ibid., p. 126. Les questions posées lors de l’interrogatoire de Guillaume Le Doyen sont très détaillées mais aucune ne porte sur la déclinaison d’identité. En revanche, Guillaume Le Doyen révèle une partie de l’identité de ses complices, « tisserands » et « bourgeois », ibid., p. 40-48. La seule mention d’identité précise que comportent ces confessions concerne Richard Brunet, « nez de la parroiche de la Graverie, en la Vicomté de Vire, demorant en la parroiche du Desert » accusé de faux en décembre 1344, ibid., p. 157. 98. Cas cité supra, n. 88. « Il dit qu’il estoit nez de la ville d’Orleans en laquelle il avoit aprins mestier de conreeur de cuir et que d’icelle ville il s’estoit parti deux ans ou environ et estoit alé ouvrer dudit mestier en la ville de Coulomiers en Brye, en laquelle il s’estoy mariez a une jeune fille de l’aage de XVIII ans ou environ, nommee Guillemette demourans a l’enseigne de la Hache, a Saint-Germain-des-Prez ». 99. Registre criminel du Châtelet. t. 2, p. 137. 100. Par exemple, les juges décident que Raoulin Du Pré déclaré « murdrier et larron » « feust pour ce pugnis, c’est assavoir traînez et pendus comme murdrier », ibid., p. 156. 101. Ibid., p. 156. 102. X 2a 15, fol. 81v., mars 1406. 103. La théorie du notoire serait une création originale du droit canonique sans aucun précédent romain, J.Ph. LÉVY, « Le problème de la preuve… », p. 137 et suiv. Voir sur ce point les remarques de P. LEGENDRE, « Le droit romain, modèle et langage… », p. 912, n. 17, qui cite une oeuvre anonyme du XIIIe siècle : « Evidenter ostenditur quod jure civili fuit inventa inquisitio, frustra enim insultant docentes in jure canonico quod de ispsorum jure inquisitio fuit inventa ». Sur les formes premières de cette notoriété du fait, souvent confondue avec l’aprise au XIII e siècle, A. ESMEIN, Histoire de la procédure criminelle…, p. 78 et suiv., qui cite de nombreux passages de Philippe de Beaumanoir. 104. Cité par L. CÉLIER et P. GUÉRIN, Recueil des documents…, t. 30, p. 290.

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105. X 2a 2, fol. 7, mai 1339, REIMS. 106. X 2a 14, fol. 18, mars 1401, RAMPILLON. De même à la fin du XIV e siècle, les consuls de Castelnaudary instruisaient sur ce qui était « parvenu a leurs oreilles », J.M. CARBASSE, « La justice criminelle à Castelnaudary… », p. 141. 107. Sur cette codification, voir A. LAINGUI et A. LEBIGRE, Histoire du droit pénal…, t. 2, p. 60 et suiv. 108. Cité par J.Ph. LÉVY, « L’évolution de la preuve… », p. 45, n. 2. Autres exemples de ces réticences des théoriciens, J.Ph. LÉVY, La hiérarchie des preuves…, p. 113 et suiv. Sur le concept de fama dans les siècles antérieurs, Fr. MIGLIORINO, Fama e infamia…, p. 45-83. Une enquête sur le mot « publique » associé à celui de « crime » et de « renommée » dépassait le cadre de cette étude. Elle sera reprise ultérieurement. 109. X 2a 14, fol. 217, décembre 1404. 110. J. BOUTEILLER, Somme rural, p. 379-380. 111. Ph. de BEAUMANOIR, Coutumes de Beauvaisis, paragr. 40, et La très ancienne coutume de Bretagne, chapitre 97. 112. X 2a 14, fol. 377v., avril 1407. En général, le suspect reste emprisonné ou se trouve assigné à résidence le temps que la justice fasse l’information nécessaire, par exemple X 2a 15, fol. 100v., août 1406, PARIS. 113. X 2a 14, fol. 96v., décembre 1402. Jean de Bachincourt, bâtard, se trouve ainsi élargi par le Parlement la veille de Noël, information faite sur sa renommée. 114. X 2a 14, fol. 404, novembre 1407, (bailliage de Vermandois). 115. J. BOUTEILLER, Somme rural, p. 34. 116. BALDE, Consilia, IV, n. 415 ; Sur ce point, les historiens du droit pénal ne sont pas tous du même avis, selon qu’ils se réfèrent strictement aux civilistes et en particulier à Balde et à Bartole, ou aux théoriciens et praticiens français des XIIIe-XIVe siècles. Dans la première perspective se situe W. ULLMANN, « Some Medieval Principles of Criminal Procedure », Jurisprudence…, p. 1-28, qui écrit, p. 4 : « The principle that was recognized throughout the medieval period as the ordinary method of bringing a criminal to justice was accusatorial : it was, as every teacher stressed, the remedium ordinarium. The inquisitorial method, to be sure, was never heartily embraced by the civilians, and it was always recognized as the remedium extraordinarium ». Pour une position différente qui tente plutôt de saisir la procédure française dans son application, A. ESMEIN, Histoire de la procédure criminelle…, p. 121 et suiv. 117. Ibid., p. 102-103. 118. Il convient donc de se méfier des conclusions relatives à la procédure suivie au Châtelet telle qu’elle est décrite par L. BATIFFOL, « Le Châtelet… », t. 62, p. 225 et suiv., et t. 63, p. 266 et suiv. 119. Par exemple, en 1405, « on murmuroit » que l’évêque de Châlons « avoit esté empoisonné », X 2a 14, fol. 257, juin 1405, CHÂLONS ; autre exemple ibid., fol. 217v., cité supra, n. 109. 120. Par exemple, X 2a 15, fol. 274, juillet 1409 : une femme est enfermée au Châtelet « occasione suspicionis que contra ipsam pretextu duarum argenti peciarum quas vendere voluerat haberi dicebatur », ibid., fol. 100v., août 1406 : Bertrand Lelorme est enfermé au Palais « .pro suspicione certe verberationis et mutilationis in personam Johannis Tholemer perpetrate et aliorum criminum seu maleficiorum in ipsius Johannis Tholemer et Karoli de Marlis armigeri prejudicium, ut dicitur ». 121. X 2a 3, fol. 130, juin 1330, SENLIS. 122. X 2a 14, fol. 12-12v., février 1401. 123. Ibid., fol. 270, août 1405. 124. Ibid., fol. 255, juin 1405, HOUDAN. 125. Ibid., fol. 354, décembre 1406. L’argument remet cependant en cause le système de la preuve car le suspect rétorque que « dire qu’il est larron et murtrier est injure et ne scert riens a sa cause veu qu’il ne debat que un estat ».

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126. X 2a 16, fol. 364, novembre 1416, PARIS. Sur Humbert de Boisy, voir Fr. AUTRAND, Naissance…, p. 187-188. 127. Voir chapitre 5, p. 228 et suiv. et chapitre 20, p. 912 et suiv. 128. Par exemple, pour un boulanger incarcéré par le guet pour tapage nocturne, Y 5266, fol. 9, juin 1488 ; pour une chambrière accusée d’un vol de vêtement, ibid., fol. 11v., juillet 1488. Même cas pour un laboureur accusé de bigamie, ibid., fol. 33v., juillet 1488. 129. X 2a 17, fol. 218, 9 avril 1416, (sénéchaussée de Ponthieu) ; ibid., fol. 38, juillet 1411.

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Chapitre 4. Prouvez le crime

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La procédure inquisitoire a pour but de prouver le crime, soit par témoins, soit par l’aveu. L’historiographie du droit pénal montre comment, à la fin du Moyen Age, ces formes de preuves qui lui sont liées, ont pu l’emporter sur les preuves qui découlent de la procédure accusatoire, dite de parties formées. Celle-ci place les deux parties sur un plan d’égalité, interdit au juge la poursuite d’office, et peut se révéler dangereuse pour l’accusateur1. A cette procédure, largement employée dans les cours féodales du XI e au XIIIe siècle, correspond l’emploi du serment, de preuves ordaliques et du duel judiciaire2. Le cri de « haro » qui ouvre la voie au flagrant délit, et la dénonciation qui ouvre celle de « l’aprise » et de la procédure d’office nuancent la rigidité de la procédure accusatoire qui, au XIIIe siècle, se laisse par ailleurs contaminer par la procédure inquisitoire en s’adjoignant la possibilité, pour l’accusé, de recourir à l’enquête du pays. Ainsi, avec le développement de la procédure inquisitoire, l’aveu serait devenu la meilleure des preuves, tandis que reculeraient les formes ordaliques, vestiges des anciens âges3. Qu’apporte à cette évolution le témoignage des actes de la pratique en cette fin du Moyen Age ? La question est moins de savoir quelle est la hiérarchie des preuves employées, ou quelle est exactement la nature de la procédure qui les sous-tend, que de se demander à quelles fins elles sont employées et quel idéal peut les justifier. Ainsi pourrait se dégager la place que le crime occupe dans l’obsession sociale.

UN IDÉAL DE VÉRITÉ 2

Les préoccupations de la théorie politique, comme celles de la pratique, se rejoignent : la justice a un but qui consiste à connaître la vérité. En 1389, dans Le Songe du vieil pelerin, Philippe de Mézières prend la « Reine Verité » comme intermédiaire. Elle force les grands de l’Église à dévoiler leurs pensées secrètes avant de les juger et de les condamner. De la même façon, elle éclaire le roi et, aux côtés de la Paix, de la Miséricorde et de la Justice, elle constitue l’une des quatre roues « entrelacees » du chariot royal4. Quelques années plus tard, Nicolas de Clamanges, pour Louis de Guyenne, montre comment la justice accompagne la vérité dans la conduite du royaume comme de soi-même, idéal difficile à atteindre : « Erravimus a via veritatis, et justitiae lumen non luxit nobis : et sol intelligentiae non est ortus nobis » 5. Puis, se référant à la

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vérité, il rappelle la parole modèle de Salomon : « Misericordia et veritas custodiunt Regem, et clemencia roboratur thronus »6. Tempérée, entrelacée, comme chez Philippe de Mézières, avec la miséricorde, la vérité est nécessaire au prince. Nous reviendrons sur ce couple complémentaire que constituent la vérité et la miséricorde 7. Mais, le mot « vérité » fait incontestablement partie du vocabulaire de base des théoriciens politiques. On le retrouve chez Christine de Pizan, quand elle affirme que dire la vérité est, pour le prince comme pour ses serviteurs, un devoir politique 8. 3

Quant à Jean Gerson, il présente l’Université comme la « maîtresse de verité » puisque « l’office de la fille du roi est traictier et enseigner verité et justice », et il en cherche immédiatement l’application, car « on ne aprent pas seulement pour scavoir, mais pour monstrer et ouvrer »9. Comme on a déjà pu le suggérer, il n’existe pas chez ces penseurs de fossé entre la théorie et la pratique. L’union la plus spectaculaire, en ce qui concerne notre propos, se trouve chez le prévôt Guillaume de Tignonville pour lequel la quête de la vérité est un devoir de théoricien et de praticien de la vie publique. Les Ditz moraulx font de la vérité une « arme » nécessaire au prince et il doit l’accepter de ses conseillers sans se « courroucer » ; elle est aussi nécessaire à la fonction de justicier et la première action, face à un délit, est de se soucier de « la verité du fait », car dit le Sage au prince, « Tu ne peuz estre si bien armé comme de verité »10.

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La quête de la vérité est au coeur de la justice répressive comme de la justice retenue. Elle peut même être évoquée quand la suite du contentieux se termine par un accord entre les parties. Lorsque le duc de Bourbon, en juillet 1391, intervient dans l’affaire criminelle qui met en cause Geoffroy de Charny, chevalier, prisonnier au Châtelet à la suite du meurtre du prieur de Saint-Wandrille, en 1384, il affirme qu’il a fait faire une enquête pour savoir « la verité du fait » et, finalement, l’affaire se termine par un accord11.

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Le thème de la vérité est fréquent dans les plaidoiries du Parlement en cas de rémission déclarée subreptice. En effet, pour être « civile » ou « raisonnable », la rémission doit donner à entendre « la verité du cas »12. La grâce est fille de la vérité, car « la verité du fait est contenue en la grace »13. C’est à peine si certains procès contestent cette évidence au nom de considérations pacificatrices qui montrent que la réconciliation des parties adverses est suffisante pour garantir la rémission 14.

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Quant aux lettres de rémission proprement dites, elles sont plus discrètes que les plaidoiries sur la « verité du cas ». L’expression « en verité » vient authentifier certains récits, sans néanmoins faire partie du vocabulaire de la base (fréquence 3). Ainsi, en juillet 1396, un suppliant, pour montrer que l’asseurement qu’il avait passé autrefois avec sa victime a été mis au néant, déclare à son adversaire qui le nie, qu’ils « y avoient renoncié et combien que ainsi feust et soit en verité car lesdiz Soufflaut et Cousturier par le moyen d’aucuns de leurs amiz assemblez depuis ledit asseurement baillé, hors jugement et en l’absence du juge qui ledit asseurement bailla, avoient traittié et accordé ensemble par bonne amour que les asseurements que lesdiz Cousturier et Souflaut avoient ensemble seroient mis au neant et despeciez et ainsi les promistrent bailler et rendre l’un a l’autre et lors donnerent boire l’un a l’autre par bonne paix et amour et souvent depuis jusques au jour de ladite bateure ont conversé et beu ensemble et a ledit Cousturier fait pluseurs ouvrages de son mestier audit Soufflaut et ledit Soufflaut pareillement »15. Ici, la vérité qui authentifie la version du suppliant, a besoin de s’entourer de toutes les garanties traditionnelles : serments passés entre amis, rituels de convivialité qui scellent la paix et marquent son existence aux yeux de

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tous dans le déroulement du quotidien. En fait, elle cherche des preuves susceptibles de l’emporter sur l’écrit, cet acte que Cousturier a gardé par devers lui malgré sa promesse de le déchirer et qui, à terme, lui vaut la mort. La vérité des récits s’affirme par petites touches : le discours des lettres n’est pas exactement son affaire et il faudra y revenir. 7

Plus que dans la justice retenue, la quête de la vérité sous-tend la justice répressive. La vérité y doit, par principe, être « sceue et attainte »16. Les faux-témoins et les crimes de faussaires appellent plus nettement que les autres crimes une telle invocation. Ainsi voit-on, en 1391, Guillaume Crespin emprisonné au Châtelet « pour souspeçon d’avoir corrompu et estre coulpable d’avoir fait deposer autre chose que verité » 17. Mais surtout, cette quête de la vérité justifie tous les moyens utilisés par la justice répressive, en particulier ceux qui permettent de recourir à la procédure extraordinaire. Face au larron qu’ils interrogent, les juges du Châtelet, en 1389-1392, sont soucieux de « savoir plus a plain par sa bouche la verité des meffais et larrecins par lui fais »18. Pour tous ceux pour qui la parole est considérée comme « variable », le recours à l’extraordinaire s’impose. Ce réflexe du juge n’est pas réservé au Châtelet. Dès 1377, Jean Auber, alors qu’il était prévôt forain de Senlis, décide d’emprisonner Salemon Du Corvin et justifie les tortures qu’il lui applique « pour ce qu’il le trouva variable »19. La vérité est bien devenue une obsession qui nourrit l’argumentation des juges.

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Il est difficile de mesurer à partir de quel moment cette argumentation relative à la vérité s’est mise en place. Quand les juges du Châtelet, avant 1350, interrogent le prisonnier, ils lui font « jurer aus Sainctes Evangiles de dire verité » tandis que le coupable confirme sa confession en disant « les choses dessusdictes estre vrayes » 20. Mais, le vocabulaire et les références mériteraient un comptage qui n’a pas pu être fait dans le cadre de cette étude. Il semble que le vocabulaire relatif à la vérité soit, au total, moins important en nombre que ce qui apparaît dans le registre de 1389-1392. Entre ces deux moments du XIVe siècle, quelle part accorder aux prédécesseurs de Jean de Folleville et en particulier à Hugues Aubriot ? Les registres criminels du Parlement montrent que sa gestion est effectivement attentive à la quête de la vérité, en dépit du statut du suspect, qu’il soit écuyer ou clerc21. Elle se poursuit après le temps de Jean de Folleville (25 janvier 1389-mars 1401), sous la prévôté de Guillaume de Tignonville (avril 1401-30 avril 1408), montrant la parfaite continuité des hommes de Charles V et des réformateurs au service de l’Etat sous le règne de Charles VI. De ce point de vue, les ordonnances de réforme répètent l’obsession des hommes de la théorie et de la pratique quand elles mettent en place des réformateurs ayant pouvoir de « eux informer, savoir et enquerir par eux ou leurs commis la verité sur toutes et chacunes les choses dessusdites, leurs circonstances et dependances et autres quelconques qui pourroient avoir trouvees avoir esté faites, commises et perpetrees en quelque maniere que ce soit »22. C’est au nom de cette même quête de la vérité que les réformateurs maître Jean des Barres et maître Aubry de Trie, agissant comme réformateurs aux bailliages de Meaux et de Melun, doivent, en 1384, se défendre devant le Parlement d’avoir commis des excès23. Il existe donc bien un lien étroit entre la réflexion théorique, l’argumentation des plaidoiries et les buts poursuivis par le Châtelet. Quelle est l’influence d’un tel idéal sur l’évolution de la procédure ?

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Une première approche montre l’extrême complexité des procédures, ce qui tend à confirmer l’hypothèse selon laquelle tous les moyens sont mis en oeuvre pour tenter d’arriver à un but supérieur qui est justement celui d’atteindre la vérité. Dans les deux

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registres du Châtelet, en 1389-1392 et en 1488-1489, l’aveu pouvait être requis au terme d’une procédure extraordinaire engagée sous forme de procédure accusatoire, aussi bien que sur simple dénonciation, flagrant délit ou « commune renommee », ce qui est, en principe, contraire aux recommandations faites par Jean Bouteiller quand il écrit « Si doibs scavoir que selon aucuns puisque le prisonnier et prins par accusacion de partie formee et mis en loy, apres ne doibt estre mis a peine de question, mais se doibt le proces faire ordinairement contre le prisonnier »24. Reprenons les cas décrits par Aleaume Cachemarée au Châtelet, par exemple celui de Colin de La Sale, « nez de la ville de Paris, feseur d’espingles, accusé en sa presence par Perrette Langoute, chambriere d’estuves, demourant assez pres de la Croix du Tiroir » ou celui de Marion Du Pont, « prisonniere detenue oudit Chastellet et accusee en sa presence par Hennequin de Tournay, marchant »25. Dans les deux cas, le verbe « accuser » est employé et l’accusateur se trouve devant les juges, en présence de l’accusé. On pourrait penser, comme le suggèrent A. Laingui et A. Lebigre, à une évolution du vocabulaire, le terme « accusé » étant devenu synonyme de « denonciateur », ou de « denonceur » pour reprendre la terminologie de Bouteiller26. Puis, au procès, l’accusation-dénonciation serait réitérée en public, phase qui correspondrait à celle que décrit le clerc criminel du Châtelet27. 10

L’évolution sémantique est difficile à cerner car l’emploi du terme « accuser » et ses dérivés n’est pas toujours explicite. Le mot peut avoir un sens large sans être associé à un emprisonnement des deux parties. Le même Soufflaut obtient finalement sa rémission parce qu’auparavant « il ne feust accusé ne blasmé d’aucun villain cas », tandis que la lettre d’un autre suppliant fait état de ce qu’il « n’avoit esté reprins, soupeçonnez ou accusez d’aucun vilain reprouche »28. Aucune de ces citations n’est réellement probante pour assimiler systématiquement « accuser » à « dénoncer ». Le verbe « accuser » a plutôt un sens général comme dans le cas de ce suppliant du bailliage de Sens et d’Auxerre qui, en 1381, « se doubte que justice ne le veuille accuser d’estre coupable dudit fait pour cause de la compagnie que il avoit tenue a noz diz sergenz audit souppé avant le fait »29.

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L’hypothèse d’un glissement de sens avec le verbe « dénoncer » s’appuie sur la disparition générale de la procédure accusatoire pendant les deux derniers siècles du Moyen Age. En effet, les registres des justices ecclésiastiques parisiennes de la première moitié du XIVe siècle ne donnent que deux exemples de parties formées30. En fait, dans certains cas, la procédure accusatoire a subsisté et reste d’une application rigoureuse, même si elle peut se trouver controversée : c’est un des privilèges que réclame un bourgeois de Tournai, en 1382, au nom de la coutume qui prévaut dans la ville pour les homicides précédés de défiances. Le reste de la plaidoirie montre qu’il y a eu effectivement emprisonnement des deux parties et que le roi, par la bouche du procureur, reprend à son compte la procédure en affirmant que celui qui la requiert, « par consequent estoit en la sauvegarde du roy et ou sauconduit de la Cour » 31. Enfin, dans certains cas, l’accusation subsiste contre les animaux. Ainsi, en 1410, deux voisins habitant à Orval, au bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier, ont une altercation car « ledit feu Martin dist audiz exposant que il avoit accusé vers les gens de notre tres cher et amé cousin Charles, seigneur de Lebret et dudit Orval, connestable de France, les cochons de lait dudit Martin, lequel exposant dist que en verité il ne les avoit pas accusez »32. Ces cas, comme dans les autres sources judiciaires, ne sont pas fréquents,

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mais leur existence prouve que le développement de la procédure inquisitoire est loin d’être linéaire. 12

Dans la pratique, le recours successif à l’une ou l’autre procédure peut se produire. Lorsqu’en juillet 1380, Jamet Boursier, lieutenant du sénéchal d’Anjou à Angers, se trouve en procès contre Jamet Lambin qu’il aurait poursuivi sans raison, les plaidoiries laissent transparaître les procédures successives qui ont pu être employées. Boursier évoque la renommée du crime qui a permis à la justice d’en être saisie car « Jamet Lambin estoit renommez de avoir commis plusieurs crimes et par especial II homicides sur quoy informacion lui fu envoiee »33. Puis, à cette phase première de la procédure inquisitoire, succède la demande d’enquête que le juge propose à Lambin emprisonné, mais que celui-ci refuse. Alors, le lieutenant choisit de procéder par voie extraordinaire, ce qui lui est reproché dans le procès. Pour justifier son attitude, il explique que cette torture n’était qu’un moyen « d’espouvante », mais surtout il précise que « l’informacion fut faicte contre ledit Lambin a la requeste du filz du mort que Lambin avoit tué et le accusa ledit filz ». Quel sens donner ici à l’accusation ? Ne peuton pas songer, comme le suggère l’exemple des Coutumes de Saint-Sever, à une évolution plus souple que ne le laisserait supposer l’opposition entre procédure accusatoire et procédure inquisitoire, des éléments de la procédure inquisitoire s’étant greffés sur une base accusatoire34 ? La saisine du juge telle qu’elle est encore pratiquée à Paris en 1488 contribue à le suggérer.

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A Paris, en cette fin du XVe siècle, l’accusateur, comme dans la traditionnelle partie formée, peut se trouver emprisonné avec l’accusé, même si le terme « requête » s’est substitué à celui d’« accusation ». La raison donnée est « de mettre le cas au vray » entre deux parties qui n’arrivent pas à se mettre d’accord. La procédure est en particulier employée pour les rixes avec coups et blessures. Ainsi, le 16 juin 1488, Guillaume Verson et Laurent Gauldereau, laboureurs demeurant à Paris, sont incarcérés tous les deux au Châtelet, le premier y ayant été amené « a la requeste » du second « pour les bateures a luy au jour d’uy faictes » et le second « a la requeste » du premier « pour mettre le cas au vray »35. La procédure ne s’applique pas à ces seuls cas et elle peut être étendue au vol. Le 15 juin, Mathurin Grisonnet de Gournay-sur-Marne est incarcéré en même temps que son voleur de drap, Audry Morin, demeurant à Paris. L’accusateur est délivré le jour-même, l’accusé est élargi le lendemain 36. De la même façon, le 19 octobre 1488, Jehan Alays qui avait volé une arbalète dans un hôtel à MitryMory, se trouve incarcéré avec le propriétaire de l’arbalète qui l’a poursuivi jusqu’à Paris37. Ce dernier est élargi le jour-même, tandis que le coupable est gardé au Châtelet où il est finalement battu sur les carreaux et banni le 10 novembre suivant. On peut s’interroger sur la nature exacte de cette procédure. La mention de délivrement qui est consignée dans la marge du registre, et qui s’applique aussi à l’accusateur, laisse supposer que celui-ci a bien été emprisonné et qu’il n’est pas un simple dénonciateur.

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On peut au moins en déduire qu’à Paris, ce dernier subissait un traitement spécial qui permettait au juge d’examiner de façon coercitive s’il pouvait se fier aux propos que l’accusateur avançait. Incontestablement, cette procédure vient renforcer l’efficacité de la police appliquée par le Châtelet dans une ville de grande envergure. Les deux parties ainsi incarcérées peuvent être rapidement entendues, tandis que les plaintes inutiles se trouvent limitées. Malheureusement, le document ne permet pas de savoir de façon sûre si, sur cette procédure empruntée à la partie formée, peut se greffer la procédure extraordinaire. On peut seulement remarquer que les cas d’accusation ne sont pas

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suivis de la mention « question ». Enfin, cette procédure n’exclut pas le recours aux moyens que met en oeuvre la procédure inquisitoire, ainsi que suggère la mention d’informations et d’enquêtes38. 15

Le mélange des procédures ou leur juxtaposition apparaissent comme des moyens au service d’une fin qui leur donne un sens : la vérité. Le type de preuves ne serait donc pas lié systématiquement à la procédure initiale et la question devient alors celle-ci : quelle place l’aveu occupe-t-il dans la préoccupation des juges ? Encore une fois, il ne s’agit nullement de placer l’aveu au sommet d’une hiérarchie des preuves qui pourrait s’avérer contestable, mais de réfléchir sur son sens quand il est requis, afin de mieux cerner la perception du crime.

DE L’AVEU À LA TORTURE 16

Le terme « aveu » n’apparaît pas dans les sources utilisées. On trouve le mot « confession ». En janvier 1376, Salomon est emprisonné au Châtelet pour plusieurs cas criminels « declarez, contenus es informacions, confessions et acces qui sont ceans » 39. L’emploi du mot et de ses dérivés n’est pas propre au Châtelet. On les trouve évoqués ailleurs, comme à Épernay où il est « coutume que quant aucun malfaicteur doit estre executé pour ses desmerites l’en le mene de plain jour a la justice et doit confesser son malefice a la pierre »40. Pourquoi l’emploi de ces termes l’emporte-t-il sur ceux qui dérivent de l’aveu ? La question, posée lors d’un colloque récent, n’a pas pu être parfaitement résolue41. Contentons-nous de remarquer que l’emploi d’un vocabulaire qui appartient au domaine religieux montre d’emblée les liens qui existent entre le judiciaire et le religieux, l’Eglise et l’Etat. Mais, il faut immédiatement tempérer cette remarque par le lien que ces confessions entretiennent avec l’idéal de vérité évoqué précédemment. Il convient « que la verité feust sceue par sa bouche » dit, en mars 1392, la plaidoirie relative à l’usage d’un faux42. Quant à la rémission, elle doit être un récit de confession par excellence, et par conséquent « a necessité de confesser la verité du fait », sinon, elle est subreptice43.

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Ces récits de confession dans les sources judiciaires répressives sont rares et, quand ils existent, ils sont le plus souvent liés à la procédure extraordinaire. En revanche, les lettres de rémission se présentent bien comme un corpus d’aveux dont l’issue s’avère bénéfique pour le suppliant. On connaît leur inflation, et on peut raisonnablement penser que l’aveu, sous cette forme, est numériquement plus important que celui qui s’effectue devant les juges. La faiblesse des sources judiciaires ne révèle pas une réticence de l’esprit : les hommes des XIVe et XV e siècles savent manier la confession. Au même moment, la confession des péchés, devenue obligatoire depuis Latran IV, a contribué à vulgariser cette pratique. La simultanéité des évolutions montre, encore une fois, la filiation entre les pratiques religieuses et judiciaires. Et si, comme le fait remarquer J. Chiffoleau, le tournant de 1215 ne doit pas être surestimé, il marque néanmoins une étape dans une vulgarisation de la pénitence dont N. Beriou a posé les jalons44. L’aveu du crime n’a pas pris pour autant modèle sur celui du péché ; la quête des modèles est sans doute vaine et mieux vaut s’interroger sur le sens d’une genèse commune. Les deux formes de l’aveu s’inscrivent dans une préoccupation partagée par l’Eglise et par l’Etat. Elle constitue, comme le montre P. Legendre, une « manoeuvre » de la subjectivité45. Les autorités religieuses et politiques promettent le châtiment ou la

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rémission, terrorisent ou libèrent, donnent la mort ou la vie. Par la confession qui leur est commune, pénitence et procès sont indissociables de la genèse du pouvoir. 18

Jusqu’où cerner les effets de cette prise en main des autorités ? Pourquoi la rémission donne-t-elle lieu à une série impressionnante d’aveux alors que ceux-ci n’encombrent guère les archives de la justice répressive ? De ce point de vue, il importe de distinguer les sources que nous ont laissées l’Inquisition de celles des tribunaux laïcs 46. Après 1350, on ne retrouve plus de récits de confessions comme ceux que comportaient les premiers registres criminels du Parlement. Cette distance prise avec l’aveu s’oppose à la théorie telle qu’elle se définit dans le dernier quart du XIV e siècle. Ainsi, Jacques d’Ableiges, vers 1388, trace avec soin les modes de confession qui doivent être suivis au Parlement et au Châtelet47. Dans quelle mesure ces préceptes ont-ils été écoutés, en particulier par les réformateurs du règne de Charles VI ?

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Il arrive au Parlement de mentionner qu’il a « ouï la confession » d'un accusé et qu’il a pris la décision y afférant, sans aller plus avant dans le récit. Parfois, le terme « confession » se trouve en marge du registre tandis que le greffier en indique le contenu, plus ou moins succinct48. L’aveu est « de bouche ». Remarquons, encore une fois, que les meilleurs résumés de confession se trouvent sous la plume de Jean de Cessières, dans la lancée du gouvernement des Marmousets. L’aveu de messire Guillaume de Quesnes en est un exemple. Le greffier mentionne, à la date du 20 juin 1392, après avoir indiqué dans la marge « confession » : « messire Guillaume de Quesnes, chevalier, a aujourd’uy confessé en la Court de ceans en plaine audience en sa propre personne que il fist venir IIII compaignons du païs d’Ardenne dont il ne scet les noms si comme il dit pour fere batre feu maistre Jehan Cochon lequel fu batu par lesdiz compaignons par la maniere qu’il est contenu en la grace dudit chevalier » 49. Au même moment, au Châtelet, le registre d’Aleaume Cachemarée note des récits complets, de façon exemplaire. Le gouvernement des Marmousets marque bien un temps fort de l’aveu. Mais, à en juger par la tenue des registres criminels du Parlement immédiatement postérieurs, cet effort a été finalement peu suivi d’effets.

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Le temps des Marmousets est, sans doute, exceptionnel. Il n’implique pas cependant un renversement total de situation par rapport aux habitudes antérieures. D’une part, tous les prisonniers qui ont avoué un crime grave n’ont pas pour autant été condamnés à mort. D’autre part, le système des cautions et des élargissements continue à fonctionner et il l’emporte largement sur le recours à la procédure extraordinaire. Les exemples d’élargissement contenus dans les lettres de commissions conservées au Parlement, au moment même où est rédigé le fameux Registre criminel du Châtelet, sont environ trois fois plus nombreux à illustrer une procédure traditionnelle que les cas de procédure extraordinaire répertoriés par Aleaume Cachemarée. Même à cette époque éprise d’une procédure idéale, l’aveu est donc loin d’être déterminant. Ainsi s’explique peut-être qu’il n’ait pas réussi à l’emporter systématiquement dans le déroulement de la justice. La disparition de Jean de Cessières, remplacé par Jean du Bois en novembre 1404, suggère aussi quelle a été la place des hommes dans la tenue des registres 50. Enfin, les implications politiques de la guerre civile, à partir de 1410, font sans doute reléguer au second plan les impératifs réformateurs. Un procès de janvier 1416 peut servir d’illustration. Le conseiller du roi, Simon Guedin est victime d’un vol commis dans sa demeure par Pierre Kaerdaniel. Celui-ci, incarcéré au Châtelet, a « confessé » son crime devant le prévôt de Paris, puis a été relâché. Le conseiller du roi fait appel à la Cour de Parlement qui hésite sur la procédure à suivre, ordinaire ou extraordinaire. Le prévôt –

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qui est alors Tanguy Du Châtel – intervient pour justifier sa décision en arguant que le prisonnier a versé une large caution. Finalement, le Parlement confirme que le prévôt a bien agi et que le conseiller a mal appelé51. Il est possible que la faction armagnaque qui est à cette date au pouvoir ait eu raison de l’affaire qui lésait un conseiller probourguignon. Mais le résultat montre la pesanteur des habitudes judiciaires qui peuvent être facilement mises en avant pour justifier une décision dont le fond est, sans doute, politique. Au total, l’histoire de l’aveu, soumise aux pesanteurs de la procédure et de la politique, n’est pas linéaire. 21

La confession du coupable peut avoir lieu spontanément, sans contrainte de gehine. Le plus souvent, elle est obtenue après recours à la procédure extraordinaire. Reprenons le cas de Barthélemy qui a contrefait le sceau du sénéchal Hugues de Fredeville. La partie lésée demande que Barthélemy « confesse le cas » et « ou cas qu’il ne le confesseroit qu’il feust mis en proces extraordinaire »52. La question revient alors à se demander quelle place tient la procédure extraordinaire dans la façon de rendre la justice. Dans le cadre de cette étude, il s’avère impossible de définir quantitativement et qualitativement son rôle dans la justice des XIVe et XV e siècles. Mais il découle des remarques précédentes, comme de l’analyse du type de document qu’est le Registre criminel du Châtelet de 1389-1392, qu’il ne faut pas en généraliser l’usage. Etudiant la justice criminelle rendue au Parlement pendant l’époque moderne, A. Soman et B. Schnapper concluent à une pratique atténuée de la torture, au moins au milieu du XVI e siècle ; il est probable que le recours à la question, dont l’application matérielle est alors nettement définie, n’a pas dépassé 17 % des cas 53. De quelle évolution ce résultat est-il le fruit ?

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L’application de la torture apparaît possible au Parlement dès 1319-132 1 54. Un sondage dans les registres criminels du Parlement pendant le règne de Charles VI montre qu’en fait la Cour ne décide pas sans délibération de recourir à la procédure extraordinaire. L’affaire Simon Guedin, évoquée précédemment, en donne un exemple. La Cour contrôle aussi l’action du prévôt de Paris en précisant comment ont été obtenus les aveux. L’affaire Henri Le Fevre, sergent d’armes et fruitier du roi, appelant du prévôt de Paris en novembre 1385, donne une idée des arguments qui peuvent être avancés. Il s’agit d’une subornation de témoins. Interrogé par le prévôt sur les carreaux du Châtelet, en présence de deux seigneurs de la Cour, Guillaume Porel et Jean d’Arcies, Le Fevre nie le crime. Le prévôt le menace en disant que « se il ne confessoit ladicte fausseté, il la lui feroit dire »55. L’interrogation continue un autre jour, mais cette fois-ci le prévôt est seul, et devant l’entêtement du suspect, il ordonne de le mettre à la question. Le Fevre appelle et dit « qu’il fut mal fait et mal jugié par faute de juridiccion car ledit prevost ne povoit rien faire seul ». A cette affirmation qui concerne le déroulement de la procédure extraordinaire, s’ajoute le fait que le suspect est « vieux » (il affirme avoir 60 ans) et qu’il est « gros ». Le procureur du roi a beau affirmer la nécessité d’atteindre la vérité, la Cour réserve finalement sa décision.

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La Cour ne se prive pas de noter les effets néfastes de la torture qui a été appliquée par une juridiction locale et de le regretter, comme cas très « inhumain » 56. L’usage de la torture par les juridictions locales peut faire l’objet d’un appel, ce qui permet de mieux saisir la position du Parlement face à ce problème57. Mais, au total, l’attitude de la Cour est ambiguë. Elle peut confirmer l’action du prévôt de Paris, comme dans le cas de coupables qui, soumis à la question, avaient fini par avouer. En revanche, elle peut aussi écouter l’appel de clercs dont le semblant de procès se termine en géhine, comme dans

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le cas de Perrin de Rouen qui se plaint d’avoir été pris par le procureur de l’évêque de Paris, « sans informacion precedent et mené prisonnier au Fort l’Evesque et a esté despouillié pour estre mis en gehine dont il a appellé et depuis l’ont lié a gehine et voulu questionner »58. On voit bien ce que cette oreille attentive doit aux conflits de juridictions et à la personnalité de l’appelant qui a eu la garde de la vaisselle du roi. 24

Il est difficile de savoir si le Parlement donne souvent l’ordre d’utiliser la torture pour éclaircir un procès. Pendant le règne de Charles VI, les mentions de ce genre sont rares. Il est probable qu’il existe une évolution que permettent de déceler les registres criminels. Entre 1375 et 1390 environ, la référence à la procédure extraordinaire abonde dans les plaidoiries. La Cour tente de définir les cas qui entraînent son application. En mai 1377, le procureur du roi affirme : « la Cour de ceans combien qu’elle soit souveraine n’a pas acoustumé a proceder par questions et voies extraordinaires contre les prisonniers qui sont mis en proces ordinaires se il n’est expressement reserve et ne puet autre juge faire ceste reservacion ». Puis, suite logique de ce discours, en janvier 1382, pour un criminel qui n’a pas donné la vérité à entendre en sa grâce, la Cour décide par arrêt « a savoir se Adam sera mis en question extraordinaire ou non »59. On voit aussi, parallèlement, des critiques implicites s’élever contre l’emploi d’une torture violente et anarchique, faite de nuit, sans que la décision soit prise à la majorité des présents, et sans respect du criminel. Dans ces conditions, la Cour peut décider d’élargir le prisonnier ou d’entendre l’appel du criminel ou de ses parents si celui-ci est décédé. Ainsi, en juillet 1377, demoiselle Marie de Waudelicourt, prisonnière au Châtelet, « estant en grant peril de sa vie laquele a esté questionnee par la Court », est ensuite visitée par un physicien puis élargie 60. Quant aux scènes terribles de tortures que décrivent les plaidoiries, elles ont finalement pour but de faire comprendre que, au-delà d’une certaine violence, la vérité n’existe plus. Telle est la raison pour laquelle l’action de certains réformateurs, trop enclins à utiliser la terreur, est finalement critiquée. Tel est le cas de ceux qui, envoyés dans les bailliages de Meaux et de Melun, ont « voulust montrer qu’on les doubtast et firent faire nouvaulx eschafaux et establirent nouveau bourrel qui aguisoit sa doloire sur les quarreaux parmi les rues » et, face à celui qui refuse de confesser son crime, « lui faisoit veoir la gehine ou l’en gehinoit plusieurs », pour finalement le faire « trayner et pendre contre l’opinion des sages »61. La réforme est l’objet de réflexions et de tâtonnements. Dans ces conditions, le registre d’Aleaume Cachemarée vient bien, en 1389-1392, comme un aboutissement de la rigueur, mais aussi comme un frein pour introduire la raison dans l’extraordinaire62. Les Marmousets ont compris que la quête de la vérité passe par là.

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Quelle part de tâches matérielles revient au Parlement dans l’exécution de l’extraordinaire ? Si la Cour est peu impliquée dans l’exécution de la torture, on peut assister à l’emploi, sur ordre de la Cour et en présence de ses membres, d’un procédé particulier pour extorquer l’aveu. Il est ainsi décidé, le 24 décembre 1405, au terme d’une procédure d’office à la suite de la mort d’un ancien procureur du roi à Mâcon, de menacer d’un semblant de noyade Jehan Maillet, fortement soupçonné par l’information faite sur lui et sur ses crimes, pour tenter de lui extorquer des aveux. Le but poursuivi par la Cour est explicitement indiqué : « ordonné est que pour savoir se le diz prisonnier vouldra riens confesser d’iceulx cas, on lui fera semblant de le noier en lui disant qu’il est a ce condamnez ». La procédure est appliquée le 2 janvier suivant et le greffier note : « Aujourd’uy au soir a esté fait semblant de vouloir noier Jehan Maillet en lui disant qu’il estoit a ce condempnez comme il avoit esté deliberé la veille de Noël derrenier passé et a esté pour ce mené au lieu accoustumé et loyé en un sac mais

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onques n’a riens voulu confessier et puis a esté remis ou Chastellet » 63. On ne sait pas ce qui est advenu ensuite du coupable. Pourquoi cette décision ? Sa date, la veille de Noël, est peut-être déterminante car le procureur du roi, lors d’autres procès, affirme qu’il est inadmissible d’appliquer la gehine lors de fêtes religieuses 64. Mieux vaut sans doute exercer ce qui ressemble fort à une ordalie. D’autres décisions du Parlement montrent que, devant un coupable qui prétend avoir subi les effets pervers de la torture, la Cour choisit la raison : faire visiter le plaignant par des mires jurés 65. Enfin, sans participer lui-même aux besognes de la torture telles qu’elles se déroulent à la fin du XIV e siècle, le Parlement surveille, en particulier par l’appel, les effets de la procédure extraordinaire dans l’ensemble du royaume66. 26

L’appel n’est encore qu’une faible partie de l’activité pénale du Parlement de Paris. Les lettres de commissions montrent que la Cour agit plutôt par contrôle direct. Elle surveille étroitement l’action des baillis et sénéchaux en matière criminelle, et nombre d’accusés sont transférés au Châtelet sur son ordre. Ce pouvoir s’étend aux justices ecclésiastiques. Ainsi, en 1416, la Cour donne ordre d’arrêter Jacques Fricon, religieux de l’abbaye de Déols, en Berry, déjà emprisonné par son abbé, « pour estre interrogié par nous sur certains cas touchans aucuns proces pendans en la dite Cour de Parlement »67. Pour ceux-là, dans quelle mesure le Parlement choisissait-il de faire appliquer la procédure extraordinaire ? Les sources sont quasiment muettes car, en règle générale, le Parlement se contente de renvoyer le criminel au Châtelet sans qu’il soit précisé quelle procédure lui est appliquée, et cela même en cas de crimes énormes, incendies, faux, empoisonnements68. Il est bien évident que certains prisonniers pouvaient y être soumis à la procédure extraordinaire. En avril 1405, le Parlement autorise un prisonnier du Châtelet à bénéficier de lettres de rémission, non seulement en raison de la semaine sainte, mais encore parce qu’il avait été torturé 69. En fait, tout se passe au Châtelet où le prévôt bénéficie de pouvoirs étendus, qu’il agisse dans son ressort ou hors ressort.

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Quels liens unissent les deux instances ? Dans les jugements du Châtelet retenus pour la période 1388-1392, le prévôt et ses lieutenants sont, par leur présence assidue, maîtres des décisions70. Les membres du Parlement sont très minoritaires parmi les présents et il existerait, au moins pour la justice extraordinaire, une sorte de spécialisation des tâches entre le Parlement et le Châtelet. Les documents du Parlement criminel exactement contemporains du registre d’Aleaume Cachemarée ne font guère d’allusions à ce qui se passe au même moment au Châtelet. On voit seulement quelques cas évoqués au Parlement, comme celui de Jean Le Brun dont le nom apparaît le 2 décembre 1389 à propos de compagnons qu’il avait dénoncés. En fait, cette mention montre que le Parlement est saisi de ce qui se passe au Châtelet, non sur le fond de l’affaire, mais sur le conflit de juridiction qui en découle : ces deux compagnons, emprisonnés sur ordre du prévôt Jean de Folleville, sont des clercs que réclame l’évêque de Paris71. Sans cet incident, on aurait pu penser que les deux juridictions sont imperméables. Et, lorsque le Registre criminel du Châtelet mentionne un criminel qui, du prévôt de Paris, fait appel au Parlement, il n’y a là qu’une procédure normale, telle qu’elle est appliquée pour les autres juridictions royales. On sait pourtant que, dans le cas de Margot de La Barre, finalement accusée de sorcellerie, maîtres Pierre Lesclat et Guillaume Porel ont été envoyés au Châtelet pour entendre sa cause d’appel dont ils ont rapporté la teneur au Parlement, et que, après « retournez sur lesdiz quarreaux oudit Chastellet, dirent et rapporterent que par mesdiz seigneurs avoit esté deliberé et appointié que par mons. le prevost feust procedé a l’encontre d’icelle Marion ainsi qu’il

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verroit convenir et a faire seroit de raison, nonobstant ladite appellacion par elle faite » 72 . Remarquons que seul l’appel est rejeté et que la procédure extraordinaire n’est ni explicitement mentionnée ni recommandée. Certes, on voit des conseillers au Parlement assister aux séances de torture du Châtelet et participer aux délibérations à l’issue desquelles est proclamée la sentence, indices de rapports étroits mais aussi d’une spécialisation des tâches. Et, faute de sources, il faut bien conclure que les liens entre le Châtelet et le Parlement sont difficiles à élucider, et que la responsabilité du Parlement dans l’obtention de l’aveu, y compris par la torture, ne peut pas être cernée. Au mieux, peut-on saisir une évolution qui montre, dans la première moitié du XIV e siècle, une relative absence de spécialisation entre les deux instances puisque les confessions sont enregistrées par les greffiers du criminel, tandis qu’en 1388-1392, elles sont rédigées par le clerc du Châtelet. N’est-ce pas le signe que la justice se sépare de la police ? 28

Si, en dernière analyse, le Châtelet est maître du jeu dans l’application de la procédure extraordinaire à cette époque, l’interrogation se tourne vers lui : dans quelle proportion l’a-t-il appliquée ? Sur ce point, le registre d’Aleaume Cachemarée ne peut être d’aucun secours. Il n’évoque pas obligatoirement tous les cas pour lesquels la torture a été appliquée entre 1388 et 1392 ; mais on ne peut pas affirmer non plus, comme le font L. Batiffol et Br. Geremek, que l'utilisation de la question fait systématiquement partie des normes de la procédure suivie au Châtelet 73. Elle paraît plutôt réservée aux grands larrons et meurtriers pour lesquels le flagrant délit et la dénonciation ont lancé la poursuite. A la fin du XVe siècle, le Registre des écrous du Châtelet montre que, sur les 600 cas relevés en 1488, une vingtaine seulement de prisonniers ont été soumis à la question, dont les trois quarts pour vol. Hervé Chaussier est de ceux-là. Pris pour avoir coupé une bourse lors d’une noce à l’Ecu de France, il est déclaré « valet chaussier demourant partout », déjà essorillé, et « outre que dans la braie de ses chausses a esté trouvé une boette plaine de glux quy est signe de quelque malefice »74. Son statut social, son passé judiciaire, le type de vol commis et ceux qu’il s’apprêtait encore à faire en « butinant » comme d’autres spécialistes quelques troncs d’églises à la glu, ont attiré l’attention des juges. Mais la faiblesse du nombre de cas ne peut pas être l’objet d’une généralisation. Ces prisonniers dépendent directement de la juridiction parisienne. Quel régime était appliqué aux prisonniers qui étaient amenés des bailliages sur ordre du Parlement ? Etaient-ils plus facilement soumis à une procédure extraordinaire systématique en raison de la gravité du cas ? Leur arrivée est bien mentionnée dans le registre, mais leur sort est rarement indiqué et les précisions sur la procédure suivie sont inexistantes75.

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Les sources sont un handicap sans doute insurmontable tant par leur laconisme que par leur cloisonnement qui interdit de relier de façon satisfaisante le Parlement au Châtelet. Mais au moins une constatation s’impose. La procédure extraordinaire qui conduit à la recherche systématique de l’aveu ne peut pas être généralisée, et cela pour une première raison, d’ordre qualitatif. Face à la procédure extraordinaire, le Parlement reste très en retrait, plus sensible à régler les contestations avant même qu’il y ait eu jugement, qu’à traquer systématiquement les coupables. On ne peut même pas dire qu’il poursuit jusqu’à la confession finale ceux dont il a ordonné la saisie, avec fracas, dans l’ensemble du royaume76. Enfin, l’aveu du crime, pour important qu’il soit devenu dans la procédure inquisitoire des justices laïques, échappe pour une grande part aux rets de l’écriture. Au Parlement, on « ouït » l’aveu sans éprouver le besoin de le coucher par écrit. Le souci de rédaction qui caractérise le règne de Charles VI n’a pas totalement atteint son but : le greffier du Parlement ne répond pas exactement aux

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exigences des théoriciens. L’oral, comme dans la procédure civile, a laissé ses marques et il reste, en la matière, prépondérant77. Seule la procédure est soigneusement notée par écrit et, Jean Le Coq, dans sa quête des cas, ne mentionne aucune confession de criminels. Encore en 1455, les projets de Thomas Basin pour organiser une procédure écrite dans le dernier état du droit romain et canonique ne sont pas entendus ; il faut attendre les minutes de la Tournelle, au XVIe siècle, pour voir, griffonnées, les confessions des criminels78. Auparavant, la rédaction de l’aveu occupe peu de place : ce que dit l’individu reste encore moins important que ce que les autres, voisins, témoins et avocats, disent de lui ; la vérité ne l’a pas emporté sur le vraisemblable. Aussi, les temps forts de rédaction des aveux, tels qu’ils sont entrepris par les greffiers, dans la première moitié du XIVe siècle ou sous les Marmousets, sont-ils significatifs d’une histoire judiciaire étroitement liée à la conjoncture intellectuelle et politique.

FUIR LOIN DU CRIME 30

Le faible nombre de confessions que contient la justice répressive tient à une autre donnée, d’ordre quantitatif. Les juges ont rarement besoin de s’interroger longuement sur l’innocence du prévenu. Le criminel signe son acte en quittant, de sa propre initiative, les lieux du crime, ce qui est « vraie presumpcion » de culpabilité. Plus de 45 % de ceux qui obtiennent une lettre de rémission se sont ainsi rendus « fuitifs » 79. Parmi eux, 4 % seulement se sont enfuis en disant dans leur lettre de rémission qu’ils ont été dénoncés, et parmi ceux qui disent avoir été dénoncés, 22 % seulement se sont enfuis, les autres ayant été, pour la plupart, emprisonnés (tableau 6). La fuite ne s’accompagne pas de la dénonciation : elle est, en elle-même, une dénonciation de fait, aux yeux de tous. Lorsqu’en 1392, Jean Aye, « povre laboureur de terres », prétend aller en pèlerinage à Saint-Gilles, ce départ donne corps aux soupçons relatifs au meurtre d’un voisin, meurtre qui était resté impuni, faute de témoins 80. Tableau 6 : Le coupable a été dénoncé

Sort du coupable

Fréquence (en %)

1 En fuite

22,5

2 Emprisonné préventif

64,0

3 Emprisonné évadé

5,0

4 Laissé en liberté

5,0

5 Plusieurs peines

0,0

6 Autres

3,5 100

209

Aucune dénonciation précisée

Sort du coupable

Fréquence (en %)

1 En fuite

52,0

2 Emprisonné préventif

31,5

3 Emprisonné évadé

3,5

4 Laissé en liberté

7,0

5 Plusieurs peines

0,5

6 Autres

5,5 100

Après le crime, le sort des coupables, que ceux-ci soient dénoncés ou non, se répartit entre la fuite, la prison préventive et des peines prononcées par jugement. Les coupables en fuite n'ont pas besoin d’être dénoncés car cette attitude signe leur acte criminel aux yeux de tous. L’emprisonnement suit une logique exactement inverse. 31

Malheureusement, les sources criminelles ne permettent pas de dire dans combien de cas cette fuite aboutit soit à une grâce, soit à une répression organisée légalement par les tribunaux, soit à un accord amiable entre les parties. Les sources permettent de déceler comment les issues se juxtaposent, mais non comment elles s’enchevêtrent. On retrouve là un problème essentiel de la criminalité : pour qui et dans quelles circonstances la communauté choisit-elle de procéder à l’une ou l’autre de ces solutions ? La question se double d’ailleurs d’un problème juridique : la procédure d’office s’applique-t-elle systématiquement à la fuite, quelle place occupe la contumace dans les jugements ?

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Les textes permettent seulement de saisir qu’effectivement la fuite et sa dénonciation sont entre les mains de la communauté, et que les suppliants en fuite peuvent craindre leurs « malveillans » et leurs « haineux ». L’organisation matérielle du départ peut être réglée par la parenté et les amis. Prenons l’exemple de Pierre Gauchier, emprisonné au Châtelet en juin 1390 sur dénonciation pour avoir volé un cheval, tué celui qui le chevauchait et emporté le chargement81. Une fois le forfait accompli, Pierre Gauchier retourne chez lui retrouver sa femme et ses enfants. Se sentant repéré, il « se absenta d’icelle ville, et lessa sa femme et ses enfans (...) mais s’est tousjours, depuis ce que dist est, absenté et fuy du païs ». L’interrogation des juges porte, d’emblée, sur la signification de ce départ : « requis pour quel cause il s’est absenté dudit païs, dit pour ce qu’il n’y veoit plus son prouffit a faire ». Puis, dans une deuxième déposition, Pierre Gauchier avoue que, « pour ce qu’il avoit esté soupeçonné d’avoir mal prins lesdiz cheval et houppelande et qu’il avoit de ce esté advisé par aucuns de ses amis, il estoit partiz et absentez d’icelle ville et pays d’environ et avoit leissé sadite femme et enfans puis VI sepmaines a ou environ, mais dudit crime il estoit pour innocent ». Le suspect sépare nettement le soupçon du crime proprement dit, et seule la torture a raison de sa résistance. Pour rendre son jugement, la justice légale tient d’ailleurs compte de cette attitude initiale. Ainsi, en juin 1391, le Parlement procède à l’élargissement de Geoffroy

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de Charny qui aurait obtenu des lettres de rémission subreptices, car il est « homme assez resseant et n’est pas fugitif » ; en revanche, en février 1406, l’évêque d’Arras charge messire Estienne Haton, prêtre et chanoine d’Arras, qui requérait son élargissement, car il « est accusez et souspeçonnez crimine pessimo dont s’est rendu coulpable, parce que s’en fui »82. Après un crime, ni les juges ni l’opinion ne sont dupes de ces départs inopinés. Le cas le plus éclatant est celui de Jean sans Peur quittant Paris trois jours après le meurtre du duc d'Orléans. Les motifs de haine qu’il pouvait avoir contre son rival, l’aveu qu’il fait de son crime au duc de Berry, puis à son entourage, sont moins importants pour signer son acte aux yeux de l’opinion que sa fuite. Les Parisiens en décryptent tout de suite le sens, tandis que le départ contribue à rendre inutile l’enquête entreprise par Guillaume de Tignonville. Enguerrand de Monstrelet écrit : « Si fut lors denoncé par toute la cité de Paris et tout commun, que ledit duc de Bourgoingne avoit fait faire cest homicide »83. 33

Quel sens donner à ces départs ? Il est évident que la peur des représailles organisées par la partie lésée, ainsi que la crainte d’une poursuite d’office entrent pour une large part dans la décision que prend le coupable. Les textes sont clairs. Pierre Gauchier a eu peur des parents de sa victime venus le poursuivre jusque chez lui et il a été prévenu à temps ; quant au duc de Bourgogne, il fait état des forces inégales qui l’opposent aux partisans du duc d’Orléans dans le Paris de 1407. Tous les suppliants par ailleurs disent qu’ils craignent « la rigueur de justice ». Mais ce n’est pas le seul sens qu’il convient de donner à ces décisions. Le départ du coupable conserve un but précis que permettent de mesurer les lettres de rémission. Il donne le moyen aux deux parentés de s’entendre pour procéder à la paix. Cette entente peut être soit directe, comme le suggèrent les processus d’arbitrage, soit indirecte, comme le suggère le recours à la rémission. Dans près de 76 % des cas où il y a fuite, ces fugitifs n’ont pas encore été jugés avant d’obtenir la rémission et, au total, ils constituent près de la moitié des suppliants qui n’ont pas encore été jugés au moment de la rémission, les autres étant pour la plupart emprisonnés (tableau 7). La fuite donne le temps, personnellement ou par l’intermédiaire de parents et amis, de recourir à la grâce et d’obliger, de fait, la partie adverse à conclure la paix84. Tableau 7 : Fuite et jugement a) Les coupables n’ont pas été jugés

Sort du coupable

N’a pas été jugé (en %)

1 En fuite

47,0

2 Emprisonné préventif

40,5

3 Emprisonné évadé

3,0

4 Laissé en liberté

6,0

5 Plusieurs peines

0,5

6 Autres

3,0 100

211

Les coupables qui n'ont pas encore été jugés se partagent essentiellement et de façon presque égale entre la fuite et la prison.

b) Les coupables sont en fuite

Jugement

Coupable en fuite (en %)

1 Par un tribunal non précisé

1,5

2 Par un tribunal royal

13,0

3 Par un tribunal seigneurial

7,0

4 Par un tribunal ecclésiastique

0,5

5 Par un tribunal urbain

2,0

6 N’a pas été jugé

76,0 100

212

Plus des trois quarts des coupables en fuite n’ont pas encore été jugés. La fuite occupe bien par rapport au jugement une place particulière dans laquelle peut s’insérer la rémission. 34

Pour toutes ces raisons, il est logique que la fuite suive en priorité les types de crimes qui nécessitent un recours à la paix entre les parties : nettement en tête viennent les homicides avec 70 % des cas, suivis par les vols et par les viols 85. En revanche, certains crimes, tels les crimes politiques, n’entraînent pas la fuite du coupable. Ils concernent directement la collectivité sans que la paix entre individus soit en cause. Mais, même s’ils sont majoritaires, on voit que les crimes de sang ne sont pas seuls à provoquer la fuite du coupable, ce qui interdit de lier systématiquement cette fuite à l’existence d’une souillure que supposerait le sang versé ; cet aspect entre certainement en ligne de compte, mais la fuite n’est pas seulement le temps d’une mise à l’écart purificatrice, comme on le voit dans certaines sociétés de la tradition 86. Il s’agit plutôt d’un geste qui prépare la paix, et il est probable que dans certains cas la communauté sait où se trouve le fugitif sans pour autant chercher à le poursuivre. L’existence et le respect des lieux d’asile sont là pour prouver que ces rituels sont encore vifs à la fin du Moyen Age.

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La fuite est indépendante des contingences propres à la personnalité du suppliant. Elle a lieu quels que soient l’âge, la situation sociale ou civile 87. Il s’agit bien d’une phase normale du rituel qui marque la résolution des conflits violents ; elle est inhérente au déroulement du crime. Loin de contrecarrer cette organisation, la Chancellerie en prend acte et l’intervention royale s’y infiltre. Si ces criminels devenus pour un temps hors-la-loi n’ont pas encore été jugés, ce n’est pas seulement là une preuve de l’inefficacité de la justice médiévale. Ce temps est plutôt celui qui est nécessaire au rituel qui conduit à l’accomplissement de la paix. Il est remarquable que, pendant ce temps d’attente qui précède la rémission, les traces de vengeance mentionnées dans les documents judiciaires soient rares. La fuite est le début de la trêve, en attendant que la paix soit conclue. Elle est aussi le début de la procédure de demande en grâce. Tout

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semble se passer comme si, après le crime, le temps s’était arrêté ; la demande de rémission se déroule hors du temps, de la même façon que l’asile trouvé dans un lieu sacré échappe à l’espace de la loi des hommes88. On peut s’interroger sur les lieux où errent ces criminels. N’existe-t-il pas un accord tacite entre les parties qui, dans certains cas, permet leur retour sans poursuite ? Le délai relativement court entre la rémission et le crime réduit sans doute les risques89. 36

Il resterait à déterminer si la décision prise par le roi est en fin de compte coercitive, c’est-à-dire si, en accordant la rémission, le souverain émet un jugement. Rien n’est moins sûr. Les formules qui marquent la fin de la rémission et tiennent compte du droit de la partie adverse sont là pour donner le sens exact de l’action royale. Le roi agit en reconnaissant l’existence des deux parties et en les obligeant moralement à régler l’affaire, de façon à stopper, du moins dans l’immédiat, le prolongement des hostilités 90. Loin d’avoir limité le recours à cet aveu de fait qu’est la fuite, le roi la reconnaît comme un élément qui s’intègre au processus préparatoire d’une paix que facilite la grâce. Néanmoins, et ce n’est pas sans importance étant donné la difficulté de la confession, par la lettre de rémission le roi oblige le coupable, par écrit et oralement lors de l’entérinement, à avouer son crime.

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L’appel aux témoins peut aussi éviter largement le recours à l’aveu ou à d’autres formes de preuves. La renommée est d’autant plus efficace que le crime est commis de façon ouverte, ce qui est souvent le cas quand il s’agit d’un homicide. Or ce type de crime, nous le verrons, est numériquement le plus important pendant la période considérée 91. En cas d’homicide, les témoins se pressent, la renommée se diffuse avec rapidité et la notoriété suffit à cerner le coupable. On ne peut pas séparer l’analyse des preuves employées des types de crimes commis. Il faut aussi chercher dans la logique de l’homicide impliqué dans un processus de vengeance dont les règles sont strictes et partagées par tous, les raisons et le succès d’une procédure qui se contente de preuves par la notoriété92. Enfin, le champ clos du crime, ses relations avec le pays de connaissance peuvent garantir une telle procédure. Le corps de la victime reste là, exposé aux yeux de tous. Non seulement le coupable est connu, mais il est nécessaire à la logique du crime qu’il le soit ; la justice peut, sans aveu, faire son œuvre.

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A ces crimes insérés dans la renommée que clament la fuite et la notoriété et qui sont les plus nombreux, s’opposent les crimes cachés, certains vols, certains viols, parfois aussi certains meurtres au terme desquels les corps des victimes ont disparu, enfouis dans le jardin ou dans l’étang voisin. En 1403, le corps de Mathelin est retrouvé percé de trente coups et noyé en même temps que le valet des coupables que ceux-ci, pour ne pas être reconnus, avaient aussi jeté dans la rivière. Cela suffit à prouver « l’aguet appensé » et à rendre la rémission subreptice aux yeux du Parlement 93. Aux XIVe et XVe siècles subsiste encore l’obsession que reflétait déjà la loi salique, punissant trois fois plus l’homicide quand il se doublait d’une tentative pour cacher le corps, soit en le noyant dans un puits ou dans une rivière, soit en l’enterrant dans le jardin 94.

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Pour ces cas douteux, les juges peuvent vouloir obtenir l’aveu afin que ce qui était occulte vienne à la connaissance. Pour ces crimes-là, si l’aveu n’est pas obtenu de façon spontanée, les juges peuvent recourir à la procédure extraordinaire. En 1407, le Parlement de Paris reçoit l’appel de Jeannette la Gachote dont le mari est mort sous la torture que le prévôt de Tours lui a appliquée par dix fois. Elle-même échappe à la question et aux fers de la prison. Au pied du gibet, un complice a accusé le couple d’avoir tué un marchand et de l’avoir enterré dans le jardin. On voit bien ce qui a pu

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stimuler l’attention des juges tourangeaux. Cette terre recèle d’autres crimes. L’avocat du lieutenant du bailli le suggère quand il montre les mariés « recepteurs publiques de larrons et murtriers ». Nul doute qu’ils aient participé à « des morts de marchands » qu’ils ont logés chez eux et dont ils ont ensuite caché le corps 95. De la même façon, la procédure extraordinaire est appliquée aux coupables qui échappent, par leur statut social, à l’ordre du notoire : grands criminels que le vagabondage déracine et dont les voisins ne connaissent, au mieux, que le dernier crime, ignorant ceux qu’ils ont commis ailleurs. Ainsi s’explique en partie l’acharnement des juges du Châtelet pour en savoir davantage à chaque séance de torture. L’aveu qui se déroule remonte le temps, sans toutefois qu’il y ait une logique continue de la mémoire qui aille systématiquement du fait le plus récent au plus ancien. Le cas de Perrin Marosier qui avoue plusieurs crimes de nature et de valeur sensiblement égales, des vols successifs, est significatif : on passe de faits récents à ceux qui se sont déroulés il y a un an, puis il y a cinq ans, puis il y a deux ans, pour revenir aux crimes commis l’été précédent96. La répétition du crime compte plus que son éventuelle progression en gravité au cours du temps. 40

Il existe bien deux catégories de criminels : ceux qui sont insérés dans les lois plus ou moins tacites de la connaissance et qui n’échappent pas aux modes ordinaires de la réparation, et ceux pour lesquels la communauté n’arrive pas ou ne veut pas arriver à savoir la vérité. Le vrai désordre commence avec eux et c’est à eux que s’applique au premier chef la confession dans le cadre de la justice répressive légale. Aux autres, le roi peut réserver sa grâce, à condition qu’après la fuite et l’accord entre les parties, le coupable procède aussi à une confession de son crime. Dans les deux cas, l’expression de la vérité sous-tend l’aveu, mais avec des objectifs différents. Dans cette quête où la parole est reine, quelle place accorder aux preuves dites traditionnelles, serment purgatoire, duel judiciaire et ordalies ?

LE JUGEMENT DE DIEU 41

Tous les historiens admettent que les preuves relevant du sacré ont été fondamentales depuis la plus haute Antiquité jusqu’au XIIIe siècle ; ensuite, il apparaîtrait que les différentes formes de l’ordalie cèdent le pas au profit de l’enquête. Seul le duel se maintiendrait, exceptionnellement, jusqu’à l’époque moderne, du moins chez les nobles97. Cette idée d’une évolution linéaire en matière de preuves est en partie inséparable du rapprochement qui peut être fait avec la condamnation des ordalies par le pouvoir : pouvoir religieux à Latran IV qui prône la confession, pouvoir politique en 1254 et 1258 lors des ordonnances de saint Louis qui définissent les modalités de la justice et condamnent le duel judiciaire. Dès lors, aux XIV e et XVe siècles, l’histoire de ces formes de preuves devient celle d’une résistance aux ordres royaux et celle d’un obscurantisme voué à l’échec. Il convient de nuancer ce point de vue, même si on assiste, effectivement, à un repli de ce type de preuves. En effet, les archives du Parlement criminel recèlent un certain nombre de cas qui montrent que ces pratiques étaient reconnues par la Cour puisqu’on les trouvent comme arguments dans la bouche des avocats et que le greffier criminel, qu’il s’agisse de Jean de Cessières, de Jean Du Bois ou de Jean Des Portes, en font état sans commentaire particulier, autre que les discussions des avocats à ce sujet. Néanmoins, ces preuves qui font appel au jugement de Dieu, qu’il s’agisse du serment purgatoire, de l’ordalie unilatérale ou du duel

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judiciaire restent très minoritaires puisqu’elles constituent moins de 1 % des cas recensés dans les registres du règne de Charles VI, lettres et plaidoiries confondues. 42

Parmi ces preuves, le serment purgatoire est la plus difficile à cerner. Il n’a pas totalement disparu puisque les parties y recourent lors de la passation des accords. Les archives du Parlement en gardent la trace. Avant de procéder à la paix, celui qui a provoqué le crime doit jurer son innocence98. De la même façon, un duel judiciaire peut être remplacé par un serment prêté devant le Parlement. En 1377, Colart de Saint-Lô, face à son adversaire, cousin de la victime, « jura et afferma par son serment, la main tendue contre les sains qu’il n’a esté ne n’est aucunement coupable de la mort dudit feu Hue. Et a prié audit Mahieu qu’il ne l’en sache mal gré et qu’il ne l’en ait aucunement en souspeçon ou indignacion. Et ledit Mahieu Hue a pardonné toute rancune et malivolence qu’il avoit encontre li »99. Suit une scène d’accord entre les parties qui s’apparente à celle de l’asseurement ou à la paix qui clôt les guerres privées. Un cousin de Mathieu et Jean de Cessières ont servi d’intermédiaires et le greffier criminel ajoute « et en signe de paix nous les avons fait boire ensemble ». A cette utilisation du serment purgatoire prélude de la paix, s’apparente le cas de maître Nicolas Fraillon. Le 27 août 1408, ce conseiller au Parlement, à qui il est reproché d’avoir soutenu Benoît XIII en ayant favorisé le départ du porteur de la bulle d’excommunication contre le roi et son royaume, reçoit une lettre de rémission. Mais le Parlement procède à l’entérinement après qu’il « eut juré qu’il n’avoit nullement eu l’intention d’offenser le roi » 100. Enfin, le 16 août 1409, un autre serment purgatoire prêté devant le Parlement retient l’attention du Religieux de Saint-Denis. Le comte de Nevers est soupçonné d’avoir fait pendre et étrangler un sergent royal. La rumeur court et menace la renommée du comte. Celui-ci se justifie publiquement par serment et à l’aide de témoins 101. Le recours au serment est rare, mais il a lieu dans des cas graves, preuve qu’il reste lié étroitement au sacer et que ce lien est parfaitement perçu par l’élite savante qui s’occupe de la justice.

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Le duel judiciaire est la preuve qui apparaît le plus fréquemment. Son usage prête à confusion. Il est en effet marqué par la condamnation qu’en fit saint Louis, et il est souvent présenté comme un prolongement de la guerre privée, dont les ordonnances ont répété l’interdiction. Enfin, il s’inscrit dans le cadre de la condamnation globale du port d’armes, dont l’application a été particulièrement aiguë pendant le règne de Charles VI. Le choix chronologique des sources considérées ne permet pas de saisir une évolution fine de l’utilisation du duel entre la première moitié du XIV e siècle et le règne de Charles VI. On le voit surtout pratiqué en langue d’oïl, mais on sait, qu’au même moment, il était aussi abondamment pratiqué dans le Midi 102. Si on compare les quatre premiers registres du Parlement à ceux du règne de Charles VI, soit chaque fois pendant une période d’environ quarante années, le nombre des gages de bataille est effectivement plus élevé entre 1325 et 1350 – une cinquantaine – qu’entre 1380 et 1422 où on peut recenser environ une trentaine de cas. Cette différence s’accentue encore si on mesure la place relative qu’occupent les affaires de duel judiciaire pendant les deux périodes puisque le nombre total d’affaires passées au Parlement est moins élevé entre 1325 et 1350 qu’entre 1380 et 1422. Il y aurait donc bien un recul du nombre de duels judiciaires évoqués devant le Parlement de Paris au cours du XIV e siècle. Cette évolution est-elle pour autant linéaire ? Le règne même de Charles VI est sujet à variations. Entre 1412 et 1422, les registres mentionnent peu de gages de bataille. Ce n’est pas pour autant un signe de leur disparition puisqu’on les voit réapparaître par la suite et que le dernier exemple daterait de 1574103. Simplement, il est probable que

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l’urgence de la situation militaire et politique fait passer au second plan les causes où peut intervenir ce mode de preuve. Au Parlement, on débat désormais de causes politiques, de port d’armes et de lèse-majesté, toutes choses qui relèvent de notions que le gage de bataille ne peut pas résoudre. Le privé cède le pas au public, l’honneur des personnes à celui du roi et du royaume. 44

Condamné par le pouvoir royal, le duel est reconnu par les coutumiers. Philippe de Beaumanoir le considère comme nécessaire dans les grandes causes criminelles, sous réserve de l’autorisation du roi, « car ce n’est pas chose selonc Dieu de soufrir gages en petite querele de mueble ou d’eritage, mes coutume les suefre es vilains cas de crime et es autres cas meisme, es cours des chevaliers, s’ils ne sont destourné par leur souverain »104. Ce privilège n’est pas réservé aux justices laïques : au XIII e siècle des duels ont lieu dans la cour de l’évêque de Paris en cas de meurtre et de rapt 105. Quelle est sa nature, comment est-il appliqué et quelles limites rencontret-il pendant l’époque qui nous occupe ?

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Le duel judiciaire est condamné par la royauté en même temps que la guerre privée. L’association entre les deux interdictions n’implique pas pour autant que le duel judiciaire soit un prolongement de la guerre privée comme le suggère J.Ph. Lévy 106. Au contraire, s’il existe entre les deux phénomènes des ressemblances qui entraînent une même réprobation relative au port d’armes ou qui peuvent mêler la recherche de la vérité à la vengeance, les différences portent sur le fond : la guerre privée venge un honneur bafoué dont on connaît le responsable ; le duel fait sortir le coupable de l’ombre, par la volonté de Dieu. Dans le premier cas, le crime a désorganisé la situation sociale que la guerre rétablit. Dans le second cas, une réponse magico-religieuse répare une situation magiquement désorganisée parce qu’inexplicable. On peut recourir au duel judiciaire pour expliquer une mort suspecte, en particulier par poison, et les contemporains ne se trompent pas sur le sens que doit avoir, efficacement, le duel. Il n’est pas une vengeance. Jean Le Coq, à propos du fameux gage de bataille entre Carrouges et Legris, ce dernier étant accusé d’adultère, note perplexe : « Et habeo scrupulum quod fuerit vindicta et sic pluribus visum fuit qui viderunt dictum duellum » 107. Comme le suggère son remplacement éventuel par le serment, le duel judiciaire, dans sa forme normale, relève du sacré. L’effort que mène le Parlement pour restreindre le recours au duel montre davantage son désir de préserver les sujets de toutes les formes de violences que la filiation entre le gage de bataille et la guerre privée. Leur résolution peut devenir identique, leur nature reste différente.

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En fait, malgré les interdictions, la royauté s’est vite rendu compte qu’elle ne pouvait pas, ou pas encore, se passer du duel judiciaire. Dès 1306, il est rétabli pour les crimes capitaux autres que le vol, puis l’exception du vol est abolie par Louis X, en 1315 108. On voit ce que cette mesure doit à la réaction nobiliaire. Ensuite, le duel judiciaire suit le sort réservé à la guerre privée, c’est-à-dire qu’il est soumis, comme l’a montré R. Cazelles à la conjoncture des guerres du roi, contre les Flamands ou contre les Anglais ; les affaires traitées au Parlement rappellent cette nécessité de faire taire les joutes privées, y compris pendant les trêves109. En fait, l’intérêt de la royauté rencontre celui des nobles.

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Dans l’exercice judiciaire, le duel se présente comme un moyen de ne pas laisser échapper des crimes que les témoignages ne peuvent pas cerner. En 1380, entre Jean Gil appelant et Robert Mercier défendeur, l’argumentation est claire. L’appelant maintient que son cousin « avoit esté de nuit et d’aguet appensé murtri et tué par trait de saiettes

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par ledit deffendeur et ses complices lequel fait ne peut estre prouvé que par gage. Si conclut que se le deffendeur confesse le fait il soit puni en corps et en biens et se il le nie il en gette son gage »110. On voit apparaître là une sorte de hiérarchie dans les moyens d’atteindre la vérité, mais rien n’implique que le duel soit d’une moindre signification que l’aveu, au contraire. L’aveu ne vient pas s’ajouter au duel malgré les principes d’un théoricien comme Balde pour lequel le devictus n’est qu’un coupable présumé et qui, pour l’être de façon irréfutable, se doit d’être confessus 111. Dans la pratique, le duel a conservé encore en cette fin du XIVe siècle son caractère sacré. Dans un long plaidoyer, Jouvenel, en 1404, face à Périer, en définit ainsi l’usage. Jean Corrobert, demandeur en gage de bataille contre Pierre de Cuisel, n’arrive pas à prouver que ce dernier, parce qu’il convoitait l’héritage de sa tante, l’a empoisonnée. Voici l’essentiel de la plaidoirie de Jouvenel :« et veult Dieu que justice soit faicte car autrement notre loy ne seroit pas parfaicte car se entre deux fors et puissans ne pourroit estre faite justice si non par ceste maniere. Et dit que par loy divine est dit que en faulte de justice telz gaiges sont permis et allegue David et Golias et autres et n’y fait riens ce qu’il dit que l’innocent pourra estre puni car puis que les circumstances et presumpcions sont si pres de la verité, laquelle on ne peut autrement attendre pour en faire souffisant jugement, chiet trop bien proceder par ceste maniere, autrement s’en ensuivroit les plus grans inconveniens du monde car nul ne doubteroit de faire couvertement grans maulx et n’est mie temptare Deum, neant plus que de passer la mer en une coquille de nois ou se bouter en une bataille qui sont choses permises. Et dit que aussi, bien que on met un homme par conjectures et presumpcions vehementer a la question, aussi bien peut on y promettre le gaige de bataille, car c’est moins de soy combatre pareil a pareil que soy combatre a la gehine ou le corps est sanz armes et sanz ce qu’il puisse secourir et par tels gaiges est la voye close a pluseurs malfaiteurs » 112. Tout est dit par Jouvenel qui répond implicitement aux arguments dont se servent les canonistes quand, pour condamner les ordalies, ils s’appuient sur la décrétale de Grégoire IX : « Duellae et aliae purgationes vulgares prohibitiae sunt, quia per eas multoties condemnatur absolvendus et Deus tentari videtur »113 Pour Jouvenel, il n’existe pas d’antagonisme entre le duel et la quête de la vérité. Enfin, le duel est présenté comme la forme noble de la torture. Le vocabulaire de la rationnalité est là, mais il n’exclut pas le recours à l’ordalie bilatérale. Au contraire, il la préconise en raison de son efficacité. Tout l’effort de la royauté tend donc, non pas à supprimer le gage de bataille, mais à le contrôler. 48

Les affaires évoquées au Parlement montrent le souci qu’a la Cour de ne pas laisser les sujets se faire justice eux-mêmes en procédant au duel sans autorisation. On voit le roi, à propos de l’affaire Carrouges et Legris, venir « en Parlement en sa majesté royal et ont esté en sa compaignie messieurs les ducs de Berry et de Bourgoingne ses oncles et Monseigneur de Valoys, frere du roy notre sire et plusieurs autres grans seigneurs » 114. Ce duel peut être rapproché de celui qui oppose, sous le règne de Jean le Bon, Jean de Vervins à Henri Du Bosc115. Dans les deux cas, il s’agit d’affaires de moeurs qui menacent l’intégrité des lois sacrées du mariage. Si le roi assiste au duel, ce n’est pas seulement par goût des faits d’armes, mais parce qu’il se considère comme le garant de ces lois du mariage, lui qui est le fondateur et le chef de l’ordre de l’Etoile dont la mission est, au sein de la chevalerie, de défendre l’honneur des dames. Enfin, n’oublions pas que, face au vaincu, le roi impose un semblant de justice : le corps de Legris est traîné au gibet.

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Il convient néanmoins de restreindre la propension à jeter le gage. Ainsi, en 1387, « veue la tollerance qui autrefoiz a esté soufferte de getter plusieurs gages pour une matiere », des décisions sont prises et la Cour a ordonné « que doresnavant aucun ne se ingere a geter gage a l’encontre d’un autre se il n’est partie formee poursuyant en son chief sur peine de l’amende, laquele ordonance a esté dicte et prononciee a haute voix devant plusieurs chevaliers et autres assistens »116. Une autre forme de limite consiste à définir strictement les conditions de la tenue du gage de bataille. Il ne doit pas, en particulier, confronter deux personnes de qualité inégale117. On retrouve là une des préoccupations de Jouvenel, l’égalité des participants. Quels sont ces égaux ?

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Tous les cas de duels judiciaires rapportés au Parlement pendant la période considérée sont le fait de nobles, de chevaliers, d’écuyers. Certes, on voit au Châtelet une simple femme réclamer le recours au gage de bataille, ou deux « hommes de labour » assignés par le bailli de Cotentin à une « journée » pour prouver un adultère, mais ce sont là des pratiques rares118. Les coutumiers ne précisent pas toujours la qualité de ceux qui peuvent êtres jugés par bataille mais le style du Parlement est clair : celui qui, sur le champ assigné pour la bataille, se présente devant le connétable doit être « en l’abit de gentilhomme » et faire protestation « de dire, de faire et de avoir toutes les choses generalement et especiallement et chascunes d’icelles lesquelles sont neccessaires et prouffitables a gentilgentilhomme »119. Dans l’application, le recours au duel judiciaire devient un privilège des nobles. Peut-être faut-il y voir, comme le suggère d’ailleurs Jouvenel, la forme nobiliaire de la torture. En ce sens, les deux formes de preuves évoluent de conserve, peut-être sous influence du modèle romain qui, sauf en cas de lèse-majesté, préservait les honestiores de l’emploi de la torture. Cette évolution n’a pas été évidente. En 1385, Olivier de Clisson prétend avoir le droit d’arrêter le seigneur Guy d’Argenton qui a porté les armes contre ses sujets. Le procureur du roi donne raison au connétable mais, sous prétexte de port d’armes, prétend que le seigneur d’Argenton doit être transféré au Châtelet et « mis en proces extraordinaire ». Ce dernier argue de son innocence, de la présence de témoins, mais aussi de ce qu’ils « est grant seigneur » pour ne pas être soumis à la justice extraordinaire et à la question 120. Finalement, le Parlement cède en partie : Guy d’Argenton est élargi. La condition sociale des coupables soumis à la torture se pose donc. Il n’est pas étonnant que la noblesse ait tenté d’y échapper, à cette époque où elle affirme ses privilèges, en matière fiscale par exemple. Le recours au duel judiciaire qui lui est réservé, est une forme parmi d’autres de sa reconnaissance et de sa supériorité. Un procès qui oppose en 1380 le lieutenant du connétable et le prévôt de Paris peut en apporter une illustration convaincante. Le lieutenant a envoyé deux nobles comme prisonniers au Châtelet « comme l’en a acoustumé et qu’il appartient a faire en matiere de gage » 121. Rien là qui ne soit choquant, étant donné qu’il y a partie formée. Le débat porte sur l’instance qui en a la juridiction, le connétable la réclamant, en tant que juge des gages de bataille, et le prévôt arguant de l’ordonnance de 1355 « sur laquelle ordonnance n’est pas contenu que le connestable puist cognoistre des gaiges de bataille ». Cette altercation illustre, en fait, une rivalité profonde entre le prévôt de Paris dont les pouvoirs ne cessent de se développer au cours du XIVe siècle et le connétable qui, en matière judiciaire, voit ses prérogatives diminuer122.

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Le gage de bataille est bien une affaire de nobles et, dans ces conditions, on comprend que la justice royale ne répugne pas à maintenir l’usage contrôlé de cette procédure. On

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comprend aussi les efforts de ceux qui, enfermés au Châtelet, affirment, sous la menace du tréteau, une noblesse qu’ensuite ils ne peuvent pas prouver. 52

L’évolution sociale des protagonistes autorisés au duel judiciaire explique sans doute l’évolution de l’ordalie bilatérale. Elle devient une procédure au coeur de laquelle se place le démenti et l’honneur nobiliaire. En 1390, deux chevaliers, Carbonnel et Guissart, s’affrontent à la suite d’injures. Guissart, dans le processus de démenti normal de l’injure ayant rétorqué que son adversaire était « menteur faux », Carbonnel jette son gage et affirme qu’il « lui eust esté grant deshonneur se il n’eust getté son gaige » ; de la même façon, Corrobert affirme qu’il réclame le gage de bataille, non par convoitise, mais pour « honneur garder »123. Le duel entre dans les formes normales de l’honneur nobiliaire. Cette réflexion n’implique pas que l’honneur soit une qualité réservée aux nobles, mais sa défense leur est reconnue en priorité. Ils peuvent donc l’accomplir, dans certains cas, par le gage de bataille. Les non-nobles sont tenus à d’autres voies, soit celle de la riposte par homicide parce qu’ils ne peuvent pas, ou plus, réparer autrement l’honneur blessé qu’en se laissant ensuite prendre au piège de la justice des hommes, soit celle de la torture parce que, comme les esclaves antiques, ils ne peuvent pas dire la vérité autrement que dans la douleur. La complicité du roi et des nobles que révèle l’évolution de cette procédure, a un support social et politique qui, à terme, fait dévier le duel judiciaire en simple duel et réserve peu à peu le concept d’honneur à la noblesse.

MIRACLE ET VOIX DU SANG 53

Il reste au peuple les autres formes de l’ordalie. Dieu continue de parler pour lui et la justice reste, malgré sa rationalisation, imprégnée de divin. Les ordalies sont encore répandues pendant le Moyen Age classique, soit pour servir à l’exercice de la justice, soit comme exemplum dans la prédication mendiante 124. Puis, la fréquence de leur utilisation se tarit, sans qu’elles disparaissent réellement, qu’il s’agisse de l’Italie de Savonarole ou de la Bretagne moderne125. Les archives du Parlement offrent, entre 1404 et 1406, un petit corpus de cinq cas où Dieu manifeste clairement le coupable et l’innocent, soit sous forme de la « voix du sang » ou « cruentation », soit sous celle du miracle lors d’une exécution capitale injuste. Tous ont lieu dans des régions différentes, depuis Montpellier jusqu’aux confins de la Bretagne126.

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L’intervention divine, par le miracle, est très proche par ses effets du duel judiciaire. Le miracle prouve l’innocence de l’accusé. Le cas de Jean Robillart, dit Fumée, chasublier, en donne un bon exemple. Chargé par l’église Saint-Martin de Tours de refaire des chasubles dans une des chapelles, il est accusé d’avoir volé un plat d’argent. Emprisonné, torturé plusieurs fois et durement à la poulie, il proclame son innocence. Puis il finit par avouer n’importe quoi : il a caché le plat dans son jardin, puis sous un tas de pierres ; il l’a cédé à un marchand et il a aussi volé d’autres objets religieux. Aucun de ses aveux ne s’avère exact et, condamné à mort, il est conduit au gibet. Alors vient le miracle : « mais il n’y avoit point d’eschielle et pour ce partie adverse prinst la mesure de l’eschielle qu’il y failloit et en envoierent querir au village d’environ trois, l’une apres l’autre, et par trois fois, mais nonobstant qu’ilz eussent prins ladicte mesure furent trop courtes, si en fu apportee une autre qui estoit assez longue mais elle rompit miraculose en III pieces et ne fu pas pendu mais fu ramenez et requist son pere que sur son innocence on fist informacion ». La partie adverse conteste cette version des faits

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et, pour affirmer la force de l’argument, le demandeur ajoute « que le pueple veant le miracle ramena Fumee du gibet »127. Finalement, le père est obligé de composer à 80 écus pour obtenir que son fils soit libéré. Remarquons la place du peuple dans ce miracle : il en est le garant. 55

Un autre exemple peut lui être comparé. En juin 1404, un homme, torturé lui aussi à la poulie pour avouer un meurtre, et resté entre la vie et la mort pendant dix-huit jours, est mené au gibet alors qu’il n’a rien confessé. Le fait qu’il ait résisté et survécu à la torture sévère qui lui est imposée est perçu comme un miracle et « les bonnes gens qui savoient son innocence ne voldrent prester corde »128. Ces miracles s’apparentent à ceux du pendu-dépendu chers à l’hagiographie médiévale et dont la croyance se prolonge encore au XVIe siècle129. Jusqu’où la justice est-elle impliquée dans le miracle ?

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Entre le récit hagiographique et celui de la pratique judiciaire, il existe au début du XV e siècle une différence lourde de conséquences. Le miracle désigne bien l’innocent, suspend le jugement, mais il n’arrête pas pour autant la justice, qu’il s’agisse de l’information qui démarre une procédure d’enquête normale et légale, demandée ici par le père de celui qui a été accusé à tort, ou de la composition qui relève des procédés traditionnels de l’arbitrage. Plutôt que de manifester une innocence qui clôt immédiatement le jugement, le miracle montre que la procédure n’a pas été suivie dans les règles, qu’il y a eu carence de l’information ou abus de la torture, et, finalement, il n’enlève pas l’accusé à la justice des hommes qui conserve un droit de regard prépondérant sur la suite de l’affaire.

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Le dernier exemple relatif à un miracle emprunte aussi à un thème hagiographique classique, celui de la délivrance des prisonniers. Macé Le Corneur a entrepris de poursuivre le meurtrier de son cousin germain, tué dans le bois qu’il était chargé de couper. Le meurtrier, un chevalier, messire Jean Vergier, le requiert de renoncer et, vu son refus, passe aux faits : une expédition punitive, au cours de laquelle la femme de Macé est violée et lui-même emprisonné, avec menace d’être noyé 130. Alors se produit le miracle : « Et quant ledit Macé oy ladicte sentence, il se voua a NotreDame de Rochemadour et la nuit, ainsi que ses gardes dormoient, s’en ala a touz ses fers et s’en ala a Angers le denoncier a justice »131. Ce voeu ne présente guère de traces d’une spiritualité « affective », et la peur de la mort commande le voeu de Macé. Son attitude est cependant typique de ce que ses contemporains attendent de leurs intercesseurs : protection et salut. Et, comme le montre A. Vauchez, la libération des prisonniers prend une importance accrue au XIVe siècle puisque le nombre de miracles de ce type enregistrés dans les procès de canonisation est trois fois plus grand qu’au XIII e siècle132.

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Cet exemple peut inspirer deux remarques. D’une part, il est probable que ce récit de miracle s’inspire de l’exemple de saint Pierre déjouant la surveillance de ses gardes endormis ; la représentation iconographique de la scène est devenue fréquente à cette époque, en même temps d’ailleurs que se vulgarisent, en cette fin de schisme, les miracles du fondateur de la papauté133. D’autre part, le miracle contribue à abolir la différence sociale entre les protagonistes, ce que la justice n’aurait sans doute pas pu faire vu le rapport de force. Et, encore une fois, le miracle ne clame pas seulement l’innocence. Il permet, à cause de cette innocence que la main de Dieu a ainsi prouvée, de manifester le bon droit du prisonnier. Quant à la justice royale, elle peut fonctionner en reprenant son cours normal. L’enjeu est ici de taille : il s’agit de punir non plus seulement un meurtre, mais aussi un viol comme le montre le reste du procès. Et, pour

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rétablir son honneur, Macé, sûr de lui, choisit de s’en remettre à l’ordre de la justice. La sujétion fonctionne, merveilleusement. 59

Les deux derniers exemples manifestent la « voix du sang », c’est-à-dire « l’ordalie par la bière », le Bahrrecht de l’historiographie allemande, appelée encore cruentation, par néologisme avec la terminologie des juristes modernes qui l’ont étudiée sous la forme du jus cruentationis cadaveri 134. Cette forme d’ordalie se traduit par le fait que, en présence de son meurtrier supposé, le cadavre de la victime se met à saigner. Cette ordalie est connue par des récits historiques dès le haut Moyen Age, comme par la littérature courtoise. On la voit utilisée par Chrétien de Troyes pour désigner aux yeux de la foule la présence d’Yvain, le meurtrier135. Puis, au XVIe siècle, lorsque le sang d’Henri VI assassiné coule à l’approche de Gloucester, Shakespeare ne fait que transcrire poétiquement, par la bouche de la veuve, Anne, une croyance encore vive :

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« Oh ! Messieurs voyez, voyez ! Les blessures de Henry mort ouvrent leurs bouches glacées et saignent de nouveau ! Rougis, rougis, amas de noires difformités, car c’est ta présence qui aspire le sang de ces veines froides et vides où le sang n’est plus » 136.

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La synthèse que propose H. Platelle suggère que l’ordalie à la bière a été utilisée très longtemps, étant donné les discussions des juristes modernes, dont Jousse, dans le dernier quart du XVIIIe siècle, se fait encore l’écho, même s’il reste dubitatif 137. Les travaux de Ch. Plessix-Buisset relatifs à la Bretagne des XVI e-XVIIe siècles confirment ce point de vue138. Par ailleurs, l’Allemagne semble avoir conservé, au XIX e siècle, des croyances analogues. A Fribourg, dans les cas de noyade, le juge touchait le cadavre avec son bâton et l’adjurait de nommer son meurtrier139. La question est de savoir si cette forme d’ordalie peut être considérée, à l'époque qui nous intéresse, comme un archaïsme, ou si l’indice du sang entre dans le déroulement normal de la procédure.

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Jusqu'en 1350, la cruentation ne laisse aucune trace dans les archives du Parlement. Puis, entre 1380 et 1422, deux cas apparaissent. Les deux récits partent du même constat : un crime a été commis sans que le coupable ait pu être cerné de façon notoire, qu’il s’agisse d’un corps repêché dans l’étang ou d’un crime crapuleux commis de nuit. Dès avant l’ordalie, de fortes présomptions pèsent sur ceux qui vont faire couler le sang en s’approchant du corps de leur « victime ». Dans le premier cas, toute la paroisse de Saint-Branchs sait que les deux hommes ont eu une altercation, que Guillaume Pouldrat a emprunté une jument, qu’il l’a rendue toute crottée pour avoir sans doute traîné le corps dans l’étang. A ces bruits qui vont bon train car « on ne sait pas ce que Perrot est devenu », Pouldrat ajoute sa version en répondant à ceux qui l’interrogent que la victime « povoit bien boire de l’eaue ». Besoin d’avouer de la part du criminel ? Les contemporains ne s’y trompent pas qui interprètent ses paroles comme « conjectures et presumpcions » de sa culpabilité. Mais il faut la preuve qui vient au terme d’une recherche qui a duré quinze jours, jusqu’à ce que les paroissiens retrouvent le corps. Or, Perrot Baudroux n’a pas été dévalisé puisque sa bourse est restée pleine et « par ainsi apparoit que larrons ou murtriers de chemin n’avoient pas fait le cas ». Cette hypothèse écartée, le coupable ne peut donc être qu’un homme de connaissance, un haineux et le cercle se resserre. Il faut le désigner. Alors, sur le corps du noyé, la preuve éclate : « et quant il fut trouvé, le dit Pouldrat y survint cuidant faindre son pechié et faisoit triste, et incontinant le mort commença a seignier par la plaie qui estoit du costé destre comme dit est et sembloit avoir esté faicte par un esclanchié et comme est ledit Pouldrat laquelle seignié signifioit que ledit Pouldrat avoit fait ledit fait » 140. Aussitôt

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peut courir la « renommee » qui désigne le criminel et les langues se délient : certains ont bien vu Pouldrat et Perrot entrer dans le bois et Pouldrat en ressortir, mais seul... 63

Le second cas se passe à Montpellier où un riche changeur de la ville et sa chambrière ont été assassinés. Comme précédemment, Janson, le « coupable », éprouve le besoin d’avouer : « incontinent qu’il fut dedens sans ce qu’il veist le mort et que on n’y veist goutte il dit que Remon estoit tué »141. Comme dans l’exemple précédent, le corps de la victime qui se met à saigner porte les marques de l’abandon dans lequel il a été laissé, faute de sépulture. La chambrière « avoit ja le visage mengié et la moitié d’une mamele ». Quel sens revêt cette forme d’ordalie ?

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Comme dans les miracles précédemment évoqués, l’ordalie ne se substitue pas au jugement. Elle sert à désigner le coupable et elle enclenche logiquement le processus judiciaire inquisitoire normal. Comme les habitants de Montpellier ont vu le corps de la chambrière saigner, « pour ce plusieurs disoient de certain que Jenson avoit fait ledit murtre », le juge de Montpellier, maître Antoine Garnier, trouve par information que la nuit du meurtre on a vu Janson entrer et sortir de l’hôtel de Remon. Logiquement, « on parle a lui » mais Janson nie. Alors la quête des preuves se poursuit. On trouve chez Janson un badelaire couvert de sang que le juge fait analyser. Les mires disent que c’est du sang humain ; Janson nie. La torture répétée succède à l’enquête et il est probable que l’accusé en meurt. Du point de vue de la justice légale, la cruentation entre donc dans le système des preuves sans pour autant supprimer l’information, la recherche de pièces à conviction et l’aveu. Elle est bien un rouage de la procédure. A la différence de l’ordalie classique ou de ce qui se passe encore actuellement chez les populations africaines, tels les Diola de Casamance étudiés par L.V. Thomas, ou les Senoulo de la Côte d’ivoire et du Soudan étudiés par P. Knops, elle n’en marque pas la fin 142. Elle est insérée dans la jurisprudence. Poser le recours à ce type d’ordalie en termes d’archaïsme n’a finalement pas de sens. L’ordalie à la bière est un moyen parmi les autres de transformer le suspect en coupable.

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De telles pratiques posent un certain nombre de problèmes qu’il convient d’esquisser en matière de conclusion. Il existe une grande différence entre le duel judiciaire et les miracles et ordalies précédemment évoqués. L’issue du duel judiciaire est, encore à la fin du XIVe siècle, un jugement, celui de Dieu, qui se substitue à celui des hommes en disant où est la vérité. Certes, on peut demander au vaincu de confesser son crime en public ou traîner son corps au gibet, mais l’issue du duel marque la fin de la procédure. En revanche, les autres formes miraculeuses ne constituent pas une enclave au processus normal de la justice ordinaire ou extraordinaire. Dieu peut en effet justifier ainsi l’usage de la torture. Mais les hommes, et en particulier la justice royale, ont le dernier mot. Et on peut même aller jusqu’à suggérer que la justice royale sort grandie pour s’être frottée au divin. On voit bien ce que la construction de l’Etat a pu y gagner. Mais, compte tenu des groupes sociaux qui manipulent le jugement de Dieu, on voit aussi ce que la noblesse a pu acquérir : aux XIVe et XVe siècles, elle est la seule, de fait, sur cette terre, à pouvoir être jugée directement par Dieu.

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Une seconde remarque concerne le degré de crédibilité de ces arguments qui prennent Dieu à témoin. Les plaidoiries montrent, par la bouche de la partie adverse, les failles du système. Aux démonstrations relatives au miracle de l’échelle, soigneusement structuré autour du chiffre trois, la partie adverse réplique par un argument prosaïque : l’échelle « estoit pourrie », tandis qu’au corps de Perrot qui saigne, la partie adverse réplique « et au sang qu’il mist hors, on ne s’y doit arrester ». Au même

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moment, les fabliaux ne se privent pas de se moquer du corps qui saigne en présence d’assassin qui n’est autre qu’un bélier143. Lorsque, en 1408-1409, dans un des projets de « justification » qui ont suivi le discours de l’abbé de Cerisy à propos du meurtre du duc d’Orléans, Jean Petit réfute la cruentation qui aurait été évoquée par son adversaire, il déclare qu’un tel fait est « dissonant aux institutions de foy chrestienne et aussi a science es naturelle » et « se tel mouvement apres XI heures fu au corps ou es plaies, ce fu fait dyabolique, pour induire les simples comme le proposant et autres en erreur » 144. La référence au diable, dans le cadre de la propagande bourguignonne, s’explique aisément. Elle n’est que la répartie de celle des Armagnacs qui font de Jean sans Peur le « lieutenant du diable »145. Plus directement rattaché à notre propos est l’allusion aux simples par opposition aux tenants de la culture savante. L’information sur le meurtre du duc d’Orléans, menée par Guillaume de Tignonville, ne comporte aucune trace de l’ordalie à la bière. L’interrogation des témoins et la recherche des pièces à conviction sont menées avec une rigueur scientifique et juridique remarquable. Si la cruentation a pu être évoquée par l’opinion publique, elle n’est pas un argument retenu par le prévôt de Paris qui, par sa culture, appartient au monde savant 146. Elle relève donc bien, comme le suggère Jean Petit, d’un bruit partagé par le peuple. 67

L’enjeu entre les deux cultures tient à la quête de la vérité. Dans la culture populaire, la vérité est l’objet d’une manifestation immédiate ; chez les lettrés, de formation universitaire, elle requiert la quaestio, sans être pour autant sûre d’atteindre au but. Une réflexion du Religieux de SaintDenis relative aux prolongements du duel entre Carrouges et Legris le montre bien. Après le duel qui a vu la mort de Legris, Carrouges part avec Tillières son page en Terre sainte et y meurt. Alors, Tillières avoue être l’auteur du viol dont dame Marie a été la victime. Celle-ci s’enferme dans un monastère, et le Religieux conclut : « Sic mater erroris, noverca consilii, repentina credulitas injustissimum duellum excitavit »147.

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Cette opposition entre culture savante et culture populaire demande à être nuancée. La justice légale semble bien intégrée à ces formes ordaliques qui contribuent à en assurer le cours. Cette constatation contredit l’opposition de Jean Petit qui relègue au domaine des superstitions de telles croyances. Il est vrai qu’il n’est pas juriste. En fait, l’antithèse entre les cultures n’est pas aussi vive qu’il n’y paraît, en premier lieu, parce que le monde qui relève de la culture savante utilise miracles et ordalies comme arguments de plaidoiries. Leur citation est peut-être moins le signe d’une quelconque crédulité que la référence à la culture antique. J.Ph. Levy et A. Broggini ont montré que ces preuves ne sont pas inconnues de l’ancien droit romain. Même si les légistes et canonistes ont combattu le serment purgatoire et l’ordalie au nom du droit romain, la littérature antique, en vogue chez les lettrés du règne de Charles VI, qu’il s’agisse d’Aristote, de Cicéron ou de Valère-Maxime, sait utiliser ce type de preuves, au moins comme procédé de l’art oratoire148. Il n’est pas impossible que les praticiens de cette fin du Moyen Age, si ouverts à la rhétorique, aient retenu la leçon ; l’allusion aux ordalies dans la bouche des avocats ne doit pas être seulement comprise comme un signe d’archaïsme des mentalités. Elle s’établit en osmose avec la culture antique. Pour tous ses adeptes, l’ordalie et le prodige sont des signes du ciel qui manifestent la volonté divine et dont se sert l’orateur pour démontrer son propos. En 1404, au cours de ce procès qui oppose maître Antoine Garnier, licencié en lois et ancien juge de Montpellier, à Girard Moret, père de Pierre Moret, qui accuse le juge d’avoir fait pendre son fils à tort et d’avoir fait mourir son complice, Janson, sous la torture, la discussion s’engage sur la personnalité de Janson. Jean de Terrevermeille participe à l’argumentation. Pour se disculper, le juge

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évoque, entre autres arguments, non seulement la cruentation mais aussi le caractère diabolique de Janson qui, un soir où il avait mangé « tant que merveilles (...) reniot Dieu et advoit le Deable et crachoit quant on lui parloit de Dieu et la morut son damement », et il ajoute « que la dicte nuit il y eust grant foudre et tempeste a Narbonne » 149. La partie adverse ne nie pas l’éventualité du rapprochement ; elle montre seulement que celui-ci est impossible car il y a eu erreur de dates : « le jour que Jenson morut la tempeste ne cheut pas a Narbonne mais fu XV jours apres la mort Jenson ». En la matière, il est bien difficile de savoir où commence la croyance et où finit l’argument littéraire. 69

A l’inverse, il ne faut pas imaginer que le recours au ciel marque systématiquement les procès. Nous avons vu avec quel scepticisme les contemporains, y compris les gens du peuple, pouvaient accueillir le miracle. Ils ne confondent pas systématiquement le magique et le religieux. Non seulement l’échelle était pourrie, mais encore, quand on en apporta une autre, convenable, le bourreau du roi « dist que on ne le povoit contraindre et qu’il estoit ce jour veille de Pasques et pour ce n’y mestroit la main » 150. Devant cet impératif religieux, tout le monde s’incline. Enfin, toutes les cordes qui n’arrivent pas à se nouer ne sont pas pour autant interprétées comme un signe du ciel. Le Bourgeois de Paris raconte comment, en décembre 1427, par crainte de représailles de la part du sergent qui accompagnait le condamné, le bourreau se hâta de pendre Sauvage de Frémonville, « mais pour ce que trop se hasta, la corde rompi ou se desnoua, et cheut ledit jugié sur les rains, et furent tous rompus et une jambe brisee, mais en celle douleur lui convint remonter, et fut pandu et estranglé »151. Devant l’urgence de la répression, le miracle a cédé le pas. Mais le type de crime s’avère un élément essentiel d’explication et le Bourgeois ajoute : « Et pour vray dire, on lui pourtoit une tres malle grace, especialement de plusieurs meurdres tres orribles, et disoit on qu’il avoit tué de sa main ou païs de Flandres ou de Haynault ung evesque ». Le sacrilège et l’horreur du sacrilège font taire la voix de Dieu. Celle-ci ne doit s’exercer qu’à bon escient et elle s’avère bien encadrée par les normes que la société se reconnaît comme par les lois que la justice impose.

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Une dernière différence entre culture savante et populaire tient à l’interprétation des moments qui suivent la mort : le détachement de l’âme est-il immédiat ? Le mort peutil encore se manifester, garder assez de vie pour désigner son meurtrier ? Telle est la question que se pose Jean Petit152. La perception du crime est indissociable de celle de la mort et du débat théologique qu’elle suscite. Comme l’a montré J. Chiffoleau, aux XIV e et XVe siècles toute mort reste inquiétante et scandaleuse si elle n’est pas banalisée par le rituel qui l’apprivoise153. La mort reste un tabou dont il faut se purifier pour éviter le retour vengeur de l’âme des morts et ce tabou est d’autant plus fort que la mort n’est pas naturelle. Le cadavre de cet homme noyé, cette chambrière à moitié dévorée ont subi le double affront de la mort et du crime. Ils crient doublement vengeance. Les exemples donnés par J. Frazer et par Th. Reik, les analyses menées par L.V. Thomas montrent combien ces croyances sont insérées au plus profond des cultures de la tradition154. Le but n’est pas seulement de trouver l’assassin pour venger un honneur blessé ; il consiste à régler les comptes avec le cadavre et avec l’assassin pour purifier la société de l’outrage que le crime lui a fait subir. Telle est la raison pour laquelle tous guettent, inquiets, les signes qui permettent de rompre l’incertitude pour entrer enfin dans un système judiciaire qui, par son ordre retrouvé, les rassure. La méthode employée encore en ce début du XVe siècle, qui consiste à interroger le cadavre plutôt que Dieu lui-même, montre que subsistent les premières formes de l’ordalie, qui

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relèvent du magique. Elles coexistent avec celles, religieuses, du miracle. La différence de nature entre ces deux formes de preuves est finalement, pour notre propos, moins importante que la souillure que l’une et l’autre contribuent à purifier. Il faudra nous en souvenir pour comprendre la place que la société accorde au crime. 71

La quête de la vérité sous-tend la justice et la vérité a besoin d’être dite, soit par l’aveu, soit par la lettre de rémission. Ce sont là les données autour desquelles s’organisent, aux XIVe et XV e siècles, les preuves du crime. Seuls finalement les nobles, soumis parfois au jugement de Dieu, peuvent échapper à ces exigences fondamentales de la justice. Cette quête ne doit pas tromper : elle est, sans heurts réels, rationnelle et religieuse. La perturbation que crée le crime reste de l’ordre du sacré. Toutes les preuves se rangent derrière l’idée qu’il faut, à toutes fins, trouver le criminel sous peine de voir le désordre croître et les morts, mal vengés, déranger les vivants. Certes, la plus grande partie des crimes donne lieu à des tractations que garantit la lettre de rémission. Pour ces crimes-là, tout semble simple : la fuite permet au roi de rétablir l’ordre perturbé, en accord avec la communauté et la parenté. Que penser des autres, ceux qui sont portés devant la justice légale ? Ils ont pu faire l’objet d’une poursuite d’office ou d’une dénonciation, portant au grand jour la volonté que peut avoir un groupe de détruire celui qu’on désire exclure. Ils peuvent aussi rester du domaine de l’inconnu. Cette constatation est la plus insupportable aux yeux de l’opinion. Pour quels crimes et pour quels criminels la voit-on redoutée ? Comment s’exprime la peur du crime ?

NOTES 1. A. LAINGUI et A. LEBIGRE, Histoire du droit pénal, t. 2, p. 35-42, et J.M. CARBASSE, Introduction historique au droit pénal…, p. 132-145. 2. Y. BONGERT, Recherches sur les cours laïques…, p. 183 et suiv. 3. M. BOULET-SAUTEL, « Aperçus sur le système des preuves… », p. 317-322. 4. Ph. de MÉZIÈRES, Le Songe du vieil pelerin. Livre I, p. 170 et suiv. 5. N. de CLAMANGES, De lapsu et reparatione justiciae, Opera omnia, p. 43. 6. Ibid., p. 41, et Ad Ludovicurn Ducem Aquitaniae Regis Francorum primogenitum, Opera omnia, p. 156. 7. Sur ces images, voir chapitre 20, p. 907 et suiv. 8. J. GERSON, Vivat Rex, Œuvres complètes, t. 7, p. 1138 et 1145. 9. Ch. de PIZAN, Le Livre du corps de policie, p. 28-30. 10. R. EDER, Tignonvillana inedita, p. 913, 953, 995, 1009, 1011, 1018. 11. X 2a 11, fol. 289, juillet 1391. Il y a eu intervention directe du duc de Bourbon au Châtelet où Geoffroy de Charny est prisonnier et diligenter examinatus, la lettre d’intervention ducale étant exceptionnellement recopiée dans le Registre criminel du Châtelet. Geoffroy de Charny, fils du porte-oriflamme de France mort à Poitiers, était bailli de Caux au moment du crime, en 1384, comme le rappellent les plaidoiries relatives à cette affaire, X 2a 12, fol. 126, juin 1391. Ce personnage faisait partie de l’entourage ducal et royal. Selon le témoignage de Jean Froissait, il a accompagné Louis II en Afrique et en Ecosse. Sur ce personnage, bailli de Caux de 1381 à 1389,

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mort en 1398, G. DUPONT-FERRIER, Gallia Regia…, t. 2. p. 9, et M.Th. CARON, La noblesse…. p. 345, tableau VII. 12. Par exemple X 2a 10, fol. 21, juillet 1376 ; X 2a 12, fol. 64v., décembre 1389 ; X 2a 16. fol. 98v., janvier 1411. Dans ce dernier cas, la Cour demande un complément d’enquête « idcirco facient facta sua super quibus inquiretur veritas ». 13. X 2a 12, fol. 151, juillet 1392. 14. Par exemple X 2a 10, fol. 169, décembre 1383 : la plaidoirie argue que les meurtriers ont mangé et bu avec les enfants du mort. Autre cas ibid., fol. 62, avril 1378, où il est dit que « il y a en la grace “satiffaccion faicte a partie” et ce doit estre fait premierement ». Même cas X 2a 14, fol. 58v., mars 1402. 15. JJ 150, 19, juillet 1396, SAINT-JUST-EN-BRIE (bailliage de Sens et d’Auxerre). 16. X 2a 11, fol 172-175, mars 1384. Au cours du procès de Pierre Richard, les témoins sont sollicités par le Parlement « pour mieulx attaindre la verité » ; ibid., fol. 304, septembre 1391. 17. X 2a 12, fol. 137v., décembre 1391. Contrefaçon du sceau du sénéchal Hue de Frédeville, ibid., fol. 143, mars 1392. 18. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 394. Chaque mise à la question a pour enjeu la vérité, même quand la question est réitérée, par exemple procès de Henry Petit, ibid., t. 2, p. 410-421. Cette méthode est parfaitement justifiée par les moralistes, Chronique du religieux de Saint-Denys, t. 1, p. 355 : le traître qui a tenté d’empoisonner le duc de Berry et le duc de Bourgogne a été confié au prévôt de Paris « qui veritatem ab eo vi tormentorum extorquens ipsum crimen libere patefecit » ; même recours à la torture justifié au nom de la vérité, ibid., p. 684. 19. X 2a 10, fol. 42v., avril 1377. 20. M. LANGLOIS et Y. LANHERS, Confessions…, p. 21 et 125. 21. X 2a 10, fol. 32v., décembre 1376 : cas d’un écuyer pris par Hugues Aubriot « pour souspeçon de pluseurs grans et enormes crimes et malefices » et qui « ne veult a plain respondre ». ibid., fol. 123, janvier 1381 : le prévôt se trouve aux côtés du procureur du roi pour garder au Châtelet un prisonnier réclamé par l’évêque mais détenu « pour souspeçon de certains larrecins et autres malefices capitaux ». 22. ORF, t. 9, p. 468. 23. La réforme se calque sur la procédure judiciaire, X 2a 10, fol. 183-186, août 1384. Sur ces personnages, R. DELACHENAL, Histoire de Charles V, t. 2, p. 186, et Fr. AUTRAND, Naissance…, p. 193. Aubry de Trie a été bailli de Caux en 1380 et en fonction au Parlement de 1370 à 1390. Sur la tradition réformatrice de la famille, R. CAZELLES, Société politique, noblesse…, p. 394-396. Les réformateurs sont mal connus et le procès du Parlement ne précise pas à quelle date se sont passés les abus. L’expression « nagaires » peut désigner un temps relativement récent. Aubry de Trie faisait peut-être partie des réformateurs nommés en 1383, J. FROISSART, Chroniques, t. 22, p. 162 ; à cette date, l’auteur de la Chronographia précise : « nisi etiam reformatores per regnum suum qui multas pecunias collegerunt a pluribus qui tenebantur ire cum rege Flandriam », Chronographia, t. 3, p. 56. 24. J. BOUTEILLER, Somme rural, p. 223. 25. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 173 et t. 2, p. 387 et 389. La décision de passer à la torture est prise « ouye l’accusation et veu l’estat de la personne ». Autre exemple, ibid., t. 1, p. 393. 26. A. LAINGUI et A. LEBIGRE, Histoire du droit pénal, t. 2, p. 60, et J. BOUTEILLER, Somme rural, p. 377. Sur l’évolution de la procédure dans le Midi, J. M. CARBASSE, Consulats méridionaux…, p. 236 et suiv. 27. L’« accusation » peut, en effet, avoir lieu sans la présence de l’accusateur : dans le cas de Girart Le Bouvier et de ses complices, elle est « baillee par desclaracion par les curé, marguilliers et habitans de la ville de Rungy et Robin Berart », Registre criminel du Châtelet, t. 2, p. 222.

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28. JJ 150, 19, lettre citée supra, n. 15 ; JJ 172, 16, février 1420, POUQUENTIN (bailliage de Vitry). Autres exemples, JJ 160, 9, juin 1405, FAVIÈRES (bailliage d’Amiens), et JJ 169, 22, décembre 1415, QUESMY (bailliage de Senlis). 29. JJ 120, 14, janvier 1381, AUXERRE (bailliage de Sens et d’Auxerre). 30. L. TANON, Histoire des justices…, p. 464, 7 octobre 1332, et p. 506, 27 janvier 1338. Sur ce passage de l’accusation de partie formée à la dénonciation, A. ESMEIN, Histoire de la procédure criminelle…, p. 108-109. Une interprétation différente est donnée par W. ULLMAN, « Some Medieval Principles… », Jurisprudence…, p. 19, voir chapitre 3, n. 116. 31. X 2a 10, fol. 149, septembre 1382, TOURNAI. D’autres exemples, du début du XV e siècle, montrent que la procédure accusatoire subsiste à une date encore plus tardive et qu’elle peut être utilisée au gré des intérêts. En mai 1401, un procès a lieu au Parlement pour un vol qui a eu lieu dans l’église de RAMPILLON et pour lequel deux frères, Perrin et Thibaut « dis les Avainiers » sont en procès car ils prétendent avoir été, par lettre, « accusés » à tort par Bourgoin, X 2a 14, fol. 25v., mai 1401. L’argumentation consiste à faire de Bourgoin un calomniateur, alors que celuici prétend qu’il « estoit et est commune renommee entre les habitans du lieu que les Avainiers soient coupables dudit desrobement ». Face à Bourgoin, le procureur du roi fait tomber l’argument de la commune renommée pour distinguer accusation et dénonciation en disant « que les habitans ont desavoué ledit Bourgoin et si ne poursuit pas en son nom privé et apres dit que de ce qu’il a confessé il ne scet riens et estoit en ceste instance ledit Bourgoin accusateur fourmee et pose qu’il ne fust que denunciateur, puisqu’il l’a fait calumpnieusement il doist estre puny comme accusateur ». 32. JJ 165, 32, octobre 1410, ORVAL (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). Voir les cas relevés à Abbeville, J. BOCA, La justice criminelle…, p. 263-265. 33. X 2a 10, fol. 111v.-112, juillet 1380, ANGERS. La mention de l’épouvante qui remplacerait la torture, prouve que le prisonnier s’était bien mis en enquête, ce qui interdisait, en principe, au juge de recourir à l’extraordinaire, A. ESMEIN, Histoire de la procédure criminelle…, p. 123, n. 6. 34. M. MARÉCHAL et J. POUMARÈDE, « La répression des crimes… », p. 82-85. Les Coutumes de Saint-Sever sont contemporaines des cas étudiés puisqu’elles datent de 1380 et 1480. De la même façon, J.M. CARBASSE, Les consulats méridionaux…, p. 238-239, parle de « procédure de transition » qui, dans le Midi, varie selon la qualité des délits, la procédure accusatoire susbsistant pour les faits de moindre importance. Ces considérations ne lèvent pas entièrement le problème de l’ambiguïté du vocabulaire. Le « dénonciateur » peut être emprisonné par le juge en même temps que le « dénoncé », comme dans une procédure accusatoire, par exemple X 2a 14, fol. 181 v., mai 1404. Au total, on peut conclure que l’accusation est restée privée au moins jusqu’au XVI e siècle, Ch. PLESSIX-BUSSET, Le criminel…, p. 39-95. 35. Y 5266, fol. 2, juin 1488. Les deux parties sont délivrées le jour-même de leur incarcération. 36. Ibid., fol. 2v., juin 1488. 37. Ibid., fol. 129, octobre 1488, MITRY-MORY. 38. Par exemple, ibid., fol. 112, octobre 1488 : pour un crime commis par un homme habitant rue Vieille-du-Temple, il est précisé qu’il y a information faite par un examinateur du Châtelet « contre lui et aultres ses alliés et complices » ; il est finalement remis au Temple. Autre cas ibid., fol. 125, octobre 1488 : un maître imprimeur est incarcéré à la requête de Robine, veuve. L’information est faite par un examinateur du Châtelet car elle a été « dimanche derrenier passé environ cinq heures de soir batue et frappee de pluseurs coups de pié », son agresseur l’ayant « deschevelee et traynee par les cheveux en la boe et fait pluseurs exces plus a plain declarez en ladite informacion ». Autre cas ibid., fol. 134v., octobre 1488 : un porteur de couteaux est emprisonné après « informacion faite » pour coups et blessures à la tête, « ainsi qu’il appert par le rapport du barbier ». 39. X 2a 10, fol. 9, janvier 1376. Autre cas, ibid. fol. 77, mars 1379. Voir aussi X 2a 12, fol. 108v., août 1390 : Hennequin Du Boys, bâtard de Comminges, « confessa de sa pure voulenté, sans

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contrainte, le crime de lese-majesté ». 11 est décidé que « les proces, confessions et autres choses touchans ledit bastart seraient baillees audit prevost qui fera raison et justice audit bastart ». 40. X 2a 10, fol. 161, juillet 1383. 41. L’aveu…, en particulier la conclusion proposée par A. VAUCHEZ, p. 409-417. 42. X 2a 12, fol. 143, décembre 1391, cité supra, n. 17. 43. X 2a 10, fol. 62, avril 1378. 44. J. CHIFFOLEAU, « Sur la pratique et la conjoncture de l’aveu judiciaire… », et N. BÉRIOU, « Autour de Latran IV… ». 45. P. LEGENDRE, De confessis…, p. 407-408, et surtout L’amour du censeur, p. 143-164. 46. La réflexion de J. Chiffoleau s’appuie surtout sur les sources de l’Inquisition. Il nuance son point de vue en s’interrogeant sur les sources laïques, J. CHIFFOLEAU, « Dire l’indicible… », p. 291-292. 47. J. d’ABLEIGES, Le Grand Coutumier, BN Fr. 10816, fol. 335 et suiv. Sur ces considérations voir les références indiquées par M. VINCENT-CASSY, « Autour de Jacques d’Ableiges… ». 48. Par exemple, procès de Jacques de Chartres, ancien charpentier du roi, le 16 mars 1379 : « ledit Jacques a confessé le fait de sa bouche en Chastellet sans contrainte pardevant messeigneurs de ceans », X 2a 10, fol. 77, mars 1379. Cette formulation se poursuit pendant tout le règne, par exemple X 2a 15, fol. 5, décembre 1404 : la Cour a entendu la confession de Franchepin, meurtrier de Martin Bouchard, sergent. Les exemples de confessions écrites sont rares et leur rapport ne paraît pas soumis à une logique apparente, si ce n’est qu’elles sont, le plus souvent, le fait de femmes : par exemple X 2a 10, fol. 189, novembre 1384 ; X 2a 13, fol. 129-131, juin 1396. Au mieux, le greffier note que la Cour a agi « veues les confessions », X 2a 12, fol. 117v., décembre 1390. Voir aussi X 2a 10, fol. 189, novembre 1384. 49. X 2a 12, fol. 147v., 20 juin 1392. 50. Sur la succession des greffiers criminels au cours de la période considérée, F. AUBERT, Histoire du Parlement de Paris…, t. 1, p. 239, et Cl. de FAUQUEMBERGUE, Journal, t. 1, p. 12, qui note le remplacement de Jean du Bois, greffier criminel depuis le 12 novembre 1404, à la mort de Jean de Cessières, par Jean Milet le 3 février 1418 ; puis ibid., t. 2, p. 1, il note le remplacement de Jean Milet par Jean de L’Epine le 10 janvier 1421, par résignation. 51. X 2a 16, fol. 338, janvier 1416. Sur Simon Guedin et ses liens avec les Bourguignons, Fr. AUTRAND, Naissance…, p. 85. 52. Cas cité supra, n. 17 et 42. 53. A. SOMAN, « La justice criminelle aux XVI e-XVIIIe siècles… », p. 38 et suiv., et B. SCHNAPPER, « La justice criminelle rendue par le Parlement de Paris… », p. 258 et suiv. 54. M. LANGLOIS et Y. LANHERS, Confessions et jugements…, p. 16. La torture est utilisée à cette date par les justices ecclésiastiques, L. TANON, Histoire des justices…, p. LXXXVI et suiv. 55. X 2a 10, fol. 210-211, novembre 1385. Devant de tels désordres, on comprend mieux les soucis réformateurs de Jean de Folleville et de son clerc dans l’application de la procédure extraordinaire. 56. Par exemple X 2a 15, fol. 77v., janvier 1406. Deux criminels soupçonnés de vol et de viol compliqué de rapt sont transférés du bailliage de Touraine au Châtelet. La Cour ne peut pas entendre le troisième complice resté à Tours, suite aux infirmités que la torture a pu provoquer. 57. Nombreux exemples dans B. GUENÉE, Tribunaux…, p. 306, n. 273. L’appel fait en principe cesser le recours à la question. 58. X 2a 14, fol. 92, novembre 1402 ; X 2a 15, fol. 187, juillet 1407. 59. X 2a 10, fol. 44v., mai 1377 ; ibid., fol. 138, janvier 1382. 60. Ibid., fol. 49v., juillet 1377. 61. Ibid., cas cité supra, n. 23. 62. Voir chapitre 1, p. 37, et Cl. GAUVARD, « La criminalité parisienne… », p. 364-365.

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63. X 2a 14, fol. 295, décembre 1405-janvier 1406. Ce procédé d’intimidation n’est pas unique dans les archives criminelles, supra, n. 33. Quant au supplice, il est plausible et il existe bien un lieu, en grève, « accoutumé » pour noyer les condamnés. Ainsi, en 1465, trois serviteurs de maître Jean Berard, conseiller du roi au Parlement, accusés d’avoir conspiré contre le roi « par la sentence du prevost des mareschaulx, furent noiez en la riviere de Seine par le bourreau de Paris devant la rue de Billy », J. de ROYE, Journal…, t. 1, p· 73-74. Mais les cas conservés au Parlement sont exceptionnels. Le nom de la victime est laissé en blanc dans le registre ; la date du crime n’est pas indiquée, et le rapport du greffier mentionne seulement que la victime a été « jadis » procureur du roi à Mâcon. 64. Lors d’un cas de torture physiquement abusif, le procureur du roi affirme qu’il y a présomption contre le bailli qui a agi au moment des fêtes de Pâques, X 2a 14, fol. 185v., juin 1404. Le procès oppose Jean Joly à maître Nicolas Achopart, bailli de La Fère-sur-Oise, pour Marie de Bar, dame de Coucy. 65. Ibid., fol. 187v. 66. Par exemple, X 2a 10, fol. 158, mai 1383 ; X 2a 11, fol. 164v., avril 1393. 67. X 2a 16, fol. 335, avril 1416, DEOLS. 68. Nombreux exemples dans les lettres de commissions, X 2a 15, fol. 95v., juillet 1406, (bailliage de Mâcon), pour un faux témoignage ; ibid., fol. 151-151 v., juin 1407, pour un incendie ; ibid., fol. 224v., août 1408, (bailliage de Touraine), pour un empoisonnement. 69. Ibid., fol. 14v., avril 1405. 70. Les comptages opérés entre 1389 et 1392 d’après le Registre criminel du Châtelet montrent que le prévôt Jean de Folleville est présent aux séances d’interrogations dans 91 % des cas, le lieutenant du prévôt Jean Truquant dans 99 % des cas, et Dreux d’Ars, auditeur, dans 91 % des cas. Ce sont là les chevilles ouvrières de la justice prévôtale, car les autres juges ont une présence plus diversifiée. 71. X 2a 12, fol. 62, décembre 1389. Il est mentionné que les deux prisonniers ont été interrogés par maître Jean Truquam. Sur Jean Le Brun et sa bande, Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 52-56, 68-73, 100-114, 143-166, et t. 2, p. 37-38. 72. Ibid., t. 1, p. 334-335. 73. L. BATIFFOL, « Le Châtelet… », t. 63, p. 266 et suiv., et Br. GEREMEK, Les marginaux…, p. 57 et suiv. 74. Y 5266, fol. lv., 15 juin 1488. Le vol à la glu était répandu ; cette pratique est aussi rapportée ibid., fol. 26, 3 juillet 1488. Les sergents ont trouvé Hervé Mathieu et Jean Robert « yssant hors du cymetiere Saint-Gervaiz auquel lieu eulx et les autres ont butiné de l’argent qu’ilz ont prins en quelque tronc a la gluz ». Les deux prisonniers ont aussi été soumis à la question qui est d’ailleurs présentée comme une punition puisqu’Hervé « fut pugny pour tel cas en la question ». Il avait sur lui des pièces dérobées. 75. Ibid., fol. 115v., 7 octobre 1488. Cet homme de guerre « demourant partout » est amené prisonnier à la Conciergerie par l’huissier du Parlement « et par l’ordonnance de la Court pour faire et parfaire son procez ». Son cas ne comporte pas d’autres précisions. On sait que deux d’entre eux ainsi amenés au Palais par appel ont fini pendus un mois plus tard, ibid., fol. 100 et 108v., septembre 1488. 76. Par exemple, le procès de Bertrand de Terreda, recherché dans tous les bailliages et sénéchaussées, donne lieu à une procédure inquisitoire ordinaire, avec information, X 2a 15, fol. 9-9v., 13v. et 29, février-août 1405. 77. Sur le poids de l’oralité, P. GUILHIERMOZ, « De la persistance du caractère oral… », p. 26 et suiv. Sur la force des circonstances dans la jurisprudence du Parlement, A. BOSSUAT, « L’idée de nation… », p. 56 et p. 59.

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78. Th. BASIN, Breviloquium, chap. 7, p. 50 : « quod longe melius sit ex scripto quam verbali placitatione lites peragi ». L’auteur affirme aussi que le recours à l’écrit est plus sûr et moins coûteux ; mais les remèdes proposés ne concernent que la procédure civile et ils n’ont pas été suivis d’effet. 79. Les formules habituelles des lettres de rémission montrent que le suppliant « s’est absentez » ou qu’il est « fuitif » parce qu’il doute « rigueur de justice ». 80. JJ 142, 327, juin 1392, SAINT-DENIS-DE-SERNELLES (sans mention de juridiction) : « pour lequel voyage fu souspeçonné et comunement renommé d’avoir fait et perpetré ledit fait. Et par ce ait esté icellui Jehan prins et emprisonné es prisons desdiz doyen et chapitre de Chartres esquelles il est encore ». Il est probable que le choix d’un lieu de pèlerinage expiatoire a pu donner corps à la rumeur, Fr. L. GANSHOF, « Pèlerinages expiatoires… », p. 391 et suiv. Je remercie Madame Péricard-Méa d’avoir attiré mon attention sur cette lettre. 81. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 284-289. 82. X 2a 12, fol. 128, juin 1391 ; N. de BAYE, Journal, t. 1, p. 149. La contumace n’est pas seulement une infraction à la loi : elle révèle aussi la culpabilité de fait, J.M. CARBASSE, « Le duel judiciaire… », p. 387. n. 9. qui cite l’article 226 de la Coutume de Bordeaux. Voir aussi le cas de Jean Pasquier qui. accusé d’un meurtre, se défend devant le Parlement en invoquant qu’il existe un coupable que tout le monde connaît « qui hac de causa se fugiturum reddiderat » ; X 2a 16, fol. 42. février 1410. 83. E. de MONSTRELET, Chronique, t. 1, p. 164-165. N. de BAYE, Journal, t. 1, p. 208, confirme cette version qui mêle l’aveu de Jean sans Peur à sa fuite : « Ce jour a esté dit et publié de plusieurs que le duc de Bourgoingne, conte de Flandres et de Bourgoingne et d’Artois, disoit et maintenoit qu’il avoit fait occire le duc d’Orleans, son cousin germain, par Rolet d’Auquetonville et autres, et sur ce s’est aujourd’hui parti de Paris ». Quant aux hommes de main du duc de Bourgogne, ils ont aussi signé leur crime en s’enfuyant de la ville, La Chronique du bon duc Loys de Bourbon, p. 271, « et cellui ribault et traistre avec les siens, qui avoient fait cellui homicide par detestable trahison, celle nuict mesme s’en allerent et vuiderent Paris ». 84. Voir les pratiques étudiées chez les Nuer, supra, chapitre 1, n. 6. Par exemple, les « parents et amis charnels » de la victime et des coupables préparent la paix en allant discuter avec les meurtriers réfugiés dans le bois en marge du terroir, JJ 120, 133, mars 1382, VILLERS-FAUCON (bailliage de Vermandois). 85. Les vols constituent 13 % des cas, les viols 10 %, les ruptures de sauvegarde 2 %, et les « autres » crimes 5 %. 86. Voir les cas cités par J.G. FRAZER, Le rameau d’or…, p. 579-593. 87. Ainsi, 49 % de ceux qui sont célibataires se sont enfuis, pour 47 % de suppliants mariés et 45 % de suppliants qui ne précisent pas leur statut civil. 88. Pour un exemple de vengeance, X 2a 11, fol. 95-97, février 1390. Sur le lien entre le droit d’asile et la fuite, P. TIMBAL DUCLAUX DE MARTIN, Le droit d’asile, p. 239 et suiv. 89. Voir tableau 4, chapitre 2. 90. La comparaison avec les systèmes d’arbitrage établis dans les sociétés de la tradition s’avère suggestive, M. FORTES et E.E. EVANS-PRITCHARD, Systèmes politiques africains, p. 235-256. 91. Tableau 8, chapitre 6. 92. Voir chapitre 17, p. 761. 93. X 2a 14, fol. 125v., juin 1403 ; autre exemple X 2a 16, fol. 55v.-58, mai 1410, où l’arrêt est pris « pretextu mortis et submertionis defuncti Johannis ». 94. Pactus Legis Salicae, Formulae merowingici…, p. 154, titre XLI. 95. X 2a 14, fol. 396, août 1407, (bailliage de Touraine). Le procureur du roi déclare que Gachot a été pris à bonne cause et l’affaire est renvoyée au Conseil. 96. Registre criminel du Châtelet, t. 2, p. 30-43. 97. Nombreux exemples dans J.Ph. LÉVY, « L’évolution de la preuve… », p. 9 et suiv. Pour une synthèse de ces points de vue, M.N. GRIPPARI, « Le jugement de Dieu… », p. 281 et suiv.

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98. X 1c 81A, pièce 121, 22 février 1401. 99. X 2a 10, fol. 40, mars 1377. L’affaire est pendante pendant un an et demi, ibid., fol. 5, janvier 1376. Serment et gage de bataille sont liés puisque la seule condition préalable au gage de bataille est le serment, et que tout serment judiciaire peut donner lieu à « un faussement par duel », M. BOULET-SAUTEL, « Aperçus sur le système des preuves… », p. 288-289. 100. N. de BAYE, Journal, t. 1, p. 238. 101. Chronique du religieux de Saint-Denys, t. 4, p. 250. N. de BAYE, Journal, t. 1, p. 283-285, n’utilise pas le terme « serment », mais il donne le contenu de la décharge que prononce le comte de Nevers devant le Parlement. Cette prestation engage la Cour et le comte à « atteindre la verité dudit cas ». 102. Sur la contestation du duel, L. FALETTI, « Duel », col. 13. Sur son extension dans le Midi. J.M. CARBASSE. « Le duel judiciaire… », p. 396-403. 103. Par exemple X 2a 16, fol. 219-222, décembre 1412, (sénéchaussée de Périgord), infra, n. 106. Sur ces derniers duels, H. MOREL, « La fin du duel… », p. 625 et suiv. Sur la signification du duel à l’époque moderne, Fr. BILLACOIS, « Le Parlement de Paris et les duels au XVII e siècle », p. 33-47. 104. Ph. de BEAUMANOIR, Coutumes de Beauvaisis, t. 1, p. 117. 105. L. TANON, Histoire des justices…, chapitre 2. 106. J.Ph. LEVY, op. cit. supra, n. 97. En revanche, le duel judiciaire peut s’inscrire dans un processus de vengeance et de guerre privée, X 2a 16, fol. 219-222, cas cité supra, n. 103. Le gage de bataille est proposé entre Adémar de La Roche et Jean de Beaufort à la suite d’entreprises guerrières qui mettent en jeu les notions d’’odium et de malivolentia. La pratique du duel est fréquente dans le Sud-Ouest, J.M. CARBASSE, op cit. supra, n. 102, carte p. 402. 107. M. BOULET, Questtones…, p. LXXXIV, et q. 89-95. Voir X 2a 12, fol. 238, septembre 1386, et X 2a 11, fol. 206, septembre 1386 ; ibid., fol. 211v., février 1387. Sur le recours au duel pour élucider une mort par empoisonnement, X 2a 14. fol. 173-176v., avril 1404. 108. ORL, t. 1, p. 435. Sur le rappel de ces décisions royales lors d’un procès en 1375, voir X 2a 10, fol. 5v. 109. R. CAZELLES, « La réglementation royale… », p. 530 et suiv. Voir X 2a 12, fol. 83, avril 1390 ; X 2a 13, fol. 38v.-40, décembre 1391. Autres cas relevés par J. Le Coq, M. BOULET, Questiones…, q. 312 et 348. 110. X 2a 10, fol. 99, février 1380. Cas semblable, X 2a 11, fol. 314, septembre 1392. Les duels du règne de Charles VI reprennent donc les motifs invoqués pendant les règnes précédents, par exemple le duel qui eut lieu à Meaux le1er juillet 1361 « occasione quarumdam contentionum verbalium que per testes probari non poterant », Chronique de Richard Lescot…continuation…, p. 150. 111. BALDE, Tractatus, XVI, fol. 386, cité par L. FALETTI, « Duel », col. 6. 112. X 2a 14, fol. 217v.-218, décembre 1404. 113. GREGOIRE IX, Décrétale I, V, Tit. XXXV, cité par R. NAZ. « Ordalies », col. 1121. 114. X la 1473, fol. 145v., 9 juillet 1386. E. de MONSTRELET, Chronique, t. 1, p. 99-100, cite un autre exemple de duel judiciaire en Hainaut, où, en 1405, le comte s’est tenu comme juge et où le duc d’Orléans se serait rendu « en habit descongneu ». 115. Chronique de Richard Lescot…, p. 63, année 1344. La place du duel dans la résolution de l’adultère est évoquée par J. Le Coq, M. BOULET, Questiones…, q. 80. 116. X 2a 10, fol. 246, février 1387. Les allusions aux interdictions royales se poursuivent, par exemple X 2a 14, fol. 173, avril 1404. Sur les aspects du « grignotement » du duel judiciaire par le Parlement, voir M. BOULET-SAUTEL, « Aperçus sur le système des preuves… », p. 322-323, et J. GAUDEMET, « Les ordalies au Moyen Age… », p. 130 et suiv. 117. La lutte d’un noble contre un non-noble pose le problème de l’armement qui doit être égal, X 2a 10, fol. 5, 1375. 118. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 344, et JJ 132, 191, avril 1388, MONTMARTINEN-GRAIGNES (bailliage de Cotentin), cit. par L. DOUËT-D’ARCQ, Choix de pièces inédites…, t. 2, p. 133.

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119. G. DU BREUIL, Stilus Curie Parlamenti, p. 112-113. En revanche, La très ancienne coutume de Bretagne, chap. 130-132, définit seulement les cas et la procédure, sans préciser la condition sociale des protagonistes. 120. X 2a 10, fol. 215, décembre 1385. Il s’agit d’Olivier IV de Clisson, connétable depuis 1380, et de Guy IV, seigneur d’Argenton : un différend les opposait à propos des fiefs de La Quarrière et de La Forêt. A ce sujet, J. Le Coq s’interroge « an in delictis omnes possint questionari », posant par làmême les rapports entre le duel réservé aux nobles, et la torture utilisée pour les non-nobles, M. BOULET, Questiones…, q. 48. En fait, il s’agit d’un privilège que les ligues nobiliaires avaient revendiqué en 1315, ORF, t. 1, p. 576 ; le gage de bataille, pour eux, devait se substituer à la « gehinne », ibid., p. 579. Sur cette évolution, A. ESMEIN, Histoire de la procédure criminelle…, p. 93. 121. X 2a 10, fol. 105v., mai 1380. 122. Par exemple ORF, t. 3, p. 226 et t. 4, p. 726. Je n’ai pas pu identifier l’ordonnance de 1355 dont le procureur du roi dit qu’il va faire vérifier l’existence dans les registres de la Chancellerie. Peutêtre s’agit-il de l’ordonnance réformatrice de mai 1355 (ORF, t. 2, p. 2) ou de celle de janvier 1356 (X la 8602, fol. 47-53). S’il s’agit de l’une de ces ordonnances, il n’est pas précisé que le connétable dispose de la juridiction des duels. La place du connétable dans la prestation des serments au roi est néanmoins attestée en 1403, N. de BAYE, Journal, t. 1. p. 59, et X 1a 8602, fol. 170. 123. X 2a 12, fol. 113-114, novembre 1390, et exemple cité supra, n. 112. 124. J. GAUDEMET, « Les ordalies… », p. 99-135. Sur la place des ordalies dans les exempta, J. BERLIOZ, « Les ordalies… », p. 321 et suiv. 125. Sur l’importance de l’ordalie aux XIV e et XV e siècles, voir les cas cités par J. CHIFFOLEAU, « Sur la pratique et la conjoncture de l’aveu judiciaire… », p. 345. Le cas breton est analysé par Ch. PLESSIX-BUISSET, Le criminel…, p. 265-272. 126. X 2a 14, fol. 164-167, février 1404, TOURS, miracle de l’échelle ; ibid., fol. 181-182v., mai 1404, SAINT-BRANCHS, cruentation ; ibid., fol. 182v.-184, juin 1404, LA CHARITÉSUR-LOIRE, miracle de la corde ; ibid., fol. 267-278, août 1405, MONTPELLIER, cruentation ; ibid., fol. 357-359, décembre 1406, lieu non précisé, aux confins de l’Anjou et de la Bretagne, miracle de la délivrance d’un prisonnier. 127. X 2a 14, fol. 165-166v., cité supra, n. 126. 128. Ibid., fol. 183, cité supra, n. 126. 129. B. de GAIFFIER, « Un thème hagiographique… », p. 194-226, et « Liberatus a suspendio… », p. 93-97. La légende dorée comporte de nombreux exemples de ces miracles, Cl. GAUVARD, « L’image du roi justicier… », p. 175. Sur la persistance de ce miracle au XVI e siècle, N.Z. DAVIS, Pour sauver sa vie…, p. 162, n. 89-90. 130. X 2a 14, fol. 357, cité supra, n. 126. 131. C’est aussi un lieu de pèlerinages pénitentiels, par exemple JJ 160, 372, juin 1406, MONDONVILLE-SAINT-JEAN (bailliage de Chartres). Sur cette double fonction de Notre-Dame de Rocamadour et l’importance des pèlerinages qui y ont lieu, E. DELARUELLE, « Spiritualité du pèlerinage de Rocamadour au Moyen Age », La piété populaire…, p. 68-85. 132. Entre 1301 et 1417, ces libérations constituent 11,8 % des miracles contre 3,2 % entre 1201 et 1300, A. VAUCHEZ, La sainteté…, p. 547-550. Sur le lien entre cette libération et le miracle royal de la grâce, voir chapitre 20, p. 921 et suiv. 133. Sur la force d’évocation des épisodes de la vie de saint Pierre à cette époque, A.J.M. LOECHEL, « Thématique de l’art religieux… », p. 445-451. 134. Ce néologisme commode est retenu par H. PLATELLE, « La voix du sang… », p. 161. Pour une bibliographie voir Bahrprobe, Bahrrecht dans Handwörterbuch zur deutschen Rechtsgeschichte, hrsg. von Adalbert Erler und Ekkehard Kaufman, Berlin, 1971, col. 283-284. 135. Chrétien de TROYES, Yvain, le chevalier au lion, vers 1175-1200 (adaptation en français moderne) : « La procession passa, mais, au milieu de la salle, il se produisit autour de la bière un grand remue-ménage, car le sang chaud, clair et rouge s’était remis à couler de la blessure du

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mort. C’était la preuve certaine qu’était encore à l’intérieur, à coup sûr, celui qui avait attaqué, tué et vaincu le chevalier. Alors ils se mirent à fouiller et à chercher partout, à regarder en tous sens, à tout remuer, tellement que tous furent couverts de sueur de l’angoisse et de la confusion qu’ils ressentaient à la vue du sang rouge qui était tombé goutte à goutte devant eux… ». Tous sans exception déclarent : « Celui qui l’a tué est parmi nous, et pourtant nous ne le voyons pas : c’est un prodige et une diablerie ». Autres exemples littéraires cités par H. PLATELLE, op. cit. supra, n. 134, p. 162-170. 136. SHAKESPEARE, Richard III, acte 2, scène 1. 137. H. PLATELLE, op. cit. supra, n. 134, p. 171-173. Elle est incontestablement liée à la procédure accusatoire fondée sur l’idée que « le sang se plaint », R. GRAND, Les paix d’Aurillac…, p. CXXIX. 138. Ch. PLESSIX-BUISSET, Le criminel…, p. 265-272. 139. Cité par Th. REIK, Le besoin d’avouer…, p. 79. 140. X 2a 14, fol. 182, cité supra, n. 126. 141. Ibid., fol. 267v., cité supra, n. 126. 142. Chez les Diola, le cadavre ne saigne pas mais, soumis à des interrogations ritualisées, il doit répondre par des mouvements de la civière qui est promenée en public par des porteurs, L.V. THOMAS, « Une coutume africaine… », p. 1-25. Cette interrogation du cadavre a aussi lieu chez les Zobi, Baule et Kisi, L.V. THOMAS, Anthropologie de la mort, p. 409-410. De même, P. KNOPS, « Contribution… », p. 163-164. L’ordalie à la bière existait déjà en Casamance à l’arrivée des Portugais à la fin du XVIe siècle, comme en témoigne le récit d’André Alavares de Alamada, Tratado breve dos rios de Guiné do Vabo verde. Elle était accompagnée de questions posées au mort, tandis que certains, entrés en transes, dansaient avec le cadavre au son de la musique. Finalement, ceux qui dansent désignent le coupable en le heurtant avec le cadavre. Je remercie M. Boulègue d’avoir eu la gentillesse de me faire part de cette coutume. Ce type d’ordalie est différent de l’ordalie au poison très répandue en Afrique et qui s’apparente plutôt à l’ordalie classique médiévale, A. RETEL-LAURENTIN, Oracles et ordalies…, p. 25-75. Sur ces gestes, substituts de la parole, A.J. GREIMAS, Du sens…, t. 1, p. 49-91. 143. « Le sacristain », dans A. DE MONTAIGLON et G. RAYNAUD, Recueil général des fabliaux, t. 6, p. 243-253. 144. L’abbé de Cerisy aurait dit « que XI heures apres la mort de feu d’Orleans, les plaies de son corps se ouvrirent pour la venue de Monseigneur de Bourgongne, en demonstrant qu’il estoit le malfaiteur », cité par A. COVILLE, Jean Petit…, p. 262. Voir aussi la réfutation contenue dans le premier essai de la Seconde justification où Jean Petit nie la cruentation en évoquant le problème de la séparation de l’âme et du corps après la mort, ibid., p. 392. 145. P. DURRIEU, « Jean sans Peur… », p. 193-224. 146. P. RAYMOND, « Enquête… », p. 215 et suiv. 147. Chronique du religieux de Saint-Denys, t. 1, p. 466. 148. J.Ph. LÉVY, « Les ordalies en droit romain… », p. 409 et suiv., et G. BROGGINI, « La preuve dans l’ancien droit romain… », p. 231 et suiv. Sur le lien entre les manifestations de la volonté divine et la rhétorique, ARISTOTE, Rhétorique, Livre I, chap. XV. 149. X 2a 14, fol. 27 1v., cité supra, n. 126. 150. Ibid., fol. 166, cité supra, n. 126. 151. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 224. 152. Voir supra, n. 144. 153. J. CHIFFOLEAU, La comptabilité de l’au-delà…, p. 117-152. 154. J.G. FRAZER, La crainte des morts…, t. 2, p. 68-69 ; Th. REIK, Le besoin d’avouer…, p. 155 ; L.V. THOMAS, Anthropologie de la mort…, p. 150-151, 184-185 et 249-310.

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Chapitre 5. La peur du crime

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Dans la pratique judiciaire, la résolution du crime requiert la vérité, non pas tant pour une quête qui, en soi, satisfait moralement et intellectuellement les juges et la partie adverse, mais pour permettre de trouver un coupable dont la prise puisse réparer l’offense commise envers la société. Les moyens mis en œuvre sont d’autant plus efficaces que le crime est important. Entre donc en jeu, en dernière analyse, la nature du crime. Henri Le Fevre que nous avons vu suspecté de subornation de témoins, et comme tel « gehinné » par le prévôt de Paris en 1385, ajoute aux motifs de son appel au Parlement, que le cas n’est pas « capital »1. Il ne doit donc requérir ni torture ni procédure extraordinaire. Quelques temps plus tard, en 1404, à propos de l’affaire Charles de Savoisy, Nicolas de Baye rappelle nettement que le Parlement décide de la procédure en fonction des types de crimes : « La Court ou le president pour elle recite que en la Court est acoustumé par le stile de proceder aucune foiz par voie ordinaire, aucune foiz par voie extraordinaire, ut in criminibus, esquelx aussy selon l’exigence du cas l’en procede par voie ordinaire, maiz par informations n’est pas accoustumé de condempner maiz seulement de mettre parties en proces »2.

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La réflexion sur la nature des crimes accompagne la naissance et le développement de la procédure extraordinaire. Dès juillet 1315, il est décrété, au moins pour la Normandie, que nul « franc homme » ne doit être mis à la question « se presumpcions et conjectures vraysemblables ne le rendent soupeçonneux de crime capital » ; à la fin du XIVe siècle, Jean Bouteiller permet d’en saisir les principes d’application : « si peux et dois savoir qu’ils sont plusieurs cas qui ne sont a recevoir en purge, si comme meurtres, arsins de maison, enforceurs de femmes, derobeurs de gens en chemin que les clercs appellent depraedatores populorum, traître, herese, bougre : tel ne sont pas a recevoir a loi de purge »3. Les cas répertoriés au Châtelet au même moment par Aleaume Cachemarée ne disent pas autre chose. Néanmoins, pour l’heure, la justice en reste aux tâtonnements et il faut attendre l’ordonnance de 1498 pour que les deux procédures soient clairement organisées4. Nous reviendrons sur la difficulté qu’il y a, en cette période d’empirisme, d’établir une liste précise des crimes énormes 5. Dans la pratique, une hiérarchie entre les crimes se dessine qui, de façon irréversible, fait passer le suspect d’une procédure à une autre, conduit à la condamnation et peut signer l’arrêt de mort. Sur quels critères sont choisis ces crimes pour lesquels se met en

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place la procédure extraordinaire ? Quel impact les crimes ainsi repérés ont-t-ils dans la vie politique et sociale ?

CRIME ET FAIT DIVERS 3

La méfiance que manifestent les textes pour dire le crime a un prolongement que nous a déjà fait pressentir la typologie des sources : le crime n’est pas décrit comme un fait divers6. De ce point de vue, la perception du crime, à l’époque qui nous intéresse, semble différente de ce qu’elle devient un siècle plus tard. En effet, N.Z. Davis pense qu’à partir du XVIe siècle et peut-être dès le milieu du XVe siècle, chacun a en tête un récit de crime7. Déjà les Cent Nouvelles nouvelles de Philippe de Vigneulles tranchent, au début du XVIe siècle, avec leur homologue bourguignon de 1460. Ne commencent-elles pas par la description d’un meurtre décrit comme une « merveilleuse aventure 8 » ? Les occasionnels constituent, après les Cent Nouvelles nouvelles, une vulgarisation efficace 9. Il est possible aussi que la pratique des lettres de rémission, elle-même liée aux habitudes de la confession, ait contribué à banaliser ces récits.

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Pour parler de faits divers, il importe de considérer les types de crimes qui sont rapportés, les liens que ces crimes entretiennent avec l’actualité et le degré d’information dont ils font l’objet. Les cas de crimes cités par J.P. Seguin pour les règnes de Louis XII à Henri II sont peu nombreux et ils peuvent difficilement être qualifiés de « faits divers »10. La diffusion des pièces imprimées, dès les guerres d’Italie et surtout après 1529, est spectaculaire. Mais la diffusion de l’information ne suffit pas à définir l’évocation d’un crime comme un fait divers, donné au seul titre de la vulgarisation sans qu’il y ait d’autre but que la description et le pittoresque. En effet, le contenu des récits engage à rester circonspect sur la nature du crime rapporté et sur l’explication qui en est donnée. Les faits divers sont encore, dans leur ensemble, étroitement rapprochés de phénomènes surnaturels. L’image du monstre que trouve un boucher en ouvrant le corps d’une vache, « lequel avoit la teste d’un grand homme, mal formee, avec couronne large en la teste, laquelle tiroit sur le blanc et le reste du corps en forme de beuf approchoit a la forme d’un pourceau », ne fait pas appel au simple goût du pittoresque ou du sensationnel11. Sa signification, pendant le règne de François Ier et les guerres d’Italie, est politique. L’évocation des crimes obéit aux mêmes soucis, qu’il s’agisse de la trahison des Suisses en 1524 ou de l’arrêt du procès criminel fait au gouverneur de Touraine en 152612. Comme à l’époque médiévale, délits et péchés sont étroitement imbriqués, et surtout ils sont liés aux manifestations les plus spectaculaires de la vie, qu’il s’agisse de phénomènes naturels, de miracles ou de visions. Les tremblements de terre sont présentés comme une punition et un avertissement de Dieu, « main de Dieu sur son peuple a luy desobeissant » 13. Le crime n’est qu’un épiphénomène d’une situation morale ; sa description contribue à la compréhension métaphysique du monde.

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De la même façon, les crimes rapportés par les Cent Nouvelles nouvelles bourguignonnes, vers 1460, invitent à rester très circonspects : il s’agit d’adultères, de rapts, d’amours ancillaires. Leur description et leur issue sont destinées à frapper le lecteur par leur nouveauté : le gentilhomme qui surprend sa sœur en galante compagnie avec un berger accepte le mariage, « car il estoit et a esté toujours tres gracieux et nouveau et bien plaisant gentil homme »14. Nous reviendrons sur l’incongruité de cette décision, mais là réside tout l’intérêt de la « nouvelle » dont le terme est pris au sens propre pour

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désigner un fait à contre-courant des habitudes. De même, la femme adultère surprise en flagrant délit est pardonnée par le mari et l’amant consent à payer sa faute de douze rasières de blé (…) à condition d’achever ce qu’il a commencé 15 ! N’est-ce pas, tout simplement, une façon de ridiculiser le pardon en matière d’adultère, c’est-à-dire l’attitude préconisée par l’Eglise qui, en réalité, s’accommode mal des affirmations pointilleuses de l’honneur nobiliaire16 ? Point de préceptes moraux comme au début du XVe siècle pour régler les mœurs, mais une légèreté qui aboutit finalement aux mêmes résultats. Cette ironie du dénouement rattache ces récits aux lois qui régissent le mariage et dont le duc de Bourgogne, à qui est dédié le recueil, se porte le garant dans ses états. La nouveauté réside bien dans la pirouette du rédacteur décrivant des résolutions impossibles et cherchant, comme l’a montré R. Dubuis, à ancrer son récit dans l’« aventure occasionnelle »17. Mais, quant au fond, la peinture de l’ordre social et moral prévaut, et les lois du mariage s’y profilent, aussi strictes que dans un tableau de Van Eyck. 6

Le seul pas franchi en cette seconde moitié du XVe siècle est celui de la vulgarisation des récits de crimes qui, présentés ainsi de façon dérisoire, perdent une partie de leur contenu maléfique, ce qui est déjà un signe de désacralisation. Il réside aussi dans l’attrait d’une modernité devenue sujet d’écriture : l’auteur cherche une criminalité récente et surtout inédite. La description du crime, comme le contenu des événements historiques rapportés au même moment par les chroniques, suit la mode qui porte vers ce qui est nouveau, on pourrait dire « moderne »18. Mais une interprétation au second degré de ces nouvelles s’avère nécessaire. Même si elles montrent une évolution de la perception du crime dont on peut désormais parler plus librement, elles conservent un sens qui emprunte encore largement aux traditions morales médiévales.

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Comment s’est opérée cette vulgarisation ? Considérons les crimes rapportés par la Chronique scandaleuse entre 1460 et 1475, approximativement contemporaine des Cent Nouvelles nouvelles, et comparons-les avec la façon dont ses prédécesseurs ont décrit le crime dans la première moitié du XVe siècle19. Les auteurs choisis, Nicolas de Baye, Clément de Fauquembergue, et le Bourgeois de Paris, ont tous en commun de donner un témoignage parisien, en langue vulgaire, comme a pu le faire Jean de Roye. Ont été délibérément écartés les témoignages de chroniqueurs comme Enguerrand de Monstrelet, très engagés dans le parti pro-bourguignon, même si leur perception de l’information est par ailleurs intéressante.

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Dans tous les cas, les crimes décrits sont, en priorité, d’ordre sexuel et politique. Les vols y sont plus rares que les suicides. Quant aux homicides, ils ne sont, pour ainsi dire, pas décrits20. Les crimes retenus sont donc infiniment filtrés par le récit. Ils le sont aussi par les chevauchements et les accumulations qui associent les différents crimes, meurtres, vols et viols à la charge du coupable, si bien qu’aucune approche quantitative ne peut être faite quant aux crimes recensés dans les chroniques.

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Peut-on cependant saisir une évolution chronologique dans ces récits de crimes ? Une nette opposition apparaît entre la narration des deux greffiers du Parlement et celle de Jean de Roye, alors que leurs auteurs peuvent être professionnellement comparés. Nicolas de Baye et Clément de Fauquembergue s’inquiètent, en priorité, des juridictions qui doivent juger les coupables21. Le notaire du Châtelet qu’est Jean de Roye préfère la description du crime ; les lieux et les circonstances concrètes sont là pour intégrer le récit dans la vie quotidienne. Certes, il peut y ajouter sa verve et le clin d’œil du connaisseur. Cette femme, coupable d’adultère, est décrite d’emblée comme « une belle

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jeune femme »22. Mais les procédés littéraires employés ne se limitent pas à ces considérations. Des verbes d’action, l’emploi de la forme active campent les gestes du criminel. Le criminel coupe la gorge, partage le butin, crochète les serrures 23. Le vraisemblable est créé. Le crime est bien, en partie, désacralisé puisqu’un récit peut le traduire en actes. Mais remarquons immédiatement que les crimes relevés ne sont pas pour autant banals. Si Nicolas de Baye, en juriste, peut raconter une scène d’homicide « normale » dans le déroulement ordinaire de la criminalité, quand l’injure précède la blessure, en revanche, Jean de Roye ne choisit pas n’importe quel fait divers : un homme tue sa femme, un religieux du Temple à Paris son « frere et compaignon » 24. Les motifs invoqués, une simple « noise » entre les parties, ne font qu’insister sur l’incongruité et l’énormité de gestes qui remettent en cause les liens les plus sacrés des rapports entre les hommes. Jean de Roye ne relate pas non plus n’importe quel crime sexuel. Le mari bafoué est un homme « puissant » ; la « belle jeune femme » appartient au milieu des notaires du Châtelet25. L’exemple est frappant car il vient de haut. Un autre cas, celui de la jeune fille déjà fiancée, emmenée par un archer qui reçoit l’autorisation royale malgré la plainte des parents, participe à une signification du même type26. Rapt, reniement de la parole donnée se trouvent ainsi valorisés au service de la volonté du prince et de ses serviteurs. L’exemple est extraordinaire et l’attrait du crime qui sommeille chez le lecteur n’a finalement qu’une importance secondaire. Tous ces éléments contribuent à marquer l’importance du délit qui est choisi dans l’échelle des valeurs sociales et culturelles que la société se reconnaît ou que le roi lui impose. Il ne s’agit pas exactement de faits divers destinés à une information aussi complète que possible, mais de sortes d’exemples dont la fonction est de frapper l’imagination, voire de conduire à une vision morale. Jehannette Du Bois, après avoir disparu du domicile conjugal et être allée « ou bon lui sembla », finit par retourner vers son mari qui « bien conseillé de ses principaulx amis, la reprint et (elle) se contint de la en avant avecques sondit mary bien et honnestement ». Ainsi l’adultère doit-il finir, en cette fin du XV e siècle, par un pardon27. Des crimes incroyables par leur teneur existent : à la société d’en tirer les conséquences. 10

La comparaison menée entre le Bourgeois de Paris et Jean de Roye permet cependant de mesurer le chemin parcouru en une cinquantaine d’années dans la formulation du crime. Comme Jean de Roye, le Bourgeois de Paris a le souci d’insérer le crime dans l’environnement quotidien et, de ce point de vue, la scène de viol qu’il campe sur la huche, est particulièrement significative28. Les récits empruntés aux lettres de rémission racontent des scènes semblables29. Le recours au concret, chez le Bourgeois de Paris, ne doit cependant pas tromper. Il est au service d’une crédibilité destinée à forcer les consciences. La scène de viol vient au paroxysme d’une cascade de crimes imbriqués, d’ordre politique et sexuel30. Le concret n’est pas un point de départ, mais un point d’aboutissement, un dernier argument destiné à approfondir la véracité et à signifier la profondeur des perturbations. Chez le Bourgeois de Paris, le crime s’insère dans un double processus dont les éléments sont complémentaires : d’une part une description mécanique et stéréotypée de l’acte criminel, d’autre part l’utilisation du crime comme arme de propagande. Telle est la raison pour laquelle il est extrêmement difficile d’isoler un fait criminel. Les vols commis par les « larrons » sont ceux des Armagnacs ou du « commun » parisien déchaîné31. Les viols s’ajoutent aux vols et aux meurtres pour mieux charger les coupables.

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Malgré une apparente similitude dans le récit, il existe cependant une différence sensible entre le Bourgeois de Paris et Jean de Roye. A la fin du XV e siècle, les

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descriptions criminelles stéréotypées ont sans doute perdu de leur impact. La description des méfaits des gens de guerre peut achever d’en convaincre. Chez l’auteur de la Chronique scandaleuse, les stéréotypes existent, mais il est rarement besoin d’y recourir. En 1472, les Bourguignons sont décrits « boutans les feux » et non pas en termes généraux, « boutant feu » ; leur action se poursuit « es blez et es villages partout ou ilz passoient »32. L’action criminelle, concrète, sert de trame au récit. En revanche, chez le Bourgeois de Paris, il est impossible de saisir les crimes autrement qu’à travers des formules stéréotypées, quels que soient le temps et le lieu. En 1410, les hommes d’armes « pilloient, roboient, tuoient en eglise et hors eglise » ; en 1419, ils « tuoient, pilloient, boutoient feu partout sur femmes, sur hommes et sur grains et faisoient pis que Sarrazins » ; en 1423, ils « tuoient, boutoient feux, efforçoient femmes et filles, pendoient hommes, s’ilz ne paioient rançon a leur guise » 33. Des sortes de litanies servent à décrire les méfaits des hommes d’armes, et seuls quelques détails empruntés au concret permettent de les rendre vraisemblables. Le Bourgeois de Paris est-il pour autant un auteur isolé ? Seuls le contenu et l’impact de telles formulations, leurs éventuelles filiations et leur persistance au cours du XVe siècle peuvent permettre de répondre à cette question, c’est-à-dire de mesurer le degré d’enracinement des fantasmes du crime.

LES STÉRÉOTYPES DE LA GRANDE CRIMINALITÉ 12

Les stéréotypes de la grande criminalité s’organisent autour de composantes simples : boutements de feux, sacrilèges commis dans les églises, viols, rapts, vols et parfois meurtres. Ces thèmes peuvent s’enrichir, et nous y reviendrons, mais ils servent, tout au long de la période, à cristalliser l’horreur du crime.

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Ces stéréotypes sont indépendants du milieu social et culturel. Les greffiers du Parlement, Nicolas de Baye et Clément de Fauquembergue, peuvent décrire les méfaits des gens de guerre à l’aide de tels clichés34. Le Bourgeois de Paris, qui est, sans doute, un membre du chapitre de Notre-Dame, en use pour évoquer les crimes répétés des Armagnacs35. Le récit de la Chronographia, décrivant les pillages de Courtrai qui suivent la bataille de Roosebecque en 1382, se calque sur ce schéma classique « ubi protinus omnibus predatis, cedibusque et violationibus virginum ac mulierum a Francis exactis, ipsi totaliter earn cum pluribus aliis villis campestribus in Flandria igne combusserunt » 36. Enfin, Jean Petit n’hésite pas à recourir à ces stéréotypes quand, dans la justification qu’il prononce pour le duc de Bourgogne, il évoque les méfaits des gens d’armes qui sont venus « piller, rober, raençonner, occire, tuer et prendre femmes a force » 37. Théologiens et juristes manient donc le même langage. Ceux qui témoignent d’une culture humaniste savent aussi utiliser ces références, même si la litanie, par le style employé, sait perdre en sécheresse. Sous la plume du Religieux de Saint-Denis, elle devient poésie biblique : « viduam et advenam interfecerunt et pupillos occiderunt juvenem simul ac virginem, lactantem cum homine seno »38. Dans une lettre à Jean Gerson, Nicolas de Clamanges lui décrit les crimes horribles des gens de guerres et la nécessaire discipline qui doit être apportée aux moeurs pour réformer le royaume. Ces « criminels » « sunt qui matronarum lectos discerpere non vereantur, plumamque in ventos spargere, praeterea sacrilegia, raptus, adulteria, clandestinas virginum stuprationes, praeterea : monasteriorum atque ecclesiarum, sacrorumque locorum spolia, violattones, impias prophanationes… » 39. En 1405, dans le Vivat Rex, Jean Gerson ne donne pas d’autre version pour désigner le

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marasme où se trouve plongé le pays et que constate l’Université : « Las que voit-elle en consideracion ? Elle voit turbacion partout, meschief partout (…) violacion de pucelles, prostitution de marieez, boutemens de feu en aucun saintz lieux, prophanacion de sainctes places, murtrissemens de plusieurs… »40. Les humanistes ne répugnent pas à se répondre par topoï interposés. 14

De la même façon, les lettres de rémission peuvent reprendre cette litanie des crimes, qu’elles soient concédées pour la langue d’oïl ou pour la langue d’oc. En 1390, les gens du conseil du roi envoyés comme réformateurs en Languedoc demandent l’abolition des crimes commis par les habitants de Montagnac41. Le vocabulaire qui désigne le crime se présente comme une accumulation de mots qui enrichit la palette des reproches que les réformateurs ont pu relever et qu’ils commencent par énumérer : « divers crimes, exces et deliz a cause des fraudes, malices, engins, collations, monopoles, decepcions, faulx seremens, conspiracions, mauvaiz conseilz, subornacions de tesmoings (…) corrupcions des officiers royaulx (…) mauvaiz achas, contraux usuraires de chevances, de rentes, d’imposicions sur vivres en ladite ville […] monopoles et collusions sur le fait d’icelles aides et paiement de fausses monnoies et transgressions d’icelles… ». Ces délits correspondent bien à ce qui peut être reproché à une mauvaise gestion de la ville, qu’elle soit fiscale ou politique. Mais la fin de l’énumération se démarque du réel, voire du plausible pour se conclure en ces termes : « comme d’autre part furs, rapines, adulteres, violemment de pucelles, furnicacions ». Cette référence est un recours qui sert à démontrer que les crimes politiques commis sont capitaux. Elle ne démarque en rien les officiers des gens de guerre et elle sert à désigner tous les grands criminels, au moins jusqu’au milieu du XV e siècle. En 1448, cette litanie constitue encore la liste des crimes remis à Robert de Flocques, alors bailli d’Évreux, auquel le roi pardonne son lourd passé, « tous meurtres, sacrileges, boutemens de feux, forcemens de femmes, pilleries, roberies, raençonnemens et aultres maulx, crimes, exces et deliz quelzconques… »42. Porteurs de tous les plus grands crimes, ces stéréotypes ont un contenu qui appartient au fond commun de la pensée politique, théorique et pratique, des XIVe et XVe siècles.

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Pour comprendre la force de ces descriptions obligées, il convient d’analyser à quel moment elles s’installent dans le récit. L’exemple du sac de Soissons, le 21 mai 1414, est significatif. Le Bourgeois de Paris commence par en faire une description extrêmement précise, d’abord centrée sur le personnage d’Enguerran de Bournonville, puis continuant par la révolte qui a lieu contre lui, pour finir par la répression qui suit la prise de la ville43. Au moment de conclure, en point d’orgue mis aux violences décrites, arrive le stéréotype : « et les femmes de religion et autres prudes femmes et bonnes pucelles efforcees, et tous les hommes rançonnez et les petiz enffans, et les eglises et reliques pillees, et livres et vestemens ; et avant qu’il fut dix jours apres la prinse de la ville, elle fu si pillee au net qu’il n’y demoura chose que on peust emporter » 44. Le procédé, pour le même événement, est identique chez Enguerrand de Monstrelet 45. A un moment donné du récit, la description des faits dérape pour se cristalliser en litanies. Alors le discours sur le crime se substitue à la réalité, si bien que la relation entre l’acte réel et le récit n’a plus d’importance. Ce processus, propre aux discours sur l’insécurité, est bien connu des sociologues. Par cette mutation du récit, le discours est devenu, comme le montre H.P. Jeudy, « une identité de fait » 46.

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De ce point de vue, il existe une certaine similitude entre la démonstration de la plaidoirie au Parlement et le récit de chronique. Au Parlement, les discours des avocats,

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construits sur des thèmes simplistes, présentent un hiatus avec l’information qui fourmille de détails concrets. Nous avons déjà noté cette différence à propos du portrait qui ressort du criminel ; il en est de même pour le contenu du crime 47. D’ailleurs, le portrait du criminel se mêle à la référence du crime commis. Ainsi, en août 1404, un procès oppose le procureur du roi appelant du sénéchal de Ponthieu à l’évêque d’Amiens et à Jehannequin d’Avesnes. Le procureur du roi commence par préciser un crime concret : « Jehannequin a batu autrefois Pierre François, procureur, substitut du roi en Ponthieu »48. Puis le discours dérape, et les griefs se placent dans le domaine des catégories générales qui définissent le criminel et le crime : Jehannequin a tué un sergent, a ravi plusieurs femmes. Arrive alors le portrait indifférencié du grand criminel tel que d’autres exemples ont permis de le définir ; il est « meurtrier de bois et espieur publique de chemins, noiseur, bateur et rioteur ». Enfin, pour prouver le bon droit de son discours, le procureur ajoute : « dont les cas particuliers sont es informacions ». La définition du crime, comme celle du criminel, semble fonctionner par grandes classifications dont le contenu n’a finalement que peu de rapports avec le réel. L’essentiel consiste à faire rentrer le crime dans l’énumération des stéréotypes de la grande criminalité. A peine si la référence aux événements concrets sert à authentifier le discours. Ce hiatus entre l’information et la plaidoirie, entre l’événement et le récit, répond à une nécessité, c’est-à-dire à des fonctions sur lesquelles il convient de s’interroger. 17

La répétition des clichés relatifs à la criminalité a paradoxalement une fonction d’information, même si le contenu de cette information n’a qu’un rapport très lointain avec le déroulement réel des événements. A propos de ce fameux sac de Soissons, Nicolas de Baye suggère les crimes commis, mais en utilisant la complicité du courant d’opinion puisqu’il note « et ibi infinita facta sunt crimina, ut dicitur » 49. Cette mention fait une référence implicite à la description qui court partout, même si le greffier reste peut-être sceptique sur la réalité des faits.

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Ces stéréotypes nourrissent aussi la propagande politique, ce qui laisse soupçonner quel est leur impact dans l’opinion. Le Bourgeois de Paris montre comment l’opinion parisienne peut se trouver sensibilisée à de tels thèmes quand ils sont colportés sous forme de bruits. Lui-même les a sans doute recueillis avant de les transcrire, mais il indique aussi les réactions de la foule quand elle les perçoit. Tel est le cas en mai 1418, dans la ville de Paris « faussement » gouvernée par les Armagnacs. Le bruit se répand alors qu’ils tueront sans merci et qu’ils noieront les femmes et les enfants de ceux qui ne sont pas de leur bande50. Cette propagande n’est pas limitée à Paris, et elle nourrit la correspondance qui alimente la guerre civile. Le 3 octobre 1411, dans un contexte de guerre exacerbée qui suit l’entrée en campagne de Jean sans Peur, le roi déclare les ducs d’Orléans, de Bourbon et autres, rebelles à la couronne de France et les abandonne corps et biens. La déclaration a la solennité qui convient à la décision politique prise au Conseil. Mais la lettre ne se cantonne pas dans un style théorique. L’action des hommes d’armes à la solde des Armagnacs apporte la note concrète ; ils « ont pillé et gasté, gastent, robbent et pillent de jour en jour nostredit royaume et nos bons et loyaux subgets, ont prins et de jour en jour s’efforcent de prendre nos villes et forteresses et de nos vassaux et subgetz ont tué gens, rançonné, bouté feux, efforcié femmes mariees et autres, violé filles a marier, robé eglises et monasteres et encore sont et s’efforcent de faire toutes autres inumanités que ennemis de nous et de notredit royaume pevent et pourroient faire… »51. Une lettre du 14 octobre 1411, adressée par Charles VI au prévôt de Paris pour l’informer que ces mêmes personnages, auquel est ajouté le duc de Berry,

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tentent de « debouter » l’autorité royale et « destruire du tout a leur povoir », se sert de ces mêmes stéréotypes, après un discours dont le ton est légèrement différent, axé sur les événements qui concernent directement la vie de la prévôté de Paris. La lettre décrit l’occupation de Saint-Denis « en laquelle sont plusieurs reliques et corps saincts, nostre couronne, nostre oriflamme et plusieurs autres precieulx et riches joyaulx » 52. On pourrait penser qu’un tel sacrilège, auquel se joignent les affres de la prise du pont de Saint-Cloud, aurait suffi à frapper les esprits53. En fait, la description que poursuit la lettre ne se clôt pas par cette remarque qui suffisait à justifier le désir des Armagnacs de « faire nouvel roi en France ». S’imposent au récit les méfaits commis par les troupes adverses qui « ont boutez feux, desrobés esglises, rançonné, tué, mutillé, efforcié femmes mariees, violé pucelles et faict tous maux que aucuns pouvoient faire ». L’énumération des crimes reprend, avec de légères variantes, le contenu de la lettre du 3 octobre, en l’adaptant au public à qui elle est destinée, la deuxième version étant plus « policière » que « politique ». Ces deux missives ont été largement diffusées 54. La propagande a d’ailleurs fait son effet. Enguerrand de Monstrelet qui ne retient dans son récit qu’une faible partie de la lettre du 3 octobre 1411, choisit justement de rapporter les stéréotypes de la grande criminalité, abandonnant le reste du contenu dont on peut penser qu’il est pourtant politiquement original et novateur55. Chez les propagandistes, les clichés du crime l’emportent sur l’événement. Ils constituent un slogan. 19

Un exemple similaire peut être pris dans le camp adverse. En mai 1417, les Armagnacs, écrivant à la ville de Reims pour énumérer leurs griefs contre Jean sans Peur et défendre de lui porter aide, dressent le tableau des méfaits des compagnies bourguignonnes dans le royaume où elles « y ont fait et font encores continuelment chascun jour tous les maulx que ennemis pevent faire, en prenant chasteaulx et villes fermees, en tuant gens, violans femmes mariees et autres, boutans feux, raençonnant gens, pillant eglises en tous lieux et pais ou ilz ont esté et sont… » 56. Le thème est bien indifféremment utilisé par les Armagnacs et par les Bourguignons. En août 1412, l’évocation stéréotypée des méfaits de la guerre civile sert d’ailleurs à conforter la réconciliation entre les deux partis lors de la paix d’Auxerre ; en 1422, après la mort d’Henri V, de crainte que la ville de Reims ne passe dans le parti du dauphin, une lettre de la Chancellerie royale dénonce « ceulx qui notoiremment ont converti le sacrifice de paix en murdres et homicides et autres innumerables crimes 57 ».

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L’utilisation des stéréotypes de la grande criminalité dans la propagande politique montre quelle est la force de son enracinement. Lorsque, une fois les Armagnacs revenus au pouvoir, Charles VI, par lettres, les défend d’avoir voulu faire « nouvel roi en France », il prend soin de réhabiliter les princes jusque dans les violences qui sont reprochées à leurs gens d’armes58. L’honneur bafoué par Jean sans Peur demande ce type de réparation. La grande criminalité peut être maniée, mais son évocation appelle la riposte car son contenu est dangereux pour l’honneur de ceux qu’elle vise, comme pour la cohésion de la communauté du royaume. Le crime s’oppose bien à la paix.

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Cette forme aux angles vifs et répétitifs dans laquelle se moulent l’information et la propagande facilite la rencontre entre le fait historique et la mémoire collective. Si Henri de Taperel surnage dans le souvenir, c’est que, comme prévôt de Paris, il a fait « maint encombrement » dont le détail n’a rien de politique,

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« car a une pucelle qui fut de haulte gent »

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« Toly son pucellaige et grant planté d’argent »59.

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La popularité de Jourdain de L’Isle puise en partie aux mêmes sources car les crimes qui lui sont imputés peuvent se conformer aux litanies habituelles : « lequel Jourdain estoit renommez de maintes oppressions de vierges et de roberies, de meurtres et de rebellions contre le roy »60. Le système fonctionne encore bien en 1435, quand la Petite chronique de Guyenne se fait l’écho des méfaits de Rodrigue de Villandrando 61.

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En règle générale, l’énumération de ces crimes accompagne la description de la condamnation à mort qui est réservée à celui qui en est coupable. Les lieux communs du crime sont les justificatifs d’une société qui, pour des raisons diverses, a choisi d’expulser un de ses membres. Leur fonction politique rejoint alors leur fonction juridique. Ce sont là des chefs d’accusation qui conduisent inexorablement à la peine capitale.

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Le lien entre la condamnation à mort et les stéréotypes de la grande criminalité est évident dans deux domaines qui peuvent être comparés, celui de la diffamation politique et celui de la plaidoirie au Parlement. Le but est identique puisqu’il s’agit de démontrer que celui qu’on attaque mérite d’être mis au ban de la communauté. En matière de diffamation politique, la seule évocation d’un crime capital sert d’argument pour procéder à la destruction de l’adversaire. L’acte d’accusation dressé contre Robert Le Coq décrit tous les procédés que l’évêque de Laon aurait employé pour diffamer les officiers du roi et le roi lui-même. Ces « terribles choses » que nourrit la haine vont crescendo jusqu’au crime le plus horrible qui permettrait de justifier le changement de dynastie. Robert Le Coq aurait dit « que le roy estoit de tres malvais sang et pourry ;-et que il ne valoit riens ;-et que il gouvernoit tres mal ;-et que il n’estoit dignes d’estre roys ;-et que il n’avoit droit au royaume ;-et que il n’estoit digne de vivre ;-et que il avoit fait murdrir sa femme »62. Le même procédé est utilisé par les Bourguignons et par les Armagnacs quand ils insinuent la mort par poison fomentée par l’adversaire. Le crime capital est bien un argument suprême de la diffamation politique.

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Cette méthode ne fait que prolonger celle qu’emploie la délation la plus ordinaire, entre voisins devenus ennemis. En janvier 1406, un procès oppose les Tourant et les Le Triche, des voisins entre lesquels s’est développée une « haine » sournoise 63. Les Tourant sont riches si bien que Le Triche avec ses enfants « vient souvent manger et boire, prendre lait et fromage et autres avantages sur Tourant et sa femme ». Ces invitations sont sans contrepartie, et les Tourant « en parlerent ». Pour se venger, les Le Triche imaginent un scénario diffamatoire : leur fille, Macee, aurait été violée et ravie par le fils Tourant dont la mère était consentante. Pour ce faire, ils disent à Macee « qu’il faloit qu’elle deist et maintenist que la Tourande l’eust soustraite et fait cognoistre violamment et que la Tourande a pris dans leur jardin trois CL ecus ». L’accusation de viol aurait créé une situation irréversible pour l’honorabilité de la partie adverse, le vol étant dans cette affaire un point secondaire. En revanche, l’honneur des Le Triche n’avait rien à perdre car Macée est réputée de « faire pour les compaignons ». Celle-ci finit par être condamnée à un supplice atroce dont la signification sexuelle répond aux enjeux de la rivalité entre les familles. Comme elle refuse d’entrer dans le scénario familial, son père et ses frères la « depouillent et la lient a une estache et la battent puis la font asseoir dans la braise de l’atre ».

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Quant aux stéréotypes de la grande criminalité, ils jouent un rôle identique, même s’ils ne reposent sur aucune preuve. Jean Petit n’hésite pas à les employer. Il va jusqu’à les associer à la lèse-majesté du vassal qui permet à ses gens d’armes de commettre de tels crimes et qui « doit estre puny comme traistre, faulx et desloyal audit roy et au

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royaume comme criminel de leze-majesté »64. Le viol, le boutement de feu, le rapt sont des arguments définitifs. Leur emploi pour désigner les actes commis par celui qu’on veut exclure de la société se révèle particulièrement efficace. Il justifie la condamnation à mort. 29

A lire les confessions extorquées aux criminels du Parlement ou du Châtelet, les crimes se rangent facilement selon les grandes catégories ainsi définies. Le cas de Jourdain de l’Isle est significatif. Traîné à Paris au gibet, il confesse alors en public des meurtres précis, mais il range aussi ses actes en crimes énoncés de façon générale, comme les meurtres de femmes et d’enfants commis par ses gens, les feux boutés, les pillages d’églises et de monastères65. On comprend que plusieurs chroniques parisiennes aient pu s’en faire l’écho. La force des stéréotypes est dans leur diffusion ; elle s’enracine aussi dans les consciences. Au moment de mourir, le réflexe dernier de ce chef de guerre consiste à confesser tous les crimes derrière lesquels se trouve habituellement rangée l’action des gens d’armes. En évoquant le maximum de charges, il peut espérer s’ouvrir au pardon de l’au-delà. Cependant, toutes les confessions d’hommes d’armes ne sont pas sur ce modèle et certaines restent beaucoup plus proches de la réalité, même quand elles sont prononcées au bord du supplice66. La distance semble grande entre la réalité des faits et les catégories juridiques qui collent à la peau des hommes d’armes. Mais, au moment de prononcer le verdict, quels que soient les détails de leur action, les hommes de guerre sont exécutés selon ces catégories-là. Leur énumération accompagne la mise à mort.

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Cette façon de procéder n’est pas limitée aux hommes d’armes. Willemot Briart, du bailliage de Vermandois, venu devant le Parlement en novembre 1407, se voit accusé des crimes les plus horribles, en particulier de crimes sexuels stéréotypés. Ceux-ci n’apparaissent qu’en dernière analyse. A l’origine, Willemot Briart a été accusé de plusieurs « meurtres ou malefices » par un condamné à mort, Bernard Dany, exécuté à Péronne. La dénonciation est classique, telle qu’elle est habituellement faite par ceux qui accusent leurs complices au pied du gibet. En fait, la plaidoirie fait découvrir une longue querelle entre deux familles qui finissent par argumenter de viols successifs. Face à Wuillemot, la partie adverse « lui met sus un vieux meurtre, l’efforcement d’une fille et la bature de la mere de ladicte fille »67. Quel rapport ces crimes ont-ils avec la dénonciation première dont fait état le procureur du roi ? De la même façon, et dans le même bailliage, en 1410, Jean Dausale, drapier de Reims, prétend que de fausses informations ont été fabriquées contre lui. Elles contiennent divers excès jusqu’à celui qui conduit sûrement à la condamnation : il a ravi et violé une fille 68. Aussitôt, il est publié que Dausale sera pendu et la réaction de la foule ne se fait pas attendre : « magna populorum multitudo ante carceres ubi dictus Dausale detinebatur fuerat propter hoc pluries congregata ». Au spectacle qui s’annonce, s’ajoute le souci de voir puni un crime atroce. Les crimes sexuels viennent comme la preuve la plus rigoureuse de la culpabilité. Ils servent bien à justifier la condamnation à mort.

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L’utilisation des stéréotypes de la grande criminalité est quasiment systématique quand les coupables ont été l’objet d’une torture abusive, et lorsqu’ils revendiquent un statut clérical. Il ne faut pas que ces criminels échappent à la justice du roi et il faut justifier la procédure extraordinaire. Le dossier de quelques procès de ce type réunis dans les archives criminelles du Parlement au début du XVe siècle montre la force qui est ainsi accordée aux portraits obligés des criminels, comme aux crimes capitaux. Les griefs sont centrés sur les comportements sexuels, les vols ou meurtres commis sur les

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chemins, et accessoirement sur les sacrilèges commis dans les églises. L’expression « espieur de chemins » qui vient terminer le portrait de nombreux criminels s’y rattache directement. En fait, le recours à ces grandes catégories permet de justifier la procédure extraordinaire dont le développement accompagne la condamnation à mort. En 1402, Jacotin de Neauville a été victime d’une folle équipée vengeresse scandée de tortures sauvages organisées par le prévôt de Saint-Riquier, apparemment couvert par les officiers du bailli d’Amiens69. Le but est, pour justifier la torture et la condamnation à mort qui suit, de répéter les confessions qui lui ont été arrachées. Il a rançonné, tué, bouté le feu, et surtout il a efforcé une femme. La partie adverse se défend en répliquant que la fille efforcée, le pèlerin détroussé et le feu bouté, ce sont-là « termes generaulx » qui ont été extorqués « par force de gehine ». A cet argument juridique qui conteste les chefs d’accusation, la réponse est simple. Le portrait des crimes rejoint celui du criminel qui est déclaré « murtrier, larron et efforceur de femmes et espieur de chemins et l’a confessé ». Le chef d’accusation fait le criminel. 32

De ces différents crimes, on glisse facilement aux « cas royaux » tels qu’ils sont en train de se définir à cette époque70. Ceux-ci trouvent un appui dans les stéréotypes de la grande criminalité à laquelle ils sont étroitement mêlés. En 1401, Jouvenel rassemble dans une plaidoirie les divers griefs, tout en faisant une distinction de nature : « enfreinte d’asseurement donné en la Court du roy et feu bouté dont la cognoissance appartient au roy et efforcement de femme »71. En 1411, une lettre de commissions définit d’une façon approchante les délits reprochés à Robert de La Mabilière et à ses complices : « seu occasione captionis, raptus, violationis et deflorationis, transportationis et longe detentionis Johanne de la Fleche ». Ces délits sexuels sont aussitôt insérés dans un ensemble de cas royaux qu’ils viennent conforter : sauvegarde enfreinte, port d’armes prohibé et voie de fait sur un chemin public72. Le crime sexuel soutient le crime politique.

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Le but poursuivi est de montrer la force du roi, mais aussi de l’imposer aux juridictions ecclésiastiques, le roi devenant tout puissant en matière de crimes sexuels commis par tous ses sujets. Les officiers du roi ne manquent pas d’employer ces arguments pour garder leurs proies. Ce criminel est « marié et gouliart », celui-ci est « larron public, marié, en habit de clerc »73. Quant à celui pour lequel Jouvenel lance sa formule de condamnation lapidaire, il est « accusé de larrecins et maintenoit la femme dudit Denis, maugré mary et tous aultres » et on l’a vu « bouter le feu en un barsel a enfant » 74. L’argument est de taille, d’autant plus qu’il s’adresse au chapitre de Thérouanne qui détenait le coupable prisonnier comme « subgiet couchant et levant ». Ainsi s’explique qu’à la fin du XVe siècle, les sergents du Châtelet de Paris puissent amener tant de criminels pour affaires de moeurs. La justice du roi garantit la bonne tenue des lois du mariage. Elle a étendu ses compétences jusqu’à pénétrer dans la vie privée 75.

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L’utilisation de l’ensemble de ces stéréotypes blanchit le bailli et le prévôt à la poulie un peu vive ou dont l’ordre d’exécution n’a pas tenu compte des privilèges cléricaux. Ils servent, en dernière analyse, de justification à l’Etat naissant pour lequel il importe de définir et d’étendre les « cas royaux ». La conquête se fait face aux juridictions rivales, mais aussi en profondeur, découpant dans la hiérarchie des crimes ceux pour lesquels la procédure extraordinaire s’avère nécessaire. Ce recours n’est pas anodin. En se référant à ce type de criminalité, les autorités mobilisent l’opinion. La décision de procéder à l’extraordinaire, puis de condamner à mort, peut alors être présentée comme une mesure nécessaire, sans qu’elle soit rigoureusement coercitive. Une telle

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démarche suppose que la torture et la condamnation à mort sont des attitudes difficiles à imposer dans la société des XIVe et XVe siècles. Le recours à l’accord tacite se fait donc sur un fond commun par lequel s’exprime la peur de crimes susceptibles de remettre en cause les valeurs de la société toute entière.

L’OPINION SENSIBLE AU CRIME 35

La sensibilité de l’opinion à certains crimes considérés comme énormes est un fait de société dont il faudra chiffrer l’ampleur. Abordons-la, dans un premier temps, en termes d’opinion, à travers l’expression de ses fantasmes. Elle se moule, comme nous l’avons vu, dans des catégories irréfutables, tandis que le fil du crime réel se trouve perdu, relégué au rang secondaire pour laisser la place à un lieu commun susceptible de trouver l’accord de tous, juges et public. Mais, si le thème est de propagande, il puise nécessairement ses sources dans une opinion avide de l’entendre. Comment cet amalgame a-t-il été possible ? Pourquoi et par quels canaux s’est propagée la peur du crime ?

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Les stéréotypes de la grande criminalité ont une longue histoire qui fait remonter aux mouvements de paix leurs premières manifestations écrites. Le lieu commun s’inscrit d’emblée dans sa durée et dans l’efficacité des canaux qui ont contribué à le propager, ceux de l’Eglise puis de l’Etat. En effet, dès les balbutiements de la paix de Dieu et de la trève de Dieu, l’enjeu se trouve posé. Le serment de paix de 1023 que Warin, évêque de Beauvais, soumet à Robert le Pieux, donne une idée des crimes qui sont redoutés, et par là-même cernés comme atroces et sacrilèges76. Les listes qui sont alors évoquées sont nettement plus concrètes que celles qui figurent dans la plus grande partie des textes des XIVe et XVe siècles. Le vilain y figure avec son bétail, le marchand et le pèlerin vont sur la route, tandis que sont campées les maisons qui redoutent le feu, les chevaux et les mulets aux champs avec leurs petits, les vignes à la pousse lente dont il ne faut pas arracher les plants ou les moulins dont on sait le rapport et le prix.

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Au fur et à mesure que l’idéal de paix se propage, les thèmes deviennent plus abstraits et plus denses. Paradoxalement, il faut attendre les hommes du premier humanisme français, et en particulier Nicolas de Clamanges, pour retrouver des chants comparables qui illustrent les thèmes de la paix enfreinte. A l’influence du droit canon se joint celle de Virgile auquel Nicolas de Clamanges fait lui-même référence en citant les Géorgiques. Alors, sous sa plume, villanus devient agricola, clericus, vir ecclesiasticus et les méfaits sont ainsi campés : « Sed lalronibus quibuslibet ac praedatoribus, licet passim ab agricolis et mercatoribus atque viris ecclesiasticis si extra urbes atque oppida exierint, aurum, argentum, vestem, merces, equos, boves, asinos, jumenta, et bona quaelibet eripere ? In qua non alia stipendia quam libertatem rapiendi plerumque militantes habent… » 77.

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Dès le XIe siècle, ces considérations qui, en règle générale condamnent aussi bien le rapt des hommes que des femmes, s’enrichissent de notations sexuelles. Raoul Glaber mêle le maintien de la paix à l’obéissance des lois du mariage que l’Eglise tente au même moment d’imposer : « Quis enim umquam antea tantos incestus, tanta adulteria, tantas consanguinitatis illicitas permixtiones, tot concubinarum ludibria, tot malorum aemulationes audiverat »78 ? La paix ne se règle pas seulement par l’arrêt des armes, elle repose aussi sur les strictes lois qui doivent régler l’échange des femmes. Elle est, indissociablement, intérieure et extérieure.

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Il est impossible de mesurer le degré de diffusion de ces thèmes. Il est probable qu’ils font partie des prières pour la paix largement répétées au fur et à mesure que la paroisse enracine la communauté79. Leur impact est d’autant plus vif qu’à partir du XIIe siècle, la trêve de Dieu est devenue la « paix du roi » 80. Dès 1114, Yves de Chartres parle du « pacte de la paix » dont l’ampleur d’application a, sans doute, dépassé les simples limites du domaine royal, décision qu’amplifie Louis VII. En 1155, il fait jurer aux barons et aux prélats une paix dont le contenu, en définissant la violence sur les chemins, pose les prémices des cas royaux, tout en reprenant les thèmes traditionnels relatifs à la paix qui concernent la défense des paysans et du cheptel 81. Au même moment, Suger ne décrit pas autrement les maux que commet Hugues du Puiset, et, dans la pure tradition cléricale, il y associe les liens de parenté prohibés 82.

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Les ordonnances prises par saint Louis au milieu du XIII e siècle reprennent ces descriptions de crimes en les associant étroitement à la condamnation des mœurs débridées et aux méfaits des guerres privées83. Les ordonnances prises ensuite contre les guerres privées par Philippe le Bel et ses successeurs continuent à entretenir la vision stéréotypée des grands crimes commis par les hommes d’armes 84. En même temps, le droit canon assure la persistance du thème. Les canons conciliaires depuis le XIIe siècle reprennent les termes d’Yves de Chartres : « Nous prescrivons que les prêtres, les clercs, les moines, les pèlerins, les marchands allant et revenant, ainsi que les paysans avec leurs animaux de labourage, les semences et les moutons soient toujours en sûreté »85.

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La pratique politique et la réflexion religieuse, la réflexion théorique et le droit canon se servent donc de ces lieux communs pour fustiger l’ingérence des hommes d’armes dans la vie des laïcs. L’exercice de tels crimes est un sacrilège qui fait de ceux qui les commettent des pillards et des soudards. Depuis le XIe siècle, ce thème a un but social : définir et limiter le champ d’action de la guerre jusqu’à ce qu’elle soit réservée, au milieu du XVe siècle, à une poignée de professionnels, dont l’éthique est alors, en principe, clairement fixée86. Les principes du droit canon joints aux décisions politiques prises pour garantir la paix dans le royaume ont donc contribué à formuler les stéréotypes de la grande criminalité. La notion de nephandum qui leur est appliquée, résume leur ampleur et la perturbation qu’ils causent87.

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Cette genèse n’exclut pas l’apport de sensibilités différentes selon les régions et selon les temps. En langue d’oc et dans la poursuite que mène l’Inquisition, les crimes sexuels s’enrichissent de l’homosexualité. On la trouve peu invoquée dans les crimes capitaux de langue d’oïl alors que le viol et les infractions aux lois de parenté y sont prioritaires. Les ordonnances de saint Louis sont plus attentives aux prostituées et aux joueurs de dés qu’aux sodomites. Mais la Chancellerie royale, soit par les ordonnances, soit par les lettres de rémission, sait parfaitement s’adapter à la conjoncture différente qui permet de repérer ces crimes énormes dans le Nord et dans le Midi 88. Les théoriciens de culture humaniste, peut-être sous l’influence du droit romain, sont aussi plus sensibles que d’autres aux crimes contre nature. Le Religieux de Saint-Denis ne manque pas de rapporter l’accusation d’homosexualité dont est accusé Betizac et qui se trouve étroitement mêlée aux crimes politiques qu’il a commis89. De la même façon, Nicolas de Clamanges lie les crimes capitaux à la sodomie dont Babylone a donné l’exemple 90. Références littéraires et bibliques peuvent entretenir la peur du crime contre nature. Mais dans l’ensemble, ce type de référence est extrêmement rare au nord du royaume. L’homosexualité ne fait pas partie des lieux communs que font avouer les officiers sous

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la torture, ni des arguments que les avocats utilisent pour perdre leur adversaire. Au Châtelet, l’aveu est rare, plus rare que celui qui concerne la bestialité, et à plus forte raison le viol91. La réalité du crime entre finalement peu en ligne de compte dans ces énumérations qui correspondent à une approche différente des fantasmes sexuels 92. 43

Au cours du XIVe siècle, la formulation des lieux communs de la grande criminalité évolue. Les viols sont presque systématiquement impliqués, ce qui donne la mesure de l’importance qui est légalement accordée à la virginité et aux lois sacrées du mariage. Les meurtres commis contre les enfants sont aussi plus fréquents. Ils étaient absents des premières mentions de la paix de Dieu. Les voici invoqués, dès le milieu du XIV e siècle, pour mesurer l’horreur du crime. Leur apparition est liée au fantasme le plus terrible, celui qui consiste à rôtir les innocents et à les manger. Le criminel « consomme » le crime au sens propre, mais il consomme aussi l’innocence et l’avenir de la société dont il compromet la reproduction par le renouvellement des âges. Le thème semble se développer au milieu du XIVe siècle et le chevalier du Songe du vergier, vers 1375, se fait l’écho de ces peurs collectives quand, après avoir décrit les crimes « habituels » commis par le roi d’Angleterre et le Prince Noir, « murtres, ravissemens, sacrileges, en boutant feus et en faisant tout autre fais de guerre », il ajoute : « et entre les aultres inhumanités, ce ne fait pas a oblier comment ilz rotissoient lez enffans et plusieurs personnez aagees »93. L’harmonieuse répartition entre les âges, leitmotiv de la société civile, est alors compromis. Au début du XVe siècle, les Armagnacs du Bourgeois de Paris ou Rodrigue de Villandrando, en tuant les enfants et en les dévorant, ne font pas autre chose. L’image n’est pas seulement populaire : elle est aussi savante. Christine de Pizan, mais aussi Jean de Montreuil qui est pourtant un farouche adepte du célibat, font entrer le crime de l’enfant dans l’horreur des descriptions qui ensanglantent la guerre civile94. La société est bien atteinte dans ses forces vives.

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Quelle place faut-il donner à l’angoisse collective dans la constitution de ce topos ? Dans l’énervement d’une guerre qui dure, la foule parisienne, en 1448, secrète son bruit en même temps qu’elle a besoin d’un bouc émissaire. Les mendiants que la société rejette sont contraints d’avouer sous la torture l’enlèvement d’enfants qu’ils ont ensuite massacrés95. Le meurtre des enfants est entré dans les crimes que la société redoute au plus profond de son identité, plus nettement sans doute que l’homosexualité dont les implications s’avèrent plus cléricales et plus savantes que populaires. Ce thème des enfants enlevés et dévorés n’est qu’un maillon dans une longue suite de peurs collectives qui mêlent étroitement le fait et le bruit, au moins jusqu’à la Révolution française96. Enfin, au paroxysme des fantasmes liés au crime, surgissent les loups que leur charge sexuelle et agressive assimile à l’ogre de la légende. Leur image court des lettrés au peuple, de Nicolas de Clamanges au Bourgeois de Paris qui se font l’écho des terreurs populaires97. Les loups ont mangé hommes, femmes et enfants, sans distinction. Le troupeau est celui des agneaux et de l’innocence. La justice a fui et la société n’a plus de repères. Les slogans de la criminalité ne sont pas imposés d’en haut par un juge ou par un pouvoir contraignant : ils se nourrissent de l’imaginaire d’une foule terrifiée.

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Pour se mettre en marche, cet imaginaire a besoin de circonstances particulières où se mêlent les crimes inexpliqués et les assassins inconnus. Les fantasmes du crime se greffent sur d’autres fantasmes, ceux d’une sociabilité parallèle et incontrôlée dont l’évocation fait naître et entretient la peur. La déformation du réel que provoquent les stéréotypes de la grande criminalité n’est pas seulement un argument de prétoire ou un

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faire-valoir de chroniqueur. Elle est fondée sur le développement de rumeurs qui opèrent une véritable mutation de la réalité et qui justifient en partie les excès de la justice. Les affaires judiciaires qui traitent de ces cas sont engluées dans un environnement psychologique et collectif extrêmement lourd. Partant d’un fait réel, un ou plusieurs crimes commis sans avoir pu cerner le coupable, la rumeur se généralise jusqu’à paralyser la vie active. En terme de rumeur, on sait qu’il est très difficile, comme le montre J.N. Kapferer, « de délimiter avec précision où commence et où finit le phénomène », et on pourrait ajouter, de savoir qui le manipule 98. 46

« Rumeur » : le mot existe, dans les chroniques comme dans les textes de la pratique judiciaire. Le Bourgeois de Paris en fait largement état. Il est employé au sens étymologique de « bruit » : « il vient rumeur de… ». La forme du colportage de l’événement est première dans la définition de la rumeur médiévale et elle s’avère plus importante que le simple ragot et même le « on dit ». Elle est marquée par le consensus qui unit la foule. Quelle est sa source ?

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Quelques exemples empruntés aux archives criminelles du Parlement permettent de la cerner. Le premier cas concerne la viguerie de Carcassonne en mars 1403 99. Le viguier fait prendre et pendre quatre criminels en faisant valoir l’atmosphère d’angoisse qui prévaut alors dans la ville. Il dit « que en ce temps estoient plusieurs plaintes de pilleries et roberies et murtres », qu’il a trouvé à l’entrée de Carcassonne « plusieurs personnes qui se plaignirent des IIII dessus diz et des maulx qu’ilz faisoient ». Ils sont alors pris au « bordel » et faits prisonniers. A la suite d’une discussion qui a lieu au conseil alors réuni pour l’affaire concernant le sire d’Olonzac, leur cas est évoqué 100. La discussion qui anime le conseil est rapportée sur le vif : « et sur la fin du conseil fu parlé des murtres, larrecins et autres maulx qui se faisoient au pais et fu demandé se les complices dudit de Louzac qui estoient prins en avoient riens dit ne confessé et le senechal respondi que non et pour ce s’esmerveilloit qui povoit ce fere » 101. Vient alors la quête des boucs émissaires : « il qui parle dist qu’il avoit IIII prisonniers dont il avoit informacion et qu’il serait bon qu’on les examinast ». Une série de crimes ne peut pas rester impunie sous peine d’entretenir l’angoisse.

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Le point de départ de la rumeur peut encore être plus précis que dans le cas précédent. Le 22 juillet 1408 a lieu, à Château-Thierry, la fête de Marie-Madeleine. Des crimes y sont commis sans coupable connu. Quelques années plus tard, en 1411, le prévôt de la ville devant le Parlement décrit les effets paralysant de la rumeur : « grandis multitudo itinerum aggressorum, latronum, disrobatorum et aliorum malefactorum extiterat et ex hoc rumor scandalosus ubicumque in dicta prepositura et locis circumvicinis insurrexerat adeo quod bone gentes nisi sociate se congregate ac dubitanter suas domos exire et ad sua negotia accedere non poterant nec audebant »102. Une rumeur identique a secoué, au même moment, la région de Laon, c’est-à-dire les mêmes bailliage et évêché. Sa narration est, dans les deux cas, similaire : « dicebant ulterius dicti defensores quod circa principium mensis junii, anno predicto, grandis et famosus rumor plurimorum latronum et murtrariorum in patria Laudunensi et circumcirca insurrexerat adeo quod bone gentes patrie ad sua negotia nisi congragate et bene associate accedere non audebant »103. Certes, il convient de ne pas se laisser prendre à de nouveaux stéréotypes qui puisent encore une fois aux sources de la paix et du bien commun. Mais on doit déduire aussi que les rumeurs liées aux crimes restés impunis savent semer, par vagues, une sorte de panique que les autorités mettent à profit.

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Un véritable système se développe alors afin de désigner ceux qui doivent servir de boucs émissaires et que la société retrouve son ordre. Les événements de Carcassonne en ont donné une idée quand les autorités tentent de se servir des confessions obtenues par les complices du sire d’Olonzac au pied du gibet. Le prévôt de Paris, en 1389-1390, n’emploie pas d’autres méthodes pour démanteler les bandes104. Car il y a, dans l’esprit de tous, une association de malfaiteurs qui fomente un complot. Les mots « alliance » ou societas sont alors employés. Dans l’énumération des crimes, ils se rapprochent de uniones, conspirationes, monopolia, consilia, conventicula ; c’est dire que le crime et la révolte utilisent des mots identiques105. La peur du danger commence avec le complot, quand les criminels ont « pris leur conseil ensamble » 106. Le crime peut alors être déclaré d’« aguet apensé » et, encore une fois, la catégorie juridique répond aux angoisses de l’opinion. Les complices sont nombreux, souvent en nombre supérieur à quatre. A Laon, Gaulcher Lamy fait état au cours de sa confession d’un rotulus qui scelle la complicium societas dont il fait partie et qui tient secrète la potion magique qui donne de la force à ses membres : « in ipsorum complicium societate quemdam rotulum gesserat in quo recepta confectionis certi poculi tante vigoris quod si quis ex eo biberet statim totus rabidus, invidus et voluntarius gentes occidendi efficeretur, scripta fuerat ex quo poculo dictus Galcherius cum sociis seu complicibus suis supradictis biberat seu gustaverat » 107. Quant aux quatre victimes du viguier de Carcassonne, elles se sont alliées ensemble, alliance qui accompagne obligatoirement les meurtres et larcins qui sont alors commis 108. Parfois, l’alliance est scellée par des serments dont on ne peut pas savoir ce qu’ils doivent à l’imaginaire collectif, mais dont on perçoit le résultat qui est de faire basculer les criminels dans une redoutable « diablerie »109.

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Tous les éléments du complot criminel sont là, tacites ou confortés par l’écrit. Une marge étroite sépare alors le crime de la subversion. Jacotin de Neauville que nous avons vu torturé et pendu par le prévôt de SaintRiquier, avait « un role ou il avoit en un costé les gentils hommes et d’autre costé les vilains a qui il avoit guerre et les espioit tous, l’un apres l’autre pour les batre et tuer »110. La rumeur s’enfle jusqu’à prévoir la guerre sociale encore mal dissociée de la haine personnelle. Les clivages de la société apparaissent, comme exacerbés.

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On passe donc d’un fait réel — le ou les crimes — au bruit. Il est possible que certaines circonstances soient propices à cette éclosion. On ne peut qu’être frappé, par exemple, de la concomitance des rumeurs en 1408. Faut-il les lier aux mouvements de troupes qui annoncent la guerre civile dans le nord du royaume ? A ce moment, Jean sans Peur est à Paris qu’il ne quitte qu’en juillet pour aller à Liège. Il resterait à savoir par quels canaux, officiels ou non, les bruits se propagent, quelle part y a, en particulier, la propagande. Les sources ne permettent de les percevoir que lorsqu’ils sont arrrivés au bout de la chaîne, quand ils se cristallisent sur la victime émissaire. Alors la rumeur peut emprunter les canaux officiels de la plainte en justice, la rumor devient clamor. Le bailli d’Amiens n’avait-il pas reçu souvent de très mauvais rapports et plaintes relatifs aux meurtres et délits que faisait Jacotin « sur le pays » ? Il en est de même du viguier de Carcassonne qui fait état des plaintes de la population. En fait, le choix de la justice désigne ceux que la société a exclus de ses institutions : vagabonds et étrangers, sans métiers, anciens condamnés, bâtards. S’y ajoutent ceux que leur comportement sexuel met désormais à l’index, et qui constituent, tant hommes que femmes, la horde des « houlliers, bordeliers, rufiens et gouliars ». Leurs lieux de fréquentation les écartent de la vie quotidienne et de la criminalité ordinaire. Ils se prêtent des serments en se

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cachant, ils fréquentent les lupanars et les chemins, ils restent aux abords de la forêt inquiétante. L’hôtel d’un des condamnés de Laon est ainsi construit « nemoribus de Rest contiguo ac in periculo districtu sive passagio ubi plura mala fieri consueverant situato quod latronibus fore refugium notorie reputabatur »111. Il est à lui seul « une caverne de voleurs ». Nous aurons à mesurer la place de ces catégories et de ces lieux dans le crime. Elle apparaît, d’emblée, faussée par la peur qui tenaille les hommes et que les textes traduisent par un mot latin très fort, propre au vocabulaire juridique : metus. 52

La force de la peur ne peut pas s’expliquer sans analyser le désordre que provoque le crime. Toute mort est contagieuse, à commencer par celle qui n’est pas naturelle. Les cas cités par J.G. Frazer et par Br. Malinowski laissent percevoir quelle souillure déclenche le crime dans les sociétés de la tradition112. Les textes médiévaux montrent qu’au début du XIVe siècle subsiste la « quarantaine » qui est sans doute un reste de ces pratiques, temps de silence et de purification qui suit la perturbation du crime. S’agissant des nobles, les remontrances de 1315 font état des privilèges qu’ils prétendent conserver et, en particulier, celui de rester « en quarantaine» chez leur seigneur s’ils sont soupçonnés d’un crime113. Le crime est contagieux et il faut toute la volonté de Dieu pour en inverser les effets. Voulant montrer le bon droit des Bourguignons et des massacres de 1418, le Bourgeois de Paris fait état de la grâce divine qui envoie la pluie laver les cadavres à grande eau, sans que la ville porte la souillure du sang des victimes : le crime commis contre les Armagnacs ne « pollue » pas, il est propre114. En règle générale, le crime est d’autant plus contagieux que le corps de la victime n’est pas retrouvé et que sa mort n’est pas ritualisée. La hantise est grande de le savoir pourrir dans les eaux de l’étang ou de la mare. Le recours à la « cruentation » a déjà permis de s’en rendre compte115. On comprend que la mort par noyade, telle que l’imposent certaines juridictions, soit considérée comme la plus infamante, parce que putréfiante.

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Le meilleur théoricien de la contagion du crime est incontestablement Nicolas de Clamanges. Le crime est chez lui le compagnon du vice, comme nous l’avons déjà vu, mais aussi de la maladie. Il parle du crimen pestiferum, de la contagio, mots qu’il associe, aussi bien dans ses petits traités que dans ses lettres, aux verbes polluere, infectare, corrumpere116. Les effets du crime ne se font pas attendre et la terre s’annonce déserte et dépeuplée. Reprenant la parole du Prophète, les écrits de Nicolas de Clamanges annoncent « donec desoletur civitas absque habitatore, et domus sine homine et terra relinquatur deserta »117. Il ne reste plus grand pas à franchir pour que le crime soit associé aux malheurs des temps. Alors, la rencontre est scellée entre l’érudition et les interpellations de l’actualité, entre le discours théorique et les préoccupations de l’opinion.

PURIFIER LE ROYAUME 54

Grande Peste et épidémies, guerre contre les Anglais, guerre civile entre Charles le Mauvais et le roi, puis entre les Armagnacs et les Bourguignons, sur fond de schisme et de folie royale : cette série d’événements manifeste la colère d’un Dieu mécontent des crimes commis par son peuple. Les crimes les plus atroces, ceux pour qui ont été inventés les lieux communs de la grande criminalité, et les criminels types, larrons, épieurs de chemins et efforceurs de femmes, sont à la fois cause et conséquence de l’impureté qui gagne et contamine le royaume. Très clairement, le continuateur de la

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Chronique de Richard Lescot assimile le développement des crimes aux malheurs qui s’abattent sur la population. Jean de Venette témoigne aussi que les crimes redoublent après la Peste. Alors naît l’expression d’un nouveau lieu commun dont on ne peut pas savoir quel a été son degré de vulgarisation, mais dont on trouve l’expression très proche dans les deux chroniques : « Nam homines fuerunt postea magis avari et tenaces, cum multo plura bona quam antea possiderunt ; magis etiam cupidi et per lites, brigas et rixas atque per placita seipsos conturbantes »118. 55

De la contagion du crime à celle de la maladie le lien est étroit, et ses effets remettent en cause l’avenir de la société toute entière. Les champs dévastés que décrivent Jean Gerson et Nicolas de Clamanges ne sont que l’image extérieure d’une stérilité plus grave encore, celle qui atteint les règles normales de la reproduction humaine. Les naissances sont compromises, anarchiques ou monstrueuses, comme elles le sont par les crimes horribles qui touchent à l’honneur de la femme et à la femme enceinte ; les jeunes sont fauchés par la mort comme ils le sont par l’aveuglement des hommes de guerre. Ce n’est pas un hasard si Jean de Venette insère sa crainte de naissances honteuses ou de femmes stériles entre les méfaits des compagnies en 1360 et ceux des hordes de ribauds et de larrons en 1365119. La société, contaminée, est devenue incapable de se reproduire au rythme normal que régularisent les lois suivies du mariage.

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Cette hantise est latente dans l’inconscient collectif ; les maux répétés l’ont exacerbée et elle est prête à ressurgir à chaque attaque de l’épidémie. On la retrouve, intacte, un siècle plus tard sous la plume de Jean de Roye. Avec la résurgence de la peste pendant l’été 1466, les larrons et crocheteurs envahissent Paris tandis qu’un « gros Normant » est enfin pris, auteur du crime le plus abominable pour l’avenir social : l’inceste accompagné d’infanticide120. Dans ces conditions, l’attention que les Parisiens portent aux naissances extraordinaires, qu’il s’agisse d’hommes ou d’animaux, est moins la preuve de leur curiosité que le signe de leur angoisse dans un monde qu’ils perçoivent comme perverti121.

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Le degré de bouleversement social se mesure à l’aune de ces crimes sexuels qui transgressent les lois de la reproduction. Les luttes fratricides de la guerre entre les Armagnacs et les Bourguignons sont contre nature puisqu’elles font couler le sang commun, mais ce crime atroce aboutit à plus grave encore. Les descriptions de Nicolas de Clamanges fustigent la guerre civile jusqu’à la description de crimes inavouables où la patrie, mère nourricière, est frappée par le parricide d’épées tournées contre son sein, mais aussi violée par ses propres fils. L’appel se fait alors pressant : « Parcite o filii parcite, si qua viscera pietatis in vobis restant, matrem violare. Quis oro vestrum, carnalem matrem si inter bellantes se mediam objiceret, non ferire perhorresceret » 122.

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Ces crimes les plus horribles ne font que refléter les prédictions des astrologues et les prophéties que rapportent les chroniqueurs. L’attention portée aux manifestations extérieures redouble. Comètes, éclipses de lune ou de soleil, gel ou chaleur inhabituels accompagnent le dérèglement et ouvrent aux crimes, que les témoins associent à la folie123. Tout se passe comme si cette prise de conscience unissait parfaitement le monde intérieur et le monde extérieur. La noirceur du crime prolonge celle du ciel, sa contagion l’épidémie, ses causes spirituelles la boue qui envahit les rues et les pustules des lépreux que les autorités repoussent hors de la ville. En 1389, pour les juges du Châtelet, ni « le petit estat » de Gervaise Caussois, ni les sacrilèges qu’il a commis en volant dans les églises ne suffisent à justifier le recours à la procédure extraordinaire :

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il faut encore ajouter qu’il est « scabieux »124. Puis, juste retour du crime, la charrette et la boue accompagnent le condamné à mort à son dernier supplice 125. La maladie et la saleté font un tout avec le comportement criminel Le vocabulaire employé par les ordonnances de réforme de saint Louis, puis par celles qui, au XIV e siècle, chargent le prévôt de Paris de « nettoyer » la capitale, voire le royaume, témoigne de cette vision totale. La disposition des règlements en dit long sur cette complémentarité qui prévoit une purification générale, à la fois physique et spirituelle 126. 59

A quels besoins répondent ces conceptions ? La référence à saint Louis montre que la prise de conscience du crime et du mal n’est pas entièrement liée aux manifestations de la crise. Elle s’inscrit sans doute dans une réflexion pénitentielle dont les jalons dépassent une simple étude sur la criminalité mais qui sous-tend la naissance de l’Etat. Derrière ces manifestations se profile aussi la culture latine et biblique. Lucain ne dit pas autre chose quand il dénonce les méfaits de la guerre civile que les signes du ciel accompagnent ; quant aux prophètes de la Bible, ils annoncent les périls de Babylone et d’Israël par des voies comparables127. Mais surtout à la fin du XIVe siècle, l’Apocalypse de saint Jean devient un thème de la pensée politique, littéraire et artistique 128. Des faits précis peuvent lui être directement rattachés. Soucieuse d’espérer que la paix d’Auxerre, en août 1412, portera ses fruits, Christine de Pizan voit dans l’union des deux ducs Jean (Jean de Berry et Jean sans Peur) un miracle auquel elle associe le culte de saint Jean129. La paix éloigne pour un temps le chevalier de l’Apocalypse. Nourrie de l’Ancien et du Nouveau Testament, cette pensée n’est sans doute pas réservée aux théoriciens. Comment interpréter autrement l’immense rumeur qui se propage dans le royaume à plusieurs reprises, en 1321, 1350 et 1390 pour raconter l’empoisonnement des puits130 ? La contamination du mal que sont ici la lèpre, les juifs et le crime est physique : l’eau nourricière porte le poison au plus profond de ce qui est caché aux hommes, le puits, la source, les fleuves. Mais ce crime annonce aussi la fin des temps, comme l’eau viciée des écrits de saint Jean, l’un des sept fléaux des sept coupes de la colère de Dieu131 !

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Ce mal généralisé contient des maux tangibles que les contemporains tentent de décrypter dans leur spécificité. La pensée cherche dans les événements qui se précipitent des éléments d’explication. Jean Gerson les trouve dans les affres de la guerre civile qui, amorcée dès 1400, se précise en 1405 avec l’enlèvement du dauphin. Il y associe le prolongement du Grand Schisme132. Enfin, comme l’a montré Fr. Autrand, la folie du roi joue un rôle essentiel133. Aucune de ces composantes ne peut, en fait, être dissociée. Toutes convergent pour manifester comment, dans cette société close sur ses repères, le désordre livre peu à peu ses secrets.

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Les contemporains ne s’y sont pas trompés : leur explication peut être contingente, elle se veut toujours globale, comme les remèdes qu’ils préconisent. Les théoriciens s’interrogent sur tous ces maux à la fois tandis que le peuple entre en processions pour conjurer toutes les causes de dissensions, faire cesser le chaos et retourner à l’ordre. Les signes du mal, le rituel, la réflexion sur la faute s’entremêlent. Nicolas de Baye puis Clément de Fauquembergue en sont les parfaits témoins. Pour décrire la procession de juillet 1404 au cours de laquelle les hommes de Charles de Savoisy attaquèrent les étudiants de l’Université de Paris, le greffier du Parlement mêle étroitement le froid et les pluies incessantes, la maladie du roi, la paix dans l’Eglise comme dans le royaume, autant de maux dont souffre le peuple pour ajouter : « sedpeccata nostra meruerunt » 134. Quelques années plus tard, en octobre 1418, les processions, les prières à la Vierge et les

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sermons que décrit Clément de Fauquembergue n’ont pas d’autre sens 135. Ces recours aux rituels mêlent étroitement la lutte contre l’épidémie qui redouble, la paix entre les princes et l’arrêt de crimes dont la propagation menace d’affamer Paris. De cette entreprise de purification découle l’aveu des forfaits qui troublent l’ordre. Crimes et péchés se bousculent alors dans un urgent besoin d’avouer. 62

Le remède est religieux, mais il est aussi politique. La civilisation, telle qu’elle est perçue par les théoriciens et par l’opinion, ne se mesure pas seulement en termes de reproduction. Le royaume lui sert de corps, le roi de tête et les chemins royaux de nerfs. Cette image ressort des métaphores filées par les théoriciens. Elle est au service du mieux-être et du « bien commun ». Dans cette société de la tradition où la richesse se mesure à la reproduction des hommes et à leur nombre, la civilisation régresse. Pour mesurer la peur qu’engendre ce phénomène, il suffit de suivre l’émergence d’un autre lieu commun, celui de communautés obligées à se replier sur elles-mêmes tant est grande la crainte de leurs membres d’être attaqués sur le chemin. Avec la peur du crime commence la paralysie des hommes.

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Ce thème est évoqué aussi bien par les chroniqueurs que par les avocats au Parlement, en même temps qu’il sert à justifier les mesures coercitives prises depuis le début du XIVe siècle. Entre ces différents lieux d’où il émerge, il est difficile de démêler l’écheveau des influences. Chronologiquement, le thème apparaît d’abord dans les textes législatifs. Le 20 mars 1316, une lettre est adressée par le roi au bailli de Meaux pour qu’il veille à la sûreté des chemins et lutte contre les voleurs, car « nous desirons de plus grant affeccion la pais et seurté de nos subiez et dou peuple qui en nostre reaume vient chacun jour pour vendre et acheter leurs marcheandises car senz marchandises ne se porroit nostre diz reaumes ne nul autre gouverner » 136. Au milieu du XIVe siècle, le continuateur de la Chronique de Richard Lescot et Jean de Venette s’en servent pour décrire les effets pervers du crime. Les marchands ne circulent plus, les routes et les bois sont livrés aux spoliateurs137. En 1413, Christine de Pizan, dans Le Livre de paix, reprend ce thème pour montrer les effets néfastes du crime généralisé 138.

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Au même moment, le thème est employé sous une forme identique par les gens du Parlement. Pour sa décharge, Jean Drouin, le viguier de Carcassonne qui aurait fait pendre à tort les quatre clercs, avance cet argument qu’il rattache directement à la peur et à la rumeur dont nous avons évoqué précédemment les autres composantes : « in dicta villa Carcassone quae multum notabilis fuerat et erat ac prope regnum Arragonie circumdata montaniis et nemoribus quod plurimis situabatur, de die in diem perpetrari dicebant metu quorum multi mercatores et alii ad dictam villam pro suis mercaturis et aliis negotiis venire formidabant rumorem magnum audivisset… »139. Incontestablement, l’argument sert à justifier le recours à une justice sévère. Mais celle-ci est sans doute loin d’être imposée de façon arbitraire. L’ordre donné au bailli de Meaux en 1316 répond à la « grant clameur » qui est venue jusqu’au roi. Une décision prise parallèlement à cette lettre précise quelle catégorie sociale est à l’origine des décisions adoptées par Philippe V. Il s’agit des villes dont les représentants sont venus à Paris pour réclamer l’établissement de capitaines susceptibles de les garder. L’imminence de la guerre de Flandre ne doit pas nous rendre dupe de la décision prise. La mise en défense a un but concret et immédiat, mais elle joue sur un sentiment de peur qui accompagne sans doute le développement de la vie de relation. Les décisions prises par le viguier de Carcassonne, par le prévôt de Château-Thierry ou par celui de Laon, répondent à l’immense rumeur qui agite une population en désarroi. La paix et l’ordre passent par

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des mesures judiciaires consenties, voire souhaitées par la communauté. Dès 1274, l’abbé de Saint-Maur-des-Fossés peut agiter le spectre plus ou moins réel de malfaiteurs qui menacent la vie quotidienne : l’ordre social en sort armé de haubergeons, de fourches ferrées et de couteaux140. La mise en défense entretient la peur selon un phénomène de réciprocité, si bien que le désordre commence quand le pouvoir s’avère impuissant à juguler le crime. Il convient alors de trouver un coupable à tout prix. 65

Un consensus prévaut, au moins en théorie, pour faire naître les mesures coercitives. Il se soude dans un idéal commun évoqué dans chaque texte, celui de la paix dans laquelle devrait venir se diluer le crime. Le contenu de cette paix est à la fois religieux et politique. Son retour est celui d’un ordre que les crimes des hommes ont perturbé. Aux justiciers de pouvoir identifier les coupables et de se donner les moyens de les désigner à la vindicte populaire.

RÉFORME DU ROYAUME ET CRIMINALITÉ 66

Les théoriciens politiques ne se bornent pas à saisir l’événement ou le fait de civilisation comme un épiphénomène des volontés cachées de Dieu.

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Engagés dans une pensée active, ils vont quérir les coupables. Cette quête commence par la tête, celle du roi. Quels crimes a-t-il commis ? Derrière le roi de France se profilent les rois et les royaumes de la Bible, Salomon, maître de la sagesse, mais aussi David, responsable de la mort de son peuple pour avoir péché, et Job, marqué jusque dans sa chair des maux de l’injustice141.

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L’idée se fonde sur un double principe : le crime est contagieux et le roi doit donner l’exemple. Par conséquent, si le roi est criminel, le peuple subit doublement les effets du crime. Cette idée est largement répandue chez les théoriciens du règne de Charles VI. Guillaume de Tignonville l’exprime de façon imagée dans les Ditz moraulx : « le mauvais roy est comme un charongne qui fait puir la terre en tout de lui ; et le bon roy est semblable a la bonne riviere courant qui porte prouffit a chascun » 142. Nicolas de Clamanges exprime cette vérité de façon théorique, mais aussi de façon pratique en énumérant les faiblesses qu’il trouve chez les Valois, faiblesses qui ont par là-même contribué à entretenir le mal et à faire dépérir le royaume. De la captivité de Jean le Bon mort à l’étranger à la folie de Charles VI, en passant par la faible complexion de Charles V sans cesse aux mains des médecins, les signes de ce mal sont menaçants 143. Les crimes, les épidémies et les guerres qui se répandent dans le royaume ne peuvent pas être freinés : au contraire, ils sont encouragés.

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La question est alors de savoir quelle définition convient à un bon prince. Celui-ci se caractérise par opposition au tyran. Il n’est dans notre propos ni de définir le prince idéal, ni de cerner quelle place occupe la tyrannie dans la théorie politique des XIV e et XVe siècles144. Le rapport de la politique et de la criminalité permet seulement d’élucider un aspect trop souvent méconnu de la théorie politique. La tyrannie est associée à la maladie et au crime. Pierre Salmon compare la tyrannie terrestre au Purgatoire. Elle s’entretient de l’orgueil et de l’envie, et les maux dont elle fait souffrir les bons et les justes sont à la fois physiques et moraux 145. Christine de Pizan l’associe plutôt à l’enfer que les tyrans « commencent en cestui monde » 146. Les exemples de tyrans pris dans les Ecritures et dans l’Antiquité confortent cette image. Christine de Pizan, dans le Livre de paix en énumère un grand nombre dont elle décrit les principaux crimes et la mort honteuse qui leur a été réservée147. Pour l’époque contemporaine, la

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galerie des portraits s’enrichit de celui de Tamerlan que l’auteur de la Chronographia définit comme « quemdam potentissimum tirannum Tartarie regionis » et qu’il associe à de nombreux crimes, furtis et latrociniis, comme aux malfaiteurs de tout poil qui viennent grossir la horde de son entourage148. 70

Surtout, le tyran est cruel149. Dans les textes théoriques comme dans ceux de la pratique judiciaire, les mots « cruel » et « cruauté » n’ont que rarement un sens moral et affectif. Ils apparaissent peu dans les lettres de rémission150. Leur sens est avant tout politique parce que, justement, ils sont étroitement associés à la tyrannie. Jean Gerson parle de « l’oppression crueuse » dont souffre le peuple, des « sodoiers et cruelx pillars » que sont les péchés qui agissent comme des tyrans151. Christine de Pizan lie systématiquement la cruauté à la tyrannie et à la « pillerie » 152. Le tyran, gorgé de sang, « plain de venim et de cruaulté », commet le crime et appelle sur son peuple le crime. Chez Christine de Pizan et Jean Gerson l’image du crime appelle le poison : « Comme venin ou poison occit le corps humain, pareillement tirannie est le venin et le poison et la maladie qui met a mort toute vie politique et royale »153. Rappelant la parole de Salomon dans ses proverbes, Christine de Pizan développe les périls qui en découlent : « vous avez desprisié conseil et n’avez voulu estre repris ; si me riray de vostre destruccion et ne tendray compte de vous quant soubdaine misere vous vendra et ainsi sera cruel en toutes choses le mauvais prince, dont de telz Dieu nous gart, plain de sang et de vengence, pour lesqueles orribles taches mectre a effect sourdront et courront maulx infinis a lui et a sa contree »154. A terme se profile la vengeance du sang injustement versé.

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Enfin, le tyran est celui qui dévore indistinctement hommes, femmes, enfants. On retrouve ici le thème du criminel avalant sa victime, image négative de l’anthropophagie qui ne peut conduire qu’à la mort totale de l’humanité, à l’anticivilisation. Dans cette perspective, Hérode est le plus parfait et par conséquent le plus cruel des tyrans puisqu’il a commandé la mort d’enfants innocents 155. La réflexion sur le pouvoir rejoint celle des stéréotypes de la grande criminalité. Alors, encore une fois, pour parfaire le portrait, vient l’image inquiétante, à la fois biblique et populaire, du loup dévoreur de brebis innocentes : « et le tirant est comme le loup ravissable entre les brebis »156.

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Face à la menace criminelle qui perturbe la société, les théoriciens s’engagent. La lutte contre le crime donne une partie de son élan à la réforme politique. Les théoriciens lui cherchent des remèdes. Ils sont à la mesure des explications et de la personnalité des réformateurs, indissociablement religieux et politiques. Le premier remède trouvé est dans l’application stricte du rituel, dans la procession dont le rassemblement ordonné s’oppose aux désordres et dont les prières enrayent la contagion du mal. D’Avignon, le premier novembre 1408, Pierre Salmon écrit au roi pour son bien, celui du royaume et la santé de sa personne. Parmi les « remedes », il lui conseille d’ordonner processions et prières « parmi vostre royaume, mandant a tous les prelats d’icellui votre royaume que aincy facent faire parmy leurs dioceses, excitant leurs subgiez a prier Dieu continuellement pour l’union de notre mere Sainte Eglise, pour la bonne sancté de vostre personne et pour la paix et concorde de votre dit royaume qui de present est en grant perplexité et en voye de desolation »157.

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Ces manifestations sont en fait une sorte de prélude religieux à la réforme que les théoriciens politiques appellent de leurs voeux. Au plan général, celle-ci n’est, par les ordonnances qui la scandent depuis le milieu du XIIIe siècle, et surtout depuis 1303,

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qu’un immense aveu des crimes commis par l’Etat naissant à travers ses officiers 158. Mise en marche par la clamor, chaque « réformation » se présente comme une enquête judiciaire où sont sanctionnés les coupables, et on voit les réformateurs, du moins dans les procès, pratiquer effectivement la chasse aux sorcières159. 74

Cet aveu trouve sa justification dans les principes généraux qui commandent la pratique judiciaire. Ils consistent à juger chacun selon ses démérites, et à agir de la même façon pour le petit comme pour le grand. Ces principes sont largement répandus chez les théoriciens comme chez les praticiens de la justice 160. L’enjeu est de taille puisqu’il commande la paix du royaume. Et, dans l’enthousiasme de perfectibilité qui caractérise le premier humanisme français, prévaut l’idée que les hommes ainsi gouvernés s’amenderont. Laissons, encore une fois, la parole à Christine de Pizan pour exprimer un idéal qui donne toute la mesure de sa foi en l’homme. Deux raisons sont invoquées « l’une car les mauvais n’oseront persecuter les bons pour ce qu’ilz saront bien que ta droituriere justice les pugniroit, l’autre que nul n’ara envie de devenir mauvais quant chascun sara que tu soies le pugnisseur d’iceulx. Si auront cause d’eulx amender et par ainsi convendra estre paix entre les tiens, laquelle chose est la gloire et augmentacion de toute royaume »161.

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La théorie des réformateurs ne se contente pas de principes. Depuis les engagements du milieu du siècle qui ont conduit les plus grands d’entre eux, tels Guillaume de Machaut et Philippe de Vitry, à donner des conseils pratiques, voire à agir comme réformateurs sur le terrain, la pensée se frotte aux réalités quotidiennes. Nicolas de Clamanges, Christine de Pizan, Jean Gerson rêvent d’un encadrement judiciaire intense. L’idée est que les crimes ne sont pas suffisamment punis et que les criminels courent, contribuant à répandre le mal. Elle consiste aussi à admettre que le roi ne peut pas être partout dans son royaume et qu’il doit se faire représenter. Du pouvoir du roi découle celui du juge royal. Comme l’écrit Christine de Pizan, il convient au roi de mettre « divers ministres et lieuxtenans en toutes les juridiccions espandus » 162. Nicolas de Clamanges s’adressant à Jean Gerson fait part du même souci, et il suggère, parmi les medicamenta nécessaires à la réforme du royaume, que les pouvoirs militaires des baillis soient accrus. Le bailliage doit devenir une forteresse où la violence se trouve enclose et jugulée de façon à ce que le mal ainsi contenu ne puisse s’échapper 163. L’heure est à l’efficacité.

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Le débat s’élève jusqu’à la peine de mort. Ce n’est pas une mince originalité de la pensée des réformateurs que de faire l’apologie de la peine de mort. Gerson y voit le garant de la loi qui permet de distinguer les bons des méchants et de ne pas laisser les bons être contaminés par le mal164. Mais cette analyse lui pose un problème de fond : comment concilier cette nécessité avec la loi divine, immuable, qui dit : non occides ? Le Diligite justiciam de Jean Gerson permet de dresser un bilan de la pensée sur ce point, telle qu’elle se présente au début du XVe siècle. Malheureusement, ce discours n’est pas facile à dater et il n’est pas sûr qu’il ait été prononcé en 1408, à la suite de l’« affaire » Guillaume de Tignonville, mais plutôt en 1405-1406 à la suite d’une première affaire qui aurait opposé le prévôt de Paris à la justice de l’évêque à propos de clercs pendus comme larrons165. Jean Gerson montre comment, à côté de la loi divine, il existe nécessairement une loi civile dont le souverain est l’instigateur. Cette loi définit, en matière de justice, les principes auxquels les hommes sont soumis, et parmi ceux-ci figure la peine de mort pour un certain nombre de crimes. Mais chez Gerson, la peine de mort appliquée par la loi civile trouve sa justification, et sa seule justification, dans

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la loi divine qui a eu ses exceptions voulues par Dieu lui-même, pour un certain nombre de criminels, « comme des meurtriers, des adulteres, des herites, des sorciers ». Il excepte donc soigneusement le vol de grand chemin revendiqué au même moment par le prévôt de Paris comme crime capital166. Cette différence fondamentale qui tient à la place qu’occupe le vol chez les canonistes et les théologiens est en grande partie la raison d’être du Diligite justiciam et le point de friction entre le prévôt de Paris et les clercs. 77

Pour exercer cette justice civile, le souverain dispose de juges dont l’office est d’appliquer la loi. A ce propos, Jean Gerson distingue parfaitement le privé et le public. La peine de mort exercée par les officiers conformément à la loi n’est pas un homicide. Quand on sait à quel point la genèse du législatif reste encore difficile en France à la fin du Moyen Age, une telle démonstration témoigne d’un réel degré de maturité en ce qui concerne la justice. Quant aux juges, ils se doivent d’être intègres. Sur le fond, la pensée de Jean Gerson rejoint celle de Nicolas de Clamanges quand, s’adressant à Gérard Machet, celui-ci déplore les pressions financières qui font taire les juges : « raros latrones et homicidas aut quorumlibet gravissimorum reos criminum videmus nisi propter inopiam capitis supplicio affici. Est itaque parricidio, et quibuslibet facinoribus aliis crimen gravius esse pauperem. Quoniam propter illud capite quis plectitur, dives autem facinorosus, si quaelibet mala commiserit, pecunia militat »167. L’Etat justicier se trouve défini dans ses principes, dans son appareil coercitif et dans ses sanctions 168.

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Ces déclarations ne sont pas seulement le fait des théoriciens politiques. Elles servent d’argumentation aux plaidoiries du Parlement. L’affaire Moret qui, en 1405, oppose le père de Pierre Moret à maître Antoine Garnier, ancien juge-mage de Montpellier, peut servir d’exemple169. L’argumentation du procureur du roi est fondée sur la nécessité de la peine de mort en cas de crimes énormes, car il « dit que quant une personne est condempnee pour un crime enorme et qui est contre chose publique, il doit estre executé ». Et, pour conforter son propos, il finit par évoquer les faveurs dont bénéficient les habitants de Montpellier, en particulier les plus riches, en disant « que les gens de Montpellier sont merveilleux et y a plus de cent ans que on ne fist justice de personne qui eust puissance car il composent tousjours a argent et ont tousjours a coustume de menacier le juge et de le mectre au proces se il fait justice » 170. Les abus d’une justice laxiste sont donc dénoncés, aussi bien par les théoriciens que par les praticiens de la justice. La peine de mort se trouve justifiée, appelée par les voeux des plus grands réformateurs. L’union entre l’Eglise et l’Etat est alors si forte sur ce point que Jean Gerson peut réclamer la confession et la communion des condamnés à mort et le roi l’accepte en 1396171. Certes, la mesure est charitable, mais elle marque surtout la reconnaissance implicite par la loi divine des décisions terribles prises par la loi civile. Elle fait entrer la condamnation à mort dans le giron de l’Eglise.

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La pensée des réformateurs impose le châtiment des coupables et la force des institutions. Les textes qui légifèrent en matière judiciaire ne font que répondre à leurs voeux. Le 31 janvier 1355, des lettres royales établissent Pierre de Lieuvilliers commissaire pour faire le procès des malfaiteurs qui courent dans le royaume : « Nous avons entendu que parmi nostre royaume sont et vont et conversent plusieurs personnes, hommes et fammes, banniz et bannies de nostredit royaume pour meurtres, larrecins et autres malefaçons que ils ont fait et commis en nostredit royaume… ». En tête des boucs émissaires sont alors les « roigneurs de monnaie ». La conjoncture politique l’explique aisément en cette période de conflits sociaux et idéologiques où la

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monnaie est un vif enjeu de la pensée et de la réalité politique. Les mesures prévues pour « purger » le royaume donnent une idée des progrès opérés par la centralisation policière et par la procédure extraordinaire puisque les criminels doivent être amenés au Châtelet où ils peuvent subir « question et gehine », « jusques à ce que la verité soit scüe et qu’il en soit ordonné et a ce fait »172. 80

Sous le règne de Charles VI, ces opérations policières trouvent leur organisateur et leur institution centralisée. La place occupée par le prévôt de Paris ne cesse de s’accroître tandis que le Châtelet s’organise. Cette évolution ne part pas de rien. Dès 1320, dans ce moment d’intense création de l’Etat qui marque le règne des derniers capétiens, l’insuffisance du Châtelet s’est trouvée dénoncée. L’absence d’archives ne facilite ni la continuité de la justice ni la publicité qui doit lui être faite, « car les prevosts qui pour le temps ont esté, chascun en droit loy, en apporte les registres dont ly roys a perdu moult de amendes et moult de fais sont demourés impunis » 173. Implicitement, se trouve déjà marquée, à propos de la charge prévôtale, la différence qui se doit d’exister entre le public et le privé. Les décisions prises par Charles V ont ensuite largement contribué à faciliter l’autonomie de la charge, face au Parlement et aux princes du sang174. La personnalité d’Hugues Aubriot, mal connue, a su aussi mettre en œuvre cette concentration des pouvoirs175. Mais le saut qualitatif vient avec les Marmousets. Les décisions législatives de 1389 font du Châtelet un centre où « il a grant foison de bon conseil et saige et ou nous avons nostre conseil et autres officiers pour aidier a garder noz droiz et le bien de justice »176. De cette date jusqu’à l’ordonnance du 29 novembre 1407, les pouvoirs du prévôt ne cessent d’être répétés et agrandis. La personnalité des prévôts de Paris, Jean de Folleville et Guillaume de Tignonville, la pugnacité de leurs clercs à commencer par Aleaume Cachemarée se joignent aux pouvoirs qui leur sont conférés pour conforter l’exercice policier d’une théorie de la justice et de la peine de mort177. Il est probable que la guerre civile, du fait de la propagande bourguignonne, a ensuite marqué une pause dans cette évolution. La déposition de Guillaume de Tignonville d’obédience armagnaque, le 5 mai 1408, et l’amende honorable qui lui est imposée le 16 mai 1408, la restitution des pouvoirs du prévôt des marchands le 20 janvier 1412, le silence de l’Ordonnance cabochienne sur les pouvoirs du prévôt de Paris sont autant de signes du coup d’arrêt de la théorie et de la pratique policière qui font partie du programme bourguignon soucieux de flatter les « libertés » parisiennes 178. Le retour en arrière est cependant loin d’être total et l’opinion ne lui est peut-être pas entièrement favorable. En mai 1425, le règlement d’Henri VI confie au Châtelet et au prévôt de Paris de lourdes tâches, y compris les cas nécessitant le « secret pour le bien de la justice »179. Il faut néanmoins attendre le règne de Charles VII et l’ordonnance du 6 octobre 1447 pour voir le rôle policier du prévôt renouer avec la tradition réformatrice des Marmousets180.

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Dans cette progression, deux stéréotypes, voire deux mythes sont utilisés : celui de la grande criminalité et celui des origines. Celui des origines appartient à l’Histoire. Il fait d’Etienne Boileau le prévôt modèle et avec lui, les réformateurs remontent, encore une fois, au temps du bon roi saint Louis181. Un exemplum judiciaire rapporte comment le prévôt « bon justicier et droiturrier » n’hésita pas à faire pendre son filleul « qu’il aymoit fort » mais qui « fut reprins de larrecin »182. Le résultat d’une telle gestion ne se fait pas attendre. Nul malfaiteur ne demeure en la ville tandis que le peuple délaisse les autres seigneuries pour « demourer en la terre le roy »183. Quant à l’exemplum, il contribue à fonder la peine de mort pour vol. Dans la succession des prévôts que transmettent les chroniques anonymes et que conserve peut-être la mémoire

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parisienne, un exemple inverse a survécu, celui de Taperel, l’anti-modèle dont la gestion apporte le désordre et rend dérisoire le gibet qu’il a fait construire 184. 82

Le recours aux stéréotypes de la grande criminalité est constant dans les actes qui définissent les pouvoirs du prévôt pendant le règne de Charles VI. L’ordonnance de mai 1389 qui inaugure cette série, utilise le double argument du crime et de l’association de criminels, selon les procédés qui sont en pratique dans tout le royaume pour justifier la quête de la grande criminalité185. Avec la fin du règne, le procédé n’a pas fini de servir et, en 1447, quand Charles VII délègue à Robert d’Estouteville les pouvoirs pour « informer contre plusieurs larrons, mendiants, espieurs de chemins, ravisseurs de femmes, violeurs d’églises, tireurs a l’oye, joueurs de faulx dez, trompeurs, faulx monnoyeurs, malfaicteurs et autres associez, recepteurs et complices », tous les moyens qui ont été précédemment évoqués pour désigner le mal se trouvent encore utilisés186. Stéréotypes de la grande criminalité, crimes inexpliqués, bandes de malfaiteurs accompagnent la naissance de l’Etat.

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L’argument, s’il est privilégié au Châtelet, ne lui est pas réservé. Colard Le Cuisinier, prévôt forain de Laon, pour justifier l’exécution capitale de Gaulcher Lamy, se retranche derrière les instructions qu’il a reçues au bailliage de Vermandois et qu’il a juré d’appliquer : « ordinationes et instructiones factas et in auditorio curie baillivi Viromandensis apud Laudunensem scriptas et registras suas dictus prepositus et alii servientes nominati in dicta baillivia inviolabiliter observare juraverant ». Et il poursuit en confirmant que, parmi ces instructions, figurait l’autorisation de procéder à la torture. La référence est précise puisqu’il fait allusion aux « littere nostre a dicta nostra curia emanate sub data XXVIII diei aprilis anno predicto millio CCCC octavo per quas quoscumque criminosos et malefactores ubicumque in dictis baillivia Viromandensi et prepositura Laudunensi ac etiam aliis juridictionibus et locis eisdem contiguis […] capiendi et puniendi auctoritatem mandatum » 187 . Le procureur du roi, pour le bailli d’Amiens, en 1406, ne donne pas d’autres arguments, liant la charge policière du bailli aux ordres qu’il a reçus quand il dit « que par la Court de céans a esté donné mandement et commission au bailli d’Amiens pour prendre et punir les malfaiteurs et bannis etc. et audit bailli en donnant ledit mandement en chargea la Court faire bonne diligence contre cez malfaiteurs qui chacun jour labeurent contre la chose publique »188. L’ordre reçu devient ainsi partie inhérente de l’office. Un autre prévôt de Laon, en 1414, continue à s’en faire l’écho quand il affirme « que son office est de chevaucher par les mettes de laditte prevosté et de prendre et enquerir les malfaiteurs »189. La leçon a donc été entendue. Sous l’effet des justifications qui imprègnent la pensée politique et qui viennent des organes centralisés de la justice, la poursuite du crime est devenue, dans la pratique, un devoir.

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Parce que, dans cette société de la fin du Moyen Age, les crimes, surtout les plus atroces, ne sont pas entrés au rang du fait divers, ils restent porteur des fantasmes les plus destructeurs. Leur évocation est susceptible de faire perdre tous les repères de l’ordre culturel. Les meurtres sapent la hiérarchie des sexes et des âges, les viols ou les relations incestueuses abolissent les lois normales de la reproduction, le pillage entrave l’irrigation bénéfique des échanges. Alors se lève la foule des persécuteurs qui rejettent sur un petit nombre la faute, tandis que l’Etat naissant est chargé de traquer les suspects qui sont autant de boucs émissaires livrés à la vindicte populaire et à la progression des institutions judiciaires.

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NOTES 1. X 2a 10, fol. 210-211, novembre 1385, cité chapitre 4, n. 55. 2. N. de BAYE, Journal, t. 1, p. 110. 3. ORF, t. 1, p. 591, paragr. 15, juillet 1315 ; J. BOUTEILLER, Somme Rural, Livre 1, titre 13, p. 386-387. 4. R. LAINGUI et A. LEBIGRE, Histoire du droit pénal…, t. 2, p. 64. 5. Voir chapitre 18, p. 790. 6. Voir chapitre 1, p. 50 et suiv. 7. N.Z. DAVIS, Pour sauver sa vie…, p. 61 et suiv. 8. Ph. de VIGNEULLES, Les Cent Nouvelles nouvelles, p. 8. 9. J.P. SEGUIN recense 517 canards imprimés entre 1529 et 1631 où le sens du détail qu’ont les auteurs répond à la soif de nouvelles qu’ont les lecteurs, L’information en France…, p. 30. 10. Voir en particulier J.P. SEGUIN, « Faits divers sensationnels… », p. 65 et suiv. 11. Ibid., p. 66-67. 12. J.P. SEGUIN, L’information en France…, p. 83 et 85. 13. J.P. SEGUIN, « Faits divers sensationnels… », p. 73. 14. Les Cent Nouvelles nouvelles, no 57. 15. Ibid., no 43. Autres cas d’adultères, ibid., no 33 et 68. 16. Sur la résolution de l’adultère par le pardon, voir les exemples cités chapitre 18, n. 115 à 128. 17. R. DUBUIS, Les Cent Nouvelles nouvelles…, p. 13 et suiv. 18. Sur ce goût de la modernité dans le récit des événements historiques, Cl. GAUVARD et G. LABORY, Une chronique rimée parisienne…, introduction, p. 189-192. 19. Les dates retenues correspondent à la première partie du Journal de Jean de Roye, dit Chronique scandaleuse. 20. Voir les remarques ébauchées chapitre 1, p. 50-52. 21. N. de BAYE, Journal, t. 1, p. 313-214, et t. 2, p. 238 et p. 253-254, et Cl. de FAUQUEMBERGUE, Journal, t. 3, p. 65. 22. J. de ROYE, Journal…, t. 1. p. 33. L’auteur peut aussi faire preuve de préoccupations juridiques et rapporter un fait criminel en s’inquiétant du sort réservé au coupable, comme c’est le cas à propos de la lèse-majesté, ibid., p. 70. 23. Autres exemples de ce recours aux gestes concrets, ibid., p. 156 et 166, où les larrons sont « crocheteurs », « alans de nuit crocheter huis, fenestres, caves et celiers ». 24. Ibid., p. 175, pour décrire le meurtre dont fut victime Thomas Louette, receveur du Temple qui « eust la gorge coppee audit lieu du Temple par ung de ses freres et compaignons nommé frere Henry, pour aucunes noises qu’il avoit conceu contre ledit frere Henry ». 25. Ibid., p. 156. La « belle jeune femme » appartient aussi aux milieux parisiens en vue, puisqu’il s’agit de Jeanne Du Bois, « femme d’un notaire du Chastellet audit lieu de Paris », cité supra, n. 22. 26. Ibid., p. 111. 27. Voir chapitre 18, p. 819. 28. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 186. 29. Par exemple, une jeune fille, couturière à Paris, est victime d’une entremetteuse qui, plusieurs fois, fait monter son voisin, Oudart, dans la chambre. Deux fois il « eust compaignie chamelle de ladiste fille sur un banc », puis le lendemain « sur le coffre » en mettant « la robbe de Jehan Regnard dessoubz eulx deulx », cité par L. DOUËT-D’ARCQ, « Un procès pour outrage aux moeurs… », p. 507.

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30. Sur la montée du paroxysme, voir la succession des événements depuis 1417, Journal d’un bourgeois de Paris, p. 79 et suiv., d’où l’appel aux crimes sacrilèges les plus forts, en particulier ceux qui sont relatifs aux enfants, voir chapitre 18, p. 823. 31. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 186 et p. 277, à propos du vol commis dans le Palais pendant le dîner du sacre d’Henri VI. Un vol dans ces lieux est sacrilège, E. PERROT, Les cas royaux…, p. 244 et suiv. 32. J. de ROYE, Journal…, t. 1, p. 281. Sur l’ensemble des violences armées commises par les Bourguignons, ibid., p. 268 et suiv. 33. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 7. 124, et 191. 34. Nicolas de BAYE assimile les gens d’armes aux larrons quand la cour se trouve gênée dans le déroulement de son travail de justice et que la force des faits dépasse les témoignages de l’histoire, par exemple en novembre 1410, N. de BAYE. Journal, t. 1, p. 338-339. L’expression « pillars » ou « pillars et banniz » revient fréquemment sous la plume de Cl. de FAUQUEMBERGUE. X 1a 1480. fol. 65. août 1416 ; fol. 78. janvier 1417, et Journal, t. 1, p. 14-15. 35. Voir supra, n. 33. 36. Chronographia, t. 3, p. 46,1er décembre 1382. 37. E. de MONSTRELET, Chronique, t. 1, p. 241. 38. Chronique du religieux de Saint-Denys, t. 1, p. 366. Cette citation est l’interférence de deux passages de l’Ancien Testament, Psalmus 93, 6, « Viduam et advenam interfecerunt et pupillos occiderunt » et Deuteronomium, 32, 25, « juvenem simul ac virginem lacatantem cum homine sene ». 39. N. de CLAMANGES, Ad Johannen de Gersonio…, Epistola LIX, Opera omnia, p. 161-162. 40. J. GERSON, Vivat Rex, OEuvres complètes, t. 7, p. 1138. 41. Histoire générale de Languedoc, t. 10, no 728, col. 1809-1811. 42. JJ 179, 149, août 1448, (prévôté de Paris), citée par A. PLAISSE, Un chef de guerre…, p. 256-257. La différence entre cette formule et la réalité des exactions ressort de leur comparaison avec l’information citée ibid., p. 253-256. Sur cette énumération des méfaits des gens d’armes par les théoriciens contemporains, J. JUVÉNAL des URSINS, Tres chretien, tres hault, tres puissant rov. Ecrits politiques…, p. 116. Le traité date de 1446 mais il décrit les maux commis par Edouard III entre 1347 et 1350 « comme de prendre, ardoir, destruire citez, villes et pays, chasteulx, forteresses, tuer gens, rober, rançonner, destruire eglises, violer femmes… ». Je remercie Fr. Autrand d’avoir attiré mon attention sur ce texte. 43. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 51-53. 44. Ibid., p. 53. 45. E. de MONSTRELET. Chronique, t. 3, p. 9, voir aussi Chronique du religieux de Saint-Denys, t. 5. p. 323. 46. W. ACKERMANN, R. DULONG, H.P. JEUDY, Imaginaires de l’insécurité, p. 25. 47. Les contemporains perçoivent très bien cette différence entre l’information et le contenu de la plaidoirie, N. de BAYE, Journal, t. 1, p. 246. La même discontinuité accompagne les motifs donnés par la rémission et le fait criminel, voir supra, n. 42. 48. X 2a 14, fol. 204v., août 1404. 49. N. de BAYE, Journal, t. 1, p. 186. D’ailleurs, pour célébrer l’événement, les Armagnacs organisent une procession solennelle à Saint-Magloire, le 22 mai 1414, ibid., p. 186, et X 1a 1479, fol. 296. L’exécution de Raoul Du Plessis, qui fut décapité et dont la tête fut envoyée au lieu de sa naissance, n’a pu qu’entretenir le bruit des crimes commis à Soissons ; voir la lettre de rémission accordée à sa veuve lui donnant autorisation de l’enterrer en terre sainte et lui restituant ses biens qui avaient été confisqués, lettre prise « a la requeste et priere d’aucuns de nostre sanc et lignaige » JJ 168, 334, juillet 1415, (bailliage de Rouen). A propos de ce sac, la chronologie insérée dans le formulaire d’Odart Morchesne émet un de ses rares jugements de valeur : « et fut prise la ville de Soissons d’assault et fut piteuse chose », BN Fr. 2024, fol. 201. Enfin, cet événement oblige

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le Religieux-de-Saint-Denis à recourir aux stéréotypes de la grande criminalité, même si ceux-ci sont dilués dans la narration, Chronique du religieux de Saint-Denys, t. 5, p. 325-327. 50. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 87 et p. 97. 51. BN Fr. 4768, fol. 27, et ORF, t. 11, p. 635. Sur le contexte, J. D’AVOUT, La querelle…., p. 145 et suiv. 52. BN Fr. 4768, fol. 31v. et 23 364, fol. 26-26v. 53. L’événement, et lui seul, est effectivement retenu par une petite note abrégée qui énumère les « principaux faits advenus dans le royaume de 1302 a 1417 », et qui consigne laconiquement : « 1411 : Monseigneur d’Orleans a Saint-Denis ». BN Fr. 19 186, fol. 146. Mention comparable dans le formulaire d’Odart Morchesne, BN Fr. 5024, fol. 201 : « puis s’en retournerent a Saint-Denis et a Saint-Cloud pres Paris et fut la bataille de Saint-Cloud ». 54. La lettre du 14 octobre 1411 a été adressée aux consuls d’Albi, Histoire générale de Languedoc…, t. 10, no 793, col. 1946-1948. Un texte postérieur, non daté, mais sans doute de septembre 1413, indique que ces lettres ont été « envoyees par tout notre royaume et dehors en diverses seigneuries et royaumes mesmement a notre sainct Pere le pape et son college et autres grans princes et seigneurs », BN Fr. 2699, fol. 206. 55. E. de MONSTRELET, Chronique, t. 2, p. 195. 56. L. MIROT, « Lettres closes… », t. 29, p. 320. Cette lettre est adressée à la ville de Reims le 14 mai 1417. 57. BN Fr. 4768, fol. 40, et L. MIROT, « Lettres closes… », t. 30, p. 20. 58. BN Fr. 2699, fol. 206-207v. 59. CI. GAUVARD ET G. LABORY, Une chronique rimée parisienne…, p. 207. Il s’agit peut-être là d’une tradition orale. 60. Fragment d’une chronique anonyme finissant en 1328…, p. 154. Voir aussi Guillaume de NANGIS, Chronique latine… Deuxième continuation…, t. 2, p. 46, et Chronique parisienne anonyme…, p. 88. Toutes les chroniques de ce type ne donnent cependant pas la même version des griefs, ce qui correspond sans doute à d’autres canaux et à d’autres traditions de l’information. Certaines chroniques sont plus proches de la réalité ou du moins de la confession que ce personnage a faite au moment de son supplice. Par exemple, Cl. GAUVARD et G. LABORY, op. cit. supra, n. 59, p. 208 : « car on dist que par lui fut maint proudomme occis ». D’autres font appel à des stéréotypes sexuels qui décrivent des substituts de l’homosexualité, RHF, t. 21, p. 426. Sur la place de l’homosexualité dans les stéréotypes, voir infra, p. 211. 61. « L’an M CCCC XXXV bingo Rodrigo en Guiayna e fase guera a Franses e ad Angles, e que disen que kostaba enfan et tole popas a fempnas prencho e fade grant cop d’autres maus », Petite chronique de Guyenne…, p. 65. 62. L. DOUËT-D’ARCQ, « Acte d’accusation… », p. 367. Sur cette place accordée au sang royal non contaminé, voir infra, n. 142. 63. X 2a 14, fol. 297, janvier 1406. 64. Il s’agit de l’accusation de lèse-majesté au quatrième degré. E. de MONSTRELET, Chronique, t. 1, p. 222. L’accusation est réfutée par l’abbé de Cerisy, ibid., p. 332. 65. M. LANGLOIS et Y. LANHERS, Confessions…, p. 38-39. 66. Voir la confession de Guillaume de Bruc, faite dans des conditions identiques en 1389, où se trouvent mentionnés de nombreux vols très précis, Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 26 et suiv. Une comparaison avec la confession de Mérigot Marchés, extrêmement circonstanciée, montre que la réalité des crimes commis par les hommes d’armes n’a qu’un rapport lointain avec les stéréotypes, ibid., t. 2, p. 185 et suiv. Les méfaits du célèbre routier, tels qu’ils sont mentionnés en Auvergne, restent très précis, JJ 141. 34. juillet 1391 (bailliages des Montagnes d’Auvergne, de Saint-Pierre-le-Moûtier, du Velay). Il n’en reste pas moins que les juges du Châtelet ramènent son cas aux crimes capitaux que contiennent les stéréotypes et le condamnent à mort comme « tres fort larron, murdrier et bouteur de feux », Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 207.

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67. X 2a 14, fol. 404, novembre 1407. 68. X 2a 16. fol. 89. septembre 1410. 69. X 2a 14. fol. 60v.-67, mars 1402. 70. En particulier, en ce qui concerne les délits commis sur les chemins, E. PERROT, Les cas royaux…, p. 206. 71. X 2a 14, fol. 46v., décembre 1401. 72. X 2a 16, fol. 148, janvier 1411. 73. X 2a 14. fol. 33 et 34v., juillet 1401. Voir les cas cités par R. GÉNESTAL, Le Privilegium fori…, 2 e partie, p. 84 et suiv. 74. Cas cité supra, n. 71. 75. Par exemple Y 5266. fol. 3v„ juin 1488 : Jeanne, femme de Jean Soyer, est amenée par le guet à 11 heures du soir « pour ce que elle se gouverne mal ». Ibid., fol. 92v., septembre 1488, pour un couple qui a interdiction de se fréquenter. Même cas ibid., fol. 132 : le guet est intervenu à la requête de l’épouse qui se plaint de ce que « il y a ung an ou environ que lesdiz Gillet et Cassine sont ensemble a pain et pot par l’ennortcment de ladicte Cassine » et qui demande « que ycellui Gillet soit contrainct de revenir avecques sa dite femme et pour ce ester a droit ». 76. Voir le texte cité par L. HUBERTI, Studten…, p. 165-167. La trêve de 1054 reprend d’ailleurs les mêmes thèmes, ibid., p. 319-320. 77. N. de CLAMANGES, De lapsu…. Opera omnia, p. 44. Cette forme « humaniste » du stéréotype peut apparaître aussi dans les archives criminelles, mais elle reste rare, par exemple X 2a 14, fol. 290, novembre 1405, où le criminel est présenté comme un depopulator agrorum. En fait, plutôt que d’emprunter à l’humanisme, la plaidoirie s’inspire du vocabulaire des clercs que mentionne Jean Bouteiller, voir supra, n. 3. 78. Raoul GLABER, Les cinq livres des Histoires, cité par L. HUBERTI, Studien…, p. 231-232. Et, dès 1027, Oliva ajoute cette clause au serment de paix qui doit être prêté « ut nullus homo vel femina, de suprascriptis aliquid voluntarie temerare vel infringere praesumat nec invadat res sanctas, neque aiiquis se sciente in incestu usque ad sextum gradum permaneat, neque aliquis uxorem propriam dimittat, nec alteram feminam habeat », ibid., p. 240-241. 79. Sur les moyens de diffusion des mouvements de paix, R. BONNAUD-DELAMARE, « Les institutions de paix… », p. 421 et suiv., qui insiste sur la vision de la paix dans les préambules, les récits de miracles et le contenu des serments. Sur la diffusion des prières pour la paix entre le X e et le XVe siècle, J.B. MOLIN, « L’Oratio communis fidelium… », p. 313 et suiv. 80. A. GRABOIS, « De la trêve de Dieu… », p. 585 et suiv. 81. Ibid., p. 594, n. 63. 82. SUGER, Vie de Louis VI le Gros, p. 134-135 et p. 172-173. 83. ORF, t. 1, p. 65 et suiv. 84. ORF, t. 1, p. 390, janvier 1303 ; ibid., p. 701 et suiv., novembre 1319. 85. Cité par A. GRABOIS, « De la trêve de Dieu… », p. 586. 86. Sur les conséquences de cette évolution. G. DUBY, « Les laïcs et la paix de Dieu », Hommes et structures…, p. 227-240 et Ph. CONTAMINE, La guerre…, p. 438. 87. Sur ce mot, J. CHIFFOLEAU, « Dire l’indicible… », p. 304. Même dans le Midi, la palette des crimes du nephandum ne se réduit pas à l’homosexualité. Les crimes commis par les émeutiers de Clermont-en-Lodève sont qualifiés « perpetratis homicidiis et aliis nephandissimis criminibus », Histoire générale de Languedoc, t. 10, col. 1632 et 1634 : or il s’agit essentiellement du port d’armes prohibé. Chez les clercs lettrés, le nephandum n’est pas exclusivement associé à la sodomie ; par exemple J. de VENETTE, Continuationis…, t. 2, p. 249 et p. 264. désigne comme un crime du nephandum le meurtre des maréchaux, ainsi que les excès commis par les Jacques où sont associés meurtres et viols. Même emploi chez N. de CLAMANGES, De lapsu…, Opera omnia, p. 46, où l’auteur assimile la guerre civile à un viol de l’Eglise, épouse de Dieu, et conclut que ce sacrilège fait partie des nephanda. Néanmoins, chez cet auteur, le nephandum peut aussi être associé à la sodomie,

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exemples cités infra, n. 90. Même contenu du nephandum chez Guillaume de Tignonville, R. EDER, Tignonvillana inedita, p. 919 ; en revanche, chez Jean Gerson, il n’inclut pas l’homosexualité, voir infra, n. 165 et 166. Les références de ces lettrés sur ce point trahissent sans doute la façon dont ils sont imprégnés par le droit romain très attentif à fustiger l’homosexualité. 88. Dans le Midi, les ordonnances font allusion à l’hérésie et à la sodomie, voir les exemples cités chapitre 13, p. 597-598. 89. Elle lui vaut finalement d’être brûlé, Chronique du religieux de Saint-Denys, t. 1, p. 631 ; voir le récit de J. FROISSART, Chroniques, Livre IV, chapitre VII. 90. N. de CLAMANGES, Epistola LXXVII, Opera omnia, p. 231 ; De praesulibus simonicis, ibid., p. 165. 91. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 112, 230, 565-566, et t. 2, p. 273-274. Sur l’importance du viol, voir chapitre 7, p. 332, et chapitre 18, p. 814. 92. Par exemple, cette remarque de l’auteur de la Chronographia, qui s’étonne de l’action de Tamerlan contre les chrétiens sodomites, est difficile à interpréter : « Fide Sarracenus est iste Temurlanus et dure pugnat ac castigat illos qui non tenent regulam Sarracenorum, et maxime acriter corrigit Christianos propter peccatum sodomie quod mirabiler odit super omnia peccata », t. 3, p. 216. Estce là un modèle à suivre pour le roi de France ? 93. Le Songe du vergier, t. 1, p. 282. Au même moment, J. de VENETTE, Continuationis…, t. 2, p. 264-265, décrit le carnage des destructions aveugles avec les mêmes stéréotypes où se mêlent le viol, le massacre des enfants et de la femme enceinte. Sur cette attention apportée aux crimes commis contre les enfants, voir les exemples cités chapitre 18, n. 129 et suiv. Sur le nécessaire équilibre entre les âges dans la société civile, voir chapitre 8, p. 378 et suiv. 94. Par exemple, Ch. de PIZAN, Une épître à Isabeau de Bavière, p. 138, et J. de MONTREUIL, Epislolario, Opera, Epistola 162, lignes 65-77. 95. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 389. Cette accusation est en parfaite contradiction avec l’attention que les mendiants apportent à leurs enfants. 96. Voir A. FARGE et J. REVEL, Logiques de la foule…, p. 87 et suiv. 97. N. de CLAMANGES, Ad Johannem de Gersonio…, Epistola LIX, Opera omnia, p. 161, et Journal d’un bourgeois de Paris, p. 348, qui dresse un portrait de Courtaut, le loup « terrible et horrible » qui, quand il fut pris, « n’avoit point de queue ». 98. J.N. KAPFERER, Rumeurs…, p. 10. 99. X 2a 14, fol. 111 et suiv., mars 1403. 100. Sur le contexte de cette affaire et les personnages qui sont en cause, voir É. MARTINCHABOT, « L’affaire des quatre clercs… », p. 238-252. L’affrontement est politique. Simon de Cramaud obtient finalement gain de cause en août 1408 et le viguier de Carcassonne. Jean Drouin, est condamné à dépendre les quatre clercs. On peut remarquer que la résolution de l’affaire suit de près celle qui concerne Guillaume de Tignonville, voir infra, n. 165. 101. X 2a 14, cité supra, n. 99, et fol. 133, juillet 1403. 102. X 2a 16, fol. 136v., mai 1411. 103. Les faits rapportés datent de juin 1408 : X 2a 16, fol. 166v. Voir aussi X 2a 15, fol. 237, août 1408. 104. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 69. 105. Voir CI. GAUVARD, « Les révoltes… », p. 53-55. 106. JJ 137, 108, janvier 1390, (sénéchaussée de Beaucaire), lettre citée dans Histoire générale de Languedoc, t. 10, col. 1792. 107. X 2a 16, fol. 168. 108. X 2a 14, fol. 133v. Cas semblable, ibid., fol. 16-17, mars 1401, où deux complices « ont fait un traittié ensamble ». 109. Voir les exemples cités dans Cl. GAUVARD, op. cit. supra, n. 105, p. 60, n. 7. 110. X 2a 14, fol. 65v., cas cité supra, n. 69. 111. X 2a 16, fol. 168, cité supra, n. 103.

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112. J. G. FRAZER, La crainte des morts…, p. 182-183 et p. 221, et Br. MALINOWSKI, Trois essais…, p. 83-86. 113. « et se en ce termine aucun ne l’approchoit dou fait, il serait ostagez et en faisant partie il doient avoir leur deffense par gage de bataille », ORF, t. 1, p. 558-560, paragr. 1, avril 1315. On peut mesurer l’ampleur du privilège ; mais celui-ci est probablement supporté par une ancienne coutume de mise à l’écart qui correspond au temps nécessaire de purification avant la résolution du conflit qu’a pu faire naître le crime. 114. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 91, mai 1418 : « et plut tant fort celle nuyt que oncques ne sentirent nulle malle odeur, et furent lavez par force de la pluie leurs plaies, que au matin n’y avoit que sang bete, ne ordure sur leurs plaies ». 115. Voir chapitre 4, p. 179 et suiv. 116. N. de CLAMANGES, Opera omnia, p. 42, 46, 96, 98, 161, 174-178. 117. N. de CLAMANGES, Epistola XXVII, ibid., p. 98. Ces paroles sont un résumé des propos tenus par Isaïe comme par Jérémie et Ezechiel. Elles suivent la description des crimes commis par le peuple d’Israël ou par Babylone quand le sang a été répandu et la femme déshonorée. En ce qui concerne les effets du crime, la pensée de Nicolas de Clamanges se nourrit d’un triple courant, celui de l’Ancien Testament, de l’Apocalypse, et de Virgile, et par conséquent de l’exemple de Babylone, de Jérusalem, et de Rome. 118. J. de VENETTE, Continuationis…, t. 2, p. 215 ; comparer avec la Continuation de la chronique de Richard Lescot, p. 84 : « Et proh dolor ex hac renovatione non est mundus mutatus in melius nam postea homines fuerunt magis indisciplinati, magis etiam tenaces et cupidi et per lites atque rixas amplius se ipsos perturbantes… ». 119. J. de VENETTE, ibid., p. 316-317 et 331-332. 120. J. de ROYE, Journal…, t. 1, p. 166, juin 1466 : « oudit temps fut pendu et estranglé oudit gibet de Paris ung gros Normant natif de Coustantin en Normandie pour ce qu’il avoit longuement maintenu une sienne fille et en avoit eu plusieurs enfans que lui et sadicte fille, incontinent qu’elle en estoit delivree, murdrissoient ; et pour ledit cas fut pendu, comme dit est, et sadicte fille fut arse a Maigny pres Pontoise ou ilz estoient venus demourer dudit pays de Normandie ». 121. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 238-239, et X la 1481, fol. 13, juin 1429. Exemples comparables au début du XVIe siècle, voir supra, n. 9 et 10. Ce lien entre les fantasmes de la reproduction et la violence est apparent au moins dès le XII e siècle, Guillaume de NANGIS, Chronique…, p. 9 et 15, qui relate les naissances monstrueuses en France, en Espagne et en Brabant en 1115 et 1125. Leur récit s’inscrit aux côtés de la tyrannie de Thomas de Marie et du meurtre du comte de Flandre. 122. N. de CLAMANGES. Epislola LXIII, Opera omnia, p. 182 ; à terme se profile la vision d’un royaume dépeuplé que Nicolas de Clamanges, pour le duc de Guyenne, décrit avec force, De lapsu…, ibid., p. 47. 123. Par exemple, Guillaume de NANGIS, Chronique…, Deuxième continuation…, t. 2, p. 156 ; J. de VENETTE, Continuationis…, t. 2, p. 214 et 236 (prophéties de 1348 et 1356). Nombreux exemples chez le Bourgeois de Paris et dans la chronique de Jean de Roye, J. de ROYE, Journal…, t. 1, p. 160-161, qui, parce que les fèves fleurissent en juin 1466, cite le proverbe : « Les feves sont en fleur, les fous en vigueur ». 124. C’est-à-dire galeux, Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 38. 125. Par exemple J. de ROYE, Journal…, t. 1, p. 82, qui, le 14 août 1465, cite le cas d’un sergent à verge battu aux carrefours « dedens ung ort, vilain et paillart tombereau dont on venoit de porter la boe en la voierie ». A elle seule, la charrette est signe d’infamie. 126. Cette double purification se traduit par le verbe « expurger » employé par saint Louis, Lettre d’Aigues-Mortes, juin 1269, ORF, t. 1, p. 104-106. De ce point de vue, le premier purificateur du royaume est sans doute Philippe Auguste quand il décide de faire paver les rues de Paris. Pour le XIVe siècle, voir Y 2, fol. 98, 1388. Les cris ordonnés par le prévôt à Paris concernent l’obligation

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de « tenir les rues nettes », d’enlever les gravois, de ne rien jeter dans la Seine, de supprimer les porcs, de chasser les « meseaulx » ; contenu comparable en 1404, ibid., fol. 236. Un autre cri, pendant le règne de Charles V, avait associé les boues et les Anglais, ibid., fol. 111. 127. Sur l’importance des influences scriptuaires, en particulier de l’Ancien Testament, chez les théoriciens du règne de Charles VI, voir l’exemple de Jean de Terrevermeille étudié par J. BARBEY, La fonction royale…, p. 132-151. Nicolas de Clamanges et Jean Gerson ne font que leur emprunter une pensée et une sensibilité qui s’appliquent parfaitement aux malheurs des temps et à la venue espérée de la Majestas propre à l’Ancien Testament, voir supra, n. 117. Une démarche comparable se retrouve chez Pierre d’Ailly, Discours de 1406 devant l’Université de Paris, cité par N. VALOIS, La France…, t. 2, p. 457, n. 4. 128. Sur les manifestations de la pensée apocalyptique dans la culture savante du XIV e siècle, J. DELUMEAU, La peur…, p. 278-280. Un lien étroit existe entre les prédicateurs et les théoriciens politiques, voir les remarques de R. DELARUELLE, « L’antéchrist chez saint Vincent Ferrier, saint Bernardin de Sienne et autour de Jeanne d’Arc », La piété populaire…, p. 329-354. Sur cette vision de l’Antéchrist chez les théoriciens politiques, voir l’exemple de P. SALMON, Les demandes…, BN Fr. 9610, fol. 56-56v. 129. Ch. de PIZAN, Le Livre de paix, p. 5. 130. Par exemple, pour les empoisonnements des puits attribués aux lépreux en 1321, Guillaume de NANGIS, Chronique…, Deuxième continuation…, t. 2, p. 31 ; pour ceux qui, vers 1350, sont attribués aux juifs, les textes abondent, voir en particulier G. de MACHAUT, Jugement du roy de Navarre, Œuvres, t. 1, p. 144-145. Enfin, sur les empoisonnements de 1390 qui permettent au prévôt de Paris de procéder à de nombreuses arrestations de criminels soumis à la procédure extraordinaire, voir Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 311-322, 419-480, et t. 2, p. 1-15. Au total, une dizaine de personnes sont ainsi arrêtées et condamnées à mort par le Châtelet. Sur cet épisode et les interprétations données par les contemporains, Chronique du religieux de saint-Denys, t. 1, p. 682-685. 131. Apocalypse, 16, 4. L’empoisonnement des puits est aussi sévèrement puni par le droit romain et fait partie des crimes extraordinaires. Digeste, XLVII, 11. 132. Telle est la conjoncture du Vivat Rex. Sur l’effervescence des prises de positions politiques qui suit celle des faits, Cl. GAUVARD, « Christine de Pisan… », p. 426. Sur les effets du schisme, en 1408, voir par exemple, J. GERSON, Discours sur la réconciliation, Œuvres complètes, t. 7, p. 1105 : « C’est tres sainte besongne pour parvenir a ramener paix espirituelle tant desiree au giron de Saincte Eglise, que paix temporelle se face ou se maintiengne entre les seigneurs et par especial de ceste oeéissance, et plus especialement de ce noble royaume de France […] reviengne paix ». 133. Fr. AUTRAND, Charles VI…, p. 324-328. Les contemporains sont très clairs sur les liens entre la maladie du roi et les crimes qui courent dans le royaume. Par exemple N. de BAYE, Journal, t. 1, p. 137-138, 19 août 1405. Le greffier commence par évoquer la maladie du roi, « Cedit jour, le roy estant malade en son hostel de Saint Pol a Paris de la maladie de l’alienation de son entendement, laquelle a duré des l’an 1393, hors aucuns intervalles de resipiscence… », pour ensuite énumérer les crimes commis par les gens de guerre. 134. N. de BAYE, ibid., p. 93. 135. Cl. de FAUQUEMBERGUE, Journal, t. 1, p. 183-192. Il y est fait mention de l’intervention oratoire de Jean Courtecuisse et de Pierre aux Boeufs, aumôniers du roi et de la reine. Sur le rôle particulier que tient l’aumônier dans la purification du royaume, P. SALMON, Les demandes…, BN Fr. 9610, fol. 8v. 136. ORF, t. 1, p. 636-637. 137. J. de VENETTE, Continuationis…, t. 2, p. 311-312, 314 et 319. 138. Ch. de PIZAN, Le Livre de paix, p. 40-41. 139. X 2a 15, fol. 237, août 1408. Des remarques identiques accompagnent les fameuses rumeurs du bailliage de Vermandois en 1408, voir supra, n. 103.

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140. « Precepit omnibus hominibus dicte ville Fossatensis, ut quilibet ipsorum, infra XL dies, propter defensionem ville predicte contra vires malignantium seu delinquentium, haberet arma sufficienter, secundum quantitatem facultatum suarum », cité par L. TANON, Histoire des justices…, p. 323. 141. Sur cette relation entre le péché du roi, les guerres et les « pestilences », Le Songe du vergier. Livre I, chap. CXXXIX, t. 1, p. 239 : « Sire Chevalier, vous estes plusieurs foys efforcié d’essaucer le roy de France, qui a present est, sur touz aultres roys crestians, et a vostre dit, il n’est conme de nul grant pechié ou grant vice entechié. Je vous prie, conment le pourrés vous excuser dez guerres, dez pestilences, famines et divisions et mortalités, lesquelles sont avenues de son temps ? Certes, nous devons presumer que ce soit pour le pechié du roy que le pueple ait eu tellez guerres et tellez pestilences. Car pour le pechié du roy David, quatre vinz mille du pueple si perirent ». La réponse du chevalier précise le péché de David qui avait osé compter son peuple mais, sans nier la contagion du crime par le « chief », elle y ajoute la contagion par les membres, ibid., chap. CXL. Sur Job, modèle royal et humain, voir N. de CLAMANGES, Opera omnia, p. 192 et 216. 142. R. EDER, Tignonvillana inedita., p. 1018. On peut rapprocher cette maxime de celleci : « Un roy ressemble un grant fleuve naissant de petites eaues, pourquoy s’il est doulx, les petiz fleuves seront doulx, s’il est salé, ils seront salez », ibid., p. 953. 143. N. de CLAMANGES, De lapsu…, Opera omnia, p. 51. 144. Remarquons qu’il n’existe aucune étude synthétique de la tyrannie à l’époque qui nous intéresse, P.S. LEWIS, « Jean Juvenal des Ursins… », p. 103 et suiv. Sur l’apport du Policraticus de Jean de Salisbury, les influences aristotéliciennes, les théories de saint Thomas et de Gilles de Rome, B. GUENÉE, L’Occident…, p. 155-157, et W. ULLMAN, « John of Salisbury’s Policraticus in the Later Middle Ages », Jurisprudence…, p. 519-545. Sur le prince idéal, J. KRYNEN, Idéal du prince…, p. 155-199. 145. P. SALMON, Les demandes…, BN Fr. 9610, fol. 49v. 146. Ch. de PIZAN, Le Livre de paix, p. 88. 147. Ibid., p. 88. 148. Chronographia, t. 3, p. 200-207. 149. Cet aspect est abordé par J. KRYNEN, op. cit. supra n. 144, p.124. 150. Leur fréquence est très faible puisque le mot « cruauté » n’est cité qu’une fois dans le corpus des 300 lettres traitées en full text. Il est alors associé à l’idée que l’adversaire est redoutable. 151. J. GERSON, Vivat rex, Œuvres complètes, t. 7, p. 1138 et 1150. Néanmoins, chez lui, ces mots peuvent se charger d’un sens moral quand ils sont associés à « horrible », mais aussi à « hideux », pour désigner le démembrement imagé du corps humain et mystique sous l’effet des divisions, ibid., p. 1156. 152. Ch. de PIZAN, Le Livre de paix, p. 24, 37, 41, 63-65. La cruauté est aussi liée aux exactions fiscales : le tyran exploite et plume des innocents qui ne tardent pas à devenir des martyrs. Sur cette forme de violence, voir N. ORESME, Traité des monnaies…, p. 75, où l’auteur prend l’exemple de Roboam, et p. 85-89. 153. J. GERSON, Vivat rex, Œuvres complètes, t. 7, p. 1158. 154. Ch. de ΡΙΖΑΝ, Le Livre de paix, p. 64-65 ; voir aussi p. 37 : « La cruaulté royalle acroist et multiplie nombre d’ennemis en faisant plusieurs gens mourir ». 155. Telle est l’image qu’en donne N. de CLAMANGES, Opera omnia, p. 176, à propos de la fuite en Egypte, « a facie Herodis crudelissimi, suumque sanguinem sitientis » ; même vision chez Jean Gerson qui la conforte des tableaux peints où se trouve représenté le massacre des Innocents, J. GERSON, OEuvres complètes, t. 7, p. 331. 156. Ch. de ΡΙΖΑΝ, Le Livre de paix, p. 87. On retrouve ce thème chez tous les théoriciens du règne de Charles VI et au-delà, particulièrement chez Jean Juvénal des Ursins quand il s’agit de critiquer la fiscalité.

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157. P. SALMON, Les demandes…, BN Fr. 9610, fol. 74v.-75. On sait le personnage d’obédience sans doute bourguignonne mais l’attitude des réformateurs dits armagnacs n’est pas différente. La nécessité de faire des processions est admise par tous, J. FROISSART, Chroniques, t. 13, p. 189. Sur l’application de ces conseils voir supra, η. 134. Ce même conseil de recourir à des processions est donné par Ch. de PIZAN à Isabeau de Bavière, « La Lamentacion… », p. 144 : « Pourquoy ne faiz processions par devotes prieres ? ». Cette requête concerne la situation du royaume en août 1410. 158. Cl. GAUVARD, « Ordonnance de réforme… », p. 94-96. 159. Sur l’action des réformateurs, voir le cas cité chapitre 4, n. 23. 160. Voir les exemples cités par J. K.RYNEN, Idéal du prince…, p. 93-94 et 184-199. De ce point de vue, le meilleur théoricien du roi-justicier est Gerson, en particulier quand il définit les sources naturelles de la justice, « vertus par laquelle celui qui l’a est enclin rendre a chascun ce qui est sien par le droit de nature », puis les sources politiques de la justice « qui incline rendre a un chascun ce qui est sien selon les ordonnances et la fin de la policie ou il est soit temporelle soit spirituelle », J. GERSON, Œuvres complètes, t. 7, p. 608. 161. Ch. de PIZAN, Le Livre de paix, p. 39. 162. Ibid., p. 40. 163. N. de CLAMANGES, Ad Johannam de Gersonio…, Epistola LIX, Opera omnia, p. 164 : « Quod praeterea illis Regiis magistratibus, quos vulgo Bavilos appellant, cura mandata sit, ut quoties per fines quos administrant, exercitum duci continget, ipsi cum via exercitu donec fines suos exeat adequitent, villas custodiant, praedas inhibeant, damni et injuriarum quaerelas audiant, et pro delictorum modo poena noxios afficiant ». Sur l’efficacité d’une telle justice, De lapsu…, ibid., p. 56. 164. J. GERSON, Vivat Rex, OEuvres complètes, t. 7, p. 1173-1174 ; il illustre cette considération par un certain nombre d’exemples où, pour garder la loi, les princes ont fait justice contre euxmêmes et contre leurs propres enfants. 165. Mgr Glorieux lie la rédaction du Diligite justiciam par Jean Gerson à l’affaire Guillaume de Tignonville qui amène la déposition du prévôt, et il date le discours des 5 ou 12 mai 1408, J. GERSON, Œuvres complètes, t. 7, p. VIII et p. 598-615. Rappelons que le prévôt avait fait pendre deux « clercs », Leger Du Moncel, normand, et Olivier Bourgeois, breton, le 26 octobre 1406, et que le roi avait subi, au cours de l’année 1407, des pressions pour que le prévôt soit condamné à une amende honorable. La plaidoirie relative à cette affaire eut lieu les 28-29 novembre 1407 au Conseil et elle est seulement consignée dans les registres civils du Parlement et non dans les registres criminels, X la 4788, fol. 1v.-4. Le prévôt ne fut désavoué qu’avec la rentrée de Jean sans Peur dans Paris et l’épuration qui suivit au printemps 1408. Guillaume de Tignonville est alors remplacé par Pierre Des Essarts et il doit subir une amende honorable le 16 mai 1408. Sur cet épisode, Chronique du religieux de Saint-Denys, t. 3, p. 722. L’affaire est politique, le prévôt étant d’obédience orléanaise (N. de BAYE, Journal, t. 1, p. 229, η. 1), mais elle s’inscrit aussi sur un fond théorique qui remet en cause les rapports de l’Eglise et de l’Etat. Dans ce contexte, la date du Diligite justiciam est importante à déterminer pour évaluer la position de Jean Gerson vis à vis de Jean sans Peur. G.H.M. POSTHUMUS MEYJES, Jean Gerson…, p. 33-53, donne d’excellentes raisons empruntées à la politique religieuse pour dater le Diligite justiciam du 12 novembre 1405, ce qui le placerait juste après le Vivat Rex du 7 novembre 1405. Mais il existe d’autres motifs pour faire reculer la date du Diligite Justiciam jusqu’à l’hiver 1405-1406, en particulier les similitudes entre les thèmes traités dans les deux sermons, qu’il s’agisse de la justice ou de la peine de mort, supra n. 164. Dans l’un et l’autre cas, ce problème n’est pas évoqué en fonction du tyrannicide, ce qui interdit absolument de retenir la date de mai 1408. Le meurtre du duc d’Orléans, et surtout la justification de Jean Petit du 8 mars 1408 où le Non occides est évoqué pour justifier la suppression du tyran, n’auraient pas pu alors être passés sous silence par Jean Gerson. En fait, il faut peut-être rapprocher le Diligite justiciam d’un autre procès qui, le 18 janvier 1406, met en cause Guillaume de Tignonville, et qui semble, jusqu’à présent, être resté ignoré des historiens, X 2a 14, fol. 298v.-300v. Le prévôt est alors défendeur, aux côtés de maître Jean Larcheveque, examinateur

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du Châtelet et maître Robert Carlier, procureur du roi au Trésor, contre l’évêque de Paris, demandeur. Il est reproché au prévôt d’avoir fait pendre deux malfaiteurs qui se disaient « clercs », Jaquet Blondel du pays de Montcornet et Cardin Cabre de Rouen. L’un et l’autre appartenaient à une bande de malfaiteurs que Guillaume de Tignonville a réussi à démanteler. Ce procès donne lieu à une discussion sur les rapports entre les deux justices et leur efficacité réciproque. Malheureusement, le procès ne précise pas à quelle date les deux clercs, incarcérés au Châtelet le 17 novembre 1405, ont été pendus. Existe-t-il un rapport entre cette affaire et le Diligite justiciam ? Les thèmes du sermon et les arguments du prévôt dans la plaidoirie se recoupent. L’argumentation de Guillaume de Tignonville cherche à faire de ces clercs des publici larrones, et à évoquer les meurtres qu’ils ont commis et qu’ils ont avoués au pied du gibet, crimes qui, aux yeux du prévôt, méritent par conséquent la peine de mort car ces hommes sont incorrigibiles. Existe-t-il enfin une relation entre cette action du prévôt et la grève de l’Université qui ne se termine qu’à la fin de janvier 1406 ? Les éléments sont convergents. Ils montrent, en tout cas, que la seconde affaire connue, c’est-à-dire la pendaison des deux clercs décidée le 26 octobre 1407, est une récidive dans une politique concertée où le prévôt de Paris a le parfait soutien du Conseil dominé par les partisans du duc d’Orléans. Au procès de janvier 1406, il a l’appui du procureur du roi et, en novembre 1407, le procès a lieu au civil, non au criminel. La décision prise le 5 mai 1408 à l’encontre de Guillaume de Tignonville est bien anti-orléanaise. Mais derrière les hommes, il y a aussi les idées. L’enjeu réside dans les libertés du clergé et dans le degré de concentration des pouvoirs policiers dont dispose le prévôt, voir infra, n. 177. 166. L’argumentation de Jean Gerson ne nie pas la nécessité de la peine de mort, mais elle la réfute pour le vol. Le but de l’évêque de Paris, comme celui de Gerson, est de montrer, entre autres arguments, que ces clercs ne sont pas des larrons. Le vol acquiert difficilement sa place dans la hiérarchie de la grande criminalité, voir chapitre 18, p. 827. Le fondement théorique qui oppose la loi divine à la loi civile est déjà discuté par Pierre Le Chantre, G. COUVREUR, Les pauvres…, p. 172-177. 167. N. de CLAMANGES, Ad Gerardum Macheti…, Epistola LXVII. Opera Omnia, p. 192. 168. Sur cette difficile émergence du législatif, J. KRYNEN, « De nostre certaine science… », p. 131-144. Dans le Diligite Justiciam, l’influence de Jean de Salisbury est sans doute importante, mais il faut tenir compte de l’enseignement des civilistes et du Digeste qui, dès le XII e siècle, ont formulé une véritable doctrine de l’équité, et pour lesquels la loi humaine découle de la loi de Dieu. La loi n’est pas le bon vouloir du prince, sauf si celui-ci se conforme à l’équité. L’influence cicéronienne qui a nourri les plaidoyers de Jean de Salisbury sur le tyrannicide et sur la loi. ne peut pas déplaire à Jean Gerson, voir Jean de SALISBURY, Policraticus, Livre III, chapitres XV et XVII. 169. X 2a 14, fol. 267-275v., 11 août 1405. cité chapitre 4, n. 126. Dans cette affaire, Jean de Terrevermeille aurait montré au juge qu’il avait agi à tort, ibid., fol. 273. 170. Ibid., fol. 275v. 171. ORF, t. 8, p. 122 ; J. GERSON, Œuvres complètes, t. 7, p. 341-343.Voir les exemples cités par M. VINCENT-CASSY, « Prison et châtiments… », p. 274, n. 39. 172. ORF, t. 4, p. 158-159. 173. ORF, t. 1. p. 743, décembre 1320. 174. Y 2, fol. 55-55v., février 1368 et mai 1369 : le prévôt a seul le sceau du Châtelet et il doit se méfier des « princes du sang et lignage et hauts justiciers » pour les renvois et rémissions, en particulier en ce qui concerne les gens de l’Hôtel du roi. Ibid., fol. 47, 16 novembre 1370 : les renvois devant le Parlement opérés par les huissiers, sergents et officiers, sont condamnés. D’autre part, les statuts de la geôle du Châtelet, édictés dans la première moitié du XIV e siècle, sont remis en ordre par Hugues Aubriot le 28 juin 1372, Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 246 et 351. Sur la mise en place de la procédure extraordinaire à Paris pendant son office, voir chapitre 4, n. 21.

270

175. Sur l’originalité de ce personnage et son rôle décisif dans les événements qui l’opposent à l’Université au début du règne de Charles VI, signe d’une longue contrainte imposée aux clercs, voir Fr. AUTRAND, Charles VI…, p. 76-78. De nombreux actes passés par le prévôt sont répertoriés par M. LE ROUX DE LINCY, « Hugues Aubriot… », p. 173 et suiv. 176. ORF, t. 7, p. 227, février 1389. Ce texte critique l’action judiciaire de Jean Truquam à l’encontre des juifs dont les crimes restent impunis. En juin 1389, le prévôt qui est alors Jean de Folleville, procède à une réformation du Châtelet, ibid., p. 283. 177. Sur les ordonnances relatives au pouvoir du prévôt, AN, Y 2, pièce 184, fol. 134, 20 mai 1389 ; ORF, t. 8, p. 364, 2 mars 1399 ; t. 8, p. 443, 21 juin 1401 ; t. 12, p. 578, 20 avril 1402 ; t. 9, p. 261, 29 novembre 1407. Le prévôt de Paris est appelé par le roi « commissaire et general reformateur sur le fait de la police de nostre bonne ville et mestier de Paris », dès 1368, N. de LA MARE, Traité de la police, t. 4, livre VI, p. 663 et ibid., p. 172 avril 1399. Ce titre lui est reconnu au Parlement au début du XVe siècle, X 2a 17, fol. 2v., février 1411, 178. A. COVILLE, Les Cabochiens…, p. 145-146. 179. Cité par Ch. DESMAZE, Le Châtelet…, p. 133. 180. ORF, t. 12, p. 509, 6 octobre 1447. 181. Sur la signification de ce théme passéiste dans la réforme politique, voir R. CAZELLES, « Une exigence… », p. 91 et suiv., et C. BEAUNE, Naissance de la nation France, p. 126 et suiv. 182. Extraits d’une chronique anonyme finissant en 1380, RHF, t. 21, p. 141. 183. Extraits des chroniques de Saint-Denis, ibid., p. 118. 184. Nombreux exemples du cas de Taperel dans les petites chroniques, par exemple ibid., p. 140. Voir supra, n. 59. 185. Y 2, fol. 134, 20 mai 1389. 186. Op. cit. supra, n. 180. 187. X 2a 16, fol. 162-169v., avril 1412. 188. X 2a 14, fol. 308v., mars 1406. 189. X 2a 17, fol. 127v., janvier 1414.

271

Conclusion

1

Les mots pour dire le crime ne sont pas innocents. Entre le crime des praticiens du droit et celui des théoriciens politiques, il existe une différence qui fait passer de la neutralité descriptive aux connotations morales, du fait criminel au mal. N’est-ce pas parce que la justice du roi a en charge de réparer ce que ressent profondément le peuple, de faire taire cette extrême perturbation que provoque le crime au sein de la société ? Le vocabulaire du mal ouvre la voie à la correction qui peut s’exprimer de façon coercitive, mais qui est aussi purificatrice, « utile ». Le crime n’est pas intéressant en soi et les preuves qu’il requiert n’ont pas encore acquis leur autonomie. Au cœur du débat est le criminel. La quête du coupable est essentielle et, avec sa découverte, la certitude que le crime sera châtié et que l’ordre social sera protégé. Essayons en manière de conclusion d’envisager ce que signifient de telles réactions.

2

Le crime perturbe. Cette évidence est si profondément ressentie dans la société des XIVe et XV e siècles qu’elle conduit à deux attitudes qui peuvent se révéler antithétiques : savoir la vérité et trouver un coupable. Dans le cadre du pays de connaissance, le problème d’identification ne se pose guère. La communauté traque vite le meurtrier inconnu ou le voleur habile. La renommée court jusqu’aux oreilles de la justice, relayée parfois par la dénonciation et, dans les cas les plus spectaculaires, par le miracle du sang qui coule au contact du meurtrier. Une sorte de complicité se crée alors avec les autorités légales, apparemment sans heurts. De ces crimes aisément cernés, la population n’a pas peur. La crainte commence avec l’accident qui n’est pas aisément assimilable avec la mort naturelle. Une petite anecdocte, à Mireval, peut achever d’en convaincre. En janvier 1353, une future accouchée est veillée par sa mère qui, en allant chercher de la lumière, tombe dans l’escalier et se tue 1. Une femme est morte que ni son âge, ni son état physique ne prédisposaient à disparaître. C’est un meurtre dont le gendre est rendu responsable. Pour se défendre, il invoque son absence, la porte restée fermée, jusqu’à ce qu’il trouve enfin l’accusé : « La mort, c’est Dieu qui l’a faite ». Le crime a son coupable.

3

Qu’elle soit livrée à elle-même ou qu’elle confie cet exercice à la justice légale, la communauté doit savoir. Elle peut pousser l’acharnement jusqu’à pratiquer la quête de l’aveu par la manière forte, au point que tous les habitants soient obligés, comme à Mirande en 1389, de demander rémission pour leurs excès commis sur un criminel mort dans la prison où ils l’ont confiné2. A terme, se profile la satisfaction de la famille

272

et surtout, s’il y a meurtre, celle du défunt. La mort, la relation des hommes avec la mort sont au cœur de l’affaire et cet homme du bailliage de Vermandois sait dire à celui qui l’attaque « Ribaud mauvais, j’ay esté par toy pris par la mort Dieu tu y morras » 3. La fracture que crée le crime laisse apercevoir combien cette société a encore besoin d’apprivoiser la mort, à plus forte raison quand celle-ci ne peut être perçue comme naturelle. 4

Les difficultés s’accroissent dès que sont franchies les barrières de l’inconnu. La dilatation de la vie de relations, les répétitions de la crise ont accru le nombre de crimes dont les responsables échappent à la reconnaissance villageoise ou urbaine. Mais surtout, les troubles font quérir une responsabilité qui, parce qu’elle ne peut pas être constamment collective sous peine de menacer la survie du corps social, se cristallise en ses points sensibles d’où se lèvent autant de boucs émissaires : juifs, vagabonds, mais aussi larrons, bouteurs de feux et violeurs de femmes. En même temps, l’Etat naissant prend conscience de son rôle de sécurité qu’il pose d’emblée en termes salvateurs. Les institutions judiciaires et les formes de la procédure se rôdent. La réforme du royaume qui accompagne la naissance de l’Etat se veut purificatrice, en ce sens que, par une répétition ordonnée du mal, elle l’exorcise.

5

Pour désigner ces crimes qui menacent l’intégrité de la « policie » et dont l’Etat doit assurer la punition, un mot s’impose, scelus. Les humanistes du règne de Charles VI l’empruntent à leurs inspirateurs romains. La procédure extraordinaire lui donne son contenu en permettant de faire avouer les plus grands maux. Quels crimes peuvent alors être rangés sous cette catégorie ? Les discussions relatives aux délits commis par les clercs et jugés par l’Etat montrent que le vol peut faire l’objet de subtiles distinctions. Certains, comme Jean Gerson, l’excluent de la grande criminalité au nom de la loi divine. D’autres, comme Nicolas de Clamanges, l’incluent au nom de la grande chasse au crime. Qu’en est-il exactement ? La même question se pose pour le meurtre. Une étude de la hiérarchie des crimes s’impose. Mais, nous l’avons vu, le crime fuit et seul reste le criminel. Il convient donc de le laisser au centre de nos préoccupations.

NOTES 1. M. SHERWOOD, « Un registre... », p. 174. 2. JJ 135, 267, avril 1389, MIRANDE, (sénéchaussée d’Agen). 3. JJ 118, 82, novembre 1380, REIMS, (bailliage de Vermandois).

273

Deuxième partie. Un monde ordinaire

274

Introduction

1

Aucune des questions posées précédemment ne peut être résolue si l’essentiel de ce que suggère la typologie des sources judiciaires n’est pas abordé : pourquoi certains criminels résistent-ils au vertige de l’aveu alors que les autres, et sans doute dans une proportion quantitativement écrasante, s’y complaisent. La différence tient-elle aux hommes, à la nature des crimes commis, à une logique de la condamnation qui laisse supposer une politique concertée de la monarchie ? La lettre de rémission ne devrait pas permettre de répondre puisqu’elle ne saisit justement qu’une partie de la criminalité, celle qui se résoud par des aveux émis de façon presque spontanée à la Chancellerie. Ce serait méconnaître la nature de l’acte que de s’en tenir à cette constatation.

2

Deux raisons au moins doivent entrer en ligne de compte. Il existe entre la justice répressive et la rémission des ponts plus subtils que ne le laisse paraître le couple antithétique grâce-répression. Une partie des procès au Parlement est, nous l’avons vu, consacrée à des débats sur les lettres de rémission ; l’étude des lettres révèle qu’environ 20 % des criminels ayant obtenu rémission ont déjà été jugés tandis que ceux qui attendent le jugement, soit environ 68 %, avouent craindre les effets de la sentence. Les criminels des lettres de rémission sont des « clients » réels ou potentiels de la répression. En second lieu, la comparaison esquissée entre la rémission et l’arbitrage ouvre d’autres perspectives : moment dans la réconciliation des parties adverses sous l’égide du roi, la rémission restitue la renommée et efface la souillure du crime. De contagieux qu’il était, le criminel devient « normal ». Dans cette transmutation, la nature du crime commis passe au second plan. Parce que l’acte de remettre le crime est profondément politique, les hommes et les femmes que révèlent les lettres n’appartiennent pas à une catégorie criminelle spécifique. L’étude de leur comportement permet d’appréhender le monde criminel des XIVe et XVe siècles.

275

Chapitre 6. Ville et campagne

1

Les criminels sont de partout, et partout plus de la moitié d’entre eux, soit près de 57 %, ont commis un homicide à la suite d’une rixe tandis que 16 % seulement sont impliqués dans un vol, 5 % dans un crime politique et moins de 4 % dans une affaire de mœurs, pour ne citer que les plus typiques. Dans leur sécheresse, ces chiffres, fondamentaux pour cette enquête, attestent d’emblée l’originalité de ce qui peut être considéré comme la grande criminalité médiévale1. Les homicides y abondent ; les crimes contre les biens restent raisonnables et les crimes contre les mœurs sont rares (tableau 8).

2

Cette constatation impose de ne pas retenir les critères de classement adoptés pour les délits de la criminalité du XXe siècle qui présente un visage totalement différent2. Il a donc paru nécessaire de respecter l’originalité des types de délits, quitte à en alourdir le nombre. Ainsi les homicides, qui constituent l’essentiel de la criminalité médiévale, ne peuvent être confondus dans un ensemble constitué par les crimes de sang car, tout en aboutissant au même résultat – la mort d’homme – ils relèvent de critères nettement distincts. Pour mieux cerner l’originalité et la force de la violence médiévale, il importe donc de présenter les délits avec leurs caractères spécifiques. Les regroupements qui ont pu être opérés sont seulement commodes pour raisonner sur des données chiffrées. Tableau 8 : Types de délits

Types de délits

1er Antécédent (en %) Crime (en %)

0 Pas de crime

20,9

0,0

1 Homicide

16,8

57,0

2 Argent ou héritage

10,2

0,4

3 Vol

7,1

16,0

4 Pillage

2,0

1,6

5 Dispute conjugale

0,9

0,7

276

6 Adultère

4,1

0,1

7 Viol individuel

1,3

1,2

8 Viol collectif

1,1

1,6

9 Avortement

0,2

0,3

10 Infanticide

0,3

0,3

11 Blasphème

0,3

1,9

12 Rupture d’asseurement

0,4

4,1

13 Contre la chose publique

2,1

5,2

14 Crime lié à la guerre

1,8

2,2

15 Injure

20,6

0,0

16 Accident

0,1

1,7

17 Suicide

0,0

0,4

18 Faute professionnelle

5,7

0,9

19 Autres

4,1

4,0

20 Plusieurs crimes

0,0

0,4

100

100

Antécédent (en %)

Crime (en %)

Pas de crime

20,9

0,0

Homicide

16,8

57,0

Crime contre les biens

19,3

18,0

Crime de mœurs

5,5

1,4

Viol

2,4

2,8

Crime de paroles

0,7

6,0

Crime politique

2,1

5,2

Crime lié à la guerre

1,6

2,2

Faute professionnelle

5,7

0,9

Injure

20,6

0,0

Types de délits regroupés

277

Autres

4,4

6,5

100

100

Ces données chiffrées donnent une idée des regroupements opérés pour obtenir les tableaux et les graphiques utilisés ultérieurement. Crime contre les biens = 2 + 3 + 4. Crime de mœurs =5 + 6 + 9+10. Viol = 7 + 8. Crime de paroles = 11 + 12+15. Crime politique = 13 + 14. Autres = 16+17+19+20. Le premier antécédent : Le crime pour lequel a été demandée la rémission peut être précédé d'autres délits commis par le coupable. Ceux-ci peuvent être liés au crime final, par exemple dans le cas des injures, ou constituer un crime spécifique, en particulier dans les cas de récidive. Sur les quatre antécédents prévus dans le codage initial, seul le premier antécédent a été retenu pour ce tableau. Le crime : Répartition des délits pour lesquels le coupable demande une rémission. A la fin du XIV e siècle, les injures, qui peuvent constituer un antécédent du crime, ne constituent plus un crime capital. Les fautes professionnelles s’estompent aussi. En dehors de ce cas, le profil des crimes remis présente une grande similitude avec celui du premier antécédent. 3

De ce point de vue, l’enquête ne fait que confirmer pour l’ensemble du royaume de France ce que les cas particuliers laissaient présager, qu’il s’agisse du nord du royaume ou de la région d’Avignon. Dans cette ville de passage, cosmopolite et peuplée d’aigrefins, le nombre des vols oscille, selon les juridictions, entre 3 % et 20 % des délits3. Dans les lettres de rémission, le vol proprement dit ne dépasse guère ces taux, et l’ensemble des crimes contre les biens représente environ 18 % des cas. Faible proportion, si elle est comparée à la criminalité contemporaine ! De nos jours, en France, les crimes contre les biens constituent 40 % de la criminalité et le vol qualifié représente 80 % des crimes contre les biens. Ces comparaisons ne prétendent pas conclure à une évolution dont les termes, en grande partie, nous échappent. Ils soulignent seulement la particularité des deux derniers siècles du Moyen Age, particularité qui se prolonge d’ailleurs pendant une partie de l’époque moderne. Car, dès le XVIIIe siècle, la répartition des délits change. Entre 1750 et 1790, en Languedoc, les crimes « saignants », pour reprendre l’expression de N. Castan, atteignent moins de 17 % tandis que le vol rassemble plus de 60 % des délits 4. Seule une étude continue et fine, prenant aussi en compte les rythmes régionaux, pourrait déceler des lignes de fracture, celles qui conduisent au renversement des pôles de la violence. Ce n’est pas là notre affaire : contentons-nous de constater que, dans le domaine de la criminalité, l’histoire n’est pas immobile. Mais, dans cette évolution de longue durée, le Moyen Age, même finissant, est loin de présenter les signes d’une rupture. Sa criminalité est nette : partout les crimes de sang l’emportent sur les viols, les rixes sur les vols.

PARTOUT LES MÊMES CRIMES 4

Car il s’agit bien de l’ensemble du royaume malgré les vides immenses que dessine la carte de répartition des crimes et des criminels repérés par les lettres de rémission. Rien ou presque rien ne concerne la Bretagne, l’Aquitaine ou la Bourgogne. Il ne faudrait pas imaginer pour autant que ce sont là pays de cocagne d’où le crime est banni. L’explication de ce silence est strictement politique. Au cours du XIV e siècle, au fur et à mesure que se mettent en place les rouages administratifs des principautés, leurs chefs exercent, entre autres privilèges, celui de la grâce retenue ; les chancelleries ducales en Bretagne, comme en Bourgogne et en Lorraine, sont désormais capables d’exécuter et de codifier des lettres de rémission dans les mêmes termes que la Chancellerie du roi de France5. La criminalité est donc présente là comme ailleurs ; avec

278

une majorité d’homicides, son profil est identique. La série continue des 145 registres des lettres de rémission lilloises scellées dans la salle de l’audience du duc recense 65 % d’homicides à la suite de rixes6. Les résultats obtenus par R. Muchembled pour l’Artois confirment la prépondérance de ce type de crimes dans les lettres de rémission du XV e siècle7. Quant à la Lorraine, les chiffres de l’homicide sont écrasants puisqu’ils atteignent 89 % des crimes remis à la fin du XVe siècle8. Par delà les frontières administratives, âprement défendues au nom d’enjeux politiques et financiers, il existe donc une parfaite continuité de la nature du crime. Tableau 9 : Origine administrative des coupables

Baillis et sénéchaux (1380-1422)

Fréquence (en %) Angoumois

0,1

Amiens

10,1

Auvergne (Montagnes d’)

0,5

Beaucaire

0,1

Bigorre

0,4

Caen

2,9

Carcassonne

0,3

279

Caux

1,7

Chartres

5,3

Chaumont

1,9

Cotentin

1,7

Dreux

0,1

Evreux

0,7

Gisors

0,5

La Rochelle

0,8

Limousin

1,5

Lyon

0,1

Mâcon

2,4

Mantes

0,3

Meaux

2,1

Melun

0,9

Montargis

0,9

Orbec

0,3

Orléans

2,3

Paris (prévôt de)

11,7

Ponthieu

1,2

Rouen

4,1

Rouergue

0,1

Saintonge

0,9

Saint-Pierre-Le-Moûtier

4,8

Senlis

4,4

Sens

7,7

Toulouse

1,1

Touraine

2,6

280

Tournai

1,5

Troyes

0,9

Vermandois

13,9

Vitry

2,0

Plusieurs

2,9

Autres

2,3

Les coupables ont été répartis par bailliages et sénéchaussées en tenant compte des baillis et sénéchaux qui doivent appliquer la grâce royale et qui sont mentionnés dans la lettre de rémission. Cette référence administrative diffère rarement (moins de 1 % des cas) du lieu d’habitation indiqué pour le coupable dans la déclinaison d’identité. 5

L’impression d’une densité criminelle resserrée en langue d’oïl par opposition à une langue d’oc peu concernée par le crime est aussi très trompeuse. Cette fois, la spécificité de la lettre de rémission est en cause. Il s’avère en effet que la grâce royale est d’autant plus sollicitée que le souverain est, corporellement, proche de ses requérants. Malgré les rouages de plus en plus complexes et anonymes de la Chancellerie royale, le pouvoir de gracier reste, avant tout, une affaire personnelle. Les rites de libération des prisonniers, en don de joyeux avènement du roi dans une ville, obéissent à cette logique d’un pouvoir justicier dont l’efficacité se manifeste, éclatante, aux yeux de tous9. Les cas de rémission sont donc d’autant plus nombreux que les requérants sont proches du siège de la Chancellerie royale, ou plus exactement du roi lui-même. Lorsque Charles VII et Louis XI délaissent Paris pour le Val de Loire, le nombre des lettres repérées dans cette région augmente. Cette inflation ne signifie pas que le Val de Loire est passé à la pointe de la criminalité. Les crimes remis ressemblent étrangement, par leur typologie, à ceux qui sont remis au même moment par la Chancellerie du Palais à Paris10. Le Val de Loire est simplement enserré de façon privilégiée dans le réseau des liens qui unissent personnellement le roi à ses sujets.

6

Ne désespérons pas de ce privilège que les sources accordent aux régions de langue d’oïl ! Il permet de ne pas limiter l’étude de la violence aux seuls pays méditérranéens si souvent présentés comme des lieux au temps immobile où s’inscrivent en prédilection la vengeance et l’honneur. Les travaux de P. Guichard ont amorcé la comparaison 11. Dans l’Espagne musulmane du VIIIe siècle, l’auteur confronte les structures sociales « orientales » que les conquérants ont importées des rivages méditerranéens, à celles des indigènes héritiers d’une culture chrétienne et germanique. Cette comparaison oppose deux systèmes de filiation, l’un « oriental » strictement patrilinéaire où seule compte la parenté en ligne paternelle, à l’autre « occidental » nettement bilinéaire où la parenté maternelle et les alliances ont une place égale. De là découle dans le premier cas une lignée agnatique étroitement rattachée à un ancêtre commun, dans l’autre cas une parentèle bilatérale qui n’existe que par rapport à l’individu. De là découle aussi ce qui est essentiel pour l’histoire de la criminalité, une conception de l’honneur différente. Dans les « structures orientales », l’honneur relève de l’« être » plus que de l’« avoir » et se différencie entre féminin et masculin, tandis que dans les « structures

281

occidentales », il reste lié à la possession d’un titre ou de richesses, ce qui implique sa circulation dans le corps social. 7

Les stimulantes réflexions de J. Goody, qui applique à ces « différences » l’interrogation de l’anthropologue, ouvrent d’autres voies12. En comparant la théorie et les faits, elles atténuent la distorsion entre les formes de structures orientales et occidentales. Mais, tout en dilatant l’espace concerné jusqu’aux rives africaines, J. Goody fait renaître l’antagonisme sous d’autres formes. Il lui donne un sens dans la politique générale que mène l’Eglise pour imposer les lois du mariage européen 13. La lutte de l’exogamie contre l’endogamie devient celle d’un pouvoir contraignant en mal de patrimoine. Au total, entre Nord et Midi, les données socio-culturelles restent géographiquement distinctes. S’y opposent les stratégies matrimoniales, l’exogamie imposée à l’endogamie résistante. Les théories de l’honneur en résultent et elles sont essentielles pour notre propos. De là découlent la force de la vendetta, et généralement les fondements de la violence. Les études d’E. Claverie et P. Lamaison sur l’honneur en Gévaudan à l’époque moderne ne peuvent que conforter l’idée d’une spécificité méridionale14. Le défi entre les hommes y est étroitement mêlé à l’honneur des femmes, celui de la virginité et du mariage.

8

Le problème reste entier. Il est à la fois géographique et historiographique. Les études sur l’honneur concernent essentiellement le Midi de la France et le Bassin de la Méditerranée15. Le Nord en est étrangement absent, même si les études sur la parenté y ont été privilégiées16. Elles concernent aussi deux pôles chronologiques nettement séparés : l’un couvre le Haut Moyen Age, l’autre l’époque moderne. Les conclusions obtenues dans l’un et l’autre cas peuvent-elles s’appliquer à la période qui nous occupe ? Y a-t-il, aux XIVe et XV e siècles, un nord du royaume où la violence s’attache en priorité aux terres et aux biens, tandis qu’au sud elle s’applique aux personnes et aux femmes ? Ces questions reviennent à se demander si, entre le Nord et le Midi, il existe tant de différences dans la genèse du crime.

9

Le cas d’Avignon évoqué précédemment est une première réponse17. On peut arguer de la spécificité de la ville. L’étude des lettres de rémission permet une approche plus unifiée de la criminalité méridionale. Une comparaison a pu être esquissée pour la période 1380-1422 grâce aux travaux de recensement entrepris pour la Gascogne et le Languedoc18. Les résultats montrent une grande homogénéité du profil criminel entre le Nord et le Midi en ce qui concerne les homicides et les affaires de mœurs. En Gascogne, 130 lettres de rémission ont pu être recensées pendant le règne de Charles VI. L’homicide à la suite de rixes est, comme ailleurs, prépondérant puisqu’il atteint 53,3 % des crimes remis. Les crimes de mœurs couvrent 4,6 % des cas, ce qui est légèrement supérieur au chiffre de 3,6 % obtenu pour l’ensemble du royaume 19. La distorsion la plus importante vient des vols qui n’atteignent que 1,5 % des cas, ce qui est extrêment faible, et des crimes politiques qui, au contraire, couvrent 20 % des crimes remis, auxquels on peut ajouter 6,2 % de crimes de guerre et 3 % de pillages. La situation politique de la Gascogne pendant la guerre de Cent ans peut expliquer cette dernière différence. Les lettres de rémission montrent les séquelles de l’opposition du roi de Navarre ou de la rébellion du comte de Foix ainsi que la présence anglaise. En avril 1382, Barradac de Barante obtient rémission pour avoir pris le parti du roi de Navarre et l’avoir longuement servi, pour enfin passer au roi de France et favoriser la restitution des châteaux de Pacy et d’Evreux20. Les rémissions pour commerce avec les Anglais ne font que marquer la réalité d’une collaboration qui se pose, dans le Sudouest, en termes quotidiens21. Quant aux vols, leur faible nombre tient sans doute aux

282

moyens choisis pour leur résolution. Celle-ci passe par des modes différents, qui tiennent effectivement à la façon dont ce crime est traité dans les coutumes méridionales qui privilégient les amendes, et par conséquent à la place que ce crime occupe dans la hiérarchie des délits aux yeux des autorités et de l’opinion 22. Une telle constatation n’implique pas pour autant l’absence totale de conflits d’intérêts qui peuvent précéder un meurtre, qu’il s’agisse d’un bénéfice ecclésiastique, de bestiaux et d’héritages à défendre, ou encore d’un simple écot à payer à la taverne 23. En Gascogne, comme dans le reste du royaume, le meurtre n’accompagne pas seulement le viol de la jeune fille ou celui de l’épouse et on voit une simple femme payer de sa vie un vol de poules qu’elle reproche à un homme24. De telles mentions nuancent considérablement la vision simpliste de zones méridionales échappant aux règles normales de la résolution des crimes. 10

La même enquête dans les pays de Languedoc confirme ces résultats. Elle porte sur un nombre de cas plus élevé puisqu’il atteint près de 40025. Les homicides constituent 60,7 % des cas de crimes remis et les affaires de mœurs atteignent, au total, la même proportion que dans le reste du royaume, soit 3,6 % des cas. Les crimes politiques, 12 % des cas, et les crimes liés à la guerre, 4,5 % des cas, sont encore une fois supérieurs à la moyenne. Ces résultats donnent une idée de l’utilisation que la Chancellerie fait des lettres de rémission. Celles-ci sont un moyen de contrôler la bonne marche politique du royaume. En Languedoc par exemple, elles servent à résorber le problème soulevé par la rébellion des Tuchins26. Quant au vol, comme en Gascogne, sa part est faible dans ce qui revient aux oreilles du roi.

11

Restent les crimes de moeurs. Ils existent dans le Midi, mais avec quelle spécificité ? Les cas languedociens et gascons permettent d’esquisser les limites d’une criminalité que les lois de l’honneur pourraient rendre différentes. Les rapts sont évoqués, mais ils concernent au premier chef la noblesse, ce qui leur enlève une particularité régionale et permet de poser le problème de l’exogamie en termes sociaux plus que géographiques27. Le phénomène est identique dans le nord du royaume et nous y reviendrons. Tableau 10 : Crimes par régions

Types de crimes

Ile de France (en %) Normandie (en %) Nord (en %) Est (en %)

1 Homicide

45,0

49,6

65,0

58,0

2 Crime contre les biens

23,0

20,5

14,0

19,0

3 Crime de mœurs

2,0

1,0

0,0

3,0

4 Viol

5,0

2,3

2,0

0,0

5 Crime politique

6,0

6,0

4,0

3,0

6 Crime lié à la guerre

4,0

4,0

1,0

1,0

7 Crime de paroles

8,0

2,3

8,0

12,0

8 Faute professionnelle

1,0

2,3

2,0

0,0

283

9 Autres

6,0

12,0

4,0

4,0

100

100

100

100

Types de crimes

Centre et Sud (en %) Loire (en %) Ouest (en %) Autres (en %)

1 Homicide

68,0

67,5

59,0

51,5

2 Crime contre les biens 6,0

12,5

12,0

7,5

3 Crime de mœurs

3,0

0,0

5,5

2,5

4 Viol

0,0

4,0

0,0

3,5

5 Crime politique

3,0

1,0

0,0

7,5

6 Crime lié à la guerre

10,0

5,0

12,0

12,5

7 Crime de paroles

0,0

5,0

5,5

5,0

8 Faute professionnelle

0,0

0,0

6,0

0,0

9 Autres

10,0

5,0

0,0

10,0

100

100

100

100

284

Les lieux du crime ont été identifiés par département puis regroupés en tenant compte des entités régionales actuelles. La rubrique « autres » comprend les lieux extérieurs au royaume ou ceux qui sont actuellement hors de France, par exemple le Tournaisis. 12

En revanche, les crimes de mœurs présentent un certain nombre de caractères originaux. Les viols sont au total moins fréquents que l’adultère, et les femmes sont les plus nombreuses à être impliquées dans ce crime28. Ils se terminent soit par la condamnation de la femme à la course, soit par le meurtre de l’amant, soit encore, mais ce châtiment est, comme dans le reste du royaume, très rare, par la castration de l’amant : ces résolutions ne doivent pas étonner dans une société qui confère à la femme un statut juridique rigoureux29. Enfin, signe d’une endogamie encore mal dominée, les rapports incestueux peuvent donner lieu à des homicides. Celui-ci a essayé de violer sa cousine germaine ; celui-là la femme de son frère 30. Ce sont là des cas peu nombreux qui constituent une quantité négligeable de crimes (nettement moins de 1 % des cas). Mais leur présence, même infime, tranche un peu sur ce qui se passe dans le reste du royaume où ces crimes sont absents des lettres de rémission, du moins quand il s’agit de degrés de parenté aussi rapprochés31.

13

Malgré ces légères différences, on ne peut pas parler d’antagonismes entre les crimes remis au nord du royaume et ceux qui le sont au sud. Le mari ou le frère qui vengent leur honneur ont besoin d’une lettre de rémission pour faire pardonner ce qui, aux yeux de la légalité, est un crime. S’il est vrai que le processus du pardon qui est décrit ne suit pas tout à fait les voies qui sont devenues courantes en langue d’oïl, en particulier en ce qui concerne les conseils donnés à l’épouse pour retrouver la voie de l’honneur conjugal, le meurtre de l’amant ne va plus de soi. Quant à l’adultère, on le voit aussi reproché à des hommes. Certaines coutumes urbaines, sous l’influence du droit canonique, définissent la bilatéralité de la sanction : le système est appliqué, en particulier, à Carcassonne où, en 1404, un sergent de la garnison se trouve emprisonné pour adultère et doit, pour être libéré, solliciter une lettre de rémission 32. De même,

285

en 1410, cette femme de Béziers, Richarde de Ryala, abandonnée par son mari, passée au service d’un bourgeois de la ville dont elle est enceinte, bannie pour avoir avorté, trouve dans la grâce royale une restitution de sa condition33. Est-ce sous l’action conjuguée de l’Eglise et de l’Etat que se profilent des germes unificateurs qui créent un profil de crimes comparables ? Ou bien est-ce parce que l’antagonisme entre les deux parties du royaume est plus théorique que réel en ce qui concerne l’honneur et la criminalité ? La réponse est dans le pays de langue d’oïl où il convient de déceler les causes du crime. 14

Malgré des nuances qui s’avèrent battues en brèche, les profils de la criminalité sont partout identiques. La situation se complique plutôt de la présence plus ou moins efficace du pouvoir judiciaire royal. La zone de diffusion des lettres de rémission utilisées pour cette enquête en montre bien l’impact : nous sommes pour l’essentiel au nord du royaume, dans une société à Etat. L’apport de l’ethnologie, friande de sociétés « primitives » sans Etat, ne peut pas être négligé. Son outillage conceptuel est suggestif et opérant. Mais il risque, dans le cas qui nous occupe, de se révéler insuffisant. On peut donc prétendre, avec ce morceau du royaume de France, bénéficier d’un terrain neuf quoique bâtard, esquisser des comparaisons, vérifier d’éventuels clivages. En fait, la complexité de ces nuances ne doit pas cacher l’essentiel : par une superbe indifférence au milieu géographique, il existe dans le royaume de France, à la fin du Moyen Age, une sorte d’uniformité du paysage criminel.

AUX FRONTIÈRES DU ROYAUME 15

A lire les plaidoiries du Parlement, les textes législatifs ou narratifs, les frontières du royaume sont les lieux privilégiés du crime. En 1390, un procès oppose le sire de Jeumont au sire Danie, tous les deux chevaliers ; ce dernier argue de ce que son adversaire « demeure sur la fin du royaume, pres de Henaut, et dit que l’en y a a faire a plusieurs gens dehors le royaume et par ce il est aucune foiz necessité que l’en y procede par voie de fait »34. Cette « voie de fait » est liée à la frontière35. La violence y paralyse le déroulement de la vie ordinaire : règlements de comptes et pillages entravent la paix des marchands et la prospérité des bourgeois. Le 16 octobre 1412, il est décidé de procéder au transfert de l’atelier monétaire de Sainte-Menehould, « petite ville peu peuplee et povrement fermee de paliz de bois, es extremités de nostre royaume ou chevauchent et courent de jour en jour plusieurs coureurs, haulsardz et autres pilleurs et robeurs dont les bons marchans et autres noz subgetz ont esté et sont de jour en jour raençonnez, pillez et robbez »36. Comme l’avantage est donné à l’atelier de Châlons-sur-Marne, elle-même ville frontalière mais proche de la Bourgogne, les motifs sont sûrement plus politiques que ne le suggère le texte. Reste l’évocation des risques frontaliers quand la défense est insuffisante. En août 1416, sous la plume de Clément de Fauquembergue, ils prennent le visage des bannis venus « soudainement du païz de Thierache et devers Reims et de Picardie » pousser leurs incursions jusqu’à Paris37. Des scènes comparables se répètent au sud du royaume. En 1388, d’après Froissart, il y avait « sur les frontieres de Toulouse et de Rabastens plusieurs compagnons aventureux qui estoient tous issus de Lourdes et de Castelculier et faisoient la guerre pour les Anglais... »38.

16

La description passe facilement des risques de la frontière à l’énervement viscéral de ses habitants. Les témoignages sont sur ce point abondants. A Douai, parce que la ville

286

est « assise es extremités du royaume », il y a « gens hastiz et acoustumez d’aler par voye de fait » ; à Tournai, les prévôts et les jurés de la ville ne cessent de dénoncer le nombre des « gens riotteux et noiseux » qui y logent tandis qu’aux confins de la Navarre, la frontière est appelée « frontera de los malhechores » 39. Prompts à dégainer, les habitants sont aussi les victimes d’innombrables pillages, tandis que flambent les guerres privées entre châteaux rivaux. Le dossier relatif aux actions du duc de Lorraine et de ses comparses, à la fin du XIVe siècle et au début du XVe siècle, peut donner une idée de ces incursions. Le duc finit, le 1er août 1412, par être accusé de « grands et enormes crimes et delits » et à être condamné au bannissement et à la confiscation de ses biens40. Les lettres de rémission, qui scandent les procès, font état, aussi bien en 1367 qu’en 1390, en 1397 puis en février 1413, de toutes les formes de razzias : les coffres des bourgeois sont vidés, le bétail enlevé et les habitants rançonnés sous peine de subir de sérieuses représailles41. Face aux prétentions ducales, la riposte des officiers royaux emprunte les mêmes voies. La lettre de rémission de décembre 1397 raconte comment les prévôts de Coissy et de Passavant, pour affirmer la garde du roi sur la ville de Viomenil, ont, par les armes, « pris plusieurs hommes avec les bestiaux d’icelle ville et les menez et mis la ou il leur pleust dont il se feist cry et hahay en ladicte ville et environ comme il est accoustumé de faire au païs qui souvent s’y font pour ce que c’est es marches de Lorraine et es extremitez de Bourgongne et d’Alemagne » 42. La frontière est représentée comme une zone de turbulence qui privilégie le crime. 17

Ces discours sont-ils confortés par la réalité ? Le bailliage de Vermandois semble effectivement constituer un lieu préférentiel de la grâce royale puisque, pendant le règne de Charles VI, il reçoit près de 14 % des lettres de rémission émises par la Chancellerie43. Avec environ 10 % de cas, le bailliage d’Amiens suit de près. Ces résultats sont d’une interprétation délicate puisqu’au même moment le nombre des crimes dans la prévôté de Paris atteint aussi un peu plus de 10 % des cas. D’autre part, quand, sous le règne de Charles VII, la grâce est délivrée par la double Chancellerie, une distorsion s’établit entre la Chancellerie du Palais qui émet 15 % de ses lettres de rémission en faveur du bailliage du Vermandois et la Chancellerie royale pour laquelle cette proportion tombe à 3 %. Incontestablement, la signification politique de la lettre de rémission, et en particulier la proximité géographique des institutions judiciaires, fausse l’analyse44.

18

La nature de l’acte de grâce et sa facilité pour le requérir ne sont pas seules responsables de la disparité des résultats. Le nombre de lettres émises pour les bailliages de Chaumont, de Vitry et de Tournai est faible, or ces bailliages frontaliers ne sont pas lointains. Entre 1380 et 1422, ils ne reçoivent chacun que 2 % des lettres émises. Ces pourcentages restent identiques pendant le règne de Charles VII en ce qui concerne la Chancellerie du Palais. Ces chiffres baissent encore quand il s’agit des sénéchaussées limitrophes de la frontière méridionale puisqu’ils ne dépassent pas 1 % pour celles de Beaucaire, de Carcassonne et de Bigorre. Au contraire, la proportion des sénéchaussées frontalières méridionales augmente dans les lettres émises par la Chancellerie royale centrée en Val de Loire sous Charles VII, puisqu’elle peut atteindre 4 %, tandis qu’elle devient nulle dans celles qui sont émises par la Chancellerie du Palais. Vers 1450, la Chancellerie royale, la plus proche du corps du souverain au sens géographique, mais aussi la plus « centrale » du royaume, émet pour les bailliages et sénéchaussées frontaliers un nombre de lettres relativement équilibré entre le nord et le sud du royaume, nombre qui oscille entre 1 % et 4 %. Cette fréquence est celle qui semble être « normale » pour les circonscriptions frontalières, et elle ne les démarque

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guère du reste du royaume. Les cas particuliers de l’Amiénois et du Vermandois posent donc un problème délicat à résoudre qui ne s’explique sans doute pas seulement par la proximité du souverain. Entrent peut-être en ligne de compte l’ancienneté des structures judiciaires, la taille et la densité de population dans les deux bailliages, et l’enracinement de la violence dans une tradition de guerre privée. 19

Revenons au règne de Charles VI, et comparons les résultats obtenus dans les bailliages du nord et du nord-est du royaume. La faible criminalité remise dans les bailliages de Chaumont, Vitry et Tournai, ne peut qu’être nuancée. A Tournai, les privilèges dont se targue la ville au Parlement ont sans doute joué leur rôle. Le prévôt et les jurés contestent le droit du roi à donner des lettres de rémission. Ils arguent justement de la position frontalière de la ville pour procéder à une justice coercitive et expéditive, en particulier en cas d’homicide. La première nécessité est d’y faire « fortes loys » 45. L’une d’entre elles régit l’homicide qui doit être ipso facto puni de la mort ou du bannissement. Cette loi a pour but de garantir la paix et, inscrite dans les privilèges de la ville, elle a été plusieurs fois confirmée par le roi 46. Sur quels critères s’opère le choix entre le bannissement et la peine de mort ? Ils se réfèrent aux preuves qui sont réunies à l’encontre du suspect, mais aussi à la nature de l’homicide. Sans employer le mot assassinat, le vocabulaire distingue, à Tournai, le « meurtre » et l’« homicide » d’une façon qui semble plus nette qu’ailleurs, tandis que le « beau fait » s’oppose au « vilain cas »47. Le premier est une réponse à l’honneur blessé dans un processus normal de défi qui éclate aux yeux de tous, le second tient au secret de l’action, supposant le coup bas et la préméditation. En février 1417, les arguments de la ville permettent de saisir selon quels critères se fait la différence. Quand un meurtre ou homicide a eu lieu sans que son auteur puisse être identifié, il faut le faire savoir publiquement à la « Breteque ». Celui qui l’a commis doit venir le dire dans les trois jours, sinon le cas est réputé « vilain » 48. La différence entre les deux cas tient au respect des lois tacites de la vengeance dont les lois écrites de la ville sont les garantes. Aux frontières, leur respect est exacerbé. Le nombre des rémissions découle, non seulement du nombre des crimes, mais de la dureté des jugements locaux.

20

Malgré ces restrictions, les lettres de rémission accordées au bailliage de Tournai, compte tenu de son étendue et de son peuplement, sont proportionnellement en nombre plus élevé que celles des bailliages de Vitry et de Chaumont pour la même époque. Les relations privilégiées des habitants de la ville avec le roi ont sans doute joué un rôle. De quel poids pèsent aussi les interventions que suscite la guerre civile ? Au moins à partir de 1410, les deux clans ont opéré leurs clivages et les procès au Parlement entre les décisions prises par l’évêque pro-bourguignon et les jurés cachent souvent un antagonisme politique49. Dans ces conditions, la rémission vient « étayer » la force du sentiment national. La lettre de rémission comme l’appellation au Parlement donnent la mesure des liens qui attachent les habitants au royaume. Les ducs de Lorraine ne se privent pas de reprocher à ceux qui leur résistent de « toujours avoir une appellation a la bouche », tandis qu’ils tentent de définir, en même temps que la frontière, les lieux où ils peuvent octroyer la grâce ducale 50. Il convient cependant de ne pas être dupe de la fréquence des crimes. Parce qu’elle est un enjeu politique, la rémission peut s’aviver aux frontières. Révèle-telle pour autant des crimes spécifiques ?

21

La répartition des délits dans l’ensemble de la région située au nord du royaume montre une supériorité du nombre des homicides remis sur la moyenne calculée pour l’ensemble du royaume : on passe de 57 % à 65 % des cas. Le taux des homicides dans les

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bailliages frontaliers de Vermandois et d’Amiens confirme leur caractère élevé puisque ceux-ci atteignent 68 % dans chacun de ces bailliages51. La fréquence des lettres de rémission accompagne celle de la violence du sang qui coule. En revanche, le pillage y est extrêmement rare puisqu’il atteint seulement 1 % des cas, qu’il s’agisse du crime proprement dit ou des antécédents du crime. Le viol collectif s’avère aussi moins fréquent que dans l’ensemble du royaume. Les crimes remis dans les bailliages de Chaumont et de Vitry ont un profil comparable puisque les homicides remis atteignent 66 % des cas et les pillages sont absents du résultat du sondage. Ces remarques incitent à penser que la « voie de fait » n’est peut-être pas totalement imaginaire et que, en tout cas, elle donne lieu à une répression sévère qui incite les coupables à requérir la rémission. Les lettres du bailliage de Tournai qui concernent dans 85 % des cas un homicide, confirment cette analyse et laissent supposer que la sévérité du prévôt et des jurés n’est pas seulement un argument de prétoire avancé au Parlement de Paris pour conserver des privilèges. 22

Sans entrer dans le détail de cette violence, il convient de constater qu’elle concerne surtout des homicides précédés d’injures et de blessures, voire d’homicides antérieurs. Elle a aussi comme antécédent la rupture d’asseurement, signe de haines recuites et mal pacifiées. Il existe bien là, plus que dans l’ensemble du royaume, une violence en chaîne qui inscrit l’homicide dans le rouage des guerres privées 52. Il est d’ailleurs significatif que Jean Le Coq retienne, parmi ses quaestiones, des exemples de crimes commis aux frontières pour illustrer l’interdiction des guerres privées pendant les guerres et les trêves décidées par le roi53. La spécificité relative de ces crimes en Vermandois et en Amiénois permet de mieux comprendre la fréquence des rémissions qui sont accordées dans ces deux bailliages. La turbulence existe, or elle est vitale dans cette région de contact avec la Flandre. Toute expédition, même privée, peut prendre rapidement le visage de la subversion54.

23

Le profil des criminels découle de ces constatations. Ce sont moins des bannis que des autochtones, nobles ou non-nobles, engagés dans un cycle de violence individuelle plus que collective. La plus grande partie des reponsables d’homicides dans ces bailliages frontaliers du Nord agissent seuls et se trouvent insérés dans les formes normales de la sociabilité qui engendrent l’amitié et la haine55. Les professionnels du crime et les bannis peuvent exister, ils sont rares. Au mieux, ce sont des bâtards ; le sire de Beaufort plaidant sa cause à la suite d’une « guerre » organisée en 1401 pour enlever la fille d’un écuyer, affirme, face à ses détracteurs qui l’accusaient d’avoir entraîné des bannis, « qu’il n’avoit en sa compaignie aucun banny mais en y avoit un bastard » 56. Pour leur défense, les nobles réfutent d’ailleurs systématiquement la présence de frontaliers engagés comme tueurs à gages. Le prieur de Saint-Blin, en Champagne, accusé d’avoir employé « un larron murtrier nommé Simon de la Marche, demourant hors ou sur les mettes du royaume qui vint avec un sien filz bastart » pour faire tuer Gros Meunier, riche homme représentant la commmunauté des habitants, rétorque que « lui qui est noble et grant seigneur eust jamais mandé estranger pour ce faire mais eust prins aucuns de ses propres variez et serviteurs »57.

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La part négligeable des pillages et des viols collectifs, le profil des criminels qui agissent moins en groupe qu’en raison d’une vengeance individuelle invitent à nuancer ce que les plaidoiries laissent imaginer de bandes rivales en mal de razzia. Elles existent, mais leur action est limitée et il faut la placer aussi bien dans le temps que dans l’espace. La terre de Rethel, par exemple, est un enjeu des ambitions affrontées des Armagnacs et

289

des Bourguignons ; quant aux épisodes frontaliers qui opposent le duc de Lorraine et ses alliés aux officiers du roi, même s’ils sont « structurels » puisqu’ils tiennent aux enclaves de la frontière, ils entrent aussi dans les enjeux de la guerre civile. L’envoi de Jean de Montaigu en 1406 aux côtés de l’amiral de France et à la tête de 3 000 hommes d’armes n’a rien d’innocent au moment où le duc d’Orléans pousse la pointe de son domaine vers l’est58. Pillages et razzias ont bien eu lieu, mais de façon sans doute plus sporadique et intermittente que ne le laisse supposer la description narrative de la violence aux frontières. Quant aux crimes commis contre les officiers, ils sont moins nombreux que dans l’ensemble du royaume. Les procès et les lettres de rémission accordées aux ducs de Lorraine contiennent des crimes exceptionnels qui ne peuvent pas être généralisés. Pour l’essentiel, les documents de la justice légale, aux confins de la frontière, privilégient la violence privée. 25

Une dernière forme d’analyse doit donc nous arrêter, celle des images qui véhiculent les crimes commis dans les bailliages frontaliers. On retrouve, dans la plaidoirie des avocats comme dans la description des crimes remis, les stéréotypes de la grande criminalité qui accompagnent la peur et la propagande. Pour nourrir sa défense, le prieur de Saint-Blin n’hésite pas à ajouter que le pays est en frontière et que « entour Saint-Belin a lieu dangereux ou repairent larrons et murtriers que on ne scet qui ilz sont et y ont esté trouvez murtriz souvent plusieurs gens »59. Cette adéquation concerne aussi bien le Nord et l’Est que l’Ouest et le Midi. Ici, les pillards ne se privent pas de « murtre les roncins, ravir femmes, ardoir maesons, et mont d’autres choses qui estoient un grant prejudice e dommage du roy, du royaume et des habitans » ; là, les criminels se conduisent « ut lenones publici conversantes ac insidiatores itinerum » commettant « plura nephandissima crimina »60. Pour quels motifs ces stéréotypes ont-ils contribué à construire une image de marque négative de la frontière ?

26

Le lien avec la propagande politique est clair. Il peut s’agir, comme nous l’avons vu, de défendre dans ces zones disputées des ambitions rivales. Encore une fois nous trouvons là un des thèmes utilisés dans la lutte des Armagnacs et des Bourguignons, comme dans la lutte entre la Navarre et l’Aragon61. Quant au pouvoir, qu’il soit celui du prince ou du roi, il se sert de ces « périls » plus ou moins imaginaires pour imposer une fiscalité en général mal acceptée par les populations frontalières et surtout pour matérialiser les lignes de séparation par des forteresses où sont imposés le guet et la garde. La sauvegarde royale y fait flotter les bannières fleurdelysées. Le discours politique joue un rôle dissuasif destiné à compenser les faiblesses d’une frontière peu étanche, aux forteresses discontinues et aux habitants soucieux de défendre en priorité leurs privilèges62. Le même discours sert à la nomination des baillis et sénéchaux : dans ces zones frontalières, ils doivent savoir manier l’épée plus que la loi, argument qui sert la noblesse chevaleresque et dont, par exemple, ne manque pas de se prévaloir, en 1415, le sire de Pesteil contre Guillaume Seignet63. Les théoriciens, engagés dans une analyse pratique des mesures nécessaires à la survie du royaume, conseillent de renforcer les frontières où sévissent le désordre de la justice et la cruauté de la tyrannie 64. La mise en défense est militaire et administrative et à la pointe doit se situer la noblesse. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les habitants ripostent par une relative insensibilité aux « perils eminents » qui leur sont ainsi avancés. Preuve de leur maturité politique, mais aussi du calme relatif qui règne sur les frontières, ils répondent en terme d’assemblées non réunies et de majorité non requise pour décider

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des actes d’autorité65. De combien pèseraient ces arguments si, réellement, les femmes, les enfants et le bétail menaçaient à tout moment d’être enlevés ? 27

Le jeu des relations entre les populations frontalières et le pouvoir s’avère plus subtil que ne le laisserait supposer une simple confrontation entre la réalité du crime et le mythe. Le pouvoir a besoin de rejeter sur les marges du royaume les fantasmes les plus énormes de la criminalité. L’idée de populations dangereuses, quasi mythiques, le long de la frontière n’est pas nouvelle. C’est une constante de la civilisation en construction, depuis le culte rendu à l’Artémis grecque jusqu’aux avancées pionnières du Far-West 66. Dès le VIIe siècle, à propos de la Flandre maritime, saint Ouen, dans sa Vita Eligii parle des « Barbari circa maris littora degentes » et il ajoute que, grâce à saint Eloi, « pars maxima trucis et barbari populi conversa est »67. La barbarie a la figure du paganisme et du crime. Le mythe perdure au XIe siècle pour désigner les habitants du diocèse de Tournai, et en particulier ceux de Ghistelles que les marais isolent du monde et où demeurent « genus hominum atrocitatem semper gestiens, ut vulgus Scytharum »68. Ces terres inconnues, embourbées au nord du royaume, montagneuses au sud, alimentent l'imagination et le racisme médiévaux. Le sang coule à leur contact et l’étranger qui commence au-delà dans ces zones amphibies, prend le visage de l'impureté. Ces images stéréotypées contribuent à la prise de conscience du royaume. Les mots et les institutions, essentiels pour bien saisir l’émergence de la notion de frontière, ont besoin de s’épaissir du sang versé.

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Quant aux populations, elles jouent de la protection qu’elles requièrent auprès du roi, face aux institutions coercitives dans lesquelles elles sont insérées. Quelle place reconnaître au crime, imaginaire ou réel, dans ces cris que poussent les frontaliers attaqués ? Dans une même association se trouvent réunis, à Neufchâteau, la peur du bourreau amené par le duc de Lorraine, la défense des panonceaux fleurdelysés de la sauvegarde royale, et la menace d’appellations devant le Parlement de Paris ; la justice colle au sentiment national de ces hommes qui « n’ont qu’un roi au cœur » 69. A Montaigu, sur la frontière occidentale, le nationalisme se nourrit de la même veine : sauvegarde royale et droit d’appel. Les serviteurs de Jean Harpedenne, face aux habitants insurgés, ont beau jeu de répondre que la garde « est garde de villains » et « qu’ilz ont la fleur de lis in parte posteriori dorsi et qu’il ne feraient rien pour le roy ne de leur appel »70. La justice conforte la paix, le sang injustement versé la tyrannie.

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L’image des crimes horribles accompagne bien la dilatation du royaume et le durcissement politique des frontières. A une résolution seigneuriale des conflits jusqu’alors limitée dans l’espace, s’est substituée une résolution que le pouvoir veut « nationale ». Le Parlement tente d’y pourvoir et les procès frontaliers y sont nombreux. Mais il faut, de façon concomitante, y ajouter les lettres de rémission dont la concentration géographique aux frontières du royaume, et particulièrement là, révèle les aspirations de l’Etat. De la même façon que les lois tacites de l’arbitrage fondent l’espace tribal ou tracent les limites de la seigneurie, celles qu’impose le roi par les effets de la justice légale, contribuent à définir l’espace du royaume. L’entreprise n’est pas facile quand la distance structurale entre les habitants s’est ainsi dilatée, mais elle tend justement à créer une communauté solidaire dont il convient de démontrer que la survie est incompatible avec le sang versé, et surtout la violence en chaîne. Plutôt que de révéler une réalité sociale, la rémission aux frontières fait du crime un instrument dans la construction de l’Etat.

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QUELLE CRIMINALITÉ URBAINE ? 30

Le cadre géographique retenu jusqu’à présent, région, bailliage, ou, pour des commodités de localisation, département actuel, ne tient pas compte d’une éventuelle opposition entre criminels ruraux et criminels urbains à une époque où, justement, la ville tend à se différencier de son plat pays. La question est de taille : elle consiste à savoir si la ville des derniers siècles du Moyen Age est déjà capable, comme à l’époque moderne, d’engendrer une violence spécifique. On sait l’importance des vols pour la criminalité urbaine de l’époque moderne ; dans le Paris du XVIII e siècle par exemple, les vols constituent 86,9 % des crimes jugés par le Châtelet contre 3,1 % pour les homicides et 1,6 % pour les crimes de mœurs71. Ces chiffres préfigurent déjà nettement ceux de la criminalité contemporaine où, pour l’agglomération parisienne, les vols constituent 99 % des délits alors qu’ils constituent seulement 32 % du total des crimes commis dans l’ensemble du pays.

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Toute étude de la criminalité dite urbaine bute sur l’impossibilité de distinguer de façon décisive, pendant tout le Moyen Age, l’agglomération urbaine de l’agglomération rurale. Certes, des études régionales permettent d’avoir une idée de la densité du réseau urbain. Ph. Contamine avance, « à titre d’hypothèse plausible », le chiffre d’un millier de villes dans le royaume de France des XIV e et XV e siècles, tandis que B. Chevalier en esquisse une hiérarchie72.

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Les lettres de rémission révèlent l’emploi d’un vocabulaire assez précis pour désigner les noms de lieux : le lieu du crime ne bénéficie d’aucune indication typologique autre que le nom de la localité dans un tiers des cas seulement. Mais les précisions typologiques ne font qu’ajouter à la confusion et confirment, s’il en était encore besoin, que le vocabulaire n’est pas un critère décisif pour définir la ville médiévale.

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En fait, la réalité de la ville fuit. Certes, dans 30 % des cas, le terme « ville » est précisé, et il l’emporte ainsi largement sur les autres mentions73. Mais il n’est pas sûr qu’il évoque une agglomération urbaine différente de celle du village. Certaines expressions, par exemple « ville champêtre », tentent d’expliciter la notion, mais elles sont rares. Le mot « ville » semble donc plutôt être employé comme une référence typologique commune dont le contenu n’est pas toujours désigné de façon rigoureuse ; l’emploi du vocabulaire peut alors se révéler flottant. Encore à la fin du règne de Louis XI, à quelques lignes d’intervalle, la même localité se voit qualifiée successivement de « village » puis de « ville » lors de la supplication de Jean Hergneu « demourant au villaige d’Andelain les La Faire sur Oize, contenant que le dit suppliant se partit de la maison de Jehan Mandate, tavernier en ladite ville d’Andelain... » 74. Tableau 11 : Typologie des lieux a) Lieu d’habitation du coupable de la victime

Lieux d’habitation

Coupable (en %) Victime (en %)

Ville

29,5

38,0

Village

LO

L0

Bourg

1,0

0,5

292

Paroisse

9,5

8,5

Localisation administrative

11,5

8,0

Localisation géographique

19,0

17,5

Plusieurs mentions

21,5

19,5

Autres

7,0

7,0

100

100

b) Lieu du crime

Lieux du crime

Fréquence (en %)

Ville

45,0

Village

2,0

Bourg

L0

Paroisse

6,0

Localisation administrative

6,0

Localisation géographique

12,0

Plusieurs mentions

18,5

Autres

9,5 100

La typologie des lieux d’habitation du coupable et de la victime, comme des lieux du crime respecte les indications du vocabulaire de la lettre de rémission. Les différents lieux sont ici représentés sans tenir compte des données inconnues qui sont respectivement de 38,5 % pour le lieu d’habitation du coupable, 59 % pour celui de la victime, et de 33,5 % pour le lieu du crime. Les tableaux donnent donc une idée de la formulation des lieux plus que de leur réalité et l’ambiguïté du mot « ville » reste entière. 34

Il s’agit là d’une dénomination commode plus que de la référence à un concept. Et, dans bien des cas, le mot « ville » ne recouvre que ce que nous appelons un gros village. Cette petite scène, en 1380, illustre la ruralité de l’habitat dit urbain. Deux hommes de la « ville » de Thillois, dans le bailliage de Reims, qui compte de nos jours un peu plus de deux cents habitants, boivent avec d’autres compagnons de la « ville » avant d’aller travailler dans les vignes alentour ; de retour vers midi, ils s’installent de nouveau à la taverne et vont quérir un autre compagnon qui refuse de les rejoindre, car il avait bu tout le jour avec des marchands de vin. Rien de plus normal dans ce pays de vignobles que ces activités liant tour à tour culture, commerce et sociabilité autour du seigneur vin, à condition de ne pas appliquer à la lettre l’appellation « ville ». En effet, une

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querelle s’ensuit, au cours de laquelle les compagnons se poursuivent à coups de bêche, instrument peu sophistiqué pour d’authentiques citadins75. 35

L’activité rurale d’un grand nombre d’habitants interdit aussi de séparer autant que le vocabulaire le suggère la ville de la campagne. Dans le bailliage de Saint-Pierre-leMoûtier, à Orval, bourgade qui compte aujourd’hui moins de 1500 habitants, deux voisins se disputent à propos de cochons de lait ; querelle fréquente en milieu rural où les pourceaux sont des objets de convoitise, commodes pour un vol, en raison de leur bon rapport mais aussi de leur faible taille. Au cours de la rémission, Orval est présentée comme une « ville » et l’un des protagonistes est tisserand 76. De telles constatations permettent bien de conclure à la persistance du mode de vie des campagnes dans le tissu urbain. Cette conclusion n’a rien d’original, mais oublier cet état de fait serait source d’anachronisme.

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Peut-on alors penser que l’on rencontre, dès les XIVe et XV e siècles, une criminalité urbaine spécifique ? La hiérarchie urbaine cartographiée par J. Le Goff à partir du nombre de couvents mendiants en 1330 aurait pu servir de point d’appui 77. Mais les lettres de rémission sont trop dispersées dans l’espace pour que les conclusions à partir d’un centre urbain soient quantitativement suggestives. On aurait certes pu utiliser les critères démographiques retenus par les sociologues et considérer comme villes les agglomérations qui comptent actuellement plus de 2000 habitants 78. Pour toutes les raisons évoquées précédemment, ce raisonnement a paru dangereux. Le chiffre semble inacceptable aux modernistes avant le XVIIIe siècle : à plus forte raison l’est-il pour les médiévistes !

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Faute de cerner la ville, il est possible de repérer un certain nombre de crimes qui lui sont spécifiques. Tel est le cas des vols à la tire : l’agilité de leurs auteurs les fait filer dans les rues, sans autre trace que la peur qu’ils sèment sur leur passage. Comme le bourgeois détroussé, l’historien en est pour ses frais, dans l’impossibilité de les traquer, et particulièrement l’historien des lettres de rémission. Si ces voleurs sont issus des bas-fonds, ils ne peuvent, une fois pris, s’offrir le luxe d’une grâce royale. Cette hypothèse mérite sans doute d’être nuancée. Les lettres témoignent de voleurs à la tire qui, sans être fortunés, sont dotés d’un lieu d’habitation et d’un métier, ou sont en passe d’en avoir un, tel ce jeune homme de Contrexeville déjà âgé de 26 ans, « poure varlet apprenti au mestier de charpentier »79.

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Certains descendent même de « bonne et notable lignee », ce qui prouve que tous ne sont pas des marginaux80. Néanmoins, la ville est certainement le lieu privilégié de ces voleurs experts. Elle partage ce monopole avec les routes, en particulier les routes de pèlerinages ; il faut simplement se résoudre à en ignorer le nombre. Cette petite criminalité échappe aux mailles des sources, comme elle échappe sans doute à celle de la justice. D’ailleurs comment repérer ces voleurs ? Ils n’hésitent pas à venir du plat pays pour s’adonner au sport fructueux du détroussage, à l’ombre de murs et de regards supposés anonymes. Un groupe d’une quinzaine de compagnons venus d’Amiens à Paris, soi-disant pour être « retenus souldiers » et gagner honnêtement leur vie dans les armes, n’attend pas la terre promise pour détrousser sur la route un marchand boucher menant paisiblement ses bœufs à Senlis 81. A côté de ces gaillards aux dents longues, ce petit « jeune homme » de 20 ans, demeurant à Estaires-sur-le-Lis et venu à Amiens pour ses affaires, est un parfait novice ! Ayant dépensé à la ville le peu d’argent qu’il avait apporté, il s’approche d’un groupe de badauds attroupés auprès d’un marchand de draps à la mode ; tirant son couteau, il coupe le mordant d’argent de

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la ceinture cloutée de son voisin, s’empresse de revendre son modeste butin à un orfèvre de la ville et se fait arrêter quelques jours plus tard 82. 39

Il ne faut pas imaginer pour autant que les rues des villes médiévales grouillent de voleurs à l’affût. La faiblesse du nombre des rémissions accordées pour des vols commis dans la rue interdit de souscrire totalement à cette hypothèse : 7 % seulement des vols contre 17 % des pillages ont la rue pour théâtre. Cette différence incite à penser que le vol s’adresse rarement au monde anonyme de la vie publique. La comparaison menée avec les homicides tend aux mêmes conclusions. Même en tenant compte des vols, nombreux, qui ont pu échapper à la justice, la disproportion avec les homicides, dont plus de la moitié se passent dans la rue, est trop forte pour ne pas être significative. Dans le cas des homicides, les criminels peuvent aussi se fondre dans la foule et disparaître. La rigueur souvent moindre des châtiments réservés aux voleurs par les juridictions urbaines laisse enfin à penser que ce crime n’obsédait encore ni les échevins ni les habitants83. Si la ville est, incontestablement, plus propice que la campagne au vol, ce crime est encore loin d’avoir pris, à la fin du Moyen Age, les dimensions du fléau que connaissent les agglomérations urbaines de la fin de l’époque moderne.

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Tout sépare le royaume de France de l’Espagne du XVIe siècle que parcourent des hordes de vagabonds, et où les villes se gonflent de bandes criminelles 84. Dans le royaume des deux derniers siècles du Moyen Age, au contraire, le crime rapproche le milieu rural du milieu urbain. Non seulement on y pratique les mêmes types de crime, mais encore les criminels y mélangent leurs origines. Ceux de la campagne, venus à la taverne ou à la foire de la ville proche, y rencontrent plus facilement le crime. Il ne s’agit pas de déracinement, de déséquilibre car la distance n’est pas longue et le séjour ne se prolonge guère : la « migration » fait, comme nous le verrons, partie d’un espace parfaitement dominé85. Le saut ne se fait pas dans l’inconnu, d’autant qu’on se retrouve entre gens venus du même village, en général dans la taverne habituelle et familière. Le vin coule entre voisins et compagnons qui engagent, au besoin, la partie de jeux. Voici, en 1406, le cas d’un ouvrier de bras du diocèse de Sens âgé de 22 ans au moment du crime ; il habite Les Chièvres, hameau actuel de Villeneuve-sur-Yonne, et s’en va « a la ville » de Marsangy distante de près de cinq kilomètres. Là, il boit à la taverne avec des voisins, environ seize personnes. Arrive alors un autre ouvrier de bras qui le menace et l’affaire se termine à la hache, trois mois plus tard 86. La « ville », en tant que telle, n’a pas secrété la haine. Celle-ci était déjà recuite et ne demandait qu’à éclater. Mais, par ses attraits, la ville conforte et prolonge les relations de sociabilité que tisse la campagne. Elle donne aux animosités loisir de s’exprimer jusqu’au drame. Peut-on parler d’une criminalité urbaine ? Oui, au regard du sang versé. Mais là n’est pas, pour l’historien de la violence, l’essentiel. La ville, dans ce cas, ne tisse pas les nœuds d’une sociabilité qui existait en dehors d’elle. Elle ne secrète pas la violence dont les ressorts lui échappent mais, en l’accueillant, elle en est le spectateur privilégié.

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Inversement, les habitants de la ville peuvent la fuir pour commettre leur meurtre. Ce jeune laboureur de bras sort de la « ville » de Dangu, dans le bailliage de Gisors, pour « soy esbatre aux champs »87. Si bien qu’il trouve un cheval et, sur le chemin du retour, n’hésite pas à s’en emparer. De façon assez courante, on préfère aussi se battre aux portes de la ville plutôt que dans ses murs. Il y a là sans doute le respect de la « paix » qui est censée régner et que garantissent les sergents, sans compter le souci de couvrir une fuite propice... Ces écuyers originaires de Saint-Sigismond ont à venger leur mère :

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ils rencontrent leur homme à la ville et l’entraînent au dehors, dans un clos de vigne où mort s’ensuit88. Quant à ce criminel, venu de Saint-Just jusqu’à Vernon, il sort aussi de la ville pour commettre son crime89. Peut-être pourrait-on suggérer que la ville contrôle une sorte d’arrière-pays du crime dont les limites ne doivent pas être loin de se calquer sur celles de l’approvisionnement, dans un rayon d’une quinzaine de kilomètres, bien connu des spécialistes de l’histoire urbaine. Le procès qui, en 1401, oppose le sire du Quesnoy, défendeur, aux prévôt et jurés de la ville de Tournai, demandeurs aux côtés du procureur du roi, décrit une série de crimes dont les protagonistes habitent à Tournai mais dont la résolution a lieu dans l’arrière-pays proche, là où peut se préparer la rencontre en vue de la vengeance 90. Des exemples comparables peuvent être pris à Lyon, à Amiens, ou à Orléans 91. Les crimes qui concernent des Rémois, soit comme coupables, soit comme victimes, montrent l’étendue de l’arrière-pays. Les « enfants de Ruffy » à la fin du XIII e siècle, puis les frères de Brienne au début du XIVe siècle, entretiennent une véritable guerre ouverte dont les points d’appui sont à l’intérieur de la ville, mais aussi dans l’arrière-pays hérissé par les châteaux que leur parenté tient jusqu’à la frontière d’Empire92. En 1412, le procès qui oppose le sire de Rosay à Olivier Scanvenelle énumère des lieux de pillages et de crimes qui couvrent la même aire d’influence93. Le chevalier, d’obédience armagnaque, habite Reims, et le parti adverse, défendu par l’avocat pro-bourguignon Philippe de Morvilliers, lui reproche des crimes qui l’ont conduit dans le Rethelois, à l’est, et jusqu’à Coucy, à l’ouest. Pour la défense, Jouvenel, argue que le chevalier n’est pas sorti des murs de la ville. On retrouve bien, dans ce débat qui oppose l’intérieur à l’extérieur, les références à la zone d’influence que peut avoir la ville de Reims en matière démographique, économique et surtout juridique94. Cette zone est aussi celle du crime qui contribue à épaissir les liens entre la ville et la campagne. 42

La mobilité des criminels, sur laquelle nous reviendrons, oblige donc à nuancer considérablement une éventuelle opposition, en matière de criminalité, entre la ville et la campagne. Le lieu du crime n’est pas obligatoirement celui de l’habitation. Mais ni l’instabilité ni la rencontre d’éléments inconnus ne sont en cause. Le crime se nourrit moins du déracinement que de la connaissance parfaite des lieux qui unissent la ville à la campagne. Ces « migrants » aux petits horizons traînent les lois de leur sociabilité à la semelle de leurs chaussures. Certes, il ne s’agit que de petites localités, mais nous le savons, les grandes métropoles sont rares. Encore une fois l’indifférence prime. Peu sensible aux frontières géographiques, la typologie criminelle semble bien l’être aussi, dans une large mesure, aux concentrations humaines. En conséquence, il n’est guère possible de dresser une carte du crime.

PARIS, CAPITALE DU CRIME ? 43

Parmi les lieux où se dessinent les contours déjà modernes de la ville, le cas parisien ne fait aucun doute. Pourtant, la criminalité parisienne des XIV e et XV e siècles est traditionnellement présentée, par sa nature et par la fréquence des crimes, comme un cas particulier de la criminalité urbaine médiévale. A en juger par le registre rédigé par le clerc criminel du Châtelet entre 1389 et 1392, les vols l’emportent sur les homicides puisque les crimes contre les biens atteignent jusqu’à 66 % des cas criminels recensés 95. Or, au même moment, d’autres grandes villes d’Occident, Oxford, Gand, Florence ou Sienne, connaissent un rapport différent entre les types de crimes et une supériorité

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très nette de l’homicide, dont le taux n’est jamais inférieur à 40 % et dépasse le plus souvent 50 % des cas criminels96. Pourquoi une telle distorsion ? Br. Geremek y voit la manifestation de marginaux qu’il associe étroitement à la criminalité 97. Dans une perspective assez proche, E. Cohen rend la crise responsable d’une évolution sensible au cours du XIVe siècle98. En effet, il existerait une nette opposition entre la criminalité parisienne de la première moitié du XIVe siècle qui resterait marquée par l’homicide, et celle de la seconde moitié qui privilégierait le vol. Sur quoi repose cette hypothèse ? Elle est fondée sur l’opposition qui existe entre les crimes recensés dans deux types de sources. Selon les recensements opérés par les justices seigneuriales jusqu’en 1350, les rixes-homicides, comme on l’a vu, l’emportent nettement sur les vols 99. En 1389-1392, d’après le Registre criminel du Châtelet, le rapport est inversé. Entre temps a sévi la crise. Cette analyse suggère plusieurs réflexions. 44

Les explications qui privilégient la crise insistent sur la pauvreté qu’elle engendre et sur le déracinement qu’elle provoque. Parmi les criminels recensés au Châtelet, 78 % d’entre eux ont migré au moins une fois, ce qui amplifie le malaise et facilite le vol. Le poids de la crise ne peut pas être nié. Tout le problème consiste à le lier de façon systématique à la criminalité. De ce point de vue, deux réflexions doivent au moins nous arrêter. La première concerne les migrations urbaines dont l’ampleur est reconnue par l’ensemble des historiens de la démographie 100. A Paris, il est très difficile de les saisir, mais les travaux de R. Cazelles et de J. Favier montrent l’importance de l’immigration dès le début du XIVe siècle et pendant toute la période considérée101. Quant au schéma de ces migrations, on sait qu’il peut compter des étapes intermédiaires qui sont assurées par des villes petites ou moyennes 102. Pour mesurer l’impact du déracinement dans la genèse du crime, il importerait de savoir si les criminels repérés au Châtelet ont une mobilité nettement différente de celle que connaît l’ensemble de la population parisienne. Environ 78 % des criminels recensés dans le Registre criminel du Châtelet ont migré au moins une fois. En termes quantitatifs, le nombre de criminels qui ont migré est proche de celui que connaît, au même moment, la population parisienne dans son ensemble. Or, tous les habitants parisiens ne sont ni des marginaux ni des criminels. La comparaison des profils permet de dire que les criminels du Châtelet répondent à la loi commune, et qu’il ne suffit pas d’être migrant pour être criminel. Lier criminalité, migration et marginalité peut donc paraître contestable. L’origine géographique des criminels répertoriés ne tranche pas non plus sur l’aire où Paris, traditionnellement, prélève ses habitants, qu’il s’agisse de la Normandie, de la Brie ou du Val de Loire103. D’autre part, certains d’entre eux ont conservé le point d’attache de leur lieu de naissance dont nous avons vu qu’il les enracinait encore dans la normalité104. Enfin, le temps extrêmement court passé par ceux qui résident à Paris et qui donnent leur temps de séjour dans la ville, ne les différencie pas de la population urbaine ordinaire : Périgueux connaît une instabilité comparable qui explique en partie « l’usure des familles » en milieu urbain 105. L’étude des campagnes environnantes montre qu’au gré des événements et de la conjoncture économique, ces migrants peuvent retourner dans leur village d’origine 106.

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La seconde réflexion tient aux lois qui régissent le comportement des populations dites marginales : est-il si différent de celui que respecte la population ordinaire ? Ne confondons pas la peur que peut manifester la population parisienne vis-à-vis d’immigrants qui tranchent par leur différence ou leur nombre, et la réalité. De part et d’autre l’incompréhension peut surgir, mais le déracinement des uns et la méfiance des

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autres ne font pas pour autant le lit de la criminalité. Les habitants de Pontoise, arrivés en force pour chercher refuge dans la ville en 1419, « estoient parmy Paris moult esbahiz a grant tropeaulx », mais, si le Bourgeois de Paris mentionne leur étonnement devant la vie chère, il ne signale aucune délinquance de leur part 107. Rappelons que le Bourgeois de Paris, à propos des craintes qui entourent l'arrivée des bohémiens, en 1427, se montre aussi très circonspect sur leur réputation de voleurs 108. Enfin, chaque fois que ce témoin parle des effets de la misère, il met en valeur la dégradation qui fait glisser une population ordinaire de couples souvent mariés avec enfants, dotés de maisons et assez aisés pour être touchés par les tailles, vers la marginalité. Celle-ci les conduit hors des murs et là, avec une autre vie qui les exclut de la ville, peut commencer le crime109. Ces remarques ne nient pas l’existence de bas-fonds parisiens que le Bourgeois de Paris peut avoir des raisons de vouloir ignorer. Dans la ville, les marginaux sont des mendiants éventuellement redoutés pour des crimes mythiques 110. Mais, force est bien de constater qu’aux yeux des lettrés, le danger vient du dehors plus que du dedans. Pillards et larrons peuvent menacer la ville de leurs incursions, tandis que les criminels parisiens sortent de Paris pour accomplir leur forfait dans les bois à proximité111. La différence avec les autres villes du royaume tient à l’extension de cet arrière-pays qui peut conduire jusqu’à Senlis, Meaux ou dans le pays chartrain. Mais, aux marges de la ville, et seulement là, commence l’inquiétude que suscite le crime. 46

Aux considérations qui font douter de la terreur que sèment les bas-fonds parisiens, s’ajoute le problème de la fiabilité du Registre criminel du Châtelet dont nous avons pu démontrer que sa rédaction répond davantage à des soucis politiques qu’au recensement de cas criminels exhaustifs112. A ce titre, les comparaisons menées avec les registres des seigneuries ecclésiastiques s’avèrent délicates, voire impossibles. L’exigence policière explique aussi que les criminels parisiens soient plus soigneusement traqués que dans d’autres métropoles, tandis, qu’à l’inverse, la présence de nombreux protecteurs peut faciliter la rémission. Ce sont autant de raisons pour faire sortir les crimes de l’ombre. Les prévôts qui se succèdent dans la ville, qu’il s’agisse de Jean de Folleville puis, à partir de 1401, de Guillaume de Tignonville, ont aussi, comme nous l’avons vu, un sens du devoir exacerbé. L’idéal judiciaire que Guillaume de Tignonville exprime dans les Ditz moraulx est clair. Aristote dit à Alexandre : « Nulz ne doit avoir honte de faire justice » et, interrogé sur ce « qui estoit de toutes les choses la plus prouffitable au monde », il répond : « le sort des mauvais » 113 . La lutte que le prévôt mène contre les clercs, et qui finalement contribuera à le perdre, n’est pas seulement le simple épisode d’un pouvoir laïc rival des offïcialités. Le but de ce pouvoir laïc est profondément religieux. Par les soins de la police parisienne, les bonnes moeurs se doivent d’être défendues contre une justice ecclésiastique trop laxiste. Les procès se succèdent qui opposent le prévôt à l’évêque de Paris et, en janvier 1406, Guillaume de Tignonville affirme que « les clercs delivrent les prisonniers trop legierement et ce sont ceulx qui font les maulx »114. On retrouve là les préoccupations qui sous-tendent la nécessité de la peine de mort et Paris semble bien, quantitativement, être un lieu privilégié où le gibet n’est pas seulement figuratif.

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Les textes théoriques font de la pureté de la capitale du royaume un thème de réflexion. De la même façon que le roi doit être exempt du vice et du crime, Paris, capitale du royaume, doit connaître une conduite exemplaire qui évite la contamination et trace la voie à suivre. La pureté physique et morale de la ville constitue « l’honneur du roi ». En juillet 1404, Jean Gerson construit en partie son discours Estote misericordes sur ce thème : « Que diront ses subgets, et non pas eulx seulement mais ses adversaires quant

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ils oyront et verront que on trouveroit plus grant seurté en ung bois et ung desert qu’on ne fait en la plus noble et ferme et grande cité de tout le royaulme de France ? » 115 . L’idée n’est pas réservée à la théorie politique ; elle justifie la pratique. Lorsqu’en mars 1403, le Conseil du roi entreprend une sorte de chasse aux usuriers parisiens qu’il confie à des enquêteurs, les raisons invoquées tiennent au rôle exemplaire de la ville, « siege souverain de la justice de nostredit royaume » en qui « ne doie estre aucune tache de reprehension maiz a la bonne police et au bon gouvernement d’icelle toutes les autres citez et villes de notre royaume dessus dit doivent prendre bon exemple » 116. Pour toutes ces raisons, la lutte contre les blasphémateurs se doit d’être plus efficace qu’ailleurs car Paris « est chief des villes et citez de nostredit royaume et ou nous faisons continuelment notre residence »117. Ces considérations ont sans doute stimulé l’action des sergents à cheval, et le nombre des coupables s’en est trouvé accru. A la fin du XVe siècle, l’exemple vient bien d’en haut et le Registre des écrous du Châtelet montre l’efficacité du service d’ordre : environ 15 % des criminels écroués au Châtelet ont été amenés par les sergents du guet118. Y a-t-il pour autant une criminalité parisienne spécifique ? 48

La série des lettres de rémission permet de placer la criminalité parisienne dans un ensemble plus vaste, celui du royaume. Au total, les rémissions relatives à la ville de Paris constituent environ 4 % des lettres émises pendant le règne de Charles VI. Or, parmi tous les crimes remis, la rixe-homicide vient largement en tête puisqu’elle constitue 51 % des cas, suivie par le vol qui atteint 23 % des cas. La place du vol est supérieure à celle qui a pu être établie, avec les mêmes sources, pour l’ensemble du royaume où elle ne dépasse pas 16 %, mais la répartition des crimes est loin d’être inversée119. Et, d’après les résultats obtenus par M. Bourin et B. Chevalier pour les « villes » des pays de la Loire moyenne, le cas parisien est loin d’être aberrant 120. Les crimes évoqués au Parlement, au même moment, confortent les données établies par les lettres de rémission. Ils montrent aussi la faible place du vol par rapport aux homicides. Quant aux registres de tribunaux seigneuriaux parisiens dont on sait que la tenue s’améliore au début du XVe siècle, ils confirment à cette date la nette prépondérance des rixes-homicides121. Enfin, en 1488-1489, les vols constituent 13 % des crimes évoqués tandis que les crimes apparentés à la rixe constituent 34 % des cas 122. Les résultats obtenus d’après le Registre criminel du Châtelet de 1389-1392, avec 66 % de vols, s’opposent donc à ceux que suggèrent toutes les autres sources.

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Les schémas criminels montrent aussi une grande différence. Le Registre criminel du Châtelet évoque une criminalité où dominent des professionnels et surtout des récidivistes123. Il leur convient de « gaignier », mot-clé de leurs dépositions, et cela dans les meilleurs délais et au plus facile. Certes, le Registre inclut des cas classiques de serviteurs, hommes ou femmes, ayant volé leur maître, ou de compagnons qui se volent ou se tuent entre eux parce que, originaires du même pays, ils se retrouvent, logés à la même auberge. Mais, en règle générale, la distance entre voleurs et volés s’est agrandie pour tendre à l’anonymat de coups indiqués par des comparses. La bande de Jean Le Brun en est un bon exemple124. Ces professionnels établissent un pont entre les deux métropoles du crime que sont Avignon et Paris125. D’autres liens les unissent aux hommes d’armes et, incontestablement, la guerre facilite leur errance 126. Quant aux homicides, ils peuvent être commis « d’aguet appensé » et ils s’apparentent alors à l’assassinat que facilite, sur place, l’existence d’une main-d’œuvre de tueurs à gages 127. Enfin, les criminels font preuve d’une certaine pauvreté, telle Gilette Le Large qui a volé un « vieil drap de linge bien usé qui ne valoit pas II f. lequel elle bailla a Jehanne Du

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Mesnil sa commere pour faire des drappeaux a son enfant » 128. La criminalité décrite par le Registre criminel du Châtelet sort bien, dans l’ensemble, des normes de la criminalité ordinaire. 50

En revanche, les autres sources plaident, à Paris, pour une criminalité dont le schéma est proche de celui que connaît par ailleurs le royaume. Tous les types de crimes y sont représentés. La ville a aussi ses fous et ses suicidés 129. Mais le « mal-être » n’est pas toujours le fruit du déracinement et le crime ne fermente pas dans un monde anonyme : il oppose des gens de connaissance, artisans d’un même métier, gens de la même rue, immigrés d’un même pays d’origine130. Lorsqu’en 1401, Marie Caudelle, nourrice du dauphin devenue veuve et lingère, se plaint d’avoir été violée par le prévôt de Hesdin qui l’a fait venir chez lui en lui promettant du travail, on pourrait croire à une déchéance de la misère131. La suite du procès montre que le violeur et sa victime se connaissent en fait de longue date. Marie Caudelle confie qu’elle est née à Hesdin et, pour sa défense, le prévôt prétend qu’elle « est de petite renommee et ainsi fu sa mere ». Les asseurements passés entre parisiens témoignent enfin de la proximité des liens qui unissent les protagonistes et qui risquent, un jour prochain, de les remettre face à face132.

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Le déroulement des homicides connaît, à Paris comme dans le reste du royaume, les phases d’une progression obligée. L’injure y précède le coup, et il n’est pas de bon ton, là comme ailleurs, de répliquer « arrogamment », de jeter le chaperon à terre ou de la boue au visage, de faire un crochepied à son voisin de taverne ou de « froisser » le verre qui aurait dû sceller une réconciliation133. L’ensemble de ces paroles et de ces gestes ne prennent leur sens que lorsqu’ils sont commis en public. Cela ne veut pas dire que n’importe quelle rue est le théâtre privilégié du crime. Les lieux où les protagonistes sont connus s’avèrent redoutables : rues, maisons, tavernes que hantent les voisins, les amis, les parents. Cette femme qui a tapé un homme du poing, aggrave l’injure en commettant son acte place de la Porte de Paris où elle habite ; cet homme supporte encore moins l’adultère quand il surprend sa femme avec son voisin 134. La rumeur qui naît de ces crimes commis entre gens de connaissance, suit les canaux traditionnels de la renommée et le crime peut dégénérer en scandale. L’affaire qui oppose Regnaut d’Azincourt à Jeanne, la belle épicière de la rue aux Oies, en est un exemple qui, en 1405, remue tout Paris. Le « beau Regnault » est allé avec des complices dans l’hôtel de Jeanne pour la « fiancer », sans son consentement ni celui de son père. Par sa nature, ce crime qui touche aux mœurs et aux valeurs les plus sacrées du mariage peut émouvoir l’opinion, d’autant plus que s’y ajoute une tentative d’alliance entre gens de condition sociale différente. Jean Du Bosc, alors greffier criminel du Parlement, fait état de cette émotion : « Ce cas advenu, l’esclande en fut grande en la ville de Paris et en vindrent les nouvelles au prevost, il en fut parlé au grant conseil et fut advisé que c’estoit une chose de mauvais exemple et commandé au prevost qu’il en feist justice et qu’il feist mettre ledit Regnault et ses complices en prison » 135. L’anonymat de la ville n’étouffe pas encore le scandale. Le colportage des bruits et la surveillance qu’assurent les voisins sont particulièrement efficaces136. De même, l’anonymat de la ville n’étouffe pas tout à fait le souvenir du crime. Ceux qui ont éventuellement trouvé refuge en milieu urbain pour blanchir leur réputation ont du mal à y échapper et, encore à la fin du XVe siècle, les injures peuvent s’enrichir du souvenir de méfaits que tout le monde connaît et que l’adversaire sait perfidement rappeler à bon escient 137. A Paris comme

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dans le reste du royaume, les yeux des autres, par le bruit et la renommée, servent de relais à la justice. 52

Affirmer que la criminalité parisienne a un profil rigoureusement « normal » serait cependant erroné et il convient de nuancer les remarques précédentes. Certains signes montrent les différences. Les rémissions accordées à des récidivistes pour vols sont, à Paris, plus nombreuses qu’ailleurs, et elles peuvent effectivement porter les marques de l’éloignement entre voleur et volé, ou celles d’une pauvreté liée au déracinement 138. Quant aux archives criminelles répressives, elles révèlent l’existence de voleurs à la tire, de petits professionnels que nous avons vus « butinant » l’argent des troncs à la glu, qu’ils cachent en vain au passage du guet139. Les viols déflorent une population de jeunes filles vierges d’un âge plus tendre que l’ensemble de celles qui peuvent être recensées dans l’ensemble du royaume, petites filles de moins de 10 ans livrées aux hommes par leur mère, leur parente ou leur voisine, ou encore victimes de sadiques que les autorités savent « incorrigibles »140. Enfin, des professionnels, mauvais garnements ou tueurs à gages, des associations de malfaiteurs, bandes de compagnons dont le nombre peut dépasser la vingtaine, agissent, hauts en couleur. Les voici qui, en septembre 1407 attaquent l’hôtel Saint-Ladre « par eschielement en grant assemblee et port d’armes et sauvegarde enfrainte »141. On les reconnaît à leurs signes distinctifs qui laissent présager de redoutables complots, l’association de « larrons qui avoient estas divers pour eulz entrecognoistre », prêts à « affoler le bourgeois ; certains se livrent publiquement au jeu et rejoignent « ceux de la pippee »142. Alors s’esquisse le portrait typique du mauvais garçon parisien tel celui-ci qui « ne scet point de mestier (...) a une fillette qu’il maintenoit, va de jour et de nuit parmi la ville de Paris, ront les huis des bonnes gens et entre dedens leurs maisons, boit es tavernes et ne paie riens (...) repaire souvent en la rue Chappon qui est rue dissolue, bat les bonnes gens » 143. Les relations que certains criminels établissent entre Paris et Avignon ne trompent pas et donnent bien, comme dans les cas évoqués par le Registre criminel du Châtelet, l’idée d’une criminalité « internationale »144.

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Quelle place accorder à ces professionnels du crime ? Il est impossible de répondre, mais il est évident que la ville de Paris, forte de ses « écoliers », des familiers des hôtels des princes, des prélats et des officiers du roi, secrète une turbulence de célibataires, tandis que dans les hôtels s’accumulent des richesses qui tranchent avec la pauvreté. Est-ce un hasard si les archives criminelles font état de rixes entre valets d’un même hôtel ou d’hôtels rivaux, de vols dans les coffres des grands ou à la table du roi ? Les voies de fait des valets de l’hôtel Savoisy, en janvier 1403, sont l’illustration de rixes entre familiers qui épousent la cause de leur maître145. Quant aux vols commis en 1406 par Jacques Binot et ses complices dans l’hôtel de la reine, ils déclenchent un scandale que fait mesurer l’ampleur des procès et de la répression qui conduit son auteur au gibet146. Néanmoins, ce Binot est loin d’être un déraciné ; s’il a réussi à monter une petite bande, il est aussi marié, et sa femme constitue son premier complice. Quant aux violeurs, ce sont des hommes mariés qui agissent pendant que leur femme est aux vêpres et ils peuvent avouer une profession très honorable147.

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Certes la ville peut secréter une main-d’œuvre criminelle, mais peut-on pour autant en conclure que tous les criminels sont des marginaux ? L’existence d’une criminalité ordinaire aux ressorts encore vifs interdit de le penser. La ville de Paris, soumise à un régime qui se veut exemplaire, ne présente pas le visage d’une criminalité qui tranche totalement sur celle que connaît le reste du royaume.

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PUBLIC ET PRIVÉ 55

La principale différenciation qui ressort de l’analyse de la criminalité aux XIV e et XV e siècles, est moins entre la ville et la campagne qu’entre les lieux privés que les murs protègent, maisons avec leurs étables et leurs granges, voire même tavernes, et les lieux publics ouverts à tous : rues, places, champs, bois. Le crime préfère les lieux ouverts : dans 36 % des cas seulement il est commis dans un lieu clos, soit autant que dans la seule rue148. Mais la différence est aussi qualitative. Dans les lieux clos s’accumulent, à l’abri des regards, soigneusement enserrés dans des coffres, les richesses de la famille ou de la communauté. Leur renfermement est à la fois une protection et la preuve d’une appartenance privée : c’est une des raisons pour laquelle les vols avec effraction sont sévèrement punis, si bien que les suppliants s’attachent à montrer que l’objet convoité était là, à portée de main, sur leur chemin. En 1411, cette servante du bailliage de Sens se défend d’avoir volé les pièces d’or au curé qui l’emploie, mais affirme les avoir trouvées car « elles n’étaient pas enfermees dans un coffre mais dans un sachet »149. L’argument est suffisant pour lui permettre d’obtenir rémission.

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En dépit de leur existence et de l’importance qui leur est donnée, les murs et les coffres demeurent perméables aux regards des proches ou des voisins. En effet, l’existence de ces richesses est connue de tous, à commencer par les futurs voleurs. Le vol n’est que rarement de hasard et il suppose, en fait, la connaissance parfaite des gens, des lieux et des choses. Ici, c’est une voisine qui prend dans la bourse de l’hôte avec qui elle vient de partager le boire et le manger ; là, c’est un jeune homme qui coupe la bourse du compagnon de chambrée avec qui il avait compté l’argent quelques heures auparavant ; là encore, c’est un serviteur indiscret qui dérobe à son maître les vêtements de fourrure et les pièces de monnaie qu’il était chargé de garder. Les exemples sont multiples, des jambons que l’on sait pendus au toit pour avoir entendu crier le cochon, aux objets précieux qu’on a vu mettre dans le coffre150 !

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Le voleur et le volé se connaissent donc, souvent de longue date, et le forfait est rarement commis par un étranger de passage. Cette promiscuité du criminel et de sa victime, sur laquelle il faudra souvent revenir dans cette étude, explique que la communauté des voisins repère rapidement le coupable. Lorsque Phelipot Gavelle, âgé de 20 ans et domicilié à Quesmy dans le bailliage de Senlis, pénètre dans la maison de Jean de La Rainière un soir de noces, il n’a aucun mal à s’emparer des draps de lit, à sauter par la fenêtre de derrière et à s’enfuir par les jardins pour les mettre à l’abri dans un coffre, chez son père : il connaît bien le chemin. Mais les voisins, alertés peu de temps après par une servante éperdue, n’ont aucune difficulté à retrouver le coupable. Accompagnés des sergents du seigneur qu’ils sont allés quérir, ils vont droit à l’hôtel du père, le fouillent et retrouvent immédiatement l’objet du délit, à défaut du voleur 151 ! La promiscuité du voleur et du volé n’est pas caractéristique des communautés rurales. On la retrouve en milieu urbain. A Paris, ce sont des serviteurs qui volent leurs maîtres sans vergogne. Certains grands criminels répertoriés dans le Registre criminel du Châtelet n’échappent pas à cette règle. Marion Du Val, chambrière, avoue avoir volé son maître, Hennequin Le Teinturier et la maîtresse qu’elle avait auparavant ; Colin de La Sale a pour spécialité de dérober les gens qui l’hébergent ; même la bande de Jean Le Brun a besoin sur place d’un couple de receleurs parisiens ayant pignon sur rue 152. Encore à la

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fin du XVe siècle, les crocheteurs anonymes de Paris peuvent être renseignés par la famille qui, éventuellement, participe au vol153. A Beauval, considérée dès le Moyen Age comme une « ville » du bailliage d’Amiens, laquelle compte aujourd’hui un peu plus de 2000 habitants, un dénommé Jean Du Candas réitère les vols « furtivement ou autrement que deuement »154. Il s’agit chaque fois de menus larcins, laines, blés, avoines, mais toujours répétés auprès « d’aucuns de ses voisins ou amis desquelz se confioit ». La « confiance » à laquelle s’oppose la « trahison » sont des mots clés qui caractérisent le champ étroit des relations que le crime perturbe 155. 58

Le tissu des liens comme la nature des objets volés montrent qu’il existe encore une réelle continuité des modes de vie entre la ville et la campagne. On ne pénètre dans la maison, y compris pour voler, que lorsqu’on la connaît à titre privé. Derrière les murs protecteurs se reconnaissent les mêmes délits, qu’il s’agisse du vol mais aussi des crimes de moeurs, des scènes conjugales, des viols individuels ou des infanticides. Tout ce qui touche au sexe et aux femmes tend à se refermer dans l’espace secret et familier. Cette chambrière, jeune jouvencelle de 17 ans, enceinte, se terre dans sa chambre, seule, pour affronter les douleurs de l’accouchement et la honte qui s’ensuit : « apres ce que par un jour elle ot supporté la douleur et paine d’enfanter se feust aler couchier en sa chambre (...) et en icelle nuit eust enfant et mis hors un enfant fils, apres lequel enfantement quant elle fu un pou allegee de sa douleur et d’icelle aventure estant tres courrouciee et dolente, toute despourveue de son sens et de sa force et en peril de mort »156. Finalement, l’enfant, sans soins, voire étouffé, meurt et le secret de la maison permet de le cacher deux jours encore. La jeune fille est découverte lorsque les ouvriers teinturiers trouvent le corps de l’enfant livré au grand jour, flottant sur la rivière. C’est là aussi, dans le retrait de la maison, que le désespéré choisit le plus sûrement de mourir, à l’abri des regards indiscrets. Lorsque Marion, femme de Jean de Fresnes, qui avait autrefois tenté sans succès de se noyer, veut en finir avec une vie qu’elle juge trop rude, elle rentre chez elle et pour entraîner sa fille dans la mort, monte jusqu’au grenier où elle « se enferma en sa ditte maison et appuya l’uis par dedens et apres ce, elle, garnie d’une corde et d’un cousteaulx, monta au dit solier auquel estoit sa ditte fille et tira la ditte eschele ; apres elle ferma l’uis du dit solier et dist a sa ditte fille qu’elle mengast sa pomme, ce que fist ycelle fille, et en ce faisant la ditte Marion attacha la ditte corde a une piece de marrieu c’est assavoir a l’une des poutres du dit solier »157. Les précautions prises sont suffisantes pour que la fille ait, sans bruit, la gorge tranchée ; mais l’épaisseur des murs n’étouffe pas les cris de la mère que les voisines viennent sauver de la pendaison avant qu’elle ne soit totalement étranglée. Précipitation d’autant plus compréhensible que l’espace domestique sacré, souillé par le corps du suicidé, devient, comme le montre J.Cl. Schmitt, maudit 158.

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Les crimes de la maison sont bien ceux d’une violence feutrée, celle qui touche aux secrets de la vie privée dont une récente synthèse a montré le champ clos 159. Les gestes de la rixe n’y ont guère leur place. Ils se manifestent, tout au plus, au seuil de la demeure. Alors qu’il dînait chez lui avec des amis, un suppliant se trouve dérangé par un indésirable qui avait déjà fait sauter la porte de la maison voisine. La scène qui les oppose est significative des lois de sociabilité qui doivent être suivies. Heurter violemment à l’huis sans raison apparaît comme une agression qui s’apparente à l’injure. Le geste de l’agresseur se fait « moult impetueusement et orgueilleusement » 160 . L’autre « qui estoit seigneur du dit hostel s’en issist a son huis pour savoir qu’il estoit en disant : “pourquoy hurtez vous a mon huis ? Se vous voulez aucune chose, dictes le moy doucement sans faire telle noise” ». Remarquons que, malgré sa fureur,

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l’attaquant n’a pas osé pénétrer dans la demeure ; cette réserve contraste avec la lourdeur des injures qu’il n’hésite pas à proférer : « Filz de putain, va hors et ys desciens » et les paroles se poursuivent « en faisant le vilain serment ». 60

La maison est, plus que les hommes, l’objet d’un respect quasi sacré. La taverne où seulement 9 % des crimes sont commis n’est pas loin de bénéficier du même statut. D’ailleurs, maison et taverne sont désignées par le même vocable, « l’hostel », sans doute parce que souvent, dans les villages, une simple maison débite les boissons et assure les rencontres. La taverne n’est pas le lieu idéal de la bagarre sanglante. Les altercations y sont fréquentes, mais elles restent, le plus souvent, de l’ordre de l’injure verbale ou gestuelle ; la querelle se vide, si possible, au dehors. Le tavemier s’emploie d’ailleurs à rappeler à l’ordre les belligérants : « Ha Yvon, Yvon, voulez-vous ceans faire murdre ? » crie l’aubergiste à l’un des compagnons qui a tiré son couteau et s’apprête à tuer161.

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De ce fait, les murs ont une fonction de protection symbolique. Toute atteinte à leur intégrité est perçue comme une infamie qui pèse lourd dans le jugement de valeur porté sur le responsable de l’infraction. En 1397, à Rosay, un suppliant qui, avec des compagnons, est coupable d’avoir tué après avoir rompu « l’uis d’icelle maison a tout un auge de bois qu’il trouverent empres de la ditte maison et abatirent le mur dessus », ne doit sa rémission qu’à la mauvaise réputation de sa victime, un nommé « Yvon Francois, estrangier, né du pais de Bretagne bretonnant, et estoit renommé d’avoir esté et estre rioteux, brigueux et de mauvaise vie et dissolue »162. Sans compter la « chaleur » et la « tentation de l’Ennemi » (tableau 12) !

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Le sang étranger ne doit pas couler et ne coule guère dans l’espace clos de l’« hostel » ; il est souillure du dedans. Partout la maison se referme aux corps venus troubler sa paix, comme protectrice et garante d’une intimité qu’il est, en soi, criminel de violer.

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Par opposition aux lieux privés et clos, les lieux publics et ouverts ont aussi leurs crimes spécifiques : la rue se prête, on l’a vu, aux bagarres sanglantes. Pour faire sortir de la maison celui qui s’y est réfugié, cet homme recourt à l’injure : « Ribaud paillard ys hors, je renye Dieu, tu n’oserois saillir hors et n’oseras assaillir un chat » 163 ! La provocation, où l’humour garde son droit, fait mouche et les deux hommes finissent dans la rue, lame contre lame « dont on voit saillir le feu ». Dans la rue on s’injurie, on s’y poursuit au couteau164. On y tombe, victime de l’accident dont la maison sait si bien protéger. Là, c’est la roue d’une charrette qui écrase, ou un cheval qui foule sa victime aux pieds ; ailleurs c’est une farce qui se termine mal165. Des pillards peuvent y commettre leurs méfaits ; venus de loin, souvent en bandes plus ou moins organisées, dans l’impatience de leur razzia, ils ne prennent guère le temps de pénétrer plus avant dans l’intimité des foyers. C’est là une distinction capitale entre le vol et le pillage.

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Quant aux terrains de jeux, ils sont le lieu privilégié des rixes : le rassemblement de protagonistes potentiels et la fougue des débats les favorisent. Le jeu dégénère en bagarre pour se terminer par mort d’homme, même si par nature, comme le jeu de dés, il n’est pas violent. Sinon, le jouet devient facilement l’arme du crime, comme cet arc que manient de « petis enfants » de 18 à 20 ans et dont ils n’hésitent pas à se servir autant que de leur couteau166. En général, le jeu est intimement mêlé à la taverne où celui qui a gagné ou perdu se doit de payer son écot. De là naissent palabres, injures, coups et blessures. Le cas de ce jeune homme du bailliage de Sens, critiqué pour ne pas avoir assez payé de vin après avoir joué à la paume, peut servir d’exemple. Il en vient aux mains pour se dégager de ses compagnons de jeux qui l’assaillent 167.

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N’imaginons pas cependant que ces crimes soient seulement le fait des rues ou des places de la ville et du village. Parmi les lieux ouverts, la nature cultivée connaît aussi ses crimes spécifiques ; elle est en particulier le lieu privilégié des viols, puisque 33 % des viols individuels et 42 % des viols collectifs y sont commis. Lorsqu’en 1409, un groupe de jeunes du bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier se précipite dans la maison de la servante du curé pour la violer, ils brisent les portes mais ils accomplissent leur forfait seulement après avoir traîné la malheureuse dans les vignes 168. La maison qui connaît un acte sexuel répréhensible, y compris en ville, a vite la réputation d’un « bordeau ». A Paris, en 1470, deux voisins ont les meilleurs rapports que scelle le vin bu ensemble, mais l’un d’entre eux, Oudart, a des visées sur la couturière qui vient travailler chez son ami. Le maître de maison en a l’intuition et l’avertit : « Avisez Oudart, je me fye en vous. Je suis petit compaignon et ne veul que honneur en ma maison »169.

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La distinction entre public et privé se double d’une seconde distinction qui oppose les lieux ouverts aux lieux clos. Les actes désordonnés, à plus forte raison quand il s’agit d’un groupe ou d’une foule, ont presque exclusivement l’espace ouvert comme domaine. Les murs abritent les agressions individuelles, le vol, mais aussi, comme nous l’avons vu, l’adultère, l’infanticide et en général le blasphème ; le viol individuel peut encore être commis là, caché, à égalité de cas avec celui que la nature cultivée accueille ; mais la furie des viols collectifs se déchaîne en plein air, du talus de la route au bord de la rivière. Le cas des viols collectifs rejoint, on le voit, dans les nuances qui le distinguent du viol individuel quant au lieu, la différence déjà perçue entre le vol et le pillage.

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A travers l’opposition public-privé, ouvert-fermé, ce sont des types de crimes qui se profilent, les uns repliés sur le secret familial et individuel, les autres poussés par la quête aventureuse d’un groupe ; encore reste-t-il à déterminer l’unicité des premiers et la cohérence des seconds. Contentons-nous d’affirmer dans un premier temps que le mélange des genres est difficile et que les murs sont le champ clos d’une vie privée âprement défendue et par là-même convoitée. Et, s’il existe par ailleurs des liens étroits entre cette vie privée et la vie collective, le comportement criminel interdit de les confondre totalement.

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L’opposition public-privé amène donc insensiblement à remarquer l’importance accordée aux biens, à ce qui est perçu comme une propriété. La nature cultivée est, comme la maison, un lieu de convoitise et par conséquent de vols : miel, chapons, pourceaux, gerbes de blé, mais aussi grasses bêtes à cornes peuvent y être enlevés par des voisins mal intentionnés. Certes, le nombre des cas est nettement inférieur à celui relevé pour les lieux clos puisqu’il s’agit seulement de 14 % des vols. Mais chaque fois le voleur ne se contente pas de s’emparer de biens qui ne lui appartiennent pas : il transgresse la limite de propriété voisine. Ici c’est celle d’une garenne où le garde assure, de nuit, la surveillance des voleurs qui peuvent y laisser leur vie ; là celle d’un vivier abritant des carpes, que le prévôt du lieu n’hésite pas à franchir pour être surpris comme un malfaiteur ordinaire170. Le mur, dans son épaisseur, marque bien la frontière théoriquement infranchissable, tout en symbolisant la vivacité du sentiment de propriété. Nous voici à Saint-Satur, dans le bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier, en 1382, à la veille de la Fête-Dieu. Les jeunes gens cueillent, de nuit, des roses pour en faire des chapeaux. Trois d’entre eux sont surpris par un propriétaire récalcitrant qui, connaissant la coutume, les guettait avec son valet : « et tantost que le dit Jehan de

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Lorme oy la frainte et les marchers dessus dis, il et son varlet issirent hors de son hostel et s’en alerent audit jardin et si tost que le dit Jehan de Lorme qui tenoit un godendart ou baston en sa main vit le dit Remon Le Moine sur le mur de sondit jardin, il le repoussa dudit mur a terre de l’autre part »171. Non content d’avoir repoussé les intrus, le propriétaire les poursuit ensuite à l’épée. Mal lui en prit car il y laissa la vie. Ce récit montre néanmoins que la bonne cause que pourrait constituer une fête religieuse n’atténue pas les effets d’un sentiment de propriété pointilleux. D’ailleurs, la connaissance de son bien ne passe pas obligatoirement par la limite visible du mur ou de la haie. Pierre Cantheleu, s’étant rendu aux champs « pour soy esbattre apres disner », trouve « un berger et garde des bestes blanches parmy ses avoines et autres labourages ». Il lui donne une sévère correction dont le berger meurt quelques jours plus tard. En plein mois de juillet, quand se situe cette scène, le dommage causé aux champs était certain ; ce n’est pourtant pas l’argument que met en avant notre laboureur : il s’indigne de ce que le berger se trouvait là « sans faire congié ne licence » 172 . Le même sens aigu de la propriété anime cet hôtelier de Château-Thierry devenu irrascible pour avoir entendu qu’un chapon de sa maison a été tué par ses voisins sans son autorisation173. L’effraction faite est aussi fortement ressentie que s’il s’agit de portes ou de fenêtres brisées. Lorsqu’à Vendôme, Macé Commeteau, laboureur de bras chargé de huit enfants, envoie sa jument et ses pourceaux paître et que les bêtes s’égarent, d’une façon qui n’est sans doute pas tout à fait fortuite, dans un pré appartenant au prieuré voisin, l’affaire prend l’allure d’une poursuite épique : l’un des religieux frappe durement la jument de son bâton et lâche ses chiens qui étranglent l’un des pourceaux ; les deux hommes échangent injures, coups de bâton et de couteau, si bien que mort s’ensuit en la personne du religieux174. Certes, les prés sont rares et chers à cette époque, mais on ne peut s’empêcher de penser que la transgression des limites de la propriété l’a emporté, une fois encore, sur le contenu du vol. 69

La notion de propriété existe bel et bien, dans le monde des paysans comme dans celui des seigneurs. La distinction entre les lieux clos et les lieux ouverts s’enracine donc dans une opposition vivace entre le privé et le public dont le crime se trouve être le révélateur.

NATURE SAUVAGE ET NATURE CULTIVÉE 70

Si la nature cultivée est ainsi le lieu de crimes ordinaires liés à la vie de société, peutêtre faut-il repousser dans le domaine des forces obscures de la nature sauvage le déchaînement de crimes dont l’horreur accompagnerait la fréquence ? Dès le Moyen Age, le mythe est installé d’une forêt dangereuse quasi spelunca latronum : l’image court, de Suger à Nicolas de Clamanges175.

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Le coup de hache ne marque-t-il pas les progrès de la civilisation et de la christianisation ? Mais le mythe survit aux progrès des essarteurs et aux bornes des paroisses. On le retrouve encore, intact, dans la peur qu’exprime cet écuyer de Saintonge, à la pensée qu’il doit affronter une longue route dans la forêt profonde : « mesmement que l’on doubtoit d’aler et venir par les dictes forests pour raison de plusieurs meurtriers et larrons qui y repairoient et repairent »176. A proximité du pays de Mélusine, la présence des routiers en zone frontalière a peut-être ravivé les peurs ancestrales. La nécessité de justifier d’un port d’armes interdit pour mener une expédition punitive a aussi incité notre suppliant à frapper l’imagination. Même si la

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réalité ne correspond pas parfaitement aux craintes invoquées, l’argument est encore capable de faire mouche en ce début du XVe siècle. Nous verrons que la guerre a sans doute ravivé le souvenir de ce monde hostile tandis que la crise, faute de bras pour entretenir les friches, en a dangereusement agrandi les lisières. Ces habitants de l’Orléanais se plaignent de leurs maisons détruites par les gens d’armes et de ce que les bêtes sauvages, viennent chaque année « gaster leurs biens et labourages » 177. 72

Ces cas reflètent un profond désarroi, mais ils sont extrêmement rares. Au même moment, des suppliants continuent de conduire sans crainte leurs bêtes à la forêt 178. Celle-ci peut aussi bien devenir le cadre heureux d’une existence champêtre, celle que, sous la plume de Philippe de Vitry, mène Gonthier, la hache sur l’épaule, aux côtés de la douce Hélène179. Et les fées, mais aussi la terrible Tarasque, sortent des eaux troubles des lacs et des fleuves plus souvent encore que des ombres feuillues. Qu’ont-elles d’ailleurs à craindre d’une forêt qu’elles ont contribué à apprivoiser 180 ? En ces deux derniers siècles du Moyen Age, dans le royaume de France, la forêt civilisée a fait reculer la « mythologie » et il faut aller jusque dans l’Empire pour trouver des forêts encore inquiétantes et fascinantes, propices aux exploits d’une aristocratie qui rêve du voyage en Prusse. Dans les milieux populaires, n’en déplaisent aux théologiens poussiéreux qui interrogent Jeanne d’Arc, la crainte des bois se résume au vieil arbre de Domrémy dont les habitants sont fiers de dire que, depuis longtemps, les fées n’y dansent plus. Les temps ont donc changé. En matière de crimes, la forêt aussi s’est amadouée. Quitte à les décevoir, les amateurs de sensationnel en seront donc pour leurs frais.

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Lorsque la fille de Jacques Caron, âgée de 12 à 13 ans, vient porter à manger à son père retrait en franchise dans l’église de Mesnil-lez-Dohem, elle n’a rien du Petit Chaperon rouge de la légende : son panier de victuailles à la main, elle marche sagement sur la route lorsque son agresseur l’entraîne dans le champ de blé voisin « pour faire sa volonté »181. Cet exemple est tout à fait significatif de la faible place qu’occupe la nature sauvage comme lieu du crime : 3 % seulement des délits y sont commis. Et, quand il est clairement indiqué que le crime a lieu dans le bois, encore faut-il s’interroger sur son caractère sauvage. Lorsqu’à la suite d’une rixe suivie de mort d’hommes, des compagnons quittent la ville de Villers-Faucon, ils trouvent refuge en un « bosquet » dont la lettre de rémission précise qu’il est « assez pres de la dite ville » 182. Leur cas n’a rien à voir avec celui de criminels en voie de marginalisation puisque, en retrait, ils continuent à garder des contacts avec le village proche. Il en est de même de ces compagnons attablés dans une taverne de la ville de Sainte-Mesme qui décident d’enlever une jeune femme venue de Paris en pèlerinage, et de l’entraîner dans un bois proche pour commettre leur forfait183.

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Quant à la forêt d’une nature que l’on peut déjà dire « sauvage », elle est loin d’être toujours dépeuplée et isolée. Les nouvelles réussissent à en percer les frondaisons. Ces bûcherons du bailliage de Senlis, occupés à leur ouvrage, ne manquent pas d’être informés du passage d’une « fillette qui sembloit etre ribaude et qu’il sembloit bon de l’avoir »184. Aussitôt dit aussitôt fait. Les bûcherons n’ont aucun mal à rejoindre le village et à s’emparer de la fillette. Ces familiers de la forêt profonde ne diffèrent guère de leurs contemporains ; ils n’y commettent pas leurs crimes. Comme la plupart de leurs contemporains, ils viennent à la « ville » proche et leur violence a la rue pour théâtre. En témoigne ce valet charbonnier originaire de Machy qui exerce son métier « honorablement » dans la forêt de Crécy-en-Ponthieu. Le crime qui le condamne est un

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vol qu’il commet à Abbeville, suivi d’un meurtre au cours d’une rixe dans les rues de la ville. Le schéma du crime est classique, autant que les solidarités familiales qu’il provoque ; le père du charbonnier, âgé de 76 ans, n’hésite pas à intervenir pour défendre son fils, intervention qu’il paie d’ailleurs d’une exécution capitale 185. Il n’y a ni marginal ni exclu dans cette affaire. 75

La frontière entre la nature cultivée et la nature sauvage est donc perméable car un incessant va-et-vient unit les deux mondes, signe qu’au moins à la fin du Moyen Age la main de l’homme s’est largement étendue. Aussi, quand par hasard le lieu du crime est réellement la forêt profonde et inquiétante, le récit de la lettre de rémission prend le souffle épique du merveilleux. Il peut s’agir de la chevauchée amoureuse d’un couple poursuivi, écho abâtardi de la passion de Tristan et Yseult ; ou encore de quelques brigands ayant trouvé refuge là, aux dépens des bonnes gens. Des comparses font le guet dans un bois de la région parisienne et y dérobent trois marchands de passage tandis que des convoyeurs de la monnaie du Pape se font détrousseurs de grand chemin186. Ces cas sont si rares qu’ils méritent de retenir l’attention, à condition de les considérer pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire extraordinaires.

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On pourrait penser que les sources de la justice répressive présentent des cas différents. Si un homme est trouvé mort dans le bois, deux réactions sont possibles. On cherche sa bourse pour savoir si des larrons ont pu commettre le crime 187. Mais le plus souvent, on s’interroge pour savoir qui est son « haineux »188. Dans cette seconde hypothèse, la communauté a vite fait de désigner le coupable : un des leurs qu’il est nécessaire de livrer à la vindicte de la justice légale, pour des raisons qui en partie nous échappent. Au début du XVe siècle, Lambert Chamot, boucher de Rougemont, est retrouvé mort dans la forêt de Quincey et Jean Camus est pendu pour ce crime 189. En effet, aussitôt ce meurtre connu, les habitants de Rougemont « publient que lediz Camus l’a tué » et le prévôt de Villeneuve-le-Roi, ayant fait l’information, « trouva que ledit Camus avoit haines et menaces contre ledit Charnot et que a un certain jour ledit Camus s’en aloit parmi la ville de Quincey disant a haulte voix que on le mescreoit de la mort dudit Charnot mais n’en estoit point coulpable ». Finalement le prévôt fait confesser le crime à Jehan Camus. Pour notre propos, peu importe la culpabilité de ce dernier. Ce procès permet de constater que le meurtre commis dans le bois ne crée pas toujours l’angoisse de l’inconnu ; tout dépend des besoins de dénonciation de la communauté des habitants. Le crime en forêt n’est donc pas complètement séparé des réseaux de sociabilité. Quant aux grands criminels recensés dans le Registre criminel du Châtelet ou dans les plaidoiries du Parlement, ils peuvent avoir commis leur crime dans le bois, ils ne sont pas pour autant des « brigands » qui en ont fait leur résidence et le point d’ancrage de leurs agissements criminels. L’affaire qui, en juin 1404, oppose Jamet Pichon à Pierre Du Vivier et au procureur du roi peut en donner une idée. Pichon est accusé d’avoir tué Aubry de Neffle et, pour cette raison, a été emprisonné par les officiers du duc d’Alençon pendant deux ans. Passé dans la juridiction de l’évêque, il réussit à s’échapper, fait un premier appel au Parlement dont il est débouté, retourne pendant cinq ans dans les prisons de l’évêque et finit par obtenir une lettre de rémission que le sergent refuse de recevoir, si bien qu’il est de nouveau emprisonné à Angers. De nouveau échappé de prison, il fait un second appel au Parlement 190. La plaidoirie que Jouvenel prononce contre lui permet de comprendre comment s’est passé le crime : Jamet Pichon s’est « acointé » d’Aubry de Neffle, lequel l’a logé dans sa maison, « lui fist beaucoup de biens » jusqu’à devenir son « compere ». Jouvenel montre alors comment, de cette familiarité, est né le crime pour lequel Pichon s’associe à deux

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comparses : « mais Pichon advisa que Aubry cousy en son gipon certaine finance et quant il se fut mis a chemin, Pichon, Morellet et Le Revorse l’espierent en la forest d’Orléans et la le tuerent et prindrent sa finance ». Les propos de Jouvenel rapportent, en fait, le témoignage des deux comparses qui ont été pris et condamnés à mort, l’un à Chartres, l’autre à Saumur. 77

De la même façon, les grands criminels du Châtelet peuvent opérer dans le bois, mais ils y vont davantage pour y accomplir un acte de vengeance que pour détrousser le marchand inconnu. Perrin Du Quesnoy se met aux aguets dans le bois de Saint-Gobain pour tuer celui qui a injurié son cousin, et le cri « A mort ! » qu’il pousse à sa venue signe la nature de son acte191. Quant à Pierre Foumet, chevaucheur du roi, il invente de toutes pièces une attaque qu’il aurait subie dans un bois situé entre Tours et Châtellerault pour s’excuser d’avoir perdu les lettres qu’il devait porter au duc de Berry et à Simon de Cramaud, son chancelier, à la mi-juillet 1390 192. Les juges du Châtelet, Jean de Folleville en tête, ne sont pas dupes ; Aleaume Cachemarée note leur scepticisme par cette formule : « dont il n’est pas a croire ». Certes, l’affaire qui concerne l’élection de Simon de Cramaud, alors évêque de Poitiers, à l’archevêché de Sens, n’est pas anodine. Il importe de comprendre pourquoi les lettres du roi, hostile à cette élection, ne sont pas arrivées à bon port à Poitiers, et les juges ont voulu en savoir davantage. Mais il est aussi probable que le récit du vol dans cette forêt profonde a, dès cette époque, un parfum d’imaginaire qui accroît le scepticisme des gens du Châtelet.

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L’accusé avait cependant bien monté son scénario : « en chevauchant son chemin, il et Jehannin de Monstereuil, chevaucheur du roy nostredit seigneur, en la compaignie de lui qui parle, furent assailliz par quatre compaignons qui les assaillirent en un bois qui est entre Tours et Chasteauleraut et descendi il qui depose a pié pour soy deffendre et lors s’enfouy son cheval ou bois. Et la survindrent pluseurs personnes, tant de cheval comme de pié, pour doubte desquelx ceulx qui les avoit assailliz ou volu assaillir s’enfouyrent et se bouterent dedens le bois. Et lors ledit de Monstereuil poursui et ala apres le cheval de lui qui deppose dedens le bois ; et ala il qui parle a pié l’espace de deux lieues ou environ avant ce que ledit de Monstereuil lui ramenast son cheval ; et quant ledit cheval lui fu ramené, vit et aperçut que ses bouges qui estoient sur ledit cheval quant il descendi n’y estoient pas, mais estoient perdues et demourees oudit bois, esquelles bouges il avoit mis les lettres closes qui se adreçoient a mons. le duc de Berry et a sondit chancelier et sy y avoit mis plusieurs choses qui furent perdues et n’osa retourner pour les querir pour doubte que il n’eust rencontré des larrons et mauvaises gens ». Dans la suite du procès, Pierre Fournet laisse supposer, peut-être pour créer une illusion supplémentaire de vérité, que ses détrousseurs étaient des hommes d’armes. Cette version se prête mieux à ce que nous savons de la réalité du crime. En fait, et le reste du procès le confirme, il n’y eut point d’attaque. Ce récit appartient à l’imaginaire du crime. A quelle tradition orale se rapporte-t-il ? Dans quel schéma des « histoires de crimes » s’inscrit-il ? Quel est en cette fin du XIV e siècle son degré de crédibilité ? Ces questions restent sans réponse, mais on peut affirmer que les « larrons » des bois continuent à faire partie des obsessions et que, utilisés par les autorités, ils peuvent aussi l’être, au besoin, par la population du royaume sans que les uns ou les autres soient dupes193.

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Le silence inquiétant de la nuit n’est pas non plus l’enveloppe privilégiée de la violence. Près de la moitié des crimes pour lesquels l’heure est précisée ont lieu de jour ou, à la rigueur, à la fin de la journée, au soir tombant, quand la lumière ne permet plus de

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discerner « entre chien et loup ». Mais, plus que l’ombre naissante, c’est l’énervement de la journée, l’accumulation du vin ou du jeu qui expliquent le phénomène. La rixe trouve alors un terrain propice194. Le cas de ces deux jeunes gens qui ont passé leur journée à s’ébattre à une noce où ils ont joué de « jeux honnestes » pour se retrouver dans une taverne à jouer aux dés, est significatif de la lourdeur des fins de soirée car, « quant ilz eurent beu ensemble paisiblement et l’escot fu assigné, ledit Sermoneur les ennorta de jouer aus dez pour l’escot et fist tant que ilz y jouerent jasoit ce que yceulx Jehan et Jehannin ne fussent mie ne soient coustumiers de y jouer » 195. On peut douter de leur innocence dans ce jeu interdit d’autant plus que, prétendant en être à leur coup d’essai, ils sont bons gagnants ; et, le soir, sur le chemin du retour éclate la dispute classique à propos de l’écot et du jeu, avec injures et rixe au cours de laquelle le dit Sermoneur est tué. Ailleurs, ce sont deux hommes qui se bagarrent sur le chemin, « a jour escloant »196. Il est vrai que la route est longue – environ 16 kilomètres – qui les ramène de la ville où ils sont allés pour leurs affaires et où ils ont copieusement bu. La vengeance est aussi un plat qui se mange de préférence au coucher du soleil. On attend son homme après le travail, au coin de la rue ou du buisson, armé d’épées et de bâtons197. 80

On peut certes penser que le silence qui entoure la nuit est encore un effet pervers de la rémission. Les crimes commis de nuit sont, en effet, sévèrement jugés. Mais écoutons les suppliants : ils redoutent de voyager, même dans leur propre village, une fois la nuit tombée. Tout se passe comme si les ordres royaux avaient rencontré l’adhésion de la population et conforté des données ancestrales. On hésite à commettre un crime de nuit, parce que ce n’est pas le temps de la vie. Appartenir à la nuit peut être dangereux pour la personnalité. La lune a pour effet de rendre lunatique, c’est-à-dire fou, quand on porte en soi cette lumière de la nuit jusqu’au coeur du jour. La population ordinaire, elle, sait parfaitement se régler sur la différence entre le jour et la nuit. Ainsi, l’ombre fait sans doute peur mais cela ne veut pas dire qu’elle favorise le crime. D’ailleurs l’ombre, prosaïquement, est souvent considérée comme un handicap plus que comme une alliée pour faciliter le crime. Ces deux frères qui rejoignent leur demeure se plaignent d’avoir injurié à tort un de leurs compagnons, car non seulement ils étaient surpris de vin, mais « on n’y voyait goutte »198. Les grands criminels n’échappent pas entièrement à cette loi et s’ils agissent parfois la nuit, ils peuvent aussi commettre leurs crimes de jour, ou entre « chien et loup »199.

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Les rues du royaume de France ne connaissent donc pas, dans leur ensemble, les bruits de capes et d’épées qui hantent les nuits vénitiennes200. L’homicide n’y connaît pas un paroxysme puisqu’il constitue 57 % seulement des délits qui y sont commis, contre 63 % de jour, et 73 % à la tombée de la nuit. Mais c’est dire aussi que les autres crimes ne recherchent pas systématiquement l’ombre. C’est à peine si les cambrioleurs préfèrent agir la nuit. Minuit, l’heure du crime ? La légende tombe d’elle-même, enracinée dans une tradition de peur collective. Un fauconnier se hasarde à préciser qu’il a commis son crime à minuit mais il ajoute, ce qui enlève tout le piment du risque et de l’inconnu, qu’il était un habitué de cette auberge où il dérobe timbale et menues pièces d’argent 201. L’absence repérée des voisins pendant le jour, en particulier à l’heure de la messe, est un moment jugé plus favorable que le soir pour pénétrer dans la demeure convoitée 202. Seuls les pillages ne s’embarrassent pas de telles contraintes. La nuit est leur domaine de prédilection, trois fois plus que pour les vols. Le vol et le pillage sont bien opposés. Dans le cas du vol, le criminel s’attaque à des gens connus dont il importe de suivre les habitudes et qui risquent, étant présents, de vous reconnaître ; dans le cas du pillage, il

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s’agit de surprendre une population que la tiédeur du lit a rendue sans défense. La nature du crime et l’origine des criminels expliquent la différence. 82

Quant aux passions de l’adultère ou du viol, elles ne s’enflamment pas avec la complicité de la nuit, sauf quand il s’agit de viols collectifs dont nous avons déjà vu à quel point ils se rapprochent des pillages. Cette jeune femme requise par un homme de plus de 50 ans de faire sa volonté, lasse de l’entendre la diffamer parce qu’elle se refusait à lui, le convoque en plein jour dans le bois voisin. Il n’hésite pas à s’y rendre, en dépit de l’heure, mais il trouve le mari et le frère au lieu du rendez-vous 203. Lorsqu’un écuyer, cousin de la famille, pénètre dans la maison pour commettre son viol, il ne se préoccupe pas de l’heure ; il s’assure seulement de l’absence de témoins. Un enfant, alerté par les cris de sa mère, joue les trouble-fête et le violeur s’enfuit 204. Les amours illégitimes ne prennent que rarement la nuit comme complice. En 1382, le petit village d’Essuiles, dans le bailliage de Senlis, est troublé, de jour comme de nuit, par les assiduités, éconduites mais répétées, d’un de ses habitants, pressé de passer à l’acte sans façon car « de sa voulente sanz ce qu’il eust eu paroles amoureuses a ladicte Jehanne ne lui monstré aucun signe d’amour, pluseurs foiz se soit efforciez de jour comme de nuit d’aler et entrer ou jardin d’iceux mariez et en leur maison contre leur gré et voulenté pour avoir compaignie charnele avec ladicte femme qui est bonne femme sanz estre reprouchee d’aucun pechié de corps »205. Tableau 12 : Les circonstances du crime a) Circonstances et moment du crime

Circonstances

Jour

Nuit

(en %) (en %)

Jour/Nuit (en %)

0 Inconnue

24,0

28,0

23,0

1 Boisson

8,0

5,0

15,0

2 Jeu

5,5

5,0

6,5

3 Guerre

2,5

3,0

3,0

4 Diable

9,0

11,5

3,0

5 Péché

11,0

6,0

9,0

6 Magie

1,0

0,0

1,0

7 Pauvreté

1,0

2,0

1,0

8 Colère

10,0

11,5

7,0

9 Plusieurs facteurs

17,0

20,0

19,0

10 Autres

11,0

8,0

12,5

100

100

100

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Le moment où a été commis le crime est réparti en trois catégories : jour, nuit, charnière du jour et de la nuit. Selon le moment où le crime est commis, les circonstances évoquées par le récit peuvent varier. Elles peuvent aussi se révéler complexes d’où la rubrique « plusieurs facteurs ». En fait, les profils des trois périodes ne présentent pas d’écarts très significatifs. A peine peut-on dire que le diable préfère la nuit et que le péché est commis de jour. Les effets de la boisson ont cependant presque doublé à la tombée du soir. b) Endroit du crime et intervention du diable

Endroit du crime Tentation de l’ennemi (en %) 0 Lieu inconnu

6,0

1 Maison

48,0

2 Taverne

1,5

3 Autres lieux clos 17,0 4 Rue

11,0

5 Nature cultivée

12,0

6 Nature sauvage

3,0

7 Terrain de jeux

0,0

8 Autres lieux

1,5 100

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Le diable ou « Ennemi » s’approprie la maison, les lieux clos, la nature cultivée. Il ne semble pas lié aux jeux et délaisse la nature sauvage. On peut supposer que la présence du diable est évoquée lors des vols. 83

Certes, l’épaisseur du noir peut être un moyen commode de masquer le crime, lorsque par exemple la jeune fille pour se débarrasser du corps de son enfant l’enterre maladroitement au fond du jardin206. Mais, même si la nuit peut accompagner le lugubre de la mort, il ne faut pas en exagérer l’impact psychologique. Le diable, ce maître des forces du mal, celui que les lettres de rémission appellent l’« Ennemi », ne choisit pas d’y mener particulièrement sa danse : 24 % des suppliants qui précisent le moment du crime et invoquent la tentation de l’« Ennemi » comme excuse, disent l’avoir subie de jour contre 17 % de nuit et 6 % à la tombée du jour. Point n’est besoin de préciser l’heure des crimes que ce pauvre Jean Du Candas commet à Beauval ; il suffit de montrer comment il est le jouet de l’« Ennemi »207.

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Une semblable indifférence à l’heure caractérise le recours à des pratiques magiques qui ont lieu aussi bien de jour comme de nuit. Quant à la notion de péché qui accompagne parfois le crime, elle est bien perçue comme un phénomène de conscience, c’est-à-dire un phénomène de jour et d’éveil : 53 % de ceux qui précisent l’heure du crime et invoquent un péché ont commis leur délit de jour, 30 % à la tombée de la nuit et 17 % seulement dans la complicité de la nuit.

85

La montée de la violence n’est pas la conséquence d’une angoisse insurmontable face à une nature mal maîtrisée. Le crime de la fin du Moyen Age n’est pas un déchaînement de forces obscures dans un monde en grande partie sauvage. C’est un fait de civilisation ou plutôt d’une civilisation, puisque le comportement criminel ne varie guère entre la ville et la campagne. Le crime a lieu partout où l’homme a pu et su marquer la nature de son empreinte.

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NOTES 1. E. COHEN, « Violence Control… », p. III, n. 2, donne les résultats du sondage qu’elle a opéré pour les registres JJ 141 et 142 ; 58 % des crimes pour homicide ont été remis. 2. On y distingue les crimes contre les personnes, les crimes contre les biens, les crimes contre la chose publique. Typologie décrite par J. M. BESSETTE, Sociologie du crime, p. 19-20, voir chapitre 2, p. 94 et suiv. 3. J. CHIFFOLEAU, Les justices du Pape…, p. 161-162. 4. N. CASTAN, Les criminels de Languedoc…, p. 287 et suiv. 5. Le cas de la Bretagne est explicite : les lettres de rémission émises par les ducs de Bretagne coïncident avec raffermissement de la chancellerie ducale, M. JONES, « The Chancery… », p. 681-728. La collection est assez incomplète puisqu’elle comprend seulement l’année 1407 (mars-juillet), Bl, fol. 5, 8, 10, 15, 22, 31, 33, et 1462-1468, B2-6, ces dernières séries étant discontinues. La série des lettres enregistrées pour l’année 1407 a été publiée avec le reste du registre Bl par R. BLANCHARD, Lettres et mandements…, t. 5 et 6. 6. Ch. DESHAINES, Etudes sur les registres des chartes de l’audience…, p. 329 et suiv. La criminalité de la principauté bourguignonne est esquissée par M. PINEAU, « Les lettres de rémission lilloises… », p. 231 et suiv. 7. R. MUCHEMBLED, Violence et Société…, p. 131-135. Les amendes échevinales d’Arras au XV e siècle confirment la prépondérance des violences « a sang courant et plaie ouverte ». 8. R. DES GODINS DE SOUHESMES, Etude sur la criminalité en Lorraine…, p. 152. 9. Cl. GAUVARD, « L’image du roi justicier… », p. 175. 10. La Chancellerie du Palais continue de donner préférence aux bailliages d’Amiens et de Vermandois, V. JULEROT, Recherches sur la vie publique et privée…, p. 62-102. 11. P. GUICHARD, Structures sociales…, p. 55-102. 12. J. GOODY, L’évolution de la famille…, p. 19-45. 13. Ibid., p. 56-57. 14. É. CLAVERIE et P. LAMAISON, L’impossible mariage…, p. 247-270. 15. En particulier les remarques sur les formes de « l’honneur méditerranéen », J. PITTRIVERS, Anthropologie de l’honneur…, p. 117-147. 16. Sur le rapport entre les structures de parenté et la défense de l’honneur dans le nord du royaume aux XIIe - XIIIe siècles, voir l’exemple de la seigneurie de Coucy, et en particulier d’Ade, vraie maîtresse des lieux et de sa progéniture au XIe siècle, puis de Thomas de Marie au XIIe siècle, D. BARTHÉLÉMY, Les deux âges…, p. 63 et 91 ; au XIII e siècle, la défense de la terre est devenue celle du lignage patrilinéaire, ibid., p. 366 et suiv. 17. Cit. supra, n. 3. 18. Ch. SAMARAN, La Gascogne…, p. 108-131. Les lettres de rémission s’arrêtent en 1418 pour reprendre en 1442. Y. DOSSAT, A. M. LEMASSON, Ph. WOLFF, Le Languedoc…, p. 265-367. Les lettres de rémission sont interrompues aux mêmes dates en Gascogne et en Rouergue. Cette interruption explique en partie l’effondrement de la courbe générale du nombre de lettres émises à cette époque, voir tableau 3, chapitre 2. 19. Entre 1380 et 1418, les crimes remis en Gascogne se répartissent ainsi : homicides 53,3 %, crimes politiques 20 %, crimes liés à la guerre 6,2 %, rupture de la parole donnée 5,4 %, viol 4 %, pillage 3 %, vol 1,5 %, crime professionnel 1,5 %, accident 0,7 %, adultère 0,6 %, autres 3,8 %. 20. JJ 120, 155, avril 1382, (bailliage de Rouen). 21. Le cas des habitants de CONDOM (sénéchaussée d’Agen) est significatif, JJ 130, 107, février 1387 ; JJ 136, 107, août 1389 ; JJ 160, 243, mai 1406 ; ibid., 268, mai 1406.

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22. Sur cette évolution des peines relatives au vol pour lequel apparaissent des circonstances atténuantes, M. MARÉCHAL et J. POUMARÈDE, « La répression des crimes… », p. 85. 23. Par exemple JJ 148, 144, août 1395, MONTAMAT (sénéchaussée de Toulouse) ; JJ 150, 192, septembre 1396, LARRESSINGLE (sénéchaussée d’Agen) ; JJ 152, 92, septembre 1397, LONGAGES (sénéchaussée de Carcassonne). 24. JJ 154, 301, juin 1399, TOURNAN (sénéchaussée de Toulouse). 25. 392 crimes sont remis en Languedoc entre 1380 et 1420 ; ils se répartissent ainsi : homicides 60,7 %, crimes politiques 12 %, vols 5 %, crimes liés à la guerre 4,5 %, pillages 3,4 %, crimes contre la parole donnée 3,1 %, crimes professionnels 2,4 %, adultères 2,3 %, accidents 1,8 %, viols 1,3 %. autres 3,5 %. 26. Certaines sont publiées dans, Histoire générale de Languedoc, t. 10, col. 1689, col. 1716, col. 1735, col. 1785, col. 1839, col. 1867. 27. Par exemple, JJ 147, 29, janvier 1394, CESSERAS (sénéchaussée de Carcassonne) : il s’agit du rapt de la fillette du sire de Cesseras. 28. Par exemple, JJ 144, 104, mai 1392 (sénéchaussée de Beaucaire). Il s’agit de la femme de Geoffroy Paulinier, avocat et conseiller en la sénéchaussée de Beaucaire qui, accusée d’adultère, avait été bannie. Pour certains adultères, la course imposée par la ville est mentionnée, JJ 152, 36, juillet 1397, LE FOUSSERET (sénéchaussée de Toulouse). 29. Pour un exemple de castration, JJ 144, 334, mars 1392, BAZILLAC (sénéchaussée de Bigorre). Autres cas où l’amant est tué par le mari, JJ 158, 400, juillet 1404, CEYSSAC (bailliage du Velay) : le meurtrier est un « laboureur » ; ibid., 450, juin 1404, LE PUY (sénéchaussée de Beaucaire et bailliage du Velay) : le meurtrier est un maçon ; JJ 166, 244, juillet 1412, TOULOUSE (sénéchaussée de Toulouse) : le meurtrier est un boulanger ; ou par le frère de la femme adultère, JJ 137, 60, décembre 1389, TOULOUSE (sénéchaussée de Toulouse). Sur le statut de la femme mariée et les sanctions unilatérales prises à l’encontre des infractions aux mœurs, J. M. CARBASSE, « La condition de la femme mariée… », p. 105-107. 30. JJ 140, 120, février 1391 (bailliage du Velay) : la victime est son cousin germain ; JJ 142, 71, février 1392, SAINT-PIERRE-DE-BARRE (bailliages du Valentinois et du Vivarais) : la victime est son frère. 31. Voir chapitre 13, n. 39. 32. Sur cet adultère « masculin », par exemple JJ 158, 307, mai 1404, CARCASSONNE (sénéchaussée de Carcassonne) : le coupable, sergent de la garnison de la ville, est emprisonné. Autre exemple JJ 164, 97, janvier 1410, VENTENAC (sénéchaussée de Carcassonne). Sur la particularité des coutumes de Carcassonne qui, sous l’influence du droit canonique, prescrivent une fidélité bilatérale, J. M. CARBASSE, op. cit. supra, n. 29, p. 106. Les lettres de rémission permettent de voir que ces coutumes spécifiques sont appliquées. 33. JJ 164, 101, janvier 1410, BÉZIERS (sénéchaussée de Béziers). 34. X 2a 12, fol. 83, avril 1390, JEUMONT. 35. X 2a 16, fol. 160v., février 1412, TOURNAI, « ubi nonnulli tam regnicole quant advene via facti procedere consueti frequenter », argument identique à DOUAI à la même date, X 2a 17, fol. 52, février 1412. 36. ORF, t. 10, p. 30. Le 13 décembre 1415, l’atelier de Mâcon est transféré à Lyon ; les motifs invoquent le désir de sécurité et la « mise en défense » de la ville, ibid., p. 417. Cette « guerre monétaire », qui a pour enjeu les ateliers de la frontière, est un des aspects de la guerre civile, et elle continue jusqu’en 1418, Journal d’un bourgeois de Paris, p. 75-77, et ORF, t. 10, p. 387, 418, 420, 506-508 et 512. 37. X la 1480, fol. 64v., août 1416. 38. J. FROISSART, Chroniques, livre III, paragr. 7. 39. X 2a 17, fol. 52, février 1412, DOUAI ; ibid., fol. 117v., décembre 1413, « pour ce que les habitans de ladicte ville de Tournay sont enclins a eux entrebatre et faire plusieurs deliz » ; ibid.,

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fol. 257v., février 1417, où la plaidoirie argue de ce que « Tournai est bonne ville situee en frontiere ou repairent gens estrangiers et noiseux ». Sur le cas navarrais, voir M. BERTHE, Famines et épidémies…, t. 1, p. 260. 40. X 2a 16, fol. 170-180v., 1er août 1412. Cet arrêt a été recopié de nombreuses fois dans les recueils composés au XVIIe siècle dans le but de déceler les droits respectifs du roi et du duc de Lorraine, BN Fr. 18 889 et 18 896. Les contemporains ont été frappés par la rigueur de la décision prise. Arrêt « moult notable » écrit le jour même Nicolas de Baye, X la 4789, fol. 319v. Le roi semble avoir voulu prendre des mesures pour en faire exécuter les clauses, X la 4789, fol. 319, 9 août 1412, et N. de BAYE, Journal, t. 2, p. 80-81. Mais quelques mois plus tard, grâce à l’appui du duc de Bourgogne, le duc de Lorraine obtient une rémission, JJ 167, 23, février 1413 (bailliages de Troyes, Chaumont et Vitry), et BN Fr. 18 896, fol. 124-132v. 41. BN Fr. 18 896, fol. 117-119v., septembre 1367 ; fol. 120-122, mars 1391 ; fol. 122v.-123v., décembre 1397. 42. BN Fr. 18 896, fol. 123. 43. Voir tableau 10, p. 250-251. Cette prépondérance est confirmée par les sondages effectués pendant le règne de Charles V où la proportion des crimes remis en Vermandois, soit 15 % des cas, l’emporte sur ceux qui concernent la prévôté de Paris avec 13 % des cas. 44. La comparaison porte sur JJ 181, 182, 183, 187, soit la période 1451-1455. Pour le bailliage d’Amiens, la différence est encore plus nette puisque la Chancellerie du Palais accorde à ce bailliage 42 % de ses lettres contre 7 % en moyenne pour la Chancellerie royale pendant la période considérée. Sur la signification de la présence du souverain, voir chapitre 2, p. 79 et supra, n. 10. 45. X 2a 17, fol. 257v., février 1417, TOURNAI. En avril 1417, les prévôts, face à l’évêque taxé de laxisme, arguent que « en ceste ville de Tournay a moult de gens riotteux et noiseux et pour ce y fault remedier et tenir la main », X 2a 17, fol. 169v. La peine de mort doit donc l’emporter sur la rémission, comme le disent les jurés de la ville, car « est necessité que la loy soit gardee attendue la frontiere », X 2a 14, fol. 94, décembre 1402. 46. Par exemple, X 2a 17, fol. 99, juillet 1413 : à Mathieu Carette qui veut faire une information contre le prévôt et les jurés de la ville de Tournai, ceux-ci répondent « que sa requeste ne lui sera pas faite et alleguent la coustume du pays de Toumay, toute notoire que quant aucun a murdri un autre le murdrisseur est es facto banniz et s’il veult alleguer corps defendant il se doit rendre prisonnier dedens trois jours ce qu’il ne fit pas et pour ce fut enregistré banni es registres de ladicte ville », et si ces lois n’étaient pas suivies, « ce seroit grant esclandre pour la ville et contre leurs privileges ». Même cas ibid., fol. 257v., février 1417. Sur les rapports privilégiés que le roi entretient avec la ville de Tournai, Cl. GAUVARD, « L’opinion publique aux confins des états… », p. 22-23. 47. Par exemple X 2a 10, fol. 149, septembre 1382, cité chap. 1, n. 12 ; X 2a 17, fol. 58v.-59, mai 1412, TOURNAI. Dans ce dernier cas, Jean Jouvenel argue de la difference entre l’homicide et la paix enfreinte. Sur la différence entre le meurtre et l’homicide, voir chapitre 18, p. 798 et suiv. 48. X 2a 17, fol. 259v., février 1417. Sur ce délai de trois jours, voir le cas cité supra, n. 46. 49. A partir de 1410, l’évêque de Tournai est Jean de Thoisy, conseiller du roi en 1413. De retour à Tournai après la disgrâce des Bourguignons, il joue un grand rôle dans les affaires de la ville, tout en restant un proche collaborateur de Jean sans Peur, Cl. GAUVARD, op. cit. supra, n. 46, p. 22, n. 66. Entre 1410 et 1423, date à laquelle la ville se dote d’un gouvernement des métiers favorable à Charles VII, les procès au Parlement ne sont pas de simples conflits de juridiction, par exemple X 2a 16, fol. 73, août 1410, et X 2a 17, fol. 268v., avril 1417, où le vocabulaire reprend celui de la guerre civile puisque, pour ne pas avoir puni un simple meurtre, « ce seroit engendrer contrevengemens, sedicions et debas ». 50. X 2a 16, fol. 174v., août 1412.

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51. Dans le bailliage de Vermandois, les crimes remis se répartissent ainsi : homicides 68 %, vols 14 %, pillages 1 %, viols collectifs 3 %, ruptures d’asseurement 5 %, blasphèmes 5 %, crimes politiques 1 %, autres 3 %. Pour le bailliage d’Amiens : homicides 68 %, vols 10 %, rupture d’asseurement 3 %, blasphèmes 2 %, crimes politiques 7 %, accidents 3 %, fautes professionnelles 2 %, autres 5 %. 52. Par exemple, en 1409, le seigneur du Quesnoy prétend avoir échappé à la mort et accuse Louis de Grantines, écuyer, d’avoir donné de l’argent à « aucuns banniz de notre royaume pour ce faire lesquelx ou aucuns d’eulx ont esté prins et ont confessé le cas et ont esté decapitez en Haynau ». Cette expédition s’inscrit en fait dans les guerres privées qui opposent le seigneur du Quesnoy à celui de Briseul dans le bailliage d’Amiens, X 2a 15, fol. 279-279v., août 1409. Sur le caractère belliqueux du sire du Quesnoy et sa propension aux guerres privées, voir X 2a 14, fol. lv.-3, novembre 1401, où, par mesure de rétorsion contre la ville de Tournai qui avait critiqué ses exactions seigneuriales, il dirige une expédition de quinze hommes contre le fils du prévôt. S’y mêlent aussi des affaires de moeurs caractéristiques des guerres privées. Autre exemple, sur la frontière orientale : l’église de Toul, dans la sauvegarde du roi, est l’objet de plusieurs descentes dirigées par Milot de Neves qui vont jusqu’à réunir 54 comparses, X 2a 15, fol. 290v.-291v., septembre 1409. Venus de NEUVESMAISONS, l’expédition les avaient menés, en avril 1408, à VOID et TROUSSEY, de part et d’autre de la Meuse. 53. M. BOULET, Questiones…, q. 205 et 364. 54. Il convient cependant de nuancer les effets réels de ces guerres privées aux frontières. Par exemple, JJ 118, 47, novembre 1380, LAVAL-MORENCY (bailliage de Vermandois) ; la victime avait fait venir, pour se venger, des « genz estranges de dehors du royaume » au nombre de 17 ; la scène est loin de tourner à l’émeute car « toutevoies pour ce que yceulx compaignons furent par aucunes bonnes personnes blasmez et repris de ce qu’il creoient la volenté dudit Jehan le Deable, s’en alerent hors dudit royaume ». Entre le récit de la rémission et celui des plaidoiries, on mesure toute l’appréhension différente de ces « descentes » punitives. En fait, cette vengeance est le plus fréquemment individuelle. Sur l’arrêt de la vengeance et ses lois, voir chapitre 17, p. 772-779. Dans un cas, l’action collective prend des colorations politiques du fait de la présence anglaise, JJ 169, 11, novembre 1415, CHAUNY (bailliage de Vermandois). 55. Par exemple à TOURNAI, X 2a 16, fol. 160v., février 1412 : l’auteur de l’homicide, Mathieu Carette, est un bourgeois de la ville qui se déclare « burgensis Tornacensis mansuetus et pacificus homo bone vite et conversacionis honeste quoddam officium in facto subsidiorum in dicta villa Tornacensis ex parte nostra tenuerat ». Cette charge aurait engendré la haine des jurés ; en fait, l’homicide résulte d’une discussion qui a éclaté à la taverne où il se trouvait, la veille de Noël 1409, en bonne compagnie avec les « viri notabiles tam ecclesiastici quam seculares ad potandum per modum collationis ». La discussion s’envenime pour savoir si un nommé Henri « homo rixosus perverse et inhoneste vite » peut être admis dans la société ainsi constituée, société qui ressemble à une confrérie, sans que ce mot soit employé. L’opposition que manifeste Mathieu à cette admission et qui se termine par une lutte à l’épée, tient moins à la pauvreté d’Henri qu’à une haine – le texte emploie le mot odium – dont on ne saura jamais la cause réelle. Autres exemples JJ 118, 84, novembre 1380, THINLE-MOUTIER (bailliage de Vermandois), où l’homicide suit une partie de jeu ; JJ 169, 149, mai 1416, SAINT-GOBAIN (bailliage de Vermandois), où l’homicide est parfaitement lié à la vie de relation qui conduit le coupable à la messe, puis à la taverne, en attendant l’osier qui doit lui être livré pour le porter le lendemain à la foire voisine. 56. X 2a 14, fol. 9v., janvier 1401. Autre exemple, ibid., fol. 289v., novembre 1405, (bailliage de Vermandois). 57. Ibid., fol. 293-293v., décembre 1405, SAINT-BLIN. 58. X 2a 16, fol. 177. Le Rethelois est resté un enjeu après le meurtre de Montereau, quand, en 1420, les Anglo-Bourguignons sont installés en Champagne et les partisans du Dauphin ont envahi la région, voir la lettre de Charles VI du 5 mai 1420, L. MIROT, « Lettres closes… », p. 44-45.

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59. Cit. supra, n. 57. Sur les stéréotypes employés pour désigner l’action de Clignet de Brabant et de Jean de Montaigu en 1406, voir X 2a 17, fol 69v. Les mêmes critiques sont formulées en 1420 contre l’action du Dauphin dans le Rethelois « boutant feux, pillant et robant, prenant places et faisans tous autres maulx et inhumanitez que ennemis pevent faire », lettre citée supra, n. 58. 60. Dans le Midi, cité par M. BERTHE, Famines et épidémies…, t. 1, p. 263 ; à TOURNAI, X 2a 15, fol. 234, janvier 1408. Même image stéréotypée pour justifier l’action du bailli d’Amiens en mars 1406 qui fut « informé que plusieurs bannis se tenoient sur le pais et estoient boutefeuz, efforceurs de femmes et pilleurs d’eglises », X 2a 14, fol. 308v.-310. En fait, ces hommes dépendent du château de Termes et du sire de Fontaines, et sont parfaitement identifiés dans le cours du procès. L’épisode relate encore une fois les étapes d’une guerre privée. 61. M. BERTHE, ibid., p. 260 et suiv., et p. 263, n. 54. Les accords entre les royaumes de Navarre et d’Aragon organisent la lutte contre le banditisme, et notamment l’extradition des malfaiteurs. 62. M. REY, Les finances royales…, p. 374, décrit la frontière comme « une chaîne de fortifications dont les maillons n’étaient pas tellement serrés qu’elle pût interdire l’accès du territoire français à une troupe d’hommes décidés à y pénétrer ». Sur les mesures prises pour mettre en défense les frontières, voir par exemple les décisions prises en octobre 1399, BN Fr. 5287, fol. 25v.-26. Autres cas cités dans Cl. GAUVARD, « L’opinion publique aux confins… », p. 8-10. 63. X la 4790, fol. 267-267v. Le sire de Pesteil, nommé sénéchal de Beaucaire par lettre du duc de Berry le 28 mai 1415, argue qu’il est « notable chevalier et espers, ce qui faut en ladicte senechaussee qui est un anglet du royaume et est l’office de visiter en armes la senechaussee (…) et dit que la senechaussee est confrontee a divers païz estranges si faut senechal espers en armes. Dit que Seignet a esté avocat a Nymes et est bon et sage mais il n’est pas ce car chevaliers et escuiers trop plus tosts voient soubz chevaliers que soubz clercs ». Sur les circonstances politiques que cache cette argumentation, A. DEMURGER, « Guerre civile et changements du personnel… », p. 215 et p. 284-285. Les troubles de la sénéchaussée frontalière obligent le sénéchal à prendre souvent les armes, L. DOUËT D’ARCQ, Choix de pièces…, t. 1, p. 67-70. La rumeur qui s’enfle à Carcassonne au début du XVe siècle, dès que des criminels ne sont pas repérés, se nourrit aussi de l’angoisse des frontières, X 2a 15, fol. 237-240. De la même façon, la charge des baillis au nord du royaume les oblige à intervenir en armes, tel le bailli de Chaumont qui doit régler les problèmes frontaliers de la Meuse, cité supra, n. 58. Mais ce thème est devenu un leitmotiv qui réserve l’office de bailli en frontière à la chevalerie, en raison des malfaiteurs que celui-ci est chargé de « purger » du royaume par la force, X 2a 10, fol. 102v., avril 1380, et X 2a 14, fol. 308v., mars 1406, (bailliage d’Amiens). 64. Par exemple P. SALMON, Les demandes…, BN Fr. 9610, fol. 75v. L’épître date du 1er novembre 1408, et elle est envoyée d’Avignon. Même préoccupation chez Ch. de ΡΙΖΑΝ, Le Livre du corps de policie, p. 26-27. 65. X 2a 17, fol. 10-17v., mars 1411. Le procès porte en particulier sur la notion d’« eminent peril ». 66. Voir par exemple l’histoire de Mélaniôn qui fait couple avec une jeune fille chasseresse, Artémis, dans les montagnes frontalières et qui viole les tabous en même temps qu’il marque les bornes de la civilisation, P. VIDAL-NAQUET, Le chasseur noir…, p. 172-174. Sur la place de la violence frontalière dans la construction des U.S.A, voir les conclusions tirées par W. E. HOLLON, Frontier Violence…, p. 194-216. 67. Cité par H. PLATELLE, « La violence et ses remèdes… », p. 108. 68. Ibid., p. 109. 69. Cas cité supra, n. 50. 70. X 2a 17, fol. 10v., cité supra, n. 65. 71. P. PETROVITCH, « Recherches sur la criminalité à Paris… », p. 208.

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72. Ph. CONTAMINE, « La noblesse et les villes… » p. 467 et suiv ; B. CHEVALIER, Les bonnes villes de France, chapitre 1. La carence du vocabulaire est largement commentée par J. LE GOFF, La ville médiévale, p. 9-25. 73. Les références typologiques du lieu du crime se répartisent ainsi : 33 % sans mention, 4,5 % lieu, 30 % ville, 1,5 % village, 4 % paroisse, 1 % bourg, 4 % localisation administrative, 8 % localisation géographique, 12 % plusieurs mentions, 2 % autres. 74. JJ 211, 96, sans date, ANDELAIN (bailliage de Vermandois). 75. JJ 118, 48, novembre 1380, THILLOIS (bailliage de Reims). 76. JJ 165, 32, lettre citée chapitre 4, n. 32. 77. J. LE GOFF, « Ordres mendiants et urbanisation… », p. 924-926. 78. C’est le critère adopté par M. BOURIN et B. CHEVALIER, « Le comportement criminel… », p. 245-263, dans le cadre d’une enquête menée avec les spécialistes de géographie urbaine contemporaine. Sur les réticences des modernistes à ce critère, voir N. CASTAN, Les criminels de Languedoc…, p. 18. 79. JJ 120, 116, février 1382, CONTREXEVILLE (bailliage de Chaumont). 80. Par exemple JJ 160, 20, juillet 1405, LUC (à tous les justiciers). 81. JJ 169, 66, février 1416, SENLIS (bailliage de Senlis). 82. JJ 155, 28, juin 1400, ESTAIRES (bailliage d’Amiens). 83. Sur ce problème de la hiérarchie des crimes et des peines, voir chapitre 18, p. 794-795. Les différents types de vols pouvaient être traités avec une infinie variété, R. GRAND, « Justice criminelle… », p. 99. 84. J.P. BERTHE, « Conjoncture et société… », p. 1256-1258, et I.A.A. THOMPSON, « A Map of Crime… », p. 244-267. 85. Voir graphique des distances, p. 698-699. 86. JJ 160, 370, juin 1406, MARSANGIS (bailliage de Troyes). Cette « ville » compte actuellement 345 habitants. 87. JJ 169, 161, mai 1416, DANGU (bailliage de Gisors). Cette « ville » compte actuellement 394 habitants. 88. JJ 143, 163, septembre 1392, SAINT-SIGISMOND (bailliages de Montargis et d’Orléans). Cette « ville » compte actuellement 244 habitants. Sur ces crimes commis aux portes de la ville, M. BOURIN et B. CHEVALIER, op. cit. supra, n. 78. 89. JJ 160, 55, septembre 1405, SAINT-JUST (bailliage de Rouen et de Gisors). 90. X 2a 14, fol. lv.-3, cité supra, n. 52. 91. X 2a 14, fol. 265, août 1405, LYON : la ville aurait abrité une bande dont les membres « se accompagnierent a piller comme oiseaulx de proie », et dont l’action se poursuivait à l’entour « de bois en bois » et de « chastel en chastel ». A Orléans, le rayon des crimes commis par les étudiants dépasse aussi le simple cadre de l’agglomération, X 2a 14, fol. 16-17, mars 1402, ORLÉANS. Il couvre la zone des jeux où les clercs « vont s’esbatre aus champs ». Autre exemple dans l’arrière-pays de Tournai où un habitant de la ville opérait avec des compagnons, « et s’en aloient ensemble hors de la ville lui et ses compaignons sur les chemins ou ilz desroboient les gens puis retournoient ensemble audit hostel », X 2a 14, fol. 42, novembre 1401, TOURNAI. 92. P. VARIN, Archives administratives…, t. 1, p. 1051-1101, t. 2, p. 118-137. Les frères de Brienne sont présentés comme des bannis et malfaiteurs qui « de jour en jour ne cessent de chevauchier sus Reims et sus les lieus voisins pour euls grever en despitant le roy no seigneur », ibid., p. 136-137. Au cœur se trouve le château de BRIENNE-SUR-AISNE. 93. X 2a 17, fol. 68v.-70v., 1412. Pour avoir refusé de servir le duc de Bourgogne, les biens du sire de Rosoy auraient été pillés, malgré la sauvegarde royale, et le roi aurait envoyé des officiers pour rétablir l’ordre, d’où une rixe. Cet épisode se situe au moment où Jean sans Peur n’a pas encore réussi à faire basculer Reims dans son obédience puisque la ville ne rallie sans doute le clan bourguignon qu’en juillet 1417, L. MIROT. « Lettres closes… », p. 326. A partir de 1418,

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Philippe de Morvilliers est chargé de missions politiques importantes, en particulier à Reims, lettre du 19 septembre 1419, ibid., p. 4. Sur ce personnage qui réussit à se faire détester du Bourgeois de Paris par sa « cruauté », Fr. AUTRAND, Naissance…, en particulier p. 332-333. 94. La loi de Reims pousse l’arrière-pays de la ville vers les Ardennes, P. DESPORTES, Reims et les Rémois…, p. 419. Dans le procès de 1412 cité supra n. 92, la forteresse que le sire de Rosoy aurait « vendue » aux Armagnacs, est LE CHÂTELET, « laquelle forteresse est sur la fin du royaume et fait clef du pays et laquelle le seigneur de Hurtefale et autres pillars taschoient a avoir dont furent advisez les nobles du païs ». 95. Br. GEREMEK, Les marginaux…, p. 59. Remarquons que seulement 58 % des criminels recensés dans le Registre criminel du Châtelet habitent Paris. Sur les résultats de cette enquête, voir Cl. GAUVARD, « La criminalité parisienne… », p. 362-370. 96. C.I. HAMMER, « Patterns of Homicide… », p. 17 ; L. MARTINES, Violence and Civil Disorder…, p. 153 et 184-228 ; D. M. NICHOLAS, « Crime and Punishment… », p. 289 et suiv., et p. 1146. Ces auteurs insistent sur les violences patriciennes. 97. Br. GEREMEK, op. cit. supra, n. 95, et « Criminalité, vagabondage… », p. 337 et suiv. 98. E. COHEN, « Le vagabondage à Paris… », p. 293, et « Patterns of Crime », p. 326. L’auteur nuance ses affirmations dans son dernier article, « To Die a Criminal… », p. 304, n. 53. 99. D’après le Registre de Saint-Martin-des-Champs, la place des rixes-homicides varie, selon les années, de 40 à 90 %, celle des vols de 1 % à 8 %. 100. Sur ces mouvements qui alimentent les villes, H. DUBOIS, « La dépression… », p. 354-357. Sur la ville médiévale « dévoreuse d’hommes » aussi bien au nord du royaume qu’au sud, voir P. DESPORTES, Reims et les Rémois…, p. 572 et suiv., et A. HIGOUNETNADAL, Périgueux…, Livre III. 101. R. CAZELLES, De ta fin du règne…, p. 134, et J. FAVIER, Paris au XV e siècle…, p. 53-64. 102. 51 % des criminels recensés dans le Registre criminel du Châtelet entre 1389 et 1392 viennent de villes du royaume, 31 % des environs ruraux immédiats de Paris ; l’origine des autres est inconnue. 103. Par exemple, Jehannin de Soubz le Mur vient de Coulommiers, Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 51 ; Etienne Blondel de Jargeau, ibid., p. 93. 104. Voir chapitre 3, p. 132 et Cl. GAUVARD. « La déclinaison d’identité… ». 105. Sur 27 criminels qui donnent leur temps de séjour à Paris, 11 sont restés moins d’un mois, 7 moins d’un an, 5 moins de 5 ans et 4 seulement plus de 5 ans. Sur cette mobilité typique de la population urbaine médiévale, voir A. HIGOUNET-NADAL, op. cit. supra, η. 100. 106. G. FOURQUIN, Les campagnes…. p. 261-332. 107. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 127-128. 108. Ibid., p. 219-220. 109. Par exemple, en 1421, « et si estoit chascun si grevé de paier sa maison que plusieurs renoncerent en ce temps a leurs proproes heritaiges pour la rente et s’en alloient par desconfort vendre leurs biens sur les carreaux et se partirent de Paris comme gens desesperés », ibid., p. 162 ; cette situation est sans doute liée à la crise monétaire. Même fuite en 1423, en raison de la taille, ibid., p. 186. En 1430, l’exode hors de Paris conduit « grant foyson de povres mesnaigiers dont les aucuns avoient femmes et enfans, les autres non », ibid., p. 249-250. Exode similaire en 1431, ibid., p. 264. 110. Ibid., p. 389-390. 111. Ibid., p. 175 : exemple d’une centaine d’hommes d’armes accompagnés de cinq cents « foies malles femmes » qui avaient entrepris de venir piller Paris. L’épisode se situe en juin 1422, en même temps que court le bruit d’un complot armagnac pour prendre la ville. Encore une fois, se mêlent la peur, la violence et le péché. Sur les liens que nouent les habitants de Paris avec l’arrière-pays boisé où ils commettent leur crime, voir JJ 165, 315, juin 1411, PARIS (prévôté de Paris) ; X 2a 14, fol. 299, janvier 1406, où Guillaume de Tignonville constate que 5 hommes ont été

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retrouvés tués dans les bois de Cloye, et il rend responsables des « clercs » parisiens. Autres exemples de vols commis dans les « villages » des environs, ibid., fol. 302, janvier 1406. 112. Chapitres 1 p. 35 et chapitre 5, p. 232. 113. R. EDER, Tignonvillana inedita, p. 971-972. 114. X 2a 14, fol. 298, janvier 1406. Sur la signification de ce procès, voir chapitre 5, n. 165. 115. J. GERSON, Estote misericordes, contre Charles de Savoisy, Œuvres complètes, t. 7, p. 332. 116. X 2a 14, fol. 114, mars 1403. Même affirmation chez Guillaume de Tignonville lors de l’affaire de 1406, cit. supra, n. 114. Le caractère exemplaire de Paris fait partie des arguments retenus par les collectionneurs de cas criminels évoqués au Parlement à cette époque, Olivier MARTIN, « Notes d’audience… », p. 563. Les exigences de « pureté » de la ville sont aussi étroitement politiques, liées à la place qui est reconnue au prévôt par les réformateurs et par le clan d’Orléans. En revanche, comme nous l’avons vu, les Bourguignons restent en retrait. Lorsque Philippe le Bon écrit à Henri V, entre 1419 et 1422, pour lui suggérer la politique à tenir vis-à-vis de la capitale, il insiste sur le rôle de « cuer » que la ville remplit dans le « corps mystique du royaume » ; il décrit la maladie qui la mine, mais celle-ci est extérieure, secrétée par la présence des adversaires alentour, car « le cuer est malade et opprimé par guerre ». Suit une description de la paralysie de la ville dont l’approvisionnement et les débouchés sont bloqués par l’ennemi, situation qui menace le royaume tout entier, BN Fr. 1278, fol. 12-12v. Lorsqu’Henri VI confirme les privilèges de Paris lors de son joyeux avènement le 26 décembre 1431, il fait l’éloge de la ville, une allusion à la justice qui doit régner grâce au Parlement ; il exalte la prévôté des marchands mais il ne dit rien de la police nécessaire à la bonne tenue de la cité, A. LONGNON, Paris pendant la domination anglaise, p. 334-338. Deux conceptions de Paris-capitale, et sans doute de l’Etat, s’affrontent donc : l’une, armagnaque, est centralisatrice et autoritaire, l’autre, bourguignonne, est purement stratégique, dans une vision passéiste soucieuse de garantir des privilèges. 117. ORF, t. 10, p. 243. 118. Par exemple, Y 5266, fol. 135v., octobre 1488 : deux clercs et un laïc sont trouvés par le guet couchés ensemble au Plat d’Etain, et, pour échapper à la perquisition, ils jettent par la fenêtre de leur chambre un drap dans lequel se trouve « ung calice d’argent doré coupé en pièce ». Cette descente du guet n’est pas un hasard, car le trésor de Saint-Magloire avait été volé. Les sergents peuvent aussi agir de conserve avec les voisins ou la parenté, ibid., fol. 3v., juin 1488 ; 131 et 133v., octobre 1488. Dans ce dernier cas, une mère n’hésite pas à aller chercher le guet sur le pont Saint-Michel, de nuit entre 9 et 10 heures, pour se défendre contre son fils qui veut la battre et l’outrager. 119. Voir tableau 10, p. 250-251. 120. M. BOURIN et B. CHEVALIER, « Le comportement criminel… », p. 258. En retenant le critère de 2000 habitants pour la ville, 40 % des vols sont commis à la ville. 121. Au Temple, entre 1411 et 1420, les sources criminelles permettent de recenser 76,6 % de rixes-homicides pour 7 % de vols. 122. Comparer avec les archives du Parlement criminel, tableau 1, chapitre 1. 123. Voir E. COHEN, « Patterns of Crime… », p. 319-325. 124. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 78. Il faut cependant contrebalancer cet exemple par celui de Simon de Verrues qui a volé des gens de connaissance, c’est-à-dire une parente, les églises et abbayes qui entourent son domicile et enfin son maître, ibid., p. 3. 125. Cas de Catherine Du Roquier, ibid., t. 1, p. 41 et suiv ; de Jehannin Brignon, ibid., p. 219 ; de Girart Doffinal, ibid., p. 245, qui avoue être allé « en la ville d’Avignon pour gaignier, c’est assavoir pour embler » ; de Thevenin de Braine, ibid., t. 2, p. 137 et suiv. Avignon a l’avantage d’être une ville où la tonsure est facile, ce qui permet d’échapper à la « justice temporelle ». 126. Par exemple Merigot Marchés, ibid., t. 2, p. 177-213. En général, tout criminel suspect d’avoir suivi les gens d’armes est systématiquement soumis à la torture, par exemple Jehan Lorens, ibid.,

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t. 1, p. 117. Le but est de faire avouer les crimes horribles qui ont ainsi pu être commis. Sur la force de ce stéréotype, voir chapitre 5, p. 212. 127. Par exemple, le crime préparé par Marguerite de Bruges, Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 254. Ce meurtre était destiné à son compère. Des cas comparables de guet-apens entre gens de connaissance ont aussi lieu à la fin du XVe siècle, par exemple Y 5266, fol. 23v., juin 1488, et 49v„ juillet 1488. 128. Ibid., t. 1, p. 308-309. Elle est d’ailleurs bannie « veu l’aage et povreté d’icelle prisonniere ». Sur le rôle de cette pauvreté comme circonstance atténuante, tableau 22, chapitre 10. 129. Par exemple, JJ 118, 68, novembre 1380, PARIS (prévôté de Paris) ; X 2a 14, fol. 305, février 1406 ; X la 4790, fol. 134, août 1414. 130. X 2a 14, fol. 8, janvier 1401 ; Pierre Le Preux est tué de nuit dans la rue Froid-Mantel. Son voisin, Etienne Sauvage, est aussitôt soupçonné et emprisonné. Cas identique pour un vol à la fin du XVe siècle, Y 5266, fol. 126, octobre 1488, où Raouline La Crieuse est arrêtée pour avoir vendangé une pièce de vigne qu’elle avait autrefois vendue. Sur le vol entre voisins, voir les exemples cités par A. LONGNON, Paris pendant la domination anglaise, p. 12-14 et p. 218-219, et ceux cités infra, n. 150. 131. X 2a 14, fol. 24-24v., mai 1401. 132. Par exemple X 2a 10, fol. 8v., janvier 1376 ; X 2a 14, fol. 171, mars 1404. 133. Pour PARIS (prévôté de Paris) : JJ 118, 50, novembre 1380 ; JJ 127, 50, juillet 1385 ; ibid., 269, décembre 1385 ; JJ 151, 222, avril 1397 ; JJ 165, 31, octobre 1410. 134. X 2a 14, fol. 26v., mai 1401 ; ibid., fol. 47v., mars 1402 ; ibid., fol. 171-171v., avril 1404 ; Y 5266, fol. 20v. et fol. 45v., juin 1488. Sur les crimes de moeurs « classiques » commis à PARIS (prévôté de Paris), voir JJ 120, 336, juin 1382 et JJ 133, 10, juillet 1388. 135. X 2a 14, fol. 241-244, avril 1405. Nicolas de Baye note aussi l’affaire, Journal, t. 1, p. 132. Autres exemples au XVe siècle dans J. de ROYE, Journal…, p. 33, 111, 156, 221 - 222. Ce cas relatif aux moeurs n’est pas unique, JJ 160, 88, octobre 1405, PARIS (prévôté de Paris). A la fin du XV e siècle, les affaires de moeurs constituent 8 % des motifs pour écrouer au Châtelet, la plupart du temps sur dénonciation des voisins, Y 5266, fol. 3v. et 6v., juin 1488. La difficulté consiste à cerner jusqu’où s’étend, à Paris, le pays de connaissance. Son épaisseur varie selon la condition sociale des protagonistes et les difficultés qu’ils ont déjà pu avoir avec la justice, X 2a 14, fol. 47v., février 1402. 136. En cas d’homicide, les voisins sont parfaitement au courant des haines recuites, Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 254 (cas de Marguerite de Bruges, rue aux Oies). Cette dénonciation s’étend aussi au vol, par exemple ibid., t. 2, p. 80-92 (cas de Jean Hays, cloître Saint-Marcel) ; X 2a 15, fol. 274, juillet 1409 ; cas similaire à la fin du XV e siècle, Y 5266, fol. 118v., octobre 1488 : Anthoinette, femme de François Thibault, archer suivant les ordonnances, est amenée au Châtelet car elle a été trouvée « garnye et portant une troussouere d’argent d’orfevre quy n’est pas son estat ». Les voisins sont les meilleurs garants du statu quo. Certains crimes font un bruit qui dépasse le cadre de la rue voisine, tels les vols qui ont eu lieu à l’abbaye de Saint-Victor en 1389, et qui se terminent par l’arrestation d’un des coupables un an après, Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 212-214. Le sacrilège que suppose ce vol et la réputation de l’établissement ont alerté l’opinion, en particulier dans le milieu professionnel des vendeurs de livres. 137. Par exemple Y 5266, fol. 29v., juillet 1488. La querelle entre hommes commence par une injure classique, « ribaude putain », destinée à la femme d’un des protagonistes. Elle se poursuit sur un autre terrain « pour ce que ledit Paquier a dit et publié a plusieurs personnes que ledit Robin s’en estoit venu de la ville de Blangy luy et sa femme en ceste ville pour ung homme qu’il avoit tué ». Autre cas, ibid., fol. 45v. « pour ce que aujourd’uy eulx estant en la place de la poissonnerie a Petit Pont, lediz Olivier lui a dit publiquement, presens plusieurs personnes qu’il estoit larron et que aultreffoiz il l’a trouvé en la riviere de nuyt deschargeant du bois estant en

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une nasselle et le menoit ou portoit en sa maison ». Sur l’exode des criminels à Paris, voir JJ 165, 176, août 1411 (prévôté de Paris). Le crime a eu lieu 37 ans auparavant à GENNES. 138. Les rémissions accordées à des récidivistes atteignent la moitié des cas recensés alors que, sur l’ensemble du royaume, la récidive ne concerne que 10 % des cas. Par exemple, JJ 118, 71, novembre 1380, PARIS (prévôté de Paris) ; la lettre est accordée à un voleur de fers à cheval qui a déjà commis un vol « lui estant en Lorraine en la guerre du duc de Lorraine ». Autres cas JJ 165, 311, mai 1411, SAINT-DENIS (prévôté de Paris) et ibid., 315, lettre citée supra, η. 111. La réalité de la pauvreté est plus difficile à cerner, tableau 20, chapitre 9. Quant à la distance entre voleur et volé, elle est rarement mentionnée dans les lettres de rémission, JJ 160, 180, janvier 1406, VERRIÈRES-LE-BUISSON (prévôté de Paris). Des draps ont été trouvés dans la haie et on ne sait rien sur la victime. 139. Y 5266, fol. 25, juillet 1488 ; ibid., fol. 53, août 1488 ; ibid., fol. 188, décembre 1488 ; ibid., fol. 198v., janvier 1489. 140. X 2a 12, fol. 64v., décembre 1389 ; X 2a 14, fol. 20, mars 1401 ; ibid., fol. 305v., février 1406 ; ibid., fol. 422, mai 1408 ; ibid., fol. 430, juillet 1408. Dans ce dernier cas, il s’agit d’une petite fille de 6 ans violée plusieurs fois. 141. X 2a 14, fol. 399, septembre 1407. 142. X 2a 10, fol. 11v., février 1376 ; X 2a 14, fol. 77, juin 1402. Les receleurs ont aussi leurs signes de reconnaissance, tels Jehan Warlus et sa femme « qui mettoient leur doiy a leur nez en signe qu’ilz avoient aucune chose a vendre », Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 157. 143. Ibid., fol. 92, novembre 1402. 144. JJ 143, 181, septembre 1392, PARIS (prévôté de Paris). Michel de Court, clerc de 26 ans venu de Lombardie à Paris, a une altercation au moment de payer l’écot au jeu de dés et il s’enfuit en Avignon. Condamné au bannissement, il retourne à Paris où il est repris et mis en prison. Il est probable qu’il appartient à la cohorte des pauvres clercs que l’absence de bénéfices destine à l’errance et à la marginalité. Le crime n’est qu’un accident supplémentaire et prévisible dans un parcours déjà instable, voir supra, n. 125. 145. Sur la convoitise que peuvent exciter les grands hôtels parisiens, mais aussi les églises, Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 113 et t. 2, p. 466. Sur le procès du sire de Savoisy, voir X 2a 14, fol. 101 v.-104, janvier 1403. Autres cas de crimes commis à la suite de rixes entre valets, JJ 151, 204, mars 1397, PARIS (prévôté de Paris) ; JJ 160, 182, janvier 1406, PARIS (prévôté de Paris) ; JJ 165, 44, septembre 1410, PARIS (prévôté de Paris) ; ibid., 344, octobre 1410, PARIS (prévôté de Paris). Les « valets et familiers » des hôtels parisiens constituent un monde très turbulent et prompt au vol. 146. L’arrêt date du 3 décembre 1406, X 2a 15, fol. 168v. Son contenu est aussi mentionné à la même date, dans le registre des plaidoiries, avec les charges retenues contre les complices de Jacques Binot, dont un orfèvre parisien, Guillemin Le Lièvre, qui a joué le rôle de receleur, X 2a 14, fol. 352v. En marge du registre se trouve la formule : « Pendu, arrestum factum est ». Un autre complice, qui s’est échappé, est condamné au bannissement en septembre 1407, X 2a 15, fol. 197. A son propos, les vols commis dans la « garde robe » de la reine sont estimés à 4000 livres parisis ; ils portent sur des gobelets, bijoux, objets de culte avec eau bénite, linge brodé et pierres précieuses. On peut, en général, s’interroger sur le recrutement et la tenue des valets du roi, X 2a 14, fol. 47v., décembre 1401. D’après le registre du Parlement, Jacques Binot aurait rassemblé une bande constituée de « gens de meschant estat et de petite extraction » qui auraient conçu les crimes en commun « pour la grant accointance, familiarité et amitié qu’ilz avoient ensemble », ibid., fol. 359v., janvier 1407. 147. Pierrette la Binote est prisonnière au Châtelet « pour certaines faultes par elle faictes touchans les larrecins faiz par sondit mary en l’ostel de la royne a esté condempnee par la Court a la peine de prison ou elle est jusques a Noël prouchain venant », X 2a 14, fol. 353, décembre 1406. Sur les viols, voir les exemples cités supra, n. 140. Un des coupables est chirurgien, un autre

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marchand ; un autre encore est Lombard. Il peut aussi s’agir d’un médecin, X 2a 17, fol. 24v„ août 1410, PARIS. 148. Les endroits où le crime est commis se répartissent entre la maison 20 %, la taverne 9 %, les autres lieux clos 7 %, la rue 36 %, la nature cultivée 11,5 %, la nature sauvage 3 %, les terrains de jeux 2,5 % et autres 1 %. Dans 10 % de cas, ils sont inconnus. 149. JJ 165, 301, juillet 1411, SENS (bailliage de Sens et d’Auxerre). 150. On peut multiplier les exemples dans le temps et dans l’espace, JJ 120, 25, novembre 1381, PARIS (prévôté de Paris) : la suppliante a volé des voisins chez qui elle était venue souper ; ibid., 28, novembre 1381, MELUN (à tous les justiciers) : le voleur, Jehan Barat, est familier de Coutet de Montesquif, écuyer, avec qui il partage la chambre à Melun où se produit le vol. Il est en même temps serviteur du sire d’Albret, oncle du roi. JJ 127, 15, juin 1385, BEAUVAL (bailliage d’Amiens) : le suppliant a volé plusieurs voisins. JJ 155, 3, mai 1400, ÉGREVILLE (bailliage de Sens et d’Auxerre) : le suppliant a volé une première fois, dans la chambre de son maître, de l’argent que son père a restitué, ce qui lui a valu d’être repris comme valet ; mais il recommence en prenant 8 sous dans une huche. JJ 165, 35, janvier 1411, COULANGES-LA-VINEUSE (bailliages de Sens et de Mâcon) : le vol a lieu dans une chambre que partagent deux compagnons dont l’un a compté son argent devant l’autre et l’a rangé dans sa bourse. JJ 172, 8, février 1420, CHÂTILLON-SUR-SEINE (bailliage de Sens et d’Auxerre) : cette lettre décrit un vol qui a lieu de nuit chez un boucher « ouquel hostel ne demouroit lors personne, duquel hostel ledit suppliant osta a force d’unes tenailles les verueles du pelle dudit huis et entra dedens, et apres entra par force en une chambre dudit hostel en laquelle avoit un escrin lequel il rompi et en icelui print deux saintures d’argent, l’une doree et l’autre blanche qui povoient valoir environ douze frans et dessoubz lediz escrin print un chapperon noué ouquel avoit environ vint deux frans et demi, lesquels saintures et argent savoit estre oudit hostel ». 151. JJ 169, 22, lettre citée chapitre 4, n. 28. 152. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 158, 173 et 195. 153. J. de ROYE, Journal…, t. 1, p. 325-327. Un jeune ouvrier en brigandine, nourri par un poissonnier parisien, lui vole de l’argent car « il avoit veu le lieu ou icellui Pensart le mettoit » ; pour ce faire, il fait appel à des Ecossais auxquels, passé minuit, il ouvre la porte. 154. JJ 127, 15, lettre citée supra, n. 150. 155. Le mot « trahison » caractérise les crimes commis par les serviteurs et familiers recensés par Aleaume Cachemarée, Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 229 et t. 2, p. 130, 156. JJ 160, 191, janvier 1406, BERNAY (bailliages de Rouen et d’Evreux). 157. JJ 169, 26, décembre 1415, ARGENTEUIL (prévôté de Paris). 158. J.Cl. SCHMITT, « Le suicide… », p. 3-28. 159. Histoire de la vie privée, p. 168 et suiv. 160. JJ 151, 237, avril 1397, LORMAYE (bailliage de Nogent-le-Roi). Sur le rapport entre ces gestes démesurés et l’honneur blessé, voir chapitre 16, p. 714-715. 161. JJ 165, 154, septembre 1411, PARIGNÉ-L’ÉVÊQUE (bailliage de Touraine). 162. JJ 151, 210, avril 1397, ROSAY (bailliages de Dreux et de Nogent-le-Roi). 163. JJ 155, 123, juin 1400, ORLÉANS (bailliage de Chartres). 164. J.P. LEGUAY, La rue…, p. 156-157 ; par exemple JJ 118, 40, novembre 1380, VERTUS (bailliage de Vitry). 165. JJ 118, 81, novembre 1380, PARIS (prévôté de Paris) ; JJ 169, 187, août 1416, VERPILLIÈRESSUR-OURCE (bailliage de Chaumont) ; JJ 165, 39, janvier 1411, COMPIÈGNE (bailliage de Senlis). 166. JJ 120, 332, juin 1382, (bailliage d’Amiens). 167. JJ 160, 162, janvier 1406, CHEVANNES (bailliage de Sens et d’Auxerre). Sur le lien du jeu et du vin, voir J. M. MEHL, Les jeux…, partie 1. 168. JJ 165, 322, septembre 1410, TOUCY (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 169. L. DOUËT-D’ARCQ, « Un procès pour outrage aux moeurs… », p. 506.

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170. JJ 151, 16, janvier 1397, SAINT-CALEZ-EN-SAOSNOIS (bailliage de Chartres) ; ibid., 17, janvier 1397, NIZY-LE-COMTE (bailliage de Vermandois). 171. JJ 143, 5, lettre citée chapitre 2, n. 5. 172. JJ 155, 74, juillet 1400, LA CAUCHIE (bailliage d’Amiens). 173. JJ 165, 21, décembre 1410, CHÂTEAU-THIERRY (bailliage de Vitry). 174. JJ 155, 15, mai 1400, VENDÔME (bailliage de Touraine). 175. SUGER, De rebus in administratione sua gestis, Œuvres complètes, p. 165 ; N. de CLAMANGES, Opera omnia, p. 162. On voit bien ce que cette image doit aux réminiscences bibliques, puisqu’elle suggère que les voleurs qui hantent les forêts du royaume sont comparables aux marchands du Temple, Matth.21-13, Marc, 11-17, Luc 19-46 : « Vos autem fecistis illam (domum meam) speluncam latronum ». Il est amusant de constater que ces expressions restent employées de nos jours pour désigner les formes de la violence médiévale, J. Cl. CHESNAIS, Histoire de la violence…, p. 39. Sur le rôle de l’imaginaire dans la forêt du Moyen Age, « lieu de l’extrême marge », voir J. LE GOFF, « Le désert-forêt dans l’Occident médiéval », L’imaginaire…, p. 59-75. 176. JJ 155, 298, lettre citée chapitre 2, n. 6. 177. Confirmation d’une donation faite aux habitants de NANCRAY-SUR-RIMARDE, JJ 130, fol. 13, janvier 1387. 178. JJ 130, 204, avril 1387, CHILLEURS-AUX-BOIS (bailliage d’Orléans). 179. Ph. de VITRY, Les Dicts de Franc-Gontier, p. 63-64. Cette vision pastorale s’oppose aux agitations de la cour : le thème d’une poésie imitée de l’Antiquité est aussi politique. 180. On connaît l’image de Mélusine, J. LE GOFF et E. LE ROY LADURIE, « Mélusine, maternelle et défricheuse », J. LE GOFF, Pour un autre Moyen Age, p. 307 et suiv. Sur le monde des fées et des eaux, voir L. HARF-LANCNER, Les fées au Moyen Age, et les exemples cités par M. GALLY et Ch. MARCHELLO-NIZIA, Littératures de l’Europe médiévale, n o 80, 95, 121, 124, 134, 185. L’homme aborde les fées en prenant un navire qui traverse les lacs et les rivières « embrumées ». 181. JJ 155, 138, juin 1400, DOHEM (bailliage d’Amiens). 182. JJ 120, 133, lettre citée chapitre 4, n. 84. 183. JJ 160, 436, juillet 1406, SAINTE-MESME (bailliage de Chartres). 184. Ibid., 437, juillet 1406 (bailliage de Senlis). Autre cas où la forêt proche, appelée foresta et nemus, peut laisser filtrer les bruits d’épée, X 2a 16, fol. 78, août 1410. 185. JJ 118, 69, novembre 1380, MACHY (sénéchaussée de Ponthieu). 186. JJ 165, 315, lettre citée supra, n. 111 et 138. 187. X 2a 14, fol. 181 v.-182, mai 1404, cité supra, p. 183, bois de SAINT-BRANCHS. 188. Ibid., fol. 382, mai 1407 : le crime a lieu dans une forêt proche de COULOMMIERS ; autre exemple dans le Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 286-287. 189. X 2a 14, fol. 13v.-15, février 1401. 190. Ibid., fol. 192-192v., juin 1404. 191. Registre criminel du châtelet, t. 1, p. 171. 192. Ibid., p. 516-556. Le procès commença le 9 septembre 1390 et le roi adressa une lettre au prévôt pour lui dire de faire toute la vérité sur cette affaire pour laquelle il avait eu des informations contraires aux premières dépositions de Pierre Foumet. Soumis à la torture une première fois, l’accusé dit avoir été soudoyé par un messager de Simon de Cramaud afin de ne pas remettre les lettres du roi au duc de Berry ; on lui aurait d’ailleurs dit que l’évêque de Poitiers était déjà nommé archevêque de Sens, ce qui rendait caduques les lettres royales. L’affaire est alors prise en main par le chancelier qui interroge Pierre Foumet à la Conciergerie. Celui-ci revient sur sa déposition, des témoins sont appelés, et finalement il est condamné à perdre tout office du roi, à être tourné au pilori et à avoir la langue flétrie. Ce procès s’inscrit dans la rivalité politique qui oppose le « client » des Marmousets, Guillaume de Dormans, alors évêque de Meaux, à celui du duc de Berry, Simon de Cramaud, évêque de Poitiers, pour l’obtention d’un des plus

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grands archevêchés du royaume par sa richesse et son prestige. Sur le déroulement de cette affaire par bulles interposées, voir H. KAMINSKY, Simon de Cramaud…, p. 102-103. 193. Sur le rôle de cet imaginaire dans la construction de l’Etat, voir chapitre 5, p. 223 et suiv. 194. Cela n’implique pas que la rixe soit liée exclusivement à un état psychologique, chapitre 10, p. 430. 195. JJ 118, 84, lettre citée supra, n. 55. 196. Ibid., 87, novembre 1380, SAINTE-VERGE (bailliage de Touraine). 197. Ibid., 85, novembre 1380, ÉCUEIL (à tous les justiciers). 198. JJ 165, 345, novembre 1411, ARQUES-LA-BATAILLE (bailliage de Caux). 199. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 181. 200. Voir les travaux d’É. CROUZET-PAVAN, « Recherches sur la nuit vénitienne… », p. 339-356, et « Violence, société… », p. 903-936. 201. JJ 155, 265, octobre 1400. CONLIE (prévôté de Paris). 202. Ibid., 252, octobre 1400, MANDRES (bailliage de Chartres). Ce suppliant, qui habite Mandres, a commis ses vols dans un rayon géographique restreint, à Mandres même, à Billancelles, et à L’Aigle. 203. JJ 165, 321, septembre 1410 (bailliage d’Evreux). 204. JJ 143, 163, lettre citée supra, n. 88. 205. JJ 120, 116b. mars 1382, ESSUILES (bailliage de Senlis). 206. JJ 160, 96, novembre 1405, DAMPIERRE (bailliage de Chartres). 207. JJ 127, 15, lettre citée supra, n. 150 et 154 ; sur la place du diable, voir chapitre 10, p. 438 et suiv., en particulier p. 439, n. 31.

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Chapitre 7. Homme et femme

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La répartition de la criminalité par sexe pose de redoutables problèmes, à la fois historiques et historiographiques. Ils sont indissociables de ceux qui alimentent une réflexion générale sur la condition de la femme dans la société médiévale. Or, malgré quelques travaux pionniers, l’histoire des femmes reste délicate, à plus forte raison quand, délaissant l’aristocratie et le Moyen Age classique, l’intérêt se porte sur la vie quotidienne des deux derniers siècles du Moyen Age. Comment élucider un domaine où, comme l’écrit R. Fossier, « tout est silence »1. Les traces écrites ne font qu’en accroître l’opacité. Elles sont, le plus souvent, langage de clercs qui font des femmes les filles d’Ève et dressent, pour mieux s’en préserver, le stéréotype inquiétant du visage féminin. Il est dangereux de se laisser séduire à leur pouvoir. Les théoriciens de la morale politique en ont tiré les conséquences, et Guillaume de Tignonville, par la bouche de Socrate, donne ainsi ce conseil : « Voulez-vous que je vous enseigne comment vous porrez eschapper de tout mal ?… Pour quelque chose que ce soit, gardezvous d’obeyr aux femmes », et à ses interlocuteurs qui arguent de la vertu des mères et des soeurs, il ajoute : « Suffise vous de ce que je vous en ay dit, car, toutes sont semblables en malices »2. Les lettres confirment cette vision en y ajoutant l’excuse juridique de l’imbecillitas sexus dont bénéficie cette jeune femme coupable d’avoir volé sur instigation de son amant « comme fragilité feminine qui est aucune foiz plus tost encline a peschié que a bien faire »3.

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Un premier danger serait de se laisser enfermer à l’intérieur de ce discours, sans en déceler les temps forts et les significations historiques. Un second danger serait de tenter de l’esquiver en abordant la vision des femmes par le biais d’une problématique contemporaine. Cette approche, influencée par le féminisme, se dégage mal d’une description des rapports hommes-femmes dans la société rurale française telle qu’elle se présente au cours du long XIXe siècle4. L’anachronisme est évident. Outre son analyse statique des rapports hommes-femmes, cette perspective a l’inconvénient de les envisager en termes de supériorité ou d’infériorité. Les études anthropologiques apportent un autre éclairage, celui des sociétés traditionnelles, sans doute plus fructueux pour étudier le « mâle Moyen Age ». Les modalités de l’échange des femmes qui, comme l’a montré Cl. Lévi-Strauss, fonde la société et assure, dès l’origine, une division des sexes et un monopole des hommes qui contrôlent cet échange, ne nous retiendront pas ici. En revanche, le crime permet de saisir les formes et les limites de

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cette inégalité fondamentale. Il montre le degré d’implication sociale et les tensions entre les sexes, mais aussi comment se manifeste ce que G. Balandier appelle l’« ambivalence » de la femme, c’est-à-dire tout ce qui en fait une moitié subordonnée, nécessaire, mais aussi dangereuse5.

UNE CRIMINALITÉ INÉGALE 3

Peu de femmes sont recensées comme de grandes criminelles puisqu’elles constituent environ 4 % seulement des suppliants ayant obtenu des lettres de rémission pendant le règne de Charles VI. Considérant la région du Val de Loire, M. Bourin et B. Chevalier obtiennent, avec les mêmes sources, des résultats comparables. Ils évaluent à 6,5 % le nombre des criminelles demandant rémission au XIVe siècle et ils remarquent que ce taux diminue au XVe siècle6. Plus qu’à une évolution de la criminalité féminine, cet affaiblissement est dû à l’évolution de la source considérée qui, au cours du XV e siècle, filtre de plus en plus les types de crimes remis pour les réduire pratiquement à l’homicide dès le XVIe siècle. Les femmes, parce qu’elles manient peu le couteau, se trouvent donc exclues de fait du corpus des lettres de rémission. Sous le règne de Charles VIII, la part des femmes n’atteint plus que 2,5 % des crimes remis 7.

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Au total, sur l’ensemble de la période envisagée, le nombre des femmes bénéficiaires de la grâce royale est peu élevé. La série étudiée est-elle en cause ? Sans aucun doute. Au même moment, N. Gonthier évalue à 20 % le taux de criminalité féminine en Lyonnais 8. Mais la disparité entre les chiffres n’est qu’apparente. Les lettres de rémission ne prennent en compte, rappelons-le, que la grande criminalité. Or, les chiffres obtenus pour le Lyonnais ne distinguent pas les types de délits ; ils s’appliquent à tous les prévenus jugés par la cour de l’archevêque de Lyon, sans considérer la gravité du cas, ni la répartition par sexe en fonction de la hiérarchie des crimes. La divergence des résultats révèle donc moins des disparités criminelles entre les régions que des niveaux criminels inégalement perçus selon les sources utilisées. Cette divergence a aussi un autre sens pour notre propos : elle permet d’affirmer que les femmes sont de moins en moins engagées dans le crime au fur et à mesure que se profile la grande criminalité. Peut-être existe-t-il, néanmoins, à l’intérieur de cette grande criminalité, un palier supérieur où la part des femmes retrouve une place non négligeable, quand il s’agit des cas qui ont pu donner lieu à la procédure extraordinaire. Pour autant que le Registre criminel du Châtelet soit fiable, il révèle que les femmes soumises à cette procédure constituent environ 10 % des inculpés : vol avec récidive, meurtre, sorcellerie, lèsemajesté, boutement de feu leur sont, dans ce cas, reprochés 9. Remarquons cependant, qu’au même moment, le Parlement de Paris est très discret sur ces mêmes types de crimes qui, chez les femmes, seraient susceptibles de permettre le recours à la procédure extraordinaire. Ils constituent moins d’1 % des cas recensés, ce qui est statistiquement négligeable. Ce résultat pose un problème impossible à résoudre dans le cadre de cette étude mais qui mérite d’être évoqué : l’application de la torture n’a-telle pas contribué à creuser, de fait, une différence judiciaire entre les sexes ? Et, si le registre d’Aleaume Cachemarée est un modèle de jugements destinés à définir une conduite judiciaire exemplaire, ne faut-il pas en conclure que ses préceptes ont été peu suivis ? Il est probable que tous les juges n’ont pas imité ceux du Châtelet qui, sans céder aux pressions de Marion de La Court qui se prétendait enceinte, l’ont fait visiter par des matrones jurées et, à la vue du résultat négatif, ont imperturbablement

328

poursuivi sa mise à la question jusqu’à obtenir ses aveux 10. La plupart du temps le corps des femmes a joué comme un tabou, rempart de secrets dont il était inconvenant pour le juge, qui était aussi un homme, d’obtenir l’aveu à tout prix. 5

Peut-on, par ailleurs, avoir une idée de la criminalité féminine globale, telle qu’elle se présente en aval du jugement, sous la forme première de l’arrestation ? A la fin du XV e siècle, le Registre des écrous du Châtelet permet une approche de la criminalité parisienne avant la délivrance, l’élargissement ou la sanction des prisonniers 11. Les femmes écrouées constituent environ 15 % des individus, et 15 à 20 % d’entre elles subissent une peine, 4 % à 5 % obtenant une rémission. A considérer les délits tels qu’ils peuvent être saisis à tous les niveaux de la procédure, depuis l’écrou jusqu’à la rémission ou la condamnation, la criminalité féminine s’avère donc toujours nettement moins élevée que celle des hommes. Cette constatation ne s’applique pas seulement au royaume de France. Les études anglo-saxonnes, en particulier celles que B.A. Hanawalt a pu mener à partir des Rolls du Norfolk, du Bedfordshire et du Northamptonshire portant sur des types de crimes de nature et d’importance différentes, montrent, dans chaque cas, le faible engagement des femmes dans le crime12. Au total, en comptant les agressions contre la propriété, la criminalité féminine anglaise, entre 1300 et 1348, ne dépasse pas 22 % des cas recensés. Resterait à savoir enfin si la criminalité féminine ne fait pas plus facilement l’objet de procédures d’arbitrages que la criminalité masculine, en raison même de la minceur des délits commis et de la situation éventuellement subalterne des femmes. Là encore, la réponse, même ébauchée, est impossible à donner dans le cadre de cette enquête, mais elle éclairerait peut-être d’un meilleur jour la situation des femmes dans la société civile.

6

L’ensemble de ces remarques pose un problème d’interprétation. L’éventuelle mansuétude des juges face aux délits féminins est, peut-être, un premier élément d’explication. Comme l’écrit M.J. Dhavemas, « il s’avère difficile de faire la part de ce qui est différence réelle de comportement entre les deux sexes et de ce qui est différence de réponse de l’appareil judiciaire à des comportements semblables » 13. Moins souvent arrêtées que les hommes, les femmes seraient, jusqu’à nos jours, plus souvent acquittées qu’eux. La place de la criminalité et de la délinquance féminines dans le droit pénal médiéval incite à nuancer cette perspective. A. Porteau-Bitker montre qu’en matière de responsabilité et de sanctions pénales, le sexe du coupable importe finalement assez peu, à cette différence près que les femmes sont plutôt enfouies ou brûlées que pendues ; encore faut-il compter avec des nuances régionales qui opposent le Nord au Midi comme le souligne J. M. Carbasse en étudiant les coutumiers méridionaux14.

7

Mais la théorie et la pratique risquent de diverger. Le recours différencié à la torture l’a déjà suggéré. L’application des peines montre aussi de légères différences. Certes, on voit le prévôt de Paris (en 1389-1392) appliquer la peine d’enfouissement aux laronnesses et le bûcher aux meurtrières ou au criminelles de lèse-majesté. Néanmoins, il apparaît, lors de cette même procédure extraordinaire suivie par le Châtelet, que des femmes qui ont avoué des crimes graves sous la torture peuvent, plus facilement que les hommes traités dans les mêmes conditions, échapper à la condamnation à mort. En effet, 10 % des femmes pour 4 % des hommes seulement subissent une autre peine que la mort. Les délibérations des juges montrent aussi leurs hésitations. Le rapport fait sur Marion Du Val, condamnée à être tournée au pilori en 1389, retrouve les excuses qui alimentent les lettres de rémission : jeunesse, faible valeur des larcins, tentation de

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l’ennemi, satisfaction de la partie lésée15. Elle avait pourtant volé son maître, signe d’une trahison sévèrement punie dans des cas similaires commis par des hommes. Peut-on pour autant parler d’indulgence dans le fonctionnement de la justice ? Les lettres de rémission ne permettent pas de trancher en ce domaine. Pour accorder la grâce, la Chancellerie reconnaît aux femmes coupables moins de circonstances atténuantes qu’aux hommes : 19 % des hommes n’ont pas de première circonstance atténuante pour 22 % de femmes, proportion qui s’accentue nettement pour la seconde circonstance atténuante puisque 74 % de femmes n’en ont pas contre 58 % d’hommes. Suffit-il d’être femme pour emporter la grâce ? L’interprétation, en fait, s’avère délicate. Mais incontestablement, l’instance qui condamne ou gracie, a sa part de responsabilité. Au même moment, à Paris, les hommes sont plus facilement absous que les femmes de l’excommunication qui les frappe puisque 30 % de ceux qui sont excommuniés se trouvent absous pour 15 % de femmes16. La décision des clercs n’est pas celle de la Chancellerie royale. 8

La Chancellerie évoque à l’égard de la femme, plus facilement que pour l’homme, la prison encourue17. Est-ce par pitié ? C’est possible, mais c’est peut-être aussi, tout simplement, parce que la femme n’a pas les moyens d’être « fuitive » du royaume et que son crime la conduit droit aux geôliers. Une fois emprisonnée, il n’est pas sûr qu’elle ait les moyens financiers de se libérer autrement que par la rémission. Enfin, la fréquence de l’emprisonnement que la femme est susceptible d’encourir, y compris pour des délits considérés comme mineurs tels les injures, est sans doute moins une affaire de fermeté de la part de la justice légale que le résultat du droit pénal tel qu’il se définit au XIIIe siècle18. La femme mariée ne pouvant engager, en cas de délit, que la nue-propriété de ses propres biens, la prison remplace la punition personnelle quand la peine pécuniaire est inapplicable, c’est-à-dire quand le mari n’assiste pas sa femme et refuse par conséquent de s’impliquer, lui et les biens communs, dans un procès. Pour toutes ces raisons, d’ordre sociologique et juridique, les femmes côtoient la prison. Plus de la moitié d’entre elles évoquent la prison comme circonstance atténuante et pour obtenir la grâce, alors que 17 % seulement des hommes ont recours à ce motif. Mais il reste qu’elles s’en trouvent facilement libérées comme le montre le Registre des écrous du Châtelet en 1488. Plus de 60 % des femmes incarcérées sont délivrées, y compris même quand elles ont commis des vols ; un tiers d’entre elles sont élargies ; les autres sont remises à l’official. Trois d’entre elles sont menées au Palais sans que la décision finale soit mentionnée : il est vrai que l’une d’elle, récidiviste, avait volé dans une église ; une seule est bannie après avoir été battue : elle était convaincue du vol de cinq chemises de chanvre pour enfants et autres objets « comme elle dit »19.

9

La comparaison avec le sort des hommes montre-t-elle une grande différence ? Ceux-ci, d’après ce même registre, sont en fait plus souvent délivrés que les femmes puisque 80 % d’entre eux bénéficient de cette mesure et 15 % seulement ont besoin d’être élargis. Mais ils sont plus nombreux que les femmes à subir des peines lourdes et infamantes : 4 % d’entre eux sont bannis après avoir été battus ou essorillés et certains ont été soumis à la question. Enfin, environ 1 % d’entre eux, soit quatre cas, sont pendus, tel ce Pierre Paris dit Craquet, meunier demeurant rue de la Savonnerie qui, pour avoir coupé la bourse de la femme de Jean Cornu demeurant rue Saint-Denis, a été « essorillé, battu et banny et mené au gibbet la corde au col » 20. Quant à Robin Lescuille, mené au Châtelet par le lieutenant criminel le 26 juillet 1488, sans que son crime soit précisé, il fut « battu et estranglé » le 21 octobre de la même année tandis que Chariot Marchant, sans doute son complice, a été seulement « battu et banni » 21. Les lettres de

330

rémission confirment cette différence entre les peines puisque 21 % des hommes sont bannis pour 4 % des femmes. 10

Plus facilement arrêtés que les femmes, les hommes sont aussi plus facilement relâchés et, pour ceux qui sont jugés, plus sévèrement punis. Ce résultat est, apparemment, le signe d’une attitude différente des autorités légales. Mais quels crimes ces hommes et ces femmes ont-ils commis ? Quelle est leur identité et dans quelle mesure n’est-elle pas plus déterminante que le sexe du coupable dans la décision que prend le Châtelet ? La logique des condamnations est extrêmement difficile à cerner et nous aurons à y revenir. Mais il apparaît que les hommes sont, pour la plupart, arrêtés par le guet pour tapage ou pour rixe sans qu’il y ait toujours injures ou blessures : la faible gravité du cas explique qu’ils soient fréquemment relâchés. Or les femmes sont moins souvent que les hommes impliquées dans ce type de crime22. Outre l’emprisonnement pour dettes qui relève du civil, elles commettent surtout des vols. Comparons donc l’attitude des juges pour des crimes identiques, en l’occurrence les vols, selon qu’il s’agit d’hommes ou de femmes. Environ 40 % des vols sont, d’après le Registre des écrous du Châtelet, commis par des femmes. Près de la moitié de ces criminelles sont relâchées alors qu’un tiers seulement des hommes bénéficient du même sort. Enfin, signe de la rigueur des juges, 30 % des voleurs sont battus sur les carreaux du Châtelet ou aux Innocents, et 20 % se trouvent bannis. Les femmes accusées de vol ne subissent que très rarement ces peines infamantes. Il faut, certes, prendre en compte les phénomènes de récidive qui sont mentionnés en cas de bannissement, mais ils ne sont pas systématiques. La fréquence du vol à la tire chez les hommes explique aussi que ce crime soit perçu comme un désordre susceptible de perturber l’ordre public, et comme tel, sévèrement puni. Mais les conditions dans lesquelles se produit le vol n’expliquent pas entièrement les différences de peines. Et il faut bien conclure que, sans que la justice se trouve outrageusement faussée, le verdict des juges se ressent, sans doute, du sexe du coupable23.

11

L’image de la femme « éternelle mineure » demande, elle aussi, à être nuancée. Les femmes ne sollicitent pas beaucoup plus que les hommes l’intercession de leurs amis et parents pour obtenir la grâce : 22 % d’entre elles établissent leur requête en leur seul nom, pour 37 % des hommes. Ce décalage entre les deux sexes n’est pas seulement le fait d’une éventuelle fragilité. Plus facilement emprisonnées que les hommes parce qu’elles n’ont pas eu la possibilité de fuir après leur délit, elles ont, de ce fait, une plus grande obligation de recourir à leurs appuis, parents et amis charnels pour demander leur grâce24. Une éventuelle différence entre les sexes se trouve brouillée par ces données annexes, mais fondamentales, que sont la nature du crime et les procédés de demande en grâce. De ce fait, dans les documents judiciaires, le discours des hommes et des femmes ne peut pas être lu au premier degré de l’écriture.

12

L’éventuelle partialité de la justice comme la « minorité » des femmes conduisent à la question fondamentale de la place respective des hommes et des femmes dans la société. L’affrontement d’hommes et de femmes lors de sortes de combats permet d’en mesurer l’inégalité mais aussi les rivalités latentes. Ces formes de duels n’ont pas seulement un but judiciaire, mais ils sont utilisés pour soutenir une idée ou trancher une question, et, ici, mesurer la force des deux sexes25. Dans la sénéchaussée de Bigorre, en 1411, un homme se vante d’avoir lutté contre trois femmes et d’avoir été victorieux. Aussitôt trois femmes se mesurent à lui, avec succès…, ce qui n’est pas du goût du vantard ! Alors le jeu dégénère en bagarre ; les maris entrent en scène et se battent, qui

331

à l’épée, qui à l’escot, c’est-à-dire au bâton de rouet26. Une part de la rivalité et de la hiérarchie des sexes est résumée ici. On voit que la vanité masculine n’étouffe pas – ou pas encore – le jeu corporel auquel peuvent se prêter les femmes pour rivaliser avec les hommes : preuve que la séparation des sexes s’accompagne de conflits larvés qui savent éclater de manière symbolique. Ils sont représentés aux yeux de tous lors des entrées royales. Ainsi, quand Louis XI entre à Paris, le 31 août 1461, Jean de Roye décrit qu’« estoient a la fontaine du Ponceau hommes et femmes sauvages qui se combatoient et faisoient plusieurs contenances »27. Cette mise en scène sociale fonctionne bien comme une remise en ordre de l’équilibre entre les sexes. Néanmoins, la limite dans la liberté d’expression s’impose vite : la femme ne doit pas surpasser l’homme, et son défenseur « officiel » reste le mari, si bien que le règlement se termine dans le sang, entre hommes. A ne considérer les femmes que comme objets d’échange dans des stratégies matrimoniales parfois violentes, on serait tenté d’oublier cette dimension subtile de rapports de force qui s’enracinent dans les comportements quotidiens. Et, pour mieux les cerner, il convient de décrire quels types de crimes caractérisent l’un et l’autre sexes.

VIOLENCE AU MASCULIN 13

La violence se conjugue au masculin, elle est une affaire de sexe : tel est le premier bilan que semblent suggérer des chiffres écrasants : les homicides impliquent 99 % de coupables et 79 % de victimes du sexe masculin. Les hommes se tuent entre eux : 97 % des victimes d’une rixe sont des hommes. Ils construisent un univers de violence dont les femmes semblent exclues (tableau 13). Ce déséquilibre des sexes dans la rixehomicide n’est d’ailleurs pas réservé au royaume de France. L’Angleterre, au XIII e siècle, compte pour ce type de crime 91,4 % d’hommes coupables et 80,5 % de victimes28. Enfin, le phénomène perdure à l’époque moderne et infléchit la répartition de la criminalité par sexe, telle qu’elle est perçue dans les lettres de rémission. Comme celles-ci ne recensent quasiment plus que des homicides, les femmes semblent disparaître du champ criminel. Dans l'Artois étudié par R. Muchembled, elles constituent seulement 0,36 % des coupables pour homicide ayant vu leur crime remis 29. Tableau 13 : Types de délits par sexe a) Types de délits et sexe du coupable

Types de délits

Homme (en %) Femme (en %)

Homicide

58,5

14,5

Vol

15,0

48,0

Pillage

1,5

0,0

Dispute conjugale

1,0

4,0

Viol individuel

1,0

0,0

Viol collectif

2,0

0,0

332

Avortement

0,0

4,0

Infanticide

0,0

4,0

Blasphème

2,0

0,0

Rupture d’asseurement

4,0

7,0

Contre la chose publique

6,0

0,0

Crime lié à la guerre

2,0

0,0

Accident

2,0

0,0

Suicide

4,0

Faute professionnelle

1,0

0,0

Autres

4,0

14,5

100

100

La différence d’attitude criminelle des deux sexes est nette : les hommes commettent surtout l’homicide, les femmes le vol. La rubrique « autres », importante pour les femmes, montre que les crimes qu’elles commettent sont souvent complexes. b) Sexe de la victime et types de délits

Homicides

Vols

Crimes conjugaux

(en %)

(en %)

(en %)

Inconnu

0,0

16,0

0,0

33,5

Homme

97,0

73,0

16,5

66,5

Femme

3,0

11,0

83,5

0,0

100

100

100

100

Sexe de la victime

Crimes politiques (en %)

Les homicides sont nettement une affaire d’hommes tandis que les crimes conjugaux privilégient les femmes comme victimes. Les femmes sont exclues des crimes politiques. Pour ce type de crime, le sexe est déclaré inconnu quand il s’agit d’une collectivité. 14

En effet, les femmes ne sont guère a priori concernées par ces affaires de sang, et, quand elles le sont, elles prennent exclusivement le visage des victimes, des victimes de la violence des hommes. Les femmes qui se tuent entre elles sont l’exception, et on ne retrouve pas à l’échelle du royaume ces règlements de compte sanglants que l’on peut déceler dans la société lyonnaise au même moment30. Les lettres de rémission restent aussi muettes sur les batailles de lavoir chères au XIX e siècle. Celles-ci ont sans doute existé, mais elles ne semblent pas s’être terminées par la mort d’une des protagonistes. On les trouve, par conséquent, dans les archives judiciaires qui inventorient les délits mineurs. Voici, dans le Paris de la fin du XVe siècle, une « garderesse d’accoucheez » qui

333

se bat dans sa chambre avec une autre femme du même métier en lui donnant « coups et blessures, tant de ses ongles que de ses dants » 31. 15

Une autre fois, ce sont deux femmes amoureuses qui se donnent de la main et de la quenouille ou qui se jettent de la « lessive toute chaulde » ou autres « grosses matieres » par la fenêtre32. Mais les blessures ne vont pas très loin, et les coupables sont, en général, rapidement délivrées par les officiers du Châtelet. En fait, les querelles de femmes qui se terminent par un crime capital sont, le plus souvent, l’effet du hasard. La rixe a mal tourné, ou s’est révélée lourde de conséquences comme lors de cette altercation de deux voisines à propos d’une poupée de lin : les deux femmes se prennent par le nez, ce qui est infamant sans être mortel ! Malheureusement, l’une d’entre elles, enceinte, accouche quelques jours plus tard d’un enfant mort-né et la coupable présumée se retrouve enfermée dans les prisons du prieur de Saint-Martindes-Champs33. Sans cette circonstance particulière, le fait n’aurait sans doute pas eu de suite judiciaire car la rixe est, entre femmes, incontestablement moins dangereuse pour l’ordre public que celle des hommes.

16

Est-ce le signe d’un cloisonnement des tâches qui cantonne les femmes dans des activités spécifiques ? Les lettres de rémission n’apportent pas une réponse aussi nette que celle qui est donnée pour les siècles postérieurs34. On voit la femme « appareiller la farine pour faire des flarus », pétrir le pain et le cuire, son enfant à ses pieds, tirer le lait des vaches, bref, « gouverner et faire son menage » 35. Mais elle peut aussi aller aux champs, porter le fagot et conduire l’âne. Dans le travail, la séparation des tâches ne confine pas la ménagère dans les murs de sa maison, même si elle en est maîtresse souveraine. Sans être ribaudes, les femmes partagent aussi avec les hommes des loisirs et un certain champ d’action. Les voici à la taverne buvant avec les hommes jusqu’à en être ivres, ou encore sur la route qui les conduit au pèlerinage, à l’église de la paroisse proche, ou encore à la fête36. Le témoignage des chroniques conforte cette relative mobilité. Sous la plume de Jean de Roye, vers 1470, la « femme d’honneur » sait recevoir à sa table tout en étant aussi reçue, aller à la procession, au bain, etc. 37.

17

Du point de vue religieux, il n’existe pas, ou pas encore, de différence sensible entre les hommes et les femmes. Celles-ci ne suivent pas la messe dominicale tandis que ceux-là fréquentent la taverne. Ces habitudes, répandues au XIXe siècle, ne sont pas de mise à l’époque qui nous occupe. Ainsi, Robin Le Boutillier, parti au pèlerinage de sa paroisse en 1416, accompagné de sa femme et de son beau-frère, termine avec eux la soirée chez le curé où il y a taverne ; de même, en 1411, ce suppliant demande à la femme de son neveu de l’accompagner à la messe du nouveau chapelain de la paroisse et il termine la soirée avec elle, de taverne en taverne38. Enfin, la femme n’est pas seule garante des préceptes de l’Eglise. Ce mari sait mettre en garde son épouse crédule à qui le curé, pour mieux la perdre, avait commandé pour pénitence « qu’elle mangast d’un pasté d’aigle blanc le jeudi absolu et qu’elle lui reportast les os. Dit que le curé fist bailler le pasté et en vouloit menger la femme qui estoit simple, mais son mary survint qui trouva le pasté qui estoit de char, et demanda a sa femme que estoit, qui lui racompta le fait »39.

18

Peu différentes des hommes dans l’expression de leur sentiment religieux public, les femmes semblent avoir à la maison un rôle spécifique, celui de gardienne du rituel. La coutume le leur reconnaît volontiers et ces attributions n’ont, par conséquent, rien de secret. Ainsi, Macete, accusée de sorcellerie par le Châtelet pour avoir chez elle des « eschaudez et du pain benoît », se défend en disant que « iceulx eschaudez sont de la

334

Cesne de deux ou trois jeudiz absolus que elle a gardé, ainsi comme femmes ont accoustumé de faire, et semblablement du pain benoit est de celui qui leur fu donné a leurs noces »40. La femme témoigne moins ici d’un sentiment religieux particulier que de son rôle domestique nécessaire à la survie du foyer. L’expression du sentiment religieux féminin ne se cache pas : il est connu de tous. Il est moins inquiétant que les artifices du corps dont le maquillage constitue, au même moment, une des « choses secretes qui sont a usaige de femmes »41. Méfions-nous cependant de cette égalité que semble créer l’assistance à la messe en cette fin du Moyen Age. Il n’en est pas toujours de même lors de certaines fêtes à caractère folklorique d’où les femmes peuvent être exclues. En revanche, leur présence peut simplement révéler que la promiscuité sexuelle est parfois admise dans certains cas, en particulier lors des fêtes qui gardent un caractère rituel. Le but est alors de maintenir un ordre social qui, en temps ordinaire, est fondé sur la nette distinction des sexes42. Tableau 14 : Déplacement du coupable avant le crime (par sexe)

335

Distance

Homme (en %) Femme (en %)

0 Inconnue

6,0

4,0

1 Même domicile

5,0

18,5

2 Même lieu

38,5

47,5

3 1 à 5 km

14,0

11,0

5 15 à 30 km

9,5

7,0

6 > 30 km

9,0

4,0

7 Indéterminée

13,0

4,0

100

100

Motifs du déplacement Homme (en %) Femme (en %) 0 Inconnu

11,0

14,5

1 Pèlerinage

2,0

4,0

2 Guerre

3,0

0,0

3 Taverne

11,0

0,0

4 Professionnel

17,0

14,5

5 Foire

3,0

4,0

6 Loisir

20,0

4,0

336

7 Amour

1,0

4,0

8 Crime lui-même

26,5

40,5

9 Autres

5,5

14,5

100

100

Pour les hommes comme pour les femmes les crimes sont plutôt commis dans le lieu d’habitation. Mais femmes se révèlent moins mobiles que les hommes car les crimes qu’elles commettent à domicile sont presque quatre fois plus nombreux que ceux des hommes. Près de la moitié d’entre elles ne quittent pas le lieu où elles habitent, pour moins de 40 % des hommes. En revanche, même si l'écart reste sensible avec les hommes, les femmes restent présentes sur les longues distances. Le motif de déplacement se révèle aussi beaucoup plus diversifié chez les hommes que chez les femmes, mais celles-ci ne pratiquent pas des activités strictement ménagères. 19

L’étroite mobilité des femmes avant le crime oblige d’ailleurs à constater la différence : les femmes se déplacent beaucoup moins que les hommes ; elles dépassent rarement plus de 5 kilomètres et leurs pas se réduisent, pour 19 % de celles qui commettent un forfait, au sol familier de la maison (tableau 14). Le lieu où elles peuvent commettre leur crime reste la rue proche, le monde connu du voisinage. Enfin, le crime révèle la pesanteur du droit de regard des hommes. Lorsque les femmes s’adonnent aux travaux qui sont spécifiquement les leurs, lavoir, fontaine, four, elles sont encore les victimes de la violence des hommes. A son retour de besogner, Colin Le Peletier, valet laboureur, trouve sa femme au four avec une voisine ; il la fouette car elle n’a pas fait ce qu’il lui avait commandé. Ailleurs, c’est le fournier lui-même qui s’en prend à une femme venue porter, la veille de Noël 1395, une table chargée de pain en pâte, selon l’habitude du pays, et pressée de se décharger à l’entrée du four : « Vous ne cuirez point ; j’ay assigné autres gens pour cuire a ceste foiz ; je les metteray et cuiray leur pain avant que le votre »43.

20

En fait, mesurer le degré de liberté accordé aux femmes aboutit sans doute à un faux problème. On peut, avec E. Power, dire que les femmes sont, aux XIV e et XV e siècles, moins enfermées qu’on ne le pense parfois dans une attitude dont le stéréotype est postérieur44. A condition de constater aussitôt que la société repose sur une nette distinction entre les sexes et que celle-ci est la source d’une inégalité avec laquelle les femmes n’ont pas cessé de biaiser. De petites scènes montrent que la rivalité entre les hommes et les femmes ne s’exprime pas seulement de façon symbolique. En 1385, près de La Rochelle, la femme d’un tavernier, partie à l’égale de son mari pour conclure un marché d’achat de vin, refuse d’aller faire cuire « l’oison » pour le repas d’affaires qui doit suivre, « laquelle incontinant fu refusant de ce faire, et dit plainement a son dit mari qu’elle n’en ferait riens, et, par grant despit, se parti et s’en ala de leur hostel en une estable qu’ilz avoient ailleurs en la ville querir deux jumens, l’une grande et l’autre petite, pour les mener paistre aux champs »45. Le texte ne dit pas ce qui a fait éclore la scène de ménage. Mais, pour manifester son insubordination, la femme inverse sa tâche et choisit l’extérieur, quitte à en mourir. L’ordre des choses, en désordre, ne fonctionne plus : au crime de le rétablir. Tous les cas ne sont pas aussi sanglants. Dans ces rapports de force inégaux, quelle est la part de la ruse ?

21

La violence de cette fin du Moyen Age semble bien cloisonnée, mais on peut se demander si l’absence des femmes dans les rixes et les homicides a, pour autant, toute la saveur de l’innocence. Il faut affirmer d’emblée que la complexion physiologique des

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femmes n’est pas une explication satisfaisante, même si, en définitive, les femmes doivent le plus souvent s’incliner, vaincues. Attaquées, elles n’hésitent pas à se défendre, toutes griffes dehors, jusqu’à « dechirer tous les drappeaulx » 46. Et cela, quels que soient leur force et leur âge. « Jeune et forte », la femme a plus de chance de faire peur : les exposants des lettres de rémission et des registres criminels ne se privent pas de le dire et leur crainte paraît plausible ! En 1337 à Paris,Tiphaine, pour venir à bout d’un homme entreprenant, avait « hostié et dessiré efforcieusement un chaperon et clos son huis » sur Jehannin de Dignant et « l’avoit batu et feru » 47. De même, une vieille femme de 70 à 80 ans, menacée de viol, n’hésite pas, malgré son âge, à riposter contre son agresseur : elle « l’attrappe par le genitoire » avant de s’écrouler, frappée à mort 48. L’infériorité physique des femmes se vérifie bien là : d’ailleurs le texte ajoute que cette femme « ancienne » était de faible complexion et malade. 22

Cette infériorité n’est pas, non plus, suffisante pour écarter totalement les femmes de la rixe et de la tentation de l’homicide. Elle peut prendre, seule, l’initiative de blesser ou de tuer, même si sa victime est un homme49. Mais le cas est, répétons-le, extrêmement rare. Plus fréquemment, lorsque le processus de violence est engagé, la femme est capable de s’y intégrer et d’y tenir une place qui est loin d’être négligeable. Mais elle ne participe pas, physiquement, à son éclatement. Comment pourrait-il en être autrement puisqu’elle ne porte pas les armes qui font éclore et croître la violence, épées ou dagues, ni le petit couteau à trancher le pain, apanage du mâle ? Ses armes, quand elles existent, sont de fortune, une cruche, un bâton, une hache. Dans ce type de crime, la préméditation du geste violent n’est pas son fait. La femme vient à la rixe les mains nues. Au pis, elle tient la victime ligotée, ferme la porte pour que son complice achève le crime. Elle peut aussi être présente, comme bourreau, dans les scènes de torture clandestine. Mais, quand éclate la violence, à la différence de ce qui se produit pour le vol, la femme agit rarement seule et son premier complice est son mari 50.

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Il peut arriver que la femme soit amenée à porter des coups la première et de son propre chef contre ce qu’elle est chargée, traditionnellement, de préserver. C’est le cas lorsqu’elle tue son mari. Cette forme d’homicide est rare et ne se produit qu’au terme d’un long désespoir, quand la construction déjà brisée ne demande plus qu’à se défaire. Marie La Mugière, du bailliage de Sens, en témoigne, qui soignait depuis 18 ans son mari aveugle et supportait d’être injuriée et battue. Un soir que, lourdement chargée, elle revenait des vendanges, elle trouva la porte fermée et le raisin gâché : « Or suis-je mal fortunee, maldite soit l’eure que je fuz oncques nee. J’ay peine de gaigner et amasser ma vie pour cest homme et si laisse tout perdre ». Une scène de ménage s’ensuit au cours de laquelle Marie est jetée hors de son hôtel par son mari. C’en est trop. Elle y revient de force, empoigne l’aveugle et le tue au cours de la bagarre. Certes, la lettre insiste pour disculper la suppliante sur le hasard du coup final, mais surtout sur le calvaire enduré et sur le devoir rempli par cette épouse exemplaire, « actendu que icelle Marie a gouverné sondit mary aveugle par l’espace de XVIII ans a la peine et sueur de son corps, comme dit est, et dix ans ou environ par avant qu’il fust aveugle, il qui estoit moult durs homme, noisieux et rioteux, qui souventeffoiz la batoit et villenoit et tousiours la traitoit moult durement et que, en autres cas, elle a tousiours esté femme de bonne vie »51.

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Toutes ces circonstances atténuantes sont bien le signe que la femme ne peut envisager le meurtre conjugal qu’au terme du constat d’échec de la cellule morte. Et il ne semble pas, au total, qu’elle ait beaucoup failli à ce qui était considéré comme son devoir. Son

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« domaine » s’épanouit dans la vie privée, à l’abri des murs de la maison. A un agresseur, ô combien ennemi, puisqu’il les avait autrefois violées, elle et sa belle-soeur, avant de dérober leurs biens, une femme n’hésite pas à tenir tête. L’homme revenait cette fois-ci pour bouter le feu ; elle réussit à le plaquer contre le mur et à crier jusqu’à ce que mari et voisins arrivent et le tuent : « Haro, pour Dieu merci, tuez-moy et n’ardez pas cet hostel »52 ! Mais le cri de cette femme n’a pas tout à fait la tonalité pathétique d’un appel au secours. Dans une superbe indifférence à sa propre vie, comme si dans le paroxysme du drame se décantait l’essentiel, elle tente de sauver ce qui compte à ses yeux, le cocon qu’elle a tissé, la maison de bois et de chaume mais aussi de chair et de sang dont elle est la véritable garante. L’absence des femmes dans la rixe criminelle révèle moins leur « innocence » que la minceur des liens qu’elles tissent avec le monde extérieur. Dans le crime, la femme se comporte plus facilement en solitaire que l’homme. Dans 41 % des cas, elle est seule coupable, dans 71 % des cas, elle est seule victime, et ses compagnons du crime ne sont jamais plus de quatre. Quels sont ces crimes que la femme mène avec une scrupuleuse tenacité ? Tableau 15 : Nombre de participants (par sexe) Du côté du coupable

Nombre de participants Homme (en %) Femme (en %) Pas de réponse

1,0

4,0

Aucun participant

38,5

40,5

1 participant

24,0

37,0

2 ou plus

34,0

18,5

Collectivité

2,5

0,0

100

100

339

Du côté de la victime

Nombre de participants Homme (en %) Femme (en %) Pas de réponse

2,0

1,0

Aucun participant

59,0

71,0

1 participant

15,0

17,0

2 ou plus

23,0

11,0

Collectivité

1,0

0,0

100

100

Le nombre d’hommes et de femmes coupables ayant agi seuls est identique. Les femmes requièrent plus que les hommes la présence d’un participant (en général leur mari) mais au-delà d’un participant, la sociabilité se révèle plus masculine que féminine. En revanche, la femme victime est une cible privilégiée quand elle est seule. Mais l’homme isolé est aussi plus fragile que s’il est conforté par un participant. On peut remarquer que la présence du groupe ne réussit pas à créer une protection suffisante pour enrayer la violence. Au-delà d’un certain nombre de participants, celle-ci semble s’accentuer.

RÉPARTITION DES DÉLITS 25

Un certain nombre de crimes ne sont jamais commis par les femmes. Cela oblige à réfléchir à une éventuelle répartition des délits entre les sexes (tableau 13). Les femmes sont, non seulement en grande partie exclues des homicides et des crimes politiques comme nous l’avons vu, mais encore des pillages ou des fautes professionnelles. Dans ces conditions, ne peut-on pas opposer des crimes masculins à des crimes féminins ? Qu’en est-il des crimes que l’opinion et la littérature considèrent volontiers comme le fait des femmes, à savoir le vol, l’avortement, l’infanticide, l’empoisonnement, la sorcellerie, tous ceux qui touchent à la vie privée ?

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Les chiffres semblent écrasants : la femme vole et la femme tue son enfant : ce sont là ses principaux crimes. Le vol constitue, à lui seul, près de la moitié des délits féminins. Mais, pour étudier la place des femmes dans le crime, il ne faut pas seulement s’en tenir à l’absolu de chiffres qui ne prennent en compte que la seule criminalité féminine. Une étude de la place des femmes dans l’ensemble des crimes change totalement les conclusions. En effet, pour l’ensemble des coupables accusés de vol, 89 % sont des hommes. Quant aux avortements et aux infanticides, ils sont, pense-t-on, l’apanage des femmes, affaire de gynécée. Il est vrai qu’il peut s’agir de secrets de femmes comme celui qui unit Catherine Collart, jeune fille de 18 ans enceinte du valet de la maison, à sa mère. Celle-ci n’est pas dupe de la maladie de sa fille et, « pour celer la honte et la vergoingne de sadite fille qui ainsi avoit esté engrossee par un varlet et que ce ne fust sceu publiquement, et aussi pour la crainte et doubte dudit Jehan Collart son pere qui riens n’en savoit, ycelle Maroie donna a boire a sadite fille du verjus » 53.

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Mais, on le voit à travers cet exemple, la solidarité féminine a des buts sociaux précis ; il ne s’agit pas exclusivement « d’affaires de femmes », mais plutôt d’honneur pour une fille réputée « pucelle » dit la lettre et qui serait, par cet aveu, déshonorée. Il s’agit aussi

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de considération sociale pour une riche famille de laboureurs qui ne veut pas risquer la mésalliance en ayant un valet pour gendre. Ce cas relève des amours illégitimes que connaissent bien les siècles postérieurs54. En fait, les hommes participent autant que les femmes aux avortements et aux infanticides parce que, finalement, ces crimes les concernent au plus haut degré de leur honneur et de leurs biens, qu’il s’agisse des pères ou des amants. C’est ainsi que Jeanne, fille de Guillaume Hervé et maîtresse de Macé Le Saige, homme marié et chargé de quatre petits enfants, s’apercevant qu’elle est enceinte, demande à son amant « qu’il lui fist finance afin de se procurer, pour avorter une herbe a ce propice appelee rue »55. 28

L’accusation d’infanticide peut aussi bien charger la renommée des hommes que celle des femmes, quelle que soit leur condition sociale. Les haineux qui poursuivent Jean Guilleteau, châtelain, vassal du seigneur de La Flocellière, prétendent qu’il a contribué à tuer son enfant légitime, mortné, et qu’il a enterré le corps « aussi noir que charbon » en terre profane ; ils ajoutent qu’il a provoqué, par ailleurs, l’avortement de sa chambrière en « l’estraignant d’une sangle ou corde »56. Les faits reprochés sont trop précis pour ne pas être vraisemblables. L’accusation d’infanticide et d’avortement peuvent aussi contribuer à la diffamation des hommes.

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Quant à la sorcellerie, nous y reviendrons, elle n’est pas encore, sous le règne de Charles VI, exclusivement le fait des femmes57. Sorcières et sorciers sont en nombre égal dans les archives judiciaires, résultat qui corrobore celui de P. Braun et qui montre qu’il ne faut pas confondre les siècles ; il convient de se méfier d’un mythe lié à l’image dévalorisée de la femme et que l’époque romantique a contribué à construire, Michelet en tête58. Les femmes ne sont pas non plus, quoi qu’en disent les théoriciens moralistes, des empoisonneuses privilégiées. Elles peuvent manier le poison, mais le plus souvent avec un complice masculin. En 1404, Jean Du Mesnil, dit le Galois, accuse Jean de Bourgeauville d’avoir fait mourir son père, Cordeiller Du Mesnil, en lui servant des viandes empoisonnées avec la complicité de sa mère qu’il a par la suite épousée 59. Et les hommes peuvent, seuls, être accusés d’empoisonnement. Pierre de Cuisel dit Chevrier, écuyer, est expert dans l’art du pâté et de la bugne empoisonnés qui lui servent à mieux capter l’héritage de sa vieille tante60. On comprend mieux que l’accusation d’empoisonnement puisse servir d’argument politique, entre hommes. Jean sans Peur ne s’en prive pas dans sa guerre de propagande, comme le montre la justification de l’assassinat du duc d’Orléans prononcée par Jean Petit. La mort du dauphin, Jean de Touraine, le 4 avril 1417, en ravive l’actualité. Dans sa lettre du 27 avril 1417, le duc de Bourgogne accuse clairement les Armagnacs d’avoir empoisonné son neveu : « Et qui pis est, audit temps, pour ce que notre dit feu tres redoubté seigneur et filz commençoit a congnoistre les mauvastiés dessusdites et y vouloit obvier et pourvenir selon raison, le firent mourir par poysons comme il est apparu par les manieres de sa mort et le firent pour accroistre leur auctorité et executer a leur voulenté leur dompnable propos »61.

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Suit la description détaillée de l’enflure de toutes les parties de son visage qui sont présentées comme typiques des effets de l’empoisonnement. Il s’agissait, sans doute, d’un abcès à l’oreille. L’accusation d’empoisonnement est vite répandue sous forme de lettres closes adressées aux villes ; le greffier du Parlement de Paris, en mai 1417, mentionne celles qui ont été apportées de Rouen où elles étaient affichées à la porte des églises « contenans menasses de feu et de sang contre ceulx qui gouvemoient a present

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par deça et entour le roy quil appelle rapineurs, dissipeurs, crians traistres, empoisonneurs, meurtriers et leurs adherans »62. 31

Le lien entre l’empoisonnement, la peur du crime et la nécessité de trouver un coupable pour apaiser cette peur joue ici à plein63. Il ne s’agit en rien d’une affaire de femmes. Quand le poison est lié à des considérations politiques, que le coupable soit précisé comme dans le cas du duc d’Orléans, ou qu’il s’agisse de groupes collectivement accusés comme les lépreux en 1319, les juifs en 1348 ou les empoisonneurs de fontaine en 1390, les hommes sont considérés comme les premiers responsables. Alips La Pichoise, accusée d’avoir tenté de jeter de la poudre dans les fontaines de Nogentle-Rotrou et du Mans, est une exception. Encore se présente-t-elle, justement pour sa défense, comme le jouet d’un homme qui lui a promis de l’argent64. Les femmes agissent seules quand l’empoisonnement est une forme du crime conjugal. Mais ce type de crime est rare. Toutes les femmes, même quand elles sont meurtrières d’un mari, ne sont pas comme Casine la Matine du bailliage de Vitry, à la fois empoisonneuse et sorcière. En juillet 1407, elle est accusée d’avoir tué ses deux maris, le dernier en lui donnant du « brouet d’araignee », puis d’avoir jeté un sort à son amant, crimes auxquels l’accusation ajoute un infanticide et le vol d’un livre d’heures65. On mesure la gravité du cas à cette accumulation de méfaits qui se rattachent aux stéréotypes des frayeurs collectives.

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Quel que soit l’aspect spectaculaire de tels crimes, leur nombre est infime par rapport à celui de la rixe-homicide, et le bruit qu’ils alimentent, pris en soi, risque de fausser la réalité de la criminalité médiévale. Encore une fois, il convient sans doute de distinguer le nombre des crimes de leur qualité, le crime et la peur du crime. A s’en tenir au quantitatif, le nombre de crimes commis par les femmes dans l’ensemble recensé, montre que les hommes l’emportent finalement partout. D’un point de vue qualitatif, la conclusion est à peine plus nuancée. Les crimes spécifiquement féminins n’existent guère : ils appartiennent, sans doute, à un imaginaire qui s’est créé à une époque postérieure.

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Reste la partie cachée de l’iceberg, le non-dit du crime, ou plus exactement, ce qui se passe en dehors du geste destructeur. Quelle est la part des femmes dans la préparation du crime ? La question profile l’image de femmes complotant jusque dans le creux de l’alcôve. Elle n’est pas sans fondement. Tel est le cas de ce couple marié avec deux enfants en bas âge dont la femme, ayant vu un homme d’armes de passage cacher des pièces d’or, pousse son mari à les voler. L’un et l’autre sont reconnus coupables et se trouvent emprisonnés66. La femme sait aussi jouer de tous ses appas pour « monter » le coup qu’elle prépare et, à défaut de ses charmes, elle se sert de ses talents culinaires : « Icelle Peronne le fist asseoir a table et fort boire et manger et ycelle Peronne et ledit Goudeau parlerent ensemble et elle se complaigny des injures que Gillet Michel luy avoit faittes, desirant que elle en fust vengee sans mort ou mutilacion » 67. La dite Péronne finit par donner une robe de son mari au dit Goudeau en le priant de ne pas lui faillir ! Certaines femmes s’offrent le luxe de tueurs à gage. Voulant à toute fin la mort de Colin Le Rôtisseur dit Hennequin, Marguerite de Bruges, femme mariée à un marchand de chevaux parisien, organise le meurtre. Et, lorsqu’en 1390 elle rencontre ses hommes aux étuves, impatiente de voir son projet s’accomplir, elle leur demande : « Avez vous fait ce que promis m’aviez ? Et se fait ne l’avez, si faites. J’ai quatre frans pour boire »68.

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Les Agrippine sont exceptionnelles et la vengeance n’est pas un plat spécifiquement féminin. L’intervention des femmes se fait plutôt au grand jour, ce qui conduit à une dernière analyse, celle de la partition des rôles à l’intérieur d’un même crime.

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La femme parle tandis que l’homme agit. Ce schéma, pour simpliste qu’il soit, se vérifie souvent, et les lettres de rémission sont riches en portraits de mégères à la langue bien pendue, habiles à « monter » mari ou enfants. Telle, bonne fermière du Cotentin, s’aperçoit, de bon matin, que son champ d’orge est menacé par une invasion de pourceaux. Aussitôt, elle se dispute avec celle qui détient les bêtes. Dans un second temps, les hommes s’en mêlent. Le fils intervient, mais ce n’est pas assez et la femme se tourne vers son mari qui « encore se gisoit en son lit » et lui dit : « Levez-vous et telement l’oppressa de paroles qu’il se leva »69. Les massues aidant, la rixe ensanglante le village.

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Le fait est que les femmes parlent, et pas seulement en privé car, avant de commettre leur crime, elles peuvent aussi manier l’injure. Leurs propos, dans leur verdeur, ne les différencient pas des hommes70. Toutefois, l’injure leur vient moins spontanément à la bouche, avant le crime, que chez les hommes : elle constitue 25 % du premier antécédent du crime chez les hommes pour se réduire à 5 % chez les femmes. Il faut attendre le second antécédent pour que la proportion se rejoigne en constituant, pour les deux sexes, seulement 3 % des délits. Au troisième antécédent, les femmes se taisent, mais les hommes ne sont plus aussi que 1 % à s’injurier 71. Malgré cette différence, il est impossible d’opposer des injures de type féminin à des injures de type masculin. Leur contenu est identique, en priorité sexuel. De ce point de vue, la parole n’est pas le strict domaine des femmes. Elles n’ont pas non plus dans ce type d’action de domaine réservé. Ce sont les hommes qui dénoncent l’honorabilité des filles et qui, par l’injure sexuelle, les condamnent à être « diffamees » 72. Mais, à côté de la parole coup de poing, prononcée de préférence en public, qui serait plutôt l’apanage des hommes, ne faut-il pas faire place à la parole insidieuse ?

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Les archives judiciaires sont, malheureusement, trop muettes sur la façon dont le bruit s’enfle et se gonfle en rumeur. Est-ce le signe que cette rumeur ne dégénère pas souvent en crime ? Dans les rares cas qui donnent la genèse du bruit, les femmes peuvent y participer, sans pour autant que la parole leur soit, même dans les affaires de mœurs, totalement réservée. Ce sont des « personnes », hommes ou femmes, qui interrogent la jeune fille dont elles connaissent le secret d’amour et dont elles devinent le fruit qu’elle porte. Marion Drugon, jeune fille enceinte d’un homme du pays – ce qui n’a pas dû passer inaperçu – subit l’assaut de leurs questions. La première à s’inquiéter est sa mère, « courrouciee ». D’autres suivent sans que le texte précise s’il s’agit d’hommes ou de femmes : « Par plusieurs foiz lui fu dit et demandé de qui c’estoit » 73.

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De même que les hommes sont mêlés aux crimes de mœurs, de même sont-ils mêlés au colportage des bruits relatifs aux conduites sexuelles. De l’issue des amours dépend leur action et ils ne peuvent pas y rester indifférents. Comment se colporte le bruit de ce type d’affaires ? S’il est, au départ, dans la bouche des femmes, il ne le reste pas longtemps. La nouvelle suit les canaux de l’information qui passent par les hommes, à la taverne et au marché. Et, si le bruit échappe alors aux femmes, ce n’est pas tant à cause de leur moindre mobilité que de l’enjeu qu’il représente. A lire les lettres de rémission, on peut s’apercevoir que le discours sur la sexualité, le respect de ses normes font l’objet de longues discussions à la taverne, entre hommes. Là se débat, se redéfinit et par conséquent se réactualise l’honneur des femmes : mère, fille, épouse,

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soeur. Or cet honneur est, au premier chef, celui des hommes. Il les concerne donc au plus profond d’eux-mêmes et on aperçoit déjà que le crime s’explique en grande partie par cette intime liaison entre l’honneur des femmes et celui des hommes. Dans cette perspective, le bruit n’est pas un simple ragot. Il est logique qu’il passe très vite dans la bouche des hommes. Un autre élément d’explication, d’ordre politique, doit aussi entrer en ligne de compte. La parole échappe rapidement aux femmes parce que, au bout de la chaîne, se trouve l’autorité judiciaire, seigneur ou bailli, un homme auquel l’homme s’adresse peut-être plus facilement que la femme. La petite Jeannette, violée, s’est d’abord tue, puis elle s’est plainte à sa cousine, laquelle l’a dit à son mari, lequel l’a dénoncé au bailli de Caux74. 39

Ce cheminement du bruit qui le fait aboutir dans la bouche des hommes ne veut pas dire qu’il éclate systématiquement en crime. Ceux-ci peuvent aussi garder le silence, jusqu’au jour où la divulgation du bruit sert leur propos. Ainsi, depuis longtemps, deux hommes au moins connaissent les maléfices du châtelain de La Flocellière, mais ils les ont gardés cachés jusqu’au jour où ils choisissent, pour défendre leur propre intérêt, de les divulguer. Alors, « longtemps apres lesdiz malefices se divulguerent et en plusieurs lieux furent recitez par Jehan Thomas et Mathelin Aubin qui avoient servi Guilleteau et ne leur vouloit paier leur loyer et disoient qu’ilz lui avoient esté bons amis et lui avoient celé lesdiz malefices et neanmoins ne les vouloit paier » 75.

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On voit, à travers cet exemple, combien la dénonciation du crime est aléatoire et combien la communauté des hommes peut savoir garder le silence, même sur les crimes considérés comme les plus atroces. Mais, quel que soit le délai qu’elle choisit pour se révéler, la parole des hommes, en matière sexuelle, est déterminante.

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Il convient d’apporter à cette partition des rôles un certain nombre de nuances. La première concerne les bruits d’ordre sexuel. Peut-être sent-on déjà, en ces deux derniers siècles du Moyen Age, les premières réticences masculines à parler d’affaires qui deviennent par la suite le domaine réservé des femmes. Thomas Le Comadel, du diocèse de Bayeux, rencontre sur le chemin une jeune femme nommée Marion « a laquelle ledit Thomas (…) eust demandé se il estoit vray qu’elle feust grosse de Pierre de Bouligny, pere dudit feu Jehan Bouligny son mary, et qu’il vouldroit bien savoir se elle en estoit grosse. Laquelle repondi qu’elle n’en diroit riens et que a lui n’appartenoit de en riens savoir »76. La réponse de la jeune femme insiste sur l’indiscrétion de la question posée. Si des hommes peuvent être au courant, ce sont, à la rigueur, ceux de la parenté. D’ailleurs, Thomas, pour sa défense, ajoute que le beau-père de la jeune femme était l’oncle de sa propre femme et le « meilleur ami qu’il eust en ce monde ». Ce sont des arguments qui lui donnent un droit de regard : ils concernent la parenté et l’amitié. Il faut peut-être toute l’énormité d’un crime qui s’apparente à l’inceste pour que le bruit circule dans la bouche des hommes, et aussi tous les effets de la cervoise sur le chemin du retour, l’ombre propice d’un bois, la fragilité d’une jeune femme veuve et « de petite renommee de son corps » pour que Thomas se soit enhardi à transgresser un silence sur des affaires qui commencent, en partie, à échapper aux hommes.

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La seconde remarque concerne les discours portant sur les crimes masculins, déviances sexuelles masculines ou homicides. Quelle est la part des femmes dans leur dénonciation ? Une réponse claire pourrait témoigner de la rivalité des sexes. Les constatations sont trop ténues pour conduire à une conclusion définitive. Il semble, néanmoins, que dans ce type de colportage, la part des femmes n’est pas négligeable. Les femmes ont vu ce qu’elles avancent. Alors que ce jeune « valeton » s’est enfermé

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dans l’étable avec les vaches, les femmes de la maison, par le trou de la serrure, regardent s’accomplir l’acte interdit et s’empressent d’en répandre le bruit : « laquelle chose fu dicte emmy la dite ville par la femme Perrot Pichon et les filles Guillaume Pichon qui ce avoient veu »77. La réprobation suit et elle se clôt par une condamnation en justice. De la même façon, les femmes, quand elles sont célibataires ou veuves, peuvent dénoncer des crimes d’hommes et les registres du Parlement criminel en donnent de nombreux exemples. La condition sociale des femmes n’est d’ailleurs pas significative : elle peut aller de la damoiselle à la chambrière 78. Par leur contenu et leur rôle, on saisit, encore une fois, la valeur morale qui est accordée et reconnue à la parole des femmes. Même une chambrière peut charger son maître devant le Parlement en dénonçant « que quant ledit Dubois n’avoit point d’argent il aloit dehors et demouroit VIII jours et rapportoit moult d’argent »79. 43

Ce maniement des condamnations morales peut aller jusqu’à justifier le crime. La dame de Mortemer s’oppose à Jean Tabari en le menaçant de le faire « esgarreter » parce qu’elle « imposoit audit Tabari qui est homme marié qu’il maintenoit une damoiselle parente d’icelle dame »80.

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Même si ce rôle ne leur est pas exclusivement dévolu, les femmes ont, au moins par leur parole, une place de régulateur dans la vie sociale. La façon dont elles participent au crime interdit de confondre totalement leur action et leur fonction. N’est-ce pas dans le royaume de France, comme dans celui d’Angleterre que décrit J. Bellamy pour la même époque, le fait d’une organisation de la société, sensible dans sa réalité comme dans ses valeurs81 ?

FEMMES ET SOCIÉTÉ 45

Pour lier la criminalité féminine aux conditions de vie, il faudrait savoir quel est le degré d’intégration des femmes dans les circuits de production et dans les échanges courants. Le travail des femmes dans la vie professionnelle est-il fréquent ? Le problème est posé par les historiens, sans être parfaitement résolu 82.

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Les archives judiciaires participent de la confusion générale. Dans 70 % des cas recensés pour les lettres de rémission, les femmes coupables ne disent rien de leur profession. Nous reviendrons sur ce silence des chiffres qui peut aussi concerner les hommes, mais à un moindre degré83. Disons, dans un premier temps, qu’il ne révèle en rien l’état réel du travail des femmes en dehors de la maison. Par exemple, le terme « laboureur » n’est jamais employé pour une femme, alors que nous avons déjà noté les multiples témoignages de son activité aux champs. Cette absence de spécificité est déjà significative de la place que la femme doit occuper dans la société. Quand elle décline son identité, elle ne se définit guère par rapport aux normes d’un travail créateur de rapports sociaux. La femme idéale est celle que l’âtre protège, la quenouille à la main et le ventre gros d’enfant, telle cette épouse que ses agresseurs traînent sur le fumier alors qu’elle « se seoit au feu et faisoit sa besoingne et devidoit et estoit grosse d’enfant »84.

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Quel qu’en soit le profit, quels qu’en soient même les échanges reconnus au marché et à la foire où elle se rend, aux côtés des hommes, l’activité de la femme reste perçue dans l’ombre de la vie privée.

345

48

Quelle place accorder aux 30 % de femmes qui déclarent leur profession et ajoutent cette mention à leur déclinaison d’identité ? Parmi celles-ci, il y a plus de femmes que d’hommes à se réclamer d’un métier précis, métier étant ici pris au sens médiéval du terme : la proportion atteint presque le double. Cela signifie que plus les femmes sont nettement engagées dans une vie professionnelle stable, plus leurs normes de conduite se rapprochent de celles des hommes, qu’il s’agisse de tavernières n’ayant pas peur de manier le cruchon pour se débarrasser d’ivrognes « rioteux » et peu délicats, ou bien de commerçantes soucieuses de défendre leur étal à la foire. Et rien, dans le déroulement du crime, ne les éloigne de leurs condisciples masculins, si ce n’est, comme nous l’avons déjà remarqué, le faible recours à des armes spécifiques. Ces constatations ne révèlent cependant qu’une pseudo-égalité. Environ 96 % des coupables qui déclarent exercer un métier sont des hommes, chiffre qui confirme la rareté du travail féminin dans le monde du crime. En fait, moins nombreuses que les hommes à exercer un métier, les femmes sont aussi, dans ce cas, plus facilement criminelles. Et on peut dire que les femmes, même avec un métier et à cause de ce métier, ont plus que les hommes des chances d’entrer dans le monde du crime, signe évident de leur fragilité.

49

Il est possible que la crise ait accru, voire créé, ces difficultés, en particulier en faisant participer les femmes à l’exode rural. Le déracinement est d’autant plus sensible que les déplacements féminins sont, nous l’avons vu, limités. Quelle part ce déracinement féminin joue-t-il dans le crime ? Sans le mésestimer, il convient sans doute de le considérer avec prudence. Les violences reflètent encore moins que pour les hommes une agression de l’inconnu, sans doute parce que cette immigration féminine est mesurée.

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P. Desportes a évalué à un tiers des immigrants le nombre des femmes après la Peste noire, en 135585. Mais il montre aussi comment l’arrivée de ces nouvelles habitantes n’a pas réussi à assurer la survie de la ville. Le déracinement se termine par la mort ou le mariage, plus que par le crime. Et, le Registre criminel du Châtelet, révélateur de la grande criminalité pratiquée par des éléments instables, décrit surtout une immigration masculine. Les hommes, attirés par d’alléchants salaires, laissent au village leur femme et parfois leurs enfants86.

51

En revanche, les concubines ou prostituées peuvent suivre l’aventure qui conduit leur compagnon à la ville87. Mais ce sont des cas exceptionnels. Au total, le déracinement féminin n’engendre pas facilement le crime. Au contraire, la chambrière voleuse peut être installée depuis longtemps chez son maître, ou connaître ses voisins pour mieux les dépouiller. Enfin, la recéleuse n’agit que grâce à un réseau de connaissances, si bien que Jehannin Brignon accusé de vols commis à Saint-Victor a pu confier son butin à Jaquete de Claye, dont il connaît le statut – une « femme veuve » – et le domicile – « pres de Saint-Mathelin » – ; elle en a accepté la garde car elle le « cognoissoit bien de lonc temps »88.

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Le crime des femmes requiert finalement une certaine stabilité de lieu. Plus que la mobilité et même le « métier », le statut civil est un facteur de discrimination. Le mariage, nous y reviendrons, est pour la femme une norme de conduite. Toute situation hors norme ou déviée par rapport à elle, la place en position fragilisée, en criminelle potentielle. Les femmes qui ne sont pas mariées, qu’elles soient veuves ou célibataires, ont plus de chances que les autres d’être coupables ou victimes et elles le risquent plus que les hommes qui partagent leur condition : 26 % de femmes veuves sont coupables contre 1 % de veufs ; 11 % de concubines sont coupables et 8 % sont victimes, alors que

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les hommes, dans le même cas, sont presque totalement épargnés par le crime 89. La situation des hommes et des femmes est donc, sur ce point, radicalement différente. Encore faudrait-il pouvoir mesurer le nombre relatif des veuves dans la population. Au début du XVe siècle, le cas dijonnais étudié par H. Dubois à travers les comptes de l’impôt, montre l’importance du nombre des femmes veuves et leur disparition rapide des registres, en partie grâce aux effets du remariage90. Cette évolution peut montrer que le veuvage est provisoire, mais aussi que cette situation, si elle est prolongée, peut prendre l’allure d’une catastrophe quand aucune reconversion n’est possible. L’argument est largement utilisé par les femmes qui, à la mort de leur mari, supplient le roi de leur éviter le procès qui était en cours du vivant de celui-ci 91. Les accents éplorés de Christine de Pizan face aux malheurs de ses congénères ne sont pas pure littérature : « Helas ! Ou trouveront resconfort Pauvres veuves de leurs biens despouillees… Bons et vaillans, or que soient esveillees Vos grans bonté ! Ou veusves seront taillees D’avoir mains maux de cœur gai, Secoure les ! Et croyez mon dittié ! »92. 53

Le crime peut alors être la réponse à une situation de crise que le veuvage entretient. Toutes les veuves n’ont pas le pouvoir, par l’écriture, d’obtenir des pensions. Certaines sont réduites à courir l’information pour servir la cause des partis politiques ou des Anglais. Mais leur action est-elle si éloignée de celle de Christine de Pizan, le génie et la bonne cause en moins93 ? Les unes et les autres ont choisi de « se faire homme ». Quand la société leur refuse cette reconnaissance, le drame éclate. C’est celui que connaît, dans le bailliage de Vermandois, la veuve Bouret, couchée sur son étal, pour résister aux hommes venus l’en chasser94.

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On comprend alors que la fragilité des femmes s’accentue au fur et à mesure que leur situation familiale et professionnelle se dégrade. Environ 25 % des criminelles et 10 % des victimes occupent dans leur profession une position nettement subalterne contre respectivement 10 % et 6 % pour les hommes. Plus que les hommes, les femmes mentionnent une pauvreté que confirment de lourdes dettes : 19 % d’entre elles croulent sous le poids de ce fardeau qui les conduit au crime contre 7 % de suppliants hommes. Et, dans ce glissement progressif vers la misère, les chambrières et les filles de joie sont les coupables et les victimes désignées.

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En entrant dans la vie publique, la femme accroît ses chances de devenir criminelle ou victime. Elle dérange l’ordre établi, et c’est à ses dépens. Néanmoins son crime est loin d’être associé à la marginalité. Sur 93 % des femmes qui définissent un statut civil – contre 57 % des hommes qui se croient obligés de le faire –, près de la moitié sont mariées. C’est dire que le mariage, avec ce qu’il comporte de stabilité, est loin de protéger totalement du crime. Les femmes criminelles sont aussi légèrement plus nombreuses que les hommes à déclarer qu’elles ont des enfants 95. Enfin, le crime ne se réduit pas aux catégories les plus démunies. Le même nombre de maîtres d’un métier, hommes ou femmes, se retrouvent coupables, tandis que les femmes maîtres sont deux fois plus souvent victimes que les hommes. Plus que l’expression de la marginalité, le crime ne révèle-t-il pas les effets de la hiérarchie entre les sexes ?

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L’image de marque des criminelles ne leur est guère favorable : 30 % d’entre elles sont décrites avec des défauts contre 6 % pour les hommes. Parmi ces défauts, revient le plus souvent la « simplesce », sorte d’état d’irresponsabilité proche de la débilité. Ces

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preuves d’infériorité peuvent s’avérer bénéfiques : les femmes sont, plus souvent que les hommes, graciées à cause de leur faiblesse, même s’il s’agit de crimes redoutables. C’est le cas de cette femme du bailliage de Caux. Elle avait pourtant utilisé de la monnaie noire qui n’était pas du royaume. La grâce lui fut accordée car elle n’avait pu agir que sur le conseil de ses fréquentations et « que une femme de sa nature est aisee a induire a convoitise »96. 57

Il est vrai qu’elle était tavernière et concubine d’un prêtre dont elle avait deux enfants ! Peut-on pour autant, comme le fait N.Z. Davis à propos des lettres de rémission du XVI e siècle, opposer des excuses masculines à des excuses féminines, la « chaude cole » des mâles au caquet circonstancié des femmes97 ? Faisons un sort à la fragilité psychologique des femmes : elle connaît, aux yeux du pouvoir et des hommes, les mêmes limites que la faiblesse physique. Par exemple, les femmes se suicident autant que les hommes et, dans ce cas, les lettres de rémission ne font pas de différence dans l’analyse du comportement des coupables. Dans ces deux suicides commis dans la prévôté de Paris, à six mois d’intervalle et dans les mêmes conditions puisqu’il s’agit d’une pendaison, les mêmes carences psychologiques sont évoquées. Marion est « toute ydiote et lunatique », comme Raoulet de La Barre qui « disoit aucunes fois plusieurs paroles etranges qui n’avoient point de lieu ne d’effect et parloit bien souvent a tout par lui en alant parmi la ville »98.

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La réalité est trop forte et le crime trop difficile à gracier pour que la Chancellerie reconnaisse une différence entre hommes et femmes. Ni la « simplesce » ni la convoitise ne sont l’apanage des femmes. Ces défauts ne résistent pas à la réalité des faits. Près de la moitié des femmes sont allées commettre leur crime en sachant parfaitement ce qui les attendait au bout de la route. Preuve de leur perversité ? Peutêtre, mais preuve aussi de la maturation de leur acte en des temps où le déplacement des femmes n’est pas facile (tableau 14).

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Au total, 41 % de criminelles se sont déplacées pour commettre leur crime contre 26 % de criminels ; 41 % de criminelles ont agi sans requérir de participants pour les aider contre 38 % de criminels ; 89 % de criminelles s’attaquent à une victime isolée contre 58 % de criminels99. Ténacité et habileté ne sont pas réservées aux hommes. La femme sait ce qu’elle fait avant d’agir. Comment expliquer alors que surnage cette image dévalorisée : est-elle un fait de société ?

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L’image dévalorisée des femmes tient en partie aux types de crimes qui leur sont remis. Nous avons vu qu’ils étaient peu nombreux, mais beaucoup plus diversifiés que ceux des hommes. Ils sont aussi extrêmement graves. Quand il y a homicide, il n’est pas rare que celui-ci ait été dûment préparé ou qu’il s’agisse d’un crime conjugal. Les femmmes pratiquent aussi les infanticides, les adultères. Quand elles volent, elles sont aussi plus souvent récidivistes que les hommes. Non seulement, comme nous l’avons vu, le vol est le plus important des crimes féminins, mais il est celui qui charge le plus souvent leur passé criminel : dans 11 % des cas, les criminelles avouent au moins trois vols successifs avant le crime qui leur est remis, qui est lui-même un vol. Cette proportion atteint seulement 2 % pour les hommes100. Le Registre criminel du Châtelet de 1389-1392 applique son extrême sévérité aux crimes féminins, qu’il s’agisse de l’assassinat d’un mari ou de vols répétés. Belon, pour avoir fait occire son mari et avoir noyé son corps dans la rivière, est condamnée comme meurtrière à être brûlée, selon la décision des juges qui « veue l’accusacion contre elle faite, et les confessions cy-dessus escriptes, par elle faites, le cas et matiere, qui est tres mauvais exemple et orrible, le murdre advenu et

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l’estat d’icelle prisonniere, delibererent et furent d’oppinion que elle estoit digne d’estre pugnie comme murdriere et participant a la mort de sondit mary, et que, pour ce, elle feust arse »101. 61

De la même façon, les vols par récidive sont objet de la plus grande sanction, celle de l’enfouissement toute vive102. Dans ces cas extrêmes, la rémission n’est pas acquise et il conviendra de revenir sur cette hiérarchie des crimes103. Pour obtenir sa grâce, la femme doit donc se présenter sous son jour le plus dramatique. Le portrait psychologique qu’elle trace d’elle-même la marginalise pour lui permettre de mieux se réinsérer ensuite dans la vie quotidienne. La dévalorisation fait partie intégrante de la technique de l’aveu. Sans aller jusqu’à une destruction de la personnalité, cette dévaloristaion est d’autant plus nette que le crime est hiérarchiquement élevé 104. De la même façon, la grâce royale, dans sa sentence, se ressent de la lourdeur de ces crimes commis par les femmes. Dans 70 % des cas où les femmes sont criminelles, le roi est obligé de mentionner toute la litanie de ses formules de rémission pour que sa grâce soit efficace. L’expression « voulans preferer pitié et misericorde a rigueur de justice » l’emporte donc largement sur toutes les autres formules simplifiées et, à plus forte raison, sur la simple commutation de peine qui n’existe pratiquement pas chez les femmes. En revanche, l’emploi de ce qu’on pourrait appeler une grâce « massive » ne concerne que la moitié des suppliants hommes. Il convient d’interpréter de la même façon le nombre de peines en sus qui sont un peu plus facilement imposées aux femmes qu’aux hommes, surtout quand il s’agit de la prison105.

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Peu importants en nombre, les crimes capitaux commis par les femmes sont d’une lourdeur telle qu’ils nourrissent une image dévalorisante. Cela n’implique pas qu’il y ait un discours féminin et un discours masculin, qu’il s’agisse des suppliants ou de la Chancellerie royale106. Pour obtenir rémission des mêmes types de crime, le discours des hommes suit un processus identique. Mais, à la différence de ce qui se passe pour les femmes, ce discours est, quantitativement, noyé dans l’accumulation de crimes d’une autre nature, les homicides simples, qui requièrent une autre présentation du suppliant et du délit.

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A l’époque qui nous intéresse, l’image des femmes criminelles est moins affaire de sexe que de crimes. Elle provient autant de la lourdeur des crimes que les femmes ont commis que d’une vision dévalorisante véhiculée par la société masculine. On pourrait peut-être même aller jusqu’à se demander s’il ne convient pas d’inverser les effets. Dans quelle mesure les crimes commis par les femmes, étant donné leur gravité, n’ontil pas contribué à créer cette image féminine dévalorisée que décèlent les historiens de l’époque moderne ? Mais, à oublier le faible nombre de ces crimes pour ne retenir que leur atrocité, les historiens risquent de fausser les assises sur lesquelles repose la société : une stricte hiérarchie des sexes qui ne fait pas encore de la femme un bouc émissaire. Tandis que, au-delà de ces divisions, se profile le respect de valeurs qui concernent également les hommes et les femmes et que le crime défie. A la justice de les rétablir, quel que soit le sexe du coupable.

FEMME-OBJET ? 64

Le fait que la femme ait, dans la société, une place reconnue, quoique subordonnée, ne suffit pas à expliquer toutes les données du crime, et en particulier la disproportion qui existe entre le nombre des femmes coupables et celui des femmes victimes. En effet, la

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rareté des femmes comme criminelles a pour corollaire leur relative importance comme victimes : près de 9 % des victimes sont des femmes, soit plus du double de ce qu’elles représentent comme coupables. Femme-objet, faible proie du caprice de l’homme fort, le cliché se vérifie-t-il ? 65

La femme est surtout victime de viols individuels ou collectifs qui constituent 32 % des cas où elle est victime, alors que les cas d’homicide ne dépassent pas 20 %. La tentative des hommes n’est pas toujours facile, mais il est rare qu’ils n’arrivent pas à leurs fins. Le laconisme des chiffres donne une idée de la façon dont ces femmes se sont débattues devant leurs agresseurs : 22 % des viols individuels sont précédés d’une bagarre, et dans 11 % des cas, la parole s’est jointe aux mains ; chiffres émouvants d’une résistance perdue d’avance et qui, dans leur petitesse, confirment la force physique de l’homme, encore accrue quand il est en nombre. Les trois quarts des viols collectifs ont lieu sans donner à leur victime le temps de se défendre. Les scènes sont décrites avec assez de réalisme pour saisir l’extraordinaire supériorité du mâle cherchant par tous les moyens à « faire sa volonté ». Le vocabulaire ne peut pas être plus clair. L’homme « veut » et la femme « consent ». Néanmoins, la réussite n’est pas toujours assurée : le consentement, malgré sa position de repli, laisse parfois la possibilité du refus. Cette scène qui se passe en 1419 à Villequier-Aumont dans le bailliage d’Amiens, entre un groupe d’écuyers âgés d’environ 25 ans et Raouline, une chambrière, donne une idée de la façon dont sont envisagés les rapports sexuels, qui se doublent ici d’une supériorité sociale : « Et lors ladite Raouline veant qu’ilz ne la laissoient point en paix leur dist qu’elle amoit mieulx que lediz Copin alast en sa chambre, qu’elle alast avec eulx et tant que ilz en furent d’accord. Et quant ilz furent en ladicte chambre, ladicte Raouline ne se y voult point consentir combien que lediz Copin s’esforcast fort d’avoir sa compaignie et lui fist beaucoup de peine sans avoir compagnie charnele a elle. Et quant il vit qu’il n’en povoit autre chose faire, il la laissa et s’en retourna a ses compaignons et leur dist qu’il n’avoit peu riens faire. Et lors, lediz Nosfle dist qu’il yroit a elle savoir s’il pourrait plus faire que n’avoit fait ledit Copin, et lui estans devers elle, l’embrassa en lui disant qu’il falloit qu’il eust sa compaignie, laquele n’en voult riens faire ne consentir, et pour ce lui donna deux ou trois buffes et puis s’en retourna sans autre chose faire. Et adonc ledit suppliant, meu de chaleur, ala apres en la depriant qu’elle voulsist faire son plaisir et sa voulente, en eulx esbatant et jouant en sa dicte chambre en soy efforçant de faire son plaisir et voulenté laquele ne se voult consentir ne riens faire et pour ce lediz suppliant la laissa sans autre mal lui faire »107.

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L’histoire ne dit pas pourquoi la chambrière n’a pas « consenti » : ses soupirants avaient peut-être plus de chaleur que d’argent. Mais le récit n’a pas toujours une fin aussi heureuse, et la violence ne se limite pas à quelques gifles. Parfois, la famille de la future victime ne réussit pas à s’interposer, comme si aucun obstacle n’était insurmontable dans cette quête obstinée. Ainsi à Cocherel, des valets à la recherche d’une « fillette » se présentent successivement chez le cousin de la famille, puis chez les parents ; ils n’hésitent pas à frapper la mère qui, défendant sa fille, en meurt. Quant à la jeune fille, elle ne doit son salut qu’au petit enfant qu’elle prend dans ses bras pour se protéger 108. A peu près au même moment, à Crosne, quatre compagnons heurtent l’huis d’une porte en pleine nuit, sous prétexte de demander leur chemin. Le mari et la femme dorment et ne répondent pas ; les autres insistent, veulent du feu et finissent par dire, pour arriver à leurs fins, qu’ils sont au duc de Bourgogne. L’argument est déjà de poids en cette année 1397, si bien que le mari se lève pour leur chercher une chandelle. Les

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compagnons entrent, prennent la chandelle… et la femme qu’ils tirent du lit pour l’emmener dehors. On devine la suite109. 67

La femme-victime est bien alors considérée comme un objet et la brutalité sexuelle est fréquente. Elle l’est d’autant plus que le viol est, comme je l’ai dit, plus souvent collectif qu’individuel110. A Saint-Lô, Jeanne, femme de Lucas Le Tanneur, venue à la taverne payer les dettes du ménage est victime, malgré sa résistance, de viols successifs. Les agresseurs n’ont pas été plus loin que l’étable voisine : « Lediz Raoul Berte trouva que lediz Talebot l’avoit gectee sur un monceau de buche et lequel Berte veant ce print ladicte femme par le pié et lui leva une jambe et lors ladicte femme s’en deforça ; mais ce non obstant ycelui Talebot en fit sa voulenté (…) et puis lediz Talebot ala requerre lediz exposans (qui n’est autre que le tavernier auquel appartient l’étable), lequel vinct en la dicte estable et trouva que lediz Berte la tenoit par les bras soubz lui, lequel exposans se mist entre les jambes de la dicte femme et en fist sa voulenté malgré elle ; et apres s’en ala et demoura encore lediz Berte qui s’efforca de lui faire comme les autres et elle ne voulu et lors il la leva et l’amena plus avant en la dicte estable et lors il se departi d’ilec et laissa »111.

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De telles scènes semblent plaider pour une violence instinctive dont la brutalité serait typiquement médiévale. Il faut donc y regarder de plus près, sous peine de conforter sans nuances des affirmations stéréotypées.

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Le nombre des viols est faible puisqu’il ne dépasse pas 3 % de l’ensemble des crimes remis. Cette constatation est déjà une première limite au prétendu débridement sexuel des hommes de la fin du Moyen Age. Certes ces chiffres sont probablement inférieurs à la réalité si on réfléchit aux conséquences infamantes du viol pour la victime qui se trouve ainsi, aux yeux de tous, déshonorée. Bien des femmes violées ont dû préférer se taire. C’est l’hypothèse que défend J.L. Flandrin pour les XVI e-XIXe siècles112. Dans quelle proportion ? Il est impossible de répondre. Peut-on se référer aux taux que repèrent les socio-criminologues contemporains, comme le fait J. Rossiaud, pour calculer le nombre de viols commis annuellement à Dijon au XVe siècle ? Peut-on affirmer que le viol fait l’objet d’une procédure d’arbitrage plus développée que les autres crimes 113 ? La prudence s’impose ; aucune de ces analyses ne prend en compte la place que le viol occupe dans la hiérarchie des valeurs. Si les archives dijonnaises du XV e siècle résonnent des viols commis dans la ville, ce peut être aussi l’effet d’une préoccupation répressive qui prouve l’importance que la société attache à ce type de crime 114. Dire que la crise a provoqué un déracinement des femmes en milieu urbain tel que les défendeurs habituels de la vertu, époux ou parents, n’existent plus, paraît, on l’a vu, très contestable. A Dijon, la rapidité des remariages limite le nombre des femmes fragilisées, tandis qu’à Reims, le nombre des femmes mariées atteint la moitié de la population dénombrée en 1422115.

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Le poids de ces « amours illégitimes » est spectaculaire : il n’est peut-être pas aussi important qu’on a bien voulu le dire. La vengeance de ce crime qui explose en rixehomicide est un bon indice de recherche. On peut, en effet, penser que l’honneur familial perdu ne pouvait pas laisser beaucoup de latitude au coupable et que la vengeance ne devait pas tarder à s’abattre sur lui. Les chiffres ne confirment pas cette hypothèse d’une vendetta débridée puisque 3 % seulement des rixes-homicides ont eu comme antécédent un viol. Or, comme nous le verrons, le désintérêt de la société pour les cas de viol n’est pas en cause, surtout quand il s’agit de jeunes pucelles ou de

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femmes mariées. Par conséquent, il faut bien en conclure que ces cas ont été peu nombreux. 71

L’explication doit aussi s’attacher à retrouver le visage des victimes. Un tiers des coupables accusés d’avoir commis un viol invoque la mauvaise réputation de leur victime, constatation reprise comme circonstance atténuante par la Chancellerie pour justifier la grâce. En fait, cette réprobation générale ne s’applique pas à des types de femmes identiques. Une analyse plus fine du vocabulaire montre que celles-ci se répartissent en trois catégories. La première concerne les « filles de joie » appelées encore « fillettes reputees pour faire pour les compagnons », c’est-à-dire des professionnelles appartenant ou non à une maison. La seconde regroupe celles que la société fragilise, chambrières ou servantes, veuves ou célibataires. Enfin, la dernière catégorie comprend les « pucelles » et les femmes mariées. Il importe de conserver à l’esprit cette distinction pour saisir la portée du viol en ces deux derniers siècles du Moyen Age. Le crime commis contre ces différentes catégories de femmes a-t-il, aux yeux des contemporains, la même signification ?

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Les filles de joie sont les proies les plus fréquentes du déchaînement des violences sexuelles, celles pour lesquelles, en tout cas, les viols sont les plus facilement justifiés et les plus facilement remis. Elles constituent près de 60 % des victimes, également réparties entre les viols individuels et les viols collectifs. La réalité du crime commis contre la prostituée et son image dévalorisée coïncident. Entre ces femmes et les femmes « ordinaires » existe un large fossé que l’habit fait éclater aux yeux de tous. Une aventure survenue dans les environs de Maisons-Laffitte illustre bien le soin pris par l’exposant de distinguer entre une femme « ordinaire » et une femme publique. A la fête du pays, plusieurs hommes remarquent une jeune femme, Jeannette Du Bos, « faisant volontiers pour les compagnons » et tenue par Guérart Robert, marié et venu du pays de Picardie. Avec des complices ils guettent le couple sur le chemin du retour, « lesquelz dessus nommés et autres leurs complices la prindrent en la compaignie dudiz Guerart pour ce qu’elle avoit sa robe lassee au costé et vestue comme femmes communes se vestent ; et lediz Guerart estant marié comme dit est, et soy lors disant son fiancé, dont il n’estoit riens. Et lequel, pour ce qu’il la vouloit revancher, le batirent sans sanc ne plaie et aussi firent ilz laditte Jehanette qui pour lors se disoit grosse d’enfant, pour ce qu’elle ne vouloit riens faire pour eulx ne avoir leur compaignie ; et l’emmenerent droit devant laditte ville de Maisons et la mirent sur un batel et lui firent passer ladicte riviere et apres ycelle passee, les dessusdits Jehannin de Montsay, Simonnet Levesque, Estiennoit Le Roux et Guillemin Levesque, la cognurent charnelement chacun une foiz oultre son gré et volonté si comme elle dit depuis » 116. L’aventure se continue jusqu’au lendemain.

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Ce texte montre que le viol est, de préférence, un crime commis contre les femmes diffamées qui doivent être nettement séparées des femmes mariées, une place que Jeannette usurpe ici doublement en évinçant l’épouse légitime et en se disant « fiancee » puis « grosse d’enfant ». Les signes extérieurs, comme le vêtement dans l’exemple précédent, peuvent marquer la différence, et par conséquent désigner la proie. On sait que les ordonnances et les statuts urbains veillent, au même moment, à en ordonner le port117. Parfois, la « commune renommee » sert seulement de référence et d’habit, surtout en milieu rural. Tout le monde connaît celle qui « fait pour les compaignons » et les conversations de taverne savent la désigner à ceux qui la réclament. De ce point de vue, la campagne n’a rien à envier à la ville, d’autant plus

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que, comme l’a montré J. Rossiaud, les prostituées adaptaient leurs itinéraires au calendrier des foires et des marchés118. La même violence les menace qui conduit de l’enlèvement au viol puis, éventuellement, au meurtre. L’exemple de cette Jeannette, enlevée par un groupe de jeunes gens lors d’une fête dans un hameau proche de La Fertésous-Jouarre, est significatif : « Et lors par induccion de mauvais esprit et par ennortement ou advis d’aucunes personnes, se adviserent que en ladite ville et feste de Reuil, en laquelle ville a prieur et couvent de moines, avoit et estoit une jeune femme appellee Jehanette la Jumelle, qui servoit de son corps a hommes, ausdiz religieux et a autres, tenue et reputee comme femme commune, et que avec elle l’en gesoit communement. Et deviserent entre eulx que ilz porroient en ladite ville et a ladite feste veoir et querir ycelle femme »119. 74

La perception de la différence est donc très aiguë, qu’il y ait maison spécialisée ou non. La marque du vêtement est moins une mise à l’index que la définition de ce qui est possible aux yeux de tous. Cette reconnaissance est commode pour assurer la paix sociale et tout semble se passer comme si la prostitution conservait ce rôle lénifiant et « naturel » que lui reconnaît J. Rossiaud, au même moment, dans les villes du Sillon rhodanien. Elle canalise la violence sans porter de réels préjudices car, de ces femmes, et surtout de leur parenté, on ne peut guère attendre de mesures de représailles et, par conséquent, de rixes ou de procès. Néanmoins, la perception de leurs différences s’accompagne d’une certaine forme de mise à l’écart. Elle est officialisée par les ordonnances royales dont l’écoute morale est sans doute plus profonde que le suppose J. Rossiaud lorsqu’il considère que la prostitution n’est réellement conspuée qu’au début du XVIe siècle120. En fait, le processus de diffamation est largement engagé, dès le règne de Charles VI, même si certains théoriciens reconnaissent l’utilité de la prostitution. Les effets de purification du royaume, dont nous avons pu noter les principaux temps forts, ont certainement porté leurs fruits, et l’image dévalorisée de la « fille de joie » est devenue, sous la plume des suppliants comme sous celle de la Chancellerie, une justification du pardon. Mais surtout, la définition du mariage, son acceptation et sa valorisation impliquent que la prostituée incarne le mal opposé au bien. Il est possible que les documents judiciaires, rémissions et plaidoiries, accentuent cette vision. Le Registre des écrous du Châtelet emprunte un vocabulaire moins sévère. A la fin du XVe siècle, il parle moins de « filles de joie » que de « femmes amoureuses », aux domiciles bien définis dans les rues chaudes de la ville. Mais elles constituent aussi, rappelons-le, environ un tiers des femmes arrêtées, preuve de la méfiance qui les entoure121.

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Le statut de la prostituée se révèle finalement ambigu. Une première approche de la violence montre que la ségrégation qu’elle subit n’implique pas une totale soumission au pouvoir des hommes. Son meurtre est un crime que la procédure extraordinaire du Châtelet s’applique à faire avouer, au même titre que les autres 122. La même application est mise à définir le viol. Il faut que l’acte sexuel se produise de « bon gré » pour que la bonne foi masculine soit reconnue. A ce titre, il se doit d’obéir à certaines règles, sous peine d’être considéré comme un viol. Le crime est moins de ne pas avoir souscrit à la règle d’or du paiement – chose que les archives judiciaires mentionnent rarement, sans doute pour ne pas charger le coupable et parce que ce n’est pas essentiel – que de ne pas avoir respecté la volonté de la victime apparemment libre de choisir son partenaire même si son corps est publiquement décrié. Et parfois, souteneur et clients prennent la défense de la « fillette commune » menacée de consentir malgré elle. Ces scènes peuvent alors se finir en drame. L’acte sexuel devient un viol, un crime, à partir du

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moment où il s’exerce « contre la volonté » de la femme. La fillette commune conserve le droit de choisir moment et partenaire. Son état de prostituée atténue seulement la responsabilité du coupable, elle ne supprime pas l’existence du crime. En dernière analyse, le libre arbitre de la femme, même déchue, se trouve reconnu. Thomassin Le Valois, accusé au Châtelet d’être « houlier public » et « ribaud en chemise », raconte, en 1389, comment il a tué celui qui était venu importuner son amie, « Museau de Brebis », en lui disant : « Vous faites mal et pechié de batre ceste povre fille qui riens ne vous demande »123. 76

Et, pour conclure sur ce point, laissons la parole à ces deux compagnons qui, sous le règne de Charles VIII, s’adressent ainsi à ceux qui tentent d’enlever de force « une femme amoureuse » : « leur remonstrerent doulcement par plusieurs fois qu’ilz faisoient mal de vouloir emener une femme quelle quelle fust contre son gré par force » 124.

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Le second groupe de victimes a des limites moins marquées. Il est constitué de femmes que leur statut marginalise, soit parce qu’elles occupent une situation sociale hiérarchiquement inférieure comme les chambrières, soit qu’elles se soient, par leur veuvage, leur célibat, ou leur vie en concubinage, séparées de la norme, celle des femmes mariées. Toutes les chambrières ne sont pas obligatoirement réputées de « faire pour les compagnons ». Mais leur double condition de femmes subalternes et célibataires les expose à la brutalité des hommes. Leur maître a pu être leur premier initiateur, et leur statut de femme diffamée se sait. N’imaginons pas cependant un monde de femmes fragilisées qui s’oppose à celui des hommes forts. La situation est plus complexe que celle d’une société d’hommes contre une société de femmes. Des femmes peuvent être complices de ce viol initial qui entraîne la chambrière dans une situation irréversible. Ainsi, Jeannette, envoyée à 11 ans comme chambrière à Caudebec, à trois lieues de sa maison natale, se retrouve violée par l’entremise de Gésine, une autre chambrière. Celle-ci, à la nuit tombée, commande à la petite fille d’aller à l’étable où l’attendent ses agresseurs, au nombre de quatre. Parmi ceux qui commandent l’opération se trouve Pucemol, le souteneur de Gésine. L’amende profitable demandée par les parents de la fillette montre bien l’enjeu du préjudice : de l’argent pour assurer le mariage de Jeannette125. Entre les deux situations, il n’y a guère de solution intermédiaire possible. La chambrière rejoint le monde des semiprofessionnelles ou bien elle réussit à se marier, à entrer dans la norme.

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S’ajoutent à ces femmes dévalorisées par leur situation sociale et leur célibat, celles qui vivent en situation illégitime, concubines ou maîtresses. La morale est essentielle pour définir la norme. Pour avoir refusé la demande de « compagnons à marier », Jeanne, veuve tenue par un meunier avec qui elle vivait au moulin, mais réputée facile, est morte noyée, après une fuite désespérée. A l’arrivée de ses agresseurs, celle que la renommée qualifiait de « ribaude » s’enfuit « entre les deux roes du dit molin, en l’eaue jusques a la gorge ou elle estoit mise et mucee toute nue, excepté de chemise et de sa petite robe ». Plus les compagnons l’appellent, plus elle fuit pour leur échapper « en soy en alant tousiours au long de la chenel dudit molin », jusqu’à entraîner avec elle dans la noyade celui des compagnons assez courageux pour avoir tenté de la sauver 126.

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Les concubines de prêtres sont encore plus exposées que les autres à ce type d’aventure. Face à ces femmes, le système des plaidoiries est implacable. Il faut les faire entrer, par les mots, dans les stéréotypes qui les apparentent aux prostituées. Pour démontrer la culpabilité de Marguerite Xandrine, servante de Colesson Lafarge qui a

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appelé de l’évêque de Châlons au Parlement, la partie adverse l’accuse d’avoir vécu en concubinage avec son maître. Elle y ajoute immédiatement le portrait de la perversion sexuelle : « virginibus et aliis mulieribus decipiendis et ad vile peccatum incontinenter attrehendis, necnon de ipsis mediante pecunia vel alio turpi lucro seu lenonibus seu ribaldis liberandis se intromiserat et, in domo loci dicti Colessoni, ribaldos et meretrices receptare consueverat unde plures querimonie offîciariis dicte justicie temporalis predicti episcopatus subornate fuerant »127. 80

L’appel de Marguerite a été rejeté par le Parlement. Tout semble donc se passer comme si les hommes, par leurs agressions sexuelles, rectifiaient les déviances aux normes que la société impose. Mais, étant donné cette force de la conformité, les viols montrent aussi la fragilité de ces femmes que la vie a marginalisées. Il est le terme ou le début de la déchéance. Ce peut être, comme nous l’avons vu précédemment, celle de la jeune fille que ses parents ne peuvent plus nourrir et qu’ils conduisent à la ville. Ce peut être aussi celle de la femme qui, ayant connu une situation très correcte, devient par ses malheurs une proie facile. A Chaumont-en-Vexin, en 1375, c’est le viol de l’épouse délaissée d’un lépreux ; à Paris, en 1401, c’est celui de l’ancienne nourrice de la reine pour le dauphin Jean, Marie Caudelle128. Après la mort de son mari, cette dernière reste veuve avec deux enfants, « et s’estoit mise a mestier de lingere ». La course à l’emploi commence. A Paris, Guérard, prévôt de Hesdin, lui fait dire qu’elle aura du travail et, de bonne foi, elle se rend à l’endroit indiqué où, avec la complicité d’un autre homme, il l’attend, la ferme dans la chambre et la viole. Pourtant, contrairement à plusieurs de ses compagnes d’infortune, Marie Caudelle n’est pas encore arrivée au stade suprême de la déchéance, quand toutes les solidarités sont rompues : elle a encore un frère pour la défendre. Mais, en face, les arguments de la partie adverse sont révélateurs de la fragilité des femmes. Ils évoquent sa « petite renommee » qu’elle tient de sa mère et son « petit estat » qu’elle doit à son mari, simple bourrelier. La frange entre la bonne renommée et la vie diffamée qui appelle et excuse le viol est, pour ces femmes les plus démunies, infime. Et les appuis traditionnels, en particulier ceux de la parenté, ne sont plus toujours capables d’en assurer le respect. Où commence le « petit état » ? Quels bruits nourrissent la renommée ? Est-ce déjà affaire de hiérarchie sociale ou encore de morale ?

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Le dernier groupe, celui des femmes mariées, malgré sa stricte définition, peut aussi se révéler très ambigu. Il permet cependant de s’interroger sur la nature du viol, car tout dans l’honneur de la femme mariée doit la mettre hors d’atteinte de ce crime. Le viol est-il le propre d’un débridement sexuel impossible à maîtriser ou, encore une fois, choisit-il ses victimes ? Les sources sont d’une interprétation difficile. Elles montrent, effectivement, une violence terrible : ici les huis de la maison conjugale sont brisés, là une femme mariée est traînée dans une haie voisine par plusieurs compagnons. L’honneur de la femme peut alors se trouver bafoué et une de ces victimes peut aller jusqu’à payer ses agresseurs « pour son honneur garder »129. Néanmoins, cette violence est quantitativement limitée. Environ 20 % des victimes d’un viol sont mariées. Et, dans la moitié des cas, ces femmes mariées ont un comportement sexuel répréhensible. Ecoutons les justifications qu’apportent les coupables : ces femmes violées sont, quoique mariées, de « petite renommee ». Par ailleurs, comme dans le cas des chambrières précédemment évoqué, les femmes mariées peuvent devenir maquerelles de leurs propres filles, facilitant le viol initial, puis le « travail » et la rentrée

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d’argent130. La norme que crée le mariage a ses failles. Le viol y trouve des prétextes pour se justifier. 82

Nous sommes néanmoins là, avec le viol de la femme mariée, dans un processus de diffamation extrême. Ce peut être une des mesures d’action utilisées pour exercer la vengeance entre familles rivales, et les considérations sexuelles sont alors un moyen – mais quel moyen ! – plus qu’une fin131. L’injure sexuelle commence aux doigts qu’on presse, aux anneaux qu’on libère. Toucher la femme mariée est un affront, et à la danse, on ne la tient que lorsqu’elle a « gans blans sur les mains » 132. Dans ces conditions, à quel nombre se réduisent les viols agressant, gratuitement, les femmes mariées ?

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A considérer le visage des victimes, la violence sexuelle semble bien obéir à des lois qui distinguent soigneusement entre les femmes permises et les autres, mariées, qui échappent à la communauté des hommes. Le jeu des hommes consiste à agrandir au maximum, à renouveler, parfois avec la complicité de certaines femmes, le nombre de ces femmes permises. Le viol est, comme le pillage, une forme de razzia qui alimente la diffamation et la prostitution. Une fois reconnues, ces professionnelles bénéficient d’une sorte de statut protecteur et le nombre de viols qui les concerne est, sans doute, par rapport à leur nombre, assez réduit. Plus menacées sont les marginales du mariage : célibataires, veuves, concubines, femmes anciennes qui ont terminé leur temps de fécondité. Elles sont le vivier de la violence sexuelle. Celle-ci ne frappe pas à l’aveuglette et le viol ne prouve ni le débridement des hommes ni l’infériorité des femmes. Ses formes et ses victimes sont la contrepartie de la transcendance qui est accordée au mariage. Replacé dans la violence masculine générale, comparé à celui des homicides, le chiffre des viols paraît dérisoire. Ces données sont caractéristiques d’une société dont les moeurs sont régies par des lois assez strictes pour être tacitement respectées. On peut donc affirmer que la femme-objet est une notion inconnue en cette fin du Moyen Age. Au contraire, tout tend à montrer le respect dont la femme est entourée. Marion ne se plaint pas tant du travail qu’elle a fait aux champs et de la lourdeur des fagots qu’elle a chargés sur son ânesse ; elle a dû affronter le manque de courtoisie des hommes qu’elle a rencontrés à l’entrée d’Argenteuil : « laditte asnesse tomba sesdittes bourrees a terre et par la passerent deus hommes menans une charrecte a deus ou trois chevaulx lesquelz ne offrerent aucunement de aidier laditte Marion dont elle fust courrouciee combien que elle ne les en requist pas. Et depuis rechargea ycelle Marion laditte asnesse et mena lesdittes bourrees en la maison de son mary et d’elle »133

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Le suicide manqué qui suit ce récit vient dans la lettre comme une circonstance atténuante au geste de cette femme épuisée et mélancolique. Un homme doit spontanément aider une femme. A plus forte raison, « il n’est pas de son honneur » de porter la main sur elle, même quand elle est ribaude. Ces valeurs ne sont pas cantonnées au monde aristocratique. Elles ont cours dans cette petite auberge du bailliage de Touraine où le vin qui coule ne doit pas empêcher de respecter les règles. Deux compagnons s’y attablent. L’un d’eux veut donner un coup de couteau à une femme. Ne s’agit-il pas d’une fille de joie, Marion la Gaillarde ? L’autre arrête son geste et dit : « Vous ne faites pas votre honneur de tirer un coustel sur une femme » 134

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LES FEMMES ET LA PAIX 85

Les lois qui séparent les hommes des femmes sont strictes. Elles marquent bien la différence entre les sexes sans laquelle l’ordre des choses, dans cette société encore traditionnelle, serait aboli. Aux hommes la violence, aux femmes la paix. L’analyse anthropologique permet de mieux comprendre cette répartition des fonctions. De l’alliance à la cuisine, la mission des femmes est pacificatrice 135. Concrètement, elles sont chargées de cuire le repas pris en commun qui scelle la paix avec la partie adverse. Pour avoir refusé cette tâche, Adèle, grande dame du pays de Gueldre, avait, au XI e siècle, engendré le crime et contribué ainsi à perdre son pays ; aux XIV e et XVe siècles, ce rôle concret des femmes reste encore vivant136. Mais il reste à mesurer quelle place ces femmes occupent dans l’accomplissement de la paix.

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Quand les femmes sont amenées à intervenir dans un conflit, elles ont pour fonction de tout faire pour tenter de le clore. C’est d’ailleurs à cette entremise qu’elles doivent, le plus souvent, d’être victimes de la rixe. Aux portes d’Abbeville, Jeanne, comme tant d’autres, est morte du coup de bâton destiné à un autre : « Ycellui exposant fu par lesdiz freres (Bertin et Jehan) abatuz a terre d’un cop d’une hache ou baston, navrez moult durement, et pres se releva ledit exposant le mieulx qu’il pot, et pour obvier au peril de la mort et a la male emprise desdiz freres qui estoient et fors hommes et hardiz et fort l’agressoient, hauça un baston qu’il tenoit pour ferir ledit Bertin, mais, hastivement, Jehanne, femme dudit Jehan, pour l’amour desdictes parties, se bouta entre d’eulx et chey le cop par cas de meschief sur la teste d’icelle femme, et ne le pot ycellui exposant retenir, dont il a esté et est courrouciez et doulans, duquel cop ladicte femme fu navree »137.

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Remarquons que Jeanne intervient entre gens de connaissance ; le cas est général. Ici c’est un mari qu’on défend, ailleurs c’est un fils, un parent, un apprenti, un voisin. La femme se charge moins de maintenir une paix troublée par la violence des hommes que de protéger une vie qui lui est chère, sans doute parce qu’elle en apprécie le prix mieux que les hommes. En fait, l’intervention pacificatrice des femmes ne dépasse pas, encore une fois, les dédales de la vie privée. En règle générale, les femmes de cette fin du Moyen Age, comme celles de l’époque moderne, se sentent peu concernées par les affaires publiques du village138. Les femmes de langue d’oïl que révèlent les lettres de rémission ou les procès du Parlement ressemblent étrangement à celles de Montaillou ou du Biterrois139. Elles se jettent rarement dans la mêlée qui peut opposer deux villages voisins. Leur action reste individuelle, si bien que leurs crimes ne les opposent jamais à une collectivité. Et, ce qui est vrai à l’échelon du village, l’est aussi à celui du royaume. Les femmes ne se mêlent pas des querelles qui opposent les habitants aux officiers royaux : impôts, justice, révoltes sont, en priorité, des affaires d’hommes. Certes, les révoltes de 1382, à Paris, seraient dues au cri d’une marchande de cresson, mais, très vite, les hommes tiennent le pavé140. Des femmes risquent aussi d’être accusées de trahison et même de lèse-majesté. Jeanne de Belleville est condamnée pour trahison en 1343, au même titre que Geoffroi d’Harcourt ou Olivier de Clisson et leurs complices141. Mais il ne faut pas se fier à ces exemples exceptionnels, et il convient de regarder de près l’engagement des femmes lors des guerres civiles ou de la guerre contre les Anglais. Jaquette, en 1422, se trouve emprisonnée au château de Rances, dans le bailliage de Chaumont, à la suite de plusieurs vols. La Chancellerie royale décide de la gracier car « elle a prins plusieurs peines et travaux de jour et de nuit a moult grant

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dangier et peril de sa personne pour savoir l’estat de plusieurs gens nobles et autres tenant notre parti, prisonniers de nos adversaires et pour leur secourir, aidier a son povoir a la requeste de leurs amis, tant pour le fait de leurs rançons comme autrement »142. 88

Ne nous y trompons pas : les services de Jaquette ne sont certainement pas gratuits, car la lettre précise qu’il s’agit d’une femme « pauvre », « veuve », âgée de cinquante ans et « chargiee de plusieurs enfants ». Les mobiles politiques qui la font entrer au service du « parti bourguignon » ne devaient pas être très éloignés de ceux qui l’ont poussée aux vols dont elle est accusée. De la même façon, cette femme qui, en mai 1412, est venue de son village du Dunois pour porter au Parlement de Paris des lettres closes du duc d’Orléans, a agi, comme l’écrit Nicolas de Baye, « en esperance de ravoir son mari qui estoit prisonnier » en la garnison de Châteaudun143. Les motifs politiques ne sont pas premiers : ces femmes ne sont pas Jeanne d’Arc. Elles sont loin de prendre une initiative, qu’il s’agisse de guerre ou de paix. Leur action se limite-t-elle, pour autant, à la réalisation concrète de la paix ?

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Comme pour l’étude des autres crimes, il convient de séparer l’action et la parole. Lorsque les femmes interviennent pour séparer les belligérants, elles le font plus par leur parole que par leurs gestes. Ce n’est pas, comme nous l’avons vu, seulement signe de leur infériorité physique, mais signe de leur mission dans la vie sociale. Elles sont là pour avertir du danger et pour tracer la voie que les hommes doivent suivre. D’ailleurs, aucune d’entre elles n’est accusée de blasphème. C’est un crime d’hommes. A un moment où le blasphème est sévèrement fustigé par l’autorité politique, les femmes apparaissent, en ce domaine, comme les pionnières de la conduite religieuse. Cette attitude crée avec le roi une incontestable complicité qui s’accroît encore au cours du XVe siècle. Si on considère, au XVIe siècle, les lettres de rémission accordées à des femmes coupables du meurtre de leur mari, on y voit, en creux, le portrait d’un mari pervers, battant sa femme et surtout blasphémant sans cesse, bref, un mari dont la mort est finalement un bien pour le salut du royaume144. La parole des femmes a l’auréole de la rectitude : c’est pourquoi elle peut être reconnue comme régulateur social. Aussi, l’action des hommes, y compris l’action politique et collective, est souvent précédée de leurs cris, signes irréfutables de leur science, à commencer par celle du danger. Ce sont elles qui, de préférence, crient « haro » en cas de crime, comme celles de Goussainville en 1386 ; à Hangest, lors de la Jacquerie de 1358, leurs cris ont précédé la mise en défense du village alors qu’un huissier du Parlement et un sergent royal, étaient envoyés pour arrêter des habitants coupables de faux témoignages : « Lequel huissier, avec lui Jehan d’Arraz notre sergent en la prevosté de Montdidier, allerent en ladite ville de Hangest en laquelle il trouverent Jehan Sire en son hostel, auquel il mirent la main de par nous, et le vouldrent amener prisonnier. Et lors le varlet dudit huissier print son espee et courru devant le moustier de laditte ville, et tantost les femmes d’icelle qui virent ledit varlet avec ladite espee tout nue, firent et getterent un grant cry. Pour lequel grant cry, Nicaise Sire Jehan, Pierre Potin, Pierre Sire Jehan, Jehan Du Lot et Martin Troquet, saillirent suz, chascun un baston ferré ou haches en leurs mains, lesquelz demanderent aus diz huissier et sergent, par deux foiz se ilz vouloient rienz, en faisant semblant de les frapper. Et adonc yceux huissier et sergent parlerent moult courtoisement a eulx, et tant qu’ilz se partirent d’illec senz ce qu’il y eust en ce aucun fait de fait, fors de paroles »145. La parole des femmes est bien investie d’une fonction. Elle dit et clame le désordre, aux hommes de le rétablir.

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Cette séparation des fonctions assure effectivement le retour à l’ordre mais elle appelle aussi son contraire pour que cet ordre se régénère. Les affrontements symboliques entre hommes et femmes en sont une première manifestation. La place des femmes dans le crime, mais aussi dans la société, ne se comprend finalement que si on saisit comment celles-ci peuvent, exceptionnellement, se retrouver aux côtés des hommes. Leur présence lors des cérémonies où le pouvoir s’instaure et se vivifie, confirme la dualité qui sépare les sexes dans la vie quotidienne. Les femmes, toutes les femmes y compris les prostituées, accueillant le roi lors de ses joyeuses entrées, participent à ces temps de nécessaire unanimité qui fondent la vie politique et sociale. Les entrées royales pour lesquelles les hommes s’ordonnent en corps, voient aussi, à Paris, à Rouen ou à Lyon, des femmes symboliquement présentes dans le cortège 146. Et sans doute des femmes sont-elles, comme celles qui accueillaient le Christ sur la route de Jérusalem, parmi la foule qui acclame le prince, parmi ce « peuple », mot ambigu, dont parlent les récits. Quant aux processions qui, pendant la guerre civile, scandent la vie parisienne, elles ne peuvent être parfaitement bénéfiques que si tous les représentants des deux sexes, y compris « les femmes grosses » comme le précise le Bourgeois de Paris, se trouvent assemblés147. Au cours du XVe siècle, cette participation prend un sens politique précis qui oppose la paix à la violence. En 1461, les cinq femmes du cortège parisien ne symbolisent pas seulement la ville : elles sont successivement la « paix », l’« amour », la « raison », la « joye » et la « seureté », tandis qu’à Rouen, la paix est, explicitement, une « dame »148. En incarnant aux yeux de tous les conditions politiques de la fécondité, les femmes sont devenues les complices d’un pouvoir soucieux de limiter les débordements de ses sujets masculins. Cette complicité est ancienne, et, de longue date, il existe un dialogue privilégié entre le roi et les femmes. L’abondance des suppliques accordées aux veuves, la défense que le souverain assure aux pucelles par ses ordonnances de paix, sont autant de preuves de la protection particulière qu’il promet de leur assurer. En agissant ainsi, le souverain est le porte-parole de Dieu. La femme est devenue, en ces XIVe et XVe siècles, au terme d’une longue tradition, un sujet qui ne dépend plus seulement d’un père ou d’un mari. Chargée de définir son identité face au roi, elle marque, comme l’homme, son appartenance au royaume et elle y remplit, naturellement, la mission de paix qui est la sienne au foyer ou au village.

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Parce que leur place dans la société les exclut en grande partie de la violence et du crime, les femmes ont pu contribuer à contrôler la violence et le crime. Et, de leur charge initiale que leur conférait la loi tacite de la séparation des sexes, elles ont pu glisser, en ce temps où les manifestations symboliques fondent encore le pouvoir, à une mission de paix nécessaire à la construction de l’Etat.

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Les bouleversements des XIVe et XVe siècles précisent leur champ d’action. Le temps est aux désordres extrêmes ; ils scandent la vie politique. Alors, les femmes sortent de leur silence pour agir publiquement. On mesure, à l’attitude feutrée que révèlent normalement leurs crimes, la perturbation qu’apportent les guerres civiles et les conflits entre partis politiques. Les chefs obligent les Parisiennes à porter les chaperons à leurs couleurs. Le Bourgeois de Paris note, implicitement, pour l’année 1413, l’étrangeté du phénomène, en énumérant ceux qui doivent aussi s’en coiffer, « hommes d’église » et « femmes d’honneur »149. Dans les deux cas, l’attitude est incongrue. Dans l’aristocratie, l’implication des femmes est certainement plus fréquente que dans le peuple, mais les chroniqueurs soulignent son caractère exceptionnel et méritoire. Ils louent, par exemple, la mission de paix que la comtesse de Hainaut, sœur du duc de

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Bourgogne, poursuit en 1414 avec ténacité150. Mais, en ces temps difficiles, l’action des femmes ne se borne pas à des couches sociales particulières. Beaucoup sont prêtes à inverser leurs conduites habituelles et, comme l’écrit G. Balandier, à devenir « hommes » pour mieux préparer le retour à la tradition dont elles sont les gardiennes151. Ce sont elles qui, dans les temps les plus difficiles de la guerre civile, prennent la parole pour demander la paix. Ne limitons pas cette intervention à quelques interlocutrices privilégiées, à Christine de Pizan exhortant, dès 1405, Isabeau de Bavière à remplir sa mission, comme reine, comme mère et comme femme, afin « d’estre moyennerresse de traictié de paix » ; ou encore, en 1410, quand sa Lamentation exhorte : « Assurez donques, peuples ! Devotes femelettes, criez misericorde pour ceste grief tempeste »152. 93

La voix est entendue. En 1435, ce sont les « damoiselles et les bourgeoises de Paris » qui « prient moult piteusement a la duchesse (de Bedford) qu’elle eust la paix du royaulme pour recommandée, laquelle leur fist responce moult doulce et moult benigne en disant : « Mes bonnes amies, c’est une des choses de ce monde dont j’ay plus grant desir, et dont je prie plus mon seigneur et jour et nuyt, pour le tres grant besoing que je voy qu’il en est, et pour certain je scay bien que mon seigneur en a tres grande voulenté de y exposer corps et chevance ». Si la mercierent moult, et prindrent congié et se departirent »153.

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Ces Parisiennes ont agi en corps et leur conversation reste entre femmes. Mais elle est significative de la fonction qui leur est reconnue en temps de crise. Jeanne d’Arc s’explique mieux ainsi. Les femmes sont bien les gardiennes de la paix. Elles constituent le côté féminin du pouvoir, celui que se reconnaît un roi qui, pour s’imposer, se montre soucieux de fustiger la violence. Mais il resterait à savoir si cette paix, dans son devenir, n’échappe pas rapidement aux femmes. Sont-elles de ces « habitants » qui sont habilités à la jurer ? L’énumération de ceux qui prêtent serment de tenir la paix permet d’en douter ; il reste, peut-être, aux femmes la fête des feux de joie 154. Quelle influence ont pu avoir sur la condition des femmes ces brusques accélérations politiques par lesquelles s’est créé l’Etat moderne ? Dans l’immédiat leur parole, une fois dite, semble morte, et selon leurs voeux, la société est revenue à son ordre dans une stricte hiérarchie entre les sexes. Mais à long terme ?

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L’étude de la criminalité conduit donc à celle de la stricte division des sexes dans une société de la tradition. Ne confondons pas les siècles. Les crimes féminins ne remettent pas en cause l’infériorité des femmes. Au contraire, l’action des femmes est éminemment individuelle et conservatrice : celles-ci ne s’impliquent que pour stimuler un retour à l’ordre des choses. Leur intervention est exceptionnelle, mais elle dit la loi, celle de la tradition.

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Le poids de cette parole est d’autant plus lourd de sens que, dans la vie ordinaire, toute incursion hors des normes, celles du mariage qui en fait des « dames d’honneur », les fragilise. Le privé protège les femmes et les valorise ; le public les expose et les marginalise. Quant aux crimes des hommes, ils se produisent, massivement, entre hommes. Et, s’ils prennent des femmes comme victimes, elles sont rares et permises. Il faut bien en conclure que le code qui régit les rapports entre les hommes et les femmes, se révèle particulièrement efficace, et que le mariage est une barrière que le crime peut difficilement franchir. Aussi, poser les rapports des hommes et des femmes en termes de supériorité ou d’infériorité n’est pas opérant, même en ces deux derniers siècles du Moyen Age. Aux origines de la séparation des sexes et de la répartition de leurs

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fonctions sociales, réside encore l’obsession héritée des anciens âges : préserver la société de l’impur que l’incursion des femmes dans un monde public, qui n’est pas fait pour garantir leur vertu, est susceptible de menacer155. Le profil des crimes en découle. Seuls les hommes ont une spécificité criminelle, celle qui les conduit à l’homicide. Il faudra donc expliquer pourquoi la violence est une affaire d’hommes. Cela ne veut pas dire que les femmes ne sont pas au coeur du débat. Et la question posée devient alors celle-ci : la violence masculine de cette fin du Moyen Age est-elle gratuite, est-elle, comme le prétend N. Elias le produit d’une agressivité qui s’assouvit dans la cruauté et que la « civilisation des mœurs » n’a pas encore réussi à affiner 156 ?

NOTES 1. R. FOSSIER, L’ère féodale, Histoire de la famille, t. 1, p. 383. La voie a été ouverte par E. POWER, Les femmes au Moyen Age, mais les difficultés de l’approche historique subsistent comme l’a montré G. DUBY, conclusion du Colloque La femme au Moyen Age, p. 457 et suiv. Dans une synthèse récente, Ch. KLAPISCH-ZUBER montre que l’histoire des femmes « ne défend pas de thèse » mais qu’elle doit saisir la façon dont la « différence des sexes et les relations qu’ils entretiennent interviennent dans le jeu social dont ils sont création et effet en même temps que moteur », Histoire des femmes…, t. 2, p. 13-14. 2. Nombreuses références dans la littérature des exempta, en particulier L’alphabet des récits, cité dans Prêcher d’exemple…, p. 108-120. Les femmes sont aussi accusées de péchés spécifiques relatifs à l’insano amor, aux péchés de langue, à la coquetterie, et enfin à la paresse, M. VINCENT-CASSY, « Péchés de femmes… », p. 501-517. Guillaume de TIGNONVILLE donne un exemple de cette vision qui a pu être appliquée à la justice, R. EDER, Tignomillana inedita, p. 947, et infra, n. 59. 3. JJ 130, 196, avril 1387, (prévôté de Paris). Sur l’irresponsabilité féminine et ses limites pour certains crimes comme l’adultère, J.M. CARBASSE, Introduction historique au droit pénal, p. 191. 4. Sur ce point de vue féministe, Une histoire des femmes est-elle possible ?, M. PERROT éd., p. 18-35. Les travaux des folkloristes s’avèrent néanmoins très utiles, M. SEGALEN, Mari et femme…, chapitre 5. 5. G. BALANDIER, Anthropo-logiques, p. 13-61. Les études anthropologiques ont eu aussi beaucoup de difficultés à se dégager des anachronismes pour rétablir et comprendre la place de la femme dans la société traditionnelle, E. E. EVANS-PRITCHARD, La femme dans les sociétés primitives…, p. 30-50. 6. M. BOURIN et B. CHEVALIER, « Le comportement criminel… », p. 251. 7. Sondage effectué dans JJ 211 pour l’année 1485. Sur cette évolution de la lettre de rémission, voir chapitre 2, n. 60 et 61. 8. N. GONTHIER, Délinquance, justice…, p. 343. A Arras, dans la première moitié du XVI e siècle, R. MUCHEMBLED, Culture populaire…, p. 151, évalue à 15 % de tous les crimes jugés, ceux qui ont été commis par des femmes. Au XVIIIe siècle, en Languedoc, la criminalité féminine globale est de 10 %, N. CASTAN, Les criminels de Languedoc…, p. 25-36. 9. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 268. 322, 360, et t. 2, p. 60, 64, 343, 392, 436. 10. Ibid., t. 2, p. 430. Cette tradition de rigueur est encore le fait du Châtelet en 1460 quand Perrette Mauger, convaincue de vols, se dit grosse pour échapper au supplice ; les matrones

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jurées requises par les juges ayant émis un avis négatif, la coupable fut enfouie toute vive devant le gibet, J. de ROYE, Journal…, t. 1, p. 4. 11. Y 5266. Sur ce registre, voir chapitre 1. p. 33. 12. La criminalité féminine est évaluée selon les types de crimes. Elle atteint 32 % pour les vols et 18 % pour les homicides : B.A. HANAWALT. « The Female Felon… », p. 267. 13. A. J. DHAVERNAS, « La délinquance des femmes… ». p. 56. Sur les fondements de ce principe dans l’histoire du droit pénal. A. LAINGUI et A. LEBIGRE, Histoire du droit pénal…, t. 1, p. 91. 14. A. PORTEAU-BITKER, « Criminalité et délinquance féminines… », p. 24 ; J.M. CARBASSE, Introduction historique au droit pénal, p. 221-222. D’après le Registre criminel du Châtelet, aucune femme n’est pendue sur ordre du prévôt de Paris. Ainsi, Marion de la Court poursuit sa confession « elle estant aupres de la fosse ordennee a la enterrer et sur le point que l’en lui vouloit mettre ». Registre criminel du Châtelet, t. 2, p. 437. Aux XIII e

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XIV e siècles, à Paris, la

pendaison ne semble pas être appliquée aux femmes, L. TANON, Histoire des justices…, chapitre 3. La première pendaison de femmes à Paris daterait de 1449, ce qui n’a pas supprimé la peine d’enfouissement, cit. supra, n. 10. En revanche, la pendaison est mentionnée à Aurillac au XIII e siècle, R. GRAND, Les paix d’Aurillac, p. 65, où deux hommes et une femme condamnés pour meurtre ont été pendus et, à la fin du XIVe siècle, à Montpellier, X 2a l2, fol. 284v., 9 juillet 1398. En matière de témoignages, les justices seigneuriales parisiennes ne semblent pas faire de différence entre les sexes et on voit des femmes présentes comme témoins, L. TANON, ibid., p. 467 et suiv. Il faut néanmoins distinguer des nuances régionales car le statut juridique de la femme semble différent en Languedoc, par exemple H. GILLES, « Le statut de la femme… », p. 83, qui montre le faible engagement des femmes dans les affaires criminelles puisqu’elles peuvent être poursuivies comme les hommes, mais que leur témoignage n’est reçu qu’en cas d’injures. Enfin, l’adultère est différemment puni selon qu’il s’agit d’hommes ou de femmes, J.M. CARBASSE, « La condition de la femme mariée… », p. 106. 15. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 195-201 ; même cas pour Gilette de Large, ibid., p. 309. 16. Z lo 17 (paroisses de Saint-Germain-l’Auxerrois et Saint-Jacques-de-la-Boucherie entre 1426 et 1438). 17. Le motif invoqué par la Chancellerie pour accorder la rémission donne les résultats suivants par sexe : la prison pour 17 % des hommes et 52 % des femmes, le bannissement pour 21 % des hommes et 4 % des femmes. D’autres différences sont significatives de l’image négative que la femme présente dans le crime comme l’intervention du diable (hommes 1,5 %-femmes 4 %), la mauvaise réputation de la victime (hommes 9 %-femmes 3,5 %), l’intervention du hasard (hommes 2 %-femmes 0 %), et les bons sentiments que le coupable nourrissait à l’égard de la victime (hommes 5,5 %-femmes 0 %). Les autres motifs, y compris quand il n’y en a aucun, présentent des profils homogènes. 18. A. PORTEAU-BITKER, « Criminalité et délinquance féminines… », p. 18-23. 19. Y 5266, fol. 114v., 30 octobre 1488 : la coupable était mariée à un tondeur de draps et demeurait place Maubert. Ce vol avait été dénoncé par un « varlet megissier demeurant rue Saint-Germain-des-Prés » ; ibid., fol. 18v., 20 août 1488 : la coupable était ouvrière de chapeaux « demourant partout ». Son vol, commis de jour, a été dénoncé par un vigneron. 20. Ibid., fol. 77, 25 août 1488. Il a été condamné le 7 mars 1489. Même cas fol. 83v. 21. Ibid., fol. 108v., 27 septembre 1488, et fol. 112,1er octobre 1488. 22. Sur la répartition de ces crimes parisiens, voir chapitre 6, p. 270 et suiv. 23. Les conclusions de B.A. HANAWALT, « The Female Felon… », p. 268, confirment ce point de vue. Elle estime que 83,7 % des femmes ont été acquittées contre 70,3 % des hommes. 24. Sur ce rôle des amis et de la parenté en cas d’emprisonnement du coupable, voir chapitre 14, η. 123. 25. Sur ces pratiques proches du duel judiciaire, J. GAUDEMET, « Les ordalies au Moyen Age… », p. 120 et suiv.

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26. JJ 165, 172, août 1411, TARBES (sénéchaussée de Bigorre). Ces combats entre sexes sont condamnés par les moralistes, R. EDER, Tignonvillana inedita, p. 993. A ce temps d’un relatif équilibre, succède peut-être au XVIe siècle celui de l’inversion figurée entre les sexes, dont l’image stéréotypée est celle de la femme portant la culotte, du mari battu et de la chevauchée sur l’âne. 27. J. de ROYE, Journal…, t. 1, p. 27. 28. J.B. GIVEN, Society and Homicide…, p. 134, qui conclut : « Homicide in thirteenth century England was an overwhelmingly male phenomon ». 29. R. MUCHEMBLED, Violence et Société…, t. 1, p. 131 et suiv. Cette évolution est moins due à un désengagement des femmes dans le crime qu’à une évolution de la lettre de rémission, de plus en plus nettement réservée aux homicides, voir chapitre 18, n. 60. 30. N. GONTHIER, « Délinquantes ou victimes… », p. 31. 31. Y 5266, fol. 34v., 15 juillet 1488 : la coupable a été délivrée. Autre exemple ibid., fol. 11, juin 1488, où une femme « paillarde et maquerelle » aurait pris sa compagne « par les cheveulx, tiree et batue et aultres charges contenues dans l’informacion ». 32. Ibid., fol. 35v., 15 juillet 1488, et 36v., 16 juillet 1488. Les coupables ont été délivrées le jour même de leur emprisonnement. De même à Paris, « Agnes femme de Jehan Lavoine a jeté “grosse matiere” de son hostel par en hault sur Jehanne la Mennestriere », Y 5220, fol. 213, 20 mai 1396. 33. JJ 151, 9, décembre 1396, PARIS (prévôté de Paris). 34. Par exemple, R. MUCHEMBLED, « La femme au village… », p. 585. 35. De nombreux exemples encore sous le règne de Louis XI, JJ 208, 24, 90, 118, etc. R. FOSSIER donne une image très nuancée de « l’opposition des sexes », L’ère féodale, Histoire de la famille…, p. 378. 36. Exemples pour la taverne, JJ 155, 1, 23, 28, 32 ; pour le pèlerinage, JJ 169, 23, décembre 1415, (bailliage de Troyes). 37. Tel est le cas d’Ambroise de Loré, femme du prévôt de Paris, Robert d’Estouteville, J. de ROYE, Journal…, t. 1, p. 12 et 201. 38. JJ 169, 154, mai 1416, VILLEFRANCHE-SUR-CHER (bailliage de Chartres), et JJ 165, 158, septembre 1411, ITEUIL (bailliage de Touraine). 39. X 2a 14, fol. 144v., novembre 1403. Cette affaire est liée à une entreprise menée pour diffamer cette femme mariée que convoite un sergent du bailliage de Vermandois. Il est probable que si elle avait transgressé l’interdit, elle se serait trouvée publiquement diffamée par le curé qui sert ici d’entremetteur. 40. Registre criminel du Châtelet, t. 2, p. 341. 41. Ibid., p. 342. 42. Pour R. CAILLOIS, cette promiscuité sexuelle temporaire fait partie des transgressions rituelles qui caractérisent la fête et préparent dans la joie au sacrifice, L’homme et le sacré, p. 127. 43. JJ 150, 26, juillet 1396, (bailliage d’Amiens), et 19, lettre citée chapitre 4, n. 15. 44. E. POWER, Les femmes au Moyen-Age, p. 84. A l’époque moderne, les femmes disposent encore d’une relative liberté, du moins en langue d’oïl, R. MUCHEMBLED, Culture populaire…, p. 150. 45. JJ 127, 1, lettre citée chapitre 3, n. 35. 46. JJ 127, 5, juin 1385, TOUFFREVILLE (bailliage de Caen). 47. Registre criminel de Saint-Martin-des-Champs, p. 96. 48. JJ 165, 10, novembre 1410, ALIZAY (bailliage de Rouen). 49. X 2a 16, fol. 100, janvier 1411. La femme « agresseur » est une « damoiselle ». 50. Par exemple X 2a 14, fol. 396, août 1407, (bailliage de Touraine). Le couple aurait tué les marchands qui logeaient chez eux et les auraient enterrés dans leur jardin ; X 2a 15, fol. 11, mars 1405 ; ibid., fol. 217v., mars 1408 ; X 2a 16, fol. 42, février 1410. 51. JJ 169, 5, octobre 1415, BLIGNY (bailliage de Sens et d’Auxerre).

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52. JJ 127, 26, juillet 1385, LA BAZOGE (bailliage de Cotentin). Il est précisé que la maison était basse et couverte de chaume. 53. JJ 160, 19, juin 1405, (bailliage d’Amiens). 54. La bibliographie relative à ce sujet est donnée par M.Cl. PHAN, Les amours illégitimes…, p. 227-240. 55. Les effets de cette herbe abortive, bien connue pour ses facultés surtout contraceptives, ne se font pas attendre, et « icelle Jehanne qui estoit grosse gecta et mist hors son corps et par le bas, par le moien de la ditte herbe qu’elle but, plusieurs immondicitez et, entre autres ung enfant formé qui n’avoit point de vie dont elle feut bien esbaye et courroucee pour ce qu’elle ne l’avoit point encore senty bouger », JJ 207, 73, avril 1480, VEIGNÉ (bailliage de Touraine). 56. X 2a 14, fol. 153-154v„ janvier 1404, LA FLOCELLIÈRE. 57. Voir chapitre 10, p. 446. 58. P. BRAUN, « La sorcellerie… », p. 261-264. 59. X 2a 14, fol. 173-177v., avril 1404. Encore une fois, Guillaume de Tignonville fait part de sa méfiance quand par l’intermédiaire des philosophes, il recommande que le roi « se garde bien de mangier viande que femme jalouse lui baille », R. EDER, Tignonvillana inedita, p. 931. Des femmes sorcières font l’objet d’interrogatoires serrés menés au Châtelet par Jean de Folleville, Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 327-361, et t. 2, p. 280-339. Remarquons qu’Aleaume Cachemarée, dans son registre, n’a retenu que des exemples féminins, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas au même moment des sorciers qui sont passés au Châtelet, mais que seul le cas des femmes est considéré comme exemplaire. 60. X 2a 14, fol. 214v.-218, décembre 1404. 61. BN. Fr. 17517, fol. 29-34v., 26 avril 1417. Sur cette mort, E. de MONSTRELET, Chronique, t. 3, p. 68. 62. X la 1480, fol. 92v., 22 mai 1417. Ces lettres closes ont été déchirées publiquement le 21 juillet 1417, ibid., fol. 99. L’envoi de ces lettres est mentionné par E. de MONSTRELET, ibid., p. 175. 63. Voir chapitre 5, n. 130 et suiv. 64. Registre Criminel du Châtelet, t. 1, p. 475-479. 65. X 2a 14, fol. 387-391, juin-juillet 1407. La femme agit la plupart du temps de conserve avec son amant qui est devenu son mari après le veuvage, par exemple X 2a 15, fol. 224v., août 1408, et X 2a 16, fol. 35v.-36, décembre 1409. L’emploi du poison en cas de haine conjugale n’est d’ailleurs pas l’apanage des femmes ; ainsi, Jean Guilleteau, après avoir vainement requis des tueurs à gage pour se débarrasser de sa femme (contre 200 écus), en vient au poison, cas cité supra, n. 56. 66. JJ 118, 54, octobre 1380, NOGENT-L’ARTAUD (à tous les justiciers). 67. JJ 150, 34, juin 1396, VARENNES-SUR-ALLIER (bailliage de Chartres). 68. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 264. 69. JJ 143, 162, septembre 1392, LES LOGES-MARCHIS (bailliage de Cotentin). 70. Cl. GAUVARD, « Paroles de femmes… », p. 333-334. 71. Sur le déroulement du crime et les données quantitatives prises en compte, voir chapitre 2. 72. Sur cette force de l’injure sexuelle, voir chapitre 16, p. 719 et suiv. 73. JJ 160, 96, lettre citée chapitre 6, n. 206. 74. X 2a, 14, fol. 318v„ avril 1406. 75. Cit. supra, n. 56 et 65. Autre exemple, ibid., fol. 426, juin 1408 : un homme, en concurrence professionnelle avec un autre pour la prise à ferme des travaux de Pierrefonds commandés par le duc d’Orléans, choisit de dénoncer son adversaire qui aurait autrefois violé sa chambrière, propos d’autant plus graves qu’il s’agit d’un homme marié avec enfants. 76. JJ 160, 374, juin 1406, VILLIERS-FOSSARD (bailliage de Caen). 77. Ibid., 372, lettre citée chapitre 4, n. 131.

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78. Par exemple X 2a 14, fol. 181 v., mai 1404. La cruentation donne raison à la dénonciation féminine ; ibid., fol. 217, décembre 1404, où une simple chambrière dénonce les effets d’un empoisonnement commis par un homme riche et puissant. 79. Ibid., fol. 255, juin 1405. 80. Ibid., fol. 4, décembre 1400. 81. Ces conclusions rejoignent celles de J. BELLAMY, Crime and Public Order…, chap. 1. 82. Une synthèse bibliographique est donnée par C. ERICKSON et K. CASEY, « Women in the Middle Ages… », p. 340 et suiv., et S. SHAHAR, The Fourth Estate…, chap. 6 et 7. 83. Voir tableau 21, chapitre 9. 84. X 2a 14, fol. 146v., novembre 1403. 85. P. DESPORTES, Reims et les Rémois…, p. 577-578. 86. Par exemple Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 50. 87. Ibid., p. 205 : Fleurent de Saint-Leu a emmené Marguerite à Senlis, Paris, Noyon, Laon, Compiègne… 88. Ibid., p. 211. 89. Sur la place des veufs et des concubins dans le crime, voir chapitres 13, p. 574 et suiv. 90. H. DUBOIS, « Les feux féminins à Dijon… », p. 395 et suiv. 91. Par exemple X lc 81 A, 126, 20 mars 1401, accord sollicité pour une jeune veuve « toute grosse et qui ne garde l’eure au plaisir de Dieu de se coucher ». 92. Ch. de PIZAN, Autres ballades, Œuvres poétiques, t. 1, CVI. Le veuvage est un thème littéraire européen à cette époque, L. DULAC, « Inspiration mystique… », p. 113 et suiv. 93. Par exemple, JJ 172, 36, avril 1422, RANCES (bailliage de Chaumont). 94. JJ 127, 223, novembre 1385, TRIGNY (bailliage de Vermandois). 95. Les chiffres s’établissent ainsi : pour les hommes, 66 % sans mention, 4 % avec un enfant, 12 % plus de deux enfants, 14 % pas de chiffre, 4 % ont une femme enceinte ; pour les femmes, les pourcentages sont respectivement les suivants : 59 %, 7 %, 12 %, 11 %,et dans 11 % des cas la femme est elle-même enceinte. 96. JJ 165, 200, juin 1411, NEUFCHÂTEL-EN-BRAY (bailliage de Caux). 97. N.Z. DAVIS, Pour sauver sa vie…, p. 169 et suiv. 98. JJ 169, 26, lettre citée supra, chapitre 6, n. 157 et ibid., 148, mai 1416, BELLEFONTAINE (prévôté de Paris). 99. Ces résultats diffèrent des conclusions de J.B. GIVEN, Society and Homicide, p. 143-145. Mais l’auteur raisonne seulement sur les homicides alors qu’ici tous les crimes sont pris en compte. 100. Le vol est dans 19 % des cas le premier antécédent du crime féminin alors qu’il constitue seulement 7 % des antécédents masculins. Cette proportion est respectivement de 11 % et de 3 % pour le second antécédent. Au troisième antécédent, le vol constitue encore 11 % des délits féminins et seulement 2 % des délits masculins. 101. Registre criminel du Châtelet, t. 2, p. 55. 102. Ibid., t. 1, p. 327, et t. 2, p. 393 et 436. 103. Voir graphique de la rémission, p. 794-795. 104. Sur les limites de cette dévalorisation, voir chapitre 3, p. 131-135 et Cl. GAUVARD, « La déclinaison d’identité… ». 105. Environ 19 % des femmes sont condamnées à aller en prison contre 8 % des hommes. Aucune ne doit aller en pèlerinage pénitentiel. 106. On ne peut pas appliquer aux XIVe et XVe siècles les conclusions de N.Z. DAVIS sur ce point. 107. JJ 172, 25, avril 1420, VILLEQUIER-AUMONT (bailliage d’Amiens). 108. JJ 151, 223, février 1397, HOULBEC-COCHEREL (bailliage de Rouen). 109. Ibid., 235, avril 1397, CROSNE (prévôté de Paris). 110. Il y a environ deux fois plus de viols collectifs que de viols individuels. 111. JJ 155, 2, avril 1400, SAINT-LÔ (bailliage de Cotentin).

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112. J.L. FLANDRIN, Les amours paysannes, p. 221. 113. J. ROSSIAUD. La prostitution médiévale, p. 26 et suiv. 114. Le viol peut apparaître dans la série des accords du Parlement, par exemple X lc 81A, janvier 1401. Ce n’est pas obligatoirement le signe d’une sous-évaluation de ce type de crime ; il s’agit, par l’arbitrage, de calmer le jeu de la diffamation. 115. Voir supra, n. 90, et P. DESPORTES, « La population… », p. 486. 116. JJ 160, 27, juillet 1405, MAISONS-LAFFITTE (prévôté de Paris). 117. Ces obligations n’apparaissent pas avant la seconde moitié du XIII e siècle et elles se multiplient au XIVe siècle, Br. GEREMEK, Les marginaux…, p. 246-247. Pour Florence, voir R.C. Trexler, « La prostitution florentine… », p. 998. 118. Sur la prostitution rurale, J. ROSSIAUD, « Prostitution, jeunesse… », p. 294-296. 119. JJ 107, 3, mai 1375, LISSY (prévôté de Paris). 120. J. ROSSIAUD, La prostitution médiévale, p. 164 et suiv. 121. Par exemple Y 5266, fol. 122 : « femme amoureuse », arrêtée par le guet alors qu’elle se trouvait « allant de nuit sans clarté » avant de se cacher dans une taverne. Une seule d’entre elles est mentionnée « femme amoureuse et caymande demourant partout », ibid., fol. 47v. Sur la localisation de la prostitution parisienne, voir J. FAVIER, Paris au XV e siècle, p. 81. 122. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 59. 123. Ibid., t. 1, p. 143. Autres exemples évoqués au Parlement, X 2a 14, fol. 2v. et 16v., novembre 1400 ; ibid., fol. 375, avril 1407. 124. JJ 211, 74, mai 1483, DOMART-EN-PONTHIEU (bailliage d’Amiens). 125. X 2a 14, fol. 318. avril 1408, CAUDEBEC-EN-CAUX. Ce cas illustre bien l’arrivée à la ville voisine des servantes qui se recrutent dans un rayon de 15 kilomètres environ, P. DESPORTES, « La population… », p. 500. 126. JJ 172, 23, avril 1420, ISENAY (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 127. X 2a 16, fol. 258v., avril 1414. 128. JJ 107, 290, octobre 1375, CHAUMONT-EN-VEXIN (bailliages de Rouen, Gisors et Senlis) ; X 2a 14, fol. 24, voir supra p. 277. 129. X 2a 14, fol. 235v., mars 1404 ; X 2a 16, fol. 90, décembre 1410. 130. Il faut se méfier du contenu des accusations, mais c’est là un thème des plaidoiries qui montre que l’argument est assez plausible pour être utilisé, par exemple X 2a 14, fol. 297, janvier 1406. 131. X 2a 10, fol. 236, août 1386. La scène se passe de façon infamante sur un fumier où s’accomplit l’acte sexuel. Autres exemples, X 2a 14, fol. 20v., mars 1401, et fol. 357, décembre 1406 ; X 2a l5, fol. 96, août 1405 ; X 2a l6, fol. 75, août 1410, où entre autres actions vindicatives, un chevalier viole la femme de celui qui l’a dénoncé pour un meurtre. 132. JJ 120, 221, mars 1382, BOUVAINCOURT (sénéchaussée de Ponthieu). La femme accuse le suppliant de lui avoir enlevé gants et anneaux « combien qu’il n’en estoit riens », et « comme courroucié et honteux pour les gens qui presens estoient, lui donna une buffe (…) laquelle en soy revenchant lui en donna une autre ». 133. JJ 169, 26, lettre citée supra, n. 98 et chapitre 6, n. 157. 134. JJ 165, 154, lettre citée chapitre 6, n. 161. 135. Sur ce lien entre le mariage et la cuisine, Cl. LÉVI-STRAUSS, Anthropologie structurale, p. 150-170. 136. Episode relaté par Alpertus de Metz, De diversitate temporum, en particulier livre II, chapitres 12 et 13. Je remercie M. le chanoine H. PLATELLE d’avoir attiré mon attention sur ce texte. Aux XIVe et XV e siècles, l’alliance scelle encore la paix, vérifiant l’idée qu’on se marie avec ses ennemis, E. de MONSTRELET, Chronique, t. 1, p. 129. Voir Cl. GAUVARD, « Cuisine et paix… ». 137. JJ 127, 22, juin 1385, ABBEVILLE (sénéchaussée de Ponthieu). Autre exemple JJ 172, 12, mars 1420, MHÈRE (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier), où deux parties sont en conflit, tous les

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protagonistes étant parents : « et quant la mere, la femme, la suer dudiz suppliant virent ladicte riote, elle le prindrent et le tirerent loing de ladicte riote comme le gect d’une bonne pierre ». Les femmes sont énumérées, de la même façon que les hommes, selon l’ordre des relations de parenté qu’elles entretiennent avec le suppliant, chapitre 14, p. 629 et suiv. Même cas enfin dans un milieu noble où dame Jeanne, femme de messire Guillaume de Parpes, chevalier, intervient dans une « riote » qui oppose son fils à un écuyer, et comme le valet s’acharne sur la victime, elle crie : « Lesse, lesse luy en paix », X 2a 10, fol. 189, novembre 1384. 138. Voir les conclusions de R. MUCHEMBLED, Culture populaire…, p. 150. 139. M. BOURIN-DERRUAU, Villages médiévaux…, t. 2, p. 66 et suiv. 140. Chronique du religieux de Saint-Denys, t. 1, p. 136-137. 141. X 2a 4, fol. 220-221v., 19 juillet 1343-12 octobre 1344. 142. JJ 172, 36, lettre citée supra, n. 93. 143. N. de BAYE, Journal, t. 1, p. 65. Ce rôle n’est pas réservé aux femmes, ibid., p. 66. 144. Si ces femmes tuent leur mari à genoux, dans une position subalterne, elles sont loin d’en faire un portrait édifiant, voir lettre citée par N.Z. DAVIS, Pour sauver sa vie…, pièce justificative, p. 257-262. La lettre de rémission demande une lecture décodée. 145. JJ 128, 73, février 1386, GOUSSAINVILLE (prévôté de Paris) ; JJ 107, 185, juillet 1375, HANGEST-EN-SANTERRE (bailliage d’Amiens). Ce cri rappelle la remarque faite par Aimoin, lors de l’altercation qui précéda le meurtre d’Abbon de Fleury, le 13 novembre 1004 : « tout à coup, on entend le cri que poussent les femmes selon la coutume de ces gens quand éclate une révolte ou survient la mort d’un homme », AIMOIN, De vita et martyrio S.Abbonis abbatis Floriaci coenobii, col. 410. 146. B. GUENÉE et Fr. LEHOUX, Les entrées royales…, p. 87, 162, 203. 147. Processions de 1412 qui précèdent la paix d’Auxerre, Journal d’un bourgeois de Paris, p. 20 ; autre exemple en juin 1428, où il y avait « povres laboureurs et habitans, femmes et petis enfens de Villejuisve et de III ou V villages voisins d’entour Paris », Cl. de FAUQUEMBERGUE, Journal, t. 2, p. 278-279. 148. B. GUENÉE et Fr. LEHOUX, op. cit. supra, n. 146, p. 22 et 243. La demande en mariage du condamné à mort s’apparente sans doute à cette mission pacificatrice confiée aux femmes. 149. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 31. 150. E. de MONSTRELET, Chronique, t. 3, p. 15, 31 et suiv., 59 et suiv. La même mission de paix est remplie par la reine en 1469 quand elle réussit à unir pour un temps Louis XI et son frère, le duc de Guyenne, car « comme bonne, honneste et tres noble dame, avoit fort traveillé a traicter ladicte bonne paix et unyon, que Nostre Seigneur par sa saincte grace et bonté vueille tousjours de bien en mieulx entretenir ! », J. de ROYE, Journal…, t. 1, p. 231. 151. G. BALANDIER, Anthropo-logiques, p. 54. Les mêmes voix féminines se font entendre dans l’Eglise dont l’ordre est menacé, A. VAUCHEZ, « Prophétesses… », p. 65 et suiv. 152. Ch. de ΡΙΖΑΝ, Une épître à Isabeau de Bavière, p. 136, et Lamentation… dans Essai sur les écrits politiques…, R. Thommassy éd., p. 145. Cette intervention des femmes dans la paix s’appuie aussi sur une solide tradition biblique qui fait de Judith et d’Esther des modèles, j. GERSON, Discours au roi pour la réconciliation. OEuvres complètes, t. 7, p. 1120. Pour faire cesser la vengeance qu’engendre le meurtre des frères ennemis, l’orateur recourt aussi à une intervention féminine, celle de la « sage femme » de Thecua, ibid., p. 1119. Il est par conséquent logique qu’il confie à l’Université, fille et femme, un rôle privilégié dans le royaume, en particulier quand il s’agit de préparer la paix. 153. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 305. 154. Par exemple à Amiens, en 1415, il est peu probable que les femmes soient parmi les représentants des « bonnes villes » chargés de jurer la paix, E. de MONSTRELET, Chronique, t. 3, p. 64.

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155. Cette notion d’impureté apparaît nettement dans les lois germaniques où, comme l’écrit M. ROUCHE, « Des mariages païens… », p. 841-843, toute atteinte au corps féminin est sévèrement punie, car le « moindre attouchement venu d’autrui est une atteinte à son intégrité ». 156. N. ELIAS, La civilisation des mœurs, p. 321 et suiv. Idée reprise par R. MUCHEMBLED, L’invention de l’homme moderne, chap. 1.

368

Chapitre 8. Jeune et vieux

1

Y a-t-il un âge pour devenir criminel ? La question est moins naïve qu’il n’y paraît, étant donné le poids des lieux communs qui, dès le Moyen Age, ont contribué à occulter gravement la réalité.

2

La réflexion sur un lien éventuel entre l’âge et le crime se doit d’affronter au moins deux handicaps. Le premier est celui qui, sous prétexte de données numériques trop lacunaires, oblige à se retrancher derrière un impossible savoir. Les études démographiques, pour l’époque médiévale, connaissent bien cet écueil ; le crime n’y échappe pas. Puisque peu de criminels donnent leur âge, l’enquête ne peut que stagner ou se contenter d’impressions empiriques. Pis, ce mutisme des sources ne fait que refléter l’ignorance des hommes concernés, incapables de dire leur âge tout simplement parce qu’ils ne le savent pas. Et voici soulevé, encore une fois, l’interminable serpent de mer de l’imprécision médiévale, ici dans le domaine du temps comme ailleurs dans celui de l’espace. Les études démographiques menées pour la même période, à Reims par exemple, montrent que, lors d’un simple dénombrement, presque tout le monde prétend connaître son âge ; il peut en être de même de la mémoire des événements et des lieux1. De telles conclusions incitent à la ténacité.

3

La tendance toujours actuelle qui consiste à englober dans un même discours réprobateur la violence et la jeunesse constitue un second handicap. Les statistiques tendent à prouver que cette liaison est, de nos jours, assez bien vérifiée 2. Mais, à voir dans ce phénomène une donnée intemporelle, on risque de ne plus en saisir la genèse historique et d’appliquer à la fin du Moyen Age une évolution qui doit être nuancée. On sait déjà que la pyramide des âges de la population criminelle de l’époque moderne, y compris à la fin du XVIIIe siècle, n’a pas exactement le même profil que celle du XX e siècle. Elle présente, certes, un maximum identique de criminels âgés de 25 à 29 ans, mais elle ne connaît pas de chute massive après 40 ans. On a même pu parler d’une « criminalité au troisième âge » pour les plus de 60 ans 3. Enfin et surtout, pour mesurer le poids réel des âges dans la criminalité, il convient de comparer le nombre des criminels des âges les plus signifiants avec la place que leur classe d’âge occupe dans la population globale. Ce résultat relatif peut paraître surprenant. Il s’avère ainsi que dans une population jeune comme l’est celle de Paris au XVIIIe siècle, la proportion relative des criminels se renforce dans les classes les plus âgées. La seule étude de l’âge des

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criminels ne permettait pas une telle conclusion et pouvait même conduire à l’impression inverse. 4

Il importe donc, pour tenter d’y voir clair, de répondre en premier lieu à ces deux affirmations.

UNE IMPRÉCISION VOLONTAIRE 5

Cette enquête est limitée aux lettres de rémission car ce sont, comme je l’ai dit précédemment, les seuls documents judiciaires qui permettent une étude quantitative de l’âge des criminels4. L’âge des victimes a été négligé, pour la seule raison qu’il est seulement mentionné dans 5 % des cas, ce qui est trop peu pour être significatif. L’âge des coupables peut figurer dans la lettre de rémission sous deux formes, soit chiffrée, soit sous forme d’expressions d’ordre qualitatif5. Au total, 25 % seulement des suppliants donnent un âge chiffré et 36 % un âge qualifié (tableau 16). Le poids des âges non formulés dans les deux cas est donc immense et toute étude à partir de telles sources pourrait sembler abusive. Tableau 16 : Âge du coupable et de la victime

Âge chiffré

Coupable (en %) Victime (en %)

Moins de 10 ans

0,0

45,0

Entre 10 et 20 ans

17,5

25,0

Entre 20 et 30 ans

50,0

5,0

Entre 30 et 40 ans

13,5

10,0

Entre 40 et 50 ans

9,0

5,0

Entre 50 et 60 ans

4,5

5,0

Supérieur à 60 ans

5,5

5,0

100

100

6

Âge qualifié Coupable (en %) Victime (en %) Enfant

1,0

14,5

Jeune enfant

2,5

9,0

Jeune

9,5

20,5

jeune homme

33,0

29,5

370

Homme

49,0

14,5

Vieux

2,5

9,0

Autres

2,5

3,0

100

100

L'âge a été réparti en tenant compte des données chiffrées et des données qualitatives contenues dans les lettres. Etant donné le poids énorme des données inconnues qui écrasent les résultats (75 % pour les âges chiffrés, 64 % pour les âges qualifés), celles-ci ont été éliminées. Le tableau donne donc seulement un profil des données qui sont précisées pour le coupable comme pour la victime. 7

Le croisement des données relatives aux âges chiffrés avec les qualificatifs aurait pu offrir une possibilité de diminuer la part d’inconnu. Mais les suppliants restent par trop discrets. Environ 80 % de ceux qui n’ont pas de qualificatifs ne donnent pas non plus d’âge chiffré, et 70 % de ceux qui n’ont pas d’âge chiffré n’ont pas non plus de qualificatif.

8

Le leitmotiv de l’imprécision médiévale semblait avoir raison de l’entreprise, d’autant plus que les mentions d’âge chiffré sont très souvent arrondies à la dizaine ou, au mieux, de 5 en 5 ; la mention presque systématique de la formule « ou environ » après l’âge chiffré ajoute encore au trouble du lecteur. Il s’avère néanmoins que cette formule est certainement moins imprécise qu’il n’y paraît. Elle peut aussi témoigner de l’effort des justiciables de ne rien céler de la vérité6. Mais surtout, une étude attentive de la place accordée à l’âge dans le texte devait permettre de corriger ces premières impressions. Tableau 17 : Âge qualifié et âge chiffré

Âge qualifié

10-20 ans 20-30 ans 30-40 ans Plus de 40 ans (en %)

(en %)

(en %)

(en %)

0 Inconnu

33,0

43,0

56,0

59,0

1 Enfant

6,0

1,0

0,0

0,0

2 Jeune enfant

22,0

0,0

0,0

0,0

3 Jeune

15,0

6,0

0,0

0,0

4 Jeune homme

12,0

39,0

16,0

0,0

5 Homme

0,0

9,0

28,0

35,0

6 Autres

12,0

2,0

0,0

6,0

100

100

100

100

371

La proportion des qualificatifs est donnée pour chaque tranche d’âge. L’expression « jeune homme » existe dans toutes les tranches d’âge inférieures à 40 ans. L'expression « jeune » se réduit aux moins de 30 ans ce qui interdit d’assimiler le sens des deux expressions. 9

L’âge peut figurer à trois endroits du document. Sa première mention est en tête, dans ce qui tient lieu de déclinaison d’identité ; l’âge suit alors immédiatement la référence au nom du suppliant, à son lieu d’habitation et se trouve parfois complété par la situation de famille et l’occupation professionnelle. L’exemple type pourrait être celuici : « Charles etc. Savoir faisons a tous presens et avenir, nous avoir receu l’umble supplicacion de Nicaise Baulavre, povre jeune homme, laboureur de bras, chargié de femme et de deux petiz enfans, demourans à Voigny, en la paroisse de Bassevel, en la prevosté et viconté de Paris, disant que... »7.

10

L’âge peut être aussi mentionné au cours du récit du crime, mais le cas est si rare qu’il doit être laissé de côté dans une analyse quantitative. Enfin, l’âge peut apparaître lors du résumé des circonstances atténuantes qui justifient en dernier ressort la grâce accordée par la Chancellerie royale. En témoigne cet exemple d’une grâce accordée à un « jeune homme » de Ponchon, dans le bailliage de Senlis, pour la raison qu’il est « jeunes homs, chargié de jeune femme qui est gentile femme et bien grosse d’enfant » 8.

11

Pour intéressantes qu’elles soient, ces circonstances atténuantes présentent un inconvénient majeur : leur contenu n’innove jamais par rapport aux informations fournies dans la déclinaison d’identité. Elles ne peuvent donc pas donner de renseignement complémentaire sur l’âge des coupables si celui-ci n’a pas été mentionné par ailleurs. Les données de la déclinaison d’identité s’avèrent essentielles.

12

Cette analyse de la place de la mention de l’âge dans le texte permet une première conclusion. La mention de l’âge n’est, pour ainsi dire, jamais spontanée. Liée à la déclinaison d’identité, sa formulation répond à des impératifs administratifs. On peut donc affirmer qu’à la fin du Moyen Age, décliner son âge est encore loin d’être un acte

372

naturel ; la mémoire des sujets sort du silence sous l’aiguillon des exigences de l’Etat 9. La question, d’où découle tout le reste du raisonnement, n’est plus alors de savoir si ces gens connaissent leur âge, mais plutôt dans quel but ils ont été amenés à le formuler. Est-ce une démarche indispensable à tous les criminels ? Si l’élément que constitue l’âge est important dans la perspective de la rémission, compte tenu des résultats, on peut parler de carence dans la formulation et, par conséquent, dans la perception du temps. Ou bien s’agit-il d'une déclinaison conditionnelle que la nature du crime invite à formuler ? Ou tout simplement, cette formulation dépend-t-elle de l’âge du criminel ? 13

La comparaison entre la perception de l’âge et celle de l’espace peut apporter un élément de réponse. Il existe entre les deux appréhensions, celle de l’espace et celle du temps, une disparité trop forte pour ne pas être significative. Seulement 8 % des criminels ne donnent pas leur lieu d’habitation ; tous les autres le précisent et n’hésitent pas, comme pour définir le lieu du crime, à recourir à une typologie connue, ville, village, paroisse, diocèse, sénéchaussée etc, voire même pour certains, à une accumulation redondante (tableau 11, chapitre 6). De plus, il n’y a pas de liaison systématique entre l’ignorance de l’âge et celle du lieu d’habitation puisque 8 % seulement de ceux qui ne donnent pas d’âge chiffré ne localisent pas leur habitat.

14

Il est évident que la perception de l’espace n’entraîne pas nécessairement celle du temps10. Mais le décalage est, répétons-le, énorme. Il conduit encore à invoquer, en facteur d’explication, une étroite contingence entre les données précises et les exigences de l’Etat. Pour être graciés, les criminels doivent signifier qu’ils appartiennent au royaume, ce qui explique l’abondance et la netteté de leurs localisations ; la mention de leur âge est secondaire. La déclinaison d’identité n’est pas innocente ; elle est faite en fonction du type d’acte qu’est la lettre de rémission 11. Du silence des criminels devenus suppliants, le grand coupable n’est pas tant l’ignorance commune que le balbutiement d’une administration incapable d’imposer à tous une exigence unique. D’ailleurs, le but de la justice royale, par l’intermédiaire de la Chancellerie, n’est pas de connaître l’exacte identité de tous les suppliants : il est de pouvoir les gracier12. On retrouve là les exigences relatives aux actes judiciaires. En fait d’imprécision de l’esprit médiéval, c’est de la nature du pouvoir politique aux XIV e et XVe siècles qu’il s’agit.

15

Quant aux criminels, leur savoir n’est donc pas réellement en cause, comme le prouve leur parfaite connaissance de l’espace administratif. D’ailleurs, la déclinaison de l’âge est indifférente au niveau culturel ou social des individus concernés : 73 % des clercs et 75 % des nobles n’ont pas déclaré d’âge chiffré. Or, la noblesse reste au même moment le conservatoire des préoccupations généalogiques, et la cléricature implique un minimum d’acquis livresques. Et, quand clercs et nobles déclarent un âge, ils ont entre 20 et 30 ans. C’est dire que dans leur pseudo-ignorance comme dans leur pseudoconnaissance, ils n’échappent pas à la loi commune, celle qui fait sortir en priorité, du silence des chiffres, ceux qui appartiennent à cette catégorie d’âge.

16

Il apparaît donc, finalement, que la mention des âges est sélective. Elle est conditionnée par l’effet que l’âge produit sur la Chancellerie royale. L’imprécision existe peut-être, mais elle se double d’un vouloir, celui de clamer ou de cacher son âge selon le but poursuivi. Car il est peu probable que ceux qui pouvaient se prévaloir de leur âge aient négligé de le faire.

17

La jeunesse, considérée comme circonstance atténuante, n’a aucune raison d’être célée. Son évocation est souvent source de succès : 81 % de ceux qui ont entre 10 et 30 ans et

373

70 % de ceux qui sont qualifiés de « jeunes enfants » ou de « jeunes » voient leur âge évoqué par la Chancellerie comme première circonstance atténuante. Il peut en être de même, quoiqu’à un moindre degré, de la vieillesse13. 18

Reste néanmoins le poids énorme des cas sans âge. Ne s’agit-il que des adultes pour qui l’âge ne serait pas considéré comme une excuse suffisante ? L’affirmation serait inexacte car elle ne tiendrait pas compte de la difficulté de formuler un âge chiffré, même si cette incapacité est réduite. Qui est capable de savoir son âge ? La carence ou l’oubli de l’âge ne peuvent-ils pas s’accroître avec la vieillesse, comme l’ont montré plusieurs exemples à Reims et à Dijon14.

19

L’explication doit aussi tenir compte d’une seconde donnée, celle du type de crime. Certains crimes, j’y reviendrai, sont plus lourds à gracier que d’autres, et il importe alors au criminel de donner le maximum de renseignements sur sa personne. Mais pour les crimes banals, en particulier pour l’homicide, il importe peu de décliner son âge. Le manque de précision est encore une fois volontaire, mais pour d’autres raisons que celles invoquées plus haut. Ce dernier argument risque alors de modifier la part des classes d’âges dans le crime. Ne peut-on pas penser, par exemple, que beaucoup de jeunes sont impliqués dans la rixe-homicide et qu’ils n’ont pas décliné leur âge parce que, justement, il s’agissait de ce type de crime. Une comparaison entre les profils des criminels, par exemple les jeunes et les âges inconnus, peut apporter un élément de réponse15. Il apparaît que ces profils ne se recouvrent pas, et qu’ils peuvent même notablement diverger, comme c’est le cas en ce qui concerne la situation de famille et les professions. On peut donc penser que la plus grande partie de ceux qui ne déclinent pas leur âge ne sont pas a priori des jeunes. L’étude des profils dit aussi qu’ils ne sont pas non plus tous des « hommes ». Il est probable que ces inconnus, au pire, se répartissent entre les âges dans les mêmes proportions que ceux dont les âges sont connus. Dans ces conditions, les âges chiffrés ou qualifiés, à défaut de nous donner des valeurs absolument exactes, permettent de saisir le profil de la criminalité et l’importance relative des différentes catégories d’âge dans le crime ; ce que l’on sait du groupe des inconnus ne permet pas de récuser ces résultats.

20

Résumons-nous : la mention de l’âge autant que son silence obligent à renverser l’analyse traditionnellle qui ne croit que ce qu’elle voit écrit dans le texte. Il ne suffit pas de partir des âges donnés, trop laconiques pour être instructifs, mais il importe de les saisir dans leur souci d’apparaître ou de se cacher, dans cette volonté qui permet autant de les formuler que de les taire. La question de savoir à quel âge on devient criminel se double de façon indissociable de celle-ci : pour quel crime a-t-on intérêt à déclarer son âge, et quels sont les âges qui facilitent ou freinent la miséricorde royale ?

BIOLOGIE ET CLASSES D’ÂGE 21

Même infléchies par les considérations précédentes, les données numériques butent sur un obstacle majeur : la pyramide des âges des criminels ne mesure que l’âge au crime. Elle ne sait pas dire si la gangrène se nourrit de la jeunesse ou de la force de la maturité. Ou plutôt, elle le dit mal, avec l’abrupt de chiffres absolus. A plus forte raison ne peutelle donner de renseignements démographiques pour la période considérée. Au contraire, elle ne peut s’éclairer qu’en fonction des données démographiques que nous possédons par ailleurs pour l’ensemble de la population. Criminalité de jeunes ou

374

criminalité de vieux ? La réponse passe par la nécessaire interrogation : société de jeunes ou société de vieux ? 22

Une constatation s’impose à l’évidence : la criminalité requiert un certain âge. Elle est nulle pour les enfants de moins de 10 ans et infime pour ceux qui n’ont pas dépassé 15 ans. Les rares témoignages de criminels âgés de moins de 10 ans, spécialistes en particulier du vol à la tire, que peuvent recéler les autres archives judiciaires, ne changent pas l’enseignement des lettres de rémission. Ainsi, le Registre de Saint-Martindes-Champs fait état d’un garçon de neuf ans, « coupeur de bourses », mais il travaillait pour un adulte, Jehannin Lababou, aux Halles, à Saint-Innocent, au palais du roi 16. A en croire les chiffres, ce groupe d’âge a la saveur de l’innocence. Ne nous y trompons pas. C’est aussi que cet âge encore tendre échappe à la condamnation des juges, et par voie de conséquence, à la rémission. D’ailleurs, ce jeune garçon, considéré « son petit aage », est seulement battu de verges.

23

La doctrine juridique de l’ancien droit, inspirée du droit romain, a une conception de la minorité pénale assez large puisqu’elle l’étend jusqu’à l’âge de 25 ans. Elle distingue aussi, parmi les mineurs, plusieurs catégories : moins de 7 ans, puis pour les garçons, moins de 14 ans, et pour les filles, moins de 12 ans 17. Il s’avère que cette doctrine n’est pas respectée dans les lettres de rémission ; la clause de jeunesse y dépasse largement 25 ans. Il est possible alors que d’autres doctrines aient inspiré la Chancellerie, en particulier celle de saint Augustin qui, en prenant sans doute exemple sur le Christ, fixe le terme de la jeunesse à 30 ans. Cette imitation relèverait bien d’un pouvoir plus religieux que juridique. Elle diffère en tout cas d’autres théories contemporaines. Par exemple, Philippe de Navarre, dont le traité, Les quatre âges de l’homme, est à cette époque très répandu, divise systématiquement les âges de la vie en tranches de 20 ans, reportant le terme de la jeunesse à 40 ans, soit un peu moins que Dante, mais autant que la Chancellerie royale semble l’accepter pour accorder la grâce 18. Les tentatives des historiens contemporains pour clarifier les âges des hommes du Moyen Age ne nous éclairent pas davantage, pour ne pas dire que leur côté systématique les voue à l’échec19. C’est affirmer d’emblée une complexité de la théorisation que la réalité s’ingénie, de surcroît, à faire achopper. Il y a loin de la doctrine à la jurisprudence ; le droit romain l’implique d’ailleurs par son vieil adage selon lequel malitia supplet aetatem. Au XIIIe siècle, Philippe de Beaumanoir montre bien le souci « réaliste » des juges qui devaient tenir compte de la gravité du crime en même temps que de l’âge. Parlant des « sous-âgés », il écrit : « Quant enfes qui est sous aage fet aucun cas de crime on doit regarder la maniere du fet et la discrecion qu’il a selonc son aage » 20.

24

Il est donc probable que l’absence des moins de 15 ans dans le sondage témoigne plus de leur mise à l’écart du crime que d’une totale et systématique clémence des juges. Et, quand l’enfant apparaît, c’est pour prendre le visage de la victime. Le même Registre de Saint-Martin-des-Champs mentionne plus d’enfants victimes que coupables : l’un d’entre eux, âgé de trois ans, a même été victime d’un vol21. Il y a là une réalité, mais aussi une forme de sensibilité qu’il sera nécessaire d’approfondir. Il est probable qu’elle dure encore à la fin de l’époque moderne : lorsque les enfants comparaissent en jugement dans le Paris du XVIIIe siècle, auteurs maladroits de vols que la faim aiguillonne, ils ne forment encore qu’une infime minorité pour un crime secondaire, et par ailleurs très répandu22. N’imaginons donc pas les enfants des XIVe et XVe siècles comme les essaims avides des villes sous-développées de notre XXe siècle. Le crime n’y prend sans doute

375

pas le même visage. La criminalité médiévale implique l’acquis d’une conscience ; elle ne peut se développer qu’avec la maturité. 25

Le poids de la jeunesse semble pourtant contredire les affirmations précédentes. Environ 17 % des criminels affirment avoir moins de 30 ans et 16 % s’attribuent le qualificatif « jeune ». C’est à la fois peu et beaucoup. Peu si, à la suite de Marc Bloch, on affirme que la société médiévale, et celle des XIVe et XV e siècles en particulier, est globalement jeune23. Beaucoup, si on retient au contraire l’idée que les épidémies n’ont pas épargné la jeunesse. La peste, ou plus exactement les pestes successives, étant donné la nature de la maladie, n’opèrent pas de sélection et fauchent, indifférentes à la bonne mine ou à la vigueur de l’âge24. Elles peuvent même, comme l’a montré R. Cazelles pour la région de langue d’oïl, s’attaquer de préférence aux enfants et aux jeunes ; le Bourgeois de Paris, en 1418, en a été l’un des témoins lorsqu’il affirme : « estoit tres grant mortalité de boce et d’espidymie, et tout sur jeune gent et sur enfens »25.

26

Il faut alors attendre une vingtaine d’années pour que la reprise de la natalité qui suit en général la crise, témoin émouvant de la défense de l’espèce et de l’ardeur de vivre, puisse porter ses fruits. Mais est-ce toujours possible ? La succession des drames permet d’en douter. La Toscane de cette époque présente le visage mutilé de ceux qu’elle a perdus et qu’elle n’a pu remplacer ; la pyramide d’âges de la population totale révèle « le peu d’épaisseur des classes d’âge adolescentes et adultes, comme écrasées entre une pléthore de vieillards et une large base enfantine » 26. Et il semble qu’ailleurs, que ce soit en Navarre ou en Bretagne, chaque récurrence de la peste accompagne une poussée du nombre de vieillards27. Pour le royaume de France, les lettres de rémission nous condamnent, comme nous l’avons vu précédemment, à tout ignorer du nombre réel des enfants, et nous verrons plus loin ce qu’il faut penser du nombre de personnes âgées. La pyramide qu’elle révèle n’est donc pas fiable. Il en est de même, hélas, de la répartition par âges de la population totale du royaume. Les études démographiques ont décelé des évolutions globales, ce qui n’était pas une mince affaire ; elles n’ont guère discerné d’évolution différenciée selon les âges, phénomène qui pourtant est capable de modifier au premier chef la population active. Il est vrai que le déséquilibre des générations a dû être, compte tenu du rythme saccadé de la mort et des mouvements de population, infiniment variable dans le court terme. Aussi, quand une étude locale arrive à le cerner, la réponse ne peut qu’être nuancée. Le cas de Périgueux est exemplaire. A. Higounet-Nadal insiste à la fois sur « l’extrême irrégularité » de l’âge au décès et sur la longévité surprenante de ceux qui avaient triomphé des pièges de la sélection. « Ainsi, la pyramide des tranches d’âge était-elle pour l’échantillon étudié plus élevée qu’on aurait pu le supposer et qu’on le dit en général » 28. Périgueux rejoint la Toscane. C’est à cette conclusion qu’il paraît actuellement légitime de se rallier pour la période qui nous occupe. Le nombre des jeunes dans la société s’en trouve diminué et il sort grandi, relativement, dans la criminalité.

27

Le poids numérique des jeunes criminels dans l’ensemble de la société ne peut être qu’une première approche de leur rôle. Il importe aussi de mesurer leur homogénéité : que représente qualitativement la jeunesse ? Constitue-t-elle à proprement parler une classe d’âge au sens que les anthropologues donnent à ce terme, c’est-à-dire une « catégorie d’individus regroupés selon le critère de l’âge en entité dotée d’une personnalité morale, politique ou militaire dans une société donnée » 29 ? Ou bien, s’agit-

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il seulement d’une notion biologique, nécessairement plus floue, et par conséquent moins contraignante ? 28

Une première approche peut être donnée par la comparaison attentive des qualificatifs employés et des âges chiffrés. Les résultats (tableau 17) montrent que la notion de jeunesse n’obéit pas à des normes quantitatives précises. L’emploi du mot « jeune » ne s’applique pas de façon uniforme aux tranches d’âge avec lesquelles il est croisé. On peut être considéré comme « jeune » jusqu’à 40 ans, sans que cela semble ridicule ou impossible à la Chancellerie royale, donc sans doute à l’opinion publique. On serait tenté de voir dans ces irrégularités et dans cette prolongation, la permanence, en plein XIVe siècle, de ce que G. Duby a étudié pour l’aristocratie du XII e siècle30. La jeunesse y apparaît moins comme un temps biologique que comme un temps social, celui de l’errance qui précède la nidation, l’enracinement dans une terre, un métier, une famille. Il importe donc de suivre le vocabulaire et par conséquent de distinguer plusieurs groupes, celui des « jeunes enfants », celui des « jeunes » et celui des « jeunes hommes ».

29

Les « jeunes enfants » ne dépassent pas 20ans ; plus précisément, ils appartiennent à la tranche 15-20 ans, puisqu’un seul d’entre eux a 13 ans. Tous sont célibataires. Ils ne mentionnent pas de profession, sauf pour se déclarer au service d’un maître, qu’il s’agisse d’un métier ou des armes. En témoignent ces deux frères, âgés chacun de 19 à 20 ans, qui, écuyers, reviennent de la guerre d’Espagne sous le commandement du duc de Bourbon. Une rémission leur est accordée en 1388 à la suite de quelques rixes, « pour ce qu’ils sont jeunes enfanz, ont servi dans nos guerres et serviront, ou ils ont grandement despendu du leur »31.

30

La condition sociale n’entre pas en ligne de compte, du moins dans le vocabulaire : il s’agit peut-être de nobles. Seul compte ici l’âge lié au service des armes. Le jeune enfant est un personnage fragile, qui ne bénéficie encore d’aucune forme d’installation dans la vie. Il ressemble comme un frère à l’adolescent âgé que J. Rossiaud a repéré dans les villes du Sudest32. Mais, en petit nombre, malgré l’homogénéité de sa condition, il n’a pas pu peser d’un grand poids dans l’ensemble de la criminalité médiévale.

31

L’expression « jeune », employée seule, gagne en fréquence, mais elle ne s’applique pas à un groupe doté d’une parfaite unité. Certes, la plupart des « jeunes » sont célibataires. Un nommé Colinet Creton, condamné à mort à Vulaines-les-Provins pour avoir volé des chevaux, eut tout à y gagner : la vie et une femme. Alors qu’il était conduit au tourment, une chambrière de la ville demanda à l’épouser et obtint sa grâce. La jeunesse du supplicié eut raison de son coeur car il est probable qu’elle ne le connaissait pas auparavant ; il habitait la ville d’Hermes, en Beauvaisis, et avait commis son forfait, un important vol de chevaux, à Ferrières-en-Gâtinais. Mais, « considérant l’estat et jonesse dudiz exposant de l’aage de 22 ans ou environ et que les gens qui la estoient le plouroient et plaignoient moult doucement, meue de compassion et bonne amour requist a grant instance ledist prevost et justice qu’il lui voulsist donner et bailler ycellui Colinet Creton, exposant, en mariage »33.

32

Néanmoins, tous les « jeunes » ne sont pas célibataires ; environ 20 % sont mariés, ce qui n’est pas négligeable. Tous ne remplissent pas les conditions requises pour être membres des « bachelleries » de la fin du Moyen Age et de l’époque moderne dans lesquelles le célibat est impératif34. Quant à leur installation professionnelle, elle oblige aussi à quelques nuances. Environ 80 % d’entre eux ne déclarent pas de profession, ce qui excède largement les 50 % de ceux qui oublient cette mention dans leur déclinaison

377

d’identité. Bien des « jeunes » sont donc encore dans une situation fragile qui les apparente au groupe des « jeunes enfants ». Mais, parmi ceux qui déclarent une profession, près d’un quart se disent valets ou compagnons, au sens professionnel du terme. Pour le moins salariés, ils ont le pied dans l’étrier d’une installation future si celle-ci n’est pas déjà réalisée par le mariage. La variété des conditions interdit donc de voir dans ce groupe une classe d’âge au sens que donnent les anthropologues à ce mot. 33

L’expression « jeune homme » confirme, de façon plus nette encore que dans les deux cas précédents, la priorité des critères biologiques. Il s’agit, essentiellement, de la tranche d’âge 20-30 ans, avec une moyenne d’âge de 27 ans ; mais il existe des débordements dans les tranches inférieure et supérieure qui sont autant de défis à une frontière rigide. Leur condition est aussi loin d’être homogène. Près de la moitié d’entre eux ont déjà pris dans la société de lourdes responsablités en se mariant, en ayant au moins un enfant et en déclarant une profession. Leur engagement est un peu plus faible que celui des « hommes », mais il n’est pas négligeable. Tout semble se passer comme s’il s’agissait d’un groupe en ascension dans ce qui constitue, pour l’époque, une vie normale. Le « jeune homme » est d’abord un « homme jeune ».

34

La jeunesse recoupe donc trop de statuts complexes pour constituer une classe d’âge aux contours tranchés. Le mariage, l’acquisition de biens, l’exercice d’une profession ne sont pas suffisants pour faire taire ce que la nature proclame haut et fort : est jeune celui qui le paraît. Un célibataire âgé n’est donc pas un jeune ; la société médiévale ne connaît pas réellement les classes d’âge comme certaines sociétés africaines. Elle connaît plutôt les « groupes d’âge », selon l’expression chère à Cl. Karnoouh, qui « organisent la vie de l’individu en fonction de son âge réel et des situations sociales qui l’affectent »35. J’ajouterais volontiers, en fonction de son apparence physique, voire de son équilibre intellectuel et moral. De là, des confusions, des contours flous, des limites variables qui font que tel suppliant de 38 ans est encore appelé « jeune » parce qu’il n’est ni marié ni installé, alors qu’un autre du même âge est déjà « homme de grant meurté, sanz et discrecion et de bon conseil ou pays »36.

35

Il est possible que les nécessités de l’enquête judiciaire aient favorisé le critère biologique, celui que trahit l’allure du corps. Mais, si l’argument de jeunesse a été employé à des fins utilitaires, c’est qu’il pouvait, après vérification, être vraisemblable. Le jeune des lettres de rémission se reconnaît d’emblée par son apparence : ne se vantet-il pas, comme celui des fabliaux, d’être « fort et vigoureux » ? La vigueur physique est son privilège ; elle lui permet d’affronter les situations les plus rocambolesques, tel celui qui, enfermé dans une église pour voler l’argent des coffres, se fait Arsène Lupin pour grimper au clocher, couper une corde et s’échapper37. Etait-il possible d’en espérer moins d’une société où le corps tient tant de place ?

« FAIRE JEUNESSES » 36

La vigueur du corps n’a pas son pendant, aux yeux des contemporains, dans le domaine de l’esprit. Lorsque le procureur de l’Université de Paris, en 1466, expose au Parlement que « escoliers sont jeunes gens et font aucunes fois jeunesses » 38, il porte un jugement à la fois péjoratif et attendri, immédiatement compris de ses interlocuteurs. La jeunesse est, par excellence, et dans la pure tradition biblique, le temps de la folie. Avec l’âge et l’éducation arrive la sagesse. Il existe bien une autre tradition biblique, en particulier celle de l’Ecclésiaste, qui distingue le « sage » enfant du « fol », et qui fait de la jeunesse

378

un âge d’or, source de regrets ; mais, malgré les gloses, elle semble moins répandue que la précédente39. La lettre de rémission se rattache nettement à la première tradition pour laquelle la folie de la jeunesse peut devenir une circonstance atténuante. Et, ce que nous avons pu déceler de la déclinaison d’identité dans les autres sources judiciaires, confirme cette vision40. Tout, depuis la présentation du coupable jusqu’aux motifs retenus par la Chancellerie pour accorder la grâce, en passant par la description du crime, tend à montrer que l’acte criminel est le fait d’irresponsables qui n’ont pas atteint la « discretion » de la maturité. Le jeune suppliant est qualifié de « simple » et d’« ignorant ». Pierre Nantibes, « jeune homme de vingt ans ou environ », supplia, avec succès, la Chancellerie de « sa jeunesse, simplesse et ygnorance » 41, lui qui avait été capable de falsifier la date des documents qu’il était chargé de porter ! La jeunesse est capable d’abolir tout savoir. Le jeune peut même être qualifié de « fou ». Tous ces qualificatifs appuient, de façon soutenue, les signes extérieurs de la jeunesse : environ 20 % de ceux qui les utilisent ont entre 10 et 20 ans, chiffre qui tombe à 10 % pour la tranche 20-30 ans et à 3 % pour les tranches suivantes. Le « jeune » se révèle, par conséquent, incapable de se contrôler. La « chaleur » de son âge le pousse plus que d’autres à commettre un crime ; la « chaude cole », expression de l’action bouillante et irréfléchie, est de préférence évoquée pour les 20-30 ans42. Le jeune n’est pas non plus sensé avoir de prise sur l’événement : il subit l’ascendant de son entourage, et celui du plus redoutable des ennemis de l’homme, le diable. La moitié de ceux qui ont moins de 30 ans n’hésite pas à confier qu’elle a connu sa « temptacion » ; la moitié encore qu’elle a subi l’influence de l’extérieur. Ce jeune homme du duché de Nemours, âgé de 20 ans, a volé du miel dans les ruches d’un hameau abandonné et du blé chez un de ses voisins. Il affirme avoir agi « pour l’admonition et ennortement de Jehannin Buden », clerc marié, présenté comme son âme damnée, auquel il n’a pas su résister « par jeunesse et temptacion de l’ennemi »43. 37

Le jeune va, comme la femme, proie ballotée des forces du mal dont il ne sait ni ne peut se défendre. De coupable, il devient alors, tout naturellement, victime. Plus le crime est grave, plus l’évocation de l’irresponsabilité de l’âge est utile. Il est probable qu’elle a réussi à sauver Perrot, valet de Perrot Pichon, âgé de 17 ans, qui se trouve accusé de bestialité, un des crimes les plus graves de la fin du Moyen Age. Sa jeunesse, son innocence, sa folie ont ouvert la porte au diable ; alors vient la rémission, « attendu le jeune aage du dit Perrot et que il fist le fait dessusdiz par temptacion d’ennemi et comme insensible et ydiote sans ce qu’il eust lors ne memoire ne entendement (...) nous, pour consideracion de ce qu’il est insensible et hors de toute memoire » 44. La « temptacion d’Ennemi », surtout pour les cas les plus graves qui n’auraient pas dû être remis, donne corps au lieu commun d’une jeunesse irresponsable et, par conséquent, perturbatrice. « Faire jeunesses » est-ce pour autant manifester un comportement psychologique spécifique, véhicule potentiel de comportements criminels ?

38

Les jeunes de la société médiévale se livrent, dans le temps qui précède leur établissement, à une quête de leur identité ; à l’errance se mêlent la violence comme la séduction des femmes. L’étude du vocabulaire a montré que ce temps ne concernait pas tous les jeunes puisque certains, particulièrement dans le groupe des « jeunes hommes », étaient déjà installés. Mais pour les autres, est-il suffisant pour conduire à une forme particulière de criminalité ?

39

L’examen des conditions comme des types de crimes montre que l’originalité des jeunes, dans ce domaine, doit être considérablement nuancée (tableau 18). Comme

379

leurs aînés, les jeunes tuent de préférence dans la rue et ne mettent pas plus d’acharnement à achever leurs victimes. On peut cependant noter une légère tendance à rechercher la protection des bois ou des forêts, sans que pour autant leur attitude puisse être considérée comme asociale. Un quart des crimes commis dans la nature sauvage sont le fait des 10-30 ans. Ce résultat implique des conclusions nuancées qui doivent cependant tenir compte du nombre des âges inconnus, soit 60 %, ce qui accroît la part relative des moins de 30 ans. La solitude de ces lieux retirés leur est probablement propice ; elle n’est cependant jamais mise en avant comme instigatrice du crime. Thomas Le Cornadel, à 22 ans, viole la veuve de Jean Bouligny dans un bois après une dispute classique au cours de laquelle, nous l’avons vu, il lui reproche sa conduite. L’épaisseur des frondaisons a facilité son acte, mais elle n’est pas invoquée comme sa complice : « Et quant il la vit cheue a terre et que sa robe estoit aucunement reboursee telement que il veoit les cuisses d’icelle Marion, ycelui Thomas, tout abeuvré qu’il estoit se coucha sur ladicte Marion et s’y eschauffa si fortement que par temptacion de l’ennemi il la congnut charnelement »45. 40

En général, les jeunes commettent leur crime au grand jour. Et ils ne sont pas rares ceux qui, comme ce suppliant de Cercottes dans le bailliage de Montargis, âgé de 18 ans au temps de ses folles équipées avec d’autres compagnons, commettent vols, viols, et homicides, dans la plus parfaite publicité46.

41

Si la violence des jeunes ne diffère guère de celle de leurs contemporains, on peut cependant constater qu’ils manient avec une certaine facilité la dague militaire, hésitant moins que d’autres à enfreindre les ordres qui interdisent de circuler en armes. Encore ne faut-il pas généraliser. Certains prennent soin de poser leurs armes à la taverne avant de se rendre à la fête, « car aucun n’osoit porter coustel ne harnois » 47.

42

D’autres ne disposent, comme les adultes, que du couteau à trancher le pain qu’ils portent à la ceinture. Les jeunes ne se munissent d’armes militaires – le terme épée, ambigu, ne facilite pas l’enquête – que lorsqu’ils partent en expéditions punitives. Près de Bordeaux, deux « jeunes varlets », de surcroît clercs non mariés, « pleins d’ire et de courroux », décident de sortir de la ville pour se battre ; ils s’arment jusqu’aux dents, l’un d’un badelaire, l’autre d’une arbalète avec vireton. Le meurtrier est mis hors la loi et banni pendant 8 ans ! Même scénario dans le nord du royaume où un jeune homme de 17 ans affronte sept ou huit compagnons venus du Hainaut pour se venger, « armez et embastonnez de lances et autres armeures »48.

43

Dans ces conditions, il est normal que la mort de la victime intervienne sans délai ; le coup porté a été franc et sans appel. Mais ce sont là de faibles indices d’une violence exacerbée par la jeunesse.

44

La sociabilité des jeunes dans le crime donne l’impression d’une criminalité ordinaire. Ils ont tendance, quand ils ont moins de 30 ans, à effectuer le crime avec des comparses, mais en nombre inférieur à celui des bandes repérées pour l’Angleterre de la même époque et, à plus forte raison, pour l’Espagne du siècle suivant 49. Quand il y a rassemblement de jeunes, la bande reste peu structurée et peu durable. Les formes de la sociabilité des jeunes ne se différencient guère, nous y reviendrons, de celles des autres tranches d’âge. Aucun des résultats obtenus ne permet donc de conclure à une violence latente et particulière caractéristique de la jeunesse.

380

Tableau 18 : Âge du coupable et types de délits a) Types de délits et qualificatifs de l’âge

Âge qualifié

Homicides (en %)

Vols

Viols

(en %) (en %)

Inconnu

67,5

48,0

52,5

Enfant

0,0

1,0

0,0

Jeune enfant

1,0

2,0

0,0

Jeune

4,0

4,0

5,0

Jeune homme

10,0

18,0

28,5

Homme

15,5

25,0

14,0

Vieux

1,0

1,0

0,0

Autres

1,0

1,0

0,0

100

100

100

Trois types de délits ont été retenus. Les catégories « jeune homme » et « homme » y sont les mieux représentées. b) Qualificatifs de l’âge et types de délits

Types de délits

Jeune homme Homme Vieux (en %)

(en %)

(en %)

Homicide

48,0

51,0

67,0

Argent ou héritage

1,0

0,0

0,0

Vol

25,0

23,0

16,5

Pillage

3,5

0,5

0,0

Dispute conjugale

1,0

0,5

0,0

Adultère

0,0

0,0

0,0

Viol individuel

3,5

0,5

0,0

Viol collectif

3,5

1,5

0,0

Avortement

0,0

0,0

0,0

Infanticide

1,0

0,0

0,0

381

Blasphème

0,0

5,0

0,0

Rupture d’asseurement

2,0

7,0

0,0

Contre la chose publique

0,0

6,0

16,5

Crime lié à la guerre

3,5

0,0

0,0

Accident

3,5

2,0

0,0

Suicide

0,0

0,5

0,0

Faute professionnelle

0,0

0,5

0,0

Autres

3,5

2,0

0,0

Plusieurs crimes

1,0

0,0

0,0

100

100

100

Trois qualificatifs de l’âge ont été retenus. La répartition des délits est plus variée dans les catégories « jeune homme » et « homme » que chez les « vieux » pour lesquels la violence se réduit à trois grands crimes : homicides, vols, et crimes contre la chose publique. c) Âge chiffré et types de délits

Types de délits

20-30 ans 30-50 ans 50-60 ans (en %)

(en %)

(en %)

46,0

52,0

47,0

L0

0,0

0,0

Vol

29,0

24,0

15,0

Pillage

2,0

7,0

0,0

Dispute conjugale

0,0

0,0

0,0

Adultère

0,0

3,0

0,0

Viol individuel

2,0

5,0

0,0

Viol collectif

6,0

0,0

0,0

Avortement

0,0

0,0

0,0

Infanticide

1,0

0,0

0,0

Blasphème

0,0

2,0

25,0

Rupture d’asseurement

0,0

3,0

13,0

Homicide Argent ou héritage

382

Contre la chose publique

3,0

0,0

0,0

Crime lié à la guerre

1,0

4,0

0,0

Accident

0,0

0,0

0,0

Suicide

0,0

0,0

0,0

Faute professionnelle

2,0

0,0

0,0

Autres

2,0

0,0

0,0

Plusieurs crimes

5,0

0,0

0,0

100

100

100

Trois tranches d'âge ont été retenues. Le croisement des âges chiffrés avec les types de délits fait ressortir l’importance du blasphème comme crime spécifique des 50-60 ans. 45

Et pourtant, ils bougent plus que les autres. Plus que les autres, ils dépassent les 30 kilomètres qui les éloignent obligatoirement, un ou plusieurs jours, de leur domicile. Les crimes qu’ils commettent au cours de ces voyages prennent un parfum d’aventure. Lorsqu’on trouve Jehannin, « jeune filz », quelque part entre Châlons et Troyes, il affirme ne rien savoir de ce compagnon qu’il suit. Il avoue même en avoir peur pour l’avoir vu, soudain, s’attaquer à un homme et lui prendre son cheval. L’autre le « tient » et, bien sûr, lui n’a rien fait : attitude habile de la défense qui joue de la fragilité et de l’inconnu50 ! Mais l’argument est assez plausible pour emporter la grâce. N’en soyons cependant pas dupes et ne concluons pas que tous les jeunes sont influençables et déracinés. Leur population ne compte guère de vagabonds, de sans-métier, d’exilés récents. Le Registre criminel du Châtelet ne fait que confirmer ce que révèlent les lettres de rémission. Certes, il ne mentionne pas l’âge des prisonniers. Mais, nombre de ceux qui ont été soumis à la procédure extraordinaire en 1389-1392 ne sont pas des jeunes. La description de leurs itinéraires montre qu’il s’agit de criminels endurcis de longue date et que, s’ils ne sont pas toujours mariés, ils sont souvent fiancés ou « accointés » avec des filles publiques51. Comme les autres tranches d’âge, les jeunes sont plutôt bien implantés dans leur lieu de naissance qui a toute chance d’être celui de leur domicile, et de leurs déplacements dans un rayon de 15 kilomètres. Cette stabilité, indifférente à l’âge, est une sorte de défi aux bouleversements du temps. Respectueuse des traditions, la jeunesse apparaît alors comme le futur garant de la reconstruction du royaume.

46

Les types de crime que les jeunes sont enclins à commettre plus que les autres sont le revers de cette stabilité. Mariage, métier, installation dans une terre ne vont pas de soi. Le vol et le viol semblent être leur affaire. Pour cela, ils n’hésitent pas à s’épauler et à s’encourager dans le crime : le vol peut devenir pillage, le viol se fait collectif. La bande « joyeuse » réitère au besoin ses exploits. En voici un exemple qui réunit plusieurs jeunes de la paroisse d’Hamars dans le bailliage de Caen : « Le jour de la Saint-Jean du mois d’août dernier passé, accompagné de Richart Le Mareys, Jaquet Le Grant, Robin Bourdon et plusieurs autres, apres boire et par temptacion de l’ennemi, ala en l’ostel de Raoul Hatel ouquel ilz trouverent lui et sa femme, laquelle est diffamée et de meschant gouvernement, et aussi avoient pluseurs fois auparavant eu le dit suppliant sa

383

compaignie, et a pluseurs fois laissié son dit mary ». Ils entrent et la « connaissent charnellement ». Une autre fois, ce même suppliant, accompagné de quelques-uns de sa bande à laquelle d’autres se sont adjoints, s’en va voler de l’argent dans une maison de la paroisse voisine, à cinq kilomètres de là. Il est probable que les exploits de la petite troupe étaient connus. Mais ils n’inspirent pas une terreur suffisante pour empêcher notre suppliant de se fiancer avec une fille du pays, ce qui constitue un facteur favorable à sa rémission52. 47

Les exploits de jeunesse ne sont pas rédhibitoires, la violence des jeunes n’est pas gratuite. Le crime semble plutôt un moyen de compenser ce dont ils sont exclus, la réponse maladroite à la quête qu’ils poursuivent, celle des femmes et celle des biens. Le nombre des victimes féminines l’emporte chez les moins de 30 ans. Il existe bien une soif de femmes que la jeunesse accroît. La vue d’une chambrière qui passe sur le chemin suffit à mettre les jeunes du pays en émoi. Ils parlent entre eux de son « fol gouvernement » et c’est assez pour qu’ils la rattrapent et tentent de la violer, « meu par les dictes paroles ou autrement de stimulacion charnele et de jeunesce » 53.

48

Tout est dit en ces quelques mots. Mais, sur la route du crime, il arrive aussi que l’impatience prenne le visage de l’amour, prélude rêvé du mariage. La lettre se fait alors tendre et émouvante comme un roman condamné à mal finir. Cet adolescent, « valeton » de 15 ans, en fait la douloureuse expérience, lui qui devient voleur plutôt que de renoncer à sa belle. Les parents de la jeune fille refusent ce mariage pour des raisons qui ne sont pas clairement précisées. On peut cependant les deviner, étant donné les circonstances du délit : la situation du suppliant qu’aggrave encore son jeune âge est jugée trop précaire. Celui-ci, pour compenser, s’avise de dérober une importante somme d’argent et de la porter immédiatement au père récalcitrant, preuve dérisoire de sa nouvelle richesse et de son affirmation audacieuse dans la vie, « pour la grande affeccion qu’il avoit par mariage la fille de Jean Jaquetot (...) et ce fait, ledit enfant, incontinent et sans divertir a aucunes foiz, toute la dicte finance porta par devers ledit Jaquetot et icelle bailla et mist en sa main (...) et lui pria moult acertes que sa dicte fille lui voulsist donner a femme »54.

49

Dans sa fougue, il a simplement oublié que le vol, commis un jour de marché, se saurait immédiatement ; son espoir est de courte durée. Il doit restituer la somme et perdre la fille, pour on ne sait combien de temps.

50

La jeunesse supporte donc mal les carcans d’une société qui les contraint au silence des richesses, des désirs, des pouvoirs. La difficulté d’être jeune, en cette fin du Moyen Age, n’engendre pas cependant de comportement radicalement spécifique. Elle ne conduit ni au déséquilibre, ni à la révolte, ni au désespoir. Les suicides de jeunes sont absents du sondage. La désespérance n’est pas leur fait. Ils ne connaissent pas ce mal du siècle. Faire du geste violent l’apanage des jeunes serait aller vite en besogne. Leur criminalité ne se comprend qu’en comparaison avec celle des autres tranches d’âges.

DE REDOUTABLES VIEILLARDS 51

Ceux que les lettres qualifient d’« ancien » ou de « vieil », en utilisant ces termes seuls ou accompagnés du mot « homme », ou encore en redondance « vieil et ancien », ne sont pas faciles à cerner. En effet, la vieillesse peut commencer dès 40 ans ; à partir de cet âge, le suppliant peut se qualifier de « vieil » ou « ancien ». Le cas n’est pas fréquent (tableau 16), mais il existe et, par conséquent, il semble plausible. La situation est

384

rendue d’autant plus complexe que le vocabulaire qui désigne la vieillesse n’est pas employé de façon exclusive pour qualifier une même tranche d’âge. Un suppliant de plus de 80 ans peut encore être appelé tout simplement « homme ». C’est dire qu’à partir de 40 ans et de façon significative à partir de 50 ans, on est, en théorie, considéré aussi bien comme un adulte que comme un vieillard. On peut seulement noter qu’à partir de 60 ans, si la même confusion se poursuit, les rapports numériques entre les expressions se trouvent néanmoins inversés : la vieillesse l’emporte de fait, sans toutefois éliminer d’autres formes d’expression. 52

Cet usage des mots invite à quelques remarques. La première n’est pas la moins surprenante : la vieillesse peut être perçue, sans transition, comme la suite immédiate de la jeunesse puisqu’on peut, comme nous l’avons vu, être considéré comme jeune jusqu’à 40 ans, puis comme vieux à partir de cet âge. La seconde réside dans cette interpénétration de l’âge mûr et de la vieillesse. Atteindre 50, voire 60 ans, c’est continuer à passer pour un « homme », ce n’est pas obligatoirement entrer dans la décrépitude. La vieillesse n’épouse pas exactement les formes de la sénilité. La comparaison de ces résultats avec les principes des théoriciens des âges dont j’ai précédemment évoqué les grandes lignes, confirme, encore une fois, que le langage savant et celui du quotidien ne coïncident pas. Comme le fait remarquer B. Guenée, « la jeunesse et la vieillesse sont donc au total des concepts flous » 55.

53

Mais, peut-être ces distinctions tiennent-elles compte, tout simplement, de la forme physique des suppliants, de leur inégalité face aux effets du vieillissement ? N’oublions pas que, pour être acceptée, la teneur de la lettre de rémission pouvait être vérifiée et que, par conséquent, le paraître du suppliant devait correspondre à ses affirmations. Il est alors tentant de penser qu’après 50 ans, étaient appelés « hommes » ceux qui avaient conservé la totalité de leurs activités, et étaient appelés « anciens » ceux qui avaient déjà, à âge égal, pris une position de retrait. Pour vérifier cette hypothèse, il importait de cerner le groupe de ceux qui déclaraient avoir plus de 50 ans et d’analyser son homogénéité.

54

Les criminels de plus de 50 ans forment 2,6 % des coupables qui ont choisi de donner leur âge (tableau 16). On peut appliquer à ce chiffre un raisonnement identique à celui qui a été tenu pour les « jeunes ». La vieillesse étant une circonstance atténuante, il est probable que ceux qui pouvaient jouer de leur ancienneté ne devaient pas hésiter à le faire, au moins si le crime qui leur était reproché l’exigeait. On a certainement des vieillards parmi ceux qui sont d’âge inconnu, mais dans une proportion normale par rapport au type de délit et on peut, comme pour les jeunes, se fier aux chiffres donnés pour déceler la tendance des plus de 50 ans dans le crime. A cette différence près que, nous l’avons vu, le nombre de ceux qui savent leur âge peut se restreindre quand vient la vieillesse et que, chez les vieux, la distorsion est peut-être plus grande que pour la catégorie des jeunes56.

55

Avec 2,6 %, les suppliants âgés de plus de 50 ans sont deux fois moins criminels que les 30-50 ans et cinq fois moins que les 15-30 ans. Leur poids dans le crime est donc plus faible que celui des autres tranches d’âge. Il est cependant loin d’être négligeable : passé 50 ans, on a encore des chances de devenir criminel. Les travaux entrepris au séminaire de B. Guenée ont déjà montré que les vieillards sont souvent les fers de lance de la vie politique, intellectuelle et religieuse57 ; il s’avère qu’ils peuvent être aussi de redoutables criminels et cela pendant très longtemps puisque la moitié d’entre eux ont dépassé 60 ans. L’ensemble de ces résultats confirme que la criminalité n’est pas

385

l’apanage de la jeunesse ; il incline aussi à penser que la société du royaume de France, au moins pendant le règne de Charles VI, conserve des personnes âgées en assez grand nombre pour que, parmi elles, se profilent des criminels 58. Encore faut-il se demander s’il existe une criminalité spécifique de leur tranche d’âge ? 56

Les coupables de plus de 50 ans sont, plus que dans les autres tranches d’âge, des individus de sexe masculin. Les femmes âgées entrent plutôt dans la catégorie des victimes, d’ailleurs dans de très faibles proportions : on peut dire qu’après 40 ans, la femme a quasiment disparu du crime. Les cas recensés ne sont guère à leur avantage, telle cette Méline, veuve de Thibaut Le Païen, vieille femme constamment ivre, qui meurt après une scène de violence avec son gendre, « pour ce qu’elle estoit femme de petit sens et entendement et aussi de petit gouvernement, feble et ancienne et que souventeffois se abuvroit et enivroit »59.

57

Elle avait survécu à sa fille qui, n’ayant pas bénéficié de la même longévité, avait laissé son mari veuf à 40 ans avec six enfants. Ces rares portraits de fortes gaillardes, hauts en couleur, sont peut-être l’envers d’un cruel décor, celui du silence qui exclut les femmes de la vie de relations plus tôt que les hommes, quand il ne s’agit pas de l’abrupt d’une mort précoce. Cette constatation n’implique pas cependant que les femmes qui survivent, ne bénéficient pas d’une réelle longévité. Lorsque la femme, quoique déjà âgée, meurt de façon inopinée, l’entourage est assez surpris pour trouver la mort suspecte. Ainsi, Corrobert se trouve accusé d’avoir empoisonné sa tante pour capter son héritage, « car elle n’estoit aagee que de LX ans et non plus et n’estoit point encline a apoplisse »60. On peut seulement conclure que l’âge ne favorise pas l’entrée des femmes dans la vie publique et que, la vieillesse venant, le privé les protège davantage. En revanche, les vieillards criminels existent.

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Les hommes résistent mieux que les femmes, et, quand ils sont âgés, rien ne semble les séparer, de façon nette, des autres groupes d’âge. Ils continuent en effet à participer à la vie active. Environ 75 % de ceux qui ont entre 50 et 60 ans sont mariés, et 87 % déclarent avoir des enfants. Après 60 ans, ces chiffres tombent respectivement à 36 % et à 64 %61. Le nombre d’enfants qu’ils déclarent, est le plus élevé de tous les groupes d’âge, ce qui semble a priori logique ; souvent, ils se contentent de mentionner qu’ils ont des enfants, sans donner leur nombre, peut-être parce que ceux-ci sont mariés. Aucun des plus de 50 ans ou des vieux ne déclare de femme enceinte. Le remariage avec une jeunesse serait-il un mythe, ou bien donnerait-il un sens assez aigu des responsabilités pour écarter des voies du crime ? Gilles de Lamote, « ancien et debilité de ses membres », a le profil type du suppliant âgé : il se plaint d’avoir à charge une « femme et une jeune pucelle ou fille de XXVIII ans ou environ »62.

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Vu l’âge de la fille, il n’y a rien là que de très normal. La situation conjugale des plus de 50 ans comporte en outre un certain déséquilibre dû à leur veuvage : 13 % de ceux qui ont entre 50 et 60 ans sont veufs. Cette situation ne leur est pas réservée car 12 % de ceux qui ont entre 40 et 50 ans ont déjà perdu leur compagne, chiffre qui confirme le décalage des espérances de vie entre les deux sexes. Comment est ressentie cette absence de femmes ? Aucun de ces hommes âgés ne vit en concubinage ; aucun ne viole ; aucun ne parle d’amour avant le crime. La femme, ou plutôt son absence, n’est pas source de perturbations violentes. Comme la plupart des vieillards criminels sont mariés, on ne peut que conclure à l’équilibre de cette tranche d’âge.

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Le maintien des plus de 50 ans dans la vie professionnelle est une autre preuve de leur activité. Ils se déclarent, plus facilement que les autres, maîtres ou laboureurs, indice

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d’une situation stable et de leur réussite. Aucun ne se dit simple « laboureur de bras ». On peut néanmoins déceler les signes d’une activité réduite. Aucun n’évoque la carrière des armes, dur métier qui requiert une forme physique impeccable. L’évocation de la profession vient aussi moins naturellement sous la plume, passé 50 ans, que dans les tranches d’âge antérieures63. Cette carence constitue-t-elle une raison suffisante pour conduire au crime et pour compenser, par le vol, l’absence de revenus ? 61

Dans son ouvrage adressé à Charles VI, Pierre Salmon compare le gouvernement des finances du royaume à la succession des âges : « Par le gouvernement du roy le royaume peult estre comparé a ung enfant, c’est assavoir quant la despense du roy est mendre que la revenue de son royaume c’est signe que le royaume durera par l’aage que ung enfant peult vivre ; autrement peut estre comparé a ung homme jeune de XXX ans, c’est assavoir quant la despense du roy est aussi grande comme est la revenue qui est signe que le royaume ne peult pas longuement durer sans inconvenient. Semblablement peult estre comparé a ung vieil homme aagié, c’est assavoir quant la despense surmonte la revenue d’icellui royaume qui est signe que le royaume est prez de sa fin pour ce que se il survenoit au roy aucuns grans affaires il n’auroit de quoy y pourveoir »64.

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Il est rare qu’un théoricien s’avise de mettre l’accent sur les inconvénients matériels de la vieillesse. Rien n’atteste néanmoins que la pauvreté des personnes âgées ait atteint un point tel qu’elles soient contraintes au crime. Aucun des suppliants n’évoque les problèmes matériels de la retraite pour se décharger et obtenir rémission. Certains se plaignent de leur pauvreté, mais dans sa terrible réalité, elle ne leur est pas spécifique ; elle les éreinte surtout quand ils ont encore à charge femmes et enfants, c’est-à-dire quand ils continuent à faire pleinement partie de la population active. C’est le cas de ce « pauvre et ancien homme » du bailliage de Sens réduit à voler un soc et un coutre à une charrue ; la Chancellerie le gracie, ayant « pitié et compassion de sa ditte femme et enfans lesquelz n’ont de quoy vivre ne estre alimentez fors de son labour, peine et travail »65.

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« Travail » : le mot est essentiel pour comprendre la retraite. Ces criminels continuent à vaquer à leurs occupations. Telle est la raison pour laquelle la criminalité des personnes âgées ne diffère guère de celle des autres catégories d’âge. Le vol, avec 17 % des crimes commis, reste encore loin derrière l’homicide qui constitue 67 % de leurs crimes (tableau 18). En fait, les « vieux » se révèlent moins voleurs et plus violents que les autres tranches d’âge. Le vol ne constitue pas un moyen de compenser les effets matériels d’une retraite insuffisante. Le sondage effectué dans la série des « accords » du Parlement de Paris confirme ces résultats : les vieillards y présentent leurs charges de famille pour recourir plus facilement à l’arbitrage66. Mais leur nombre est extrêmement faible – moins de 1 % – et on ne peut pas dire qu’ils préfèrent la paix à la violence.

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Quelques indices permettent cependant de percevoir comment se déroule la vieillesse, dans le cadre d’un travail moins intense que par le passé, quand se profile un temps pour les loisirs. Les criminels de plus de 50 ans voyagent peu. Ils bougent moins que les autres avant le crime, commettent leur délit à l’endroit même de leur domicile, et ne se hasardent guère en dehors d’une nature familière et cultivée. Leurs déplacements consistent à se rendre à la taverne où le vin et le jeu sont leurs passe-temps favoris. Les injures et les rixes y pleuvent facilement. Les querelles rancies par le temps s’y dénouent. Ce vieil homme de plus de 60 ans, venu à la taverne avec deux habitants de sa

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paroisse, dont l’un est un ancien ennemi, trouve le moyen d’échanger « de nombreuses paroles rancuneuses » ; sur le chemin du retour, à travers champs, il ne supporte plus l’injure finale de « faux Jaques » et mort s’ensuit67. La taverne est aussi le lieu privilégié des blasphèmes qui ont l’inconvénient d’y être proférés devant témoins. C’est là un délit particulièrement important pour les 50-60 ans, sans qu’on sache vraiment si l’aveu qui conduit à la rémission n’est pas plutôt une sorte d’examen de conscience face à une mort qu’on suppose prochaine. Jamais la lettre de rémission n’est aussi proche de la confession68. Le cas de Jean Le Naire prend failure d’un triste bilan où se résument toutes les misères de l’âge, du veuvage et de l’ivrognerie : « Poure homme aagié de cinquante ans et plus, et chargié de quatre enfans orphelins de mere, contenant que comme en tout son temps, il ait par chacun jour ou au moins bien souvent conversé es tavernes de la ditte ville de Sailly et en pluseurs autres lieux, la ou il a beu du vin largement par quoy il qui n’a pas la vertu de le porter gracieusement comme font pluseurs, par yvresse et feblesse de son chief, lui estant courroucié et malmeu, a depuis dix ans ença, en divers jours lieux et places, ou lieux dont il n’est recors, dit pluseurs malgracieuses paroles, et entre les autres a dit et juré six ou huit fois le villain serment de Nostre Seigneur »69. 65

Ici, l’aveu est arraché parce que, après avoir été emprisonné, le suppliant risque de recevoir une punition corporelle, ce qui serait dommageable à son avenir et surtout à celui de ses enfants. Il n’est pas explicitement question de l’au-delà dans cette affaire. Reste néanmoins le désir de faire place nette pour ne pas gêner le « bien et avancement » des siens, ce qui est tout de même une sorte de bilan familial et social, d’autant que le suppliant, condamné à une peine en sus d’une année de prison au pain et à l’eau, a peu de chances de sortir de là vivant.

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Plus que de la mort, les criminels déjà âgés se préoccupent de la vie et des joies qu’elle peut encore leur réserver. Les loisirs aidant, ils aiment la boisson plus que les autres. Environ 18 % des plus de 60 ans arrivent ivres au crime. Certes, ils ne sont pas seuls dans ce cas, mais c’est avec la maladie, la seule mention caractéristique de leur état physiologique70. Cet abus de la boisson chez les personnes déjà âgées permet toutes les interprétations, depuis la moindre résistance d’un organisme rompu à une pratique déjà ancienne, jusqu’à la joie de vivre que procure une vie bien remplie ; mais aussi la triste fuite en avant d’une population mal à l’aise, trouvant là l’oubli de son sort, à commencer par l’âge et la cohorte de ses inconvénients.

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Au total, malgré ces petites entorses qui sont loin de concerner l’ensemble des personnes âgées, les « vieux » n’ont pas mauvaise figure. Il faut d’ailleurs avoir un minimum de verdeur pour devenir criminel. Ils invoquent bien la maladie, mais comme circonstance atténuante plus que comme réalité : comment croire que cet homme qui se dit « ancien et debilité de ses membres » ait pu manier le couteau jusqu’à venir à bout d’un « grans homme fors et jeune »71 ? La lutte que mènent ces vieillards prend le souffle de l’épopée. A 80 ans, Jehannet Rasoleau, les forces comme décuplées par le combat, est l’auteur d’un véritable pugilat : « Et lors ledit Rasoleau prist ladicte pierre en son poing et fery de pierre et de poing ensemble ledit Olivier en eulx prenant bras a bras et tant que ledit Olivier getta a terre dessoubz luy ledit Rasoleau et, luy estant dessoubz, le prist parmi la gorge et depuys le dit Rasoleau s’efforça telement qu’il remist dessoubz luy ledit Olivier et luy mist le genol sur le ventre et le frappa plusieurs coups par la tempe de la teste et par les bras de ladicte pierre qu’il tenoit » 72.

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L’âge, on le voit, ne lui a rien retiré de sa vigueur, même si la lutte se termine, bassement, à coups de pierre ; deux jours après, son comparse était mort. Néanmoins, à côté de ces solides gaillards, véritables forces de la nature, on rencontre des vieillards impotents ; aucun vocabulaire ne les distingue des précédents : ils sont aussi « vieux » et « anciens ». Seule la maladie suggère la déchéance physique qui atteint certains d’entre eux. En fait, ils ne sont ni criminels ni victimes, signe qu’ils sont en dehors du circuit normal des rapports sociaux. Les voici réfugiés au creux de la maison, chez leurs enfants. A la charge du coupable, leur présence est soigneusement mentionnée pour montrer les qualités de cœur du suppliant.

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Celui-ci, jeune homme marié de la région de Chartres, cumule ainsi les responsabilités puisqu’aux six enfants qu’il élève, dont deux sont orphelins de père et de mère, s’ajoute son père : « et aussi gouverne son pere qui est impotent et ne puet plus labourer ne gaigner sa vie ». Celui-là se déclare « chargié de pere et mere vieux et anciens » 73.

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La sénilité ne laisse pas de choix. Ce « poure et ancien homme de labeur », obligé de suivre en exil son fils banni pour meurtre, en témoigne, lui qui ne peut plus espérer, sauf rémission, revenir mourir dans son pays74. On imagine très bien, tassés dans le foyer familial, ces vieillards aux côtés des jeunes enfants ; c’est là, près du feu, que le gendre de la dite Méline vint quérir sa belle-mère ivre pour la conduire coucher 75. La cellule familiale est à la fois nursery, orphelinat et hospice 76.

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Les lettres permettent donc de soupçonner les effets pervers du vieillissement, mais les coupables sont, en général, loin d’être des « rendus ». Des travaux récents ont d’ailleurs bien montré la différence entre vieillesse et sénilité77. Si les termes d’apitoiement existent, évocateurs de la fragilité physique, il ne faut pas exagérer leur portée. Le vieux se dit plus souvent « faible » et « pauvre » que les autres, mais quand on se réfère aux résultats concrets, les choses changent. La maladie n’est même pas l’apanage de la vieillesse : 10 % de ceux qui se disent malades au moment du crime se considèrent effectivement comme « vieux », mais 40 % des malades se font seulement appeler « hommes ». Quant à la « simplesse », évocatrice de facultés amoindries, elle touche plus nettement les jeunes que les vieux.

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La réalité n’est pas loin de conforter l’image d’une vigueur intellectuelle exemplaire. Ecoutons-les quand, dégagés des contraintes des stéréotypes de la déclinaison d’identité, ceux qui ont passé 60 ans décrivent le déroulement du crime et cherchent à le dater. Arrivés à cet âge, et au-delà, ils ne se contentent pas d’utiliser les fêtes religieuses comme points de repères. Ce système traditionnel ne leur suffit pas alors qu’il est communément employé par les 20-30 ans78. Eux, qui se disent faibles et anciens, emploient aussi bien le quantième du mois et la référence à des événements extérieurs, c’est-à-dire les méthodes les plus sophistiquées. Leur mémoire est aussi très précise : 18 % seulement ne se souviennent plus de la date du crime contre 50 % dans les tranches d’âge précédentes. Tout se passe comme si la mémoire, chez ceux qui ont réussi à entrer dans la vieillesse « biologique », gagnait en vitalité. Les « vieux » sont sans doute, comme l’ont montré les ethnologues, les détenteurs d’une tradition folklorique floue, les gardiens privilégiés de la mémoire collective, de cette « mémoire longue » dont le temps ignore l’Histoire ; les lettres révèlent qu’ils sont aussi, et en même temps, les pionniers de la datation79. Il faut attendre la fin du XVe siècle pour que l’ensemble de la société se préoccupe d’être aussi précis dans sa manière de dater. Sur leurs contemporains plus jeunes qu’eux, les « vieux » du règne de Charles VI sont en avance d’un siècle. Ils peuvent avoir oublié leur âge, mais ils sont les conservateurs de

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la mémoire sociale. Les criminels ne déparent pas la tendance générale qui, au même moment, fait recruter les historiens dans la plénitude de la vieillesse 80. 73

Le nombre qui n’est pas négligeable, la forme physique restée souvent intacte, l’aigu d’un esprit que le loisir stimule : il existe bien une vieillesse triomphante, redoutable de force et de savoir. Inspire-t-elle pour autant le respect ?

JEUNES CONTRE VIEUX « Qu’est bien commun ? Ce qui puet regarder Prouffit de tous, jeunes et anciens, Garder la loy, son pais et les siens »81. 74

Le poète Eustache Deschamps, en ce règne de Charles VI, ne se contente pas de donner une définition traditionnelle du bien commun telle que l’ont mise à la mode les écrits d’Aristote et ceux de Cicéron. Il rêve, outre de concorde sociale, d’un royaume où jeunes et vieux seraient enfin réconciliés. La tâche lui paraît démesurée car il ajoute ailleurs que « jeune et vieil ne sont pas bien d’acort »82.

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Thème littéraire ? Obsession d’un officier du roi dépossédé de sa charge par quelque jeune ambitieux ? C’est possible ; d’autres ballades confortent l’aigreur personnelle du propos. Reste que, même si de façon originale le poète enrichit la notion de bien commun d’une harmonie entre les âges, il n’est pas seul à évoquer la rivalité entre jeunes et vieux en ces années 1400 ; Christine de Pizan y ajoute sa voix 83. Remarquons que cette analyse des conflits de génération ne manque pas d’audace : en regroupant la société en classes d’âge, elle peut aller jusqu’à estomper les différences de naissance, de pouvoir et de richesse. Mais, pour originale qu’elle soit, la pensée d’Eustache Deschamps ne rompt pas de façon nette avec la vision traditionnelle, car les solutions pour résoudre le conflit et atteindre l’harmonie passent par l’obéissance des jeunes aux vieux et par la condamnation explicite des initiatives de la jeunesse. Il en est de même chez Christine de Pizan qui préfère le Charles V de la maturité à celui des « folies » de sa jeunesse84.

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Le thème du conflit des générations, source de divisions politiques, est donc à la mode. On le trouve sous la plume de nombreux penseurs politiques du XIV e siècle. Il est probable que cette idée s’est répandue sous l’influence de modèles d’inspiration savante, par l’intermédiaire de Gilles de Rome et, au-delà, de Cicéron et d’Aristote 85. Quant à l'exemplum utilisé en la matière, celui de Roboam, fils et successeur de Salomon, il est emprunté aux textes bibliques, soit directement, soit par l’intermédiaire de Valère Maxime. On le trouve répété à l’envi. Ainsi, après Philippe de Vitry, Pierre Salmon reprend presque mot pour mot le passage de la Vulgate, condamnant l’action du jeune prince « qui laissa le conseil des saiges anciens de son royaume et print le conseil des jeunes indiferez qui n’avoient point encore en eulx de conseil raisonnable » 86.

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Cette hostilité entre les générations correspond aussi aux vives préoccupations politiques du règne de Charles VI. La valse des équipes dirigeantes peut y prendre, en effet, l’allure d’un conflit entre les âges qui vient se greffer sur d’autres considérations partisanes. Il est possible que l’avènement des Marmousets en 1388, puis leur éviction quatre ans plus tard, soient aussi le résultat d’un conflit de générations antagonistes 87. La même incompréhension oppose Pétrarque âgé aux jeunes averroistes de Padoue qui se rient de sa vieillesse autant que de son ignorance88 ! Reste à savoir si c’est là un phénomène épidermique, le nécessaire tribut payé à la conquête de la gloire, qu’elle

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soit politique ou universitaire. Existe-t-il une opposition larvée entre les âges qui, dans son paroxysme, conduirait au crime ? 78

D’une manière générale, c’est à l’intérieur des mêmes classes d’âge que se déploie la criminalité, du moins en ce qui concerne les « jeunes hommes » et les « hommes ». La moitié des « jeunes hommes » sont victimes d’autres « jeunes hommes » et pour 10 % seulement, de « vieux ». L’aigreur de l’âge ne se retourne pas, de façon nette, contre la génération montante. Néanmoins, les « vieux » ont la particularité, par rapport aux autres catégories d’âge, de ne pas se tuer entre eux. Leur agresseur a, presque obligatoirement, le visage d’un autre âge, de préférence celui d’un « jeune homme ». Encore faut-il savoir s’il s’agit d’un conflit de génération, remettant en cause la distribution des pouvoirs et des biens.

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La quête de l’héritage n’est pas un motif suffisant de révolte pour conduire au crime ceux qui ont moins de 40 ans. Il ne concerne que 4 % d’entre eux, et seulement comme premier antécédent du crime. Pour devenir criminel, il leur a fallu, en dernière analyse, recourir à la violence du meurtre pour 55 % d’entre eux, au vol pour 20 % d’entre eux, ou à d’autres procédés pour les 25 % restants. Rares sont ceux qui, à la suite d’une dispute avec leur père, en sont réduits, comme ce suppliant normand, à mettre le feu aux biens pour ne pas les avoir possédés89. Ce type de crime, motivé par la quête de l’héritage, a certainement des particularités qui le différencient de la rixe classique ; mais la faiblesse de son nombre interdit de conclure à un déséquilibre de la répartition des biens entre les classes d’âge.

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L’harmonie change de ton quand on entre dans le domaine des pouvoirs. Les conflits où les « vieux » sont criminels, sont, de préférence, ceux qui les opposent à leurs enfants ou à leurs serviteurs. Même dans ces cas, l’attitude de départ n’est pas toujours celle d’une hostilité entre les âges.

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Des parents peuvent tuer un jeune pour défendre leur enfant menacé, tels ceux qui, voyant leur fille battue par son mari, tuent leur gendre qu’ils jugent trop brutal 90. Mais parfois, le crime est typique de la friction entre les pouvoirs, point d’orgue à des contraintes mal acceptées et longtemps refoulées. C’est le cas de ce suppliant qui vole 40 boisseaux de froment à son parrain, « pour ce qu’il avoit longuement servy sondit parain et n’en avoit pas esté bien satisfait comme il lui sembloit » 91.

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Le même type de révolte pousse ce « grans homme fors et jeune » à guetter, caché derrière un buisson, la venue d’un vieillard, son ancien maître, qui lui avait interdit, quelques années auparavant, de se marier avec une de ses chambrières 92. La sujétion est devenue insupportable. Il faut d’ailleurs remarquer que le nombre des rémissions est beaucoup plus grand dans le sens parents-enfants et maîtres-serviteurs que dans le sens inverse. Les cas d’enfants parricides sont rares, du moins dans les lettres. La rémission ne leur est visiblement accordée que dans des conditions particulières, quand l’enfant criminel peut être considéré comme inconscient de son crime, tel ce Jehannin Du Moustier, « pur fol comme il est apparu par ses euvres puis le mois de mai derrenier passé ot un an, car le dit Jehannin s’en aloit par bois et par champs sifflant aus oiseaux tout seul en demourant deux ou trois jours »93. Pour avoir refusé d’obéir à son père qui lui commandait de pétrir le pain, il prend un bâton et le tue « imbu de maligne esperit en sa dicte forsenerie ». Mais s’agit-il encore simplement de conflits de génération au sein de la cellule familiale ? Derrière ces querelles se profilent avec densité les sentiments et les devoirs qui comptent autant, et sans doute plus, dans les rapports entre les générations que de simples oppositions d’âges. Il nous faudra y revenir 94.

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Les conflits de générations ne sont donc pas caractéristiques de la criminalité médiévale. On peut percevoir des cas où les maîtres défendent leurs serviteurs et où les enfants s’occupent de leurs parents dans la meilleure harmonie ; nous l’avons déjà vu à propos des vieillards impotents. Ils ne sont pas qu’une charge pesante ; des jeunes gens peuvent se rendre à la taverne ou à la fête avec leurs vieux parents, même si ceux-ci, « anciens », ne sont plus très présentables ; l’un a perdu un oeil, l’autre marche difficilement95.

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La paix entre les âges ne naît pas d’un strict cloisonnement des activités, qu’il s’agisse du travail ou des loisirs. Ses fondements sont ailleurs, à commencer par une solide répartition des rôles dans le rituel social.

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A défaut d’une situation dont ils ne sont pas toujours, ou pas encore, les maîtres, les jeunes ont en effet acquis un statut qui leur donne un droit de regard sur la communauté. Il est d’ailleurs probable que ce statut s’est officialisé dans les derniers siècles du Moyen Age et qu’il contribue, au moins dans les grandes villes, à l’établissement d’un équilibre politique. Les cas de Florence et de Venise sont significatifs de cette évolution96. Dans les villes, la création des bachelleries répond à ce besoin. A l’échelle du village, le processus est identique, quoique moins rigide. La jeunesse tient en main le déroulement des fêtes. Le charivari, surtout quand il s’adresse à un barbon amoureux d’une jeunesse, est un de ces rituels confiés aux jeunes qui rétablit fictivement la distorsion des âges et des sexes dans la communauté. Ce cas est maintenant bien connu. Un processus identique se reproduit lors de ces autres coutumes folkloriques dont R. Vaultier a opéré le recensement : les jeunes, mariés ou célibataires, parce qu’ils sont les garants d’un rituel, régulent la communauté et lui permettent, dans l’unanimité, de retrouver son identité97. Et, de la même façon qu’elles scellent la réconciliation des sexes, les cérémonies du pouvoir ou de l’Eglise, mettent en scène cette union des âges, réalisant lors de moments privilégiés, le rêve d’Eustache Deschamps. Sur la route de l’entrée royale ou de la procession se pressent « petiz et grans », « enfants » et « gens tres anciens »98. Les uns et les autres « bassinent » tandis qu’aux petits enfants – pueri – se trouve confié le chant d’accueil : « Vive le roi ». Encore une fois, le pouvoir royal se crée dans l’unanimité, dans l’ordre de ses sujets rassemblés.

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Ces tensions entre les âges et leurs réconciliations rituelles sont normales dans cette société où les classements ont des arêtes vives99. Mais le consensus entre les âges relève aussi d’un certain bon sens qui voit passer le temps sans révolte intempestive. Attention dit d’ailleurs le poète à ces signes précurseurs de la mort qui trouvent dans la lutte des générations un précieux alibi : « J’ai tant plaisir a grumeler, Car le temps passé me remort ; Tousjours vueil jeunesce blamer : Ce sont les signes de la mort »100.

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Le commun n’a pas besoin des conseils du poète ; le temps passe, fluide. Un suppliant qui était « jeune » au moment du crime peut se déclarer « homme » ou « ancien » au moment de la rémission sans aucune acrimonie. Jean Boudin, devenu « poure homme » au moment de la rémission, reconnaît qu’il a agi « par legiereté de jeunesse, il qui lors estoit de l’aage de vint ans ou environ »101.

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Il regarde les « folies » de sa jeunesse avec une indulgence qui ne demande qu’à être partagée avec celle du roi ! Toutes proportions gardées, le suppliant se dresse alors en vivant portrait du sage.

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Cette image du suppliant chargé d’ans et de sagesse vaut qu’on s’y arrête. Elle est plus qu’un stéréotype ; elle dit ce que doit être le regard porté sur le vieillard ; d’elle découle un mode de relation codé garant de l’ordre social. Pour tout un courant de pensée, le vieillard cumule, je l’ai dit précédemment, les attributs de la sagesse. Le peuple des lettres de rémission ne peut l’ignorer, lui qui, outre l’enseignement du prêtre, contemple aux porches des églises les vieillards de la Bible, « rassasiés d’ans ». Mais les lettres de rémission ne s’inscrivent pas exactement dans cette tradition. Le terme « vieillard » n’y est pas employé : il est trop chargé de sagesse. Car, si l’âge est une preuve du savoir-faire et de la bénédiction divine, comment expliquer qu’il puisse y avoir des vieillards criminels ? Cette contradiction interdit une vision monolithique de la vieillesse. Les vieillards pèchent, commettent des crimes. La rémission royale ne peut être obtenue qu’au cours d’une sorte de transmutation qui fait du vieillard, quelle que soit sa forme physique, un misérable. Pauvreté et maladie sont ses deux compagnes obligées. Alors, et alors seulement, naissent la pitié et la miséricorde du roi qui ne fait qu’appliquer les commandements de Dieu et renouveler, par des actes particuliers, les clauses du serment du sacre. La Bible ne dit guère d’être miséricordieux aux vieillards ; ils n’en ont, en principe, nul besoin. Elle répète de l’être aux pauvres et aux malades 102. Pour obtenir le pardon, les vieillards se font donc pauvres et malades.

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Mais prêtons attention aux mots employés. Les lettres ne connaissent pas explicitement cette catégorie de miserabili dans laquelle se fondent les vieillards florentins pour être exemptés103. On y trouve employés les adjectifs « pauvres », « vieux », « malades », ou leurs synonymes, pour caractériser l’état global dans lequel est arrivé le criminel à la fin de sa vie. Mais les lettres ne disent pas qu’ils sont pauvres et malades parce qu’ils sont vieux. Les composantes de l’image de la vieillesse restent intactes et les valeurs s’enrichissent d’accumulations, sans se transformer ni se détruire. Les lettres ne multiplient pas non plus, comme pour la jeunesse, les données péjoratives qui font sombrer l’âge dans la folie. Contrairement à ce que dit le poète, « jeune sage » ne devient pas « vieux fou »104. Tout se passe comme si cette forme de sénilité n’existait pas, comme si la réalité ne pouvait pas gauchir l’image établie et figée d’une sagesse exemplaire. On discerne, au plus, quelque agacement de la Chancellerie quand elle rencontre des sujets qui diffèrent trop à l’évidence de ce qu’ils devraient être au regard de leur âge. Elle donne alors raison au suppliant, un jeune, face à sa victime, « homme ancien et completement rioteux et noiseux qui voulentiers s’enyvroit et de petite conversacion »105.

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En fait, le modèle fonctionne bien. Pour être crédible, la vieillesse n’a pas besoin de s’avilir. L’image de la sagesse n’est pas complètement oblitérée par les nécessités de la supplication. Mais elle sort enrichie de la confrontation, complexe.

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La vieillesse inspire donc finalement une coexistence de sentiments apparemment contraires que sont le respect et la pitié. Entre la perfection du sage et la décrépitude du malade, il y a trop d’oscillations pour que le vieillard ait le profil rêvé d’une victime émissaire. L’histoire des rapports entre les jeunes et les vieux ne s’écrit pas en noir et blanc ; tout interdit aux uns d’être des persécuteurs, rien ne prépare les autres à prendre, selon la belle expression de René Girard, « la route antique des hommes pervers »106.

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Concluons : l’âge ne précipite pas au crime. Les lieux communs qui associent jeunesse et violence rassurent les adultes sans pour autant correspondre à une réalité. La lutte entre les âges est un stéréotype nécessaire pour que Tordre naisse du désordre. Les contemporains de Charles VI ont eu besoin de ces lieux communs pour faire face aux bouleversements que connaissait leur société. Ils ont servi à les rassembler. Dans la réalité, on peut dire que la violence des jeunes, loin d’être débridée, reste contrôlée par un rituel strictement observé. Le respect des vieillards se trouve sauvegardé. Dans cette société traditionnelle, l’équilibre entre les générations est un des meilleurs moyens de sauvegarder Tordre social : il ne faut donc pas chercher du côté de l’âge la raison de la violence et des crimes.

NOTES 1. P. DESPORTES, « La population de Reims… », p. 495. Sur la précision des événements et des lieux, voir les travaux de B. GUENÉE : « Géographie administrative de la France à la fin du Moyen Age : élections et bailliages », Politique et Histoire…, p. 41-71, et Histoire et culture historique…, p. 147-165. B. Guenée a aussi suscité de nombreuses études sur ce thème : B. GUENÉE (sous la direction de), Le métier d’historien…, p. 13-14. Sur la perception de l’espace dans un cadre géographique précis, Cl. GAUVARD, « L’opinion publique aux confins des Etats… », p. 6-7. 2. De nos jours, « pour l’ensemble des crimes, on constate une sur-représentation des tranches d’âges allant de 18 à 39 ans ; le maximum est très tôt atteint – aux environs de 22 ans –, puis on assiste ensuite à une baisse lente et continue » constate J.M. BESSETTE, Sociologie du crime, p. 30. Encore faut-il distinguer selon la nature des crimes. Les meurtres et assassinats sont beaucoup plus fréquents chez les 30-35 ans que chez les 18-25 ans. 3. L’expression est de P. PETROVITCH, « Recherches sur la criminalité à Paris… », p. 238. 4. Voir chapitre 2, p. 82. 5. Les divisions adoptées sont discutées chapitre 2. 6. Pour É. MORNET, « Âge et pouvoir… », p. 122-124, l’expression vel circa appliquée à l’âge apparaît aussi bien dans des documents où la formulation est insérée dans un cadre juridique strict : suppliques, procès, procès de canonisation. Plutôt que l’indécision de l’individu sur son âge, elle semble illustrer la prudence juridique du rédacteur pour le cas où il y aurait contestation. On peut d’ailleurs remarquer qu’elle subsiste encore à la fin du XVIII e siècle à Paris, P. PETROVITCH, « Recherches sur la criminalité à Paris… », cité supra, n. 3. 7. JJ 150, 65, juillet 1396, VOIGNY (prévôté de Paris). La précision du lieu d’habitation est aussi remarquable, voir chapitre 11, n. 45. 8. Egalement dans JJ 150, 72, juillet 1396, PONCHON (bailliage de Senlis). 9. Le rôle de l’enquête administrative dans la formulation de l’âge est parfaitement démontré pour le XIVe siècle par D. HERLIHY et Ch. KLAPISH-ZUBER, Les Toscans…, p. 350 : « Dans les trois dernières décennies du siècle, cependant, Florence multiplia les pressions pour que ses administrés donnent leur âge exact en diverses occasions, d’ordre fiscal ou politique ». Voir aussi l’exemple provençal, Y. GRAVA, « La mémoire, une base de l’organisation politique… », p. 19-21. L’Eglise soumet les fidèles aux même impératifs, J. PAUL, « Expression et perception du temps…, p. 69-94 ; E. LE ROY LADURIE, Montaillou…, p. 419-445, et A. VAUCHEZ, La sainteté en Occident…, annexes I et II, p. 633-652.

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10. Sur la signification culturelle de ce décalage, voir chapitre 11, p. 491 et suiv. 11. Cl. GAUVARD. « La déclinaison d’identité… ». 12. Cl. GAUVARD, « L’image du roi justicier… », p. 189. 13. L’âge est repris comme première circonstance atténuante pour 25 % des plus de 60 ans, et pour 17 % des « vieux ». Il est possible que ces critères d’âge comme circonstances atténuantes aient varié au cours des siècles, en même temps qu’a varié la notion d’irresponsabilité. La jeunesse n’est guère épargnée à la fin de l’époque moderne, Y. BONGERT, « Délinquance juvénile et responsabilité pénale du mineur… », p. 49 et suiv. 14. P. DESPORTES, « La population de Reims… », p. 496, et J. ROSSIAUD, La prostitution médiévale, p. 237, n. 9. 15. Sur les conclusions relatives à ces différents profils d’âges inconnus, Cl. GAUVARD, « Les jeunes à la fin du Moyen Age… », p. 225-244. 16. Cité par L. TANON, Histoire des justices…, p. 488. 17. A. LAINGUI, La responsabilité pénale…, p. 219-240. 18. Philippe de NAVARRE, Les quatre âges de l’homme, p. 102-103 : « Et a lui meismes sembla que chascuns des IIII tens d’aages deust estre de XX ans… Chascuns des IIII tens est partiz par mi : des le commancement jusques au milieu est d’une meniere, et dou milieu jusques a la fin est d’une autre » ; pour Dante, la jeunesse se termine à 45 ans, Convivio, 4-24, voir D. HERLIHY, « Generation… », p. 347-364, et B. GUENÉE, « L’âge des personnes authentiques… », p. 254, qui insiste sur le rôle joué par Isidore de Séville. La conception de saint Augustin est aussi vouée au succès : De civitate Dei, 22, 15 : « circa triginta quippe annos definierunt esse etiam saeculi huius doctissimi hommes iuventutem : quae cum fuerit spatio proprio terminata, inde iam hominem in detrimenta vergere gravions ac senilis aetatis ». Il est suivi par Bernardin de Sienne, Prediche volgari di San Bernardino da Siena, LUCIANO BANCHI éd., t. 3, Siena, 1884, p. 365. 19. J.C. RUSSELL, « Late Medieval Population Patterns… », p. 159-161, donne des expressions avec des précisions numériques qui ne correspondent pas aux catégories des lettres de rémission. Le terme « adolescent » (12-28 ans) n’y est pas employé ; le terme « jeune » (28-50 ans) n’excède pas 40 ans. Enfin, celui de senex (après 50 ans) n’est pas systématiquement usité. 20. Ph. de BEAUMANOIR, Coutumes de Beauvaisis, paragr. 560. 21. L. TANON, Histoire des justices…, p. 482. 22. A. FARGE, Le vol d’aliments à Paris…, p. 116-117, relève 35 % d’accusés de moins de 25 ans dont 11 % entre 5 et 15 ans. 23. M. BLOCH, La société féodale, t. 1, p. 117. Cette théorie s’est développée à la suite des travaux de J.C. RUSSELL, British Medieval Population, p. 180. D. HERLIHY, « Generation… », p. 360-363, oppose les XIe - XIIIe siècles qui connaissent un important vieillissement de la population aux XIV e - XVe siècles scandés par le renouvellement rapide des générations. 24. Ce sont les conclusions médicales de J.N. BIRABEN, Les hommes et la peste…, t. 2, p. 27-32. 25. R. CAZELLES, « La peste de 1348-1349… », p. 293-305. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 111. Cette mention est aussi sans doute la preuve du profond bouleversement que provoque une épidémie qui ne respecte pas l’équilibre entre les âges. Peut-on en conclure que les jeunes ont été particulièrement frappés ? 26. D. HERLIHY et Ch. KLAPISH-ZUBER, Les Toscans…, p. 370. 27. Voir M BERTHE. Famines et épidémies…, p. 417 et suiv. ; et synthèse par G. MINOIS, Histoire de la vieillesse, chap. 8. 28. A. HIGOUNET-NADAL, Périgueux aux XIVe et XVe siècles…, p. 328 et suiv. 29. Sur cette définition. Cl. GAUVARD et A. GOK.ALP, « Les conduites de bruit… », p. 700. 30. G. DUBY, « Les “jeunes” dans la société aristocratique dans la France du Nord-Ouest au XII e siècle », Hommes et structures du Moyen Age, p. 29. 31. JJ 133, 25, juillet 1388, BEAUCHAMPS-SUR-HUILLARD (bailliage d’Orléans). 32. J. ROSSIAUD, « Fraternités de jeunesse… », p. 69.

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33. JJ 133, 3, juillet 1388, VULAINES-LES-PROVINS (bailliage de Meaux). Pour extraordinaire qu’il soit, ce cas n’est pas unique. La même scène a lieu dans le bailliage de Rouen vers 1420, JJ 172, 406, (sans date), VERNEUIL, et à PARIS en 1430 où le condamné « estoit ung tres bel jeune filx d’environ XX1II1 ans ; il fut depouillié et prest pour bander ses yeulx quant une jeune fille nee des Halles le vint hardiement demander et tant fist pour son pourchas qu’il fut ramené ou Chastellet et depuis furent espousez ensemble », Journal d’un bourgeois de Paris, p. 250. Pour une tentative d’interprétation, P. LEMERCIER, « Une curiosité judiciaire au Moyen Age… », p. 464 et suiv. et chapitre 7. n. 48. 34. Le bachelier est « jeune homme a marier » ou « varletz a marier », JJ 207, 5, février 1481, LA PETITE-BOISSIÈRE et RORTHAIS (sénéchaussée de Poitou), et JJ 208, 45, janvier 1481, SAINTEÉANNE (sénéchaussée de Poitou). Sur l’extension géographique, l’organisation, et les fêtes des bachelleries à l’époque moderne, N. PELLEGRIN, « Une fête de classe d’âge… », p. 220. 35. Cl. KARNOOUH, « Le charivari… », p. 39. 36. JJ 127, 39, juillet 1385 (lettre adressée au bailliage de Rouen et à la prévôté de Paris). 37. JJ 160, 359, juin 1406, BEAUNE-LA-ROLANDE (bailliage de Montargis et Cepoy). Sur la vigueur physique des jeunes dans les fabliaux, M.Th. LORCIN, Façons de sentir et de penser…, p. 79. 38. É. CHATELAIN et H. DENIFLE, Chartularium…, t. 4, p. 668. Sur cette expression et ses résonances théoriques, Cl. GAUVARD, « Les jeunes… », p. 234-235. Des expressions identiques sont employées au Châtelet où sont évoquées les « folyeuses jeunesses », Y 5220, fol. 210v., mai 1396. L’expression est employée pour condamner les dégâts commis dans le champ de froment semé derrière l’église Sainte-Catherine-du-Val-des-Ecoliers, où « tant de nuys comme de jours y vont et viennent pluseurs jeunes gens qui gastent et defoulent lesdiz fourmens et y font plusieurs folyeuses jeunesses ». 39. Sur le lien traditionnel entre âge et sagesse, voir Proverbes, 4-1-27, et Ecclésiastique 8-8. Pour une perspective réservée, Ecclésiaste 11-7-8, et les gloses médiévales analysées par R. SPRANDEL, Altersschicksal… 40. Voir les exemples recensés chapitre 3, n. 89 à 92. 41. JJ 169, 34, décembre 1415, (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 42. 11 % de ceux qui déclarent avoir agi par « chaude cole » ont entre 20 et 30 ans. Pour les autres tranches d’âge, la proportion est de 2 % seulement, et, passé 50 ans, cette circonstance n’intervient plus. Il y a 85 % des cas de « chaude cole » pour lesquels l’âge est inconnu. 43. JJ 160, 163, janvier 1406, BOËSSE (bailliage du duché de Nemours). Situation identique au même moment pour un jeune homme de la châtellenie d’Argilly, en Bourgogne, qui a agi par « l’ennortement de son compagnon ou autrement par jeunesse, foleure et temptacion de l’ennemy », ibid., 435, juillet 1406, ARGILLY (bailliage de Mâcon). 44. JJ 160, 372, lettre citée chapitre 4, n. 131. 45. Ibid., 374, lettre citée chapitre 7, n. 76. 46. JJ 151, 20, décembre 1396, CERCOTTES (bailliage de Montargis et Cepoy). 47. C’est le cas de ce suppliant, âgé de 23 ans. JJ 151, 241, mars 1397, MEAUX (bailliage de Meaux). 48. JJ 172, 26, avril 1420, TOURNAI (bailliage de Tournai) ; autre exemple dans le Midi, JJ 155, 122, avril 1400, LIGNAN-SUR-ORB (sénéchaussée de Carcassonne). 49. J.B. GIVEN, Society…, p. 106-133, qui réserve une large place aux « entrepenors of violence », et J.G. BELLAMY, Crime and Public Order…, p. 69-88. Les conclusions de ces deux auteurs sont différentes des résultats commentés par B.A. HANAWALT, « Community, Conflict… », p. 402 et suiv., qui décrit une criminalité anglaise plutôt individuelle et équilibrée entre les classes d’âge, proche de ce que laissent percevoir les lettres de rémission pour le royaume de France au même moment. Sur les bandes de jeunes criminels en Espagne, J.P. BERTHE, « Conjoncture et société… », p. 1256 et suiv. 50. JJ 120, 105, février 1382. (prévôté de Paris).

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51. C’est le cas par exemple de la bande de Jehan Le Brun, dont les membres, vu les crimes commis, ont certainement plus de 30 ans. Registre criminel du Châtelet, t. 1. p. 52 et suiv., et t. 2. p. 148-155. 52. JJ 160, 371, juin 1406, HAMARS (bailliage de Caen). Sur ce viol « sélectif » dans le choix de ses victimes, voir chapitre 7, p. 334. Tout montre que la communauté le trouvait normal. 53. JJ 151, 24, janvier 1397 ; VAUXAILLON (bailliage de Vermandois). 54. JJ 169. 158, mai 1416, EVRES (bailliage de Vermandois). La somme volée était de 12 écus en or, 29 florins. 46 gros de Met/et autres gros et deniers. 55. B. GUENÉE, « L’âge des personnes authentiques… », p. 253. 56. Voir supra, n. 14. 57. Il s’agit d’une enquête aux préoccupations communes. A. DEMURGER, J.Ph. GENET, H. MILLET et É. MORNET ont fait part de leurs résultats au séminaire de B. GUENÉE à l’ΕΡΗΕ, IV e section, année 1984-1985. J’y ai moi-même exposé les conclusions de ce chapitre et je remercie les participants de leurs suggestions. Des exemples de relations entre l’âge et le politique sont donnés par Fr. AUTRAND, « La force de l’âge… », p. 206-223. 58. A 54 ans, un couple peut être qualifié de « vieux et décrépis », JJ 127, 216, juin 1385, (bailliage de Vitry). 59. JJ 160, 22, juillet 1405, PONTAUBERT (prévôté de Paris et bailliage de Sens). 60. X2 A 14, fol. 217v., décembre 1404. 61. 50 % de ceux qui se disent « vieux » sont mariés. 62. JJ 155, 109, juillet 1400, BAGNEUX (bailliage de Vermandois). 63. 42 % de ceux qui ont entre 30 et 50 ans déclarent une profession, contre 30 % après 50 ans. 64. P. SALMON, Les demandes…, BN Fr. 9610, fol. 19v.-20. 65. JJ 160, 363, juin 1406, DOMPIERRE-EN-MORVAN (bailliage de Sens et d’Auxerre). 66. Par exemple, Gervaise se dit « marié, poure et ancien homme aagié de LXX ans ou environ, chargié de femme et d’enfans », X lc 81 A, 4 novembre 1400. 67. JJ 133, 19, juillet 1388, SAINT-CRÉPIN-AUX-BOIS (bailliage de Vermandois). 68. Peut-être faut-il rapprocher l’aveu de ce crime, à cet âge, des aveux qui sont prononcés par le condamné à mort au moment du supplice, Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 23, 36, 186, 254, et t. 2, p. 107, 162, 437. 69. JJ 155, 47, mai 1400, SAILLY-LAURETTE (bailliage d’Amiens). 70. Même chose pour les « vieux » : 17 % se disent en état d’ébriété, 17 % se disent malades, 66 % ne donnent aucun motif. L’ébriété est reprise comme circonstance du crime dans 13 % des cas pour les 50-60 ans, et dans 18 % des cas pour les plus de 60 ans. 71. JJ 155, 109, lettre citée supra, n. 62. 72. JJ 160, 42, août 1405, VIRY (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 73. JJ 169, 75, janvier 1416, BAZOCHES-EN-DUNOIS (bailliage de Chartres), et JJ 127, 114, septembre 1385, ORBEC (bailliage d’Orbec). 74. JJ 120, 107, septembre 1381, RUISSEAUVILLE (bailliage de Vermandois). Le suppliant se qualifie ainsi « poure et ancien ». 75. JJ 160, 22, lettre citée supra, n. 59. 76. Histoire de la vie privée, t. 2, p. 163 et suiv. 77. Sur les effets du vieillissement, M.Th. LORCIN, « Vieillesse et vieillissement… », p. 5 et suiv., et Fr. NEVEUX, « Finir ses jours à Bayeux… », p. 151-169. 78. 23 % ne datent pas le crime ; 18 % seulement le datent par le quantième du mois ; 44 % le datent par référence religieuse ; 15 % le datent par rapport à un autre événement. Sur la signification culturelle de la datation, voir tableau 26, chapitre 11. 79. Voir en particulier Fr. ZONABEND, La mémoire longue…, chap. 1, « Le temps de la collectivité ». 80. Sur l’âge des historiens au Moyen Age, B. GUENÉE, Histoire et culture historique…, p. 44 et suiv. En particulier, le cas de Gilles Le Muisit, B. GUENÉE, Entre l’Eglise et l’Etat, p. 89-112.

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81. E. DESCHAMPS, Œuvres…, t. 6, MCCLXIII, Du bien commun amer. 82. Ibid., t. 7, MCCCLXXVI, Des jeunes serviteurs de la Court. 83. Par exemple, en 1405, dans la Cité des Dames, voir G. MINOIS, Histoire de la vieillesse, p. 30 et suiv. 84. Les exemples sont nombreux, qu’il s’agisse du règne de Charles VI, E. DESCHAMPS, Œuvres…, t. 7, MCCCXXXI, « Officia tenent juniores, Imprudentes, non bene regentes, Valde male reguntur status ; De puero fit hodie miles… » ou De ta perdition de Rome, ibid., MCCLXXXVI « Division, cuer haineux, immonde. Le bien commun bien que de tous poins laissa, Justice, amour, qu’elle se conseilla Aux jeunes foulz desquelz le conseil erre. Perdit honneur… » Même point de vue chez Ch. de PIZAN, Le Livre des fais…, p. 17 et suiv. 85. Gilles de ROME, De regimine principum, Liv. I, part. IV, chap. I-IV ; CICÉRON, De senectute ; ARISTOTE, De anima, Liv. Ill, chap. IV et Livre de rhétorique. Aristote est plutôt cité à travers Cicéron, par exemple Ch. de PIZAN, Le Livre du corps de policie, Liv. I, chap. XX. 86. P. SALMON, Les demandes…, BN Fr. 9610, fol. 75. La vie de Roboam est utilisée par Valère Maxime, De facta et dicta memorabilia, dont la traduction et le commentaire étaient largement lus, BN Fr. 282. Elle est rapportée dans les Paralipomènes de la Vulgate, II, 10. Quelques exemples de son emploi au XIVe siècle, Ch. de PIZAN, Le Livre du corps de policie, p. 64 ; E. DESCHAMPS, Œuvres…, t. 6, MCIII et MCCXV ; J. GERSON, Vivat Rex, Œuvres complètes, t. 7, p. 1156 ; N. de CLAMANGES, De lapsu…, Opera Omnia, p. 54. 87. Eustache Deschamps se plaint de l’épuration qui accompagne l’arrivée des Marmousets. Une nouvelle équipe de « jeunes » entoure le « jeune » roi et le duc de Touraine. Le poète a alors plus de 40 ans. Sur cette alliance entre les lieux communs relatifs à l’âge et la politique, Fr. AUTRAND, « La force de l’âge… », p. 206-220. 88. PÉTRARQUE, De suis ipsius… La scène se passe en 1366 ; Pétrarque a alors 62 ans, et il écrit son traité quatre ans plus tard. 89. JJ 160, 357, janvier 1406, FAUVILLE-EN-CAUX (bailliage de Caux). Le suppliant a agi par « yre et par courroux ». 90. JJ 165, 8, novembre 1410, PARIS (prévôté de Paris). Voir les exemples cités chapitre 14, p. 654-655. 91. JJ 155, 101, mai 1400, FEUX (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 92. JJ 155, 109, lettre citée supra, n. 62 et 71. 93. JJ 118, 18, octobre 1380, PARIS (prévôté de Paris). 94. Voir chapitre 14, p. 651 et suiv. 95. JJ 120, 120, 1381, ACHIET-LE-GRAND (bailliage de Vermandois). Le père qui a plus de 60 ans, « homme ancien » ayant perdu un oeil, fait plus de 20 kilomètres pour aller à la fête avec ses deux fils « jeunes horns, poures et miserables personnes ». De même, JJ 160, 373, juin 1406, SAINTGERMAIN-SUR-L’AUBOIS (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 96. Voir en particulier la mise au point de Ch. KLAPISCH-ZUBER, « Rituels publics… », p. 135-144. Pour R.C. TREXLER, « Correre la terra… », p. 846 et 889, les jeunes sont intimement associés aux ribauds et aux prostituées pour procéder aux insultes et aux défis qui construisent l’honneur de la ville. 97. R. VAULTIER, Le folklore…, p. 30-35. Pour les diverses significations du charivari, Le Charivari, J. LE GOFF et J.Cl. SCHMITT (sous la direction de). Sur les rapports de la jeunesse et du rituel social. Cl. GAUVARD, « Les jeunes… », p. 240 et suiv., et chapitre 11, p. 505 et suiv.

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98. Par exemple, Journal d’un bourgeois de Paris, p. 22 et 27. Les enfants ou pueri ont pour mission de chanter, Chronique de Saint-Martial de Limoges…, p. 203-204. Cette union des âges est une constante ; elle contribue à l’efficacité rituelle des entrées royales. On retrouve là un regroupement que laissait présager celui des sexes lors des mêmes cérémonies. 99. Elles caractérisent toutes les sociétés, mais la force de l’âge est primordiale dans les sociétés traditionnelles, G. BALANDIER, Anthropo-logiques, p. 104 et suiv. 100. E. DESCHAMPS, Œuvres…, t. 7, MCCLXVI. 101. JJ 118, 37, novembre 1380, (bailliage de Vermandois). Il en est de même de ce « poure homme laboureur de boys » qui a commis son crime alors qu’il était « jeune valet ». JJ 143, 186, septembre 1392, BOUREUILLES (bailliage de Vitry). 102. Comme je l’ai déjà dit supra, n. 39, le terme de « vieillard » revient sans cesse dans la Bible, associé à la sagesse, en particulier dans les Proverbes et dans l’Ecclésiastique. L’homme âgé inspire le respect que symbolise la couronne de l’expérience, Ecclésiastique 25, 3-6. Les 24 vieillards jouent un rôle essentiel dans l’Apocalypse aux côtés des évangélistes, Apocalypse, 4, 9. Le psaume 71, « Prière d’un vieillard », insiste cependant sur la fragilité de la vieillesse quand l’homme risque d’être menacé par son entourage. Mais la pitié biblique se tourne plutôt vers les pauvres et les malades, Ecclésiastique 7, 32-36. 103. D. HERLIHY et Ch. KLAPISH-ZUBER, Les Toscans…, p. 74-75. 104. E. DESCHAMPS, Œuvres…, t. 6, MCCXCV. 105. JJ 165, 304, mai 1411, (bailliage de Chartres). Remarquons qu’il s’agit de la victime, ce qui atténue considérablement la décision prise par la Chancellerie, et en même temps accentue l’aspect péjoratif du portrait. Au même moment, la Chancellerie royale se propose de prendre sous la sauvegarde du roi les personnes âgées de plus de 60 ans, Formulaire d’Odart Morschesne, 1427, BN Fr. 5024, fol. 8v. 106. La victime émissaire se doit d’être monolithique. Le portrait du vieillard ne ressemble pas à celui de Job, R. GIRARD, La route antique…, p. 1-32.

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Chapitre 9. Nanti et marginal

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Il convient maintenant de réfléchir aux éléments d’explication que pourraient apporter les situations sociales dans la criminalité de la fin du Moyen Age, qu’il s’agisse des statuts ou des richesses. On sait que la société médiévale connaît et se reconnaît une division et une hiérarchie très strictes entre les trois ordres. G. Duby en a suivi la genèse et l’enracinement dans cette terre de langue d’oïl où, au cours des XI e-XIIe siècles, le schéma trifonctionnel s’est imposé1. Or, justement, aux XIVe et XVe siècles, le voici qui quitte le domaine de « l’imaginaire ». Les divisions des trois ordres prennent corps dans ces assemblées d’états qui accompagnent les balbutiements de l’Etat 2. Parallèlement, la trilogie des ordres aide à justifier les théories politiques de la royauté sacrée. Ce corps mystique auquel on compare le roi dans son royaume, comme à la statue de Nabuchodonosor, ne peut fonctionner que dans l’unité. La tête ne tient-elle pas sous sa coupe les membres assemblés selon une stricte hiérarchie ? Certes ce sont là élucubrations de clercs qui, au mieux, tentent de convaincre les nobles de la cour. Pourtant, ils n’oublient pas, ou pas encore, la masse « des hommes de labeur ». On les voit défendus sous leur plume contre les exactions royales et seigneuriales, plus âprement sans doute qu’aux siècles suivants de la monarchie triomphante quand le clergé, les nobles et les bourgeois sont devenus les seuls interlocuteurs et les privilégiés. Ne confondons pas les temps et arrêtons-nous à l’originalité de cette étape qui est la nôtre : comme l’explique Jean Gerson, le roi est « roy des Francoys », c’est-àdire de « l’estat de chevalerie », de « l’estat du clergé » et « du peuple » 3. Comme tel, il doit maintenir l’ordre dont la formulation est celle de l’ordonnance : « quant chascune dez chosez a ce qu’il luy appartient, est en son droict lieu ». Sinon naissent « l’impatience », la « murmuracion », les « larrecins filz de poureté », bref, « pechié mortel »4. Après les événements parisiens de 1413, son discours, comme celui de Christine de Pizan, acquiert plus de méfiance à l’égard du peuple, mais les conseils pour éviter le pire redoublent5. La crainte des théoriciens n’est pas vaine. Les divisions sourdent dans le royaume. Sont-elles pour autant susceptibles de faire craquer les cadres dans lesquels la société est enserrée ?

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MARIÉS ET CÉLIBATAIRES 2

L’homme du « bon peuple » est, dans l’imaginaire du sermon ou de la plaidoirie, un homme marié. Le mariage fait partie de la « renommée » 6. Les grands criminels répertoriés dans le Registre criminel du Châtelet le savent bien quand, pour échapper à la torture, ils se disent mariés. La discussion s’engage alors avec les juges sur la validité du lien de mariage qui a pu être contracté. Ainsi, en juin 1390, Oudin de Sery demeurant à Pontoise, trouvé en train de dépecer une bourse de cuir, se dit clerc et marié à Ysabeau de Saussoye, âgée de 60 ans7. Pour faire entrer le criminel au rang des individus susceptibles d’être jugés selon une procédure extraordinaire, les juges déclarent qu’ils ne sont pas mariés devant la « Sainte Eglise », ce que le criminel reconnaît volontiers, tout en substituant des fiançailles qui ont, à ses yeux, la même reconnaissance officielle que le sacrement de mariage. En effet, il « dit que il n’espousa ycelle Ysableau en Sainte Eglise mais verité est que, apres ce qu’il ot eu compaignie charnelle a elle, il qui parle et elle, de leurs communs assentemens et volenté, ont fiancé li uns l’autre, depuis lesquelles fiançailles il a eu plusieurs fois et au devant d’icelles, compaignie chamelle et depuis couchié ensemble et demouré en la compaignie d’icelle Ysableau par l’espace de II ans et plus ». L’argument ne réussit pas à convaincre les juges pour qui seul compte le sacrement de mariage comme reconnaissance sociale. Le mariage officiel est, pour les autorités, le modèle sur lequel doit fonctionner l’ordre de la société 8.

3

A la lettre, les criminels pourraient donc être des hommes dont les loisirs et les besoins créent une incitation à la violence, à commencer par les célibataires. Or, d’après les lettres de rémission, le crime n’est pas, loin de là, une affaire de célibataires ; le mariage enracine la plus grande partie des suppliants dans une vie qui aurait sans doute eu, a priori, toutes les chances de rester rangée. Considérons la déclinaison d’identité des coupables : 45 % proclament haut et fort qu’ils sont mariés et 11 % seulement se disent célibataires. S’y ajoutent les veufs, environ 2 % et la frange infime des concubins, moins de 1 %. Que penser des autres, ceux qui ne laissent rien paraître de leur situation de famille et qui constituent 41 % des criminels ayant obtenu une rémission ?

4

Il est impossible, cette fois-ci et à la différence de l’âge, de croire à une défaillance de la mémoire. De plus, être marié et avoir des enfants, au même titre que la jeunesse déjà évoquée, sont des données que le suppliant n’a pas intérêt à omettre car elles sont un moyen d’attirer la clémence royale : 95 % de ceux qui sont mariés voient leurs charges de famille évoquées par la Chancellerie comme première circonstance atténuante. Les célibataires, en revanche, en sont réduits pour accroître leurs chances d’être pardonnés à ne compter que sur leur âge, sur la qualité de leur état psychologique face aux défauts de leur victime, ou sur les services qu’ils ont pu rendre au roi et qu’ils lui rendront à l’avenir9. Le silence qui entoure la situation de famille s’inscrit donc, comme pour l’âge, dans la moindre nécessité de déclarer complètement son identité selon l’importance du crime commis. Celui-ci est déterminant dans la déclinaison d’identité et on peut supposer, par conséquent, que la masse des situations de famille inconnues n’est pas constituée uniquement de célibataires et qu’elle se répartit entre célibataires et mariés. La comparaison des profils incite d’ailleurs à beaucoup de prudence. Au total, le nombre des suppliants mariés l’emporte certainement, en valeur absolue, sur celui des non-mariés. Le phénomène est encore plus net en valeur relative dans l’exemple toscan : les célibataires y constituent plus de 57 % de la population masculine 10. Le cas d’Avignon conforte cette hypothèse, mais il est vrai que la ville est, par excellence,

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ecclésiastique et célibataire, qu’il s’agisse des clercs nantis de bénéfices ou des « pauvres clercs »11. La part des criminels célibataires est donc plutôt faible par rapport au nombre total de célibataires dans l’ensemble de la population. Il faut néanmoins nuancer cette conclusion en se référant, encore une fois, au type de source étudié : il est probable que les hommes mariés et chargés de famille obtiennent plus facilement leur rémission que les célibataires ; ceux-ci se trouvent par là-même sous-représentés 12. Vu la facilité des conditions d’accès à la requête et à la grâce, l’écart ne doit cependant pas être exagéré. Entre les mariés et les célibataires, la propension au crime est équilibrée. 5

En fait, il importe, pour mieux comprendre la genèse du crime, de saisir le statut familial dans son devenir. Le clivage entre le mariage et le célibat ne s’avère pas définitif. Périgueux révèle l’existence de ce qu’A. Higounet-Nadal appelle « un célibat provisoire »13. Peu d’hommes, par conséquent, sont des célibataires endurcis, et à l’inverse, nous avons déjà eu l’occasion de le remarquer, les hommes mariés peuvent rejoindre, malgré eux, le clan des célibataires14. Cette fluidité incite, d’emblée, à douter d’une stricte division des comportements et cela d’autant plus que le veuvage peut être très précoce. Environ 6 % de ceux qui se disent veufs déclarent avoir entre 20 et 30 ans. Ce chiffre peut paraître faible, mais il apparente cette tranche d’âge aux 50-60 ans et à ceux qui ont plus de 60 ans : ces trois groupes offrent respectivement la même proportion de veufs, à une différence qualitative près. Dans le cas de suppliants encore jeunes, le veuvage, qui se nourrit sans doute de la fragilité d’épouses en âge d’enfanter, implique le retour au célibat dans un laps de temps très court. Le rythme des perturbations a donc été rapide pour un âge encore tendre. Or ces jeunes veufs sont aussi des criminels : quelle part leur déséquilibre familial a-t-il joué dans le crime ?

6

Les veufs, quel que soit leur âge, ne se consolent de leur peine ni dans la bagarre ni dans l’ivresse. Le nombre des rixes-homicides auxquelles ils participent est, avec 31 % des crimes commis, nettement en-dessous de la moyenne qui dépasse 50 % pour les suppliants mariés ou célibataires. Quant au vin, ils en usent avec la plus grande modération puisque l’excès de boisson n’est évoqué pour eux comme circonstance du crime que dans 1 % des cas contre 43 % pour les suppliants mariés. On peut les voir chercher la « fillette » qu’ils tentent d’arracher aux compagnons qui l’accaparent, tel cet homme d’Arcueil qui, lors de son procès au Parlement, ne nie pas qu’il y a eu acte charnel mais précise « qu’il ne lui fist onques force ne violence mais tout plaisir et la paia doulcement »15. Le cas ne donne que rarement lieu à un crime.

7

Les veufs se heurtent plutôt à des problèmes d’héritages qui les concernent pour la moitié. Ils sont aussi enclins au vol et surtout au blasphème 16. Ce sont là des crimes de rejet, voire d’antagonisme social : est-ce la preuve que le veuvage provoque une rupture, au moins pour un temps, avec les normes traditionnelles ? Un suppliant du bailliage de Vitry ne supporte pas que sa femme, bien que morte, soit accusée de mauvaise renommée et, devant ses compagnons, se laisse aller à crier « par la sanglante pute mere Dieu d’estront »17.

8

La tendance à l’agressivité et au crime n’en est pas pour autant accrue ; certains veufs étaient criminels avant leur veuvage, tel le receveur d’Orléans Jean de Pacy qui, dès avant son mariage, avait recélé de grosses sommes d’argent 18. Les effets du déséquilibre que provoque la mort de l’épouse doivent donc être abordés avec prudence, d’autant qu’on ignore le pourcentage de veufs dans la population et par conséquent le poids relatif de ce type de criminels par rapport à la population totale et par rapport au

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nombre total de veufs. N’était-ce pas enfin une situation provisoire à laquelle il était possible d’échapper par le remariage ? Le veuvage mérite donc qu’on s’y arrête parce qu’il peut exacerber les sensibilités. Mais celles-ci ont surtout la saveur de la différence et l’ordinaire, la masse des suppliants mariés, n’en ressort qu’avec plus d’acuité. 9

Chez les hommes, le mariage ne saurait incliner à la vertu, et cela quel que soit l’âge considéré. Les 20-30 ans sont tout autant susceptibles de devenir criminels, qu’ils soient mariés ou célibataires. Plus l’âge avance, moins il y a de criminels célibataires : 44 % des suppliants qui ont entre 30 et 40 ans sont mariés contre 28 % de célibataires et 24 % de situation inconnue ; entre 40 et 50 ans, la proportion passe à 65 % de mariés pour aucun célibataire et 18 % de situation inconnue ; elle atteint 75 % entre 50 et 60 ans tandis que le nombre de célibataires reste nul et que les inconnus ne dépassent pas 13 %. Veufs et parfois concubins ont alors pris le relais du célibat. Pour le peu qu’elles apportent à la démographie, les lettres de rémission confirment le caractère provisoire du célibat qui tend à s’estomper avec l’âge.

10

Il s’avère donc que le profil familial des criminels reflète sans doute assez bien celui de la société et qu’il varie en fonction de l’âge et de la situation matrimoniale. Mais le mariage n’a pas encore, aux XIVe et XV e siècles, l’effet stabilisant qu’on serait tenté de lui attribuer ; nous y reviendrons19. Il est donc nécessaire de nuancer dans le temps la vision souvent trop globale de la société rurale traditionnelle, telle que nous la lèguent les travaux des folkloristes20. Le mariage est fondamental, mais il ne change guère ou pas encore les comportements criminels ; quant à la charge d’enfants, avec les responsabilités que cela suppose, elle n’ajoute guère à la sagesse : 35 % de suppliants mentionnent leurs charges de famille, et, dans près de 10 % des cas il s’agit réellement de familles nombreuses où sont énumérés plus de trois enfants. Les lieux enfin où évoluent ces gens mariés sont indifférents. Là, en Picardie, à la taverne, un suppliant s’adonne au jeu de dés d’où naît, classique, la rixe. Il avoue avoir six enfants et une femme enceinte. Ailleurs, dans le bailliage de Sens, la même scène se reproduit pour un père de sept enfants21. Le fait d’avoir une femme enceinte n’est pas un frein, tout au plus est-ce une circonstance atténuante enviée que le suppliant ne manque pas d’évoquer a posteriori. Il en est de même des charges de famille supplémentaires que sont les parents âgés et impotents. Ces attaches n’ont pas réussi à modérer l’un des suppliants, marié depuis peu sans doute – il a 24 ans et sa jeune femme 18 – et de surcroît chargé de son père âgé de plus de 70 ans. Sur le chemin, il rencontre une jeune fille de 14 ans ; elle résiste mais elle est renommée de « faire pour les pastoureaulx » ; il la prend de force. Accusé par le père de la jeune fille, le coupable n’a pour se défendre que son âge, « jeune homme comme dit est, imprudent, chaut et plein de sa volonté, meu de chaleur desordonnee et tempté de l’ennemi »22. D’autres ne peuvent évoquer les pulsions de la jeunesse, tel ce suppliant, marié avec enfants, qui passa plusieurs fois sa nuit chez Marion après y avoir soupé23. Ces résultats ne sont pas propres aux lettres de rémission : l’ensemble des archives criminelles montre que le viol individuel est, en général, le fait d’hommes mariés. Tristan Hanotin, dans la ville de Laon, « bien qu’il soit marié ayme hors et en est renommé et contente bien comme on dit les femmes qu’il aime »24. Sa conduite ne serait sans doute restée qu’un bruit s’il n’avait pas finalement séduit une jeune fille. L’aventure amoureuse ne pousse pas toujours ces hommes mariés hors du foyer. Guillaume de La Motte a séduit la nièce de sa femme qui vit à leur domicile ; ailleurs, les chambrières ont aussi quelques raisons de se plaindre 25.

403

Tableau 19 : Types de délits et situation de famille

Types de délits

Code

Célibataire Marié ou veuf (en %)

(en %)

Homicide

1

59,0

52,0

Argent ou héritage

2

0,0

0,0

Vol

3

20,0

19,0

Pillage

4

2,5

1,0

Dispute conjugale

5

0,0

1,0

Adultère

6

0,0

0,0

Viol individuel

7

2,0

1,0

Viol collectif

8

7,5

0,0

Avortement

9

0,0

1,0

Infanticide

10

1,0

1,0

Blasphème

11

0,0

3,0

Rupture d’asseurement

12

0,0

7,0

Contre la chose publique

13

1,0

6,0

Crime lié à la guerre

14

0,0

1,0

Accident

15

2,5

1,0

Suicide

16

0,0

1,0

Faute professionnelle

17

0,0

1,0

Autres

18

4,0

4,0

100

100

404

Les différences de profil ne sont pas significatives pour les deux crimes principaux, homicides et vols. En revanche les viols, et surtout la participation aux viols collectifs sont des crimes de célibataires. La rupture d’asseurement et l’ensemble des crimes politiques ainsi que le blasphème sont plutôt des affaires de gens mariés qui montrent bien l’insertion qu’ils connaissent dans la vie sociale. 11

Le crime semble donc se dérouler en dehors des pesanteurs familiales que ne freinent ni l’injure ni le geste. Les lettres révèlent que le mariage n’est pas le point d’orgue mis à de folles années de turbulence, au moins dans le monde non-aristocratique. Il ne construit pas non plus un nid douillet et définitif, au moins pour les individus de sexe masculin. Nul marié n’est à l’abri du crime. Mais de quels crimes s’agit-il ? Y a-t-il les crimes spécifiques des gens mariés et ceux propres aux célibataires ?

12

Les chiffres parlent d’eux-mêmes, révélateurs d’attitudes similaires que le célibat n’infléchit qu’à peine pour les principaux : on y trouve la même proportion de rixes et de vols ; quant aux crimes particuliers, ils occupent une place rigoureusement identique (tableau 19). L’attribution des crimes de mœurs aux célibataires mérite, nous l’avons vu, d’être nuancée. La proportion des viols individuels parmi les crimes commis par les célibataires semble plus forte que parmi les suppliants mariés, 2 % pour 1 %, mais la faiblesse de ces pourcentages, statistiquement négligeables, ne permet pas de conclure. Si l’on examine la proportion par rapport à ce type de crime, 22 % seulement de ceux qui ont commis un viol individuel se disent célibataires pour 33 % mariés ; au total, compte tenu de ceux qui ne précisent pas leur situation de famille, la proportion est près d’être égale. Enfin, si l’on considère les motifs de déplacement avant le crime, l’amour mobilise dans les mêmes proportions les criminels, qu’ils soient mariés ou célibataires.

13

Les exemples précédents montrent d’ailleurs que la soif de femmes souvent attribuée aux célibataires ne leur est pas exclusive. La grande différence réside plutôt dans les modalités du viol qui devient collectif quand il est pratiqué par des célibataires. En effet, dans 50 % des cas de viols collectifs, les protagonistes affirment être célibataires contre 8 % de suppliants mariés, soit, pour l’ensemble des criminels impliqués dans ce type de crime, une écrasante majorité de célibataires. Certes, l’âge fait beaucoup à l’affaire, autant que la présence des « fillettes communes » auxquelles ces bandes s’adressent de préférence. Tous les valets – il faut prendre ici le mot dans le sens de jeunes célibataires – d’Avord, dans le bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier, se liguent pour empêcher une « fillette commune » qui venait de Gien, de les quitter pour la localité de Chambon à plus de 30 kilomètres de là. Ils n’avaient sans doute, étant donnée la distance, que peu de chances de la revoir et la « fillette » passait à une communauté rivale. Devant son refus, ils la battent, lui tirent les cheveux, et la lutte se

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termine par la mort d’un des protagonistes26. La même rivalité se reproduit entre les localités de Cergy et de Pontoise27. La femme, en général prostituée, est le bien des célibataires qui se retrouvent, solidaires, pour la défendre, la garder et parfois la payer. Un suppliant du bailliage de Sens ne peut être plus explicite quand il tente de persuader une jeune femme prostituée de lui céder, ainsi qu’à ses compagnons, « disant a la dicte Jehannecte qu’elle ne regardoit pas bien les grans plaisirs et courtoisies qu’il et ses compaignons lui avoient fait et monstré par plusieurs fois en lui donnant a boire et a mangier et fait plusieurs autres courtoisies »28. 14

Il n’est pas assuré, néanmoins, que la prostitution soit parvenue à faire régner ce qu’on pourrait appeler une paix sexuelle dans les villages. La soif de femmes provoque parfois un déséquilibre qui se traduit par des conflits entre mariés et célibataires. A Arçay, près de Bourges, deux frères se battent jusqu’à la mort parce que l’un d’entre eux, encore célibataire mais vivant au même foyer, se précipitait sur sa belle-sœur ou sur la chambrière à chaque absence de son frère29. Il est probable que la proximité du couple marié ajoutait à la pesanteur du célibat. Quant aux rivalités entre villages voisins, elles peuvent avoir pour prétexte, comme je l’ai déjà suggéré dans les exemples précédents, la « fillette commune » qu’on tente de s’arracher30.

15

En fait, la similitude des délits entre mariés et célibataires renvoie à une similitude de comportements masculins que le mariage ne parvient pas à transformer profondément. Un même désir de vengeance les anime et les pousse au crime 31. Quant aux activités ludiques, elles réunissent des suppliants de situations familiales variées, plus qu’elles ne les opposent. A la taverne, sur le terrain de jeu, mariés et célibataires se retrouvent : 7 % des célibataires se sont rendus à la taverne avant le crime pour 10 % des hommes mariés. Les altercations qui éclatent au cours des fêtes ne se nourrissent pas de la jalousie des célibataires exclus. Deux cas similaires, à quelques années d’intervalle, montrent comment mariés et célibataires sont impliqués dans le crime. Il s’agit de la fête de la Saint-Eloi, l’une en Brie, l’autre en Picardie, qui rassemble tous les laboureurs du pays sans préciser s’il s’agit de mariés ou de célibataires. La profession prime le statut familial : « Chacun an le jour de la feste Saint Eloi les laboureurs du païs de Brie ont accoustumé de faire feste et d’aler ensemble disner et boire » 32. Dans les deux cas, danses et beuveries sont l’occasion de conflits où, là comme ailleurs, il est question de « menestriers » à payer, de villageois voisins à accepter, de gestes mal placés, bref, de rixes ordinaires. Les exemples en sont nombreux. On les trouve mentionnés jusque sous la plume de Nicolas de Baye33. Ces crimes relèvent de la texture de la communauté plus que du statut des protagonistes. Ainsi, il n’existe pas encore, dans la France des XIV e et XVe siècles, de clivage strict entre les comportements des gens mariés et des célibataires. C’est la raison pour laquelle la situation familiale des coupables peut expliquer en partie leur crime mais elle le modèle rarement.

LES CLERCS OU LA JUSTE VISION DU FOLKLORE 16

Parmi les célibataires, les clercs forment une catégorie particulière. Ils apparaissent régulièrement dans les lettres de rémission, coupables dans près de 4 % des cas, mais aussi victimes dans plus de 12 % des cas. Ce dernier taux est fort. Il dépasse sans doute la proportion de clercs dans la population totale, même si celle-ci est difficile à établir, compte tenu des divergences entre les historiens, et du fait que le milieu urbain est plus largement encadré que le plat-pays34. Les archives de la justice répressive confirment

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l’importance des procès où interviennent des clercs, puisqu’au Parlement, environ 6 % des affaires leur sont consacrées35. Quant à la distorsion entre coupables et victimes, elle est déjà, en elle-même, significative. Elle est d’ailleurs indépendante de la hiérarchie que les clercs peuvent avoir acquise dans la cléricature ou dans la société, simple serviteur du geôlier de Rouen, laboureur de bras, étudiant ou prêtre et curé de l’église paroissiale. Le fait d’être marié ou non ne change rien au profil du crime 36. Enfin, la noblesse, affirmée dans 4 % des cas, auxquels il faut ajouter 8 % de clercs qui se disent aussi chevaliers, n’est pas non plus déterminante. Quelle que soit sa condition de naissance ou de fortune, le clerc est donc une victime privilégiée : pourquoi ? 17

A considérer son image dans le crime, elle ressemble fort à celle, caricaturale, des fabliaux, ou à celle, moralisante et éplorée, des statuts synodaux et des visites pastorales37. En effet, les clercs victimes sont plus souvent que les autres catégories sociales ou professionnelles dotés des pires défauts. Mais méfions-nous, encore une fois, du miroir déformant de la grâce. Sans doute faut-il charger la victime quand il s’agit d’un clerc car le délit commis contre sa personne est trop grave pour que le suppliant obtienne facilement rémission. En revanche, le clerc coupable bénéficie d’un portrait lisse, sans faille psychologique. Si le coupable et la victime sont deux clercs, la lettre suit le schéma normal de portraits antithétiques et obligés. Ecoutons cette altercation qui, dans le diocèse du Mans, oppose deux clercs. D’entrée de jeu la victime, un frère hospitalier, est décrite comme « un homme rigoreux, rioteux et bateur de gens »38. Depuis un an, il veut se venger du suppliant, prêtre et curé du lieu, et il l’attend « armé d’une cotte de fer entre deux pourpoins et un gros pourpoint par dessus », la dague et la hache à portée de main. Ses intentions ne font pas de doute. En face de lui, le curé est plein de mansuétude. Au « Deffens-toy, ribaut » de son adversaire qui joue de l’injure et du tutoiement, le curé oppose un « je ne vous demande riens » superbe, d’une apparente indifférence respectueuse. Ce qui ne l’empêche pas de tuer son agresseur ! A écouter ce dialogue, il y a parmi les clercs le meilleur et le pire, ce qui en fin de compte paraît assez judicieux.

18

L’image que donne la justice répressive ajoute encore à la confusion. Les archives du Parlement comme celles du Registre criminel du Châtelet font entrer les clercs dans une réflexion politique qui ne tient guère compte des cas particuliers. Il convient, le plus souvent, de montrer que la justice laïque a eu raison de les incarcérer, de les juger et finalement de les pendre. L’argumentation repose donc sur l’analyse d’une conduite qui dénie, de fait, à ceux qui s’en targue un statut de clerc. La faille transparaît dès l’habit. A l’évêque de Paris qui réclamait un criminel qui se disait clerc, le procureur du roi, en juillet 1401, rétorque que c’est un « larron publique », marié en habit laïc car « il a les pungnez frangiez de draps de diverses couleurs et est le colet de son gippon de draps de diverses couleurs »39. Quelque temps plus tard, un autre exemple montre l’attachement de la Cour à l’habit. Hennequin de Scassines se dit clerc et marié, et le procureur du roi reprend l’argument en précisant « qu’il n’est pas clerc car il est marié et n’a pas porté l’habit or les clercs mariés doivent porter l’habit »40. Impossible à cerner, le suspect devient alors « un homme d’estrange païs et a mué son nom en diverses manieres ». On a déjà pu apercevoir les raisons d’une telle politique. Elle ne sert pas seulement un conflit de juridiction habituel au moins depuis le XIIIe siècle, mais elle s’inscrit parfaitement dans la ligne de conduite des réformateurs dont témoigne en particulier le Registre criminel du Châtelet pour la période 1389-139241.

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Surtout, cette vision justifie la peine de mort qui doit être étendue à tous et dont, nous l’avons vu, la justice du roi tend à développer l’application tandis que l’officialité se montre réticente. Au même moment, les registres de l’officialité de Chartres ne font état d’aucune condamnation à mort alors que certains crimes recensés sont « capitaux », qu’il s’agisse d’homicides ou de viols42. Aux yeux des officiers du roi, ce « laxisme » impose la traque des clercs43. Deux solutions sont alors possibles : d’une part insister sur la mauvaise renommée du coupable, d’autre part sur la régularité du jugement. Le portrait des clercs qui sont réputés coupables fleure donc le stéréotype ; « houliers », « gouliards », ils fréquentent les « bordeaux », vivent de turpi questu mulierum, jouent aux dés et sont « noiseux », les « pis renommés du païs ». Jean Drouin à Carcassonne use de tels arguments44. Vient ensuite le bon droit de la justice laïque. Guillaume de Tignonville, dans ce fameux procès de janvier 1406 qui l’oppose à l’évêque de Paris, argue que la sentence a été prise à l’unanimité du conseil 45. A la même date, le bailli de Caux, face à l’archevêque de Rouen, affirme qu’il a demandé l’avis des conseillers du roi à Rouen et que tous étaient d’avis que Jean Des Haies soit « traîné et pendu »46. Il ajoute à ce recours démocratique les impératifs de la coutume qui prévaut en Normandie, c’est-à-dire « que les juges doivent proceder aux jugemens selon les oppinions des assistens et de la voulenté et oppinion du peuple ». Ce recours à l’unanimité est l’un des arguments utilisé par Aleaume Cachemarée pour justifier les décisions prises au Châtelet lors des procès extraordinaires dont Jean de Folleville avait la charge47. En revanche, à Carcassonne, il est fait état du recours à une procédure d’urgence nécessaire quand le pays est menacé et qu’il convient de le « delivrer » 48. La décision d’exécution a donc été prise par le sénéchal qui a signé d’autorité un « cartel d’issue » en suivant d’ailleurs l’exemple de la justice expéditive pratiquée à Toulouse. Décision démocratique ou décision d’autorité, les arguments varient parce qu’ils sont au service d’une justification politique, celle de la peine de mort. D’ailleurs, en contrepoint, si un clerc entre dans un procès comme victime, il se trouve aussitôt blanchi et la sauvegarde royale fait à plein son effet 49. La cause politique ainsi défendue, droits de l’Etat et peine de mort, est trop importante pour que les portraits qui sont donnés des clercs cherchent la nuance. Simplement, la justice répressive, face aux lettres de rémission, inverse les perspectives qui sont données entre le portrait du coupable et celui de la victime. Aussi convient-il de se défaire de ces visions simplistes et de s’en référer à la nature du crime.

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Les crimes recensés dans les lettres de rémission contrastent avec la blancheur des portraits psychologiques qui sont réservés aux clercs coupables. Ils sont batailleurs et voleurs, presqu’autant que la moyenne, moins que d’autres soucieux de ne pas enfreindre la sauvegarde, et peu scrupuleux dans l’accomplissement de leur tâche 50. Sans compter qu’ils ne reculent pas devant la récidive puisque 17 % d’entre eux sont accusés de plusieurs crimes contre 11 % de laboureurs et 12 % seulement d’hommes d’armes ! Quant aux victimes, elles transpirent la cupidité, la violence et l’amour des femmes. Lors de la fondation d’une confrérie en l’honneur de saint Antoine à Cerisy, une altercation entre un confrère et le curé résume bien ces travers. Le confrère revendique le droit qu’ont les gens de la ville de battre les clercs et de les emmener en prison « pour les oultraiges qu’il faisoient tant de femmes comme autres choses » 51. Autre chose ? Le suppliant développe : le prêtre ne chante-t-il pas Requiem pour de l’argent ? Ne gâte-t-il pas le luminaire ?

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L’attachement aux biens matériels semble être l’une de leurs caractéristiques. Nombreux sont les affrontements de propriété où les clercs se trouvent impliqués. Le frère Bertrand lance ses chiens sur les porcs d’un voisin qui s’étaient aventurés dans son pré ; le père de Guillaume Rabu a eu avec le curé « plusieurs debas et descors pour occasion de certains heritaiges » ; et celui-ci qui a en charge la gestion d’une seigneurie refuse de prolonger les délais de paiement des tenanciers 52. Cette âpreté au gain, bien connue des paroissiens, s’exerce à leurs dépens. Il en est de même de la violence.

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Prompts à dégainer, les clercs utilisent dans la moitié des cas recensés par les lettres de rémission, une arme militaire, badelaire ou épée ; la proportion est proche de celle des nobles. « Il faut que nous nous battions ensemble » disent-ils, sans que le motif soit toujours apparent53. D’ailleurs, ils privilégient nettement la rue comme lieu du crime, avec plus de 67 % des cas, soit beaucoup plus que les gens de métier, qui dans cette statistique les suivent et pour lesquels la proportion atteint déjà 47 %. Plus que d’autres, ils fréquentent la taverne où se produisent 17 % de leurs crimes, soit autant que les gens d’armes, plus que les laboureurs (13 %), et beaucoup plus que les gens de métier (7 %). Il arrive qu’un prêtre fasse lui-même taverne54. Cris et coups ne leur font donc pas peur. Certains s’y complaisent, tel frère Richard, de l’ordre des Augustins, qui, en 1400, grimpe à l’échelle pour assister à une violente scène de ménage qui oppose ses voisins. Furieux, le mari somme le clerc indiscret de descendre et la rixe éclate 55.

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En revanche, les clercs se déplacent plutôt moins que les autres catégories professionnelles dans le but d’accomplir un crime prémédité puisque cela n’est mentionné que pour 13 % d’entre eux contre 31 % de laboureurs et 26 % d’artisans. Le clerc, de ce point de vue, ressemble plutôt à l’officier pour qui le crime est le but du déplacement dans 14 % des cas seulement. Ces caractéristiques tendent à montrer que la violence du clerc est prête à affleurer dès que l’occasion en est donnée mais qu’il ne la suscite pas toujours.

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Néanmoins, le crime le plus caractéristique du clerc, celui qui peut aussi lui coûter la vie, est de chercher « ribaude compaignie charnelle ». Le curé de Montaillou qu’E. Le Roy Ladurie présente comme un « Dom Juan incorrigible » n’est pas une exception 56. Outre sa concubine, le curé peut aussi « maintenir plusieurs ses paroissiennes, ses filles espirituelles »57. Il n’hésite pas à les retrouver au travers des courtils ou à les sommer de venir en son hôtel. Et, quand le soir le mari rentre « de sa besogne des champs ou il avoit tout le jour esté », il trouve la maison vide58. Heureux encore quand l’auteur de tous les maux ne se vante pas en la paroisse que « la femme est sa mie » ! Alors l’expédition vengeresse suit et peut se terminer par la mort du clerc.

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Avec ce type de crime se pose le problème de la place qu’occupe le clerc dans la communauté. Le profil du crime tel qu’il vient d’être esquissé différencie assez nettement le clerc de ses contemporains. Est-ce la raison pour laquelle, corps étranger, il est rejeté, encore plus souvent victime que coupable ? Est-il finalement intégré dans la communauté ou en est-il exclu au point que le crime le menace ?

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Deux éléments au moins différencient le clerc des autres paroissiens : il commande et il sait. On le voit commander sa maîtresse ou encore obliger celle qu’il veut diffamer à transgresser les obligations de jeûne qui la mettront au ban de la communauté ; on le voit exiger aussi, des gens d’armes qui sont installés chez lui, d’amener à son hôtel une jeune fille dont il sait parfaitement qu’elle est vierge59. Ceux-ci obéissent ; peut-être espèrent-ils être de la fête. De force, ils enlèvent la jeune fille réfugiée derrière la huche de ses parents, de « pouvres laboureurs ». La suite n’est que violence dont le curé, seul,

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toute la nuit tire bénéfice. Ils la « prindrent et lui estoupperent la bouche afin qu’elle ne criast et par force et oultre son gré et voulenté l’emmenerent en l’ostel dudit curé auquel hostel elle fu livree a ycellui curé, lequel de sa personne la prist et viola par force et outre son gré sanz ce que autre personne eust a faire a elle ». 27

Cette force de commandement peut prendre les formes perfides de l’autorité que donne la fonction. A Ermont, dans la prévôté de Paris, un suppliant a été marié quatre ans auparavant, sur conseil du curé, à une paroissienne que celui-ci lui a présenté comme sa cousine. Cela n’empêche pas le curé depuis un an de faire la cour à la jeune femme et aucune tentative de conciliation ne réussit à le faire céder 60.

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Le clerc commande aussi parce qu’il sait. C’est là une de ses supériorités sur les rustres dont il est le rival. Il use de paroles quand les autres ne parlent guère ; il connaît les ressorts de la psychologie féminine quand les autres ne s’en soucient guère. Prenons l’exemple de Simon Fermier, curé de l’église Saint-Geoffroy à Paris 61. Il se vante de « savoir l’art d’avoir les femmes mariees ». Le fait est que son manège réussit fort bien même s’il finit par lui faire perdre la vie ! A côté de la cure, vit une jeune femme de 24 ans, mariée à un orfèvre, mais barbon. Une première déclaration d’amour ne suffit pas à la convaincre. Le clerc lui dit pourtant « qu’il l’aimoit tant qu’il ne povoit durer et que pour Dieu elle voulsist estre sa mie ». L’idée fait son chemin. Il le sent ; le temps est venu de planter l’aiguillon de la jalousie. A la boutique de l’orfèvre, il demande à la jeune femme une verge d'argent. Elle croit à une rivale. Son doigt est-il gros ou petit demande-t-elle, et lui, perfide de répondre : « Je croy qu’elle a tele main comme vous » et « a tant se party ». Le ravage est fait. La jeune femme essaye de se défendre en avouant à son mari les causes de sa langueur. Rien ne peut l’atténuer. La lettre de rémission décrit alors la poussée de passion comme un modèle littéraire : « depuis lesquelles choses, la femme dudit Jehan fu mise en tel estat et devint en tel point que elle ne povoit plus durer se elle n’estoit a une certaine fenestre, regardant en l’esglise et maison ou estoit demourant ledit Symon et de ce fu et a esté grandement malade, en tel point qu’elle ne povoit durer se elle ne le veoit ». Et le prêtre passe et repasse devant la fenêtre jusqu’au jour où, pour la rejoindre, il creuse un trou dans le plancher.

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La nature du sentiment religieux qui caractérise les laïcs de ces deux derniers siècles du Moyen Age et qui les porte à une réflexion de plus en plus active, rend ces abus insupportables. La première réaction du mari de cette jeune femme, averti des intentions du prêtre, est de le convoquer pour lui dire « que c’estoit mal fait a lui qui estoit prestre et qu’il devoit les autres enseigner en tout bien ». De même, Jean Cuisson « qui n’avoit chanté ne celebré messe de long temps, et le plus souvent estoit escommunié et larron suivant les tavernes et femmes dissolues se trouve critiqué » 62. On voit bien ce que la lettre de rémission peut contenir d’images stéréotypées ; mais l’attitude normale du clerc, celle que, en cette fin du XVe siècle, les laïcs considèrent comme nécessaire au salut de la communauté, s’y trouve aussi esquissée. Au même moment, un chapelain qui se mêle d’une altercation entre compagnons se voit répondre « que ce n’estoit pas son fait de prendre debat de question avec lesdits compaignons et qu’il vaulsist mieulx qu’il eust dist ses vespres » 63.

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Ces exemples tracent la distance entre les clercs et la population ; elle explique en partie pourquoi tant d’entre eux sont coupables et surtout victimes. Il convient que chacun remplisse son office ; celui des clercs obéit à des règles de plus en plus rigoureuses qu’ils ne doivent pas transgresser et dont les laïcs, à l’instar de la justice du roi, sont en partie devenus les garants. Rares sont les crimes communs qui pourraient

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pousser ceux-ci à envier les clercs qui, par leur différence de richesse, tranchent sur le reste de la communauté. On peut voler les objets sacrés dans les églises en tuant le curé ou le prieur et, nous y reviendrons, l’évêque peut être la cible normale des vols commis par ses familiers et par ses valets, mais on détrousse rarement le clerc, sauf quand les larrons savent qu’il s’est fait transporteur de fonds64. Le cas de Jeanne, veuve de Ferry Belleteste qui, en 1410 à Brandonvillers, décide d’engager des hommes de main, est tout à fait exceptionnel. Ceux-ci doivent se faire passer pour des gens du roi de Navarre, convaincre le curé d’ouvrir, se précipiter sur lui, le ligoter et le rançonner à 40 écus d’or en l’enfermant dans les caves d’un château65. Ce crime ne s’explique que par une haine profonde dans une conjoncture politique troublée. 31

N’imaginons pas cependant que le clerc n’est pas intégré à la communauté. Certes sa victime peut lui être plus facilement inconnue que celle des laboureurs ou des gens de métier – 17 % des cas contre 4 % et 6 % –, ce qui prouve sa relative mobilité et son esprit de curiosité. Mais dans la moitié des cas, il connaît sa victime et dans plus d’un tiers des cas, il est bien précisé qu’elle comptait parmi ses ouailles. La taverne que fréquentent ces clercs et la rue où ils se battent de préférence appartiennent à l’horizon familier : 12 % seulement ont parcouru plus de trente kilomètres avant le crime, 35 % sont restés dans le même lieu et 35 % ont parcouru moins de 15 kilomètres. Leur mobilité est légèrement plus forte que celle des laboureurs mais elle est loin d’atteindre celle des chevaliers dont 50 % ont parcouru plus de trente kilomètres. Les raisons de ces déplacements les rapprochent des autres suppliants plutôt qu’elles ne les différencient. Avec eux, ils partagent vin et loisirs comme ces trois prêtres qui se retrouvent à Alluyes près de Bonneval dans une taverne : « environ heure de X heures du soir Denis Bernard, Jehan Bailly, Jehan Bovier, pretres, Bertrand Leroux, Gillet Jamyn, feu Jehan le Barbier sergens et garreniers dudit lieu d’Aluye, Jehan Villain et ledit suppliant et plusieurs autres se assemblerent pour aler boyre apres soupper en l’ostel de Jehan Hallouyn, tavernier »66.

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Enfin, s’il ne se déplace pas pour ses loisirs, le clerc criminel le fait pour remplir son office religieux, qu’il s’agisse de célébrations ou de pèlerinages 67. Etant donné, comme nous l’avons vu, la faible distance de ces déplacements religieux, le clerc a donc bien un rayonnement local. Sa maison peut aussi être un lieu de rassemblement où l’on discute héritage et où l’on tente de se réconcilier, de « faire paix » sous l’égide de la science et de l’Eglise. Différent, le clerc reste néanmoins un personnage du quotidien et sa criminalité n’est pas dissociable de celle de la population qui l’entoure. Les réactions que son comportement suscite, au contraire de ce que nous verrons pour les hommes d’armes ou les officiers, n’ébranlent pas la collectivité. Quand le clerc est coupable, il a agi seul dans la moitié des cas ; en face de lui sa victime est seule aussi. Et quand il est victime, il ne tombe pas sous les coups d’une vengeance concertée, sauf dans le cas exceptionnel du crime organisé à Brandon villers et dans les cas convenus comme l’adultère68.

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L’existence de différences notoires dans le déroulement du crime ne va pas jusqu’à faire du clerc une victime privilégiée de la communauté. Sa criminalité l’intègre finalement au milieu des gens ordinaires plus qu’elle ne l’exclut. Et ceux-ci font tout, en cette fin du Moyen Age, pour que le clerc reste à sa place dans une spécificité qui est propre à son office et perçue comme bénéfique au salut.

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QUELLE PAUVRETÉ ? 34

Si la situation de famille n’infléchit guère le crime, si les clercs, malgré leurs frasques, n’ajoutent guère, quantitativement, au poids de la violence, qu’en est-il de la pauvreté ? Les théoriciens des XIVe et XVe siècles y voient la source des « affliccions » que connaît le royaume de France. Il ne peut y avoir de concorde entre les ordres sans prospérité des « pauvres gens »69. Encore faut-il savoir où commence la pauvreté et à quel moment elle devient dangereuse pour l’ordre social.

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Les lettres abondent en pauvres : près de 40 % des suppliants se qualifient ainsi dès le début de leur lettre. Les travaux entrepris sous la direction de M. Mollat ont déjà noté l’ambiguïté du terme « pauvre ». Son emploi dans la lettre de rémission reste vague mais il s’éclaire par comparaison avec les sources criminelles de la justice ordinaire et l’interprétation70. Les registres du Parlement ne sont guère ouverts aux pauvres (tableau 1, chapitre 1). Quand le mot « pauvre » apparaît, il ne caractérise pas une déclinaison d’identité ; c’est un état en devenir décrit par le biais d’un enrichissement dont les causes sont suspectes : pacte avec le diable, poison, protection d’un homme entreprenant sont alors dénoncés71. Cette façon de se référer à la pauvreté est déjà significative. En matière de justice répressive, culpabilité et pauvreté ne peuvent pas coexister sous peine de décharger celui qui doit être désigné comme coupable. La pauvreté est bien un allègement, une disculpation du crime. Parmi les cas que transcrit le Registre criminel du Châtelet, rares sont les discussions entre les juges pour décider du sort réservé au coupable. L’une d’entre elles concerne Guillemin Gueroul déclaré « povre et ancien homme »72. Son âge et sa pauvreté qui lui avaient déjà valu d’être libéré une première fois de prison pour vol, font hésiter les juges. L’un d’entre eux désire même lui éviter le bannissement, mais finalement l’avis de Jean de Folleville l’emporte et Guillemin Gueroul termine pendu. A l’inverse, les victimes peuvent être dites « pauvres », d’une pauvreté que leur candeur voue justement à devenir des victimes innocentes. En 1410, un procès oppose Jean Vergier, chevalier, à Macé Le Corneur dont le cousin, Jean Goupil, a été blessé à mort alors qu’il allait son chemin dans un bois près de la ville d’Angers73. Au portrait du chevalier qui, « homo perverse conditionis, rixosus et vindicatus ac sine metu justicie contra quoscumque via facti procedere consuetus fuerat et erat », s’oppose celui du valet « pauperem hominem sed probum et pacifîcum nudum et inermem qui dicto defensori non forefecerat ». De ces portraits hauts en couleur, ne retenons que leur signification judiciaire : la pauvreté est un état qui blanchit l’action et qui sert à manipuler la culpabilité. En cette fin du Moyen Age, les pauvres conservent encore les droits que les théoriciens leur ont reconnus depuis le XIIe siècle et l’administration judiciaire ne peut mentionner le mot « pauvre » de façon indifférente74. L’étude des lettres de rémission le confirme.

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La pauvreté des lettres a, en premier lieu, une connotation morale en liaison étroite avec Voperosa probatio, intérieure et extérieure, qui prélude à la transformation du criminel en bon sujet. Au pauvre qui a fauté répond le souverain miséricordieux : la grâce royale ne peut opérer la mutation du criminel en bon sujet que sur un terrain choisi pour sa fragilité mais aussi et surtout pour son humilité. Le pauvre des lettres s’apparente au pécheur. Une démarche analogue les unit dans la préparation de l’aveu ou de la confession75.

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L’ambiguïté du vocabulaire ne doit donc pas tromper : tous les criminels ne sont ni des pauvres ni des marginaux. Ils diffèrent des « vagabonds » même si certains pauvres

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peuvent faire partie de cette catégorie. En effet, le mot « vagabond » tant employé par les ordonnances royales depuis 1351 a un sens juridique précis que formule le Stilus Curie Parlamenti : « esset vagabundus, ita quod nesciretur ubi haberet domicilium suum » 76. Répondre à cette définition peut suffire, au moins à la fin du XV e siècle, à être écroué au Châtelet. Ainsi, Ponthus, qui ne sait même pas son surnom, est amené par le guet qui l’a trouvé à dix heures du soir « au bout du pont NotreDame rauldant sans clarté, garny d’une petite dague et ne savoit a dire ou il alloit ne d’ou il venoit » 77. Mais cet homme n’est pas un criminel et il est vite libéré. Le vagabondage n’est pas encore condamné en soi. Certes, il existe des vagabonds qui sont aussi des criminels et leur vagabondage accroît la sévérité des juges78. Dans quelle proportion ? Si la mention « demourant partout » employée dans le Registre des écrous du Châtelet à la fin du XV e siècle désigne des gens sans domicile fixe, on peut dire que ceux-ci constituent environ 10 % des personnes qui ont été écrouées. Il faut néanmoins préciser que plus de la moitié d’entre eux déclarent un métier et que 10 % sont au Châtelet pour dettes. Quant à leurs crimes, ils ne sont pas limités au vol puisque la moitié de ces criminels ont été écroués pour coups et blessures ou pour infractions aux bonnes mœurs. Le vagabondage peut conduire au crime mais tous les criminels ne sont pas vagabonds. 38

Tentons de distinguer pauvreté réelle et mention de pauvreté. Presque tous les suppliants qui se disent pauvres ont un domicile et nombre d’entre ceux qui arguent de leur pauvreté affirment simultanément avoir une profession précise et une famille : ils sont bien intégrés dans le monde ordinaire de la société médiévale (tableau 20). La profession qu’ils exercent n’a rien de honteux. Elle est loin de les cantonner dans le monde subalterne des valets ou des serviteurs, même si les maîtres se disent moins volontiers pauvres que les autres79. Certains – près de 10 % – peuvent d’ailleurs être pris en flagrant délit de contradiction quand, au cours du récit de leur crime, il leur arrive de faire allusion à leurs biens, qu’il s’agisse de maisons, de terres ou de trains de culture. Ce laboureur dispose de bœufs pour labourer son champ, cet autre de chevaux, celui-là d’une vache et son veau80. Est-ce suffisant néanmoins pour ne pas se dire pauvre ? Tableau 20 : Profession et pauvreté

Profession

Pauvre Pauvre endetté (en %)

(en %)

Inconnue

40,5

40,5

Laboureur

24,0

16,5

Laboureur de bras

12,0

20,0

Gens de métier

18,0

15,0

Armes

1,5

2,0

Office

1,5

0,0

Charge ecclésiastique

0,0

0,0

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Double métier

0,0

2,0

Autres

2,5

4,0

100

100

La notion de pauvreté est complexe. Elle n’est évoquée ni par les gens d’armes, ni par les officiers, ni par les clercs, or il doit exister parmi eux des pauvres. Son rappel révèle une attitude face à la Chancellerie qui ne correspond donc pas toujours à une réalité. Néanmoins, parmi les pauvres qui sont endettés, les laboureurs de bras sont les plus nombreux. 39

La notion est, on le sait, relative, qu’il s’agisse des besoins réels ou des jugements des contemporains81. Les seuils de la pauvreté, qu’ils soient biologiques, économiques ou sociologiques sont, en fait, difficiles à définir. Il faut, en tout cas, pour la population ordinaire des lettres de rémission, les chercher au cœur même de l’installation des hommes dans la vie quotidienne. Métier et famille peuvent contribuer au déséquilibre. En 1385, un sertelier « povre et miserable » a « tres grant necessité et defaute de biens » 82 . Quant aux enfants, ils accroissent évidemment les risques d’atteindre un seuil critique : 70 % de ceux qui invoquent des charges de famille comme circonstance atténuante se disent pauvres. Un enfant supplémentaire peut faire glisser vers la misère. Pour cette femme qui a déjà cinq enfants, l’arrivée de jumeaux signe la pauvreté, puis la délinquance ; dans sa rémission, elle n’a pour défense que son corps fatigué et « ses deux enfans allettans »83. Encore une fois, il faut faire la part du discours : ce plaidoyer en faveur de la famille flatte les vues de la Chancellerie et nous y reviendrons. Mais n’est-ce pas le signe que l’argument est plausible et que chacun sait que l’équilibre familial est difficile à maintenir ?

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Cette famille, créatrice de besoins, peut devenir le pire des poids quand les moyens traditionnels que sont le travail et l’aumône se révèlent dérisoires. Ce suppliant n’a pas réussi à se maintenir dans le droit chemin « faisant son labour de bras et gaignant au mieulx qu’il a peu sans ce que onques il feust reprins » : « faire » et « gagner de son mieux » ne suffisent pas toujours, même pour un célibataire 84. Quant à celui-ci, chargé de femme et de trois petits enfants, il n’a d’autre solution que l’aumône d’un ami, lui qui « n’avoit ne a de quoy nourrir et gouverner sa dicte femme et enfans eust alez en l’ostel d’un de ses amiz qui pour l’amour de Dieu lui aidoit a nourrir et gouverner sa dicte femme et enfans »85. Mais l’entraide ne le protège pas des tentations : sur le chemin du retour, il rencontre le crime. La pauvreté s’enracine bien dans le tissu de l’ordinaire ; elle naît de la faim qui tenaille et qui fait glisser la main dans le saloir voisin pour y prendre le lard.

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Celui qui vole ainsi n’est pas un gueux sans loi. La conscience de sa pauvreté naît de la norme et du désir de s’y conformer. La pauvreté commence ici, au moment où ces hommes sentent qu’ils ne peuvent plus remplir les gestes qui assurent la survie rituelle de l’espèce. Comment expliquer autrement l’angoisse de ce laboureur de bras qui « n’avoit de quoy relever sa femme qui lors estoit tres grosse d’enfant » ; ou de celui-ci qui n’avait pas de quoi acheter un drap pour confectionner le vêtement de noce et qui, pour le fabriquer, vole des bêtes à laine86. Les dettes que les suppliants ont contractées, la portion de taille qu’ils ne peuvent pas payer sont peu de chose dans leur argumentation à côté de ce rite que la pauvreté ne permet pas de remplir. Quant à Jean Leconte, autre laboureur de bras excommunié pour dettes, il ne peut accomplir son

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devoir paternel qui consiste à enterrer son enfant en terre chrétienne ; aussi, « meu de honte et de confusion de voir a son enfant par sa faute et en si grant opprobre denyer la sepulture de terre sainte et estre mis aux champs et en lieu profane et comme par desconfort ne retoumast point en son pays »87. 42

Discours édificateur ? C’est possible, mais la norme de la pauvreté n’en reste pas moins sensible. La pauvreté a bouleversé l’accomplissement des rites, le champ s’est substitué au cimetière, le profane au sacré : alors naît le désespoir. Si ce « desconfort » ne conduit pas au suicide, il ouvre vers la fuite et l’errance, un autre monde.

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Le saut dans l’irréparable suppose néanmoins des degrés dont l’endettement est un des plus souvent invoqués. Rien de surprenant vu l’importance du nombre des dettes et la récidive lancinante du phénomène pendant toute la période considérée 88. Et, s’il est impossible de mesurer l’ampleur de la paupérisation, on peut néanmoins en constater le cheminement, face au harcèlement du créancier. Chaque exemple révèle un équilibre extrêmement fragile, même lorsque des conditions convenables d’aisance semblent réunies. Le fait de posséder un lopin de terre près de Jumièges n’empêche pas Simon Luissier d’avoir de grosses dettes ; contraint de vendre son bien à son créancier, il continue à le louer à un autre pour en percevoir des revenus et assurer sa subsistance 89. N’imaginons pas cependant des créanciers irrascibles et des débiteurs aigris : leur affrontement d’intérêts ne les conduit au crime que dans 1 % des cas. Quant aux crimes d’argent proprement dits, ils sont statistiquement inexistants puisqu’ils ne constituent que 0,1 % des délits. L’effet de la dette, insidieux plus que spectaculaire, n’est pas un facteur majeur dans la genèse du crime. Parmi ceux qui sont écroués au Châtelet à la fin du XVe siècle, on peut recenser 25 % d’endettés. Leur cas relève du civil, non du criminel.

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Outre l’endettement, les événements extérieurs apparaissent comme une cause possible de dégradation sociale. Ecoutons ce témoignage de la crise que connaît la Normandie au début du XVe siècle : « en 1409, au temps que la chierté estoit en nostre dit païs de Normandie icellui suppliant estant lors chargié de sadicte femme et de trois petiz enfans et pour leur trouver leur sustantacion durant icelle chierté eust mis et despendu toute sa chevance et tellement que lui, sadicte femme et enfans n’avoient de quoy vivre »90. Ce suppliant témoigne à sa manière de l’effondrement que connaît la Normandie à ce moment, après la période de reconstruction entamée vers 1365 91. Plus que la cherté, la guerre est l’élément dévastateur dont les effets sont nettement perçus par les suppliants : elle détruit, oblige à l’oisiveté et conduit visiblement à la paupérisation. Ainsi la guerre est mentionnée dans plus de 5 % des cas qui évoquent les circonstances extérieures du crime, soit autant que le jeu. Dans 25 % des cas, le suppliant y associe la pauvreté. La proportion est forte mais il n’existe pas, on le voit, de liaison automatique entre la guerre et la pauvreté. Les maisons plusieurs fois brûlées et les champs dévastés ont pu transformer les suppliants en « povres et miserables personnes », qu’il s’agisse de charpentiers ou d’écuyers qui y ont perdu leur chevance ; néanmoins, la guerre apparaît comme un phénomène complexe dont les effets ne se limitent pas à la seule paupérisation et nous y reviendrons 92. Constatons néanmoins que la descente progressive mais rapide vers la déchéance est bien le signe d’une vulnérabilité antérieure. Beaucoup étaient déjà pauvres. Le crime accentue leur état. Quel crime ?

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Un engrenage inexorable s’est installé qui, de pauvreté en endettement, conduit au délit, de la misère au vol. Parmi les suppliants accusés de vol, 62 % se disent pauvres.

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Les autres ne se donnent aucun qualificatif et 1 % seulement d’entre eux donnent des signes extérieurs de richesse. Sur ces 62 % de pauvres, 25 % affirment qu’ils ont des dettes. Le vol n’est pas une manie mais une nécessité. Le lien est étroit de la cause à l’effet : Thomin Legrant du bailliage de Chartres, « poure homme chargié de femme et de trois petis enfans », ne trouve plus le sommeil, « lui estans couchié en son lit en certaine nuit du moys de decembre derrenier passe pensant en soy desconfortant en plusieurs debtes qu’il devoit (...) se leva de son lit environ heure de minuit et s’en ala au hamel de Harecourt en l’hostel de Thevenot Roussel et de Jehanne sa mere ou il embla et pris deux pourceaux »93. 46

On pourrait multiplier les exemples qui font du vol le révélateur de situations dramatiques. Ces gens-là ne sont pas des professionnels. Ils sont acculés au vol. Ce suppliant victime de la cherté de 1409 envisage d’abord de demander l’aide d’un voisin. Celui-ci est absent, alors il le vole. Sa victime songe à le faire excommunier mais, finalement, elle lui pardonne : le vol se transforme en aumône. Le réseau de la charité, nous le voyons à travers ces exemples, se met en place en même temps que les infractions : ce sont les mêmes personnes qui sont concernées, assistants et assistés, voleurs et volés, et l’aumône glisse facilement vers le vol. La lettre de rémission ne fait que constater ce que les civilistes comme Bartole et Balde répètent encore au XIV e siècle : l’affamé contraint de voler est innocent94. Mais son application n’est finalement possible que si voleurs et volés se connaissent. J’ai déjà eu l’occasion de le suggérer et il faudra y revenir en évoquant l’étroitesse du pays de connaissance. Ces suppliants vont là où ils savent que les porcs sont gras, ici chez la mère, ailleurs chez un ami ou un voisin. Le choix des objets volés est d’ailleurs significatif de la misère comme de la proximité qui unit voleur et volé : il peut s’agir de nourriture, d’objets de première nécessité, de matériaux faciles à revendre ou de petites sommes d’argent. A Melun, Guillemette vole son maître parce qu’elle n’avait pas de linge ; à Châteauroux, ce laboureur de bras marié et père de six enfants vole du froment, du seigle, de la viande accrochée au toit « pour avoir sa vie seulement »95.

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A la différence de ce qu’on peut imaginer des professionnels du crime, ces suppliants font preuve de beaucoup de maladresses. Même quand ils inventent quelque raffinement pour masquer leur délit, ils sont vite débusqués. Deux compagnons partagent le même lit ; la bourse de l’un pend à son pourpoint, pleine. L’autre s’en empare et, pour écarter les soupçons, coupe aussi la sienne. La plainte est commune mais dans le cri du voleur perce la fausse note et les soupçons s’éveillent ; la géhine fait le reste96. Ne soyons pas dupes : ces pauvres sont-ils si désarmés devant le crime ? Même si leurs larcins sont de faible valeur, les pauvres sont parmi les récidivistes les plus nombreux et certains le sont depuis longtemps97. Les délits de notre laboureur de bras durent à Châteauroux depuis dix ans ; ceux de Jaquette, dont nous avons vu la difficile condition de veuve, depuis sept ans98. Le crime se prépare dans le désarroi des consciences, puis il s’enracine. Le motif de déplacement avant le crime est net : c’est, pour 27 % d’entre ces pauvres, le crime lui-même alors que se rendre à la taverne ne motive que 13 % d’entre eux. La proportion monte à 56 % quand il s’agit de pauvres qui avouent des dettes ; pour ceux-là, la taverne, lieu classique de la sociabilité, ne constitue que 2 % des déplacements. La maison, avec ses richesses enserrées, les attire : près de la moitié de ceux qui ont des dettes cherchent à trouver là le moyen de les combler. Ils savent donc bien ce qu’ils font et 67 % des pauvres endettés agissent avec préméditation. Certes, ils ne sont pas des professionnels du crime. La misère les isole plus qu’elle ne les rassemble en bandes organisées. Ils affrontent seuls le crime qui doit

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porter remède à leur désarroi99. Encore une fois, tout se passe comme si le vol était la réponse individuelle à une situation que les moyens ordinaires de solidarité n’ont pas réussi à résoudre. Mais cette solitude que décuple la nuit n’est-elle pas déjà le début de la marginalité ? 48

La différence se creuse entre le pauvre, tel qu’il se qualifie simplement, et le pauvre endetté. Le crime, nous l’avons vu, est deux fois plus souvent le fait du second que du premier et il peut l’entraîner assez loin ; 11 % de ceux qui déclarent des dettes ont parcouru plus de 30 kilomètres. Ils glissent vers une situation irréversible, tel ce pauvre homme de 30 ans, marié avec un enfant encore à la mamelle, qui quitte sa Picardie natale pour Saint-Denis en France et qui commet, avec le déracinement générateur de chômage, son premier vol100. Il y a bien des étapes dans la pauvreté jusqu’à celle, ultime, de la marginalité.

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Les marginaux sont-ils encore considérés comme des « pauvres » ? La pauvreté, avec les crimes qui l’accompagnent, ne transgresse pas les normes sociales ; au contraire, elle croît ou se résout à l’abri de la sociabilité traditionnelle. Même si, entre les pauvres couverts de dettes et les marginaux, un glissement progressif est possible, le fossé qui les sépare est énorme. Prenons l’exemple de Jean le Grant venu de Clermont-enBeauvaisis jusqu’à Bondy à la suite d’un vol101. Le crime qu’il commet dans son pays natal est lié à son extrême pauvreté : les gens d’armes lui ont tout pris. Avec la fuite commence la marginalité qui le fait s’acoquiner avec un compagnon. Le bois de Bondy leur sert de refuge pour détrousser à l’aise les gens qui passent. Malheur à qui leur demande le chemin ! Chevaux et bourses font leur affaire. Mais l’exclusion de Jean Le Grant n’est pas encore totale. Il n’a quitté le pays natal que depuis trois mois et le réseau des solidarités qui le supporte n’est pas encore rompu ; le suppliant peut compter sur lui pour restituer les biens, faire satisfaction aux victimes et payer le prix de la lettre de rémission. Entre les pauvres et les marginaux existe donc une différence fondamentale : les premiers sont encore installés, les seconds ne le sont plus.

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Le vocabulaire marque d’ailleurs nettement la différence. Nous avons vu que le pauvre se distingue du vagabond ; il se distingue aussi du mendiant. Sa hantise est justement de le devenir. Le crime, quel qu’il soit, lui fait courir ce risque. Environ 25 % des suppliants évoquent les effets du bannissement pour obtenir la rémission ; plus de 20 % la prison. L’exil et le renfermement ne blessent pas seulement la personnalité. Ils risquent de faire passer d’un état à l’autre, de la pauvreté à la mendicité. Prenons en exemple cet homme du bailliage d’Amiens condamné au bannissement depuis trois ans et qui « est allé en estrange pais et delaissié ses femme et enfans pour quoy il a esté et est a tres grant povreté et misere et en aventure de finer miserablement ses derreniers jours et ses dicte femme et enfans en estre mendians par le pais » 102.

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Le temps de prison, même quand il se réduit à quelques semaines, est toujours trop long, à plus forte raison celui de l’exil. Toute rupture du quotidien amorce un déséquilibre dont les effets peuvent devenir irréversibles. Entre la pauvreté et la mendicité existent des étapes intermédiaires : la misère en est une. Elle rôde déjà à la porte de ce suppliant qui dès avant le crime « estoit moult souffreteux et estoit en grant misere pour soustenir la vie de lui, sa dicte femme et enfans » 103. Le crime – ici la fabrication d’un faux – a pour cause la misère ; la fuite du père ne peut que l’aggraver. D’autres parlent des aumônes et des secours qu’apportent temporairement les parents et les amis. Cette lettre évoque la famille abandonnée : « sa femme et ses enfans sont en

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peril d’estre du tout desert et mis a mendicité, et lesquelz desja n’ont de vivre que de ce que les voisins leur donnent et ausmonent »104. 52

L’aumône comporte des degrés. Faite par les voisins, elle ne signifie pas encore la mendicité ; elle n’exclut pas de la vie de relations. Un nouveau pas risque d’être encore franchi, autrement périlleux, celui qui aux aumônes des « voisins » fait succéder les aumônes anonymes. Le mendiant se présente comme celui que la misère soumet aux aumônes anonymes. Il va de pair avec le vagabond. La pauvreté, voire la misère, se différencient bien de la mendicité. Cet ouvrier de bras, au coup de hache trop vif, a quitté le pays depuis treize ans. Il est pauvre et misérable mais il n’est pas mendiant. Son seul désir est de retourner au pays : « pour occasion duquel cas le dit Mouchot, sa femme et petis enfans se absenterent du païs doubtant rigueur de justice et ont, il et sa femme et petis enfans, depuis esté en grant misere et poureté et delaisserent leurs biens et ce qu’ilz avoient sans ce que depuis ilz osassent retourner par especial ledit Mouchot qui pour le dit cas a esté appeliez a noz drois et pourrait finer ses jours miserablement et en grant destresse et deplaisance de cueur 105.

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Le cercle vicieux est engagé mais peut encore être brisé : nous ne voyons ici que ceux qui, ayant obtenu rémission, réussissent à échapper au cycle de la délinquance pour rentrer dans l’ordre d’où le crime les avait fait sortir. Même si la misère les attend, ils ont encore le toit, le travail, la parenté. Entre les pauvres qu’ils étaient et les mendiants vagabonds qu’ils risquent de devenir sur le chemin de l’exil, la frontière est nette. Les uns sont enserrés, les autres errants. Parmi les pauvres des lettres de rémission, 3 % seulement ont leur lieu de naissance distant de plus de 30 kilomètres de leur domicile. Ils ne sont pas, on le voit, des déracinés. Leur marginalité ne les associe pas aux exclus de la forêt : 3 % seulement choisissent d’y commettre leur crime. Comme les autres, ils préfèrent la rue, la maison, la taverne ou les champs106. Leur sociabilité ne les différencie pas, ou pas encore, du monde ordinaire dont ils font partie.

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Même pauvres, ils ont parfaitement conscience de la différence qui les distingue des mendiants et à plus forte raison des vagabonds. Car, comme le dit M. Mollat, il existe encore une nuance entre les mendiants et les vagabonds. Ce « poure homme mendiant chargé d’une poure femme aveugle » qui va par le pays « pour demander sa vie » a un statut : il a son parcours d’aumônes et il est marié ; il obtient rémission pour un trafic de monnaie de plomb « en pitié de sa dicte femme aveugle ». N’a-t-il pas aussi agi par « simplesse et ignorance » ? Il s’agit bien d’un couple reconnu, aux facultés intellectuelles et physiques amoindries, toutes choses qui peuvent justifier l’aumône. Quelle différence avec la peur que suscite ce menestrel « vacabont alant par le païs » ! Comme les gens de son état, il appartient au monde des exclus 107. Quant à ce jeune valet boucher de 27 ans, il craint, après le meurtre, d’être toute sa vie « vacabunde », c’est-àdire sans feu et sans lieu108. C’est dire combien est ressenti le procédé d’exclusion, le fossé entre la population ordinaire et les marginaux. Les mesures que la royauté prend au même moment pour lutter contre la mendicité et le vagabondage ne vont pas à l’encontre des préoccupations de l’opinion, y compris et peut-être à plus forte raison de ceux qui sont déjà pris dans l’engrenage de la pauvreté109. Ils ne sont pas encore mendiants, et encore moins vagabonds ; leur dernière dignité est de s’en démarquer en affirmant très fort dans leur déclinaison d’identité le domicile qui les fixe, les pose et les rassure.

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La méfiance ou la crainte du vagabond ne conduit pas cependant à des attitudes individuelles agressives. L’altercation est rare, qui comme celle-ci, près de Vernon,

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oppose un laboureur de bras à un « homme vacabont ». Le vagabond lui-même en prend, dit la lettre, l’initiative mais le couteau à trancher le pain de l’homme tranquille vient rapidement à bout des pierres de hasard que lance l’agresseur 110. Quand il y a violence contre des marginaux, elle est plutôt collective111. Le témoignage du Bourgeois de Paris conforte l’enseignement des lettres de rémission quand il montre comment, au paroxysme de la crise, la foule parisienne se tourne contre les mendiants devenus boucs émissaires des fantasmes collectifs112. Mais au total, répétons-le, les victimes appartiennent rarement au monde des exclus puisque moins de 1 % d’entre elles sont déclarées sans profession. Il y a donc loin de la pauvreté à la marginalité. Le monde des lettres de rémission peut connaître la première, il veut ignorer la seconde. Les crimes confrontent donc entre eux des hommes au profil de vie comparable : ils ont un domicile, un travail, et, pour l’essentiel de quoi vivre.

HARMONIE ET CLIVAGES SOCIAUX 56

Du laboureur à l’homme de métier, du maître au valet, les archives judiciaires permettent de cerner le monde du travail et la place des conflits sociaux dans le crime. A la vision très systématique du valet voleur que donnent les sources répressives, les lettres de rémission substituent un tableau nuancé. C’est donc à ce type de sources que nous emprunterons la plus grande partie des conclusions exposées.

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Quel que soit leur degré de fortune, les criminels, dans leur majorité, travaillent. Certains l’affirment dans leur déclinaison d’identité comme s’il s’agissait là d’un élément essentiel pour se situer dans le royaume et obtenir leur rémission. Le nombre de ceux qui ne déclarent pas de profession est nettement moins important que ceux qui ne donnent pas d’indication sur leur âge : ils représentent 57 % environ des suppliants contre près de 75 % pour l’âge chiffré113. Cela n’implique pas d’ailleurs que le reste des suppliants ne travaille pas. Les exemples sont nombreux de ceux qui décrivent leur activité sans pour autant éprouver le besoin de la rattacher à une catégorie. Comme pour l’âge, cette précision de la déclinaison d’identité tient à l’absence de normes et aux exigences de la grâce ; nous retrouverons aussi ces contraintes dans l’appréhension de l’espace114. Enfin, quand l’activité professionnelle est mentionnée, l’ambiguïté des termes ne permet pas toujours d’établir une classification professionnelle. Il importe donc, dans un premier temps, d’analyser le vocabulaire employé.

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Le mot « laboureur » est employé pour désigner près de 20 % des coupables (tableau 21). On sait qu’il fait référence aux laboratores de la société tripartie mais, aux XIV e et XVe siècles, désigne-t-il encore une activité agricole dominante 115 ? Au même moment, Christine de Pizan éprouve le besoin de préciser « laboureur de terres » pour désigner les cultivateurs à côté des bourgeois, des marchands et des gens de métier et qui « soustiennent les corps de la policie, car ilz soustiennent par leur labeur le corps de toute personne »116. C’est dire que le terme est ambigu comme l’est celui de « labour ». Le mot peut avoir le sens précis que nous lui donnons, c’est-à-dire l’acte de retourner la terre comme le prouve l’exemple de ce « poure jeune laboureur » qui, avant le crime, « avec certains buefs estoit aus champs, aroit ou labouroit en une sienne piece de terre »117. Quant à Jean Lavernoy, il précise qu’il « avoit labouré de sa charrue tout ledit jour et par le chault »118.

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Le labour peut désigner le travail au grand air des champs tandis que le mot « laboureur » s’applique à l’homme d’assez d’aisance pour posséder une charrue. Cette

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acception du mot est maintenant bien connue119. Cependant, le terme « labour » comme celui de « laboureur » peuvent être employés dans le seul sens de travail. Ces criminels du bailliage de Troyes ne font que vivre de leur labour. Un autre se déclare « vigneron et homme de labour ». Un autre encore est « simple homme vivant de son labour » 120. Le terme peut donc désigner le travail en général, et plus précisément le travail manuel car il ne s’applique pas aux officiers, aux hommes d’armes ou aux clercs. Tous les laboureurs ne sont donc pas des cultivateurs. Les chiffres confirment d’ailleurs la prudence des mots : 6 % des laboureurs n’ont pas une activité agricole prépondérante et réciproquement 42 % seulement des suppliants qui ont une activité agricole se font appeler « laboureurs ». L’adéquation n’est donc pas parfaite. Cette ambiguïté vient en partie de la diversité des activités professionnelles ; gens de métiers, détenteurs d’offices peuvent aussi s’adonner aux travaux des champs. Que dire de Jean Broitel, licencié en droit et avocat, qui est dépeint « aux champs a une sienne charrue », ou de Thevenin Du Puis, tisserand de toiles qui « se rend en un sien pré ou il fenoit l’herbe qui creue y estoit »121. 60

Inversement, certains qui exercent un métier précis de l’artisanat sont appelés « laboureurs ». Ailleurs, c’est un « laboureur » qui est en même temps « bourgeois » du duc de Bourgogne122. Le « labour » ne caractérise donc pas seulement la population paysanne même s’il s’y applique largement. Aussi s’avère-t-il nécessaire de préciser parfois l’activité agricole des « laboureurs » : Pierre Le Roy, « laboureur bosquellon », va dans la forêt de Vignacourt « ou il avoit entencion de ouvrer et labourer, comme il avoit acoustumé a le faire »123. « Laboureur bosquellon », « laboureur de vigne » sont autant d’expressions qui expriment un travail manuel spécialisé. Est-ce à dire que l’expression « laboureur de bras » désigne un travailleur polyvalent ?

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L’acception traditionnelle fait de lui un manouvrier, un homme économiquement et socialement défavorisé qui, pourvu d’un cheptel réduit, ne dispose pas d’un train de culture. Il s’opposerait au « laboureur » qui appartient à la couche supérieure du monde rural124. Ce que nous avons vu de la signification des mots « labour » et « laboureur » oblige à nuancer ce point de vue. Le profil des deux groupes présente en effet de réelles similitudes. Près de 6 % des laboureurs de bras sont au service d’un maître pour 4 % de laboureurs, mais 7 % de laboureurs se déclarent aussi « valets » 125. Tableau 21 : Profession et hiérarchie

Profession

Coupable (en %) Victime (en %)

Laboureur

28,5

5,5

Laboureur de bras

16,0

4,5

Gens de métier

35,0

45,5

Armes

5,5

4,5

Offices

7,0

20,5

Charge ecclésiastique

2,0

15,0

Double métier

3,0

0,5

420

Autres

3,0

4,0

100

100

62

Hiérarchie professionnelle Coupable (en %) Victime (en %) Maître

17,0

22,5

Valet

29,0

32,0

Compagnon

4,0

4,5

En la compagnie de

9,0

5,5

Serviteur

21,0

16,0

Au service de

18,0

17,0

Autres

2,0

2,5

100

100

Les données inconnues relatives aux professions et à la situation dans la hiérarchie sociale, qui sont respectivement de 57 % et de 79 % pour les coupables et de 78 % et 85 % pour la victime, auraient rendu la représentation graphique sans intérêt. Celle-ci est donc effectuée sans les données inconnues et elle donne seulement des profils. 63

Les uns et les autres peuvent donc recevoir un salaire. Martin de Brulon qui s’intitule « laboureur » se plaint d’avoir servi loyalement durant un an et demi « continuelement de son labour sans qu’il eut reçu un salaire ou tiré profit de son travail » 126.

64

Peut-être est-ce la durée de l’embauche – ici relativement longue puisqu’il s’agit d’un an et demi – qui différencie alors laboureur et laboureur de bras ? Il ne nous a pas été possible de le vérifier. Le niveau de vie est cependant sensiblement identique. Les uns et les autres avouent facilement leur pauvreté, notamment 57 % des laboureurs. Les laboureurs de bras ne sont que 48 % mais ils comptent 21 % de pauvres avec dettes contre 10 % chez les laboureurs. Tout au plus trouve-t-on chez les laboureurs de bras le signe d’un endettement plus pesant. Remarquons cependant que la proportion de ceux qui se disent pauvres mais qui présentent de réels signes de richesses est de 13 % contre 11 %, ce qui montre un groupe à la fortune peut-être plus contrastée que celle des simples laboureurs. Mais ils sont, les uns et les autres, mariés dans les mêmes proportions – pour environ 65 % d’entre eux –, ont en commun les centres d’intérêt et les lieux de sociabilité qui constituent le terrain de leurs crimes : espaces clos ou cultivés, taverne ou rue. A peine peut-on percevoir les signes d’une plus grande ruralité chez les laboureurs qui choisissent plus facilement la nature cultivée et la forêt. Mais, globalement, les profils sont identiques127.

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N’imaginons pas que les laboureurs de bras sont plus mobiles, plus asociaux que les autres. Ils ne fréquentent guère la forêt pour commettre leur crime et seule une infime

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minorité – 2 % d’entre eux, comme chez les laboureurs – parcourt plus de 30 kilomètres avant de commettre leur forfait. Quant aux types de crimes, ils se répètent d’un groupe à l’autre, avec une parfaite monotonie : ce sont les homicides qui l’emportent avec 57 % pour les laboureurs et 54 % pour les laboureurs de bras, devant les vols (27 %), les crimes contre les institutions (3 %), les viols (2 %) et les fautes professionnelles (2 %) 128. Le vol n’est pas l’apanage des laboureurs de bras. La différence de statut que révèle l’emploi d’un vocabulaire distinct pour désigner ces deux catégories ne repose donc pas sur un clivage social très accentué. Les uns ne sont pas des coqs de village dominant les autres. Peut-être même, les laboureurs de bras sont-ils plus nettement que les autres partie prenante de l’aventure urbaine. Tous ont en commun le travail, le labour. Mais on discerne des distinctions subtiles qui créent des hiérarchies indépendamment de la fortune. Les deux groupes n’y échappent pas. Aux laboureurs sont reconnues des qualités psychologiques qui adoucissent le crime dans 18 % des cas. Ce jugement de faveur se réduit à 6 % pour les laboureurs de bras qui se voient au contraire chargés de défauts, fait plutôt rare puisqu’il s’agit de montrer le suppliant sous son meilleur jour129. Remarquons que ce jugement est purement subjectif puisque les laboureurs de bras ne sont pas des criminels plus endurcis que les laboureurs ; ils comptent exactement le même nombre de récidivistes, soit environ 12 %. Cette vision montre que les laboureurs de bras ont une place hiérarchiquement inférieure à celle des laboureurs. Néanmoins, leur sociabilité les rassemble : devant la vie comme devant le crime, leur attitude est similaire. 66

Mais le crime n’est pas réservé à la terre. Le monde du travail artisanal comme du commerce est aussi bien représenté (tableau 21). Ont-ils une attitude criminelle différente du groupe précédent ? Leurs activités les conduisent plus facilement que les laboureurs hors du lieu de leur domicile pour commettre le crime puisque 10 % d’entre eux ont parcouru 30 kilomètres ; le but de ce déplacement est nettement professionnel pour près de 30 % d’entre eux et ils sont les plus nombreux à évoquer ce type de déplacement. L’affaire ne se conclut pas à la taverne qui n’est pas non plus le lieu préféré de leur crime ; ils préfèrent la rue et négligent la nature cultivée, signe sans doute de leur « urbanité »130. De ce point de vue, leur profil les rapproche légèrement des laboureurs de bras. N’imaginons pas cependant des mondes hétérogènes. L’osmose ville-campagne précédemment évoquée se vérifie à nouveau quand gens de métiers et laboureurs se rendent exactement dans les mêmes proportions à la foire. Les crimes enfin sont semblables. Les gens de métier n’échappent pas à la loi de la rixe qui concerne 57 % d’entre eux, ni à celle du vol qui, avec 20 % de cas, les aligne parfaitement sur les laboureurs et les laboureurs de bras. Et, dans les mêmes proportions qu’eux, soit près de 30 % de cas, ils prennent la route pour assouvir leur vengeance et accomplir le forfait. Le profil du criminel appartenant au monde du travail est donc, à des nuances près, identique. Est-ce parce que, parmi les gens de métier, les valets l’emportent sur les maîtres ? C’est possible mais rien ne permet de l’affirmer131. D’ailleurs cela ne veut pas dire, encore une fois, que ce monde du travail est parfaitement homogène. Les gens de métier, maîtres, valets ou serviteurs, sont ceux qui ont le plus grand nombre de qualités psychologiques. Il est vrai qu’ils sont aussi les moins pauvres et les moins endettés de ceux qui travaillent 132. Au total, une société hiérarchisée sourd sous une apparente unité des comportements. Va-t-elle jusqu’au crime pour exprimer ses différences, voire ses antagonismes ?

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Les crimes professionnels sont rares : ils constituent moins de 1 % des cas. La place des problèmes professionnels dans les antécédents du crime est déjà plus importante

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puisqu’elle occupe près de 6 % des cas (tableau 8, chapitre 6). Cette nuance implique que le conflit professionnel peut s’extérioriser sous les formes banales de la criminalité et, dans les trois quarts des cas, il s’agit effectivement de la rixe-homicide. Il importe donc de ne pas s’arrêter seulement au type de crime mais de tenter de cerner les rapports qui opposent les maîtres à leurs subalternes. 68

Le lien maître-serviteur caractérise environ 13 % de ceux qui unissent le coupable à la victime. Ce chiffre quoique faible est nettement supérieur à celui qui définit les liens des administrés et des officiers – 5 % des cas – ou les autres modes de relations de la vie sociale ou familiale pris séparément133. Au départ, comme on l’a montré, le premier antécédent du crime peut être d’origine professionnelle. Il porte sur le travail mal fait ou sur le salaire. Là, c’est un salarié agricole qui, envoyé travailler au pré, dit que « ja n’ouvreroit es diz prés et que tropt y avoit d’yaue (...) et que par le sanc que Dieux espandi le dit exposant lui paieroit sa journee ou il le courrouceroit du corps » 134. En ville, à Arras, un maître foulon essuie le refus d’embauche d’un valet dans des conditions qui lui paraissent transgresser les lois du métier. La scène se passe sur la place « ou Ten a acoustumé de trouver les variés du mestier de foulon pour les loyer pour jour ou jours parmi gaignant argent pour ouvrer dudit mestier de foulon en laquelle place estoient aucuns variez et entre les autres y estoit un nommé Jehan Lestande, foulon, auquel ledit Wantier demanda s’il venoit lendemain ouvrer en sa maison de son mestier parmi le bien paiant de sa journee ». Mais le valet refuse en prétendant qu’il a déjà un maître. Alors le conflit éclate : « Adonc ledit Wantier lui dist pourquoy il n’estoit aidiez et serviz pour son argent aussi bien que les autres. C’est mal fait veu que vous estes varies et je vous trouve en la place ; vous me devez venir aidier pour mon argent gaigner »135. La scène se termine au couteau ; le valet est tué, le maître condamné et exécuté. On peut penser qu’ici les deux protagonistes ne se connaissent guère comme peut l’indiquer le vouvoiement. Mais dans d’autres cas, la proximité que créent les liens du travail n’interdit pas le recours à la rixe pour régler le conflit.

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Le vol vient nettement en tête de tous les types de crimes qui opposent le maître au valet. Dans le cadre de la justice répressive, il constitue l’essentiel des crimes reprochés aux serviteurs et il suppose la préméditation, voire l’alliance ou le complot pour se partager le butin136. Il est aussi le premier en nombre d’après les lettres de rémission 137. Mais le document permet de mieux en cerner les causes. L’examen des rapports entre maîtres et serviteurs dénote que la méfiance n’est pas systématique. Le vol chez les serviteurs constitue seulement 2 % des crimes quand le premier antécédent est professionnel. La main du serviteur dans le coffre de son maître n’est pas le corrélat obligé d’un sentiment d’injustice. L’incitation réside plutôt dans la proximité des biens. Comme dans les cas de pauvreté que nous avons déjà analysés précédemment, le voleur puise là où il sait que dort la richesse. On ne sent nulle amertume contre son maître dans le cas de ce journalier vigneron, embauché à la journée chez un de ses cousins. Il vole des ceps de vigne, les cache chez son parâtre et les vend à Paris où il se fait prendre. Avec l’argent, il voulait « acheter une paire de sobers pour ce que les siens ne valoient riens »138.

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Le vol peut cependant être la conséquence de salaires insuffisants. Ce valet laboureur vole la jument de son maître pour la vendre sur le marché de Choisy car il estime ne pas avoir été assez payé pour son travail139. Quant à Martin de Reulon, il finit par voler à son maître linge, vêtements et argent parce que, en l’ayant servi pendant un an et demi « continuelement de son labour et autres services bien loyaument et au mieulx qu’il a

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peu », il n’a reçu aucun salaire. Or le maître n’a pas d’excuses : il est « l’un des plus riches et plus puissants dudit lieu »140. On sent poindre là l’antagonisme entre le serviteur et le maître, le faible et le puissant. Mais les ressorts qui font se dresser les serviteurs contre les maîtres sont taxés de « convoitise », rarement d’« envie ». Le mal est moral, il relève de la « temptacion de l’Ennemi » plus que de la révolte de classe. La population des suppliants ne constitue pas dans son ensemble celle de « ces mechantes gens (...) qui avoient envie sour les rices et sour les nobles » 141. 71

Les rapports d’autorité entre maîtres et serviteurs peuvent aussi conduire à des abus qui se règlent par le crime. La parole précède le geste violent à l’encontre du valet. Jean Morin n’hésite pas à congédier un serviteur désobéissant : « puisque vous ne voulez pas faire mon plaisir, vuidez hors de ma maison » lui dit-il 142. Et après un échange de coups qui provoque la mort du valet, le maître obtient la grâce royale parce que « ledit deffunct estoit son serviteur et lui devoit obeir en toutes choses ». Les théoriciens de la « policie » ne disent pas autre chose et il faut que l’appel au Parlement ait été bafoué pour que l’autorité du maître puisse avoir des chances d’être légalement contestée 143.

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Les lettres de rémission ne sont pas non plus avares de ces amours ancillaires où la servante n’ose guère se plaindre des viols répétés qu’elle a subis. Marion Levesque est abusée à plusieurs reprises par son maître alors qu’elle n’est âgée que de 11 à 12 ans ; quant à Alès, employée par un laboureur de 50 ans à laver ses écuelles, elle doit le suivre dans la grange où il Ta conduite144. Ce n’est d’ailleurs pas tant le viol qui apparaît dans ce type de crime que l’avortement ou l’infanticide, fruits honteux de l’amour impossible et réprouvé. C’est le cas de Marie Ribon, orpheline et mise en service dès l’âge de 13 ans qui se trouve enceinte d’un de ses maîtres 145. La honte n’éclabousse pas de la même façon maître et valet.

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Le vocabulaire et les attitudes prouvent une hiérarchie qui maintient le serviteur à une place subalterne dont il ne peut s’écarter. Ce valet verrier qui séduit la femme du cousin de son maître n’est pas le « ribaud », le « houlier » des cas classiques d’adultères146. C’est un « malfaiteur », son amour est un « malefice », son attitude une « trahison ». Son maître ne l'avait-il pas « mis ort d’ordure » en le prenant à son service dix-huit ans plus tôt ? On ne juge pas ici seulement l’infraction aux normes du comportement sexuel, mais l’infraction aux normes du comportement social. La « trahison » dont il est accusé est l’un des quatre crimes cardinaux selon Philippe de Beaumanoir. Elle définit une attitude inacceptable au regard de la conception hiérarchique de la société. Le valet peut boire avec le maître : on les trouve assis ensemble à la taverne. Il ne peut toucher à sa femme car, outre l’aspect moral, le valet, par le geste sexuel, échappe à sa condition. Les contraintes ressemblent fort, on le voit, à celles qui maintenaient au XIIe siècle les chevaliers hors du lit de la domna : mais les serviteurs n’ont ni destrier ni prouesse pour se consoler147. Leur image reste dévalorisée. Rappelons que la notion de trahison se trouve régulièrement évoquée dans les cas criminels qui ont été retenus par Aleaume Cachemarée pour désigner les délits commis par les valets à l’égard de leurs maîtres et passibles de la mort 148. Les lettres de rémission permettent d’y ajouter la « malice », la « mauvaistié », autant de termes qui s’appliquent à l’état de valet ; avec le « malefice », le serviteur revêt un aspect diabolique qui fait de lui la proie rêvée ou l’intermédiaire privilégié de l’« Ennemi » des hommes149. Le conflit, comme le prouve le faible nombre de crimes, reste cependant larvé. L’antagonisme se révèle au détour de quelques mots, de gestes outrés, plus qu’il n’explose en violences réelles. Pourquoi ?

424

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Le contexte d’un travail familial ne résout pas la pauvreté mais atténue peut-être la dimension sociale des antagonismes. Le cas de ce journalier vigneron embauché par un cousin ne devait pas être extraordinaire, surtout en milieu rural. Le maître est alors un parent, un ami, un voisin. En fait, les antagonismes ont leur contrepoint dans la solidarité qui peut unir le maître et son serviteur. Ce dernier a conscience d’appartenir à une maison dont il défend les intérêts. Dans le cas des familles dotées d’un certain rang social, le port de la livrée en est le signe extérieur. Certes, la force de ces liens peut être contestée par les plaidoiries. Ils n’en existent pas moins. A la suite de l’attaque menée contre les gens de Jean Morgueval en 1402, le procès conteste l’intervention des valets de Charles de Savoisy et la rémission qui leur est accordée solidairement avec leur maître. Ils sont déclarés « petis et viles personnes » qui, à la différence de leur maître « ne firent oncques service au roy et si n’avoient aucune cause de haine ou desplaisir a l’encontre de Morgueval qui onques riens ne leur meffit » 150. D’ailleurs, le Parlement finit par leur donner tort et condamne par un arrêt du 6 septembre 1404 les effets d’alliances dont on voit bien à quel point elles sont susceptibles de troubler l’ordre public151.

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La solidarité n’est pas moins grande quand il s’agit de liens professionnels ; elle peut agir dans les deux sens, qu’il s’agisse du maître accourant défendre son valet agressé ou au contraire de valets venant au secours de leur maître. La bergère n’est pas seulement un objet de plaisir : le maître peut aussi la secourir ! Notons que l’aide des serviteurs est cependant trois fois plus efficace que celle des maîtres si on considère l’origine sociale du premier participant aux côtés du coupable. Ce serviteur qui, en 1397, boit à la taverne de Massy où il rencontre Prillot, un débiteur de son maître, résume bien la force de ces liens de fidélité. Le crime naît d’une conversation qu’il a surprise car « il avoit oy dire a son dit maistre que s’il faisoit executer lediz Prillot, ycellui Prillot le courrouceroit ». La crainte lui fait prendre l’initiative de la rixe avant même que le maître ait pris la décision d’exécuter Prillot pour dettes. Dans la bouche du valet l’hypothèse est devenue réalité : « Prillot tu as courroux et noise a mon maistre pour ce qu’il te demande le sien. Vrayement se tu li fais mal je te courrouceray et te creveray l’eul de la teste »152. Le maître arrive et tente d’apaiser la noise : en vain. L’excès de zèle du valet conduit au crime. Rien ne manque dans cette lettre, ni les oreilles traînantes du valet, ni la vigueur de sa fidélité, ni son obstination poussée jusqu’à la caricature : la scène y prend un avant-goût de théâtre. Mais l’affaire se termine au poing et conduit en prison. L’amour, même maladroit, est un antidote efficace à la haine de classes.

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Les rapports qui se nouent à l’intérieur d’une même catégorie socioprofessionnelle confirment bien que la violence est loin d’avoir une origine strictement sociale. J. Chiffoleau a déjà noté que les criminels d’Avignon choisissaient leurs victimes parmi leurs égaux153. Le monde des lettres de rémission suit cette règle. Environ la moitié des laboureurs ont des rapports d’égalité avec leur victime. Il en est de même des gens de métier. La hiérarchie du travail donne des conclusions identiques : les maîtres ne s’attaquent aux serviteurs que dans 7 % des cas mais dans 41 % des cas ils défendent leurs intérêts professionnels face à des égaux. L’attitude des valets est comparable : dans 12 % des cas ils s’attaquent aux maîtres, mais dans 19 % des cas ils sont aussi confrontés à des égaux : attablés ensemble à la taverne, oeuvrant du même métier et de situation sociale identique154. Le maître n’est pas seul à engrosser la chambrière. Dans le monde du service, des intrigues se nouent qui se terminent en drame. Cette jeune jouvencelle du bailliage de Rouen, que nous avons vu porter le corps de son enfant à la

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rivière, a été enceinte d’un des valets de la maison. Elle n’a osé le dire ni à son maître ni à son père. Et, ironie, ce sont les gens de son monde, des ouvriers teinturiers qui trouvent sur l’eau le corps flottant de l’enfant mort et qui dénoncent le crime 155. La solidarité des humbles trouve aussi ses limites quand le code des valeurs est transgressé. 77

Le groupe des valets est d’ailleurs loin d’être homogène. Il existe des disparités dans les conditions mais aussi dans l’image qu’ils portent sur leur propre fonction. Quelle différence entre le valet boucher et le valet berger ! A Laon, l’un et l’autre sont allés voir les feux. Le berger joue de la flûte ; le boucher s’en moque : « Tra ha ha, nous cuidez vous espater » lui dit-il156. Le berger qui allait « Autant » ose répondre. Le ton monte et révèle la distorsion sociale. L’altercation aux yeux du plus fort devient rébellion : « Veux-tu contre moy rebeller, tu n’as espee ne coustel maiz j’ay assez pour toy tuer » dit le valet boucher. C’est ce qui fut fait. Mais le boucher obtient rémission parce qu’il est « bon varlet ». Dans la vision sociale que partage la Chancellerie, le métier de berger, même à la fin du Moyen Age, n’est pas valorisé 157. Les valets épousent la hiérarchie des métiers de leurs maîtres comme ils en épousent les intérêts. Ce sont là, incontestablement, des freins efficaces à l’éclatement de violences sociales dans le monde du travail.

NON-NOBLES CONTRE NOBLES 78

Les frictions qui opposent les non-nobles aux nobles ont une acuité plus nette que les conflits professionnels envisagés jusqu’ici. On sait l’éclatement de fureur qui anime la Jacquerie en 1358 et le témoignage que peuvent apporter les lettres de rémission à la révolte158. Il n’est donc pas question d’ouvrir à nouveau le dossier, mais d’essayer, à partir de quelques documents, d’en saisir la portée sociale. Il est certain qu’il ne s’agit pas d’une révolte de la misère159. Elle est, en fait, dirigée contre les nobles. La dénomination du conflit « commotion des non-nobles contre les nobles » encore utilisée dans les lettres de rémission près de trente ans après l’événement est significative160. Cette expression est, simultanément, employée dans les chroniques sous la plume de partisans des nobles ; elle peut aussi participer d’un état d’esprit antinobiliaire, voire d’une haine des nobles que révèlent certains pamphlets dont le plus célèbre est la Complainte de la bataille de Poitiers 161. Plusieurs questions se posent. Peut-on penser que les non-nobles ont conscience de constituer un groupement homogène ? Et de quoi se nourrit ce sentiment anti-nobiliaire ?

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Pour désigner la Jacquerie, les lettres de rémission emploient une deuxième expression. Ce sont les « effroiz qui lors furent par les gens du plat pays contre les nobles de notre royaume »162. La notion de « plat pays » habituellement opposée à la ville est, on le voit, plus floue socialement que la précédente. Si la cible que constituent les nobles est définie, il est difficile de savoir ce que sont les ruraux. Les Jacques rencontrés dans les lettres de rémission sont, essentiellement, des gens de métier : maçon, charron, tonnelier, sertelier, forgeron. Leurs armes sont leurs instruments de travail ou leurs couteaux à trancher le pain. Les autres participants, laboureurs ou laboureurs de bras, ont-il été trop pauvres pour acheter leur grâce ? Ce que nous avons vu précédemment de leur nombre dans la criminalité remise par la Chancellerie montre que cet argument n’est guère plausible. Pourquoi, dans ce cas précis de rébellion, si important soit-il, les

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laboureurs seraient-ils écartés en masse de la rémission alors qu’ils en bénéficient pour des crimes importants, y compris de lèse-majesté163 ? 80

Il convient par conséquent de se poser le problème des meneurs, à savoir dans quelle catégorie sociale existe et s’exprime le plus nettement un sentiment anti-nobiliaire ? Le suppliant Mahieu de Leuvel, maçon, homme sujet et justiciable des religieux de Beaulieu, participe à la révolte « par contrainte du peuple », et s’il met à mort Jean Bernier, c’est parce qu’il n’ose pas contredire le commandement d’Etienne de Wes, capitaine de la ville de Montataire164. La situation est présentée comme si un groupe relativement restreint de dirigeants était responsable de la révolte et avait obligé les gens du plat pays à servir leur cause. Cette vision, nécessaire à la rémission, doit être corrigée par les informations supplémentaires que comporte le texte. Guillaume Cale, averti que Jean Bemier est porteur de lettres du roi de Navarre au moment où celui-ci vient de faire irruption dans le Beauvaisis, laisse au capitaine le choix de mettre l’accusé à mort « si il lui sembloit et auxi aux habitants de ladite ville et du pays d’environ que il eust desservi ». L’exécution est décidée ; notre suppliant y participe – c’est l’objet de la lettre – comme il a certainement participé à la décision. Quant au spectacle, il rassemble 200 à 300 personnes, ce qui est plutôt significatif de l’unanimité de l’opinion. La décision est dans les mains de quelques-uns mais les autres suivent sans réticence.

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Tel est, semble-t-il, le rôle des meneurs. Ils prennent l’initiative mais, le discours de Guillaume Cale le prouve bien, ils sollicitent l’avis des « habitants ». Opposer une révolte d’artisans à une révolte paysanne est, en fait, un faux problème. Il s’agit plutôt de savoir pourquoi les paysans ont suivi. On invoque la peur. N’oublions pas en effet que fin mai 1358 la plupart des châteaux de Beauvaisis et de l’Ile-de-France sont occupés par des gens de guerre qui se livrent à des pillages. Leurs actions entretiennent une psychose qu’il ne faut pas négliger165. Est-elle cependant suffisante pour faire éclater une révolte anti-nobiliaire ? Certes, ces gens de guerre sont pour la plupart des nobles. Mais les Jacques font bien la distinction entre le métier des armes et le statut nobiliaire quand ils s’attaquent aux châteaux. Les échecs militaires de la noblesse qui rendent injustifiable une pression fiscale accrue ont certainement alimenté la lutte 166. La flambée est trop forte pour ne pas illustrer une prise de conscience plus vaste face à une suprématie nobiliaire dont les travaux récents montrent, dans tous les domaines, le caractère de plus en plus marqué167.

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Revenons donc au vocabulaire des lettres de rémission. Il ne fait pas apparaître d’explication de la révolte mais il livre des sensations. La « haine » éclate pendant la Jacquerie tandis que la « peur » étreint pendant la Contre-Jacquerie. C’est au moins l’ébauche d’une querelle entre dominés et dominants. N’existe-t-elle pas en temps ordinaire à l’état larvé ?

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Nous avons déjà constaté que la place de la population noble des lettres de rémission est plus importante que celle qu’elle occupe, numériquement, dans la société 168. On ne peut en déduire pour autant une nette propension au crime car les nobles pouvaient, mieux que d’autres, obtenir leur rémission. Essayons néanmoins de savoir ce que le crime révèle de leur attitude sociale.

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Les nobles dégainent avec facilité : 75 % de leurs crimes sont des rixeshomicides, ce qui dépasse largement la proportion déjà élevée de ce type de crime (57 %). Leur verbe est haut : près de 30 % pratiquent l’injure avant de passer aux actes ; leur geste froisse aussi, et il constitue dans plus de 20 % des cas un premier antécédent au crime. Dans la

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moitié des cas, la scène se passe dans la nature cultivée. N’imaginons donc pas que tous les crimes des nobles sont liés à la guerre et à son cortège d’excès, pillages ou viols. Dans tous les cas le lieu du crime est celui où habite le noble. Et, dans la moitié des cas, il en est de même pour la victime. C’est dire que les altercations opposent de préférence les nobles à des gens qu’ils connaissent. Mais leurs victimes sont dans 10 % des cas seulement d’origine noble. Rares sont ceux qui, comme le chevalier Antoine de La Tour, s’en prennent à un autre noble, ici le duc d’Anjou. Pour se faire régler les 6000 francs de gages que le duc lui devait en échange de ses services en Italie, il avait tout simplement pris comme otage Pierre de Craon, alors chevalier et chambellan du roi et l’avait enlevé jusqu’en terre d’Empire169. A la différence des non-nobles, les nobles ne se tuent pas entre eux ou du moins leurs conflits ne relèvent pas de la lettre de rémission. Leurs victimes sont en priorité des laboureurs, plus rarement des gens de métiers ou des officiers. En Vermandois, en 1385, un chevalier, seigneur du lieu, demande à un de ses métayers le blé qu’il prétend lui être dû. Le paysan qui travaille à la charrue avec un de ses fils jure « par le sanc Dieu » qu’il ne lui doit rien. La réponse du noble ne se fait pas attendre : « Villain vous y mentez parmi votre gorge »170. Le paysan répond incontinent « qu’il mentoit et qu’il n’estoit pas villain ». L’épée du noble veut aussitôt faire mouche tandis que le paysan menace d’une pierre et d’un bâton de poursuivre le seigneur. 85

Cet exemple est très significatif de la haine qui éclate dans ce type de conflit. Le noble parle toujours « courtoisement », vouvoyant ; il tient son état. Le non-noble outrepasse ses droits et se rend rapidement coupable par ses « orgueilleuses paroles » du péché capital qui, selon les mots mêmes de Jean Gerson, incite au « mépris » et à la « desobeissance » envers ceux qui sont ses « souverains »171. L’« homme non noble » et « de petite generacion » a vite fait d’être « moult noiseux et rioteux » 172. Cette opposition entre deux mondes antithétiques se poursuit jusqu’au Parlement. Elle est significative dès la déclinaison d’identité quand le noble inscrit d’emblée sa condition dans une continuité généalogique à laquelle son adversaire est bien en peine de rétorquer173. Suit le droit qu’a le noble d’avoir répondu par la voie de fait au non-noble. Celui que Éon Picaut, écuyer, a tué « estoit un tres povre varlet et de tres petit estat » ; Philippe d’Ermenonville, chevalier, laisse dans la prison où il est ferré jusqu’à perdre le pied, le geôlier d’Ermenonville qui avait volé deux lapins, en disant « que on le laissoit morir et que on ne devoit point avoir pitié de char de villain » 174. L’initiative des nonnobles contre les nobles est sévèrement contrôlée car « les nobles du pais ont desplaisir quant un non noble se hastist »175. La partie adverse arrive difficilement à invoquer les ordres du roi qui condamnent la vengeance directe quel que soit le statut social. Ainsi, en 1381, à propos d’une altercation entre nobles et non-nobles à une soule, les avocats répliquent que, malgré l’injure subie, « si ne li loisoit-il pas a vengier ne proceder par voie de fait par les ordennances royaulx, meismement contre non nobles » 176.

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Face au noble, la dévalorisation du non-noble est immédiate et surtout plus nette que celle des valets face aux maîtres. Il existe bien deux mondes que le sang différencie. Lors d’un débat entre Jean de Neauffle, qui est de « bonne et honneste lignee » et Massot Enfroy, « pasticier jugleur et oubleer », homme de « petit estat, » les deux hommes se jettent de l’eau à la tête avant d’évoquer leurs origines : « ycellui Massot lui dist moult felonessement que se le pere dudit Jehan l’eust engendré, il fust aussi gentil homme comme ledit Jehan. Et jeta ledit Massot ses seaux a terre et la multiplierent paroles entre eulx et dist ledit Massot a ycellui Jehan qu’il estoit aussi gentil homme

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comme lui »177. Le pâtissier finit par payer de sa vie ces « hautaines paroles ». Il a osé tourner en dérision ce qui est le fondement de la noblesse de sang : la naissance. 87

Cette noblesse donne des droits. Quelle que soit la fortune ou la réputation de la victime, si elle n’est pas noble elle se trouve en situation d’infériorité. Le noble, parce qu’il est noble, lui impose sa raison et ne souffre pas la sienne. Lorsqu’au début du règne de Charles V une révolte éclate à Montfaucon entre les habitants et le prévôt de la ville, « homme de grant lignage et moult noble homme », la lutte prend vite l’allure d’un conflit social. Celui qui mène les révoltés, Jehan Envel, n’est « qu’un simple bourgeois » qui a osé dire « plusieurs grans et outrageuses paroles senz cause raisonnable »178.

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Cette prééminence place le noble au-dessus de toute justice. Sous le règne de Charles V, Girard de Thiauges, sire de Giry et chevalier, accusé de complicité avec une bande de pillards, n’hésite pas à évoquer comme circonstance atténuante « qu’il soit extrait du plus noble et grant lignage du pays, et soit et ait esté toute sa vie preudoms et loyalz homes et de bonne vie et honeste conversacion (...) combien de raison nul ne deust persuivre que un tel chevalier si noble et si bien renommé comme il est » 179. Sous le règne de Louis XI, quand les clivages se sont encore durcis, on distingue nettement l’écuyer du laboureur de boeufs « roturier et laboureur non pareil ne de qualité du dit suppliant qui est gentil homme et archier de notre ordonnance » 180. L’apparition du mot « roturier » qui prend la place de « non noble », est à elle seule significative.

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Le bon droit est sans partage du côté des nobles. Cette logique les conduit à refuser tout mélange, et en particulier les mariages qui font déchoir. Ce peut être là une source de criminalité. Jean Du Caable, écuyer du bailliage de Caux « considerant que ce ne deust pas estre Testat de sa dite seur (...) jeune demoiselle de l’aage de 16 ans ou environ » de vivre avec Loyset Cohourde du même village, mais « garçon de poure et petit estat », finit par en venir aux mains. La scène finale oppose nettement deux vies qui n’auraient jamais du se mêler : l’un allait au gibier « comme gentilz hommes ont accoustumé » quand il rencontre l’autre « soyant blez aus champs »181. Pour défendre sa fille que Turpin, un « aventurier », veut épouser, Jeanne de Châtillon n’hésite pas à réciter sa généalogie qu’elle rattache étroitement à la maison de France 182. La réalité est loin des propos idylliques des Cent Nouvelles nouvelles quand les demoiselles s’éprennent des bergers. Mais n’oublions pas que cette littérature exploite justement la surprise et l’inattendu183.

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On pourrait certes trouver, pour nuancer ce qui vient d’être dit, des exemples de nobles qui, dans leur seigneurie, aux côtés de leurs laboureurs, défendent le terroir contre les gens d’armes, et souvent par conséquent contre d’autres nobles. Les cas sont peu nombreux (10 %). Laissons néanmoins témoigner ce chevalier, Guy de Miraumont, chambellan du roi et du duc de Bourgogne, en mars 1422. A trois heures de l’après-midi, l’échauguette du château sonne, annonçant l’arrivée des gens d’armes 184.

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Du haut de la tour, le chevalier les voit qui tentent d’enlever le cheval et le fils du meunier, un enfant de 16 ans. Le père s’interpose, défend son fils autant que le bien du seigneur : « Larron, est-ce la la maniere de emmener les chevaux du seigneur de Miraumont ? » s’écrie-t-il. Le meunier a le dessous. Alors le chevalier s’élance à son secours suivi des hommes de la seigneurie : « veant l’offense faite en sa terre et seigneurie, monta sur un cheval sans autre compaignie pour y pourvoir et en alant rencontra un nomme Jaquet le Vimier, son homme, qui venoit de dehors sur un cheval et sans demander ou il aloit, ala avec ledit chevalier et en alant rencontra ou vint

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d’aventure avec lui un autre nommé Jehannin de Drucat et chevaucherent ensemble pour trouver les diz gens d’armes et ravoir ledit cheval, et prestement qu’ilz les eurent trouvez, lediz suppliant qui estoit ayrié et corrocié dist a cellui qui emmenoit ledit cheval dudit meunier qui estoit accompaignié de dix compaignons ou environ ces paroles ou semblablement en substance : “Ribaux, vous avez desrobé le cheval de mon meunier, vous ne le menerez guere loing” ». 92

Le chevalier eut raison de l’homme d’armes. La seigneurie rassemblée se confond ici avec le terroir villageois dont le chef est à la fois le garant et le sauveur. Mais répétonsle, une telle unanimité qui fait confondre, du moins en paroles et en gestes, ce qui est au seigneur avec ce qui appartient aux sujets, est rare. Même si d’un point de vue économique la différence de fortune n’est parfois pas très nette entre un pauvre noble et un laboureur, il existe un hiatus qui suppose deux mondes nettement distincts, conscients de l’être, et, au hasard des querelles, antagonistes. L’explosion de 1358, comme celles qui ont suivi, sont l’expression exacerbée par la conjoncture de cette division latente.

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Les conflits sociaux existent et portent au crime. Il ne s’agit pas de les nier mais d’en évaluer, pour conclure, l’importance dans la genèse de la violence. Le seul clivage net de cette société est celui qui oppose les nobles aux non-nobles, mais les crimes qui en résultent sont quantitativement faibles. Quant aux autres antagonismes, aucun type de crime, le vol inclus, ne les caractérise vraiment. Les conflits sociaux se révèlent à l’état latent, s’exaspèrent dans la violence verbale, dans le geste, pour se terminer en rixehomicide. Mais, formulés ainsi, ils se noient dans un processus violent qui obéit aux lois générales de la criminalité ordinaire.

NOTES 1. G. DUBY, Les trois ordres…, en particulier p. 105-127, et p. 327-343. 2. Le XIVe siècle est le temps des assemblées d’états, B. GUENÉE, L’Occident aux XIV e et XVe siècles…, p. 244 et suiv., et R. CAZELLES, Société politique, noblesse…, p. 195 et suiv. 3. J. GERSON, Rex in sempiternum, Œuvres complètes, t. 7, p. 1011-1016. Remarquons que Gerson commence par évoquer « l’estat de chevalerie ». 4. Ibid., Vivat Rex, p. 1181. 5. En particulier, Ch. de ΡΙΖΑΝ, Le Livre de paix, p. 75-77, qui, dans ce traité rédigé après l’émeute cabochienne, réclame que chacun reste à sa place sous peine que la « policie » tombe aux mains cruelles et tyranniques des « fols populaires ». Le prince doit faire en sorte que les gens de métier ne soient pas armés, sinon « larrons et murtriers » feront « hardiement leurs murtres et larrecins ». 6. Par exemple X 2a 16, fol. 46v., mars 1410, AMIENS. 7. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 278. 8. Sur la valeur du sacrement de mariage aux XIVe et XVe siècles, voir chapitre 13, n. 3 à 5. 9. Chez les suppliants mariés, les charges de famille constituent 23 % des motifs invoqués comme première circonstance atténuante, contre 5 % pour l’âge, 6 % pour les qualités psychologiques et 3 % pour les services rendus ; chez les célibataires, l’âge avec 27 % des motifs invoqués arrive en

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tête, suivi par les qualités psychologiques 10 %, et les services rendus 6 % ; les charges de famille qui concernent surtout les parents âgés sont réduites à 1 %. 10. D. HERLIHY et Ch. KLAPISCH-ZUBER, Les Toscans…, p. 403-404. 11. J. CHIFFOLEAU, Les justices…, p. 175 et suiv. Le poids de la population cléricale dans la ville est analysé par B. GUILLEMAIN, La cour pontificale…, p. 627-642. 12. Voir les résultats du graphique de la rémission, p. 794-795. 13. A. HIGOUNET-NADAL, Périgueux…, Livre V, chap. 1, qui écrit : « Il n’est pas aisé de repérer les célibàtaires dans cette société médiévale. Il n’est pas sûr d’ailleurs qu’ils y aient été nombreux (…) ; les cas certains de célibat définitif sont extrêmement rares à notre connaissance ». 14. Voir chapitre 8, p. 369. 15. X 2a 14, fol. 375, avril 1407. 16. Le vol constitue 25 % des crimes commis par les veufs, et le blasphème 13 %, contre respectivement 19 % et 2 % par les suppliants mariés. 17. JJ 118, 19, 1380, CUIS (bailliage de Vitry). Sur la signification d’« estront », chapitre 18, n. 223 et 224. 18. JJ 120, 350 et 359, juin 1382, PARIS (prévôté de Paris). 19. Voir chapitre 13, p. 589 et suiv. 20. Cette vision globalisante, héritée des travaux des folkloristes, ne tient pas suffisamment compte de l’évolution de réalités familiales qui ne peuvent pas être assimilées à celles du XIX e siècle. Ainsi, les conclusions de J.L. FLANDRIN, Les amours paysannes, p. 129-146, ne s’appliquent pas toutes à la fin du Moyen Age. Pour une vision dynamique du problème, J. GOODY, L’évolution de la famille…, p. 161 et suiv. Les travaux de G. DUBY, Le chevalier, la femme…, p. 223 et suiv., ont permis de mettre en valeur la spécificité médiévale, la différence entre le langage des clercs et celui de l’aristocratie, ainsi que le tournant du XIIe siècle dans l’évolution du mariage. 21. JJ 120, 132, février 1382, (bailliage de Vermandois). JJ 143, 165, septembre 1392, BAGNEUX (bailliage de Sens et d’Auxerre). 22. JJ 160, 350, mai 1406, LE GRAVIER (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 23. JJ 151, 227, avril 1397, CORVOL-D’EMBERNARD (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 24. X 2a 14, fol. 156, janvier 1404. 25. Ibid., fol. 36 ; autre exemple ibid., fol. 44-44v., novembre 1401 : il s’agit d’un homme marié et « ancien » qui aurait défloré une fillette de neuf ans à Laon. Sur les relations des chambrières et de leurs maîtres, voir infra, n. 144. 26. JJ 169, 159, mai 1416, AVORD (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 27. JJ 155, 143, juin 1400, CERGY-PONTOISE (bailliage de Senlis). 28. JJ 160, 186. décembre 1405, GEMEAUX (bailliage de Sens et d’Auxerre). 29. JJ 169. 100, juillet 1416, ARÇAY (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 30. Voir aussi chapitre 11, p. 509. 31. 37 % des célibataires se déplacent dans le but prémédité de commettre leur crime, contre 30 % des hommes mariés. 32. JJ 127, 287, décembre 1385, IGNY-COMBLIZY (bailliage de Vitry) ; et JJ 151, 216, mars 1397, SAINT-QUENTIN (bailliage de Vermandois). 33. Il s’agit de la fête de la Saint-Crespin à Troyes, le 2 novembre 1402. Les cordonniers de la ville sont allés devant l’huis du premier président au Parlement car ils avaient été insultés par son cuisinier qui avait dit que « c’estoit la feste aux savetiers », N. de BAYE, Journal, t. 1, p. 48-49. 34. Pour B. CHEVALIER, Les bonnes villes de France, p. 242, il y a 4 à 5 % de clercs en milieu urbain. 35. Voir tableau 1, chapitre 1. 36. Un tiers des clercs se dit au service d’un autre personnage. En ce qui concerne leur situation de famille, 33 % se disent célibataires, 33 % se disent mariés, le dernier tiers ne précisant pas de situation de famille.

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37. Par exemple JJ 130, 260, juin 1387, BRÉBAN (bailliage de Sens et d’Auxerre) : « rioteux, plaideur, concubinaire et maintenoit femmes mariees et autres et haï ou pays ». Pour une image résumée des fabliaux, M.Th. LORCIN, Façons de sentir…, p. 181 et suiv. Sur cette vision traditionnelle du clerc dans les sources ecclésiastiques, P. ADAM, La vie paroissiale…, p. 151 et suiv. La prosopographie du milieu clérical remet actuellement en cause cette analyse, N. LEMAÎTRE, Le Rouergue flamboyant…, p. 180-184. 38. JJ 155, 100, mai 1400, ARTINS (bailliage de Touraine). 39. X 2a 14, fol. 34v., juillet 1401. 40. Ibid., fol. 55-55v., mars 1402. Sur l’importance de ces distinctions, B. GUENÉE, Tribunaux…. p. 109-112, qui cite de nombreux exemples extraits des registres criminels du règne de Charles VI. 41. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 84-87. 42. L. MERLET, « Registres des officialités… », p. 574-575. 43. C’est le cas de Guillaume de Tignonville, voir chapitre 5, n. 165 ; autre exemple en 1416 où le procureur du roi s’oppose à l’évêque d’Amiens et, après avoir décrit Jean de La Haye du Petit Breton comme un « concubinaire de bordeau » qui « s’est tenuz sur le plat paiz et a vesqu sur les eglises et monasteres » pour le ramener à l’état d’« espieur de chemins », conclut que « le privilege de clerc ne s’estent point a telles manieres de gens », et que « les prelatz sont negligens et que plusieurs ne prennent tonsure sinon pour eschevier la jurisdiccion de la justice laye dont est grant esclande », X 2a 17, fol. 217v.-218, avril 1416. Autre cas où le procureur du roi demande de faire exemple, X 2a 15, fol. 189v., août 1407. Néanmoins, au même moment, des clercs sont rendus à l’official ; par exemple X 2a 14, fol. 4, novembre 1400 : le coupable est rendu à l’évêque d’Amiens ; ibid., fol. 37, juillet 1400 : le coupable est rendu à l’évêque de Paris. Les critères de décision ne sont pas nets. 44. X 2a 14, fol. 111 et suiv. Sur ce procès, voir E. MARTIN-CHABOT, « L’affaire des quatre clercs… », p. 238 et suiv. 45. Ibid., fol. 299, voir chapitre 5, n. 165. 46. Ibid., fol. 300-303. 47. Voir chapitre 1, n. 66. 48. X 2a 14, fol. 133. 49. Par exemple ibid., fol. 29v.-30 : l’abbé de Saint-Julien de Tours a été agressé à l’épée par Anseau d’Amboise, écuyer. Le procès le décrit lisant ses heures dans son jardin au moment des faits. Le procureur du roi dit que la justice est acquise au roi car il y a port d’armes et sauvegarde enfreinte, d’autant plus que l’abbé ne s’est défendu qu’en jetant une motte de terre ! 50. Les crimes commis par les clercs se répartissent ainsi : rixes 50 %, vol 17 %, rupture de sauvegarde 17 %, faute professionnelle 16 %. 51. JJ 155, 270, octobre 1400, CERISY (bailliage d’Amiens). 52. Ibid., 15, lettre citée chapitre 6, n. 174. 53. Ibid., 444, mars 1401, SAINT-ANDRÉ-LE-DÉSERT (bailliage de Mâcon). 54. Ibid.. 49, juin 1400, (bailliages de Saint-Pierre-le-Moûtier et des montagnes d’Auvergne). Le clerc tenait taverne avec une « fille » ; JJ 211, 28, octobre 1483, BUSSIÈRES (bailliage de Meaux), qui parle du « prestre dudit lieu qui faisoit taverne ». 55. JJ 155, 343, janvier 1401, SAINT-MAUR (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 56. E. LE ROY LADURIE, Montaillou…. p. 222-223. 57. JJ 118, 49, novembre 1380, OUANNE (bailliage de Sens et d’Auxerre). 58. JJ 155, 264, novembre 1400, LA CELLE-GUENAND (bailliage de Touraine). 59. Par exemple JJ 143, 171, septembre 1392, LA CHAPELLE-VENDÔMOISE (bailliage de Chartres). 60. JJ 160, 440, août 1406, ERMONT (prévôté de Paris). 61. JJ 133, 10, lettre citée chapitre 6, n. 134. 62. JJ 211, 481, décembre 1483, CHALUS (sénéchaussée de Périgord).

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63. Ibid., 19, 1483 sans précision de mois, SA1NT-CHÉRON (bailliage de Chaumont). 64. Par exemple X 2a 15. fol. 31v., septembre 1405 : meurtre d’un prieur, qui a pour motif un vol d’objets liturgiques en or et en argent. 65. X 2a 16, fol. 70, juin 1410, BRANDONVILLERS. 66. JJ 211, 229, janvier 1485, ALLUYES (bailliage de Chartres). 67. Au total, 15 % des clercs ne donnent pas de motifs à leur déplacement ; 23 % donnent des motifs religieux, 23 % des loisirs, 31 % le crime lui-même, 4 % la guerre, et 4 % d’autres motifs. 68. Sur ce crime et les réactions qu’il suscite normalement, voir chapitre 18, p. 816 et suiv. 69. Cette idée est commune à tous les penseurs politiques du règne de Charles VI, en particulier J. GERSON, Vivat Rex, Œuvres complètes, t. 7, p. 1172 et 1179. 70. Sur la terminologie de la pauvreté, M. MOLLAT, Les pauvres…, p. 11-21, et J.L. ROCH, Vocabulaire de ta pauvreté… 71. X 2a 14, fol. 32-32v., juillet 1401. 72. Registre criminel du Châtelet, t. 2, p. 524. Chaque mention de pauvreté implique, dans ce registre, une attitude bienveillante des juges. L’emploi du mot est indépendant de la mention « n’avait aucuns biens » qui figure le plus souvent après l’évocation du supplice. 73. X 2a 16, fol. 75, août 1410. Pour le début de cette affaire, voir chapitre 4, p. 181. 74. Les fondements des droits des pauvres sont en particulier analysés par saint Thomas d’Aquin, G. COUVREUR, Les pauvres ont-ils des droits ?…, p. 252 et suiv. Le pauvre est donc un personnage ambigu qui suscite d’ailleurs une « moquerie rituelle », J. L. ROCH, « Le jeu de l’aumône… », p. 515 et suiv. 75. Cl. GAUVARD, « L’image du roi justicier… », p. 170-171. 76. G. DU BREUIL, Stilus Curie Parlamenti, paragr. 12, p. 15. Sur les mesures prises contre le vagabondage, voir Br. GEREMEK, « La lutte contre le vagabondage… », p. 233. 77. Y 5266, fol. 135v., 28 octobre 1488. En marge figure la notation « rayé sur le petit papier ». En fait, ces gens sans domicile ne restent pas dans les prisons du Châtelet et sont relâchés le lendemain. La situation, à la fin du XVe siècle, ressemble à celle d’Avignon où J. CHIFFOLEAU, Les justices…, p. 258, ne voit « aucune volonté de répression systématique des errants dans la pratique des juges du XIVe siècle ». Les ordonnances prises par les souverains à partir de 1351 ne changent donc pas totalement la pratique judiciaire. 78. Par exemple Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 102-103. De la même façon, six hommes sont bannis à la fin du XVe siècle « pour ce qu’ilz sont tous oysifs et vacabons quy de riens ne servent, couppeux de bourses, larrons bannis et les aucuns essorillés », Y 5266, fol. 198v., janvier 1489. 79. 69 % des valets se disent pauvres, contre 45 % pour les maîtres. Cette attitude reflète une position de fragilité économique, mais aussi sociale et politique. 80. Par exemple JJ 127, 180, septembre 1385, FÈRE-CHAMPENOISE (bailliage de Vitry) ; JJ 155, 115, juin 1400, ARDES (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier) ; JJ 143, 8, juin 1392, BOULAY (bailliage de Sens et d’Auxerre). 81. Le problème est posé par M. MOLLAT, Les pauvres…. p. 14 et suiv. 82. JJ 127, 143, septembre 1385, SAINT-LEU-LA-FORÊT (prévôté de Paris). 83. JJ 127, 41, juillet 1385, COURTENAY (bailliage de Sens et d’Auxerre). 84. JJ 165, 35, lettre citée chapitre 6, n. 150. 85. JJ 120, 106, février 1382, LORMAYE (bailliage de Chartres). 86. JJ 169, 117, novembre 1415, LE CHÂTELET (bailliage de Vermandois) et JJ 128, 49, janvier 1386, SAINT-GERMAIN-LAXIS (bailliage de Melun). 87. JJ 127, 125, septembre 1385, COLTAINVILLE (bailliage de Chartres). 88. R. LAVOIE, « Endettement et pauvreté… », p. 201-216, G. BOIS, Crise du féodalisme…, p. 127 et suiv., et M. LE MENÉ, Les campagnes angevines…, p. 431 et suiv. 89. JJ 155, 254, octobre 1400, JUMIÈGES (bailliage de Rouen). 90. JJ 169, 82, février 1416, LE DÉZERT (bailliage de Cotentin).

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91. G. BOIS, Crise du féodalisme…, p. 284 et suiv. 92. Les effets complexes de la guerre sont analysés chapitre 12, p. 528 et suiv. 93. JJ 165, 38, janvier 1411, REVERCOURT (bailliage de Chartres). 94. G. COUVREUR, Les pauvres ont-ils des droits ?…, p. 256, n. 6-8, et p. 257, n. 12.. 95. JJ 169, 88, janvier 1416, MELUN (bailliage de Melun) ; JJ 160, 159, janvier 1406, CHÂTEAUROUX (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 96. JJ 165, 35, lettre citée chapitre 6, n.150 et supra, n. 84. 97. Voir chapitre 10, p. 464. 98. JJ 160, 159, lettre citée supra, n. 95. 99. Le criminel est seul dans 65 % des vols, et dans 60 % des cas où le vol est le premier antécédent du crime. 100. JJ 165, 311, lettre citée chapitre 6, n. 138. 101. JJ 169, 80, février 1416, BONDY (prévôté de Paris). 102. JJ 151, 2, novembre 1396, (bailliage d’Amiens). 103. JJ 165, 173, août 1411, (sans mention de lieu ni de juridiction). 104. JJ 130, 204, lettre citée chapitre 6, n. 186 105. JJ 160, 370, lettre citée chapitre 6, n. 86. 106. 38 % des crimes commis par des pauvres le sont dans la rue, 23 % dans la maison ou autre lieu clos, 15 % dans la nature cultivée, 11 % à la taverne, 3 % dans la nature sauvage et 10 % en d’autres lieux. 107. JJ 151, 239, avril 1397, L’ILE-BOUCHARD (bailliage de Touraine) ; JJ 160, 153, décembre 1405, VERRIÈRES-EN-FOREZ (bailliage de Mâcon). Sur la différence entre le mendiant et le vagabond, M. MOLLAT, Les pauvres…, p. 299. Le « menestrel » serait le type même du vagabond et du marginal, Br. GEREMEK, Les marginaux…, p. 173-178. 108. JJ 133, 17, juin 1388, LAON (bailliage de Vermandois). 109. Sur ces mesures, voir supra, n. 76. Les procédés d’exclusion sont analysés par J.Cl. SCHMITT, Mort d’une hérésie…, p. 137 et suiv. 110. JJ 160, 55, lettre citée chapitre 6, n. 89. 111. JJ 127, 51, 57 et 71, juillet 1385, SINCENY (bailliage de Vermandois). 112. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 389-390, année 1449. 113. Ces données sont inférieures à celles qui concernent le domicile puisque seulement 7 % de suppliants ne précisent pas leur lieu d’habitation. 114. Voir tableau 26, chapitre 11. 115. Le problème est nettement posé par M. DAVID, « Les laboratores… », p. 174-195 et 295-325. Sur la place des laboratores dans la société tripartie, voir la mise au point de J. LE GOFF, « Note sur la société tripartie, idéologie monarchique et renouveau économique dans la chrétienté du IX e au XIIe siècle », Pour un autre Moyen Age…, p. 80-90. 116. Ch. de PIZAN, Le Livre du corps de policie, p. 199. On trouve aussi l’expression « laboureur de terre » dans les lettres, par exemple JJ 169, 69, février 1416, SAINT-MARTIND’ENTRAIGUES (sénéchaussée de Beaucaire). J. GERSON, Rex in sempiternum, Œuvres complètes, t. 7, septembre 1413, p. 1013, parle de « laboureurs » ou « d’hommes de labour ». Ils constituent, avec la bourgeoisie, les jambes et les pieds de la statue de Nabuchodonosor qui « sont partie de fer et partie de terre », et qui « pour leur labeur et humilité » doivent « servir et obeir ». Voir supra, p. 383. 117. JJ 155, 100, lettre citée supra, n. 38. 118. JJ 169, 102, juillet 1416, LANGRES (bailliage de Sens et d’Auxerre). 119. En particulier, depuis les travaux de R. BOUTRUCHE, La crise d’une société…, p. 95-96. 120. JJ 165, 324, septembre 1411, (bailliage de Troyes) ; JJ 127, 227, novembre 1385, TOURNAI (bailliage de Tournai) ; ibid., 254, novembre 1385, AUBERGENVILLE (bailliage de Mantes).

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121. JJ 127, 168, octobre 1385, BRAINES (bailliage de Sentis). Le suppliant a bien des activités agricoles puisque le litige concerne du bois abattu et vendu. 122. JJ 127, 224, novembre 1385, MARCILLY-LE-HAYER (bailliage de Troyes). Sur ce point, M. DAVID, op. cit. supra, n. 115. 123. JJ 127, 96, juillet 1385, VIGNACOURT (bailliage d’Amiens). 124. Cette distinction est reprise par Ph. CONTAMINE. La vie quotidienne pendant la guerre de Cent ans…, p. 141. 125. Cette notion de valet-laboureur pose le problème du statut juridique et social du laboureur. Le nombre de ces mentions ne permet pas de conclusion probante. 126. JJ 169, 134, mai 1416, RIVERIE (bailliage de Mâcon). 127. En ce qui concerne le lieu du crime, la taverne représente 13 % des lieux pour les laboureurs et les laboureurs de bras, les lieux clos : 19 % pour les laboureurs et 25 % pour les laboureurs de bras, la rue : 30 % pour les laboureurs et 38 % pour les laboureurs de bras, la nature cultivée : 23 % pour les laboureurs et 13 % pour les laboureurs de bras, la nature sauvage : 4 % pour les laboureurs et 2 % pour les laboureurs de bras, et les autres lieux respectivement 11 % et 9 %. 128. Les autres types de crime sont également répartis. Seule la rupture d’asseurement présente une distorsion : 5 % pour les laboureurs contre 15 % pour les laboureurs de bras. 129. 8 % des laboureurs de bras ont des défauts, presque autant que les officiers (9 %), contre 3 % des laboureurs seulement. Leur état d’ébriété est également dénoncé : 17 % contre 13 % pour les laboureurs. 130. 29 % des gens de métier commettent leurs crimes dans la maison ou autre lieu clos, 7 % à la taverne, 47 % dans la rue, 4 % dans la nature sauvage. Comparer supra, n. 127. 131. Les gens de métier comportent 15 % de maîtres, 18 % de valets, 2 % de compagnons, 9 % de serviteurs. Mais 56 % d’entre eux ne précisent pas leur place hiérarchique. Les termes « valet », « compagnon », « serviteur » sont empruntés au vocabulaire des lettres. Sur la définition de ces mots dans le monde des métiers, voir Br. GEREMEK, Le salariat…, p. 35-36. 132. 19 % des gens de métier ont des qualités reconnues, et 7 % seulement sont déclarés en état d’ébriété. Ils constituent seulement 18 % des pauvres, et 15 % des pauvres endettés. 133. Voir tableau 34, chapitre 14. 134. JJ 127, 30, lettre citée chapitre 3, n. 35. 135. JJ 151, 230, avril 1397, ARRAS (bailliage d’Amiens). Sur les conditions d’embauche à Paris, Br. Geremek, Le salariat…, p. 126-128. 136. Par exemple X 2a 14, fol. 97, décembre 1402. Les serviteurs pages du comte Jean de Sancerre avaient « scellé une alliance ensemble » pour emporter une partie de l’héritage à la mort de leur maître. En réponse à la partie adverse, ils affirment qu’ils sont « gentils hommes », mariés, riches, et qu’ils ont toujours été bien payés de leurs gages (1200 francs par an). Sur le cas de vols ancillaires, ibid., fol. 236v., mars 1404. Voir aussi les exemples parisiens cités chapitre 6, n. 138 et 139. 137. Dans 75 % des cas, le crime qui oppose un serviteur à un maître, est un vol. Avec 20 % des cas, l’homicide est nettement distancé dans le cadre de ces relations. 138. JJ 160, 168, janvier 1406, SAINT-GERMAIN-EN-LAYE (prévôté de Paris). 139. JJ 160, 377, juin 1406, GAGNY (prévôté de Paris). 140. JJ 169, 134, lettre citée supra, n. 126. 141. Cité et commenté par M. VINCENT-CASSY, « L’envie… », p. 264. 142. JJ 181, 216, janvier 1453, MEHUN-SUR-LOIRE (bailliage de Montargis et Cepoy). 143. Les théoriciens du règne de Charles VI sont surtout sensibles à cette obéissance des serviteurs, et du peuple en général, après les événements de 1413, J. GERSON, Rex in sempiternum, Œuvres complètes, t. 7, p. 1029-1030, qui fait de l’état de labeur une « terre d’humilité ». Sur cette notion générale d’obéissance, B. GUENÉE, Entre l’Eglise et l’Etat…, p. 31-35. Au Parlement, le cas est examiné d’un maître qui, ayant refusé de payer son serviteur, l’accuse de l’avoir volé, et le fait

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avouer par des séances de torture auxquelles il assiste, l’appel des parents n’ayant pas réussi à interrompre la procédure : X 2a 14, fol. 152v., janvier 1404. Sur la nature de ces liens maîtreserviteur et la solidarité qui se trouve ainsi créée, voir chapitre 15, p. 696-697. 144. JJ 208, 117, septembre 1480, ROUEN (bailliage de Rouen) ; JJ 155, 130, juin 1400, (bailliage de Melun). 145. JJ 208, 48, lettre citée chapitre 2, n. 58. 146. JJ 127, 80, août 1385, BOURGES (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 147. Sur la vision traditionnelle du rival et de l’adultère, voir chapitre 18, n. 115 et suiv. 148. Par exemple, Registre criminel du Châtelet, t. 2, p. 137. 149. La solidarité de métier peut rendre les valets dangereux car ils sont complices dans le crime, ibid., p. 117. 150. X 2a 14, fol. 113v., janvier 1403. L’arrêt est pris le 6 septembre 1404, ibid., fol. 207. 151. Sur les effets de ces regroupements de valets dans la criminalité parisienne, voir les exemples cités chapitre 6, n. 145 à 147. Ces cas montrent l’importance des groupes de pression et des clientèles dont les hôtels des grandes familles nobles sont les lieux de rassemblement, Cl. GAUVARD, « Les officiers royaux et l’opinion publique… », p. 586-587. 152. JJ 151, 240, avril 1397, MASSY (prévôté de Paris) ; autre exemple, JJ 169, 130, mai 1416, BETZ (bailliage de Vermandois). 153. J. CHIFFOLEAU, Les justices…, p. 243-260. Peut-on alors lier le crime aux conséquences du déracinement ? 154. La différence entre les profils des maîtres et des serviteurs doit tenir compte des mentions inconnues. Dans 22 % des cas, aucun lien avec la victime n’est mentionné pour les maîtres, alors que cette proportion atteint 40 % pour les valets. D’autres exemples de solidarité des classes sociales, JJ 155, 39, mai 1400, (bailliage de Dreux), et JJ 160, 182, lettre citée chapitre 6, n. 145, où une rixe oppose un valet du duc d’Orléans à un valet de Jean de Dreux à propos des lévriers de leurs maîtres. 155. JJ 160, 191, lettre citée chapitre 6, n. 156. 156. JJ 133, 17, lettre citée supra, n. 108. 157. Voir M.Th. K.AYSER-GUYOT, Le berger en France…, p. 105-109. Remarques suggestives dans M. MOLLAT. Les pauvres…, p. 289. 158. De nombreuses lettres de rémission sont signalées par S. LUCE, Histoire de la Jacquerie…. p. 150 et suiv. 159. C’est la thèse défendue par G. FOURQUIN, Les campagnes de la région parisienne…, p. 232-240. Ce point de vue est repris par R. CAZELLES, « La Jacquerie… », p. 654-666, et par A. LEGUAI. « Les révoltes rurales… », p. 49-76. 160. JJ 127, 143, lettre citée supra, n. 82. Le suppliant, sertelier de son métier, accusé d’avoir volé du bois dans la forêt. « aussi confessa que, ou temps ou la commocion qui fu l’an 1358 des non nobles contre les nobles, il fut avec plusieurs mal conseilliez, ou plusieurs maulx. crimes et delicts furent fais et perpetuez ». 161. Sur l’analyse du vocabulaire de la Jacquerie dans les chroniques, M.Th. de MEIDEROS, Jacques et chroniqueurs…. 162. Par exemple JJ 98, 230, septembre 1365, PONTPOINT (bailliage de Senlis). 163. Pour A. LEGUAI, « Les révoltes rurales… », p. 53, et p. 76, n. 78, le prix de la lettre est une lourde hypothèque. L’aisance relative des révoltés et la place générale des laboureurs dans la rémission sont, me semble-t-il, un contre-argument : 33 % des criminels remis pour un crime de lèse-majesté sont des laboureurs, soit autant que les hommes d’armes. 164. JJ 98, 253, octobre 1365, MONTATAIRE (bailliage de Senlis). Cette lettre est signalée par S. LUCE, Histoire de la Jacquerie…, p. 333. Sur la chronologie des événements cités par les lettres, voir J. FLAMMERMONT, « La Jacquerie en Beauvaisis », p. 123-143. 165. Voir chapitre 12. p. 549 et suiv.

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166. G. BOIS, « Noblesse et crise des revenus seigneuriaux », La Noblesse…, p. 219-233. 167. Plutôt que d’une crise de la noblesse aux XIV e et XVe siècles, on peut parler d’un temps de la noblesse. Le problème est posé par B. GUENÉE, L’Occident…. p. 264 et suiv. Les travaux de R. CAZELLES, en particulier Société politique, noblesse…. p. 60-96, insistent sur cette prépondérance nobiliaire. 168. Voir chapitre 2, p. 74. 169. JJ 133, 1, juin 1388, (bailliage de Mâcon). Il fallut l’intervention de la comtesse de Savoie, tante du roi, pour obtenir la rémission. De La Tour était lui-même originaire de Savoie. 170. JJ 127, 279, décembre 1385, CHÂTEAU-PORCIEN (bailliages de Vermandois et de Vitry). 171. J. GERSON, Examen de conscience selon les péchés capitaux, Œuvres complètes, t. 7, p. 394. Pour les théoriciens des XIVe et XV e siècles, l’orgueil est le péché politique par excellence. Celui des puissants est encore supportable, celui des pauvres est exécrable. Sur le rapport entre l’orgueil et l’honneur dans les populations ordinaires, voir chapitre 16, p. 715. 172. JJ 155, 125, juin 1400, CARENCY (bailliage d’Amiens). 173. X 2a 14, fol. 69v., mai 1402 ; X 2a 17, fol. 249v.-251v., février 1417, et exemples cités par Fr. AUTRAND, Naissance…, p. 246. 174. X 2a 14, fol. 67v.-68, mai 1402. 175. X 2a 14, fol. 105, juin 1402. 176. X 2a 10, fol. 131, août 1381. 177. JJ 107, 34, mai 1364, MONTFORT-L’AMAURY (bailliage de Mantes). 178. JJ 98, 99, novembre 1364, MONTFAUCON (bailliage de Vermandois). 179. JJ 98, 701, décembre 1365, GIRY (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 180. JJ 208, 150, lettre citée chapitre 2, n. 56. Sur la genèse du mot « roturier », K. BALDINGER, Der freie Bauer…, p. 251 et suiv. 181. JJ 98, 479, novembre 1365, (bailliage de Caux). 182. X 2a 17, fol. 249v.-251, février 1417. Jeanne de Châtillon dit « qu’elle est noble dame et riche, et aussi est sa fille, et est issue de la noble maison de Laval dont les seigneurs sont des royaulx, et pour ce monstrer dit qu’il y ot un nommé Jehan filz du roy de Jerusalem qui ot espousé une nommee Jehanne de Beaumont, et recite plus au long la genealogie dont est descendue, et dit que par le moyen de se desendue, elle fut moult notablement heritee et dame de plusieurs belles terres, et fut mariee a messire Bertran de Guesclin dont elle ot tres bel douaire, puis apres fut mariee a messire Guy de Laval par le moyen duquel elle est du lignage du duc de Bretaigne et duquel messire Guy est issue ladite Anne qui est cousine germaine du roy de Sicile, du duc de Bretaigne, du conte de Penthievre et autres, et si est de la maison de France et par ce est moult noble ex utroque parente, et si est moult riche car elle est dame de terres qui montent plus XXm livres de revenue ». 183. Pour des exemples d’unions « réussies », voir Cent Nouvelles nouvelles, LIV et LVII. Vu le ton de l’oeuvre, le mariage entre noble et non-noble doit être pris dans le sens comique, en particulier quand la demoiselle donne naissance à un charreton. Sur l’interprétation de ce type de document, M. GALLY et Ch. MARCHELLO-NIZIA, Littératures de l’Europe médiévale, p. 496, et les remarques formulées chapitre 5, p. 193. 184. JJ 172, 34, avril 1422, MIRAUMONT (bailliages d’Amiens et de Vermandois).

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Chapitre 10. Normal et pathologique

1

La formulation de ces deux concepts peut surprendre. Si on voit bien ce qu’ils doivent à l’approche des sociologues, et en particulier aux travaux d’E. Durkheim, on peut se demander s’ils ne sont pas, aux siècles qui nous occupent, anachroniques 1. En fait, il n’en est rien ; non seulement la société est parfaitement capable, comme nous l’avons déjà vu, de faire référence à une conduite normale, mais encore elle définit clairement le crime comme une rupture de la norme. Une des raisons d’être de la lettre de rémission est d’en apporter la preuve, d’abord en faveur du coupable. Dans près de 65 % des cas, la description du crime est assortie d’une ou plusieurs circonstances extérieures qui ont pu accompagner le crime : boisson, jeu, guerre, tentation de l’« Ennemi », péché, pauvreté, « chaude cole » (tableau 22). Cette classification donne une première approche de ce qui peut être considéré, en droit, comme des circonstances atténuantes. Il convient de les étudier sans perdre de vue que la théorie de la responsabilité n’existe pas dans l’ancien droit pénal médiéval 2.

2

La première justification personnelle, mentionnée dans près de 52 % des crimes graciés par la Chancellerie, retient 11 % de données psychologiques et physiologiques en faveur du coupable, soit autant que les charges de famille et plus que l’âge et les services rendus ou attendus (tableau 23). La mauvaise réputation de la victime que manifestent des troubles de la personnalité et du comportement est prise en compte comme première justification de la grâce royale accordée au coupable dans près de 9 % des cas (tableau 23). Il existe donc bien une sensibilité à la norme qu’accroît encore la nécessité d’excuser le crime. Face à ce discours, la difficulté consiste à cerner la réalité, tout en prenant en compte ce qui est considéré comme glissement vers le pathologique. Cette rupture implique-t-elle l’existence chez le coupable d’un état second ? Où commence l’irresponsabilité ? Est-ce l’effet de la maladie et de l’ivresse, de forces extérieures qui plongeraient leurs racines dans celles du « mal », ou encore d’un enracinement dans l’état criminel qui ferait du crime une profession ? Ces questions qui touchent aux mécanismes de la personnalité ne sont pas simples et les réponses ne prétendent pas donner un profil psychologique du coupable ou de la victime. Elles voudraient seulement faire la part de ce que la violence doit aux impulsions, aux secrets de l’irrationnel.

438

Tableau 22 : Circonstances du crime

Circonstances extérieures Fréquence (en %) Inconnue

34,3

Boisson

9,9

Jeu

5,2

Guerre

5,3

Diable

8,8

Péché

8,3

Magie

0,5

Pauvreté

2,5

Colère

16,5

Plusieurs facteurs

8,7 100

Les circonstances qui ont pu faciliter le crime sont réparties en grandes catégories, telles qu’elles sont exprimées dans le cours du récit. Leur énumération préfigure les circonstances atténuantes. Tableau 23 : Motifs de la rémission : a) Justifications par la personnalité du coupable

Personnalité du coupable 1er motif (en %) 2e motif (en %) Aucune

47,5

69,5

Qualités psychologiques

5,5

1,5

Age

8,5

1,5

Etat physiologique

5,0

3,5

Fortune

9,5

5,0

Charges de famille

11,5

8,5

Services rendus

5,5

2,0

Services attendus

0,5

2,5

Condition sociale

2,0

1,5

Autres

4,5

4,5

439

100

100

En accordant sa rémission, la Chancellerie justifie parfois sa décision par un ou plusieurs motifs qui tiennent à ta personnalité du coupable. Seuls les deux premiers motifs ont été pris en compte dans le tableau sur les quatre qui ont servi au raisonnement. Il est normal que l’absence de notation augmente avec le second motif. Les charges de famille se dégagent dans les deux cas mais l’âge entre facilement comme premier motif. b) Justifications par les circonstances du crime

Justifications pour le crime 1er motif (en %) 2e motif (en %) Aucune

19,5

58,5

Réputation de la victime

8,8

3,0

Légitime défense

10,3

5,5

Sentiments envers la victime

5,3

4,5

Prison

18.4

3,0

Bannissement

20,3

4,5

Diable

1,5

1,5

Hasard

1,7

3,0

Accord des parties

8,1

10,5

Autres motifs

6,1

6,0

100

100

Seul le premier motif tenant à la justification par le crime a été représenté. Il montre que la prison et le bannissement l’emportent sur toutes les autres considérations. Pour gracier, le roi ne craint pas de bafouer une situation légale existante quand elle est douloureuse.

SANTÉ ET MALADIE 3

Plusieurs fois nous avons déjà vu se profiler « l’homme sain ». Le mot est volontiers employé pour définir la normalité, et celle-ci commence par la santé, au sens physiologique du terme. On la voit surtout apparaître dans le comportement des victimes après le coup qu’elles ont reçu. La définition de cette bonne santé est double, passive et active. Elle consiste à ne pas se plaindre de son corps mais aussi à en disposer normalement et à participer pleinement à la vie sociale. Tous ces éléments sont étroitement mêlés à travers un paraître dont les autres sont les témoins et les juges. Ne pas se plaindre d’un coup, c’est déjà en nier l’importance ; il n’est pas reconnu aux yeux de la collectivité. A la décharge du coupable, cet homme agressé s’est comporté « sans ce qu’il se complaingnist ne dolust dudit cop aucunement » 3. La perception de la bonne

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santé se fait encore de l’extérieur, au juger des fonctions physiologiques considérées comme normales : boire, manger, avoir des relations sexuelles. Celui-ci, ne tenant pas compte du coup qu’il a reçu, va pendant trois semaines « buvant et mangant de toutes viandes comme une autre personne saing »4. 4

Mais surtout, la bonne santé éclate à la vue de tous puisqu’elle ne retranche pas le sujet de la vie sociale. Le malade reste au lit ; par opposition, l’homme sain participe à toutes les activités qui, comme nous le verrons, l’intègrent à la communauté : messe paroissiale, taverne et jeu. La possibilité d’accomplir le travail habituel est aussi un des signes de cette normalité. Nous avons déjà vu la place que le « labour » occupe dans la vie des criminels. Le voici de nouveau, essentiel, pour définir la norme. Il permet effectivement à la communauté de juger à l’évidence du bon comportement de ses membres. Cette lettre du bailliage de Vermandois résume bien la situation. Elle décrit une série de coups échangés huit jours après Pâques de l’an 1385, soit le 10 avril. La blessure paraît peu profonde et le suppliant affirme que la victime a poursuivi ses activités jusqu’à la Saint-Jean, soit pendant deux mois et demi environ, « sanz ce qu’il en jeust au lit, ne fust malade, ne en laissast a faire sa besoigne, ne jouer, ne aler comme il faisoit par avant, mais depuis lors a esté en bonne santé jusqu’à la Saint-JehanBaptiste »5. On voit bien l’intérêt que le coupable peut avoir à démontrer que le comportement de la victime est normal. Cela importe peu finalement à notre propos. A travers ce portrait se dessine l’image idéale de l’homme normal.

5

Parfois, et même au cours du XVe siècle de façon de plus en plus fréquente, la communauté délègue ce regard à un spécialiste, le « mire » ou « chirurgien », qui dit la gravité des coups et donne une conduite à tenir. A la victime de s’y conformer sous peine de voir le coupable bénéficier d’une circonstance atténuante. Ces « chirurgiens jurés » sont là pour apporter le crédit de la science au jugement des contemporains. Ils sont surtout là pour faire la part des responsabilités dans la mort de la victime et répondre à la double question : la victime était-elle déjà malade et peut-elle être guérie du coup qu’elle a reçu ? La qualité du mire peut, bien sûr, dans ce jugement, être mise en cause. Le sort de Jean Odin, suppliant d’Orval dans le bailliage de Saint-Pierre-leMoûtier est ainsi soumis au jugement de deux mires qui se succèdent au chevet de Martin Raoul, sa victime. Le premier « n’estoit pas bien expert en tele science » 6. Alors l’état de Martin empire et Jean Odin s’enfuit. La blessure devient crime. Mais le second « print ledit Martin en cure et dist qu’il gueriroit et le gouverna par certain temps tant que il amenda fort et lors ledit exposant retourna au pays cuidant comme plusieurs faisoyent que ledit Martin feust ou deust estre tantost gueriz ».

6

On le voit par cet exemple, l’avis du chirurgien peut influencer l’opinion publique. Mais, en termes médicaux, que lui demande-t-on ? Il lui faut « appareiller » la plaie. Toute victime qui n’a pas voulu être soignée est en défaut et le fait entre à la décharge du coupable. Tel est donc le terme médical par excellence, appliqué ici aux coups qui ont été reçus. Par voie de conséquence, les effets secondaires ne sont pas obligatoirement liés à la blessure. Reprenons l’exemple de Martin : blessé d’un coup de couteau au côté entre les deux côtes, on note que « pour lequel coup il fu couché au lit ainsi navré et des lors il avoit flus de ventre ». Mais la suite de la lettre continue à énumérer les deux choses, plaie et flux de ventre sans émettre entre elles une relation de cause à effet. On prétend d’ailleurs Martin guéri car sa blessure « fut toute reclose bien par l’espace de deux mois ou environ ». On note seulement qu’il continue à être faible à cause du flux de ventre qui n’a pas cessé et il finit par mourir « et dient aucuns

441

que apres ce que la dicte plaie fut reclose et estouppee il getta sang par la bouche ». Certes, l’intérêt du suppliant est de dissocier la blessure de ses conséquences cliniques. Mais n’est-ce pas plutôt le signe d’une méconnaissance complète de l’intérieur du corps ? Seul l’extérieur est réellement perçu. On parle du sang qui circule mais les organes internes sont rarement énumérés. La tâche médicale du chirurgien consiste essentiellement à cicatriser, à effacer la blessure, à redonner au corps son aspect extérieur pour qu’on le voit indemne. 7

Les prescriptions du chirurgien qui accompagnent les soins relèvent de la même préoccupation du paraître. Elles définissent un style de vie qui doit permettre à la victime de rejoindre le clan des hommes normaux. Tout l’art consiste à ne pas commettre d’excès, à ne pas faire montre d’« un mauvais gouvernement ». Avec cette expression, on cerne bien comment la normalité peut, aux yeux des contemporains, glisser vers le pathologique. Elle consiste à user de toutes les activités avec modération. Cette victime a reçu un coup de bâton sur la tête : qu’importe ! Elle « estoit moult esmeuz et eschauffez ou dit fait et beut du vin et foison d’eaue environ deux pintes par quoy il pot sa mort avancer »7.

8

La mort peut donc venir d’une double négligence de la victime, parce qu’elle ne s’est pas fait « appareiller » et parce qu’elle « ne s’est pas bien gardee » 8. Voici le cas d’une de ces victimes, morte pour ne pas avoir suivi les conseils de mesure de son chirurgien, « lequel dit et comanda au dit Oudinet qu’il se teinst en sa maison sanz aller par la ville et lui defendi boire et manger egnins ; ledit Oudinet n’en voult rien faire ne obeir a son cyrurgien, mais ala par la ville et par les tavernes avec les compaigons, but vin a grant planté et manga aulx par ancelle »9.

9

Cette notion de « mauvais gouvernement » flirte avec la démesure. On lui trouve d’ailleurs accolé les termes de « fol » et « d’oultrage » : ce suppliant a si longtemps vécu après sa blessure – huit mois – qu’on peut supposer « qu’il soit mort par son oultrage et mauvais gouvernement ou autre maladie »10. La norme physique consiste bien à vivre dans la modération. Le conseil vaut pour tous, y compris pour le roi que les théoriciens de la vie politique, au même moment, confortent dans la sagesse du boire et du manger : « Et se de ses viandes et beuvrages il usoit moiennement et discretement, il aurait santé et vivrait longuement » conseille ce « best-seller » qu’est le Secret des secrets11. Le péché de gourmandise n’est pas loin de suivre, lui qui compromet gravement la vie spirituelle. Le thème de la vie bien réglée que stimulent le retour aux textes antiques et, à travers eux, l’apologie de la frugalité, est fréquent au milieu du XIVe siècle, chez Philippe de Vitry ou chez Guillaume de Machaut. Celui-ci, en 1357, dans le Confort d’Ami conseille à Charles de Navarre : « Se tu vues bien faire et bien vivre Soies ordenez en ton vivre, Car mengier souvent et menu Ha fait que pluseur sont venu a leur mort, ne ce n’est pas vie De vivre en tel gourmanderie Eins est vie de beste mue Qui toudis runge et toudis mue. » et il poursuit : « Qui ne se couche a heure et lieve, C’est une chose qui tant grieve Qu’on en haste souvent sa mort »12.

442

10

Le thème est repris par les théoriciens du règne de Charles VI, mais la tempérance est un support immédiat des vertus politiques. L’interprétation que Pierre d’Ailly donne aux Dicts de Franc Gontier est significative de cette évolution qui lie de façon systématique la gourmandise à la tyrannie. Le tyran est celui qui siège à « haulte table », « En grant palais, en sale plantureuse, Avironné de famille pompeuse, Plaine de fraude, d’envie et de murmure, Vuyde de foy, d’amour, de paix joieuse, Serve et subgitte par convoiteuse ardure »13.

11

Dans la vie quotidienne, les excès de la table et de la chair font moins peur que le domaine inexplicable de la maladie. Ecoutons la perplexité qui s’empare de ce mire appelé au chevet d’une victime morte et qui se prononce, faute de mieux, en terme de comportement moral : « Le mire juré visitat Colin apres son trespassement, par ordonnance de justice et presens plusieurs personnes, et trouva le corps tout enflé et plein de feu et yssoit parmi ledit feu sanc et yaue rance, et paravant l’avoit laissié desenflé, et dist qu’il supposast mieulz qu’il fut mort par avoir prins chose contraire, changié son appareil et mal gardé »14. Il y a loin de cette visite à l’oeil averti des médecins de Rembrandt, mais, pour l’heure, le choix est limité. Quel autre conseil donner que d’éviter la maladie quand on ne sait la soigner ? La modération est fille de l’incompétence, et le conformisme moral que révèlent toutes ces attitudes stéréotypées trouve là sa justification. La voie moyenne est une nécessité de survie, autant et sans doute plus qu’un choix délibéré. Et quand, par hasard, la démesure s’empare de la description de l’homme sain, l’action force l’admiration mais devient vite suspecte car la mort n’est pas loin. Tel est le sort de ce bûcheron qui, après sa blessure « ala besongner au bois du mestier de boscheron dont il se mesloit et y ouvra par plusieurs journees et se ala aussi aus festes et esbatement dansier, jouer, esbatre et boire es tavernes, veoir les filles de vie et gesir avecque elles charnellement ; ala aussi jouer aus boulles, getter la pierre au plus loing et faire plusieurs exces et toutes choses que homme sain peut faire »15. C’était attendu : il meurt.

12

L’excès est du domaine du possible mais la modération convient au probable. Elle est bien un repli nécessaire. Ce besoin physiologique qui conduit au conformisme s’applique aussi aux excès des attitudes religieuses. Certes, les critiques adressées aux jeunes excessifs et aux manifestations pénitentes exacerbées ne trouvent pas toute leur explication dans un simple souci de survie. Mais cet aspect s’ajoute aux inquiétudes de l’Eglise militante et des pouvoirs politiques face à une « théologie du laïcat » considérée comme subversive et dont le procès de Jeanne d’Arc permet de mesurer l’ampleur. Ceux qui, comme elle, échappent à cette piété que Fr. Rapp qualifie de « rassie » à force d’être commune, ne sont-ils pas condamnés à l’anormalité 16 ? Reprenons l’exemple de Marion que nous avons vue dépitée de ne pas avoir été secourue par les hommes qui passaient sur la route jusqu’à être conduite au désespoir qui mène au meurtre de son enfant et au suicide17. La lettre de rémission la dit aussi « toute ydiotte et lunatique parfoiz laquelle de feblesse tant de jeunes et abstinances (...) et mesmes ledit jour de vendredy qu’elle fist le dit cas par devocion s’estoit vestue en lenges ». L’excès du jeûne nuit. Certes cette clause accompagne particulièrement les cas de suicide et d’infanticide18 ; le but est d’obtenir plus facilement un pardon religieux. Mais c’est aussi une circonstance atténuante relative aux troubles de la personnalité. La répétition des

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jeûnes, une attitude pénitente trop voyante mènent au déséquilibre, à la mélancolie, voire à la folie. 13

L’homme malade doit se soigner et l’homme sain se préserver. Empruntons la conclusion sur ce point à Nicolas de Baye. Parlant de la mort de Louis de Guyenne survenue le 18 décembre 1416, sa réflexion unit les réminiscences de la culture politique aux expériences de la pratique juridique et il constate : « car sa condition estoit d’emploier la nuit a veiller et po faire, et le jour a dormir, disnoit a III ou IIII heures apres midi et soupoit a minuit, et aloit coucher au point du jour ou a soleil levant souvant, et pour ce estoit aventure qu’il vesquist longuement » 19. La mesure en toute chose est bien intrinsèquement liée au bon exercice de la vie quotidienne.

14

Cette loi du juste milieu trouve son antithèse dans la seule maladie qui soit finalement reconnue comme circonstance atténuante : la folie. On aurait pu s’attendre, en ces temps d’épidémies, à voir apparaître la peste. Elle est un agent perturbateur de la vie quotidienne sur laquelle nous reviendrons, mais elle ne facilite pas la rémission du crime, sauf pour dire que la victime est peut-être morte de la « bosse ». Le coupable est un homme dont les membres sont sains ; seul son « cervel » peut être atteint et dans ce cas il peut être considéré comme irresponsable. Environ 1 % des exposants font ainsi mention de dérèglements cérébraux, ce qui est quantitativement négligeable dans l’ensemble du sondage. Outre les effets de jeûnes prolongés, Marion a subi autrefois un coup à la tête. Cet autre exposant est devenu « ydiot » après être tombé de son pommier. Celui-ci est souvent « lunatique et hors de son memoire ». Cet autre encore a « tant esmeu » son cerveau « au feu du four qu’il a chauffé continuellement pendant quatorze annees » qu’il en est devenu faible, usé et ignorant20. De là découlent des signes d’anormalité qui ne trompent pas. Ils peuvent être utilisés à la décharge du coupable.

15

Nous sommes là aux origines de l’ancien droit criminel. La folie est une des rares causes d’irresponsablilité d’après les sources romaines que le droit canonique élabore en une théorie ordonnée, et Philippe de Beaumanoir considère le fou comme irresponsable 21. Ce sont des principes dont les lettres de rémission se font les échos. Malgré le stéréotype que suppose le recours au droit, les lettres de rémission décrivent aussi des attitudes, en particulier celle des proches ou des témoins, face à la démence. Il y a de l’étonnement dans la description des conduites de folie qui tranchent sur la normalité, parfois de la frayeur, mais l’inquiétude n’est pas réellement de mise. Jehannin Du Moustier, habitant Paris vers 1380, « s’en aloit par bois et par champs sifflant aus oiseaux tout seul en demourant deux ou trois jours tant qu’il perissoit de faim et le ramenoient les bonnes gens qui le trouvoient » ; quant à Colin Jacquart, « jeune enfant » d’environ 18 ans, il semble devenu fou depuis trois ans et malgré les signes évidents de sa maladie qui font « qu’il ne parloit ne mengioit en un deux ou trois jours et faisoit ou paignoit choses fantastiques », il n’a pas quitté le domicile de ses parents qui, finalement, le retrouvent pendu dans la chambre qu’il occupait 22.

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La folie montre là toutes les marques de l’asociabilité, de la solitude à la familiarité avec le monde sauvage jusqu’à la négation de l’instinct de survie. Mais ceux qui rencontrent Jehannin n’ont aucune répulsion : ils n’hésitent pas à le ramener au bercail. En règle générale, même quand il y a crime, le fou est réintégré dans la collectivité qui a réclamé sa grâce. Il faut que soit atteint un stade avancé de la maladie pour qu’ait lieu « l’enfermement ». La thèse de M. Foucault se vérifie là23. Jehannin, devenu « pur fol » doit être « ferré » et « mis et tenu en lieu sur ». C’est que, de fou il est devenu

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« furieux ». Encore faut-il le démontrer pour justifier la décision finale de l’exclure définitivement de la vie sociale. La lettre relate toutes les étapes qui enfoncent le coupable dans une marginalité irréversible. Une intervention religieuse à Gournay devant saint Hildevert, le saint guérisseur, échoue. Ferré, Jehannin s’échappe. Les fers sont de plus en plus lourds mais aucun ne résiste « et lors fu derechief ferrez de deux paires de fers fors et pesanz par un mareschal de Pontoise desquelx il yssi et se defferra qui ne sembloit pas possible chose a faire a homme ». 17

La preuve éclate avec l’accomplissement du parricide. Il n’y a là rien d’étonnant puisque, comme le remarque A. Laingui, dans l’ancien droit, tous les crimes atroces restaient impunis s’ils étaient commis par un fou « notamment le parricide et le suicide »24. Mais, au-delà de ces emprunts au Digeste, il convient d’examiner la façon dont éclatent les signes de la folie. Dans le cas cité précédemment, le parricide s’accompagne d’un total irrespect des rites funéraires. Devant son père mort, Jehannin chante au lieu de l’ensevelir. La folie s’impose, incontournable, quand les rites qui assurent l’ordre de la communauté ne sont plus respectés. Nous avions déjà remarqué pour la pauvreté l’importance de ce seuil considéré comme infranchissable 25. Une fois cette limite dépassée, commence une anormalité qui justifie, et ici impose, de retrancher le coupable de la communauté. Certes, les forces du mal ne sont pas loin. Elles affleurent sous la folie. Jehannin est « imbu de maligne esperit en sa dicte forsenerie ». Quant à cet homme, au même moment, il est qualifié de « demoniaque » et comme tel confié à saint Marcelin, deux ans avant le crime 26. Mais la crainte du malin ne paraît pas essentielle dans le mécanisme de l’exclusion. La folie reste vécue de façon familière tant qu’elle ne conduit pas à la transgression des rites.

DU DIABLE À LA SORCELLERIE 18

Le diable est un personnage familier prêt à intervenir pour faire le mal et, comme tel, il est lié au crime. Le suppliant affirme volontiers qu’il a agi « par tentation de l’Ennemy » (tableau 22). La raison est claire : il faut montrer que le criminel est irresponsable et que le crime n’a pas été prémédité. Résumons l’intervention du diable par le cas de cet exposant qui, à Caen, en 1385, a lancé le couteau « par cas de meschief et hastiveté et temptacion de l’ennemy »27.

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Il ne convient pas de juger objectivement du phénomène mais de considérer que l’argument est plausible. Le degré de culture de l’exposant ou son appartenance sociale ne changent pas un argument qui est employé par tous. D’ailleurs, les clercs connaissent mieux les effets du diable que les travailleurs manuels puisque 17 % d’entre eux affirment qu’ils ont subi sa loi, tandis que la proportion des travailleurs manuels reste inférieure à 10 %28. L’invocation du diable n’est donc pas un phénomène de culture. La Chancellerie elle-même n’est pas insensible à l’argument diabolique. Cette clause peut être retenue comme premier motif pour justifier la grâce mais aussi comme seconde, troisième et quatrième justification avec la même constance. Au Parlement, le diable entre dans les plaidoiries, en particulier quand un crime est inexplicable ou qu’un criminel doit être convaincu d’un crime horrible qui entraîne la peine capitale. En 1405, Janson, dont la partie adverse veut justifier la condamnation à mort, « renioit Dieu, advouait le deable et crachoit quant on lui parloit de Dieu » 29. La foudre qui tombe sur Narbonne le jour où il commet son crime n’est que la preuve tangible de son « damnement ».

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Cette croyance partagée par tous, quels que soient les niveaux de culture, est-elle le témoignage d’une vision encore manichéenne de la conscience humaine pour laquelle un acte bon relève de Dieu, tandis qu’un acte mauvais relève du diable 30 ? Le mot « Ennemi » qui désigne le plus souvent le diable signe cette dichotomie. Et, pour les contemporains, la faiblesse de la nature humaine explique que nul ne puisse se targuer d’échapper à sa tentation « qui toutes personnes humaines a son povoir decoipt et met en male voye » ou qui « s’entremet tousiours de baillier empeschement aus creatures humaines »31.

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Personne n’échappe au diable : on retrouve dans cette sentence moralisante la grande menace des prédicateurs du temps. Et la menace pèse, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit. Les faits donnent raison aux sentences. Car, comme on a déjà pu le remarquer, la nuit n’est pas plus propice aux élans des forces sataniques que le jour. Plus de la moitié de ceux qui invoquent le diable ont commis leur crime de jour, pour un tiers qui ont profité de la complicité de la nuit. Quant aux autres, le malin a fait son effet à la tombée de la nuit. Le diable est apprivoisé, mais cela ne l’empêche pas de nuire.

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Son intervention peut se situer au premier degré : le malin a inspiré le geste. Il apparaît alors en songe ou dans un état second de la personnalité et il commande effectivement le crime. A son maître qui lui réclame les biens qui lui ont été dérobés, le serviteur répond : « Par mon serment, sire, si feray-je volentiers, car ce que j’en ay fait, ce m’a fait faire le diable »32.

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Le voici encore, inquiétante forme sombre, qui conduit le coupable à commettre l’un des crimes les plus terribles, le vol avec effraction dans une église. En 1454, le suppliant, un laboureur de Normandie, a besoin d’argent pour rembourser le montant de la rançon de son père autrefois détenu par les Anglais. Le récit de son vol le situe dans un état second : « en mectant a effort sa mauvaise volenté et par temptacion de l’ennemy (...) le VIe jour de ce present mois de may, apres qu’il eut souppé avec sa femme, et qu’il fut ung pou sur le tart, se parti soudainement de sa maison sans aucune chose dire a sa femme et s’en ala vers son fournil ou il trouva d’aventure ung enclumel a rabatre faulx lequel il print en sa main. Et si tost qu’il eust prins lui sembla qu’il vit devant lui ung tres grant homme vestu de noir lequel lui dist qu’il alast apres lui. Lequel suppliant incontinent le suivy le plus tost qu’il peut et s’en ala a la dicte eglise ou il se transporta derriere l’autel et ilec avec le dit enclumel rompit la moraille d’une huche de hestre ou mort bois close a clef en laquelle il print un calice d’argent, une boete ronde close a clef et a tant s’en parti de ladite eglise »33.

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Ce type de description est rare. Le pacte avec le diable vient en dernier recours, comme un moyen d’expliquer l’inexplicable : la mort inattendue fleure le poison dont le diable a suggéré la recette, l’enrichissement inconsidéré appelle l’intervention de causes surnaturelles. En juillet 1401, un procès oppose les frères Garreau aux bailli et officiers du comte d’Alençon. Emprisonnés à la suite de plusieurs crimes, les deux frères ont été condamnés, l’un au pilori, l’autre à être traîné et pendu ; ils font appel. Pour se défendre, les officiers font état de l’enquête menée au pays sur la renommée des deux hommes « par laquelle information est trouvé que Hebert s’estoit donné au deable Sathan lequel il appelloit son maistre et disoit que sondit maistre lui avoit dit que il vendrait au dessus de toutes ses besoingnes et si disoit ledit Hebert que depuis qu’il s’estoit donné audit Sathan, il estoit fort enrichi »34.

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En général, dans la série d’aveux que multiplient les suppliants, l’intervention du diable exprime plutôt de façon symbolique les pensées mauvaises et non raisonnées qui ont poussé au crime. Dans tous les cas, on ne cerne la puissance infernale que dans le résultat de son action, immédiat. Point de tentation à la saint Antoine ou de pacte de Théophile. Le malin agit, et vite. On peut même dire qu’il a pour première fonction d’interdire tout discernement ; il fait perdre la mémoire et, de ce point de vue, il transmue le sujet, le fait effectivement revenir au monde premier, sauvage, à l’anticulture. L’action du diable peut d’ailleurs conduire à la folie 35. Alors prime le geste sur la pensée et se justifie finalement, juridiquement, la rémission. Le crime s’est déroulé sans « guet apensé ».

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La force de cette mutation de la personnalité, comme le jeu avec les puissances infernales, imposent de ne pas employer l’argument diabolique au hasard. Effectivement, le diable intervient nettement dans un certain nombre de crimes en tête desquels se placent le blasphème pour 59 % des cas, le vol (50 %), l’avortement (50 %), et le viol (33 %). Dans le cas de l’homicide, il est seulement mentionné dans moins de 2 % des cas, ce qui est parfaitement disproportionné par rapport à l’importance numérique de ce type de crime mais ce qui laisse supposer qu’il ne s’agit pas d’un crime difficile à gracier. Quant à la Chancellerie, elle l’applique surtout au vol. La dimension surnaturelle est réservée aux délits lourds de sens pour lesquels il est indispensable de transformer le fauteur en victime. Nous y reviendrons en étudiant la hiérarchie des crimes dont cette familiarité avec l’enfer donne une première esquisse.

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Le diable intervient donc à bon escient : la vie quotidienne n’est pas ou plus submergée par la présence satanique. La religion affinée et vulgarisée sait repousser le diable dans un domaine réservé et, de ce point de vue, les XIVe et XVe siècles s’échappent déjà d’un manichéisme trop primaire. Le péché lui-même tend à se séparer du diable et la Chancellerie sait faire la différence : les circonstances atténuantes relatives au crime qui prennent l’ennemi d’enfer pour premier motif n’invoquent pas le péché pour expliquer le crime. Diable et péché sont exclusifs l’un de l’autre. La morale chrétienne commence à se dégager de la fatalité. Dès lors, le dialogue avec les forces du mal devient le fait, si on peut dire, d’un petit groupe de « privilégiés » que les contemporains savent reconnaître. Qui sont ceux que la magie ouvre au monde infernal et quelle place ont-ils dans le crime ?

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Les professionnels de la sorcellerie ont de l’envergure. Ils savent exploiter à leur profit, mais aussi au profit de la communauté et des antagonismes qui la divisent, le contact qu’ils entretiennent avec le sacré. Car il s’agit bien d’un dialogue avec le surnaturel dont ils sont les interlocuteurs privilégiés et au terme duquel l’ordre normal est perturbé. Mais ne nous y trompons pas ; à l’époque qui nous occupe, ces sorciers vivent encore en parfaite symbiose avec la communauté qui les reconnaît. Leur place discrète dans le crime, comme coupables mais aussi comme victimes, est une des preuves de cette relative harmonie. Ils n’interviennent que dans 0,6 % des crimes sous le règne de Charles VI, ce qui est négligeable, proportion qui s’élève à 2 % sous le règne de Louis XI. Cette évolution est le signe que la justice est en train de prendre en main les problèmes de sorcellerie tandis que l’opinion définit mieux la norme dans le domaine du surnaturel. Mais pour l’heure les bûchers ne flambent pas et il convient de parler de l’accord tacite qui lie la communauté au sorcier.

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Car on pourrait presqu’affirmer qu’il n’y a pas de sorcier, mais seulement des gens qui croient à la sorcellerie. Autant que la qualification, c’est l’opinion qui crée le sorcier en

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le marquant d’une tache indélébile. Les textes sont clairs sur ce point ; le sorcier est « renommé » au pays, il est un personnage « public », son art est « notoire ». On vient de loin pour le voir. Aucune des péripéties qui conduisent au crime ne mettent en doute l’efficacité des qualités magiques qui lui sont prêtées. Si le malade rechute, c’est que le sorcier a procédé à un nouvel ensorcellement. Son art n’est pas en cause, au contraire, et son mana reste intact. Cette croyance atteint tous les milieux ; si les juges du Parlement ou du Châtelet commencent à traquer les sorciers, ils ne font preuve d’aucune incrédulité quant à l’art que pratiquent les accusés. Aucune des plaidoiries ne met en doute l’efficacité du brouet d’araignée que Casine aurait donné à son mari, du balai, des deux oeufs et de la pièce de monnaie qu’une femme jalouse aurait mis à son tour dans le lit de Casine pour « l’ensorceler »36. Quant aux juges du Châtelet, ils font décrire en détail les procédés que Macete a employé pour arriver au mariage : s’y mêlent la cire blanche, la poix, Lucifer, l’évangile de saint Jean, le Pater Noster et l’Ave Maria37. Le jugement qui suit conclut que les femmes adeptes de ces pratiques sont « sorcieres et ensorceleresses de gens » et qu’elles doivent être punies comme telles, en particulier en portant la mitre où sont écrits ces mots : « je suis ensorceleresse » 38. A aucun moment l’efficacité de l’action de sorcellerie n’est mise en cause. 30

Cette attitude des autorités qui condamnent sans douter est une constante pendant toute la période considérée comme le montrent encore le traité du juge dauphinois Claude Tholosan en 1436 et, un peu plus tard, les consultations de Gilles Carlier, doyen du chapitre de Cambrai, ancien élève de Pierre d’Ailly et de Jean Gerson 39. Enfin, à la fin du XVe siècle, les auteurs du Malleus Maleficarum dont le champ d’action s’étend surtout en Empire, traquent la sorcellerie et l’envoûtement sans réellement remettre en cause l’efficacité des pratiques magiques40. En retour, le sorcier sait aussi entretenir le mythe et il ne manque pas, s’il le peut, de réclamer de l’argent en échange de ses services. Il sait aussi affirmer sa force : son corps « oint de certains oignemens » et la potion de « certains beuvraiges » le rendent intouchable41. Enfin, il joue de ses imprécations pour susciter la peur qui s’empare de ces suppliants : « et illec eurent plus grant peur et froyeur que devant et oyrent rabater parmy lad. maion en telle maniere qu’il semblait que la fouldre et tempeste y feussent et lors led. Guillaume ot plus grant suspicion que devant contre lad. Jehanne »42.

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Cet exemple pose la question de l’origine du sacré. N’est-ce pas le diable qui parle ainsi par l’intermédiaire de la sorcière ? La relation du sorcier avec les forces surnaturelles est ambiguë. Dans ce cas, foudre et tempête suivent le refus de « l’aumone pour Dieu » que la présumée sorcière était venue demander au suppliant. Elle se venge en envoyant les éléments déchaînés : mais de qui tient-elle son pouvoir ? Au début du XV e siècle, une sorcière du bailliage d’Amiens se fait appeler « la fille Jesu Christ » 43. Quant à Jehanne de Brigue, interrogée au Châtelet en 1391, elle fait venir Haussibut qu’elle prétend confondre avec le Christ44. A la fin du XVe siècle, un autre sorcier, sommé par celui qu’il a ensorcelé de dire s’il tient son pouvoir de Dieu ou du diable, « fu par tres longtemps sans lui respondre et en la fin lui respondit tout bas qu’il tenoit sa foy de Dieu » 45.

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Certes, ces sorciers ne vont pas se vanter d’avoir vendu leur âme au diable ! Mais la question posée montre que la réponse n’est pas assurée ; Dieu n’a pas encore tout à fait perdu de son ambiguïté. Néanmoins, le sorcier commence à nettement sentir l’enfer. Pour l’obliger à désensorceler, on le place dans l’âtre, près du feu jusqu’à le brûler : « le prindrent et le couscherent en l’astre devant le feu en lui disant qu’ilz le rostiroient (...) lui mirent le costé dextre contre le feu et le y tindrent par aucun espace de temps

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tellement qu’il eut de la naige (fesse) brulee environ la largeur d’une paulme. Et apres led.Binet le print par les jambes et les piez et les talions lui mist sur les charbons » 46. 33

Ce sorcier avait déjà été obligé de guérir une de ses victimes à la suite d’un même sévice, mais la seconde fois il en est mort. Ce recours au feu n’a pas seulement un but curatif, celui de faire cesser l’envoûtement. Il a aussi certainement un aspect magique. Le sorcier qui connaît le secret des éléments ne peut être détruit que par eux. Or le feu fait peur ; il appartient au diable.

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Ce que peut provoquer le sorcier relève aussi du diable. Il peut s’agir de la « langueur », cet état proche de la mélancolie qui immobilise les hommes et les fait approcher de leur fin. L’esprit est atteint. Beguice Cloete, une sorcière du règne de Charles VII, est accusée d’avoir ensorcelé Thoguy de Villace « et le faisoit languir en certaine maladie (...) tellement qu’il en avoit perdu son bon sens naturel et qu’il en estoit hors de memoire » 47 . Pour être tombé amoureux de Coline la Louve, Jean de Filieres, de gras qu’il était, devient « maigre » puis « sec » jusqu’à en mourir48. Les effets de la folie, du diable et de la sorcellerie se rejoignent. Un vocabulaire identique les désigne.

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Plus que l’entendement, le sort vise les organes sexuels où siègent de préférence les puissances démoniaques, soit que le sorcier facilite les pratiques abortives, soit qu’il lutte contre l’impuissance ou qu’il la provoque. En 1483, Jean Lutier, atteint d’incapacité sexuelle, se croit victime du sort de Laurent Berge et tente par tous les moyens de se faire désensorceler. Il est une des victimes de l’épidémie de « noueries d’aiguillettes » qui se propagea à la fin du Moyen Age et par laquelle les hommes se croyaient dans les mains d’une volonté maléfique qui les empêchait de procréer. L’affront est si grand contre le créateur que Jean Bodin s’y intéresse 49. On ne peut qu’être frappé de l’étroite liaison qui existe entre la sorcellerie et les allusions sexuelles. Les surnoms des sorcières, Casine la Mâtine ou Coline la Louve, étant donné la signification sexuelle de ces animaux, témoignent du lien étroit que ces femmes entretiennent avec les secrets de la procréation. Quant aux objets qu’elles manipulent, leur forme est sans ambiguïté.

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Le second champ d’action des sorciers consiste à expliquer des crimes dont les coupables sont restés inconnus. En 1400, Jean Firmiaut, laboureur de bras, âgé de 70 ans, a pris avec le curé de sa paroisse un psautier « ou aultre livre et ycelui livre par dessus d’une petite laniere de cuir de serf et entre deux feuilles mis un fusel et sur ledit livre fait plusieurs comunicacions »50. Le but de ces pratiques est de repérer le ou les coupables qui ont mis le feu à certaines maisons du village, crime particulièrement abominable et en principe irrémissible. On voit bien la conjonction de deux hommes importants du village qui, par leur savoir, l’un conféré par l’âge, l’autre par le livre, ont recours à des pratiques de sorcellerie, sans doute avec l’accord tacite des habitants. Quant à Jehanne de Brigue, on vient la voir pour savoir « qui avoit emblé la croix de Guerart » si bien que, par deux fois, elle fait venir Haussibut qui nomme le coupable, Simon Séjourné, demeurant à Meaux. Il avait acheté cette croix 16 francs à ceux qui l’avaient volée, avant de la revendre à Paris51.

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La relation que les sorciers sont sensés entretenir avec la sexualité et avec la vérité est au coeur des motifs que la justice répressive invoque pour les condamner. L’explication est sociale et politique. Les procès de sorcellerie menés au Châtelet accompagnent le désir qu’ont les Marmousets de voir les juges royaux exercer le monopole de la justice. Au même moment, Philippe de Mézières condamne le recours à l’astronomie judiciaire52. Une étroite filiation existe entre les aveux extorqués au Châtelet à la fin du

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XIVe siècle, et les concepts invoqués par les deux inquisiteurs du Malleus Maleficarum à la fin du XVe siècle. Dans les deux cas, les coupables sont présentés comme les utilisateurs d’un sacré impur qui est source de désordre. Aux prêtres qui garantissent le rituel social, ils ont volé la prière et l’eau bénite, mais c’est pour savoir comment obtenir les faveurs d’un homme qui est déjà marié et qui a des enfants ; au juge qui doit rétablir l’ordre social que le crime a perturbé, ils rendent caducs les effets de l’enquête. Dans les deux cas il y a désordre. L’amour obtenu par la magie inquiète, dérange l’ordre établi, d’autant plus qu’il s’agit d’amours interdits. Quant à la révélation des crimes, elle fait de la vérité une quête personnelle qui trompe l’institution judiciaire et, à terme, bafoue les pouvoirs du roi. Plus profondément, les sorciers inquiètent parce qu’ils montrent le désordre. Or, en ces temps troublés, celui-ci règne en maître et, pour survivre, cette société close a besoin de localiser ce mal sur ceux qui sont accusés de le propager, avant de les livrer à une vindicte purificatrice. La voie est bien ouverte aux « interprétations simplifiantes » dont parle G. Balandier 53. 38

Comment situer le XVe siècle dans cette prise de conscience qui culmine à l’époque moderne ? La vivacité des gestes à l’encontre des sorciers ne doit pas nous tromper. Ce n’est pas un phénomène de rejet. C’est encore la preuve d’un acte de croyance en la sorcellerie. Ces suppliants qui s’en prennent à Jeanne Moneru agissent « pour ce que on tient et dit communement au païs que, quant on menace sorciers ou sorcieres, qu’ilz ne font nulz maulx et desfont ce qu’ilz ont fait »54. L’agression fait partie de la croyance « commune » au sacré qui peut aussi bien nuire que guérir. La réaction des victimes de l’ensorcellement est d’ailleurs parfaitement stéréotypée55. Comme Thoguy de Villace, elles essayent, aidées de comparses, d’obtenir un désenchantement à l’amiable. Le sorcier hésite : ne perd-il pas ainsi une partie de son pouvoir ? Alors commencent les menaces jusqu’aux supplices et aux coups dont nous avons vu le raffinement. Et, si la mort s’ensuit, n’est-elle pas finalement la meilleure façon de conjurer le sort en supprimant son instigateur ? Le sorcier est une victime sur l’autel de la magie plus que sur celui du doute.

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D’ailleurs, jusqu’à la fin du XVe siècle, le sorcier n’est pas exactement un marginal rejeté par la communauté. La sorcellerie recrute, comme nous l’avons déjà suggéré en étudiant les crimes commis par les femmes, autant chez les hommes que chez les femmes, et le curé lui-même n’est pas exempt de l’accusation de sorcellerie. La sorcellerie n’est pas encore une affaire de femmes. En 1405, le barbier de l’évêque de Châlons est « renommé d’estre sorcier » et « ne vouloit son maistre autre veoir » 56. Il peut même exister des couples de sorciers tel celui que forme encore Laurent Berge à Palluau-sur-Indre sous le règne de Louis XI « avec sad. femme qui estoit et est reputee, tenue et clamee aussi forte sorciere »57.

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Certes, pour être reconnu, le sorcier a besoin d’être perçu comme un être différent. Il peut s’agir d’un homme seul et à plus forte raison d’une femme seule, en général une veuve. Blanche Maydade est veuve et, dans son pays d’Orbeil près d’Issoire, on la « soupeçonnoit estre sorciere »58. Le veuvage, nous l’avons vu, rend la femme particulièrement fragile59. Parfois la pauvreté s’y ajoute et on peut voir une de ces « sorcières » mourir de faim. Le fait d’être juif peut aussi conforter la commune renommée60. Enfin, plus inquiétantes, apparaissent des actions et des filiations qui échappent à la norme. Casine, renommée d’avoir tué deux maris et un enfant, d’avoir volé des livres sacrés, crimes horribles, a été « introduite a ce faire » par son père 61.

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Au même moment, la sorcellerie sert à formuler l’injure. A Valenciennes, en 1382, la mère d’un suppliant, veuve, est traitée de « fausse vieille sorciere », accusation assortie de « larronnesse » et de « ribaude » ; au même moment, dans le bailliage de Caux, un suppliant est injurié pour avoir été accusé d’« enchanter » ses hôtes 62. L’accusation de sorcellerie commence à être dégradante, tandis que le portrait de la sorcière se précise : celle du règne de Charles VIII est de préférence une femme veuve, et Blanche Maydade, par exemple, joint au soupçon de sorcellerie celui « d’estre de mauvaise renommee ». De nombreux éléments de la marginalité se trouvent rassemblés mais ils n’aboutissent pas encore à l’exclusion. Celle-ci ne peut provenir que d’une accusation de « mauvais art » qui juge les effets autant que les procédés de sorcellerie. Alors que le sorcier refuse de « desenvouter » le suppliant, il ne vient à personne l’idée de le livrer à la justice. Celle-ci, nous l’avons vu, a cependant cessé d’être indifférente : le sorcier peut être emprisonné, assigné à résidence et faire figure d’homme traqué.

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Quantitativement, ces cas sont rares et on peut conclure qu’au XVe siècle, la communauté a encore besoin du sorcier et que celui-ci vit en symbiose avec elle. L’équilibre commence seulement à se rompre et les lettres de rémission comme les procès de la justice ordinaire suggèrent les prémices du processus d’exclusion. La place tenue par les événements du règne de Charles VI dans cette évolution est difficile à cerner. Le développement de la justice répressive, la folie du roi, la propagande de la guerre civile ont contribué à dénoncer la magie, et les procès se succèdent. Certes, le 10 février 1408, le prévôt de Paris, Guillaume de Tignonville, s’inquiète des vols commis dans les gibets ; il en fait part à la Cour à qui il expose « que aucuns ont despoillié certaines fourches ou gibes patibulaires environ Paris des charoignes de ceulx qui y estoient executez. Et si avoient tant fait que par certains moyens de femmes et autres ilz avoient eu certains enfans mors nez et estoit grant vraisemblable presumpcion qu’ilz ne fussent gens crimineux et sorciers »63. Même si l’argument mêle à cette affaire le fantasme d’accouchements inquiétants, l’intervention du prévôt au Parlement est moins due à la crainte du désordre qu’au souci d’éviter un nouveau conflit de juridiction. L’Université de Paris, en effet, pourrait revendiquer ce cas : « dont ledit prevost n’osoit mais doubtoit s’entremettre d’en faire entreprendre cognoissance, sur les debaz en quoy ceulx de l’Université de Paris et autres le tiennent soubz umbre de ce que aucuns veulent dire que la cognoissance de tels cas appartient a la justice ecclesiastique ». Guillaume de Tignonville, quelques temps avant sa chute, est aux abois. La conjoncture politique, favorable aux Bourguignons, explique sa prudence et nous retrouvons un épisode qui fait suite aux conflits que sa prééminence a pu susciter64. Finalement, il est décidé par la Cour, en présence de l’évêque de Paris et du procureur du roi, de confier l’information au prévôt. Le cas est assez grave pour passer outre les susceptibilités de juridiction. Il ne l’est pas assez pour que le prévôt prenne le risque d’entamer une nouvelle affaire qui le discrédite. Comme le montre H. Platelle quand il analyse le contexte dans lequel se développent les affaires de sorcellerie dans le Paris du début du XVe siècle, le temps des sorcières n’y est pas encore venu 65.

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En fait, cette marginalité reconnue s’inscrit dans un large mouvement qui conduit à mieux sentir les différences, à durcir la norme pour définir les exclus. En son terme se dessine alors le portrait robot du sorcier qui a tout de féminin tandis que le Malleus Maleficarum dote la sorcellerie d’un appareil conceptuel qui lui était jusqu’alors étranger. Alors peuvent commencer les procès et brûler les bûchers 66. Pour l’heure, le diable et les sorciers ne noircissent guère le crime et quand ils interviennent, leur

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maléfice sert à excuser le coupable plutôt qu’à l’exclure. Ce silence et cette complicité plaident en faveur d’une étroite mobilisation des habitants derrière les détenteurs d’une magie indispensable à leur avenir67.

L’« ÉCHAUFFEMENT » 44

Plus que de forces extérieures, le criminel est la proie de mouvements intérieurs qu’il ne peut ni ne sait refréner : tous tendent à « l’échauffer » et peuvent le conduire au crime. Certains sont le fait de la boisson ou du jeu ; d’autres s’expriment en terme de péchés et de « chaude cole » (tableau 22). Souvent, on peut s’en douter, ces données se combinent et conduisent dans une forte proportion à la rixe. Tous ces éléments entrent dans un tableau des circonstances atténuantes ; aussi ne sont-ils guère évoqués par les sources de la justice ordinaire. Leur domaine est la rémission.

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Le vin est un des éléments qui facilite le crime et il est d’autant plus couramment évoqué que ses effets constituent, en droit, une circonstance atténuante. L’ivresse, en droit romain, est une cause d’excuse sur laquelle les canonistes ont, dès le XII e siècle, construit, comme pour la folie, une doctrine cohérente68. De ce point de vue, la période qui nous intéresse se situe dans une conjoncture politique favorable, où le pouvoir ne vient pas à l’encontre des principes émis par les juristes. La boisson peut même excuser la lèse-majesté69. La distorsion semble seulement s’accentuer à l’époque moderne quand les souverains, comme François Ier, prévoient les peines qui doivent frapper l’ivresse 70. Dans la pratique, ces mêmes souverains continuent cependant à accorder leurs lettres de rémission en retenant l’ébriété comme circonstance atténuante 71. Pourquoi ?

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Le fait de partager le vin constitue un rite fondamental de la vie sociale. Les compagnons, nous le verrons, boivent ensemble. Les ennemis se réconcilient autour d’un pot ; le vin sert à introduire le nouveau venu dans le groupe et la fête s’organise souvent pour réunir l’écôt qui sert à payer le vin72. Ce n’est d’ailleurs pas toujours une affaire d’hommes. Dans le bailliage de Caux, en 1400, le lendemain de Pentecôte, la coutume est d’aller obtenir des gages pour boire chez ceux qui ne sont pas levés. Evenart de La Mare y va avec deux femmes, ses voisines73. Comme nous l’avons vu, l’ivresse, moins fréquente chez les femmes, n’est cependant pas réservée aux hommes, et certaines femmes, même mariées, ont « coustume de boire » 74. Le vin est donc bien un des liants de la sociabilité. Le refus de partager la boisson est de ce fait considéré comme une grave offense. La fête du bailliage de Caux où se mêlent hommes et femmes, se termine mal car la victime refuse de boire ; au même moment, Jean le Prévost décline une invitation à partager le vin car il se fait tard et il ne veut pas rentrer seul de nuit. L’autre, vexé, lui lance un tison dans les jambes et lui crie : « Tu mourras ceste nuyt »75 !

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Aucune classe d’âge n’échappe aux effets du seigneur vin. La seule différence est d’ordre social. En effet, les nobles n’évoquent presque jamais les effets du vin pour expliquer leur crime : 99 % de ceux qui se disent ivres sont des non-nobles. Et encore, l’infime part de ceux qui restent (1 %) sont des écuyers ! Tout porte donc à croire aux idées reçues : l’omniprésence du vin que se partage le peuple. Mais laissons parler les chiffres : ils permettent de mesurer l’impact de l’ivresse dans le développement de la violence. Nous constatons d’emblée que les criminels sont loin d’être tous ivres au moment de passer à l’acte. Moins de 10 % d’entre eux invoquent la boisson – en général du vin et plus rarement de la cervoise – comme seule circonstance du crime. En

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admettant que le vin fait systématiquement partie des délits où sont évoquées plusieurs circonstances atténuantes, ce qui est loin d’être le cas, on obtient au mieux 30 % des crimes. Il n’y a aucune raison pour que ces chiffres ne reflètent pas la réalité dans la mesure où les effets de la boisson peuvent être considérés comme circonstance atténuante, qu’il s’agisse du coupable ou de la victime. Une victime ivre favorise incontestablement la rémission. Ces chiffres se trouvent d’ailleurs confirmés par la description psychologique du coupable et de la victime qui, respectivement dans 10 % et 8 % des cas, se trouvent en état d’ébriété. On ne peut donc nier les effets de la boisson à condition de les remettre à leur juste place ; ils n’expliquent pas à eux seuls l’acuité de la violence. 48

Non seulement les exposants ne sont pas régulièrement ivres, mais encore ils savent distinguer les degrés de l’ivresse, comme ceux de la résistance humaine. Certains sont des ivrognes invétérés : ce sont ceux qui, comme ce Jehan Le Naire, ont « par chacun jour ou au moins bien souvent conversé es tavernes de laditte ville de Sailly et en plusieurs autres lieux, la ou il a beu du vin largement » 76. D’autres sont réputés pour ne pas savoir « tenir le vin » et en être « malgracieux ». Invité à entrer dans l’hôtel de Guillaume Le Roy, son compagnon de boisson, cet homme se récuse en disant « qu’il n’y avoit cure d’y aler pour ce que le dit Guillaume estoit alebiqueux ou rioteux quand il avoit beu »77.

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On ne peut mieux reconnaître ce que la rixe et la colère doivent au vin 78. Echauffement, émotion, faiblesse de la tête qu’accroît encore la « force du vin » sont parfaitement décrits pour justifier l’homicide. Effectivement, dans près de 80 % des cas, l’ivresse se termine par la mort d’homme. Néanmoins, répétons-le, tous les homicides sont loin d’impliquer l’ivresse puisque moins de 15 % des homicides sont imputés à l’état d’ébriété du coupable ou de la victime.

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Le jeu, autre moyen d’expression privilégié de la sociabilité, peut aussi conduire au crime. D’ailleurs jeu, vin et taverne sont étroitement liés. Et les terrains de jeux, comme le montre J.M. Mehl, peuvent être aussi ceux de la rixe et de la mort 79. Tentation du pari, dés, paume, bille ou bras de fer, tout peut fournir matière à jeu. Les conflits mimétiques s’y expriment à l’état pur, du désir d’être l’autre à celui de l’emporter sur lui. La violence trouve bien là, effectivement, de solides racines. Certains n’hésitent pas à parier sur l’impossible. Voici deux compagnons à la taverne : l’un parie qu’il parle mieux latin que l’autre. Le dépit est le lot du perdant qui refuse de payer le vin et le latin se convertit en blasphème80 ! Voici en 1396, dans la sénéchaussée de Toulouse, Jean de Cilio jouant à la taverne avec Arnaut de Cossio « a per et a non per des boutons de la robe de chemise de l’un d’eulx ou des assistans ou a autre jeu pour demie quarte de vin ». Le premier perd et gage pour une autre demi-quarte de vin « se les circeaulx ou cercles du tonneau ou pipe auquel estoit le vin que luy on vendoit estoit pers ou non pers ». Le suppliant, pris au jeu, accepte d’aller compter : mal lui en prend car le perdant le traite de menteur81.

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Le plaisir de « s’esbattre » est grandement apprécié comme le montre la fréquence du mot dans les récits. Et, de « l’ebattement », on passe vite à l’échauffement. Les mêmes dangers guettent les ivrognes et les joueurs. Néanmoins, si finalement les résultats sont identiques, il existe entre le vin et le jeu certaines nuances. Si l’un et l’autre expriment un « comportement mimétique », leur fonctionnement social diffère. Le vin implique un partage égalitaire qui a priori doit éloigner la violence. En revanche, le jeu implique un désir d’appropriation qui s’avère nécessairement conflictuel. D’ailleurs, chez les

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contemporains, l’esprit de jeu n’est pas nettement séparé de l’esprit de lutte. Guillaume Telon garde sur lui un petit badelaire « lequel il portoit chaque jour communement quant il aloit esbattre en la ville (...) pour soy deffendre en cas de besoing ». Thomas Laurent dans l’ardeur du jeu, blessé par son ami, lui demande « si c’est par jeu ou pour mal »82. 52

Le jeu n’est donc jamais loin de quitter l’aspect adouci d’un combat simulé ou domestiqué pour devenir effectif et guerrier. Deux compagnons se trouvent devant l’étal d’un mercier. Pendant que l’un discute le prix des couteaux, l’autre, par jeu et pour tester la qualité de la lame, découpe le « mantel » de son ami qui, lorsqu’il s’en aperçoit, veut lui découper son chaperon. Et le jeu-lutte continue jusqu’à ce que mort s’ensuive83. On touche là toute l’ambiguïté des activités ludiques qui par leur fonction sociale devraient tenir la violence en échec mais qui par leur issue amorcent un nouveau cycle de violence. Ce suppliant de la sénéchaussée de Toulouse que nous avons vu attaqué par un compagnon malchanceux, est aussitôt pris dans un réseau de vengeance qui fait intervenir la parenté jusqu’à ce que mort s’ensuive. Le jeu ne remplit plus sa fonction : résorber les rivalités qu’engendre le désir mimétique et ordonner les relations sociales en secrétant dans la joie l’unanimité des protagonistes 84. Les autorités municipales ou royales, en multipliant les ordonnances d’interdiction, ne s’y sont pas trompées85. Elles ont à lutter contre une société où l’homo ludens, pour reprendre l’expression de J. Huizinga, peut aussi être devenu violent pour rien.

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Mais, n’exagérons pas les effets de cette déstabilisation : la société des XIV e et XV e siècles est loin d’avoir totalement perdu le sens du jeu et de la fête. Cette altercation qui a lieu à Montreuil-sur-Mer, en 1385, est tout à fait significative. Le curé veut empêcher des compagnons de jouer à la paume dans le « moutier » de l’église où il vient de chanter vêpres. Or cet endroit s’avère être le lieu accoutumé pour jouer à la paume, tradition de sociabilité qu’il serait malvenu de qualifier de moeurs grossières et que les habitudes perpétuent. Pour les rompre, le curé use des arguments coercitifs que répètent à l’envi les statuts synodaux : « de tres dure volunté et grant felonnie si comme il demontroit que de par tous les deables d’enfer ilz cessassent leurs jeux et s’en alassent »86.

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On juge que la violence malfaisante est ici du côté du curé qui, quoique blessé, est rendu responsable de sa propre mort « par son grand courage et qu’il estoit homme yreux et plein de grant felonnie ». Nous avons là un véritable dialogue de sourds. Les suppliants sont sûrs de leur bon droit : l’innocence de leur jeu ne souille pas le lieu sacré ; il contribue à créer un sacré social qui s’y régénère. Cela ne veut pas dire que ces suppliants n’ont aucune « culture » chrétienne et que le paganisme affleure sous la carapace. Ils accusent le curé du péché de colère et ils y mêlent la « felonnie », qui ne désigne pas ici la trahison mais la colère. Le vocabulaire, on le voit, est déjà savant 87. Pourtant, le clivage entre les deux conceptions est immense. Pour les autorités qui distinguent déjà le sacré du profane, il y a invasion, profanation. Pour la population, y compris les nobles, le sacré se joue là continuellement avec sa force de communion. Remarquons que dans la même région et à la même époque, la fête des fous se déroule jusque dans l’église. Seules les autorités crient au scandale. Quant aux terrains de jeux et de fête, ils s’étendent aux pieds du clocher quand ils n’empiètent pas sur le monde des morts. L’espace rituel est un et cela contribue, sans nul doute, à rendre efficaces les moyens que la société sécrète pour dominer la violence88.

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Le jeu et la fête n’ont donc pas totalement perdu leur fonction originelle de réconciliation. Car ces crimes ne parlent que de violences qui tournent mal. Dans ces fréquentations de tavernes où se fêtent les événements de la vie sociale et où s’affrontent les hommes dans des paris sans fin, combien ont aussi servi à apaiser les rivalités ?

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Parmi les péchés qui sont énumérés, la quasi-totalité concerne la colère. Les autres sont l’envie (2 cas) et l’orgueil dont la mention peut, comme nous l’avons vu, accompagner les conflits sociaux et, en règle générale, les attitudes qui se démarquent de la norme sociale. Même la luxure apparaît rarement liée à l’adultère. Quant à l’avarice, elle n’explique pas les crimes d’argent, y compris l’usure. C’est le manque qui explique le vol plus que le désir d’amasser et on parle plutôt de « convoitise » 89. Il y a donc loin de la vision des lettres de rémission à celle des prédicateurs, en particulier des ordres mendiants, qui jouant sur les ressorts de la peur, font du péché le thème central de leurs sermons ad status90. Ce relatif silence est sans doute d’origine culturelle. La liste des péchés capitaux, bien fixée et encore remaniée au même moment, est loin d’être assez vulgarisée pour que des types de crime puissent lui être systématiquement rattachés. Ce n’est là un souci ni de la population ordinaire ni de l’administration royale. Les cas que mentionnent les « manuels » de chancellerie ne tiennent pas compte des catégories de péché pour prévoir la rédaction des lettres91. Le pouvoir de gracier est religieux, mais le roi n’est pas un prêtre.

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La colère est donc le « péché » par excellence. On ne la trouve pas mentionnée sous ce vocable mais sous la forme de l’« ire », de la « fureur », du « courroux » et de la « chaude cole ». Ces mots ne se recoupent pas exactement. « Ire » peut être employé seul : il signifie toujours la colère, ce qui n’est pas toujours le cas dans d’autres types de textes de chroniqueurs ou de poètes92. On peut aussi rencontrer le terme sous la forme péjorative du qualificatif « yreux ». Il a alors un sens proche de « rioteux » et il fait allusion à un tempérament agressif. L’« ire » ou ses dérivés conduisent donc bien à l’irritation et par conséquent à la riposte violente. En voici un exemple qui, en 1400, oppose un laboureur de 50 ans à son frère sur le chemin qui les ramène de Tourville dans le bailliage de Caux. Il s’agit encore d’argent indûment perçu. Mais le frère, plus « jeune » et plus « fort » que lui, l’attaque « par maniéré de grant ire et felonnie », et les voici tous les deux « tenans l’un l’autre comme gens esmeus et esprins d’ire » 93.

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Le terme « fureur » souligne le caractère excessif du comportement. Il est en particulier associé au terme « chaleur ». Ce cas de plusieurs compagnons de la ville de LavalMorency dans les Ardennes illustre bien la force de cette forme de colère. A plusieurs, ils se sont armés pour se venger et tout dans leur attitude sent la démesure. Ils agissent « eux estans en ceste fureur (...) estanz en leur chaleur et fureur » 94.

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Le « courroux » est une des formes fréquentes mais aussi légèrement édulcorées de la colère. L’homme « courroucié » est en proie à une violence intérieure qui peut s’extérioriser par des gestes définitifs mais elle le concerne au premier chef. Le courroux s’accompagne généralement de l’émotion. Ce suppliant que nous avons vu affronter sa belle-mère ivre se trouve « esmeu et courroucié » de la trouver dans cet état. Quant à celui-ci qui tue sa femme ivre, il est autant « courroucié » de la surprendre dans cet état qu’ensuite de l’avoir tuée95.

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Mais la colère des lettres de rémission la plus fréquemment évoquée est la « chaude cole ». Cette expression signifie « chaude bile » et appartient à la théorie des humeurs, par opposition à la colère proprement dite qui relève plutôt du tempérament et par

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conséquent de la responsabilité ; en ce sens, la « chaude cole » est bien, comme l’ivresse, la folie d’un instant96. On voit la « chaude cole » intervenir seule dans près de 9 % des cas, soit légèrement plus que les autres péchés réunis (tableau 22). Cela ne doit pas nous étonner : il s’agit là, encore une fois, d’un argument juridique destiné à atténuer la responsabilité du coupable, étroitement associé à l’excuse de provocation. Le formulaire d’Odart Morchesne rédigé en 1427 le précise nettement, y compris quand il s’agit de faire une seconde demande de rémission si la première n’a pu aboutir, car « le dit fait advint de chaude cole et son corps defendant » 97. Effectivement, en dehors des cas de bannissement et de prison qui sont les circonstances les plus invoquées pour atténuer le crime, la « chaude cole » est massivement associée à la légitime défense, à la réputation de la victime et accessoirement au hasard. 61

Remarquons que cet argument, comme d’ailleurs l’ensemble des péchés, n’est pas associé au diable, du moins dans le discours de la Chancellerie 98. Il faut, pour le coupable, accumuler des causes plausibles pour la rémission plutôt que de les lier dans un ensemble moral cohérent. Cette carence tient sans doute à l’impossibilité qu’ont les suppliants à expliciter totalement le problème du mal. Il y a le diable, les péchés et l’urgence de l’instant, sans que des liens rationnels unissent toujours ces divers éléments.

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Le choix des arguments et des attitudes est plutôt une affaire d’âge et de condition sociale : les coléreux sont des hommes d’âge mûr, entre 30 et 60 ans, puisque les jeunes sont deux fois moins nombreux qu’eux. Quant aux nobles, ils n’hésitent pas à recourir à cet argument qui entre pour 28 % comme circonstance de leur acte, soit beaucoup plus que la guerre qui ne regroupe que 17 % des cas qui les concernent. En revanche, les clercs comme les bourgeois ne l’évoquent pas et elle concerne moins de 10 % des laboureurs et des gens de métier. La colère évoquée par les nobles n’est cependant pas formulée sous la forme de l’« ire » qui témoigne au même moment et depuis le haut Moyen Age de la colère des puissants, Dieu ou le roi, mais plutôt du « courroux » associé à l’émotion ou de la forme classique de la « chaude cole ». Ces notations marquent bien cependant la supériorité que les nobles affichent dans la hiérarchie sociale. Le type de crime ne change pas grand chose à l’affaire : quand la colère est invoquée, il s’agit dans 80 % des cas environ des homicides. On peut donc raisonnablement penser que cet argument est celui que préfèrent les nobles en cas d’homicide99.

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L’utilisation des péchés en fonction du crime et de la condition sociale du suppliant montre bien comment consciemment ou inconsciemment fonctionne le système de défense. On peut aussi imaginer que le choix de l’argumentation est fonction du conseil qu’on reçoit pour rédiger la lettre. Les nobles ne sont-ils pas au fait des meilleures façons de se faire gracier ? Or nous avons vu que la « chaude cole » était un argument parfaitement retenu par la Chancellerie. Ou bien est-ce là péché nobiliaire comme tendent par ailleurs à le montrer les textes littéraires ? Quoi qu’il en soit, l’utilisation des arguments reflète bien les possibilités de la hiérarchie sociale. En aucun cas l’explication qui est donnée du crime ne nivelle la société. Au contraire, elle extériorise les différences, au moins inconsciemment. C’est dire qu’elle tient le plus grand compte des comportements que marque l’appartenance à tel ou tel groupe social. Cela ne veut pas dire que cette société des XIVe et XV e siècles ne tempère pas la vision qu’elle véhicule de ses catégories sociales par des jugements d’ordre psychologique. Tous les laboureurs, et même tous les nobles ne se ressemblent pas. Certains vont droit au crime

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parce que la violence est inhérente à leur tempérament. C’est, bien sûr, parfaitement vrai des victimes, de quelque catégorie sociale qu’elles soient ! Habituellement avare de renseignements à leur sujet, la lettre de rémission sort de son silence pour qualifier la victime dans près de 40 % des cas. Et, sur ce total, la moitié ont des défauts, et 6 % en ont même accumulé plusieurs. On voit bien là le système de défense adopté que d’ailleurs la Chancellerie peut reprendre sans sourciller comme première circonstance atténuante du crime dans près de 9 % des cas (tableau 23). Les accusations portent sur le tempérament « hautain et orgueilleux » ou « noiseux et rioteux ». Nous aurons à revenir sur ces expressions100. Il peut même arriver qu’une collectivité partage tous ces défauts : ceux du village voisin, à quelques kilomètres, sont réputés pour leur irascibilité101. Quant aux coupables, tous ne sont pas parfaits puisque sur les 35 % qui se trouvent qualifiés, près de 7 % ont un ou plusieurs défauts d’ordre psychologique. A leur propension à la violence peut d’ailleurs s’ajouter l’incapacité à se dominer, comme c’est le cas pour ce suppliant « non puissant de refreiner ses premiers mouvements » 102. Il est vrai qu’il s’agit d’un homme accusé d’être « coux » et nous aurons à revenir sur la gravité du cas. 64

Dans leurs explications de la violence, les lettres n’ignorent donc pas la dimension psychologique. Elles savent désigner au sein d’un même groupe social les personnalités qui y dessinent leur différence. Avant de savoir ce qu’il convient de retenir de ce type d’argument, faisons-nous l’avocat du positivisme et demandons-nous : y a-t-il dans ces arguments une parcelle de vérité ?

LES PROFESSIONNELS DU CRIME 65

L’expression « professionnel du crime » fait référence à un concept de la criminologie contemporaine qui distingue d’ailleurs le « criminel d’habitude » du « criminel professionnel » au sens strict ; seul ce dernier vit de la délinquance 103. Existe-t-il à l’époque qui nous concerne un vocabulaire susceptible de désigner l’une et l’autre de ces catégories ? L’enquête se heurte à un double obstacle qu’il suffit de rappeler : celui des sources et celui de la peur. Le faible nombre de marginaux repérés dans les lettres de rémission permet déjà de répondre que dans cette catégorie, les professionnels échappent en grande partie aux mains de la justice. Quant à la peur collective, elle ajoute encore à l’opacité. Les sources de la justice ordinaire, en fixant des stéréotypes de criminels sur lesquels se cristallisent, comme nous l’avons vu, tous les fantasmes de la société, désignent des boucs émissaires plus qu’elles ne dressent des portraits de criminels réels.

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L’étude du vocabulaire indique dans quelles directions l’enquête peut se diriger. Commençons par faire un sort au mot « brigand » dont on sait que le maniement peut avoir, en particulier face aux Anglais, un sens politique difficile à cerner 104. Le mot est rare, aussi bien dans les sources judiciaires que dans les traités théoriques 105. Il n’appartient pas au vocabulaire des théoriciens humanistes, qu’il s’agisse de Jean de Montreuil, de Nicolas de Clamanges, de Jean Gerson ou de Christine de Pizan. Ceux-ci préfèrent désigner les criminels professionnels sous le vocable « larrons », qu’ils associent généralement aux excès des hommes d’armes106. Nicolas de Baye, en 1410, utilise le mot « brigans » associé à « compaignes ». Le mot doit être remis dans le contexte entier de la phrase pour être bien compris. Le greffier fait état de la crainte qu’éprouvent les justiciables à venir à la Cour « tant pour gens d’armes proprement

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appeliez larrons et pillars, que pour brigans et compaignes qui se sont mis sus pour rencontrer et piller lesdiz larrons, et autres larrons, espieurs de chemins qui de present regnent ou ont cours »107. Le texte donne une piste intéressante. Au moment où les circonstances politiques provoquent les troubles et où la justice légale se trouve débordée, une sorte de résistance spontanée s’organise. Le « brigand » lui est accolé, sans que pour autant celui-ci agisse systématiquement seul puisqu’il existe aussi des « compaignes ». Le Bourgeois de Paris donne aux « brigans » un sens identique quand, à la même date, en 1411, il les définit comme des « compaignons de villaige » 108. L’auteur fait d’ailleurs état de l’appellation commune que colporte la renommée puisqu’il précise : « que on nommoit brigans » ; il décrit aussi les conditions de leur entrée en brigandage dont il attribue la responsabilité au prévôt de Paris, Pierre Des Essarts, qui « fist tant que on criast parmy Paris que on abandonnoist les Armignaz, et qui pourrait les tuer si les tuast et prins leurs biens ». Le résultat ne se fait pas attendre. Ceux qu’on appelle désormais « brigans » « s’assemblerent et firent du mal soubz l’ombre de tuer les Armignaz ». Malgré l’appel à l’auto-défense que prononcent les autorités, l’acte commis par ces hommes est criminel et il gêne l’exercice normal de la justice. En 1421, lorsque le Bourgeois de Paris évoque une seconde fois les « brigans de bois », il rend la pauvreté responsable des pillages que ceux-ci, hier chefs de famille, organisent autour de Paris109. Dans tous les cas, ce brigandage n’est pas exactement le fait de criminels professionnels. Nous aurons à y revenir. 67

L’emploi du mot « brigand » dans les sources judiciaires confirme cette analyse. Il apparaît au Parlement en février 1413 dans un procès qui fait allusion à des faits relatifs à la guerre civile que la paix d’Auxerre est sensée clore110. Son sens est celui des « journaux » parisiens et le brigand, à l’inverse de larron, n’est pas considéré comme un criminel type susceptible d’entrer dans les catégories ordinaires de la peine de mort. Il ne correspond pas, du moins à sa naissance, aux craintes que véhicule la société, et son portrait n’est pas, ou difficilement, une circonstance aggravante soumise à l’arbitraire du juge.

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Ces remarques expliquent sans doute pourquoi le mot « brigand » apparaît plus fréquemment et de façon plus précoce dans les lettres de rémission. La première mention repérée date de 1385. Auparavant la Chancellerie emploie le mot « compagnons » pour désigner ceux qui se sont retraits pour résister 111. Mais son usage ne lève pas l’ambiguïté. Quel crédit accorder au portrait de cette victime que son meurtrier présente comme un « brigand de bois renommé d’avoir tué plusieurs hommes »112 ? La scène qui se passe en 1385 dans le bailliage de Touraine ne peut pas être comparée à celles qui sont décrites dans les lettres de rémission en 1422-1423 quand prime le contexte politique de la guerre civile et de la résistance aux Anglais 113. Jean Maleval n’est pas non plus un exclu du village de Mazières puisqu’il a tissé des liens avec la parenté du coupable au point qu’il « avoit maltalent et hayne au pere dudit exposant ». Le mot « brigand » est suffisant pour définir une mauvaise renommée, il ne l’est pas pour définir un professionnel du crime, et surtout quelqu’un que la communauté se doit de voir disparaître si elle veut assurer sa propre survie.

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En revanche, les expressions « bateurs a loyers », « tueurs a gages » ou « hommes a gages », par le paiement de l’acte criminel qu’elles évoquent, nous plongent dans la catégorie des criminels professionnels. Il n’est pas étonnant que ces mots n’apparaissent pas dans les lettres de rémission pour désigner les coupables. La rémission a toutes les chances d’aboutir si elle escamote « l’aguet appensé ». En

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revanche, les procès relatifs aux rémissions subreptices peuvent comporter cet argument. Prenons l’exemple de celle que Tristan Hanotin a obtenu à la suite des blessures que Jeannette la Potière a reçues sur le visage. Elle fait l’objet d’un procès au Parlement en janvier 1404. La scène se passe à Laon et la partie adverse prétend que Tristan Hanotin a fait envoyer des hommes qui ont tenté de fendre le nez de Jeannette. Le procureur du roi affirme « que telz cas pullulent maintenant au païs et est le cas tres dampnable et fait par bateur a loyer et s’il n’y a eu loyer les prieres le valent assez » pour finalement conclure : « que les bateurs a loyers sont ennemis de tout le peuple » 114 . 70

De tels arguments font comprendre pourquoi les suppliants des lettres de rémission précisent que leurs complices, s’ils en ont, sont des amis et non des stipendiés. Pour justifier une rémission qui lui aurait été accordée à tort, Pierre de La Mare, prévôt fermier de Beauvais, affirme en 1408 au Parlement, que ceux que la partie adverse accuse d’être des « meurtriers a loyer » sont en fait ses amis à qui il a demandé d’intervenir pour le venger115. Il ne nie pas la vengeance, il nie l’emploi de spadassins. N’exagérons pas le nombre des cas qui peuvent être biaisés ; la vengeance, nous le verrrons, s’exerce effectivement par soi-même, ou en faisant intervenir la parenté et l’amitié116. D’ailleurs, l’expression « bateur a loyer » ne sert pas non plus pour désigner les victimes qui sont évoquées dans les lettres. Or il y a peu de chances pour que les actes de ces professionnels soient si violents qu’ils l’aient toujours emporté. Ne peut-on pas songer qu’ils ont aussi pris rang parmi les victimes ? Deux hypothèses sont alors possibles. Soit cette espèce est si rare qu’ils ont échappé à l’enquête. Soit les mots sont si forts qu’ils effraient le champ sémantique de la grâce, y compris pour désigner la victime. Cette dernière hypothèse n’est pas impossible puisque ces mots désignent ceux que la partie adverse veut voir condamner à mort117. En novembre 1404, l’évêque du Mans voulant prouver que Guillaume Brissart doit être condamné pour avoir fait attaquer un de ses gens affirme qu’il est « bateur a loyer » 118.

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En fait, les expressions les plus courantes, celles que nous avons déjà abordées en évoquant les stéréotypes du crime, concernent les « larrons » qui peuvent aussi être appelés « larrons des bois », les « pillars », les « bannis », les « espieurs de chemin ». L’étude de la procédure, l’évocation des crimes aux frontières et à Paris ont déjà montré avec quelle méfiance il fallait aborder ce vocabulaire 119. Le mot « larron » tient de l’injure. Celui-ci est « mesel et larron » de la vaisselle de messire Guillaume Bouteiller ; celui-là se plaint « d’estre mené comme un larron » 120. Dans la bouche du procureur du roi, l’emploi de ce vocabulaire tend à faire du crime un cas privilégié dont le roi a obligatoirement la connaissance. Larron devient « larron public ». En janvier 1407, à propos du vol commis dans l’hôtel de la reine, le procureur du roi, pour qualifier un des complices de Jacques Binot, Guillemin de La Porte, qui a obtenu une rémission, critique sa renommée en disant « qu’il vit avec son frere qui est larron publique et tenoit une lerrenesse sa ribaude »121. L’ambiguïté vient de l’adjectif « public » qui lui est accolé : désigne-t-il, par extension du notoire, ce qui est connu de tous, ou ce qui concerne l’intérêt collectif et, en matière judiciaire, lèse l’Etat ? 122. Dans tous les cas ces arguments visent à accroître la justice royale. Que reflètent-ils de la réalité ?

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Outre l’étude des mots qui désignent les criminels professionnels médiévaux, il existe des notions qualitatives qui permettent de mesurer que certains individus sont perdus pour la société. Jean du Bois dont nous avons déjà évoqué le cas est présenté par la partie adverse comme « un mauvais garnement »123. Jean Haumes est considéré comme

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« merveilleux » car « partout ou il estoit il vouloit faire et faisoit de soy la massue » 124. La lettre de rémission précise en quoi ce personnage sort de l’ordinaire pour entrer dans le monde habituel du crime. Il est « de mauvais courage, haultain, oultrageux, noyseux et rioteux, diffamez d’aucunes homicides et de plusieurs autres vilains cas et qui souvent mouvoit noises et riotes pour avoir son escot davantage ». Dès que l’argent se joint au sang versé, le dérapage commence. 73

Mais là n’est pas la seule cause d’entrée dans un monde irréversible. La rupture avec l’entourage est la marque d’une criminalité professionnelle. Guillaume de Tignonville l’exprime clairement dans ce fameux procès de janvier 1406. Pour se disculper d’avoir fait pendre les deux clercs, il affirme qu’au pied du gibet, l’un d’entre eux, Cabre, a confessé d’autres larcins et a dénoncé d’autres complices, et il conclut « qu’ils sont de bien mauvaise vie car il n’y a pas poursuite d’amis » 125. On comprend mieux pourquoi les criminels répertoriés par Aleaume Cachemarée entre 1389 et 1392 cherchent tant à évoquer leurs attaches familiales. Le vagabond qui n’a pas d’attaches de lieux faisait déjà figure de déraciné et de marginal. Plus grave encore est l’absence de liens de parenté ou d’amitié. La différence se joue là, quand le juge peut agir seul à seul. Aux XIVe et XV e siècles, le cas est encore rare. Le recours à la procédure extraordinaire, en provoquant la solitude de l’inculpé, s’avère le nécessaire palliatif qu’a su utiliser la justice pour désigner les coupables susceptibles d’être condamnés à mort.

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Le conflit que mène l’Etat face aux officialités permet enfin de formuler des notions définitives quant au sort du coupable. Il convient en particulier, pour les autorités laïques, de montrer que le clerc est « incorrigible ». Cette notion s’affirme, comme le montrent R. Genestal et B. Guenée, dans la seconde moitié du XV e siècle, mais elle apparaît dès le règne de Charles VI126. En 1401, maître Jean Vimplier, chirurgien parisien qui se dit clerc non marié, en habit et tonsure, est décrit comme un violeur impénitent127. Ses méfaits commis entre 1399 et 1400 sont rapportés à la Cour. Un tavernier l’a trouvé couché avec sa femme, des petites filles de onze ans ont été abusées parce qu’il les « mena en son hostel disant que elles parlassent et qu’il leur donroit du vin », Jeannette La Paillette femme d’un chaussetier s’est fait enlever et battre pour être passée devant son hôtel, enfin une autre fillette de onze ans est en péril de mort « pour la violence qu’il lui avoit faite a la violer et despuceler ». Finalement, il est rendu à l’official avec cette mention : « il est incorrigible », accompagnée d’une menace : la prochaine fois, il ne sera pas rendu à l’évêque. De la même façon, Guillaume de Tignonville utilise cette notion pour justifier son action en janvier 1406. Outre les arguments précédemment évoqués, il déclare que les deux clercs sont des personnes « viles et infames », « publici latrones, insidiatores itinerum, murtrarii et inimici publici, torvis nature immiscens (sic) se sevis, et incorrigibiles »128.

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Ces réflexions trouvent leur origine chez saint Thomas quand il étudie les rapports entre la justice divine et celle des hommes, et, au-delà, chez Aristote quand celui-ci étudie les causes intérieures des impulsions que sont en particulier l’habitude ou la colère129. Une des causes du péché est la malitia, c’est-à-dire la volonté mauvaise aggravée par l’habitus qui provoque un enracinement dans le péché, si bien qu’il y a perversion de la personnalité130. La pensée des avocats et des juges s’est aussi enrichie des réflexions sur l’éducation que les ordres mendiants ont pu développer au cours du XIIIe siècle. L’idée perce alors que certaines personnalités sont disposées au crime depuis l’enfance. Pour désigner un criminel endurci, la partie adverse s’applique à démontrer que sa perversion est « fondamentale ». En octobre 1416, l’évêque de Paris

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réclamant Poncelet comme clerc se voit répondre par le procureur du roi que cet homme est hors d’église car il est né en concubinage, et il ajoute que « onques ne fist bien mais tousjours depuis et des son enfance s’est appliqué a mal faire, a jouer aux dez, a la paulme, suir les tavernes et les fillettes diffamees, pieça se rendi carme dont laissa l’abit et devint chevaucheur et homme d’armes et vagabond »131. En face, celui qui veut rehausser une déclinaison d’identité affirme, même s’il est chevalier et ancien amiral de France comme Clignet de Brabant, qu’il « a servi le roy des son enfance » 132. La naissance puis l’éducation entrent donc en ligne de compte pour définir le profil du criminel ou de l’innocent. 76

Ces notions, encore retenues par la criminologie contemporaine, sont nées en ces deux derniers siècles du Moyen Age. Elles doivent une large part de leur genèse à la réflexion théorique sur la responsabilité de l’homme et aux circonstances politiques qui alimentent les conflits de juridiction. Quelle place joue dans cette affaire la réalité criminelle ? Il est incontestable que des professionnels du crime sillonnent les chemins et, à l’occasion, hantent les bois. L’étude de la criminalité parisienne a prouvé ce qu’il fallait en penser. Il est exact aussi qu’une partie de la population est fragile. Cet appelant au Parlement en janvier 1401 en témoigne. Né à Aubervilliers, il sait tirer l’arbalète. Un homme d’armes passe, l’embauche ; il quitte sa ville natale avec un compagnon et les crimes professionnels commencent133. Quant aux zones en crise, pôles répulsifs qui fournissent l’embauche ou les armées comme la Bretagne, elles sont aussi pourvoyeuses en hommes de main ou en tueurs à gages134. Quelle proportion occupent ces hommes parmi les criminels ? La question reste sans réponse. Seule est possible la quête de ceux qui approchent le professionnalisme, qu’il s’agisse des récidivistes ou des bannis.

77

Les statistiques tirées des lettres de rémission montrent que les récidivistes sont nettement moins nombreux que les coupables d’un premier crime : ils constituent environ 9 % des coupables, et 1 % d’entre eux sont connus de la Chancellerie puisqu’ils ont déjà obtenu une rémission pour leurs crimes antérieurs. Certains se révèlent effectivement comme des criminels endurcis. Environ 10 % de ces récidivistes demandent rémission pour les divers crimes qu’ils ont commis. Mais, en général, ils sont « spécialisés » dans une forme particulière de délit. Avec près de 30 % des cas, le vol s’avère être le premier des crimes commis par les récidivistes. Il faut noter que ce crime dépasse la rixe-homicide que les récidivistes commettent seulement dans 25 % des cas, ce qui les éloigne nettement du profil « normal » de la criminalité que nous avions pu d’emblée dessiner135. Voici le cas exemplaire d’un criminel du bailliage de Senlis : pris sur le fait à dérober le tronc d’une église, il est mis en prison ecclésiastique où la « question » lui fait avouer d’autres vols, draps et toiles et même un cheval. Rendu à la justice seigneuriale dont il dépend, il demande sa grâce au roi et on apprend qu’il a déjà obtenu rémission pour d’autres larcins136.

78

Dès lors, la question se pose : pourquoi ces crimes répétés, et en particulier pourquoi les vols y sont-ils prédominants ? L’explication peut faire intervenir une anomalie du comportement : ce cordonnier du bailliage de Sens a la manie de voler des souliers tandis que ce suppliant qui subtilise à Melun sel, draps et monnaie a autrefois souffert de « maladies lunatiques »137. Nous retrouvons là les troubles de la personnalité que nous avons pu déjà noter. Ces délits font l’objet de développements fournis : plus de 80 % des récidivistes cherchent des explications à leur crime, alors que seulement 65 % de l’ensemble des coupables en invoquent. Et, dans 23 % des cas, plusieurs explications

461

sont données contre 17 % pour l’ensemble des suppliants. Cette « charge » peut s’expliquer, encore une fois, par la nécessité d’une grâce d’autant plus difficile à accorder qu’il y a récidive. Mais l’exposé des motifs est aussi très significatif, car il diffère de celui des autres criminels. Ces récidivistes ne se targuent ni de jouer ni de boire : ces deux motifs constituent 7 % des cas, soit plus de deux fois moins que dans la criminalité ordinaire. Ils n’invoquent la « chaude cole » comme seul argument que dans 3 % des cas. En revanche, 15 % d’entre eux se disent victimes de la guerre et 10 % de la pauvreté, soit trois fois plus que la normale. Il peut s’agir là du jeu subtil de la demande en grâce ; mais les faits décrits donnent à ces témoignages une réalité. Prenons l’exemple d’Etienne Le Maréchal, que nous avons vu à La Bazoge dans la vicomté de Mortain, tenter de mettre le feu à un toit de chaume. Il avait auparavant violé les deux femmes de la maison et dérobé leurs biens. On sent percer sous l’habit civil les pratiques des hommes d’armes, car ce sont là des crimes dits irrémissibles dont ils sont coutumiers138. D’ailleurs, la lettre apprend au détour du récit l’appartenance du criminel au « parti » royal, ce qui, en 1385, n’est pas une mince affaire en cette zone frontalière. Les récidivistes savent donc frapper juste. 79

Il s’avère que les arguments ne sont pas seulement fictifs. Certes, ces criminels n’ont pas rejoint le clan des marginaux sans feu ni lieu, mais ce sont des individus en voie de marginalisation. L’exemple type peut être fourni par ces jeunes gens qui, à la fin du XV e siècle, commettent des vols répétés entre Château-du-Loir et Mamers. Ils exercent encore sous l’ombre d’un métier mais ils sont déjà itinérants et ils ne connaissent pas toujours la clientèle qu’ils escroquent. L’un d’entre eux explique que « puis un an et demy ença il s’est acointe d’un nommé Pierre Gilbert, porteur de mercerie et autres bagues (...) et vendirent un tableau qui sembloit estre d’or a un dont il ne scet le nom » 139 .

80

D’autres, en cette fin du XVe siècle, opèrent dans des villes de quelque importance comme Tours ou Rouen, tel ce chaussetier qui se révèle plus habile à crocheter les dressoirs des tavernes qu’à vendre ses chausses140. Ces voleurs récidivistes sont encore à mi-chemin du professionnalisme. Pour voler, le chaussetier est « tiré de sa besogne ». Il ne vit pas tout à fait du crime. De la même façon, Colinet Le Mercier qui est accusé par la partie adverse d’être un « savetier estrangier et vagabond » et d’avoir déjà demandé une rémission pour un meurtre commis à Saint-Satur en 1392, se dit « mercier », sans rapport avec le meurtre de l’abbé qui lui est désormais reproché et déclare qu’il veut se « retraire a Saint-Satur pour l’affeccion qu’il avoit de y demeurer » 141. Nous ne connaîtrons jamais le degré de culpabilité de cet homme, mais sa vie qu’il tente de sauver face aux juges, l’enracine au terroir. Il faut bien sûr faire la part des circonstances atténuantes ; néanmoins, replacés dans le contexte général de la délinquance, les cas de criminalité professionnelle restent rares.

81

La moitié des récidivistes disent qu’ils sont mariés et 20 % seulement d’entre eux sont incapables de préciser un métier. Comme le laissait prévoir le faible rôle de la « chaude cole », peu sont nobles. Ils fréquentent moins que les autres les lieux de la sociabilité traditionnelle que sont la taverne ou les terrains de jeux. Même le pèlerinage qui fait tant peur aux autorités n’apparaît guère. La violence d’une grande partie d’entre eux est asociale. Elle a plutôt le crime comme idée fixe puisque près de la moitié des récidivistes se déplacent pour le commettre142. La longueur de leurs déplacements interdit cependant de les déraciner totalement : ils constituent seulement 12 % de ceux qui ont effectué plus de 30 kilomètres avant le crime, et environ 30 % de ceux qui ont

462

parcouru entre 15 et 30 kilomètres. Ce sont bien pour la plupart des gens connus de la communauté, mais que leur forme de violence permet de distinguer. Ainsi se profile peu à peu le portrait du récidiviste qui en fait un malfaiteur plus qu’un inconnu. 82

Les bannis constituent-ils un groupe plus nettement engagé dans la profession criminelle ? Le bannissement, connu dès l’époque franque, est largement utilisé par les justices royales, seigneuriales ou urbaines. Son ampleur en temps et en lieu varie selon la gravité du délit. Il peut, en particulier, être prononcé contre un prévenu qui a pris la fuite, ce qui est, nous l’avons vu, un moyen courant de résolution du crime 143. Si on se réfère aux statistiques établies d’après les lettres de rémission, le bannissement constitue environ les deux tiers des peines prononcées quand le suppliant a déjà été condamné avant de demander une lettre de rémission. Ce résultat n’a rien d’étonnant ; la condamnation à la prison, avec 5 % des cas, tient une faible place 144. En règle générale, les demandes de rémission concernent des bannissements définitifs, ceux qui sanctionnent des crimes capitaux. Que nous permettent-elles de connaître du portrait du banni ?

83

L’image de ces criminels ne correspond pas à celle qui est donnée par les sources narratives et législatives qui, nous l’avons vu, associent volontiers le banni, le pillard et le larron ; quant à la propagande politique, elle n’hésite pas à faire du banni le fidèle du camp adverse145. Les bannis sont pour 98 % d’entre eux du sexe masculin dont un tiers se disent mariés et seulement 8 % s’affirment célibataires, les autres rejoignant la catégorie des situations de famille inconnues. Environ un quart d’entre eux ont des enfants. Tous donnent un domicile. Un tiers d’entre eux précisent une profession qui les range soit dans la catégorie des laboureurs soit dans celle des « métiers », sans que s’affirme nettement un caractère subalterne146. Enfin, un tiers d’entre eux se disent pauvres et 4 % seulement déclarent avoir des dettes. Ce profil ressemble étrangement à celui des criminels ordinaires. On pouvait les attendre vieillis par le ban. Or l’âge n’est pas non plus différent de celui que suggère la norme. Quand il est chiffré, il est inférieur à trente ans dans 12 % des cas contre 17 % pour l’ensemble des criminels ; dans 17 % des cas, il s’agit de « jeunes » ou de « jeunes hommes », ce qui correspond au profil général. Statistiquement, le bannissement ne semble pas avoir provoqué de hiatus dans la vie de ces suppliants.

84

Pourtant, le bannissement est évoqué comme une souffrance ; la moitié de ceux qui ont été bannis l’invoquent comme première circonstance extérieure de leur demande de grâce. Les bannis ont mal de leur attachement au pays natal et des « amis » qu’ils ont laissés. Plus que les autres criminels, ils évoquent le lieu de leur naissance qui est précisé dans plus d’un quart des cas, alors que cette précision n’est jugée nécessaire que pour 10 % de l’ensemble des suppliants. Celui-là, originaire de la ville de Tournai, demande à réintégrer son lieu d’origine, car il a « esté absent par moult longtemps de la ville de Tournay en laquelle il fut né147 ». Celui-ci « n’ose bonnement retourner ne habiter en notre royaume ne au païs dont il est né et nourry » 148. Ne soyons pas dupes de ces considérations : tous les bannis ne sont pas partis loin. Un tiers de ceux qui précisent la distance entre leur lieu de naissance et leur lieu d’habitation au moment de la demande de rémission sont restés dans le même lieu. Néanmoins, un autre tiers s’est éloigné de plus de 30 kilomètres149. Le fait de rôder aux alentours de leur lieu d’enracinement peut d’ailleurs les faire retomber dans les rêts de la justice. Jacques de Chartres, ancien maître charpentier du roi qui a été banni par le prévôt de Paris pour avoir « feru en trayson de nuit » Pierre de Beaune, chantre et chanoine de la chapelle

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royale du Palais, est repris à Meaux et amené au Châtelet, si bien qu’un procès est ouvert au Parlement en mars 1379150. Une éventuelle réinsertion sociale ne suffit donc pas à stabiliser le banni. Il lui faut aussi le retour à la terre natale. 85

Encore une fois, nous avons là des bannis « ordinaires », et parmi ceux qui sollicitent une lettre de rémission, moins de 1 % se disent récidivistes. Les sources de la justice ordinaire livrent d’autres portraits, rares il est vrai. Sans s’en tenir aux stéréotypes de ceux qui sont évoqués aux frontières, certains profils émergent, tel celui de Vincequerre dont le procès a lieu au Parlement en décembre 1401. Pour avoir dénoncé des marchands de Lucques comme usuriers, une enquête est ouverte au cours de laquelle il apparaît que Vincequerre a été lui-même banni de la ville de Lucques pour homicide, s’est refait une identité en Angleterre où, comme facteur, il a pris des denrées à des marchands sans les payer, a continué ses malversations à Bruges d’où il a été banni. Le voici finalement à Paris, demeurant en la rue Chapon, ce qui permet à la partie adverse de lui imputer une vie de « houlier, bordelier et maquereau ». Il occupe aussi un office de sergent d’armes et il a assez d’entregent à la cour pour dénoncer les frères Senestre et Gauvain Trente auprès de Charles de Savoisy et du duc d’Orléans comme « gens de neant et usuriers en termes generaulx et avoient porté billon hors du royaume et recelé Timposicion qui est le droit du roy »151. Le « melting-pot » parisien dont nous avons déjà montré l’originalité peut permettre à ce type de banni de vivre, voire d’accéder à une certaine ascension sociale.

86

Ces bannis aux dents longues ne constituent sans doute pas la majeure partie des cas. Certes, à Paris, ils sont suffisamment nombreux pour que le prévôt s’inquiète et revendique leur jugement, en particulier face aux seigneurs hauts justiciers 152. Mais il convient de se méfier des stéréotypes que présentent les sources. Ils reflètent sans doute plus le déshonneur qui accompagne le bannissement que la réalité des personnages. Prononcé à son de trompe, parfois après l’essorillement et une exposition au pilori, accompagné de la confiscation des biens, le bannissement n’est pas une peine légère153. Il condamne le criminel à la pire des choses : l’errance loin des amis, une mort vivante ; et pour les « amis », une honte permanente. Pour comprendre l’impact de ces décisions, il faudrait pouvoir comparer le bannissement à la peine de mort. N’est-ce pas une perversion de notre civilisation que de considérer la mort comme plus infamante que l’exil ? Tableau 24 : Types de crimes et nombre de participants

Code

Participants

Homicide (en %) Contre la chose publique (en %) Pillage (en %)

0

Inconnu

0,5

2,5

0,0

1

Pas de participant

29,0

41,0

0,0

2

1 participant

27,0

23,0

8,3

3

2 ou 4 participants

39,0

13,0

75,0

4

> 4 participants

2,0

7,5

8,3

5

Collectivité

2,5

13,0

8,4

464

6

Autres

0,0

0,0

0,0

100

100

100

87

Code

Participants

Vol (en %) Rupture d’asseurement (en %) Viol collectif (en %)

0

Inconnu

1,5

6,0

0,0

1

Pas de participant

64,5

59,0

0,0

2

1 participant

20,0

19,0

17,0

3

2 ou 4 participants

14,0

16,0

83,0

4

> 4 participants

0,0

0,0

0,0

5

Collectivité

0,0

0,0

0,0

6

Autres

0,0

0,0

0,0

100

100

100

Les crimes regroupent rarement plus de quatre participants. Ceux où interviennent entre 2 et 4 participants se dégagent nettement : pillages et viols collectifs qui sont le fait de petites bandes. En revanche, le vol, la rupture d’asseurement, les crimes contre la chose publique sont plutôt des actions individuelles. La collectivité intervient aussi dans les crimes politiques.

465

88

La dernière façon de cerner l’existence de criminels professionnels serait de saisir s’il existe des associations, des « bandes ». L’Angleterre connaît, au même moment, ce type de criminalité. En France, il convient d’en limiter la portée, comme le montre le nombre de participants aux côtés du coupable (tableau 24). Le vol est en priorité individuel, y compris en milieu urbain154. Une récente étude sur le faux-monnayage arrive à des conclusions semblables. Pour un crime qui nécessite une grande organisation, la carence de « cerveaux » et la fragilité des réseaux sont frappantes 155. Les faux-monnayeurs sont bien, pour la plupart, implantés au sein de la population ordinaire tout en recrutant parfois aux marges de la société, par exemple chez les « Coquillards » dijonnais. Mais leur action solidaire s’avère médiocre. Alors se pose la question d’un « milieu » du crime ? Il peut, nous l’avons vu, échapper aux lettres de rémission. Il n’apparaît que par éclipses. Rares sont les criminels qui vont de métropole en métropole et tous les cas recensés finissent par aboutir à Paris. Ces bandes peuvent aussi traîner aux frontières où viennent stationner les bannis. Les ordonnances en font état et les lettres peuvent leur donner raison. Voici un homme qui a ses quartiers dans la région de Tournai où il est accoutumé de se « retraire pour pluseurs roberies, violences, piez coppez et autres malefices » auxquels il ajoute une descente en règle qui lui fait passer la frontière « en perseverant par voie de guerre et en faisont assemblees ou païs de Haynau vint es termes de notre royaume accompaigné de pluseurs banniz et autres de divers gouvernement faire chevauchees et invasions sur ledit exposant » 156. En règle générale, ces grands rassemblements de criminels qui peuvent atteindre jusqu’à une cinquantaine de personnes, s’inscrivent dans un processus de guerres privées étroitement mêlées à la vengeance157.

89

Ces attaques peuvent aussi avoir pour cible une collectivité. La petite ville de Sinceny, dans le bailliage de Vermandois, subit, en 1385, la descente armée que mène Hennequin de Saint Quentin, un « menestrier d’instrument de bouche » originaire de Hainaut, accompagné de quatre hommes armés jusqu’aux dents. Néanmoins, il ne s’agit pas d’une attaque surprise. Des menaces avaient précédé contre toutes les gens de la ville158. En chemin, la petite troupe rencontre des laboureurs qui, prévenus des menaces et rendus prudents à la vue de ces gens « mal meuz », disent qu’ils ne sont pas de Sinceny. Le seigneur justicier de la ville « qui savoit que armeures invasibles estoient defendues porter a telz estrangies et a laboureurs » leur donne l’ordre de les mettre à bas. En vain ! Les complices « jurerent deshonnetement que qu’il les vouldroit avoir il les auroit par la pointe ou en substance ». A ces paroles, le seigneur rétorque qu’il faut prendre ces « larrons » morts ou vifs sous peine de voir justice détruite. Ce qui fut fait et nous vaut trois lettres de rémission en faveur de ceux qui les ont tués : le seigneur justicier qui est écuyer, son lieutenant et un laboureur qui vient aux armes la fourche à la main.

90

L’attitude de ces larrons armés peut suggérer l’existence d’un petit groupe organisé et habitué à semer la terreur. Le métier de ménestrel peut inviter à une telle interprétation. Mais l’un de ces compagnons est tisserand. Ne s’agit-il pas plutôt d’un groupe d’étrangers peu intégrés aux localités environnantes et qui supportent mal le spectacle de la communauté rassemblée ce jour-là pour la fête du saint local ? Quant au port d’armes, il n’est pas réservé aux criminels de grands chemins : 25 % des coupables utilisent des armes militaires, ce qui est nettement supérieur au nombre des « marginaux ». Parler de bandes, et à plus forte raison de bandes de marginaux, semble donc abusif. Si elles existent, elles restent sans grande rencontre avec la population

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ordinaire qui, sachant très bien faire la différence, ne peut qu’en avoir peur. Thomassin Quatre Livres est un bel exemple de ce passage d’un monde à l’autre, lui qui, dans sa jeunesse, « ait esté repris de jouer de mauvaiz dez et de suivir mauvaise compaignies et de user de tromperies »159. Devenu valet gantier, il s’est acheté une conduite d’homme ordinaire et « a volunté de gaignier la vie de lui et de sa femme et mesner son mestier et labour et de laissier toutes dissolues compaignies esquelles sivant ». 91

Thomassin a rejoint le camp des gens ordinaires ; mais est-ce là une garantie contre le crime ? L’étude de la criminalité nous dit combien la violence affleure, au premier chef, dans le monde de l’homme tranquille.

NOTES 1. La maladie possède bien une dimension sociale essentielle à sa définition et à son interprétation, comme le montrent encore de nos jours les exemples africains : M. AUGE et Cl. HERZLICH, Le sens du mai.., p. 39 et 45. 2. Ces circonstances atténuantes sont décrites dans l’ancien droit, A. LAINGUI, « L’homme criminel... », p. 15-35, et La responsabilité pénale.... Livre II, p. 175 et suiv. Il n’existe pas pour autant une théorie de la responsabilité, mais « une inégale conception de la responsabilité », en particulier selon les types de crimes et leur degré d'atrocité, B. SCHNAPPER, « Compte-rendu du livre d'A. Laingui, La responsabilité pénale... », RHDFE, 48 (1970), p. 464-469. Pour une vision claire et nuancée des circonstances atténuantes, J.M. CARBASSE, Introduction historique au droit pénal, p. 184-199 et p. 202. 3. JJ 127, 76, juillet 1385. LÉZINNES (bailliage de Sens et d’Auxerre). 4. Ibid., 175, octobre 1385, PARIS (prévôté de Paris). 5. Par exemple ibid., 101, août 1385, REIMS (bailliage de Vermandois). 6. JJ 165, 32, lettre citée chapitre 4, n. 32. 7. JJ 127, 180, lettre citée chapitre 9, n. 80. 8. Ibid., 167, juin 1385, ANCY-LE-FRANC (bailliage de Sens et d’Auxerre). 9. Ibid., 35, juillet 1385, BEAUVAIS (bailliage de Senlis). 10. Ibid., 81, août 1385, BOUILLANCOURT-EN-SÉRY (sénéchaussée de Ponthieu). 11. BN Fr. 562, fol. 30v. 12. G. de MACHAUT, Le Confort d’ami, Œuvres..., t. 3, p. 127, vers 3584-3595. Vision comparable chez Ph. de VITRY, Dicts de Franc Gontier, A. PIAGET, « Le Chapel des fleurs de lis par Ph. de Vitri », p. 63 : Gontier mange avec dame Hélène : « fromage frais, laict, burre, fromaigee, craime, matton, pomme, nois, prune, poire, aulx et oignons, escaillongne froyee sur crouste bise, au gros sel, pour mieulx boire. 13. P. d’AILLY, cité par A. PIAGET, Le Chapel..., p. 64-65. Le manuscrit des Diets de Franc Gontier de Philippe de Vitry est conservé dans un volume de 1490 qui contient la réponse de Pierre d’Ailly au poème de Philippe de Vitry, et des traductions latines de Nicolas de Clamanges. Ce rapprochement est significatif des filiations de la pensée politique. Sur l’importance de la tempérance, vertu politique, chez les théoriciens de Charles VI, voir aussi les réflexions de Ch. de

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ΡΙΖΑΝ, Le Livre du corps de policie, p. 93-95, à propos de la luxure et des effets néfastes des délices de Capoue. Conception identique chez Ph. de MEZIÈRES, Le Songe du vieil pelerin, Partie III, p. 206. 14. JJ 127, 198, novembre 1385, CONFLANS-SAINTE-HONORINE, (prévôté de Paris) ; autre exemple ibid., 46, juin 1385, MONTDIDIER (bailliage de Vermandois). 15. JJ 150, 1, juillet 1396, ROSOY-EN-MULTIEN (bailliage de Vitry). 16. Fr. RAPP, « Jeanne d’Arc, témoin... », p. 175-176 ; sur le point de vue des contemporains, Père F.M. LETHEL, « La soumission à l’Eglise militante... », p. 181-189. 17. JJ 169, 26, lettre citée chapitre 6, n. 157 et chapitre 7, n. 98. 18. Voir supra, n. 2, et les exemples cités chap. 13. 19. N. de BAYE, Journal, t. 2, p. 232. 20. JJ 143, 207, octobre 1392, MERFY (bailliage de Vermandois) ; JJ 98, 114, novembre 1364, SERVAL (à tous les justiciers), et JJ 160, 91, novembre 1405, PARTHENAY (bailliage de Touraine). 21. Le principe du droit romain se résume dans cette formule : cum satis furore ipso puniatur. Quant à Gratien, il exclut la responsabilité mentale du dément : « Quod autem ea quae alienata mente fiunt, non sint imputanda », C. 15, qu. 1. Ph. de BEAUMANOIR. Coutumes de Beauvaisis, n. 1575. Sur cette élaboration de l’ancien droit criminel, A. LAINGUI, La responsabilité pénale..., p. 176-180. 22. JJ 118, 18, lettre citée chapitre 8, n. 93, et JJ 168, 344, août 1415, AMIENS (bailliage d’Amiens). La frayeur n’est évoquée que si le fou est la victime. Il se doit, par conséquent, d’inspirer la répulsion, par exemple, JJ 165, 181, septembre 1411, (bailliage de Saint-Pierrele-Moûtier) : « estoit par intervalles furieux, malade de maladie caduque ou insanee et si qu’il ne souffroit pas bien a curer et visiter mais en sadicte maladie se debatoit et demenoit moult cruelment et si terriblement que ceulx qui le veoient en avoient grant fraieur ». Finalement, le suppliant obtient la rémission de son homicide car « le cas ne procede d’aucun malefice ou hayne precedant mais par fortune soudaine advenue par la rigueur et perversité dudit deffunt et ce qu’il estoit sourprins d’entendement ». La folie peut inspirer la peur, et de ce point de vue, appliquée à la victime, elle rejoint les catégories de l’excuse par la contrainte morale, chères aux canonistes, mais elle ne l’inspire qu’à bon escient. Sur les aspects de cette contrainte morale, A. LAINGUI, ibid., p. 208-209. 23. M. FOUCAULT, Histoire de la folie, p. 54 et suiv. Il existe cependant dès le Moyen Age, et en Espagne dans le droit wisigothique, des signes distinctifs qui désignent le fou à ses contemporains. Il peut avoir, par exemple, les cheveux tondus, le plus souvent au scalpe qui laisse des traces indélébiles, J.M. CARBASSE, Introduction historique au droit pénal, p. 228. Dans un procès d’août 1406, qui fait état d’un conflit de juridiction entre l’évêque de Meaux et les autorités civiles, le lieutenant du bailli et le prévôt de la ville, on apprend que Jean Le Brunien, pris à Meaux en habit de clerc et en tonsure, a été emprisonné puis questionné, et le lendemain, au lieu d’être rendu à l’ordinaire, « deux compaignons vindrent a lui, le lierent en la gehine et le tondirent en guise de fol ». Le but, dans le cas présent, était de faire disparaître la couronne, mais on peut se demander si ce traitement était souvent appliqué à ceux qui étaient considérés comme fous. 24. A. LAINGUI, op. cit. supra, n. 21, p. 184, en particulier n. 64. La lèse-majesté étaitelle exceptée des excuses de démence dès les XIVe et XVe siècles, comme ce fut le cas à l’époque moderne ? Les archives consultées ne permettent pas de trancher totalement sur ce point, mais les circonstances atténuantes qui sont alors évoquées, telle la jeunesse du suppliant, elle-même source de « folie », permettent de considérer une interprétation moins rigoureuse qu’au XVII e siècle, Cl. GAUVARD, « Résistants et collaborateurs... », p. 133. 25. Chapitre 9, p. 404. L’importance de ces rites funéraires a été mise en valeur par J. CHIFFOLEAU, La comptabilité..., p. 202-203, à propos des effets de la peste. 26. JJ 120, 24, janvier 1382, (prévôté de Paris). 27. JJ 127, 12, avril 1385, CAEN (bailliage de Caen).

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28. La tentation de l’ennemi est invoquée par 9 % de laboureurs, 8 % de laboureurs de bras, 10 % de gens de métier, 11 % de gens d’armes, 0 % d’officiers, 17 % de clercs. 35 % ne déclinent pas de profession. 29. X 2a 14, fol. 267, avril 1405. 30. Des comparaisons avec les textes littéraires sont possibles : J.C PAYEN, « Pour en finir avec le diable... », p. 412-413. L’auteur montre, en particulier, comment, au XIII e siècle, le diable est devenu l’antagonisme obligé de la grâce. 31. JJ 127, 15, lettre citée chapitre 6, n. 150, 154 et 207. 32. JJ 133, 190, septembre 1388, VIGNORY (bailliage de Chaumont). Sur le songe et la tentation de l’Ennemi, voir le cas de bestialité, JJ 160, 372, lettre citée chapitre 4, n. 131. 33. JJ 182, 119, mai 1454, ROUVRAY (bailliage de Rouen). 34. X 2a 14, fol. 32-32v., juillet 1401. Les Garreau sont soupçonnés d’avoir volé des objets typiques de la vie rurale, soc de charrue, lard, blé. S’y ajoute une « bateure ». La sentence prise par la justice seigneuriale semble disproportionnée avec ces crimes. En fait, les Garreau sont « tres mal renommés au pays », et l’accusation de sorcellerie fait partie de l’information recueillie par les officiers du comte d’Alençon. La sorcellerie peut fonctionner comme processus d’exclusion. 35. JJ 155, 208, septembre 1400, AVRANCHES (bailliage de Cotentin), et 211, septembre 1400, ROMILLY-SUR-SEINE (bailliage de Troyes). 36. X 2a 14, fol. 390-391, voir chapitre 7, p. 319. 37. Registre criminel du Châtelet, t. 2, p. 280 et suiv. 38. Ibid., p. 337. 39. P. PARAVY, « A propos de la genèse... », p. 333 et suiv. L’auteur montre comment la chasse aux sorcières s’inscrit dans « une oeuvre pastorale de longue haleine » ; chez Claude Tholosan. les faits anticipent largement les concepts, malgré la formation juridique de l’auteur. Gilles Carlier rédige ses consultations sous la forme de Sporta fragmentorum quand il joue le rôle d’expert auprès de l’évêque de Cambrai. Jean de Bourgogne, entre 1439 et 1479, H. PLATELLE, « Les consultations... », p. 225-252. 40. Les auteurs sont Henry INSTITORIS et Jacques SPRENGER ; leur œuvre est publiée en 1486-1487. A. DANET, Le marteau des sorcières, p. 30-52. 41. JJ 208, 20, décembre 1480, PALLUAU-SUR-INDRE (bailliages de Touraine et de Berry). Voir aussi JJ 129, 250, novembre 1386, (bailliage de Touraine), où la sorcière est décrite comme une « porteresse de poisons ». 42. JJ 208, 242, septembre 1482, lieu non précisé (gouverneur du Dauphiné) 43. X 2a 14, fol. 197v., juillet 1404. 44. Registre criminel du Châtelet, t. 2, p. 294. 45. JJ 208, 20. lettre citée supra, n. 4L Voir aussi lettre citée supra, n. 4L Voir aussi JJ 182, 32, janvier 1454, FEURS (sénéchaussée de Lyon) : le suppliant se défend d’être « facinier » car il n’a jamais vu le diable. Or le bruit circule dans la ville qu’il a trouvé « ung moyne ou diable noir sur l’estang » qui le voulait « jecter dedans ou emporter ». 46. JJ 207, 50, février 1481, PROVINS (bailliages de Meaux et de Melun). 47. JJ 181, 123, septembre 1452, SAINT-FERREOL-DES-CÔTES (bailliage de Saint-Pierre-leMoûtier). Autre exemple d’une femme délaissée qui se venge en frappant d’impuissance celui qu’elle voulait épouser et qui a refusé, JJ 182, 85, avril 1454, MAZÉ (bailliage de Touraine). 48. X 2a 14, fol. 197v„ juillet 1404. 49. JJ 208, 20, lettre citée supra, n. 41. J. BODIN, Fléau des démons et sorciers, 1579, partie 2. Sur ce phénomène, H. GÉLIN, « Les noueries d’aiguillettes... », p. 122-123. 50. JJ 155, 222, septembre 1400, FRICOURT (bailliage de Vermandois). 51. Registre criminel du Châtelet, t. 2, p. 295-296. 52. Ph. de MÉZIÈRES, Le Songe du vieil pelerin, partie II, p. 596-615. « Reine Vérité » part en guerre contre « Vieille Superstitieuse ».

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53. G. BALANDIER, Le pouvoir sur scènes, p. 99-105, et Le désordre, p. 108-114. Sur les effets de cette « contre-église », de cette « secte » que constituent les sorciers, P. PARAVY, « A propos de la genèse... », p. 341, et « Faire croire. Quelques hypothèses de recherche... », p. 127. 54. JJ 208, 242, lettre citée supra, n. 42. 55. Les lettres de rémission étudiées par P. BRAUN en donnent des exemples significatifs, « La sorcellerie... », p. 271-273. 56. X 2a 14, fol. 257v., juin 1405. 57. JJ 208, 20, lettre citée supra, n. 41, 45 et 54. P. PARAVY, « A propos de la genèse... », p. 348, remarque que Claude Tholosan, en 1436, ne privilégie pas encore la femme dans le choix du coupable-type. 58. JJ 211, 425, avril 1484, ORBEIL (bailliage de Montferrand). 59. Chapitre 7, p. 325-326. 60. JJ 208, 242, lettre citée supra, n. 42 et 54. 61. Procès cité supra, n. 36, fol. 390v. 62. JJ 120, 136, mars 1382, VALENCIENNES (bailliage de Vermandois) ; ibid., 101, février, 1382, NORMANVILLE (bailliage de Caux). 63. X 2a 14, fol. 411 v., février 1408. Ce recours aux ossements de condamnés à mort pour fabriquer des poudres est un procédé courant. Au cours des différentes campagnes de calomnie qui entourent la folie du roi, le barbier de Charles VI, Merlin Joly, est arrêté pour avoir été vu rôder sous le gibet de Montfaucon. Fr. AUTRAND, Charles VI..., p. 323. En 1415, la partie adverse reproche au prévôt de Beauvais d’avoir coupé les cheveux de celui qu’il a condamné à mort. Il se défend en évoquant la peur de la sorcellerie, certains pouvant s’emparer des cheveux du pendu : « et causa dubii scilicet quod ibi sortilegii interesset ». En fait, il a aussi fait disparaître les marques gênantes de la tonsure. 64. Voir chapitre 5, n. 165 et 166. 65. H. PLATELLE, « Les consultations... », p. 245, qui définit Gilles Carlier comme un « démonologiste modéré ». 66. J. GOULET, « Un portrait des sorcières au XV e siècle »..., p. 129-141. Ce processus s’accélère à l’époque moderne comme le montrent les travaux de R. MUCHEMBLED. 67. Les exemples africains montrent bien l’efficacité de ces rassemblements collectifs autour du sorcier, M. MAUSS, Anthropologie et Sociologie, p. 124. 68. A. LAINGUI, La responsabilité pénale..., p. 200-201. 69. Par exemple, JJ 155, 10, mai 1400, ASNIERES-EN-BESSIN (bailliage de Caen). 70. Ordonnance d’août 1536 pour la Bretagne, citée par A. LAINGUI, ibid., n. 68, p. 201, n. 129. 71. N.Z. DAVIS, Pour sauver sa vie..., p. 38. 72. Par exemple, JJ 155, 10, lettre citée supra, n. 69. 73. Ibid., 114, juin 1400, (bailliage de Caux). 74. Par exemple JJ 169, 54, février 1416, MEZEL (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). Sur l’ivresse féminine, voir chapitre 7, p. 310 et chap. 8, p. 369. 75. Lettre citée supra, n. 73. 76. JJ 155, 47, lettre citée chapitre 8, n. 69. 77. JJ 127, 5, lettre citée chapitre 7, n. 46. 78. Sur tout ce qui concerne la colère, j’ai pu bénéficier du mémoire de maîtrise de D. CARIOU, Recherches sur la colère au XIVe siècle... Je le remercie d’avoir bien voulu me le communiquer. L’auteur montre en particulier comment la bile est associée, chez les théoriciens, à la colère. Sur ce point, voir aussi N.Z. DAVIS, Pour sauver sa vie..., p. 94, pour qui « chaude bile » et « chaude colle » appartiennent à la théorie des humeurs. 79. Sur les rapports entre le crime et le jeu, J.M. MEHL, Les jeux au royaume..., p. 285-308. 80. JJ 155, 281, novembre 1400, (bailliage d’Amiens).

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81. Ibid., 31, juin 1400, BEAUMARCHÉS (sénéchaussée de Toulouse). Même forme de jeu, JJ. 130, 21. janvier 1387. (bailliage de Caen). 82. Ibid., 269, octobre 1400, SA1NT-JULIEN-DU-SAULT (bailliage de Sens et d’Auxerre). 83. Ibid., 424, février 1401, PARIS (prévôté de Paris). 84. L’apport du jeu à l’ordre social, en particulier dans les sociétés primitives, a été mis en valeur par R. CAILLOIS, Les jeux et les hommes, et R. GIRARD, La violence et le sacré, en particulier p. 179 et suiv. Pour une approche anthropologique des jeux médiévaux, J.M. MEHL, op. cit. supra, n. 79, quatrième partie, « Relecture des jeux ». 85. Sur ces condamnations, J.M. MEHL, « Le pouvoir et les jeux sportifs... », p. 15-62. 86. JJ 127, 44, juin 1385, MONTREUIL-SUR-MER (bailliage d’Amiens). 87. Une étude de ce vocabulaire savant dans les chroniques de Froissait est faite par J. PICOCHE, Recherches sur le vocabulaire..., p. 167. 88. La construction de cet espace rituel est analysée chapitre 11, p. 504 et suiv. De nombreux exemples de ces « profanations » sont donnés par J. TOUSSAERT, Le sentiment religieux..., p. 108 et suiv. 89. Rare exemple sur l’envie, JJ 165, 196, août 1411, CLUNY (bailliage de Mâcon) ; sur la luxure, JJ 103, 329, décembre 1372, BUZENÇAIS (bailliage de Touraine) ; sur l’usure, JJ 120, 352, juin 1382, TOURNAI (bailliage de Vermandois) ; sur la convoitise, JJ 165, 35, (lettre citée chapitre 6, n. 150), et JJ 120, 29, septembre 1381, AMBLENY (bailliage de Senlis), qui parle de « pure convoitise » à propos d’une vente de maison (la lettre est signée Gontier Col), et ibid., 31, novembre 1381, ISLESLES-MELDEUSES (bailliage de Meaux), qui parle de « mauvaise convoitise » (lettre signée P. de Montyon et J. d'Orgemont). 90. J. DELUMEAU, Le péché et ta peur..., p. 20 et suiv. 91. Sur l’évolution des péchés capitaux, M. VINCENT-CASSY, « Les animaux et les péchés capitaux... », p. 122-126. 92. Sur ces distinctions, voir le travail de D. CARIOU cité supra, n. 78. 93. JJ 155, 27, juin 1400, TOURVILLE-LA-RIVIÈRE (bailliage de Caux). 94. JJ 120, 1, lettre citée chapitre 3, n. 35. 95. JJ 160, 22, lettre citée chapitre 8, n. 59, et JJ 169, 54, lettre citée supra, n. 74. 96. N.Z. DAVIS, Pour sauver sa vie..., p. 94-95. L’état d’irresponsabilité que suppose la « chaude cole » est bien perçu par les contemporains. En novembre 1384, lors d’un procès relatif à une rémission considérée comme subreptice, il y a enquête auprès de témoins pour savoir si le coup porté à une jeune femme l'a été sans préméditation. La scène se passait dans une taverne de Troyes. Il est rapporté que le meurtrier aurait dit « je te garde tele pensee », et la plaidoirie conclut que ces paroles manifestent qu’il n’y a pas eu « chaude cole », X 2a 10, fol. 190v.-191. 97. Formulaire d’Odart Morehesne, BN Fr. 5024. fol. 101 v. Sur le lien entre la légitime défense, la provocation et la colère, A. LAINGUI, La responsabilité pénale..., p. 257-263 et 295-296. 98. La répartition des cas de « chaude cole » en fonction de la circonstance atténuante relative au crime est la suivante : 20 % aucune circonstance atténuante, 11 % réputation de la victime, 18 % légitime défense, 9 % sentiments envers la victime, 2 % prison encourue, 20 % bannissement. 0 % diable, 9 % autres, 6 % hasard, 5 % pardon de la victime. 99. Dans 8 % des cas, la « chaude cole » est invoquée pour la rupture d'asseurement qui n'est pas. comme nous le verrons, un crime de nobles, ce qui renforce d'autant l'association noblehomicide-chaude cole. Les autres interventions de la « chaude cole » se partagent entre le crime contre les institutions (5 %), la rupture de sauvegarde (3 %), les affaires de moeurs (3 %) et le blasphème (1 %). 100. Par exemple JJ 127, 269, lettre citée chapitre 6, n. 133. 101. JJ 165, 332, septembre 1410, MAINBRESSY (bailliage de Vermandois). 102. JJ 120, 15, lettre citée chapitre 3, n. 35. 103. J. LARGUIER, Criminologie et science pénitentiaire, p. 62-63.

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104. R. JOUET, La résistance..., p. 15-30. Le plus ancien texte cité par l’auteur où se trouve le mot « brigand » date de 1419, ibid., p. 175. 105. Sa fréquence est nulle dans les textes théoriques ou législatifs dépouillés pour cette enquête ; elle est de 1 dans certains registres de lettres de rémission, en particulier les registres JJ 172 et 173 qui correspondent aux débuts de l’occupation anglaise. 106. Pour J. de MONTREUIL, lorsqu’il décrit les atrocités commises à Saint-Denis, les excès de la guerre civile dépassent même ceux des « larrons » : « O reprobos homines atque damnatissimos, ea facientes que nec sevissimi latrones, nec iratissimi hostes, nec immanissimi barbari aliquando fecerunt, tirannos omnes qui unquam aut usquam fuerint crudelitate Vincentes »'., Epistola 215, Opera II, 169-172. 107. N. de BAYE, Journal, t. 1, p. 338. 108. Journal d'un bourgeois de Paris, p. 12. A cette date, le mot est courant sans que son sens politique soit très clair, comme en témoigne ce procès de juillet 1422 qui concerne Guyot Guillot « poure homme aagé de XXXIIII a XXXVI ans », laboureur et natif du village de Brie-ComteRobert, et travaillant à La Houssaye. Pris dans les réseaux de la guerre civile, passé, soit disant par force, sous la direction du capitaine de Fontenay, Adam de Cuise, il « court » dans la forêt de Jouy. Il finit par participer à une expédition où « fust tué et occiz par ceulx de sa compaignie » un homme qui tenait le parti adverse, c’est-à-dire « le parti de nous et de feu notre cousin le duc de Bourgogne ». Auparavant, cet Armagnac avait pris « plusieurs personnes que on nommoit brigans ». Le terme ne désigne ni les Armagnacs ni les Bourguignons mais bien des « larrons », ce qui contribue d’ailleurs à décharger Guillot, X 2a 16, fol. 438v., juillet 1422. 109. Ibid., p. 162. Sous l’effet de la pauvreté, on devient indifféremment « brigand de bois ou Arminalz ». 110. X 2a 17, fol. 79, février 1413. Le mot est employé par Le Tur qui, face à Jean Jouvenel, défend le sire Jean de Maintenon qui aurait fait pendre trois hommes, Guillaume Taupin, Jean Taupin et Guillaume Roussin, sans information et sans cause. Il prétend que « durant les discensions, Gascons furent envoyés par le duc de Berry au païs de Dourdan et se mirent sus plusieurs brigans et entre les autres Guillaume Taupin, le plus fort larron, violeur et efforceur de femme et qui d’un efforcement avoit remission, estoit rançonneur de gens ». Autre exemple, X 2a 17, fol. 197v., août 1415. La scène se passe aux confins de la Bretagne, entre Raoul de Truganes et Jacques de Chaumont « soy disant escuier qui avec ses complices brigans apres souper prindrent ledit Raoul et IIII autres ses compaignons escuiers ». Autre exemple, X la 4790, fol. 211, février 1415, (bailliage de Cotentin) ; ibid., fol. 231, avril 1415, VOVES. Ce procès s’inscrit dans la lutte Armagnacs-Bourguignons et « a ce que dit que la ville de Voves estoit adherens des ennemiz d'Orleans et estoit brigans nichil est mais sont simples gens laboreux habitans ». La suite du procès joue bien sur cette opposition entre le brigandage et le « labour ». 111. Par exemple JJ 107, 169, juillet 1375, MONTMORT (bailliage de Sens et d’Auxerre) : « Et pour ce que yceulx ennemis faisoient si grant griefs et si grans maulz que il n’estoit nulz qui le peust croire, et aussi que les gens qui estoient ou plat païs et hors forteresse ne le povoient bonnement endurer, certaine assemblee de compaignons se fist et mis sus oudit païs afin de giener et dommaigier lesdiz ennemis de tout leur povoir ». 112. JJ 127, 215, octobre 1385, MAZIÈRES-DE-TOURAINE (bailliage de Touraine). 113. JJ 172, 502, juillet 1424, LITZ (bailliage de Senlis) ; ibid., 597, octobre 1424, BRAY (bailliage de Gisors) ; ibid., 609, janvier 1425, BOULON (bailliage d’Alençon). 114. X 2a 14, fol. 156-156v., janvier 1404. 115. Ibid., fol. 424, juin 1408. 116. Chapitre 17, p. 768. 117. Voir les considérations relatives à la renommée, chapitre 3, p. 135 et suiv. 118. X 2a 14, fol. 211v., novembre 1404. Guillaume Brissart est aussi appelé « rompeur de huis », ce qui est une grave injure. 119. Chapitre 6, p. 161 et p. 273.

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120. X 2a 14, fol. 193, juillet 1404 ; ibid., fol. 4v., décembre 1400. 121. Ibid., fol. 360, janvier 1407. Emploi identique par Guillaume de Tignonville, ibid., fol. 299-300v., janvier 1406. 122. Cette expression entre dans le champ du législatif au XIV e siècle, ORF, t. 1, p. 636, 20 mars 1317, et t. 5, p. 46, 1367. 123. X 2a 14, fol. 255, juin 1405, voir chapitre 3, p. 141 et chapitre 7, p. 323. 124. JJ 127, 46, lettre citée supra, n. 14. 125. X 2a 14, fol. 299v. 126. Sur la notion canonique d'incorrigibilité, voir R. GÉNESTAL. Le Privilegium fori..., t. 2, p. 200-201. Les exemples donnés par B. GUENÉE, Tribunaux..., p. 111 et n. 102 et 103, appartiennent à la seconde moitié du XVe siècle. La notion semble se mettre en place dès le début du XV e siècle. 127. X 2a 14. fol. 20-20v. 128. Ibid., fol. 299v. Sur l’emploi de ce mot lié à la peine de mort. Registre criminel du Châtelet, t. 2, p. 147. 129. Saint Thomas d’AQUIN, Summa theologica. la Ilae. qu. 93 et suiv. Sur l’interprétation, voir l'analyse de M. VILLEY, « La responsabilité... », p. 117 et suiv. Sur les sources de saint Thomas d’Aquin et des juristes des XIVe et XV e siècles. ARISTOTE, Rhétorique, I, 10 et Ethique à Nicomaque, V, 8. 130. Saint Thomas d’AQUIN, op. cit. supra, n. 129. la Ilae, qu. 77. Parmi les causes extérieures du péché, saint Thomas d'Aquin retient l’importance du démon, mais aussi celle de l’hérédité, qu. 81. On peut se demander si la référence aux parents dans la déclinaison d’identité ne trouve pas là une de ses origines. 131. X 2a 17, fol. 236v., octobre 1416. Cas identique pour un « houlier, homme de mauvaise vie et renommee, noiseux et rioteux », à qui on reprochait « ses enfances mauvaises », X 2a 14, fol. 10, janvier 1401. Sur la place de l’enfance chez les grands criminels, voir chapitre 3, p. 132. 132. X 2a 17, fol. 222v., juin 1416 ; déclaration identique pour le sire de Rouvoy, « notable seigneur de lignee et de meurs ab infancia, a exercé faiz notable... », ibid., fol. 77v. 133. X 2a 14, fol. 7v., janvier 1401. 134. Ibid., fol. 358, janvier 1407 : ce viol opéré dans un processus de vengeance est le fait de « deux compagnons » que le chevalier a fait venir de Bretagne. 135. Rappelons que l’homicide constitue environ 57 % des crimes remis. 136. JJ 165, 157, septembre 1411, CHAMBLY (bailliage de Senlis). 137. JJ 160, 445, août 1406, SAINT-JUST-SAUVAGE (bailliage de Sens et d’Auxerre), et ibid., 369, juin 1406, MELUN (bailliage de Sens et d’Auxerre). 138. JJ 127, 26, lettre citée chapitre 7, n. 52. 139. JJ 211, 197, 1484, MAMERS (sénéchaussée du Maine). Autres exemples, X 2a 14, fol. 301v.-302v., janvier 1406, qui relate le cas d’un criminel professionnel agissant entre la Bretagne et Paris et qui fait partie d’une petite bande. Ils volent des chevaux, du linge et de l’argent dans les villages où ils passent de façon organisée car « l'un espie que aucun ne seurvenist » ; ibid., fol. 341-341 v., août 1406. Les deux protagonistes, installés à Meaux, « prindrent complot d’aler desrober gens par le pays sanz tuer ». 140. JJ 211, 121, septembre 1485, ROUEN (bailliage de Rouen). 141. Procès et lettre de rémission cités chapitre 2, n. 5. 142. Les motifs de déplacement des récidivistes avant le crime s’établissent comme suit : pèlerinage 1 %, guerre 10 %, taverne 3 %, déplacement professionnel 16 %, foire 7 %, loisir 7 %, crime proprement dit 42 % ; 14 % ne précisent rien. Sur ce portrait de « professionnels » encore enracinés dans le pays de connaissance, voir l’exemple provençal étudié par Fr. GASPARRI, Crimes et châtiments..., p. 77 et suiv. 143. Dans la moitié des cas, le banni a été jugé par un tribunal royal ; dans 20 % des cas par un tribunal seigneurial ; dans 10 % des cas par un tribunal urbain : dans 2 % des cas par un tribunal

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ecclésiastique. Dans 18 % des cas. la nature du tribunal n’est pas précisée. La peine de bannissement est appliquée partout, X 2a 15, fol. 145, février 1407, LYON. 144. Les autres peines se répartissent entre amendes et plusieurs peines. Environ 5 % demandent une rémission, tout en ayant été laissés en liberté après le jugement. 145. Parmi les malfaiteurs contre lesquels il doit lutter, le roi, dès 1317, puis au milieu du XIV e siècle, consacre tous ses soins aux bannis, lettre-patente citée par E. PERROT, Les cas royaux..., p. 339, et ORF, t. 4, janvier 1354, p. 158-159. Pendant la guerre civile, les protagonistes s’invectivent par « bannis » interposés, lettre du 3 décembre 1417, P. DOGNON, « Les Armagnacs et les Bourguignons... », p. 496. 146. Environ 7 % d’entre eux se déclarent « valets ». 147. JJ 98. 27, décembre 1364, TOURNAI (bailliage de Tournai). 148. JJ 120, 130, février 1382, (bailliage d’Amiens). 149. Pour une comparaison avec les distances parcourues par l’ensemble des criminels, voir tableau 27, chapitre 11. 150. X 2a 10, fol. 77, mars 1379 ; même cas, X 2a 14, fol. 94, janvier 1403, TOURNAI ; ibid., fol. 366v., février 1407 et fol. 411, janvier 1408. PARIS. Dans ce dernier cas, la plaidoirie pour donner raison au prévôt évoque l’ordre d’arrestation donné par la Cour « contre les crimineulx et banniz », voir infra, η. 152. 151. X 2a 14, fol. 43, décembre 1401. Sur les mesures prises à Paris contre les usuriers par Louis d’Orléans, en 1403, voir chapitre 6, n. 116. 152. C’est l’objet d’une plaidoirie au Parlement en mars 1407 qui met en cause les droits du prévôt de Paris face à ceux de l’évêque. Jouvenel, pour le prévôt, dit que « si un haut justicier prend un banni a Paris, le prevot doit en avoir la connaissance ». L’évêque répond que « si un banni est pris par un haut justicier dans le royaume pour un autre cas, il doit etre jugé par le haut justicier pour le cas nouvel ». 153. Sur le rituel du bannissement, voir J. BOCA, La justice criminelle..., p. 223-234 ; R. GRAND, Les paix d’Aurillac..., p. 210-214, et J.M. CARBASSE, Consulats méridionaux..., p. 350-352. Par exemple, à Paris à la fin du XVe siècle, la scène se passe au Châtelet après fustigation du coupable, Y 5266, fol. 75, et parfois essorillement et fustigation, ibid., fol. 77, août 1488. 154. Voir les exemples cités chapitre 6, n. 150. 155. L. FELLER, Faux-monnayeurs..., p. 157, qui parle de « semi-marginaux ». La peine encourue par les faux-monnayeurs est plus souvent une amende qu’une peine cruelle, 156. JJ 120, 134, janvier 1382, DOXEMER (bailliage de Vermandois). 157. Par exemple X 2a 14, fol. 344, août 1406 : l’expédition menée par Charles de Merlis contre la dame de Ribemont rassemble de 40 à 50 hommes armés recrutés parmi des « bannis » et des gens d’armes. Il s’agit, en fait, d’une guerre privée précédée de menaces et alimentée par la « haine ». 158. JJ 127, 51, 57 et 71, lettres citées chapitre 9, n. 111. C. BLOCH, « Les peines appliquées aux faux-monnayeurs à la fin du XVe siècle », La peine, inédit. 159. Ibid., 208, octobre 1385, PARIS (prévôté de Paris). Sur cette peur qui tenaille la population ordinaire, X 2a 16, fol. 31 lv., juillet 1415. Pierre Robinet, curé de Sarcelles, bénéficiant de la sauvegarde royale, arrive à Mâcon avec Pierre Perrinet et, « in quo quidem itinere nonnulli complices et malefactores quinque propter hoc congregati ex cogitato proposito insidias adversus dictum magistrum Petrum Robineti et alios sibi comites paraverant ». Dérobé, il en est quitte pour la peur qui le rend malade. Le procès révèle l’identité des malfaiteurs : ce sont des écuyers du pays.

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Conclusion

1

Les sorciers et les criminels endurcis, les récidivistes organisés en bandes écumant le pays existent : ils ne sont pas typiques de la criminalité que révèlent les lettres de rémission. Ces criminels sont en nombre réduit et ils restent cantonnés dans un monde différent, voire étranger au monde commun. A côté d’eux se dégage le nombre impressionnant de criminels au profil désespérement ordinaire : mariés, pères de famille, adultes, sans pauvreté excessive. Rien n’aurait dû les faire sortir de l’ombre et on pourrait penser que la relative égalité de leurs conditions eût tué dans l’oeuf les germes de conflits. Or il n’en est rien. Dans la ville comme dans la campagne où les mènent leurs pas, plus de la moitié de ces hommes ordinaires sont pris dans une rixe qui se termine dans le sang. Les rivalités s’y exaspèrent et la rixe-homicide l’emporte alors largement sur tous les autres crimes. Il faut donc bien s’interroger sur l’origine de cette violence. La première explication est d’ordre psychologique. Elle a l’avantage, effectivement, de privilégier la nature humaine, quelle que soit la condition sociale, et d’insister sur des personnalités déjà fragiles. Puis, par intermittence, remontent les angoisses ancestrales du diable et du sort, et se combinent les effets du vin et du jeu qui favorisent l’expression violente des désirs latents et des pulsions refoulées. Les requérants de la grâce comme les notaires de la Chancellerie ont trouvé cette explication avant nous. Empruntant à Aristote et à saint Thomas, ils dressent le premier bilan des circonstances atténuantes1. Ils noient la violence sous le flot de causes qui empruntent à tous les arguments possibles. Etre violent consiste bien, de leur point de vue, à ne plus avoir de frein, à se laisser aller sans se contrôler. Jean Gerson le dit en chaire quand il stigmatise les effets du premier mouvement 2. Les suppliants ont retenu la leçon, tel celui qui, sentant monter la tension, s’en va dans le pré voisin « pour soy passer son yre et eviter la noise »3.

2

Mais cette explication de la violence entérine un discours qui alimente encore de nos jours l’idée d’une violence constitutive de « l’homme médiéval » et qu’il nous faut dénoncer. Car, avec de tels arguments, on ne dit rien d’autre que ceci : la violence ne naît que parce que l’homme est violent par nature ou par accident, et l’homme du Moyen Age l’est plus que les autres. Mais ce discours masque l’essentiel. La question fondamentale demeure : existe-t-il une relation directe de cause à effet entre la personnalité du coupable et l’acte violent, ou bien tout ce que nous venons d’étudier, vin, jeu, diable, et même folie, ne sont-ils que des maillons dans l’enclenchement du

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processus violent ? Or, il importe de ne pas oublier ce que le crime doit à l’échange, c’est-à-dire à la réciprocité, qu’il s’agisse de la victime ou de ceux qui entourent le coupable et la victime. Dresser le portrait robot du criminel ne peut donc être qu’une approche nécessaire mais incomplète de la violence. Il convient dans un second temps d’esquisser les modes de relations où elle éclot et que fracture le crime.

NOTES 1. Comparer le tableau des circonstances atténuantes dressé pour l’ancien droit par A. LAINGUI et A. LEBIGRE, Histoire du droit pénal, t. 1, p. 137-139. 2. J. GERSON, Contre la colère, Œuvres complètes, t. 7, p. 900. 3. JJ 165, 22, octobre 1410, (bailliage de Sens et d’Auxerre).

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Troisième partie. Un monde solidaire

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Introduction

1

Dans Les caractères originaux, Marc Bloch affirme que la communauté des habitants existe, constituée en corps, avant d’apparaître comme une personnalité légale. Mais, l’histoire de la communauté rurale, que R. Boutruche appelait encore de ses voeux, reste à faire. Il est vrai que ce n’est pas là chose facile, tant les sources se révèlent furtives, partielles et spécifiques. Récemment, M. Bourin et R. Durand critiquent encore, avec raison, les effets déformants du « prisme seigneurial » pour qui veut cerner la vie de la communauté1. A l’inverse, les lettres de rémission sont quasiment muettes sur d’éventuels conflits avec les seigneurs dont bien des monographies rurales portent cependant témoignage. Ces crimes ne sont pas, en principe, du ressort du roi. Mais, en matière de compétence judiciaire, le roi se moque si souvent des principes ! Presque rien ne transpire non plus de conflits internes contestant une hiérarchie de pouvoirs dans l’organisation de l’universitas. L’administration d’un officier peut être contestée, celle des représentants de la communauté ne l’est guère. Cela ne veut pas dire que cette organisation n’existe pas ; mais sans doute génère-t-elle rarement des conflits susceptibles d’aller jusqu’au crime. La piste des institutions conduit donc au silence.

2

Et pourtant, ces communautés existent et les villages qu’elles animent ne sont pas des acteurs anonymes de la violence. Le crime les fait sortir de l’ombre. Quel crime ? Au total, les chiffres susceptibles d’évoquer la cohésion d’un monde solidaire sont faibles puisque dans 3 % des cas seulement la collectivité est directement et totalement impliquée dans le crime. Encore convient-il de savoir à quels moments elle est amenée à entrer dans un processus violent. N’est-ce pas quand l’environnement se montre particulièrement hostile ? Excepté ces moments de résistance aux agressions extérieures, qu’en est-il de la belle unité communautaire ? Les crimes dont le village est la scène semblent la briser plus que la souder, effaçant du même coup l’image d’une communauté solidaire. A ces questions, on ne peut répondre qu’en s’interrogeant sur les rapports qui existent entre la violence et les solidarités.

3

L’ambiguïté du crime apparaît ici pleinement. La violence désagrège et révèle les failles. Mais elle montre aussi que les solidarités existent et qu’elles sont susceptibles d’en limiter l’étendue. On ne saura jamais combien de crimes ont pu être évités grâce aux devoirs que créent les lois de la sociabilité. Combien de fois le bras s’est-il arrêté avant de frapper parce que, en face, l’adversaire est un père, un frère, un compagnon, un

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voisin ? On peut néanmoins essayer de saisir la profondeur de ces liens, qu’il s’agisse de la communauté, du couple, de la parenté, ou de ceux que tissent les choix du coeur et les contraintes de l’habitat. L’ensemble des droits et des devoirs que les hommes ont pu se fixer pour vivre en groupe est indissociable des limites qu’ils ont su imposer à la violence. Il convient donc de cerner l’épaisseur des solidarités autour duquel se manifeste le crime. Alors, il sera peut-être possible de comprendre comment, secouée par tant de violences et perturbée par tant de crimes, la communauté a résisté pour durer.

NOTES 1. M. BLOCH, Les caractères originaux..., p. 172 et suiv. Nombreux aperçus de ce vide historique dans R. BOUTRUCHE, La crise d’une société..., p. 122-128. M. BOURIN et R. DURAND, Vivre au village..., p. 78 et suiv., ont repris le problème en s’attachant à décrire les formes prises par les solidarités paysannes. Pour l’exemple précis du Biterrois, M. BOURINDERRUAU, Villages médiévaux..., t. 2, p. 79-95.

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Chapitre 11. L’espace maîtrisé

1

Acte de populations ordinaires, le crime crée l’événement et perturbe un vécu dont il importe maintenant de dégager les caractères. L’entreprise est à la fois facile et hasardeuse. Facile parce que le crime se présente comme une brisure du quotidien dont il sert à révéler la trame. Hasardeuse parce que seules l’enquête qui conduit à la rémission et les exigences plus ou moins tatillonnes de la Chancellerie le permettent. Les archives de la justice ordinaire sont sur ce point silencieuses ; à peine suggèrentelles des comparaisons. La rémission est donc essentielle mais elle pose un certain nombre de difficultés. La définition des coordonnées du crime est construite a posteriori sans qu’on puisse déceler avec précision ce que le récit doit au spontané ou à la réponse suscitée. Tous les mécanismes de la mémoire se mettent sans doute en marche pour répondre à cette interrogation des autorités mais ils sont biaisés par un questionnaire, par la nécessité de la justification. Nous avons déjà rencontré ces contraintes dans la manière de dire l’âge des suppliants. S’ajoute dans le cas qui nous intéresse maintenant le délai entre le crime et la rémission, délai qui peut freiner la mémorisation du crime. Il ne faut pas cependant en exagérer la portée. Ce délai est beaucoup plus court que ne le supposerait une légendaire inefficacité de l’Etat. Dans près de 60 % des cas, il est inférieur à un an. Sur les 40 % qui restent, environ 10 % de cas seulement renvoient à un passé flou et lointain quand le crime a eu lieu « nagueres » 1. Le manque de fiabilité de la mémoire ne dépend donc pas, on le voit, de la lenteur de l’Etat en matière judiciaire. En réalité, se situer dans le temps et dans l’espace n’est pas encore une attitude naturelle, encore moins un réflexe. Les études menées sur le travail des historiens au Moyen Age ont déjà montré comment dans un monde que la culture privilégie, cette conquête avait été lente et difficile ; à plus forte raison quand il s’agit d’un monde ordinaire2. L’analyse des résultats de cette enquête ne doit donc jamais perdre de vue qu’il s’agit là d’un effort du suppliant ou de sa famille pour donner corps à l’événement. Comment s’opère cette prise de conscience et comment se formule-telle ?

DIRE LE TEMPS 2

On ne peut qu’être frappé de la quantité de données temporelles que fournit la description du crime. Dans près de 70 % des cas, le jour et le mois du crime se trouvent

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mentionnés ; dans 35 % des cas, l’heure se trouve précisée. Si l’année est plus rarement indiquée — elle figure dans 20 % des cas —, cela n’est pas réellement significatif d’un refus de la chronologie mais plutôt de la rapidité de la grâce accordée. La mention « derrenierement passé » accolée au jour, à la fête ou au mois est alors suffisamment claire. En revanche, lorsqu’il ne s’agit pas de Tannée en cours, le chiffre peut être donné sans hésitation, même si l’exposant revient très loin en arrière. Par exemple, deux crimes remis par la Chancellerie en juin 1400 ne sont pas datés de la même façon. Dans le premier cas, les amis supplient pour un événement vieux d’un mois et ils se contentent de dire : « le dimanche, neuvieme jour du mois derrenierment passé » 3. Dans le second cas, ils interviennent pour un crime commis plus d’un an auparavant et ils précisent : « comme le XXIIIIe jour de janvier Tan 1398 ou environ »4. 3

On voit bien que la Chancellerie n’est pour rien dans la formulation de la date qui dépend plutôt de la célérité des suppliants à demander et à obtenir la grâce. Plus le crime est lointain, plus il devient nécessaire de libeller sa date de façon précise. Le flou n’est donc pas exactement une question d’impossibilité technique, une carence dans la domination des processus de datation. La durée peut, quand il en est besoin, cesser d’être indéterminée.

4

Pour dire ce temps-là, n’imaginons pas non plus une mémoire concrète se traçant des points de repères avec des exemples personnels ou sacrifiant au sensationnel. Le coq ne chante plus comme aux très hauts temps du Moyen Age. M. Bourin a déjà noté que, dans les enquêtes testimoniales languedociennes des XIII e-XIVe siècles, il n’était question ni de naïveté ni de prodiges5. Dans les lettres de rémission, les références relèvent de la même banalité : point de ces détails éphémères et peu fiables du blé que Ton rentre ou du cochon que Ton tue. La formulation du temps doit être uniforme et comprise par tous ; elle est déjà celle d’individus conscients d’appartenir à un monde plus vaste que celui du quotidien. Tous les repères du temps ne sont pas pour autant abstraits.

5

Pour désigner l’heure du crime, trois types de mesures coexistent encore en ces derniers siècles du Moyen Age (tableau 25). En premier persiste le temps de la nature, temps profane où le mouvement du soleil définit l’espace du jour et de la nuit : jour qui « saille » et qui « faille », « heure du soleil levant » et « du soleil couchant » ou « entre soleil couchant et jour saillant ». Le folklore peut y apporter sa touche concrète pour définir le crépuscule, cette heure « entre chien et loup » ou de « chandelles allumans » 6. La redondance des notations peut encore, au milieu du XVe siècle, servir à préciser la pensée comme dans ce crime commis « au soir, apres soleil couché, et comme entre chien et loup »7.

6

Ce temps naturel reste souple ; il épouse le rythme de la lumière au gré des saisons. Il ignore la précision ponctuelle et saisit, de préférence, la durée : « environ nuit », « tard dans la nuit », « au soir ». Deux moments essentiels servent de référence, le dîner et le souper dont on sait qu’ils se déroulent cependant à des heures variables 8. Les autres notations relatives aux travaux ou aux festivités profanes sont, comme je l’ai dit, quasiment inexistantes. Fenaisons, moissons, vendanges, glandées sont aussi rarement mentionnées que les fêtes villageoises, la mort ou les noces d’un proche. Soleil et ventre, tel est le temps naturel, passif et descriptif, qui reste encore le favori de la population des lettres de rémission.

7

A ses côtés, le « temps de l’Eglise », selon l’expression de J. Le Goff, fait piètre figure 9. Il n’a guère empiété sur l’antique permanence du temps profane. Parmi les prières

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liturgiques qui pourraient servir de référence à ce temps religieux, les vêpres l’emportent. On pourrait penser que cette prépondérance correspond à l’heure préférée du crime. La répartition des délits dans la journée ne permet pas de retenir une telle hypothèse puisque 16 % d’entre eux seulement ont lieu en fin de journée, à la charnière du jour et de la nuit. 8

De toutes façons, les crimes commis en plein jour ne trouvent guère de référence liturgique : et pourtant les cloches sonnent ! En fait le son des cloches s’inscrit dans la mémoire quand, concrètement, il est nettement impliqué dans le déroulement du crime. Ce suppliant qui « ala a l’eglise et sonna par plusieurs fois les cloches d’icelle eglise pour faire venir a vespres » est ensuite devenu criminel 10. L’heure religieuse sert aussi plus facilement de repère s’il s’agit d’un office connu de tous, lors d’une fête religieuse particulière comme c’est le cas en 1451 pour ce crime commis « la vigille dudit jour de Noel derrenier passé, tandis que l’en dit matines aux eglises » 11. Tableau 25 : Le temps du crime. a) Heure du crime

Moments de la journée Fréquence (en %) Jour

44,0

Nuit

25,0

Jour/Nuit

31,0 100

9

Vocabulaire de l’heure Fréquence (en %) Horlogère

14,5

Ecclésiastique

11,5

Folklorique

4,0

Alimentaire

27,5

Solaire

29,0

Plusieurs qualificatifs

4,0

Autres

9,5 100

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b) Jour du crime

Fréquence (en %)

Jour Ordinaire

51,5

Veille de fête

6,5

Jour de fête

32,5

Jour de foire

5,0

Événement familial

4,0

Autres

0,5 100

10

Code de calcul du jour Fréquence (en %) Quantième du mois

24,5

Par rapport à une fête

53,5

Autres références

22,0 100

Pour faciliter la lecture du graphique, les mentions inconnues ont été supprimées. Elles sont de 66 % pour l'heure du crime, de 36 % pour le jour, de 26 % pour le calcul du jour. La signification du tableau est double : donner le temps du crime en même temps que la perception de ce temps par les rédacteurs des lettres de rémission. c) Mois du crime

Mois

Fréquence (en %)

Janvier

5,0

Février

6,5

Mars

6,5

Avril

7,5

Mai

12,0

Juin

13,0

483

Juillet

5,5

Août

8,5

Septembre

10,0

Octobre

7,0

Novembre

8,5

Décembre

10,0 100

L'étude des mois montre une légère prépondérance des saisons intermédiaires. 11

La rareté de ces notations incite à la prudence. Si la campagne vit au son des cloches, elle ne s’en sert pas pour compter le temps. On peut raisonnablement penser que le fameux jeu de mots tenu par Jean de Garlande au début du XIII e siècle, « campane dicuntur a rusticis qui habitant in campo, qui nesciant judicare horas nisi per campanas » est un propos d’intellectuel ignorant des réalités12. L’heure des clercs est encore trop savante pour servir à formuler le temps des paysans, même à travers le bruit familier des cloches. L’encadrement paroissial a réussi à scander le déroulement des grands actes de la vie, il n’a pas totalement réussi à scander celui du jour, et encore moins de la nuit.

12

Quant à l’heure horlogère dont on sait le caractère récent en cette fin du Moyen Age, elle a déjà fait une bonne percée puisque le nombre de ses mentions égale celui de l’heure religieuse. L’évolution des différents repères du XIVe à la fin du XV e siècle permet d’en cerner les progrès. En effet, la proportion entre ces diverses références, naturelles, religieuses et horlogères, ne reste pas égale de 1350 à 1480. Sous le règne de Louis XI, l’heure horlogère gagne en fréquence puisqu’elle atteint 11 % des mentions au lieu de 5 % sous le règne de Charles VI. Elle gagne aussi en précision : les suppliants commencent à manier la demi-heure, le quart d’heure, voire le demi-quart d’heure 13. Ce progrès se fait aux dépens de l’heure religieuse dont la référence se trouve réduite de moitié tandis que la référence horlogère a justement doublé. L’heure moderne semble bien se construire sur les débris de la division ecclésiastique du temps comme l’avait supposé G. Bilfinger14. Encore faut-il ne pas oublier que ces débris sont déjà parcimonieux au milieu du XIVe siècle. Peu implantée, l’heure religieuse n’a-t-elle pas mal résisté ? En ces derniers siècles du Moyen Age, on assiste en fait à une substitution qui se produit à l’intérieur même de la perception savante du temps. La véritable victoire en profondeur est donc finalement celle gagnée sur le temps de la nature. Mais elle n’est pas médiévale. Encore à la fin du XVe siècle, l’heure horlogère est loin d’avoir effacé le recours au rythme naturel qui reste prépondérant.

13

A la différence des heures dont la formulation doit finalement peu, comme on vient de le voir, au rythme des cloches, le défilé des jours garde un aspect profondément liturgique (tableau 25). Les mentions de fêtes folkloriques comme les Brandons ou la Chandeleur leur ont largement cédé le pas. Comme à Montaillou, les structures calendaires sont ecclésiales et l’acculturation religieuse se révèle, de ce point de vue, réussie15. Les jours de la semaine peuvent être énumérés mais avec une nette

484

préférence pour le dimanche comme point de repère, qui constitue, à lui seul, environ 50 % des notations de jours. Cela ne veut pas dire que la moitié des crimes a lieu le dimanche, mais que ce jour, pour des raisons religieuses, est facile à mémoriser. Le crime a lieu la veille, deux jours avant, le lendemain, etc. Cette prépondérance du religieux se trouve confirmée par la référence aux fêtes religieuses dans 40 % des cas. Elles incluent le cycle de Carême, celui de Pâques, celui de la Vierge, la Pentecôte, Noël et la Toussaint. En tête des saints mentionnés figure saint Jean-Baptiste, saint populaire dont le prénom est très répandu. Sa fête célébrée le 24 juin se situe dans un mois où on peut noter une légère recrudescence de la criminalité16. Mais, au plan de la dévotion, on ne peut pas déduire grand chose de ces mentions de fêtes religieuses. Le faible nombre relatif des mentions de la fête de Pâques est significatif de la prudence qu’il faut conserver en ce domaine. Pâques était pourtant un temps privilégié du pardon que les suppliants n’auraient pas manqué de mentionner pour mieux obtenir leur grâce 17. Simplement, tout le monde ne choisit pas de commettre son crime à cette date ! 14

Les fêtes religieuses, quoique connues de tous, ne paraissent plus, au moins dans la seconde moitié du XVe siècle, assez précises. Elles deviennent synonymes d’incertitude et de complication. En 1481, Jean Pradelle, tentant de dater son crime et conscient du flou des moyens dont il dispose, est obligé de forcer le détail et il donne la date suivante : « le samedi qui est devant la feste Sainct-Thomas qui est devant la feste de Noel »18. Le détail n’est pas inutile lorsque le même nom de saint réapparaît à plusieurs reprises dans le calendrier, et cela peut donner l’énumération suivante : « le jour Sainct-Pierre ensuivant la feste Sainct-Eloy »19. Le souci accru de la précision au cours du XVe siècle rend la datation par les fêtes singulièrement complexe. Ce type de référence trouve là un facteur de son abandon.

15

Malgré la relative importance du quantième du mois utilisé dans 20 % des cas, la datation moderne n’est pas pour autant triomphante. La date du crime est le plus souvent donnée par la réunion de champs temporels différents : référence à l’heure folklorique, jour de la semaine défini par une fête religieuse et année chiffrée de façon mathématique. L’événement se date au confluent de ces trois temps. Les progrès accomplis au cours du XVe siècle n’ont pas aboli cette habitude et, sous Charles VIII, un suppliant capable de manier le quantième du mois conforte son dire a posteriori par la référence religieuse correspondante : « le VIIe jour de ce present moys de septembre, jour de la Nativité Notre-Dame »20.

16

L’esprit gagne donc en précision par rapport à une perception restée pendant longtemps linéaire. Dans le récit des événements courants, la mémoire continue, certes, à être sensible « avant tout à la durée et à la succession des choses et des gens » comme le montre Fr. Autrand pour le milieu des juges et des avocats 21. Les lettres témoignent aussi de ce système de mesure avec des expressions comme « a un an ou environ », « un mois a ou environ » qui comparent le temps écoulé entre le crime et la demande de rémission. Mais de telles références ne constituent que 16 % du calcul des jours. Elles se révèlent donc numériquement plus faibles que l’évaluation ponctuelle. Un temps fragmenté tend donc à se substituer, au moins dans ce type de document que sont les lettres de rémission, au temps linéaire. L’étude de la formule qui précise le délai de survie de la victime vient encore conforter cette précision des chiffres ; ainsi, en 1400, Pierre Chalendar, pour le meurtre de son épouse, Catherine Salnarcha, précise que « ladite Catherine quinze jours apres ou environ ala de vie a trepassement » 22. Précision

485

remarquable pour des faits qui parfois se sont déroulés il y a plus d’un an et, dans le cas cité, il y a sept ans. 17

D’ailleurs, précision et proximité dans le temps ne vont pas toujours de pair. Il est logique que la notation soit précise quand la mort n’a pas immédiatement suivi le crime. Tout se passe comme si un calcul avait été alors nécessaire, obligeant à un effort de mémoire dont la véracité des résultats pouvait être confortée par d’autres témoignages. Les suppliants n’hésitent pas à y avoir recours, surtout quand la victime a pu survivre un certain temps à ses blessures. Ce délai est considéré, nous l’avons vu, comme une circonstance atténuante et il importe d’en préciser la durée formulée sous forme de jours et de semaines23. On sait que 25 % des victimes sont mortes moins d’une semaine après le crime, 17 % d’entre elles d’une semaine à un mois, et que 5 % d’entre elles ont survécu plus d’un mois. Une fois les 13 % de morts immédiates décomptées, l’imprécision se trouve réduite à 40 % des cas. Ces délais peuvent même compter des divisions subtiles comme les huitaines et les quinzaines. Il s’agit peut-être, comme le pense E. Le Roy Ladurie, d’une survivance du calendrier romain 24.

18

L’historien est bien évidemment condamné à ne rien savoir de la façon dont cette reconstitution de la date du crime a pu s’élaborer. Au plus, peut-il saisir quelles catégories sociales l’ont plus facilement effectuée. Les résultats ne montrent pas de profondes disparités (tableau 26). Certes, les clercs sont ceux qui donnent le plus de précisions, mais les laboureurs ne sont pas loin de les égaler. Cette constatation doit d’ailleurs être nuancée par la répartition des formulations horaires selon les catégories professionnelles. Les officiers, apparemment les plus paresseux dans leur souci de datation, sont ceux qui rythment leur temps de la façon la plus précise et la plus difficile à manier, celle de l’Eglise et de l’horloge, confirmant d’ailleurs que le temps des cloches est déjà un temps savant plus que populaire. En revanche, cette culture n’est pas le fait des gens d’armes. Quant aux clercs, ils manient, comme on pouvait s’y attendre, l’heure religieuse avec dextérité et ils n’hésitent pas à cumuler les façons de dater pour gagner en précision. Mais leur ruralité peut aussi bien les faire participer d’un temps folklorique. Déjà, les gens de métier s’ouvrent aux manières nouvelles de dater, au temps des villes qu’est celui de l’horloge, mais ils sont encore loin de bouder celui de l’Eglise. Les laboureurs de bras et surtout les laboureurs s’avèrent encore peu sensibles aux nouveautés. C’est bien le signe que si l’heure moderne commence à devenir populaire, elle n’est pas, et encore pour longtemps, paysanne.

19

Ces nuances montrent que la culture des suppliants, tout en restant en grande partie homogène, réagit différement à l’effort de mémorisation que la lettre impose. Mais cette prise de conscience doit tenir compte de la taille de l’événement, de son côté spectaculaire et inoubliable. Le crime, par sa violence, grave les injures et les coups dans la mémoire, surtout s’il entraîne mort d’homme et vengeance. Il constitue en luimême un temps fort dont le souvenir demeure particulièrement vivace. Dans le cas de Catherine Salnarcha évoqué précédemment, le meurtrier, son mari, est capable, outre les précisions de durée mentionnées dans la lettre, de dater le jour du crime, sept ans après son déroulement, « environ le jour feste Saint-Pierre et Saint-Pol l’an 1393 ». Il déclare pourtant n’être qu’un « pauvre homme » mais il n’a pas oublié le jour du meurtre qui coïncide avec un flagrant délit d’adultère.

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Tableau 26 : Profession et précision du temps et de l’espace. a) Profession et heure du crime

Le tableau indique comment les différentes professions ont pu calculer l’heure du crime. L’heure définie par des points de repères ecclésiastiques n’est pas prépondérante, même chez les clercs. En revanche, ceux-ci cherchent à être plus précis que les autres en donnant plusieurs définitions de l’heure.

487

b) Profession et jour du crime

Le mode de calcul du jour est représenté de la même façon que l’heure du crime. Le quantième du mois est, dans l’ensemble, mieux utilisé que l’heure horlogère. La fête religieuse reste le repère essentiel, sauf pour les clercs qui, de façon savante, préfèrent se référer au quantième du mois.

488

c) Profession et lieu du crime

Le repère de la « ville » est pour tous un élément de référence mais les laboureurs lui préfèrent légèrement la paroisse. Les clercs se montrent encore une fois plus rigoureux car ils utilisent nettement la localisation administrative. Ces différences montrent que le récit des lettres reflète la culture des suppliants sans que le notaire ou le scribe aient imposé un modèle uniforme. 20

A l’inverse, le vol, moins spectaculaire que l’homicide, s’inscrit dans les mémoires de façon plus floue que le meurtre et le sang versé. Il faut qu’il y ait récidive pour que le temps du vol cesse d’être imprécis. Mais, le plus souvent, le vol est daté selon la méthode linéaire traditionnelle et il s’estompe parfois totalement dans le cours du temps : il a eu lieu un « certain jour pieça passé ». Déjà s’esquisse à travers ces remarques la hiérarchie que les suppliants reconnaissent aux différents crimes. La façon de dire le temps est donc loin d’être totalement dictée par quelque officier selon

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un modèle préétabli. Et on peut dire que, en dépit de ses imperfections, la précision du temps n’est pas étrangère aux suppliants25. 21

Faut-il pour autant corriger cette fameuse « indifférence au temps » qui, pour Marc Bloch, caractérisait l’homme médiéval26 ? La relative précision des lettres ne doit pas nous tromper. Elle n’exclut pas par ailleurs un temps immobile, celui de la mémoire longue, selon l’expression que les ethnologues appliquent aux sociétés traditionnelles 27. La datation ne se fait que sous l’effet de la contrainte. Le rassemblement de repères capables d’aider à la mémorisation est fonction de l’enjeu final qui n’est pas mince puisqu’il s’agit d’une grâce. On comprend qu’il vaille la peine de lutter contre une mémoire paresseuse quand la vie est au bout de la lettre. La stimulation n’est pas aussi vive quand il s’agit d’une simple enquête et à plus forte raison d’un témoignage 28. Enfin, quand il s’agit d’une plaidoirie au coeur de laquelle est le criminel, on comprend qu’elle soit parfaitement accessoire29.

22

Mais le suppliant de la lettre de rémission peut s’avouer vaincu par l’effort qui lui est demandé. Il reconnaît alors son ignorance, ce qui marque déjà un louable souci de précision, tel ce Girart, fauconnier de son métier, qui, parti chercher un épervier, revient avec des timbales en argent « environ la Saint-Jean-Baptiste derrenierement passee, autrement n’est recors du temps ne du jour »30. Il peut s’agir bien sûr d’une mauvaise volonté habilement camouflée car le délai n’est pas long entre le crime commis en juin 1400 et l’octroi de la rémission en octobre de la même année. Plutôt que de fouiller sa mémoire en vain, le suppliant ou ses amis peuvent ainsi se réfugier dans le giron d’un temps passé devenu quasiment intemporel : « en un certain jour », « nagueres », « par aucuns temps passé ». La chose est, nous l’avons vu, rare. En fait, les repères qui servent à la mémorisation emploient déjà aux XIV e et XV e siècles un langage universel. Nous ne saurons sans doute jamais comment, entre eux, les laboureurs dataient la rixe dont ils avaient été les auteurs ou les témoins. Mais nous savons que, pour en transmettre le souvenir au monde officiel, ils connaissent déjà les moyens de dépasser les particularismes de leur culture. Les exigences de l’Etat ont réussi à violer un silence immémorial et, s’il reste un temps long, il lui arrive d’être, par éclairs, brisé.

ESPACE RÉEL, ESPACE OFFICIEL 23

L’espace paraît mieux formulé que le temps : les suppliants n’omettent de donner le nom de la localité de leur domicile que dans moins de 8 % des cas seulement. Il existe donc un décalage entre la perception du temps et de l’espace que nous avons déjà eu l’occasion de relever à propos des âges. Ce Girart qui n’est « recors » ni de la date ni du nom des amis qui l’accompagnent dans le crime, est capable en revanche de décrire très précisément les lieux qu’il a traversés à cheval et de les localiser « de la ville de La Ferté Bernard et s’en aloit en la ville de Fouletourt pres d’Angers (...) et se feust arresté en chemin en une ville appelee Conlie au-dela du Mans cinq lieues ou environ » 31. S’agit-il d’un criminel qui a intérêt à jouer avec sa mémoire, à oblitérer le temps plutôt que l’espace ? C’est possible. En règle générale, l’énumération des lieux semble couler facilement, comme si le mouvement dans l’espace était premier dans l’ordre naturel. Il peut d’ailleurs servir à mesurer le temps comme dans le cas de cet amoureux qui, ayant donné rendez-vous à sa belle, resta à l’attendre « longuement, jusques environ une lieue devant soleil couchant »32.

490

24

Comme l’heure, la durée peut aussi prendre l’allure imagée de la distance. En 1385, alors qu’un suppliant et ses amis se lancent à la poursuite d’Etienne de La Bazoge, celuici s’écroule et « mort s’ensuit comme environ la largeur de deux ou trois champs de la maison dudit exposant »33.

25

Cette priorité, et peut-être cette antériorité de la perception de l’espace sur le temps, n’impliquent pas une parfaite faculté d’abstraction dans la façon de formuler l’espace. Les indications métrologiques sont, au total, peu nombreuses : lieue, demi-lieue, quart de lieue. Quand il s’agit de mesurer avec exactitude, on fait appel à un arpenteur qui tranche le litige34. Pour le reste règne l’approximation. Les petites distances sont plutôt appréciées par rapport au corps humain ou à la force que peut développer ce corps. On mesure ainsi en traits d’arc ou d’arbalète jusqu’à la fin du XV e siècle.

26

Mais, à la différence du temps dont on sent la précision s’accroître au cours du XV e siècle, la perception de l’espace n’évolue guère. Tel suppliant de la fin du règne de Louis XI capable de jongler avec les « demi-quarts d’eure » ne sait plus être aussi précis pour mesurer la course qui l’oppose à son rival : « et courut apres lui comme environ de deux ou trois lances de longueur »35.

27

Les jours, au contraire, servent désormais à mesurer l’espace, surtout sur les longues distances36. On assiste donc à une sorte de blocage dans la perception de l’espace qui contraste, à la fin du XVe siècle, avec l’effort d’abstraction de la mesure du temps. Qu’en est-il de l’espace officiel, celui qui permet de se situer dans le royaume ?

28

Il faut, en premier lieu, se référer à la typologie employée pour caractériser le lieu d’habitation du suppliant, telle qu’elle figure dans sa déclinaison d’identité : ville, village, bourg, lieu, paroisse, bailliage ou diocèse, pays ou région, ou autres formulations. Plus de 60 % des suppliants classent leur domicile selon ces grandes catégories37. C’est dire qu’ils éprouvent le besoin de se référer à un espace officiel que constituent les divisions de l’ensemble du royaume. On pourrait penser que cette précision vient de la plume du notaire. Rien n’est moins sûr. Si le bailliage ou la sénéchaussée s’imposent comme l’articulation essentielle de l’espace judiciaire pour la Chancellerie, quand il s’agit d’indiquer le lieu d’habitation cette précision infaillible s’estompe. La localisation par référence aux bailliages, sénéchaussées ou, ce qui est encore plus rare, aux diocèses, n’est employée que dans 7 % des cas.

29

Les autres formes de la typologie présentent une grande confusion dans le vocabulaire, sans compter un enchevêtrement de références. Ces appellations différentes ne sont pas le fait spécifique de tel ou tel notaire comme on pourrait aussi le penser. Il est vrai que la Chancellerie, en dehors des listes de bailliages et sénéchaussées, des listes de bonnes villes et des listes de « clochers », n’a guère de critères pour localiser l’espace administratif, ce qui peut prêter à une certaine confusion si elle se charge elle-même de la localisation38. Le manque d’homogénéité des références employées est ici cependant très accentué, allant du simple « lieu » au concept abstrait de la sénéchaussée. La variété de leur usage laisse plutôt à penser que cette formulation dans la déclinaison d’identité est le fait du suppliant, de ses amis ou à la rigueur de quelque professionnel qui, sur place, a pu contribuer à rédiger la demande en grâce. La mention du lieu du crime au cours de la lettre vient confirmer cette hypothèse. On peut difficilement l’attribuer à la Chancellerie étant donné qu’elle peut apparaître de façon « naturelle » dans la suite logique du récit. Or, elle présente un profil assez comparable à la localisation du lieu du crime ou du lieu d’habitation du coupable. La part supérieure des « villes » s’explique, comme nous l’avons déjà vu, par leur sociabilité accrue. La place

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des mentions administratives est plus faible mais elle résiste bien étant donnée sa justification à cet endroit de la lettre. Rappelons qu’il ne s’agit plus en effet de donner l’identité du coupable mais seulement de situer le lieu du crime. Comme pour préciser le jour, le suppliant a dû faire l’effort de s’abstraire de l’espace quotidien. 30

La définition de l’espace, comme celle du temps, est très sensible à la condition sociale du suppliant. C’est là une preuve supplémentaire et déterminante pour dire qu’elle n’est dictée ni par le notaire de la Chancellerie ni par une quelconque mémoire collective. Dans la déclinaison d’identité, rares sont les mentions des lieux de naissance. Quand elles existent, il s’agit de chevaliers ou de seigneurs. Tous ne se proclament pas nobles mais ils éprouvent plus que les autres le besoin de préciser une naissance dont le lieu les enracine dans une terre et, pour la plupart, dans la noblesse 39. En revanche, les lieux d’origine sont quasiment inexistants pour les autres catégories sociales 40. C’est pourquoi, en règle générale, il faut se contenter d’analyser la typologie du domicile des suppliants.

31

D’emblée, le souci de localiser oppose les clercs aux simples sujets du royaume, laboureurs, hommes d’armes ou gens de métiers (tableau 26). Mais, contrairement à ce qu’on pourrait supposer, la paroisse n’est pas leur seul lieu de référence et ils ont recours à d’autres entités abstraites. Ils s’avèrent ainsi les champions de la localisation administrative, celle du diocèse ou du bailliage qui sait replacer le lieu dans l’ensemble du royaume. Leur perception de l’espace a hérité d’une culture qu’on peut hésiter à qualifier de juridique tant la preuve en est faible mais qui, même embryonnaire, est capable de concevoir et de classer selon de grandes catégories. Cette capacité les oppose à tous les autres suppliants, y compris les officiers, souvent de simples sergents. Ceux-ci, quoique dans une moindre mesure, savent néanmoins employer des concepts administratifs : 17 % des clercs et 13 % des officiers localisent le lieu du crime par rapport à des critères administratifs, contre 3 % et 4 % pour les laboureurs et les gens de métier. C’est là, je le répète, dans cette description souvent très concrète du fait divers, un remarquable effort d’abstraction, signe que cette démarche commence à devenir automatique. Mais il est, on le voit, réservé à une élite. Et, même pour ces privilégiés de la culture administrative, les concepts flous et concrets de la ville ne sont pas effacés. Ils continuent à dominer chez les officiers. Leur culture s’oppose cependant nettement à celle des hommes d’armes qui en dehors de la « ville » ne connaissent que le « pays » et s’avèrent incapables de la moindre abstraction. De leur lieu de naissance à celui de leur mort, ils ne savent donner que le lieu concret où s’est enracinée leur famille.

32

Les laboureurs privilégient à peu près également la référence à la ville, à la paroisse et à la géographie. L’espace administratif à l’échelle du royaume leur est, incontestablement, d’un maniement difficile. Ils préfèrent la paroisse qui, pendant toute la période envisagée, se présente comme une sorte de cellule mère que ces deux suppliants du règne de Louis XI savent parfaitement inscrire dans une hiérarchie religieuse et étatique, l’un disant demeurer « en la parroisse de Sainct-Eanne en notre païs et comté de Poictou », l’autre « en la parroisse de Crespie au diocese d’Uzes en notre païs de Languedoc »41. Il ne s’agit pas là d’une référence administrative archaïque. Au contraire, les administrations fiscales et militaires qui s’en servent afin de répartir l’impôt et d’instituer la convocation à l’armée, en ont fait une circonscription de référence. Quant aux obligations religieuses qui enserrent les fidèles, elles n’ont fait que se développer au cours des XIVe et XV e siècles, comme en témoignent ces

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laboureurs du Mans qui, en 1482, « vont a vespre en l’eglise Sainct-Vincent dont ilz estoient paroissiens »42. Et, comme nous l’avons vu en étudiant la répartition des crimes par sexe, le suivi des offices paroissiaux concerne aussi bien les hommes que les femmes43. La paroisse peut donc bien être, pour l’un et l’autre sexes, un espace de référence. 33

Reste à savoir pourquoi les laboureurs se réfèrent plus souvent au cadre paroissial que les autres catégories sociales, et en particulier les laboureurs de bras. Il est difficile, on l’a vu, de différencier ces deux catégories. Incontestablement, les laboureurs de bras sont fascinés par le mot « ville », qu’ils prétendent y habiter ou y commettre leur crime. Plusieurs hypothèses sont possibles. Soit il s’agit pour eux de la typologie la plus simple, soit ils fréquentent effectivement la ville plus que les autres. Mais alors, pourquoi les gens de métier n’auraient-ils pas utilisé les mêmes références ? Ces derniers savent mieux que quiconque différencier une « ville » d’un « bourg », mais ils se comportent vis-à-vis des grands concepts de l’espace officiel comme de simples laboureurs. L’originalité des laboureurs de bras n’en est que plus déroutante. Il est possible que, plus que les autres catégories sociales, ils aient eu recours à des techniciens pour rédiger leur requête. La mention de grandes références administratives pour compléter le mot « ville » confirmerait cette hypothèse : elle rapproche leur déclinaison d’identité de celle des clercs. Dans cette perspective, l’emploi du mot « ville » appartient bien à un vocabulaire nettement plus savant que le mot « paroisse » que nous avons d’ailleurs vu délaissé par les clercs. Il s’agit là d’un phénomène complexe qui ne se réduit ni à la fortune ni au lieu d’habitation. Ceux qui sont les plus ouverts à l’espace officiel, en dehors des « professionnels » qui en ont acquis les mécanismes, sont peut-être finalement les plus mobiles, les moins tenus par une culture qui les rive à l’espace traditionnel du pays ou du village et par conséquent de la paroisse.

34

La formulation de l’espace officiel de référence peut aussi varier en fonction des âges. Mais, contrairement à ce que nous avons noté pour la précision des âges, le souci de la classification typologique ne vient pas avec l’expérience. Ceux qui donnent le plus de précisions ont entre 20 et 40 ans ; près de 70 % d’entre eux se servent d’une ou de plusieurs indications pour qualifier leur lieu d’habitation. Entre 40 et 60 ans, cette proportion tombe à 50 %. Le même souci de précision caractérise les catégories qualifiées de « jeunes », « jeunes hommes » ou « hommes », par opposition aux « vieux » dont 67 % refusent de qualifier leur domicile. Le souci de l’abstraction administrative leur est étranger comme s’il ne concernait réellement que la population en activité : sur les 40 % de suppliants qui, tout en qualifiant leur âge, se réfèrent à des circonscriptions administratives, 22 % sont des « jeunes hommes » et 15 % sont des « hommes », c’est-à-dire effectivement la population que nous appelons « active ». Contrairement au temps, la perception de l’espace administratif ne se construit donc pas dans le silence de la réflexion ; elle est le résultat d’une expérience qui frotte les hommes les plus engagés et les plus conscients aux rouages de l’Etat.

35

L’énumération de différents espaces officiels peut aussi se chevaucher. On pense aussitôt à la classique redondance médiévale qui cerne la réalité par répétition de mots sous des formes diverses afin de ne rien oublier. Parmi les 40 % de suppliants qui pratiquent cette formule, près de la moitié sont des laboureurs pour qui le maniement des concepts s’avère par ailleurs difficile. La même proportion se retrouve pour localiser le lieu du crime et, cette fois-ci, les laboureurs sont suivis par les gens de

493

métier44. L’énumération peut compenser le manque de confiance dans l’abstraction : telle serait la première explication, étant donné le milieu social concerné. Une étude attentive du vocabulaire et des résultats statistiques oblige à nuancer considérablement cette interprétation traditionnelle. 36

La juxtaposition des références n’est pas désordonnée ; elle respecte une hiérarchie. La ville ne vient pas après le bailliage, la paroisse après le diocèse. Même s’il s’agit d’espaces de nature différente, l’ordre est toujours sauvegardé comme nous l’avons vu dans les exemples précédents ; à la fin du XIVe siècle, ce suppliant est capable de situer ce que nous appellerions un hameau dans deux espaces administratifs qui, hiérarchiquement, l’englobent puisqu’il se dit « demourans a Voigny, en la parroisse de Bassevel, en la prevosté et vicomté de Paris »45.

37

La multiplication des références ne pallie donc pas uniquement la difficulté d’abstraction. Elle peut aussi, comme dans l’exemple précédent, aider à situer de petites localités. Plus l’espace à définir est petit, plus le saut dans l’abstraction est nécessaire. Cela ne veut pas dire que cette entreprise est facile, comme en témoigne la lettre de ce laboureur qui, en 1375, a du mal à passer de son lieu-dit où il sait visuellement se situer, au simple cadre administratif de la paroisse : « De la partie de Perrin L’Abbin, dit Jaquemart, povre laboureur, demourant a Mont Brullé, empres la Grange, en la parroisse de Fontins en Brye »46. Ce laboureur de terres, quelques années plus tard, éprouve les mêmes difficultés ; il précise qu’il est « laboureur de terres de la parroisse de Noel-lez-Vemeuil ou proche »47.

38

Les grandes agglomérations n’ont en fait besoin ni d’être situées ni d’être qualifiées. On arrive à ce paradoxe que les « vraies » villes n’ont pas à se définir comme telles. C’est le cas pour ce suppliant qui, au début du XVe siècle, déclare habiter « en la ville de Villiers-Saint-Georges, en la chastellenie et a petites lieues de Provins » 48. La référence à la célèbre localité est suffisante pour paraître précise tandis qu’il semble nécessaire de qualifier Villiers-Saint-Georges de « ville ». En fait, pour les agglomérations de grande taille ou de prestige, le clerc de la Chancellerie connaît sans difficulté le bailliage ou la sénéchaussée correspondants. Une dernière composante de la précision se révèle ainsi qui doit faire la part du connu et de l’inconnu, non plus seulement chez les suppliants eux-mêmes, mais chez celui qui doit rédiger la lettre et l’envoyer correctement en mandement. Plus le lieu est difficile à connaître, plus il faut exiger de précisions pour le cerner. Ainsi s’explique aussi que les laboureurs, qui peuplent campagnes et hameaux isolés, multiplient les références plus que les autres catégories sociales. Ce n’est pas là obligatoirement une mauvaise perception de l’espace ; au contraire, cela implique une grande conscience de la faible taille de leur habitat par rapport à des points de repères plus importants ou plus prestigieux à l’intérieur du royaume. Ces précisions sont plutôt nécessaires à la compréhension de la Chancellerie et par conséquent à l’obtention de la grâce. Comment obtenir rémission quand on n’a pas prouvé de façon sûre qu’on habite le royaume ? La typologie est donc complexe dans son maniement et la redondance est loin de toujours être la preuve d’une incapacité de précision.

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Mais, toutes catégories sociales et tous âges confondus, la ville est l’espace officiel de référence le plus utilisé. Nous avons déjà évoqué l’ambiguïté du mot. Son utilisation dans la typologie montre bien qu’il est un moyen de classification commode plus qu’une réalité économique et culturelle. Ne cherchons pas là une image dont B.

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Chevalier a bien montré la fluidité des contours et dont s’empare le peintre en cette fin du Moyen Age49. 40

La démarche administrative qui utilise la ville comme espace officiel de référence est d’une autre nature ; elle précède sans doute la constitution de l’image. Il s’agit de dire que ce domicile est là, quelque part dans le royaume et qu’il est surtout connu par d’autres que le suppliant. Ils sont garants de l’authenticité des actes et des dires. Le mot qui vient alors le plus naturellement sous la plume est celui de ville, lieu rassurant où se rassemble justement la collectivité des contemporains. Celui qui parle de « hamel » n’a pas froid aux yeux. Non seulement il fait preuve du plus parfait réalisme, mais encore il accepte le renfermement d’une localisation infime et solitaire. Le cas est rare. N’est-ce pas alors un faux problème de se demander quelle est la part du concret dans la référence à la ville ? Entre l’espace réel et l’espace officiel, il semble y avoir un hiatus de formulation qui n’est pas insignifiant.

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La ville est d’abord un concept opératoire, le plus facile peut-être, mais un concept qui reste indifférent à la réalité, écho abâtardi de la « policie » aristotélicienne à l’échelle humaine. Son maniement est incontestablement plus facile que celui du bailliage, voire de la paroisse dont la référence reste à peu près stable pendant la période envisagée sans réellement s’imposer. Administrativement, le royaume est d’abord perçu comme un tissu de villes juxtaposées. C’est dire que l’espace officiel n’a pas encore pleinement réussi le saut dans une abstraction qui se doublerait d’un recours systématique à des divisions hiérarchiquement superposées.

ESPACE RÉEL, ESPACE VÉCU 42

L’espace officiel tel qu’il est défini par le suppliant ne se calque pas obligatoirement sur son espace réel quotidien. Nous venons de le voir pour la ville dont le mot relève du concept aussi bien que du concret, sans qu’il y ait coïncidence parfaite ; il en est de même pour la paroisse. Cette différence de nature entre lieux administratifs et lieux quotidiens se marque par un absent de taille dans la typologie ; il s’agit du terroir dont les travaux de Marc Bloch et de Gaston Roupnel ont montré combien il enserre physiquement les hommes qui s’y meuvent50.

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Le mot n’est pas inconnu des lettres mais il n’est pas employé « officiellement » dans le cadre d’une déclinaison d’identité. Il apparaît au détour des déplacements que les paysans effectuent sur le chemin du crime. Alors son sens prend bien la saveur concrète de la terre qui se dessine dans le paysage, à défaut de l’être déjà dans le parcellaire figuré du cadastre. Pierre Testait, à la fin du XIV e siècle, ne s’y trompe pas qui surveille ses champs : « estans ou terrouer de Chasteaufort, ledit Pierre apperceut que en une sienne piece de gaignage assise oudit terrouer estoit un tropel de bestes a laine »51. On devine la suite, car la défense du bien qui y fructifie est celle de la terre possédée et du travail fourni.

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Ce sont là lieux privés, par opposition aux lieux administratifs de la déclinaison d’identité. Les suppliants en connaissent les moindres chemins, les moindres bosquets, les moindres buissons. Les lettres fourmillent de détails qui les montrent s’appropriant chaque jour sous leurs pas l’espace réel du terroir. « Aller », ce verbe de la marche, signe la bonne santé, le bien aller de l’homme normal qui est aussi son bien-être. Il est, évidemment, un mot de la base pour désigner faction52. La maladie et le lit qui suscitent, nous l’avons vu, tant de craintes, s’y opposent nettement, comme un

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renfermement, un handicap incontournable à cette appropriation quotidienne et nécessaire de l’espace. Là s’exercent les activités de la vie : manger, boire, besogner, jouer, aller à l’église, aimer. Aussi, pour montrer qu’une victime n’est pas morte des coups qu’elle a reçus, il suffit de la décrire après la rixe en train de se mouvoir dans son espace familier. Toutes ses activités s’y déploient. C’est le cas de Guillaume Le Gastard qui, après s’être fait soigner, « ala aval la ville de Paris a Monstereuil-souzle-Bois veoir ses vignes et ailleurs ou il lui pleust, et le jour de Paques ensuivant fut a la grant messe a Saint-Pol dont il estoit paroissieux, et buvoit et mangeoit convenablement et couchoit avec sa femme »53. Ou de ce suppliant qui ne présente aucun signe clinique « sanz ce qu’il en jeust au lit, ne fust malades, ne en laissast a faire sa besoingne, ne jouer, ne aler comme il faisoit par avant, mais depuis lors a este en bonne santé » 54. 45

Le lieu d’habitation, ville ou village, est le premier espace dans lequel se déploie la vie de relations. Les pas s’y multiplient plus qu’ils n’en franchissent l’horizon. L’étude des distances parcourues par les suppliants avant le crime montre la pesanteur d’une frontière resserrée. Près de 40 % des suppliants commettent leur crime dans la localité où ils habitent. 15 % se contentent de parcourir moins de 5 kilomètres. En ajoutant les 5 % qui deviennent criminels sans sortir de leur demeure, on voit que la proportion totale des déplacements hors de l’espace familier se trouve réduite. Peut-on néanmoins aller jusqu’à dire que la vie entière d’un homme est liée à un endroit unique ? Les lettres de rémission sont trop avares de renseignements sur les lieux de naissance pour permettre de s’aventurer sur ce point. Remarquons cependant quelques indices qui lient le suppliant à cette terre où il est né et où il a vécu, qu’il s’agisse d’une ville ou d’un village. C’est le cas de nombreux bannis ou de ceux qui, après le crime, sont allés blanchir leur conduite ailleurs55. Dans l’espace quotidien sont réunis les biens et les moyens de subsistance. Jean Badère qui, après son crime, s’est absenté du pays, explique que la survie de sa famille est liée à sa terre d’origine : « sa bone femme est en aventure de morir de faim, et lui aussi, qui ne saura gaignier sa vie en autrui terre » 56.

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Il faut, bien sûr, faire la part de la supplication dans ces propos et nous y reviendrons. De nombreuses études régionales ont montré que la mobilité ne conduit pas obligatoirement à la mendicité et qu’elle est, en ce temps de crise, une des conditions de la survie : il en est ainsi des Bretons allant curer les fossés et construire les murailles de Toulouse ou des paysans des bordures du Massif Central faisant souche en Bordelais57. Les lettres mentionnent des criminels partis, plus ou moins volontairement, faire fortune ailleurs. Sous le règne de Jean le Bon, Guillemin Sauveur de Gien-sur-Loire a quitté son pays à 17 ans « pour aquerir aucun estat et chevance dont il peust vivre honestement se fust absentes de son pays et alez es parties de Languedoc, ou il se mist en la compaignie et au service de nostre amé et feal cousin le comte de Fouex » 58. Au même moment, Pierre Gabien et sa femme, ruinés pour avoir engagé leur argent dans une société commerciale dont le bateau a fait naufrage sur la route de Chypre, quittent Montpellier pour Paris. Ils y deviennent hôteliers59. La capitale, libérée de sa pression démographique par la peste, attire. Dans ce cas, comme dans les autres, le suppliant a recherché une situation stable.

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Rares sont les départs à l’aventure, sur un coup de coeur. Quel a été le vrai mobile de Pierre Mocars, poissonnier de mer de la ville de Hesdin, capable de quitter métier et parents pour suivre le roi de Navarre en Normandie et qui demande rémission en 1364 ? Est-ce la preuve d’un intérêt politique passionné dans une région acquise au Navarrais60 ? A la mort de Pierre Mocars, sa femme prend bien soin de retourner à

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Hesdin, parmi les siens. En fait, la mobilité n’implique pas une véritable rupture avec le lieu d’origine et elle n’est pas une fin en soi : on ne bouge que pour mieux s’installer. Ces considérations n’excluent pas que la première réaction psychologique soit celle, frileuse, du repliement sur le terroir d’origine. On ne le quitte qu’à regret. 48

Est-il d’ailleurs si facile de s’insérer ailleurs, en dehors du réseau des amis ? Les plaintes du banni en disent long à ce sujet. Plutôt que d’affronter l’exil, certains criminels préfèrent revenir, s’installent non loin de leur village d’origine, quitte à être dénoncés. Il faut croire que le risque est moins grand que celui de l’aventure ; l’appui des amis a plus d’importance que le danger représenté par les ennemis. Les solidarités de lieux jouent en effet à plein en cas de difficultés. Jehan de Corbeil, originaire du Gâtinais, possède depuis son mariage un office de sergenterie à Mantes. Mais, lors de la prise de la ville par Du Guesclin, il lui est interdit d’exercer. Pauvre et misérable, il retourne « en son pays par devers ses amis »61.

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Les liens de solidarité sont donc toujours attachés au lieu d’origine, indépendamment semble-t-il de la durée de l’absence ou même du lieu dans lequel ils s’exercent. Dans la grande ville anonyme se créent ainsi des micro-communautés qui regroupent les individus d’une même origine géographique. Leur existence est typique de l’organisation et de la population des villes médiévales des deux derniers siècles du Moyen Age. L’essentiel est de pouvoir s’insérer dans le réseau de relations tissé par sa propre ethnie62. C’est là un élément favorable à l’intégration dans la ville ; une garantie contre un insupportable déracinement. Est-ce pour autant une garantie contre la violence ?

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Prenons, au milieu du XIVe siècle, l’exemple des coursiers et marchands de draps de Louviers qui soupent ensemble aux halles de Paris en l’hôtel de la Rose 63. Le crime qui éclate ne les oppose pas à une autre ethnie ou à un monde extérieur hostile. Il surgit au sein du groupe, avec la même logique qui le ferait éclater à Louviers. Leur présence au coeur de la grande ville ne fait rien à l’affaire et leur « énervement », pour reprendre l’expression de J. Chiffoleau mais pour aboutir à des conclusions légèrement différentes, ne s’en trouve pas accru64. C’est dans cette communauté renouant avec ses origines, entre ces visages connus et reconnus, plus que dans la déchirure d’un déracinement mal accepté que la violence grandit jusqu’au crime.

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La genèse du crime ne se saisit donc, finalement, qu’en osmose avec l’étroitesse de la vie de relations. L’aire des déplacements des criminels est réduite. Laissons de côté les fanatiques du crime, ceux qui ne ménagent pas leurs pas pour assouvir leur vengeance. Ils ne sont pas les plus nombreux. La majorité des suppliants, environ 70 % d’entre eux, sont partis avant le crime sans penser qu’ils allaient devenir criminels. On les saisit dans la spontanéité quotidienne de leurs mouvements. Les uns se rendaient à leur travail, les autres au jeu, les autres encore à la taverne. Ces déplacements ne les conduisent pas loin. La taverne, le jeu, le travail, la vie religieuse se passent dans un champ clos d’environ 5 kilomètres. Ce suppliant, laboureur, qui se rend à la taverne de Viffort avec sa femme, précise qu’il habite à une lieue de là. Ils sont attaqués à leur retour par quelqu’un qui les connaît et sait parfaitement quel chemin ils empruntent 65. Les exemples ne se limitent pas aux gens mariés et, a priori, solidement installés : 40 % des célibataires sont restés dans le même lieu pour commettre leur crime contre 42 % de gens mariés. Et, comme je l’ai déjà suggéré, les jeunes sont à peine plus mobiles que les autres. Un cas illustre parfaitement la banalité de leurs déplacements. En 1380, deux fils, originaires de Clavy, s’en vont s’ébattre à Thin, soit à 6 kilomètres de là, où se

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déroule une noce. Ils y jouent de « jeux honnestes » jusqu’à ce qu’ils y rencontrent un compagnon de leur propre pays qui les incite à boire et à jouer aux dés pour de l’argent. Une dispute s’ensuit qui se règle dans les champs de Clavy sur le chemin du retour. Lieux et visages ont la routine d’une stricte familiarité. Il n’en reste pas moins vrai que ces deux jeunes avouent avoir été initiés aux jeux de dés : la tentation ne se nourrit pas obligatoirement de l’inconnu66. 52

La longueur du déplacement varie plutôt en raison de l’activité professionnelle. Les laboureurs sont peu enclins à parcourir de longues distances : 2 % d’entre eux seulement s’aventurent au-delà de 30 kilomètres. Les gens de métier affrontent plus facilement l’inconnu, puisque 10 % d’entre eux ont dépassé cette distance. Mais les plus mobiles sont les hommes d’armes suivis par les clercs dont respectivement 28 % et 17 % d’entre eux ont dépassé les 30 kilomètres. Il n’y a rien dans ces constatations relatives qui paraisse anormal. L’homme de guerre est déjà au XIVe siècle plus mobile que le laboureur et cette mobilité favorise son accès à la criminalité. Mais pour la population civile, les choses sont différentes. Force est de constater que, pour elle, la mobilité qu’a pu engendrer la guerre, n’est pas génératrice de crimes particuliers. Seule est frappante la grande stabilité d’ensemble de la population criminelle. Elle s’accroît d’ailleurs selon le sexe. Le périmètre de déplacement des femmes est extrêmement limité. Même accompagnées, les femmes qui entreprennent des voyages plus longs que de coutume sont susceptibles d’être prises pour des filles de joie dans les villages qu’elles traversent et où elles ne sont pas connues. L’une d’entre elles quoiqu’accompagnée, fut ainsi l’objet d’une mésaventure : « ledit Grant Guillaume et un nommé Saupiquet qui estoient montez sur un cheval les suyvirent, et ledit Saupiquet leur dist qu’ilz menoient une paillarde et que ils l’auroient, lors lesdits suppliants dirent que non estoit, ains estoit femme dudit Philippot et seur dudit Thomas, et qu’ilz venoient de veoir un de leurs freres et s’en aloient en leur maison »67. D’ailleurs, au même moment, pour se défendre, les grands criminels recensés dans le Registre criminel du Châtelet font état de l’épouse qu’ils ont laissé à la maison tandis que les juges évoquent les « fillettes » qui ont suivi leur errance68.

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L’espace restreint où se regroupent les visages connus et les liens de solidarité offrent donc le cocon protecteur qui manque cruellement au banni, qui protège la vertu des femmes et qui garantit l’intervention des secours. Lors d’une rixe se déroulant à Vernon, Robinet Sarrasin, originaire de Rouen, dit à Adenet Doutreveaue que « il ne lui en eust osé tant fere en la ville de Rouen »69. Mais, à une cinquantaine de kilomètres, l’individu a perdu ses amis ; isolé, il est devenu vulnérable. Point n’est besoin d’aller aussi loin pour qu’il rencontre la solitude. Elle menace dès la première journée de marche quand, au-delà des 15 kilomètres, le retour à la maison ne se trouve plus assuré le jour même. Alors commence l’aventure. Elle est plus durement ressentie que la marche dans la forêt voisine aux taillis familiers.

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Tableau 27 : Distance et motifs de déplacement

Les motifs que le coupable invoque pour ses déplacements antérieurs au crime sont divisés en grandes catégories : motif religieux (pèlerinages, assistance à un office religieux), fréquentation de la taverne, motif sentimental, motif professionnel, fréquentation d’une foire, déplacement pour commettre délibéremment le crime. Seul l’amour entraîne au loin, suivi par la foire. En général, quel que soit le motif, la distance n’excède pas 15 kilomètres. 54

Avec la distance, le crime est-il réellement plus menaçant ? Méfions-nous de la psychose de peur devant l’inconnu. Elle est d’autant plus vive que la population ne dépasse guère l’horizon villageois. Mais, avec la distance, ce sont les types de crime qui changent plus que leur fréquence.

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Deux types de crimes se dégagent nettement en fonction de l’espace parcouru. Au creux du monde familier s’expriment volontiers les crimes ordinaires : homicides, vols, viols. Au-delà, les crimes sont à l’échelle du royaume : pillages et crimes politiques.

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S’y ajoute la fuite des amants condamnés à errer pour avoir enfreint les lois de l’ordinaire. En 1415, un drame se joue ainsi dans le bailliage de Caen. Marion décide de quitter son mari. Elle a rencontré son amant à la foire de Moulins-la-Marche, à 10 kilomètres de Courtomer où elle habite. Lui est chirurgien et réside à Saint-Hilairele-Châtel, à 10 kilomètres aussi de Moulins-la-Marche et à une quinzaine de kilomètres de Courtomer. La rencontre initiale se situe donc dans Taire de déplacement commune. Tout laisse à penser que les deux amants se connaissent d’ailleurs de longue date, dès avant le mariage de Marion. Pour organiser leur nouvelle vie, il est convenu qu’elle déménage une partie de son trousseau : chaperons, robes, ceintures, draps et lit. Les amants se rendent jusqu’à Falaise, à une cinquantaine de kilomètres au nord. La route est longue et la complicité de la nuit n’estompe pas le péril. Le vocabulaire habituel change de registre. Ils « errent » plus qu’ils ne « vont » : « et il lui dist que ce serait doncques lendemain et que le mardi au soir ensuivant il yroit la querir et aussi le fist et errerent toute nuyt et le mercredi tout le jour furent en un hostel dont il ne sait le nom et d’ilecques en un autre lieu et le vendredi ensuivant alerent a Falaise ou il la mist et de la s’en ala ailleurs besoingner ou il demoura quinze jours avant qu’il retoumast devers elle »70. A son retour, la quête des lieux reprend : de Falaise les voici à Goulet près d’Argentan. Pour travailler, l’amant n’a pas d’autre solution que de retourner dans les villages qui lui sont familiers. Là sont ses clients. Là guette le mari qui n’a plus qu’à crier « haro ». Facilement repéré, le coupable est emprisonné. L’aventure se brise : elle n’a pas résisté aux contraintes d’un déracinement qui aurait privé les amants de travail et de logis fixes.

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Une telle épopée ne doit cependant pas tromper. En nombre, ces délits sont infimes, même s’ils sont signe de crise. Mais il faut bien constater que les actes violents se nourrissent plutôt d’un espace fermé. C’est dire que la protection de ce cadre humain et naturel que constitue le « pais », village, ville ou quartier de ville, est aussi celui dans lequel se nouent les plus nombreuses atteintes aux personnes et aux choses. Tout se passe comme si la sociabilité secrétait son propre revers. La violence lui est, en partie, inhérente.

ESPACE ET RITUEL 58

La violence qui dresse les uns contre les autres les habitants d’un même terroir a cependant des garde-fous. Ils consistent, par un ensemble de rites, à ordonner l’espace pour mieux le maîtriser. Paradoxalement, il arrive que ce rituel soit lui-même l’objet de contestations si violentes qu’elles conduisent jusqu’au crime. Ainsi sort-il de l’ombre. Une partie des actes violents consiste donc à défendre cet ordre, à le sauvegarder contre les membres de la communauté qui voudraient l’enfreindre. Le crime dénonce alors le malaise d’une communauté atteinte dans la trame que les rites ont tissée et sans laquelle elle risque de perdre sa cohésion.

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Le va-et-vient individuel des tâches journalières ne doit pas en effet cacher une perception très vive des frontières du terroir face au village voisin que les coutumes séparent. Jehan Chierel de la paroisse de Riaillé en fit la triste expérience dans les années 1350. A l’âge de 18 ans, il se rend avec son frère âgé de 12 ans « a heure de vespre tendre aus oiseaux appelez bandecox autrement bequaces selon la coutume du pais en un bois appelé les Haies de la Meresoie ». Arrive quelqu’un de la Poitevinière, à quelques kilomètres de là, « qui demanda audit suppliant pour quoy il tendoit illec. Adonc le dit suppliant lui respondi : « je y puis bien tendre car ce est en mon usaige et ce n’est ou tien »71. Une rixe s’ensuit, puis un bannissement qui dure 24 ans.

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Certains groupes sont les garants privilégiés des rituels unificateurs. Ainsi les jeunes sont les ambassadeurs privilégiés de la zone inculte du village. Ce sont eux qui portent les rameaux coupés dans la forêt proche lors des cérémonies villageoises. La chose n’est pas nouvelle. Déjà en 1127, en tête du cortège, les jeunes gens de Saint-Omer accueillaient le comte de Flandre Guillaume Cliton, leurs arcs et leurs flèches à la main. Et il semble bien que le rite se soit perpétué lors des entrées royales des XIV e et XV e siècles, acte symbolique de l’union de la ville et du roi, mais aussi de la ville et de sa campagne et plus généralement de l'ager et du saltus72.

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Le rôle des jeunes dans certaines fêtes folkloriques confirme cette hypothèse. Depuis les travaux de A. Van Gennep, ces fêtes ont été soigneusement répertoriées par les folkloristes73. Ce n’est pas le lieu ici de les analyser dans leur totalité. Contentons-nous d’en saisir quelques-unes qui, de façon répétitive, ont pu conduire au crime : le charivari et la remise du mai. En ce qui concerne le charivari, j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer le rôle que pouvaient jouer les jeunes dans l’organisation du rituel 74. Rappelons que tous ces jeunes, encore au début du XVe siècle, ne sont pas obligatoirement célibataires et que la communauté tout entière peut être impliquée dans l’action. Le meneur d’un charivari peut avouer qu’il est « chargié de femme et de petis enfanz ». L’âpreté à se partager le gain des quêtes entre mariés et célibataires prouve la diversité des situations familiales qui, malgré leur rassemblement épisodique, sont soigneusement distinguées. Il est probable que le montant de la quête était

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consommé à la taverne. Mais le charivari proprement dit concerne bien la communauté tout entière et se déroule dans l’espace qui est le sien. La différence de statut familial est finalement moins importante que celle de l’origine géographique. Pour défendre leur cause, les participants précisent bien « qu’ils sont habitans dudit lieu ». N’avaientils pas alors un droit originel à faire charivari ? 62

Il peut cependant arriver qu’un charivari réunisse des jeunes de paroisses voisines. Sa conclusion peut prendre l’allure d’une bataille tragique comme c’est le cas à Ussy-surMarne, à quatre kilomètres de La Ferté-sous-Jouarre au début du XV e siècle. La scène rassemble plusieurs « jeunes gens du païs et des villes voisines », dont ceux de Changis et de Saint-Jean-les-Deux-Jumeaux75. Changis, Ussy et Saint-Jean sont situés dans un rayon de moins de cinq kilomètres. Le cercle de voisinage est restreint, mais les terroirs ont des limites distinctes. Le charivari se termine par des expéditions punitives répétées entre les trois villages, auxquelles participent tous les membres des différentes communautés concernées. Coups et blessures ne suffisent pas à désamorcer la haine. Un mois après, elle couve encore et on sort piques, épieux et pierres. Attaqués par les habitants de Changis et d’Ussy unis pour la circonstance, ceux de Saint-Jean réitèrent alors le geste antique de Romulus et sur leur terre ils tracent « une roye d’un de leurs basions en disant et jurant par fort serment que se il y avoit un homme de Changy ne d’Ucy qui passast ladite roie ilz le tueroient et mettroient mort ».

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Inutile de dire que les intéressés ont fait fi du symbole. Il était néanmoins là, ce sillon fondateur, frontière traçant la zone de repli géographique derrière laquelle la communauté se range, déjà consciente d’elle-même76.

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La cérémonie de plantation des mais s’apparente, comme le fait remarquer N. Belmont, au charivari77. Non pas seulement parce que les protagonistes sont des jeunes qui défendent le bien commun, c’est-à-dire les femmes ; mais aussi parce que, comme le charivari, le rituel contribue à ordonner l’espace dans lequel se meut la communauté. En effet, cette cérémonie, sur laquelle nous reviendrons à propos du mariage, n’est pas seulement une fête de la jeunesse amoureuse78. Les jeunes gens sont chargés de placer, de nuit, devant la porte des jeunes filles à marier de leur village une branche d’arbre cueillie dans le bois pour qu’elle soit découverte au réveil. Le respect de chaque geste compte. Le premier élément qui indique la possession de l’espace consiste à réserver le privilège « d’emmaioler » aux seuls habitants du village. La petite localité de Vaux-enVermandois fut ainsi, en 1375, le théâtre d’une lutte sanglante entre une douzaine de jeunes du pays qui s’en prirent à leurs rivaux, des « forains » : « et il soit ainsi que yceulx supplians et pluseurs autres de laditte ville de Vaulx, jusques de X ou de XII assemblez pour aler boire aimablement ensemble, et voulans aler emmaioler lesdites filles comme il est de coustume au lieu, eussent passé devant l’ostel ouquel estoient les diz Bouront, Richelet et ses compaignons, jusques au nombre de VIII ou IX compaignons, et comme indignez et courrouciez de ce que il leur sembloit que les forains vouloyent avoir la maistrise d’emmayoler les dites filles, eussent allé de fait coupper et oster les diz rinseaux ou mays et pour ce feussent sailliz les diz forains » 79.

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Que le mai soit coupé dans le bois ou dans le jardin voisin abolit pour un temps toutes les barrières qui cloisonnent les biens et c’est là aussi un élément important de son rôle unificateur. La chose n’est pas du goût de tous. A Pogny-sur-Marne, les jeunes gens coupent les branches d’un peuplier : le propriétaire se plaint. On lui rétorque que le « mai est commun » et la scène se termine en rixe80. Parfois on aboutit à un accord comme à Chaumont-Porcien où les jeunes avaient coutume d’aller quérir « arbres et

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rainssiaus foillus » pour en faire des mais, aux dépens du bois des moines de l’abbaye de Saint-Bertrand. Mais un accord est signé devant le notaire au profit des moines 81. Le droit du seigneur l’emporte sur celui de la communauté ; il a fallu cependant un acte écrit pour interrompre la pratique de cette coutume. 66

Les interprétations de cette cérémonie qui sont données jusqu’à présent restent encore très sommaires82. Elles distinguent soigneusement les mais individuels, réservés aux jeunes gens, du mai collectif qui rassemble toute la communauté et dont les lettres de rémission donnent aussi quelques échos. Il n’est pas sûr que les deux cérémonies soient aussi différentes, au moins quant à leurs effets unificateurs. En effet, la communauté est collectivement impliquée, même dans la plantation des mais individuels. Et, parfois, la journée se termine par un repas ou une boisson pris en commun, ce qui d’ailleurs peut dégénérer en conflits. Sous quelque forme que ce soit, le mai s’inscrit dans un moment identique du cycle calendaire. Quelle est sa signification ? La cueillette du mai et sa plantation doivent se faire de nuit comme l’indique clairement ce texte de Gentilly près de Paris, en 1400 : « Comme le premier jour de may derrenierement passé a heure d’apres souper ledit Jehannin et pluseurs autres compaignons de la ville de Gentilly se feussent assemblez comme jeunes gens ont acoustumé de faire celle nuit pour aler au mai »83.

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Le but avoué par les jeunes gens est de ne pas être reconnus. Mais ce respect concourt aussi à l’efficacité du rituel. La nuit du premier mai est, dans le calendrier populaire, le début d’une période de nouvelle lune, c’est-à-dire de débridement sexuel. Dans le cas du mai, le débridement se doit de finir aussitôt que commencé car s’ouvre, depuis l’époque romaine, le mois tabou du mariage84. A la nuit complice de cacher les gestes symboliques. Mais il importe, d’autant plus que cet interdit existe, que le rituel régénérateur soit respecté. Car ce sont bien les forces de fertilité du terroir qui sont en cause. Pour tourner en dérision un mai planté par leurs rivaux, les jeunes gens d’un village voisin viennent y accrocher des loups. De colère, ceux du village détachent les loups, les pendent à l’huis des jeunes filles à qui étaient destinés primitivement les rinceaux qu’ils avaient coupés à bon droit et détruisent leurs propres branchages 85. Entre le rinceau vert et feuillu, riche de promesses, qui unit l’espace et le fertilise, et le loup destructeur et hivernal, se creuse le sillon de l’insulte, aux effets irréversibles. Comment accepter que réapparaisse la bête sauvage, ce loup que les rites de la fin de l’hiver, à Mardi-Gras, ont déjà chassé ? Comment ne pas supposer qu’au grand jour ces peaux accuseront les jeunes filles « d’avoir vu le loup » et qu’elles seront par là-même déshonorées aux yeux de tous86. Le temps a perdu son ordre, le terroir son unité et les filles leur réputation : la scène se termine en rixe généralisée. L’enjeu sexuel resserre l’espace, contribue à l’ordonner et à le vivifier.

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Le lien entre la cohésion de l’espace et la vie sexuelle de la communauté est marqué par d’autres pratiques plus ou moins ritualisées selon les lieux. Elles ont sans aucun doute pour mission de faciliter l’échange du plus convoité des biens communs, à savoir les femmes. Il en est ainsi de la pratique du « vin du couillage » qui donne aux futurs mariés le droit d’accomplir l’acte sexuel. Lorsqu’en 1365 des noces sont célébrées en la ville d’Oger, dans le bailliage de Vermandois, il est bien précisé qu’en cette ville « il est acoustumé d’ancienneté que toutefois qu’il y a noces en ycelle, l’espouse et l’espousee doivent paier aus compaignons de ladicte ville un sextier de vin tel comme l’en a beu aus noces ou autre a la value ou l’argent que puet valoir »87.

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Cette évaluation, ici très précise, montre qu’il s’agit d’un dédommagement versé pour quitter le groupe des célibataires, mais aussi défendre les intérêts lésés de la communauté. La pratique de l’exogamie n’a pu que faire naître ou fortifier de tels rites. Ailleurs, il peut s’agir du droit sur les oreillers du lit de noces, ou encore du cochet de la mariée, prétextes à indemnités et à boisson. Lorsqu’à la fin du XV e siècle, un invité de Pronleroy réclame, un soir de noces, de faire le cochet de la mariée, les habitants de Bailleulle-Soc, où avait lieu la noce et d’où était originaire la mariée, lui refusent car « ce n’estoit pas raison qu’il eust ledit cochet, veu qu’il n’estoit pas dudit Bailleul » 88. Les deux villages sont à peine distants de 10 kilomètres mais leurs terroirs et leurs femmes sont parfaitement distincts. Le rituel des noces — ici le coq si important dans le folklore nuptial — se doit donc d’y être respecté, quel que soit le rang de parenté des invités.

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Un contrôle sexuel du même type pèse sur les « fillettes communes » dont le corps appartient à l’ensemble des hommes de la communauté, à commencer par les célibataires. Les textes sont parfaitement explicites. Arracher une fillette commune à un village suppose une expédition prévue d’avance qui comporte de terribles risques de vengeance. Lorsque, à la fin du XVe siècle, les habitants de Lanches-Saint-Hilaire décidèrent d’enlever Ydée, une « femme amoureuse » de Domart-en-Ponthieu, à 3 kilomètres de là, ils « arriverent en ladite ville Dompmart lez Ponthieu (...) embastonnez de hallebardes et autres basions et eulx illec arrivez se informerent a plusieurs gens ou estoit une jeune femme nommee Ydee (...) et prindrent ladite Ydee et la contraignirent a cheminer pour l’emmener audit villaige de Lanches dont aucuns des habitans de ladite ville furent fort mal contens »89.

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Tout est mis en oeuvre pour protéger la fille publique qui est le bien de la communauté et on perçoit combien la réalité est, sur ce point, différente des affirmations législatives90. Lorsque vers 1480, Colin Pomier aperçoit deux individus du pays d’Allemagne partir de Bléneau vers Auxerre, emmenant « deux femmes joyeuses », sa réaction ne se fait pas attendre et l’affaire se termine en rixe 91. Au même moment, une scène identique se passe à Rouen. Pour défendre des filles que les Suisses et les Allemands ont battues et dont ils ont arraché les robes, une véritable expédition punitive est organisée et les Rouennais ne sont pas moins de 13 pour se venger d’étrangers trop arrogants92.

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La prostituée appartient bien à la communauté villageoise ou urbaine et il est nécessaire de la défendre contre toute attaque venant de l’extérieur qui risquerait de détruire l’équilibre institué par le groupe. Au total, d’après les lettres de rémission, les « fillettes communes » sont davantage mêlées à des rixes qui les arrachent ou les défendent qu’à des viols93.

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L’unité de l’espace villageois se réalise donc par le respect de certains rites ou par la défense d’un bien commun dont les jeunes et les célibataires sont les acteurs privilégiés. Ils n’en sont pas, comme nous l’avons vu, les seuls artisans. La communauté peut aussi, dans son ensemble, assurer sa propre cohésion et se rassembler en des lieux symboliquement efficaces : cimetière, église paroissiale, aire de festivités et de jeux. Encore faut-il bien préciser que cette quête de l’unité ne conduit pas pour autant à l’unification d’une société par ailleurs cloisonnée. Loin d’abolir les clivages sociaux, le rituel des cortèges et des processions les donne à voir de façon parfaitement explicite, qu’il s’agisse des sexes ou des classes d’âge94. La fonction d’ordre, d’« ordonnance »

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pour reprendre un terme du vocabulaire politique médiéval, est essentielle : la communauté s’y affirme, mais structurée. 74

Les lieux rituels du terroir contribuent donc à l’organisation interne de la communauté. Les parcours cérémoniels tracent dans l’espace territorial une nervure qui charpente l’ordre et le rend transparent aux yeux de tous. Les processions, lors de fêtes comme les Brandons, les Rogations ou la Fête-Dieu, suivent un parcours quasiment immuable que scandent les feux et les danses. On sait l’importance de ces itinéraires pour accroître la prise de conscience urbaine. Ils ne sont pas réservés à la ville et ils ont laissé leur empreinte dans les villages de campagne jusqu’à nos jours 95. Ces itinéraires privilégiés sont aussi empruntés lors des pèlerinages en l’honneur du saint local. On peut y retrouver les mêmes formes de réjouissances que lors de fêtes dites profanes comme les Rogations ou la Saint-Jean. En fait, la signification des feux et de la danse n’est pas clairement élucidée96. La distinction entre profane et sacré ne convient peut-être pas : il s’agit là, de toutes façons, de gestes et de symboles qui relèvent du domaine religieux. Contentons-nous de remarquer pour notre propos que ces manifestations permettent à la communauté d’éprouver sa cohésion en même temps que de se purifier. Or, ces pèlerinages locaux qui apprivoisent et émiettent le sacré sont, aux XIV e et XV e siècles, devenus innombrables et très fréquentés97. Les paroissiens de Domrémy, assidus chaque fin de semaine au sanctuaire marial de Bermont, ne sont pas une exception. Ceux de Bailly qui, à cinq kilomètres de chez eux, se rendent à Versailles pour honorer saint Julien leur ressemblent étrangement98.

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Les suppliants que le crime surprend sur la route de leurs devoirs religieux ne sont pas allés loin : 31 % d’entre eux n’ont pas quitté leur paroisse, 25 % ont parcouru moins de 5 kilomètres et 19 % entre 5 et 15 kilomètres seulement. Des compagnons de Fournesen-Wepppes, tentés d’aller en pèlerinage aux confins du Brabant, renoncent à leur projet : c’est trop loin dit la compagnie. Trop loin, cela veut dire dans ce cas un peu moins de 30 kilomètres. Pourquoi ne pas rester sur place pour vénérer Notre-Dame dans un arbre qui lui est réservé99 ? Il s’avère que le lieu saint entre 15 et 30 kilomètres n’attire guère : il ne recueille que 6 % des suppliants. En revanche, le pèlerinage local et proche rassemble les fidèles tandis qu’à l’inverse, les grands pèlerinages conservent encore du prestige. Sur leurs chemins lointains — au-delà de 30 kilomètres — ils attirent 13 % des suppliants100. Mais, au total, la vie religieuse évolue dans une sphère géographique restreinte. Elle contribue donc à resserrer l’espace en un champ clos où le sacré, domestiqué, joue parfaitement son rôle unificateur.

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Dans cet espace aux parcours ritualisés, des lieux propices accueillent la communauté rassemblée qui prend conscience d’elle-même. Le cimetière est un de ces lieux privilégiés. Il unit, au contact physique de la terre, la communauté des vivants à celle des morts. Sur son sol foulé aux pieds, on danse, on parle, on joue. Le sacré y côtoie le profane ou, plus exactement, il lui donne un sens. Lieu d’asile, le cimetière accueille le criminel mais il n’ignore pas le coup du meurtrier. La communauté s’y retrouve dans sa complète expression. A peine commence-t-on à faire remarquer qu’il n’est pas de bon ton de s’y livrer à certaines activités. Ici c’est un charivari qui ne devrait pas traîner la fiancée dans le cimetière ; là un jeu de dés qui ne devrait pas s’y poursuivre. Mais ces insinuations montrent que la prédication contraignante des clercs est loin d’être suivie d’effets101. Le cimetière n’est pas encore un lieu de silence et de recueillement. Cela ne veut pas dire, comme on l’a souvent écrit dans une perspective contemporaine de l’audelà, que les morts sont traités de façon irrespectueuse. Il existe tout simplement une

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parfaite continuité entre le monde des vivants et celui des patres 102. Ce monde ordinaire que révèlent les lettres de rémission aspire à se retrouver un jour dans la communauté des morts. Ainsi s’explique finalement la hantise des bannis ou des criminels en fuite : mourir loin de la terre qui les a vus naître et où ils ont passé une partie essentielle de leur vie. Un habitant de Tournai qui a été banni, comme on l’a vu, après une rixe, invoque comme circonstance atténuante à la Chancellerie de Charles V le fait d’avoir « esté absent par moult longtemps de la ville de Tournay en laquelle il fu nez » ; au même moment, un autre suppliant évoque le tragique de son cas, lui qui est « en aventure de lui vuidier le païs et la ville ou il a vescu honestement toute sa vie sans nul villain reproche »103. Son âge — il a 75 ans — est un argument supplémentaire : où mourra-t-il ? Où sera-t-il enterré ? Des lettres supplient aussi le roi d’accorder sa grâce au corps perdu des suicidés. Certes, la crainte de la honte comme de la confiscation des biens poussent les parents à une telle intervention. Mais comment supporter que le corps, privé de sépulture, soit exclu de la communauté qui unit les vivants et les morts104. La clôture du cimetière, quand elle existe, rassemble plus qu’elle ne sépare. 77

A côté du cimetière, l’église paroissiale réunit aussi la communauté. Au moins depuis le Xe siècle, elle suit pas à pas la destinée du village et des villageois. Les lettres de rémission donnent la preuve de cette longue cohabitation et nous avons déjà vu comment, à l’ombre du clocher, peut se dérouler le temps. En ce qui concerne la cohésion du°terroir qui nous intéresse ici, il faut bien admettre qu’elle coïncide avec celle de la communauté paroissiale. Etre admis à suivre les offices de l’église paroissiale, comme avoir une sépulture chrétienne dans le cimetière du village sont les marques de l’inclusion dans cette même communauté. Le rôle de la paroisse dans l’intégration des individus à la vie sociale est maintenant bien connu. Le baptême, le mariage, la mort y ont leur passage obligé105. En contrepartie, l’excommunication joue son rôle d’exclusion. On a pu dire qu’elle était devenue inefficace à force d’être répétée. Mais, si sa pratique n’a pas infléchi l’évolution du sentiment religieux — ce qui resterait à démontrer —, elle conserve encore à la fin du Moyen Age sa signification sociale. L’excommunié n’est pas loin d’être un étranger. Comme l’ont bien montré M. Bourin et R. Durand, la paroisse est le lieu privilégié des reconnaissances. Le long apprentissage des solidarités, commencé au XIe siècle, porte ses fruits. Il n’est pas de bon ton, en cette fin du Moyen Age, de s’y soustraire106.

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Souvent située près de l’église paroissiale, au coeur du village, la place constitue aussi un espace où se reconnaît la communauté. Là ont lieu les fêtes, les jeux ou tout simplement les « noces » qui peuvent rassembler les habitants du terroir. En 1365, à Ferrières, on précise où se tiennent les festivités qui suivent les noces : « a ycelles ot grant assemblee de gars de ladite ville et autres (...) apres souper plusieurs gens voldrent faire carolles pour raison de noces (...) lesquelles se faisoient en ladite ville devant la crois »107.

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Ritualisé, l’espace contribue à la cohésion de la communauté. On peut néanmoins s’interroger sur l’efficacité de cet ordre pour maîtriser la violence. Les crimes en période de fete existent, ce qui montre bien la limite de l’union sacrée. La rixe peut naître de la joie partagée. Malgré le souper et les « caroles », la noce de Ferrières se termine dans la mort. Mais quel est, numériquement, le poids de ces bavures ? Les crimes commis les jours de fête ne sont pas les plus nombreux puisqu’on n’en compte que 22 % pour 35 % qui ont lieu les jours ordinaires108. Quant aux événements familiaux — pour l’essentiel, des noces — qui rassemblent une importante communauté, ils ne

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donnent naissance qu’à 3 % des crimes109. On serait donc tenté de conclure à l’efficacité de rituels qui assurent l’auto-cohésion du groupe. 80

Certes, les rites sont un garde-fou, mais il faut parfois payer leur respect du prix du sang versé. Les exemples évoqués précédemment sont souvent la preuve des difficultés qui peuvent exister à les perpétuer. Car il importe, pour que le rituel soit efficace, qu’il soit intégralement respecté. Toute déviation risque de ne plus permettre à la communauté de retrouver totalement son équilibre. Pour éviter que croisse la violence, la communauté peut être amenée à pratiquer elle-même la violence, de façon en quelque sorte préventive dans une perspective de longue durée qui est celle de sa survie.

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Certains cas individuels sont cependant irréductibles. Jean Lambert, orfèvre à Paris dans le premier quart du XVe siècle, a tout pour vivre sans histoire. Avec sa femme, il a respecté les rites de passage qui les ont conduits à l’église Saint-Merry, leur paroisse, pour se marier, puis dans cette même église pour le baptême des enfants et les relevailles, ainsi que chaque dimanche pour la messe paroissiale. A proximité, dans la même paroisse, vit la parenté qui réconforte. Le jour du crime, les cloches appellent Jeannette, la jeune femme, à la messe tandis que sa belle-soeur l’invite à y aller : « elle lui dit que si elle n’avait pas entendu la messe qu’elle allast l’entendre, car tout était presque chanté a Saint-Merry »110. Mais Jeannette refuse d’entendre les bruits familiers et de pratiquer les gestes qui rassurent. Au lieu de se vêtir comme sa belle-soeur « de sa robe pour aller a l’eglise », elle choisit ce moment pour précipiter son enfant dans le puits. Ici le crime n’est pas né de ces rites qui insèrent mais de cette « mélancolie » qui dérange et exclut. L’efficacité des rites peut buter sur la résistance de l’individu. Les effets du rituel ont bien leurs limites. Mais, dans cette société que l’espace compresse, combien de crimes ont pu être ainsi évités ?

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Saisir la cohésion du groupe dans le geste meurtrier qui perturbe l’ordre social plutôt que dans le règlement qui l’institue, semblait a priori relever du paradoxe. Le propos s’avère maintenant, je l’espère, possible. La violence n’a pas, en effet, une fonction unilatérale, du moins dans cette société qui reste traditionnelle. Elle n’est pas obligatoirement destructrice, au sens où elle désagrège le groupe social. La mort d’homme est capable de secréter son propre antidote. Elle est capable d’être préventive contre d’autres violences à venir.

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Encore enfermé dans cette durée et dans cet espace aux repères ancestraux dont il ne sort que par quelques balbutiements, sous la contrainte d’une formalité administrative, cet homme des XIVe et XV e siècles reste encore globalement sauvé par l’ordre que la communauté a institué et dont elle surveille jalousement le maintien.

EN PAYS DE CONNAISSANCE 84

La cohésion du terroir qui va de pair avec sa maîtrise laisse présager d’un esprit de clocher extrêmement développé. Défendre son identité consiste, en dernier ressort, à s’opposer à l’intrus qui empiète sur les limites du terroir. Mais où commencent l’intrusion et l’exclusion ? A partir de quel moment peut-on parler d’étranger ?

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L’intrus est, en premier lieu, celui du village d’à-côté. Les rixes citées précédemment ont déjà donné quelques exemples de conflits collectifs réglés dans le sang. En revenant de la fête de la « ville » de Juvigny, à heure de complies, le jour de la nativité Notre-

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Dame 1365, les habitants de Recy, Matougues et Champigneul-Champagne, trois petits villages du bailliage de Vermandois, situés dans un rayon de trois kilomètres, s’opposent dans une rixe111. Aucun antécédent précis n’est mentionné : l’antagonisme va de soi. L’échauffement de la fête n’a fait que le raviver. De même qu’il va de soi que les jeunes, dans ce cas présent comme dans d’autres, défendent leur communauté agressée. 86

Entre communautés voisines, les liens peuvent donc être très tendus. L’accrochage se produit à la moindre étincelle, notamment lors des fêtes ou des noces qui amènent dans le village organisateur des habitants des villages proches. Aussitôt les camps se rassemblent suivant les lieux d’habitation, et cela pendant toute la période envisagée. Encore en 1485, dans le bailliage de Senlis, un arc bandé sert de prétexte : « se meut debat entre aucuns compaignons dudit Hermes et ceux dudit Villiers d’autre ouquel debat un nomme Tassin Viton, habitant dudit Villiers dist doulcement a un nommé Jehan le Caron qu’il se tinst arriere et ne feist point de noise, mais au content ledit le Caron qui estoit sur son lieu, tendit son espieu »112. Les deux localités ne sont pas distantes de plus de cinq kilomètres !

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Ces rivalités larvées se nourrissent de la parfaite connaissance des limites du terroir comme de la conscience que les habitants ont de former une entité. Il en découle une solidarité particulièrement efficace en cas d’attaque de l’un des membres par celui ou ceux d’une localité voisine. Un conflit parfaitement circonscrit risque ainsi de dégénérer en rixe généralisée. Lorsqu’en janvier 1396 à Hondevilliers, un nommé Balligaut, invité d’un village voisin à un repas de noces, brise un verre, l’injure est immédiatement considérée comme collective. Les clans se forment et opposent les jeunes gens d’Hondevilliers à ceux de Verdelot et autres localités dans un rayon qui n’excède pas, encore une fois, cinq kilomètres. Hors de la taverne, la poursuite prend l’allure d’une bataille rangée, bûches en mains : « Les diz compaignons (...) s’en alerent apres ceulx des diz villages lesquelz ilz trouverent pres du dit ruisseau estant en la dite ville et la commencerent a rioter et a debatre comme devant et fu feru et batu un nommé Jehannin Mareschal qui est du costé de ceulx des diz villages d’une des buches que ilz portoient par tele maniere que mort s’en ensuy en sa personne. De laquelle bateure ceulx des diz villages furent moult courriez et animez contre ceulx qui portoient lesdictes buches et se avencerent pour leur courir sus » 113.

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Au point où en sont arrivées les choses, il s’agit de choisir son camp, ce qui se fait naturellement selon l’appartenance géographique. Le suppliant en fait alors la triste expérience : « Et quant ledit suppliant vit qu’ilz s’efforçoient de venir contre ceulx dudit Hondeviller il s’avança adonc et se mist de leur costé et les commença a revenchier pour ce qu’il estoit de plus pres dudit Hondeviller que des autres villages (...) et bouta un de ceulx des diz villages ».

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La rixe, pour éclater, ne connaît pas de paysage privilégié. Elle peut aussi bien se passer en zone neutre, sans que l’environnement rappelle aux protagonistes la qualité de la terre à défendre. La conscience de l’identité s’emporte à la semelle des chaussures. Sur la route du retour d’un pèlerinage au Mont-Saint-Michel, la procession du village de Villiers, à quelques kilomètres de là, curé en tête, se disperse en combats singuliers pour défendre la paroisse qu’on estime attaquée114. Cette constatation confirme ce que nous avons vu des crimes commis en milieu urbain où chaque « ethnie » se retrouve jusqu’à porter en un autre lieu les conflits et les rivalités qui les opposent.

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Tableau 28 : L’endroit du crime

Endroit du crime Fréquence (en %) Maison

21,5

Taverne

10,5

Autres lieux clos

7,5

Rue

39,5

Nature cultivée

13,0

Nature sauvage

3,0

Terrain de jeux

2,5

Autres

2,5 100

Le terrain de jeux et même la taverne, lieux de sociabilité serrée, ne sont pas les endroits privilégiés du crime. En revanche, la violence éclate dans la rue, en public. 90

L’esprit de clocher ferme donc le village aux autres, à commencer par les habitants des villages voisins, et il y a là, incontestablement, une source de conflits. Néanmoins, la criminalité qui en découle est loin d’expliquer à elle seule la forte proportion d’homicides. Le cas des rixes où les protagonistes se rassemblent par groupes géographiques distincts reste limité. Dans 4 % des cas seulement, la collectivité participe pleinement à la rixe, et dans 3 % des cas, il y a plus de quatre participants du côté du coupable. Ces chiffres montrent bien que le côté spectaculaire de ces batailles rangées ne doit pas faire oublier leur rareté. Il existe, en fait, comme à l’intérieur du terroir lui-même, une régulation codée des rapports entre terroirs voisins. Les habitants ne se privent pas d’en affirmer sentencieusement la nécessité, tel ce suppliant de Tillard, dans le bailliage de Senlis, en 1485. Surprenant une rixe entre ceux de Tillard et ceux de Silly, deux hameaux voisins aujourd’hui rassemblés dans la même commune, il tente de les séparer et « dist que c’estoit mal fait a eulx qui estoient voisins de prendre noise l’un a l’autre »115.

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La violence qui couve et ne demande qu’à éclater entre communautés voisines est dominée, policée par des règles de conduite parfaitement connues, même si elles ne sont pas toujours suivies. Des rituels, comparables à ceux qui contribuent à la construction d’un espace villageois homogène, sont susceptibles d’unir plusieurs villages. La paroisse peut avoir cette fonction de cohésion entre villages aux limites territoriales pourtant distinctes. Il se peut aussi que les rites débordent les limites de la paroisse pour s’étendre sur des paroisses voisines. En 1481, la quête du « gui l’an neuf » par les bacheliers de la paroisse de La Petite-Boissière en Poitou s’étend ainsi sur plusieurs paroisses dans un rayon de cinq kilomètres : « Le derrenier jour de decembre qui est la vigille de la Circoncision Nostre Seigneur, led. suppliant en la compaignie de Jehan Rouault, Colas Baudry, Pierre Guynefolleau, Mery Texier, Loys Marchandeau et

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Gillet Delavau, bacheliers de la parroisse de La Petite-Boissiere, aussi en la compaignie de Jehan Boischeteau, menestrier, fut par les villaiges de La Brahayere, paroisse de Sainct-Amand-de-la-Fay, paroisse de Sainct-Jehan-de-Combray, de deux ou trois autres villaiges estans en la paroisse de Rorretoys, pour prandre et recevoir les ausmones des bonnes gens qu’ilz ont acoustumé donner pour l’entretiennement d’une lampe et de seize lamperons, ainsi que de coustume est de faire de tous temps la vigille de l’an neuf, et s’appellent lesd. dons aguillanneuf, lesquelles lampe et lamperons sont pendans en l’eglise dud. lieu de la Petite-Boissiere devant l’image du Crucefix » 116. Malgré l’ancestrale coutume évoquée, l’affaire se termine par une rixe avec les bacheliers de Rorthais qui, leur roi en tête, prétendent au droit de faire eux-mêmes la quête. 92

La paroisse de Rorthais, « qui est une autre paroisse a part », sait parfaitement quels sont ses droits. Encore une fois, les jeunes, réunis ici en bachellerie, sont les défenseurs de la cohésion menacée et d’un espace qui correspond probablement à l’aire d’endogamie où peuvent et doivent se trouver les futures conjointes. Solidarité, survie de la communauté et morale sexuelle se complètent. Et, pour une cérémonie rituelle qui tourne mal, combien ont été finalement suivies, contribuant à faire accepter par tous les limites et la cohésion territoriales ?

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Une convivialité commune unit les habitants des villages voisins dans les mêmes tavernes, sur les mêmes terrains de jeux. Il y a là, certainement, l'échauffement du vin et du jeu aidant, des sources de conflits. On dit alors tout haut ce qui couve tout bas, comme ce fut le cas en Vermandois, un soir de fête de l’Assomption, quand un habitant de Rocquigny s’avisa de proclamer à la taverne où tous étaient attablés « que les compagnons de Mainbrecies faisaient volontiers noise et riote audit lieu de Rocquigny » 117. Le vin partagé ne fait pas oublier ces paroles malheureuses et l’affaire se termine en bataille rangée. Mais ces conflits sont finalement, dans l’expression criminelle de la violence, peu de choses. On peut alors penser que ces rencontres ont plus souvent désamorcé des rivalités larvées qu’elles ne les ont envenimées.

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Les jeux, équipe contre équipe, n’ont-ils pas déjà cette fonction ? Le jeu est une occasion majeure de se déplacer, mais toujours dans le cadre restreint des environs immédiats du village ou de la paroisse. Estienne Bonnet, habitant de Crotelles, part, toujours accompagné de co-paroissiens, pour le lieu de Nouzilly à 7 kilomètres de chez lui pour jouer à la paulme118. Pierre de La Gaicherie fait environ 6 kilomètres avec ses compagnons pour aller à Roussac où se déroule un jeu d’arbalètes qui promet aux vainqueurs « ung bonnet de pris a iceulx qui mieulx tireroient » 119. Le jeu, agrémenté de paris, se prolonge ensuite à la taverne. La rivalité se termine alors à l’amiable quand on arrive à un accord sur le paiement du vin !

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Il peut arriver aussi que les individus différents, voire anormaux, des communautés voisines soient pris comme interlocuteurs privilégiés pour régler personnellement des rivalités collectives. Ils sont par excellence des « victimes sacrificielles », selon l’expression de R. Girard, car leur mort n’appelle aucune vengeance 120. Leur affrontement peut donc contenir la violence spontanée et larvée qui sévit entre les communautés. En 1416, à Congis et à Germigny, deux localités distantes de 2 kilomètres, les victimes choisies pour la joute sont deux teigneux. Ils font bien figure de victimes sacrifiables, à la fois réelles et symboliques. Le terrain choisi pour leur joute est un fumier, lieu dégradant qui contribue à leur dévalorisation, comme pour Job. Le texte est clair : « Et apres disner, Jehan Le Maire habitans dudit Germigny, par maniere d’esbatement pour ce que dudiz Germigny et en ladite compaignie avoit un tigneux ou

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pelé de taigne (...) demanda a ceulz dudiz Congy : “Or, des teigneux de Congy y a nulz bassinez qui vueillent jouster ou luter au notre” ? (...) et telement que un appelle Gobin Tupé qui semblablement estoit teigneux ou pelé et estoit dudit Congy lutta a lui sur un fumier en une court »121. 96

La lutte individuelle de ces hommes, habitants des deux communautés et en même temps aux marges de la normalité, a pour fonction de canaliser la violence. Mais la thérapeutique avorte. En fait, la lutte individuelle dérape, s’amplifie jusqu’à prendre la dimension de ce conflit général qu’on voulait enrayer avant qu’il ne s’exprime. L’affaire se termine par ce cri d’une vengeance revenue en force : « tuez tout, malgré Dieu » !

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Les protagonistes n’ont pas su apprivoiser la violence ; ils n’ont pas pu la tromper. Pourquoi ? Laissons à nouveau parler le texte. Le teigneux de Congis, dans la lutte, a perdu ses braies. Ses compatriotes veulent que la lutte s’arrête. Ce retour à la norme des comportements de bienséance brise la fonction symbolique du personnage. Il est un homme comme les autres et on ne doit rien voir de lui au-dessous de la ceinture. Il n’y a plus de victime émissaire. Avec le retour à la norme, la violence est redevenue platement ordinaire et l’hostilité déchaînée du groupe reprend. Le même Jean Le Maire qui avait organisé le combat singulier s’écrie « que c’estoit mal fait de les batre en leur ville et qu’ilz ne leur demandoient rien ». On voit que le mode de résolution des conflits se doit de respecter certaines règles.

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Peut-être cet incident révèle-t-il le décalage entre une « civilisation des moeurs » que suppose l’acquisition de la pudeur et un mode de résolution des conflits encore archaïque par sa brutalité. Cette explication montrerait que les modes de résolution traditionnels des conflits sont moins efficaces en cette fin du Moyen Age qu’ils ont pu l’être précédemment car ils sont confrontés à d’autres exigences qui se révèlent impératives. Le témoignage du Bourgeois de Paris laisse deviner que la frange cléricale de la ville ne comprend plus la signification de tels combats. Lorsqu’en août 1424, quatre aveugles armés de bâtons sont chargés de tuer un porc, le « Bourgeois » parle de « bataille si estrange »122. A ses yeux, il ne reste plus qu’un jeu brutal, sans autre signification que cette brutalité même.

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Pourtant, sauf cas extrêmes et rares de violence mal contrôlée, il n’existe pas de guerre incessante de village à village. Les règles de voisinage fonctionnent bien. Si la solidarité villageoise reste fondamentale, elle n’implique donc pas un repli exclusif, jaloux, sur la terre nourricière. On connaît parfaitement les limites du terroir, on les défend, mais on sait aussi les franchir. Le pays de connaissance dépasse l’horizon du village au sens strict. Son étendue n’est pas cependant illimitée. La mesurer parfaitement sur l’ensemble du royaume relève de l’utopie. Néanmoins, ce que nous avons vu de la concentration des déplacements avant le crime permet de penser qu’au-delà d’un rayon de 15 kilomètres commence l’inconnu. Tel est le pays au-delà duquel on se sent perdu. Comment le dire mieux que ce suppliant qui, nous l’avons vu, pour cause de crime, a dû quitter sa paroisse de Riaillé, pour s’établir à Nangis ? « Pour lequel fait il a depuis esté fugitif du dit pais et delaissié ses amis des diz XXIIII ans ou environ et venu querir sa vie au dit Nangis et autre part pour doubte de rigoreuse justice qui li a esté grant penitence »123. Sa jeunesse au moment du meurtre, son mariage et son établissement avec des enfants en terre étrangère — il a maintenant 42 ans — n’ont pas aboli le poids de l’exil qui prend naturellement l’image religieuse de la pénitence 124.

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On peut considérer que cette distance inférieure à une quinzaine de kilomètres balaye bien une aire privilégiée de la relation, l’aire de l’endogamie au sein de laquelle on est

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en pays connu, donc en pays ami. C’est dans ce cercle au déploiement restreint que se développe la sociabilité mais aussi que sourd la violence en même temps qu’elle se donne les moyens d’être contenue. Le voyage hors de ces limites, même jusque dans quelque prestigieuse université, l’évolution de la carrière dans des cercles politiques élargis ne font pas oublier les relations privilégiées tissées dans ce petit monde-là. Les travaux de R. Cazelles sur le recrutement des clientèles dans l’entourage des rois de France du XIVe siècle ont bien montré l’importance de ces solidarités de clochers 125. Les papes d’Avignon n’y échappent pas : tel est le cas de Clément VII dont les « clients » partagent, selon les travaux de L. Binz, une origine géographique commune et restreinte à une quinzaine de kilomètres à l’intérieur du diocèse de Genève 126. 101

Une fois rompu ce cocon protecteur et familier commence une autre histoire, celle de l’étrange pays. Comment, dans ces conditions, peut-on accepter celui qui vient de pardelà ? Comment un espace maîtrisé avec une telle étroitesse peut-il répondre aux perturbations que lui impose la conjoncture des XIVe et XVe siècles ?

NOTES 1. Tableau 4, chapitre 2. 2. Le métier d’historien…, B. GUENÉE dir., en particulier Fr. AUTRAND, « Les dates, la mémoire et les juges », p. 157-182, qui analyse successivement la mention de l’âge et celle de la date d’événements marquants, privés ou publics. 3. JJ 155, 36, juin 1400, LISLE (sénéchaussée de Limousin). 4. Ibid., 37, juin 1400, ACHÈRES (bailliage de Chartres). 5. M. BOURIN-GRAMAIN, « Mémoires paysannes… », p. 315-324. On peut cependant retrouver cette mention du coq sous le règne de Louis XI : « environ une heure avant les coqs chantans », JJ 208, 126, août 1480, SAINT-MESMIN (bailliage de Montargis et Cepoy), mais elle est unique dans notre enquête. 6. Ces notations horaires sont utilisées par tous les milieux, y compris par les grands criminels répertoriés au Châtelet quand ils décrivent les circonstances de leurs crimes, Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 181. 7. JJ 181, 231, février 1453, ÉPINAL (bailliage de Vitry). 8. Entre neuf heures et midi pour le dîner, entre quatre et sept heures du soir pour le souper, Ph. CONTAMINE, La vie quotidienne…, p. 230. 9. J. LE GOFF, « Au Moyen Age : temps de l’Eglise et du marchand », et « Le temps du travail dans la “crise” du XIVe siècle, du temps médiéval au temps moderne », Pour un autre Moyen Age…, p. 46-65 et 66-79. Ces travaux comportent de nombreuses références bibliographiques. 10. JJ 181, 107, juin 1452, (bailliage de Touraine). Sur la répartition des crimes dans la journée et les circonstances évoquées par le récit, voir tableau 12, chapitre 6. 11. Lettre citée supra, n. 10. 12. Cité par J. LE GOFF, « Le temps du travail… », op. cit. supra, n. 9, p. 67, n. 8. 13. Les exemples se multiplient sous le règne de Louis XI : JJ 208, 128, 150, 172, 186 et 240. 14. G. BILFINGER, Die Mittelalterlichen Horen…, p. 142 et suiv. 15. E. LE ROY LADURIE, Montaillou…, p. 143.

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16. Sur la fréquence des prénoms, voir l’exemple limousin, L. PÉROUAS, B. BARRIÈRE, J. BOUTIER, J.C1. PEYRONNET, J. TRICARD, Léonard, Marie, Jean et les autres… 17. Cl. GAUVARD. « L’image du roi justicier… », p. 169. 18. JJ 208, 209, février 1483, SAINT-MARTIN (bailliage de Vermandois). 19. Ibid., 101, septembre 1480, BOUILLY-EN-GÂTINAIS (bailliage de Touraine). 20. JJ 211, 21, septembre 1483, PARIS (prévôté de Paris). 21. Fr. AUTRAND, « Les dates, la mémoire et les juges… », p. 162. 22. JJ 155, 5, mai 1400, VISSAC (bailliage des Montagnes d’Auvergne). Ce suppliant était venu, « l’espace de deux ans ou environ », demeurer à Vissac avant de retourner à Pinols. 23. Voir les exemples cités chapitre 10, n. 5 et 6. 24. E. LE ROY LADURIE, op. cit. supra, n. 15, p. 422. 25. Les manuels de chancellerie n’imposent d’ailleurs pas de précisions temporelles. 26. M. BLOCH, La société féodale, p. 118. 27. Voir en particulier, Fr. ZONABEND, La mémoire longue… 28. Nombreux exemples dans Temps, mémoire, tradition au Moyen Age, en particulier celui d’Arezzo étudié par J.P. DELUMEAU, p. 45-67. 29. Chapitre 3, p. 130. Voir aussi Fr. AUTRAND, op. cit. supra, n. 2, p. 182, qui conclut à une mémoire spécifique du milieu parlementaire, au service de ses intérêts. 30. JJ 155, 265, lettre citée chapitre 6, n. 201. 31. Lettre citée supra, n. 30. Toutes ces « villes », LA FERTE-BERNARD, CERANS-FOULLETOURTE, CONLIE, se trouvent actuellement dans la Sarthe. A noter que Foulletourte est plus près du Mans que d’Angers, mais que Conlie se trouve bien à 25 km environ du Mans, entre La Ferté-Bernard au nord et Foulletourte au sud. Angers indique ici la direction suivie par le suppliant. 32. JJ 107, 271, septembre 1375, TORCY (bailliage de Meaux). 33. JJ 127, 26, lettre citée chapitre 7, n. 52. 34. JJ 107, 124, juillet 1375, (bailliage de Vermandois). 35. JJ 208, 150, lettre citée chapitre 2, n. 56. 36. JJ 208, 163, septembre 1482, SAINT-LOUP (sénéchaussée de Poitou). 37. Voir tableau 11, chapitre 6. 38. Ph. CONTAMINE, « Contribution à l’histoire d’un mythe : les 1.700.000 clochers du royaume de France (XVe-XVIe siècles) », La France aux XIV e et XV e s…, p. 414-427. Le manuel de chancellerie d’Odart Morchesne comporte une liste de bailliages et sénéchaussées sans pour autant faciliter la localisation des requérants, BN Fr. 5024, fol. 182. 39. 33 % des seigneurs, 50 % des chevaliers et 75 % des écuyers ne donnent aucune précision sur leur lieu de naissance. Sur la noblesse dans des documents comparables, Fr. AUTRAND, « L’image de la noblesse en France… », p. 340-354. 40. 88 % des gens de métier ne donnent aucune précision sur leur lieu de naissance, 2 % mentionnent la ville, 1 % le bourg, 3 % donnent plusieurs références et 6 % une dénomination géographique. 96 % des laboureurs ne donnent aucune précision, 2 % donnent plusieurs références, 1 % une référence administrative, 1 % une référence géographique. 92 % des laboureurs de bras ne donnent aucune précision, 2 % mentionnent la ville, 2 % la paroisse, 2 % plusieurs références et 2 % l’espace géographique. Les autres catégories ne donnent aucune précision. 41. JJ 208, 45, lettre citée chapitre 8, n. 34 ; ibid., 106, septembre 1480, CRESPIAN (sénéchaussée de Languedoc). 42. JJ 208, 92, août 1480, LE MANS (bailliage de Touraine). 43. Voir chapitre 7, p. 310. 44. En ce qui concerne la typologie du domicile, sur les 40 % de suppliants qui utilisent plusieurs références administratives, 18 % sont des laboureurs, 8 % des laboureurs de bras, 9 % des gens de métier, 1 % des gens d’armes, 1 % des officiers, 1 % des clercs, 2 % déclarant plusieurs métiers. En

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ce qui concerne la typologie du lieu du crime, les pourcentages deviennent respectivement : 17 %, 4 %, 14 %, 1 %, 1 %, 1 % et 2 %. 45. JJ 150, 65, lettre citée chapitre 8, n. 7. 46. JJ 107, 251, septembre 1375, FONTAINS (bailliage de Melun). 47. JJ 150, 12, juillet 1396, VERNEUIL-SUR-AVRE (bailliage d’Evreux). 48. JJ 169, 200, juillet 1416, VILLIERS-SAINT-GEORGES (prévôté de Paris). 49. B. CHEVALIER, « Le paysage urbain… », p. 17. 50. G. ROUPNEL, Histoire de la campagne française, p. 212 et suiv. Malgré le caractère vieilli des thèses qui sont présentées, la relation de l’homme et de ce que l’auteur appelle « la clairière culturale » reste suggestive. 51. JJ 143, 94, août 1392, CHÂTEAUFORT (prévôté de Paris). 52. Fréquence 80. 53. JJ 127, 134, octobre 1385, PARIS (prévôté de Paris). 54. Ibid., 101, lettre citée chapitre 10, n. 5. Même scénario pour une victime capable d’aller au moûtier, à la taverne et en plusieurs autres lieux : JJ 160, 441, juillet 1406, VOUVRAY-SUR-HUISNE (bailliage de Touraine). 55. Voir chapitre 10, n. 148. 56. JJ 98. 114, lettre citée chapitre 10, n. 20 ; même cas JJ 130, 255, avril 1387, BARLEUX (bailliage de Vermandois) ; autres exemples chapitre 19, p. 880 et suiv. 57. R. BOUTRUCHE, « Les courants de peuplement… », p. 13-37 et 124-154 ; Ph. WOLFF, Commerces et marchands de Toulouse…, p. 80-86. Les études récentes confirment ces travaux pionniers. 58. JJ 98, 56, février 1365, GIEN (bailliage de Sens et d’Auxerre). 59. Ibid., 413, juillet 1365, PARIS (prévôté de Paris). Le cas d’un habitant de Montpellier installé à Paris était exceptionnel dans la première moitié du XIVe siècle, si on en croit le livre de la taille de 1313, R. CAZELLES, De la fin du règne…, p. 143. 60. JJ 98, 33, novembre 1364, HESDIN (bailliage d’Amiens). Sur l’attraction du parti navarrais, R. CAZELLES, « Le parti navarrais.. », p. 839-869. 61. JJ 98, 85, novembre 1364, MANTES (bailliage de Mantes). 62. Histoire de la France urbaine, t. 2, p. 473 et suiv. 63. JJ 98, 24, décembre 1364, LOUVIERS (prévôté de Paris). 64. L’importance de cette sociabilité ethnique atténue considérablement les effets du déracinement dans la genèse de la violence, tels qu’ils sont exposés par J. CHIFFOLEAU, Les justices…, p. 158-160. Cependant la population d’Avignon souffre peut-être d’un déracinement plus marqué que la population parisienne où on a pu remarquer les conflits entre gens de connaissance, y compris parmi les grands criminels, chapitre 6, p. 277. 65. JJ 143, 184, septembre 1392, VIFFORT (bailliage de Vitry). 66. JJ 118, 84, lettre citée chapitre 6, n. 55 : CLAVY-WARBY. 67. JJ 211, 113, sans mention de date, BULLY (bailliage de Caux). 68. Ces épopées peuvent se terminer par la mort de la prostituée qui est ensuite dévalisée, Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 109 et 155. 69. JJ 98, 533, mai 1365, ROSAY (bailliage de Rouen). 70. JJ 169, 10, novembre 1415, COURTOMER (bailliage de Caen). Le périple a conduit les amants de COURTOMER à SAINT-HILAIRE-LE-CHÂTEL et MOULINS-LA-MARCHE, puis de FALAISE à GOULET. Pierre de Bonnières, l’amant, est finalement repéré par Guillaume Morel, le mari, à FAY, à moins de 5 km de COURTOMER. 71. JJ 118, 33, novembre 1380, RIAILLÉ (bailliage de Melun). 72. Le texte de Galbert de Bruges est parfaitement clair sur ce point, Galbert de BRUGES, Meurtre de Charles le Bon, éd. H. Pirenne. p. 106-107. Sur la composition du corps social qui accueille le souverain, et en particulier la place des enfants, voir l’exemple de Brive-la-Gaillarde en 1463, cité par B. GUENÉE et Fr. LEHOUX, Les entrées royales…, p. 181, ainsi que les études de N. COULET, « Les

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entrées solennelles… », p. 63-82, et L.M. BRYANT, « La cérémonie de l’entrée… », p. 513-542. Remarquons qu’à Paris, le respect de l’ordre social et institutionnel l’emporte sur celui qui se doit d’unir les âges et les sexes, du moins si on en croit les textes officiels comme la délibération du Parlement de Paris en 1484 citée par B. GUENÉE et Fr. LEHOUX, ibid., p. 102-103. 73. A. VAN GENNEP, Manuel de folklore français contemporain, et P. SÉBILLOT, Le folklore de France. 74. Chapitre 8, p. 379. 75. JJ 155, 34, juin 1400, USSY-SUR-MARNE, SAINT-JEAN-LES-DEUX-JUMEAUX et CHANGIS-SURMARNE (prévôté de Paris). 76. Sur le rôle du sillon symbolique dans l’appropriation de l’espace, Fr. PAUL-LÉVY et M. SEGAUD, Anthropologie de l’espace, p. 134 et suiv. 77. N. BELMONT, Mythes et croyances…, p. 87 et suiv. 78. Chapitre 13, n. 131. 79. JJ 107, 140, juin 1375, VAUX-EN-VERMANDOIS (bailliage de Vermandois). 80. JJ 154, 574, janvier 1400, POGNY (bailliage de Vermandois). 81. Cité par R. VAULTIER, Le folklore…, p. 65. 82. Mise au point par N. BELMONT, op. cit. supra, n. 77, p. 94-95. 83. JJ 155, 49, juin 1400, GENTILLY (prévôté de Paris). 84. Ces contradictions sont bien notées par Cl. GAIGNÉBET, Le carnaval, p. 38. 85. JJ 160, 35, juillet 1405, BUCHY (bailliages de Rouen et de Caux). 86. Sur la vision du loup, image du mâle lycanthrope, R. DELORT, Les animaux…, p. 245. 87. JJ 98, 192, janvier 1365, OGER (bailliage de Vermandois). 88. JJ 211, 57, décembre 1483. BAILLEUL-LE-SOC (bailliage de Senlis), et JJ 127, 272, décembre 1385, HÉMÉCOURT (bailliage de Senlis). Autres exemples dans R. VAULTIER, op. cit. supra, n. 81, p. 27. Le « cochet » est un coq. Sur le « droit des oreillers » du lit de noces que se disputent les « varies » des hameaux voisins, JJ 129, 280, décembre 1386, LES ANDELYS (bailliages de Rouen et de Gisors). 89. JJ 211, 74, lettre citée chapitre 7, n. 124. 90. Quelle place accorder aux décisions législatives ? Faut-il suivre l’enseignement de la législation et faire du prostibulum un lieu d’exclusion et d’impureté dans un temps intermédiaire entre l’intégration et la répression en suivant la thèse de L.L. OTIS, Prostitution in Medieval Society…, p. 51 et suiv., ou s’inquiéter d’évolutions et de compromis où les facteurs démographiques et culturels entrent pour une large part, J. ROSSIAUD, La prostitution médiévale, p. 114 et suiv. 91. JJ 207, 96, septembre 1481, BLÉNEAU (sans mention de juridiction). 92. Ibid., 35, mars 1481, ROUEN (bailliage de Rouen). 93. Certes, le viol est commis en priorité contre les « fillettes communes », mais son faible taux interdit de le considérer comme un fléau social. 94. Voir supra, n. 72. 95. Remarques suggestives dans T. JOLAS, « Parcours cérémoniel… », p. 7-29, et M. Fr. GUEUSQUIN-BARBICHON, « Organisation sociale de trois trajets rituels… », p. 29-45. Sur le rôle des processions dans l’organisation de l’espace urbain, J. ROSSIAUD, dans Histoire de la France urbaine…, t. 2, p. 594 et suiv. Cette appréhension de l’espace fonde aussi le pouvoir politique, N. COULET, « Les entrées solennelles… », p. 513-542. 96. Les folkloristes se sont souvent interrogés sur les feux de la Saint-Jean, en particulier N. BELMONT, op. cit. supra, n. 77, p. 98 et suiv. La signification religieuse de la danse est bien connue. 97. Sur le développement des pèlerinages locaux, particulièrement dans le cadre paroissial, Fr. RAPP, « Les pèlerinages dans la vie religieuse… », p. 119-160. 98. JJ 160, 63, 1405, BAILLY (bailliage de Chartres). Sur les pèlerinages suivis par les habitants de Domrémy et leur caractère « domestique », Fr. RAPP, « Jeanne d’Arc, témoin… », p. 175. 99. JJ 165, 342, octobre 1411, FOURNES-EN-WEPPES (bailliage d’Amiens).

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100. Pour 6 % des suppliants, la distance parcourue avant le crime, dans un but religieux, est indéterminée. 101. Sur le prétendu irrespect des morts qui découle de cette vitalité des cimetières, J. TOUSSAERT, Le sentiment religieux…, p. 212-213, et P. ADAM, La vie paroissiale…, p. 122-123. 102. Une nouvelle lecture anthropologique et convaincante des lieux de sépulture est donnée par J. CHIFFOLEAU, La comptabilité…, p. 154-165. 103. JJ 98, 27, lettre citée chapitre 10, n. 148 ; ibid., 114, lettre citée supra, n. 56. 104. Nombreux exemples évoqués par J.Cl. SCHMITT, « Le suicide au Moyen Age », p. 3-28. 105. A. VAN GENNEP, Les rites de passage… Sur le rôle de la paroisse dans la cristallisation de la communauté, J. CHAPELOT et R. FOSSIER, Le village et la maison…, p. 143 ; sur son fonctionnement aux XIVe et XVe siècles, P. DESPORTES, « Villes et paroisses… », p. 163-178. 106. M. BOURIN et R. DURAND, Vivre au village…, p. 70-98. Sur la place de l’excommunication comme injure, voir chapitre 16, p. 738. 107. JJ 98, 159, décembre 1364, FERRIERES (sans mention de juridiction). 108. Dans 32 % des cas, le jour du crime n’est pas précisé. Dans 5 % des cas, le crime a lieu une veille de fête, dans 3 % un jour de foire. 109. Les données statistiques nuancent considérablement sur ce point les idées reçues. La violence, puis le récit de la rémission, sont loin de choisir en priorité un « cadrage festif et rituel » de « noces sanglantes » comme pourrait le laisser supposer une méthode impressionniste, N.Z. DAVIS, Pour sauver sa vie…, p. 96-105. 110. JJ 172, 430, mars 1424, PARIS (prévôté de Paris). 111. JJ 98, 599, juillet 1365, JUVIGNY (bailliage de Vermandois). 112. JJ 211, 126, août 1485, HERMES ET VILLERS-SAINT-SEPULCRE (bailliage de Senlis). 113. JJ 151, 217, avril 1397, HONDEVILLIERS et VERDELOT (prévôté de Paris). 114. JJ 122, 62, janvier 1383, VILLIERS-LE-PRÉ (bailliage de Cotentin), lettre citée par L. DOUËTD’ARCQ, Choix de pièces inédites…, t. 2, p. 5. 115. JJ 211, 210, décembre 1484, PONCHON (bailliage de Senlis). 116. JJ 207, 4, février 1482, LA PETITE-BOISSIÈRE et RORTHAIS (sénéchaussée de Poitou). Autre exemple X 2a 14, fol. 74, juin 1402. Une altercation a opposé les habitants de WARSY à ceux de GUERBIGNY, par rituels interposés (processions, folklore enfantin de la cérémonie des oeufs). Les deux localités sont distantes d’environ 5 kilomètres. 117. JJ 165, 332, lettre citée chapitre 10, n. 101. ROCQUIGNY et MAINBRESSY sont distants de 2 kilomètres. 118. JJ 208, 90, 1482, CROTELLES et NOUZILLY (bailliage de Touraine). 119. Ibid., 44, 1482, ROUSSAC (sénéchaussée de Limousin). 120. R. GIRARD, La violence et le sacré, p. 32 : « Le sacrifice polarise les tendances agressives sur des victimes animées ou inanimées mais toujours non susceptibles d’être vengées, uniformément neutres et stériles sur le plan de la vengeance ». Sur cette fonction du sacrifice, C. ORSINI, La pensée de René Girard, p. 58-59. Ces idées sont développées dans une perspective anthropologique par R. BALANDIER, Le Détour…, p. 49. 121. JJ 169, 173, mars 1416, CONGIS et GERMIGNY-SOUS-COULOMBS (prévôté de Paris). 122. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 204. Ce jeu a eu lieu dans l’hôtel d’Armagnac et il a certainement, dans le Paris de 1424, une signification politique. 123. JJ 118, 33, lettre citée supra, n. 71. 124. Ce lien entre l’exil et la pénitence existe dès le Haut Moyen Age et se poursuit aux X e-XIIIe siècles, H. PLATELLE, « Pratiques pénitentielles… », p. 144. Le fondement en est la peine de Caïn, « Tu seras errant et fugitif sur la terre », Gn, 4, 12. 125. R. CAZELLES, La Société politique et la crise de la royauté…, p. 267 et suiv. ; Société politique, noblesse et couronne…, p. 151-157 et 402-419.

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126. L. BINZ, « Le népotisme de Clément VII… », p. 107-123. Sur la relation entre la solidarité et l’espace, voir tableau 32, chapitre 14.

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Chapitre 12. L’espace perturbé

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A l’abri de leur cocon protecteur, les hommes de cette fin du Moyen Age ont édicté un ensemble de règles tacites qui atténuent les heurts et qu’ils s’efforcent de suivre. Mais reste le danger qui vient de l’extérieur, celui qui menace ou dérange, et contre lequel la communauté doit se défendre. Les siècles qui nous occupent n’en sont pas avares. Point n’est besoin de répéter ici l’omniprésence de la crise, des épidémies et des guerres qui secouent et transforment le royaume de France aux XIVe et XV e siècles. D’autres l’ont fait et mesuré et, par l’étude de sources éloquentes, ont restitué les soubresauts de l’économie et l’hémorragie des populations1. Point n’est besoin de redire encore une fois la désolation des paysages : les récoltes et l’exode vers les villes ne sont pas du ressort de la justice. Les lettres de rémission ne les évoquent guère ; au Parlement, les plaidoiries sont souvent silencieuses sur ce sujet et seuls les accords font état de désolations qui peuvent susciter un énervement parmi les hommes 2.

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Toutes les études relatives à la crise des XIVe et XV e siècles concourent à montrer que les hommes, tenaces, ont reconstruit et que rares sont les villages où les limites sont mortes d’avoir été trop longtemps oubliées. Ce que nous verrons des crimes spécifiques à la guerre confirme cette tenacité face à une conjoncture troublée que l’historiographie s’est peut-être plu à amplifier3. Mais qu’en est-il des bouleversements psychologiques, de cette peur si difficile à mesurer mais que les documents relatent à l’envi depuis le Haut Moyen Age ?

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Pour bien comprendre les effets de la crise, il ne faut pas oublier que la population qui la subit évolue dans un espace étroit et soigneusement codifié où les perturbations sont, par voie de conséquence, durement ressenties. L’impact des périls est d’autant plus fort que la vie aurait dû s’écouler selon un schéma ancestralement programmé. Qu’un étranger mette le pied dans un terroir aux limites reconnues et défendues n’a pas le même sens que s’il se mêle à une foule anonymement rassemblée. Pour comprendre l’impact des périls, il faut, certes, les saisir en nombre. Mais il importe aussi de cerner quand commence le viol du terroir, qui le commet, et comment réagit la communauté en cas d’agression.

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LA MORT : UNE FATALITÉ 4

La réaction des populations face aux effets de la crise n’est pas des plus faciles à mesurer. Ce peuple de gens ordinaires, pour l’essentiel des cultivateurs, a-t-il même la force de réagir ? Ces portraits vivants des personnages tordus et édentés de Jérome Bosch n’ont-ils pas, comme le pense R. Muchembled, assez de peine à survivre sans avoir celle de penser4 ?

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Pour évoquer les difficultés matérielles, les lettres de rémission ou les accords du Parlement, comme je l’ai déjà dit, ne nous aident guère5. Ces documents se contentent, souvent, de relater en toile de fond la peine d’une vie difficile dans un monde naturel hostile. Ici c’est l’eau qui a envahi le pré, les champs ou la rue jusqu’à empêcher le travail prévu ; là c’est le froid qui sévit jusqu’à causer la mort 6. Ailleurs, c’est l’épidémie qui frappe avec une banalité si fatale que le malade, résigné, s’incline pour rejoindre la masse anonyme de ses voisins ; aux héritiers de défendre ce qui leur reste, y compris les inimitiés et les procès7. En 1385, à Ardin, dans le bailliage de La Rochelle, Guillemette, femme de Guillaume Brotel, est morte victime du coup que lui a porté son mari. Pour se disculper, celui-ci a beau jeu d’évoquer la « bosse » qui sévit au même moment. La lettre affirme que, « apres aucuns jours, une bosse vint a ladicte femme au costé d’autre part ledit cop » et que, « en sa maladie elle touzjours dit qu’elle n’avoit peril de mort que de sa bosse, consideré la grande et excessive mortalité de la bosse et autrement » 8.

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Voilà néanmoins un premier signe de réaction devant l’épidémie qui éclaire d’un jour nouveau ce que l’on considère comme l’inertie d’un peuple écrasé par la misère physiologique. Cette mort, loin d’être isolée, est présentée comme collective. Elle s’en trouve banalisée et, perdant son parfum de scandale, elle devient par là-même rassurante. Si cette femme était morte du petit couteau à trancher le pain que lui a jeté son mari, voilà où serait le scandale. C’est peut-être d’ailleurs une vérité qu’il est bon de cacher ; mais le choix qui est fait de l’épidémie pour atténuer la mort n’est pas anodin. Elle réunit dans le grand voyage de l’au-delà le monde solidaire de la vie. Comme Guillemette, au même moment à Lezinnes dans le bailliage de Sens, cet homme, victime d’un coup, se défend d’en mourir. Il préfère invoquer la bosse — ce qui arrange bien le suppliant — et que son corps saisi par la maladie rejoigne dans l’anonymat celui de ses concitoyens. Les symptômes du mal sont, en ce sens, plus rassurants que ceux de la blessure individuelle, violente : « et tantost apres il accoucha malade le mercredi ensuivant et l’y vindrent deux bosses, l’une en l’aine et l’autre sur la poiterine ou environ et fu tellement malade que le vendredi apres ensuivant il ala de vie a trespassement, mais par avant qu’il mouru il dit (...) que du cop dont le avoit feru le dit hoquet ne s’en povoit mort ensuir et l’y pardonna tout le mal qu’il l’y avoit fait et tenoit mieulx mourir de epidemie de bosse dont mouroient communement plusieurs gens d’icelle ville et en estoient ja mors depuis un an ou environ bien de cent a deux cent personnes que du cop du dit hoquet »9.

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Ces scènes se répètent, identiques, dans une grande ville comme Reims 10. Là aussi la mort collective est susceptible d’atténuer les effets du trépas, quel que soit le désarroi du déracinement urbain dont J. Chiffoleau a par ailleurs analysé l’ampleur 11. Entre la mort individuelle sous le coup du criminel et la mort collective qui banalise et rassure, le choix est clair. Le mimétisme des comportements a certainement commandé ce choix. Ne pas sortir de la norme est une façon essentielle de vivre la solidarité jusque dans la mort. Mourir ensemble n’a pas le même sens que mourir seul.

518

8

La fatalité est alors en partie apprivoisée puisqu’elle frappe tout le monde. Que faire quand la peste vous surprend ? Les hommes éclairés se séparent, s’isolent, s’individualisent. Les exemples ne manquent pas qui, dès le XIV e siècle, s’opposent à l’attitude spontanément grégaire de la population ordinaire des lettres de rémission. Tout le monde n’a pas lu Avicenne ou n’a pas, comme Guillaume de Machaut, les moyens et la volonté de rester cloîtré en sa demeure ! En 1349, alors chanoine de Reims, le poète déclare « Dedens ma maison m’enfermay Et en ma pensee fermay Fermement que n’en partiroie Jusques a tant que je saroie A quel fin ce porroit venir12 »

9

Mais pour les autres, la grande vague de 1349 n’a pas laissé d’enseignements. La fermeté du poète contraste avec le désarroi de la veuve Bouret dont nous avons pourtant vu avec quelle âpreté, sur le marché où se trouve son étal, elle tentait de défendre sa survie13. Le boucher l’a frappée mais elle sait bien que la bosse dont elle souffre a une autre origine. La voici prête à se soumettre aux lois du destin et sa réaction consiste seulement à ne pas l’affronter seule. Elle doit répondre aux questions de l’entourage « a laquelle Bouret aucuns qui la estoient presens pour ce qu’il leur sembloit qu’elle avoit petite couleur et qu’elle estoit malade, lui demanderent quelle avoit, laquelle leur repondit que venant illenc en la dicte ville, de la ville de Hermenonville, la bete l’avoit prise ». Bientôt elle décide de partir « et apres se fist mener a Reims, en laquelle ville, quatre jours apres, ladicte Bouret, sa mere et un sien fils, en un hostel et tout un jour, de la bosse alerent de vie a trespassement comme faisoient plusieurs de ladicte ville ».

10

Sur le chemin où l’individu est isolé, fragile, la « bête », comme le loup sauvage, l’a prise : combat inégal et dérisoire qui livre l’homme au piège. Suit le désarroi. Quel autre recours que le refuge au sein de la communauté des parents, ici en ville, dans la maison ? On s’y fait mener. Et ce remède ne fait qu’amplifier le mal. Mais la consolation est incommensurable : on meurt dans la solidarité retrouvée. Une famille entière est rayée de la carte comme tant d’autres et la lettre livre ce résultat avec la sérénité d’un monde qui subit, en commun, les forces du mal. La révolte ne peut pas, ne peut plus gronder.

11

N’exagérons cependant ni les effets de la fatalité ni ceux de la consolation que peut apporter la mort « commune ». Est-ce l’effet du temps comme sembleraient le suggérer de nombreuses études urbaines14 ? Un siècle plus tard on s’organise, on lutte, on se défend, même dans de petits villages. En 1483, une noce organisée à Cuvilly dans le bailliage de Senlis se termine en rixe parce que des jeunes gens arrivent de Ressons, village voisin de quelques kilomètres où sévit la peste. Ils sont exclus par peur de la contamination : « L’en fist une nopces en la ville de Cuvellies ausquelles apres disner survindrent plusieurs jeunes gens, tant hommes que femmes, des lieux circumvoisins, et entre autres y arriverent aucuns compaignons de la ville de Ressons, et pour ce qu’il y avoit audit Ressons grant mortalité et pestilence tellement que plusieurs d’eulx estoient mors, les autres invadez, les autres absentez, pourquoy les habitans dudit Cuvellies creignoient qu’il ne leur vint incontinent a cause de la comunicacion, aucuns d’eulx remonstrerent ausditz de Ressons qu’ilz se retirassent arriere icelle feste, mais lesditz de Ressons prenant mal en gré lesdites remonstrances dirent arrogament qu’ilz

519

danceroient a leur plaisir et qui auroit paour se s’en alast, par quoy se meut grant debat entre eulx »15. 12

Le « cordon sanitaire » est inventé qui épaissit les frontières du terroir et protège une population inquiète, la peur au ventre. Ce cordon fonctionne, mais parfois mal comme on le voit dans cet exemple ; autant que de considérations médicales, il peut se nourrir de rivalités auxquelles il sert d’argument, mais il fonctionne. La communauté en est le garant. Car il ne s’agit pas encore d’une attitude individuelle. La lutte contre le destin est, comme l’était sa soumission, aux mains de la communauté.

13

Quant à la consolation que peut apporter la mort « commune », elle ne réussit pas, à elle seule, à effacer le bouleversement que provoque l’épidémie. D’autres éléments de la spiritualité religieuse entrent en jeu. Remarquons en premier lieu que l’hésitation relative aux causes de la mort est un facteur de trouble. Dans une société où il importe encore, au premier chef, de trouver le coupable, un doute quant aux responsabilités n’est pas facile à admettre. Au Parlement, on se bat par avocats interposés pour savoir si le coup criminel a été mortel, surtout en cas d’empoisonnement, quand les signes cliniques du crime peuvent se confondre avec ceux d’une éventuelle maladie 16. S’il y a eu violence avant la mort par épidémie, le coupable doit être puni. Le crime l’emporte sur la mort « naturelle ». Sinon il y a discussion, et au moins arbitrage 17. Néanmoins, la lettre de rémission présente la mort par épidémie comme une circonstance atténuante pour le criminel dont l’acte se trouve impliqué dans un processus qui le dépasse. Une étude attentive montre comment la maladie qui s’abat sur la victime finit par sauver le coupable. Dans ces cas particuliers, il existe un laps de temps entre la blessure et la mort, sinon la mort serait obligatoirement attribuée au coup du crime. Ce délai pendant lequel les symptômes de la maladie, indépendante du crime, se développent sert à ce que la victime se prépare à la mort. Celle-ci reçoit l’extrême-onction, pardonne au coupable, et peut même proclamer publiquement que celui-ci n’est pas responsable de la mort qui approche18. Cette attitude renverse totalement l’hypothèque du crime que fustigent les prédicateurs quand, comme Jean Gerson, ils décrivent les effets pervers de la mort subite19. Le criminel bénéficie de cet approfondissement du sentiment religieux qui oblige la victime, malade, à se préparer au voyage de l’au-delà et, en même temps, à pardonner. L’évolution des exigences religieuses chez les populations les plus ordinaires atténue les automatismes des lois du crime. Encore une fois, la paix et le pardon sont étroitement imbriqués20. Les parents du mort peuvent refuser cette solution pour dénoncer le criminel comme coupable ou pour contester la rémission 21. C’est une affaire de choix et de rivalités entre les parentés plus que d’impossiblité à concevoir des exigences religieuses. Les règles du salut sont suffisamment implantées pour qu’il devienne un enjeu dans la poursuite d’éventuelles représailles.

14

L’épidémie se plaît à brouiller les pistes, mais, face à la fatalité, les forces s’organisent. Que ce soit dans la mort subie des premiers temps ou dans celle que refuse la peur, les solidarités jouent pleinement leur rôle, rassurantes. Elles montrent le chemin de la fatalité ou discutent avec elle, contre elle. Au plan individuel ou parental, cette fatalité peut aussi être en partie jugulée par la réflexion que les hommes ont entreprise sur leur salut. Dans tous les cas, ces attitudes contribuent à apprivoiser la mort. Mais qu’en estil des forces destructrices dont l’homme lui-même est responsable, qu’en est-il de la guerre ? Est-elle perçue, elle aussi, comme une fatalité ?

520

LES HOMMES DE GUERRE : DES CRIMINELS DIFFÉRENTS 15

La guerre, parmi les éléments qui perturbent l’espace et concourent à la crise, occupe une place privilégiée. Les épidémies, la faim, le poids des intempéries peuvent gauchir la criminalité ordinaire ; la guerre la bouleverse. Ce que nous avons vu de la pauvreté des suppliants a déjà introduit cette idée. Quant à l’image des crimes horribles, elle est constamment accolée à celle des hommes de guerre, dans un stéréotype manipulé par les prédicateurs et qui trouve son prolongement dans une opinion sensibilisée 22. Essayons de saisir en quoi la guerre avive effectivement le crime et secrète la violence.

16

Précisons que les crimes où sont impliqués des hommes d’armes, les opposent, en majorité, à des populations civiles. Ils ne s’agit pas ou peu de conflits internes à la profession. Le crime naît bien de la confrontation de l’homme d’armes avec le public et l’issue range ces populations civiles, dans près du double des cas, du côté des victimes. Il semble donc y avoir matière à alimenter la crainte. Pourtant, le nombre de ces conflits se révèle, au premier abord, faible. Les hommes d’armes ne constituent que 2,4 % des suppliants sur les 57 % qui avouent une profession, et ils n’atteignent pas tout à fait 1 % des victimes sur les 20 % dont on connaît la profession. Comment expliquer qu’un si petit nombre d’hommes ait eu un tel impact ? Tableau 29 : Crime et profession. Le premier antécédent

Types de délits

Code Laboureurs (en %) Gens de métier (en %) Gens d’armes (en %)

Pas d’antécédent

0

26,0

21,0

16,5

Homicide

1

14,5

11,0

16,5

Crime contre les biens

2

17,0

21,0

39,0

Affaire conjugale

3

4,5

10,0

0,0

Viol

4

1,0

4,0

0,0

Crime de paroles

5

1,0

1,0

0,0

Crime politique

6

2,0

2,0

0,0

Crime lié à la guerre

7

2,0

1,0

6,0

Crime professionnel

8

10,5

6,5

0,0

Injure

9

18,5

19,0

22,0

Autres

10

3,0

3,5

0,0

100

100

100

521

Le crime

Types de délits

Code Laboureurs (en %) Gens de métier (en %) Gens d’armes (en %)

Homicide

1

57,0

57,0

61,0

Crime contre les biens

2

21,0

22,0

16,5

Affaire conjugale

3

1,0

2,0

0,0

Viol

4

4,0

1,0

0,0

Crime de paroles

5

7,5

4,5

0,0

Crime politique

6

7,5

1,5

11,5

Crime lié à la guerre

7

1,0

1,5

0,0

Crime professionnel

8

0,0

3,0

0,0

Injure

9

0,0

0,0

0,0

Autres

10

1,0

7,5

11,0

100

100

100

Quels crimes commettent les principales professions ? Le premier antécédent du crime est distingué du crime proprement dit. En ce qui concerne le premier antécédent, l’homicide n’est pas prépondérant. Chez les gens d’armes, il est nettement devancé par les crimes contre les biens qui incluent le pillage. Cette situation s’inverse avec le crime proprement dit. Les gens d’armes présentent un profil criminel légèrement différent qui prouve leur manque d’insertion sociale dans le lieu du crime (absence d’affaires conjugales par exemple). Remarquons qu’ils n’obtiennent pas de rémission pour viol. Le viol est mêlé à plusieurs crimes d’où l’importance de la mention « autres » qui les rassemble. La criminalité des gens d’armes est différente.

522

Le premier antécédent

Laboureurs

Gens de métier

523

Gens d’armes Le crime

Laboureurs

524

Gens de métier

Gens d’armes 17

Les contemporains eux-mêmes sont sensibles à la différence qui permet de distinguer l’homme de guerre du simple villageois. Son originalité se saisit au premier coup d’oeil, dans son habit, son comportement, son langage. D’emblée ces « deux hommes de

525

guerre estans a cheval avec chiens, furetz, espees et autres habillemens » sont repérés23. Il est vrai que nous sommes au milieu du XVe siècle, dans une armée de professionnels. Mais cette originalité va jusqu’à faire reconnaître l’homme d’armes quand il n’est plus en service. La vie d’homme de guerre colle encore à la peau de Person Colet devenu boucher, marié et père de famille qui justifie viols, rixes et tentatives de meurtre par ses anciennes habitudes militaires : il avait fait le « voiage d’Allemagne », c’est-à-dire l’expédition entreprise pour se débarrasser des écorcheurs, si bien « que en suivant lesdites guerres des sa jeunesse, il avoit prins des coutumes des gens de guerre en langaige et autrement, lesquelles il n’avoit pas encore delaissees et oubliees ainsi qu’il a entencion de faire »24. 18

Une violence viscérale se cache encore derrière l’habit. Il est vrai que ces hommes d’armes sont parfois d’anciens hors-la-loi ou en passe de l’être à la suite d’un crime 25. Les chiffres ne démentent qu’en partie ce que la peur ou la simple vue des différences fait soupçonner. Considérons les suppliants qui avouent une profession. Sur les 18 % d’hommes d’armes dont on dévoile le passé, 12 % n’en sont pas à leur premier crime, soit les deux tiers. La répartition est plus faible chez les laboureurs et chez les gens de métier puisque leurs groupes respectifs avouent la moitié de récidivistes ; la proportion des officiers récidivistes atteint un peu moins de 40 % ; quant aux clercs, ils l’emportent sur toutes les catégories professionnelles puisque tous ceux qui précisent leur passé judiciaire, soit 17 % d’entre eux, sont des récidivistes. La proportion des récidivistes parmi les hommes d’armes n’est donc pas exceptionnelle. Certes, le poids de ceux qui taisent leur profession doit inciter à la prudence. Mais leur nombre ne varie guère d’une catégorie professionnelle à l’autre et rien ne permet de supposer que l’une d’elles plus qu’une autre ait eu intérêt ou facilité à se taire26. Au total, les hommes d’armes n’ont pas un passé beaucoup plus lourd que celui des autres catégories professionnelles.

19

Les hommes d’armes ne semblent pas avoir plus que les autres catégories, une imagination fertile dans la pratique des crimes. Parmi ceux qui avouent avoir commis plusieurs sortes de crimes, 9 % sont des hommes d’armes mais 27 % sont des laboureurs. Les hommes d’armes ne s’entêtent pas plus dans le crime que les gens de métiers ou les clercs. Quant aux blessures qu’ils provoquent, elles ne sont pas plus violentes que celles des laboureurs. Seule l’arme du crime diffère : on pouvait s’y attendre. Environ 22 % des hommes d’armes coupables et 17 % des hommes d’armes victimes utilisent l’épée et ils sont soutenus dans cette pratique par leurs complices 27. A la différence des laboureurs et des gens de métiers, ces hommes d’armes répugnent à sortir le petit couteau à trancher le pain : près de 1 % d’entre eux seulement le manient, ce qui est négligeable. Faute d’armes, ils préfèrent recourir à un instrument de fortune (4 % des cas) ou à l’extrême rigueur à la force physique (3 %). N’imaginons pas cependant que le crime oppose systématiquement le couteau du laboureur fouillant les jointures de la plate à l’épée aristocratique de l’homme d’armes. Jacques Bonhomme n’hésite pas à manier le badelaire ou la dague. L’épée est en fait employée dans 44 % des crimes ; les laboureurs et les hommes d’armes se partagent son maniement (9 % chacun) tandis que les gens de métiers en ont une bonne habitude (16 % des cas). L’emploi d’une arme réputée militaire n’est donc pas révélateur d’une violence spécifique. S’il existe une violence latente des hommes d’armes, il ne faut pas la chercher à l’aigu de leur lame.

20

Reste néanmoins une remarque de taille qui conforterait le caractère violent de cette catégorie professionnelle : sur l’ensemble de la période envisagée, elle reste sur-

526

représentée dans le crime puisque l’ensemble des gens de guerre est loin de constituer 2,4 % de la population du royaume. Il existe même, selon les années, des pointes de criminalité qui accentuent le phénomène. Alors que les hommes d’armes ne constituent, d’après les calculs de Ph. Contamine, que 0,6 à 1,2 % de la population masculine active à la fin du XVe siècle, ils forment à cette même date entre 7 et 16 % des catégories professionnelles représentées28. Cette proportion est aussi très forte sous le règne de Charles V : pour les années 1370-1372, le nombre des gens d’armes criminels dépasse celui des laboureurs et des gens de métiers29. On pouvait s’attendre à de telles conclusions puisqu’il s’agit de temps forts de la guerre. Remarquons que la différence entre les modes de recrutement des hommes d’armes ne change rien à leur comportement criminel et qu’il existe, de ce point de vue, une parfaite continuité entre l’armée contractuelle de Charles V et l’armée permanente sous Charles VII et sous Louis XI. 21

Malgré ces nuances importantes, il ne faut pas se laisser abuser par les chiffres. Mieux placée que d’autres pour obtenir une rémission, la population des gens d’armes est facilement présente dans les lettres de grâce. N’oublions pas que ces hommes ont des apppuis et que le roi peut trouver dans la rémission un moyen de les garder à son service. J’ai déjà donné des exemples de cette oreille attentive que le roi prête à ses serviteurs et il faudra y revenir30. Ils sont nombreux ceux qui, tel ce suppliant, un « pauvre homme » cependant, sont graciés. En 1372, il obtient rémission « en consideration aux bons et loyaux services que icelui Jacquemard nous a fait a l’occasion des guerres entre nous et notre adversaire d’Angleterre et en esperance de ses services futurs en nosdites guerres »31. En réalité, si la vision que la population a des hommes d’armes est peu élogieuse, il n’est pas sûr qu’elle soit entièrement justifiée. Les hommes d’armes sont loin d’avoir le monopole de la violence et du crime. Alors, pourquoi cette image de criminels extraordinaires ?

22

D’autres gens : sans nul doute les hommes d’armes sont différents. Nous avons vu que leur aspect physique les faisait reconnaître au premier coup d’oeil. Leur origine sociale, leur âge, leur comportement en groupe, leur appartenance à des pays inconnus les distinguent, au moins autant, du peuple qu’ils côtoient.

23

Les chiffres sont éloquents. Sur 90 % des gens d’armes qui donnent des indications d’ordre social, 11 % se disent nobles, 6 % le sont très probablement et les autres, soit 73 %, se disent écuyers. Il n’est guère possible de pousser plus avant l’analyse en ce qui concerne la condition sociale des écuyers. Cette mention est le plus souvent suffisante pour définir l’identité et sans doute pour obtenir la rémission. Environ 6 % de ces écuyers précisent néanmoins qu’ils détiennent une seigneurie sans pour autant dire qu’ils sont nobles. A l’inverse, parmi les seigneurs qui se targuent de ce titre à l’exclusion de toute autre précision, aucun ne dit qu’il s’occupe au métier des armes. C’est dire que le recrutement des hommes de guerre est loin de se limiter aux possesseurs de fiefs. Quant aux chevaliers, non seulement leur participation aux crimes est rare, mais elle n’est pas liée obligatoirement à une activité militaire 32. Encore faut-il nuancer ces constatations selon la chronologie. Au début du règne de Charles V, 80 % des chevaliers accusés d’un crime disent qu’ils exercent le métier des armes, soit un peu moins que les écuyers qui sont 89 %33. Le plus typé de ces chevaliers se révèle être Girard de Thiauges, sire de Giry ; accusé de complicité avec une bande de pillards, il met dans la balance tout le poids de ses origines sociales 34.

527

24

En revanche, dans la seconde moitié du XVe siècle, les chevaliers en tant qu’hommes de guerre disparaissent de la criminalité. Même la présence des écuyers n’est plus systématiquement liée à une activité militaire. En 1451-1453, 52 % des écuyers mentionnés comme coupables ne précisent rien d’autre que leur titre. Aucun ne se dit pauvre et pour 39 % d’entre eux, il est possible de déceler des signes extérieurs de propriété. Il suffit donc de se déclarer écuyer pour définir son identité, et ce qualificatif, s’il ne désigne pas explicitement la noblesse, fait du moins référence à un contenu social reconnu par tous35.

25

Pour l’ensemble de la période envisagée, s’il est loin d’être toujours noble, l’homme d’armes appartient bien à un autre monde social que celui où il commet le crime. Il se doit même de se différencier. Ce sentiment est si profond que la création des francsarchers en 1448 n’inspire souvent que mépris de la part des populations. Un dénommé Pierre Morel s’en prend ainsi à Guiot Duhamel, un franc-archer de Courtonne dans le bailliage d’Évreux : « Ou vas-tu villain, va-t-en hors de ceans, tu n’es qu’ung villain. N’es-tu pas franc-archer ? Ce n’est que l’office d’ung villain. Je l’eusse bien esté si j’eusse voulu mais j’aimerais mieux avoir perdu quarante escuz de l’escot » 36. Il y a là dépit de ne pas partager les avantages, en particulier fiscaux, dont peut bénéficier le franc-archer, mais l’injure au vilain montre bien qu’il s’agit d’une condition militaire en porte-à-faux. La guerre est une affaire de professionnels, sinon de nobles.

26

La jeunesse des hommes d’armes suscite aussi la différence et alimente la méfiance dont ils sont l’objet. Les 28 % d’entre les hommes de guerre qui sont capables de chiffrer leur âge ont tous moins de 40 ans. Parmi eux se recrutent ceux que les lettres appellent « jeunes enfans »37. Le manque de femmes stimule la pugnacité de cette jeunesse ; sur son passage on gare les filles. Ce suppliant défend la sienne au péril de sa vie face à un homme de compagnie venu à cheval et « garni d’epee » pour la lui enlever. La promesse d’une rançon ne remplace pas la joie de posséder la pucelle. Heureusement pour la morale, la fille est assez leste pour s’enfuir dans le bois voisin et le père assez fort pour manier le bâton « tellement que mort s’en est ensuivi en place » 38. Toutes les jeunes filles n’ont pas eu cette chance et bon nombre d’entre elles ont dû suivre, déshonorées, le périple des armées. Il nous faudra revenir sur l’effet psychologique de ces menaces qui atteignent l’intégrité de la communauté et de la famille que les rituels s’efforcent, avec tant de soin, de préserver.

27

A cette communauté s’oppose celle, soudée par un autre ordre, des hommes de guerre. Les contemporains ont parfaitement conscience qu’il ne s’agit pas seulement d’individus mais de compagnons qui obéissent à leurs propres lois. Ce monde à part est d’autant plus fort qu’il agit en groupe. Environ 40 % seulement des hommes d’armes coupables d’un crime agissent seuls, contre 50 % des laboureurs ou des clercs. Lorsqu’au milieu du XVe siècle, dans le bailliage de Vermandois, le bailli épiscopal de Vailly-surAisne, Adam Ficfue, tue un homme de guerre parce qu’il ne peut l’arrêter, toute une cohorte de compagnons se déplace pour venger la victime : « vindrent grant quantité de gens de guerre, lesquelz soubz umbre de vouloir estre a l’enterrement dudit Bidault, et eux estans armez et garniz de basions et armeures, se vanterent de prendre de force ledit bailly pour le tuer »39. Il s’agit moins de critiquer le port d’armes prohibé que de dénoncer le nombre des belligérants et surtout leur arrogance. Pis, ces crimes sont commis par des gens venus d’ailleurs. Dans le cas cité précédemment, le père commence à se méfier car il ne sait pas d’où vient celui qui lui demande sa fille :

528

« Plusieurs gens d’armes et autres dehors du pays se feussent venus logier a SaintAmant-en-Puisoye et au pais d’environ, et y demouroient trois jours ou plus » 40. 28

Les périples que suppose la guerre et que reflètent les kilomètres parcourus avant le crime vont à l’encontre de ces déplacements à petits pas qui caractérisent la population ordinaire. Environ 28 % des hommes d’armes ont effectué plus de 30 kilomètres avant le crime contre 2 % des laboureurs. Les gens de métiers que leur profession peut conduire loin de la demeure jusqu’à la foire ont, à côté d’eux, des habitudes feutrées (tableau 30). Le professionnel de la guerre est bien, par ses habitudes et par son origine, un inconnu dans l’endroit où se noue le crime. Et la chaleur de la taverne n’estompe pas ces différences. Les compagnons d’armes qui y boivent s’y reconnaissent entre eux. En 1453, Jean Noël, homme de guerre, rencontre dans une taverne « un compaignon nommé Bertran Rembot qu’il lui sembla avoir esté ce temps passez homme de guerre comme luy »41. Aussitôt se noue ou se renoue une amitié mal acceptée par les autres compagnons qui partageaient pourtant la même table. La cohésion et la différence de ces hommes d’armes suffisent à inspirer la crainte. Tableau 30 : Distances parcourues avant le crime (par profession)

Distances

Laboureurs (en %) Gens de métier (en %) Gens d’armes (en %)

Inconnue

4,0

6,0

5,5

Même domicile

4,0

11,0

5,5

Même lieu

41,5

47,0

22,0

1 à 5 km

22,0

7,0

5,5

5 à 15 km

10,0

6,0

5,5

15 à 30 km

7,5

4,0

5,5

> 30 km

2,0

9,5

28,0

Indéterminée

9,0

9,5

22,5

100

100

100

Les déplacements des laboureurs et des gens de métier présentent des profils identiques tandis que ceux des gens d’armes tranchent par leur longueur. 29

Le type de crimes que commettent ces hommes d’armes contribue encore à les faire rejeter des populations civiles. Si, avant d’en venir à cette extrémité, ils ne s’empoignent pas plus que les autres catégories professionnelles, ils ont cependant le verbe un peu plus haut que les autres (tableau 29). Ce que les populations locales supportent difficilement, d’autant plus qu’il s’agit d’inconnus. Celui-ci lance des paroles arrogantes avant de défoncer un tonneau de cidre et, suprême degré de violence pour le chevalier qu’il est, il finit par tuer le cheval du paysan qui l’héberge ; un autre, un siècle plus tard, est accusé de vouloir « faire le maître » pour avoir exigé vivres et vêtements sous peine de pillage et de « bateure »42. Quant aux pillages, ils constituent,

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après l’homicide, le crime le plus répandu chez les gens d’armes. La guerre montre ici son effet destructeur, têtes de bétail perdues, greniers dévastés, privant le paysan de sa récolte et compromettant celle à venir. L’écho de ces razzias a le son tragique de la répétition. Henri Taboret, capitaine du fort de Soisy-sur-Seine, sous Charles V, avoue qu’il « avoit pris en plusieurs villes et places et de plusieurs personnes, vivres et autres biens menés et conduits audit fort et ailleurs a son profit, rançonné vaches et en pris la rancon jusques a huit francs et un buef, batu pieça un homme en la dite ville de Soisy estant en nostre sauvegarde, efforcé ja pieça une femme si comme il disoit » 43. 30

Partout où vont les hommes d’armes, leur réputation suit, stéréotypée. Dans le cas du viol commis à Saint-Amand, la lettre de rémission énumère les crimes qu’ils ont pu commettre : « esquels lieux ils rançonnoient gens, desroboient bestes, ravissoient femmes et faisoient plusieurs autres maulx »44. En 1448, la même litanie sert à décrire les crimes que les gens de guerre conduits par Robert de Flocques ont pu commettre dans le royaume : « meurtres, sacrileges, forcemens de femmes, boutemens de feux, pilleries, raenconnemens et autres plusieurs maulx qu’il ne sauroit nombrer ne speciffier, ainsi que faisoient et ont par long temps fait noz autres gens de guerre tenans les champs en nostre royaume »45. On retrouve là les crimes qui hantent la grande criminalité46. Les documents judiciaires se font l’écho des litanies que fixent les chroniques, les journaux et la littérature de propagande. Ne croyons pas cependant à leur entière réalité et laissons parler les chiffres. Ainsi les pillages ont pu être nombreux mais ils ne le sont pas autant que les vols et ils ne sont pas exclusivement l’apanage des gens d’armes. Dans 58 % des cas la profession des pillards n’est pas précisée. Sur le reste, les hommes d’armes partagent la responsabilité à égalité avec les gens de métiers, soit 17 % pour chaque catégorie, tandis que 8 % sont sans profession. Il est possible que les moeurs des hommes de guerre aient fait école et qu’ils aient ainsi contribué à marginaliser des civils jusqu’à les faire glisser dans le monde des professionnels du crime. Nous y reviendrons. Toujours est-il qu’ils partagent largement certains types de crimes qui leur sont attribués, pillages ou viols, avec la population civile.

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Même le lieu du crime manque d’originalité. Contrairement aux idées reçues, il est rare que les hommes d’armes choisissent la pénombre des bois. Ils ne tuent pas à l’écart. Ils ne tuent pas non plus au sein de la maison. Comme les autres criminels, ils préfèrent la clarté de la rue, l’horizon policé de la nature cultivée, la promiscuité de la taverne (tableau 31). Tel est d’ailleurs leur tort : occuper les lieux de la sociabilité traditionnelle, ces lieux auxquels ils n’ont aucun droit et dont ils ne respectent pas les lois. La peur qu’ils inspirent n’en est que plus forte. Dès le milieu du XIV e siècle, dans la ville qui résonne des pas des gens d’armes, les nerfs sont à vif « pour ce que l’on avoit trouvé un homme qui, de nuit, avoit esté occiz et tué et ne savoit l’en dequels gens » 47.

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La nuit, dont le droit pénal a fait une circonstance aggravante, vient encore accroître l’horreur d’une infraction qui ne respecte pas les règles de sociabilité. Peu importe la nature du crime : les réseaux de solidarité qui portent la nouvelle sur la place publique sont faussés. Le criminel n’appartient pas au pays de connaissance. Tableau 31 : La guerre et le crime. a) Endroit du crime et gens d’armes

Endroit du crime Gens d’armes (en %)

530

Inconnu

22,0

Maison

17,0

Taverne

5,5

Autres lieux clos

0,0

Rue

33,0

Nature cultivée

17,0

Nature sauvage

0,0

Terrain de jeux

5,5

Autres lieux

0,0 100

La rue est l’endroit préféré pour commettre le crime, ce qui ne différencie pas les gens d’armes des autres catégories criminelles. b) Distance parcourue et guerre

Distance parcourue Guerre (en %) Inconnue

0,0

Même domicile

0,0

Même lieu

4,0

1 à 5 km

4,0

5 à 15 km

12,0

15 à 30 km

4,0

> 30 km

52,0

Indéterminée

24,0 100

La distance est exprimée en fonction de la guerre, telle qu’elle est invoquée comme motif de déplacement avant le crime. Les déplacements longs (plus de 30 kilomètres) confirment la perturbation que produit alors la guerre. 33

Ces considérations permettent de mieux comprendre que le vocabulaire des crimes liés à la guerre est codé. La réalité des actes criminels qui ont été commis, n’a, en ellemême, qu’une importance secondaire. Les crimes s’enveloppent dans une énumération

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rituelle qui reprend presque systématiquement celle des crimes dits irrémissibles tels que les définissent les ordonnances de réforme, et en particulier celle du 3 mars 1357 : pillages, rançons, « boutements » de feux, « efforcements » de femmes 48. Cette énumération a au moins deux significations. La première consiste à affirmer, encore une fois et de façon synthétique, la différence entre le civil et le militaire, entre la paix et la guerre, et nous retrouvons là cette longue tradition qui nous a fait remonter jusqu’à la paix de Dieu49. La seconde tient à la spécificité de la grâce. Evoquer de tels crimes, en ces termes et en telle quantité, est une façon pour les hommes de guerre d’être sûrs que la rémission est pleinement efficace. Elle vise au plus large des crimes généraux dans lesquels peuvent se fondre les crimes particuliers. 34

Au total, le stéréotype qui classe les crimes des hommes d’armes se nourrit de la crainte d’une guerre stérilisante autant que de la méfiance vis-à-vis d’une catégorie socioprofessionnelle bien typée. Ce sentiment de différence vient moins de l’huis que brisent les hommes d’armes que de l’espace qu’ils violent et qu’ils foulent de leurs pas d’étrangers.

DE L’ÉTRANGER À L’ENNEMI 35

La réticence des populations vis-à-vis des hommes d’armes est-elle pour autant identique à celle que suscite l’étranger ? N’y a-t-il pas, au fur et à mesure que se déroule la guerre, une prise de conscience différenciée, la naissance d’une palette de nuances où se distinguent, parmi les gens venus d’ailleurs, le civil et le militaire, le bon et le mauvais, l’adversaire et l’ennemi ? Pour mieux cerner ce passage d’une catégorie à l’autre, il importe de s’interroger d’abord sur l’image de l’étranger.

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L’évocation de l’étranger est ambiguë. Selon ses besoins, la royauté flatte ou fustige. Que penser des conseils donnés par ces miroirs aux princes anonymes qui conseillent aussi de ne pas donner aux « estranges l’onneur que tu as car tu fus fait a l’ymage de Dieu, si ne dois-tu pas donner ta dignité a ton adversaire, c’est au deable a qui tu es donné »50. Sans se référer aux privilèges qui peuvent être accordés ou supprimés aux étrangers du royaume par lettres royales et qui ne concernent pas directement notre étude, on peut évoquer la teneur contradictoire des archives judiciaires. En 1401-1402, les frères Andraulx ont l’autorisation de s’accorder avec une femme de Toucy qu’ils avaient injuriée et dont le cheptel avait subi de graves dommages, sous prétexte que les suppliants « sont de lointaing pays et estrange »51. En revanche, en 1412, lors de l’arrêt qui condamne le duc de Lorraine, les étrangers qui alimentent ses troupes sont ravalés au rang de bannis ou de pillards sans avoir droit au titre d’hommes d’armes 52. Pris dans les rivalités de la guerre civile, les étrangers ont d’ailleurs l’inconvénient de pouvoir passer pour des espions, sans compter que leurs interventions économiques peuvent servir la partie adverse53. L’accusation est prompte à venir et elle suit étroitement la conjoncture.

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Malgré les grandes déclarations politiques ou les coups d’éclat, la place des étrangers dans les archives criminelles reste limitée. Ceux-ci constituent moins d’1 % des suppliants concernés par une lettre de rémission. On pouvait s’y attendre pour plusieurs raisons qui tiennent au faible nombre d’étrangers dans le royaume comme à leur mobilité qui les fait échapper plus facilement que d’autres à la vengeance de la famille de la victime et de la justice. Rien ne dit cependant que le roi n’ait pas cherché à étendre sur eux les effets de sa grâce comme il l’a fait, au même moment, pour les

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lettres de marque54. Il s’avère en tout cas que les étrangers criminels soucieux de s’installer dans le royaume ont intérêt à demander une lettre de rémission. Comment la refuser à cet étranger dont on ne précise pas le pays d’origine, qui est pourtant récidiviste, mais qui craint le bannissement pour un nouveau meurtre puisqu’il « aime repairer dans nostre royaume »55 ? 38

La faible propension au crime, sans doute en raison de leur faible nombre, de ceux qui sont « nés d’estranges pais » est confirmée par le nombre des victimes. Elles ne sont pas plus nombreuses que les coupables. C’est dire que la phobie de l’étranger ne conduit pas facilement au meurtre et que la présence de l’autre dans ce que nous avons appelé le pays de connaissance n’est pas un facteur essentiel de trouble. Au contraire, les groupements de la communauté peuvent jouer dans le sens d’une intégration. Lorsqu’en 1385, Pierrot Lestorchie s’oppose à Guiot Le Charron « homme d’estrange païs », ils sont tous deux à la fête de Saint-Eloi dont nous avons vu qu’elle rassemble les laboureurs du pays de Brie56. Cette convivialité n’est pas encore suffisante pour intégrer Guiot. On lui reproche de ne pas s’être mêlé au groupe des jeunes qui sont chargés de quérir le vin du « couillage » d’un nouveau marié du pays : « Par Dieu tu feuz devant hier mauvais ribaud de ce que tu ne venis pas aidier a boire le vin du couillage du filz Petit Pas qui fu de nouvel mariez » !

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Guiot n’a pas respecté la coutume et s’est ainsi mis en marge du groupe solidaire de sa classe d’âge. Il est désormais exclu de ce groupe : « Guiot se tu veuz boire, si fais sachier du vin d’ailleurs que avec nous ne buvras tu pas ». De sa qualité d’étranger, il n’est pas question dans cette mise à l’écart qui se termine d’ailleurs en rixe au cours de laquelle Guiot est tué. Tout se passe comme si la communauté d’âge créait des liens encore plus forts que la communauté d’origine territoriale. Resterait cependant à savoir pourquoi le dit Guiot ne s’est pas mêlé aux autres compagnons du pays. Est-ce parce que la coutume du « couillage », vivace en Brie, lui était en fait inconnue ou indifférente ? L’étranger ne participe pas, ou mal, à l’ensemble des rites.

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Mais ces moyens sont loin de toujours exister et l’image de l’étranger, telle qu’elle apparaît dans les lettres, est finalement peu flatteuse. Le terme désigne aussi bien celui qui n’appartient pas au « païs », au monde connu, que celui qui est né hors du royaume. C’est dire que l’ambiguïté qui existait dans la dénomination de l’aubain à l’époque féodale n’est pas encore totalement levée57. Le Breton qui passe est qualifié d’étranger de la même façon que le natif de Chypre. Typé, il manifeste « orgueil et outrecuidance » et par sa vivacité au combat il s’avère différent des autres, à plus forte raison quand il est « breton bretonnant »58. La difficulté à cerner l’identité du coupable ne facilite d’ailleurs pas toujours l’analyse que peut mener l’administration. En 1407-1408, un procès occupe longuement le Parlement criminel59. Olivier dit le Breton, qui a travaillé pour le duc d’Orléans à Pierrefonds, prétend être né à Chanzeaux en Anjou et de là avoir migré vers Château-Thierry avant de s’installer à La Ferté-Milon. Quel est le véritable nom de cet Olivier ? S’appelle-t-il seulement Le Breton, et dans ce cas il s’agirait d’un redoutable chef de bande qui a commandé de « faire plusieurs murtres et bien XL efforcemens de femmes », ou bien s’appelle-t-il, comme il le prétend, Odefroy, avec comme surnom le Breton ? L’enquête est difficile et quand le Parlement décide en août 1408 qu’il s’appelle bien « Odofredus », on peut se demander s’il ne s’agit pas de désamorcer un procès dont le véritable enjeu est de diffamer les entreprises du duc d’Orléans qui aurait employé un grand criminel, breton de surcroît. L’étranger et le

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danger qu’il colporte ne viennent pas toujours des pays situés au-delà des frontières du royaume. 41

Cette perception ne marque pas une imprécision de l’esprit car, à la différence de ce qui existe encore au XIIIe siècle dans d’autres documents, la lettre de rémission mentionne en général, du moins pour les coupables, l’endroit d’où vient l’étranger et la cause du long voyage qu’il a entrepris et au cours duquel il a commis le crime : voyage d’affaires qui conduit le marchand ou le travailleur saisonnier loin de son domicile, pèlerinage, ou, dans la majeure partie des cas, la guerre. Ces localisations sont rassurantes même si elles renvoient dans la masse indifférenciée du pays situé hors des frontières, qu’il s’agisse « du pais d’Empire hors de notre royaume », de Barcelone « au païs d’Aragon » ou encore d’un « Hollandoys dudit pais de Hollande »60. Ces précisions concernent normalement le coupable. Il en va différemment de la victime. L’absence de précision est un moyen commode de la charger et on peut penser que le coupable n’a fait nul effort pour tenter de mieux connaître les origines géographiques de l’étranger qu’il a occis. Plus qu’une méconnaissance de la précision des lieux, il peut s’agir d’une réelle mauvaise volonté. Il apparaît qu’elle est efficace et que, comme telle, elle contribue à construire en profondeur une image péjorative de l’autre. En effet, à partir du moment où le domicile et le lieu de naissance de la victime ne peuvent être précisés, commence le doute sur l’intégrité de sa personne. Il n’y a pas loin de l’étranger au vagabond comme le suggèrent en 1416 ces crimes commis dans le bailliage de Mâcon où le coupable se heurte, pour sa décharge, à « un homme vacabonde et d’estrange païs », ou encore à des « estrangers dont on ne scet le nom ne le lieu dont ils sont » 61. Enfin, un suppliant du bailliage de Caux justifie par des termes identiques son crime contre un « homme non congneu au pais et qu’il ne savoit dont il estoit » 62.

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Cette méfiance latente est particulièrement vive en pays frontaliers comme à Tournai, ville réputée violente, comme nous l’avons vu, non seulement à cause de la présence des bannis mais aussi des étrangers de passage 63. Il y a là des fauteurs de troubles rêvés. La suspicion peut donc s’exaspérer jusqu’à s’exprimer dans le crime et faire de l’étranger le bouc émissaire de la violence. Au gré de l’imagination, il devient alors violeur incorrigible, homosexuel ou juif. Colart Le Lombard, natif du pays de Candie en Grèce et installé près de La Rochelle, en fait la douloureuse expérience. Il a beau vivre là depuis une quinzaine d’années et partager avec les autres le vin et le mouton des jours de fête, il reste l’étranger. Lorsqu’il tue Parpaillon, il connaît les prisons de La Rochelle où les amis de la victime l’obligent à avouer, torture aidant, un crime plus atroce encore : « et neanmoins imposa l’en audit suppliant a la denonciacion des amis et affins dudit Parpaillon ou autrement, lui estant es prisons et gehine et des tourmens dessus dis, ledit suppliant a congneu et confessé avoir congneu charnelement in posterioribus et parte posteriori plusieurs jeusnes enfans tant en son pais comme au bourg Saint-Nicolas de ladite ville de La Rochelle »64. Seul le roi peut rétablir la vérité et proclamer dans sa lettre de grâce qu’il est innocent. On retrouve bien l’accusation stéréotypée d’homosexualité, telle qu’elle est véhiculée en langue d’oc par la propagande contre ceux dont on veut détruire la réputation pour mieux les conduire au bûcher. Elle a déjà servi d’armes contre les hérétiques en général. Au même moment, on n’hésite pas à la brandir encore contre les papes avignonnais accusés de perpétuer la division de l’Eglise65. Ailleurs, en Gâtinais, avant même la décision générale d’expulsion des juifs hors du royaume, c’est un étranger qui est poursuivi et rançonné sous prétexte d’être juif, « car il leur fu dit et rapporté qu’il avoit esté ranconnez et veuz d’un franc d’or au pays par autres compaignons et par ce cuidoient vraysemblablement qu’il fust juif

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mesmement car il n’estoit pas du pays ne de la langue de par dela » 66. Une fois détroussé, on s’aperçoit qu’il est auvergnat ! La xénophobie a bien ses stéréotypes auxquels adhère la communauté et qui fonctionnent parfaitement comme processus d’exclusion. 43

Quel lien existe-t-il entre les comportements face à l’étranger et face à l’homme d’armes ? La lutte contre les gens d’armes ne diffère guère de la poursuite que menait cette petite communauté du Gâtinais contre l’étranger, pseudo-juif à cheval. Les procédés se répètent, identiques. Nous sommes dans le bailliage de Montargis, en 1416 ; il fait nuit. Le suppliant, au lit avec sa femme, deux heures avant le jour, entend frapper à l’huis. On lui apprend que les gens d’armes « robent et pillent ». Son premier geste, dit-il, est de refus — il faut bien obtenir la rémission ! — puis il se lève et s’arme. Dans le bois l’embuscade se prépare qui réunit une quarantaine d’hommes du village, prêtre compris. Que veulent-ils ? Faire la guerre avec leurs moyens de civils ? Laissons parler le texte qui les appelle « compagons brigans ». Le terme pourrait à cette époque, on l’a vu, être ambigu67. Mais le Val de Loire n’est pas la Normandie et la lettre précise bien qu’une bûche est tendue sur le chemin « afin que lesdiz gens d’armes ne peussent passer a leur aise et qu’ilz les peussent destrousser » 68.

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Détroussés et battus, voilà ce qui arrive aux cinq ou six hommes d’armes qui tombent avec leurs chevaux. Il n’est pas question d’autre chose que de pillage, de la réponse oeil pour oeil à l’attitude des hommes de guerre. Mais il faut se justifier : on a cru que le chef de ces hommes de guerre était un étranger. En fait, il s’agit d’un chevalier, seigneur de Blot en Auvergne69. Encore une fois, la notion d’étranger est ambiguë. Elle ne signifie pas obligatoirement celui qui vient d’en-dehors du royaume et à plus forte raison celui qui lui est ennemi. Servir le roi de France n’est pas toujours une excuse suffisante. Quelle que soit la cause qu’il défend et quelle que soit son origine géographique, l’homme d’armes est souvent assimilé à l’étranger qui fait mal et contre lequel on peut se retourner70. Si ce schéma fonctionne dans de nombreux cas, il n’est pas totalement exact partout et pour l’ensemble de la période. Il est difficile cependant de déceler une évolution progressive vers plus de clarté. Elle doit dépendre de l’acuité des circonstances et des lieux.

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L’emploi du mot « ennemi » ajoute encore à la difficulté. Il est accolé au mot « Anglais » dans la plus grande partie des cas et il ne faut pas attendre la fin de la guerre de Cent ans pour cela. Dès 1364-1365, dans plus de 80 % des cas, le terme « ennemi » désigne les Anglais. Le mot n’éclipse pas totalement celui d’« adversaire » qui, cependant, appartient nettement au vocabulaire de la vengeance71. On parle de « notre adversaire d’Angleterre contre nous et notre royaume »72. Le mot « adversaire » a un sens qui le rapproche de celui d’« ennemi ». Ce sont deux peuples et deux royaumes qui se combattent. « Anglais », « adversaires », « ennemis » désignent donc des entités superposables. Dès 1385, à Pont-de-l’Arche, deux suppliants tuent des « malfaiteurs » dont on ne sait s’ils sont Anglais ou Français, et qui, dans le doute, sont considérés comme Anglais73 ! Un peu plus tard, dans le bailliage de Troyes, des gens d’armes terminent noyés dans l’étang voisin sous prétexte qu’ils sont pris pour des Anglais et en tout cas pour des « ennemis » du roi74. Ne soyons pas dupes de la véracité du motif invoqué pour obtenir la grâce. L’essentiel est qu’il soit susceptible d’être employé. Il y a déjà un énorme pas franchi dans la perception de ce que doit être l’ennemi du royaume. Un siècle plus tard, on n’hésite plus sur les mots : l’Anglais est toujours « l’ennemi et adversaire ».

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L’image qui en est donnée rassemble les lieux communs qui désignent le bouc émissaire. Dès avant la guerre de Cent ans, il existe un courant xénophobe anti-anglais. Les écrits de Mathieu Paris relatant les tensions entre Guillaume Longue-Epée et Robert d’Artois donnent une bonne idée de cette anglophobie75. Quant aux miracles de NotreDame de Gautier de Coincy, ils présentent les Anglais comme félons et gueux, prêts à l’insulte. Mais surtout ils sont « couez » et possèdent un appendice ridicule qui suffit à les assimiler à des êtres monstrueux. Quelle audience peut avoir cette image qui ressortit à l’imaginaire sexuel ? La série de miracles à laquelle elle appartient témoigne déjà d’une audience qui n’est pas exclusivement savante. Du XIII e siècle à la fin du XVe siècle, les textes littéraires et judiciaires permettent de suivre cette plaisanterie 76. Un procès de décembre 1404 montre qu’elle peut prendre un sens politique violent. L’affaire oppose le maire et les échevins d’Abbeville à Fremin Beron. Ce dernier est venu « jeune et povre » à Abbeville où « il a esté norry mais ce nonobstant est haultain et orgueilleux »77. Effectivement, les représentants de la ville ont à se plaindre des injures qu’il profère à leur égard, car muni d’une hache, il est allé voir le lieutenant du sénéchal de Ponthieu en disant « que ceulx desdiz colleges estoient larrons murtriers et n’estoient ne bons ne loyaux au roy et n’estoient les hommages que une malonnerie et dist qu’ilz estoient faulx traîtres et avoient trois leuppars chacun ou ventre et les queues entre les deux jambes et sont tous Anglois ». On comprend que la partie adverse juge les paroles « moult graves ». Fremin Beron se défend de les avoir dites, mais le procureur du roi confirme les propos du maire et des échevins, en donnant la date du délit, le 25 octobre 1404, et en rapportant une variante de l’injure qui confirme l’attribution aux Anglais d’un sexe étrange : « et dist que ceulx de l’eschevinage ne prisoient riens les gens du roy et que se on les examinoit on leur trouveroit es corps II lieuppars comme Anglois ». Le procureur du roi conclut en remarquant « que plus poise ceste injure que un murtre ». La guerre a sans doute contribué à diffuser une tradition xénophobe déjà existante et à faire reculer les tenants de l’anglophilie que diffusent les miracles de l’école de Chartres78. Si aux frontières du royaume prévalent, comme nous l’avons vu, les stéréotypes d’une violence où le pillage côtoie le viol, dans le royaume les craintes sexuelles se trouvent décuplées et la menace s’en trouve accrue.

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Ces visions angoissées contribuent à faire de l’Anglais le fils du mal. Cet « ennemi » est de connivence avec l’enfer où règne le diable tentateur, celui que les lettres appellent l’« Ennemi » par excellence. Ce suppliant originaire du Limousin, embarqué à 18 ans au service d’un Breton pour lutter contre le roi aux côtés des Anglais, n’a pu agir que « depourveu de senz, tempte et deceu de ce par l’ennemi d’umaine nature et par ainsi cuidant non forfaire »79. Telle est la raison pour laquelle il vend des biens « a noz ennemis tenant le parti de notre adversaire d’Angleterre et autres noz desobeissans et rebelles occupans pluseurs forteresses en notre royaume ». Suivre le parti des Anglais c’est tomber dans le « maléfice ». Le bien est dans le sillage du roi de France : entre ces deux attitudes, point de compromissions. Et la lettre conclut : « et comme tel se gouvernera et a ferme propos sans variacion de soy gouverner et maintenir de bien en mieulx tout le cours de sa vie ». Le transfuge est sorti du mal pour devenir bon, loyal et obéissant sujet : nous aurons à y revenir en analysant la lèsemajesté 80.

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Les événements de politique intérieure font apparaître un autre mot pour désigner la partie adverse : « rebelle ». Le mot est en général employé pour désigner celui qui prend part aux guerres civiles au moins depuis l’époque navarraise jusqu’aux violences de la ligue du Bien Public. A l’époque de Louis XI, la distinction entre les ennemis de

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l’intérieur et ceux de l’extérieur peut sembler acquise. En fait, elle est déjà assez nette dès le début du règne de Charles V. Dans 60 % des cas, le terme désigne des Navarrais 81. Il peut être employé seul ou être accompagné de « traître », « malveillant », mais aussi « adversaire » et « ennemi ». Ce rebelle n’est pas un isolé. Il est l’« adherent », celui qui s’inclut dans un parti politique : le vocabulaire reflète bien les modes de recrutement de la société contractuelle. Ainsi, une vingtaine d’années après son forfait, un suppliant mêlé aux Navarrais de Cherbourg réitère une demande en grâce qui lui avait déjà été accordée en principe par Charles V. La gravité du cas explique sans doute les lenteurs de la Chancellerie tout comme la nécessité pour le suppliant d’en être blanchi. L’insurrection de Charles de Navarre y est présentée comme une « rebellion, traïson et mauvestié conspiree et pourpensee etre faicte en notre personne par notredit adversaire et aucuns ses alliez et messaiges envoiees » 82. Quant au suppliant, il doit « promestre » de demeurer avec eux et « tenir leur parti ». 49

Pour la période postérieure, le vocabulaire ne change pas. La guerre civile qui oppose les Armagnacs aux Bourguignons entraîne, elle aussi, ses « adherents » en deux camps rivaux dont l’un est au gré des moments, rebelle83. Le mot dans ce sens politique précis est rarement employé seul ; il désigne plutôt l’insurgé. Pour désigner le coupable du camp adverse, le « rebelle » peut être associé à l’ennemi tout comme il a pu, dans la réalité, marcher à ses côtés. Les exemples peuvent être multipliés dans les deux camps. Au début du règne de Charles V, deux suppliants demandent ainsi rémission pour avoir rejoint le parti navarrais et « chevauchié en armez avec plusieurs ennemis et rebelles de nous et de notre royaume, si comme avec ceulz des compaignies et autres ennemis » 84 . La guerre civile ne permet pas de lever l’ambiguïté pendant le règne de Charles VI. Le 3 mai 1412, dans une perspective armagnaque, les lettres royales parlent des Bourguignons comme ceux « de nostre sang et lignage et autres leurs alliez et complices, noz anemiz, desobeissans et rebelles » qui sont opposés aux « bons et loyaulx vassaulx et subgez »85. D’une façon identique, la propagande politique bourguignonne assimile le rebelle armagnac à l’ennemi ou à l’adversaire 86. La conjonction des mots reflète l’ambiguïté savamment entretenue des attitudes.

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Au total, il existe donc deux attitudes différentes. L’une présente de façon antithétique l’Anglais et le Français, l’ennemi et l’autre. Ce point de vue, cultivé par la Chancellerie quand elle confère la grâce, est la mise en pratique des débats théoriques qui engagent ses clercs sous le règne de Charles VI et dont Jean de Montreuil est le plus illustre protagoniste87. Il est probable que cette opposition systématique rencontre un écho favorable dans une partie de l’opinion où la xénophobie s’exprime en termes moins savants mais essentiels pour la survie du royaume puisqu’ils évoquent un système de reproduction devenu anarchique. La confusion des mots laisse néanmoins présager que les acquisitions ne sont pas toujours aussi nettes. Les limites entre l’homme d’armes, l’étranger, l’ennemi et le rebelle ne sont pas faciles à dresser et l’ennemi de l’extérieur se confond encore avec celui de l’intérieur. Ce sont là autant de signes que la prise de conscience politique n’est pas encore achevée, sans doute parce qu’un sentiment supérieur rassemble toutes ces données : la peur.

LA FORCE DE LA PEUR 51

Le faible nombre des hommes d’armes impliqués dans le crime peut faire croire aux effets limités de la guerre dans la vie quotidienne. Ce point de vue conforte l’impression

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que donnent les reconstructions successives après les crises ainsi que la continuité d’ensemble de l’habitat. Mais il est des perturbations plus insidieuses que brutales, plus psychologiques que matérielles auxquelles n’ont pas échappé les populations. Le désarroi que suppose l’emploi de stéréotypes destructeurs du tissu social et que mentionne le recours en grâce oblige à ne pas négliger cette dimension de la guerre. 52

Lorsque le suppliant explique son crime, il ne manque pas de relater des circonstances précises qui risquent de décharger sa responsabilité. Sur les 65 % de suppliants qui ont recours à ce procédé, près de 9 % invoquent la guerre, soit autant que la boisson et la colère88. Ce n’est donc pas une circonstance négligeable. Quant à la faiblesse du nombre de crimes dus à la guerre, elle doit être légèrement corrigée. Certes les crimes liés à la guerre, qu’il s’agisse de la présence anglaise ou des guerres civiles, semblent dérisoires : moins d’1 % dans les deux cas alors que les rixes-homicides atteignent, rappelons-le, 57 % des crimes. La guerre comme antécédent du crime occupe en valeur absolue une place aussi faible que le crime lui-même puisqu’elle ne dépasse pas 2 % du total des antécédents (tableau 8, chapitre 6). Néanmoins, la guerre prélude au crime plus souvent qu’elle ne constitue, en soi, un crime. Elle stimule la violence qui s’extériorise sous la forme classique de l’homicide et elle se dilue en partie dans le profil de crimes ordinaires. Prenons l’exemple de la présence anglaise. Dans la moitié des cas elle s’exprime par la rixe ou par le vol ; et, quand elle est second antécédent du crime, elle éclate toujours en violence ordinaire. Il est donc très difficile de séparer ce type de crime de la violence traditionnelle. Cela tient peut-être au fait que tous ces suppliants ne sont pas obligatoirement des gens d’armes. Si parmi eux les écuyers se taillent la part belle puisqu’ils constituent entre 20 et 40 % des criminels, les autres affirment un métier, laboureur ou marchand.

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La guerre ne laisse donc pas les populations civiles indifférentes. Il n’est pas question de relater ici les processus de mise en défense : ils ne sont pas absents des circonstances matérielles qui servent de cadre à la criminalité89. Pour saisir leur impact sur le développement de la violence, il faut comprendre la perturbation de ces populations, d’autant plus forte qu’elle rompt avec le rythme d’un ordinaire à petits pas. C’est la différence qui crée l’épaisseur du déséquilibre. Se réfugier dans le bois comme le font spontanément ceux qui n’ont pas les ressources nécessaires pour s’enfermer en forteresse ne tient pas de la simple anecdocte. Le bois, comme je l’ai dit, n’est pas le lieu normal du crime parce qu’il n’est pas le lieu de la vie. « Brigands », le terme s’impose pour désigner la marginalité qui est désormais la leur, comme il est associé de façon stéréotypée aux habitants plus ou moins mythiques des espaces hostiles à l’homme 90. La raison d’être des rites d’apprivoisement de cette nature sauvage n’existe plus. Ces jeunes gens de La Ferté-sous-Jouarre qui se sont assemblés dans le bois voisin « par jour et par nuit » pour se défendre contre l’ennemi, n’ont plus rien à voir avec ceux qui allaient y couper l’arbre de mai91. Quand il s’agit d’une famille, la rupture du rythme de vie est encore plus sensible que dans l’exemple précédent ; or, il arrive que femmes et enfants soient réduits à trouver refuge à l’abri du bois proche. Au milieu du XIV e siècle, les habitants de Dizy et Champillon, « poures laboureurs et miserables personnes » parce qu’ils « ne povoient avoir place ne chevance en aucun lieu fort » se sont enfuis dans le bois voisin « ou il les convint vivre longuement avecques leurs femmes et enfans pour doubte des ennemis du royaume qui lors tenoient la ville d’Espernay » 92. Les biens endommagés ou perdus par la guerre, les fortunes fondues au gré des rançons sont aussi clairement mentionnés. Ces razzias peuvent conduire au vol. Les étapes de ce

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processus suivent l’exemple de ce « tres poure homme et qu’il avoit perdu du sien par le mal temps qui a couru en notre royaume tant par la fortune des guerres et pestillances »93. 54

Ces cas restent néanmoins très rares : les réfugiés sont plutôt des célibataires que des gens mariés. Et, en règle générale, on ne peut pas faire de la forêt protectrice autant que menaçante le lieu idéal des escarmouches opposant civils et hommes d’armes. Elle ne constitue le lieu du crime associé à la guerre que dans 13 % des cas, soit moins que la maison ou autres lieux clos, et moins que la nature cultivée. Même la rue ne perd pas ses droits dans ce type de crime94. Incontestablement, la guerre accroît la violence mais elle ne réussit pas à modifier totalement son visage traditionnel.

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Encore une fois, mesurons les effets de la guerre par référence à la vie normale. Ce suppliant que le passage des gens d’armes sort de son lit a une famille et il ne demande que la paix pour « faire son labour doresnavant et norrir sa dite femme et enfans » 95. Assurer la survie et l’honneur de la cellule familiale, tel est l’idéal de cette mère qui préfère composer plutôt que de voir sa fille violée : les 45 sous tournois qu’elle donne ne sont rien en comparaison du préjudice que peut subir cette jeune fille qui affirme aux gens d’armes qui l’entraînent « par grant serment que oncques hommes n’avoient eu sa compaignie charnele »96. En Normandie, c’est un couple marié depuis douze ans que la guerre a disloqué : depuis trois ans l’homme est parti suivre les armées et la femme s’« acointe » d’un compagnon du pays. Une chute irréversible la conduit de domicile en domicile et de vol en vol97. La guerre risque donc de détruire à tout jamais les valeurs sur lesquelles repose cette société. L’acharnement à les maintenir est à la mesure du désarroi de les voir menacées.

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Il existe une véritable psychose de la guerre qui se saisit par bribes. Elle va de la rumeur à la nervosité jusqu’au plus profond du désespoir. Le fait n’est pas limité à l’horizon étroit de la communauté villageoise. Qu’un bourgeois de la « ville » soit pris et l’ensemble des habitants réagit, comme c’est le cas à Fraillicourt dans le bailliage de Vermandois en 1372. A l’émotion première des nouvelles succède la « rumeur » qui se transforme en « effroi » jusqu’à ce que deux écuyers poursuivent ceux qu’ils considèrent comme des ennemis et ramènent le bourgeois chez lui 98. La même panique se retrouve à Reims lors du siège de 13 5 999. Elle conduit à tuer à l’aveuglette : là c’est une femme qui succombe « avant que il perceussent qu’elle feust femme » ; pis, là c’est une femme enceinte, a priori intouchable, qui tombe par erreur sous les coups du prévôt et accouche d’un enfant mort-né100.

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Ces méprises s’accomplissent dans la complicité de la nuit. Si la criminalité ordinaire éclate au grand jour, les méfaits de la guerre accompagnent ceux de l’ombre, comme si la peur des hommes faisait ressurgir de vieilles terreurs encore mal enfouies. C’est encore pendant la nuit devenue inquiétante que les rêves se peuplent de dangers et d’ennemis. Ce suppliant âgé de 24 ans, en 1411, dort dans le cimetière de la petite ville d’Alluets-le-Roi près de Paris quand « il oy une voix en son dormant qui dist et crya a haulte voix : “Les Bretons sont passés parmi ceste ville et vont droit a Maule” » 101. Il se lève, cherche du renfort, poursuit les hommes d’armes : on devine la suite. La date et le lieu qui placent l’événement en plein coeur de la guerre civile, sont propices à de telles réactions. Mais ils ne sont pas propres à la région parisienne.

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La nervosité est latente. Elle explique, en partie, une autre petite scène qui se passe en 1416, dans le bailliage de Vermandois. Pour avoir vu leurs récoltes détruites, deux frères se lamentent quand arrive une voisine qui se plaint, elle aussi, de la perte de son

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blé. Agacés ils lui disent « par eschauffement et desplaisance qu’elle estoit une mauvaise femme et qu’elle s’en alast ou il la bouteroient de leur maison » 102. Aussitôt les jeux traditionnels de la vengeance se mettent en place et le fils vient au secours de sa mère outragée. La rigueur des temps a ses limites : elle ne réussit pas à faire taire les lois de l’antique honneur. Il est rare en effet d’assister à un bouleversement total des valeurs traditionnelles sous l’effet de la guerre. Néanmoins la « désespérance » existe qui peut conduire jusqu’au suicide. En 1416, la raison de Raoulet de La Barre cède devant les destructions des gens d’armes qui assaillent la région parisienne où il habite. Laissons parler le texte qui raconte l’inquiétude de l’avenir et le glissement vers la folie : « ledit Raoulet pris si grant desplaisir en soy pour cause que les gens d’armes qui estoient lors en ladicte ville lui osterent certaine quantite de blés qu’il avoit de quoy il cuidoit gouverner lui et sa femme et que oncques puis ne fu si sensible qu’il avoit esté paravant et disoit aucune fois le diz Raoulet plusieurs paroles estranges qui n’avoient point de lieu ne d’effect et parloit bien souvent a tout par lui en alant parmi la ville » 103. La dépression se termine la corde au cou. Certes, il faut bien trouver les mots pour ôter du gibet ce corps que les autorités ont fait exposer et pour obtenir le droit de l’enterrer en terre sainte. Mais l’exemple rejoint la complainte des désespérés anonymes que défend Jean Gerson devant le roi et la cour quelques années auparavant : « Car le paoureux soucy, l’angoisseuse doubte d’estre pillez par prinsez ou par gens d’armez les livre a tres griefz, tres impacient et douloureux tourment, en tant que de nostre temps plusieurs ont cheuz en desespoir et se sont occis ; Dieu, quel horreur ! se sont occis ! l’ung par pendre, l’autre par noyer, l’autre par ferir d’un coustel au cueur » 104. La guerre ne se mesure pas seulement en terres dévastées et en baisse de rendements ; elle rend fragile les corps et les esprits. Tous cependant ne cèdent pas à la peur et certains réagissent. 59

Les sujets du royaume n’ont ignoré ni les astuces de la collaboration, ni celles de la résistance. « Collaborer », le mot n’existe pas ; on parle de « conforter l’ennemi ». Dès le début de la guerre, les ordonnances royales sont claires : il est interdit de vendre des marchandises aux Anglais, particulièrement armes et chevaux 105. Des trafics de vivres et d’armures révèlent la désobéissance aux ordres royaux106. Pour mieux se défendre, le suppliant prétend seulement ne pas avoir entendu le cri de l’ordonnance fait à Paris, ou bien il évoque le caractère anodin des objets marchandés ! La collusion avec l’ennemi peut aussi commencer avec le partage du boire et du manger dans la chaleur de la taverne pour continuer dans le service armé. Ce fut le cas de ce jeune limousin que nous avons vu, mené par les Bretons, combattre aux côtés de l’adversaire 107. Enfin, l’espionnage et la vente de renseignements marchent bon train. Les clercs sont les premiers suspects108. Calais ou Rouen en sont les plaques tournantes : de quasi professionnels aux ambitions énormes s’y retrouvent. Pour acquérir la fortune et devenir chancelier, Vincent de Druy n’hésite pas à « vendre » à Talbot les renseignements qui doivent permettre d’enlever le roi de France109. Mais le traître a parfois le panache moins haut. Sous le règne de Charles V, ce couple de La Ferté-sousJouarre commerce avec les Anglais et « leur administroient vivres et les conduisoient et menoient la ou ils savoient des gens du païs, et les faisoient prendre par lesdiz ennemis ; et tant que une fois lesdiz mariez admenoient lesdiz ennemis en un certain bois ou que avoit filles et autres personnes du païs pour les faire prendre » 110.

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Quelle cause défendent ces collaborateurs ? Sont-ils anti-français ou sauvent-ils tout simplement leur fortune et leur vie ? Apparemment, dans ce petit village et dès le règne de Charles V, chacun a son camp. Les résistants sont dans le bois. Ailleurs, ils sont tapis

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dans la cave, mais ils sont dénoncés par le savetier, sans doute avec la complicité du curé111. Cependant, dans tous les cas, la résistance n’est pas purement passive. La cachette est un repaire pour mieux « gener l’ennemi », collaborateurs compris. L’assassin du couple pervers a ainsi choisi de vivre en marge, avec d’autres, pour passer à l’offensive : « ledit Robin se feust accompagniez avec plusieurs autres du païs et se feussent mis en estoffes et arioy pour resister a leur povoir contre nozdis ennemis et assemblez en bois par jour et par nuit. Pendant lequel temps ils porterent et firent par plusieurs fois tres grant dommaige aux diz ennemis » 112. 61

Mais, avec le bois et l’ombre, commence, de la même façon que pour les réfugiés, la marginalisation d’où découlent l’ambiguïté et le danger de la résistance. Point de « labour ». Pour manger, ces hommes ont facilement recours à des actes illicites qui les apparentent aux hommes d’armes : ils pillent, ils rançonnent, ils violent. Et la Chancellerie n’hésite pas à les appeler, eux aussi, « brigands ». Comme les autres, ils ont enfreint les ordres royaux en commettant la liste des crimes horribles réputés irrémissibles ; comme les autres, ils risquent l’accusation de lèse-majesté. A peine si le combat qu’ils ont mené contre l’Anglais peut leur servir de circonstance atténuante. La piste se brouille et noie dans une même réprobation la collaboration et la résistance.

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Dans ces conditions, où situer l’idéal et la conscience patriotiques ? Qui sont ces collaborateurs et ces résistants ? Nul doute : les criminels impliqués dans la guerre contre les Anglais n’ont pas exactement le profil des populations ordinaires. Les professionnels de la guerre s’y taillent une place de choix puisque 20 à 40 % de ces suppliants sont des écuyers. Ce sont aussi des gens qui n’ont pas eu peur de quitter leur domicile : 80 % d’entre eux ont effectué plus de 30 kilomètres avant le crime ; les autres entre 5 et 15 kilomètres. Leur mobilité est donc remarquable par rapport à une population criminelle souvent cantonnée aux horizons étroits. Leur enracinement dans le crime confirme leur originalité : 20 % d’entre eux sont des récidivistes. Avec leurs déplacements se nourrit le crime. Mais cette persévérance ne consiste pas à poursuivre l’Anglais avec la tenacité du chasseur : 11 % seulement d’entre eux ont déjà lutté contre les Anglais. Les autres se partagent entre la rixe, le vol, le pillage, le blasphème et la rupture d’asseurement, des crimes banals. La guerre donne à ces suppliants déjà frottés au crime l’occasion de devenir des hommes d’exception. En poursuivant le raisonnement, on pourrait parler d’un patriotisme de hasard. Les raisons de ces hommes nuancent sans doute l’envolée des grands débats théoriques qui agitent alors le pays113.

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Le choix des clans, au sein du terroir, se nourrit plutôt des antagonismes locaux. Dénonciations et complicités suivent naturellement les lignes de fracture qui fissurent la communauté de haines recuites. La rancune est tenace : notre Limousin craint d’être dénoncé pour collaboration « par aucun ses haineux » une dizaine d’années après son crime. Les Anglais peuvent donc être un prétexte pour raviver les vengeances assourdies et fortifier les clans rivaux au sein du terroir. Dans la région de SaintMichel-sur-Loire, les crimes que commettent les gens d’armes prennent l’allure d’expéditions punitives car un des habitants tient en concubinage une parente d’un des compagnons de la forteresse114. Feu, rançons, viols mêlent les motifs. Décidément la violence que fait germer la guerre s’englue dans l’ordinaire.

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DU PAYS AU ROYAUME 64

Peut-on cependant réduire la résistance comme la collaboration à ces querelles de clochers ? Le petit village de Castéra en Bigorre a résisté en bloc et, en bloc, il est « vendu » par un traître en 1372. Presque trente ans plus tard, au cours d’une partie de chasse, le seigneur du lieu fait justice en tuant celui qui a trahi 115. Ces règlements à l’emporte-pièce et à retardement tranchent sur les méthodes de la violence ordinaire dont nous verrons qu’elle ne se mûrit guère aux sources de la préméditation. Dans le cas des crimes commis à l’occasion des guerres, l’action violente se prépare : sur 80 % des cas où la lettre explicite les liens entre les antécédents et le crime, 20 % sont le fait d’une vengeance, 60 % le fait d’une préméditation. Ce temps de gestation peut d’ailleurs être long comme le montre l’exemple de Castéra. Malheureusement, le temps qui sépare l’antécédent du crime n’est pas toujours mentionné de façon aussi précise. Contentons-nous de relever que 60 % des crimes liés à la guerre ne sont commis qu’après un certain délai.

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Ce déroulement particulier des crimes en dit déjà long sur l’idée que toute collusion avec l’Anglais nécessite réparation, quel que soit le temps nécessaire pour assouvir la vengeance. Deux clans se dessinent donc et l’accusation d’avoir collaboré est considérée comme une atteinte irréparable à la personnalité. Le profil des collaborateurs est bas. Celui-ci qui a vendu Castéra est un homme sans renommée « qui a emblé une vache ». Celui-là ne peut être qu’« un varlet de petit gouvernement » et il ose appeler le suppliant « mesel ». L’autre en est ébahi : entre la putréfaction du corps et celle de l’âme, où est la suprême injure ? On est en 1397, en Saintonge, et dans cette zone frontalière les trêves n’apportent pas l’oubli. L’affaire se règle par la mort 116. La Normandie, au milieu du XVe siècle, connaît les mêmes violences. Pour avoir appelé un homme « traictres, paillars, anglois », une jeune femme est obligée de se laisser violer en guise de réparation117. Sa plainte n’aboutit pas : son agresseur se retrouve gracié et elle, en tort. La force de l’injure politique détruit l’intégrité de la personne plus que le viol, acte physique outrageux et, dans d’autres conditions, difficilement rémissible.

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Peu de crimes mettent en effervescence la collectivité autant que les crimes liés à la guerre. Dans 20 % des cas, le village s’émeut face à l’Anglais : on atteint à peine 2 % pour les rixes-homicides. Dans 40 % des cas, le suppliant n’agit pas seul mais accompagné de deux à quatre participants. Quant aux jeunes, ils remplissent parfaitement leur rôle d’interlocuteurs privilégiés118. Dans de nombreux cas, l’ensemble de la population se sent donc bien concerné.

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Encore faut-il s’interroger sur la dimension politique de ce que les criminels défendent. Nous voici à Verneuil en 1396, près de quarante ans après le crime pour lequel une rémission est nécessaire. Le suppliant était alors âgé de 14 ans. Quatre compagnons lui demandent s’il n’a pas vu passer « deux hommes estranges qui amenoient une jeune femme et que lesdiz deux compaignons avoient fait dommage en leur parroisse » 119. C’en est assez pour que la poursuite s’engage et que les corps des hommes d’armes, dépouillés, se retrouvent dans la marnière. Ce suppliant est venu à l’aide d’une communauté menacée. Que désire-t-il, tant d’années après le crime, si ce n’est de ne pas être « fuitif » et revenir au pays pour s’y installer avec sa femme et ses enfants ? Du royaume et de son intérêt, il n’en fait pas mention ; d’ailleurs un de ses complices a déjà été exécuté pour ce crime. La crainte de subir le même sort le tenaille, vidée de tout contenu idéologique. Ces réactions de survie à petits horizons modèrent singulièrement

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l’idée d’une conscience politique que pourrait laisser croire la condamnation des collaborateurs. 68

Une comparaison entre les crimes commis à l’occasion des guerres et les crimes commis contre les officiers royaux permet de nous en convaincre. La lutte contre l’Anglais ou contre le collaborateur ressemble fort à celle qui émeut la communauté contre les officiers royaux. Les termes sont identiques. On leur « résiste » comme on résiste aux Anglais120. La même action collective, la même initiative laissée aux jeunes de la communauté, la même vengeance ressassée dans la moitié des cas rendent les profils de ces crimes comparables. L’officier est un intrus et il convient de résister à ses ordres qui sont considérés comme des abus et cela quelle que soit l’origine sociale des exposants, marchands ou laboureurs. Le résultat est identique : l’officier « fait mal » de prélever telle ou telle taxe.

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Essayons de pénétrer les raisons de cette opposition. La pauvreté et la dureté des temps sont invoquées. La résistance traduit alors l’impuissance à répondre à des exigences fiscales supplémentaires121. Et, dans le cas de ces crimes contre les institutions, il ne s’agit pas seulement d’une pauvreté fictive et pénitente. Près de la moitié de ceux qui se disent pauvres face à l’officier arguent de leurs dettes pour ne pas payer. N’attribuons pas cependant la lutte contre l’impôt à de seules considérations de misère. Les distinctions, dont l’analyse dépasserait le cadre de cette étude, sont plus subtiles et les motifs invoqués savent aussi, face aux officiers, parler de libertés et de franchises 122. Les archives judiciaires témoignent d’insurrections fiscales dirigées par des populations déjà aisées, telle celle de Blois dont le procès vient au Parlement en août 1404, et qui a été dirigée par « plusieurs tallemeliers et bouchiers » qui « se assemblerent et jurerent que la ferme ne seroit pas taillee »123. L’un d’entre eux « entre les autres fais jura grant serment que l’aide ne courroit plus et disoit qu’il parloit pour le commun ». L’allure du conflit s’inscrit bien dans ce que nous savons des événements parisiens contemporains où des catégories sociales relativement aisées prennent la tête des insurrection fiscales124.

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S’ajoutent à cet état de fait les arguments empruntés à l’idéologie démocratique telle qu’elle s’est développée dans le courant du XIVe siècle. Ce recours est surtout employé en pays frontalier quand les officiers sont chargés d’exiger le guet et la garde 125. Les émeutes naissent quand les contraintes sont imposées aux habitants « sans les vouloir oyr », « combien que la chose requiert connaissance de cause » 126.

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Les méthodes employées par les officiers, leur « rigueur », accroissent encore l’étendue du mal. Ainsi apparaît une image presque stéréotypée des « griefs » et « exces » et cela quelle que soit la date à laquelle le crime se situe. Le sergent, le prévôt, le bailli ont agi « en excedant les termes » de leur mandement127. Dès le règne de Charles V, Jehannin de La Poece pourrait en être le prototype qui, chargé de collecter certaines amendes au profit du roi « grevoit trop malement ses hommez en faisant son office et leur faisant trop de griefs et excez comme de les executer rigoreusement et faire despendre le leur en plusieurs manieres tant en taverne en paiant sez escos comme en prenant du leur induement contre raison. Et quand ils estoient refusant ou contredisant de faire sa volonté il les menaçoit de leur porter dommaige »128. Cette description ne correspond peut-être pas à la réalité du personnage mais elle révèle pleinement celle de son image. La critique est constante qui accuse l’officier de dépasser la norme. Regnault Le Set, prévôt fermier de Laon au début du XVe siècle, fait ainsi l’objet de procès au Parlement, tant au civil qu’au criminel129. Plusieurs habitants de la ville se plaignent de sa rapacité.

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Nicolas Cochet, qui se déclare « bon laboureur » et père de huit enfants, affirme que le prévôt a voulu lui imposer une composition financière à la suite d’un meurtre. Vu son refus d’obtempérer, Le Set l’a mis en prison, transporté hors de Laon et lui a imposé une torture violente, parfaitement hors des normes. Il y a là déjà une preuve d’excès à laquelle s’ajoutent les moqueries de l’officier qui, « en soy moquant de luy l’y demnadoit comment se portoient ses bras ». Un autre, Jean Cuiller, raconte comment les enchères de la composition financière ont pu monter sous l’effet de la torture, si bien que sa femme a dû vendre leur lit pour payer. On sent poindre derrière ces différents cas le refus des moyens coercitifs que l’administration met en place et dont l’application balbutiante reste encore, comme nous l’avons vu, anarchique 130. Quelle place occupe aussi chez les victimes la dérision dont ils ont souffert, dérision que rend insupportable l’injure proférée en public ? Elle contribue sans doute largement à la haine que les habitants peuvent nourrir à l’égard de l’officier. 72

L’officier se meut dans le monde de l’excès, la population dans celui du juste milieu : les deux notions sont pour le moins relatives. Cela implique en tout cas que l’officier n’est pas perçu comme un être supérieur, doté d’un pouvoir transcendant. Lorsqu’en 1385, Guillot Gilet refuse de payer deux blancs à Thomas de Bones, cueilleur et commissaire des preneurs de loups du comté d’Alencon, l’officier l’ajourne à Argentan le lendemain, le frappe de sa verge et le traite de « gros bec ». Aussitôt la solidarité des habitants joue en faveur de Guillot Gilet et un autre laboureur prend sa défense. Le dialogue s’engage alors, crescendo, jusqu’au crime, argumentant « qu’il avoit mal fait d’avoir feri ledit Guillot en la compaignie et de le avoir appele “gros bec” et qu’il avoit aussi beau bec comme ledit Thomas ; lequel respondit hautement que s’il en desplaisat audit suppliant comme d’un bouton de villenie et que ledit Guillot lui paieroit les dis deux blans voulsist ou non, et entre plusieurs paroles rancuneuses, appela ycellui Thomas ledit suppliant garçon, larron, usurier, filz de larron, auquel exposant respondit qu’il estoit plus preudhomme que Thomas et que il n’estoit que un mangeur de povres gens et qu’il avoit renommee au pais que n’avoit ledit Thomas (...) et que s’estoit mal fait d’avoir ainsi batu ledit Guillot et que s’il ne feust plus sergent que lui il ne l’eust osé faire » 131.

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Nous reviendrons sur ces injures politiques et sur l’importance du crime de lèsemajesté132. Appréhendons plutôt les réactions de l’opinion publique, même si elles ont partout la même allure stéréotypée133. La charge que l’officier détient ne l’autorise pas à faire fi des normes du comportement social. Ni ses gestes d’autorité, ni ses paroles méprisantes, ni ses injures ne peuvent être justifiés. Et, s’il s’agit d’un officier royal, la sauvegarde qui le protège ou le port des fleurs de lys ne dressent qu’une faible barrière134. Les détenteurs du pouvoir ne sont pas encore mystifiés. Cela ne veut pas dire que les suppliants ne craignent pas d’enfreindre la loi et d’être accusés de crime de lèse-majesté : ils évoquent largement cette éventualité qui est une des raisons de leur demande de rémission. Mais cette peur ne suffit pas à les contraindre. Au contraire, la communauté se mobilise contre l’intrus dans une solidarité qui, comme dans l’exemple d’Hangest, rassemble aussi les femmes135.

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Le rejet de l’officier se présente bien comme celui de l’autre, de l’étranger, voire de l’ennemi. Mais une différence de taille les oppose : l’officier n’est pas toujours un inconnu. Il importe par conséquent de distinguer les baillis et sénéchaux des officiers locaux, souvent recrutés à ferme parmi la population locale136. Les habitants saisissent parfaitement ces nuances qui marquent aussi une différence hiérarchique. A ce boucher blésois récalcitrant pour payer la taille, il est demandé s’il réitérerait son refus

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en présence du bailli qui a été chargé de lever l’impôt, car « se le bailli estoit present, il ne l’osast dire ». Mais, pour marquer le degré de son hostilité, le boucher « repondi que si serait et eust dix cotes deservestues »137. La hiérarchie est bien connue, même si elle n’est pas un obstacle à l’insurrection. Les hésitations sur le mode de recrutement des baillis et sénéchaux qui doivent rester indépendants des populations locales pour échapper aux faveurs et aux haines ont sans doute porté leurs fruits 138. Il peut arriver que les procès montrent les attaches que le bailli entretient sur place mais les cas sont rares. Ainsi, en août 1404, Jean de Saint-Jean appelle du bailli de Vermandois car, ayant obtenu une lettre de rémission pour un meurtre, le bailli lui refuse l’entérinement 139. En effet, la partie adverse, un chevalier, a partie liée avec le prévôt de Laon « cousin et favorable audit chevalier », si bien que le bailli laisse le prévôt procéder à la question, refuse d’« ouïr » le suppliant jusqu’à ce que l’appel soit entendu par le Parlement. Dans le cas présent, il n’est d’ailleurs pas sûr que les liens d’amitié entre les protagonistes aient lésé la justice. En tout cas, le procureur du roi donne raison au bailli et il réclame que le prisonnier soit « puni corporellement et civilement ». Plus perfidement, on peut aussi reprocher à ces officiers de constituer des réseaux de soutien et de procéder, lors de leur arrivée au pouvoir, à des changements de personnel. Au début du XV e siècle, Jean Niset s’oppose au bailli de Melun. Jean Niset a été tabellion et sergent du roi, mais il prétend avoir été évincé de ce poste à l’arrivée du bailli qui a voulu choisir un sergent parmi ses « amis », « oultre le nombre des sergens dudit lieu qui est et doit estre attain »140. 75

On voit bien ce que l’argumentation doit aux exigences des ordonnances de réforme qui sont réitérées à cette date et le procès ne se prive pas de les rappeler 141. Mais le débat théorique est vite relégué au second plan et on passe, comme dans tous les autres cas, de ces considérations étatiques à celles, pernicieuses, d’accusations de moeurs : « dist que le bailli fist sergent un sien varlet qu’il a marié a une nommee Jehannette qui avoit esté accointee du bailli et pour ce que les sergens, du nombre dont Niset est, en parlerent et s’opposerent par certaines lettres du roy a l’institucion dudit sergent fait par le bailli, icellui bailli dist a Niset qu’il le feroit pendre ». Comme s’il s’agissait d’un homme ordinaire, « Niset fu en malveillance du bailli et conceu le bailli hayne contre lui ».

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L’avivement de la guerre civile ajoute ses arrière-pensées politiques aux haines traditionnelles. Le procès qui oppose Raoulet Jaquelet au bailli de Vitry en avril 1411 peut servir d’exemple142. Jaquelet joue de ces différends pour couvrir les pillages qu’il a effectués aux frontières de la Lorraine. Il prétend qu’il a servi les hommes du duc d’Orléans et qu’il est allé quérir des vivres « du gré et consentement des habitans ». Il ajoute que le bailli de Vitry « l’a pour ennemi capital ». Ce dernier le condamne pour exaction et Jean Jouvenel, qui défend les droits du roi, déclare que « le bailli a bien procedé ». Les labyrinthes de la guerre civile offrent des arguments supplémentaires pour servir les haines et pour couvrir les crimes. L’administration royale peut encore avoir du mal à sortir de la gangue des sentiments primaires, mais répétons-le, ces cas sont rares.

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En règle générale, comme je l’ai déjà fait remarquer, les archives criminelles ne donnent sur les baillis et les sénéchaux que des témoignages peu fournis 143. Alors que les ordonnances de réforme incitent les populations à se plaindre, les procès restent, dans la plupart des cas, traités au civil. Ils arrivent au criminel si les abus impliquent des délits qui relèvent de la grande criminalité, meurtres ou viols, et si la torture qui a

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été ordonnée a été mal appliquée. Robert, sire de Pelletot, bailli de Cotentin, en est un rare exemple144. 78

En revanche, les officiers de moindre rang appartiennent au même horizon et souvent au même terroir que les administrés. Leur office les porte à cette présence : les voici mêlés à la vie ordinaire, jusqu’aux fêtes dont ils assurent la surveillance 145. Ils ne sont pas toujours natifs de l’endroit où ils exercent, mais ils y habitent et le lieu de leur crime en est proche ; parfois la rixe commence à la taverne : 13 % d’entre eux ne se sont pas déplacés pour commettre leur délit et près de 40 % ont parcouru moins de cinq kilomètres ; les officiers venus de loin, de plus de 30 kilomètres, ne constituent que 4 % des criminels. Finalement, cette absence de mobilité avant le crime apparente davantage les administrateurs aux laboureurs qu’aux hommes d’armes, aux populations locales qu’aux étrangers146. Peut-être faut-il voir dans cette proximité géographique l’une des causes des réticences des populations à leur reconnaître un pouvoir de nature différente ? Le rejet s’adresse en fait à l’un des siens devenu autre.

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La condamnation se nourrit alors de la défense du statu quo social. Toute promotion est suspecte. Pierre Le Grant, de la ville de Lesboeufs dans le bailliage de Vermandois, en fait l’expérience lui qui, installé là, « se porta si bien » qu’il fut établi lieutenant du maire de la ville. Sa promotion fait naître l’envie : « pluseurs habitans eurent envie sur lui et lui dirent et firent plusieurs injures et villenies ». A partir de là le stéréotype est en marche. Ce lieutenant parle « raison et justice » ; on lui répond « qu’il les avoit grevé et porté dommage » ; il devient, comme les mauvais voisins, « mangeur de pauvres gens ». En 1382, la lettre de cet homme dont les nerfs ont lâché jusqu’au blasphème porte en elle toutes les pesanteurs d’une promotion sociale impossible. Il avait osé braver un destin contraire lorsque, ses biens ayant été brûlés par les Anglais, il s’était exilé de la ville voisine de Fiers ; il s’était évertué à reconstruire et à promouvoir « sa petite chevance » ; pis, il était fier de cette réussite. Rien de tout cela ne lui est reconnu147. Son destin n’a pourtant rien de national, mais même l’ambition du plus petit des officiers se trouve tuée dans l’oeuf.

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Ce souci du nivellement social contribue sans doute à mettre en place l’image dévalorisante de l’officier. Quelle part accorder à la vérité quand l’envie prend le dessus ? Tout enrichissement se révèle suspect, d’autant plus que la plupart de ces offices sont tenus ferme. Le procureur du roi peut prendre à son compte la méfiance des populations locales. Le garde des monnaies d’Angers n’avait rien quand il a pris son office en 1399 et le voici, en 1403, enrichi. Il a donc agi contre son office, il a violé le serment qui l’accompagne et il doit être puni148. L’officier réputé aux dents longues rejoint tous ceux dont la promotion sociale ne peut être due qu’à quelque pratique magique, réplique abâtardie d’Enguerand de Marigny ou de Jean de Montaigu. L’auteur anonyme du Songe véritable n’est pas le détracteur isolé d’un phénomène exceptionnel.

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La participation aux conflits locaux insère aussi ces officiers dans des clans dont ils partagent la haine. Au début du XVe sècle, Thierry Pétart, sergent de la prévôté de Chauny et demeurant à Remigny, se plaint de subir la haine du vicomte de Meaux et de ses gens « pour occasion des drois de notre sire d’Orleans qu’il garde comme sergent » 149. Le voici accusé d’être « rioteux », d’avoir « emblé un chene dans la foret du chapitre de Saint-Quentin » et enfin d’avoir connu charnellement une femme mariée, deux fois pendant le Carême. Son intervention serait même allée, nous l’avons vu, jusqu’à soudoyer le curé qui aurait incité cette femme naïve à manger du pâté d’aigle blanc le

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jeudi absolu pour mieux la perdre. La prison que ce sergent est contraint de tenir s’avère « haineuse ». 82

A quelle part de vérité renvoient tous ces portraits ? La question ne peut pas apporter de réponse satisfaisante. On peut voir certains officiers jouer de leur autorité. La torture abusive en est la première marque. Appliquée par ces tâcherons de l’Etat, a-telle une autre justification que la vengeance personnelle ou l’expression sadique du pouvoir150 ? Encore une fois et de ce point de vue, entre les officiers les nuances s’imposent. Dans les modalités de la répression, il y a loin des préoccupations du prévôt de Paris ou de la plus grande partie des baillis et sénéchaux à celles des officiers locaux et subalternes. Le procès de Jean Joly en juin 1404 peut en donner une idée. Fermier des subsides du roi, il s’est attiré la haine de maître Nicolas Achopart, bailli de La Fère-surOise, en exerçant son office151. Traîné devant le bailli de Vermandois, Joly est libéré après enquête. Mais la haine d’Achopart ne se satisfait pas de ce jugement. Elle se poursuit par réseaux d« accointances », si bien qu’Achopart finit par mettre lui-même Joly à la torture à l’huile et au vinaigre dans des conditions physiques telles que le Parlement demande la visite de mires jurés. L’officier peut aussi aller jusqu’au crime, jouant les coqs de village et abusant de ses subordonnés : l’argent et le sexe sont de son ressort152.

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Sans exagérer le nombre des officiers qui sont morts sous les coups des administrés — ils constituent un quart des victimes dont on connaît la profession mais seulement 5 % du nombre total des victimes —, on peut dire que le rejet du pouvoir en la personne de ses représentants n’est pas seulement une affaire de revenus. Il tient aussi aux oppositions larvées qui, au sein même des communautés, justifient les tours de la roue de Fortune. Les agents de l’Etat n’y échappent pas : la supériorité de leur cause est loin d’être reconnue.

DE DIFFICILES RÉVOLTES 84

Il peut arriver que la présence des Anglais, les aléas de la guerre civile ou les excès des officiers conduisent les habitants jusqu’à la révolte. Le lien est étroit entre ces insurrections et le crime.

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Les mots pour désigner les insurgés appartiennent plus fréquemment au vocabulaire de la criminalité qu’à celui de la contestation politique : ce sont des criminels plus que des rebelles. Ils sont moins décrits cherchant à abattre le pouvoir, à l’usurper, à détruire l’honneur du roi ou du royaume que commettant des crimes ordinaires. Pour désigner les commotions qui ont agité Arques, Saint-Omer, Saint-Bertin lors des insurrections de 1382, le texte de l’accord passé devant le Parlement en 1385 décrit les « bannis de Flandres » venus « pour inciter les tisserans et le commun » à faire « commotion et sedicion »153. Les rémissions qui suivent les insurrections de 1382-1385 sont demandées pour des vols, des meurtres, rarement pour des pillages, sauf si ceux-ci ont été commis contre des juifs154.

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Si la violence politique est décrite, elle est rarement conceptualisée. Au Parlement, en 1386, le procès se contente de rappeler les paroles prononcées par Robin de Rieux et Mahieu Pigay qui ont incité le peuple à ne pas fournir un char attelé au seigneur d’Attichy quand il a voulu participer au voyage de Flandre aux côtés de Charles VI 155. La plaidoirie du procureur du roi rapporte la teneur des discours prononcés par ces deux meneurs : peur de nouvelles « servitudes », solidarité avec ceux de Gand qui ne sont pas

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« ennemis du roy » mais « estoient aliez avec ceulx de Paris et a ceulx de la ville de Rouen et que le roi estoit tres faulsement conseillé d’aler en sa personne en Flandre ». Ce texte pose une nouvelle fois le problème de la perméabilité entre les différents foyers d’insurrection156. Quant à la personne du roi, elle est exclue de toute responsabilité. Ces modalités, importantes quant à la nature de l’insurrection, ne doivent pas nous retenir ici. L’essentiel pour notre propos est que le procureur du roi ait fait sienne cette description. Mais, même l’image d’une sorte de solidarité de la violence n’aboutit pas obligatoirement à formuler le crime politique. Le procureur du roi se contente de demander que les coupables soient menés au pilori à Paris et Attichy. 87

L’action des criminels politiques est rarement une trahison, terme qui désigne en général la lèse-majesté. On le trouve employé par E. Deschamps pour désigner Gand, « tricheresse » et « felonne » pour avoir continué la lutte après Roosebeke, voire pour désigner les Flamands, enfants de Judas157. Mais cette trahison qu’accompagnent l’envie et la cupidité reprochées aux révoltés s’apparente à la perversion plus qu’à la haute trahison politique définie au même moment par Bartole et Balde 158. Seuls les textes méridionaux, empreints de droit romain, peuvent condamner explicitement les Tuchins de crime de lèse-majesté. D’ailleurs, on y parle aussi de « conjuration » et de « sedition », à la manière de Salluste159. Ce sont là des exceptions. En règle générale, le vocabulaire emprunte plutôt aux catégories de la criminalité ordinaire. Ces révoltés sont des « crimineulx », malfaiteurs, voleurs, voire pillards et brigands. Parlant des effets de la révolte gantoise, le duc de Bourgogne rappelle les « maulx » et « meffais », les « destruccions de gens et de peuple » qui sont advenus « pour ces debas » 160. Les gestes de révolte se limitent à briser les huis, à s’emparer de pelisses, de vaisselle, etc. Comme de simples criminels les participants ont pu agir imbuti maligno spiritu, se montrer « hommes de mauvaise vie et de conversation deshonnete » et soutenir leur action de la haine qui traditionnellement scinde les groupes jusqu’à engager la « guerre mortelle »161.

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L’image de la révolte se dilue, elle aussi, dans le crime ordinaire. Qu’importe si la victime est un officier royal ou s’il y a eu port d’armes prohibé. Le résultat met l’accent sur l’homicide. Le récit de l’émeute de Clermont-en-Lodève d’octobre 1379 est significatif : « Perpetratis homicidiis et aliis nephandissimis criminibus per populares Montispessulani in personis venerabilium et circumspectorum virorum cancellarii nostri et senescalli Ruthenensis et aliorum officiariorum et consiliariorum domini mei regis et nostrorum »162.

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Cette approche de la révolte ne peut pas s’expliquer seulement par le désir de la banaliser aux yeux des autorités dans le but d’obtenir la grâce. Peut-être faut-il plutôt voir là une impossibilité à conceptualiser la révolte comme une action politique spécifique. Certes, la notion de rébellion existe et les chefs sont accusés de cruauté, acte politique plus que moral puisqu’il désigne généralement, comme nous l’avons vu, la tyrannie. Mais les connotations morales sont primordiales. La rébellion se trouve alignée au rang des crimes de sang, diluée dans le monde du crime ou dans un état social et moral propice au crime. Au pire, elle relève du plus profond du vice ou du mal ; elle est l’oeuvre du démon. Froissart s’effraye du grand diable qui s’est levé en France, et le Religieux de Saint-Denis des Tuchins poussés par le démon 163. Le vocabulaire désignant les révoltés confirme qu’ils sont, très vite, mis au ban de la société, y compris sans doute dans leur propre groupe social.

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Quel est l’effet d’une telle image sur l’opinion ? Il faut bien se résoudre à ne jamais le savoir mais rien ne permet de penser qu’il existe un énorme hiatus entre cette image donnée par les archives judiciaires comme par les chroniqueurs, et celle que les contemporains ont pu percevoir. Il est probable que, très vite, ces rebelles transmués en criminels ont hanté les esprits et que, face à leur désordre irrationnel, un sauveur ait été attendu. Le roi pouvait facilement cueillir l’effet du mal. Cette société de la tradition, incapable de vivre longtemps dans le crime, ne peut pas davantage affronter l’émeute qui est ravalée au rang du crime.

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Dans ce refus de se maintenir dans un espace perturbé, d’autres éléments entrent en scène qui font de la violence politique un moment voué rapidement à l’échec 164. La révolte se développe dans un temps inversé. L’inversion commence à la naissance de l’émeute. Anormal est le bruit qui l’accompagne : il est désigné sous le nom de « murmure », premier acte de la contestation si on en croit Froissart décrivant ainsi l’émeute de Gand : « Si commenchierent a murmurer mout de gens parmi la ville de Gand »165. Puis le murmure devient rumeur avant que naissent l’effroi et l’émotion 166. On assiste à une enflure progressive mais rapide du bruit qui s’accompagne d’une construction où fonctionne à plein l’inconscient du groupe. Pour se structurer ainsi, faute d’informations réelles, le bruit a besoin de se charger de lieux communs, de stéréotypes qui véhiculent tout ce que la société ordinaire comporte de menaces plus ou moins imaginaires, de fantasmes, reflets en creux des valeurs essentielles de la survie sociale. Certains de ces stéréotypes appartiennent aux litanies que nous avons vues accompagner la description des crimes capitaux : viols, vols, hommes et enfants rôtis au feu167. Les supports qui procèdent à cette structuration de la rumeur varient selon les témoignages mais leur registre contribue largement à entretenir la peur.

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Sur un fond d’émotion qui prend pour prétexte la présence des Anglais ou de troupes adverses, les bruits circulent comme cristallisés sur des thèmes déjà nettement stéréotypés, et la grande criminalité, plus ou moins mythique, leur sert de support. Devant ces coupables lointains, insaisissables, le peuple est désarmé. Aucun arbitrage, aucune vengeance, aucune désignation du criminel n’est possible. Resterait la protection du pouvoir. Celui-ci a souvent joué de ces rumeurs plus ou moins fondées pour purifier le royaume et imposer des mesures coercitives, à commencer par la procédure extraordinaire168. Mais justement l’insurrection commence quand la rumeur s’accompagne de l’idée d’abandon par le pouvoir, quand ces stéréotypes ne jouent plus leur rôle habituel de boucs émissaires. Alors le pouvoir même est impuissant à maîtriser les menaces que profère l’inconnu, livrant de fait le peuple aux mains des aventuriers. Dans cette peur poussée au paroxysme, Dieu seul est alors capable de dire, par la bouche du peuple, où est la vérité. Laissons parler le Bourgeois de Paris quand il évoque les événements de 1418 : « Mais Dieu qui scet les choses abscondees, regarda en pitié son peuple et esveilla Fortune, qui en soursault se leva comme chose estourdie, et mis les pans à la saincture, et donna hardement a aucuns de Paris de faire assavoir aux Bourguignons que ilz tout hardiment »169.

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Faire savoir : le bruit ne se calme que lorsque commence la connaissance, quand le mythe, dégonflé, reflue devant la réalité. Le manque d’information conditionne bien le développement de la révolte et la voue à l’échec, à brève échéance. On peut rattacher à ces formes d’imagination collective la peur des complots et des conjurations. Analysant les événements de 1382, le Religieux-de-Saint-Denis décrit les protagonistes qui de « conciliabules insensés » en viennent aux « serments terribles » quand ils ne vont pas

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jusqu’à « jurer » comme en Flandre « de combattre pour la liberté du pays » 170. Pour désigner les événements qui, en 1418-1420, secouent Amiens en proie à la peur des Anglais et aux oppositions sociales qu’avive la guerre civile, le procès criminel rapporté au Parlement n’emploie pas d’autres mots : émotion, effroi, accolés à des assemblées secrètes dont les membres « en grant nombre veuillans faire entre eulx chief et administrateur au desceu desdiz maire et eschevins et notables bourgois et marchans de ladicte ville »171. La rumeur colporte ces assemblées secrètes et les signes de ralliement, quand l’alliance se scelle « couvertement ». Les rapports normaux de la convivialité et de la sociabilité se trouvent alors bafoués : ni témoins, ni pot, ni vin pour célébrer l’amitié aux yeux de tous. Les règles de l’alliance, biaisées, se teintent de subversion. Gand sous la plume d’Eustache Deschamps a beau jeu de tirer les ficelles d’un complot général172. 94

La rupture que créent les bruits est aussi celle du temps. L’action se passe aux moments cruciaux de la sociabilité, pendant le temps de la prière comme à « vespres », que ce soit à Béziers ou à Rouen. Plus inquiétante encore est la nuit, ce temps de minuit choisi par les insurgés de 1418, « heure moult esbahissant a homme sourprins » 173. A Amiens, la succession des assemblées de nuit inquiète autant que leur contenu 174. Et le Bourgeois de Paris insiste sur le désordre que créent les feux allumés à cette heure là, quand la vie prend la place du sommeil : « Pour quoy on faisoit toutes les nuys tres grans feuz et n’estoit nuyt que on ne criast alarme, et faisoit on cris à trompe a mynuit, apres mynuit, davant mynuit, et neantmoins tout ce plaisoit au peuple, pour ce que de bon cuer le faisoient »175.

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Le temps de la révolte est celui des actions maléfiques, celui des criminels aux circonstances aggravantes, des vols prémédités ou de l’« aguet-apensé ». Quand le temps est devenu sans repère, le désordre est total. A Rouen, les cloches des églises se sont tues : seules sonnent celles de la commune, provoquant le désarroi des habitants176. Dans la ville révoltée, aux portes souvent closes, une vie inversée s’est installée. Les habitants ne marchent plus, ils « courent » 177. Comment pourraient-ils durer très longtemps dans ces « excès » ?

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Néanmoins, la révolte n’obéit pas exactement aux lois du crime ordinaire et c’est là encore une des raisons de son développement dans le court terme. L’action de ses protagonistes va au-delà des normes du code de l’honneur qui reste caractéristique de la criminalité. Dans ces barrières transgressées, la révolte trouve en partie ses limites.

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En effet, la colère, l’ire ou encore la « chaude cole » peuvent accompagner la genèse des crimes mais elles dégénèrent rarement en fureur, sauf en cas de dérèglement spécifique comme dans le cas de la folie177. Or, la fureur est caractéristique de la révolte. Les termes empruntés par les chroniqueurs peuvent varier en fonction de leur culture, mais ils convergent tous pour exprimer un dérèglement total. De ce point de vue, le Religieux-de-Saint-Denis fait preuve de la plus grande palette, depuis la « multitude aveugle », l’entrée en action des « furies », les « betes feroces », la « rage forcenee » ou la « fureur indomptable »178. Et si, au cri de « Tuez tout », les révoltés empruntent au vocabulaire normal de la vengeance, très vite leur action se situe hors des normes car la révolte atteint d’elle-même son point de non-retour. Jeu gratuit d’« Orange mécanique », elle ne sait plus respecter les lois que la société s’impose. Le cri de vengeance encore trop humain, se fait lointain, débordé. Dans sa rage de détruire, Capeluche, le bourreau, fait fi d’un des tabous les plus vifs de la société en ce début du XVe siècle, celui de la femme enceinte, intouchable et a priori innocente. Déjà des

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hommes accusés d’être armagnacs ont été mis à mort nus sur les carreaux. Ce signe d’infâmie ne respecte pas l’adversaire : n’est-il pas réservé à l’amende honorable ? Puis la scène du lundi 22 août transgresse définitivement l’honneur des hommes : « furent encusees aucunes femmes, lesquelles furent tuees et mises sur les carreaulx sans robbe que de leur chemise et ad ce faire estoit plus enclin le bourreau que nulz des autres ; entre lesquelles femmes il tua une femme grosse, qui en ce n’avoit aucune coulpe, dont il advint ung petit pou de jours apres qu’il en fut print et mis en Chastellet » 179. 98

La force accordée à ce tabou ne se comprend qu’en rapport avec l'aura quasi sacrée qui entoure la femme enceinte et sur laquelle nous reviendrons180. Le sacrilège auquel se livre Capeluche est en tout point comparable à celui que, quelques temps plus tard, commettent les loups dévorant le ventre de la jeune femme grosse que le bâtard de Vauru a ordonné d’attacher à un arbre181. Le loup et l’homme, par une connotation sexuelle encore une fois évidente, en approchant la femme enceinte, ont transgressé le tabou. Pour avoir voulu bouleverser l’ordre non plus social mais culturel, Capeluche s’est exclu et est exclu de la communauté, quelle que soit l’origine sociale des révoltés. Car ces révoltés ne sont pas des hommes sans lois, des marginaux au sens strict du terme. Les bas-fonds parisiens dont parle Br. Geremek peuvent se composer des marginaux du travail, mais les valeurs auxquelles ils obéissent ne tranchent pas sur celles qui unissent par ailleurs la population parisienne 182. Tous respectent le même code de l’honneur. Et toute transgression de ce code est susceptible de mettre en danger leur cohésion, c’est-à-dire finalement l’existence du tissu social. Les révoltés n’échappent pas au poids de cette contrainte. La révolte y trouve sa limite, sans doute parce que les lois de l’honneur qui unissent les hommes sont, en ce début du XV e siècle, plus fortes que les clivages sociaux. La révolte bute sur le poids d’un ordre culturel dont les éléments ont servi à maîtriser l’espace.

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Les motifs sont nombreux de voir l’espace quotidien perturbé. Mais, quelle que soit l’ampleur de ces perturbations, elles ne parviennent pas à briser le cadre de l’horizon quotidien. Les insurrections y trouvent une des raisons de leur caractère éphémère. La criminalité que ces perturbations entraînent se trouve gauchie par rapport à la violence ordinaire sans être radicalement différente. Le résultat est, par conséquent, difficile à mesurer. Au-delà du pays peut se profiler le royaume, mais cette mise en perspective n’est pas, en fait, imposée de l’extérieur par les contraintes de la guerre ou de l’administration. Dans les deux cas, le phénomène est assimilé de l’intérieur par une communauté qui réagit avec ses propres normes. C’est au sein même de l’opinion que naissent les stéréotypes qui cristallisent les différences, celui de l’homme de guerre, de l’ennemi, de l’officier. Eux-mêmes générateurs de nouvelles violences, ces stéréotypes sont, en fait, riches d’avenir. Ils ont sans doute contribué à l’élargissement de l’espace politique des communautés autant que les ordres venus d’en haut.

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Mais, dans l’espace resté quotidien, il faut bien convenir que ces heurts ne constituent pas la préoccupation première. Si tant de grandes causes sont ramenées aux normes de vie traditionnelles de la communauté, c’est que celles-ci sont prépondérantes. Il convient donc maintenant d’en analyser la trame, et de voir comment le crime s’en saisit.

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NOTES 1. La bibliographie est immense, depuis les travaux de R. BOUTRUCHE, La crise d’une société..., jusqu’à ceux de G. BOIS, Crise du féodalisme..., pour ne citer que les études régionales. 2. Par exemple X 2a 16, fol. 32, octobre 1410, (bailliage de Vermandois). Sur la place de la « pauvreté » ou du veuvage dans les accords, voir chapitre 1, p. 23. 3. Mise au point historiographique faite par Ph. CONTAMINE, « La guerre de Cent ans en France : une approche économique », La France aux XIVe et XVe s..., p. 125-149. 4. R. MUCHEMBLED, Culture populaire..., p. 24. 5. Sur la critique de ces documents, voir chapitre 1, p. 23 et chapitre 2. 6. A titre d’exemples : JJ 127, 34, juillet 1385, ÉPAGNETTE (sénéchaussée de Ponthieu) ; JJ 165, 310, mai 1411, (bailliage de Chartres). 7. L’épidémie peut contraindre à transformer les procès en transactions, X le 81A, janvier 1401 : « et depuis en la mortalité qui a esté en ceste presente annee ledit Michiel est alez de vie a trespassement, delaissiez lesdis Marion sa femme et ledit Jehannin Bouteux son filz, toutesvoies lesdictes parties qui sont povres, pour bien de paix et pour eschevier la misere et frais et que s’il estait dit mal appellé lesdis povres supplians n’auroient de quoy paier l’amende dudit appel... ». Autre exemple, X le 84A, juillet 1402, (bailliage de Touraine). 8. JJ 127, 1, lettre citée chapitre 3, n. 35. 9. Ibid., 76, lettre citée chapitre 10, n. 3. 10. Ibid., 101, lettre citée chapitre 10, n. 5. L’année 1385 connaît cependant une période d’accalmie dans l’épidémie, J.N. BIRABEN, Les hommes et la peste..., t. 1, p. 119. Aucune trace de l’épidémie ne semble exister à Reims à cette date, P. DESPORTES, Reims et les Rémois..., p. 544-549. 11. Les effets du « deuil impossible », d’une mort qui perturbe le rituel funéraire, sont une explication plus satisfaisante pour expliquer le crime, que celle qui prend en compte le déracinement urbain, du moins d’après les documents criminels que j’ai pu consulter. Sur ces perturbations dans la chaîne des gestes qui apprivoisent rituellement la mort, J. CHIFFOLEAU, La comptabilité..., p. 202-205. 12. G. de MACHAUT, Le Jugement du roi de Navarre, Œuvres..., t. 1, p. 152. 13. JJ 127, 223, lettre citée chapitre 7, n. 94. 14. Voir en particulier R. FAVREAU, La ville de Poitiers..., t. 2, p. 570-572. 15. JJ 211, 48, décembre 1483, RESSONS (gouverneur de Péronne). 16. X 2a 14, fol. 222v., janvier 1405. Jean Tison, écuyer, dit qu’il est soupçonné d’avoir tué un homme qui, en fait, a été emporté par épidémie. 17. X le 70B, 208, avril 1395. 18. Voir le cas cité supra, n. 9. 19. La réflexion de Jean Gerson s’inscrit dans la préparation à la mort qui caractérise une pastorale typique de la fin du XIVe siècle. Tout homme doit être prêt à affronter la mort à quelque moment que ce soit. La mort violente, parce qu’elle est subite, rend nécessaire une préparation continue. Cette réflexion permet de formuler en particulier la différence entre les péchés mortels et les péchés véniels, mais aussi d’affirmer la place du Purgatoire, J. GERSON, Œuvres complètes, t. 7, p. 370 et suiv. et p. 1034. Les résultats du message vulgarisé par les clercs fait aussi naître « l’obsession de la mort subite » et la recherche d’« abris » accessibles qui sont parfois à la limite de la déviation, Fr. RAPP, « La Réforme religieuse... », p. 65. 20. H. PLATELLE, « La violence et ses remèdes... », p. 128-131. 21. X 2a 12, fol. 234-234v., décembre 1394. 22. Voir chapitre 5, p. 197 et suiv. 23. JJ 181, 214, décembre 1452, CRIÉ (bailliage de Mâcon).

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24. Ibid., 179, août 1452, AY (bailliage de Vitry). 25. JJ 127, 232, novembre 1385, AUXERRE (bailliage de Sens et d’Auxerre), et ibid., 240, novembre 1385, PROVINS (bailliage de Meaux). 26. Les inconnus se répartissent ainsi : laboureurs 77 %, laboureurs de bras 79 %, gens de métiers 77 %, hommes d’armes 83 %, officiers 78 %, clercs 83 %. 27. A titre de comparaison : chez les laboureurs, 4 % des coupables et 3 % des victimes utilisent l’épée, et 6 % et 4 % chez les gens de métiers. 28. Ph. CONTAMINE, Guerre, Etat..., p. 317-318. 29. Résultats obtenus par le traitement d’ensemble de JJ 102 et JJ 103 (années 1370-1372) : 14 % d’artisans, 15 % de cultivateurs, 15 % d’hommes d’armes, 11 % d’officiers, 5 % de clercs, les 40 % restants ne déclarent pas de profession. 30. Voir chapitres 2, p. 72 et 19, p. 856 et suiv. 31. JJ 103, fol. 143, mai 1372, donation de Montbrun au « chevalier Auchy de Passat, notre senechal en Limousin ». 32. Sur le faible nombre des chevaliers et leur âge déjà avancé aux XIV e et XV e siècles, Ph. CONTAMINE, op. cit. supra, n. 28, p. 151-183. 33. D’après JJ 98, années 1364-1365. 34. JJ 98, 701, lettre citée chapitre 9, n. 179. Les déclinaisons d’identité des nobles en procès au Parlement criminel relèvent du même objectif, être sauvé par une généalogie triomphante, voir les cas évoqués par Fr. AUTRAND, Naissance..., p. 246. 35. D’après JJ 181, années 1451-1453. 36. Ibid., 153, juin 1452, COURTONNE-LA-MEURDRAC (bailliage d’Évreux). Sur l’image des francsarchers, Ph. CONTAMINE, op. cit. supra, n. 28, p. 364. 37. Voir tableau 16, chapitre 8. 38. JJ 103, 115, juin 1372, SAINT-AMAND-EN-PUISAYE (à tous les justiciers). 39. JJ 181, 144, juin 1452, VAILLY-SUR-AISNE (bailliage de Vermandois). 40. JJ 103, 115, lettre citée supra, n. 38. 41. JJ 181, 191, septembre 1452, (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 42. JJ 102, 223, novembre 1371, BILLY (bailliage de Caen), lettre de rémission pour Jean de Brienne ; JJ 172, 32, avril 1420, SAINT-GENGOUX-LE-NATIONAL (bailliage de Mâcon). 43. JJ 103, 33, février 1372, SOISY-SUR-SEINE (prévôté de Paris). 44. Ibid., 115, lettre citée supra, n. 38 et 40. 45. JJ 179, 149, lettre citée chapitre 5, n. 42. 46. Comparer avec les textes cités chapitre 5, n. 51 et 56, et les clauses de l’ordonnance du 3 mars 1357 citée infra, n. 48. 47. JJ 98, 306, mai 1365, SENS (bailliage de Sens et d’Auxerre). 48. ORF, t. 3, p. 128. Rappelons que cette ordonnance n’a pas été suivie d’effets, Cl. GAUVARD, « Le roi de France et l’opinion... », p. 353-366. Voir chapitre 2, n. 59. 49. Voir chapitre 5, p. 208 et suiv. 50. Livre des Epistres et Esvangiles, BN Fr. 402, fol. 6v. Pour un exemple extrême de la xénophobie royale quand les intérêts sont enjeu, voir la décision prise par Charles VII en 1431 de ne conférer les bénéfices ecclésiastiques qu’aux gens natifs du royaume. Le roi s’en réfère à une décision de Charles VI qui n’a jamais été appliquée, car « on avoit l’en toleré et souffert aucuns estrangiers avoir et tenir benefices en notredit royaume », BN Fr. 5275, fol. 4v.-6. L’argument développe l’idée que ces bénéficiaires étrangers peuvent tenir le « partiz nos ennemis ». On peut trouver dans les lettres royales une position exactement inverse, par exemple ORF, t. 8, p. 59-60, 21 mars 1395, ibid., p. 123, février 1396, ibid., p. 186-187, mars 1397, ibid., p. 213, mai 1398, quand le roi cherche à ne pas « vexer » les marchands forains en leur restituant des privilèges anciens. 51. X le 84A, 6, novembre 1401, TOUCY.

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52. X 2a 16, fol. 171, 1 er août 1412 : « et se pourrait un vassal par lever compaignies de gens forains et bannis dont il en y a plusieurs en ce royaume de povres jeunes gens qui pour devenir riches et pour avoir occasion de pillier le royaume seraient legier a eslever ». 53. Par exemple X 2a 17, fol. 10, mars 1411. Le procès met en cause des Flamands que Jouvenel dit être des espions tandis qu’Intrant affirme « que lesdiz marchans sont bien vueillans du roy et ambassadeurs et si ont esté prins ou royaume ou bailliage de Sens et si ont lettres de Monseigneur de Bourgogne que on les delivrast ». Autres exemples contemporains, X la 4789, fol. 22v., décembre 1410 ; ibid., fol. 209, janvier 1412. 54. Sur l’octroi des lettres de marque et l’évolution du droit monarchique vis-à-vis des étrangers, P.C1. TIMBAL, « Les lettres de marque... », p. 109-138. 55. JJ 165, 320, septembre 1410, LIESSIES (bailliage de Vermandois). Le pays d’origine du suppliant n’est pas précisé. 56. JJ 127, 287, lettre citée chapitre 9, n. 32. 57. La notion d’étranger au royaume a mis longtemps à se répandre dans les usages, M. BOULETSAUTEL, « L’aubain dans la France coutumière... », p. 95, n. 1. 58. Par exemple JJ 128, 180, février 1386, CHANTEMERLE (bailliage de Senlis). 59. X 2a 14, fol. 426-427v., juin 1408, et X 2a 15, fol. 235-236, août 1408. 60. JJ 169, 44, janvier 1416, LIERGUES (bailliage de Mâcon) ; ibid., 101, juillet 1416, MONTIVILLIERS (bailliage de Caux) ; ibid., 131, mai 1416, SAINT-VALERY-SUR-SOMME (bailliage d’Amiens et sénéchaussée de Ponthieu). 61. JJ 169, 79, février 1416, BIZE (bailliage de Mâcon) ; ibid., 182, août 1416, COUTOUVRE (bailliage de Mâcon). 62. Ibid., 25, janvier 1416, MONTIVILLIERS (bailliage de Caux). 63. Par exemple X 2a 17, février 1417 : Marigny, pour le prévôt et les jurés de Tournai, « dit que Tournay est bonne ville situee en frontiere ou repairent gens estrangiers et noiseux ». La réputation de violence des Brabançons fait partie de la mythologie xénophobe médiévale, X 2a 16, fol. 89, septembre 1410, REIMS, où pour charger Jean Dausale de nombreux « exces », le prévôt de Reims dit qu’il est venu « de Brabantia vel aliunde extra regnum ». Sur ces crimes frontaliers, voir chapitre 6, p. 262 et les cas cités par H. PLATELLE, « Moeurs populaires... », p. 35 et suiv. 64. JJ 169, 147, mai 1416, LA ROCHELLE (gouverneur de La Rochelle). 65. Sur l’homosexualité, voir chapitres 5, n. 92. 66. JJ 133, 12, juillet 1388, GUERCHEVILLE (bailliage de Melun). Les signes distinctifs et les injures contre les juifs sont cependant rares, JJ 127, 84, août 1385, BERTIGNY-ENBEAUCE (bailliage de Chartres). 67. Chapitre 10, p. 459. Bel exemple du lien entre le brigandage et la guerre dans la rémission de Jean de Chalus, écuyer qui, de retour en Auvergne, fut « contraint » à passer « alliances » et « serments » avec les brigands qui stationnaient autour de Clermont, « lesquelx le prindrent et lui firent promettre que il serait de leur aliance et compaignie ou autrement ilz le destrousseroient, murdreroient, bouteraient le feu en son hostel », JJ 170, 9, février 1418, (bailliage des Montagnes d’Auvergne). 68. JJ 169, 84, janvier 1416, CONCRESSAULT (bailliage de Montargis et Cepoy). Dans une autre version de ce crime, le chef de la compagnie est présenté comme l’assaillant contre ceux qu’il considère comme des brigands : « ce sont brigand, maut, maut a eulx », ibid., 60. 69. BLOT-L’ÉGLISE. Sur cette seigneurie, P. CHARBONNIER, Une autre France..., t. 2, p. 1219. 70. Pour d’autres exemples de cette confusion et son évolution au cours du XV e siècle, Cl. GAUVARD, « Résistants... », p. 132-133. 71. Statistiques pour l’année 1364-1365, JJ 98. 72. JJ 120, 100, 23 février 1380, (bailliage de Vermandois). Le suppliant est Jean Le Bufle, bâtard et fils de feu Nicole de Lige, chevalier. La Chancellerie, pour justifier sa grâce, évoque que « par

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plusieurs foiz ou temps passé, il se soit armé et porté en armes pour notre adversaire d’Angleterre contre nous et notre royaume pour gaigner ses gages comme les autres soldoiers des estranges païs, et soit venuz et alez en la compaignie de nosdiz ennemis parmi notre royaume, et de present il se veult mettre et tourner a notre obeissance et a la couronne de France et comme bon et loyal françoiz soy porter s’il nous plaisoit lui recevoir et pardonner les meffaiz dessus diz qu’il nous plaise sur ce estendre notre grace. Et nous inclinans a sa supplicacion en regart et consideracion a ce que dit est, que ledit Jehan n’est pas nez de notre royaume et qu’il est prest et appareillié de nous servir en noz guerres contre noz ennemiz si comme il dit, voulens touzjours nous porter gracieusement envers ceulz qui vouldroient revenir et demourer a notre vraye obeissance ». 73. JJ 127, 286, décembre 1385, PONT-DE-L’ARCHE (bailliage de Rouen). 74. JJ 155, 272, avril 1400, VENDEUVRE-SUR-BARSE (bailliage de Troyes). 75. Mathieu Paris, VII, 49-53, cité par D. O’CONNELL, Les propos de Saint Louis, p. 105-108. 76. P. V. BÉTEROUS, « Xénophobie, xénophilie... », p. 131 et suiv. Selon la légende, les habitants de Dorchester, pour avoir insulté Augustin de Cantorbery, auraient été condamnés par le ciel à porter une queue. L’expression « Anglais couez » est encore employée dans les plaidoiries du Parlement civil à la fin du XVe siècle, X la 4828, fol. 268, mai 1486. Elle est devenue une plaisanterie populaire pendant la guerre de Cent ans, jusqu’en Dauphiné, et les Anglais furent facilement assimilés à des loups. Voir les exemples cités par Ch. PETIT-DUTAILLIS, Charles VII..., p. 67 et 91. 77. X 2a 14, fol. 219-220, décembre 1404. 78. Il existe aussi au XIIIe siècle un courant anglophile dont les miracles de Chartres en 1262 sont représentatifs, P.V. BÉTEROUS, op. cit. supra, n. 76, p. 135. Les sources consultées n’ont pas permis de suivre son éventuel prolongement pendant la guerre de Cent ans. 79. JJ 165, 195, août 1411, COUSSAC-BONNEVAL (sénéchaussée de Limousin). 80. Chapitre 18, p. 839. 81. Résultat obtenu d’après JJ 98, année 1365. 82. JJ 127, 256, décembre 1385, VIRANDEVILLE (bailliage de Cotentin). 83. Par exemple JJ 169, 63, février 1416, MONTHUCHON (bailliage de Caen). 84. JJ 98, 337 et 450, février 1365, (à tous les justiciers). 85. BN Fr. 5275, fol. 14, 3 mai 1412. 86. Au total, le mot « ennemi » l’emporte sur tous les autres mots pour désigner le camp adverse de la guerre civile. S’il éclipse « adversaire », n’est-ce pas parce que le conflit a une forme supérieure à celle d’une vengeance privée ? S’il éclipse aussi « rebelle », n’est-ce pas parce que le conflit, par sa durée, dépasse largement le simple cadre d’une insurrection sporadique ? L’évolution du vocabulaire montre la profondeur du conflit et son enjeu politique. 87. J. de MONTREUIL, Traité contre les Anglais, Opera, t. 2, p. 159 et suiv. Au coeur du traité se trouve le crime de lèse-majesté. Voir surtout la lettre A ce que tu m’as escript, ibid., p. 153-158, construite sur une opposition systématique entre les Anglais et les Français. 88. Sur le profil de ces circonstances évoquées par les suppliants, voir tableaux 22 et 23, chapitre 10. 89. Les formes de cette auto-défense des populations rurales pendant la guerre de Cent ans sont analysées par G. FOURNIER, « La défense des populations rurales... », p. 155-199. Pour d’autres exemples, A. GIRARDOT, « Les forteresses paysannes... », p. 3-55. 90. Sur cette « mythologie » de la forêt, voir chapitre 6, p. 291 et suiv. 91. JJ 103, 190, septembre 1372, LA FERTÉ-SOUS-JOUARRE (prévôté de Paris). 92. JJ 98, 539, juin 1365, ÉPERNAY (prévôté de Laon) ; autre exemple, JJ 107, 169, lettre citée chapitre 10, η. 111. 93. JJ 169, 107, juin 1416, HARCOURT (bailliage de Caux).

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94. Sur les 77 % de lettres qui évoquent la guerre comme circonstance du crime, 26 % donnent comme endroit du crime un lieu clos, 25 % la nature cultivée, 23 % la rue, 17 % la nature sauvage et 9 % divers autres endroits. 95. JJ 169, 84, lettre citée supra, n. 68. 96. Ibid., 178, mars 1416, YVILLE-SUR-SEINE (bailliage de Chartres). La lettre est accordée dans le bailliage où se trouve le suppliant. 97. Cette femme parcourt ainsi plus de 300 kilomètres qui de Normandie la conduisent à Gien, JJ 169, 165, juin 1416, MONTCRESSON (bailliage de Montargis et Cepoy). 98. JJ 103, 20, février 1372, FRAILLICOURT (à tous les justiciers). 99. JJ 102, 219, janvier 1371, REIMS (bailliage de Vermandois). Sur la conjoncture rémoise à cette date, P. DESPORTES, Reims et les Rémois..., p. 550-562. 100. JJ 98, 539, lettre citée supra, n. 92 ; et ibid., 306, lettre citée supra, n. 47. 101. JJ 165, 193, août 1411, LES ALLUETS-LE-ROI (prévôté de Paris). 102. JJ 169, 94, juin 1416, FORCEVILLE (bailliage de Vermandois). 103. JJ 169, 148, lettre citée chapitre 7, n. 98. 104. J. GERSON, Vivat rex, Œuvres complètes, t. 7, p. 1171. 105. ORF, t. 1, p. 540 ; ibid., t. 5, art 6, p. 643. 106. Exemples cités dans Cl. GAUVARD, « Résistants... », p. 130-131. 107. JJ 165, 195, lettre citée supra, n. 79. 108. X 2a 17, fol. 170v. et fol. 172v., janvier 1415. 109. JJ 181, 113, avril 1452, (bailliage de Rouen). Sur la famille de Vincent de Druy, originaire de Decize, A. BOSSUAT, Perrinet Gressart..., p. 346. 110. JJ 103, 190, lettre citée supra, n. 91. 111. Ibid., 61, mai 1372, AVENAY-VAL-D’OR (bailliage de Vermandois). 112. Ibid., 190, lettre citée supra, n. 91 et 110. 113. N. GRÉVY-PONS, « Propagande et sentiment national... », p. 127-145. 114. JJ 128, 89, février 1386, SAINT-MICHEL-SUR-LOIRE (bailliage de Touraine). 115. JJ 155, 284, novembre 1400, CASTÉRA-LOU (sénéchaussée de Bigorre). 116. JJ 151, 7, janvier 1397, JUSSAS (sénéchaussée de Saintonge). 117. JJ 181, 247, mars 1453, SAINT-JAMES (bailliage de Cotentin). 118. Tous ceux qui qualifient leur âge dans un crime contre les Anglais, ou pendant la guerre civile, sont appelés « jeunes hommes ». 119. JJ 150, 12, lettre citée chapitre 11, n. 47. 120. Et cela dans l’ensemble du royaume, y compris en Bretagne, J. KERHERVÉ, L’Etat breton..., t. 1, p. 519. Sur cette attitude collective d’hostilité, Cl. GAUVARD, « Les officiers royaux... », p. 583-593. 121. Par exemple, X le 84A, 7 juillet 1402, le prieur de Saint-Christophe en Touraine s’oppose aux exigences financières du bailli ; cas similaire, X le 81A, 150, mars 1401 : les habitants de NANGIS s’opposent au paiement d’une taille ; ibid., 276, décembre 1401 à GRIGNON et ORLY. Sur les résistances à l’impôt en Bretagne, J. KERHERVÉ, L’Etat breton..., t. 2, p. 569 et 584-589. 122. Si les mécanismes relatifs à la perception des impôts sont maintenant bien connus, il manque une synthèse sur l’idée d’impôt. J’ai tenté de donner quelques aperçus des relations entre l’impôt et la perception de la servitude, Cl. GAUVARD, « L’opinion publique... », p. 17-18, en particulier dans quelques procès qui concernent la région orientale du royaume où le servage s’est longtemps maintenu, X la 4785, fol. 165v., juin 1401 ; X la 4789, fol. 444v., mai 1413 ; X la 9187, fol. 12v., 18v., 26-26v., septembre 1402. 123. X 2a 14, fol. 202-202v., août 1404. L’aide a été levée pour la fortification de la ville. Sur l’identité des insurgés, ibid., fol. 201v. 124. L. MIROT, Les insurrections urbaines..., p. 75 et suiv. 125. Cl. GAUVARD, « L’opinion publique... », p. 20-22. 126. X 2a 17, fol. 10 et suiv., mars 1411, MONTAIGU.

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127. X le 70A, 227, mai 1395 ; il s’agit d’un sergent royal. Autres exemples : X le 85B, février 1403, Jean de Luistres s’oppose au prévôt des seigneurs de Luistres ; X le 84A, juillet 1402, lutte de la ville d’Amiens contre le bailli ; X 2a 12, fol. 216-216v., 1393, dans ce cas, l’action du sergent va jusqu’à provoquer la révolte de la châtellenie de Craon. 128. JJ 98, 589, septembre 1365, (bailliage de Caux). 129. X la 4790, fol. 31v.-32, et X 2a 17, fol. 127v., janvier 1414. 130. Chapitre 4, p. 161 et suiv. 131. JJ 127, 291, novembre 1385, LE SAP (bailliage d’Orbec). 132. Chapitre 18. p. 832 et suiv. 133. Encore une fois, des comparaisons s’imposent avec le bailliage de Senlis, B. GUENÉE, Tribunaux..., p. 277 et suiv. ; avec la Bretagne, J. K.ERHERVÉ, L’Etat breton..., t. 2, p. 842-844. 134. X le 50A, 52, janvier 1385 ; X 2a 14, fol. 16, mars 1401, ORLÉANS ; X 2a 16, fol. 228v., juillet 1413. Dans ce dernier cas, l'officier, à cheval, est attaqué avec préméditation dans le bois de La Garnache situé entre Challans et Machecoul où l’attendent plusieurs hommes armés. Nombreux exemples extraits des archives du Parlement civil, Fr. AUTRAND, « Offices et officiers... », p. 299-307. 135. JJ 107, 185, lettre citée chapitre 7, n. 145. 136. Fr. AUTRAND, op. cit. supra, n. 134, p. 332-338. 137. X 2a 14, fol. 202v., cité supra, n. 123. 138. C’est un des thèmes des ordonnances de réforme depuis 1303, ORF, t. 1, p. 354-368. 139. X 2a 14, fol. 204-204v., août 1404. Le bailli de Vermandois est alors Ferry de Hangest, bailli depuis le 22 janvier 1400 jusqu’à 1407-1408. Sur ce personnage, lui-même écuyer, A. DEMURGER, « Guerre civile... », p. 261. 140. X 2a 14, fol. 11v., février 1401. Il s’agit d’Etienne de Montigny, écuyer, bailli depuis le 1 er octobre 1399, A. DEMURGER, ibid., p. 278. 141. Le procès contient expressément que ce procédé est interdit par les ordonnances (voir ORF, t. 8, p. 409-418, 7 janvier 1401), de la même façon qu’il est interdit au bailli, quand il tient ses assises, de faire « paier ses despens aus prevosts et que aucuns s’en plaignent », X 2a 14, fol. 23v. ; il est même ajouté que le prédécesseur d’Etienne de Montigny, maître Oudart, le faisait, mais que ce ne doit pas être une coutume à suivre. Sur les changements de personnel opérés par le bailli de Melun en 1396, X 2a 12, fol. 307-307v. 142. X 2a 17, fol. 21v.-22, avril 1411, (bailliage de Vitry). Le bailli est Philippe de Cervolle (bailli depuis le 26 février 1409 jusqu’au 25 août 1413), A. DEMURGER, op. cit. supra, n. 139, p. 241. Raoulet Jaquelet entendait profiter de la réputation pro-bourguignonne du bailli et de la lutte que celui-ci avait menée contre les forteresses armagnaques en Champagne pour couvrir ses propres actions de pillage. Jean Jouvenel ne s’est pas laissé prendre au piège. 143. Voir chapitre 5, n. 187 à 189. 144. X 2a 17, fol. 144-145, juin 1414. 145. X 2a 16, fol. 275-276v., mai 1415, VITRY. 146. 2 % seulement des laboureurs ont parcouru plus de 30 kilomètres avant de commettre leur crime, contre 28 % des hommes d’armes. 147. JJ 120, 357, juin 1382, LESBOEUFS (bailliage de Vermandois). Fiers, est à 6 kilomètres. 148. X 2a 14, fol. 128-130, juillet 1403. Autre exemple ibid., fol. 14-14v., mars 1401 : il s’agit de Laurent Testait, prévôt fermier de Villeneuve-le-Roi, qui « est juge royal, et en chascun lieu de sa prevosté, il puet proceder par justice en cas criminel et en matiere de prisonniers, et si dist que en faisant ses explois il prent ses frais sur les forfaitures ». On peut discuter des effets de la ferme sur l’enrichissement et sur les abus commis par les officiers. En Angleterre, les sherifs, élus, sont les officiers les plus corrompus, J.G. BELLAMY, Crime and Public Order..., p. 13-14.

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149. Ibid., fol. 144v.-145, novembre 1403. Autres cas, X 2a 10, fol. 102v., avril 1380, bailli d’Amiens ; ibid., fol. 158, mai 1383, prévôt d’Epernay. Sur les réseaux de haine tissés autour des officiers, B. GUENÉE, Tribunaux..., p. 284-285. 150. Ces scènes de torture menées par les officiers subalternes traduisent une violence particulièrement gratuite fondée sur les ressorts psychologiques les plus élémentaires, X 2a 10, fol. 22v„ juillet 1376, ÉPERNAY. 151. X 2a 14, fol. 184v.-185, juin 1404. 152. L’exemple le plus typique est celui du prévôt de Bourges, Jean Brunet, en 1334, L. DOUËTD’ARCQ, « Lettres de rémission pour Jean Brunet... », p. 54-75. Voir aussi les accusations portées contre Audouin Chauveron, prévôt de Paris, SECOUSSE, « Mémoire sur le procès criminel... », p. 490 et suiv. 153. X le 50A, 24, janvier 1385. 154. JJ 127, 105, septembre 1385, MONTEREAU-FAULT-YONNE (bailliage de Melun). La scène s’est passée « cinq ans a, pour le temps que les juifs et juisves estans en nostre bonne ville de Paris furent en ycelle pillez, robez et tuez » et, à Montereau, s’est aussi produite une scène de pillage à laquelle cinq officiers de la ville ont participé (clerc du bailli de Melun, prévôt de la ville, sergents et tabellion) : « se transporterent es hostels des juifs Benon de Salius et Sausses de Bainnes et firent ouverture de huys, chambres et escrins et y prindrent des biens qu’ils y trouverent ce que bon leur sembla ». Etant donné la requête de Benon qui n’a pas obtenu que les biens volés lui soient restitués, maître Jean Truquam, « commissaire en ceste partie » a fait saisir les biens de ces officiers, les a fait appeler, ce qui les a incités à demander une rémission. Une autre lettre, à la même date, maintient la confusion entre la présence du suppliant à une assemblée aux Halles où il aurait prononcé des injures contre le duc de Bourgogne et des vols qui le font traiter de « fort et mauvais larron », ibid., 65, juillet 1385. 155. X 2a 10, fol. 222v., février 1386, ATTICHY. 156. Jusqu’à quel point peut-on parler de « contagion révolutionnaire » ? N’est-ce pas sousestimer la rapidité de diffusion des nouvelles et des thèmes politiques que de la nier ? L’idée d’une séparation stricte des foyers est défendue par M. MOLLAT et Ph. WOLFF, Ongles bleus..., p. 139. Pour approfondir ce point, il faudrait pouvoir constituer un corpus plus étendu de témoignages comparables à celui d’Attichy. 157. E. DESCHAMPS, Œuvres complètes, t. 1, p. 92. Sur ce lien entre la trahison, la félonie et l’histoire de Judas, A. BOUREAU, « De la félonie... », p. 267-291. 158. Par exemple, pour gracier les actes d’un sergent royal de Toulouse ayant participé à la révolte des Tuchins, le vocabulaire mêle intimement le politique et le criminel, cité par Dom Cl. DEVIC et Dom J. VAISSETTE, Histoire générale de Languedoc, t. 10, preuve 688, mai 1386. Voir Cl. GAUVARD, « Les révoltes... », p. 55-56. 159. BALDE, Consilia, 1, 59. BARTOLE, Tractatus super constitutionem..., glose rebellandis. Sur le rôle de Bartole et de Balde dans la définition du crime de lèse-majesté, J. BARBEY, La fonction royale..., p. 244 et suiv. 160. BN Fr. 2699, fol. 151, Copie de la rémission faite par Monseigneur de Bourgoigne et par Madame à ceulx de la ville de Gand, sans date. 161. JJ 123, 182, août 1384, PRIVAS (sénéchaussées de Beaucaire et de Vivarais) ; JJ 133, 165, août 1388, (bailliage de Tournai) ; même description des Tuchins dans Chronique des quatre premiers Valois, p. 301 : « gens de petit estat et de male vie ». Nombreux autres exemples cités par L. MIROT, Les insurrections urbaines..., p. 168, 176 et 186-187. 162. Histoire générale de Languedoc, t. 10, preuve 648, CLERMONT-EN-LODÈVE. 163. J. FROISSART, Chroniques, t. 10, p. 155-156, et Chronique du religieux de Saint-Denys, t. 1, p. 309. 164. Cl. GAUVARD, « Les révoltes... », p. 53 et suiv. 165. J. FROISSART, Chroniques, t. 9, p. 166.

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166. Pour un bon exemple des nuances du vocabulaire, de l'« émotion » à l’« effroi », X 2a 16, fol. 387-387v., mars 1420, AMIENS. La scène rapporte les tensions qui divisent la ville : « un jour que le peuple de ladicte ville estoit esmeu et effree pour ce que les Anglois noz anciens ennemis estoient ou avoient esté ycelluy jour devant ladicte ville, ledit de Limieres s’aproucha dudit Fremin Piedeleu qui est l’un des plus anciens et notables d’icelle ville et plusieurs foiz a esté maieur a son tour, et sans cause raisonnable mais seulement pour esmouvoir le commun de ladicte ville si corne il est a presumer l’appella “faulx traître chien” ». 167. Comparer avec la Jacquerie, chapitre 9, p. 423. 168. Voir chapitre 5, p. 217 et suiv. Le vocabulaire de la peur, employé pour désigner les effets des crimes horribles dont les responsables sont inconnus, est identique. 169. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 87. 170. Chronique du religieux de Saint-Denys, t. 1, p. 23, 111, 137 ; même vision pour Rouen, P. COCHON, Chronique normande, p. 162. 171. X 2a 16, fol. 387, cité supra, n. 166. 172. E. DESCHAMPS, Œuvres complètes, t. 4, p. 56. 173. Sur cette heure de vêpres et l’importance de la nuit inquiétante, P. COCHON, Chronique normande, p. 162-163 ; même remarque pour Clermont-en-Lodève où l’émeute éclate le dimanche 30 octobre 1379 à la sortie de vêpres et dure toute la nuit : « Tumulltum (sic) horribilem in illa hora facerent », Histoire générale de Languedoc, t. 10, preuve 648 citée supra, n. 162. 174. X 2a 16, fol. 387, cité supra, n. 166 et 171. 175. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 95. 176. P. COCHON, Chronique normande, p. 162-163 ; même cas à SAINT-AFFRIQUE, Histoire générale de Languedoc, t. 10, preuve 682, mai 1385. 177. X 2a 12, fol. 216-216v., juillet 1397. Il s’agit d’une révolte en Vivarais qui oppose les « hommes tailliables » aux nobles du pays : « lesdis habitans coururent, tuerent et firent plusieurs crimes et malefices et exces ». 178. Chronique du religieux de Saint-Denys, t. 1, p. 47, 55, 133, 141, 143, 241, 307. 179. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 110. 180. Chapitre 18, p. 824. 181. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 171-172. 182. Point de vue différent chez Br. GEREMEK, Les marginaux..., p. 111 et suiv., et surtout p. 306-338.

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Chapitre 13. Le couple

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Au coeur des solidarités se trouve le couple qui, par l’alliance, fonde la lignée. Il n’est pas question de revenir ici sur l’histoire du mariage dont les travaux de G. Duby ont montré la lente et conflictuelle genèse ; il n’est pas question non plus de décrire la totalité d’un rituel dont bien des éléments échappent aux sources judiciaires. Seules des bribes sont saisies, au gré des crimes, dans une diversité géographique telle que toute généralisation risque de se révéler fallacieuse1. Mais une autre démarche est possible à travers les aléas de la criminalité : elle permet de saisir comment le mariage peut devenir conflictuel, ou au contraire comment il peut retenir le geste de la violence. Les chiffres parlent et disent la rareté des conflits qui conduisent le mari ou la femme jusqu’au crime capital : dans moins de 2 % des cas, les protagonistes du crime sont des conjoints. Certes, le choix des sources tait les querelles de ménage qui n’ont pas dégénéré en drames, mais, dans l’échelle des crimes étudiés, les crimes conjugaux sont très rares. Cependant, entre époux la violence physique l’emporte, aussi bien quand il s’agit du crime proprement dit que du premier antécédent du crime 2 ; les affaires d’argent peuvent être tenues pour secondaires. La résolution du conflit en crime répond aux exigences de la passion, de l’honneur et de l’autorité plus qu’à celles des contraintes matérielles. La raison d’être de ces types de crime tient aux relations à l’intérieur du couple et à la façon dont la société le voit et l’accepte.

LE NÉCESSAIRE MARIAGE 2

A ne s’en tenir qu’au discours ecclésiastique héritier de celui de saint Paul, repris par les Pères, enrichi à l’époque carolingienne puis, en quelque sorte légalisé et vulgarisé par le concile de Latran IV en attendant les mesures du concile de Trente, le mariage va de soi ; il scelle l’ordre par excellence de la société laïque qui, comme telle, tend à se distinguer de celle des clercs voués au célibat3. En ces deux derniers siècles du Moyen Age, un modèle est proposé à la méditation des fidèles, celui du mariage de Joseph et de Marie. A partir du XIVe siècle, du moins dans certaines régions, sa représentation figurée édifie les fidèles jusqu’au coeur des églises. Le sermon du prédicateur en dégage la solennité et les vertus exemplaires. Jean Gerson recommande de l’honorer en ces termes : « Si doivent tous qui sont nés en loyal mariage, tous aussi et toutes qui sont ou

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veulent estre en mariage, et generallement chascune ame devote qui ayme saint eglise et qui veult avoir Dieu a espous, honnourer ce glorieulx mariage » 4. 3

Le mariage perçu comme un sacrement, la procréation qui le justifie, l’obligation de fidélité des deux époux, la fondation d’une famille unie en Dieu : la théorie religieuse semble parfaitement définir une morale qui fonde la société sur l’institution matrimoniale. Pourtant, le mariage a aussi ses détracteurs, héritiers d’un courant qui, dès la fin du XIIIe siècle, a pu faire parler de « crise du mariage »5. Au début du XVe siècle, ce moralisme antimatrimonial a la dent dure, qu’il s’agisse de la poésie d’un Eustache Deschamps ou de la querelle du Roman de la Rose autour des propos de Jean de Meung6. Le mariage ne va donc pas de soi pour tout le monde. Est-ce là simple querelle d’intellectuels ? Quel décalage y a-t-il, en ces derniers siècles du Moyen Age, avec les préoccupations populaires ?

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Ce que nous avons déjà vu de la mobilité du célibat prouve que le couple conjugal, soudé par le mariage, est un idéal vers lequel tend l’ensemble de la société des gens ordinaires. Le mariage est leur norme de vie en même temps qu’il est devenu le fondement de la vie sociale. Toute autre forme d’union est, par conséquent, considérée comme asociale. Tel est le cas du concubinage que l’Eglise s’est largement efforcé de limiter par des condamnations sévères7. C’est pourquoi, semble-t-il, le degré d’acceptation du mariage se mesure d’abord à travers les procédés d’exclusion que la société elle-même a institués à l’encontre de l’union libre.

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La place que tiennent les concubins dans le crime, hommes ou femmes, confirme leur marginalité. Ils constituent seulement 1 % des coupables et 2 % des victimes. Autant qu’on puisse se fier à des chiffres qui sont statistiquement négligeables, les concubins sont plus facilement victimes que coupables et leur agresseur revêt plutôt le visage de la normalité, celui de l’homme marié ou célibataire. La société d’ailleurs ne se prive pas de dénoncer haut et fort des situations qu’elle considère comme illégitimes. Les juges, lors des procès extraordinaires qu’ils mènent au Châtelet, les traquent de façon systématique8. La renommée de l’identité s’en trouve dévalorisée. Un valet fermier l’apprend à ses dépens qui est considéré comme « homme de vie deshonnete tenant femme en concubinage »9. En 1410, Tiphaine Arnoul, concubine du seigneur Des Prés et simple servante, voit s’effondrer le scénario qu’elle avait monté avec de faux témoins pour prouver son mariage, et par là-même les droits à l’héritage de sa fille bâtarde 10. Elle a beau décider que « elle diroit et maintiendroit que ledit seigneur de Prez l’avoit espousé en Saincte Eglise et que ladite Marie avoit esté mise soubz le poile », elle finit par avouer sous la torture que « le seigneur des Prez auroit bien voulu l’espouser s’il n’avoit craint la deshonneur que il feroit a ses amis et enfans maiz pour doubte d’eulx ne l’osoit faire ». Honneur : le mot est au coeur du procès. Même si la fille, Marie, a fait un beau mariage avec un écuyer, fils du seigneur de Courtepièce, chevalier, le concubinage peut être brandi à tout moment par des voix mal intentionnées. Ce qui fut fait, d’où l’action de Tiphaine qui « veant la belle generacion de sadicte fille, desirant que ilz peussent estre avanciez, pensa et conceupt en elle que elle diroit et maintiendroit que ledit seigneur de Prez l’avoit espousee en Saincte Eglise ».

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L’agression n’est pas seulement verbale. La société tend à faire justice elle-même d’une situation qu’elle estime condamnable. Les jeunes qui, nous l’avons vu, ont un rôle de régulateurs des conduites sexuelles, interviennent auprès du couple illégalement uni. La femme est la plus menacée qui, de concubine, est vite considérée comme prostituée. Depuis la mort de son mari, une veuve vit en concubinage avec un nommé Colin

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Bucheron et comme telle se trouve « femme publiquement diffamee ». Un soir, deux compagnons décident de forcer la porte de la maison où vit le couple : « Le dit Colin la estoit couchié en son lit avec sadicte concubine (...) et entrerent lesdits suppliants et ceulx qui, avec euls, estoient audit hostel et firent lever sadicte concubine et la menerent hors dudit hostel et la cognurent charnellement aucuns d’icelle compaignie » 11 . 7

Les crimes commis par les concubins se ressentent de cette mise à l’index. Contrairement aux coupables mariés ou célibataires pour qui la rixe-homicide est le crime par excellence, les concubins se partagent avec une extrême homogénéité entre la rixe, le vol, le pillage et les disputes amoureuses. Chacun de ces délits représente 17 % du total, chiffre faible pour les rixes, important pour les pillages. C’est dire que les concubins se démarquent de la violence ordinaire, et qu’en général ils répugnent à se mêler aux autres, même à la pointe de leur couteau. Le vol et surtout le pillage attestent une situation conflictuelle avec la société établie. La position déjà asociale de leur statut les fait glisser dans l’illégalité. Cet homme, initialement valet à Laon, en suit tous les degrés : pour avoir quitté la ville en emmenant la femme de son maître avec laquelle il vit à Paris, il perd son emploi, s’endette et afin de rembourser, se poste dans un bois avec des compagnons où il détrousse trois marchands qui passent 12. Tous les symptômes de la marginalité sont réunis, depuis l’exode initial jusqu’au repaire en mauvaise compagnie dans un lieu sauvage où le vol se transforme en pillage. D’ailleurs, les concubins se rendent coupables de crimes étrangers à la criminalité normale. Ces délits inclassables forment un tiers de leurs crimes. Quant à leur vie amoureuse, elle ne connaît pas non plus l’équilibre qui caractérise les suppliants mariés. Les disputes y atteignent des sommets qui se terminent dans la mort. Ce fut le cas d’un couple d’Ozoirla-Ferrière qui, pendant quatre années de vie commune, avait supporté la réprobation générale ; on ignore d’ailleurs pourquoi ils n’avaient pas pu ou voulu se marier. Finalement, sous la pression de l’« opinion commune », l’homme s’enfuit jusqu’en Bourgogne. La femme réussit à le rejoindre. Cette poursuite à travers le royaume a déjà une saveur d’extraordinaire. Puis, la vie en couple reprend à Ozoir, coupée de scènes de rupture dont la dernière se termine dans le sang de la femme morte. Et, dernier acte de la marginalité dans laquelle le couple est plongé, l’homme traîne le corps de sa victime dans le bois, sans lui donner de sépulture chrétienne comme il aurait été de son devoir s’il avait été marié. Finalement, il se dénonce mais il rejoint le camp des hors-la-loi 13.

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Ce refus de la norme ne doit pas nous tromper : il s’agit là d’un groupe trop peu nombreux pour gauchir le moule du mariage dans lequel les concubins se refusent d’entrer. La leçon que prêche l’Eglise, au moins depuis l’époque carolingienne, pour encadrer la société dans le réseau des structures familiales, a porté ses fruits 14. Le mariage va bien de soi et toute entrave à sa réalisation mérite d’être sévèrement punie. Un suppliant qui avait tué un homme argue, pour sa défense, du mal que celui-ci lui avait fait en empêchant « son avancement en mariage »15. A 38 ans, il se retrouve célibataire et meurtrier mais, pour toutes ces raisons, gracié. C’est dire que la réussite passe bien par le mariage.

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Qu’en est-il alors de l’ancienne forme d’engagement que constituent les fiançailles ? La réflexion théologique, au XIIe siècle, les a soigneusement distinguées du mariage en comparant leur contenu et leur succession temporelle. La cérémonie est reconnue, mais elle est, incontestablement, d’une portée inférieure. Ces acquis ayant été repris par Pierre Lombard dans ses Sentences, on peut penser, étant donné le succès universitaire

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de l’oeuvre, qu’ils sont connus de nombreux clercs16. Avec la procédure des bans publics imposée, en principe, par le concile de Latran IV en 1215, les fiançailles tendent à devenir une étape canoniquement nécessaire au mariage. 10

Dans la réalité, les fiancailles conservent leur vertu de promesse et d’arrangement social où l’éthique de la foi jurée accompagne le projet de la dotation. Néanmoins, l’échange des biens qui donne lieu parfois à un contrat, se trouve plus facilement qu’autrefois rattaché au mariage proprement dit. Vers 1359, à Montpellier, « Pierre Gabien et sa femme, qui lors furent mariez ensemble, assemblerent environ 1100 écus qui baillés leur furent en mariage par leurs peres et meres » 17.

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Le rituel des fiançailles s’est aussi transformé, mêlant le religieux à la nécessaire présence de témoins, de public. La cérémonie, bénie par un prêtre, peut se célébrer à l’église paroissiale. Elle peut aussi être suivie par l’échange d’un repas et de vin auquel succède la danse qui rassemble, comme pour le mariage, l’ensemble de la communauté au son des ménestriers18. Le témoignage des registres d’officialité le confirme 19. Sans cette cérémonie publique, il n’est point de promesse valable. Jean Laisné et Jeanne La Tresfonsière ont cru passer outre car « Jehan poursuivit et frequenta avec elle de son consentement qu’eulx deux, d’un commun accord, volonté et courage amoureux, eussent secretement ensemble certaines promesse et convenances de mariage, sans le sceu et volonté du pere d’icelle Jehanne ni d’aucune autre personne » 20. Mais le secret n’est pas de mise. Il ne reste plus, pour passer outre, que l’enlèvement : c’est chose faite. Néanmoins, les deux jeunes gens veulent être unis par un légitime mariage. Loin des parents, ils décident de faire célébrer leurs fiançailles par un prêtre. La première étape du rituel est respectée.

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Le déroulement des fiançailles se présente donc, en bien des points, comme une copie du mariage. Certains faits montrent la valeur importante qui leur reste accordée. Ainsi, les liens créés entre les deux familles concernées empruntent déjà au vocabulaire de la parenté21. Il n’est pas sûr que, parfois, l'union des corps ne termine pas la cérémonie. Jeannequin de Norwich, anglais et clerc du trésorier de Ponthieu, est fiancé avec « une jeune femme d’icelle ville nommee demoiselle Agnes Blanchette laquelle ot d’icellui un enfant si comme l’en dit, et faisoit avec lui sa demeure ou residence » 22. Sa situation est en fait proche du concubinage, c’est-à-dire, comme on l’a vu, asociale. Aussi, quand la ville est reprise par les Français, le lignage de la demoiselle s’empresse de lui demander des comptes par l’intermédiaire d’un chevalier, Hue de Canechieres. L’accusé se contente de répondre « que il l’avoit fiancee, a laquelle requeste ledit chevalier inclina et alla traitier et parler avec ledit Jeannequin tant que les amis de ladite damoiselle furent contens d’icellui Jehannequin ». Des francs-or accompagnent la réponse ; ils ont sans doute aidé à effacer l’outrage ! Il n’en reste pas moins vrai que les fiançailles peuvent suffire à laver le déshonneur.

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Mais ne généralisons pas trop vite. Les fiançailles suivies de la vie commune peuvent être perçues comme le concubinage. Un suppliant, dans cette situation, criant qu’il est fiancé, n’arrive pas pour autant à échapper à la vindicte populaire qui lui reproche sa conduite23. Encore une fois, on voit ces situations traquées au Châtelet. Fleurent de Saint-Leu tente en vain d’expliquer aux juges quels liens l’unissent à Marguerite, comment elle n’est devenue « s’amie » qu’après les fiançailles. Il décrit la cérémonie quand, « meu de l’amour que son cuer avoit deja mise en icelle Marguerite, promiste et enconvenança lors a icelle Marguerite, par la foy et serment de son corps, et leurs mains destres pour ce bailliés l’un a l’autre, que il seroit son mary et la espouseroit, en

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ly promettent foy et crantement de mariage »24. Le manque d’argent, seul, a retardé le mariage « et ainsi il passoit le temps ». Mais les fiançailles ne suffisent pas aux yeux des juges. C’est un moyen trop commode pour couvrir les activités sexuelles illicites. Perrin Barbereau ne prétend-il pas qu’il est fiancé avec celle qui n’est, en fait, qu’une « fillette commune »25 ? 14

Face aux exigences de la justice, les réponses peuvent emprunter au droit canon. En 1403, au Parlement, Jean Berout, pour prouver son honnêteté, déclare être fiancé d’une femme dont il a deux enfants et dit « que posé que le mariage ne feust celebré en Saincte Eglise, toutesvoies puisqu’ilz se sont fianciez et ont eu coupple charnele, le mariage tient et vault selon la decretale Miscui »26. L’évêque de Paris qui le réclamait comme clerc ne répond pas à cette argumentation. On comprend que, pour échapper à ce qui peut créer un déshonneur, Jean Laisné, dont nous avons vu l’entêtement dans la légalité, choisit, une fois les fiançailles bénies et en attendant le mariage, d’emmener Jeanne vivre chez sa soeur et non sous son propre toit27. Telle est bien la différence essentielle : les fiançailles ne justifient plus la vie commune, auprès des autorités comme dans la plus grande partie de l’opinion.

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Malgré les apparences, il n’y a donc pas ou plus de confusion possible entre les deux cérémonies. Leur succession chronologique et par conséquent leur valeur intrinsèque et respective, c’est-à-dire la conscience de leur différence, sont bien, dans l’ensemble, entrées dans les moeurs. La proclamation des bans et la période qui suit jusqu’au mariage servent d’ailleurs à enchaîner les deux cérémonies, à les rendre complémentaires malgré leur apparente identité, à les faire participer d’un rituel devenu unique. Peu à peu, les fiançailles ont acquis une valeur probatoire puisque, à l’inverse du mariage, elles peuvent être rompues28. N’imaginons pas cependant que cette rupture aille de soi. L’épreuve est rude pour les parties concernées car ce premier engagement conserve toute la force de la foi donnée en public. En 1382, une jeune fille de Bruyères-en-Laonnois voit ainsi ses fiançailles brisées le jour de la proclamation des bans dans l’église paroissiale : un homme « meu de tres mauvaise volenté qui sanz aucune cause raisonnable maiz seulement pour empeschier et destourber ledit mariage rompy yceulz bans a ycellui jour ou grant vitupere et deshonneur de ladicte fille et de tout son lignage »29. Pour laver l’affront, le frère de la jeune fille tue le coupable ; il est probable que celle-ci, diffamée, n’avait plus la possibilité de se marier. C’est dire que la rupture des fiançailles reste encore mal vécue par une opinion très attachée aux exigences pointilleuses de l’honneur.

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Le rituel du mariage, aux XIVe et XVe siècles, permet donc d’englober les cérémonies les plus anciennes et les exigences de l’Eglise dans un ensemble dont les éléments sont devenus des paliers successifs et nécessaires. Les archives judiciaires laïques donnent peu d’échos des infractions à cette règle. Les mariages clandestins ont existé : les règlements répétés des statuts synodaux sont là pour le suggérer, tandis que les officialités, comme à Cerisy, permettent d’observer leur fréquence 30. On pourrait voir dans ces mariages clandestins une forme de résistance aux arrangements des parentés, une sorte de sursaut face à la contrainte de conjoints imposés. Cette perspective est anachronique. Ces mariages clandestins se présentent plutôt comme une forme d’infraction aux impératifs rituels du sacrement de mariage tel que le conçoit l’Eglise, comme le refus larvé des préceptes de Latran IV, et en particulier du canon 51 qui rend public l’annonce du mariage. En fait, pour l’Eglise, le mariage est un tout qui ne peut être licite que si chaque élément du rituel est respecté. Le consentement familial n’est

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qu’un aspect du sacrement comme le consentement des époux. Le lieu, dans l’église paroissiale, la présence de témoins, en public, sont aussi des éléments indispensables à la cérémonie qu’ils contribuent, ensemble et successivement, à rendre licite. L’exemple de la cour d’Ely en Angleterre où 70 % des conflits matrimoniaux révèlent un mariage contracté en privé confirme cette hypothèse31. Le mariage clandestin est, comme l’écrit J. Goody, « un type d’union qui découvre la persistance de traditions plus anciennes » 32. Le poids de l’autorité parentale n’est, en fait, qu’un aspect de cette résistance à côté de bien d’autres. Nombre de mariages clandestins ont dû avoir lieu avec l’accord tacite des deux parentés. L’Eglise peut s’en émouvoir dans les statuts synodaux, mais peu de conflits familiaux susceptibles d’être portés devant les tribunaux royaux les font sortir du silence ; l’historien de la criminalité les traque en vain. 17

Restent les rapts, même s’ils sont en faible nombre. Leur interprétation n’est pas toujours facile. Ils concernent plutôt la catégorie des écuyers et peuvent impliquer, comme aux périodes précédentes, la quête de la terre et des revenus en même temps que celle de la femme. Celle-ci n’est pas toujours consentante 33. Chevaux et hommes d’armes sont ainsi apprêtés par le sire d’Auxi, chevalier et chambellan du duc de Bourgogne, pour permettre à son neveu, Pierre de Lully, de ravir et d’épouser la demoiselle de Fransures34. Les procès pour rapt mettent en scène des équipées longues et fournies : ici, ce sont des malfaiteurs armés qui enlèvent la jeune fille en voyage ; là, c’est un écuyer qui pour se défendre de l’accusation de rapt affirme ne pas avoir chevauché plus de six lieues, parcourues de jour, alors que la partie adverse lui reproche une chevauchée de trente-six lieues, de nuit35. Ces précieuses indications de temps et d’espace laissent deviner la norme qui définit le champ clos du mariage.

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Le mariage est nécessaire mais le rituel qui le construit peut encore s’enrayer. Pour conclure, deux remarques doivent nous arrêter. La première concerne les interdictions de parenté qui apparaissent peu et dont l’application, par conséquent, ne dégénère pas en drame. La seconde, liée d’ailleurs à la réflexion précédente, tient aux différences de stratégie matrimoniale entre l’aristocratie et le commun.

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Les liens de parenté prohibés ne font pas naître des conflits extrêmes. Ce n’est pas exactement l’objet de la justice royale. On peut voir apparaître leur mention au détour d’un crime pour justifier une résolution violente, sans constituer pour autant la raison d’être première du crime. En 1416, pour avoir maintenu en concubinage une veuve qui est en même temps sa « commere », un avocat d’Épernay est blâmé par la famille de cette femme. L’hôtel du couple illégitime, considéré comme diffamé, n’est plus fréquentable et la haine se poursuit jusqu’à ce que mort s’ensuive : le beau-frère de cette femme se charge, par l’homicide, de venger l’honneur familial. Les « bonnes gens » ont eu raison de celui qui « la maintenoit au jour de son trepas en concubinage et en a un ou plusieurs enfans combien qu’elle feust sa commere » 36. Le lien de parenté prohibé est inclus dans un processus diffamatoire mais il n’est pas évoqué seul. L’interdit ajoute sa marque à celui qu’on veut désigner à la vindicte. En 1443, un riche toulousain, truand et accusé de collaboration avec les Anglais, est obligé d’obtenir une dispense apostolique pour une parenté au troisème degré qui a dû faire partie des chefs d’accusations destinés à le perdre37. Enfin, les avocats au Parlement peuvent se servir de cet argument pour accroître la charge du crime38. A l’inverse, un suppliant accusé d’avoir des rapports sexuels avec une jeune femme s’en tire par un pied de nez au mari : il n’en est rien, dit-il, puisqu’elle est sa « commere » 39 ! L’argument existe, ses conséquences sont assez connues pour qu’il fasse mouche, mais il ne sort de l’ombre

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que s’il est besoin de charger un adversaire face aux autorités. Dans la vie normale règne, sur ce point, un silence latent. 20

Que penser des différences entre les stratégies matrimoniales selon les couches sociales concernées ? Les rapts en milieu populaire sont rares. Plusieurs éléments sont à prendre en compte. Le premier tient à des conditions matérielles élémentaires. Inversons simplement les données et demandons-nous quelles possibilités sont offertes aux gens du peuple, à supposer qu’ils en aient envie, d’enfreindre les paliers obligés du mariage légal. N’oublions pas que la cérémonie religieuse des noces doit se clore dans l’église paroissiale, et que la fête réunit souvent l’ensemble de la communauté dans l’espace public réservé à cet usage40. Les cellules d’encadrement, de la famille à la paroisse, sont si bien emboîtées qu’il n’y a guère de brèche pour la violence du rapt ou la clandestinité de quelque chapelle isolée. Sans moyen d’évasion, sans réseau d’amitiés complices hors du lieu resserré où se referme l’étau du mariage, est-il possible de s’échapper ? Combien enfin ont pu vouloir, sans crainte de se perdre, transgresser la force de lois devenues des rites obligés ?

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La seconde considération tient aux lois de l’échange des femmes et des biens. En principe, ces lois imposent à tous un large champ exogamique 41. Or, l’étude des rapts montre que les échanges lointains concernent, au premier chef, l’aristocratie, tandis qu’en milieu populaire, les contraintes exogamiques peuvent se contenter d’un espace géographique resserré. La pratique du mariage noble peut par conséquent être violente si bien que l’Etat est amené à intervenir. Sous le règne de Charles VI, cette intervention du pouvoir laïc en matière matrimoniale concerne l’aristocratie. Les contraintes de parenté doivent être respectées, mais le rapt est condamné si bien que le Parlement le définit comme un « crime capital »42. Il ne faut sans doute pas y voir une brimade, la mise au pas des nobles par une royauté avide de pouvoir, mais le souci d’assurer, en priorité, la bonne reproduction de ceux qui constituent le fleuron du royaume. Faire rentrer le mariage noble dans les normes de l’Eglise revient à garantir la pureté de sang du corps politique. Certes, pour les autres catégories sociales, l’Etat naissant ne néglige ni l’application des règles de parenté, ni la stricte conformité aux préceptes moraux qui accompagnent la vie commune. Si, vers 1400, les ingérences du pouvoir dans la vie privée sont encore rares, elles se multiplient à la fin du XV e siècle. En 1488-1489, à Paris, on écroue au Châtelet, et souvent sur dénonciations de voisins, parce que les interdictions de concubinage ou de vie dissolue n’ont pas été respectées par des hommes mariés43. A l’extrême fin du Moyen Age, l’ensemble du corps social tend donc à être inséré dans le filet des lois du mariage dont le pouvoir royal garantit l’application.

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L’échange des femmes, contrôlé par l’Eglise et par l’Etat, s’est imposé à un tissu social qui réagit de façon différente. Le lien entre le mariage et le crime permet de saisir une noblesse portée à l’exogamie et un commun où le mariage subit encore les pesanteurs de l’endogamie. Ainsi se trouve confirmé, pour les non-nobles, ce que la maîtrise de l’espace avait laissé apercevoir. Le mariage peut aller au-delà de l’espace ritualisé mais il ne le transgresse guère. Comment concilier ce champ géographique relativement clos avec la prohibition de l’inceste ? Il y a là une contradiction dont l’interprétation est délicate. On peut constater que cet état de fait ne soulève pas de conflits extrêmes et qu’il faut attendre l’époque moderne pour voir les prohibitions de parenté envahir les tribunaux44. Plusieurs explications sont possibles. La première pourrait tenir compte d’une ignorance parfaite de ces règles de parenté. Les exemples évoqués, qui vont jusqu’à jouer de ces relations avec humour au gré des intérêts des parties concernées,

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prouvent que cet argument ne doit pas nous retenir. La sous-administration serait une seconde explication : elle met en valeur une traque insuffisante des interdits qui, au contraire, se développe pendant les siècles suivants. On peut aussi y ajouter un renouvellement démographique rapide qui caractérise aussi bien les milieux ruraux que les milieux urbains. Les familles s’éteignent et se régénèrent « naturellement ». Ne peut-on pas aussi penser que, comme dans certaines sociétés traditionnelles, il existe encore dans la France de la fin du Moyen Age une sorte de refus tacite de la mémoire généalogique ? Les liens de parenté, au-delà de certains degrés éventuellement prohibés, sont comme « oubliés » pour que le temps, tissé de façon sélective, ne gêne pas les échanges matrimoniaux45. Seule l’étude de la mémoire généalogique chez les non-nobles pourra confirmer cette analyse46. A certains moments seulement, cette sorte d’amnésie se trouve brisée, en particulier quand l’argument légal peut conforter l’action vindicative. Le commun peut jouer subtilement des contraintes du pouvoir et, si « oubli » il y a, il peut être parfaitement fictif. Cela n’a rien d’étonnant dans une société capable, comme nous l’avons déjà suggéré, de dénoncer le crime en fonction de haines personnelles ou d’intérêts collectifs plus que par amour de la vérité. 23

Nous ne saurons jamais, dans ce silence médiéval qui entoure les prohibitions de l’inceste, ce qui est réellement jeu ou ignorance. Cette remarque vaut pour l’ensemble des rites qui définissent le mariage. On peut seulement conclure que l’insertion dans les lois du mariage s’est faite, selon les couches sociales, de façon différentielle et qu’il existe des paliers de rigorisme de la part des autorités qui, à la fin du XV e siècle, commencent à porter leurs fruits. Il est probable que la succession des crises a permis à l’argument de prendre corps. L’infraction aux règles du mariage qui sont aussi celles de la reproduction, qu’il s’agisse de l’inceste ou de la dépravation des moeurs, fait partie des crimes que la société tente de faire avouer pour assurer son devenir qui est aussi son salut. Des milieux sociaux diversifiés ont ainsi pu développer un sentiment de culpabilité au cas où ne seraient pas strictement appliquées les lois du mariage.

UN ÂGE POUR SE MARIER 24

Les contraintes imposées par la société proviennent, en grande partie, de la nécessité de survie du nouveau couple qui se crée. Des normes sont ainsi définies en dehors desquelles le mariage risque de créer une situation conflictuelle. Les archives judiciaires permettent de mieux les cerner, à commencer par celles qui entourent la notion d’âge au mariage. N’attendons pas de données chiffrées aussi précises que celles que J. Rossiaud a pu obtenir pour les villes du Sud-est, c’est-à-dire 26 ans de moyenne environ pour les hommes et 22 ans pour les femmes47. Ne nous arrêtons pas non plus aux exigences des règles canoniques qui n’étaient pas nécessairement respectées. Les juristes tempèrent la notion de puberté légale et d’âge nubile par une restriction réaliste et souple, autorisant le mariage nisi malitia supleat aetatem. L’argument est employé au Parlement48. Les théologiens se réfèrent à d’autres sources avec le même souci de moduler l’âge théorique au mariage en fonction de l’expérience. Jean Gerson cite le cas de la Vierge dont nous avons vu le caractère exemplaire. Parents et amis eurent soin de vouloir la marier « puis qu’elle fu en aage convenable de marier, le quel aage selond la sentence d’Aristote vient ou dix huitieme an a la femme, combien que aucune foiz on le commence plus tost »49.

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Retenons cet âge de 18 ans pour les femmes, et la reconnaissance d’une réalité plus souple qui interdit de trancher net en fonction de critères théoriques. Raisonnons donc à partir des situations et demandons-nous s’il existe un lien entre l’âge au mariage et le crime. Cela revient à cerner les limites autorisées, leur éventuelle transgression et, par opposition, le profil de l’âge normal au mariage.

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Avant 20 ans pour les hommes, le mariage est exceptionnel. Aucun criminel ne décline un âge aussi jeune et se déclare en même temps marié. Quand la lettre de rémission évoque un éventuel mariage, elle le lie à un obstacle qui, dès l’origine, entache le projet et suppose un crime. Ce peut être la contrainte d’une réparation à laquelle le suppliant est obligé de se soumettre pour avoir abusé de la jeune fille. Les exemples sont rares, tel celui de Noël Larande, couturier d’environ 20 ans, qui dut se constituer prisonnier, même après un acte auquel la victime opposa, apparemment, peu de résistance. Les parents des deux familles, alertés, décidèrent que le suppliant la prendrait pour épouse50.

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Le mariage à cet âge tendre est le plus souvent contrecarré par des obligations matérielles insurmontables. L’exemple du valeton de 15 ans déjà évoqué pour la jeunesse du suppliant montre à lui seul la folle équipée d’une entreprise vouée à l’échec, même si l’amour peut, dès cet âge, être au rendez-vous 51. Au milieu du XVe siècle, Guillaume Louvel, jeune artisan normand de 19 ans qui a déjà la chance de posséder un métier puisqu’il se déclare du « mestier de faire brique », ne peut mener à bien le mariage qu’il projette sans voler plusieurs tasses d’argent dans diverses tavernes ; il n’a pas les fonds nécessaires pour la fête, et pour obtenir la grâce, la lettre invoque qu’il « devoit en brief icelle espouser et n’avoit de quoi faire la feste de ses nopces et recouvrer habillemens pour sadite fiancee »52. Nous retrouvons là les limites qu’impose le respect du rituel quand la pauvreté est une entrave à son accomplissement.

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Le projet de mariage avant 20 ans conduit, en général, à un type de délit particulier : le vol. La situation n’est pas différente pour la jeune fille. Quand son mariage est immature et qu’elle choisit de passer outre, elle s’engage dans le dédale du provisoire où le vol et la perte de son honneur sont au bout du chemin. Jaquette Nantoise, âgée de 16 ou 17 ans et « accointee » d’un nommé Gilet, cumule toutes les fautes du vol par effraction et de nuit. Suit la fuite loin du foyer paternel et la vie en commun qui ne fait aucun doute sur la nature de « l’accointance » qui unit les deux complices. A cette image de la dissolution s’oppose celle de Luce, jeune servante protégée par ses maîtres, à qui son travail et sa bonne conduite permettent de commencer à avoir du bien et d’espérer se marier53. Le mariage est bien présenté comme l’idéal vers lequel doit tendre la jeune fille mais, comme pour l’homme, il ne doit pas se faire dans n’importe quelles conditions matérielles. Les considérations d’ordre démographique que les historiens mettent en avant ne suffisent pas à justifier les fluctuations de l’âge au mariage54. Une fortune suffisante pour faire face à des besoins nouveaux semble préoccuper davantage les populations.

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Reste à savoir comment se précise l’âge des femmes au mariage. Il est encore plus difficile à connaître que celui des hommes. En effet, au silence de leurs incartades s’ajoute celui qui les conduit, quand elles sont mariées, à taire leur âge. Leur coquetterie n’est sans doute pas en cause : elles sont mariées, et c’est assez pour révéler leur identité. Les jeunes filles ne sont guère plus prolixes. Elles ont la réserve que leur impose leur statut civil plus que leur âge. Non mariées, elles sont « filles » de leur père

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et cette dépendance les voue quasiment au silence. La déclinaison d’identité des femmes est, dans tous les cas, liée à la faible place qui leur est reconnue dans la vie publique. 30

Les archives judiciaires permettent donc de discerner des appréciations plus que des chiffres, ce qu’il est convenable de faire plus que ce qui est. Toutes les femmes ne sont pas aussi bavardes que cette Jeanne, femme de Guillaume Sefles, qui, à 32 ans, raconte qu’elle est mariée depuis 12 ans. Il est vrai qu’elle avait beaucoup à se faire pardonner et qu’elle devait, par conséquent, chercher le plus grand nombre de circonstances atténuantes. En l’absence de son mari du fait des guerres, elle avait pris un compagnon et commencé à voler55. La gravité du crime lui a délié la langue mais il est probable qu’un mariage avant 20 ans, pour une fille, était possible, sinon courant. En fait, dès l’âge nubile, la fille est considérée comme une mariée éventuelle. Thomas Gaultier qui a la charge de deux de ses soeurs en donne un bel exemple. Il les qualifie de « jeunes filles a marier, aagees l’une de 16 ans ou environ et l’autre de 14 ans » 56. Mais la possibilité est loin de se réaliser immédiatement et une mariée de 18 ans reste considérée comme jeune. Ce tailleur de pierre dont malheureusement on ignore l’âge, n’a pas été gravement atteint par les coups qu’il a reçus puisqu’il « buvoit et mangoit convenablement et couchoit avec sa femme qui est jeune de l’age de XVII ou XVIII ans » 57 . Il ne faudrait pas imaginer qu’il s’agit là d’une règle exclusive : les situations conflictuelles qui naissent d’un défi au modèle prouvent le contraire. Pour les filles, avant la puberté, le mariage est rare, surtout en milieu rural, mais il peut exister et devenir source de difficultés. Ce sont des relents d’intérêt d’où la dot et la fortune ne sont pas exclues. Ils concernent en priorité les milieux de l’aristocratie et nous retrouvons les exemples qui illustrent le rapt, car il s’agit essentiellement d’unions violentes58. Ils ne leur sont pas cependant réservés, tel ce crime qui a conduit au bannissement Guillaume Vernemon. A 24 ans, il enlève une petite fille de huit ans qu’il n’a pas pu obtenir en mariage et l’épouse avant de l’emmener en Périgord où elle est élevée. Il est vrai qu’elle est orpheline et « fille de maître Pierre Aignier », sans doute un parti intéressant. On ignore quand fut consommé le mariage, mais la lettre précise que les deux époux demeurèrent ensemble pendant six ans jusqu’à ce que la mort ravisse la jeune femme âgée de 14 ans59. Les relations sexuelles peuvent d’ailleurs commencer dès la puberté comme en témoigne cette suppliante qui, à 18 ans, avoue avoir été enceinte 6 ou 7 ans auparavant. L’âge de la jeune fille au moment du crime paraît assez plausible pour que la lettre de rémission soit accordée 60.

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Un âge aussi tendre au mariage est, répétons-le, exceptionnel. Mais le contraire, c’està-dire un mariage considéré comme tardif, sort aussi chez les femmes de la normalité. Toutes les précautions sont prises pour que l’âge des filles au mariage ne soit pas reculé. Le maintien de leur virginité en dépend. Atteindre 30 ans sans être mariée était probablement pour une fille considéré comme anormal. Dans l’histoire rocambolesque mais édifiante de Jean et de Jeanne évoquée précédemment, l’épousée, qui est encore sous le joug de sa famille, a 30 ans. Cet âge est un motif suffisant pour être invoqué par le ravisseur qui obtient rémission « en raison de l’aage de ladite Jehanne » 61.

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Néanmoins, l’absence de mariage à cet âge ne conduit pas nécessairement à des situations dramatiques. Gilles de Lamote n’hésite pas à qualifier sa fille de « jeune » alors qu’elle est encore célibataire à 28 ans ; il est vrai qu’il n’omet pas de préciser qu’elle est « pucelle »62. La situation des filles célibataires ayant déjà atteint un âge considéré comme avancé pour le mariage n’est donc pas obligatoirement mal perçue.

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Elle a dû être néanmoins peu fréquente. Une jeune fille non mariée court toujours le risque, comme nous l’avons vu, d’être violée et de devenir prostituée. Les résultats de J. Hajnal qui, dans un travail pionnier, avait pressenti pour l’ensemble de l’Europe moderne, un mariage relativement tardif pour les hommes et précoce pour les filles se trouvent confirmés63. Et il est sans doute raisonnable de penser que les données chiffrées de J. Rossiaud pour les villes du Sud-est aux XIV e et XVe siècles s’appliquent à l’ensemble du royaume, y compris en milieu rural64. 33

Essayons, pour conclure, de rassembler les raisons qui ont pu conduire à cette régulation empirique de l’âge au mariage. La norme est, comme nous l’avons vu, indissociable des considérations matérielles qui accompagnent l’union des deux époux. C’est dire que le mariage, pour les populations concernées, est bien vécu comme une entrée dans une vie nouvelle dont les protagonistes — hommes et femmes — doivent assurer la continuité. Certes, des éléments extérieurs peuvent biaiser ce schéma, qu’il s’agisse de la condition sociale des protagonistes ou des possibilités d’accueil d’une cellule large qui facilite les conditions matérielles d’installation. L’exemple toscan en dit long à ce sujet65. Mais le problème dépasse ces considérations matérielles qui d’ailleurs, nous le verrons, ne peuvent pas être tenues pour générales 66.

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L’idée du mariage perçu comme l’établissement d’un couple doit seule ici nous retenir, quelle que soit la forme de vie matérielle adoptée par les conjoints. Car cet établissement n’est pas seulement une affaire de revenus. Il engage le couple dans la vie sociale et comme tel, il se doit de répondre à des exigences de régulation sous peine de voir le corps social tout entier se disloquer. L’âge au mariage est étroitement lié à ce que nous pouvons appeler, faute de mieux, l’acquisition d’une totale maturité. Cette notion comprend autant la richesse que l’exercice du métier mais aussi la plénitude physique et morale. Ce suppliant dont nous avons vu le mariage entravé, le doit à la confiscation de sa fortune, mais aussi au fait d’avoir été indûment excommunié et de ne pas avoir pu travailler. Sa litanie est le chant d’une vie gâchée 67.

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Ces considérations sont surtout valables pour les hommes. Elles sont bien le signe que, par le mariage, ils sont promus chefs de famille. L’âge au mariage obéit, en dernière analyse, aux responsabilités qui sont reconnues à l’homme dans le couple, au devoir et au pouvoir qui sont les siens. L’explication ne peut pas être seulement démographique et matérielle. Place doit être faite à une éthique suffisamment forte pour distiller ses exigences. Il faudra y revenir68. Pour les femmes, les lois de l’honneur pèsent aussi d’un poids énorme, mais selon d’autres critères. Le mariage exalte la virginité de l’épouse tandis que la violence sexuelle la menace. La solution consiste à devancer les dangers et à engager très tôt la jeune fille. L’âge au mariage des époux se doit d’obéir au tissu inextricable des impératifs que la société s’est créés.

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En dehors du respect de ces normes sans lequel aucun couple n’est viable, le mariage risque de créer une situation conflictuelle qui menace l’ordre de la société tout entière. Vol, marginalité, diffamation sont à portée de la main. Outre le nécessaire établissement d’un couple qui assure la reproduction de l’espèce, la régulation de l’âge au mariage a une fonction sociale lénifiante, celle d’éviter bien des crimes. En ces temps de crise où l’espérance de vie est sévèrement comptée, la fièvre de vivre peut précipiter le nombre des mariages : on se marie à l’envi après les pestes. Elle ne réussit pas à ébranler les normes que la société s’est imposées et qui se résument dans un double but, celui de sa survie et de sa paix sociale.

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UNE MONOGAMIE DIFFICILE 37

Si le mariage est devenu, dans les faits, l’acte essentiel qui scelle l’union d’un couple et si, comme nous l’avons vu, le concubinage est sévèrement contrôlé, non seulement par les autorités ecclésiastiques mais par la pression sociale, c’est dire que la monogamie a, en principe, largement triomphé d’une polygynie latente. Pour trouver à se loger dans leur vie d’errance, Raoulin Du Pré et Jeannette de Valenciennes, à la fin du XIV e siècle, affirment à ceux qui les interrogent qu’ils sont mari et femme car « s’il n’eussent dist l’un de l’autre qu’il estoient espousez en plusieurs desdites villes ou ilz ont esté, que les hostes sur qui il se hebergoyent ne les eussent pas souffers couchiez en leurs maisons comme ilz faisoient »69. Outre ces déclarations, la place accordée aux remariages et le rôle du charivari permettent de mesurer l’impact du mariage dans la vie quotidienne.

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La place des suppliants remariés dans le crime est ridiculement faible puisqu’ils ne comptent que 0,3 % des criminels. Comme il n’y a aucune raison pour que le remariage soit a priori une école de bonne conduite, ce chiffre n’est absolument pas représentatif de la place que les hommes remariés occupent dans la société. En fait, il s’agit d’une situation de famille oblitérée dans les déclinaisons d’identité pour des raisons difficiles à cerner. Les suppliants dont le détour du récit dévoile le remariage déclarent seulement qu’ils sont mariés. Quant aux femmes remariées, leur nombre est trop faible pour vérifier si, comme dans les sociétés rurales traditionnelles, elles conservent le patronyme de leur premier mari70. Le silence qui, pour les hommes, entoure en général l’existence d’un premier mariage est ambigu. N’est-il pas signe que le mariage est unique, et que se remarier est renaître au mariage comme la première fois, au risque par conséquent d’être considéré comme bigame ?

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La réticence de l’Eglise à l’égard du remariage n’est pas nouvelle. Elle s’est certes atténuée à la fin du Moyen Age, mais elle reste encore vive chez les théologiens qui n’hésitent pas à glorifier l’état de veuvage ; la veuve parfaite n’est-elle pas sainte Anne qui « apres la mort de son espoux demoura vesve en servant Dieu » 71. La pratique montre, comme nous l’avons vu, que la situation matérielle des veufs et surtout des veuves n’a rien d’enviable et qu’une nouvelle union s’impose souvent. Mais les protagonistes se trouvent aussitôt écartelés entre la nécessité de cette nouvelle union et l’obligation de la rendre légale par le sacrement de mariage. Pour cela, il faut vaincre la méfiance de l’entourage et celle de l’Eglise. Celle de l’entourage peut se manifester par une dénonciation devant le juge. Ce couple qui se remarie n’est-il pas responsable de la mort du premier conjoint ? Les cas sont nombreux au Parlement qui suggèrent l’empoisonnement d’un conjoint jugé indésirable72. Quant à l’Eglise, sa position à l’égard du remariage fait que les choses n’ont pas dû être toujours très claires, surtout à l’écoute des prédicateurs73. En fait, les difficultés seraient aplanies si les veufs étaient considérés comme de simples et nouveaux célibataires. Mais la force du mariage est devenue telle que la mort ne peut disloquer un lien considéré comme indissociable. Les critiques à l’égard du remariage ne peuvent donc pas se comprendre sans la référence à une monogamie enseignée, acceptée et sublimée74.

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Reste la nécessité du quotidien, celle de la survie et des sentiments qui poussent à reconstruire la cellule morte. Seul un rite peut alors défaire ce qu’un autre rite a construit. Telle est, me semble-t-il, la signification du charivari aux XIV e et XVe siècles. Après les travaux de Van Gennep, on a voulu voir dans ce concert de bruits discordants une volée de bois verts à l’encontre des mariages mal assortis. Des études récentes ont

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nuancé ce point de vue en s’efforçant de saisir le rite dans sa signification temporelle pour en mesurer toute la richesse75. Les lettres de rémission des XIVe et XV e siècles apportent leur lot de renseignements sur le déroulement du rituel et la place des protagonistes, qu’il s’agisse du couple visé ou des acteurs, le groupe des jeunes 76. La cause du charivari y est nettement indiquée : la différence d’âge des futurs conjoints n’est pas en cause. Il n’est question que du veuvage de l’un d’entre eux. Il semble bien que les secondes noces justifient entièrement le rituel aux yeux des contemporains. Là, c’est une jeune fille pucelle qui ne doit pas recevoir le charivari sous ses fenêtres, moins en raison de sa jeunesse qu’elle brade à la vieillesse d’un barbon, que pour la virginité qu’elle offre à celui qui a déjà été marié une première fois ; ailleurs, c’est une femme qui, parce qu’elle est veuve, reçoit un charivari « selon ce que on a bien accoustume a faire en tel cas »77. 41

Le charivari des deux derniers siècles du Moyen Age a donc une fonction nettement circonscrite, celle de sceller, comme le pense Cl. Karnoouh, la « rupture de la première alliance »78. Il annule symboliquement le premier lien, fait retourner le veuf ou la veuve dans le monde des célibataires avant de lui permettre d’entreprendre la construction d’un nouveau couple conjugal. Telle est la raison pour laquelle le rite s’opère au moment des fiançailles ou dans la période qui sépare les fiançailles du nouveau mariage79. Une fois l’interdit levé, le remariage peut avoir lieu. Il est soigneusement codifié par une société qui, une fois encore, confie au groupe des jeunes responsables du charivari le soin de faire appliquer les lois qu’elle a fait siennes. On peut donc penser que le rituel du charivari matrimonial s’est développé au fur et à mesure que celui du mariage s’enracinait et que se posait de façon de plus en plus aiguë celui du remariage. Loin d’être une réponse irreligieuse à un phénomène religieux, l’écho d’une pensée sauvage irréductible dans une société policée, ce type de charivari est le moyen par lequel la société rend possible les ordres auxquels elle s’est imposé d’obéir. Formes populaires et formes savantes ne s’opposent pas, elles se répondent en se complétant, signe en l’occurence que la monogamie n’est plus imposée mais consentie.

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Tels sont les principes. Dans la réalité, les suppliants crient haut et fort la nécessité de n’avoir qu’une femme, mais tous ne sont pas prêts à respecter les règles de fidélité que comporte le mariage et qu’enseigne l’Eglise. Le mari ou la femme infidèles existent et nous reviendrons sur la façon dont sont vécus ces manquements à la règle. Pour le moment, interrogeons-nous sur le sens de ces incartades. Sont-elles l’expression d’une polygynie encore latente, ou bien un simple manquement au devoir de fidélité, une entorse à la règle d’une monogamie reconnue. La réponse n’est pas aisée. Les archives judiciaires font état de femmes entretenues qui mènent des relations suivies en marge du couple conjugal. Elles sont d’ailleurs soigneusement distinguées et opposées à la femme légitime. Leur mode d’existence est perçu comme un danger. La société toute entière semble minée quand vacille l’ordre établi par le mariage. Un exemple permet de bien saisir les effets pervers de l’infidélité. Jean Garin s’est « acointez » avec Jeanne de La Bane, que l’on dit être prostituée et dont il semble très épris. Son fils légitime, Guillaume, décrit une situation qui confine au désordre le plus extrême puisque les liens légitimes se trouvent distendus au profit de liens illégitimes. Cette inversion des valeurs conduit directement au parricide et le justifie : « Et donnoit le dit Jehan si mal temps a sadite femme, pour occasion de ladite Jehanne et autrement qu’il lui soit convenu delaisser sondit hostel et s’en aler cheux un de ses amis et ledit Guillaume servir autre part pour cause de la dite Jehanne de la Bane dont le dit Jehan son pere

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estoit si fort tenu et lié que il y mettoit et despendoit le sien et ce dont lui et sadite preude femme et enfenz deussent avoir en leur povre vie et sustentacion » 80. 43

Le vocabulaire de l’extra-conjugalité s’oppose ici presque mot pour mot à celui de la conjugalité qui est soin et nourriture de la femme légitime et des enfants qui en descendent. Une nouvelle cellule est née, parallèle mais parasite de la première. Il ne s’agit pas d’une incartade qui prête au sourire complice dans une monogamie bien installée, mais de la résurgence ou de la permanence d’une menace, celle d’une bigamie considérée comme destructrice. Le dialogue qui oppose le clerc au chevalier du Songe du vergier dit assez que le problème est encore d’actualité au XIV e siècle ; et le chevalier défend la thèse selon laquelle il est chose plus profitable à une bonne « policie » qu’un homme ait plusieurs femmes qu’une seule81. Les mots qui désignent la relation extraconjugale montrent bien que la confusion subsiste. Les textes ignorent le mot maîtresse autant que celui de favorite ; ils parlent de concubine par opposition à la femme mariée que possède par ailleurs le coupable, de concubinage par opposition au mariage déjà contracté. Jean Gerson peut, encore une fois, servir de conducteur théorique. Sous le mot concubinage, il désigne les relations illégitimes, qu’elles soient suivies ou temporaires. Il distingue seulement le concubinage de l’adultère qui est « corrumpre la femme d’autruy »82.

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Les lettres de rémission ne font pas toujours une distinction aussi subtile. Le même mot y désigne l’union libre telle que nous l’avons déjà définie au commencement de ce chapitre et l’union illégitime en dehors du mariage, quel que soit le statut familial des protagonistes. Un sergent cumulateur est ainsi accusé parce qu’il « teinst en concubinage deux chambrieres avec sa preude femme et eust de chacune un enfant » ; quant à Jean Jouvenel, plaidant en mars 1403, il dénonce un appelant qui, marié, a abandonné ses enfants depuis dix ans et tient une femme en concubinage 83. Cette confusion du vocabulaire n’est-elle pas l’héritière de temps passés quand les concubines côtoyaient la femme légitime ? Si aucun mot nouveau n’a encore été inventé pour désigner l’incartade à la loi du mariage, n’est-ce pas parce que la situation continue, malgré tout, à être ambiguë ? Seul diffère le jugement de valeur qui dénonce le scandale, écho d’un enseignement religieux assimilé. La mauvaise renommée des bâtards, mais en même temps leur reconnaissance au sein de la société, confirme cette ambiguïté84.

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Il existe donc des tiraillements dans la pratique. Reste à savoir le poids réel de ces incartades. A considérer les archives judiciaires royales, elles sont faibles. L’adultère ne constitue que 0,1 % des crimes remis et 4 % des premiers antécédents du crime. Mais il ne s’agit que de crimes remis, certainement inférieurs en nombre aux crimes réels tels qu’ils ont pu être appréhendés par les registres d’officialité, par exemple en Normandie85.

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Le comportement sexuel des suppliants en matière de viols permet néanmoins une approche complémentaire du problème de la monogamie. Nous avons déjà vu que la fureur des hommes mariés en la matière ne se différenciait guère de celle des célibataires86. Il est question, pour eux aussi, de blés couchés, de chemins creux, de robes déchirées, de désirs satisfaits par la force aussitôt nés, plutôt que de femmes entretenues par les présents et les attentions. Rares sont ceux qui, comme Tristan Hanotin de Laon « bien qu’il soit marié ayme en dehors et en est renommé et contente bien comme on dit les femmes qu’il aime »87. La jeune fille qu’il entretient, couverte de cadeaux et parée d’une robe neuve, se fait remarquer du voisinage. Chez ceux que

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laissent transparaître le crime règne plutôt, on s’en doute, la force brutale. Au total, la quête de femmes multiples n’est pas réservée aux célibataires. Ne subsiste-t-il pas, en fait, une perméabilité plus grande entre les statuts familiaux qu’on serait tenté de le supposer ? 47

Le nombre des agressions sexuelles que peuvent subir les femmes mariées montre de quelle fragile protection elles bénéficient. N’exagérons pas la portée de ces viols qui, comme nous l’avons vu, ne concernent que 20 % des femmes victimes 88. Certaines sont consentantes, quoiqu’elles s’en défendent. Là n’est pas la question. Leur infidélité ne les empêche pas d’affirmer bien haut qu’elles sont mariées. Une dénommée Jeannette, loin d’être une marginale, sait définir son identité par rapport à un réseau familial proche : elle se déclare fille de Philippot de Lyon, de la paroisse de Fleury, et mariée à Jean Meveux. Malgré ces références, elle est réputée « legiere femme et faisoit pour les compaignons »89.

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Le mariage ne dispense donc pas les femmes de se conduire en quasi professionnelles. Il est possible que certains maris en aient tiré bénéfice, mais ce n’est pas la règle. On peut alors penser que la liberté sexuelle des femmes commence avec le mariage. Certaines en sont parfaitement conscientes telle cette Marion, femme de Guillaume Morel, qui déclare à Pierre de Bonnières qu’elle avait refusé autrefois et avec qui elle veut maintenant partir : « je m’en yray plus voulentiers a present que oncques mais » 90. Son futur amant a beau lui montrer que le péché est plus grand maintenant qu’elle est mariée, elle prend sa décision en femme libérée, énumérant les biens qu’elle peut lui apporter, robes, linge et un bon lit. Quant à ses enfants, elle ne manifeste aucun désir de retourner les voir. L’amour certes, et nous y reviendrons, peut expliquer son attitude ; mais il semble bien que le mariage lui a donné une liberté et une indépendance que reflètent son attitude et la fermeté de ses réponses. Elle n’aurait pu les acquérir autrement. N’oublions pas le poids de la famille sur les décisions de la jeune fille et surtout le déshonneur qui entoure toutes les relations sexuelles avant le mariage.

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A partir du moment où elles sont mariées, les femmes qui trompent leur mari risquent moins de devenir filles communes et d’être confondues avec des prostituées ordinaires que lorsque leur réputation de jeune fille est entamée. Mais quand ces femmes mariées deviennent filles communes, elles ont atteint un point de non-retour, une rupture de leur identité telle qu’elles sont condamnées à disparaître. Ce fut le cas de Jeannette, femme de Guillemin Laurens qui « avoit prestres, clers, et autres telement qu’elle ne faisoit et ne tenoit compte de son mary et estoit femme publique, et se gouvemoit comme ribaude publique »91.

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La femme libérée par le mariage, voilà de quoi faire sourire ! C’est que nous sommes à un moment où l’institution a assez de poids pour marquer une rupture dans la vie des femmes, mais pas suffisamment pour imposer une claustration, un repli sur une maison fermée et des rapports exclusifs. Le mariage n’est donc pas, pas encore, une fermeture totale aux autres, la rupture avec le monde extérieur qui, pour cette raison même, ne cesse d’être menaçant. Certes, ces femmes que la société a tôt fait de considérer comme « folieuses », ne forment qu’une infime partie d’un groupe déjà peu nombreux ; leur existence montre néanmoins que le mariage n’a pas l’intransigeance qu’on lui attribue d’ordinaire. S’il est, comme nous l’avons vu en étudiant la condition des femmes victimes, un élément contraignant de la vie sociale, il n’est pas obligatoirement, pour les XIVe et XVe siècles, le garde-fou de la vertu.

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Le fait de pouvoir venir chercher — on dirait presque ravir — la femme mariée au nez et à la barbe de son mari, jusqu’à travers les rideaux du lit au coeur de la maison, montre bien cette perméabilité au monde extérieur. L’indissociabilité des liens du mariage ne retient pas toujours le violeur, même en présence du mari. Claude de L’Espine, alors qu’il était couché avec sa femme dans leur lit, la surprend avec Pierre Dalmon qui se tenait « aupres de ladite suppliante couchee aupres de son dit mary et, icellui dormant, la congneut charnellement une fois »92. Cette situation scabreuse se termine par une lutte entre les deux hommes à l’issue de laquelle le mari meurt. La faiblesse ou la stupidité du mari sont des explications faciles. Elles ne valent guère pour cet autre couple dont le mari a 25 ans et qui a deux enfants en bas âge. Lorsqu’à 10 heures du soir le vent ouvre la fenêtre, Michaut se tourne vers Michelette et sans hésiter lui dit « que c’estoient la compaignons qui le dit os avoient fait cheoir pour ycelle venir querir » 93. Alors l’homme se lève, prend un bâton qui se trouve à proximité du lit, va dehors et, ne trouvant rien, se recouche ; mais le doute subsiste et la querelle reprend : « voirement sont-ce tes ribaux qui ladite fenetre ou os ont fait cheoir pour toy venir querre », demande-t-il ?

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La présence du bâton, le doute qui s’installe, ne sont pas seulement les témoignages d’une jalousie plus ou moins justifiée. Il était possible à des hommes, mariés ou non, de venir violer l’intimité de la maison et de pénétrer jusqu’au creux du lit conjugal. On pourrait multiplier les exemples et, pour en terminer sur ce sujet, reportons-nous à cette conversation d’ivrognes où l’un d’eux raconte ses prouesses sexuelles. Un jour à Cosne, après avoir bu avec un homme marié, Guillemin Jobert le quitte brusquement « en cuidant plus tost estre en sa maison que luy pour vouloir villener sa femme et couchier avecques elle et estoit nuyt »94. Il réussit à pénétrer dans la maison, va jusqu’au lit et, à tâtons, met la main sur l’oreiller. Mais il en est pour ses frais car la place est déjà prise « et trouva la barbe de un homme qui estoit plus tost venu que luy dont il fu marry et s’en issy hors par dessus le four du dit hostel si comme il disoit ».

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La femme mariée reste une proie potentielle et le mariage n’est pas un cocon totalement protecteur. Ces exemples, qui, répétons-le, concernent une minorité de suppliants, ne sont-ils pas la preuve que, malgré le contrôle que la société s’impose, le clivage n’est pas encore net, en cette fin de Moyen Age, entre un comportement monogame explicite qui devrait être celui des hommes mariés et une polygynie latente qui devrait être laissée aux célibataires ?

MARIAGE ET SEXUALITÉ 54

La nature des relations amoureuses est directement impliquée par ce que nous venons de remarquer. Entre un discours où le mariage s’affirme comme rapport exclusif, et une tendance latente à la polygynie, où se situe l’amour ? N’est-ce pas la preuve d’une sexualité aux finalités nettement distinctes : d’un côté des relations conjugales justifiées par la reproduction, de l’autre des relations extra-conjugales vouées à la recherche du plaisir ? L’historiogaphie la plus récente conforte ce point de vue tout en le nuançant. En se référant aux textes étudiés par J. Goody, A. Guerreau-Jalabert admet comme acquis que l’aspect spirituel du rite du mariage a été valorisé au détriment de l’aspect sexuel95. La théorie, qui est langage de clercs, lui donne raison. En posant les jalons d’une histoire des moeurs, J. Rossiaud affine la chronologie et montre comment,

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vers 1400, la prostitution et le plaisir peuvent « préparer à la conjugalité » 96. Que peut livrer le couple de ses secrets quand il est confronté au crime ? 55

Disons d’emblée ce que l’opinion considère comme une conduite sexuelle totalement illicite. Les cas sont rares — 0,5 % — et on peut en déduire que ces attitudes sont parfaitement marginales, qu’il s’agisse de l’homosexualité ou de la bestialité. L’homme que l’on a déjà vu soupçonné d’homosexualité, à La Rochelle, est accusé de pratiquer un crime « contre nature ». Dans ce vocabulaire emprunté ici à saint Paul transparaît l’enseignement de la morale chrétienne. La réprobation qui entoure ce type de relations sexuelles dans l’opinion publique en fait un motif d’exclusion. C’est aussi un thème de propagande utilisé contre les hérétiques selon des stéréotypes qui fonctionnent bien97. Ces thèmes de prédication traduisent-ils une pratique en voie d’expansion ? J. Chiffoleau se pose la question avec raison 98. Dans les rares cas que révèlent les lettres, l’homosexualité ne se présente pas comme un succédané de l’absence de femmes mais comme une inclinaison amoureuse. Ceux-ci ont coutume « d’estre et repairier souvent par bonne amour, et amoient bien l’un l’autre, et se jouaient et esbatoient souvent ensemble »99. Or l’un d’entre eux est marié et père de quatre enfants. Dans un autre cas, celui de Pierre Jonquerith, il s’agit d’un homme dont on ne connaît pas la situation familiale mais dont l’âge, 60 ans, ne l’apparente pas non plus aux groupes de jeunes en mal de femmes. Venu chez un de ses débiteurs, il tente de séduire, après souper, deux des valets de son hôte ; il « s’en alla couchier avec deux des varlets dudit David, desquelz varletz ou d’aucun d’eulx ledit Pierre, par temptacion de l’ennemy, s’efforça d’avoir leur habitacion et compaignie contre nature » 100. La proposition n’étant pas de leur goût, malgré les rapports de dépendance de maître à serviteur, ils vont se plaindre à la justice. Néanmoins, dans l’ensemble du royaume, comme en Avignon, ce type de crime semble rare, ce qui accroît encore son parfum de scandale.

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Quant à la bestialité, elle heurte profondément les pratiques normales. Sa quête occupe davantage les juges au nord du royaume que l’homosexualité101. Son aveu est significatif d’une pesanteur intime plus que sociale. Lors des grands procès extraordinaires qui ont lieu au Châtelet, l’aveu de ce crime vient en dernier ressort, sans que les juges aient posé de questions sur ce point. La bestialité est le signe du non-retour, de l’exclusion définitive de l’inculpé qui se condamne lui-même au châtiment suprême. Etienne Blondel, de la bande de Jean Le Brun, récite les vols successifs qu’il a commis jusqu’à ce que, à la fin, il avoue le crime de bestialité. Alors les détails se précipitent : fréquence du crime, type de bêtes qu’il a pu rencontrer se précisent dans un frénétique désir de libérer sa conscience car « dudit peché ne se osa confesser a prestre aucun » 102. La bestialité fait aussi partie des crimes confessés au pied du gibet, si bien qu’elle transforme la corde en bûcher103. Au paroxysme de l’aveu, se révèle le péché sexuel dont on peut penser qu’il est hiérarchiquement le plus élevé. Le droit pénitentiel a fait son effet104.

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Mais la bestialité fait aussi partie des crimes remis. Elle ne peut alors être commise que dans un état second, celui du rêve, porte ouverte d’un contre-pouvoir dont seul le diable peut mener le jeu. Perrot, valet de Perrot Pichon, que nous avons déjà vu accusé de bestialité, n’a pas seulement l’excuse de sa jeunesse et de son innocence 105. Son âge et sa folie ont ouvert la porte au diable, ou plutôt au rêve qui a permis au diable d’entrer. La tentation de l’Ennemi, rarement décrite dans sa genèse, prend ici l’allure d’un songe aux révélations maléfiques où, comme l’écrit J. Le Goff, « le rêve et le sexe se

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conjuguent pour faire du dormeur la proie de rêves indécents » 106. Mais, à la différence de certaines visions qui précèdent les conduites sexuelles répréhensibles, telles les pollutions nocturnes, la scène se passe en plein jour. Le procédé reste néanmoins identique car le rêve conduit à une sorte de démence ; le jeune homme, et c’est cela qui importe, a commis son crime, « insensible » dans son esprit comme dans son corps. Il n’a rien pu saisir de la portée et surtout du plaisir d’un acte que l’affirmation lénifiante du texte dit unique mais dont la suite de la lettre suggère l’horreur réitérée : « poure valeton, fol et hors de toute memoire (...) se feust bouté en une estable a vasches en laquelle avoit une vache et en ycelle eust esté par moult grant espace de temps songant comme un fol, et entre autres choses lui avint une avision par le moien de la temptacion de l’ennemi avec son insensibilité qu’il ot compaignie et habitacion charnele a ycelle vache une fois seulement ». L’entourage s’en mêle pour imposer la normalité de la conduite sexuelle, « en lui montrant pluseurs enseignemens dont par son insensibilité il ne tenoit compte mais il lui sembloit que c’estoit bien fait ». 58

Reste à savoir ce qu’est la norme. Les textes confirment que l’union des corps est considérée comme essentielle pour proclamer le mariage. Rappelons que le mariage n’est pas considéré comme indissoluble tant qu’il n’est pas consommé 107. Coucher « nu a nu » ne suffit pas à prouver l’union si la jeune fille n’a pas été déflorée 108. Mais l’union charnelle ne se borne pas à satisfaire ce point de droit. Pour se défendre de l’accusation de rapt, la partie adverse peut faire état du plaisir pris par la jeune femme. Perrotine Des Sarteaux a non seulement demandé à partir avec Hutin de Clamas, écuyer, mais, après avoir eu compagnie charnelle, de son « gré et voulenté », « elle estoit courroucee quand Hutin estoit absent et qu’elle ne l’avoit pas en sa compaignie » ; de la même façon, Marguerite de Chavure affirme qu’elle ne veut pas d’autre homme que celui qui l’a ravie et « qu’il estoit homme que plus elle amoit et l’avoit plus chier tout nu » que celui que son oncle lui destinait109. Ces arguments ne disent peut-être pas la vérité des faits, mais ils affirment ce que doit être, aux yeux des autres, la relation conjugale légale.

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Les relations sexuelles entre conjoints ne se bornent pas aux premiers temps du mariage. Elles assurent le maintien de ce que les textes appellent « l’estat de mariage », c’est-à-dire sa reconnaissance dans le temps. Le « devoir conjugal » se profile déjà nettement dans ses obligations. Parce que Jean Loquier a tué son beau-père au cours d’une rixe, sans avoir été pour cela ni dénoncé ni condamné, sa femme, un an et demi après, se refuse toujours à lui. De refus en scènes, le mari finit par la gifler si fort qu’elle ne s’en relève jamais. Le motif de la grâce accordée au meurtrier est clair : « ledit cas advenu sur sadite femme procede de cas fortuit et de desobeissancee au sacrement de mariage »110.

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L’état de mariage implique bien l’accomplissement de l’acte sexuel. Jean Lutier, affecté d’une impuissance temporaire, se croit victime d’un sort, « tellement que icellui Lutier et sadite femme (...) ne se vouloient veoir, oir, habiter, congnoistre charnellement » 111. Une guérison passagère lui permet de reprendre « l’estat de mariage ». Etre marié, c’est bien converser, habiter et coucher ensemble.

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Les rapports sexuels constituent une composante majeure des relations homme-femme au sein du couple. La procréation est-elle pour autant la seule justification reconnue ? Qu’en est-il du plaisir sexuel ? Les textes ne sont pas très diserts sur ce sujet. Ils précisent au moins ce que sont les pratiques sexuelles répréhensibles dans le cadre du couple marié. Catherine Constantin se plaint de son mari qui s’efforce, sans son accord,

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de vendre les biens du ménage et, un jour de dispute violente, le tue. Pour obtenir rémission, elle n’hésite pas à raconter les sévices sexuels qu’elle a pu endurer car il avait essayé d’avoir « par plusieurs foiz habitacion chamelle a ladite Catherine sa femme en aucunes parties de soy deshonnetes »112. Le fait est assez condamnable pour que, avant d’en arriver au meurtre, elle s’en soit plaint à l’un de ses anciens amis qui reproche au mari sa conduite « inhumaine ». Mais l’histoire ne dira jamais ce qui des biens vendus ou de la conduite sexuelle de son mari a décidé Catherine au meurtre. On peut seulement conclure que, dans le domaine de la normalité des rapports sexuels, en définissant le bien et le mal, la prédication a fait son chemin 113. A-t-elle pour autant étouffé toute recherche de la sexualité ? 62

Il convient d’écouter les prédicateurs sans dénaturer le sens de leurs propos. Reprenons à nouveau les termes de Jean Gerson qui, face aux hérétiques hostiles à l’amour physique, justifie l’union chamelle : « Je respond que la foy et la beauté du sacrement de mariage excusent ceste oeuvre de pechié, tant pour la fin de avoir lignee qui serve Dieu, comme pour se tenir foy et loyaulte durant leur vie ensemble » 114. La finalité du sacrement réhabilite l’union chamelle. Celle-ci, tout en restant conçue comme un péché, n’en est pas moins reconnue, à condition de conduire à la procréation et d’entretenir la stabilité du mariage. Dans la pensée de Jean Gerson les deux aspects sont inséparables. Il n’y a pas là de condamnation explicite du plaisir sexuel dans le mariage. Peut-être faut-il attribuer cette attitude compréhensive à un moment privilégié de l’histoire des moeurs, quand l’urgence démographique crée la peur de la dépopulation. Cette thèse défendue par J. Rossiaud coïncide avec les préoccupations de la Chancellerie soucieuse, dans les préambules de ses actes, de repeupler le royaume pour contrecarrer les effets néfastes des crises115.

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Ne nous trompons donc pas d’époque : la sexualité n’est pas encore totalement réprouvée. Elle est clairement reconnue comme support du mariage et contribue à l’épanouir. Au milieu du XVe siècle, l’union entre Etienne Bardin, âgé de 19 ans, et sa jeune femme qui n’a que 12 ou 13 ans, est un échec parce que l’union des corps n’a pas pu créer de liens affectifs entre les conjoints : « icelle Jehanne qui n’avoit aucune amour naturelle audit Estienne son mary, tant parce qu’il estoit et est parfois insensé que aussi pour ce que jamais n’avoit eu a besoigner charnellement ni couchier ensemble » 116. Le mot « naturel », sur lequel nous reviendrons, indique bien de quelle nature sont les rapports entre mari et femme. Ils créent, par le lien charnel, une forme de consanguinité117.

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La survie de la lignée n’est pas seule en cause. Au détour du crime, les suppliants racontent cette quête d’un plaisir compatible avec leur vie quotidienne. L’équilibre du mariage passe aussi par là. Cette Marion que nous avons vu partir avec un amant, expose que, du point de vue sexuel, son mariage est un échec 118. Lorsque maître Pierre de Bonnières la rencontre à la foire voisine, les propos qu’ils échangent, suite d’une histoire et de confidences anciennes, ne laissent aucun doute à ce sujet : « Il demanda comment elle le faisoit et elle lui dist : “tres mal et plus que oncques mais ne lui avoit esté”. A quoy icellui suppliant lui respondi ces paroles : “je emasse mieulx que vous eussiez creu et que vous en fussiez venue avecques moy quant je vous en pryaye” ». Cet échec ouvre, nous l’avons vu, sur une longue aventure qui enfonce les deux amants dans la marginalité jusqu’à l’emprisonnement du suppliant accusé de vol par un mari plus inquiet de l’intégrité de ses biens que de bagatelle. Souci d’une élite populaire que cette quête de la perfection physique dans l’amour ? Il est vrai que Pierre de Bonnières

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est « maître » et « chirurgien ». Mais quand la femme de Jean Flambert assise auprès de son mari « comança a fraper sondit mary des paulmes parmi les joes en lui disant qu’il lui feroit la nuyt trois fois les noces », il s’agit simplement d’un couple de laboureurs 119. 65

La place accordée à la procréation comme suite légitime du mariage ne doit donc pas nous tromper. Il est vrai que les textes juridiques ont tendance à assimiler grossesse et mariage, mais il ne faut pas confondre ce qui est une preuve du mariage avec sa finalité. La grossesse est essentielle pour prouver que l’union physique existe et que, par conséquent, le mariage a été consommé et qu’il se perpétue. Mais il s’agit d’une preuve dans une vie de relations, d’une reconnaissance du couple par le monde extérieur. Cette jeune femme qui avait été jetée dans un puits par des beaux-frères mal intentionnés s’en échappe ; la lettre montre pourquoi la grâce peut être accordée aux agresseurs : « elle est retournee volontairement aupres de son mari, a eté aimablement traitée par lui et en sa compaignie et par lui depuis ledit fait soit demouree grosse si comme vraye presumpcion en est »120. Le fruit est là, signe tangible d’une vie sexuelle normale entre mari et femme. Il appartient à la vie publique.

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Restent les secrets de la vie privée. Car, si le mariage n’exclut pas le plaisir, il n’est pas de bon ton d’en parler. Là se situe, en grande partie, la différence entre l’union physique conjugale et les relations extra-conjugales. Les premières sont réduites au silence tandis que les secondes s’apparentent dans le vocabulaire qui les désignent au « jeu » et à « l’esbattement ». La fille commune est réputée pour « s’esbatre a l’amour ». Le jeu amoureux prend les sentiers interdits. En 1416, dans la prévôté de Paris, Jean de Montgay parti quérir de l’huile pour son ménage rencontre une jeune fille « a laquelle il se print et joua a elle »121. Il s’agit bel et bien d’un viol. Jean Lucas entraîne une jeune femme nommée Jeannette Logier, « laquelle menoit esbatre par le pays ». Trois compagnons veulent s’en emparer et l’un d’eux « requist qu’elle alast jouer avec lui et la print par la main en disant : “vous vendrez avec moy” (...) pour esbatre avec eulz ». Mais elle refuse et dit que « ledit Jehan Lucas avoit jeu avec elle, et l’avoit connu charnelement et qu’il n’estoit pas son mary »122.

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Les relations extra-conjugales se passent donc sur le mode du jeu, c’est-à-dire qu’elle peuvent être un spectacle dont la scène est indifférente : buisson, talus, forêt. Elles peuvent aussi avoir un public. Les viols collectifs ne sont pas seulement le résultat d’une sexualité de compagnons débridés et brutaux. Il s’agit là d’une pratique qui est, par excellence, celle de l’amour hors mariage, jeu et spectacle. A l’opposé, la relation sexuelle conjugale se tait et se clôt exclusivement au creux de la maison. La femme du laboureur Jean Flambert est ivre quand elle ose parler de l’amour et le tavernier chez qui se trouve le couple n’apprécie guère la publicité de sa déclaration. Il lui fait remarquer « que ce n’estoit pas dist de preude femme de ainsi parler en autruy hostel » 123 .

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La quête du plaisir sexuel n’est donc pas incompatible avec le mariage mais elle se heurte aux impératifs du non-dit. La société s’est imposé sur ce point des lois qui se doivent de respecter d’abord celle du silence. Pudibonderie ? Le terme est anachronique et ne correspond guère à ce que nous savons par ailleurs de l’exaltation du corps. La signification du silence vis-à-vis de ces comportements amoureux n’en apparaît que plus clairement : elle est sociale plus que morale. Il s’agit, pour la société, de placer des garde-fous afin de ne pas se laisser déborder par des impulsions difficiles à contrôler. Le but est de faire entrer les relations sexuelles dans des rapports de paix

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qui ne troublent pas l’ordre social. Dignes d’éloges sont les suppliants qui ont « vescu ensemble bien paisiblement comme homme et femme doivent etre » 124. 69

Dans la lente marche de l’étouffement des corps, la pression sociale n’est pas encore arrivée, aux XIVe et XV e siècles, à faire taire toutes les voix. Ce sont d’ailleurs des femmes qui parlent, qui en parlent. Elles ne craignent pas de dire les bienfaits de l’amour physique125. Et laissons à Christine de Pizan chantant sa « première nuit de ménage », elle dont la rigueur morale ne peut être mise en doute, le soin de conclure sur ce point : « Princes, il me fait divaguer Quand il me dit qu’il est tout mien De douceur me fera crever, Et certes le doux m’aime bien »126.

SI L’AMOUR ÉTAIT CONTÉ 70

Le silence des sentiments accompagne-t-il celui de l’amour charnel ? La question peut paraître a priori fallacieuse tant il semble artificiel de séparer les deux domaines. L’approche médiévale de l’amour justifie pourtant de le faire ; l’épanouissement de l’amour courtois, l’exaltation de l’amour divin ont incité littérateurs et historiens à opposer un sentiment spirituel obligatoirement pur à un contact physique brutal et procréateur. Il est possible que cette division des coeurs et des corps subsiste aux XIV e et XVe siècles. Elle ne résiste guère à la lecture des lettres de rémission.

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A cette union essentiellement procréatrice et d’une rusticité élémentaire s’ajouteraient aussi les contraintes imposées par les familles et par l’Eglise. L’amour dans le mariage, refoulé avant que d’être né, et à plus forte raison le mariage d’amour ne leur auraient pas résisté, Cette vision a déjà été sérieusement nuancée par J.L. Flandrin pour les milieux populaires du XVIe siècle127.

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Nous avons vu que les situations irrégulières dues à l’infraction des règles d’exogamie prescrites par l’Eglise apparaissent peu. Dans un cadre spatial dont nous avons aussi mesuré le repli, cette stricte application de l’exogamie, si elle est effective, ne peut que réduire le choix des conjoints. Est-il alors possible, pour respecter les exigences d’un choix balisé, de retirer toute initiative aux jeunes gens ? Paradoxalement, l’initiative laissée aux jeunes gens s’en trouve accrue : elle consiste au moins à briser le cercle plus ou moins étroit des connaissances familiales. Le mariage a toutes les chances de devenir une quête où la rencontre amoureuse prend place. L’amour est le gagnant de ce jeu de hasard.

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Le mariage contre la volonté des conjoints, ou contre la volonté de l’un des conjoints est rare. En tout cas, elle ne conduit pas à des situations conflictuelles qui trouvent souvent leur résolution par le crime. Tout se passe comme si l’enseignement de l’Eglise qui met en avant le nécessaire consentement des époux avait, sur ce point, porté ses fruits. Pour mieux éclairer le contenu de la doctrine consensualiste qui prévaut entre le Décret de Gratien et le concile de Trente, reprenons cet extrait de la Somme Rural que cite J. M. Turlan : « Mariage est un lien a proprement parler qui se fait par le consentement de l’homme et de la femme puisque les coeurs d’eux se consentent a avoir l’un l’autre a mariage »128.

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On ne peut pas mieux dire que l’union des sentiments prépare le mariage et précède celle des corps. Le consentement des époux prend désormais place dans le rituel à côté

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du consentement des familles qui a pour fonction de sceller l’alliance. Y a-t-il antagonisme entre les deux accords ? Les archives judiciaires font largement état de l’autorisation demandée aux parents et amis respectifs sans qu’un conflit naisse pour autant. Guillemin Liesse raconte comment il vint demander la main de Simone dont la mère s’était remariée : « fis demander pour avoir a femme en mariage Symonne fille feu Jehan Martin laquelle lui fut octroyee par Hugueniez Rapharin mari de la mere de ladite Symonne et par plusieurs autres ses amis »129. 75

Le silence des textes sur d’éventuels conflits est ambigu. Il peut être le signe d’une obéissance aveugle aux impératifs de la parenté autant que celui d’un accommodement tacite liant harmonieusement le devoir imposé à l’inclination des sentiments. Entre ces deux hypothèses, il s’avère difficile de trancher. Seuls quelques indices permettent de privilégier le consentement mutuel. Une large place est laissée, en effet, dans cette société des XIVe et XVe siècles à la déclaration d’amour. Il ne s’agit pas de la déclaration prononcée dans l’intimité, mais, ce qui est lourd d’engagement, de la reconnaissance de l’amour en public, avant la proclamation des fiançailles et du mariage. Place doit être faite d’abord à la danse qui peut avoir pour fonction de faire rencontrer, au son des ménétriers, jeunes gens et jeunes filles à marier. Dans l’espace clos du village, aucune idylle n’échappe à la vue de la communauté. Il est possible que les femmes aient contribué à favoriser ces rencontres. Les sociétés traditionnelles gardent encore l’écho de ces potins qui alimentent les veillées130. Le bouche à oreille n’est pas seul à colporter l’état des fréquentations. Des coutumes folkloriques, telle, comme nous l’avons vu, la plantation du mai, proclament haut et fort la déclaration que les amoureux se sont, en privé, échangée. Deux jeunes gens de Buchy qui se déclarent encore « au povoir paternel de leurs diz peres » n’hésitent pas cependant à rencontrer deux jeunes filles la veille du mai, « lesquelles ils amoient par amours ausquelles pour leur vouloir fere plaisir ilz eussent demandé se lendemain premier dimenche de may ilz leur porteroient a chacune une branche ou feulliot de may ; lesquelles eussent respondu que elles le vouloient bien »131. Le matin, quand le village s’éveille, personne ne peut ignorer quelle jeune fille a un amoureux. L’amour n’attend pas les fiançailles pour se faire reconnaître. Tout n’est pas dit avec la déclaration publique. Le « plaisir » de la jeune fille s’accommode d’un rituel qui n’étouffe pas obligatoirement la délicatesse des sentiments.

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Des altercations peuvent naître de ces sentiments déclarés. Elles opposent moins les parents à leurs enfants que les jeunes gens entre eux. La jalousie de rivaux évincés se termine dans le sang de rixes implacables. Pour avoir reçu une courroie, gage d’une jeune fille « qu’il aime par amour », un suppliant subit les affronts d’un jaloux, « dolent » d’avoir été évincé. L’histoire se termine par une explication au couteau, dans la rue132. Quant aux arbres de mai qui devaient être si amoureusement placés, ils se retrouvent déchiquetés par une bande rivale. La concurrence est un péril qui conduit plus sûrement au crime que le commandement des parents.

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Place est laissée au choix amoureux. Place aussi est laissée à la cour amoureuse. Jean Guéret retrouve la jeune Alisson chez une amie et « surprins et ravy d’amour », par des paroles et des gestes tendres et pudiques tente de déclarer sa flamme et « lui dist tout en ryant et en basse voye (...) qu’il la peigneroit bien » 133. Ces cheveux qu’il rêve de défaire disent clairement son désir amoureux134. Puis, il continue en jouant avec elle et un « estournel » en cage jusqu’à ce qu’Alisson, séduite, « se esleva sur led. bancq et se seist sur ses genoulx ». Une autre fois, la scène se passe dans une étable où Nicaise Le

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Caron tente de déclarer son amour à Margot qui donne à boire aux veaux. Faute de paroles, le galant la prend par le bras. Aussitôt elle comprend et lui dit : « Laisse-moy aller, je veul bien ». La tante du jeune homme qui a organisé le mariage apprenant le résultat de l’entreprise « commença a batre les paulmes et a dire : “elle est nostre” » 135. 78

Ces marques d’amour ne doivent pas faire transposer nos propres modes de vie. Tous les mariages n’ont pas eu lieu dans un consentement harmonieux des familles et des conjoints. Lorsqu’on annonce à Jean Quien de Bar, âgé de 22 ans et marié depuis un mois « de la voulenté de son frere aisné », que sa femme se meurt, il répond sans hésiter « que se Dieu vouloit tant fere qu’il en eust le dimenche ensuyvant une autre que ce seroit grant joye »136. L’affaire n’est pas une plaisanterie ; la mort de son frère finit par le venger de la contrainte imposée. La réponse extrême aux interdictions réside dans la permanence des rapts et la fréquence des mariages clandestins, voire dans le choix du concubinage interdit. En ce qui concerne les mariages clandestins, j’ai déjà montré comment ils échappaient au filet de la justice royale. Il n’est d’ailleurs pas sûr qu’ils soient toujours la réponse d’une inclinaison tenace à une famille hostile. Comment imaginer l’installation du couple dans l’espace proche des deux parentés ? Si le mariage clandestin a lieu pour éviter l’opposition des familles, il a dû s’accompagner, comme l’union illégitime, d’une période d’errance, voire d’un exode définitif. Quant aux rapts, leur violence n’exclut pas l'affectio maritalis mais elle peut mettre en jeu l’opposition de la parenté. Nous retrouvons là l’une des grandes différences déjà évoquée entre le mariage aristocratique et celui du commun. Pour la noblesse, le mariage ne doit pas conduire à une mésalliance. Dans le bailliage de Caux, Loyset Cohourde, « de poure et petit estat », s’étant « accointé » de la fille du seigneur paye le rapt de sa vie. La scène finale oppose, en fait, deux styles de vie inconciliables : « ledit Jehanin du Caable, frere de la dite demoiselle, fust alé en gibier comme gentilz hommes ont acoustumé, et d’aventure eust trouvé le dit Loyset Cohourde, soyant blez aus champs, le quel Jehanin considerant que ce ne deust pas estre l’estat de sa dite seur... » 137 .

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Les non-nobles connaissent aussi ces problèmes de mésalliance. La mère de Catherine Collart préfère l’avortement plutôt que de voir sa fille contrainte à épouser le père de l’enfant, un valet ; quant à Jeanne, fille de Pierre Hemery, épicière de la rue Saint-Denis, « qui a esté toute sa vie nourrie entre merchans », après avoir dit tant de bien du beau Regnault d’Azincourt, elle refuse ses propositions de mariage car « quant elle se vouldroit marier, elle en prendrait conseil a son pere et se marierait a son partie et non pas en si hault lieu »138. Mais les unions socialement mal assorties sont très rares ; du moins elles ne conduisent pas au crime. Le recours à des solutions violentes comme le rapt implique, en effet, une aire de relations que les gens du commun ne possèdent pas. Le rapt, l’organisation du mariage par un clerc consentant conduisent les couples à travers de longs périples. Ce jeune écuyer passe 7 mois en Bretagne accompagné de sa jeune femme épousée devant un chapelain jusqu’à ce que la prison termine brutalement son épopée139. Rapt et amour ne sont donc pas obligatoirement antithétiques. Au contraire, pour être pardonné, le suppliant a intérêt à invoquer le sentiment qu’il porte à sa belle. L’amour contrarié est ainsi le mobile retenu par le ravisseur de Méline, fille de Gilet de Jorey, pour expliquer son acte. Elle lui avait promis de venir au rendez-vous « et que elle y veniroit de quelque heurre que ce feust, se elle povoit eschapper de l’ostel, et s’en yroit avec lui la ou il voudrait » 140. Lui-même, quand

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commence l’aventure, l’accueille par ces mots : « Ma doulce amie, vous soyez la bienvenue ». 80

Face à ces exemples aristocratiques, celui de Jean et Jeanne, simples laboureurs, dont nous avons déjà suivi les péripéties, reste exceptionnel. La violence du rapt a pour corollaire un sentiment si intense qu’il réussit à braver la contrainte des familles comme les pesanteurs matérielles. Il est vrai que les deux jeunes gens étaient, comme je l’ai dit, déjà âgés et leur but parfaitement désintéressé et légaliste. Ecoutons leurs arguments qui empruntent au mariage idéal : « Jehan poursuivit et frequenta avec elle de son consentement qu’eulx deux d’un commun accord, volonté et courage amoureux eussent eu secretement ensemble certaine promesse et convenances de mariage sans le sceu ou volenté du pere d’icelle Jehanne ni d’aucune autre personne » 141. La suite s’impose : « Ledit Jehan, tant pour le tres grant amour et affeccion que il avoit avec elle comme aussi pour raison des convenances qu’ils avoient ensemble dont il sentoit sa conscience chargié et que il savoit que durant la vie d’icelle Jehanne il ne saurait bonnement contraire mariage avec autre femme que elle selon conscience, doubtat que trop brief son dit pere ne la voulat marier a autre ». On ne peut pas mieux dire la loi de l’amour depuis les promesses échangées jusqu’à la crainte de perdre l’être aimé. L’amour ne se révèle donc pas incompatible avec l’accomplissement du mariage.

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Et la rupture avec l’être aimé peut conduire au drame. Prenons l’exemple extrême de Jeannette de L’Ospital, pauvre lingère demeurant à Paris qui, folle d’angoisse de voir celui qu’elle aime se « refroidir » d’amour pour elle et lui en préférer une autre, n’hésite pas à recourir à un philtre magique. Pour ce faire, elle confie sa peine à un sorcier juif et lui dit « que elle en amoit un plus que nul autre et qu’elle vouldroit qu’il l’eust espousee mesmement que aucune foiz il lui en avoit donné esperance maiz il lui sembloit qu’il en estoit refroidies »142. La jeune fille en fut pour les frais de son amour déçu et elle connut le Châtelet : « maiz jasoit ce que elle feist tout ainsy que le dit juif lui avoit devisié et enseignié, toutevoyes ne la espousa point ledit homme, ains s’est mariez a une autre qui ancores vit et demeure avec lui ».

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Le mariage peut procéder de l’amour mais la force des sentiments résiste-t-elle à l’usure du temps ? Depuis Jean de Meung, la littérature s’est emparée de ce thème qui associe la décrépitude de l’amour à la contrainte du mariage 143. Les faits sont plus modérés que le chant du poète. La dispute matrimoniale constitue moins de 1 % des antécédents du crime comme du crime lui-même. Elle est parfaitement négligeable pour l’ensemble de la criminalité. En revanche, la dispute matrimoniale entre comme premier antécédent du crime dans plus d’un tiers des crimes commis entre mari et femme. Certes, ces chiffres sous-estiment la réalité car combien de scènes violentes n’ont pas dégénéré en meurtre ? Combien de femmes battues, voire d’hommes, se sont bien gardés de se plaindre ? Si l’affaire reste privée, elle a peu de chances de devenir criminelle144.

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Avec une certaine sagesse, preuve de la maturité de réflexion sur le mariage, les discours judiciaires font la part de l’inévitable difficulté de la vie commune, telle cette lettre de rémission qui, à la fin du XVe siècle, avoue que « question et debat de parolle se meut entre ledit suppliant et sa femme ainsi que souventesfois advient en mesnaige »145. De cris en coups, la discussion peut aussi conduire au crime. Ici ce sont des « buffes » et des cheveux tirés, là un gourdin qui assomme, ailleurs des ciseaux qui, fichés dans la hanche, portent un coup mortel. Nous reviendrons sur la cause de ces drames. Les victimes en sont essentiellement des femmes qui ont à supporter ce que

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Marie La Mugière appelle « un moult dur homme qui souventeffoiz la batoit » 146. Elles se rebellent et finissent par frapper. Plus rares sont les hommes qui, comme ce Jean Lairent, sont victimes d’une Isabeau, véritable mégère qui l’insulte et le traite durement comme elle a déjà maltraité ses deux maris successifs ; mais ces fortes femmes ont rarement le dernier mot : l’épouse de Guillaume Faulnier qui ose railler son mari en l’appelant « teste creuse, deable enragé et bourreau » finit frappée à la poitrine par un ustensile de cuisine147. La haine qui s’installe au coeur du ménage est parfois si grande que seule une séparation évite l’irréparable. Les autorités vont jusqu’à intervenir pour garantir le droit des époux à la vie. Le seigneur de Thieux, dans la prévôté de Paris, est ainsi obligé de confier en garde la femme de Jehannin Coquatrix « pour obvier a ce que le dit Jehannin ne meffeist a sa femme contre laquelle il avoit concu moult grant hayne »148. La « haine », ce mot peut caractériser les rapports matrimoniaux. A Tournai, Isabelle de Rassoncamp, une « damoiselle », fait tuer son mari par Opilius avec l’accord de sa parenté car elle a conçu contre lui 1'odium capitale, c’est-à-dire la forme la plus extrême de la haine149. 84

Pour dramatiques que soient ces exemples, ils ne doivent pas faire perdre de vue la rareté des cas qui conduisent de la dispute matrimoniale à l’homicide. Parmi les homicides, celui entre mari et femme constitue à peine plus de 1 % des cas. Il montre d’ailleurs le conjoint agissant dans un état second, celui de la colère ou de l’ivresse, quand il ne s’agit pas de la folie, celle qui prive le suppliant de « son entendement » 150. Il est probable que la rémission d’un crime aussi grave se devait de passer par ces subterfuges qui remettaient le suppliant dans les mains de l’Ennemi. Mais les sentiments ne sont pas seulement de circonstances. La défense de l’autre, dans le couple, l’emporte largement sur la volonté de le détruire. Nous savons déjà comment la femme peut s’interposer, au péril de sa vie, pour défendre ce qu’elle a de plus cher. La « grant et ardent amour » qui la porte, effrayée et éperdue, à sauver son mari menacé, est un motif qu’elle ne se prive pas d’invoquer haut et fort pour justifier son attitude, sa transgression d’une habituelle réserve. Mais le cri « haro, on tue mon mari » n’est pas sans réciprocité. La riposte au danger que court la femme fait réagir l’homme, immédiatement. Un suppliant à qui on dit « que l’on batoit sa femme, lors sailly sus et yssi hors tout esmeu et vint au debat »151.

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Cette attitude est courante : dans près de 25 % des cas, le premier participant aux côtés du coupable est son conjoint, homme ou femme. Il vient à l’aide ou s’introduit comme complice. Le couple se trouve bien réuni dans le crime.

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Est-ce pour autant l’expression d’un sentiment d’amour ? La question risque de rester sans réponse tant il est difficile de se défaire des critères actuels. C’est un lieu commun d’affirmer que la valeur affective est perçue différemment selon l’organisation sociale. N’imaginons pas cependant que ces hommes et ces femmes des XIV e et XV e siècles ne reconnaissent pas la forme d’amour qui leur est propre. Ils l’expriment, et pas seulement à travers des gestes physiques plus ou moins brusques. Ils ne se contentent pas de « faire l’amour » mais ils promettent de « faire assez de bien » 152. Et, dans ces gestes, la tendresse n’est pas exclue. Cette jeune femme pleure de crainte de perdre son mari dont elle est sans nouvelle. Cet homme reconnaît l’amour rival quand il voit sa femme lire à la fenêtre avec son amant. Celui-ci qui vient de voler du suif est emprisonné et souffre de ne pas aller voir sa femme malade à l’hôpital Saint-Jean de Noyon. Les exemples sont multiples, allusions furtives, dans des textes qui ne sont pas destinés à de telles descriptions. On les sent cependant jusque dans les circonstances les

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plus tragiques. Quand Raoulet de La Barre décide de se pendre à la corde du grenier, son dernier geste est pour sa femme et la maison qui les a abrités. Il « s’en vint a sa femme qui estoit couchiee malade empres son feu toute descouverte, lequel la recouvry, et puis ala fermer son huys a la clef par devers eulx, et en apres monta en son solier »153. 87

Certes, dans ces tableaux, il faut faire la part de ce qui peut faciliter la rémission ou de ce qui rend crédible la plaidoirie de l’avocat. Mais n’est-ce point le signe qu’il est un devoir de reconnaître et d’entretenir le sentiment d’amour dans le mariage ? Cela ne veut pas dire que l’inclination doit éclater en relation passionnelle. Au contraire, l’opinion s’en méfie autant que de l’indifférence, car la jalousie perfide brise les ménages et les conduit au meurtre. Dans un petit village du bailliage d’Amiens, la jalousie que conçoit la femme du boucher pour celle du boulanger ouvre la suite de nombreuses scènes qui ensanglantent la famille154. Ce sentiment, qui comme on le verra, est une terrible injure pour le mari quand il est asséné par un adversaire, est loin d’être réservé aux femmes155. Jeannot Mauteille, parfait jaloux, ne sait plus se contenir : « ledit Mauteille qui estoit homs plains de grant jalousie envers sadite femme et sanz aucune cause, se courrouça a sadite femme (...), laquelle estoit grosse d’enfant et encore est preste de gesir bien briefment et lui dist : “fausse putain, garce et fille de putain” avec plusieurs autres injures et villenies »156. Quant à Jacques Le Chantre, sa jalousie est si maladive qu’il poursuit la chambrière de sa femme de ses questions. N’a-t-il pas trouvé la porte de leur maison fermée à son retour du travail ? Pourquoi ? Celle-ci avoue que sa maîtresse a été sollicitée par Pierre de Beaune et que pour cette raison l’huis a été fermé. Cet aveu n’est pas suffisant et la jeune femme doit affirmer « par serment » à son mari le déroulement de sa journée. On ne peut s’étonner que, trouvant celui qu’il prend pour son rival, il le blesse, soi-disant d’aventure, et « par chaleur qui peut cheoir en tout homme marié en tel cas »157. L’argumentation de la partie adverse montre dans quelles limites peut s’exercer la jalousie. Le premier argument tient au rang de l’épouse, alignant encore une fois la faute sur la condition sociale 158. Ce mari n’aurait pas dû s’inquiéter : sa femme est de bon lignage et « de tant devoit il avoir moins de souspeçon ». Le second touche au fond de la jalousie qui se trouve ridiculisée comme dans une sorte de fabliau. Un exemplum, emprunté sans doute aux commérages qui entourent le couple, le distingue des autres et lui sert d’illustration : « tousjours en estoit-il jaloux par tele maniere qu’il ne souffroit pas que elle alast oïr messe mais par longtemps la tenoit si estroite que elle ne povoit pas aler a l’eglise ne soy confesser et une foiz sur le temps de Pasque la mena aus Augustins pour estre confessee et se tenoit tousjours de costé elle jusques a tant que elle fu confessee et si pres du prestre qu’il povoit, et la fist lever de confesse avant que elle eust tout parfait, monstrant semblant que il lui desplaisoit ».

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Pour conclure, il ne faut pas craindre d’affirmer que l’amour existe dans et pendant le mariage et qu’il se doit d’exister. Le couple n’est pas seulement ou n’est plus, en priorité, une unité de production et de consommation vide de tout contenu sentimental. Dès les XIVe et XV e siècles se profile la valeur affective que les sociétés rurales traditionnelles attribuent au mariage159. Le mot amour lui est accolé ; c’est dire que les relations extraconjugales n’ont pas le monopole des sentiments amoureux. Mais il faut bien en dégager le sens. Le mot amour est employé dans les deux cas à condition de distinguer avec soin la « folle amour » qui suit les voies de l’illégitimité du « bon et vray amour en esperance de mariage »160. Les deux formules se répètent jusqu’au stéréotype et tracent la barrière du licite et de l’illicite. L’un s’émeut des « doulces

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paroles » « sainctes et blandisseuses » qui font céder la fille naïve le temps d’étreintes éphémères : il est le simple prélude à l’acte charnel161. L’autre dit les gestes qui ritualisent l’amour, « emmaioler », « peigner », « soigner » et le projettent dans la durée : il crée le couple aux yeux de tous et doit lui permettre de « s’entr’aimer » le temps d’une vie. L’un se cache et fuit jusqu’à l’éclaboussement du scandale ; l’autre se tait dans le privé de la maison où il se doit de demeurer paisible. Tout tient dans ce programme dévolu au mariage qui consiste à rester en « bonne paix et amour ensemble ». L’entente a rempli sa mission : elle ne fait pas de bruit. L’historien de la criminalité en est pour ses frais sous peine de confondre dans une même vision ce que les attitudes mettent tant de soin à séparer. Car les époux sont plus solidaires qu’antagonistes et le crime, quand il a lieu, les rassemble plus qu’il ne les oppose.

NOTES 1. G. DUBY, « Le mariage... », p. 15-39, et Le chevalier, la femme..., p. 27-60. Sur le rituel du mariage d’après les lettres de rémission, R. VAULTIER, Le folklore.... p. 10-35. Sur l’ensemble du rituel, J.B. MOLIN et P. MUTEMBE, Le rituel de mariage... Sa signification est analysée par M. JEAY, « De l’autel au berceau... », p. 45 et suiv. 2. Entre mari et femme, le premier antécédent du crime se répartit entre les homicides, 12 % des cas, les disputes conjugales, 38 % des cas, et l’adultère pour 50 % des cas. Le crime proprement dit se partage par moitié entre l’homicide et la dispute conjugale. L’homicide peut être camouflé en suicide. 3. G. LE BRAS, « La doctrine du mariage... », col. 2123 et suiv. et art. Ehe, J. F. NIERMEYER, Lexicon..., col. 1616 et suiv. 4. J. GERSON, Pour la fête de la desponsation Notre-Dame, Œuvres complètes, t. 7, p. 11, et Considérations sur saint Joseph, ibid., p. 63-99. Sur le thème iconographique du mariage de la Vierge en Toscane et, en particulier, la signification du Sposalizio de Giotto empruntant largement à la Légende dorée, Ch. KLAPISCH-ZUBER, « Zacharie, ou Le père évincé. Les rites nuptiaux toscans entre Giotto et le concile de Trente. », La maison et le nom. p. 151-183. 5. L’expression est de J.C. PAYEN, « La crise du mariage... », p. 413. 6. Voir en particulier E. DESCHAMPS, Le miroir de mariage, Œuvres complètes, t. 9. 7. J. GOODY, L'évolution de la famille et du mariage..., p. 83 et suiv. 8. Voir les questions posées à Oudin de Sery, Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 278-279. 9. JJ 120, 356, juin 1382, PARIS (prévôté de Paris). Autre exemple X 2a 10, fol. 191v., janvier 1385. Le procès se déroule à la suite d’une bagarre qui a opposé le frère et le concubin d’une jeune femme. Dans le feu de l’action, le frère reproche à son adversaire : « tu l’as deshonoree ! » ; autre exemple ibid., fol. 161 v., juillet 1383. 10. X 2a 16, fol. 60-63v., août 1410. 11. JJ 102, 130, septembre 1371, (bailliage de Rouen). Autre exemple de diffamation à propos de concubinage, X 2a 14, fol. 188v., mai 1404. 12. JJ 165, 315, lettre citée chapitre 6, n. 111. 13. JJ 151, 28, décembre 1396, OZOIR-LA-FERRIÈRE (prévôté de Paris). 14. Sur le caractère didactique des specula carolingiens relatifs à ce sujet, P. TOUBERT, « La théorie du mariage... », p. 233 et suiv.

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15. JJ 169, 68, février 1416, PARIS (prévôté de Paris). 16. J.B. MOLIN et P. MUTEMBE, Le rituel de mariage..., p. 50. 17. JJ 98, 413, lettre citée chapitre 11, n. 59. 18. JJ 160, 381, juillet 1406, VILLARS-EN-AZOIS (bailliage de Chaumont). 19. J.Ph. LÉVY, « L’officialité de Paris... », p. 1268, n. 18. 20. JJ 102, 81, mars 1371, BUSIGNY (bailliage de Vermandois). 21. Voir JJ 151,4, octobre 1396, (sénéchaussée de Saintonge). 22. JJ 103, 76, mai 1372, ABBEVILLE (sénéchaussée de Ponthieu). 23. JJ 160, 27, lettre citée chapitre 7, n. 116. 24. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 205-206. Autre description d’une scène de fiançailles, ibid., t. 2, p. 381-382. 25. X 2a 14, fol. 77, juin 1402. 26. Ibid., fol. 121-121v., mai 1403. C’est en effet le matrimonium consummatum. En pareille hypothèse, le droit canonique médiéval considère le mariage comme définitivement conclu et par conséquent indissoluble. Nombreux cas relatés dans les registres des officialités, par exemple à Paris (41 cas) et à Cerisy (20 cas). Voir les remarques de J.Ph. LÉVY, « L’officialité de Paris... », p. 1274-1277. 27. JJ 102, 81, lettre citée supra, n. 20. 28. L’Eglise s’occupe de ces modalités de rupture, J.Ph. LÉVY, « L’officialité de Paris... », p. 1272. Cette rupture, quand elle est opérée sur intervention d’un tiers, peut donner lieu à un procès, X 2a 14, fol. 224, janvier 1405. Sur le lien entre les fiançailles et la foi jurée, ibid., fol. 249, mai 1405 : la rupture des promesses de fiançailles peut obliger à l’asseurement. 29. JJ 120, 121, mars 1382, BRUYÈRES-ET-MONTBÉRAULT (bailliage de Vermandois). 30. P. ADAM, La vie paroissiale..., p. 111-112. Le cas de Cerisy semble cependant différent de ce qui a pu être relevé dans rofficialité de Paris, J.L. DUFRESNE, « Les comportements amoureux... », p. 131 et suiv. Les problèmes relatifs aux mariages clandestins relèvent en principe de l'official comme l'affirme l’évêque de Paris lors d’un procès au Parlement en 1406. Souchet prétend être clerc alors que le procureur du roi affirme qu’il est « murtrier et espieur de chemins et a fiancee une femme qu’il a depuis cognue chamelement, ainsi est pur lay et doit estre rendu ». Dans sa réponse, l’évêque ne fait pas état de la cléricature mais du statut conjugal illicite : « Si c’est ainsi il y a mariage clandestin et l’eveque doit en connaistre », X 2a 14, fol. 305, février 1406. 31. Μ. M. SHEEHAN, « The Formation and Stability... », p. 228 et suiv. 32. J. GOODY, L’évolution..., p. 150-155. J’émets là une interprétation divergente de celle de J. M. TURLAN, « Le mariage dans la pratique coutumière... », p. 477 et suiv., qui lie le mariage clandestin à l’absence de consentement familial. Sur les contraintes de Latran IV, voir M.E. DIEBOLD, « L’application en France... », p. 187-195. 33. JJ 120, 341, mars 1382, LISIEUX (bailliage de Rouen) ; X 2a 15, fol. 244, août 1409 : la demoiselle, Marie de Brais, est une pupille âgée de 6 ans et 9 mois, mais elle a 90 livres de terres et de revenus. Elle est mariée de force à un homme de 50 ans. 34. JJ 143, 153 et 161, septembre 1392, FRANSURES (bailliage d’Amiens). Autres exemples, JJ 155, 381, février 1401, BUZANCY (bailliage de Vermandois) ; JJ 120, 117, mars 1382, BAILLEULNEUVILLE (bailliage de Rouen). 35. X 2a 14, fol. 99, janvier 1403, rapt de la fille du sire de La Roche-Vertus alors qu’elle était ramenée chez son père par Bernard de Lagny, sergent d’armes. Les responsables sont des « malfaiteurs » qui « ont cogneu charnellement ladicte fille contre son gré et voulenté ». En fait, la jeune fille voulait échapper à la volonté de son père et le rapt avait été commandé. Elle « avoit amené au pais un compaignon nommé Jehan de La Granche », sinon, « elle savoit bien que se ledit Bernart l’amenoit, il la baillerait aux nonnes de Saint-Pharon de Meaulx ». Autre cas, ibid., fol. 106v.-107, février 1403 ; ibid., fol. 223-225, janvier 1405 : Jean Maleret qui a enlevé Jeanne

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Morne pour le compte de Renaud Le Fauconnier cherche la complicité des bois dans un espace de 4 lieues environ pour cacher la jeune fille. 36. JJ 169, 160, avril 1416, ÉPERNAY (bailliage de Vitry). 37. JJ 184, 588, mars 1443, TOULOUSE (sénéchaussée de Toulouse), lettre citée par Ph. WOLFF, « Vivre en temps de peste... », p. 236-242. 38. X 2a 14, fol. 36, juillet 1401 ; X 2a 16, fol. 24v,. août 1410. 39. JJ 165, 306, mai 1411, (bailliage de Vermandois). Il s’agit d’un vigneron, ministérial du seigneur voisin. Cette commère est, de surcroît, la nièce de sa femme. A chaque rencontre de l’argument relatif aux degrés de parenté prohibés, il faut donc se poser la question de son utilité pour les parties concernées. Qui a dénoncé à l’official de Toul que Jeannette, fille de feu Perrin Le Boulanger, et Nicolas Thumerel, bourgeois de Joinville, « estoient d’un lignage et se appartenoient de sanc et de line si pres car il ne povoient demourer ensemble par mariage » ? X le 50B, 97, décembre 1384, JOINVILLE. 40. Sur le mariage et le rassemblement de la communauté, voir chapitre 11, n. 107. 41. A. GUERREAU-JALABERT, « La parenté dans l’Europe médiévale... », p. 79. 42. En particulier X 2a 14, fol. 311-312v., mars 1406 : « Aymeri Girart, lieutenant du gouverneur de La Rochelle, se voit reprocher le rapt de Jeannette, fille de Simon, chevalier. Il nie le rapt et le viol et il prétend qu’il estoit commune renommee au pays que ladicte fille n’estoit pas pucelle ». Le procureur du roi pulvérise l’argument en disant « que le ravissement est l’un des haulx crimes », « que ladicte fille estoit bonne pucelle et suppose qu’elle ne le feust pas si y a il ravissement qui est crime capital ». Mêmes termes, ibid., fol. 242, avril 1405, PARIS. 43. La justice parisienne défend aux couples illégitimes de « se hanter l’un l’autre », et ils doivent faire serment d’obéissance, Cl. de FAUQUEMBERGUE, Journal, t. 1, p. 163, septembre 1418 ; Y 5266, fol. 18v., juin 1488. A la fin du XVe siècle, les crimes de moeurs dont les responsables sont écroués au Châtelet, constituent 8 % des cas recensés. Le Châtelet empiète nettement sur les compétences de l’officialité ; par exemple, ibid., fol. 27v., juillet 1488, un manouvrier parisien est emprisonné à la requête d’une garde-fruitière de la rue Saint-Martin, et réciproquement selon le principe de la procédure accusatoire « pour ce que puis la Penthecoste derniere passee lediz Jehan luy a promis mariage et soubz umbre de ce il a eu compaignie chamelle par plusieurs foiz comme elle dit et a ceste cause requiert qu’il soit contraint a lui faire et tenir ladite promesse et ladite Jehanne a la requeste dudit Jehan pour mettre le cas au vray ». 44. J.L. FLANDRIN, Familles, parenté, maison..., p. 95 et suiv. 45. Par exemple à Bali. Je remercie Fr. ZONABEND de cette information. 46. Voir chapitre 16, p. 741-743 et chapitre 17, p. 773. 47. J. ROSSIAUD, La prostitution médiévale, p. 29-33. 48. X 2a 14, fol. 250v., mai 1405. La jeune fille a 12 ans au moment du rapt qui est suivi du mariage. Le point de vue des canonistes est longuement analysé par E. MAGNIN, « âge », DDC, t. 1, Paris, 1935, col. 315 et suiv. 49. J. Gerson, Considérations sur saint Joseph, Œuvres complètes, t. 7, p. 78. 50. JJ 211, 27, octobre 1483, DROCOURT (bailliage d’Évreux). 51. JJ 169, 158, lettre citée chapitre 8, n. 54. 52. JJ 181, 69, avril 1452, (bailliages d’Évreux, de Rouen et de Gisors). 53. JJ 155, 30, juin 1400, BOUVIGNY-BOYEFFLES (bailliage d’Amiens) ; JJ 165, 180, août 1411, GENSAC (sénéchaussée de Toulouse). 54. L’âge au mariage est-il fonction de la pression démographique ? Voir le problème posé par Ch. KLAPISCH-ZUBER, « Déclin démographique... », p. 260-261, et par Ch. Bourel de LA RONCIÈRE, « Une famille florentine... », p. 227 et suiv. 55. JJ 169, 165, lettre citée chapitre_12, n. 97.

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56. JJ 181, 211, décembre 1452, CHÂTEAU-CHINON (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). Même mention pour les deux filles d’un bourgeois de Périgueux qui sont « filles a marier de l’aage de quinze a vint ans ou environ », JJ 154, 398, mai 1414, PÉRIGUEUX (sénéchaussée de Périgord). 57. JJ 127, 175, lettre citée chapitre 10, n. 4. 58. Voir les exemples de rapts cités supra, n. 33-35. 59. JJ 169, 78, janvier 1416, RIEUPEYROUX (sénéchaussée de Rouergue). 60. JJ 160, 19, lettre citée chapitre 7, n. 53. 61. JJ 102, 81, lettre citée supra, n. 20 et 27. 62. JJ 155, 109, lettre citée chapitre 8, n. 62. 63. J. HAJNAL, « European Marriage Patterns... », p. 101-143. 64. J. ROSSIAUD, op. cit. supra, n. 47. 65. Ch. KLAPISCH-ZUBER, op. cit. supra, n. 54, et D. HERLIHY et Ch. KLAPISCH-ZUBER, Les Toscans..., p. 512-522. 66. Voir chapitre 14, p. 625 et suiv. 67. JJ 169, 68, lettre citée supra, n. 15. 68. Voir chapitre 19, p. 874 et suiv. 69. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 152. 70. Fr. ZONABEND, « Jeux de noms... », p. 52. 71. J. GERSON, De la chasteté, Œuvres complètes, t. 7, p. 852. Il donne aussi des exemples empruntés à l’Antiquité, ibid., p. 866-867. 72. X 2a 15, fol. 154, juillet 1407 ; ibid., fol. 160, août 1407 ; ibid., fol. 217v., mai 1408. X 2a 14, fol. 93v., novembre 1402 ; ibid., fol. 173-176v., avril 1404, (bailliage de Rouen) : Jean Du Mesnil accuse Jean de Bourgeauville d’avoir fait empoisonner son père, Cordeiller Du Mesnil, chevalier, avant d’épouser sa veuve et d’avoir accaparé ses biens. Les deux nouveaux époux ont eu à ce sujet « acointances secretes et deshonetes l’un a l’autre et conspirerent et furent d’accord de faire mourir de poisons ledit Cordeiller ». Dans tous les cas, la dénonciation est plus significative que la réalité du fait. C’est un moyen de nuire à ceux que le remariage dérange, soit par envie, soit par intérêt, quand il s’agit des héritiers du premier lit. 73. Les positions de l’Eglise vis-à-vis de la bigamie des clercs sont extrêmement strictes. Le terme s’applique à tous ceux qui se marient avec des veuves ou qui ont contracté un deuxième mariage, ce qui leur fait perdre leur privilège de cléricature, cas cités dans la première moitié du XIV e siècle par L. TANON, Les justices..., p. 52 et suiv. Sous le règne de Charles VI, ces cas peuvent être traités par la justice royale et concernent ceux qui poursuivent une vie sexuelle illégitime (simples fiançailles), ceux dont la fiancée est « fillette commune » ou n'est pas reconnue comme pucelle au moment où a commencé la vie commune, X 2a 14, fol. 55, mars 1402 ; ibid., fol. 77-80, juin 1402 ; Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 152 ; ibid., p. 205. Les juges du Châtelet interrogent en particulier sur la virginité de la fiancée : « Requis se, au temps qu’il fiança icelle Marguerite, elle estoit pucelle, dist par son serement qu’il n’est record se alors elle estoit pucelle ou non ». Cette question correspond à une obsession accrue de la virginité au début du XV e siècle, voir chapitre 18, p. 814 et suiv. 74. J. GERSON, op. cit. supra, n. 4. 75. J. LE GOFF et J.C1. SCHMITT, Le Charivari... ; et A. VAN GENNEP, Manuel de folklore..., t. 1, vol. 2, chap. 12. 76. Sur la place des jeunes, Cl. GAUVARD et A. GOKALP, « Les conduites de bruit... », p. 693 et suiv., et N.Z. DAVIS, « The reason for a misrule... », p. 41-75. 77. JJ 155, 34, lettre citée chapitre 11, n. 75. D’autres exemples dans Cl. GAUVARD et A. GOKALP, « Les conduites de bruit... », p. 699. 78. Cl. KARNOOUH, « Le charivari ou l’hypothèse de la monogamie... », p. 33-43. 79. Cl. GAUVARD et A. GOKALP, « Les conduites de bruit... », p. 698.

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80. JJ 107, 216, août 1375, AYTRÉ, (cette lettre est adressée au gouverneur de La Rochelle, car la ville est « en pays d’Aunis en la subjection du roi d’Angleterre). 81. Le Songe du vergier, t. 2, p. 215. 82. J. GERSON, Contre la luxure, Œuvres complètes, t. 7, p. 818 : « Qui vault pis : ou aler puis a une puis a l’autre, ou en tenir une propre ? Je dis que en mal n’a point de bien (...). Concubinage est perilleux, etc. ». 83. JJ 107, 290, lettre citée chapitre 7, n. 128 ; X 2a 14, fol. 117v., mars 1403. 84. Sur le statut particulier des bâtards non nobles, voir chapitre 16, p. 721-723. 85. J. L. DUFRESNE, « Les comportements amoureux... », p. 131. 86. Voir tableau 19, chapitre 9. 87. X 2a 14, fol. 156, janvier 1404. 88. Voir chapitre 7, p. 330 et suiv. 89. JJ 127, 48, juin 1385, CHÉCY (bailliage d’Orléans). 90. JJ 169, 10, lettre citée chap. 11, n. 70. 91. JJ 160, 116, décembre 1405, BOURGUIGNON-SOUS-COUCY (bailliage de Vermandois). 92. JJ 207, 113, juillet 1481, ORANGE (gouverneur du Dauphiné). 93. JJ 160, 358, juin 1406, GALLARDON (bailliage de Chartres). 94. JJ 169, 142, avril 1416, COSNE-SUR-LOIRE (bailliage de Sens et d’Auxerre). 95. A. GUERREAU-JALABERT, « La parenté... », p. 89, n. 30. 96. J. ROSSIAUD, La prostitution..., p. 166. 97. JJ 169, 147, lettre citée chapitre 12, n. 64. Sur le crime contre nature, J.L. FLANDRIN, « Contraception, mariage... », p. 1370-1390. Une suggestive analyse du stéréotype est donnée à propos des Templiers par M. BARBER, The Trial..., chap. 7. Voir enfin le lien établi entre la sodomie, l’hérésie et l’Orient, J. BOSWELL, Christianisme..., p. 220 et suiv. 98. J. CHIFFOLEAU, Les justices..., p. 191. On peut aussi se demander si la réprobation de l’homosexualité ne traduit pas l’influence du droit romain à cette époque, plus rigoureux à l’égard de cette conduite sexuelle que le droit canon. Sur le faible intérêt des canonistes à l’égard de l’homosexualité, A. GAUTHIER, « La sodomie... », p. 108 et suiv. 99. JJ 127, 32, mars 1385, TOURNAI (bailliage de Tournai). 100. JJ 181, 167, août 1452, BARNEVILLE-CARTERET (bailliage de Caen). 101. Voir chapitre 5, n. 104. 102. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 112. 103. Ibid., p. 230, Jacques de Lyembois, et p. 565, Robin Le Fevre. 104. Voir les commentaires du droit canon relatifs à la hiérarchie des péchés, P. LEGENDRE, L’amour du censeur..., p. 150-151. Sur les effets de cet enseignement qui pousse le spectateur du crime de bestialité à la dénonciation, Registre criminel du Châtelet, t. 2, p. 273-274, Martin Du Val. Ces témoignages confirment la différence entre le Nord et le Sud quant à la hiérarchie des péchés. Comme J. CHIFFOLEAU, J. ROSSIAUD, pour les villes du Sillon rhodanien, privilégie la sodomie sans évoquer la bestialité. Il est probable que les combats menés dans le Midi se rattachent à ce qui se passe au même moment dans les villes italiennes où les sodomites sont sévèrement condamnés, R. C. TREXLER, « La prostitution... », p. 984, et A. ZORZI, « Giustizia criminale... », p. 960, n. 115 et 116, qui donne la bibliographie. Sur le lien éventuel avec le droit romain, voir supra, n. 99. 105. JJ 160, 372, lettre citée chapitre 4, n. 131. 106. J. LE GOFF, « Le christianisme et les rêves », L’Imaginaire médiéval, p. 294. Cet exemple confirme que diable et sexe restent unis dans le domaine de l’inconscient quand il s’agit de rêves populaires, J. LE GOFF, « Les rêves dans l’Occident médiéval », Pour un autre Moyen Age, p. 305. 107. J. M. TURLAN, « Le mariage... », p. 477-528, donne de nombreux exemples de la doctrine juridique. Sur l'absence de compagnie chamelle et l’illégalité du mariage, voir JJ 120, 117, lettre citée supra, n. 34. Il s’agit d’un écuyer.

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108. X 2a 14, fol. 224v., janvier 1405. La jeune fille a perdu son chaperon sur le chemin mais elle a gardé sa virginité. 109. X 2a 14, fol. 106v.-107, janvier 1403 ; ibid., fol. 250v., mai 1405. 110. JJ 181, 64, avril 1452, FOURNEAUX-LE-VAL (bailliage de Caen). 111. JJ 208, 20, lettre citée chapitre 10, n. 4L 112. JJ 208, 21, décembre 1480, SOUPEX (sénéchaussée d’Agen). 113. Pour l’ensemble de ces questions, voir les travaux de J.L. FLANDRIN. 114. J. GERSON, De la chasteté, Œuvres complètes, t. 7, p. 853. 115. J. ROSSIAUD, La prostitution..., p. 96 et suiv., et en particulier l’analyse que donne l’auteur du traité Lamentatio humanae naturae du sénéchal de Beaucaire, Guillaume Seignet, ibid., p. 102-105. La dépopulation entre dans les thèmes des ordonnances du règne de Charles VI aux côtés des impôts et du nombre excessif des officiers, par exemple, ORF, t. 9, p. 584, avril 1411, et t. 10, p. 379, octobre 1416. La force du thème tient non seulement à son contenu, mais à son caractère répétitif et oral, A. BABEAU, « Les préambules... », p. 834. 116. JJ 181, 64, lettre citée supra, n. 110. 117. Voir chapitre 14, n. 136 et 137. 118. JJ 169, 10, lettre citée supra, n. 90 et chap. 11, n. 70. 119. JJ 169, 3, octobre 1415, BERNOUVILLE (bailliage de Gisors). 120. JJ 120, 103, février 1382, (bailliage d’Orléans). 121. JJ 169, 168, août 1416, JOINVILLE-LE-PONT (prévôté de Paris). 122. JJ 127, 112, septembre 1385, MORET-SUR-LOING (bailliage de Melun). 123. JJ 169, 3, lettre citée supra, n. 119. 124. JJ 169, 132, mai 1416, LA MAISON-DIEU (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 125. Cl. GAUVARD, « Paroles de femmes... », p. 335-336. 126. Ch. de PIZAN, Autres ballades, Œuvres poétiques, t. 1, XXVI. 127. J. L. FLANDRIN, Les amours paysannes, p. 97 et suiv. 128. J. M. TURLAN, « Le mariage... », p. 502. 129. JJ 103, 52, avril 1372, (bailliage de Sens et d’Auxerre). 130. Fr. ZONABEND, La mémoire longue..., p. 166-167, et A. VAN GENNEP, Manuel de folklore francais contemporain, t. 1. 131. JJ 160, 35, lettre citée chapitre 11, n. 85. 132. JJ 118, 44, novembre 1380, SALENCY (bailliage de Vermandois). 133. JJ 207, 113, lettre citée supra, n. 92. 134. Toucher aux cheveux d’une jeune fille est un geste amoureux osé ; comparer avec le procès de 1470 cité par L. DOUËT-D’ARCQ, « Un procès... », p. 508 et suiv., où l’entremetteuse vante la beauté des cheveux de la jeune fille qu’elle veut livrer. De la même façon, le gage d’amour donné par Jeanne, fille de Pierre Hemery, à Regnault d’Azincourt, est parfaitement clair et peut expliquer l’enlèvement projeté par le jeune homme : elle lui avait donné un bout de la cornette de son chaperon, X 2a 14, fol. 243v., avril 1405, PARIS. Sur la signification sexuelle du chaperon et du visage, voir les exemples cités chapitre 16, p. 724-726. 135. X 2a 10, fol. 130-130v., juillet 1381. 136. JJ 150, 16, juillet 1396, DIJON (bailliages de Sens et de Mâcon). 137. JJ 98, 479, lettre citée chapitre 9, n. 181. Jean Du Caable était écuyer. 138. JJ 160, 19, lettre citée chapitre 7, n. 53 ; X 2a 14, fol. 242v., avril 1405, PARIS. 139. JJ 165, 153, septembre 1411, VILLEVÊQUE (bailliage de Touraine). 140. JJ 107, 271, lettre citée chapitre 11, n. 32. 141. JJ 102, 81, lettre citée supra, n. 20, 27 et 61. 142. JJ 120, 102, février 1382, PARIS (prévôté de Paris). 143. J.C. PAYEN, « La crise du mariage... », p. 420.

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144. Cette loi du silence concourt aussi à la paix ; elle fait partie des régulations naturelles des délits. 145. JJ 211, 37, novembre 1483, LAON (bailliage de Vermandois). 146. JJ 169, 5, lettre citée chapitre 7, n. 51. 147. JJ 169, 132, lettre citée supra, n. 124 ; JJ 208, 80, février 1481, (bailliage de Saint-Pierre-leMoûtier). 148. JJ 127, 142, octobre 1385, THIEUX (prévôté de Paris). 149. X 2a 16, fol. 268v.-269, septembre 1414, TOURNAI. 150. JJ 143, 207, lettre citée chapitre 10, n. 20. Ces circonstances particulières, propres au meurtre de l’époux ou de l’épouse, interdisent de confondre ce crime avec les autres formes d’homicides comme le fait N.Z. DAVIS, Pour sauver sa vie..., p. 169 et suiv. 151. JJ 151, 27, janvier 1397, VILLEMURLIN (bailli des exemptions du duché d’Orléans). Un bel exemple de Tardent amour de la femme pour son mari, JJ 127, 87, août 1385, LOREUX (bailliage d’Orléans). 152. JJ 155, 271, octobre 1400, WASSY (bailliage de Chaumont). 153. JJ 169, 148, lettre citée chapitre 7, n. 98. 154. JJ 155, 283, novembre 1400, (bailliage d’Amiens). 155. Voir chapitre 16, p. 721. 156. JJ 107, 292, novembre 1375, SAINT-THIBAUT (bailliage de Vermandois). 157. X 2a 10, fol. 77-78, juin 1379, PARIS. Autres exemples de jalousie masculine, X 2a 14, fol. 301v., janvier 1406, (bailliage de Caux) ; ibid., fol. 374, avril 1407, (bailliage d’Amiens) ; X 2a 16, fol. 42, février 1410. 158. Le viol est facilité par la condition sociale de la victime, voir chapitre 7, p. 333 et suiv., et les exemples rassemblés par J. ROSSIAUD, La prostitution..., p. 195 et suiv. 159. Voir sur ce point l’analyse de M. SEGALEN, Mari et femme... Pour un point de vue différent au XVIe siècle, R. MUCHEMBLED, Culture populaire..., p. 45-46. 160. Par exemple JJ 207, 113, lettre citée supra, n. 92 et 133, et JJ 102, 81, lettre citée supra, n. 20, 27, 61, et 141. 161. Sur les relations extra-conjugales et la parole, voir JJ 160, 96, lettre citée chapitre 6, n. 206, et JJ 208, 48, lettre citée chapitre 2, n. 58. Sur le rôle amoureux joué par les clercs parce qu’ils détiennent la parole, voir l’exemple cité chapitre 9, n. 61.

592

Chapitre 14. La parenté

1

« Conçue comme moyen d’entraide où le groupe compte plus que ses membres pris un à un », la famille médiévale est le premier cercle de solidarité qui entoure et protège l’individu ; cette constatation que Marc Bloch appliquait surtout à la famille des temps féodaux n’est pas démentie par les deux derniers siècles du Moyen Age, et les quelques lignes suggestives qu’il lui consacrait n’ont pas pris une ride 1. En effet, la place du couple dans la vie sociale ne doit pas faire oublier l’évidence. La relation conjugale s’inscrit dans un réseau qui la dépasse et que le crime révèle. Dans 60 % des cas, le criminel n’agit pas seul et, dans 35 % des cas, les participants aux côtés du coupable sont au moins deux. C’est dire que le crime fait entrer en jeu le poids des solidarités, qu’elles soient familiales, amicales ou de fortune. Dans ces cercles de relations, la parenté occupe une place de choix. Dans un tiers des cas les participants aux côtés du coupable sont des membres de la parenté, ce qui représente le plus fort pourcentage de liens représentés dans le crime. Ils s’avèrent plus importants en nombre que ceux que créent l’amitié ou la vie professionnelles (tableau 32). Pour la victime ce n’est guère différent. Dans un tiers des cas le premier participant à ses côtés est un membre de la parenté et cette proportion atteint encore 20 % quand il y a entre deux et quatre participants. Au-delà, la part des gens extérieurs à la parenté devient prépondérante, mais ces cas ne sont plus significatifs de la criminalité ordinaire. Ainsi, à la lumière de ces chiffres, l’analyse de Marc Bloch se vérifie également aux XIV e et XV e siècles. L’homme en difficulté peut, en premier lieu, compter sur sa parenté.

2

Avant de procéder à une description de ces relations, deux remarques s’imposent. Ne nous attendons pas à saisir de façon satisfaisante des représentations linéaires de filiations descendantes. A la différence des descriptions généalogiques que peuvent évoquer certains textes théoriques et, dans la pratique, les déclinaisons d’identité manipulées par les avocats du Parlement, le crime permet de saisir la parenté en action autour d'ego. La parentèle se trouve donc privilégiée par rapport au lignage. Il conviendra, autant que les sources le permettent, de mettre en relation ces deux groupements de la parenté, tels que le crime les sollicite. Tableau 32 : Les participants aux côtés du coupable et de la victime.

Liens participants - coupable Premier participant (en %) Deuxième participant (en %)

593

0 Liens non précisés

0,2

0,0

1 Mari-femme

9,5

0,5

2 Enfants

5,5

6,0

3 Ascendants

4,5

1,5

4 Collatéraux

14,0

8,0

5 Parents

9,5

13,0

6 Amis charnels

0,5

1,0

7 Amis

3,5

5,0

8 Compagnons

25,5

38,0

9 Serviteurs

5,0

4,5

10 Maîtres

2,0

0,0

11 Voisins

5,0

7,0

12 Professionnels

8,5

10,0

13 Administratifs

0,3

1,0

14 Autres

6,5

4,5

100

100

3

Liens participants - victime Premier participant (en %) Deuxième participant (en %) 0 Liens non précisés

0,4

1,0

1 Mari-femme

12,0

0,0

2 Enfants

5,0

6,0

3 Ascendants

4,0

0,0

4 Collatéraux

7,0

5,0

5 Parents

6,5

6,5

6 Amis charnels

0,8

1,5

7 Amis

2,5

8,5

594

8 Compagnons

34,0

50,0

9 Serviteurs

3,5

1,5

10 Maîtres

1,5

0,0

11 Voisins

0,5

0,0

12 Professionnels

11,0

12,5

13 Administratifs

0,8

1,0

14 Autres

10,5

6,5

100

100

a) Liens avec le premier participant Les liens entre le coupable et les participants sont exprimés en fonction du premier participant du côté du coupable. Il en est de même du côté de la victime. On peut remarquer la place des liens de parenté, aussi importante que celle des compagnons. b) Liens avec le deuxième participant Un tableau identique exprime les liens avec le deuxième participant. La place des compagnons gagne en importance et les liens conjugaux ont quasiment disparu, ce qui prouve que quand ils interviennent, leur action est première. Coupable. Premier participant

595

Deuxième participant

Victime. Premier participant

596

Deuxième participant

c) Domiciles des participants

597

Distance du logis du 1er participant avec le

Du côté du coupable (en %)

Du côté de la victime (en %)

1 Même domicile

26,0

4,0

2 Même lieu

59,0

49,5

3 1 à 5 km

5,0

11,0

4 5 à 15 km

2,0

9,5

5 15 à 30 km

1,5

3,0

6 > 30 km

2,0

8,0

7 Indéterminée

4,5

15,0

100

100

Du côté du coupable (en %)

Du côté de la victime (en %)

1 Même domicile

2,5

29,0

2 Même lieu

54,0

54,5

3 1 à 5 km

11,0

1,5

coup.

Distance du logis du 1er participant à la victime

598

4 5 à 15 km

5,0

0,0

5 15 à 30 km

2,5

1,5

6> 30 km

9,0

2,5

7 Indéterminée

16,0

11,0

100

100

Les profils qui de bas en haut des tableaux déterminent les distances des lieux d’habitation entre le premier participant du côté du coupable et le coupable, et le premier participant du côté de la victime et le coupable, puis entre le premier participant du côté de la victime et le coupable et le premier participant du côté de la victime et la victime sont assez homogènes. L’espace de sociabilité est assez serré puisqu'il n’excède guère 15 kilomètres. Tableau 33 : Nature des participants. a) Nombre des participants

Participants

Coupable (en %) Victime (en %)

Pas de participant

39,0

63,5

1 participant

25,0

14,0

2 ou 4 participants

31,5

15,5

> 4 participants

1,5

1,5

Collectivité

2,5

1,5

Autres

0,5

4,0

100

100

Le nombre des participants est étudié du côté du coupable et de la victime. La victime est nettement plus isolée que le coupable. Néanmoins, pour le coupable comme pour la victime, le nombre des participants n’excède guère quatre, signe que la violence n'est pas le fait de groupes affrontés. b) Liens et nombre des participants du côté du coupable

Un participant (en %)

2-4 participants (en %)

Plus de 4 participants (en %)

Pas de liens

0,5

0,5

0,0

Mari-femme

15,5

5,0

7,5

Parents

33,0

37,0

23,0

Amis

3,0

4,5

0,0

Compagnons

18,5

28,0

46,0

Liens participantscoupable

599

Liens professionnels

17,5

15,0

0,0

Voisins

3,5

5,0

23,0

Autres

8,5

5,0

0,5

100

100

100

Le nombre de participants aux côtés du coupable est étudié selon les types de liens qui unissent les participants au coupable. Dans le cas d’un seul participant, la parenté est prioritaire. Le nombre des compagnons augmente avec celui des participants. 4

La seconde remarque concerne le vocabulaire de la parenté. Les études anthropologiques et celles des historiens du Moyen Age qui s’inspirent des anthropologues ont appris à s’en méfier2. Le mot « famille », commode, peut être utilisé à condition de se rappeler que son emploi est extrêmement rare aux XIV e et XVe siècles et que, lorsqu’il apparaît dans les textes judiciaires, son sens est très large. Ainsi, en avril 1396, le roi décide de mettre dans sa sauvegarde Thibaut de Nongenteuil, « sa femme, famille et biens quelconques »3. La « famille » peut d’ailleurs inclure les « familiers » que les textes différencient nettement des « parents » 4. Enfin, le dernier obstacle que soulève le vocabulaire concerne la rédaction en langue vulgaire. Du point de vue de la parenté, c’est là une source d’appauvrissement des vocables 5.

QUERELLES ENTRE PARENTS 5

Entre parents, les conflits meurtriers sont rares. La victime est parente du coupable dans moins de 6 % des cas, ce qui est peu. Les crimes entre parents se répartissent harmonieusement entre filiation-ascendance, collatéraux et simples parents (tableau 34). Seules les différences sociales entre les coupables apportent quelques modifications à ce tableau. Il existe en effet une réelle opposition entre ceux qui se disent nobles et les autres. Les crimes contre des parents constituent 20 % des crimes que commettent les nobles, soit plus du double de ce que commettent les non-nobles. La conscience lignagère est-elle pour autant menacée ? Il s’avère que les victimes des coupables nobles sont toujours des parents au troisième ou quatrième degré ; père, mère, enfants et collatéraux ne sont pas en cause. On voit bien poindre une première nuance qu’impose la conscience généalogique dans les milieux nobles et sur laquelle nous reviendrons. Il est peut-être significatif que les écuyers, dont il n’est pas précisé qu’ils sont nobles, aient une criminalité familiale proche de celle des non-nobles 6. Quant aux clercs, ils ne s’en prennent pas du tout à leur parenté, signe évident du déracinement que constitue le lieu où ils habitent. Pour les non-nobles, la criminalité familiale se répartit avec une relative homogénéité entre la filiation-ascendance, la consanguinité et le reste de la parenté. Et il n’existe pas de réelle différence entre les laboureurs et les gens de métier puisque la criminalité familiale des uns comme des autres couvre 8 % de leur criminalité. La répartition entre filiation-ascendance, consanguinité et parenté garde aussi entre les deux catégories un profil identique 7. Au total, malgré quelques bavures qui conduisent au crime, on peut conserver l’image d’une large entente entre les parents.

600

Tableau 34 : Liens entre la victime et le coupable

Liens victime/coupable Fréquence (en %) Pas de liens

10,5

Mari-femme

2,0

Enfant

2,0

Ascendant

0,5

Collatéral

2,5

Parent

5,5

Ami charnel

0,0

Ami

5,0

Compagnon

9,0

Serviteur

2,0

Maître

3,0

Voisin

11,5

Lien professionnel

16,5

administratif

10,0

Autres

20,0 100

Les liens entre la victime et le coupable ont été regroupés en grandes catégories. La mention « pas de lien » existe sous une forme explicite dans la lettre de rémission, ce qui laisse supposer que le coupable et la victime ne se connaissent pas. La rubrique « autres », importante, révèle la diversité des relations qui sont mentionnées et qui sont pulvérisées en petites entités sans pouvoir se fondre dans les catégories générales. Il en est ainsi des liens extra-conjugaux, de ceux que créent le parrainage, la confrérie, l’asseurement, les dettes... La mention de plusieurs liens entre aussi dans cette rubrique mais elle ne constitue que 1,7 % des cas. Tableau 35 : Types de délits entre parents

Types de délits

Enfants (en %) Collatéraux (en %) Parents (en %)

Homicide

45,5

70,0

79,0

Argent ou héritage

9,0

0,0

0,0

Vol

0,0

10,0

16,0

601

Dispute conjugale

0,0

0,0

0,0

Adultère

0,0

0,0

5,0

Viol individuel

0,0

0,0

0,0

Infanticide

27,5

0,0

0,0

Rupture d’asseurement

0,0

20,0

0,0

Contre la chose publique

0,0

0,0

0,0

Suicide

9,0

0,0

0,0

Autres

9,0

0,0

0,0

100

100

100

Les types de délits regroupés ont été répartis en fonction des principaux liens de parenté, liens parents-enfants, collatéraux, parents par le sang ou l’alliance. Ils sont représentés pour le premier antécédent et pour le crime proprement dit. Les affaires d’argent ou d’héritage ont une certaine importance dans le premier antécédent mais elle s’estompe dans le crime où l’homicide prend une place prépondérante. Entre parents et enfants il existe toujours un premier antécédent, ce qui prouve que le crime ne naît pas spontanément. Le suicide apparaît comme crime entre parents parce qu’il peut masquer un homicide. Ce sont là des signes que les interdits ont un poids considérable dans le déroulement et dans l’aveu du crime entre parents. 6

Y a-t-il entre parents des formes de violence spécifique ? L’homicide prime. Sa fréquence dépasse largement la moyenne générale qui s’élève, rappelons-le, pour ce type de crime à 57 %. Entre collatéraux elle atteint 70 %, et entre parents et enfants près de 80 % (tableau 35). Les problèmes d’héritage qui peuvent mettre en jeu le patrimoine semblent une préoccupation secondaire. La question est donc de savoir comment éclot cette violence qui aboutit au geste pour ainsi dire banal du couteau à trancher le pain. L’étude du premier antécédent du crime permet d’affiner cette approche sans toutefois donner la prépondérance aux affaires d’argent et d’héritage. Les problèmes de moeurs l’emportent en fait sur ces considérations matérielles : le viol, la dispute matrimoniale, l’adultère constituent des antécédents dont se mêlent les parents et qui peuvent les conduire à tuer leur enfant. Le crime, dans ce cas, est lié à une autorité parentale prolongée en matière de conduite sexuelle. Loin de détruire les rapports hiérarchiques de la cellule familiale, le crime en révèle plutôt l’ampleur.

7

N’exagérons pas le côté archaïque de ces rapports. On sent poindre un désir d’indépendance déjà moderne entre les couples. Cette altercation entre un beau-père et son gendre le montre bien. Loin de se mêler du fond du conflit qui a opposé son gendre à sa fille, voire de critiquer la méthode employée, le père se contente de dire en voyant sa fille battue : « Guillaume, beaux filz, tu fais mal de batre notre fille en notre presence et de rompre et gaster noz choses sanz raison, car nous mettons grant peine a avoir notre petite chevance honnestement »8. La querelle entre mari et femme se termine en rixe d’hommes où Guillaume Le Maistre, finalement, perd la vie. Mais il s’agit moins de secourir la fille battue que de sauver le code familial : cette affaire de couple ne regarde qu’eux et ne doit léser qu’eux seuls. On ne peut pas imaginer attitude individualiste plus moderne.

602

8

Les sources de conflit entre parents sont variées et elles aboutissent en masse à l’homicide. L’âge — nous l’avons déjà souligné pour la jeunesse — ou la situation sociale des coupables ne changent rien à ce profil. Chez les nobles, les problèmes de patrimoine ne dégénèrent pas plus en crime que chez les non-nobles. Et, à considérer les professions, le profil du laboureur n’est pas différent de celui de l’homme de métier 9. Les querelles entre parents ont donc finalement peu à faire avec les problèmes matériels. Cela ne veut pas dire que des difficultés de cet ordre n’existent pas ; simplement, elles ne s’exaspèrent que rarement jusqu’au meurtre.

9

Reste à expliquer la fréquence des homicides. Il est probable que la proximité des habitations doit entrer en ligne de compte. Le crime au sein de la parenté se situe massivement dans un rayon de moins de 5 kilomètres séparant les domiciles des coupables et des victimes. Dans le cas de la filiation-ascendance, il s’agit dans près de la moitié des cas du même domicile, ce qui n’a rien de surprenant. Les crimes entre collatéraux montrent que le resserrement familial continue même après l’installation hors du domicile paternel puisque, si dans 20 % des cas coupables et victimes partagent encore le même domicile, on trouve la même proportion pour ceux qui habitent le même lieu ou à des lieux distants de moins de 5 kilomètres. Quant à la simple parenté, celle qui est indiquée sans autre précision, son rapprochement géographique reste très net. Aucun de ces parents ne partage le même domicile, mais plus de 60 % d’entre eux habitent dans un rayon de moins de 5 kilomètres10.

10

N’est-il pas alors possible de lier la rixe entre l’ensemble des parents à des relations suivies plus qu’à des rancunes accumulées pour de sordides questions d’héritage ? Ce jeune laboureur de vignes du bailliage de Vermandois dont la mère s’est remariée et vit dans une maison voisine, a tenté en vain d’avoir son héritage ; de guerre lasse, il plonge sa main dans le coffre à sel pour saler son propre lard. Mais son crime ne va pas plus loin que ce modeste larcin11. On est parent, on se fréquente assidûment du fait de cette relation privilégiée qu’accroît encore le rapprochement des habitations et, un jour, éclate le crime, essentiellement la rixe. D’ailleurs, les injures peuvent pleuvoir avant de passer au geste final : elles constituent près de la moitié du premier antécédent des crimes qui voient s’affronter de simples parents. A l’inverse, les parents partis au loin ne sont pas l’objet de haines, sans doute parce que le départ, en rompant le suivi des relations, rompt aussi les occasions de rixes et de mort. Entre parents, la longueur des distances atténue la propension au crime.

11

Il existe au sein de la parenté d’autres freins à la violence qui donnent la première place à la régulation des moeurs. A regarder le détail des crimes entre les divers degrés de la parenté, on aperçoit de sensibles différences. S’il est capable de leur donner un coup fatal, aucun enfant parricide n’ose injurier son père ou sa mère. Il faut être « tempté de l’Ennemy » ou de « volonté deraisonnable » pour dire paroles injurieuses comme le fait, au début du XVe siècle, ce fils indigne de Cébazat dans le bailliage de Saint-Pierre-leMoûtier en s’adressant à sa mère. Aussitôt d’ailleurs, le second fils s’interpose « pour eschevier que ledit frere ne procedast plus a injurier leur dicte mere » 12. L’affaire se termine par une rixe mortelle entre les deux frères. Les injures sont le fait des parents, non des enfants.

12

Une différence sensible marque aussi l’ascendance et la filiation puisque les parricides sont deux fois moins nombreux que les infanticides. Certes, les chiffres peuvent être faussés par le caractère horrible du parricide, difficilement rémissible. Mais la théorie politique apporte ici son explication. Elle ne cesse de répéter le respect qui doit

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entourer les parents et le lien de subordination qui unit les générations. Dans Le Livre de paix, Christine de Pizan fonde les conseils qu’elle donne à Louis de Guyenne sur cette « piété » filiale et se sert, à cet effet, d’un certain nombre d’exemples dont celui d’Absalon qu’elle développe longuement : « Absalon estoit tant orgueilleux que onques ne prisoit riens le roy David son pere et se reputoit mieux valoir et plus savoir de lui et fait bien cest exemple a notter a ceulx qui sont mauvais et presomptueux enfans, soient de princes ou d’autres lesquelz, pour ce que on leur porte honneur a cause de leurs parens, l’atribuent a eulx mesmes et s’en orgueillissent et ne tiennent conte de plus obeir a pere et mere mais les deprisent »13. Le parricide est donc le pire des crimes entre parents. Si l’infanticide est moins nettement marqué dans cette hiérarchie, il nécessite néanmoins d’évoquer, pour être gracié, un état de fureur et de folie identique à celui qu’évoque le fils qui a tué son père14. 13

La rareté des crimes entre parents, le déroulement de ces exemples concrets permettent de comprendre la place que les théoriciens politiques du règne de Charles VI reconnaissent à la parenté dans la régulation des conflits. Le dossier hagiographique réuni par H. Platelle montre l’ancienneté de l’opprobe qui, au moins jusqu’au XII e siècle, transforme les parricides — le mot regroupe encore tous les parents proches par le sang — en porteurs de chaînes donnant le spectacle de leur expiation 15. Au XIIIe siècle, Philippe de Beaumanoir condamne nettement les crimes entre frères d’un même lit 16. Il serait vain de chercher sur ce point une différence entre la coutume et le droit romain puisque le Code et le Digeste ne peuvent apporter aux théoriciens qu’une critique systématique des crimes entre parents, tous rassemblés sous le vocable « parricide » 17. Enfin, l’image biblique apporte sa caution : Roboam ne s’est pas seulement entouré de jeunes conseillers, il s’est révolté contre l’oeuvre de son père ; c’est aussi contre son père qu’Absalon, exemple choisi du mauvais fils comme nous l’avons vu, a porté les armes.

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La guerre civile, sous le règne de Charles VI, permet d’approfondir la réflexion théorique. La parenté est au coeur des propos des humanistes. La cruauté du tyran se définit par le parricide ou par l’infanticide18. On peut ainsi lier chez Nicolas de Clamanges et Jean de Montreuil l’émergence du mot scelus dont nous avons vu l’originalité à cette époque, comme d’ailleurs le mot pestilentia et ses dérivés aux luttes fratricides19. Dès le début de la guerre civile, Christine de Pizan donne de cette lutte les images les plus concrètes. A la fin de l’année 1405, dans son Épître à Isabeau de Bavière, elle souhaite la paix entre « ces II haulz princes germains de sanc et naturelement amis, mais a present par estrange fortune meuz a aucune contencion » ; en 1410, quand la guerre s’est affirmée, les propos de sa Lamentation se chargent d’une vision concrète où le sang qui coule est à la fois plaie et symbole : « Ou est a present le doulz sang naturel d’entre vous ? » s’interroge-t-elle, tandis qu’elle déplore la « honteuse bataille l’un contre l’autre, pere contre filz, frere contre frere, parens contre autres, a glaives mortelz, couvrans de sang, de corps mors et de membres les tres doulereux champs » 20.

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Un lien étroit unit cette théorie politique à la pratique judiciaire. Au Parlement, les avocats comme le procureur du roi peuvent arguer de la gravité de crimes commis entre parents par le sang et par l’alliance. C’est là un chef d’accusation si fort que l’appel risque de ne pas être entendu. Ici, ce sont deux « freres » qui se sont battus à mort21. Là, c’est un gendre qui semble présenter exactement le profil du fils indigne que fustige Christine de Pizan puisqu’il « a tousjours esté de grant maniere et de grant cuer et hautain et s’est tousjours porté moult fier » contre son beau-père 22. Avant de le tuer,

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il prononce la plus terrible des injures : « Ou est ce ribaut filz de putain, viegne querre son coustel lui IIIIe, par le sang Dieu nous le tuerons, et pere et mere, et le plus grant villain du lignage qui a vaillant IIIIm escus et en rapporterons les boyaus ». Par une connivence qui montre l’enracinement de la paix entre parents, l’argument de parenté peut aussi être utilisé pour affirmer que le crime n’a pas pu avoir lieu. Le sire de Rely ne peut s’être entrebattu avec Jean Tuel, « qui ab antiquis temporibus ex nobilibus parentibus ex utroque latere origine sumpserat nullas injurias, nulla maleficia adversus dictos de Pisis de quorum sanguinitate erat et semper se tenuerat »23. Le Parlement se montre très attentif à ce type de crimes. Il convient de les poursuivre car « c’est chose de mal exemple de venir par teles voies »24. 16

Dans ces conditions, on peut comprendre à quel point l’opinion publique a pu être bouleversée par le conflit entre les Armagnacs et les Bourguignons. Les processions organisées pour la paix n’ont pas besoin d’être imposées pour être suivies, tandis que les signes du ciel rappellent l’horreur de la guerre fratricide 25. On peut comprendre aussi l’impact de tout ce qui touche au parricide. Parmi les crimes liés à la guerre, dans la sénéchaussée de Quercy, figure l’épisode de deux pendus, le père et le fils. Parce que le gibet de Pinsaguel qui lui appartenait avait été détruit, le Bâtard de Comminges ordonna le châtiment des coupables, et, pour ajouter au raffinement, fit pendre le fils par le père26. Ces atrocités ont sans doute contribué à faire redouter l’homme de guerre. Remarquons cependant que le parricide n’entre pas comme stéréotype de la grande criminalité27. La place de ce crime dans la hiérarchie des valeurs est-elle en cause ? Il ne le semble pas. Au même moment, le Parlement définit bien le parricide comme un « crime capital »28. N’est-ce pas plutôt parce que, bien jugulé par les lois internes que la société s’impose, ce type de crime ne donne pas matière à provoquer l’angoisse ? Son éclatement pendant le règne de Charles VI, sous la forme d’une guerre civile scandée de meurtres entre princes parents, n’en a que plus de poids.

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Dans toutes les couches sociales, il existe bien un code qui constitue un frein au débridement de la violence. Autour de la parenté se sont construits des interdits qui ne sont pas seulement ceux du mariage mais auxquels le mariage contribue. Ils assurent en quelque sorte ce que P. Legendre appelle la « reproduction de la vie » et ce que les théoriciens médiévaux appellent « la paix »29. Une des lois fondamentales du salut de l’espèce consiste en ce qu’on ne doit pas se tuer entre membres de la même parenté. Cet impératif, jeté parfois à la tête des belligérants, explique sans doute que la parenté soit un refuge plus qu’un foyer de discorde30. Et, pour en saisir la portée, il convient de mieux cerner la qualité de cette vie de relations.

CELLULE LARGE, CELLULE ÉTROITE 18

Nous avons vu que la proximité d’habitation peut être une source de conflits. On peut immédiatement objecter que les solidarités qui en naissent compensent largement les inconvénients puisque, comme nous l’avons dit, les comparses du coupable dans le crime sont en priorité ses parents et qu’ils habitent à proximité. Il en est de même pour la victime qui cherche ses comparses dans sa parenté et à proximité. Ne peut-on pas penser alors que l’habitation commune entre adultes, quand elle existe, exaspère encore ces données ?

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Malheureusement, il n’est pas possible par les lettres de rémission de lever l’hypothèque qui agite encore tant de travaux : peut-on déceler une prédominance de

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la cellule étroite en France aux XIVe et XV e siècles ? Les synthèses récentes montrent que sa structure est largement répandue, au moins dès le Moyen Age classique 31. Néanmoins, la cellule large continue d’exister ou se crée au gré des circonstances 32. Il n’est pas question d’entrer dans ce débat. Si le crime ne permet pas de saisir la vie concrète de ceux qui partagent le même feu et le même pot, il met à vif les empreintes de la cohabitation. L’habitat commun semble avoir un effet positif dans la genèse des solidarités. Il privilégie l’intervention aux côtés du coupable, au moins en ce qui concerne le premier participant puisque près de 13 % d’entre eux habitent le même domicile. En ce qui concerne la victime, elle peut compter sur une aide comparable dans sa propre maison, encore que les chiffres soient faussés par le silence volontairement épais qui entoure tout ce qui touche à sa description. La chaleur de la maison entretient bien celle du coeur. Mais quel est le « contenu » de ce domicile ? Dans quelle mesure les liens de solidarité se resserrent-ils dans le cadre d’une communauté familiale large ? 20

Les sources judiciaires, et ici essentiellement les lettres de rémission, n’ont pas la précision des enquêtes fiscales. Dans 87 % des cas, elles ne donnent aucune indication sur les conditions d’habitation du coupable. A plus forte raison ne permettent-elles pas de saisir, comme cela a été le cas pour la Toscane, le cheminement d’une modification des structures familiales dans les deux derniers siècles du Moyen Age 33. Sur ce point où les différences régionales sont particulièrement sensibles, il importe de rappeler que, comme nous l’avons vu, les pays de langue d’oïl se trouvent privilégiés par les sources judiciaires étudiées. Il est donc logique que la cellule étroite y soit prépondérante. Il s’agit là d’une zone moins concernée que l’Europe méditerranéenne par ce qu’E. Le Roy Ladurie a appelé le « remembrement lignager » du Bas Moyen Age 34. Et, il est courant, quoique controversé, d’opposer une France du Centre et du Midi à celle du Nord 35. Ces précautions prises, il reste à l’historien de la criminalité un champ d’analyse encore peu exploité. Il consiste à se demander quels rapports peuvent exister entre le crime et la structure du ménage.

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La première mise au point concerne la tension qui peut exister au sein de la cellule large et qui par là-même peut favoriser l’éclosion du crime. Sur les 13 % de conditions d’habitation précisées pour le coupable, la cellule familiale élargie est, pour 5 % environ, évoquée par le crime. Le chiffre peut paraître faible ; il est cependant à peu près équivalent à celui des cellules conjugales dont nous sommes sûrs qu’elles sont nucléaires. Les 3 % restants sont constitués par les serviteurs habitant chez leur maître. C’est dire que les renseignements quantitatifs bruts sont assez indigents ; ils montrent, a priori, une relative indifférence du crime au mode d’habitation.

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La nature des cellules élargies ne modifie guère le crime. Il peut s’agir de frérèches comme de ménages multinucléaires, puisqu’elles accueillent aussi bien des célibataires que des couples mariés. Dans tous les cas, la fonction protectrice de la famille large si souvent mise en avant par les historiens, et sans doute avec juste raison, est susceptible de voler en éclats sous l’effet du crime. Les membres de la même communauté familiale, quoique liés entre eux par les rites du boire et du manger ne sont pas sans défaillance les uns avec les autres36. Quand elle apparaît dans le crime, la cellule large peut présenter un profil criminel type, celui que lui tracent les tensions passionnelles qui l’agitent. Classiquement, le jeune couple se heurte à l’autorité parentale, soit qu’il l’affronte, soit qu’il l’esquive. Ce suppliant marié vit, en couple, chez sa mère, dispensatrice de l’argent monnayable. Lui, seul homme de la famille, est chargé

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d’affronter le chemin qui conduit à la foire de Jailly, et d’en rapporter des pourceaux. Trompé par un marchand peu scrupuleux, plutôt que de rentrer bredouille, il choisit de voler « pour eschever le courroux de sadite mere et la honte de sa perte » 37. Ailleurs, c’est une femme qui, lasse de l’autorité de sa belle-mère, refuse de ramasser les herbes qui pourraient la guérir. Par mesure de représailles, ses beaux-frères, comme nous l’avons vu, la jettent dans un puits d’où elle réussit à s’échapper. Mais la paix ne vient qu’avec la mort de la belle-mère38. 23

Refus de l’autorité, discorde entre les générations que nourrit la promiscuité des couples : on n’ignore pas à la fin du Moyen Age qu’une autre vie est possible et sans doute meilleure. Le crime révèle ce malaise. Mais, pour en mesurer l’épaisseur, il faudrait savoir quelle est la proportion de crimes par rapport au nombre de cellules larges existantes, ce qui est tout à fait impossible. Le cas de Guillemette de Louvain qui depuis longtemps a demeuré chez Sebile Lalemande avec la nièce de celle-ci, ne peut être généralisé. La cellule de femmes ne l’a protégée ni de la pauvreté ni du diable qu’elle invoque pour atténuer son vol39. Faute de données quantitatives, on doit donc se contenter de remarquer que la cellule large peut engendrer le crime et qu’elle n’assure pas sans défaillance son rôle protecteur.

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A l’inverse, le cocon de la cellule large existe, et pas seulement dans l’esprit des historiens. Il peut être si parfait dans sa réussite qu’il secrète, au sein du village, ce péché terrible et rare qu’est l’envie. Nous voici près de Cluny en 1411 : un homme, veuf avec deux enfants, est allé rejoindre son frère, lui-même père de cinq enfants, pour louer ensemble un hôtel à un bourgeois de Mâcon. Avec la bonne entente et le travail vient l’aisance, source d’envie qui conduit au crime : « comme lesdiz freres aient esté et soient de bonne vie et renommee, bons et simples laboureurs vivant de leur labourage et tenant un bon hostel de labour comme leur pere avoit fait et pour ce qu’ilz avoient un petit de chevance a cause de leur labourage, aucuns de leurs voisins pour envie ou autrement entreprindrent sur eulx et leur dit feu pere, en leur faisant beaucoup de desplaisir »40.

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Quand le crime éclate, le fait d’habiter sous le même toit ajoute encore à l’obligation des liens de parenté. Mais il ajoute seulement. Le partage de la vie commune n’est pas exactement mis sur le même plan que celui des liens de parenté. Il est évoqué après eux. Ainsi Jacques Galhart vient défendre la femme d’un de ses parents avec qui, au moment du crime, il poussait la charrue car il « estoit lignaigier et parent et tous demourant ensemble »41.

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Les liens de solidarité, s’ils s’en trouvent accrus, ne sont pas l’apanage de la cellule large, si bien qu’en matière de criminalité, voire de solidarité, l’opposition entre cellule large et cellule étroite relève sans doute du faux problème. La famille nucléaire est prise dans de tels liens de relations, le champ clos de la vie est si étroit que le réseau de la parenté se révèle aussi efficace en poids et en rapidité d’intervention que s’il était enfermé dans le cadre matériel de la cellule élargie. Avant d’être pris sur le chemin dans une mauvaise rixe, ce suppliant a quitté sa demeure pour aller aider un de ses gendres à charger du blé ; pourtant ils n’habitent pas ensemble. Quant à ces deux cousins aux habitations séparées, ils s’associent pour acheter d’un seigneur la « paisson » des bois, y mettre des pourceaux et « en faire leur proffit » 42. Unis dans le travail, ils le sont dans le crime sans pour autant partager le feu et le pot. Les exemples sont multiples de ces « hôtels » séparés mais imbriqués. Dans la maison paternelle pend

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la clef de la porte des enfants qu’ils passent prendre le soir au sortir du travail ou du dîner. 27

La famille apparaît bien, en effet, comme le noeud le plus serré de la solidarité et la communauté d’habitat ne change pas grand chose à l’affaire. Les liens sont de chair et de sang plus que de pierre et de feu. Point n’est besoin de vivre sous le même toit. La proximité géographique suffit à renforcer la conscience d’avoir un sang commun. L’essaimage de petites cellules proches n’a pas réussi à briser le réseau des solidarités. La promiscuité de ces cellules étroites ne résout d’ailleurs pas les problèmes de cohabitation que pouvait soulever la cellule large, ou plus exactement elle en crée d’autres qui n’ont rien à leur envier et peut aussi bien conduire au crime. Prenons pour conclure sur ce point un exemple type de deux ménages qui se sont divisés une maison que les femmes possèdent en commun. Chaque couple a feu séparé dans la portion qu’il occupe ; mais la cour est commune et la servante d’une des deux soeurs a la détestable manie — qui n’est sans doute pas fortuite — de jeter les immondices devant l’huis de l’autre. Protestations, cris, menaces, rien n’y fait ; le conflit se termine par une rixe mortelle entre les deux beaux-frères43. La cloison qui sépare les deux feux n’a pas suffi à étouffer le ressentiment. Plus que les conditions matérielles d’habitation au sens strict, c’est donc le réseau de parenté qu’il importe de cerner pour comprendre le crime.

SANG ET LIGNAGE 28

La présence de la parenté est plus importante par la solidarité qu’elle manifeste que par les déchirements qui la parcourent. Outre cette distorsion que nous avons notée entre le nombre des querelles familiales et celui des soutiens, d’autres éléments marquent la profondeur des solidarités qu’engendre la parenté. Le premier montre que l’individu peut compter dans tous les cas sur sa parenté puisque tous les crimes, y compris les plus horribles, peuvent susciter une intervention familiale. Cette mère aide sa fille enceinte à prendre des herbes abortives ; ces gens supplient pour récupérer le corps de leur parent suicidé44. Quant à l’intervention des parents auprès de la personne agressée, elle est souvent première, efficace et rapide. Les textes le disent sans ambiguïté : il y a nécessité d’intervenir. Voici le cas type de deux hommes, Mahieu Marie, père de sept enfants dont l’aîné s’appelle Baudet, et Pierre Galet, chargé de deux enfants qui, en 1416, dans le bailliage d’Amiens, sont aux prises. Pierre accuse Mahieu d’avoir envoyé ses chiens sur ses pourceaux45. La lutte s’envenime jusqu’au moment où Mahieu crie : « Aide Baudet filz » ! La suite est immédiate : « Auquel cry ledit Baudet meu d’amour naturel et paternel feust alé ». Deux de ses filles qui ont de 16 à 18 ans, « enfans a marier », viennent à l’aide, tandis que du côté de Pierre se trouvent sa femme et ses deux fils.

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Les parents peuvent d’autant plus facilement intervenir qu’ils habitent, répétons-le, à proximité ; c’est là une des raisons de la célérité de leur soutien. Ce suppliant a entendu les cris de sa mère en danger et, immédiatement, il accourt 46. Celui-là, occupé au travail de la terre, entend les éclats d’une dispute où il est question de pâtures et de porcelets, et il se précipite pour défendre son cousin, Pierre de Murat, bientôt rejoint par un autre membre de la famille venu à la rescousse : « Jehan de Murat qui estoit en un mas pres ledit pré ou pasturaulx, oyt et entendit ledit Pierre de Murat, son cousin (...) ilec survint Anthoine de Murat (...) qui oyt le cri et le bruit »47.

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De soutiens, les participants deviennent facilement coupables. Le caractère immédiat des interventions souligne donc le rayon rétréci du cercle où se meut la famille. L’espace maîtrisé n’est pas seulement celui de l’individu ; il est aussi celui de sa parenté. On y reconnaît entre toutes les autres la voix du parent et on accourt.

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Mais, si la proximité géographique des membres de la famille facilite leur intervention et leur soutien, elle n’est pas au coeur des arguments qui justifient leur ingérence dans le crime. Elle ne l’était pas sous le toit de la cellule large ; à plus forte raison ne prime-telle pas dans le cas de la cellule étroite. Les textes parlent plutôt de « sang et de lignage ». Ils marquent nettement le pas qui existe entre la proximité des liens familiaux et celle des lieux qui, malgré l’enracinement, restent, du moins dans leur esprit, un élément secondaire.

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La force des mots employés implique dans un premier temps d’en définir le sens et si c’est là chose nécessaire, ce n’est pas, en ce qui concerne la parenté médiévale, chose facile ; la réalité fuit devant la nécessaire rigidité des concepts 48. Les historiens du Moyen Age ont tenté de cerner ce vocabulaire de la parenté mais leur quête a commencé par les familles nobles des XIe -XIII e siècles comme le montrent les travaux de L. Génicot et G. Duby, pour ne citer que les pionniers49. Les ingérences des historiens dans les XIVe et XV e siècles se limitent encore aux privilégiés, qu’il s’agisse du sang du roi ou de celui des parlementaires50. Quant aux exemples méditerranéens, souvent mieux développés, ils ont l’inconvénient d’ancrer la conscience lignagère dans une tradition historique et juridique particulière et on y voit s’affirmer très tôt — dès le X e siècle — la conscience d’un lignage patrilinéaire dont la longueur même est signe de « bonne naissance »51.

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Noblesse, cloisonnement régional, ces constatations laissent le problème entier en ce qui concerne cette population ordinaire et à forte prépondérance de langue d’oïl. Force est donc de recourir aux enseignements des anthropologues et de leur emprunter la rigueur de leurs définitions en retenant d’emblée celle de la parenté qui, depuis les travaux de C. Lévi-Strauss, comprend l’ensemble des liens qui unissent, soit par filiation, soit par alliance, un certain nombre d’individus entre eux 52.

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Comme je l’ai fait remarquer précédemment, dans le cas du crime, le réseau familial n’est pas énuméré de façon indifférente mais par rapport à un individu, qu’il s’agisse du coupable ou de la victime. Au centre de la relation parentale se trouve, par la faute du crime ou de la rémission, un individu, l'ego des anthropologues. Cette situation a peu de rapports avec l’émergence significative de l’individu au sein de la famille conjugale ni même à la mise en place du système de parenté Eskimo, celui que nous connaissons de nos jours. Dans le contexte des archives judiciaires, qu’il s’agisse de la demande en grâce ou des plaidoiries du Parlement, faits et rapports sociaux sont définis par rapport à un ego de choix, présenté en acteur, voire en héros de l’histoire. Nous saisissons donc ce qui relie cet individu à sa parenté, à son réseau, dans un système défensif, tout en sachant que ce système n’est pas exclusif d’autres expressions de la parenté dans d’autres circonstances, qu’il s’agisse de partages successoraux ou de quêtes généalogiques53.

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La quête généalogique telle qu’elle est affirmée lors de déclinaisons d’identité, fait entrer en jeu un autre système hiérarchique, celui du lignage au sens que les anthropologues donnent à ce terme, c’est-à-dire « un ensemble d’individus se rattachant à un ancêtre commun, connu et nommé54. Ce sont là pour nos suppliants conversations de veillées ou travaux d’érudition que peut susciter effectivement la

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déclinaison d’identité55. Mais, dans le feu de l’action, qui est appelé, qui répond ? Les vivants bien sûr, plutôt que les morts ! Les relations parentales se définissent en fonction de ces impératifs très concrets que sont ceux de la défense et de l'efficacité. Par conséquent, on peut supposer, d’emblée, que la part des cognats, qui ont toutes les chances d’être de force physique identique et de même classe d’âge, est prépondérante dans le réseau que le crime rassemble. Cela n’implique pas d’ailleurs que la parentèle soit un élément fondateur de la sociabilité. Comme le montre M. Bourin-Derruau, elle ne constitue qu’un élément du réseau social dans la vie quotidienne des hommes du Biterrois56. Le problème est alors de discerner ce qui, dans ces regroupements, appartient à la conjoncture du moment violent et à la longue durée des relations de parenté. 36

Comment est structurée la parentèle ? Remarquons que ce mot commode n’est pas utilisé dans les textes judiciaires étudiés et que, dans les textes du Parlement en latin, il n’apparaît pas non plus sous sa forme latine57. L’ensemble est de structure grenue, avec, au coeur du noyau, l’expression « sang et lignage » si souvent invoquée pour expliquer l’intervention dans le crime. A titre d’exemple, on peut citer ce suppliant du bailliage de Senlis qui, injurié « de paroles rioteuses », demande l’aide de ses frères et ceux-ci « courrouciez de ce et meuz de sanc et de linage respondirent audit Jaquet leur frere que il en seroit bien vengié »58.

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Les termes « sang » et « lignage » sont-ils identiques ? La référence au sang est dans le cas de ces frères relativement claire. Elle marque bien la filiation comme l’indique encore cette notation où le suppliant à l’écoute d’une « bateure » intervient, doutant que ce soit « un sien jeune frere ou autre de son sang »59. Néanmoins, l’association du sang et du lignage est plus complexe que le sang évoqué seul.

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Il arrive effectivement que dans le même texte les deux mots soient employés l’un pour l’autre ou encore énumérés par souci de redondance. Par exemple, lorsque pendant la guerre entre Armagnacs et Bourguignons, à la fin de l’année 1413, un suppliant attaque des compagnons de la pique, il affirme qu’ils « portoient la devise ou enseigne des diz gens d’armes des seigneurs de notre sang »60. Mais quelques lignes auparavant, il définit ces gens d’armes comme étant « en la compaignie des diz seigneurs de notre sanc et linaige », ou encore comme simples « seigneurs de notre sang ». Ce flottement du vocabulaire peut indiquer une certaine similitude entre les deux termes. Un autre exemple, pris cette fois-ci dans le monde ordinaire de la ville de Douai, montre bien l’interférence entre le lignage et le sang. Il y est question de « l’honneur du lignage » que le suppliant mu « d’ysenguinité » s’apprête à défendre. Un de ses parents, un « bien prochain cousin », est prisonnier. Il pourrait y avoir ambiguïté d’alliance sur le terme cousin mais le suppliant est aussi le cousin des soeurs du prisonnier qui sont venues le quérir pour défendre l’honneur du lignage, car il en est le plus proche représentant 61. Dans ce sens, le mot « lignage » accolé à celui de « sang » ou employé à sa place privilégie la filiation.

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Le sang qui coule exprime concrètement la réalité du lignage que le crime met à nu. La blessure, nous le verrons, se mesure au sang versé. Mais l’intervention de la parenté s’impose aussi à la vue de ce sang commun qui ne doit pas être versé et qu’il faut impérativement faire cesser de couler. Ne parlons pas encore de vengeance ; le premier acte est sur le vif quand l’autre « frappe a sang », « faist sang ». Alors s’exprime, on pourrait dire spontanément, l’appartenance à une lignée. Au corps ensanglanté du parent répond le « chaud sanc » de celui qui accourt pour le défendre. Si le mot « sang »

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fait partie des mots de la base dans le vocabulaire des lettres de rémission, c’est que l’acte visuel, le fait de voir couler le sang, est, dans cette prise de conscience, essentiel. 40

Peut-on aller plus loin et parler d’une conscience lignagère au sens anthropologique du terme ? Cela semble difficile, pour différentes raisons dont la première est sans doute la difficulté de mémorisation. D. Barthélémy montre combien la cohésion généalogique patrilinéaire est, concrètement, un leurre autrement que par l’écriture au-delà de trois générations62. Et encore s’agit-il des sires de Coucy ! Deux siècles plus tard nos suppliants ne semblent guère plus avancés. Comme je l’ai suggéré, rien ne transpire de ces préoccupations dans le feu de l'action. A froid, quand le suppliant décline son identité, les résultats ne sont pas non plus très probants. Il convient d’ailleurs, comme on pouvait s’y attendre, de distinguer les nobles des non-nobles. Rappelons-nous le sire de Giry qui, au XIVe siècle, se dit « extrait du plus noble et grand lignage du pays » 63. On ne saura jamais ce que cette remarque doit à la vanité ou aux enseignements d’une généalogie qui s’enracine dans une terre, elle-même partie prenante d’un « pays ». On voit que toutes les conditions semblent réunies pour conforter une filiation qui est, selon toute vraisemblance, patrilinéaire. Le cas n’est pas unique mais il est rare. N’oublions pas que l’écriture et les normes juridiques sont venues aider, au moins depuis le XIIIe siècle, à fonder l’identité nobiliaire. L’exemple des sires de Coucy le montre parfaitement. Néanmoins, la conscience lignagère ne passe pas encore de façon convaincante les bornes de la déclinaison d’identité. Encore faut-il nuancer considérablement le recours au lignage en fonction des circonstances où il est rappelé.

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Tous ceux qui sont nobles et seigneurs d’une terre sont loin de proclamer leur lignage comme leur raison d’exister et ils se révèlent sur ce point plus diserts au Parlement qu’à la Chancellerie. Il suffit encore, le plus souvent, de se dire noble voire chevalier pour entamer une requête en grâce. En revanche, il importe de faire remonter sa noblesse le plus loin possible quand on présente son cas au Parlement 64. On a alors recours à un système indifférencié dans lequel sont énumérés à égalité les ancêtres du côté paternel et du côté maternel65. La différence tient aux exigences des institutions plus qu’à l’incapacité des requérants. Il est donc possible que la noblesse puisse, quand elle emploie le mot lignage, se conforter d’une conscience d’ancestralité imaginaire ou vécue que supportent un nom et une terre. Mais il n’est pas sûr non plus que l’emploi de ce terme soit toujours, même pour les nobles, exclusif d’autres sens qui privilégient le sang au coeur de la parentèle.

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En tout cas, pour les non-nobles, il n’y a pas, malgré l’enracinement dans un espace familier, de conscience lignagère affirmée. Le souvenir des ancêtres ne remonte pas audelà des père et mère dont on doit se dire le fils quand on est mineur, mais dont on peut aussi se prévaloir quand la renommée est attaquée. Ce « jeune fils » de 18 ans est déclaré « fils de Pierre Le Celier et de Gilette sa femme aagé de chascun cinquante ans ou environ »66. Tant de précision peut surprendre mais les parents arguent de leur âge pour obtenir la rémission. Un autre exemple, contemporain du précédent, met en scène un jeune voleur de livres qui, pour son crime, a été puni publiquement sur le pont de Mâcon. Les parents demandent sa grâce en arguant de sa déclinaison d’identité, « comme ledit Berart soit nez et extrait de bonnes gens, de bon pere et de bonne mere qui ont esté et sont gens de bonne vie et renommee »67. Au même moment, au Parlement, les héritiers de Bernard Clabaut déclarent qu’en son vivant il était « notabilis burgensis Abbatisville predicte ex notabili genere ac ex matrimonio defuncti Jacobi Clabaut et prefate Marie la Carboniere procreatus, bonusque legalis et pacificus mercator bone vite et

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honeste conversacionis nec de aliquibus malis vel illicitis contractibus reprehensus existerai et existebat »68. L’horreur de la diffamation fait sortir du silence les vertus de la lignée mais les précisions supplémentaires font défaut et elles restent du domaine de la littérature savante. On se contente de dire que ce sont de « bonnes gens » 69. 43

Mais est-on capable d’être plus précis ? La filiation évoquée dans ces différents exemples est indifférenciée, ce qui est peu compatible avec le lignage au sens strict qui, en général et au même moment, se trouve articulé sur une filiation patrilinéaire. Quant à la renommée, elle reste horizontale, fruit des jugements contemporains : elle tient au temps d’une vie et elle ne s’ancre pas dans une généalogie. Les aïeux sont bien les grands absents des archives judiciaires. L’art d’être grand-père est-il souvent possible ? Nous touchons là sans doute l’âpreté de la vie qui est aussi celle de la mort : le renouvellement rapide des générations prive ces criminels, pour la plupart adultes, de la référence à une génération antérieure à celle de leurs parents. Et, quand les grandsparents existent encore, nous avons vu qu’ils sont pris en charge par leurs propres enfants. Il existe donc une stricte hiérarchie des relations de filiation qui interdit de « sauter » une génération et ce cloisonnement est sans doute assez fort, paradoxalement, pour ne pas favoriser la conscience lignagère.

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Enfin d’autres éléments, dans le domaine judiciaire, entrent en ligne de compte pour faire éclater le lignage et le réduire au présent. L’hérédité du crime tend à devenir un vestige du passé et la faute s’éteint en général à la mort du coupable. Les témoignages relatifs au XIIe siècle montrent qu’il n’en a pas toujours été ainsi et que la vengeance avait droit de poursuite jusqu’à la quatrième génération70. Sous le règne de Charles VI, il peut encore être nécessaire de régler les conflits à la mort du suspect, sous peine d’en voir rejaillir les conséquences sur les héritiers71. Ou encore, pour résoudre les torts d’un crime, un membre du lignage peut se substituer à celui qui est absent 72. D’autres exemples posent nettement le problème des responsabilités liées au souvenir du crime. A Chassigny dont les habitants sont sujets du chapitre de Langres, le roi est obligé, en 1403, de procéder à un accord pour que les enfants des coupables soient mis hors de procès73. Le crime, une rébellion contre des gens d’armes, aurait eu lieu quarante ans plus tôt mais le procureur refuse que l’affaire soit éteinte. Les arguments invoqués par la communauté des habitants témoignent de son embarras. Ils oscillent d’une part entre le refus de livrer au procureur des « informations », amnésie et silence général qui montrent l’inquiétude qu’ont les requérants d’être poursuivis même après un si long délai et après la mort des « faiseurs », et d’autre part « pour ce que lesdiz deliz, qui sont encore a congnoistre, ne donroient pas estre punis les enfans et voisins des faiseurs et delinquens ». Finalement, silence est imposé au procureur.

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Deux tendances se contredisent donc qui portent l’une sur l’hérédité de la faute, l’autre sur son caractère individuel. La part du bien, dans le lignage, est sujette aux mêmes déchirements. Les théoriciens de la vie politique n’ont pas vraiment résolu le conflit. Christine de Pizan affirme au duc de Guyenne que « branche yssue et nourrie de bonne racine doye estre bonne », argument qu’on trouve évoqué au Parlement quand, pour défendre son client, l’avocat s’appuie sur la noblesse de sa généalogie 74. Mais aussitôt, la partie adverse peut rétorquer que, s’ils sont « bonnes gens », « il ne s’ensuit pas que en leur lignage n’ait aucuns mauvaise personne »75. Distinguer l’individu de son lignage est possible, mais l’entreprise est encore fragile. On peut dire cependant que des nuances se développent, que le lignage est moins perçu comme un bloc que comme une juxtaposition d’individus aux destins particuliers. Mais, qu’un seul membre du lignage

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ait fauté, et la généalogie perd encore son homogénéité. Pour affirmer sa bonne foi, Pierre de Cuisel ne se contente pas de dire qu’il est issu d’un bon lignage ; il le détaille en disant « que lui et toulz ceulz de son lignage se sont portez honorablement sanz avoir esté attains d’aucun villain blasme ou reprouche »76. Ces brèches dans un système monolithique sont les signes d’une évolution. En reconnaissant le poids de l’individu, la mémoire lignagère perd de la profondeur, à moins qu’elle apprenne à « manipuler » la généalogie, à rejeter dans l’oubli ceux qui ont fauté. Les livres de raison de l’époque moderne ont su ainsi construire leur parenté77.

SANG ET ALLIANCE 46

Ainsi défini, quand il s’agit du vécu, le lignage médiéval se rapproche de la parentèle qui, plutôt que de se référer à un ancêtre commun, se définit par le fait d’avoir un parent commun. Tous les individus, parents d'ego à un certain degré, se rassemblent autour de lui. Ils constituent un groupe qui, comme le montre bien R. Fox, « ne s’actualise que lorsqu’il a une raison d’être », ici le crime, ailleurs la fête 78. Tous ceux qui se retrouvent autour du criminel pour l’entraider ne sont pas obligatoirement parents entre eux mais tous sont parents du criminel. Etre « puissant de lignage » n’implique pas seulement d’être au sommet de la hiérarchie sociale mais d’être susceptible de rassembler un nombre impressionnant de parents ; à l’inverse, nous l’avons vu, est considéré comme marginal celui qui ne peut pas être soutenu par des « amis »79. Y a-t-il néanmoins des nuances à l’intérieur de ce regroupement ? Qui compose la parentèle ?

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L’analyse du vocabulaire montre qu’il peut exister à la fois des distinctions et de nombreuses confusions entre l’alliance et le sang. Le mot « parent » est ambigu. Quand il se distingue du mot « affin », il recouvre nettement les liens du sang. Prenons l’exemple de Guillaume Charretier, prisonnier, qui se plaint au Parlement de la collusion qui existe entre le sire de Gondreville et les officiers du roi à Chartres 80. Tous les officiers royaux, dit-il, « sont parens et affins » du sire de Gondreville et « mesmement le procureur du roy est gendre de l’un d’iceulx seigneurs et le clerc criminel est fïlz de l’autre et le lieutenant du bailli a espousé la cousine germaine desdiz de Gondreville ». La distinction entre le parent et l’allié peut aussi être évoquée quand le criminel y trouve son intérêt. Au début du XVe siècle, pour se défendre de la gravité du crime qui lui est reproché, ce criminel de la sénéchaussée de Ponthieu affirme qu’avec sa victime « ils n’estoient point parens sinon a cause de leurs femmes » 81.

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Mais le mot « parent » peut aussi être employé dans un sens général qui inclut l’alliance et où compte au premier chef le degré de proximité avec le criminel. Sans distinguer entre la nature des liens, cette lettre de rémission de la sénéchaussée de Poitou, en 1392, constate que le suppliant qui a quitté sa famille d’origine a « nulz prochains parens » pour le défendre82. Il semble bien qu’en fait le degré de parenté l’emporte dans la dénomination sur la différence entre le sang et l’alliance.

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L’utilisation du mot « affin » conduit aux mêmes conclusions. Les criminels peuvent, pour les besoins d’une cause, être amenés à distinguer clairement l’alliance et le sang. Mais le terme « affinité » peut être employé au sens large de parenté. En 1380, ces hommes suspectés d’un meurtre par le bailli de Coucy prennent soin de préciser qu’ils ne sont pas de « l’affinité » de celui qui a été tué83. Le mot est bien employé dans un sens général. Parenté et affinité se chevauchent, si bien que la proximité des liens

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devient essentielle. La façon de nommer les parents en matière de tutelle vient confirmer cette remarque. Certes, les parents par le sang sont nommés les premiers, mais les alliés les plus proches précèdent les parents par le sang d’un degré inférieur. Un exemple peut illustrer ce propos, telle cette tutelle garantie le 20 mai 1396 au Châtelet par le témoignage de « Guillaume Haussecul pere, Jehan Dauvergne oncle de par mere, Denisot aux Deux Espees, oncle a cause de sa femme de par mere, Guillaume de Buimont, oncle a cause de sa femme de par pere, Pierre Rousseau oncle a cause de sa femme de par pere, Pierre du Four cousin de par pere et Courrat de Laigny, cousin de par pere, tous amis, parens et affins de Jehannin, Guillemin et François Haussecul enfans meindres d’ans dudiz Guillaume Haussecul et de feu Marie sa femme » 84. Finalement, la tutelle est donnée à deux oncles par alliance, Denisot aux Deux-Epées et Pierre Rousseau. 50

Une étude plus fine à l’intérieur des différents degrés de parenté confirme-t-elle cette unité ? Commençons par les cognats au premier degré. Quand il s’agit de relations entre germains, le terme « frère » peut sembler explicite. Il désigne le plus souvent celui qui est né du même père et de la même mère. Par opposition, le beau-frère fait référence à l’alliance. Le cas est net sous la plume d’Enguerran de Monstrelet quand il évoque les liens qui unissent Jean sans Peur à Jean de Bavière, évêque de Liège, et à Guillaume, duc de Hainaut85. Il s’agit, comme pour un crime, de mobiliser la parenté : « mais son beaufrere, Jehan de Baviere, duquel il avoit la seur espousee, lui avoit requis a grant instance qu’il feist et donnast secours a l’encontre des communes et subjectz du pays de Liege qui contre lui s’estoient rebellez et de fait l’avoient assiegé. Et en avoit eu pareillement requeste du duc Guillaume, comte de Haynau, son beau-frere et aussi frere a Jehan de Baviere ».

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La distinction des mots et de leur sens est parfaitement claire entre le frère et le beaufrère. Et on remarque que, y compris dans les milieux aristocratiques, la requête peut venir de l’alliance aussi bien que du sang. Cette évidence est si sensible que, souvent, le vocabulaire peut introduire une confusion et que l’alliance se glisse, dès ce degré élevé de parenté, avec le sang. Prenons l’exemple de la supplication de « Philippot Le Cordonnier et sa femme et Thomas Orenge, frere de ladite femme, contenant que en revenant de la paroisse de Bully pres de Neufchastel ou ilz estoient alez pour veoir Guillaume Orenge leur frere »86. Comme il n’est pas possible que le texte ne tienne pas compte en priorité de Philippot Le Cordonnier, ici le suppliant, dont la femme n’existe juridiquement que par rapport à lui, il faut bien conclure que « leur frere » se rapporte à l’ensemble des germains, qu’ils soient consanguins ou alliés. On peut lui ajouter l’exemple de ce suppliant qui, requis par son « beau-frère » d’intervenir, devient meurtrier et demande sa grâce car il a agi « pour garder de mort sondit frere » 87.

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Quant aux alliés proprement dits, le vocabulaire qui les désigne n’est pas nettement différencié. Le terme « serourge » qui devrait par son étymologie latine désigner en priorité le mari de la soeur peut aussi bien désigner le frère de la femme. Du point de vue de la solidarité, il n’y a d’ailleurs pas de différence entre les deux. Prenons l’exemple de Jean Chalenge et de Guillaume Le Poingneur, du bailliage de Rouen. Ils ont épousé les deux soeurs et sont donc beaux-frères par alliance. Un des couples a bien réussi ; l’autre est dans la misère. Jean n’hésite pas à venir demander de l’argent à son « serourge » car « il failloit qu’il en eust du leur »88. Et, comme il essuie un refus, il conçoit « grant hayne contre ledit Guillaume son serourge ».

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On peut se demander néanmoins si les mots employés ne marquent pas parfois quelque distance dans la nature des relations. La haine, on le voit, accompagne plus facilement le « serourge » que le « frere », même si dans les deux cas il s’agit d’un beau-frère. N’est-ce pas le signe que le frère est le plus proche des cognats et que le mot est dense, porteur d’une charge affective ? S’entr’appeler « freres » est considéré comme une preuve suprême des relations qui unissent deux hommes et la qualité des liens entre frères explique aisément cette nuance89. Employé dans les contrats d’alliance, le terme vient justement signer le lien charnel fictif qui, désormais, unit les contractants par une fraternité artificielle90. La charge affective implique donc des nuances entre le frère et le serourge, même si, pratiquement, leur situation dans la parentèle peut être considérée comme égale.

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Le soutien peut et doit aussi être le fait de l’alliance. De même, les mots « oncle », « tante » et « neveu » désignent aussi bien la relation de sang que celle de l’alliance 91. Enfin, le terme « cousin » n’est pas non plus différencié. En 1397, dans le bailliage d’Amiens, le cousin de la femme du suppliant se bat avec deux hommes. Quelques jours plus tard, le mari passe à l’attaque92. L’alliance n’est donc pas exclue de la parenté. Elle peut même la conforter. Deux hommes ont épousé des cousines germaines ; ils considèrent que « pour raison de ce devoit avoir entre eulz vraye feaulté et loyauté d’amour »93. Ce cas n’est pas unique. En fait, le coupable doit compter sur la lignée la plus vaste possible ; elle inclut le sang mais elle ne néglige pas l’alliance dans un système qui est bilinéaire plus que patrilinéaire. Le phénomène n’est pas seulement roturier. Reprenons l’exemple du sire de Giry94. Sa lignée est non seulement la plus noble mais encore la plus « grande » du pays. Le sens n’est pas seulement qualitatif mais aussi quantitatif. Or, la quantité implique le recours à l’alliance. Pourquoi sinon prendre, au même moment, tant de soin à préparer les alliances matrimoniales ? C’est une des raisons pour laquelle la haute aristocratie du royaume se présente comme un grand lignage au sens médiéval du terme, dont les membres sont entre eux et avec le roi cognatus ou consanguineus, que ce soit par le sang ou par l’alliance. Le modèle de parenté le plus répandu encore en cette fin du Moyen Age structure donc la haute aristocratie, comme il organise la population ordinaire 95.

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Néanmoins, comme nous l’avons déjà suggéré, il se dessine dans ce vaste ensemble qui entoure ego, une hiérarchie. Un suppliant assailli trouve le soutien « de son dit frere et de plusieurs autres ses oncles, cousins et parents »96. Les textes désignent les premiers cités sous le terme « proismes ». Au premier rang viennent les cognats. Voici un homme qui, entendant la « noise », croit que son frère est menacé et accourt « pour ce qu’ilz estoient proismes de lignage »97. La sélection démographique impose de ne pas donner à ces proches un contenu rigide. De simples cousins peuvent être considérés comme des proches. Raoul Waitande dit Monton, cousin d’une dénommée Jaque Waitande, n’accepte pas la vente de deux journaux de terre que celle-ci a faite et « disoit qu’il auroit ladite terre par retrait, comme proisme d’icelle » 98. La proximité est bien une notion relative, en fonction de l’étendue familiale 99.

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La nécessité de définir les proches répond aussi à d’autres impératifs. La raison en est apparemment très prosaïque : en cas de crime, il faut bien que les parents de la victime soient dédommagés. Qui se charge de payer et à qui cet argent est-il versé ? Ce prix du sang devrait revenir en priorité, selon la tradition germanique, aux parents par le sang. Cette constatation implique de savoir désigner les parents par le sang les plus proches, ce qui semble privilégier la filiation lignagère. Il importe alors, pour bien marquer la

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consanguinité biologique, de la préciser. De frères nés du même lit, on dira qu’ils sont « freres germains », comme dans le cas de ce coupable d’un homicide qui a fait satisfaction « au pere de la victime et a son frere germain » 100. 57

De la même façon, on peut parler de « cousin germain » dont la proximité de sang impose des devoirs d’aide et de défense, mais aussi entre lesquels s’affirment de façon nette des impératifs de paix. Gilet Ogier, assailli par son cousin, lui dit « qu’il faisoit mal, veu qu’ilz estoient cousins germains et devoient se garder l’un l’autre et que se un autre lui disoit ou faisoit mal si le defendoit-il » 101. Les lois tacites de l’aide au sein de la parenté, les interdits qui la jugulent, imposent donc une représentation hiérarchiquement ordonnée. Celle-ci a-t-elle la rigidité des représentations généalogiques ?

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L’ordre d’énumération entre les côtés maternel et paternel n’est sans doute pas indifférent mais il apparaît peu dans les documents judiciaires. L’urgence des appels au secours et les impératifs des circonstances matérielles (proximité d’habitation, disponibilité) faussent toute étude de ce genre. Contentons-nous de remarquer que les deux branches constituent un vivier commun dans lequel le criminel peut puiser. L’individu prend ses cousins germains du côté paternel comme du côté maternel. Un suppliant, simple cordonnier, en visite chez « sa tante », est amené à défendre le fils de celle-ci qui est attaqué. Il crie : « Larrons, tuerez-vous mon cousin » 102 ? Et pour obtenir sa grâce, il précise qu’il a agi « considerans que ce que son cousin germain estoit pour lui ». Ce cousin est bien le fils d’une tante dont on ne précise pas si elle est parente du côté paternel ou maternel.

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Quant à l’oncle maternel, il ne bénéficie d’aucune appellation particulière, ce qui distingue considérablement la structure de parenté en vigueur dans le crime de la filiation patrilinéaire. Pour justifier son intervention, un suppliant définit le rapport de parenté oncle-neveu en le comparant à celui du père et du fils sans autre précision : « meuz d’affection et amours charnels tels comme pere a fils et de neveu a oncle » 103.

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Dans cet exemple, l’alliance semble exclue : le terme charnel s’éclaire de la comparaison du lien paternel. Mais rien n’indique qu’il s’agisse plus précisément de l’oncle maternel ; au contraire, la filiation en menant ce parallèle insiste sur la masculinité et sur la proximité directe des parents concernés. Il existe donc bien un groupe de proches qui sont les premiers à devoir et à être efficaces. Mais leur recours implique une filiation bilinéaire que la déclinaison d’identité avait déjà fait sentir : le lignage du père est aussi important que celui de la mère. Répétons-le, il ne s’agit pas ici de patrimoine mais de vie quotidienne : les exigences du lignage patrilinéaire n’y sont pas prépondérantes104.

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La femme et la mère y ont leur place. Le meurtrier de Thierry Laleman obtient rémission au début du règne de Charles V, à condition « de livrer a la femme d’icellui Tierri desormais chascun an comme elle vivra, le jour de la feste du mors, 60 sous tournois pour son vivre ou autrement »105. La femme est bien intégrée au lignage de son mari, mais, pour le prix du sang, l’ingérence de l’alliance ne va pas au-delà. Sous le règne de Louis XI, le cas de Jacob Breget donne quelques indications : « icellui suppliant (...) fist appointement et satisfacion selon sa puissance a la femme, enfans, freres et autres parens et amis charnels dud. Laurens »106.

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On ne peut pas mieux dire la priorité de la cellule conjugale et de ses fruits, suivie de celle du sang commun, puis du sang partagé de façon bilinéaire, sans réelle distinction. Les alliés y trouvent facilement leur place, à égalité avec les parents par le sang. Le

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rassemblement autour du criminel n’a pas la rigidité des descriptions généalogiques contemporaines107. Ces formes de liens de parenté, connues pour avoir entretenu la guerre privée pendant la période du Moyen Age classique, ne se sont pas estompées, et les archives judiciaires des XIVe et XV e siècles résonnent de la plainte des « parents ». Certes, des différences existent entre le sang et l’alliance, entre le proche et le lointain, et les criminels peuvent en jouer, par un savoir quasi inné des manipulations de la parenté. Mais la criminalité témoigne de solidarités vivantes et les efforts pour limiter l’ampleur de tels groupements restent encore voués à l’échec108. Au total, ce groupe, hiérarchiquement organisé autour du criminel, est un vivier dans lequel celui-ci peut puiser car ses membres sont astreints à un certain nombre de devoirs tacitement respectés109. Son énumération recouvre les degrés de parenté où il est interdit à son bénéficiaire d’épouser. Le crime met à nu les lois de l’exogamie qui fondent la société.

AMOUR NATUREL ET AMIS CHARNELS 63

Les relations de parenté comportent un certain nombre de devoirs. Ceux-ci sont parfaitement connus, aussi bien des populations concernées que de la Chancellerie. L’assistance en cas d’attaque est l’un de ces devoirs : le crime, en particulier l’homicide, en découle. Il suffit de faire intervenir deux notions pour justifier l’entrée d’un parent dans le crime : « ami charnel » et « amour naturel »110. Ces deux notions semblent donc avoir valeur juridique. Essayons de saisir ce qu’elles doivent à leur reconnaissance par le pouvoir, mais aussi comment elles recoupent le sang et le lignage.

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Qui sont ces « amis charnels » ? L’étude du vocabulaire, comme l’a bien montré J.M. Turlan, est d’un enseignement assez limité111. Il semble qu’il s’agisse plutôt de la parenté par le sang à laquelle s’ajoute l’alliance limitée au conjoint. Les exemples empruntés au règne de Charles VI montrent qu’il n’y a pas sur ce point d’évolution. Le vocabulaire ne se différencie pas de celui qui est utilisé sous le règne de Charles V, quand la Chancellerie reçoit « Tumble supplicacion du pere, de la femme, et autres amis chamelz de Jehanin Le Gastellier le jeune », tandis qu’elle évoque, pour un autre suppliant, la paix qui a suivi le crime : « et ait obtenu sur ce ledit Pierre, exposant, dudit Nicaise de son vivant, de sa femme, freres et autres amis charnels, bonne paix et concorde de leur bonne voulenté »112. Sous le règne de Charles VI, au Parlement, on énumère les amis charnels, père, mère, soeur, frère, puis les consorts ; ainsi à Tournai, ils se trouvent nettement distingués des alliés : « consanguinei germani et alii amici carnales et affines, hac parte complices »113. En revanche, au milieu du XVe siècle, le nombre de requérants agissant seuls augmente, et l’expression « ami charnel » quand elle est employée, se trouve plutôt juxtaposée à celle de « parens ». Cette évolution s’accentue encore sous le règne de Louis XI114. L’explication est politique. Le pouvoir tend à réduire le nombre des amis charnels en les confondant avec la parenté.

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Dans l’énumération, les proches sont inclus dans un groupe plus vaste, celui des amis charnels comme l’indique l’expression « et autres ». Remarquons que, dans le premier exemple, le père passe avant la femme, mais l’un et l’autre font partie des amis charnels, ce qui ne limite sans doute pas ce groupe à une parenté au troisième ou quatrième degré comme le pense J.M. Turlan115. Il s’agit là d’une institution qui connaît en son sein un ordre hiérarchique en fonction des degrés de parenté. Dans la sénéchaussée de Ponthieu, deux groupes se battent ; une femme s’interpose en évoquant « la parenté prochaine de ses amis charnelz »116.

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Les amis charnels se présentent donc bien comme un groupe hiérarchiquement organisé ; à sa tête peut se trouver le chef de la parenté. En 1385, lors d’une rixe à Douai, Jacques Pourcelet mène la bagarre comme « chief de ses proismes et amis charnels »117.

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Ce chef est suivi par les proches qui, en terme de patrimoine, sont ses héritiers. Pierre Du Sober a pour intercesseurs sa femme, ses enfants, « hoirs et amis chamelz de feu Pierre du Solier »118. Le terme « charnel » semble donc donner priorité à la filiation sur l’alliance et c’est sans doute ce qui le distingue du simple terme « ami ». Pour bien marquer la nuance et préciser le mot « cousin » dont on sait la bivalence, un suppliant parle de « charnel ami et cousin »119.

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Néanmoins, il n’est pas sûr que la réalité des relations d’alliance n’empiète pas sur la rigueur des liens du sang. Nous voici en 1385 dans une taverne du comté de Nevers ; Perrin, le tavernier, refuse de servir du vin au suppliant déjà saoul qui, par manière de riposte, lui assène un coup « en la presence de pluseurs personnes hommes et femmes amis chamelz dudit Perrin et si comme ledit suppliant voult prendre sadicte jument pour monter et s’en partir dudit hostel les dis amis, hommes et femmes, se assemblerent environ lui, lesdictes femmes garnies de pierres dont il fu attainz et feruz et lesdiz hommes fuyanz au devant de lui, gardant l’issue dudit hostel qu’il ne partist, faisant semblant de lui courir sus »120.

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Il est peu probable que ces témoins et défenseurs soient tous de son sang. La répartition en couples suggère plutôt la fusion du sang et de l’alliance, ce que confirmerait le vocabulaire flottant qui fait passer d’« amis charnels » à « amis ». On peut alors penser que le mot « ami » charge d’une valeur affective la parenté par le sang et par l’alliance, qu’il existe au sein de cette parenté un groupe choisi, non seulement en fonction de la proximité de lignage mais en fonction du choix délibéré des sentiments. Le lien entre « ami » et « ami charnel » est trop rarement mentionné dans les textes de la pratique judiciaire pour que nous puissions trancher sur ce point121. Malheureusement, les textes où le rôle des amis charnels est saisi à chaud sont rares. Il faut donc bien s’en tenir aux hypothèses : elles tendent à montrer que les amis charnels reflètent plutôt le contenu du sang et du lignage dont nous avons déjà vu la complexité. Ils en sont l’expression officielle lors des fonctions quasi institutionnelles qu’ils assument.

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La première fonction des amis charnels qui découle de l’étude des archives judiciaires, en particulier des lettres de rémission, est de servir d’intermédiaire entre l’individu et le pouvoir. Leur présence comme intercesseurs est mentionnée dans 30 % des lettres ; ils sont parfois accompagnés des parents (tableau 36). La Chancellerie reconnaît d’ailleurs ce rôle en reprenant en compte leur requête pour l’octroi final de la grâce dans 17 % des cas. Cette précision qu’apporte alors la Chancellerie correspond-elle à une requête où l’intervention des amis charnels a été particulièrement insistante ou remarquée ? Il est difficile de le savoir. Il s’avère plutôt que l’intervention des amis charnels ne réussit pas à infléchir réellement le cours de la justice. Elle fait partie du processus normal du recours en grâce qui procède de la requête, en priorité quand il s’agit de l’homicide122. D’ailleurs, le rôle des amis charnels auprès du pouvoir ne se limite pas à ce recours en grâce. Il s’étend à toutes les procédures judiciaires. Lorsque, sous le règne de Louis XI, Richard Lequer se trouve emprisonné, ses amis charnels font appel de cette prise et de cet emprisonnement123. Pour les mêmes raisons, ils peuvent faire appel de jugements rendus et porter l’affaire devant le bailli ou le Parlement. En 1385, une banale affaire de rixe éclate à Saint-Amand-Les-Eaux. Le garde de la justice

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des religieux décide d’emprisonner les coupables qui s’échappent. Suivant la coutume, il décide alors de porter plainte devant les échevins qui retiennent la légitime défense et libèrent l’accusé. Néanmoins, à « l’instigacion et pourchaz des proismes et amis chamelz » de la victime, l’affaire rebondit et plainte est portée devant le bailli de Vermandois124. Le groupe est bien reconnu par la justice comme une véritable institution pouvant intenter une action en justice au nom d’un de ses membres. L’individu accusé peut être sauvé, au moins fictivement, par l’intervention de sa parenté. Ce point est essentiel pour comprendre comment le pouvoir justicier du roi a pu s’imposer. Aux XIVe et XV e siècles, la Chancellerie et le Parlement sont encore obligés de tenir compte des pressions de la parenté, au moins formellement 125. Tableau 36 : Nature des intercesseurs

Intercesseurs

Fréquence (en %)

De la partie de

37,5

Amis

4,0

Amis charnels

46,5

Parents

0,5

Amis et parents

0,5

Amis charnels et parents

9,5

Autres

1.5 100

La répartition des intercesseurs respecte le vocabulaire employé par la lettre de rémission. 71

Les amis charnels sont aussi les intermédiaires obligés entre le coupable et la parenté de la victime. Lorsque, à la suite d’un délit, deux groupes familiaux décident de procéder à un arrangement entre eux, ce sont les parents et amis charnels de chacune des parties qui décident du dédommagement éventuel. Michel Garnier, après avoir tué Antoine Maugna, déclare avoir « depuis satisfait aux parens et amis charnels du deffunct »126. Un autre, au contraire, s’enfuit par crainte de la justice et des exigences des amis charnels du défunt qui sont nombreux et puissants au pays. L’accord entre les parties, en général financier, peut être assorti de peines liturgiques que les amis charnels sont eux-mêmes chargés de faire respecter. Ce sont en général des messes pour l’âme du défunt. Le non-respect de ces clauses peut d’ailleurs engendrer de nouveaux conflits, de la même façon que des lettres de rémission dites subreptices peuvent entraîner un appel au Parlement où interviennent les amis charnels 127. C’est peut-être une des raisons pour laquelle la Chancellerie préfère imposer elle-même des peines liturgiques en sus dont elle contrôle directement la réalisation.

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Défenseurs de la victime comme du coupable, les amis charnels sont là pour faciliter leur réinsertion dans la société. Ceux-ci conseillent à un homme d’armes parti depuis l’âge de onze ans de rester au pays et ils lui procurent un métier : « et lors ses amiz

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charnelz avoient pitié et compassion de lui induire a demourer au pais ou il a demoure paisiblement depuis, durant lequel temps ils le firent mestre et mistrent a maistre en la ville de Bourges en Berry pour apprendre a tanner »128. Ceux-là reprennent la jeune Aline, violée : peut-être est-ce la seule chance pour elle de ne pas tomber dans le cycle qui, inévitablement, fait glisser du viol à la prostitution 129. 73

Les amis charnels agissent donc devant la justice aussi bien qu’en cas d’injustice. Cette double fonction que fait ressortir le crime est évidemment privilégiée par le type de source étudié. Mais leur rôle officiel ne s’arrête pas là. Les amis charnels sont requis pour décider des fiançailles puis du mariage afin de donner leur conseil et leur consentement, qu’il s’agisse de ceux du jeune homme comme de ceux de la jeune fille. Ainsi Robin Levasseur s’est marié « avec une jeune fille du consentement de leurs parents et amis »130.

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Leur fonction est bien de régler l’alliance entre deux groupes, de contrôler le fonctionnement de l’échange et sans doute de veiller à ce que les prescriptions de l’Eglise en matière de consanguinité soient respectées. Dès lors, le contour des amis charnels prend forme. Incontestablement, ils recoupent le sang et le lignage sous la forme d’un ensemble hiérarchiquement organisé mais homogène qui est doté de fonctions sociales précises. Le rôle que joue ce groupe dans le mariage incite à penser qu’il se recrute à l’intérieur de la zone de parenté interdite à l’union. Au-delà commence l’exogamie. C’est dire que leur parenté s’étend au moins jusqu’au quatrième degré. De ce point de vue, leur action a dû être efficace, à en juger, comme nous l’avons vu, par la rareté des conflits relatifs aux mariages consanguins ou prohibés 131. Ils ont agi comme relais des prescriptions de l’Eglise. Le même rôle « officiel » en fait d’ailleurs les rouages obligés de l’administration royale. Loin d’être un contre-pouvoir de l’Eglise comme de l’Etat, ils en sont les interlocuteurs obligés.

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Cela ne veut pas dire que la royauté n’a pas cherché à briser la force que représentent leur cohésion et leurs exigences ; nous y reviendrons132. Mais elle cherche à réglementer leur action. Ainsi, les manuels de chancellerie reconnaissent explicitement l’intervention des amis charnels pour la demande en grâce au cas où le demandeur est prisonnier133. En fait, cette tentative de réglementation est restée à l’état de souhait. Moins de la moitié des suppliants emprisonnés sollicitent leur grâce par l’intermédiaire de leurs amis charnels ; les autres ne craignent pas d’intervenir en leur propre nom. En revanche, des suppliants bannis ou simplement « fuitifs » peuvent aussi requérir l’intermédiaire de leurs amis charnels pour obtenir la grâce 134. Ce cas particulier illustre bien comment la royauté a tenté de mettre la main sur une réalité vivante de la vie sociale jusqu’alors auto-régulée par les lois de la parenté. Elle n’y est pas encore totalement parvenue ; mais le développement de la cellule conjugale dont le roi, nous le verrons, favorise la promotion, aide sans doute à la désagrégation du groupe de parenté. A l’intervention des intercesseurs obligés pour demander la grâce se substitue celle de l’individu-sujet qui, dans plus d’un tiers des cas, supplie rigoureusement seul (tableau 36), quel que soit son crime. Cela n’implique pas pour ces individus une grande solitude dans la vie. L’intervention des intercesseurs semble indifférente au nombre de gens qui ont accompagné le coupable dans le crime. Environ 36 % de ceux qui ont agi dans le crime en compagnie de plusieurs participants n’ont pas d’intercesseurs, pour 34 % qui font intervenir leurs amis charnels. La sociabilité ne change donc rien à l’affaire. Simplement, le recours en grâce est un dialogue qui tend à se jouer seul à seul.

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Le roi est bien en train d’ordonner la fonction du groupe de parenté dont il est essentiel pour lui de contrôler la puissance. 76

La référence à l’« amour naturel » que peuvent évoquer les suppliants pour justifier leur intervention dans le crime relève d’un concept juridique proche de celui des « amis charnels ». Il est le lien qui doit, officiellement, unir la parenté. Ne soyons pas dupes des mots. Il n’y a pas plus culturel que ce naturel ! Le terme s’applique à la façon dont la société et le pouvoir se représentent les relations de parenté. Qui joue de l’expression « amour naturel » ? Incontestablement, elle est employée en priorité pour désigner les liens du sang. En effet, le qualificatif « naturel » s’applique aux rapports de filiation qui unissent les parents aux enfants, les frères, les oncles et les neveux, ou les cousins entre eux. Mais l’amour naturel peut aussi concerner l’alliance. Voici un « paratre » et un « fillatre » de la région d’Orléans qui vont à une noce avec des compagnons et, au retour, décident de se rendre à une veillée funéraire. Une altercation fait choir le « paratre » dans l’eau ; il est blessé. « Meu d’amour naturelle », son « fillatre » intervient et pour le sauver devient meurtrier135.

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Le même recours à « l’amour naturel » peut justifier l’intervention auprès de l’épouse. Ce suppliant est venu délivrer sa femme des mains des Anglais « meu de bonne et veritable amour naturelle envers sa femme »136. C’est dire que le lien entre époux est bien assimilé à une communauté de sang137.

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Comme dans le cas des amis charnels, le concept peut recouvrir une réalité plus large que celle de la filiation. Néanmoins, il désigne le plus fréquemment les liens du sang comme le montre son association avec les termes « chair », « charnalité » et « sang ». Ce suppliant qui défend ses cousins, « meu de charnalité », agit par « amour naturelle », « pour sauver a son povoir et en moderer defense sa char et son sang » 138.

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En règle générale, il suffit d’évoquer cet amour naturel pour bénéficier d’une circonstance atténuante du crime. Dans tous les cas où il mentionne l’amour naturel, le coupable est uni à l’un des participants au crime par un lien de parenté. Mais le concept n’est pas seulement une circonstance atténuante ; c’est un devoir de la parenté. En 1410, dans le bailliage d’Amiens, deux laboureurs s’insultent et les coups suivent. Le fils du suppliant intervient « meu d’amour naturelle, ala a son dit pere pour lui aidier et secourir comme tenuz y estoit »139. Au même moment, dans le bailliage de Caux, le fils bâtard d’un prêtre est tenu aux mêmes devoirs d’assistance 140.

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Les membres de la parenté, du sang et du lignage, ont donc en partage l’amour naturel qui leur sert de justification vis-à-vis de la royauté. Galhart se décrit « lignagier et parent » de celui avec qui il partage la demeure. Il le secourt dans la rixe et termine sa requête par ces mots : « et ce qu’il fit, il le fit pour l’amour naturel qu’il avoit au dit Faulnauls » ; quant à celui-ci, entré dans le crime pour défendre son cousin au pays de Hainaut, il agit aussi « meu d’amour naturele et afin de lignage ou autrement » 141.

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Les suppliants associent ordinairement cet amour naturel au courroux qui les anime, dont nous avons vu la fréquence et la portée psychologique142. La colère devient ainsi une juste colère. Inversement, un membre extérieur à la parenté n’a pas le droit d’invoquer l’amour naturel et, par conséquent, il est en faute s’il intervient dans le crime. Cette future victime — car le tort est, bien sûr, du côté de la victime — ose écouter à l’huis avant de participer à l’altercation « combien qu’il ne fust riens de sang ne de lignage au dit Brisse »143.

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L’amour naturel obéit à une loi dont le contenu est intangible et dont l’exercice s’impose en droit aux individus et au pouvoir. Les relations de parenté et les devoirs afférents font bien partie des premiers principes du droit naturel que Gratien confond avec la loi divine et que saint Thomas après Hostiensis, mais surtout après Cicéron, définit comme fondement de la raison cherchant à conserver et à perpétuer l’espèce 144. Les manifestations extérieures, qu’elles soient coutumières ou légales, n’ont finalement que peu d’importance vis-à-vis de ce contenu parfaitement objectif. Quel rapport existe-t-il chez les théoriciens entre la nécessité de cet amour naturel et l’homicide ? Au moment même où sévit la guerre civile, Christine de Pizan est capable de réclamer le retour à la paix sans pour autant condamner la nécessité de la vengeance entre parents. Mais cette vengeance a des limites que marque la mort de l’adversaire. Dans Le Livre du corps de policie, écrit en 1407 avant le meurtre de la rue Barbette, elle cite comme exemplum emprunté à Valère-Maxime le cas de ce fils qui par « naturele amour » ne put « souffrir le tourment qu’on faisoit subir a son pere ». Muni d’un couteau, seul avec l’adversaire de son père, l’enfant fait tous les gestes de l’homicide mais s’arrête avant d’accomplir l’acte définitif : « et lui dist qu’il l’occiroit incontinent s’il ne lui promectoit qu’il lairoit son pere en paix, et lui amenderoit les domaiges que par lui il avoit receuz. Et a brief parler tant l’espoenta que ainsi le promist ainsi le tint » 145 . La parole a relayé l’acte criminel et elle a réussi. Jean Gerson est encore plus clair. Dans le Discours au roi pour la réconciliation qui date sans doute de novembre 1408, donc postérieur à l’assassinat de Louis d’Orléans, il cite, comme nous l’avons vu, l’exemple du roi David et de son fils Absalon. Il est fait état du stratagème inventé par Joab pour que David puisse pardonner à Absalon coupable de la mort de son frère. Voici le roi face à la femme venue de la ville de Thecua ; celle-ci prétend que l’un de ses fils a tué son autre fils et elle se plaint de ce que le « lignage » réclame la mort du coupable, lui enlevant par là-même tout héritier. Le roi lui promet d’arracher son fils vivant aux lois du lignage et elle lui dit : « soit recors le roy de Dieu son seigneur, et que les prouchains du sanc et du lignage ne se multiplient point a venger, et qui pour riens ne tuent mon filz » 146 .

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On voit qu’il y a encore loin de la théorie à la pratique. Outre les problèmes relatifs à la guerre civile, la vie politique peut aussi savoir s’appuyer sur les devoirs du lignage quand il en est besoin. Lorsqu’en mars 1418, il y a délibération au Parlement à propos de l’élection du Pape, la discussion évoque les rapports étroits que le roi de France entretient avec le roi des Romains, « duquel le roy est si prouchain de lignage, comme filz de son propre cousin germain ». La parenté entre cousins n’est cependant pas encore suffisante pour condamner son entrée dans le camp des Anglais. Le désir de vengeance que le fils devrait nourrir couronne l’argumentation, comme le lien père-fils couronne la parenté : « en outre les Angloiz aient tué et mauvaisement fait morir lediz aïeul dudit roy des Romains par quoy il devrait plus haïr lesdiz Anglois que aucune autre nacion »147.

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Dans le temps qui nous concerne, la paix entre les hommes ne l’a pas emporté sur les lois de l’amour naturel. Le modèle imposé vient moins de la cour du roi de France où se déchaînent les passions plus ou moins justifiées, que des théoriciens. Leur voix est encore loin d’être entendue et, dans la pratique, les autorités judiciaires, Parlement et Chancellerie, se sont plutôt pliées aux exigences de l’amour naturel en veillant seulement à ce que les liens de parenté ne soient évoqués qu’à bon escient. Ce que nous avons vu des amis charnels et de l’amour naturel montre bien qu’il existe une version

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parfaitement officielle du contenu de la parenté et de son rôle dans la société. La justice ne s’est pas développée contre les liens du sang. Au contraire, elle leur permet d’être « institués », d’être, pour reprendre une expression de P. Legendre, « juridiquement travaillés »148. Alors l’individu, disant haut et fort les lois de la filiation, devient un sujet idéal, celui qui est capable d’appliquer ce que préconise le Digeste : « Tout comme l’obligation que comporte le lien à Dieu : nous devons obéir aux parents et à la patrie » 149.

AMOUR PATERNEL, AMOUR FILIAL 85

A exprimer la filiation en termes de devoirs, on pourrait ne retenir que l’automatisme des rapports familiaux et conclure que ces rustres n’ont rien connu de l’amour qui justement colore et gauchit les données objectives de la parenté. L’histoire de l’affectivité médiévale est encore à ses balbutiements. La mode et les travaux des modernistes, comme des sociologues, n’ont pas réussi à effacer l’idée si souvent développée que l’amour « familial », et en particulier l’amour pour l’enfant est une création de l’époque moderne150. Les médiévistes eux-mêmes restent encore très partagés sur l’existence d’un sentiment maternel, et à plus forte raison paternel. Passe encore pour l’aîné des enfants, mais les autres ? Et les filles ? Les liens qui tissent la filiation seraient en priorité d’ordre économique et juridique, question d’héritage, de perpétuation des rites, de soutien dans l’adversité.

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L’étude des sources judiciaires permet de nuancer ce point de vue. D’eux-mêmes, les suppliants disent et ne craignent pas de dire la force des sentiments qu’ils portent aux leurs. Simple attitude ? C’est possible, mais elle en dit long sur ce qui doit être la norme, c’est-à-dire le sentiment d’amour qui doit unir les êtres. Ce suppliant, en une phrase lapidaire, définit parfaitement la part du devoir et de la réalité des sentiments qu’il éprouve pour sa mère « qu’il ayme et doit amer de bonne amour naturelle » 151. Le même échange peut d’ailleurs lier la mère au fils qui « esmeue en cuer » intervient pour le défendre152.

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Le qualificatif introduit le subjectif. Qu’est-ce que la « bonne amour naturelle » ? La qualité dépend des individus qui, mis en face de leur devoir, ne réagissent pas de la même façon. Louis Fraigneau avait deux enfants : l’un fut un modèle, l’autre un fils indigne. Le premier est resté auprès de ses parents et, avec sa femme, tous deux les ont « servis et entretenus », le « plus doulcement qu’ilz ont peu ». L’autre a frappé et battu le père ; il a voulu lui prendre son bien et il a dû s’éloigner d’eux 153. A cette lettre de rémission pourrait répondre l’épisode du fils prodigue que Nicolas de Clamanges utilise largement pour montrer que, par les vertus de l’amour paternel, rien n’est perdu dans le royaume154.

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Il est certain que, dans la pratique, ce sentiment s’épaissit du respect des devoirs rituels. Le fils est là pour subvenir aux besoins de ses parents comme ceux-ci l’ont fait pendant sa minorité. Ensuite, quand vient le moment de la mort, le fils doit respecter le rituel qui se prolonge dans la prière et dans les messes répétées. A la lumière de ces obligations, on mesure mieux les effets bouleversants de la peste de 1348, dont J. Chiffoleau, dans le Comtat Venaissin, citant Guy de Chauliac, décrit les effets de rupture : « le pere ne visitoit pas son fils, ni le fils son pere » 155. Et on comprend alors que celui qui en temps normal ne respecte pas le rite, ait basculé dans la folie 156. Mais le respect du rituel n’exclut pas l’amour. Un suppliant, récidiviste et condamné au

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bannissement, n’hésite pas à retourner à Chalon-sur-Saône pour voir son père à l’article de la mort avant de se perdre dans ce qu’il espère être l’anonymat parisien ; mais au terme du voyage, il est repris157. 89

Ni le devoir ni même le désir de mesurer sa force ne peuvent expliquer à eux seuls la complicité qui fait entrer la parenté dans le crime. Lorsque Robin Le Normand, coupable d’avoir tué Jean Maleval, vient confier son crime à ses parents avant de prendre la fuite, la réaction de son père et de sa mère ne se fait pas attendre : « lesquels pere et mere pour l’amour charnele qu’ils avoient a leurdit filz, doubtant que jamais ils ne le reveissent, pour savoir la verité alerent tantost en lieu et place et sitost qu’ils virent ledit Maleval trespassé, cuidans obvier a l’encombrement et empeschement dudit Robin leur fils, a l’ayde dudit Robin prindrent le corps dudit defunct, le mirent en une civiere de bois, le porterent a la riviere, lui lierent une pierre au col ou sur la forcelle et une autre aux jambes et le porterent en ladicte riviere pour estaindre dudit faict »158.

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Une autre fois, ce sont les larmes qui expriment la force de l’amour. Elles jaillissent à la vue de l’enfant mort. Elles rassemblent les frères au chevet l’un de l’autre. Deux frères des pays de Loire vont boire ensemble ; une dispute suit sur le chemin du retour et l’un donne un coup mortel à l’autre. Le voici à son chevet, « moult dolent et courroucié de ce qu’il avoit ainsi frappé et blecié, auquel en plorant dist “mon frere je vous requier pardon”. Lequel Gervaise print pareillement a plourer audiz lit et lui respondi telles paroles : “Mon frere je le vous pardonne et vous prie que priez Dieu pour moy et aidiez a ma femme et enfans a vivre et aussi me pardonnez”. Et apres ce parti d’ilec le dit Jehan Cheuse en plorant tellement qu’il ne povoit parler bonnement » 159.

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Certes, le caractère dramatique de cette scène est à la mesure de l’horreur du fratricide : il faut émouvoir la Chancellerie. Mais les textes ne sont pas totalement pervertis. Les pleurs accompagnent effectivement la mort des siens : ils ne se sculptent pas seulement dans la pierre des tombeaux. Les larmes font partie des derniers dons que les vivants rendent au défunt. Seuls les lecteurs savants des écrits antiques tentent au même moment d’y mettre un frein. Dans la conclusion du Songe du vergier, un des conseils donné au roi pour acquérir la sagesse est, justement, en cas de deuil, de mesurer ses larmes : « Et, pour tant, il n’a mie grant prudence en soy qui trop excessivement plaint son amy lequel va de vie a trespassement, ja soit ce que ce soit chose tres piteable et naturelle que de plaindre et de faire duel de la mort de ses amis charneux, dont nous en avons plusieurs exemples en l’Encien Testament (...). Ce n’est pas, donques, marveille se aucun pleure de la mort de son amy charnel, car nul ne doit estre du numbre de ceulx dezquels Diex si dist, par le Prophete : “Percussi eos et non doluerunt” (...). Mez, certes, ce n’est mie grant prudence de faire si grant duel que il en soit depiz au corps ou a l’ame. Et en tant que un homme a plus grant gouvernement et que ce seroit plus grant domage de luy se il en estoit depiz, il s’en doit plus garder » 160.

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Si l’expression de la douleur doit être modérée, n’est-ce pas parce qu’elle est encline aux excès ? L’enflure du deuil en ces derniers siècles du Moyen Age, son ostentation flamboyante sont implicitement condamnées dans ce texte. Mais les excès n’expliquent pas tout. A moins de croire que les larmes ne disent rien des sentiments, il faut bien se rendre à la vérité : ces gens du Moyen Age ont aussi, comme le dit par ailleurs l’auteur du Songe, « le coeur tendre ». Dans le feu de l’action du crime, cette ardeur des sentiments s’exprime, comme nous l’avons vu, par la vivacité du geste sauveur, par ce courroux auquel l’amour naturel est si souvent associé. Un père voit son fils blessé ; sa

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réaction est immédiate : « Et pour ce ledit Robert, meu d’amour naturele (...) par chaleur et courroux de son dit filz qu’il veoit ainsi appareillié, dist a son dit fils et aux autres : “tues tout” »161. L’automatisme des réactions se doit d’exister, mais tout porte à croire qu’il est une contrainte passionnément consentie. 93

D’ailleurs, la vigueur des sentiments n’est pas anarchique. Elle sait distinguer le sang de l’alliance. Fils et fille, gendre et belle-fille ou bru ne sont pas des mots interchangeables. On parle aussi de « mari de » et « femme de » qui désignent nettement le rapport d’alliance et par conséquent la différence avec le sang. Les sentiments s’en ressentent. Des beaux-parents attaqués crient à leurs agresseurs de s’en prendre plutôt à la femme de leur fils : ne vaut-il pas mieux détourner sur cette étrangère introduite par alliance dans la maison la vindicte des jeunes gens ? Cela ne veut pas dire que ces enfants par alliance n’aient pas des devoirs à remplir envers leurs beaux-parents. Lors d’une dispute entre un beau-père et son gendre, la femme de celuici se place dans une situation d’arbitrage et dit : « c’est grande honte d’escrier ensemble. Si vous diz vilennie l’un a l’autre, il vous tournera a deshonneur a tous deux »162.

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Ailleurs, c’est un gendre qui, trouvant son beau-père en son hôtel, l’accuse de préférer le boire et le manger au travail. Le ton monte ; le gendre meurt d’un coup de couteau. Le beau-père obtient rémission car son gendre « lui devoit porter honneur et reverence et le supporter legierement »163. Ce sont là motifs de raison. En matière de sentiment, la voix du sang prime. En son sein s’établit d’ailleurs une hiérarchie qui conforte celle de la filiation. Au sommet se trouve le lien du premier degré, celui qui unit les parents aux enfants. L’amour naturel se mue alors en amour paternel. Raoulet Mas, suppliant du bailliage d’Amiens, voit son père arriver chez lui la tête ensanglantée. Aussitôt, il réagit en s’armant d’un « plancton », « meu d’amour naturelle, doubtant que par la grant effusion de sang qu’il veoit, son dit pere ne feust moult durement navrez » 164. Et, au moment de demander la grâce, il avoue avoir agi « meu d’amour paternelle ». Les deux expressions sont bien interchangeables.

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La condition sociale des suppliants n’influence pas cette amorce d’une prise de conscience lignagère que soutient le sentiment. Dans le cas précédent, le crime touche une famille de laboureurs ; dans celui-ci, celle d’un seigneur et écuyer dont le fils accourt, « meu d’affeccion naturelle et paternelle »165. Remarquons que cette expression désigne en fait ce que nous appelons l’amour filial. Le vocabulaire insiste sur le bénéficiaire du sentiment plus que sur celui qui l’éprouve. Les mots renvoient aux éléments tangibles de la relation, à moins qu’ils n’insistent sur le poids du père, de celui qui est considéré comme supérieur et sans doute chef de famille. Est-ce la preuve que la hiérarchie des sentiments est à sens unique ?

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S’il n’existe pas de mot pour désigner le lien qui unit le père au fils, la réalité est parfaitement exprimée par des expressions très fortes, même si elles ne sont pas spécifiques. Jean Richart, du bailliage de Vitry, se trouve pris dans une rixe où son fils est blessé. Aussitôt, il s’empare d’un grand bâton contre l’assaillant « doubtant qu’il ne navra villenement son dit filz »166. La réaction du père ne diffère pas de celle d’un fils dont Raoulet a pu nous donner l’exemple. Et pour justifier sa participation à l’homicide final, Jean Richart argue du sentiment qui le liait à son enfant et qu’il définit comme « la plus grant amour qui pust cheoir en creature humaine ». On ne peut pas donner de meilleure définition de l’amour paternel et de sa place dans la hiérarchie des

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sentiments. Quant à ce père du bailliage de Vermandois, parti en exil avec son fils banni pour meurtre, il n’hésite pas à avouer qu’il a agi « pour l’amour de son dit filz » 167. 97

On ne peut même pas dire que le sentiment se limite aux fils. Pierre Cantheleu part après dîner dans les champs pour se distraire car il est « esmeu » à cause d’une fille à lui, « gisant malade » ; quant à Jehannet Potier, il intervient auprès du père d’un garçon qui a dérobé un jouet à sa fille, laquelle pleure à chaudes larmes 168. La relation parentsenfants ne se nourrit pas seulement du devoir à accomplir. Elle s’enrichit de la chaleur de sentiments dont la valeur est parfaitement perçue. Ainsi se tisse, au premier degré de la parenté, un cocon protecteur épais et efficace.

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Néanmoins, le raisonnement achoppe sur deux points : on peut s’étonner du faible nombre des parents intervenant pour secourir leurs enfants attaqués, comme du recours à l’infanticide. En nombre (tableau 34), la relation parents-enfants tient une place plus faible dans la solidarité criminelle que celle qu’occupe le réseau général de la parenté dont les degrés sont cependant plus éloignés, et à plus forte raison celle des amis et compagnons. L’éloignement de l’habitation n’est guère plausible ; une éventuelle différence d’intervention selon les types de crime ne peut pas non plus être retenue puisque nous avons vu que la parenté, à quelque degré qu’elle soit, intervenait surtout en cas d’attaque de l’individu. Si la relation parents-enfants joue à plein dans 80 % des cas d’homicides auxquels s’ajoutent 10 % de rupture d’asseurement, cela montre, tout simplement, que les automatismes d’entraide de la filiation sont les plus puissants parmi les rapports de parenté. Dans ces conditions, l’absence relative des parents comme des enfants dans le crime, n’est pas une défaillance de leurs solidarités. Elle révèle la disparition de ceux qui devraient être les premiers appuis. Les coupables, déjà adultes, ne peuvent plus compter sur le soutien paternel et réciproquement. Ce que nous avons déjà vu du profil du criminel, qui est loin d’être toujours un jeune homme, conforte cette hypothèse169. La solidarité parents-enfants ne peut être efficace que pendant le laps de temps très court qui sépare le temps possible du crime de la mort des parents. Et on mesure au rythme de cette disparition rapide des générations, combien le sentiment paternel ou maternel se doit d’être un sentiment pour l’enfant sous peine de ne jamais avoir le temps d’éclore.

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Dans ces conditions, l’infanticide pourrait apparaître comme un crime particulièrement significatif de l’absence de sentiment maternel ou paternel. Quelle est son importance ? On ne peut que remarquer la rareté de ce type de crime. En effet, les infanticides constituent moins de 0,5 % des crimes graciés ; en ajoutant les avortements, on n’atteint pas 1 % de la criminalité que permettent de repérer les lettres de rémission (tableau 8, chapitre 6). Si cette rareté est liée à un jugement de valeur défavorable des autorités, cela prouve que le crime est difficilement accepté et rarement gracié. Par conséquent, il est loin d’être considéré comme anodin. Nous reviendrons sur cette place de l’infanticide dans la hiérarchie des crimes graciés 170. Contentons-nous de remarquer que son accomplissement relève moins de la haine que du désespoir.

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Ces femmes qui tuent leur enfant à la naissance ne manifestent que leur impuissance à ne pouvoir l’élever. Comme l’a bien montré Y.B. Brissaud, ce sont souvent de jeunes femmes, la plupart déshonorées et réduites à la misère 171. Dans plus de 65 % des cas elles sont qualifiées de « pauvres filles » et elles ont moins de trente ans. Marion Drugon, orpheline de père, donc fragile, a cédé aux avances d’un homme du pays. Le fait qui ne peut passer inaperçu se termine par un enterrement clandestin au fond du jardin. La décision finale tient bien du désespoir. La même détresse anime Marie Ribon,

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elle aussi orpheline de père et placée à Chinon comme servante, que nous avons vue engrossée par le valet de la maison qui avait promis de l’épouser. Après avoir placé sa fille en nourrice, elle retourne la chercher car son amant refuse de lui rendre l’argent de ses économies avec lequel elle comptait payer la nourrice. La voici dans les faubourgs de Chinon, le soir, tard : « et illec estant seule, tenant sad. fille entre ses bras entra en melancolie de ce qu’elle n’avoit de quoy la nourrir et de la tromperie et deception que lui avoit faict led. Desprez et fut tellement temptee de l’ennemy qu’elle print sad. fille et la desveloppa des drappeaulx ou elle estoit et la mist au cours de la riviere de Vienne dont elle estoit pres en laquelle lad. fille fust noyee morte et estainte »172. 101

L’infanticide peut aussi être le fait de situations amoureuses illégitimes. La femme mariée peut être accusée d’avoir fait disparaître l’enfant qu’elle aurait eu de son mari avant mariage. C’est dire que la communauté qui a pu la dénoncer ne badine pas avec ce genre d’aventure. D’ailleurs, si la moitié de ces femmes coupables d’infanticide sont mariées, c’est que cet enfant a pu être le fruit d’amours illégitimes qu’il faut cacher à l’entourage, en particulier au mari. Mais ce semble bien être le geste du dernier recours plutôt que celui du premier mouvement. L’infanticide est, en règle générale, associé à la « mélancolie », c’est-à-dire à la forme médiévale de la dépression.

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Pour toutes ces raisons, l’infanticide est loin d’être une mesure contraceptive facilement utilisée, étant donné qu’il est difficilement accepté. Un texte de Jean Gerson, repéré par G. Ouy et inédit, permet de mesurer l’évolution des moeurs à ce sujet 173. A propos de la pénitence publique qu’il dénonce pour sa cruauté, Jean Gerson évoque le cas des mères infanticides qui craignent d’y être condamnées, soit qu’il y ait eu avortement, soit qu’il y ait eu mort de l’enfant après sa naissance. Dans le premier cas, le moraliste dénonce le port de vêtements trop serrés ; dans le second cas, il évoque l’étouffement qu’il juge involontaire d’enfants couchés dans le lit conjugal, les accidents infantiles par le feu ou par l’eau, le danger des animaux, et il termine en donnant des conseils de prudence aux éducateurs, parents et nourrices. Cette attitude suggère deux réflexions. La première concerne la peine infamante qui, à la fin du XIV e siècle, était encore réservée aux criminels coupables d’infanticide, peine d’autant plus grave que la pénitence publique est devenue rare174. Ce père qui a blessé par mégarde son enfant au berceau, s’y soumet spontanément puisque, après avoir commencé par « plourer tres amerement en disant que le diable l’avoit bien deceu », il « s’en ala tout nu en pelerinage a une eglise appellee Notre-Dame de Houdeville ou il a environ lieu et demi dudiz lieu de Germonval et y fist ses offrandes le plus devotement qu’il pot » 175.

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La rigueur de cette punition « automatique » peut expliquer le faible nombre d’infanticides repérés dans les sources judiciaires, et en particulier dans les lettres de rémission. L’infanticide est bien un crime horrible. Mais il est en train d’évoluer en tenant compte des intentions. Les conseils que donne Jean Gerson montrent qu’il convient de distinguer infanticide et accident. A aucun moment le moraliste ne considère la mort de l’enfant comme un moyen contraceptif. Or il ne se prive pas, par ailleurs, de dénoncer les moyens qu’il juge illicites176. Ne transposons pas les fantasmes qui sont les nôtres. La société médiévale n’est pas la société chinoise et, pour comprendre le poids de l’infanticide, il faudra, en dernière analyse, s’interroger sur la place que le meurtre de l’enfant occupe dans la hiérarchie des crimes 177.

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L’évolution du crime au XVIe siècle confirme l’analyse. L’infanticide apparaît alors massivement dans les archives du Parlement criminel178. C’est moins le signe de sa

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recrudescence que de sa banalisation. N’est-ce pas justement la suite logique d’une évolution que le discours de Jean Gerson amorce ? L’évolution de la pénitence assortie de la réflexion sur la nature du crime est en cause plus que l’évolution quantitative de l’infanticide. Parce qu’il a droit désormais à la pénitence individuelle, ce crime entre au Parlement. Il convient à la justice du roi comme au prêtre en confession décidant de la pénitence, de délibérer des différences entre l’accident et l’infanticide, de peser les responsabilités, de désigner les coupables. A l’automatisme de la sanction a succédé l’arbitraire de la peine. 105

En fait, le premier geste des criminels semble plutôt d’élever l’enfant, de le nourrir et de l’éduquer, et cela au moins dès le XIVe siècle. Marie Ribon avait commencé par conduire son enfant en nourrice : le bébé était pourtant une fille qui aurait pu a priori être considérée comme inférieure. Cette autre mère coupable d’infanticide paie déjà la nourrice pour un premier enfant bâtard. Nourrir l’enfant n’est pas chose évidente et nous avons déjà vu que la pauvreté peut, dans ce cas, conduire jusqu’au vol 179. Que le lait de la mère se tarisse et le drame éclate. Cet homme à Auxerre entre dans l’engrenage du vol parce que « par necessité de maladie et de poureté sa ditte femme ne povoit ou n’avoit de quoy elle peust nourrir un petit enfant qu’ilz avoient lors mais leur convenoit bailler a nourrice et qu’il n’avoit de quoy paier sa nourrice » 180.

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On le voit, les affaires de nourrices sont loin d’être encore exclusivement des affaires de femmes. L’homme se préoccupe de « faire nourrir » l’enfant si la femme est défaillante. Nous voici sur le pont Notre-Dame, en 1424, chez cet orfèvre parisien, Jean Lambert. Sa jeune femme vient d’avoir son troisième enfant et elle entreprend de le nourrir comme elle l’a fait pour les deux autres, mais cette fois-ci sans y réussir. Alors, son mari, « voyant qu’elle ne pouvoit nourrir leurdit enfant et qu’il etait alors en petit etat », décide de le mettre en nourrice à Crosne181. Quelques temps après, il envoie un de ses apprentis prendre des nouvelles de l’enfant. Elles sont mauvaises : le père demande de le ramener à la maison avec la nourrice. Il supplée alors totalement la mère qui pour avoir tenté plusieurs fois de se suicider donne des signes évidents de dépression. Et, voyant son enfant « en si pauvre point et langueur que c’estoit piteuse chose a voir », il s’occupe de faire porter l’enfant, lui présent, en pèlerinage à Saint-Germain-des-Prés où des offrandes sont faites et où il demande de laisser une bande du maillot dans l’espoir de la guérison. Mais les efforts du père ont été vains : la vie de l’enfant se termine dans un puits, noyé par sa mère prise d’un accès de « ses fureurs et melancolies ». Le sentiment paternel n’a ici qu’une limite : celle de la maladie contre laquelle il ne peut rien. C’est elle qui détruit cette famille exemplaire dans un crescendo dramatique. Mais elle ne la détruit pas sans combats ; celui du père pour sauver son enfant, celui de la mère incapable de résister à la dérive, mais assez consciente pour dire : « Ah ! faux ennemi, tu m’as bien deceu ; j’etais en bonne voie dont tu m’as ostee et tiree a ta cordelle » ! Le diable, comme dans toutes les requêtes liées à l’infanticide, est encore de la partie.

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L’amour pour l’enfant ne se borne pas à lui assurer sa nourriture. On voit aussi apparaître d’autres soucis, dont ceux de son éducation. Ce père exemplaire sait prendre le temps de jouer avec ses enfants. Un autre critique le maître d’école qu’il accuse d’avoir tué ses enfants en les battant182. Certes, dans cette éducation, une large place est faite aux rites qui doivent être parfaitement respectés, en particulier en cas de mort de l’enfant. Jean Leconte, que nous avons vu excommunié pour dettes, souffre de ne pas pouvoir enterrer son fils en terre chrétienne. Il demande à l’official de Chartres de

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lever l’excommunication et, devant le refus des autorités, il choisit de s’enfuir 183. Les amis rassemblent finalement la somme nécessaire pour satisfaire les créanciers ; Jean Leconte demande alors rémission pour son errance, « veant que la cause principal pour laquelle il avoit esté ainsi miserablement tempté estoit finie, c’est a savoir son enfant mis en terre benoîte ». On peut certes penser que le sentiment de honte l’emporte ici sur celui qui lie le père à l’enfant. Il est aussi très difficile de faire la part de ce qui appartient au sentiment religieux184. Mais on peut poser ici la question qui a déjà été plusieurs fois suggérée : le respect du rituel est-il incompatible avec l’expression des sentiments ? 108

Il peut cependant arriver que l’amour paternel fasse éclater les lois que la société s’impose. Il peut arriver qu’un père aime son enfant, même anormal, jusqu’à en perdre la vie. Ni les amis, ni la société, ni la Chancellerie ne se reconnaissent dans ce père-là qui, nous l’avons vu, refuse malgré le conseil de ses amis, de faire mettre d’autres fers à son fils devenu fou et consent à le nourrir sans qu’il travaille. Et le fils, devenu parricide, se trouve gracié, « consideré son estat insensible et que ce estoit le vice du pere qui ne le vouloit souffrir lier ne estre mis en lieu seur » 185. Nous sommes là au sommet d’une abnégation si grande qu’elle en est devenue incompréhensible aux autres et par conséquent condamnable. Mais cette exception ne tranche pas sur le vide absolu des sentiments. Elle se démarque simplement de la norme. Il existe ailleurs, dans cette population ordinaire, une lutte quotidienne qui ne se mène plus seulement pour la vie mais qui étend son horizon aux dimensions de la cellule conjugale. Là, entre les besoins du père et de la mère prennent place ceux de l’enfant. Ce voleur d’Auxerre peut dire en conclusion de sa requête qu’il « a agi par pauvreté et desespoir pour soustenir la vie de lui, de sadicte femme et enfant »186.

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On attendait, à la rigueur, une relation privilégiée entre la mère et l’enfant. Elle se manifeste en portraits émus. Jean Gerson en a dressé le lien qui continue à se tisser jusqu’en la prison de Purgatoire : « Helas, mon doulx enfant, pourras tu refuser a ceste povre mere une goutte d’eaue, une seule larme qui tant luy puet proffiter et sa doleur alegier. J’ay soustenu tant de doleur et de meschief pour toy porter, enfanter, nourrir et avencier ; J’ay pour toy fait mains pleurs et mains gemissemens, tu les sces bien ; si je te prie et te requier que tu ne me failles mie a ce darrain besoing » 187. Mais on découvre aussi que l’amour du père pour son enfant n’est pas loin de s’exprimer dans les mêmes termes, au moins dès les XIVe et XVe siècles.

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La parenté qui structure la société médiévale des deux derniers siècles du Moyen Age s’avère donc complexe. Plusieurs systèmes cohabitent à des fins différentes. La filiation patrilinéaire est, dans la vie quotidienne, finalement peu efficace, y compris sans doute chez les nobles. Mais la rareté des conflits d’héritage ne permet pas d’en cerner toute la portée. La filiation bilinéaire est quasiment la seule évoquée 188. Elle constitue autour de l’individu un groupe de relations privilégiées au sein duquel se détache le noyau du sang. Jean Gerson l’appelle le « lignage charnel »189. Mais ce sont les solidarités de la parentèle qui priment. Cette concomitance des structures de parenté n’est pas réellement surprenante. Le système de filiation patrilinéaire peut se montrer extrêmement flexible et donner, en fonction des besoins et des circonstances, une grande importance aux cognats. En particulier, il n’interdit pas, en cas d’attaque, une cristallisation du groupe autour de l’individu. Mais il se peut aussi que la parenté connaisse déjà une nette mutation vers le système eskimo que nous connaissons de nos jours et où se réalise une parfaite symétrie des relations parentales. Le rapport familial

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s’épluche alors, pour reprendre l’expression de R. Fox, comme « l’oignon à multiples pelures »190. La force de la cellule conjugale dont les deux membres fondateurs sont nommés également, oblige à ne pas négliger cette hypothèse. Dans ce cas, la hiérarchie des sentiments risque de commencer à peser aussi fort que celle des relations de parenté.

NOTES 1. M. BLOCH, La société féodale, p. 199. 2. En particulier les exemples analysés dans M. AUGÉ, Les domaines de la parenté..., p. 12-27. 3. Y 5220, fol. 186, avril 1396. Le mot « famille » a un sens identique chez E. de MONSTRELET, Chronique, t. 1, p. 111. 4. Dans un procès qui a lieu en 1388 suite à l’incendie de sa maison, Jean de Folleville, pour désigner le responsable, distingue nettement son neveu de ses familiers, X 1A 1474, fol. 93, mai 1388, PARIS. Le cas est assez intéressant pour que Jean Le Coq en retienne le commentaire qui pose le problème de responsabilité du maître de maison, M. BOULET, Questiones..., n. 128. Le mot est donc ambigu. Sur ce vocabulaire qui unit la « famille » à la société contractuelle, exemple dans L. DOUËT-D’ARCQ, « Acte d’accusation... », p. 366-368. 5. Mise au point par A. GUERREAU-JALABERT, « Sur les structures de parenté... », p. 1028 et suiv. Sur la richesse et l’enseignement du vocabulaire latin, idem, « La dénomination... », p. 46-47. 6. Au total, les écuyers commettent 6 % de crimes entre parents dont la moitié par filiation et la moitié par simple parenté. 7. La répartition se fait ainsi : pour les laboureurs, 2 % par filiation, 2 % par consanguinité et 4 % par parenté indifférenciée ; pour les gens de métier, 1 % par filiation, 1 % par consanguinité, 6 % par parenté indifférenciée. 8. JJ 127, 216, lettre citée chapitre 8, n. 58. Il existe cependant des contre-exemples à cette attitude, JJ 165, 8, lettre citée chapitre 8, n. 90. 9. Sur les rapports de l’âge et de la condition sociale avec le type de crime, voir tableau 18, chapitre 8 et tableau 29, chapitre 12. 10. La répartition se fait ainsi : filiation-descendance : 20 % des cas aucune précision de lieu, 46 % même habitation, 20 % même lieu, 14 % moins de cinq kilomètres ; collatéraux : 20 % des cas aucune précision de lieu, 20 % même habitation, 20 % même lieu, 20 % moins de cinq kilomètres, 20 % indéterminée ; parenté indifférenciée : 24 % aucune précision de lieu, 5 % même habitation, 65 % même lieu, 6 % moins de cinq kilomètres. 11. JJ 169, 156, mai 1416, BAILLY (bailliage de Vermandois). 12. Ibid., 120, juin 1416, CÉBAZAT (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 13. Ch. de PIZAN, Le Livre de paix, p. 90. L’exemple d’Absalon est aussi développé par J. GERSON, Discours au roi pour la réconciliation, Œuvres complètes, t. 7, p. 1121, et par Jean Petit, E. de MONSTRELET, Chronique, p. 197-200. Les exemples de ce type ont été vulgarisés par ValèreMaxime. 14. On compte 0,4 % de parricides pour 1,1 % d’infanticides. Voir les exemples cités infra et chapitre 18, p. 823-826. 15. H. PLATELLE, « Pratiques pénitentielles... », p. 132-139 et p. 144.

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16. Ph. de BEAUMANOIR, Coutumes de Beauvaisis, t. 2, p. 352 et suiv. Il condamne vigoureusement les crimes en ligne directe et entre collatéraux. Il montre aussi qu’il est nécessaire de savoir quel est le degré de parenté entre les membres du lignage pour requérir l’aide nécessaire. Les comptages sont calqués sur les interdits de l’inceste. 17. Digeste, XLVIII, IX, De lege Pompeia parricidiis ; Code, IX, XVII, De his qui parentes et liberos occiderunt. 18. Par exemple Mithridate tué par ses propres enfants. Ch. de ΡΙΖΑΝ, op. cit. supra, n. 13, p. 88. Ces crimes horribles permettent aux tyrans de commencer l’Enfer sur terre ; ils signent leur « cruauté », voir chapitre 5, p. 225-226. 19. N. de CLAMANGES, De Lapsu..., Opera omnia, p. 49-51 ; J. de MONTREUIL, Epistola, 215. Le meurtre du duc d’Orléans sert de toile de fond à cette argumentation. Jean Petit reprend l’idée que le crime commis par un parent est plus grave que celui commis par un autre et que les punitions doivent aller de degré en degré selon la proximité du sang, E. de MONSTRELET, Chronique, t. 1, p. 204-205. Il en tire argument pour justifier le meurtre en chargeant le duc d’Orléans d’avoir « machiné » la perte du roi. 20. Ch. de PIZAN, Une épître..., Lamentation..., R. Thomassy éd., Essai..., p. 134 et 142-143. 21. X 2a 14, fol. 124, juin 1403, (bailliage de Mâcon). Le crime est d’autant plus grave qu’il a été prémédité. 22. X 2a 10, fol. 125v., mars 1381. Autre exemple de meurtre entre un oncle et un neveu, Cl. de FAUQUEMBERGUE, Journal, t. 2, p. 107, août 1423. 23. X 2a 15, fol. 41v., février 1405. 24. X 2a 14, fol. 26v., mai 1401, PARIS. Il s’agit d’un coup de poing donné par un beau-père à son gendre. 25. N. de BAYE, Journal, t. 1, p. 66 et suiv. 26. JJ 153, 17, janvier 1398, PINSAGUEL (bailliage des Montagnes d’Auvergne), lettre citée dans Histoire générale de Languedoc, t. 10, pièce 766. 27. Comparer avec les stéréotypes du crime, chapitre 5, p. 197 et suiv. 28. X 2a 14, fol. 8v.-9, janvier 1401. 29. P. LEGENDRE, L’inestimable objet..., p. 126-127. 30. Le lien entre la parenté et la vengeance est traité dans le chapitre 17, p. 769 et suiv. 31. R. FOSSIER, L’ère féodale, dans Histoire de la famille..., t. 1, p. 364-366. 32. R. FOSSIER, « Les communautés villageoises... », p. 39-40. 33. Ch. KLAPISCH-ZUBER, « Déclin démographique... », p. 264-265. 34. E. LE ROY LADURIE, Les paysans de Languedoc, p. 34 et suiv., qui reprend ce thème quand il décrit l’« hostal », Montaillou..., p. 51. 35. Sur l’exemple du centre de la France, P. CHARBONNIER, Une autre France..., t. 1, p. 382-383, qui signale le faible nombre des communautés familiales, et J. TRICARD, « Frérèches... », p. 119-127. Pour un point de vue général, H. BRESC, l’Europe des villes..., dans Histoire de la famille..., t. 1, p. 396-398. Il faut se méfier des généralisations en ce domaine, M. BOURIN-DERRUAU, Villages médiévaux..., t. 2, p. 57-70, qui, en Biterrois, distingue selon les couches sociales, la frérèche étant plus fréquente chez les clercs et chez les nobles que chez les roturiers en milieu rural ou urbain. 36. Sur la signification de la solidarité dans la cellule large, voir les remarques très suggestives de R. AUBENAS, « Réflexions sur les fraternités artificielles... », p. 2-10. 37. JJ 160, 190, janvier 1406, JAILLY (bailliages de Sens et de Saint-Pierre-le-Moûtier). 38. JJ 120, 103, lettre citée chapitre 13, n. 120. On se doute que la version de la jeune femme et celle des deux beaux-frères ne concordent pas. 39. JJ 155, 275, octobre 1400, PARIS (prévôté de Paris). 40. JJ 165, 196, lettre citée chapitre 10, n. 89. 41. JJ 169, 163, juin 1416, SOUPEX (sénéchaussée de Toulouse). 42. JJ 211, 46, décembre 1483, ONLAY (sans mention de juridiction).

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43. Ibid., 132, août 1485, POISSY (prévôté de Paris). 44. JJ 160, 19, lettre citée chapitre 7, n. 53. 45. JJ 169, 140, avril 1416, COUPELLE-VIEILLE (bailliage d’Amiens). 46. JJ 181, 232, février 1453, SAINT-SAMSON-DE-LA-ROQUE (bailliage de Rouen). 47. Ibid., 118, juin 1454, BOURGES (bailliage de Berry) ; même type de crime, ibid., 226, janvier 1453, THORIGNY (sénéchaussées de Poitou, Saintonge et Limousin). 48. Sur la nécessité de cerner le vocabulaire, cette « algèbre de la parenté », R. FOX, Anthropologie de la parenté..., p. 235 et suiv. ; A. GUERREAU-JALABERT, « Sur les structures de parenté... », p. 1028-1049. 49. L. GÉNICOT, « La noblesse médiévale... », p. 1-22, et G. DUBY, « Lignage, noblesse et chevalerie dans la région mâconnaise », Hommes et structures, p. 395-422. 50. A. W. LEWIS, Le sang royal..., p. 202 et suiv., et Fr. AUTRAND, Naissance..., p. 43 et suiv. 51. Pour une description de ces lignages qui se réclament d’un ancêtre commun et que structurent des signes de reconnaissance, D. HERLIHY et Ch. KLAPISCH-ZUBER, Les Toscans..., p. 532 et suiv. Nombreux exemples italiens dans J. HEERS, Le clan familial..., p. 81 et p. 107. 52. Cl. LÉVI-STRAUSS, Les structures élémentaires..., p. 155 et suiv. 53. Sur la notion de lignage et de ménage dans les partages successoraux, J. YVER, Egalité entre héritiers..., p. 40, n. 65b. Sur cette mobilisation de la parentèle autour d’ego, R. FOX, Anthropologie de la parenté..., p. 161. 54. M. AUGÉ dir., Les domaines de la parenté..., p. 96 et suiv. Il s’agit des Samo étudiés par Fr. HÉRITIER. 55. Voir chapitre 3, p. 129 et suiv. 56. M. BOURIN-DERRUAU, Villages médiévaux..., t. 2, p. 76-77. 57. A. GUERREAU-JALABERT, « La dénomination... », p. 46-47. 58. JJ 127, 267, décembre 1385, (bailliage de Senlis). 59. JJ 172, 5, février 1420, TAIZÉ (bailliage de Mâcon). 60. JJ 169, 27, juillet 1416, MONTLHÉRY (prévôté de Paris). 61. JJ 150, 54, juillet 1396, DOUAI (bailliages de Vermandois et de Tournai). 62. D. BARTHÉLÉMY, Les deux âges..., p. 122, n. 268. Le rappel de trois générations montre déjà, pour les anthropologues, une mémoire structurée et une forte conscience généalogique. 63. JJ 98, 701, lettre citée chapitre 9, n. 179. 64. Par exemple, pour se défendre d’un rapt et déclarer que la rémission qu’il a obtenue n’est pas subreptice, l’avocat plaide que « Maleret est attrait de noble lignee et notable d’ancienneté et furent ses pere et ayeul bons chevaliers et gouverneurs de la Marche qui furent grans et notables fermiers du roy, aussi l’a bien servi messire Jehan en touz ses voyages qu’il a fait et si est bon catholique, il a esté ou voyage d’Oultremer et illec fait chevalier si ne vouldroit comme il est a presumer un si vilain cas. Daulphine sa mere est de nobles gens, preude femme et bien enlignagee que jamais aussi ne s’y feust consentie », X 2a 14, fol. 225v.-226, janvier 1405 :. Autre exemple ibid., fol. 18. mars 1401. 65. R. FOX, Anthropologie de la parenté..., p. 235 et suiv. 66. JJ 155, 45, avril 1400, IVRY-EN-MONTAGNE (bailliage de Chaumont). 67. Ibid., 11, mai 1400, CHESNE (bailliage de Mâcon). 68. X 2a 16, fol. 285, janvier 1416. 69. X 2a 14, fol. 214, décembre 1404. 70. C’est ce que montrent les exemples cités par H. PLATELLE, « Crime et châtiment... », p. 170 et suiv. 71. X le 70B, pièce 246, 18 janvier 1395. Autre exemple X 2a 14, fol. 194, juillet 1404, LIMOGES. 72. X le 81A, pièce 121, 22 février 1401. 73. X le 85B, 27 mars 1403. 74. Ch. de PIZAN, Le Livre de paix, p. 102.

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75. X 2a 14, fol. 274v„ août 1405, MONTPELLIER. 76. Ibid., fol. 215v., décembre 1404. L’argument est dans la bouche de Périer. 77. C’est ce qu’ont montré les études entreprises au séminaire de l’EPHSS, dirigé par A. BURGUIÈRE, Ch. KLAPISCH-ZUBZER et Fr. ZONABEND. 78. R. FOX, Anthropologie de la parenté..., p. 164. 79. X 2a 14, fol. 293, décembre 1405 ; ibid., fol. 388v., juin 1407. Sur la notion inverse, ibid., fol. 300, janvier 1406. 80. Ibid., fol. 248, mai 1405, CHARTRES. 81. Ibid., fol. 296, décembre 1405, (sénéchaussée de Ponthieu). 82. Lettre citée par L. CÉLIER et P. GUÉRIN, Recueil des documents..., t. 24, p. 94, et commentée par Y. BONGERT, « Solidarité familiale... », p. 105, n. 69. 83. X 2a 10, fol. 106v., juin 1380. 84. Y 5220, fol. 213v., mai 1396. Ces registres comportent des exemples nombreux où la tutelle est confiée aux alliés. 85. E. de MONSTRELET, Chronique, t. 1, p. 350 n. 1 et p.352. 86. JJ 211, 113, lettre citée chapitre 11, n. 67. 87. JJ 165, 185, mai 1411, (bailliage de Touraine). 88. JJ 127, 39, citée chapitre 8, n. 36. Autre exemple ibid., 126, septembre 1385, AUTREPPES (bailliage de Vermandois). 89. X 2a 14, fol. 224, janvier 1404 : « Regnault Le Fauconnier (...) s’en vint demourer avecques messire Guichart de Culan, seigneur dudit Saint-Amand qui est de l’amitié dudit messire Jehan Maleret et s’entre appelent freres ». N’exagérons pas cette opposition entre « frere » et « serourge ». Au même moment, un suppliant peut évoquer la collaboration avec les Anglais pour avoir voulu sauver son « serourge », JJ 140, 283, juin 1391, SALGUES (sénéchaussée de Rouergue), lettre citée par Cl. DEVIC et L. VAISSETTE, Histoire générale de Languedoc, t. 10, n° 733. 90. Nombreux cas étudiés par P. S. LEWIS « Decayed... » ; voir l’exemple du traité du 17 avril 1423 entre le duc de Bedford, le duc de Bourgogne et le duc de Bretagne : « Nous jurons et promettons estre et demourer tant comme nous vivrons en bonne et vraye amour, fraternité et union les uns avec les autres, et nous aimerons, cherirons et entretendrons comme freres, parens et bons amis, garderons et defendrons l’onneur l’un de l’autre », Cl. de FAUQUEMBERGUE, Journal, t. 2, p. 95. On peut aussi rencontrer le mot « frère » appliqué à d’autres parents, y compris à des alliés comme dans le cas de ce gendre qui, parlant de son beau-père agressé, dit à l’agresseur : « Tu as soublé mon frere pour soustenir un ribaut pretre, par Dieu je te courrouceray ». La scène a lieu dans le bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier et il est possible qu’il s’agisse là d’une coutume locale, car l’appellation « frere » pour désigner un parent, quel que soit le degré de parenté, subsiste encore au XXe siècle dans cette région du Centre de la France. Le recours au mot « frère » pour désigner la parenté, qu’il s’agisse des neveux ou des cousins, peut aussi trouver sa justification dans la Bible, comme le rappelle le discours contre le meurtrier du duc d’Orléans en 1408 : « car en la Saincte Escripture les nepveux et cousins germains sont appeliez freres, comme il appert ou livre de Genese de Abraham qui dist a Loth, son nepveu : non sit objurgium inter te et me. fratres enim sumus », E. de MONSTRELET, Chronique, t. 1, p. 278-279. 91. X 2a 14, fol. 293, décembre 1405. 92. JJ 151, 208, avril 1397, AMIENS (bailliage d’Amiens). Pour ce faire, il attaque d’ailleurs un cousin des agresseurs. 93. JJ 98, 312, juin 1365, (bailliage de Caux). 94. Ibid., 701, lettre citée chapitre 9, n. 179, et supra, n. 63. 95. Le phénomène n’est pas nouveau. Il fonctionne dès le XII e siècle, D. BARTHÉLÉMY, Les deux âges..., p. 404. 96. JJ 211, 99, juillet 1485, VILLENEUVE-SUR-CHER (bailliage de Berry). 97. JJ 127, 25, juin 1385, TOURNAI (bailliage de Tournai).

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98. JJ 107, 172, juillet 1375, RAINNEVILLE (bailliage d’Amiens). 99. En cas de tutelle et en l’absence de cognats, on voit intervenir de simples cousins, Y 5220, fol. 185, avril 1396. 100. JJ 169, 49, janvier 1416, FONTENAY-SAINT-PÈRE (bailliage de Mantes). 101. JJ 127, 238, novembre 1385, VILLUIS (bailliage de Sens et d’Auxerre). 102. JJ 118, 85, lettre citée chapitre 6, n. 197. 103. JJ 98, 608, décembre 1365, LA BRIONNE (sénéchaussée d’Auvergne). 104. Point de vue comparable dans J.L. FLANDRIN, Familles, parenté..., p. 23. 105. JJ 98, 475, novembre 1365, FEUQUIÈRES (bailliage d’Amiens et prévôté de Beauvais). 106. Guillaume Laurens, JJ 208, 10, décembre 1480, (bailliage d’Orbec). 107. A opposer par exemple à la belle généalogie que décrit en 1402 la lettre d’alliance entre Louis d’Orléans et Henri de Lancastre. Elle énumère la parenté par le père, puis par la mère, et enfin l’alliance ou « affinité », E. de MONSTRELET, Chronique, t. 1, p. 49-50. 108. Par exemple, Le vieux coutumier de Poitou, titre LXIX, parag. 755. Rédigé en 1417, il tente de limiter cette solidarité au degré de cousin germain. 109. Le crime s’inscrit dans ce qu’on peut appeller le « système des attitudes », c’est-à-dire « l’ensemble des attitudes socialement prescrites qui caractérisent les rapports entre les différentes classes de consanguins et d’alliés », M. AUGÉ, Les domaines de la parenté..., p. 43. 110. Aucune étude systématique n’a été entreprise sur l’amour naturel. 111. J.M. TURLAN, « Amis et amis charnels... », p. 645-698. 112. JJ 107, 173, juillet 1375, (prévôté de Paris) ; autre exemple ibid., 24, mai 1375, LIHONS (bailliage de Vermandois). 113. X 2a 11, fol. 236, juillet 1389, TOURNAI. 114. Sous le règne de Charles VI, l’expression « amis charnels » est employée dans 36 % des cas, et dans 6 % des cas elle est associée au terme « parents » (tableau 36). Au milieu du XV e siècle, elle ne constitue plus que 25 % des cas et 12 % sous le règne de Louis XI. 115. J.M. TURLAN, « Amis et amis charnels... », p. 665. 116. JJ 127, 22, lettre citée chapitre 7, n. 137. 117. Ibid., 11, juillet 1385, DOUAI (bailliage d'Amiens et sénéchaussée de Ponthieu). 118. JJ 98, 428, août 1365, CRÉPY (bailliage de Vermandois). 119. JJ 107, 255, septembre 1375, SAINT-AMAND-LES-EAUX (bailliages d’Amiens, de Tournai et de Vermandois). 120. Le suppliant est Jean Chaigny, JJ 127, 288, novembre 1385, SAINT-LÉGER-DE-FOUGERET (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). Il s’agit de Perrin Bingot. 121. L’importance de l’amitié incite à cette interprétation, voir chapitre 15, p. 674 et suiv. 122. Sur le poids réel des amis charnels dans le déroulement de la justice, Cl. GAUVARD, « L’image du roi justicier... », p. 177. Les crimes où les amis charnels interviennent se répartissent ainsi : 64 % homicides, 16 % vols, 3 % viols, 1 % infanticides, 4 % ruptures d’asseurement, 5 % crimes politiques, 1 % suicides, 1 % blasphèmes, 5 % autres. Si on considère la hiérarchie des délits, en intervenant de préférence dans le cas des homicides, les amis charnels ont finalement un rôle assez secondaire puisque l’homicide est le crime le plus facile à gracier, voir graphique de la rémission, p. 794-795. 123. JJ 208, 149, janvier 1481, BORDEAUX (sénéchaussée de Guyenne). Il s’agit d’un Anglais, marin sur la nef « Le Germain de Houl » mouillant à Bordeaux. 124. JJ 127, 49, juillet 1385, SAINT-AMAND-LES-EAUX (bailliage de Vermandois). 125. Y. BONGERT, « Solidarité familiale... », p. 100. L’auteur montre que le XIV e siècle constitue une période privilégiée de la solidarité familiale en matière procédurale. 126. JJ 208, 22, novembre 1480, BLANZAC (bailliage de Montferrand).

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127. JJ 127, 230, novembre 1385, CHAUDARDES (bailliage de Vermandois). Remarquons que la mention des amis charnels concerne surtout le Parlement civil. Au criminel, la veuve, les enfants, le père ou la mère, et accessoirement les collatéraux interviennent. 128. Il s’agit de Guillaume de Semat pris en otage par les Anglais en 1356 puis passé au service de Bertrand Du Guesclin en Espagne. Placé pour apprendre le métier de tanneur, il est accusé d’avoir volé son maître : JJ 102, 66, janvier 1371, BOURGES (bailliage de Vierzon). 129. JJ 208, 37, mars 1480, BOUSSAY (sénéchaussée de Poitou et bailliage de Touraine). 130. Ibid., 239, juin 1482, VANNES-SUR-COSSON (bailliages de Chartres et de Montargis). 131. Voir les remarques de Ph. de BEAUMANOIR, Coutumes de Beauvaisis, cité supra, n. 16. 132. En particulier en limitant les vengeances, voir infra, n. 144 et suiv., et chapitre 17, p. 785 et suiv. Sur la façon dont évolue l’intervention des amis charnels dans la requête, voir supra, n. 114. 133. BN Fr. 5024, fol. 186v. ; 5909, fol. 89v. 134. P. DUPARC, Les origines de la grâce..., p. 133. La réglementation royale est loin d’être suivie. Même sous le règne de Louis XI, 60 % seulement des suppliants qui sont prisonniers font intervenir leurs amis charnels. 135. JJ 127, 285, novembre 1385, (bailliage d’Orléans). 136. JJ 98, 594, janvier 1366, (bailliage de Vermandois). 137. « Naturel » appliqué à l’alliance reste cependant rarement employé. 138. JJ 120, 366, juin 1382, ÉTERPIGNY (bailliage d’Amiens). 139. JJ 165, 25, octobre 1410, ZUDAUSQUES (bailliage d’Amiens). 140. Ibid., 6, novembre 1410, (bailliage de Caux). 141. JJ 169, 163, lettre citée supra, n. 41 ; JJ 172, 26, lettre citée chapitre 8, n. 48. 142. Chapitre 10, p. 454. 143. JJ 155, 19, mai 1400, GOMMECOURT (bailliages d’Amiens et de Vermandois). 144. Ch. LEFEBVRE, « Naturel (droit) », DDC, t. 6, Paris, 1957, col. 964 et suiv. Nombreuses références à des textes politiques, J. KRYNEN, « Naturel... », p. 169-190. 145. Ch. de PIZAN, Le Livre du corps de policie, p. 110-111. 146. J. GERSON, Discours au roi pour la réconciliation, Œuvres complètes, t. 7, p. 1120. 147. X la 1480, fol. 124, 16 mars 1418. L’empereur Sigismond est le petit-fils de Jean l’Aveugle tué à la bataille de Poitiers en 1356. 148. P. LEGENDRE, L'inestimable objet de la transmission..., p. 154. 149. Digeste 1-1-2, cité par P. LEGENDRE, ibid., p. 114. 150. Les travaux des modernistes s’inspirent de ceux de Ph. ARIÈS, L’enfant.... en particulier, R. MUCHEMBLED, Culture populaire et culture des élites, p. 46 : « La famille (...) (au Moyen Age) est vidée de tout contenu émotionnel et sentimental. Point d’amour entre les parents, entre ceux-ci et leurs enfants ». Cette vision est actuellement controversée, L'enfant au Moyen Age, Senefiance n° 9, et récente mise au point par R. FOSSIER, L’ère féodale, dans Histoire de la famille, p. 368-371. 151. JJ 127, 146, octobre 1385, AMIENS (bailliage d’Amiens). 152. X 2a 10, fol. 189, novembre 1384 ; JJ 165, 7, novembre 1410, MAISNIL (bailliage d’Amiens). 153. JJ 207, 140, octobre 1482, LE LOUROUX-BÉCONNAIS (sénéchaussée de Poitou). 154. N. de CLAMANGES, De filio prodigo, Opera omnia, p. 111 et 119. 155. J. CHIFFOLEAU, La comptabilité..., p. 204. 156. JJ 118, 18, lettre citée chapitre 8, n. 93. 157. JJ 127, 138, octobre 1385, PARIS (bailliage de Rouen). 158. Ibid., 215, lettre citée chapitre 10, n. 112. 159. JJ 169, 71, février 1416, MAREIL-EN-CHAMPAGNE (bailliage de Touraine). 160. Le Songe du vergier, t. 2, p. 266-267. Mêmes constatations chez J. GERSON, Consolation sur la mort des amis, Œuvres complètes, t. 7, p. 316 et suiv. Le prédicateur conseille de « plourer raisonnablement », et il cite l’exemple de saint Augustin confronté à la mort de sa mère. 161. JJ 127, 36, juillet 1385, (bailliage d’Amiens).

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162. JJ 98, 459, octobre 1365, ISLE-AUMONT (bailliage de Troyes). 163. JJ 169, 33b, décembre 1415, TOURNUS (bailliage de Mâcon). 164. JJ 165, 19, décembre 1410, (bailliage d’Amiens). 165. JJ 133, 5, septembre 1388, LA BRETONNIÈRE (gouverneur de La Rochelle). 166. JJ 169, 48, janvier 1416, (bailliage de Vitry). 167. JJ 120, 107, lettre citée chapitre 8, n. 74. 168. JJ 155, 74, lettre citée chapitre 6, n. 172 ; ibid., 369, janvier 1401, VILLIERS-SUR-YONNE (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 169. Voir chapitre 8. 170. Voir chapitre 18, p. 825 et suiv. 171. Y. B. BRISSAUD, « L’infanticide... », p. 231-232. 172. JJ 160, 96, lettre citée chapitre 6, n. 206 ; JJ 208, 48, lettre citée chapitre 2, n. 58. Autre exemple JJ 160, 95, novembre 1405, ESTOUILLY (bailliage d’Amiens) : il s’agit d’une jeune femme veuve, de 28 ans, qui noie son enfant « pour eschever le deshonneur d’elle et de sesdiz parens et amis et pour la crainte et doubte d’un sien frere dont elle se doubtoit que se ce venoit a sa cognoissance que il ne la tuast ou affolast ». 173. Ms. LONDON, B.L. Add. 29279, fol. 19v.-20v. Je remercie G. Ouy de m’avoir signalé ce texte qui doit donner lieu à une publication commune. 174. D’autres crimes peuvent donner lieu à ces pénitences publiques, en particulier l’adultère, H. PLATELLE, « Pratiques pénitentielles... », p. 139. L’auteur remarque à la suite de C. VOGEL, qu’il est difficile de savoir comment se faisait le choix entre les types de pénitences, ibid., p. 144. 175. JJ 160, 358, lettre citée chapitre 13, n. 93. 176. J. GERSON, Examen de conscience selon les péchés capitaux, Œuvres complètes, t. 7, p. 397. Remarquons que le fait de serrer la robe peut être une pratique d’avortement utilisée par les suppliantes des lettres de rémission, JJ 160, 95, lettre citée supra, n. 172. 177. Pour l’Angleterre, au même moment, R.H. HELMHOLZ donne une vision mesurée en concluant que l’infanticide ne provoque ni l’horreur ni l’indifférence, « Infanticide in the Province of Canterbury... », p. 387. 178. A. SOMAN, « La justice criminelle... », p. 23, pour qui les archives du Parlement se prêtent à « l’analyse jurisprudentielle et non pas criminologique ». 179. JJ 172, 36, lettre citée chapitre 7, n. 93. 180. JJ 160, 175, janvier 1406, AUXERRE (bailliage de Sens et d’Auxerre). 181. JJ 172, 430, lettre citée chapitre 11, n. 110. 182. JJ 155, 382, janvier 1401, GUISE (bailliage de Vermandois). Le père de Colin Jacquart qui s’est suicidé à 18 ans n’a rien à se reprocher car il a envoyé son fils à l’école ; quant à la famille, elle a supporté les sauts d’humeur de celui qui « les regardoit tres fort puis les batoit et apres les aloit baisier », JJ 168, 344, lettre citée chapitre 10, n. 22. 183. JJ 127, 125, lettre citée chapitre 9, n. 87. 184. On retrouve la même ambiguïté lors des miracles des enfants morts-nés et ressuscités le temps du baptême, P. PARAVY, « Angoisse collective... », p. 97-98 et p. 102. 185. JJ 118, 18, lettre citée chapitre 8, n. 93, et supra, n. 156. 186. Lettre citée supra, n. 180. 187. J. GERSON, Pour le jour des morts, Œuvres complètes, t. 7, p. 553. 188. Cette conclusion semble donner raison à J. GOODY, L’évolution de la famille..., p. 235 : « la bilatéralité a toujours été présente ». 189. J. GERSON, Dialogue spirituel, Œuvres complètes, t. 7, p. 158. 190. R. FOX., Anthropologie de la parenté..., p. 253.

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Chapitre 15. Des solidarités limitées

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Les rapports entretenus par l’individu avec son entourage ne se restreignent pas aux seuls liens de parenté. Selon sa place dans la communauté villageoise ou paroissiale, le coupable ou la victime se trouvent en liaison avec des voisins, des amis, des compagnons, des confrères. Tout comme envers sa parenté, il doit assumer des devoirs envers eux et il est en droit d’en attendre, en échange, les preuves d’une substantielle assistance. Ce sont là des solidarités horizontales qui doivent peu à des considérations de lignée, même si des familles peuvent être traditionnellement amies. A considérer le recrutement du premier participant aux côtés du coupable au moment du crime, on s’aperçoit que ces solidarités horizontales jouent à plein. Elles l’emportent en nombre sur la part de la parenté dans le crime, surtout quand un second participant intervient aux côtés du coupable. Les résultats sont identiques du côté de la victime. Le schéma des solidarités s’élargit donc à un réseau dont il faut définir l’extension et la puissance. Car, à l’intérieur de ce groupe, l’individu bénéficie d’une liberté plus grande que celle que lui imposent les lois de la parenté. Il peut choisir tel ou tel homme comme compagnon, avoir davantage d’affinités avec tel ou tel voisin, décider ou non de s’engager dans une confrérie. Cela dit, les rapports sociaux qui se trouvent ainsi créés constituent des réalités puissantes qui s’imposent fortement à l’individu et que celui-ci ne cherche guère à contester. Il ne trouve pas plus sa victime chez ses compagnons qu’il ne la trouve au sein de sa parenté1. Ces solidarités créent donc des lois qu’il ne faut pas transgresser et que commande la nature de ces associations horizontales.

PARRAINAGES 2

Aux liens biologiques s’est ajoutée au IVe siècle une première complicité complémentaire entre les hommes avec l’instauration du parrainage par l’Eglise 2. Non seulement l’institution crée des liens entre parrains et filleuls, mais aussi entre les parrains et les parents des enfants, désignés tous deux sous le nom de « compères » ou de « commères ». Ainsi Etienne, maire de Bayencourt, est « compère » de Sybille, femme de Didier Robbey, car « elle estoit sa commere et avoit tenu son enfant » 3.

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Ce lien que multiplie encore l’inflation du nombre des parrains et marraines lors du baptême, crée de fortes relations affectives qui favorisent l’entraide. Dans le cas

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précédent, il autorise Etienne à demander à Didier Robbey d’être le doyen de la ville dont il est lui-même le maire car « il avoit plus grant fiance en lui que ung autre ». Pour un autre suppliant, l’aide est purement matérielle : « A l’aide, compere Baron, a l’aide, que nous sommes desconfiz, venez nous aidier »4. 4

De cette parenté spirituelle découlent donc des devoirs qui la rapprochent très nettement du lignage. Ils s’expriment par les mêmes mots. Si la personne du compère ou de la commère est attaquée, il convient immédiatement de la défendre. A plus forte raison, comme pour les membres du lignage, ne doit-on pas personnellement porter la main sur elle. Gabriel Le Chantre se bat avec Marion La Bonnière et sa fille en présence de Guillemin Hubert, mari de cette dernière, mais aussi « compère » de Gabriel Le Chantre. Pour éviter une rixe, Guillemin Hubert préfère montrer la porte à l’indésirable en lui disant « qu’il s’en ala, que, s’il ne feust son compere, il l’eust frappé » 5. Quant à celui-ci, il a choisi de se taire devant la justice car il se déclare filleul du coupable 6.

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Cette parenté spirituelle obéit aux mêmes interdits religieux que la parenté naturelle. Mais, à la différence de la consanguinité et de l’alliance, la prohibition, dans les faits, se trouve plus facilement enfreinte7. Défendre une « commère » ou un « compère » ne constitue pas une obligation aussi astreignante que s’il s’agissait d’un parent par le sang ou par l’alliance8. Marguerite de Bruges, interrogée au Châtelet en procès extraordinaire, a fait tuer Colin Le Rôtisseur par des hommes à gages alors que celui-ci et sa femme « sont ses comperes, et de sondit mary, d’un enfant eu par la famme dudit Colin »9. Il est significatif que les juges, soucieux on l’a vu de faire respecter les lois du mariage, n’aient pas repris cet argument de parenté artificielle pour charger la criminelle d’un reproche supplémentaire.

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Pour cette même raison qui tient à un certain relâchement des contraintes que suppose cette forme de parenté, on voit apparaître la transgression des interdits sexuels. A ce titre surtout, plus encore que par la rixe-homicide, le compère ou la commère apparaissent dans le crime alors que les alliances contractées selon les degrés de parenté prohibés ne donnent pas lieu à de fréquents conflits à l’intérieur du lignage. Sybille, malgré la confiance qui lie son mari à Etienne, voit bientôt ce dernier solliciter sa compagnie chamelle. Indignée, elle refuse, en lui reprochant « comment il n’avoit honte de la requerir de tel deshonneur et disfamer du corps et de l’asme, veu qu’elle estoit sa commere »10. A l’adultère se trouve ici associé un inceste aussi grave que s’il s’agissait d’une parenté naturelle, mais il y a bien eu tentative de viol. Ce vigneron du bailliage de Vermandois n’avait d’ailleurs pas trouvé de meilleur argument pour se défendre de cette accusation : la jeune femme était sa « commère » 11. L’argument est assez fort pour lui valoir d’être gracié. En fait, la multiplication des parrains et marraines devait largement restreindre le choix des conjoints. Néanmoins, répétons-le, les cas de mariages prohibés sont rares et ils sont fortement blâmés par la population, en particulier par le reste du lignage, même s’il s’agit de simples parrains et marraines. Rappelons-nous cette veuve de la ville d’Épernay, tenue en concubinage par son compère et que les membres du lignage dénoncent car ils se targuent d’être « tenuz et reputez bonnes gens sans diffame aucune »12.

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Malgré ces quelques entorses, les infractions sont rares. Est-ce parce que loin d’élargir le champ de la parenté naturelle, la parenté spirituelle s’y recrute pour la renforcer ? A en juger par l’exemple anglais, les parrains et marraines, à la fin du Moyen Age, sont plutôt choisis à l’extérieur du lignage et contribuent à l’étendre 13. Les archives judiciaires semblent aller dans ce sens. Il est rare que, comme dans le cas signalé par

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notre vigneron, la commère soit aussi une alliée puisqu’elle est la nièce de sa femme. En général, les termes « compère » ou « commère » sont associés à ceux d’« amis » et de « voisins ». Après le travail, Jaquet Le Roy décide d’aller boire et s’en va quérir Jean Le Barbier « pour ce qu’il estoit son compere et son grant ami et que plus de legier le querroit que nul autre »14. 8

L’autre n’a pas fini son ouvrage et Jaquet l’aide pour aller plus vite avec lui partager le vin. Quant à ce compère sollicité d’aider celui qu’il croit menacé de mort, il agit « pour l’affinité de comperage et de voisinage, en esperance de mettre bien et concorde se aucune chose en eu veu entreprendre de fait a son povoir »15. L’« affinité de » exprime leur proximité sans vouloir dire pour autant qu’ils sont « affins ». L’Eglise a bien, comme le note J. Goody, le pouvoir d’introduire des institutions nouvelles dans le domaine domestique. A la fin du Moyen Age, elles semblent parfaitement assimilées, même si elles sont parfois contredites16.

CONFRÈRES 9

La constitution des confréries ne produit pas des résultats aussi achevés, sans doute parce qu’elle n’est pas assortie de prohibition sexuelle. Néanmoins, le système crée une parenté artificielle comme le montre l’appellation « frères » que se donnent les membres17. Mais, en aucun cas ce lien ne peut l’emporter sur la parenté naturelle. Voici deux amis, voisins et confrères, qui devraient tout avoir pour s’entendre car « ils ont este bons amis, ensemble beu et mengié et conversé l’un avec l’autre et es maisons l’un de l’autre par plusieurs et diverses fois, par bonne amour et paix et se ont esté freres d’une fraerie Saint-Nicolas »18. Mais l’un d’entre eux ose proférer des menaces contre l’autre et « un sien frere » au sens biologique du terme. La voix du sang attaqué l’emporte aussitôt sur la fraternité artificielle et le coupable en meurt.

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Il ne semble pas non plus y avoir de paix spécifique à respecter entre les membres de la confrérie comme c’était le cas entre les membres de la parenté et de l’alliance. Lors d’une fête de la confrérie Notre-Dame, dans le bailliage de Chartres, les confrères partagent repas, boisson et danses typiques de ce genre de réunions 19. La fête se prolonge à la taverne d’Arrou et un des confrères accuse l’autre d’avoir connu charnellement la chambrière du curé. L’injure porte peut-être davantage car elle met en cause un personnage de la paroisse qui devrait être irréprochable, mais elle ne se différencie guère des propos classiques tenus à la taverne et se termine, non moins classiquement, par un coup de couteau20. Quant à ce suppliant du bailliage de Caen, il a déjà eu débat avec un confrère lors d’une « soule ».

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Le repas de la confrérie paroissiale qui suit quelque temps plus tard ne réussit pas à apaiser les ressentiments qui se sont étendus à toute la parenté par le sang et à l’alliance puisque finalement c’est un cousin de la victime qui mène la rixe 21. Certes, pour limiter ces débordements, les statuts des confréries, les évêques ou les autorités civiles tentent de réglementer les banquets, sources d’insultes et de bagarres. L’exemple normand étudié par C. Vincent montre que, malgré ces réticences, la fête reste, jusqu’à la fin du Moyen Age, la « manifestation par excellence de l’unité confraternelle »22. La violence peut en résulter.

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La « famille confraternelle », pour reprendre l’expression de J. Chiffoleau, joue bien son rôle d’encadrement23. Mais elle ne crée pas des lois de solidarités comparables à celles du sang, de l’alliance ou même du parrainage. Certes, on ne peut pas distinguer dans

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cette enquête des différences de comportements selon les types de confrérie. Mais on peut affirmer que les liens que crée la confrérie, à la différence de la parenté spirituelle, ne semblent pas susceptibles de freiner le crime. Les devoirs d’assistance que comportent les statuts des confréries n’impliquent ni de défendre la vie du confrère, ni surtout de la considérer comme intouchable. Ils soulignent, au mieux, que doit régner au sein du groupe un esprit de fraternité au sens chrétien du terme, comme c’est le cas pour la confrérie de Valenciennes : « Que nulle discorde ne soit entre nous, selon la parole de l’Evangile : “Je vous donne nouveau mandement de vous entr’aimer comme je vous ai aimés et je connaîtrai que vous etes mes disciples en ce que vous aurez ensemble dilection” »24. 13

Mais les sermons de ce type sont rares. Lorsqu’en 1411 éclate une rixe dans le bailliage de Cotentin entre laboureurs qui viennent de jouer un miracle, sans doute dans le cadre d’une confrérie paroissiale, la lettre se contente de préciser que le crime a eu lieu « apres ce que les aucuns d’eulx avoient joué audiz jeu de miracle et les autres avoient esté presens et avoient depuis beu tant qu’ilz estoient moult chargés de breuvage et n’avoient parravant aucune hayne »25. Aucun rappel n’est donné des devoirs de solidarité que les confrères peuvent avoir entre eux en dehors de cette fête. La confrérie bride à peine le crime : les délits entre confrères sont trois fois plus nombreux que ceux qui les unissent dans la solidarité.

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Peu active pour freiner l’éclatement de la violence, la confrérie l’est-elle pour en résoudre les effets ? On ne voit intervenir la paix confraternelle nécessaire à l’arbitrage que dans un seul cas, il est vrai très significatif. Nous sommes dans le bailliage de Vermandois en 1381. Un dénommé Longuepance appelle une jeune fille « putain ». Dans un premier temps ses frères par le sang choisissent de ne pas intervenir pour défendre leur soeur car « ils ne vouloient prendre aucun debat audit Longuepance, tant pour ce que lesdits freres estoient confreres avec lesdiz enfans dudiz Longuepance » 26. Dans un second temps ils choisissent de négocier la paix. En fin de compte ils échouent et le sang parle. Les liens de confrérie ont réussi à briser pour un temps le cercle violencevengeance qu’aurait déclenché l’intervention des deux frères qui se seraient effectivement retrouvés, selon les lois du sang, face aux fils de leur adversaire. Les confrères ont pu espérer jouer le rôle d’arbitre dans ce conflit et s’ils échouent, la faute doit être imputée à Longuepance, « homme yvroing, buveur, gormant et de si mauvais gouvernement que tousjours eu esconveniens ».

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L’écho des principes religieux achoppe sur la rudesse du partenaire. Mais une telle attitude conciliatrice, surtout quand il s’agit du respect pointilleux de l’honneur familial, est normalement exceptionnelle27. L’effort des deux frères méritait, à ce titre, d’être relevé. On peut se demander si les réglements des confréries n’ont pas finalement porté leurs fruits. En effet, les statuts, fréquemment et dans des régions variées, confient aux responsables de l’association le soin de tenter de régler les conflits à l’amiable28. Quelle a été leur part de succès ? Le silence de l’arbitrage interdit de répondre à cette interrogation. Contentons-nous de remarquer qu’il a pu être évoqué dans un bailliage enclin, comme nous l’avons vu, à un taux de criminalité élevé 29.

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En règle générale, la « paix » entre confrères est limitée. Elle est sans doute plus efficace pour permettre le règlement des conflits une fois qu’ils ont éclaté que pour leur interdire d’éclore. La confrérie prône plutôt des devoirs de charité au sens de l’oeuvre de charité, du bienfait accompli au nom de l’amour que se portent les frères. Le contenu de cette solidarité est déjà moderne mais il n’est pas encore assez fort pour

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enrayer les autres liens, à commencer par ceux du sang. Ou plus exactement il est d’une nature différente. Cela tient sans doute à ce que la genèse des confréries, dont le grand moment se situe entre 1350 et 1420, est trop récente pour avoir pu modifier les principes qui, traditionnellement, animent les relations parentales, voire celles qui unissent les compagnons ou les voisins30.

VOISINS 17

Ce que nous avons pu voir de l’étroitesse de l’espace laisse présager l’importance des solidarités de voisinage. Elles recoupent celles de la paroisse ou du terroir et, comme je l’ai déjà suggéré, elles s’entretiennent, au-delà de l’espace de voisinage, à la taverne de la ville proche, à la foire, au pèlerinage. En 1392, ce suppliant quitte son village pour marchander à la foire de Falaise, mais aussi pour retrouver des voisins avec lesquels il goûte au vin de Bourgogne31. Les fêtes, ou simplement la taverne, réunissent les voisins et sont prétexte à partager nourriture et boisson. Un suppliant, habitant de Chanteau près d’Orléans, part à la fête de Cercottes avec ses voisins, à environ 8 kilomètres de leur domicile ; de retour, les voici à la taverne. Les voisins sont agressés : le suppliant tente d’apaiser la « riote » et, pour ce faire, il devient criminel 32. Le décor de la convivialité est ainsi planté. Il peut aller jusqu’au drame parce que les voisins ont, entre eux, des devoirs d’assistance largement évoqués par les archives judiciaires. Examinons de plus près ce « code » du voisinage.

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Il consiste en une aide qui se présente sous une forme matérielle et morale. Voici des suppliants venus au chevet de leur voisine malade ; d’autres prêtent leur « char » et leurs chevaux pour que leur voisin puisse transporter sa belle-famille à ses noces 33. Denis Le Sauvice, du bailliage de Cotentin, réduit à la misère, frappe d’abord à la porte de son voisin. Mais la porte est close et la tentation est grande de subtiliser les économies qu’il n’a d’ailleurs aucun mal à trouver. La première réaction du voisin est de faire excommunier l’indélicat ; puis il lui pardonne, en échange d’une promesse de remboursement34. La confiance faite au voisin peut aller plus loin encore. En 1412, une lettre de rémission obtenue par Nicolas Broquel se trouve contestée par Pierre de Pois. Les deux hommes, tous les deux habitants de Senlis, étaient voisins. Pierre de Pois, ayant à s’absenter pour son office de prévôt forain, confie sa femme à son voisin : « in dicto Broquel vicino suo tantam fiduciam habuerat quod, a domo sua pro exercicio sui officii, dictus de Pisis, domum suam hujusmodi cum uxore sua que juvenis erat, in custodiam commendabat »35. On devine la suite. Le voisin indélicat séduit la femme et mange les biens. Une expédition punitive s’ensuit qui se termine par une lettre de rémission pour le mari, malgré le port d’armes prohibé. Ces témoignages sont une preuve de confiance, même si elle a été mal placée. Mais cette entraide est, en fait, un échange. Dans cette société sans sécurité, le lien de voisinage est essentiel à la survie. Le service est prêté à charge de revanche. Ainsi Philippon Gaudon laboure une pièce de terre qui appartient à Jean Fara, charpentier. Ce dernier lui a promis en échange de lui construire un four « dedans la feste Saint Michiel ». L’arrangement est source de disputes. Gaudon pressé de se servir de son four a préparé les pierres de longue date et, un soir, il accroche le charpentier rentrant de son travail en lui disant : « Vous le ferez garçon ce jour, ou je vous tueroy tout royde »36.

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L’aide n’est donc ni gratuite ni désintéressée. Elle s’inscrit dans un réseau de services dont les lois doivent être scrupuleusement respectées. Certes, ces rapports peuvent

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être inégaux puisque, comme nous l’avons vu précédemment, ils aident l’autre dans l’adversité. Il existe néanmoins des limites à cette inégalité. Ce drame qui, au début du XVe siècle, oppose les Le Triche aux Tourant provient en fait de cette inégalité de condition entre gens qui se fréquentent sans qu’il y ait réciprocité du don. Et qui plus est, dans ce cas, cette absence de réciprocité a été mise sur la place publique puisque, comme on l’a vu, les Tourant « en parlerent »37. 20

Au terme de ces échanges se profile la sociabilité du « bon voisin », par opposition au mauvais dont les portraits sont sévèrement dressés. Voici une mégère qui, un jour de pluie, par « mauvaistié », trace une rigole pour que l’eau s’écoule dans l’hôtel et le courtil de son voisin : elle paie son geste de sa mort 38. Quant à feu Jean Pille, sa haine s’assouvit en procédures à l’encontre de son voisinage qui le décrit comme un « homme tres sedicieux, de petit et chetif gouvernement, un grand plaideur et coustumier de donner grant vexacions et dommaiges a plusieurs ses voisins et autres parcitacions et adjournemens de court laye et de court d’esglise, et d’en exiger sans cause plusieurs sommes de deniers, et de ce estoit renommé et diffamé » 39. Les voisins, excédés de son outrage, s’unissent à trois pour le tuer. Par opposition, le « bon voisin » est celui qui « conseille » l’autre à bon escient. Accusé d’empêcher ses voisins de rembourser une dette, Jean de Saint-Valérie, du bailliage d’Amiens, se défend en disant « qu’il ne les conseilloit fors ainsi que bon voisin devoit conseiller l’autre » 40. Et, dans la bonne conduite générale d’un homme entrent les relations paisibles et amicales avec l’entourage. Elles contribuent à composer sa personnalité. A la fin du XV e siècle, Pierre Seteau fait figure de modèle : « homme doux et paisible, bien vivant, conversant et frequentant avec ses voisins et congnoissances »41.

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On le voit, ces devoirs de voisinage ne sont pas seulement un échange d’intérêts. Ils reposent sur une affectivité que la proximité des domiciles entretient. La sociabilité de voisinage consiste à se recevoir les uns chez les autres. Ce suppliant va à une veillée, quand il rencontre sur sa route une charrette au contenu tentant ; cet autre est chez son voisin en train de souper « comme font volontiers voisins et amis ensemble, sans aucun mal faire ne vouloir penser »42. Nombre de crimes ont lieu à l’issue d’une soirée passée ainsi en compagnie des voisins. On joue et on s’ébat comme ce suppliant de Conchy-sur-Canche qui « ala jouer et esbatre environ la feste de Noel de nuit en l’ostel d’un sien voisin ou l’en faisoit les jeux de Noel avec plusieurs autres de ses voisins, ainsi comme on a accoustumé a faire en pluseurs autres lieux du pays » 43.

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Ces coutumes propices à la sociabilité sont assez connues pour que nous n’ayons pas à insister44. Remarquons plutôt que les liens de voisinage, s’ils ne sont pas confondus avec ceux de l’amitié, peuvent lui être associés. Jeannette d’Espinay que nous avons déjà vue prendre dans la bourse de ses hôtes, était invitée à souper par un couple « desquels estoit voisine, par amitié et pour cause de voisinage »45. La proximité peut engendrer l’amitié, si bien que les liens de solidarité s’entrecroisent. Dans le bailliage de Rouen, deux voisins sont amis ; ils projettent de devenir compères, car « estoient bons amis ensemblez, voisins, et avoient grant et bonne amour entre eulz, et en signe d’amour avoit ledit Perrin baillé audit Baillevache un denier a Dieu d’estre son compere du premier enfant qu’il aroit »46. Seule une dispute à propos d’une vente met un terme à ces projets que nourrissait l’amitié de ce pâtissier de Rouen avec son voisin. Parfois, ce sont les liens du sang qui chevauchent ceux du voisinage. Nous voici à Bernouville en février 1382 ; Jourdain Jeunier est invité à dîner chez Jean Desquetot qui fête les relevailles de sa femme. La femme de Jourdain est cousine germaine de la femme de son

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hôte qui est donc son parent par alliance. Mais il est aussi « son prochain voisin » et, à cette fête, il retrouve « grant partie de bonnes gens leurs cousins et voisins » 47. Les liens de voisinage peuvent donc se fortifier de ceux de l’amitié et de la parenté. N’est-ce pas à cette condition finalement que le voisinage devient inoffensif ? 23

Les archives judiciaires, et en particulier les lettres de rémission qui sont les plus riches de renseignements sur la sociabilité, ne permettent guère d’aller plus loin dans l’analyse de ce type de solidarités horizontales : elles ne disent pas comment ces rapports de voisinage contribuent, en milieu rural, à organiser la vie du terroir. Encore une fois, la communauté villageoise est la grande absente de cette histoire. Et, de ce point de vue, les villages de langue d’oïl ne sont pas aussi loquaces que ceux des vallées alpines ou des communautés de Bourgogne48. Au contraire, on y observerait les fissures de leurs solidarités. Les crimes entre voisins sont deux fois plus nombreux que ceux qui les rangent comme premier participant du coupable. Quant à la victime, le soutien qu’elle peut en escompter est dérisoire : il est dix fois moindre que celui que lui portent ses « compagnons »49. Et, si ceux-ci sont aussi ses voisins, c’est que le vocabulaire des choix affectifs l’emporte sur celui de la proximité des hôtels.

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Les terroirs qu’organise l’assolement des cultures ou que rassemble la communauté en fête ne doivent pas faire illusion : la vie communautaire n’y est pas idyllique et les liens que tisse la proximité d’habitation n’y aplanissent pas les rivalités. Là c’est un cordonnier et un meunier qui poursuivent une vieille querelle ; ailleurs c’est une inimitié que la mort ne réussit pas à éteindre. Lorsque sonne l’enterrement de Marson La Bosseuse, on entend dire sur son passage : « Oy, que le diable en ait l’ame, que plus de mors, moins d’ennemis »50 ! Le village ou la paroisse sont parcourus de clivages dont les suppliants eux-mêmes sont parfaitement conscients. Leur narration du crime dévoile ces sentiments de haine. Denis Le Sauvice a bien reçu le pardon de sa victime mais il doit demander la grâce du roi car il a été dénoncé par ses voisns, « par hayne ou accusacion d’aucuns hayneux du dit suppliant »51. La pauvreté du suppliant n’a pas infléchi leur attitude. Quant aux voisins de ce père de neuf enfants, ils ne sont pas plus sensibles à ses difficultés et ils le dénoncent pour avoir volé une charrette trouvée dans une carrière52. Haine, dénonciation : ce sont là des mots forts sur lesquels il faudra revenir.

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La proximité de voisinage cerne le coupable dont les gestes sont largement épiés, tandis que la haine trouve dans le crime une bonne occasion de s’exprimer. Nous voici à Loulay, dans la sénéchaussée de Saintonge, en 1396 : un boucher et son fils trouvent « d’aventure » un boeuf, tout seul ; ils le tuent, le dépècent, et dès le lendemain, ils le vendent. Le propriétaire s’enquiert de sa bête et demande « a plusieurs des habitans d’icelle ville se ilz avoient point veu un sien buef lequel il avoit perdu, lesquelx ou l’un d’eulx lui respondirent que ilz n’en avoient point veu mais le bouchier de ladite ville avoit acheté un buef lequel il avoit tué pour vendre en detail » 53.

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Rien n’échappe à l’oeil inquisiteur des voisins ; ils constituent les premiers garants de l’application des règles collectives. Au premier chef se situe l’application des règles tacites qui ordonnent la communauté, en particulier celles qui s’appliquent à la sexualité. Reprenons le cas de ce crime commis à Laon au début du XV e siècle54. Tristan Hanotin tente d’« avoir » Pierrette, une jeune fille, et Jeannette La Potière lui sert d’entremetteuse, sans doute avec la complicité des parents. L’affaire reste peu de temps du domaine du secret. Les voisins observent le va-et-vient de Tristan se rendant à l’hôtel de Pierrette et, surtout, ils notent les changements vestimentaires de la jeune

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fille, car « s’en peut-on apercevoir pour ce que elle fust bien vestue et mieux qu’elle n’avoit acoustumé ». Un jour que les « voisins en parlerent », le drame éclate car la mère, pour sauver l’honneur face au voisinage, choisit de faire rejaillir la faute sur Jeannette en l’injuriant et en faisant organiser une expédition punitive qui la laisse défigurée. Tristan lui-même, dans ce procès, se dit victime des voisins puisqu’il lui est revenu aux oreilles « qu’il aimoit une jeune fille sans nommer qui elle estoit et que aucunes femmes l’avoient veu ». 27

Dans le cadre de la procédure inquisitoire, ces rapports de voisinage sont essentiels pour définir la fama 55. Du rapport que font les voisns aux autorités judiciaires découle, dans une large mesure, la dénonciation du coupable. Elle est plus nettement sensible pour le vol que pour les autres crimes. Néanmoins, il ne faut pas en exagérer l’importance : les crimes explicitement dénoncés à la justice ne constituent que 10 % de l’ensemble de la criminalité remise. Mais la faiblesse de ce chiffre tient plus à la nature du crime médiéval qu’à la complicité bienveillante de l’entourage. Les rixes-homicides, qui priment largement, sont des crimes pris sur le vif et qui, par conséquent, ne pouvant être célés, n’ont pas besoin d’être dénoncés. Dans le cas de crimes silencieux, la dénonciation joue à plein. Près de 70 % des crimes dénoncés ont eu lieu à l’abri des murs : c’est dire que ceux-ci ne sont guère opaques ! Et ces crimes, rappelons-le, touchent à l’intimité la plus profonde, qu’il s’agisse de l’atteinte à la propriété ou des affaires sexuelles. Ce regard des autres est un important — et peut-être le meilleur — relais de la justice. L’autorité judiciaire ne s’est donc pas totalement imposée de l’extérieur ; elle s’est infiltrée dans des communautés qui sont loin de tendre au prince un visage indifférent et lisse.

AMIS ET COMPAGNONS 28

Aux « haineux » ou « malveillants » qui s’acharnent contre le coupable, répondent à l’inverse le groupe de ses « bienveillants » ou « amis ». Avec ce terme « ami » se pose à nouveau le problème de la parenté. Il peut arriver en effet, comme le pensait Marc Bloch, que les « amis » désignent les parents, que le terme soit une forme raccourcie « d’amis charnels »56. On voit ainsi les amis s’attacher à ce qui est leur rôle principal, la réhabilitation sociale du coupable, ou encore à la défense du prisonnier. Le procureur du roi leur reconnaît un rôle qui les assimile sur ce point aux amis charnels, « car autrement les prisonniers ne se peuvent aidier sinon par leurs amis » 57.

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Cette confusion du vocabulaire est bien marquée quand les termes sont employés l’un pour l’autre dans le même document. La requête, par exemple, peut être adressée au nom des « amis charnels » et ceux-ci sont mentionnés en fin de lettre, cette fois sous le vocable d’« amis » pour faire « paix et accord aux amis du mort » 58. Le mot « ami » peut ainsi être lié à celui d’« affin » quand ce terme est nettement un vocable de l’alliance. L’ami peut donc être un parent, et en particulier un parent par le sang. En 1396, la tutelle d’Oudin Durant dont le père est décédé, est donnée à Jean de Paris, « cousin de par mere », aux témoignages de celui-ci, de Gilon Des Marès, « cousine a cause de son mary maître Jean de Combes ami », de « Mahy Budel et Jehanne sa femme cousins a cause d’elle de par mere et Robert Gambelin cousin, tous amis et affins de Oudin Durant »59. Quelle place y occupe alors l’affectivité ? N’est-ce pas elle qui invite à préférer le terme « ami » à celui de « parents » ? On peut se demander si, plutôt que de désigner une parenté large dont les liens seraient vaguement perçus et par conséquent

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rassemblés sous une appellation floue, la référence à l’amitié ne trace pas au contraire le cercle choisi au sein de la parenté. Les amis seraient alors les proches par le coeur et par le sang, élus privilégiés dans le réseau de parenté 60. 30

Ce que nous venons de suggérer implique le contenu affectif très fort du mot « ami ». Comme les affins, les amis sont ceux qui peuvent aussi être choisis en dehors du réseau de parenté, y compris de l’alliance. Voici un écuyer du bailliage de Mâcon devenu complice d’un meurtre ; il aide à cacher le corps de la victime dans la rivière « pour obvier que iceluy Poisien qui estoit tres grandement son affin et ami tres especial ne feust perdu »61. Or ce Poisien est un laboureur de bras et il y a peu de chance pour que l’écuyer qui l’aide dans le crime soit de sa famille. C’est dire que l’emploi du mot « ami » ne se limite pas aux relations naturelles de parenté. Le vocabulaire employé pour désigner les témoins qui président au choix du tuteur confirme cette interprétation. L’ami peut être, comme nous l’avons vu, un parent par le sang ; il peut être aussi un « élu » qui vient s’ajouter à la parenté. Pour témoigner de la folie de Jean Arrode, on fait appel au témoignage de son oncle, puis de ses cousins, enfin à maître Georges Loe et Guillemin Benoist, « amis et affins dudiz Jehan Arrode » 62. L’amitié peut rester un choix dont témoigne la fréquentation.

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On reconnaît deux amis parce qu’ils partagent un certain nombre d’activités qui prouvent l’existence d’une relation privilégiée. Discuter et boire en constituent les deux principales preuves. Un exposant répond à celui qui l’injurie : « Colin, ce n’est bonne compaignie que vous me faites de moy batre, et nous venons de boire ensemble par amitié »63. Quant à ce suppliant, il se trouve surpris que celui qu’il considère comme son ami l’attaque « sans mot dire »64. Parfois, l’amitié fait état de relations professionnelles ; ceux-ci, par exemple, ont « mangié, beu, couchié avec l’autre et en societé de marchandises comme bons amis »65.

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Les signes extérieurs du comportement amical sont donc parfaitement connus. Ils sont très importants à notifier, car ils peuvent excuser le crime qui, dans ces conditions, n’a pu être prémédité. Mais cela sous-entend que toute la communauté connaît ces liens d’amitié qui, quoique privés, sont du domaine public. Des gestes spécifiques et symboliques peuvent publiquement en sceller l’existence. Voici deux hommes du bailliage d’Amiens qui, après une dispute, tentent d’être amis. Le plus conciliant promet de donner à l’autre un milot de vin et « qu’ilz touchassent ensemble comme amis en lui tendant la main pour ce faire »66. Suit alors le geste irréparable qui inverse exactement le sens de l’union pour conduire au crime : « Et lors ainsi que ledit Jehan Faset tendoit la main par amitié audit Huet, icelui Huet, sans mot sonner haulça sa hache et d’icelle le frapa sur icelle main ».

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L’amitié est tout entière contenue dans ce rituel du vin et des deux mains unies publiquement. Elle est extrêmement proche du rituel de paix tel qu’il est décrit au même moment. La scène que décrit aux juges du Châtelet Geoffroy Olivier, témoin au procès de Jean de La Ramée, peut donner une idée de ce rapprochement. Un fils que son père appelle à l’aide pense avoir réussi à interrompre la violence entre les belligérants car celle-ci n’aurait jamais dû éclore, vu les relations de voisinage et d’amitié entre les participants67. Il s’en explique clairement : « Mon pere, que voulez-vous faire ? Vecy Jehan de Crisquetot, votre voisin, qui ne vous vouldroit nul mal faire. Et sy est le varlet Guillemin Morin, vostre ami ». Pour clore la dispute, il scelle la paix dont le rituel se confond avec celui de l’amitié : « et tant parlerent que lesdiz Jehan Eustace et ledit defunt promirent, es mains de lui qui parle et dudit filz, que landemain ilz buroient

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ensemble et seroient mis a accort par yceulx deux ». L’amitié impose la paix, dont le sens, en cette fin du Moyen Age, reste encore proche de celui qu’a connu le XI e siècle, quand les amis s’appelaient frères comme à Aire-sur-la-Lys 68. Il n’y a pas néanmoins, comme ce peut être le cas dans la société aristocratique de l’époque classique, d’échange de gouttes de sang pour sceller l’amitié69. Mais le sens des gestes fondateurs n’est pas loin d’être aussi fort. Il constitue une union d’égaux aux devoirs d’assistance mutuelle, à commencer par la paix. 34

Ce rituel crée entre les deux amis une parenté fictive dont la rupture est assimilée à une traîtrise. Le mot est employé, logiquement, pour désigner le criminel qui a enfreint ce que ses paroles et ses mains ont promis70. Judas, personnage référence de la trahison, n’a pas seulement trahi Jésus en livrant son seigneur, il n’a pas seulement trahi l’alliance et le serment, il a commis son crime, comme l’exprime, en septembre 1408, la requête de l’abbé de Cerisy contre le duc de Bourgogne reprenant la parole du Christ, alors qu’il « a mis la main avecques moy ou plat » 71. Cette référence à la Bible ne fait que confirmer l’union qui devrait régner avec l’adversaire car, rappelle l’orateur, « tu as mengé et beu avecques lui ensemble espices en ung mesme plat en signe d’amitié » 72. Le rituel de l’amitié est fondateur ; sa transgression est une traîtrise. L’homicide de l’un de ces protagonistes qui, parce qu’ils sont amis, sont fictivement « freres », s’apparente alors au parricide73.

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Cette relation d’égaux et les devoirs afférents n’excluent pas la force des sentiments. Les suppliants ne cherchent ni à les cacher ni à les taire. Les amis s’aiment par « bonne amour ». Ceux-ci se sont « toujours amé l’un l’autre et esté bons amis » 74. D’ailleurs, l’amitié est loin d’être un sentiment plat et seulement codifié. Il existe au sein des amis une hiérarchie qui fait distinguer le ou les « meilleurs ». Lorsque Thomas Le Comardel aborde Marion, veuve de Jean de Bouligny, il l’accuse d’être une mauvaise femme pour avoir contribué à faire mourir son mari « le meilleur ami qu’il eust en ce monde » 75. L’amitié crée donc des liens d’obligation entre égaux mais elle sait aussi être la relation privilégiée entre deux hommes qui se sont choisis et qui ont plaisir à être ensemble. Les termes sont moins précieux que ceux qui unissent entre eux les humanistes parisiens imprégnés de Cicéron et d’Aristote76. Mais le sentiment existe et il s’exprime avec force.

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L’emploi du mot « compagnon » fait référence à des liens de solidarité plus diversifiés que ceux de l’amitié. Son expression est fréquente pour désigner les comparses qui agissent à côté du coupable dans le crime. Ils sont trois fois plus souvent présents aux côtés du suppliant qu’ils n’en sont victimes eux-mêmes, ce qui montre bien que c’est un groupe où l’on trouve des appuis plutôt que des ennemis. D’ailleurs, l’intervention des compagnons comme premiers participants aux côtés du coupable fait masse, comparée à celle des autres catégories, y compris à celle des membres de la parenté. Le monde des victimes connaît une fréquence comparable : elles peuvent compter sur leurs compagnons. Et, comme on pouvait s’en douter, leur place s’accroît en fonction du nombre des participants. Plus les participants sont nombreux, plus il y a de chances de voir entrer les compagnons aux côtés du coupable ou de la victime. Le contenu du mot vaut donc qu’on s’y arrête.

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Il peut être employé dans un sens proche de celui d’ami et recouvrir, comme le mot ami, des données de la parenté. Ce coupable et cette victime ont été « affins, amis, compagnons et ont demouré ensemble »77. Quant à celui-ci, il s’en va « accompagné de plusieurs compagnons tant de ses amis charnels comme d’autres » 78. On peut donc être parent et compagnon. Mais, inversement, tous les compagnons ne sont pas

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obligatoirement des parents, voire des amis. Ici, l’accompagnement sur la route entraîne sans doute l’emploi du vocable. Etre compagnon implique donc une activité commune. On touche là toute l’ambiguïté du terme. 38

Commençons par son emploi le plus rare dans la vie concrète. Il désigne un statut socio-professionnel, celui de l’homme rompu à la pratique d’un métier et qui l’exerce pour le compte d’un maître. Cet emploi correspond à celui de valet pris au sens professionnel79. On peut parler de « compagnons » cordonniers, bouchers, savetiers ferronniers, menestrels, etc. Les compagnons d’un même métier dans une même ville ont tendance à se retrouver ; lors des altercations, ils sont ensemble, pour se défendre ou pour se tuer. Voici, en 1385, les « compagnons couturiers » de Baroville dans le bailliage de Sens venus à la fête de Bar-sur-Aube pour boire et danser. Mal accueillis par un habitant du lieu qui les injurie, ils sortent les couteaux, traînent leur « ennemi » dans le cimetière et affrontent bientôt plusieurs membres de la communauté rivale 80. N’imaginons pas que ces « compagnons » sont des célibataires en mal de fête. Les uns et les autres ont femme et enfants. La solidarité de travail est incontestable ; il faut sans doute lui ajouter une solidarité d’âges. Tous ces compagnons appartiennent à des générations proches ; ils sont, socialement et biologiquement, des égaux.

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Le second emploi de « compagnon » insiste justement sur cette solidarité de classe d’âge qui est un des privilèges masculins, surtout pour la population des célibataires. Les prostituées ou les femmes faciles sont « renommees de faire pour les compagnons ». Quant à Jeanne, femme mariée, elle s’est « acointee » d’un « compaignon non marié » 81. Pris dans ce sens, le mot compagnon insiste encore sur l’égalité de la relation que supposent l’âge et le célibat. Cette solidarité est, comme nous l’avons vu pour les « jeunes », l’occasion de multiplier les fêtes et les jeux dont le maintien est nécessaire à l’équilibre de la communauté82. Mais elle est encore loin, à la fin du Moyen Age, de se limiter aux jeunes célibataires. Lorsque ces « compagnons » du bailliage de Vermandois, originaires du même lieu, décident de boire et danser dans une taverne où ils projettent d’amener des femmes, l’un d’entre eux se désolidarise du groupe : il ne veut pas que les autres emmènent sa femme83 ! Sans cet ultime recul, rien dans son attitude ni dans sa dénomination ne le différenciait des autres. On désigne donc sous le terme collectif de « compagnons » tous ceux qui, originaires d’un même lieu, font partie d’une même classe d’âge et qui s’adonnent à des activités festives. Les compagnons sont des voisins auxquels l’âge et la relation ludique ajoutent d’autres formes de complicité.

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Mais le terme « compagnon » est le plus fréquemment employé pour définir une relation par rapport à un autre individu quel qu’il soit. On est le compagnon de quelqu’un. La nuance entre le compagnon et l’ami semble ténue car, à propos de cette relation de compagnonnage, on trouve employés des termes affectifs aussi forts que « bonne amour » ou « fraternité ». Le compagnon peut partager les mêmes fonctions et la même affection que l’ami. Jean de Brédeville se rend avec un compagnon à une fête ; ils rencontrent un débiteur qui réclame son dû. Jean s’en mêle, à tort lui dit le débiteur, mais Jean rétorque : « Il est mon compaignon, si puis bien parler » 84. Le compagnon partage aussi, comme l’ami, le pain et le vin. Interrogé par les juges du Châtelet sur les relations qu’il entretenait avec Jean Le Brun, Richard de Compiègne, Jehannin de SaintCloud et Perrin Quatredois, Perrin Du Quesnoy répond « que avecques eulx jour de sa vie il ne compaigna, beut, menga ou coucha avec aucun d’iceulx compaignons dessus nommez »85. Quant aux devoirs d’assistance, ils ne diffèrent guère de ceux qu’implique

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l’amitié. Celui-ci, agressé, s’écrie : « Mon compagnon ! Me laisseras-tu ainsi battre et frapper »86 ? 41

Néanmoins, pour être confondue avec l’amitié, la « compagnie » se doit d’être « bonne ». Voici un exposant qui a eu de la chance au jeu. Avec l’écot, il offre le souper en la taverne « par bonne compaignie et amitié »87. Le qualificatif fait confondre les deux notions. Lorsque ce jeune valet du bailliage d’Amiens intervient pour défendre son « ami » agressé, il agit « meu d’amour et de bonne compaignie » 88.

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Cette différence suppose des nuances importantes entre le compagnon et l’ami. La notion de compagnon insiste davantage sur une origine géographique commune, qu’il s’agisse des habitants d’un même terroir ou d’étrangers. Dans près de 40 % des cas le mot implique une solidarité géographique89. Des Hollandais venus à Abbeville sont des « compagnons » comme le sont ceux de Neauphle qui se battent contre ceux d’Elancourt90. Le mot reflète bien la mise en commun d’un espace âprement défendu. A la différence de l’ami, le compagnon est aussi plus fréquemment en nombre. Il n’est pas rare de voir des groupes de plus de quatre individus se former et circuler. Ces compagnons venus d’Amiens pour aller à Paris sont quatorze ou quinze ; ceux-ci sont quatre qui vont voir une femme et la tirent de son lit pour faire leur volonté ; ceux-là encore sont dix-huit de la même ville à souper à la taverne 91. Il n’y a donc pas loin des compagnons à la compagnie et les deux termes peuvent être employés l’un pour l’autre. Ce sergent arrivant à la taverne dit : « Dieu gart les compaignons ! », tandis qu’un autre salue « la compagnie »92. Le mot « compagnon » désigne bien la solidarité de groupe plutôt que la relation individuelle. Ou, plus exactement, il suppose des solidarités individuelles bien circonscrites.

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En effet, le terme « compagnon » se trouve directement associé au verbe « estre » et désigne un état : « estre compagnon ». Cet état est lui-même associé à des activités qui peuvent être temporaires. Dans la société militaire, c’est combattre pour un temps ensemble. Dans la vie quotidienne, on devient compagnon quand on a bu et mangé ensemble. Le mot garde bien son sens étymologique : cum panatico. Un dimanche de juillet 1392, Jean Du Fois est avec d’autres compagnons à la taverne de Massay, en Berry, lorsque survient Guillaume Malendos « lequel se compaigna et but avec eulx » 93. On retrouve ici l’emploi du verbe et le sens évoqué précédemment à propos de Jean Le Brun94.

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Voici enfin un exemple qui résume assez bien la nature de ces relations. Il s’agit d’un verrier qui, à l’occasion d’un chantier à Bourges, est logé chez un autre artisan, maçon de son métier, « lequel suppliant paisiblement et en grant amour compaignoit le dit Claux en buveant et mangeant souvent avecques lui et ouvrant ensemble chacun de son metier »95. Seule une chambrière introduisit la perfidie de ses paroles de femme dans cette amitié d’hommes. Et encore, après le terrible coup de couteau, ont-ils continué à boire et manger ensemble, l’espace des quinze jours qui ont séparé le maçon de la mort.

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Malgré un rituel proche, la compagnie se différencie cependant de l’amitié. Le temps de la compagnie ne s’inscrit pas dans une durée sans limite. On est compagnon le temps d’un repas, d’un travail en commun, voire d’un bout de chemin parcouru ensemble. Pendant ce temps éventuellement court, les solidarités jouent à plein. Les relations de compagnie impliquent, comme nous l’avons déjà vu, une alliance où la défense mutuelle est considérée comme un devoir. Jean Aubry, voulant s’emparer de deux hommes, dit à ses compagnons : « Avant ! Seigneurs, avant ! Veez cy des gens, faites vos devoirs »96. Et, aussitôt, ses compagnons l’aident à réaliser son projet. « Compagnier »

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c’est contracter une alliance temporaire dont les termes, même s’ils n’ont rien d’écrit, sont parfaitement connus des partenaires. Certes, comme le montre le crime qui éclôt parfois entre compagnons, il peut y avoir des entorses à la règle et ces liens circonstanciels sont alors rompus jusqu’à ce que mort s’ensuive. Mais l’échec de l’alliance reste plus rare que la protection qu’elle assure. 46

Ce n’est donc pas un hasard si le mot « compagnie » désigne aussi bien le groupe militaire que celui, civil, de l’entourage de l’individu. Les liens contractuels qui en rassemblent les membres sont de même nature. Ils se rapprochent des liens d’alliance qui caractérisent la féodalité bâtarde de la fin du Moyen Age et dont P. S. Lewis a bien montré l’originalité97. Le vocabulaire qui désigne les contractants de ces alliances qui sont passées entre égaux n’est guère différent. On y parle d’amour et de bienveillance, d’assistance et de défense. Mais, à la différence de ce qui se passe dans la société militaire et aristocratique de la fin du Moyen Age, l’accord scellé par le geste qui fonde l’égalité, celui de boire au même pot, de se tendre la main, voire de marcher ensemble en s’accompagnant sur le chemin, reste silencieux pour l’historien. Seuls les résultats de la solidarité sont là pour confirmer la portée de ces gestes dont la signification symbolique est génératrice de parenté. En faisant entrer la vie de relation dans ce qu’on peut appeler la sphère du sacré, la violence se trouve par là-même limitée 98.

LE JEU DES PARTIS 47

Ce que les rapports entre voisins révèlent des failles qui parcourent la communauté, comme ce que les alliances implicites entre compagnons y révèlent des liens de solidarité, montrent que l’individu n’est rien s’il ne se meut pas dans un groupe où il trouve ses appuis. Le crime permet de mesurer la force de ce groupe qui se mobilise dès que l’individu est attaqué. Le nombre de participants aux côtés du coupable, étudié en relation avec le lien que ces participants tissent avec le coupable, prouve que plus ce nombre est grand, plus le réseau des solidarités fait appel à des liens élargis. Dans les cas qui rassemblent entre deux et quatre participants les intervenants sont encore assez diversifiés et la priorité reste aux parents, le lien professionnel n’étant pas encore négligeable. Dans les cas qui rassemblent plus de quatre participants, les parents ne constituent plus qu’un quart des intervenants, tandis que les voisins font irruption à égalité avec les parents et que les compagnons entrent pour moitié dans la composition du groupe (tableau 33, chapitre 14).

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Ce groupe n’est pas seulement composé de compagnons ou d’amis : y entrent aussi ceux qui constituent la parenté artificielle, les parents par le sang ou par alliance. Tous sont liés par une relation qui leur fait promettre implicitement l’assistance mutuelle. Et, dans cette relation, il convient de privilégier les égaux aux dépens des rapports hiérarchiques. Cela ne veut pas dire que cette société ne connaît pas les relations hiérarchiques. Mais elles sont utilisées à d’autres fins que celles de la défense physique. On voit des aïeuls intervenir pour témoigner de la tutelle de leurs petits-enfants orphelins, on ne les voit pas entrer dans la rixe99. Si le fils vient souvent au secours de son père et le valet à celui de son maître, l’inverse est déjà moins fréquent, sans doute parce que la défense est une affaire de force physique. Cet écuyer du bailliage de Tournai, accompagné de ses cousins et de compagnons, entre en rixe avec des ennemis de la même génération puisqu’il s’agit de deux frères ; quant à Jacques Pourcelet et à Gérard Jehan de la ville de Douai, ils s’affrontent par groupes de valets interposés 100. En

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règle générale, les participants sont donc surtout des égaux en âge, qu’ils soient célibataires ou mariés. 49

La seconde caractéristique du groupe est son recrutement géographique : plus le crime rassemble de participants, plus ceux-ci sont originaires du même lieu. Quand il y a plus de trois participants, dans près de 70 % des cas, ils habitent au même endroit que le coupable. Cette constatation interdit de conclure à une collectivité de hasard. Au contraire, l’appartenance géographique soude le groupe en même temps qu’elle le rend opérationnel et efficace. Cette concentration des liens dans un espace donné contribue à les croiser et à les renforcer. Les voisins peuvent aussi être parents par le sang ou par l’alliance et devenir compagnons l’espace d’un crime. De tels croisements peuvent d’ailleurs fausser le jeu des partis et poser de réels problèmes d’obédience aux membres de tel ou tel groupement. Voici un homme du bailliage d’Amiens, à la fois oncle du suppliant et « compere » de la victime101. Que tente-t-il de faire ? Il refuse de choisir son camp de façon abrupte, ce qui en dit long sur le poids de la parenté artificielle. Néanmoins, il intervient pour faire taire son « compere » et, en définitive, il choisit la voie étroite de la conciliation au profit de la parenté. Il est vrai que l’agresseur, son compère, avait la lourde réputation d’être « merveilleux contre aucuns de ses voisins » et qu’il lui était difficile de le défendre.

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Mais, nous l’avons vu dans le cas des voisins, cette proximité des lieux n’interdit pas les querelles ; au contraire, elle les entretient. Si bien qu’il faut en déduire que l’espace aux petites dimensions dans lequel se meuvent les supppliants se partage en groupes antagonistes dont les conflits peuvent effectivement conduire au crime. Le vocabulaire qui désigne ces groupes appelle une nouvelle comparaison avec la structure sociale de type contractuel qui caractérise la société des XIVe et XV e siècles. Les archives judiciaires parlent des « compagnies », « alliances », « amitiés » auxquelles appartiennent les suppliants ou encore plus brièvement de « la partie de ». Celui qui attaque Macé Malou, écuyer, est « de la compaignie et aliance dudit Vroissart » son ennemi102. Les membres de ces groupements sont « amis », « familiers » ou « alliés » et « complices et adherens » ; le vocabulaire latin, plus riche que la langue vulgaire, ajoute satellites et socii à adherentes 103. Les sentiments qui les unissent manifestent leur « accointance », « familiarité », « amitié »104. Enfin, leur action les « associe »105.

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L’usage de ce vocabulaire n’est pas limité à l’armée comme pourrait le laisser supposer certains exemples. Un boucher d’Orléans appelle « les gens de son amitié » pour venir à bout d’un écorcheur de la ville qui lui cherche querelle. Quant à ce laboureur du bailliage de Vermandois, il se plaint d’être accusé de tenir la veuve Gilette comme ribaude par un habitant de Laval-Morency et par « ceux de son amitié » 106. Le vocabulaire est donc bien calqué sur celui qui, dès le règne de Jean le Bon, désigne le parti navarrais et qui se retrouve ensuite au temps des Armagnacs et des Bourguignons107.

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L’individu est partie prenante d’un groupe dont il est solidaire et dont il épouse toutes les querelles. Et, dans ce groupe, les membres sont interchangeables. Voici un cas où apparaissent toutes ces exigences. Pour avoir refusé de prêter de l’argent à Richart Le Vasseur, Hébert Mart, un exposant du bailliage de Caux, s’entend dire : « tu es un mauvais hardel et faulx, ne ta compaignie ne vault riens » 108. Puis la querelle s’envenime et un des « amis » d’Hébert intervient auprès de Richart : « Se Hebert Mart t’a riens meffait je te le amenderay ». Mais l’autre continue de menacer l’exposant en lui disant : « je te convenance que je te courrouceray encore nuyt, toy ou tes amis ».

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Cette référence à l’existence de véritables « partis » permet de mieux comprendre l’originalité de la structure sociale en France aux XIVe et XV e siècles. En milieu rural comme chez les nobles ou les clercs, il existe des regroupements, des coalitions ou encore des alliances qui ont autour des individus une fonction de protection. Le but est de rassembler le plus grand nombre de gens et la puissance se mesure au nombre des amis comme à leur influence. Ce suppliant du bailliage d’Amiens a préféré s’enfuir après son crime plutôt que d’affronter « la puissance des amis du diz deffunt qui sont grans et puissans »109.

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Certes, dans cette société très ordinaire, à l’horizon de ces « partis », ne se profile pas l’enjeu de carrières prestigieuses comme c’est le cas pour les clientèles cardinalices 110. Mais l’assistance que se portent les membres conduit aux mêmes préoccupations : organisation des mariages et des alliances, défense des vies menacées, sauvegarde et amplification de l’« honneur ». Ce suppliant accusé publiquement d’un vol de cave voit son honneur blessé et aussitôt les gens de « son amitié » s’occupent de sa défense, face à ceux de son accusateur qui, à leur tour, « envoierent certaines personnes de leur amistié pour eulx excuser de ce qu’il leur avoit mis sus, en disant qu’il avoit mal fait de mettre sus telz meffaiz et mauvaistiez et qu’il lui amendast et s’en desdit 111.

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Quant à celui-là, il subit les reproches de ceux de son parti parce qu’il ne les a pas appelés pour riposter aux injures qu’il a subies112. Si l’individu semble trop faible pour entreprendre une riposte, le groupe prend le relais. Celui-ci croit échapper à la dénonciation de sa victime mais il doit affronter celle des parents et amis qui, par haine, se sont plaints à la justice ; celui-là, malade après une rixe, n’a pas l’intention de se plaindre : il subit « l’ennortement et exitacion d’aucun malveillans et hayneux du dit suppliant » qui, bien entendu, sont de sa « partie »113.

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L’analyse des sentiments qui soudent les groupes et qui les opposent, permet de mesurer leur force et le poids dont ils pèsent dans la violence. Les exemples précédents l’ont déjà suggéré ; il n’est question que de haineux opposés aux amis. La société semble divisée en deux clans nettement antithétiques, suivant une opposition datant des anciens âges, celle qui fait se mouvoir le monde selon les deux principes antagonistes de la haine et de l’amour114. Comme l’écrit B. Guenée à propos des gens de justice du bailliage de Senlis, le mot « haine » est constant 115. Celui-ci se plaint d’avoir été pris par le bailli par « hayne », celui-là par le prévôt116. Suivent à ce propos des descriptions de scènes de torture où l’acharnement de l’officier relève d’une hargne destructrice. La torture, dans le balbutiement de son implantation, est fille de la haine. A ce vocabulaire, les textes de la pratique judiciaire opposent celui de « faveur » 117. Autour de ces mots sont construits les deux ressorts psychologiques de la plaidoirie. Pour se défendre, l’inculpé construit son argumentation jusqu’à ce qu’il puisse affirmer que « tout a eté fait sans corruption et sans hayne »118.

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Le ressort affectif que suppose une telle passion inquiète les juristes du Parlement comme la Chancellerie, la haine étant évidemment liée à la préméditation 119. Aussi estil normal que le mot « haine » et ses dérivés soient plus couramment employés par le Parlement que par la Chancellerie et que, lorsque la rémission évoque la haine, elle désigne le clan de la victime plus facilement que celui du coupable. Les théologiens apportent à cette analyse une explication psychologique. L’interrogation de saint Thomas est significative. A la question : « Utrum ira sit gravior quam odium », il répond en interpellant Aristote et saint Augustin et, analysant la haine à la fois comme un habitus et une passion, il conclut par un emprunt à la Rhétorique d’Aristote : « odium est magis

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insanabile quam ira »120. Mais, finalement, le philosophe s’interroge davantage sur la colère que sur la haine. La démarche de Jean Gerson est identique, et quand il parle de la paix qui doit réconcilier les parties adverses dans l’Eglise comme dans l’Etat, il oppose la discorde à la concorde, la division à l’union plus que la haine à l’amour 121. La haine est seulement au cour des œuvres polémiques122. 58

Dans la vie courante, la haine que peuvent éprouver les protagonistes connaît un crescendo qui conduit au crime de façon irréversible. Elle atteint le sommet de la « haine capitale » ou odium capitale, avant d’avoir été simple « haine », puis « grande haine »123. Alors, celui qui n’était qu’un adversaire devient un « ennemi » puis un « ennemi capital »124. A ce degré, le groupe des alliés ne peut plus discuter son appui. La guerre est « mortelle » et la vengeance éclate125.

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Ces mêmes effets de la haine pétrie, comme le dit saint Thomas, du poids de l' habitus, opposent les « bienveillants » aux « malveillants ». Ces mots, plus fréquents que les sentiments eux-mêmes, empruntent à la fois à la pratique et aux réseaux d’alliance. On les saisit en actes, quand ces groupes cherchent la faille de la partie adverse pour choisir de la dénoncer. Si un crime est commis, trouvons son « haineux » qui a fait sortir du silence ce que la communauté saurait très bien taire aux autorités. Nous retrouvons-là les effets pervers de la fama plusieurs fois évoqués. Quant au groupement lui-même, il n’est pas difficile d’imaginer qu’il recoupe l’alliance. Un cas évoqué par les notes d’audience prises par ce praticien anonyme vers 1384-1386 donne une idée de l’étendue de ces groupes. Il s’agit de l’affaire Cados contre les religieux de Soissons. Le degré de haine des religieux est tel que sont visés tous les parents, y compris un enfant de moins de trois ans, mais aussi « le fournier qui cuit leur pain, le munier qui molt leur blé, le boucher qui leur vent de la char et les laboureurs qui font leurs heritages » 126. L’excommunication prise par les religieux est la manifestation concrète de cette « haine », du moins aux yeux de la partie adverse. Elle s’étend enfin « a tous ceulx qui parlent a eulx ».

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La haine est large et la dénonciation qui l’accompagne se nourrit de toute faille qui fait dévier de la norme. La guerre civile, en son temps, apporte encore des motifs supplémentaires. Jean Laugier, en février 1416, se défend au Parlement contre le prévôt de Melun, son « ennemi mortel »127. Celui-ci prend prétexte d’une « bature » pour faire information contre Laugier. Sur cette dénonciation dont le motif est classique, vient se greffer un motif politique qui conduit Laugier à la Conciergerie « pour ce que l’on disoit qu’il avoit favorisié le duc de Bourgogne ».

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Ainsi s’établit une véritable complicité entre le groupe et les autorités judiciaires. Il n’y a donc pas, répétons-le, d’antagonisme entre le groupe et la justice du roi. L’Etat s’est implanté au bout de la chaîne des crimes et la violence vient se briser, volontairement et en confiance, sur le fonctionnement des institutions qui en dernier ressort se doivent de trancher128.

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Pourtant le jeu des partis est ambigu. Les alliances sont dans la vie sociale d'un poids tel qu’il les situe aux marges de l’illégalité ; leur action, particulièrement en temps de guerre, est jugée dangereuse129. Si les amis charnels et l’amour naturel sont reconnus par la Chancellerie, le pouvoir reste méfiant vis-à-vis des autres formes de solidarité entre égaux. Aucune mention des compagnons ne vient atténuer la charge du crime. Au mieux, ils se transforment en « amis », terme dont nous avons vu l’ambiguïté, quand la Chancellerie les prend en compte pour justifier sa grâce. Sensible au sang, l’Etat ne l’est guère aux rituels de sociabilité. Et les suppliants ne sont pas loin de lui emboîter le pas

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quand un individu fait appel à un groupe trop important de compagnons pour peu qu’ils soient armés jusqu’aux dents et étrangers au pays. C’est le cas de ces vingt compagnons à cheval qui, en 1385 à Arras, « faisoient plusieurs grans dommages, desordres sur le pais d’environ le dit lieu et ailleurs » 130. 63

Leur attitude s’apparente à celle des gens d’armes et leur crime consiste en tentative de viols collectifs et en pillages. Mais ce sont là des cas extraordinaires comme le sont ceux qui, à la manière des lords anglais, pratiqueraient la « maintenance », le soutien illégal en justice. Sans aller jusqu’à ces excès, la « compagnie » dérange. Comme l’a bien montré É. Coornaert pour les villes du Nord, tout embryon d’alliance est ressenti comme une coalition, comme un danger pour le roi131. Les décisions prises par le gouvernement royal pour limiter les groupes de pression et les rassemblements en armes ne sont pas seulement destinées à prévenir des mouvements de révolte ; elles visent aussi les regroupements d’alliances qui coalisent les égaux autour de l’individu.

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Le profil des réseaux de solidarité est donc relativement clair : une complicité géographique réunit un clan où se retrouve, au coeur, la parenté, ceux que commandent le sang et l’alliance et qui sont les soutiens les plus sûrs, même s’ils ne sont pas les plus nombreux ; leurs liens ont pour eux d’être proches, évidents et durables. Puis viennent ceux que l’inclinaison des sentiments a préférés et qui sont souvent devenus, fictivement, des parents. Là aussi, le lien créé a pris une dimension temporelle solide. Remarquons que dans tous ces cas qui secrétent une solidarité durable, l’Eglise encadre, cerne le groupe en le définissant par rapport à l’extérieur ; en dehors de ces limites commence l’exogamie. Enfin suit la troupe nombreuse de ceux que les rites de convivialité permettent d’inclure pour un délai plus ou moins long, selon une relation de type contractuel. Tous ceux-là veulent du bien et ils sont susceptibles d’accompagner le coupable ou la victime jusque dans la mort. On pourrait les retrouver pétris dans la pierre du cortège funéraire, tels ceux qui, famille en tête, ont accompagné Clément VI sur son tombeau à la Chaise-Dieu, car les structures d’appuis ne sont pas si différentes entre le pape d’Avignon et le simple laboureur du royaume de France132.

SUJET ET PARENT 65

Ce que nous avons vu de l’ingérence de l’Etat dans les règlements judiciaires doit cependant être nuancé. Si l’Etat impose au même moment la sujétion, dans quelle mesure peut-il laisser prévaloir les rapports de parenté ?

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Les accords passés devant le Parlement confirment à quel point la justice royale est respectueuse de la parenté quand il s’agit de rétablir la paix. Pour résoudre les problèmes qui surgissent entre frères et soeurs à propos d’un héritage, l’autorisation est donnée de s’accorder au nom de la paix qui doit régner dans le lignage 133. Le lien évoqué est encore plus fort quand il s’agit d’une mère et de son fils. Lorsqu’en mars 1403, à Lyon, un désaccord se produit au sujet du testament de Jean Durant entre sa veuve remariée et leurs enfants mineurs, la Chancellerie souhaite l’accord entre les protagonistes, en particulier pour « nourrir paix et amour entre eulx comme de mere et d’enffans »134. En règle générale, tous les rapports de parenté par le sang et l’alliance se trouvent ainsi évoqués comme une circonstance favorable à l’accord 135. Cette relation privilégiée s’étend à des parentés fictives, comme celles qui peuvent lier moines et chanoines, tels ceux de Langres qui sont appelés « freres et conchanoines » 136. Elle

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gagne aussi les voisins. En 1390, Gervaise Valette, appelant du bailliage de Touraine, désire s’accorder avec Jean de La Rivière, « pour bien de pais et amour nourrir entre eulx qui sont voisins et amis » ; autorisation leur est donnée, en particulier pour ce motif ; ailleurs, à Coucy, deux parties sont unies « pour bien de paix et par amour nourrir entre lesdites parties qui sont voisines et d’un païs » 137. Le cas de Henri Auchier et de Guillaume Laurens résume bien ce double respect de la parenté et du voisinage puisque l’accord est autorisé « comme icelles parties soient d’une seule ville, d’une admistié et lignage qui est entre eulx »138. La paix qui devrait régner entre les parents mais aussi entre ceux qui, à un titre quelconque, sont solidaires, se trouve rétablie en raison même des lois de cette solidarité. La royauté se sert bien, au premier chef, des garanties contre la violence que la société s’est imposées. 67

Ces raisons s’étendent-elles aux liens qui doivent unir les sujets entre eux, et peut-on définir la sujétion comme une extension de la parenté ? Le vocabulaire des accords témoigne de la paix que le roi veut voir régner entre ses sujets : « pourquoy nous, ces choses considerees, qui voulons briesve fin estre mise es causes et proces et paix et amour nourrir entre noz subgez »139. Néanmoins, cette formule est loin d’être toujours employée et, quand il y a d’autres formes de relations entre les protagonistes, elle s’estompe à leur profit. La sujétion semble indépendante de la parenté, et surtout elle s’incline devant elle.

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Il peut arriver, et le fait s’est aiguisé pendant la guerre civile, que la sujétion ait eu besoin, pour être définie, de se compléter du sang et de l’alliance. Prenons un exemple pris au terme du conflit qui oppose les Armagnacs et les Bourguignons. Lorsque Charles VI, le 27 février 1419, écrit au dauphin pour l’engager à respecter le traité de SaintMaur-des-Fossés, il affirme agir pour le bien du royaume et la conservation de ses sujets, et il décrit la désolation qu’ont engendrée la guerre civile et la défaite d’Azincourt140. Apparemment, la sujétion y est bien définie comme une conséquence du bien commun, selon le sens traditionnel qui découle de la res publica. Mais, très vite, le texte dérape quand il évoque les divisions que la présence anglaise entretient. Pour faire face à l’invasion, le roi a besoin de toutes les forces et il se doit de compter sur « lesdits de notre sang et autres nos subgets, amys, alliés et bienveillans » 141. Le vocabulaire de l’alliance et de la parenté englobe et noie celui de la sujétion dans un texte pourtant destiné à être publié « par toutes les bonnes villes et a tous les sujets de notre royaume ». Les sujets sont divisés ; le roi en prend acte en les séparant en bienveillants et malveillants. Ces remarques que la conjoncture avive, montrent les confusions qui peuvent encore exister, à la fin du règne de Charles VI, entre la sujétion et la parenté.

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On pourrait penser que, si les rapports entre les sujets ne sont pas encore du domaine de la fraternité, il existe néanmoins entre le roi et les sujets un rapport de parenté privilégié. Il est affirmé de façon théorique par le procureur du roi qui, en 1406, à l’occasion du procès de Jean de Fontaines, chevalier, affirme que « sur toutes choses on doit servir, reverer et obeir a son souverain seigneur et a ses officiers et plus amer que ses propres femmes et enfans »142. Jean Gerson et les théoriciens du règne de Charles VI expriment cette forme de parenté supérieure qui unit le sujet à son roi en employant l’expression « amour naturelle », celui qu’impose la naissance 143. Qu’en est-il dans la pratique ?

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La réalité montre l’inachèvement des applications théoriques. En règle générale, le lien naturel qui unit les sujets au roi a besoin d’être conforté par le serment. L’obéissance

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passe par là dans tous les moments critiques du règne de Charles VI 144. La fonction du serment n’est pas seulement de fidélité145. Il peut être destiné à dresser un ordre de priorité entre la sujétion et la parenté. Le 8 août 1402, la Cour fait jurer à Mahieu de Lisques « que il ne recepte aide, ne conforte, ne face recepter, aider ne conforter aucunement messire Griffon de Lisques, chevalier, son frere, ne ses complices et aliez ou fait de guerre et voie de fait emprises par lediz messire Griffon contre la ville de Saint-Omer »146. Le serment exigé de Mahieu devait préciser en outre qu’il le prendrait et le livrerait à la justice. En fait, le contenu du serment comporte une exception de taille puisque cette dernière clause est réservée : « lequel messire Mahieu a rendu et juré que il ne receptera, aidera ou confortera, ne ne fera aider, recepter ou conforter aucunement lediz messire Griffon en ce que dist est, mais, de le prendre et bailler a justice, il n’en fera riens car il est son frere ». 71

La vie pratique est donc loin de répondre aux exigences des théoriciens. Au moment même où se multiplient les serments de sujétion, Jean Gerson en proclame l’inutilité, au nom même de l’amour naturel qui unit le sujet à son roi. Le 4 septembre 1413, dans son discours contre Jean Petit, l’argument vient après les soubresauts de l’émeute à l’appui d’une définition du corps mystique. Pour étayer sa démonstration, Jean Gerson prend l’exemple du duc de Bourbon qui aurait refusé de prêter serment avec ceux de son lignage « disant que bien lui suffisoit l’obligation naturelle » 147. On pourrait penser qu’il s’agit là d’une de ces condamnations d’alliances, d’une critique des abus de la société contractuelle dont on possède d’autres exemples chez Philippe de Mézières ou chez Christine de Pizan148. La pensée de Jean Gerson englobe, en fait, l’ensemble de la vie publique et s’interroge sur la nature du lien de fidélité : « Parlons de loyal amour et bonne foy en laquelle git la vie publique du roy et son authorité. Et est merveille comme cette loyauté ne se maintient sans aultre assurance ou convenance ou obligation de serment et jurement. Car se obligation naturelle fault a tenir loyaulté c’est fort que l’obligation de jurement et de promesse y suffise ». On ne peut pas mieux dire la prééminence des liens d’amour qui unissent le sujet au roi sur toute autre forme contractuelle. L’obéissance en découle. Le lien qui unit les sujets au roi, puis les sujets entre eux, emprunte largement à Cicéron quand il écrit dans le De officiis : « ejus autem vinculum est ratio et oratio, quae conciliat inter se homines conjungitque naturali quadam societate »149. En ce début du XVe siècle, cette vision a cependant contre elle d’être isolée. Même Jean de Terrevermeille décrit une fidélité qui relève de l'habitus plus que d’une forme d’inclinaison dont les termes sont empruntés à la parenté 150.

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La pensée des théoriciens est encore sur ce point loin d’être parfaitement affirmée. Pour Nicolas de Clamanges, la guerre civile, nous l’avons vu, est une lutte contre la mère qu’il confond avec la patrie : « Quis oro vestrum, carnalem matrem si inter bellanles se mediam objiceret, non ferire perhorresceret »151. L’idée pourrait impliquer que les hommes sont tous frères. L’expression n’est pas chez Nicolas de Clamanges où seule surnage cette image de la mère confondue avec la Gaule. Sa définition de la guerre civile continue à mettre au premier plan les luttes entre les princes aux dépens de celles qui opposent les sujets : « non solum bellum civile, quod inter unius urbis aut patriae cives geritur, sed bellum domesticum, bellum intestinum, bellum familiare, bellum consanguineum, quod inter unius corporis viscera, inter unius domus, unius familiae, unius generis, unius sanguinis homines (pro nephas) gerendum paratur »152.

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Le lien avec la patrie est ainsi timidement conçu comme un lien de filiation 153. Qu’en est-il pour le roi ? Est-il le père comme tend à le suggérer P. Legendre 154 ? On sait que

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les textes législatifs qui accompagnent la naissance de l’Etat trouvent leur légitimité dans la référence généalogique155. Quelle a pu être la vulgarisation de cette idée ? 74

A considérer les textes judiciaires, le seul sang qui fonde la lignée de ces hommes, sans qu’il y ait d’intermédiaire autre que le père et la mère, remonte à celui du Christ. On passe presque directement à ce sang fondateur. Car, si le sang répandu de la parenté effraie, celui de Dieu rassure. Il revient en constante dans les jurons : « par le sang Dieu » et cette assertion précède la vérité des paroles proférées ; elle les authentifie. Parfois la parole explicite le juron : « Laissiez-moi aller par le sang que Dieu espandi, je le tueroy avant qu’il parte de la place ! » s’exclame un suppliant sûr d’avoir fondé son bon droit156. Garant de la vérité, ce sang l’est parce qu’il est source de vie. La grâce accordée au moment de Pâques, la libération des prisonniers que décide alors le Parlement, la main du bourreau arrêtée le temps de remémorer le sang fondateur sont autant de signes accordés au sang de Dieu qui coule157. Laissons la Chancellerie exprimer le sens de la passion du Christ à laquelle les sujets du roi se réfèrent maladroitement en évoquant sans cesse le sang divin : « la passion du Christ en laquelle a eu et souffert mort et passion pour tout humain lignage racheter » 158. On ne peut pas mieux dire comment la référence divine fonde la filiation. Et ces hommes et ces femmes invoquant sans cesse le « sang Dieu » ne font pas autre chose que de proclamer leur croyance au discours sur les origines.

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La société, généalogiquement construite comme un tout, peut fonctionner. Mais on reste au stade premier, quoiqu’essentiel, de la construction, celui qui, en nouant la filiation fondamentale et le pouvoir, justifie l’obéissance. Celle-ci s’incline devant Dieu avant de s’abaisser devant le roi. Il n’est pas le père. L’explication n’est pas seulement politique au sens étroit du mot. Pour comprendre ce phénomène, cet inachèvement, il faut se reporter à la conscience que ces hommes ont de leur parenté et de leurs alliances. Il n’en n’émerge pas, du moins pas encore, sauf justement pour les nobles et sans doute pour quelques « dynasties » bourgeoises, de différenciation entre les lignées, celle que créent les généalogies particulières159. Ainsi, pour la plus grande partie de la société qui ne peut concevoir que ce lien direct et premier qui les relie à Dieu dans un temps mythique, les rapports de parenté et d’alliance sont, concrètement comme abstraitement, vécus dans le simultané. Tout se passe comme si la filiation avait encore quelque chose d’inachevé. La référence au droit romain ne suffit pas à créer dans l’ensemble du royaume une illusion des origines. Enfin, outre ces considérations qui tiennent aux résistances de la conscience généalogique, il resterait à savoir si le pouvoir a réellement tenté de développer l’image d’un roi-père. La place de la lèsemajesté devrait permettre de le préciser160. Mais on peut dire, pour conclure, que l’urgence du crime n’explique pas, à elle seule, le regroupement horizontal des solidarités et les lignes de faille qui les opposent selon les lois de l’amour et de la haine. Les fondements de la parenté, les balbutiements d’une sujétion qui en reste distincte constituent la trame où éclate la violence.

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NOTES 1. Voir les données chiffrées tableaux 32 à 34, chapitre 14. 2. Sur la genèse de cette parenté spirituelle, M. BENNETT, Spiritual Kinship..., chapitre 1. 3. JJ 181, 231, lettre citée chapitre 11, n. 7. 4. JJ 169, 47, novembre 1415, TORTERON (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). Le terme « compère » est bien employé ici dans un sens de parenté spirituelle. Il peut aussi désigner celui qui est d’intelligence avec un autre, JJ 127, 171, octobre 1385, LESSARD-LE-NATIONAL (bailliage de Mâcon). 5. JJ169, 198, avril 1416, PACY-SUR-EURE (bailliage de Rouen). 6. X 2a 14, fol. 296v., janvier 1406. 7. Sur la rareté des mariages prohibés dans les sources judiciaires, y compris dans les registres d’officialité, voir chapitre 13, n. 36 à 39. 8. Par exemple X 2a 14, fol. 117v., mars 1403 : le coupable présumé prétend que sa femme « n’est que commere » de celui qui est intervenu pour la défendre. 9. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 255. 10. Lettre citée supra, n. 3. 11. JJ 165, 306, lettre citée chapitre 13, n. 39. 12. JJ 169, 160, lettre citée chapitre 13, n. 36. 13. M. BENNETT, op. cit. supra, n. 2, p. 6. Le parrainage peut néanmoins recouper la parenté par le sang, par exemple X 2a 14, fol. 288v., novembre 1405. Le drame qui éclate entre Jean Le Caucheteur et Colart de Liancourt, et qui se termine par le meurtre du premier au retour d'un pèlerinage qu’ils avaient fait en commun près d’Abbeville, avait d’autant moins de raison d’être que les liens entre les deux hommes étaient serrés : le meurtrier est « cousin germain, parrin et compere de messire Colart de Liancourt ». Comme il s’agit de deux « nobles », on peut aussi s’interroger sur la spécificité des pratiques nobiliaires dans le domaine de la parenté spirituelle. 14. JJ 118, 48, lettre citée chapitre 6, n. 75. 15. JJ 127, 227, lettre citée chapitre 9, n. 120. 16. J. GOODY, L’évolution de la famille..., p. 205. 17. Sur cette appellation et la confrérie comme « structure de sociabilité », C. VINCENT, Des charités..., p. 225 et suiv. 18. JJ 169, 90, juin 1416, CAUVIGNY (bailliage de Senlis). 19. R. VAULTIER, Le folklore..., p. 173. Les registres d’officialité font état des excès qui en résultent, C. VINCENT, op. cit. supra, n. 17, p. 249. 20. JJ 165, 179, août 1411, ARROU (bailliage de Chartres). 21. Le texte mentionne « la liance » qui les unit, JJ 143, 169, septembre 1392, SAINT-DENISMAISONCELLES (bailliage de Caen). 22. C. VINCENT, op. cit. supra, n. 17, p. 250-251. 23. J. CHIFFOLEAU, La comptabilité..., p. 266-287. Outre des remarques suggestives, l’auteur donne une importante bibliographie. 24. Cité par J. DURAND, « Confréries », DDC col. 147. Sur le sens de cette notion de charité, G. LE BRAS, « Les confréries chrétiennes... », p. 337-339. 25. JJ 165, 183, septembre 1411, (bailliage de Cotentin). On pourrait penser que ce cas tient à la spécificité des statuts normands qui se contentent de formuler la « paix » entre les confrères de façon très vague, C. VINCENT, op. cit. supra, n. 17, p. 108. On rencontre un cas plus grave en Poitou, où l’élection d’un confrère comme « maître et gouverneur » de la confrérie Saint-Nicolas suscite l’« envie » de ses confrères qui se termine en homicide. Le nouveau maître Jean Bigot, laboureur de bras, avait pourtant « grant voulente et affeccion de bien faire son devoir en

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l’onneur de Dieu et dudit saint et aussi desdiz confreres », JJ 130, 268, juin 1387, SAINT-MAURICELA-CLOUÈRE (sénéchaussée de Saintonge). Il convient donc de nuancer la fonction de paix qui est reconnue aux confréries, G. LE BRAS, op. cit. supra, n. 24, p. 359. 26. JJ 120, 33, décembre 1381, BUCY-LE-LONG (bailliage de Vermandois). 27. Sur la force de l’injure sexuelle, voir chapitre 16, p. 719 et suiv. 28. Je remercie C. Vincent de m’avoir fait part de ses recherches menées de façon comparative avec d’autres confréries que les confréries normandes. Dès 1212, à Marseille, les statuts de la confrérie du Saint-Esprit précisent : « Item si quis de confratria ista discordiam aliquam habuerit adversus alium de confratria, possit illa discordia per rectores confratrie aut per alios si voluerint amicabiliter terminari », cité par V.L. BOURILLY, Essai sur l’histoire politique..., p. 50. Cet appel à l’arbitrage n’est pas réservé au XIIIe siècle. D’autres exemples peuvent êtres cités aux XIVe et XVe siècles, à Nolay, à Langres et à Lannion où, en 1444, un règlement pour la confrérie des cordonniers prévoit que les « abbés » de la confrérie règlent les différends survenus entre confrères au sujet du métier, Y. BRIAND, « Deux statuts de confréries lannionnaises », Société d’émulation des Côtes-du-Nord, 88 (1960), p. 36 et suiv. On peut se demander si ces arbitrages peuvent s’étendre au criminel, et si cette forme de résolution des conflits n’entre pas dans la méfiance qui entoure les confréries, méfiance partagée par le pouvoir civil et religieux, C. VINCENT, op. cit. supra, n. 17, p. 103. 29. Chapitre 6, p. 255 et suiv. 30. Sur la genèse de cette confraternité, Le mouvement confraternel..., p. 14 et suiv., et p. 247 et suiv. 31. JJ 143, 182, octobre 1392, FALAISE (bailliage de Caen). 32. JJ 151, 229, avril 1397, CHANTEAU et CERCOTTES (bailliage de Montargis et Cepoy). 33. JJ 155, 169, août 1400, VILLIERS-LE-BEL (prévôté de Paris). 34. JJ 169, 82, lettre citée chapitre 9, n. 90. 35. X 2a 16, fol. 185v.-189, juin 1412, SENLIS. Les voisins peuvent aussi témoigner pour désigner les tuteurs, en cas de mort du père ou de la mère et s’il existe des enfants mineurs. Leur présence est signalée après les parents par le sang et l’alliance, et au cas où ceux-ci ne sont pas assez nombreux pour valider la décision, Y 5220, fol. 185, 21 avril 1396 : « au tesmoignage de Jehan Godart pere, Jehan de Boinville cousin germain de par pere, Thomas Aymier, cousin remué de germain de par mere, Me Denis de Boinville, Jehan Gilbert, Robin de Wailly, Jehan le Charpentier, Guillemette du Chemin, amis et voisins de Yvonnet, Guillemette, Jehannin et Agnesot diz Godart, freres et seurs, enfans mendre d’ans dudit Jehan Godart et de feu Jehanne leur mere ». 36. JJ 155, 418, décembre 1400, POILLY-LEZ-GIEN (bailliage de Touraine). 37. X 2a 14, fol. 297, cité chapitre 5, p. 204. 38. JJ 155, 116, juin 1400. LAPRUGNE (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 39. JJ 169, 180, juillet 1416, (bailliage de Chartres). 40. JJ 120, 13, décembre 1381, AMIENS (bailliage d’Amiens). Nombreux portraits du voisin idéal dans la série des accords du Parlement, par exemple X le 81A, novembre 1400, et X le 82B, 268, décembre 1401. 41. JJ 208, 155, février 1481, BRESSUIRE (sénéchaussée de Poitou). 42. JJ 151, 237, lettre citée chapitre 6, n. 160, et JJ 160, 169, janvier 1406, (bailliage d’Évreux). 43. JJ 120, 39, janvier 1382, CONCHY-SUR-CANCHE (bailliage d’Amiens). Il ne s’agit pas de Cauchyà-la-Tour comme le suggère R. VAULTIER, Le folklore..., p. 83 ; la lettre mentionne clairement la localisation, « Couchi sui Canche en Artois ou bailliage de Hesdin », et la lettre est adressée au bailli d’Amiens. 44. De nombreux exemples dans R. VAULTIER, ibid., p. 221 et suiv. 45. JJ 120, 25, lettre citée chapitre 6, n. 150. 46. Perrin Gosselin, JJ 118, 80, novembre 1380, ROUEN (bailliage de Rouen). 47. JJ 120, 104, février 1382, BERNOUVILLE (bailliage de Caux). 48. Voir les exemples rassemblés par J. HILAIRE, « Vie en commun... », p. 8 et suiv.

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49. Rappelons que les meurtres entre voisins constituent environ 7 % des liens entre coupables et victimes (tableau 34, chapitre 14) ; les voisins interviennent comme premier participant aux côtés du coupable dans 3 % des cas ; ils interviennent aux côtés de la victime dans 1 % des cas seulement. Voir les ordres de grandeur donnés par le tableau 32, chapitre 14. 50. JJ 155, 129, juin 1400, GERNELLE (bailliage de Vermandois). 51. JJ 169, 82, lettre citée chapitre 9, n. 90, et supra, n. 34. 52. JJ 165, 300, juillet 1411, PARIS (prévôté de Paris). 53. JJ 150, 50, juillet 1396, LOULAY (sénéchaussée de Saintonge). 54. X 2a 14, fol. 156-158v., cité chapitre 9, n. 24. 55. Voir chapitre 3, p. 136 et suiv. 56. M. BLOCH, La société féodale, p. 192. 57. X la 4797, cité par A. BOSSUAT, « Les prisonniers... », p. 30, n. 4. Le terme englobe aussi tous ceux qui peuvent aider matériellement le suppliant devant les tribunaux, en particulier pour payer l’amende, par exemple X le 70A, 32, janvier 1395, (bailliage d’Amiens) : le montant de l’amende prévue est rabattu « moyennant la somme de 16 livres que les amis dudit appelant ont promis a paier a certains termes ». 58. Par exemple JJ 169, 121, avril 1416, BEAUFORT-EN-SANTERRE (bailliage d’Amiens). 59. Y 5220, fol. 199v., mai 1396. Cas semblable, ibid., fol. 186v., avril 1396. En 1410, Ch. de Pizan emploie l’expression « amis par nature » pour désigner les liens qui unissent les princes de la guerre civile qui sont devenus « ennemis par accident », Ch. de PIZAN, Lamentation..., R. Thomassy éd., Essai sur les écrits..., p. 148. 60. S’adressant au roi le 11 septembre 1408, l’abbé de Cerisy lui dit : « Qui aura fiance en toy, se tu faulx au frere qui te amoit le mieulx. Se tu n’as esté ami a ton frere, a qui serastu amy, actendu qu’on ne te demande fors que justice », E. de MONSTRELET, Chronique, t. 1, p. 280. On peut aussi être « freres, parens et bons amis », Cl. de FAUQUEMBERGUE, Journal, t. 3, avril 1423, p. 95. 61. JJ 169, 189, août 1416, CHAGNY (bailliage de Mâcon). 62. Y 5220, fol. 217v., 30 mai 1396. Etant donné la précision habituelle des liens par alliance, le mot « affin » n’est pas employé ici dans ce sens. 63. Colin Loquet, JJ 127, 199, octobre 1385, (bailliage de Rouen). 64. JJ 120, 118, mars 1382, MAZINGARBE (bailliage d’Amiens). 65. JJ 127, 110, septembre 1385, CHAUMONT (bailliage de Chaumont). 66. JJ 155, 279, novembre 1400, NAOURS (bailliage d’Amiens). 67. Registre criminel du châtelet, t. 1, p. 414. 68. Sur le rapport entre la paix et le rituel de la parenté fictive, H. PLATELLE, « La violence et ses remèdes... », p. 124-125. 69. Pour les témoignages de la littérature aux XII e-XIIIe siècles, J. FLACH, Les origines de l'ancienne France, t. 2, p. 471 et suiv. Le rituel du XIV e siècle ne semble plus le connaître, et même l’accolade n’est pas évoquée, voir par exemple H. MOREL, « Une association de seigneurs gascons... », p. 523 et suiv. 70. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 415. 71. E. de MONSTRELET, Chronique, t. 1, p. 306. 72. Ibid., p. 306. 73. H. PLATELLE, op. cit. supra, n. 68, p. 130. Sur la force de ces rituels dans les transactions, Cl. GAUVARD, « Cuisine et paix... », à paraître. 74. JJ 127, 59, février 1385, BRÉMONT (sans mention de juridiction). 75. JJ 160, 374, lettre citée chapitre 7, n. 76. 76. B. GUENÉE, Entre l'Eglise et l’Etat..., p. 171 et suiv. 77. JJ 169, 122, juillet 1416, LA FERTÉ-BERNARD (bailliages de Chartres et de Touraine). Pour les données chiffrées relatives aux compagnons, voir tableaux 32 et 34, chapitre 14. 78. JJ 127, 27, juillet 1385, CANDAS (bailliage d’Amiens).

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79. Br. GEREMEK, Le salariat..., p. 78. 80. JJ 127, 273, octobre 1385, BAROVILLE (bailliages de Chaumont, et de Sens et d’Auxerre). 81. Jeanne, femme de Guillaume Sefles, JJ 169, 165, lettre citée chapitre 12, n. 97. 82. Le mot « compagnon » est nettement synonyme de jeune à l’époque moderne, nombreux exemples cités par N.Z. DAVIS, Les cultures du peuple..., p. 167. 83. JJ 118, 43, novembre 1380, BOHAIN-EN-VERMANDOIS (bailliage de Vermandois). 84. JJ 120, 348, juin 1382, THÉROUANNE (bailliage de Vermandois). 85. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 165. 86. JJ 169, 52, janvier 1416, BLESME (bailliage de Vitry). 87. JJ 127, 59, lettre citée supra, n. 74. 88. JJ 118, 72, novembre 1380, VENDIN-LE-VIEIL (bailliage d’Amiens). 89. Le sens du mot « compagnon » peut être précisé de la façon suivante : personne avec laquelle on se trouve, sans autre mention, 40 % ; solidarité géographique, 40 % ; solidarité de métier, 8 % ; armée, 6 % ; parenté, 6 %. 90. JJ 169, 131, lettre citée chapitre 12, n. 60, et JJ 127, 272, lettre citée chapitre 11, n. 88. 91. JJ 169, 66, lettre citée chapitre 6, n. 81 ; JJ 151, 235, lettre citée chapitre 7, n. 109 ; JJ 169, 183, août 1416, MALAY-LE-GRAND (bailliage de Sens et d’Auxerre). 92. JJ 143, 118, avril 1392, PARIS (prévôté de Paris). 93. Ibid., 93, août 1392, MASSAY (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier) ; ibid., 51, juillet 1392, SAINT-AMAND-LES-EAUX (bailliage de Tournai). 94. Voir supra, n. 85. 95. Claux Lefebvre, JJ 127, 122, septembre 1385, BOURGES (bailliage d’Orléans). 96. JJ 143, 97, août 1392, BAZOILLES-SUR-MEUSE (bailliage de Chaumont). Sur le compagnonnage qui se crée sur le chemin, voir JJ 98, 264, août 1365, ROLLEVILLE (bailliage de Caux). 97. P. S. LEWIS, « Decayed and Non-Feudalism... », p. 157 et suiv. 98. Comparer avec les conclusions de J. LE GOFF, « Le rituel symbolique de la vassalité », Pour un autre Moyen Age, p. 414-415. 99. Y 5220, fol. 231, juin 1396 ; ibid., fol. 237, juin 1396 ; ibid., fol. 243, juin 1396. On rencontre aussi bien le terme « ayeuls » que « grans pere et mere ». 100. JJ 165, 341, octobre 1410, (bailliage de Tournai) et JJ 127, 11, lettre citée chapitre 14, n. 117. 101. JJ 151, 212, avril 1397, SAIGNEVILLE (bailliage d’Amiens). 102. JJ 169, 25, lettre citée chapitre 12, n. 62 ; JJ 120, 21, décembre 1381, SAINT-AMAND-LES-EAUX (bailliage de Vermandois) ; X 2a 10, fol. 107, juin 1380 ; X 2a 17, fol. 119-120v., décembre 1413 ; ibid., fol. 167v., décembre 1414 ; ibid., fol. 219, avril 1416. 103. X 2a 12, fol. 147v., juin 1392 ; X 2a 14, fol. 20, mars 1401 ; X 2a 15, fol. 18, juin 1405 ; ibid., fol. 89, mai 1406 ; ibid., fol. 131-131 v., mars 1406 ; ibid., fol. 158v., juillet 1407 ; ibid., fol. 290-291, septembre 1409 ; X 2a 16, fol. 25, août 1410 ; ibid., fol. 293v., février 1415 ; X2a 17, fol. 197v„ août 1415. 104. X 2a 14, fol. 359v., janvier 1407. 105. X 2a 15, fol. 169, décembre 1407. 106. JJ 120, 334, juin 1382, ORLÉANS (bailliage d’Orléans) ; Gilette « jadis femme de Feu Jean Gros », JJ 118, 47, lettre citée chapitre 6, n. 54. Ces termes sont employés dès le règne de Charles V, par exemple JJ 98, 99, lettre citée chapitre 9, n. 178. 107. Par exemple X la 4790, fol. 91v., 1414, « adherens » ; ibid., fol. 231, 1415, « adhereur de la partie adverse » ; BN Lorraine 6, 1419-1420, « servans et bienveillans » ; BN Fr. 5275, fol. 14, 1412, « ceulx de nostre sang et lignaige et autres leurs alliés » ; BN Fr. 2699, fol. 211-212, 1419, « le duc de Bourgoinge et ceux de sa compaignie ». Sur l’emploi de ces mots dans le vocabulaire politique et les abus auxquels il a donné lieu, Cl. GAUVARD, « Les officiers royaux... », p. 587. 108. JJ 127, 252, octobre 1385, LE QUESNE (bailliage de Caux). 109. JJ 165, 342, lettre citée chapitre 11, n. 99.

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110. Nombreux exemples dans Genèse et débuts du Grand Schisme..., en particulier les contributions d’H. BRESC, « Les partis cardinalices et leurs ambitions dynastiques », p. 45-59 ; A.L. REYCOURTEL, « L'entourage d’Anglic Grimoard, cardinal d’Albano (1366-1388) », p. 59-65, et L. BINZ, « Le népotisme de Clément VII... », p. 107-125. 111. JJ 127, 38, juillet 1385, (bailliage de Vermandois). 112. Ibid., 229, novembre 1385, TOURNAI (bailliage de Tournai). 113. JJ 169, 38, décembre 1415, (bailliage de Mâcon) ; ibid., 151, mai 1416, DIZY-LE-GROS (bailliage de Vermandois). 114. La lutte de la haine et de l’amour est au centre de la pensée d’Aristote pour lequel le monde est « maintenant » dans la période de la haine, voir Métaphysique, I, 4. 115. B. GUENÉE, Tribunaux..., p. 282, n. 49. 116. X 2a 10, fol. 22v., juillet 1376 ; ibid., fol. 158, mai 1383 ; X 2a 12, fol. 143, février 1392 ; X 2a 14, fol. 382v., mai 1407. 117. Sur ce thème essentiellement reproché aux officiers, voir chapitre 12, p. 560. 118. X 2a 10, fol. 184v„ août 1384. 119. X 2a 15, fol. 137, décembre 1406 ; Les haineux ont agi « insidiose et animo precogitato ». S’y ajoute le port d’armes lié à la haine. 120. Saint THOMAS, Summa theologica, la-2a, quaest. 46. 121. Sur ce vocabulaire de l’union et de la division, J. GERSON, Sur l’unité de l’Eglise, et Discours au roi pour la réconciliation, Œuvres complètes, t. 7, p. 1093-1123. L’allusion aux « haineux » et « malveillans » concerne les ennemis de l’extérieur, c’est-à-dire les Anglais, ibid., p. 1116 et 1122. Le mot « discorde » ou discordia peut être employé dans les actes de la pratique judiciaire pour désigner les antagonismes entre deux parties, mais il est rare, X 2a 15, fol. 150, juin 1407. 122. Par exemple, dans ce texte de la seconde moitié du XV e siècle qu’est Le Pastoralet, p. 182-183, 186 et 209. Personnifiée sous la forme d’une vieille femme aux vêtements en lambeaux, épouse de Caïn, elle accompagne le meurtre et l’homicide dont elle est la mère. 123. X 2a 15, fol. 138, décembre 1406, « ex odio » ; X 2a 16, fol. 312, septembre 1415, fol. 312v., « magnum odium » ; ibid., fol. 228v., juillet 1413, « odium capitale ». 124. X 2a 17, fol. 21v., avril 1411. 125. Voir les exemples cités chapitre 17, p. 757. 126. Olivier MARTIN, « Notes d’audience... », paragr. 117. 127. X 2a 17, fol. 211, février 1416. Cas semblable ibid., fol. 109. 128. Sur les conséquences de cette complicité avec le pouvoir et le rapport avec la vengeance, voir chapitre 17, p. 778 et suiv. 129. En particulier par la condamnation des assemblées illicites. 130. JJ 127, 147, octobre 1385, ARRAS (bailliage d’Amiens). 131. É. COORNAERT, « Alliances... », p. 131-136. 132. Les fastes du Gothique..., p. 101-102. 133. X 1c 50A, 28, décembre 1394 ; X 1c 70A, 229, juillet 1395. 134. X 1c 85B, 19 mars 1403. 135. Ibid., 7 mars 1403 : « mesmement que le feu frere dudit suppliant a eue espousee ladicte Jacquemine » ; ibid., 9 mars 1403, l’accord est passé entre « cousins et cousine ». 136. Ibid., 19 mars 1403. 137. X 1c 84A, 20 mai 1390 ; ibid., 6, juillet 1402. Cette solidarité s’étend aux offices, X 1c 85A, 3, avril 1401. L’accord est passé entre deux sergents à cheval « et mesmement qu’ilz sont tous deux d’un meme office ». 138. X 1c 50A, 21, juin 1385. 139. X 1c 85B, 16 novembre 1402, accord autorisé le 21 février 1403. Autre exemple de demande de la Chancellerie, X le 70A, janvier 1395 : « Nous qui voulons les proces d’entre noz subgiez estre eslargiz et paix et tranquillité estre nourrie entre eulx ». Sur l’emploi de ce vocabulaire par le

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Parlement, voir X la 1480, fol. 114v. qui rapporte la délibération du 4 janvier 1418 pour lutter contre les divisions car « il sembloit estre expedient et necessere de apaisier et tenir en bonne paix et tranquillité les subgiez du roy ». 140. BN Fr. 2699, fol. 211-213v., 27 février 1419. Sur les circonstances politiques qui président à cette convention de paix que le Dauphin refuse de ratifier, la trêve qui suit la capitulation de Rouen le 13 janvier 1419 et les sommations de Charles VI du 27 février, J. d’AVOUT, La querelle..., p. 286-287. 141. BN Fr. 2699, fol. 212v., 27 février 1419. Le vocabulaire des partis l’emporte dans ce texte sur celui de l’Etat : « ceux de votre compaignie », « de votre coté et par ceux qui se dient a vous », « de notre parti ». Ces antagonismes s’opposent à la « bonne paix et union ». 142. X 2a 14, fol. 308v„ mars 1406 ; la date de cette plaidoirie montre bien que l’année 1406 est un temps fort dans la construction de l’Etat, voir chapitre 5, n. 167 et 168. On retrouve l’argument le 2 mai 1413, sous la plume du prévôt des marchands et des bourgeois de Paris écrivant à la ville de Noyon pour justifier leur action politique : « ung chascun se doit emploier, et preferer la pitié du païs a toutes les aultres, soit de parens, freres ou aultres quelconques ; car elle comprent toutes », Fr. BOURQUELOT, « Correspondance... », p. 58. Avec cette référence, le lien est affirmé entre l’idéal réformateur et le développement de la sujétion. 143. Voir chapitre 14, p. 643 et suiv. et J. KRYNEN, « Naturel... », p. 173-174. Le mot « naturel » est lié dans la pratique à celui d’« obéissance », essentiellement quand il s’agit de définir les attitudes politiques pendant la guerre, par exemple JJ 103, 347, novembre 1372, SAINT-JEAN-D’ANGÉLY (sénéchaussée de Saintonge). Rémission est accordée parce que les habitants « nous recognoissent naturel et souverain ». Voir aussi les exemples cités chapitre 19, p. 852 et suiv. 144. Nombreux exemples, en particulier pour l’année 1403, ORF, t. 8, p. 579. Nobles et bourgeois du royaume font serment « de tenir pour leur roy, souverain et naturel seigneur apres nous » le duc de Guyenne ou celui qui « pour lors sera ». Autre exemple le 27 août 1418, serment prêté par les bourgeois de Paris et les chefs d’hôtels en la présence du duc de Bourgogne, X la 1480, fol. 144 : « aidier et conforter le roy et sa justice, de servir le roy loyaument et obeir et de resister, obvier et empeschier de leur povoir que aucunes conspirerions ou commocions tellez ou autres semblables que fairies avoient esté a Paris le XIIe jour de juing et le XX e jour de ce moys ne feussent faictes ou autres assemblez dampnables sans auctorité du roy et de sa justice, et de reveler toutes conspiracions et entreprinses au contraire, et de assister en ce audit de Bourgogne pour maintenir au contraire, garder et entretenir la justice du roy, la paix et la tranquillité de ce royaume et de la bonne ville de Paris ». Le contenu de ce serment montre que l’obéissance politique n’est pas encore « naturelle » comme le voudrait Jean Gerson, cit. infra, n. 147. Autre serment du même type le 11 septembre 1418 prêté par les gens du Parlement, ibid., fol. 193, et ORF, t. 8, p. 590. 145. C’est un des thèmes du séminaire de B. GUENÉE, EPHE, 1988. 146. X 2a 14, fol. 81, 8 août 1402. 147. J. GERSON, Rex in sempiternum vive, Œuvres complètes, t. 7, p. 1023. 148. P. S. LEWIS, « of Breton Alliances and Other Matters », dans War, Literature..., p. 122-143, et Cl. GAUVARD, « Les officiers royaux... », p. 586-588. 149. CICÈRON, De officiis, 1, 16. Remarquons que le verbe « conjungere » appartient au mariage et à l’alliance. Sur la fortune de la pensée de Cicéron relative au naturel, G. POST, « The naturalness of Society and the State », Studies in Medieval Legal Thought..., p. 509. 150. J. BARBEY, La fonction royale..., p. 170 et suiv. La fidélité est présentée comme un habitus puisque c’est « un lien unissant le sujet — membre mystique — au supérieur en raison de sa domination et protection. 151. N. de CLAMANGES, Epistola LXIII, Opera omnia, p. 182, cité infra, p. 219. Chez Alain Chartier qui fait parler la France, il en découle que la France est le lieu de la « nativité », J. K.RYNEN, op. cit. supra, n. 143, p. 181.

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152. N. de CLAMANGES, Oratio ad illustrissimos Galliarum principes, Opera omnia, p. 169. 153. Cette filiation se marque par le passage des Francs à la France, C. BEAUNE, Naissance de la nation France, p. 310 et suiv. 154. P. LEGENDRE, L’inestimable objet..., p. 114 et p. 186-187. 155. Cl. GAUVARD, « Ordonnance de réforme... », p. 96. 156. JJ 150, 5, juin 1396, MONTIGNY-EN-BEAUVAIS (prévôté de Montdidier). 157. Voir chapitre 20, p. 929. 158. JJ 172, 28, avril 1420, SAINT-JEAN-DE-VAUX et SAINT-DENIS-DE-VAUX (bailliage de Mâcon). 159. Sur cette opposition entre construction généalogique et différenciations segmentaires, P. LEGENDRE, L’inestimable objet..., 2e partie. Le discours de filiation y est présenté comme fondement du tout social. 160. Voir chapitre 18, p. 834 et suiv.

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Conclusion

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Le graphique des solidarités complété par celui des distances peut aider à conclure. Il oppose les crimes où le coupable intervient seul à ceux qui réunissent autour de lui plusieurs participants. Cette solitude replie l’homme et la femme au creux de la maison : vol, crimes conjugaux, faute professionnelle isolent l’individu ou le laissent face-à-face avec sa victime, époux contre épouse, serviteur contre maître. Le crime est en général prémédité. Ainsi seul, le coupable n’a qu’un compagnon, le diable qui le tente. Rien n’aurait sans doute transpiré de ces crimes si des dénonciations ne les avaient pas portés au grand jour. Mais ces crimes sont peu nombreux. A l’inverse, à droite du graphique sont situés les délits les plus nombreux. Ils réunissent plusieurs participants : les homicides dominent, précédés de l’injure, voire du viol. Ils rassemblent amis, voisins, compagnons qui se retrouvent au jeu, à la taverne, à la fête, à la noce... Toutes les composantes de la sociabilité se retrouvent là. Elle est le fait des hommes, célibataires ou mariés. Et, pour dégainer, tous choisissent de préférence la rue. Ces crimes sont sans préméditation mais ils peuvent aussi se nourrir de la vengeance. Contradiction ? La proximité des points suggère au contraire une complémentarité qu’il conviendra d’éclairer.

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Entre ces crimes qui réunissent plusieurs participants et ceux qui n’en réunissent aucun, il existe donc des oppositions, qu’il s’agisse de leur nombre nettement disproportionné en faveur des homicides ou de leur déroulement. Mais la dimension des lieux dans lesquels ils éclatent leur confère une remarquable unité. Tous ces crimes se produisent dans un rayon qui ne dépasse pas 15 kilomètres et se restreint le plus souvent à moins de 5 kilomètres : tel est l’espace maîtrisé où tout le monde se connaît.

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En opposition avec ces crimes du pays de connaissance se situent les crimes commis à l’occasion des guerres. Leurs protagonistes viennent de loin, de lieux inconnus. Là commence le domaine des nobles et des hommes d’armes qui, comme antécédent de leur crime, ont déjà pu commettre un autre crime lié à la guerre. Il existe donc bien deux mondes étrangers l’un à l’autre que la guerre met en contact. Mais elle ne réussit pas à gauchir la criminalité ordinaire. Nettement séparés des roturiers, les hommes de guerre, nobles et écuyers, risquent cependant de leur prendre leurs femmes comme le montre la proximité du viol. Cette présence soude la communauté qui, dans sa collectivité, exprime son rejet. Reste à savoir ce que masque, pour un temps, l'arrivée de l’étranger.

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GRAPHIQUES SOLIDARITÉS

GRAPHIQUES DISTANCES 4

On a dit et répété que l’individu ne pouvait pas vivre seul au Moyen Age. Ce graphique le confirme. Encore convient-il de préciser que l’individu se recentre dans un groupe sans se diluer dans une communauté pseudo-égalitaire. La solidarité absolue n’existe pas. Elle est parcellisée et trace, au sein de la communauté, de grands clivages qui sont eux-mêmes sources d’antagonismes et par conséquent de crimes. Et on peut dire que les deux derniers siècles du Moyen Age montrent au contraire une sorte de durcissement de ces réseaux de solidarités. Les difficultés du temps, qu’il s’agisse de la

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guerre ou des épidémies, le développement de l’Etat que marquent les incursions des officiers royaux, ont pu, par intermittence, reconstruire une communauté unanime face à l’ennemi. Mais l’union n’est que passagère et les rivalités ne sont pas éteintes. L’adversaire veille au dedans. Chacun traîne derrière lui ses malveillants et ses haineux dont le regard est prêt à le dénoncer. Et, si le crime éclate, il convient de s’attendre aux représailles de ceux du parti adverse. Dans ces conditions l’individu, effectivement, n’a pas intérêt à être seul. 5

N’imaginons pas cependant une violence permanente. Ces regroupements ont aussi une fonction régulatrice. En obéissant à des interdits qui peuvent lier leurs différents membres, ils concourent à la paix sociale. Une stricte hiérarchie la maintient. On ne doit tuer ni son père, ni sa mère, ni ses frères, ni ceux du sang et de l’alliance. Le mariage n’est pas seulement la réunion d’un ensemble de biens, c’est aussi une garantie contre la violence dont l’exogamie étend les effets. Quant à la parenté fictive, elle contribue, sous l’égide de l’Eglise, à superposer les liens et à les resserrer. En ajoutant à ces réseaux de parenté ceux que créent les lieux et les âges, ceux que les occasions de boire, de manger et de voyager peuvent susciter, même temporairement, les moyens se multiplient de faire vivre la paix. Autour de l’individu, ces liens se chevauchent, assurant une défense en cocon. Et, dans ces conditions, la violence ne peut exploser que comme un revers à ces règles que la société a secrétées pour se défendre contre ellemême et assurer sa survie.

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Quatrième partie. Un monde codifié

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Introduction

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La genèse de la violence s’avère indifférente à la condition sociale des protagonistes ou à leur état psychologique. Peu importe finalement qu’ils soient sous l’emprise du vin ou de la colère : cet état second ne détruit pas les valeurs auxquelles la société est attachée ; au contraire, il les exacerbe et les révèle lors de compétitions qui sont nécessaires au maintien même de l’honneur. Enserré dans un réseau de relations, l’individu attend davantage de ses proches une protection qu’il ne porte sa dague contre eux. Mais le jeu des solidarités est tel qu’il peut alimenter la violence. L’individu une fois agressé, les automatismes se mettent en place. Pour comprendre la violence, il faut donc revenir à l’individu. Quel que soit le crime, la menace est là, pesant sur son intégrité, qu’elle s’étende ou non à sa maison, à son village ou à son groupe de parents et de compagnons. Dans cette menace, l’agression physique ne peut pas et ne doit pas être dissociée de l’agression morale. De ce point de vue, la violence est bien un phénomène culturel. Cette constatation, après les travaux d’É. Durdheim et M. Mauss, n’a rien de surprenant1. Encore reste-t-il à en déterminer le sens et les aspects à l’époque qui nous concerne.

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Dans une société où le paraître est essentiel, tous les actes violents ont pour effet de perturber les règles de la « mise en scène de la vie quotidienne » pour reprendre la belle expression d’E. Goffman2. Sans elles, l’individu est incapable de se reconnaître. Aux relations ritualisées et considérées comme positives qui permettent aux individus d’exister, réfléchis par les yeux des autres, se substituent des relations tout aussi ritualisées, mais considérées comme négatives. Les normes auxquelles la société s’est donné d’obéir et sans lesquelles elle ne peut fonctionner, se trouvent alors brisées. Leur infraction entraîne une première sanction négative, celle, privée, qui conduit au crime avant que n’entre en jeu la sanction publique qui appartient aux autorités. De l’honneur blessé à la vengeance, la route n’est pas longue et elle n’a rien d’anarchique. Elle obéit à un code, celui de l’honneur dont il convient de décrypter les principaux repaires autant que de savoir quelles catégories sociales le partagent. Ensuite, il conviendra de savoir comment le pouvoir s’en est accommodé. Ce jeu subtil qui lie les hommes au code de l’honneur est aussi objet d’histoire. Ses normes sont susceptibles de transformations sous la pression des modèles qu’inculquent l’Eglise et l’Etat. La question que nous devons nous poser est alors la suivante : quels sont les gestes et les mots qui, aux XIV e et XVe siècles, transgressent ce qui est perçu comme convenable jusqu’à provoquer la

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sanction du crime ? En mettant en avant le vraisemblable des situations, ce qui doit et ne doit pas être, les archives judiciaires et en particulier les lettres de rémission ne peuvent que nous aider à répondre ; elles ont l’avantage de rendre perceptible en cette fin du Moyen Age le code d’une civilité idéale.

NOTES 1. É. DURKHEIM, Les formes élémentaires de la vie religieuse, et M. MAUSS, « Essai sur le don », Anthropologie et sociologie, p. 143-279. 2. E. GOFFMAN, La mise en scène..., t. 1, p. 101 et suiv.

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Chapitre 16. L’honneur blessé

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L’honneur est au coeur de la violence1. Son expression mérite maintenant qu’on s’y arrête. L’emploi du mot, comme son contenu, n’est pas l’apanage de la chevalerie ou de la noblesse. Déjà, à l’époque qui nous occupe, le mot « honneur » a subi une longue transformation qui l’a chargé de significations de plus en plus concrètes. Le latin classique « honor » ajoutait à son sens abstrait d’« honneur décerné à quelqu’un » celui, concret, de « hautes charges »2. Puis, sous les effets de la courtoisie, il a désigné de plus en plus fréquemment la « réputation glorieuse »3.

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Ces qualités qui s’attachent aux exploits guerriers ne concernent pas la population ordinaire telle que la révèle le crime. Le mot, dans le corpus des lettres de rémission, est employé sans considération de l’origine sociale des suppliants, qu’il s’agisse de laboureurs ou de clercs. Ces laboureurs de terres du bailliage de Mâcon sont « gens de bien et d’honneur » tandis que celui qui les attaque, un sergent, malgré son office, est un « mechant homme »4. De la même façon, ce collecteur des finances pontificales se dit « clerc comme il avoit son honneur et estat qu’il ne lui voulsist de ce faillir » 5. Enfin, ce tavernier sait bien qu’il est de son « honneur et profit » de recevoir chez lui à dîner celui avec lequel il vient de conclure un marché, et il tue sa femme qui refuse d’obtempérer et de cuire l’oison6.

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Les suppliants connaissent bien l’honneur. Ils connaissent aussi son inverse, le « deshonneur », mot qui est employé en relation avec celui de « honte », de « villenie », de « diffamation » et de « forfaiture ». La femme de Colinet Le Royer, « requise de deshonneur », se voit diffamée, elle et son mari7. Entre l’honneur et le déshonneur, il n’existe guère d’intermédiaire. Les notions sont systématiques et globalisantes. Toute attaque remet en cause, entièrement, l’intégrité de l’individu. L’honneur est donc un potentiel qu’il faut veiller à ne pas entamer. Pour une femme, il n’y a pas loin des premières sollicitations à la diffamation totale. Louis de Courtille commence à solliciter la femme d’un autre. Ce premier geste est « a diminucion de son honneur » et sa perte complète est inéluctable si elle n’est prévenue par la défense qu’impose le mari 8. Quant à Alice, femme de Thévenin Symon, qui s’acoquine d’un ménestrel, elle est sauvée par un suppliant qui « amoit moult le bien et honneur de la dicte Alipz et de son dit mary » 9. Il dit intervenir « pour la garder de deshonneur et eschever les perilz et inconveniens qui s’en pourroient ensuir ».

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Cette forme de l’honneur s’apparente à la « conversation honneste ». Avant d’être diffamée, la femme de Colinet avait été « de bonne vie, renommee et honneste conversacion ». L’honnêteté n’a pas exactement une connotation morale. Le concept désigne plutôt ce qui est de bon ton, ce qui est conforme à la bienséance des règles établies, bref il s’agit d’un jugement porté sur un comportement. La façon dont le qualificatif est accolé à « conversation » implique un jugement inhérent à la vie de relation. Un homme qui a « compagnie chamelle » avec une femme qui n’est pas la sienne est en « position deshonnete ».

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L’honneur est d’abord une dignité. D’où l’importance de l’expression « porter honneur » à quelqu’un, fréquemment employée. Lorsque cet homme entend parler de lui à la taverne, il s’inquiète : « Quel chose a ce esté que on a dit de moy ? » interroge-til10. Et aussitôt, pour le rassurer, l’autre lui répond : « Par Dieu, on n’en n’a rens dit fors bien, et ce que on en a dit ce n’est point a bien blasme car on vous porte autant d’onneur que on pourroit porter a autre ».

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L’honneur n’existe que par le regard des autres. Porter honneur c’est voir l’honneur. Bertrand Bernier est fortement soupçonné, à tort prétend-il, de solliciter la femme de son voisin jaloux. Pour sa défense, il précise « qu’il n’avoit vu en sadicte femme que bien et honneur »11. L’honneur est donc un bien qui doit être âprement défendu. Quand il ne peut plus être ni respecté ni reconnu, la situation devient conflictuelle. Nous sommes là aux origines de la violence et du crime.

L’IMPOSSIBLE DIALOGUE 7

L’acte criminel se produit très rarement d’emblée. Il peut certes intervenir suite à une préméditation ou à une vengeance dans un délai plus ou moins long et nous aurons à y revenir12. Mais l’acte criminel lui-même a une histoire au cours de laquelle la violence se déroule et conduit, le temps d’une tension, à un geste irréversible. Pour les commodités de l’exposé et des calculs, en se référant au corpus des lettres de rémission, le déroulement de la violence a été arbitrairement divisé en quatre phases successives. Chaque phase est étudiée selon le même profil et tient compte de la nature des échanges et des responsabilités dans la préparation au crime 13. L’amenuisement des différentes composantes au fur et à mesure du déroulement montre que cette division, quoiqu’arbitraire, a pu raisonnablement être retenue. Tableau 37 : Typologie de l’agression. a) 1er antécédent

Typologie de l’agression Fréquence (en %) 0 Inconnue

22,8

1 Échange verbal

39,4

2 Gestes

30,0

3 Coups

4,7

4 Coups avec blessures

3,1

671

100

b) Crime

Typologie de l’agression Fréquence (en %) 0 Inconnue

1,2

1 Échange verbal

28,7

2 Gestes

9,9

3 Coups

12,2

4 Coups avec blessures

13,4

5 Crime

34,6 100

672

La typologie de l’agression est étudiée pour le premier antécédent du crime puis pour le crime lui-même. L’échange verbal est important dans les deux cas. En ce qui concerne le crime propement dit, le coupable va directement au fait dans un tiers des cas. mais il faut considérer que ce tableau regroupe l’ensemble des délits, y compris les vols qui ne nécessitent pas d’échanges entre les protagonistes. 8

La violence s’y déroule comme sur une scène où le coup final est retardé par des paroles, des gestes, des coups avec ou sans blessures.

9

Le crime n’intervient dès le premier acte ou phase que dans un tiers des cas. Encore faut-il noter que cette proportion concerne l’ensemble des délits, y compris ceux qui, comme la plupart des vols, ne confrontent pas le coupable avec sa victime. Si on ne retient que l’homicide qui se présente comme un véritable affrontement de groupes antagonistes, cette proportion s’abaisse considérablement pour ne pas excéder 10 %. De ce premier bilan découle l’idée que les hommes de ce temps ne s’affrontent pas sans échanges de paroles et de gestes. Tableau 38 : Première initiative du crime. a) 1er antécédent. Qui est le premier à agir ?

La première initiative est engendrée

Echange

par

verbal

Gestes

Coups avec blessure

Coups

Le coupable

4,4

7,4

0,5

0,5

La victime

12,4

9,8

0,9

1,6

Le coupable et la victime

12,1

3,1

0,3

0,5

Les participants du coup.

5,0

6,0

0,3

0,5

Les participants de la vict.

2,8

2,8

1,0

1,3

673

Les deux parties

1,3

0,0

0,0

0,1

D’autres

1,4

0,9

0,1

0,2

Total

39,4

30,0

3,1

4,7

Gestes

Coups avec blessure

Coups

Il y a 22,8 % de déroulements inconnus b) Crime. Qui est le premier à agir ?

La première initiative est engendrée par

Echange verbal

Le coupable

5,2

2,8

2,5

1,6

La victime

8,9

2,8

5,3

6,1

Le coupable et la victime

8,9

0,8

0,3

U

Les participants du coup.

3,5

3,0

2,4

1,9

Les participants de la vict.

0,8

0,4

2,2

1,0

Les deux parties

U

0,1

0,7

0,4

D’autres

0,3

0,0

0,0

0,1

Total

28,7

9,9

13,4

12,2

Il y a 1,2 % de déroulements inconnus Le responsable de la première initiative criminelle a choisi un mode d’agression qui est étudié lors du déroulement du premier antécédent du crime, puis du crime lui-même. L’échange verbal l’emporte dans les deux cas et la victime en est rendue responsable. 10

Ces échanges suivent une gradation : au deuxième acte, les coups n’entraînent directement la mort que dans moins d’un quart des cas. A considérer le déroulement du crime, il reste encore environ 20 % des criminels qui attendent le quatrième acte pour procéder au coup fatal.

11

La présence de participants aux côtés du coupable, dans 70 % des homicides, et aux côtés de la victime, dans 50 % des cas, ne modifie guère le profil des échanges 14. Quelle que soit l’importance de ces solidarités, on s’aperçoit qu’elles ne jouent finalement qu’un rôle secondaire dans la montée de la violence. La présence des participants peut cependant contribuer à accentuer la rapidité du déroulement du crime en le réduisant à un seul acte. Dans près de 10 % des cas, les participants aident le criminel à porter d’entrée de jeu le coup fatal. Mais ensuite, leur rôle s’amenuise, et ils n’interviennent plus que dans 3 % des cas lorsque le crime a lieu au dernier acte. Leur intervention en gestes et en paroles à ce moment-là n’est pas non plus déterminante. N’imaginons donc pas une violence qui se termine en pugilats de groupes affrontés. La rixe n’est pas une bataille mais une affaire entre deux individus dont le dialogue est devenu impossible.

674

12

Il existe cependant à ce schéma des nuances qui tiennent à l’âge des coupables et à la condition sociale. Ceux qui déclarent avoir entre 20 et 30 ans sont plus rapides que la moyenne à donner le coup fatal puisqu’ils y procèdent directement dans près de la moitié des cas. S’y ajoutent les 20 % d’entre eux qui se contentent d’un seul échange de paroles ou de gestes. Mais il en reste encore près de 15 % qui attendent la quatrième et dernière phase pour devenir criminels. On retrouve un profil identique chez les nobles et écuyers : près de 70 % d’entre eux achèvent le crime dès sa seconde phase, comme chez les criminels d’entre 20 et 30 ans ; rien d’étonnant étant donné ce que nous avons pu déceler de leur comportement et de leurs types de crimes15. Ils ont tendance à refuser l’échange et à lui préférer le coup net et franc. Il faut noter cependant que près de 20 % d’entre eux attendent la quatrième phase pour devenir criminels.

13

Ces nuances se complètent d’une sociabilité légèrement plus marquée dans le crime : près de 11 % des coupables âgés de 20 à 30 ans et près de 15 % des nobles et écuyers commettent leur crime avec leurs participants dès la première phase alors que cette proportion n’excède pas 8 % pour l’ensemble des criminels. Mais, quand le crime se produit lors de la quatrième phase, cette proportion tombe à 2 % comme pour l’ensemble des criminels. Ces considérations ne doivent pas faire oublier que les nobles et les écuyers restent très minoritaires dans le monde du crime. Quant aux 20-30 ans, la légère différence de comportement que nous venons de déceler, montre aussi que leur nombre n’a pas nettement infléchi le profil général de la violence, ce qui confirme que le crime est loin d’être une affaire de jeunesse.

14

Le déroulement de la violence selon un processus nettement marqué n’élimine pas sa part de brutalité. Sur l’ensemble des causes qui préludent à l’acte criminel, les coups ont une grande importance. Ils constituent environ un quart des échanges entre le coupable et la future victime ainsi qu’entre leurs participants respectifs, et plus de la moitié de ces coups entraînent, dès le début, des blessures. C’est dire que l’affrontement est brutal, et, si on y ajoute le poids du coup fatal, on peut dire que, dès son éclosion, la violence se révèle vive et primaire dans plus de 60 % des cas. Il est bien évident qu’il faut tempérer cette constatation en prenant en compte l’argument de légitime défense dont doit se prévaloir le coupable. Les coups sont, dans ce premier acte, presque trois fois plus nombreux du côté de la victime que du côté du coupable. C’est ce qu’exprime bien le portrait qui est fait de la victime, homme « rioteux » par excellence. Mais, même en tenant compte de cet élément qui biaise la réalité, il faut constater que la violence s’exprime d’emblée par la brutalité physique.

15

Cela ne veut pas dire que la violence est spontanée et viscérale. D’autres facteurs de discorde ont pu intervenir entre le coupable et la victime dans un passé plus ou moins lointain. Il faut donc s’interroger pour savoir si le coup, la blessure, puis la mort ne viennent pas conclure une ancienne querelle qui a pu procéder à des échanges de paroles et de gestes et qui, de ce fait, n’a pas nécessairement commencé par des coups et des blessures16. Dans les échanges que peuvent suggérer les antécédents du crime, les coups ne sont pas prépondérants ; ils le cèdent volontiers à la parole et au geste comme le montre la typologie de l’agression (tableau 37). La chose est encore plus nette quand on considère les coups assortis de blessures. C’est dire que la violence qui éclate au moment du crime ne s’exprime ni gratuitement ni spontanément, même si elle peut le faire avec brutalité. Cette virulence du corps est, dans bien des cas, le point d’aboutissement d’un processus ancien dont l’ensemble des données risque parfois de nous échapper et qui relève déjà de la vengeance.

675

16

Peut-on cependant déceler des habitués de la brutalité qui ne s’exprimeraient dans tous les cas que par les coups avec ou sans blessures ? Nous retrouvons là en partie le problème posé par la présence de tempéraments violents. Il est difficile de s’arrêter à ceux qui sont traités de personnages « vindicatifs », « moult crueux », et cela si possible dès la petite enfance, sous peine de se laisser prendre au jeu de la partie adverse. Néanmoins, ces tempéraments irascibles existent, positivement. Galehaut de Choiseul, écuyer, frère du sire d’Aigremont, se charge de venger l’honneur de sa mère, car il a été traité de « filz d’une mauvaise putain »17. Lui et ses valets ne se contentent pas de battre le coupable, ils lui arrachent les yeux et lui coupent un morceau de la langue. Ce dernier acte fait taire l’injure, mais quelle signification donner à l’aveuglement ? De tels acharnements ne sont pas fréquents, mais ils existent sans pour autant être liés aux actes des grands criminels répertoriés au Châtelet qui se contentent, souvent, d’homicides aux procédés classiques : coups de bâtons ou de couteau 18. Le glissement vers une violence gratuite est moins le fait des professionnels du crime que des criminels ordinaires et, parmi ceux-ci, les membres de l’aristocratie l’emportent 19. Cette remarque, comme l’exemple concret de Galehaut de Choiseul, doit nous inciter à demeurer très prudents quant à l’existence d’une violence à l’état pur. N’est-elle pas plutôt l’expression d’une riposte dont les effets sont plus ou moins ressentis selon les catégories sociales et les individus ? Avant de répondre à cette interrogation, il convient de mesurer comment se déroule la gradation de la violence.

17

Une bonne mesure de la récidive ou de l’acharnement peut nous être donnée par le croisement de la première phase de violence dans l’antécédent du crime avec celle du crime proprement dit. Le coup, qu’il soit avec ou sans blessure, ne succède au coup que dans 4 % des cas et il ne conduit directement au crime que dans les mêmes proportions. La récidive dans la brutalité est rare. Il faut aussi tenir compte des cas où le crime, effectué sans antécédent, a néanmoins pour première phase des coups, des blessures, voire le geste fatal : ils constituent près de 14 % des cas 20. Au total, on peut donc dire que la brutalité ne récidive ou n’éclôt dès la première phase de la montée de violence que dans 20 % des cas environ. Ceux qui ont pour première réaction dans le crime de porter des coups, voire de tuer immédiatement, restent donc minoritaires.

18

En revanche, le croisement de la première phase de l’antécédent du crime avec celle du crime proprement dit montre la priorité qui est accordée à la parole et aux gestes. La parole apparaît comme premier échange de 713 violence dans près de 10 % des cas et elle se substitue au geste initial dans les mêmes proportions. Au total, la succession de la parole au geste comme du geste à la parole entre la première phase du premier antécédent et celle du crime se produit dans plus d’un quart des cas. Cette proportion constitue la partie la plus pacifique de la violence si on peut s’exprimer ainsi. Elle est légèrement plus marquée que celle des fanatiques de la brutalité.

19

La parole et le geste agissent aussi comme facteurs de retardement dans le déroulement de la violence car ils jouent un rôle important dans la première phase de l’antécédent du crime. En effet, les coups et les blessures qui entament la progression de la violence finale sont précédés lors de l’antécédent du crime par un échange de paroles et de gestes dans une proportion d’un quart. Quant au coup final, il est aussi précédé de paroles ou de gestes dans 20 % des cas. On peut imaginer dans ces deux derniers cas un scénario à peu près semblable : à un moment donné, antérieur à celui du crime, il y a eu échange de paroles et de gestes ; puis lorsque les protagonistes se retrouvent, les coups pleuvent. La brutalité succède largement aux violences verbales et gestuelles qui, à

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elles seules, occupent finalement une place initiale dans 70 % des cas envisagés 21. La proportion est écrasante. On ne frappe pas celui qu’on rencontre sans qu’il y ait eu paroles et gestes susceptibles d’enclencher la violence, que ce soit au moment du crime ou lors d’antécédents à ce crime. Il existe donc une logique de l’acte criminel où la parole et le geste ont une large part de responsabilité. 20

Les prémices de la violence décrivent un rituel négatif qui répond, diamétralement, à celui positif de la convivialité. Cet antagonisme correspond aux évolutions du couple de forces opposées que constituent la victime, qui a tort, et le coupable, qui a raison. L’analyse du vocabulaire des dialogues montre des attitudes parfaitement inconciliables. Peu importe, encore une fois, que ces scènes ne reproduisent pas exactement la réalité. Elles décrivent ce qui doit être et ce qui est vraisemblable pour justifier l’attaque de l’individu. Prenons-en quelques exemples.

21

Le premier montre ce que devrait être une salutation normale par rapport à celle qui conduit au crime. L’attitude injurieuse de Jean Faset, spécialiste des rites de convivialité inversés, peut, comme nous l’avons vu, servir d’exemple22. La scène commence alors qu’un homme discute à sa porte en compagnie d’un autre dans les meilleures règles de l’entretien entre gens de connaissance, c’est-à-dire qu’ils « devisoient ensemble sans penser a aucun mal ». Arrive Faset, personnage que l’un et l’autre connaissent. Par son attitude celui-ci ne satisfait pas aux marques de civilité nécessaires : il heurte le suppliant de sa hache ; comme l’autre le lui fait remarquer, Faset se retourne et dit « très injurieusement » : « je ne parle qui ne vueult ». La hache qui remplace la main, le fait de ne pas s’être tourné vers le suppliant qu’il connaît pour le saluer, enfin l’absence de paroles sont bien considérés comme une attitude injurieuse. Le rite du salut n’a pas été respecté.

22

Une autre fois ce sont les rites essentiels de la boisson partagée qui sont en cause. Des compagnons sont à la taverne où il a été décidé que chaque compagnon doit faire quérir et payer un pot de vin ; les premiers arrivés sont nettement avantagés 23. Jean Rousselet s’en aperçoit et « dist moult aimablement a ceux de la premiere compaignie : “entre vous, premiers venus qui avez eu vostre escot davantage, deussiez bien paier et mander querre un pot de vin car celui qui est sur table sera tost beu” ». Mais Jean Haumes répond « moult orgueilleusement audit Jehan Rousselet auquel par semblant il contendoit avoir debat, que riens n’en feroit, en disant : “se tu as paié un blanc pour moy autant que de neant”, avec plusieurs autres villaines paroles ».

23

Le contenu du débat est affaire de taverne. Mais on aurait pu attendre des propos désordonnés de gens ivres. Or les effets de la boisson se révèlent, pour notre propos, secondaires ; ils ne sont pas réellement en cause si ce n’est que le vin fait parler. Les mots suivent l’ordre logique du dialogue mais, d’entrée de jeu, l’issue de ce dialogue est impossible parce que s’opposent l’amabilité et l’orgueil. Le ton exige sur le champ, comme le dit d’ailleurs clairement l’interprétation des propos de Jean Haumes (« auquel par semblant il contendoit avoir debat »), la rupture des relations. Ailleurs, la relation du couple victime-coupable se brise dans d’autres oppositions antithétiques : « impetuesement » à « humblement », « fierement » à « doulcement », « aimablement » à « rudement » ou encore « arrogament » à « courtoisement ». Ces couples d’adverbes sont les meilleurs conducteurs du crime.

24

Ce passage d’un état de mesure à celui de démesure peut aussi se marquer par le glissement du vouvoiement au tutoiement. La chose est d’autant plus incongrue quand il s’agit d’un valet qui se permet de tutoyer son maître et la mort venge l’affront 24. Mais

677

ce peut être une attitude infamante entre égaux. Nous avons déjà suivi les péripéties qui opposent ces deux clercs du bailliage de Tours dont l’un est réputé comme « rigoreux, rioteux et bateur de gens » : être « impetueux » c’est aussi tutoyer sans raison25. Il peut arriver également que l’ironie se moque de la courtoisie. Les suppliants ne s’y trompent pas et démasquent rapidement l’incongruité du langage et du ton. Cette petite scène en dit long sur le jeu de ceux qui emploient un langage qui ne leur appartient pas. Ce laboureur de terres aperçoit deux frères qui viennent de couper de sa lavande. Aussitôt il « court mal meu et courroucié dist arrogamment et de grant orgueil : “beaux seigneurs, semble et croy fermement que vous avez cueilli de ma lavande, dont il me desplait” »26. 25

L’excès de politesse nuit, surtout quand on s’appelle comme lui Micheau Fromage dit Ribaut. En fait, le ressort de ces attitudes apparaît clairement : c’est l’orgueil qui entraîne la première violation d’autrui. Il est possible que le vocabulaire des lettres de rémission et des plaidoiries où le mot revient si souvent, fleure l’influence des clercs. L’orgueil est en effet au même moment un des thèmes préférés des sermons et le vice le plus fustigé des péchés capitaux27. Mais il faut ici prendre l’orgueil dans un sens qu’on pourrait qualifier de corporel : il rehausse. Les paroles en sont plus fortes, le ton plus vif, le geste plus dégagé. Au plan moral, il brise la norme de comportements fondés sur l’échange. Signe d’affront et de rupture, le verre qui devait être partagé se renverse ou se « froisse ». Le « rioteux » est aussi « hautain » ou « orgueilleux ». Alors commence l’injure.

NÉCESSITÉ DU DÉMENTI 26

L’injure, telle que nous pouvons la cerner, qu’elle soit parole ou geste, est un motif sérieux de rixe et d’homicide. Elle apparaît dans près de 20 % des cas comme premier antécédent du crime, ce qui est, en nombre, le motif le plus important (tableau 8, chapitre 6). Ses effets sont redoutables dans la montée de la violence puisque, dans près de 86 % des cas, elle débouche sur l’homicide et, dans un tiers des cas d’homicides, elle constitue l’antécédent du crime (tableau 39). Comment peut-on en arriver à ce point extrême de tension ?

27

La première raison tient au jeu obligé du démenti. Accusé d’un état qui n’est pas le sien, l’homme riposte. Ce suppliant est appelé par son voisin « ribaut houllier que tu es » 28. Aussitôt il répond : « Je ne suis point ribaut ». Puis les coups commencent. L’enchaînement de la parole et du geste qui se répondent, dont nous avons vu l’importance dans la préparation du coup criminel, trouve là son explication. Tableau 39 : L’injure et le crime. a) Types de délits et injures

Types de délits

Injures (en %)

Homicide

86,0

Crime contre les biens

0,5

Affaire conjugale

0,0

Crime de moeurs

0,5

678

Blasphème

2,0

Rupture d’asseurement

5,0

Contre la chose publique

4,5

Crime lié à la guerre

0,0

Accident

1,5

Suicide

0,0

Autres

0,0 100

L’homicide est de façon écrasante lié à l’injure. b) Poids de l’injure dans le crime

Après la parole suivent : Fréquence (en %) La parole

13,0

Les gestes

20,0

Les coups

27,0

Les coups et blessures

20,0

La mort

20,0 100

L’injure est loin de conduire directement à la mort. Il existe une progression de la violence au cours de laquelle le poids de la parole s’amenuise. Lors du deuxième acte, les coups, avec ou sans blessures, constituent près de la moitié des cas. c) Injures et profession du coupable

Professions

Injures (en %)

Laboureur

27,5

Laboureur de bras

18,0

Gens de métier

35,5

Gens d’armes

6,5

Officier

3,0

679

Clerc

3,0

Autres

6,5 100

Les injures proférées sont étudiées selon la profession que déclare le coupable. Les officiers, les clercs et les gens d’armes, sans doute pour des raisons différentes, pratiquent peu l’injure qui semble réservée aux professions les plus ordinaires. Ce n’est pas tant la preuve d’une grossièreté des moeurs que d’une insertion plus ou moins réussie dans le réseau de sociabilité. 28

Si on considère les différentes phases qui scandent le crime proprement dit, on s’aperçoit que, lorsque la parole est au premier acte de la tension, elle est suivie dans 13 % des cas d’une autre parole (tableau 39). La proportion est faible mais elle implique une réponse du futur coupable à sa future victime qui vient de l’agresser. Ce débat qui oppose, en 1385, un maçon, Perrinet Le Billardel, et un couvreur, Colin Buquet, du bailliage de Senlis, fait un excellent résumé de l’enchaînement du démenti : « Et tant se multiplierent leurs parolles que ycelluy Colin dementi plusieurs foiz ledit Perrinet en disant ces parolles : “Tu as menti par ta sanglante gorge”, et lui dist plusieurs grans injures et villennies »29.

29

En nombre, « mentir » et ses dérivés arrivent en tête des mentions que contiennent les agressions verbales. En effet, celles-ci se répartissent pour 30 % en mensonges avec démentis, pour 25 % en injures sexuelles, pour 15 % en allusions à un état criminel, pour 12 % en allusions à la traîtrise proprement dite, pour 5 % en références à l’excommunication, pour 4 % en défauts physiques, pour 3 % en défauts moraux et pour 6 % en termes divers. Le mensonge peut, comme nous le verrons, être associé à l’idée de traîtrise, mais il est, le plus souvent, l’injure-riposte à une accusation que l’interlocuteur agressé ne peut laisser passer. Un exemple dont le contenu se rapproche du précédent est celui de Guiot Le Charron qui, comme nous l’avons vu, est accusé d’être « mauvais ribaut » par un laboureur pour ne pas avoir bu avec les autres le vin du couillage d’un nouveau marié. Il répond « en lui couroussant que il mentoit et qu’il estoit plus ribaut qu’il n’estoit »30.

30

Le démenti n’est pas un phénomène réservé à une élite et le mot n’est pas spécifique d’un vocabulaire nobiliaire. Certes, des nobles peuvent être amenés à « démentir » comme les non-nobles. En 1405, Jean Racassin s’oppose à Jean Des Marès appelant du prévôt de Paris au Parlement. Ce dernier, qui se déclare « nobles et bon hommes d’armes », échanson du roi, et dont la femme est « bonne damoiselle », reproche à Racassin d’avoir dit « injurieusement » qu’il avait maintenu sa femme « plus d’un an entier a pain et a pot ». La réaction de ce mari blessé dans son honneur, « soy veant si grandement injurié », est de dire « qu’il ne disoit pas vray et le desmenti comme bien y cheoit » ; on trouve le mot aussi bien employé au même moment, toujours à Paris, dans un milieu de marchands où gendre et beau-père se frappent parce que l’un a « desmenti » l’autre31. Enfin, ailleurs, ce sont deux valets qui « se dementent » à propos d’un vol de pourceaux32. Non seulement le procédé est indifférent à l’origine sociale des protagonistes, mais il l’est aussi aux relations de parenté.

31

Avant d’en arriver au démenti, les protagonistes peuvent connaître une autre forme de réparation de l’honneur. Il s’agit pour celui qui a proféré l’injure de l’« amender ». Le mot a un sens moral mais surtout matériel car le préjudice se règle, effectivement,

680

devant les tribunaux ou les arbitres, par une « amende » réparatrice : on « satisfait » ainsi la partie lésée33. Les documents étudiés laissent surtout apercevoir son aspect moral. En novembre 1390, Carbonnel traité de « menteur faux » par Guissart rappelle la coutume selon laquelle « se aucun dit injure a autres, il le doit amender se il ne poursuit son injure »34. Dans ce cas, les protagonistes sont nobles. Mais, dix ans auparavant, deux valets ont une altercation parce que chacun d’eux se dit « meilleur maistre de son mestier » et, finalement, l’un d’eux s’adresse à l’autre en disant : « Si le amendez » 35. Encore une fois, le système de réparation, obligatoire, est indifférent au milieu social. 32

Reste le défi. On peut l’imaginer plus facilement noble comme l’a montré le maintien du gage de duel36. L’emploi du mot et de ses dérivés est plus rare que celui de démenti 37. Son emploi, dans la bouche des suppliants, semble effectivement lié au milieu nobiliaire. Un procès de janvier 1405 montre comment, dans la famille d’Harcourt, un meurtre a pu être commis entre cousins, à plus forte raison « sans cause et sans defiance precedent » puisqu’il s’agit de « parens bien prouchains » 38. La norme impliquerait bien, dans ce milieu, le défi. Mais, si le mot est rarement employé et si cet emploi tend à être réservé à une catégorie sociale privilégiée, le déroulement des paroles dans toutes les catégories sociales se poursuit selon une procédure de défis successifs dont É. Claverie a pu relever les survivances en Gévaudan au XIX e siècle39. La Chancellerie rassemble sous ce vocable les altercations verbales qui remettent enjeu l’honneur. Thévenin Maillot, battu par Jean Liron qui a aussi poursuivi son père en justice, apparemment sans raison, demande des explications et l’autre lui répond « que encores estoit il prest de le faire et de le batre et, de fait, deffia ledit suppliant en disant que par le sang Dieu il les detruiroit »40. La situation de défi est constante, tandis que le mot lui-même tend à être réservé au langage aristocratique.

33

Seul le mot « défi », quand il est employé comme tel, a peut-être un sens social marqué. Pour les autres formes de réparation, le milieu auquel appartiennent les protagonistes n’est pas prépondérant. On pourrait même ajouter que cette analyse n’est pas propre au règne de Charles VI. Encore à la fin du XVe siècle, les réparties se succèdent sous la forme de démentis41. Les catégories de l’honneur ne sont donc pas réservées, comme le pensent N.Z. Davis et E. Cohen, aux seuls gentilshommes 42. On peut en revanche conclure avec R.C. Trexler que chez les non-nobles l’insulte, par le démenti qu’elle implique, est finalement nécessaire à la constitution de l’honneur, lequel se nourrit de la compétition43.

FORCE DE L’INJURE SEXUELLE 34

La surenchère de l’injure est un procédé parfaitement classique et quasiment stéréotypé. Néanmoins, l’agression verbale comme l’agression gestuelle n’appellent pas toujours le démenti. Dans les deux tiers des cas, la parole injurieuse est suivie de coups dès la seconde phase, avec ou sans blessures, voire de la mort immédiate dans près de 20 % des cas. Ce passage à l’acte brutal peut s’expliquer par le contenu des paroles ou la signification des gestes qui l’ont précédé. La charte d’Abbeville précise bien que le jugement des injures doit se faire secundum quantitatem et qualitatem 44. C’est ce qui semble ressortir de la vengeance qui conduit à l’homicide. Il arrive que le flot verbal comporte un amoncellement de notations qui n’ont, logiquement, que peu de rapports entre elles. Denis Harchier accuse Guillaume Jumeau d'être à la fois « faulx marchant et desloyal, larron, guetteur de chemin et filz de putain »45.

681

35

Ces injures suivent une progression à laquelle sont sensibles les protagonistes et celle dont la teneur est la plus forte arrache finalement le geste meurtrier. C’est en général l’injure à connotation sexuelle. Un suppliant est dans une maison où il « s’ébat ». Arrive Rémon Fabre, ivre et joueur de dés, visiblement décidé à faire le mal. Il commence à injurier le suppliant « dont celui-ci ne tenoit compte pour ce qu’il veoit qu’il estoit eschauffé et courcié et aussi qu’il avoit bien beu »46. Mais cette attitude conciliante a ses limites : « jusques a ce qu’il l’appella larron, traître et coux par plusieurs fois ». Le nombre réitéré des injures joue son rôle d’échauffement. C’est finalement la dernière appellation, « cocu », qui entraîne la riposte car il lui dit « qu’il se desportast de ainsi le injurier en disant qu’il n’estoit pas tel mais estoit prudhomme et sa femme preude femme ».

36

L’injure sexuelle est bien perçue comme la plus infamante par les protagonistes. On la trouve aussi indiquée comme exemple de terme particulièrement déshonorant dans les listes d’injures. C’est le cas de la charte d’Amiens qui condamne ceux qui les profèrent à 20 sous d’amende : « Qui vero juratum suum, servum, recredentem, traditorem, wissot id est coup, appelaverit, viginti solidos persolvet »47.

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Le thème de la mauvaise vie est surtout réservé aux femmes qui sont traitées de « ribaudes », « paillardes », « putains », « grues » ou « maquerelles ». Car, à l’exception d’une mention de quelques femmes traitées d’excommuniées, toutes les autres formes d’injures sont attribuées à des hommes, ce qui n’a rien d’étonnant vu la composition de la population criminelle48. Mais si la femme connaît surtout l’injure sexuelle, l’homme n’en est pas exempt. Il suffit de le traiter de « ribaut » ou de « ruffien » pour que son honneur soit mis en cause. Le terme est peut-être réservé au peuple, mais il a autant de répercussion dans la vie quotidienne des gens simples que dans celle, glorieuse, des romans de chevalerie où il constitue une injure particulièrement infamante. C’est celle que l’on adresse au frère de Gauvain quand il vient d’enlever l’amie du chevalier qui l’a hébergé49 ! Deux hommes du bailliage de Chartres se rencontrent. L’un traite l’autre de « ribaut » et précise aussitôt le sens de ses paroles : l’accusé « maintient » une femme mariée50. Quant à ce ribaud du bailliage de Vermandois, il est effectivement concubin 51.

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Le but n’est certes pas de vérifier la véracité des paroles mais de comprendre que, pour les protagonistes, le sens en est bien clair. La conduite sexuelle répréhensible que dénote le mot « ribaud » ne s’est pas encore affadie jusqu’à désigner la simple et générale image de l’homme de mauvaise vie52. Le mot « ribaude » se charge aussi pour les femmes d’une nette signification sexuelle, comme le montre cette accusation portée contre une jeune fille sous le règne de Charles V : « Pour ce que ycellui Arnoulet avoit dit que la suer dudit exposant estoit mauvaise ribaude qui avoit gaingné des enffanz dont aucuns gardoient ja les brebis, combien que en verité elle soit bonne fille et pucelle »53.

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Le second type d’accusation sexuelle portée contre les hommes est relatif au comportement de leur femme. Nous avons vu qu’ils y étaient particulièrement sensibles et nous y reviendrons en étudiant l’adultère. L’injure les accuse alors d’être « coux » ou « couppeaulx ». Ce suppliant du bailliage de Saint-Pierre-Le-Moûtier ne peut pas supporter que sa propre femme l’appelle « sanglant couppault » et qu’elle « se vantoit de l’avoir accoupaudi »54. Il finit par la tuer. Ce vocabulaire peut prendre des formes diverses qui nécessitent de la part de la Chancellerie ou des suppliants une sorte de traduction. Nous avons vu qu’un compagnon du bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier dit

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à l’autre « qu’il estoit un grant comart qui vault autant a dire selon la coutume du païs comme un grant coup »55. 40

L’allusion aux cornes semblait cependant claire. La jalousie peut aussi donner sujet à insulte. Nous l’avons analysée comme un sentiment amoureux. Elle est aussi, et plus fréquemment, une injure. Accusé d’être un « villain jaloux », cet homme s’en trouve tout courroucé et ému56. N’est-ce point parce que sa femme aurait une conduite répréhensible ? Ce sentiment, comme nous l’avons vu, n’appartient pas à la norme du code de l’amour. Il est perçu comme une insulte.

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Aux injures sexuelles sont apparentées celles qui remettent en cause l’authenticité de la fdiation. Les valeurs impliquées ne sont pas exactement identiques aux précédentes puisqu’elles flétrissent l’honneur de la mère et non pas seulement celui de l’individu ou de sa femme. Mais on peut constater qu’elles sont suivies automatiquement d’un démenti. La parole restitue la vérité et le geste venge l’honneur bafoué. « Fils de putain » semble bien se trouver au sommet qualitatif des insultes 57. Le fait que l’injure s’enrichisse de variantes « filz de orde vilz putain et oultre » n’accroît pas la riposte 58. Elle commence dès la première appellation sans que celle-ci ait besoin d’être répétée.

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La vive réaction qui se produit lors de l’appellation « garçon », qui veut dire étymologiquement « fils de garce », n’a pas d’autre explication. L’appellation provoque une rixe entre compagnons après boire et jeu59. Ces valets de Robert Blaignart qui ont été traités de « mauvaises garçonailles » ne le supportent pas plus que leur maître qui veut venger l’honneur blessé60. L’appellation semble bien faire allusion à un homme jeune et subalterne — ce sont des valets — dont la légitimité s’avère douteuse. Le terme « garçon » est encore loin d’être employé à la place de « fils » dans la nuance affective que nous lui connaissons61.

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L’ensemble de ces connotations sexuelles montre en fait de quel poids pèse le « loyal mariage » dans la vie sociale. Toute infraction remet en cause la légitimité de la naissance, devenue à la fin du Moyen Age, au moins dans les milieux populaires, un honneur dont le bénéfice est largement revendiqué. Dans ces conditions, l’appellation « bastard », ou celle de « champis » qui lui est synonyme, est une insulte. En 1375, ce petit dialogue entre deux laboureurs le montre bien. Pierre Le Bel s’adresse à Jean de Bar-le-Duc en lui disant : « Jehan de Bas, vous dites voir » 62. Et aussitôt, l’autre répond à ce jeu de mots plus ou moins innocent sur le nom et sa légitimité « qu’il estoit d’aussi bons pere et mere, ou meilleurs que ledit Pierre et que ycellui Pierre l’avoit appellé bastart en le aiant appellé Jehan de Bas, qui estoit a dire bastart et filz de putain ».

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Seule la noblesse peut s’offrir le privilège d’une bâtardise reconnue par les honneurs ; ce comportement sexuel particulier fait partie, aux XIVe et XV e siècles, d’une conception familiale que les non-nobles ne partagent plus et ne doivent plus partager. Les exemples sont nombreux de cette différence de traitement entre les couches sociales. Dans le bailliage de Vermandois, le meurtre d’un bâtard ne nécessite pas de recourir à un accord entre les parties ; de la même façon, dans le bailliage de Mâcon, un suppliant refuse de boire avec celui qu’il considère comme un bâtard. En revanche, des bâtards nobles peuvent contribuer à « l’honneur » de celui qu’ils servent 63.

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La conception de la bâtardise et son vécu se partagent désormais entre deux clans sociaux antagonistes. Pour les uns, le bâtard est partie de la lignée et en garde le prestige ; pour les autres, il suscite une réticence proche de l’opposition que révèle l’injure. Et l’antagonisme se durcit jusqu’à ce que la bâtardise devienne privilège de noblesse64. En face, la population ordinaire se réfugie dans la « loyauté ». On a là, dans

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les pratiques familiales et par conséquent dans la place des valeurs, un signe supplémentaire du fossé qui sépare les nobles des non-nobles. L’antithétisme ne se mesure pas seulement en termes fiscaux ou en occupations guerrières. Il ne reste plus à ces populations ordinaires qu’à défendre avec âpreté l’idéal qu’elles ont assimilé et qui peut les démarquer. Dès leur déclinaison d’identité, apparaît le souci d’affirmer la légitimité des parents joints par légitime mariage ainsi que la régularité de leur vie commune. 46

Les autres notations sexuelles, au regard de ces exigences fondamentales, ne sont pas très fréquentes. Le sperme comme les matières fécales peuvent être mentionnés de façon très directe : « foutre », « merde », « merdaille » ou « estront » ne sont pas ignorés des suppliants mais peu employés. Pour les déviations sexuelles, on emploie des expressions imagées qui ne nomment pas directement l’acte répréhensible. « Faire poisson d’avril » est ainsi l’injure liée à l’homosexualité 65. La rareté des cas évoqués peut-elle, encore une fois, être interprétée comme un désintérêt face à ces problèmes ? Cette hypothèse ne semble pas devoir être retenue.

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Parmi les souillures que sont le sperme, le sang et l’argent et qui hantent l’esprit des clercs, pourquoi les lettres de rémission écartent-elles de façon presque systématique toute allusion au sperme ? Le sang abonde dans les injures. « Sanglant » peut y être employé seul ou associé à une autre marque d’infamie : on est un « sanglant coups » comme on est « un couppeault merdeux »66. Le sang est banalisé, celui qui coule dans les veines s’entend. Car du sang des femmes, il n’est pas question. Une seule allusion concerne une jeune femme récemment accouchée que les suppliants violent tout en ayant vu « qu’elle saignoit et estoit toillee de sang »67. Ils obtiennent d’ailleurs rémission de leur forfait, mais dans ce cas, on est loin de l’injure. Avant de la violer, les jeunes gens ont pris soin de la faire changer de linge.

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En fait, un lourd silence pèse sur tout ce qui est du domaine intime, tout ce qui, relatif au sexe, échappe aux regards des autres. On peut assister aux épanchements de ses voisins ; on sait que, par le mariage, ils ont lieu et on définit ainsi les normes qui doivent être respectées. Et, sur ce terrain nettement balisé, l’injure fait ressortir les arêtes vives de la voie dont il ne faut pas sortir. Mais les allusions au sexe s’arrêtent aux conventions sociales devenues critères d’honneur. Le reste, ce qui appartient à l’intime du corps, se doit de ne pas être nommé. Il se doit aussi de n’être ni vu ni touché.

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Peu de gestes sont explicitement à notation sexuelle et peu de mots font directement allusion aux organes sexuels. Un homme peut à la rigueur « pisser » le long d’un mur pour en injurier un autre, ou gager pour un pot de vin « qu’il a plus bel membre » que son adversaire68. Mais, en règle générale, les gestes restent prudes et toute agression de cette partie du corps est immédiatement critiquée. Il faut être malade de folie furieuse comme ce suppliant parisien pour « monstrer son dessouz tout nu » à celui qui lui réclame son dû69. Quant à cette lutte entre compagnons du bailliage de Sens, elle commence bien par un jeu, mais elle se termine en rixe car l’un d’entre eux est fessé et on lui baisse sa culotte70. Les « génitoires » ne sont évoqués qu’à bon escient, quand il s’agit d’un viol et que la femme se rebiffe, ou quand il s’agit d’adultère et que le mari se venge71. On comprend mieux, au silence qui entoure normalement les questions sexuelles, la portée des chevauchées sur l’âne où l’inversion consiste aussi à dénuder le bas du corps.

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En règle générale, les gestes injurieux s’adressent donc à un corps habillé. On le heurte, on le fait choir à terre, on le fait tomber de sa chaise. Ce sont déjà là des attitudes

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injurieuses. Mais elles ne sont rien en comparaison de celles qui consistent à dévêtir. Cette femme d’un suppliant qui, nous l’avons vu, refuse d’obéir à son mari en ne préparant pas l’oison pour leur hôte, dépasse les bornes de l’outrage lorsque, dans la lutte qui les oppose, elle lui ouvre la chemise qui « estoit deboutonnée devant » 72. Mais la pire des infamies est d’ôter le chaperon de son adversaire. 51

Plusieurs études régionales ont déjà remarqué l’importance de cette partie du vêtement, qu’il s’agisse du Lyonnais ou de l’Artois73. Reste à tenter de comprendre sa signification ; ce n’est une forme ni curieuse ni anodine de la civilisation médiévale. Ces compagnons du bailliage de Meaux qui, après boire, jettent par jeu leurs chaperons par la fenêtre de la taverne ne semblent pas penser à mal74. Mais l’un d’entre eux s’en prend au chaperon d’un autre auquel il est lié par asseurement et la rixe commence. Le jeu est devenu une injure. On peut immédiatement penser à une rupture des rites de convivialité et de salutation, ce qui n’est déjà pas une mince affaire. Mais une comparaison avec des rites similaires à la même époque ou dans des sociétés qui ont conservé ces traditions permet de mieux en comprendre le sens. A Florence, au XV e siècle, des prostituées sont coupables d’avoir enlevé le chapeau des hommes : elles avaient marqué par cette prise l’acte d’amour75. Il est possible que le chaperon médiéval, par sa forme, se prête bien à cette interprétation sexuelle 76. D’ailleurs, le rituel est différent quand il s’agit de l’homme ou de la femme. Se dénuder la tête pour un homme consiste à se mettre dans un état de neutralité sexuelle. L’attitude est indispensable à l’église et c’est la seule façon pour les laïcs de renoncer à toute impureté physique quand ils entrent dans la maison de Dieu 77. Oter son chaperon est aussi un acte obligé quand les hommes saluent une femme : sinon n’est-ce pas l’agresser sexuellement et lui faire injure ? Toucher aux chaperons des hommes revient donc à toucher à leur sexe, et on retrouve ici le tabou que révélait le silence des mots.

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En revanche, la femme se doit de conserver sur sa tête le chaperon qui la protège. Toute atteinte a la signification d’un viol, comme si la pudeur se cristallisait sur les cheveux : les études de M. Carosso relatives à la Sardaigne contemporaine le montrent parfaitement78. La dénudation des cheveux constitue donc le premier acte du viol. Pour arriver à ses fins, il s’agit de faire tomber le chaperon ou de « rompre la cornette » 79.

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La prise du chaperon peut aussi manifester un viol symbolique. La scène qui, nous l’avons vu, oppose à une fillette ces compagnons de Cocherel venus pour la violer, en dit long à ce sujet80. Tenus en échec, les compagnons se vengent sur le chaperon de la jeune fille. S’ils ne sont pas accusés de viol, c’est que la lettre insiste bien sur le fait qu’ils ont « fait semblant » d’emporter le chaperon et qu’ils l’ont « rapporté aussitôt ». L’honneur de la jeune fille est donc resté sauf. L’enlèvement du chaperon est, en terme d’honneur, le substitut du viol. La scène ressemble fort à la scapigliata que R. Corso décrit de la Calabre jusqu’au Trentin, ou à l’attacar de la Corse, viol symbolique qui consiste pour un homme à porter la main sur la coiffe ou le visage d’une femme pour la déshonorer aux yeux des autres, et par conséquent pour pouvoir l’épouser si la parenté s’y oppose puisque celle-ci n’a plus d’autre choix81.

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Sans aller jusqu’à ces extrêmes, les gestes les plus injurieux sont ceux qui touchent au visage, quels que soient l’âge et le sexe de la personne concernée. Sans parler de la « buffe » qui est fréquente, les gestes peuvent être variés. Ici c’est un petit enfant qui se trouve injurié parce qu’il a reçu un peu de terre sur la tête ; là c’est un homme que l’autre prend par le menton ; ailleurs encore ce sont des cheveux qui ont été tirés. Quant à Jean de Sencille lorsque « d’une pomme ou celle chose qu’il tenoit toucha a la

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bouche » de son interlocuteur, il reçut immédiatement une « buffe » magistrale, de la même façon que ce compagnon qui s’est avisé de jeter un chapelet qui ornait la tête d’une jeune femme82. Ce ne sont pas là querelles futiles, même si ces gestes ont perdu pour nous leur sens offensant. Elles ne tiennent pas non plus à des coutumes locales puisque ces exemples s’étendent sur l’ensemble du royaume et jusqu’au comté de Flandre. Partout, la tête et le visage sont des zones sensibles à l’honneur. 55

Les cicatrices que laissent les coups sont sévèrement punies. L’homme menacé d’être touché au visage riposte. Ces deux voisins du comté de Flandre en viennent ainsi aux coups car l’un d’eux « boutant son visage pres d’icellui suppliant, disant en bas : “Vous courrouchiez vous encores ?” A quoy le dit suppliant respondi : “Laissiez moy en paix et ne me troublez point car se vous ne me laissiez en paix de venir si pres je vous batteray au visage”. A quoi icellui Mathieu repliqua disant qu’il ne seroit point si hardy et pour ce que le dit Mathieu ne s’en vuelt deporter ledit suppliant le ferut de sa main ou visage »83.

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Le répertoire des coups qui répondent à l’injure montre combien ce sont là des cibles privilégiées. On trouve tout ce qui concerne la tête mentionné dans près de la moitié des cas. Et le mot « tête » lui-même apparaît dans 25 % des cas, suivi de celui de « visage » dans 6 % des cas. Le vocabulaire qui concerne la tête en détaille toutes les parties, front, oeil, nez, joues, lèvres, « bauleines », dents, etc. Ensuite seulement, dans 40 % des cas, viennent les bras par où s’exprime la force et, loin derrière, le reste du corps, de la « poitrine » à la « pance ». On peut toujours penser que les coups pleuvent là où le hasard les porte. Ce serait sans doute méconnaître l’effet de réponse, de démenti gestuel que suppose la réponse par le coup. Le coupable se venge de préférence à l’endroit où il a été agressé. Le choix de la tête et du visage a donc bien une signification symbolique.

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Il convient de punir la « sanglante gorge » d’où est sortie la parole. Il convient aussi d’anéantir ce qui est à la fois beau et sexuellement significatif. Le nez est « beau membre » et menacer de le couper est une sévère injure84. Pour une femme, ce peut être l’équivalent d’un viol, quand celui-ci ne peut effectivement avoir lieu : il en est ainsi de cette jeune femme, enceinte, donc intouchable, qui s’est vue jetée sur le fumier et qui eut le nez coupé jusqu’à la lèvre85. La défiguration est à la fois injure esthétique et sexuelle. Jeannette La Potière que nous avons vue accusée d’être maquerelle, est victime d’une expédition punitive et les hommes chargés de venger Tristan Hanotin tentent de lui fendre le nez : on « s’efforça de lui copper le nez, mais elle mist les mains au devant et se mist et coucha adonc en la rue et contregarda au mieulx qu’elle pot son nez et tant que ledit Dupuis lui coppa ou encisa le doit qu’elle mist au devant, et quant il vit qu’il ne povoit autre chose faire, il la creva et seigna depuis la bouche jusques aux oreilles d’un costé et d’autre d’un petit coustel qu’il avoit »86.

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On mesure mieux, à la lecture de ces injures gestuelles, l’infamie que les autorités judiciaires imposent en ordonnant de couper oreille, nez ou langue. La cruauté du supplice n’est pas seule en cause : l’homme est atteint dans ce qui constitue la partie visible de sa pudeur87.

AUTRES AGRESSIONS VERBALES 59

Si les valeurs relatives à la conduite sexuelle sont importantes, elles ne doivent pas effacer celles que révèlent les autres thèmes de l’injure verbale. Les règles du

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comportement social comme celles du comportement physique s’y trouvent, elles aussi, transgressées. 60

Le mensonge, non plus considéré comme simple démenti, mais associé à la trahison, suit numériquement les injures sexuelles88. Il n’est pas bon de mentir ni de se faire appeler « faux traître », mais l’accusation est fréquente. Elle indique la force que les serments et les principes de loyauté ont inculqué à la vie quotidienne. Ce pourrait être là propos de chevaliers au combat ; ce sont accusations entre vilains. Deux hommes boivent ensemble à la taverne. En sortant le suppliant s’inquiète des raisons pour lesquelles son compagnon refuse de prendre une terre, ce qui gêne ses voisins. Aussitôt l’autre rétorque « qu’il mentoit parmi sa sanglante gorge comme faulx traître et mauvais qu’il estoit »89.

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L’honneur impose donc de ne pas mentir. Il s’agit moins de dire la vérité que d’être « loyal ». Ce qualificatif que nous avons déjà rencontré à propos des conduites sexuelles n’est donc pas, ou plus, réservé aux valeurs chevaleresques. D’ailleurs, on le voit dans l’exemple précédent, la traîtrise est associée au mensonge et elle se conforte souvent de la « fausseté ». Mais, à la différence du mensonge, elle marque en général le nonrespect des règles de la communauté. Jean Caillou dit à Yvon Le Sage qu’il est un « faulx traître » pour l’avoir « batu et navré » en sa maison90. Ce peut être aussi celui qui ne remplit pas ses obligations envers son maître, son seigneur ou le roi. A Montigny-surAube, Jean Lalement et Simon Barengier se disputent : « et par especial le dit Lalement dit au dit Symon qu’il estoit faulx et traîtres encontre son droitturier seigneur, lequel Symon lui respondi qu’il mentoit et qu’il n’estoit pas tel, mais estoit bon et loyal a son droitturier seigneur »91. Ailleurs, ce sont des cousins germains qui ne se rendent pas le service qu’ils se doivent, et l’un d’entre eux finit par appeler l’autre « sanglant traître et mauvaiz »92. Tout semble donc fonctionner comme si un serment implicite liait ces laboureurs au code social. Et celui qui enfreint ces devoirs quasi sacrés est un traître.

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La traîtrise accompagne aussi la référence à des événements politiques. Les injures politiques sont rares, mais nous avons vu que la vie politique contribuait à alimenter la haine et la dénonciation des « malveillants »93. On les voit prendre corps pendant la guerre civile. En janvier 1412, pour charger Bourquetot, vicomte de Bec-Crépin et le rendre coupable des pillages reprochés à Jean Le Bouteiller en Normandie, l’avocat de ce dernier, Jean de Rames, rapporte par écrit « que ledit vicomte avoit dit et recordé en plusieurs preches et en compagnie de gens notables que monseigneur de Bourgogne est faulx traytre murdrier et bourrel »94. Ces propos sont d’autant plus intéressants qu’ils se situent en pleine reprise en main du pouvoir par Jean sans Peur et qu’ils sont donc parfaitement adaptés à la diffamation recherchée. Ils montrent aussi le poids du meurtre de Louis d’Orléans dans la mémoire puisque l’injure porte sur ce souvenir plus que sur la politique menée par le duc de Bourgogne. Peut-être faut-il voir aussi dans le mot « bourrel » le souvenir des exécutions capitales récentes, en particulier celle de Jean de Montaigu95. Il est vrai que le milieu des parlementaires et des gens d’armes qui colporte de tels propos est attentif au souvenir d’événements qui décident souvent de leur avenir professionnel.

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Quand il s’agit de populations socialement moins renommées, il convient de s’interroger sur le sens politique de ces injures. Certains suppliants les emploient en désespoir de cause. L’altercation qui oppose Jean Moreau et Guillemin Jobert à la taverne d’Alligny, dans le bailliage d’Auxerre, en donne la mesure. Nous sommes en novembre 1415. La discussion s’est engagée, comme nous l’avons déjà dit, sur les

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exploits sexuels de Guillemin Jobert et ses déconvenues quand, se dépêchant d’aller rejoindre une femme, il mit sa main sur l’oreiller et trouva la barbe d’un homme arrivé avant lui96. Le jeu des devinettes commence : qui est cette femme ? Ce ne peut être que celle du maréchal ou celle du barbier, dit Jean Moreau qui connaît bien son monde mais voudrait en savoir davantage. Le jeu n’est pas du goût de Guillemin Jobert, inquiet d’être démasqué et le voici pour sa défense qui traite l’indiscret de « sanglant traître Armagnac ». L’injure fait mouche mais Jean Moreau s’avise de rétorquer avant de se battre : « que oncques ne fu ne servy le conte d’Armagnac, mais avoit bien servi le seigneur de Saint-Verain qui est et a esté chambellan de notre tres cher et amé filz et nepveu le duc d’Orleans ». 64

La distinction est, on le voit, subtile et elle a peut-être pour but d’échapper à une quelconque poursuite en ces temps de guerre civile. Mais n’est-ce pas aussi parce que l’enjeu du « parti armagnac », comme d’ailleurs celui du « parti bourguignon », n’est pas encore nettement perçu et que les relations personnelles avec les protagonistes du mouvement l’emportent sur les considérations idéologiques ? Ces considérations laissent supposer que les prises de conscience restent limitées. Les enjeux politiques n’ont pas réussi à gauchir le contenu des injures97. Il faut attendre la fin du XVe siècle, dans un contexte parisien, pour saisir une population assez malicieuse et assez au courant de l’actualité politique pour apprendre à ses geais à se moquer du pouvoir 98. L’anecdocte souffre cependant d’être isolée et le Registre des écrous du Châtelet de 1488-1489 livre une population qui s’avère politiquement muette 99.

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Le thème du criminel se rapproche de celui du traître : comme lui, le criminel est celui qui n’accepte pas les lois de la société. L’insulte la plus utilisée est celle de « larron » qui peut d’ailleurs être associée à la traîtrise sous la forme « larron traître » 100. Elle connaît des variantes qui la mettent au goût du jour : « truand » ou encore « pillard » et « brigand », claire allusion aux événements de la guerre101. Outre le sentiment de propriété sous-jacent, ce type d’injure met bien en avant la référence à un conformisme social qui, comme nous le verrons, a grandement favorisé l’implantation de l’administration judiciaire. Aux côtés de l’expression « larron » si fréquemment employée, les injures relatives à l’usure sont rares. Guillemin Gissart le Jeune, refusant de payer l’officier Thomas de Bones pour une prise de loups, se voit traité de « garçon, larron, usurier, fils de larron »102.

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Ce décalage entre le contenu des sermons qui fustigent l’usure et celui des injures qui n’y font guère référence est difficile à interpréter. On peut y voir, comme dans le cas de la sodomie, un silence respectueux d’un crime si horrible qu’il ne peut être prononcé. Cette interprétation n’irait guère dans le sens des travaux de J. Le Goff : en ces deux derniers siècles du Moyen Age, les portes du Purgatoire s’ouvrent aux usuriers et elles leur donnent à la fois « la bourse et la vie »103. Cette réflexion sur l’usure semble mieux convenir à notre propos. On peut aussi interpréter l’usure comme une notion essentiellement marchande et urbaine qui a encore peu pénétré la vie quotidienne. Le rythme d’emploi des mots serait en décalage avec l’évolution des faits. Quant aux sermons qui y font allusion, il ne faut pas oublier qu’il s’agit souvent de sermons ad status et que, par conséquent, ils ne s’adressent pas, de préférence, aux populations que nous étudions. Les gens qui requièrent la grâce ne sont pas les marchands que peut fustiger un Bernardin de Sienne104. En revanche, ces images véhiculées par les sermons ont fait mouche dans les milieux politiques qui traquent l’usure pour purifier le royaume105. La lutte contre l’usure est devenue un devoir politique ; elle est loin d’être

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encore une obsession verbale de la population. Dans ce monde ordinaire, le larron s’y révèle un personnage plus haut en couleurs, plus « réel » mais aussi plus redoutable que l’usurier. Au plus, l’usurier, comme dans l’exemple précédent, peut lui être associé. Mais il n’est pas sûr que ce larron ait droit, dans l’esprit de celui qui injurie, à la mitemps du Purgatoire. 11 existe une rigidité de l’injure qui fait décaler le mental du politique et du religieux. Les images héritées du fond des âges restent d’actualité. 67

Dans le même esprit de conformisme et de rigueur des états se situent les injures sociales. Celles qui inversent les rôles sont particulièrement mal ressenties car chacun doit rester à sa place. Etre appelé « vilain » quand on est un gentilhomme implique une riposte immédiate. Au milieu du XVe siècle, Claudin de Montargnault, « gentilhomme », considère que cette insulte et les propos qui l’accompagnent « estoient moult deshonnorables et prejudiciables »106.

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L’emploi de ce type d’injure est cependant rare, comme il l’est d’ailleurs dans les romans de chevalerie. Cela confirme que les conflits sociaux ne sont pas au coeur de la violence107. En fait, le terme « vilain » est surtout employé comme adjectif synonyme de « vil » pour qualifier un terme déjà injurieux. On dit des « mots vilains » et, en injuriant, on « villene ». Vilain, sans cesse associé à « blasme » ou « reproche », est plutôt un substitut de « honteux » qu’une allusion au peuple108. L’opposition entre « gentilz » et « vilain » n’est pas spécifique du corpus du vocabulaire. Il se dégage de ce mot des notions d’ignominie et de laideur qui sont autant de défauts moraux que l’homme de la fin du Moyen Age a, bien sûr, emprunté au paysan, au vilain, mais qui ont pris un sens d’exclusion à l’intérieur même de la catégorie sociale concernée. Les distinctions sociales y sont d’ailleurs vivement ressenties. Elles existent entre les métiers. L’exercice de certains est jugé plus ou moins infamant, y compris, et on pourrait presque dire en premier lieu, dans le monde des travailleurs. Les nobles et les clercs ne font sans doute pas des distinctions aussi subtiles, sauf quand il s’agit de catégories bien typées comme celles des bouchers ou des foulons. Tous les métiers sont vils. Mais, nous voici entre « laboureurs » à Viffort, dans le bailliage de Vitry. L’un d’entre eux se plaint à sa femme et lui raconte comment un savetier est venu l’« eschauffer » et comment il lui a répondu qu’il était « un charretier emboué » 109. On voit bien ce que l’honneur doit déjà à la propreté du métier. L’idée n’a pas fini de faire son chemin.

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L’emploi de diminutifs peut aussi passer pour une injure qui amenuise l’honneur de la personne. Jehannin Bonnard, dans le bailliage de Caux, s’entend appeler par son voisin « Jehinnet, Jehinnet » et lui de répondre : « Que vas-tu ainsi criant ? M’appeles-tu Jehinnet ? Te moques-tu de nous ? »110. Ce Jehannin a bien des raisons d’être susceptible : l’autre a crié, ce qui est la démesure du parler ; mais surtout, Jehannin est berger du troupeau commun du village et il n’occupe pas dans la hiérarchie paysanne, nous le savons, une place enviable111. Point n’est besoin de rendre sensible par l’emploi du diminutif ce qui est connu de tous mais qui doit rester tacite sous peine de briser l’honneur.

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La diffamation peut aussi consister à traiter l’adversaire du nom d’un animal. Mais il faut, dans ce domaine, se montrer prudent car les cas sont très peu fréquents. Le choix de l’animal n’est pas indifférent et il s’agit essentiellement de punaise, de porc, de bouc, de mouton, de chien ou encore, le plus fréquemment, de « mastin ». Voici un écuyer qui, dans une taverne de Granville, injurie son interlocuteur qui, « bien meu et courroucié de ce, l’appela mastin », et l’autre « se leva en lui disant qu’il estoit plus

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mastin que lui »112. Il n’est pas dans nos possibilités d’analyser plus avant la relation qui existe entre l’homme et l’animal au travers d’injures qui sont souvent très laconiques. On peut seulement remarquer que le chien y est plutôt évoqué sous sa forme démesurée du gros animal qu’est le mâtin. 71

N’est-ce pas encore une fois le caractère excessif de l’animal plus que l’animal lui-même qui est objet de moquerie ? Il y a loin du « mastin » au lévrier qui peut faire partie du monde des saints113. La bête de dérision est un chien déjà inversé. D’ailleurs, cette inversion est significative : les animaux évoqués n’appartiennent pas fréquemment au monde sauvage. Le roman pouvait faire attendre le renard et le loup : ils ne sont pas au rendez-vous. Il y a de ce point de vue une remarquable convergence avec la littérature contemporaine qui n’éprouve guère d’effroi devant les bêtes sauvages 114. Une seule mention concerne le « loup-garrou », injure brandie par un boucher à l’encontre d’un prêtre. Et encore l’emploie-t-il dans une suite d’injures, ce qui en renforce le sens global mais montre que le mot ne constituait peut-être pas, à lui seul, une provocation irréparable115.

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Enfin, vu le faible nombre de cas, les corrélations sont difficiles à établir entre la symbolique de l’animal évoqué et l’injure, si ce n’est que le porc, le mouton et le bouc sont des animaux déjà très typés dans leur comportement et dans les défauts afférents. Au total, la quête est maigre. Ce silence est-il évocateur de la grande familiarité qui existe entre l’homme et l’animal ? Pour retrouver le chaton que sa femme a perdu et qu’elle réclame, un homme est capable de devenir meurtrier ; quant aux chiens, il convient d’en limiter le nombre — ce qui est déjà signe de leur prolifération — mais il n’est pas question de les supprimer116. Enfin, au même moment, se continuent les procès qui, en justice, accusent les animaux de crimes qu’ils sont susceptibles d’avoir commis117. L’animal n’est pas exactement l’inverse de l’homme, et ravaler un homme au nombre des animaux revient peut-être à le diminuer, mais non à l’exclure de la communauté.

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Un dernier type d’injures s’attaque aux failles de l’individu, réelles ou supposées. Là encore le nom de l’adversaire peut être sujet à plaisanterie et à jeux de mots. Perenelle Sagette, une forte mégère, s’en prend à son voisin, un nommé Chardebeuf, en jouant sur son nom : « Chardebeuf ! Ribaut, ruffien, maquereau, vendeur de char vive aux moines »118. Les maladies « honteuses » comme la lèpre sont évoquées : on peut être « ladre » ou « jonatre mesel » et « puant meseau pourri », juste bon à être à la maladrerie119. Toute infirmité peut devenir sujet de dérision. Entre le cordonnier et le meunier d’un petit village du bailliage d’Amiens se poursuit une vieille querelle qui tourne en drame le jour où le meunier se fait appeler « vil borgne », ce qui, pour un meunier particulièrement satisfait de son état, dépasse la mesure 120. Au nombre de ces failles de l’apparence on doit compter les injures qui distinguent l’étranger de l’homme de connaissance. On a le tort d’être « Hennuyer », « Picart » ou « Breton ». Ce suppliant revient de la foire de Chartres et s’arrête à la taverne où il rencontre ses voisins venus comme lui de Sours, leur village, à une dizaine de kilomètres de là. Une altercation les oppose à un Breton qui refuse de payer un verre de vin. L’injure attend le chemin du retour pour exploser, mais elle accuse le Breton... d’être breton121 !

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L’injure verbale, comme le geste qui « arrogament » heurte ou fait tomber, a donc bien pour fonction d’exclure moralement ou physiquement la victime du groupe auquel elle appartient. Outre le ton, le contenu est sujet à riposte ; il met en marge de la société. C’est la raison pour laquelle celui qui la profère peut être poursuivi par la justice et, à

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plus forte raison, puni par l’homicide. Encore faut-il comprendre comment fonctionne ce processus d’exclusion : à quel moment l’honneur blessé se transforme-t-il en honte ?

DE L’HONNEUR À LA RENOMMÉE 75

L’injure porte quand elle est proférée publiquement. Elle fait alors partie d’un spectacle où l’intégrité de la personne est remise en cause. De cet honneur vu et su, on glisse imperceptiblement à l’honneur dit et répété sur toutes les bouches, c’est-à-dire à la renommée. Dans l’analyse du vocabulaire relatif aux lettres de rémission, ce terme fait partie du vocable de la base. Une seule lettre peut y faire allusion plusieurs fois 122. Il ne s’agit pas seulement de la renommée que le roi restitue avec la « fame » quand il accorde son pardon. Elle peut caractériser le suppliant qui s’en sert pour montrer le caractère accidentel du crime. Au début du règne de Charles VI, Denisot, pauvre laboureur, est accusé d’un crime horrible : il a bouté le feu à une maison et pour cette raison se trouve enfermé au Châtelet à Paris. Il s’en trouve déchargé, considéré qu’il a été « homme laboureur et de bonne vie et renommee et de conversacion honneste sanz oncques avoir esté repris d’aucun autre villain blasme »123.

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Il est probable que la déposition de témoins est venue nourrir ce jugement de valeur. La réputation est, comme nous l’avons vu, liée à l’enquête et la fiabilité des témoins ajoute à sa véracité124. La renommée a une valeur juridique. Ce suppliant est l’objet de graves menaces de la part de son voisin qui lui promet, lui aussi, de « bouter le feu ». Excédé, il le tue. Pour se décharger, il fait appel au témoignage de « personnes dignes de foi » en présence desquelles ces menaces ont été proférées. Sa propre renommée est sauve 125. Mais, tout comme l’honneur, la renommée ne se partage pas. Elle est le fruit d’un jugement commun, d’une opinion publique qui se fond dans ce que les textes appellent la « voix commune », la « commune renommée ». La réputation est vécue comme la réponse collective aux comportements individuels. Dans ces conditions, la violence naît bien comme sur un théâtre. Les personnes qui s’y meuvent prennent vite la dimension de personnages sous l’oeil attentif de spectateurs qui, eux-mêmes, ne tardent pas à se muer en acteurs. Nous sommes là aux origines de la violence, quand la parole et le geste prennent un sens qui échappe en grande partie à leurs protagonistes. Examinons plus en détail les lieux qui renvoient l’image et servent de résonance à l’écho.

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Le lieu se doit d’être public, quel que soit le sexe des belligérants. Nous avons vu combien les femmes étaient rarement concernées par le crime. Mais quand elles le sont, le processus de violence est identique. Il prend la rue à témoin. Perenelle Sagette, non contente de s’en prendre à Thomas Chardebeuf, le diffame en « plaine rue » et à « haute voix »126. On ne saura jamais ce qui se serait passé si ces injures avaient été proférées à l’abri de murs discrets. Et elle paie de sa vie, le jour même, un crime devenu public. Pour que naisse la honte, il faut que la renommée soit flétrie devant les autres. La dispute naît entre cet homme et cette femme parce que celle-ci refuse de faire cuire des oeufs « presens estranges gens » qui sont les voisins venus « mengier le lait a la cuiller de bois » ; quant à ce mari, sa honte d’avoir été battu par sa femme se nourrit de ce que « plusieurs le savoient, dont il avoit grand dueil, despit et honte au cuer » 127. Le sentiment personnel n’entre pas en ligne de compte ; du moins dans la genèse de la violence, car c’est le regard des autres qui fait naître l’émotion et le courroux.

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Les lieux publics sont donc les lieux privilégiés de l’exclusion, de la même façon qu’ils le sont de l’insertion sociale. L’homicide, crime le plus nettement associé aux gestes et

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aux injures, se produit dans plus de 60 % des cas dans un lieu public (tableau 40). On peut y ajouter les 11 % de cas qui se produisent à la taverne où se presse aussi la foule des témoins. Mais, sur tous ces lieux où circule le monde, la rue est largement en tête 128. Certes, on l’a vu, la violence ne doit pas s’exercer à l’abri des murs de la maison, sorte de lieu sacré de la paix. Le criminel sort pour se battre. Mais la rue n’est ni un exutoire ni le lieu favori des rencontres intempestives et des bourses tentantes. Les crimes qui s’y produisent ne sont pas tous de hasard. La préméditation y a sa part. C’est qu’il importe d’y être vu et entendu et c’est avec la taverne, le meilleur endroit pour que se propagent les bruits, pour que se défassent puis se refassent les réputations. L’injure a blessé, aux coups de restaurer l’honneur : dans l’un et l’autre cas le bruit que la rue amplifie et colporte, en assure la publicité. 79

Il ne s’agit pas de n’importe quelle rue. La réputation se meut dans l’espace clos que nous avons décrit. L’intérêt est d’être entre gens de connaissance : ce sont eux les égaux et les contemporains dont seul le jugement importe. Nous voici dans le petit village d’Essuiles dans le bailliage de Senlis. Une femme mariée est poursuivie par les assiduités d’un homme qui, « pour venir a son intencion, plusieurs foiz l’appella “putain”, publiquement, et en la rue ou elle demeure »129. Le même type de scène se produit encore dans le Paris de la fin du XVe siècle130.

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Certains lieux portent d’eux-mêmes à la publicité. C’est le cas des lieux de marchés, mais aussi ceux qui servent officiellement aux réunions de la communauté. A Amiens, en mars 1420, dans un contexte de guerre civile et de menace anglaise, des assemblées se succèdent depuis un an à l’encontre du maire et des échevins. Jean de Limières, cordonnier, s’en prend à Frémin Piedeleu, un notable de la ville qui a été plusieurs fois maire. Pour émouvoir le commun, il choisit de l’appeler « faulx traître, chien », poursuit l'attaque en s’efforçant de lui asséner un coup de hache. Paroles et injures se déroulent ainsi, « eulx estans en lieu plus publique de ladicte ville » 131. Certes, l’allusion est politique puisqu’il est question de livrer la ville aux Anglais à l’approche du traité de Troyes. Mais cet exemple montre aussi à quel point les causes politiques sont engluées dans une tradition de gestes et de mots qui ressortissent à la violence ordinaire. Tableau 40 : L’homicide. a) Les antécédents de l’homicide

Antécédent de l’homicide Homicide (en %) Pas de crime

9,0

Homicide

21,0

Crime contre les biens

15,5

Affaires conjugales

5,5

Crime de moeurs

3,5

Blasphème

0,0

Rupture d’asseurement

0,0

Contre la chose publique

1,5

692

Crime

0,5

Injures

31,0

Accident

0,5

Suicide

0,0

Autres

12,0 100

Ce tableau montre comment se répartissent les antécédents de l’homicide quand celui-ci constitue le type de crime final. Plus de 20 % des homicides ont pu être précédé d’un autre homicide ce qui montre le caractère violent de la société et les effets répétés de la grâce. Mais ce sont les injures qui l’emportent sur tous les autres crimes.

b) Homicide et endroit du crime

Endroit du crime Homicide (en %) Inconnu

5,0

Maison

10,5

Taverne

11,5

Autres lieux clos

3,0

Lieux de passage

51,0

Nature cultivée

12,0

Nature sauvage

2,5

Divers lieux

0,5

Terrain de jeux

3,5

Autres

0,5 100

L’endroit du crime est défini en fonction de l’homicide qui y est commis. La rue et les lieux publics sont nettement prépondérants pour ce type de crime qui a besoin d’être connu de tous. 81

La répétition des mots, le public, la proximité des témoins, tels sont les éléments qui font la réputation. Alors le bruit court, s’enfle, échappe à la victime qui le subit même en son absence. C’est le cas de cette femme du bailliage d’Evreux qui est appelée « putain ribaude, tant en sa presence qu’en son absence » 132. Le bruit peut se répandre au-delà des frontières du terroir mais de peu. Quand il dépasse les limites de la rue, c’est pour éclater au grand jour des lieux de rencontre privilégiés que sont les foires ou

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les pèlerinages. Mais, là encore, la scène se passe entre gens de connaissances qui y sont allés marchander ou prier mais qui reviennent avec leur provision de nouvelles. Cet homme ne s’y est pas trompé. Pour parvenir à ses fins, il commence par injurier la femme qu’il désire, en public dans sa rue, la nuit : « Elle n’est mie couchié, lorde putain lordiere, elle viendra lorde putain avant que je parte de cy » 133. Et comme ses menaces ne sont pas suivies d’effet, il continue de jour, à la foire de Compiègne, où il rencontre sans doute nombre d’habitants venus du village proche. 82

Le bruit de la renommée peut aussi prendre la voix des canaux officiels de l’information, tels les prêches dominicaux à l’église paroissiale. La transmission des nouvelles fait partie de la prière du prône prononcée en langue vulgaire. Des conjoints du bailliage d’Amiens en font l’amère expérience, eux qui, « par devocion, feussent alez a l’eglise de ladicte ville de Toutencourt oir la messe en jour de dimanche, a laquelle messe il eussent oy prononcer pour excommuniez touz ceuls et celles qui participoient et participeroient ou tindroient compaignie et administreroient aucunes neccessitez a une meschine nommee Maroie de Beaucamp, laquelle demouroit pour lors en l’ostel desdiz conjoints »134. Cette excommunication « estoit faicte a la prononciacion et requeste d’un appellé Pierre Trupin dit Fumel, parmentier, qui disoit icelle Maroie estre tenue a lui pour son salaire ou pour autre cause ». Prononcée en public, elle fait naître la haine : « pour raison de laquelle prononciacion et excommunicacion lesdiz conjoins, qui ne savoient pas la dicte meschine estre en tel estat, eurent grant desplaisir et freeur, et par especial la dicte Marie Hazarde femme du dit Honnere, et pour ce furent meuz contre ledit Fumel pour ce qu’il leur sembloit qu’il leur deust faire savoir et demandé ladicte dette, sanz eulz ainsi injurier, laquelle ils eussent volontiers paié ».

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Des conséquences religieuses de l’excommunication, il n’est guère question dans ce texte ; au plus participent-elles à la frayeur qui s’empare de Marie Hazarde. La remise en cause de la renommée sur la place publique est au premier plan des préoccupations du couple pour lequel la somme d’argent compte moins que leur réputation. Et, finalement, le traître paie de sa vie le déshonneur qu’il leur a fait. On peut alors facilement imaginer le poids de la diffamation que subit cet homme marié quand le curé, publiquement en la paroisse et à ses paroissiens, se vante que sa femme « est sa mie »135. Les voix officielles sont terriblement efficaces.

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La renommée est donc un bruit qui se meut dans le champ clos que maîtrisent parfaitement les membres du groupe. Il est « commune renommee au païs » ou dans la « dicte ville » précisent les textes136. L’étendre au-delà n’a encore guère de sens même si, ailleurs, les critères de jugement sont parfaitement identiques. On ne lit son honneur que dans les yeux des autres, à condition qu’ils soient aussi des gens de connaissance. Tout se passe comme si, dans le silence de la nuit ou sous le regard attentif des témoins, la force des mots se décuplait jusqu’à devenir réalité. Nous sommes dans une société où se confondent l’être et le paraître et où le mot comme le geste créent un état. Empêcher les femmes de voir la danse, heurter du pied la jeune fille, taper bruyamment à l’huis, ce ne sont pas des signes de l’arrogance, mais l’arrogance en actes et, partant, le déshonneur. La parole, nous l’avons vu dans le cas des injures, est à fleur de visage, dans la gorge, entre les dents, sur la langue, réalité sensible que le geste vengeur se doit d’arracher. Et, quand les mots prennent de l’ampleur, c’est que la parole vient du fond du coeur plutôt que des voies de la raison. Lorsque passe le corps de Marion La Bosseuse, nous avons vu que les avis des voisins divergent et l’affaire d’héritage qui est à l’origine des réparties est bien vite oubliée137. Entre Wachier Durant le suppliant et

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son partenaire le ton monte progressivement jusqu’au paroxysme quand l’autre lui dit : « Vecy un bel advocat qui veult aidier les enfans d’une putain commune contre nous. Tay toy, tu n’es pas digne de parler et met ta teste en un soufflet, et je te dy que tu es faulz et mauvais larron parmi le cueur du ventre de leur aidier contre nous ». L’injure déclic est lâchée. Elle a attaqué l’usage mais aussi l’essence de la parole : « Dis-tu que je suis faulx et mauvais et que je ne suis pas digne de parler ? » Et l’affaire se règle au couteau. L’entendement est second. Il est, on le voit, affaire d’avocat. Les traités théoriques, au même moment, ne sont pas si loin de cette conception d’une parole réelle quand ils recommandent au prince de se méfier de la langue ou de la bouche de celui qui leur parle. Et la requête orale, dite de « bouche », a encore de l’impact sur le prince, même si elle commence à être considérée comme un abus 138. Comment imaginer alors que, dans ce monde ordinaire, la parole puisse renvoyer à des catégories abstraites ? Emise à fleur de peau, elle crée l’objet qu’elle désigne. 85

La première règle est de ne pas empêcher l’autre de parler : autant le condamner à mourir. Quant au contenu, il est difficile de mesurer les effets de ces paroles diffamantes, mais on constate qu’elles le sont assez pour entraîner la mort de celui qui les profère. L’injure entraîne la rixe et la rixe la mort. L’effet est automatique quand il s’agit de l’honneur des femmes. Et il semble que les jeunes filles soient encore plus nettement menacées que les femmes mariées. Jean de Beausart, du bailliage de Vermandois, tente de déshonorer une jeune fille dont il veut faire une fille commune. On lui demande de se taire car « par sa poursuite, elle pourrait perdre son beau renom »139. Quant à ces frères qui n’ont pas sur le champ vengé leur soeur des injures de Longuepance, leur faiblesse a eu pour conséquence de l’avoir « moult reculee de mariage »140. La jeune fille, devenue « meschine », est effectivement sur la pente de la prostitution. Il suffit donc d’appeler une fille « putain » pour qu’elle risque de le devenir réellement. Les mots ont autant de poids que les gestes qui déflorent. Les cas étudiés convergent avec les conclusions de J. Rossiaud quand il montre que la diffamation verbale est, aux XIVe et XV e siècles, une source de la prostitution141. La parole crée donc un nouvel état qui se substitue à un état antérieur jusqu’à devenir la réalité.

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Il existe bien, dans la propagation des bruits, une progression qui de la rumeur diffuse conduit à la commune renommée, puis à la dénonciation publique. La progression arrive à des constructions plus nettement positives que dans le cas où la rumeur sert à propager des nouvelles dont le lien avec le sujet n’est pas nettement marqué 142. C’est sans doute la raison pour laquelle, à l’époque qui nous concerne et sans doute jusqu’au XVIIIe siècle, cette rumeur générale qui dépasse les frontières où éclôt la renommée, choisit de se répandre en mythes143. Ici, dans le cadre étroit du « pays » connu, le bruit a un but individuel et il s’enfle en suivant les règles précises de l’insinuation, du soupçon puis de la publicité. La progression est nettement marquée dans le cas de ce couple qui a pris à son service un valet indélicat. Mais Colesson, le mari, averti de son triste sort et désireux de vérifier la vérité des bruits qui lui sont rapportés, arrive à l’improviste et le surprend : « lequel durant le temps qu’il fu ou service des diz mariez fu souspeçonnez par ledit Colesson de avoir eue compaignie chamelle a sa dicte femme par le rapport et tesmoignage et commune renommee d’aucuns ses voisins, lesquelz dirent par pluseurs fois audit suppliant ces choses estre vraies, et par especial un appellé Jehan Cogue et sa femme qui, publiquement, le denonçoient et le disoient en pluseurs et divers lieux » 144. Si du moins le valet avait agi « secretement », « au deceu du mariez », les choses, dit le suppliant, eussent été différentes. La publicité rend la situation irréversible et on peut

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supposer que, tant que le silence subsiste, un arrangement est possible. L’argent peut encore conduire à l’accord. A l’inverse, quand le bruit va jusqu’au scandale la situation est irréversible. Celui-ci tient à la nature du crime et à sa publicité. Les gens du Parlement s’indignent qu’une femme mariée ait choisi de répandre par le pays le bruit du viol dont elle a été victime145. Ce serait certainement un contresens que de croire qu’il s’agit là d’un crime mineur dans la pensée des juges. Mais la recherche de publicité ne peut être que le fruit d’une « volonté désordonnée » au terme de laquelle naît le scandale préjudiciable à cette femme, à son mari et à l’ordre public. Cette solution, la plus irréversible, est condamnée par la justice. Un accord eût été satisfaisant. Eviter le bruit, tenir l’autre par ce qu’on connaît de lui sont autant de solutions qui nourrissent le silence et limitent l’éclatement de la violence. On comprend mieux quelle arme peut constituer la diffamation ; les voisins ne se privent pas de l’utiliser et les tribunaux de la considérer comme un crime ; en vain. Chacun tient une arme secrète en son sein. Jeannette, une ancienne veuve remariée, est appelée « grue » par un compagnon. Elle dit d’abord qu’elle ne comprend pas ce que cela veut dire. L’autre lui explique que c’est une « ribaude ». Et Jeannette, qui ne se prive pas de recourir à un vocabulaire tout aussi imagé, poursuit « qu’il avoit menti et que l’on ne l’avoit pas trouvee ou tiree de desoubz le cul du prieur de Loisy ainsi que avoit fait sa femme » 146. Il n’existe guère de gardefous contre de tels propos. 87

La différence est capitale entre les populations ordinaires et la noblesse. Chez les nobles, l’honneur est immédiatement perceptible, il existe en soi, enraciné dans la succession d’une maison et d’une lignée. Ce suppliant est un « bon jeune homme paisible yssus de noble lignee de bonne renommee et conversacion honneste » ; celui-ci est « extrait et descendu de bonne et notable lignee et ait plusieurs notables parens tant clers que autres »147. Il faut bien sûr veiller à maintenir le potentiel d’honneur que transmettent les parents, mais il est rare qu’il soit remis en cause. Seul le cas de Renaud d’Azincourt, coupable de cette fameuse tentative de rapt à Paris au début du XV e siècle, permet à la partie adverse de distinguer entre le sang et l’honneur. L’accusé « est homme de grant lignage qui touttefoiz n’a pas monstré en ce fait qu’il soit homme d’honneur »148. En règle générale, la discussion ne va pas aussi loin et elle se contente, comme nous l’avons vu à propos de la parenté des familles nobles, de proclamer une honorabilité héréditaire149. Les textes de la pratique sont donc loin sur ce point de se servir des remarques des théoriciens qui opposent noblesse de sang et noblesse de courage150. L’honneur du sang prime, même s’il convient de le rehausser de quelque beau fait d’armes.

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La réputation de l’ensemble de nos criminels ne peut pas compter sur cet enracinement. Non point qu’ils n’aient pas d’ancêtres. Mais les patres ont rejoint, anonymes, le cimetière commun, et les marques de la bonne famille, comme d’ailleurs de la mauvaise famille, ne dépassent guère la référence au père et à la mère, du moins dans la référence écrite. Au moment même où ce noble se définit par sa « noble lignee », un autre jeune, mais roturier, se dit « extrait de bonnes gens, de bon pere et de bonne mere »151 ; le roi accorde finalement sa grâce « veue la bonne renommee de ses dis pere et mere ». Mais on ne remonte pas plus loin. Les mots peuvent parfois faire illusion. Ce suppliant parisien que nous avons vu conduit à des gestes indécents sous l’effet de la folie, argue pour sa défense d’être « homme de bonne vie et renommee, né et extrait de bon lieu et bonnes genz »152. Certains lignages peuvent aussi souffrir d’une renommée qui les englobe sans que soit précisé le degré qui les unit 153. Si réputation il y a, elle reste vague. Dans tous les cas où la mémoire des faits est sollicitée de façon

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précise, elle ne dépasse pas la génération précédente. Attaqué par un importun, Jean Souquant lui dit : « Je te prie, laisse-moi en paix. Va-t-en, je recognois bien ton pere et ta mere »154. L’épaisseur est vite arrêtée. Dans la population ordinaire, l’honneur est une dignité qui a sans cesse besoin d’être actualisée par le jugement des contemporains, des égaux. Sa définition est horizontale ; elle s’inscrit dans le simultané des relations humaines. 89

Ces hommes ordinaires ne sont donc que ce qu’ils paraissent et leur nom est finalement moins important que leur renom. Tout leur être est contenu dans le regard des autres. La mise en scène qui les fait entrer en contact avec autrui leur est essentielle. Elle leur permet de se considérer comme normaux à partir du moment où les règles des convenances sont respectées et leur ont permis d’être reconnus. Mais le jeu de ces échanges confirmatifs est fragile et la violence sourd. Elle prend, à la lumière de ces constatations, son premier sens, celui de violation d’un territoire, celui de l’individu qui n’est plus capable de reconnaître dans le regard de l’autre sa dignité de personne. En prenant la forme vulgarisée de la renommée, l’honneur de ces populations ordinaires s’est privé d’épaisseur et il subit, fragile, le moindre assaut.

L’HONNEUR ET LES AUTORITÉS 90

Il n’est pas sûr que ceux des contemporains déjà pétris de culture savante aient mesuré toute la portée de l’injure. Ou plutôt, ils marquent bien la différence dans les degrés de l’injure, selon qu’elle conduit ou non aux coups et surtout à l’homicide.

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Jean Gerson considère comme une injure vénielle la manifestation qui consiste à « rechigner ou ferire sur la table, ou faire legiere menace » comme « Tu t’en repentiras »155. Il ne prend guère mieux en considération la « notable injure publique ». Seuls comptent à ses yeux le blasphème et l’injure au roi. L’honneur est une vertu plus qu’un état défini par le regard des autres. La position de Christine de Pizan reste plus proche de la vie courante ; de ce fait, elle insiste, dans la grande tradition moralisatrice, sur les péchés de langue, et en particulier sur la diffamation. Elle la présente comme un péché mortel, « car au monde n’est chose tant belle ou digne que bonne renommee et si n’est rien qui ne puist estre restituee fors elle quant elle est tollue. Et comment en fait creature raisonnable si pou de conscience qui si legierement giette son dart sus autrui par sa langue qui occit lui mesmes et plusieurs autres car il peche mortelment » 156.

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Le droit médiéval qui sanctionne l’injure en fait une infraction plus importante que notre droit positif actuel157. Dès les XIIe -XIII e siècles, la chasse aux injures est si répandue qu’il existe dans certaines villes des listes avec les punitions correspondantes. C’est le cas par exemple à Abbeville ou à Amiens158. Dans la pratique, les amendes pour injure pleuvent159. Si l’injure atteint l’honneur de la ville, elle peut entraîner des peines plus sévères comme le bannissement. Ainsi, à Amiens, en 1427, une grosse femme nommée Marion, qui avait fait et dit « de jour en jour plusieurs opprobes, injures et vilenies aux gens d’estat et d’onneur de la ville » est interdite de séjour dans la ville, et menacée du pilori si elle y revient160. La relative mansuétude des juges s’explique, dans ce cas, par la personnalité de la coupable qui « se demontroit estre folle et de fol et malvais gouvernement ».

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Néanmoins le délit a ses limites. Il est significatif qu’à partir de 1350, il ne soit plus un crime remis par la grâce royale, sauf s’il s’agit de blasphème ou d’injure au roi 161. C’est dire que, lorsqu’elle ne conduit pas à l’homicide, l’injure n’est pas du ressort de la

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justice retenue. Elle reste un crime mineur, quoique passible des tribunaux. Mais elle a assez de force pour obliger à la réconciliation les parties concernées, et l’amende imposée peut se voir assortie d’une obligation de « boire et manger ensemble » 162. A ce rituel de conciliation peut aussi s’ajouter une obligation d’excuse et de pardon. A Amiens, encore au milieu du XVe siècle, en cas d’injure proférée contre l’échevinage, le coupable peut être obligé à faire des excuses publiques163. Cela n’a rien d’étonnant : l’injure rompt les rites de la sociabilité et il convient de les rétablir sous peine de ne pas désamorcer le cycle de la vengeance. Le retour à une convivialité normale et positive constitue le remède à ce qui est perçu comme le rite négatif d’une exclusion temporaire164. L’honneur reste bien perçu, par les autorités, comme un capital que la peine doit reconstituer. La réparation est d’autant plus grande que l’honneur a été atteint au vif ; accessoirement, la condition sociale des parties peut entrer en ligne de compte. 94

Les amendes requises au Parlement par les avocats ou exigées par les arrêts permettent de saisir comment l’honneur blessé peut être restitué. Ces amendes sont à la fois « profitables » et « honorables », les deux aspects étant cumulés, du moins pour les laïcs puisque les clercs ne peuvent pas, en principe, être soumis à l’amende honorable. En ce qui concerne l’amende profitable, il est difficile de comprendre la logique qui fixe le montant de la somme demandée. Elle doit dépendre de la nature du crime, mais aussi de la richesse du coupable et de la « puissance » de ses amis. Quant à la somme imposée par le Parlement, elle est en général plus faible que celle qui a été initialement souhaitée par la partie lésée165. Ce double aspect de l’amende confirme que l’honneur est étroitement lié au profit, signe d’une étroite osmose entre les données spirituelles et matérielles166.

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Considérons donc, pour notre propos, l’amende honorable. Un premier degré consiste, quand il n’y a pas meurtre mais seulement injures et blessures, à exiger le pardon. S’il y a eu meurtre ou condamnation à mort considérée comme injuste, le rituel se complique. Trois récits peuvent servir d’exemple qui correspondent à des degrés dans l’application de l’amende.

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Le premier cas qui, le 24 juillet 1400, oppose l’abbé de Lagny et frère Jean Dadon, religieux, à Philippon Dormoy, est typique d’une amende honorable destinée à réparer « bateures, navreures et autres injures et exces » sans qu’il y ait eu mort d’homme 167. Le coupable est un protégé du duc d’Orléans qui est intervenu en sa faveur. Le second cas concerne l’amende honorable imposée par arrêt du Parlement aux serviteurs de Charles de Savoisy, le 6 septembre 1404168. L’épreuve précède le bannisement de trois ans imposé aux coupables. Enfin, le troisième type de cas est emprunté aux amendes honorables qui servent à clore un conflit de juridiction. Les officiers du roi ont, en général, fait preuve d’une grande célérité dans l’arrestation puis dans l’application de la torture, enfin dans l’exécution de celui qu’ils considèrent comme criminel, tandis que la partie adverse déclare que le condamné était clerc et innocent. Cette amende honorable, réclamée au Parlement par l’évêque de Soissons le 9 mai 1411, est prononcée au terme du conflit qui oppose le prévôt de Château-Thierry à Jean Morneau, père de Guy Momeau auquel étaient attribués les crimes qui avaient troublé la ville en 1408169. Le Parlement a donné raison à l’évêque. Ces trois amendes honorables ont été appliquées et, dans le cas des valets de Charles de Savoisy, le clerc criminel, Jean de Cessières, précise qu’il a suivi l’exécution de l’arrêt. Pour compléter le tableau, des variantes ont pu être empruntées à d’autres procès170.

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L’amende honorable

Exemple 1

Exemple 2

Exemple 3

Lieu

Devant l’église (Lagny)

Devant l’église SainteDevant l’église paroissiale Geneviève de Château-Thierry (Paris)

Jour

Fête de N-D 15 août Procession



Circonstances

– Cum magna convocatione

Assistance

populi et in presencia certi commissarii per dictam curiam deputandi



Coupable Vêtements

sans chaperon

nuz en chemise

sans chaperon, sans ceinture, en chemise

Attributs



Torche allumée

Torche de cire de 4 livres allumée

Victime





Corps dépendu, mis dans un linceul et porté au cou

oui

oui : un genou oui en terre





Gestes

du

coupable Génuflexion Baiser

Paroles coupables

Je vous ay sans cause navrez villenez et injuriez dont il me deplaist et m’en repens. Je vous supplie qu’il vous plaise en honneur et reverence du de Mgr. le Duc d’Orléans qui mon fait et ma personne vous a recommandé que me vueillez pardonner l’offense que j’ay en ce mesprins et faicte

baiser à la victime sur la bouche

Dicendo crieront mercy au recteur et a l’université Paris

de

seu

recognoscendo predictum

se Guidonem

male et in lesione justicie occasione questionasse et mori

fecisse

veniam

super hoc implorando

envers vous et chacun de vous Serment

Intervention de la partie lésée

Serment du coupable

Pardon







Présence de l’évêque de Soissons qui reçoit une deuxième amende honorable à la cathédrale

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Tableau commémoratif





Tableaux représentant l’amende honorable dans l’église paroissiale et dans la cathédrale

Peines en sus



Battus de verges, à trois carrefours de la ville, avec cri public de leurs crimes

Messe solennelle d’enterrement. Trois messes hebdomadaires ou annuelles selon décision de la cour

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Ces exemples permettent de comprendre la force de l’honneur car ils décrivent un rituel dont on peut suivre les constantes et qui se présente comme l’exacte inversion de l’injure subie. La présence du public garantit la renommée ; les paroles, proférées sur un mode négatif, nient le crime qui entâche celui que les autres ont pu voir et savoir coupable. Enfin les lieux choisis pour que s’exercent l’amende et la punition sont destinés à inverser exactement l’injure subie par la partie adverse, qu’il s’agisse des lieux publics, des lieux du crime ou des lieux de prières. Cette inversion est accompagnée d’une purification. Les torches et le feu qui accompagnent la scène contribuent sans doute à exorciser le mal171. La dénudation, le blanc des chemises y contribuent et on glisse délibérément vers un rituel de pénitence publique 172. La position agenouillée en est l’aspect le plus concret. Il serait vain, dans le déroulement de cette scène, de chercher à définir ce qui appartient au religieux. Le crime, en ayant rompu l’ordre, a touché le sacré que cette cérémonie cherche à se concilier. A peine peut-on dire que les messes pour l’âme du défunt participent de la piété flamboyante typique de la fin du Moyen Age. Ce rituel est aussi une réconciliation et nous retrouvons l’étroite connexion qui existe, au moins depuis le XI e siècle, entre la pénitence et la paix. La présence du cadavre ou de son mannequin est nécessaire, car il doit y avoir égalité des partenaires. Le baiser sur la bouche est une transmission du souffle qui redonne vie le temps d’une cérémonie, le temps d’échanger la faute mais aussi de la pardonner. Il est symbole de paix173.

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Enfin, le tableau commémoratif, extrêmement fréquent dans ce type de cérémonies, transmet le souvenir de la scène à la postérité174. Cette figuration est aussi employée, au même moment, dans les villes italiennes pour mémoriser le crime de ceux qui sont condamnés par contumace, et on voit se poursuivre cet usage de façon systématique en France, au coeur du XVIIe siècle175. Le sens d’une telle représentation n’est pas pour autant facile à cerner. Elle s’inscrit certainement dans une économie de l’exemple et rejoint, par conséquent, les buts de la condamnation à mort. Elle témoigne peut-être aussi de la naissance d’un souci de l’honneur lignager. La précision des matériaux qui est parfois apportée, pierre dure, cuivre, argent, peut le laisser penser 176. Cela prouverait que la renommée commence à prendre une épaisseur généalogique. N’en exagérons pas la portée. Ces tableaux, sauf cas exceptionnels, ne nous sont pas parvenus et ils devaient, le plus souvent, être maladroitement gravés ou peints sur la pierre le temps d’une génération, à moins qu’ils aient pu, comme à Florence, être effacés à la demande de la parenté et moyennant finances. Si les autorités désirent marquer le souvenir pour l’éternité, elles prennent d’autres dispositions.

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Une épitaphe accompagne le mort jusque sur sa pierre tombale, telle celle qui fut gravée pour le duc d’Alençon sur ordre de Louis XI : « Pour sa tres grande trahison » 177.

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Quant à l’implantation de ces tableaux dans les lieux de la justice officielle ou dans ceux de la communauté religieuse, elle témoigne de la parfaite harmonie qui règne entre la restitution d’honneur et les autorités. Terrible par la honte qui couvre celui qui en est victime, l’amende honorable montre que l’honneur des sujets reste au coeur des préoccupations du pouvoir. Guillaume de Tignonville, s’interrogeant sur la sagesse des petites gens, n’écrit-il pas qu’elle est constituée par leur « honneur » 178 ?

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Toute répartie à l’honneur blessé n’est pas pour autant acceptée par les autorités. Certes, comme nous l’avons vu, Christine de Pizan justifie la riposte du fils si l’honneur de son père est attaqué, mais elle ne va pas jusqu’à justifier l’homicide 179. Quant aux Ditz moraulx, ils conseillent d’éviter le courroux et l’ire et d’apprendre la patience. L’étude du vocabulaire utilisé par Guillaume de Tignonville montre la place des mots de la contrainte, simples négations comme « ne point haïr », mais aussi « refréner », « contredire sa volonté », bref se maîtriser. L’injure est alors largement condamnée, même s’il est encore et tout au long du texte question d’honneur180. Les lettres de rémission, par leur contenu et par leur nombre, montrent le chemin parcouru. La demande de grâce est nécessaire, même si l’amour naturel entre comme circonstance atténuante. Ces mesures coercitives ont sans doute fait leur effet.

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Les archives judiciaires témoignent aussi de changements des moeurs qui se présentent comme une sorte de réponse à l’encadrement politique et religieux. Tout se passe comme si le prêtre et le juge se relayaient pour dire où commence le mal. Au Parlement, cette tâche est le privilège du procureur du roi. Il peut, en janvier 1403, face à Charles de Savoisy contre Jean de Morgueval, affirmer que « par chaudes coles sont venuz trop d’inconveniens » et réclamer la punition des coupables 181. Son discours se souvient de saint Thomas et ne diffère guère de ceux des théologiens de son temps. Ainsi est tracée, par la justice, la voie droite, celle qui définit le « mal exemple » tandis qu’au Châtelet, le prévôt de Paris relaie le procureur du roi182.

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La première preuve de cette évolution consiste en marques ténues qui séparent ce qui est riposte humaine de celle qui se produit « inhumainement » ou « vilainement » 183. Comme nous l’avons vu, la cruauté reste bien encore une notion essentiellement politique, mais les gestes criminels peuvent être mesurés à l’aulne de leurs méfaits. La violence est condamnée quand elle est supérieure à l’offense qu’elle doit réparer. Répondre à l’injure par l’injure est encore du domaine du possible mais ajouter « qu’il lui plumerait sa barbe poil a poil » transforme le cas en crime qui ne peut pas être remis et qui réclame une amende honorable184. Aux confins de la Bretagne, ces compagnons envoyés pour venger un affront n’ont pas respecté les lois de l’honneur blessé : ils sont venus de nuit, ont rompu l’huis de l’hôtel, ont battu celui qu’ils recherchaient « moult inhumainement » avant de violer sa femme 185.

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Ainsi se trouvent condamnés les excès de violence. Si en 1376 certaines scènes d’atrocité peuvent encore se solder par un élargissement des coupables, au début du XVe siècle la notion d’homme « injurieux », « vindicatif », « cruel », accompagne de tels dérèglements186. Ces qualificatifs reportent sur la psychologie de l’individu les effets pervers du code de l’honneur. La riposte devient alors une faute qui se cherche d’autres explications que celles de la renommée. Le développement du pardon prononcé à la demande de la justice accompagne cette transformation. H. Platelle en a montré les effets dès le XIe siècle187. A l’époque qui nous concerne, le Parlement n’est pas avare

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d’un rituel qu’il ordonne de prononcer dans ses propres lieux. Ainsi, en 1429, Guillemin Courtableau, couturier, pour avoir écrit « certaine injurieuse requeste » contre Jean de La Porte, conseiller du roi, est condamné par arrêt à dire à chaque membre du Parlement que « folement et comme mal advisé et mal conseillié, a tort et sans cause, il a baillié ladicte requeste, et s’en repent et leur crie mercy et supplie qu’ilz lui veuillent pardonner »188. Cette substitution de la renommée traditionnelle à la faute atteint son degré de perfection le plus grand quand il convient d’obtenir du roi l’autorisation de s’accorder. En 1385, deux parents en viennent aux mains après avoir échangé des injures. Pour obtenir le droit officiel à la paix, Laurent de L’Église en arrive à prononcer ces mots : « garni d’un couteau, pour soy contrevangier d’aucunes paroles qu’il lui avoient esté rapportees et qu’il avoit trop legierement creues, et estourdiement et sans consideracion, a raison et par instigacion du deable, s’en vint audit Henry et le fery dudit couteau sur la teste tant qu’il y ot playe et efusion de sanc » 189. L’aveu de la faute est ici, encore plus nettement que dans les lettres de rémission, sous l’emprise des modèles. Même le diable, souvent absent de la rixe quand elle est graciée, est ici présent. Le crime est bien assimilé à une faute, son aveu à une pénitence et la paix souhaitée à une récompense qui suppose l’obéissance du sujet. 105

Résumons-nous : le processus d’humiliation est en marche. Il est incontestablement le fruit d’une réflexion savante, celle des théologiens. Le souci de réparer l’honneur blessé n’est déjà plus leur fait. Mais l’évolution est loin d’être achevée. L’honneur reste un capital qu’il n’est pas bon de voir entamé, signe que les comportements populaires ne sont pas encore totalement modelés par les autorités religieuses et que la société suit encore les lois tacites qu’elle s’est imposées pour survivre. Un décalage existe d’ailleurs entre la vision religieuse et les autorités que sont la Chancellerie ou le Parlement. La justice royale veille encore à maintenir l’honneur parmi tous les sujets du royaume, sans le réserver aux nobles qui en réclament déjà l’exclusivité 190. Ce serait un contresens d’opposer l’Etat à une population prompte à dégainer qu’il tenterait de contenir sous son joug : les homicides sont graciés et les rituels des amendes honorables et profitables sont scrupuleusement respectés. L’Etat s’impose, mais en étant encore pétri de ces valeurs qui assurent la cohésion de la société et au coeur desquelles se trouve l’honneur. Autant que de combattre les excès, sa tâche judiciaire consiste à permettre de le réparer.

NOTES 1. J’ai eu l’occasion d’exposer le résultat de cette recherche au séminaire de A. BURGUIÈRE, Ch. KLAPISCH-ZUBER et Fr. ZONABEND à l’EPHESS en 1987 ; j’ai pu bénéficier de leurs connaissances et de leurs suggestions : qu’ils en soient remerciés. 2. Honor, liste donnée par J.F. NIERMEYER, Mediae Latinatis... : 1 Fidélité vassalique, 2 Cadeau d’honneur, 3 Compétence pouvoir, 4 Rang social, 5 Intégrité des droits et des biens, situation bien établie, 6 Intégrité, inviobalité des églises et de leurs biens, 7 Statut protégé des clercs, 8 Charge publique élevée, 9 Exercice d’une charge élevée, 10 Dignité écclésiastique élevée, 11 Fonction ecclésiastique, 12 Ordre sacré, 13 Charge séculaire, 14 Bénéfice-fief, 15 Fief presbytéral, 16 Tenure

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paysanne, 17 Territoire, 18 Temporel d’une église épiscopale, 19 Principauté territoriale, 20 Seigneurie, 21 « Honour » anglais, 22 Bailliage, 23 Domaine, 24 Ensemble d’un bien-fonds, 25 Privilège, 26 Souveraineté. 3. Sur cette évolution du vocabulaire, Y. ROBREAU, L’honneur et la honte..., p. 7 et suiv. 4. JJ 165, 175, août 1411, ODENAS (bailliage de Mâcon). 5. JJ 120, 35, janvier 1382, BOURGES (bailliage d’Orléans). 6. JJ 127, 1, lettre citée chapitre 3, n. 35. 7. JJ 172, 16, lettre citée chapitre 4, n. 28. 8. JJ 169, 109, juin 1416, SAINT-HILAIRE-EN-MORVAN (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 9. JJ 160, 153, lettre citée chapitre 9, n. 107. 10. JJ 155, 19, lettre citée chapitre 14, n. 143. 11. JJ 165, 45, février 1411, GRANDPRÉ (bailliage de Vitry). 12. Voir tableau 42, chapitre 17. 13. Sur cette division et les problèmes de méthode, voir chapitre 2. 14. Cette légère distorsion implique sans doute que la victime est surprise plus volontiers que ne voudraient le dire les arguments de la défense. 15. Dans les phases de la violence, le coup criminel est porté de la façon suivante : 1) pour les 20-30 ans : phase 1 = 50 %, phase 2 = 20 %, phase 3 = 15 %, phase 4 = 15 % ; 2) pour les nobles et écuyers : phase 1 = 40 %, phase 2 = 30 %, phase 3 = 10 %, phase 4 = 20 %. 16. Cette préoccupation se heurte au non-dit et aux défaillances de la mémoire, chapitre 17, p. 773 et suiv. 17. JJ 118, 30, lettre citée chapitre 2, n. 50. 18. Par exemple, Martin Du Val, lors de son équipée avec quatre autres compagnons, commet un meurtre dans un bois en utilisant comme première arme une bûche de chêne pour assommer la victime avant de la tuer à la dague, Registre criminel du Châtelet, t. 2, p. 265 ; autre exemple de coup donné sur la tête, ibid., p. 37. Sur le meurtre avec utilisation du simple « coustel qu’il portoit », voir le cas d’Etienne Blondel, ibid., t. 1, p. 111. En fait, les techniques utilisées par ces grands criminels ne diffèrent pas de celles des criminels ordinaires lors des rixes, ibid., p. 83 et p. 101. 19. Cette constatation doit être mise en rapport avec la perception de l’honneur par les différentes catégories sociales. Par exemple X 2a 14, fol. 382v., mai 1407. Nicolas Brunet, châtelain de Pouzauges, ayant conçu haine contre Fourquot à propos de la levée d’une taille, s’exclame : « Je l’en courrouceroy et lui alumeray si beau feu que on le verra bien ! » Ce texte pose aussi le problème de la violence comme répartie de l’injure et comme intention. 20. Sur un total de 22 % de cas où il n’y a pas d’antécédent. 21. Le résultat du croisement entre la première phase de l’antécédent du crime et celle du crime proprement dit s’établit donc comme suit : le crime a lieu immédiatement dans 14 % des cas où il n’y a aucun antécédent ; le crime a une première phase dans 8 % des cas ; les coups ou le crime succèdent aux coups dans 8 % des cas ; le geste et la parole se succèdent l’un à l’autre et réciproquement dans 25 % des cas ; les coups succèdent directement au geste et à la parole dans 25 % des cas ; le crime succède directement au geste et à la parole dans 20 % des cas. 22. JJ 155, 279, lettre citée chapitre 15, n. 66. Autres exemples typiques relatifs au rituel du salut, JJ 160, 384, juillet 1406, ÉTRÉPAGNY (bailliage de Gisors) ; X 2a 14, fol. 47v., décembre 1401. Au cours de cette plaidoirie, on apprend que le salut apporte « honneur ou reverence ». 23. JJ 127, 46, lettre citée chapitre 10, n. 14. 24. Ce passage du vouvoiement au tutoiement caractérise aussi les altercations entre nobles et non-nobles, voir les exemples cités chapitre 9, n. 156 et 172 à 175. 25. JJ 155, 100, lettre citée chapitre 9, n. 38 ; JJ 127, 117, septembre 1385, BAZARNES (bailliage de Sens et d’Auxerre). 26. JJ 127, 45, 1385, GALLARDON (bailliage de Chartres).

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27. Dans l’ordre des péchés capitaux qui se fixe en 1270, la superbia vient en tête, associée au lion, M. VINCENT-CASSY, « Les animaux et les péchés capitaux... », p. 126. L’orgueil est aussi le péché par excellence des hommes politiques. 28. JJ 155, 114, lettre citée chapitre 10, n. 73. 29. JJ 127, 144, septembre 1385, PÉROY-LES-GOMBRIES (bailliage de Senlis). 30. JJ 127, 287, lettre citée chapitre 9, n. 32. 31. X 2a 14, fol. 287v., novembre 1405 ; ibid., fol. 26v., mai 1401, PARIS. Sur la famille Des Marès où Charles V et Charles VI puisèrent de nombreux serviteurs de l’Etat, Fr. AUTRAND, Naissance..., p. 172 et p. 188. 32. X 2a 16, fol. 270, novembre 1414, (bailliage de Mâcon). 33. Sur le montant des amendes, voir infra, n. 159. Le verbe « amender » est surtout employé dans le sens moral. Les propos de Pierre de Craon à l’adresse d’Olivier de Clisson, lors de l’attentat de la nuit du 13 juin 1392, sont sans ambiguïté : « Je suis Pierre de Craon, votre ennemi. Vous m’avez tant de fois courroucé que ci le vous faut amender », J. FROISSART, Chroniques, Livre IV, chapitre 28. 34. X 2a 12, fol. 113-114, novembre 1390, voir chapitre 4, p. 179. 35. JJ 120, 35, janvier 1382, SENLIS (bailliage de Senlis). 36. Chapitre 4, p. 173 et suiv. 37. Sa fréquence est égale à 1. 38. X 2a 14, fol. 228, janvier 1405. 39. É. CLAVERIE, « “L’honneur” : une société... », p. 746-747, qui donne des exemples de ce qu’elle appelle les « jeux de défis ». 40. JJ 169, 18, décembre 1415, LAVAULT-DE-FRÉTOY (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 41. Par exemple JJ 211, 126, lettre citée chapitre 11, n. 112. 42. N.Z. DAVIS, Pour sauver sa vie..., p. 101, et E. COHEN, « Violence Control... », p. 118. Ces thèses accceptent plus ou moins implicitement la théorie des modèles nobiliaires. 43. R.C. TREXLER, « “Correre la terra”... », p. 899-902. 44. J. BOCA, La justice criminelle..., p. 202. 45. JJ 169, 206, mars 1416, SAINT-VICTOR-DE-BUTHON (bailliage de Chartres). 46. JJ 155, 128, juin 1400, CASTELNAUDARY (sénéchaussée de Toulouse). 47. Charte d’Amiens, art. 42, citée par J. BOCA, La justice criminelle..., p. 202. 48. L’une d’entre elles est ainsi traitée de « vieille folle excommuniee », JJ 169, 204, février 1416, MOUTIERS-D’AHUN (sénéchaussée de Limousin). 49. Y. ROBREAU, L'honneur et la honte..., p. 126. 50. JJ 151, 206, février 1397, PRUNAY-LE-TEMPLE (bailliage de Chartres). 51. JJ 127, 126, lettre citée chapitre 14, n. 88. Il existe bien une adéquation entre la conduite de Casin Le Mercier, la victime, et le contenu de l’injure qui lui est faite : « Pour ce qu’il estoit commune renommee au pais que ledit Casin, qui est marié a une bonne prude femme, avoit laissié sadicte femme et tenoit une autre en concubinage, dist audit Casin : « Ribaut, vuelz-tu villener mon serourge ? ». 52. Ribaut et ribaude sont employés avec une fréquence 3. Sur le sens du mot « ribaut », A. TERROINE, « Le roi des ribauds... », p. 254, n. 5. 53. Arnoulet de Francheval, JJ 107, 228, juillet 1375, LINTHES (bailliage de Vermandois). 54. JJ 169, 132, lettre citée chapitre 13, n. 124. 55. Dans ce bailliage, on employait aussi le mot « coup » et son dérivé « coupauder » : faire cocu. Même variation locale du vocabulaire à Amiens qui nécessite une traduction entre wisot et coup, voir JJ 155, 132, lettre citée chapitre 2, n. 23. 56. JJ 169, 57, janvier 1416, VERSON (bailliage de Caen). 57. Même constatation dans la littérature, S. GOMPERTZ, « L’injure... », p. 391. 58. JJ 120, 258, juin 1382, FLAVACOURT (bailliage de Senlis).

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59. JJ 165, 197, août 1411, CHAUMONT-EN-VEXIN (bailliage de Senlis). 60. Ibid., 42, lettre citée chapitre 3, n. 35, et JJ 169, 121, lettre citée chapitre 15, n. 58. 61. Par exemple JJ 127, 100, août 1385, CHAUMONT-EN-VEXIN (bailliage de Senlis). 62. JJ 107, 65, mai 1375, PARIS (prévôté de Paris). 63. Ibid., 308, novembre 1375, FLINES-LÈS-MORTAGNE (bailliage de Vermandois) ; JJ 172, 10, mars 1420, VERNAY (bailliage de Mâcon) ; JJ 155, 179, août 1400, AUXI-LE-CHÂTEAU (bailliage d’Amiens) : il s’agit de Jean de Mollaincourt, bâtard au service du seigneur d’Auxi, chambellan du roi. 64. Sur les difficultés pour le bâtard de milieux populaires d’obtenir sa rémission, voir chapitres 6 et 13. En revanche, les enfants naturels sont un des privilèges de la noblesse, et on peut constater l’éclat de leur carrière, M. HARSGOR, « L’essor des bâtards... », p. 319-354. Sur la façon dont les parlementaires ont imposé leurs bâtards à une société réticente, Fr. AUTRAND, « Naissance illégitime... », p. 289-303. 65. Exemples cités par J. HOAREAU-DODINAU, La violence verbale..., p. 79, n. 227. 66. Par exemple, JJ 118, 46, novembre 1380, DOUCHY (bailliage de Vermandois) ; JJ 169, 206, lettre citée supra, n. 45, cm cette forte femme emploie d’ailleurs les deux formes. 67. JJ 160, 40, août 1405, ÉGLIGNY (bailliage de Meaux). 68. JJ 155, 94, août 1400, SAINT-MAURICE-THIZOUAILLE (bailliage de Sens et d’Auxerre). Ces gestes font partie du système de dérision qui se transforme vite en injure, telle la scène qui, au même moment, réunit plusieurs compagnons dans une taverne de Laon. Ceux-ci « commencent a jetter et laissier aler vent par la bouche et par dessoubz molt oultrageusement ». L’un d’entre eux réplique qu’il ne faut pas faire cela à table et la scène se termine au couteau, ibid., 71, juillet 1400, LAON (bailliage de Vermandois). 69. JJ 118, 68, lettre citée chapitre 6, n. 29. 70. JJ 155, 269, lettre citée chapitre 10, n. 82. 71. Voir les cas d’adultères cités chapitre 18, p. 818 et suiv. 72. JJ 127, 1, lettre citée chapitre 3, n. 35. 73. R. MUCHEMBLED, Violence et Société..., p. 430-432. L’auteur montre que le couvre-chef est utilisé dans les rituels de défi, surtout à la taverne ; même remarque faite par N. GONTHIER, Délinquance, justice..., p. 238 et suiv. 74. JJ 118, 91, 1380, MEAUX (bailliage de Meaux) ; autre exemple JJ 169, 93, juin 1416, GEMEAUX (bailliage de Sens et d’Auxerre). 75. R.C. TREXLER, « La prostitution florentine... », p. 996. Le « Ballo del Capello » qui se jouait à Venise à la même époque signifie aussi qu’une femme qui s’est emparée du chapeau d’un homme a pouvoir sur lui. 76. R. BARTHES, « Histoire et sociologie du vêtement... », p. 430-441. 77. Premiers témoignages dans saint Paul, 1ère épitre aux Corinthiens, 11, 4. Mais, en public, l’homme doit rester coiffé sous peine de déshonneur, quelle que soit sa condition sociale. Ainsi, en 1386, ce valet cordonnier auquel on a pris le chaperon s’en prend à son adversaire et le tue car « honteuse chose lui estoit d’aler nue teste par la ville », JJ 130, 22, septembre 1386, TOURNON (bailliage de Vivarais). 78. Une réflexion stimulante sur le sens du vêtement féminin sarde, qui peut être composé de 5 coiffes superposées, est donnée par M. CAROSSO, « Le port du vêtement traditionnel villageois... », p. 74-126. 79. X 2a 14, fol. 21, mars 1401 ; ce lien entre le chaperon et la diffamation sexuelle est encore vivant à la fin du XVe siècle, y compris dans une ville comme Paris, Y 5266, fol. 33v., juillet 1488. Le geste de « decheveler » est aussi une injure, ibid., fol. 44v., juillet 1488 ; dans ce cas, il s’accompagne d’ailleurs d’injures verbales : « Paillarde, ribaude, moynesse, cavinesse ». Ce peut être aussi un acte de possession amoureuse, voir chapitre 13, η. 134. 80. JJ 151, 223, lettre citée chapitre 7, n. 108.

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81. R. CORSO, « GU sponsali popolari », p. 493 et suiv. ; en Corse, G. RAVIS-GIORDANI, Bergers corses..., p. 375. 82. JJ 155, 278, novembre 1400, (bailliage de Vermandois) ; JJ 127, 110, lettre citée chapitre 15, n. 65 ; ibid., 262, décembre 1385, LE MOLAY-LITTRY (bailliage de Caen) ; ibid., 27, juillet 1385, BAZANCOURT (bailliage de Vermandois) ; JJ 150, 37, juillet 1396, PARIS (prévôté de Paris), où le suppliant ôtant le chaperon d’une femme, lui dit : « oste-vous en, je vous queroye ». 83. B 1690 fol. 8, juillet 1460, Hondschoote, comté de Flandre, cité par Ch. PETIT-DUTAILLIS, Documents..., p. 35. Autre exemple, JJ 160, 152, décembre 1405, TONNERRE (bailliage de Sens et d'Auxerre). Le refus de payer l’impôt se joue au visage, mais sans succès. Celui qui refuse de payer « disant que, par le sanc Dieu, il n’en paieroit rens et l’eust ledit suppliant juré sur son visaige et qu’il en fist du sanglant pis qu’il pourrait et qu’il avoit plus clair a le veoir pendre par son col que il en paiast denier », tandis que le suppliant répond « que, voulsist ou non, et malgré son visaige, il en paieroit, en commandant audiz sergent que illec alas executer de la somme ». 84. JJ 107, 290, lettre citée chapitre 7, n. 128 ; X 2a 12, fol. 84v., avril 1390 ; X 2a 14, fol. 374, avril 1407. 85. X 2a 14, fol. 146v., novembre 1403. 86. Ibid., fol. 156, janvier 1404. 87. L’amputation du nez prévue par divers capitulaires de Charlemagne paraît avoir disparu dès le XIIIe siècle au profit de l’essorillement. Subsiste la tonte des cheveux encore utilisée par les consuls de Saint-Léonard-de-Noblat « ita quod sanguis exiret de capite », La peine, rapport de J.M. CARBASSE. Exemple d’une peine de cheveux brûlés infligée à une femme supposée coupable d’être maquerelle de sa fille, à LAON, X 2a 14, fol. 158v., janvier 1404, procès évoqué supra, n. 86. 88. Voir supra, n. 39. 89. JJ 118. 89, novembre 1380, SAINT-DENIS-LE-VÊTU (bailliage de Cotentin). 90. JJ 169, 16, novembre 1415, HOUDAN (bailliage de Chartres). 91. JJ 127, 136, septembre 1385, MONTIGNY-SUR-AUBE (bailliage de Sens et d’Auxerre). 92. Ibid., 238, lettre citée chapitre 14, n. 101. 93. L’injure au roi est d’un type particulier. Elle est assez forte pour devoir être graciée, voir chapitre 18, p. 842 et suiv. 94. X 2a 17, fol. 48-50v„ janvier 1412. Jean Le Bouteiller avait été envoyé par le duc de Bourgogne en Normandie pour aider Antoine de Craon à s’informer de ceux qui tenaient le « mauvais parti ». Il en aurait profité pour piller. La plaidoirie oppose Jouvenel à Rames. 95. Fr. AUTRAND, Charles VI..., p. 437-438. 96. JJ 169, 142, lettre citée chapitre 13, n. 94. La seigneurie de Saint-Verain est effectivement située à quelques kilomètres d’Alligny. 97. Par exemple « traître bourguignon », JJ 170, 163, juillet 1418, (bailliage d’Amiens), lettre citée par J. HOAREAU-DODINAU, La violence verbale..., p. 65, n. 166. 98. J. de ROYE, Journal..., t. 1, p. 219-220. L'expression « Traistre Bourguignon » y est aussi utilisée, ibid., p. 103. Remarquons que si les oiseaux confisqués peuvent répéter des injures politiques, priorité est donnée aux injures de la vie courante : « Larron ! Paillart ! Filz de putain ! Va hors va ! Perrete donne moi a boire ! ». La décision prise par le roi à l’encontre des possesseurs d’oiseaux bavards est autant morale que politique. 99. Les Parisiens peuvent se rebeller contre les sergents royaux, ils ne sont pas écroués pour injure au roi. 100. Par exemple, JJ 169, 75, lettre citée chapitre 8, n. 73 ; JJ 129, 250 lettre citée chapitre 10, n. 41 : « Mauvais garçon, filz d’un tres fyaulx traistre, villain larron, et d’une tres fausse vieille putain, sorciere, porteresse de poisons ». 101. JJ 169, 159, lettre citée chapitre 9, n. 26 ; autre variante JJ 130, 121, janvier 1387, CORMEILLES-EN-PARISIS (prévôté de Paris) : « ha larrons mie larre ». 102. JJ 127, 291, lettre citée chapitre 12, n. 131.

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103. J. LE GOFF, La bourse et la vie, p. 69 et suiv. 104. Il importe de bien savoir à quel public s’adresse en effet ces sermons pour en saisir la portée. Ainsi les thèmes évoqués par les sermons de Bernardin de Sienne sont surtout destinés aux marchands, et leurs conclusions n’ont pas pu servir d’encadrement à nos populations ordinaires. 105. Voir en particulier les décisions prises en 1403, chapitre 6, n. 116. Remarquons que les usuriers ne sont pas au coeur des préoccupations des juges du Châtelet en 1388-1392, Registre criminel du Châtelet, t. 2, p. 132. 106. JJ 181, 176, janvier 1452, TOULOUSE (sénéchaussée de Toulouse). 107. Voir les exemples cités chapitre 9, p. 424 et suiv. 108. Par exemple, JJ 127, 102, août 1385, BRIEL-SUR-BARSE (bailliage de Troyes) ; ibid., 193, septembre 1385, PICQUIGNY (bailliage d’Amiens). Même évolution sémantique du mot « vilain » dans les romans de chevalerie, Y. ROBREAU, L’honneur et la honte..., p. 183 et suiv. 109. JJ 143, 184, lettre citée chapitre 11, n. 65. 110. JJ 160, 65, août 1405, LONDINIÈRES (bailliage de Caux). 111. Voir chapitre 9, n 157. 112. JJ 127, 235, août 1385, GRANVILLE (bailliage de Caen). 113. Sur ce rapport entre l’homme et l’animal, voir les articles de synthèse de R. DELORT, « Les animaux en Occident... », et Μ. ZINK., « Le monde animal... », dans Le monde animal et ses représentations..., p. 11-45 et p. 47-71. Les relations avec la sainteté sont analysées par J.Cl. SCHMITT, Le saint lévrier. Certains animaux comme le bouc et le mouton ont sans doute, à cause de leurs cornes, une connotation sexuelle, y compris au nord du royaume. Voir A. BLOK, « Rans and Billy-goats... », p. 432. 114. Μ. ZINK, « op. cit. supra, n. 113 », p. 54. 115. JJ 169, 204, lettre citée supra, n. 45. Le boucher, le « cuer felon » à cause des injures que l’autre avait proférées, appelle le prêtre « ribaut prestre, champiz, loup-berroux, filz de ribaut ». 116. JJ 155, 268, septembre 1400, FAVRAS (bailliage de Chartres). JJ 165, 171, octobre 1411, SAINTMARTIN-LE-BEAU (bailliage de Touraine) : le suppliant dont les vignes ont été gâtées par les chiens dit à leur propriétaire « qui estoit de tres petit estat n’appartenoit pas avoir trois chiens (...) et qu’il lui deust souffire d’en avoir un ». 117. BERRIAT-SAINT-PRIX, « Recherches sur les procès... », p. 403-450. 118. JJ 181, 31, janvier 1452, TOULOUSE (sénéchaussée de Toulouse). 119. Par exemple JJ 129, 249, novembre 1386, VIRE (bailliage de Caux) : le suppliant est impotent d’un bras, ce qui explique en partie l’injure de son adversaire « sanglant houlier, garçon puant, meseau pourri, en lui disant qu’il n’estoit pas digne d’estre ou il estoit maiz deust mieulx estre a la maladrerie ». L'accusation de lèpre est indifférente au milieu social puisqu’on la trouve évoquée en 1410 contre Louis de Guingamp, partisan du duc d’Orléans, Fr. AUTRAND, Naissance..., p. 305, n. 75. 120. JJ 165, 316, juin 1411, CORBIE (bailliage d’Amiens). 121. JJ 155, 253, octobre 1400, SOURS (bailliage de Chartres). 122. La fréquence du mot se situe entre 50 et 60 dans les 30 premières lettres de chaque registre du règne de Charles VI soumis au traitement informatique. 123. JJ 120, 24, lettre citée chapitre 10, n. 26. 124. Voir chapitre 3, p. 129 et suiv. 125. JJ 169, 152. mai 1416, MAULE (prévôté de Paris). 126. JJ 181, 31, lettre citée supra, n. 118. 127. JJ 118, 39, novembre 1380, CHAUMONT (bailliage de Vermandois). Autres exemples X le 81 A, janvier 1401 : Guillaume Cassurel, chevalier, est ajourné devant le Parlement pour avoir « appelé ladicte femme dudit Jehan Condrael, publiquement devant le peuple, “putain et ribaude”, en lui mettant sus qu’elle avoit forfait son mariage » ; cas identique à la fin du XV e siècle à Paris, Y 5266,

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fol. 48, juillet 1488 : rue Saint-Nicolas, le mari injurié « publiquement en plaine rue » par sa femme répond par des coups. 128. Dans la rue, les types de crime se répartissent comme suit : 82 % homicides, 4 % vols et pillages, 5 % rupture d’asseurement, 5 % crimes politiques, 2 % accidents, 2 % autres ; sur ce rôle de la rue, voir chapitre 6, p. 281. 129. JJ 120, 116, lettre citée chapitre 6, n. 79. Avant de tenter de la violer, il est fréquent que les compagnons appellent leur future victime « ribaulde », par exemple X 2a 14, fol. 235-235v., mars 1404. 130. Par exemple, Y 5266, fol. 10v., juillet 1488 rue Saint-Denis : « en appellant sa mere maquerelle et sadicte fille paillarde et ribaulde en quoy faisant eut fait grant assemblee de gens ». 131. X 2a 16, fol. 387v„ mars 1420. Sur ces événements, voir aussi X la 4792, fol. 230v., qui donne une version édulcorée des paroles de Jean de Limières, sans doute parce que celui-ci ne veut pas être inquiété pour un quelconque sentiment anti-anglais au moment du traité de Troyes. Remarquons aussi que le registre de délibération de l’échevinage d’Amiens reste très discret sur cette émeute, BB 2, fol. 153v.-163v., mai-juin 1420. En fait, les paroles prononcées par Jean de Limières s’inscrivent dans le cadre d’assemblées réunies depuis un an par le commun de la ville contre l’échevinage pro-bourguignon, et contre le bailli royal qui eut à souffrir de « paroles rigoreuses » mais prétend avoir choisi de se taire pour maintenir la paix. Il est probable qu’Amiens subit les effets de la prise de Rouen. Sur les protagonistes de ces émeutes, voir É. MAUGIS, Documents..., t. 2, p. 96 et suiv. Voir aussi chapitre 12, n. 166. 132. JJ 165, 321, lettre citée chapitre 6, n. 203. 133. JJ 120, 349, juin 1382, COMPIÈGNE (bailliage de Senlis). 134. JJ 127, 266, décembre 1385, TOUTENCOURT (bailliage d’Amiens). 135. JJ 155, 264, lettre citée chapitre 9, n. 58. 136. Par exemple JJ 127, 126, lettre citée chapitre 14, n. 88, et supra, n. 51. 137. JJ 155, 129, lettre citée chapitre 15, n. 50. 138. Cl. GAUVARD, « Ordonnance de réforme... », p. 91-92. 139. JJ 127, 248, octobre 1385, (bailliage de Vermandois). 140. JJ 120, 33, lettre citée chapitre 15, n. 26. Même cas encore à la fin du XV e siècle, JJ 208, 118, octobre 1480, (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 141. J. ROSSIAUD, « Prostitution, jeunesse et société... », p. 301. 142. Sur la façon dont se structure puis se répand la rumeur, J.N. KAPFERER, Rumeurs..., p. 65 et p. 102. 143. En particulier le mythe de l’unité analysé par R. GIRARDET, Mythes..., p. 139 et suiv. 144. JJ 127, 270, décembre 1385, CHÂLONS-SUR-MARNE (bailliage de Vitry). 145. X 2a 12, fol. 148, juin 1392. 146. JJ 169, 61, février 1416, ÉTOGES (bailliage de Vitry). 147. JJ 155, 21, mai 1400, AIGUES-MORTES (sénéchaussée de Beaucaire) ; JJ 160, 20, lettre citée chapitre 6, n. 80. 148. X 2a 14, fol. 242v., affaire citée chapitre 6, n. 135. 149. Voir les exemples cités chapitre 14, p. 633. 150. Ce sujet donne lieu à de belles discussions, au moins depuis le « Roman de la Rose », sur le thème de la « noblesse de courage », en particulier chez Guillaume de Machaut, Cl. GAUVARD, « Portrait du prince... », p. 36, n. 56. Longs développements dans le Songe du vergier, t. 1, Livre 1, chapitres CXLIX-CLIV. 151. JJ 155, 11, lettre citée chapitre 14, n. 67. 152. JJ 118, 68, lettre citée chapitre 6, n. 129, et supra, n. 69. 153. Par exemples X 2a 14, fol. 24v., mai 1401 ; ibid., fol. 255, juin 1405 ; voir aussi l’exemple cité chapitre 14, n. 69.

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154. JJ 169, 139, juillet 1416, GIEN (bailliage de Montargis et Cepoy). Un autre suppliant a entendu parler de la conduite de sa future victime et il lui reproche d’avoir « eu compagnie charnele et maintenu la mere de la femme » qu’il prétend prendre pour épouse ; l’autre l’accuse de mentir et le suppliant répond : « Je vous diray d’aultres que moy a qui je l’ay oy dire », et il précise qu’il s’agit d’une sienne belle ante a qui il l’avoit oy dire », ibid., 205, mars 1416, BOUGLIGNY (bailliage de Montargis et Cepoy). 155. J. GERSON. Contre la colère, Œuvres complètes, t. 7, p. 900. 156. Ch. de ΡΙΖΑΝ, Livre de prudence et de prod’hommie, BN. Fr. 5037, fol. 8, De l'enseignement de la bouche ou langue. 157. J. HOAREAU-DODINAU, La violence verbale..., p. 50 et suiv. 158. J. BOCA, La justice criminelle..., p. 202. 159. Il n’y a pas sur ce point de différence entre le Nord et le Midi. Ainsi la charte d’Abbeville, rédigée en 1184, punit l’injure : « qui vero juratum suum turpibus leserit conviciis, per tres testes vel duos convinci poterit, et in convictum secundum quantitatem et qualitatem convitii a scabinis pena statuetur. » art 10, Livre rouge, fol. 242, cité par J. BOCA, ibid., p. 202. Les amendes varient entre 10 et 60 sols, et elles continuent à être régulièrement perçues aux XIV e et XV e siècles. A Amiens, la condamnation la plus élevée est de 20 sous. Nombreux exemples méridionaux évoqués par J.M. CARBASSE, Consulats méridionaux..., p. 257-258. 160. AMIENS : BB 3, fol. 63v., février 1427 ; autre exemple BB 8, fol. 139, octobre 1459. Dans ce dernier cas, on peut mesurer les effets des guerres puisque l’injure, adressée au lieutenant du prévôt d’Amiens, a un contenu politique : « Hué Demay avoit injurié Jacques de Coquerel (...) et meismes appellé les bonnes gens de la ville “Anglois”, qui estoient grans injures ». 161. Voir supra, p. 729, n. 93. 162. Les Etablissements de Saint-Louis, Livre II, chap. 25. 163. AMIENS : BB 1, fol. 66, juin 1409. 164. Sur l’injure comme mode d’exclusion, S. GOMPERTZ, « L’injure... », p. 390. 165. Par exemple, en mars 1403, lors de l’affaire qui oppose le patriarche d’Alexandrie et les parents des quatre condamnés à mort de Carcassonne, à Jean Drouin, viguier de Carcassonne, et à son lieutenant, le montant de l’amende profitable demandée par la partie lésée s’élève à 2 000 livres pour chacun des défunts ; s’y ajoutent diverses rentes aux héritiers, X 2a 14, fol. 11lv. En août 1408, l’arrêt du Parlement fixe à 620 livres l’amende profitable, montant destiné à l’église paroissiale des défunts, X 2a 15, fol. 244. 166. Voir les propos tenus par ce tavernier qui réclame « honneur et profit », exemple cité supra, n. 6. 167. X 2a 14, fol. 35-35v., 24 juillet 1401. 168. Ibid., fol. 207-207v., 6 septembre 1404. 169. X 2a 16, fol. 135v.-136, 9 mai 1411. 170. En particulier, X 2a 10, fol. 77, 20 mars 1379, PARIS ; X 2a 15, fol. 244, 18 août 1408, CARCASSONNE ; X 2a 16, fol. 296, 16 février 1415, AUTUN. L’affaire Charles de Savoisy et l’affaire Guillaume de Tignonville ont fait l’objet de récits où l’amende honorable a été racontée en détail, E. de MONSTRELET, Chronique, t. 1, p. 73 et 75. Autre exemple pour le comte de Rostelant, ibid., p. 68. Quant aux amendes honorables demandées pour le meurtre du duc d’Orléans, elles font l’objet de descriptions détaillées et accumulées selon un rituel poussé à l’extrême, ibid., p. 342. 171. Cette hypothèse, émise par H. BENVENISTE, Stratégies judiciaires..., p. 205-206, s’appuie sur l’idée que le feu est purgatoire et punitif. Le feu est aussi, comme le repas partagé, lié à la paix et à la réconciliation. Toutes les scènes de réconciliation collective s’accompagnent de feux de joie, qu’il s’agisse des traités de paix ou des décisions qui peuvent marquer la fin du Grand Schisme, Journal d'un bourgeois de Paris, p. 26, traité d’Auxerre, 1412 : « Et fist on par la joie d’icelle paix les feux avau Paris » ; X la 1479, fol. 82, juin 1409, à propos de l’élection d’Alexandre V : « dont cedit

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jour fut faicte moult grant et joyeuse feste a Paris, par toute la ville, tant en feux que en mengiers publiques ». 172. C. VOGEL, Le pécheur et la pénitence..., p. 135. 173. J. LE GOFF, « Le rituel symbolique de la vassalité », Pour un autre Moyen Age, p. 357 et 388 ; H. PLATELLE, « La violence et ses remèdes... », p. 114-115. Pour un exemple de refus du baiser de pardon, ibid., p. 130-131. 174. X 2a 12, fol. 360v., novembre 1397 ; Voir aussi la description d’un tableau peint aux portes de Paris, en 1438, dont la représentation insultait les Anglais, Journal d’un bourgeois de Paris, p. 340. 175. Les premiers témoignages figurés apparaissent au XIII e siècle en Italie, et les derniers sont à Florence en 1530. Nombreuses représentations graphiques des peintures infamantes à la fin du Moyen Age, G. ORTALLI, Pingatur in Palatio... L’étude cartographique de ces représentations montre qu’elles ont surtout été conservées en Emilie et en Romagne. Sur le cas spécifiquement florentin où le coupable était souvent représenté pendu par les pieds, S. Y. EDGERTON, Pictures and Punishment... En France, l’exécution par effigie est prévue par l’ordonnance de 1670, art. 16, titre XVII : « Les seules condamnations de mort naturelle seront exécutées par effigie ; et celles de galères, amende honorable, bannissement perpétuel, flétrissure et du fouet, écrites seulement dans un tableau sans aucune effigie ; et seront les effigies, comme aussi les tableaux, attachés sur la place publique », cité par A. LAINGUI, « La sanction pénale dans le droit français du XVII e au XIXe siècle », La peine, à paraître. J’ai tenté de donner une interprétation de ces rituels judiciaires à la fin du Moyen Age dans « Pendre et dépendre... ». 176. X 2a 10, fol. 77, mars 1379 : Jacques de Chartres est condamné à mettre dans la chapelle royale du Palais du roi à Paris « ymages d’argent a perpetuel memoire » ; cas identique, X2a 14, fol. 8v., janvier 1401 ; autre exemple d’un tableau de cuivre, X 2a 16, fol. 221v., décembre 1412. En règle générale, la représentation de l’amende honorable est soit figurée, soit peinte, X 2a 15, fol. 291v., 28 septembre 1409, TOUL. 177. J. de ROYE, Journal..., t. 1, p. 363. 178. Guillaume de Tignonville reprend très souvent cette idée, R. EDER, Tignonvillana inedita, p. 910-911 ; p. 968 : « Cellui qui a en ce monde bonne renommee et la grace de Dieu ne doit autre chose vouloir ne demander ». 179. Voir chapitre 14, n. 13. 180. R. EDER, ibid., p. 915 : « Qui refrainct son yre et met frain a sa langue et parle atempreement et tient son ame nette, il seurmonte tous sens ». Voir aussi les conseils donnés par Diogène, ibid., p. 935. 181. X 2a 14, fol. 101v., janvier 1403. 182. X 2a 14, fol. 26v., mai 1401 ; dans ce procès qui oppose un démenti entre gendre et beaupère, le procureur du roi dit que « est chose de mal exemple de venir par teles voies ». Quant au Registre criminel du Châtelet, il recense, par conséquent, des cas de mauvais exemples. D’autre part, le Parlement se décharge sur le prévôt pour certains crimes « pour l’esclandre et enormité du cas », X 2a 14, fol. 208v., septembre 1404. Il s’agit d’incendies criminels allumés en Vexin. 183. X 2a 15, fol. 132, mars 1406, inhumaniter est employé pour désigner des blessures. X2a l2, fol. 54v., novembre 1389, « vilainement » ; X 2a 14, fol. 396, août 1407, « tres inhumainement ». On peut aussi arguer du déroulement et du but de la blessure pour juger de son « inhumanité » ; par exemple, en ce qui concerne cette jeune femme qui a eu le nez coupé avec la lèvre jusqu’à la bouche, la partie adverse fait état de « la maniere du couper qui fu longue afin de faire souffrir plus de mal a ladicte femme », X 2a 14, fol. 150, cité supra, n. 85. On voit aussi apparaître le mot « cruel » dans le sens moral, ibid., fol. 392v., juillet 1407, pour des bénéficiaires de lettres de rémission que le procureur du roi jugent « crueux » parce qu’ils ont commis plusieurs meurtres. 184. X 2a 14, fol. 150v., décembre 1403. 185. X 2a 14, fol. 357, décembre 1406.

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186. X 2a 10, fol. 3, janvier 1376 : Les responsables des blessures faites à Etienne de La Grange, écuyer, « qui par aucuns malfaiteurs a eu les II yeux de la teste crevez dont il est du tot aveuglez » sont finalement élargis par les juges du Châtelet. Sur l’apparition des mots qui désignent un comportement psychologique, X 2a 14, fol. 105, janvier 1403, « Thomas parle de legier et est homme injurieux » ; ibid., fol. 382v., mai 1407 : Nicolas Brunet, châtelain de Pouzauges, est « vindicatif » dans les moyens qu’il a choisis pour exprimer sa haine contre Fourquot, voir supra, n. 19. Sa réponse montre qu’il n’a pas eu l’intention de se venger car il est « aagié de 80 ans et pour rien ne vouldroit consentir un tel mal ». Voir supra, p. 712. 187. H. PLATELLE, « La violence et ses remèdes... », p. 124, n. 79, qui donne des exemples du XI e siècle, et « Vengeance privée et réconciliation... », p. 276, pour des exemples du XIII e siècle. 188. Cl. de FAUQUEMBERGUE, Journal, t. 2, p. 308-309. Vu la pauvreté de Guillemin Courtableau, la Cour l’a condamné « a tenir prison fermee par l’espace d’un mois au pain et a l’eaue, saulve la grace et moderacion de la Court ». Autre exemple de ce type, ibid., p. 218. 189. X le 50A, janvier 1385. 190. Sur ce désir des nobles de s’attribuer le privilège de la « defiance » qui précède l’attaque, voir le procès de Charles de Savoisy. Pierre Marigny, pour ce dernier, prétend que si la bataille avait eu lieu entre nobles, il y aurait dû avoir défiance. Cet argument fait partie de ceux que le procureur du roi « ne doit laisser passer ».

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Chapitre 17. La vengeance

1

La vengeance pose des problèmes que l’historiographie est encore loin d’avoir résolus. Aux XIVe et XV e siècles, les archives judiciaires, et en particulier les lettres de rémission, les révèlent dans une double perspective. Celle du crime proprement dit au cours duquel le coupable s’est emparé de sa victime, non sans que se soit déroulée au préalable une histoire pendant laquelle se sont développées des représailles. Le rapport entre cette vengeance et la justice du roi constitue la seconde perspective ; elle ne peut être séparée de la première, mais il reste à savoir comment s’est opérée l’articulation entre deux formes de justice que les historiens présentent comme parfaitement antithétiques et rigoureusement successives. Il est en effet habituel de montrer que le droit pénal étatique a triomphé en éliminant toutes les autres réactions envers la criminalité, en particulier la faide ou la conciliation entre les parties 1. La vengeance familiale relève d’une conception « privatiste » du crime qui s’oppose aux peines de la puissance publique, qu’il s’agisse de l’Etat, de l’Eglise ou des villes. Privée, cette forme de justice l’est doublement puisque l’accusation et la sanction sont le fait de la victime ou de ses proches. L’une et l’autre sont livrées à leur discrétion. Il existe donc une différence de nature entre la vengeance et la peine qui conduit l’autorité publique à émettre des sanctions contre ceux qui exercent la vengeance. De fait, les villes, entre les XIe et XIII e siècles, ont déjà tenté de limiter la vengeance familiale en favorisant les actes de conciliation susceptibles d’y mettre fin, tels l’asseurement ou la pénitence, leur but étant de réconcilier le coupable et sa victime ainsi que les deux familles concernées2. Par ailleurs, elles punissaient les cas d’homicides auxquels cette justice privée pouvait donner lieu.

2

Si on voit assez bien comment fonctionne ce système jusqu’au XIII e siècle, on en connaît moins les contours pour la période des XIVe et XV e siècles. L’histoire de la vengeance à cette époque, que Ch. Petit-Dutaillis appelait de ses voeux au début du XX e siècle, n’est pas encore venue totalement combler ce vide historiographique 3. Or, à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle, se fait jour un net changement du droit pénal : l’individu est un sujet livré à une justice autoritaire et répressive dans un rapport parfaitement unilatéral. Reste la période intermédiaire. Sans prétendre l’aborder dans toute sa complexité, les lettres de rémission permettent de poser quelques jalons. Comment l’Etat naissant peut-il supporter que subsiste une telle initiative, même canalisée, alors qu’il s’arroge le monopole de la contrainte et de la

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sanction ? La question est essentielle pour comprendre la répression du crime aux XIV e et XVe siècles. Encore faut-il savoir quelle est la nature de la réaction vindicatoire pour comprendre comment la justice du prince a pu s’imposer. 3

Les réponses qui ont été données sont le plus souvent tributaires d’une théorie évolutionniste que R. Verdier vient de dénoncer avec fermeté4. On serait passé d’une vengeance immédiate, démesurée et aveugle, à une peine médiatisée, mesurée et personnalisée. Au règne du mouvement de nature aurait succédé celui de la loi et, avec elle, celui de la peine. Mais la vengeance ne comporte-t-elle pas déjà ses propres lois ? Le rapport avec celles que l’Etat naissant est en train d’instituer ne se poserait plus alors dans des termes obligatoirement antinomiques. Que retient le prince de l’antique système quand il impose ses propres contraintes ? La question n’est pas simple : elle se doit d’être posée5. Car, entre le XVIe siècle où semble triompher le droit pénal moderne, et le XIIIe siècle où les changements s’amorcent, se situe une époque originale. La vengeance y subsiste, contrecarrée, mais aussi respectée.

POURQUOI SE VENGER ? 4

Le déroulement du crime prouve que la vengeance existe même dans une lettre de rémission où le suppliant aurait, en principe, intérêt à plaider l’improvisation et la légitime défense6. En cas d’homicide, la répartition des crimes en fonction des mobiles est assez simple : dans près de 40 % des cas, il n’y a aucune préméditation, qu’elle soit affirmée dans le texte par l’expression « sans guet apensé » ou qu’on puisse la déduire. Néanmoins, tous les autres crimes ne relèvent pas d’un processus vindicatoire. Environ un quart d’entre eux sont l’objet d’une préméditation qui peut être déduite de la lecture du récit. Cela tient en général à la nature du crime. Par exemple quand il s’agit de vols, l’exposant s’attache à montrer le hasard de sa découverte, alors que tout converge dans le récit pour montrer que celle-ci est non seulement, comme nous l’avons déjà vu, le fait d’une parfaite connaissance des gens et des lieux, mais encore d’une quête volontaire. Dans les deux tiers des cas le vol est un acte prémédité. En revanche, il est très rarement une mesure de vengeance et il s’assortit très rarement du meurtre7.

5

La vengeance s’applique donc à un tiers des crimes environ. N’imaginons pas que le criminel ignore totalement la nature de son acte. Certes, il n’identifie son acte en employant le vocable « vengeance » et ses dérivés que dans 13 % des cas, mais il ne craint pas de le dire alors haut et fort. Cela implique que le mot n’est pas totalement incompatible, comme je l’ai déjà dit, avec la rémission 8. Sous le règne de Charles V, Guérart de Lannoy, « nez et demourans en Flandres », a commis un meurtre avec deux compagnons. Dans sa requête il n’oublie pas de préciser : « Et quant il virent que il les approchoit, yceulx exposans consideranz que, par coustume du païs, il leur loisit de contrevangier sanz mort la navreure dudit Hellin leur ami, navrerent et mutilerent ledit Jaquemart parmi les jambes »9. Il importe de ne pas aller jusqu’à l’homicide mais on n’a pas à cacher la vengeance et la contre-vengeance.

6

Le lien entre la vengeance et le crime dépend en fait étroitement du type de crime qui a été commis. Il est écrasant quand il s’agit de l’homicide puisqu’il atteint plus de 80 % des cas (tableau 41). Il est extrêmement faible quand il s’agit de crimes politiques et, dans ce cas, il ne concerne en fait que des délits commis contre des seigneurs ou des officiers du roi dont nous avons pu déjà remarquer l’implantation locale. Le lien entre

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la vengeance et le premier antécédent du crime confirme cette analyse. La vengeance ne peut être reliée à un antécédent du crime que dans 6 % des cas. Il est possible que le suppliant ait alors omis de relater des événements antérieurs désavantageux. Les cas les plus nombreux concernent les rixes, suivies de près par les injures. Ce que nous avons vu de l’honneur blessé montre qu’il faut lier les deux types de réaction, qu’elles soient verbales ou gestuelles. Elles conduisent toutes deux facilement à la vengeance. La mort est donc la réponse que les coupables apportent pour rétablir le capital d’honneur que l’injure gestuelle ou verbale a entamé. Tableau 41 : Vengeance et types de délits. (1er antécédent)

Types de délits

Vengeance (en %)

Pas de crime

6,0

Homicide

30,0

Argent ou héritage

4,5

Vol

4,0

Pillage

2,5

Crimes conjugaux

10,0

Viol

6,0

Rupture d’asseurement

1,0

Contre la chose publique

1,5

Crime lié à la guerre

2,0

Injure

24,5

Faute professionnelle

4,0

Autres

4,0 100

(crime)

Types de délits

Vengeance (en %)

Homicide

85,5

Argent ou héritage

0,0

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Vol

2,0

Pillage

1,5

Crimes conjugaux

2,0

Viol

0,0

Rupture d’asseurement

5,0

Contre la chose publique

2,5

Crime lié à la guerre

0,5

Faute professionnelle

0,0

Autres

1,0 100

Ces tableaux illustrent le déroulement des activités criminelles, qu’il s’agisse du premier antécédent du crime, ou du crime proprement dit. Le type de délit est étudié en fonction de la vengeance. Assez bien répartie selon les différents types de délits lors du premier antécédent, la vengeance est liée à l’homicide de façon très étroite quand il s’agit du crime terminal. 7

La lecture des antécédents permet de préciser la distorsion entre les homicides et les crimes politiques. La vengeance s’avère différente de la guerre. Le vocabulaire regroupe d’ailleurs sous l’expression « guerre mortelle » les expéditions punitives qui ont pour mobile la vengeance ; de la même façon, « ennemi capital », « ennemi mortel » marquent le degré de malveillance au-delà duquel commence la vengeance 10. Le temps qui relie les antécédents au crime proprement dit confirme encore cette différence. La réponse donnée aux crimes politiques excède rarement deux jours. A l’opposé, l’homicide, s’il sait s’exprimer dans l’instant ou dans le temps court, sait aussi attendre le moment de la vengeance. Il se conforte de haines que le temps a durcies entre gens de connaissance. Nous voici à Bussières, dans le bailliage de Meaux, en 1382 ; nous devons renoncer à savoir depuis quand et pour quelle raison dure la querelle entre le suppliant et sa victime. Mais le récit fait état des nombreuses menaces que la victime a proférées contre le coupable ; il était même venu les « assaillir », lui et sa femme, dans leur hôtel et les avait battus et « vilenez » « sans juste cause ». On peut douter de la véracité des propos de ce suppliant qui présente son adversaire comme « brigueux et redoubtez au pais ». Mais la vengeance ne fait aucun doute quand, effectivement, la victime l’assaille avec ses compagnons « garnis d’espees, haches et autres bastons » 11.

8

Nul ne saura non plus pourquoi Jean Marbeuf, laboureur de la terre de Niort en Poitou, revenant en 1384 de conduire une pipe de vin pour son seigneur, s’est fait attaquer par Pierre Vigié de Lorberie qui lui crie : « A Ribaut ! tu es mort ! » 12. On pourrait croire à quelque brigand de grand chemin. Une lecture attentive du texte montre qu’il n’en est rien. L’homme « s’estoit mis en aguet pour batre et villener le dit exposant » et on apprend qu’il habite à La Mothe-Saint-Héraye, à une vingtaine de kilomètres du suppliant, mais depuis peu de temps. En fait il connaissait celui qu’il voulait faire mourir et il semble vider là une ancienne querelle. « Battre » et surtout « villener » ne

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sont pas mots de détrousseurs de grands chemins ou d’hommes d’armes ; ce sont les gestes qui répondent à l’injure quand l’honneur est en cause. La vengeance sourd sous le propos et la rixe n’a rien ici d’occasionnel. 9

Elle peut même, comme l’injure, prendre le chemin de la voix publique. Ce suppliant que nous avons vu attaqué par un « prestre hospitalier » savait qu’un jour il le rencontrerait car celui-ci « a dit et maintenu par plusieurs foiz en plusiers lieux et places que il courrouceroit du corps ledit Gigonneau ou le tueroit ». La scène se termine sur un chemin à proximité de l’« hospital » où le prêtre attend, le corps protégé d’une cotte de fer entre deux pourpoints, un autre gros pourpoint par-dessus et armé de hache et de dague. Point de surprise : toute la communauté est au courant de la vengeance qui se trame. Une autre fois les menaces résonnent dans la taverne. Un homme peut y parodier les gestes et les mots de l’amitié : « Baille ça ta main ! » s’entend dire un suppliant mais pour voir ajouter aussitôt : « Je te promets que je te courrouceray ains que le mois d’aoust soit hors ! »13. Le soir même la vengeance avait lieu.

10

La publicité fait partie du système vindicatoire. Le cycle de l’honneur réclame doublement et symétriquement un public : au moment où se profère l’injure, comme au moment où elle se répare. Aux cris de la diffamation répond, dans le même registre de voix, celui de la vengeance qui appelle au meurtre. Un homme est menacé, on crie « haro » ; un homme est mort, on fait « grant cry et noise tantot illec et es villes voisines en cryant au meurtre » ; le bruit prépare à la réparation du crime, jusqu’à celui qui est de façon irréversible celui de la vengeance : « Tuez, tuez tout » 14. S’il n’a pas lieu, il en résulte d’éventuelles dénonciations. En effet, le mobile du crime est en étroite relation avec la dénonciation des « haineux » ou « malveillants » du coupable : cette dénonciation est redoutée, alors que la vengeance est affirmée comme mobile du crime, dans près de la moitié des cas15. Tout concourt donc pour faire de la vengeance une affaire où se rencontrent les gens de cet espace maîtrisé dans lequel évoluent les suppliants.

11

Il apparaît alors à l’évidence que la guerre et la vengeance n’obéissent pas à des lois identiques, même si parfois les deux actes belliqueux ont des similitudes. La guerre, nous l’avons vu, peut aussi se nourrir de la dénonciation des « haineux » ; la vengeance peut emprunter à la guerre ses armes. L’accoutrement du prêtre hospitalier n’est pas exceptionnel. Le vengeur peut prendre l’allure de l’homme d’armes. Plus le temps passe entre le premier antécédent du crime et le crime proprement dit, plus les armes deviennent sophistiquées. Au petit couteau à trancher le pain, aux pierres et aux bâtons de fortune de la riposte vengeresse immédiate succède la recherche d’un habillement professionnel. Voici un suppliant de la sénéchaussée du Limousin qui, à la fin du XIV e siècle, a eu « noise » et « riote » avec son voisin ; il hésite à rentrer d’une veillée car il a « oy dire » que son adversaire s’est armé pour se venger16. Sa crainte était fondée : en le voyant passer, l’autre sort de son hôtel, « armé et garni de lance, d’espee, de dague, de jaques et de capeline ». Le suppliant n’a aucun mal à montrer que sa victime a agi « d’aguet apensé ». Il en est de même quand le prévôt de Chauny, dans le bailliage de Vermandois, décide d’entreprendre une expédition punitive contre la famille du suppliant, un simple laboureur. Il arrive avec ses compagnons, « armez, garniz d’espees, dagues, ars, sayettes et autres armeures invasibles et defendues » 17.

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Tableau 42 : Les délais de la vengeance. a) Les délais entre les phases de l’agression

Délai : 1er acte/crime Fréquence (en %) Inconnu

20,0

Immédiat

25,5

Même journée

15,6

2 jours

1,6

De 2 jours à 1 mois

4,4

D’I mois à 1 an

6,5

Supérieur à 1 an

4,5

Délai non précisé

21,9 100

Ce tableau indique le délai qui, lors du crime proprement dit, sépare ce qui constitue le premier acte du crime du dernier acte qui conduit à l’acte criminel pour lequel le coupable demande une rémission (tri à plat). Quand il est précisé, ce délai est assez court. b) Vengeance et délai du crime

Délai : 1er acte/crime Vengeance (en %) Immédiat

8,5

Même journée

21,0

2 jours

4,5

De 2 jours à 1 mois

7,0

D’I mois à 1 an

8,5

Supérieur à 1 an

5,5

Délai non précisé

45,0 100

La vengeance, telle qu’elle est mentionnée dans la lettre ou telle qu’elle a pu être déduite, est étudiée en fonction du délai qui existe entre le premier acte du crime et le crime (tri croisé). Dans près de la moitié des cas où il y a vengeance, le délai n'est pas précisé. Quand le délai est précisé, la vengeance se produit dans un temps court. 12

L’allusion au port d’armes prohibé que multiplient les ordonnances est ici très claire. En apparence, ces hommes en expédition punitive sont des hommes d’armes ; en

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réalité, tout les en sépare, à commencer par la connaissance qu’ils ont de leur victime. Le processus vindicatoire peut, à son paroxysme, s’apparenter à la guerre : il n’a pas les mêmes finalités. Le pillage n’est pas une affaire de vengeance ; quant au viol, il peut entrer, comme nous l’avons déjà signalé, dans le processus vindicatoire, mais les cas sont rares dans l’ensemble des viols étudiés18. La population est d’ailleurs parfaitement consciente de ces différences. Nous avons vu qu’elle se méfie de l’homme d’armes qu’elle reconnaît pour ce qu’il est, au premier coup d’oeil19. Et, quand l’un des siens devient homme d’armes, même si elle peut utiliser à son égard le processus vindicatoire, elle hésite dans l’attitude à adopter pour le contrer. Jacquemart de La Croix, de Valenciennes, revenu dans son pays après avoir servi le duc de Bourgogne Philippe le Bon, se voit injurié pour avoir rapporté de son périple une pique arrachée aux Gantois insurgés. Lorsqu’il doit repartir à la guerre, une véritable expédition punitive est organisée par un dénommé Frappait. Il est probable qu’il y a derrière les insultes un parti pris politique mais cela ne change rien aux arguments qui sont évoqués. Pour Frappart, Jacquemart n’est plus tout à fait un homme de connaissance. Il l’est assez pour lui faire des remarques morales ; il ne l’est plus assez pour l’affronter comme un simple adversaire dont on se venge ; c’est un homme d’armes, donc un voleur. Il l’assaille en lui disant : « “Tu t’en vas en la guerre, mais ce n’est que pour desrober” et que larrecineusement il avoit rapporte une picque des Gantois et qu’il convendroit qu’il la reportast (...) et que lui et les autres n’allaient a la guerre que pour voler et l’on devrait tous les pendre »20. Le débat se poursuit pendant plusieurs jours et Jacquemart de La Croix est obligé pour se défendre de recourir à un argument politique peu fréquent et déjà savant : « respondoit qu’il ne leur demandoit riens et que ilz avoient tort de le ainsi traittier, consideré qu’il aloit en nostre service pour eulx mesmes et pour tous ceulx desdictes villes et que bien s’en avisassent car s’il y avoit homme d’eulx qui l’approchast pour mal faire, il lui feroit desplaisir et defendroit son corps a son povoir ». 13

L’argument n’aurait pas déplu aux théoriciens de l’Etat qui, vers 1420, tentaient de justifier la fiscalité naissante par le service armé accompli dans l’intérêt de tous 21. Au milieu du XVe siècle, même dans ce qui n’est qu’une principauté, l’idée a fait mouche. Mais on voit qu’elle soulève des réticences et que surnage encore, dans l’opinion, l’image d’une armée de prédateurs22. Ce sont des « ennemis » plus que des « adversaires ». Ils n’obéissent pas aux mêmes lois et la guerre qu’ils mènent n’a que peu de liens avec la vengeance. S’il leur arrive d’être tués par des civils, le sort qui leur est fait, qu’il s’agisse des hommes du roi de France ou des Anglais, n’est pas comparable à celui qui est réservé aux victimes de la vengeance.

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Les lois de la vengeance sont transparentes. Il est rare que le corps de celui dont on s’est vengé soit détruit ou caché. Mais celui de l’homme d’armes peut terminer, anonyme, au fond de la rivière ou dans la carrière proche. Qui peut le réclamer ? Où sera-t-il enterré ? Nous voici en 1420 dans le bailliage de Mâcon où sévissent des routiers qui ne se reconnaissent aucun maître. La liste de leurs méfaits reprend la litanie des crimes stéréotypés, mais elle recouvre sans doute une part de vérité : « logant de village en village (...) ont efforciez femmes et boutez feux en maisons, rançonné et batu les poures gens, et en ceste presente annee ont esté logiez en deux poures villages estant audiz bailliage si souvent qu’ilz ont destruy pour le tout les poures laboureurs estans es diz villages et a la fin les ont rançonnez » 23. Au moment où il faut porter l’argent d’une nouvelle rançon qu’il a dû prélever sur les laboureurs du

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village qui n’ont même plus de chausses, le sergent du lieu tue deux de ces hommes d’armes et les mène « noyer et souffrir mort en ung estang appele l’estang de Verrieres ». 15

Si le crime commis par ce suppliant vient au grand jour, c’est que des « haineux » ont dénoncé son acte, témoins secrets de gestes qui ne leur ont pas échappé. Le meurtre n’est qu’un prétexte à l’encontre du coupable envers lequel, pour d’autres raisons, on nourrit quelque rancune24. Peu leur importe le sort qu’il avait réservé à sa victime. En revanche, la dépouille de celui qui meurt sous les coups de la vengeance, même si le crime a lieu au dehors, reste là, sur le terrain, pour que les siens s’en emparent et l’enterrent25. Cette victime, morte des lois de la vengeance, se doit de rejoindre le monde des patres. Mieux, elle se doit d’être soignée. Celui qui donne les premiers soins n’est pas toujours l’homme de l’art. Ce peut être un des parents du meurtrier sur ordre de ce dernier. A la fin du XVe siècle, à la suite d’une rixe entre un gentilhomme et des laboureurs, un de ceux-ci finit par avoir le dessus, mais, loin d’abandonner le blessé il dit « que l’en le mist au lit, ce que firent les femmes desdits suppliants, et luy firent un emplastre et le panserent le mieulx qu’ilz purent et de la fut porté en un autre villaige chez un barbier a La Rochefoucault et sept ou huit sepmaines apres ala de vie a trespassement »26.

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La date tardive de ce texte peut témoigner d’une évolution au terme de laquelle s’est développé le respect pour la victime. On voit bien, en effet, ce que ces soins doivent à des devoirs d’assistance qui, à cette époque, ont acquis une portée juridique et religieuse. Mais seules les formes de manifestation que prend le respect sont nouvelles. L’adversaire, quel que soit le mal qu’il a pu commettre, est un égal 27. Tout doit être mis en oeuvre pour le sauver et, s’il est perdu, pour sauver au moins son âme. L’octroi de l’extrême-onction, pour cette raison, n’est pas incompatible avec la mort violente. Le cas reste encore rare sous le règne de Charles VI, puisqu’il ne concerne que 1 % des victimes environ, mais la famille du meurtrier peut aller, elle-même, s’enquérir d’un prêtre. Cette circonstance est favorable pour le meurtrier. Les moyens sont en marche pour atténuer la vigueur des coups et tempérer les effets de la mort soudaine ; le souci religieux rejoint la nécessité du défi28.

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Mais, cet effort n’est pas né de rien. La civilisation ne s’oppose pas d’un coup à une éventuelle barbarie. Ces soins apportés au corps de l’adversaire blessé ou à son cadavre s’inscrivent dans une longue tradition qui obéit aux lois de la vengeance. Tourner le cadavre en dérision comme ce fut le cas pour celui du comte d’Armagnac en 1418, est la preuve d’un paroxysme de violence qui dépasse les lois de la riposte vindicatoire. Le corps exposé aux injures, traîné pendant trois jours par des enfants, laissé sur un fumier, puis enterré au marché aux Pourceaux sont les marques symboliques de la mort honteuse29. La vengeance ne réclame pas de tels procédés, sinon elle se répandrait en une chaîne sans fin30.

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Peu appliquée aux gens de l’extérieur qui finalement ne peuvent guère endommager l’honneur, la vengeance ne concerne pas non plus les membres du groupe de parenté tel que nous avons pu le définir. Il était déjà inconvenant de se tuer entre parents ; il est encore plus nettement interdit de se venger d’eux. On peut parler d’une vengeance à l’intérieur du groupe familial dans 5 % des cas seulement et entre mari et femme dans la même proportion. Les devoirs de solidarité sont donc nettement plus importants pour la parenté que les coups qui risqueraient de l’ébranler. Les cas où la vengeance perce sont d’ailleurs tout à fait exceptionnels : ici un mari tue sa femme qui ne cesse de

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déserter le domicile conjugal pour suivre un prêtre ; là un frère en tue un autre qui réclamait indûment son héritage et avait fini par lui faire injure 31. Et, dans tous ces cas, la vengeance est lente à déclencher ses effets. Quelques procès au Parlement viennent confirmer la rareté de ces vengeances familiales et la force de leur condamnation 32. 19

On ne se venge pas de n’importe qui. Dans près de la moitié des cas, la vengeance s’exerce à l’égard de victimes avec lesquelles le suppliant ne précise aucune relation. Cela ne veut pas dire qu’il ne les connaît pas ; dans 5 % seulement des cas, la victime de l’acte vengeur est une personne inconnue. Parmi ceux dont les liens sont indiqués et qui expriment une forme de solidarité, les voisins constituent le groupe le plus important, quoiqu’il n’atteigne pas 10 % des cas33. Ce que nous avons vu des rapports de voisinage et des clivages qui s’y manifestent ne doit pas nous étonner. Les lois de la vengeance rejoignent celles des solidarités. L’adversaire sur lequel s’exerce la vengeance est ainsi parfaitement ciblé ; il est l’adversaire sans être l’ennemi. Si le code de l’honneur peut entretenir la violence, il sait aussi la limiter.

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Quant aux conflits entre villages qu’entretient la rigidité des frontières entre les lieux, ils prennent dans ce contexte tout leur sens. Ils constituent par leurs rebondissements épisodiques une sorte de vendetta collective ; mais les textes n’emploient pas à proprement parler le mot « vengeance » ; ils parlent de « guerre ». A la fin du XV e siècle, la fête de Hermes, dans le bailliage de Senlis, change vite de sens quand les compagnons de la ville s’affrontent « sur leurs lieux », arcs et flèches en mains, à ceux de Villers-Saint-Sépulcre venus là en principe pour s’ébattre34. Mais la fête est aussi le lieu rituel de l’affrontement de rivalités larvées. Là encore, comme dans tous les autres exemples de ce type, cette violence entre villages fait partie de traditions encore ritualisées35. Elle n’a pas pour but de détruire l’adversaire mais de restaurer et de proclamer une identité, un ordre qui a besoin d’être régénéré.

21

Le terrain de la vengeance au sens strict s’applique donc bien à ce qu’on peut appeler, avec G. Balandier, « la guerre du dedans », et il conserve aux XIV e et XV e siècles de nombreux caractères qui prévalent dans certaines sociétés dites traditionnelles 36. La vengeance ne s’y exerce pas n’importe comment ni n’importe où. Elle se manifeste dans cette zone intermédiaire qui exclut les trop grandes différences que la guerre fait découvrir ou les liens qui soudent le groupe des parents. Toutes ces remarques prouvent que la vengeance a ses lois. Celles-ci ont peu de rapports avec les arguments empruntés à l’Eglise : on ne pêche jamais dans l’eau trouble de l’Ennemi d’enfer pour se venger. Le diable n’est pas évoqué ici comme une circonstance atténuante du crime 37. C’est exclusivement l’affaire de la volonté humaine. Et celui qui la mène, lucide, ne veut pas laisser son acte au hasard ; le crime ne doit rien à la « fortune » dont la roue agite à son gré les destinées. Le coupable ne cherche pas non plus à accabler sa victime d’une réputation douteuse. Celui qui s’est vengé, même quand il demande rémission, ne redoute pas de dire que les sentiments qu’il nourrissait à son égard n’étaient pas tendres. La vengeance n’a pas réellement besoin de circonstances atténuantes autres que celles du bannissement qu’elle risque d’entraîner. La personnalité de la victime n’a pas non plus à être prise en compte. L’adversaire serait-il le meilleur homme du pays qu’il faudrait le contrecarrer s’il a blessé votre honneur. La vengeance est bien un devoir, la réponse nécessaire et dure à l’honneur bafoué.

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QUI SE VENGE ? 22

Ce que nous avons déjà vu de la colère et du courroux dispense de réfléchir plus avant sur le lien qui peut exister entre la pulsion irréfléchie et la vengeance : cela ne veut pas dire que les lettres de rémission ne reprennent pas l’argumentation qui associe la vengeance à des mouvements psychologiques. Elles sont, de ce point de vue, dans la droite ligne des réflexions des théologiens qui, au moins depuis saint Thomas, puisent dans la Bible leur méfiance vis-à-vis de la colère 38. Si donc, comme nous le pensons, le geste vengeur incontrôlé reste exceptionnel, et si la vengeance a pour fonction de réparer l’honneur blessé, il reste à en connaître la dimension sociale. Toutes les couches sociales, nous l’avons vu, pratiquent l’injure verbale ou gestuelle. Mais, pour répliquer à l’affront, toutes peuvent-elles se permettre la vengeance ?

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La question part d’un présupposé que nourrit largement l’historiographie : la vengeance, quand elle existe, est un phénomène nobiliaire. L’idée se conforte des exemples littéraires où la vengeance des nobles sait répondre par les armes à l’affront qu’a subi le chevalier39. Les remarques de Philippe de Beaumanoir pour le Beauvaisis ont encore entretenu l’ambiguïté : seuls les nobles y ont le droit d’exercer la vengeance, droit qu’il dénie aux « gens de posté » et aux « bourjois » 40. Cette lettre du bailliage de Caen, en 1388, semble donner raison à cette vision traditionnelle : un écuyer se trouve face à un sergent de Vire qui a injurié son parent. « Comme il est gentilzhomme », il réagit et le tape jusqu’à la mort41. En fait, au moins en Flandre, Ch. Petit-Dutaillis a bien montré que les cas de vengeance noble étaient rares aux XIVe et XVe siècles ; et, quand les nobles font acte de vengeance, il n’existe pas de différence dans le processus employé42. Les archives judiciaires dans leur ensemble, qu’il s’agisse des archives du Parlement ou des lettres de rémission, permettent d’étendre cette constatation, pour la même époque, à l’ensemble du royaume.

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Parmi ceux qui se sont vengés en commettant leur crime, les non-nobles sont douze fois plus nombreux que les nobles, ce qui interdit de limiter le champ de la vengeance à un groupe social et de lui fixer comme terme le XIIIe siècle43. Ce résultat, écrasant, est assez fidèle à la place que les nobles occupent généralement dans le crime, mais il ne révèle pas quelle place ces nobles accordent à la vengeance parmi les crimes qu’ils commettent. Il convient donc de nuancer cette vue d’ensemble en étudiant les mobiles du crime dans les différentes catégories sociales concernées.

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Laissons de côté les clercs que la propension à l’injure et à la lutte en armes peuvent réduire à une situation marginale dans la paroisse. Considérons les hommes d’armes : la vengeance occupe, dans les crimes qu’elle initie, une place légèrement privilégiée (tableau 43). Une étude détaillée des catégories sociales que ces hommes d’armes risquent de regrouper, chevaliers, écuyers et nobles qui se définissent comme tels dans leur déclinaison d'identité, confirme ce résultat. Les chevaliers et les écuyers agissent par vengeance dans 44 % des cas. Pour les nobles, la vengeance constitue la moitié des mobiles de leurs délits. L’honneur est donc bien un capital qu’ils sont pointilleux à défendre, ce qui est la cause d’un grand nombre de crimes. Quant aux non-nobles, laboureurs et gens de métier, ils présentent des profils comparables. La situation de famille les départage puisque les célibataires semblent presque deux fois plus nombreux à se venger que les gens mariés44. Enfin la sagesse des officiers prouve bien que le déclic de vengeance est la réponse à des considérations privées.

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Plus que la situation sociale du coupable, le champ géographique dans lequel il exerce la vengeance semble prépondérant. Certains parcourent plus de 30 kilomètres pour se venger, mais ils sont peu nombreux. Dans près de trois quarts des cas, la vengeance est commise dans un rayon qui n’excède pas cinq kilomètres45. Cette donnée implique que, dans ce champ étroit, il y ait assez d’individus susceptibles de devenir des adversaires. Le cas n’est sans doute pas fréquent dans un cadre strictement rural. N’est-ce pas le signe que plus l’horizon est petit, plus les relations de solidarité se multiplient, freinant du même coup la pratique de la vengeance ? Celle-ci laisse alors un léger avantage à la préméditation qui ne correspond pas aux crimes contre l’honneur. Cette constatation explique bien que la vengeance puisse s’exercer en milieu urbain, dans un cadre social plus dilaté où se meuvent par conséquent des adversaires potentiels plus nombreux mais suffisamment proches pour que l’honneur soit blessé et que sa restauration ait un sens46. Les lieux de sociabilité sont donc, de ce point de vue, essentiels. Malgré ces nuances, il reste que les non-nobles savent répondre présents quand l’un d’entre eux appelle à la vengeance et qu’il s’agit là, comme chez les nobles, d’un « beau fait ». Rien ne semble les retenir : ni le fait d’être mariés, puisque la moitié d’entre eux affirment qu’ils le sont, ni l’âge car tous les âges peuvent se venger, même si les jeunes semblent plus concernés que les autres pour cela47. Tableau 43 : Vengeance et profession du coupable

Vengeance et statut social

Circonstances du crime Ecuyers (en %) Chevaliers (en %) Seigneurs (en %) Nobles (en %) Inconnues

22,0

22,0

0,0

0,0

Préméditation

30,5

33,5

100,0

63,5

Vengeance

44,5

44,5

0,0

36,5

Aucune

3,0

0,0

0,0

0,0

100

100

100

100

Tous les coupables se vengent, quelle que soit leur profession, en particulier les clercs et les gens d’armes. 27

Le devoir de vengeance n’est pas seulement le fait d’un individu mais d’un groupe. Et, en face, ce n’est pas seulement un individu mais un groupe qu’il faut affronter. C’est dire que la résolution de la vengeance est entièrement liée aux solidarités lignagères 48.

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Ainsi, un rapport étroit existe entre l’amour naturel que les suppliants invoquent pour justifier leur crime, et la vengeance : ils emploient cette excuse dans près de deux tiers des cas où la vengeance est en cause. Il faut cependant renoncer à savoir avec quel empressement les parents participaient à ces expéditions punitives. Les lettres de rémission ne racontent que les vengeances réussies et elles taisent d’éventuelles réticences familiales. Un seul cas montre qu’un neveu blâme son oncle de vouloir se « contrevenger »49 ; mais, pour les autres, la riposte semble automatique. Ce simple jeune homme de Vieil-Hesdin entend son cousin appeler « Vengeance ! » et il accourt aussitôt, s’arme et mène l’expédition punitive ; cet écuyer, requis par sa tante de faire battre deux personnes qui l’ont injuriée, commande à deux de ses valets d’agir et n’assiste même pas au meurtre50. Quant à Baudoin Fairriel, un valet, il est entraîné dans un meurtre par ses cousins qui lui disent : « Baudoin, vous este noz cousins ; il convient que vous venez avec nous. Nous voulons vengier la mort de Pierrart le Teures nostre ami ; lequel Baudoin meuez d’amour naturelle et recordanz les mauvaiz faiz dudit Hennin ala avec yceulx »51. Le cri d’appel à la vengeance qui déclenche le processus vindicatoire a aussi pour but de rassembler les parents concernés 52. 28

Sans soulever le point épineux des origines de la vengeance et la référence aux moeurs de Germains chère à Tacite, il faut bien convenir que ces exemples ne montrent pas des ressorts de parenté très différents de ceux qui animaient les faides des siècles antérieurs et dont Marc Bloch a pu relever quelques exemples53. Il s’avère cependant que l’expédition ne se limite pas toujours au lignage. Des compagnons et des amis peuvent y être inclus jusqu’à former, comme nous l’avons vu, « une partie ». Dans le bailliage d’Amiens, deux hommes se battent. Ils appellent des compagnons à l’aide ; l’un d’eux est blessé. Le père voit le visage ensanglanté de son fils et accourt avec un seau de bois « en disant a son diz filz et aus autres de sa partie : “tuez tout !” » 54.

29

On retrouve donc lors du processus de vengeance la structure des groupes de solidarité : ils constituent ce que les textes appellent les « parties adverses ». Le frère de ce suppliant de la région de Tournai a eu, par haine, le pied coupé et la main abîmée par le groupe des « parens et amis de la partie adverse » ; le suppliant les rencontre et, « meu d’amour fraternel », venge son frère55. Ces groupes affrontés sont donc structurés selon un certain nombre de lois.

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Sans revenir sur la composition du groupe, il faut cependant se résoudre à ne pas savoir comment il est structuré et selon quels critères sont choisis les chefs de l’expédition punitive. En règle générale, il s’agit du plus proche par le sang, mais aussi du plus fort au sens physique du terme si bien que le neveu peut l’emporter sur le frère, ou le cousin sur l’oncle56. Seule l’expédition vengeresse organisée après le viol ou après l’adultère implique d’avoir systématiquement recours aux éléments masculins du lignage de l’épouse dont l’honneur est en cause57. La chose est naturelle si la jeune fille n’est pas mariée. Là, dans le bailliage d’Amiens, c’est un frère qui, avec son cousin germain, venge l’honneur de la famille : sa soeur a été enlevée par la victime « qui a fait avec elle son plaisir »58. Ailleurs, dans le bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier, c’est un simple cousin qui agit, sans doute parce qu’il est le plus proche parent « meu en ceste partie d’amour et affinité de lignage pour l’onneur de lui et de sadicte cousine » 59.

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Lorsque la femme est mariée, le mari pour se venger fait appel aux plus proches membres du lignage de sa femme par le sang. En 1380, le bailliage de Vermandois est le théâtre d’une scène classique : Huet le meunier poursuit de ses assiduités la femme de Colart le boulanger60. Pour ce faire, on le voit aller plusieurs fois dans l’hôtel conjugal

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en l’absence du mari. Une première fois, Colart et le frère de la femme s’unissent pour le prévenir de ne plus entrer dans l’hôtel. Le meunier, « hautain », se vante « en certains lieux » de l’avoir connue charnellement plusieurs fois. L’injure est devenue publique. Elle atteint son paroxysme quand, le jour de la Toussaint, le meunier vient, accompagné de « gens estranges », devant la maison de Colart et de sa femme pour y faire grand bruit, « demenans noises et riotes, heurtans et mans grans cops de pierres aus huis ». Une expédition punitive unit alors le mari, le frère et un cousin de la femme. Enfin, ce peut être aussi le fils qui prend la tête de l’expédition 61. 32

Ce choix des parents par le sang qui est fait en priorité quand il s’agit du déshonneur le plus horrible, montre bien que la vengeance se doit de réparer ce qui a souillé le sang. Il existe néanmoins une distorsion entre la composition du groupe de l’expédition punitive mené par le sang et celui qui subit le déshonneur. Car tout le lignage, qu’il s’agisse du sang ou de l’alliance, subit l’outrage. L’alliance est bien sûr concernée dans ce qui en constitue le premier degré, celui du couple. Si dans l’exemple précédent le fils intervient, c’est qu’il est « courroucié et troublé de la vilenie et blasme que sesdiz pere et mere avoient en ceste chose ». Le déshonneur est celui du couple et, pour le réparer, il ne reste plus qu’à laisser parler l’amour naturel.

33

Mais les degrés de parenté peuvent être beaucoup plus étendus. Dans le bailliage de Vitry, un laboureur tente d’arracher sa femme à la vie qu’elle mène avec frère Jacques de Rochefort62. Il organise une expédition punitive pour que le dit clerc cesse de « courroucier lui, et le lignage de lui et de la dicte femme ». On pourrait penser qu’il entend par là les cinq enfants qu’il a eus de son mariage. D’autres exemples montrent qu’il n’en est rien et que le lignage comporte aussi la parentèle qui réunit l’alliance. Ce type de déshonneur peut même atteindre le beau-père, second mari de la mère. En Touraine, Jeannette, femme mariée, s’est « acointee » d’un savetier, breton de surcroît. Une première dispute est menée par Jehannin Du Boveil, maréchal, qui est le second mari de la mère de Jeannette. Il est accompagné du mari et de son propre fils, dont il n’est pas précisé s’il est le demi-frère de la jeune femme. Puis, un jour de Pentecôte, après vêpres, éclate la rixe vengeresse pour « l’amour naturelle qu’il avoit a ladicte Jehannette qui est fille de sa femme et le deshonneur que lediz Torroil lui faisoit » 63. On retrouve donc à propos de la vengeance la complexité des liens qui constituent le lignage. Mais l’adultère est sans doute un crime particulier pour lequel le déshonneur peut s’étendre à toute la parenté64. Malheureusement, dans les autres cas de déshonneur, la composition du lignage lésé n’est pas mentionnée. Lorsqu’en 1397, Robert d’Estouteville apprend qu’un enfant nommé Thomas d’Antre a été séquestré, il arrive pour se venger sans demander d’information et sans connaître l’enfant, simplement parce que « ceux de Criquebeuf sont de son lignage » 65.

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Inversement, toute injure se répercute sur l’ensemble du lignage. Cet agresseur promet de « courroucer » un suppliant « en depit de lui et de tout son lignage » et un autre après avoir tué le père menace le fils : « Bonnement, ribaut garçon, t’en faut-il parler ? Je te envoieray apres ton pere et desgraderay de tout mon povoir tout ton lignage » 66.

35

Comprendre l’étendue de la tache que provoque le déshonneur incite à rester prudent. Comme lorsque nous avons tenté de définir le lignage, il ne faut pas négliger l’alliance, tout en pensant raisonnablement que le sang parle.

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Le sang parle si bien que pour venger l’honneur, il importe peu de s’en prendre à celui qui a commis l’injure. L’essentiel est de le remplacer par quelqu’un de son lignage qui, cette fois-ci, indubitablement, est du même sang. Le sang est, si on peut dire,

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interchangeable. Deux hommes se sont pris d’injures ; quelque temps plus tard un cousin de celui qui a commis l’injure passe dans la rue. C’est un homme mort 67. Il n’est pas rare, par conséquent, que celui qui est pris comme cible de la vengeance ne soit pas le coupable initial68. La prise peut même être de plus haute volée, ce qui accroît encore le prix du sang. Nous sommes, vers 1380, dans le milieu des écuyers du bailliage de Tournai. Jean de La Mote, bâtard, est en querelle avec Jean de Calonne, écuyer. Il tente de se venger par cousin interposé, mais il ne fait que blesser un « bon simple homme », parent de Calonne. La vengeance n’est pas assouvie car la prise est trop faible ; alors il attaque le frère aîné du suppliant, Riffart de Calonne, écuyer et châtelain de Doxemer « pour ce qu’il estoit ainsné frere dudit exposant et que plus grandement ne se povoit vangier »69. On ne peut pas mieux dire la quête du sang et les degrés afférents dans un milieu social où prime la succesion patrilinéaire par ordre de primogéniture. 37

La recherche des liens du sang comme cibles privilégiées n’est pas seulement le fait des nobles. Les non-nobles ont pour se venger les mêmes exigences. Dans le bailliage de Vermandois, deux frères entreprennent une expédition punitive et ne réussissent qu’à blesser leur adversaire. Ils cherchent une cible de rechange et croient la trouver en allant près du domicile de leur victime, Jean Le Charpentier : « et la ou assez pres estoit un bon et loyal prudomme ancien nommé Fourmentiere, lequel a espousé la tante de Jean le Charpentier, et dirent qu’il le batroient soubz ombre de ce qu’il cuidoient qu’il fust dudit Jean le Charpentier, et, pour ce que aucunes bonnes gens qui la estoient presens leur dirent qu’il n’estoit riens de lignage audit Jehan le Charpentier, fors qu’il avoit espousé sa tante, se partirent »70. Tout dans la tournure du texte dit les règles du sang qui organisent la vengeance : l’interrogation des frères sur l’identité de leur victime et la réponse de l’entourage supposent un langage commun et connu de tous. Le déshonneur est une affaire qui peut affecter l’ensemble de la parentèle ; la vengeance est bien une affaire de sang, quelle que soit l’origine du déshonneur.

VENGEANCE ET VENDETTA 38

Compte tenu du lien qui existe entre la vengeance, le déshonneur et les solidarités, la violence devrait se déchaîner de façon illimitée. Au meurtre vengeur répondrait ce que les archives judiciaires appellent la « contrevenge » et ainsi de suite. Cette description d’un « processus qui se poursuit indéfiniment et se transmet de génération en génération, et cela sans limites » selon la description qu’en donne Elegel et après lui R. Girard, est en fait purement théorique71. Les travaux d’anthropologie montrent que les dispositifs de résolution du conflit sont aussi régulés que peut l’être le processus qui a entamé l’action proprement dite. Et, en cette fin de Moyen Age, il semble que se soit mis en place un véritable dispositif susceptible de limiter la propagation de la violence. Il est rare que la vengeance tourne en vendetta et il est rare que la vendetta s’éternise. Pourquoi ?

39

Une première façon d’aborder le problème consiste à étudier le temps de la vengeance (tableau 42). Malheureusement, celui-ci n’est pas toujours explicitement formulé et le temps reste largement indéterminé : la discorde est « ancienne », elle vient « d’autrefois » ou de « nagueres ». Quand le temps est précisé, il s’agit le plus souvent d’un temps court : la scène se joue au maximum en moins de deux jours. On peut mesurer cette riposte à l’abrupt des passions. Mais cette vivacité dans la riposte n’est compréhensible que dans un espace d’inter-connaissance aux horizons limités. Les

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suppliants n’y ont aucun mal à réunir l’expédition punitive ; plusieurs exemples ont déjà illustré ce propos. Robert Frost va se plaindre au frère de sa femme et à son cousin germain qu’elle le trompe avec un prêtre ; ses interlocuteurs ne se posent pas de questions : « lesquels suppliants Robin et Jehan, d’un mesme accort et voulenté, et eulx meuz d’amour naturel dirent l’un a l’autre : “allons a l’ostel d’icellui curé !” » 72. 40

Cet automatisme des liens de solidarité qu’entretient la proximité des lieux accroît la rapidité des réactions. Mais cette rapidité s’explique aussi par le manque d’épaisseur de la mémoire en ce qui concerne au moins le monde des non-nobles. L’honneur bafoué n’attend pas, parce que le contexte social et mental ne le permet pas. Nous avons déjà pu remarquer la force des liens horizontaux dans la solidarité lignagère ainsi que dans la diffusion d’une renommée qui s’alimente aux regards des contemporains. Ces éléments contribuent à une mémoire courte, d’autant plus que la perception générale du temps est celle d’un temps « naturel » et long qui, malgré les progrès de la datation, reste prépondérant73. Comment dans de telles conditions un événement de déshonneur peut-il surnager dans la mémoire familiale jusqu’à se transmettre de génération en génération ?

41

Les études faites sur la mémoire médiévale ne nous aident guère parce qu’elles ne répondent pas exactement à la question posée : elles ont surtout envisagé le souvenir des dates en rapport avec les événements historiques. Malgré ce handicap et en tenant compte seulement du milieu des chroniqueurs, il apparaît que les événements ne résistent guère à l’usure du temps d’une génération et qu’au-delà d’un siècle commence l’oubli74. En serait-il autrement de la mémoire familiale ? Les études menées sur les livres de raison en France ne semblent pas le prouver : l’exemple des Benoist en Limousin ne peut pas se comparer à celui des ricordanze italiens 75. De telles constatations forcent la main à une vengeance quasiment instantanée et limitent considérablement la vendetta.

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Les agressés de l’honneur blessé ou ceux de leur parti disent parfois qu’en rencontrant leur adversaire, ou quelqu’un de son parti, ils sont « recors » ou « recordans » du mal qui leur a été fait ou encore que les méfaits leur reviennent en mémoire. Mais, sans qu’ils précisent la date initiale du premier débat, il ne s’agit le plus souvent que d’une animosité entre contemporains. Dans le bailliage de Tournai, en 1385, Hennequin Have qui est venu porter secours à son cousin agressé, se trouve sérieusement blessé au bras, sur le côté et à la cuisse « moult inhumainement »par Jaquot Tavier. Lorsqu’il revoit celui-ci à la taverne quelque temps plus tard, dans un délai qui n’est pas précisé, il passe à la vengeance, non sans l’aide de cousins qu’il a rassemblés. Alors se produit le déclic et les coups pleuvent, « quand ledit Hennequin l’apperçut, ayant en memoire comment ycelui Jacquot l’avoit de nuyt et sans cause navré et mis en peril de mort » 76.

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Le sang parle, mais la solidarité vengeresse ne semble pas s’ancrer dans une épaisseur verticale : les participants appartiennent le plus souvent à la même classe d’âge et quand le conflit rebondit, il ne dépasse pas le temps d’une à deux générations. Là c’est un oncle qui autrefois a subi l’affront, ailleurs un père ; les enfants ou les neveux héritent des affronts qu’ils ont subis, tels ces suppliants du bailliage de Mâcon dont la parenté lignagère suscite l’envie, malgré une conduite personnelle par ailleurs exemplaire77. Ce que nous avons vu de l’aspect contractuel des groupements ne peut que conforter cette hypothèse. La vengeance, au moins en langue d’oïl, a un rebondissement limité. Que représente cette durée quand elle existe ? Aux yeux des anthropologues, une mémoire susceptible de dérouler convenablement le souvenir de

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trois générations suppose déjà un ancrage normal dans une société où domine l’oral 78. L’épaisseur chronologique de la vengeance est sans doute inférieure à cette norme. Ce n’est pas là obligatoirement le signe d’une incapacité à se souvenir, mais celui, social, d’oublier volontairement le conflit pour faciliter la paix entre les lignages. 44

Cependant, ces antagonismes sans épaisseur chronologique peuvent faire illusion : ce désordre violent qui affecte une génération d’adversaires n’est-il pas l’expression renouvelée de désordres antérieurs ? Revenons aux expressions de l’antagonisme. La « haine » anime la « guerre mortelle ». Elle est exprimée par les « haineux » et les « malveillants » parmi lesquels se recrute de préférence la partie adverse. Nous voici dans la sénéchaussée de Ponthieu en 1484. Un « pauvre homme de labour » défend à grand peine son bois de châtaigniers contre les pourceaux d’un nommé Vincent qui les y envoie sans garde toutes les nuits. Notre suppliant sur le chemin de la messe apprend d’un voisin que son bois est au pillage et que ses propres pourceaux que garde son fils en sont chassés. Il y court, les mains nues. On pourrait croire à un simple conflit de propriété, important certes, mais limité. Le cours du récit révèle que ce Vincent est un homme « austere et avoit autrefois batu ledit supliant et aussi ledit Favre son filz » et qu’il leur faisait « toujours debatz et noise »79. Il est probable que ce Vincent n’a pas choisi le bois de châtaigniers au hasard et que le vol des châtaignes s’inscrit dans un long processus de vengeance. Que doit-il à la haine diffuse que se transmettent les familles ? Cette haine peut aussi avoir de vastes relents sociaux, échos de la lutte qui oppose les nobles contre les non-nobles. Sous le règne de Charles V, cet écuyer du bailliage de Sens a échangé « ja pieça » avec un bourgeois de la ville des « paroles injurieuses et haineuses » ; un cas semblable se produit à la fin du XV e siècle où la haine oppose de « pauvres hommes de labours » à un gentilhomme qui vient les surprendre au petit matin dans la chaleur de leur intimité80. Et on apprend qu’au plus fort de la lutte les vexations suivies de ripostes ont été incessantes. Que doivent ces vengeances répétées à une conjoncture précise et à une tradition anti-nobiliaire dont nous avons pu saisir l’ampleur81 ? Certes, le dernier acte de la vengeance a besoin de se référer à un événement précis, à une injure ou à un meurtre, mais il peut se nourrir aussi d’un fond commun de haine qui, familial et quelquefois social, se révèle propice à faire éclore la vengeance.

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Le présent, qui se caractérise par son instantanéité, s’oppose alors à la longue durée du passé. La vengeance a bien, de ce point de vue, une fonction répétitive parce qu’elle est inséparable d’un temps long et encore cyclique. Comme le dit très bien une des lettres, cet homme est « un de leurs grans adversaires »82. Il semble l’être de toute éternité et le récit ne juge pas utile de remonter aux origines. Il ne fait que décrire la série d’injures et de blessures qui oppose les cousins et les oncles des deux clans. Pourtant, tout laisserait croire que l’injure à l’honneur et le meurtre qui la suit sont des événements récents : ils ne sont, en fait, qu’un passé actualisé. Dater avec précision le lien entre l’antécédent du crime et le crime lui-même n’a pas beaucoup d’importance. A plus forte raison, n’est-il pas nécessaire de rappeler les causes de l’antagonisme initial, si même on les connaît. La violence s’inscrit, comme la vie, dans un temps long. Et ces traditions familiales font finalement partie des principes qui permettent à l’ordre social de se contester et par conséquent de se reproduire83.

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La vengeance, comme la violence, n’est pas aveugle. Le code qui la régit détermine aussi les conditions de sa fin. En dehors de toute ingérence de la justice, on peut au moins distinguer deux des règles qui mettent un terme à la vengeance. La première concerne

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le criminel proprement dit. Une fois son acte vengeur accompli, il s’enfuit, hors-la-loi, comme nous l’avons vu, dès avant un éventuel jugement84. Près d’un tiers de ceux qui ont commis leur crime par vengeance se plaignent du bannissement qu’ils subissent et qu’ils ont provoqué par leur fuite85. Le criminel a d’ailleurs souvent pris ses dispositions pour fuir et il est probable que sa parenté a contribué à le couvrir 86. A l’inverse, peu de ceux qui se sont vengés se retrouvent en prison puisqu’ils ne couvrent pas 10 % des cas. Tous ceux que ce bannissement concerne se plaignent de la dureté d’une loi qu’ils ont été contraints d’accepter, tel celui-ci, simple coutelier du bailliage de Vermandois, qui explique en 1382 la misère de sa condition : « lequel ban il a patiemment supporté et enduré avec assez de poureté et misere par les sept ans dessus diz ou environ et a touziours esté notre bon et loyal subgiet, desirant le bien et honneur de notre royaume et des subgietz d’icellui, et ancores a grant affeccion de nous servir si qu’il dit » 87. Un tel discours pourrait faire attendre un crime politique : il s’agit d’une simple vengeance à laquelle il a participé pour soutenir son « sang et lignage ». Le suppliant joue ici, entre autres arguments, de la crainte de la justice. Ce n’est pourtant pas le seul motif qui pousse à la fuite. Se mettre hors-la-loi, c’est aussi éviter la violence en chaîne. Un autre suppliant du bailliage d’Amiens avoue s’être échappé par crainte de la justice et des amis charnels du mort88. Ce départ, ce vide, permet à la conciliation de se développer. Elle est le fait de médiateurs qui sont pour l’essentiel des amis charnels, ou que choisissent les amis charnels. 47

Dans cette substitution de la vengeance à la paix, les femmes jouent certainement un rôle. Nous avons vu qu’elles défendent la paix jusqu’à y laisser la vie et que leur parole a un sens lié à la fonction qu’elles remplissent dans la société 89. Nous voici, en 1420, un soir de la fête des Brandons, dans le bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier où cousins et frères participent au jeu de tirer le bâton90. Le jeu s’envenime et le ton monte jusqu’au geste injurieux qui appelle la vengeance. Pour séparer les adversaires, un parent tente d’apaiser la querelle sous couvert qu’« il estoit autant tenuz es uns comme aux autres et qu’ilz estoient tous ses parens et pour ce ne vouloit point qu’ils eussent riote l’un avec l’autre ». En vain ! La situation semble irréversible et les femmes se mêlent alors d’arrêter le processus : « et quand la mere, la femme, la suer dudiz suppliant virent ladite riote elles le prindrent et le tirerent loing de ladicte riote comme le gect d’une bonne pierre et se desbatoit lediz suppliant et disoit es dictes femmes qu’elles le laissassent aler et que les autres pourraient tuer son cousin ». Les pierres et les bâtons passent au-dessus de leurs têtes et les archives judiciaires, par définition, décrivent la vanité de ce genre de médiation. Mais, dans combien de cas la paix des femmes a-t-elle été écoutée91 ?

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Le document donne plutôt acte de l’intervention des parents pour limiter la contrevengeance et empêcher par conséquent que s’enclanche un processus de vendetta. La série des lettres de rémission étudiée spécifie que, dans 6 % des cas environ, un accord a été conclu entre les parties après un meurtre qui impliquait la vengeance 92. La proportion n’est pas élevée mais cet accord, quand il existe, est considéré comme circonstance atténuante. Encore une fois le jeu de paume a mal tourné dans ce petit village de Vermandois93. La rixe a provoqué la mort d’un jeune homme et les meurtriers se sont réfugiés dans le bois voisin. Les parents du défunt passent à proximité, et « eulz estans audit bosquet virent d’aventure passer pres d’eulz lesdiz Pierre Denys et sa femme (parents de la victime) et Jehan Jaquin desquelz adonc s’approucherent lesdiz Maqueron et Pierre Cuette en priant au diz Pierre Denys que, pour Dieu, aler voulsist au dit bosquet devers lediz Jehan Malesmains (le meurtrier) lequel Pierre Denys et sa dicte

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femme y alerent et si tost comme ilz y furent les diz exposans se mirent a genoulz et leur crierent mercy en leur suppliant que la mort de leur diz filz leur voulsissent faire pardon, leur offrirent pour amende certaines choses ou en prendre l’ordenance de certains clercs. A ladicte suppliacacion s’accorderent lesdiz Pierre Denys et sa femme et ledit fait pardonnerent auxdiz exposans et, ce fait, d’avec eulz se parti la femme dudit Pierre Denys maiz, avec eulz jusques a heure de vespres, retindrent lediz Pierre Denys pour doubte qu’il ne les feist prendre ». 49

On voit tout ce que cette paix emprunte à la vie religieuse sans qu’il y ait incompatibilité avec l’ancien système du don. C’est que cette paix a le langage du sacré et elle en adopte les manifestations les plus signifiantes aux XIV e et XV e siècles : génuflexion, prière, recours au pardon et arbitrage des clercs. Ce schéma n’est pas nouveau puisqu’on le trouve déjà formulé au XIe siècle puis vulgarisé au XIIIe siècle par Jacques de Vitry, Etienne de Bourbon et Thomas de Cantimpré 94. Tous les accords ne suivent pas sans doute le rituel religieux du pardon qui est décrit ici. Il peut s’agir parfois d’un repas que les deux groupes partagent en signe de réconciliation. Le fait d’aller boire ensemble est, en quelque sorte, un accord ritualisé entre les deux parties. Après une rixe, la victime « manjast et bust par bonne amour avec les exposans et leur pardonnast tout ce qu’il li avoient meffait et mesdit »95. Le rituel de la boisson et le pardon, dans une parfaite continuité, conduisent aux mêmes effets : le basculement dans l’amour qui devient « bonne » car elle procure l’oubli96.

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Une somme d’argent vient parfois compléter le geste d’accord. Au même moment, Jean Verderon et ses alliés « despendent 8 florins de bon paix dont ledit Jehan paia deux et chascun des hommes deux » ; une autre fois encore, le paiement se limite au repas 97. Mais, quel que soit le processus adopté pour restaurer la paix, un accord est toujours nécessaire pour que le roi puisse valablement accorder sa rémission.

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La clause restrictive de la grâce royale, la seule qui soit formulée, prévoit que « satisfaccion soit faicte a partie si faite n’est ». Elle est présente dans 90 % des lettres : c’est donc bien une clause incontournable. Et, encore une fois, on peut constater que le roi ne s’impose pas contre les exigences de la parenté. La rémission précipite seulement ce règlement de paix. Quand le conflit risque de tourner en vendetta, le roi accorde sa rémission en invoquant la « paix et tranquillité » qu’il désire voir régner entre ses sujets98. Mais, au terme de la vengeance, la paix est, avant toute chose, une affaire entre deux parties au coeur desquelles se retrouve la parenté. En Flandre on y inclut les parents jusqu’au troisième degré99. Et les lettres font de la négociation de paix un devoir de la parenté. La paix s’y « fiance » avec le même vocabulaire que le mariage et elle recourt aux mêmes partenaires pour la garantir. Elle est aussi une forme d’alliance ; mais à la différence des paix princières ou aristocratiques, chez ces populations ordinaires l’échange de femmes ne vient pas la sceller de façon apparente100. On peut néanmoins insister sur l’homologie de vocabulaire entre la « fiancée » et la « paix », comme c’est le cas dans cet exemple du bailliage d’Amiens : « en laquelle icelle paix fu fiancee et accordee entre lesdictes parties et depuis, en signe de bon amour, disnerent tous ensemble a une table »101.

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Avant d’être totalement réprimé par les autorités politiques, le processus vindicatoire s’est donné les moyens de limiter la faide. Si la vengeance se doit de réparer l’honneur blessé, elle s’arrête le plus souvent au premier sang versé et sait parfaitement éviter la contre-vengeance.

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VENGEANCE ET ASSEUREMENT 53

Pour donner à la paix un caractère officiel et en principe irréversible, les deux parties pouvaient procéder, pour eux et leurs proches, à un « asseurement », c’est-à-dire « la promesse solennelle qu’une personne donnait à une autre de s’abstenir de toute violence envers elle »102. On a pu voir entre la trêve, la paix et l’asseurement des actes de nature différente. En effet, l’asseurement, selon Philippe de Beaumanoir, a sur la trêve l’avantage d’être perpétuel : « Il y a grant difference entre trive et asseurement car trives est a terme et asseurement dure a toz jours »103. Outre cet aspect temporel, l’asseurement, à caractère préventif, aurait poursuivi un dessein de modération des moeurs. De ce fait, les villes auraient contraint les adversaires à y procéder. Ces distinctions ne sont pas toujours opérantes.

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Examinons en premier lieu la différence entre la trêve et l’asseurement. Ce peut être effectivement une différence de durée. Sous le règne de Charles V, deux écuyers se disputent violemment. L’un d’entre eux propose une trêve à son adversaire : « jusques a tant que le connetable leur eust fait droit sur le descort d’entre eulx, lesquelles treves ledit de la Haze ne lui voult accordé fors jusques a lendemain heure de prime, lesquelles treves le dit Guillemet accepta »104. La différence n’est pas toujours aussi nette et les deux types d’accord sont passibles de poursuites judiciaires quand se produisent des actes de violence graves tels que les atteintes aux corps et aux biens. A la fin du XIV e siècle, deux hommes du bailliage de Cotentin, dont un clerc, se haïssent. Une trêve dont on ne précise pas la durée est sensée apaiser leur débat. Elle est d’ailleurs assortie d’une sévère mesure de l’évêque qui interdit au clerc de se rendre au domicile de son adversaire. Mais la haine est plus forte que l’obéissance et le clerc convoque le suppliant dans un bois voisin où celui-ci n’hésite pas à se rendre. Le suppliant est condamné pour « treve enfreinte », de la même façon que s’il y avait eu asseurement 105.

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Quant à la paix, le terme peut être, dans les villes du Nord, nettement employé comme synonyme d’asseurement. Ces deux habitants de Saint-Amand-en-Peule font « bonne et seure paix ensemble si comme la loy et la coutume du pais appartenoit » ; l’un d’entre eux est ensuite poursuivi pour asseurement enfreint106. Il n’y a même pas entre les deux actes de différences de procédure. La paix comme l’asseurement peuvent être passés devant une autorité judiciaire. La chose est connue pour l’asseurement 107. Elle peut aussi être évoquée pour la paix. Les deux hommes du bailliage d’Amiens que nous avons vus « fiancer » la paix sont allés pour ce faire, eux et leurs amis, à la ville voisine et « traittié eust esté entre icelles parties par leurs amis communs de paix et d’accort, auquel traittié eust esté si avant procede que ycelles parties, pour tenir et accoupler ledit traittié, alerent en la ville de Maisnieres en laquelle païs fu fiancee » 108. Un autre exemple au même moment, dans le bailliage de Senlis, montre comment une paix « fu par vaillans et bonnes personnes traittiee entre ycelles parties tant que elles cheirent et furent en bon accort et greerent et accorderent bonne paix les uns aux autres, present aucun d’icelle justice et plusieurs autres bonnes gens »109. Enfin, Robert Le Hongre, homme d’armes, pose problème au Parlement en juin 1405 110. Il est emprisonné pour avoir enfreint une paix qui aurait été passée et jurée devant le bailli de Vermandois, à Saint-Quentin. Encore faut-il que le bailli ou son lieutenant puissent retrouver les lettres de paix correspondantes. Celles-ci doivent être fournies à la Cour avant le 1er septembre suivant, en même temps que sera précisée la peine encourue en cas de paix enfreinte secundum patrie consuetudinem. Le Parlement, même s’il décide d’ouvrir une

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enquête sur le crime commis (nombre de blessures, nombre de complices), n’a pas en la matière de politique uniforme et il semble soucieux de respecter les coutumes locales. 56

N’importe quel officier de justice pouvait enregistrer l’asseurement ou la paix, du moment qu’il exerçait la haute justice. Là c’est un bailli, ici un prévôt, ailleurs un simple « juge ». Le rituel n’est pas toujours identique, mais il se déroule en plusieurs actes qui doivent être respectés. La première phase peut être le fait d’arbitres, « bonnes personnes », ou encore « prud’-hommes ». Ainsi, en 1385, Jean Vendait et Jean Jaques du bailliage de Senlis sont en querelle. Une première « bateure » conduit Vendait en prison d’où il est libéré car les blessures qu’il a provoquées ne sont pas mortelles. Lors de son élargissement, les deux parties soumettent leur différend « en l’ordonance de deux preudes hommes (...) et pour ce assemblerent par devant leursdiz arbitres a certain jour par eulx prins »111. La tentative de paix échoue faute de s’accorder sur le montant des dommages et, le soir même, le fils de Jean Jaques tue Vendait. L’arbitrage sert donc à trouver un accord matériel entre les parties. Il est suivi de la cérémonie officielle au cours de laquelle, devant témoins et en présence de l’autorité judiciaire, sont échangés les serments112. Cette cérémonie semble définitivement sceller l’asseurement qui peut donner lieu à un acte écrit. Il est alors « bon et loyal ». A Lille, en 1362, Jacquemart Le Franc qui vient de tuer un homme lors d’une rixe, « se traist par devers notre souverain bailli de Lille et requist a grande instance a avoir asseurement de par nous bon et loyal »113. Cette distinction qui fait passer à l’acte écrit devant un juge officiel est désormais essentielle pour expliquer la qualité de l’acte. Elle contribue, en principe, à éviter la vengeance de la partie adverse. Alors un sergent convoque cette partie adverse pour qu’elle comparaisse « en notre salle de Lille par devant le dit souverain bailli ou son lieutenant pour proceder a ladicte opposicion ». De libres conventions seulement garanties par le serment et la parole, ces actes changent de sens et entrent dans le domaine du droit public. Ce que nous savons par ailleurs des transactions montre néanmoins que cette procédure est encore loin de toujours faire confiance à une puissance publique plus ou moins abstraite 114.

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Même quand il est passé devant des autorités légales, l’asseurement peut poser des problèmes qui montrent son profond enracinement dans des pratiques privées et orales. Son infraction suscite parfois une réflexion sur le moment de son entrée en application : n’est-ce pas dès sa demande par un des protagonistes ? A la fin du XIV e siècle, dans le bailliage de Chaumont, un laboureur en requiert un autre « pour le asseurer » le lendemain devant le maire de Saint-Urbain115. Mais, le jour même, l’autre s’en prend à son « serourge » : aux injures faites à sa parenté, le suppliant répond par deux ou trois « buffes ». Le maire, présent à la scène et au courant du projet d’asseurement, ordonne de conduire le fauteur en prison. Il agit comme s’il y avait rupture d’asseurement et le suppliant proteste qu’il « ne cuidoit pas que ledit cas de asseurement fust perilleux jusques apres l’asseurement fait ».

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Un autre cas, au même moment, dans le bailliage de Troyes, montre que l’asseurement peut être conclu officiellement à la simple demande de l’un des protagonistes. Un chapelain, prêtre de Briel-sur-Barse, fait ajourner un laboureur de la paroisse devant le bailli de Vendeuvre à une certaine date. Ce jour-là, l’autre ne comparaît pas ; néanmoins, le bailli « mist ledit chapelain en asseurement contre ledit Guiot et en son absence, lequel asseurement fu signifié par certain sergent audit Guiot a la personne de sa femme »116. Mais Guiot ne veut pas se plier à cette obligation ; le soir même, il se rend à la taverne où il sait trouver le chapelain et il lui dit que « de lui, ne de son

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asseurement et du bailli qui l’avoit donné, il ne donroit un bouton ou autre mot villain ». Un emprisonnement suit pour « bris d’asseurement ». Une autre fois, l’asseurement est conclu avec le père de celui qui vous a « menacé et tenu en doubte » et à l’insu du principal intéressé117. La moindre volonté d’asseurement est donc immédiatement enregistrée par les autorités judiciaires. Ces exemples montrent combien le pouvoir tente de canaliser la violence en s’immiscant dans le déroulement des affaires de vengeance. 59

L’application de l’asseurement n’est pas, comme on l’a longtemps cru, propre aux villes de Picardie ou de Flandre118. Les asseurements dont témoignent les lettres de rémission s’étendent à tous les bailliages de langue d’oïl jusqu’en Poitou, mais ils ne semblent pas connus en langue d’oc119. Cette « coutume » est celle du pays de Flandre comme celle du pays de « France », ainsi que le disent clairement les lettres de rémission et les asseurements passés au Parlement de Paris : ce suppliant du bailliage de Chartres « fiança et promist en la main du juge bon et loyal asseurement de lui et des siens audit Soudrier et aux siens selon la coustume de France »120. Quant aux asseurements passés devant le Parlement, ils peuvent faire référence aux usages bien connus de la Cour puisqu’ils sont prêtés ad usus et consuetudines nostre Curie supradicte 121.

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L’évolution chronologique de l’asseurement ne semble pas non plus répondre aux affirmations qui en font arrêter l’usage à la fin du XIII e siècle, ou bien qui voient, dans la première moitié du XIVe siècle, une période d’arrêt suivie d’une reprise accompagnée d’un élargissement des catégories sociales concernées. Si on se réfère aux actes du Parlement, le nombre des asseurements repérés pour cette période montre la parfaite continuité de la série avec la période suivante122. A la fin du XIVe siècle, Jean Le Coq témoigne que le Parlement a une parfaite habitude de manier l’asseurement. En effet, il ne s’interroge ni sur le bien-fondé de l’acte, ni sur le déroulement de la cérémonie, ni sur la condition sociale des protagonistes, mais sur leur statut civil : qu’en est-il en particulier des clercs ? Peuvent-ils donner asseurement en Parlement ? Cette question montre plutôt la vitalité d’une institution que le Parlement est soucieux de voir s’étendre à tous, sans cas privilégié123.

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L’asseurement, comme la vengeance, concerne toutes les catégories sociales, du laboureur à l’écuyer124. Plus que la catégorie sociale, ce qui importe, c’est de couvrir le plus possible l’ensemble de la parenté concernée dans les deux parties. On passe un asseurement pour « soi et les siens », c’est-à-dire sub quo assecuramento parentes et amici carnales, per consuetudinem notoriter observatam, comprehensi fuerant 125. Les failles à l’intérieur du lignage peuvent d’ailleurs être colmatées par l’asseurement. Il peut, en effet, être passé entre membres d’une même amitié, ce qui est rare et n’est pas toujours du goût de celui qui a été ajourné comme en témoigne ce suppliant : « Je estoie ton ami et tu te es fait asseurer de moy ! »126. Les coups suivent et la condamnation pour rupture d’asseurement est donnée devant le prévôt. La politique du roi ne consiste donc pas à freiner la pratique des asseurements, au contraire. Une ordonnance de Jean le Bon spécifie d’ailleurs que « lorsqu’on vouloit avoir un asseurement de quelqu’un on le faisoit assigner devant le juge afin qu’il le donnast » ; et, en 1427, le formulaire de chancellerie d’Odart Morchesne prévoit de faire « donner bon et loial asseurement des dessus nommez leurs aliez et complices selon la coustume du païs se ilz le requierent » 127 . Néanmoins, on décèle l’évolution qui, dans ce même formulaire, fait préférer la sauvegarde royale à l’asseurement.

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La sauvegarde royale peut être individuelle ou s’étendre à la parenté par le sang et à la parenté fictive telle que nous avons pu la définir, « leurs gens, aliez et complices », en cas d’injures et dommages en corps et en biens128. Il existe donc un recours direct au roi pour se protéger des effets de la vengeance et il est possible que, comme le montre B. Guenée pour le bailliage de Senlis, la substitution d’une procédure à l’autre soit réalisée à la fin du XVe siècle129. Malheureusement, les archives judiciaires laissent plutôt voir l’asseurement et la sauvegarde quand ils sont brisés et ils ne permettent pas par conséquent d’en mesurer le nombre comme R.C. Van Caenegem a pu le faire pour les anciens Pays-Bas. Il constate que, pendant la seconde moitié du XIV e siècle, le nombre des conciliations établies par les « paiseurs » y était environ cinq fois plus élevé que celui des délits traités pénalement par les échevins ; au XV e siècle, le nombre des conciliations enregistrées dans les zoenboken a encore augmenté pour atteindre parfois mille par an, pour se terminer brutalement dans la première moitié du XVI e siècle130. A Abbeville, cette pratique de l’asseurement semble disparaître après 1421 131.

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La rupture d’asseurement trace une courbe assez voisine. Sous le règne de Charles VI, ce délit couvre 4 % des crimes remis. Dans la seconde moitié du XV e siècle, les suppliants ne demandent plus de rémission pour ce délit. Cela ne veut pas dire qu’il soit devenu bénin : sa place dans la hiérarchie des délits sous le règne de Charles VI interdit un tel renversement des valeurs132. Cela ne veut pas dire non plus que la vengeance a disparu : on voit encore en 1452 trois hommes de Moulins en Bourbonnais « s’associer » et « s’accompaignier ensemble » pour mener à bien une expédition punitive et armée 133. Mais la vengeance a, au moins dans ce cas précis, changé de sens. L’alliance conclue par les trois complices est dirigée contre ceux qu’ils désignent comme leurs « malveillans » mais qu’ils appellent « leurs ennemis ». Le recours à la nuit pour protéger leur forfait implique bien la surprise d’une attaque dont l’issue est une destruction totale. Les « malveillans » dont on veut se venger ne sont plus des égaux. La « guerre mortelle » est devenue une guerre ordinaire. Un autre exemple, à la fin du XVe siècle, montre comment la vengeance a pu être contaminée par la guerre. En 1461, Louis XI accorde une lettre de rémission à Richard Deymes. Celui-ci avait accompagné Jean de Goulard dans une expédition punitive contre le Petit Rodrigue qui, en 1438, avait tué son frère, Giraud de Goulard, bailli de Berry, soi-disant dans une embuscade 134. En fait, il s’agissait d’un affrontement de troupes commandé par Charles VII et la mort du bailli était une mort au combat. Même pour un acte de guerre rempli au service du roi, l’esprit de vengeance subsiste. Il est donc possible que la vengeance se soit atténuée pour ne plus subsister que dans des cas aussi extrêmes ; elle y apparaît dénaturée, peut-être pour avoir pris modèle sur les comportements des hommes de guerre.

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Il est difficile de faire la part des mesures coercitives dans cette évolution. On les voit se multiplier. En décembre 1413, un arrêt du Parlement pris pour un crime de sang survenu dans le bailliage d’Amiens, permet au procureur du roi d’affirmer les droits du bailli en matière de « vengeance et de contre vengeance »135. Une autre fois, il intervient pour affirmer la nécessité de faire appel à la justice plutôt qu’à des expéditions punitives136. Les ordonnances relatives aux guerres privées, aux ports d’armes prohibés, aux rassemblements, ont aussi considérablement limité les effets de la vengeance, même si leur nécessaire répétition montre qu’elles ont été contestées 137. Enfin, ces expéditions punitives, volontairement confondues et noyées dans une criminalité ordinaire ou au contraire portées au rang de crimes contre l’Etat, ont été largement dénoncées par la justice légale. Là ce sont des expéditions où les plaidoiries

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fustigent feux, rapines et viols ; ailleurs ce sont des tableaux où la majesté s’est trouvée lésée138. Mais les contemporains ne sont pas insensibles à cette évolution. En 1407, un procès relatif à une lettre de rémission obtenue après une vengeance, note que le cas advint il y a trente ans et que « en icelui temps ou païs on avoit accoustumé de user de guerre et de assembler hunc inde de leurs amis »139. 65

Certes, les sujets résistent. Ils peuvent se rebeller devant l’asseurement qui leur est imposé140. Ou encore, ils font justice eux-mêmes. En février 1391, le seigneur de Sauveterre obtient rémission pour avoir fait justice des « populaires » du lieu 141. Les faits remontent à 1364 et, en se vengeant, le seigneur venge en fait son père qui avait dû subir les effets d’une révolte au cours de laquelle son hôtel avait été pillé et plusieurs de ses familiers pendus. La communauté n’avait pas payé l’amende réparatrice et l’affaire restait donc ouverte aux yeux des héritiers du seigneur. Aussi, celui-ci agit en usant de la loi du talion « voyant que satisfaccion n’en povoit avoir par justice, avec aucun de ses parens et amis commença guerre contre lesdiz populaires et communs de Gimont et de Simorre, en vengence desdictes injures ainsi faites, comme dit est a ses diz pere et mere, telement qu’il prinst et pilla sur iceulx communs pluseurs bestes et autres biens, et d’iceulz communs occist ou fist occire aucun ». Mais le fait même d’obtenir rémission pour une telle vengeance montre qu’on ne peut pas attribuer à l’Etat une vision totalement coercitive de ce problème.

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L’automatisme des liens de parenté au service de la vengeance s’est aussi relâché au cours du XVe siècle. Dès 1335, dans la principauté de Liège, l’ancienne responsabilité familiale se trouve abolie par la « Paix des XII ». D’autres exemples suivent qui remettent la vengeance à Dieu et aux juges142. Les lettres de rémission se font l’écho de ce relâchement des solidarités familiales en matière de vengeance. Ne pas répondre à la vengeance devient une nouvelle valeur. En 1484, deux frères, Guillaume et Antoine Françoys, vont leur chemin dans le bailliage d’Amiens. Ils rencontrent Andrieu Morel qui a autrefois fait perdre son office à Antoine ; se souvenant de ce méfait, Guillaume le bat à mort « dont le dit Anthoine fut mal content de luy et luy disy qu’il aimast mieulx qu’il n’en eust riens fait »143.

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Ce type de discours est au moins devenu nécessaire pour obtenir la rémission en cas de vengeance. Mais il n’est pas sûr que ce ne soit pas aussi l’opinion du suppliant. Les premières failles dans les automatismes apparaissent ; elles sont en tout cas bien vues par la Chancellerie. A un oncle qui vient de préparer sa contre-vengeance, un neveu oppose la nécessité de parvenir à un accord et il va lui-même trouver l’adversaire « en lui suppliant que pour l’amour de Dieu il voulsist avoir bonne paix et accort avec son oncle et que, se il lui avoit meffait ne dit aucune chose contre sa volunté, il le lui feroit amender a son bon plaisir »144. On ne peut guère aller plus loin dans la conciliation et l’humilité : tout sauf la vengeance ! Et, si la négociation échoue, c’est parce que la partie adverse fait preuve de « grant orgueil et outrecuidance ». Il faut bien assurer la rémission.

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Mais il y a dans ce paraître pétri d’humilité un discours nouveau qui est sans doute une des explications du recul de la vengeance. Le rôle de l’entourage est toujours aussi fort, mais il est différent. Il se doit de prêcher la paix plutôt que de prêter main forte. Car le soutien qu’apporte la parenté ne s’est pas atténué : dans la seconde moitié du XV e siècle, les amis charnels interviennent toujours dans une proportion d’un tiers des cas pour défendre la cause du suppliant. On ne peut donc pas parler encore d’un affaiblissement des liens de solidarité. Mais la responsabilité familiale est moins

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directement engagée par les injures et par conséquent dans la vengeance. L’honneur blessé est celui d’un individu plus que celui de sa famille. Nous retrouvons là les effets d’une évolution que laissait pressentir l’injure145. Le déclin de la vengeance tient donc au lent cheminement de la responsabilité individuelle en matière criminelle. 69

Mais ce n’est pas la seule cause. Le déclin de la vengeance est aussi lié aux progrès de la notion de paix dans l’opinion publique, dont on perçoit les effets dans l’argumentation des lettres. Nous avons déjà noté le sens religieux que pouvait avoir le vocabulaire des accords et des transactions. Les travaux d’H. Platelle montrent bien comment, en Flandre, la violence s’est trouvée canalisée par le développement de la paix de Dieu depuis le premier quart du XIe siècle146. Les « paiseurs », l’échange du repas, parfois même le baiser de paix qui pouvaient conclure l’accord, ont emprunté leur existence et leur rituel aux modèles religieux. Aux deux derniers siècles du Moyen Age, les suppliants du royaume de France adoptent l’idéal de paix que les bourgeois des villes du Nord avaient déjà tenté de mettre en place quelques siècles plus tôt. Celui dont on se venge devient un « rioteux » tandis que se profile la condamnation absolue de la haine. Telle est la conduite qu’il convient de suivre et qui se fait l’écho des discours officiels, ceux de l’Eglise comme ceux de l’Etat. La paix n’est plus seulement un accord fait en bonne règle ; elle devient un état d’âme. Ce suppliant en témoigne qui a été réduit à tuer l’adversaire car il « monstroit encore qu’il avoit intencion de le domaigier et deserter et la grant iniquité qu’il avoit en son cueur »147. Les automatismes ne suffisent plus et la vengeance recule, prise au propre piège des règles de paix qu’elle a favorisées et que l’idéologie a transformées.

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La vengeance reste donc au cours des XIVe et XVe siècles la réponse à l’honneur blessé, quelle que soit la catégorie sociale concernée. Dans un espace intermédiaire entre l’inconnu et le trop connu des solidarités enchevêtrées, elle s’exerce comme une « forme très élaborée d’obligation et de réciprocité », comme « une forme symbolique » 148. Mais elle ne suffit plus à exercer le contrôle social de la violence. Les villes et surtout l’Eglise et le roi imposent leurs coups de boutoir. Ne soyons pas dupes de l’évolution : ces autorités ne remplacent pas brutalement la vengeance par la peine, trop respectueux qu’ils sont des relations de parenté. Et, dans leurs appréciations du délit, ils ne renient en rien le système des compositions. Mais l’idéal qu’ils imposent ne peut que déritualiser la violence. La paix devient subjective tandis que l’ennemi remplace l’adversaire. On ne saura jamais ce que doit le déclin de la vengeance aux bouleversements de la guerre de Cent Ans. Mais on voit bien que la forme vindicatoire, à la fin du XVe siècle, a changé de sens. Elle devient « guerre privée », sans doute par mimétisme avec la guerre contre l’Anglais ou contre les routiers. Mais surtout parce que l’espace politique s’est dilaté et qu’il y circule un langage politique commun. Le roi y fait figure du père : chacun peut désormais recourir à sa protection, à sa sauvegarde. Certes nous avons perçu les limites que pouvait rencontrer cette nouvelle filiation dans l’opinion. Néanmoins le jeu subtil qui unissait la parenté tend à s’ordonner dans une généalogie fondatrice. Alors la vendetta devient une guerre privée et la vengeance une justice privée que la loi condamne et que les contemporains, avec les clercs et les juges, commencent à fustiger.

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NOTES 1. Pour une vue synthétique de cette évolution, A. LAINGUI et A. LEBIGRE, Histoire du droit pénal, t. 1, p. 6-13. 2. L’historiographie est beaucoup plus riche pour les anciens Pays-Bas que pour le royaume de France, R.C. VAN CAENEGEM, Geschiedenis... L’étude de la justice aux XI e-XIIe siècles est en cours de renouvellement. Outre les travaux d’H. PLATELLE, voir P.J. GEARY, « Vivre en conflit... », p. 1107 et suiv. 3. Ch. PETIT-DUTAILLIS, Documents nouveaux..., p. 40, n. 5. 4. La vengeance dans les sociétés extra-occidentales, textes remis et présentés par R. VERDIER, La vengeance..., t. 1, p. 14 : « Si l’opposition vengeance-peine peut être conservée, c’est à condition, d’un côté à renoncer à la saisir en termes d’évolution, de l’autre à n’y voir qu’un simple modèle opératoire permettant d’analyser les règles du jeu social de la violence et de la contre-violence dans un système normatif donné ». 5. Pour une amorce de ce problème, Cl. GAUVARD, « Le roi de France et l’opinion publique... », p. 353-366. 6. Voir sur ce point, le graphique de la rémission, chapitre 18, p. 794-795. 7. La liaison entre le vol et les mobiles du crime s’établit ainsi : dans 13 % des cas aucun mobile, dans 19 % aucune préméditation, dans 5 % vengeance, et dans 63 % préméditation. 8. Sur les limites de l’emploi du mot « venger » face au roi, chapitre 19, n. 95 à 99. 9. JJ 107, 302, octobre 1375, CAMPHIN-EN-PÉVÈLE (bailliage de Vermandois). La blessure aux jambes est moins vindicative que celle au visage, chapitre 16, p. 726 et suiv. Il s’agit de Hellin de La Mote et de Jacquemart Fournier, oncle de Hellin. 10. JJ 107, 308, lettre citée chapitre 16, n. 63 ; JJ 120, 107, lettre citée chapitre 8, n. 74 ; X 2a 14, fol. 145, novembre 1403 ; ibid., fol. 182v., juin 1404 ; ibid., fol. 309v., mars 1406 ; X2a l7, fol. 21v„ avril 1411 ; ibid. 207, février 1416. L’expression « guerre mortelle » est néanmoins ambiguë puisqu’on peut la voir employée contre les Anglais à la fin du XIV e siècle. Par exemple, cet exposant qui a collaboré avec les Anglais pour sauver de la mort son serourge a agi contre la volonté du capitaine de Salgues « qui faisoit guerre mortele contre lesdiz, noz ennemis, pour nous et en nostre nom », JJ 140, 284, juin 1391, SALGUES (sénéchaussée de Beaucaire et bailliage des Montagnes d’Auvergne), lettre citée dans Histoire générale de Languedoc, t. 10, n° 733. 11. JJ 120, 337, juin 1382, octobre 1410, BUSSIÈRES (bailliage de Meaux). 12. JJ 155, 107, juillet 1400, NIORT (sénéchaussée d’Angoulême). L’événement qui se produit en 1384 a été remis seulement en 1400. 13. Ibid., 100, lettre citée chapitre 9, n. 38 ; autre exemple, JJ 165, 336, septembre 1410, (sénéchaussée de Ponthieu). 14. JJ 129, 42, juillet 1386, HALLENCOURT (sénéchaussée de Ponthieu). Sur le rôle du cri dans le règlement des conflits, voir L. K. LITTLE, « Formules monastiques... », p. 377-399, et « La morphologie des malédictions monastiques », p. 43-60. Le contenu de ces malédictions est savant, mais l’évolution de la clameur montre bien le passage de la liturgie à la loi entre le X e et le XII e siècle. Sur le cri final, « Tuez, tuez tout », X 2a 14, fol. 310, mars 1406. C’est aussi le cri du peuple parisien quand « Vengeance » se lève en 1418, Journal d’un bourgeois de Paris, p. 90. 15. Les chiffres s’établissent ainsi : dans 22 % des cas, une éventuelle dénonciation n’est liée à aucun mobile ; dans 33 % elle suppose la préméditation, et dans 45 % la vengeance (dans 22 % des cas cette vengeance est nettement avouée par le coupable). 16. JJ 151, 207, juillet 1396, SOUDANAS (sénéchaussée de Limousin). 17. JJ 160, 172, janvier 1406, CHAUNY (bailliage de Vermandois). 18. Voir chapitre 7, n. 131.

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19. Chapitre 12, p. 532. 20. Cette lettre du 24 mars 1458 est accordée par le duc de Bourgogne (B. 1689, fol. 6v.) et citée par Ch. PETIT-DUTAILLIS, Documents nouveaux..., p. 25-27. 21. On trouve en particulier cet argument dans la bouche du chevalier chez A. CHARTIER, Le Quadrilogue invectif p. 32 et suiv. Dans son développement, le chevalier prend soin de distinguer la guerre faite par les nobles, des « horribles excez » que commettent les « gens de peuple et de bas estat ». N’est-ce pas aux seuls nobles que revient la guerre ? Ce Jacquemart de La Croix se dit « pauvre homme » ; il est probable que son adversaire ne lui pardonne pas non plus une éventuelle promotion sociale. 22. Sur ce thème, voir chapitre 5, p. 201 et chapitre 12, p. 549 et suiv. 23. JJ 172, 28, lettre citée chapitre 15, n. 158. On peut comparer cette scène à celle d’une vengeance dont les lois n’ont pas été respectées, X 2a 14, fol. 125v., juin 1403. 24. Sur la force de ces dénonciations, voir chapitre 15, p. 673-674 et tableau 6, chapitre 4. 25. Ces lois sont celles de l’homicide, et elles s’accompagnent de la fuite du coupable, voir chapitre 4, p. 163 et suiv. 26. JJ 211, 111, sans date, LA ROCHEFOUCAULD (sénéchaussée de Limousin). 27. Sur l’emploi de ce mot, voir supra, n. 10. 28. Sur le contenu de la prédication, voir J. GERSON, Pour le jour des morts. Œuvres complètes, t. 7, p. 692 et 697. 29. E. de MONSTRELET, Chronique, t. 3, p. 271. 30. Nous sommes là au coeur du problème que pose R. GIRARD, La violence et le sacré, p. 32 : « tant qu’il n’y a pas d’organisme souverain et indépendant pour se substituer à la partie lésée et pour se réserver la vengeance, le danger d’une escalade interminable subsiste ». 31. JJ 155, 5, lettre citée chapitre 11, n. 22 ; l’affaire a commencé en 1393 et le meurtre date de 1396 ; JJ 172, 4, février 1420, LAVAU (bailliage de Sens et d’Auxerre) : il y a eu entre les « frères germains » injures verbales et gestuelles. 32. X 2a 14, fol. 124, juin 1403, et les exemples cités chapitre 15, n. 13. 33. Dans 40 % des cas où il y a vengeance, le lien entre le coupable et la victime n’est pas précisé. Dans 5 % des cas il s’agit de liens conjugaux et dans la même proportion de parents, dans 9 % des cas de voisins et dans la même proportion de compagnons, dans 2 % des cas d’amis. En revanche des liens peu mentionnés dans l’étude générale du crime sont bien représentés dans le système vindicatif : les liens politiques constituent 10 % des cas et les liens professionnels 8 % des cas. Les liens d’asseurement constituent 4 % des cas, ce qui semble logique. Les 9 % restant se répartissent en diverses catégories dont chacune est représentée en quantité négligeable. 34. JJ 211, 134, août 1485, HERMES (bailliage de Senlis). VILLERS-SAINT-SEPULCRE se trouve à environ 3 kilomètres de HERMES. 35. Une comparaison fructueuse peut être menée avec les méthodes de restauration de l’ordre chez les Bété, D. PAULME, Les Bété..., p. 120 et suiv. Pour d’autres exemples africains, voir les exemples rassemblés par J. BAZIN et E. TERRAY, Guerres de lignages et guerres d'états en Afrique, où on distingue parfaitement la différence entre la guerre, la vendetta et la vengeance. 36. G. BALANDIER, Anthropo-logiques, p. 202-205. Sur le lien entre cette vengeance « intérieure » et l’honneur, outre les exemples rassemblés par R. VERDIER, La vengeance..., voir P. BOURDIEU, The Sentiment of Honour in Kabylie Society, p. 35 et suiv., et R. JAMOUS, Honneur et baraka..., p. 67. Ce dernier montre aussi comment le fait de ne pas revendiquer un meurtre est le plus grand déshonneur, ibid., p. 77. 37. Sur le diable et le crime, voir tableau 12, chapitre 6. 38. Sénèque liait déjà la colère à la vengeance quand il en condamnait les « impulsions aveugles et déréglées », De la colère, I, X, 1. Saint Thomas traite de la colère à propos des péchés capitaux, et il la définit comme « ira, appetitus vindictae » (Summa Theologica, IIa IIae qu. 158, art. 1), en reprenant un passage du Lévitique, 19 : « tu ne te vengeras point, et tu ne garderas point de

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rancune contre les enfants de ton peuple ». Pour d’autres exemples philosophiques médiévaux, M.M. DAVY, « Le thème de la vengeance au Moyen Age », La vengeance, t. 4, p. 125-135. 39. De nombreux textes sont cités par J. FLACH, Les origines de l’ancienne France, t. 2, p. 446 et suiv. Sur le lien entre la vengeance et l’idéal nobiliaire, voir J. P. POLY, « La vengeance barbare et la détresse des Nibelungs », La vengeance, t. 3, p. 101-147. La thèse qui consiste à réserver la violence à la noblesse, puis à la voir se vulgariser à partir de 1350, thèse défendue par E. COHEN, « Violence Control... », p. 114, ne paraît pas correspondre aux schémas des crimes que révèle l’ensemble des archives judiciaires. 40. Ph. de BEAUMANOIR, Coutumes de Beauvaisis, t. 2, p. 356-357. 41. JJ 133, 22, juillet 1388, VIRE (bailliage de Caen). 42. Ch. PETIT-DUTAILLIS, Documents nouveaux..., p. 46. La survivance de la faide en Hainaut et dans le Namurois à l’époque qui nous occupe, est évoquée par F. CATTIER, « La guerre privée... », p. 199 et suiv., et par L. WODON, « Le droit de vengeance... », p. 123 et suiv. Voir aussi l’exemple de la seigneurie de Saint-Amand, sur la frontière entre la Flandre et le Hainaut, H. PLATELLE, La justice seigneuriale de l’abbaye de Saint-Amand, p. 319-326 et p. 394-395. 43. Les comparaisons avec les pays voisins comme l’Angleterre ne sont pas très significatives. La vengeance n’y est pas étudiée de façon spécifique mais comme riposte à des actions menées par des bandes criminelles, J. G. BELLAMY, Crime and Public Order..., p. 78 et 88. Pour J.B. GIVEN, Society and Homicide..., p. 188 et suiv., la vengeance n’entre pas comme explication de l’homicide. 44. La vengeance s’exerce pour 39 % des cas chez les célibataires et pour 21 % des cas chez ceux qui se déclarent mariés. La situation de famille n’est pas précisée dans 40 % des cas. 45. Les distances parcourues en fonction de la vengeance s’établissent ainsi : dans 2 % des cas pas de déplacement mentionné, dans 7 % le crime a lieu dans la maison, dans 53 % dans le même lieu, dans 14 % à moins de 5 km, dans 5 % entre 5 et 15 km, dans 2 % entre 15 et 30 km, dans 6 % à plus de 30 km, et dans 11 % des cas la distance est indéterminée. 46. Ces considérations relatives aux rapports de la vengeance et de l’espace montrent bien que le processus vindicatoire obéit à des lois naturelles qui en limitent les effets. L’exemple des Nuer est, sur ce point, significatif. E. E. EVANS-PRITCHARD, Les Nuer, p. 184, observe qu’« il est relativement facile de conclure les vendetta dans un milieu social restreint où la distance structurale n’est pas grande entre participants ; il devient plus difficile d’y mettre fin à mesure que ce milieu s’agrandit jusqu’au moment où l’on atteint le stade des rapports intertribaux ». Le problème des limites de la vengeance en milieu urbain se pose donc d’une autre manière, qui fait entrer en scène les autorités, comme c’est le cas dans les villes du Nord, G. ESPINAS, « Les guerres familiales... », p. 438-439. 47. Les données quantitatives et qualitatives de l’âge sont trop ténues pour pouvoir se risquer à une analyse de ce phénomène. On peut néanmoins émettre une hypothèse qui ferait des jeunes les porte-parole privilégiés du groupe familial comme ils le sont de la communauté. 48. Chapitre 14, p. 649 et suiv. 49. JJ 127, 81, lettre citée chapitre 10, n. 10. 50. JJ 160, 355, mai 1406, VIEIL-HESDIN (bailliage d’Amiens) ; JJ 151, 234, avril 1397, FONTAINESSUR-SAÔNE (bailliage de Mâcon). 51. JJ 127, 130, septembre 1385, SAINT-HILAIRE-LEZ-CAMBRAI (à tous les justiciers). 52. Voir supra, n. 14. 53. M. BLOCH, La société féodale..., p. 186 et suiv. Rappelons le célèbre passage de TACITE, De moribus Germanorum, chap. 21 : « Suscipere tam inimicitias seu patris seu propinqui quam amicitias necesse est : nec implacabiles durant ; luitur enim etiam homicidium certo armentorum ac pecorum numero, recipitque satisfactionem universa domus ». 54. JJ 127, 289, décembre 1385, (bailliage d’Amiens). 55. JJ 155, 141, juillet 1400, TOURNAI (bailliage de Tournai). 56. X 2a 14, fol. 293, décembre 1407 ; X 2a 15, fol. 279v., août 1408.

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57. X 2a 14, fol. 17v., mars 1401. 58. JJ 127, 112, juin 1385, FRÉVENT-SUR-CANCHE (bailliage d’Amiens). 59. JJ 165, 305, mai 1411, (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 60. JJ 118, 38, novembre 1380, (bailliage de Vermandois). 61. JJ 120, 336, lettre citée chapitre 6, n. 134. L’expédition regroupe le fils, le serourge et un « ami ». Le mari qui a tenté de tuer son rival en le prenant sur le fait, ne participe pas à l’expédition punitive. 62. JJ 127, 205, novembre 1385, ROCHEFORT-SUR-LA-CÔTE (bailliage de Vitry). 63. JJ 155, 137, juin 1400, OIRON (bailliage de Touraine). 64. Sur la place de l’adultère dans la hiérarchie des crimes, voir le graphique de la rémission, p. 794-795. 65. JJ 151, 220, avril 1397, CRIQUEBEUF-EN-CAUX (bailliage de Rouen). Il s’agit de Robert d’Estouteville, chevalier, conseiller et chambellan de Charles VI. Il avait sans doute le geste leste car on le voit passer au Parlement un asseurement avec Guillaume Charpentier, le 7 mai 1408, X 2a 15, fol. 268v. 66. JJ 169, 81, février 1416, MORTAIN (bailliage de Cotentin). 67. JJ 107, 91, juin 1375, (bailliage de Vermandois). 68. Par exemple JJ 103, 19, janvier 1372, (bailliage de Vermandois). 69. JJ 120, 134, lettre citée chapitre 10, n. 156. 70. JJ 127, 99, août 1385, BRAY-SUR-SOMME (bailliage de Vermandois). 71. HEGEL, Principes de la philosophie du droit, p. 102. On retrouve cette analyse chez R. GIRARD pour qui la vengeance procède des désordres mimétiques. Des choses cachées..., p. 20-33, et La violence et le sacré, p. 51. Si on ne peut s’accorder sur cette vision de la « vengeance privée », il reste que la théorie du bouc émissaire que développe R. GIRARD pour ces sociétés traditionnelles, est parfaitement opérante, Cl. GAUVARD, « Le roi de France et l’opinion publique... », p. 365. 72. JJ 155, 264, lettre citée chapitre 9, n. 58. 73. Voir tableaux 25 et 26, chapitre 11. 74. Cl. GAUVARD et G. LABORY, « Une chronique rimée... », p. 186-187. 75. J. TRICARD, « La mémoire des Benoist... », p. 119-140. Une même limite s’impose à la mémoire des clercs, N. COULET, « Le livre de raison de Guillaume de Rouffilhac... », p. 76 et p. 85, n. 10 bis. 76. JJ 127, 73, juillet 1385, MORTAGNE-DU-NORD (bailliage d’Amiens). 77. JJ 165, 196, lettre citée chapitre 10, n. 89. 78. Résultat des enquêtes menées par Fr. ZONABEND, séminaire de l’EHESS, 1988-1989. Chez les Nuer, les souvenirs pour quatre degrés de génération sont courants (grand-père, père, fils, petitfils), E. E. EVANS-PRITCHARD, Les Nuer, p. 131. 79. Etienne Delort, suppliant, JJ 211, 230, décembre 1484, (sénéchaussée de Ponthieu). 80. JJ 103, 73, mai 1372, SAINT-AUBIN-CHÂTEAU-NEUF (bailliage de Sens et d’Auxerre), et JJ 211, 12, lettre citée supra, n. 26 ; l’opposition sociale des protagonistes est ici très nette. On y voit le bâton s’opposer à l’épée. Le gentilhomme ordonne : « Laisse le baston, villain ! » et ajoute « Par le sang dieu ! Si ferez villains ». 81. Chapitre 9, p. 421 et suiv. 82. JJ 103, 236, octobre 1372, AMIENS (bailliage d’Amiens). Même cas en 1385, JJ 127, 99, lettre citée supra, n. 70. 83. La comparaison avec les sociétés traditionnelles s’impose, en particulier avec le système socio-culturel des Nuer où, de façon constructive, les lignages sont à la fois solidaires et opposés, E. E. EVANS-PRITCHARD, op. cit. supra, n. 78, p. 221-281. 84. Voir tableau 7, chapitre 4. 85. Pour ceux qui ont agi par vengeance, la répartition en fonction des circonstances atténuantes relatives au crime s’établit ainsi : 22 % n’évoquent aucune circonstance, 12 % la réputation de la victime, 11 % la légitime défense, 2 % les sentiments envers la victime, 9 % la prison, 32 % le

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bannissement, 0 % l’intervention du diable, 1 % le hasard, 6 % l’accord intervenu entre les parties, et 5 % d’autres circonstances. 86. Par exemple JJ 120, 360, juin 1382, (bailliage de Vermandois). 87. Ibid., 122, mars 1382, BAISIEUX (bailliage de Vermandois). 88. JJ 133, 9, juin 1388, CHÉRIENNES (bailliage d’Amiens). 89. Chapitre 7, p. 340 et suiv. 90. JJ 172, 12, lettre citée chapitre 7, n. 137. 91. Cl. GAUVARD, « Paroles de femmes... », p. 337-338. 92. Voir supra, n. 85. 93. JJ 120, 133, lettre citée chapitre 6, n. 182. 94. H. PLATELLE, « La violence et ses remèdes... », p. 127, et « Vengeance privée... », p. 275-276. Sur la pratique de cette réconciliation aux Pays-Bas, R.C. VAN CAENEGEM, Geschiedenis..., p. 249-250. 95. JJ 98, 257, mars 1365, SAINT-LÉONARD (bailli de Reims). 96. La « bonne amour » ainsi construite s’apparente à l''Agapè, L. BOLTANSKI, L'Amour et la Justice..., p. 244 et suiv. Sur les effets de ces rituels et leurs liens avec les transactions, voir chapitre 1 et Cl. GAUVARD, « Cuisine et paix... », à paraître. 97. JJ 98, 55, mars 1365, SAINT-NICOLAS-DE-PIERREPONT (bailliage de Rouen) et JJ 127, 180, lettre citée chapitre 9, n. 80. Pour assortir ces réconciliations où l’arbitrage joue à plein, il ne semble pas y avoir de pèlerinage expiatoire, ou toute autre forme d’amende honorable correspondant à un cérémonial d’expiation, sauf dans un cas précis, celui d’un infanticide commis par un père qui s’en va spontanément prier « en langes » au moûtier voisin. Le pèlerinage expiatoire est décidé par les autorités, villes ou roi, voir chapitre 20, p. 930 et suiv. 98. JJ 103, 236, lettre citée supra, n. 82. 99. Sur la composition de ce groupe d’« amis charnels », voir chapitre 14, p. 644 et pour la Flandre, Ch. PETIT-DUTAILLIS, Documents nouveaux..., p. 58, qui cite la coutume primitive du franc de Bruges rédigée en 1461. 100. Ces mariages ont-ils existé, comme c’est le cas dans certaines sociétés traditionnelles ?, R. VERDIER, La vengeance..., t. 1, p. 29. Un seul exemple de mariage après une vengeance a pu être repéré, mais il s’agit d’un milieu chevaleresque, et de l’opposition entre le seigneur d’Aigueville face au seigneur Nicole de Lettres, « duquel fait les deux chevaliers dessus diz firent accord en leur vivant, moiennant certain mariage des parties », JJ 133, 51, juin 1388, (sénéchaussée de Carcassonne), lettre citée dans Histoire générale de Languedoc, t. 10, n° 703. 101. JJ 127, 245, novembre 1385, MAISNIÈRES (bailliage d’Amiens). Le texte parle aussi « d’accoupler ». 102. A. ESMEIN, Cours élémentaire..., p. 249. 103. Ph. de BEAUMANOIR, Coutumes de Beauvaisis, chap. LX, parag. 1 et 4. Cette distinction est retenue par J. BOCA, La justice criminelle..., p. 161 et suiv., à la suite de P. DUBOIS, Les asseurements au XIIIe siècle..., p. 116. Pour une analyse des différents mots, G. ESPINAS, « Les guerres familiales... », p. 418-421 et p. 463. 104. JJ 103, 97, juin 1372, (bailliage de Caen). Il s’agit de Jean de La Haze et de Guillemet Du Mesnil. 105. JJ 155, 119, juillet 1400, SAINT-MARTIN-DE-TALLEVENDE (bailliage de Cotentin). En revanche, la durée de l’asseurement est bien illimitée. Un suppliant avoue ne plus se souvenir d’un asseurement passé dix ans plus tôt, JJ 165, 28, octobre 1410, (bailliage de Rouen). 106. JJ 107, 255, lettre citée chapitre 14, n. 119. J. BOCA, op. cit. supra, n. 103, p. 163, donne un exemple extrait du Livre Rouge : en 1397, une femme « requist au maieur que il lui feist avoir asseurement » d’un homme qui l’avait menacée, et celui-ci « incontinent promist et jura bone pais en le main du maieur a ladite femme ». 107. Par exemple B. GUENÉE, Tribunaux..., p. 125-126.

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108. JJ 127, 245, lettre citée supra, n. 101. 109. Ibid., 141, octobre 1385, ANGICOURT (bailliage de Senlis). 110. X 2a 15, fol. 18, juin 1405 ; il ne semble pas que les lettres aient été retrouvées, et on se contente de mentionner que la paix a été jurée, ibid., fol. 30-30v., septembre 1405. 111. JJ 127, 149, octobre 1385, ASNIÈRES-SUR-OISE (bailliage de Senlis). 112. Ibid., 260, décembre 1385, TOURNAI (bailliage de Tournai). La paix a été jurée devant « un des jurez d’icelle ville ». Sur cette force du serment, voir les exemples cités par G. ESPINAS, op. cit. supra, n. 103, p. 471-473. 113. JJ 98, 480, décembre 1365, LILLE (mandement est fait au « souverain bailli de Lille »). L’exposant est en prison à Lille et l’affaire s’est passée sur un chemin. 114. Cl. GAUVARD, « Cuisine et paix... », à paraître. 115. JJ 127, 97, juillet 1385, SAINT-URBAIN-SUR-MARNE (bailliage de Chaumont). Cas semblable à VOVES dans le bailliage de Chartres, JJ 143, 156, septembre 1392, où le suppliant prétend ne pas avoir entendu l’asseurement demandé par sa victime pendant leur dispute. 116. Guiot Le Doublat, JJ 127, 102, lettre citée chapitre 16, n. 108. 117. Ibid., 260, lettre citée supra, n. 112. 118. Il convient donc de nuancer les conclusions de P. DUBOIS, Les asseurements..., p. 165 et suiv. C’est cependant le seul ouvrage de synthèse sur la question. 119. Pour le Poitou, L. CÉLIER et P. GUÉRIN, Recueil des documents..., t. 35, p. 25, 31, 172, 186, 198, 241, 294 et 310. L’asseurement n’apparaît pas dans les chartes étudiées par J.M. CARBASSE, Consulats méridionaux... 120. JJ 127, 209, novembre 1385, ORSONVILLE (bailliage de Chartres) ; autre exemple, X 2a 14, fol. 109, mars 1403. 121. X 2a 15, fol. 88v., mai 1406. Les asseurements étaient aussi reçus au Châtelet, X 2a 10, fol. 8v., janvier 1376. 122. Voir les cas cités dans X 2a 1-4. 123. M. BOULET. Questiones..., p. 31. Ce problème est encore loin d’être résolu à la fin du XV e siècle. 124. Par exemple les deux protagonistes sont nobles, X 2a 15, fol. 74, novembre 1405 ; l’un d’entre eux est officier du roi, X 2a 12, fol. 120, mars 1391, il s’agit de Jacques Remon, notaire du roi ; entre non-nobles d’une seigneurie du bailliage de Vermandois, X 2a 15, fol. 20, juillet 1403 ; ibid., fol. 214, mars 1408, entre habitants de la ville de Château-Thierry. 125. X 2a 16, fol. 285, janvier 1415, ABBEVILLE. 126. JJ 107, 368, décembre 1375, BRINON-SUR-SAULDRE (bailliage d’Orléans). 127. ORF, t. 3, p. 364, et BN Fr. 5024, fol. 9v. 128. X 2a 16, fol. 290, janvier 1415, TOURNAI ; ibid., fol. 293v., février 1415, MÂCON. 129. B. GUENÉE, Tribunaux..., p. 126, n. 262. Sur le lien entre la rupture d’asseurement et la sauvegarde enfreinte, X 2a 16, fol. 13, juin 1409. Le rituel est comparable, X 2a 15, fol. 20, juillet 1404. Pour limiter les effets de la haine, on peut demander à la fois asseurement et sauvegarde, ibid., fol. 312-312v., septembre 1415, (sénéchaussée de Limousin). 130. R.C. VAN CAENEGEM, Geschiedenis..., p. 320-321. Les deux dernières conciliations datent de 1551-1552. 131. J. BOCA, La justice..., p. 164. 132. Voir le graphique de la rémission, chapitre 18, p. 794-795. 133. JJ 198, 168, mars 1453, MOULINS (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). Je remercie M. le professeur DUBOIS d’avoir bien voulu me communiquer le mémoire de maîtrise de L. GUÉRIN (Université Paris-IV, 1983), qui fait part de cette lettre. On peut se demander si le temps de la vengeance n’est pas aussi devenu celui de la nuit, ce qui l’apparente à la ruse et à la traîtrise, X 2a 14, fol. 411, janvier 1408 ; lors de cette expédition qui rassemble une dizaine d’« ennemis » armés,

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« si estoit nuit par quoy appert que haineusement ilz estoient venuz ». Nous avons là déjà une forme abâtardie de la vengeance. 134. Ph. LAUER, « Un nouveau document... », p. 145 et suiv. 135. X 2a 16, fol. 247, décembre 1413, (bailliage d’Amiens). 136. X 2a 14, fol. 158, janvier 1404. (bailliage de Vermandois). 137. R. CAZELLES, « La réglementation royale... », p. 545. Sur le lien avec le port d’armes prohibé, X 2a 15, fol. 210, février 1408 ; ibid., fol. 266v., avril 1409. Sur le lien entre la vengeance et la guerre privée, X 2a 12, fol. 18v., avril 1388. Sur le rappel de cette interdiction dans les archives judiciaires, X 2a 11, fol. 171, juillet 1394 : « per ordinaciones nostras regias omnes guerre et vie facti fuissent et essent prohibite »·, X 2a 15, fol. 169, décembre 1408, (bailliage de Vermandois) : « proposuissent quod quamvis via facti seu guerra in nostro regno procedere nulli liceret et per ordinationes nostras regias expresse prohibitur ». 138. Par exemple X 2a 15, fol. 279-279v., août 1409. 139. X 2a 14, fol. 392v.-393, juillet 1407, (bailliage d’Amiens). 140. X 2a 11, fol. 95, février 1390 : exemple d’asseurement obligé ; X 2a 14, fol. 3, novembre 1400 : les parties ont refusé l’asseurement. Il s’agit du sire du Quesnoy. 141. JJ 140, 100, février 1391, GIMONT (sénéchaussée de Toulouse), cité dans Histoire générale de Languedoc, t. 10, n° 732. 142. Cité par R.C. VAN CAENEGHEM, « La peine dans les anciens Pays-Bas (12 e-17e siècles), Rapport général, La peine, à paraître. 143. JJ 211, 233, janvier 1485, MARESVILLE (bailliage d’Amiens). Déjà un siècle auparavant, une femme de 50 ans qui a été injuriée, se plaint de ce que ses amis ont procédé à la vengeance sans son accord, JJ 102, 95, mai 1371, THÉMÉRICOURT (bailliage de Mantes). 144. JJ 127, 81, lettre citée chapitre 10, n. 10, et supra, n. 49. L’asseurement devient aussi une circonstance atténuante dans les plaidoiries du Parlement, X 2a 14, fol. 10, janvier 1401. Il en est de même de l’accord accompagné du pardon, X 2a 16, fol. 275v.-276v., mai 1415. 145. Voir chapitre 16, p. 749 et suiv. 146. La paix de Dieu a été introduite en Flandre en 1024, et on sait le rôle que ce mouvement a pu jouer dans l’essor communal dont les associations jurées s’appelaient souvent pax ou amicitia, H. PLATELLE, « La violence et ses remèdes... », p. 170-197. Les théologiens et les canonistes se sont aussi interrogés pour savoir si la vengeance était licite : saint THOMAS, Summa theologica IIa XL, De Bello. L’ordonnance de 1258 reconnaît le droit de légitime défense en cas d’agression dans la personne et dans les biens, tout en condamnant les guerres privées. 147. JJ 127, 149, lettre citée supra, n. 111. 148. J. BEAUDRILLARD, L’échange symbolique et la mort, p. 264.

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Chapitre 18. La hiérarchie des crimes

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L’honneur blessé se répare dans l’homicide, que la vengeance s’exerce sur le champ ou qu’elle prenne le temps de la maturation. Ce schéma, dans son infaillible répétition, pose le problème de la hiérarchie des valeurs auxquelles cette société des XIV e et XV e siècles se trouve attachée. De quel poids pèse la vie d’un homme quand un père est attaqué ou quand une mère est outragée ? La réponse doit cesser d’attribuer aux populations criminelles médiévales une prétendue rudesse des moeurs autant qu’une impulsivité incontrôlée. Si E. Durkheim a ouvert la voie en suggérant combien ces sociétés à honneur étaient différentes de la nôtre pour laquelle l’homicide est l’acte immoral par excellence, la leçon n’a guère été suivie, du moins en ce qui concerne la période médiévale1. La question est cependant essentielle : où se situe l’homicide dans l’échelle des crimes ? Quelle place occupe-t-il face aux délits qui enfreignent l’ordre familial, religieux et politique ?

DU CRIME À LA RÉMISSION : RÉSULTATS D’UN GRAPHIQUE 2

La question posée n’est pas simple, faute de sources claires. L’étude relative au vocabulaire du crime a montré la difficulté que pouvait rencontrer l’historien de la criminalité2. Une approche de la hiérarchie des délits se heurte à des problèmes aussi complexes. Les textes normatifs comme les pratiques judiciaires sont d’un faible secours. Certes, les chartes urbaines comme les ordonnances royales savent parfaitement distinguer les cas énormes et spéciaux de ceux qui peuvent être qualifiés d’ordinaires3. Il existe entre eux, à l’époque qui nous concerne, une différence de mode de jugement. Les premiers sont soumis au régime de la mise à merci et des peines arbitraires ; les seconds sont minutieusement tarifés selon un système de peines fixes en fonction de la nature des blessures, de la présence ou de l’absence d’effusion de sang, de l’arme utilisée, etc. Ce dernier système évoque, bien entendu, les compositions financières du Haut Moyen Age4. Une autre hypothèse, émise par J.M. Carbasse à propos de la justice rendue dans les villes à consulat, prend en compte le type de procédure

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employée5. La procédure accusatoire y serait réservée aux moindres délits, la procédure inquisitoire aux crimes graves. Le Registre des écrous du Châtelet de la fin du XV e siècle pourrait être un bon champ d’étude. Malheureusement, la nature du crime commis par ceux qui sont amenés au Châtelet par un des examinateurs n’est pas mentionnée 6. 3

Seuls les cas dits « énormes » nous intéressent ici. Dire qu’ils relèvent de la haute justice ne nous avance guère. Encore faut-il arriver à les cerner dans leur hiérarchie. Or la liste varie d’une charte à l’autre. Si à Tonnerre elle comporte l’adultère, le viol et l’homicide, à Montpellier, en 1204, elle regroupe l’homicide et les autres crimes de sang mais elle n’évoque ni le viol ni l’adultère. En revanche, en Avignon, la liste comporte le vol, la rapine, l’homicide et le rapt7. Les coutumes ne semblent pas plus systématiques que les chartes. Le meurtre, la trahison, l’homicide et le rapt que le Livre de jostice et de Plet rédigé vers 1260 considère comme des crimes « pendables », ne correspondent pas exactement aux énumérations que donne Philippe de Beaumanoir quelques années plus tard. Celui-ci y ajoute le viol : « Murtre ou de traison ou d’homicide ou de femme esforcier, il doit estre traînés et pendus »8. Quant aux Etablissements de Saint Louis, ils donnent une liste assez complète puisqu’ils comptent parmi les affaires graves « meurtre, traison, rat, encis, aguet de chemin, roberie, larcin, omicide, trieve freinte, arson »9. La liste n’est pas loin, on le voit, d’évoquer la plupart des crimes remis par la royauté, c’est-à-dire effectivement ceux qui, faute de rémission, peuvent être punis par la peine de mort. Mais il faut aussi pour être complet tenir compte d’habitudes locales. Ainsi l’adultère n’est pas mentionné dans les listes méridionales relatives à la justice de sang. Il est puni par la course que parcourt le couple fautif, à moitié nu, à travers le village10. Cette peine inconnue au nord du royaume n’est-elle pas finalement plus infamante pour les intéréssés comme pour leur parenté que la pendaison haut et court que subit le larron ? Dans une société à honneur, la peine de mort n’est pas obligatoirement la punition la plus redoutable pour l’entourage.

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Les ordonnances royales contemporaines des lettres de rémission n’apportent pas la clarification qu’on pourrait attendre d’un strict pouvoir judiciaire. Certes, le roi s’y montre soucieux d’accroître l’efficacité d’une justice répressive, mais il s’avère aussi respectueux des coutumes locales en matière de droit pénal. A Lyon, où les bourgeois protestent contre les empiètements du sénéchal en matière de justice, le roi reconnaît leurs privilèges tout en conservant la juridiction pour les vols, les homicides, la trahison et les « crimes notoires »11. L’homicide figure en bonne place, mais la liste se clôt par une référence floue, porte habilement ouverte à d’autres empiètements. Dans le Briançonnais, en 1381, la liste a le mérite de la précision. Les juges ne peuvent agir que sur plainte de la partie adverse, sauf dans des cas précis où ils sont tenus de prendre l’initiative du jugement. Il convient en effet de restaurer la paix menacée quand il s’agit « De prodicione et sedicione concitata in populo, in juribus Domini subscripti, in falso, de vulnere ubi cicatrix remansit in vultu, vel membrum fuerit mutilatum vel debilitatum, in furto, raptu mulierum, adulterio et violencia publica et armata ; de qualibet percussione facto cum gladio, ubi magna sanguis effusio emanasset »12.

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En dépit de ses précieuses indications, cette liste ne peut servir de référence. Elle ne vaut que pour un endroit donné. Dans le Midi, à Montolieu où surnage encore à la fin du XIVe siècle le souvenir de l’hérésie cathare, Charles VI, en 1392, précise les cas entraînant l’intervention de la justice royale : « nisi fuerit latro, homicida, incendarius, camporum depopulator, sodomita, hereticus, fornicator »13. Ces considérations ne se retrouvent pas dans les circonscriptions de langue d’oïl. Cela ne veut pas dire que ces

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crimes n’y seraient pas considérés comme énormes ; leur réglement n’est pas mentionné car ces crimes ne s’imposent pas. Nous avons déjà eu l’occasion de le souligner14. Les soucis de la conjoncture politique peuvent encore ajouter aux préoccupations royales. La guerre et les meurtres commis contre les officiers royaux font ajouter le crime de lèse-majesté15. Souplesse et opportunisme semblent donc être les impératifs qui commandent l’intervention du roi dans la précision des crimes dits énormes. 6

L’application des peines, loin de clarifier la politique judiciaire, accroît encore la confusion. Le désordre règne dès la prévention. Alors que les cas énormes nécessitent l’incarcération puisqu’ils menacent la sauvegarde de la société, la règle n’est pas toujours strictement appliquée. Des auteurs de rapts, de vols ou de meurtres peuvent être mis, selon l’expression de Jean Bouteiller, en « prison courtoise », c’est-à-dire en simple arrêt sans incarcération alors que ces cas requièrent la « prison cruelle », c’està-dire l’enfermement dans l’attente du jugement16. Le phénomène ne se limite pas d’ailleurs aux juridictions laïques, justices seigneuriales, Châtelet et Parlement ; les officialités en donnent aussi de nombreux exemples17. A ces entorses faites à la sévérité s’ajoutent les élargissements dont les ordonnances, à la fin du XIV e siècle, dénoncent les abus. C’est un des thèmes répétés des ordonnances de réforme. Elles englobent le phénomène dans la réprobation qui critique la facilité d’accès au roi et à la requête 18. Les tentatives de réglementation se succèdent, en vain. Quant aux jugements, ils peuvent avoir la souplesse que leur confère le pouvoir laissé au juge. Le formalisme des peines s’en trouve tempéré et la part accordée aux circonstances atténuantes peut modifier le verdict. Les remarques que L.Th. Maes fait sur « l’humanité de la magistature » au « déclin du Moyen Age » en Belgique ne devraient pas être démenties pour le royaume de France19. C’était en tout cas le souhait que formulait Jean Bouteiller après une pratique d’environ une cinquantaine d’années : « Combien que tousjours doit la peine estre entendue en la moindre aspre partie par le juge car, selon le Sage, justice sans miséricorde est trop dure chose et misericorde sans justice est trop lasche chose » 20 . Nous y reviendrons.

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Dans ces conditions, deux remarques s’imposent. La première découle de l’apparent désordre de l’énumération des peines. Il interdit d’y chercher une quelconque hiérarchie des valeurs sociales. Au mieux peut-il refléter les préoccupations en matière de justice répressive. Ainsi s’explique sans doute la présence constante de l’homicide parmi les cas énormes. Quand il s’agit de textes émanant de la Chancellerie royale, cette condamnation peut être interprétée comme le coup de frein que le roi entend porter à la vengeance. Au nom d’une paix sociale dont il est le garant, il cherche à contrôler et limiter un procédé privé qui est encore loin, nous l’avons vu, d’avoir disparu. Le code tacite et efficace qui régit le système vindicatoire est pour la justice royale une concurrence, au même titre que les juridictions rivales. Celle-ci oblige à définir les amis charnels et l’amour naturel pour en régulariser le cours. Cela n’implique pas que l’homicide constitue pour le roi, comme d’ailleurs pour l’ensemble du corps social, l’enfreinte morale la plus grave. Mais l’homicide en tant que crime ne doit plus échapper à la justice royale.

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De cette première constatation découle la seconde remarque : dégager une hiérarchie des valeurs impose de prendre en compte dans l’analyse l’ensemble des décisions qui ont présidé au jugement. Elles s’expriment dans la façon dont est justifiée la grâce par l’énumération de circonstances atténuantes plus que par la décision de gracier elle-

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même, et ceci jusque dans les formulations en apparence les plus stéréotypées. Est-ce par hasard que le roi, quand il accorde sa grâce, utilise des formules diverses qui vont de la simple commutation du crime à sa volonté de préférer « pitié et miséricorde a rigueur de justice », en passant par le « il me plaît » ou la simple « pitié » employée seule ? Il s’avère que l’emploi de ces formules est indépendant du notaire qui les rédige. Il faut donc expliquer leur emploi d’une autre manière. C’est la raison pour laquelle aucune des parties que comporte la lettre de rémission ne doit échapper à l’analyse pour comprendre les motivations royales. Au terme de cette vision globale risque alors d’apparaître le code moral qui sous-tend finalement la décision judiciaire. 9

L’analyse factorielle dont les résultats figurent sur le graphique de la rémission, a pris en compte les données de neuf rubriques constitutives de la lettre de rémission, à savoir : les instructeurs de la lettre, les principaux éléments de la déclinaison d’identité de l’exposant, les déplacements avant le crime, les jugements et peines encourus, le type de crime et le premier antécédent du crime, les formules de grâce, les circonstances atténuantes et enfin les peines que le roi impose en sus 21. Le premier axe, c’est-à-dire l’axe horizontal, permet de lire une nette opposition droite-gauche entre l’homicide et tous les autres crimes, en particulier les crimes contre les biens, les viols, les crimes de parole et les crimes conjugaux. Dans cette dernière rubrique sont regroupés les disputes matrimoniales, les adultères, les infanticides et les avortements. Les ruptures d’asseurement, les blasphèmes et les parjures constituent les crimes de parole22. Tout ce qui touche aux biens, au sexe, à l’honneur familial ou aux interdits religieux prend donc une place autonome, nettement séparée du tandem injureshomicide. Cet axe horizontal est aussi constitué par l’opposition entre la vengeance située à droite et la préméditation à gauche. Les vols, comme nous l’avons déjà dit, mais aussi les affaires de moeurs sont moins spontanés que mûris. Néanmoins, ils ne relèvent pas du système vindicatoire. La vengeance se situe à proximité de l’injure et de l’homicide : il n’y a rien là qui doive nous surprendre 23. Image

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L’axe horizontal est aussi construit sur une opposition des responsabilités dans le déroulement du crime : celle de la victime est à droite, du côté de l’homicide ; celle du coupable à gauche, du côté des crimes de moeurs et des atteintes aux biens. Pour ce qui concerne l’injure et l’homicide, le coupable est épargné dans la façon de présenter le crime ; pour le reste, il ne l’est point. D’ailleurs, les circonstances atténuantes invoquées pour les homicides ne se réfèrent pas à la personnalité du coupable mais aux circonstances extérieures du crime : hasard, sentiments que l’exposant nourrissait pour la victime, qui sont nécessairement de bons sentiments, légitime défense, ou encore, victime si hargneuse que le crime s’avérait inévitable, voire utile ! La décharge qui accompagne le coupable tient à des motifs extérieurs, à une contrainte qui tend à minimiser le crime. La place que ces considérations occupent à côté de l’homicide devient alors signifiante. Elle conduit à une première constatation : l’homicide est considéré comme un crime léger, ce qui ne veut pas dire purement accidentel.

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La place de l’injure aux côtés de la vengeance montre bien qu’il y a un enchaînement logique dont l’homicide est l’aboutissement. En termes de hiérarchie, l’homicide semble considéré comme un crime secondaire, même s’il constitue, avec 57 % des cas, la forme de violence la plus répandue dans les lettres de rémission. Crime d’honneur, il enclenche un système vindicatoire qui échappe en partie au roi, mais que le roi considère comme secondaire par rapport à l’énormité des crimes de moeurs.

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Cette première conclusion s’accompagne et se fortifie d’une autre remarque. Aucune peine en sus n’est imposée par le roi en cas d’homicide. Tout semble se passer comme s’il n’y avait nul besoin de bonifier la personnalité du coupable. En revanche, l’homicide est présenté comme un crime susceptible de remettre en cause la paix sociale. Les loisirs, la taverne, activités et lieux par excellence de la sociabilité, sont là pour accueillir la rixe qui conduit à l’homicide. A proximité de l’homicide se situent aussi les jugements urbains qui ont le plus souvent abouti au bannissement du coupable. Mais en aucune façon l’homicide ne semble remettre en cause la personnalité du coupable. C’est pourquoi, pour ce type de crime, l’exposant n’a pas besoin de décliner son identité : là se regroupent les sans-âge, les sans-fortune, les sans-profession, les sans-famille. Ce qu’on aurait pu être tenté de prendre pour une marque supplémentaire de l’imprécision médiévale s’éclaire brusquement24. Parce qu’il est plus facile d’obtenir la grâce quand on expose un cas d’homicide, il n’est pas besoin de décliner totalement son identité. Certes, il convient toujours de préciser son nom et l’espace administratif auquel on appartient : la ville, la paroisse, le bailliage rattachent au royaume et disent qu’on est sujet du roi de France. Mais être à l’intérieur des frontières, cela est suffisant25. Parce que l’homicide ne remet pas en cause l’identité de la personne, il n’est pas besoin de la décliner avec d’autres précisions.

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Enfin, une dernière constatation confirme qu’il existe une opposition entre les types de crimes. En cas d’homicide, le chancelier, le conseil, les requêtes de l’hôtel peuvent prendre la décision de gracier. Certes, en théorie, leur compétence n’est pas réservée aux cas d’homicide26. Mais, dans la pratique de la grâce, il s’avère que leur intervention a surtout lieu dans ce domaine. En revanche, le roi trône, solitaire et responsable, dans la zone fangeuse des crimes de moeurs et des parjures. Ces crimes « énormes » sont avant tout de son ressort. Ils réclament sa miséricorde et sa pitié. Ces formules apparemment stéréotypées prennent, dans la différence de leur énoncé, tout leur sens. Leur incantation est nécessaire au verbe royal pour lui permettre d’effacer la souillure d’un crime qui a offensé le sacré. Et, en leur terme, le coupable se transforme en bon

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sujet. Mais, pour que la transmutation soit efficace, comme en une véritable confession, le coupable dans ces cas horribles décline tout : son âge, ses charges de famille, sa profession, sa « pauvreté ». De cette mise à nu dépend l’efficacité de la grâce. 14

Un traitement aussi différencié de la rémission confirme qu’il existe une hiérarchie de la valeur des délits et que nous sommes, avec l’homicide, au bas de l’échelle. L’hypothèse que nous avions posée se vérifie : la valeur de la vie humaine n’est pas grand chose par opposition à des crimes qui relèvent du sacré. Tout semble se passer comme si le crime d’homicide n’était pas un délit au même degré que le blasphème, la défloraison de la jeune fille, la mort du nouveau-né, voire l’irruption dans la maison ou dans le champ d’autrui. Ce sont là des actes sacrilèges qui remettent en cause les valeurs de la morale collective. Le sacré est là, à l’intérieur de ces bornes qu’il ne faut pas franchir, et le roi s’en porte garant. A l’opposé, se trouve la vengeance, domaine privé, que cerne encore mal l’autorité. Les progrès de la répression judiciaire n’ont pas encore fait disparaître cette dichotomie. Elle oppose le crime dont la nature est religieuse à celui qui ne constitue qu’une lésion infligée à un groupe de parenté 27. Cela n’a rien d’étonnant. Il existe entre ces délits une différence de nature qui, encore aux XIVe et XVe siècles, rend erronée toute assimilation entre les deux domaines. Tous sont des crimes contre l’honneur : mais dans cette société à honneur, il y a des crimes qui mettent en cause le fondement des valeurs de la société toute entière. Ce sont les seuls à être d’intérêt public, et s’ils regardent le roi au premier chef, c’est que le roi s’y montre dans sa fonction religieuse, celle qui lui permet de tempérer la justice par la miséricorde.

MEURTRES ET HOMICIDES 15

La place de l’homicide dans la hiérarchie des crimes est certainement liée à celle qu’il occupe depuis les origines dans le droit pénal. En effet, comme le suggère M. Mauss, l’homicide est un crime entré sur le tard dans la législation publique et cette distorsion chronologique a en elle-même un sens28. Quelles traces ont laissées ces balbutiements à la fin du Moyen Age ? La question mérite d’être posée même si, à cette époque, le crime de sang est déjà depuis longtemps pourchassé par les autorités publiques.

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Il n’est pas question d’envisager ici une genèse de l’homicide et de la peine qui lui est réservée. On peut seulement indiquer quelques jalons et remarquer qu’à l’époque barbare, il se caractérise par sa relative discrétion. Les lois ne punissent de mort l’homicide que dans deux cas : quand il s’agit d’infractions contre le roi qui, seul parmi les hommes libres, n’a pas de wergeld, et quand le coupable ne peut pas payer la composition qui lui a été imposée29. Dans les autres cas, le système de la composition interdit effectivement de parler de droit pénal30. Les bouleversements qui ont suivi, que ce soit pendant l’éclipse carolingienne et surtout au temps des justices seigneuriales jusqu’au XIIIe siècle, sont finalement mal connus. Que doit le jugement de l’homicide à l’initiative des seigneurs, soit que leur rapacité leur fasse préférer l’amende à la mort, soit qu’à l’inverse, le désir d’asseoir leur pouvoir les incite à la cruauté ? Y a-t-il place alors pour une analyse approfondie des degrés de responsabilité dans ce type de crime quand il importe de faire entrer l’amende ou de se montrer redoutable ? Les fourches des seigneuries justicières se sont certainement garnies de criminels accusés d’homicides mais dans quelles proportions et selon quelle logique ? La réponse ne peut faire appel qu’à des cas particuliers, en tenant compte de l’importance de l’arbitrage 31.

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L’exemple des sires de Coucy montre avec quelle prudence il convient d’analyser la politique de ces seigneurs hauts justiciers, susceptibles, au gré de leurs intérêts, d’interdire à leurs hommes de prolonger la vendetta ou de la laisser se dérouler 32. La haine mortelle dont nous avons vu les effets, ne semble pas toujours relever de la justice seigneuriale. Et non seulement la vengeance ne constitue pas une peine, mais il n’est pas sûr que l’homicide qui la termine soit toujours poursuivi, même si le seigneur détient la haute justice. Cette analyse n’est pas réservée aux seigneuries laïques. Des cas particuliers empruntés aux villes du nord du royaume prouvent aussi que l’homicide n’apparaît pas obligatoirement dans les chartes communales. Ainsi la charte d’Amiens ne le mentionne pas, même si la commune exerce de fait le judicium sanguinis. Et, à Abbeville, la mort d’homme, qui d’ordinaire dans le droit médiéval exigeait à son tour la mort du coupable, n’entraînait encore au XIIIe siècle, le plus souvent, que le bannissement33. Ces cas sont peut-être les scories d’un système qui n’avait pas, pour le cas d’homicide, obligatoirement imposé la loi du talion et qui pouvait encore lui préférer la composition pécuniaire. Dans ses balbutiements, la justice hésite à répertorier l’homicide comme délit privé ou comme enfreinte à l’ordre public.

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Néanmoins les choses changent, au moins au cours du XIII e siècle, quand se met en place un système répressif soucieux d’efficacité. Alors apparaît nettement, mais, on le voit, de façon relativement tardive, le besoin de définir et de punir l’homicide. Et, en même temps se profilent des degrés dans le crime de sang. Les lettres de rémission peuvent être d’un grand secours pour saisir cette évolution. En effet, le recours à la grâce royale affine la hiérarchie à l’intérieur de ce type de crime. Pour obtenir la rémission, ces délits doivent s’inscrire dans un schéma qui tient compte de la préméditation, du « guet-apensé », de la légitime défense. Il s’avère qu’il y a donc d’une part une hiérarchie des homicides, et que la grâce d’autre part fausse le système, tout en le révélant puisqu’elle transforme des crimes de sang jugés irrémissibles en crimes rémissibles.

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Ce phénomène n’est pas limité à la France. L’Angleterre aurait connu dès le début du XIIe siècle des homicides accidentels ou commis en légitime défense, dits « excusable homicides » par opposition à des homicides « capitaux » préludes de nos assassinats 34. Il fallut donc définir la légitime défense pour justifier le recours au pardon : elle consiste essentiellement dans la fuite que prend le meurtrier. Parallèlement, la multiplication des grâces à partir de 1294 n’a fait que fausser ce schéma en favorisant la fraude qui permettait d’accroître le nombre des crimes « pardonnables » ; il était tentant de maquiller un homicide capital en homicide pardonnable. Un statut de 1390 tente de restreindre les pouvoirs du roi pour gracier l’auteur d’un meurtre35. Dans ce texte, le meurtre se réfère à la forme la plus atroce de l’homicide commis à la dérobée, de nuit ou par embuscade. Il semble viser essentiellement des professionnels. Mais, comme ce statut a été de courte durée, il n’est pas évident que cette distinction entre les deux formes de crime ait été efficace en matière de justice avant l’époque moderne. Il faut en effet attendre la fin du XVe siècle pour voir s’affirmer une nouvelle distinction, celle qui désigne l’homicide involontaire dont la raison ne tient pas tant aux faits extérieurs qu’à une poussée soudaine de la violence que le coupable a été incapable de raisonner 36. Ces efforts de classification, précoces dans le cas anglais même s’ils restent inachevés à l’époque médiévale, n’ont pas atteint le royaume de France37. La présence d’un pardon royal tout puissant paralyse incontestablement les efforts éventuels des juristes français pour procéder à une analyse fine de l’homicide.

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Certes, la France des XIIIe-XVe siècles sait faire la différence entre le meurtre et l’homicide. L’étude du vocabulaire du crime nous l’a laissé présager 38. Les deux mots sont employés sans avoir le sens que leur donne notre droit pénal contemporain. En cette fin du Moyen Age, le meurtre consiste à donner volontairement la mort et il ressemble fort à ce que nous appelons l’assassinat. Ce dernier terme, absent des archives judiciaires comme des sources narratives, commence seulement à être utilisé à partir du XVIe siècle39. Les classements contemporains sont donc d’une utilité limitée. Cela n’implique pas que les hommes de cette fin de Moyen Age ne perçoivent pas la différence entre ce qu’ils appellent le meurtre et l’homicide, mais l’emploi des deux mots reste ambigu.

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Dans l’énumération des cas énormes, l’homicide côtoie le meurtre, mais il peut aussi être employé seul pour désigner l’ensemble des crimes de sang. Cette confusion entre les mots et l’élasticité de la définition de l’homicide méritent qu’on s’y arrête. Elle est le fait des coutumes, des statuts urbains comme des ordonnances royales et encore des sources narratives. Le Livre de Jostice et de Plet condamne comme crime pendable le meurtre, la trahison, l’homicide et le rapt : c’est dire qu’il distingue les cas, mais qu’il leur réserve le même sort, ce qui n’est pas logique car le raffinement du supplice peut marquer la différence entre le meurtre et l’homicide40. Les villes du Nord parlent indifféremment de « murdre » et « d’omechide » qu’elles peuvent regrouper sous l’expression occisio. Quant aux actes royaux, ils peuvent aussi bien ordonner aux baillis d’intervenir « pro homicidio, vel murtro, raptu... » que « in criminibus latrocinorum, omicidiorum... »41. Deux siècles séparent ces deux décisions royales puisque la première date de 1190 et l’autre de 1397. Or, de l’une à l’autre, on voit le vocabulaire s’empêtrer dans une confusion qui ne peut qu’être préjudiciable au fonctionnement de la justice et à la rigueur de l’application des peines. On ne peut même pas dire que les deux assassinats les plus spectaculaires de la guerre civile, celui de Louis d’Orléans et celui de Jean sans Peur, aient permis au vocabulaire de se préciser. En septembre 1419, pour désigner le meurtre de Montereau, l’ordonnance royale parle de « horrible murtre et obmicide devant dit », tout en ayant auparavant fait état du « propos deliberé » et du « guet apensé »42. Tout semble se passer comme si les efforts de Philippe Auguste n’avaient pas été suivis d’effets. Car, que signifie cette confusion si ce n’est que, pour la justice, le crime de sang forme un tout, quelle que soit l’intention qui a précédé l’acte ? A considérer les textes législatifs, la confusion dans l’emploi des mots subsiste encore en cette fin du Moyen Age.

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La société a-t-elle une perception plus claire que les officiers de la différence entre le meurtre et l’homicide ? Les sources narratives emploient indifféremment les termes. Le problème consiste à définir si l’homicide peut être juste plutôt que de s’interroger sur la différence entre l’homicide et le meurtre43. Les archives judiciaires n’apportent pas de distinction satisfaisante et on ne voit pas les juristes analyser sur ce cas 44. La redondance des termes désigne plutôt le degré qu’a pu atteindre le crime de sang. En janvier 1421, une lettre adressée au conseiller du roi, maître Jean de Saint-Romain, en témoigne. Il s’agit de s’enquérir des prisonniers qui ont trempé dans le meurtre de Montereau et qui, de ce fait, sont coupables ou suspects « de occisione et homicidio seu meurtro dampnabiliter et perfidiose facto »45. On peut voir aussi s’amorcer l’emploi de qualificatifs pour caractériser le degré atteint dans le crime, parmi lesquels « horrible » l’emporte46. Signe d’une légère évolution : cet adjectif est accolé de préférence à meurtre plutôt qu’à homicide.

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Les lettres de rémission parlent de « meurtre » plutôt que d’« homicide » pour désigner les crimes de sang, ce qui semble en parfaite contradiction avec le vocabulaire des ordonnances. L’homme menacé par son adversaire crie « Au meurtre ! », ou encore, pour appeler à l’aide, « Harou le meurtre ! », ou tout simplement « Haro ! » 47. Le meurtre y désigne bien l’adversaire qu’il convient de charger pour obtenir la rémission. Mais l’emploi du mot montre aussi que son contenu est assez large et qu’il désigne l’attaque violente avec risque de mort. Criminels et victimes, dans le feu de l’action, parlent aussi, comme nous l’avons déjà suggéré en étudiant le mot « crime » proprement dit, de « tuer », d’« occire » ou d’« occision ». Le mot « homicide » appartient à un vocabulaire déjà savant si bien que l’usage des mots dans la vie courante ne fait que compliquer le problème. La distinction du meurtre et de l’homicide n’est ni une subtilité de juges ni une réalité concrète.

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Cette ambiguïté ne doit pas cependant cacher les efforts que mènent la royauté et ses officiers pour distinguer les cas dans le but, si possible, de se les approprier. En 1340, un conflit s’élève à Abbeville entre les magistrats municipaux et les officiers royaux. Ces derniers soutiennent que le roi a droit de juger les meurtres comme les homicides, car il n’y a pas lieu de séparer les deux types de crime. Mais le Parlement, par arrêt du 17 février 1341, admet que les juges municipaux ont toute compétence en matière d’homicide et que seul le meurtre est cas royal48. Il convient donc, à la suite des juges, de tenter de comprendre ce qui distingue les deux notions et pourquoi elles ont pu être si longtemps confondues.

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Les remarques de Philippe de Beaumanoir sont de ce point de vue précieuses car il donne une analyse distincte des deux crimes : « homicide si est quant aucuns tue autrui en chaude meslee, si comme il avient que tençons nait, et de la tençon vient laide parole et de laide parole la meslee, par laquelle aucun reçoit mort souventes fois » 49. En revanche, « nul meurtre n’est sans trahison », et il définit la trahison comme une haine cachée : « Trahison si est quant l’on ne montre pas semblant de haine et l’on hait mortellement, si que par la haine l’on tue ou fait tuer » 50. La différence est nette. L’homicide n’implique pas la préméditation, même si la volonté a pu subitement s’enflammer sous l’effet de la colère. Cette colère n’est d’ailleurs pas un effet spontané de l’âme ; elle est étroitement reliée aux exigences de l’honneur blessé 51. Le meurtre implique la trahison. Que faut-il entendre par là ? Est-ce la simple expression de la préméditation et de l’aguet-apensé ? Il ne semble pas. D’ailleurs, Philippe de Beaumanoir précise : « Meurtre si est quant aucun tue ou fait tuer autrui en aguet apensé depuis le soleil couchant jusqu’à soleil levant ou quant l’on tue ou fait tuer en treve ou en asseurement »52.

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La trahison s’éclaire à la lecture de ce passage : elle réside dans le secret de la préparation qu’accroît encore l’épaisseur de la nuit, et dans l’innocence de la partie adverse que couvre le serment de la paix donnée. Les adversaires ne sont pas égaux, ni pendant l’affrontement ni lors de sa préparation. Ce ne sont plus des adversaires, c’està-dire des égaux qui se rencontrent face à face selon les lois de la vengeance. Car c’est bien de vengeance qu’il s’agit. La haine n’est pas condamnée pour être « mortelle » selon l’expression qui lui est consacrée, mais parce qu’elle est cachée. Le guet-apens choisit l’ombre du bosquet ou du mur pour attendre son homme, sans prévenir, au retour de la taverne ou du travail. Les lettres de rémission donnent l’image de victimes qui ont ainsi agi, en traîtres. La vengeance n’y a pas la fière allure de la guerre entre groupes affrontés, mais celle, abâtardie, du meurtre. Face à cette perversion du système

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vindicatoire, le suppliant, en état de légitime défense, n’a plus qu’une solution : l’homicide. En fait, il répond dans le sang par un acte purifié d’intentions perverses. 27

La lettre opère une véritable transmutation de la qualité du crime qui se trouve allégé. Le pardon pour l’homicide peut bien évoquer à la fois la vengeance et la légitime défense. Ce paradoxe que révèle le graphique de la rémission n’est qu’apparent ; il est le résultat d’un jeu subtil. Voici un suppliant du bailliage de Tournai qui, autrefois, a été battu et « villené d’injures ». D’aventure, il rencontre son adversaire mal intentionné. Attaqué, il lève sa massue « car autrement, sauve son honneur, il ne povoit eschapper ne fouir si comme il lui sembla »53. Qui saura par quels desseins il se trouvait sur la route de Valenciennes ? En fait, la rencontre ne semble avoir rien de fortuit et elle ressemble plutôt à une vengeance en règle sur un terrain prévu à l’avance. D’ailleurs, les amis du suppliant l’avaient incité à ne plus souffrir la honte que l’autre, par ses actes mauvais, lui avait faite. Reste que l’intention du meurtre est du côté de la victime et que la légitime défense peut alors se développer : le lieu ne se prêtait pas à la fuite, l’autre faisait luire la lame de son couteau ou menaçait de son gros bâton, il « estoit grant et fort », sa renommée était d’être « invaseur de fait ». Tous ces détails concrets sont destinés à cristalliser les raisons d’être de la légitime défense. Celle-ci devient alors une condition nécessaire de l’honneur.

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Un autre exemple montre bien la mutation qui s’est opérée de la vengeance à la légitime défense. En Limousin, au début du XVe siècle, deux groupes d’écuyers se combattent ; l’action est un règlement de vengeance en bonne forme. L’un des écuyers a injurié la mémoire du père d’un membre du clan adverse, père qui, de surcroît, était chevalier. Mais dans le groupe des insultants se trouve un prêtre qui manie l’épée « combien que ce ne feust pas son office »54. Alors l’agressé intervient « se voulant garder et son honneur ». On voit que les réflexions des théologiens et des canonistes ont fait leur oeuvre et que la vengeance est en passe de s’édulcorer dans la légitime défense reconnue à celui qui a été attaqué dans sa personne et dans ses biens 55. Les ordres royaux, et en particulier l’ordonnance de 1258 relative aux guerres privées, ont aussi porté leurs fruits.

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Cette mutation de la vengeance en acte de légitime défense est d’autant plus facile que la vengeance effectuée dans les règles relève davantage de l’homicide que du meurtre. Prenons l’exemple de ce suppliant du bailliage de Senlis qui, en 1387, obtient rémission de son crime. Il est accusé d’un meurtre, au sens moderne du terme, résultat d’un affrontement entre bandes rivales : « Certaine riote feust meue entre aucuns amiz charnelz dudit Jaquet d’une part et Colin Florot et autres plusieurs ses amiz d’autre part et tant que ledit Florot et ceulz de son alliance batirent et injurierent les amiz dudit Jaquet et, de ce non contens, apres peu de temps, s’en vindrent de fait advisié aucuns des amiz et alliez dudit Florot »56. Les prémices du débat chargent le clan de la victime. Mais ensuite, la lutte s’envenime et les responsabilités se partagent entre les deux groupes : « et en oultre, retournerent ceulz ou autres aliez dudit Florot bien jusques au nombre de vint et deux ou environ en l’ostel dudit Jaquet pour lui tuer ou batre (...), et convint derechief, pour doubte d’eulz, qu’il s’en fuist et ala en la ville de Thorotte et monta une haulte montaigne qui est entre les deux villes ou il ala a bien grant haste et besoing chies ses amiz qu’il avoit en ladite ville de Thorotte. Ce non obstant, sesdiz adversaires quant ilz le perceurent, le poursuivirent moult asprement jusques a bien pres de ladicte ville et pour ce, ycellui Jaquet, accompaignié d’aucuns autres ses amiz qu’il assembla avec lui, vint en la ville de Clarois et entrerent, il et les

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siens, par force, en deux ou trois maisons de ladite ville pour querir lesdiz Florot et ses alliez, et d’icelles maisons rompirent les huys ». Jaquet est devenu « invaseur » mais sa riposte est celle de l’« adversaire » dans le système vindicatoire classique. Pour se défendre, il n’emprunte pas les sentiers dérobés et argue du long et difficile chemin qu’il a dû faire au su de tous. La Chancellerie, dans ce cas la lettre est signée « Par le roi en son Conseil », le gracie sans sourciller d’un crime qui, pourtant, a dû perturber l’ordre public. Les lois de la vengeance peuvent bien être prises en compte sans gêner la rémission, si elles sont respectées. Ce que nous avons vu de l’amour naturel et de la place des amis charnels trouve ici sa confirmation57. Les XIVe et XV e siècles ont « canalisé » la vengeance, non seulement en restreignant les guerres privées, mais encore en s’efforçant de définir le déroulement du crime. Il doit être sans trahison tandis que les participants sont recrutés exclusivement parmi les amis et les alliés. Leur qualité, mais aussi leur nombre se trouvent limités58. 30

Résumons-nous : la confusion des mots ne révèle pas exactement une confusion des pratiques et la situation apparaît moins ambiguë que ne le laissait soupçonner l’emploi du vocabulaire. La différence entre le meurtre et l’homicide au sens médiéval s’est affirmée en France, comme en Angleterre, aux XIVe et XV e siècles. Pour favoriser la rémission, il convient de transformer le meurtre en homicide. Cette pratique n’exclut pas l’acte de vengeance qui, exercé selon des contours juridiques de mieux en mieux définis, participe à l’honneur du coupable reconnu par la Chancellerie. Dans ces conditions, l’homicide peut être, légalement, un crime « léger ». Mais son entrée dans la hiérarchie des crimes en dit déjà long sur les progrès que la royauté a accomplis, sur le droit de regard qu’elle porte désormais sur des actes qui n’ont longtemps concerné que la vie privée. En même temps que le droit de la justice officielle s’impose, la mort d’homme tend à peser plus lourd. Cette petite scène qui a lieu en Poitou en 1405 le montre bien. Un homme attaqué se meurt sous les coups tandis que son compagnon le rejoint et craint de se voir accusé du meurtre : « Maudiz soyez vous ! vous le avez tué ! » crie-t-il à ceux qui ont commis le meurtre et, parlant au mourant il ajoute : « Ha ! Maudit soies-tu, je suis perdu par toy et si ne le t’ay pas fait ! » 59.

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Mais la crainte n’empêche pas le compagnon de panser son ami et de lui faire assurer la confession par un prêtre. La justice et l’Eglise sont en voie de transformer l’homicide. En 1482, la création de petites chancelleries auprès des cours souveraines, habilitées à donner rémission « aux homicidaires » en cas d’aventure ou de légitime défense, marque bien le terme de cette évolution60. Le roi est désormais assez puissant et la notion de légitime défense s’est assez vulgarisée pour que les officiers puissent traiter d’un crime subalterne.

LE CRIME ET LE SACRÉ : TUER DIEU ET SOI-MÊME 32

Avec les crimes portant atteinte au sacré, nous sommes au coeur des valeurs morales que la société partage avec son roi et dont il est le garant. L’essence en est religieuse. Cette constatation n’a rien d’étonnant en cette fin du Moyen Age, quand la théorie politique dénote l’inextricable lien entre l’Eglise et l’Etat61. Cette parfaite adéquation du pouvoir et du sacré est, bien sûr, liée à la notion même de royauté, et les exemples que donnent les anthropologues ne peuvent que conforter cette analyse62. Mais le phénomène a aussi une dimension historique que la réaction du Parlement et surtout de la Chancellerie, face à ces crimes, permet d’analyser. Elle montre comment, à cette

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époque, l’ordre public est devenu pleinement, non seulement un ordre sacré, ce qu’il était sans doute déjà, mais un ordre chrétien. Lorsqu’il punit ces crimes essentiels ou lorsqu’il les gracie, le roi agit pour le salut de son peuple, tout en respectant directement la volonté de Dieu. Les réflexions des clercs sur la nature religieuse du pouvoir royal ne sont plus un acte pur de la théorie politique. Le roi est effectivement le responsable religieux et « catholique » de son royaume63. Et, pour reprendre les termes des ordonnances, le roi agit en « ayant Dieu devant les yeux », comme en 1409, ou en ayant devant les yeux la « saincte et vraye croix » et la couronne, comme en 1415, à la Sainte-Chapelle où Charles VI prend son ordonnance, ou encore, en 1420, « comme bon catholique, a nostre povoir oster laditte mauvaise coustume et nostre dit Createur et sa benoîte Mere estre loés et adorés comme il appartient » 64. 33

Le blasphème est sans doute le crime qui permet le mieux de comprendre quelle relation existe désormais entre le pouvoir et le sacré. La première intervention royale relative à ce crime sous forme d’ordonnance est celle de Louis IX en 1268, bientôt suivie par celle de Philippe III en 1272, puis par celle de Philippe VI en 1348 65. Ces textes d’ordonnances s’inspirent les uns des autres quant aux modes de punitions corporelles exemplaires qui les accompagnent, mais, en moins d’un siècle, la définition proprement dite du crime s’est étendue. En 1339, les juges de Saint-Martin-des-Champs peuvent accepter qu’un coupable se disculpe en disant qu’il « avoit juré par le f... saint Nicolas tant seulement »66. La chose paraît plus difficile à la suite de l’ordonnance de 1348, car le blasphème concerne désormais tous les saints et ce crime ne peut qu’être désapprouvé par tous, à commencer par le roi, car il est commis « en tres grande deplaisance de nous et ainsi doit estre de tous bons chrestiens ». Cette perception du péché et sa condamnation ne constituent plus seulement un devoir moral dans l’ordonnance du 7 mai 1397 qui suit la précédente avec un certain décalage chronologique. Charles VI rend la dénonciation du blasphème obligatoire par ceux qui en sont témoins sous peine d’une amende de 60 livres qui, en cas de non-paiement, est commuée en une peine de prison au pain et à l’eau pour souffrir « penitence » 67. A chacun de défendre son propre « salut » qui est celui de la communauté du royaume. Ces décisions montrent bien que le roi juge d’un péché qui est sensé mettre en péril la société toute entière. La conjoncture politique du règne de Charles VI lui donne une actualité particulière.

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Au fur et à mesure que se pérénise le Schisme et que la maladie du roi s’avère irréversible, quand commencent les meurtres de la guerre civile et la descente victorieuse d’Henri de Lancastre, le blasphème devient un mal qui constitue la forme élémentaire de l’événement. La référence qui lui est faite s’ajoute aux manifestations d’ordre physique et biologique : tonnerre, sécheresse ou pluie, épidémies 68. Nicolas de Baye ne sait pas expliquer autrement que par cette référence au sacré outragé les temps difficiles qui entourent l’assassinat du duc d’Orléans 69. Quant au roi lui-même, à la veille d’Azincourt, il attribue officiellement aux blasphèmes « les grans esclandres et inconveniens qui sont advenus et adviennent de jour en jour en diverses manieres » 70. Les actes législatifs répondent donc bien aux conseils des théoriciens. Parmi les conseils que Pierre Salmon adresse à Charles VI depuis Avignon, en novembre 1408, figure celuici : « Tres redoubté sire, il seroit bon aussy que d’icy en avant vous ne souffrez plus parmy vostre royaume le nom de dieu et de sa benoîte mere estre ainsy noiez et despitez comme ils y sont au jour d’uy trop communement »71. Le « dampnement des ames » est bien celui du royaume.

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Dans ces conditions, la rémission du blasphème relève de la miséricorde royale. Le blasphème concerne moins de 2 % des crimes remis (tableau 8, chapitre 6), ce qui est sans doute peu par rapport au nombre de blasphémateurs qui sévissent dans le royaume. Est-ce le signe que le roi n’est pas indulgent à leur égard ? Cette hypothèse ne peut être exclue étant donnée la gravité du crime. La place qu’occupent dans ce type de crime les circonstances atténuantes relatives au coupable montre assez à quel point il faut se justifier pour obtenir la grâce : le blasphème est gracié sans recourir à une justification dans 14 % des cas seulement, alors que la proportion monte jusqu’à 55 % des cas pour l’homicide. La propension au courroux, facilitée par l’âge, l’ivresse et le jeu, est largement invoquée. Il convient aussi que le suppliant affirme s’être repenti comme le montre l’exemple de Geffrin de Cuisy qui « jura chaudement et dist de la benoîte Vierge Marie paroles qui sentoient et sentent le vilain serement en disant “en despit de la sanglante Vierge Marie” et autres deshonnetes paroles qui ne sont a reciter sur quoy il dist incontinent son peché en soy repentant »72.

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Cette accumulation de justifications est un passage obligé pour obtenir la grâce. Pourquoi ? Le choix des arguments ne semble pas soumis au hasard. La rémission du blasphème répond aux interrogations que se posent au même moment les théoriciens : quelle place la volonté joue-t-elle dans la parole injurieuse adressée à Dieu73 ? Toute l’argumentation des lettres consiste à montrer que cette volonté a été troublée et que le blasphémateur n’a pas agi par « malice ». Sinon, il aurait fait preuve d’une disposition au mal que Jacques de Vitry et l’ensemble des moralistes, dès le XIII e siècle, jugent irrémissible. Il est tout à fait significatif que la rémission du blasphème ne fasse guère appel, à la différence d’autres crimes énormes, à la présence du diable. Seule la mémoire, pour diverses raisons, allant de l’ivresse à la colère, est défaillante. Celui-ci a agi par « eschauffeture », celui-là ne se souvient plus s’il a réellement juré 74 ! Ce procédé a un sens théologique précis qui consiste à ne pas agir contre l’Esprit-Saint, crime explicitement condamné par les évangélistes75. Aussi, Jean Closet, suppliant, sait bien ce qu’il fait lorsqu’il mêle la malice au blasphème. Il s’agit justement de charger Étienne Jamet, son adversaire qu’il a tué au cours d’une rixe, crime pour lequel il demande rémission. Jamet ne lui a-t-il pas dit : « Ribaut ! Tu m’as autreffoiz argné par plusieurs foiz, maiz aujourduy tu t’en repentiras, et je reny Dieu et tous les saints de Paradis si je ne te met huy mort »76. Closet lui aurait répondu : « Tu as renié Dieu, et se Dieu plaist, je me garderay de ta malice ».

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La réponse se fait l’écho de la prédication des exempla, et il n’est pas sûr qu’elle ait pu être prononcée telle quelle ! Mais on voit que les rédacteurs des lettres savent parfaitement adapter leur argumentation au type de cause qu’ils défendent. De surcroît, le repentir ou la honte, souvent invoqués dans ce cas, révèlent les défenses religieuses et politiques qui pèsent sur le blasphème77. Chacun sait bien que l’acte est défendu : lorsqu’une ville évoque le cas d’un blasphémateur, elle n’hésite pas à rappeler les ordonnances royales78. Chacun sait aussi qu’il importe de dire que le blasphème n’a été prononcé qu’une fois sous peine de se voir plus durement puni selon les normes prévues en cas de rechute79. Tout se passe donc comme si, pour ce crime, les impératifs du roi et de l’Eglise avaient, dans la pratique, stimulé une réflexion sur la portée de l’acte, séparant soigneusement l’intention de la parole.

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Malgré ces tentatives d’approfondissement, la définition de ce crime reste floue car il existe une grande différence entre la précision théorique des réflexions et la réalité des cas. Saint Thomas distingue entre les trois sortes de blasphèmes qui servent, en

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principe, de repères aux confesseurs : « a quibus dicitur quod sunt tres blasphemiae species : quarum una est cum attribuitur Deo quod ei non convenit ; secunda est cum ab eo removetur quod ei convenit ; tertia est cum attribuitur creature quod Deo appropriatur » 80. Ces distinctions subtiles n’apparaissent guère dans les archives judiciaires. Un seul cas de blasphème fait preuve d’un raisonnement déjà savant qui mêle l’injure au roi, Dieu et le diable à propos d’un refus d’imposition. Guillaume Vispillon, poissonnier demeurant à Rouen et âgé de 60 ans refusant de payer l’impôt en 1372, s’écrit : « Dieux quel roi ! Quel roytieau ! Est-il digne de tenir terre ? Il est le diable (...). Malepart ait dieux en ces papiers et en l’imposition du poisson et maudit soit a qui elle est, qui la tient lieu et baille et qui conseille et par qui elle est mise sus (...). Le Dieu de Paradis ou es-tu ? je te voudroie tenir en une cage, je te teindrions bien que tu n’en yserrois mie quant tu voudras »81. 39

Mais, répétons-le, ce cas est rare et la grâce ne confond pas la lèse-majesté divine avec la lèse-majesté royale. Nous reviendrons sur ce point en tentant de définir la nature du crime politique82. En général, le crime se contente d’évoquer le « villain serment » que le coupable a prononcé à l’égard de la divinité. Son contenu est loin d’être toujours précisé. Il peut aller du « je reny Dieu et tous les saints de paradis » à « en despit de la sanglante Vierge Marie » en passant par l’évocation de « tous les deables d’enfer ». D’ailleurs, la différence n’est pas toujours nette, même pour les contemporains, entre les « parolles deshonnetes » et « le villain serment » 83. Il n’est pas sûr par exemple que le fait de jurer per membra Christi, qui est considéré comme une forme de blasphème par les canonistes, comprenne déjà le sang du Christ. Les allusions au « sang Dieu » sont nombreuses dans les lettres et elles sont rapportées sans que la Chancellerie s’en formalise84. La lèse-majesté divine n’est pas totalement explicitée, sans doute parce que le frein mis au langage n’est pas encore assez efficace.

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Il manque, pour étayer le raisonnement, de savoir si la répression a été réellement suivie d’effet. La pratique de la grâce est une première entorse. Elle peut venir en totale contradiction avec les punitions rigoureuses dont le pouvoir envisage l’application. Bien des blasphémateurs graciés sont des récidivistes, tel ce Jean le Naire qui « a dit et juré six ou huit fois le villain serment de Notre-Seigneur qui est chose desconvenable » 85. Il aurait dû depuis longtemps être dénoncé et, pour sa récidive, avoir les lèvres coupées avec un fer chaud de sorte que les dents paraissent. L’absence du blasphème parmi les délits jugés au Parlement criminel pendant le règne de Charles VI donne aussi l’idée qu’il n’a pas encore nettement pénétré les habitudes judiciaires. Et encore, à la fin du XVe siècle, des Parisiens peuvent être écroués au Châtelet pour blasphème, tout en étant aussitôt relâchés86. Quand il s’agit de passer de l’ordonnance législative sur le blasphème à la pratique, le langage n’est plus exactement le même. Il est significatif que les pouvoirs coercitifs concédés au prévôt de Paris de 1389 à 1408 visent l’ensemble des malfaiteurs, y compris les « cabuseurs » et « joueurs de faulx dés », sans que le blasphème soit évoqué ; et dans le Registre criminel du Châtelet tenu par Aleaume Cachemarée, il n’est mentionné qu’une fois avec la peine de pilori et d’amende qui l’accompagne87. Le blasphème fait-il partie des crimes que recherchent en priorité les juges du Châtelet pour purger le royaume de ses scories ? La réflexion judiciaire sent le besoin d’une législation à ce sujet, mais elle reste encore impuissante. L’injure contre Dieu n’est que rarement employée comme un argument pour diffamer l’adversaire ; elle n’est pas incluse dans les stéréotypes de la grande criminalité 88. Cela ne veut pas dire que le blasphémateur, une fois repéré, n’est pas soumis à une peine atroce. Mais le

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cheminement du blasphème dans les consciences est lent et il convient de s’interroger pour conclure sur le sens de ces ordonnances prises pour le contrecarrer. 41

Contre le bruit discordant de l’injure à Dieu qui déshonore la divinité, ces actes législatifs n’ont-ils pas comme première fonction de formuler le bruit ordonné d’une parole qui répare et recoud le sacré ? La répétition de ces ordonnances, la litanie des peines terribles infligées aux contrevenants dont l’énumération va crescendo, le soin apporté à la publication de ce contenu ont une valeur globalement réparatrice. Ce crime reste encore présenté comme le support d’un mal collectif. Mais ce n’est sans doute pas avant le XVIe siècle que chacun individuellement perçoit pour son propre salut la portée du blasphème89.

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En attendant, et sans doute parallèlement à cette évolution, jusqu’au XVIII e siècle quand sont prononcées les dernières ordonnances royales contre le blasphème, celui-ci se présente comme un crime à portée collective. Dès les XIV e et XV e siècles, le « Seigneur » et sa « cour de Paradis » sont perçus comme les fondateurs de la société civile, et cela d’un double point de vue, à la fois seigneurial et charnel. L’atteinte à Dieu se fait sous la forme d’un « serment » devenu « villain » tandis que le contenu vise le corps de Dieu. Nous retrouvons là les principes généalogiques qui fondent la mémoire des suppliants et les lient fondamentalement entre eux90. Leur sang est aussi le sang du Christ et toute atteinte à Dieu prend l’allure d’un parricide.

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Apparemment, le suicide est, à l’inverse, un acte individuel. Pourtant, il est aussi présenté comme un crime contre le sacré. De ce point de vue, la perspective chrétienne rompt radicalement avec l’opinion gréco-latine91. L’acte s’accompagne d’une souillure qui rejaillit sur la maison et sur la parenté au point de se poursuivre jusque dans la sépulture. Les lettres de rémission ont donc pour objet de permettre à la parenté de retrouver les biens confisqués et de procéder à la sépulture du défunt 92. Pour cela, il convient d’effacer la souillure. Le procédé utilise à plein les enseignements de l’Eglise. Certes, le suicide est associé à la folie ou à l’ivresse de son auteur qui l’innocentent de toute intention mauvaise. Philippe de Beaumanoir précise bien qu’il convient de distinguer le suicide commis « a escient » de celui qui a lieu « par mescheance » 93. Mais le suicide est aussi associé au péché et à la pénitence. Ces corps pour lesquels on supplie, avant de se pendre ou de se noyer étaient en habit de jeûne, « en langes », prêts à recevoir le pardon de Dieu94. La souillure du sacré peut s’effacer au contact du divin mais, au total, la grâce ne s’impose pas : le suicide compte moins de 1 % de crimes remis. La sévérité de l’Eglise que relaie celle du roi vis-à-vis de ce type de crime explique sans doute que le rituel d’exclusion ait continué à fonctionner 95.

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Blasphème et suicide sont des crimes qui touchent au fondement du sacré. Leur action provoque un désordre dont la société parvient mal à se remettre. Toutes les peines que ces crimes encourent marquent bien l’exclusion du coupable marqué au fer rouge dans le cas du blasphème, poursuivi jusque dans son cadavre dans le cas du suicide. Aussi, quand la foule s’empare d’un de ces coupables, le législateur est plutôt obligé d’apaiser sa vindicte. Charles VI n’ordonne-t-il pas de jeter seulement de la boue aux blasphémateurs cloués au pilori et non pas des pierres qui risqueraient de les blesser ? Les responsables du désordre au sein de la création, quand pour des raisons qui nous échappent ils ont pu être repérés, ne peuvent qu’être exclus, radicalement, d’un monde dont ils ont menacé les fondements.

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LE CRIME ET LE SACRÉ : VIOLER ET TROMPER 45

D’autres valeurs appartiennent au sacré. Elles sont relatives cette fois-ci au fonctionnement du monde, c’est-à-dire à tout ce qui concerne la reproduction de la société. Là encore, l’Eglise apporte à l’Etat la cohorte de ses valeurs sans qu’on puisse toujours savoir quelle part il faut accorder aux modèles religieux par rapport aux exigences morales héritées de temps plus anciens. Mais si ce problème qui touche aux rapports entre la culture savante et la culture populaire reste sans réponse, il convient de le poser sous une autre forme : quelles sont, sous le règne de Charles VI, les valeurs retenues par l’ensemble du corps social ?

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Le viol peut passer pour un crime facile du fait du nombre des cas et de la légéreté des peines que peut entraîner la délinquance sexuelle96. Nous avons déjà, à propos du statut des femmes, pu discuter cette hypothèse97. Ce que nous avons vu du contenu des injures verbales, et ce que nous voyons du viol dont la rémission appartient, en priorité, à la miséricorde royale, nous conduit à une nécessaire prudence. La pratique judiciaire, au moins dans le nord du royaume, n’est pas loin de répéter les stéréotypes de la grande criminalité où le viol occupe une large place98.

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Mais il ne faut pas se tromper de victimes. Il existe une différence essentielle entre le viol de la jeune fille et celui de la fille de joie. Il est significatif que, dans le Midi et particulièrement dans le Sillon rhodanien où la lutte contre le viol semble laxiste, le roi, lors de son voyage réformateur en novembre 1389, prenne cette décision : « Si quo virginem aut nuptam honestam, aut mulierem solutam, non diffamatam, infra franchesiam vel mandamentum ville, violenter cognoverit vel rapuerit, et de hoc constiterit, in nostro arbitrio est »99. Certes, les femmes diffamées publiquement peuvent se dire victimes de viols, et les agresseurs ont besoin en ce cas de demander rémission. Mais ces femmes sont l’objet d’une infamie qui les exclut déjà en partie du corps social. Quand la victime est une fille de joie, cette mention vient comme première circonstance atténuante du coupable dans un quart des cas, et elle subsiste comme seconde circonstance atténuante dans la moitié des cas. Il existe donc bien deux catégories de femmes : celles qui sont vertueuses et les autres. La netteté de cette opposition plaide pour une forte signification du viol dans la hiérarchie des crimes. Et, parmi ces viols, celui qui touche à la virginité est le plus sévère. Nous voici en 1410 dans le bailliage de Saint-Pierre-leMoûtier où la servante du curé se plaint d’avoir été battue et entraînée dans les vignes par un groupe d’hommes. Ceux-ci sont venus la chercher jusque dans sa maison où ils ont pénétré par effraction. Le suppliant obtient finalement rémission, non seulement parce que la servante était « reputee d’etre diffamee de prestres », mais encore parce qu’elle « n’estoit pas pucelle »100.

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L’obsession de la virginité, nécessaire prélude au mariage, hante les esprits. Cet écuyer, seigneur de Gensac dans la sénéchaussée de Toulouse, est ainsi amené à tuer le père de la jeune fille que sa femme a recueillie et qu’elle emploie comme servante. Sur la route errait Luce, avec sa soeur, « querant leur pain pour Dieu aval le pays, laquelle femme dudit Bertrand, meue de pitié et pour aumosne en l’onneur de Dieu, print ladicte Luce pour demourer avec son dit mary et elle et pour garder lesdiz enfans » 101. Luce grandit, commence à avoir du bien et doit se marier. Mais le père, pour d’évidentes raisons financières, envoie pour la quérir une forte femme nommée Gaillarde dont les activités ne laissent guère de doute. Aussitôt, le seigneur prend son bâton « cuidant que ledit Boyer la lui voulsist oster et l’enlever et que elle, qui estoit jeune, ne feust gastee et

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perdue ». L’affaire se termine par un meurtre que justifie en dernière analyse le courroux de l’écuyer et la « temptacion d’ennemy ». Le drame a sauvé la jeune fille du viol et de la prostitution pour lui garantir la vie normale qui s’ouvre au mariage. 49

Un débat tout aussi dramatique conduit Perrote Turelure, âgée de 18 ans, à manier le couteau102. Elle est fille de fermiers et son agresseur est un écuyer. L’homme tente de la faire sortir de sa maison pour la mener dans un bois et la violer ; elle refuse, « pour doubte de estre villennee de son corps et violee, disant au dit Brunet que avec lui n’iroit point hors de la dicte maison ne ailleurs en son deshonneur ; et pour celle cause ledit Brunet perseverant en son mal propos et dampnable, convoitant soustraire la fleur de virginité d’icelle Perrote et ester et gesir avec elle en compaignie charnelle, la batist et injuriast moult durement de grans buffes ». Mais Perrote, sachant le prix de cette fleur de virginité, « doubtant le deshonneur, vitupere et corrumpement de la virginité de son corps et estre deshonnoree ou morte » finit par tuer son agresseur. Le vocabulaire dit assez la destruction du corps qui la menace autant et peut-être plus que la mort. Car la mort ne rejaillit ni sur son honneur ni sur celui de sa famille tandis que le viol, voire la menace de viol, sont sources d’infamie. D’ailleurs, le roi n’accorde pas seulement la rémission pour l’homicide que la jeune fille a commis, mais, « effaçant toute l’infamie que pour cause du dit fait dessus dit puet avoir encouru », il ajoute que si « commune renommee » était qu’elle a été diffamée, il convient qu’elle demeure « deschargee du tout et a plain ». Le roi par son pardon lui restitue une blancheur que la tentative de viol a pu menacer.

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Ce que nous avons vu des injures verbales et gestuelles trouve ici son répondant dans la hiérarchie des crimes. Ainsi s’explique que la grâce accordée aux violeurs ait dû être accompagnée de circonstances atténuantes particulières : charges de famille pour les viols individuels ou jeunesse pour les viols collectifs. Le coupable est emprisonné dans un tiers des cas (tableau 44). Il n’est pas impossible que la prison, dans les cas de viol, ait un sens pénal, sans être seulement réservée à ceux qui ne peuvent pas financièrement s’en dégager. La nature du crime incite sans doute la société à exclure, du moins pour un temps, le responsable d’un crime du déshonneur. Lorsqu’en 1398, une jeune fillette qui gardait les vaches se trouve violée par le sire de Thuisy, seigneur de Chevrières, qui passait sur le chemin, les habitants du village, alertés, « se esmeurent et s’assemblerent entour l’ostel de Thuisi », si bien que celui-ci n’a eu la vie sauve que grâce à l’arrivée du prévôt qui l’a « gardé contre les vilains qui la estoient » 103. La réaction du criminel en dit long sur la valeur du crime puisque, reprenant ses esprits, le sire de Thuisy avoue son forfait en disant « qu’il eust voulu avoir la teste coppee ou avoir esté noyé en ses fossez quant le cas lui advint ». Le traitement fait au criminel est très différent de celui qui est réservé au coupable d’homicide pour qui la société, complice, peut favoriser le bannissement, en particulier quand il s’agit d’une vengeance104.

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La valeur accordée au viol ne peut se comprendre que si elle est confrontée à celle qui est accordée à la virginité. Sur ce point, on ne peut que conclure au parfait accord qui existe entre le modèle savant et l’idéal populaire. Car au même moment les sermons magnifient la vertu des vierges. Le « beau renom » des pucelles que défendent les lettres de rémission trouve son écho théorique dans la controverse concernant le mariage de la Vierge qui, comme le dit Jean Gerson, a pu « prendre mari sans perdre le veu ou estat de virginité »105. S’y ajoute le débat sur l’immaculée conception qui agite la pensée religieuse à la fin du XIVe siècle106. A ces réflexions savantes, répond le souci des

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plaidoiries de démontrer la virginité de la victime en cas de viol. Le recours aux matrones jurées ne suffit pas toujours pour prouver l’acte irréversible et l’action, en coulisse, de la maquerelle complice107. On fait état de références concrètes, sans avoir peur de décrire de façon précise une violence qui, pour d’autres crimes, se contente de généralités. Le sang du viol est publiquement dénoncé. Il est bien une souillure du sacré. 52

Le poids de l’Eglise et du mariage chrétien pèse certainement plus lourd encore quand il s’agit de l’adultère dont le crime perturbe le fonctionnement social. La perception de ce crime est en pleine évolution. Encore au XIIIe siècle, Philippe de Beaumanoir rapporte, en une sorte d'exemplum judiciaire, comment Philippe Auguste, spontanément, accorde la grâce à un homme qui en avait tué un autre parce que celuici lui avait dit : « Vous etes cous et de moi-meme »108. Aux XIVe et XV e siècles il peut arriver que la loi du talion fonctionne et que le mari se venge, sur le champ, de l’affront qu’il subit. Rappelons cette scène qui se passe en Poitou, au début du XV e siècle. Un écuyer a pris à son service un valet jusqu’au jour où il le surprend avec sa femme. L’autre réussit à s’enfuir par la fenêtre ; mais le mari le poursuit jusque dans la forêt profonde, en armes, accompagné des frères de sa femme, de ses neveux et de valets. L’expédition punitive saisit le fautif à qui le mari réserve ce triste sort : « et d’un petit coustel fendi audit Merigot la couille et lui osta les couillons en luy disant qu’il ne luy feroit aucun mal fors seulement es membre dont il avoit villené sa femme » 109. Un autre exemple de l’époque de Louis XI montre que le fait de « couper les génitoires » à celui qui déshonore sexuellement une femme reste une riposte possible 110. Néanmoins, toute action de ce genre exige une rémission, et la rémission une fois obtenue peut être discutée au Parlement111. Il en est de même de l’homicide qui suit la punition de l’adultère, y compris si celui-ci a été surpris en flagrant délit. Dans ce cas, l’adultère entraîne d’ailleurs obligatoirement la rixe, et dans les trois quarts des cas la mort de l’amant. Il en est ainsi de cet homme que le mari a surpris dans le lit conjugal à son retour du guet, « sa dite femme toute nue et un nommé Jehan Mairel tout nu, excepté de sa chemise et sanz brayes »112. Ou encore de ce prêtre trouvé par le mari « en lieu souspeçonneux, seul avec sa femme qu’il baisoit et acoloit, en lui faisant signes de la vouloir cognoistre charnelment »113. Tableau 44 : Motifs de la rémission et types de délits

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Certains délits, homicides, vols, blasphèmes, crimes politiques, viols, ruptures d'asseurement ont été analysés en tenant compte des justifications relatives au crime qui ont pu être retenues par la Chancellerie pour accorder la grâce. Seule la première justification relative au crime a pu être retenue sur les quatre qui ont été comptées. L’homicide et la rupture d’asseurement comportent des mentions importantes relatives à la légitime défense. Le vol, le viol et le blasphème impliquent la prison, ce qui prouve le souci qu’a la communauté d’enfermer les responsables de ces types de crimes. Le vol, le blasphème et le viol peuvent susciter la présence du diable. 53

Mais cet acte de vengeance ne doit plus relever d’une action privée telle qu’elle pouvait être organisée quand il s’agissait de défendre l’honneur des femmes 114. Certes, le roi, pour gracier le coupable d’homicide, peut reprendre à son compte le code de l’honneur qui anime la vengeance. Par exemple, Charles VI gracie en 1388 un potier d’étain du bailliage de Rouen qui a surpris sa femme couchée avec un compagnon et qui « par la chaleur et desplaisance que ledit exposant ot de ce que dit est moult courcié, esmeu et eschauffé, feri ladicte femme »115. Et il se trouve remis de son crime « en consideracion aus choses dessus dictes et a la maniere dudiz fait qui est moult chose desplaisant a homme sensible quant elle lui touche ». On ne peut mieux respecter l’honneur blessé. En règle générale, le pardon royal s’encombre déjà de considérations plus subtiles que le jeu de l’honneur quant aux rapports qui doivent régir le mariage. Avant de procéder à l’homicide de l’amant ou de la femme adultère, le mari se doit d’avoir lui-même plusieurs fois pardonné à sa femme pour la remettre dans le droit chemin. Ce sont des obligations imposées par l’Eglise. Les exempta, mais aussi les romans courtois dont la trame est construite sur l’adultère, en ont vulgarisé la vision. Au moins dès 1180, le roman de Tristan de Béroul est construit sur cette quête d’un pardon que le roi Marc accorde quand le philtre d’amour a cessé son effet : « Li ermite la chartre a prise Lut les lettres, vit la franchise Du roi, qui pardonne a Yseut Son mautalent, et que il veut Repenre la tant bonement »116.

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De même, l’adultère pardonné se trouve au coeur du Lancelot-Graal, et de La mort le roi Artu écrite vers 1230. Le pape y ordonne à Arthur de reprendre Guenièvre sous peine de se voir lui-même excommunié. En fait, qu’il s’agisse d’Yseut ou de Guenièvre, leur acte n’a pas exactement rompu la loi puisqu’elles n’ont pas pu être prises en flagrant délit. L’adultère est le fait de dénonciateurs et de soupçons. Quant au pardon des deux rois, il est à la mesure de cet amour qui fait obéir le roi Marc aux ordres du pape : « Quant li rois ot ce mandement, si fu moult courrouciez ; et nonpourquant il amoit la roine de si grant amour, tot quidast il bien qu’ele eust meffait, que il fu legierement vaincus » 117. Il est aussi, comme l’écrit Ch. Marchello-Nizia, à la mesure du changement social important dans le rapport que les individus entretiennent avec la loi 118.

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En fait, ces textes ne nous éloignent pas du pardon royal autant qu’il y paraît. Les maris ne sont pas rois mais il leur arrive de considérer l’adultère comme une faute avant de l’envisager comme un déshonneur. Ce suppliant, un boucher du bailliage de Sens, sait que sa femme a commis l’adultère un an auparavant. Il lui a cependant pardonné « cuidant qu’elle se deust astenir de mener telle desordonnee vie » 119. Mais, quand un soir il surprend les amants au sortir d’un buisson, il la tue. La persévérance de Pierre de Courtenay a été plus grande encore. Sa femme le trompe avec plusieurs hommes. Il le sait et lui promet de lui pardonner si elle se corrige. Rien n’y fait. Il l’envoie à Paris, sa conduite est pire. « Meu d’amour » pour elle, il retourne la quérir et, au retour, la laisse à Orléans où elle « s’acointe » d’écoliers de la ville. Mis au courant de sa conduite, il finit par la jeter dans un puits120. Deux considérations doivent donc accompagner le pardon : le mari doit s’efforcer de transformer la conduite de sa femme en lui faisant mesurer l’étendue de son péché, et il doit continuer à l’aimer. Parfois, le lignage de la femme sur lequel rejaillit le déshonneur, ou les amis participent à cet « admonestement ».

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Si ces efforts échouent, l’écho du péché de luxure vient alors excuser le meurtre de l’épouse infidèle. Ce suppliant décide de reprendre sa femme qui avait suivi les Bretons, « considerans que elle avoit un enfant de lui et pour eviter que elle ne retournast plus au peschié et deshonnesteté ou elle avoit ainsi esté, par le conseil d’aucuns ses amis, la print et recueilli chez lui »121. Mais la vie dissolue reprend, entrecoupée de retours, jusqu’au moment où, « sans cause raisonnable mais par la mauvaise volunté qui estoit en elle et que elle avoit de perseverer au peschier de luxure, s’en ala et parti de avec sondit mari et hors de sa compaignie ». Sans doute à bout d’arguments, il tente de la ramener par la force, mais le coup de couteau qu’il lui fait à la jambe est mortel. Le sens de ces allusions à la luxure est clair. Elles ne peuvent que charger la victime et alléger la faute du coupable. Mais la luxure implique aussi l’exclusion de fait du giron de l’Eglise. Ecoutons encore une fois Jean Gerson : « S’une personne mariee panse et desire autre personne que sa partie qui est avec elle, peche-t-elle ? Je dy que oy » 122. Alors qu’en estil quand il y a péché de chair ? Plus le temps passe, plus la femme est détruite, totalement perdue pour le salut de son âme, soumise à la « fraude et malice de son amant »123. Elle est imprégnée par le mal et appartient au diable. A ce point de nonretour, il n’existe plus alors de tension entre le souci de l’honneur qui réclame la vengeance et les impératifs religieux qui exigent le pardon puisque celui-ci est devenu, spirituellement, inutile. Le suppliant peut passer à la voie de fait.

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Quant à l’amour, comment le saisir dans un discours qui l’impose comme une condition nécessaire au mariage, et par conséquent comme une circonstance atténuante du crime ? Tous ces maris sont « bons et souffisans » pour leur femme. Mais, derrière la

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convention des mots, perce l’acharnement de celui qui tente de maintenir la cellule qui se disloque. Sous l’oeil des voisins prêts à dénoncer le déshonneur, la chose ne devait pas être si facile. Huguennin Villoche, du bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier, en fait la triste expérience : « Ja pieca que le dit Huguennin et Jehanne Villoche jadis sa femme eussent este convoié ensemble par loyal mariage et eust icelle Jehanne, apres leurdit mariage consommé, demouré en la compaignie dudiz Huguenin et en son hostel l’espace de douze ans ou environ, dedans lesquelx et durant leurdit mariage furent nez IIII enfans, et aussi ledit Huguennin qui avoit bonne chevance et tenoit bon hostel, meu de grant amour qui par raison doit estre entre le mary et sa femme, gouverna et nourry bien et honnestement ladicte Jehanne selon son estat, et advint que ladicte Jehanne qui, par aventure n’avoit pas accoustumé si grant aise ne si grant bien comme elle recevoit en la compaignie dudiz Huguennin son mary, commme ingrate par sa mauvaistié et glotonnie, commist et perpetra adultere et se abandonna a un sien voisin qui la maintinst et congnut charnelement l’espace de deux ans ou environ, elle demourant en l’ostel dudiz Huguenin son mary qui de ce oy nouvelles par le rapport d’aucuns ses voisins ou voisines, mais il n’en faisoit semblant pour son honneur garder, doubtant aussi le trouble de son hostel, combien qu’il en eust molt le cuer triste et courroucié » 124 . 58

De voisin en « menestrels », Jeanne le quitte plusieurs jours. Le mari tient bon, par « compassion » de ses enfants dont le plus jeune, âgé d’un an, n’est pas en bonne santé. Il tente aussi de pardonner pour éviter à sa femme le péché et la « ramener a bonnes meurs ». Mais ces bonnes intentions sont déçues car avec lui « elle ne prinst pas grant plaisir par semblant, et ne povoit ledit Huguennin apaisier ne avoir d’elle bonne chiere ». Les frères sont chargés d’« admonester » leur soeur ; ils échouent. Alors un soir, n’y tenant plus, Huguennin se lève, allume du feu, s’habille, et sort pour frapper sa femme jusqu’à la mort. Tout dans ce récit ne relève pas d’une conduite stéréotypée destinée à la grâce. Certes, le mari se doit d’être bon époux et bon père, mais il semble bien que le devoir ait pu aussi, comme nous l’avons déjà vu, se colorer de sentiments jusque dans l’échec125. De la même façon, Simon de Lamoy dit Cloué, dans le bailliage de Cotentin, a supporté beaucoup d’humiliation avant de tuer Robert Guillebert, curé et amant de sa femme. Il a consenti à élever la fille qu’elle avait eue de cette union, et, comme pour dénouer une « guerre mortelle », à faire appel à des arbitres garants de la trêve : « Sur quoy ledit Guillebert et le dit suppliant se feussent enmisé sur certains arbitres et eust ledit Guillebert promis et juré en la presence desdiz arbitres aux saintes evangiles de Dieu et promis a faire serement sur le corps de Dieu sacré que jamais a ladicte femme ne retourneroit ne au dit suppliant ne la fourtreroit » 126. Rien n’y fait et finalement le suppliant surprend les amants en flagrant délit. Sa patience avait duré huit ans. Que dire enfin de cet orfèvre parisien qui, après avoir tant de fois « pardonné » et « supplié », revoit un dimanche à la messe de Saint-Nicolas-desChamps sa femme qui l’a quitté et, se laissant envahir par l'« emotion », finit par la tuer127 ?

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Incontestablement, l’adultère retient l’attention de la Chancellerie, moins par le nombre de cas remis — ils n’excèdent pas 0,1 % des crimes et constituent 4 % du premier antécédent — que par le désir de supprimer la vengeance immédiate de l’honneur blessé. Il importe de ne pas laisser le règlement de comptes aux mains de la justice privée. Et, face aux officialités, le pouvoir royal impose un discours identique 128. A en juger par la teneur des lettres, les impératifs de l’Eglise sont suivis, du moins quand il n’y a pas flagrant délit. Le crime ne doit s’imposer qu’au terme d’un difficile

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combat entre ces forces contradictoires que sont le péché, l’amour et l’honneur. Dans cette obéissance aux ordres de l’Eglise, le niveau de culture ne semble pas déterminant. Le statut social du suppliant va, indifféremment, du simple valet laboureur à l’orfèvre. 60

En fait, il convient de distinguer entre le meurtre de l’amant et celui de l’épouse. Celui de l’amant rejoint les problèmes d’honneur et la condamnation de l’homicide. Celui de l’épouse nécessite le passage obligé par la correction du péché et la répétition du pardon. Ce sont là tâches de maris. Les groupes de parenté peuvent y être associés mais leur responsabilité n’est pas ou plus déterminante. L’adultère semble davantage ravager une relation fondant le couple et les enfants qui en sont issus qu’un ensemble de rapports sociaux ; il tend à devenir une affaire de personnes plus que de groupes. Cette évolution est déjà bien marquée aux XIVe et XVe siècles, au moins en langue d’oïl. Dans ces conditions, le meurtre de l’épouse a pris, avec l’approfondissement du sacrement de mariage, une dimension essentielle. Il fait vaciller la cellule conjugale sur laquelle se bâtit le royaume chrétien. La rémission de ce type de crime est devenue moins facile que celle de l’adultère proprement dit, sous peine justement de remettre en cause un ordre considéré comme sacré.

LE CRIME ET LE SACRÉ : L’ENFANT 61

Parler du sacré quand on considère les crimes commis contre l’enfant tient de la gageure : il semble convenu qu’ils sont fréquents et sans importance, qu’il s’agisse de l’infanticide ou de l’avortement. On peut aussi leur ajouter la rémission pour accident car tous les cas de rémission pour ce type de crime concernent des enfants. L’étude de ces différents crimes, la rareté de leur rémission comme sa spécificité vont cependant à l’inverse des idées reçues et montrent le respect dont est entouré l’enfant dans cette société des XIVe et XV e siècles. Il ne s’agit pas ici de considérer l’épanouissement d’un sentiment maternel ou paternel dont nous avons pu mesurer la vigueur, mais la valeur que cette société accorde à l’existence de l’enfant. J. L. Flandrin a bien noté la différence entre ces deux approches pour conclure d’ailleurs à une certaine indifférence de la société médiévale à l’égard de l’enfant129.

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Pris dans son ensemble, le dossier relatif à l’amour pour l’enfant au Moyen Age ne plaide pas, effectivement, en faveur d’un tel sentiment. Encore faut-il considérer comment il est constitué. Pour justifier de cet indifférence à l’enfant, on trouve juxtaposées dans les mêmes ouvrages les considérations de Grégoire de Tours, celles d’Yves de Chartres au XIIe siècle, en passant par les pénitentiels du Haut Moyen Age. Ces mélanges de types de sources et de références chronologiques ne peuvent qu’entretenir la confusion130. Essayons, à l’aide des sources judiciaires, et en particulier des lettres de rémission, de répondre à la question fondamentale : aux XIV e et XV e siècles, la vie de l’enfant est-elle sacrée ?

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La rareté des rémissions concernant les infanticides et les avortements incite à le penser et nous avons déjà engagé la discussion sur ce point 131. Ce sont là des crimes qui réclament la miséricorde royale au même titre que le parricide, l’adultère ou le viol. Le meurtre de l’enfant est aussi, au Parlement, une façon de charger définitivement le coupable132. Il ne suffit pas d’affirmer que cette grand-mère, qui vit à Saint-Quentin au début du XV e siècle, est « uxor elata, vindicativa, cupida et sine caritate » pour persuader les juges qu’elle a accaparé les biens de sa belle-fille morte en couches. Il faut montrer comment elle a essayé de faire mourir l’enfant, héritière de sa mère, en allant chez la

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nourrice pour l’étouffer, si bien que « de morte dicte infantis suspecta per communem famam dicte ville Sancti Quintini diffamata fuerat et erat »133. Quant à Jean Jouvenel, pour finir de démontrer une rupture d’asseurement dont la partie adverse fait douter, il affirme que le coupable a été vu « bouter le feu en un barsel a enfant » si bien que l’autre cria « mercy »134. 64

Cette place accordée dans la hiérarchie des crimes s’accompagne d’un profond respect pour la femme enceinte. Souvenons-nous de ces deux mégères dont la dispute provoque la fausse-couche de l’une d’entre elles : l’autre est obligée de demander rémission pour ce crime, sans savoir d’ailleurs si elle est réellement à l’origine du drame135. Les suppliants ne manquent pas de dire s’ils sont chargés « de femme grosse preste d’accouchier »136. Cette circonstance atténuante valorise la famille ; mais elle valorise aussi la femme enceinte. Toute atteinte qui lui est faite est considérée comme un sacrilège. Complice ou criminelle, la voici graciée parce qu’elle est « grosse d’enfant ou ventre et es costez »137. On peut aller jusqu’à dire que la femme enceinte est intouchable. Les réactions de la justice à son égard en témoignent, qu’elle soit exempte d’un certain nombre de condamnations, ou que son meurtre charge définitivement le coupable138.

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De la même façon, l’avortement est un crime horrible. Les lettres de rémission en donnent quelques exemples tel l’avortement que provoque Jeanne en prenant une herbe abortive que lui a fournie son amant. Elle l’utilise dès les premiers symptômes de sa grossesse car « la couleur de son visage luy changea sur couleur de jaune et, pour ce que plusieurs disoient a lad. Jehanne qu’elle avoit la jaunice, et aussi pour ce qu’elle sentoit souvant malade aiant mal sur le cuer »139.

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L’avortement est bien considéré comme un homicide, même si les textes hésitent sur la vie du foetus. On pourrait croire que l’accouchement et ses suites estompent les valeurs sacrées de la grossesse. Effectivement, l’accouchement est considéré comme une souillure dont les rites doivent effacer l’impureté. Mais justement, l’efficacité symbolique de ce rituel doit jouer à plein. Il réinsère parfaitement la jeune femme dans la société. A l’inverse, on plaint celle qui a dû procéder à l’accouchement seule, de nuit, et cela devient une circonstance atténuante pour obtenir la rémission. Voici décrite la peine dont souffre cette chambrière que nous avons vue engrossée par un valet : « apres ce que, par un jour, elle ot supporté la douleur et paine d’enfanter, se feust aler couchier en sa chambre (...) et en icelle nuit eust enfant et mis hors un enfant fils, apres lequel enfantement, quant elle fu un pou allegee de sa doleur et d’icelle aventure estant tres courrouciee et dolente, toute despourveue de son sens et de sa force, et en peril de mort et de ce si astrainte qu’elle ne savoit que faire (...) et aussi qu’elle n’avoit aucun qui la reconfortast »140.

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La caractéristique de ces mères infanticides est bien d’avoir accouché seules, à l’insu de tous. Celle-ci a son enfant « environ le point du jour, sans ce que a l’eure de son enfantement elle peust recourir aucunes femmes », tandis que celle-là tente de faire croire à un accident « pour la grant feblesse en quoy elle estoit a cause dudit enfantement, elle cheut dessus et froissa et blessa ledit enfant » 141. Si ces lettres ne traduisent pas la vérité des circonstances, elles savent insister sur l’anormalité d’une naissance qui ne s’intégre pas dans les lois de la sociabilité. En cette fin du Moyen Age, la naissance est sûrement perçue comme une souillure du corps mais aussi comme un acte social. Sa publicité assure la légitimité de l’enfant ; c’est aussi une « peine » qui nécessite le réconfort des siens. La clandestinité ne lui convient pas, pas plus que la

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solitude et la nuit. On n’ignore pas que l’affection peut atténuer la douleur. Et la Chancellerie, pour gracier, prend en compte tous ces motifs. 68

La valeur attachée à l’enfant se poursuit après la naissance : la nécessité de lui conférer le baptême ou de l’enterrer en terre chrétienne ne peuvent que le confirmer. Ce père excommunié se plaint de ne pas pouvoir faire enterrer son enfant en terre sainte ; Jeanne Bruneau qui a « blessé » son enfant, tient à préciser que « icellui enfant ala de vie a trespassement mais avant qu’il mourust, sadite mere lui donnast bapteme » 142.

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La vie de l’enfant est ensuite juridiquement protégée. Nous avons vu que l’innocence des enfants interdisait, sauf exception, de les considérer comme coupables, et qu’après un accident, la rémission est nécessaire si la victime est un enfant. En effet, parmi les lettres de rémission recensées pour le règne de Charles VI, celles relatives à des accidents ne concernent que des enfants, que la victime soit garçon ou fille. Ce pourrait être interprété comme le signe d’une légèreté du crime si l’accident était au même moment considéré systématiquement comme un homicide. Mais ce n’est pas le cas 143. On peut aussi remarquer que la plupart des procès qui subsistent contre les animaux à cette époque, ont lieu quand ces animaux sont responsables de la mort d’enfants 144. Ces éléments tendent à montrer que toute atteinte à un enfant est sévèrement punie et, qu’en cas d’accident, il convient de demander une rémission. La lettre est alors construite pour montrer que la faute n’est pas intentionnelle. Lorsqu’en 1387, au cours d’un jeu, une flèche atteint par hasard l’oeil d’un enfant de sept ans, le coupable choisit de s’enfuir à l’annonce de la mort de sa victime. L’affinité qui le lie au père, le pardon des parents, l’absence de « mauvais propos » ne suffisent pas à le faire revenir : il attend la grâce. Quant à ce suppliant, il a fui après avoir écrasé un enfant de sept ans sous la roue de sa charrette, comme celui-ci qui, ayant pris un petit garçon pour un chien venu manger la viande de ses bêtes, lui assena un coup de bâton mortel 145. Il est vrai que ce bambin de deux ans et demi était vêtu de blanc et jouait dans la chaudière « environ deux heures de nuit ». Et, pour obtenir la grâce, le suppliant entame un plaidoyer assez rare dans une lettre de rémission : « Comme lediz fait est advenu pour cas de meschief et male fortune, et afferme en sa conscience et sur la dampnacion de son ame qu’il ne savoit riens que lediz enfant feust les dans ladicte chaudiere, mais creoit et tenoit fermement que feust lediz chien blanc (...) et est tres doulent et courroucié en son cuer de ce que le fait advint onque ».

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L’enfant n’a donc pas seulement l’innocence que vulgarise au même moment l’iconographie du massacre ordonné par Hérode. Sa vie a quelque chose d’intouchable. Lorsque la jeune fille menacée de viol veut se défendre, elle n’a qu’à prendre un enfant dans ses bras pour arrêter net l’ardeur de ses agresseurs146. Le meurtre contre l’enfant touche bien au sacré depuis le moment où celui-ci est conçu, jusqu’à l’âge qui confine à la jeunesse, et on comprend mieux que les coupables de 20 ans puissent encore vouloir se faire appeler « enfants ».

LES CRIMES CONTRE LES BIENS 71

A côté des crimes susceptibles de recourir aux trésors les plus extrêmes de la miséricorde royale, se trouvent les crimes contre les biens, en particulier le vol. Leur situation sur le graphique de la rémission les rapproche du domaine sacré tout en les excentrant. En fait, il semble bien que le vol cherche sa place dans la hiérarchie des

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justifications de la grâce. Cette constatation ne fait que refléter la difficulté qu’a ce crime à s’insérer dans l’échelle des délits comme dans celle des peines. 72

Etre traité de « larron » est une injure extrême à laquelle ne correspond pas la place que le vol occupe dans l’énumération des crimes capitaux ou énormes 147. L’étude du vocabulaire ajoute à la confusion puisque le mot « larrecin » peut désigner un vol de grande importance aussi bien qu’un chapardage. En 1401, le vol commis dans l’église de Rampillon est qualifié, de « larrecin », alors qu’il s’agit d’une effraction sacrilège 148. Les deux frères qui en sont suspectés reçurent punition du bailli de Melun qui débouta leur appel et leur « envoya le bourreau et deux mittres de papier et leur fist dire qu’ilz seroient menez au pillory ». La peine est infamante, mais ce n’est pas la pendaison. Quelques années plus tard, en août 1406, le procureur du roi fait entrer le larcin dans les grands délits quand il affirme que « violer, fraction et larrecin sont detestables crimes »149. Peut-on parler d’une évolution et d’une clarification du délit ?

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Plusieurs éléments plaident pour un effort de classification. Les vols commis dans l’hôtel de la reine par Jacques Binot et sa bande, en 1406, ont permis de réfléchir à la notion de « larron public »150. En effet, Guillemin de La Porte, un des comparses de Binot, demande une rémission qui est contestée au Parlement 151. Etant donné le lieu où le vol a été commis, le procureur du roi affirme qu’il y a eu « larrecin de la chose publique attendu que ce fut en l’hostel du roy ce qui serait irremissible » car ce « n’est plus fort larrecin ne plus grant infraccion de paix que embler au roy a force publique et enfraindre la paix de celui qui est garde de toute la paix et ne lui doit l’en faire du cas criminel, civil ». L’adjectif « public » ne s’oppose plus seulement à « privé » ou à « secret » ; il désigne ce qui appartient à tous et relève de la « chose publique ». Un an auparavant, Guillaume de Tignonville, dans ce fameux procès de janvier 1406, justifie son action coercitive contre des « larrons publics » qui agissent sur les chemins ; on retrouve là l’émergence des « cas royaux »152. Mais la distinction est loin d’être systématique. Au même moment, un avocat précise que le coupable « s’accompagna de larrons et espieurs de chemins » pour finalement conclure qu’il a « eu le nom d’estre le plus fort larron que on put trouver »153. Le début du XVe siècle marque sans doute un tournant dans cette évolution. Certes, les efforts de Jean de Folleville à la fin du XIV e siècle, comme en général toutes les ordonnances relatives aux criminels professionnels depuis le début du XIVe siècle, ont contribué à cerner le larron public. Mais au Châtelet, en 1389-1392, l’expression n’existe pas encore et les juges ne parlent que de « grant et fort larron »154. Incontestablement, la justice royale se révèle moins sévère sur ce point que les justices urbaines méridionales qui, dès le XIII e siècle et sous influence du droit romain, définissent le latro publicus. L’excuse de nécessité empruntée au droit canon a sans doute lourdement contribué à fausser la place du vol dans la hiérarchie des crimes remis par la Chancellerie ou évoqués au Parlement155.

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Les critères retenus tiennent compte de facteurs divers, à commencer par le temps et le lieu. Les vols commis de nuit sont soigneusement notés au Châtelet, ainsi que les effractions de propriété156. Dans la logique qui préside à la rémission, ces deux éléments viennent comme circonstances aggravantes du vol sans toutefois empêcher la grâce royale de s’exercer. Dans ces deux cas, l’exposant doit se réfugier derrière bien des circonstances atténuantes, que ce soit la pauvreté ou « l’Ennemi d’enfer ». Mais, en règle générale, le vol remis a lieu le jour ; il est plus difficile d’éviter l’effraction mais le voleur trouve très souvent la maison vide de gens et la porte ouverte. La récidive constitue une autre circonstance aggravante. L’interrogation sur l’oreille coupée est

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redoutable. Ce sont là des éléments qui signent le vol professionnel et rendent le larron « inutile au monde »157. La personnalité de la victime entre aussi en considération. En effet, les crimes contre les biens s’avèrent souvent perturbateurs d’une confiance que l’ordre social considère comme naturelle. Ce sont les domestiques qui volent leurs maîtres, les amis qui se dépouillent entre eux158. Ainsi s’explique sans doute que le roi ait à parler de miséricorde pour accorder sa grâce. 75

Enfin, la valeur des objets volés peut être signe de différenciation 159. Les lettres de rémission usent abondamment de cet argument en faisant valoir la petitesse des objets volés qui sont, dans ce cas, soigneusement énumérés. Ce pauvre « varlet » marié va chez maître Jean de Villers et lui vole « un muy de grain » ; Berthelot Durand dérobe « dix-sept sous » à un marchand160. De tels délits tiennent plus de notre larcin que du vol et leur montant dépasse à peine la somme qui, selon certaines coutumes, fixe à cinq sous ou à soixante sous le plafond en dessous duquel on ne peut être pendu 161. Néanmoins, de telles distinctions sont loin d’être systématiques. La différence entre ces petits vols et les gros butins n’est pas toujours sensible dans la rémission. Olivier Piédevache et Monin Bastart, revenant d’un mandement fait par le roi en juillet 1392 au Mans, dérobent une jument, une robe « a femme », une coiffe de soie, quatre ceintures cloutées, quatre couteaux, une dague, une paire de chaussures vermeilles, trois saucières et une salière d’étain, une cuiller d’airain, des ciseaux de fer, une « houppelande », un chapelet, six « fer d’alesne », et l’ensemble est évalué à 24 francs ou environ162. Une somme identique pouvait en envoyer d’autres au gibet. Cette référence à la rémission, par son caractère arbitraire, ne nous renseigne guère sur la place que le vol occupe dans la hiérarchie des délits et on ne peut que déplorer avec les historiens du droit pénal « une conception plurale du vol » à cette époque 163.

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On peut cependant émettre l’hypothèse que le roi avait à remettre les crimes de vol qui étaient jugés les plus graves pour l’ordre social. Plus de la moitié des exposants se plaignent d’avoir subi les affres de la prison à la suite de ce crime 164. C’est effectivement le type de crime qui conduit le plus sûrement à la geôle. C’est là une première marque de son importance. Le vol n’est pas la vengeance et, à la différence du meurtrier, son auteur n’a pas loisir de s’enfuir. Au contraire, la société toute entière semble se coaliser pour traquer et dénoncer le coupable165. Certes, l’incarcération peut aussi être liée à la pauvreté réelle des suppliants qui ne peuvent assurer leur libération. La proximité des « pauvres avec dettes » et des crimes contre les biens sur le graphique de la rémission incite à ne pas négliger cette hypothèse. Mais nous avons vu que la pauvreté invoquée par les suppliants, y compris en cas de vol, pouvait aussi avoir un sens moral. Bien des prisonniers accusés de vol l’ont été avant d’être jugés en raison de la gravité de leur crime, peut-être parce qu’ils étaient, plus souvent que d’autres, récidivistes et dans l’attente de la pendaison.

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Au-delà d’une certaine gravité dans le délit, les rémissions ne sont plus accordées. La gravité du crime trouve son répondant dans les limites que la rémission s’impose. L’assassinat crapuleux semble absent des lettres de rémission. Existait-il dans les faits ? On peut mentionner des vols de grand chemin qui sont le fait de bandes ; nous avons vu que ces cas sont rares mais ils existent. En revanche, un certain silence entoure le voleur crapuleux qui assassine la vieille dame. Et, quand il y a meurtre crapuleux, il convient de trouver tout de suite le coupable si bien que le cadavre saigne à l’approche du meurtrier166. En cas de vol avec violence, le criminel essaye de ne pas provoquer la mort. Lorsque le seigneur de Saint-Romain alla dérober Gentillote de Samaran dont il

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savait la richesse, avec ses complices, « quant ilz furent dedans la prindrent et lierent sur ung bancet, lui estouperent la bouche afin qu’elle ne cryast et prindrent a sa sainture les clefz des chambres et coffres dudit hostel et les ouvrirent et en icellui hostel prindrent, comme il a esté dit, sept mille pieces d’or ou environ de deniers, coings et façons, lesquelz deniers ilz emporterent avec eulx et laisserent ladite Gentillote lyee sur ledit banc sans ce qu’elle feust en dangier de sa personne » 167. En effet, les liens ne devaient pas être trop serrés et Gentillote se délia seule avant d’aller crier à ses voisins qu’elle avait été volée. Quant au roi, il accorde sa rémission parce qu’il n’y a eu ni mort, ni mutilation, « ne mehaing ». Il y a si peu de crimes irrémissibles que le fait vaut d’être signalé : l’assassinat crapuleux fait peur au prince. 78

Au total, on peut parler d’un durcissement de la justice à l’égard du vol pendant la période qui nous concerne. Il est probable que la pratique judiciaire, sans doute pour répondre aux désirs de l’opinion publique, a devancé les hésitations des théoriciens qui s’interrogent encore pour savoir si le vol fait partie des cas « pendables », et à quelle condition il vient rejoindre la cohorte des crimes capitaux. L’idée que le vol de nécessité est excusable, idée partagée par les théologiens, les canonistes et les civilistes, incline à une mansuétude que ne semblent pas partager les juges 168. Cette confrontation entre la théorie et la pratique en est, on l’a vu, à ses balbutiements, mais la question est posée et elle alimente les controverses sur la peine de mort. Jean Gerson, rappelons-le, ne la pense pas nécessaire pour punir le vol : « non est fur occidendus » écrit-il dans le Diligite justiciam169. Pour cela, il invoque la loi divine qui comporte des exceptions au Non occides, mais il montre que ces exceptions ne s’appliquent pas au vol. Seul Guillaume de Tignonville sait désigner des degrés. A la fois penseur politique et homme de gouvernement, il peut demander dans les Ditz moraulx que « du larron soit coppee la main » tandis qu’au Parlement, il se justifie d’avoir fait pendre deux larrons 170. Il n’y a plus là de contradiction. La distinction, en ces premières années du XV e siècle, prend, bien une tournure politique, et il convient de séparer les « robeurs de chemins » des simples voleurs, les larrons des larrons publics. Par le biais d’une réflexion politique sur le vol se profile l’amorce d’une hiérarchie.

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Cette évolution, encore une fois, ne s’est pas imposée de façon coercitive. Certes, le vol fait référence à des valeurs privées, celles qui incitent à défendre l’héritage, le bétail, la maison. Mais le crime ne reste pas longtemps du domaine privé. Ce suppliant à qui on reproche un vol de jument, dit pour sa défense qu’il est dans la sauvegarde du roi, ce qui est faux pour lui mais vrai pour la victime ; alors il va chez elle voler ses lettres de sauvegarde pour les faire servir à son profit171 ! Cet exemple résume assez bien la place du vol dans la hiérarchie des valeurs. Le crime ne reste pas longtemps privé et tout se passe comme si le vol était entré de plain-pied dans le domaine de la justice publique. Il est rare que la rixe lui réponde. On ne se venge pas d’un vol : on va s’en plaindre aux autorités. Elles sont devenues les meilleures garantes de la propriété.

LES CRIMES POLITIQUES 80

Les crimes politiques, crimes contre la chose publique ou crimes liés à la guerre, trouvent mal leur place dans ce schéma d’une justice fortement polarisée entre les homicides et les crimes de moeurs. Leur rémission fait appel à d’autres considérations, qu'il s’agisse de la personnalité du coupable ou du déroulement de la justice retenue. Cette constatation que permet de lire le graphique de la rémission contribue à définir

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ce qu’est la lèse-majesté en cette fin du Moyen Age. Peut-elle répondre à l’interrogation que nous avons déjà posée à propos de la parenté et du blasphème : dans quelle mesure le roi est-il perçu comme un père au point qu’on puisse lier la lèse-majesté au parricide172 ? 81

La récente synthèse de S.H. Cuttler, son application à la principauté bretonne grâce aux travaux de M. Jones dispensent de reprendre l’historique de la pensée politique qui, depuis le XIIe siècle, fait émerger la lèse-majesté de la trahison et montre la force des emprunts faits au droit romain173. Tous les exemples rassemblés confirment qu’aux XIVe-XVe siècles les théoriciens ont besoin de se référer au contenu de la lex Julia majestatis et de la lex Quisquis 174. Dans la pratique judiciaire, cette référence peut être parfaitement explicite, qu’il s’agisse des plaidoiries du Parlement ou des lettres de rémission. Ainsi, en mai 1386, cette lettre accordée à un sergent royal de Toulouse qualifie la révolte des Tuchins à laquelle il a participé, de « crimina legis Julie magestatis in capite et in membris »175. Existe-t-il sur ce point une différence entre le Nord et le Midi ?

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Il est exact que les archives judiciaires sont, en langue d’oïl, fort avares de ce type de référence. Mais, pour juger des influences du droit romain, peut-être nous manque-t-il une partie des maillons du raisonnement qui conduit à la décision des juges et à la prononciation du crime de lèse-majesté. Lorsque, en 1393, le Parlement décide d’un arrêt relatif au crime commis par Jean Léonnart qui, en s’attaquant au couteau à maître Robert d’Acquigny, conseiller du roi à la Cour, a enfreint la sauvegarde royale, le texte extrait du Parlement ne précise pas autre chose que : « tout veu et tout consideré, il sera dit que la sauvegarde est enfraincte et l’amendera de la somme de V. C. francs audit maître Robert et de mil frans a partie, et a tenir prison quousque » 176. Finalement, le coupable est condamné à cette amende et à être traîné, décapité et pendu. Jean Le Coq permet de suivre le fil de la pensée de ceux qui prononcèrent la sentence : « et ad ce fut condamné comme criminem de lese majesté, quia domini Parlamenti, maxime exercendo suum officium sunt pars corporis regis,“l. quisquis C. ad l. Juliam majes.” » 177 Nous n’avons pas la trace de cet arrêt définitif, mais le célèbre juriste rapporte la discussion qui a divisé le Parlement. Elle ne porte pas sur la référence au crime de lèse-majesté, mais sur celle qui est faite de la lex qui cum telo C. ad l. Cor. de siccariis, « maxime quia illa « lex is qui cum telo » non viget in patria consuetudinaria »178. Puisque les autres références au droit romain faites au cours de ce procès ne sont pas contestées, on peut en conclure qu’elles sont bien assimilées et que la lèse-majesté se situe dans le droit fil de l’héritage romain que revendique l’Etat.

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Quelle est la nature de ce crime ? On a pu le rapprocher du sacrilège en évoquant encore une fois le droit romain : proximum sacrilegio crimen est, quod majestatis dicitur. Cette référence, si on en croit Jean Le Coq, a été discutée au Parlement en avril 1395 lors du procès qui suit la condamnation à mort prononcée par le prévôt de Paris, Jean de Folleville, à l’encontre des juifs parisiens. Le prévôt justifiait son point de vue en arguant que la lèse-majesté royale devait être punie de mort, à plus forte raison la lèsemajesté divine : gravius est offendere majestatem celestem quam temporalem. Finalement, les gens du Parlement n’ont pas suivi la sévérité du prévôt179. La comparaison entre la lèsemajesté divine et la lèse-majesté royale qu’alimente en particulier la querelle relative au meurtre du duc d’Orléans, et les décisions royales prises sur le blasphème laissent supposer qu’un lien étroit existe entre l’offense à Dieu et celle faite au roi 180. Il peut y avoir confusion entre les deux crimes dans la bouche des avocats quand celle-ci sert

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leur cause. En agressant la procession de l’Université, Charles de Savoisy a commis, en 1404, à la fois un « sacrilege, crime de lese majesté, sauvegarde enfrainte, port d’armes, force publique et autres detestables crimes »181. Mais, quand il plaide pour une grande sévérité à l’encontre de ce même crime, Jean Gerson ne va pas jusqu’à confondre les deux notions. Il y a sacrilège, dit-il, et justice doit être faite par le roi car ce sacrilège a été commis à Paris contre la « fille » du roi, pendant le service divin 182. L’invention d’une filiation qui rattache l’Université à la généalogie royale, le caractère sacré de la ville royale où se fondent le politique et le religieux, l’Eglise défendue par le roi dans une perspective gallicane qui en fait le conducteur religieux de son peuple, servent de trame à l’argumentation du théologien. Mais, à aucun moment il n’évoque la lèse-majesté. Par ailleurs, si les théologiens appellent de leurs voeux que le roi lutte contre l’hérésie et par conséquent défende le sacré, ils ne confondent pas pour autant les domaines. La bougrerie comme la sorcellerie sont des crimes capitaux qui ne se diluent pas dans la lèse-majesté183. 84

Le lien entre la lèse-majesté et le blasphème rencontre les mêmes limites. En novembre 1413, cet homme de Chambly, dénoncé par ses « haineux » pour avoir juré le vilain serment, se trouve en procès au Parlement184. Le débat s’engage sur l’éventuel renvoi du prisonnier que réclame le duc d’Orléans pour des raisons politiques, mais l’argumentation porte sur les droits du roi en matière de blasphème. Pour le procureur du roi, le cas de ce prisonnier relève du roi car « dit que le roy seulement appartient de cognoistre de crime de lese majestatis et par consequent du crime dessus dit qui est plus grant et y a sur ce ordonnances royaulx au regart du vilain serment et par ainsi au roy en appartient la cognoissance ». A cette affirmation, Cousinot qui veut récupérer le prisonnier répond « que les ordonnances royaulx ne font rien ne la similitude du crime de lese majesté et de divine majesté ». La parenté entre les deux crimes peut être évoquée ; ils restent séparés.

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Enfin, les liens entre la lèse-majesté et le parricide sont aussi très ambigus. Nous avons déjà évoqué les limites de la secrétion généalogique qui pourrait unir le roi aux sujets. L’image du roi-père et de la parenté vient cependant dans la bouche des parlementaires. En janvier 1401, pour fustiger les actions violentes commises par Colart de Beaufort à l’encontre de l’église d’Arras, on dénonce le port d’armes et la sauvegarde enfreinte puisque les biens de l’église sont dans la sauvegarde du roi, et le procureur du roi conclut en liant ces crimes au sacrilège et à la parenté : « et si dit raison qu’il y a crime capital comme de frapper son pere et si a plagium et sacrilegium trahere non sacrum de sacro et qui quotidiana sunt »185. Il est possible aussi que l’action du Dauphin ait, à partir de 1418, favorisé ce rapprochement puisque ses ennemis lui reprochent d’être à la fois « parricide, criminel de lese-majesté, ennemi de Dieu et de toute justice » 186. Dans quelle mesure n’est-ce pas un artifice de la polémique qui unit volontairement des crimes par ailleurs distincts ?

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La lèse-majesté n’est finalement diluée ni dans une filiation construite, ni dans une sacralité globalisante. Pourtant, quand elle est mentionnée, elle se distingue encore mal de la gangue de crimes qui l’accompagnent tels le meurtre, le viol, le pillage, ce qui suppose que les valeurs sacrées sur laquelle repose la société ont été bafouées. Prenons l’exemple du célèbre arrêt prononcé en août 1412 contre Charles de Lorraine 187. Pour évoquer les crimes commis par les gens du duc contre les habitants de Neufchâteau, le texte rassemble « infraccion de sauvegarde, rapt de biens, plagium, murtre en la personne de Guillaume Huel qui a esté noyé et plusieurs enfans mors sans baptesme,

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pillerie, roberie, crime de perduellion et de lese magesté et crime de felonnie » 188. Le crime de lèse-majesté s’y trouve mêlé à d’autres crimes capitaux qui mettent en jeu la survie du royaume. Pour cette raison, il peut se trouver associé aux stéréotypes de la grande criminalité dont nous avons déjà tenté de saisir la signification 189. On retrouverait alors l’image d’un roi garant de la reproduction du royaume, qu’il s’agisse de la virginité des filles ou du respect des femmes mariées. Ce schéma définit la fonction royale plus que la nature des liens qui unissent le roi à ses sujets. 87

Le recours au graphique de la rémission permet de mieux comprendre la façon dont la Chancellerie envisage la rémission des crimes politiques, qu’il s’agisse des crimes contre la chose publique comprenant explicitement la lèse-majesté, des crimes commis contre les officiers royaux aussi bien que la connivence avec les Anglais ou les adversaires de la guerre civile. Leur place sur le graphique montre qu’ils échappent nettement à l’opposition sacré-profane. Ils ne relèvent pas de l’intervention personnelle et religieuse du roi. Ces crimes sont graciés par simple commutation de la peine, c’est-à-dire que le roi transmue seulement le cas criminel en civil sans utiliser de formules liées à la miséricorde. L’incantation de la rémission, dont nous avons pu relever les composantes, y est la moins nécessaire de tous les crimes. Une autre particularité consiste en ce que d’éventuelles recommandations s’y profilent pour obtenir la grâce. Prenons l’exemple d’une lettre qui, en septembre 1411, se situe au coeur de la guerre civile entre les Armagnacs et les Bourguignons. Le 14 août, Jean sans Peur a répondu aux lettres de défiance des enfants d’Orléans et les deux camps comptent leurs alliés. Tout passage d’un parti à l’autre, surtout lorsqu’il se produit au coeur des possessions rivales, est une victoire. Dans ce contexte, la grâce accordée à deux écuyers du bailliage de Chartres et prise à la relation du duc de Guyenne qui penche à ce moment du côté bourguignon, est effectivement politique. Ces deux écuyers avaient tenu le parti de Charles d’Orléans parce que leurs terres dépendent « du cousin d’Alençon », lequel est allié au duc d’Orléans. Et, malgré les lettres publiées en « lieux notables », ils se sont armés et sont allés au service et en la compagnie du comte d’Alençon. Ont-ils senti le vent tourner ? Les voici « prestz et appareilliez de obeir a nous et a nosdiz mandemens et deffens comme noz bons et loyaulx subgiez ainsi que raison est »190. La grâce leur est accordée par simple commutation, puisque la Chancellerie se contente de mentionner : « pour ce est-il que nous avons pardonné ». La clause de rémission ajoute seulement un discours totalement étranger à l’ensemble des autres lettres : « pourvueu toutesvoies que se lesdiz exposans retournent de cy en avant au service et compaignie dudit d’Orleans ne autres de sadicte partie ces presentes lettres leur soient de nulle valeur ».

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L’acte est ici purement politique : il ne relève pas du sacré. Il peut arriver que dans des décisions de ce type le suppliant soit obligé de jurer sur les évangiles qu’il sera « bon sujet », mais la décision du roi n’est pas pour autant assortie de considérations miséricordieuses. Lorsqu’en août 1392, le roi gracie Jean de La Gorse, écuyer du diocèse de Limoges, accusé d’avoir tenu le parti des Anglais et d’avoir commis des crimes en principe irrémissibles, il précise que cette décision est prise à la demande de ses amis et il confirme la commutation assortie de réserves : « pourquoi nous, inclinans a leur supplicacion pour regard des choses dessus dictes et pour certaines autres consideracions nous mouvans, au dit Jehan La Gorse, parmi ce qu’il jurra sollenelment sur sains evangiles de Dieu es mains de nostre senechal de Lymosin ou de son lieutenant que doresnavant il sera bon francoiz et notre loyal subgiet et vray obeissant et que jamais en notre royaume ne a noz subgez il ne portera, fera, ne procurera, ne

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fera porter ou procurer mal dommage ou empeschement ou destourbier, ne aidera ou confortera noz diz adversaires et ennemis en aucune maniere, avons audit cas quittié, remis et pardonné et par la teneur de ces presentes quittons, remettons et pardonnons de notre auctorité royal, plaine puissance et grace especiale touz les faiz, crimes et cas dessus diz et autres qu’il auroit ou pourroit avoir commis et perpetrez encontre nous et noz diz royaume et subgiez durant le temps devant dit »191. 89

La miséricorde et la pitié ont cédé le pas devant l’autorité royale qui peut se manifester dans tout l’absolu de la formule : « il nous plait ». Entre aussi en jeu l’appui de la hiérarchie administrative. Jean de La Gorse prête serment entre les mains du sénéchal de Limousin ou son lieutenant. Et, il en est de même de ces deux femmes qui, à Cherbourg, avaient soutenu le parti navarrais. Le roi les gracie « parmi ce que es mains du bailli de Constantin ou de son lieutenant, si tost que elles seront parties dudit lieu, feront bon et loyal serement que dores en avant il seront et demouront noz bonnes vrayes et loyaulx subgettes en nostre bonne obeissance sans faire chose qui soit contre nous ou notre magesté, et s’il font le contraire nous voulons ceste presente grace estre nulle »192.

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La décision royale est prise dans le plein exercice de son autorité. On y remarque la sujétion plus que le lien religieux, le service plus que la révérence et la crainte. Dans 60 % des rémissions accordées pour ces crimes politiques, la rémission royale ne s’accompagne d’aucune mention relative à la personnalité du coupable : renommée, bonne vie, honnête conversation, absence de blâme ou de reproche, toutes ces expressions courantes sont peu employées. Quant aux raisons invoquées par le roi pour justifier son acte de grâce, elles n’existent pas dans 75 % des cas. Pour le reste, elles sortent des formules ordinaires. Point de stéréotype par lequel le roi préfère la « miséricorde à rigueur de justice ». La grâce de celui qui a enfreint les lois de l’Etat est une affaire à laquelle il faut répondre par un acte d’autorité dont le ressort est, avant tout, politique.

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La simple commutation de la peine accompagne aussi nettement la notion de rébellion. Cet acte de désobéissance politique a une réponse politique. Prenons l’exemple des révoltes de 1381-1382. Ceux qui résistent à l’impôt et entraînent la communauté agissent en « faisant pechier les autres, les autres de volunté sanz fait, les autres de fait simple et les autres en autres manieres par erreur ou male temptacion dont tres amarement se repentoient »193. Le vocabulaire du péché politique est religieux ; mais la décision de gracier est, encore une fois, une simple commutation, sous réserve de jurer sur les évangiles d’obéir au roi et à ses successeurs « sanz jamaiz renchoir en aucuns refuz, rebellions ne desobeissances » et de compléter en se soumettant « au plaisir » du roi. Ainsi, ce suppliant dont le père était pro-navarrais demande grâce et rémission pour hériter de ses biens qui ont été confisqués « en nous suppliant humblement que, comme il ait esté de touz temps et encores soit bien vueillans de nous et de la couronne de France et comme notre bon, vray et loyal subget, nous ait servi bien et loyalment en noz guerres de Flandres et ailleurs et ait entencion de faire de son povoir a notre bon plaisir et voulenté si comme il dit »194.

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Les rares injures prononcées contre le roi, la reine ou les officiers ne réussissent pas à infléchir ce schéma. Elles constituent seulement moins de 1 % des crimes remis 195. En fait, face à cette opposition, le roi reste souverain. L’injure au roi dans les lettres de rémission n’est pas exactement, comme nous l’avons vu, le blasphème contre le Père. Comme la lèse-majesté, elle donne lieu à la commutation du crime plutôt qu’à l’exercice

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de la miséricorde royale. Lorsque le roi gracie Guillaume Barbier et sa femme Sebille qui ont fait disparaître les mesures de la ville de Montigny marquées aux fleurs de lys, et qui ont ordonné de traîner dans les champs les panonceaux royaux sous prétexte que « oultre la dicte riviere de Saone nous n’avons aucune congnoissance et que la dicte riviere divisa nostre royaume et l’Empire », le roi opère, malgré les injures qu’il a reçues, une simple commutation où s’exprime sa pleine autorité 196. Elle se joint aux pressions qu’il a subies : « il nous plaise, auxdiz Guillaume et Sebille sa femme, icelles impartir, nous consideré ce que dit est et pour amour et contemplacion de plusieurs nos chevaliers qui nous ont de ce humblement supplié, avons, auxdiz supplians ou cas dessus dit, quittié, remis et pardonné, et de notre pleine puissance, auctorité royale et grace, quittons, remettons et pardonnons ». 93

La personne du roi injuriée tend bien à se confondre avec les fleurs de lys et les panonceaux brisés, signes extérieurs de la majesté royale. Mais paradoxalement, pour ce type de crime, l’intervention extérieure est fréquente. La qualité des suppliants n’est pas toujours en cause. En effet, les auteurs d’injures ou d’infraction de sauvegarde appartiennent à tous les milieux sociaux. Mais, pour obtenir la rémission, ils font appel à des appuis. C’est bien le signe que le crime de lèse-majesté est grave, que l’état naissant est imbriqué dans le système des recommandations et des clientèles et qu’il échappe aux manifestations traditionnelles du pardon royal.

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Plus nette encore est la place des crimes qui sont liés à la guerre. La formule « Le roi a la relation de » qui prend place dans la mention hors teneur de la lettre de rémission, indique que ce sont là des cas où le roi est sûrement absent. La place est libre pour les pressions extérieures, en particulier celles des ducs et de leurs clientèles au temps de Charles VI, d’autant plus que les chevaliers et les écuyers sont les plus nombreux à être concernés par ce type de crime. Mais la mise à l’écart des crimes liés à la guerre n’implique pas tout à fait que ce délit échappe au roi. Le roi marque sa complicité avec l’aristocratie en reconnaissant à ces hommes d’armes les services qu’ils lui ont rendus et en attendant de ces hommes graciés de nouveaux services dans le futur. Jusque dans le crime, ils sont liés à la royauté. Cela est vrai des simples hommes d’armes comme des chevaliers et des écuyers. De ces deux compagnons en garnison à Pont-de-l'Arche, on ignore s’ils sont nobles. Ils obtiennent rémission en 1385 pour avoir dérobé des marchands qu’ils croyaient, disent-ils, anglais. La commutation de la peine s’exprime ainsi : « Nous, attendu ce que dit est et que le dit Raoul depuis le temps qu’il se pot armer et porter armes a touz jours esté bons et loyaulx françois en soustenant notre parti et en exposant souventeffoiz et en plusieurs lieux et faiz son corps contre noz ennemiz oudit pays de Normandie et ailleurs »197. Cela ne veut pas dire que les suppliants ignorent le vocabulaire du « coeur », de « l’amour » ou de « l’affection » que, repentis, ils portent à leur roi. Enguerran, bâtard de Créquy, après avoir été prisonnier est devenu Anglais, corps et âme. Son attitude dans la guerre ainsi que le sceau anglais qu’il emploie pour sceller ses lettres le prouvent. Mais avec les trêves, le coeur lui revient et, en 1381, le sire de Coucy intercède pour qu’il obtienne rémission « voulant et desirant de tout son coeur retourner et revenir loyaument et senz faintise a notre parti et noz subges »198.

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L’opposition que révèle le graphique de la rémission marque aussi les privilèges que ces hommes d’armes, et en particulier les chevaliers et les écuyers, ont acquis au sein de la société, et qui les singularisent. La rémission des crimes liés à la guerre confirme la perturbation qu’ils apportent à l’ordre social. La société se divise jusque dans ses crimes

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et dans ses valeurs entre nobles et non-nobles199. La royauté en prend acte et l’Etat qui gracie se construit avec l’aristocratie. 96

Si le vocabulaire de la criminalité n’est pas toujours net, opérant des liens entre les crimes contre l’ordre sacré et la majesté, le graphique de la rémission montre que la grâce ne les soumet pas au même traitement. Cette constataion ne peut que conforter ce que nous apprend la réflexion sur les crimes dits irrémissibles. L’ordonnance de 1357 ne compte pas la lèse-majesté parmi les crimes qu’elle souhaite voir écartés de la grâce, et encore au début du XVe siècle, le crime de lèse-majesté commis par les gens de Charles de Savoisy peut faire l’objet d’une rémission car il n’est pas « irrémissible » 200. Il existe bien entre les crimes du sacré et la lèse-majesté une différence de nature. De telles considérations doivent faire réfléchir en dernière analyse sur le contenu de la lèse-majesté.

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Une première approche consiste à la saisir en liaison avec les crimes politiques qu’elle sous-tend. La traîtrise et la félonie peuvent être placées en tête, non point du fait de leur nombre, mais de la place que leurs protagonistes occupent dans la hiérarchie sociale. Il peut s’agir en effet de Pierre de Craon, du duc de Lorraine, comme de Charles de Savoisy201. La sauvegarde enfreinte et le port d’armes prohibé sont les plus nombreux cas. La lèse-majesté ne leur est pas toujours nominalement accolée mais leurs auteurs sont réputés criminels pour avoir lésé le « bien public » ; les méfaits commis contre les officiers royaux entrent aussi dans cette catégorie 202. Ce sont là des crimes qui sont de mieux en mieux définis mais qui ne présentent guère de nouveauté par rapport à l’ensemble du XIVe siècle.

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A l’époque qui nous occupe, deux éléments doivent entrer en ligne de compte : le poids de la conjoncture politique et la réflexion sur la notion de crime public. Les révoltes et la guerre civile ont permis de mieux cerner ce que sont ces termes uniones, conspiraciones, monopolia, consilia, conventicula, commotiones, insultus, incendia, homicidia et apprisionasiones, capciones, submersiones et suspensiones officiariorum... ; au même moment Jean Bouteiller tente d’éclaircir leur définition203. La lèse-majesté se développe surtout par le biais des cas royaux, c’est-à-dire par la mise en place d’une nouvelle hiérarchie des crimes, certains se voyant accoler le terme « public ». Nous avons déjà pu noter les balbutiements de cette réflexion à propos du vol204. Nous avons vu aussi que les privilèges des clercs étaient au coeur du débat jusqu’à remettre en cause les rapports traditionnels de l’Eglise et de l’Etat205. D’autres crimes que le vol peuvent être concernés, tels le faux-monnayage, les boutements de feux et les formes de traîtrises que favorisent la guerre civile ou la guerre contre les Anglais 206. A cette évolution qualitative s’ajoute le désir de définir une zone d’extension de ces crimes. Il y avait les lieux en sauvegarde ; ils se multiplient et, chaque fois, les panonceaux fleurdelysés s’y déploient tandis que les lettres de sauvegarde proclament le cri de la protection royale207. S’y ajoutent le palais du roi, ses abords, mais aussi toutes les villes qu’il protège et qui se disent sa « chambre ». Parmi celles-ci, Paris joue un rôle prépondérant. Les réflexions des praticiens, au Parlement comme au Châtelet, mais aussi celles des théoriciens à la fois universitaires et humanistes, disent assez que le crime ne doit pas y avoir lieu. Et, nous l’avons vu, c’est de ce lieu le plus public du royaume que doit partir la réforme politique, exemplaire208. Enfin, l’extension de la fiscalité, parce qu’elle peut susciter la rébellion, engendre la lèse-majesté 209. Tous ces éléments expliquent en partie le développement de la lèse-majesté et ils insistent sur sa nature politique. Mais, si on compare ces résultats aux traités des juristes

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contemporains comme Jean de Terrevermeille, la quête est maigre. La lèse-majesté est un souci de l’Etat, ce n’est pas un souci majeur, même en temps de crise 210. 99

La notion de couronne, que les théoriciens des règnes de Jean le Bon et de Charles V ont contribué à définir, se profile derrière de telles réflexions 211. L’analyse des théoriciens politiques se traduit, dans la pratique, par le développement du pouvoir législatif. Un nouveau système de référence se met ainsi en place qui juge des actes criminels par rapport à des ordonnances auxquelles les sujets ont désobéi. Que le pouvoir législatif se conforte du pouvoir judiciaire pour imposer l’obéissance, il n’y a rien là qui doive nous étonner, mais il apparaît bien que le « pouvoir normatif » contribue largement à définir le crime politique. Le rebelle devient celui qui n’obéit pas aux ordres royaux 212. Mais, c’est sous le règne de Charles VI un phénomène récent et, s’il est courant à la fin du XV e siècle d’entendre les sergents du Châtelet arrêter les coupables au nom de leur infraction aux ordonnances, le phénomène est encore assez rare au Parlement comme au Châtelet à la fin du XIVe siècle213. Les prémices de cette évolution méritent d’être marquées puisque le crime politique acquiert son système de référence qui doit de moins en moins à la litanie traditionnelle des crimes stéréotypés.

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N’exagérons pas les effets d’une telle évolution. Quand il est énoncé, le crime politique reste encore dans la gangue de la criminalité ordinaire et les rebelles sont en premier lieu des criminels214. Essayons donc pour conclure de cerner ce qui fait son originalité pendant la période considérée. Reprenons le vocabulaire : la lèse-majesté est une blessure faite à l’honneur, celui du roi. La majesté royale s’accompagne de l’honneur. La référence des textes narratifs est claire. Parler contre le roi, c’est prononcer des « paroles deshonnetes »215. Se livrer à des actes politiques criminels, c’est commettre le « scandale »216. A l’inverse, ceux qui aident le roi, ses officiers en premier lieu, sont là pour conserver son honneur ; quant au Parlement, il agit contre les crimes politiques pour « l’honneur du roi garder »217.

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Ce vocabulaire est commun à l’ensemble du royaume et celui qui est à sa tête n’échappe pas aux lois exigeantes de l’honneur car pour le roi aussi, ce capital est difficile à conserver. Peut-on parler, comme pour l’honneur des gens ordinaires, d’une lésion portant sur le corps ? Et de quel corps s’agit-il ? Le contenu de l’honneur pourrait laisser supposer qu’il s’agit du corps mystique et que sa signification est strictement politique : « l’honneur du roy ayme jugement » dit en 1408 l’abbé de Cerisy, reprenant la parole du Prophète218. Mais la dignité du roi est aussi concrète. L’honneur est lié à l’« etat royal » dont le maintien se mesure en habits et en bijoux 219. Les injures faites au roi confirment ce point de vue. Elles peuvent s’attacher à la personne royale et, en ce qui concerne Charles VI, prendre en compte la personne du roi jusque dans sa folie. Lorsque les hommes du duc de Lorraine s’emparent des panonceaux fleurdelysés de la ville de Neufchâteau qui se trouve en la sauvegarde du roi, ils disent « par maniere de derision » : « or tu es bien malade roy ! Roy tu ne te peux ayder ! Vecy le roy que j’ay pris ! »220. On peut aussi penser que ces mêmes opposants se moquent de tout ce qui fait la force physique et morale du roi quand ils crient à celui qu’ils sont en train de noyer alors qu’il est dans la sauvegarde du roi « que c’estoit en despit de la dicte garde et qu’il veist comment son roy lui pourrait aidier ». « Aider », le verbe revient comme un leitmotiv, flirtant avec l’image du père ou tout au moins de la parenté salvatrice. Le roi a bien un corps auquel les sujets sont sensibles. De ce point de vue, les textes de la pratique judiciaire et politique sont plus sensibles à l’ambiguïté des deux corps que ceux des théoriciens221. L’honneur y est perçu comme la forme vulgarisée de la majesté.

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De ces références à l’humanité du roi, on passe à la nature. Etre ennemi du roi, c’est « etre ennemi de nature ». Ainsi sont désignés les gens de Savoisy au Parlement quand on débat de l’attentat contre Jean de Morgueval, car il est à « noter qu’ilz doivent estre reputez anemis de nature pour avoir fait ledit malefice car Morgueval ne leur avoit riens meffait qui est officier de justice et autant ilz pourraient ilz fere aux plus grans officiers royaulx qui puisse estre, laquelle chose justice ne doit point souffrir » 222. Le roi n’échappe pas non plus aux lois de la dérision sexuelle, mais celles-ci se manifestent de façon différente, justement comme la manifestation de la contre-nature. En général, l’injure consiste à traîner les fleurs de lys dans la boue ou à associer la personne royale, ses insignes ou ses officiers, à la fange. La signification de ces gestes qui associent l’infamie à la noirceur ne peuvent pas être négligés quand on sait l’importance qu’ils occupent dans l’injure ordinaire. Dans le bailliage de Vermandois, un prévôt tente d’obliger un homme à payer une amende. L’autre se récuse et réclame la sauvegarde du roi. Le prévôt excédé joue sur les mots et les propos orduriers : « je ne seroie pour roy ne pour rot un estront »223. Ailleurs, la fange peut être remplacée par le « bouton » ou le simple défi224.

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Mais la dérision contre le roi trouve son accomplissement dans des gestes contre nature sans équivoque. A Montaigu, au début du XVe siècle, Jean Harpedenne se heurte à la résistance des habitants qui se disent en la sauvegarde du roi. Pour les contraindre, ses officiers se mettent « la fleur de lis in parte posteriori dorsi » et ils ajoutent « qu’ilz ne feroient rien pour le roy ne pour appel »225. L’un de ceux qui ont inauguré ces gestes outrageux est Jourdain de L’Isle qui fit prendre les officiers du roi par ses serviteurs « et despouiller tous nuds, puis leur fist par force tomber les testes en bas, et leur bouter leurs propres maches, c’est a dire leurs basions roiaulz dedens leurs fondemens, et en tel estat les fist mourir »226. Avec lui s’inaugure la longue chaîne des condamnés pour lèse-majesté.

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Sans doute ne faut-il pas forcer les textes, mais on trouve dans ces attitudes les caractéristiques de l’inversion sexuelle. Actes de dérision, ces injures opèrent une mutation de la personne royale qui, de manifestation suprême d’une généralité incarnée, inviolable parce que son corps est nécessairement oublié au nom du bien commun, se transforme en un être singulier, soumis aux aléas d’une existence chamelle227. Ce corps, réincarné, devient alors objet de violence et de dérision. La rébellion politique prend de préférence cette forme d’inversion. C’est une de ses forces, mais aussi une de ses limites car on peut penser que les gestes et les mots de l’inversion suffisent à marquer l’opposition sans aller plus avant dans une prise de conscience politique. Néanmoins, comme le suggère bien J. Chififoleau, ce lien de la majesté avec l’indicible est aussi en rapport avec la nature même du pouvoir politique. De la même façon que la justice du roi extorque les aveux de crimes qui appartiennent au nephandum, l’hostilité au roi se traduit par des actes contre nature 228. C’est là le refus d’un lien charnel, d’un éventuel lien naturel avec le roi. Mais celui-ci a-t-il voulu réellement l’imposer ?

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Moins que par le scandale sexuel qui menace au premier chef les sujets, l’honneur du roi se perd par la guerre injuste et par la perturbation de la paix 229. La différence est essentielle. La majesté royale ne doit pas être soumise aux exigences du corps. N’oublions pas que le roi se présente, dès la fin du XIII e siècle, comme un être distinct de ceux qui l’entourent, à commencer par les barons. L’auteur des Grandes chroniques prête au comte de Flandre, dès 1184, des propos où la majesté se mêle à la « hautesse »

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. L’image est allée en se précisant, non sans que les tenants d’une royauté patriarcale et passéiste aient tenté de s’y opposer231. Le temps est venu pour les théoriciens du règne de Charles VI de définir cette majesté. Christine de Pizan ou Pierre Salmon prennent soin de présenter des attributs royaux visibles dans le vêtement comme dans la façon de se tenir et de chevaucher232. Léser la majesté, c’est alors blesser cette image d’un roi devenu autre, séparé du peuple. Cette conception contribue à expliquer la place particulière qu’occupe le crime politique sur le graphique de la rémission. Comme le roi qui gracie pleinement, il est autre. 230

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Concluons. Il existe donc bien, selon la rémission, trois grands types de crimes : l’homicide qui sort de la gangue de la vengeance, le crime politique qui est une affaire de gouvernement sans exclure la pression des parents et des amis du roi, et le crime contre le sacré qui montre l’intime liaison de l’Eglise et de l’Etat, qu’il s’agisse de la perception des autorités ou des sujets.

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Ce sont là les signes certains d’une société régie par les lois de l’honneur. La place totalement excentrée que le graphique confère aux crimes professionnels achève d’en convaincre. En nombre, ces crimes sont rares parce que leur faible place dans la hiérarchie des délits n’implique pas une demande de rémission 233. En tant que tels, ils n’ont pas de pesanteur. Cela ne veut pas dire que les criminels sont totalement insensibles à ce qu’ils appellent l’« honneur de leur metier » ou à la « loyauté » de leur labeur234. Mais, quand une altercation a pour antécédent un crime professionnel, elle se dilue très vite en prenant les passages obligés de l’honneur blessé 235.

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Incontestablement, c’est l’importance accordée à la rupture des tabous qui indique le système des valeurs. Aussi, même quand il s’agit de crimes politiques « froids », de crimes commis contre l’Etat, le vocabulaire peut encore recourir à l’enfreinte du sacré pour mieux en montrer l’horreur. N’est-ce pas parce qu’il existe un net décalage entre la pensée des théoriciens et l’opinion ? L’opinion ne serait pas sensible à d’autres valeurs. Il en est ainsi de la cohorte des crimes qui collent à la peau des gens de guerre. Au milieu du XVe siècle, ils sont encore moins accusés d’être infidèles au prince que de commettre « meurtre d’aguet apensé, boutement de feux, sacrilège et violement de filles et de femmes »236. Nous avons vu que dans la pratique du pouvoir, les distinctions étaient autrement plus subtiles et que la lèse-majesté était avant tout politique. Mais l’accusation, quand elle se vulgarise, passe par ce lieu commun obligé qui fait référence au sacré et parle à tous, assimilant dans une même opprobre les malfaiteurs et les rebelles.

NOTES 1. Rien n’a remplacé, sur ce point, l’analyse suggestive que donne É. DURKHEIM, Leçons de sociologie..., Xe leçon, p. 133 et suiv., et Les règles de la méthode sociologique, Division du travail, parag. 1, 2, 3. 2. Voir chapitre 3.

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3. ORF, t. 1, p. 72, parag. 19-20, 1254. Ce sont encore ceux que se réserve le roi à Condom : « quantumcumque speciali et enormi », ORF, t. 8, p. 169, avril 1400. 4. C’est en particulier le cas de la charte d’Amiens. Néanmoins, la commune exerce dès le 2ème quart du XIIe siècle le judicium sanguinis. Sur l’opposition entre ce droit pénal à base de compositions et un droit « régalien », voir l’exemple du comté de Flandre, R.C. VAN CAENEGFIEM, Geschiedenis..., p. 130 et suiv. Dans le Midi, l’évolution qui, en matière criminelle, a transformé les consuls en « quasi officiers royaux » est achevée à la fin du XIV e siècle, J.M. CARBASSE, Consulats méridionaux..., p. 158. 5. J.M. CARBASSE, ibid., p. 257, n. 9. 6. Par exemple Y 5266, fol. 26, fol. 27, fol. 27v., fol. 28 etc., juillet 1488 ; seule la décision peut être mentionnée : « batu, question » ; « eslargi » ; « rayé et mis hors sans riens paier ». 7. Nombreux exemples cités par B. SCHNAPPER, « Les peines arbitraires... », p. 237-277. 8. Ph. de BEAUMANOIR, Coutumes de Beauvaisis, paragr. 824. 9. Les Etablissements de Saint Louis, LU, VIII. L’encis est le meurtre de l’enfant conçu. Voir aussi La très ancienne coutume de Bretagne, paragr. 98-100, rédigée entre 1312 et 1325. 10. J.M. CARBASSE, « La répression de l’adultère... », p. 107 et suiv. 11. ORF, t. 2, p. 257, avril 1347, LYON. 12. Ibid., t. 7, p. 729, 25 juillet 1381. 13. Ibid., t. 7, p. 504, paragr. 30, septembre 1392. 14. Chapitre 5, p. 211 et 13, p. 597-598. 15. ORF, t. 4, p. 19, 1350, et t. 8, p. 209, 1397. 16. J. BOUTEILLER, Somme rural, VI. Sur ces différentes sortes d’emprisonnement, A. PORTEAUBITKER, « L’emprisonnement... », p. 215-217, et « Le système d’élargissement... », p. 60. L’auteur montre comment ce système d’élargissement s’applique aussi bien en droit civil qu’en droit criminel. 17. Exemples donnés par L. TANON, Histoire des justices..., p. 50 et suiv. 18. G. TESSIER, « Lettres de justice », p. 102-115, et B. GUENÉE, Tribunaux..., p. 300. Sur le lien entre cette condamnation et la requête, Cl. GAUVARD, « Ordonnance de réforme... », p. 92. 19. L.Th. MAES, « L’humanité de la magistrature... », p. 158 et suiv. 20. J. BOUTEILLER, op. cit. supra, n. 16, XXIX. 21. Sur ces différentes rubriques, voir chapitre 2. 22. Voir chapitre 16 et 17. 23. L’appellation « crime de parole » remplace celle que j’avais adoptée sous la rubrique « crime contre l’honneur », Cl. GAUVARD, « L’image du roi justicier... », p. 180. Les études anthropologiques et historiques sur l’honneur, ainsi que les analyses menées sur l’honneur blessé montrent que rares sont les délits qui ne relèvent pas de l’honneur. 24. Nous avons souvent rencontré ce handicap de l’imprécision dans la déclinaison d’identité des coupables. Voir en particulier chapitre 2, p. 101 et la discussion relative à l’âge, chapitre 8, p. 348-354. 25. Cette constatation n’exclut pas les empiètements royaux, tableau 7, chapitre 4. 26. Sur cette présence du roi et la signification des mentions hors teneur, Cl. GAUVARD, op. cit. supra, n. 23, p. 167-168. 27. Sur cette opposition, voir les suggestions de M. MAUSS, « La religion et les origines du droit pénal », p. 34. L’auteur fait un compte-rendu critique des thèses de M.S.R. STEINMETZ, Ethnologische, etc. nebst..., qui montrent que dans les sociétés primitives, le crime le plus important est l’homicide. A l’inverse, M. MAUSS défend la thèse selon laquelle le crime fondamental y est lié au sacer. L’homicide n’est que la réponse à une « lésion » des valeurs fondamentales. 28. M. MAUSS, ibid., p. 36 et 46. 29. J’ai pu bénéficier pour cette mise au point du rapport général de J.M. CARBASSE, « La peine en droit français... », La peine...

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30. A. LAINGUI et A. LEBIGRE, Histoire du droit pénal..., t. 1, p. 6 : « De toute façon et quelle que soit la nature juridique des « lois barbares », on ne peut guère ici parler de droit ». 31. Le seigneur haut-justicier en a les moyens, Y. BONGERT, Recherches..., p. 125-128. Sur les limites du pouvoir coercitif exercé par les tribunaux, P. J. GEARY, « Vivre en conflit... », p. 1125-1126. 32. D. BARTHÉLÉMY, Les deux âges..., p. 370-371. 33. J. BOCA, La justice criminelle..., p. 182-183. 34. N. D. HURNARD, The King’s Pardon for Homicide..., p. 1, et J. G. BELLAMY, Crime and Public Order..., p. 192-198. 35. J. G. BELLAMY, ibid., p. 31, et Th.A. GREEN, « Social Concepts... », p. 669. 36. Cette interprétation est même controversée pour l’Angleterre. L’homicide sans préméditation y émergerait seulement au XVIe siècle, J.M. KAYE, « The Early History of Murder and Manslaughter », p. 365-395, alors que pour Th.A. GREEN, op. cit. supra, n. 35, p. 675, la différence est déjà nette entre le meurtre et l’homicide sans préméditation à la fin du XIV e siècle en Angleterre. L’auteur critique aussi la thèse de N.D. HURNARD, op. cit. supra, n. 34, p. 683. 37. Au XVI e siècle, en Angleterre, on peut déceler un lien entre les types d’homicides et le pardon, voir le thème du pardon chez Shakespeare, N.Z. DAVIS, Pour sauver sa vie..., p. 147-148. 38. Chapitre 3, p. 123-126. 39. Sur cette différence de conception entre l’ancien droit et le nouveau, A. LAINGUI et A. LEBIGRE, op. cit. supra, n. 30, p. 148-149. 40. Au Châtelet, en 1389-1392, il n’existe pas de différence de peine pour les crimes de sang : le meurtrier est condamné à être pendu, les mains liées devant. Par exemple, Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 406-419 : le procès fait à Jean de La Ramée parle de meurtre et tente de prouver la préméditation, mais la décision des juges marque bien la confusion qui existe alors en France puisque « tous lesquieulx delibererent et furent d’oppinion, attendues les denegacions et variacions par lui faites, avec les confessions et reyteracions d’icelles, par lui cogneues, et la maniere du fait advenu, que l’en ne le povoit espargnier qu’il ne fesut tenus dudit fait comme de homicide, et que, comme tel, il feust excecutez, c’est assavoir pendus et les mains liees devant ». 41. ORF, t. 1, p. 21, et t. 8, p. 209. 42. ORF, t. 12, p. 270, septembre 1419. 43. E. de MONSTRELET, Chronique, t. 1, p. 155 et suiv. Sur la confusion de vocabulaire, ibid., p. 170. Pour la discussion relative au « juste » homicide, ibid., p. 210 et suiv. 44. Aucune réflexion de ce type chez Jean Le Coq ou chez les praticiens anonymes. Pour une confusion entre les mots, X 2a 16, fol. 42, février 1410 ; ibid., fol. 72-73, août 1410. 45. X 2a 16, fol. 397, 23 janvier 1421. 46. Par exemple X 2a 15, fol. 132, mars 1406 : « murtrum horribile perpelrando », et exemple cité supra, n. 42. Mais, l’abbé de Cerisy, à propos du meurtre du duc d’Orléans, parle aussi de « cruel homicide », E. de MONSTRELET, op. cit. supra, n. 43, p. 158. 47. Nombreux exemples dans les lettres de rémission. Voir aussi le Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 610. 48. J. BOCA, La justice criminelle..., p. 182. 49. Ph. de BEAUMANOIR, Coutumes de Beauvaisis, paragr. 826-827. 50. Sur la haine, voir chapitre 15, p. 686-688. 51. Tableau 39, chapitre 16. Les contemporains ne s’y sont pas trompés, par exemple Nicolas de CLAMANGES en 1413 qui, évoquant le schéma des crimes commis à la taverne, écrit « le coeur s’enfle, les colères surgissent, les menaces voltigent, les injures éclatent. Le mot d’Horace se vérifie : “le jeu a engendré le dur combat et la colère ; la colère les inimitiés solides et la guerre fatale.” », traduit du De novis celebritatibus non instituendis par Mgr. P. Glorieux, « Moeurs de chrétienté... », p. 18. 52. Ph. de BEAUMANOIR, op. cit. supra, n. 49, paragr. 825.

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53. JJ 127, 229, lettre citée chapitre 15, n. 112. 54. JJ 160, 378, juin 1406, SAINT-JUNIEN (sénéchaussée du Limousin). 55. Nombreux exemples dans A. DUMAS, « Vengeance privée », DDC, t. 7, Paris, 1965, col. 1407-1410. Saint THOMAS, Summa theologica, IIa XL, De Bello, développe l’idée de contrainte et celle du « corps défendant », voir chapitre 17, n. 146. 56. JJ 130, 246, juin 1387, BIENVILLE (bailliage de Senlis). 57. Tableau 36, chapitre 14. 58. Nombreuses critiques dans les plaidoiries du Parlement sur le nombre des participants et l’absence de leurs liens de parenté avec celui qui a organisé l'expédition mortelle, par exemple X 2a 14, fol. 1, novembre 1400 ; X 2a 15, fol. 169, décembre 1407. 59. JJ 160, 151, décembre 1405, LIGNÈRES (bailliage de Chartres). 60. Cet édit de Louis XI a été explicité par l’ordonnance de Villers-Cotterêts, en 1539, qui habilite les petites chancelleries à délivrer les rémissions « aux homicidaires qui auraient été contraints faire des homicides pour le salut et la défense de leurs personnes, et d’autres cas où il est dit par la loi que les délinquants se peuvent ou doivent retirer par devant le souverain prince pour en avoir grâce » : cité par A. LAINGUI et A. LEBIGRE, Histoire du droit pénal..., t. 1, p. 63. Malgré sa décision, Louis XI a continué de gracier des homicides dotés des meilleures circonstances atténuantes. 61. Point de vue développé à propos de saint Louis par C. BEAUNE, Naissance..., p. 130-131. Voir sur ce point les différentes communications relatives aux rapports de l’Eglise et de l’Etat, Etat et Eglise dans la genèse de l'Etat moderne. 62. Sur cette approche, G. BALANDIER, Anthropologie politique, p. 176-177, et L. de HEUSCH, Ecrits sur la royauté sacrée, p. 217 et suiv. 63. On sait le poids de cette responsabilité religieuse dans les mesures politiques que prend Philippe le Bel au début du XIVe siècle, R.H. BAUTIER, « Diplomatique et histoire politique... », p. 22-23. 64. ORF, t. 9, p. 468, octobre 1409 ; ibid., t. 10, p. 244, 7 septembre 1415 ; ibid., t. 11, p. 105, 8 octobre 1420. 65. ORF, t. 1, p. 99-105 et p. 296 ; t. 2, p. 282-283. 66. Cité par A. LAINGUI et A. LEBIGRE, op. cit. supra, n. 60, p. 8, n. 3. 67. ORF, t. 8, p. 130, 7 mai 1397. 68. Chapitre 5, p. 217 et suiv. 69. N. de BAYE, Journal, t. 1, p. 331 et suiv., 9 septembre 1410. 70. ORF, t. 10, p. 243, 7 septembre 1415. 71. P. SALMON, Les demandes..., BN Fr. 9610, fol. 75. 72. JJ 143, 152, septembre 1392, SENLIS (bailliage de Senlis). 73. Les sources sur la théorie du blasphème sont répertoriées par A. MOLIEN, « Blasphème... », et par E. CRAUN, « Inordinata locutio », p. 135-162. Je n’ai pas pu utiliser C. CASAGRANDE et S. VECCHIO, Les péchés de la langue, Paris, 1991. 74. JJ 155, 281, lettre citée chapitre 10, n. 80. 75. La « malice » agit en effet à plein pour provoquer la detestatio divinae bonitatis génératrice du blasphème contre l’Esprit-Saint, condamné par les évangélistes Matthieu 12-131-132, Marc 3-28-29 et Luc 12-10. 76. JJ 127, 86, août 1385, MAGNÉ (sénéchaussée de Saintonge). 77. Voir exemple cité supra, n. 72 ; de même, JJ 165, 308, mai 1411, (bailliage de Vermandois). Quant à ce maréchal, il en est « moult honteux », JJ 169, 170, mars 1416, (bailliage de Vermandois). 78. A Reims, dès 1314, la condamnation d’un blasphème suscite un conflit de juridiction avec l’archevêque, P. VARIN, Archives administratives..., t. 2, p. 156, 20 avril 1314. 79. Par exemple JJ 127, 115, septembre 1385, LAGNY (bailliage de Meaux).

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80. Saint THOMAS, Summa theologica, II, II 13-1. 81. JJ 103, 137, juin 1372, ROUEN (bailliage de Rouen). 82. Voir infra « Les crimes politiques », p. 834. 83. Par exemple, un suppliant se plaint parce qu’on lui « a imposé villain serment » alors qu’il a seulement « dit aucunes paroles deshonnestes », JJ 120, 357, lettre citée chapitre 12, n. 147. 84. Voir sur ce point la conclusion du chapitre 15, p. 693-694. Le droit canon explicite ainsi ce type de blasphème : « Si quis per capillum Dei vel caput juraverit vel alio modo blasphemia contra Deum usus fuerit », dans Corpus juris canonici, I, col. 863. 85. JJ 155, 47, lettre citée chapitre 8, n. 69. Autre exemple d’une menace de pilori qui se solde par une grâce, JJ 129, 88, juillet 1386, ALLUETS-LE-ROI (prévôté de Paris). 86. Les cas de blasphème traités au Parlement sont rares, X 2a 14, fol. 298v., janvier 1406. Il s’agit de Jean Du Fort Manoir, écuyer, emprisonné à la Conciergerie qui, « en jouant aux tables avoit maugréé Dieu et di paroles de la Vierge Marie qui ne sont a reciter ». Son emprisonnement dure longtemps. La Cour décide qu’il doit payer une amende de 60 sous parisis (somme fixée par les ordonnances) que le greffier doit convertir en luminaire pour la chapelle du Palais. Pourquoi cette mention à cette date ? Faut-il la mettre en rapport avec la gestion purificatrice de Guillaume de Tignonville ? Exemples de blasphémateurs libérés du Châtelet à la fin du XV e siècle, Y 5266, fol. 5, 18 juin 1488 : un laboureur et un cordier sont trouvés en train de jouer sur les murs « entretenans a corps et a drapz, jurans le sang, la mort et la vertu Dieu au comptant de ce qu’ilz jouaient au jeu de la boulle » ; ibid., fol. 6v., 20 juin 1488 : un écolier ou « maître » « a juré le sang Dieu plusieurs fois » en battant des filles publiques ; ibid., fol. 13, 21 juin 1488 : tapage nocturne avec blasphème de deux compagnons laboureurs, de nuit, « en jurant le sang et la mort Dieu par plusieurs fois qui est contre les criz et ordonnances ». Aucun de ces criminels écroués n’a été puni du pilori ou de l’échelle. 87. Comme dans les autres villes, des cris sur le « vilain serment » ont eu lieu à Paris sur ordre du prévôt, Y 2, fol. 118, 15 février 1393. Il faut noter que ce cri suit de près les réflexions relatives au cas de Jean Palart, condamné pour blasphème par le Châtelet en novembre 1391, Registre criminel du Châtelet, t. 2, p. 356-357. Pour prononcer cette condamnation, les juges invoquent « l’ordonnance et dit, ja pieça fait par le roy Phelippe, sur ceulx et celles qui diroient mal de Dieu, nostre createur, de la Vierge Marie, sa mere, en jurant le villain serement ». Malheureusement, l’absence de référence datée à cette ordonnance empêche de lui donner une attribution précise, ibid., p. 357, η. 1. N’est-ce pas le signe que la législation sent son impuissance, que viendra en partie combler l’ordonnance de 1397 ? Voir supra, n. 67, puis sa répétition, supra, n. 64. 88. La pratique du blasphème ne fait pas encore partie de la fama au même titre que le pillage ou le vol dans les églises, X 2a 14, fol. 25v., mars 1401, vols commis dans l’église de RAMPILLON. Une seule allusion faite à un suspect qui « renioit Dieu », ibid., fol. 267v., août 1405. 89. Rappelons que, au XVI e siècle, les femmes meurtrières de leur mari ne manquent pas d’évoquer qu’il était blasphémateur, lettres citées par N.Z. DAVIS, Pour sauver sa vie..., p. 258. 90. Voir sur ce point les remarques de P. LEGENDRE, L'inestimable objet..., p. 94 et suiv. 91. Sur cette vision théorique, F. BOURQUELOT, « Recherches sur les opinions... », p. 456-475. 92. J. BREGEAULT, « Procès contre les cadavres... », p. 619-644, et A. de L’ARBRE, « De la confiscation... », p. 329-399. Il semble que cette confiscation ait remplacé la destruction des biens du suicidé à partir du XIIIe siècle, j. BOCA, La justice criminelle..., p. 238 et suiv. 93. Ph. de BEAUMANOIR, Coutumes de Beauvaisis, t. 2, p. 482-483. 94. Par exemple, JJ 169, 26, lettre citée chapitre 6, n. 157, chapitre 7, n. 98 et 133 et chapitre 10, n. 17. 95. On peut seulement déceler une évolution dans les milieux humanistes qui réfléchissent, à travers les modèles antiques, à la possibilité du suicide, J. de MONTREUIL, Epistolae, 202 et 214. Cette réflexion s’inscrit dans un courant avignonnais de mépris de la mort, qui est aussi sensible chez Jean Muret.

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96. Ce serait le cas à MANOSQUE, d’après R. LAVOIE, où le viol représente 25 % de la délinquance sexuelle, conférence inédite citée par M.Th. LORCIN, Façons de sentir..., p. 131, n. 12. 97. Chapitre 5, p. 205-207. 98. Exemple de la sévérité des juges à l’égard du viol, Registre criminel du Châtelet, t. 2, p. 514. Pour désigner ce forfait, les juges affirment que l’accusé « avoit commis force publique et ravissement en tant qu’il avoit eu la compaignie chamelle d’icelle Perrette contre son gré ». La valeur exemplaire de ce registre permet de mesurer la place du viol dans la hiérarchie des valeurs ; il est assimilé à un crime public. Cet exemple montre bien le degré de maturité politique des juges du Châtelet qui prennent le crime contre la chose publique comme référence alors que, dans les plaidoiries, le raisonnement est encore inverse. 99. ORF, t. 7, p. 316. La décision est prise pour les viols commis à EYRIEU et l’acte a été émis en AVIGNON, novembre 1389. En revanche, on ne peut pas parler de laxisme vis-à-vis du viol dans les villes du pays toulousain où la peine de la course s’est renforcée au XIV e siècle, J.M. CARBASSE, Consulats méridionaux..., p. 320 et suiv. 100. JJ 165, 322, lettre citée chapitre 6, n. 168. La virginité est partie essentielle de la renommée féminine, d’où l’importance de la rumeur pour la définir, cas comparable X 2a 14, fol. 312v., mars 1406. Voir les cas cités chapitre 7, p. 334 et suiv. 101. Ibid., 180, lettre citée chapitre 13, n. 53. 102. JJ 127, 91b, juillet 1385, LAUNOY (bailliages d’Amiens et de Senlis). 103. X 2a 14, fol. 44v., décembre 1401, (bailliage de Vermandois). 104. Tableau 6, chapitre 4. 105. J. GERSON, Considérations sur saint Joseph, Œuvres complètes, t. 7, p. 85. Pierre Salmon fit pour Charles VI un vibrant éloge de la virginité de la Vierge, et de la virginité en général, P. SALMON, Les demandes..., BN Fr. 9610, fol. 39-39v. 106. Sur ce débat et la littérature qui l’accompagne, B. GUENÉE, Entre l’Eglise et l’Etat..., p. 189-198. 107. Il importe de savoir s’il y a eu viol ou défloration, X 2a 15, fol. 217v., mai 1408, LYON. Le père de la petite fille s’est adressé à la fois à l’official de Lyon et au Parlement. Sur les marques physiques, X 2a 14, fol. 422, mai 1408, et fol. 430, juillet 1408, PARIS. On peut aussi s’assurer du viol au visage de la victime, telle celle-ci qui « revint comme toute rouge qui signifioit avoir eu compaignie charnele », ibid., fol. 306, février 1406. 108. Ph. de BEAUMANOIR, Coutumes de Beauvaisis, t. 1, p. 472. 109. JJ 155, 298, lettre citée chapitre 2, n. 6. 110. JJ 207, 161, novembre 1482, (sénéchaussée de Quercy). 111. Le cas cité supra, n. 109, fait l’objet d’un procès, X 2a 14, fol. 17v., mars 1401. 112. JJ 181, 33, mars 1452, VILLEPAIL (bailliage de Touraine). 113. JJ 169, 11, lettre citée chapitre 6, n. 54. 114. A. LAINGUI et A. LEBIGRE, Histoire du droit pénal..., t. 1, p. 102, et E. MAGNIN, « Adultère »... Le lignage de la femme est, rappelons-le, le premier concerné, voir chapitre 17, p. 770. 115. JJ 133, 11, juin 1388, (bailliage de Rouen). Ph. de BEAUMANOIR, Coutumes de Beauvaisis, paragr. 933-934, rapporte que dans ce cas, il n’en coûte rien au coupable. 116. Roman de Tristan, v. 2657-2661, cité par Ch. MARCHELLO-NIZIA, « Adultère et pardon dans la littérature courtoise du Moyen Age francais (XIIe-XIIIe siècles), Chantilly 1985, dactylographié. 117. La mort le roi Artu, p. 133. 118. Sur l’interprétation de ces textes littéraires en rapport avec l’évolution des structures du pouvoir. Ch. MARCHELLO-NIZIA, « Production littéraire... », p. 205-206. 119. JJ 165, 13, novembre 1410, CHAMPIGNY (bailliage de Sens et d’Auxerre). 120. JJ 107, 327, août 1375, (bailliages de Chartres et de Senlis). 121. JJ 103, 329, lettre citée chapitre 10, n. 89. 122. J. GERSON, Contre la luxure, Œuvres complètes, t. 7, p. 819. 123. JJ 127, 10, lettre citée chapitre 3, n. 35.

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124. JJ 155, 339, janvier 1401, (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 125. Cet exemple montre encore une fois que des sentiments existent au sein de la cellule conjugale et qu’ils sont nécessaires, que ce soit entre époux ou entre les parents et les enfants, chapitre 13, p. 603 et suiv. 126. JJ 143, 198, octobre 1392, TESSY-SUR-VIRE (bailliage de Cotentin). 127. JJ 120, 5, janvier 1382, PARIS (prévôté de Paris). 128. Pour les officialités de Chartres, l’adultère constitue moins de 12 % des délits. Sur les cas parisiens, voir J.Ph. LÉVY, « L’officialité... », p. 1277 et suiv. La solution est en général la séparation de corps ; mais il s’agit d’un registre limité aux causes civiles. A Cerisy, on peut aussi constater ces séparations, J.L. DUFRESNE, « La délinquance... », p. 190 et suiv. 129. J.L. FLANDRIN, Le sexe et l'Occident..., chap. 9 et 10. C’est là le fondement de la thèse de Ph. ARIÈS, L’enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime. 130. L’analyse de J.L. FLANDRIN n’échappe pas à ce mélange, op. cil. supra, n. 129. Peut-on même se fier aux proverbes qui se font l’écho d’une tradition dont la date est impossible à vérifier, et dont on mesure mal la part de l’ironie ? Par exemple, à propos de la mort de l’enfant : « De petit enfant, petit dueil », cité par D. ALEXANDRE-BIDON et M. CLOSSON, L’enfant..., p. 228. 131. Ibid., p. 187 et suiv. 132. Par exemple X 2a 14, fol. 264v., août 1405. Le duc de Bourgogne revendique le droit de justice sur Jean Hubert parce qu’il prétend qu’il est serf, mais surtout parce qu’il est accusé de l’homicide d’un enfant. Habilement, Jean Hubert fait porter le procès sur la servitude en répliquant que « en la duchié de Bourgogne n’a nulz sers ». 133. X 2a 16, fol. 365v., janvier 1417. 134. X 2a 14, fol. 46v., janvier 1402. 135. JJ 151, 9, lettre citée chapitre 7, n. 33. 136. Par exemple JJ 169, 47, lettre citée chapitre 15, n. 4. Exemples cités dans Cl. GAUVARD, « Les révoltes... », p. 56-57. 137. JJ 107, 257, août 1375, COURTENAY (bailliage de Sens et d’Auxerre). 138. Sur le statut particulier de la femme enceinte qui ne peut pas être condamnée, voir chapitre 7, n. 10. Une rémission obtenue pour le meurtre d’une femme enceinte peut se trouver contestée, X 2a 14, fol. 194v., juillet 1404. A cette mort s’ajoute celle de l’enfant qu’elle portait. A ce propos, on peut savoir quelle décision pouvait être prise si la femme enceinte est en péril de mort. L’initiative est laissée au mari qui, dans ce cas, n’a pas laissé « ouvrir » sa femme à temps pour sauver l’enfant mais qui a attendu sa mort « et fut ouverte chaudement et l’enfant trouvé mort ». Pour des exemples de coupables chargés parce qu’ils avaient provoqué la mort d’une femme enceinte, ibid., fol. 378, mai 1407 : il s’agit d’un sergent du comte d’Alençon accusé d’avoir fait mourir une femme enceinte en venant prendre les biens de son mari. Pour sa défense, il argue d’une mort naturelle en affirmant qu’elle est morte en couches « ainsi que plusieurs font ». Autre exemple décrivant l’action perverse de Mérigot Marchés et des gens d’armes en Auvergne qui sont rendus responsables de la mort d’« une femme grosse d’enfant » qui « fu cachiee et telement empressee et serree par les bonnes genz qui se hastoient d’entrer pour doubte d’icelles gens d’armes, que assez tost apres qu’elle fu oudit chastel, elle ala de vie a trespassement », JJ 141, 34, lettre citée chapitre 5, n. 66. 139. JJ 207, 73, lettre citée chapitre 7, n. 55. L’ambiguïté consiste à accoucher d’un enfant mort : l’avortement est sans doute moins grave que l’infanticide. 140. La jeune fille a 17 ans, JJ 160, 191, lettre citée chapitre 6, n. 156. 141. JJ 181, 63, avril 1452, BOURGUEIL (bailliage de Touraine) ; ibid., 100, mai 1452, SAINTLAURENT-DE-LIN (bailliage de Touraine). Sur la sociabilité de l’accouchement au Moyen Age. D. ALEXANDRE-BIDON et M. CLOSSON, op. cil. supra, n. 130, p. 56, qui insistent sur « l’environnement affectif ».

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142. On ne peut séparer ce phénomène religieux de l’intérêt porté à l’enfant. Il explique sans doute le miracle qui permet le baptême des enfants morts-nés, P. PARAVY, « Angoisse collective... », p. 87-102. L’enfant a bien pris sa place au XIV e siècle dans la litanie du sacrilège puisqu’il entre dans les stéréotypes du crime commis par les gens d’armes, voir chapitre 5, p. 212. Le Journal d’un bourgeois de Paris..., p. 355-356, donne aussi de nombreux exemples de ces excès commis sur les enfants, que les gens d’armes laissent mourir sans baptême et qu’ils enferment dans des huches. 143. A. LAINGUI et A. LEBIGRE, Histoire du droit pénal..., t. 1, p. 29 et suiv. Quand le sexe de l'enfant est évoqué, il peut aussi s’agir de filles, par exemple JJ 127, 91, août 1385, LOMPRET (bailliage d’Amiens). Dans ce cas, le suppliant avait été appelé aux droits du roi et à ceux de son seigneur « de qui il est levans et couchans ». 144. C’est le cas d’Abbeville, J. BOCA, La justice criminelle..., p. 263 et suiv. Ph. de BEAUMANOIR, Coutumes de Beauvaisis, LXIX, paragr. 6, qui condamne ces procès d’animaux, prend justement l’exemple d’une truie qui tue un enfant. 145. JJ 130, 247, mai 1387, LA FERTÉ-GAUCHER (bailliage de Meaux) ; JJ 160, 5, juin 1405, PARIS (prévôté de Paris), et JJ 172, 3, mars 1420, VILLEMORIEN (bailliage de Sens et d’Auxerre). On ne peut que constater la précision donnée, dans ces cas d’homicide par accident, à l’âge des victimes. 146. JJ 151, 223, lettre citée chapitre 7, n. 108. De même, on ne peut pas toucher à un cheveu des enfants. Au cours d’un jeu d’adolescents, gardiens de pourceaux et de brebis, l’un d’entre eux mit un peu de terre sur la tête d’un enfant de 7 ans. Une violente lutte s’ensuivit entre les deux clans, et « l’agresseur » fut tué par la houlette du berger, JJ 155, 278, lettre citée chapitre 16, n. 82. 147. Voir chapitre 16, p. 730. C’est une injure de mener un coupable « comme un larron », surtout si celui-ci est écuyer, X 2a 14, fol. 4v., décembre 1400. 148. Ibid., fol. 18v., mars 1401. Même les juges du Châtelet ne mentionnent pas le vol dans les églises sous un autre nom que « larrecin », par exemple Registre criminel du Châtelet, t. 2, p. 29, 118, 384. A plus forte raison en est-il ainsi des lettres de rémission, par exemple, JJ 155, 28, lettre citée chapitre 6, n. 82 ; JJ 151, 226, avril 1397, CRÉCY-SUR-SERRE (bailliage de Vermandois) ; JJ 182, 119, lettre citée chapitre 10, n. 34. 149. X 2a 14, fol. 345, août 1406. 150. Voir les circonstances de ce vol chapitre 6, n. 146. 151. X 2a 14, fol. 360, janvier 1407. 152. X 2a 14, fol. 300v., janvier 1406. 153. Ibid., fol. 301v.-302, janvier 1406 et E. PERROT, Les cas royaux..., p. 206. 154. Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 36, 50, 74..., et t. 2, p. 76, 148, 176... 155. J.M. CARBASSE, Introduction historique au droit pénal, p. 284. 156. Registre criminel du Châtelet, t. 2, p. 164-165. 157. Ibid., p. 353. Telle est la raison que donnent les juges pour condamner à mort Colin Lenfant. Pour les interrogations relatives à l’oreille coupée, ibid., p. 214 et X 2a 14, fol. 167v.-168, janvier 1404 ; le coupable, « grant larron », ne se souvient plus d’avoir senti le couteau. 158. Rappelons que la traîtrise s’ajoute alors au vol, Registre criminel du Châtelet, t. 2, p. 70, 130, 368, 409. 159. Ibid., p. 520. Etant donné les objets de petite valeur qu’il a volés, Jehannin Dart est seulement banni après avoir été battu « au cul de la charrette ». En revanche, Perrin Darien est pendu parce que son vol est estimé à IIII francs, ibid., p. 475. Il est très difficile de saisir l’exacte logique des jugements, car elle ne dépend pas d’un seul facteur. 160. JJ 143, 38, juillet 1392, CHAUMONT-EN-VEXIN (bailliage de Senlis) ; ibid., 182, lettre citée chapitre 15, n. 31. 161. La très ancienne coutume de Bretagne..., article 98, pour 5 sous, et celui de la Coutume de Nivernais dans le second cas, voir B. SCHNAPPER, « Les peines arbitraires... », t. 41, p. 237 et suiv. 162. JJ 143, 185, septembre 1392, PARIS (prévôté de Paris).

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163. A. LAINGUI et A. LEBIGRE, Histoire du droit pénal..., t. 1, p. 185, qui concluent : « on considérait les uns après les autres divers types de soustractions frauduleuses ayant chacune ses caractéristiques propres ». 164. 13 % des suppliants qui ont commis un vol ne donnent aucune circonstance atténuante relative à leur crime, 52 % évoquent la prison, 9 % le bannissement, 5 % l’intervention du diable, 18 % l’accord ou le pardon des parties, 3 % d’autres motifs. 165. Nous avons déjà vu de nombreux exemples, en particulier aux chapitres 6, 11 et 15. 166. Chapitre 4, n. 141. 167. JJ 181, 116, juillet 1452, ESTIRAC (sénéchaussée de Toulouse). 168. Voir supra, n. 153. Sur les liens entre l’arbitraire des juges et le durcissement des peines en cas de vol, voir J.M. CARBASSE, op. cit. supra, n. 155, p. 170 et p. 284-286. En contrepoids, la Concordia de Gratien intégrée par saint Thomas, mais aussi par Bartole et Balde, continue d’influencer les théoriciens, G. COUVREUR, Les pauvres ont-ils des droits ?..., p. 252-257. 169. J. GERSON, Diligite justiciam, Œuvres complètes, t. 7, p. 611. Remarquons que certains théologiens comme Nicolas de Clamanges ne cherchent pas de détails : ils fustigent le larron sans distinction, N. de CLAMANGES, De lapsu..., Opera omnia, p. 44 ; cette image du larron-prédateur a-telle contribué à étendre la peine de mort pour vol ? 170. R. EDER, Tignonvillana inedita, p. 919. 171. JJ 151, 214, avril 1397, SAINT-JEAN-LE-BLANC (bailliage de Caen). 172. Le blasphème peut-il être considéré comme un substitut du parricide ?, P. LEGENDRE, L'inestimable objet..., p. 95. 173. S.H. CUTTLER, The Law of Treason..., p. 4-27 ; M. JONES, « Trahison... », p. 91-92. 174. Digeste, 48, 4, 1 et Code, 9, 8, 5. 175. JJ 128, 254, mai 1386, TOULOUSE (sénéchaussée de Toulouse), citée dans Histoire générale de Languedoc, t. 10, n° 688. Voir aussi les exemples cités dans S.H. CUTTLER, op. cit. supra, n. 173, p. 183-184. 176. X la 1477, fol. 204, mai 1393. 177. M. BOULET, Questiones..., p. 363. 178. Ibid., p. 364 ; Code, 9, 16, 6. 179. Digeste, 48, 4, 1. Sur cette affaire, M. BOULET, op. cit. supra, n. 177, p. 418-420. 180. E. de MONSTRELET, Chronique, t. 1, p. 187 et suiv. Sur le blasphème, supra, n. 73. 181. X 2a 14, fol. 136, juillet 1404. 182. J. GERSON, Contre Charles de Savoisy..., Œuvres complètes, t. 7, p. 326-340. 183. J. GERSON, Diligite justiciam, Œuvres complètes, t. 7, p. 611. Même silence de Nicolas de Clamanges ou de Guillaume de Tignonville à propos de la lèse-majesté. Dans la pratique, il peut y avoir confusion car les peines, en ce qui concerne le sort des biens des coupables, sont identiques ; cette similitude est discutée au Parlement en janvier 1385 pour une affaire normande, Olivier MARTIN, « Notes d'audience... », p. 559. 184. X 2a 17, fol. 109, novembre 1413. 185. X 2a 14, fol. 8v., janvier 1401, ARRAS. La plaidoirie traite du sacrilège en reprenant mot à mot la définition restrictive qui est celle du Décret de Gratien, J.M. CARBASSE, Introduction historique au droit pénal, p. 258. 186. Par exemple ORF, t. 12, p. 273-277, février 1420. 187. Sur le contexte de cet arrêt, Cl. GAUVARD, « L’opinion publique... », p. 135 et suiv. 188. X 2a 16, fol. 113v., janvier 1403. 189. Chapitre 5, p. 197 et suiv. 190. JJ 165, 164, septembre 1411, (bailliage de Chartres). Il s’agit de Guiot de Hamelu et de Perrinet de Hamelu. Des lettres identiques ont été au même moment confiées à Bertrand Campion, écuyer pour le bailliage de Caen, à Jean de Damport et Pierre de Hauteverle, écuyers

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pour le bailliage de Senlis, ibid., 165, 166, 167, 168. Sur les circonstances détaillées de l’année 1411, L. MIROT, « Les préliminaires... », p. 373-395. 191. JJ 143, 164, août 1392, (sénéchaussée du Limousin). La mention hors teneur est ainsi libellée : « Par le roy a la rel. de son grant conseil auquel vous, l’evesque de Langres, le sire de Rayneval, le vicomte d’Acy, le sire de Nory et le sire de Normant estiez. », signée P. de Mauhac. Pour d’autres exemples. Cl. GAUVARD, « Résistants et collaborateurs... », p. 123 et suiv. 192. JJ 127, 212, novembre 1385, CHERBOURG (bailliage de Cotentin). 193. Ibid., 253, novembre 1385, PONT-AUTHOU (bailliage de Rouen). 194. Ibid., 277, novembre 1385, SAINT-LÔ (bailliage de Caen). Il s’agit de Jehan Le Prestiel, fils de feu Jacques Le Prestiel, pro-navarrais tué après la prise de Mantes. Pour un autre exemple de commutation pour sauvegarde enfreinte, JJ 160, 83, octobre 1405, MESNILSAINT-GEORGES (bailliage d’Amiens). Le suppliant avait cependant commis « assemblées, rebellions, pors d'armes, infraction de notre dite sauvegarde et autrement ». 195. Voir sur ce point les exemples rassemblés par J. HOAREAU-DODINAU, La violence verbale..., p. 117-146. Le faible nombre d’injures contre le roi incite à une analyse prudente de ce type de crime. 196. JJ 127, 135, octobre 1385, MONTIGNY (bailliage de Mâcon). Il peut y avoir référence à la miséricorde royale classique, mais elle est toujours assortie de considérations politiques, voir l’exemple cité par P. FLANDIN-BLÉTY, « Trahison ou pacification... », p. 311-313. 197. JJ 127, 286, lettre citée chapitre 12, n. 73. Il en est de même de ces jeunes gens que le roi gracie étant donné les « bons et agreables services que aucuns desdis supplians nous ont faiz en notre guerre et armes et esperons qu’ilz facent au temps a venir », JJ 169, 50, décembre 1415, LIEURY (bailliage de Caen). 198. JJ 120, 23, lettre citée chapitre 3, n. 35. Sur ce lien affectif qu’institue la rémission, J. HOAREAU-DODINAU et P. TEXIER, « Loyauté et trahison... », p. 154-155. 199. Sur cette opposition, voir chapitre 9, p. 421 et suiv. et chapitre 12, p. 535 et suiv. 200. X 2a 14, fol. 126, mai 1403. Même remarque chez P. FLANDIN-BLÉTY, op. cit. supra, n. 196, p. 301. Sur l’ordonnance du 3 mars 1357, chapitre 2, n. 59. 201. Sur la rémission obtenue par Pierre de Craon et contestée au Parlement, voir X 2a 12, fol. 320-325, décembre 1396. Arrêt prononcé le 7 juin 1398, ibid., fol. 405v.-406, et X 2a 13, fol. 278-284. Voir la lettre de rémission, JJ 149, 115, 15 mars 1396, PARIS (prévôté de Paris). 202. Par exemple X 2a 14, fol. 225, janvier 1405 ; ibid., fol. 9, janvier 1401, BEAUVAIS. Les officiers royaux sont attaqués dans les objets symboliques qui les rattachent au pouvoir. Au cours de cette altercation, le coupable dit au sergent « qu’il mist jus la verge qu’il portait ». Mais, tous les crimes de ce type sont loin d’être considérés comme crimes de lèse-majesté. Encore à la fin du XV e siècle à Paris, quand un forcené injurie de façon ordurière un examinateur du Châtelet, il est écroué sans autre précision et il peut être ensuite relâché, par exemple Y 5266, fol. 129v., 19 octobre 1488. Dans ce cas, il y a pourtant refus d’obéissance : « le poussant tres rudement en le injuriant et disant qu’il s’en alast chier et qu’il n’obeyroit point ». Ces injures sont d’autant plus graves que le coupable est un récidiviste. 203. Histoire générale de Languedoc, t. 10, n° 688, mai 1386, p. 1718. Voir la définition de ces termes chez J. BOUTEILLER, Somme rural, p. 172. Sur les rapports entre la lèse-majesté et la guerre civile, ORF, t. 10, p. 18, août 1412 ; p. 34, novembre 1412 ; p. 167, septembre 1413. 204. Supra, n. 154. D’autres exemples peuvent être empruntés à la rixe, qui devient « force publique » quand il y a sauvegarde enfreinte, X 2a 14, fol. 226, procès cité supra, n. 202. Sur la notion du « bien public » qui accompagne la définition des crimes politiques, X 2a 14, fol. 360, août 1407. 205. Chapitre 9, n. 43. 206. Boutements de feux, X 2a 14, fol. 47, février 1402. Faux-monnayage, X 2a 14, fol. 241, janvier 1405 ; ibid., fol. 353, décembre 1406. Sur les cas de traîtrise, voir chapitre 12, et Cl. GAUVARD,

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« Résistants et collaborateurs... », p. 128-130. Les exemples poitevins ont été étudiés par J. HOAREAU-DODINAU et P. TEXIER, op. cit. supra, n. 198, p. 139 et suiv. 207. Entre 1398 et 1403, une cinquantaine de sauvegardes ont été conservées dans les archives royales. Elles couvrent l’ensemble du royaume, et certaines clauses sont parfaitement explicites puisque les lieux concernés peuvent s’engager à ne recevoir aucun ennemi du royaume, comme c’est le cas à Verdun, ORF, t. 8, p. 79. 208. Chapitre 6, n. 115 à 117. Sur l’excellence de Paris, « souveraine et capital de nostre royaume », exemples cités par N. de LA MARE, Traité de la police..., t. 4, livre VI, p. 205, 206 et 207, janvier 1405. 209. Par exemple X 2a 14, fol. 202, août 1404. 210. S.H. CUTTLER, The Law of Treason..., p. 33 et suiv., montre que la traîtrise est mêlée à d’autres crimes, comme le brigandage ou la collusion avec les Anglais. Ces cas sont affaires de plaidoirie au Parlement plus que de rémission, Y. LANHERS, « Deux affaires de trahison... », p. 318 et suiv., et L. MIROT, « Le procès de maître Jean Fusons... », p. 173 et suiv. Les réponses du chanoine de Paris évoquent comment, en 1415, il perçoit la lèse-majesté ; interrogé sur une éventuelle « aliance » avec des Anglais, il « dit par son serement que on ne vouldroit ou daigneroit ce faire, disant oultre que il seroit bien faulx et traistre de ce faire », ibid., p. 180. La trahison est aussi largement débattue au Parlement de Poitiers, Fr. AUTRAND, Naissance..., p. 153-154. Mais, au total, dans les textes de la pratique judiciaire, l’occurrence du mot « traître » est extrêmement faible ; elle ne dépasse pas 1 dans les lettres de rémission. Ce mot n’appartient pas non plus au vocabulaire des théologiens : dans le discours politique qu’est le Vivat rex de Jean Gerson, son occurence est 3. La différence est donc très sensible avec les milieux formés au droit, J. BARBEY, La fonction royale..., p. 259-268. 211. R. CAZELLES, Société politique, noblesse et couronne..., p. 505-517. Il peut être précisé que le crime de lèse-majesté est commis contre la couronne, Histoire générale de Languedoc, t. 10, n o 793, octobre 1411. Même allusion dans les lettres envoyées par le prévôt des marchands de Paris à la ville de Noyon, le 3 mai 1413, F. BOURQUELOT, « Correspondance... », p. 60, pour déplorer Faction des Anglais, « au prejudice de la noble couronne de France » ; par Charles VI aux Rémois en 1418, L. MIROT, « Lettres closes... », p. 332. Le Dauphin y est accusé de vouloir « usurper noz couronne, sceptre et magesté royal ». Dans les textes de la pratique judiciaire, la lèse-majesté peut être, dès le milieu du XIVe siècle, définie comme un crime contre la couronne, par exemple M. LANGLOIS et Y. LANHERS, Confessions et jugements..., p. 151, à propos d’Olivier de Clisson en 1344. 212. Sur la naissance de ce « pouvoir normatif », bilan dressé par A. RIGAUDIÈRE, Renaissance du pouvoir législatif..., p. 5-11. Certes, comme Fa montré A. BOSSUAT, « Le rétablissement de la paix sociale... », p. 371 et suiv., le jugement d’un acte politique peut créer la loi, mais on peut dire aussi que la loi suscite des références au crime politique. 213. La législation sur les guerres privées, sur l’interdiction du port d’armes et sur les assemblées illicites est essentielle à cette compréhension. Les mesures prises aussi pour interdire le « commerce » avec les Anglais ont pu être évoquées dès le règne de Charles V, Cl. GAUVARD, op. cit. supra, n. 206, p. 130. Sur ce lien entre la lèse-majesté, les ordres royaux, et les assemblées illicites, ORF, t. 9, p. 293, février 1407 : dans ce cas, la décision est rappelée dans le contexte du Grand Schisme. Sur le lien entre le port d’armes et la loi, X 2a 17, fol. 167, novembre 1414 ; ibid., fol. 189v.-190, juillet 1415. A la fin du XVe siècle, une attitude de désobéissance aux ordres du roi entraîne la poursuite d’office, Y 5266, fol. 4, 13, 118v., etc., juin-juillet 1488. 214. Cl. GAUVARD, « Les révoltes du règne de Charles VI... », p. 55. 215. X 2a 12, fol. 55v., novembre 1389. Décision est prise au conseil du roi de prendre « certaines personnes en plusieurs villes et seroient detenuz prisonnieres pour cause que ilz en avoient aucuns qui avoient parlé deshonnestes paroles du roy et de son conseil ». Cette mesure politique s’inscrit dans le cadre de la reprise en main du pouvoir par les Marmousets.

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216. X 2a 16, fol. 385, juillet 1417 : à la suite d’un problème relatif au change, des marchands sont bannis et leurs biens sont confisqués car il y a « Rei Publicae scandalum et lesionem ». Autres exemples où ce vocabulaire de l’honneur outragé est employé, ibid., fol. 459, avril 1424. Ce scandale est lié au développement de la guerre civile : en 1413, le maréchal de Boucicaut, ordonnant de s’informer des excès commis par le comte d’Armagnac depuis 1411, précise qu’ils sont commis « en tres grant esclandre de la souveraineté du roy mondit seigneur et lesion de sa justice », cité dans Histoire générale de Languedoc, t. 10, n° 800. Voir aussi en juillet 1417 les expressions employées à propos des lettres du duc de Bourgogne qui circulent à Paris, X la 1480, fol. 99 : « mauvaises, seditieuses et scandaleuses et offensives pour la majesté royale ». 217. X 2a 14, fol. 101 v., janvier 1403. Ces propos sont dans la bouche du procureur du roi à la suite de la rixe qui a opposé les gens de Charles de Savoisy à Jean de Morgueval. 218. E. de MONSTRELET, Chronique, t. 1, p. 275. Aucune allusion aux liens entre le corps mystique et l’honneur royal chez j. GERSON, Discours au roi contre Jean Petit, Œuvres complètes, t. 7, p. 1012 et suiv ; dans le Vivat rex, le mot « honneur » a seulement une fréquence 4 et il ne s’applique pas au roi, même quand est décrite sa « vie civile ». Même silence chez les théoriciens juristes, voir l’exemple de Jean de Terrevermeille, J. BARBEY, op. cit. supra, n. 210, p. 167. La fidélité définie par les théoriciens est bien d’une autre nature, c’est un habitus. 219. Voir par exemple les reproches qui, en août 1405, sont faits par Jean sans Peur sur l’insuffisance des vêtements et joyaux qui appartiennent au roi, E. de MONSTRELET, op. cit. supra, n. 218, p. 115. L’honneur est l’expression de la dignité royale dans ses aspects visibles. L’idée peut être reprise par les théoriciens mais elle s’applique alors à la seule « majesté », infra, n. 232. 220. X 2a 16, fol. 175v. et 179, 1 er août 1412. Sur le contexte de cet épisode, Cl. GAUVARD, « L’opinion publique... », p. 25 et suiv. Autres exemples de la folie du roi dans L. DOUËT-D’ARCQ, Choix de pièces..., t. 1, p. 153, et t. 2, p. 180. X 2a 16, fol. 179v. 221. Par exemple, à propos du Schisme, la lettre de l’Université de Toulouse hostile à la soustraction d’obédience et diffusée en 1406 est « moult diffamatoire contre l’onneur du roy, de son sanc et de son conseil », N. de BAYE, Journal, t. 1, p. 163. Même emploi à propos de la rixe des gens du duc de Berry, ibid., p. 169. L’honneur du roi est aussi atteint par les événements de la guerre civile : ibid., t. 1, p. 331 et 338, pour désigner les événements de 1410 ; lettre de la ville de Paris à celle de Noyon le 2 mai 1413, relatant la traîtrise de ceux qui ont été remis au duc de Bourgogne et qui « mettoient a perdicion l’onneur, la magesté royal, sa tres noble lignee et toute la chose publique de ce Royaume » ; mêmes propos dans la réponse de Noyon du 8 mai 1413 : « Nous volons employer nos personnes, nos chevanches et toute nostre puissance au bien, honneur et proffit de nostre tres redoubté et souverain seigneur », F. BOURQUELOT, « Correspondance... », p. 62 et 64. Même emploi du mot « honneur » dans les ordonnances pour définir la lèse-majesté, ORF, t. 10, p. 173, 12 septembre 1413. L’honneur du roi entre dans la formule de serment prêté, le 2 septembre 1413, par les princes du sang, N. de BAYE, Journal, t. 2, p. 138-139. C’est encore le vocabulaire employé en janvier 1418 pour désigner les résolutions prises par le conseil du roi : « certaines bonnes manieres a l’onneur et bien de ce royaume », X la 1480, fol. 115v. La défense de cet honneur du roi est garantie par les ordonnances, N. de BAYE, Journal, t. 2, p. 223-224, novembre 1415. A cet honneur si souvent évoqué par le greffier du Parlement correspond son contraire, le déshonneur, et aussi l’esclandre, par exemple quand il note l’absence des présidents à l’ouverture de la cour le 12 novembre 1407, « en la grant deshonneur et esclande du roy, de sa justice souveraine et de sa Court, dont a eu grant murmure », ibid., p. 202 ; même emploi en 1411 pour la lettre du cardinal de Pise, ibid., t. 2, p. 49. 222. X 2a 14, fol. 113v. 223. JJ 151, 211, avril 1397, BAZOCHES (bailliage de Vermandois). « Estront » est une forme ancienne du mot « etron », matière fécale. De même, en février 1385, Guillaume Le Juponnier jure « Estront, estront de roy et de roy », JJ 126, 73, février 1385, ORLÉANS (gouverneur d’Orléans), lettre citée par L. DOUËT-D’ARCQ, Choix de pièces..., t. 1, p. 59. Autre exemple de l’emploi de cette

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injure, X la 9186, fol. 27v., octobre 1395 : à la suite d’une altercation dans une taverne, le maire tente de s’emparer du couteau d’un buveur récalcitrant. Ce dernier répond « que c’estoit un maire de merde par deux fois et le frappa dudit Cousteau ». Le maire tente de se défendre en invoquant la sauvegarde du roi, alors vient l’injure rapportée au procès : « et le defendeur dist qu’il ne donroit du roi ne de la royne un estront ». Il est probable que cette même injure serait venue à la bouche de celui qui, à Château-Thierry, a injurié les gens du roi en disant : « Fy du roy et de la royne et qu’il n’en donroit pas etc. », X 1a 9187, fol. 148-148v„ septembre 1409. La mention abrégée de l’injure peut laisser supposer qu’elle est bien connue et pratiquée. C’est aussi la preuve que, comme pour le blasphème, les injures au roi ne doivent pas être répétées. Il s’agit de « grosses et laides paroles » qui sont seulement consignées dans l’information, X la 4790, fol. 76v., mai 1414. 224. Par exemple, X la 9187, fol. 144, septembre 1409. Le bouton est un « mot villain » usité dans les injures ordinaires, par exemple JJ 127, 102, lettre citée chapitre 16, n. 108, et JJ 129, 247, décembre 1386, ORLÉANS (bailliage d’Orléans), où le suppliant dit du cri de taille « un grant bouton, un grant bouton tout oultre ou qu’il n’en donroit un grant bouton, un grant bouton tant oultre d’icelui ». Accusé, il dut prêter serment devant le gouverneur du bailliage d’Orléans « que les dictes paroles il ne disoit ni ne cuidoit dire contre l’onneur de nous ne du dit cry ». Le mot « bouton » est peut-être une forme édulcorée d’« estront ». 225. Ces événements ont lieu en 1410-1411, X 2a 16, fol. 24 et fol. 139-140 ; X 2a 17, fol. 10-17v., voir supra, n. 190. 226. Les grandes chroniques..., t. 9, p. 16-17. 227. L. BOLTANSKI, L’Amour et la Justice..., p. 32. 228. J. CHIFFOLEAU, « Dire l’indicible... », p. 304 et suiv. 229. X 2a 16, fol. 459, avril 1424 ; X 2a 17, fol. 193, juillet 1415 ; ORF, t. 10, p. 180, octobre 1413. 230. Les grandes chroniques..., t. 6, p. 122-127. 231. C’est le cas au milieu du XIV e siècle, en particulier chez Guillaume de Machaut, Cl. GAUVARD, « Portrait du prince... », p. 35. 232. P. SALMON, Les demandes..., BN Fr. 9610, fol. 9v., où l’auteur définit les fonctions symboliques des emblèmes du roi ; voir les exemples cités infra, chapitre 20, n. 122 et J. KRYNEN, Idéal du prince..., p. 129 et suiv. 233. Par exemple JJ 127, 220, novembre 1385, DONNAY (bailliage d’Amiens). Un valet couvreur de tuiles accuse son maître d'avoir « emblé goutières, plon et autres choses » mais tout en ayant bu avec lui l’argent des larcins, il ne l’a pas dénoncé « pour l’onneur de leur métier ». Sur la faible place des crimes professionnels dans les sociétés à honneur, J. PITT-RIVERS, Anthropologie de l’honneur..., p. 157. 234. JJ 160, 361, juin 1406, MONTDIDIER (bailliage de Vermandois). 235. JJ 181, 218, septembre 1452, (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). La rémission est accordée à Antoine Michiel, écuyer qui a servi les Anglais dans sa jeunesse. 236. On peut comparer terme à terme l’ordonnance de 1401, ORF, t. 8, p. 160, qui charge le prévôt de Paris de punir et exécuter selon leurs démérites les « larrons, murdriers, espieurs de chemins, ravisseurs de femmes, voleurs d’églises, bateurs a loyer, cabuseurs, joueurs de faulx dez, trompeurs, faulx-monnayeurs et autres malfaiteurs... », avec celle du 2 novembre 1439, ibid., t. 13, p. 308, relative aux excès des gens de guerre qui commettent le crime de lèse-majesté, « robeurs, pilleurs et guetteurs de chemin ». Voir aussi ibid., p. 260, avril 1439.

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Chapitre 19. Le sujet idéal

1

L’octroi de la rémission selon les types de crimes se double d’une signification sociale. Les auteurs de crimes politiques et de crimes de moeurs n’appartiennent pas, globalement, au même milieu social et professionnel. Certes, les gens d’armes commettent aussi des crimes de moeurs, mais leur place excentrée sur le graphique de la rémission montre assez que leur criminalité est spécifique, à proximité des crimes politiques et des crimes liés à la guerre. Nous l’avons déjà pressenti en étudiant comment ils perturbaient un espace par ailleurs rituellement jalonné 1. Nous le voyons encore dans la façon dont leur est conférée la grâce. Tout laisse à penser en effet que la Chancellerie ne leur reconnaît pas les mêmes motifs, soucieuse de réserver à ses sujets un idéal de vie différent selon leur place dans la société. Le croisement opéré entre la profession des suppliants et les types de circonstances atténuantes tenant à la personnalité du coupable, et retenus pour accorder la rémission à la fin de la lettre, est très significatif (tableau 45). Les gens d’armes, en majorité des nobles, même s’ils se sont déclarés pauvres ou ivres dans leur déclinaison d’identité, ne voient pas cette circonstance reprise par la Chancellerie. Il y a bien deux types de sujets graciés.

2

L’emploi du mot « sujet », étant donné son sens globalisant, pourrait nuancer ce point de vue. Quelles qualités définissent le sujet ? Est-ce le service ou l’obéissance ? Il importe de distinguer les sources où le mot apparaît. Dans les textes de la théorie politique, il entre dans les mots-thèmes. Prenons l’exemple du sermon Vivat rex prononcé par Jean Gerson devant la cour, le 7 novembre 14052. Le mot est employé dans son sens politique le plus global qui l’intègre dans la communauté du royaume : par opposition au roi sont les « humbles subgets », tandis que des devoirs réciproques les relient au seigneur ou au souverain. L’obéissance prévaut3.

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Tableau 45 : Motifs de la rémission et profession du coupable

Les principales professions que déclarent les coupables ont été analysées en tenant compte des justifications relatives à la personnalité des coupables qui ont pu être retenues par la Chancellerie pour accorder la grâce. Seule la première justification invoquée, parmi les quatre qui ont été comptées, a pu être retenue. Ces justifications fonctionnent comme de véritables circonstances atténuantes où entrent en compte les charges de famille, pour toutes les catégories sociales y compris pour les clercs. Chez les hommes d'armes, les services rendus sont prioritaires et la grâce apparaît bien comme une récompense. Tableau 46 : Motifs de la rémission et aristocratie

Justifications pour le coupable Seigneur (en %) Noble (en %) Chevalier (en %) Ecuyer (en %) 0 Aucune

0,0

25,0

45,5

30,0

792

1 Qualités psychologiques

0,0

0,0

0,0

4,5

Âge

33,3

0,0

9,0

9,5

Etat physiologique

0,0

0,0

0,0

2,5

4 Fortune

33,4

8,3

9,0

2,5

5 Charges de famille

33,3

16,5

0,0

2,5

6 Services rendus

0,0

33,5

36,5

44,0

7 Services attendus

0,0

8,3

0,0

4,5

8 Condition sociale

0,0

8,4

0,0

0,0

9 Autres

0,0

0,0

0,0

0,0

100

100

100

100

La façon dont l’aristocratie déclare son identité est étudiée en tenant compte des justifications relatives à la personnalité du coupable que la Chancellerie peut évoquer pour accorder la grâce. Les profils des nobles, chevaliers et écuyers sont à peu près identiques, ce qui montre un traitement commun, en particulier en ce qui concerne les services rendus. En revanche pour ceux qui se font appeler « seigneurs » d'un lieu, la Chancellerie évoque plutôt leurs charges accrues par l’âge, la pauvreté, la famille. Le crime est peut-être le révélateur de leurs difficultés. 3

Néanmoins cette unité entre les hommes est nuancée par la fonction que les sujets remplissent à l’intérieur du corps mystique. Au total, la vie « civile et mystique » du roi « se tient a garde par unité de lui comme d’ung chief avecques ses subjetz, qui sont

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comme le corps aians divers membrez selon divers estas et officiez qui sont ou royaulme »4. Le problème posé par les traités théoriques est de savoir comment se réalise cette harmonie entre la sujétion et la concorde des ordres, entre l’obéissance et le service. 4

Les textes législatifs donnent une première réponse. Les ordres royaux mais aussi le contenu des serments qui sont exigés dans le royaume, comme les assurances d’obédience affirmées par les villes ou les princes, noient l’ensemble des habitants dans une définition commune. Les ordonnances mentionnent qu’elles doivent être respectées par les « subgiez quelconques » ; les serments sont prêtés pour être « bon et loyal subget » ; les villes assurent le roi de leur obéissance 5. Encore faut-il distinguer selon les textes législatifs. Les ordonnances prises par les Marmousets utilisent finalement peu le mot tandis qu’en 1409, il fait partie du vocabulaire de la base 6. Nous avons là le signe d’une évolution que la guerre civile a pu accélérer 7. Néanmoins, si le mot est bien employé dans le contexte de l’ordre que le roi adresse au royaume, il ne fait pas partie de la requête. Ces ordonnances de réforme ne sont pas prises pour répondre aux plaintes des sujets mais à la « clameur » du peuple et autres groupes sociaux et politiques dont le contenu est énuméré en fonction des circonstances 8. Si le préambule de l’Ordonnance cabochienne fait état des « bons subgiez » qui sont à son origine, cette mention est sélective, non seulement par le qualificatif qui la caractérise, mais encore par l’énumération qui a précédé9. Les sujets ne constituent pas un corps susceptible de mettre en marche le pouvoir législatif. En revanche, ils subissent un pouvoir coercitif. A la sujétion est liée l’obéissance.

5

Dans l’exercice du pouvoir, cet emploi du mot reste limité au domaine législatif. Le sujet est quasiment absent des archives judiciaires. Dans les lettres de rémission, il est remplacé par le requérant qui expose ou supplie10. Sauf quand il y a crime politique, le roi gracie nominalement et restitue le coupable à sa renommée et au pays sans exiger de lui une quelconque sujétion. Et, même dans les années favorables aux crimes politiques, les allusions à une sujétion explicitement formulée restent faibles 11.

6

Ce décalage entre les champs du pouvoir que révèlent l’emploi des mots comme le graphique de la rémisison, est significatif d’une double approche de l’obéissance et du retour à l’ordre. L’une est coercitive, l’autre, subtile, échappe à l’analyse du vocabulaire. La question est alors celle-ci : comment, à côté de la sujétion imposée et nominalement repérable, s’exprime ce qui pourrait constituer une sujétion implicite que laissent percevoir un ensemble de comportements ? Et, si cette sujétion implicite existe, est-elle uniforme ? Les constatations propres à l’application de la grâce, comme les théories qui engendrent le corps mystique, risquent de nous obliger à marquer les différences entre les sujets et à nous demander ce que le pouvoir attend d’eux.

« MOURIR POUR LA PATRIE » OU SERVIR LE ROI ? 7

Pro Patria Mori, ce thème auquel E. H. Kantorowicz a consacré une belle étude est-il le ressort sensible au coeur du roi pour accorder sa grâce12 ? La lecture des théoriciens pourrait inciter à croire que ce thème rassemble les préoccupations politiques et concrètes de tous les sujets du royaume13. La réalité est beaucoup plus nuancée. Le contexte social est essentiel à sa compréhension.

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Encore une fois, il importe peu de juger ici de la réalité de ce sentiment national. Il peut arriver que dans toutes les catégories sociales l’ennemi prenne de l’épaisseur jusqu’à effacer du langage l’adversaire et que le collaborateur devienne aux yeux des civils un traître. Ce sont là des comportements qui peuvent se déduire de la lecture des crimes 14. Il n’est pas sûr qu’ils soient pour autant valorisés comme tels et qu’ils soient considérés comme circonstance atténuante du crime par la Chancellerie, compte tenu de l’origine sociale modeste de l’exposant. En 1385, Pierre Aguez, Richart Blanchart et Guillot Olivier de Tourville demandent rémission pour avoir tué et débarrassé leur paroisse de deux pillards probablement au service des Anglais, qui s’étaient réfugiés chez un nommé Jean Alin. Le roi ne nie pas la réalité du danger que les exposants évoquent, « ou temps que les Anglois et autres ennemis de notre royaume tenoient et occupoient les chastel et ville de Saint-Sauveur-le-Vicomte, deux pillars, dont l’en ne set les noms ne surnoms ne dequel pays ilz estoient fors que l’en supposoit que l’un fut d’Espaigne et l’autre de Gascoigne, se transporterent en la dite paroisse » 15. Alors commencent les méfaits et la riposte des habitants et « plusieurs gens du pays, en grant quantité et en leur compaignie lesdiz exposans se assemblerent et poursuirent les diz pillards pour recouvrer icelles bestes (...) et, pour ce que ilz doubtoient que les dessusdiz pillars ne meissent a mort aucuns des habitans de ladicte paroisse ou l’ardeissent ou que pour ce faire yceulz pillars feussent illenc venuz, se transporterent de nuyt devant ledit hostel d’icellui Jehan Alin et de nuit assaillerent yceulx deux pillars qui y furent mis a mort et gettez en un puiz par yceulz qui illenc estoient assemblez, du nombre desquelz estoient lediz exposans ». Rien dans la rémission ne valorise l'action de ces deux exposants contre les Anglais, au contraire. Ils ne sont pas présentés en héros mais en coupables. Le respect des trêves ne peut être mis en avant puisque le crime date de la guerre, sans doute sous le règne de Charles V. Le motif final donné pour la rémission montre plutôt l’hésitation de la Chancellerie à classer ce type de crime car « ou temps dessusdit, pour occasion d’iceulz Anglois et ennemis, ledit pays feust en tel effroy ou doubte que a peine savoit l’en de qui soy garder ». Les voici donc graciés sans gloire, au bénéfice du doute. L’hésitation sur le « brigand » s’éclaire aussi de ces considérations.

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Prendre les armes est une affaire de spécialistes et elle est reconnue en haut lieu comme telle. Ne nous y trompons pas. Les suppliants dont la lutte contre l’Anglais prend Failure d’un combat héroïque appartiennent à une catégorie sociale précise, celle des écuyers, des chevaliers, des nobles. Cet écuyer noble voit sa rémission accordée en 1406 parce qu’il « a bien servi en nos guerres et a esté prisonnier de noz ennemis, et paié grans et excessives rançons, et a ledit suppliant combatu en champ de bataille un Anglois, ennemi de nous et de notre royaume »16. Comme à la date de sa rémission le suppliant est âgé de 70 ans, il est difficile de préciser de quelle bataille il s’agit. En revanche, il est très net que le rappel de ses hauts faits militaires accompagne et justifie la forte conscience qu’il a de sa noblesse. Il en donne la substance en évoquant le crime qu’il avait perpétré, un homicide banal, réponse à une injure qui l’a incité à agir car il était « lors jeunes et nobles homs, indigné et couroucié de ce que lediz Julien, de basse et petite condicion, le dementoit et injurioit ».

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Les chiffres parlent d’eux-mêmes : dans plus de la moitié des cas où les services rendus sont notifiés comme premier motif de rémission, ils concernent des gens d’armes 17. Le thème n’est jamais évoqué pour des laboureurs ou des laboureurs de bras. Et, lorsque le sire de Beauprey expose le cas d’un laboureur de sa seigneurie pour lequel il sollicite la grâce royale, il finit par l’obtenir, parce que lui, chevalier, « tant qu’il a pu chevaucher

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et soy armer, il a servi noz predecesseurs es guerres contre nos ennemis, dont il est tout debilité »18. Du laboureur proprement dit, il n’est pas question. A la rigueur cette notion de service concerne-t-elle quelques gens de métier, mais dans les limites de l’exercice de leur spécialité. Nicole Laronier, « maistres d’engins et ordeneur de poudres et d’autres ouvrages pour assaillir forteresses », obtient en 1386 une rémission pour laquelle il énumère 28 années de loyaux services au profit du roi de France. Mais celui-ci pouvait-il effectivement tolérer qu’il soit banni ? La royauté n’avait sans doute pas le choix19. 11

La référence aux services de la noblesse est autre. Plus elle s’enracine dans le passé, plus elle est glorieuse. Jean de La Leve dit Laignel fait en 1386 état de lettres antérieures que lui a accordées Charles V et il reçoit rémission pour les services qu’il a rendus « en noz presentes guerres et a noz devanciers roys de France ou temps passé » 20. Et la lettre d’évoquer les rançons successives, le passage des gens d’armes sur les terres et la vente des héritages pour lutter contre un appauvrissement irréversible. De ce point de vue, la rémission s’inscrit dans les nombreux dons que le roi fait à la noblesse pour les mêmes motifs. Le roi ferme aussi les yeux sur un démembrement de fief car son détenteur « a longuement et loyaulment servi en noz guerres par lesquelles il a esté dommaigié sanz en avoir recompensez »21.

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Le thème du service armé obligé mais non rémunéré est constant en cette fin du XIV e siècle : il peut excuser la pauvreté de l’écuyer ou du chevalier et lui faciliter la rémission. Il peut donner lieu à des scènes familières sans que la frontière entre le domaine privé et le domaine public soit nettement tracée. Voici un écuyer, Jean de La Barde, aux prises avec sa femme, une mégère, qui lui réclame de quoi vivre. Il la tue afin « qu’elle ne lui reprochast plus sa poureté car, s’il estoit poures, ce n’estoit pas pour mauvaiz faiz, mais estoit pour poursuir les guerres contre noz ennemiz ou il avoit assez perdu »22. Peu importe du point de vue qui nous intéresse qu’il y ait là prétexte à se débarrasser de celle qui mène en fait « deshonnete vie ». L’argument est de poids. Il a cours à la Chancellerie dès le début du règne de Charles VI, et il n’est pas impossible que le gouvernement des oncles ait favorisé ce type d’arguments. En tout cas, ils sont employés quel que soit le crime commis par l’homme de guerre : on les trouve même pour des viols.

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La répétition de ces services parvient à donner à ces exposants l’allure d’anciens combattants à qui le roi, reconnaissant, accorde quelques faveurs, dont la grâce. Ils exhibent leurs cicatrices : elles ont pu les défigurer. Etre tombé, blessé, sous les coups de l’ennemi est une marque de fidélité qui s’ajoute au paiement « d’excessives rançons ». Celui-ci a été blessé à la jambe au dernier « voyage de Flandre » et obtient rémission tandis que Jean Le Bin, demandant rémission en 1416 pour un homicide commis vers 1400, obtient sa grâce car « il nous a tousiours bien servi et nous sert encore (...) et y a encore naguaires esté blecié de noz ennemis et adversaires d’Angleterre qui sont en la ville de Harfleur »23.

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Ils évoquent leurs souvenirs de guerre, expéditions prestigieuses derrière un capitaine de renom. En 1386, celui-ci, Robin Hoguet, fils d’un sergent d’armes, raconte comment il a « servi, monté et armé, tant en noz guerres de Flandres en la frontiere de Picardie comme es parties d’Escoche avec notre admiral »24. Celui-là fait référence aux combats qu’il a menés aux côtés du plus célèbre des connétables, Du Guesclin. Ainsi Renaud Du Mas, écuyer et capitaine qui demande rémission en 1385, se targue d’avoir rendu des

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services « a nous et nos predecesseurs, et aucunes foiz en la compaignie de feu Bertran Du Guesclin »25. 15

Les rescapés d’Azincourt évoquent la « bataille » dont ils osent à peine prononcer le nom tant elle fut effroyable. La Chancellerie reconnaît que Jean de Blecy, de la ville d’Herbecourt, « a moulte perdu du sien par les guerres et gens d’armes qui ont esté en notre royaume, a esté en la bataille qui derrenier a esté faicte de par nous a l’encontre des Angloiz noz ennemis ou il fu navré »26. L’évocation finalement glorieuse de cet échec est significative : l’homme d’armes n’est plus obligé d’avoir été jusqu’à la victoire pour être reconnu ; il lui suffit d’avoir servi. On comprend mieux que ce service soit entré dans la déclinaison d’identité de la noblesse 27.

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Dans cette guerre qui est la leur et celle du roi, ces hommes, pour la plupart nobles, ont été actifs. L’évocation des autres, les roturiers, est celle de victimes qui ont subi, passives. Ils peuvent bien, comme ces marins du bailliage de Caux, avoir souvent exposé leur vie en faisant le guet jour et nuit sur la mer quand l’Anglais menace de descendre d’Harfleur. Le roi ne peut que le reconnaître et il écoute dans la requête le souvenir de ces moments périlleux. Mais, au moment de gracier les coupables, il ne voit plus en eux que de « poures et miserables personnes et aient leur maison arse par V ou VI fois par nos ennemis »28.

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Les services attendus par le souverain dans le futur accusent une différence semblable. Dans plus de 60 % des cas où la profession du suppliant est invoquée comme motif de rémission, il s’agit d’hommes d’armes29. Quand il s’agit de roturiers, la mention des services qu’ils peuvent rendre est, comme dans le cas des services rendus, extrêmement pointue. Prenons l’exemple de ce bourgeois de Harfleur qui a tenté de s’enrichir en se joignant à des « ecumeurs de mer », puis en servant un évêque d’Angleterre pendant quatre ans. Il semble avoir joué un double jeu en révélant à certains membres du conseil royal l’état des Anglais. On ne sait pas exactement à quel moment se passent ces événements mais il demande rémission en octobre 1380 car il « a bonne voulenté et affeccion de demourer audit royaume de France dont il est nez et nous servir ou fait de la mer ouquel il est expert »30.

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En règle générale, le service fait au roi engage aussi l’avenir des hommes de guerre. Perrin de Duilly, écuyer, accusé d’avoir commis divers dommages contre plusieurs villages risque la lèse-majesté. Mais il obtient la grâce car il répond présent à l’expédition que le roi projette en 1386 contre l’Angleterre, suite logique d’un service familial sans faille car « lui et ses parents ont toujours servi comme de loyaux serviteurs ». Il décline enfin haut et fort ce que livrent sans doute les épitaphes et les messes de la chapelle familiale, « que le pere dudit Perrin aussi a esté mort es guerres de nos predecesseurs si comme il dit »31.

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Servir jusqu’à la mort : la guerre contre rançons s’estompe, du moins dans la théorie. Mais peut-on aller jusqu’à parler de « mourir pour la patrie » ? En fait, dans tous ces motifs invoqués, la patrie se réduit encore à ce lien personnel qui unit le sujet au roi et lui commande de le servir « contre touz ceulz qui pevent vivre et mourir » 32. Rien ne parle de l’attachement de ces hommes de guerre, nobles en tête, à un territoire ou à une communauté d’habitants aux horizons politiques construits, même s’ils sont aux frontières pour les défendre. Ils sont là pour servir leur « route » et leur roi. D’ailleurs, ils vivent sur ce pays où ils commettent les excès tant de fois décrits qui collent à leur portrait d’hommes de guerre. Et quand le roi évoque la lèse-majesté que suggère ces crimes, il ne parle que de désobéissance aux ordres donnés et de loyauté brisée. Rien ne

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différencie cette infraction de celle que constitue au même moment la guerre privée 33. Certes, le roi condamne en bloc les dommages causés au royaume de France, comme dans cette rémission empruntée au règne de Charles V et adressée à Thibaut Prévost, écuyer, qui a fait « plusieurs malz et dommages sur le pays d’environ et ailleurs au royaume de France, soient murtres, roberies, larrecins, ravissement de femmes, emprisonnements de gens, arsins, raençonnements de prisonniers, villes ou paroisses et autres quelconques crimes, comment que il soient appeles crimes de lese-majeste ou autres »34. 20

Au total, le dévouement absolu des hommes d’armes à la patrie est une utopie et il y a loin du discours des théoriciens à celui de la pratique. Ces clercs de la Chancellerie dont les écrits rêvent d’une armée au service du royaume de France n’ont pas réussi à ébranler le poids des traditions. Certes, chevaliers et écuyers exaltent les vertus de ces combats qui ont fait l’histoire et dont ils sont fiers, mais leur analyse ne va pas plus loin que celle de ce chevalier du Vexin français dont Jean de Montreuil a recueilli le témoignage. Les combats dont il se souvient sont ceux de son horizon, limité. Seul le clerc qui les recueille et les tient en exemple, étend les conclusions et tire la leçon pour leur donner une dimension nationale35. Aussi, il convient peut-être de dire que cette aristocratie de la guerre est prête à mourir pour le roi plus que pour la patrie.

DU SERVICE ARMÉ AU SERVICE CIVIL 21

La nature du service demandé aux officiers royaux est encore plus ambiguë. Les lettres de rémission et les archives criminelles l’expriment plus rarement que les plaidoiries du Parlement civil36. A en croire les théoriciens du règne de Charles VI, le lien entre le roi et ses officiers est clair. Il découle des qualités personnelles qui sont exigées pour leur recrutement : sagesse, expertise, prud’hommie. Celles-ci sont maintenant bien connues. J. Krynen en a dégagé les principaux aspects ; B. Guenée et Fr. Autrand ont montré comment elles s’exerçaient et comment elles pouvaient servir à la définition de l’office37. Les officiers eux-mêmes, quand ils sont attaqués et qu’ils doivent justifier leur action, ne dédaignent pas d’y recourir.

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Les arguments qu’emploient les officiers font état de leurs qualités professionnelles et même parfois des obligations inhérentes à leur fonction, telle celle de la résidence souvent évoquée par ailleurs dans les ordonnances de réforme. Les contestations relatives aux nominations pendant la guerre civile permettent de dresser le portrait de l’officier idéal. A cet avocat du roi à Falaise, se trouve reprochée la non-résidence, tandis que son adversaire se considère « comme notable homme qui a hanté les etudes puiz est devenu praticien, un des plus notables du pays et demeure a Falaise » 38. Mais, pour tous ceux qui exercent un office, du sergent au bailli, le service du roi est étroitement accolé à ce qui constitue à leurs yeux « l’honneur » de leur office. Ce garde de la tour de Laon se déclare en 1412 « homme d’honneur qui bien a servi le roy », comme ce sergent à cheval qui se déclare « bon homme et noble sergent a cheval ou Chastellet et que bien et loyaument a servi le roy »39. Au même moment, le bailli de Cotentin se définit avec des mots comparables puisqu’il est « bon et vaillant et a bien servi le roi sans reprehension audit bailliage »40. Certes, il faut tenir compte dans cette uniformité des effets de la plaidoirie et des nécessités de la déclinaison d’identité qui supporte la renommée. Nous avons vu quel était son enjeu41. Néanmoins, ces

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déclarations contribuent à créer une image du service que doit l’officier. Comment se définit-elle ? 23

La lutte qui oppose les hommes dans la course aux offices peut imposer des déclinaisons d’identité fondées sur la comparaison entre le service en armes et le service dans l’administration. Le modèle du service armé que nous avons pu déceler précédemment déteint alors sur celui du service dans l’office. Par ailleurs, la place que les nobles occupent dans un grand nombre d’offices, leur fait définir leur service comme une suite d’exploits, au service du roi, tandis que, réciproquement, leur service armé entre de plain-pied dans le domaine de l’obéissance. Il en est ainsi des baillis et sénéchaux qui, entre 1400 et 1418, comme l’a montré A. Demurger, appartiennent en priorité à la noblesse d’épée42. L’office de bailli, de prévôt et de sergent porte à l’action militaire. Répondre par l’épée au bâton ou au petit couteau à trancher le pain, chevaucher en armes « es mettes de la prevosté », permettent de maintenir l’ordre. Ainsi, en 1414, le seigneur de Salignac déclare en son office avoir « mis en l’obeissance du roy IIII notables forteresses si a fait la vuide d’autres plusieurs forteresses en la compaignie du connestable et d’autres » ; quant aux sergents, leur office se termine parfois en véritables affrontements armés43. Le service dans l’office mêle donc étroitement l’action militaire et l’action administrative.

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Les états de service tiennent compte de ce fait, et les déclinaisons d’identité des officiers passent facilement du domaine militaire au domaine civil. Par exemple, le seigneur de Saint-Sauflieu, pour se défendre contre le seigneur de Morvilliers, dit « qu’il est moult grant gentilhomme en Normandie et Picardie qui a servi le roy des qu’il n’avoit que XVI ans avec le bon connestable et en la compaignie du duc d’Anjou et a esté capitaine de Dorlant, puiz a esté bailli de Caen puiz de Caux ou il a esté longuement et honorablement et y moult bien servi le roy, contens de ses gages et sans plaintes que la Court ait eu de lui » ; puis il ajoute qu’il est « ancien et si s’est bien gouverné a l’onneur et profit du roy qui a son interest qu’il y demeure car il scet les usages et coustumes du païs et si seroit occasion de tout gaster que le desposer car pareillement ainsy feroit l’en des autres bons officiers du roy quant il auroient bien servi et si est raison, ordonnance royal et usage que puiz que aucun prudomme est en possession d’un office l’en ne le doit point debouter »44. Le chevalier-bailli ne rechigne pas à se nommer « prudhomme » et les armes côtoient la connaissance des coutumes. Le service se compte, comme à l’armée, en années passées sous le joug de l’Etat et en nombre de parents soumis aux mêmes contraintes45. Il manque néanmoins la référence à un serviteur prestigieux pour assurer la légitimité du service civil. Du Guesclin n’a pas son pendant et on peut, au mieux, se référer à un prince prestigieux qui a pu apprécier les qualités de son administrateur46. L’officier modèle d’où découleraient tous les autres, reste à inventer. L’osmose des hommes, le va-et-vient avec l’armée sont prépondérants. Ils contribuent, sans doute autant que la pensée des théoriciens, à créer la qualité des offices ; on y trouve au total la même forme d’obéissance.

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Néanmoins, l’officier diffère de l’homme d’armes en ce qu’il doit, en principe, ne dépendre que du roi. Ce doit être un individu entièrement et exclusivement dévoué à la cause du roi. Les théoriciens le répètent à l’envi. Dès 1389, Philippe de Mézières dénonce l’alliance contractuelle au nom du service que tous, et en particulier les officiers, doivent à la couronne47. En 1406, Christine de Pizan, dans son Livre de prudence et de prod’hommie de l’homme met en garde le prince qui ne doit se fier à la parole de son officier que si celui-ci lui est entièrement dévoué : « si est necessaire au prince que sur

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ce pregne garde et que par tel discrecion il sache bien congnoistre l’entencion du parlant, et s’il dit loiaument et sagement sans flechir ne estre adherent a nul partie par faveur et simplement vise a soustenir droit et raison et le prouffit et honneur d’ame et de corps de son maistre, lui soit agreable ou non »48. Jean Gerson, en 1413, formule très bien cet idéal dans cette réponse que doit faire le conseiller du roi quand il est interrogé sur son appartenance : « Je suis vray françois ; je suis au roy et non a d’aultre. C’est la voie royalle, c’est le droit chemin »49. 26

Ce thème est trop largement répété par les ordonnances depuis le début du XIV e siècle pour avoir été appliqué sans problèmes50. La guerre civile en accroît les effets. Ainsi, l’ordonnance d’octobre 1409 prise sous influence bourguignonne dénonce que « pluseurs personnes de divers estats se sont efforciés de venir et entrer, sont venus et entrés en notre service en plusieurs et diverses manieres, les aucuns par impression, importunité, port et faveur d’amis et les autres par grands dons et promesses par eulx faits a autres personnes pour leur aydier a y entrer »51. La critique va même jusqu’à dire qu’il existe, comme en Angleterre, un soutien illégal en justice. Nicolas de Baye s’émeut des entorses qui, par ce biais, sont faites à la justice ; l’auteur anonyme du Songe véritable, polémiste, dénonce sur ce point les effets des « bendes » auxquelles appartiennent les officiers ; enfin, l'Ordonnance cabochienne tente d’en freiner les effets52.

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L’opinion est-elle sensible à cette opposition entre le service public et l’appartenance à une clientèle ? Dans les faits, le problème se pose moins en termes politiques qu’en termes de parenté. Le réseau auquel appartient l’officier est dénoncé, on l’a vu, pour la « faveur » qu’il engendre et qui nuit au déroulement de la justice. L’argument est largement employé au Parlement criminel53. Peut-on pour autant dire que se profile, à l’inverse, l’idéal d’un service public impartial ? Certes, les plaidoiries font largement état de la sauvegarde enfreinte et certains, comme Jean Le Coq, vont jusqu’à définir l'officier comme pars regis : ce sont là, comme le remarque Fr. Autrand, des attitudes rares54. La perversion de l’officier reste perçue dans l’horizon restreint des conflits de parenté. On se plaint que l’action a été menée par « haine », par un « malveillant » du groupe adverse, comme si cette action menée par l'officier était un moyen supplémentaire dans l’arsenal de la vengeance. Par ce biais, les officiers sont immergés dans les réseaux qui structurent la vie de relation plus qu’ils ne sont définis dans le cadre de l’Etat. Cette constatation s’ajoute à la critique menée contre les impôts, contre le guet ou la garde dont les officiers sont responsables, et il faut bien conclure que la notion de service public reste encore, pour l’ensemble du royaume, une idée balbutiante.

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Le pouvoir législatif a lui-même du mal à intégrer ce corps qui est en train de se constituer. Au moment où, vers 1420, des voix s’élèvent, comme celle d’Alain Chartier, pour montrer que le paiement de l’impôt est nécessaire pour entretenir convenablement les gens de guerre, un silence épais entoure celui des gages que le roi doit à ses serviteurs55. L’Etat reconnaît-il même l’« onneur » de ces officiers ? Les lettres de rémission sont significatives d’une certaine réticence. Le cas de ce sergent du bailliage de Touraine gracié parce qu’il « nous a faiz le temps passé longuement et loyaument son office » est exceptionnel. Ce point de vue est différent de ce qui se passe au Parlement où, dans la déclinaison d’identité, comme on l’a vu, se trouve facilement mentionné l’honneur de l’office56. Cela tient peut-être à un décalage entre ces deux grands corps de l’Etat. Il apparaît bien, comme l’a montré Fr. Autrand, que la

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Chancellerie, à la différence du Parlement, ne cherche pas à innover en matière de service de l’Etat et de noblesse57. Le vrai serviteur du roi, à ses yeux, est encore l’homme d’armes. 29

Peu gratifié par le pouvoir, le service de l’officier est le premier à être contesté par ce même pouvoir. Les ordonnances de réforme remettent en cause les qualités et le nombre des officiers. Elles véhiculent les images les plus éculées de l’officier « budgétivore ». Chaque fois, au moins formellement, se met en place une vaste enquête qui interroge sur les délits commis et recueille les plaintes. Parfois, surtout à Paris, mais aussi dans le reste du royaume, elle se termine par la mise à mort de quelques têtes, spectacles où s’épanchent la haine de l’officier et le goût du morbide. L’épuration accompagne la réformation58. Parce qu’ils canalisent sur leurs personnes les stéréotypes de la persécution, violence contre les faibles, fortune trop vite amassée, voire dans les cas extrêmes crimes sexuels, les officiers royaux se présentent comme des boucs émissaires59. L’idée de service public ne suffit pas à installer l’Etat bureaucratique. Mal accepté par l’opinion et sans doute par le roi et par son entourage, celui-ci s’impose aussi par une contestation rituelle du pouvoir, nécessairement scandée de sacrifices60.

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On sent bien que commencent à se profiler les valeurs du bien commun le plus essentiel, mais que, malgré les déclarations de principe, elles sont encore mal sorties de la gangue d’une relation personnelle. L’attachement au roi reste fondamental. Il suffit encore au souverain de recevoir un acte d’allégeance, que le sujet promette par « sa foy et son serment que bien et loyalment il nous serviroit et seroit notre subjet et bienveillant ». Cette formule reste identique, de Charles V à Charles VI ; quant aux processions qui rassemblent les sujets en principe unanimes, elles sont faites pour « prier Dieu pour le salut et la prosperité du roy nostre sire et de son royaume, ses amis, aliez et bienveillance »61. L’obéissance est assortie de la bienveillance. Le vocabulaire des partis peut aussi s’y mêler. L’exemple de Guyot Guillot, un laboureur de La Houssaye âgé d’environ 35 ans, qui se trouve en procès au Parlement en juillet 1422, est significatif. Il a refusé de prêter le serment de paix exigé après le traité de Troyes et il se trouve emprisonné. Revenu à de meilleurs sentiments, et aussi pour assurer sa subsistance et celle de sa famille, il capitule et vient à Paris « en entencion et voulenté de venir en notre obeissance faire le serment de la paix et tenir notre parti afin que seurement il peust retourner a faire sondit labour comme il l’avoit acoustumé de faire » 62 . Au même moment, les officiers ne craignent pas de dire qu’ils ont toujours tenu le « parti du roy », amalgame significatif dont le contenu varie, d’Armagnac à Bourguignon, en ces temps troublés63. Ils ne craignent pas non plus de déclarer qu’ils sont prêts à entraîner avec eux les clientèles qui les soutiennent : le sire de Salignac a servi le roi « par le moien de ses aliez », et pour obtenir la charge d’amiral, Jacques de Châtillon se déclare « puissant d’avoir et d’amiz »64.

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La « bienveillance », dont le sens est imprégné par ce vocabulaire de la parenté que nous avons pu analyser, et le souci de se référer au parti du roi montrent comment l’attachement au souverain reste « partial »65. Les bienveillants appellent les malveillants, clan contre clan. On mesure quelle responsabilité a la guerre civile pour avoir freiné l’épanouissement de la sujétion en dessinant des clans adverses. Mais on ne saura jamais quelle responsabilité ont, plus généralement, les structures de parenté pour concevoir une sujétion qui a encore besoin de se conforter de la bienveillance et de l’alliance.

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VIVRE EN PAIX 32

Ces considérations tranchent en quantité et en qualité avec ce qui est requis de la plus grande partie des exposants. Rappelons que les hommes de guerre constituent environ 5 % des graciés, et les officiers 3 %, soit une minorité de suppliants 66. Et, au total, les services rendus ne dépassent guère ces chiffres comme première circonstance de la grâce (tableau 46). Pour les autres, effectivement, la Chancellerie ne réclame aucun héroïsme, voire aucun zèle. Ceux qui composent cette masse, rien ne les distingue si ce n’est qu’ils habitent dans les limites du royaume. Ceux-là se doivent de défendre l’idéal qui en fait de bons sujets : la paix. Car la première qualité de ces sujets auxquels le roi donne la grâce est justement de ne pas se mêler de la guerre. Ainsi, plusieurs compagnons du bailliage de Montargis-Cepoy sont graciés, nous l’avons vu, bien qu’ils soient devenus dans l’épaisseur de la forêt et de la nuit des « compagnons brigans », vêtus de haubergon et armés d’un épieu. Tout les éloigne du bon sujet : le temps, le lieu, l’habit. Certes, ils s’expliquent en montrant comment ils faisaient oeuvre de salut public, guettant les gens d’armes qui « pillaient et roboient les gens ». Le roi n’est sans doute pas dupe et il sait bien que les gaillards étaient là aussi pour détrousser. Néanmoins, il accorde sa grâce à l’un d’eux, Jean Goulart, cet « homme de labour », jeune, pauvre, chargé de femme et de trois petits enfants car il a toujours été « homme paisible » et que « au devant des guerres et divisions il ne s’estoit de rien meslé fors de faire son labour »67. Suite à la rémission, il s’engage à retrouver cet état de paix qu’un moment d’aberration lui a fait quitter.

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Quelle paix ? En ces temps troublés, elle se définit moins par rapport à la guerre que par rapport à un état politique, social et moral. Le rapport avec les modèles savants s’impose : ils font du maintien de la paix un fleuron de la sagesse du prince 68. Et, pour la garantir, ils empruntent à Cicéron l’idéal de la concordia ordinum. Christine de Pizan dans le Livre de prudence en donne cette version : « concorde est une vertu qui lie et conjoint les gens d’une cité et d’un païs et les fais paisiblement habiter ensemble et demourer »69. La référence n’a rien d’étonnant au moment où les humanistes découvrent dans les textes antiques de la République romaine finissante les méfaits des clientèles affrontées. Mais que sont Salluste ou Lucain à ces populations ordinaires que révèlent les lettres ? Certes, elles savent que le roi est le garant de la paix : les lettres de sauvegarde le disent assez quand elles répètent Pads transquillitate gaudeant et ab injuriis, violenciis, sub regni nostri regimine deffendantur70. Et tous les actes politiques du roi reprennent à l’envi cette justification, qu’il s’agisse des ordonnances prises contre les malfaiteurs ou des préambules, préludes à d’importants textes législatifs 71. La paix est au coeur de la justification du pouvoir politique. Mais qu’en ont retenu les sujets ? Leur engagement dans la guerre civile est encore plus parcimonieux que celui qui les jette dans la lutte contre l’Anglais. Et, s’il a lieu, nous l’avons déjà vu à propos de plusieurs exemples, il convient de douter de sa profondeur théorique. Les rares témoignages d’un écho de la propagande politique plaident en faveur de thèmes simples, ceux des Bourguignons, grands pourfendeurs de la taille. L’idéologie se moule à l’aise dans un mouvement plus général et plus ancien de résistance à l’impôt. Lorsqu’en 1414, les habitants de Carcassonne s’assemblent pour refuser de payer l’impôt, ils vont droit à l’hôtel du prévôt et de ceux qui sont chargés de lever la taille au nom du roi et

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« frappent a l’huys d’aucuns noz officiers et les faisoient lever disant “traîtres armagnacs !” »72. 34

La propagande bourguignonne a fait son chemin, au plus ras de la réflexion idéologique. Les habitants insurgés continuent d’ailleurs de visiter les hôtels en criant « Vive Bourgogne ! ». Et si la propagande ducale laissait encore un doute, on apprend que peu de temps après « eussent esté leues certaines lettres envoyees par notre tres chier et tres amé cousin le duc de Bourgongne adrecens ausdiz consulz et habitans de ladicte ville contenant entre autres choses qu’ilz se teinssent fors et qu’ilz ne paiassent riens de ladicte taille et qu’il se feroit fort de fere tant devers nous ou feu notre tres chier et tres ame filz le duc de Guienne dont Dieu ait l'ame, qu’ilz ne paieraient riens ; soubz couleur desquelles lettres le diz peuple se feust tenu en l’oppinion de riens paier ». L’occasion était trop belle, et les habitants de Carcassonne ont d’excellentes raisons d’être bourguignons ; au Nord, le cas d’Amiens lui ressemble étrangement 73. Il est probable que l’appel à la paix que les partisans du duc de Bourgogne ne cessent de réitérer a dû être aussi très bien reçu74.

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Mais, pour percevoir une vulgarisation des concepts de la théorie politique, il faut revenir au contenu de la prière qui, par ses mots tant de fois répétés, a encore été plus efficace que les lettres de propagande. Le contenu de l’Oratio communis fidelium est essentiel, en particulier la prière en langue vulgaire qui suit l’offertoire au prône. On sait combien la prière du prône elle-même a imprégné jusqu’au vocabulaire des fidèles, à commencer par Jeanne d’Arc75. Dans l’Oratio communis fidelium, on commence par prier pour la paix avant de prier pour les autorités, le roi et la reine, parfois le pape, puis pour les différentes composantes du peuple, les « loyaux laboureurs », les « loyaux marchands », les femmes « grosses », les veuves, les malades. La paix est le premier des biens communs qu’il convient de défendre. Tout catholique en est convaincu. Et, le roi lui-même dans cette Exortacion pour exiter a parvenir a la paix rédigée en 1401, quand les princes menacent de basculer dans la guerre civile, avoue ce qu’il doit à ce message de Jésus-Christ qui « admonesta, introduit et enseigna principalement tous ses disciples avoir et garder paix entre eulx en instruisant par ce tous ceulx qui le veulent ensuire a mener et querir paix qui est le souverain bien en ceste mortelle habitacion » 76.

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Le prolongement immédiat de cet enseignement religieux est politique. La paix s’oppose aux divisions, à commencer par celles qui agitent le royaume. Et, dans cette course à la paix, les rôles se répartissent clairement. Aux hommes d’armes d’aider le prince à parvenir à un accord. Et, si le simple sujet est prié de se mêler le moins possible de la vie politique, il est chargé d’une autre forme de service : prier pour que cessent ces divisions, que ce soit celles des princes ou celles du Grand Schisme. Les processions, paroisse par paroisse, en témoignent. Le pape les encourage en mêlant la prière pour le royaume et pour le roi à la distribution des indulgences 77. L’acte de prier est un des moyens de lier le sujet à son roi, en même temps qu’il le lie au Christ.

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Cela ne veut pas dire que la prière est le seul moyen d’unir le roi à ses sujets. Pour ne considérer que le domaine de la parole, et au moins en ce qui concerne les habitants des bonnes villes, ils ont pu être amenés à prêter des serments de nature plus complexe à l’occasion d’événements liés à des circonstances politiques précises, en particulier à la guerre civile. Mais le lien ordinaire, celui qui touche toutes les catégories sociales et permet de sceller l’union du sujet à son roi, réside dans la prière. Il est indissociable de l’exaltation de la paix et il assure, par conséquent, la cohérence du corps social.

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Cette paix politique se nourrit de la paix sociale. Elle s’oppose à la « riote » car le bruit discordant et le soulèvement de la foule désordonnée ne font qu’un. Les autorités politiques ont peur de tout ce qui risque de briser cette harmonie du corps social, de transformer la foule en émeute. Les théoriciens comme la Chancellerie ont, quand ils en parlent, les émeutes devant les yeux, qu’il s’agisse de celles de 1382 ou de 1413 78. Quant aux témoins de celle de 1418, ils disent assez la perturbation que l’insurrection parisienne a pu créer79. Certes, le roi a accordé sa rémission générale à ceux qui avaient participé aux soulèvements, à Paris, à Rouen ou dans les villes flamandes. Mais la situation politique, ensuite, n’est plus exactement comme avant. On a vu le prix que le roi attache aux hommes de guerre qui, en participant à l’expédition de Flandre, lui ont permis de mater l’insurrection. Quant à la rémission accordée aux Flamands, elle a fait l’objet de nombreuses tractations avant d’aboutir à un « traité de paix » susceptible de régler le problème des prisonniers, des bannis, des confiscations de biens et des alliances passées avec le roi d’Angleterre. Le but de la grâce qui est finalement accordée est bien de rétablir la paix. Charles VI justifie ainsi l’action politique qui la sous-tend : « et pour ce, nous qui a cause de notre souveraineté desirons tousjours mectre en tot les subges de notre royaume bonne paix et bon accort telement que chacun soit et demeure en son bon droit, et especialement pour eschever mors et occisions des creatures, efusion du sang humain, la destruccion du bien publicque et du bien commun de tout le fait de la marchandise et desolacion des eglises, des personnes religieuses et autres gens de sainte eglise et aussi de tout le païs de Flandres et autres irreparables dommages, maulx, inconveniens que l’on ne pourroit dire et qui ja longuement ont duré et encores durent »80. La paix est imposée au nom d’un pouvoir supérieur tandis que se profile l’énumération des grands crimes stéréotypés dont la menace effraie le corps social, au moins depuis le XI e siècle81. Malgré le caractère coercitif du texte, une rémission de la « riote » se négocie. Et, quand il arrive au roi de gracier par la suite des individus isolés qui ont participé au soulèvement, la lettre montre assez le traumatisme de l’insurrection. Le suppliant en fuite depuis plusieurs années tente de s’y présenter comme un criminel commun. Sa participation aux assemblées et aux rébellions n’est plus qu’un simple pillage. Sinon, la grâce reste difficile à obtenir, malgré la rémission générale que le roi a pu accorder par ailleurs aux habitants82.

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Vivre en paix est donc un idéal à la fois religieux et politique profondément ancré. Chaque individu, par sa vie morale, est chargé d’y participer. Ainsi se met en place l’idéal de l’homme paisible dont le comportement intérieur et extérieur contribue à la concorde du royaume. Le Livre des Epistres et Esvangiles montre bien à quel point la paix intérieure se prolonge dans la paix sociale : « Ayme paix, ayes paix (...), pense de mieulx aimer que d’estre amé, les discordes accorde et metz en paix. Soyes doulx en parler, en port et en toutes choses »83.

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On sent se profiler la condamnation implicite de la « guerre mortelle », des lois de la vengeance auxquelles il convient de substituer l’arbitrage et l’accord. Mais on voit aussi s’esquisser le portrait d’un homme paisible au comportement feutré. Dans les lettres de rémission, il est le sujet idéal parce que, paradoxalement, il est le coupable modèle. Ce n’est jamais lui le premier agresseur mais il est la victime d’un « rioteux », comme celui-ci « coustumier et renommé de ferir de legier du couteau » 84 ; ou encore, « homme de mauvaiz gouvernement et coustumier de soy enyvrer souvent, et estoit noiseux et si fut agresseur et premier assaillant »85. A l’opposé, l’homme paisible ne heurte pas à

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l’huis bruyamment, ne froisse pas le verre entre ses mains, ne se venge pas : il agit en état de légitime défense. Au pas tranquille de cet homme, pécheur de son métier, qui « venoit de ses besoingnes paisiblement », s’opposent les gestes désordonnés de sa femme qu’il trouve « toute enversee sur un lit et descouvertes jusques a bien pres des mamelles, tençant a une sienne niepce a laquelle elle disoit pluseurs paroles injurieuses »86. De la même façon que ces suppliants « estant au villaige et parlant avec certaines autre personnes de leur besoignes et negoce », s’opposent à leur agresseur « qui, en venant, avoit fait plusieurs riotes et avoit batu et navré plusieurs personnes, et ot plusieurs paroles malgracieuses et injurieuses a l’encontre d’un habitant dudit villaige »87. 41

Ces portraits construits en antithèse opposent la douceur à la rigueur et reprennent à leur compte tous les éléments qui construisent la renommée dans cette société du paraître. Etre de bonne vie et renommée, c’est aussi, la plupart du temps, être d’honnête conversation, comme si l’état intérieur n’existait que prolongé par les relations extérieures avec autrui (tableau 47). En 1385, ce fournier du bailliage de Sens n’a pu qu’être poussé à bout par son associé. A cet homme de mauvaise vie, incapable de mener à bien son métier, s’oppose notre suppliant qui « est homme paisible et de bonne vie et renommee et amé de ses voisins »88. Un siècle plus tard, cette forme de réputation n’a pas varié. La conduite exemplaire est celle d’un homme serein qui sait avoir des relations amicales et paisibles avec son entourage, telle celle de Pierre Seteau qui, en 1482, se définit comme un « homme doux et paisible, bien vivant, conversant et frequentant avec ses voisins et congnoissances »89.

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Nous avons vu à quel point les yeux des autres étaient importants dans la définition de la renommée90. Ce sont d’abord ceux des voisins avec lesquels commence la cohésion de la communauté. C’est la raison pour laquelle la Chancellerie est très attentive à définir les rapports de bon voisinage. Aussi elle n’exclut pas les jeux, les fêtes, la taverne, du moment que l’usage en est convenable et modéré : ils entretiennent les bonnes relations. Ce laboureur de terres est un sujet idéal. Il était à la taverne un jour de Pâques avec des voisins « bien et paisiblement sans noise et debat ». Arrive un « meschant homme », un sergent, qui les injurie ; mais eux, réputés « gens de bien et d’honneur », sans répondre, sortent de la taverne « bien et paisiblement » jusqu’au moment où les coups pleuvent. De même, à Amiens, ces « jeunes bourgeois (...) ont jousté et fait leurs esbatement honorablement » et le roi les gracie 91 ; sa décision va même à l’encontre de celles du maire et des échevins qui avaient interdit le jeu et voulaient les emmener en prison. Ces valeurs prévalent encore à la fin du XV e siècle, mais les interdits se sont précisés. Les sergents du Châtelet arrêtent ceux qui fréquentent les tavernes à des heures suspectes, qui font du bruit la nuit, qui fréquentent des rues mal famées92. Les motifs avancés pour ces arrestations peuvent d’ailleurs invoquer le souci de maintenir des rapports de voisinage corrects. La répression s’étend au nom des lois de la sociabilité dont le pouvoir se porte garant 93. Le roi sait donc distinguer la « bonne noise » de la mauvaise. L’une garantit la paix, l’autre ouvre sur la violence.

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Il existe deux sortes de sujets parfaitement antithétiques : les uns irradient la paix, les autres sèment la discorde. Cette division emprunte largement aux enseignements de l’Eglise, mais ceux-ci, loin d’être plaqués, sont parfaitement intégrés par la définition de la bonne renommée. Celui qui en souhaitant commettre l’adultère trouble l’ordre religieux, est aussi celui qui provoque le bruit discordant, tel ce meunier qui poursuit

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de ses assiduités la femme du boulanger. Non seulement il répond « moult orgueilleusement et de hautain langage » mais, le jour de la Toussaint, il ose venir avec des gens étrangers devant la maison des mariés « demenant noises et riotes, hurtans et mans grans cops de pierre aus huis »94. Ce charivari n’est que la forme extériorisée du désir coupable de celui qui est « allé et venu entour elle a son bon plaisir ». 44

Etre paisible, c’est suivre l’enseignement de Dieu, mais c’est aussi être jugé comme tel par la communauté des proches selon les normes retenues par le code social. Entre la douceur que préconise l’Evangile et celle que définit le code de l’honneur, il n’y a pas d’opposition fondamentale : l’une et l’autre consistent à refuser le geste ou la parole qui dérangent l’ordre. Le roi n’attend pas autre chose que la parfaite application de ces principes. Elle n’est pas seulement, on le voit, le fait d’une autorité imposée d’en haut, le résultat d’un pouvoir coercitif. Elle répond plutôt à des exigences de comportement que partagent les autorités et la communauté.

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Les contraintes des modèles religieux et politiques ne se situent donc pas dans le choix de ces valeurs qui définissent le paraître. Elles commencent avec les restrictions apportées aux moyens traditionnels pour réparer l’honneur blessé que sont le démenti et la vengeance. Les guerres privées sont interdites95. Mais surtout, l’Eglise enseigne de répondre au mal par le bien, et Guillaume de Tignonville, répétant ce que préconise Grégoire le Grand, conseille dans les Ditz moraulx : « endure paciemment sans vouloir vengeance »96. Cet idéal de paix tend à transformer l’individu par une réflexion intériorisée sur le sens de la paix. La leçon n’est pas ignorée et certains suppliants arguent de l’« accord » qu’ils ont pu chercher avec l’adversaire avant d’en arriver aux mains. Ils savent que cette conduite est la meilleure. Deux voisins se sont injuriés. Un ami commun offre ses bons offices d’arbitrage, disant « qu’il feroit tant que ilz buvroient ensemble et seroient bons amis car ce seroit le meilleur » 97.

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L’argument est habile mais il a incontestablement hérité des leçons morales relatives à la paix. Il n’est d’ailleurs pas toujours de pure forme et on voit des atteintes à l’honneur que des suppliants ont laissé filer longtemps avant de les venger 98. L’homme paisible commence aussi, timidement, à être celui qui ne répond ni aux injures ni à l’enchaînement de la vengeance. Il peut même affirmer bien haut qu’il est mal de vouloir se « contrevengier ». Mais ce sont là des cas qui restent exceptionnels 99.

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Le code de l’honneur tel que nous l’avons étudié, conserve largement sa pesanteur. Le regard des autres exclut vite ceux qui tentent d’échapper à ses lois en choisissant de se taire100. En outre, l’honneur, encore loin d’être individuel, se trouve partagé par la parenté et par les amis. Puisque l’injure faite à un membre du groupe déteint jusqu’à eux et atteint leur honneur, ils ont leur mot à dire pour le restaurer. Dans le dédale des solidarités et des obligations qui en découlent, l’idéal d’une paix intérieure garante de la paix sociale a du mal à être entendu. On en reste au premier degré, à la définition d’un homme paisible dont le comportement reconnu par tous contribue à la renommée et prévient autant que faire se peut l’amorce de la violence.

CROÎTRE ET MULTIPLIER 48

L’étude des raisons pour lesquelles la Chancellerie accorde finalement sa grâce fait apparaître clairement quel est le but de cette vie paisible. Il est de croître et multiplier par la famille et le travail. L’idée n’est pas propre aux lettres de rémission. Elle sert aussi à définir la bonne renommée de ceux qui cherchent, au Parlement, à se

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disculper101. L’image de l’homme paisible, comme celle du bon père de famille, prend un caractère juridique. Cette démarche s’inscrit dans une réflexion théorique générale qui consiste à lier la paix à la fécondité et la fécondité à l’accroissement du nombre des hommes. On la trouve au coeur des traités politiques relatifs à la réforme du royaume, et Jean Gerson, s’adressant au roi et aux princes, reprend la parole du Sage affirmant « que la dignité et honneur du roy est en la multiplication de son peuple » ; sinon ce peuple aime mieux « faire les galins galans que labourer sans riens avoir » 102. Les abolitions qui suivent le retour à la paix répètent ce thème à l’envi 103. L’idée, on l’a vu, vient de loin, et les malheurs du temps lui donnent son actualité 104. Mais la reproduction n’a rien d’anarchique ; elle repose sur un ordre dont le roi est le garant. 49

La cellule conjugale est la pierre angulaire du système. Même si la Chancellerie continue de reconnaître le rôle de l’amour naturel et des amis charnels, ces considérations relatives à la parenté n’entrent guère en jeu dans la justification finale de la rémission qui conduit au pardon. L’intervention des amis charnels n’est reconnue au moment d’accorder la grâce que dans 16 % des cas alors qu’ils sont intervenants pour demander la lettre dans près de 30 % des cas. Ce silence qui les accompagne au moment de justifier la décision finale est significatif des limites que le roi leur assigne. En revanche, la Chancellerie s’avère très attentive aux charges de famille. Les suppliants mariés se voient graciés pour ce motif dans 40 % des cas comme première justification, et dans 60 % des cas comme seconde justification. Il suffit d’avoir pris femme et d’avoir des enfants pour présenter un profil favorable. Ce suppliant a fait dans sa jeunesse les quatre cents coups. Avec d’autres valets, à l’âge de 18 ans, il a volé, pis, il a violé une chambrière et il a battu un des compagnons qui réprouvait les méfaits de leur joyeuse bande ; le voici six ans plus tard emprisonné 105. Mais entre-temps il a pris femme et il a un petit enfant « d’un demi an seulement ». Pour cette raison, il obtient rémission. Celui-là, de la même façon, a accumulé les méfaits, de la rupture d’asseurement au vol, mais il a « cinq enfans mendres d’ans » et le roi accorde sa grâce106. On pourrait multiplier les exemples : ils disent tous la force de la cellule conjugale aux yeux des autorités politiques. Ils disent aussi l’amour qui doit y régner. Ce sentiment qui unit le mari et la femme, le père à ses enfants, est fortement encouragé par l’Etat, comme il l’est au même moment par l’Eglise. Ce suppliant, qui n’a pas réussi à payer ses créanciers, qui s’enfuit mais revient en cachette « pour veoir sa femme et ses povres petits enfants », est finalement un sujet idéal, comme cette femme qui a suivi son mari dans la fuite et se retrouve prisonnière au château d’Arras. Elle obtient la grâce non seulement parce qu’elle se dit enceinte mais surtout « veu la maniere du fait et qu’elle estoit tenue de aydier et secourir sondit mary et d’aler avecques lui quelque part qu’il aloit »107.

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Ce sont là des époux modèles, l’homme et la femme chacun à leur place. Le vocabulaire de la Chancellerie pour décrire ces devoirs sait se faire l’écho des lectures bibliques du sacrement de mariage. Rien, même le crime, ne doit donc détruire l’harmonie que Dieu a construite. Le père parti, voici la femme et les enfants jetés sur les routes de la mendicité. En cette fin du Moyen Age, le mot n’est pas anodin ; le mendiant s’expose aux répressions des autorités. Aussi il convient de prévenir le mal. Ce suppliant, marié et père de famille qui a violé Marion, une fillette, dans le champ de blé à proximité de son domicile, a commis un crime très grave. Il a été condamné au bannissement. Mais cette gravité n’est peut-être rien en comparaison de la menace qui pèse sur toute une famille où femme et enfants sont en aventure « d’aler en essil et a perdicion, poure et

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mendiant, se de notre benigne grace... »108. Toute atteinte portée au père risque de provoquer un déséquilibre parce que sur lui se doit de reposer l’avenir de la famille. La reconnaissance de la cellule conjugale s’accompagne de celle d’un chef responsable. Son rôle est clairement défini : il assure la nourriture des siens. Cette nécessité est d’autant plus évidente que le suppliant est pauvre. Cet homme qui, dans le bailliage de Sens, en 1406, a volé un soc et un coutre de charrue est « poure et ancien ». Pour lui accorder la grâce, le roi évoque ses responsabilités de chef de famille et l’absence de toute source de revenus au foyer, autre que le travail du père : « et aussi, aians pitié et compassion de sa ditte femme et enfans lesquelz n’ont de quoy vivre ne estre alimentez fors de son labour, peine et travail »109. De la même façon, ce chef de famille condamné à être « executé corporellement » et à avoir ses biens confisqués pour avoir volé « par grant necessité », se trouve gracié car sa pauvreté ne lui permet pas de rester sans travail, « considerant sa poureté, et aussi qu’il avoit et a a nourrir sa dicte femme et enfans » 110. 51

Le lien entre la pauvreté des revenus et le nécessaire travail du chef de famille est un argument constamment utilisé par la Chancellerie pour justifier sa grâce. Dans 30 % des cas où le suppliant se déclare pauvre, les charges de famille sont évoquées comme première justification de la grâce, proportion qui atteint 40 % quand il s’agit de la seconde justification. C’est dire que cette responsabilité familiale et le travail afférent l’emportent sur de simples considérations de fortune dont la fréquence ne dépasse guère 20 % des cas111. On pouvait logiquement attendre la pitié du roi miséricordieux au pauvre. La pitié existe, mais elle flatte moins la pauvreté pour elle-même qu’elle ne la sauve de la pente redoutable qui la transforme en mendicité. La mission du chef de famille est donc de sauvegarder femme et enfants de la mendicité. Mais, plus largement, elle consiste à assurer sa subistance. C’est là un devoir qui incombe au père dans le cadre de la cellule conjugale. La mère a d’autres tâches qui sont à son honneur. L’homme qui vit du travail de sa femme est un infâme, tel celui-ci « qui ne vivait fors de ce que sa femme gaingnoit »112. On voit nettement se profiler la répartition des tâches que suppose le sacrement de mariage : Adam bêchant et Eve filant, cette image du couple que grave déjà la pierre des chapiteaux romans s’est vulgarisée. Mais au XIV e siècle, Joseph, modèle de vertus, a remplacé Adam, et Marie a racheté Eve qu’entache le péché originel. Bon père, bon époux et bon laboureur, Joseph mène sa famille. Aussi chaque couple doit-il admirer cette union que Jean Gerson, entre autres prédicateurs, donne comme exemple de « labour » réussi : « Encores disons que chascune personne de mestier qui gaigne sa vie en loyal labour et mangue pain benoit, selon le dit du prophete, doit honnourer ce mariage, non pas folement oyseuz, et y prendre bon exemple et forte patience »113.

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Est-ce la fin qui a justifié les moyens ? Accolé aux nécessités de la survie de la famille, le travail semble avoir pris ses lettres de noblesse. Cet homme du bailliage de Chartres l’illustre bien qui, après son crime, s’est « retraiz en estrange païs ou il s’est marié et tousjours a esté depuis et avoit aussi esté paravant de bonne vie et renommee, et nourrist sa femme et ses petiz enfans de sont petit labour, sanz conversacion deshonnete »114. Quant au roi, il reprend cette vision en accordant la grâce : il restitue un père, des bras, du pain. Cet homme de labour que nous avons vu se mêler, à tort, de lutter contre les brigands, reçoit aussi rémission afin qu’il « puisse faire son labour doresnavant et norrir sa dicte femme et enfans »115.

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Mais le travail peut aussi être traité en soi comme une nécessité faisant partie de l’honneur de l’homme. « Labourer », être « laboureur » et surtout « laboureur de bras »,

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ne sont pas des termes, nous l’avons vu, qui font strictement allusion au travail de la terre. Ces appellations insistent plutôt sur la forme noble d’un travail rarement présenté comme contraignant mais au contraire comme bénéfique et salvateur. Cet homme du bailliage de Sens s’est laissé entraîner au vol par « convoitise » et « temptacion de l’Ennemy », mais ce sont là pour la Chancellerie des événement fortuits dans une vie bien tracée car il a toujours été « faisant son labour de bras et gagnant au mieulx qu’il a peu »116. Les citations abondent depuis l’expression laconique « bon laboureur », complétée parfois de « homme paisible vivant de son povre labour », jusqu’aux détails circonstanciés comme ceux relatifs à cet usurier décidant d’abandonner son activité criminelle « desirant comme bon catholique soy retourner de ladicte erreur a bonnes œuvres et venir gaignier son vivre entre ses amis par raisonnable labour a la peine de son corps »117. 54

Reste à définir ce travail « raisonnable ». Il se doit de répondre à deux critères : la « loyauté » et la « mesure ». Dans ces conditions, le bon sujet fait de « bonnes euvres ». A un Breton « bretonnant » et agressif qui, en 1385, demandait dans la ville de Bourgneuf à un suppliant : « Que feriez-vous se paix estoit ? », l’autre répond, sûr de son bon droit : « nous ne ferions que bien et gaignerions notre pain loyaument » 118. Ce suppliant du bailliage de Senlis, meurtrier de sa belle-mère, crime énorme puisqu’il relève du parricide, se trouve gracié car il a toujours vécu de son « loyal labeur » 119. Une autre lettre explicite le contenu de cette loyauté. Ce suppliant que nous avons vu suivre les Bretons et vendre de la nourriture aux Anglais reçoit rémission parce que, habitant La Souterraine depuis plusieurs années, « il a esté depuis et est encores demourant, marié et gaignant sa vie en fait de marchandise et autrement, au mieulx qu’il peut, sans encourir ou commettre blasme ou reprouche aucun. Ançois s’est gouverné et maintenu depuis comme notre bon et loyal obéissant subgiet et comme tel sa gouvernera, et a ferme propos sans variacion de soy gouverner et maintenir de bien en mieulx tout le cours de sa vie »120. Nul ne dit mieux que ce texte le lien étroit qui existe entre le mariage et le travail, l’obéissance et le labeur ; en plus, sous la loyauté perce le progrès. Etre loyal, ce n’est plus seulement, comme au XIIIe siècle, se plier à des normes de travail rigoureusement contrôlées ; c’est faire mieux en allant jusqu’au bout de soimême. L’effort n’en est donc pas exclu. Mais ne soyons pas dupe de cet idéal. Il ne va pas jusqu’à faire changer le suppliant d’état. Il consiste surtout à assurer la subsistance du suppliant et de sa famille, « a gagner son pain ». Ce pauvre homme, laboureur de bras du bailliage de Tournai, commet un homicide. Il est gracié car il était parti « en entencion de gaignier a la peine, labour et travail de son corps la vie et sustentacion de lui, sa dite femme et enfants »121.

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Mais ce corps a des limites parfaitement connues. La règle de vie n’est réservée ni aux moines ni au roi. Toute démesure dans le travail est bannie. Il est bon de se reposer après le travail. Ce laboureur qui entre dans son jardin « pour dormir et prendre son repos comme cil qui estoit traveillié de faire son labeur » est dans son bon droit. Ce repos mérité s’oppose à celui que, pendant ce temps, son valet prend en compagnie de sa femme « tres deshonnetement »122. De même, ces jeunes gens de Marchiennes ontils le droit de se retrouver le samedi soir après le travail, « ainsi qu’ilz parloient ensamble ainsi comme ont accoustumé de faire jeunes gens les samedis apres disner qu’ilz ont laissié euvre de faire leur besoigne »123.

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Incontestablement, le travail, qu’il soit ou non lié à la famille conjugale, voire à la pauvreté qu’il tempère et empêche de faire sombrer dans la mendicité, se trouve

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valorisé par la réflexion politique. L’exercice de certains métiers est clairement perçu comme nécessaire au bien public. Ce maréchal du bailliage de Sens ne peut pas être plus longtemps emprisonné, « mesmement que son dit mestier de mareschal qui est necessaire ou bien publique il ne se puet aidier, lui estant prisonnier si comme il dit » tandis qu’au même moment, à l’inverse, cette victime morte ne peut être pleurée car elle ne faisait « aucun labour ou office de ses mains » 124. 57

En règle générale, le laboureur n’est plus celui que les autres ordres pressurent sans limites. Son travail a un sens qui se rapporte à un double pôle : celui de sa famille et celui de l’Etat. Enfin, son travail se doit de trouver un équilibre entre l’activité et le repos. Sans aller jusqu’à appliquer à cette population ordinaire l’idéal du cum dignitate otium que n’ignoraient pas les humanistes de la Chancellerie imprégnés de la pensée cicéronienne, on peut voir s’esquisser l’histoire d’une dignité par le travail honnêtement accompli125. Elle fait désormais partie de l’honneur. Et, parmi les théoriciens de ce premier humanisme, Christine de Pizan, venue à l’écriture par nécessité, l’exprime mieux que les autres. Certes, les laboureurs qu’elle décrit sont les plus enclins au mauvais repos qui leur fait fréquenter les tavernes ; il convient néanmoins de considérer « l’onnesteté de labouraige » qui « ne souloit mie estre anciennement vil office ne desprisé »126.

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La force du royaume ne repose donc pas seulement sur la prouesse de ses valeureux guerriers ou sur le service de ses officiers. Elle dépend aussi du nombre de ses petites cellules conjugales que le travail de l’homme entretient. Au roi de veiller à leur maintien sans « diminucion ». Au roi aussi de favoriser leur développement. Ce sont là des forces vives. La jeunesse suscite les mêmes espoirs. La place des jeunes dans le graphique de la rémission, excentrée par rapport aux autres classes d’âge, le montre assez. Et, même pour des crimes graves comme le viol, la jeunesse aux yeux de la Chancellerie constitue une circonstance atténuante. Au total, 60 % environ de ceux pour lesquels la Chancellerie invoque l’âge comme première justification de la rémission, emploient des qualificatifs qui expriment la jeunesse dans leur déclinaison d’identité127. Cette donnée se conforte de celle des âges numériques : dans près de 70 % des cas, les suppliants qui se voient accorder leur grâce sous prétexte de leur âge ont moins de 30 ans. Le roi justicier se garde donc bien de porter sur cette classe d’âge le jugement sévère que les théoriciens colportent128. Consciente peut-être que la jeunesse n’est probablement pas plus délinquante que l’âge adulte, la Chancellerie sait aussi qu’elle est le temps de l’espoir. Toussaint Toré obtient la grâce royale parce qu’il est « jeune homme qui avoit bonne voulenté de labourer et gaignier sa vie au païs », tandis que Colin Villain, au même moment, est « jeune homme qui pourra encore faire assez de bien »129. Ainsi, se profile l’image d’un royaume avide de forces vives, à un moment où, justement, l’hémorragie démographique et la désertion des campagnes réclament une compensation en bras et en forces humaines.

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Les dispositions relatives au bannissement sont prises dans le même contexte. Il s’agit là d’une punition épouvantable aux yeux de l’opinion130. Elle l’est aussi aux yeux de la Chancellerie, si bien que le bannissement est invoqué comme premier motif pour justifier la rémission dans 45 % des cas, et comme second motif dans 76 % des cas. La condition du banni y est effectivement évoquée comme pitoyable. Elle est assez bien résumée par cet homme du bailliage d’Amiens condamné au bannissement depuis trois ans qui « est alé en estrange païs et delaissié ses femme et enfans, pour quoy il a esté et est a tres grant povreté et misere et en aventure de finer miserablement ses derreniers

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jours et ses dicte femme et enfans en estre mendians par le païs » 131. Ou de celui-ci, du bailliage de Vermandois, qui « s’est absenté du païs ouquel il n’oseroit retourner sanz notre grace pour y gaigner la povre vie de lui et de sa dicte femme » 132. La relation est d’autant plus cocasse que le suppliant avait juré le « villain serment » à la suite d’une dispute matrimoniale en règle ! 60

Le bannissement provoque, en fait, l’antithèse de ce que le roi considère comme le bien : destruction du couple, mendicité, errance et perversion. Les bannis sont aussi, nous l’avons vu, des fauteurs de troubles potentiels133. Mais le bannissement provoque surtout une hémorragie en hommes que le souverain ne souhaite pas voir grandir. Au contraire, dès le milieu du XIVe siècle, il autorise les bannis étrangers, condamnés pour homicide commis en légitime défense, à s’installer à Tournai 134. En règle générale, il ne se prive pas de gracier les bannis qui désirent s’installer dans le royaume 135.

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Encore une fois, les intérêts du roi rejoignent ceux du code de l’honneur dont nous avons pu définir les grandes lignes. Car le banni, comme tous les autres sujets, ne demande qu’à revenir se « nourrir » au pays qui le plus souvent l’a vu naître, où il a son bien, son travail et sa famille. Et, en matière de famille, il n’est pas sûr que la Chancellerie innove beaucoup. Si elle répète les modèles conjugaux que l’Eglise prescrit, n’est-ce pas aussi parce qu’ils forment désormais la pierre angulaire des solidarités ? Ce que nous avons vu de la force du couple incite à le penser. L’honneur des sujets, laborieux et pères de famille, tend à se confondre avec celui des individus qui peuplent le royaume.

L’HONNEUR D’ÊTRE INNOCENT 62

Ce code de l’honneur que partagent le roi et ses sujets n’est pas immuable. On le voit se transformer avec l’émergence de la cellule conjugale comme des valeurs relatives au travail. On le voit aussi s’imprégner des valeurs que véhicule la justice officielle. Etre un homme d’honneur aux XIV e et XVe siècles suppose de ne pas avoir maille à partir avec la justice. La renommée se définit aussi et de façon constante par un passé judiciaire irréprochable. Les suppliants des lettres de rémission arguent de n’avoir « esté reprins d’aucuns vilain blasme ou reprouche », ou encore d’être « de bonne vie et de honneste conversacion sans ce qu’ils feussent oncques mais repris d’autres villain fait, blasme ou reprouche si comme ilz dient »136. Tableau 47 : Formules pour justifier le coupable

Formules utilisées pour justifier le coupable Fréquence (en %) Aucune

17,0

1 expression

4,5

2 expressions

8,5

3 expressions

22,5

4 expressions

43,5

811

Autres expressions

4,0 100

Ce tableau tente de comptabiliser ce qui peut apparaître comme des formules stéréotypées. Elles ne sont utilisées dans leur totalité que dans moins de la moitié des cas. Cette constatation incite à penser que leur emploi n’est pas indifférent. Au total, la grâce royale restitue pleinement la renommée. 63

Les expressions sont choisies parmi : • Réputation ou « fame » • Bonne vie • Honnête conversation • Aucun blâme ou reproche

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Cette litanie fait partie du langage nécessaire à la rémission. Il est probable que la pureté initiale du sujet favorise la grâce. Il convient donc de faire la part du langage nécessaire et il s’avère très délicat de mesurer avec quelle profondeur de telles considérations ont pénétré le code de l’honneur.

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La complicité de cette population ordinaire avec le pouvoir peut prendre la forme primaire d’une dénonciation qui regarde moins au crime dénoncé qu’aux personnes à qui on veut faire du mal. Nous avons vu avec quelle haine les réseaux de solidarité pouvaient s’opposer entre eux. Il y a là une faille dans laquelle peut se glisser le recours à la justice officielle. Ce suppliant du bailliage de Vermandois qui a vengé sa mère injuriée se retrouve en prison « a l’instigacion d’aucuns ses ennemis et malveillans » 137. Ces dénonciations peuvent être le fait de voisins mal intentionnés, mais aussi de la partie adverse soucieuse d’obtenir des réparations. Cette femme, accompagnée de ses deux beaux-frères, n’hésite pas à aller « par devers la loy de ladite ville en requerant justice du diz suppliant ». Et pourtant la victime avait pardonné, reçu les sacrements, et affirmé qu’elle mourait de la « bosse » et non du coup qu’elle avait reçu. Quant à celuici, à bout d’arguments dans une rixe, il conseille à l’autre de se méfier en lui disant : « Je suis bien taillié de toy mener pendre »138. On ne saura jamais quel secret il brandissait ainsi car il en est mort. En fait, il est très difficile de savoir quelle part joue la répréhension du crime dans la dénonciation. Ces laboureurs d’Igny qui fêtent la SaintEloi auraient dû, selon toute logique, défendre le meurtrier de Guiot Le Charon venu, comme nous l’avons vu, d’« etrange païs »139. Or, Guiot mort, ils tentent de maîtriser le meurtrier « et, par iceulz laboureurs liez d’une corde par le ventre et en icelle estat, fu gardez en attendant justice, et non obstant ce, fist tant qu’il se eschappa ». Les liens n’étaient-ils serrés que pour lui permettre de mieux fuir ?

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Il peut cependant arriver que la dénonciation tienne plus nettement au crime proprement dit. Les cas concernent le vol plus que les autres crimes. Voici une vache qu’un écuyer a saisie pour dette. Le suppliant la reprend et pour montrer qu’il n’est pas le « voleur » vient la réclamer à l’écuyer. Pour le confondre, celui-ci entreprend une information « et depuis que ledit escuier ot fait icelle vache demander en aucunes esglises pour savoir s’il en povoit oyr ne trouver certaines nouvelles, fu faicte informacion par notre vicomte de Bayeux ou son lieutenant au pourchas ou requeste dudit escuier »140. Le réseau d’information paroissiale finit par avoir raison du suppliant. L’ensemble de la communauté peut ainsi se liguer contre le coupable. Lorsque Adam Le Paisant et deux de ses voisins décident de « prendre et battre Colin

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Virnont, larron public, ou mener a justice si trouver le povoient », ils semblent hésiter sur le mode de punition, soit le recours direct, soit la dénonciation. Et, quand finalement ils le tuent après l’avoir trouvé, ils affirment « qu’ils eussent mieulx amé que il eust esté pendu »141. Le propos est destiné à la rémission, mais il montre bien que ces gens connaissent parfaitement le lien entre la dénonciation et la justice, même s’il leur arrive encore de faire justice eux-mêmes. Ils en jouent selon leur convenance et selon les types de crime. 67

Rares sont néanmoins les crimes dénoncés puisqu’ils constituent moins de 10 % des cas criminels rencontrés. Est-ce suffisant pour justifier cette « clameur de plusieurs noz subgiez », « en plusieurs et diverses parties de nostre royaume », réclamant que justice soit faite contre les malfaiteurs de tout poil142 ? Quel impact a eu l’ordonnance que prend Charles VII en 1439 quand il demande aux populations civiles de prendre et amener « a justice » les « robeurs, pilleurs et guetteurs de chemins » 143 ? Incontestablement, le roi joue de la faculté à dénoncer : c’est donc que cette voie ne lui est pas systématiquement refusée. Mais le poids des solidarités l’emporte sans doute sur celui des coups bas. Lorsque le sénéchal de Beaucaire fait crier par ses sergents que Jean d’Auxerre est criminel, il trouve en face de lui Jean de Saint-Ygnan « especial ami » de l’accusé, et rien, ni les ordres ni les cris, ne fait revenir la barque qui les mène vers l’Empire, « pour la grant amour, fraternité et compaignie que eulx deux avoient ensemble et ont eu ou temps passe en fais d’armes et autrement, tant es parties de Provence comme ailleurs en noz guerres »144. Le complice se fait emprisonner pour sauver son ami. Alors le roi se plie aux lois de l’amitié plus fortes que le poids de ses ordonnances qui interdisaient de passer sans l’autorisation du maître des ports de la sénéchaussée de Beaucaire. La justification de la grâce est sans équivoque : « consideré aussi que ce que ledit exposans a fait en ceste partie n’a pas esté fait par collusion en mauvaistié, mais pour la vraye et parfaicte amour qu’il avoit a sondit compaignon ». La noblesse du suppliant a peut-être conduit la Chancellerie à la compréhension. Mais ces valeurs d’amitié sont, au même moment, partagées par les clercs comme par les parents du roi. On est encore loin de faire de la dénonciation systématique un mode de gouvernement.

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Les peines prononcées par les autorités à l’encontre des criminels semblent avoir laissé dans l’opinion un traumatisme plus efficace que les crimes eux-mêmes. Nous l’avons déjà perçu pour le bannissement que les suppliants considèrent comme une véritable « penitence »145. Il en est de même pour la prison. On la trouve évoquée soit à titre préventif, soit parce que le coupable et sa famille n’ont pas pu composer financièrement146. Au total, le séjour en prison, que le coupable se soit ou non évadé, concerne environ 40 % des suppliants. Si, effectivement, la prison laïque qui est la plus souvent évoquée ne peut être considérée comme une peine, elle est évoquée comme une pénitence. Elle entre comme premier motif de la rémission donné par la Chancellerie, soit dans 20 % des cas. C’est dire que le roi sait prendre en compte ce lourd passage. Il y est encore plus attentif si l’incarcération a été accompagnée de torture. Ce suppliant du bailliage de Vermandois se trouve gracié en 1400, étant donné « la grant peine, dureté et misere de prison et de gehine qu’il a ja souffert et enduré patiemment », tandis que ce suppliant est pardonné pour avoir brisé sa prison par peur de la torture car il « vit gehyner, lui present en ladicte prison, un certain prisonnier qui y estoit »147. Nous retrouvons là le caractère ambigu de la torture, à la fois imposée et redoutée par le pouvoir148.

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En fait, la dureté de l’incarcération n’a que peu de choses à voir avec sa durée qui n’excède pas 15 jours dans près de 40 % des cas. Ce suppliant gracié en janvier 1406 a commis un vol le 30 novembre de l’année passée et la Chancellerie évoque « la longue et dure prison » qu’il a souffert149. Cette hantise du temps passé en prison n’est pas simple à expliquer. La fréquence des compositions en accuse sans doute l’acuité pour ceux qui sont condamnés à rester là faute d’argent. Ce suppliant qui se plaint ainsi est un foulon de drap de Laon et il n’a sans doute pas eu les moyens de se faire libérer 150. Mais l’explication est sans doute plus complexe qu’une simple question de pauvreté. La prison tend à devenir un lieu du tourment. Lorsque Jean Gerson cherche à convaincre son auditoire des terreurs du Purgatoire, il s’empare, nous l’avons vu, de l’image de la prison : l’un et l’autre sont lieux de douleur et de tourment151. Les conditions de séjour en prison sont certainement à la mesure de l’épouvante que le lieu inspire. Quand après une rixe qui n’a d’ailleurs pas entraîné mort d’homme, Thevenin Du Puis, un foulon de drap, est emmené en la prison de Vert-Saint-Denis qui ne doit pourtant pas ressembler à une forteresse, il se prend à jurer : « Maulgré en ait le sanglant corps Dieu et la Magdeleine avec, me mettra l’en en prison pour ce garnement yci » ! De même, des jeunes gens venus pour punir un prêtre fornicateur ne trouvent pas mieux que de lui crier : « “Ribaut ! En prison !” (...) pour lui faire paour » 152.

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On peut y être détenu « obscurement et asprement ». On peut y connaître aussi la rage de fuir qui conduit à tenter de briser l’huis, à faire une corde de sa couverture pour s’échapper et, quand rien de tous ces procédés n’a réussi, désespérément, de penser au suicide : « et pour ce qu’il ne pot ouvrir ledit huis, par temptacion de l’ennemi, pris une desdictes bandes qu’il avoit fait de sa couverture et en fit un lien lequel il mist en une buche qui estoit hault en la dicte prison en entencion de soy y attachier et pendre, mais depuis, li, reconcilié par la grace de Dieu, se desista de son mauvaiz propos et est encore en icelle prison en paour de plus grant tempatcion si comme il dit » 153. Certes, il faut considérer que le roi a le devoir de ne pas laisser ses sujets tomber dans la « desesperance ». Mais l’argument ne paraît pas invraisemblable. Le suicide en prison n’est sans doute pas une invention de l’époque contemporaine. La prison fait peur. Il est possible aussi que cette population, enserrée dans son espace familier aux petits horizons mais où la sociabilité joue un rôle prépondérant, supporte mal l’exclusion et l’enfermement. K. Blixen montre bien comment les populations qu’elle a pu observer, en Afrique, avaient encore, au début de ce siècle, la hantise d’être emprisonnées 154. C’est que le mur brise toute connaissance, celle que ces hommes ont des autres comme celle qu’ils ont d’eux-mêmes par le regard des autres.

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Mais une autre explication se doit d’être apportée, d’ordre politique. La prison est entrée dans le code de l’honneur : à la prison est accolée l’infamie. Thevenin Du Puis que nous avons vu prisonnier, est en « aventure d’etre infame » ; la prison qu’il a subie lui est une « vexacion ». Et ce n’est pas seulement parce que prison et pauvreté peuvent aller de pair. Elle est pis que la teneur du crime. Ce suppliant n’est pas déshonoré parce qu’il avait tenté de violer une vieille femme, mais parce qu’après le crime, il est prisonnier « a honte et deshonneur de lui et de ses amis » 155. Si le devoir des amis est justement de faire en sorte que le coupable quitte rapidement la prison où il est enfermé, tout séjour prolongé ne peut que réserver une honte qui rejaillit sur le lignage. Les amis d’un autre suppliant n’ont qu’un souci pour l’honneur du lignage : aller et venir le quérir, ce qu’ils font en brisant l’huis qui l’enfermait pour le mettre en lieu saint156.

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Ce pourrait être langage de circonstance si cette honte et ce déshonneur ne s’inscrivaient dans une perspective plus large qui entoure d’infamie tous les châtiments que réservent la justice du roi et celle de l’Eglise. Il est courant d’admettre que l’excommunication est une décision galvaudée pour avoir été trop de fois répétée 157. Mais, quand elle est mentionnée, l’excommunication est considérée comme une peine sévère et surtout « diffamante ». Lorsque Jean Langlois apprend qu’il est excommunié, il se précipite vers son curé pour lui demander des explications : « Vous m’avez publiquement en ladite eglise dennoncié pour excomenié et a ceste cause me reputer infame sans cause »158.

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Parce qu’elle est dénonciation publique, l’excommunication est un rite d’exclusion qui provoque un rejet du tissu social. Pierre Fabucet, surprenant sa femme en train de discuter avec Colin Rignault demeurant dans la même paroisse mais tenu pour excommunié, lui dit : « que disoyes-tu a cest homme la qui est excommunié ? Tu scez bien que je ne l’ayme pas et te ay defendu par pluseurs foiz que avecques lui tu ne parles en aucune maniere »159. Ce sont peut-être là propos de mari jaloux : peu importe ! Il trouve un prétexte officiel à l’exclusion. C’est la raison pour laquelle traiter quelqu’un d’excommunié entre dans les injures, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme160. C’est dire que l’excommunication contribue largement à la mauvaise renommée. Ce Perresson, originaire du Laonnois, a le profil bas, pour être « homme de petit estat et de petite renommee et avoit bien X ans qu’il avoit este excommuniez et qu’il n’avoit recu son sauveur »161. Le sentiment religieux s’inscrit aussi dans un paraître obligé dont le respect est soigneusement vérifié par les autres. Ils savent depuis quand tel homme ou telle femme « n’ont pas recu leur créateur ». Cela veut dire que l’obéissance est profondément ancrée dans les comportements et dans les consciences au point de faire partie de l’honneur d’un homme.

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Les châtiments publics que la justice décide comme sanction au crime provoquent une infamie du même type, rejaillissant sur la renommée. Ce suppliant menacé de l’échelle parce qu’il a fait une fausse cédule, crie grâce avant d’être condamné ; celui-ci, après avoir été contraint à faire amende honorable sur ordre de l’official de Beauvais pour avoir appelé une femme mariée « putain », alors que lui-même est marié, revient trois semaines plus tard et se venge dans une rixe qui lui coûte la vie ; cet autre, condamné au bannissement, se dit en aventure de « demourer infame ». Enfin, ce boulanger parisien, accusé en 1420 d’avoir fabriqué un mauvais produit et emprisonné au Châtelet, redoute la décision des juges « car ce seroit ou grant deshonneur et vitupere de sa personne et aussi de sa dicte femme, parens et amis a toujours parceque seroit noté l’infamie qui pourroit estre destruccion totale »162. La condamnation est un déshonneur, quelle que soit sa forme, du moment qu’elle est publique. La requête des amis charnels de Clément Chance est à ce propos significative. Ils craignent que le suppliant « ne soit condamné a mort et executé publiquement que ce soit au grant deshonneur des diz amis qui sont et ont esté au temps passé de grant estat et honnor. Supplianz que, pour ce, nous leur voulsissions octroyer de grace especial que ledit Clement fut executez secretement, c’est assavoir noyez par nuit ou autrement sanz faire execucion solennele »163.

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La peine rejaillit sur le coupable mais elle étend aussi sa macule sur la parenté, de la même façon que le fait l’injure traditionnelle, c’est-à-dire qu’elle peut concerner le premier degré de la filiation, voire les amis qui sont aussi des contemporains. Rien ne laisse supposer, encore une fois, que le souvenir se transmette de façon plus verticale.

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Ce jeune homme qui a volé des livres à la cure de Mâcon, a été mis au pilori et a eu l’oreille coupée, publiquement, sur le pont de la ville et le voici banni. Si le roi accorde sa grâce c’est, entre autres raisons, pour sauver l’honneur de ses parents qui ont été jusqu’à présent gens de bonne renommée. Inversement, la punition peut rejaillir sur les enfants. Ce blasphémateur, père de quatre enfants, est condamné au pilori « qui seroit honteux chose et reprouchable au temps a venir a lui et a ses dis enfans et dont leur bien et avancement porroit estre du tout retardé et empeschié mesmement qu’ilz ont esté et sont bien moriginés et de bonne et honneste conversacion selon leur estat » 164. 76

La punition est bien une source de déshonneur. Elle est si profondément ancrée qu’elle devient à l’occasion, comme l’excommunication, un thème d’injure. Il en est ainsi de cet homme que nous avons vu accusé d’avoir été condamné à l’échelle. L’attaque est si rude qu’il se courrouce fort, d’autant que ce rappel, fait devant de nombreux compagnons de la même ville de Malay, ressemble fort à une seconde condamnation 165. L’oubli du châtiment ne vient pas vite. Il poursuit même la victime au-delà de son pays d’origine. L’étranger, dont on se méfie, ne risque-t-il pas d’être un banni ? Simon Barengier, démentant les propos de Jean Lalement, finit par lui asséner en forme d’injure ce bruit qui entâche sa renommée « pour ce qu’il avoit oy dire que ledit Alement estoit exillié ou banny de son pays ». Quant à cette femme excédée par les outrages que subit son mari, elle traite l’agresseur de « Picart, banny »166. Ces insultes rejoignent, quoique plus précises, les injures verbales qui, nous l’avons vu, traitent l’autre de « larron », de « pillard », de « brigand ». Le criminel est bien quelqu’un que son acte a déshonoré et il n’est pas bon d’évoquer son profil, même à titre de provocation.

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Le souvenir de la peine survit au châtiment. Cette forme légale de la répréhension est devenue une des composantes de la personnalité. Un passé de condamné peut faire glisser, de façon irréversible, vers la mauvaise renommée. Jean Bremet a contre lui d’être « homme fort et puissant », « noiseux et rioteux ». Ce sont là des caractéristiques normales auxquelles le suppliant, pour convaincre de son bon droit, ajoute le poids de la peine : « et qui pour ses demerites avoit esté autresfoiz condampné a estre batu par les carrefourgs et l’oreille coupee »167. Les récidivistes n’ont pas bonne presse. Nous avons vu qu’ils étaient peu nombreux, mais il n’est pas sûr que la Chancellerie ne soit pas finalement plus clémente pour eux que ne l’a été le jugement des contemporains. Le portrait du récidiviste cumule les défauts jusqu’à s’accointer plus que les autres avec le diable : 21 % des récidivistes invoquent leurs rencontres successives avec l’Ennemi d’enfer. Quand ce suppliant de trente ans environ, père de sept enfants, est accusé de viol, les langues se délient pour le faire retourner en prison. Sur accusation de plusieurs vols, il avait été en effet emprisonné et torturé dans la prison de Melun une première fois sans succès. Il convient de l’incarcérer de nouveau pour qu’il avoue. Seule la grâce interrompt la procédure de la justice que la population soutient 168. On peut aller jusqu’à dire que le récidiviste fait peur. Lorsque Jean Voisonace, écuyer du bailliage de Chartres, voit poindre le bâton de son adversaire, simple métayer, il frappe de son épée et il n’a pas honte de déclarer qu’il a agi, « ignorans quelle intencion il avoit, doubtant ycelui pour ce que autrefoiz il avoit esté attains et convaincus de deux homicides dont il avoit obtenu remission, et avec ce avoit esté mis en l’eschele pour certain cas » 169. Même la rémission n’efface pas le souvenir. Et, quand le roi remet par sa grâce le suppliant « a la bonne fame et renommee au pais », il ne réussit pas pour autant à aplanir la mémoire de l’infamie que continue à colporter le bruit, prêt à s’enfler au premier accroc.

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ÊTRE « PRUD’HOMME » 78

Entre les valeurs qu’imposent l’Eglise et l’Etat et celles que reconnaissent ces populations ordinaires, les différences tendent à s’estomper. Les autorités réclament la paix, l’homme se dit « paisible ». Elles soudent le couple par le sacrement de mariage, l’homme marié se dit « honteux » de connaître charnellement une autre que sa femme. Enfin, elles tentent de traquer le criminel et l’homme se dit « sans blasme et sans reproche ». Une parfaite adéquation prévaut entre le sujet idéal et ceux que les textes des lettres de rémission appellent le « preude homme » ou la « preude femme ». Certes, le genre de la lettre où le suppliant sélectionne les critères que retient la Chancellerie, se prête à cette harmonie entre gouvernants et gouvernés. Mais l’idéal du prud’homme se dégage aussi bien dans le récit du crime et dans les plaidoiries du Parlement. Le mot mérite qu’on s’y arrête. Il ne doit plus rien à son origine guerrière qui, à la fin du XI e siècle, dans la Chanson de Roland, l’appliquait aux chevaliers. Il ne retient pas non plus grand chose de la courtoisie dont l’ont chargé les romans de chevalerie du XII e siècle. Il ne suggère pas non plus la science que lui a donnée le XIII e siècle. Il désigne ici l’homme ordinaire qui ne peut se comparer ni à Lancelot, ni à Robert de Sorbon 170. La « prodhommie » est une vertu à la fois morale et civique qui fonde la bonne renommée.

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Morale, elle repose sur le lien indissoluble du mariage et sur la morale sexuelle que le mariage comporte. La femme se doit, de ce fait, d’être « preude femme ». Elle s’oppose à la femme de vie dissolue. Cette chambrière qui ose traiter la mère du suppliant de « ribaude » se voit rétorquer qu’elle « est et a toujours este tenue pour proude femme et de bonne renommee sans aucun villain reprouche »171. Les femmes ne sont pas seules en cause et c’est là un phénomène nouveau. Si, comme on l’a vu, le crime d’adultère leur est presqu’exclusivement reproché, on sent poindre la critique à l’égard des hommes infidèles ou de ceux qui mènent une conduite sexuelle répréhensible. Ce tavernier refuse de recevoir Jean Grosboys affublé de nombreux défauts. Il lui reproche en particulier d’être séparé de sa femme et de vivre avec une concubine. On ne peut être plus clair dans le motif puisqu’il lui dit « qu’il ne vouloit pas faire bourdeau de son hostel » et l’affaire se termine au couteau ; comme dans la bouche du procureur du roi au Parlement, le « prud’homme » s’oppose au « houlier »172. Ces leçons de morale peuvent être données à froid, avec tout le caractère d’une semonce en règle. Cet « estuveur » de Paris, pour tancer Jean Le Charron, homme marié dont la conduite laisse à désirer, lui dit « que ce n’estoit pas bien faire a lui qui estoit marié de faire telz choses et que ce n’estoit pas fait de preudhomme »173. L’honnêteté sexuelle sert bien de repère pour définir la « prodhommie ». On retrouve là une valeur dont l’étude de la parenté comme celle des injures ont montré combien elle était fondamentale.

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Mais le prud’homme se charge aussi de valeurs politiques. Il est associé à la paix : ce « bon homme et preudomme de bonne vie et renommee » va son chemin paisiblement alors que le sergent qui l’agresse ne sait pas restreindre « son yre et male volenté » 174. Etre « bon, preude et paisible » sont des adjectifs qui s’accolent. Aucun de ces prud’hommes n’a subi l’affront d’une punition religieuse ou judiciaire. A son agresseur qui le traite de larron et d’usurier, ce prud’homme paisible répond « que il estoit plus preudomme que lui et que il n’estoit que un mangeur de povres gens ». De la même façon, ce suppliant accusé d’être larron et « coux » répond « qu’il n’estoit pas tel mais estoit preudomme et sa femme preude femme »175.

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Les valeurs que révèle cette « prodhommie » rejoignent celles qui constituent la bonne renommée. Néanmoins, le prud’homme ne se confond pas exactement avec l’homme d’honneur tel que le définit la renommée. Celle-ci, nous l’avons vu, se reconnaît sur les yeux des autres qui en colportent le bruit. Le suppliant attaqué, après avoir défini sa « prodhommie », ajoute « qu’il avoit meilleure renommee au païs que il n’avoit » 176. Il distingue donc bien ses qualités morales de la publicité qui leur est faite dans le pays de connaissance. De la même façon, ces hommes qui ne connaissent pas l’étranger nouvel arrivé, acceptent de travailler avec lui « cuidans qu’il feust preudomme » 177

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Ce que nous venons de voir de la « prodhommie » incite à penser que ces qualités commencent à exister en soi. Ces normes de comportement issues d’un idéal que véhiculent l’Eglise et l’Etat s’appliquent désormais à un horizon plus large que la simple communauté des gens connus qui décident de la renommée. Le prud’homme « met sa confiance en Notre Seigneur » dit le Livre des Epistres et Esvangiles 178. Les limites de cette reconnaissance se sont dilatées jusqu’aux frontières du royaume dans lequel le roi repère les siens. C’est la raison pour laquelle les prud’hommes se confondent avec les bons sujets. Avec eux, le roi entretient des rapports qui peuvent aller, si on en croit Pierre Salmon, jusqu’au respect car ils sont ceux « qui aiment Dieu et raison et qui loyaument vous conseillent et labourent et traveillent pour le bien de vous et la paix et prouffit de votre royaume a leur sovoir et savoir »179.

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Mais n’imaginons pas que l’homme se détache si facilement de la rumeur qui fait et défait les réputations. Les mots de la « prodhommie » ne font qu’une apparition timide dans un monde où l’essentiel reste de paraître normal à un groupe limité de gens connus, d’être « renommé au pays ». Le prud’homme est sans doute l’ancêtre de l’honnête homme mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour que ses qualités morales s’imposent d’elles-mêmes, sans passer obligatoirement par le jugement d’autrui.

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Il existe donc bien deux sortes de sujets : les hommes d’armes qui sont pour la plupart des nobles et les autres. Le service qu’ils doivent au roi n’est pas de même nature. Tous les théoriciens s’efforcent d’ailleurs de le préciser car sinon ce serait, comme le prêche Jean Gerson, « confusion ». Aux nobles de s’armer, aux non-nobles d’être « le fer de labeur et d’humilité » : ces distinctions prouvent que la question était d’actualité et que la réponse n’allait pas obligatoirement de soi180.

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Cette séparation des fonctions implique aussi une séparation des comportements et des valeurs. La renommée des nobles se dilate jusqu’aux limites du royaume qu’ils sont chargés de garder et de défendre jusqu’à la mort. Les valeurs de fidélité conjugale sont pour eux secondaires et leurs bâtards ne constituent un handicap ni à leur noblesse, ni à leur renommée181. Aux autres d’assurer les forces vives du royaume, dans un idéal de paix et de fécondité. La cellule conjugale, contrôlée par l’Eglise et reconnue par l’Etat, en est le meilleur nid. Mais l’homme doit y garder, sa vie durant, un comportement honnête fait de labeur et de fidélité. Sa renommée passe par cette reconnaissance et il est rare encore qu’elle s’impose d’autorité au titre de la « prodhommie ».

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Ces deux profils de sujets que constituent les nobles d’une part et le peuple de l’autre n’impliquent pas cependant que le roi pratique une justice de classe. Les uns ne sont pas graciés quand les autres sont punis. Justice est faite aussi aux nobles et si les crimes liés à la guerre semblent davantage leur fait, ils ne sont pas, comme nous l’avons vu, les seuls à leur être imputés. Même les proches de la cour du roi ne bénéficient pas, en principe, d’un traitement de faveur. Christine de Pizan rapporte en manière d'exemplum

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comment Charles V a fait justice à un serviteur d’un des officiers de la cour qui avait violé une jeune fille dans la maison où il était logé : « le roy, moult ayré dudit cas, le fist prendre et le cas confessé et ataint, le fist pendre sanz nul respit a un arbre de la forest »182. 87

La rigueur du prince répondait à la plainte ou clameur de la mère et à l’énormité du cas. Le bon prince se doit de commencer par mettre de l’ordre dans sa maison. Telle est la raison pour laquelle Charles V ne laissait pas les maîtres des Requêtes entendre les cas criminels relatifs à ses serviteurs privés, mais souhaitait les entendre lui-même 183. Les poursuites engagées contre les guerres privées entre nobles montrent enfin dans quelles limites la royauté tente de tenir la noblesse. Si l’efficacité des ordres laisse à désirer, la préoccupation subsiste, répétée par les ordonnances et par les théoriciens 184.

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Les nobles ne sont donc pas exclus des mailles de la justice. Mais il y a bien dans le corps social deux types de sujets, et ils n’occupent pas, aux yeux du gouvernement royal, une place identique. L’idéal de « prodhommie » est encore loin de les rassembler. La lettre de rémission ne fait que dire dans la pratique ce que les traités définissent de façon théorique. Laissons aux Ditz moraulx, source de tout conseil, le soin de conclure sur ce point en montrant combien la fuite d’une condition à l’autre s’avère impossible : « Le monde est ainsi comme un jardin dont les fossez sont royaumes. Les royaumes sont maintenuz par les loys que le Roy a establies. Le Roy est mainstenu par sa chevalerie. La chevalerie par monnoye. Monnoye vient du peuple. Le peuple est gouverné par justice. Ainsi est tout le monde »185.

NOTES 1. Chapitre 12, p. 528 et suiv. 2. J. GERSON, Vivat rex, Œuvres complètes, t. 7, p. 1137-1185. Le mot « sujet » et ses dérivés atteignent la fréquence 50 ; le mot « roi » a une fréquence nettement supérieure puisqu’elle atteint 230 cas ; le terme « seigneur » 120 cas. En revanche, le mot « souverain » n’atteint pas 20 cas. La vision de Guillaume de Tignonville est nettement plus orientée vers l’obéissance que celle de Jean Gerson, R. EDER, Tignonvillana inedita, p. 909. 3. J. GERSON, op. cit. supra, n. 2, en particulier p. 1151. 4. Ibid., p. 1155 : Jean Gerson parle des « trois estas subjectz qui gardent et entretiennent cest estat souverain ; ceulx sont l’estat de clergie, l’estat de chevalerie et l’estat de bourgeoisie ». Il développe aussi l’idée des fonctions des membres du corps mystique dans d’autres sermons, en particulier Diligite justitiam, ibid., p. 1027 et suiv. Sur l’ensemble des doctrines relatives au corps mystique sous le règne de Charles VI, J. KRYNEN, Idéal du prince..., p. 320-326. 5. ORF, t. 7, p. 230, 5 février 1389. Sur le contenu des serments, voir celui qu’a prêté le chancelier Henri de Marie le 8 août 1413, N. de BAYE, Journal, t. 2, p. 131 ; même allusion aux « bien et loyauté » dans les autres serments, par exemple celui qui est prêté par les Parisiens en 1423 au duc de Bedford, Journal d’un bourgeois de Paris, p. 182. Les lettres du roi qui sont envoyées à Amiens et les réponses de la ville jouent de façon systématique sur la double référence à « bon et loyal sujet », AMIENS, BB 1, fol. 32v., 2 février 1414 : après lecture des lettres du roi du 14 novembre précédent et de lettres du duc de Bourgogne, les maire et échevins exhortent les « bourgois et

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habitans que tousjours soient bons, vrais, loiaux subges obeissans du roy notre sire, tous lesquels concordablement respondirent que seroient-ils au plaisir de Dieu » (l’assemblée compte environ 50 noms) ; ibid., fol. 88, août 1416, décision identique prise après une assemblée ; ibid., fol. 179v., 20 septembre 1419 : à l’annonce de la mort du duc de Bourgogne, la ville fait répondre que « en ceste ville l’en estoit bien uni et seroit tousjours, au plaisir de Dieu, et que on la garderoit en la bonne subjection et obeissance au roy ». 6. Pour l’ordonnance du 28 janvier 1390, la fréquence du mot est 3 ; pour celle du 20 octobre 1409, la fréquence est 13, ORF, t. 7, p. 328-332 et t. 9, p. 468. Cl. GAUVARD, « Ordonnance de réforme... », p. 98. 7. Le développement de la sujétion est concrètement lié aux demandes d’obédience, avec les limites que celle-ci comporte en matière de partialité, voir supra, n. 5, et infra, n. 37. 8. Cl. GAUVARD, op. cit. supra, n. 6, p. 91. 9. L’Ordonnance cabochienne, p. 1. 10. « Sujet », fréquence 1 ; « supplier », fréquence 105. Le requérant, appelé « exposant », figure avec une fréquence 125. 11. Elle ne dépasse pas 3, qu’il s’agisse du règne de Charles V ou de la période 1413-1422. 12. E. H. KANTOROWICZ, « .Pro Patria Mori », Mourir pour la Patrie, p. 105 et suiv. 13. Sur l’évolution théorique du thème, C. BEAUNE, Naissance..., p. 329 et suiv. 14. Cl. GAUVARD, « Résistants et collaborateurs... », p. 133. 15. JJ 128, 287, mars 1386, TOURVILLE (bailliage de Cotentin). 16. JJ 160, 441, lettre citée chapitre 11, n. 54. 17. Les services rendus sont mentionnés dans 47 % des cas où le suppliant décline sa profession. Dans 55 % des cas il s’agit d’hommes d’armes, dans 25 % d’officiers, dans 15 % de gens de métier, dans 5 % d’autres métiers. 18. JJ 129, 148, juillet 1386, (bailliage de Chaumont). Il s’agit de Simon de Joinville, sire de Beauprey. 19. Ibid., 189, octobre 1386, (à tous les justiciers). Les raisons de cette rémission ne sont pas très claires. Le suppliant prétend être tombé malade pendant les guerres de Flandre et il n’a pas fait l’ouvrage qui lui a été commandé. N'a-t-il pas eu plutôt envie de passer à l’ennemi ? En tous cas, Guy de La Tremoïlle décide son bannissement. Pour sa rémission, le suppliant évoque ses services dans plusieurs places de Normandie, en particulier aux côtés de Du Guesclin, les blessures qu’il a recues, et les pertes de ses biens. En fait, pour justifier sa demande en grâce, il agit comme un chevalier ou un écuyer. 20. JJ 128, 26, janvier 1386, (bailliage d’Amiens). 21. Ibid., 76, février 1386, NOGENT-LE-ROI (bailliage de Dreux) ; exemples identiques au XV e siècle, JJ 181, 148, avril 1447, (sénéchaussées de Beaucaire et de Carcassonne), et ibid., 267, septembre 1447, (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 22. JJ 130, 81, janvier 1387, (sénéchaussée de Saintonge). La lettre est prise à la relation du duc de Berry. Nombreux cas dans JJ 129, par exemple 103, août 1386, ASNIÈRES-EN-BESSIN (bailliage de Caen). 23. Ibid., 177, juillet 1386, SARCEY (bailliage de Chaumont), et JJ 169, 129, mai 1416, (bailliage de Sens et d’Auxerre). Quant au chevalier Jean Du Vergier, accusé d’homicide, il est gracié en 1385 pour être revenu de « nostre dernier voyage (...) blecié tant qu’il a esté apporté a Paris en une litiere », JJ 127, 178, octobre 1385, LE BOURG-D’IRÉ (bailliage de Touraine). 24. JJ 128, 103, février 1386, BOULOGNE-SUR-MER (bailliage d’Amiens). De nombreuses rémissions évoquent à cette date les expéditions de Flandre et d’Ecosse, par exemple JJ 129, 6, juin 1386, PONTOISE (bailliage de Senlis), pour Griot Cossard qui « au second voiage de Flandre nous a servi bien et loyalement monté et armé suffisamment a ses dépens » ; ibid., 108, février 1386, VILLEJUIF (prévôté de Paris), pour André et Simon de Macy, écuyers ; ibid., 128, août 1386, SAINT-OUEN

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(prévôté de Paris), pour Guyot de Jully, écuyer. Autres exemples X la 4789, fol. 209, janvier 1412 ; ibid., fol. 215, janvier 1412 ; ibid., fol. 283, juin 1412, etc. 25. JJ 127, 231, novembre 1385, CHÂTEAU-GONTIER (à tous les justiciers). Quant à Guillaume de Semat, il a servi Du Guesclin de son vivant car il a suivi plusieurs chevaliers et écuyers « des routes de nostre amé et feal connetable de France », JJ 102, 66, lettre citée chapitre 14, n. 128. Autre exemple X la 4790, fol. 87, juin 1414 où Dinoy dit « qu’il est notable chevalier et de grant generacion car son ayeul moru en la bataille de Crecy et son pere fu en la bataille de Poitiers ou fu tellement navré qu’il en moru et lui a molt bien servi le roy en la compaignie du bon connestable et en tous voiages a bien servi et fu en la besoigne de Flandre ou fu navré de XVIII plaies et depuis mesmes et en revenant s’emploia molt grandement en une besogne qu’il eust ». 26. JJ 169, 98, juillet 1416, HERBÉCOURT (bailliage de Vermandois). Pour ce suppliant, Jean Franquet, on évoque « la journee et bataille survenue au moys d’ottobre derrenierement passé a l’encontre de nos ennemis et adversaires d’Engleterre en laquelle fu icellui Franquet » ; ibid., 73, février 1416, ERCHEU (bailliage de Vermandois). 27. Voir les exemples poitevins cités par J. HOAREAU-DODINAU et P. TEXIER, « Loyauté et trahison... », p. 146 et suiv. 28. JJ 127, 128, septembre 1385, CAUVILLE (bailliage de Caux). 29. Les services attendus sont logiquement évoqués comme seconde circonstance atténuante. Sur les 40 % de cas où la profession du coupable est évoquée, 64 % concernent des hommes d’armes, 12 % des officiers, 12 % des gens de métier, 12 % déclarant plusieurs activités professionnelles. Dans aucun des cas, il n’est question de laboureur ou de laboureur de bras. 30. JJ 118, 34, octobre 1380, HARFLEUR (bailliage de Rouen). 31. JJ 129, 192, octobre 1386, PAGNY-SUR-MEUSE (bailliage de Chaumont). Cette lettre a été aussi obtenue sur intervention du duc de Lorraine et du sire de Coucy. 32. JJ 118,55, lettre citée chapitre 2, n. 50. De même, JJ 128, 6, janvier 1386, CHERBOURG (bailliage de Cotentin). 33. R. CAZELLES, « La réglementation royale... », p. 530-548. Voir en particulier l’ordonnance de 1365 prise par Charles V, ORF, t. 3, p. 646-649, art. 11. 34. JJ 98, 167, mars 1365, ARCY-SUR-CURE (prévôté de Paris). 35. J. de MONTREUIL, A toute la chevalerie, Opera, t. 2, p. 120. Sur la pensée de Jean de Montreuil, N. GRÉVY-PONS, « Propagande et sentiment national... », p. 127 et suiv. 36. Voir les exemples cités par Fr. AUTRAND, « Offices et officiers royaux... », p. 335. 37. J. KRYNEN, Idéal du prince..., p. 144-148 ; B. GUENÉE, Tribunaux..., p. 154 ; Fr. AUTRAND, op. cit. supra, n. 36, p. 294-311. 38. X la 4790, fol. 257, mai 1415. Maître Jean Couvert s’oppose à Thomas Du Brueil pour l’office d’avocat du roi à Falaise. 39. X la 4789, fol. 21 lv., janvier 1412 ; au nom de ce service, il demande de rester dans son logement de fonction que lui dispute le bailli ; X la 4790, fol. 234, avril 1415, il s’agit de Jean de Saint-Denis qui s’est fait remarquer par des sentiments pro-bourguignons et qui argue des abolitions qui ont suivi les traités d’Auxerre et de Pontoise. 40. X la 4789, fol. 217-217v., février 1412 : il s’agit de Jean d’Ivoy. Sur ce personnage, A. DEMURGER, « Guerre civile... », p. 266. 41. Chapitre 3, p. 130 et suiv. 42. A. DEMURGER, ibid., n. 40, p. 216-217. 43. X la 4790, fol. 52, mars 1414. Voir aussi le procès qui oppose Guillaume Seignet à Guy de Pesteil, ibid., fol. 23, 42 et 267, où il est rappelé que le responsable d’un bailliage ou sénéchaussée de frontière doit pouvoir chevaucher en armes. Même point de vue en 1424 pour le bailliage de Senlis. Jean de Tyan doit remplacer Guillaume Buffet « pour ce qu’il est vieil et ancien et ne povoit chevauchier en armes par sondit bailliage pour le purgier des ennemis, brigans et pillars qui se retrayoient continuelment es bois et es chemins et es autres places dudit bailliage », Cl. de

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FAUQUEMBERGUE, Journal, t. 2, p. 126 ; la Cour lui enjoint de « faire diligence sur l’extirpacion des malfaiteurs et ennemis dessus dits ». Sur le développement de ces pouvoirs coercitifs, voir chapitre 5, p. 228. Les sergents sont effectivement soumis à des affrontements armés, par exemple X la 9197, fol. 34, février 1422, et ibid., fol. 57, mars 1422. 44. X la 4790, fol. 51, mars 1413. Sur ce personnage, A. DEMURGER, op. cit. supra, n. 40, p. 290. De nombreux exemples confortent cette thèse d’un glissement du service armé au service civil. En août 1413, Guy d’Aigreville, pour justifier son maintien au bailliage de Sens, dit « qu’il est noble homme et d’ancienne et grande generacion, qui et ses predecesseurs se sont bien et honorablement portez et s’est bien porté es guerres ; dit que pour sa bonne loyauté et diligence eut la garde du bailliage de Sens ou a fait du bien de la justice et a l’onneur et profit du roy ». 45. Par exemple, Guillaume Senglier contre le sire de Partenay dit « qu’il est noble, a bien servi le roy es offices qu’il a eu de lui et passé a XXVI ans, il a II freres qui ont bien servi le roy », X la 4790, fol. 33v., janvier 1414 ; Guillaume Du Paiz, contrôleur de la Chambre des deniers de la reine : « des sa jeunesse a servi le roy et la royne et y a eu plusieurs offices ou s’est bien loyaument gouverné », ibid., fol. 101, juin 1414 ; ibid., fol. 193v., janvier 1415 : Guy Gourle « dit qu’il a servi le roy longuement en plusieurs offices bien et lealment ». 46. Jean Drouin, viguier royal de Carcassonne, affirme encore en août 1408 dans son état de service que « toto tempore suo fuerat et erat bone vite et conversationis honeste ac propter ejus merita plura notabilia et honorabilia officia obtinuerat. et inter cetera quod ipse fuerat et erat in carissimi et patrui nostri duci Bitturencis panetarius ac noster vicarius burgi Carcassonne, in quibus officiis se laudabiliter et honeste gesserat et gerebat dictumque officium militer cum diligentia ad nostrum Rei publice patrie Carcassonne commodum laudem et honorem exercuerat », X 2a 15, fol. 237, août 1408. 47. Ph. de MÉZIÈRES, Le Songe du vieil pelerin, t. 2, p. 350-354. Ce texte est commenté par P. S. LEWIS, « Of Breton “Alliances” and Other Matters », p. 122. 48. Ch. de PIZAN, Livre de prudence et de prod’hommie de l’homme, BN Fr. 607, fol. 8v. Même idée dans Le Livre du corps de policie, p. 72-73. 49. J. GERSON, Rex in sempiternum vive, OEuvres complètes, t. 7, p. 1019. Cette affirmation suit une discussion sur l’opposition entre le public et le privé, avec référence au sénat romain et au gouvernement de Charles V. 50. Voir Cl. GAUVARD, « Les officiers royaux... », p. 589. 51. ORF, t. 9, p. 468-473. Suit un portrait des officiers particulièrement violent : « fils d’iniquité, meus par avarice, ambition et convoitise tres damnables, ont entreux faits monopoles, conspiration et alliances par foy, serement ou autrement, pour eux enrechir mauvaisement et damnablement de nos biens et finances dessus dictes et de la substance de notre dit peuple ». 52. N. de BAYE, Journal, t. 1, p. 25-27 ; Le Songe véritable, p. 251. L’Ordonnance cabochienne, p. 140-141. Pour une analyse détaillée de ces exemples, Cl. GAUVARD, op. cit. supra, n. 50, p. 587-588. 53. Par exemple X 2a 14, fol. 248, mai 1405 : cas du sire de Gondreville cité p. 637, qui met en cause les officiers du roi à Chartres. Autre cas exemplaire, ibid., fol. 291, novembre 1405 : un juge royal ne peut pas être poursuivi, sauf s’il y a « corrupcion, faveur desordonnee ». 54. M. BOULET, Questiones..., p. 16 et p. 467 ; voir le commentaire de Fr. AUTRAND, « Offices... », p. 299-307. 55. A. CHARTIER. Le Quadrilogue invectif p. 32-33. 56. JJ 165, 171, lettre citée chapitre 16, n. 116. Sur l’honneur de l’office, voir les exemples cités chapitre 18, p. 843, et X 2a 14, fol. 42, novembre 1401, TOURNAI. Jean Le Fournier, dit Vitry, est sergent bâtonnier de la ville et truand. Il conseille à un criminel de sa compagnie qu’il est chargé d’emprisonner de se déclarer clerc et de ne rien confesser contre lui. Malgré cela l’autre le dénonce puis, au moment d’être pendu, le décharge. Quelle valeur a cette décharge ? Les représentants de Tournai qui ont condamné Jean Le Fournier au bannissement, prétendent que

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ce sont les sergents bâtonniers de la ville qui ont incité le condamné à décharger Jean Fournier pour « garder l’onneur de leur office ». 57. Fr. AUTRAND, « L’image de la noblesse... », p. 348-349. 58. Sur le lien entre ces ordonnances et la purification du royaume, voir chapitre 5. Sur la fonction de ces mises à mort, Cl. GAUVARD, op. cit. supra, n. 50, p. 592, et « Le roi de France et l’opinion publique... », p. 364-365. 59. Nombreux exemples de ces stéréotypes dans le Songe véritable. Cela ne veut pas dire que l’image de l’officier ne colle pas parfois à la réalité, par exemple L. DOUËT-D’ARCQ, « Lettres de rémission pour Jean Brunet... », p. 54 et suiv. 60. Voir la lecture du Jugement du roy de Navarre de Guillaume de Machaut proposée par R. GIRARD, Le bouc émissaire, p. 60-83. Les ordonnances de réforme ont aussi cette fonction, Cl. GAUVARD, « Ordonnance de réforme... », p. 96-97. 61. La sujétion s’accompagne de la bienveillance dans la plupart des références de la vie politique, par exemple lettre de Jean sans Peur aux habitants de Mâcon, L. MIROT, « L’enlèvement du dauphin... », p. 76 ; cette expression partiale est même employée lors de processions qui devraient pourtant entraîner le consensus, puisqu’il s’agit de la naissance d’Henri VI, Cl. de FAUQUEMBERGUE, Journal, t. 2, p. 33, 24 décembre 1421. Enfin, même les théoriciens du corps politique et de l’unité du royaume n’échappent pas à l’emploi de ce vocabulaire, sous la forme « bons amis et loyaulz subjectz du roy », J. GERSON, Vivat rex, OEuvres complètes, t. 7, p. 1147. Le contenu du serment peut avoir un sens apparemment différent comme celui qui est prêté par les sujets le 26 avril 1403, puisqu’il est promis « de nous estre bons, vrais et loyaulx sugges et obeissans envers tous et contre tous qui pourroient vivre et morir, comme a leur droit souverain et naturel seigneur, tant comme nous vivrons ainsi qu’ilz ont fait », ORF, t. 8, p. 579. En fait, les obédiences sont déjà dessinées et la portée du texte doit être interprétée dans une optique partisane. 62. X 2a 16, fol. 438-438v., juillet 1422. 63. Voir la discussion de ce mot par J. GERSON, Rex in sempiternum vive, éd. cit. supra, n. 61, p. 1017, qui écrit, « Vive le roy, soit sans party ». 64. Par exemple X la 4790, fol. 91v., juin 1414. Cette discussion relative à l’office d’examinateur au Châtelet, oppose Guillaume de Tuilières, armagnac, à Jean Miron, bourguignon. Miron dit « qu’il a esté son temps prudomme et s’est moult doulcement gouverné. Vray est que ou temps des divisions furent publiees lettres que tous adherens de ceulx qui n’estoient tenus de tenir le parti du roy se partissent comme suspects ». De ce fait, Guillaume Tuilières et son frère Robert ont été emprisonnés. Guillaume Tuilières prétend avoir été emprisonné pour l'obliger à laisser son office. Sa défense porte sur son impartialité politique et familiale qui, implicitement, définit ce que doit être le bon officier : « non obstant les divisions de ce royaume s’est tenu a part et n’a point favorisé contre raison son frere maistre Robert, non obstant naturelle inclinaison ». Sur la famille Tuilières, Fr. AUTRAND, Naissance..., p. 322, n. 4. 65. X la 4790, fol. 52, cité supra, n. 43 ; ibid., fol. 120v., juillet 1414. Voir aussi l’exemple de la clientèle d’Arnaud de Corbie, ibid., fol. 295v., 1415. 66. Discussion de ces chiffres, chapitre 2, p. 740, et chapitre 12, p. 534. 67. JJ 169, 84, lettre citée chapitre 12, n. 68. 68. Ce lien entre la défense de la paix et la sagesse du Prince est un lieu commun de la réflexion théorique des grands traités politiques. Voir en particulier Ch. de PIZAN, Le Livre de paix. On le trouve mentionné dans de petits opuscules, par exemple Epître sur la juste seigneurie, Ainsi comme le buef BN Fr. 1968, fol. 54 et suiv., où la « juste seigneurie » assure le bien commun en permettant à l’humaine compagnie de « durer paisiblement ». 69. CICERON, De officiis. Ch. de PIZAN, Le Livre de prudence..., BN Fr. 5037, fol. 21v. On la trouve aussi exprimée dans les extraits de la Somme le Roy : « Concorde est une vertu qui tient ensemble une compagnie et en communauté tous les gens d’un pays nes pour la bonne compagnie. Et Tulles

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dit que nous ne sommes pas au siècle pour nous seulement mais afin que nous aydions les ungs les aultres », BN Fr. 572, fol. 124. 70. Par exemple sauvegarde de la ville de Beauvais, ORF, t. 4, p. 122, février 1352. 71. En 1354, pour lutter contre les malfaiteurs, le roi se justifie ainsi : « Nous qui de tout nostre povoir voulons garder et maintenir les subgez et habitanz de nostre Royaume en vraye paix et transquillité, par bonne exercition de justice », ibid., p. 158-159. 72. JJ 169, 67, janvier 1416, CARCASSONNE (sénéchaussée de Carcassonne). La lettre est accordée en 1416 à un pâtissier, jeune homme de vingt ans, qui a participé à l’émeute. L’abolition des tailles est un thème favori de la propagande de Jean sans Peur, E. de MONSTRELET, Chronique, t. 1, p. 97, et Chronique du religieux de Saint-Denvs, t. 3, p. 231-234. 73. Sur les difficultés de la levée de l’aide à Amiens, AMIENS, BB1, fol. 42 et 58, septembre 1408. 74. Le thème de la paix est déjà contenu dans le discours de Jean sans Peur d’août 1405, particulièrement important par sa diffusion, E. de MONSTRELET, Chronique, p. 114-116. 75. Cette prière est largement antérieure aux XIV e et XVe siècles, J.B. MOLIN, « L'Oratio communis fidelium... », p. 313 et suiv. Sur les traces de la prière du prône au début du XV e siècle, E. DELARUELLE, « La spiritualité de Jeanne d’Arc », La piété populaire..., p. 355-400. 76. Exortacion pour exiter a parvenir a la paix, Charles VI, 1401, BN Fr 2699, fol. 205. Ce document associe cette origine religieuse à « la paix et tranquillité » que le roi doit faire régner dans le royaume. C’est une instruction divine. 77. P. SALMON, Les demandes..., BN Fr. 9610, fol. 83-83v. : l’auteur raconte comment, en allant à Pise en 1409, il a réussi à parler plusieurs fois au pape de la maladie du roi, et comment il a obtenu VII ans et VII quarantaines de vrai pardon à « tous ceulx qui devotement, les genoux flexis diront ladite anthene et oroison pour la sancté du roi, et ceulx qui ne sauront lire auront pareil don d’indulgence mais qu’ilz disent V fois le Paler Noster et VII fois l’Ave Maria et tout pour la sancté du roy ». On retrouve cette intervention de la papauté pour garantir le traité de Melun, 11 juillet 1419, BN Fr. 1278, pièce 38, fol. 110-113. Il est pris « pour le bien de paix auquel ung chascun bon catolique doit estre enclin ». Cette mention précède l’acte politique proprement dit qui consiste à « relever le pouvre peuple des grands et si dures oppressions ». Il se termine par le serment que prêtent les seigneurs du sang et lignage de « tenir et respecter ceste presente amytié bienveillante, union et concorde ». Puis le traité est mis sous la garde de l’Eglise et du Pape. Les commémorations religieuses des événements qui se développent sous le règne de Charles VII, s’inscrivent donc dans une longue habitude de prière pour le roi, C. BEAUNE, Naissance..., p. 165 et suiv. 78. Par exemple Ch. de ΡΙΖΑΝ, Le Livre de paix, p. 73. Le « murmure » du peuple est un crime contre la « reverence de la magesté ». Sur la signification symbolique du bruit politique, M. SERRES, Rome..., p. 233 et suiv. 79. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 87 et suiv. Sur le lien entre le vocabulaire du bruit et celui de l’insurrection, Cl. GAUVARD, « Les révoltes... », p. 53-54. 80. Le but est de mettre « bonne paix » et « bon accord » avec la ville de Gand ; le dossier de ces négociations a été conservé, BN Fr. 2699. On peut supposer qu’il en fut de même à Paris et à Rouen. Mais les requêtes qui précèdent la grâce ont disparu. 81. Voir chapitre 5, p. 208-210. 82. C’est le cas de ce coutelier de Caen qui, quatre ans après les « rebellions » de la ville, n’ayant pas trouvé de crime transfuge, doit se présenter devant les assises dans un délai d’un an. JJ 128, 45, décembre 1385, CAEN (bailliage de Caen). Voir aussi JJ 120, 353, juin 1382, PARIS (prévôté de Paris), où le suppliant est présenté comme un voleur ; JJ 127, 65, juillet 1385, PARIS (prévôté de Paris) ; ibid., 105, lettre citée chapitre 12, n. 154. 83. BN Fr. 402, fol. 6v. 84. JJ 169, 154, lettre citée chapitre 7, n. 38. 85. JJ 130, 180, avril 1387, MERINVILLE (bailliage d’Orléans).

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86. JJ 155, 276, octobre 1400, CASTELSARRASIN (sénéchaussée de Toulouse). 87. JJ 169, 188, août 1416, MEAULNE (bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier). 88. JJ 127, 276, août 1385, LANGRES (bailliage de Sens et d’Auxerre). 89. JJ 208, 155, lettre citée chapitre 15, n. 41. Ce portrait est constant. Pour un exemple opposé, JJ 169, 18, lettre citée chapitre 16, n. 40, où l’adversaire est présenté comme un homme « coustumier de faire dommage a ses voisins ». Ces qualités sont indifférentes au milieu social et aux circonstances du crime. Même un homme qui se déclare « notable » et qui est accusé de paroles injurieuses et de soutien aux Anglais, puisqu’il avait critiqué la décision de se battre à Azincourt, choisit pour sa défense de se dire « doux et paisible », X 2a 17, fol. 246-247, janvier 1417, (sénéchaussée de Ponthieu). 90. Voir chapitre 16, p. 734 et suiv. 91. JJ 165, 175, lettre citée chapitre 16, n. 4 ; JJ 130, 271, juin 1387, AMIENS (bailliage d’Amiens). 92. Y 5266, par exemple fol. 7v., juin 1488 : quatre compagnons sont trouvés rue du Temple « entre X et XI heures de nuyt rauldens sans clarté, crians et chantans par les rues et oultre lediz Anthoine Le Large et Marion pour ce que deffaute leur a esté aultre fois faicte par justice de non plus hanter ensemble ». 93. Il en est ainsi de la rue Chapon, X 2a 14, fol. 92, novembre 1402 ; Y 5266, fol. 2v., juin 1488. 94. JJ 118, 38, lettre citée chapitre 17, n. 60. 95. R. CAZELLES, « La réglementation royale... », p. 530 et suiv. 96. R. EDER, Tignonvillana inedita, p. 1005. 97. JJ 127, 278, décembre 1385, (bailliage d’Orléans). 98. C’est en particulier le cas de l’adultère, voir chapitre 18, p. 819-820. 99. Voir chapitre 17, p. 786. 100. Ce suppliant dont la sœur est accusée d’adultère, a choisi de composer financièrement avec le délateur, JJ 165, 47, février 1411, PARIS (prévôté de Paris). Même incompréhension dans JJ 127, 70, juillet 1385, (bailliage de Mantes). 101. Par exemple X la 4790, fol. 31v., janvier 1414, LAON. Le demandeur se déclare « bon prudomme et bon laboureur et a VIII enfans ». A l’inverse, est d’autant plus suspect celui qui « n’a ne femme ne enfans », X 2a 14, fol. 69, mai 1402. 102. J. GERSON, Vivat rex, Œuvres complètes, t. 7, p. 1172. 103. Par exemple l’abolition qui suit le traité de Brétigny, ORF, t. 3, p. 407-408 : « Pour que bonne amour et union soit doresenavant entre les subgez dudit royaume telle que les habitans d’icelui se puissent retraire et demourer sauvement chascun en son lieu et habitacion pour faire leurs labourages et autres besongnes, ainsi comme l’en a fait ou temps passé et que tous marchans et autres genz puissent aler et mener leur marchandise et autres biens ou il leur plaira oudit royaume et dehors sans peril et empeschement ». 104. Idéal sensible dans la paix de Dieu et repris au XIV e siècle, voir chapitre 5, p. 222. 105. JJ 151, 20, lettre citée chapitre 8, n. 46. La lettre ne dit pas pourquoi cet emprisonnement a eu lieu six ans plus tard seulement. 106. JJ 165, 177, août 1411, FORS (sénéchaussée de Saintonge). 107. JJ 155, 142, juillet 1400, SALIGNY (bailliage de Sens et d’Auxerre) ; JJ 151, 230, lettre citée chapitre 9, n. 135. 108. Marion, fille de Jacques Le Caron, JJ 155, 138, lettre citée chapitre 6, n. 181. 109. JJ 160, 363, lettre citée chapitre 8, n 65. 110. JJ 151, 224, avril 1397, FLEURY (bailliage de Rouen). On a vu le poids de cette pauvreté dans le vol, chapitre 9. Par exemple, ce suppliant de Neufbourg est amené à faire de la fausse monnaie « pour grant necessité et par ce qu’il n’avoit bonnement de quoy vivre ne dont il peust soustenir la vie de sa dicte femme et enfans », JJ 169, 133, mai 1416, NEUFBOURG (bailliage d’Evreux). 111. Pour la première justification de la grâce, lorsque le suppliant se déclare « pauvre », les motifs se répartissent ainsi : état psychologique 10 %, âge 16 %, état physiologique 11 %, fortune

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23 %, charges de famille 30 %, services rendus 4 %, services attendus 0 %, condition sociale 0 %, autres 6 %. Pour la seconde justification de la grâce, les motifs invoqués se répartissent respectivement comme suit : état psychologique 5 %, âge 5 %, état physiologique 12 %, fortune 20 %, charges de famille 40 %, services rendus 3 %, services attendus 0 %, condition sociale 4 %, autres 11 %. 112. JJ 127, 261, novembre 1385, (bailliage de Sens et d’Auxerre). 113. J. GERSON, Pour la fête de la desponsation Notre-Dame, Œuvres complètes, t. 7, p. 13. 114. JJ 120, 367, juin 1382, (bailliage de Chartres). 115. JJ 169, 84, lettre citée chapitre 12, n. 68. Il existe de nombreux cas où entrent ces considérations. 116. JJ 165, 35, lettre citée chapitre 6, n. 150. 117. JJ 120, 352, lettre citée chapitre 10, n. 89. A l’opposé, le « fuitif » du royaume risque de tourner en mendicité, c’est-à-dire en « mauvaises euvres », JJ 165, 25, lettre citée chapitre 14, n. 139. 118. JJ 127, 52, juillet 1385, BOURGNEUF (sénéchaussée de Saintonge). 119. JJ 151, 247, avril 1397, ACHEUX-EN-AMIÉNOIS (bailliage d’Amiens). 120. JJ 165, 195, lettre citée chapitre 12, n. 79. Autres exemples JJ 143, 175, octobre 1392, SAILLYLAURETTE (bailliage d’Amiens), où le suppliant est dit de « bonne vie, renommee et honneste conversacion vivant a la paine de son corps de son povre labour ». JJ 169, 140, lettre citée chapitre 14, n. 45, où le suppliant et ses enfants sont dits « vivans de leur labour et se sont toujours gouverné bien et honorablement ». 121. JJ 130, 152, février 1386, TOURNAI (bailliage de Tournai). L’expression « gagner son pain » est aussi fréquente, voir lettre citée supra, n. 118, et JJ 118, 35, lettre citée chapitre 2, n. 35. 122. JJ 120, 336, lettre citée chapitre 6, n. 134. 123. JJ 155, 4, mai 1400. TOURNAI (bailliage de Tournai). 124. JJ 143, 209, octobre 1392, CHANTEMERLE (bailliage de Sens et d’Auxerre) ; et ibid., 206, septembre 1392, BASSOU (bailliage de Sens et d’Auxerre). Autres exemples sous le règne de Louis XI, JJ 207, 3, janvier 1481, (sénéchaussée de Poitou), rémission accordée à un « bon ouvrier du mestier de serrurerie », et JJ 208, 254, août 1482, PARIS (prévôté de Paris), pour que le suppliant, clerc, ne perde pas le bénéfice des études qu’il a entreprises. 125. CICERON, Pro Sestio, XLV, 96-98. 126. Ch. de PIZAN, Le Livre du corps de policie, p. 200. Même idée chez Jean Gerson. Cette vision du « laboureur » sur lequel le prince peut compter, a aussi une histoire, J. LE GOFF, « Note sur société tripartie, idéologie monarchique et renouveau économique dans la chrétienté du IX e au XII e siècle », Pour un autre Moyen Age..., p. 80-90, en particulier n. 23. 127. L’âge invoqué comme première justification de la grâce octroyée par la Chancellerie concerne dans 32 % des cas des suppliants qui ne qualifient pas leur âge, dans 3 % des cas des « enfants », dans 8 % des « jeunes enfants », dans 10 % des « jeunes », dans 37 % des « jeunes hommes », dans 3 % des « hommes », dans 2 % des « vieux » et dans 5 % d’autres qualitatifs. 128. JJ 169, 118, juin 1416, LIANCOURT (bailliage de Senlis). 129. Ibid., 68, lettre citée chapitre 13, n. 15. 130. Les suppliants savent aussi employer cet argument qui lie le bannissement à la dépopulation, tels les « amis charnels » de Pierre Seignet à AIGUES-MORTES, qui réclament son retour au pays « lequel sera bienseant de venir repairer et demourer en ladicte ville laquelle est depopulee et mal garnie de gens qui la peussent deffendre se le besoing estoit si comme ilz dient », JJ 155, 21, lettre citée chapitre 16, n. 147. 131. JJ 151, 2, lettre citée chapitre 9, n. 102 ; de même JJ 130, 182, mai 1387, ORLÉANS (bailliage d’Orléans).

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132. JJ 118, 39, lettre citée chapitre 16, n. 127 ; autre exemple de cette rupture avec un passé « normal » fait de travail dans le cadre de la vie conjugale, JJ 160, 370, lettre citée chapitre 9, n. 105, et ibid., 376, 1406, HÉNIN-LIÉTARD (bailliage d’Amiens). 133. Voir chapitre 9, p. 466 et suiv. 134. ORF, t. 3, p. 92-93, novembre 1356. 135. Il en est ainsi de deux hommes de l’Empire venus à une noce qui se termine mal et que le roi gracie afin qu’ils puissent « demourer » et « converser » au royaume, JJ 155, 256, octobre 1400, BRAY (bailliage d’Amiens). 136. La formule du « blame et du reproche » se retrouve dans environ la moitié des cas. 137. JJ 120, 136, lettre citée chapitre 10, n. 62. 138. JJ 155, 283, lettre citée chapitre 13, n. 154, et JJ 127, 165, septembre 1385, PRISCES (bailliage de Vermandois). 139. JJ 127, 287, lettre citée chapitre 9, n. 32. En revanche, on ne sait pas pourquoi cette femme, à qui Mahiet Le Baille, emprisonné et récidiviste, avait coupé la bourse, déclare aux juges « qu’elle ne sait pas que sa bourse ait esté coupee », X 2a 14, fol. 41 v., novembre 1401. 140. JJ 160, 184, janvier 1406, MONFRÉVILLE (bailliage de Caen). Autres exemples de cette « dénonciation publique » dans le cadre de l’église paroissiale, JJ 129, fol. 52v., juillet 1386, ESQUERCHIN, lettre de confirmation adressée au comte de la Marche pour sa seigneurie de L’Écluse ; et ibid., 23, juin 1386, BEAUQUESNE (bailliage d’Amiens), où la population « effraee » par le meurtre se rassemble « par cry a son de bacins et autrement ». 141. JJ 98, 550, juin 1365, (bailliage de Caen et vicomté de Bayeux) : l’exposant est un « ouvrier de bras ». Sur le rôle de cette dénonciation dans la procédure inquisitoire, voir A. LAINGUI et A. LEBIGRE, Histoire du droit pénal..., t. 1, p. 48-49. Sur le lien entre la faculté de dénoncer et le désir de nuire, voir les remarques de Y. CASTAN, « Exemplarité judiciaire... », p. 51, et chap. 3, p. 142. 142. ORF, t. 8, p. 443, juin 1401. 143. Ibid., t. 13, p. 310. Au même moment, le roi se méfie des dénonciateurs puisqu’ils peuvent être emprisonnés en même temps que le supposé coupable, dans le but de lutter contre la calomnie, A. PORTEAU-BITKER, « L’emprisonnement... », p. 228. Le Parlement débat aussi des faux témoignages qui constituent environ 4 % des cas qui y sont évoqués. 144. IJ 129, 31, juin 1386, (sénéchaussée de Beaucaire). Le suppliant, écuyer, est seigneur de La Gâtine. 145. JJ 118, 33, lettre citée chapitre 11, n. 71. 146. A. PORTEAU-BITKER, op. cit. supra, n. 143, p. 34. 147. JJ 155, 251, octobre 1400, (bailliage de Vermandois) ; JJ 127, 61, juillet 1385, RAHAY (bailliage de Chartres). 148. Voir chapitre 4, p. 158. 149. JJ 160, 183, janvier 1406, LAON (bailliage de Vermandois). 150. Sur cette interprétation, B. GUENÉE, Tribunaux..., p. 314-316. 151. J. GERSON, Pour le jour des morts, Œuvres complètes, t. 7, p. 552. De son point de vue de clerc, la prison comme le Purgatoire sont aussi des lieux où « les ames y sont purgees ». 152. JJ 127, 219, novembre 1385, VERT-SAINT-DENIS (bailliage de Melun), et JJ 181, 172, août 1452, LYON (bailliage de Mâcon). Sur cette attitude des prisonniers lyonnais, N. GONTHIER, « Prisons et prisonniers... », p. 24. 153. JJ 127, 243, novembre 1385, ÉTAMPES (bailliage de Montlhéry). 154. K. BLIXEN, La ferme africaine, p. 128, qui à propos de l’ethnie africaine des Masaï écrit : « Les Masaï n’ont jamais été des esclaves et ne le seront jamais ; on ne peut même pas les emprisonner ; ils meurent après trois mois de prison. Le gouvernement anglais a reconnu le fait et a dû pour eux remplacer cette peine par des amendes. » 155. JJ 165, 10, lettre citée chapitre 7, n. 48. 156. JJ 150, 54, lettre citée chapitre 14, n. 61.

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157. En particulier, J. TOUSSAERT, Le sentiment religieux..., p. 121. 158. JJ 127, 270, lettre citée chapitre 16, n. 144. 159. JJ 181, 227, janvier 1453, HAMBYE (bailliage de Cotentin). 160. Par exemple, « va, vachier mastin excommunié, ne parle point a moy », JJ 169, 68, lettre citée chapitre 13, n. 15 et supra, n. 129 ; ou, comme on l’a vu, « vieille folle excommuniee », ibid., 204, lettre citée chapitre 16, n. 48. 161. JJ 128, 9, janvier 1386, (bailliage de Vermandois). De même, JJ 155, 273, octobre 1400, LA BASSÉE (bailliage d’Amiens). 162. JJ 143, 13, juillet 1392, COMPIÈGNE (bailliage de Senlis) ; JJ 120, 116b, lettre citée chapitre 6, n. 205 ; JJ 160, 156, décembre 1405, PREUILLY (bailliage de Touraine) ; X 2a 16, fol. 390-391, juillet 1420. La marque extérieure du châtiment sert de point de repère. Cet adversaire est « de bien petit gouvernement et en porte les enseignes car il n’a que un doy en une main et les autres sont copés », X la 4790, fol. 28, janvier 1414. 163. JJ 98, 374, avril 1365, PARIS (prévôté de Paris). 164. JJ 129, 88, lettre citée chapitre 18, n. 85, et JJ 155, 11, lettre citée chapitre 14, n. 67. Dans les plaidoiries, la peine déjà subie entre comme une preuve d’infamie, par exemple, X 2a 12, fol. 76v., mars 1390 ; X 2a 14, fol. 172v., avril 1404. 165. JJ 169, 183, lettre citée chapitre 15, n. 91. 166. JJ 127, 136, lettre citée chapitre 16, n. 91 ; et JJ 169, 16, lettre citée chapitre 16, n. 90. 167. JJ 208, 155, lettre citée chapitre 15, n. 41 et supra, n. 10. Les allusions au souvenir de la pendaison dans les archives du Parlement sont rares mais précises, par exemple X 2a 14, fol. 19, mars 1401. 168. JJ 160, 375, juillet 1406, PRESLES-EN-BRIE (prévôté de Paris). 169. JJ 127, 190, octobre 1385. FLACEY (bailliage de Chartres). 170. Par bien des côtés, le prud’homme du XIII e siècle s’oppose à l’homme de guerre, voire au croisé. Le modèle en est Robert de Sorbon, J. de JOINVILLE, Histoire de Saint Louis, n os 31-32. 171. JJ 127, 30, lettre citée chapitre 3, n. 35. 172. JJ 130, 272, mai 1387, BOISSY-LE-SEC (bailliage de Montlhéry). Même cas JJ 181, 166, juillet 1452 (sans mention de juridiction). Sur cette vision du concubinage, voir chapitre 13, p. 574 et suiv. Sur l’opposition entre le prud’homme et le « houlier », par exemple X 2a 14, fol. 305v., février 1406. 173. JJ 160, 88, lettre citée chapitre 6, n. 135. La « prodhommie » s’accompagne des qualificatifs « bon » et « loyal » appliqués au mariage, JJ 172, 16, lettre citée chapitre 4, n. 28. 174. JJ 127, 291, lettre citée chapitre 12, n. 131. 175. JJ 155, 128, lettre citée chapitre 16, n. 46. 176. Lettre citée supra, n. 175. 177. JJ 172, 11, mars 1420, JOUX-LA-VILLE (bailliage de Sens et d’Auxerre). Autre exemple X 2a 17, fol. 207, février 1416. 178. Livre des Epistres et Esvangiles, BN Fr. 402, fol. 16. 179. P. SALMON, Les demandes..., BN Fr. 9610, fol. 6. 180. J. GERSON, Rex in sempiternum vive. Œuvres complètes, t. 7, p. 1027 et suiv. De la même façon, Christine de Pizan refuse que les gens du peuple soient armés : « Et meismement sont aucuns auteurs qui dire veulent que les populaires soient plus convenables es fais d’armes et batailles que les gentilz hommes, et meismement ceulz des villages ; leur raison est pour ce mieulx ont acoustumé travaulx (...) mais meilleur raison y a, qui ceste destruit, c’est que sens et avis, noblece de courage, desir d’onneur, paour du contraire fait plus en fait d’armes que ne fait peine et long travail de corps ; lesquelles condicions sont plus communement es nobles que es populaires », Ch. de PIZAN, Le Livre des fais et bonnes meurs..., p. 200-201. 181. Voir chapitre 16, p. 722. 182. Ch. de PIZAN, ibid., p. 62.

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183. Ch. de ΡΙΖΑΝ, Le Livre de paix, p. 93. 184. ORF, t. 5, p. 21, 30 juillet 1367, et t. 8, p. 357, 27 janvier 1406. 185. R. EDER, Tignonvillana inedita, p. 976. Même image chez P. SALMON, Les demandes..., BN 9610, fol. 19v.

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Chapitre 20. Pardonner et punir

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Faire justice : l’acte est essentiel pour définir le bon gouvernement. Comme le remarque J. Krynen, cette mission confiée au roi est aussi importante que celle qui mène le peuple à la paix ; elle lui est « associée solidairement dans la définition de la fonction royale »1. Les exemples empruntés aux théoriciens abondent. Il suffit de montrer avec Pierre Salmon conseillant Charles VI que le sceptre royal sert « pour corriger et adrecier ton peuple et tes subjiez quant ils mesprendront et offenseront et a les pacifier »2.

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De la justice découle donc la paix tandis qu’elle conforte aussi le pouvoir législatif et politique. La grâce comme la condamnation à mort sont incontestablement un moyen pour le roi d’intervenir sur des sujets qui dépendent de principautés, de justices urbaines ou d’officialités qui exercent la justice pour leur propre compte. L’octroi de la grâce peut donner une idée de ces empiètements qui sont par ailleurs bien connus (tableau 48). Les suppliants ne sont pas rares qui ont déjà obtenu rémission d’un prince et qui demandent au roi de la confirmer, tandis que d’autres la requièrent au roi avant de l’obtenir de la juridiction du prince3. Le roi peut réserver les droits du prince en précisant, comme dans ce cas d’homicide advenu en Flandre en 1380, que : « en ampliant notre dicte grace il nous plaist et voulons que notre tres chier et tres amé oncle le duc de Bourgogne en la juridiction duquel le dit cas fu commiz puisse faire sur ce audit suppliant tele grace qu’il lui plaira sanz ce qu’il puist porter aucun prejudice a lui ne a sa juridicion ores ne pour le temps a venir » 4. Il n’en reste pas moins que l’exercice de la justice est un moyen d’étendre le pouvoir royal sur des juridictions considérées comme subalternes. La grâce peut même s’appliquer à des sujets habitant l’Empire, moyen efficace de les faire « demourer » au royaume tout en contrôlant la justice des princes, qu’elle ait ou non procédé au jugement 5.

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Cet aspect politique ne peut pas être négligé ; il est néanmoins secondaire par rapport à l’exercice global de la justice royale, qu’il s’agisse des condamnations ou de la grâce. L’exercice du pardon montre que le roi agit surtout avant qu’il y ait jugement, ce qui tempère considérablement la portée de la rémission envisagée dans une simple perspective de conjoncture politique. Il convient plutôt de s’interroger sur la signification des décisions judiciaires et de saisir l’exercice d’une justice qui, comme le disent les théoriciens, rend le roi « semblable à Dieu ». A un moment où s’affirme la notion de roi « très chrétien », cette composante est essentielle. La nature religieuse du

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pouvoir politique de cette fin du Moyen Age se trouve ainsi justifiée, et tout laisse supposer que l’idéologie royale s’enrichit de modèles empruntés au christianisme. Mais de quel roi justicier s’agit-il ? 4

Entre la sévérité de Salomon ou celle de Moïse et la douceur miséricordieuse du Christ, l’image vacille. Le roi, nous l’avons vu, peut pardonner tous les types de crimes. Où se situent les limites de l’équité ? A trop vouloir ressembler au royaume des Cieux, le royaume terrestre risque d’être perdu et son ordre menacé. Son salut est compromis et du laxisme de sa justice viennent les troubles. Mais, par ailleurs, le roi détient son pouvoir de Dieu et lui seul est finalement responsable du salut de son peuple. La grâce qu’il accorde aux criminels ne préfigure-t-elle pas celle du jugement divin ? Or il la donne, apparemment, avec libéralité. Entre cette toute puissance royale et la nécessité des règles de justice que peut par ailleurs définir le droit et que sont chargés d’appliquer les officiers de justice, y a-t-il un compromis possible ? Quel lien existe entre la condamnation à mort et la grâce ? Le pardon est au coeur du débat.

CONDAMNER POUR L’EXEMPLE 5

Les coutumiers manifestent la nécessité du lien étroit qui doit exister entre l’infraction et la peine6. Si leurs principes ont bien été appliqués, la sanction judiciaire a dû être terrible et la peine de mort fréquente. Aucune source ne permet de le vérifier puisque aucune d’entre elles ne permet, nous l’avons vu, de dresser un bilan quantitatif fiable des condamnations à mort prononcées par les tribunaux royaux 7. Même le Registre des écrous du Châtelet, à la fin du XV e siècle, laisse dans l’expectative un certain nombre de cas, en particulier le cas des prisonniers qui sont incarcérés à la demande du lieutenant criminel et dont on perd ensuite la trace8. On sait seulement que certains, menés auparavant par appel dans ces conditions, ont terminé « pendu et estranglé » 9. Le délai entre la mention d’entrée au Châtelet et le jugement est variable et aucune considération statistique à portée générale ne peut en être déduite10. Au total, pour les sept mois que couvre ce registre, de juin 1488 à la fin de janvier 1489, et pour environ 675 cas, on ne recense pas plus de 4 condamnés à mort, si bien que la peine de mort est statistiquement négligeable ; en revanche, le bannissement est décidé dans 3 % des cas environ11.

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Le Registre criminel du Châtelet, tenu par Aleaume Cachemarée entre 1389 et 1392, contient 96 condamnations à mort. Sous réserve qu’il recense l’ensemble des condamnations à mort prononcées au Châtelet pendant un peu moins de quatre ans, on peut penser que, même pendant une période de réformation, la procédure extraordinaire ne conduit pas systématiquement à la peine de mort : environ 20 % des prisonniers concernés y ont échappé12. On peut aussi s’interroger sur la place de ces décisions par rapport au nombre total de crimes du même type, qu’il s’agisse de vols ou de meurtres prémédités qui ont pu être poursuivis devant ce même tribunal. Rien ne permet de donner des indications précises, mais tous, à en croire les coutumiers, devraient mériter la mort puisqu’il s’agit essentiellement de vols et d’homicides prémédités. Si on se contente d’un ordre de grandeur, il faut bien convenir que le gibet parisien, sous le règne de Charles VI, n’est pas aussi fourni que le laisserait supposer la théorie judiciaire. Pour atténuer la portée numérique des cas relevés au Châtelet, il faut aussi se rappeler que l’aire géographique à laquelle appartiennent ces grands criminels est large et qu’elle varie en fonction de la nature du crime 13. Il est probable que, même

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pour des délits graves, les amendes et les rémissions l’emportent largement sur la mort des coupables14. L’image que laisse Villon est plus fille de la peur que de la fréquence des pendaisons. 7

Ces constatations ouvrent des problèmes qu’une étude générale ne peut pas résoudre ; les études particulières sont d’ailleurs sur ce point contradictoires puisque, pour le seul Sillon rhodanien, Lyon où les condamnés à mort sont rares (un tous les quatre ans à l’époque de Charles VI) s’oppose à Avignon où les pendus se succèdent à un rythme assez rapide15. Les archives du Parlement viennent cependant confirmer un certain nombre d’hypothèses. L’application de la peine de mort y est, en règle générale, perçue comme exceptionnelle. Les considérations relatives aux vols commis par Jacques Binot et sa petite bande le montrent en 1406-1407 : si le responsable est exécuté, sa femme et ses complices subissent un sort plus clément, l’un d’entre eux ayant même réussi, comme nous l’avons vu, à obtenir une lettre de rémission16. Il faut tout le prestige attaché au lieu du crime – l’hôtel de la reine – et sans doute aussi la conjoncture politique d’une prévôté dirigée par Guillaume de Tignonville, pour que cette lettre de rémission soit contestée au Parlement. D’autre part, les conflits de juridiction et les registres d’officialité montrent clairement que les clercs font preuve, dans leurs décisions judiciaires, d’une grande mansuétude17. Cette attitude particulière peut s’inscrire, nous l’avons vu, dans une certaine réticence vis-à-vis de la peine de mort, au nom des principes bibliques. L’affaire Garnier-Moret à Montpellier permet de formuler sur ce point des thèses contradictoires18. Le parti du juge déclare que : « quant une personne est condempnee pour un crime enorme et qui est contre chose publique, il doit estre executé ». Cet avis est loin d’être partagé par tous les juges laïcs, y compris par le juriste pointilleux des droits du roi qu’est Jean de Terrevermeille qui, au moment de l’exécution, est venu dire au juge « que c’estoit mal fait ».

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Quel est le point de vue de l’opinion ? Quand il s’agit de clercs, tout est fait par les autorités laïques pour que le supplice échappe à la vue de la foule, preuve que l’opinion est soucieuse de voir respecter leurs privilèges. A Saint-Riquier, Jacotin de Neauville qui criait sa cléricature, se voit obligé de chanter par force « larricotee » pendant son transfert pour ne pas ameuter la foule ; à Carcassonne, Jean Drouin fait conduire ceux qu’il a condamnés et qui se disent clercs un vendredi matin, et non pas un samedi, jour de marché ; il les oblige à garder le visage caché par leur chaperon, les fait monter dans une charrette qui ne suit pas l'itinéraire habituel des condamnés à mort et commande d’aller « hastivement » au gibet ; à Laon, les sergents ont ordre de taper aux huis des bonnes gens pour étouffer les cris des condamnés19. Ces précautions n’empêchent pas toujours le « tumulte », voire le scandale qui accompagne la pendaison 20.

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Ces cas particuliers sont-ils l’expression d’une réticence générale de l’opinion devant la peine de mort ? La réponse ne peut pas être nette car les textes peuvent être sollicités dans des sens opposés ; quant au gibet, il est, comme on l’a vu, un des hauts lieux de la sorcellerie dont les effets sont à la fois bénéfiques et maléfiques. Certes la foule est présente les jours d’exécution et elle se doit d’être là, rameutée au besoin par le crieur public21. Est-ce le goût du morbide ou la volonté des autorités de répandre la terreur ? Les réactions de la foule au moment du supplice sont aussi ambiguës et ne nous permettent guère de trancher. Le Bourgeois de Paris peut opposer en 1413 les larmes du peuple au rire de Pierre des Essarts ; en 1475, pour l’exécution du comte de SaintPol, l’assistance est nombreuse à « joir » du spectacle. Certes, la popularité des deux hommes est incomparable, mais le peuple pleure aussi en 1409 sur le passage de Jean de

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Montaigu dont l’ascension sociale a suscité tant de hargne 22. De ces témoignages, il faut bien déduire que la foule, tiraillée de mouvements contraires est à la fois satisfaite et terrorisée au spectacle de la condamnation à mort. Mais seule une étude serrée du rituel de pendaison peut montrer ce que le supplice doit aux exigences de l’opinion et aux contraintes de l’appareil d’Etat23. 10

En fait, le problème de la peine de mort, posé en ces termes, ne peut pas être entièrement résolu. Il convient plutôt de se demander ce que signifie le pouvoir de mettre à mort dans la monarchie des deux derniers siècles du Moyen Age. Le supplice des malfaiteurs est souhaité par les théoriciens tandis que les baillis et sénéchaux en font un moyen de leur administration. Voici encore une fois magnifié le pouvoir des baillis auxquels Eustache Deschamps, dans un autre langage mais avec le même sens, conseille : « Larrons a Dieu, qui faingnez divers maulx, Traînez soiez a queues de chevaulx Et puis apres panduz a un gibet ! Advisez y, baillis et seneschaulx, Prenez, pandez, et ce sera bien fet24. Dans quel but ?

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La quête de la vérité est, nous l’avons vu, un des motifs invoqués. Cet effort de clarification s’inscrit dans une réflexion générale sur la justice qui tente de donner un sens au système pénal en liant la justice à l’enseignement de Dieu, mais aussi à l’établissement des lois que le souverain a pu édicter pour le bien commun. D’un point de vue théorique, la justice est présentée comme une valeur en soi à laquelle il est pertinent de se référer quand on veut punir un criminel. Elle puise ce caractère transcendantal dans son origine divine. Pour Jean Gerson comme pour Nicolas de Clamanges qui en définissent concrètement l’exercice au début du XV e siècle, la justice du souverain est liée à cette justice divine par une conformité nécessaire du roi à Dieu, de la même façon que la loi civile prend exemple sur la loi divine. Cette même loi de la conformité se poursuit de degré en degré, de façon hiérarchique, en sorte que la justice rendue par le prévôt ou le bailli doit prendre exemple sur la justice du souverain 25. On retrouve là les idées que ces théoriciens expriment au même moment quand ils définissent ce que doit être la hiérarchie des pouvoirs au sein de l’Eglise rénovée 26.

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Ainsi la justice se définit par le principe général du bien tel qu’il est codifié dans les lois divines : « on ne doit point faire a aultruy ce que on ne vouldroit mie que on lui feist ; on doit amer ses bienfaiteurs ; on doit honnorer ses parens ; on ne doibt occire injustement et ainsi des autres commandemens qui furent repetés en la loy ancienne par Moyse... »27. Ces maximes rappelées par Jean Gerson sont le fondement de la loi. Pourquoi cette contrainte ? Dans l’esprit du théologien, elle est indissociablement liée au péché originel qui a rompu l’état d’innocence. De cette rupture est né le crime, « car son propre corps tourna en scisme et en rebellion contre sa propre maistresse et royne, rayson ; de quoy vinrent et pares vinrent pechiés et violences contre raison, lesquelles nous apercevons en chascun jour, en rapines, larressins, homicides, sacrilleges, traisons »28.

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Cette définition du juste, cette virtus, comme celle de son revers, le crime, ne doivent pas rester de l’ordre des principes. L’engagement politique des écrivains est tel qu’ils tracent au juge sa mission : rendre à chacun son droit 29. Pour ce faire, il est bon que les innocents soient acquittés et que les coupables reçoivent la peine qu’ils méritent. Le principe est ancien et assez flou, mais il présente une sorte de garde-fou contre

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l’arbitraire des juges ; la conjoncture dans laquelle est écrite le discours Diligite justiciam montre assez que c’est un des buts poursuivis par Jean Gerson en 1406 30. Mais ce n’est pas le seul. En définissant ainsi les principes de la justice, le théologien adopte une philosophie rétributive de la peine, c’est-à-dire que le criminel est avant tout puni parce qu’il a commis un crime, plus que pour réprimer le crime ou pour le prévenir. Dans quelle mesure cette pensée est-elle partagée ? 14

Les dérapages sont certains. Si les théoriciens dénoncent de façon assez traditionnelle les défauts du juge qui se laisse aller à la faveur et à la haine, ils évoquent aussi largement les décisions brusques qui font passer de la rigueur à la colère. Reprenant Sénèque, Christine de Pizan condamne le juge qui « ne voit, n’ot, n’entent, ne pense, ne parle fors toute forceneree, sans nul regart a conscience ne autre peril » 31. Or ces sauts passionnels sont rarement évoqués dans les plaidoiries ou dans les ordonnances. Il est fréquent que le juge soit qualifié de façon technique, « sage » et « expert » ; il est rare qu’il soit aussi « froit », comme c’est le cas de maître Antoine Garnier pour l’affaire de Montpellier32. En règle générale, les critiques englobent le juge dans le groupe des officiers royaux et elles s’en tiennent aux thèmes qu’engendrent les groupes de pression, qu’il s’agisse de la haine ou de la faveur 33. Les réalités de l’organisation sociale l’emportent sur la réflexion psychologique.

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Quant aux fondements de la justice, ils peuvent être discutés, mais sans recourir à la loi divine. Il faut bien dire que la pensée de Jean Gerson ou de Nicolas de Clamanges n’est pas partagée par tous les théoriciens. Certes, tous donnent une fin à la justice qui est le maintien de la « policie » et de la paix. Mais tous ne conçoivent pas des moyens parfaitement identiques. Si Jean Gerson élève le débat jusqu’à définir ce qu’est la loi, Christine de Pizan, pourtant souvent proche de Jean Gerson par le contenu de sa pensée politique, reste très en retrait pour donner à la justice une valeur exemplaire. La peine est, chez elle, le moyen de réaliser un autre bien, celui des individus et du royaume : « les mauvais n’oseront persecuter les bons pour ce qu’ilz saront bien que ta droituriere justice les pugniroit », tandis que « nul n’ara envie de devenir mauvais quant chascun sara que tu soies le pugnisseur d’iceulx, si aront cause d’eulx amender, laquelle chose est la gloire et augmentacion de tout royaulme »34. Ainsi se profile une théorie de l’exemple judiciaire, sans doute passéiste, mais largement partagée par l’expérience et la pratique.

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En fait, les justifications que donnent les juges quand leur décision se trouve discutée au Parlement, découlent d’une telle conception. Les décisions de recourir à la peine de mort se réfèrent en priorité au caractère exemplaire de la peine. Le prévôt ou le bailli ont fait pendre celui qu’ils considèrent comme coupable « pour le bon exemple » 35. Cette décision ainsi qualifiée est la réponse au « mauvais exemple » qu’est le crime. Les juges du Châtelet n’échappent pas à cette opposition et le recueil d’Aleaume Cachemarée recense justement des cas exemplaires. Belon, la femme de Drion Anceau, accusée de complicité dans l’assassinat de son mari, est condamnée à mort parce que le crime qu’elle a commis « est de tres mauvais exemple et orrible » 36. Ensuite, la vision du corps mort prolonge les effets exemplaires de la condamnation. Pour appuyer la décision prise par maître Antoine Garnier dans l’affaire Moret, et éviter l’amende honorable réclamée par la partie adverse qui réclamait le corps du supplicié, le procureur du roi dit « que pour bien de justice et pour donner exemple a touz autres, il vault mieulx qu’il demeure au gibet »37. Le maintien du corps au gibet est un acte nécessaire parce que la peine de mort est, au premier chef, exemplaire.

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Les récits d’exécutions capitales montrent comment la peine de mort est construite pour l’exemple38. Par un processus ritualisé, le criminel devient un condamné à mort, puis un supplicié, puis un corps mutilé pour terminer anéanti par le déssèchement au gibet. Chaque phase est nécessaire à l’accomplissement de l’exemple. La déclinaison d’identité est souvent réduite à une séquence introductive, mais elle est nécessaire pour situer le coupable dans le monde des vivants et nommer son crime. Le supplice commence avec le parcours cérémoniel qui transforme la peine en spectacle. Une rue – toujours la même – est réservée au passage des condamnés à mort. C’est le cas de la rue Saint-Denis à Paris qui conduit du Châtelet aux Halles. Le but est de créer l’unanimité de la foule assemblée tandis que le condamné, en chemise, placé dans la charrette d’infamie ou traîné sur une claie, perd son identité39. Il en est ainsi de Pierre des Essarts qui, le 1er juillet 1413, fut mené « sur une cloye atachee a la queue d’une charrette jusques devant l’ostel de la Coquille en la grant rue S. Deniz et de la miz en ladicte charrette et mené es haies de Paris en grant compaignie » 40. Ces trajets peuvent comporter des haltes obligées à des carrefours ou devant des églises, pour faire amende honorable ou subir des supplices qui prolongent le temps de l’action théâtrale et font entrer la souffrance dans le champ de la peine : fustigation et amputations étant les plus répandues41.

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Les supplices ont encore un plus grand éclat quand le crime est politique. La décapitation précède la pendaison42. En 1411, Colinet de Puiseux qui avait livré le pont de Saint-Cloud aux Armagnacs fut comme « faulx traître » condamné à avoir les quatre membres dépecés, chacun d’entre eux fut placé aux « maistres portes de Paris » tandis que son corps mis en sac fut pendu au gibet43. Tout se passe comme si le corps privé de vie était encore l’objet de la poursuite et de la vindicte, tout cela en public. Ce public peut d’ailleurs être élargi, par restes funèbres interposés, jusqu’aux limites du royaume, comme ce fut le cas en 1344 pour Olivier de Clisson dont les restes furent piqués sur un glaive et portés sur une des portes de la ville de Nantes 44. Quant à Jean Hardi, coupable d’avoir voulu empoisonner Louis XI, il fut écartelé, la tête tranchée et ses quatre membres furent portés « en quatre bonnes villes es extremités de ce royaume et a chascun desidz membres estre mis ung epitaphe pour savoir la cause pour quoy lesdiz membres y estoient mis et posez »45. Enfin, l’anéantissement total peut s’accompagner de la destruction des biens46.

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« L’éclat des supplices », pour reprendre l’expression de M. Foucault, s’inscrit bien dans une politique de l’effroi47. N’en exagérons pas les effets. Elle est sans doute plus marquée à Paris ou en Avignon qu’ailleurs. En 1402, à Saint-Riquier, on prétend que depuis 16 ans aucune condamnation capitale n’a été prononcée et il n’est pas toutjours possible de trouver le bourreau quand il n’est pas nécessaire de recourir à un gibet de fortune48. Le miracle de l’échelle que nous avons pu relater s’inscrit dans cette résistance à la peine de mort49. En fait, d’autres formes de justice sont employées. Pour qualifier ce qui se passe à Montpellier, le procureur du roi n’hésite pas à dire « que les gens de Montpellier sont merveilleux et y a plus de cent ans que on ne fit justice de personne qui eust puissance car il composent tousjours a argent et ont toujours acoustumé de menacier le juge et de le mectre au procès se il fait justice » 50. La justice pour l’exemple a sans doute un champ limité. Cela tient à des conditions matérielles, à commencer par l’éloignement du souverain. Mais on peut se demander si l’explication n’est pas aussi inhérente à ce pouvoir souverain. Seule une étude de son contraire, la

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grâce, et des liens qu’entretiennent la coercition et le pardon peuvent nous permettre de le saisir.

AUX ORIGINES DU DROIT DE GRÂCE 20

Le droit de grâce n’est pas né avec les lettres de rémission. Sous la République romaine, le flamine de Jupiter et des vestales dispose de l'indulgentia quand il participe à la fête des lectisternia. Cette « indulgence » fait partie intégrante de l’imperium et, avec l’avènement de l’Empire, du culte impérial. L’empereur peut alors exercer sa clémence. Est-ce déjà la grâce royale ? L’emploi des mots marque la différence pour montrer que l’empereur agit ainsi par exception et de façon limitée puisque l'indulgentia remet la peine sans enlever l’infamie51. Avec le développement du christianisme, le recours aux grâces se fait pressant et les occasions de gracier lors des fêtes solennelles se multiplient, en particulier au moment de Pâques. On voit ainsi les évêques intervenir auprès de l’Empereur, tel saint Ambroise requérant Théodose : « Me petente, liberasti plurimos de exiliis, de carceribus, de ultimis necis poenis (...) Opto ut per tuam clemenciam Ecclesia Dei sicut innocentium pace et tranquillitate gratulatur, ita etiam reorum absolutione laetetur »52. Mais il s’agit encore de clémence. Cette remarque n’est pas anodine dans la mesure où les théoriciens du XIVe siècle s’inspirent fortement des principes romains. Leur critique de la grâce royale peut donc s’inspirer d’une interprétation attentive de l’indulgence impériale telle qu’elle est formulée dans le Code Justinien, distincte par nature de la rémission53. La grâce royale telle qu’elle apparaît encore à la fin du Moyen Age est plutôt fille du sacré.

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A regarder l’origine des mots, on s’aperçoit que l’Eglise ne connaît pas, au Bas Empire, de terme technique correspondant pour les peines canoniques. La réflexion des Pères de l’Eglise porte sur la pénitence et le pardon plus que sur l’indulgence dont l’exercice est laissé au pouvoir politique lors des fêtes chrétiennes. Encore conviendrait-il de mieux cerner le modèle épiscopal qui se développe au même moment. Le pouvoir de pardonner et de punir fait partie des fonctions judiciaires de l’évêque. Elles sont à cette époque essentielles car le pouvoir des clés, le pouvoir de délier, est aussi nécessaire à la rémission des péchés que la pénitence personnelle54. Toute rémission s’accompagne en effet d’une operosa probatio intérieure mais aussi extérieure où la cérémonie publique joue un rôle essentiel puisqu’elle est destinée à attirer la miséricorde divine par l’intermédiaire des prêtres et des frères dans la foi. Seule une comparaison entre la cérémonie d’absolution et celle de la grâce pourrait permettre de déterminer d’éventuels modèles.

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L’intercession ecclésiastique maintient ensuite le droit de grâce, comme le montrent les sources hagiographiques et la rédaction de l'Epitome Aegidii, celle de l'Epitome Monachi et l'Epitome Ludgunensis 55. Ces textes prouvent qu’entre les VIe et VIIIe siècles l’abolition pascale a survécu ainsi que la grâce accordée aux coupables d’homicides involontaires ou commis par nécessité. On y parle encore de clémence et d’indulgence, mais la part des intercessions de l’Eglise devient très importante. D’autre part, comme l’a montré Fr. L. Ganshof la gratia est devenue un moyen de gouvernement pour les rois du Haut Moyen Age56.

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Avec les Carolingiens, le lien entre la grâce et la politique est nettement marqué. Les termes se précisent et la pratique s’affirme. L’empereur se réserve le droit de gracier. Il agit Dei misericordia inspirante et il parle de justice tout en conservant le mot

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« clémence » hérité du droit romain57. En même temps, l’empereur tente d’interdire aux comtes de pratiquer la grâce : en vain. La pulvérisation de la justice ne fait qu’accentuer le phénomène et la grâce se disperse entre pouvoirs comtaux, épiscopaux et communaux. Puis, au cours du XIIe siècle, le roi tente, à nouveau, de la rassembler en ses mains. Les étapes précises et les circonstances politiques de cette renaissance du droit royal ne nous concernent pas ici58. Il importe plutôt de saisir le courant d’idées qui a pu la favoriser. Il est double, à la fois juridique et politique. 24

La grâce se développe dans un contexte romano-canonique. A partir du XI e siècle, les indulgences partielles apparaissent et leur nombre ne cesse de croître au point que le concile de Latran IV en dénonce les abus. En même temps, la portée de l’indulgence s’accroît. En effet, sous l’influence d’Albert le Grand, l’indulgence n’est plus conçue comme une simple commutation de peines, mais comme une remise pure et simple des peines relatives à un péché déjà pardonné. L’idée puise son existence dans la croyance au trésor des mérites, c’est-à-dire dans la solidarité d’un corps mystique qui supplée à la faiblesse des individus. Enfin, dès la première moitié du XIV e siècle, le pape, ici Jean XXII, peut accorder au confesseur, en particulier au confesseur du roi, la faculté de remettre entièrement les péchés et les peines à l’article de la mort 59. Corps mystique solidaire, remise des péchés : on voit bien ce que ces démarches religieuses de la pensée peuvent apporter à la réflexion politique sur la grâce royale.

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Un second courant emprunte à la tradition politique. Dans l’entourage des premiers Capétiens, comme l’a montré J. Fr. Lemarignier, il n’est pas inconvenant de trouver des laboratores60. Signe d’un pouvoir politique affaibli et limité dans l’espace, cette présence répond aussi aux préceptes d’une royauté ouverte au peuple. Le roi est celui qui accueille libéralement les requêtes. Le roi pardonne, tel Robert le Pieux, « misericordieux » parce qu’il savait « pardonner fréquemment a ses adversaires » 61. La réflexion politique s’est emparée de ce thème qui est intimement lié aux transactions et, par conséquent, à la paix. A en croire les Ditz moraulx et Guillaume de Tignonville, le roi doit suivre le précepte d’Hermès : « Et soyes debonnaire pardonneur soustien aussi et ayme ceulx qui ouvreront de la grant cognee et esquierre, car il n’est autre esquierre que labourer la terre avec les plantes et semences et autres euvres de labour par lesquelles le peuple est gouverné »62.

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Ce courant philosophique que stimule la pensée aristotélicienne est, en fait, porteur de données contradictoires. Le roi doit pardonner mais il doit aussi faire justice et punir les mauvais sous peine de voir son gouvernement tomber dans la tyrannie. Le Traité des quatre choses, inspiré d’Aristote, le dit clairement. Pour gouverner justement, il est nécessaire que le roi ait l’amour de son peuple, acquiert des amis par service, soit humain à chacun et « ou clemence faire justice ». Et le traité continue en expliquant qu’un officier du roi doit savoir « condempner justement les mauvais » 63.

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Résumons-nous. Dès les origines, le pouvoir royal est biface : justicier et débonnaire. Cette double fonction est sans doute, comme le montre L. de Heusch pour les sociétés africaines, inhérente à la sacralité du pouvoir64. Elle ne fait que se renforcer en France et dans un sens chrétien, quand, aux XIVe et XV e siècles, s’impose la royauté de droit divin. La réflexion sur le sens du pardon royal ne peut alors s’opérer qu’en comparaison avec le pardon des clercs.

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JUSTICE ET MISÉRICORDE 28

L’irruption de la grâce que révèle l’inflation du nombre des lettres de rémission depuis le début du XIVe siècle a inquiété les théoriciens politiques65. Ils ont alors réfléchi sur l’opposition qui pouvait exister entre la justice et la miséricorde. Le rapport entre ces deux vertus a un sens théorique et historique dont il convient de dégager les principaux aspects.

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L’antagonisme des deux termes n’est pas nouveau. Dès l’époque carolingienne, les miroirs aux princes définissent les huit vertus qui doivent aider le souverain à se diriger ; parmi elles se trouve la charité d’où découle le pardon, en particulier en faveur des pauvres, des orphelins, des veuves et des malades. Mais déjà Hincmar se montre circonspect sur l’étendue de cette vertu dont les effets peuvent nuire au bon gouvernement66. Néanmoins, les efforts entrepris à partir du XIe siècle pour substituer la réconciliation à la vengeance et à la guerre privée, en impliquant la vulgarisation du pardon, magnifient la miséricorde67. Les sermons et les traités confirment qu’au XIIIe siècle les prédicateurs font l’apologie d’une vertu qui engendre le pardon 68. Mais il serait parfaitement inexact, pour cette époque, de confondre les domaines et d’assimiler totalement la miséricorde divine à celle du roi. En comparant l’aveu judiciaire à la confession, J. Berlioz montre bien comment les hommes du début du XIV e siècle perçoivent la différence : la miséricorde divine est totale, celle du prince est obligatoirement tempérée par l’exercice de la justice69.

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Quel est le fondement de cette tempérance ? La réflexion des théoriciens du XIII e siècle, sous l’influence d’Aristote, pose le problème en termes d’adaptation à la loi. La miséricorde se distingue alors de l’équité. Il convient, dans certains cas, d’epikeier, c’està-dire de corriger le droit positif70. Chez saint Thomas, l’epikeia se traduit par l’équité et elle se distingue nettement de la miséricorde. La miséricorde est un relâchement de la rigueur de la loi dans un cas particulier ; l’équité est l’application de la loi en tenant compte de cas particuliers qui pourraient la rendre inique71. Au for externe comme au for interne, l’epikeia traduit le désir de parvenir à une justice idéale. La miséricorde se réfère plutôt à la bienveillance du juge ou du prince.

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Dans le domaine juridique, l'epikeia ne sert pas de justification avant le XVI e siècle pour discuter de l’interprétation de la loi. Bartole et Balde invoquent la ratio legis quand le juge doit exercer son pouvoir d’arbitre, mais sans employer le terme si souvent utilisé par les théologiens moralistes72. En fait, ils nient la possibilité d’une action corrective pour tout autre que le prince. Chez les romanistes, l’équité se confond avec la miséricorde. Chez les canonistes, l’équité évolue avec la charité, mais elle reste confondue avec la justice et le droit. C’est donc la miséricorde qui s’oppose à la rigueur de la justice. Jean Le Teutonique, dans la Glose ordinaire qu’il fait du Décret, écrit à propos de l’action du juge : « Cum ergo hic sit rigor et ibi misericordia, potius debet judex sequi misericordiam quam rigorem »73. Dans l’esprit des canonistes, la miséricorde l’emporte sur toutes les formes de la justice. L’héritage théorique, tel qu’il apparaît dans les textes du XIVe siècle, s’inspire au premier chef de la vision théologienne et canonique qui oppose la miséricorde à la rigueur de justice. Mais rien ne dit, et au contraire tout laisse à penser que, dans cet affrontement, l’intransigeance du droit romain a joué un rôle. Posons quelques jalons textuels qui, confrontés avec la réalité politique, doivent permettre de dresser une évolution.

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Au début du XIVe siècle, la dyade justicia-misericordia est une des composantes essentielles de la définition du pouvoir royal. Cette évocation est le fruit d’une longue histoire qui, de l’Antiquité classique aux Pères de l’Eglise, conduit aux réflexions carolingiennes. Au cours des XIIe-XIVe siècles, elle s’est affirmée et on peut résumer cet héritage par la définition que donne Nicolas de Lyre vers 1328 : « Misericordia et veritas, id est iustitia, custodiunt regem quia misericordia sine iustitia est pusillanimitas, et iustitia sine misericordia est crudelitas, quae destruunt regem et regnum. Sed misericordia iustitia stimulata, et iustitia misericordia temperata, custodiunt regem et regnum » 74. Tout l’équilibre de l’édifice repose sur cette alliance dont les termes peuvent varier en fonction des objectifs assignés au pouvoir et des urgences de la conjoncture.

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Au milieu du XIVe siècle se dessine, avec le mouvement réformateur, le désir de réduire la place accordée à la miséricorde. Le problème se pose alors de façon très concrète. Au moment où la justice est rendue au nom du souverain par des tribunaux et par des officiers royaux dont les attributions sont de mieux en mieux définies, les lettres de rémission apparaissent et deviennent de plus en plus nombreuses. Explicitement, les notaires de la Chancellerie affirment que le roi accorde sa grâce parce qu’il « preferre misericorde a rigueur de justice » ou encore « pitié a rigueur de justice » 75. N’est-ce pas une façon de désavouer l’action du juge quand un jugement a précédé la grâce royale ?

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Dès 1355, en même temps que des mesures sont prises pour amener les malfaiteurs au Châtelet et leur extorquer la vérité jusqu’à l’aveu sous la torture, il est recommandé au commissaire Pierre de Lieuvilliers, dans un souci d’équilibre, de traiter les criminels par « equité et misericorde »76. Le Journal des Etats de 1356 et l’ordonnance de réforme du 3 mars 1357 tentent de limiter les effets de la miséricorde en donnant une liste de crimes considérés comme irrémissibles77. Les contraintes de cette liste, dont nous avons vu qu’elle répondait aux angoisses collectives d’un corps social soucieux des lois qui définissent sa reproduction, n’ont pas été respectées. Pour d’autres crimes, comme le faux-monnayage et la lèse-majesté, le roi peut, dans ses actes législatifs, affirmer qu’il n’entend « faire grace ne remission » ; dans la réalité aucun de ces crimes n’est irrémissible78. Les excès de la grâce font bien partie des thèmes débattus au milieu du XIVe siècle. Ils sont d’ailleurs inclus dans la critique générale de la faveur qui est un des thèmes essentiels de la reformatio regni. L'acte d’accusation dirigé contre Robert Le Coq montre que ses adversaires ont su s’emparer d’un thème qui devait aussi être le sien. On lui reproche d’avoir obtenu des lettres de rémission pour lui et pour un de ses frères79. L’argument est à double effet : il rend désuet un des thèmes de la campagne politique des réformateurs que Robert Le Coq se targue de conduire, en même temps qu’il insinue l’existence de crimes qui détruisent sa renommée.

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Avec le règne de Charles V, les documents législatifs deviennent sur ce point discrets. Le débat n’en reste pas moins d’actualité, ce qui paraît normal étant donné le prolongement du personnel politique qui puise largement dans le vivier des réformateurs80. L’opposition entre la rigueur de justice et la miséricorde est une des causes de débat dans le Songe du vergier. Le chevalier y préfère « prince trop rigoureux que piteux »81. Cette discussion oppose alors non seulement des idées mais des types de justice, les laïcs aux clercs. Un fond théorique, sans doute alimenté par la progression du droit romain, sous-tend les querelles de juridiction dont nous avons pu percevoir par ailleurs les effets dans l’argumentation des juges. En revanche, rien dans la pratique de la grâce ne vient conforter ce point de vue. Les lettres de rémission du règne de Charles V continuent à montrer qu’aucun crime n’est irrémissible 82.

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De ce règne de Charles V, les théoriciens contemporains de Charles VI ont fait un modèle. Il est impossible de savoir comment Christine de Pizan a recueilli les exempta politiques qu’elle rapporte sur le gouvernement du roi. Mais ils circulent, preuve que le thème de la miséricorde reste au coeur du débat d’un règne à l’autre. Elle les utilise à des dates différentes, aussi bien dans le Livre des fais et bonnes meurs que dans le Livre du chemin de longue estude, puis dans le Livre de paix. Elle montre comment, en cas de crime grave, le roi s’avère inébranlable aux requêtes de ses proches, y compris celles de « ses propres freres et autres du sang royal », car « certes n’y espargnoit, si que faire se doit, estrange ne privé, quelque grand qu’il fust »83. Suit, pour illustrer cette vertu d’équité, l’exemple de son chambellan préféré qui, pour avoir « feru » un sergent à la cour n’eut certes pas le poing coupé mais « neantmoins oncques puis ne fu tant en sa grace ».

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Charles V est à la fois Trajan et Scipion, capable, pour répondre à la juste demande d’une veuve éplorée, de faire pendre son serviteur qui a « efforcié » la fille, mais de pardonner à son barbier indélicat auquel il laisse la vie sauve « pour ce que par longtemps l’avoit servi »84. N’a-t-il pas aussi, nouvel Octave, pardonné à ceux qui, dans Paris, se sont « rebellés contre sa majesté »85 ? Le roi justicier est bien celui qui fait coexister ces vertus de façon harmonieuse. Pour justifier cette théorie, Christine de Pizan, par l’intermédiaire de Gilles de Rome et de l’Ecriture, se réclame à la fois d’Aristote et de la tradition chrétienne en rappelant la parole du Philosophe : « Nul ne doit estre appellé sapient se bonté ne l'esclaire », laquelle est « principe de sapience, avec la crainte de Nostre-Seigneur, comme dit le Psalmiste » 86. Au total, l’équilibre entre les vertus est ainsi atteint et Le Livre de paix en célèbre l’alliance : « Misericorde et verité ont encontré l’une l’autre, et justice et paix se sont entrebaisiez, qui puet estre entendu a ce propos que quoy que verité soit que maint maulx aient esté faiz dignes de grant pugnicion, neantmoins convient que misericorde encontre celle verité, c’est assavoir soupployé la rigueur qui y affiert, et pour ce est il dit apres, justice et paix se sont entrebaisiez »87.

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Sous le règne de Charles VI, le courant réformateur continue à s’inquiéter des conditions qui maintiennent ce difficile équilibre. Nicolas de Clamanges souhaite que le Dauphin puisse gouverner entre la rigueur de la justice et la clémence, confondue désormais avec la miséricorde ; Jean Courtecuisse, pour faire appliquer l'Ordonnance cabochienne, le 29 mai 1413, en se référant à Caton et à Jules César, condamne la définition de la miséricorde qui est habituellement donnée par les sages qui se méprennent sur le sens des mots : « Nous appelons misericorde pardonner la mort d’un malfaicteur et mectre cent ou mil preudes hommes en peril de mort » 88. Au total, la réticence de ces réformateurs est grande vis-à-vis de ce qu’ils considèrent comme des excès, sans doute parce qu’ils renouent avec la clémence et l’indulgence définies dans le Code Justinien. Saint Louis, modèle de justice, devient sous leur plume l’héritier de Salomon plutôt que le roi des pauvres. Pour ces théoriciens, la justice signifie avant toute chose l’équité et elle doit être pleinement associée à la rigueur 89. Ils peuvent parler de la clémence du prince que peut relayer sa pitié, mais dans des cas extrêmes. Et ces qualités sont tempérées par la raison plus que par l’inclinaison. Christine de Pizan vante la « libéralité discrète », l’« humaine pitié », la « clémence » en empruntant des exemples à l’histoire romaine : ces vertus sont plus impériales que chrétiennes et Trajan sert plus fréquemment d’exemple que le Christ.

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Les théoriciens du courant réformateur se sont donc méfiés de la miséricorde. Ils prennent totalement à leur compte la réflexion de saint Ambroise : Justa misericordia et

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est injusta misericordia90. Ou plus exactement, ils réservent la miséricorde au monde des cieux. Elle a la douceur du Paradis. Jean Gerson la voit régner dans la « court ou sont sains et saintes qui prient pour nous. Et pour ceulz sont mal advisez qui refusent penitence en ce monde »91. La lutte que se livrent justice et miséricorde reflète celle qui oppose la terre au ciel. La justice aurait condamné les hommes que le péché entraîne. Miséricorde les sauve. Pour leur rédemption, elle a fait descendre du ciel le fils de Dieu. Jean Gerson, dans un autre sermon, exprime cette victoire sur la justice, emportée de haute lutte : « Jadis apres ce que misericorde ot empetré pour humain lignage voie de redempcion, et qu’il fut ordonné par le hault conseil de la trinité pour satisfaire a justice, qui moult fort y contredisoit, que le fils de Dieu prendrait cher humaine et que la divinité seroit unie et mariee a humanité pour faire satisfaction, et le temps vint que l’incarnation se deust accomplir et celebrer »92. 40

La miséricorde appartient donc à Dieu. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas de jugement divin. Mais Dieu a le pouvoir de transformer la justice en miséricorde. Dans ce mystère réside la grâce. Jean Gerson oppose ainsi le temps de la loi, celui de Moïse et de la justice, au temps de la grâce, celui du Christ : « Tout ce faisoit la royne qui pour ce temps dominoit : justice la rigoureuse. Mais en ce temps nouvel, qui se nomme de grace, le hault empereur mua son juge, quia lex per Moysem data est, gratia et veritas per Jesum Christum (Joannis primo), car en lieu de justice il intronisa misericorde doulce et piteuse, de qui le throne est grace »93.

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La vie du chrétien consiste alors à faire en sorte que la justice de Dieu se mue en miséricorde. Tel est le sens de la pénitence ; tel est aussi celui de la prière. Le prédicateur en donne encore un modèle quand il s’interroge : « Qui pourrait comprendre les sens de Notre Seigneur, sa justice et sa miséricorde ? O vrai Dieu tout juste et tout puissant, monstrez envers moy vostre povre creature, la douceur de vostre misericorde, non pas la rigueur et la severité de vostre justice, car en moy n’y a riens qui le peut soustenir »94.

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La miséricorde est donc la vertu divine par excellence. Dieu la partage avec la Vierge et les saints. Mais du roi il n’est pas question. Les termes qu’emploie Jean Gerson pour parler de la justice céleste peuvent emprunter à celle des hommes. On « appelle » de la « Court de justice a celle de misericorde ou Notre-Dame est maîtresse » par la voie de pénitence qui « bat les cueurs »95. Mais, en ce début du XVe siècle, le modèle ne glisse pas facilement dans l’ordre politique. Les puissants de la cour ne doivent pas être des intercesseurs de la grâce comme le sont les saints dans la cour céleste. Au contraire, en matière de justice temporelle, Jean Gerson vante la rigueur de Caton qui savait différencier les « bons et lez mauvaiz ». Et, pour appuyer son propos, le prédicateur s’adressant à un public choisi, roi et princes, développe un exemplum qui, de fait, tourne en dérision le pardon royal : « On demandoit a ung roy de France remission pour ung homme qui avoit tué ung autre. Le roy dit que aultresfoy luy avoit pardonné le cas semblable et que le cas ne luy seroit pas pardonné. Pour quoy le dit un fol qui estoit present : “vrayement sirez, vous le devez bien pardonner car vous avez fait ce murtre”. “Va fol, tu ne sces que tu dis, respondi le roy ; comment l’auray-je fait ?” “Je vous le diray, sire : se aultrefoiz vous eussiez fait justice de ce murtrier, il n’eust pas maintenant tué ung aultre”. Ce fut sage mot comme d’ung fol ; voir et eust esté ung des sept saiges : et preuve ce mot nostre consideracion »96. On ne peut pas mieux fustiger les excès d’une grâce qui conduit à la récidive. La miséricorde royale est bien fille du désordre. Mais ce point de vue n’est pas exactement partagé par tous. Au même

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moment, Pierre Salmon tente de concilier les deux vertus : la justice est le « trone » du roi tandis que la miséricorde « resplendit en lui »97. Mais cette distinction entre la fonction royale et la personne n’est opérée que pour permettre au roi d’être « aimé » de son peuple et pour éviter les « rebellions ». 43

La pratique de la justice montre comment ces principes sont maniés. Il arrive, nous l’avons vu, que les lettres de rémission soient déclarées subreptices par la partie adverse. Parents et amis souhaiteraient voir le coupable sévèrement puni. Pour défendre le gracié, les avocats affirment la toute puissance du pardon royal car « le roy a puissance de remettre et pardonner partout en royaulme et n’est le contraire recevable »98. L’affaire qui, en 1403, oppose Charles de Savoisy à Jean de Morgueval à propos d’une « bateure » pose nettement le problème de la grâce en termes d’autorité 99. La partie adverse refuse que la rémission soit entérinée et elle argue de la gravité du cas que la lettre a édulcorée. Savoisy et ses hommes de mains se rangent derrière l’autorité du souverain en affirmant « qu’il n’est pas de necessité que les remissions contiennent autre motif que la voulenté du roy qui a ottroyé ces lettres de sa plaine puissance et est l’une des plus grandes noblesses qu’il ait de ottroyer remissions la ou bon lui semble car il sait bien qu’il le meut. Et ne loit a aucun a dire le contraire » 100.

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En fait, ces joutes oratoires servent à définir les crimes irrémissibles. L’« aguet apensé » se trouve ainsi mieux cerné tandis que se profile la différence entre le criminel professionnel, le « bateur a loyer » et l’auteur d’un homicide sans préméditation 101. Le crime de lèse-majesté fait aussi une timide entrée parmi les crimes dits irrémissibles 102. Enfin, la qualité du crime peut aussi être discutée, car il ne s’avère pas possible que le roi ait pu remettre un crime commis « si inhumainement » 103. Une sorte d’osmose s’établit entre la réflexion théorique et les arguments des avocats. La seconde affaire Savoisy, en juillet 1404, montre bien l’articulation entre les deux domaines. Jean Gerson procède à une attaque en règle des principes de justice qui risquent encore une fois d’être bafoués. Il construit son exposé fait devant le Parlement sur une inversion des rôles. Estote misericordes conseille-t-il, non pas en faveur du coupable, mais de la victime, la « fille du roi » attaquée dans une église104. Dans ce crime sacrilège, la miséricorde prend le visage de l’injustice et du déshonneur. Le procureur du roi utilise le même langage mais, ne pouvant remettre en cause l’existence des lettres de grâce, il en définit la teneur qui est une garantie contre l’arbitraire : « S’aucun obtient remission, ce doit estre par tele maniere que l’onneur du roy y soit gardé, le peuple contenté et la partie injuriee satisfaicte. Et dit que, anciennement, on punissoit membre pour membre mais ou cas present qui est especial, autre punicion plus grande se doit ensuir et ne doit la remission pechier en forme et l’impetrant si doit estre repentant de son meffait et la remission contenir au long la verité du fait et ses dependances et sui l’un de ces poins ou condicions fault, la remission est surreptice et ne doit estre enterrinee ». Face à ces arguments, la plaidoirie en faveur de Charles de Savoisy, assurée par Pierre de Marigny, choisit de placer le débat au plan théorique : « et puet le roy user de deux choses c’est assavoir de justice et de misericorde mais misericorde est la plus grant vertu car justice sans misericorde est sevitia ». En ce début du XV e siècle, l’équilibre est encore difficile à trouver mais la miséricorde est remise en cause par de sérieuses attaques, venues des théoriciens comme des praticiens. Dans les questions qu’il rassemble, Jean Le Coq, non sans une certaine réticence, constate que le roi « puet mectre parties hors de proces et ainsi l’a il accoustumé de faire, car il pourroit tout remettre »105.

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Les points de vue diffèrent donc radicalement et l’antagonisme, en fait, subsiste. Il faut attendre 1422 et le Quadrilogue invectif d’Alain Chartier pour que s’impose l’idéal d’équilibre entre justice et miséricorde : « Mais quant doulce misericorde enstremeslee avecques droicturiere justice donne sur les princes et sur le peuple le decret de plus attrempee punicion, l’orgueil de trop oultrecuidié povoir qui se descognoist est rabassié par puissance ennemie, la superfluité des biens mondains, qui est nourrice de sedicions et de murmure est chastiee par sa mesmes nourreture et l’ingratitude des dons de Dieu est punie sur les hommes par sustracion de sa grace » 106.

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Les deux domaines entremêlés règnent désormais en harmonie, scellant la victoire du prince. Et, on peut dire que sous Louis XI, le problème est dépassé. Il consiste moins d’opposer ou de lier la justice à la miséricorde que de les mettre Tune et l’autre au service du plaisir royal. Il existe donc une évolution du champ théorique de ces deux notions. Un pas certain semble franchi dans la justification de la grâce dès la fin du règne de Charles VI. Il s’affirme sous celui de Charles VII 107. Le roi tient l’unité des deux vertus que sont la justice et la miséricorde de son sacre. Lorsque Jean Juvenal des Ursins, dans sa requête, défend le duc d’Alençon, il peut affirmer que la justice doit « toujours » être accompagnée de « clemence et misericorde », et il rappelle que le roi a juré, le jour du sacre, d’agir « Ut in omnibus judiciis equitatem et misericordiam precipiam ut michi indulgeat suam misericordiam clemens et misericors Deus » 108.

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Si le règne de Charles VI ne débouche pas sur une remise en cause totale de la rémission, la réflexion des théoriciens aboutit néanmoins à des résultats concrets. Quand ils écrivent, le temps est venu de critiquer les abus : la multiplication des requêtes en est un, sévèrement dénoncé. Tableau 48 : Rémission et interventions extérieures

Interventions extérieures Fréquence (en %) Aucune ou inconnue

69,0

Événement royal

4,5

Intervention d’un tiers

5,5

Événement royal et tiers

0,0

Fête religieuse

2,0

Amis charnels

16,5

Plusieurs interventions

2,0

Autres

0,5 100

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La grâce royale n’est pas exactement l'objet de pressions. Néanmoins, le roi peut être facilement approché, en particulier lors des « joyeux avènements ».

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Quant à la complexité des rouages administratifs, elle contribue à rendre archaïque un système où le roi, facilement abordé, peut pardonner. Il faut définir des distances entre le roi justicier et le peuple. Cette réflexion lie donc les abus de la grâce à la familiarité et à la facilité avec laquelle on aborde la personne royale. Enfin, ces considérations ont comme toile de fond l’ensemble des désordres que les théoriciens dénoncent dans le royaume. Le leitmotiv des méfaits des hommes d’armes rejoint, comme nous avons pu le constater à plusieurs reprises, la liste des crimes réputés irrémissibles 109. Mais la réflexion dépasse ce cas particulier. La dénonciation s’amplifie jusqu’à fustiger la « turbacion » générale qui sévit dans le royaume. Et, pour s’exprimer, elle prend encore une fois les mots de la justice bafouée. Laissons parler Jean Gerson qui, porte-parole de l’Université de Paris, reprend en fait à son compte la liste des crimes irrémissibles trop souvent pardonnés : « Elle (l’Université) voit turbacion partout (...), violacions de pucelles, prostitution de marieez, boutemens de feu en aucun saintz lieux, prophanation de sainctez places, murtissemens de plusieurs » 110.

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La réticence au pardon est bien le fait des réformateurs du règne de Charles VI. La paix du royaume en dépend : elle se profile en antithèse derrière ces mots, quand le peuple se transforme en foule désordonnée. Il convient donc de limiter l’accès au roi et de maintenir la rigueur de justice. Les deux éléments vont de pair. Tout retour à une justice patriarcale et obligatoirement débonnaire, telle que la rêvaient certains réformateurs passéistes du milieu du XIVe siècle comme Guillaume de Machaut, ne peut qu’être dangereux111.

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On assiste donc, dans ce dernier quart du XIVe siècle et au début du XVe siècle, à la constitution d’un courant politique, réformateur dans son essence, mais cette fois-ci émancipé du rêve seigneurial. La genèse n’en a pas été facile et on peut encore trouver, par exemple chez Pierre Salmon, des vues contradictoires qui ouvrent le roi aux supplications du peuple et en même temps lui imposent de sévères distances 112. Christine de Pizan peut éprouver les mêmes hésitations quand elle parle de Charles V : « clemence et benigneté » l’ont incité à pardonner aux rebelles de 1358 comme à son barbier qui avait tenté de le voler112. Mais il s’agit déjà moins de glorifier le pardon que de l’opposer à la vengeance dont les effets sont peut-être plus maléfiques que ceux d’une excessive miséricorde. Et, si pardon il y a, il doit s’accompagner d’une transformation de l’individu, qui sous l’effet de la grâce, se trouve amendé.

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En fait, le courant réformateur tente surtout d’imposer ses vues rigoureuses en réglementant les conditions pratiques dans lesquelles est octroyé le pardon. Au plan législatif, les ordonnances de réforme, depuis 1303, répètent que la requête doit être limitée à certains jours et condamnent toutes les pressions, à commencer les lettres de bouche113. Cette réglementation trouve son apothéose en 1413 lors de la rédaction de l'Ordonnance cabochienne114. La requête y est soigneusement codifiée en même temps que se trouve réglé le cérémonial de l’approche du roi. Les idées relatives à la distance qui doit séparer visuellement le roi du peuple, comme le sacré du profane, trouvent ici un aboutissement légal. Les réflexions de Christine de Pizan, de Jean Gerson ou de Pierre Salmon disent assez que les théoriciens ont largement réfléchi, comme nous l’avons vu, au rôle de l’apparence dans la majesté royale : manteau, siège, dais, tous ces attributs montrent le roi, qu’ils empruntent aux insignes chrétiens ou que, renouant avec l’Antiquité, ils comparent déjà le souverain à un soleil115. Et, pour la première fois, apparaît l’idée que cette distance ne se marque pas seulement lors de cérémonies

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collectives, comme l’entrée royale, mais dans l’exercice régulier du conseil, quand il s’agit, après requête, de légiférer, mais aussi de juger et de pardonner. 53

Face à ces considérations, dans la pratique, la grâce royale s’affirme et ne semble pas se préoccuper de nuances. Dans près de 60 % des cas la miséricorde s’oppose à la rigueur de la justice. Elle peut se conforter de la pitié. Mais la pitié seule est rarement aux racines de la grâce (tableau 49). Rares aussi sont les autres mentions, qu’il s’agisse de la grâce proprement dite ou de l’équité. Il peut arriver cependant que le roi choisisse de justifier sa grâce sous une forme qui tend à la théorie. Tel est le cas en 1416 pour ce « simple laboureur de Thierache », coupable d’homicide pour le plus banal des cas. Il s’est disputé avec son voisin pour une vache, maniant du poing. Ses « malveillans » et ses « hayneux » n’entendent pas arrêter l’affaire. Est-ce pour les ramener à l’obéissance et interrompre des velléités de vengeance que la Chancellerie juge utile de le gracier en invoquant ce motif : « Voulans noz subgiez traittier gracieusement en preferant pitié et misericorde a rigueur de justice »116 ? Tableau 49 : Formules de la rémission

Motivations royales

Fréquence (en %)

Aucune

3,1

Pitié/Rigueur de justice

0,8

Miséricorde/Rigueur de justice

44,4

Miséricorde et pitié/Rigueur de justice

11,1

Modification de la justice

28,4

Plaisir

1,2

Délégation de pouvoir

1,2

Plusieurs motivations

1,5

Autres

8,3 100

Les expressions de la Chancellerie qui servent à formuler la grâce ont été réparties en grandes rubriques. La miséricorde l’emporte nettement sur la pitié. La simple modification de justice occupe une place assez importante. L’expression « il me plaît » est encore balbutiante sous le règne de Charles VI. 54

La notion de « plaisir » royal est encore plus complexe. Elle s’affirme sous la forme « il nous plaist estre fait » et elle reste très rare, appliquée à des cas limités jusqu’au milieu du XVe siècle. Le sens en est sans doute plus administratif que politique 117. Mais, dans la seconde moitié du règne de Charles VII, les attitudes semblent changer pour s’affirmer définitivement sous Louis XI où 90 % environ des lettres sont délivrées en évoquant le « plaisir » du roi sur le modèle suivant « actendu que led.suppliant est (...), il nous plaise lui impartir notred.grace et misericorde » qui diffère considérablement du

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traditionnel « Pourquoy nous, ces choses considerees, voulans misericorde preferer a rigueur de justice »118. 55

D’ailleurs, les requérants prennent l’habitude, quand ils s’adressent à la Chancellerie de la cour, là où se trouve la personne du roi, de remplacer leur requête « Nous lui veuillons sur ce impartir notre grace » par « Requerant qu’il nous plaise ». A la requête de Jean Juvenal des Ursins en faveur du duc d’Alençon qui était articulée sur la miséricorde puisant sa raison d’être aux sources du sacre, le roi répond le 11 octobre 1461 par une lettre de rémission asséchée de toute considération miséricordieuse. Louis XI se contente d’énumérer les interventions prestigieuses qui ont pesé sur sa décision en raison de son joyeux avènement : « en contemplacion de nostre tres chier et tres amé frere Charles de France, et aussi de noz tres chiers et tres amez oncles et cousins pers de France, les ducs d’Orleans, de Bourgogne, de Bourbon, de plusiers pers d’eglise et aussi les comtes d’Angouleme, de Charolais, de Nevers, de la Marche, de Saint-Pol, de Vendome, de Dunois ou de Laval et de plusieurs autres prelatz comtes et barons et autres nobles personnes de nostre royaume en tres grant nombre qui de ce nous ont requis et supplié, icellui nostre cousin suppliant de nostre grace especial plaine puissance et auctorité royal, a nostre advenement a nostre royaume et courone » 119. Comme autres arguments, le roi évoque la dureté du temps d’emprisonnement que le duc a souffert et les services rendus par sa famille, dont les morts se sont succédés sur les champs de bataille, à Crécy, à Azincourt, à Verneuil... Et la grâce tombe, froidement calculée, en conseil, tandis que le prince évoque par opposition, dans le récit de la lettre, le « bon plaisir » qui avait été celui de Charles VII quand il a décidé de punir le duc.

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Les nuances sont donc de taille dans l’emploi de formules qu’on aurait pu croire stéréotypées. Elles montrent bien que, peu à peu, la rémission s’est affirmée comme une prérogative du pouvoir souverain, sans besoin de justification. C’est dire que les théoriciens n’ont pas pu enrayer un mouvement qui associe de plus en plus étroitement le pardon à la discrétion du prince. Encore faut-il immédiatement nuancer cette conclusion en s’interrogeant sur le contenu de ces lettres. Toutes les études relatives à la période moderne montrent que la diversité des crimes remis s’est tarie et que l’homicide sans préméditation devient la routine de ce type de sources 120. Le pardon du prince est souverain pour un crime hiérarchiquement secondaire. C’est alors un pouvoir vide. N’est-ce pas le signe que le pardon du prince connaît son apogée au moment où sa portée est contestée, au confluent du XIVe et du XV e siècle, dans ce temps vivant de la grâce ?

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Le temps de la genèse couvre la période qui nous intéresse ici. Le pouvoir sacré s’y alimente aux modèles et aux préceptes du christianisme. Pour exercer la justice retenue, le roi calque sa conduite sur celle du Christ. Sa bonté le pousse à gracier les pauvres, les malades, les pères de famille et même les filles de joie. A ses officiers d’appliquer les lois de l’équité rigoureuse. La rémission ne se prive pas de l’expliciter quand, décrivant ces voleurs du bailliage de Vermandois qui ont pris la fuite, elle leur accorde la grâce sous peine qu’ils soient en aventure « d’estre perpetuelment fuitifs et de user leurs vies en grant poureté et misere et finablement estre pour les cas dessus diz s’ilz en sont actains puniz par justice riguereusement » 121. Au roi donc de gracier, bafouant les lois qu’il a pu édicter, bafouant les jugements qui ont pu être prononcés par sa propre justice comme par celle des seigneurs laïcs ou ecclésiastiques, bafouant aussi l’honneur des familles qui ont été blessées par le crime et dont il désamorce toute

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velléité de vengeance. Certes, la grâce s’enquiert de la paix qui doit régner entre les parties. Mais le souverain ordonne que la vindicte s’apaise. Comment cela est-il possible ?

LIER ET DÉLIER 58

La force du souverain s’impose d’elle-même au cours d’actes héroïques dont le rituel manifeste au peuple le caractère sacré du pouvoir. Les entrées du souverain dans les villes sont, de ce point de vue, essentielles. C’est un privilège de seigneurie au cours duquel la majesté se donne à voir. Pierre Salmon, dans un long passage, justifie la chevauchée royale comme un moyen de bon gouvernement : « donnant toujours bon exemple a ses subgiez qui ont regart et se mirent en sa bonne vie et meurs comme cecy appert par clere experience. Car nous veons communement que quant le roy chevauche parmi son royaume tout le peuple par les citez, villes et chasteaux et villages par ou il passe se rejoyt de sa venue et prennent en eulx moult grant gloire, joye et leesce de cueur a veoir et regarder sa personne et soy mirer a regarder son estat et maintien royal, sa belle contenance et les honneurs, meurs dont il doit estre gamy et aomez et se ainsy le voient vertueulx et ordonne encore desirenront ils plus le veoir apres » 122.

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Mais, de la cérémonie de délivrance des prisonniers qui accompagne cette entrée royale, il n’est pas question. Sans doute peut-on y voir une allusion quand ce même auteur compare l’apparition de Jésus-Christ le jour du jugement dernier à une entrée royale123. Mais ce n’est là qu’une mince trace et les autres ne puisent ni aux sources de la Bible, ni à celles de l’hagiographie pour justifier le pardon du prince. Or faire tomber les chaînes, délier, sont des privilèges qui appartiennent au Christ, aux évêques, aux saints124. Et le roi les accompagne sur ce chemin dans une attitude parfaitement mimétique. C’était là une qualité qu’Helgaud de Fleury reconnaissait à Robert le Pieux quand il définissait sa bonté : « Le plus grand souci de l’homme bon est de soulager les peines de ses freres et d’etre le secours desiré des affligés, nourrir ceux qui sont a jeun, vetir ceux qui sont nus, delier ceux qui sont en chaîne »125. Le faible impact de ce texte, au nombre de manuscrits très limité, interdit de chercher dans cette voie l’origine du pouvoir qu’a le roi de délier les chaînes. Il convient plutôt de se reporter aux modèles hagiographiques qui inscrivent ce miracle à l’actif de la sainteté. Ainsi de saint Benoît détachant les liens d’un paysan enchaîné, de saint Marc ouvrant les portes de sa prison, de saint Jacques faisant sortir Bernard, captif, du fond d’une tour. Ainsi de nombreux évêques fondateurs, tel saint Géry, évêque de Cambrai qui, le jour de son sacre, demanda au comte la libération de douze prisonniers. Comme au nom de la justice le comte refusait, le miracle de la miséricorde s’accomplit 126.

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A cette délivrance des prisonniers, il convient d’ajouter le miracle du pendu dépendu 127. Tous ces miracles sont révélateurs de conflit entre la justice qui assure le rétablissement de l’ordre perturbé par le crime et la miséricorde. Loin d’être en régression aux XIVe et XVe siècles, ces miracles de la délivrance des prisonniers, comme l’a montré A. Vauchez, connaissent alors un net développement 128. Certains sanctuaires semblent en être le lieu privilégié, tel le sanctuaire de la Madeleine à Vézelay, NotreDame de Xambes en Angoumois, Saint-Léonard en Limousin ou encore Notre-Dame de Rocamadour. Dès le XIIe siècle, le Guide du Pèlerin de Saint-Jacques-de-Compostelle est sur ce point très explicite. Parlant des pouvoirs du saint, il montre que « sa puissante intercession a fait sortir des prisons d’inombrables milliers de captifs (...) Sous une

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forme humaine visible, il a coutume d’apparaître à ceux qui sont enchaînés dans les ergastules (...) Par lui est accompli à merveille ce que jadis le divin prophète avait annoncé, disant : “souvent il a délivré ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort et ceux qui sont enchaînés dans la misère et les fers” » 129. La filiation entre le pouvoir des saints et celui du roi est nette. Le culte royal développé à SaintLéonard aux XIVe et XV e siècles ne peut qu’assimiler le miracle du saint au pardon du roi ; le même phénomène se rencontre à Notre-Dame de Boulogne et à Notre-Dame de Liesse130. 61

Pendant toute la période étudiée, le roi use de ce droit de délivrance lors de son joyeux avènement dans une ville. Il peut ou non le justifier par un préambule qui accompagne la lettre de rémission. Celui-ci est rédigé sur un modèle identique, qu’il s’agisse du règne de Charles VI ou de celui de Charles VIII. Ainsi, en 1382, arrivant à Rouen après les émeutes de la Harelle, la lettre de rémission accordée à un simple « ouvrier de bras » déclare : « Savoir faisons a tous, presens et avenir que comme la premiere foiz que nous sommes venuz ou entrés es villes et lieux de notre Royaume ou passons par icelle villes ou lieux apres notre sacre a nous appartingne, pour raison de notre joyeux advenement et au deu de notre droit royal, a delivrer, se il nous plaist, touz prisonniers et prisonnieres detenuz ou detenues pour quelconques crimes, malefices ou deliz que ce soit et en quelxconques prisons qu’ilz soient es dictes villes et lieux et en quelconques juridiccion que ce soit d’eglise ou seculiere »131.

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Tout dans ce texte affirme la toute puissance du roi en matière de justice retenue : son plaisir et sa supériorité sur l’ensemble des justices particulières. Effectivement, le coupable gracié était dans ce cas détenu dans les prisons de l’archevêque de Rouen. Le même phénomène peut se produire aussi bien au Châtelet que dans les prisons comtales à Bruges132. Et le crime peut être un simple homicide, comme une maison détruite par le feu, crime en principe irrémissible. La place excentrée du point « événements royaux » sur le graphique de la rémission qui regroupe les grâces ainsi accordées prouve bien l’indifférence du roi à toutes les contingences 133. Cela ne veut pas dire que la grâce est accordée sans réflexion. Elle est conférée après examen des cas par les conseillers du roi. A Rouen, dans l’exemple précédent, Charles VI envoie Evrart de Tremaugon, conseiller et maître des requêtes de son hôtel « pour soy transporter en noz prisons et en celles de notre amé et feal conseiller l’arcevesque de Rouen de savoir et enquerir les fais et les causes pour lesquelx les delinquans estoient detenuz es dictes prisons »134. Ailleurs, ce peut être le chancelier ou un autre conseiller ou chambellan. Ces réserves faites, il existe néanmoins une énorme disparité entre le faible nombre des cas de grâce accordés lors du joyeux avènement et leur signification symbolique. Ils ne couvrent que 5 % des rémissions accordées pendant la totalité du règne de Charles VI. Certes, le privilège peut s’étendre à la reine et aux enfants du roi, y compris les filles, mais il ne concerne qu’une minorité de cas135. L’acte de délier, malgré ce privilège transmis par le sang, découle plutôt du pouvoir religieux que le roi acquiert par le sacre. Le texte du préambule de Rouen est parfaitement clair sur ce point. Cette liaison incite à voir dans la délivrance des prisonniers un rite fondateur du pardon.

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Les raisons en sont multiples. Comme nous l’avons vu, la justice royale transcende toutes les justices secondaires. Les envoyés du roi, en allant jusqu’aux cachots, pénètrent jusqu’au plus profond de décisions qui se prétendaient souveraines. Que valent ensuite les privilèges des officialités ou des princes ? Pour affirmer sa prérogative, le roi n’a pas à se justifier. Dans près de 75 % de ces cas la grâce est

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accordée sans qu’aucune justification personnelle ne soit demandée au coupable, et dans 60 % des cas le roi se contente de modifier seulement le cours de la justice sans même parler de miséricorde ou de pitié. Quant aux coupables graciés, ils appartiennent à toutes les couches de la société, du laboureur à l’écuyer. Le roi exerce pleinement sa grâce, affirmant ainsi le droit de vie et de mort qu’il est susceptible d’exercer sur l’ensemble de ses sujets. Pour être accepté et reconnu par tous, ce droit se fonde lors d’une cérémonie rituelle que les études anthropologiques permettent de mieux comprendre car, comme dans bien des sociétés traditionnelles, ainsi que l’écrit G. Balandier, « chaque changement de règne provoque un véritable retour aux commencements »136. 64

La scène a bien des caractéristiques d’un acte sacré qui démontre que le pouvoir royal est hors du commun. Elle se passe lors du joyeux avènement du roi dans les villes, en même temps donc que se met en place l’entrée royale, au milieu du XIV e siècle. Le déroulement de ce rituel est maintenant bien connu137. Mais il convient de remarquer que cette forme de pardon royal s’inscrit dans un contexte de fête et d’unanimité du corps social, celle des groupes sociaux, des sexes et des âges. La concordia ordinum règne et se donne à voir jusque dans le cortège. Cette mise en scène de relations sociales où sont désamorcés tous les conflits, est un prélude indispensable pour que le pouvoir du roi soit reconnu.

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Reste à accomplir l’acte sacré qui révèle le souverain digne de sa charge. Il est bivalent, à la fois terrible et bon138. Terrible, il consiste à punir de façon exemplaire ceux qui ont commis le crime de lèse-majesté. A Rouen en 1364, lors de son « joyeux avènement », Charles V ordonne le supplice de Pierre de Sacqueville : ce Navarrais endurci dans le crime est écartelé sur la place du Vieux Marché139. A Rouen, en 1382, la répression de la révolte permet à la justice royale de se manifester dans l’arbitraire d’une parfaite bivalence. Les prisonniers sont, en nombre égal et sans référence à leurs méfaits, les uns graciés, les autres condamnés à mort140. A Paris, les chroniqueurs racontent les terribles effets de la punition qui précède ceux d’une grâce délivrée à l’aveuglette : la colère royale éclate jusqu’à ce qu’elle s’apaise, sous l’effet des supplications ; alors elle se transforme en clémence. Le Religieux de Saint-Denis décrit comment les principes théoriques de la justice et de la miséricorde puisent aux passions qui agitent le prince141. La terreur a besoin de régner. Pour précéder l’entrée du roi dans la ville, le connétable ordonne d’exposer les corps de voleurs pendus à la hâte à la croisée de fenêtres ; ce sont « exemple » et « merveille » donnés à voir au peuple 142. Enfin, le voyage en Languedoc est l’occasion de régénérer ce pouvoir. A Toulouse, en 1389, Charles VI, de la même façon, accompagne les grâces qu’il accorde d’une exécution capitale143. A l’autorité qui se montre, doit répondre la crainte des sujets. L’exécution fait du coupable une victime émissaire autour de laquelle le peuple se rassemble tandis que l’ordre, bafoué par le crime, se trouve rétabli.

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Mais à l’inverse, pour s’imposer, le roi doit aussi prouver ce qu’on peut appeler son innocence. Quand Charles VI fait condamner Bétizac par le feu, il reconnaît en même temps des privilèges aux filles de joie de Toulouse144. L’inversion, la rupture de l’ordinaire accompagnent les décisions du souverain. L’ouverture des prisons s’inscrit dans cette signification symbolique. La prison est, comme nous l’avons vu, un lieu terrible. Mais elle est un lieu nécessaire pour que le roi puisse affirmer son pouvoir libérateur. Les bannis ou ceux qui s’étaient mis spontanément hors-la-loi, reviennent quand ils apprennent la venue du roi et se constituent volontairement prisonniers. L’un

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d’entre eux, « povre varlet soieur », banni de la ville d’Abbeville « au son de la cloche » pour avoir tué son « frere germain », se rend prisonnier en mars 1386 quand le roi passe pour la première fois dans la ville. Certes, la Chancellerie émet des réserves : « en ampliant notre dicte grace il nous plaist et voulons que lesdiz maire et eschevins lui facent telle grace comme bon leur semblera sans ce que il leur porte a aucun prejudice ne a leur loy, chartes ou privileges »145. Mais la grâce est accordée et va à l’encontre des décisions prises par une juridiction urbaine que nous avons vue pointilleuse quant à ses privilèges. 67

Ni les longues années qui ont pu séparer le crime de la grâce, ni les distances entre le lieu du bannissement et celui du joyeux avènement ne réussissent à tempérer l’ardeur des suppliants. Celui-ci est banni depuis 24 ans ; celui-là est gracié à Meaux pour un crime commis dans le bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier ; cet autre enfin s’est rendu à Melun en 1385, « a grant poureté et misere » pour se faire emprisonner avant l’arrivée de la reine146. L’essentiel est d’être entré dans les murs de l’enfermement dont le roi, par sa grâce, ouvre la porte. Ce geste comporte une symbolique de l’espace, opposant au lieu fermé contraignant, antichambre de la mort, celui ouvert de la liberté et de la vie. L’acte sacré se colore enfin de notations religieuses. Aux ténèbres du péché et du crime s’oppose la lumière de la rédemption et de la grâce. Le roi est le portrait du saint, voire du Christ accomplissant son œuvre de miséricorde. Voici donc fondé le droit de grâce. Et le peuple qui, pour réparer le tissu social déchiré par le crime aurait invoqué la vengeance, se voit imposer miraculeusement le pardon.

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Le roi de France n’est pas le seul à pouvoir délier les prisonniers enchaînés. Il partage cette fonction miraculeuse avec d’autres puissances spirituelles qui la détenaient sans doute avant lui. Les chanoines de la cathédrale de Paris bénéficiaient d’un privilège comparable le jour des Rameaux quand la procession conduisait de Sainte-Geneviève à Notre-Dame. Le choix de cette fête qui rappelle l’entrée du Christ à Jérusalem n’est pas anodin. Non seulement elle marque l’apothéose de la « seigneurie » du Christ, mais, comme l’a montré N. Coulet, elle préfigure parfaitement l’entrée royale 147. D’ailleurs, l’entrée du chapitre de Paris connaît, comme l’entrée royale dans la ville, une halte au Châtelet avec des chants Gloria, laus et honor avant que la porte s’ouvre pour la délivrance d’un prisonnier148. Le même miracle est encore accompli par l’évêque d’Orléans en souvenir de celui qu’exerçait saint Aignan ; quant à l’évêque de Paris, il peut aussi délivrer des prisonniers à son avènement149. On retrouve encore ce miracle à Rouen où, le jour de l’Ascension, le chapitre désignait un prisonnier qui devait être gracié par les magistrats et qui, en public, devait soulever la « fierte », c’est-à-dire la chasse de saint Romain, évêque de la ville au VIe siècle. A l’origine, saint Romain avait débarrassé la ville du dragon qui la dévastait en s’aidant d’un prisonnier 150. Ces survivances, auxquelles il faut ajouter d’autres exemples répertoriés par J. Foviaux et Y. B. Brissaud à Laon, Embrun ou Remiremont, montrent l’étroite liaison qui existe entre le pouvoir épiscopal et la délivrance des prisonniers151. Quand les coupables qui espèrent la grâce crient trois fois « miséricorde » sur le passage de l’évêque d’Orléans, ils marquent de façon concrète le lien qui existe entre le pouvoir de délier les péchés et celui de délier les chaînes. La royauté a bien puisé au modèle épiscopal les sources de son pouvoir miséricordieux.

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Elle s’en est aussi méfié et les procès sont nombreux qui tentent de limiter ce pouvoir de grâce concurrent. En 1323, le prévôt royal refuse à Robert Le Fort, lors de sa première entrée à Orléans, de libérer les prisonniers que celui-ci lui réclamait selon

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l’usage. Il fallut un arrêt du Parlement pour remettre l’évêque dans son droit. D’autres incidents suivent152. Au milieu du XVe siècle, il semble bien que le roi doive confirmer la grâce épiscopale pour qu’elle soit valable. Colin Tagourdeau, laboureur marié, meurtrier de son beau-frère pour une question d’héritage, s’est constitué prisonnier en 1453 pour bénéficier de la grâce épiscopale lors de l’avènement du nouvel évêque, qui la lui accorde effectivement. Mais depuis, il a été appréhendé par la justice de Trèves-Cunault et de nouveau emprisonné. Il n’est finalement gracié que par décision royale153. Le sens de ces réserves est clair. Le roi doit être le seul à user d’un rituel que lui confère le sacré. Face aux évêques, il entend au même moment dominer l’Eglise du royaume de France. Pour cela, il ne joue pas seulement de pratiques habiles dans la distribution des bénéfices majeurs. Sa politique religieuse est aussi fondée sur la reprise d’un héritage symbolique qui place le roi dans la grande lignée des évêques fondateurs du Haut Moyen Age. Le parcours cérémoniel où éclate et se fonde le pardon, marque la victoire du bien sur le mal, mais aussi de la prospérité sur la destruction, comme autrefois celle du saint évêque fondateur sur le dragon154.

SAUVER LES ÂMES 70

Le pouvoir sacré du roi trouve en l’Eglise ses manifestations extérieures. Une fois fondé, le rituel se poursuit en gestes symboliques. Le roi est aussi celui qui concourt au salut de son peuple. Cela impose, en matière de grâce, que le crime soit blanchi dans les meilleures conditions de la pénitence.

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Nous avons déjà noté la litanie des formules de rémission qui donnent à la parole un caractère incantatoire. Elles affirment que, comme pour la rémission des péchés telle qu’elle est perçue au début du XVe siècle, la rémission intervient de façon effective au moment de l’absolution155. Encore convient-il de mieux permettre au suppliant de bénéficier des souffrances du Christ, et cela par l’intermédiaire du roi. Car celui-ci, comme le dit Charles V dès son avènement, agit « a l’exemple de mon Seigneur Jesus Christ qui ne veut mie la mort des pecheurs mes que il se convertissent et vivent » 156.

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Dans ces conditions, le dialogue que le souverain entretient avec ses sujets quand il accorde sa grâce, n’est pas réglementé de façon indifférente. Rares sont les requêtes conservées dans les archives. Celles qui subsistent montrent la place d’un vocabulaire religieux chez les requérants, soucieux de miséricorde, même pour les cas qui pourraient être a priori les plus éloignés de ce type de préoccupations. Par exemple, le dossier des tractations qui ont conduit à la rémission accordée par le comte de Flandre et par le roi à la suite des émeutes de 1382, pourrait laisser supposer une discussion politique serrée. Elle n’en est pas absente : il convient de préserver des privilèges. Mais le recours final se fait en termes de pitié et de miséricorde tandis que le roi accorde sa rémission plénière : « Desirans que ledis païs se puisse reffaire et mectre en estat de pais et transquilité, et que chacun puisse aller en ses affaires, en ses besoignes et que marchandise court liberalement et franchement par tout en ensuivant nos predecesseurs rois de France qui tousiours ont mise doulceur et amours, pitié et misericorde devant rigueur de justice »157. Les soucis stratégiques et économiques ne sont pas incompatibles avec la miséricorde. Sauver les intérêts du royaume, sa paix et sa prospérité, c’est aussi sauver les âmes.

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Ecouter la requête suppose donc une disposition religieuse. Au moment où, sous le règne de Charles V, la réglementation des audiences n’est pas encore entièrement

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appliquée, le roi les reçoit quand, purifié par Dieu, il sort de sa chapelle. Cette obligation concerne, comme l’écrit Christine de Pizan, « toutes manieres de gens », y compris les maîtres des requêtes158. Puis, quand se développe, comme nous l’avons vu, le souci de canaliser le flot des demandes, elles sont fixées le vendredi. Là encore, le choix du jour n’est pas anodin. Il n’est pas non plus propre à la monarchie française puisqu’on le trouve retenu, dès la fin du XIIIe siècle, par la couronne d’Aragon159. Les juristes ne se sont pas trompés sur cette signification qui, tel Mieres au XV e siècle, donne une explication religieuse à ce choix : « quod specialiter hic eligitur dies Veneris propter reverentiam et memoriam sacratissimae passionis domini nostri Jesu Christi, qui tali die per suam mortem nos reconciliant Deo Patri »160. En principe, les décisions prises le vendredi devaient l’être en présence du souverain, présence attestée par sa mention au bas des actes. 74

Le caractère religieux de la grâce royale est encore plus net lors de certaines dates liturgiques, carême, naissance du Christ et surtout passion. De ce point de vue, l’action du roi s’inscrit dans une tradition qui lie la délivrance des prisonniers aux fêtes religieuses. Le Parlement, au même moment, ne manque pas de le noter ; il en est de même des juridictions urbaines161. Enfin, la main du bourreau s’arrête en ces moments choisis162. Ce temps sacré suspend l’action de la justice répressive.

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En ce qui concerne le roi, les grâces qui sont ainsi octroyées, sont explicitement mentionnées dans près de 3 % des cas. Le chiffre peut paraître faible, mais il ne faut pas oublier que les lettres sont réparties sur l’ensemble de l’année. Quand il peut être fait mention de la semaine pascale, la Chancellerie ne l’omet pas, quel que soit le crime. Les bénéficiaires sont plutôt des non-nobles, ceux pour lesquels la Chancellerie invoque en priorité les charges de famille, puis l’âge, les conditions physiologiques et psychologiques et la pauvreté comme principaux motifs pour accorder sa grâce 163. Pour cette population ordinaire, le roi reprend pleinement le pardon du Christ-roi. Tout ce qui est propre à un rituel se trouve alors rassemblé : « Pour ce est-il que nous (...) voulans tousjours preferer grace et misericorde a rigueur de justice (...) avons en l’onneur et reverence de la benoîte passion de notre seigneur Jesus-Christ au jourduy celebree, quicté, remis et pardonné, quictons, remectons et pardonnons de grace especial et auctorite royal »164. Les mêmes soucis religieux sont à l’origine des peines que le souverain impose à titre d’expiation et de réparation. La grâce ne peut être effective que si le suppliant s’y est conformé. Ces peines varient : prison, messes ou cierges pour l’âme du défunt, pèlerinages. Elles ne sont pas systématiquement attribuées puisqu’elles ne concernent que 22 % des cas165. Quelle est leur signification ?

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Ces obligations sont incontestablement calquées sur des modèles religieux. La peine de prison imposée par l’Etat a un sens pénitentiel qui l’apparente aux décisions inquisitoriales prises au même moment. Le but est d’amender le coupable. Cette tavernière, femme de mauvaise vie pour être concubine d’un prêtre, est condamnée à passer deux mois en prison au pain et à l’eau, temps rigoureux si on en juge par la peur que fait naître la prison ; celui-ci, laboureur de terre, qui a déjà souffert d’une longue prison « dont il est grandement pugny » et qui lui est comptée comme motif de rémission, doit la prolonger de quinze jours ; enfin ce suppliant, âgé de 18 ans, voleur par « jeunesse et temptacion d’Ennemi » se doit de rester prisonnier « six mois ensuyvant », temps long, disproportionné avec la faible valeur des objets volés « qui ne devoient que l’amende » mais qui doit lui éviter la récidive 166. Les pèlerinages

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expiatoires, qui peuvent d’ailleurs être associés à la prison, ont un caractère encore plus nettement pénitentiel167. 77

Les pèlerinages assortis d’une amende honorable sont rares quand il s’agit de la justice retenue. Nous avons vu que, dans le cas de la justice ordinaire, ces amendes honorables doivent être effectuées en public, dans une église proche du domicile, à heure de « grant messe », « en chemise, sans chaperon, et nuz piez » 168. Quand ils sont imposés par les grâces royales, les pèlerinages pénitentiels sont en général accomplis sans restitution d’honneur, à titre individuel. Le coupable est seulement obligé d’apporter aux autorités le certificat de pèlerinage. La réconciliation de l’âme avec Dieu et avec le roi l’emporte sur la réconciliation sociale. Ces pèlerinages expiatoires sont peu nombreux. Leur faible nombre prouve que les peines édictées par le roi suivent l’évolution générale de la pénitence pour laquelle, aux XIVe et XV e siècles, cette paenitentia publica solemnis héritée du Haut Moyen Age est en nette régression 169. La même évolution se dessine aux Pays-Bas170. Le pèlerinage est-il pour autant remplacé par des formes expiatoires typiques de la religion flamboyante ?

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L’obligation de faire célébrer des messes pour l’âme du défunt n’a pas relayé le pèlerinage : la comptabilité de la grâce n’est pas exactement calquée sur celle de l’audelà, et elle ne suit pas l’inflation caractéristique des pratiques testamentaires, peu regardantes sur le nombre de messes à célébrer. Dans les lettres, le nombre de messes requises pour l’âme du défunt n’excède pas vingt. Quand cette obligation existe, elle est le plus souvent assortie de pèlerinage ou de prison comme dans le cas de ce suppliant de la prévôté de Paris qui, pour un homicide fruit de la vengeance, doit cumuler l’obligation de rester prisonnier un mois au pain et à l’eau, un pèlerinage au MontSaint-Michel et une messe annuelle pour l’âme du défunt171. A cette forme de spiritualité déjà très intériorisée qu’est la messe, la Chancellerie préfère l’offrande de cierges dont le poids en cire est rigoureusement défini. Elle accompagne le pèlerinage, signe tangible de l’expiation dont on doit rapporter le certificat. Pour avoir blasphémé, Gilot Frère, laboureur de bras et vendeur de fruits de la ville de Chauny, doit porter quatre cierges de quatre livres de cire, un dimanche ou le jour de la fête du saint ; le premier est offert à l’église de sa paroisse, le second à saint Martin, à Chauny, le troisième à la cathédrale de Noyon et le quatrième à celle de Reims 172. Le roi respecte scrupuleusement la hiérarchie ecclésiastique qui conduit de la paroisse à l’église métropolitaine en passant par celle du diocèse. Sans être totalement infamant, le pardon royal peut donc s’assortir de manifestations religieuses et ostentatoires. Mais ces obligations ne sont, en aucun cas, systématiques.

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C’est qu’une liaison étroite existe entre ces peines en sus et le culte royal. Les lieux de pèlerinage ne sont pas choisis au hasard. Il est rare que la Chancellerie envoie les coupables sur les routes des grands centres de pèlerinage que sont Rome et SaintJacques-de-Compostelle. Si cela arrive, ce peut être à la demande du suppliant luimême173. La Chancellerie préfère des centres d’expiation qui sont traditionnellement liés au culte de la royauté comme Notre-Dame de Boulogne, Notre-Dame de Liesse et Notre-Dame du Puy, ou qui le deviennent comme le Mont-Saint-Michel sous le règne de Charles VI et Sainte-Catherine de Fierbois sous celui de Charles VII 174. La miséricorde du roi y est intimement mêlée à celle de Dieu, tandis que la Vierge sert d’intercesseur, comme dans le cas de ce suppliant obligé d’aller « en personne en voyaige a NostreDame de Liesse en Aunois et y fera dire une messe, rendra grace a Dieu et a Notre-Dame

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de la grace et misericorde qui lui a este faicte, et apportera certificacion au curé ou vicaire du lieu du voyaige par lui faict et accomply »175. 80

Le lien entre la grâce et le culte royal est nettement visible aux yeux des sujets. Le cierge de trois livres offert par ce suppliant à Notre-Dame de Boulogne doit porter les armes du roi176 ; cet autre est offert à l’église Saint-Martin de Tours, là où Louis XI précise que figure « notre representation d’argent que nous avons faict mectre devant le chef de mondit seigneur saint Martin audedans du treilliz d’argent » 177. Cette dévotion au roi et à Dieu ou à ses saints s’avère parfaitement assimilée, au moins à la fin du XVe siècle. En témoigne ce suppliant qui se voue « de tres bon cuer et bonne voulenté » à sainte Catherine de Fierbois et qui de son propre chef demande à se rendre en Touraine pour s’amender et sortir de prison178.

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Ces considérations générales montrent assez que le salut des sujets est une préoccupation politique. Dans cette perspective, il semble nécessaire de s’interroger sur la logique qui prévaut dans la décison d’imposer des peines supplémentaires. Sontelles prises à l’aveuglette ? Leur application selon les cas permet de nuancer des affirmations souvent fondées sur une impression179. Des tendances se dégagent ; les délits sexuels semblent appeler des pèlerinages expiatoires mais le blasphème est, de tous les crimes, celui qui appelle le recours aux plus nombreuses peines en sus (tableau 50)180. L’Etat a une mission religieuse et le but de ces décisions est bien de faciliter la grâce qui est aussi celle de Dieu. Reste néanmoins que ces peines supplémentaires sont rares. Cela ne veut pas dire que leur attribution n’a pas évolué. Rarement appliquées à l’homicide sous le règne de Charles VI, elles semblent se développer par la suite, y compris pour ce type de crime. Ces suppliants du règne de Charles VII, coupables d’homicide, doivent payer des amendes pour les convertir « en euvres piteables par l’ordonnance de noz ames et feaulx conseillers les maistres des requestes de notre hotel »181. Tableau 50 : Peines en sus et types de délits

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Les principaux types de crimes sont mis en rapport avec les peines que le roi peut prononcer en sus pour que le coupable obtienne sa grâce. Le blasphème est le type de crime qui, nettement, implique le plus de peines en sus. Sans doute faut-il voir là une ingérence croissante du pouvoir royal dans ce type de crime. En revanche la rupture d’asseurement n’implique aucune peine religieuse. On ne peut pas pour autant en déduire qu’il s’agit d’un crime « laïc » ou peu important aux yeux de la Chancellerie. 82

Pourquoi cette évolution ? Elle peut être le signe d’une adéquation croissante entre l’Eglise et l’Etat que marque par exemple la confession accordée sous le règne de Charles VI aux condamnés à mort. Elle peut aussi être un moyen de contrôler la grâce royale, d’en atténuer l’aspect miséricordieux en sauvegardant par ce biais la rigueur de la justice. Il est significatif que la Chancellerie installée à Troyes en 1420, sous obédience bourguignonne, accorde la grâce en imposant de façon presque systématique des peines en sus. Celles-ci sont en majorité liturgiques et destinées à l’église NotreDame-en-l’Ile ou à l’Hôtel-Dieu à Troyes182. Ces peines atténuent la miséricorde et l’assimilent à la justice. Elles sont sans doute destinées à purifier le pardon qu’octroie la Chancellerie autant que le coupable. Le courant bourguignon n’a pas choisi de développer la rigueur de justice comme le demandaient les réformateurs, mais de magnifier le pardon pour exalter le lien individuel que le prince entretient avec ses sujets et avec Dieu. Les conseils donnés par la suite à Isabeau jugent finalement cette évolution dangereuse183.

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Les liens entre la rigueur et la grâce sont hésitants, sujets à des évolutions ténues, mais, sur l’ensemble de la période, la miséricorde du roi s’avère toute puissante. La limiter était un rêve de théoriciens soucieux de réformes, âpres à défendre la justice sans laquelle il n’y a ni paix ni prospérité ; soucieux aussi de défendre le roi contre lui-même et contre une foule trop ardente à le requérir. Ce temps du dialogue avait besoin d’être réglementé. Il n’est pas sûr que les théoriciens aient exactement réussi ce qu’ils avaient entrepris. Mais, de ces débordements, le pouvoir royal est sorti renforcé. La miséricorde royale, d’essence religieuse, a largement triomphé. Dans le plus grand nombre de cas, elle suffit au pardon et, quand le roi gracie, il agit sans réserve. Telle est

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la marque d’un pouvoir royal par essence religieux et bénéfique. Ce privilège du pardon a sans doute contribué à implanter le pouvoir royal. Quand reflue l’idée de réforme, au milieu du XVe siècle, le chemin est tracé pour transformer le droit de gracier en plaisir souverain.

NOTES 1. J. KRYNEN, Idéal du prince..., p. 184. 2. P. SALMON, Les demandes..., BN Fr. 6910, fol. 9v. 3. Ces empiètements donnent lieu à des procès au Parlement qui posent le problème de la prééminence du roi en matière de justice retenue, par exemple X 2a 12, fol. 27v., mai 1388 ; ibid., fol. 255-255v., juin 1395 ; ibid., fol. 326v., mai 1397 ; ibid., fol. 440, juin 1400. Exemples commentés par H. BENVENISTE, Stratégies judiciaires..., p. 145-147. 4. JJ 120, 118, lettre citée chapitre 15, n 64. Un autre suppliant du ressort de la justice des religieux de La Celle-en-Brie est gracié par le roi, JJ 127, 72, juillet 1385, LA CELLE-EN-BRIE (prévôté de Paris). Même cas pour ce suppliant détenu dans les prisons du sire de Tancarville, JJ 118, 54, lettre citée chapitre 7, n. 66. Le problème peut aussi se poser de savoir si le roi est habilité à gracier des serfs, X 2a 11, fol. 304v., septembre 1392. 5. Par exemple JJ 155, 256, lettre citée chapitre 19, n. 135. Le coupable habite « en l’Empire » et appartient au duc de Bourgogne. Même cas pour un suppliant détenu par l’évêque de Liège, ibid., 141, lettre citée chapitre 17, n. 55. Celui-ci a déjà été jugé par un bailli du duc de Bourgogne : il est néanmoins gracié par le roi, JJ 160, 380, juillet 1406, (bailliage de Tournai) ; et cas cités par P. DUPARC, Les origines de la grâce..., p. 26 et suiv. 6. Nombreux exemples cités par A. PORTEAU-BITKER, « L’emprisonnement... », p. 211-228. 7. Voir la critique des sources chapitre 1. 8. Y 5266, par exemple fol. 55 et fol. 91, septembre 1488. 9. Ibid., fol. 100, 14 septembre 1488. 10. Par exemple, Robin Lescuille, amené prisonnier le 26 juillet 1488, a son procès au Parlement le 27 septembre ; il est pendu le 21 octobre, ibid., fol. 108v. 11. Ces bannissements sanctionnent des vols dans la moitié des cas. 12. Sur 127 cas, la sanction n’est pas indiquée dans 4 cas seulement, car le folio manque dans le registre. Onze prisonniers ont été bannis ; 13 ont été tournés au pilori. Parmi les condamnés à mort, les trois quarts ont été pendus. 13. Voir les critiques relatives à ce registre, chapitres 1 et 6. C’est le cas des empoisonneurs de puits qui ont agi dans le Val-de-Loire. 14. La logique des condamnations est peu apparente et, en 1488-1489, on voit des criminels incarcérés au Châtelet pour vol, qui, quoique récidivistes, sont relâchés sans rien payer ou après avoir été battus, Y 5266, fol. 138, fol. 155, fol. 178... Même constatation pour les villes méridionales, J.M. CARBASSE, Consulats méridionaux..., p. 367 ; pour le Lyonnais, N. GONTHIER, Délinquance..., p. 606. Sur la signification politique des amendes, J. CHIFFOLEAU, Les justices..., p. 211 et suiv. 15. N. GONTHIER, ibid., p. 637 ; J. CHIFFOLEAU, ibid., p. 235-236. 16. X 2a 14, fol. 352v., 3 décembre 1406, et fol. 359v.-360, 4janvier 1407. Sur ce crime, voir chapitre 4, n. 146 et 147 et chapitre 18, n. 151.

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17. L. MERLET, « Registre des officialités... », p. 574-575. Sur ce laxisme des clercs, voir la réflexion des officiers du roi à Soissons, X 2a 15, fol. 189v., août 1407 : ils ont agi parce que ceux de l'officialité « punire neglexerent ». 18. X 2a 14, fol. 267-275, août 1405. 19. X 2a 14, fol. 63v., mars 1402 ; ibid., fol. Ill, mars 1403 ; ibid., fol. 341, août 1406. 20. Ibid., fol. III v., mars 1403 ; X 2a 15, fol. 240v. 21. J. CHIFFOLEAU, op. cit. supra, n. 14, p. 240. 22. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 32-33, et p. 6, n. 3. J. de ROYE, Journal..., t. 1, p. 361-363. 23. Cl. GAUVARD, « Pendre et dépendre... ». 24. E. DESCHAMPS, Œuvres complètes, Ballade MCCXCIX. Voir aussi la ballade MCCCXXXV où le poète approuve l’envoi des réformateurs pour faire bonne justice. Sur cette tâche confiée aux baillis, voir chapitre 5, p. 234. Pour se défendre, Jean Drouin à Carcassonne affirme une dernière fois qu’il a agi « ut patria malis hominibus purgaretur officio dicti senescalli incumbebat », X 2a 15, fol. 240v. 25. J. GERSON, Diligite justiciam, Œuvres complètes, t. 7, p. 602, 609 et 614. Même pensée chez N. de CLAMANGES, De lapsu.... Opera omnia, p. 49. La hiérarchie se justifie ainsi par l’éloignement au modèle qui est Dieu. 26. J. GERSON, Discours sur le fait des mendiants, op. cit. supra, n. 25, p. 984. « La premiere verité : les sires curés sont en l’Eglise les mendres prelas hierarchiques (...) s’ensuit que le pape ne pourrait destruire cest estat ou annuler comme cet estat ne vient pas par son odonnance positive mais par l’autorité de Dieu sans moyen (...) s’ensuit que les curés sont espous de l’Eglise comme les prelas, combien qu’ils soient plus imparfaits ». 27. J. GERSON, Diligite justiciam, ibid., p. 607. 28. Ibid., p. 606. 29. Ibid., p. 606 et Ch. de PIZAN, Le Livre de paix, p. 38. 30. Voir chapitre 5, n. 165. 31. Ch. de PIZAN, ibid., p. 38-39 ; elle commente longuement auparavant la condamnation de saint Jean-Baptiste. Sur les qualités du juge, voir J. GERSON, Diligite justiciam, op. cit. supra, n. 25, p. 614-615. 32. X 2a 14, fol. 267, 11 août 1405. 33. Cl. GAUVARD, « Les officiers royaux... », p. 586. 34. Ch. de ΡΙΖΑΝ, op. cit. supra, n. 29, p. 39. 35. X 2a 14, fol. 275, août 1405 ; ibid., fol. 73, X 2a 15, fol. 240v., « ad memoriam quoddam exemplum reducendo » ; X 2a 16, fol. 298, mai 1415, « pour le bon exemple ». 36. Registre criminel du Châtelet, t. 2, p. 60. 37. X 2a 14, cit. supra, n. 32, fol. 275. 38. On peut recenser environ une centaine de récits d’exécutions capitales aux XIV e et XV e siècles. Le Bourgeois de Paris constitue environ le quart du corpus. 39. Sur ce rituel judiciaire, voir Cl. GAUVARD, « Pendre et dépendre... ». 40. N. de BAYE, Journal, t. 2, p. 116. 41. Les amputations peuvent être particulièrement cruelles, par exemple pour Aymery de Perie, Chronique normande..., p. 121. Dans la seconde moitié du XIV e siècle, le supplice de la roue n’est plus mentionné, Chronique parisienne anonyme..., chap. 34 et 52. 42. L’application de la peine est systématique, Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 25, 34, 114, 125, 392, 469, et t. 2, p. 6, 99, 208. 43. Journal d'un bourgeois de Paris, p. 17. 44. Chronique normande..., p. 60, et J. FROISSART, Chroniques, t. 3, p. IX. 45. J. de ROYE, Journal..., t. 1, p. 308. 46. J.M. CARBASSE, Introduction historique au droit pénal, p. 220. 47. M. FOUCAULT, Surveiller et punir..., p. 36 et suiv.

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48. X 2a 14, fol. 65, cit. supra, n. 19. 49. Ibid., fol. 164-165, cit. chapitre 4, n. 126. 50. Ibid., fol. 275, août 1405, cit. chapitre 4, n. 126. 51. L’indulgence impériale est analysée par J. GAUDEMET, Indulgentia Principes..., p. 3 et suiv. 52. Ep. LXI, col. 1233, cité par P. DUPARC, Les origines..., p. 27. 53. Code, 69, 37, De Indulgentiis criminum. 54. B. POSCHMANN, Pénitence..., p. 125 et suiv. 55. Lex romana Wisigothorum, citée par P. DUPARC, op. cit. supra, n. 52, p. 40. 56. Vers 582, Chilpéric, ayant eu un fils après avoir perdu plusieurs enfants, décide une grâce générale à tous les prisonniers, Grégoire de TOURS, Histoire des Francs, 1, 6, 23, cité par M. LEMOSSE, « La lèse-majesté... », p. 17. Sur la grâce comme attribut du pouvoir royal à cette époque, Fr. L. GANSHOF, « La “gratia”... », p. 23 et suiv. L’auteur insiste sur les origines chrétiennes plutôt que romaines de la grâce. 57. Vers 821, Formulae merowingici et karolini aevi, t. 2, p. 293. 58. Voir sur ce point la synthèse d’Y. B. BRISSAUD, Le droit de grâce..., chapitre 1. 59. É. MAGNIN, « Indulgences », DTC, t. 7, Paris, 1922, col. 1594-1636. 60. J. Fr. LEMARIGNIER, Le gouvernement royal..., p. 135. 61. Helgaud de FLEURY, Vie de Robert le Pieux, p. 97. 62. R. EDER, Tignonvillana inedita, p. 911-914. 63. BN Fr. fol. 212-212v. 64. L. de HEUSCFI, Ecrits sur la royauté sacrée, p. 217. 65. Tableau 3, chapitre 2. 66. J. DEVISSE, Hincmar..., p. 715. L’image du prince idéal carolingien est analysée par H.H. ANTON, Furstenspiegel..., qui en donne une bibliographie exhaustive, et W. ULLMANN, The Carolingian Renaissance... 67. H. PLATELLE, « La violence... », p. 130-135. 68. C’est le cas d’Etienne de Bourbon, de Jacques de Vitry ou de Thomas de Cantimpré, H. PLATELLE, « Vengeance privée... », p. 269-270. 69. J. BERLIOZ, « Les ordalies... », p. 338, n. 58. 70. ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, I, 5, et Rhétorique, I, 13. 71. Saint THOMAS, Summa theologica, IIa-IIae, q. 60, art. 5, et q. 120, art. 1. Sur l’interprétation de la pensée de saint Thomas, P.G. CARON, « Aequitas » romana..., p. 70-71. 72. C. H. LEFEBVRE, « Epikie » DDC, t. 5, Paris, 1953, col. 364. Pour un exemple de l’adaptation de la loi chez Bartole, voir le cas du sang répandu par le barbier dans le palais du prince, P.G. CARON, op. cit. supra, n. 71, p. 80, n. 112. 73. Jean Le TEUTONIQUE, Glossa Ordinaria ad Decretum, cité par P.G. CARON, op. cit. supra, n. 71, p. 75. 74. Nicolas de LYRE, Postillae literatis et moralis, Biblia sacra cum Glossa ordinaria, 6 vol., Anvers, 1617, Prov. 20 (III, 1694), exemples rassemblés par Ph. BUC, « Pouvoir royal... », p. 696-699. Je le remercie de m’avoir fait part de ses connaissances sur les gloses du XIII e siècle. 75. Voir tableau 49. 76. ORF, t. 4, p. 163-164, mai 1355. Sur le rôle de ce personnage dans la réforme du royaume, R. CAZELLES, Société politique, noblesse..., p. 256-258. 77. ORF, t. 3, p. 128 et chapitre 1. 78. La hiérarchie des crimes graciés le prouve, voir graphique de la rémission, chapitre 18, p. 794-795. Sur les défenses que les textes législatifs imposent au roi pour remettre les crimes des faux-monnayeurs, voir par exemple ORF, t. 2, p. 254-256, 16 janvier 1347 ; ibid., p. 389, 19 mars 1351 ; ibid., t. 3, p. 505-507, juillet 1361. 79. L. DOUËT-D’ARCQ, « Acte d’accusation... », p. 381.

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80. R. CAZELLES, op. cit. supra, n. 76, p. 466 et suiv. L’auteur démontre qu’en 1364, « aucune rupture ne se produit ». 81. Le Songe du vergier, t. 1, CLX, p. 343. Même condamnation chez Ph. de MÉZIÈRES, Le Songe du vieil pèlerin..., III, 255. 82. Voir Cl. GAUVARD, « De la théorie à la pratique... », p. 319. Par exemple, pour les années 1364-1365, le viol, crime en principe irrémissible, constitue environ 2 % des crimes remis par la Chancellerie royale, et près de 3 % pour les années 1370-1372. 83. Ch. de PIZAN, Le Livre de paix, p. 44. Voir aussi Le Livre des fais et bonne meurs..., t. 1, p. 60 et suiv., et Le Livre du chemin de longue estude, v. 5771-5800. 84. Ch. de PIZAN, Le Livre des fais et bonnes meurs..., t. 1, p. 72. 85. Ibid., p. 65-67. Il faut remarquer que Christine de Pizan ne reprend pas cet exemple dans ses traités postérieurs. Il est sans doute trop favorable aux rebelles qu’elle condamne sévèrement, surtout après les événements de 1413. Si les insurrections ne sont pas punies, le peuple, tel celui de Moïse, recommence, Le Livre de paix, p. 73-74. 86. Ibid., p. 40. 87. Ibid., p. 61. 88. N. de CLAMANGES, De lapsu..., Opera omnia, p. 41 : « ut clementiae remissionem justitia excitet et justitiae rigiditatem dementia temperet : ne dementia absque rectitudine justitiae non misericordia sed miseria sit ; justicia vero absque clementiae mitigatione, non tam justicia did debeat, quam rigida atque immitis severitas », el J. COURTECUISSE, Tres hault et tres puissant roy, Chartularium..., t. IV, p. 257, n° 1980, texte cité d’après BN Fr. 3546, fol. I51v.-I59v. Je remercie E. BENITAH d’en avoir assuré la transcription. 89. Pour J. GERSON, Sermon pour la commémoration des défunts, 1400, L. Mourin éd., p. 231, la justice est « rigoureuse », et pour A. CHARTIER, Le Quadrilogue invectif p. 1, elle est « droituriere ». 90. Psaume 118, VIII, 25-26-27. 91. J. GERSON, Sermon pour la commémoration..., éd. cit. supra, n. 89. 92. J. GERSON, Sermon pour la fête de la conception de la Vierge, 1401, ibid., p. 390. 93. J. GERSON, Sermon pour la fête de la purification, 1400, ibid., p. 61. 94. J. GERSON, Sermon pour la fête de la Sainte Trinité, ibid., p. 164. 95. J. GERSON, Sermon pour la commémoration..., ibid., p. 242-243. Cette similitude entre la cour céleste et la cour du roi est fréquente, voir A. VAUCHEZ, La sainteté en Occident..., p. 539. 96. J. GERSON, Vivat Rex, Œuvres complètes, t. 7, p. 1173-1174. Exemplum comparable chez J. COURTECUISSE, op. cit. supra, n. 88, que l’auteur tire de Valère-Maxime. 97. P. SALMON, Les demandes..., BN Fr. 9610, fol. 10. 98. X 2a 10, fol. 138, janvier 1382 ; ibid., fol. 149, septembre 1382 ; X 2a 12, fol. 18v., avril 1388, TOURNAI. 99. X 2a 14, fol. 101v. et suiv., janvier 1403. 100. Ibid., fol. 113v. 101. Ibid., fol. 420, mai 1408 ; ibid., fol. 422, juin 1408. 102. X 2a 14, fol. 126v., juin 1403, « dit que le fait n’est pas d’aguet appensé et pose qu’il feust d’aguet appensé la remission le porte assez et si le puet remettre le roy, voire crime de lese majesté » ; ibid., fol. 360-360v„ janvier 1407, affaire Guillemin de La Porte : le crime est irrémissible parce qu’il a été commis dans l’hôtel royal ; X 2a 16, fol. 171, 1 er août 1412, arrêt pris à l’encontre du duc de Lorraine. Cet arrêt permet de mesurer le degré de réflexion du Parlement quant aux cas irrémissibles. La nature du crime s’y joint aux circonstances, en particulier aux conditions psychologiques du coupable ; « item que en telz commissions de crimes de lese majesté et mesmement quant les delinquans ont perseveré par longues espaces de temps en telz commissions de crimes et par plusieurs foiz en ont esté reprins et que les cas leur sont advenuz mainte foiz et que leur volenté est assez cognue estre telle endurcie en tout mal et que on voit que la volenté se continue de jour en jour et de mal en pis notoirement et dont est publique et

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notoire esclande, on ne le doit jamais pardonner car jamais telz gens ne feront bien ne ne feront jamais que nuire et n’est esperance que jamais bien facent et ne sont mie telz cas remissibles en gouvernement de bonne justice ». On retrouve ici l’idée qu’il y a des êtres incorrigibles, voir chapitre 10, n. 126. 103. X 2a 14, fol. 150-150v., décembre 1403, voir chapitre 16, n. 183. 104. J. GERSON, Estote misericordes, Œuvres complètes, t. 7, p. 326-340. 105. M. BOULET, Questiones..., n. 192, et X la 1475, fol. 116v., novembre 1389. 106. A. CHARTIER, Le Quadrilogue invectif, p. 1. 107. La grâce y est au service de la majesté royale. Voir le mémoire adressé à Isabeau de Bavière, A. VALLET DE VIRIVILLE, Advis..., p. 141 : « Item que en cas piteux un roy doit estre misericors tellement que justice ne soit mie empeschee, mais soit continuee et temperee d’equité ; et par clemence, pitié et compassion, en aucun cas peut bien faire grace, qui moult exalte la justice d’un roy et sa roial majesté ». La date de ce texte, discutée au séminaire de Fr. AUTRAND et Ph. CONTAMINE, Les pouvoirs, 1983-1984, serait antérieure à 1434 et postérieure à 1422. Dans Le Jouvencel écrit en 1461, le roi exerce « misericorde et justice », Jean le BUEIL, Le Jouvencel, chapitre XXV, p. 159. 108. J. JUVENAL DES URSINS, Exortation faicte au roy.... Ecrits politiques, p. 414. 109. Voir chapitres 5, n. 66, et chapitre 12, n. 48. 110. J. GERSON, Vivat Rex, Œuvres complètes, t. 7, p. 1138. Ce passage est repris par Juvenal des Ursins, J. KRYNEN, Idéal du prince..., p. 191, n. 5. 111. Pour Guillaume de Machaut, l’idéal du souverain est Jean l’Aveugle, facilement accessible. En fait, la pensée politique du poète est complexe, car il dénonce aussi les « faveurs », Cl. GAUVARD, « Portrait du prince... », p. 23-39. 112. Voir supra, n. 97. 113. Sur cette codification de la requête, Ch. de PIZAN, Le Livre des fais..., p. 64-72 ; Cl. GAUVARD. « Ordonnance de réforme... », p. 91-92. 114. L'Ordonnance cabochienne, paragr. 212 à 216. Voir les remarques faites par G. TESSIER, « La Chancellerie royale française d’après l’ordonnance cabochienne », p. 682 et suiv. 115. P. SALMON dit qu’il emprunte cette comparaison à Origène. Même image chez J. GERSON, Rex in sempiternum vive, Œuvres complètes, t. 7, p. 1016. L’attention portée aux vêtements du roi est d’autant plus vive que Charles VI, de ce point de vue, ne tient pas son rang. Ch. de PIZAN, Le Livre des fais..., p. 37 et p. 49-51, qui parle de « l’abit royal et pontifical sage et imperial comme affiert a tel digneté ». Sur le souvenir de ces différences de vêtements royaux qui opposent Charles V à Charles VI, et le lien avec la distance que le roi doit avoir avec ses sujets, voir A. VALLET DE VIRIVILLE, Advis..., p. 140-141. 116. JJ 169, 151, lettre citée chapitre 15, n. 113. 117. Cl. GAUVARD, « L’image du roi justicier... », p. 165 et suiv., et graphique de la rémission chapitre 18, p. 794-795. L’expression « bon plaisir » n’apparaît pas avant 1804 dans les formules administratives, et les mots dérivés de « plaisir » y expriment seulement la volonté, comme le démontre L. de MAS LATRIE, « De la formule... », p. 560 et suiv. Néanmoins, l’expression « bon plaisir » n’est pas ignorée des récits officiels dès la fin du Moyen Age, voir lettre citée infra, n. 119. 118. Par exemple JJ 208, 10, lettre citée chapitre 14, n. 106. 119. JJ 198, 36, octobre 1461 (à tous les justiciers). La lettre rappelle le procès de 1458. Les éléments relatifs aux services rendus par la famille sont contenus dans « l’exortation » de Jean Juvénal, citée supra, n. 108. 120. Sur cet appauvrissement des types de crimes graciés, voir les travaux de R. MUCHEMBLED. 121. JJ 160, 94, septembre 1405, MONTDIDIER (bailliage de Vermandois). 122. P. SALMON, Les demandes..., BN Fr. 9610, fol. 13. Voir aussi fol. 15v. En général, Salmon est très préoccupé du lien qui peut s’établir entre le roi et son peuple. Il partage ce souci avec les ordonnances de réforme qui sont prises lors du voyage de Charles VI en Languedoc, par exemple

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ORF, t. 7, p. 238-239. Une autre description de cette « chevauchée » royale est donnée par Christine de Pizan, elle aussi sensible aux rapports du roi et de son peuple, Ch. de PIZAN, Le Livre des fais..., p. 50-51, et Le Livre de paix, p. 198. J. COURTECUISSE parle de « majesté » que font apparaître les habits royaux, op. cit. supra, n. 88. 123. P. SALMON, Les demandes..., BN Fr. 9610, fol. 58v. 124. Ce pouvoir est reconnu au Christ dans l’Evangile, Le 15, 22. 125. Helgaud de FLEURY, Vie de Robert le Pieux, p. 97. 126. De nombreux miracles sont ainsi répétés par le livre à succès que constitue la Légende dorée de Jacques de VORAGINE. Ils sont le fait de l’intervention céleste ou du saint lui-même, A. BOUREAU, La légende dorée..., p. 153 et suiv. 127. Sur ce miracle voir, B. de GAIFFIER, « Un thème hagiographique... », p. 194-226. 128. Voir les chiffres cités chapitre 4, n. 132. 129. Guide du Pèlerin de Saint-Jacques-de-Compostelle, p. 55. 130. Sur Saint-Léonard-de-Noblat, C. BEAUNE, « Les sanctuaires royaux... », p. 57 et suiv. Sur le rôle de Notre-Dame de Liesse, Br. MAÈS, Notre-Dame de Liesse..., p. 42 et suiv. 131. JJ 120, 368, avril 1382, ROUEN (bailliage de Rouen). Autre exemple JJ 121, 324, décembre 1382, TOURNAI (bailliage de Tournai). 132. Par exemple JJ 118, 68, lettre citée chapitre 6, n. 129 ; JJ 129, 226, octobre 1386, BRUGES (sans mention de juridiction). 133. Voir graphique de la rémission, chapitre 18, p. 794-795. 134. JJ 120, 368, lettre citée supra, n. 131. 135. Sur ce privilège accordé à la reine, voir JJ 127, 149, lettre citée chapitre 17, n. III ; ibid., 267, lettre citée chapitre 14, n. 58. Sur le joyeux avènement de la fille du roi à Amiens, JJ 151, 31, octobre 1396, AMIENS ; ibid., 23, octobre 1396, SAINT-POL-SUR-TERNOISE (bailliage d’Amiens). Les événements royaux peuvent aussi être prétexte à la grâce, en particulier quand il s’agit de la naissance d’un dauphin, L. DOUËT-D’ARCQ, « Grâce faite... », p. 195-197. 136. G. BALANDIER, Anthropologie politique, p. 129 et suiv. 137. Nombreux exemples cités par B. GUENÉE et Fr. LEHOUX, Les entrées royales... Ces entrées royales sont une forme de dialogue entre le prince et ses sujets, L.M. BRYANT, « La cérémonie... », p. 513-542. Ce dialogue se continue au XVIe siècle, J. BOUTIER, A DEWERPE, D. NORDMAN, Un tour de France royal..., p. 585 et suiv. 138. Sur la signification ambiguë du pardon, voir Cl. GAUVARD, « Les révoltes du règne de Charles VI... », p. 57-59. 139. Cité par R. DELACHENAL, Histoire de Charles V, t. 3, p. 123. 140. Sur l’interprétation de cette scène, Cl. GAUVARD, op. cit. supra, n. 138, p. 58. 141. Chronique du religieux de Saint-Denys, t. 1, p. 236-248. Le pouvoir royal est encore marqué par le couple gratia-ira défini dès le Haut Moyen Age, Fr. L. GANSHOF, « La “gratia”... », p. 15. 142. La Chronique du bon duc Loys de Bourbon, p. 177. Voir aussi Chronographia..., t. 3, p. 50. Ces exécutions n’ont pas besoin d’être nombreuses pour imposer le pouvoir royal. 143. Supplice de Bétizac par le feu le 22 décembre 1389. Sur la signification politique du procès, Fr. AUTRAND, Charles VI..., p. 250. 144. ORF, 28 janvier 1390, t. 7, p. 250. 145. JJ 128, 172, mars 1386, ABBEVILLE (bailliage d’Amiens). 146. Nombreux exemples pour le règne de Charles VI dans JJ 118. Voir aussi les cas énumérés par Y. B. BRISSAUD, Le droit de grâce..., p. 313-315. Le voyage fait par ce suppliant à Melun pour se rendre prisonnier et obtenir la grâce est une des circonstances favorables à sa rémission. JJ 127, 291, lettre citée chapitre 12, n. 131. 147. N. COULET, « Les entrées solennelles en Provence... », p. 63 et suiv. 148. AN LL 112, pièce 84-86. Sur ces cérémonies du chapitre, J.E. des GRAVIERS, « Messeigneurs du chapitre... », p. 185-222. A cette procession s’ajoutait pour le chapitre le droit de délivrer deux

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fois par an les coupables détenus à Saint-Martin-des-Champs, le premier dimanche de Carême et le jour de la translation de saint Martin, B. GUÉRARD, Cartulaire de l’église Notre-Dame de Paris, t. 1, p. CXXV, et t. 3, p. 439. On peut discuter du caractère définitif de ces délivrances, A. PORTEAUBITKER, « L’emprisonnement... », p. 237. 149. Un des criminels du Châtelet raconte qu’il a ainsi bénéficié d’une grâce au « nouvel advenement d’arcevesque », Registre criminel du Châtelet, t. 1, p. 90. 150. A. FLOQUET, Histoire..., p. 35. Le privilège dure jusqu’à la fin de l’époque moderne, G.F. LE POULICHET, Le droit de grâce..., p. 130-138. 151. J. FOVIAUX, La rémission..., p. 33 et suiv. ; Y. B. BRISSAUD, Le droit de grâce..., p. 75. 152. Y. B. BRISSAUD, ibid., p. 99. 153. JJ 182, 142, août 1453, TRÈVES-CUNAULT (bailliage de Touraine). Les évêques d’Orléans ont cependant continué à bénéficier de ce privilège jusqu’en 1758, date à laquelle il est aboli par édit royal. 154. On ne peut que rapprocher le combat de saint Aignan à Rouen de celui de saint Marcel à Paris, et le fait que ces délivrances de prisonniers ont souvent lieu lors de la fête des Rogations, fête processionnelle du dragon. Sur la signification de ce rituel à Paris, voir J. LE GOFF, « Culture ecclésiastique et culture folklorique au Moyen Age : saint Marcel de Paris et le dragon », Pour un autre Moyen Age..., p. 236-279. 155. Le rapport entre l’absolution et la rémission était un objet de débat entre les théologiens. Pour Jean Gerson, après saint Thomas et à la différence d’Abélard, l’absolution remet le péché même chez un attritus, car « per gratiam advenientem (...) in ipsa absolutione contritio virtute sacramenti infunditur », Notabile de forma absolvendi a peccatis, cité par B. POSCHMANN, Pénitence..., chapitre 3. 156. JJ 98, 395, mai 1365, (sénéchaussée de Carcassonne). 157. BN Fr. 2699, fol. 142, voir chapitre 19, n. 80. Sur la rareté de ces requêtes conservées dans les archives, voir l’exemple du Hainaut, J.M. CAUCHIES, La législation princière..., p. 90 et suiv. La requête présentée par Juvénal des Ursins en faveur du duc d’Alençon constitue un dossier exceptionnel. 158. Ch. de PIZAN, Le Livre des fais..., p. 44. Les maîtres des requêtes doivent présenter leurs demandes au roi lorsqu’il se rend de sa chapelle jusqu’à sa chambre après avoir entendu la messe, ORF, t. 1, p. 669, novembre 1318. 159. M.T. TATJERPRAT, La audiencia real en la corona de Aragon... Je remercie l’auteur d’avoir bien voulu me communiquer les résultats de son travail. Le choix du vendredi est fixé par les Cortes de Barcelona dès 1299, et par les Cortes de Zaragoza en 1300, et pour Valencia en 1301. Il est intéressant de constater que l’auteur de l'Advis a la reine Isabelle, donne comme modèle de gouvernement les royaumes de la péninsule ibérique. A. VALLET DE VIRIVILLE, Advis..., p. 139. 160. Cité par M.T. TATJERPRAT, op. cit. supra, n. 159, p. 86-87, n. 46. 161. Un prisonnier peut demander sa libération « ob reverentiam et recordationem crucis et passionis domini noster Jesus Christi laboraret », X 2a 15, fol. 14v., avril 1405 ; ibid. 264v., avril 1409. La fête de Noël peut aussi être invoquée, X 2a 14, fol. 221v., 25 décembre 1404, ou encore la Pentecôte, ibid., fol. 26v., 28 mai 1401. 162. X 2a 14, fol. 166v„ février 1404 ; X 2a 15, fol. 234v„ janvier 1408. 163. La rémission en temps de fête religieuse ne s’accompagne d’aucun motif donné par la Chancellerie dans près de 29 % des cas ; de l’état psychologique et physiologique du coupable dans 18 % des cas ; de l’âge dans 18 % des cas ; de la pauvreté dans 6 % des cas ; des charges de famille dans 29 % des cas. Aucun service passé ou attendu n’est retenu. 164. JJ 182, 75, avril 1454, MÉNESTREAU-EN-VILLETTE (bailliage de Montargis et Cepoy). Autre exemple JJ 172, 23, lettre citée chapitre 7, n. 126.

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165. Dans 78 % des cas il n’y a pas de peines imposées. Dans 8 % des cas il s’agit de prison, dans 1,5 % de pèlerinage, dans 2 % d’une autre réparation liturgique, dans 7 % de plusieurs peines, dans 3 % d’une commutation de la peine, et dans 1,5 % d’une autre peine. 166. JJ 165, 200, lettre citée chapitre 7, n. 96 ; JJ 169, 69, lettre citée chapitre 9, n. 116 ; JJ 155, 282, novembre 1400, PARIS (prévôté de Paris). 167. Par exemple, cet exposant doit tenir prison un mois au pain et à l’eau, et un mois après sa sortie de prison faire un pèlerinage à Notre-Dame de Boulogne et offrir un cierge de quatre livres, JJ 143, 158, septembre 1392, COURCELLES (bailliage de Vitry). 168. Chapitre 16, p. 746. Sur l’application concrète de ces peines, B. GUENÉE, Tribunaux..., p. 276-280. Au Parlement, les avocats distinguent nettement l’amende honorable, qui est une peine, du pèlerinage pénitentiel qui relève de la grâce, par exemple X 2a 14, fol. 172v., avril 1404, LA GARNACHE. 169. Sur cette évolution, C. VOGEL, « Le pèlerinage pénitentiel », p. 37-94. R. RUSCONI, « De la prédication à la confession... », p. 67 et suiv., qui met l’accent sur le rôle devenu prépondérant de la pénitence personnelle. 170. J. VAN HERWAARDEN, Opgelegde bedewaarten, Assen 1978, Compte-rendu par B. DELMAIRE, Revue du Nord, 1980, p. 738-740. 171. JJ 160, 188, décembre 1405, THOIRY (prévôté de Paris). 172. JJ 127, 10, lettre citée chapitre 3, n. 35. 173. Par exemple JJ 208, 137, octobre 1480, (sénéchaussée de Poitou). Le suppliant a lui-même demandé un pèlerinage expiatoire à Saint-Jacques et à Rome. 174. Voir les travaux de C. BEAUNE, Naissance..., p. 166 et suiv. La liste des miracles de sainte Catherine à Fierbois est répertoriée par Y. CHAUVIN, Le livre des miracles... 175. JJ 208, 53, janvier 1481, LACAUNE (sénéchaussée de Carcassonne). 176. JJ 143, 150, septembre 1392, (prévôté de Paris). Le suppliant demeurait « jadis » à Bourges. 177. JJ 208, 203, janvier 1483, TOURS (bailliage de Touraine). 178. Ibid., 212, février 1483, (sénéchaussée de Limousin). 179. C’est la conclusion de G. JUGNOT, « Le pèlerinage et le droit pénal... », p. 200 et η. 19. Cette interprétation est considérablement nuancée par les travaux de P. TEXIER. 180. Par exemple, JJ 127, 68, juillet 1385, (bailliage d’Orléans). Le pèlerinage doit être effectué à Notre-Dame des Barres pour des coupables ayant commis un viol ; ibid., 205, lettre citée chapitre 17, n. 62 : un homme coupable d’avoir tué l’amant de sa femme doit faire un pèlerinage à l’abbaye où son rival était frère. 181. Par exemple, JJ 183, 36, octobre 1455, MAILLY-LE-CAMP (bailliage de Troyes) ; ibid., 58, 1455, AMIENS (bailliage d’Amiens) ; ibid., 78, février 1456, LILLE (bailliage de Tournai) ; ibid., 79, mars 1456, ABBEVILLE (sénéchaussée de Ponthieu). 182. Elles sont contenues dans les registres JJ 171 et 172. La somme des amendes est en général de 10 livres, et elles peuvent être complétées par une peine de prison. 183. A. VALLET DE VIRIVILLE, Advis..., p. 142 et 148. Tout en glorifiant le pardon, l’auteur, qui est peut-être un secrétaire du roi, condamne la multiplicité des pardons qui encouragent les crimes « enormes », et supprime la grâce, dans tous les cas, pour le crime de lèse-majesté. Sur la date de cet écrit, voir supra, n. 107. Cette condamnation de la grâce pour lèse-majesté est reprise par les actes législatifs de Louis XI, ORF, t. 18, 2 novembre 1475, p. 148-149, et septembre 1477, p. 303-304.

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Conclusion

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Dans le royaume de France aux XIVe et XV e siècles, le crime n’est pas commis à l’aveuglette dans une société où la violence, banalisée, serait latente. Il n’est pas non plus l’affaire de marginaux. La violence jaillit de la rupture du code de valeurs que la société juge nécessaire à sa survie, et le crime se révèle d’autant plus grave que les valeurs essentielles sont bafouées. Logiquement, au sommet de la hiérarchie des crimes, se situent ceux qui enfreignent les lois qui réglementent la reproduction des hommes. Ils troublent l’ordre social et moral que garantit au premier chef la parenté, mais que partagent aussi les justiciers, roi en tête.

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Car il n’existe pas d’opposition entre les valeurs qui ordonnent la société et celles qui servent à la construction de l’Etat. Pour tous, la vie d’un homme est de faible poids quand éclate le déshonneur. Pour juger de la portée de l’injure qui, proférée publiquement à l’encontre des échevins d’Abbeville, confondait dans un même fantasme les Anglais et l’horreur d’un sexe contre nature, le procureur du roi n’a pas craint de dire au Parlement « que plus poise ceste injure que un meurtre » 1. Cette constatation n’implique pas que la vie humaine n’a pas d’importance. Mais, dans la hiérarchie des valeurs, elle est secondaire par rapport aux ruptures principales qui mettent en cause l’honneur.

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Tous ces éléments révèlent bien ce que les anthropologues appellent « une société à honneur »2. La parole y commande le geste vengeur et les implications psychologiques restent secondaires. Comme l’horizon géographique des sources considérées concerne essentiellement la langue d’oïl, il faut bien conclure que l’honneur ne se limite pas aux rivages de la Méditerranée où les études confinent généralement ce type de manifestations. Au contraire, pour certains crimes touchant à l’honneur sexuel, les pays de langue d’oïl se révèlent peut-être plus pointilleux que ceux du Midi. Il serait sans doute vain d’en chercher les origines, même si l’importance du système vindicatoire au nord du royaume laisse penser que les traditions germaniques ont laissé des traces. La question qui englobe toutes les autres consiste bien à comprendre comment l’Etat s’est imposé dans ce type de société en utilisant la punition et la grâce pour prendre à son compte la vengeance.

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NOTES 1. X 2a 14, fol. 220, cité chapitre 12, n. 77. 2. Voir en particulier J. PITT-RIVERS, Anthropologie de l’honneur..., chapitre 1.

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Conclusion générale

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La violence et la criminalité, en cette fin du Moyen Age, sont victimes des lieux communs que l’Etat et la société ont contribué à forger et, qu’ensuite, l’historiographie s’est plu à perpétuer. On attendait une violence larvée, des impulsivités incontrôlées, des criminels issus d’on ne sait où, pieds poudreux, aiguillonnés par le gain : on trouve une violence de gens ordinaires. Certes, les fortes têtes existent, mais il faut distinguer entre ceux qui appartiennent au pays de connaissance et les autres, meurtriers ou larrons inconnus, dont les crimes échappent aux règles normales de la sociabilité. Les premiers peuvent avoir d’amicaux sobriquets qui désignent leur irascibilité 1. Les seconds font peur et cette peur s’accroît au fur et à mesure que l’espace politique se dilate dans une prise de conscience commune. L’histoire du crime raconte comment la société traditionnelle qu’est encore la société médiévale, fondée sur la hiérarchie des sexes, des âges et des pouvoirs, s’est adaptée et a souhaité la constitution de l’Etat.

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L’influence des guerres et des épidémies dans cette évolution est impossible à mesurer, mais on ne peut qu’être frappé par la rapidité avec laquelle s’opèrent les transformations. L’explication tient en grande partie à l’atmosphère d’unanimité qui reste nécessaire au développement de la vie politique, étant donné les habitudes de conformité qui prévalent2. L’institution organisée de la justice criminelle fondée sur le droit n’impose pas sa loi du dehors et de façon coercitive à une société passive. Entre l’Etat et l’opinion se développe, au cours des XIVe et XVe siècles, un jeu subtil d’entente tacite3. Le but en est de régler les perturbations que le crime a pu engendrer. Au terme de cette évolution, l’Etat lui-même prend corps, tandis que se transforme le système de relations qui lient les hommes entre eux.

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Le premier élément de cette entente tient à l’importance des lois de la survie qui étaient déjà naturellement en place. C’est là une évidence dont les récentes études sur la vengeance ont montré les conséquences dans les sociétés sans Etat 4. Dès les origines, le système vindicatoire s’est imposé des limites sans lesquelles le processus de vengeance n’aurait pas eu d’arrêt. La violence, dès qu’on peut en saisir le déroulement pendant le Haut Moyen Age, n’est ni illimitée ni anarchique, même dans une société où l’Etat n’est pas encore pesant. L’essentiel est de respecter la loi du talion, c’est-à-dire de fixer une réparation égale à celle du dommage qui a été infligé. Les témoignages de guerres privées laissent percevoir que cette règle est surtout enfreinte quand les protagonistes de ces expéditions punitives sont puissants, liés avec les représentants

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des autorités. Ce phénomène subsiste aux XIVe et XV e siècles, malgré les ordonnances qui tentent de limiter les guerres privées5. Plus importantes pour notre propos sont les traces d’une régulation naturelle de la vengeance, assez vives pour commander le déroulement de l’homicide et pour souhaiter qu’il reste un « beau fait » au terme duquel s’impose la paix entre les parties adverses. Dans ces conditions, les populations sont prêtes à fustiger le « vilain cas » et à se retrouver du côté des autorités pour dénoncer le meurtre commis sans défi et par conséquent sans honneur. En même temps, l’aveu du « beau fait » se dit sans réticence, comme un point d’orgue mis à un processus qui a sauvegardé l’honneur en le faisant connaître à tous. De ce point de vue, la lettre de rémission n’est peut-être pas toujours une contrainte, et elle ne relève pas de l’infamie. 4

Ces formes de régulation naturelle se doublent des habitudes d’encadrement qui se sont établies au cours des XIe-XIIIe siècles, qu’il s’agisse des justices seigneuriales ou urbaines6. Dans cette évolution où se marquent les différences régionales, l’Eglise a joué un rôle prépondérant. L’idéal de la paix de Dieu, qu’elle tend à imposer, fournit les premiers concepts qui définissent une hiérarchie des crimes et désignent à la vindicte commune ceux qui offensent le divin ou troublent les lois de la reproduction du corps social. Pour cette raison, les anathèmes, véritables cris de paix, mêlent étroitement l’inceste aux crimes contre le sacré. Cet arsenal conceptuel sert encore, à la fin du Moyen Age, pour définir la paix.

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Le développement de la prédication religieuse autour des deux thèmes essentiels pour la résolution du crime que sont la paix et le pardon, a aussi préparé les populations à la réconciliation. La littérature hagiographique à partir du XIe siècle, puis les sermons à partir du XIIIe siècle, montrent assez que, même dans des régions rétives comme la Flandre, l’arbitrage est présenté comme nécessaire7. L’image du roi hérite de cette tradition. Elle transparaît dans les accords que le souverain facilite entre les parties, dans les lettres de rémission que la Chancellerie octroie, ou encore dans la façon dont sont discutés les cas criminels au Parlement. Le rituel du baiser, du vin et du pain partagés, mais aussi celui des amendes, ont une longue histoire dont le roi devient le garant et qu’il stimule sans doute par des méthodes de résolution plus rapides, malgré leur lenteur, que les discussions traditionnelles. Ce sont là des éléments qui permettent de comprendre que les populations ont pu s’adapter aux contraintes judiciaires légales.

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Néanmoins, les transactions se poursuivent en marge des circuits légaux, si bien que la procédure criminelle des tribunaux ne suppose pas le remplacement d’un mode de résolution par l’autre. Cette souplesse dans le maintien de ces procédés en parallèle montre leur parfaite cohérence plutôt que la carence de l’Etat. Certains chevauchements de compétence, en particulier en ce qui concerne l’homicide, perturbent seulement les juristes soucieux d’affirmer la souveraineté royale au Parlement. Régler un crime de sang par un accord implique-t-il un sentiment de désobéissance ? N’est-ce pas, à cette époque, plus important pour le pouvoir de régler des problèmes de moeurs qui peuvent nous sembler relever du domaine privé, que de s’inquiéter de la mort d’un homme ? C’est à l’aune de la hiérarchie des valeurs que l’Etat fait respecter que peut se mesurer son développement.

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Le point de vue des justiciables est aussi essentiel. On ne saura jamais pourquoi ceux-ci choisissent un mode de résolution plutôt qu’un autre. Outre des contingences matérielles, il entre sans doute dans ce choix, comme le propose Y. Castan, la volonté qu’a la communauté de dénoncer plus précisément tel ou tel de ses membres à la

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vindicte publique8. La justice légale est un des recours possibles, mais c’est surtout le recours qui peut déboucher sur une peine exemplaire, quand la partie lésée choisit d’envoyer l’adversaire à la mort, sanctionnée par une peine publique infamante. 8

Pour régler le crime, l’Etat s’est donc moulé dans le registre de l’arbitrage et du pardon. Le nombre de lettres de rémission émises par la Chancellerie pendant les deux derniers siècles du Moyen Age ne peut donc pas être conçu comme une preuve de faiblesse. C’est, au contraire, une façon d’officialiser le processus normal de la résolution des conflits. Le roi est bien, comme le voulaient les théoriciens et comme le répètent les prières, le gardien de la paix civile.

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Avec la dilution du code de l’honneur dans toutes les couches sociales, on touche à un second aspect des liens qui unissent le pouvoir aux sujets. Cette société est aussi, à la fin du Moyen Age, une société à honneur. Cette constatation implique qu’il existe, entre les groupes sociaux, une unité culturelle dont les codes sont tacitement reconnus par tous. La hiérarchie des crimes, que révèle la lettre de rémission, montre bien que la décision de gracier n’échappe pas à ces lois. Dans les cas les plus graves, le roi est obligé d’utiliser à plein les effets de sa miséricorde. Au sommet sont les crimes qui remettent en cause l’ordre sexuel. De ce point de vue, il existe une parfaite continuité entre la royauté des deux derniers siècles du Moyen Age et la tradition capétienne véhiculée sous forme d'exempta judiciaires. Nous avons vu comment un homme marié était prompt à réparer dans le sang son honneur blessé9. Philippe le Bel, en punissant ses brus et leurs amants, s’inscrit dans cette tradition. La peine, exemplaire par le supplice que le roi inflige, ne fait que conforter la société dans des valeurs qu’elle partage. Néanmoins, au même moment, l’image du roi chevaleresque capable de pardonner l’adultère a un effet de contrepoids qui tend à imposer d’autres valeurs, celles du pardon et de la vie humaine que l’Eglise vulgarise.

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Mais, là encore, des tiraillements se font jour qui interdisent de percevoir une évolution strictement linéaire. Les cas que décrivent les archives judiciaires suggèrent des résistances à cette apologie du pardon. Le sens de l’honneur est si fort qu’il a du mal à se plier à des contraintes qui ne le laisseraient pas intact. Même Jean Gerson peut affirmer que le meurtre de celui qui tente de violer est justifié et, pour étayer son argumentation, il recourt aux arguments du talion : « Une femme peut-elle tuer ung homme qui la veult efforcier, et elle deffent sa chasteté ? Je tiens que ouy s’autrement n’y voit remede ; toutefois actrampance y est bonne. Et soit noté l’exemple de celle qui fist sang au prestre qui la vouloit baisier ; et le confesseur lui conseilla et charga que une autreffois elle lui creva l’ueil s’autrement ne s’en vouloit tenir. Une personne doit deffendre sa chasteté comme sa vie corporelle, et plus » 10. La virginité et la fidélité conjugale ne sont pas des contraintes imposées par Tordre politique, même si celui-ci en est devenu un ardent défenseur. Elles structurent la société qui en a fait des points d’honneur si bien qu’il lui est difficile d’obéir à un autre discours.

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La même pesanteur concerne la vengeance. En principe condamnée, son règlement est mis dans les mains des baillis que regardent les cas de « vengemens et contrevengemens »11. En fait, l’utilisation que peuvent en faire les amis charnels est acceptée par la Chancellerie. Exercée dans les limites de la parenté, elle n’est pas absente de l’argumentation des avocats au Parlement. Strictement liée à l’amour naturel, la vengeance reste encore reconnue. Un lien étroit entre le privé et le public se trouve ainsi juridiquement créé. Les deux domaines ne sont pas toujours clairement distingués. Cette confusion se poursuit jusque dans le domaine politique. La guerre

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menée par les princes se distingue encore mal de la vengeance, même si les théoriciens savent faire la différence. Il est possible que la guerre civile ait entretenu les esprits dans la confusion. La position d’Amiens après Azincourt, telle que la révèle la délibération de l’échevinage, montre bien l’ambiguïté qui subsiste encore à cette date dans l’opinion. La ville comprend que Jean sans Peur ne peut pas être favorable aux Anglais puisqu’il lui faut venger ses deux frères tués sur le champ de bataille 12. 12

Loin de contrecarrer les valeurs qui donnent un sens à l’honneur, la justice royale les exalte. Elle défend le couple, les enfants et la parenté, pour une société qui place là les valeurs essentielles. La voie est ouverte pour qu’un ordre moral s’établisse et que le public juge du privé. Le système qui se met en place pour dire le bien et le mal n’est pas totalement coercitif. Les voisins qui dénoncent le couple illégitime n’y sont pas réellement contraints. En dehors des mesures de représailles que révèlent les dénonciations, celles-ci cherchent à garantir des valeurs bafouées dont la répétition menace finalement l’ordre social.

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Dans ce jeu subtil où se conforte l’ordre culturel, le respect de la renommée et son utilisation sont essentiels. Valeur d’honneur, la renommée a aussi valeur juridique. On voit bien alors comment fonctionne le rapport entre le roi et les justiciables. La renommée ne peut se définir que dans des communautés relativement closes, même si elles sont par ailleurs ouvertes sur les échanges. Jouer sur la renommée revient à s’emparer de ce qui n’était que rumeur, transformer le bruit qui était sur toutes les lèvres, en une proclamation publique. C’est là, dans ce qui constitue le pays de connaissance, que la parole prend tout son sens. Comme le fait remarquer P. Zumthor, l’écrit a finalement moins de sens, à cette époque, pour désigner la réalité, que ces voix qui disent la réputation et définissent la renommée13. On peut objecter qu’elles sont évanescentes et que leur portée ne résiste pas à l’oubli de la mémoire. Le renouvellement de fait des lignages, dont les contraintes démographiques ont encore accru la rapidité en ces deux derniers siècles du Moyen Age, laisse supposer que cette contrainte n’est pas un obstacle. Certes, la renommée porte sur une strate d’une épaisseur assez mince. Il n’en reste pas moins qu’elle sert à définir le portrait de criminels potentiels, sans doute parce que, s’élevant au-delà des cas particuliers, elle est capable de définir les comportements en termes généraux. Même si on mesure mal ce que ces grandes catégories doivent à la réflexion religieuse et au développement du droit, la définition du bien et du mal affleure vite pour désigner les conduites particulières. Autant sans doute que l’appareil judiciaire mis en place par l’Etat, les relations du pays de connaissance ont servi de relais pour que justice soit faite.

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Si, comme nous le supposons, l’honneur est encore une valeur partagée par tous en ces deux derniers siècles du Moyen Age, il convient de nuancer considérablement les théories qui, à la suite de N. Elias, construisent la « civilisation des moeurs » sur la barbarie initiale d’un temps où régnait une violence instinctive et brutale 14. On ne peut pas davantage supposer que les groupes sociaux « ordinaires » ont développé leurs codes de vie en agissant par mimétisme, selon des modèles calqués sur les comportements de la noblesse15. La minorité nobiliaire est loin de présenter un idéal de vie correspondant aux valeurs fondamentales qui définissent l’honneur. L’image stéréotypée des hommes de guerre qui appartiennent souvent à la noblesse, les range dans un monde redoutable, susceptible au contraire d’inverser les valeurs consensuelles. Le rapt, le viol, le pillage sont les crimes d’un monde distinct dans lequel la société est loin de pouvoir puiser les modèles qu’elle condamne.

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En revanche, au fur et à mesure que l’organisation politique se développe, les nobles sont amenés à remplir, au sein de l’Etat, des charges administratives, judiciaires ou militaires et ils revendiquent un certain nombre de droits. L’honneur en est un, que la noblesse répugne à partager avec le vilain. L’épaisseur de la mémoire généalogique sert de support à une tradition qui transmet la renommée, l’enracine dans une terre et dans un sang. Alors s’amorce une différenciation dans le discours sur l’honneur. Celui-ci devient un capital réservé à une élite pour laquelle l’archaïsme de certaines pratiques fait la différence ; il en est ainsi des gages de duel, des rapts et des bâtards. Quant aux pratiques judiciaires nouvelles comme la torture, elles semblent réservées aux nonnobles. Les nobles échappent au commun qui se contente de la renommée et pour lequel la « prodhommie » a encore du mal à s’imposer.

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A l’époque qui nous intéresse, cette vertu est défendue par les autorités laïques ou ecclésiastiques qui en font l’idéal vers lequel doivent tendre tous les sujets, quelle que soit leur situation sociale. Mais on peut s’interroger sur les destinées du prud’homme. Dans quelle mesure son image n’a-t-elle pas éclaté pour ne plus être réservée qu’à l’élite des non-nobles ? Les soupçons de criminalité qui, dès la fin du Moyen Age, pèsent sur tous ceux qui occupent des fonctions considérées comme subalternes, laissent présager de cette évolution. L’honneur, on le voit, a toutes les raisons de se déliter pour être accaparé par un petit nombre, quand les clivages sociaux l’emportent sur les convergences culturelles. Mais de fortes pesanteurs freinent cette évolution. Les différenciations fondées sur l’âge et sur le sexe restent assez sensibles pour maintenir un code de valeurs commun. Ne confondons pas les siècles. Nous sommes encore à un moment où le modèle de cour n’est pas encore totalement en place. Il sert moins de moteur à la « civilisation des moeurs » que les modèles religieux et politiques qui font prendre corps aux valeurs dont la société a besoin pour assurer son ordre.

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Néanmoins, cette société vit désormais avec des horizons dilatés jusqu’aux frontières du royaume. Les populations sont confrontées au passage d’hommes d’armes aux visages inconnus tandis que les épidémies se répètent par vagues successives. Ainsi se développe la peur de l’autre, tandis que le mal prend un sens qui unit étroitement l’ordre biologique et l’ordre social. La peur, en soi, n’est pas une nouveauté : l’autre commence avec la communauté voisine et rivale, là où peut se faire l’échange des femmes. Mais des rituels, dont les jeunes sont souvent les fers de lance, servent à résoudre les conflits entre ces communautés voisines. Cette peur est apprivoisée, même si elle peut et doit renaître à la moindre incartade de l’un des membres du groupe. La violence et le crime que ces rivalités engendrent, sont finalement nécessaires à la survie sociale, et le mal se révèle, à long terme, bénéfique. La communauté en sort vivifiée dans sa cohésion et dans le respect du code qui unit ses membres, au-delà des différences d’intérêt. Ces formes de conflit n’ont pas disparu et les archives judiciaires en portent témoignage.

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Mais une autre forme de peur s’est propagée qui tient aux imaginaires d’une insécurité devenue collective. Les fantasmes qui structurent cet imaginaire, montrent bien l’unité de l’ordre culturel qui caractérise le royaume. Les boutements de feu, la profanation des églises, le viol des vierges et le sang versé par l’homicide sont inlassablement répétés. Cette hantise s’est dilatée jusqu’aux frontières où l’image s’exacerbe comme si, pour acquérir son identité, ce qu’on peut appeler la nation avait besoin d’être trempée par le crime. Certes le crime court réellement aux frontières, peut-être plus qu’ailleurs, parce que les mesures coercitives qui y sont prises en révèlent davantage l’ampleur,

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mais il est avant tout partie prenante du mythe fondateur. L’ordre est créé à partir du désordre et ce désordre se nourrit du crime16. 19

N’imaginons pas que ces lieux communs qui unissent le mal au crime, sont manipulés d’en haut par une puissance contraignante. Si en 1357, l’ordonnance de « réformation » définit la liste des crimes irrémissibles, elle le fait sous la pression de l’opinion 17. Si en 1418 les Parisiens massacrent les Armagnacs emprisonnés, ils agissent par haine, mais aussi pour éviter qu’une justice trop clémente puisse les libérer 18. Quant aux ordres donnés par l’Etat naissant contre ce qu’on peut appeler des victimes émissaires, qu’il s’agisse des juifs, des vagabonds, mais aussi des officiers prévaricateurs, ils rencontrent une parfaite adhésion de l’opinion. Rassurée et unie, elle se retrouve autour de son roi dont elle reconnaît la justice. Une parfaite adéquation unit donc les fantasmes collectifs et les mesures coercitives. Les deux mondes sont tellement liés que le crime de lèse-majesté a du mal, dans ses premières formulations, à se détacher des crimes « énormes ». Le rebelle est un criminel ordinaire et, pour le traîner jusqu’à la mort, il faut l’accuser de vol, de viol, d’hérésie, voire de sodomie.

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Cependant une évolution très nette se dessine. La hiérarchie des délits comme la nature des supplices montrent que la lèse-majesté acquiert sa vie propre entre 1350 et 1450 et que, vers cette date, la coupure est consommée. Ce crime se trouve différencié de tous les autres. En même temps, la condition sociale des responsables se précise : ce sont essentiellement des nobles. Ce type de crime concerne en priorité ceux pour qui le pouvoir est un enjeu ; les autres, simples sujets, sont désormais relégués à une certaine distance. Cette évolution est certainement liée à l’influence du droit romain qui donne les cadres normatifs. Elle repose aussi sur la façon dont se trouvent distribués les pouvoirs, tels qu’ils sont issus des transformations et des reclassements qui bouleversent la période. Le temps du dialogue et des initiatives individuelles prises pour assurer la défense du pays est passé. Des professionnels de la guerre et des offices, essentiellement des nobles, sont en place. Il leur revient en priorité de servir la majesté du roi mais aussi de la léser.

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Même si elles sont prises en relation étroite avec les besoins de l’opinion, et pour répondre à l’idée qu’un mal diffus s’est répandu dans le royaume, les mesures coercitives que l’Etat impose pour freiner la criminalité ont une histoire. Incontestablement, elles sont étroitement liées à la « réformation », et c’est la raison pour laquelle elles apparaissent dès le règne de saint Louis, et surtout sous celui de Philippe le Bel et des derniers capétiens qui, par de grands procès et des condamnations spectaculaires, soumettent le royaume à des purifications successives. Les ordonnances de réforme et le développement de la procédure extraordinaire étayent l’entreprise, par l’aveu des victimes émissaires. Le nombre des coupables condamnés à la peine de mort augmente.

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La peine de mort est au coeur du débat. En saisir l’importance quantitative à la fin du Moyen Age, pouvoir comparer les chiffres avec l’époque antérieure, permettrait d’en mesurer l’ampleur. Il faut y renoncer et l’aborder par d’autres biais, s’interroger sur l’impact que la peine de mort peut avoir sur les populations, et sur la façon dont elle est maniée par les autorités. Encore une fois, n’imaginons pas que l’application de la peine de mort est une mesure de terreur. Il est probable, comme en témoignent les mouvements d’une foule prête au lynchage que, pour les crimes les plus graves et en particulier les crimes de moeurs, la mort est naturellement revendiquée. Le supplice doit réparer un mal qui a offensé les valeurs collectives, et la punition exclut le

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coupable de la communauté. Qu’en est-il pour les autres crimes ? La vengeance suffit en suivant tous les degrés de ses manifestations, de la dérision à l’homicide 19. Quant aux autorités, elles développent un important système d’amendes. Finalement, le gibet colle seulement au larron dont il conviendrait de savoir quel type de criminel il représente aux XIe-XIIIe siècles. 23

L’héritage de la tradition judiciaire est certainement moins violent que le suggère la légende. On comprend mieux l’inscription vengeresse inscrite contre Pierre Rémy sur le bois neuf du gibet qu’il avait ordonné de construire à Paris : « En ce pillier icy emmy sera pendu Pierre Remy »20.

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L’étonnement devant l’exécution capitale est encore vif à la fin du siècle. Bétizac, s’il fait preuve d’une grande compétence pour faire composer les habitants du Languedoc, se trouve totalement désarmé devant la justice qui le condamne à mort, et il se fait prendre au piège d’une procédure qui le dépasse21. Les plaidoiries du Parlement montrent assez comment les juges qui ont décidé de la peine de mort doivent se justifier. Certes les sources ne révèlent qu’une petite partie des cas et, de préférence ceux qui mettent en jeu des conflits de juridiction. Néanmoins tous convergent pour définir les crimes énormes. Pour ceux-là seulement il peut y avoir condamnation à mort, mais l’idée s’impose que, pour ceux-là aussi, elle doit être accomplie.

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Cependant, les pratiques résistent et tous les crimes énormes ne conduisent pas à la mort. Alors entre en jeu la réflexion des théoriciens qui désignent les crimes irrémissibles. On les voit formulés pour la première fois en 1357, mais les mesures coercitives souhaitées par les ordonnances contre les malfaiteurs, comme les exécutions à grand spectacle, ont préparé cette décision sous les derniers Capétiens. Répétons-le : l’opinion n’est pas hostile. La prise de conscience du mal collectif que cristallisent la peste, la guerre, le Grand Schisme et la folie du roi n’est sans doute pas étrangère à cette position. L’opinion a besoin de sécurité pour éteindre des rumeurs dont elle n’est plus maîtresse. En retrouvant le mot scelus pour désigner le crime qui est aussi le mal, les humanistes traduisent en langage savant les angoisses d’une société qui a besoin d’être sûre que le crime sera châtié. Les crimes irrémissibles et la rigueur de justice sont des garanties apportées à la collectivité pour qu’elle échappe au mal. L’opinion, bouleversée par des transformations qui rendent l’avenir imprévisible, attend que ce mal se polarise sur des victimes émissaires et elle est prête à accepter les interprétations les plus simplifiantes.

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Ces principes sont cependant l’objet de débats. Les assemblées des états cautionnent des décisions de police, sans qu’il soit possible cependant de déceler quels groupes sociaux ont été les plus favorables à l’exercice d’une justice empreinte de rigueur 22. Le développement de la charge prévôtale à Paris, confiée à Hugues Aubriot, marque les progrès d’une institution, le Châtelet, responsable sans doute plus que le Parlement du développement de la procédure extraordinaire et de la peine de mort. D’abord anarchiques dans leur déroulement, les procès extraordinaires deviennent modèles sous la prévôté de Jean de Folleville et selon les principes des Marmousets. Les événements qui scandent la vie politique et religieuse n’ont pas pu freiner cette évolution.

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Paris et la justice parisienne sont au coeur de la répression puisque le pur et l’impur y ont valeur exemplaire. La charge de prévôt de Paris est bien devenue un enjeu essentiel à la fin du XIVe siècle. L’histoire des mesures judiciaires est liée au développement de

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cette charge et à la personnalité des hommes qui l’ont exercée. Au terme de cette évolution, le procureur du roi peut affirmer, en février 1411 au Parlement, que le prévôt doit être considéré comme le « general reformateur commis par le roy » 23. Il serait cependant inexact de limiter cette tâche au prévôt de Paris. Celui-ci se trouve puissamment aidé par les baillis et sénéchaux dont l'office s’enrichit d’un idéal purificateur, qui leur confie le soin de juger des clercs comme des laïcs, du profane comme du sacré24. 28

Les Marmousets écartés, les mesures destinées à limiter le crime ne s’estompent pas pour autant. L’ordonnance du 21 juin 1401 qui donne pouvoir au nouveau prévôt de Paris, Guillaume de Tignonville, de faire procès et justice de tous les malfaiteurs dans le royaume, reprend celle qui avait été édictée en 1389 pour Jean de Folleville 25. En avril 1402, il est interdit de libérer des prisonniers à Paris sans lettres patentes du roi. C’est dire que les lettres de bouche sont dénoncées. En même temps, la courbe des rémissions tend à s’effondrer26. Il faut que « justice soit accomplie » et les mesures sont signées par le duc de Berry et le duc d’Orléans. Au moment où commencent les premières échauffourées de la guerre civile, la « réformation » est un argument de propagande dans la bouche du duc de Bourgogne, mais elle est aux mains du duc d’Orléans27.

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Au Parlement, la réflexion autour de la peine de mort se poursuit. Elle devient un enjeu entre l’Eglise et l’Etat dans la mesure où celui-ci, fort de sa mission religieuse, n’exclut pas les clercs de la quête des criminels. On serait même tenté de dire, à plus forte raison les clercs, étant donné la mission qui leur est confiée et l’exemple qu’ils doivent donner. Si, comme le pensent Nicolas de Clamanges et Guillaume de Tignonville, la corruption de ceux qui ont la responsabilité du pouvoir s’étend comme une tache sur les sujets, il faut effectivement et efficacement enrayer le mal, à commencer par les reponsables religieux et politiques28.

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Face à cette tendance, deux critiques se font jour. La première, qui est en particulier celle de Jean Gerson, ne nie pas l’usage de la peine de mort, y compris contre les clercs. Au contraire, Gerson a tout fait, avec Philippe de Mézières, pour « domestiquer » religieusement l’exécution capitale. Mais ces théoriciens s’interrogent : pour quels crimes peut-on décider de la peine de mort ? Faut-il y inclure en particulier le vol ? Au nom de la loi divine, Jean Gerson dénie ce droit à la justice du roi. La peine capitale doit rester d’un usage limité, réservé à la punition des crimes contre le sacré, en particulier le blasphème29. Jean Gerson conserve une position traditionnelle qui lui fait rejoindre sur ce point, et à cette date, les positions du duc de Bourgogne.

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La seconde critique s’avère totalement hostile à l’ingérence de l’Etat dans les affaires de l’Eglise. Cette position est en fait politique. On ne peut qu’être frappé par la concomitance chronologique de procès qui, en 1408, décident d’imposer aux officiers royaux l’amende honorable qui consiste à dépendre des clercs considérés comme indûment pendus, même si les faits remontent à quelques années en arrière. Cette décision correspond au retour des Bourguignons au pouvoir. Elle vise un principe, la peine de mort, mais aussi des hommes. L’un d’entre eux, Guillaume de Tignonville, avait déjà subi en 1406 les assauts de l’Université, Gerson en tête, mais la protection du duc d’Orléans l’avait écarté d’un tel préjudice30. Le meurtre de la rue Barbette, le retour triomphant de Jean sans Peur le livrent désormais à la vindicte des Bourguignons. Il en est de même de Pierre de Mornay dit Gaulvet, sénéchal de Carcassonne, familier du duc d’Orléans que Simon de Cramaud n’arrive pas à faire condamner en 1403. Si, en 1408,

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l’ancien sénéchal est absent de l’arrêt qui condamne à une amende honorable spectaculaire le lieutenant du viguier et le notaire, officiers subalternes impliqués dans l’affaire, la procédure engagée se poursuit néanmoins à partir de 1411, par les soins du successeur de Simon de Cramaud à l’évêché de Carcassonne, Pierre Aymery 31. On ignore quelle a été l’issue du procès, mais le retour de Pierre de Momay comme sénéchal de Carcassonne, le 26 octobre 1414, signe son obédience armagnaque et le caractère politique du conflit. La peine de mort appliquée à tous, comme le développement de la police dans l’Etat font partie des affrontements idéologiques qui opposent les Armagnacs et les Bourguignons. 32

« Réformateur » dans les deux cas, cet idéal se sépare sur les moyens, mais il implique, du même coup, une conception différente de l’Etat. Pour les Armagnacs, cette purification passe par la traque systématique des membres corrompus, à commencer par les responsables politiques et religieux. Pour les Bourguignons, elle se nourrit d’un idéal passéiste qui fait des libertés un thème de propagande. Il suffit de quelques exécutions exemplaires pour que justice soit faite. Le meurtre de la me Barbette s’inscrit parfaitement dans cette conception qui laisse place à l’action privée. Au pouvoir, les Bourguignons ont transformé la rigueur de la justice et il faut attendre les décisions prises par Charles VII en 1438-1439 pour que le Châtelet retrouve une fonction coercitive concertée32.

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Quelle que soit la tendance qui prévaut, la justice criminelle ne se développe pas seulement par le biais des institutions judiciaires et du droit. Pour imposer sa loi du bien et du mal, même si cette loi correspond aux valeurs que la société souhaite voir défendues, l’Etat recourt à des rituels qui fondent son pouvoir de vie et son pouvoir de mort. Dans les deux cas, il constitue des boucs émissaires sur lesquels se cristallisent la joie de la délivrance ou la peur du supplice. Lors de ces cérémonies qui montrent le pouvoir aux yeux de tous, la foule unanime se retrouve, âges et sexes confondus. Ces rituels sont indispensables pour fonder le pouvoir coercitif, dans une société où l’honneur reste vif et où l’ordre peut encore être régulé en suivant d’autres formes que les contraintes légales, qu’il s’agisse de la place conférée aux âges, de l’opposition des sexes ou du recours à la paix. Ces rituels fondateurs permettent de saisir la nature sacrée d’un pouvoir qui reste encore fondé sur une nécessaire violence.

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Les transformations qui ont affecté l’Etat et la société pendant les deux derniers siècles du Moyen Age rencontrent donc un certain nombre de limites, tandis que s’amorcent des évolutions. L’idéal religieux qui consiste à faire taire la vengeance et à placer le véritable honneur dans la maîtrise de soi n’est encore qu’une ébauche. L’image du roi, père de son peuple dont les sujets sont tous frères, n’est aussi qu’une vision de moraliste33. Certes, les modèles de parenté ont contribué à définir la paix qui doit régner dans le royaume en étendant à l’ensemble des sujets les interdictions criminelles qui découlent du sang et de l’alliance. Mais ils ont vite trouvé leurs limites dans les clivages sociaux qui accentuent la différence entre les nobles et les non-nobles. Le « noble sang de France non reprouchié » n’est pas celui du peuple tout entier mais en premier lieu celui des princes, puis de la « noble chevalerie ». Pour Christine de Pizan et pour tous les réformateurs, seule cette chevalerie se doit de défendre « la couronne et la chose publique » au lieu de s’exaspérer en luttes fratricides 34. Les initiatives que la guerre et la vie politique avaient pu laisser au peuple sont vite étouffées et les modèles de sujétion se répartissent désormais selon les fonctions remplies dans le royaume.

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Mais sutout, l’exercice conjugué de la miséricorde et de la rigueur de justice opère la transformation du pouvoir royal. En même temps qu’il étend son droit de punir et de pardonner, le roi prend les distances de la majesté et une nouvelle hiérarchie des crimes s’esquisse. La lèse-majesté devient le crime le plus horrible, celui pour lequel sont inventés les spectacles raffinés des exécutions capitales 35. Le rituel de cour peut alors éclipser celui de la grâce, confinée à l’expression squelettique de crimes sans importance. Au milieu du XVe siècle, l’évolution est déjà sensible. Justice et Miséricorde, les deux filles de Dieu, se querellent dans le Mistere du Vieil testament, l’une réclamant une punition terrible, l’autre la douceur du pardon, mais il n’y a plus entre elles de véritable procès36. Au-delà se profile le rachat de l’humanité que Dieu a opéré par le sacrifice de son fils et dont le roi est devenu le garant sur terre. L’exécution des malfaiteurs se fait « pour l’exemple » et la décision de gracier « pour le plaisir », sans qu’il y ait tyrannie ni cruauté. A ce titre, Jean Juvenal des Ursins peut, sans rien cacher de l’horreur des crimes commis par le duc d’Alençon, exhorter Charles VII au pardon parce qu’il est « empereur en son royaume » et « vicaire du Christ » 37. Les temps forts de la pratique judiciaire, ceux du gouvernement des Marmousets comme des partisans du duc d’Orléans, soutenus par l’intense réflexion politique des théoriciens, ont porté leurs fruits : le pouvoir royal s’est affirmé comme religieux et souverain. L’ordre qui est aussi le salut du royaume, se trouve, pour l’essentiel, remis entre ses mains.

NOTES 1. Par exemple X la 9186, fol. 56v., octobre 1398 : Pourcelot Berchelot se défend d’avoir injurié le prévôt de Troyes avec qui il jouait aux dés en l’appelant « teste de cuivre » ; ce n’est pas une injure, prétend-il, « car on a accoustumé d’appeler au jeu un homme teste de fer ou d’acier quant on le voit de forte oppinion ». 2. Sur le rôle de la conformité dans les sociétés traditionnelles, G. BALANDIER, Anthropologiques, p. 174 et suiv. 3. La conception « mystique » de l’Etat souverain, ou indépendant de la société qui l’a engendré, est une abstraction commode, une fiction de philosophe qui ne peut pas satisfaire l’analyse historique. Elle a été néanmoins au coeur de l’anthropologie qui distingue nettement les sociétés avec ou sans Etat. Sur la limite de ces différents apports, G. BALANDIER, ibid., p. 149-150. 4. R. VERDIER, La vengeance..., t. l, p. 15-17. Sur l’application de cette régulation naturelle au cas médiéval français, P.J. GEARY, « Vivre en conflit... », p. 1107 et suiv. 5. La répétition de ces ordonnances traduit moins l’échec du pouvoir de l'Etat que son émergence, voir l’interprétration qu’en donne R. CAZELLES, « La réglementation royale... », p. 530 et suiv. 6. Le rituel de paix développé à Douai aux XI e -XIII e siècles est particulièrement significatif, G. ESPINAS, « Les guerres familiales... », p. 430-445. 7. Voir le dossier hagiographique rassemblé par H. PLATELLE, « La violence et ses remèdes... », p. 101 et suiv. 8. Y. CASTAN, « Exemplarité judiciaire... », p. 51-59. 9. Cité chapitre 18, n. 108 : exemplum rapporté par Philippe de Beaumanoir. 10. J. GERSON, Contre la luxure, Œuvres complètes, t. 7, p. 819.

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11. Par exemple X la 4789, fol. 496, juillet 1413, (bailliage d’Amiens). Le procès oppose le bailli à Jean de Bourbon qui réclame le cas comme seigneur haut-justicier. 12. Cité par É. MAUGIS, Documents..., t. 2, p. 70-71. 13. P. ZUMTHOR, La lettre et la voix..., p. 100, qui compare de façon suggestive la voix du droit à celle de la poésie, et p. 156 où l’auteur fait un sort à la fragilité de la mémoire humaine. 14. Voir en particulier « Les modifications de l’agressivité », N. ELIAS, La civilisation des moeurs, chapitre 7. 15. E. COHEN, « Violence Control... », p. 120. 16. Sur le développement de cette idée, R. GIRARD, Des choses cachées..., p. 185 et suiv., et G. BALANDIER, Le désordre, p. 117 et suiv. 17. Sur ce temps du dialogue, B. GUENÉE, L’Occident..., p. 251 et suiv. 18. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 104. 19. Un bel exemple de cette progression est donné par une affaire de viol commis dans le bailliage de Vermandois, X 2a 14, fol. 404, novembre 1407. La partie lésée demande réparation, mais l’auteur du viol et son frère répondent « haultainement et par derision montrerent le derriere » ; l’affaire est ensuite du ressort des « amis » des deux parties qui, de batailles en mutilations, en arrivent à la poursuite légale en justice. Autre exemple X 2a 12, fol. 236, juillet 1389. 20. Extraits d'une chronique anonyme finissant en 1380, p. 141. 21. J. FROISSART, Chroniques, Livre IV, chapitre 7. Chronique du religieux de Saint-Denys, t. 1, p. 627-629. 22. Sur cette théorie de la rigueur de justice débattue aux assemblées d’états du milieu du XIV e siècle, R. DELACHENAL, « Journal des Etats généraux... », p. 434. 23. X 2a 17, fol. 2v., février 1411. Le procès est un conflit de juridiction puisque le comte d’Alençon réclame un de ses sujets prisonnier au Châtelet et pris en « sa terre ». Sur le prévôt comme « réformateur », voir chapitre 5, n. 177. 24. On voit le bailli de Senlis s’enquérir du suivi des sermons à Compiègne et affirmer « en general que c’estoit maufait de faire tel tumulte et qu’il sembloist qu’il y eust geens qui ne tenissent compte de Dieu ne de la parole de Dieu », X la 4790, fol. 213, février 1415. 25. ORF, t. 8, p. 443, 21 juin 1401. 26. ORF, t. 8, p. 502-503, avril 1402. Sur l'effondrement du nombre de lettres au début du XV e siècle, voir tableau 3, chapitre 2. La chute démographique ne peut pas être prise en compte ; en tout cas, elle n’intervient pas après la Peste de 1348. 27. La réforme du royaume est, par conséquent, une notion ambiguë, et il ne convient pas de la limiter au « parti » bourguignon. 28. N. de CLAMANGES, « De lapsu... », Opera omnia, p. 52-53 ; R. EDER, Tignonvillana inedita, p. 1018. 29. Rappelons que le Diligite justiciam doit être daté de fin 1405, début 1406, voir chapitre 5, n. 165. Sur la punition réservée au blasphème, J. GERSON, A l'honneur de Dieu et ses glorieux saints, OEuvres complètes, t. 7, p. 4. Ce discours date de 1401. 30. X 2a 14, fol. 298-300v., janvier 1406. 31. E. MARTIN-CHABOT, « L’affaire des quatre clercs... », p. 238 et suiv. 32. ORF, t. 13, p. 295, décembre 1438. Pouvoir est donné au prévôt de Paris de faire pendre les malfaiteurs. La chronique de Jean de Roye permet de mesurer l’application de ces principes ainsi que la gestion assurée par Robert d’Estouteville. 33. A. VALLET DE VIRIVILLE, Advis..., p. 135. L’auteur lie l’exercice de la justice à la fraternité qui doit unir les sujets : « Que tout ainsi que lesdiz sains esperiz qui sont en Paradis continuelment exortent, advisent et adrecent les esperiz des hommes estans en ce monde, sans cesser pour leur salut acquerir, ainsi doyvent les rois et princes continuelment et diligemment garder justice et bien gouverner leurs subgiez, comme s’ilz estoient leurs prores enfans ou freres, car leurs freres sont ilz tous, venuz s’Adam, et en Paradis seront eulx freres en joye pardurable ».

876

34. Ch. de PIZAN, Lamentation..., R. Thomassy éd.. p. 142-143. Cette vision déjà nette en août 1410, lors de la rédaction de cet ouvrage, s’est encore accentuée après l'insurrection de 1413. 35. A. VALLET DE VIRIVILLE, Advis..., p. 148, paragr. 81 ; ORF, t. 13, p. 310, paragr. 29, novembre 1439. 36. Sur ce mystère composé au milieu du XV e siècle, Ch. MAZOUER, « Dieu, justice... », p. 53 et suiv. 37. J. JUVÉNAL DES URSINS, Ecrits politiques, p. 410-423.

877

Appendices

ANNEXE 1. VOCABULAIRE DE LA RÉMISSION Têtes d’index de la base Lettres de rémission 1380-1422 1

Chaque mot est classé par fréquence (verbe, nom, pronom, adjectif, adverbe). Seules les fréquences > 15 ont été retenues. Les mots-outils (articles, prépositions...) ont été éliminés de l’étude.

878

ANNEXE 2. RÉPERTOIRE ADMINISTRATIF DES LETTRES DE RÉMISSION CITÉES1 2

Agen (Sénéchal d’) :

3

JJ 130, 107, févr. 1387 : ch. 6, n. 21.

4

JJ 135, 267, avril 1389 : concl. 1re Partie, n. 2.

5

JJ 136, 107, août 1389 : ch. 6, n. 21.

6

JJ 150, 192, sept. 1396 : ch. 6, n. 23.

7

JJ 160, 243, mai 1406 : ch. 6, n. 21.

8

JJ 160, 268, mai 1406 : ch. 6, n. 21.

9

JJ 208, 21, déc. 1480 : ch. 13, n. 112.

10

Alençon (Bailli d') :

11

JJ 172, 609, janv. 1425 : ch. 10, n. 113.

12

Amiens (Bailli d') :

13

JJ 98, 33, nov. 1364 : ch. 11, n. 60.

14

JJ 98, 475, nov. 1365 : ch. 14, n. 105.

15

JJ 103, 236, oct. 1372 : ch. 17, n. 82 et 98.

16

JJ 107, 255, sept. 1375 : ch. 14, n. 119 ; ch. 17, n. 106.

17

JJ 107, 172, juil. 1375 : ch. 14, n. 98.

18

JJ 107, 185, juil. 1375 : ch. 7, n. 145 ; ch. 12, n. 135.

19

JJ 118, 72, nov. 1380 : ch. 15, n. 88.

879

20

JJ 120, 13, déc. 1381 : ch. 15, n. 40.

21

JJ 120, 23, déc. 1381 : ch. 3, n. 35 ; ch. 18, n. 198.

22

JJ 120, 39, janv. 1382 : ch. 15, n. 43.

23

JJ 120, 118, mars 1382 : ch. 15, n. 64 ; ch. 20, n. 4.

24

JJ 120, 130, févr. 1382 : ch. 10, n. 148.

25

JJ 120, 332, juin 1382 : ch. 6, n. 166.

26

JJ 120, 366, juin 1382 : ch. 14, n. 138.

27

JJ 127, 11, juil. 1385 : ch. 14, n. 117 ; ch. 15, n. 100.

28

JJ 127, 15, juin 1385 : ch. 6, n. 150, 154 et 207.

29

JJ 127, 27, juil. 1385 : ch. 15, n. 78.

30

JJ 127, 36, juil. 1385 : ch. 14, n. 161.

31

JJ 127, 44, juin 1385 : ch. 10, n. 86.

32

JJ 127, 73, juil. 1385 : ch. 17, n. 76.

33

JJ 127, 91, août 1385 : ch. 18, n. 143.

34

JJ 127, 91b, juil. 1385 : ch. 18, n. 102.

35

JJ 127, 96, juil. 1385 : ch. 9, n. 123.

36

JJ 127, 112, juin 1385 : ch. 17, n. 58.

37

JJ 127, 146, oct. 1385 : ch. 14, n. 151.

38

JJ 127, 147, oct. 1385 : ch. 15, n. 130.

39

JJ 127, 193, sept. 1385 : ch. 16, n. 108.

40

JJ 127, 220, nov. 1385 : ch. 18, n. 233.

41

JJ 127, 245, nov. 1385 : ch. 17, n. 101 et 108.

42

JJ 127, 266, déc. 1385 : ch. 16, n. 134.

43

JJ 127, 289, déc. 1385 : ch. 17, n. 54.

44

JJ 128, 26, janv. 1386 : ch. 19, n. 20.

45

JJ 128, 103, févr. 1386 : ch. 19, n. 24.

46

JJ 128, 172, mars 1386 : ch. 20, n. 145.

47

JJ 129, 23, juin 1386 : ch. 19, n. 140.

48

JJ 130, 271, juin 1387 : ch. 19, n. 91.

49

JJ 133, 9, juin 1388 : ch. 17, n. 88.

50

JJ 143, 153, sept. 1392 : ch. 13, n. 34.

51

JJ 143, 161, sept. 1392 : ch. 13, n. 34.

52

JJ 143, 175, oct. 1392 : ch. 19, n. 120.

53

JJ 150, 26, juil. 1396 : ch. 7, n. 43.

54

JJ 151, 2, nov. 1396 : ch. 9, n. 102 ; ch. 19, n. 131.

55

JJ 151, 23, oct. 1396 : ch. 20, n. 135.

56

JJ 151, 31, oct. 1396 : ch. 20, n. 135.

57

JJ 151, 208, avril 1397 : ch. 14, n. 92.

880

58

JJ 151, 212, avril 1397 : ch. 15, n. 101.

59

JJ 151, 230, avril 1397 : ch. 9, n. 135 ; ch. 19, n. 107.

60

JJ 151, 247, avril 1397 : ch. 19, n. 119.

61

JJ 155, 19, mai 1400 : ch. 14, n. 143 ; ch. 16, n. 10.

62

JJ 155, 28, juin 1400 : ch. 6, n. 82 ; ch. 18, n. 148.

63

JJ 155, 30, juin 1400 : ch. 13, n. 53.

64

JJ 155, 47, mai 1400 : ch. 8, n. 69 ; ch. 10, n. 76 ; ch. 18, n. 85.

65

JJ 155, 74, juil. 1400 : ch. 6, n. 172 ; ch. 14, n. 168.

66

JJ 155, 125, juin 1400 : ch. 9, n. 172.

67

JJ 155, 138, juin 1400 : ch. 6, n. 181 ; ch. 19, n. 108.

68

JJ 155, 179, août 1400 : ch. 16, n. 63.

69

JJ 155, 256, oct. 1400 : ch. 19, n. 135 ; ch. 20, n. 5.

70

JJ 155, 270, oct. 1400 : ch. 9, n. 51.

71

JJ 155, 273, oct. 1400 : ch. 19, n. 161.

72

JJ 155, 279, nov. 1400 : ch. 15, n. 66 ; ch. 16, n. 22.

73

JJ 155, 281, nov. 1400 : ch. 10, n. 80 ; ch. 18, n. 74.

74

JJ 155, 283, nov. 1400 : ch. 13, n. 154 ; ch. 19, n. 138.

75

JJ 160, 9, juin 1405 : ch. 4, n. 28.

76

JJ 160, 19, juin 1405 : ch. 7, n. 53 ; ch. 13, n. 138 ; ch. 14, n. 44.

77

JJ 160, 83, oct. 1405 : ch. 18, n. 194.

78

JJ 160, 95, nov. 1405 : ch. 14, n. 172 et 176.

79

JJ 160, 355, mai 1406 : ch. 17, n. 50.

80

JJ 160, 376, juin 1406 : ch. 19, n. 132.

81

JJ 165, 7, nov. 1410 : ch. 14, n. 152.

82

JJ 165, 19, déc. 1410 : ch. 14, n. 164.

83

JJ 165, 25, oct. 1410 : ch. 14, n. 139 ; ch. 19, n. 117.

84

JJ 165, 316, juin 1411 : ch. 16, n. 120.

85

JJ 165, 342, oct. 1411 : ch. 11, n. 99 ; ch. 15, n. 109.

86

JJ 168, 344, août 1415 : ch. 10, n. 22 ; ch. 13, n. 182.

87

JJ 169, 121, avril 1416 : ch. 15, n. 58 ; ch. 16, n. 60.

88

JJ 169, 131, mai 1416 : ch. 12, n. 60 ; ch. 15, n. 90.

89

JJ 169, 140, avril 1416 : ch. 14, n. 45 ; ch. 19, n. 120.

90

JJ 170, 163, juil. 1418 : ch. 16, n. 97.

91

JJ 172, 25, avril 1420 : ch. 7, n. 107.

92

JJ 172, 34, avril 1422 : ch. 9, n. 184.

93

JJ 183, 58, sans mois, 1455 : ch. 20, n. 181.

94

JJ 211, 74, mai 1483 : ch. 7, n. 124 ; ch. 11, n. 89.

95

JJ 211, 233, janv. 1485 : ch. 17, n. 143.

881

96

Angoulême (Sénéchal d') :

97

JJ 155, 107, juil. 1400 : ch. 17, n. 12.

98

Auvergne (Bailli des Montagnes d’) :

99

JJ 140, 284, juin 1391 : ch. 17, n. 10.

100

JJ 141, 34, juil. 1391 : ch. 5, n. 66 ; ch. 18, n. 138.

101

JJ 153, 17, janv. 1398 : ch. 14, n. 26.

102

JJ 155, 5, mai 1400 : ch. 11, n. 22 ; ch. 17, n. 31.

103

JJ 155, 49, juin 1400 : ch. 9, n. 54.

104

JJ 170, 9, fevr. 1418 : ch. 12, n. 67.

105

Auvergne (Sénéchal d’) :

106

JJ 98, 608, déc. 1365 : ch. 14, n. 103.

107

Beaucaire (Sénéchal de) :

108

JJ 123, 182, août 1384 : ch. 12, n. 161.

109

JJ 129, 31, juin 1386 : ch. 19, n. 144.

110

JJ 137, 108, janv. 1390 : ch. 5, n. 106.

111

JJ 140, 284, juin 1391 : ch. 17, n. 10.

112

JJ 144, 104, mai 1392 : ch. 6, n. 28.

113

JJ 155, 21, mai 1400 : ch. 16, n. 147 ; ch. 19, n. 130.

114

JJ 158, 450, juin 1404 : ch. 6, n. 29.

115

JJ 169, 69, fevr. 1416 : ch. 9, n. 116 ; ch. 20, n. 166.

116

JJ 181, 148, avril 1447 : ch. 19, n. 21.

117

Beauvaisis (Prévôt de)

118

JJ 98, 475, nov. 1365 : ch. 14, n. 105.

119

Berry (Bailli de) :

120

JJ 181, 118, juin 1452 : ch. 14, n. 47.

121

JJ 208, 20, déc. 1480 : ch. 10, n. 42, 45, 54, 57 et 60 ; ch. 13, n. 111.

122

JJ 211, 99, juil. 1485 : ch. 14, n. 96.

123

Béziers (Sénéchal de) :

124

JJ 164, 101, janv. 1410 : ch. 6, n. 33.

125

Bigorre (Sénéchal de) :

126

JJ 144, 334, mars 1392 : ch. 6, n. 29.

127

JJ 155, 284, nov. 1400 : ch. 12, n. 115.

128

JJ 165, 172, août 1411 : ch. 7, n. 26.

129

Caen (Bailli de) :

130

JJ 98, 550, juin 1365 : ch. 19, n. 141.

131

JJ 102, 223, nov. 1371 : ch. 12, n. 42.

132

JJ 103, 97, juin 1372 : ch. 17, n. 104.

133

JJ 127, 5, juin 1385 : ch. 7, n. 46 ; ch. 10, n. 77.

882

134

JJ 127, 12, avril 1385 : ch. 10, n. 27.

135

JJ 127, 235, août 1385 : ch. 16, n. 112.

136

JJ 127, 262, déc. 1385 : ch. 16, n. 82.

137

JJ 127, 277, nov. 1385 : ch. 18, n. 194.

138

JJ 128, 45, déc. 1385 : ch. 19, n. 82.

139

JJ 129, 103, août 1386 : ch. 19, n. 22.

140

JJ 130, 21, janv. 1387 : ch. 10, n. 81.

141

JJ 133, 22, juil. 1388 : ch. 17, n. 41.

142

JJ 143, 169, sept. 1392 : ch. 15, n. 21.

143

JJ 143, 182, oct. 1392 : ch. 15, n. 31 ; ch. 18, n. 160.

144

JJ 151, 214, avril 1397 : ch. 18, n. 171.

145

JJ 155, 10, mai 1400 : ch. 10, n. 69 et 72.

146

JJ 160, 184, janv. 1406 : ch. 19, n. 140.

147

JJ 160, 371, juin 1406 : ch. 8, n. 52.

148

JJ 160, 374, juin 1406 : ch. 7, n. 76 ; ch. 8, n. 45 ; ch. 15, n. 75.

149

JJ 169, 10, nov. 1415 : ch. 11, n. 70 ; ch. 13, n. 90 et 118.

150

JJ 169, 50, déc. 1415 : ch. 18, n. 197.

151

JJ 169, 57, janv. 1416 : ch. 16, n. 56.

152

JJ 169, 63, févr. 1416 : ch. 12, n. 83.

153

JJ 169, 141, avril 1416 : ch. 2, n. 54.

154

JJ 181, 64, avril 1452 : ch. 13, n. 110 et 116.

155

JJ 181, 167, août 1452 : ch. 13, n. 100.

156

Carcassonne (Sénéchal de) :

157

JJ 98, 395, mai 1365 : ch. 20, n. 156.

158

JJ 133, 51, juin 1388 : ch. 17, n. 100.

159

JJ 147, 29, janv. 1394 : ch. 6, n. 27.

160

JJ 152, 92, sept. 1397 : ch. 6, n. 23.

161

JJ 155, 122, avril 1400 : ch. 8, n. 48.

162

JJ 158, 307, mai 1404 : ch. 6, n. 32.

163

JJ 164, 97, janv. 1410 : ch. 6, n. 32.

164

JJ 169, 67, janv. 1416 : ch. 19, n. 72.

165

JJ 181, 148, avril 1447 : ch. 19, n. 21.

166

JJ 208, 53, janv. 1481 : ch. 20, n. 175.

167

Caux (Bailli de) :

168

JJ 98, 264, août 1365 : ch. 15, n. 96.

169

JJ 98, 312, juin 1365 : ch. 14, n. 93.

170

JJ 98, 479, nov. 1365 : ch. 9, n. 181 ; ch. 13, n. 137.

171

JJ 98, 589, sept. 1365 : ch. 12, n. 128.

883

172

JJ 120, 101, févr. 1382 : ch. 10, n. 62.

173

JJ 120, 104, févr. 1382 : ch. 15, n. 47.

174

JJ 127, 128, sept. 1385 : ch. 19, n. 28.

175

JJ 127, 252, oct. 1385 : ch. 15, n. 108.

176

JJ 129, 249, nov. 1386 : ch. 16, n. 119.

177

JJ 155, 27, juin 1400 : ch. 10, n. 93.

178

JJ 155, 114, juin 1400 : ch. 10, n. 73 ; ch. 16, n. 28.

179

JJ 160, 35, juil. 1405 : ch. 11, n. 85 ; ch. 13, n. 131.

180

JJ 160, 65, août 1405 : ch. 16, n. 110.

181

JJ 160, 357, janv. 1406 : ch. 8, n. 89.

182

JJ 165, 6, nov. 1410 : ch. 14, n. 140.

183

JJ 165, 200, juin 1411 : ch. 7, n. 96 ; ch. 20, n. 166.

184

JJ 165, 345, nov. 1411 : ch. 6, n. 198.

185

JJ 169, 25, janv. 1416 : ch. 12, n. 62 ; ch. 15, n. 102.

186

JJ 169, 101, juil. 1416 : ch. 12, n. 60.

187

JJ 169, 107, juin 1416 : ch. 12, n. 93.

188

JJ 211, 113, sans date : ch. 11, n. 67 ; ch. 14, n. 86.

189

Chartres (Bailli de) :

190

JJ 107, 327, août 1375 : ch. 18, n. 120.

191

JJ 120, 106, févr. 1382 : ch. 9, n. 85.

192

JJ 120, 367, juin 1382 : ch. 19, n. 114.

193

JJ 127, 45, sans mois, 1385 : ch. 16, n. 26.

194

JJ 127, 61, juil. 1385 : ch. 19, n. 147.

195

JJ 127, 84, août 1385 : ch. 12, n. 66.

196

JJ 127, 125, sept. 1385 : ch. 9, n. 87 ; ch. 14, n. 183.

197

JJ 127, 190, oct. 1385 : ch. 19, n. 169.

198

JJ 127, 209, nov. 1385 : ch. 17, n. 120.

199

JJ 143, 156, sept. 1392 : ch. 17, n. 115.

200

JJ 143, 171, sept. 1392 : ch. 9, n. 59.

201

JJ 150, 34, juin 1396 : ch. 7, n. 67.

202

JJ 151, 16, janv. 1397 : ch. 6, n. 170.

203

JJ 151, 34, janv. 1397 : ch. 2, n. 32.

204

JJ 151, 206, févr. 1397 : ch. 16, n. 50.

205

JJ 155, 37, juin 1400 : ch. 11, n. 4.

206

JJ 155, 123, juin 1400 : ch. 6, n. 163.

207

JJ 155, 252, oct. 1400 : ch. 6, n. 202.

208

JJ 155, 253, oct. 1400 : ch. 16, n. 121.

209

JJ 155, 268, sept. 1400 : ch. 16, n. 116.

884

210

JJ 160, 63, juillet 1405 : ch. 11, n. 98.

211

JJ 160, 96, nov. 1405 : ch. 6, n. 206 ; ch. 7, n. 73 ; ch. 13, n. 161 ; ch. 14, n. 172.

212

JJ 160, 151, déc. 1405 : ch. 18, n. 59.

213

JJ 160, 358, juin 1406 : ch. 13, n. 93 ; ch. 14, n. 175.

214

JJ 160, 372, juin 1406 : ch. 4, n. 131 ; ch. 7, n. 77 ; ch. 8, n. 44 ; ch. 10, n. 32 ; ch. 13, n. 105.

215

JJ 160, 436, juil. 1406 : ch. 6, n. 183.

216

JJ 165, 38, janv. 1411 : ch. 9, n. 93.

217

JJ 165, 164 à 168, sept. 1411 : ch. 18, n. 190.

218

JJ 165, 179, août 1411 : ch. 15, n. 20.

219

JJ 165, 304, mai 1411 : ch. 8, n. 105.

220

JJ 165, 310, mai 1411 : ch. 12, n. 6.

221

JJ 169, 16, nov. 1415 : ch. 16, n. 90 ; ch. 19, n. 166.

222

JJ 169, 75, janv. 1416 : ch. 8, n. 73 ; ch. 16, n. 100.

223

JJ 169, 122, juil. 1416 : ch. 15, n. 77.

224

JJ 169, 154, mai 1416 : ch. 7, n. 38 ; ch. 19, n. 84.

225

JJ 169, 178, mars 1416 : ch. 12, n. 96.

226

JJ 169, 180, juil. 1416 : ch. 15, n. 39.

227

JJ 208, 239, juin 1482 : ch. 14, n. 130.

228

JJ 211, 229, janv. 1485 : ch. 9, n. 66.

229

Chaumont (Bailli de) :

230

JJ 118, 30, nov. 1380 : ch. 2, n. 50 ; ch. 16, n. 17.

231

JJ 120, 116, févr. 1382 : ch. 6, n. 79 ; ch. 16, n. 129.

232

JJ 127, 97, juil. 1385 : ch. 17, n. 115.

233

JJ 127, 110, sept. 1385 : ch. 15, n. 65 ; ch. 16, n. 82.

234

JJ 127, 273, oct. 1385 : ch. 15, n. 80.

235

JJ 129, 148, juil. 1386 : ch. 19, n. 18.

236

JJ 129, 177, juil. 1386 : ch. 19, n. 23.

237

JJ 129, 192, oct. 1386 : ch. 19, n. 31.

238

JJ 133, 190, sept. 1388 : ch. 10, n. 32.

239

JJ 143, 97, août. 1392 : ch. 15, n. 96.

240

JJ 155, 45, avril 1400 : ch. 14, n. 66.

241

JJ 155, 271, oct. 1400 : ch. 13, n. 152.

242

JJ 160, 381, juil. 1406 : ch. 13, n. 18.

243

JJ 167, 23, fevr. 1413 : ch. 6, n. 40.

244

JJ 169, 187, août 1416 : ch. 6, n. 165.

245

JJ 172, 36, avril 1422 : ch. 7, n. 93 et 142.

246

JJ 211, 19, sans mois, 1483 : ch. 9, n. 63.

247

Cotentin (Bailli de) :

885

248

JJ 118, 89, nov. 1380 : ch. 16, n. 89.

249

JJ 122, 62, janv. 1383 : ch. 11, n. 114.

250

JJ 127, 26, juil. 1385 : ch. 7, n. 52 ; ch. 10, n. 138 ; ch. 11, n. 33.

251

JJ 127, 212, nov. 1385 : ch. 18, n. 192.

252

JJ 127, 256, déc. 1385 : ch. 12, n. 82.

253

JJ 128, 6, janv. 1386 : ch. 19, n. 32.

254

JJ 128, 287, mars 1386 : ch. 19, n. 15.

255

JJ 129, 38, sans date : ch. 2, n. 72.

256

JJ 132, 191, avril 1388 : ch. 4, n. 118.

257

JJ 143, 162, sept. 1392 : ch. 7, n. 69.

258

JJ 143, 198, oct. 1392 : ch. 18, n. 126.

259

JJ 155, 2, avril 1400 : ch. 7, n. 111.

260

JJ 155, 119, juil. 1400 : ch. 17, n. 105.

261

JJ 155, 208, sept. 1400 : ch. 10, n. 35.

262

JJ 165, 183, sept. 1411 : ch. 15, n. 25.

263

JJ 169, 10, nov. 1415 : ch. 11, n. 70 ; ch. 13, n. 90 et 118.

264

JJ 169, 81, févr. 1416 : ch. 17, n. 66.

265

JJ 169, 82, févr. 1416 : ch. 9, n. 90 ; ch. 15, n. 34 et 51.

266

JJ 181, 227, janv. 1453 : ch. 19, n. 159.

267

JJ 181, 247, mars 1453 : ch. 12, n. 117.

268

Dauphiné (Gouverneur du) :

269

JJ 207, 113, juil. 1481 : ch. 13, n. 92, 133 et 160.

270

JJ 208, 242, sept. 1482 : ch. 10, n. 42, 54 et 60.

271

Dreux (Bailli de) :

272

JJ 128, 76, févr. 1386 : ch. 19, n. 21.

273

JJ 151, 210, avril 1397 : ch. 6, n. 162.

274

JJ 155, 39, mai 1400 : ch. 9, n. 154.

275

Evreux (Bailli d’) :

276

JJ 150, 12, juil. 1396 : ch. 11, n. 47 ; ch. 12, n. 119.

277

JJ 160, 169, janv. 1406 : ch. 15, n. 42.

278

JJ 160, 191, janv. 1406 : ch. 6, n. 156 ; ch. 9, n. 155 ; ch. 18, n. 140.

279

JJ 165, 321, sept. 1410 : ch. 6, n. 203 ; ch. 16, n. 132.

280

JJ 169, 133, mai 1416 : ch. 19, n. 110.

281

JJ 181, 69, avril 1452 : ch. 13, n. 52.

282

JJ 181, 153, juin 1452 : ch. 12, n. 36.

283

JJ 211, 27, oct. 1483 : ch. 13, n. 50.

284

Gisors (Bailli de) :

285

JJ 107, 290, oct. 1375 : ch. 7, n. 128 ; ch. 13, n. 83 ; ch. 16, n. 84.

886

286

JJ 129, 280, déc. 1386 : ch. 11, n. 88.

287

JJ 160, 55, sept. 1405 : ch. 6, n. 89 ; ch. 9, n. 110.

288

JJ 160, 384, juil. 1406 : ch. 16, n. 22.

289

JJ 169, 3, oct. 1415 : ch. 13, n. 119 et 123.

290

JJ 169, 161, mai 1416 : ch. 6, n. 87.

291

JJ 172, 597, oct. 1424 : ch. 10, n. 113.

292

JJ 181, 69, avril 1452 : ch. 13, n. 52.

293

Guyenne (Sénéchal de) :

294

JJ 208, 149, janv. 1481 : ch. 14, n. 123.

295

Languedoc (Sénéchal de) :

296

JJ 208, 106, sept. 1480 : ch. 11, n. 41.

297

Laon (Prévôt de) :

298

JJ 98, 539, juin 1365 : ch. 12, n. 92 et 100.

299

Lille (Bailli de) :

300

JJ 98, 480, déc. 1365 : ch. 17, n. 113.

301

Limousin (Sénéchal de) :

302

JJ 143, 164, août 1392 : ch. 18, n. 191.

303

JJ 151, 207, juil. 1396 : ch. 17, n. 16.

304

JJ 155, 36, juin 1400 : ch. 11, n. 3.

305

JJ 160, 378, juin 1406 : ch. 18, n. 54.

306

JJ 165, 195, août 1411 : ch. 12, n. 79 et 107 ; ch. 19, n. 120.

307

JJ 169, 204, févr. 1416 : ch. 16, n. 48 ; ch. 19, n. 160.

308

JJ 181, 226, janv. 1453 : ch. 14, n. 47.

309

JJ 208, 44, janv. 1481 : ch. 11, n. 119.

310

JJ 208, 212, févr. 1483 : ch. 20, n. 178.

311

JJ 211, 111, sans date : ch. 17, n. 26 et 80.

312

Lyon (Bailli de) :

313

JJ 182, 32, janv. 1454 : ch. 10, n. 45.

314

Mâcon (Bailli de) :

315

JJ 118, 55, nov. 1380 : ch. 2, n. 50 ; ch. 19, n. 32.

316

JJ 127, 135, oct. 1385 : ch. 18, n. 196.

317

JJ 127, 171, oct. 1385 : ch. 15, n. 4.

318

JJ 133, 1, juin 1388 : ch. 9, n. 169.

319

JJ 150, 16, juil. 1396 : ch. 13, n. 136.

320

JJ 151, 234, avril 1397 : ch. 17, n. 50.

321

JJ 155, 11, mai 1400 : ch. 14, n. 67 ; ch. 16, n. 15 ; ch. 19, n. 164.

322

JJ 155, 444, mars 1401 : ch. 9, n. 53.

323

JJ 160, 153, déc. 1405 : ch. 9, n. 107 ; ch. 16, n. 9.

887

324

JJ 160, 435, juil. 1406 : ch. 8, n. 43.

325

JJ 165, 35, janv. 1411 : ch. 6, n. 150 ; ch. 9, n. 84 et 96 ; ch. 19, n. 116.

326

JJ 165, 42, févr. 1411 : ch. 3, n. 35 ; ch. 16, n. 60.

327

JJ 165, 175, août 1411 : ch. 16, n. 4 ; ch. 19, n. 91.

328

JJ 165, 196, août 1411 : ch. 10, n. 89 ; ch. 14, n. 40 ; ch. 17, n. 77

329

JJ 169, 33b, déc. 1415 : ch. 14, n. 163.

330

JJ 169, 38, déc. 1415 : ch. 15, n. 113.

331

JJ 169, 44, janv. 1416 : ch. 12, n. 60.

332

JJ 169, 79, févr. 1416 : ch. 12, n. 61.

333

JJ 169, 134, mai 1416 : ch. 9, n. 126 et 140.

334

JJ 169, 182, août 1416 : ch. 12, n. 61.

335

JJ 169, 189, août 1416 : ch. 15, n. 61.

336

JJ 172, 5, févr. 1420 : ch. 14, n. 59.

337

JJ 172, 10, mars 1420 : ch. 16, n. 63.

338

JJ 172, 28, avril 1420 : ch. 15, n. 158 ; ch. 17, n. 23.

339

JJ 172, 32, avril 1420 : ch. 12, n. 42.

340

JJ 181, 172, août 1452 : ch. 19, n. 152.

341

JJ 181, 214, déc. 1452 : ch. 12, n. 23.

342

Maine (Sénéchal du)

343

JJ 211, 197, sans mois, 1484 : ch. 10, n. 139.

344

Mantes (Bailli de) :

345

JJ 98, 85, nov. 1364 : ch. 11, n. 61.

346

JJ 102, 95, mai 1371 : ch. 17, n. 143.

347

JJ 107, 34, mai 1364 : ch. 9, n. 177.

348

JJ 127, 70, juil. 1385 : ch. 19, n. 100.

349

JJ 127, 254, nov. 1385 : ch. 9, n. 120.

350

JJ 169, 49, janv. 1416 : ch. 14, n. 100.

351

Meaux (Bailli de) :

352

JJ 107, 271, sept. 1375 : ch. 11, n. 32 ; ch. 13, n. 140.

353

JJ 118, 91, nov. 1380 : ch. 16, n. 74.

354

JJ 120, 31, nov. 1381 : ch. 10, n. 89.

355

JJ 120, 337, juin 1382 : ch. 17, n. 11.

356

JJ 127, 115, sept. 1385 : ch. 18, n. 79.

357

JJ 127, 240, nov. 1385 : ch. 12, n. 25.

358

JJ 130, 247, mai 1387 : ch. 18, n. 145.

359

JJ 133, 3, juil. 1388 : ch. 8, n. 33.

360

JJ 151, 241, mars 1397 : ch. 8, n. 47.

361

JJ 160, 40, août 1405 : ch. 16, n. 67.

888

362

JJ 207, 50, févr. 1481 : ch. 10, n. 46.

363

JJ 211, 28, oct. 1483 : ch. 9, n. 54.

364

Melun (Bailli de) :

365

JJ 107, 251, sept. 1375 : ch. 11, n. 46.

366

JJ 118, 33, nov. 1380 : ch. 11, n. 71 et 123 ; ch. 19, n. 145.

367

JJ 127, 105, sept. 1385 : ch. 12, n. 154 ; ch. 19, n. 82.

368

JJ 127, 112, sept. 1385 : ch. 13, n. 122.

369

JJ 127, 219, nov. 1385 : ch. 19, n. 152.

370

JJ 128, 49, janv. 1386 : ch. 9, n. 86.

371

JJ 133, 12, juil. 1388 : ch. 12, n. 66.

372

JJ 155, 130, juin 1400 : ch. 9, n. 144.

373

JJ 169, 88, janv. 1416 : ch. 9, n. 95.

374

JJ 207, 50, févr. 1481 : ch. 10, n. 46.

375

Montargis et Cepoy (Bailli de) :

376

JJ 143, 163, sept. 1392 : ch. 6, n. 88 et 204.

377

JJ 151, 20, déc. 1396 : ch. 8, n. 46 ; ch. 19, n. 105.

378

JJ 151, 229, avril 1397 : ch. 15, n. 32.

379

JJ 160, 359, juin 1406 : ch. 8, n. 37.

380

JJ 169, 60, janv. 1416 : ch. 12, n. 68.

381

JJ 169, 84, janv. 1416 : ch. 12, n. 68 et 95 ; ch. 19, n. 67 et 115.

382

JJ 169, 139, juil. 1416 : ch. 16, n. 154.

383

JJ 169, 165, juin 1416 : ch. 12, n. 97 ; ch. 13, n. 55 ; ch. 15, n. 81.

384

JJ 169, 205, mars 1416 : ch. 16, n. 154.

385

JJ 181, 216, janv. 1453 : ch. 9, n. 142.

386

JJ 182, 75, avril 1454 : ch. 20, n. 164.

387

JJ 208, 126, août 1480 : ch. 11, n. 5.

388

JJ 208, 239, juin 1482 : ch. 14, n. 130.

389

Montdidier (Prévôt de) :

390

JJ 150, 5, juin 1396 : ch. 15, n. 156.

391

Montferrand (Bailli de) :

392

JJ 208, 22, nov. 1480 : ch. 14, n. 126.

393

JJ 211, 425, avril 1484 : ch. 10, n. 58.

394

Montlhéry (Bailli de) :

395

JJ 127, 243, nov. 1385 : ch. 19, n. 153.

396

JJ 130, 272, mai 1387 : ch. 19, n. 172.

397

Nemours (Bailli du duché de) :

398

JJ 160, 163, janv. 1406 : ch. 8, n. 43.

399

Nogent-le-Roi (Bailli de) :

889

400

JJ 151, 210, avril 1397 : ch. 6, n. 162.

401

JJ 151, 237, avril 1397 : ch. 6, n. 160 ; ch. 15, n. 42.

402

Orbec (Bailli d’) :

403

JJ 127, 114, sept. 1385 : ch. 8, n. 73.

404

JJ 127, 291, nov. 1385 : ch. 12, n. 131 ; ch. 16, n. 102 ; ch. 19, n. 174 ; ch. 20, n. 146.

405

JJ 208, 10, déc. 1480 : ch. 14, n. 106 ; ch. 20, n. 118.

406

Orléans (Bailli d’) :

407

JJ 107, 368, dec. 1375 : ch. 17, n. 126.

408

JJ 120, 35, janv. 1382 : ch. 16, n. 5.

409

JJ 120, 103, févr. 1382 : ch. 13, n. 120 ; ch. 14, n. 38.

410

JJ 120, 334, juin 1382 : ch. 15, n. 106.

411

JJ 126, 73, fevr. 1385 : ch. 18, n. 223.

412

JJ 127, 48, juin 1385 : ch. 13, n. 89.

413

JJ 127, 68, juil. 1385 : ch. 20, n. 180.

414

JJ 127, 87, août 1385 : ch. 13, n. 151.

415

JJ 127, 122, sept. 1385 : ch. 15, n. 95.

416

JJ 127, 278, déc. 1385 : ch. 19, n. 97.

417

JJ 127, 285, nov. 1385 : ch. 14, n. 135.

418

JJ 129, 247, déc. 1386 : ch. 18, n. 224.

419

JJ 130, 180, avril 1387 : ch. 19, n. 85.

420

JJ 130, 182, mai 1387 : ch. 19, n. 131.

421

JJ 130, 204, avril 1387 : ch. 6, n. 178 ; ch. 9, n. 104.

422

JJ 133, 25, juil. 1388 : ch. 8, n. 31.

423

JJ 143, 163, sept. 1392 : ch. 6, n. 88 et 204.

424

Orléans (bailli des exemptions du duché d’) :

425

JJ 151, 27, janv. 1397 : ch. 13, n. 151.

426

JJ 151, 229, avril 1397 : ch. 15, n. 32.

427

Paris (Prévôt de) :

428

JJ 98, 24, déc. 1364 : ch. 11, n. 63.

429

JJ 98, 167, mars 1365 : ch. 19, n. 34.

430

JJ 98, 374, avril 1365 : ch. 19, n. 163.

431

JJ 98, 413, juil. 1365 : ch. 11, n. 59 ; ch. 13, n. 17.

432

JJ 103, 33, févr. 1372 : ch. 12, n. 43.

433

JJ 103, 190, sept. 1372 : ch. 12, n. 91, 110 et 112.

434

JJ 107, 3, mai 1375 : ch. 7, n. 119.

435

JJ 107, 65, mai 1375 : ch. 16, n. 62.

436

JJ 107, 173, juil. 1375 : ch. 14, n. 112.

437

JJ 118, 18, oct. 1380 : ch. 8, n. 93 ; ch. 10, n. 22 ; ch. 14, n. 156 et 185.

890

438

JJ 118, 50, nov. 1380 : ch. 6, n. 133.

439

JJ 118, 68, nov. 1380 : ch. 6, n. 129 ; ch. 16, n. 69 et 153 ; ch. 20, n. 132.

440

JJ 118, 71, nov. 1380 : ch. 6, n. 138.

441

JJ 118, 81, nov. 1380 : ch. 6, n. 165.

442

JJ 120, 1, avril 1381 : ch. 3, n. 35 ; ch. 10, n. 94.

443

JJ 120, 5, janv. 1382 : ch. 18, n. 127.

444

JJ 120, 24, janv. 1382 : ch. 10, n. 26 ; ch. 16, n. 123.

445

JJ 120, 25, nov. 1381 : ch. 6, n. 150 ; ch. 15, n. 45.

446

JJ 120, 102, févr. 1382 : ch. 13, n. 142.

447

JJ 120, 105, févr. 1382 : ch. 8, n. 50.

448

JJ 120, 336, juin 1382 : ch. 6, n. 134 ; ch. 17, n. 61 ; ch. 19, n. 122.

449

JJ 120, 350, juin 1382 : ch. 9, n. 18.

450

JJ 120, 353, juin 1382 : ch. 19, n. 82.

451

JJ 120, 356, juin 1382 : ch. 13, n. 9.

452

JJ 120, 359, juin 1382 : ch. 9, n. 18.

453

JJ 127, 29, juil. 1385 : ch. 3, n. 35.

454

JJ 127, 39, juil. 1385 : ch. 8, n. 36 ; ch. 14, n. 88.

455

JJ 127, 50, juil. 1385 : ch. 6, n. 133.

456

JJ 127, 65, juil. 1385 : ch. 19, n. 82.

457

JJ 127, 72, juil. 1385 : ch. 20, n. 4.

458

JJ 127, 105, sept. 1385 : ch. 12, n. 154 ; ch. 19, n. 82.

459

JJ 127, 134, oct. 1385 : ch. 11, n. 53.

460

JJ 127, 142, oct. 1385 : ch. 13, n. 148.

461

JJ 127, 143, sept. 1385 : ch. 9, n. 82 et 160.

462

JJ 127, 175, oct. 1385 : ch. 10, n. 4 ; ch. 13, n. 57.

463

JJ 127, 198, nov. 1385 : ch. 10, n. 14.

464

JJ 127, 208, oct. 1385 : ch. 10, n. 159.

465

JJ 127, 269, déc. 1385 : ch. 6, n. 133 ; ch. 10, n. 100.

466

JJ 128, 73, févr. 1386 : ch. 7, n. 145.

467

JJ 129, 108, févr. 1386 : ch. 19, n. 24.

468

JJ 129, 88, juil. 1386 : ch. 18, n. 85 ; ch. 19, n. 164.

469

JJ 129, 128, août 1386 : ch. 19, n. 24.

470

JJ 130, 121, janv. 1387 : ch. 16, n. 101.

471

JJ 130, 196, avril 1387 : ch. 7, n. 3.

472

JJ 130, 272, mai 1387 : ch. 19, n. 172.

473

JJ 133, 10, juil. 1388 : ch. 6, n. 134 ; ch. 9, n. 61.

474

JJ 143, 94, août 1392 : ch. 11, n. 51.

475

JJ 143, 118, avril 1392 : ch. 15, n. 92.

891

476

JJ 143, 150, sept. 1392 : ch. 20, n. 176.

477

JJ 143, 181, sept. 1392 : ch. 6, n. 144.

478

JJ 143, 185, sept. 1392 : ch. 18, n. 162.

479

JJ 149, 115, mars 1396 : ch. 18, n. 201.

480

JJ 150, 37, juil. 1396 : ch. 16, n. 82.

481

JJ 150, 65, juil. 1396 : ch. 8, n. 7 ; ch. 11, n. 45.

482

JJ 151, 9, déc. 1396 : ch. 7, n. 33 ; ch. 18, n. 135.

483

JJ 151, 28, déc. 1396 : ch. 13, n. 13.

484

JJ 151, 204, mars 1397 : ch. 6, n. 145.

485

JJ 151, 217, avril 1397 : ch. 11, n. 113.

486

JJ 151, 222, avril 1397 : ch. 6, n. 133.

487

JJ 151, 235, avril 1397 : ch. 7, n. 109 ; ch. 15, n. 91.

488

JJ 151, 240, avril 1397 : ch. 9, n. 152.

489

JJ 155, 34, juin 1400 : ch. 11, n. 75 ; ch. 13, n. 77.

490

JJ 155, 49, juin 1400 : ch. 11, n. 83.

491

JJ 155, 169, août 1400 : ch. 15, n. 33.

492

JJ 155, 239, oct. 1400 : ch. 2, n. 50.

493

JJ 155, 265, oct. 1400 : ch. 6, n. 201 ; ch. 11, n. 30.

494

JJ 155, 275, oct. 1400 : ch. 14, n. 39.

495

JJ 155, 282, nov. 1400 : ch. 20, n. 166.

496

JJ 155, 424, févr. 1401 : ch. 10, n. 83.

497

JJ 160, 5, juin 1405 : ch. 18, n. 145.

498

JJ 160, 22, juil. 1405 : ch. 8, n. 59 et 75 ; ch. 10, n. 95.

499

JJ 160, 27, juil. 1405 : ch. 7, n. 116 ; ch ; 13, n. 23.

500

JJ 160, 88, oct. 1405 : ch. 6, n. 135 ; ch. 19, n. 173.

501

JJ 160, 168, janv. 1406 : ch. 9, n. 138.

502

JJ 160, 180, janv. 1406 : ch. 6, n. 138.

503

JJ 160, 182, janv. 1406 : ch. 6, n. 145 ; ch. 9, n. 154.

504

JJ 160, 188, déc. 1405 : ch. 20, n. 171.

505

JJ 160, 375, juil. 1406 : ch. 19, n. 168.

506

JJ 160, 377, juin 1406 : ch. 9, n. 139.

507

JJ 160, 440, août 1406 : ch. 9, n. 60.

508

JJ 165, 8, nov. 1410 : ch. 8, n. 90 ; ch. 14, n. 8.

509

JJ 165, 31, oct. 1410 : ch. 6, n. 133.

510

JJ 165, 44, sept. 1410 : ch. 6, n. 145.

511

JJ 165, 47, févr. 1411 : ch. 19, n. 100.

512

JJ 165, 176, août 1411 : ch. 6, n. 137.

513

JJ 165, 193, août 1411 : ch. 12, n. 101.

892

514

JJ 165, 300, juil. 1411 : ch. 15, n. 52.

515

JJ 165, 311, mai 1411 : ch. 6, n. 138 ; ch. 9, n. 100.

516

JJ 165, 315, juin 1411 : ch. 6, n. 111, 138 et 186 ; ch. 13, n. 12.

517

JJ 165, 344, oct. 1410 : ch. 6, n. 145.

518

JJ 169, 26, déc. 1415 : ch. 6, n. 157 ; ch. 7, n. 98 et 133 ; ch. 10, n. 17 ; ch. 18, n. 94.

519

JJ 169, 27, janv. 1416 : ch. 14, n. 60.

520

JJ 169, 68, févr. 1416 : ch. 13, n. 15 et 67 ; ch. 19, n. 129 et 160.

521

JJ 169, 80, févr. 1416 : ch. 9, n. 101.

522

JJ 169, 148, mai 1416 : ch. 7, n. 98 ; ch. 12, n. 103 ; ch. 13, n. 153.

523

JJ 169, 152, mai 1416 : ch. 16, n. 125.

524

JJ 169, 168, août 1416 : ch. 13, n. 121.

525

JJ 169, 173, mars 1416 : ch. 11, n. 121.

526

JJ 169, 200, juil. 1416 : ch. 11, n. 48.

527

JJ 172, 430, mars 1424 : ch. 11, n. 110 ; ch. 14, n. 181.

528

JJ 179, 149, août 1448 : ch. 5, n. 42 ; ch. 12, n. 45.

529

JJ 208, 254, août 1482 : ch. 19, n. 124.

530

JJ 211, 21, sept. 1483 : ch. 11, n. 20.

531

JJ 211, 132, août 1485 : ch. 14, n. 43.

532

Périgord (Sénéchal de) :

533

JJ 154, 398, mai 1414 : ch. 13, n. 56.

534

JJ 211, 481, déc. 1483 : ch. 9, n. 62.

535

Péronne (Gouverneur de) :

536

JJ 211, 48, déc. 1483 : ch. 12, n. 15.

537

Poitou (Sénéchal de) :

538

JJ 181, 226, janv. 1453 : ch. 14, n. 47.

539

JJ 207, 3, janv. 1481 : ch. 19, n. 124.

540

JJ 207, 4, févr. 1481 : ch. 11, n. 116.

541

JJ 207, 5, févr. 1481 : ch. 8, n. 34.

542

JJ 207, 140, oct. 1482 : ch. 14, n. 153.

543

JJ 208, 37, mars 1480 : ch. 14, n. 129.

544

JJ 208, 45, janv. 1481 : ch. 8, n. 34 ; ch. 11, n. 41.

545

JJ 208, 137, oct. 1480 : ch. 20, n. 173.

546

JJ 208, 155, févr. 1481 : ch. 15, n. 41 ; ch. 19, n. 89 et 167.

547

JJ 208, 163, sept. 1482 : ch. 11, n. 36.

548

Ponthieu (Sénéchal de) :

549

JJ 103, 76, mai 1372 : ch. 13, n. 22.

550

JJ 118, 69, nov. 1380 : ch. 6, n. 185.

551

JJ 120, 23, déc. 1381 : ch. 3, n. 35 ; ch. 18, n. 198.

893

552

JJ 120, 47, janv. 1382 : ch. 3, n. 35.

553

JJ 120, 221, mars 1382 : ch. 7, n. 132.

554

JJ 127, 11, juil. 1885 : ch. 14, n. 117 ; ch. 15, n. 100.

555

JJ 127, 22, juin 1385 : ch. 7, n. 137 ; ch. 14, n. 116.

556

JJ 127, 34, juil. 1385 : ch. 12, n. 6.

557

JJ 127, 81, août 1385 : ch. 10, n. 10 ; ch. 17, n. 49 et 144.

558

JJ 129, 42, juil. 1386 : ch. 17, n. 14.

559

JJ 165, 336, sept. 1410 : ch. 17, n. 13.

560

JJ 169, 131, mai 1416 : ch. 12, n. 60 ; ch. 15, n. 90.

561

JJ 183, 79, mars 1456 : ch. 20, n. 181.

562

JJ 211, 230, déc. 1484 : ch. 17, n. 79.

563

Quercy (Sénéchal de) :

564

JJ 207, 161, nov. 1482 : ch. 18, n. 110.

565

Reims (Bailli de) :

566

JJ 98, 257, mars 1365 : ch. 17, n. 95.

567

JJ 118, 48, nov. 1380 : ch. 6, n. 75 ; ch. 15, n. 14.

568

La Rochelle (Gouverneur de) :

569

JJ 107, 207, août 1375 : ch. 13, n. 80.

570

JJ 127, 1, juin 1385 : ch. 3, n. 35 ; ch. 7, n. 45 ; ch. 12, n. 8 ; ch. 16, n. 6 et 72.

571

JJ 133, 5, sept. 1388 : ch. 14, n. 165.

572

JJ 169, 147, mai 1416 : ch. 12, n. 64 ; ch. 13, n.97.

573

Rouen (Bailli de) :

574

JJ 98, 24, déc. 1364 : ch. 11, n. 63.

575

JJ 98, 55, mars 1365 : ch. 17, n. 97.

576

JJ 98, 533, mai 1365 : ch. 11, n. 69.

577

JJ 102, 130, sept. 1371 : ch. 13, n. 11.

578

JJ 103, 137, juin 1372 : ch. 18, n. 81.

579

JJ 107, 290, oct. 1375 : ch. 7, n. 128 ; ch. 13, n. 83 ; ch. 16, n. 84.

580

JJ 118, 34, oct. 1380 : ch. 19, n. 30.

581

JJ 118, 80, nov. 1380 : ch. 15, n. 46.

582

JJ 120, 117, mars 1382 : ch. 13, n. 34 et 107.

583

JJ 120, 155, avril 1382 : ch. 6, n. 20.

584

JJ 120, 341, mars 1382 : ch. 13, n. 33.

585

JJ 120, 368, avril 1382 : ch. 20, n. 131 et 134.

586

JJ 127, 29, juil. 1385 : ch. 3, n. 35.

587

JJ 127, 39, juil. 1385 : ch. 8, n. 36 ; ch. 14, n. 88.

588

JJ 127, 138, oct. 1385 : ch. 14, n. 157.

589

JJ 127, 199, oct. 1385 : ch. 15, n. 63.

894

590

JJ 127, 253, nov. 1385 : ch. 18, n. 193.

591

JJ 127, 286, déc. 1385 : ch. 12, n. 73 ; ch. 18, n. 197.

592

JJ 129, 280, déc. 1386 : ch. 11, n. 88.

593

JJ 133, 11, juin 1388 : ch. 18, n. 115.

594

JJ 143, 6, mai 1392 : ch. 2, n. 55.

595

JJ 151, 220, avril 1397 : ch. 17, n. 65.

596

JJ 151, 223, févr. 1397 : ch. 7, n. 108 ; ch. 16, n. 80 ; ch. 18, n. 146.

597

JJ 151, 224, avril 1397 : ch. 19, n. 110.

598

JJ 155, 254, oct. 1400 : ch. 9, n. 89.

599

JJ 160, 35, juil. 1405 : ch. 11, n. 85 ; ch. 13, n. 131.

600

JJ 160, 55, sept. 1405 : ch. 6, n. 89 ; ch. 9, n. 110.

601

JJ 160, 191, janv. 1406 : ch. 6, n. 156 ; ch. 9, n. 155 ; ch. 18, n. 140.

602

JJ 165, 10, nov. 1410 : ch. 7, n. 48 ; ch. 19, n. 155.

603

JJ 165, 28, oct. 1410 : ch. 17, n. 105.

604

JJ 165, 345, nov. 1411 : ch. 6, n. 198.

605

JJ 168, 334, juil. 1415 : ch. 5, n. 49.

606

JJ 169, 198, avril 1416 : ch. 15, n. 5.

607

JJ 172, 406, sans date : ch. 8, n. 33.

608

JJ 181, 69, avril 1452 : ch. 13, n. 52.

609

JJ 181, 113, avril 1452 : ch. 12, n. 109.

610

JJ 181, 232, févr. 1453 : ch. 14, n. 46.

611

JJ 182, 119, mai 1454 : ch. 10, n. 34 ; ch. 18, n. 148.

612

JJ 207, 35, mars 1481 : ch. 11, n. 92.

613

JJ 208, 117, sept. 1480 : ch. 9, n. 144.

614

JJ 211, 121, sept. 1485 : ch. 10, n. 140.

615

Rouergue (Sénéchal de) :

616

JJ 140, 283, juin 1391 : ch. 14, n. 89.

617

JJ 169, 78, janv. 1416 : ch. 13, n. 59.

618

Saintonge (Sénéchal de) :

619

JJ 103, 347, nov. 1372 : ch. 15, n. 143.

620

JJ 127, 52, juil. 1385 : ch. 19, n. 118 et 121.

621

JJ 127, 86, août 1385 : ch. 18, n. 76.

622

JJ 130, 81, janv. 1387 : ch. 19, n. 22.

623

JJ 130, 268, juin 1387 : ch. 15, n. 25.

624

JJ 150, 50, juil. 1396 : ch. 15, n. 53.

625

JJ 151, 4, oct. 1396 : ch. 13, n. 21.

626

JJ 151, 7, janv. 1397 : ch. 12, n. 116.

627

JJ 155, 298, nov. 1400 : ch. 2, n. 6 ; ch. 6, n. 176 ; ch. 18, n. 109.

895

628

JJ 165, 177, août 1411 : ch. 19, n. 106.

629

JJ 181, 226, janv. 1453 : ch. 14, n. 47.

630

Saint-Pierre-le-Moûtier (Bailli de) :

631

JJ 98, 701, déc. 1365 : ch. 9, n. 179 ; ch. 12, n. 34 ; ch. 14, n. 63 et 94.

632

JJ 118, 55, nov. 1380 : ch. 2, n. 50, ch. 19, n. 32.

633

JJ 127, 80, août 1385 : ch. 9, n. 146.

634

JJ 127, 288, nov. 1385 : ch. 14, n. 120.

635

JJ 141, 34, juil. 1391 : ch. 5, n. 66 ; ch. 18, n. 138.

636

JJ 143, 5, juin 1392 : ch. 2, n. 5 ; ch. 6, n. 171.

637

JJ 143, 93, août 1392 : ch. 15, n. 93.

638

JJ 151, 227, avril 1397 : ch. 9, n. 23.

639

JJ 155, 49, juin 1400 : ch. 9, n. 54.

640

JJ 155, 101, mai 1400 : ch. 8, n. 91.

641

JJ 155, 115, juin 1400 : ch. 9, n. 80.

642

JJ 155, 116, juin 1400 : ch. 15, n. 38.

643

JJ 155, 132, juil. 1400 : ch. 2, n. 23 ; ch. 16, n. 55.

644

JJ 155, 339, janv. 1401 : ch. 18, n. 124.

645

JJ 155, 343, janv. 1401 : ch. 9, n. 55.

646

JJ 155, 369, janv. 1401 : ch. 14, n. 168.

647

JJ 160, 42, août 1405 : ch. 8, n. 72.

648

JJ 160, 159, janv. 1406 : ch. 9, n. 95 et 98.

649

JJ 160, 190, janv. 1406 : ch. 14, n. 37.

650

JJ 160, 350, mai 1406 : ch. 9, n. 22.

651

JJ 160, 373, juin 1406 : ch. 8, n. 95.

652

JJ 165, 32, oct. 1410 : ch. 4, n. 32 ; ch. 6, n. 76 ; ch. 10, n. 6.

653

JJ 165, 181, sept. 1411 : ch. 10, n. 22.

654

JJ 165, 305, mai 1411 : ch. 17, n. 59.

655

JJ 165, 322, sept. 1410 : ch. 6, n. 168 ; ch. 18, n. 100.

656

JJ 169, 18, déc. 1415 : ch. 16, n. 40 ; ch. 19, n. 89.

657

JJ 169, 34, déc. 1415 : ch. 8, n. 41.

658

JJ 169, 47, nov. 1415 : ch. 15, n. 4 ; ch. 18, n. 136.

659

JJ 169, 54, févr. 1416 : ch. 10, n. 74 et 95.

660

JJ 169, 100, juil. 1416 : ch. 9, n. 29.

661

JJ 169, 109, juin 1416 : ch. 16, n. 8.

662

JJ 169, 120, juin 1416 : ch. 14, n. 12.

663

JJ 169, 132, mai 1416 : ch. 13, n. 124 et 147 ; ch. 16, n. 54.

664

JJ 169, 159, mai 1416 : ch. 9, n. 26 ; ch. 16, n. 101.

665

JJ 169, 188, août 1416 : ch. 19, n. 87.

896

666

JJ 172, 12, mars 1420 : ch. 7, n. 137 ; ch. 17, n. 90.

667

JJ 172, 23, avril 1420 : ch. 7, n. 126 ; ch. 20, n. 164.

668

JJ 181, 123 sept. 1452 : ch. 10, n. 47.

669

JJ 181, 191, sept. 1452 : ch. 12, n. 41.

670

JJ 181, 211, déc. 1452 : ch. 13, n. 56.

671

JJ 181, 218, sept. 1447 : ch. 18, n. 235.

672

JJ 181, 267, sept. 1447 : ch. 19, n. 21.

673

JJ 198, 168, mars 1453 : ch. 17, n. 133.

674

JJ 208, 118, oct. 1480 : ch. 16, n. 140.

675

Saint-Sylvain (Vicomte de) :

676

JJ 172, 609, janv. 1425 : ch. 10, n. 113.

677

Senlis (Bailli de) :

678

JJ 98, 230, sept. 1365 : ch. 9, n. 162.

679

JJ 98, 253, oct. 1365 : ch. 9, n. 164.

680

JJ 107, 327, août 1375 : ch. 18, n. 120.

681

JJ 107, 290, oct. 1375 : ch. 7, n. 128 ; ch. 13, n. 83 ; ch. 16, n. 84.

682

JJ 118, 35, nov. 1380 : ch. 2, n. 35 ; ch. 19, n. 121.

683

JJ 120, 29, sept. 1381 : ch. 10, n. 89.

684

JJ 120, 35, janv. 1382 : ch. 16, n. 35.

685

JJ 120, 116b, mars 1382 : ch. 6, n. 205 ; ch. 19, n. 162.

686

JJ 120, 258, juin 1382 : ch. 16, n. 58.

687

JJ 120, 349, juin 1382 : ch. 16, n. 133.

688

JJ 127, 15, juin 1385 : ch. 6, n. 150, 154 et 207 ; ch. 10, n. 31.

689

JJ 127, 35, juil. 1385 : ch. 10, n. 9.

690

JJ 127, 91b, juil. 1385 : ch. 18, n. 102.

691

JJ 127, 100, août 1385 : ch. 16, n. 61.

692

JJ 127, 141, oct. 1385 : ch. 17, 109.

693

JJ 127, 144, sept. 1385 : ch. 16, n. 29.

694

JJ 127, 149, oct. 1385 : ch. 17, n. 111 et 147 ; ch. 20, n. 135.

695

JJ 127, 168, oct. 1385 : ch. 9, n. 121.

696

JJ 127, 267, déc. 1385 : ch. 14, n. 58 ; ch. 20, n. 135.

697

JJ 127, 272, déc. 1385 : ch. 11, n. 88 ; ch. 15, n. 90.

698

JJ 128, 180, févr. 1386 : ch. 12, n. 58.

699

JJ 129, 6, juin 1386 : ch. 19, n. 24.

700

JJ 129, 18, 25, 27, 28, juin 1386 : ch. 2, n. 72.

701

JJ 130, 246, juin 1387 : ch. 18, n. 56.

702

JJ 143, 13, juil. 1392 : ch. 19, n. 162.

703

JJ 143, 38, juil. 1392 : ch. 18, n. 160.

897

704

JJ 143, 152, sept. 1392 : ch. 18, n. 72 et 77.

705

JJ 150, 72, juil. 1396 : ch. 8, n. 8.

706

JJ 155, 143, juin 1400 : ch. 9, n. 27.

707

JJ 160, 437, juil. 1406 : ch. 6, n. 184.

708

JJ 165, 39, janv. 1411 : ch. 6, n. 165.

709

JJ 165, 157, sept. 1411 : ch. 10, n. 136.

710

JJ 165, 197, août 1411 : ch. 16, n. 59.

711

JJ 169, 22, déc. 1415 : ch. 4, n. 28 ; ch. 6, n. 151.

712

JJ 169, 66, févr. 1416 : ch. 6, n. 81 ; ch. 15, n. 91.

713

JJ 169, 90, juin 1416 : ch. 15, n. 18.

714

JJ 169, 118, juin 1416 : ch. 19, n. 128.

715

JJ 172, 502, juil. 1424 : ch. 10, n. 113.

716

JJ 211, 57, déc. 1483 : ch. 11, n. 88.

717

JJ 211, 126, août 1485 : ch. 11, n. 112 ; ch. 16, n. 41.

718

JJ 211, 134, août 1485 : ch. 17, n. 34.

719

JJ 211, 210, déc. 1484 : ch. 11, n. 115.

720

Sens et d’Auxerre (Bailli de) :

721

JJ 65, 301, juil. 1411 : ch. 6, n. 149.

722

JJ 98, 56, févr. 1365 : ch. 11, n. 58.

723

JJ 98, 306, mai 1365 : ch. 12, n. 47 et 100.

724

JJ 103, 52, avril 1372 : ch. 13, n. 129.

725

JJ 103, 73, mai 1372 : ch. 17, n. 80.

726

JJ 107, 169, juil. 1375 : ch. 10, n. 111 ; ch. 12, n. 92.

727

JJ 107, 257, août 1375 : ch. 18, n. 137.

728

JJ 118, 49, nov. 1380 : ch. 9, n. 57.

729

JJ 120, 14, janv. 1381 : ch. 4, n. 29.

730

JJ 127, 41, juil. 1385 : ch. 9, n. 83.

731

JJ 127, 76, juil. 1385 : ch. 10, n. 3 ; ch. 12, n. 9.

732

JJ 127, 117, sept. 1385 : ch. 16, n. 25.

733

JJ 127, 136, sept. 1385 : ch. 16, n. 91 ; ch. 19, n. 166.

734

JJ 127, 167, juin 1385 : ch. 10, n. 8.

735

JJ 127, 232, nov. 1385 : ch. 12, n. 25.

736

JJ 127, 238, nov. 1385 : ch. 14, n. 101 ; ch. 16, n. 92.

737

JJ 127, 261, nov. 1385 : ch. 19, n. 112.

738

JJ 127, 273, oct. 1385 : ch. 15, n. 80.

739

JJ 127, 276, août 1385 : ch. 19, n. 88.

740

JJ 129, 14, juin 1386 : ch. 2, n. 72.

741

JJ 130, 253, mai 1387 : ch. 2, n. 89.

898

742

JJ 130, 260, juin 1387 : ch. 9, n. 37.

743

JJ 143, 8, juin 1392 : ch. 9, n. 80.

744

JJ 143, 165, sept. 1392 : ch. 9, n. 21.

745

JJ 143, 206, sept. 1392 : ch. 19, n. 124.

746

JJ 143, 209, oct. 1392 : ch. 19, n. 124.

747

JJ 150, 16, juil. 1396 : ch. 13, n. 136.

748

JJ 150, 19, juil. 1396 : ch. 4, n. 15 et 28 ; ch. 7, n. 43.

749

JJ 155, 3, mai 1400 : ch. 6, n. 150.

750

JJ 155, 94, août 1400 : ch. 16, n. 68.

751

JJ 155, 142, juil. 1400 : ch. 19, n. 107.

752

JJ 155, 269, oct. 1400 : ch. 10, n. 82 ; ch. 16, n. 70.

753

JJ 160, 22, juil. 1405 : ch. 8, n. 59 et 75 ; ch. 10, n. 95.

754

JJ 160, 152, déc. 1405 : ch. 16, n. 83.

755

JJ 160, 162, janv. 1406 : ch. 6, n. 167.

756

JJ 160, 175, janv. 1406 : ch. 14, n. 180 et 186.

757

JJ 160, 186, déc. 1405 : ch. 9, n. 28.

758

JJ 160, 190, janv. 1406 : ch. 14, n. 37.

759

JJ 160, 363, juin 1406 : ch. 8, n. 65 ; ch. 19, n. 109.

760

JJ 160, 369, juin 1406 : ch. 10, n. 137.

761

JJ 160, 445, août 1406 : ch. 10, n. 137.

762

JJ 165, 13, nov. 1410 : ch. 18, n. 119.

763

JJ 165, 22, oct. 1410 : concl. 2e partie, n. 3.

764

JJ 165, 35, janv. 1411 : ch. 6, n. 150 ; ch. 9, n. 84 et 96 ; ch. 19, n. 116.

765

JJ 165, 301, juil. 1411 : ch. 6, n. 149.

766

JJ 169, 5, oct. 1415 : ch. 7, n. 51 ; ch. 13, n. 146.

767

JJ 169, 93, juin 1416 : ch. 16, n. 74.

768

JJ 169, 102, juil. 1416 : ch. 9, n. 118.

769

JJ 169, 129, mai 1416 : ch. 19, n. 23.

770

JJ 169, 142, avril 1416 : ch. 13, n. 94 ; ch. 16, n. 96.

771

JJ 169, 183, août 1416 : ch. 15, n. 91.

772

JJ 172, 3, mars 1420 : ch. 18, n. 145.

773

JJ 172, 4, févr. 1420 : ch. 17, n. 31.

774

JJ 172, 8, févr. 1420 : ch. 6, n. 150.

775

JJ 172, 11, mars 1420 : ch. 19, n. 177.

776

Toulouse (Sénéchal de) :

777

JJ 128, 254, mai 1386 : ch. 18, n. 175.

778

JJ 137, 60, déc. 1389 : ch. 6, n. 29.

779

JJ 140, 100, févr. 1391 : ch. 17, n. 141.

899

780

JJ 148, 144, août 1395 : ch. 6, n. 23.

781

JJ 152, 36, juil. 1397 : ch. 6, n. 28.

782

JJ 154, 301, juin 1399 : ch. 6, n. 24.

783

JJ 155, 31, juin 1400 : ch. 10, n. 81.

784

JJ 155, 128, juin 1400 : ch. 16, n. 46 ; ch. 19, n. 175 et 176.

785

JJ 155, 276, oct. 1400 : ch. 19, n. 86.

786

JJ 165, 180, août 1411 : ch. 13, n. 53 ; ch. 18, n. 101.

787

JJ 166, 244, juil. 1412 : ch. 6, n. 29.

788

JJ 169, 163, juin 1416 : ch. 14, n. 41 et 141.

789

JJ 181, 31, janv. 1452 : ch. 16, n. 118 et 126.

790

JJ 181, 116, juil. 1452 : ch. 18, n. 167.

791

JJ 181, 176, janv. 1452 : ch. 16, n. 106.

792

JJ 184, 588, mars 1443 : ch. 13, n. 37.

793

Touraine (Bailli de, ou Gouverneur du bailliage de) :

794

JJ 103, 329, déc. 1372 : ch. 10, n. 89 ; ch. 18, n. 121.

795

JJ 118, 87, nov. 1380 : ch. 6, n. 196.

796

JJ 127, 3, juin 1385 : ch. 3, n. 35.

797

JJ 127, 178, oct. 1385 : ch. 19, n. 23.

798

JJ 127, 215, oct. 1385 : ch. 10, n. 112 ; ch. 14, n. 158.

799

JJ 128, 89, févr. 1386 : ch. 12, n. 114.

800

JJ 129, 250, nov. 1386 : ch. 10, n. 41 ; ch. 16, n. 100.

801

JJ 151, 239, avril 1397 : ch. 9, n. 107.

802

JJ 155, 15, mai 1400 : ch. 6, n. 174 ; ch. 9, n. 52.

803

JJ 155, 100, mai 1400 : ch. 9, n. 38 et 117 ; ch. 16, n. 25 ; ch. 17, n. 13.

804

JJ 155, 137, juin 1400 : ch. 17, n. 63.

805

JJ 155, 264, nov. 1400 : ch. 9, n. 58 ; ch. 16, n. 135 ; ch. 17, n. 72.

806

JJ 155, 418, déc. 1400 : ch. 15, n. 36.

807

JJ 160, 91, nov. 1405 : ch. 10, n. 20.

808

JJ 160, 156, déc. 1405 : ch. 19, n. 162.

809

JJ 160, 441, juil. 1406 : ch. 11, n. 54 ; ch. 19, n. 16.

810

JJ 165, 153, sept. 1411 : ch. 13, n. 139.

811

JJ 165, 154, sept. 1411 : ch. 6, n. 161 ; ch. 7, n. 134.

812

JJ 165, 158, sept. 1411 : ch. 7, n. 38.

813

JJ 165, 171, oct. 1411 : ch. 16, n. 116 ; ch. 19, n. 56.

814

JJ 165, 185, mai 1411 : ch. 14, n. 87.

815

JJ 169, 71, févr. 1416 : ch. 14, n. 159.

816

JJ 169, 122, juil. 1416 : ch. 15, n. 77.

817

JJ 181, 33, mars 1452 : ch. 18, n. 112.

900

818

JJ 181, 63, avril 1452 : ch. 18, n. 141.

819

JJ 181, 100, mai 1452 : ch. 18, n. 141.

820

JJ 181, 107, juin 1452 : ch. 11, n. 10 et 11.

821

JJ 182, 85, avril 1454 : ch. 10, n. 47.

822

JJ 182, 142, août 1453 : ch. 20, n. 153.

823

JJ 207, 73, avril 1480 : ch. 7, n. 55 ; ch. 18, n. 139.

824

JJ 208, 20, déc. 1480 : ch. 10, n. 41, 45 et 49 ; ch. 13, n. 111.

825

JJ 208, 37, mars 1480 : ch. 14, n. 129.

826

JJ 208, 48, janv. 1481 : ch. 2, n. 58 ; ch. 9, n. 145 ; ch. 13, n. 161 ; ch. 14, n. 172.

827

JJ 208, 90, août 1480 : ch. 11, n. 118.

828

JJ 208, 92, août 1480 : ch. 11, n. 42.

829

JJ 208, 101, sept. 1480 : ch. 11, n. 19.

830

JJ 208, 150, févr. 1481 : ch. 2, n. 56 ; ch. 9, n. 180.

831

JJ 208, 203, janv. 1483 : ch. 20, n. 177.

832

Tournai (Bailli de) :

833

JJ 98, 27, déc. 1364 : ch. 10, n. 148.

834

JJ 107, 255, sept. 1375 : ch. 14, n. 119 ; ch. 17, n. 106.

835

JJ 121, 324, déc. 1382 : ch. 20, n. 131.

836

JJ 127, 25, juin 1385 : ch. 14, n. 97.

837

JJ 127, 32, mars 1385 : ch. 13, n. 99.

838

JJ 127, 227, nov. 1385 : ch. 9, n. 120 ; ch. 15, n. 15.

839

JJ 127, 229, nov. 1385 : ch. 15, n. 112 ; ch. 18, n. 53.

840

JJ 127, 260, déc. 1385 : ch. 17, n. 112 et 117.

841

JJ 130, 152, févr. 1386 : ch. 19, n. 121.

842

JJ 133, 165, août 1388 : ch. 12, n. 161.

843

JJ 143, 51, juil. 1392 : ch. 15, n. 93.

844

JJ 150, 54, juil. 1396 : ch. 14, n. 61.

845

JJ 155, 4, mai 1400 : ch. 19, n. 123.

846

JJ 155, 141, juil. 1400 : ch. 17, n. 55 ; ch. 20, n. 5.

847

JJ 160, 380, juil. 1406 : ch. 20, n. 5.

848

JJ 165, 341, oct. 1410 : ch. 15, n. 100.

849

JJ 172, 26, avril 1420 : ch. 8, n. 48 ; ch. 14, n. 141.

850

JJ 183, 78, févr. 1456 : ch. 20, n. 181.

851

Troyes (Bailli de) :

852

JJ 98, 459, oct. 1365 : ch. 14, n. 162.

853

JJ 127, 102, août 1385 : ch. 16, n. 108 ; ch. 17, n. 116 ; ch. 18, n. 224.

854

JJ 127, 224, nov. 1385 : ch. 9, n. 122.

855

JJ 155, 211, sept. 1400 : ch. 10, n. 35.

901

856

JJ 155, 272, avril 1400 : ch. 12, n. 74.

857

JJ 160, 370, juin 1406 : ch. 6, n. 86 ; ch. 9, n. 105 ; ch. 19, n. 132.

858

JJ 165, 324, sept. 1411 : ch. 9, n. 120.

859

JJ 167, 23, févr. 1413 : ch. 6, n. 40.

860

JJ 169, 23, déc. 1415 : ch. 7, n. 36.

861

JJ 183, 36, oct. 1455 : ch. 20, n. 181.

862

Valentinois (Bailli de) :

863

JJ 142, 71, févr. 1392 : ch. 6, n. 30.

864

Velay (Bailli de) :

865

JJ 140, 120, févr. 1391 : ch. 6, n. 30.

866

JJ 141, 34, juil. 1391 : ch. 5, n. 66 ; ch. 18, n. 138.

867

JJ 158, 400, juil. 1404 : ch. 6, n. 29.

868

JJ 158, 450, juin 1404 : ch. 6, n. 29.

869

Vermandois (Bailli de) :

870

JJ 37, 26, mai 1304 : ch. 2, n. 20.

871

JJ 98, 99, nov. 1364 : ch. 9, n. 178 ; ch. 15, n. 106.

872

JJ 98, 192, janv. 1365 : ch. 11, n. 87.

873

JJ 98, 428, août 1365 : ch. 14, n. 118.

874

JJ 98, 594, janv. 1366 : ch. 14, n. 136.

875

JJ 98, 599, juil. 1365 : ch. 11, n. 111.

876

JJ 102, 81, mars 1371 : ch. 13, n. 20, 27, 61, 141 et 160.

877

JJ 102, 219, janv. 1371 : ch. 12, n. 99.

878

JJ 103, 19, janv. 1372 : ch. 17, n. 68.

879

JJ 103, 61, mai 1372 : ch. 12, n. 111.

880

JJ 107, 24, mai 1375 : ch. 14, n. 112.

881

JJ 107, 124, juil. 1375 : ch. 11, n. 34.

882

JJ 107, 140, juin 1375 : ch. 11, n. 79.

883

JJ 107, 228, juil. 1375 : ch. 16, n. 53.

884

JJ 107, 255, sept. 1375 : ch. 14, n. 119 ; ch. 17, n. 106.

885

JJ 107, 292, nov. 1375 : ch. 13, n. 156.

886

JJ 107, 302, oct. 1375 : ch. 17, n. 9.

887

JJ 107, 308, nov. 1375 : ch. 16, n. 63 ; ch. 17, n. 10.

888

JJ 118, 37, nov. 1380 : ch. 8, n. 101.

889

JJ 118, 38, nov. 1380 : ch. 17, n. 60 ; ch. 19, n. 94.

890

JJ 118, 39, nov. 1380 : ch. 16, n. 127 ; ch. 19, n. 132.

891

JJ 118, 43, nov. 1380 : ch. 15, n. 83.

892

JJ 118, 44, nov. 1380 : ch. 13, n. 132.

893

JJ 118, 46, nov. 1380 : ch. 16, n. 66.

902

894

JJ 118, 47, nov. 1380 : ch. 6, n. 54 ; ch. 15, n. 106.

895

JJ 118, 82, nov. 1380 : concl. lre partie, n. 3.

896

JJ 118, 84, nov. 1380 : ch. 6, n. 55 et 195 ; ch. 11, n. 66.

897

JJ 120, 1, avril 1381 : ch. 3, n. 35 ; ch. 10, n. 94.

898

JJ 120, 15, janv. 1382 : ch. 3, n. 35 ; ch. 10, n. 102.

899

JJ 120, 21, déc. 1381 : ch. 15, n. 102.

900

JJ 120, 33, déc. 1381 : ch. 15, n. 26 ; ch. 16, n. 140.

901

JJ 120, 100, févr. 1380 : ch. 12, n. 72.

902

JJ 120, 107, sept. 1381 : ch. 8, n. 74 ; ch. 14, n. 167 ; ch. 17, n. 10.

903

JJ 120, 120, sans mois 1381 : ch. 8, n. 95.

904

JJ 120, 121, mars 1382 : ch. 13, n. 29.

905

JJ 120, 122, mars 1382 : ch. 17, n. 87.

906

JJ 120, 132, févr. 1382 : ch. 9, n. 21.

907

JJ 120, 133, mars 1382 : ch. 4, n. 84 ; ch. 6, n. 182 ; ch. 17, n. 93.

908

JJ 120, 134, janv. 1382 : ch. 10, n. 156 ; ch. 17, n. 69.

909

JJ 120, 136, mars 1382 : ch. 10, n. 62 ; ch. 19, n. 137.

910

JJ 120, 348, juin 1382 : ch. 15, n. 84.

911

JJ 120, 352, juin 1382 : ch. 10, n. 89 ; ch. 19, n. 117.

912

JJ 120, 357, juin 1382 : ch. 12, n. 147 ; ch. 18, n. 83.

913

JJ 120, 360, juin 1382 : ch. 17, n. 86.

914

JJ 127, 10, avril 1385 : ch. 3, n. 35 ; ch. 18, n. 123 ; ch. 20, n. 172.

915

JJ 127, 27, juil. 1385 : ch. 16, n. 82.

916

JJ 127, 30, avril 1385 : ch. 3, n.35 ; ch. 9, n. 134 ; ch. 19, n. 171.

917

JJ 127, 38, juil. 1385 : ch. 15, n. 111.

918

JJ 127, 46, juin 1385 : ch. 10, n. 14 et 124 ; ch. 16, n. 23.

919

JJ 127, 49, juil. 1385 : ch. 14, n. 124.

920

JJ 127, 51, 57, 71 juil. 1385 : ch. 9, n. 111 ; ch. 10, n. 158.

921

JJ 127, 99, août 1385 : ch. 17, n. 70 et 82.

922

JJ 127, 101, août 1385 : ch. 10, n. 5 ; ch. 11, n. 54 ; ch. 12, n. 10.

923

JJ 127, 126, sept. 1385 : ch. 14, n. 88 ; ch. 16, n. 51 et 136.

924

JJ 127, 165, sept. 1385 : ch. 19, n. 138.

925

JJ 127, 223, nov. 1385 : ch. 7, n. 94 ; ch. 12, n. 13.

926

JJ 127, 230, nov. 1385 : ch. 14, n. 127.

927

JJ 127, 248, oct. 1385 : ch. 16, n. 139.

928

JJ 127, 279, déc. 1385 : ch. 9, n. 170.

929

JJ 128, 9, janv. 1386 : ch. 19, n. 161.

930

JJ 130, 255, avril 1387 : ch. 11, n. 56.

931

JJ 133, 17, juin 1388 : ch. 9, n. 108 et 156.

903

932

JJ 133, 19, juil. 1388 : ch. 8, n. 67.

933

JJ 143, 207, oct. 1392 : ch. 10, n. 20 ; ch. 13, n. 150.

934

JJ 150, 54, juil. 1396 : ch. 14, n. 61 et ch. 19, n. 156.

935

JJ 151, 17, janv. 1397 : ch. 6, n. 170.

936

JJ 151, 24, janv. 1397 : ch. 8, n. 53.

937

JJ 151, 211, avril 1397 : ch. 18, n. 223.

938

JJ 151, 216, mars 1397 : ch. 9, n. 32.

939

JJ 151, 226, avril 1397 : ch. 18, n. 148.

940

JJ 151, 232, avril 1397 : ch. 2, n. 52.

941

JJ 154, 574, janv. 1400 : ch. 11, n. 80.

942

JJ 155, 19, mai 1400 : ch. 14, n. 143 ; ch. 16, n. 10.

943

JJ 155, 71, juil. 1400 : ch. 16, n. 68.

944

JJ 155, 109, juil. 1400 : ch. 8, n. 62, 71 et 92.

945

JJ 155, 129, juin 1400 : ch. 15, n. 50 ; ch. 16, n. 137.

946

JJ 155, 140, juin 1400 : ch. 2, n. 37.

947

JJ 155, 222, sept. 1400 : ch. 10, n. 50.

948

JJ 155, 251, oct. 1400 : ch. 19, n. 147.

949

JJ 155, 278, nov. 1400 : ch. 16, n. 82 ; ch. 18, n. 146.

950

JJ 155, 381, févr. 1401 : ch. 13, n. 34.

951

JJ 155, 382, janv. 1401 : ch. 14, n. 182.

952

JJ 160, 94, sept. 1405 : ch. 20, n. 121.

953

JJ 160, 116, déc. 1405 : ch. 13, n. 91.

954

JJ 160, 172, janv. 1406 : ch. 17, n. 17.

955

JJ 160, 183, janv. 1406 : ch. 19, n. 149.

956

JJ 160, 361, juin 1406 : ch. 18, n. 234.

957

JJ 165, 306, mai 1411 : ch. 13, n. 39 ; ch. 15, n. 11.

958

JJ 165, 308, mai 1411 : ch. 18, n. 77.

959

JJ 165, 320, sept. 1410 : ch. 12, n. 55.

960

JJ 165, 332, sept. 1410 : ch. 10, n. 101 ; ch. 11, n. 117.

961

JJ 169, 11, nov. 1415 : ch. 6, n. 54 ; ch. 18, n. 113.

962

JJ 169, 20, oct. 1415 : ch. 3, n. 35.

963

JJ 169, 73, févr. 1416 : ch. 19, n. 26.

964

JJ 169, 94, juin 1416 : ch. 12, n. 102.

965

JJ 169, 98, juil. 1416 : ch. 19, n. 26.

966

JJ 169, 117, nov. 1415 : ch. 9, n. 86.

967

JJ 169, 130, mai 1416 : ch. 9, n. 152.

968

JJ 169, 149, mai 1416 : ch. 6, n. 55.

969

JJ 169, 151, mai 1416 : ch. 15, n. 113 ; ch. 20, n. 116.

904

970

JJ 169, 156, mai 1416 : ch. 14, n. 11.

971

JJ 169, 158, mai 1416 : ch. 8, n. 54.

972

JJ 169, 170, mars 1416 : ch. 18, n. 77.

973

JJ 172, 34, avril 1422 : ch. 9, n. 184.

974

JJ 181, 144, juin 1452 : ch. 12, n. 39.

975

JJ 208, 209, févr. 1483 : ch. 11, n. 18.

976

JJ 211, 37, nov. 1483 : ch. 13, n. 145.

977

JJ 211, 96, sans date : ch. 6, n. 74.

978

Vierzon (Bailli de) :

979

JJ 102, 66, janv. 1371 : ch. 14, n. 128 ; ch. 19, n. 25.

980

Vitry (Bailli de) :

981

JJ 37, 26, mai 1304 : ch. 2, n. 20.

982

JJ 118, 19, sans mois, 1380 : ch. 9, n. 17.

983

JJ 118, 40, nov. 1380 : ch. 6, n. 164.

984

JJ 127, 180, sept. 1385 : ch. 9, n. 80 ; ch. 10, n. 7 ; ch. 17, n. 97.

985

JJ 127, 205, nov. 1385 : ch. 17, n. 62 ; ch. 20, n. 180.

986

JJ 127, 216, juin 1385 : ch. 8, n. 58 ; ch. 14, n. 8.

987

JJ 127, 270, déc. 1385 : ch. 16, n. 144 ; ch. 19, n. 158.

988

JJ 127, 279, déc. 1385 : ch. 9, n. 170.

989

JJ 127, 287, déc. 1385 : ch. 9, n. 32 ; ch. 12, n. 56 ; ch. 16, n. 30 ; ch. 19, n. 139.

990

JJ 143, 158, sept. 1392 : ch. 20, n. 167.

991

JJ 143, 184, sept. 1392 : ch. 11, n. 65 ; ch. 16, n. 109.

992

JJ 143, 186, sept. 1392 : ch. 8, n. 101.

993

JJ 150, 1, juil. 1396 : ch. 10, n. 15.

994

JJ 165, 21, déc. 1410 : ch. 6, n. 173.

995

JJ 165, 45, févr. 1411 : ch. 16, n. 11.

996

JJ 167, 23, févr. 1413 : ch. 6, n. 40.

997

JJ 169, 48, janv. 1416 : ch. 14, n. 166.

998

JJ 169, 52, janv. 1416 : ch. 15, n. 86.

999

JJ 169, 61, févr. 1416 : ch. 16, n. 146.

1000

JJ 169, 160, avril 1416 : ch. 13, n. 36 ; ch. 15, n. 12.

1001

JJ 172, 16, févr. 1420 : ch. 4, n. 28 ; ch. 16, n. 7 ; ch. 19, n. 173.

1002

JJ 181, 179, août 1452 : ch. 12, n. 24.

1003

JJ 181, 231, févr. 1453 : ch. 11, n. 7 ; ch. 15, n. 3.

1004

Vivarais (Bailli de) :

1005

JJ 123, 182, août 1384 : ch. 12, n. 161.

1006

JJ 130, 22, sept. 1386 : ch. 16, n. 77.

1007

JJ 142, 71, févr. 1392 : ch. 6, n. 30.

905

1008

A tous les justiciers (sans autre mention) :

1009

JJ 98, 114, nov. 1364 : ch. 10, n. 20 ; ch. 11, n. 56.

1010

JJ 98, 337, févr. 1365 : ch. 12, n. 84.

1011

JJ 98, 450, févr. 1365 : ch. 12, n. 84.

1012

JJ 103, 20, févr. 1372 : ch. 12, n. 98.

1013

JJ 103, 115, juin 1372 : ch. 12, n. 38, 40 et 44.

1014

JJ 118, 54, oct. 1380 : ch. 7, n. 66 ; ch. 20, n. 4.

1015

JJ 118, 85, nov. 1380 : ch. 6, n. 197 ; ch. 14, n. 102.

1016

JJ 120, 28, nov. 1381 : ch. 6, n. 150.

1017

JJ 127, 130, sept. 1385 : ch. 17, n. 51.

1018

JJ 127, 231, nov. 1385 : ch. 19, n. 25.

1019

JJ 129, 189, oct. 1386 : ch. 19, n. 19.

1020

JJ 160, 20, juil. 1405 : ch. 6, n. 80 ; ch. 16, n. 147.

1021

JJ 198, 36, oct. 1461 : ch. 20, n. 119.

1022

Sans mention de juridiction :

1023

JJ 98, 159, déc. 1364 : ch. 11, n. 107.

1024

JJ 127, 59, févr. 1385 : ch. 15, n. 74 et 87.

1025

JJ 129, 226, oct. 1386 : ch. 20, n. 132.

1026

JJ 142, 327, juin 1392 : ch. 4, n. 80.

1027

JJ 165, 173, août 1411 : ch. 9, n. 103.

1028

JJ 181, 166, juil. 1452 : ch. 19, n. 172.

1029

JJ 198, 141, déc. 1461 : ch. 2, n. 34.

1030

JJ 207, 96, sept. 1481 : ch. 11, n. 91.

1031

JJ 211, 46, déc. 1483 : ch. 14, n. 42.

NOTES 1. Une lettre de rémission peut être adressée à plusieurs baillis et sénéchaux. Dans ce cas, elle a été répertoriée dans chacune des circonscriptions administratives mentionnées.

906

Index des noms de lieux

Abbeville, Somme, ch.-l. ar., 30, 49, 67, 69, 119, 136, 151, 290, 340, 546, 578, 634, 665, 680, 744, 783, 784, 799, 802, 826, 925, 932, 935. (échevins d’), 546, 547, 935. (charte d’), 719, 744. Achères, Eure-et-Loir, com. de Tremblay-les-Villages, c. Châteauneuf-en-Thymerais, 480. Acheux-en-Amiénois, Somme, ch.-l. c., 878. Achiet-le-Grand, Pas-de-Calais, c. Bapaume, 378. Afrique, africain, 147, 184, 449, 764, 886, 906. Agen, Lot-et-Garonne, ch.-l. dép. (sénéchaussée d’), 248, 249, 600. Aigle (L’), Orne, ch.-l. c., 295. Aigues-Mortes, Gard, ch.-l. c., 220, 742, 880. Aire-sur-la-Lys, Pas-de-Calais, ch.-l. c., 677. Albi, Tarn, ch.-l. dép., 202. Alençon, Orne, ch.-l. dép. (comté d’), 559. (bailliage d’), 459. Alizay, Eure, c. Pont-de-l’Arche, 313. Allemagne, 183, 255, 509, 532. Alligny-Cosne, Nièvre, c. Cosne-Cours-sur-Loire, 729. Alluets-le-Roi (Les), Yvelines, c. Poissy-sud, 552, 811. Alluyes, Eure-et-Loire, c. Bonneval, 399. Alpes (vallées alpines), 672. Ambleny, Aisne, c. Vic-sur-Aisne, 453. Amiénois, 256, 259. Amiens, Somme, ch.-l. dép., 28, 42, 43, 49, 51, 66, 67, 69, 78, 127, 267, 269, 345, 384, 437, 558, 567, 568, 640, 652, 671, 680, 721, 736, 738, 744, 775, 852, 868, 872, 923, 932, 943.

907

(bailli d’), 67, 206, 216, 234, 261, 563, 671. (bailliage d’), 43, 71, 79, 119, 150, 246, 255, 258, 262, 267, 282, 283, 286, 288, 290, 312, 316, 330, 331, 336, 343, 372, 395, 408, 412, 416, 424, 426, 437, 443, 451, 452, 500, 511, 543, 581, 586, 610, 611, 629, 640-642, 644, 649, 650, 652, 654, 655, 657, 671, 674-676, 678, 680, 683, 684, 688, 722, 730, 731, 734, 738, 768, 769, 774-776, 778-780, 785, 786, 815, 826, 838, 847, 855, 856, 872, 878, 880, 881, 883, 887, 923, 925, 932, 942. (charte d’), 720, 790, 799. (évêque d’), 200, 394. Ancy-le-Franc, Yonne, ch.-l. c., 433. Andelain, Aisne, c. La-Fère, 265. Andelys (Les), Eure, ch.-l. ar., 509. Andres, Pas-de-Calais, c. Guines, 119. Angers, Maine-et-Loire, ch.-l. dép., 151, 181, 292, 401, 491, 562. Angicourt, Oise, c. Liancourt, 780. Angleterre, 20, 307, 323, 363, 467, 468, 534, 545-547, 563, 593, 624, 766, 800, 805, 856-858, 862. Angoulême, Charente, ch.-l. dép. (sénéchaussée d’), 757. Angoumois, 922. Anjou, 180, 542. (sénéchal d’), 151. Aquitaine, 243. Aragon, Espagne, 223, 261, 543. (couronne d’), 928. Arçay, Cher, c. Levet, 391. Arcueil, Val-de-Marne, ch.-l. c., 386. Arcy-sur-Cure, Yonne, c. Vermanton, 859. Ardes, Puy-de-Dôme, ch.-l. c. 402. Ardennes, 155, 270, 454. Ardin, Deux-Sèvres, c. Coulonges-sur-l’Autize, 119, 524. Argentan, Orne, ch.-l. ar., 504, 559. Argenteuil, Val-d’Oise, ch.-l. ar., 138, 284, 327, 339. Argilly, Côte-d’Or, c. Nuits-Saint-Georges, 361. Arnoncourt-sur-Apance, Haute-Marne, com. de Larivière-Arnoncourt, c. Bourbonneles-Bains, 73. Arques, Pas-de-Calais, c. Saint-Omer-sud, 22, 564. Arques-la-Bataille, Seine-Maritime, c. Offranville, 294. Arras, Pas-de-Calais, ch.-l. dép., 246, 301, 416, 610, 688. (château d’), 875. (évêque et chapitre de), 165, 834. Arrezzo, Italie, 490. Arrou, Eure-et-Loir, c. Cloyes-sur-le-Loir, 666.

908

Artins, Loir-et-Cher, c. Montoire-sur-le-Loir, 393. Artois, 4, 75, 246, 307, 671, 783, 724. Asnières-en-Bessin, Calvados, c. Isigny-sur-Mer, 449, 856. Asnières-sur-Oise, Val-d’Oise, c. Viarmes, 781. Attichy, Oise, ch.-l. c., 565. Aubergenville, Yvelines, ch.-l. c., 412. Aubervilliers, Seine-Saint-Denis, ch.-l. c., 463. Aubigny, Allier, c. Moulins-ouest, 126. Aunis, 593. Aunois, 931. Aurillac, Cantal, ch.-l. dép., 303. Autun, Saône-et-Loire, ch.-l. ar., 747. Autreppes, Aisne, c. Vervins, 639. Auvergne, 205, 545, 824. (bailliage des montagnes d’), 71, 205, 396, 485, 545, 625, 757. (états d’), 44. (sénéchaussée d’), 642. Auxerre, Yonne, ch.-l. dép., 150, 509, 532, 659, 661. (bailliage d’), 729. (paix d’), 202, 220, 343, 458, 747, 860. Auxi-le-Château, Pas-de-Calais, ch.-l. c., 722. Auxois, (bailliage d’), 22. Avenay-Val-d’Or, Marne, c. Ay, 554. Avignon, Vaucluse, ch.-l. dép., 4, 159, 226, 241, 248, 262, 276, 280, 385, 401, 420, 501, 597, 790, 808, 814, 898, 903. Avord, Cher, c. Baugy, 390. Avranches, Manche, ch.-l. ar., 441. Ay, Marne, ch.-l. c., 532. Aytré, Charente-Maritime, c. La Rochelle, 593. Azincourt, Pas-de-Calais, c. Le Parcq. (bataille d’), 690, 808, 857, 872, 919, 943. Babylone, 122, 211, 217, 220. Bagneux, Aisne, c. Vic-sur-Aisne, 370. Bagneux-la-Fosse, Aube, c. Les-Riceys, 388. Bailleul-le-Soc, Oise, c. Clermont, 509. Bailleul-Neuville, Seine-Maritime, c. Londinières, 581. Bailly, Oise, c. Ribécourt-Dreslincourt, 622. Bailly, Yvelines, c. Saint-Nom-la-Brétèche, 511. Baisieux, Nord, c. Lannoy, 776. Bali, Indonésie, 584. Bar-sur-Aube, Aube, ch.-l. ar., 678.

909

Barcelone, Espagne, 543, 928. Barleux, Somme, c. Péronne, 499. Barneville-Carteret, Manche, ch.-l. c., 597. Baroville, Aube, c. Bar-sur-Aube, 678. Barres (Notre-Dame des), sanctuaire non id., 932. Bassée (La), Nord, ch.-l. c., 887. Bassevel, act. Bassevelle, Seine-et-Mame, c. La Ferté-sous-Jouarre, 351, 496. Bassou, Yonne, c. Migennes, 879. Bayencourt, Somme, c. Acheux-en-Amiénois, 664. Bayeux, Calvados, ch.-l. ar.. (diocèse de), 322. (vicomté de), 883. Bazancourt, Marne, c. Bourgogne, 726. Bazarnes, Yonne, c. Vermenton, 715. Bazillac, Hautes-Pyrénées, c. Rabastens-de-Bigorre, 252. Bazoches-en-Dunois, Eure-et-Loir, c. Orgères-en-Beauce, 374. Bazoches-sur-Vesle, Aisne, c. Braine, 845. Bazoge (La), Manche, c. Juvigny-le-Tertre, 315, 464. Bazoilles-sur-Meuse, Vosges, c. Neufchâteau, 681. Beaucaire, Gard, ch.-l. c., 261. (sénéchal de), 601, 884. (sénéchaussée de), 215, 252, 256, 566, 742, 757, 856, 884. Beauce, 73. Beauchamps-sur-Huillard, Loiret, c. Bellegarde, 358. Beaufort-en-Santerre, Somme, c. Rosières-en-Santerre, 675. Beaulieu-les-Fontaines, Oise, c. Lassigny, 422. Beaumarchés, Gers, c. Plaisance, 451. Beaune-la-Rolande, Loiret, ch.-l. c., 360. Beauquesne, Somme, c. Doullens, 883. Beauvais, Oise, ch.-l. dép., 49, 433, 840, 867. (évêque de), 208. (official de), 887. (prévôt de), 448, 460, 642. Beauvaisis, 358, 423, 424, 765. (Voir index des personnes, Philippe de Beaumanoir). Beauval, Somme, c. Doullens, 282, 283, 298. Bec-Thomas (Le), Eure, c. Amfreville-la-Campagne, 74. Bedfordshire, Angleterre, 302. Belgique, 792. Bellefontaine, Val-d’Oise, c. Luzarches, 327. Bernay, Eure, ch.-l. ar., 283.

910

Bernouville, Eure, c. Gisors, 601, 672. Berry, 160, 647, 681. (bailli de), 785. (bailliage de), 443, 630, 640. Bertigny-en-Beauce, act. Brétigny, Eure-et-Loir, com. de Sours, c. Chartres-sud-est, 544. Betz, Oise, ch.-l. c., 420. Béziers, Hérault, ch.-l. ar., 253, 568. (sénéchaussée de), 253. Bienville, Oise, c. Compiègne-nord, 805. Bigorre (sénéchaussée de), 252, 256, 306, 555. Billancelles, Eure-et-Loir, c. Courville-sur-Eure, 295. Billy, Calvados, c. Bourguébus, 537. Bitterois, 19, 341, 477, 626, 632. Bize, Haute-Marne, c. La Ferté-sur-Amance, 543. Blangy, non id., plusieurs localités dans la Somme, 279. Blanzac, Haute-Loire, c. Saint-Paulien, 646. Bléneau, Yonne, ch.-l. c., 509. Blesme, Marne, c. Thièblemont-Farémont, 680. Bligny-en-Othe, Yonne, com. de Brienon-sur-Armançon, ch.-l. c., 314. Blois, Loir-et-Cher, ch.-l. dép., 30, 557. Blot-l’Eglise, Puy-de-Dôme, c. Menat, 545. Boësse, Loiret, c. Puiseaux, 361. Bohain-en-Vermandois, Aisne, ch.-l. c., 679. Boissy-le-Sec, Essonne, c. Etampes, 890. Bondy, Seine-Saint-Denis, ch.-l. c., 407. Bonneval, Eure-et-Loir, ch.-l. c., 399. Bordeaux, Gironde, ch.-l. dép., 165, 363, 645. Bordelais, 499. Boucachart, act. Bourg-Achard, Eure, c. Routot, 132. Bougligny, Seine-et-Marne, c. Château-Landon, 743. Bouillancourt-en-Séry, Somme, c. Gamaches, 433. Bouilly-en-Gâtinais, Loiret, c. Pithiviers, 485. Boulay, Yonne, com. de Neuvy-Sautour, c. Flogny-la-Chapelle, 402. Boulogne-sur-Mer, Pas-de-Calais, ch.-l. ar., 856. (Notre-Dame de), 922, 930-932. Boulon, Calvados, c. Bretteville-sur-Laize, 459. Bourbonnais, 54, 784. Boureuilles, Meuse, c. Varennes-en-Argonne, 380. Bourg-d’Iré (Le), Maine-et-Loire, c. Segré, 856.

911

Bourges, Cher, ch.-l. dép., 131, 391, 418, 563, 630, 647, 681, 705, 932. Bourgogne, 20, 26, 54, 243, 246, 254, 255, 361, 576, 669, 672, 823. (chancellerie de), 256. Bourgneuf-en-Retz, Loire-Atlantique, ch.-l. c., 878. Bourgueil, Indre-et-Loire, ch.-l. c., 825. Bourguignon-sous-Coussy, Aisne, c. Coucyle-Château-Auffrique, 595. Boussay, Indre-et-Loire, c. Preuilly-sur-Claise, 647. Bouvaincourt-sur-Bresle, Somme, c. Gamaches, 338. Bouvigny-Boyeffles, Pas-de-Calais, c. Bully-les-Mines, 586. Boves, Somme, ch.-l. c., 69. Brabant, brabançon, Belgique, 511, 543. Braisnes, Oise, c. Ressons-sur-Matz, 412. Brandonvillers, Marne, c. Saint-Remy-en-Bouzemont-Saint-Genest-et-Isson, 398, 399. Bray, Pas-de-Calais, com. de Mont-Saint-Éloi, c. Arras-nord, 881. Bray-et-Lû, Val-d’Oise, c. Magny-en-Vexin, 459. Bray-sur-Somme, Somme, ch.-l. c., 772. Bréban, Marne, c. Sompuis, 392. Brémont, Seine-Maritime, com. de Vatierville, c. Neufchâtel-en-Bray, 677. Bressuire, Deux-Sèvres, ch.-l. ar., 671. Bretagne, 54, 138, 180, 183, 243, 285, 357, 449, 458, 463, 465, 559, 608, 750, 832. (coutume de), 123, 144. Breticourt, non identifié, 269. Brétigny (traité de), 874. Bretonnière (La), Vendée, c. Mareuil-sur-Lay-Dissais, 655. Briançonnais, 791. Brie, 134, 272, 391, 496, 542. Brie-Comte-Robert, Seine-et-Mame, ch.-l. c., 458. Briel-sur-Barse, Aube, c. Bar-sur-Seine, 731, 782. Brienne-sur-Aisne, Ardennes, c. Asfeld, 270. Brinon-sur-Sauldre, Cher, c. Argent-sur-Sauldre, 783. Brionne (La), Creuse, c. Saint-Vaury, 642. Brive-la-Gaillarde, Corrèze, ch.-l. ar., 505. Bruges, Belgique, 467, 778, 922. Bruyères-en-Laonnois, act. Bruyères-et-Montbérault, Aisne, c. Laon-sud, 579. Buchy, Seine-Maritime, ch.-l. c., 508, 605. Bucy-sur-Aisne, voir Bucy-le-Long. Bucy-le-Long, Aisne, c. Vailly-sur-Aisne, 668. Bully, Seine-Maritime, c. Neufchâtel-en-Bray, 502, 638. Busigny, Nord, c. Clary, 577. Bussières, Seine-et-Mame, c. La Ferté-sous-Jouarre, 396, 757.

912

Buzançais, Indre, ch.-l. c., 453. Buzancy, Ardennes, ch.-l. c., 581. Caen, Calvados, ch.-l. dép., 439, 870. (bailli de), 861. (bailliage de), 42, 74, 322, 366, 439, 449, 451, 503, 504, 537, 548, 597, 600, 666, 667, 669, 721, 726, 732, 765, 779, 836, 837, 839, 856, 870, 883. (vicomté de), 42. Calabre, Italie, 726. Calais, Pas-de-Calais, ch.-l. ar., 553. Cambrai, Nord, ch.-l. ar., 443. (évêque de), 921. Camphin-en-Pévèle, Nord, c. Cysoing, 755. Candas, Somme, c. Bernaville, 678. Candie, Grèce, 544. Carcassonne, Aude, ch.-l. dép., 69, 213-215, 222, 252, 253, 262, 394, 745, 747, 862, 867, 868, 898, 900. (évêché de), 950. (sénéchal de), 950. (sénéchaussée de), 249, 253, 256, 363, 778, 856, 867, 932. (viguier de, viguerie de), 213, 215, 216, 222, 223, 861. Carency, Pas-de-Calais, c. Vimy, 424. Carlepont, Oise, c. Ribécourt-Dreslincourt, 119. Carpentras, Vaucluse, ch.-l. ar. (évêque de), 131. Casamance, Sénégal, 184. Castelculier, Lot-et-Garonne, c. Puymirol, 254. Castelnaudary, Aude, ch.-l. c., 128, 720. Castelsarrasin, Tam-et-Garonne, ch.-l. ar., 871. Castera-Lou, Hautes-Pyrénées, c. Pouyastruc, 555, 556. Cauchie (La), Pas-de-Calais, c. Beaumetz-lès-Loges, 288. Caudebec-en-Caux, Seine-Maritime, ch.-l. c., 336. Cauvigny, Oise, c. Noailles, 666. Cauville, Seine-Maritime, c. Montivilliers, 857. Caux (bailli de), 147, 149, 321, 394, 861. (bailliage de), 294, 327, 377, 426, 447, 449, 453, 502, 508, 543, 551, 558, 606, 611, 640, 649, 672, 681, 684, 732, 734, 857. Cébazat, Puy-de-Dôme, c. Gerzat, 622. Celle-en-Brie (La), act. La Celle-sur-Morin, Seine-et-Mame, c. Coulommiers, 895. Celle-Guenand (La), Indre-et-Loire, c. Le Grand-Pressigny, 396. Cérans-Foulletourte, Sarthe, c. Pontvillain, 491.

913

Cercottes, Loiret, c. Artenay, 362, 363, 669. Cergy, Val-d’Oise, ch.-l. c., 390. Cerisy-la-Forêt, Manche, c. Saint-Clair-sur-l’Elle, 48, 420, 580, 822. Cerisy, Somme, c. Bray-sur-Somme, 395. Cesseras, Hérault, c. Olonzac, 249. Ceyssac, Haute-Loire, c. Le Puy-ouest, 252. Chagny, Saône-et-Loire, ch.-l. c., 675. Chaise-Dieu (La), Haute-Loire, ch.-l. c., 688. Challans, Vendée, ch.-l. c., 559. Chalon-sur-Saône, Saône-et-Loire, ch.-l. ar., 653. Châlons-sur-Marne, Marne, ch.-l. dép., 64, 139, 254, 365, 741. (évêque de), 337, 446. Chalus, Haute-Vienne, ch.-1. c., 398. Chambly, Oise, c. Neuilly-en-Thelle, 464, 834. Chambon, Cher, c. Châteauneuf-sur-Cher, 390. Champagne, 20, 132, 260, 561. Champigneul-Champagne, Marne, c. Ecury-sur-Coole, 515. Champigny, Yonne, c. Pont-sur-Yonne, 819. Champillon, Marne, c. Ay, 550. Changy, act. Changis-sur-Marne, Seine-et-Marne, c. La Ferté-sous-Jouarre, 506. Chanteau, Loiret, c. Fleury-les-Aubrais, 669. Chantemerle, Oise, com. de Lagny-le-Sec, c. Nanteuil-le-Haudouin, 542. Chantemerle-sur-la-Soie, Charente-Maritime, c. Tonnay-Boutonne, 60. Chanzeaux, Maine-et-Loire, c. Thouarcé, 542. Chapelle-Vendômoise (La), Loir-et-Cher, c. Herbault, 397. Charité-sur-Loire (La), Nièvre, ch.-l. c., 60, 180. Chars, Val-d’Oise, c. Marines, 134. Chartrain (Le pays), 273. Chartres, Eure-et-Loir, ch.-l. dép., 47, 48, 164, 292, 302, 394, 637, 734, 863. (bailliage de), 74, 181, 285, 287, 290, 295, 298, 310, 319, 374, 381, 397, 404-406, 465, 480, 511, 524, 544, 551, 647, 659, 671, 678, 715, 719, 720, 728, 734, 782, 783, 806, 820, 835, 836, 877, 885. (école de), 547, 596, 666. (official de), 660, 822. (région de), 374. Chassigny, act. Chassigny-Aisey, Haute-Marne, c. Prauthoy, 22, 635. Château-Chinon, Nièvre, ch.-l. ar., 587. Château-du-Loir, Sarthe, ch.-l. c., 465. Château-Gontier, Mayenne, ch.-l. ar., 857. Château-Porcien, Ardennes, ch.-l. c., 424. Château-Regnault-Bogny, Ardennes, com. de Bogny-sur-Meuse, c. Monthermé, 119.

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Château-Thierry, Aisne, ch.-l. ar., 132, 214, 288, 542, 783. (prévôt de), 214, 223, 747. Châteaudun, Eure-et-Loir, ch.-l. ar., 342. Châteaufort, Yvelines, c. Versailles-sud, 498. Châteauroux, Indre, ch.-l. dép., 406. Châtelet (Le), act. Le Châtelet-sur-Retourne, Ardennes, c. Juniville, 270, 404. Châtellerault, Vienne, ch.-l. ar., 292, 293. Châtillon-sur-Seine, Côte-d’Or, ch.-l.c., 282. Chaudardes, Aisne, c. Neufchâtel-sur-Aisne, 647. Chaume (La), Vendée, com. Les Sables-d’Olonne, ch.-l. ar., 25. Chaumont, Haute-Marne, ch.-l. dép., 676, 735. (bailli de), 262. (bailliage de), 73, 255-258, 267, 285, 326, 341, 398, 440, 577, 610, 634, 676, 679, 681, 781, 782, 855, 858. Chaumont-en-Vexin, Oise, ch.-l. c., 337, 722, 829. Chaumont-Porcien, Ardennes, ch.-l. c., 507. (abbaye de Saint-Bertrand), 507. Chauny, Aisne, ch.-l. c., 259, 931. (prévôt de, prévôté de), 563, 760. Chécy, Loiret, ch.-l. c., 594. Chemy, Nord, c. Seclin, 119. Cherbourg, Manche, ch.-l. ar., 548, 837, 858. Chériennes, Pas-de-Calais, c. Hesdin, 776. Chesne, p.e. act. Le Chêne, Saône-et-Loire, com. de Jugy, c. Sennecey-le-Grand, 634. Chevannes, Yonne, c. Auxerre-sud-ouest, 286. Chevrières, Ardennes, com. de Novy-Chevrières, c. Rethel, 816. Chièvres (Les), Yonne, com. de Villeneuve-sur-Yonne, ch.-l. c., 268. Chilleurs-aux-Bois, Loiret, c. Pithiviers, 289. Chinon, Indre-et-Loire, ch.-l. ar., 75, 657. Choisy-le-Roi, Val-de-Marne, ch.-l. c., 417. Chypre, 500, 542. Clarois, act. Cairoix, Oise, c. Compiègne-nord, 805. Clavy-Warby, Ardennes, c. Signy-l'Abbaye, 501, 502. Clermont, Oise, ch.-l. ar., 407. Clermont-en-Lodève, act. Clermont-l’Hérault, Hérault, ch.-l. c., 210, 566, 568. Clermont-Ferrand, Puy-de-Dôme, ch.-l. dép., 545. Cloye, sans doute Clayes-sous-Bois, Yvelines, c. Plaisir, 273. Cluny, Saône-et-Loire, ch.-l. c., 453, 628. Cocherel, act. Houlbec-Cocherel, Eure, c. Vernon-sud, 331, 725. Coinchy-l’Abbaye, act. Coincy, Aisne, c. Fère-en-Tardenois, 132. Coissy, act. Cuisy, Meuse, c. Montfaucon. (prévôt de), 255.

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Coltainville, Éure-et-Loir, c. Chartres-nordest, 404. Compïègne, Oise, ch.-l. ar., 285, 325, 738, 887, 948. Comtat-Venaissin, 653. Conchy-sur-Canche, Pas-de-Calais, c. Auxi-le-Château, 671. Concressault, Cher, c. Vailly-sur-Sauldre, 545. Condom, Gers, ch.-l. ar., 248, 789. Conflans-Sainte-Honorine, Yvelines, ch.-l. c., 435. Congy, act. Congis-sur-Thérouanne, Seine-et-Mame, c. Lizy-sur-Ourcq, 519. Conlie, Sarthe, ch.-l. c., 295, 491. Contrexéville, Vosges, c. Vittel, 267. Corbie, Somme, ch.-l. c., 41, 42, 734. Cormeilles-en-Parisis, Val-d’Oise, ch.-l. c., 730. Corse, 726. Corvol-d’Embernard, Nièvre, c. Brinon-sur-Beuvron, 388. Cosne-sur-Loire, act. Cosne-Cours-sur-Loire, Nièvre, ch.-l. ar., 596. Côte d’ivoire, 184. Cotentin, 218, 320. (bailli de), 28, 561, 837, 860. (bailliage de), 79, 177, 315, 320, 332, 405, 441, 458, 516, 548, 556, 667, 669, 727, 771, 779, 780, 821, 837, 854, 858, 887. Coucy, act. Coucy-le-Château-Auffrique, Aisne, ch.-l. c., 25, 247, 270, 637, 689. Coulanges-la-Vineuse, Yonne, ch.-l. c., 282. Coulommiers, Seine-et-Marne, ch.-l. c., 134, 272, 291. Coupelle-Vieille, Pas-de-Calais, c. Fruges, 629. Courcelles-Sapicourt, Marne, c. Ville-en-Tardenois, 930. Courtenay, Loiret, ch.-l. c., 403, 824. Courtomer, Orne, ch.-l. c., 503, 504. Courtonne-la-Meurdrac, Calvados, c. Lisieux, 534. Courtrai, Belgique. (bataille de), 197. Coussac-Bonneval, Haute-Vienne, c. Saint-Yriex-la-Perche, 547. Coutouvre, Loire, c. Perreux, 543. Craon, Mayenne, ch.-l. c., 558. Crécy-en-Ponthieu, Somme, ch.-l. c., 290. (bataille de), 857, 919. Crécy-sur-Serre, Aisne, ch.-l. c., 827. Crépy, Aisne, c. Laon-nord, 644. Créquy, Pas-de-Calais, c. Fruges, 839. Crespie, act. Crespian, Gard, c. Saint-Mamert-du-Gard, 494. Crié, Rhône, com. des Ardillats, c. Beaujeu, 532. Criquebeuf-en-Caux, Seine-Maritime, c. Fécamp, 770.

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Crosne, Essonne, c. Yerres, 331, 659. Crotelles, Indre-et-Loire, c. Château-Renault, 518. Cuis, Marne, c. Avize, 387. Cuvellies, act. Cuvilly, Oise, c. Ressons-sur-Matz, 526. Dampierre-en-Yvelines, Yvelines, c. Chevreuse, 298. Dangu. Eure, c. Gisors, 269. Dauphiné, 546. (Gouverneur du), 595. Decize, Nièvre, ch.-l. c., 553. Déols, Indre, c. Châteauroux-est. (abbaye de), 160. Désert (Le), Calvados, c. Vassy, 134. Dézert (Le), Manche, c. Saint-Jean-de-Daye, 405. Dijon, Côte-d’Or, ch.-l. dép., 332, 353, 606. (dijonnais,e), 325, 332, 470. Dizy, Marne, c. Ay, 550. Dizy-le-Gros, Aisne, c. Rozoy-sur-Serre, 685. Dohem, Pas-de-Calais, c. Lumbres, 290. Dompierre-en-Morvan, Côte-d’Or, c. Précy-sous-Thil, 371. Dompmart-lez-Ponthieu, act. Domart-en-Ponthieu, Somme, ch.-l. c., 336, 509. Domrémy-la-Pucelle, Vosges, c. Coussey, 289, 511. Donnay, Calvados, c. Thury-Harcourt, 847. Dorchester, Angleterre, 546. Douai, Nord, ch.-l. ar., 253, 254, 632, 633, 644, 683, 940. Douchy, Aisne, c. Vermand, 723. Dourdan, Essonne, ch.-l. c., 458. Doxemer, Belgique, 470, 771. Dreux, Eure-et-Loir, ch.-l. ar. (bailliage de), 285, 420, 856. Drocourt, Yvelines, c. Limay, 585. Dunois, 341. Écluse (L’), Haute-Vienne, com. de Arnac-la-Poste, c. Saint-Sulpice-les-Feuilles,, 883. Écosse, 147, 856, (voir Escoche). Écueil, Marne, c. Ville-en-Tardenois, 294. Égligny, Seine-et-Mame, c. Donnemarie-Dontilly, 723. Égreville, Seine-et-Mame, c. Lorrez-le-Bocage-Préaux, 282. Élancourt, Yvelines, c. Maurepas, 680. Ely, Angleterre, 580. Embrun, Hautes-Alpes, ch.-l. c., 926. Emilie, Italie, 748. Empire, 269, 289, 424, 543, 881, 896.

917

Épagnette, act. Épagne-Épagnette, Somme, c. Abbeville-sud, 524. Épernay, Marne, ch.-l. ar., 153, 551, 563,, 581, 665. Épinal, Vosges, ch.-l. dép., 481. Ercheu, Somme, c. Roye, 857. Ermenonville, Oise, c. Nanteuil-le-Haudouin, 424. Ermont, Val-d’Oise, ch.-l. c., 397. Escoche, act. Écosse, 856. Espagne, 246, 268, 358, 363, 647, 854. Esquerchin, Nord, c. Douai-nord, 886. Essuiles, Oise, c. Saint-Just-en-Chaussée, 295, 736. Estaires, Nord, c. Merville, 267. Estirac, Hautes-Pyrénées, c. Maubourguet, 830. Estouilly, Somme, com. de Ham, ch.-l. c.,, 657. Étampes, Essonne, ch.-l. ar., 886. Éterpigny, Somme, c. Péronne, 649. Étoges, Marne, c. Montfort-Lucy, 741. Étrepagny, Eure, ch.-l. c., 713. Èvres, Meuse, c. Seuil-d’Argonne, 367. Évreux, Eure, ch.-l. dép., 248. (bailli d’), 199. (bailliage d’), 79, 283, 496, 535, 585, 586, 671, 738, 876. Eyrieu, act. Heyrieux, Isère, ch.-l. c., 814. Falaise, Calvados, ch.-l. c., 74, 504, 669, 860. Fauville-en-Caux, Seine-Maritime, ch.-l. c., 377. Favières, Somme, c. Rue, 150. Favras, Loir-et-Cher, com. de Feings, c. Contres, 133. Fay, Orne, c. Moulins-la-Marche, 504. Fère-Champenoise, Marne, ch.-l. c., 402. Fère-sur-Oise (La), act. La Fère, Aisne, ch.-l. c„ 160, 265, 563. Ferrières, Oise, c. Maignelay-Montigny, 513. Ferrières-en-Gâtinais, Loiret, ch.-l. c., 358. Ferté-Bernard (La), Sarthe, ch.-l. c., 491, 678. Ferté-Gaucher (La), Seine-et-Mame, ch.-l. c., 826. Ferté-Milon (La), Aisne, c. Neuilly-Saint-Front, 542. Ferté-sous-Jouarre (La), Seine-et-Mame, ch.-l. c., 334, 506, 550, 553. Feuquières, Oise, c. Grandvilliers, 642. Feurs, Loire, ch.-l. c., 443. Feux, Cher, c. Sancerre, 378. Fierbois (Sainte-Catherine de), Maine-et-Loire, com. de Vaudelnay, c. Montreuil-Bellay, 931, 932.

918

Flacey, Eure-et-Loir, c. Bonneval, 889. Flandre (s), 187, 223, 259, 262, 564, 565, 568, 726, 755, 765, 778, 782, 787, 790, 837, 855-857, 870, 896, 941. Flavacourt, Oise, c. Le Coudray-Saint-Germer, 721. Fiers, Somme, c. Combles, 562. Fleury, act. Fleurie, Rhône, c. Beaujeu, 594. Fleury-la-Forêt, Eure, c. Lyons-la-Forêt, 876. Flines-lès-Mortagne, Nord, c. Saint-Amand-les-Eaux-rive-droite, 722. Flocellière (La), Vendée, c. Pouzauges, 317. Florence, Italie, 271, 321, 334, 351, 379, 725, 748. Fontaines-sur-Saône, Rhône, c. Neuville-sur-Saône, 768. Fontenay-en-Brie, act. Fontenay-Trésigny, Seine-et-Mame, c. Rosay-en-Brie, 458. Fontenay-Saint-Père, Yvelines, c. Limay, 641. Fontins-en-Brie, act. Fontains, Seine-et-Mame, c. Nangis, 496. Forceville, Somme, c. Acheux-en-Amiénois, 552. Fors, Deux-Sèvres, c. Prahecq, 875. Fouletourt, voir Cérans-Foulletourte. Fourneaux-le-Val, Calvados, c. Falaise-nord, 600. Fournes-en-Weppes, Nord, c. La Bassée, 511. Fousseret (Le), Haute-Garonne, ch.-l. c., 252. Fraillicourt, Ardennes, c. Chaumont-Porcien, 552. France, 18, 202, 626, 693, 748, 801, 951. (couronne de), 201, 837. (coutume de), 782, 783. (écu de), 169. (maison de), 426, 496. (royaume de), 79, 138, 203, 230, 241, 247, 253, 264, 268, 274, 289, 294, 302, 307, 323, 357, 369, 392, 400, 468, 523, 566, 584, 684, 688, 748, 753, 773, 787, 792, 800, 801, 805, 858, 859, 906, 927, 935. Fransures, Somme, c. Ailly-sur-Noye, 581. Frévent, Pas-de-Calais, c. Auxi-le-Château, 769. Fribourg, Rép. Féd. d’Allemagne, 183. Fricourt, Somme, c. Albert, 445. Gagny, Seine-Saint-Denis, ch.-l. c., 417. Gallardon, Eure-et-Loir, c. Maintenon, 596, 715. Gand, Belgique, 50, 271, 565-568, 760, 870. Garnache (La), Vendée, c. Challans, 559, 930. Gascogne, 248, 249, 559, 854. Gâtine (La), non identifié, 885. Gâtinais, 500, 544. Gaule, 693.

919

Gemeaux, Côte-d’Or, c. Is-sur-Tille, 391, 725. Genève, Suisse, 521. Gennes, Maine-et-Loire, ch.-l. c., 279. Gensac-sur-Garonne, Haute-Garonne, c. Rieux, 586, 814. Gentilly, Val-de-Marne, c. Arcueil, 507, 508. Germigny-sous-Coulombs, Seine-et-Marne, c. Lizy-sur-Ourcq, 519. Germonval, com. de Gallardon, Eure-et-Loir, c. Maintenon, 711. Gernelle, Ardennes, c. Villers-Semeuse, 673. Gévaudan, 247, 718. Ghistelles, Belgique, 263. Gien, Loiret, ch.-l. c., 390, 500, 551, 743. Gimont, Gers, ch.-l. c., 786. Giry, Nièvre, c. Prémery, 425. Gisors, Eure, ch.-l. c. (bailliage de), 269, 337, 459, 509, 586, 601, 713. Gommecourt, Pas-de-Calais, c. Pas-en-Artois, 650. Goulet, Orne, c. Écouché, 504. Gournay-sur-Marne, Seine-Saint-Denis, c. Noisy-le-Grand, 158, 438. Goussainville, Val-d’Oise, ch.-l. c., 342, 343. Grandpré, Ardennes, ch.-l. c., 706. Granville, Manche, ch.-l. c., 732. Graverie (La), Calvados, c. Le Bény-Bocage, 134. Gravier (Le), Cher, com. de La Guerche-sur-l’Aubois, ch.-l. c., 388. Grèce, 544. Grignon, com. de Thiverval-Grignon, Yvelines, c. Plaisir, 557. Gueldre, Pays-Bas, 340. Guérart, act. Guérard, Seine-et-Marne, c. Coulommiers, 445. Guerbigny, Somme, c. Montdidier, 517. Guercheville, Seine-et-Marne, c. La Chapelle-la-Reine, 544. Guise, Aisne, ch.-l. c., 660. Guyenne, 203. (sénéchaussée de), 645. Hainaut, Belgique, 79, 177, 187, 253, 258, 363, 470, 649, 765, 928. Hallencourt, Somme, ch.-l. c., 758. Ham, Somme, ch.-l. c.. 119. Hamars, Calvados, c. Évrecy, 366. Hambye, Manche, c. Gavray, 887. Hangest-en-Santerre, Somme, c. Moreuil, 342, 343, 560. Harcourt, Eure, c. Brionne, 551. Harecourt, non identifié, dépendant sans doute de Revercourt, 406.

920

Harfleur, Seine-Maritime, c. Gonfreville-l’Orcher, 856-858. Hélot, Seine-Maritime, com. Les Trois-Pierres, c. Saint-Romain-de-Colbosc, 129. Hémécourt, Oise, com. Escames, c. Songeons, 509. Hénin-Liétard, act. Hénin-Beaumont, Pas-de-Calais, ch.-l. c., 881. Herbécourt, Somme, c. Bray-sur-Somme, 857. Hermenonville, act. Hermonville, Marne, c. Fismes, 526. Hermes, Oise, c. Noailles, 358, 515, 763. Hesdin, Pas-de-Calais, ch.-l. c., 277, 500. (prévôt d’), 277, 337, 671. Hollande, hollandais, 543. Hondevilliers, Seine-et-Marne, c. Rebais, 515, 516. Hondschoote, Nord, ch.-l. c., 726. Houdan, Yvelines, ch.-l. c., 141. Houdeville, act. Houville-la-Branche, Eure-et-Loir, c. Auneau, 658. Houlbec-Cocherel, Eure, c. Vernon-sud, 331. Houssaye-en-Brie (La), Seine-et-Marne, c. Rozay-en-Brie, 458. Igny-Comblizy, Marne, c. Dormans, 391, 882. Ile-Bouchard (L’), Indre-et-Loire, ch.-l. c., 409. Ile-de-France, 407, 423. Isenay, Nièvre, c. Moulins-Engilbert, 337. Isle-Aumont, Aube, c. Bouilly, 655. Isles-les-Meldeuses, Seine-et-Marne, c. Lizy-sur-Ourcq, 453. Issoire, Puy-de-Dôme, ch.-l. ar., 447. Issoudun, Indre, ch.-l. ar., 66. Israël, 217, 220. Italie, 19, 179, 424, 748. (guerre d’), 192, 193. Italien, italienne, 18, 598, 631, 748, 773. Iteuil, Vienne, c. Vivonne, 310. Ivry-en-Montagne, Côte-d’Or, c. Nolay, 634. Jailly, Nièvre, c. Saint-Saulge, 627. Jérusalem, 217, 343, 926. Jeumont, Nord, c. Maubeuge-nord, 253. Joinville, Haute-Marne, ch.-l. c., 582. Joinville-le-Pont, Val-de-Marne, ch.-l. c., 602. Joux-la-Ville, Yonne, c. L’Isle-sur-Serein, 891. Jouy, (forêt de), sans doute Jouy-le-Châtel, Seine-et-Marne, c. Nangis, 458. Jumièges, Seine-Maritime, c. Duclair, 404. Jussas, Charente-Maritime, c. Montendre, 556. Juvigny, Marne, c. Châlons-sur-Marne, 515.

921

Lacaune, Tarn, ch.-l. c., 932. Lagny-sur-Marne, Seine-et-Marne, ch.-l. c., 745, 809. Lanches-Saint-Hilaire, Somme, c. Domart-en-Ponthieu, 509. Lanchy, Aisne, c. Vermand, 73, 74. Langres, Haute-Marne, ch.-l. ar., 411, 668, 871. (chapitre de), 635, 689. Languedoc, 4, 66, 121, 198, 243, 248, 249, 301, 303, 494, 500, 921, 924, 947. (languedocien,nes), 480, 791. Lannion, Côtes-du-Nord, ch.-l. ar., 668. Laon, Aisne, ch.-l. dép., 22, 27, 72, 133, 214-216, 233, 325, 388, 409, 421, 459, 558, 576, 594, 608, 673, 724, 727, 860, 874, 885, 899, 926. (évêque de, chapitre de), 204, 208. (prévôt de), 223, 234, 551, 560, 603. Laonnois, 228, 887. Laprugne, Allier, c. Le Mayet-de-Montagne, 671. Larressingle, Gers, c. Condom, 249. Launoy, Aisne, c. Oulchy-le-Château, 815. Laval-Morency, Ardennes, c. Rocroi, 259, 454, 684. Lavau, Yonne, c. Saint-Fargeau, 763. Lavault-de-Frétoy, Nièvre, c. Château-Chinon-ville, 719. Lesboeufs, Somme, c. Combles, 562. Lessard-le-National, Saône-et-Loire, c. Chagny, 664. Lézinnes, Yonne, c. Ancy-le-Franc, 431, 525. Liancourt, Oise, ch.-l. c., 880. Liège, Belgique, 216, 786. (évêque de), 638, 896. Liergues, Rhône, c. Anse, 543. Liesse (Notre-Dame de), Aisne, c. Sissonne, 922, 931. Liessies, Nord, c. Solre-le-Château, 541. Lieury, Calvados, com. de L’Oudon, c. Saint-Pierre-sur-Dives, 839. Lignan-sur-Orb, Hérault, c. Béziers, 363. Lignères, Orne, c. Le Merlerault, 806. Lihons, Somme, c. Chaulnes, 643. Lille, Nord, ch.-l. dép., 781, 932. (bailli de), 781. Limoges, Haute-Vienne, ch.-l. dép., 51, 635, 836. (Saint-Martial de), 49. Limousin, 484, 534, 547, 773, 804, 922. (diocèse), 836. (sénéchal de), 534, 836, 837. (sénéchaussée de), 480, 547, 630, 720, 759, 760, 784, 836, 932. Linthes, Marne, c. Sézanne, 721. Lisieux, Calvados, ch.-l. ar., 131, 580.

922

Lisle, Dordogne, c. Brantôme, 480. Lislebonne, act. Lillebonne, Seine-Maritime, ch.-l. c., 129. Lissy, Seine-et-Marne, c. Brie-Comte-Robert, 334. Litz, Oise, c. Clermont, 459. Loges-Marchis (Les), Manche, c. Saint-Hilaire-du-Harcouët, 320. Loire (pays de la), 276, 653. Lombardie, Lombard, Italie, 280, 281. Lompret, Nord, c. Quesnoy-sur-Deûle, 826. Londinières, Seine-Maritime, ch.-l. c., 732. Longages, Haute-Garonne, c. Carbonne, 249. Loreux, Loir-et-Cher, c. Romorantin-Lanthenay, 609. Lormaye, Eure-et-Loir, c. Nogent-le-Roi, 284, 404. Lorraine, 54, 243, 246, 255, 279, 561. Loulay, Charente-Maritime, ch.-l. c., 673. Lourdes, Hautes-Pyrénées, ch.-l. c., 254. Louroux-Béconnais (Le), Maine-et-Loire, ch.-l. c., 652. Louviers, Eure, ch.-l. c., 501. Luc, Lozère, c. Langogne, 267. Lucques, Italie, 467. Lyon, Rhône, ch.-l. dép., 6, 131, 254, 269, 343, 466, 689, 791, 816, 885, 898. (archevêque de), 300. (official de), 816. (sénéchaussée de), 125, 126, 443. Lyonnais, 4, 61, 300, 309, 724, 898. Machecoul, Loire-Atlantique, ch.-l. c., 559. Machy, Somme, c. Rue, 290. Mâcon, Saône-et-Loire, ch.-l. dép., 159, 254, 471, 628, 634, 784, 865, 888. (bailliage de), 73, 119, 160, 361, 396, 409, 413, 424, 453, 532, 537, 543, 606, 624, 632, 634, 655, 664, 675, 685, 693, 705, 718, 722, 761, 768, 838, 885. Magné, Vienne, c. Gençay, 809. Maigny, act. Magny-en-Vexin, Val-d’Oise, ch.-l. c., 218. Maillet, Indre, c. Neuvy-Saint-Sépulcre, 74. Mailly-le-Camp, Aube, c. Arcis-sur-Aube, 932. Mainbrecies, act. Mainbressy, Ardennes, com. de Rocquigny, c. Chaumont-Porcien, 456, 518. Maisnières, Somme, c. Gamaches, 779, 780. Maisnil, Pas-de-Calais, c. Saint-Pol-sur-Ternoise, 652. Maison-Dieu (La), Nièvre, c. Tannay, 603. Maisons-Laffitte, Yvelines, ch.-l. c., 333. Malay-le-Grand, Yonne, c. Sens-sud-est, 680, 888.

923

Mamers, Sarthe, ch.-l. ar., 465. Mandres, Eure-et-Loir, com. de Billancelles, c. Courville-sur-Eure, 295. Manosque, Alpes-de-Haute-Provence, ch.-1. c., 813. Mans (Le), Sarthe, ch.-l. dép., 35, 318, 491, 494, 829. (diocèse du), 393. (évêque du), 460. Mantes-la-Jolie, Yvelines, ch.-l. ar., 22, 500, 837. (bailliage de), 412, 425, 500, 641, 873, 786. Marche, 634. Marchiennes, Nord, ch.-l. c., 879. Marcilly-le-Hayer, Aube, ch.-l. c., 412. Mareil-en-Champagne, Sarthe, c. Brûlon, 653. Maresville, Pas-de-Calais, c. Étaples, 786. Marsangis, Marne, c. Anglure, 268. Marseille, Bouches-du-Rhône, ch.-l. dép., 668. Martigues, Bouches-du-Rhône, ch.-l. c., 60. Massay, Cher, c. Vierzon, 681. Massif central, 499. Massy, Essonne, ch.-l. c., 419, 420. Matougues, Marne, c. Écury-sur-Coole, 515. Maule, Yvelines, c. Aubergenville, 552, 735. Mazé, Maine-et-Loire, c. Beaufort-en-Vallée, 444. Mazières-de-Touraine, Indre-et-Loire, c. Langeais, 459. Mazingarbe, Pas-de-Calais, c. Liévin-nord, 676. Meaulne, Allier, c. Cérilly, 871. Meaux, Seine-et-Mame, ch.-l. ar., 175, 273, 363, 445, 465, 467, 581, 725, 925. (bailli de), 222, 223, 437. (bailliage de), 149, 159, 358, 363, 396, 453, 491, 532, 683, 723-725, 755, 786, 809, 826. (évêque de), 292, 437, 444. (vicomte de), 563. Méditerranée, 247, 935. Mehun-sur-Loire, act. Meung-sur-Loire, Loiret, ch.-l. c., 417. Melun, Seine-et-Mame, ch.-l. dép., 282, 406, 464, 925. (bailli de), 136, 560, 561, 564, 827, 889. (bailliage de), 149, 159, 404, 406, 418, 444, 496, 505, 544, 564, 602, 885. (prévôt de), 687. (traité de), 869. Ménestreau-en-Villette, Loiret, c. La Ferté-Saint-Aubin, 929. Merfy, Marne, c. Bourgogne, 436. Mérinville, Loiret, c. Courtenay, 871. Merlaut, Marne, c. Vitry-le-François-est, 119.

924

Mesnil-lez-Dohem, voir Dohem. Mesnil-Saint-Georges, Somme, c. Montdidier, 837, 838. Metz, Moselle, ch.-l. dép, 367. Meudon, Hauts-de-Seine, ch.-l. c., 46. Meuse (rivière), 259, 262. Mezel, Puy-de-Dôme, c. Vertaizon, 449. Mhère, Nièvre, c. Corbigny, 340. Mirande, Gers, ch.-l. ar., 236. Miraumont, Somme, c. Albert, 426, 427. Mireval, Hérault, c. Frontignan, 47, 235. Mitry-Mory, Seine-et-Marne, ch.-l. c., 152. Molay-Littry (Le), Calvados, c. Balleroy, 726. Mondonville-Saint-Jean, Eure-et-Loir, c. Auneau, 181. Monfréville, Calvados, c. Isigny-sur-Mer, 883. Montagnac, Hérault, ch.-l. c., 198. Montaillou, Ariège, c. Ax-les-Thermes, 4, 341, 396, 484. Montaigu, Vendée, ch.-l. c., 263, 558, 845. Montamat, Gers, c. Lombez, 249. Montargis-Cepoy, Loiret, ch.-l. ar. (bailliage de), 269, 360, 362, 363, 417, 480, 544, 545, 551, 647, 669, 743, 866, 929. Montataire, Oise, ch.-l. c., 422. Mont-Brullé, Seine-et-Mame, corn, de Fontains, c. Nangis, 496. Mont-Saint-Michel (Le), Manche, c. Pontorson, 516, 931. Montcornet, Aisne, c. Rozoy-sur-Serre, 229. Montcresson, Loiret, c. Châtillon-Coligny, 551. Montdidier, Somme, ch.-l. ar., 435, 847, 920. (prévôté de), 342, 693. Montereau-Faut-Yonne, Seine-et-Marne, ch.-l. c., 564. (meurtre de), 801, 802. Montfaucon, Aisne, c. Charly, 425. Montferrand (bailliage de), 446, 646. Montfort-l’Amaury, Yvelines, ch.-l. c., 425. Montfort-sur-Risle, Eure, ch.-l. c., 132. Monthuchon, Manche, c. Saint-Sauveur-Lendelin, 548. Montigny-en-Beauvais, Oise, com. de Maignelay-Montigny, ch.-l. c., 693. Montigny, act. Montigny-Mornay-Villeneuve-sur-Vingeanne, Côte-d’Or, c. FontaineFrançaise, 838. Montigny-sur-Aube, Côte-d’Or, ch.-l. c., 728. Montivilliers, Seine-Maritime, ch.-l. c., 41, 543. Montlhéry, Essonne, ch.-l. c., 632. (bailliage de), 886, 890.

925

Montmartin-en-Graignes, Manche, c. Saint-Jean-de-Daye, 177. Montmorency, Val-d’Oise, ch.-l. ar., 132. Montmort, Saône-et-Loire, c. Issy-l’Evêque, 459. Montolieu, Aude, c. Alzonne, 791. Montpellier, Hérault, ch.-l. dép., 180, 184, 187, 303, 500, 577, 636, 790, 898, 901, 903. Montreuil-sous-Bois, act. Montreuil, Seine-Saint-Denis, ch.-l. c., 499. Montreuil-sur-Mer, act. Montreuil, Pas-de-Calais, ch.-l. ar., 24, 112, 452. Moret-sur-Loing, Seine-et-Mame, ch.-l. c., 602. Mortagne-du-Nord, Nord, c. Saint-Amand-les-Eaux-rive-droite, 774. Mortain, Manche, ch.-l. c., 464, 771. Mothe-Saint-Héray (La), Deux-Sèvres, ch.-1. c., 757. Moulins, Allier, ch.-l. dép., 784. Moulins-la-Marche, Orne, ch.-l. c., 503, 504. Moutiers-d’Ahun, Creuse, c. Ahun, 720. Nancerois, Belgique, 765. Nancray-sur-Rimarde, Loiret, c. Beaux-la-Rolande, 289. Nangis, Seine-et-Mame, ch.-l. c., 520, 557. Nantes, Loire-Atlantique, ch.-l dép., 903. Naours, Somme, c. Domart-en-Ponthieu, 676. Narbonne, Aude, ch.-l. ar., 187, 439. Navarre, 254, 261, 357. Neauphile-le-Vieux, Yvelines, Montfort-l’Amaury, 680. Nemours (duché de), 361. (bailliage du duché de), 361. Neufbourg, act. Le Neubourg, Eure, ch.-l. c., 876. Neufchâteau, Vosges, ch.-l. ar., 263, 835, 843. Neufchâtel-en-Bray, Seine-Maritime, ch.-l. c., 327, 638. Neuvy-sur-Loire, Nièvre, c. Cosne-Cours-sur-Loire, 119. Nevers (comté de), 644. Nîmes, Gard, ch.-l. dép., 262. Niort, Deux-Sèvres, ch.-l. dép., 757. Nivernais, 542. Nizy-le-Comte, Aisne, c. Sissonne, 287. Noël-lez-Verneuil, act. Les Noëls, Loir-et-Cher, com. de Vineuil, c. Blois, 496. Nogent-l’Artaud, Aisne, c. Charly, 319. Nogent-ie-Roi, Eure-et-Loir, ch.-l. c., 284, 285, 856. Nogent-le-Rotrou, Eure-et-Loir, ch.-l. ar., 318. Nolay, Côte-d’Or, ch.-l. c., 668. Norfolk, Angleterre, 302.

926

Normandie, Normand, 132, 191, 218, 272, 394, 405, 440, 500, 545, 551, 556, 585, 594, 729, 839, 861. Normanville, Seine-Maritime, c. Fauville-en-Caux, 447. Northamptonshire, Angleterre, 302. Nouzilly, Indre-et-Loire, c. Château-Renault, 518. Noyon, Oise, ch.-l. c., 325, 610, 691, 842, 844, 931. Odenas, Rhône, c, Belleville, 705. Oger, Marne, c. Avize, 508. Oiron, Deux-Sèvres, c. Thouars, 770. Olonzac, Hérault, ch.-l. c., 214. Onlay, Nièvre, c. Moulins-Engilbert, 628. Orange, Vaucluse, ch.-l. c., 26, 595. Orbec, Calvados, ch.-l. c., 374. (bailliage d’), 374, 559, 642, 649. Orbeil, Puy-de-Dôme, c. Issoire, 446. Orléanais, 289. Orléans, Loiret, ch.-l. dép., 134, 269, 285, 292, 387, 649, 669, 684, 820, 845, 880, 926. (bailliage d’), 269, 289, 358, 559, 594, 602, 609, 681, 683, 705, 783, 845, 871, 873, 880, 932. (évêque d’), 926, 927. Orly, Val-de-Marne, ch.-l. c., 557. Orsonville, Yvelines, c. Saint-Amoult-en-Yvelines, 783. Orval, Cher, c. Saint-Amand-Montrond, 151, 266, 432. Ouanne, Yonne, c. Courson-les-Carrières, 396. Oudry, Saône-et-Loire, c. Palinges, 119. Oxford, Angleterre, 271. Ozoir-la-Ferrière, Seine-et-Mame, c. Roissy, 576. Pacy-sur-Eure, Eure, ch.-l. c., 248, 664. Padoue, Italie, 377. Pagny-sur-Meuse, Meuse, c. Void-Vacon, 858. Palluau-sur-Indre, Indre, c. Châtillon-sur-Indre, 443, 446. Parigné-l’Evêque, Sarthe, c. Le Mans-est-campagne, 285. Paris, capitale de la France, ch.-l. dép., 8, 18, 34, 35, 41-45, 47, 48, 50, 52, 69, 73, 75, 117, 125, 127, 132, 136, 141, 149, 150, 152, 153, 159, 164-166, 173, 174, 181, 195, 196, 201, 205, 214, 215, 218, 222, 223, 232, 246, 254, 264, 267, 270-283, 285, 286, 290, 303, 304, 307, 309, 313, 325, 337, 341, 343-345, 348, 349, 359, 378, 397, 416, 417, 431, 437, 445, 447, 448, 452, 458, 460, 465, 467, 468, 470, 471, 485, 499, 500, 505, 507, 514, 520, 552, 553, 565, 568, 575-577, 579, 583, 606-608, 611, 618, 624, 627, 631, 653, 673, 680, 690, 691, 717, 722, 726, 735, 736, 742, 747, 748, 811, 816, 820, 826, 829, 840, 841, 843, 844, 856, 864, 865, 869, 870, 873, 879, 888, 890, 902, 903, 910, 924, 927, 930, 947-949. (parisien, ne), 14, 34-36, 45-47, 50-52, 60, 70, 115, 116, 125, 130, 150, 166, 194, 201, 205, 211,218, 232, 233, 264, 270, 272-277, 280, 283, 302, 319, 335, 343-345, 383, 410, 417, 419, 458, 463, 468, 501, 552, 557, 570, 583, 653, 659, 663, 730, 742, 758, 811, 822, 852, 869, 887, 897, 945, 948.

927

(Châtelet de), 21, 25, 29, 33-37, 39-43, 72, 115, 125, 130, 133, 134, 138-141, 146-150, 152, 153, 155, 162, 165, 171, 177-179, 191, 195, 205, 206, 211, 219, 220, 229, 230-233, 264, 271, 272, 275, 278, 281, 292, 293, 301-303, 305, 309, 310, 317, 318, 335, 359, 360, 394, 401, 402, 405, 442, 443, 445, 447, 468, 480, 570, 575, 578, 583, 591, 598, 608, 637, 676, 679, 712, 731, 734, 748, 750, 783, 790, 801, 811, 814, 827, 828, 840, 841, 860, 865, 872, 887, 897, 902, 909, 922, 926, 948, 950. (Châtelet, Registre criminel du), 33-37, 39-41, 47, 139, 155-157, 160, 161, 271-273, 276, 277, 280, 283, 291, 301, 325, 328, 366, 384, 393, 400, 502, 811, 814, 897, 902. (Châtelet, Registre des écrous du), 33, 34, 36, 59, 70, 162, 275, 302, 304, 305, 335, 402, 790, 897. (Conciergerie), 162, 292, 687, 811. (évêque et chapitre de), 29, 34. 45, 46, 51, 149, 158, 161, 174, 197, 228, 229, 274, 393, 394, 462, 468, 580, 841, 926. (Fort-l’Evêque), 158. (Halles), 354, 359, 564, 902, 903. (Hôtels), d’Armagnac, 520, Saint-Pol, 221. (Montfaucon, gibet de), 448, 897. (Notre-Dame de), 45-47, 926. (Palais). 162, 196, 354, 748. (Parlement de et Cour du), 7, 17, 18, 21-32, 34-37, 39, 40-44, 47, 60, 61, 68, 70, 72, 73, 80, 112, 117, 118, 123-131, 134-136, 138, 140-142, 147-149, 151, 155-163, 165, 170-178, 180, 183, 191, 194, 197, 200, 204-206, 214, 221, 222, 228, 231, 234, 239, 253, 256-258, 263, 275, 276, 278, 281, 291, 292, 301, 318, 323, 332, 335, 337, 341, 360, 371, 386, 392, 393, 400, 417-419, 424, 439, 442, 447, 448, 458, 460, 462, 463, 467, 468, 505, 524, 527, 535, 542, 557-560, 563, 564, 568, 578, 580, 581, 583, 585, 590, 613, 624, 625, 631, 632, 634, 636, 637, 643, 646, 650, 659, 671, 686, 687, 689-691, 693, 735, 741, 745, 747, 748, 750, 751, 763, 765, 771, 780, 782, 783, 785, 787, 791, 802, 805, 806, 811, 816, 818, 823, 828, 831-834, 840, 841, 843, 844, 859, 861, 863-865, 874, 889, 890, 897, 898, 902, 914, 926, 928, 930, 935, 941, 942, 947-949. (Place Maubert), 305. (Ponts), Petit-pont, 279, pont Saint-Michel, 275, pont Notre-Dame, 401, 659. (Porte de Paris), 278. (Prévôt de), 34, 35, 37-39, 41, 46, 52, 53, 113, 128-130, 141, 148, 149, 156-158, 160, 178, 186, 191, 199, 201,203, 214, 219, 220, 228, 229, 232, 274, 275, 303, 310, 467, 468, 563, 564, 717, 748, 811, 833, 847. (Prévôté et vicomté de), 33, 40, 73, 79, 119, 125, 134, 201, 255, 277-280, 282, 284, 285, 295, 300, 309, 327, 331, 333, 334, 343, 351, 360, 365, 369, 378, 397, 402, 407, 417, 420, 431, 438, 452, 471, 485, 496, 498-501, 506, 514, 516, 519, 520, 550, 552, 575-577, 602, 608, 609, 627, 629, 632, 643, 669, 673, 680, 722, 726, 730, 735, 811, 826, 829, 840, 857, 859, 870, 873, 879, 888, 889, 895, 930-932. (Prévôt des marchands de), 232, 275, 691, 842.

928

(Rues) Aux oies, 278, Barbette, 950, de Billy, 159, Chapon, 280, 468, 872, Froid-Mantel, 277, Saint-Denis, 305, 607, 736, 902, Saint-Germain-després, 305, Saint-Martin, 583, Saint-Nicolas, 735, Savonnerie, 305, du Temple, 872. (Sainte-Chapelle), 807. (Saint-Éloi), 45. (Sainte-Geneviève), 45, 47, 126, 926. (Saint-Geoffroy), 397. (Saint-Germain-l'Auxerrois), 48, 304. (Saint-Germain-des-Prés), 25, 45-47, 134, 659. (Saint-Gervais), 162. (Saint-Jacques-de-la-Boucherie), 48, 304. (Saint-Ladre), 279. (Saint-Magloire), 45, 46, 200, 275. (Saint-Marcel), 278. (Saint-Martin-des-Champs), 45, 46, 309, 354. 355, 807, 926. (Saint-Mathelin, act. Saint-Marcelin), 325. (Saint-Merry), 514. (Saint-Nicolas-des-Champs), 822. (Saint-Pol, paroisse de), 499. (Saint-Victor), 278, 325. (Sainte-Catherine-du-Val-des-Écoliers), 360. (Saints-Innocents), 305, 354. (Temple), 45, 47, 153, 195, 276. (Université de), 42, 43, 146, 198, 221, 229, 232, 345, 360, 448, 833, 916, 950. Parthenay, Deux-Sèvres, ch.-l. ar., 436. Passavant-en-Argonne, Marne, c. Sainte Menehould, 255. Pays-Bas, 753, 784, 930. Périgord, 587. (sénéchaussée de), 124, 174, 398, 587. Périgueux, Dordogne, ch.-l. dép., 272, 357, 386, 587. Péronne, Somme, ch.-l. ar., 69, 206. Péroy-les-Gombries, Oise, c. Nanteuil-le-Haudouin, 717. Petite-Boissière (La), Deux-Sèvres, c. Mauléon, 359, 517. Picardie, 41, 42, 254, 333, 388, 391, 407, 782, 856, 861. Picquigny, Somme, ch.-l. c., 731. Piémont, Italie, 20. Pierrefonds, Oise, c. Attichy, 125, 322, 542. Pinols, Haute-Loire, ch.-l. c, 485. Pinsaguel, Haute-Garonne, c. Muret, 625.

929

Pise (concile de), Italie, 869. Pogny, Marne, c. Marson, 507. Poilly-lez-Gien, Loiret, c. Gien, 670. Poissy, Yvelines, ch.-l. c., 138, 629. Poitevinière (La), Maine-et-Loire, c. Beaupréau, 505. Poitiers, Vienne, ch.-l. dép., 44, 75, 292. (bataille de), 147, 421, 857. (Parlement de), 26, 27, 44, 841. Poitou, 136, 517, 667, 757, 782, 806, 818, 841. (comté de), 494. (sénéchaussée de), 359, 492, 630, 637, 652, 671, 879. Ponchon, Oise, c. Noailles, 351, 517. Pont-Authou, Éure, c. Montfort-sur-Risle, 837. Pont-de-l'Arche, Eure, ch.-l. c., 546, 839. Pontaubert, Yonne, c. Avallon, 369. Ponthieu (sénéchal de), 67, 142, 200, 547. (sénéchaussée de), 68, 119,142, 290, 328, 340, 433, 524, 543, 578, 637, 644, 683, 758, 774, 872, 932. Pontoise, Val d’Oise, ch.-l. dép., 218, 273, 384, 390, 438, 857. (traité de), 860. Pontpoint, Oise, c. Pont-Sainte-Maxence, 422. Pouquentin, non localisé, bailliage de Vitry, peut-être Pocancy, Marne, c. Vertus, 150. Pouzauges, Vendée, ch.-l. c., 712, 750. Presles-en-Brie, Seine-et-Marne, c. Tournan-en-Brie, 889. Preuilly, Cher, c. Lury-sur-Arnon, 887. Prisces, Aisne, c. Vervins, 882. Privas, Ardèche, ch.-l. dép., 566. Pronleroy, Oise, c. Saint-Just-en-Chaussée, 79, 509. Provence, Provençal, 351, 465, 884. Provins, Seine-et-Marne, ch.-l. ar., 444, 496, 532. Prunay-le-Temple, Yvelines, c. Houdan, 720. Prusse, 289. Puy (Le), Haute-Loire, ch.-l. dép., 72, 114, 252. (Notre-Dame du), 931. Quercy, (sénéchaussée de), 625, 818. Quesmy, Oise, c. Guiscard, 150, 282. Quesne (Le), Somme, c. Hornoy-le-Bourg, 684. Quincey, act. Quincy-sous-Sénart, Essonne, c. Brunoy, 291. Rabastens-de-Bigorre, Hautes-Pyrénées, ch.-l. c., 254. Rahay, Sarthe, c. Saint-Calais, 885. Rainneville, Somme, c. Villers-Bocage, 641. Rampillon, Seine-et-Mame, c. Nangis, 136, 151, 812, 827.

930

Rances, Aube, c. Brienne-le-Château, 326, 341. Recy, Marne, c. Châlons-sur-Marne, 515. Reims, Marne, ch.-l. ar., 28, 49, 136, 202, 206, 236, 254, 270, 332, 347, 353, 432, 525, 543, 552, 809, 931. (bailli de), 266, 778. (chanoine de), 525. Rémois, 269, 842. Remigny, Aisne, c. Moy-de-l’Aisne, 563. Remiremont, Vosges, ch.-l. c., 926. Ressons-sur-Matz, Oise, ch.-l. c., 526, 527. Rethel, Rethélois, Ardennes, ch.-l. ar., 260, 261, 270. Reuil-en-Brie, Seine-et-Mame, c. La Ferté-sous-Jouarre, 334. Revercourt, Eure-et-Loir, c. Brézolles, 406. Rhodanien (Sillon), 334, 598, 814. Riaillé, Loire-Atlantique, ch.-l. c., 505, 520. Ribemont, Aisne, ch.-l. c., 470. Rieupeyroux, Aveyron, ch.-l. c., 587. Riverie, Rhône, c. Momant, 413. Rocamadour (Notre-Dame de), Lot, c. Gramat, 181, 922. Rochefort-sur-la-Côte, Haute-Marne, c. Andelot-Blancheville, 770. Rochefoucauld (La), Charente, ch.-l. c., 762. Rochelle (La), Charente-Maritime, ch.-l. dép., 313, 544, 593, 597. (gouverneur de), 119, 524, 544, 583, 655. (bourg de Saint-Nicolas), 544. Rocquigny, Ardennes, c. Chaumont-Porcien, 518. Rolleville, Seine-Maritime, c. Montivilliers, 681. Romagne, Italie, 748. Rome, Italie, 217, 866, 931. Romilly-sur-Seine, Aube, ch.-l. c., 441. Roosebecque, Belgique. (bataille de), 197, 565. Roquegnies, act. Rocquigny, Ardennes, c. Chaumont-Porcien, 518. Rorthais, Deux-Sèvres, com. de Mauléon, ch.-l. c., 359, 517, 518. Rosay, Yvelines, c. Mantes-la-Jolie, 285. Rosay-sur-Lieure, Eure, c. Lyons-la-Forêt, 502. Rosoy-en-Multien, Oise, c. Betz, 435. Rouen, Seine-Maritime, ch.-l. dép., 35, 158, 229, 318, 343, 392, 394, 418, 440, 465, 502, 509, 510, 546, 553, 565, 568, 569, 672, 690, 738, 810, 858, 869, 870, 922-924, 926, 927. (archevêque de), 131, 394, 922.

931

(bailliage de), 74, 79, 119, 201, 248, 269, 283, 313, 331, 337, 359, 360, 404, 418, 420, 465, 502, 508-510, 553, 575, 580, 581, 586, 590, 630, 639, 653, 664, 672, 676, 770, 778, 780, 810, 818, 837, 876, 922. Rouergue, 248. (sénéchaussée de), 587, 639. Rougemont, non identifié, 291. Roussac, Haute-Vienne, c. Nantiat, 518. Rouvray, Eure, c. Vernon-sud, 440. Ruisseauville, Pas-de-Calais, c. Fruges, 374. Rungis, Val-de-Marne, c. Thiais, 150. Saigneville, Somme, c. Saint-Valery-sur-Somme, 683. Sailly-Laurette, Somme, c. Bray-sur-Somme, 372, 450, 878. Saint-Affriqué, Aveyron, ch.-l. c., 569. Saint-Amand, Creuse, c. Aubusson, 639. Saint-Amand-de-la-Fay, Deux-Sèvres, com. de Mauléon, ch.-l. c, 517. Saint-Amand-en-Puisaye, Nièvre, ch.-l. c., 536, 538. Saint-Amand-en-Peule, voir Saint-Amand-les-Eaux. Saint-Amand-les-Eaux, Nord, ch.-l. c., 8, 19, 21, 644-646, 681, 683, 765, 780. Saint-André-le-Désert, Saône-et-Loire, c. Cluny, 396. Saint-Aubin-Château-Neuf, Yonne, c. Aillant-sur-Tholon, 774. Saint-Bertin, Pas-de-Calais, com. de Saint-Omer, 564. Saint-Bertrand (abbaye de), Ardennes, com. de Chaumont-Porcien, ch.-l. c., 507. Saint-Blin-Semilly, Haute-Marne, ch.-l. c., 260. Saint-Branchs, Indre-et-Loire, c. Montbazon, 180, 183, 291. Saint-Calez-en-Saosnois, Sarthe, c. Mamers, 287. Saint-Chéron, Marne, c. Saint-Remy-en-Bouzemont-Saint-Genest-et-Isson, 398. Saint-Cloud, Hauts-de-Seine, ch.-l. c., 201, 202, 215, 903. Saint-Crépin-aux-Bois, Oise, c. Attichy, 372. Saint-Denis, Seine-Saint-Denis, ch.-l. c., 75, 117, 201, 202, 279, 407, 457. (abbaye de), 45, 114, 117. Saint-Denis-de-Sernelles, Eure-et-Loir, com. de Meslay-le-Vidame, c. Bonneval, 164. Saint-Denis-de-Vaux, Saône-et-Loire, c. Givry, 693. Saint-Denis-le-Vêtu, Manche, c. Cerisy-la-Salle, 728. Saint-Denis-Maisoncelles, Calvados, c. Le Bény-Bocage, 667. Saint-Ferréol-des-Côtes, Puy-de-Dôme, c. Ambert, 444. Saint-Florentin, Indre, c. Vatan, 60. Saint-Gengoux-le-National, Saône-et-Loire, ch.-l. c., 537. Saint-Germain-en-Laye, Yvelines, ch.-l. ar., 417. Saint-Germain-Laxis, Seine-et-Marne, c. Melun-nord, 404.

932

Saint-Germain-sur-l’Aubois, Cher, com. de Jouet-sur-l’Aubois, c. La Guerche-surl’Aubois, 378. Saint-Gilles, Gard, ch.-l. c., 164. Saint-Gobain, Aisne, c. La Fère, 259, 292. Saint-Hilaire-en-Morvan, Nièvre, c. Château-Chinon-ville, 706. Saint-Hilaire-le-Châtel, Orne, c. Mortagneau-Perche, 503, 504. Saint-Hilaire-lez-Cambrai, Nord, c. Carnières, 768. Saint-Jacques-de-Compostelle, Espagne, 922, 931. Saint-James, Manche, ch.-l. c., 556. Saint-Jean-d’Angély, Charente-Maritime, ch.-l. ar., 691. Saint-Jean-de-Combray, voir Rorthais. Saint-Jean-de-Vaux, Saône-et-Loire, c. Givry, 693. Saint-Jean-le-Blanc, Calvados, c. Condé-sur-Noireau, 831. Saint-Jean-les-Deux-Jumeaux, Seine-et-Marne, c. La Ferté-sous-Jouarre, 506. Saint-Julien-du-Sault, Yonne, ch.-l. c., 451. Saint-Junien, Haute-Vienne, ch.-l. c., 804. Saint-Just, Eure, c. Vernon-nord, 269. Saint-Just-en-Brie, Seine-et-Marne, c. Nangis, 147. Saint-Just-Sauvage, Marne, c. Anglure, 464. Saint-Laurent-de-Lin, Indre-et-Loire, c. Château-la-Vallière, 825. Saint-Léger-de-Fougeret, Nièvre, c. Château-Chinon-ville, 644. Saint-Léonard, Marne, c. Reims, 778. Saint-Léonard-de-Noblat, Haute-Vienne, ch.-l. c., 727, 922. Saint-Leu-la-Forêt, Val-d’oise, ch.-l. c., 402. Saint-Lô, Manche, ch.-l. dép., 331, 332, 837. Saint-Loup, Charente-Maritime, c. Tonnay-Boutonne, 492. Saint-Martin, Pas-de-Calais, com. de Aire-sur-la-Lys, ch.-l. c., 485. Saint-Martin-aux-Bois, Oise, c. Maignelay, 22. Saint-Martin-d’Entraigues, Deux-Sèvres, d’Entraigues, c. Chef-Boutonne, 411.

com.

de

Fontenille-Saint-Martin-

Saint-Martin-de-Tallevende, Calvados, com. de Vire, ch.-l. c., 780. Saint-Martin-le-Beau, Indre-et-Loire, c. Bléré, 733. Saint-Maur, Indre, c. Châteauroux-ouest, 396. Saint-Maur-des-Fossés, Val-de-Marne, ch.-1. c., 223. (Traité de), 690. Saint-Maurice-la-Clouère, Vienne, c. Gençay, 668. Saint-Maurice-Thizouaille, Yonne, c. Aillant-sur-Tholon, 724. Saint-Mesmin, Aube, c. Méry-sur-Seine, 480. Saint-Michel-sur-Loire, Indre-et-Loire, c. Langeais, 555. Saint-Mort-des-Fossés, voir Saint-Maur-des-Fossés.

933

Saint-Nicolas, voir La Rochelle. Saint-Nicolas-de-Pierrepont, Manche, c. La Haye-du-Puits, 778. Saint-Omer, Pas-de-Calais, ch.-l. ar., 505, 564, 591. Saint-Ouen, Seine-Saint-Denis, ch.-l. c., 857. Saint-Pierre-de-Barre, act. Barre-Saint-Pierre, Vienne, com. de Chauvigny, ch.-1. c., 252. Saint-Pierre-le-Moûtier, Nièvre, ch.-l. c. (bailliage de), 60, 66, 73, 151, 205, 266, 286, 287, 337, 340, 361, 373, 378, 388, 390, 391, 396, 402, 406, 418, 425, 432, 437, 444, 449, 536, 587, 603, 609, 622, 627, 639, 644, 656, 664, 671, 681, 706, 719, 721, 740, 769, 776, 784, 814, 820, 821, 847, 856, 871, 925. Saint-Pol-sur-Ternoise, Pas-de-Calais, ch.-1. c., 923. Saint-Quentin, Aisne, ch.-l. ar., 68, 73, 391, 563, 780, 823. Saint-Riquier, Somme, c. Ailly-le-Haut-Clocher, 898, 903. (prévôt de), 134, 206, 215. Saint-Samson-de-la-Roque, Eure, c. Quil-leboeuf-sur-Seine, 630. Saint-Satur, Cher, c. Sancerre, 60, 287, 465. Saint-Sauveur-le-Vicomte, Manche, ch.-l. c., 854. Saint-Sever, Landes, ch.-l. c., 152. Saint-Sigismond, Loiret, c. Patay, 269. Saint-Thibaut, Aisne, c. Braine, 610. Saint-Urbain-Maconcourt, Haute-Marne, c. Doulaincourt-Saucourt, 782. Saint-Urbain-sur-Marne, voir Saint-Urbain-Maconcourt. Saint-Valéry-sur-Somme, Somme, ch.-l. c., 543. Saint-Vérain, Nièvre, c. Saint-Amand-en-Puisaye, 729. Saint-Victor-de-Buthon, Eure-et-Loir, c. La Loupe, 719. Saint-Wandrille, act. Saint-Wandrille-Rançon, Seine-Maritime, c. Caudebec-en-Caux, 146. Sainte-Eanne, Deux-Sèvres, c. Saint-Maixent-l’Ecole, 359, 494. Sainte-Menehould, Marne, ch.-l. ar., 254. Sainte-Mesme, Yvelines, c. Saint-Arnoult-en-Yvelines, 290. Sainte-Verge, Deux-Sèvres, c. Thouars, 294. Saintonge, 289, 556. (sénéchaussée de), 60, 556, 578, 630, 668, 673, 691, 809, 856, 875, 878. Salency, Oise, c. Noyon, 605. Salgues, Aveyron, com. de Condom-d’Aubrac, c. Saint-Chély-d’Aubrac, 639, 757. Saligny, Yonne, c. Sens-nord-est, 875. Saône, (rivière), 838. Sap (Le), Orne, c. Vimoutiers, 559. Saragosse, Espagne, 928. Sarcelles, Val-d’Oise, ch.-l. c., 471. Sarcey, Haute-Marne, c. Nogent, 856.

934

Sardes, Sardaigne, Italie, 19, 725. Sargi, voir Cergy. Saumur, Maine-et-Loire, ch.-l. ar., 292. Sauveterre, 786. Savoie, 424. Seine, (rivière), 50, 159, 220. Senlis, Oise, ch.-l. ar., 134, 140, 148, 150, 267, 273, 325, 670, 718, 808. (bailli de), 948. (bailliage de), 7, 69, 70, 79, 124, 267, 282, 285, 290, 295, 337, 351, 390, 412, 422, 433, 453, 459, 464, 509, 515, 517, 526, 542, 559, 632, 666, 685, 717, 721, 722, 736, 762, 780, 781, 784, 804, 805, 808, 815, 820, 829, 836, 857, 861, 878, 880, 887. Sens, Yonne, ch.-l. ar., 282, 538. (archevêché de), 292. (bailliage de), 24, 79, 93, 281, 286, 314, 369, 371, 388, 390, 464, 525, 541, 606, 627, 632, 678, 718, 738, 724, 774, 819, 861, 871, 876, 877, 879. (diocèse de), 268. Sens et Auxerre (bailliage de), 79, 147, 150, 282, 286, 314, 371, 388, 391, 392, 396, 402, 403, 411, 431, 433, 451, 459, 464, 472, 500, 532, 538, 596, 604, 641, 659, 679, 680, 715, 724, 725, 727, 728, 763, 775, 819, 824, 826, 861, 871, 874, 876, 879, 891. Serval, Aisne, c. Braine, 436. Sicile, Italie, 20. Sienne, Italie, 271. Silly, act. Silly-Tillard, Oise, c. Noailles, 517. Simorre, Gers, c. Lombez, 853. Sinceny, Aisne, c. Chauny, 410, 470. Soissons, Aisne, ch.-l. ar., 24, 199-201, 687, 898. (évêque et chapitre de), 124, 747. Soisy-sur-Seine, Essonne, c. Saint-Germain-lès-Corbeil, 537. Somme, 49. Soudan, Afrique, 19, 184. Soudanas, Haute-Vienne, com. de Panazol, c. Limoges, 760. Soupex, Aude, c. Castelnaudary-nord, 600, 628. Sours, Eure-et-Loir, c. Chartres-sud-est, 734. Souterraine (La), Creuse, ch.-l. c., 878. Taizé, Saône-et-Loire, c. Saint-Gengoux-le-National, 632. Tarbes, Hautes-Pyrénées, ch.-l. dép., 306. Termes, Ardennes, c. Grandpré, 261. Terre Sainte, 186. Tessy-sur-Vire, Manche, ch.-l. c., 821. Théméricourt, Val-d’Oise, c. Vigny, 786.

935

Thérouanne, Pas-de-Calais, c. Aire, 679. (chapitre et évêque de) 43, 207. Thiérache, 254, 918. Thiesbert, act. Thuit-Hébert, Eure, c. Bourgtheroul-de-Infreville, 132. Thieux, Seine-et-Mame, c. Dammartin-en-Goële, 609. Thillois, Marne, c. Reims, 266. Thin-le-Moutier, Ardennes, c. Signy-l'Abbaye, 259, 501. Thoiry, Yvelines, c. Montfort-l’Amaury, 124, 931. Thonnance, soit Thonnance-lès-Joinville, Haute-Marne, c. Joinville, soit Thonnanceles-Moulins, Haute-Marne, c. Poissons, 70. Thorigny, Deux-Sèvres, c. Beauvoir-sur-Niort, 630. Thorotte, act. Thourotte, Oise, c. Ribécourt-Dreslincourt, 805. Tillard, voir Silly. Tonnerre, Yonne, ch.-l. c., 726, 790. Torcy, Seine-et-Mame, ch.-l. c., 491. Torteron, Cher, c. La Guerche-sur-l’Aubois, 664. Toscane, Toscan, Italie, 356, 357, 385, 574, 588, 626. Toucy, Yonne, ch.-l. c., 286, 541. Touffréville, Calvados, c. Troarn, 313. Toul, Meurthe-et-Moselle, ch.-l. ar., 258, 582, 748. Toulouse, Haute-Garonne, ch.-l. dép., 252, 254, 394, 499, 565, 582, 731, 733, 814, 832, 924, 925. (sénéchaussée de), 249, 252, 451, 452, 582, 586, 628, 720, 731, 733, 786, 814, 830, 832, 871. (université de), 844. Touraine. 557, 770, 932. (bailliage de), 75, 79, 119, 158, 160, 171, 288, 294, 310, 314, 317, 339, 393, 396, 409, 436, 443, 444, 453, 459, 481, 485, 494, 499, 518, 524, 555, 607, 638, 647, 653, 678, 689, 733, 770, 818, 825, 856, 863, 887, 927. (gouverneur de), 193. Tournai, Belgique, 20, 67, 151, 253, 254, 256-259, 261, 269, 363, 412, 453, 467, 470, 512, 543, 597, 609, 640, 643, 681, 685, 769, 781, 784, 864, 878, 879, 881, 922. (bailliage de), 255-258, 363, 412, 453, 467, 566, 597, 633, 640, 644, 682, 685, 769, 771, 773, 781, 804, 878, 879, 896, 922, 932. (diocèse de), 263. (prévôt de), 256, 258. Tournan, Gers, c. Lombez, 249. Tournon, Ardèche, ch.-l. ar., 725. Tournus, Saône-et-Loire, ch.-l. c., 655. Tours, Indre-et-Loire, ch.-l. dép., 35, 133, 158, 180, 292, 293, 395, 465, 932. (bailliage de), 714. (prévôt de), 171. (Saint-Martin de), 180, 932.

936

Tourville-la-Rivière, Seine-Maritime, c. Caudebec-lès-Elbeuf, 454. Tourville-sur-Sienne, Manche, c. Saint-Malo-de-la-Lande, 854. Toutencourt, Somme, c. Acheux-en-Amiénois, 738. Trente, Trentin, Italie, 726. (concile de), 574, 604. Trèves-Cunault, Maine-et-Loire, com. de Chênehutte-Trèves-Cunault, c. Gennes, 927. Trigny, Marne, c. Fismes, 326. Troussey, Meuse, c. Void-Vacon, 259. Troys, act. Les Trois-Pierres, voir Hélot, 129. Troyes, Aube, ch.-l. dép., 49, 132, 206, 365, 391, 441, 454, 934, 939. (bailliage de), 255, 268, 310, 411, 412, 546, 655, 731, 782, 932. (Grands jours de), 26. (traité de), 738, 865. Ucy-sur-Marne, voir Ussy-sur-Marne. Ussy-sur-Marne, Seine-et-Marne, c. La Ferté-sous-Jouarre, 506. Uzès, Gard, ch.-l. c. (diocèse d’), 494. Vailly-sur-Aisne, Aisne, ch.-l. c., 536. Val-de-Loire, 6, 246, 256, 272, 300, 545, 897. Valence, Espagne, 928. Valenciennes, Nord, ch.-l. ar., 447, 667, 760, 804. Valentinois (bailliage du), 252. Vannes-sur-Cosson, Loiret, c. Jargeau, 647. Varennes-sur-Allier, Allier, ch.-l. c., 319. Vaux-en-Vermandois, Aisne, c. Vermand, 507. Vaux-sous-Laon, act. Vauxaillon, Aisne, c. Anizy-le-Château, 367. Veigné, Indre-et-Loire, c. Montbazon, 317. Velay (bailliage de), 205, 252. Venaissin (Comtat), Italie, 653. Vendeuvre-sur-Barse, Aube, ch.-l. c., 546, 782. Vendin-le-Vieil, Pas-de-Calais, c. Lens-nord-ouest, 680. Vendôme, Loir-et-Cher, ch.-l. ar., 288. Venise, vénitien, Italie, 294, 379, 725. Ventenac-Cabardès, Aude, c. Alzonne, 253. Verdelot, Seine-et-Mame, c. Rebais, 515, 516. Verdun, Meuse, ch.-l. ar., 841. Vermandois, 256, 259, 424, 843. (bailli de), 68, 136, 138, 560, 563, 646, 780. (bailliage de), 28, 64, 68, 69, 74, 79, 119, 125, 138, 166, 205, 223, 233, 246, 255, 258-260, 287, 310, 326, 367, 370, 372, 374, 378, 380, 388, 391, 404, 409, 410, 420, 424-426, 432, 435,

937

436, 445, 447, 456, 470, 485, 492, 499, 507, 508, 515, 518, 523, 536, 541, 545, 552, 554, 562, 577, 579, 581, 582, 595, 608, 610, 622, 633, 639, 643, 644, 646, 647, 650, 656, 660, 665, 668, 673, 679, 683-685, 720-724, 726, 735, 740, 755, 760, 761, 771, 772, 776, 777, 780, 783, 785, 809, 816, 827, 845, 847, 857, 880, 882, 885, 887, 920, 947. Vernay, Rhône, c. Beaujeu, 722. Verneuil-sur-Avre, Eure, ch.-l. c., 359, 496, 556. (bataille de), 919. Vernon, Eure, ch.-l. c., 269, 410, 502. Verpillières-sur-Ource, Aube, c. Essoyes, 285. Verrières-en-Forez, Loire, c. Montbrison, 409. Verrières-le-Buisson, Essonne, c. Bièvres, 279. Versailles, Yvelines, ch.-l. dép., 511. Verson, Calvados, c. Evrecy, 721. Vert-Saint-Denis, Seine-et-Mame, c. Savigny-le-Temple, 885. Vertus, Marne, ch.-l. c., 285. Vexin, 750, 859. Vézelay, Yonne, ch.-l. c., 922. Vieil-Hesdin, Pas-de-Calais, c. Le Parcq, 768. Vienne, Isère, ch.-l. ar. (concile de), 115. Vienne, (rivière), 657. Vierzon, Cher, ch.-l. c. (bailliage de), 647. Vieulaines-lez-Provins, voir Vulaines-lès-Provins. Viffort, Aisne, c. Condé-en-Brie, 501, 732. Vignacourt, Somme, c. Picquigny, 412. Vignory, Haute-Marne, ch.-l. c., 440. Villars-en-Azois, Haute-Marne, c. Châteauvillain, 577. Villefargeau, Yonne, c. Auxerre-sud-ouest, 79. Villefranche-sur-Cher, Loir-et-Cher, c. Mennetou-sur-Cher, 310. Villejuif, Val-de-Marne, ch.-l. c., 343, 857. Villemorien, Aube, c. Bar-sur-Seine, 826. Villemurlin, Loiret, c. Sully-sur-Loire, 609. Villeneuve-le-Roi, Val-de-Marne, ch.-l. c., 291, 562. Villeneuve-Saint-Georges, V al-de-Marne, ch.-l. c., 534. Villeneuve-sur-Cher, Cher, c. Chârost, 640. Villeneuve-sur-Yonne, Yonne, ch.-l. c., 268. Villepail, Mayenne, c. Vilaines-la-Juhel, 818. Villequier-Aumont, Aisne, c. Chauny, 330, 331. Villers-Cotterêts, Aisne, ch.-l. c. (ordonnance de), 806.

938

Villers-Faucon, Somme, c. Roisel, 166,290. Villers-Saint-Sépulcre, Oise, c. Noailles, 515, 763, 764. Villevêque, Maine-et-Loire, c. Angers, 607. Villiers, act. Villers-Saint-Sépulcre. Villiers-Fossard, Manche, c. Saint-Clair-sur-l’Elle, 322. Villiers-le-Bel, Val-d’Oise, ch.-l. c., 669. Villiers-le-Pré, Manche, c. Saint-James, 516. Villiers-Saint-Georges, Seine-et-Marne, ch.-l. c., 496. Villiers-sur-Yonne, Nièvre, c. Clamecy, 656. Villuis, Seine-et-Marne, c. Bray-sur-Seine, 641. Vioménil, Vosges, c. Bains-les-Bains, 255. Virandeville, Manche, c. Equeurdreville-Hainneville, 548. Vire, Calvados, ch.-l. ar., 734, 765. (vicomté de), 134. Viry, Nièvre, com. de Cervon, c. Corbigny, 373. Vissac, Haute-Loire, com. de Vissac-Auteyrac, c. Langeac, 485. Vitry-en-Perthois, Marne, c. Vitry-le-François-est, 562. (bailli de), 561. (bailliage de), 64, 150, 255-258, 288, 319, 380, 387, 391, 424, 435, 481, 532, 561, 581, 655, 680, 706, 732, 741, 770, 930. Vivarais, 569. (sénéchaussée de), 252, 566, 725. Void-Vacon, Meuse, ch.-l. c., 259. Voigny, Seine-et-Mame, com. de Jouy-sur-Morin, c. La Ferté-Gaucher, 351, 496. Voisines, Yonne, c. Villeneuve-l'Archevêque, 93. Vouvray-sur-Huisne, Sarthe, c. Tuffé, 499. Voves, Eure-et-Loir, ch.-l. c., 458, 459, 782. Vulaines-lès-Provins, Seine-et-Marne, c. Provins, 358. Warsy, Somme, c. Montdidier, 517. Wassy, Haute-Marne, ch.-l. c., 610. Xambes (Notre-Dame de), Charente, c. Saint-Amand-de-Boixe, 922. Yville-sur-Seine, Seine-Maritime, c. Duclair, 551. Zudausques, Pas-de-Calais, c. Lumbres, 649.

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Index des noms de personnes

Le nom des auteurs est précédé d’un astérisque. *Abbon de Fleury, 343. *Abélard, 927. *Ableiges (Jacques d’), avocat, 40, 41, 123, 155. Abraham, patriarche, 639. Absalon, fils de David, 622, 623, 650. Achopart (maître Nicolas), bailli de La Fère-sur-Oise, 160, 563. Acquigny (maître Robert d’), 832. Acy (vicomte d’), 836. Adam, 877. Ade, dame de Coucy, 247. Adèle, dame de Gueldre, 340. Agnès, femme de Jean Lavoine, 309. Aguez (Pierre), 854. Aignan (saint), 926, 927. Aignier (maître Pierre), 587. Aigremont (sire d’), 712. Aigreville (Guy d’), bailli de Sens, 861. Aigueville (seigneur d’), 778. *Ailly (Pierre d’), 220, 434, 443. *Aimoin de Fleury, 343. *Alavares de Alamada, voyageur portugais, 184. Alays (Jean), 152. *Albert le Grand, 905. *Albertus Gandinus, 20. Albret (Charles d’), connétable de France, 73, 151, 282. Alès, servante, 418.

940

Alement (Jean), 728. Alençon (comte, puis duc d’) : (Jean Ier), 52, 291, 440, 441, 824, 836, 948. (Jean II), 72, 749, 915, 928, 952. Alexandre V, pape, 747. Alexandre le Grand, 274. Alice, femme de Thévenin Symon, 706. Alin (Jean), 854. Aline, fille de joie, 647. Alisson, femme d’Arnault Ramelin, 25. Allemagne (Henri d’), 114. Amboise (Anseau d’), écuyer, 395. ‘Ambroise (saint), 904, 911. Andraulx, frères, 541. Angleterre (roi d’), 212, 593, 870. Anglais, voir index analytique. Angoulême (Jean, comte d’), 919. Anne Boleyn, 182. Anjou (duc d’, et roi de Sicile) : (Louis Ier), 861. (Louis II), 424, 426. Antoinette, femme de François Thibault, 278. Antre (Thomas d’), 770. Arc (Jeanne d’), 15, 289, 342, 345, 435, 868. Arcies (Jean d’), conseiller au Parlement, 157. Argenton (Guy seigneur d’), 178. *Aristote, 55, 186, 274, 375, 462, 472, 585, 678, 685, 686, 906, 907, 910. Armagnac (Bernard, comte d’), connétable de France, 729, 762, 843. Armagnac (hommes du parti), voir index analytique. Arnoul (Tiphaine), servante, concubine du seigneur Des Prés, 575. Arras (Jean d’), sergent, 342. Arrode (Jean), 675. Ars (Dreux d’), lieutenant du prévôt de Paris, 42, 160. Artois (Robert d’), 115, 146. Aubert (Jean), prévôt forain de Senlis, 148. Aubery (Jean, dit Cachemarée), 41. Aubin (saint), 126. Aubin (Mathelin), 321. Aubriot (Hugues), prévôt de Paris, 113, 148, 149, 231, 948. Aubry (Jean), sergent, 680.

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Auchier (Henri), 689. *Augustin (saint), 355, 654, 686. *Augustin de Cantorbery (saint), 546. Auquetonville (Rolet d’), homme de main de Jean sans Peur, 166. Auron (Jean), 773. Ausale (Jean d’), drapier rémois, 28. Auxerre (Jean d’), 884. Auxi (sire d’), 581, 722. Avenier (Perrin et Thibaut), frères, marguilliers, 136, 151. Avesnes (Jean d’), écuyer, 136. Avesnes (Jehannequin), 200. *Avicenne, 525. Aye (Jean), laboureur, 164. Aymery (Pierre), évêque de Carcassonne, 950. Aymier (Thomas), 670. Azincourt (Renaud d’), noble, 278, 606, 607, 742. Bachincourt (Jean de), bâtard noble ( ?), 138. Badère (Jean), laboureur, 499. Baillevache (Jehannin), 672. Balligaut (sans mention de prénom), 515. Bailly (Jean), clerc, 399. Bainnes (Sausses de), juif, 564. *Balde, 138, 139, 176, 565, 831, 908. Bar (Marie de), dame de Coucy, 160. Barante (Baradac de), 249. Barat (Jean), serviteur de Charles d’Albret, 282. Barbereau (Perrin), clerc ( ?), 578. Barbette (Etienne), bourgeois de Paris, 115. Barbier (Guillaume et Sebille), 838. Barengier (Simon, dit Gradepinot), 728, 888. Bardin (Etienne), 601. Bar-le-Duc (Jean de), laboureur, 722. Baron (Pierre), 664. Barraut (Guillaume), notaire du roi, 73. Barre (Regnault), 34. *Bartole, 136, 139, 565, 831, 908. *Basin (Thomas), 163. Bastart (Monin), sergent, 829. Baudroux (Perrot), 183-185. Baudry (Colas), 517.

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Baulavre (Nicaise), laboureur de bras, 349. Bavière (Jean de), évêque de Liège, 638. Bayart, pelletier ( ?), 30. *Baye (Nicolas de), greffier du Parlement civil, 41, 44, 51, 52, 191, 194, 195, 200, 221, 254, 278, 341, 391, 436, 457, 808, 862. Beaucamp (Marie de), servante et prostituée, 739. Beaufort : (famille de), 259, 834. (Jean de), 124, 174. *Beaumanoir, voir Philippe de. Beaumont (Jeanne de), 426. Beaune (Pierre de), chantre de la chapelle royale, 467, 611. Beauprey (sire de), voir Joinville. Beaurespect (Colin de), clerc ( ?), 112. Beausart (Jean de), 740. Bedford (Jean de Lancastre, duc de), 639, 852. Bedford (Anne de Bourgogne, duchesse de), 345. Belleville (Jeanne de), 341. Belon, femme de Drion Anceau, 902. Benoist (famille limousine), 773. Benoist (Guillemin), 676. Benoit (saint), 921. Benoit XIII, pape, 72, 173. Bérard (Jean), conseiller du roi, 159. Bérard (Robin), 150. Berchelot (Pourcelot), 939. Berge (Laurent), sorcier, 444, 446. Bernard (Denis), clerc, 399. Bernier (Bertrand), 706. Bernier (Jean), 422. Béron (Frémin), 546, 547. Bérout (Jean), clerc ( ?), 578. Berry (Jean duc de), 52, 72, 79, 81, 126, 131, 148, 166, 177, 201, 220, 261, 292, 293, 458, 844, 856, 949. *Bersuire (Pierre), 117. Berte (Raoul), 331. Béthune (Guillaume de), barbier, 31. Bétizac (Jean de), officier de Charles VI en Languedoc, 113, 211, 924, 925, 947. Bigot (Jean), laboureur de bras, 667. Billy (Guillaume de), 42.

943

Bingot (Perrin), tavernier, 644. Binot (Jacques), serviteur d’Isabeau de Bavière, 280, 281, 461, 827, 828, 898. Binote (Pierrette la), femme de Jacques Binot, 281. Blaignart (Robert), 722. Blanchart (Richard), 29. Blanchart (Richard), laboureur de Tourville, 854. Blanchette (Agnès), demoiselle, 578. Blecy (Jean de), clerc, 857. Blondel (Etienne), 272, 598, 712. Blondel (Jacques), savetier ( ?), 229. *Bodin (Jean), 444. Boinville (maître Denis de), 670. Boinville (Jean de), 670. Boischeteau (Jean), ménestrier, 517. Boisy (Humbert de), président au Parlement, 141. Bones (Thomas de), sergent, 559, 730. Boniface VIII, pape, 114. Bonnard (Jehannin), berger, 732. Bonnet (Etienne), 518. Bonnières (Pierre de), chirurgien, 504, 594, 601. Bouchard (Martin), sergent, 155. *Boucicaut (Jean II le Meingre dit), maréchal de France, 843. Boudin (Jean), 379. Bouligny : (Jean de), fils de Pierre, 322. (Pierre de), 322. Bourbon (ducs de) : (Louis II), 52, 124, 146, 147, 358. (Jean Ier), 201, 692, 942. (Jean II), 919. Bourdon (Robin), 366. Bouret, veuve de Jean Bouret, marchande, 326, 526. Bourgeauville (Jean de), gentilhomme, 317, 590. Bourgeois (Olivier), clerc, 228. *Bourgeois de Paris, 50, 52, 187, 194, 196, 197, 199, 201, 212, 213, 217, 219, 270, 273, 343, 344, 356, 492, 519, 568, 569, 899, 902. Bourgogne : (Maison de), 54. (Philippe le Hardi, duc de), 22, 50, 73, 79, 80, 81, 148, 177, 331, 412, 564, 565, 581, 895, 949.

944

(Jean sans Peur, duc de), 50, 165, 166, 185, 198, 201-203, 215, 220, 228, 255, 257, 270, 318, 344, 458, 541, 638, 677, 684, 687, 691, 729, 801, 823, 835, 843, 844, 852, 865, 867, 868, 943, 950. (Philippe le Bon, duc de), 193, 275, 426, 639, 760, 807, 919. Bourgogne (Jean de), évêque de Cambrai, 443. Bourgoin (Perret), 151. Bourguignon, homme du parti, voir index analytique. Bournonville (Enguerrand de), écuyer, 199. Bourquetot (Jean), vicomte du Bec-Crépin, 729. Boursier (Jamet), lieutenant du sénéchal d’Anjou, 151. Bouteiller (messire Guillaume), 460. *BouteiIIer (Jean), jurisconsulte, 20, 40, 41, 137, 138, 149, 150, 191, 209, 792, 840. Bouteux (Michel, Marion et Jehannin), 524. Bovier (Jean), clerc, 399. Boyer (Jean), 815. Brabant (Jean de Bourgogne, duc de), 52. Braine (Thevenin de), clerc ( ?), 39, 276. Brais (Marie de), demoiselle, 580. Bredeville (Jean de), 679. Breget (Jacob), 642. Bremet (Jean), 889. Bretagne : (Maison de), 243. (Jean V, duc de), 73, 426, 639. Breton, 285, 499, 542, 543, 547, 552, 553, 734, 770, 820, 878. Briart (Willemot), 138, 205. Brienne : (Raoulin et Renaudin), frères, seigneurs de, 269, 270. (Jean de), chevalier, 537. Brignon (Jehannin), clerc ( ?), 276, 325. Brigue (Jeanne de), sorcière, 443, 445. Brisel (sire de), 258. Brissart (Guillaume), 460. Brisse de Marchiennes, 650. Broitel (Jean), 412. Broquel (Nicolas), bourgeois de Senlis, 670. Brotel (Guillaume), tavernier, 524. Bruc (Guillaume de), écuyer, 131, 205. Bruges (Marguerite de), femme de Pierre Le Maréchal, marchand de chevaux parisien, 276, 278, 319, 664. Brulon (Martin de), laboureur, 413.

945

Bruneau (Jeanne), chambrière, 825. Brunet (Jean), prévôt de Bourges, 563. Brunet (Nicolas), châtelain de Pouzauges, 712, 750. Brunet (Pierre de Lonenses dit), écuyer, 815. Brunet (Richard), 134. Bucheron (Colin), 575. Budel (Jeanne et Mahy), 675. Buden (Jehannin), 361. Buffet (Guillaume), bailli de Senlis, 861. Buimont (Guillaume de), 638. Buquet (Colin), couvreur, 717. Cabre (Cardin), clerc ( ?), 229, 461. Cachemarée (Aleaume), clerc criminel du Châtelet, huissier du Parlement, 37, 41-44, 127, 131, 139, 149, 155, 159-162, 191, 232, 283, 292, 301, 317, 394, 418, 461, 811, 897, 902. Cachemarée (Isabelle), fille d’Aleaume Cachemarée et femme de Gilles Veau, 44. Cachemarée (Jean), voir Aubery Jean, dit Cachemarée. Cachemarée (Pierre), fils d’Aleaume Cachemarée ( ?), 44. Cados (famille), 687. Caillou (Jean), 728. Caïn, 520, 686. Cale (Guillaume), chef des Jacques, 422, 423. Calonne : (Jean), écuyer, 771. (Riffart), cousin de Jean, 771. Campion (Bertrand), écuyer, 836. Camus (Jean), 291. Canechières (Hué de), chevalier, 578. Cantheleu (Pierre), 287, 656. Capeluche, bourreau de Paris, 569, 570. Carbonnel (Jean), chevalier, 179, 718. Carette (Mathieu), bourgeois de Tournai, 256, 259. *Carlier (Gilles), doyen du chapitre de Cambrai, juge, 443, 448. Carlier (maître Robert), procureur du roi, 229. Caron (Jacques), ouvrier charron, 290. Carpentin, clerc, 80. Carrouges (Jean de), noble, 175, 186. Casine la Mâtine, sorcière, 319, 442, 444, 447. Cassurel le Jeune (Guillaume), chevalier, 21, 735. Catherine (sainte), 931, 932. Catilina (conjuration de), 113.

946

Caton l’Ancien, 911, 913. Caudelle (Marie), nourrice de Jean de Touraine, 277, 337. Caussois (Gervaise), 219. *Cerisy (Thomas du Bourg, abbé de), 185, 205, 675, 677, 802, 843. Cervelle (Philippe de), bailli de Vitry, 561. César (Jules), 911. Cesseras (Jean, sire de), 249. Cessières (maître Jean de), greffier du Parlement criminel, 31, 41, 117, 155, 156, 172, 173, 747. Chaigny (Jean), 644. Chalendar (Pierre), 485. Chalenge (Jean), familier de l’archevêque de Rouen, 639. Chalus (Jean de), écuyer, 545. Champion (Guillaume), lieutenant du bailli de La Charité-sur-Loire, 60. Chance (Clément), 887, 888. Chardebeuf (Thomas), 733, 735. Charlemagne, 727. Charles V, roi de France, 39, 55, 62, 149, 220, 224, 231, 255, 376, 425, 510, 532, 534, 537, 548, 553, 554, 558, 642, 643, 684, 717, 721, 755, 774, 779, 842, 853855, 858, 859, 864, 892, 909-911, 917, 924, 927, 928. Charles VI, roi de France, 9, 12, 17, 21, 22, 31, 34, 35, 41, 46, 50, 54, 62, 63, 72, 75, 77, 79, 109, 121, 123, 136, 149, 155, 157, 158, 163, 173-175, 186, 201-203, 220, 224, 226, 231-233, 236, 248, 255, 256, 260, 275, 300, 317, 335, 369, 371, 375, 376, 382, 393, 400, 418, 434, 442, 447, 448, 462, 483, 540, 548, 565, 582, 591, 601, 623, 625, 635, 643, 644, 690, 691, 717, 719, 734, 762, 771, 784, 791, 807, 808, 811, 813, 816, 818, 825, 838, 842, 843, 846, 852, 856, 859, 864, 868, 870, 895, 896, 898, 910, 915, 917, 921-925, 931, 932, 934. Charles VII, roi de France, 62, 63, 72, 232, 233, 246, 255, 257, 444, 533, 540, 785, 869, 884, 915, 916, 919, 931, 932, 950, 952. Charles VIII, roi de France, 62, 301, 336, 485, 922. Charles de France, duc de Guyenne, frère de Louis XI, 344, 919. Charolais (Charles le Téméraire, comte de), 919. Charnot (Lambert), boucher, 291. Charny (Geoffroy de), bailli de Caux, fils de Geoffroy de Charny porte-oriflamme de France, mort à Poitiers en 1356, 146, 147, 165. Charpentier (Guillaume), 772. Charretier (Guillaume), 637. *Chartier (Alain), 693, 863, 911, 915. Chartres (Jacques de), charpentier du roi, 155, 467, 748. Châtillon (Anne), fille de Guy de Laval et de Jeanne de Châtillon, 426. Châtillon (Jacques de), amiral de France, 865.

947

Châtillon (dame Jeanne de), femme de Du Guesclin puis de Guy de Laval, 426. *Chauliac (Guy de), médecin et astrologue, 653. Chaumont (Jacques de), écuyer ( ?), 458. Chaussier (Hervé), 162. Chauveron (Audouin), chevalier, conseiller du roi et prévôt de Paris, 564. Chavure (Marguerite de), demoiselle, 599. Cheuse (Gervaise et Jean), laboureurs, frères, 653. Chierel (Jean), 505. Chilpéric, roi mérovingien, 905. Choiseul (Galehaut de), écuyer, 711, 712. *Chrétien de Troyes, 182. Cilio (Jean de), 451. *Cicéron, cicéronien, 31, 54, 55, 113, 117, 186, 375, 376, 650, 678, 692, 867, 879. Clabaut, marchands et bourgeois d’Abbeville : (Bernard), père, 634. (Jacques), 634. *Clamanges (Nicolas de), 41, 55, 112, 113, 117, 118, 121, 122, 146, 198, 208, 209, 211, 213, 217-220, 224, 227, 228, 230, 236, 288, 434, 457, 623, 652, 692, 693, 803, 831, 834, 900, 901, 911, 949. Clamas (Hutin de), écuyer, 599. Claye (Jaquete de), recéleuse, 325. Clément VI, pape, 688. Clément VII, pape, 520. Clignet de Brabant, amiral de France, 261, 463. Clisson : (Olivier, sire de), chevalier, 116, 341, 842, 903. (Olivier, sire de), connétable de France, 178, 718. Cloete (Beguice), sorcière, 444. Closet (Jean), carrier, 809. Cochet (Nicolas), laboureur, 27, 558. Cochon (maître Jean), 155. Cogue (Jean), 741. Cohourde (Loyset), laboureur, 426, 606. Coingnet, notaire du roi, 79. Col (Gontier), 79, 453. Colart, dit le Boulanger, 769. Colesson (Jean), 741. Colet (Person), homme d’armes devenu boucher, 532. Coline la Louve, sorcière, 444. Collart : (Catherine), fille, 316, 606.

948

(Jean), père, laboureur, 316. (Marie de Bourdive), femme de Jean Collart, mère, 606. Combes (maître Jean de), 675. Commeteau (Macé), laboureur de bras, 288. Comminges (Jean, bâtard de), 625. Compiègne (Richard de), 679. Condrael (Jean), 21, 735. Constantin (Catherine), femme de Bertrand Teyssue, 600. Copin, voir Sainte-Audegonde. Coquatrix (Jehannin le Jeune), 609. Coquerel (Jacques de), lieutenant du prévôt d’Amiens, 744. Coquerel (Perrote de), fileresse, 69. Corbeil (Jean de), sergent, 500. Corbel (Pierre), écuyer, 74. Corbie (Arnaud de), chancelier de France, 124, 866. Cornadel (Thomas de), 322, 362, 677. Cornet (Jean), 22. Cornu (Jean), parisien demeurant rue Saint-Denis, 305. Corrobert (Jean), noble, écuyer, 176, 179, 370. Cossard (Griot), homme d’armes, 857. Cossio (Arnaud de), 451. Coste (Guillaume), 443. Cottenchy (Jean de), 22. Coucy (sires de), 633, 799, 839, 858. Court (Michel de), clerc, 280. Courtableau (Guillemin), couturier, 751. Courtecuisse (Jean), aumônier du roi, 222, 911. Courtenay (Pierre de), 819. Courtepièce (seigneur de), chevalier, 575. Courtille (Louis de), 706. Cousinot (Guillaume), avocat, conseiller du duc d’Orléans, 834. Cousturier (Jean), bourgeois, 147. Couvert (Jean), avocat, 860. Craon (Antoine de), chevalier, 729. Craon (dame de), 30. Craon (Pierre de), chevalier, 424, 718, 840. Cramaud (Simon de), patriarche d’Alexandrie, 214, 292, 745, 950. Créquy (Enguerrand, bâtard de), 839. Crespin (Guillaume), écuyer, 148. Creton (Colinet), 358.

949

Crisquetot (Jean de), 676. Cuette (Pierre), 777. Cuiller (Jean), laboureur, 27, 558. Cuise (Adam de), capitaine de Fontenay-en-Brie, 458. Cuisel (Pierre de, dit Chevrier), écuyer, 137, 176, 318, 636. Cuisi ou Crusy (Hugues de), prévôt de Paris (1325-1330), et président du Parlement, 115. Cuisy (Geffrin de), peut-être même famille, lettre obtenue sur intervention de ses amis dont certains servent Charles VI, 808. Cuisson (Jean), clerc, 398. Culan (Guichart de), seigneur de Saint-Amand, 639. Culier (Guillaume), cordonnier, 131. Cysot (Jacquet), 804, 805. Dadon (Jean), clerc, 745. Dalmon (Pierre), 595. Damport (Jean de), écuyer, 836. Danie (sire de ou d’Anie), chevalier, non identifié, 253. *Dante, 355. Dany (Bernard), 206. Darien (Perrin), 829. Dart (Jehannin), 829. Dauphine, noble, mère de Jean Maleret chevalier, 634. Dauphin (futur Charles VII), 260, 261, 690, 842. Dausale (Jean), drapier, 206, 543. Dauvergne (Jean), 638. David, roi, 176, 224, 622, 650. Dehevant (Oudinet), meunier, 433. Delavau (Gillet), 517. Delort (Etienne), 774. Demay (Hué), insurgé d’Amiens, 744. Denisot (Guillaumin), 734, 735. Denys (Pierre), 777. Des Barres (maître Jean), réformateur aux bailliages de Meaux et de Melun, 149. *Deschamps (Eustache), 375-379, 568, 574, 899. Des Essarts (Pierre), prévôt de Paris, 52, 228, 458, 883, 902. Des Haies (Jean), clerc ( ?), 394. *Des Portes (Jean), greffier au Parlement criminel, 172. Des Marès : (famille), 717. (Jean), noble, échanson du roi, 717. (Gilon), femme de maître Jean de Combes, 675.

950

Des Prés (Jean), prévôt de Saint-Riquier, 134. Des Prés, seigneur, 575. Des Sarteaux, (Perrotine), 599. Desprez, valet, 657. Desquetot (Jean), 672. Deux Epées (Denisot aux), 638. Dignant (Jehannin de), 313. Dinoy, avocat au Parlement, 857. *Diogène, 749. Deymes (Richard), homme d’armes, 785. Doffinal (Girart), clerc ( ?), 276. Dormans (Guillaume de), évêque de Meaux, 292. Dormoy (Philippon), 745. Doutreveaue (Adenet), 502. Doye (Hennin), 768. Dreux (Jean de), écuyer d’écurie du duc d’Orléans, 420. Drouin (Jean), viguier de Carcassonne, 214, 222, 394, 745, 861, 898, 900. Drucat (Jehannin de), homme du sire de Miraumont, 427. Drugon (Marion), 321, 657. Druy (Vincent de), clerc non marié, a projeté l’enlèvement de Charles VII, 553. Du Bois (Hennequin), bâtard de Comminges, 153. Du Bois (Jean), greffier du Parlement criminel, 156, 172. Du Bois (Jean, dit Sauvage), 141, 323, 461. Du Bois (Jeanne), femme d’un notaire du Châtelet, 195. Du Boissay (messire Robert), noble picard, 73. Du Bos (Jehannette), femme commune, 333. *Du Bosc (Jean), greffier du Parlement criminel, 278. Du Bosc (Henri), noble, 177. Du Boveil (Jehannin), maréchal, 770. *Du Breuil (Guillaume), avocat au Parlement, 31, 40. Du Brueil (Thomas), avocat, 860. Dubus (Pierre), clerc, 24. Du Caable (Jean ou Jehannin), écuyer, 426, 606. Du Candas (Jean), 283, 298. Du Châtel (Tanguy), prévôt de Paris, 156. Du Chemin (Guillemette), 670. Du Corvin (Salemon), 148. Du Fois (Jean), 681. Du Fort Manoir (Jean), écuyer, 811. Du Four (Pierre), 638.

951

Du Gard (maître Jacques), conseiller du roi, 25. Du Guesclin (Bertrand), connétable de France, 426, 500, 647, 855, 857, 861. Duhamel (Guiot), franc-archer, 535. Du Lot (Jean), 342. Duilly (Perrin de), écuyer, 858. Du Mas (Renaud), écuyer et capitaine, 857. Du Mesnil : (Cordeiller), père, chevalier, 317, 590. (Jean, dit le Galois), fils, 317, 590. Du Mesnil (Guillemet), 779. Du Mesnil (Jean), 340. Du Mesnil (Jeanne), 277. Du Moncel (Léger), clerc ( ?), 228. Du Moustier (Jehannin), fils de Perrin Du Moustiers, 378, 437. Dunois (Jean, bâtard d’Orléans, comte de), 919. Du Paiz (Guillaume), contrôleur de la Chambre des deniers de la reine, 861. Du Plessier (Hué), écuyer, 23. Du Plessis (Raoul), chevalier du pays de Caux, 200. Du Pont (Marion), 150. Du Pré (Raoulin), 135, 589. Dupuis, homme de main, 727. Du Puis (Honoré), clerc, 131. Du Puis (Thévenin), tisserand, 412, 885, 886. Du Quesnoy (Perrin), 292, 679. Durand (Berthelot), valet, 829. Durant (Jean), 689. Durant (Oudin), 675. Durant (Wachier), avocat de Donchy-sur-Meuse, 739. Du Roquier (Catherine), 276. Du Solier (Pierre), 644. Du Val (Marion), 133, 283, 303. Du Val (Martin), 598, 712. Du Vergier (Jean), chevalier, 856. Du Vivier (Pierre), 291, 292. Édouard III, roi d’Angleterre, 199. Éloi (saint), 262. Émery (Jean), orfèvre parisien, 398. Enfroy (Massot), gentilhomme, 425. Envel (Jean), bourgeois de Montfaucon, 425. Ermenonville (Philippe d’), chevalier, 425. Espagne (Charles d’), connétable de France, 116.

952

Espinay (Jeannette d’), 672. Estouteville : (Robert d’), chambellan de Charles VI, 770, 771. (Robert d’), prévôt de Paris, 233, 310, 950. Étienne, maire de Bayencourt, 664. Étienne Boileau, prévôt de Paris, 232. *Étienne de Bourbon, 844, 907. Eustace (Jean), 676. Ève, 299, 877. Ézéchiel (prophète), 217. Fabre (Rémon), 719. Fabucet (Pierre), 887. Fairriel (Baudoin), valet, 768. Fara (Jean), charpentier, 670. Faset (Jean), 676, 713, 714. Faulnauls (Pierre), 649. Faulnier (Guillaume), 609. *Fauquembergue (Clément de), greffier du Parlement civil, 51, 194, 197, 221, 254. Fermier (Simon), clerc, curé de Saint-Geoffroy à Paris, 397, 398. Fictue (Adam), bailli de Vailly-sur-Aisne, 536. Filières (Jean de), 444. Firmiaut (Jean), laboureur de bras, 445. Flambert (Jean), laboureur, 601, 602. Flandre : (comte de), 80, 114, 219, 846. (Guillaume Cliton, comte de), 114, 505. (Philippe le Hardi, comte de), 928. Voir Bourgogne duc de. Flocques (Robert de), routier et bailli d’Evreux, 199, 538. Florot (Colin), 804, 809. Foix : (Gaston III Phoebus, comte de), 248, 500. Folleville (Jean de), prévôt de Paris, 41-43, 128, 148, 149, 157, 160, 161, 232, 274, 292, 317, 394, 400, 618, 828, 833, 948, 949. Fontaines (sire Jean de), chevalier, 261, 690. Fournet (Pierre), chevaucheur du roi, 292, 293. Fournier (Jaquemart), 755. Fourquot (Guillaume), commissaire de la taille à Pouzauges, 712, 750. Fraigneau (Louis), 652. Fraillon (maître Nicolas), conseiller au Parlement, 173. France :

953

roi de, 63, 224, 248, 545, 547, 553, 650, 761, 797, 855, 913, 925, 928. amiral de France, 260, 463. connétable de France, 151, 857. Franchepin, meurtrier de Martin Bouchard, 155. Francheval (Arnoulet), 721. François I er, roi de France, 193, 449. François (Pierre), procureur du roi en Ponthieu, 200. François (Yvon), breton, 285. Françoys (Guillaume, dit Molinet et Antoine), 786. Franquet (affaire), 22. Franquet (Jean), homme d’armes, gardien de la prison du château d’Ercheu, 857. Fransures (demoiselle de), 581. Frappart (Jean), bourgeois de Valenciennes, 760. Frédeville (Hugues de), sénéchal de Beaucaire, 148, 157. Frémonville (Sauvage de), écuyer, 187. Frère (Gilot, dit le Fruitier), 131. Fricon (Jacques), clerc, religieux de l’abbaye de Déols, 160. Frison (Jean), 25. *Froissart (Jean), 147, 254, 452, 566, 567. Fromage (Micheau, dit Ribaut), laboureur, 715. Frost (Robert), laboureur, 772. Fusoris (Jean), chanoine de Paris, 129. Gabien (Pierre), hôtelier, 500, 577. Gachot (Jean), 171. Gachote (Jeannette la), femme de Jean Gachot, 171. Gaillard (Macet), 125. Gaillarde, maquerelle, 815. Galet (Pierre), laboureur, 629. *Galbert de Bruges, 505. Galhart (Jacques), laboureur, 628, 649. Gambelin (Robert), 675. Garin (Guillaume), fils, et (Jean), père, 592. Garnier (Antoine), juge-mage de Montpellier, 184, 187, 230, 898, 901, 902. Garnier (Michel), 646. Garreau (dont Hébert), frères, 440, 441. Gauchier (Pierre), 165, 166. Gaudon (Philippon), laboureur, 670. Gauldereau (Laurent), laboureur, 152. Gaultier (Thomas), 587. *Gautier de Coincy, 546.

954

Gavelle (Philippot), apprenti, 282. Gensac (Bertrand, seigneur de), écuyer, 814, 815. Gérard (Jean), valet, 683. *Gerson (Jean), 41, 55, 121, 122, 146, 198, 211, 218, 220, 221, 226-230, 236, 274, 383, 424, 443, 457, 472, 527, 553, 574, 585, 593, 600, 650, 658, 659, 661, 686, 691, 692, 743, 816, 820, 831, 832, 841, 849, 852, 862, 874, 877, 879, 885, 891, 892, 900, 901, 911, 912, 914, 916, 917, 927, 942, 949, 950. Gervaise, 372. Géry (saint), 92. Gésine, chambrière et maquerelle, 336. *Gien (Etienne de), greffier du Parlement criminel, 39. Gigonneau (Robert), clerc, hospitalier, 758. Gil (Jean), noble, 175. Gilbert (Jean), 670. Gilbert (Pierre), 465. Gilet (Guillot), laboureur, 559. Gilette, femme de Pierre Le Celier, 634. Gilette, veuve de Jean Gros, 684. *Gilles de Rome, 224, 376, 910. Giotto, 574. Girart (Aymeri), lieutenant du gouverneur de La Rochelle, 583. Girart (Jean), fauconnier, 490, 491. Giry (Girard de Thiauges, sire de), 425, 633, 640. Gissart le Jeune (Guillemin), 730. Gloucester, 190. Godart : (Jean et Jeanne), père et mère, 670. (Yvonnet, Guillemette, Jehannin et Agnesot), enfants mineurs, 670. Gondreville (sire de), 637, 863. Gosselin (Perrin), 672. Goudeau (sans mention de prénom), 319. Goulard (Giraud de), bailli de Berry et (Jean de), frères, 785. Goulart (Jean), homme de labour, 866. Goupil (Jean), valet, 401. Gourle (Guy), officier du roi à Amiens, 861. Gournay (Robinet de), 135. Grant (Guillaume), 502. Grantines (Louis de), écuyer, 258. *Gratien, 20, 438, 604, 650, 831. Grégoire IX, pape, 177.

955

*Grégoire de Tours, 823. Grégoire le Grand, pape, 873. Grimaude (Coisme de), écuyer, maître des arbalétriers gênois, 37. Grimoville (sire de), écuyer, 79. Grisonnet (Mathurin), bourgeois de Gournay-sur-Marne, 152. Grosboys (Jean), 890. Gros Meunier, maire de Saint-Blin, 260. Guedin (Simon), conseiller du roi, 156, 157. Guérard, prévôt de Hesdin, 277, 337. Guéret (Jean), 605. Guéroul (Guillemin), 400. Guichard, évêque de Troyes, 114, 115. Guillaume de Nangis, 114-116. *Guillaume Durand, 112, 136. *Guillaume Le Breton, 114. Guillebert (Robert), clerc, 821. Guillemette, (sans mention de nom), servante, 406. Guillemette, femme de Guillaume Brotel, 524, 525. Guillemette, femme de Jean de Soubz-le-Mur, 134. Guilloteau (Jean), châtelain du seigneur de La Flocellière, 317, 319, 321. Guillot (Jean), 403. Guillot (Guyot), laboureur, 492, 865. Guingamp (Louis de), 734. Guise, clerc, 80. Guissart (Jean), chevalier, 179, 718. Guyenne (Louis duc de), dauphin, 79, 146, 219, 436, 622, 636, 691, 835, 868. Guynefolleau (Pierre), 517. Hainaut : (Marguerite de Bourgogne, comtesse de), 344. (duc Guillaume IV de Bavière, comte de), 177, 638. Hallouyn (Jean), tavernier, 399. Hamelu (Guiot et Perrinet), écuyers chartrains, frères, 836. Hanotin (Tristan), bourgeois de Laon, 388, 459, 594, 673, 674, 727. Hangest (Ferry sire de), bailli de Vermandois, 560. Harchier (Denis), marchand, 719. Harcourt (Colard d’), chevalier, 67. Harcourt : (famille d’), 718. (Geoffroi), 341. Hardi (Jean), accusé d’avoir voulu empoisonner Louis XI, 903. Harpedenne (Jean), chevalier et seigneur de Belleville, 263, 845. Hatel (Raoul), 366.

956

Haton (Étienne), chanoine d’Arras, 165. Haumes (Jean), 461, 714. Haussecul (Guillaume et Marie), parents, (François, Jehannin et Guillemin), enfants, famille parisienne, 638. Hauteverle (Pierre de), écuyer, 836. Have (Hennequin), 773. Hays (Jean), 278. Hazarde (Marie), femme de Jean Honnère, 739. *Helgaud de Fleury, 921. Hélias (Jean), pelletier, familier de la duchesse de Bretagne, 73. Hennin, voir Doye. Henri II, roi de France, 192. Henri II Plantagenêt, roi d’Angleterre, 114. Henri IV Lancastre, roi d’Angleterre, 642. Henri V Lancastre, roi d’Angleterre, 202, 275, 808. Henri VI Lancastre, roi d’Angleterre, 52, 182, 196, 232, 275, 865. Henry, frère, templier parisien, 195. Hergneu (Jean), 265. *Hermès, 906. Hérode, roi, 226, 826. Hervé (Jeanne), fille de Guillaume Hervé, 317. *Hincmar, 907. Hoguet (Robin), homme d’armes, fils d’un sergent d’armes, 856. Hollandais, 543, 680. *Horace, 803. *Hostiensis, 650. Hubert (Guillemin), 664. Hubert (Jean), serf, 823. Hué (Mathieu), noble, 172, 173. Huel (Guillaume), habitant de Neufchâteau, 835. Huet, dit le Meunier, 769. *Hugues de Saint-Victor, 117. Hugues du Puiset, châtelain, 210. Hurtefale (seigneur de), 270. Innocent III, pape, 136. Intrant (Guillaume), avocat au Parlement, 541. Isabeau de Bavière, reine de France, 226, 344, 624, 915, 934. Isabeau, femme de Jean Lairent, 608. Isabelle, voir Cachemarée. Isaïe, prophète, 217.

957

*Isidore de Séville, 355. Ivoy (Jean d’), bailli de Cotentin, 28, 860. Jacotin, voir Neauville. Jacquart (Colin), 437. Jacques (saint), 921. *Jacques de Vitry, 777, 809, 907. Jacquet, voir Cysot. Jamyin (Gillet), sergent, 399. Janson (Guespin alias Janson), valet pelletier de Montpellier, 184, 187, 439. Jaquelet (Raoulet), 561. Jaques (Jean), 781. Jaquette, veuve de Guillaumin Mengonnel, 341, 406. Jaquetot (Jean), 367. Jaquin (Jean), 777. Jarnet (Etienne), carrier, 809. Jauvre (Colin), 134. Jean (saint), 220. Jean XXII, pape, 906. Jean-Baptiste (saint), 901. Mean de Garlande, 483. Mean de Meung, 574, 607. Mean de Salisbury, 224, 230. Jean de Touraine, troisième dauphin de Charles VI, né le 31 août 1398, 337. Jean l’Aveugle, roi de Bohême, 916. Jean le Bon, roi de France, 177, 224, 500, 684, 783, 842. Mean le Teutonique, 908. Jean sans Peur, voir Bourgogne duc de. Jeanne, femme d’Etienne Bardin, 601. Jeanne, femme de Guillaume Sefles, 587, 679. Jeanne, femme de Jean Du Mesnil, 340. Jeanne, femme de Jean Emery, mère de Thévenot Roussel, 406. Jeanne, femme de Jean Soyer, 207. Jeanne, femme de Lucas Le Tanneur, 331. Jeanne, femme de sire Guillaume de Parpes, 340. Jeanne, fille de Guillaume Hervé, 317, 824. Jeanne, veuve de Ferry Belleteste, 398. Jeanne, veuve de Gilot de Ferrières, 336. Jeanne, veuve de Robert Toutain et fille de Pierre Aimery, épicière, 278, 606, 607. Jeannette, sans mention de nom, chambrière, 321, 336. Jeannette, sans mention de nom, fille de joie, 391.

958

Jeannette, belle-fille de Jehannin Du Boveil, 770. Jeannette, femme de Guillemin Laurens, 595. Jeannette, femme de Jean Lambert, 514. Jeannette, fille de feu Perrin Le Boulanger, 582. Jeannette, fille de Jean Herpin, 125. Jeannette, fille de Philippot de Lyon et femme de Jean Meveux, 594. Jeannette, fille de Simon (chevalier), 583. Jeannette la Jumelle, (femme commune), 334. Jeannette, veuve de Jean Blondelet, femme de Le Gay, 741. Jehan (Gérard), 683. Jérémie, prophète, 217. Jeumont (sire de), chevalier, 253. Jeunier (Jourdain), 672. Joab, neveu de David, 650. Job, patriarche, 56, 224, 381. Jobert (Guillemin), 596, 729. Joinville (Simon), sire de Beauprey, 855. Joly (Jean), fermier des aides à La Fère-sur-Oise, 160, 563. Joly (Merlin), barbier de Charles VI, 448. Jonquerith (Pierre), 597. Joseph (saint), 574, 877. Mousse, 183. Jouvenel ou Juvenal des Ursins : (Jean), avocat au Parlement, 24, 176, 177, 207, 257, 270, 292, 458, 468, 541, 651, 593, 729, 823. Mean, archevêque de Reims, 72, 226, 915, 919, 928, 952. Judas, apôtre, 51, 565, 677. Jully (Guyot de), écuyer, 857. Jumeau (Guillaume), marchand, 719. Kaerdaniel (Pierre), 156. Kaergolen (maître Yves de), clerc, 42. L’Abbin, dit Jacquemart, laboureur, 534. La Babou (Jehannin), 354. La Bane (Jeanne de), 592. La Barde (Jean de), écuyer, 856. La Barre (Margot de, dite du Coignet), sorcière, 161. La Barre (Raoulet de), couturier, 327, 552, 553, 610. La Bazoge (Etienne de), 491. La Boissiere (Jean de), 67. La Bonnière (Marion), chambrière, 664.

959

La Bosseuse (Marson), 673, 739. La Carbonnière (Marie), épouse de Jean Clabaut et mère de Bernard Clabaut, bourgeois d’Abbeville, 634. La Chaussée (Raoulin de), 140. La Court (Marion de), 301, 303. La Crieuse (Raouline), 277. La Croix (Jacquemart de), homme d’armes du duc de Bourgogne, 760, 761. Lafarge (Colesson), habitant de Châlons dont les biens ont été saisis par l’évêque, 337. La Flèche (Jeanne de), noble, 207. La Flocellière (seigneur de), 317, 321. La Gaicherie (Pierre), 518. Lagny (Bernard de), sergent d’armes, 581. La Gorse (Jean de), écuyer, 836, 837. La Granche (Jean de), 581. La Grange (Etienne de), écuyer, 750. La Haye (Gérard de), examinateur au Châtelet, 35. La Haye (Jean de, dit du Petit Breton), 142, 394. La Haye (Jean de), ou la Haze, 779. La Honguerie (Robert de), homme d’armes, 30, 780. Laigny (Courrai de), 638. Lainsné (Jean), 138. Lairent (Jean), 608. Laisné (Jean), 577, 579, 588, 607. La Large (Gilette), servante, 277, 303. Laleman (Thierry), 642. Lalemande (Sebile), 627. Lalement (Jean), 728, 888. La Leve (Jean de, dit Laignel), noble, 855. La Mabilière (Robert de), chevalier, 207. La Marcelle (Jeanne), 195. La Marche (Simon de), homme de main, 260. La Mare (Evenart de), 449. La Mare (Pierre de), prévôt fermier de Beauvais, 460. Lambert (Jean), orfèvre parisien, 514, 659. Lambin (Jamet), 151, 152. La Mennestrière (Jeanne), 309. Lamote (Gilles de), écuyer, 370, 588. La Mote (Jean de), bâtard noble, 771. La Motte (Guillaume de), 388. La Motte (Hellin), 755.

960

Lamoy (Simon de, dit Cloué), 821. La Mugière (Marie), 314, 608. Lamy (Gaulcher), clerc ( ?), 215, 233. Langlois (Jean), 886. Langoute (Perrette), chambrière d’étuves, 150. Lannoy (Guérart de), flamand, 755. La Paillette (Jeannette), femme d’un chaussetier parisien, 462. La Pichoise (Alips), empoisonneuse de puits, 318. La Poece (Jehannin de), sergent royal, 558. La Porte (Jean de), conseiller du roi, 751. La Porte (Guillemin de), complice de Jacques Binot, 461, 828, 914. La Potière (Jeannette), servante, 459, 673, 674, 727. La Rainière (Jean de), 282. La Ramée (Jean de), 676, 801. Larande (Noël), couturier, 585. Larchevêque (Jean), examinateur au Châtelet, 229. La Rivière (Jean de), 689. La Roche (Adémar de), 124, 174. La Roche Vertus (Jeannette), fille du sire de, 581. Laronier (Nicole), maître poudrier, 855. La Sale (Colin de), faiseur d’épingles, 150, 283. Lathilli (Pierre de), évêque de Châlons, 114. La Tour (Antoine de), chevalier, 424. La Tremoïlle (sire Guy de), chambellan du roi, 855. La Tresfonsière (Jeanne), 577, 579, 588, 607. Laugier (Jean), 687. Laurens (Guillaume), du bailliage d’Orbec, 642. Laurens (Guillaume), 689. Laurent (Thomas), 451. Laval (Anne de), fille de Jeanne de Châtillon et de Guy de Laval, veuve de Jean de Montfort, 426. Laval (comte Guy de), 426, 919. Lavernoy (Jean), laboureur, 411. Lavoine (Agnès), femme de Jean Lavoine, 309. Le Baille (Mahiet), 883. Le Barbier (Jean), sergent, 399, 665. Le Bel (Pierre), 722. Le Billardel (Perrinet), maçon, 717. Le Bin (Jean), homme d’armes, 856. Le Bouteiller (Jean), noble, 729.

961

Le Boutillier (Robin), 310. Le Bouvier (Girart), 150. Le Breton, voir Odefroy. Le Brun (Jean), 161, 276, 283, 366, 598, 679, 681. Le Brunien (Jean), clerc ( ?), 437. Le Buef (Guérard), prévôt de Hesdin, 337. Le Bufle (Jean), bâtard noble, 545, 546. Le Caron (Jean), 515. Le Caron (Nicaise), 606. Le Caucheteur (Jean), noble, 665. Le Célier (Bérart et Gilette), parents, et (Pierre), fils, 634. Le Chantre (Gabriel), serrurier, 664. Le Chantre (Jacques), maître d’oeuvre pour le roi, 610. Le Charon (Guiot), étranger, 541, 542, 717, 883. Le Charpentier (Jean), de Paris, 670. Le Charpentier (Jean), du bailliage de Vermandois, 771, 772. Le Charron (Jean), 890. Le Clerc (Philippot), 132. Leconte (Jean), laboureur de bras, 404, 660. *Le Coq (Jean), avocat, 40, 41, 128, 163, 175, 259, 618, 783, 802, 833, 863, 915. Le Coq (Robert), évêque de Laon, 204, 909. Le Cordonnier (Philippot), 638. Le Cornadel (Thomas), 322, 362, 677. Le Corneur (Macé), 181, 182, 401. Le Cuisinier (Colard), prévôt forain de Laon, 72, 233. Le Diable (Jean), 259. Le Doublat (Guiot), 782. Le Doyen (Guillaume), 134. L’Eglise (Laurent de), 751. L’Espine (Claude de), 595. Le Fauconnier (Renaud), oiseleur, 581,639. Le Fel (Michelet), 507. Lefebvre (Claux, dit de Noyon), maçon, 681. Le Fevre (Henri), 157, 191. Le Fevre (Jean), 43. Le Fevre (Robin), 598. Le Fort (Robert), 926. Le Fournier (Jean, dit Vitry), sergent, 864. Le Fournier (Jehannin), 133. Le Franc (Jacquemart), 781.

962

Le Gastard (Guillaume), 499. Le Gastellier (Jean ou Jehannin), 643. Le Gay (Richard), père ; (Perrette), mère ; (Raoul), fils, clerc, 129. *Legrand (Jacques), 53. Le Grant (Jaquet), 366. Le Grant (Jean), 407. Le Grant (Pierre), 562. Le Grant (Thomin), 405. Le Hongre, voir La Honguerie. Legris (Jacques), noble, 175, 176, 186. Le Juponnier (Guillaume), 845. Le Large (Antoine), 872. Le Large (Gilette), 277. Le Lièvre (Guillemin), 280. Le Lombard (Colart), 544. Lelorme (Bertrand), 140. Le Maréchal (Etienne), 464. Le Maire (Jean), 519. Le Maistre (Guillaume), 621. Le Mareys (Richard), 366. Le Mercier (Casin), 720. Le Mercier (Colin ou Colinet), 60, 465. Le Moine (Raymond, dit Le Fuischer), 287. *Le Muisit (Gilles), 375. Le Naire (Jean), 372, 450, 810. Le Normand (Robin), 653. Lenfant (Colin), 829. Léonnart (Jean), 832. Le Paisant (Adam), 883. Le Peletier (Colin), valet laboureur, 312. *L’Epine (Jean de), greffier du Parlement criminel, 156. Le Poingneur (Guillaume), 639. Le Prestiel (Jacques), père, et (Jean), fils, 837. Le Preux (Andry), clerc criminel du Châtelet, 42. Le Preux (Pierre), 277. Le Prévost (Jean), 449. Lequer (Richard), 645. Le Queux (Jean), 42. Le Reverse, 292.

963

Le Rôtisseur (Colin, dit Hennequin), 319, 664. Le Roux (Bertrand), sergent, 399. Le Roux (Etienne), 333. Le Roy (Guillaume), 450. Le Roy (Jaquet), 665. Le Roy (Pierre), laboureur, 412. Le Royer (Colinet), 706. Le Sage (Yvon), 728. Le Saige (Macé), 317. Le Sauvice (Denis), laboureur, 669, 673. Lesclat (maître Pierre de), président au Parlement, 161. *Lescot (Richard), 116, 218, 222. Lescuille (Robin), 305, 897. Le Sermoneur (Jacquenin), 294. Le Set (Regnault), prévôt fermier de Laon, 27, 558. L’Espine (Claude de), 595. Lestande (Jean), foulon, 416. Lestorchie (Pierrot), 541. Lestranges (Hélie de), évêque du Puy, 472. Le Teinturier (Hennequin), 283. Le Teures (Pierrart), 768. Le Triche : (famille), 204, 670. (Macée), fille, 204. Lettres (seigneur Nicole de), chevalier, 778. Le Tur (Guillaume), avocat, 458. Leuvel (Mahieu de), maçon, 422. Le Vasseur (Richard), 684. Le Vasseur (Robin), 647. Le Valois (Thomassin), 335. Levesque (Guillemin), 333. Levesque (Marion), 418. Levesque (Simonnet), 333. Le Vimier (Jaquet), homme du sire de Miraumont, 427. Le Vindre (Nosfle), 330. Liancourt (Colart de), noble, 665. Liesse (Guillemin), 604. Lieuvilliers (Pierre de), conseiller du roi, 231, 909. Lige (Nicole de), chevalier, 545. Limières (Jean de), cordonnier et insurgé d’Amiens, 567, 736, 737.

964

Liron (Jean), 718. L’Isle (Jourdain de), chevalier, 115, 134, 203, 205, 845. Lisques (Griffon et Mathieu, sires de), chevaliers, 691, 692. Loe (Georges), 676. Logier (Jeannette), 602. Loisy, prieur de, 741. Longue Epée (Guillaume), 546. Longuepance (Simon Carton dit), 668, 740. Loquet (Colin), 676. Loquier (Jean), 599. Lorberie (Pierre Vigier de), 757. Loré (Ambroise de), femme de Robert d’Estouteville, 310. Lorens (Jean), 276. Lorme (Jean de), 60, 287. Lorraine : (ducs de), 63, 254, 255, 257, 260, 263, 582 858 (Charles Ier, duc de), 254, 255, 835, 840, 843, 914. L’Ospital (Jeannette, autrement dit de Lyon), 608. Loth, 639. Louette (Thomas), templier, receveur du Temple, 195. Louis VI, roi de France, 114. Louis VII, roi de France, 210. Louis IX, roi de France, 114, 172, 173, 210, 211, 219, 220, 233, 806, 807, 911, 946. Louis X, roi de France, 175. Louis XI, roi de France, 62, 74, 246, 265, 307, 310, 344, 425, 442, 446, 480, 483, 492, 533, 548, 642, 644, 645, 648, 749, 785, 806, 818, 879, 903, 915, 919, 932, 934. Louis XII, roi de France, 62, 192. Louvain (Guillemette de), 627. Louvart (Jean), 34. Louvel (Guillaume), briquetier, 585. *Lucain, 55, 113, 114, 220, 867. Lucas (Jean), 602. Luce, fille de Jean Boyer, servante, 586, 815. Luissier (Simon), 404. Luistres (seigneurs de), 558. Lully (Pierre de), noble, 581. Lutier (Jean), 444, 600. Lyembois (Jaquet de), 37, 38, 598. Macé (Malou), écuyer, 683. Macette, femme de Jean de Rully, dite la Cordière divine, sorcière, 442.

965

*Machaut (Guillaume de), 55, 117, 227, 434, 525, 742, 846, 864, 916. *Machet (Gérard), 113, 230. Macy (André et Simon de), écuyers, frères, 857. Maignen (Jean), maire de bannières d’Amiens, chef de l’insurrection de 1382, 127. Maigret (Thomas), bourgeois de Reims, 136. Maillet (Jean), 159. Maillot (Thévenin), 718. Maintenon (Jean de), 458. Mairel (Jean), 818. Maistre (Mérigot de), serviteur de Robert de Sales, 60, 818. Malendos (Guillaume), 681. Maleret (Jean), chevalier, 581, 634, 639. Malesmains (Jean), 777. Maleval (Jean de), brigand de bois, 459, 653. *Malicorne (Geoffroi de), greffier du Parlement criminel, 39. Malou (Macé), écuyer, 683. Mandate (Jean), tavernier, 265. Mannourie (Esmeline), 24. Maqueron, (sans mention de prénom), 777. Marbeuf (Jean), laboureur, 757. Marc, roi, 819. Marc (saint), 921. Marcel (saint), 927. Marchandeau (Loys), 517. Marchant (Chariot), 305. Marche (comtes de la) : (Jacques), 883. (Jean II de Bourbon), 919. Marchés (Mérigot), routier, 205, 276, 824. Mareschal (Jehannin), 515. Marguerite, concubine de Fleurent de Saint-Leu, fille de joie, 325, 578, 591. Marie, la Vierge, 574. Marie, femme de Carrouges, 186. Marie, fille de Tiphaine Arnoul et du seigneur Des Prés, 575. Marigny (Enguerrand de), conseiller de Philippe le Bel, 114, 115, 563. Marigny (Pierre de), avocat, 543, 751, 914. Marion, femme de Guillaume Morel, 503, 504, 594, 601. Marion, femme de Jean de Fresnes, 284, 327, 339, 435, 436. Marion, sans mention de nom, femme commune, 388. Marion, fille de Jacques Le Caron, 290, 875.

966

Marion, habitante d’Amiens, 744. Marion la Gaillarde, maquerelle, 339. Marion, veuve de Jean de Bouligny, 322, 362, 677. Marie (Bardet et Mahieu), frères, 629. Marie (Henri de), président du Parlement, chancelier, 24, 852. Marosier (Perrin), 171. Mart (Hébert), laboureur, 684. Martel (messire Guillaume), chevalier, 73. Martin (saint), 926, 931, 932. Masaï, ethnie africaine, 886. Mas (Raoulet), 655. Mathieu (Hervé), 162. *Maucreux (Guillaume et Pierre), avocats au Parlement, 40. Mauger (Perrette), recéleuse, 302. Maugna (Antoine), 646. Maulhac (Pierre de), notaire du roi, 836. Mauteille (Jeannot), 610. Maydade (Blanche), sorcière, 446, 447. Méline, fille de Gilet de Jorey, 607. Méline, veuve de Thibaut Le Païen, 369, 374. Mélusine, fée, 289. Mercier (Robert), noble, 175. Mérigot, voir Maistre. Merits (Charles de), noble, 470. Meun (Robert de), évêque du Puy, 114. *Mézières (Philippe de), 145, 146, 445, 692, 862, 949. Michaut (Jean), laboureur, 596. Michel (Gillet), 319. Michelette, femme de Jean Michaut, 596. Michiel (Antoine), écuyer, 847. *Mières, jurisconsulte, 928. *Milet (Jean), greffier du Parlement criminel, 156. Miraumont (Guy de), chevalier, chambellan du roi et du duc de Bourgogne, 426, 427. Miron (Jean), examinateur au Châtelet, 865. Mithridate, roi, 623. Mocars (Pierre), poissonnier, 500. Moïse, 896, 900, 910, 912. Molart (Perrin), clerc ( ?), 29. Mollaincourt (Jean de), bâtard, serviteur du sire d’Auxi, 722. Moneru, (Jeanne), sorcière, 443, 446.

967

*Monstrelet (Enguerrand de), 52, 166, 194, 199, 202, 638. Montaigu (Jean de), grand maître de l’hôtel du roi, 52, 260, 261, 563, 729, 899. Montchauve (Poncelet de), clerc, 141. Montargnault (Claudin de), gentilhomme, 731. Montesquif (Coutet de), écuyer, 282. Montgay (Jean de), laboureur, 602. Montigny (Etienne de), bailli de Melun, 560, 561. *Montreuil (Jean de), secrétaire du roi, 55, 113, 117, 212, 457, 549, 623, 859. Montreuil (Jehannin de), chevaucheur du roi, 293. Montsay (Jehannin de), 333. Montyon (Pierre de), notaire du roi, 453. *Morchesne (Odart), 62, 201, 202, 455, 493, 784. Moreau (Jean), laboureur de bras, 729. Morel (Andrieu), 786. Morel (Guillaume), 504, 594. Morel (Pierre), 535. Morellet, (sans mention de prénom), 292. Moret (Pierre), clerc ( ?), 187, 230, 898, 902. Morgueval (Jean de), procureur du roi Charles VI en son hôtel, 72, 419, 749, 843, 844, 913. Morin (Audry), voleur de drap, parisien, 152. Morin (Guillemin), valet, 676. Morin (Jean), maître, 417. Mornay (Pierre de, dit Gaulvet), sénéchal de Carcassonne, 950. Morne (Jeanne), 581. Morneau (Guy), clerc ( ?), fils, et (Pierre), père, 747. Mortemer (dame de), 323. Morvilliers (Philippe de), avocat, 270, 861. Mouchot (Jean), ouvrier de bras, 408. Murat (Antoine, Jean et Pierre), laboureurs, 630. *Muret (Jean), 813. Museau de Brebis, fille de joie, 325. Nabuchodonosor, roi, 383, 411. Nanterre (maître Jean de), conseiller au Parlement, 25. Nantibes (Pierre), 361. Nantoise (Jaquette), 585. Navarre : (roi de), 79, 248, 398, 422, 500. (Charles Ier, dit le Mauvais), 217, 434, 548. (Charles II), 73, 79.

968

(Pierre de, comte de Mortain), 73. Neauffle (Jean de), gentilhomme ( ?), 425. Neauville (Jacotin de), clerc ( ?), 206, 215, 216, 898. Neffle (Aubry de), 291, 292. Nevers (comte de) : Philippe, 173. Charles, 919. Néves (Milot de), écuyer, 258. *Nicolas de Lyre, 908. Niset (Jean), sergent et tabellion du roi à Melun, 560. Noël (Jean), homme d’armes, 536. Nogenteuil (Thibaut de), 618. Noireterre (Guiart), écuyer, 40. Normant (sire de), 836. Norwich (Jeannequin de), anglais, clerc du trésorier de Ponthieu, 578. Nory (sire de), 836. Nosfle, voir Le Vindre. Noyon (Jehannin), 135. Nuer, ethnie africaine, 19, 71, 166, 775. Nyelles (Guillaume de, dit Rougejoes), clerc, 112. Octave, empereur, 910. Odefroy (Olivier, dit Le Breton), chef de bande ( ?), 542. Odin (Jean), tisserand, 432. Ogier (Gilet), laboureur, 641. Oliva, abbé, 209. Olivier (Geoffroy), 676. Olivier (Jehannet), 373. Olonzac (sire d’), 214. Opilius, homme de main de Tournai, 609. Orenge (Guillaume et Thomas), frères, 502, 638. *Origène, 917. Orgemont d’ : (Nicolas), conseiller au Parlement, 25. (Jean), notaire du roi, 453. Orléans : (Louis duc d’), 23, 30, 49, 50, 72, 73, 81, 123, 129, 134, 165, 166, 177, 185, 186, 201, 202, 229, 230, 260, 275, 318, 322, 341, 420, 468, 542, 543, 561, 563, 623, 639, 642, 650, 729, 734, 745, 747, 801, 802, 808, 833, 834, 949, 950, 952. (Charles d’), 729, 835, 836, 919. (Valentine Visconti, duchesse d’), 123. Oudart (maître), bailli de Melun, 561.

969

Oudinet, voir Dehevant. Ouen (saint), 262. Pacy (Jean de), receveur d’Orléans, 387. Pagot (Jean), clerc, 130. Palart (Jean), 811. Papes d’Avignon, 520, 544, 688, 914. Paquier (sans mention de prénom), 279. Pasquier (Jean), 165. Paris (Jean de), 675. Paris (Pierre, dit Craquet), 305. Paris (Mathieu), 546. Paris (Simon de), sergent du roi, 51. Parpaillon (Thomas), 544. Partenay (sire de), 861. Passat (Auchy de), sénéchal du Limousin, 534. Paul (saint), 573, 725. Paulinier (Geoffroy), avocat, 252. Peletot (Robert, sire de), bailli de Cotentin, 28, 561. Pensart, (sans mention de prénom), poissonnier parisien, 283. Penthièvre (Olivier de Blois, comte de), 426. Périe (Aymery de), 903. Périer Jean (avocat), 137, 176, 636. Périgord (comte de), 118. Perresson, 887. Perrette, femme de Richard Le Gay, 129. Perrinet (Pierre), maître, 471. Perrot, valet de Perrot Pichon, 362, 598. Pesteil (Guy de), sénéchal de Beaucaire, 261, 861. Pétart (Thierry), sergent, 563. Petit (Henri), 148. Petit (Jean), 38, 132, 133. *Petit (Jean), théologien, 38, 185, 186, 188, 198, 204, 229, 318, 623, 692. Petit-Pas (Jean), 542. *Pétrarque, 55, 377. Philippe II, Philippe Auguste, roi de France, 220, 801, 818. Philippe III, roi de France, 807. Philippe IV, Philippe le Bel, roi de France, 116, 210, 807, 942, 946. Philippe V, roi de France, 223. Philippe VI, roi de France, 27, 62, 807.

970

Philippe de Beaumanoir, 20, 136, 137, 174, 355, 418, 437, 779, 790, 803, 812, 813, 818, 942. *Philippe de Navarre, 355. Philippe le Bon, voir Bourgogne duc de. Philippe le Hardi, voir Bourgogne duc de. Picaut Eon, 30, 424. Pichon : Guillaume, 323. Perrot, 322, 598. Pichon (Jamet), 291, 292. Piedeleu (Frémin), maire d’Amiens, 567, 736. Piédevache (Olivier), 829. Pierre (saint), 182. Pierre aux Boeufs, théologien, aumônier de la reine, 222. *Pierre de Belleperche, 20. *Pierre Le Chantre, 229. *Pierre Lombard, 577. Pierrette, fille de Jean de La Porte, 673. Pigay (Mahieu), habitant d’Attichy, 564. Pille (Jean), 671. Pinol (Jean de), 42. Pise, cardinal de, 844. Pisis, voir Poix Pierre de, et Tuel Jean, sire de Poix. *Pizan Christine de, 53, 55, 146, 212, 220, 222, 225-227, 326, 344, 376, 383, 411, 457, 603, 622-624, 636, 650, 675, 743, 749, 846, 862, 867, 879, 892, 901, 911, 917, 921, 951. Plessier (Hué du), 23. Poilly (Regnault de), charretier, 132. Poisien (Jean), laboureur de bras, 675. Poix (Pierre de), prévôt de Senlis, 670. Pommier (Colin), 509. Poncelet (Jean), clerc ( ?), 462. Ponthus, 401. Porel (Guillaume), conseiller au Parlement, 157, 161. Potier (Jehannet), 656. Potin (Pierre), 342. Pouldrat (Guillaume), 1183, 184. Pourcelet (Jacques), valet, 644, 683. Pradelle (Jean), 484. Prévost (Thibaut), écuyer, 859. Prillot, (sans mention de prénom), 419.

971

Prince Noir, (Édouard dit le), 212. Pucemol, souteneur, 336. Puiseux (Colinet de), capitaine du pont de Saint-Cloud, 903. Quatredois (Perrin), 679. Quatre-Livres (Thomassin), valet gantier, 471. Quesnes (Guillaume de), chevalier, 155. Quesnoy (sire du), 258, 269, 786. Quien-de-Bar (Jean), fils de feu Jean Quien-de-Bar, 606. Rabigois (Guillaume), avocat au Châtelet, 140. Rabu (Guillaume), 395. Racassin (Jean, dit du Mans), valet de chambre du roi, 717. *Rainerius Perusinus, 18. Rames (Jean de), avocat au Parlement, 729. Raoul, homme d’armes, 839. *Raoul Glaber, 209. Raoul (Martin), 433. Raouline, sans mention de nom, chambrière, 330. Rapharin (Huguenin), 604. Rappin (Nicolas), 42. Rasoleau (Jehannet), 373. Rassoncamp (Isabelle de), demoiselle, 609. Ravaudel (Pierre), 134. Rayneval (sire de), 836. Regnard (Jean), 196. *Religieux de Saint-Denis, 113, 117, 118, 173, 186, 198, 201, 211, 566, 568, 569, 924. Rely (sire de), 624. Rembot (Bertrand), homme d’armes, 536. Remon, changeur de Montpellier, 187. Remon (Jacques), notaire du roi, 783. Rémy (Pierre), trésorier de France, 947. Reulon (Martin de), serviteur, 417. Ribemont (dame de), 470. Ribon (Marie), chambrière, 418, 657, 659. Richard II, roi d’Angleterre, 117, 118. Richard, clerc, augustin, 396. Richard (Pierre), 148. Richart (Jean), laboureur, 655. Rieux (Robin de), 564. Rignault (Colin), 887. *Rigord, 114.

972

Rivet (Guillaume), laboureur, 138. Robbey (Didier), 664. Robert (Guérart), 333. Robert (Jean), 162. Robert le Pieux, roi de France, 208, 906, 921. Robert de Sorbon, 890. Robillard (Jean, dit La Fumée), chasublier, 180. Robinet (Pierre), clerc, 471. Roboam, roi, fils de Salomon, 225, 376, 623. Rochefort (Oudinet de), sergent du Châtelet, 34. Rochefort (Jacques de), clerc, 770. Rodrigue le Petit, routier, 785. *Rolandinus Passagerii, 18. Roquetaillade (Jean de), cordelier, 116. Romain (saint), 926. Romains (Sigismond, roi des), 651. Romulus, 506. Rosay (sire de), 270. Rostelant (comte de), 747. Rouault (Jean), 517. Roucy (comte de), 25. Rouen (Perrin de), clerc, 158. Rouget, clerc, 80. Rousseau (Pierre), et (Jeanne), mère, 638. Roussel (Jeanne et Thévenot), 405. Rousselet (Jean), 714. Roussin (Guillaume), 458. Rouvoy (sire de), 463. Rouvres (Jean de), notaire du roi, 79. Roye (Henri de), maire des bannières d’Amiens, 127, 128. *Roye (Jean de), 74, 194-196, 218, 219, 307, 310, 950. Ruffy, (enfants de), 269. Ryala (Richarde de), servante, 253. Sacqueville (Pierre de), 924. Sagette (Perenelle), 733, 735. Saint-Benoit (Guibert de), 25. Saint-Denis (Jean de), sergent au Châtelet, 860. Saint-Cloud (Jehannin de), 679. Saint-Jean (Jean de), 560. Saint-Leu (Florent de), 325, 578.

973

Saint-Lô (Colart de), noble, 172. Saint Louis, voir Louis IX. Saint Pol (Louis de Luxembourg, comte de), connétable, 899, 919. Saint-Quentin (Hennequin de), ménestrel, 470. Saint-Romain (Bernard Le Castel Bayart, seigneur de), 830. Saint-Romain (Jean de), conseiller du roi, 802. Saint-Sauflieu (seigneur de), bailli de Caen et de Caux, 861. Saint-Valerie (Jean de), 671. Saint-Verain (seigneur de), 729. Saint-Ygnan (Jean de), écuyer, 884. Sainte-Audegonde (Copin, dit le Bâtard de), écuyer, 330. Saies (Robert de), écuyer, 60. Salgues (capitaine de), 757. Salignac (sire de), 860, 865. Salius (Benon de), juif, 564. Salnarche (Catherine), 485. *Salmon Pierre, 54, 225, 226, 371, 376, 808, 816, 846, 891, 895, 913, 917, 920. Salomon, roi, 146, 224, 376, 896, 911. Salomon, criminel, 153. *Salluste, 113, 114, 565, 867. Samaran (Gentillote de), 830. Samo, ethnie africaine, 631. Sancerre (Jean, comte de), 416. Sans-Paix (Marie), fileresse, 69. Sarrasin (Robinet), 502. Sauchoy (Renaud, seigneur du), chevalier, 22. Saupiquet, 502. Saussoye (Ysabeau de), 384. Sauvage (Etienne), 277. Sauveur (Guillemin), homme d’armes, 500. Savoie (Bonne de Bourbon, comtesse de), 424. Savoisy (Charles, seigneur de), 72, 121, 191, 221, 280, 419, 468, 745, 747, 749, 751, 833, 839, 840, 844, 913, 914. Savonarole, prédicateur italien, 179. Scassines (Hennequin de), clerc ( ?), 393. Scipion, consul, 910. Sefles (Guillaume), 587. Seignet (Guillaume), sénéchal de Beaucaire, 261, 262, 601, 860. Seignet (Pierre), 880. Séjourné (Simon), 445.

974

Semat (Guillaume de), homme d’armes puis tanneur, 647, 857. Sencille (Jean de), laboureur, 726. *Sénèque, 765, 901. Senestre, frères, usuriers ( ?), 468. Senglier (Guillaume), noble, 861. *Sens (Eudes de), avocat au Parlement, 40. Sery (Oudin de), clerc marié, 384, 575. Seteau (Pierre), 671, 871. *Shakespeare, 182, 800. *Sienne Bernardin de, 355, 731. Simone, fille de Jean Martin, 604. Sire-Jean (Nicaise et Pierre), 342. *Socrate 299. Soubs-le-Mur (Jean de), 132, 272. Souchet (Jean), clerc ( ?), 580. Soudrier (Michel), laboureur de bras, 782. Souquant (Jean), faiseur de verre, 742. Soyer (Jean), 207. *Suger, 114, 210, 288. Suisses, 509. Sybille, femme de Didier Robbey, 664, 665. Tabari (Jean), évêque de Thérouanne, 43. Tabari (Jean), avocat, 323. Taboret (Henri), capitaine, 537. *Tacite, 768. Tagourdeau (Colin), laboureur, 926. Talbot (capitaine), 553. Talebot (Thomin), 331. Tamerlan, 117, 211, 226. Tancarville (sire de), 895. *Tancrède, 112, 136. Taperel (Henri de), prévôt de Paris (1316-1320), 53, 115, 203, 233. Taupin (Guillaume et Jean), 458. Tavier (Jacquot), 773. Telon (Guillaume), valet charpentier, 451. Terreda (Bertrand de), chevalier, 163. *Terrevermeille (Jean de), 55, 187, 220, 230, 692, 841, 843, 898. Testart (Laurent), prévôt fermier, 562. Testart (Pierre), 498. Texier (Méry), 517.

975

Théodose, empereur, 904. Thiauges (Girard de, sire de Giry), 425, 535. Thieux (seigneur de), 609. Thoisy (Jean de), évêque de Tournai, 257. *Tholosan (Claude), juge, 442, 443, 446. Thomas (Jean), 321. *Thomas Becket, 114. *Thomas d’Aquin (saint), 224, 462, 472, 650, 686, 687, 749, 765, 809, 831, 907, 927. *Thomas de Cantimpré, 777, 907. Thomas de Marie, sire de Coucy, 114, 219, 247. Thouars (Marguerite, dame de), 25. Thuisy (sire de), 816. Thumerel (Nicolas), bourgeois, 582. *Tignonville (Guillaume), prévôt de Paris, 121, 129, 130, 146, 149, 166, 186, 211, 214, 224, 228, 229, 232, 273-275, 299, 317, 394, 447, 448, 461, 462, 747, 749, 811, 828, 831, 849, 873, 898, 906, 948-950. Tillières, page de Carrouges, 186. Tison (Jean), écuyer, 527. Toré (Toussaint), 880. Torroil (Guillemin), savetier, 770. Touraine : (Louis d’Orléans, duc de), 377. (Jean de), dauphin, 318. Tourande, Tourant, (famille), 204, 670. Tournay (Hennequin de), marchand, 150. Tourville Guillot (Olivier de), 854. Trajan, empereur, 910, 911. *Trémaugon (Évrart de), auteur probable du Songe du vergier, conseiller de Charles V puis de Charles VI et maître des requêtes, 923. Trente (Gauvin), usurier ( ?), 468. Trie (Aubry de), bailli de Caux, 149. Troquet (Martin), 342. Truganes (Raoul de), écuyer, 458. Trupin (Pierre, dit Fumel), parmentier, 739. Truquam (Jean), lieutenant du prévôt de Paris, 35, 160, 161, 232, 564. Tuel (Jean, sire de Poix), 624. Tuilières (Guillaume et Robert), frères, 865. Tulles, voir Cicéron. Tupe (Gobin), teigneux, 519. Turpin (sans mention de prénom), 426.

976

Turelure (Perrote), 815. Tyan (Jean de), bailli de Senlis, 861. Vacherin (Bertrand), 123. Valenciennes (Jeannette de), fille de joie, 589. *Valère-Maxime, 186, 376, 623, 650, 913. Valette (Gervaise), 689. Van Eyck (Jan), 194. Vauru (Denis de, dit le bâtard de), 570. Veau (Gilles), clerc des comptes de Charles VI, 44. Vendart (Jean), 781. Vendôme (François de Bourbon, comte de), 919. *Venette (Jean de), 116, 218, 219, 222. Verderon (Jean), 778. Vergier (Jean), chevalier, 181, 400. Vernemon (Guillaume), 587. Verrès, 113. Verrues (Simon de), 276. Verson (Guillaume), laboureur, 152. Vervins (Jean de), chevalier, 177. Viel (Jean), 124. *Vigneulles (Philippe de), 192. Villace (Thoguy de), 444, 446. Villain (Colin), 880. Villain (Jean), 399. Villandrando (Rodrigue de), routier, 203, 212. Villers (maître Jean de), 829. Villoche (Huguennin et Jeanne), 820, 821. *Villon, 897. Vimplier (Jean), chirurgien, 462. Vincequerre, marchand de Lucques, 467. *Virgile, 203, 217. Virnon (Colin), 883. Vispillon (Guillaume), poissonnier, 810. Viton (Tassin), 515. *Vitry (Philippe de), 117, 227, 289, 376, 434. Voisonace (Jean de), écuyer, 889. Vosguillaume (Pierre de), écuyer, 74. Vroissart (Regnault), 683. Wailly (Robin de), 670. Waitande (Raoul, dit Monton), 640.

977

Waitande (Jaque), 640. Wantier, maître foulon d’Arras, 416. Warin, évêque de Beauvais, 208. Warlus (Jean), receleur, 280. Waucisnet (Robert), 654. Waudelicourt (Marie de), demoiselle, 158. Wes (Etienne de), capitaine, 422. Xandrine (Marguerite), servante, 337. Ydée, fille commune, 509. *Yves de Chartres, 209, 210, 823.

978

Index analytique

Etant donné la fréquence des mots relatifs aux types de délits et à l’organisation sociale, leur recensement aurait été sans intérêt. Le vocabulaire juridique, politique et religieux susceptible de compléter la table des matières a seul été retenu. Accord, 17-26, 48, 67, 70, 92, 99, 130, 146, 152, 165, 172, 173, 326, 332, 371, 507, 523, 524, 635, 671, 675, 686, 689, 741, 751, 776, 777, 780, 784, 787, 788, 817, 830, 868, 870, 871, 873, 941. Amende, 6, 7, 18, 26, 34, 48, 59, 61, 69, 94, 120, 127, 177, 231, 246, 249, 466, 468, 524, 558, 674, 718, 720, 744, 745, 747, 751, 777, 786, 798, 799, 807, 811, 833, 845, 886, 897, 898, 930, 932, 934, 941. Amende honorable, 127, 128, 228, 232, 569, 718, 745-749, 751, 778, 887, 902, 903, 930, 949, 950. Amis charnels, 68, 71, 86, 88, 166, 306, 614, 619, 642-649, 651, 654, 674, 675, 678, 687, 776, 778, 787, 793, 805, 874, 880, 887, 916, 942. Anglais, 46, 55, 56, 95, 129, 175, 203, 217, 220, 248, 249, 254, 259, 326, 341, 363, 440, 457, 459, 545-550, 553-556, 562, 564, 567-569, 639, 645, 647, 649, 651, 686, 688, 691, 705, 736-738, 744, 748, 757, 761, 788, 800, 835, 836, 839, 841, 842, 847, 854, 857, 858, 867, 872, 878, 886, 935, 943. Appel, appellation, 18, 24, 68-70, 158, 160, 161, 170, 171, 191, 257, 263, 292, 418, 440, 524, 560, 645, 821. Armagnac, parti armagnac, 44, 156, 185, 196, 197, 200-204, 212, 217, 219, 226, 232, 260, 261, 270, 273, 275, 318, 458, 548, 561, 569, 624, 632, 684, 690, 729, 835, 865, 867, 903, 945, 950. Asseurement, 23, 29, 48, 68, 75, 94, 95, 124, 128, 147, 173, 207, 239, 242, 258, 277, 364, 365, 389, 414, 455, 469, 555, 579, 619, 620, 645, 656, 716, 725, 736, 753, 756, 763, 771, 779, 780, 782-784, 786, 787, 803, 823, 933. Aveu, 37-40, 51, 121, 134, 135, 139, 145, 149, 153-157, 159, 161-163, 166, 170, 171, 176, 184, 188, 211, 222, 227, 235, 239, 302, 308, 316, 329, 372, 401, 441, 445, 455, 460, 463, 466-468, 470, 598, 611, 620, 751, 907, 909, 940, 946. Bailli, sénéchal, 28, 42, 67, 68, 83, 124, 136, 138, 142, 151, 160, 163, 171, 177, 198, 200, 206, 208, 214, 216, 222, 223, 228, 234, 245, 261, 269, 321, 394, 437, 440, 534, 536, 541, 557,

979

558, 560, 561, 563, 645, 646, 656, 671, 685, 738, 801, 827, 836, 837, 860, 861, 884, 896, 899, 900, 902, 942, 948. Banni, Bannissement, 6, 7, 34, 36, 39, 59, 87, 98, 127, 152, 252-254, 256, 258-261, 270, 277, 280, 304-306, 363, 374, 400, 402, 408, 431, 455, 460, 463, 466-468, 470, 499, 500, 505, 512, 541, 543, 564, 587, 648, 653, 744, 745, 748, 764, 775, 776, 796, 797, 799, 816, 817, 829, 830, 843, 855, 864, 870, 875, 880, 881, 884, 887, 888, 897, 925. Bâtard, 73, 74, 138, 216, 260, 570, 575, 593, 625, 649, 659, 722, 723, 771, 839, 892, 944. Bourguignon, parti bourguignon, 44, 55, 120, 156, 192-194, 197, 202, 204, 216, 219, 226, 232, 257, 260, 261, 270, 275, 341, 448, 458, 548, 561, 568, 624, 632, 684, 690, 729, 730, 738, 835, 860-862, 865, 867, 868, 934, 949, 950. Bourreau, 136, 159, 187, 263, 314, 570, 609, 693, 729, 827, 903, 929. Canoniste, 2, 111, 129, 176, 186, 229, 437, 449, 585, 787, 804, 810, 831, 908. Cas énormes, crimes capitaux, 7, 20, 59, 64, 115, 116, 123, 139, 140, 149, 160, 175, 191, 192, 199, 204-206, 208, 211, 219, 221, 229, 230, 254, 261, 263, 276, 309, 322, 329, 394, 418, 438, 439, 444, 466, 528, 529, 567, 573, 583, 598, 625, 629, 658, 750, 789-792, 796, 801, 827, 831, 834, 835, 898, 910, 934, 946, 947. Cas royaux, 80, 123, 207, 208, 210, 803, 828, 840. Chancellerie royale, 7, 9, 23, 41, 46, 49, 60, 63-67, 69, 71, 73-76, 78-80, 86, 87, 97, 99, 104, 107, 109, 119, 122, 169, 178, 202, 211, 239, 246, 249, 255, 256, 303, 304, 327, 329, 333, 335, 341, 351-353, 355, 357, 361, 371, 381, 385, 403, 421, 422, 429, 430, 439, 441, 456, 459, 472, 463, 479, 480, 492, 493, 496, 497, 512, 545, 548, 549, 554, 601, 634, 643, 645-647, 651, 653, 660, 686-690, 693, 718, 721, 751, 792, 805, 806, 810, 817, 822, 825, 828, 835, 849-851, 854, 856, 857, 859, 864, 866, 869, 871, 874-877, 879, 880, 884, 885, 889, 890, 909, 910, 918, 919, 925, 929, 931, 933, 934, 941, 942. Chancellerie du Palais, 246, 255, 256. Châtelet de Paris, voir index des noms de lieu, Paris. Chronique, chroniqueur, 48-51, 115-117, 120, 121, 128, 194, 200, 203, 205, 213, 218, 219, 222, 233, 310, 344, 421, 452, 538, 566, 569, 924, 950. Circonstances atténuantes, 74, 82, 87, 88, 92, 94, 133, 249, 277, 303, 304, 333, 339, 351, 353, 385, 388, 403, 425, 429, 430, 432, 436, 438, 441, 449, 450, 455, 456, 465, 472, 527, 554, 587, 649, 764, 776, 777, 787, 792-794, 806, 808, 814, 815, 820, 825, 830, 849, 850, 858, 925. Complice, complicité, 93, 102, 115, 124, 129, 133, 134, 150, 155, 158, 171, 206, 207, 214, 215, 233, 278, 280, 305, 314, 336, 343, 419, 460, 470, 555, 556, 586, 609, 653, 679, 683, 687, 691, 780, 784, 785. Confession judiciaire, 38, 39, 44, 66, 67, 118, 133, 135, 148, 153-157, 159, 161-163, 170-172, 192, 203, 205, 206, 214, 215, 230, 291, 303, 328, 372, 401, 421, 801, 858, 864. Confrère, confrérie, 259, 395, 620, 663, 666-669. Conseil du roi, 26, 28, 41, 63, 72, 79, 81, 109, 171, 201, 232, 274, 278, 805, 836, 843, 844, 917, 919. Coutume, coutumier, 53, 54, 80, 90, 92, 93, 123, 128, 137, 138, 151, 152, 174, 177, 216, 249, 252, 253, 256, 303, 310, 343, 449, 542, 623, 639, 645, 671, 672, 778, 781, 782, 790, 791, 801, 807, 861, 896. Crimes irrémissibles, 64, 68, 75, 98, 445, 464, 539, 554, 799, 809, 830, 836, 840, 909, 910, 913, 914, 916, 922, 945, 947.

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Cruauté, cruel, 225, 226, 262, 270, 346, 566, 623, 658, 711, 727, 750, 798, 802, 903, 952. Dénonciation, 87, 100, 135, 139, 145, 149-151, 162-165, 189, 206, 235, 278, 291, 322, 323, 544, 555, 583, 590, 597, 598, 673, 674, 685, 687, 695, 740, 758, 761, 819, 830, 882-884, 887, 916, 941, 943. Diable, Ennemi d’enfer, 94, 98, 185, 187, 285, 296-298, 303, 304, 361, 362, 366, 388, 400, 417, 419, 429-431, 438-441, 443, 444, 448, 452, 455, 462, 472, 473, 540, 547, 566, 597-599, 609, 622, 627, 657, 658, 660, 673, 695, 751, 764, 776, 810, 815, 817, 820, 828, 830, 885, 889, 930. Droit canon, 15, 20, 26, 32, 136, 163, 209, 210, 252, 253, 437, 578, 579, 597, 598, 810, 828. Droit pénal, 6, 10, 92, 124, 139, 145, 302-304, 354, 429, 438, 538, 744, 748, 754, 790, 791, 798, 800. Droit romain, 2, 15, 19, 26, 111, 113, 117, 123, 128, 129, 139, 163, 186, 211, 221, 354, 355, 406, 437, 449, 565, 597, 598, 623, 694, 828, 832, 833, 905, 908, 910, 943, 950. Duel judiciaire, gage de bataille, 145, 171-180, 185, 186, 216, 306. Eglise, 20, 42, 55, 113, 114, 118, 137, 145, 154, 193, 208, 209, 211, 221, 225, 226, 228, 230, 231, 247, 253, 310, 344, 345, 351, 384, 398, 399, 435, 453, 463, 464, 481, 486, 514, 544, 574-576, 578, 579, 583, 590-592, 603, 604, 647, 648, 663, 666, 686, 688, 700, 704, 753, 764, 788, 806, 809, 812, 813, 816, 819, 820, 822, 833, 841, 847, 869, 870, 872, 873, 875, 886, 891, 900, 904, 905, 908, 927, 932, 940, 942, 949. Elargissement, élargi, 28, 34, 36, 138, 152, 156, 165, 178, 302, 303, 690, 790, 792. Enfouissement (peine d’), 46, 303, 328. Ennemi, 261, 275, 340, 345, 449, 459, 460, 500, 540, 545-554, 560, 561, 565, 567, 570, 673, 675, 678, 683, 686, 687, 700, 718, 757, 761, 763, 785, 788, 834, 836, 839, 841, 844, 853-857, 861, 882. Enquête judiciaire, 31, 41, 43, 68, 120, 125, 126, 128, 129, 132, 136, 138, 141, 146, 151, 153, 166, 172, 184, 360, 440, 445, 454, 490, 542, 563, 735, 780. Entrées royales, 307, 343, 379, 505, 917, 920, 921, 924, 926. Etat, 8-11, 15, 19, 24, 41, 42, 44, 45, 56, 80, 86, 111, 113, 118, 121, 128, 137, 142, 149, 154, 185, 208, 220, 227, 228, 230, 231, 233, 234, 236, 253, 263, 275, 293, 344, 345, 352, 383, 395, 461, 479, 491, 495, 563, 564, 582, 583, 648, 686-691, 693, 700, 704, 717, 751, 753, 754, 761, 786, 788, 806, 813, 833, 837, 839, 841, 847, 863, 864, 875, 879, 891, 899, 929, 932, 935, 939-941, 944, 946, 949-951. Etranger, 260, 263, 282, 285, 393, 510, 514, 520, 521, 540-545, 549-561, 680, 688, 695, 734, 769, 872, 881, 883, 888, 891, 940. Excommunication, excommunié, 48, 173, 304, 398, 404, 406, 513, 589, 660, 670, 687, 720, 738, 739, 819, 825, 886-888. Faveur, 72, 230, 560, 562, 686, 862, 863, 901, 909, 916. Fête, 90, 98, 105, 121, 160, 214, 287, 310, 312, 334, 345, 359, 363, 378, 391, 397, 432, 449, 452, 453, 471, 481, 482, 484, 485, 488, 490, 499, 504-511, 513-515, 517-519, 542, 544, 561, 582, 586, 636, 666-673, 678, 679, 695, 713, 714, 747, 763, 764, 770, 776, 872, 904, 916, 924, 926, 927, 929. Folklore, folklorique, 4, 5, 90, 300, 312, 375, 379, 382, 387, 481, 484-487, 505, 510, 517, 605.

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Frontière, 36, 246, 253-263, 270, 289, 460, 464, 467, 470, 505, 506, 527, 543, 547, 556, 558, 561, 765, 797, 856, 858, 861, 891, 945. Gibet, 22, 52, 171, 177, 180, 185, 205, 206, 214, 218, 229, 233, 274, 280, 302, 447, 448, 461, 553, 598, 625, 799, 829, 897, 899, 902, 903, 947. Guerre, 2, 9, 55, 56, 69, 74, 77, 85, 94, 95, 116, 131, 175, 201, 210, 212, 217, 219, 224, 242, 248-251, 259, 275, 276, 289, 308, 311, 341, 364, 365, 389, 399, 405, 423, 429, 430, 455, 464, 465, 502, 523, 528, 533, 535-537, 539, 540, 543, 545-547, 549-557, 570, 631, 687, 691, 695, 700, 730, 744, 756-758, 760, 761, 764, 785, 788, 791, 803, 837-839, 841, 849, 854-858, 861, 866, 884, 890, 939, 943, 947, 951. Guerre civile, 28, 40, 50, 52, 55, 56, 79, 95, 113, 131, 134, 156, 201, 202, 211, 212, 215, 217, 219-221, 232, 257, 260, 341, 343, 344, 447, 457-459, 466, 536, 541, 548, 549, 552, 561, 564, 568, 623-625, 650, 651, 675, 687, 690, 692, 693, 729, 736, 801, 807, 835, 840, 841, 843, 844, 852, 859, 860, 862, 866-868, 943, 949. Guerre mortelle, 269, 566, 687, 757, 774, 785, 821, 871. Guerre privée, 10, 173-175, 210, 254, 256, 258, 259, 261, 470, 548, 550, 642, 785, 787, 788, 804, 805, 842, 858, 873, 893, 907, 940. Haine, haineux, 131, 165, 174, 183, 204, 215, 259, 268, 291, 317, 319, 399, 420, 423, 424, 437, 459, 470, 506, 555, 559-561, 563, 566, 581, 584, 609, 622, 639, 657, 667, 671, 673, 674, 685-687, 694, 700, 712, 729, 739, 750, 757, 761, 769, 774, 780, 784, 785, 788, 799, 803, 834, 863, 864, 882, 901, 918, 945. Hérésie, hérétique, 136, 191, 544, 597, 600, 834, 946. Honneur du roi, 64, 274, 564, 842-846. Humanisme, humaniste, 41, 55, 117, 198, 209, 211, 236, 457, 623, 678, 813, 867, 879, 948. Impôts, aides, exactions, tailles..., 9, 22, 25, 30, 42, 273, 325, 341, 404, 468, 494, 557, 560, 601, 712, 727, 761, 810, 837, 841, 863, 867, 868. Information judiciaire, 28, 67, 120, 125, 129, 130, 133, 136-139, 152, 153, 159, 163, 180, 184, 186, 191, 200, 256, 291, 309, 441, 458, 635, 687, 845, 883. Inquisition, 15, 155, 211. Jacquerie, Jacques, 116, 211, 215, 342, 372, 421-423. Jeu, 91, 233, 268, 269, 280, 286, 293, 294, 296, 297, 306, 372, 388, 391, 394, 429, 430, 432, 435, 449, 451-453, 455, 463, 465, 473, 501, 502, 510, 511, 513, 518-520, 539, 602, 608, 679, 680, 718, 719, 724, 777, 803, 808, 811, 826, 872, 939. Juif, 22, 128, 220, 221, 232, 236, 318, 447, 544, 564, 883, 946. Larron, 38, 133-135, 141, 143, 148, 162, 171, 183, 186, 196, 217, 218, 228, 236, 260, 273, 280, 289, 291, 293, 393, 398, 427, 447, 457, 458, 460, 461, 466, 470, 471, 559, 641, 719, 720, 730, 731, 740, 791, 827, 828, 831, 883, 888, 891, 939, 947. Légitime défense, 98, 431, 455, 646, 754, 776, 787, 796, 800, 803, 804, 806, 817, 871 881 Lèse-majesté, 22, 56, 72, 76, 95, 111, 119, 123, 124, 127, 128, 153, 174, 178, 195, 205, 301, 303, 341, 422, 438, 449, 547, 549, 554, 559, 565, 694, 791, 810, 832-835, 838-842, 844, 845, 847, 858, 859, 909, 914, 924, 934, 946, 951. Marginalité, marginal, 4, 5, 91, 105, 267, 271-273, 280, 281, 290, 326, 336, 337, 339, 401, 407-410, 438, 446-448, 457, 461, 464, 465, 468, 471, 550, 554, 570, 574, 576, 589, 594, 597, 601, 637, 935. Marmousets, 40, 43-45, 120, 144, 155, 156, 159, 163, 232, 292, 377, 445, 843, 852, 948, 952.

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Miracle, 179-182, 184, 185, 187, 188, 193, 209, 220, 235, 546, 547, 660, 667, 825, 903, 921, 922, 926, 931. Miséricorde, 24, 98, 146, 345, 354, 380, 401, 792, 793, 797, 798, 808, 823, 827, 829, 835-838, 905, 907-915, 917-919, 921, 923-926, 928, 929, 931, 932, 934, 942, 951. Navarrais, parti navarrais, 254, 500, 548, 684, 837, 924. Office, 28, 41, 43, 137, 292, 400, 412, 413, 562, 689, 705, 859-861, 863-865, 879, 946. Officialité, official, 6, 25, 45, 46, 48, 304, 394, 461, 462, 477, 580, 582, 583, 594, 660, 664, 666, 792, 816, 822, 887, 895, 898 923 Officier, 22, 28, 35, 36, 43, 44, 56, 72, 78-80, 95, 118, 120, 121, 130, 198, 204, 207, 211, 232, 255, 260, 270, 280, 309, 341, 375, 396, 399, 414, 439, 440, 477, 486-489, 494, 496, 532, 533, 557-560, 562-564, 566, 570, 601, 637, 685, 686, 691, 700, 747, 783, 791, 801, 802, 835, 838, 840, 843-845, 854, 855, 858-867, 879, 898, 901, 906, 909, 920, 946, 950. Ordalie, 145, 160, 171, 172, 176, 179, 182-186, 188. Ordonnance, 33, 34, 42, 63, 64, 75, 120, 121, 136, 178, 211, 232, 334, 344, 401, 402, 425, 449, 452, 470, 538, 540, 553, 561, 601, 748, 783, 785, 787, 789, 801, 802, 806, 807, 809, 811, 812, 828, 834, 842, 844, 847, 852, 858, 861, 862, 867, 884, 893, 901, 940, 948. Ordonnance de réforme, 36, 39, 50, 56, 63, 68, 72, 121, 122, 149, 173, 177, 178, 210, 211, 219, 227, 232, 233, 539, 560, 561, 792, 804, 839, 840, 852, 853, 862-864, 909, 917, 921, 940, 945. Paix, 19, 20, 24, 25, 50, 68, 76, 92, 116, 127, 146, 147, 166, 169, 170, 172, 173, 202, 203, 208-210, 214, 220-223, 227, 253, 256, 257, 263, 269, 285, 334, 340, 343-345, 379, 524, 528, 540, 551, 589, 603, 608, 612, 624, 625, 627, 641, 643, 650, 651, 666-669, 675-677, 686, 689-691, 700, 726, 738, 743, 747, 748, 751, 774-781, 786-788, 791, 792, 803, 828, 865-870, 872-874, 878, 889, 891, 892, 895, 901, 906, 911, 916, 920, 928, 934, 940, 941, 951. Paix de Dieu, 208, 209, 212, 540, 787, 874, 940. Pardon, 11, 20, 24, 54, 63, 75, 99, 119, 120, 128, 193, 196, 199, 252, 335, 380, 484, 528, 546, 653, 673, 734, 748, 750, 776-778, 787, 800, 804, 813, 815, 819, 822, 826, 830, 836, 838, 874, 896, 904, 906, 907, 913, 915-917, 919-925, 927, 929, 931, 934, 940-942, 952. Parlement de Paris, voir index des noms de lieux, Paris. Péché, 121, 128, 154, 183, 193, 222, 224, 225, 273, 296, 299, 300, 335, 383, 424, 429, 430, 434, 441, 449, 452, 453, 455, 456, 462, 528, 594, 598, 600, 628, 715, 743, 765, 807, 808, 813, 820, 822, 837, 877, 900, 905, 906, 912, 925-927. Peine de mort, exécution capitale, 8, 11, 59, 70, 113, 143, 159, 203, 220, 228-230, 232, 233, 256, 257, 274, 290, 292, 303, 358, 394, 395, 419, 422, 439, 459, 460, 462, 468, 748, 790, 798, 831, 833, 854, 864, 887, 888, 895-899, 902, 903, 924, 941, 942, 946-951. Pèlerinage, 75, 85, 99, 164, 181, 267, 290, 310, 329, 399, 465, 510, 511, 516, 543, 658, 659, 665, 669, 738, 778, 929-933. Pendaison, 46, 59, 135, 136, 159, 187, 197, 218, 228, 229, 284, 291, 303, 305, 327, 393, 394, 440, 448, 458, 625, 745-748, 791, 801, 827, 829-831, 864, 882, 883, 889, 892, 897-899, 903, 910, 947, 950. Pénitence, 128, 154, 310, 520, 557, 658, 659, 747, 751, 753, 807, 813, 884, 904, 905, 912, 927, 930. Peste, bosse, épidémie, 218, 224, 356, 357, 436, 438, 500, 523-528, 589, 653, 700, 808, 939, 945, 947, 949.

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Peur, 5, 11, 15, 50, 181, 189, 191, 208, 211-213, 215, 216, 223, 235, 260, 263, 267, 272, 273, 289, 295, 313, 366, 409, 423, 437, 443, 444, 448, 453, 457, 471, 503, 523, 526, 528, 532, 538, 549, 553, 559, 567, 568, 869, 897, 903, 924, 930, 939, 945. Pilori, 127, 133, 136, 292, 303, 440, 468, 565, 744, 811, 813, 827, 888, 897. Plaidoirie, 26, 27, 29, 31, 32, 37, 44, 64, 103, 112, 118, 131, 133, 134, 140, 141, 147, 149, 151, 154, 158, 159, 172, 176, 185, 186, 200, 204, 206, 207, 209, 228-230, 253, 254, 259, 260, 280, 292, 335, 337, 338, 384, 419, 438, 442, 445, 454, 467, 468, 490, 523, 546, 565, 610, 631, 686, 691, 713, 729, 785, 787, 805, 814, 816, 832, 834, 841, 859, 860, 863, 888, 890, 901, 914, 947. Préméditation, aguet-apensé, 21, 60, 68, 75, 89, 90, 96, 98, 170, 175, 215, 257, 276, 314, 416, 441, 454, 459, 555, 559, 569, 624, 686, 695, 707, 736, 754, 755, 757, 758, 766, 767, 799-801, 803, 897, 913, 914, 919. Preuve judiciaire, 46, 73, 129, 133, 136-138, 141, 145, 147, 153, 170-172, 174, 178, 182-184, 186, 188, 204, 206, 235, 257, 303, 429, 913. Prévôt, 27, 28, 37, 39, 52, 72, 93, 126, 134, 135, 138, 148, 171, 206, 208, 214, 223, 231-234, 254-256, 258, 269, 277, 287, 291, 337, 342, 437, 448, 467, 543, 544, 552, 558, 560-564, 670, 685, 687, 691, 744, 816, 845, 860, 867, 900, 902, 926, 939. Prévôt de Paris, voir index des noms de lieux, Paris. Prison, prisonnier, emprisonnement, 29, 33-39, 42, 43, 64, 72, 74, 87, 98, 99, 101, 124, 126, 129, 133, 135, 136, 138, 140-142, 146-153, 156, 158-162, 164, 167, 171, 180-182, 207, 213, 236, 246, 256, 280, 281, 292, 302, 304, 306, 309, 319, 329, 342, 372, 395, 400, 401, 408, 424, 431, 437, 440, 455, 464, 466, 544, 558, 560, 562, 563, 583, 585, 601, 607, 633, 645, 648, 661, 674, 693, 751, 776, 780-782, 792, 802, 807, 811, 815, 817, 830, 834, 843, 854, 859, 864, 865, 869, 872, 875, 879, 882-886, 889, 895, 897, 905, 919, 921-934, 948, 949. Procédure accusatoire, 8, 20, 129, 139, 145, 149-152, 183, 583, 790. Procédure extraordinaire, 37-40, 51, 112, 131-134, 138, 139, 143, 148, 149, 151-154, 156-162, 171, 178, 185, 191, 192, 206, 208, 219, 220, 231, 232, 236, 301, 303, 335, 366, 384, 394, 461, 567, 575, 598, 664, 897, 946, 948. Procédure inquisitoire, 8, 31, 129, 133, 135-137, 139, 141, 145, 151-153, 163, 674, 790, 883. Procureur du roi, 21, 29, 42, 43, 64, 127, 151, 157-159, 178, 200, 206, 229, 230, 234, 269, 291, 393-395, 460, 463, 547, 560, 562, 565, 580, 583, 624, 637, 674, 690, 749-751, 828, 834, 843, 890, 902, 903, 914, 935, 948. Propagande politique, 11, 53, 201-203, 208, 216, 232, 260, 318, 447, 466, 538, 544, 548, 597, 867, 868, 949, 950. Prostituée, fille commune, fille de joie, ribaude, 273, 325, 326, 333-337, 339, 343, 390, 391, 461, 509, 510, 592, 595, 602, 679, 684, 720, 721, 725, 890, 920, 925. Récidive, récidiviste, 86, 133, 229, 242, 276, 279, 301, 304, 306, 328, 395, 404, 406, 414, 463-467, 472, 490, 532, 541, 554, 653, 712, 810, 811, 828, 830, 840, 883, 889, 898, 913, 930. Réformateur, 12, 39, 41, 42, 65, 74, 75, 120, 121, 127, 149, 155, 156, 159, 198, 226-228, 230, 231, 233, 273, 393, 691, 900, 908, 909, 911, 916, 917, 934, 948, 950, 951. Réforme du royaume, 41, 43, 44, 117, 127, 149, 159, 226, 236, 864, 874, 897, 909, 946, 949.

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Renommée, 31, 36, 60, 63, 76, 97, 119, 135-142, 149, 151, 170, 173, 183, 235, 277, 279, 317, 322, 336-338, 384, 387, 388, 394, 425, 440, 441, 447, 458, 459, 461, 463, 556, 559, 583, 628, 634, 671, 720, 734, 740-743, 748, 749, 751, 804, 815, 816, 837, 853, 860, 871, 872, 874, 877, 878, 881, 882, 887-892, 909, 943, 944. Requêtes, 72, 74, 79, 99, 152, 256, 385, 495, 564, 583, 634, 638, 645, 648, 649, 661, 675, 677, 740, 755, 792, 797, 852, 857, 870, 883, 906, 910, 915, 917, 919, 928. Requêtes (maîtres des), 63, 79, 81, 893, 923, 928, 932. Révoltes, insurrections, rébellions, commotions..., 15, 22, 28, 63, 113, 115, 117, 127, 131, 199, 203, 248, 249, 341, 343, 384, 389, 421-423, 425, 548, 549, 557, 558, 564-570, 635, 688, 691, 692, 738, 786, 832, 837, 838, 840, 841, 867, 870, 910, 913, 915, 916, 922, 924, 928, 951. Rite, rituel, 5, 19, 23, 25, 38, 147, 169, 188, 221, 310, 312, 379, 382, 404, 445, 453, 504-514, 517, 518, 536, 539, 542, 550, 573, 577-582, 584, 586, 591, 592, 597, 604, 605, 627, 652, 653, 660, 676, 677, 681, 688, 713, 714, 725, 744, 745, 747, 751, 764, 777, 778, 781, 787, 813, 825, 849, 899, 920, 923, 924, 927, 929, 941, 945, 951. Rue, 4, 91, 159, 219, 220, 267-269, 277, 280, 281, 285, 286, 290, 294, 312, 335, 362, 396, 299, 409, 414, 415, 524, 538, 539, 551, 605, 695, 735-738, 872, 902. Sacrilège, 118, 141, 196, 197, 199, 201, 206, 208, 210-212, 219, 278, 538, 570, 797, 824, 825, 827, 833, 834, 900, 914. Sauvegarde, 21-23, 75, 78, 124, 151, 166, 207, 258, 261, 263, 270, 381, 395, 455, 471, 559, 662, 685, 784, 788, 831-835, 837, 838, 841, 843-845, 863, 867. Scandale, esclande..., 22, 115, 278, 280, 256, 394, 453, 525, 593, 597, 612, 741, 750, 808, 843, 844, 846, 899, 914. Schisme (Grand), 9, 55, 73, 182, 217, 221, 747, 807, 842, 844, 869, 948. Sergent, 18, 36, 124, 130, 150, 157, 162, 173, 187, 200, 207, 219, 252, 253, 269, 275, 282, 292, 310, 342, 399, 500, 558-561, 563-565, 581, 593, 680, 689, 705, 727, 730, 761, 765, 824, 832, 840, 842, 856, 860, 861, 863, 864, 872, 884, 891, 899, 910. Serment, 19, 25, 44, 131, 145, 147, 171-173, 175, 179, 186, 198, 208, 209, 215, 216, 231, 345, 380, 506, 545, 551, 557, 562, 568, 578, 583, 591, 611, 677, 691, 692, 781, 803, 810-812, 821, 836, 837, 841, 844, 845, 852, 862, 864, 865, 869. Sermon, 31, 55, 121, 221, 229, 384, 453, 574, 667, 715, 730, 731, 816, 849, 852, 907, 912, 940, 948. Sorcier (e), sorcellerie, 31, 161, 228, 298, 301, 310, 316, 317, 319, 438, 441-448, 472, 834, 899. Sujet, sujétion, 25, 32, 44, 86, 120, 131, 175, 176, 178, 201, 207, 226, 246, 254, 274, 344, 381, 427, 493, 548, 635, 651, 689-694, 749, 751, 786, 797, 834-837, 842, 844, 849, 852, 853, 864-869, 872, 874, 875, 878, 881, 882, 886, 889, 892, 893, 895, 896, 917, 918, 923, 925, 928, 932, 934, 941, 944, 946, 948, 949, 951. Taverne, 2, 85, 91, 93, 249, 259, 266, 268, 277, 281, 284-286, 290, 294, 297, 310, 311, 321, 324, 331, 334, 335, 363, 372, 378, 386, 395, 396, 399, 406, 407, 409, 414, 432, 433, 435, 451, 453, 454, 463, 465, 499, 515, 518, 536, 538, 539, 553, 558, 562, 644, 666, 669, 679-681, 695, 706, 714, 724, 728, 732, 736, 737, 758, 773, 782, 803, 845, 872, 879. Témoin, 68, 88, 101, 129, 130, 140, 145, 148, 157, 163, 164, 170, 173, 178, 186, 191, 198, 219, 303, 454, 431, 437, 491, 568, 575, 577, 580, 645, 675, 676, 735, 739, 807, 869. Théorie politique, théoricien politique, 41, 56, 57, 63, 98, 121, 122, 137, 139, 146, 163, 176, 199, 211, 217, 220-227, 230, 235, 261, 274, 299, 335, 371, 376, 384, 400, 401, 417, 418, 424, 433, 434, 450, 457, 623-625, 636, 650, 651, 691, 692, 700, 761, 804, 807, 808, 831, 832,

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841-844, 846, 847, 849, 853, 865, 867-869, 879, 880, 893, 895, 896, 899-901, 904, 907, 908, 910, 911, 915-917, 919, 920, 934, 941, 943, 947, 949, 952. Théologien, 113, 121, 129, 198, 229, 289, 585, 590, 686, 749, 751, 765, 787, 805, 831, 833, 841, 900, 901, 908, 927. Torture, question, gehine, 2, 27, 37, 38, 40, 68, 74, 87, 128, 132-135, 138, 139, 143, 148-153, 155-162, 165, 168, 171, 176, 178-181, 184, 185, 187, 191, 206, 208, 212, 231, 233, 276, 292, 301, 303, 314, 384, 406, 418, 437, 438, 464, 544, 558, 560, 561, 563, 565, 575, 685, 686, 747, 790, 884, 885, 889, 909, 944. Trahison, 20, 22, 38, 166, 191, 193, 205, 283, 303, 318, 341, 418, 452, 467, 547, 548, 553, 555, 556, 565, 677, 720, 728-730, 736, 737, 749, 785, 790, 801, 803, 805, 832, 840, 841, 867, 900. Transaction, arbitrage, 8, 17-26, 56, 70, 71, 166, 170, 181, 239, 263, 302, 332, 372, 524, 527, 567, 654, 668, 677, 777, 778, 781, 799, 821, 871, 873, 906, 928, 941. Tyran, tyrannie, 54, 127, 219, 224-226, 229, 230, 262, 263, 384, 434, 566, 623, 906, 952. Vendetta, 3, 247, 332, 763, 764, 767, 772, 778, 788, 799. Vengeance, 4, 10, 96, 169, 170, 174, 175, 188, 226, 257, 259, 260, 269, 292, 294, 319, 320, 332, 338, 345, 363, 396, 399, 415, 425, 452, 454, 460, 463, 470, 486, 501, 509, 518, 519, 541, 545, 549, 552, 555-557, 563, 567, 569, 633, 635, 648, 650, 651, 668, 687, 695, 703, 707, 711, 719, 745, 750, 753-789, 792, 793, 795-797, 803-805, 816, 818, 822, 830, 846, 863, 870, 873, 899, 907, 917, 918, 920, 925, 931, 940, 942, 947, 951.