Convaincre au quotidien 9782894726792

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Convaincre au quotidien
 9782894726792

Table of contents :
Couverture
Table des matières
Introduction
PREMIÈRE PARTIE - Renaissance d’un commis voyageur
Chapitre 1 - Tous vendeurs à présent
Chapitre 2 - L’entreprise, l’élasticité et l’Éd-méd
Chapitre 3 - Du caveat emptor au caveat venditor
DEUXIÈME PARTIE - Comment être
Chapitre 4 - L’accordage
Mallette d’échantillons -L’accordage
Chapitre 5 - Le brio
Mallette d’échantillons - Le brio
Chapitre 6 - La clarté
Mallette d’échantillons - La clarté
TROISIÈME PARTIE - Comment faire
Chapitre 7 - Le pitch
Mallette d’échantillons - Le pitch
Chapitre 8 - L’improvisation
Mallette d’échantillons - L’improvisation
Chapitre 9 - Le service
Mallette d’échantillons - Le service
Remerciements
Notes
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Livre Promettez:Livre Promettez 09-12-21 8:14 AM Page 10

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Les Éditions Transcontinental TC Média Livres Inc. 5800, rue Saint-Denis, bureau 900 Montréal (Québec) H2S 3L5 Téléphone : 514 273-1066 1 800 565-5531 www.livres.transcontinental.ca Pour connaître nos autres titres, consultez www.livres.transcontinental.ca. Pour bénéficier de nos tarifs spéciaux s’appliquant aux bibliothèques d’entreprise ou aux achats en gros, informez-vous au 1-855-861-2782 (faites le 2). Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Pink, Daniel H. [To sell is human. Français] Convaincre au quotidien : 6 techniques infaillibles pour mettre les autres dans sa poche Traduction de : To sell is human. ISBN 978-2-89472-679-2 1. Influence (Psychologie). 2. Persuasion (Psychologie). 3. Vente - Aspect psychologique. I. Titre. II. Titre : To sell is human. Français. BF774.P5614 2013 158.2 C2013-941666-8 Révision : Martin Benoit Correction : Jacinthe Lesage Mise en pages : Diane Marquette Conception graphique de la couverture : Julien Sister Impression : Marquis Imprimeur – Division Gagné L’édition originale de cet ouvrage a été publiée en anglais par Riverhead Books sous le titre To sell is human © 2012 by Daniel H. Pink. Imprimé au Canada © Les Éditions Transcontinental, une marque de commerce de TC Média Livres Inc., 2013, pour la version française publiée en Amérique du Nord. Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 3e trimestre 2013 Bibliothèque et Archives Canada TOUS DROITS RÉSERVÉS Toute reproduction du présent ouvrage, en totalité ou en partie, par tous les moyens présentement connus ou à être découverts, est interdite sans l’autorisation préalable de TC Média Livres Inc. Toute utilisation non expressément autorisée constitue une contrefaçon pouvant donner lieu à une poursuite en justice contre l’individu ou l’établissement qui effectue la reproduction non autorisée.

quuuuuuuuuuuuuuuuuCCCCCCuuuuuuuuuuuuuuuuuur Les Éditions Transcontinental remercient le gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition. Nous remercions également la SODEC de son appui financier (programmes Aide à l’édition et Aide à la promotion).



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Daniel H. Pink

Traduit de l’anglais (américain) par Michel Le Séac’h

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Aux libraires, avec gratitude

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Table des matières

Introduction...............................................................................

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Première partie

Renaissance d’un commis voyageur..................................

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Chapitre 1

Tous vendeurs à présent........................................................

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Chapitre 2

L’entreprise, l’élasticité et l’Éd-méd...................................

35

Chapitre 3

Du caveat emptor au caveat venditor................................

53

Deuxième partie Comment être............................................................................

73

Chapitre 4

L’accordage.................................................................................

75

Mallette d’échantillons.................................................................

93

Chapitre 5 Le brio ..........................................................................................

103

Mallette d’échantillons.................................................................

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Chapitre 6

La clarté........................................................................................ 129 Mallette d’échantillons.................................................................

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Troisième partie Comment faire...........................................................................

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Chapitre 7 Le pitch.........................................................................................

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Mallette d’échantillons.................................................................

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Chapitre 8

L’improvisation.......................................................................... 185 Mallette d’échantillons.................................................................

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Chapitre 9

Le service..................................................................................... 209 Mallette d’échantillons.................................................................

223

Remerciements.......................................................................... 233 Notes............................................................................................. 235

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« La seule chose qui compte en ce monde, c’est ce qu’on peut vendre, ce qui peut faire de l’argent… C’est marrant : toi, un voyageur de commerce, tu ne sais pas ça ? » Arthur Miller Mort d’un commis voyageur

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Introduction

I

l y a un an environ, histoire de cacher un accès de procrastination sous des airs de profonde réflexion, j’ai analysé mon emploi du temps. J’ai allumé mon ordinateur portable, cliqué sur mon calendrier soigneusement synchronisé aux couleurs codées et entrepris de reconstituer mes activités réelles des deux semaines précédentes. J’ai catalogué réunions, voyages, déjeuners d’affaires et conférences téléphoniques. J’ai tenté d’établir la liste de tout ce que j’avais lu et de toutes mes conversations particulières avec ma famille, mes amis et mes collègues. J’ai disséqué deux semaines d’activités numériques – 772 courriels envoyés, 4 articles sur des blogues, 86 tweets, une douzaine de SMS. Puis, j’ai pris du recul pour évaluer ce fouillis de données, ce portrait pointilliste de mes actes et, donc, en un sens, de ma personne. Et là, ô surprise, j’ai découvert que j’étais un vendeur ! Oh ! je ne vends pas des fourgonnettes chez un concessionnaire automobile, je ne cours pas de cabinet médical en cabinet médical pour vanter des médicaments contre le cholestérol. Pourtant, hors sommeil, exercice et hygiène, je consacre une bonne partie de mon temps à essayer de convaincre autrui de se séparer d’une ressource quelconque. Il m’arrive bien sûr d’inciter les gens à acheter mes livres, mais la plus grande partie de mes actes n’aboutissent pas directement à faire tinter un tiroir-caisse. Au cours de cette quinzaine de jours, j’ai tenté d’amener un journaliste à abandonner un sujet idiot, un partenaire potentiel à joindre ses forces aux miennes, une association dont je suis membre à changer de 11

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stratégie et une hôtesse à m’attribuer un siège côté couloir au lieu d’un siège côté hublot. De fait, la plus grande partie du temps, je suis en quête de ressources autres que l’argent. Comment décider des étrangers à lire un article, un vieil ami à m’éclairer de ses lumières ou mon fils de neuf ans à prendre une douche en revenant du baseball ? Vous n’êtes probablement pas très différent. Creusez sous les lignes de votre agenda, examinez leurs racines, et je soupçonne que vous y trouverez le même genre de choses. Certains lecteurs vendent sans doute au sens littéral : ils convainquent des clients potentiels d’acheter des assurances dommages, des services de conseil ou des pâtisseries maison au marché du village. Mais vous passez probablement plus de temps que vous le pensez à vendre au sens large – à haranguer des collègues, à convaincre des financiers, à cajoler des enfants. Que cela vous plaise ou non, aujourd’hui, nous sommes tous vendeurs. Or, la plupart des gens n’aiment pas qu’on le leur dise. Vendre ? Beurk ! Aux yeux des personnes comme il faut, la vente n’est pas un domaine qui demande beaucoup de capacités intellectuelles ; c’est une tâche pour débrouillards joviaux aux chaussures bien astiquées. Pour d’autres, c’est le territoire d’individus louches aux pratiques douteuses ; tricherie et tromperie y jouent les premiers rôles, honnêteté et loyauté n’y font que de la figuration. Quelques-uns voient le vendeur comme le collègue à col blanc du concierge ; il en faut, sans doute, mais le métier est peu ragoûtant et même légèrement malpropre. Nous nous fourvoyons, j’en suis convaincu. Ce livre est consacré à la vente, mais il ne ressemble à aucun ouvrage sur le sujet que vous avez pu lire (ou ignorer) jusqu’à présent. En effet, la vente sous toutes ses formes – que ce soit en alignant des Buick dans un terrain de stationnement ou en défendant des idées dans une réunion – a davantage changé dans les 10 dernières années qu’au cours du siècle précédent. L’essentiel de ce que nous en savons repose sur des postulats qui se sont effrités.

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Introduction

La première partie de ce livre explique pourquoi il faut repenser de fond en comble la vente telle que nous la connaissons. Au chapitre 1, je montre que les avis qui proclament la mort du commis voyageur dans le monde contemporain sont très mal inspirés. Rien qu’aux États-Unis, un travailleur sur neuf gagne sa vie en essayant de convaincre les autres d’acheter. Peut-être ses mallettes d’échantillons contiennent-elles des téléphones intelligents, peut-être vend-il des expériences plutôt que des encyclopédies, mais il travaille encore dans le domaine de la vente au sens traditionnel. Toutefois, le plus surprenant, c’est ce qui est arrivé aux autres travailleurs. Eux aussi font de la vente. Ils ne harponnent pas les clients dans les magasins de meubles, mais ils – et derrière ce « ils », entendez « nous » – participent à ce que j’appelle le « commercial sans vente ». Nous persuadons les autres, nous les convainquons, nous les influençons afin qu’ils cèdent ce qu’ils ont en échange de ce que nous avons. Une analyse sans précédent des activités des gens au travail le montrera : nous consacrons jusqu’à 40 % de notre temps à faire bouger autrui. Et nous considérons cela comme nécessaire à notre succès professionnel. Au chapitre 2, on se demande pourquoi tant de personnes exercent ce genre de fonction. Trois clés expliquent la transformation du travail : l’entreprise, l’élasticité et l’Éd-méd. L’entreprise d’abord : les technologies qui étaient censées éliminer les vendeurs ont abaissé les barrières pour beaucoup de petits entrepreneurs, de sorte que le nombre de gens qui vendent s’est accru. L’élasticité ensuite : qu’on travaille pour soi ou pour une grande organisation, on s’aperçoit de plus en plus qu’on doit utiliser ses compétences au-delà des limites de son poste. Or, cette extension comporte presque toujours quelques éléments de vente traditionnelle et beaucoup d’éléments de commercial sans vente. L’Éd-méd enfin : l’éducation et la santé sont les domaines qui connaissent la plus forte croissance. Dans ces sphères, les emplois ont pour but de faire bouger les gens.

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Si vous adhérez à ces arguments ou si vous les tolérez pour encore quelques pages, la conclusion risque d’être dérangeante. La réputation de la vente n’est pas vraiment irréprochable. Songez aux films, aux pièces de théâtre, aux émissions de télévision où les vendeurs tiennent à la fois du rapace et de l’âne. J’y reviendrai au chapitre 3, qui s’interroge en particulier sur le rôle supposé de la tromperie dans la vente. Je montrerai comment l’équilibre du pouvoir s’est déplacé et comment nous sommes passés d’un monde de caveat emptor (à l’acheteur de se méfier) à un monde de caveat venditor (au vendeur de se méfier), dans lequel l’honnêteté, la loyauté et la transparence sont souvent le seul chemin praticable. Nous arrivons à la deuxième partie où, m’appuyant sur des études issues des sciences sociales, j’indiquerai les trois qualités les plus précieuses pour faire bouger autrui. Un adage a longtemps eu cours dans les milieux commerciaux : ABC, pour always be closing (c’est-à-dire « toujours conclure »). Les trois chapitres de la deuxième partie présentent un nouvel ABC, pour attunement, buoyance and clarity , qu’on traduira en français par « accordage, brio et clarté ». Le chapitre 4 est consacré à l’accordage, qui renvoie au fait de se mettre en harmonie avec les individus, les groupes et les contextes. Je m’appuie sur un riche ensemble d’études pour dégager les trois règles de l’accordage et montrer pourquoi les extravertis sont rarement les meilleurs vendeurs. Le chapitre 5, quant à lui, traite du brio, réunion d’un esprit affirmé et d’une apparence radieuse. Chaque fois qu’on cherche à faire bouger autrui, on fait face à ce qu’un vendeur expérimenté appelait un « océan de rebuffades ». Une poignée de vendeurs d’assurances et quelques-uns des meilleurs psychosociologues du monde vous apprendront quoi faire avant, pendant et après un entretien de vente pour vous maintenir à flot. Et vous verrez pourquoi il est devenu essentiel, sur le nouveau terrain de la vente, de croire en ce que vous vendez. Le chapitre 6 présente la clarté, ou la capacité de donner du sens à des situations obscures. On considère depuis longtemps que les

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Introduction

meilleurs vendeurs, dans la vente traditionnelle comme dans le commercial sans vente, savent résoudre des problèmes habilement. Je montrerai que le plus important aujourd’hui est de trouver les problèmes. Un des moyens les plus efficaces pour faire bouger les autres est de leur révéler des problèmes dont ils n’avaient peut-être pas conscience. J’en dirai plus sur les talents d’un régisseur et sur la manière de modeler adroitement vos choix en la matière. Une fois acquis cet ABC des comportements – accordage, brio et clarté –, nous passerons à la troisième partie, qui décrit quoi faire – les actions indispensables. Au chapitre 7, nous verrons combien il est important de savoir « raconter ». Depuis bien longtemps, les personnes entreprenantes bâtissent des argumentaires courts et percutants, souvent appelés « discours de l’ascenseur » ou pitchs. Aujourd’hui, comme la capacité d’attention des gens est moins grande qu’autrefois (dans un ascenseur, ne consultent-ils pas leurs téléphones intelligents plutôt que de parler aux autres ?), cette technique est dépassée. Dans ce chapitre, vous décou­vrirez les six successeurs du discours de l’ascenseur et la manière de s’en servir. Le chapitre 8 montre, lui, qu’il est essentiel de savoir « improviser ». Il indique quoi faire si vos argumentaires parfaitement accordés, pleins de brio et ultra-clairs tombent régulièrement à plat. Vous rencontrerez un vétéran de l’improvisation et vous découvrirez en quoi le théâtre d’improvisation peut renforcer votre pouvoir de persuasion. Vient enfin le chapitre 9, dont le titre est « Le service ». Vous y découvrirez les deux principes essentiels de la vente classique et du commercial sans vente : en faire une affaire personnelle et lui donner un sens. Pour vous aider à mettre ces idées en pratique, vous trouverez à la fin de chaque chapitre des deuxième et troisième parties des dizaines de techniques astucieuses empruntées à des études récentes et aux usages qui ont cours dans le monde entier. À ces collections d’outils et de trucs, d’évaluations et d’exercices, de listes de contrôle et de suggestions

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de lectures, je donne le nom de « mallettes d’échantillons », en hommage aux voyageurs de commerce d’autrefois qui allaient de ville en ville, le sac bourré d’articles à vendre. À la fin de ce livre, je l’espère, vous vous sentirez capable de faire bouger autrui. De plus, et c’est tout aussi important, j’espère que vous verrez l’acte du vendeur sous un jour nouveau. Vendre, j’ai fini par le comprendre, est plus important et, à sa manière, plus beau qu’on ne le pense. La capacité de faire bouger les autres pour échanger ce qu’ils ont contre ce que nous avons est essentielle à notre survie et à notre bonheur. Elle a aidé notre espèce à évoluer, à élever son niveau de vie, à améliorer sa vie quotidienne. Elle fait partie de notre être. Comme vous le verrez si je vous ai convaincu de poursuivre votre lecture, la vente est foncièrement humaine.

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Première partie

Renaissance d’un commis voyageur

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Chapitre 1

Tous vendeurs à présent

N

orman Hall ne devrait pas exister. Le voici pourtant en chair et en os, avec son nœud papillon, assis ce mardi après-midi dans un bureau du centre de San Francisco, en train d’expliquer à deux avocates qu’elles ont vraiment besoin de quelques articles pour nettoyer leurs locaux. D’un geste de prestidigitateur, il fait d’abord jaillir de son sac ce qui ressemble à une baguette noire. D’une secousse du poignet – « et voilà ! » –, il la transforme en un panache de plumes sombres. Et pas n’importe quelles plumes. « Ce sont… des plumes d’autruches mâles. Ce plumeau est le meilleur du marché, assure-t-il d’une voix douce mais sonore. Il est parfait pour nettoyer les cadres des tableaux, les stores et tout objet présentant des creux où la poussière s’accumule. » Penelope Chronis, qui dirige ce petit cabinet spécialisé en droit de l’immigration avec Elizabeth Kreher, son associée dans le travail et dans la vie, se redresse un peu et secoue la tête. Pas intéressée.

Hall présente sa Kitchen Brush no 300, une solide brosse à récurer blanc et vert. Elles en ont déjà une. Il jette sur le bureau de Penelope une « lingette en microfibres » et une « lingette antibuée pour pare-brise et miroirs de salle de bains ». Non merci. Hall, 75 ans, a des touffes de cheveux blancs de chaque côté de la tête et pas grand-chose entre les deux. Il porte des lunettes à l’ancienne et une moustache où les poils blancs ont pris le dessus sur les bruns après des années de bataille, dirait-on. Il est vêtu d’un pantalon marron sombre, d’une chemise blanche à fines rayures bleues, d’un chandail noisette à col 19

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en V et d’un nœud papillon rouge à motif en cachemire. On dirait un professeur coquet et légèrement excentrique. Il est infatigable. L’homme a posé sur ses genoux un cartable à trois anneaux et à reliure en cuir contenant une bonne vingtaine de pages de photos de produits. « Ce détachant est très simple à utiliser », assure-t-il à Penelope et à Elizabeth en arrivant à la page blanchisserie. « Vous le pulvérisez sur le vêtement avant de le mettre à la machine à laver. » Les avocates restent impavides. Hall passe donc à la vitesse supérieure : les boules antimites désodorisantes. « C’est l’article que je vends le plus, souligne-t-il. Elles tuent les mites, les moisissures et les odeurs. » C’est seulement 7,49 $. Niet. Alors, Hall tourne la page pour montrer une collection de brosses pour toilettes et de nettoyeurs de cuvettes, sourit, s’arrête pour marquer son effet et dit : « Voici mes articles romantiques. » Toujours pas de réaction de la part des avocates. Cependant, quand il arrive aux éponges en acier, il suscite un soupçon d’intérêt qui devient bientôt une vague d’envie. « Elles sont merveilleuses, exceptionnelles. Elles servent de tampons à gratter, mais elles se distinguent grandement de ces derniers : chacune d’elles contient 8 000 pouces de ruban d’acier retourné 40 000 fois sur lui-même. On peut les mettre au lave-vaisselle. C’est seulement 15 $ la boîte de 3. » Adjugé. Hall présente ensuite un des produits les plus coûteux, un nettoyeur de tapis électrostatique. « Ses quatre brosses sont faites de soie naturelle et de nylon, explique-t-il. En passant sur le sol, il crée un courant statique qui lui permet d’enlever le sucre et le sel d’un parquet en bois. C’est mon cadeau de mariage favori. » Il marque encore une pause parfai­tement placée, puis ajoute : « C’est bien mieux qu’un grillepain. » Mesdames Chronis et Kreher craquent de nouveau. Au bout d’une vingtaine de minutes, Hall arrive au bout de son catalogue. Il consigne 149,96 $ de ventes dans son carnet. Il tend à ces dames un double du bon de commande en disant : « J’espère que nous resterons amis quand vous aurez lu ceci. » Encore quelques instants de papotage, puis il ramasse son cartable et ses sacs, et se lève pour s’en aller. « Merci beaucoup, dit-il. Je vous apporterai tout ça dès demain. » 20

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1 - Tous vendeurs à présent

Norman Hall est agent commercial chez Fuller Brush. Et pas n’importe lequel. Il est… le dernier. Tout Américain de plus de 40 ans connaît le représentant Fuller Brush, qui vend les produits de cette auguste maison. Il fut un temps où on ne pouvait l’ignorer. Des groupes de vendeurs nantis de boîtes à échantillons bourrées d’articles de brosserie arpentaient les quartiers bourgeois. Ils grimpaient les marches de chaque perron pour annoncer : « C’est moi votre représentant Fuller Brush. » Puis, remettant en cadeau un grattoir à légumes appelé Handy Brush, ils tentaient de mettre, selon l’expression vite popularisée, « le pied dans la porte ». Tout a commencé en 1903, le jour où Alfred Fuller, 18 ans, ex-garçon de ferme en Nouvelle-Écosse, est arrivé à Boston pour y faire carrière. « Campagnard lourdaud, mal dégrossi et maladroit, naïf et presque inculte1 », de son propre aveu, il a été renvoyé de ses trois premiers jobs. Puis, un de ses frères lui a déniché un emploi de vendeur chez Somerville Brush and Mop Company, et le jeune Alfred a trouvé sa vocation avant même d’avoir fêté ses 20 ans. « J’ai commencé à peu près sans formation et je n’avais aucune qualification spéciale, dira-t-il à un journaliste des années plus tard, mais je me suis rendu compte que j’étais capable de vendre ces brosses2. » Après avoir fait du porte-à-porte pendant un an pour vendre les produits Somerville, Fuller en a eu assez de travailler pour quelqu’un d’autre. Il a donc créé un petit atelier de fabrication de brosses. Le soir, il supervisait cette mini-usine ; le jour, il parcourait les rues pour vendre sa production. À son grand étonnement, son entreprise a pris de l’ampleur. Il lui a fallu recruter quelques vendeurs supplémentaires pour enrichir son catalogue et agrandir son territoire. Il a fait paraître une annonce dans une publication intitulée Everybody’s Magazine. Au bout de quelques semaines, le petit paysan était à la tête de 260 vendeurs et d’une affaire d’ampleur nationale qui était en train de devenir un symbole. À la fin des années 1930, les effectifs de Fuller dépassaient 5 000 personnes. Au cours de la seule année 1937, ses démarcheurs ont distribué gratuitement 12,5 millions de Handy Brush. En 1948, selon le New 21

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Yorker, 8 300 de ses représentants ont vendu des brosses à cheveux et des brosses de ménage à 20 millions de familles aux États-Unis et au Canada. La même année, les vendeurs de Fuller, tous des travailleurs indépendants payés à la commission, ont fait près de 50 millions d’appels téléphoniques aux États-Unis, un pays qui comptait alors moins de 43 millions de foyers. À la fin des années 1960, grâce à son chiffre d’affaires, Fuller Brush est devenue (en dollars d’aujourd’hui) une entreprise milliardaire3. Qui plus est, le représentant Fuller est devenu un personnage de la culture populaire aussi omniprésent que peut l’être Lady Gaga aujourd’hui. Comment le grand méchant loup tentait-il de s’introduire dans la maison des Trois petits cochons, le dessin animé de Disney récompensé par un Academy Award en 1933 ? En se déguisant en représentant Fuller Brush ! Et Donald Duck a pendant un temps gagné sa vie en vendant des brosses Fuller. En 1948, The Fuller Brush Man, une comédie loufoque avec Red Skelton, alors un des plus grands noms de Hollywood, contait les mésaventures d’un colporteur faussement accusé d’un crime. Il devait laver son honneur, trouver le coupable, séduire la demoiselle et vendre au passage quelques brosses pour stores vénitiens. Hollywood referait pratiquement le même film deux ans plus tard, avec la même intrigue mais sous le titre The Fuller Brush Girl. Le rôle-titre était joué cette fois par Lucille Ball, une vedette encore plus célèbre que Skelton. Au fil du temps, vous auriez pu rencontrer l’homme aux brosses Fuller non seulement sur le seuil de votre demeure, mais aussi dans les dessins humoristiques du New Yorker, les blagues des émissions de variétés ou les paroles des chansons de Dolly Parton. Le représentant Fuller accomplissait un travail de virtuose. « Pour les connaisseurs du colportage à froid, l’art d’ouvrir les portes façon Fuller est un peu comme une représentation du théâtre Bolchoï pour les amateurs de ballet – de la poésie pure », écrivait American Heritage. « Entre les mains d’un habile représentant de Fuller, les brosses n’étaient pas seulement des articles ménagers de base, mais des outils spécialisés 22

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1 - Tous vendeurs à présent

introuvables ailleurs4. » Sa présence permanente dans les quartiers était par ailleurs particulièrement appréciée, et ce, pour des motifs divers. « Les hommes* aux brosses Fuller arrachaient des dents, massaient les tempes douloureuses, aidaient les femmes à accoucher, administraient des vomitifs contre les poisons, prévenaient les suicides, découvraient des meurtres, aidaient à organiser des funérailles et conduisaient des malades à l’hôpital5. » Et puis, soudain, le représentant Fuller Brush, l’incarnation même du vendeur du XXe siècle, a pratiquement disparu. Songez-y. Quelle est la dernière fois qu’un agent commercial lesté d’une mallette d’échantillons a sonné à votre porte ? En février 2012, The Fuller Brush Company a demandé à bénéficier du régime du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites. Et ce qui a suscité le plus d’étonnement, c’est que l’entreprise ait été encore là pour demander quelque chose. Pourtant, tôt le matin, Norman Hall quitte son domicile de Rohnert Park, en Californie, pour prendre un autobus qui le dépose 90 minutes plus tard au centre de San Francisco. Il commence sa tournée vers 9 h 30 et marche de 8 à 10 kilomètres, montant et descendant les rues pentues de la ville. « Croyez-moi, m’a-t-il dit un jour où je l’accompagnais, je connais tous les endroits plats et les meilleures toilettes. » À ses débuts, dans les années 1970, des dizaines de vendeurs de brosses Fuller arpentaient San Francisco. Progressivement, leur nombre s’est réduit. Aujourd’hui, Hall est seul. Quand il se présente comme un représentant Fuller, les clients sont souvent étonnés. « Sans blague ? » répon­dent-ils. Un après-midi où je l’accompagnais, Hall s’est présenté à un quinquagénaire responsable de l’entretien dans un magasin de vêtements. « Vraiment ? s’est écrié l’homme. Mon père vendait des

* L’agent Fuller était presque toujours un homme, même si l’entreprise, au lancement d’une gamme de cosmétiques dans les années 1960, a recruté un bataillon de vendeuses surnommées les Fullerettes.

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brosses Fuller en Oklahoma ! » (Hélas, ce client potentiel n’a rien acheté, même si Hall lui a fait remarquer que le balai posé dans un coin venait de chez Fuller.) Après 40 ans de collaboration, Hall a un stock d’articles Fuller dans son garage, mais ses relations avec la société mère vacillante sont minimales. Il est à son compte. Ces dernières années, il a vu ses clients s’évaporer, ses commandes baisser et ses profits rétrécir. Les gens n’ont plus de temps à consacrer à un vendeur. Ils préfèrent commander en ligne. Et puis, des brosses ? Qui s’en soucie ? Hall s’adapte : il a réduit le temps dédié à la recherche de clients. À présent, il ne passe plus que deux jours par semaine à trimballer son classeur en cuir dans le quartier commerçant de San Francisco. Quand il posera sa dernière brosse en soies de marcassin et raccrochera pour de bon son nœud papillon, il ne sera pas remplacé. « Je ne pense pas que les gens aient encore envie de faire ce genre de travail », m’a-t-il dit. Deux mois après l’annonce de la faillite de Fuller, Encyclopædia Britannica, qui avait bâti son succès sur le porte-à-porte, cessait de produire des ouvrages imprimés. Un mois plus tard, Avon – dont les vendeuses sonnaient autrefois aux portes de toutes les maisons du monde, de Birmingham à Bangkok – limogeait son PDG et cherchait son salut dans les bras d’un repreneur. Ces dégringolades, moins surprenantes qu’inéluctables, apparaissent comme le dernier mouvement du chœur des pleureuses qui, depuis des années, annonce la disparition de la vente. Cette chanson, qui évoque presque toujours la pièce d’Arthur Miller Mort d’un commis voyageur (1949), dit à peu près ceci : dans un monde où n’importe qui peut trouver n’importe quoi en quelques clics, les intermédiaires du genre colporteurs ne servent plus à rien. Ils ne font que déranger les rouages du commerce en rendant les transactions plus lentes et plus coûteuses. Les clients peuvent effectuer leurs propres recherches et obtenir des conseils auprès de leur réseau social. Les grandes entreprises sont en mesure d’optimiser leurs processus d’achat à l’aide de logiciels

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perfectionnés qui mettent les vendeurs en concurrence pour obtenir le prix le plus bas. De même que les rangs des employés de banque se sont éclaircis à la suite de l’implantation des distributeurs automatiques de billets et que les standardistes ont presque été supplantées par les commutateurs numériques, vendeurs et vendeuses ne font pas le poids face aux technologies contemporaines. Puisque nous utilisons de plus en plus les sites web et les téléphones intelligents pour trouver et acheter ce dont nous avons besoin, les vendeurs – et l’acte de vente lui-même – vont être relégués dans les poubelles de l’histoire6. Norman Hall est assurément le dernier de son espèce. Et Fuller Brush Company aura peut-être disparu pour de bon avant que vous tourniez la dernière page de ce livre. Toutefois, n’organisons pas les funérailles trop vite. En réalité, ces avis d’obsèques en mémoire de la vente et de ses praticiens sont à côté de la plaque. Ce qu’on écrira sur la vente dans la deuxième décennie du XXIe siècle tiendra plutôt du fairepart de naissance.

La renaissance d’un commis voyageur Au fond d’un épais rapport semestriel de l’U.S. Bureau of Labor Statistics sur la situation de l’emploi se cache un chiffre étonnant et significatif : un Américain sur neuf travaille dans la vente. Chaque jour, plus de 15 millions de personnes aux États-Unis gagnent leur pain en essayant de convaincre quelqu’un de faire un achat7. Ces gens sont agents immobiliers, représentants commerciaux dans l’industrie, conseillers financiers. Ils vendent des avions aux compagnies aériennes, des trains aux élus locaux, des automobiles aux aspirants conducteurs qui font vivre plus de 10 000 concessionnaires dans le pays. Certains d’entre eux travaillent dans des bureaux ultrachic avec une vue magnifique, d’autres dans de sinistres bureaux à cloisons ornés de dessins de Dilbert et de calendriers publicitaires. Tous vendent, que ce soient des contrats de conseil à plusieurs millions de dollars ou des abonnements à des magazines à 10 dollars.

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Songez-y : l’économie industrielle des États-Unis, qui reste la plus importante du monde, fabrique pour près de 2 000 milliards de dollars de marchandises chaque année. Or, les États-Unis ont bien plus de vendeurs que d’ouvriers. Les Américains adorent se plaindre de leurs administrations obèses, mais leurs représentants commerciaux sont cinq fois plus nombreux que leurs fonctionnaires fédéraux. La fonction commerciale du secteur privé américain emploie trois fois plus de monde que l’administration des 50 États réunis. Si les vendeurs habitaient un seul État, celui-ci arriverait au cinquième rang en matière d’importance8.

Figure 1.1 Emplois aux États-Unis par secteur et par métier 16 14 12 10 8 6 4 2 0

Administration fédérale

Administration des États

Industrie

Commerce

Source : Bureau of Labor Statistics, 2012. Nombre d’emplois, en millions.

On s’étonne que la plus grande économie de la planète compte tant de vendeurs malgré les deux « séismes » de la dernière décennie : l’implosion du système financier mondial et l’explosion d’un Internet désormais à peu près omniprésent. Comme presque tous les autres métiers, la vente a bien sûr été prise dans le courant baissier de la récession. Entre 2006 et 2010, quelque 1,1 million d’emplois ont disparu aux États-Unis. Pourtant, même après cet épisode, le pire depuis un demi-siècle, la vente reste la deuxième catégorie professionnelle aux

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États-Unis (derrière les emplois de bureau et administratifs). Qui plus est, selon les prévisions du Bureau of Labor Statistics, les États-Unis vont créer près de deux millions de nouveaux emplois commerciaux d’ici 2020. De même, Internet n’a pas eu les effets prédits par beaucoup. Entre 2000 et 2013, période au cours de laquelle l’essor du haut débit, des téléphones intelligents et du commerce en ligne a en principe rendu la vente inutile, le nombre total d’emplois commerciaux a augmenté, et la proportion des vendeurs dans la main-d’œuvre américaine est demeurée identique : un sur neuf 9. Ce qui est vrai pour les États-Unis l’est pour le reste du monde. Au Canada, par exemple, les « emplois commerciaux et de services », une catégorie statistique plus large que celle des États-Unis, représentent un peu plus de 25 % de la main-d’œuvre. En Australie, selon les données de l’Australian Bureau of Statistics, environ 10 % des travailleurs sont étiquetés « vendeurs ». Au Royaume-Uni, où les catégories statistiques sont différentes, les emplois à composante commerciale (responsables de comptes commerciaux et de développement d’affaires, vendeurs ou conseillers en véhicules et en pièces détachées, etc.) totalisent à peu près trois millions de personnes sur une trentaine de millions de travailleurs, soit là encore environ 10 %. Pour l’ensemble de l’Union européenne, la proportion est légèrement plus élevée10. Selon les données les plus récentes et les calculs de l’agence européenne des statistiques Eurostat, la vente occupe 13 % de ses 200 millions de travailleurs11. Le Japon, de son côté, employait près de 8,6 millions de travailleurs commerciaux en 2010, dernière année pour laquelle les données sont accessibles. C’est-à-dire que, sur les 63 millions de travailleurs de la troisième économie du monde, plus de un sur huit exerce dans la vente12. Pour l’Inde et la Chine, pays plus grands mais aux marchés moins développés, il est plus difficile d’obtenir des chiffres. La propor­tion de vendeurs y est probablement plus faible qu’en Amérique du Nord, en Europe ou au Japon, en partie parce qu’un pourcentage élevé de leurs habitants travaillent encore dans l’agriculture13. Mais ces pays deviennent plus prospères ; des centaines de millions de leurs citoyens vont rejoindre la

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classe moyenne, et le besoin de vendeurs va inévitablement s’accroître. Pour ne citer qu’un exemple, McKinsey & Company prévoit que l’industrie pharmaceutique indienne, en plein essor, va multiplier le nombre de ses représentants : ils devraient être 300 000 en 202014. Ensemble, les chiffres montrent que, loin de perdre en volume et en utilité, la vente demeure une partie robuste du marché du travail dans le monde entier. Même si les économies avancées se sont transformées – moins de marchandises « en dur » et de travaux pénibles, plus de services spécialisés et de travaux conceptuels –, le besoin de vendeurs n’a pas disparu. Mais ce n’est que le début de l’histoire.

L’essor du commercial sans vente Dans le monde entier, les collaborateurs des agences statistiques font partie des héros méconnus de l’économie moderne. Jour après jour, ils collectent des masses de données puis les scrutent, les analysent et les transforment en rapports à l’aide desquels leurs concitoyens comprendront ce qui se passe dans leur industrie, leur marché du travail, leur vie. Pourtant, ces fonctionnaires appliqués sont bridés par leurs budgets, par des considérations politiques et, surtout, par la nature même des questions qu’ils posent. L’idée qu’un travailleur sur neuf gagne sa vie comme vendeur peut déjà paraître étonnante, mais je me suis demandé si elle ne masquait pas une vérité encore plus intrigante. Ainsi, je ne suis pas un travailleur commercial au sens des catégories statistiques. Or, comme indiqué dans l’introduction, quand j’ai entrepris de décomposer ma journée de travail, j’ai découvert que j’en consacrais une partie non négligeable à la vente au sens large – persuader, influencer et convaincre autrui. Et je ne suis pas le seul de mon espèce. Les médecins vendent un traitement à leurs malades, les avocats vendent un verdict à des jurés, les enseignants vendent aux étudiants la valeur de l’attention qu’ils prêtent à leurs cours, les entrepreneurs harcèlent les financiers, les romanciers font les yeux doux aux éditeurs, les entraîneurs cajolent les joueurs. 28

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Quelle que soit notre profession, nous faisons des exposés devant des collègues et nous nous présentons à de nouveaux clients. Nous tentons de convaincre le patron de desserrer un peu le budget ou la direc­tion des ressources humaines d’allonger nos vacances. Or, les statis­tiques publiées n’en montrent rien. Il en va de même pour ce qui transparaît de l’autre côté de la frontière floue entre travail et vie personnelle. Beaucoup d’entre nous consacrent une partie de leur temps libre à vendre des objets faits main sur Etsy, des causes humanitaires sur DonorsChoose, des projets délirants sur Kickstarter, etc. Et, en nombre étonnant, avec une énergie féroce, nous nous vendons nous-mêmes sur nos pages Facebook, nos comptes Twitter et nos profils Match.com. (Rappelez-vous qu’aucune des 6 entités que je viens de citer n’existait il y a 10 ans.) Selon la vision traditionnelle du comportement économique, les deux activités les plus importantes sont la production et la consom­ mation, mais aujourd’hui, une grande partie de nos agissements semblent destinés à faire bouger autrui. C’est-à-dire à amener des gens à céder certaines ressources – matérielles comme l’argent liquide ou immatérielles comme les efforts ou l’attention  – afin d’obtenir ce qu’ils veulent. Le problème, c’est qu’aucune donnée ne vient confirmer ou infirmer cette supposition ; il faudrait pour cela poser des questions que les agences statistiques ne posent pas. J’ai voulu combler ce vide. En collaboration avec Qualtrics, une société d’étude et d’analyse de données en plein essor, j’ai fait réaliser une enquête pour tenter de quantifier le temps et l’énergie que les gens consacrent à faire bouger autrui, en particulier au moyen de ce qu’on pourrait appeler le commercial sans vente – la vente dans laquelle personne n’effectue d’achat. Cette étude, intitulée What Do You Do at Work ? (Que faites-vous au travail ?), visait large. À l’aide d’instruments élaborés, nous avons rassemblé des données provenant de 9 057 personnes interrogées tout autour du monde. Les statisticiens de Qualtrics ont passé en revue les

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réponses, écarté les questionnaires invalides ou incomplets et étudié la taille et la composition de l’échantillon pour voir à quel point il était représentatif de la population. Il s’est avéré que le nombre de réponses extérieures aux États-Unis était insuffisant pour en tirer des conclusions statistiquement valables ; j’ai donc restreint une grande partie de l’analyse à un échantillon ajusté de plus de 7 000 adultes travaillant à plein temps aux États-Unis. La validité statistique des résultats est compa­rable à celle des sondages effectués par les grandes firmes d’enquêtes en période électorale (ceux de Gallup, par exemple, portent classiquement sur un millier de personnes15). Au terme de l’analyse, 2 constats majeurs se sont imposés : 1. Aujourd’hui, les gens consacrent à peu près 40 % de leur temps de travail au commercial sans vente – persuader, influencer et convaincre autrui sans que cela implique un achat. Dans toute une série de professions, on consacre à peu près 24 minutes par heure à faire bouger autrui. 2. Les gens considèrent cet aspect de leur travail comme essentiel à leur réussite professionnelle*. Voici quelques détails sur nos découvertes : Nous avons d’abord demandé aux personnes interrogées de réfléchir à leurs deux dernières semaines de travail et à ce qui avait le plus occupé leur temps. Grosse surprise : les courriels venaient en tête de liste, suivis par les conversations en tête à tête et la participation à des réunions. Nous les avons ensuite invitées à réfléchir davantage au contenu réel de ces expériences. Nous leur avons présenté une série de réponses possibles en leur demandant : « Que ce soit par la messagerie électronique, le téléphone ou au cours d’une conversation en personne, combien de temps avez-vous consacré à chacune des tâches suivantes : traiter des

* Les résultats complets de cette enquête, ainsi que des informations sur sa méthodologie, sont accessibles sur mon site web www.danpink.com/study (en anglais).

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informations, vendre un produit ou un service, etc. ? » Les répondants ont dit qu’ils passaient plus de temps à traiter des informations. Cependant, non loin derrière, venaient trois activités qui se trouvent au cœur du commercial sans vente. Près de 37 % des répondants disaient consacrer une quantité de temps significative « à former, à coacher ou à guider les autres », 39 % en disaient autant à propos de « servir les clients », et près de 70 % passaient une partie de leur temps « à persuader ou à convaincre les autres ». Qui plus est, le commercial sans vente s’est avéré bien plus répandu que la vente au sens traditionnel. Quand nous avons demandé aux gens combien de temps ils passaient à « vendre un produit ou un service », à peu près la moitié ont répondu : « Aucun. » Glissée plus loin dans le questionnaire, une question visait à recouper cette information et à valider la réponse antérieure. En déplaçant un « curseur » sur une échelle de 0 à 100, les personnes interrogées devaient répondre à cette question : « Quel pourcentage de votre travail consiste à convaincre ou à persuader les gens de renoncer à quelque chose qui a de la valeur pour eux en échange de quelque chose que vous avez ? » Réponse moyenne de l’échantillon : 41 %. La composition de cette moyenne est intéressante. Un groupe important citait des proportions de l’ordre de 15 à 20 %, tandis qu’un groupe moins nombreux, mais significatif, se situait dans une fourchette de 70 à 80 %. Autrement dit, beaucoup d’individus passent une quantité appréciable de leur temps à essayer de faire bouger autrui, et, pour certains, c’est l’essentiel de leur travail. Bref, la plupart des gens sont des motivateurs, mais certains sont des supermotivateurs. Fait tout aussi important, presque tout le monde considérait cet aspect comme un des facteurs essentiels à la réussite professionnelle. Par exemple, la tâche qui prenait le plus de temps était « traiter les informations ». Pourtant, dans la liste des tâches les plus vitales pour bien faire leur travail, les répondants plaçaient plus haut « servir les clients » et « instruire, coacher ou guider les autres ». Par ailleurs, même si « défendre des idées » avait un rang assez bas dans la liste de leurs

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occupations, plus de la moitié d’entre eux y voyaient une activité impor­tante pour leur réussite. Le graphique ci-dessous aide à comprendre la relation frappante entre ce que les gens considèrent comme intéressant et ce qu’ils font réellement. Sur l’axe vertical figure un indice pondéré, basé sur les réponses au sondage, qui montre le degré d’importance attribué aux tâches de commercial sans vente. Sur l’axe horizontal figure un indice également basé sur les réponses au sondage, qui montre combien de temps les gens consacrent réellement à ces tâches. Le graphique est partagé en deux par une diagonale représentative d’une parfaite corrélation entre l’importance des tâches et le temps qu’on leur consacre. Toute activité placée au-dessous de cette ligne occupe plus de temps que son importance le justifie : il vaudrait sans doute mieux faire autre chose. Toute activité placée au-dessus de la ligne est si cruciale aux yeux des répondants qu’ils feraient probablement mieux de lui consacrer davantage de temps.

Figure 1.2 La matrice temps-importance du commercial sans vente 5,00 4,50 4,00 Réponse moyenne

Importance

3,50 3,00 2,50 2,00 1,50 1,00 0,50 0,00 0,00

0,50

1,00

1,50

2,00

2,50 3,00 Temps

3,50

4,00

4,50

5,00

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Voyons où se situe le commercial sans vente. Il se positionne haut d’après le temps qu’on lui consacre, mais plus haut encore d’après son importance. De plus, comme le montre le graphique à la page suivante, qui ventile les réponses par classes d’âge, plus on est vieux (et plus on a d’expérience, sans doute), plus on dit que faire bouger les autres occupe son temps et détermine son succès.

Figure 1.3 La matrice temps-importance du commercial sans vente (par classes d’âge) 5,00 4,50 4,00

65+

55-65 35-54 26-34

Importance

3,50

18-25

3,00 2,50 2,00 1,50 1,00 0,50 0,00 0,00

0,50

1,00

1,50

2,00

2,50

3,00

3,50

4,00

4,50

5,00

Temps

Le sondage What Do You Do at Work ? esquisse un portrait détaillé des travailleurs du XXIe siècle dans le pays dont l’économie est la plus importante du monde. D’après les statistiques précédentes, on savait qu’un Américain sur neuf travaillait dans la vente. Ces nouvelles données révèlent quelque chose d’encore plus étonnant : les huit autres

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aussi. Eux aussi passent leurs journées à faire bouger autrui, et leur prospérité dépend de l’efficacité avec laquelle ils y parviennent. Qu’il s’agisse de vente traditionnelle ou de commercial sans vente, nous sommes tous des vendeurs à présent. Sans le réaliser complètement, chacun de nous fait ce que Norman Hall a fait pendant près d’un demi-siècle et ce que ses prédécesseurs chez Fuller avaient fait pendant plus d’un demi-siècle avant lui. Le commis voyageur n’est pas mort. Le commis voyageur est vivant. Le commis voyageur, c’est nous. Cela nous pousse à nous poser la question suivante : comment estce arrivé ? Comment se fait-il que tant d’entre nous aient pour métier de faire bouger autrui ?

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Chapitre 2

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A

u chapitre 7, vous découvrirez ce qu’est un pitch Pixar. Issue des travaux du célèbre studio d’animation hollywoodien, cette technique consiste à présenter en peu de mots ce qu’on veut démontrer, en se calquant sur la structure narrative d’un film Pixar. Afin de prêcher par l’exemple un comportement que je conseillerai plus loin, permettez-moi d’introduire ce chapitre par un pitch Pixar. Il était une fois une société où seules certaines personnes exerçaient un métier commercial. Chaque jour, elles vendaient ce que les autres s’étaient chargés de fabriquer, et tous étaient contents. Un jour, le monde a commencé à changer. De plus en plus de gens se sont mis à travailler pour eux-mêmes et, par conséquent, ils sont devenus des vendeurs. Les grandes entreprises, de leur côté, ont constaté que, dans un contexte économique volatil, la segmentation des fonctions ne donnait pas de très bons résultats. C’est pourquoi elles ont commencé à réclamer des compétences élastiques transcendant les frontières habituelles et incluant une composante commerciale. Pendant ce temps, l’économie elle-même se transformait : en l’espace d’une décennie, des millions de personnes se sont mises à travailler dans l’éducation et la santé – deux secteurs qui ont pour objectif central de faire bouger autrui. Enfin, sans nous en apercevoir vraiment, nous sommes pour la plupart devenus des vendeurs. Telle est l’histoire, à la base. Pour la comprendre plus en profondeur, parlons pickles.

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L’entreprise Brooklyn Brine prêterait aisément le flanc aux plaisanteries faciles. Comme son nom l’indique (brine signifie « saumure »), cette entreprise vend des pickles, c’est-à-dire des marinades artisanales de légumes, et elle est installée à Brooklyn. Dans le vocabulaire de ses collaborateurs abondent les expressions du genre « asperges à la lavan­de », « pousses d’ail » ou « végétaro-blogueur ». Ce type d’entreprise – 1 patron, 10 salariés, 14 variétés de pickles – commence à faire partie intégrante de l’économie contemporaine. Au passage, la vente sous toutes ses formes prend une importance nouvelle. Brooklyn Brine incarne la première des trois raisons qui expliquent pourquoi nous sommes de plus en plus nombreux à exercer des fonctions commerciales : la montée en puissance des créateurs de petites entreprises. Quand on observe les distinctions entre les très grandes entreprises et les très petites, on se concentre souvent sur les différences de degré. Les premières, par définition, réalisent un chiffre d’affaires plus élevé, comptent davantage de clients et de salariés. Mais les différences de nature comptent tout autant. Ce qu’on fait dans une très petite entreprise est souvent foncièrement différent de ce qu’on fait dans une très grande. En particulier, les grandes organisations privilégient souvent la spécialisation. Une entreprise de deux personnes n’a pas besoin de direction des ressources humaines. Une firme de 2 000 personnes ne peut s’en passer. Dans les grandes entreprises, la vente est souvent une fonction spécialisée – une direction, une division, une tâche confiée à certaines personnes afin que leurs collègues puissent se consacrer à autre chose. Mais les propriétaires de petites entreprises n’ont pas ce luxe. Ils doivent porter plusieurs casquettes – souvent simultanément –, y compris celle de vendeur. Shamus Jones, fondateur de Brooklyn Brine, se qualifie lui-même de « capitaliste malgré lui ». Il a commencé sa carrière comme cuisinier, s’est lassé de la restauration et s’est lancé voilà trois ans. Déjà, il préparait des conserves de légumes en saison ; il en a fait une activité à plein

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temps. Sans la moindre expérience de la production, de l’exploitation ou de la gestion, il a commencé par tester des recettes de marinades dans la cuisine d’un ami restaurateur, entre 22 h et 8 h. Le bouche à oreille a fonctionné – on trouve à présent les bocaux de Brooklyn Brine dans les rayons des épiceries de luxe des États-Unis et de l’Asie –, si bien que Jones consacre aujourd’hui son temps à vendre ses produits et à faire bouger autrui. Sept jours par semaine, il rencontre des distributeurs, raconte l’histoire de son entreprise et tente de convaincre les magasins de stocker ses produits. De retour à sa boutique-atelier, il encourage les salariés afin qu’ils fassent leur travail avec zèle et compétence. « Je veux que tout le monde soit heureux et mette du cœur à l’ouvrage. » Il espère gagner de l’argent, mais ce n’est pas son seul but. « Je désire avoir une entreprise honnête, qui fabrique un produit honnête », dit-il. Pour cela, il faut, à parts égales, de la vente traditionnelle et du commercial sans vente. Ainsi va la vie d’un petit patron. Au lieu de faire une seule chose, il doit tout faire, notamment se démener pour faire bouger les gens. L’économie mondiale compte bien sûr de nombreux mastodontes d’envergure planétaire – des groupes si colossaux qu’ils ressemblent plus à des États qu’à des entreprises ordinaires. Cependant, au cours de la dernière décennie, on a vu se multiplier les très petites entreprises – non seulement celles qui, comme Brooklyn Brine, proposent des produits, mais aussi de petits établissements d’une ou deux personnes qui vendent des services et des compétences. Considérez ceci : • Selon les estimations de l’U.S. Census Bureau, l’économie américaine compte 21 millions d’entreprises « non-employeurs » sans un seul salarié. Leurs propriétaires exercent toutes sortes d’acti­ vités : électriciens, conseillers en informatique, graphistes… Même si ces micro-entreprises ne représentent qu’une fraction modeste du produit intérieur brut américain, elles constituent aujourd’hui la majorité des entreprises aux États-Unis16.

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• La société d’études IDC estime que 30 % des travailleurs américains sont aujourd’hui à leur compte et qu’en 2015, le nombre de travailleurs non traditionnels dans le monde (indépendants, soustraitants, consultants, etc.) atteindra 1,3 milliard17. C’est en Amérique du Nord que leur progression sera la plus rapide, mais plus de 600 millions de nouveaux « solistes » devraient éclore en Asie. • Certains experts prévoient que, d’ici la fin de la décennie, il y aura 65 millions de plus de créateurs d’entreprise indépendants aux États-Unis et qu’ils seront majoritaires dans la main-d’œuvre américaine en 2020. Cela tient notamment à l’influence de la génération des 18-34 ans, qui affirme progressivement son rôle économique. Selon une étude de la fondation Ewing Marion Kauffman, 54 % de cette classe d’âge désire créer sa propre entreprise ou l’a déjà fait18. • Dans 16 pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont la France, le Mexique et la Suède, plus de 90 % des entreprises comptent aujourd’hui moins de 10 salariés. De plus, le pourcentage de gens qui sont « en phase de création d’entreprise ou propriétaires-gérants d’entreprise nouvelle » est bien plus élevé dans des pays comme la Chine, la Thaïlande et le Brésil qu’aux États-Unis ou au Royaume-Uni 19. • Au cours de notre enquête, nous avons posé une question de contrôle relative aux micro-entreprises, libellée de manière à couvrir les nombreuses personnes qui gagnent aujourd’hui leur vie grâce à des sources multiples : « Travaillez-vous pour vousmême ou dirigez-vous votre propre entreprise, même comme un à-côté ? » La réponse de 38 % des personnes interrogées a été affirmative. Compte tenu de ces chiffres, « au lieu d’ouvrir des yeux ronds devant ces branchés de Brooklyn qui font pickles de tout, on pourrait voir en eux des précurseurs de… l’économie future », écrit Adam

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Davidson, éditorialiste du New York Times Magazine20. Lawrence Katz, de l’Université Harvard, peut-être le meilleur économiste du travail de sa génération, partage cette opinion. Il prévoit que les emplois de la classe moyenne de l’avenir ne seront pas ceux de salariés de grandes organisations, mais ceux d’« artisans » autosuffisants21. Qu’on les appelle artisans, propriétaires de micro-entreprises, travailleurs indépendants ou autoentrepreneurs, ces hommes et ces femmes sont tout le temps en train de vendre. Ils mettent des pickles dans des boîtes pour leurs clients, bien entendu, mais, comme ils sont responsables de l’ensemble de leur entreprise, et pas seulement d’une de ses facettes, ils doivent aussi convaincre des partenaires, négocier avec des fournisseurs, motiver leurs salariés. Qu’ils soient dans l’épicerie fine, le conseil juridique ou les services paysagers, leur métier consiste vraiment à faire bouger autrui. Cette évolution a une cause essentielle et plutôt paradoxale : les technologies qui auraient dû rendre les vendeurs obsolètes ont transformé beaucoup de gens en vendeurs. Considérez le marché en ligne Etsy, destiné aux petites entreprises et aux artisans. Lancé en 2005 prati­quement sans investissement extérieur, il compte à présent plus de 875 000 boutiques en ligne actives, qui vendent pour plus de 400 millions de dollars de marchandises chaque année22. Avant l’apparition d’Etsy, les créateurs d’objets artisanaux avaient du mal à rejoindre leurs acheteurs, mais le web – cette technologie qui semblait destinée à supplanter les vendeurs – a renversé les barrières qui se dressaient devant les créateurs de petites entreprises et leur a permis de vendre davantage. Idem avec eBay. Pour quelque 750  000 Américains, ce site est aujourd’hui une source de revenu primaire ou secondaire23. Par ailleurs, il est devenu moins difficile de financer la création d’une entreprise grâce à Kickstarter, où on peut afficher une présentation de son projet créatif – film, musique, arts graphiques, mode – et essayer de vendre ses idées à des bailleurs de fonds. Depuis la création de Kickstarter en 2009, quelque 1,8 million de personnes ont financé 20 000 projets en leur fournissant plus de 200 millions de dollars. En 39

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trois ans seulement, Kickstarter est devenu le principal organisme de financement de projets artistiques des États-Unis, devant l’agence culturelle fédérale National Endowment for the Arts 24. Si le web a permis l’éclosion de micro-entreprises en grand nombre, il se pourrait qu’avant longtemps son impact global paraisse mince en regard de celui du téléphone intelligent. « La révolution du smartphone est sous-estimée », assure Marc Andreessen, le capital-risqueur qui a créé le premier navigateur web au début des années 199025. Ces miniordinateurs portables sont assurément susceptibles de détruire certains aspects de la vente. On peut s’en servir pour rechercher des produits, comparer différents magasins, et ils permettent de se passer complètement des vendeurs. Mais là encore, leur effet net est plus créateur que destructeur. La technologie qui rend obsolètes certains types de vendeurs a transformé en vendeurs potentiels un nombre de gens plus grand encore. L’existence des téléphones intelligents a fait naître toute une économie des applications qui n’existait pas avant 2007, année où Apple a livré ses premiers iPhone. Aujourd’hui, rien qu’aux États-Unis, la production d’applications est à l’origine de près d’un demi-million d’emplois, la plupart créés par des « entrepreneurs poids coq26 ». De même, de nouvelles technologies comme Square, créée par un des fondateurs de Twitter, PayHere, issue d’eBay, ou GoPayment, d’Intuit, permettent aux particuliers de recevoir plus facilement des paiements par carte de crédit directement sur un appareil mobile : quiconque possède un téléphone peut devenir commerçant. Les chiffres sont stupéfiants. « En 1982, il y avait 4,6 milliards de personnes sur la Terre et pas un seul abonné au téléphone portable, rappelle Technology Review, la revue du MIT. Aujourd’hui, pour 7 milliards d’habitants, le monde compte 6 milliards d’abonnements au téléphone cellulaire27. » Cisco prévoit qu’en 2016 il y aura dans le monde plus de téléphones intelligents (c’est-à-dire de miniordinateurs portables) que d’êtres humains – 10 milliards au total28. Et une grande partie de l’action se déroulera hors de l’Amérique du Nord et de l’Europe sous l’effet des « cultures à dominante jeune du Moyen-Orient et 40

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de l’Afrique29 ». Quand chacun, pas seulement à Tokyo ou à Londres, mais aussi à Tianjin ou à Lagos, transportera sa propre boutique dans sa poche et ne sera qu’à un clic de toutes les autres boutiques de la planète, le fait d’avoir sa propre entreprise, au moins pour une partie de son revenu, pourrait devenir la norme. Or, un monde d’entrepreneurs est un monde de vendeurs.

L’élasticité Considérons maintenant un autre dirigeant d’entreprise, Mike Cannon-Brookes. Son entreprise, Atlassian, est plus ancienne et bien plus grande que Brooklyn Brine. Mais ce qui s’y passe fait écho aux activités de sa petite collègue et s’y rattache. Atlassian conçoit ce qu’on appelle des « logiciels d’entreprise » : il s’agit de grands progiciels complexes utilisés par les entreprises et les administrations pour gérer des projets, suivre leur avancement et favoriser la collaboration entre salariés. Créée il y a une dizaine d’années par Cannon-Brookes et Scott Farquhar dès leur sortie de l’Univer­sité de Nouvelle-Galles du Sud en Australie, Atlassian compte à présent 1 200 clients (dont Microsoft, Air New Zealand, Samsung et les Nations Unies) dans 53 pays. Son chiffre d’affaires s’est élevé à 100 millions de dollars l’an dernier mais, contrairement à la plupart de ses concurrents, Atlassian l’a réalisé sans un seul vendeur. Vendre sans force de vente semble confirmer le leitmotiv de la « mort du commis voyageur », mais Cannon-Brookes, directeur général de la société, voit les choses autrement. « Nous n’avons pas de vendeur, m’a-t-il dit, parce que, bizarrement, nous sommes tous des vendeurs. » C’est là la deuxième raison pour laquelle nous sommes tous vendeurs à présent : l’élasticité – l’étendue inédite des compétences demandée par les entreprises existantes. Cannon-Brookes établit une distinction entre les « produits que les gens achètent » et les « produits que les gens vendent », et il préfère les premiers. Voyez par exemple comment se nouent les relations entre

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Atlassian et ses clients. Chez la plupart des éditeurs de logiciels d’entreprise, les clients potentiels sont sondés par un représentant. Pas chez Atlassian. Là, le plus souvent, les clients potentiels prennent l’initiative en téléchargeant une version d’essai d’un produit de la société. Certains d’entre eux appellent le service d’assistance d’Atlassian pour se renseigner. Le personnel de ce service, contrairement aux forces de vente traditionnelles, ne cherche pas à appâter ses interlocuteurs avec des remises à saisir très vite, il ne les harcèle pas pour qu’ils souscrivent un engagement de longue durée. Non, il se contente d’aider les gens à comprendre le logiciel, sachant que cette assistance précieuse et élégante peut déclencher l’achat chez les indécis. Il en va de même pour les ingénieurs de la société. Leur travail consiste bien sûr à créer d’excellents logiciels, mais pour cela, ils ne peuvent se contenter de « pisser du code ». Ils doivent aussi découvrir les besoins des clients, comprendre comment les produits sont utilisés et bâtir quelque chose de si exceptionnel et de si passionnant qu’on aura envie de l’acheter. « Nous essayons d’épouser une philosophie selon laquelle toute personne qui est en contact avec le client est un vendeur à part entière », explique Cannon-Brookes. Bref, chez Atlassian, la vente – du moins dans sa forme traditionnelle – n’est le travail de personne. C’est le travail de tout le monde. Et ce dispositif paradoxal devient de plus en plus courant. Palantir est une entreprise encore plus importante. Installé à Palo Alto, en Californie, et disposant de bureaux partout dans le monde, cet éditeur conçoit des logiciels utilisés par les services de renseignement, les militaires et les administrations judiciaires pour unifier et analyser leurs données afin de combattre le terrorisme et la délinquance. Palantir a beau vendre pour plus d’un quart de milliard de dollars de logiciels chaque année, il n’a pas non plus de vendeurs. Il compte sur ce qu’il appelle des « ingénieurs de l’avant ». Ces techniciens ne sont pas les créateurs des produits de l’entreprise – du moins pas au début. Ils sont sur le terrain, en contact direct avec les clients, et veillent à ce que les produits répondent aux besoins de ceux-ci. Ailleurs, ce genre de travail – tenir la 42

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main du client, s’assurer de sa satisfaction – incombe d’ordinaire à un directeur de la clientèle ou à un autre envoyé de la direction commerciale. Mais Shyam Sankar, qui dirige les ingénieurs de l’avant de Palantir, oppose une objection assez crue à cette démarche : elle ne fonctionne pas, m’a-t-il dit. Il est plus efficace, assure Sankar, « de mettre de vrais informaticiens sur le terrain ». Ces experts peuvent alors signaler aux ingénieurs du siège ce qui fonctionne ou pas et suggérer de possibles améliorations du produit. Ils peuvent régler immédiatement les problèmes du client – et surtout commencer à en détecter de nouveaux, que le client n’aurait pas encore rencontrés. Discuter des problèmes avec le client n’est pas de la vente en soi, mais cela fait vendre, et cela oblige les ingénieurs à ne pas se contenter de leurs compétences techniques. Pour les aider à acquérir ce genre d’élasticité, la société ne leur propose pas de formation à la vente. Elle ne fait pas suivre à ses recrues un savant cursus commercial. Elle leur demande simplement de lire deux livres. L’un est un récit des attentats du 11 septembre, pour leur faire mieux saisir ce à quoi s’expose un État incapable d’exploiter ses renseignements ; l’autre est le guide d’improvisation théâtrale d’un professeur britannique, pour leur faire comprendre l’importance d’un esprit délié et de compétences souples*. En bref, même les collaborateurs de grandes entreprises telles qu’Atlassian ou Palantir doivent travailler comme Shamus Jones, le fabri­cant de pickles. Cela dénote un changement significatif dans le fonctionnement de l’économie. Du temps où les organisations étaient très segmentées, les compétences tendaient à être fixes. Si on était comptable, on faisait de la comptabilité. On n’avait pas à se soucier de ce qui ne faisait pas partie de son domaine : des spécialistes s’en chargeaient. Il en allait de même à l’époque où la conjoncture des affaires était stable et prévisible. Dès le début du trimestre, ou même de l’année,

* On reparlera de ce livre et de la capacité d’improvisation au chapitre 8.

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on savait quel genre de travail comptable on allait devoir assurer, et en quelle quantité. Mais dans les 10 dernières années, les circonstances qui avaient causé l’essor des compétences fixes ont disparu. Une décennie de concurrence effrénée a obligé la plupart des entreprises à se transformer en renonçant à la segmentation au profit d’un organigramme plat (ou, du moins, plus aplati). Elles abattent autant de travail que naguère, sinon plus, mais elles le font avec des collaborateurs moins nombreux chargés de tâches plus variées. Et puis, les conditions ambiantes, naguère prévisibles, sont devenues tumultueuses. Régulièrement, des inventeurs armés de nouvelles technologies et des concurrents venus de nulle part, appliquant des modèles économiques originaux, viennent bousculer les entreprises et reconfigurer des industries entières. Research In Motion, fabricant du BlackBerry, est légendaire un jour et sur la touche le lendemain. La location de vidéos au détail est une vache à lait jusqu’à ce que Netflix lui enlève presque tout le marché. Lancé sur des montagnes russes infernales, le cycle des affaires lui-même se retourne presque sans crier gare, dégringolant de hauteurs vertigineuses pour plonger dans des gouffres insondables. Un monde d’organisations plates et de conjoncture économique tumultueuse – comme le nôtre – punit les compétences rigides et valo­ rise celles qui sont élastiques. La tâche quotidienne de chacun est extensible et dépasse les délimitations fonctionnelles. Les concepteurs analysent. Les analystes conçoivent. Les vendeurs créent. Les créateurs vendent. Et le jour où arriveront de nouvelles technologies, où les modèles économiques en vigueur s’effondreront, ces compétences devront s’étendre à nouveau dans des directions différentes. Si elles deviennent plus élastiques en général, les compétences semblent toujours inclure une qualité particulière : celle de savoir faire bouger autrui. Valerie Coenen, par exemple, travaille comme écologiste des milieux terrestres dans un bureau d’études environnementales d’Edmonton, en Alberta. Son travail exige des compétences techniques pointues, mais ce n’est qu’un début. Elle doit aussi présenter des propositions à des clients potentiels, faire connaître ses services et détecter 44

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les problèmes que son entreprise et elle sont capables de résoudre. De plus, m’a-t-elle dit, « je dois être en mesure de vendre mes services à l’intérieur de l’entreprise ». Prenez Sharon Twiss, qui vit et travaille dans l’Ouest canadien. Elle exerce le métier de stratège du contenu et a entrepris de reconcevoir le site web d’une grande organisation de Vancouver. Quelles que soient les exigences formelles de son poste, elle m’a assuré ce qui suit : « Presque tout ce que je fais implique de la persuasion. » Elle convainc « les chefs de projet qu’il est prioritaire de régler tel ou tel problème du logiciel », elle cajole ses collègues pour qu’ils se conforment à la charte créative du site, elle forme les fournisseurs de contenus « sur la manière d’utiliser le logiciel et de respecter les bonnes pratiques » et se démène même pour convaincre l’équipe d’aller déjeuner là où elle le souhaite. « Si l’intitulé de votre poste ne vous confère pas de pouvoir ou d’autorité, vous êtes obligé de trouver d’autres moyens pour vous faire entendre », expliquet-elle. L’élasticité des compétences commence même à influencer l’intitulé des postes. Quant à Timothy Shriver Jr., c’est un des animateurs de The Future Project, une association qui aide les élèves des écoles secondaires ayant un projet intéressant en les mettant en relation avec des adultes capables de les encadrer. Son travail couvre différents domaines – marketing, médias numériques, stratégies, communication de marque, parte­ nariats. Mais, dit-il, « le point commun est de convaincre les gens de bouger ». Il porte le titre de directeur du mouvement. Même ceux qui se situent plus haut dans l’organigramme doivent étendre leurs fonctions. J’ai par exemple demandé à Gwynne Shotwell, présidente de la société de transport spatial privée Space Exploration Technologies Corporation (SpaceX ), combien de jours par semaine la vente était la principale de ses charges opérationnelles et managériales. « C’est tous les jours qu’il faut vendre », m’a-t-elle répondu.

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L’Éd-méd Larry Ferlazzo et sa femme, Jan Judson, habitent Sacramento, en Californie. Ils ne font pas mariner des concombres, ils ne « pissent pas du code », mais eux aussi représentent l’avenir. Ferlazzo est professeur dans une école secondaire, et Jan Judson est infirmière praticienne – c’est-à-dire qu’ils travaillent dans un des secteurs professionnels qui se développent le plus vite, aux États-Unis comme dans les autres économies avancées. Regarder les emplois que les gens occupent est un bon moyen de comprendre ce qui se passe dans le monde du travail. C’est ce que fait l’U.S. Occupational Employment Statistics. Deux fois par an, cet organisme publie une analyse portant sur 22 grandes catégories professionnelles et près de 800 métiers précis. On peut aussi comprendre l’état actuel et les perspectives futures de la main-d’œuvre en observant dans quelles industries ces emplois naissent. Le rapport mensuel sur l’emploi nous l’indique. Et il révèle une tendance très marquée. Le graphique ci-contre montre comment l’emploi a évolué depuis le début de ce siècle dans quatre secteurs : l’industrie manufacturière, le commerce de détail, les services professionnels et spécialisés (qui comprennent les métiers du droit, la comptabilité, le conseil, etc.), ainsi que les services éducatifs et médicaux.

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Figure 2.1 Évolution des effectifs par secteur d’industrie aux États-Unis (2000-2012) 22 20 18 16 14 12 10

2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 Éd-méd Commerce de détail

Services professionnels et spécialisés Industrie manufacturière

Source : Bureau of Labor Statistics, 2012. Nombre d’emplois, en millions.

L’emploi dans le secteur manufacturier recule depuis 40 ans ; pourtant, à la fin des années 1990, les États-Unis employaient plus de monde dans ce domaine que dans les services professionnels et spécialisés. Voilà une dizaine d’années, ces derniers ont pris le dessus, mais leur ascension a été de courte durée, car un autre secteur s’est envolé comme une fusée : les services éducatifs et médicaux – ce que j’appelle l’Éd-méd  –, dont le domaine s’étend des assistants des collèges locaux aux propriétaires de cours de préparation aux examens, et des conseillers en génétique aux infirmières du milieu libéral. Aujourd’hui, ce secteur est de loin celui qui emploie le plus de monde dans l’économie américaine et qui se développe le plus vite dans le reste du monde. Aux États-Unis, l’Éd-méd a créé plus de nouveaux emplois depuis 10 ans

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que tous les autres secteurs réunis. Et dans les 10 prochaines années, estiment les prévisionnistes, les emplois du domaine de la santé progresseront deux fois plus vite que tout autre secteur30. À la base, la mission de l’Éd-méd est singulière. « En tant qu’enseignants, nous voulons faire bouger les gens », m’a dit Ferlazzo, professeur d’anglais et de questions sociales dans la plus grande école secondaire urbaine de Sacramento. « Faire bouger les gens constitue la plus grande part de ce que nous accomplissons dans le milieu de la santé », ajoute son épouse. Quand on parle éducation et santé, on pense souvent à l’attention et à d’autres vertus immatérielles, mais ces domaines ont plus en commun qu’on le pense avec le monde rugueux de la vente. Bien vendre consiste à convaincre une personne de se séparer de certaines ressources, non pour l’en priver, mais pour améliorer sa situation. C’est aussi ce que fait, par exemple, un bon professeur d’algèbre. En début d’année scolaire, les élèves ignorent presque tout du sujet, mais l’enseignant s’efforce de les convaincre de fournir certaines ressources – temps, atten­tion, efforts. S’ils le font, ils s’en trouvent mieux à la fin de l’année. « Je ne me suis jamais considérée comme une vendeuse, dit Holly Witt Payton, professeure de sixième année en Louisiane. Pourtant, je vends à mes étudiants l’idée qu’ils n’ont jamais rien vu d’aussi intéressant que mon cours de science », ce dont elle est elle-même fermement convaincue. Il en va de même dans le domaine de la santé. Un kinésithérapeute qui aide quelqu’un à se rétablir d’une blessure a besoin que le patient apporte des ressources – là encore, du temps, de l’attention et des efforts –, car, si douloureux que cela puisse être, il améliorera ainsi sa santé davantage que s’il garde les ressources pour lui. « La médecine met en jeu beaucoup de travail de vendeur », dit un interniste qui préfère rester anonyme. Il me faut convaincre les gens de faire des choses plutôt déplaisantes31. » Bien entendu, enseigner et guérir ne sont pas la même chose que vendre des balais électrostatiques pour les tapis. Les résultats sont

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différents. Une population éduquée et en santé est un bien public, une chose estimable en soi et profitable pour tous. On ne peut en dire autant d’un balai électrostatique ou d’un camping-car rutilant. Le processus peut être différent aussi. « Le problème, dit Ferlazzo, c’est que, pour faire bouger les gens de façon appuyée et durable, nous devons créer des conditions dans lesquelles ils peuvent bouger d’eux-mêmes. » Ferlazzo établit une distinction entre « irritation » et « agitation ». L’irritation, dit-il, c’est « pousser les gens à faire quelque chose que nous désirons qu’ils fassent. [En revanche], l’agitation, c’est les inciter à faire quelque chose qu’ils veulent faire. » Au cours de sa carrière, il a constaté que « l’irritation, ça ne marche pas ». Cela peut être efficace à court terme mais, pour faire bouger les gens pleinement et profondément, il faut quelque chose de plus. On ne doit pas considérer l’élève ou le patient comme un pion sur un échiquier, mais comme un participant à part entière. Ce principe, faire bouger autrui, repose sur une série de capacités différentes, en particulier les qualités d’accordage, que j’explorerai au chapitre 4, et la clarté, objet du chapitre 6. « Il s’agit de diriger avec mes oreilles plutôt qu’avec ma bouche, dit Ferlazzo en plaisantant. Cela signifie essayer de découvrir les objectifs personnels des gens et avoir assez de souplesse pour orienter ce que nous faisons en fonction du contexte. » L’an dernier, par exemple, à la fin de son cours de neuvième année sur les catastrophes naturelles, Ferlazzo a demandé à ses élèves de rédiger une dissertation sur celles qu’ils considéraient comme les plus désastreuses. L’un d’eux, que Ferlazzo appelle John, a refusé. Ce n’était pas la première fois, d’ailleurs. Rebelle depuis son entrée à l’école, John n’avait pas rédigé grand-chose, mais il espérait obtenir son diplôme. Ferlazzo l’espérait aussi. Il l’a dit à John en l’avertissant que ses chances étaient minces s’il était incapable de composer une dissertation. « Au cours d’une conversation précédente, il m’avait dit qu’il faisait partie de l’équipe de football et qu’il adorait ce sport, raconte

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Ferlazzo. Je lui ai demandé quelle était son équipe favorite. Il a paru un peu décontenancé tant la question paraissait hors sujet ; apparemment, il s’attendait plutôt à ce que je lui passe un savon. “Les Raiders”, m’a-til répondu. D’accord. Et celle que tu aimes le moins ? “Les Giants.” » Ferlazzo lui a alors demandé de rédiger une dissertation sur le thème suivant : pourquoi les Raiders sont-ils meilleurs que les Giants ? John s’est pris au jeu, a posé des « questions sensées et pratiques » et a rendu un texte « convenable ». Puis il a demandé à rédiger une autre dissertation, sur le basket-ball cette fois, pour compenser les travaux dont il s’était dispensé jusque-là. Ferlazzo a acquiescé. John a rendu un texte très honorable. « Plus tard dans la semaine, au cours d’une réunion entre parents et professeurs, la mère de John s’est mise à pleurer quand je lui ai montré les deux dissertations. Elle a dit qu’il n’en avait jamais écrit une seule auparavant », en neuf années de scolarité. Ferlazzo expli­que avoir « utilisé l’agitation pour lancer un défi à John en l’incitant à décrocher son diplôme de fin de scolarité, et ouvert les oreilles pour apprendre qu’il s’intéressait au football ». Son but n’était pas d’obliger John à écrire sur les catastrophes naturelles, mais de l’aider à améliorer ses capacités de rédaction. Il a convaincu John de fournir des ressources – amourpropre et efforts –, ce qui l’a aidé à bouger de lui-même. Pour Mme Ferlazzo, pendant « méd » de cet « Éd », quelque chose de similaire se produit avec ses patients. « Selon le modèle du milieu de la santé, c’est nous les experts. Nous débarquons pour dire aux gens quoi faire. » Au fil du temps, elle a constaté, et tant l’expérience que l’observation le confirment, que cette approche avait ses limites. « Nous devons prendre un peu de recul et convaincre les patients de faire quelque chose, m’a-t-elle dit. D’ordinaire, ils se connaissent mieux que nous les connaissons. » Afin que les gens bougent d’eux-mêmes, elle leur déclare donc : « J’ai besoin de vos compétences. » Les patients guérissent mieux et plus vite s’ils interviennent dans le processus.

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La santé et l’éducation tournent l’une et l’autre autour du commercial sans vente : la capacité d’influencer et de modifier les compor­ tements tout en trouvant un équilibre entre ce que les autres désirent et ce qu’on peut leur fournir. La prépondérance croissante de ce double secteur pourrait avoir un effet transformateur. Imaginée par le romancier Upton Sinclair en 1910 et popularisée 40 ans plus tard par le socio­logue Charles Wright Mills, l’expression « col blanc » s’est imposée chez les experts comme dans le grand public. Aujourd’hui, alors que des populations vieillissantes réclament plus de soins et qu’une économie complexe requiert plus de savoirs, un nouveau type de travailleur apparaît. Nous pourrions entrer dans une économie de « blouse blanche-craie blanche32 » dominée par le secteur de l’Éd-méd, où on gagne sa vie essentiellement en faisant bouger autrui. Cela signifie-t-il que votre métier est aussi de faire bouger autrui – que l’entreprise, l’élasticité et l’Éd-méd vous ont transformé en vendeur à votre insu ? Pas nécessairement. Pour le savoir, posez-vous ces 4  questions : 1. Gagnez-vous votre vie en essayant de convaincre autrui d’acheter des biens ou des services ? Si vous avez répondu oui, vous êtes dans la vente (vous le saviez probablement déjà). Si vous avez répondu non, passez à la question 2. 2. Travaillez-vous pour vous-même ou dirigez-vous votre propre affaire, même comme un à-côté ? Si c’est le cas, vous êtes dans la vente – probablement un mélange de vente traditionnelle et de commercial sans vente. Sinon, passez à la question 3. 3. Votre travail requiert-il des compétences élastiques – une capacité à dépasser les délimitations des postes et des fonctions, à intervenir en dehors de votre spécialité et à accomplir des choses diverses et variées tout au long de la journée ? Si c’est le cas, vous êtes presque certainement dans la vente – principalement le commercial sans vente, peut-être mélangé à la vente traditionnelle, selon les moments. Sinon, passez à la question 4.

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4. Travaillez-vous dans l’éducation ou la santé ? Si c’est le cas, vous êtes dans la vente – le meilleur des mondes du commercial sans vente. Sinon, et si vous avez répondu non aux trois premières questions, vous n’êtes pas dans la vente. Où vous situez-vous ? J’imagine que vous vous positionnez là où je me suis moi-même retrouvé et que vous êtes tout étonné de faire partie d’un secteur que vous ne pensiez pas être le vôtre. J’imagine aussi que cela vous met mal à l’aise. Nous avons vu des films, comme Glengarry ou Les filous, où la vente a pour moteur la cupidité et pour moyen la tromperie. Nous avons subi les torrents verbaux de vendeurs à la commission qui nous pressaient de signer sur la ligne pointillée. La vente, même sous un vernis futuriste du genre « commercial sans vente », traîne une sale réputation. Si vous ne me croyez pas, nous allons en voir une image dans le prochain chapitre.

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Chapitre 3

Du caveat emptor au caveat venditor

Q

u’est-ce que les gens pensent vraiment de la vente ? Pour le savoir, j’ai fait appel à une méthode efficace qu’on n’utilise pas assez : je le leur ai demandé. Dans le cadre de l’enquête What Do You Do at Work ?, j’ai posé la question suivante aux personnes interrogées : « Quand vous pensez à la vente et au fait de vendre, quel est le premier mot qui vous vient à l’esprit ? »

La réponse la plus courante a été « argent », et les 10 réponses les plus fréquentes comprenaient des mots comme « argumentaire », « marketing » et « persuasion ». Une fois la liste passée au peigne fin pour en retirer les noms communs, pour la plupart synonymes neutres de « vendre », un tableau intéressant est apparu. Ce que vous voyez à la page suivante est un nuage de mots, une représentation graphique des 25 adjectifs et interjections les plus souvent cités par les gens à qui on demandait de penser à « vente » et à « vendre ». La taille de chaque terme représente le nombre de répondants qui l’ont utilisé. « Insistant », par exemple, était le mot le plus fréquent parmi les adjectifs et les interjections (et le quatrième mot le plus cité globalement), d’où sa taille impressionnante. « Lèche-bottes », « essentiel » et « important » sont plus petits, car ils ont été mentionnés moins souvent.

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Figure 3.1 Qualificatifs les plus cités

Obséquieux Stimulant

Malcommode Agaçant

Nécessaire Beurk ! Malhonnête

InsistantDur Hem ! Pouah ! Pénible Lèche-bottes

Amusant

Faux

Essentiel

Manipulateur Important

Moche Inquiétant

Coriace

Gênant

Louche

Ennuyeux

Agressif

Les adjectifs et les interjections peuvent révéler les attitudes des gens, car ils ont souvent une composante émotionnelle dont les noms sont dépourvus. La tonalité générale des sentiments déclenchés par les mots « vente » ou « vendre » est claire. Sur les 25 mots, 5 seulement ont une valence positive (« nécessaire », « stimulant », « amusant », « essentiel » et « important »). Les autres, tous négatifs, se partagent en deux camps. Quelques-uns évoquent la gêne suscitée par la vente (« coriace », « difficile », « dur », « pénible »), mais la plupart sont de l’ordre du dégoût. Des mots comme « insistant » et « agressif » figurent en bonne place, environnés d’une bordée d’adjectifs suggérant la tromperie : « obséquieux », « lèche-bottes », « malhonnête », « manipulateur », « faux ». Ce nuage de mots, une IRM linguistique de notre cerveau au moment où il pense à la vente, renvoie une image très courante. La vente nous met mal à l’aise et nous dégoûte un peu (« bah ! », « pouah ! », « hem ! »), en partie parce que nous croyons que ses pratiques tournent autour de la duplicité, de la dissimulation et des arrière-pensées. Pour mieux apprécier les impressions des gens, j’ai posé une question complémentaire adaptée à ceux qui raisonnent visuellement : « Quand vous pensez à la vente ou au fait de vendre, quelle est la 54

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3 - Du caveat emptor au caveat venditor

première image qui vous vient à l’esprit ? » (Les personnes interrogées devaient décrire cette image en moins de six mots.) À mon grand étonnement, les réponses ont, dans une proportion écrasante, pris une forme bien nette. On imaginait un homme en costume qui vendait une voiture, le plus souvent d’occasion. Voici le nuage de mots formé par les 25 réponses les plus fréquentes. Figure 3.2 Réponses les plus fréquentes

Vendeur de voitures Agressif Téléphone

Vendeur en porte-à-porte Professionnel

malin

Requin

Cravate

Louche extraverti Sociable

Sourire

Agaçant

Bavard

Argent

Automobile d’occasion Automobile Willy Loman

Homme

Poignée de main

Vendeur de voitures d’occasion Homme en costume Insistant

costume

Mallette

Les cinq réponses les plus courantes, et de loin, étaient : « vendeur de voitures », « costume », « vendeur de voitures d’occasion », « homme en costume » et notre vieil ami « insistant ». (Dans les 10 premiers termes figuraient aussi « automobile » et « automobile d’occasion ».) L’image formée dans l’esprit des répondants était uniformément masculine. Le mot « homme » fait partie des 25 premiers. Très peu de gens utilisaient la forme neutre [en anglais, salesperson], et personne n’employait le mot « vendeuse » [saleswoman]. De nombreux répondants insistaient sur la sociabilité des vendeurs – « sociable », « extraverti » et « bavard » figurent parmi les 25 mots les plus fréquents. D’autres recouraient à des images métaphoriques ou littéraires, comme « requin » et « Willy Loman* ». Là

* Personnage principal de la pièce d’Arthur Miller Mort d’un commis voyageur. (NdT)

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encore, certaines personnes ne pouvaient s’empêcher de proposer des adjectifs comme « malin », « louche » et « agaçant ». Pris ensemble, ces deux nuages de mots peuvent nous aider à dégon­fler un des mythes les plus increvables sur la vente sous toutes ses formes. Les croyances incorporées dans la première image – la vente est dégoûtante, car trompeuse – ne sont pas tant intrinsèquement fausses que déplorablement désuètes. Un bon moyen pour s’en rendre compte est de décomposer les couches de cette image.

Les « citrons » et autres sujets de mécontentement En 1967, dans un article de 13 pages fondé sur la théorie économique et sur une poignée d’équations, George Akerlof, alors professeur de première année d’économie à l’Université de la Californie à Berkeley, a entrepris d’expliquer un domaine du monde commercial où peu d’économistes avaient osé s’aventurer : le marché de l’automobile d’occasion. Les deux premiers journaux académiques auxquels le jeune ensei­gnant a soumis son texte l’ont rejeté en prétextant qu’ils « ne publiaient pas d’articles sur des sujets aussi triviaux33 ». Le troisième en a fait autant, mais pour une raison différente. Ses relecteurs ne reprochaient pas à l’analyse d’être triviale, mais d’être fausse. Deux ans après son achèvement, l’article a finalement été accepté et publié en 1970 par le Quarterly Journal of Economics. Intitulé « The Market for “Lemons”  : Quality Uncertainty and the Market Mechanisms » (« Le marché des “citrons” : incertitude sur la qualité et mécanismes de marché »), le texte d’Akerlof allait devenir un des articles d’économie les plus cités des 50 dernières années. Il a valu un prix Nobel à son auteur en 2001. Akerlof y mettait en évidence une faiblesse du raisonnement économique traditionnel. La plupart des analyses partent du principe que les parties d’une transaction quelconque sont des acteurs pleinement informés qui prennent des décisions rationnelles conformément à leur intérêt personnel. Le domaine en plein essor de l’économie comportementale

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a depuis lors remis en question la seconde partie de ce postulat, à savoir que nous prenons des décisions rationnelles conformes à notre intérêt. Akerlof s’est penché sur la première partie – le fait que nous sommes pleinement informés. Il a choisi le marché de l’automobile d’occasion comme « galop d’essai pour illustrer et améliorer34 » ses idées. Les voitures à vendre, dit Akerlof, en simplifiant à l’extrême dans un souci de clarification, appartiennent à deux catégories : les bonnes et les mauvaises. Les mauvaises, que les Américains appellent lemons (et les francophones, « poubelles », « tacots », « citrons », etc.), sont évidemment moins désirables que les bonnes et devraient coûter moins cher. Le problème avec les voitures d’occasion est que seul le vendeur sait de quelle catégorie elles relèvent. Les deux parties rencontrent « une asymétrie des renseignements accessibles35 ». L’une est totalement informée, l’autre est au moins partiellement dans l’obscurité. Les renseignements asymétriques engendrent toutes sortes de tracas. Puisque le vendeur en sait beaucoup plus que l’acheteur sur le produit, le client nourrit des soupçons légitimes. Que cache le vendeur ? Suis-je en train de me faire avoir ? Si la voiture est bonne à ce point, pourquoi n’en veut-il plus ? Par conséquent, il n’acceptera probablement qu’un prix très bas – il renoncera peut-être même carrément à son achat. Selon l’hypothèse d’Akerlof, le problème peut s’amplifier. Supposons que je possède une automobile, que je sais qu’elle est en parfait état et que je décide de la vendre. Les acheteurs me traiteront d’emblée comme si je cherchais à leur refiler un tas de ferraille. Qu’est-ce qu’il nous cache ? Essaie-t-il de nous embobiner ? Si la voiture est excellente, pourquoi s’en débarrasse-t-il ? En tant que vendeur, je finirai donc par accepter un prix inférieur à la valeur réelle de la voiture. Ou alors, j’abandonnerai et je n’essaierai même plus de la vendre. « Les transactions malhonnêtes tendent à évincer du marché les transactions honnêtes, notait Akerlof. Les gens qui veulent faire passer de mauvaises marchandises pour des bonnes portent un coup dur aux activités légitimes. » Et cela n’est pas seulement vrai des automobiles, disait-il : le 57

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même raisonnement vaut pour l’assurance, le crédit, le travail. Quand les vendeurs honnêtes renoncent, seuls restent les charlatans, les individus insistants qui portent cravate, mais qui recourent à des trucs louches pour vendre leurs tas de ferraille. Bien entendu, les particuliers et les institutions ont imaginé des moyens de rendre le paysage commercial d’Akerlof moins dissuasif. Les vendeurs proposent des garanties sur leurs marchandises. Les marques fournissent une certaine garantie de qualité. Les législateurs adoptent des lois antitromperie pour protéger les consommateurs. Et surtout, les candidats à l’achat sont sur leurs gardes. Quand les vendeurs en savent plus que les acheteurs, ceux-ci doivent se méfier. Ce n’est pas un hasard si en Amérique, en Europe et en Asie nos contemporains ne connaissent souvent que deux mots de latin : caveat emptor – à l’acheteur de faire attention. Dans un monde de renseignements asymétriques, c’est le principe directeur. La réflexion dérangeante d’Akerlof a transformé la manière dont les économistes et les gens en général considèrent les transactions indi­ viduelles et les marchés. En gardant cet exemple comme modèle, essayons un autre « galop d’essai » intellectuel. Imaginons un monde où l’asymétrie d’information céderait la place à une plus grande parité, où acheteurs et vendeurs disposeraient d’un accès à peu près égal aux renseignements pertinents. Que se passerait-il alors ? Inutile de chercher à imaginer un tel monde : c’est celui dans lequel vous vivez. Revenons aux voitures d’occasion. Aux États-Unis, l’automobiliste qui désire acheter, par exemple, une Nissan Maxima d’occasion peut obtenir toutes sortes de données avant même de contacter un vendeur. Il peut trouver dans Internet la plupart des endroits où ce modèle est offert dans un certain rayon autour de son domicile, ce qui élargit son choix. Il peut faire appel à son réseau social ou consulter des sites web pour connaître la réputation de tel ou tel vendeur et savoir si les clients précédents de ce dernier sont satisfaits. Si le vendeur est un particulier, il suffit d’une quinzaine de minutes et d’un moteur de recherche pour faire le point sur sa bonne foi. Grâce à des forums en ligne, l’acheteur potentiel 58

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peut savoir ce que les propriétaires de Maxima pensent de ce modèle. Des services comme Kelley Blue Book, Edmunds.com ou AutoTrader.com* permettent de connaître la cote des Maxima d’occasion. Une fois que l’acheteur a trouvé une automobile qui lui plaît, une recherche rapide en ligne sur son numéro d’immatriculation lui dit si elle a subi des accidents ou de grosses réparations. Bien entendu, cela ne le protège pas totalement contre les vendeurs incorrects mais, s’il est exposé à des méthodes malhonnêtes ou s’il fait une mauvaise affaire, il ne se contentera pas de le dire à son voisin. Il pourra en faire part à quelques centaines d’amis Facebook, à tous ses suiveurs Twitter et aux lecteurs de son blogue – dont certains diffuseront peut-être son histoire sur leurs propres réseaux. La capacité de nuisance du vendeur s’en trouvera donc réduite. Bref, les acheteurs d’aujourd’hui ne sont pas « pleinement informés » au sens idéal supposé par de nombreux modèles économiques, mais ce ne sont plus des victimes sans défense de la dynamique des rensei­gnements asymétriques. Par conséquent, le premier nuage de mots n’est pas faux, mais il est dépassé. L’opinion selon laquelle le vendeur est obséquieux, malin et louche découle moins de la nature de l’activité que des conditions dans lesquelles on l’exerçait, conditions qui ont longtemps régné mais qui sont en train de disparaître. L’équilibre s’est inversé. Si vous êtes un acheteur et si vous disposez d’autant de données que le vendeur, mais aussi de moyens de riposte, vous n’êtes plus le seul à devoir vous méfier. Dans un monde de parité de l’information, le principe directeur est caveat venditor – au vendeur de faire attention.

* Au Québec, on consulterait plutôt un site comme www.auto123.com. (Note de l’éditeur)

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Le meilleur vendeur du monde Joe Girard semble parachuté directement du second nuage de mots. Il est prêt à faire le nécessaire pour vous asseoir au volant d’une Chevrolet Malibu cet après-midi même. Le meilleur vendeur du monde, c’est lui. Je le sais parce qu’il me l’a dit. Il m’a ensuite fait parvenir un extrait du Livre Guinness des records qui en témoigne, confirmé par un grand cabinet comptable. En une seule année, il a vendu 1 425 automobiles chez Merollis Chevrolet à Detroit. Et pas par lots entiers : ce sont des ventes à l’unité, en face à face – plusieurs voitures chaque jour pendant toute une année. C’est un succès remarquable. Comment Joe Girard s’y prend-il ? Son livre How to Sell Anything to Anybody (« Comment vendre n’importe quoi à n’importe qui ») – « 2 millions d’exemplaires ! » proclame la couverture – dévoile des secrets qu’il partage aussi avec les auditeurs de ses conférences dans le monde entier. « Mon système fonctionnera pour vous, je vous le garantis, à condition de le connaître et de l’appliquer36 », promet-il. Le morceau de choix est la « règle de Girard, ou règle des 250 », selon laquelle chacun de nous connaît 250 personnes assez bien pour les inviter à un mariage ou à des obsèques. Si vous contactez un individu, si vous lui plaisez et s’il vous achète quelque chose, il vous mettra en relation avec les autres membres de son cercle de 250 personnes. Certaines de celles-ci en feront autant, et ainsi de suite, en une cascade d’influence toujours plus large. Girard nous conseille de « remplir les sièges de la grande roue » avec autant de gens que possible, de les laisser descendre un peu après leur achat puis de les transformer en « rabatteurs » en leur versant 50 $ chaque fois qu’ils nous adressent un nouveau client. « Une Chevrolet vendue par Joe Girard n’est pas une simple automobile, écrit-il. C’est l’entièreté d’une relation entre moi, le client, sa famille, ses amis et ses collègues37. » Hélas, bon nombre des techniques conseillées par Girard pour instaurer cette relation méritent les adjectifs de notre premier nuage de mots. Par exemple, si les clients potentiels disent être allés quelque part

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en vacances, Girard affirme y être allé aussi. « Où que l’autre soit allé, je déclare m’y être rendu, même si je n’ai jamais entendu parler de cet endroit, écrit-il. Beaucoup de gens, des millions peut-être, ont entendu parler de moi. Et des milliers ont été mes clients. Ils pensent en savoir beaucoup sur moi parce que j’en sais beaucoup sur eux. Ils croient que j’ai visité le parc national de Yellowstone, que j’ai pêché le saumon près de Traverse City au Michigan, que j’ai une tante qui habite à côté de la base aérienne de Selfridge38. » Faites votre choix : « malhonnête », «   lèche-bottes » ou « hem… ». Girard décrit par ailleurs en 3 paragraphes, longs mais particulièrement intéressants, un de ses trucs favoris pour joindre des clients potentiels ex abrupto. Il commence par composer un numéro pris dans l’annuaire. 1. Une femme répond au téléphone. « Bonjour, Mme Kowalski. Ici Joe Girard, de Merollis Chevrolet. Je voulais vous dire que la voiture que vous avez commandée est prête. » N’oubliez pas : c’est un appel spontané. Tout ce que je connais, c’est le nom de la personne, son adresse et son numéro de téléphone. Cette Mm  Kowalski ne voit pas de quoi je parle. « J’ai peur que vous n’ayez composé un mauvais numéro, nous n’avons pas commandé d’automobile », me dit-elle. « Vous en êtes sûre ? » dis-je. « Tout à fait sûre. Mon mari me l’aurait dit. » « Attendez un instant. Je suis bien chez Clarence J. Kowalski ? » « Non, mon mari s’appelle Steven. » « Oh ! Je suis désolé de vous avoir dérangée. Vous êtes sûrement très occupée. » Girard continue à la faire parler afin de trouver comment l’appâter. 2. « Mme Kowalski, vous n’avez pas l’intention d’acheter une voiture, n’est-ce pas ? » Si elle sait que son mari et elle ont le projet de le faire, elle va probablement me le dire. Cependant, la réponse habituelle est : « Je ne crois pas, mais il faudrait demander à mon mari. » Et voilà, c’est ce que je cherchais. « Quand

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pourrai-je lui parler ? » Elle va me répondre qu’il revient vers 18 h. OK, j’ai eu ce que je voulais. « Très bien, Mme Kowalski, je rappellerai à ce moment-là, si vous êtes sûre que ça ne vous dérangera pas au cours de votre souper. » J’attends qu’elle me dise qu’ils ne mangent pas avant 18 h 30, puis je la remercie. Girard passe alors à l’étape suivante. 3. Vous voyez ce que vais faire à 18 h. « Bonsoir, M. Kowalski, ici Joe Girard, de Merollis Chevrolet. J’ai parlé à votre femme ce matin, et elle m’a suggéré de rappeler maintenant. Je me demandais si vous vous apprêtiez à acheter une nouvelle Chevrolet. » « Non, pas pour le moment », répond-il. Alors je demande : « Quand commencerezvous à réfléchir à l’achat d’une nouvelle voiture, selon vous ? » Je pose la question franchement, et il va me donner une réponse. Peut-être voudra-t-il seulement se débarrasser de moi, mais ce qu’il dira sera probablement la vérité, car c’est plus facile que de trouver un mensonge. « Je pense que j’aurai besoin d’une voiture dans six mois à peu près », déclare-t-il. Je termine en disant : « Très bien, M. Kowalski. Je reprendrai contact avec vous à ce moment-là. À propos, qu’avez-vous comme voiture en ce moment ? » Il me le dit, je le remercie et je raccroche39. Girard note dans son fichier le nom de M. Kowalski et dans son agenda le moment de le rappeler, puis passe au nom suivant de sa liste. « Il y a beaucoup de Kowalski, si vous cherchez un peu », écrit-il40. Le fait que Girard ait trouvé suffisamment de Kowalski pour devenir le meilleur vendeur du monde – et qu’il continue à enseigner la vente – semble montrer que l’asymétrie d’information et les tactiques honteuses qu’elle permet sont loin d’avoir disparu. Cependant, il y a encore une chose qu’il faut savoir sur Joe Girard. En réalité, il n’a pas vendu une seule voiture depuis 1977. Il a quitté le métier voilà plus de 30 ans pour enseigner aux autres ses méthodes de vente. (Le rapport d’audit de Deloitte & Touche certifiant ses réalisations envoyé par son

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secrétariat est daté de 1991 et couvre une période de 15 ans qui commence en 1963.) Les techniques de Girard étaient peut-être brillantes au milieu des années 1970 mais, 40 ans plus tard, elles ont une odeur de vieille boîte oubliée au grenier. De nos jours, Mme Kowalski travaille. L’affichage du numéro de l’appelant prévient les intrusions téléphoniques. Et si un vendeur réussit à contourner les dispositifs de défense d’une personne, celle-ci le remettra vite à sa place ; peut-être cherchera-t-elle ensuite son nom sur Google et signalera-t-elle à ses amis Facebook l’appel importun qu’elle a reçu. J’ai joint Girard par téléphone* un après-midi afin de lui demander à quel point le monde de la vente avait changé depuis son départ du showroom. Il n’a pas changé, m’a-t-il affirmé. L’effet d’Internet ? « C’est n’importe quoi. Je n’ai pas besoin de ce machin », m’a-t-il dit. Les consommateurs disposent à présent de données abondantes ; en quoi cela affecte-t-il le processus de vente ? « En rien du tout. Il n’y a qu’une manière, la mienne. » Aurait-il autant de succès dans le paysage contemporain que dans celui des années 1970 ? « Donnez-moi neuf mois, et je gouverne le monde. » Pour être honnête, je dois avouer qu’une grande partie de ce que Girard préconise demeure valable. Il plaide avec ferveur pour le service après-vente. « Service, service, service », m’a-t-il répété au cours de nos conversations. Son aphorisme sur la vente efficace est un des plus clairs qu’il m’ait été donné d’entendre : « Les gens comptent faire une affaire loyale avec les gens qu’ils aiment. » Plus largement, toutefois, sa vision du monde et ses tactiques font penser aux vieux films où un soldat oublié dans une île déserte continue le combat parce que personne ne lui a dit que la guerre était finie.

* M. Girard et son secrétariat ont décliné plusieurs demandes de rendez-vous.

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Comparez son cas à celui de Tammy Darvish. Du temps où Girard vendait des Chevrolet à Detroit, Tammy Darvish était à l’école primaire. Aujourd’hui, elle est vice-présidente de DARCARS Automotive Group, un des plus gros concessionnaires automobiles de la côte est des États-Unis. À en juger par sa demeure, les affaires marchent bien pour elle. Elle m’a reçu un après-midi dans son manoir de 1 500 m² dont le vestibule ferait un fantastique terrain de basket-ball. Tammy Darvish arbore une chevelure sombre qui lui descend sous l’épaule. Elle est menue, amicale et à demi concentrée, quoique la partie concentrée semble naturelle, et la partie qui ne l’est pas, le résultat d’un effort. Elle ne correspond à aucune des images de la vente décrites par les personnes interrogées au cours de mon sondage. Tammy Darvish a embrassé le métier selon la méthode ancienne. Son père était propriétaire de concessions automobiles du côté de Washington, D.C. Après avoir obtenu un diplôme en marketing auto­ mobile de l’Université Northwood, à Midland, au Michigan, elle a commencé au bas de l’échelle, comme vendeuse, et a dû affronter un scepticisme brûlant. C’était une fille de 20 ans – et la fille du patron, s’il vous plaît – dans un monde d’hommes. Dès le premier mois, pourtant, elle a fait plus de ventes que ses pairs et a été désignée « vendeur » du mois. Cela s’est répété le mois suivant. Sa carrière était toute tracée. Près de 30 ans plus tard, Tammy Darvish a vu le déclin de l’asymétrie d’information remodeler son métier. Autrefois, les clients allaient de concessionnaire en concessionnaire glaner un maximum de renseignements. « Aujourd’hui, dit-elle, ils font la plus grande partie du travail avant de venir. Et dans bien des cas, ils en savent plus que nous. Quand j’ai fini mes études, les factures des usines étaient enfermées dans un coffre-fort. Nous ne savions pas combien coûtaient les voitures que nous vendions. À présent, c’est le client qui me le dit. » Quand les acheteurs sont en mesure d’en savoir plus que les vendeurs, ces derniers cessent d’être les gardiens et les fournisseurs de l’infor­mation. Ils en sont les conservateurs et les clarificateurs – ils aident les gens à s’orienter dans un tourbillon de faits, de chiffres et 64

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d’options. « Si un client me pose une question, dit Tammy Darvish, je peux lui répondre : “Allons voir sur chevy.com.” Et nous trouvons la réponse ensemble. » « Quand vous entrez chez un concessionnaire automobile, vous vous attendez à rencontrer un type vêtu d’une veste à carreaux et d’un pantalon en polyester », admet Tammy Darvish. Cependant, tout comme ces choix vestimentaires, les pratiques douteuses qu’ils laissent présager sont démodées. Une grande partie de nos opinions sur la vente découlent non de la nature intrinsèque de celle-ci, mais de l’asymétrie d’information qui a longtemps caractérisé son contexte. Quand cette asymétrie se réduit et que le balancier part dans l’autre sens, tout s’inverse. Ainsi, DARCARS applique une politique originale : elle embauche rarement des vendeurs expérimentés, susceptibles d’avoir pris de mauvaises habitudes ou de voir les choses à l’ancienne. De même, selon Tammy Darvish, beaucoup de formations de vendeurs sont « un peu mécaniques » et risquent de transformer les gens en robots qui récitent de mémoire leurs argumentaires et s’efforcent d’arracher une décision aux clients. « Nous leur faisons plutôt suivre une formation d’une semaine, qui ne porte pas seulement sur la vente. Nous leur parlons du service à la clientèle et des médias sociaux. » Sur ce terrain où les positions sont inversées, la clé de l’efficacité ne correspond plus au stéréotype du passé – belles paroles, tapes dans le dos... Tammy Darvish assure que les qualités qu’elle recherche le plus sont la persévérance et l’empathie, cette dernière ne correspondant à rien de ce qui apparaît dans nos nuages de mots. « On ne peut pas former quelqu’un à se soucier des autres », m’a dit Tammy Darvish. Pour elle, les vendeurs idéaux sont ceux qui se demandent : « Quelle décision prendrais-je si cette personne, qui tente d’obtenir un service ou d’acheter une voiture, était ma propre mère ? » Cela paraît noble, et ça l’est peut-être. C’est ainsi qu’on vend des voitures aujourd’hui. À l’époque de Joe Girard, le caveat emptor était

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nécessaire. Aujourd’hui, Tammy Darvish gagne (bien) sa vie parce qu’elle observe le caveat venditor. Le déclin de l’asymétrie d’information n’a pas mis fin à toute forme de mensonge ou de tricherie. Un coup d’œil aux plus récentes manigances de Wall Street, de la City ou de Hong Kong le confirme hélas. Quand le produit est complexe – avez-vous déjà lu un contrat de swap sur risque de crédit ? – et le potentiel de gain énorme, certains s’effor­cent de maintenir le déséquilibre d’information et d’autres optent carré­ment pour la tromperie. Cela ne changera pas. Tant que la planète sera peuplée d’êtres humains faillibles, le caveat emptor restera de mise. J’y veille. Faites-en autant. Cependant, ce n’est pas parce que certains s’engagent dans le mauvais chemin que beaucoup le feront. Quand le vendeur n’a plus l’avantage de l’information et que l’acheteur a les moyens et l’occasion de s’exprimer, le mauvais chemin devient une voie périlleuse. Le principe du caveat venditor s’applique bien au-delà du marché de l’automobile et remodèle la plupart des rencontres qui impliquent de faire bouger autrui. Prenez le voyage. Au bon vieux temps – il y a 15 ans de cela –, les agences de voyages disposaient d’un monopole de l’information qui permettait aux moins scrupuleuses d’entre elles de surfacturer leurs services. C’est fini. Aujourd’hui, avec son ordinateur portable, la ménagère en sait à peu près autant qu’un professionnel sur le prix des billets d’avion ou la qualité des hôtels. Ou encore, imaginez que vous êtes candidat à un emploi. Vous ne maîtrisez plus les renseignements qui circulent à votre sujet, y compris ceux que vous mentionnez sélectivement dans votre CV. Aujourd’hui encore, l’entreprise à laquelle vous soumettez votre candidature consulte votre CV, bien sûr, mais, comme le note CNN, elle va aussi « scruter votre profil sur LinkedIn et Facebook, lire les horribles détails de votre blogue et interroger Google pour en savoir plus à votre sujet, en bien ou en mal, tout cela sans se déplacer41 ». Les règles du caveat venditor gouvernent aussi le secteur en plein essor de l’Éd-méd. Aujourd’hui, un étudiant motivé disposant d’un accès à Internet a les moyens d’en savoir plus que son professeur sur les 66

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causes de la guerre du Péloponnèse ou sur la manière de réaliser un film numérique. Les médecins, naguère considérés comme les dispensateurs impériaux d’un savoir spécialisé, ont maintenant toutes les chances de recevoir des patients qui se sont informés sur leurs maux et arrivent munis d’un épais dossier et d’une idée de traitement. Aujourd’hui, les éducateurs et les professionnels de la santé ne peuvent plus compter sur la quasi-révérence que leur valait autrefois l’asymétrie d’information. Comme la balance penche de l’autre côté, ce qu’ils font et la manière dont ils le font doivent changer. Éd-méd, prends garde !

Le conte des deux samedis Steve Kemp est un homme en costume qui vend des automobiles d’occasion. Son entreprise, SK Motors (« Where everybody rides ! »), à Lanham, au Maryland, est implantée dans une zone sans âme de la Maryland State Route 564, à côté d’une piste de patin à roues alignées et d’une église baptiste. Kemp est un businessman à l’ancienne, un bonhomme jovial, rougeaud et costaud, membre du Rotary Club local, dont l’atelier propose des services gratuits aux enseignants de l’école du quartier qui sont désignés « professeurs du mois ». SK Motors est un endroit qui fonctionne suivant les vieilles méthodes. Son stock, une cinquantaine de voitures d’occasion – de la Mercedes-Benz SL à la Hyundai Elantra –, est rangé dans un terrain de stationnement asphalté délimité par des drapeaux à damier. Sur le côté, une construction compacte comprenant cinq pièces de plain-pied fait office de bureau. Par un samedi matin ensoleillé, deux vendeurs, Frank et Wayne, boivent un café dans la pièce de devant, attendant leur premier client : comme d’habitude, cette journée sera la plus chargée de la semaine. Frank, un Afro-Américain à la voix douce, a 74 ans, mais il en paraît 55. Il vend des voitures depuis 1985. Wayne, qui a à peu près le même âge, est un Blanc au caractère revêche qui porte une casquette de baseball et une chemise à carreaux. Voilà que se gare sur le terrain un homme en parka qui grille cigarette sur cigarette, accompagné de son fils. Celui-ci doit avoir 20 ans ; 67

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c’est un maigrichon qui tente de se laisser pousser la barbe et qui porte une veste estampillée au nom de la compagnie d’électricité locale. Le jeune homme a besoin d’une voiture. Il admire la Nissan Altima, qui n’a que trois ans, mais il n’a pas les moyens de la payer 16 500 $. Il se rabat donc sur une Ford Escort de 1993 ayant 188 000 km au compteur. En compagnie de Frank, il prend le volant du véhicule pour un essai sur route. Puis, tous deux reviennent au magasin pour conclure l’affaire. Le jeune homme remplit une demande de crédit. Jimmy, le bras droit de Steve Kemp, emporte le document dans son bureau, où se trouve un des deux ordinateurs de l’entreprise, pour vérifier la solvabilité du demandeur. Aïe ! Le résultat ressemble à un casier judiciaire. Ce jeune client collectionne les défauts de paiement. On lui a saisi des automobiles, y compris une qu’il avait achetée chez SK Motors. Frank appelle Steve. Ils se concertent brièvement, puis Steve entre dans la pièce. « Nous voici au stade du woodyaiff », me souffle Steve à l’oreille. « Ah oui ? Qu’est-ce que ça signifie ? » dis-je. « Would you if we did this ? Would you if we did that ? » (« Est-ce que ça vous irait si nous faisions ceci ? Est-ce que ça vous irait si nous faisions cela ? ») chuchote-t-il. Steve est disposé à accorder un prêt – assorti du taux d’intérêt de 24 % habituel chez SK Motors et de la pose d’un dispositif de localisation sur le véhicule – pourvu que le jeune homme verse un acompte de 1 500 $. « Est-ce que ça vous irait ? » demande-t-il. Malheureusement, l’homme n’a pas le premier sou de cet acompte. Il s’en va. Deux autres clients passent par là, juste pour voir. Au milieu du repas arrive un homme de haute stature qui porte un chapeau de cow-boy et une veste au logo du distillateur Jack Daniel’s. Il voudrait une voiture pas chère – tous ceux qui viennent là disent la même chose – et trouve une Acura orange foncé pour 3 700 $. Il fait un essai avec Frank. Au retour, il est prêt à acheter. Frank ne dit pas grandchose. Il se contente de ne pas déranger. Ils négocient le prix et s’entendent sur 3 200 $. L’homme au chapeau de cow-boy repart. Il est 13 h ; SK Motors a fait sa première vente de la journée.

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À 14 h, Wayne sommeille dans son bureau. Vers 16 h, Steve vend une Dodge Stratus ayant 112 000 km au compteur à une femme qui veut une voiture pour son fils adolescent. À l’heure de la fermeture, SK Motors a vendu deux véhicules. Un autre samedi, je visite le détaillant de voitures d’occasion CarMax de Rockville, au Maryland. Il se trouve à une cinquantaine de kilomètres de SK Motors sur le plan géographique, mais à des annéeslumière de ce dernier sur le plan commercial. Ici, les automobiles rangées dans le stationnement des visiteurs sont plus nombreuses que celles en vente chez SK Motors. Les voitures occupent un vaste terrain asphalté qui ressemble au terrain de stationnement d’un aéroport, avec ses allées signalées par des lettres pour aider les gens à s’y retrouver. La pièce principale bourdonne comme le parquet de la Bourse : une vingtaine de bureaux, plus de 40 vendeurs, une foule de clients. Cependant, la plus grande différence n’est ni dans la taille ni dans le bruit. Elle est dans l’information. Chez SK Motors, l’autre samedi, aucun client ne paraissait avoir effectué la moindre recherche sur les prix, les offres concurrentes ou la qualité des automobiles. Ici, la moitié des clients brandissent des documents imprimés chez eux. D’autres tapotent sur un iPhone ou un iPad. Et ceux qui auraient encore besoin d’un accès Internet peuvent utiliser les ordinateurs mis à leur disposition par CarMax. SK Motors, qui s’adresse à des clients dont le crédit est si compromis qu’ils doivent accepter des dispositifs de surveillance et des taux d’intérêt astronomiques, peut encore bénéficier de l’asymétrie d’information. CarMax a bâti son modèle économique sur la démarche inverse. La société a été créée en 1993 avec l’ambition de réinventer la manière dont les Américains achètent des véhicules d’occasion. Deux décennies plus tard, elle figure au palmarès des 500 premières entreprises dressé par Fortune, vend plus de 400 000 voitures par an et réalise plus de 9 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel42. Dès le début, CarMax a bousculé les conventions qui sont à l’origine de notre premier nuage de mots. Par exemple, elle a introduit le prix fixe pour

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chaque véhicule ; il est inutile de marchander. Ainsi, le client craint moins de se faire rouler par un vendeur mieux informé que lui. De plus, les vendeurs de CarMax – vêtus pour la plupart d’une chemise bleue au logo de la maison et non d’un costume-cravate – sont entièrement rémunérés par commissions. Cependant, celles-ci ne sont pas proportionnelles au prix de la voiture. Qu’elle soit chère ou non, ils gagnent la même chose. Le client craint donc moins qu’un vendeur insistant le pousse à acheter un véhicule onéreux. Enfin, CarMax est prodigue de renseignements. Comme n’importe quel client est capable de trouver des documents sur l’historique ou l’état d’un véhicule, CarMax les lui fournit gracieusement, offrant les attestations, les certifications et les garanties requises afin de répondre au souci de qualité exposé par Akerlof en 1967. L’exemple le plus convaincant de cette situation s’impose de luimême quand on pénètre dans le magasin. Chaque vendeur est assis à un petit bureau et fait face à un client. Sur chaque bureau se trouve un ordi­nateur. Ailleurs, l’écran serait tourné vers le vendeur, et le client ne verrait que l’arrière de l’appareil. Là, l’écran est disposé sur le côté, de sorte que l’acheteur et le vendeur peuvent le regarder ensemble. C’est l’image littérale de la symétrie d’information. Pas de marchandage, des commissions transparentes, des clients informés. Là encore, cela paraît lumineux, et ça l’est peut-être. Pourtant, ce n’est pas la raison principale pour laquelle on adopte de plus en plus cette approche. Cette raison, la voici : au cours de la journée que j’ai passée chez SK Motors, huit clients se sont présentés ; au cours de celle où j’ai rendu visite à CarMax, il en est venu davantage dans le premier quart d’heure. Comme on l’a vu, le principe du caveat venditor est devenu aussi important que celui du caveat emptor. Que nous soyons dans la vente traditionnelle ou dans le commercial sans vente, le mauvais chemin devient de plus en plus difficile à emprunter, et le bon chemin – honnê­ teté, franchise, transparence – est devenu la meilleure voie à long terme,

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la plus pragmatique. Pourtant, l’idée que nous sommes tous des vendeurs demeure inconfortable pour certaines personnes, en partie à cause de certains mythes dont je traiterai rapidement ici. Le premier est le mythe de l’idiot. « Nous n’avons sans doute pas beaucoup recherché les génies », écrivait Alfred Fuller, fondateur de Fuller Brush Company, à propos de sa force de vente43. Selon ce mythe, les gens les plus malins deviennent ingénieurs ou juristes, tandis que ceux qui se trouvent coincés dans les portions moins favorables de la courbe en cloche du QI se dirigent vers la vente, qui requiert bien moins de capacités cognitives*. Il n’en est rien. Comme on le verra dans les deux parties suivantes de ce livre, quand les tâches transactionnelles simples peuvent être automatisées et quand la parité d’information remplace l’asymétrie, l’aptitude à faire bouger les gens suppose des compétences élaborées et requiert autant de créativité que le fait de dessiner une maison, d’examiner une tomographie ou d’écrire un livre. La deuxième croyance erronée, en raison de laquelle certains dédai­ gnent la vente, est le mythe du grippe-sou : pour être efficace, il faudrait être cupide, et la meilleure manière de réussir, la seule peut-être, serait de se transformer en machine à vendre. Là encore, il n’en est rien. Pour commencer, le commercial sans vente, surtout dans des domaines comme l’Éd-méd, n’a rien à voir avec l’argent. Selon un grand nombre d’études, l’argent n’est pas le moteur de la majorité des professionnels de la vente traditionnelle44. De plus, comme on le verra dans la mallette d’échantillons à la fin du chapitre 9, beaucoup d’entreprises ont en réalité accru leurs ventes en éliminant les commissions et en insistant moins sur l’argent.

* Cette opinion est brillamment illustrée par un personnage récurrent de la bande dessinée Dilbert, Kenny the Sales Weasel. Dans un des épisodes, il accompagne Dilbert pour rencontrer le plus gros client potentiel de l’entreprise. « Raconte-moi tout sur les spécifications techniques de notre produit, dit-il en montant dans la voiture. J’aime être bien préparé. » Et Dilbert répond : « Notre produit est beige. Il marche à l’électricité. » « Oh la la ! s’écrie Kenny. Cerveau surchargé ! »

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Enfin, bien des gens – comme moi avant de commencer à préparer ce livre – croient au mythe des dons naturels, suivant lequel certains sont doués pour la vente, et d’autres non. Selon cette croyance, certains savent de naissance comment faire bouger autrui, alors que les autres n’ont pas de chance. Là, nous rencontrons un paradoxe. Il n’y a pas de vendeur « naturel », en partie parce que nous sommes tous naturellement des vendeurs. Chacun de nous – car nous sommes humains – possède un instinct de vente, ce qui signifie que n’importe qui peut maîtriser l’art de faire bouger les autres. La suite de ce livre vous montrera comment.

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Deuxième partie

Comment être

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Chapitre 4

L’accordage

E

n 1992 est sorti en salle le film Glengarry, inspiré d’une pièce de théâtre célèbre aux États-Unis, Glengarry Glen Ross de David Mamet, prix Pulitzer et Tony Award. La scène se passe à Chicago. Quatre vendeurs à la petite semaine sont installés dans les locaux miteux d’une agence de la société immobilière Mitch & Murray. Ils ne font pas beaucoup d’affaires. Par une soirée triste et pluvieuse, leurs patrons du centre-ville leur envoient Blake, un prédateur impitoyable au costume impeccable, pour les secouer.

Joué par Alec Baldwin, Blake, dans une scène épique de dramatisation commerciale, enseigne la vente à ces hommes d’âge mûr. Il démarre sur le ton de la dérision, met en doute leur virilité et les bombarde de jurons. Puis il passe aux menaces. « Ce mois-ci, on ajoute un petit supplément au concours de vente, annonce-t-il. Comme vous le savez, le premier prix est une Cadillac Eldorado. Quelqu’un a envie du deuxième prix ? » Il brandit un paquet. « Le deuxième prix est un ensemble de couteaux à steak. » Une petite pause. « Le troisième prix, c’est votre renvoi de l’entreprise. Pigé ? » Blake conclut sa harangue sur un vieux truc de formateur commercial, en dépliant un tableau sur lequel il a tracé à la craie les trois premières lettres de l’alphabet : « ABC, explique-t-il. A pour always, B pour be, C pour closing. Always be closing. » (« Toujours conclure. ») Cet ABC, always be closing, est une pierre de touche de la cathédrale commerciale. Les vendeurs qui réussissent poursuivent leur proie sans relâche, comme les meilleurs chasseurs de toutes les espèces. La 75

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moindre parole et la moindre manœuvre doivent servir un but unique : conduire la négociation à une conclusion consistant à obtenir que la personne assise de l’autre côté de la table, comme dit Blake, « signe sur la ligne pointillée ». Always be closing. La simplicité du mot d’ordre le rend compréhensible, son sigle (ABC ) facilite sa mémorisation. Et le conseil peut être utile : il fixe un cap aux vendeurs dès le début d’une négociation et tout au long de celle-ci. Toutefois, son efficacité faiblit, car les conditions dont il est tributaire sont en train de disparaître. Si certains d’entre nous seulement étaient vendeurs – et si les acheteurs se trouvaient face à un choix limité et à une asymétrie d’information –, le conseil serait raisonnable. Mais comme nous sommes tous vendeurs et que personne ne dispose d’un avantage d’information, la prescription de Blake semble aussi démodée que les machines à écrire électriques et les classeurs rotatifs qui équipent l’agence Mitch & Murray. Puisque le paysage a changé, la navigation doit être repensée. C’est pourquoi je présenterai dans cette deuxième partie le nouvel ABC de celui qui veut faire bouger autrui : A : accordage B : brio C : clarté Accordage, brio et clarté (en anglais, attunement, buoyancy et clarity) : ces trois qualités mises en lumière par une foule d’études en sciences sociales sont désormais indispensables pour faire bouger autrui de manière efficace dans le paysage revu et corrigé du XXIe siècle. Dans ce chapitre, nous traiterons du A, accordage. Pour vous aider à comprendre cette qualité, permettez-moi de soumettre à votre réflexion une autre lettre de l’alphabet.

La puissance, l’empathie et les caméléons Arrêtez-vous un moment et, si une personne se trouve à côté de vous, demandez-lui poliment 30 secondes de son temps. Puis, priez-la de faire

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ce qui suit : « Premièrement, avec votre main dominante, claquez des doigts cinq fois aussi vite que vous le pouvez. Puis, avec l’index de votre main dominante, tracez un E majuscule sur votre front, là encore aussi vite que vous le pouvez. » Sérieusement, allez-y et faites-le. J’attends. (Si vous êtes seul, saisissez la première occasion pour faire cet exercice.) Figures 4.1 et 4.2 Le test du E

Maintenant, voyez comment votre interlocuteur a dessiné son E. À laquelle des deux photos ci-dessus correspond-il ? La différence peut sembler insignifiante, mais cette lettre tracée sur le front de votre interlocuteur est une fenêtre ouverte sur son esprit. Si le E ressemble à celui de gauche, la personne qui l’a dessiné l’a fait de manière à pouvoir le lire elle-même. S’il ressemble à celui de droite, elle l’a tracé afin que vous soyez en mesure de le lire. Depuis le milieu des années 1980, les psychosociologues utilisent cette technique, qu’on pourrait appeler « le test du E », pour mesurer ce qu’ils appellent la « prise de perspective », ou prise de recul. Devant une

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situation inhabituelle ou complexe impliquant d’autres personnes, comment l’analysons-nous ? Examinons-nous la situation seulement de notre point de vue, ou avons-nous « la capacité de nous abstraire de notre expérience pour imaginer les émotions, les perceptions et les motivations de quelqu’un d’autre45 » ? La prise de perspective est au cœur de la première qualité indispensable pour faire bouger autrui aujourd’hui. L’accordage est la capacité de mettre nos actions et nos présentations en harmonie avec d’autres personnes et avec le contexte dans lequel nous nous trouvons. Songeons à la manière dont nous réglons la longueur d’onde sur un poste de radio. Tout repose sur notre capacité à monter ou à descendre le spectre en fonction des circonstances, en nous fixant sur la transmission en cours, même si le signal n’est pas immédiatement clair ou évident. Les études montrent que la prise de perspective efficace, l’accordage à autrui, repose sur 3 principes que vous pouvez appliquer. 1. Augmentez votre pouvoir en le réduisant Au cours d’une étude passionnante réalisée voici quelques années, une équipe de sociologues dirigée par Adam Galinsky, de la Kellogg School of Management de l’Université Northwestern, a sondé la relation entre prise de perspective et pouvoir. Les participants ont été divisés en deux groupes, avec comme seule différence la situation vécue par chacun d’eux immédiatement avant l’expérience principale. Les uns avaient réalisé une série d’exercices destinée à leur conférer une impression de pouvoir ; les autres, des exercices destinés à leur faire ressentir de l’impuissance. Les chercheurs ont ensuite soumis les deux groupes au test du E. Les résultats ont été sans équivoque : « Les participants ayant beaucoup de pouvoir étaient presque trois fois plus disposés à dessiner un E autoorienté que les sujets dont le pouvoir était faible46. » En d’autres termes, ceux qui avaient reçu ne serait-ce qu’une petite injection de pouvoir étaient moins susceptibles (et peut-être moins capables) de s’accorder au point de vue de quelqu’un d’autre. 78

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À présent, faites un test sur vous-même, sans emprunter le front de quelqu’un d’autre. Imaginez que vous allez manger en compagnie de votre collègue Maria dans un restaurant chic conseillé par son ami Ken. C’est une catastrophe. Les plats sont mauvais, le service est pire. Le lendemain, Maria envoie à Ken un courriel qui dit ceci : « Le restau­rant était merveilleux, tout bonnement merveilleux. » À votre avis, comment Ken va-t-il interpréter ce commentaire ? Jugera-t-il le courriel sincère ou sarcastique ? Songez-y un moment avant de continuer votre lecture. Au cours d’une expérience similaire, Galinsky et son équipe ont utilisé une variante de ce scénario pour examiner sous un nouvel angle le pouvoir et la prise de perspective – et ils ont obtenu des résultats semblables à ceux du test du E. Les participants ayant beaucoup de pouvoir pensaient en général que Ken aurait trouvé le courriel sarcastique, et ceux à faible pouvoir prédisaient qu’il l’aurait trouvé sincère. Qui a raison ? Probablement le groupe à faible pouvoir. Souvenez-vous : Ken n’a aucune idée de ce qui s’est passé pendant le repas. À moins que Maria soit chroniquement sarcastique, ce que l’expérience ne dit pas, Ken n’a aucune raison de soupçonner que son amie n’est pas sincère. Pour se dire que le courriel de Maria contenait un sarcasme, il lui aurait fallu une « connaissance contextuelle privilégiée » qu’il n’avait pas. Conclusion des chercheurs : « Le pouvoir conduit les individus à s’ancrer trop fermement dans leur point de vue ; ils ne s’ajustent pas assez à la perspective d’autrui47. » Les résultats de ces études, qui font partie d’un corpus de recherche plus vaste, mènent à une conclusion unique : il existe une relation inverse entre pouvoir et prise de perspective. Le pouvoir est susceptible de vous faire perdre la bonne longueur d’onde et de brouiller le signal que vous recevez, de déformer les messages clairs et d’obscurcir les messa­ges plus subtils. Si on veut comprendre comment faire bouger autrui, cette leçon est d’une importance énorme. La capacité d’adopter la perspective d’autrui importait moins à l’époque où le vendeur – qu’il s’agisse d’un 79

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vendeur payé à la commission dans une boutique d’électronique ou d’un médecin dans son bureau aux murs tapissés de diplômes – avait toutes les cartes en main. Du fait de son avantage sur le plan de l’information – que celle-ci porte sur la fiabilité d’un radio-réveil ou sur le vécu des patients atteints de la maladie de Lyme –, il était en mesure d’imposer son autorité, voire de manipuler ses interlocuteurs. Au fur et à mesure que cet avantage s’est atténué, le pouvoir qu’il conférait s’est envolé. C’est pourquoi la capacité de faire bouger autrui repose désormais sur une inversion du pouvoir : on doit comprendre le point de vue de l’autre, se mettre à sa place, voir le monde par ses yeux. Or, le faire bien impose de partir d’une position qui nous ferait exclure de l’école de vente « ABC » façon Mitch & Murray : il faut nous dire que nous n’avons pas le pouvoir. Les travaux de Dacher Keltner, de l’Université de la Californie à Berkeley, et d’autres chercheurs ont montré que les personnes dont le statut est le plus bas sont les plus disposées à envisager une perspective différente de la leur. Si vous avez moins de ressources, explique Keltner, « vous allez davantage vous accorder au contexte qui vous entoure48 ». Représentez-vous le premier principe de l’accordage comme du jiujitsu persuasif : cherchez à utiliser votre faiblesse apparente comme une force effective. Engagez vos entretiens en vous disant que vous êtes dans une position de moindre pouvoir. Cela vous aidera à voir plus exactement la perspective de l’autre partie, puis à la faire bouger. Ne vous leurrez pas, cependant. La capacité de faire bouger autrui ne vous oblige pas à devenir défaitiste ou à arborer l’altruisme d’un saint. L’accordage est plus compliqué que cela, comme notre deuxième principe va le démontrer. 2. Utilisez votre tête autant que votre cœur Les spécialistes des sciences sociales considèrent souvent la prise de perspective et l’empathie comme de fausses jumelles, comme de proches parentes non identiques. La prise de perspective est une capacité cognitive ; elle concerne plutôt la pensée. L’empathie est une réaction

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psycho­logique ; elle touche plutôt les sentiments. Toutes deux sont essentielles, mais Adam Galinsky et William Maddux, de l’INSEAD de Fontainebleau, et deux de leurs collègues ont constaté que l’une s’avérait plus efficace que l’autre pour faire bouger autrui. Au cours d’une expérience effectuée en 2008, ces chercheurs ont simulé une négociation portant sur la vente d’une station-service. Comme beaucoup de négociations réelles, celle-ci se butait apparemment à un obstacle : le prix maximum envisagé par l’acheteur était inférieur au prix minimum acceptable par le vendeur. Cependant, les parties avaient des intérêts mutuels qui, s’ils étaient mis au jour, pouvaient conduire à un accord acceptable pour les deux. On a demandé à un tiers des négociateurs d’imaginer ce que l’autre partie ressentait et à un second tiers d’imaginer ce qu’elle pensait. (Le tiers restant, le groupe de contrôle, avait reçu des instructions neutres.) Que s’est-il passé ? Les « empathisants » ont conclu bien plus d’accords que le groupe de contrôle, mais les « preneurs de perspective » ont fait encore mieux : 76 % d’entre eux ont réussi à mettre au point un accord satisfaisant pour les deux parties. Quelque chose d’analogue s’est produit dans une autre situation de négociation mettant en jeu cette fois une série de problèmes plus épineux et conflictuels entre un recruteur et un candidat à un emploi. Là encore, ceux qui ont pris du recul ont mieux réussi leur négociation, non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour leur interlocuteur. « Le fait d’adopter la perspective de l’adversaire a produit de plus grands gains communs et des résultats individuels plus profitables, ont conclu Galinsky et Maddux. Ceux qui ont atteint le niveau le plus élevé d’efficience économique, sans sacrifier leur propre gain matériel, sont ceux qui ont envisagé une perspective différente. » De son côté, l’empathie a été utile, mais pas au même point, « et a nui parfois aussi bien à l’intérêt personnel qu’à la découverte de solutions originales49 ». La vente traditionnelle et le commercial sans vente font souvent intervenir des impératifs apparemment contradictoires – coopération contre compétition, gain collectif contre avantage individuel. Nous 81

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montrer trop insistants est contre-productif, surtout dans un monde de caveat venditor, mais des sentiments trop profonds ne sont pas forcément une solution si nous les laissons submerger nos intérêts. Il semble que la prise de perspective rende possible un équilibrage convenable entre les deux pôles : elle nous permet de nous ajuster et de nous accorder de manière à ce que les deux parties s’en trouvent mieux. L’empathie peut aider à bâtir des relations durables et à désamorcer les conflits. Dans les milieux médicaux, assure un médecin éminent, elle « va de pair avec une réduction du nombre d’erreurs médicales, de meilleurs résultats pour les malades, des patients plus satisfaits, des procès moins nombreux et des médecins plus heureux50 ». L’empathie est en soi précieuse et vertueuse mais, quand il faut faire bouger autrui, la prise de perspective est la plus efficace de ces fausses jumelles. En fin de compte, disent les chercheurs, il est « plus profitable de pénétrer dans la tête des autres que de les faire entrer dans notre cœur51 ». Suivant ce deuxième principe de l’accordage, il nous faut être conscients que les individus ne sont pas des unités atomiques, déconnectées de tout groupe, de toute situation ou de tout contexte. Nous devons donc exercer nos pouvoirs de prise de perspective non seulement sur les gens eux-mêmes, mais aussi sur leurs relations et leurs rapports aux autres. Un champ d’étude entier, l’analyse des réseaux sociaux, est né au cours des 15 dernières années afin de révéler ces connexions, ces relations et ces flux d’information52. Cependant, dans la plupart des situations, nous ne disposons pas des recherches approfondies et des logiciels étonnants utilisés par l’analyse des réseaux sociaux. Nous devons donc nous appuyer moins sur des orientations du genre GPS que sur notre intuition. Dans le monde de la restauration, ce genre d’accordage renvoie aux expressions « avoir l’œil » ou « lire une table ». Il permet au serveur de comprendre rapidement la dynamique d’un groupe et de s’ajuster à son style. Dans un monde où nous devons faire bouger autrui, j’appelle cela l’aptitude à la « cartographie sociale ». Il s’agit de la capacité à saisir une situation et à dessiner dans notre esprit une carte des relations entre les gens. 82

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« Je fais cela dans toutes les situations de vente, assure Dan Shimmerman, fondateur de Varicent Software Inc., entreprise prospère de Toronto récemment acquise par IBM. Pour moi, il est très important de bien comprendre non seulement qui sont les acteurs clés participant aux décisions, mais aussi quels sont leurs biais et leurs préférences. Avec une carte mentale, je dispose d’un tableau complet et je peux consacrer mon temps, mon énergie et mes efforts aux relations utiles. » La cartographie sociale évite de négliger un acteur essentiel au cours du processus, estime Shimmerman. « Il serait lamentable de perdre une année à essayer de vendre quelque chose à Mary pour s’apercevoir finalement que la décision appartenait à Dave. » Cependant, l’accordage n’est pas seulement un exercice cognitif. Il a aussi une composante matérielle, comme le montrera notre troisième principe. 3. Imitez de façon stratégique Les êtres humains sont des imitateurs naturels. Sans s’en apercevoir, ils font souvent ce que font les autres en renvoyant l’image de leurs « accents, de leurs façons de parler, de leurs expressions faciales, de leurs comportements affichés et de leurs réactions affectives53 ». La personne à qui on parle se croise les bras : on en fait autant. Quand on s’aperçoit qu’on se conduit de la sorte, on le prend souvent en mauvaise part. « Le primate copie l’homme », grince-t-on. On regarde de haut ceux qui « singent » les autres ou qui reprennent leurs paroles « comme des perro­ quets », comme si ces actions allaient à l’encontre de la dignité humaine. Cependant, les savants jettent un regard différent sur l’imitation. Pour eux, elle obéit à une tendance profondément humaine ; c’est un acte naturel qui sert de liant social et de signe de confiance. Pourtant, ils lui attachent eux aussi une étiquette non humaine : ils l’appellent l’« effet caméléon54 ». Dans une étude très remarquée, Galinsky et Maddux, ainsi qu’Elizabeth Mullen, de l’Université Stanford, ont cherché à savoir si l’imitation renforçait l’accordage et l’aptitude à faire bouger autrui. Ils

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ont utilisé les mêmes scénarios que dans l’étude précédente – la vente d’une station-service et la négociation entre un demandeur d’emploi et un recruteur –, mais leur ont ajouté une nouvelle dimension. Cinq minu­tes avant le début de l’exercice, certains des participants recevaient un « message important » qui leur donnait des instructions supplémentaires sur la façon de venir à bout de leur mission. Le voici. « Les négociateurs efficaces vous conseillent d’imiter les manières de votre interlocuteur pour parvenir à un meilleur accord. Par exemple, si l’autre se frotte le visage, faites-en autant ; s’il se penche vers l’arrière ou vers l’avant sur sa chaise, agissez de même. Cependant, selon eux, il est très important que l’imitation soit assez subtile pour que l’autre personne ne remarque pas ce que vous faites, sans quoi cette technique aura un effet totalement négatif. Évitez aussi de lui consacrer trop d’attention pour ne pas perdre de vue l’objectif de la négociation. Il convient de trouver un juste milieu, de pratiquer une imitation régulière mais subtile qui ne vous déconcentrera pas 55. » L’« imitation stratégique » s’est avérée efficace. Invités à la pratiquer – là encore après seulement cinq minutes de préavis et de préparation –, les participants ont obtenu des résultats remarquables. Dans le scénario de la station-service, « les négociateurs qui imitaient les manières de la partie adverse avaient plus de chance de parvenir à un accord bénéfique pour les deux parties56 ». Dans le scénario du recrutement, les imitateurs faisaient mieux que les non-imitateurs – et cela sans indisposer l’autre partie. Les chercheurs ont intitulé leur article « Chameleons Bake Bigger Pies and Take Bigger Pieces57 » (« Les caméléons cuisinent de plus gros gâteaux et en prennent de plus gros morceaux »). Les raisons de ce succès résident dans les racines mêmes de notre espèce, explique Galinsky. Notre cerveau a été formé par l’évolution à une époque où nous avions des liens de parenté avec la plupart des gens qui nous entouraient et en qui nous pouvions donc avoir confiance. Par la suite, « l’augmentation de la taille des groupes a rendu nécessaires des contacts plus élaborés entre les gens », a-t-il dit au cours d’un entretien. Nous avons donc recherché dans notre environnement des indices 84

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pour déterminer à qui nous pouvions faire confiance. « Un de ces indices est la certitude inconsciente que nous sommes en synchronie avec d’autres personnes, et un moyen d’y parvenir est de calquer notre comportement sur le leur.58 » Synchroniser nos manières et notre expression orale avec celles de quelqu’un d’autre afin de nous comprendre mutuellement est un aspect fondamental de l’accordage. D’autres études montrent l’efficacité de l’imitation. Ainsi, selon une étude néerlandaise, les serveuses qui répètent mot pour mot les commandes des clients obtiennent des pourboires supérieurs de 70 % à ceux des serveuses qui les paraphrasent, et les clients des premières sont plus satisfaits de leur repas59. Au cours d’une étude réalisée en France auprès de vendeurs dans le commerce de détail, on a demandé à la moitié des participants d’imiter les expressions et le comportement non verbal de leurs clients, et à l’autre moitié de ne pas les imiter. Les clients qui ont eu affaire aux imitateurs ont acheté dans près de 79 % des cas, contre 62 % chez ceux qui se sont adressés aux non-imitateurs. De plus, les premiers avaient « une opinion plus positive tant du vendeur que du magasin60 ». À l’occasion d’une expérience menée à l’Université Duke, dans laquelle un intervenant présentait ce qui était censé être une nouvelle boisson énergisante, les gens qui étaient subtilement imités étaient plus susceptibles de dire qu’ils achèteraient cette boisson et qu’elle remporterait du succès61. De même que la prise de perspective et l’empathie sont de fausses jumelles, l’imitation a un cousin germain : le contact physique. Menées surtout par le psychosociologue français Nicolas Guéguen, les recherches sur ce thème sont abondantes. Plusieurs d’entre elles ont montré que les convives laissaient des pourboires plus importants aux serveurs qui leur touchaient légèrement le bras ou l’épaule62. Selon une des études de Guéguen, dans les discothèques, les femmes sont plus disposées à danser avec les hommes qui leur touchent doucement l’avant-bras pendant une seconde ou deux en faisant leur demande. Il en va de même quand les hommes demandent à des femmes leur numéro de téléphone63.

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Dans d’autres travaux, des collecteurs de signatures ont demandé à des inconnus de signer une pétition, avec 55 % de succès. S’ils touchaient le bras des personnes sollicitées, ce pourcentage bondissait à 81 %64. Le contact physique s’avère même utile sur notre terrain d’étude favori : les stationnements de voitures d’occasion. En effet, les clients potentiels évaluent bien plus positivement les vendeurs (des hommes dans tous les cas) qui les touchent légèrement65. Comme tous les autres comportements d’accordage, l’imitation requiert de l’habileté. Si les gens savent qu’on les imite, ce qui est extrêmement rare au cours des expériences, l’effet produit peut être inverse : ils se retournent contre vous66. Quand vous cherchez à être sur la même longueur d’onde que quelqu’un, vous ne devez pas prétendre que vous êtes allé là où il est allé ou que votre oncle habite la même ville que lui. Ça, ce n’est pas de l’accordage, c’est du mensonge. Le secret est d’être stratégique et humain, d’être stratégique en étant humain. Gwen Martin en est bien consciente. Elle a commencé sa carrière comme vendeuse avant de cofonder en 2007, à Minneapolis, l’agence de travail temporaire NumberWorks qui fournit des comptables et des professionnels de la finance à des organisations engagées dans des projets complexes. La société est une de celles qui croissent le plus vite dans son secteur, m’a-t-on dit. Les talents de vendeuse de Gwen Martin y sont pour beaucoup. À l’occasion d’une visite au Minnesota, suivie d’un entretien téléphonique, j’ai demandé à Gwen quelles étaient les qualités nécessaires pour faire bouger les autres de manière efficace. À l’époque, je n’avais pas connaissance de l’étude citée ci-dessus, et elle non plus. Elle m’a étonné en utilisant à plusieurs reprises un mot rarement entendu dans ce contexte : « humilité ». « Le trait le plus commun chez les gens qui sont vraiment bons dans ce métier est l’humilité, a-t-elle insisté. Ils adoptent une attitude du genre “je suis assis sur la petite chaise et vous sur la grande”. » Il s’agit ici de prise de perspective par réduction du pouvoir, la première règle de l’accordage.

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Gwen Martin m’a aussi dit que les meilleurs vendeurs avaient une grande intelligence émotionnelle, mais qu’ils ne laissaient pas la relation psychologique les submerger. Ils sont curieux et posent des questions qui vont au cœur de ce que leurs interlocuteurs pensent. Ils entrent dans leur tête et pas seulement dans leur cœur, selon la deuxième règle de l’accordage. Surtout, m’a dit Gwen Martin, « vous devez être d’une manière ou d’une autre capable de vous synchroniser avec les gens, de vous relier à eux, que ce soit avec une grand-mère ou avec un étudiant qui vient d’obtenir son MBA ». Comment décrit-elle cette aptitude ? « Cela peut sembler bizarre, dit-elle, mais j’appelle cela savoir faire le caméléon. »

L’avantage de l’« ambiverti » Les meilleurs vendeurs sont des extravertis. La définition scolaire de ce type de personnalité dit bien pourquoi : « Les individus chez qui l’extraversion est forte sont décrits comme sociables, affirmés, vifs et en recher­che de sensations67. » Pour faire bouger les autres, il faut entrer en contact avec eux, et les extravertis se plaisent dans des situations sociales où les introvertis épuiseraient leur énergie. À l’aise avec les autres, ils n’hésitent pas à dire ce qu’ils veulent. Cet aspect affirmé est utile, qu’on cherche à convaincre un client potentiel de faire appel à notre agence de relations publiques ou un étranger de changer de place dans un train. Les extravertis sont amicaux et sociables, et donc, plus à même d’engager les conversations vivantes qui mènent à des relations et, peut-être, à des ventes. Enfin, par leur nature même, ils recherchent la stimulation et dégagent une énergie et un enthousiasme qui peuvent être contagieux tout en conduisant à de nombreuses formes d’influence et de persuasion. Sociable, affirmé, vif et en recherche de sensations : tel est le profil idéal pour faire bouger autrui. « Les vendeurs représentent le prototype des gens sociables dans notre culture », l’incarnation même de « l’idéal extraverti » qui modèle

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la société occidentale, disent beaucoup d’observateurs68. Il n’est donc pas étonnant que les extravertis fassent souvent carrière dans la vente, que la plupart des manuels de vente insistent sur l’ouverture et la sociabilité ou que les dirigeants recherchent ce type de personnalité lorsqu’ils recrutent une force de vente, ainsi que les études le confirment69. L’idée suivant laquelle les extravertis font les meilleurs vendeurs va tellement de soi qu’on en oublie une chose : à peu près rien ne prouve qu’elle est exacte. Quand les spécialistes des sciences sociales se sont penchés sur la relation entre extraversion et réussite dans la vente, ils ont constaté qu’elle était, au mieux, fragile. Par exemple, alors que les superviseurs donnent souvent aux extravertis des évaluations élevées, certains chercheurs ont découvert que l’extraversion n’avait « aucune relation significative avec… l’efficacité commerciale [et que] l’extraversion n’avait aucun rapport avec le volume des ventes70 ». Une des investigations les plus importantes – une série de 3 méta-analyses de 35 études distinctes portant sur 3 806 vendeurs – a montré que la corrélation entre vente et extraversion était pratiquement nulle. (On mesure la corrélation positive sur une échelle de 0 à 1, les nombres élevés, 0,62 par exemple, indiquant une forte corrélation, et 0, aucune corrélation. Sur les 35 études, la corrélation entre l’extraversion et les résultats de vente ne dépassait pas 0,0771.) Cela signifie-t-il que les introvertis – ces personnes effacées plus à l’aise dans un cabinet d’étude que dans un événement mondain – parvien­nent mieux à faire bouger autrui ? Pas du tout. En fait, le tableau qui se dégage des nouvelles études contient une révélation bien plus surprenante. Professeur à la Wharton School de l’Université de Pennsylvanie, Adam Grant est un des meilleurs parmi les jeunes psychosociologues américains. Après s’être intéressé à l’extraversion 72 dans certains de ses travaux de recherche, il s’est demandé pourquoi un trait si largement associé à la vente avait si peu de rapport avec le succès dans ce domaine.

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Grant a collecté des données auprès d’une entreprise informatique qui exploite des centres d’appels pour vendre ses produits. Il a d’abord demandé à plus de 300 vendeurs de remplir plusieurs évaluations de personnalité, dont une utilisée en sciences sociales pour mesurer la position des gens sur le spectre introversion-extraversion. Cette évaluation contient des énoncés comme « Je suis un boute-en-train » ou « Je me tais devant les inconnus », par rapport auxquels les participants doivent se noter eux-mêmes sur une échelle de 1 à 7. Leurs réponses servent à établir des mesures numériques d’extraversion. Grant a ensuite observé le chiffre d’affaires réalisé par l’échantillon au cours des trois mois suivants73. Les vendeurs introvertis, on ne s’en étonnera pas, ont fait moins bien que les extravertis : ils ont gagné en moyenne 120 dollars l’heure, contre 125 pour leurs collègues tournés vers l’extérieur. Mais ni les uns ni les autres n’ont fait aussi bien qu’un troisième groupe, celui des ambivertis. Ambi-quoi ? Il s’agit de gens qui ne sont ni très extravertis ni très introvertis74. Revenons à l’échelle de 1 à 7. Les ambivertis se trouvent à peu près au milieu. Ils ne se situent ni dans les 1 ou 2 ni dans les 6 ou 7. Dans l’étude de Grant, ces personnalités de l’aurea mediocritas ont gagné en moyenne près de 155 dollars l’heure, surpassant aisément leurs homologues. En fait, les vendeurs aux revenus les plus élevés (208 dollars l’heure) présentaient un score d’extraversion de 4,0, pile au centre.

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Figure 4.3 Qui vend le plus ?

Revenu moyen par heure

160,00 $ 140,00 $ 120,00 $ 100,00 $ 80,00 $ 60,00 $ 40,00 $ 20,00 $ $

Introvertis

Extravertis

Ambivertis

Source : Adam Grant, Université de Pennsylvanie

Figure 4.4 Chiffre d’affaires par niveau d’extraversion

C.A (en dollars)

18 000 16 000 14 000 12 000 10 000 8 000

1

2

3

4 Extraversion

5

6

7

Source : Adam Grant, Université de Pennsylvanie

De plus, quand Grant a calculé le revenu total sur trois mois en le rapportant au score des salariés sur l’échelle de 1 à 7, il a constaté un fait révélateur et caractéristique : les revenus atteignaient leur maximum entre 4 et 4,5, puis diminuaient au fur et à mesure qu’on allait 90

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vers les personnalités plus introverties ou plus extraverties. Les extravertis faisaient à peine mieux que les introvertis, et les uns comme les autres venaient derrière leurs collègues de la zone intermédiaire75. « Ces constats remettent en cause la vieille croyance selon laquelle les vendeurs les plus productifs sont extravertis », écrit Grant76. Au contraire, le fait d’être trop extraverti peut nuire aux résultats, comme d’autres travaux commencent à le confirmer. Deux études sur les profes­ sionnels de la vente récemment publiées par la Harvard Business Review montrent par exemple que les meilleurs vendeurs n’aiment pas autant la compagnie que ceux qui sont sous la moyenne et que les plus sociables sont souvent ceux qui obtiennent les moins bons résultats77. Selon une vaste étude portant sur les clients européens et américains, le comportement « le plus destructeur » chez les vendeurs est l’excès de zèle et d’affirmation de soi, qui conduit à contacter les clients trop fréquemment78. Autrement dit, les extravertis sont souvent victimes de leur personnalité. Il leur arrive de trop parler et de ne pas assez écouter, donc d’avoir du mal à comprendre la perspective d’autrui. Ils ne trouvent pas toujours le bon équilibre entre affirmation de soi et discrétion, au risque d’être perçus comme insistants et de faire fuir les gens*. La réponse, cependant, n’est pas de filer vers l’extrémité opposée du spectre. Les introvertis ont leurs propres problèmes, souvent inverses. Ils sont parfois trop timides pour aborder quelqu’un et trop frileux pour conclure. La meilleure démarche pour les gens placés aux extré­ mités est de calquer leur comportement sur celui des gens du milieu. On l’a parfois noté, les introvertis sont « équipés pour réfléchir », et les extravertis sont « équipés pour réagir79 ». La vente traditionnelle comme

* Alfred Fuller, fondateur de Fuller Brush Company, est un des rares pros de la vente à avoir compris cela il y a longtemps. « Je m’imaginais autrefois le vendeur comme un beau parleur capable de convaincre un bouton de porte d’acheter un produit pour les cuivres », a-t-il écrit dans ses mémoires. Pourtant, « le type de chez Fuller Brush n’est pas souvent un extraverti de BD… La plupart du temps, il est plutôt timide et le cache par une confiance étudiée. »

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le commercial sans vente  requièrent un équilibre délicat entre la réflexion et la réaction. Les ambivertis parviennent à trouver cet équilibre. Ils savent quand élever la voix et quand se taire. Leur répertoire plus large leur permet de s’accorder avec une palette de gens plus étendue, dans des circonstances plus variées. Ce sont eux qui arrivent le mieux à faire bouger autrui, car ils sont les meilleurs accordeurs. Cela devrait être une bonne nouvelle pour vous. Regardez de nouveau la courbe du second graphique. Elle représente la distribution des introvertis et des extravertis dans l’ensemble de la population80. Quelques-uns sont extravertis, quelques-uns sont introvertis, mais la plupart sont ambivertis, plus proches du milieu que des bords de la courbe, bien accordés à ceux qui les entourent. En un sens, nous sommes faits pour vendre.

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Découvrez la meilleure manière d’engager une conversation Tout ce qu’il y a de bon dans la vie – un métier sympa, une belle histoire d’amour, un mouvement social irrésistible – commence par une conversation. Se parler l’un à l’autre est la forme d’accordage la plus puissante qui soit. Les conversations nous aident à comprendre l’autre et à nous mettre en relation avec lui d’une manière dont aucune autre espèce ne dispose. Cela dit, quel est le meilleur moyen de commencer une conversation, surtout avec une personne que vous ne connaissez pas bien ? Comment mettre rapidement votre interlocuteur à l’aise, l’inviter au contact, bâtir une relation ? Pour le savoir, voyez Jim Collins, auteur du classique De la performance à l’excellence et d’autres ouvrages de gestion novateurs. Son entrée en matière favorite, dit-il, est : « D’où êtes-vous ? » Cette formulation permet à votre interlocuteur d’innombrables réponses. Il peut parler de ses origines géographiques (« j’ai passé mon enfance à Berlin »), de son employeur (« je viens de la Chiba Kogyo Bank »), ou interpréter la question d’autres manières encore (« j’habite Los Angeles, mais je compte déménager »). Cette question a modifié mon propre comportement. Comme j’adore entendre les gens parler de leur travail, je leur demande souvent : « Que faites-vous ? » Cependant, j’ai constaté que cette question pouvait mettre mal à l’aise ceux qui n’aiment pas leur travail ou qui

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craignent le jugement des autres. Celle de Collins est plus amicale. Elle ouvre les perspectives au lieu de les rétrécir et elle débouche toujours sur une conversation intéressante.

Pratiquez l’imitation stratégique Selon Gwen Martin, ce qui rend certains vendeurs extraordinaires est leur « capacité à faire le caméléon », à ajuster leurs actes en cours de route, en fonction des autres. Comment apprendre à vous comporter un peu plus comme ce brave lézard et à maîtriser les techniques de l’imitation stratégique ? Les 3 étapes clés sont l’attention, l’attente et l’automatisme. 1. L’attention. Observez ce que fait l’autre personne. Comment s’assied-elle ? Croise-t-elle les jambes, les bras ? S’incline-t-elle vers l’arrière, vers le côté ? Tape-t-elle du pied ? Joue-t-elle avec son crayon ? Comment parle-t-elle ? Vite ? Lentement ? A-t-elle des expressions favorites ? 2. L’attente. Après avoir observé, ne vous lancez pas tout de suite dans l’action. Laissez la situation se décanter. Si votre interlocuteur s’incline vers l’arrière, comptez jusqu’à 15 avant d’envisager d’en faire autant. S’il fait une remarque importante, répétez exactement l’idée principale, mais un peu plus tard dans la conversation. Ne le faites pas trop souvent, cependant. Ce n’est pas un concours où vous marqueriez un point à chaque imi­tation. 3. L’automatisme. Après avoir un peu pratiqué l’imitation, essayez de moins conscientiser ce que vous faites. Rappelez-vous : c’est une chose que les humains (y compris vous-même) font naturellement, de sorte que cela finira par vous venir sans effort. C’est comme la conduite automobile. Les gestes d’un débutant sont conscients et délibérés mais, une fois qu’il a un peu d’expérience, il agit d’instinct.

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Là encore, l’objectif n’est pas d’être faux, mais d’être stratégique tout en étant humain. « L’imitation subtile se manifeste comme une forme de flatterie, comme une danse de séduction, a noté le New York Times. Si ce genre de comportement n’aboutit pas à un accord, c’est peut-être simplement que le client ne veut rien acheter. »

Tirez un fauteuil À 48 ans, Jeff Bezos, fondateur d’Amazon, a déjà fait beaucoup de choses. Il a bouleversé le commerce de détail et est devenu une des 30 personnes les plus riches de la planète. De manière plus discrète, il a mis au point une des meilleures pratiques d’accordage que je connaisse. Chez Amazon, comme dans la plupart des organisations, les réunions sont nombreuses. Au cours des plus importantes d’entre elles, à côté des fauteuils occupés par les cadres, les as du marketing et les génies informatiques, Bezos en installe un de plus, qui reste vide. Il est là pour rappeler à tous les participants que la personne la plus importante de l’assemblée, c’est le client. Le fauteuil vide est devenu légendaire au siège d’Amazon, à Seattle. Sa présence incite les participants des rencontres à se mettre à la place de cette personne aussi invisible qu’indispensable. Qu’est-ce qui lui passe par la tête ? Quels sont ses désirs et ses soucis ? Que penserait-elle des idées que nous proposons ? Essayez d’en faire autant dans votre monde. Si vous êtes en train de préparer un exposé, le fauteuil vide peut représenter le public et ses centres d’intérêt. Si vous rassemblez des documents avant d’appeler un client potentiel, il vous aidera à imaginer les objections ou les questions que votre interlocuteur pourrait formuler. Si vous dressez le plan d’un cours, il peut vous inciter à réfléchir à ce que souhaitent vos étudiants. Vous accorder aux autres en renonçant à votre point de vue afin d’adopter le leur est essentiel pour faire bouger autrui. Vous asseoir dans leur fauteuil est un moyen intelligent, facile et efficace pour vous mettre à leur place.

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Gardez le contact avec votre ambiverti intérieur À Wharton, Adam Grant a découvert que les vendeurs les plus efficaces étaient les ambivertis, qui se trouvent quelque part au milieu de l’échelle introversion-extraversion. En faites-vous partie ? Accordez-vous un moment pour le découvrir. Visitez le site www. danpink.com/assessment (en anglais), où j’ai reproduit l’évaluation utilisée par les spécialistes des sciences sociales pour mesurer l’introversion et l’extraversion. Elle vous demandera environ cinq minutes, et vous obtiendrez votre note in fine. Si vous découvrez que vous êtes ambiverti, vous êtes dans la moyenne. Félicitations ! Continuez. Si le test révèle que vous êtes extraverti, efforcez-vous d’adopter certaines des qualités d’un introverti. Par exemple, limitez vos déclarations et posez plus de questions. Si vous brûlez de vous mettre en avant, refrénez votre envie. Surtout, parlez moins et écoutez plus. S’il s’avère que vous êtes introverti, travaillez les qualités de l’extraverti. Prévoyez ce que vous allez demander pour ne pas flancher le moment venu. Aussi loufoque que cela paraisse, faites un effort conscient pour sourire et rester assis droit. Même si vous vous sentez mal à l’aise, exprimez-vous et présentez votre point de vue. Pour la plupart, nous ne nous situons pas aux extrêmes, parmi les extravertis à tous crins ou les introvertis invétérés. Nous sommes au milieu, ce qui nous permet de nous déplacer dans un sens ou dans l’autre le long de la courbe, en fonction des circonstances, et de découvrir les pouvoirs occultes de l’ambiversion.

Conversez avec un voyageur intertemporel Cathy Salit, que nous rencontrerons au chapitre 8, fait faire à ses acteurs un exercice qui est destiné à renforcer leurs aptitudes à l’improvisation, et qui peut aussi servir à affûter les capacités d’accordage. Elle l’appelle « Conversation avec un voyageur intertemporel ». Il ne nécessite ni

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équipement ni accessoires, juste un peu d’imagination et beaucoup de travail. Voici comment cela se passe. Réunissez quelques personnes et demandez-leur de songer à des choses qu’un homme d’il y a 300 ans n’aurait pas connues : un feu de circulation, une pizza à emporter, un portique de détection aéroportuaire. Puis, répartissez les participants par groupes de deux et deman­ dez à chacun des tandems de choisir un objet. L’un jouera le rôle d’un quidam du début du XVIIIe siècle, et l’autre devra lui expliquer la nature et le rôle de l’objet. C’est plus difficile qu’il n’y paraît. La perspective d’une personne d’il y a 300 ans est extrêmement différente de la nôtre. Pour décrire, par exemple, un Big Mac acheté au service au volant de McDonald’s, il faut faire appel à divers concepts sous-jacents : rouler en automobile, consommer une quantité de viande qui aurait paru extravagante voici trois siècles, faire confiance à quelqu’un que vous n’avez probablement jamais vu et ne reverrez jamais, etc. « Cet exercice remet en question vos postulats sur la clarté de votre message, explique Cathy Salit. Vous êtes obligé de faire attention à la vision du monde de l’autre personne. » Ce que nous devrions tous faire bien davantage.

Dressez des cartes Pour faire du chemin en mettant vos pas dans ceux d’autrui, il vous faut des cartes. En voici 2 variétés susceptibles de montrer d’où viennent les gens et où ils pourraient aller. 1. La carte de discussion À votre prochaine réunion, coupez court aux commentaires avec un plan qui peut vous aider à révéler la cartographie sociale du groupe. Dessinez un diagramme indiquant où sont assis les participants de la rencontre. Au début de la séance, notez qui s’exprime le premier en inscrivant un X à côté de son nom. Puis, chaque fois que quelqu’un parle, faites un X à côté de son nom. Si une personne s’adresse à une autre en particulier plutôt qu’au groupe entier, tracez une ligne de l’une 99

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à l’autre. À la fin de la réunion, vous aurez un graphique montrant qui parle le plus, qui se tient en retrait et qui est critiqué ou cajolé par les autres. Vous pouvez en faire autant pour les conférences téléphoniques, qui sont si à la mode de nos jours. (C’est même plus facile, car personne ne peut vous voir.) L’exemple ci-dessous signale que la personne qui a parlé le plus est celle dont les initiales sont JW, que beaucoup de ses commentaires étaient adressés à AB, et que SL et KC ont à peine participé aux échanges. Figure 4.5 Carte de discussion

2. La carte des humeurs Pour vous faire une bonne idée d’un contexte donné, essayez de cartographier la manière dont il évolue dans le temps. Par exemple, au cours d’une réunion où on cherche à faire bouger autrui, notez où en sont les esprits au début de la séance, en employant une échelle de 1 (négatifs

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et fermés) à 10 (positifs et ouverts). Vers le milieu de la rencontre, évaluez de nouveau l’humeur ambiante. S’est-elle améliorée ? Détériorée ? Est-elle restée identique ? Notez le chiffre correspondant, puis répétez l’exercice à la toute fin de la réunion. Considérez votre document comme une carte de la météo psychologique qui vous aidera à déterminer si les conditions s’éclaircissent ou tournent à l’orage. Avec l’accordage, il n’est pas nécessaire d’être météorologue pour savoir d’où souffle le vent.

Jouez à « miroir, miroir » À quel point vous adaptez-vous à de légères modifications des présentations ou des situations ? Cet exercice de groupe, très apprécié des conseils en gestion du changement, peut vous aider à répondre à cette question et à vous améliorer. Réunissez votre groupe et demandez-lui ceci : • Choisissez un partenaire et tenez-vous face à lui pendant 30 secondes. • Tournez-vous tous les deux de manière à vous trouver dos à dos. • Changez un élément de votre apparence, par exemple en enlevant une boucle d’oreille, en mettant des lunettes, en déboutonnant votre chemise. Attendez 60 secondes. • Retournez-vous et voyez si votre partenaire peut dire ce qui a changé. • Répétez l’exercice deux fois avec la même personne, en apportant chaque fois un changement à votre apparence. Cela fait, organisez une courte discussion avec les membres du groupe. Quels changements ont-ils remarqués ? Lesquels ont échappé à la détection ? À quel point faut-il être observateur et accordé dès le départ pour bien réussir cet exercice ? En quoi cette expérience pourrait-elle influencer le cours d’une rencontre avec un collègue, un client ou un élève ?

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Trouvez des points communs inédits Les recherches du psychosociologue Robert Cialdini à l’Université Arizona State, dont il sera question au chapitre 6, montrent que nous avons plus de chances d’être convaincus par ceux que nous aimons. Et une des raisons pour lesquelles nous aimons les gens, c’est qu’ils nous font penser à… nous-mêmes. Repérer des ressemblances peut vous aider à vous accorder aux autres et les aider à s’accorder à vous. Voici un exercice qui fonctionne bien en équipe et fournit des enseignements que chacun peut ensuite utiliser à son compte. Réunissez trois ou quatre personnes et posez-leur ces questions : qu’avez-vous en commun soit avec un des membres du groupe ou avec tout le monde ? Grattez sous la surface. Par exemple, avez-vous tous un frère cadet ? Avez-vous visité un parc Disney au cours de l’année dernière ? Certains d’entre vous sont-ils des fanatiques de football, des passionnés d’opéra, des fabricants de fromage pendant leurs temps libres ? À l’aide d’un minuteur, voyez combien de traits communs vous parvenez à trouver en cinq minutes. Vous risquez d’être étonné. La recher­che de similarités peut sembler insignifiante, car on méprise ce qui ressemble à du bavardage. On a tort. Les ressemblances – les vraies et non les ressemblances fabriquées – sont une forme essentielle des rela­tions entre humains. Les gens sont davantage susceptibles de bouger ensemble quand ils partagent le même terrain.

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Chapitre 5

Le brio

U

n mercredi matin, le lendemain du jour où il a vendu pour quelque 150 $ de nettoyeurs pour tapis et de produits de nettoyage aux deux avocates de San Francisco, l’homme de Fuller Brush, Norman Hall, retourne à leur bureau pour livrer la marchandise. Les avocates ne sont pas encore arrivées. Lui et moi nous replions donc vers une salle de détente aménagée à l’angle du septième étage du bâtiment. C’est un de ces espaces d’une banalité affligeante qu’on trouve dans de nombreux immeubles de bureaux, avec un coin cuisine et, au milieu, une table bon marché entourée de chaises bas de gamme. Du moins avons-nous ainsi un endroit où nous installer. Et nous voilà assis, évoquant la vie de Hall en attendant que ses clientes arrivent et qu’il puisse leur remettre leur colis avant de poursuivre sa journée. Au bout d’une demi-heure environ, une femme qui travaille de l’autre côté du hall entre dans la pièce et commence à préparer du café. Hall me signale en levant l’index qu’il désire interrompre notre conversation pour bavarder avec elle. — Est-ce vous, le nouveau bureau, là-bas ? lui demande-t-il. — Oui, c’est nous, répond-elle en tournant la tête.

— Depuis de très, très nombreuses années, je suis en contact avec les deux avocates qui sont ici, dit Hall. Et je comptais passer me présenter. Je ne sais pas si cela peut vous intéresser. Je couvre cette partie de la ville depuis près de 40 ans.

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— Oh ! fait la femme, toujours tournée vers le mur, d’une voix qui ne dénote pas la moindre émotion. — Je suis sûr que vous avez entendu parler de Fuller Brush, poursuit Hall. — Oui… nous… répond-elle. Elle est mal à l’aise. Et il est clair qu’elle s’efforce d’abréger la rencontre. Son café va-t-il être prêt avant que Hall lui ait débité tout son discours ? — Je crois que nous n’avons besoin de rien, reprend-elle. Floc… floc… floc. — Je ne cherche pas à m’imposer aux gens, assure Hall avec la voix calme de celui qui a tout son temps. Floc… floc… floc. — OK, dit la femme avec l’intonation chantante de quelqu’un qui essaie de mettre fin à la conversation. Merci… Hall fait mine de ne rien remarquer. — J’ai ici le catalogue de l’entreprise, et je fournis de petits articles de nettoyage à certains bureaux. C’est pourquoi je suis ici. La femme se tourne et croise les bras. Son regard va et vient de Hall à la cafetière. Hall explique que les avocates sont ses clientes depuis 15 ans et qu’il attend afin de leur remettre ce qu’elles ont commandé la veille. Il redit qu’il travaille dans le quartier depuis 40 ans. Il répète qu’il ne bouscule personne, qu’il n’est pas un vendeur insistant, qu’il a simplement des produits qui pourraient être utiles, et qu’il lui suffirait de quelques minutes pour les lui présenter sans lui faire perdre son temps. Floc… floc… le café est prêt. — Bien, dit la femme, en étirant le mot assez longtemps pour transformer un non franc et massif en un peut-être concédé à contrecœur. Arrêtez-vous en repartant.

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Hall lui demande son nom. Elle s’appelle Beth. Elle sort avec sa tasse de café tout chaud. Le silence s’installe dans la pièce. Hall attend que Beth soit hors de portée de voix, puis il se penche vers moi. « Voilà comment ça commence », me dit-il. Norman Hall s’est mis à vendre des brosses Fuller parce qu’il était sans le sou. Né à New York d’une mère qui résidait au foyer russe et d’un Écossais qui travaillait comme représentant chez un éditeur, il a fait une courte carrière d’enfant acteur. Après l’école secondaire, il est entré à l’Université Cornell avec l’intention de devenir médecin. « Il est vite devenu manifeste que ce n’était pas ma vocation, admet-il. Je passais plus de temps à jouer la comédie qu’à étudier. » Après un temps dans l’U.S. Navy, Hall est retourné à New York pour tenter sérieusement de devenir acteur professionnel. Les temps étaient durs. Pour toucher un revenu régulier, il a suivi les traces de son père et est devenu représentant chez un éditeur. Il s’est bientôt retrouvé à San Francisco pour ouvrir un bureau de Grove Press, éditeur de Jack Kerouac, de William Burroughs et d’Allen Ginsberg. En quelques années, le bureau s’est effondré. Le mariage de Hall aussi. Il a ouvert un restaurant, qui a été un échec où il a laissé ses économies. C’était au début des années 1970. « J’en étais à mon dernier dollar, raconte-t-il. J’ai répondu à une petite annonce de Fuller Brush, car l’entreprise annon­çait un taux très élevé de rotation des stocks et des rentrées d’argent rapides. » La première semaine, Hall a failli renoncer quatre fois à cet emploi. Bien qu’il ait été vendeur auparavant et qu’il ait donc eu l’habitude de s’entendre dire non, le porte-à-porte lui est apparu particulièrement brutal. Rapides et féroces, les rejets se manifestaient souvent par de la grossièreté et des portes claquées. Cependant, chaque fois qu’il a voulu abandonner, un des vendeurs chevronnés du bureau de San Francisco l’a pris à part. Cet homme, Charlie, était « la quintessence du représentant Fuller Brush », dit Hall. Il l’a encouragé, lui a dit que les rejets qu’il accumulait faisaient partie du cursus normal et qu’il devrait continuer.

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« À la fin de la semaine, j’ai reçu un salaire correct », se rappelle Hall. Il a persévéré, tout en continuant à faire du théâtre et à chercher d’autres moyens de gagner sa vie. « C’était au jour le jour, note-t-il. Toutefois, au bout de cinq ans, j’ai fini par admettre que c’était là ma carrière et que c’était à moi d’en faire un bon métier. » Ce n’est pas toujours facile, mais ce qui le déprime vraiment, ce n’est pas de traîner des caisses de brosses et de bouteilles de détachant dans les rues en pente de San Francisco ou de franchir 8 kilomètres par jour sur ses jambes de 75 ans. C’est quelque chose de plus profond. Chaque jour, durant ses tournées, Hall doit affronter ce qu’il appelle « un océan de rejet ». Tracez la carte de la vente et vous verrez que son trait topographique le plus évident est cet océan profond et hostile. Toute personne qui vend, que ce soit en essayant de convaincre des clients d’effectuer un achat ou de persuader des collègues de réaliser un changement, doit faire face à des vagues successives de refus, de rebuffades et de rabrouements. Être capable de surfer sur cet océan de rejet est la seconde qualité essentielle de qui veut faire bouger autrui. Je l’appelle le brio. Hall en est l’exemple vivant, et les sciences sociales récentes en expliquent le concept. Si vous comprenez ses trois composantes, qui interviennent avant, pendant et après toute tentative pour faire bouger autrui, vous pourrez utiliser le brio de manière efficace dans votre propre vie.

Avant : le soliloque interrogatif La partie la plus difficile de la vente, affirme Norman Hall, intervient avant que ses chaussures bien cirées touchent les trottoirs de San Francisco. « Sortir de chez moi et me trouver face à des gens, voilà l’obstacle le plus raide. Il y a une personne inconnue et sans visage que je dois rencontrer pour la première fois. » La plupart des gourous de la vente et de la réussite proposent un remède standard aux hésitations de Hall : l’automotivation. Le vendeur doit prendre un moment pour songer à quel point il est doué et infatigable. Og Mandino, par exemple, dont les livres stimulants ont

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contribué à fixer la tonalité des conseils commerciaux du XXe siècle, conseillait à chacun de se dire : « Je suis le plus grand miracle de la nature [et] je serai le plus grand vendeur que le monde ait connu.81 » Napoleon Hill, auteur de Think and Grow Rich, un des best-sellers américains du siècle dernier, assurait que le « premier pas dans l’art de la vente [est] l’autosuggestion, le principe par lequel le vendeur sature son esprit d’une foi dans la marchandise ou le service qu’il propose ainsi que dans sa propre aptitude à vendre82 ». D’Anthony Robbins aux États-Unis à Paul McKenna au Royaume-Uni, en passant par les cours de formation à la vente, tous donnent un conseil remarquablement identique : dites-vous que vous pouvez le faire. En déclarant votre foi inébranlable en votre magnificence naturelle, vous gonflez un robuste canot pneumatique qui vous permettra de surnager dans l’océan de rejet. Les sciences sociales brossent un tableau plus nuancé de la situation. Les humains se parlent sans cesse à eux-mêmes – à tel point, en fait, qu’il est possible de distinguer des catégories dans leurs soliloques intérieurs. Certains sont positifs, comme « je suis fort », « je peux le faire » ou « je serai le plus grand vendeur du monde ». D’autres sont négatifs : « je suis trop faible pour terminer cette course », « je n’ai jamais été bon en maths » ou « je n’arriverai jamais à vendre ces encyclopédies ». Qu’on fasse rouler ses biceps ou qu’on courbe l’échine, ces soliloques tendent à être déclaratifs. Ils énoncent ce qui est ou ce qui sera. Cependant, la personne dont vous devriez suivre l’exemple a adopté une autre voie. Elle s’appelle Bob le bricoleur (en anglais, Bob the Builder). Si vous n’avez pas fréquenté les écoles maternelles dans les 15 dernières années, permettez-moi une brève présentation. Bob est un personnage de films d’animation. Vêtu d’un casque de chantier et d’un bleu de travail, il dirige une entreprise du bâtiment. L’émission télévisée dont il est le héros a fait ses débuts en Angleterre en 1999 et est suivie à présent par les enfants de 85 pays. Bob se trouve toujours pris dans des situations inextricables qui semblent exiger le recours à la vente traditionnelle ou au commercial sans vente. Comme nous tous, il se

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parle à lui-même, mais son soliloque n’est ni positif ni déclaratif. Pour faire bouger son équipe et se motiver lui-même, il pose cette question : peut-on le faire ? Permettre à cet éclair de doute de traverser leur fenêtre psychique ferait frémir d’horreur les émules de Mandino, de Hill, de Robbins ou de McKenna. Toutefois, les chercheurs en sciences sociales sont en train de découvrir que Bob a raison. Oui, un soliloque positif est en général plus efficace qu’un soliloque négatif, mais le soliloque le plus efficace ne se contente pas de déplacer les émotions. Il déplace les catégories linguistiques. Au lieu d’énoncer, il interroge. Trois chercheurs, Ibrahim Senay et Dolores Albarracín, de l’Université de l’Illinois, ainsi que Kenji Noguchi, de l’Université du Mississippi du Sud, ont confirmé l’efficacité du soliloque interrogatif au cours d’une série d’expériences réalisées en 2010. Dans l’une, les participants étaient invités à résoudre 10 anagrammes (redistribuer les lettres du mot « Noël » pour obtenir « Léon », par exemple). Ils ont été répartis en deux groupes traités de manière identique, sauf dans la minute précédant la réalisation de la tâche. Les membres du premier groupe devaient se demander s’ils pourraient résoudre les énigmes, et ceux du second groupe, se dire qu’ils les résoudraient. En moyenne, le groupe auto-interrogatif a résolu presque 50 % d’énigmes de plus que le groupe auto-affirmatif83. Au cours de l’expérience suivante, une série d’anagrammes a été soumise à un nouveau groupe, mais dans des conditions un peu différentes. « Nous avons dit aux participants que nous nous intéressions à l’écriture manuscrite, expliquent les chercheurs. Sous ce prétexte, nous leur avons remis une feuille de papier pour qu’ils y écrivent 20 fois un des mots suivants : Will I, I will, I ou Will 84. » (Veux-je, Je veux, Je ou Veux.) Le résultat a été similaire à celui de la première expérience. Les gens qui avaient écrit Veux-je ont résolu plus de deux fois plus d’anagrammes que ceux qui avaient écrit Je veux, Veux ou Je. La même tendance a été constatée au cours d’expériences ultérieures. Ceux qui abordaient une

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tâche par un soliloque de questionnement à la manière de Bob le bricoleur réussissaient mieux que ceux qui l’effectuaient selon le mode affirmatif. Deux raisons expliquent ces résultats. D’abord, la forme interrogative appelle en soi des réponses, parmi lesquelles on compte des stratégies destinées à réaliser la tâche pour de bon. Imaginez, par exemple, que vous préparez une réunion importante au cours de laquelle vous devez présenter une idée et mobiliser ses partisans. Vous pouvez vous dire : « Je suis le meilleur. Ça va passer comme une lettre à la poste. » Cela vous donnera un bref coup de fouet psychologique. Cependant, si vous vous demandez plutôt : « Puis-je faire un exposé exceptionnel ? », vous vous doterez d’arguments dont l’influence sera plus profonde et plus durable. Vous vous répondrez peut-être : « Eh bien, oui, je peux faire un exposé sensationnel. D’ailleurs, il m’est arrivé pas mal de fois de présenter des idées dans des réunions. » Vous pourriez vous remémorer les préparatifs : « Assurément, je peux le faire. Je connais la question à fond et j’ai trouvé d’excellents exemples pour persuader les sceptiques. » Vous pourriez aussi vous donner des conseils tactiques : « La dernière fois, j’ai parlé trop vite ; cette fois-ci, je vais ralentir le débit. Dans ces situations, je me laisse parfois troubler par les questions ; là, je prendrai le temps de respirer avant de répondre. » L’affirmation de soi est agréable et peut vous aider, mais elle ne vous conduira pas à mobiliser les moyens et les stratégies nécessaires pour accomplir la tâche. La seconde raison est connexe à la première. Le soliloque interrogatif, disent les chercheurs, « peut inspirer des pensées sur les motivations intérieures de poursuivre un but85 ». De nombreuses études ont montré que les gens sont plus disposés à agir et à réussir quand leurs motivations viennent de choix intrinsèques plutôt que de contraintes extrinsèques86. Le soliloque déclaratif risque de passer à côté de leurs motivations. Son pendant interrogatif, quant à lui, éclaircit les raisons

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pour lesquelles ils font les choses et leur rappelle que beaucoup de ces motifs viennent de l’intérieur d’eux-mêmes*. La première composante du brio est donc le soliloque interrogatif. Pouvez-vous le pratiquer ? Eh bien, posez-vous la question !

Pendant : le ratio optimal de positivité Je suis sûr que Norman Hall est un ambiverti. Les quelques jours que j’ai passés en sa compagnie m’ont montré qu’il n’était pas un introverti farouche. D’ailleurs, comment aurait-il pu gagner sa vie en vendant des brosses pendant 40 ans s’il avait eu du mal à s’exprimer ou s’il ne s’était pas senti à l’aise devant des étrangers ? Hall n’est pas non plus un de ces extravertis qui vous attrapent le poignet et vous tapent dans le dos. Il est réfléchi, circonspect et, comme il le dit souvent lui-même, il fait profil bas. « Je déteste les représentants commerciaux du genre vendeurs de voitures d’occasion, qui tentent de passer en force. Je ne voudrais pas en faire partie, m’a-t-il dit. Je fais davantage profil bas dans mon travail que dans ma vie personnelle. » Comme tous les vendeurs efficaces, Hall est un maître accordeur. Il écoute et regarde davantage que le vendeur des stéréotypes mais, quand il le faut, il fait entendre sa voix et défend sa position avec vigueur. Si vous observez cette ambiversion en action, en écoutant avec attention ce que Hall dit et ses conversations avec d’autres, vous constaterez qu’il détient aussi la deuxième composante du brio : la positivité. En entendant le mot « positivité », pas mal de gens roulent des yeux, ramassent leurs affaires et cherchent la sortie. Il a les relents d’un concept creux défendu par des gens plus creux encore. Pourtant, bon nombre d’études récentes attestent son importance dans beaucoup de domaines de l’existence, y compris dans la manière de faire bouger autrui.

* Nous rencontrerons un phénomène analogue avec « l’exposé question » au chapi­tre 7.

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Considérez par exemple une négociation difficile dans laquelle chaque partie tente de faire accepter sa position à l’autre. Il n’est pas indispensable que les négociateurs soient désagréables et brutaux, considère-t-on traditionnellement, mais ils doivent demeurer inflexibles et impassibles. Voici quelques années, une équipe d’experts en sciences du comportement dirigée par Shirli Kopelman, de l’Université du Michigan, a testé cette proposition en simulant une série de négociations. Dans une des expériences, le scénario suivant  a été proposé aux participants, des cadres préparant un MBA : « Vous organisez une cérémonie de mariage. Il y a plusieurs semaines, vous avez pris des dispositions avec une société de restauration, qui a évalué ses services à 14 000 $. À présent, vous rencontrez sa responsable de terrain, qui a une mauvaise nouvelle. À cause des fluctuations du marché, le devis est passé à 16 995 $. De plus, elle a sous la main un client prêt à prendre votre place pour la même journée si vous ne signez pas le contrat. » À leur insu, les participants ont été divisés en trois groupes. La « responsable de terrain » (une personne spécialement formée pour jouer ce rôle) a donné exactement la même explication du changement de prix à chacun des groupes et a proposé des tarifs et des conditions identiques pour ses prestations ; cependant, elle a fait varier son approche psychologique. À un groupe, elle a présenté des émotions positives. Elle « a parlé sur un ton amical, a souri souvent, a hoché la tête en signe d’accord et s’est montrée cordiale et abordable ». À un autre, elle « a parlé de manière antagoniste, a eu recours à l’intimidation et s’est montrée insistante ». Avec le dernier groupe, elle « s’est exprimée sur un ton égal et monotone, n’a affiché que peu d’émotions et a discouru de manière pragmatique87 ». L’humeur de la responsable de terrain a eu un effet notable. Ceux qui ont entendu un exposé à tonalité positive ont été deux fois plus disposés à accepter la proposition que ceux qui ont été reçus de manière négative, alors même que les conditions étaient identiques. Dans une

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expérience similaire, où les négociateurs avaient la possibilité de présenter des contre-propositions, ceux qui ont eu affaire à la personne négative se sont montrés beaucoup moins généreux que ceux qui ont transigé avec une personne positive88. Barbara Fredrickson, de l’Université de Caroline du Nord, est la chercheuse la plus connue dans le domaine de la positivité – vocable qui recouvre un ensemble d’émotions incluant l’amusement, la joie, l’intérêt, la gratitude et l’inspiration. À son avis, les émotions négatives sont un legs de l’évolution qui sert à rétrécir la vision des gens et à diriger leur comportement dans le sens de la survie immédiate (« j’ai peur, donc je vais fuir ; je suis en colère, donc je vais me battre »). « Les émotions positives ont l’effet inverse, écrit-elle. Elles élargissent les idées des gens sur les actions possibles, ouvrent leur conscience à des pensées plus vastes et… les rendent plus réceptifs et plus créatifs89. » Cet effet d’élargissement dû aux émotions positives a des conséquences importantes pour qui veut faire bouger autrui. Considérons les deux parties d’une transaction typique. Les émotions positives peuvent élargir la vision que le vendeur a de son interlocuteur et de sa situation. Là où les émotions négatives font voir des arbres, les émotions positives révèlent des forêts, ce qui, en retour, peut aider à trouver des solutions inattendues au problème de l’acheteur. Selon d’autres études, les émotions positives peuvent élargir les répertoires comportementaux et renforcer l’intuition et la créativité 90 ; dans tous les cas, elles accroissent l’efficacité. De plus, comme on l’a vu avec l’étude de Kopelman, les émotions peuvent être contagieuses. Ainsi, dans un entretien de vente, les effets de la positivité s’étendent à l’acheteur et le rendent moins hostile, plus à l’écoute des possibilités et peut-être plus désireux de parvenir à un accord bénéfique pour les deux parties. Quand celles-ci quittent la table satisfaites, il peut en résulter une relation durable et une ambiance favorable pour les transactions ultérieures. La positivité a une autre dimension importante. « Vous devez croire au produit que vous vendez ; il faut que ça se voie », assure Hall. Presque tous les vendeurs que j’ai rencontrés contestent que certaines personnes 112

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soient « capables de vendre n’importe quoi », qu’elles y croient ou non. Cela était peut-être vrai dans le passé, à l’époque où les vendeurs disposaient d’un net avantage d’information et où les acheteurs n’avaient guère de choix, m’ont-ils dit. Aujourd’hui, cependant, croire en l’offre conduit à mieux la connaître et, partant, à mieux la faire concorder avec le besoin d’autrui. La conviction authentique peut être contagieuse sur le plan psychologique. Cory Scherer et Brad Sagarin, de l’Université de l’Illinois du Nord, ont ainsi découvert qu’un juron modéré inséré dans un discours rendait celui-ci plus persuasif et renforçait la perception des auditeurs quant à l’intensité de l’orateur91. « Je crois en ces produits, m’a dit Hall. Je suis certain que, si vous achetez une de ces brosses, vous en disposerez durant des années. » Si vous êtes de ceux qui préfèrent assaisonner leur existence de négativité, tout n’est pas perdu. Rappelez-vous : quand on se prépare à faire bouger quelqu’un, rien ne vaut le soliloque interrogatif. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire de se vautrer dans la mièvrerie pour être positif. En fait, on obtient les meilleurs résultats avec une recette particulière : un ratio optimal de positivité. Au cours d’une étude qui fait appel à des modèles mathématiques et à la théorie de la complexité pour analyser les comportements d’équipe92, Barbara Fredrickson et le sociologue brésilien Marcial Losada ont demandé à un groupe de participants de prendre note de leurs émotions positives et négatives tous les jours pendant quatre semaines*. Ils ont calculé le rapport entre les deux types d’émotions, puis l’ont comparé aux scores de bien-être global obtenus par les participants en fonction de 33 critères.

* Les émotions positives, expliquent les chercheurs, comprenaient l’amusement, le respect, la compassion, le contentement, la gratitude, l’espoir, l’intérêt, la joie, l’amour, la fierté et le désir sexuel. Les émotions négatives comprenaient la colère, le mépris, le dégoût, l’embarras, la peur, la culpabilité, la tristesse et la honte.

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Fredrickson et Losada ont découvert que les personnes dont les émotions positives et négatives étaient équilibrées – 1 pour 1 – ne ressentaient pas plus de bien-être que celles dont les émotions étaient principalement négatives. Les deux groupes, d’une manière générale, se languissaient. Plus surprenant encore, les gens dont le ratio positif-négatif était de 2 pour 1 n’étaient pas plus heureux que ceux dont les émotions négatives l’emportaient sur les positives. Cependant, dès que les émotions atteignaient un certain nombre, tout changeait. Ce nombre était 2,9013 ; pour rendre service aux lecteurs qui ne recherchent pas la précision à la quatrième décimale, Barbara Fredrickson et Marcial Losada l’ont arrondi à 3. Donc, quand les émotions positives des gens l’emportaient sur leurs émotions négatives selon un rapport de 3 pour 1 – c’est-à-dire que, pour 3 cas où ils ressentaient gratitude, intérêt ou contentement, ils éprouvaient 1 cas de colère, de culpabilité ou d’embarras –, ils étaient en général en pleine forme. Sous ce ratio, d’ordinaire, ils ne l’étaient pas93. Les deux auteurs ont aussi constaté que la positivité avait une limite supérieure. Quand le ratio atteignait 11 pour 1, les émotions positives commençaient à faire plus de mal que de bien. Au-delà de cet équilibre entre positif et négatif, la vie devenait un festival d’obscurantisme à la Pangloss, l’auto-aveuglement empêchant l’auto-amélioration. Un peu de négativité – ce que Fredrickson et Losada appellent une « négativité appropriée » – est indispensable. Sans elle, « les schèmes de comportement se calcifient94 ». Les émotions négatives offrent un retour d’expérience sur les résultats, donnent de l’information sur ce qui fonctionne ou pas et fournissent des pistes d’amélioration. Hall semble avoir trouvé le bon cocktail. Il essaie, dit-il, de commencer sa journée par un ou deux appels commerciaux qu’il sait devoir être amicaux. Il recherche aussi des contacts positifs tout au long de la journée. Par exemple, en une occasion où je l’ai accompagné pendant trois heures, il a visité un restaurant pour prendre des nouvelles d’un ami qui y travaillait et qui avait été malade. Dans la rue, il a arrêté un client de longue date pour bavarder un peu. Il est entré dans une

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boutique de vêtements dont le propriétaire l’a accueilli d’un joyeux « M. Fuller ! » et tous deux sont tombés dans les bras l’un de l’autre. Ces expériences l’aident à continuer après les visites d’où il ressort en grommelant contre la grossièreté des gens. Aux yeux de Barbara Fredrickson, le ratio de positivité d’une personne comme Hall résulte d’un équilibrage entre deux leviers concurrents : la légèreté et la gravité. « La légèreté est la force invisible qui vous élève vers le ciel, tandis que la gravité est la force qui vous tire vers la terre, écrit-elle. La légèreté mal maîtrisée fait de vous quelqu’un de frivole, d’éthéré et d’irréel. La gravité mal maîtrisée vous force à vous complaire dans votre souffrance. Quand elles sont convenablement associées, ces forces opposées vous confèrent beaucoup de tonus95. »

Après : le style explicatif À la fin de chaque journée, Norman Hall prend un autobus qui le ramène par le Golden Gate vers sa femme et sa maison de Rohnert Park, à environ une heure et demie de son lieu de travail. Certains jours, il lit. D’autre fois, il dort. Souvent, il réfléchit. Sa manière de réfléchir à sa journée – et en particulier d’en expliquer les pires aspects – joue d’ailleurs un rôle important dans son succès. C’est la troisième composante du brio. Martin Seligman, de l’Université de Pennsylvanie, est une sommité de la science psychologique contemporaine. C’est un des pères de la psychologie positive, qui traite le bonheur, le bien-être et la satisfaction avec une rigueur analytique que sa discipline a longtemps réservée au handicap, à la débilité et au désespoir. Un de ses apports notables a été d’approfondir notre connaissance de l’optimisme. Seligman a abordé le sujet depuis l’autre extrémité du spectre émotionnel. Il a été, dans les années 1970, le pionnier du concept d’impuissance apprise. Par ses études sur les chiens, puis sur les humains, il a fait reculer l’opinion comportementaliste dominante selon laquelle toutes les créatures, qu’elles aient deux jambes ou quatre pattes, réagiraient

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systématiquement et de manière prévisible aux récompenses et aux punitions externes. Ses travaux ont montré que, après des expériences prolongées au cours desquelles ils étaient privés de la maîtrise de leur environnement, certains individus renonçaient. Même quand les conditions revenaient à la normale et qu’ils retrouvaient la capacité de rechercher un gain ou d’éviter une souffrance, ils demeuraient passifs. Ils avaient appris à être impuissants. Chez les humains, a observé Seligman, l’impuissance apprise dépend ordinairement de leur style explicatif – leur habitude de s’expli­ quer à eux-mêmes les événements négatifs. Représentez-vous le style explicatif comme une forme de soliloque intérieur qui intervient après (plutôt qu’avant) une expérience vécue. Les gens qui se résignent aisément, qui deviennent impuissants même dans des situations où ils pourraient faire quelque chose, décrivent les événements négatifs comme permanents, envahissants et personnels. Ils pensent que les conditions négatives durent longtemps, que les causes en sont universelles plutôt que spécifiques et que la faute leur en incombe. Si leur patron les réprimande, ils se disent « mon patron est toujours désagréable », « tous les patrons sont des sales types » ou « je suis nul dans mon travail » plutôt que « mon patron a vécu une dure journée, et je passais par là quand il a pété les plombs ». Le style d’explication pessimiste – l’habitude de se dire « c’est ma faute, il en sera toujours ainsi, ça va pourrir tout ce que je fais96 » – est débilitant, a constaté Seligman. Il peut amoindrir les performances, provoquer la dépression et « transformer les revers en désastres97 ». Au milieu des années 1980, quand le concept d’impuissance acquise a eu sa place dans les cours d’introduction à la psychologie, Seligman et quelques collègues ont commencé à se demander si la théorie avait un versant ensoleillé. Si un style explicatif déprimant était cause de souffrances, un style optimiste amenait-il la prospérité ? Pour le savoir, Seligman et un de ses collègues de l’Université de Pennsylvanie, Peter Schulman, ont recherché un domaine riche en déceptions, dont

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les acteurs subissaient quotidiennement des vagues répétées de réactions négatives : la vente. Seligman et Schulman ont fait appel à près d’une centaine d’agents commerciaux de la compagnie d’assurances Metropolitan Life, dans l’État de la Pennsylvanie. Ces hommes (et ces quelques femmes) occupaient des postes de vendeurs classiques. Ils faisaient des appels téléphoniques à froid pour solliciter des rendez-vous, rencontraient des clients potentiels pour leur proposer des polices et gagnaient leur vie avec les commissions calcu­lées sur les contrats signés. Les chercheurs ont fait passer à tous le questionnaire d’évaluation du style d’attribution, ou ASQ (pour attributional style questionnaire ), qui leur a permis de positionner le style explicatif de chaque participant sur le spectre pessimisme-optimisme en fonction des réponses suscitées par une série de vignettes. Ils ont observé les résultats obtenus par les agents pendant les deux années suivantes, d’après le nombre de polices souscrites et le montant total des commissions. Les résultats ont été sans équivoque : « Les agents que leur style explicatif classait dans la moitié optimiste ont vendu 37 % d’assurances de plus que ceux de la moitié pessimiste. Les agents du décile supérieur en ont vendu 88 % de plus que ceux du décile inférieur 98. » À la demande de Metropolitan Life, qui voyait environ 50 % de ses représentants commerciaux s’en aller la première année, Seligman et Schulman ont étudié un autre groupe formé de plus de 100 vendeurs nouvellement embauchés. Ils les ont soumis à l’ASQ avant qu’ils prennent leur poste, puis ils ont observé leurs progrès. Les agents classés dans la moitié pessimiste de l’ASQ ont démissionné dans une proportion deux fois supérieure à celle de la moitié optimiste. Les agents du quart le plus pessimiste avaient trois fois plus de chances de s’en aller que ceux du quart le plus optimiste99. Autrement dit, les gens dont le style explicatif était optimiste – qui considéraient les rejets comme provisoires plutôt que définitifs, comme spécifiques plutôt qu’universels et comme externes plutôt que

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personnels – vendaient deux fois plus d’assurances que les autres et restaient plus longtemps en fonction. De plus, leur style explicatif prédisait leurs résultats aussi exactement que les évaluations les plus largement utilisées dans la profession pour embaucher des agents. L’optimisme, on le voit, n’est pas un sentiment creux. C’est un catalyseur qui peut favoriser la persévérance, affermir les gens devant les difficultés et leur donner confiance dans leur capacité à influencer leur entourage. Norman Hall est adepte du style explicatif optimiste. Chaque fois qu’il essuie un rejet (et il en a essuyé plusieurs au cours des appels de prospection qu’il a faits quand j’étais à ses côtés), celui-ci est selon lui provisoire, spécifique ou externe. Le bijoutier était occupé avec un client et ne pouvait s’occuper de brosses. Le responsable de l’entretien n’avait pas encore fait le point sur ses fournitures. Le patron de la boutique de vêtements avait probablement un problème de trésorerie à cause du marasme économique. Quand je l’ai interrogé sur ces rebuffades, il n’a pas cillé. « Je suis un sacré bon vendeur, m’a-t-il dit. Il faut persévérer. C’est tout. » Hall ne porte pas de lunettes roses, pourtant. Il trouve certains clients désagréables. Il admet que certains rejets le touchent personnellement. Il a vécu pas mal de journées sombres, pénibles. Cependant, les événements négatifs peuvent clarifier les événements positifs. Ils confèrent à Hall non une faiblesse rêveuse, mais un brio endurci – un équilibre convenable entre les forces qui le tirent vers le haut et celles qui l’entraînent vers le bas. Son optimisme n’est pas aveugle. C’est ce que Seligman appelle « un optimisme souple, un optimisme les yeux ouverts100 ». La première chose que nous entendons est un halètement, suivi du frottement de quatre pieds sur le tapis de l’entrée. Penelope Chronis et Liz Kreher, leur chien sur les talons, arrivent pour ouvrir leur bureau et commencer la journée. Elles sont étonnées de trouver là Norman Hall – il n’y a pas 24 heures qu’elles ont passé leur commande –, mais ravies de recevoir leur balai électrostatique et leurs grattoirs en inox. Il s’avère

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aussi qu’elles connaissent Beth, la femme de la salle de détente, et elles invitent Hall à se réclamer d’elles pour asseoir sa crédibilité. La livraison effectuée, Hall et moi longeons le couloir en direction du bureau de Beth. À ce moment, j’ai le sentiment que ma présence fausse le style de mon compagnon. Il n’a pas besoin d’un allié pour faire une vente : quand il entre dans le bureau, je poursuis vers les ascenseurs. Il est environ 11 h. Je l’attends sur le trottoir, devant le 530, Bush Street. Tout à l’heure, Beth n’a guère montré d’intérêt pour les brosses. Je me dis donc que Hall sera là à 11 h 05. Il n’y est pas. Et pas davantage à 11 h 10, à 11 h 15 ou à 11 h 20. Il est presque 11 h 25 quand Hall pousse la porte vitrée de l’immeuble et met le pied sur le trottoir. Je le regarde sans mot dire. Je me contente de tourner les paumes vers le ciel et de lever les sourcils pour demander : « Alors ? » Hall secoue la tête et fait vivement glisser sur sa gorge l’index de sa main droite. Zéro vente. Nous faisons quelques pas en silence. Puis le dernier représentant Fuller Brush de San Francisco se tourne vers moi et dit : « Mais je crois qu’il y a une chance pour la prochaine fois. »

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Faites comme Bob : pratiquez le soliloque interrogatif La prochaine fois que vous vous préparerez à persuader autrui, reconsidérez vos préparatifs. Ne cherchez pas à vous stimuler par des décla­ rations et des affirmations, regardez plutôt un épisode de Bob le bricoleur et posez-vous une question : « Puis-je faire bouger ces gens ? » Comme l’ont découvert les chercheurs en sciences sociales, le soliloque interrogatif est souvent plus efficace que le soliloque déclaratif. Toutefois, ne vous contentez pas de laisser la question suspendue en l’air comme un ballon perdu. Répondez-y, directement et par écrit. Dressez une liste de cinq raisons précises pour lesquelles la réponse à votre question est positive. Ces raisons vous rappelleront les stratégies dont vous aurez besoin pour être efficace le moment venu. Elles vous fourniront une base plus robuste et plus réelle qu’une simple affir­mation. En d’autres termes, demandez et vous recevrez.

Surveillez votre ratio de positivité C’est le nombre d’or du bien-être, la recette magique de la prospérité, le code secret de la satisfaction : 3 pour 1. Comment procéder pour que l’équilibre entre vos émotions positives et vos émotions négatives attei­gne ce ratio ?

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Pour commencer, vous pouvez visiter le site web de Barbara Fredrickson (http ://positivityratio.com). Faites son « autotest de positivité » – une évaluation en 20 questions qui ne vous demandera que 2 ou 3 minutes et qui vous indiquera votre ratio de positivité actuel (en anglais). Créez ensuite un compte gratuit et surveillez l’évolution de votre ratio dans le temps. (Vous trouverez des renseignements sur le test dans le livre de Barbara Fredrickson Positivity : Top-Notch Research Reveals the 3 to 1 Ratio That Will Change Your Life, qui est un excellent ouvrage de vulgarisation.) Par ailleurs, soyez davantage conscient de vos émotions du moment. En fait, essayez d’afficher la liste des 10 émotions positives dressée par Barbara Fredrickson (joie, gratitude, sérénité, intérêt, espoir, fierté, amusement, inspiration, respect et amour) sur votre téléphone, votre ordinateur ou le mur de votre bureau. Choisissez-en une ou deux. Puis, au cours de la journée, recherchez des moyens d’exprimer ces émotions. Cela vous donnera un coup de fouet psychologique, stimulera les gens qui vous entourent et augmentera vos chances de faire bouger autrui. Est-ce que j’en suis sûr ? Absolument.

Réorientez votre style explicatif Les travaux de Martin Seligman ont montré que notre manière d’expliquer les événements négatifs a un effet énorme sur notre brio et, finalement, sur nos résultats. Commencez à modifier votre style explicatif selon des méthodes dont la science a prouvé l’efficacité. Quand quelque chose de mauvais se produit, posez-vous les 3 questions ci-dessous et trouvez un moyen intelligent de répondre « non » à chacune d’elles. 1. Est-ce permanent ? Mauvaise réponse : « Oui. Je ne suis plus capable de faire bouger les autres. » Meilleure réponse : « Non. J’étais à plat aujourd’hui, car je n’avais pas assez dormi. »

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2. Est-ce général ? Mauvaise réponse : « Oui. Dans ce secteur, il est impossible de traiter avec autrui. » Meilleure réponse : « Non. Ce type-là était un idiot. » 3. Est-ce personnel ? Mauvaise réponse : « Oui. Il n’a rien acheté parce que j’ai raté ma présentation. » Meilleure réponse : « Non. Il n’était pas prêt à acheter tout de suite. » Plus vous présentez les événements néfastes comme temporaires, spécifiques et externes, plus vous êtes susceptible de persévérer, même dans l’adversité. Comme certains psychologues positifs le disent, l’essentiel est de contester et de dédramatiser les explications négatives. De discuter, de décortiquer chaque explication à la manière dont un avocat teigneux contre-interrogerait un témoin. Trouvez des failles dans le récit de votre interlocuteur. Contestez ses prémisses. Dévoilez ses contradictions internes. Demandez-vous quelles sont les conséquences d’ensemble et pourquoi elles ne sont pas aussi catastrophiques qu’on l’aurait cru à première vue. Vous trouverez davantage de renseignements à ce sujet sur le site web de Seligman (www.authentichappiness.sas.upenn.edu/Default. aspx), où vous vous soumettrez à son test d’optimisme pour vous faire une idée de votre style actuel. Consultez aussi son ouvrage classique, La force de l’optimisme.

Essayez la stratégie « énumération et étreinte » Un moyen pour garder votre brio consiste à acquérir un sentiment plus réaliste de ce qui peut vous démolir. Vous y parviendrez en comptant le nombre de rejets subis et en les célébrant. Cette stratégie compte 2 éléments : l’énumération et l’étreinte.

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1. L’énumération Tentez de compter combien de fois on vous dit non au cours d’une semaine. À l’aide d’une des nombreuses applications gratuites offertes pour les téléphones intelligents, évaluez le nombre d’occasions où vos efforts pour faire bouger autrui se heurtent à un mur. (Si vous n’avez pas envie de vous frotter au numérique, un calepin et un crayon feront tout aussi bien l’affaire.) À la fin de la semaine, vous serez peut-être étonné par le nombre de « non » que le monde vous aura destinés, mais une autre chose vous surprendra plus encore : vous tenez bon. Même pendant cette semaine où vous avez traversé un océan de rejet, vous avez réussi à surnager. Ce constat peut vous donner assez de volonté pour continuer et assez de confiance pour faire mieux la semaine suivante. 2. L’étreinte Si vous essuyez un grand nombre de « non », envisagez de faire comme Jay Goldberg, fondateur de Bergino Baseball Clubhouse, une galerie d’art et d’objets de collection de New York. Au début de sa carrière, il travaillait pour un groupe-conseil dans le domaine des campagnes politiques, mais il aurait bien voulu trouver un emploi dans un grand club de baseball. Il a donc écrit aux 26 équipes de la Major League en sollicitant un entretien ou un stage qui lui donnerait sa chance. Vingt-cinq clubs lui ont fait une réponse négative, et il n’a pas eu de réponse des Yankees de New York. Goldberg a conservé ces lettres. Quand il a lancé sa propre agence sportive, au début des années 1990, il les a encadrées et accrochées au mur de son bureau. « C’était ma manière de montrer que je n’avais pas renoncé, dit-il. J’ai subi tous ces rejets, mais j’ai continué à avancer. » Encore mieux, les représentants de certaines des équipes qui lui avaient répondu par la négative ont eu l’occasion d’avoir leur lettre sous les yeux en venant chez lui négocier un contrat avec un de ses clients. « Ces lettres me font sourire chaque fois que je les regarde », dit-il. Aujourd’hui, elles ornent toujours son bureau dans sa boutique pleine de clients ; 126

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5 - Le brio

elles lui rappellent chaque jour que la manière de considérer les rejets dépend de la manière de les présenter.

Veillez à être négatif de temps en temps À quelque chose malheur est bon. Le brio, qu’il s’agisse de ratio de positivité ou de style explicatif, n’implique pas que le négatif soit éra­ diqué. Les émotions négatives sont indispensables à notre survie. Elles nous permettent d’éviter que nos comportements improductifs devien­ nent des habitudes. Elles apportent des renseignements utiles sur nos entreprises. Elles nous alertent quand nous sommes sur le mauvais chemin. « La vie vous donne de nombreuses occasions de ressentir de la peur, de la colère, de la tristesse, explique Barbara Fredrickson. Sans ces émotions négatives, vous perdez le contact avec la réalité. Vous n’êtes pas authentique. Avec le temps, vous faites fuir les gens. » Aussi, accordezvous ce qu’elle appelle une « négativité appropriée », des moments de colère, d’hostilité, de dégoût et de ressentiment au service d’un but productif. Supposez que vous ne parvenez pas à convaincre un client de renouveler un contrat annuel. Si une des causes de cette situation est une baisse de la qualité de vos travaux, mettez-vous un peu en colère contre vous-même. Cette fois, vous avez gâché la besogne. Utilisez cette émotion négative comme une incitation à vous améliorer. Envisagez par ailleurs d’y ajouter une bonne dose de ce que Julie Norem, du Wellesley College, appelle le « pessimisme défensif ». Ses travaux ont montré que certaines personnes gèrent leur anxiété de façon plus efficace si elles réfléchissent à des scénarios très noirs et se préparent mentalement au pire. Si cette approche vous paraît utile, posez-vous une série de questions : que se passe-t-il si tout va de travers ? Que se passe-t-il si l’impensable se produit ? Que se passe-t-il si cette décision est la plus mauvaise de ma vie ? Ces questions sont susceptibles de déboucher sur des réponses imprévues qui pourraient vous rasséréner, voire vous dynamiser.

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Envoyez-vous une lettre de refus Même à l’époque des SMS et des tweets, les refus arrivent souvent sous la forme d’une lettre à en-tête glissée dans une enveloppe. Personne n’aime recevoir des lettres de ce genre. Voici un moyen de les rendre moins cuisantes, voire indolores : coupez l’herbe sous le pied de celui qui refuse en rédigeant la lettre vous-même. Imaginez que vous êtes candidat à un emploi ou que vous essayez d’obtenir de l’argent d’un investisseur. Prenez une heure et écrivez-vous une lettre semblable à celle que pourrait rédiger la personne que vous tentez de faire bouger. Expliquez pourquoi sa réponse est « non merci ». Dressez la liste de ses motifs pour décliner votre offre. Ne manquez pas d’y inclure les formules exaspérantes : « Après étude attentive… », « Nous regrettons de vous informer que… », « Nous avons reçu de nombreuses candidatures… », etc. Quand vous lirez votre lettre, elle vous fera probablement rire. Une fois le refus exprimé par écrit, ses conséquences paraissent souvent beaucoup moins désastreuses. Et surtout, en articulant les raisons du refus, cette lettre est susceptible de révéler les points faibles de votre proposition, c’est-à-dire ceux que vous devez tenter de renforcer. Si vous êtes trop paresseux pour écrire la lettre vous-même, essayez l’outil de rédaction automatisée (en anglais) Rejection Generator Project (http ://ow.ly/cQ5rl). Il vous suffit de choisir votre style favori de répudiation et d’indiquer votre adresse électronique. En quelques minutes, vous recevrez un missile tueur de rêves dans votre boîte de réception. Le site est destiné aux écrivains cherchant à faire accepter un manuscrit à des éditeurs, mais ses résultats peuvent s’appliquer à n’importe qui, y compris à vous. Je vous souhaite de réussir dans vos projets futurs.

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Chapitre 6

La clarté

P

ardonnez-moi cette intrusion dans vos affaires personnelles, mais permettez-moi de vous poser une question : mettez-vous assez d’argent de côté pour votre retraite ? Si vous êtes comme la plupart des gens, votre réponse sera : « Euh… probablement pas. » Partout dans le monde, mais spécialement aux États-Unis, le nombre de gens qui ne prévoient pas suffisamment leur âge d’or se situe quelque part entre l’inquiétant et le consternant. À peu près la moitié des foyers américains ne sont pas préparés au jour où, arrivant à 65 ans, le chef de famille prendra sa retraite. Les trois quarts des Américains ont moins de 30 000 $ dans leur compte d’épargne-retraite101. Ce n’est pas entièrement notre faute. En partie parce que l’évolution de notre cerveau date d’une époque où l’avenir était périlleux, nous, humains, sommes peu doués pour attacher notre esprit à des événements lointains. Nos biais nous lient au présent. Ainsi, si on nous propose de choisir entre une récompense immédiate (par exemple, 1 000 $ tout de suite) et une récompense que nous devrons attendre (1 150 $ dans deux ans), nous préférerons souvent la première option, alors qu’il serait dans notre intérêt d’adopter la seconde. Les pouvoirs publics et les chercheurs en sciences sociales ont imaginé quelques méthodes pour nous aider à surmonter cette faiblesse. Une d’elles, qui rappelle l’astuce d’Ulysse se faisant ligoter au mât de son navire afin d’écouter les sirènes, consiste à restreindre notre possibilité de choisir. Nous demandons à notre employeur de déduire automatiquement un montant donné de chaque paye et de le déposer dans

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notre compte d’épargne-retraite. Cela nous rend vertueux par défaut, et non par acte délibéré. Une autre méthode tend à rendre plus concrets nos choix et leurs conséquences, en nous rappelant par exemple que les 1 150 $ dont nous disposerons dans 2 ans pourraient servir de premier versement au moment de l’achat d’une nouvelle automobile, car celle que nous avons ne tiendra pas le coup plus de 24 mois102. Selon Hal Hershfield, professeur de psychosociologie à l’Université de New York, le fait qu’il soit difficile de convaincre les gens d’économiser pour leur retraite pourrait être attribuable à une cause entièrement différente. En collaboration avec six collègues, il a conduit une série d’études visant à tester son hypothèse. Au cours d’une des expériences, son équipe et lui ont fait porter un casque de réalité virtuelle aux participants. La moitié de ceux-ci ont regardé leur représentation numérique – leur avatar – pendant une minute, puis ont eu une brève conversation avec la représentation numérique d’un chercheur. L’autre moitié des sujets ont aussi regardé leur avatar à l’aide du casque. Cependant, pour eux, les chercheurs ont utilisé un progiciel de vieillissement du visage qui montrait à quoi ils ressembleraient à l’âge de 70 ans. Après avoir observé leur portrait de septuagénaire pendant une minute, ces participants ont eu, comme les membres du premier groupe, une courte discussion avec l’avatar d’un chercheur. Ensuite, les expérimentateurs ont demandé aux deux groupes de répartir une somme d’argent. Imaginez, leur ont-ils dit, que vous receviez 1 000 $ sur lesquels vous ne comptiez pas. Comment répartiriezvous ce montant entre les 4 possibilités suivantes ? 1. L’achat d’un bel objet pour quelqu’un que vous aimez 2. L’investissement dans un fonds de retraite 3. L’organisation d’une fête extravagante 4. Le dépôt d’argent dans votre compte bancaire Ceux qui avaient regardé leur image actuelle (appelons-les le groupe « Moi à présent ») ont attribué en moyenne 80 $ à leur fonds de retraite.

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Ceux qui avaient regardé leur image future (le groupe « Moi plus tard ») ont affecté à celui-ci un montant de plus de deux fois supérieur : 172 $103. Pour déterminer plus précisément l’origine des différences dans les réponses – était-ce la vision de son propre visage de vieillard ou le rappel du vieillissement en général ? –, les chercheurs ont réalisé une expérience similaire avec d’autres participants. Cette fois, la moitié d’entre eux ont regardé leur portrait vieilli (« Moi plus tard »), et l’autre moitié, le portrait vieilli de quelqu’un d’autre (« Toi plus tard »). Les résultats ont été sans appel. Ceux qui avaient regardé leur propre image à 70 ans ont économisé plus que ceux qui avaient vu l’image d’un septuagénaire indéterminé. Des expériences semblables, réalisées à l’aide d’équipements moins compliqués qu’un environnement immersif de réalité virtuelle, ont révélé une tendance identique. Le groupe « Moi plus tard » économisait toujours davantage104. Le problème de notre épargne-retraite, ont montré ces études, n’est pas seulement notre faible capacité à comparer les récompenses immédiates aux récompenses futures. C’est aussi le rapport – ou plutôt l’absence de rapport – entre notre moi actuel et notre moi futur. D’autres recherches ont révélé que « réfléchir à notre moi futur met en jeu des modèles d’activation similaires aux modèles neuronaux éveillés quand nous songeons à un étranger105 ». Nous voir dans un avenir lointain est si pénible que nous nous représentons souvent ce moi futur comme quelqu’un d’entièrement différent. « Pour des gens étrangers à leur moi futur, l’épargne ressemble à un choix entre dépenser de l’argent aujourd’hui et le donner à un étranger des années plus tard106. » Hershfield et ses collègues ont découvert qu’il ne suffisait pas de tenter de résoudre un problème existant en amenant les gens à mieux équilibrer leurs récompenses à court et à long terme, car là n’était pas le point qui avait le plus besoin d’une solution. Leur vrai progrès a été la détection d’une difficulté nouvelle, jusque-là ignorée : nous nous considérons comme des personnes différentes aujourd’hui et dans l’avenir. Une fois ce problème circonscrit, ils ont pu esquisser une solution : montrer aux gens une image d’eux-mêmes vieillissants. En parallèle, 131

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cela a répondu à une préoccupation plus large : la définition d’une façon d’inciter les gens à économiser davantage en vue de leur retraite. Ce basculement conceptuel illustre la troisième qualité nécessaire pour faire bouger autrui : la clarté, qui consiste en la capacité d’aider autrui à considérer sa situation d’une manière neuve et plus révélatrice et à percevoir des problèmes dont il n’était pas conscient auparavant. Les bons vendeurs, nous dit-on depuis longtemps, sont doués pour résoudre les difficultés. Ils sont capables d’évaluer les besoins des clients potentiels, d’analyser leurs contraintes et d’apporter des solutions optimales. Cette aptitude reste importante, mais les renseignements factuels que les vendeurs fournissent le sont moins. En effet, si je sais exactement quel est mon problème (je désire acheter tel appareil photo ou prendre trois jours de vacances au bord de la mer, par exemple), je peux souvent trouver l’information dont j’ai besoin pour prendre ma décision sans la moindre assistance. Les services des autres sont bien plus précieux quand je me trompe, quand je suis dans le doute ou quand j’ignore tout de mon vrai problème. Dans ces situations, l’aptitude à faire bouger autrui dépend moins de la solution des problèmes que de leur détection.

Circonscrire des problèmes Au milieu des années 1960, deux chercheurs en sciences sociales de l’Université de Chicago qui n’allaient pas tarder à devenir célèbres, Jacob Getzels et Mihaly Csikszentmihalyi, ont commencé à étudier un sujet mystérieux : la créativité. Au cours d’une de ses premières investigations, en 1964, Csikszentmihalyi s’est rendu à la School of the Art Institute de Chicago pour y recruter trois douzaines d’étudiants de quatrième année en vue d’une expérience. Il les a emmenés dans une pièce meublée de deux grandes tables. Sur une d’elles étaient disposés 27 objets exotiques ou banals, souvent utilisés par l’école dans les cours de dessin.

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Csikszentmihalyi a demandé aux étudiants de choisir un ou plusieurs objets pour réaliser, sur la seconde table, une nature morte dont ils feraient un dessin. Les jeunes artistes s’y sont pris de deux manières distinctes. Certains ont examiné quelques d’objets, se sont vite fait une idée et se sont empressés de dessiner leur nature morte. D’autres ont pris leur temps. Ils ont manipulé un plus grand nombre d’objets que les premiers, les ont examinés sous toutes les coutures, en ont plusieurs fois modifié la disposition et ont eu besoin de bien plus de temps pour terminer leur dessin. Selon Csikszentmihalyi, le premier groupe essayait de résoudre un problème : comment faire un bon dessin ? Le second essayait de circonscrire un problème  : quel bon dessin pourrais-je faire ? Csikszentmihalyi a ensuite réuni les créations des étudiants en un minisalon et les a fait évaluer par des experts artistiques qui ne savaient ni sur quoi portait l’étude ni d’où venaient les travaux présentés. En faisant le total des notes attribuées par ces spécialistes, Csikszentmihalyi a découvert que ceux-ci considéraient le travail des détecteurs de problèmes comme bien plus créatif que celui des solutionneurs de problèmes. En 1970, Getzels et Csikszentmihalyi ont cherché à retrouver les mêmes artistes, désormais sortis de l’école et gagnant leur vie, pour voir comment ils se débrouillaient. À peu près la moitié d’entre eux avaient complètement quitté le monde de l’art. Les autres exerçaient, souvent avec succès, une profession artistique. De qui se composait ce second groupe ? Presque tous étaient des détecteurs de problèmes au temps de leurs études. Au début des années 1980, Csikszentmihalyi et Getzels ont cons­taté que les détecteurs de problèmes, « 18 ans plus tard, réussissaient bien mieux – d’après les standards de la communauté artistique – que leurs pairs » qui avaient abordé le dessin d’une nature morte selon une démarche de solutionneurs de problèmes107. « La qualité du problème circonscrit est un avant-goût de la qualité de la solution obtenue, a conclu Getzels. Souvent, c’est davantage la découverte des problèmes que les

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connaissances, les compétences techniques ou la maîtrise profes­sionnelle qui distingue la personne créative des autres acteurs du domaine108. » Même si certains universitaires ont contesté la distinction établie par Csikszentmihalyi et Getzels entre résolution et découverte109, les travaux des deux chercheurs ont influencé tant la conception moderne de la créativité que la manière dont elle est étudiée en milieu universitaire. D’autres scientifiques ont constaté à l’occasion de recherches ultérieures que les gens les plus disposés aux avancées créatives dans l’art, la science ou tout autre domaine étaient des détecteurs de problèmes. Ceux-ci effectuent un tri dans de grandes quantités de données souvent issues de multiples disciplines, expérimentent toutes sortes d’approches, n’hésitent pas à changer d’orientation en cours de projet et requièrent souvent plus de temps que leurs homologues pour mener à bien leur travail. Cette vision plus exigeante de la nature des problèmes a des implications énormes pour le nouveau monde de la vente. Aujourd’hui, tant la vente traditionnelle que le commercial sans vente reposent davantage sur les compétences des artistes (création, heuristique, découverte de problèmes) que sur celles des techniciens (réduction, algorithmes, résolution de problèmes). Le bouleversement décrit au chapitre 3 en est la cause. Il y a peu de temps encore, les acheteurs qui voulaient résoudre eux-mêmes leurs problèmes se heurtaient à différents obstacles. Ils faisaient donc appel à des vendeurs, qui disposaient de renseignements qu’eux-mêmes n’avaient pas. Aujourd’hui, de même qu’il a suscité le principe du caveat venditor, le glissement d’une situation d’asymétrie de l’information vers une plus grande égalité remodèle ce que les acheteurs peuvent faire eux-mêmes et, donc, ce que les vendeurs doivent faire pour ne pas être marginalisés. Supposons que je désire acheter un nouvel aspirateur. Voilà 10 ou 15 ans, je serais allé dans un magasin, j’aurais discuté avec un vendeur bien mieux informé que moi et je m’en serais remis à lui pour me fournir le produit requis à un prix loyal. Aujourd’hui, je peux me débrouiller seul. Je peux aller en ligne et consulter les spécifications et les évaluations 134

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de différents modèles. Je peux afficher une question sur ma page Facebook et solliciter les recommandations de mes amis réels et virtuels. Après avoir cerné deux ou trois possibilités, je peux comparer les prix en quelques clics. Et je peux passer ma commande au fournisseur dont l’offre est la meilleure. Je n’ai aucun besoin d’un vendeur. Sauf si j’ai mal compris mon problème. Après tout, mon but ultime n’est pas d’acheter un aspirateur, mais d’avoir un plancher propre. Je ferais peut-être mieux de protéger mes fenêtres à l’aide d’écrans empêchant la poussière d’entrer dans ma maison. Peut-être le problème est-il que mon tapis retient trop facilement les saletés ; il serait alors préférable que j’en achète un nouveau pour éviter de devoir passer sans cesse l’aspirateur. Peut-être ne devraisje pas acheter un aspirateur, mais adhérer à une coopérative de quartier pour partager des appareils électroménagers, ou encore, faire appel à une entreprise de nettoyage disposant de son propre équipement. Si quelqu’un est capable de m’aider à atteindre mon but principal (des planchers propres) d’une manière plus astucieuse et moins coûteuse, je l’écouterai, et peut-être même lui passerai-je une commande. Si je connais mon problème, j’ai des chances de pouvoir le résoudre ; si je ne le connais pas, j’ai peut-être besoin qu’on m’aide à le circonscrire. Ce thème finit presque toujours par surgir dans les conversations sur la vente traditionnelle. Prenez Ralph Chauvin, directeur commercial chez le confiseur italien Perfetti Van Melle, producteur des pastilles Mentos, des gommes aux fruits Airheads et d’autres sucreries. Grâce à sa force de vente, il place ses produits auprès de détaillants, qui les mettent en rayon dans l’espoir que les clients les achèteront. Ralph Chauvin dit avoir assisté à un grand changement depuis quelques années. Les détaillants se soucient moins du nombre de rouleaux de Mentos à commander que des améliorations qu’ils pourraient apporter à toutes les facettes de leur exploitation. « Ils cherchent des partenaires commerciaux objectifs », m’a dit Chauvin. Pour cette raison, les vendeurs les plus appréciés ne sont plus les mêmes. Ce ne sont plus nécessairement ceux qui « concluent », ceux 135

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qui sont capables de proposer une solution immédiate et de faire signer un contrat, dit-il. Ce sont ceux « qui peuvent réfléchir avec les détaillants, qui leur trouvent de nouvelles occasions et qui comprennent qu’il n’est pas nécessaire de conclure sur-le-champ ». En analysant les chiffres et en faisant appel à leur savoir et à leurs compétences person­nelles, les vendeurs de Perfetti disent aux détaillants « quel est le meilleur assortiment de sucreries pour gagner le plus d’argent ». Cela peut signifier d’offrir cinq arômes de Mentos au lieu de sept. Et cela signifie presque toujours de proposer des produits concurrents. En un sens, les meilleurs employés de Chauvin considèrent que leur métier n’est pas tant de vendre des bonbons que de présenter des idées sur le métier de confiseur. Il en va de même en d’autres lieux et en d’autres industries. À Tokyo, j’ai pris place avec Koji Takagi dans une somptueuse salle de réunion face à la gare centrale. Takagi préside le cabinet de conseils commerciaux Celebrain. C’est un des plus grands gourous japonais de la vente, à laquelle il a consacré plusieurs livres. À ses débuts, m’a-t-il dit, le succès d’un vendeur était souvent déterminé par la détention de renseignements et la capacité de les exploiter. Aujourd’hui, alors que l’information est partout, ce qui fait la différence est « l’aptitude à formuler des hypothèses », à clarifier ce qui va se passer. Prenez aussi Shyam Sankar, rencontré au chapitre 2, qui supervise les « ingénieurs de l’avant » de Palantir, ces gens qui vendent sans être des vendeurs. La chose la plus importante, m’a-t-il dit, est de trouver les bons problèmes à résoudre. Pour faire bouger autrui, il faut remplacer la résolution de problèmes par la découverte de problèmes : voilà une transformation aux vastes conséquences. Ainsi, la Haas School of Business de l’Université de la Californie à Berkeley propose-t-elle aujourd’hui un cours intitulé « Découverte de problèmes, résolution de problèmes », car, dit son responsable, « une partie du rôle d’un leader innovant consiste à savoir cadrer un problème d’une manière intéressante et… à voir en quoi il consiste vraiment avant de se précipiter pour le résoudre ». Voilà quelques années, le Conference Board, organisme de recherche très

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respecté émanant des milieux économiques américains, a remis une liste de capa­cités cognitives à 155 directeurs d’écoles publiques et à 89 employeurs privés en leur demandant de les noter en fonction de leur importance pour la main-d’œuvre contemporaine. Les directeurs ont classé en tête la résolution de problèmes, mais celle-ci n’a été placée qu’en huitième position par les employeurs, dont le numéro un était la détection de problèmes110. La détection de problèmes, en tant que moyen pour faire bouger autrui, exploite deux qualités anciennes en les transformant. Premièrement, les meilleurs vendeurs d’autrefois étaient doués pour obtenir de l’ information. Aujourd’hui, ils doivent être doués pour la régir, la trier parmi des masses énormes de données et présenter à autrui les documents les plus pertinents et les plus éclairants. Deuxièmement, les meilleurs vendeurs de jadis savaient répondre aux questions (en partie parce qu’ils disposaient de renseignements que leurs clients potentiels n’avaient pas). Aujourd’hui, ils doivent savoir poser des questions – en découvrant des possibilités, en mettant au jour des difficultés latentes et en découvrant des problèmes imprévus. Une de ces questions vient en tête de liste.

Déterminer des cadrages Au milieu du XXe siècle, le grand publicitaire américain Rosser Reeves s’est rendu célèbre pour trois raisons. D’abord, il est l’auteur de l’expression unique selling proposition  (« argument de vente unique »), qui signifie que tout produit ou service offert sur le marché doit préciser ce qui le distingue de ses concurrents. Ensuite, il a été un des premiers publicitaires à produire des messages télévisés pour des campagnes prési­dentielles américaines, dont la campagne de 1952 pour Dwight D. Eisenhower qui comprenait le refrain chanté I like Ike préfigurant l’argumentaire rimé dont il sera question au chapitre 7. Enfin, Reeves est le protagoniste d’une des anecdotes les plus célèbres de l’histoire de la publicité, qui illustre parfaitement la puissance de la clarté. À force d’être racontée, cette histoire a perdu en précision, mais en voici les grandes lignes.

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À New York, un après-midi, Reeves et un collègue traversent Central Park pour rejoindre leur bureau de Madison Avenue. En chemin, ils rencontrent un mendiant assis derrière une assiette. À côté de lui est posé un morceau de carton sur lequel quelqu’un a griffonné : « Je suis aveugle. » Hélas, l’assiette ne contient que quelques pièces de monnaie. La tentative de cet homme pour faire bouger autrui n’est pas très fructueuse. Reeves sait pourquoi. À son collègue, il dit quelque chose comme : « Je parie que je peux faire gagner beaucoup plus d’argent à ce type en ajoutant juste quelques mots à sa pancarte. » Sceptique, l’homme tient le pari. Reeves se présente alors au malheureux, lui explique qu’il a quelques compétences en publicité et lui propose une petite modification pour accroître sa collecte. L’homme accepte. Reeves prend un marqueur et trace quelques mots sur le carton, puis son collègue et lui s’écartent un peu pour observer le résultat. Presque aussitôt, quelques personnes se mettent à jeter des pièces de monnaie dans l’assiette. D’autres s’arrêtent, bavardent avec l’homme et tirent leur portefeuille pour lui donner un billet de un dollar. L’assiette est bientôt remplie, et l’aveugle a perdu sa triste mine. Sentant sa chance, il rayonne. Qu’a écrit Reeves ? « C’est le printemps et ». À présent, la pancarte dit : « C’est le printemps et je suis aveugle. » Reeves a gagné son pari et il nous a donné une leçon. La clarté est affaire de contraste. En l’occurrence, la pancarte du mendiant a fait bouger les passants dans le parc, elle a éveillé leur empathie en souli­ gnant le contraste entre leur réalité et la sienne. Robert Cialdini, de l’Université de l’État d’Arizona, un des chercheurs en sciences sociales les plus importants de la génération précédente, appelle cela le « prin». On comprend souvent mieux une chose cipe de contraste111  en la comparant avec une autre qu’en l’observant isolément. Les travaux menés par Cialdini au cours des trois dernières décennies ont bouleversé la manière dont les chercheurs analysent la dynamique des influences sur autrui. Un de ses apports principaux est la proposition

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suivant laquelle le contraste fonctionne au sein de chacun des aspects de la persuasion et souvent les amplifie. C’est pourquoi la question la plus pertinente que vous puissiez poser est celle-ci : comparé à quoi ? Vous pouvez soulever cette interrogation en recadrant votre offre de façon à la mettre en contraste avec les autres possibilités, ce qui éclaire ses vertus. La littérature sur le cadrage est vaste et quelquefois contradictoire112, mais les 5 types de cadrages (ou frames) suivants peuvent être utiles, car ils apportent de la clarté à ceux que vous souhaitez faire bouger. 1. Le cadrage du moins Les recherches montrent qu’une quantité excessive d’une bonne chose peut la transformer en mauvaise chose. Au cours d’une étude bien connue, Sheena Iyengar, de l’Université de Columbia, et Mark Lepper, de Stanford, ont installé des kiosques dans une épicerie fine de Menlo Park, en Californie, et ont proposé aux passants de goûter et d’acheter différentes confitures. Le premier kiosque présentait 24 variétés. Une semaine plus tard, ils ont dressé un kiosque proposant six variétés seule­ ment. Comme on s’en doute, les clients ont été bien plus nombreux à s’arrêter devant celui qui proposait un vaste choix. Cependant, quand les chercheurs se sont penchés sur les achats effectués, les résultats ont été si « frappants [qu’ils] semblaient contredire une hypothèse fondamentale des théories classiques de la psychologie sur la motivation humaine et des théories économiques du choix rationnel ». Parmi les consommateurs qui avaient visité le kiosque proposant 24 variétés, 3 % seulement avaient acheté de la confiture. Dans le cas du kiosque où le choix était limité, 30 % avaient fait un achat113. Autrement dit, en divisant par 4 le choix proposé aux consommateurs, on avait multiplié les ventes par 10. Voici maintenant une étude plus récente. On a demandé aux parti­ cipants d’imaginer qu’ils voulaient apprendre l’allemand. On les a ensuite divisés en deux groupes. L’un devait choisir entre un cours de langue allemande en ligne à 575 $ et un progiciel d’enseignement de 139

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l’allemand à 449 $. L’autre avait à faire le même choix, mais, si le participant optait pour le progiciel à 449 $, il recevait en prime un diction­ naire allemand. Dans le premier groupe, 49 % des participants ont choisi le logiciel plutôt que le cours en ligne. Dans le second groupe, cette proportion n’a été que de 36 %, même si l’offre était plus avantageuse. « Ajouter un article peu coûteux à une offre de produit peut entraîner une baisse de la propension des clients à payer », ont conclu les chercheurs114. Dans bien des cas, une addition peut devenir une soustraction. C’est pourquoi la gestion de l’information est si importante, surtout dans un monde saturé d’options. Le fait de cadrer les choix propo­ sés de manière à laisser moins de latitude aux gens peut aider ces derniers à mieux prendre leurs décisions. Ce que Mies van der Rohe dit à propos de la conception des immeubles est également vrai de l’aptitude à faire bouger ceux qui les habitent : moins signifie plus. 2. Le cadrage axé sur les expériences Les économistes classent ce que les gens se procurent d’après les attributs de leurs achats. Une tondeuse à gazon n’appartient pas à la même catégorie qu’un hamburger ou qu’un massage. Les psychosociologues, en revanche, classent souvent les achats en fonction des intentions. Certains sont des achats matériels – « effectués principalement dans l’intention d’acquérir… un objet tangible qu’on gardera en sa possession ». D’autres sont des achats d’expériences – « effectués principa­lement dans l’intention d’acquérir… un événement ou une série d’événements qu’on vivra115 ». Plusieurs chercheurs ont montré que les achats d’expériences apportent bien plus de satisfaction que les achats de marchandises. Ainsi, les Américains et les Canadiens sondés par Leaf Van Boven, de l’Université du Colorado à Boulder, et Thomas Gilovich, de l’Université Cornell, qui leur ont demandé de réfléchir à leurs acquisitions récentes, ont répondu pour la plupart que les achats d’expériences les rendaient plus heureux que les achats matériels. Même quand les gens songent à

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leurs achats futurs, ils croient que les expériences leur apporteront plus de satisfaction que les biens physiques116. Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène. Par exemple, nous nous adaptons vite aux changements matériels. La superbe BMW neuve qui nous réjouissait tant trois semaines plus tôt n’est plus qu’un moyen de transport pour aller au travail. À l’inverse, la randonnée dans l’Ouest canadien demeure dans notre esprit, et avec le temps qui passe, nous avons tendance à oublier les menus désagréments (tiques) et à nous souvenir des joies intenses (couchers de soleil sublimes). Les expériences nous donnent aussi des sujets de conversation et des histoires à raconter, qui peuvent faciliter nos contacts avec les autres et approfondir la connaissance de notre propre identité, ce qui dans les deux cas accroît notre satisfaction. C’est pourquoi une vente axée sur les expériences est davantage suscep­tible de conduire à la satisfaction des clients et au renouvel­lement des ventes. Donc, si vous vendez une voiture, n’insistez pas trop sur ses sièges en cuir de Corinthe. Soulignez plutôt ce qu’elle permettra à l’acheteur de faire : voir de nouveaux endroits, visiter de vieux amis, se constituer des souvenirs. 3. Le cadrage de l’étiquette Si vous avez étudié l’économie, vécu à l’époque de la guerre froide ou joué à des jeux de société, vous connaissez probablement « le dilemme du prisonnier ». En voici le scénario de base : A et B sont soupçonnés d’avoir commis un délit, mais la police et le procureur n’ont pas de preuves suffisantes pour les inculper. Ils décident de mettre les suspects sous pression en les interrogeant séparément. Si A et B se taisent, chacun d’eux ne subira qu’une peine légère : un mois de prison. Si tous deux avouent, ils seront condamnés à six mois de prison chacun. Si A avoue tandis que B reste coi, B fera 10 ans de prison et A sera libéré. Inversement, si B avoue tandis que A reste silencieux, A passera 10 ans derrière les barreaux et B sera relâché. Évidemment, A et B s’en sortiraient mieux s’ils coopéraient, c’est-à-dire s’ils n’ouvraient pas la bouche.

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Cependant, si l’un des deux n’a pas confiance en l’autre, il avouera peut-être, car il se dira que son partenaire pourrait le laisser tomber. En 2004, des sociologues de l’Interdisciplinary Center d’Israël, de l’US Air Force Academy et de l’Université Stanford ont recruté des participants pour jouer à ce jeu, mais ils en ont changé le nom. Pour un groupe, ils l’ont appelé le « jeu de Wall Street », pour un autre, le « jeu communautaire ». Une manœuvre aussi innocente qu’un réétiquetage allait-elle donner des résultats significatifs au point d’altérer les comportements ? Absolument. Dans le jeu de Wall Street, 33 % des participants ont coopéré et ont été libérés ; dans le jeu communautaire, 66 % des sujets sont parvenus à ce résultat mutuellement bénéfique117. L’étiquette a aidé les gens à répondre à la question suivante : comparé à quoi ? Elle a mis l’exercice dans un certain contexte, balisé ce qui était attendu et modifié les comportements dans un rapport de deux pour un. Quelque chose de similaire s’est produit en 1975 dans trois classes de cinquième année des écoles publiques de Chicago. Un trio de chercheurs de l’Université Northwestern a, de manière aléatoire, réparti les élèves en trois groupes. Pendant une semaine, les membres d’un des groupes se sont entendu dire par leurs enseignants et leurs surveillants que leur classe était une des mieux tenues de l’école. Les élèves du deuxième groupe ont simplement été poussés à prendre soin de leurs affaires : on leur a dit de ramasser leurs saletés, de ranger leur bureau et de garder la classe propre. Le troisième était le groupe de contrôle. Quand les enquêteurs ont évalué le degré de saleté des classes pour le comparer au niveau antérieur, ils ont obtenu les résultats auxquels on pouvait s’attendre : le premier groupe était celui qui était le plus ordonné et le plus propre. Le simple fait de lui attacher une étiquette positive – et d’aider ainsi les élèves à se cadrer eux-mêmes en comparaison des autres – avait amélioré son comportement.

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4. Le cadrage terni Se pourrait-il que le négatif devienne positif quand il s’agit de faire bouger autrui ? C’est ce que trois professeurs de marketing ont cherché à savoir au cours d’une étude menée en 2012. Dans une série d’expérimentations, ils ont présenté aux sujets des renseignements sur des chaussures de randonnée, comme si les participants cherchaient à les acheter en ligne. À la moitié du groupe, ils ont donné la liste de ce que les chaussures avaient de bien : semelles orthopédiques, matériaux imper­méables, garantie de cinq ans, etc. À l’autre moitié, ils ont remis la même liste d’arguments positifs en la faisant suivre d’un point négatif : ces chaussures n’étaient malheureusement offertes qu’en deux couleurs. Fait remarquable, les gens qui avaient reçu cette petite dose d’information négative se sont souvent montrés plus disposés à acheter les chaussures que ceux qui n’avaient reçu que de l’information positive. Les chercheurs ont surnommé « effet défaut » ce phénomène par lequel « l’ajout d’un détail négatif mineur dans la description par ailleurs positive d’une cible peut conférer à cette description un effet plus positif ». Toutefois, cela ne semble fonctionner que dans deux circonstances. Premièrement, les gens qui traitent l’information doivent être dans ce que les chercheurs appellent un état de « faible effort », c’est-à-dire qu’au lieu de se concentrer intensément sur la décision, ils font un peu moins d’effort, peut-être parce qu’ils sont occupés ou distraits. Deuxièmement, l’information négative doit suivre l’information positive et non la précéder. Là encore, la comparaison crée de la clarté. « La logique de base est que, lorsque des individus reçoivent des renseignements négatifs de faible ampleur après avoir reçu de l’information positive, ces renseignements soulignent ou accroissent la primauté de l’information positive118. » Par conséquent, si vous cherchez à convaincre une personne qui ne pèse pas délibérément chaque mot, présentez-lui tous vos arguments positifs, puis ajoutez-y un peu de négatif. Le fait de signaler honnê­ tement un petit défaut peut faire ressortir la vraie beauté de votre offre. 143

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5. Le cadrage potentiel Jusqu’ici, nous avons envisagé la vente de confitures de luxe, de logiciels d’apprentissage de l’allemand et de chaussures de randonnée… à un détail près. Quel est le meilleur cadrage quand on cherche à se vendre soi-même ? D’instinct, on se dit qu’on devrait recourir à un cadrage de succès, en soulignant les contrats signés, les collaborateurs remobilisés, les récompenses accumulées. Pourtant, dans un article fascinant et riche d’enseignement publié en 2012, Zakary Tormala et Jayson Jia, de l’Université Stanford, et Michael Norton, de la Harvard Business School, suggèrent une appro­ che différente. Ce qu’il convient de faire, disent-ils, est de souligner le potentiel. Ces chercheurs ont par exemple mis des participants dans le rôle d’un directeur général de la National Basketball Association chargé d’établir les contrats des athlètes. Les uns devaient proposer une entente à un joueur aux statistiques impressionnantes, comptant cinq ans d’expérience. Les autres devaient s’occuper d’une recrue qui, selon toutes probabilités, serait en mesure d’égaler les statistiques du premier au cours des cinq saisons suivantes. En général, les participants ont attribué au premier joueur un contrat supérieur à quatre millions de dollars pour sa sixième année, ce qui est déjà pas mal. Cependant, et c’est là le résultat intéressant, ils ont dit qu’ils s’attendaient à verser plus de cinq millions de dollars au débutant pour sa sixième saison. De même, les chercheurs ont testé deux annonces Facebook diffé­ rentes pour le même comédien, Kevin Shea. La moitié des messages avançaient qu’il « pourrait être la prochaine grande vedette », et l’autre moitié, qu’il « était la prochaine grande vedette ». La première annonce a généré bien plus de clics et de « j’aime » que la seconde. La leçon de cette recherche, écrivent les universitaires, est que « le potentiel d’exceller dans un domaine peut être préféré au fait d’être effectivement bon dans ce domaine119 ». Les gens trouvent souvent que le potentiel est plus intéressant que la réussite, car il est empreint d’incertitude, soutiennent les chercheurs.

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Celle-ci peut conduire les gens à s’interroger plus profondément sur la personne qu’ils évaluent, et ce traitement intensif peut aboutir à dégager des raisons plus nombreuses et meilleures qui font de cette personne un bon choix. Aussi, la prochaine fois que vous devrez vous vendre vous-même, ne vous basez pas seulement sur ce que vous avez réussi hier. Soulignez aussi ce que vous pourriez accomplir demain.

Repérer une voie de sortie Une fois que vous avez trouvé le problème et le bon cadrage, il vous reste encore un pas à faire. Vous devez proposer aux gens une voie de sortie. Une étude consacrée à une collecte alimentaire effectuée dans un établissement universitaire illustre ce thème. On a demandé aux étudiants de désigner deux groupes de pairs : ceux qui étaient « le moins susceptibles » de contribuer à la collecte et ceux qui étaient « le plus susceptibles » de le faire. Puis, chacun des groupes a été dividé en deux. Les chercheurs ont adressé à une moitié de chacun des groupes une lettre demandant au destinataire de donner des aliments d’un certain type, accompagnée d’une carte montrant où les déposer. Quelques jours plus tard, ils ont joint ces étudiants par téléphone. L’autre moitié de chaque groupe a reçu une lettre différente. Elle s’ouvrait sur la formule « Cher étudiant » plutôt que sur le nom d’une personne précise. Elle ne demandait pas au destinataire de fournir un type d’aliment particulier et ne comportait pas de carte. Ces étudiants n’ont pas été rappelés. Qu’est-ce qui a pesé le plus : les prédispositions des étudiants ou le contenu des lettres ? Parmi les étudiants du groupe le moins susceptible de donner qui avaient reçu la lettre la moins détaillée, la participation à la collecte alimentaire a été de… 0 %. Leurs homologues qui étaient plus disposés à donner et qui avaient reçu la même lettre n’ont pas fait preuve d’une générosité tellement plus grande : seuls 8 % d’entre eux ont fait un don. En revanche, la lettre qui livrait aux étudiants des détails sur la manière d’agir a eu un effet colossal. Le quart des étudiants censés être

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les moins prêts à contribuer ont fait un don quand ils ont reçu la lettre contenant un appel concret avec une carte et l’indication du lieu où déposer les aliments. Ce qui les a fait bouger, ce n’est pas seulement la requête, mais aussi le fait que les demandeurs leur avaient fourni une voie de sortie vers leur destination. Riche d’une demande précise accompagnée d’un moyen clair pour la satisfaire, le groupe le moins disposé à contribuer a donné trois fois plus que le groupe le plus prêt à donner qui n’avait pas reçu de consignes claires120. Conclusion : on aura beau être transparent au sujet de ce qu’il faut penser, les gens risquent de ne pas bouger si on ne les éclaire pas sur la manière d’agir. À sa manière, ce chapitre est une voie de sortie. J’espère que vous aurez vu dans cette deuxième partie que les qualités nécessaires aujourd’hui pour la vente traditionnelle et pour le commercial sans vente – le nouvel ABC  – comprennent un esprit ardent, un toucher adroit et un sens des possibilités. Vous aurez ainsi compris comment être. Cependant, vous devez aussi savoir comment faire. Pour cela, veuillez passer à la troisième partie après avoir examiné la mallette d’échan­tillons exposée dans les pages qui suivent

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Mallette d’échantillons

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Clarifiez les motivations d’autrui grâce à 2 questions « irrationnelles » Michael Pantalon, chercheur à la Yale School of Medicine, fait autorité en matière d’« entretien motivationnel ». Née de la thérapie et du conseil, puis étendue à d’autres domaines, cette technique cherche à déclencher un changement de comportement non en promettant des récompenses aux gens ou en les menaçant de punitions, mais en faisant appel à leurs ressorts internes. Or, ce qu’il y a de plus efficace pour mettre au jour les ressorts enfouis est de poser des questions. Cependant, quand il s’agit de faire bouger autrui, toutes les questions ne sont pas égales. « J’ai appris que les questions rationnelles ne parvenaient pas à motiver les personnes rebelles, écrit Pantalon. En fait, j’ai constaté que les questions irrationnelles motivaient mieux les gens. » Supposez que votre fille bredouille et bafouille, qu’elle procrastine et renâcle, et plus généralement, qu’elle fait tout pour ne pas préparer son examen d’algèbre de fin d’année. Si vous suivez Pantalon, vous ne lui direz pas : « Ma petite fille, tu dois travailler. » Ni : « Je t’en supplie, prépare cet examen. » En revanche, vous lui poserez 2 questions : 1. Sur une échelle de 1 à 10, où 1 signifie « pas prête du tout » et 10 « totalement prête », à quel point es-tu prête à étudier ? Ensuite, demandez-lui : 2. Pourquoi n’as-tu pas choisi un chiffre plus petit ?

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« Voilà une question qui prend tout le monde par surprise », écrit Pantalon dans Instant Influence. Demander pourquoi le chiffre n’est pas plus petit sert de catalyseur. La plupart des gens qui refusent de faire ou de croire quelque chose n’ont pas une position binaire, oui-non, allumé-éteint. Aussi, évitez de leur poser une question de ce genre. Si votre client potentiel a ne serait-ce qu’une mince envie de bouger, dit Pantalon, le fait de lui demander de se situer sur une échelle de 1 à 10 peut faire apparaître un « non » apparent comme un vrai « peut-être ». Plus important encore, tandis qu’elle explique pourquoi elle se note 4 au lieu de 3, votre fille commence à énoncer ses propres raisons d’étudier. Elle passe de la défense de son comportement actuel à l’exposé des raisons pour lesquelles, à un certain niveau, elle voudrait se conduire autrement. Cela, dit Pantalon, lui permet de clarifier ses motivations personnelles, positives et intrinsèques pour étudier, ce qui accroît les chances qu’elle le fasse bel et bien. Alors, sur une échelle de 1 à 10, à quel point êtes-vous prêt à essayer la technique en deux questions de Pantalon ? Et pourquoi votre chiffre n’est-il pas plus petit ?

Donnez-vous une secousse d’inhabituel La clarté, avons-nous appris, dépend des comparaisons. Souvent, cependant, nous sommes enfoncés dans nos ornières au point d’à peine remarquer ce que nous faisons et pourquoi nous le faisons. Cela risque de nuire à notre capacité d’apporter la clarté à autrui. Parfois, comme le dit Sam Sommers, psychologue de l’Université Tufts, « il faut une secousse d’inhabituel pour nous rappeler à quel point nous sommes aveugles à ce qui nous entoure ». Bref, accordez-vous un des 3 gestes suivants :

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1. La minisecousse À votre prochaine réunion, assoyez-vous à l’autre bout de la table de conférence. En sortant du travail, empruntez un chemin différent pour rentrer chez vous. Au lieu de commander votre mets habi­tuel dans votre restaurant favori, choisissez le 11e plat du menu. 2. La demi-secousse Passez une journée dans un cadre qui ne vous correspond pas. Si vous êtes professeur, installez-vous dans le cabinet d’un ami avocat. Si vous êtes comptable, prenez votre après-midi et passez-le avec un maître nageur ou un gardien de parc. 3. La pleine secousse Visitez un pays dont la culture est différente de la vôtre. Vous en reviendrez probablement secoué, mais vos idées seront plus claires.

Devenez gestionnaire de données Autrefois, notre problème était d’obtenir l’information. Aujourd’hui, c’est de la gérer, d’en devenir le curateur. Pour comprendre le monde et le faire comprendre à ceux que nous espérons faire bouger, nous devons trouver notre chemin dans la masse de renseignements qui nous arrive chaque jour, en choisissant ce qui est pertinent et en écartant le reste. Hélas, nous n’avons pour la plupart aucune méthode permettant d’atta­ quer cette avalanche. Heureusement, Beth Kanter, experte en asso­ ciations, en technologies et en médias sociaux, a mis au point un processus en 3 points pour les curateurs novices. 1. La recherche Une fois que vous avez défini le domaine dans lequel vous aimeriez intervenir comme curateur (par exemple, la réforme de l’enseignement au second degré, les dernières modes de la planche à roulettes, les vices et les vertus des valeurs mobilières garanties par des hypothèques), dressez la liste des meilleures sources d’information.

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Prenez le temps de les consulter régulièrement. Kanter conseille d’y passer au moins 15 minutes, 2 fois par jour. Au passage, collectez ce que vous trouvez le plus intéressant. 2. La définition du sens Vous aurez une vraie valeur ajoutée en créant du sens à partir des documents que vous avez réunis. Cela peut être tout simplement une liste annotée de liens web ou un blogue personnel que vous alimentez régulièrement. Beth Kanter conseille de consulter cette liste de ressources tous les jours. 3. Le partage Une fois que vous avez récolté les bons éléments et que vous les avez organisés de manière à leur donner un sens, vous êtes prêt à les partager avec vos collègues, vos clients ou les membres de votre réseau social. Vous pouvez le faire par courriel, par lettre d’information ou à l’aide de Facebook, de Twitter ou de LinkedIn. Vous aiderez ainsi les autres à voir leur situation sous un jour nouveau et peut-être à déceler des problèmes que vous pourriez résoudre. « La gestion de contenus est en partie une forme d’art, en partie une science, mais c’est surtout une pratique quotidienne », écrit Beth Kanter. Consultez à ce sujet son introduction à la gestion de contenus (www.bethkanter.org/content-curation-101).

Apprenez à poser de meilleures questions Dans le nouveau monde de la vente, l’aptitude à poser les bonnes questions est plus importante que la capacité de fournir les bonnes réponses. Malheureusement, nos écoles privilégient souvent l’inverse. Elles enseignent les façons de répondre, mais pas les manières d’interroger. Les gens du Right Question Institute (RQI) tentent d’y remédier. Ils ont mis au point une méthode au moyen de laquelle les éducateurs peuvent aider leurs élèves à poser les bonnes questions. Cette technique peut aussi être utile à ceux qui ont fait leurs études au XXe siècle.

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Avant votre prochain appel de vente, ou avant la redoutable réunion que vous allez tenir avec votre ex-conjoint ou avec votre insupportable patron, essayez la technique de formulation de questions du RQI, qui comprend 3 étapes. 1. La production des questions Établissez une liste de questions en notant toutes celles qui vous viennent à l’esprit, sans vous arrêter pour juger, discuter ou y répon­ dre. Ne vous inquiétez pas pour la présentation ; contentez-vous d’écrire les questions qui vous passent par la tête. Transformez toutes les affirmations en questions. 2. L’amélioration des questions Parcourez votre liste de questions et, pour chacune d’elles, demandez-vous si elle est fermée (question à laquelle on peut répondre par « oui », par « non » ou par un seul mot) ou ouverte (question qui réclame une explication). Puis, interrogez-vous sur les avantages et les inconvénients de chacune de ces formes de questions. Enfin, remplacez quelques questions fermées par des questions ouvertes, et vice-versa. 3. La hiérarchisation des questions Choisissez vos trois questions les plus importantes. Demandezvous pourquoi vous avez opté pour celles-là, puis modifiez-les une fois de plus afin qu’elles soient très claires. Grâce à ce processus, vous pouvez détecter trois questions puissantes à poser à l’individu assis de l’autre côté de la table. Elles peuvent vous aider l’un et l’autre à clarifier votre situation et l’orientation à rechercher. Vous trouverez davantage d’information sur le site www. rightquestion.org (en anglais).

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Lisez ! Les thèmes de ce chapitre – du cadrage des arguments à la gestion des données, en passant par la recherche de problèmes – ont fait l’objet de plusieurs livres. Voici 5 ouvrages qui figurent parmi mes favoris : 1. Influence et manipulation (titre original : Influence : Science and Practice), par Robert Cialdini (First, 2e éd., 2004). Cialdini a fait accomplir à l’étude de la persuasion plus de progrès que qui que ce soit dans le monde. Ce livre est un classique. Vous devez le lire. Procurez-le-vous tout de suite. Ses séminaires publics, auquel j’ai participé, sont excellents. Vous trouverez d’autres renseignements sur le site www.influenceatwork.com. 2. Idées de génie. Comment créer des messages qui marquent les esprits (titre original : Made to Stick : Why Some Ideas Survive and Others Die), par Chip Heath et Dan Heath (Pearson, 2e éd., 2007). Les frères Heath sont les dignes successeurs de Cialdini. Leur premier livre est un bijou. Il vous apprendra comment créer des messages qui « collent » en respectant quelques principes : simplicité, caractère inattendu, caractère concret, crédi­bilité, émotion et histoire. 3. Switch : osez le changement (titre original : Switch, How to Change Things When Change Is Hard), par Chip Heath et Dan Heath (Leduc.s, 2012). Quelques années après Idées de génie, les frères Heath ont pondu un nouveau livre, lui aussi excellent. Il est consacré au changement qui, vous diront-ils, suppose que l’éléphant émotionnel et le cornac rationnel travaillent de concert. 4. Conditionnés pour trop manger. Comment l’environnement influence votre appétit (titre original : Mindless Eating : Why We Eat More Than We Think), par Brian Wansink (Marabout, 2010). L’inverse de la clarté est l’obscurité. Et celle-ci a une cousine germaine, l’insouciance, le fait de ne pas être conscient. Wansink montre comment, par inadvertance, nous sommes les

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victimes de la persuasion cachée qui nous pousse à trop manger sans même que nous le sachions. 5. Nudge : la méthode douce pour inspirer la bonne décision (titre original : Nudge : Improving Decisions About Health, Wealth, and Happiness), par Richard H. Thaler et Cass R. Sunstein (Pocket, 2012). Ces deux enseignants ont parcouru le champ de l’économie du comportement pour révéler comment l’« architecture du choix » peut pousser les gens à prendre des décisions plus profitables pour eux.

Demandez cinq fois pourquoi Ceux d’entre vous qui ont de jeunes enfants connaissent bien, et redou­ tent peut-être, leurs incessants pourquoi. Les petites personnes ont une bonne raison de poser cette question. Elles essaient de comprendre comment les choses fonctionnent dans le monde fou où nous vivons. Les gens d’Ideo, célèbre cabinet d’innovation et de création, ont retenu la leçon des moins de cinq ans et en ont fait une de leurs méthodes pour résoudre des problèmes créatifs. Les gens d’Ideo appellent cette technique « les cinq pourquoi ». Elle fonctionne de cette manière : quand vous voulez trouver quel genre de problème une personne rencontre, demandez-lui : « Pourquoi ? » Une fois qu’elle a répondu, demandez-lui de nouveau : « Pourquoi ? » Et ainsi, cinq fois de suite. Cela peut agacer votre interlocuteur, évidemment, mais vous serez étonné par ce que vous rapporterez dans vos filets. Comme l’expli­que Ideo, « cet exercice oblige les gens à examiner et à exprimer les raisons sous-jacentes de leur comportement et de leurs attitudes ». Et cela peut vous aider à découvrir les problèmes occultes à résoudre en priorité.

Trouvez le 1 % Il y a bien longtemps, à l’époque de mes études de droit, j’ai suivi un cours intitulé « Transactions commerciales internationales » présenté

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par un professeur nommé Harold Hongju Koh. Je ne me rappelle pas exactement ce que j’ai appris au cours du semestre – différentes choses sur les effets du commerce, je suppose, et aussi sur les lois anticor­ ruption. Cependant, je n’ai jamais oublié ce que le professeur Koh nous a dit un après-midi de printemps. « Pour chercher à comprendre la loi, nous a-t-il dit, l’important est de vous attacher au 1 %. Ne vous perdez pas dans le fouillis des détails, a-t-il insisté. Réfléchissez plutôt à l’essence de ce que vous explorez, au 1 % qui donne vie au 99 % restant. Comprendre ce 1 % et être capable de l’expliquer aux autres est la marque des esprits forts et des bons avocats. » La clarté fonctionne selon la même logique. Que vous vendiez des ordinateurs à une multinationale ou l’heure d’aller au lit au benjamin de vos enfants, demandez-vous : « Quel est le 1 % ? » Si vous êtes capa­ ble de répondre à cette question et de l’expliquer, vous avez de fortes chances de faire bouger autrui.

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Troisième partie

Comment faire

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Chapitre 7

Le pitch

À

l’automne 1853, un artisan américain du nom d’Elisha Otis, qui avait imaginé une solution à un des problèmes de mécanique les plus ardus de l’époque, cherchait un endroit prestigieux pour en faire la démonstration. Dans ce temps-là déjà, beaucoup d’immeubles américains étaient équipés d’ascenseurs. Cependant, la mécanique qui faisait fonctionner ces machines élémentaires, composée de cordes et de poulies, n’avait guère évolué depuis l’époque d’Archimède. Un câble solide tirait une plateforme le long d’une tige, ce qui fonctionnait souvent très bien – sauf quand le câble lâchait, auquel cas la plate-forme s’écrasait au sol, détruisant son chargement. Otis avait imaginé un moyen de remédier à ce défaut. Grâce à un ressort de charrette fixé à la plate-forme et à des barres à cliquet installées à l’intérieur de la tige, si la corde se rompait, le frein de sécurité se déclenchait automatiquement et empêchait l’ascenseur de chuter. Capable d’engendrer des économies et de sauver des vies, l’invention avait un potentiel énorme, mais Otis se heurtait au scepticisme et aux peurs du public. Otis a donc loué le principal hall d’exposition de ce qui était alors le plus grand centre de congrès de New York. Il y a bâti une plate-forme d’ascenseur ouverte, glissant le long d’une tige et capable de monter et de descendre. Un après-midi, il a fait réunir des congressistes pour une démonstration. Il a grimpé sur la plate-forme et a demandé à un

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assistant de la hisser à sa hauteur maximale. Là, debout et toisant le public, Otis a pris une hache et a tranché la corde qui retenait l’ascenseur. La plate-forme est tombée mais, en quelques secondes, le frein de sécurité s’est déclenché et a stoppé sa chute. Toujours debout, Otis s’est penché vers la foule en émoi et a dit : « Tout va bien, gentlemen, tout va bien121. » Cela a été la première démonstration d’un ascenseur assez sûr pour transporter des humains. (Otis, vous l’aurez compris, a ensuite fondé la société d’ascenseurs Otis Elevator Company.) Et, ce qui importe davantage pour notre propos, sa démonstration a été un moyen simple et efficace de présenter un message complexe en vue de faire bouger autrui – le premier « discours de l’ascenseur » du monde ! Dans la deuxième partie, nous avons vu comment être – les trois qualités nécessaires pour la vente traditionnelle et le commercial sans vente. Dans cette dernière partie, j’enseignerai comment faire en m’attachant à trois facultés essentielles : l’argumentation, l’improvisation et le service. Ce chapitre porte sur l’argumentation, ou pitch, qui consiste en l’aptitude à distiller ses arguments pour en tirer l’essence persuasive, comme l’a fait Otis en 1853. Pour comprendre la dynamique de ce processus et l’objectif du pitch lui-même, rien de tel que l’analyse de la situation à Hollywood.

Les leçons de Tinseltown* Au cœur de l’industrie du divertissement, il y a le pitch, le résumé d’une intrigue. Les dirigeants de la télévision et du cinéma tiennent conseil auprès de scénaristes et d’autres créateurs qui leur soumettent des idées pour le prochain blockbuster ou la prochaine série télévisée à succès. Même les dessins animés passent par de telles séances. « C’est Out of Africa qui rencontre Pretty Woman, déclare un scénariste enthousiaste

* « Ville des paillettes » : surnom de Hollywood. (NdT)

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dans la satire hollywoodienne The Player. C’est comme Les dieux sont tombés sur la tête, sauf que la bouteille de Coca est une actrice ! » Étant donné que ce qui se passe derrière les murs des studios est souvent un mystère, deux professeurs d’écoles de commerce ont décidé d’aller y voir de plus près. Pendant cinq ans, Kimberly Elsbach, de l’Université de la Californie à Davis, et Roderick Kramer, de l’Université Stanford, ont observé le processus du pitch hollywoodien. Ils ont assisté à des dizaines de réunions, épluché les comptes rendus d’autres rencontres et interrogé des scénaristes, des agents et des producteurs. L’étude122 très remarquée qu’ils ont rédigée pour l’Academy of Management Journal constitue un excellent guide, même pour ceux qui vivent la vidéo sur le canapé du salon. La découverte essentielle de ces chercheurs est la suivante : la réussite d’un pitch dépend autant de celui qui le reçoit que de celui qui l’émet. En particulier, Elsbach et Kramer se sont aperçus que ce rituel élaboré recouvrait deux processus. Dans le premier, le récepteur (c’està-dire le dirigeant) utilise différents indices physiques et comportementaux pour évaluer la créativité de l’émetteur (c’est-à-dire le scénariste). Les récepteurs considèrent la passion, l’esprit et l’originalité comme des indices positifs, et l’habileté, l’intensité et la multiplicité des idées comme des indices négatifs. Si, dans les premières minutes, le récepteur évalue l’auteur du pitch comme non créatif, sa conclusion est faite en pratique, même si la réunion n’est pas terminée. Cela dit, pour les auteurs de pitchs, il ne suffit pas d’être classé dans la catégorie créative ; un second processus est à l’œuvre. Dans les pitchs les plus réussis, l’émetteur ne livre son idée au récepteur qu’après avoir obtenu son acquiescement. Bref, il fait de son interlocuteur un collaborateur. Plus les dirigeants – les « costumes », comme les appellent ironiquement leurs comparses censément plus artistiques – sont capables de contribuer à la réflexion, meilleure l’idée devient, et plus elle a de chances d’obtenir le feu vert.

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Les réunions les plus profitables sont celles où le récepteur « est tellement sollicité par l’auteur du pitch que le processus ressemble à une collaboration », ont constaté les chercheurs123. « Une fois que le récepteur a le sentiment d’être un collègue créatif, le risque de rejet se réduit », dit Elsbach124. Certains des sujets de l’étude ont décrit cette dynamique à leur propre manière. « À un certain point, le scénariste doit s’effacer en tant que créateur et laisser [le dirigeant] projeter sur son idée ce dont il a besoin pour redresser le récit », a affirmé aux professeurs un producteur oscarisé. Cependant, a expliqué un autre, « quand le pitch est infructueux, c’est que l’intéressé n’a pas bien écouté l’idée ou ne l’a pas bien exploitée125 ». La leçon est capitale : l’objectif du pitch n’est pas nécessairement de faire bouger les autres pour qu’ils adoptent l’idée immédiatement. C’est de proposer quelque chose d’assez convaincant pour engager une conversation, pour transformer l’interlocuteur en participant et pour arriver à un résultat qui plaise aux deux parties. Dans un monde où les acheteurs ont beaucoup d’information et tout un éventail de choix, le pitch est souvent le premier mot, mais rarement le dernier.

Les 6 successeurs du discours de l’ascenseur L’invention d’Elisha Otis a eu un effet catalytique sur de nombreuses industries, y compris celle du conseil. Dès que les ascenseurs se sont répandus, des gourous comme Dale Carnegie ont conseillé de toujours avoir un « discours de l’ascenseur » prêt. L’idée était que, si on se trouvait dans un ascenseur avec son grand patron, il fallait être capable, entre la fermeture des portes et l’arrivée à l’étage, de lui expliquer qui on était et ce qu’on faisait. Pendant plusieurs décennies du XXe siècle, le discours de l’ascenseur a été une procédure opérationnelle standard ; mais les temps changent et les technologies évoluent. Au XXIe siècle, cette pratique paraît un peu éculée pour deux raisons. D’abord, les entreprises sont en général plus démocratiques qu’elles ne l’étaient dans le monde stratifié des complets en flanelle grise. Beaucoup de PDG, même dans les grandes entreprises, 162

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siègent comme tout le monde dans des bureaux vitrés ou des espaces ouverts encourageant le contact et la collaboration. La porte fermée est de moins en moins la norme. Il y a 50 ans, vous et moi n’aurions pas eu d’autre occasion que les trajets en ascenseur pour rencontrer le PDG. Aujourd’hui, nous pouvons rôder du côté de son bureau, lui envoyer un courriel ou l’interroger au cours d’une réunion. Ensuite, quand le PDG du milieu du XXe siècle sortait de l’ascenseur pour retourner à son bureau, il n’avait probablement qu’à faire quelques appels téléphoniques et à traiter quelques mémos. De nos jours, chacun – le grand patron comme la plus récente recrue – doit affronter un torrent d’information. Selon une estimation du McKinsey Global Institute, l’Américain moyen entend ou lit plus de 100 000 mots chaque jour126. Si on quitte son bureau le temps de boire une tasse de café, on est accueilli à son retour par des courriels, des SMS et des tweets, sans parler des blogues qu’on n’a pas lus, des vidéos qu’on n’a pas regardées et, si on a plus de 40 ans, des appels téléphoniques auxquels on n’a pas répondu. Nous avons aujourd’hui plus d’occasions de faire passer notre message qu’Elisha Otis ne l’aurait imaginé. Cependant, nos récepteurs ont bien plus de distractions que les congressistes de 1853 assemblés pour voir Otis survivre à sa chute. C’est pourquoi nous devons élargir notre répertoire d’argumentaires en l’adaptant à une époque d’attention limitée et de caveat venditor. Depuis quelques années, je collecte des pitchs partout où j’en trouve. D’après mes investigations, voici les 6 successeurs probables du discours de l’ascenseur. Je vous explique en quoi ils consistent, comment ils fonctionnent et comment vous pouvez les utiliser pour engager une conversation qui aboutira à faire bouger autrui. 1. Le pitch en un seul mot Le pitch idéal, en notre ère d’attention brève, commence par un mot… et s’arrête là. Ce type d’argumentaire a été en partie popularisé grâce à Maurice Saatchi, fondateur, avec son frère Charles, des agences de 163

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publicité Saatchi & Saatchi et M&C Saatchi. Depuis plusieurs années, Saatchi prône ce qu’il appelle le one-word equity, c’est-à-dire le concept d’une marque résumé en un mot. Selon lui, dans un monde peuplé d’« indigènes du numérique » – les moins de 30 ans, qui n’ont guère de souvenirs de la vie sans Internet –, la lutte pour l’attention s’est intensifiée d’une manière que personne ne prend complètement en compte. Les plages d’attention ne sont pas seulement en train de se rétrécir, ditil. Elles sont presque en voie de disparition. La seule manière d’être entendu est de pousser la brièveté à son point de rupture. « Dans ce modèle, les entreprises se battent pour s’approprier un mot unique dans l’esprit du public », écrit Saatchi. Leur but, et le but de ce type de pitch, est « de définir la caractéristique qu’elles désirent le plus associer à leur marque autour du monde, puis de se l’approprier. Voilà ce qu’est le one-word equity127. » Si quelqu’un pense à vous, il prononce ce mot ; si quelqu’un prononce ce mot, il pense à vous. Cette aspiration vous semble fantaisiste ? Considérez à quel point les entreprises vont dans cette direction. À quelle société informatique pensez-vous quand vous entendez le mot « recherche » ? Quelle société de cartes de crédit vous vient à l’esprit quand vous entendez le terme anglais priceless (« inestimable »)* ? Si vous avez répondu Google dans le premier cas et MasterCard dans le second, vous apportez de l’eau au moulin de Saatchi. « De nos jours, seules s’imposent les idées d’une extrême simplicité, dit-il. Elles voyagent léger et plus vite. » Bien que Saatchi exprime son concept en deux termes reliés par un trait d’union et suivis d’un troisième, il assure que la simplicité extrême exige un mot, et un seul. « Deux mots, ce sont deux dieux, et deux dieux, c’est un dieu de trop 128. » Il est tentant de dire du pitch en un seul mot qu’il est simpliste – ce qui est le pire qu’on puisse dire d’un message. Ce serait mal comprendre le

* Référence à la campagne de publicité menée par MasterCard depuis 1997 dans près d’une centaine de pays. (NdT)

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processus de formulation de ce type de pitch et l’effet galvanisateur de son utilisation. La réduction de votre discours à ce mot unique demande de la discipline et impose la clarté. Choisissez le bon terme, et tout le reste ira de soi. Par exemple, au cours de sa campagne électorale en 2012, le président Barack Obama a construit sa stratégie entière sur un seul mot : forward (« en avant »). Il y a un enseignement important à en retenir pour votre propre pitch. 2. Le pitch interrogatif En 1980, Ronald Reagan était candidat à la présidence des États-Unis, et la situation économique était mauvaise. Il n’est jamais facile de détrô­ ner un président en place, même s’il est aussi vulnérable que Jimmy Carter, élu en 1976. Reagan devait donc montrer que la mauvaise gestion de l’économie par Carter justifiait un changement de président. Dans son pitch à l’intention des électeurs, il aurait pu présenter un expo­sé déclaratif : « Votre situation économique s’est détériorée au cours des 48 derniers mois. » Il aurait également pu soutenir son affirmation par une litanie de données sur l’accélération de l’inflation et l’importance du chômage. Au lieu de cela, il a posé une question : « Vous sentez-vous mieux aujourd’hui qu’il y a quatre ans ? » Comme on l’a vu au chapitre 5 à propos du soliloque interrogatif, les questions contiennent souvent une énergie étonnante. Pourtant, quand on essaie de faire bouger autrui, on a tendance à les sous-employer en dépit des nombreuses études de sciences sociales qui disent qu’on ferait mieux d’y recourir plus souvent. Depuis des recherches menées dans les années 1980, plusieurs universitaires ont constaté que les questions étaient capables, mieux que les énoncés, de persuader autrui. Ainsi, Robert Burnkrant et Daniel Howard, de l’Université de l’État de l’Ohio, ont testé le potentiel d’une série de pitchs brefs auprès d’un groupe d’étudiants de premier cycle. Le sujet portait sur les étudiants de troisième année : les universités devraient-elles les obliger à subir un examen complet comme condition d’obtention du diplôme ? Quand les chercheurs présentaient des arguments forts en faveur de cette politique

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sous forme de questions (par exemple : « Est-ce que le fait de passer un examen complet serait une aide pour ceux qui voudraient être admis au deuxième cycle ou dans une école professionnelle ? »), les participants étaient bien plus disposés à soutenir la politique que lorsque l’argument équivalent était présenté sous forme d’énoncé. Cepen­dant, les questions ne l’emportaient pas toujours. Les chercheurs ont par ailleurs constaté que, lorsque les arguments sous-jacents étaient faibles, le fait de les présenter sous forme interrogative avait un effet négatif 129. Les raisons de cette différence remontent au cœur de la manière dont les questions fonctionnent. Quand j’affirme quelque chose, vous recevez passivement ce que je dis. Quand je pose une question, vous êtes obligé de répondre, à haute voix si la question est directe, silencieusement si elle est rhétorique. Cela demande au minimum un modeste effort de votre part ou, comme le disent les chercheurs, « un traitement plus intensif du contenu du message130 ». Cette analyse plus profonde peut révéler la solidité des arguments forts et l’inconsistance des arguments faibles. Dans l’exemple de 1980, la question qui a si bien fonctionné pour Reagan aurait été désastreuse pour Carter. S’il avait tenté de soutenir que la situation économique américaine s’était améliorée durant sa prési­dence – alors que ce n’était pas le cas pour la grande majorité des électeurs –, leur demander « Vous sentez-vous mieux aujourd’hui qu’il y a quatre ans ? » les aurait poussés à réfléchir et aurait conduit la plupart d’entre eux à une conclusion qui n’aurait pas été celle que Carter désirait. De même, en 2012, quand le candidat républicain à la présidence, Mitt Romney, a tenté d’utiliser la question de Reagan contre Obama, la tactique n’a pas très bien fonctionné. Des sondages ont ensuite montré que, même si de nombreux électeurs se sentaient en moins bonne situation que quatre ans auparavant, plus nombreux encore étaient ceux qui disaient être dans une situation meilleure ou identique131 ; cette ligne d’attaque s’en trouvait affaiblie. En amenant les gens à réfléchir, le pitch interrogatif les pousse à trouver leurs propres raisons d’être d’accord (ou non) avec une chose. Et quand ils parviennent à circonscrire ces motifs, ils adoptent avec davantage de 166

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force une ligne de pensée congruente et sont plus disposés à agir en conséquence. Aussi, conscient des éléments sous-jacents liés à la psychologie sociale, ne devriez-vous pas renoncer au discours affirmatif au profit de la question la prochaine fois qu’il vous faudra présenter un argumentaire à un employeur, à un client potentiel ou à un ami hésitant ? 3. Le pitch rimé Les avocats, en particulier ceux qui sont spécialisés en droit criminel, ont pour métier de faire bouger autrui. Ils vendent des verdicts à des jurés. Et leur plaidoirie – l’ultime résumé des arguments présentés au cours du procès – joue à cet égard un rôle primordial. C’est le pitch par excellence, qui réduit à l’essentiel des jours, voire des semaines de travaux documentaires. En 1995, un avocat américain nommé Johnnie Cochran a assuré la défense de l’ex-champion de football américain O. J. Simpson, accusé du meurtre de sa femme et de l’amant de celle-ci. Parmi les indices présentés aux jurés se trouvait un gant taché de sang, qui avait été découvert sur les lieux du crime et dont l’accusation disait qu’il appartenait à Simpson. Pour démontrer que le gant était celui de l’athlète, le procureur avait demandé à celui-ci de l’enfiler devant les jurés. Simpson avait essayé, mais sans parvenir à y glisser la main. Dans sa plaidoirie, pour affirmer l’innocence de son client, Cochran a lancé le pitch suivant : « If it doesn’t fit, you must acquit. » (« S’il ne peut l’enfiler, vous devez l’acquitter. ») Cette formule est restée célèbre aux États-Unis. Le jury a libéré Simpson, en partie grâce à la rime (fit/acquit) de Cochran. Disparu en 2005, ce dernier a probablement agi d’instinct, mais sa technique est largement validée par la littérature des sciences sociales. Par exemple, au cours d’une étude menée en 2000, Matthew S. McGlone et Jessica Tofighbakhsh, du Lafayette College, ont présenté aux participants une liste de 60 aphorismes en leur demandant si chacun d’eux était « une description correcte du comportement humain132 ». Dans la liste figuraient des éléments rimés et d’autres modifiés pour ne pas rimer, comme on le voit à la page suivante.

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Version rimée d’origine Variante non rimée

Woes unite foes.

Traduction

Woes unite enemies.

Les malheurs unissent les adversaires. What sobriety conceals, What sobriety Ce que la sobriété alcohol reveals. conceals, alcohol dissimule, l’alcool le unmasks. révèle. Life is mostly strife. Life is mostly struggle. La vie est avant tout un combat. Caution and measure Caution and measure Prudence et mesure will win you treasure. will win you riches. vous vaudront des richesses. Les participants ont noté les aphorismes de la colonne de gauche comme bien plus corrects que ceux de la colonne du centre, alors qu’ils disaient pratiquement la même chose. Pourtant, quand les chercheurs ont demandé aux gens : « À votre avis, les aphorismes qui riment décrivent-ils plus exactement le comportement humain que ceux qui ne riment pas ? », leur réponse a à peu près toujours été négative. C’était inconsciemment que les participants considéraient comme plus exactes les versions rimées. Ils n’accordaient aux phrases le même degré d’exactitude que lorsqu’on leur demandait explicitement de distinguer la forme et le sens133. Que se passe-t-il ? La rime renforce ce que les linguistes et les cogni­ ticiens appellent la fluence, ou l’aisance avec laquelle notre esprit découpe, traite et comprend des stimuli. La rime sonne bien et passe facilement, ce qui nous paraît synonyme d’exactitude. C’est en somme l’inverse de ce qu’avance l’expression « sans rime ni raison » : la rime peut aller dans le même sens que la raison. C’est en partie pour cela que le confiseur allemand Haribo, célèbre pour ses oursons gélifiés, utilise un slogan rimé dans tous les pays où il est présent. En français : « Haribo, c’est beau la vie – pour les grands et les petits. » En anglais : « Kids and grown-ups love it so – the happy world of Haribo. » Et en espagnol : « Haribo, dulces sabores – para pequeños y mayores. » 168

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Haribo exploite un savoir que vous pouvez vous aussi utiliser dans votre travail et votre vie quotidienne. Si vous intervenez devant le conseil de votre municipalité, résumez votre argument principal de manière rimée ; cela donnera aux gens un moyen pour parler de votre proposition lorsqu’ils délibéreront. Si vous êtes un travailleur indépendant invité à faire une présentation devant un client potentiel, l’emploi d’une rime peut renforcer la fluence de votre auditoire et, donc, permettre à votre message de s’inscrire dans l’esprit du client pendant qu’il est en train de vous comparer à vos concurrents. N’oubliez pas : les pitchs qui riment sont plus sublimes. 4. Le pitch-titre Le courrier électronique est si intégré à notre vie que, comme le disent les chercheurs de Xerox Parc, il « ressemble désormais plus à un habitat qu’à une application134 ». Comme pour tout habitat, cependant, plus nous y sommes immergés, moins nous remarquons ses caractères distinc­tifs. C’est pourquoi beaucoup d’entre nous n’ont pas encore compris que tous les messages qu’ils envoient sont des pitchs sollicitant l’attention des gens et les invitant à faire des gestes. L’acceptation de cette invitation, ou même la simple ouverture du message, dépend surtout de l’expéditeur. Vous lirez plus probablement le courriel envoyé par votre patron ou votre petite amie que celui d’une entreprise dont vous n’avez jamais entendu parler et qui propose un produit dont vous n’avez pas besoin. L’élément qui arrive au deuxième rang en ce qui a trait à la manière dont le message est reçu est son objet (le titre), qui annonce le contenu du courriel. En 2011, trois professeurs de l’Université Carnegie Mellon ont réalisé une série d’études afin de savoir pourquoi certains titres étaient plus efficaces que d’autres. Dans une des expériences, ils ont utilisé la « méthode de la réflexion à haute voix » : les participants, consultant leur boîte de courriel, racontaient pourquoi ils choisissaient de lire des messages, d’y répondre, de les transmettre ou de les effacer. Il est apparu que leur décision dépendait de deux facteurs : l’utilité et la curiosité.

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Les gens avaient toutes les chances de « lire les messages directement liés à leur travail ». Cela n’a rien d’étonnant. Ils étaient aussi disposés à « ouvrir les messages s’ils éprouvaient un degré d’incertitude modéré quant à leur contenu, c’est-à-dire s’ils étaient “curieux” de découvrir la teneur des envois135. » L’utilité et la curiosité étaient à peu près aussi puissantes l’une que l’autre, mais semblaient fonctionner de façon indépendante. La première s’appliquait davantage quand les destinataires recevaient beaucoup de messages, et « la curiosité [attirait] l’attention sur les courriels dans des conditions de faible demande ». Une des explications de la différence des comportements selon les conditions résidait dans la motivation des choix. Les gens ouvraient des messages utiles pour des raisons extrinsèques : ils avaient quelque chose à gagner ou à perdre. Ils consultaient les autres messages pour des raisons intrinsèques : par simple curiosité. Des recherches ont montré que le fait d’essayer d’ajouter des motivations intrinsèques aux motivations extrinsèques avait souvent un effet négatif136. C’est pourquoi, disent les chercheurs de Carnegie Mellon, le titre qu’on indique en objet du courrier électronique devrait être soit utile (Voici le photocopieur le meilleur et le moins cher), soit intrigant (Une révolution dans la photocopie !), mais pas les deux à la fois (Le Canon IR2545 est une révolution dans la photocopie). Si on considère le volume de courriels avec lequel la plupart des gens doivent composer, l’utilité l’emporte souvent sur le mystère, bien qu’il puisse être étonnamment efficace dans certains cas de faire appel à la curiosité innée des destinataires avec un titre provocateur ou même l’absence de titre. Outre l’utilité et la curiosité, il existe un troisième principe : la spécificité. Brian Clark, fondateur du célèbre site web sur la rédaction publicitaire Copyblogger, conseille d’indiquer des objets « ultraspécifiques137 ». Ainsi, un titre du genre Améliorer votre swing au golf aura moins de résultat que celui-ci : 4 trucs pour améliorer votre swing au golf dès aujourd’hui.

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Si je devais vous envoyer par courrier électronique un pitch sur les cinq paragraphes ci-dessus, je m’appuierais sur les principes d’utilité, de curiosité et de spécificité. Si je soupçonne que votre boîte de courriel est encombrée, je l’intitulerai peut-être : 3 moyens simples mais qui ont fait leurs preuves pour que votre courriel soit lu. Si, à l’inverse, je sais que vous n’êtes pas assailli de messages électroniques et que vous me connaissez déjà, j’écrirai plutôt : Quelques faits étonnants que je viens d’apprendre à propos des courriels. 5. Le pitch Twitter Tous les ans, le Tippie College of Business de l’Université de l’Iowa reçoit plus de 300 candidatures pour les quelque 70 places de son programme de MBA. Les candidats lui font parvenir leurs diplômes universitaires, les notes obtenues au test standard d’admission en école de commerce, des lettres de recommandation et plusieurs dissertations. En 2011, Tippie a ajouté une épreuve à son processus de sélection afin de tester l’aptitude au pitch des futurs dirigeants d’entreprise. Cette épreuve consiste à répondre à une question relativement banale : « Qu’est-ce qui fait de vous un candidat exceptionnel au MBA à plein temps du Tippie College et un de ses futurs étudiants ? » Il est demandé aux candidats de répondre sous la forme d’un tweet – un micromessage de 140 caractères au maximum138. Voici donc le pitch Twitter, qui emploie Twitter comme support et impose la concision exigée par son nombre limité de caractères. Un des pionniers de cette forme de message est le programmeur, créateur et investisseur Stowe Boyd. En 2008, Boyd se rendait à un congrès et prévoyait discuter avec quelques start-up. Pour éviter de crouler sous les sollicitations, il imposait à toute entreprise désireuse de le rencontrer de lui adresser une demande par Twitter. Cette démarche, note un observateur, est « rapide, sans douleur et cohérente. Elle coupe court au bla-bla des directeurs de la communication et oblige les entreprises à résumer ce qu’elles font en un maximum de 140 caractères139. » À une époque où

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Twitter s’insinue de plus en plus dans notre existence, le « twitpitch » de Boyd est devenu un élément important de tout kit de persuasion. La marque d’un tweet efficace, comme celle d’un pitch vigoureux, est qu’il empoigne les destinataires et les incite à pousser la conversation plus loin – en rédigeant une réponse, en cliquant sur un lien ou en faisant suivre le message à d’autres. Les quelques chercheurs qui se sont penchés sur ce nouveau moyen de communication ont constaté que seule une catégorie de tweets atteint vraiment ces buts. En 2011, trois chercheurs en informatique de Carnegie Mellon, du MIT et de Georgia Tech ont entrepris la première étude systématique de ce qu’ils appellent la « valeur de contenu des microblogues ». Ils ont créé un site web intitulé Who Gives a Tweet et invité les utilisateurs de Twitter à noter les messages des autres, soumettant en contrepartie leurs propres tweets à l’évaluation d’autrui. Après analyse de plus de 43 000 textes, les chercheurs ont découvert que Twitter était un moyen de communication dont le conseil d’orientation d’une école secondaire pourrait dire qu’il « n’exploite pas tout son potentiel ». Pour les lecteurs, 36 % seulement des tweets valaient la peine d’être lus, ce qui est étonnamment bas si on considère qu’ils évaluaient les messages de personnes qu’ils avaient eux-mêmes choisi de suivre. Selon eux, 25 % des tweets n’avaient aucun intérêt et 39 % étaient neutres, ce qui revenait à dire, étant donné l’abondance des distractions quotidiennes, qu’ils ne méritaient pas non plus d’être lus140. Les types de tweets les moins bien notés relevaient de trois catégories : doléances (« Mon avion est en retard, une fois de plus »), moi maintenant (« Je vais commander un sandwich au thon ») et signe de présence (« Bonjour tout le monde ! »)141. Cependant, trois des catégories les mieux notées fournissent des enseignements sur les pitchs utilisant ce nouveau support. Par exemple, les lecteurs attribuaient les notes les plus élevées aux tweets qui posaient les questions des suiveurs, ce qui confirme une fois de plus que la forme interrogative interpelle et persuade. Ils aimaient les tweets qui apportaient des renseignements et des liens, surtout si le document était nouveau et respectait une clarté du 172

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genre évoqué au chapitre 6. Enfin, ils accordaient de bonnes notes aux tweets d’autopromotion – les pitchs commerciaux par excellence –, pourvu qu’ils offrent au passage de l’information utile142. Cela nous ramène à l’autopromotion à l’aide de Twitter réclamée par l’Université de l’Iowa. Le vainqueur de cette première épreuve, John Yates, a rédigé sa présentation sous forme de haïku (en indiquant même le nombre de syllabes de chaque ligne), afin de souligner son expérience professionnelle acquise en Asie : Un esprit mondial (5) Innovant et motivé (7) Tippie l’armera (5). Non, ce texte ne fait pas battre le cœur, mais il est sympathique et apporte des données pertinentes. Il a valu à son auteur d’être admis au Tippie College et de recevoir une aide financière de plus de 37 000 $. Capable de gagner environ 600 $ par caractère et 3 000 $ par syllabe, le jeune Yates devrait avoir un bel avenir dans le monde de la vente. 6. Le pitch Pixar À quelque 650 km au nord de Hollywood, sur la côte est de la baie de San Francisco, se trouve Emeryville. Un colosse improbable de l’industrie du divertissement a élu domicile dans cette petite ville de Californie. À ses débuts, Pixar Animation Studios, idole des geeks, était la division numérique de Lucasfilm. Trente-cinq ans plus tard, c’est un des studios les plus prospères de l’histoire du cinéma. Depuis Toy Story en 1995, Pixar a produit 13 longs métrages qui ont généré 7,6 milliards de dollars de recettes dans le monde, soit le montant étonnant de 585 millions de dollars par film143. Six films de Pixar (Le monde de Nemo, Les Indestructibles, Ratatouille, WALL-E, Là-haut et Toy Story 3) ont remporté des Academy Awards du meilleur dessin animé, et ce ne sont là que quelques-uns des 26 Oscars reçus au total par le studio. Comment Pixar fait-il ? Son succès est attribuable à de nombreux facteurs : la sagacité de Steve Jobs, qui a très tôt investi dans l’entreprise, 173

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la puissance du marketing et de la distribution de Walt Disney Company, qui s’est empressée de passer un accord de développement avec le studio et l’a racheté en 2006, le souci du détail qui fait le renom de son armée de techniciens et d’artistes. Il existe sans doute une raison supplémentaire : les scénarios eux-mêmes. Emma Coats, ancienne scénariste du studio, a décrypté le code de Pixar, créant du même coup le modèle d’un type de pitch irrésistible. Selon elle, tous les films de Pixar partagent le même ADN narratif, une structure qui fait intervenir six phrases successives : Il était une fois _________. Chaque jour ______. Puis un jour __________. À cause de cela ___________. C’est pourquoi _______. Jusqu’à ce qu’enfin__________. Prenez par exemple l’intrigue du Monde de Nemo : Il était une fois un poisson veuf appelé Marin, qui se faisait beaucoup de souci pour son fils unique Nemo. Chaque jour, Marin rappelle à Nemo que l’océan est plein de dangers et l’implore de ne pas nager au loin. Puis un jour, par défi, Nemo ignore les mises en garde de son père et nage jusqu’à la pleine mer. À cause de cela, il est capturé par un plongeur et se retrouve poisson d’aquarium chez un dentiste de Sydney. C’est pourquoi Marin part en voyage pour retrouver Nemo, appelant à l’aide au passage les autres créatures de la mer. Jusqu’à ce qu’enfin Marin et Nemo se retrouvent, repartent ensemble et découvrent que l’amour repose sur la confiance144. Ce format en six phrases est à la fois souple et séduisant. Il permet aux auteurs de pitch d’exploiter la force omniprésente des récits145 tout en respectant un cadre qui impose concision et discipline. Imaginez-vous à la tête d’une association sans but lucratif qui a créé un test à domicile pour le VIH et qui cherche des gens pour le financer. Votre pitch Pixar pourrait ressembler à ceci : Il était une fois une crise sanitaire qui menaçait de nombreuses parties de l’Afrique. Chaque jour, des milliers de gens mouraient du sida et de maladies liées au VIH, souvent parce qu’ils ignoraient 174

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qu’ils étaient porteurs du virus. Puis un jour, nous avons conçu un kit VIH domestique peu coûteux permettant aux gens de se tester eux-mêmes avec un petit prélèvement de salive. À cause de cela, davantage de personnes se soumettent au test. C’est pourquoi les individus contaminés demandent à se faire traiter et font en sorte de ne pas infecter les autres. Jusqu’à ce qu’enfin l’expansion de cette maladie redoutable ralentisse et que davantage de gens vivent une longue vie. On pourrait même résumer avec un pitch Pixar le livre que vous avez entre les mains : Il était une fois une époque où seules certaines personnes avaient pour métier la vente. Chaque jour, elles vendaient des choses, les autres en fabriquaient, et tout le monde était heureux. Puis un jour, ça a changé : nous nous sommes tous retrouvés dans la vente, et la vente s’est transformée, passant du mode du caveat emptor à celui du caveat venditor. À cause de cela, nous avons dû tenir compte du nouvel ABC – accordage, brio et clarté. C’est pourquoi il nous a fallu acquérir de nouvelles compétences – « pitcher », improviser, servir. Jusqu’à ce qu’enfin nous comprenions que la vente n’est pas une sinistre adaptation à la brutale culture du marché. Elle fait partie de notre personnalité, et nous y réussissons d’autant mieux que nous sommes plus humains. Pour voir les six pitchs en action, imaginez que vous habitez la ville fictive de Beeston. À côté de chez vous, un pont franchit la rivière Girona et relie votre ville à une cité plus grande, Arborville. Il menace de s’effondrer et vous menez campagne pour qu’on construise à sa place un pont moderne à quatre voies. Il vous faut convaincre beaucoup de gens : l’administration municipale, les citoyens de Beeston, peut-être aussi pas mal de monde à Arborville. Vous devrez accomplir un travail considérable en trouvant comment financer le pont et évaluer son impact environnemental. Il vous faudra aussi choisir un architecte, un constructeur, etc. Chacun des six pitchs propose une manière d’engager la conversation qui aboutira au résultat que vous recherchez. 175

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Votre pitch Pixar pourrait être celui-ci : Il était une fois un pont par lequel il était long et difficile d’aller de Beeston à Arborville. Chaque jour, des gens tentaient d’emprunter le vieux pont, mais cela leur prenait beaucoup de temps, et certains y avaient même renoncé à cause des ralentissements et des problèmes de sécurité. Puis un jour, des citoyens se sont unis pour financer et construire un pont moderne. À cause de cela, les gens de Beeston ont perdu moins de temps, et leurs familles se sont senties davantage en sécurité. C’est pourquoi ils ont été plus nombreux à travailler et à faire leurs courses à Arborville, ce qui a favorisé l’essor de l’économie. Jusqu’à ce qu’enfin le nouveau pont fasse tellement partie de leur vie que chacun se demandait pourquoi on avait tant tardé à le construire. Votre pitch Twitter pourrait comporter un lien vers une vision d’artiste du pont ainsi qu’une liste de ses avantages. Les gens seraient incités à cliquer dessus par une note du genre : Voyez à quoi Beeston et Arborville pourraient ressembler demain et pourquoi nous devons préparer cet avenir. Si vous envoyez de l’information à vos concitoyens de Beeston, votre titre pourrait être : 3 raisons de réclamer un nouveau pont pour les familles de Beeston. Votre pitch rimé ? De l’autre côté du pont, se trouvent beaucoup d’occasions. Votre pitch interrogatif pourrait aider les gens à réfléchir à leur propre expérience : faut-il vraiment qu’il soit si difficile d’aller à Arborville ? Et votre pitch en un seul mot pourrait expliquer la raison de vos efforts (et évoquer une des leçons indispensables de ce chapitre) : communication.

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Pratiquez vos 6 pitchs Pour apprendre et perfectionner les 6 pitchs, il y a trois moyens : pratiquer, pratiquer et pratiquer. Voici par où commencer. (Vous trouverez des exemplaires supplémentaires de cette feuille d’exercice, en anglais, à l’adresse www.danpink.com/pitch.) 1. Le pitch en un seul mot Un truc de pro : rédigez un pitch de 50 mots, réduisez-le à 25 mots, puis à 6. Dans cette demi-douzaine de termes figure presque certainement votre pitch en un seul mot. ➟ À votre tour : 2. Le pitch interrogatif Un truc de pro : utilisez ce type de pitch si vos arguments sont forts. S’ils sont faibles, préférez une affirmation. Mieux encore, trouvez de nouveaux arguments. ➟ À votre tour : 3. Le pitch rimé Un truc de pro : ne vous usez pas les méninges à chercher des rimes. Trouvez un dictionnaire de rimes sur Internet. (Pour les anglophones, j’ai ma préférence : http ://rhymezone.com). ➟ À votre tour :

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4. Le pitch-titre Un truc de pro : relisez l’intitulé des 20 derniers courriels que vous avez envoyés. Notez combien d’entre eux font appel à la curiosité ou au sens de l’utilité. S’il y en a moins de 10, reformulez ceux qui ne satisfont pas à cette condition. ➟ À votre tour : 5. Le pitch Twitter Un truc de pro  : bien que Twitter autorise 140 caractères, limitez-vous à 120 afin que les destinataires puissent le faire suivre. Rappelez-vous : les meilleurs pitchs sont brefs, aimables et faciles à retweeter. ➟ À votre tour : 6. Le pitch Pixar Un truc de pro : lisez l’intégralité des 22 règles du scénario selon Emma Coats sur le site http ://bit.ly/jlVWrG (en anglais). ➟ À votre tour : Il était une fois ___. Chaque jour ___. Puis un jour ___. À cause de cela ___. C’est pourquoi ___. Jusqu’à ce qu’enfin ___. Répondez à 3 questions capitales Pendant que vous préparez votre pitch, clarifiez votre intention et votre stratégie en vous assurant que vous êtes capable de répondre à ces 3 questions : Une fois que les gens auront entendu votre pitch… 1. Que voulez-vous qu’ils sachent ? 2. Que voulez-vous qu’ils sentent ? 3. Que voulez-vous qu’ils fassent ?

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Si vous avez des réponses fortes à ces questions, le pitch devrait venir plus facilement.

Collectez les pitchs des autres et enregistrez le vôtre Comment les gens s’améliorent-ils dans leur art ? Ils le pratiquent, bien entendu, mais ils observent aussi. Le peintre visite des galeries pour voir les œuvres d’autres artistes et analyser leurs techniques. Le chanteur enregistre une première version d’une pièce, l’écoute plusieurs fois et se demande comment l’améliorer. Les pitchs sont une forme d’art en soi, de sorte que vous devriez, vous aussi, agir comme un artiste. Par exemple, tenez un registre de pitchs. Dans un carnet ou sur votre téléphone intelligent, notez les meilleurs pitchs que vous entendez au cours de vos voyages dans le monde : un slogan publicitaire bien trouvé, un ordre donné par une mère à son enfant, la requête d’un collègue demandant une nouvelle mission. Cet exercice répond à deux objectifs. Il vous fera prendre conscience des pitchs qui vous entourent et vous aidera à discerner quelles techniques font bouger autrui et lesquelles sont emportées par le vent. Essayez aussi d’enregistrer vos propres pitchs. Téléphonez-vous et laissez votre pitch sous forme de message sur votre répondeur, ou utilisez l’application de dictaphone de votre téléphone intelligent, puis écoutez-vous. Ce que vous dites paraît-il sensé ? Comment est votre intonation ? Votre débit ? L’écoute de votre voix peut être pénible, mais c’est un moyen merveilleux pour vous exercer – et pour vous éviter des expériences plus pénibles encore à l’avenir.

Employez un support visuel C’est le dicton détesté de tous les écrivains : Une image vaut mille mots. Cet adage a beau ne pas rimer, il contient une bonne dose de vérité. Dans presque tout pitch, les principaux ingrédients sont les mots – voire le mot –, mais vous pouvez leur donner plus de saveur avec des images. Il vous est par exemple possible de rendre vivants les pitchs interrogatifs,

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les pitchs en un seul mot et les pitchs rimés en les accompagnant d’une photographie ou d’une image illustrant votre idée. Comme la communication numérique repose moins sur le texte que sur l’image, l’intitulé de votre message et votre pitch Twitter devraient être reliés à un support visuel saisissant. Vous pouvez même utiliser des accessoires. Par exemple, si l’économiste George Akerlof, évoqué au chapitre 3, basait un pitch sur les conséquences en cascade de l’asymétrie d’information, il pourrait joindre à son message l’image d’une poubelle. De même, la vidéo est un moyen d’associer l’efficacité des communi­ cations électroniques avec l’intimité d’une discussion au cours de laquel­le on regarde son interlocuteur en face et où on entend sa voix. Une excellente technique à ce sujet consiste à envoyer par courrier électronique de brefs messages vidéo, ce qu’il est possible de faire presque sans effort et souvent gratuitement avec QuickTime (renseignez-vous sur www.quicktime.com).

Familiarisez-vous avec le pecha-kucha PowerPoint est comme la météo ou la téléréalité : tout le monde s’en plaint, mais personne n’y fait rien. Quel que soit notre lieu de travail ou le sujet que nous étudions, nous devons subir le verbiage de gens qui nous assomment de bullet points dans la pénombre d’une salle de réunion avant de nous dérober notre âme pour en faire des graphiques 3D. Trois fois bravo, donc, à Mark Dytham et à Astrid Klein, deux architectes installés à Tokyo qui ont concocté un antidote à ces abominables présentations PowerPoint. Ils ont donné à leur création le nom de pecha-kucha*, mot japonais qui signifie « bavardage ». Une présentation pecha-kucha contient exactement 20 diapos, chacune apparaissant à l’écran pendant exactement 20 secondes. Les règles sont rigides, et c’est le but. Les orateurs présentent leur pitch en

* Prononcer « petcha coutcha ».

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précisément 6 minutes 40 secondes, puis ils se taisent et se rassoient. Ces contraintes apportent de la clarté. Et comme les diapos s’enchaînent automatiquement, chacun doit faire passer son message avec élégance et célérité. Depuis son apparition en 2003, le pecha-kucha s’est répandu comme un virus bienfaisant et s’est métamorphosé en mouvement inter­national. Plusieurs organisations l’utilisent pour leurs présentations internes. Astrid Klein et Mark Dytham ont même créé une fondation qui organise des PechaKucha Nights dans 547 villes du monde. Visitez l’une d’elles pour voir comment cela se passe, puis essayez vousmême. Vous trouverez d’autres renseignements à ce sujet à l’adresse www.pechakucha.org.

Prêtez attention à l’ordre de passage et aux chiffres La littérature des sciences sociales est pleine de constats intéressants (et souvent contradictoires) sur l’effet de l’ordre de passage et des chiffres. Voici 2 règles générales assises sur de solides observations (avec des liens vers des sites web pour ceux qui voudraient creuser la question). 1. Parlez en premier si vous êtes le titulaire, en dernier si vous êtes le challenger. Dans une présentation commerciale concurrentielle où une série de vendeurs présentent leur argumentaire l’un après l’autre, le leader du marché a plus de chances d’être sélectionné s’il parle en premier, indiquent des chercheurs de l’Université Virginia Tech. Cependant, pour un challenger, l’idéal est de parler en dernier (http ://bit.ly/NRpdp6). L’étude ne montre pas clairement à quel point cela s’applique à d’autres circonstances, mais, d’une manière générale, ceux qui se trouvent au milieu ont plus de chances de se faire écraser. 2. Les nombres précis sont plus crédibles que les nombres appro­ximatifs.

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Au cours d’une étude de l’Université du Michigan, on a demandé aux participants d’estimer l’autonomie réelle de deux GPS. L’un revendiquait une autonomie «  pouvant atteindre 2 heures  »  ; l’autre, une durée identique, mais exprimée de manière plus fine : « pouvant atteindre 120 minutes ». Les participants ont estimé que la pile du premier tiendrait 89 minutes et que celle du second irait jusqu’à 106 minutes (http ://bit.ly/yapcPA, en anglais).

Demandez aux gens de décrire votre pitch invisible en 3 mots Nous n’en sommes pas toujours conscients, mais nos actes et notre manière d’être sont des pitchs en soi. Nous véhiculons un message à propos de nous-mêmes, de notre travail, de notre entreprise, et les autres l’interprètent. Prenez un peu de temps pour déterminer la manière dont les gens de votre entourage voient votre message. Trouvez 10 personnes – un mélange de collègues, d’amis et de membres de votre famille –, puis demandez-leur les 3 mots qui leur viennent à l’esprit quand vous leur posez une des questions suivantes : Que fait mon entreprise ? Que fait mon produit ou mon service ? Qu’est-ce que je fais moi-même ? Précisez bien que vous ne les interrogez pas sur des qualités physiques (« grand, brun et séduisant »), mais sur quelque chose de plus profond. Une fois ces mots rassemblés, cherchez des constantes. Beaucoup de gens sont étonnés par l’écart entre le message qu’ils pensent véhiculer et ce que les autres perçoivent. Le fait d’en être conscient est un prélude à l’amélioration.

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Chapitre 8

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E

n cette langoureuse matinée de fin de printemps, me voici dans une situation absurde et compromettante. Au 14e étage d’un immeuble de bureaux de Manhattan, je me trouve avec une femme qui n’est pas la mienne, les yeux plongés dans les siens. Ne me reprochez pas cette transgression. C’est la faute de mes oreilles. Comme celles de la plupart d’entre vous, elles ont toujours bien fonctionné, mais je n’ai jamais vraiment appris à m’en servir. En fait, je me trouve dans cet endroit étrange, une petite salle de réunion aux fenêtres couvertes de papier kraft, afin d’apprendre à écouter. Et comme les 13  dirigeants qui m’accompagnent – ils viennent de grandes entreprises comme la Bank of America ou de jeunes entreprises numériques aux noms abracadabrants –, je suis là pour recevoir l’enseignement d’une experte. Elle s’appelle Cathy Salit. En 1970, à l’âge de 13 ans, elle a abandonné ses études pour créer sa propre école à Manhattan, dans l’Upper West Side. Cela l’a conduite à une carrière de dirigeante d’associations, puis d’actrice et, enfin, après quelques péripéties, à sa situation actuelle, qui consiste en quelque sorte à chuchoter à l’oreille des vendeurs. Cathy Salit dirige une entreprise nommée Performance of a Lifetime qui enseigne le théâtre d’improvisation aux employés des sociétés – non pour qu’ils se produisent moyennant des cachets ridicules dans les clubs à courants d’air de Greenwich Village, mais pour les rendre plus efficaces dans leurs fonctions habituelles. Au cœur de son enseignement se trouve l’écoute.

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Tandis que j’attends le début de la séance, un de mes condisciples (qui porte des lunettes et dont la lèvre inférieure recouvre celle du dessus) me demande où je travaille. « Je suis écrivain, dis-je, engageant la conversation avec une bonne humeur feinte. Je suis un indépendant. » Il se retourne et ne me parle plus. On dirait que ce type a besoin d’aide pour savoir écouter (ou peut-être devrais-je relire le chapitre sur les pitchs). Quand vient le moment de former des paires pour le premier exercice, je l’évite. Je me tourne plutôt vers une femme mince et élégante, qui a à peu près mon âge. Elle est cadre supérieure dans une grande société de cosmétiques – et elle en a bien l’air. Des talons de 10 centimètres sous des pieds délicats aux ongles peints en gris ardoise. Un pantalon havane et un fin chemisier plissé bleu. Des cheveux platine tirés en arrière pour former un chignon de ballerine. Nous nous tenons face à face, mon menton non rasé à quelques centimètres de son petit nez de porcelaine. Notre première leçon, dit Cathy Salit, est « l’exercice du miroir ». Chacun observe son partenaire dans les yeux et imite ses mouvements, comme s’il était son reflet dans un miroir. Ma partenaire lève lentement la main droite ; je lève donc lentement la main gauche. Elle lève la main gauche et tourne sa paume vers moi ; je lève la main droite à la même hauteur et tourne ma paume vers l’extérieur. Elle tourne la tête à droite. La mienne, en même temps, tourne à gauche. Nous levons la jambe. Nous haussons les épaules. Nous plions les genoux. Toujours ensemble. Nous sommes terriblement proches et légèrement mal à l’aise. Elle doit trouver pénible de se voir imposer une telle intimité avec un inconnu négligé – en tout cas, c’est ce que j’imagine. Puis, Cathy Salit fait tinter une cloche du genre de celle qu’on trouve à l’accueil du Bates Motel*, et c’est à mon tour de mener. Je mets

* Allusion au motel du film Psychose, d’Alfred Hitchcock ; Bates Motel est aussi le titre d’une série télévisée dérivée du film et diffusée depuis mars 2013 aux ÉtatsUnis. (NdT)

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les mains sur mes hanches. Ses bras minces prennent la même pose. Je fais ressortir les coudes. Elle en fait autant. Je noue mes doigts et lève les mains au-dessus de la tête. Elle agit de même. Je fais pivoter mon corps dans le sens des aiguilles d’une montre. Elle… Vous avez sûrement compris l’idée. Comme on l’a appris au chapitre 4, l’imitation stratégique peut renforcer la prise de perspective. L’imitation en miroir telle qu’on la pratique ici répond à un autre objectif. Cathy Salit nous enseigne les techniques du théâtre d’improvisation, qui sont capitales, on va le voir, pour quiconque désire faire bouger autrui. La vente et le théâtre ont beaucoup en commun. Pour les pratiquer, il faut avoir du cran. Les vendeurs décrochent le téléphone pour appeler des étrangers ; les acteurs entrent sur scène devant des inconnus. Les uns et les autres s’exposent à des rejets – portes claquées, appels ignorés et refus en rafale pour les vendeurs, auditions ratées, public amorphe, critiques acerbes pour les acteurs. La vente et le théâtre ont évolué selon des trajectoires comparables. Le théâtre, par exemple, a toujours reposé sur des scénarios. Les acteurs sont libres d’interpréter les textes à leur manière, mais la pièce leur indique quoi dire et, dans bien des cas, où et comment le dire. Les pionniers américains de la vente ont cherché à reproduire la démarche du théâtre. Titan du commerce et fondateur de National Cash Register Company à la fin du XIXe siècle, John H. Patterson imposait à tous ses vendeurs de mémoriser des scénarios. Avec le temps, comme le raconte Walter Friedman, historien des affaires à l’Université Harvard, ces scénarios sont devenus plus détaillés, et le bref guide intitulé « Comment vendre les caisses enregistreuses NCR » s’est transformé en un manuel de vente de près de 200 pages146. De plus en plus précises, note Friedman, les instructions indiquaient « non seulement ce que les vendeurs devaient dire, mais aussi ce qu’ils devaient faire en le disant » et contenaient des indications scéno­ graphiques façon NCR. Les monologues concoctés par l’entreprise

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étaient saupoudrés d’astérisques « signalant que le vendeur était censé montrer du doigt ce dont il était en train de parler ». (« Cher monsieur, cette caisse* enregistre les recettes. L’affichage* de la transaction apparaît dans cette fenêtre* 147. ») Patterson et son équipe ont même confectionné un Book of Arguments afin que les représentants puissent répondre aux questions ou aux objections des clients par quelques argu­ments bien préparés. La méthode NCR (des minipièces de théâtre soigneusement scénarisées conduisant à un happy end pour le vendeur) a dominé la vente partout dans le monde pendant la plus grande partie du XXe siècle, et elle fait encore partie du paysage : les directions des ventes mettent au point des processus élaborés et des formules testées en conditions réelles pour guider leurs acteurs vers le rideau final. Les scénarios fonctionnent bien dans des circonstances stables et prévisibles, comme celles où les acheteurs ont peu de choix et où les vendeurs détiennent un maximum d’information, mais ces situations, on l’a vu, sont désormais rares. Un Book of Arguments appris par cœur a moins d’intérêt quand l’entreprise répond déjà aux interrogations courantes dans la « foire aux questions » (FAQ) de son site web et quand il suffit aux clients d’interroger leurs réseaux sociaux pour découvrir la vérité. D’une certaine façon, le théâtre préfigure ce qui va se passer dans le milieu de la vente. Pendant des centaines d’années, sauf pour quelques clowns et mimes, les représentations sur scène consistaient à faire réciter par des acteurs des textes écrits par quelqu’un d’autre. Jusqu’en 1968, d’ailleurs, une pièce de théâtre ne pouvait être jouée au Royaume-Uni qu’après avoir été lue et approuvée par le bureau du Lord chambellan ; des inspecteurs venaient s’assurer que les acteurs s’en tenaient au texte validé148. Voilà une cinquantaine d’années, cependant, deux innovateurs ont commencé à contester la prééminence absolue du scénario. La première était l’Américaine Viola Spolin, qui a créé dans les années 1940 et 1950 une série de jeux – d’abord pour les enfants, puis pour les acteurs professionnels – centrés sur l’improvisation de personnages, de discours et de scènes. Elle a reproduit ces exercices dans son livre Improvisation for the 188

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Theater, publié en 1963 et vite devenu incontournable dans les formations théâtrales. Grâce à son fils Paul Sills, qui a repris l’affaire familiale, ses idées ont donné naissance à une troupe devenue légendaire, The Second City, dont les anciens (de John Belushi à Tina Fey en passant par Stephen Colbert) ont façonné le divertissement populaire à l’américaine grâce à leur maîtrise des improvisations théâtrales en temps réel. Le second innovateur est le Britannique Keith Johnstone, qui a travaillé pendant des années au Royal Court Theatre de Londres. Las du théâtre classique, il a créé son propre registre de techniques scéniques plus libres, moins traditionnelles. En 1979, il a publié ce que beaucoup considèrent comme la première bible sur la question : Impro : Improvisation and the Theatre. (Les fondateurs de la société Palantir, mentionnée au chapitre 2, demandent à tous leurs salariés de lire ce bouquin avant de prendre leurs fonctions.) En incitant metteurs en scène et artistes à s’interroger sur les avantages d’une rupture avec le scénario, Viola Spolin et Keith Johnstone ont contribué à faire de l’impro une forme de divertissement répandue. La vente et le commercial sans vente évoluent en suivant un parcours analogue, car les conditions stables, simples et prévisibles favorables aux scénarios ont fait place aux conditions dynamiques, complexes et imprévisibles favorables à l’improvisation. Derrière son chaos apparent, l’improvisation repose sur une structure légère qui lui permet de fonctionner. La compréhension de cette structure peut vous aider à faire bouger autrui, surtout quand vos prises de perspective habiles, votre optimisme contagieux et votre cadrage brillant n’apportent pas les résultats que vous recherchez. Dans ces circons­tances comme dans bien d’autres, vous vous en tirerez mieux en suivant les 3 règles essentielles du théâtre d’improvisation : 1. L’écoute des offres 2. Le fait de dire « oui, et » 3. La mise en valeur de votre partenaire

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1. L’écoute des offres L’improvisation théâtrale n’est pas totalement étrangère au monde des affaires. Des gens comme Keith Sawyer, de l’Université de Washington, Mary Crossan, de l’Université de l’Ontario de l’Ouest, et Patricia Ryan Madson, de l’Université Stanford, ont étudié ses dimensions et appliqué ses concepts au management, à l’innovation et à la création149. Cependant, rares sont les experts qui ont envisagé l’improvisation dans le domaine de la vente ; pourtant, comme le disait un jeune chercheur, des vendeurs habiles dans l’improvisation « peuvent trouver des idées, tenir compte vite et facilement des changements et communiquer de manière efficace et convaincante pendant les entretiens de vente150 ». Cet oubli est en partie le legs de plus d’un siècle de formation à la vente. Depuis l’époque des scénarios soigneusement élaborés de NCR, on enseigne aux vendeurs à surmonter les objections. Si le client ne veut pas acheter, à vous de le faire changer d’avis, de le convaincre que les problèmes qu’il soulève n’existent pas ou n’ont pas d’importance. La maîtrise des objections est une phase de tout processus de vente formel, qui vient d’ordinaire après la recherche de clients potentiels, la qualification de ceux-ci et la présentation, et qui précède immédiatement la conclusion. Toutefois, étant donné la modification spectaculaire de la vente, l’idée de faire changer les gens d’avis pourrait être moins intéressante qu’avant, voire moins réaliste. Le théâtre d’improvisation ne prévoit rien pour surmonter les objections, car il est construit sur un principe diamétralement opposé. « Le b.a.-ba de l’impro, dit Cathy Salit, est l’écoute de ce qu’on vous offre. » Ce premier principe dépend de l’accordage : vous laissez votre perspective se couler dans celle de l’autre. Pour maîtriser cet aspect de l’improvisation, vous devez repenser votre manière de considérer ce que vous écoutez et ce qui constitue une offre. Compte tenu de tout ce que nous écoutons chaque jour – selon certaines estimations, nous y consacrons un quart de notre temps d’éveil151 –, il est remarquable de voir à quel point nous négligeons

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cette capacité. Comme l’écrivait voilà 30 ans le philosophe américain Mortimer Adler : Est-ce que quelqu’un quelque part enseigne comment écouter ? C’est absolument stupéfiant, mais il est généralement admis que la capacité à bien écouter est un don naturel qu’on n’a pas besoin d’exercer. Aussi extraordinaire que cela paraisse, nulle part au sein de l’ensemble du processus éducatif on ne fait quoi que ce soit pour aider les gens à apprendre à bien écouter.152 Il n’est donc guère étonnant que si peu d’entre nous écoutent bien. Pour beaucoup, l’inverse de parler n’est pas écouter. C’est attendre. Quand les autres parlent, nous partageons notre attention entre ce qu’ils sont en train de dire et ce que nous allons répondre, et le résultat est doublement médiocre. Certains professionnels, y compris ceux dont le métier consiste à faire bouger autrui, ne se donnent même pas la peine d’attendre. Selon les résultats d’une étude représentative, les médecins sondés interrompaient la majorité de leurs patients dans les 18 premières secondes de l’entretien ; un grand nombre de ces derniers ne pouvaient même pas expliquer pourquoi ils consultaient153. La formation de Cathy Salit souligne donc que, pour bien écouter, il faut commencer par ralentir et se taire. C’est le thème d’un exercice intitulé « silence étonnant », pour lequel j’ai été apparié à un dirigeant d’une chaîne de télévision, mon aîné d’une dizaine d’années. Les règles : une des personnes doit révéler à l’autre quelque chose d’important pour elle. L’autre, sans cesser de conserver un contact oculaire avec son vis-à-vis, doit attendre 15 secondes avant de prononcer un mot. Le grand patron ouvre son cœur plus que je ne l’aurais cru. Après 32 ans de travail exigeant, me dit-il, il se pose des questions : doit-il indé­ finiment continuer à faire ce qu’il fait, ou ne serait-il pas temps pour lui de fuir la jungle impitoyable des médias new-yorkais ? Ses yeux se mouillent légèrement au fil de son discours, ce qui me met encore plus mal à l’aise que mon be-bop vertical avec la directrice aux talons hauts.

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Une fois que mon interlocuteur a fini, c’est à moi de répondre, mais pas tout de suite. Je commence un compte à rebours mental : « 15, 14, 13... bien maintenir le contact oculaire… 12, 11… c’est très pénible… 10… c’est pas bientôt fini, cette c… ? Je termine enfin de compter, mais ces 15 secondes m’ont paru abominablement longues et, comme dans l’exercice précédent, d’une troublante intimité. C’est ce que veut Cathy Salit. Sans un certain degré d’intimité, on n’écoute pas vraiment. On est dans la passivité et la transaction plutôt que dans l’activité et l’engagement. L’écoute véritable est un peu comme la conduite automobile sur une autoroute battue par la pluie. La vitesse tue. Si on veut arriver à destination, mieux vaut ralentir et utiliser parfois les freins. Ce qu’il y a de mieux à faire, dit-elle en débouchant une petite bouteille de thé vert à la fin de la séance, est « d’écouter sans attendre quoi que ce soit ». Ainsi fonctionne le théâtre d’improvisation. Imaginez une scène avec deux acteurs. Le premier est assis dans un fauteuil, les mains posées sur un volant imaginaire. « Attention à bien fermer la portière », dit-il à sa partenaire. Cette dernière n’attend rien ; elle se contente d’écouter. Son rôle, dans une telle situation, nous dit Cathy Salit, est de « prendre tout ce que l’autre dit, n’importe quoi, comme une offre avec laquelle on peut faire quelque chose ». Le volant invisible et l’injonction « Attention à bien fermer la portière » constituent une offre. L’actrice doit accepter celle-ci et rebondir à partir de là. Peut-être sera-t-elle la passagère d’un taxi. Peut-être jouera-t-elle une enfant assise à l’arrière de la voiture familiale. Peut-être aura-t-elle un bras cassé et sera-t-elle incapable d’attraper la poignée. Quoi qu’il en soit, son aptitude à écouter sans préjugé permettra à la scène d’aller plus loin. Dès lors qu’on écoute de cette manière plus intime, on commence à entendre des choses qu’on aurait pu manquer. Et si on écoute ainsi quand on s’efforce de faire bouger autrui, on s’aperçoit vite que les objections apparentes sont souvent des offres dissimulées.

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Prenons un exemple simple. Supposez que vous collectez de l’argent pour une association de bienfaisance. Vous demandez à votre beaufrère de verser 200 $. Il est fort possible qu’il refuse, mais il est peu probable qu’il dise simplement non. Selon toute vraisemblance, il répondra : « Désolé, je ne peux pas donner 200 $. » C’est une offre : peut-être qu’il versera une somme moins importante. S’il dit : « Non, je ne peux pas donner en ce moment », c’est une offre aussi. Votre réaction naturelle sera de vous emparer de l’expression « en ce moment » et de demander quand ce sera possible. De toute façon, la phrase entière est une offre : peut-être voudra-t-il donner un coup de main à l’association en tant que bénévole. « Les offres se présentent sous toutes sortes d’aspects », dit Cathy Salit. Cependant, la seule manière de les entendre est de changer votre manière d’écouter, puis de modifier votre façon de répondre. Cela me ramène à mon exercice du miroir avec la dirigeante du domaine des cosmétiques. Ce que nous étions l’un et l’autre en train de faire au cours de cette séance était d’accepter une offre. Nous ne pouvions pas dire non. (« Pas question, madame, je ne ferai pas ce geste du coude ! ») Une fois les règles acceptées, nous étions pris dans un ballet étrange, mais accordé. En fin de compte, quand la cloche a sonné pour que nous changions de rôle, nos gestes étaient si harmonieux qu’un observateur extérieur n’aurait probablement pas pu dire qui menait et qui suivait. C’est ce qu’exprime le premier principe de l’improvisation. Comme le dit Johnstone, « les bons improvisateurs semblent doués de télépathie ; tout a l’air arrangé d’avance. Cela tient à ce qu’ils acceptent toutes les offres qu’on leur fait154. » 2. Le fait de dire « oui, et » L’« océan de rejet » que nous affrontons tous les jours dans la vente et le commercial sans vente dépose sur nos rivages des « non » en quantité, mais nous en renvoyons beaucoup avec la marée en disant « non » nousmêmes plus souvent que nous n’en sommes conscients. Le théâtre

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d’improvisation invite les acteurs à surmonter ce comportement pour dire plutôt « oui, et ». Comme un potier qui apprend à centrer l’argile sur un tour ou un joueur de tennis qui découvre comment bien placer ses mains, le fait de dire « oui, et » est une capacité essentielle pour un acteur d’improvisation. Ce deuxième principe dépend du brio, en particulier de la positivité, mais celle-ci ne se limite pas à dire « oui ». « Oui, et » recèle une force singulière, qui devient plus évidente quand on la compare à son vilain frère jumeau, « oui, mais ». Sous une forme ou une autre, les cours d’improvisation comprennent presque toujours l’exercice ci-dessous. Nous ne nous y sommes pas livrés durant les séances avec Cathy Salit, mais elle me l’a montré quand j’ai visité son bureau quelques mois plus tard. L’exercice met en scène deux personnes qui prévoient un rassemblement hypothétique, par exemple une réunion d’anciens élèves. L’une d’elles lance une proposition comme : « Organisons notre réunion d’anciens à Las Vegas. » Tous les commentaires ultérieurs de l’une et de l’autre doivent commencer par « oui, mais ». Le dialogue prend en général une tournure de ce genre : « Organisons notre réunion d’anciens à Las Vegas. — Oui, mais cela va coûter trop cher pour certains. — Oui, mais ainsi seuls les gens vraiment motivés seront là. — Oui, mais certains de nos camarades de classe n’aiment pas le jeu. — Oui, mais il y a d’autres choses à faire que de jouer au black-jack. — Oui, mais même si on ne joue pas, l’endroit n’est pas idéal pour venir en famille. — Oui, mais les réunions se passent mieux si les enfants ne sont pas trop nombreux.

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— Oui, mais si les gens ne peuvent pas faire garder leurs enfants chez eux, ils ne viendront pas… » Le processus d’organisation tourne en rond sans que rien ni personne ne bouge. Puis, les participants prennent un autre chemin, où la conjonction délétère « mais » est remplacée par sa sœur rassembleuse « et ». La nouvelle version de l’échange pourrait ressembler à ceci : « Organisons notre réunion d’anciens à Las Vegas. — Oui, et si c’est trop cher pour certains, nous pourrions récolter de l’argent. — Oui, et si nous nous y prenons assez tôt, nous pourrions faire une réservation groupée dans un hôtel pour obtenir une remise. — Oui, et nous pourrions organiser des activités pendant la journée pour les anciens qui n’aiment pas le jeu ou pour les familles avec enfants. — Oui, et si nous sommes assez nombreux, nous pourrions nous mettre ensemble pour payer des gardiennes d’enfants afin que les parents puissent sortir un soir. — Oui, et ceux qui le désireraient pourraient aller voir un spectacle ensemble. » Au lieu de proposer un cercle vicieux d’idées noires, l’expression « oui, et » tire le dialogue vers différentes possibilités. Quand vous vous arrêtez, vous avez une série d’options et non l’impression d’avoir fait du surplace. Les moments où dire « non » ne manquent pas dans la vie. Cependant, s’il s’agit de faire bouger autrui, ce deuxième principe de l’impro est la meilleure position par défaut. Ses avantages ne se limitent pas à la vente et au commercial sans vente. « “Oui, et” n’est pas une technique, dit Cathy Salit. C’est une manière d’être. » 3. La mise en valeur de votre partenaire À l’été 2012, deux géants dans l’art de faire bouger autrui nous ont quittés. Roger Fisher, disparu au mois d’août peu après son 90e anniversaire, 195

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avait été professeur à la Harvard Law School et médiateur diplo­matique indépendant. Il était coauteur de Comment réussir une négociation (1981), le plus influent des livres jamais écrits sur la question. La contribution emblématique de Fisher est le concept de « négociation raisonnée » (principled negotiation), selon lequel le but de la négociation ne devrait pas être de faire perdre l’autre partie mais, autant que possible, de l’aider à gagner. L’idée, vite popularisée par le raccourci « gagnant-gagnant », a transformé l’enseignement du droit et des affaires. Auparavant, beaucoup de gens considéraient la négociation comme un jeu à somme nulle dans lequel les parties cherchaient à obtenir la plus grosse part d’un gâteau inextensible. Les travaux de Fisher ont poussé de jeunes étudiants en droit et en gestion, et des personnes moins jeunes au sein d’entreprises, à reconfigurer ces rencontres pour en faire des jeux à somme positive dans lesquels la victoire de l’un ne dépend pas de la défaite de l’autre. Si chaque partie considérait ses intérêts réels en tenant compte de la position de l’autre afin d’imaginer des possibilités de gain mutuel, les négociations pourraient s’achever sur une situation meilleure pour tout le monde. Le second géant, Stephen R. Covey, décédé à l’âge de 79 ans, 6 semaines avant Fisher, avait repris l’idée centrale de ce dernier à l’intention d’un public encore plus large. Son livre paru en 1989, Les 7 principes de ceux qui réussissent tout ce qu’ils entreprennent, s’est vendu à plus de 25 millions d’exemplaires. Le quatrième principe sur la liste de Covey est de « penser gagnant-gagnant ». En prendre l’habitude n’est pas facile, concède-t-il, car « la plupart des gens ont profondément inté­gré la mentalité gagnant-perdant depuis leur naissance ». Selon lui, la seule manière d’influencer vraiment les autres est d’adopter « une orientation d’esprit et de cœur consistant à rechercher constamment des bénéfices mutuels dans tous les contacts humains155 ». L’influence de Fisher et de Covey est telle que le « gagnant-gagnant » est aujourd’hui un classique dans les entreprises du monde entier, même si, souvent, il relève plus de la théorie que de la pratique. Une des explications de la déconnexion entre les paroles et les actes réside 196

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dans le bouleversement décrit au chapitre 3. Dans des conditions d’asymétrie de l’information, on aboutit souvent au gagnant-perdant. Après tout, si j’en sais plus que vous, je peux obtenir ce que je veux en vous écrasant. Et comme l’asymétrie d’information a longtemps été la caractéristique essentielle de la vente, nos automatismes nous conduisent souvent dans cette direction. Toutefois, avec l’apparition de la parité d’information (ou de quelque chose d’approchant), ces instincts issus d’un contexte différent risquent de nous diriger vers la mauvaise piste. Quand acheteurs et vendeurs sont à armes égales, la recherche d’une dynamique gagnant-perdant conduit rarement à l’obtention d’un vainqueur. En fait, elle se solde souvent par un résultat perdant-perdant. L’impro nous offre un moyen de rafraîchir nos idées, une méthode qui partage la vision du monde de Fisher et Covey, mais qui la réoriente en vue d’une époque où beaucoup de gens ne prennent plus garde au « gagnant-gagnant » si régulièrement allégué mais si rarement constaté. Dans le théâtre tel que le pratiquent Cathy Salit et The Second City, les acteurs doivent suivre la règle suivante : mettre leur partenaire en valeur. Comme le savent depuis longtemps les artistes d’improvisation, le fait d’encourager leur partenaire à briller aide le duo à améliorer son spectacle. En ce qui vous concerne, la mise en valeur de votre partenaire ne vous dévalorise pas ; au contraire, elle vous élève. Cela rompt avec l’état d’esprit binaire, à somme nulle, et lui substitue une culture de générosité, de créativité et de possibilités. Ce troisième principe de l’impro – la mise en valeur de votre partenaire – réclame et rend possibles la clarté et la capacité à découvrir des solutions que personne n’avait imaginées jusque-là. Pour illustrer ce principe, Cathy Salit nous dit de choisir de nouveaux partenaires. La mienne est une quadragénaire amicale qui travaille dans une grande société de services financiers. Pour cet exercice, intitulé « Je suis curieux », nous optons pour une question controversée propice aux oppositions (Faut-il légaliser la marijuana ? Faut-il rétablir la peine de mort ?). Ensuite, chacun choisit son camp, l’un tentant de 197

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faire partager son point de vue à l’autre, qui ne doit répondre que par des questions. Celles-ci doivent être d’authentiques interrogations, et non pas des opinions déguisées (Ça ne vous ennuie pas que seuls les imbéciles partagent votre avis ?). Elles ne doivent pas non plus être des questions appelant une réponse par oui ou par non (J’ai raison, n’est-ce pas ?). Si notre partenaire viole l’une ou l’autre des règles – en exprimant une opinion ou en posant une question d’un type interdit –, nous devons faire sonner la cloche de motel pour annoncer l’incartade à tout le groupe. Je joue d’abord le rôle du questionneur, et ma partenaire affiche une position sur une vieille controverse de politique américaine qui fait les gros titres de la presse le jour de notre séminaire. Je réponds à sa première revendication par un prudent « Vraiment ? », ce qui est techniquement une question, mais ne respecte pas réellement l’esprit de l’exercice. Je me reprends et pose une vraie question. Ma partenaire répond en élargissant son argument. Me remémorant qu’il est important de ralentir, je fais une pause, je respire profondément et je commence ma question par : « Mais que diriez-vous de… ? » C’est un peu mieux. Elle passe alors à un autre axe de raisonnement. Aussitôt, sans même réaliser ce que je dis, je riposte : « Vous plaisantez ! » Ding ! En quatre minutes à peine, me voilà exclu du jeu. À son tour de poser les questions. Peut-être instruite par ma démonstration piteuse, elle se débrouille plus habilement. Chaque fois que j’avance un argument, sa première réponse est : « Ça, c’est intéressant ! » La manœuvre lui donne le temps de concocter une question, mais tend aussi à rendre l’atmosphère amicale. Quand elle pose une question, je dois m’arrêter un moment, réfléchir et offrir une réponse intelligente. L’idée ici n’est pas de gagner, mais d’apprendre. Quand les deux parties voient leurs rencontres comme autant d’occasions d’apprendre, le désir de remporter une victoire sur l’adversaire a du mal à trouver l’oxygène nécessaire. Les questions, dont on a vu la puissance à propos des soliloques interrogatifs et des pitchs efficaces, modifient les règles de la relation, et donc, la nature du contact lui-même. La conversation se

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met à ressembler davantage à une danse et moins à un match de catch. Alfred Fuller, fondateur de Fuller Brush, en avait eu l’intuition bien avant l’invention du théâtre d’improvisation. « Ne vous disputez jamais, écrivait-il. Gagner une dispute, c’est perdre une vente156. » La mise en valeur de votre partenaire, de la personne à qui vous vendez, est devenue encore plus cruciale que du temps de Fuller. À l’époque, les vendeurs sans scrupule n’avaient pas à s’inquiéter de donner le mauvais rôle aux acheteurs. Souvent, ces derniers n’avaient pas d’autre fournisseur et personne à qui s’adresser. Aujourd’hui, si vous donnez le mauvais rôle à quelqu’un, il peut le dire au monde entier ; si vous lui donnez le beau rôle, il peut faire de la bonne publicité pour vous. « Dans l’impro, vous n’essayez jamais de faire faire quelque chose à quelqu’un, dit Cathy Salit. Ce serait de la coercition, pas de la créativité. Vous faites des propositions, vous en acceptez, et il se forme une conversation, une relation, des possibilités. » Ainsi va l’impro, ainsi vont la vente et le commercial sans vente. Si vous entraînez vos oreilles à entendre les offres, si vous répondez aux autres par « oui, et » et si vous vous efforcez toujours de mettre en valeur votre interlocuteur, de multiples possibilités verront le jour.

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Comptez jusqu’à cinq « La nature a donné à l’homme une langue et deux oreilles pour qu’il écoute deux fois plus qu’il ne parle », disait le philosophe stoïcien grec Épictète il y a 19 siècles. Hélas, peu de gens ont suivi cette suggestion. Vous pouvez faire mieux qu’eux en prenant ce conseil au sérieux. Un des moyens les plus simples d’y parvenir, en réduisant votre rapport parole-écoute,  consiste simplement à ralentir. Cette semaine, choisissez un jour qui sera celui de la lenteur. Quand vous engagerez une conversation, attendez cinq secondes avant de répondre. Sérieusement. Chaque fois. Cela vous paraîtra idiot au début, et votre interlocuteur se demandera peut-être si vous avez toute votre tête. Qu’à cela ne tienne : le fait d’attendre quelques secondes avant de répondre peut exercer vos capacités d’écoute à peu près comme le fait de déguster un morceau de chocolat au lieu de l’engloutir goulûment peut améliorer votre palais. (Si une journée entière vous paraît trop, commencez par faire l’exercice durant une heure.) Lainie Heneghan, experte-conseil britannique qui plaide pour ce qu’elle appelle « l’écoute radicale », propose des moyens pour savoir si vous avez suffisamment ralenti. Vos interlocuteurs finissent-ils vraiment leurs phrases ? Exposent-ils totalement leurs points de vue sans que vous les interrompiez ? Ont-ils le temps de respirer avant que vous commenciez à jacasser ? Aller plus lentement peut vous faire aller plus loin.

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Dites « oui, et » Le « jeu de la publicité » est un exercice d’improvisation classique. Voici comment il fonctionne. Choisissez quatre ou cinq participants, puis demandez-leur d’inventer avec vous un nouveau produit et de concevoir une campagne de publicité pour lui. Chaque fois que les joueurs proposent un témoignage, une démonstration ou un slogan, ils doivent commencer leur phrase par « oui, et », ce qui les oblige à considérer l’idée précédente. Ils ne peuvent ni réfuter ni ignorer ce que disent leurs collègues. Et ils ne doivent pas aller au-delà. Ils doivent seulement dire « oui, et », accepter ce que leurs vis-à-vis leur offrent et s’en servir pour bâtir une campagne encore meilleure. « Il y a des gens qui préfèrent dire “oui” et d’autres qui préfèrent dire “non”, écrit Keith Johnstone. Ceux qui disent “oui” sont récompensés par les aventures qu’ils vivent. Ceux qui disent “non” sont récompensés par la sécurité qu’ils obtiennent. »

Jouez à « Un mot à la fois » Voici un autre jeu d’improvisation classique qui a donné naissance à de nombreuses variantes, quoique je préfère celle de Johnstone. Les règles en sont simples. De six à huit personnes s’assoient en cercle et tricotent ensemble une histoire. La difficulté : chacune ne peut ajouter qu’un mot, et seulement quand c’est son tour. Dans Impro for Storytellers, Johnstone décrit une séance au cours de laquelle deux partenaires l’aident à créer. Il commence par le mot « Sally ». Viennent ensuite : — Allait… — Devenir… (C’est de nouveau mon tour ; j’active les choses) : Folle… — Car…

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— Son… — Père… — Voulait… — Mettre… — Son… — Cheval… — Dans… — Son… — Écurie. « Certaines de ces histoires font long feu au bout de la première phrase, mais il en est aussi qui peuvent se compléter d’elles-mêmes », dit Johnstone. De quelque manière que le récit se déploie, cet exercice est excellent pour vous aider à réfléchir vite et à tendre l’oreille à ce qu’on vous offre.

Utilisez le pouvoir des questions Un des exercices de Cathy Salit que j’ai le plus aimés, « Je suis curieux », mérite que vous le reproduisiez. Trouvez un partenaire, puis choisissez un thème controversé avec deux camps adverses. Avant de commencer, demandez à votre partenaire d’arrêter sa position sur la question. Vous prendrez le parti opposé. Puis, il présente son argumentaire, mais vous ne pouvez répondre que par des questions – jamais par des affir­mations, des contre-arguments ou des insultes. Ces questions doivent respecter 3 règles : 1. Vous ne pouvez pas poser de questions dont la réponse est oui ou non. 2. Vos questions ne peuvent pas être des opinions camouflées. 3. Votre partenaire doit répondre à toutes les questions.

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C’est plus difficile qu’il n’y paraît mais, en pratiquant cet exercice, vous apprendrez à utiliser la forme interrogative pour progresser et nouer le dialogue entre votre partenaire et vous.

Lisez ces livres Voici quelques lectures suggérées (en anglais) sur le thème de l’improvisation: 1. Impro : Improvisation and the Theatre, par Keith Johnstone. Si le théâtre d’improvisation a son Lénine – un révolutionnaire intarissable qui fixe les bases intellectuelles d’un mouvement –, ce ne peut être que Johnstone. Son livre n’est pas toujours facile à lire. Il tient autant du traité philosophique que du guide pratique. Cependant, c’est un excellent moyen pour saisir les principes sur lesquels repose l’improvisation. 2. Improvisation for the Theater, par Viola Spolin. Si le théâtre d’impro­visation a son ève – une femme qui était présente au moment de la création, même si en l’occurrence elle n’a pas eu besoin d’un Adam et n’a pas succombé à la tentation –, ce ne peut être que Viola Spolin. Ce livre, qui date d’un demi-siècle mais dont l’édition mise à jour se vend encore comme des petits pains, réunit plus de 200 exercices d’improvisation mis au point par l’auteure. 3. Creating Conversations : Improvisation in Everyday Discourse, par R. Keith Sawyer. Sawyer est un des meilleurs spécialistes de la créativité. Dans ce livre datant de 2001, il s’attache à nos conversations de tous les jours et montre ce que ces échanges quotidiens ont en commun avec le jazz, les jeux d’enfants et le théâtre d’improvisation. De Sawyer toujours, il est bon de consulter Group Genius : The Creative Power of Collaboration. 4. Improv Wisdom : Don’t Prepare, Just Show Up, par Patricia Ryan Madson. L’auteure, qui a enseigné l’art dramatique à l’Université

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Stanford jusqu’en 2005, propose 13 maximes tirées de l’impro, utilisables par les lecteurs dans leur vie professionnelle et personnelle. 5. The Second City Almanac of Improvisation, par Anne Libera. Histoire du divertissement pour une part, guide d’improvisation pour une autre, cet almanach décrit le raz-de-marée de l’impro déclenché par The Second City. Il regorge d’exercices intéressants, de citations provocantes et de photos de comédiens célèbres, du temps de leur prime jeunesse.

Faites fonctionner vos pouces Voici une activité de groupe qui peut servir à transmettre une leçon mémorable. Outre vous-même, vous aurez besoin d’au moins deux participants. Assemblez tout le monde par paires, puis demandez à chaque tandem de plier les doigts de la main droite et de mettre le pouce en l’air. Ensuite, donnez cette instruction : « À présent, faites baisser le pouce de votre partenaire. » Restez silencieux le temps que chaque paire finisse le travail. La plupart des participants croiront qu’ils doivent engager un combat de pouces. Pourtant, il y a beaucoup d’autres moyens de faire baisser le pouce de son partenaire : on peut le lui demander poliment, déplier ses propres doigts et lui ramener le pouce vers le bas, etc. La leçon ici est que, trop souvent, notre point de départ est la compétition – une démarche gagnant-perdant, à somme nulle, au lieu d’une démarche gagnant-gagnant, à somme positive, caractéristique de l’improvisation. Dans la plupart des circonstances où on doit faire bouger autrui, on dispose de plusieurs moyens pour venir à bout de la tâche ; nombre de ces méthodes reposent sur la mise en valeur de nos partenaires.

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Chapitre 9

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A

u Kenya, si vous voulez vous rendre d’une ville à une autre, vous devrez probablement grimper à bord d’un matatu, petit autocar ou camionnette de 14 places qui constitue le principal moyen de transport sur longue distance du pays. Une fois à bord, préparez-vous à vivre des émotions fortes. Le fait de confier à un jeune mâle le volant d’un véhicule rapide est périlleux dans n’importe quel pays, mais les Kényans eux-mêmes disent que les chauffeurs de matatu sont particulièrement déjantés. Comme inspirés par Le cas étrange du Dr  Jekyll et de M. Hyde, ces gens par ailleurs aimables et d’humeur égale deviennent des démons aux yeux hagards, ivres de vitesse, qui risquent leur vie et celles de leurs passagers. C’est en partie pour cela que le Kenya affiche un des taux de décès par accident de la circulation les plus élevés du monde157. Dans les pays en voie de développement, la route tue aujourd’hui autant que la malaria. À l’échelle du monde, près de 1,3 million de personnes meurent chaque année dans des accidents routiers, qui constituent la neuvième cause de décès. L’Organisation mondiale de la santé prévoit qu’ils occuperont le cinquième rang en 2030, devant le VIH/sida, le diabète, la guerre et la violence158. Des pays comme le Kenya disposent de différents remèdes pour contrer ce problème. Ils peuvent abaisser les limites de vitesse, réparer les routes dangereuses et défoncées, inciter au port de la ceinture, installer des dos d’âne ou réprimer la conduite en état d’ivresse. Beaucoup de ces mesures sont susceptibles de réduire leur macabre bilan, mais

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toutes nécessitent des fonds publics ou des policiers vigilants, les uns et les autres n’étant accessibles qu’en quantité limitée. Aussi, à l’occasion d’une étude de terrain ingénieuse, deux économistes de l’Université Georgetown, James Habyarimana et William Jack, ont imaginé un moyen pour modifier le comportement des fous du volant kényans159. En accord avec les coopératives propriétaires des véhicules, ils ont enrôlé 2 276 chauffeurs de matatu et les ont répartis en deux groupes. Les conducteurs de véhicules dont le numéro d’immatriculation se terminait par un chiffre pair formaient le groupe de contrôle, et ceux dont le numéro se terminait par un chiffre impair parti­ cipaient à une intervention exceptionnelle. À l’intérieur des matatus des membres du deuxième groupe, les chercheurs ont placé cinq autocollants rédigés à la fois en anglais et en kiswahili, la langue nationale du Kenya. Certains de ces autocollants ne contenaient que du texte, comme ceux-ci : Figure 9.1

Figure 9.2

D’autres incluaient des textes accompagnés « d’images explicites et atroces de membres arrachés160 ». Et tous enjoignaient aux passagers d’agir, d’implorer le chauffeur de ralentir, de protester bruyamment s’il

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tentait des manœuvres casse-cou et de le rabrouer jusqu’à ce qu’il pilote le matatu de manière pondérée. Les chercheurs ont surnommé cette stratégie « protestation et réprimande ». L’année suivante, l’équipe a constaté que les passagers des matatus ornés d’autocollants étaient cinq fois plus susceptibles de houspiller les chauffeurs que ceux des véhicules sans autocollants. Cependant, leurs efforts avaient-ils fait bouger les chauffeurs ou exercé un effet sur la sûreté de leurs trajets ? Pour le savoir, les chercheurs ont examiné une base de données liée aux demandes d’indemnisation reçues par les compagnies d’assurances couvrant les matatus. Il s’est avéré que le nombre de requêtes relatives aux véhicules décorés d’autocollants avait chuté de près des deux tiers par rapport à l’année précédente. Les demandes associées à des accidents graves (avec des blessés ou des morts) avaient baissé de plus de 50 % et, d’après les entretiens de suivi des chercheurs avec les chauffeurs, il était clair que cela était dû aux remontrances des passagers161. Autrement dit, grâce à quelques étiquettes collées dans les minibus, on avait économisé plus d’argent et épargné plus de vies qu’au cours de toutes les tentatives antérieures du gouvernement kényan. Le mécanisme à l’œuvre ici (les autocollants faisaient bouger les passagers et les passagers faisaient bouger le chauffeur) nous aidera à comprendre la nature de notre troisième et dernière compétence : le service. La vente traditionnelle et le commercial sans vente sont en dernière analyse des services. Cependant, le terme « service » n’engage pas seulement de sourire aux clients qui entrent dans une boutique ou de livrer une pizza en 30 minutes, même si l’un et l’autre sont importants dans le royaume du commerce. La définition du service est plus large, plus profonde et plus transcendante : le service vise l’amélioration de la vie des autres et, à partir de là, l’amélioration du monde. Dans le meilleur des cas, faire bouger les gens peut aboutir à quelque chose de plus grand et de plus durable que de procéder à un simple échange de moyens. Et on

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aura plus de chances d’y parvenir si on suit les deux leçons implicites du triomphe des autocollants dans les matatus : on doit donner à ses actes un caractère personnel et leur attribuer du sens.

Donnez un caractère personnel à vos actes La vie professionnelle des radiologistes est solitaire. Contrairement à la plupart des médecins, qui passent une grande partie de leurs journées en contact direct avec les patients, ils se tiennent souvent assis seuls dans des bureaux peu éclairés ou penchés sur des ordinateurs pour lire des images produites par rayons X, scanners tomographiques ou IRM. Un tel isolement peut provoquer une démotivation chez ces médecins hautement qualifiés. Pire, si le travail commence à leur paraître impersonnel et mécanique, leurs résultats risquent de s’en ressentir. Voilà quelques années, un jeune radiologiste israélien, Yehonatan Turner, s’est dit qu’il serait possible de faire bouger ses confrères afin qu’ils accomplissent leur travail avec plus d’énergie et de compétence. Médecin résident au Shaare Zedek Medical Center de Jérusalem, il a pris, avec leur accord, la photo de quelque 300 personnes venues pour une tomodensitométrie. Puis, il a invité un groupe de radiologistes, qui ignoraient le sujet de son étude, à participer à une expérience. Quand un radiologiste s’assoyait devant son ordinateur et affichait le cliché d’un patient pour l’étudier, le portrait de celui-ci apparaissait automatiquement à côté de l’image. Après avoir fait leur évaluation, les radiologistes remplissaient un questionnaire. Tous ont dit qu’ils ressen­taient « plus d’empathie pour le client dont ils voyaient la photographie » et qu’ils examinaient l’image de manière plus méticuleuse162. Toutefois, la vraie force de l’idée de Turner est apparue trois mois plus tard. Une des qualités qui distinguent les radiologistes exceptionnels des radiologistes moyens est leur aptitude à faire ce qu’on appelle des « découvertes fortuites », à détecter sur une image des anomalies qu’on ne recherchait pas et sans rapport avec l’affection pour laquelle le patient

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consultait. Supposons que je passe une radio à l’hôpital parce que je crains de m’être cassé le bras. La tâche principale du médecin est de regarder si mon cubitus est fracturé. Au passage, il détecte un kyste près de mon coude : voilà une découverte fortuite. Turner a sélectionné 81 images de scanner (accompagnées d’une photo du patient) sur lesquelles les radiologistes avaient fait des découvertes fortuites. Trois mois plus tard, il les a présentées de nouveau au même groupe de radiologistes, mais cette fois, sans le portrait. (Les radiologistes, qui examinent un grand nombre d’images chaque jour et qui ignoraient ce que Turner étudiait, ne se souvenaient pas d’avoir vu ces clichés.) Le résultat a été stupéfiant. Turner a découvert que « 80 % des décou­vertes fortuites n’étaient plus faites quand le fichier ne comportait pas de photographie du patient163 ». Alors que l’image était la même que trois mois plus tôt, les médecins étaient cette fois bien moins méti­ culeux et moins précis. « Notre étude met en valeur l’approche du patient comme un être humain et non comme un cas anonyme », a déclaré Turner au Science Daily164. Comme nous tous, les médecins doivent faire bouger autrui, mais ils parviennent mieux à exercer leur métier, c’est-à-dire à faire aller les gens de la maladie ou de la blessure vers la santé et le bien-être, quand ils donnent à leur travail une tonalité personnelle. Le fait de considérer les patients non comme des ensembles de symptômes mais comme des humains à part entière facilite leur tâche, et aussi le traitement des malades eux-mêmes. Cela ne signifie pas que les médecins et les infirmiers doivent abandonner leurs listes de contrôle et leurs protocoles165, mais que le fait de se fier sans réserve à des processus et à des algorithmes qui occultent l’être humain s’apparente à une erreur médicale. Comme le montre l’étude de Turner, l’injection d’un élément personnel dans le milieu professionnel peut améliorer les résultats et accroître la qualité des soins ; depuis cette expérience, on ajoute des portraits à des frottis vaginaux, à des prélèvements sanguins, etc.166.

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Ce qui est vrai pour les médecins l’est pour nous tous. Toute circons­tance dans laquelle nous essayons de faire bouger autrui impli­ que par définition un autre être humain. Pourtant, au nom du professionnalisme, nous négligeons souvent cet élément pour adopter une posture abstraite et distante. Nous ferions mieux de recalibrer notre démarche en la rendant concrète et personnelle, pas par sentimentalisme, mais pour des raisons bien pratiques. Le problème général de la sécurité routière au Kenya semble abstrait et distant ; cependant, le fait d’amener les passagers à influencer leur chauffeur de matatu pendant qu’il tient le volant rend le sujet concret et personnel. La lecture d’une image de scanner seul dans une pièce, c’est abstrait et distant ; la lecture de la même image assortie du portrait du patient rend le travail concret et personnel. Dans la vente traditionnelle comme dans le commercial sans vente, on réussit mieux quand, au lieu de se borner à résoudre un problème, on s’attache à servir une personne. Il est bon de mentionner que le fait d’aborder le travail de manière personnelle a deux facettes. L’une est la prise en compte de la personne qu’on tente de servir, par exemple celle qui a subi un examen au scanner ; l’autre est l’engagement personnel derrière ce qu’on essaie de vendre. Il m’a été donné de constater ce deuxième aspect, non dans les pages d’une revue de sciences humaines ou dans les couloirs d’un labo de biologie, mais sur les murs d’une pizzeria de Washington. Un samedi soir de l’an dernier, ma femme et deux de nos enfants ont voulu tester un nouveau restaurant, Il Canale, un établissement italien bon marché conseillé par des amis. Nous avons dû attendre quelques minutes pour qu’on nous place. Comme je suis affecté d’une bougeotte incurable, je me suis mis à sautiller dans le petit hall. J’ai stoppé net en voyant cette affiche encadrée, ornée du portrait du patron du restaurant, Giuseppe Farruggio :

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Figure 9.3 Affiche du restaurant Il Canale

« J’ai besoin de votre aide ! Si vous n’avez pas été totalement satisfaits chez Il Canale, merci de m’appeler sur mon portable au 703-624-2111 »

Farruggio a quitté la Sicile pour les États-Unis à l’âge de 17 ans. C’est bien sûr un vendeur. Il vend des antipasti, des linguines alle vongole et de la pizza garantie napolitaine à des familles affamées. Toutefois, avec cette affiche, il transforme son offre : de distante et abstraite – Washington ne manque pas d’endroits où on sert de la pizza et des pâtes –, elle devient concrète et personnelle. Et il réussit ce changement d’une manière spécialement audacieuse. Pour Farruggio, le service ne consiste pas à livrer un calzone en 29 minutes, mais à être littéralement à la disposition de ses clients. Quelques semaines plus tard, nous avons discuté des réactions obtenues après la pose de l’affiche. Farruggio m’a dit n’avoir reçu que

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8 appels en 18 mois. Six étaient élogieux – ou visaient peut-être à vérifier que quelqu’un répondait vraiment. Deux émanaient de clients mécontents et ont permis d’améliorer le service. (Cher lecteur, merci de vous abstenir de téléphoner à M. Farruggio, sauf dans le cas extra­ ordinaire où vous auriez mal mangé chez Il Canale.) L’important, ici, ne réside pas dans les appels que Farruggio reçoit des clients, mais dans ce qu’il leur communique : il y a quelqu’un derrière la pizza, et ce quelqu’un tient à ce que ses hôtes soient satisfaits. De même que le portrait placé à côté du cliché du scanner change la manière dont les radiologistes font leur travail, le portrait souriant de Farruggio accroché avec son numéro de téléphone au-dessus de la caisse enregistreuse change l’impression produite sur les clients de son restaurant. Beaucoup d’entre nous aiment dire « je suis responsable » ou « je fais attention », mais peu s’engagent si profondément dans le service des autres qu’ils sont disposés à dire : « Appelez-moi sur mon portable. » La manière dont Farruggio personnalise le contact est caractéristique de beaucoup des vendeurs qui réussissent le mieux. Brett Bohl, directeur de Scrubadoo.com, qui vend des blouses médicales, adresse un mot écrit à la main à chaque client qui achète un de ses produits167. Tammy Darvish, la concessionnaire automobile que nous avons rencon­trée au chapitre 3, confie son adresse électronique personnelle à chacun de ses clients en leur disant : « Si vous avez la moindre question ou le moindre problème, contactez-moi personnellement. » Ils le font. Et quand elle leur répond, ils savent qu’elle est à leur service.

Donnez du sens à vos actes Moins dangereux que les matatus, les hôpitaux américains sont pourtant moins sûrs qu’on ne le pense. Chaque année, environ 5 % des malades y contractent une infection nosocomiale. Les conséquences sont atterrantes : 99 000 décès par an et un coût annuel qui peut s’élever à 40 milliards de dollars168. Le moyen le plus économique de prévenir ces infections est de demander aux médecins, aux infirmières et aux autres professionnels de la santé de se laver régulièrement les mains, 216

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mais la fréquence du lavage de mains dans les hôpitaux américains est étonnamment faible, et les efforts accomplis pour l’augmenter sont souvent restés inefficaces. Adam Grant, professeur à Wharton dont les recherches sur l’ambiversion ont été évoquées au chapitre 4, s’est mis en quête d’un meilleur moyen pour amener les personnes travaillant dans les hôpitaux à changer de comportement. Avec David Hofmann, de l’Université de Caroline du Nord, il a essayé trois approches différentes pour relever ce défi du commercial sans vente. Les chercheurs ont obtenu d’un hôpital américain l’autorisation d’apposer pendant 2 mois des affichettes à côté de 66 distributeurs de savon et de gel désinfectant. Le tiers d’entre elles était axé sur l’intérêt personnel des gens, et notamment sur celui des professionnels de la santé : L’hygiène des mains vous évite d’attraper des maladies. Le tiers soulignait les conséquences pour les clients, c’est-à-dire la finalité du travail hospitalier. L’hygiène des mains évite que les patients attrapent des maladies. Les affichettes du dernier tiers comportaient un bref slogan et servaient de témoin : Gel À L’entrée, propreté À la sortie. Les chercheurs ont pesé les sachets de savon et de gel au début et à la fin de la période de deux semaines pour voir quelle quantité de ces produits les salariés avaient effectivement utilisée. En calculant les résultats, ils ont constaté que l’affichette la plus efficace était de loin la deuxième. « La quantité de produit d’hygiène des mains prélevée aux distributeurs portant l’affichette sur les conséquences pour les patients était sensiblement plus importante que celle prélevée aux distributeurs

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portant l’affiche sur les conséquences personnelles ou l’affichette témoin », écrivent Grant et Hofmann169. Intrigués par ce résultat, les chercheurs ont décidé de tester la robustesse de leurs constats neuf mois plus tard dans différentes unités du même hôpital. Cette fois, ils n’ont utilisé que deux affichettes : la version sur les conséquences personnelles et celle sur les conséquences pour les patients. Au lieu de peser les sachets de savon et de gel, ils ont demandé à des salariés de leur servir d’espions. Pendant deux semaines, ces recrues, qui ignoraient la nature de l’étude, ont discrètement enregistré le nombre d’« occasions d’hygiène manuelle » qui se présentaient pour les médecins, les infirmiers et le reste du personnel soignant, et le nombre de fois où les intéressés saisissaient ces occasions pour se laver les mains. Là encore, l’affichette sur les conséquences personnelles ne produisait aucun effet, mais celle faisant appel à la motivation des soignants augmentait de 10 % en moyenne le lavage des mains, et sensiblement plus chez les médecins170. Les affichettes bien conçues n’élimineront pas à elles seules les infections nosocomiales. Comme l’a observé un chirurgien, Atul Gawande, les listes de contrôle et les autres processus peuvent être hautement efficaces à cet égard171. Cela dit, Grant et Hofmann révèlent quelque chose de crucial : « Nos constats donnent à penser que, dans les messages sur la santé et la sécurité, on devrait insister non sur l’intérêt du destinataire, mais sur celui du groupe considéré comme le plus vulnérable172. » La mise en avant de la primauté de la motivation est une des méthodes les plus puissantes – et les plus négligées – pour faire bouger autrui. On considère souvent que les êtres humains sont motivés principalement par l’intérêt personnel, mais nombre de recherches ont montré qu’il leur arrive d’agir pour des raisons que les sciences sociales qualifient de « prosociales » ou d’« autotranscendantes173 ». Cela signifie non seulement qu’on devrait soi-même servir, mais aussi qu’on devrait faire appel au désir de servir des autres. Le fait de donner aux actes une tonalité personnelle est plus efficace quand on leur donne aussi du sens.

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Une équipe d’universitaires britanniques et néo-zélandais a récemment effectué deux expériences dans un autre contexte de commercial sans vente. Elle a réparti les participants de manière aléatoire en trois groupes. Le premier, le « groupe autotranscendant », a lu des données expliquant en quoi l’autopartage est bon pour l’environnement. Le deuxième, le « groupe égoïste », a lu un texte disant pourquoi l’autopartage peut faire faire des économies. Le troisième, le groupe de contrôle, a lu des renseignements généraux sur les voyages en automobile. Ensuite, les participants ont rempli quelques questionnaires sans rapport pour occuper leur temps. Cela fait, on leur a demandé de partir et de jeter tous les papiers qu’ils détenaient encore. Pour cela, ils avaient deux possibilités : une corbeille à déchets et une poubelle destinée au recyclage. Environ 50 % des personnes des groupes « égoïste » et de contrôle ont recyclé leurs papiers, alors que cette proportion a atteint près de 90 % chez les gens du groupe « autotranscendant »174. Bref, le simple fait d’évoquer le sens de leurs actes dans un domaine (l’autopartage) les a poussés à se comporter différemment dans un autre (le recyclage). Les recherches de Grant ont en outre montré que le fait de donner du sens améliore les résultats, non seulement dans des campagnes comme la promotion du lavage des mains et du recyclage, mais aussi dans la vente traditionnelle. En 2008, Grant a effectué une étude fascinante au centre d’appels d’une grande université américaine où, chaque soir, des salariés téléphonent à d’anciens élèves pour obtenir de l’argent. Selon l’habitude de la psychologie sociale, Grant a réparti les collecteurs de fonds en trois groupes. Il s’est arrangé pour que leurs conditions de travail soient identiques, sauf pour les cinq minutes précédant le début de leur plage de travail. Deux soirs de suite, les membres d’un des groupes ont lu des récits de gens qui avaient travaillé avant eux au centre d’appels et qui expliquaient y avoir acquis des qualités utiles (l’accordage, le brio et la clarté, peut-être). C’était le « groupe des avantages personnels ». Un autre, le « groupe du sens », a lu des récits d’anciens élèves de l’université qui avaient bénéficié de bourses financées grâce aux fonds récoltés par le 219

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centre d’appels et qui disaient à quel point elles les avaient aidés. Le troisième groupe d’appelants était le groupe de contrôle ; ses membres ont lu des récits sans rapport avec leur intérêt personnel ou leur mission. Après cet exercice, les travailleurs prenaient leur téléphone, avec pour consigne de ne pas mentionner les récits qu’ils venaient de lire aux gens qu’ils essayaient de persuader de faire un don. Quelques semaines plus tard, Grant a consulté les résultats. Le groupe des avantages personnels et le groupe de contrôle avaient obtenu à peu près le même nombre de promesses de dons que dans la période précédant la lecture, mais le groupe du sens était passé à la vitesse supérieure. Il avait plus que doublé « le nombre de promesses reçues chaque semaine et le montant hebdomadaire des dons récoltés175 ». Formateurs commerciaux, notez bien ceci : ces cinq minutes de lecture ont plus que doublé la production. Les récits ont conféré un aspect personnel au travail des participants, et leur contenu a donné du sens à leur tâche. Tel est bien ce que signifie servir : améliorer la vie d’autrui et, ce faisant, améliorer le monde. C’est le fond du service et le secret ultime pour faire bouger autrui. En 1970, un inconnu de 66 ans, Robert Greenleaf, ancien cadre chez AT&T, a publié un essai qui allait être marquant. Intitulé The Servant as Leader, cet opuscule bouleversait en moins de 40 pages les philosophies du leadership dans les affaires et la politique. Pour Greenleaf, les leaders les plus efficaces n’étaient pas les chefs héroïques et énergiques, mais plutôt les personnalités plus calmes, plus humbles, dont la motivation essentielle était de servir ceux qui étaient en principe placés sous eux. Greenleaf a donné à cette notion le nom de « leadership serviteur ». « Le leader est d’abord un serviteur, écrivait-il. Pour devenir un leader serviteur, il faut d’abord faire appel au sentiment naturel suivant lequel la priorité est de servir. Puis, par choix conscient, on finit par aspirer à diriger176. » L’idée même que des leaders se fassent les subordonnés de ceux qui les suivent, inversant ainsi la pyramide traditionnelle, en a mis certains

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mal à l’aise. D’autres, plus nombreux, se sont sentis stimulés par la philosophie de Greenleaf. Ceux qui l’ont adoptée ont appris à « ne pas faire de mal, [à] réagir à tout problème en commençant par écouter, [à] accepter et à pratiquer l’empathie » au lieu de rejeter. Peu à peu, des entreprises aussi diverses que Starbucks, TD Industries, Southwest Airlines ou Brook Brothers ont intégré les idées de Greenleaf dans leurs pratiques de management. Les écoles de gestion ont inclus son livre dans leurs listes de lectures et leurs programmes. Les associations et les institutions religieuses ont présenté ses principes à leurs membres. Si le leadership serviteur a trouvé sa place, ce n’est pas seulement parce que beaucoup de ceux qui l’ont essayé l’ont trouvé efficace. C’est aussi parce que la démarche suivant laquelle il fonctionne leur a permis d’exprimer leurs convictions latentes à propos des autres et de leurs aspirations personnelles profondes. La manière de diriger de Greenleaf est plus difficile à adopter, mais aussi plus transformatrice. « Voici, écrivait-il, le meilleur test, et le plus ardu à faire passer : ceux qu’on sert progressent-ils en tant que personnes ? Sont-ils mieux portants, plus sages, plus libres, plus autonomes, plus susceptibles de devenir eux-mêmes des serviteurs177 ? » L’heure est venue d’appliquer la philosophie de Greenleaf à la vente. On pourrait parler de « vendeur serviteur ». L’idée de départ est que ceux qui font bouger autrui ne sont pas des manipulateurs, mais des serviteurs. Ils servent d’abord et vendent ensuite. Et voici le test le meilleur et le plus difficile à administrer, comme celui de Greenleaf : si la personne à laquelle vous vendez accepte d’acheter, sa vie s’améliorera-t-elle ? Après votre intervention, le monde sera-t-il meilleur qu’avant ? Le vendeur serviteur est essentiel pour faire bouger autrui de nos jours mais, en un sens, il était déjà présent chez ceux qui ont donné à la vente ses lettres de noblesse. Alfred Fuller, par exemple, l’homme qui a inspiré à Norman Hall sa vocation improbable, disait avoir compris à un moment critique de sa carrière que son travail était meilleur, dans tous les sens du mot, s’il servait d’abord et vendait ensuite. À partir de ce jour, il s’est considéré comme un réformateur citoyen, un bienfaiteur des familles, « un croisé contre les cuisines insalubres et les foyers 221

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malpropres ». Cela semble un peu idiot, admettait-il. « Cependant, pour réussir, un vendeur doit se sentir quelque peu engagé à ce que son produit apporte au genre humain un bénéfice supérieur à l’argent qu’il en retire lui-même. » Un vendeur efficace n’est pas « un commerçant intéressé seulement par le profit », disait-il. Le véritable vendeur est « un idéaliste et un artiste178 ». Il en va de même de la personne véritable. Une des choses qui distinguent notre espèce des autres est notre mélange d’idéalisme et d’esprit artistique – notre désir d’améliorer le monde et de lui apporter des éléments dont il ne savait pas qu’ils lui manquaient. Faire bouger autrui n’impose pas de négliger les aspects plus nobles de notre nature. Aujourd’hui, cela suppose même de les cultiver, et de nous rappeler sans cesse que vendre est humain.

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Passez de la « vente en plus » au « service en plus » « Vente incitative » (upselling) est une des expressions les plus détestables du vocabulaire commercial. Vous allez dans un magasin de sport pour acheter une paire de chaussures de base, et le vendeur tente de vous orienter vers le modèle le plus cher. Vous magasinez un appareil photo, et on voudrait vous convaincre de prendre aussi un kit sans intérêt, des accessoires dont vous n’avez pas besoin et une prolongation de garantie dont vous ne voulez pas. Un jour, alors que je m’apprêtais à terminer un achat en ligne, le site web concerné m’a bombardé d’une demi-douzaine d’ajouts sans intérêt pour moi. En regardant l’adresse de la page, j’ai vu : www.nomdelentreprise.com/venteincitative. J’ai stoppé là l’opération, et je n’achète plus rien sur ce site. Malheureusement, beaucoup de programmes de formation à la vente enseignent encore à pousser les clients à acheter plus. Si leurs concepteurs étaient malins, ils banniraient à la fois l’idée et l’expression au profit d’une démarche plus amicale et plus efficace : le service en plus. Cela implique de faire pour l’autre personne plus que ce à quoi elle s’attendait ou que ce que vous aviez prévu, grâce aux petits gestes qui transforment un contact anodin en une expérience mémorable. Ce simple changement – passer de la vente en plus au service en plus – a l’avantage évident d’être un comportement louable, mais il a aussi un avantage caché : il est d’une efficacité extraordinaire.

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Chaque fois que vous êtes tenté de pousser quelqu’un à acheter plus, arrêtez-vous et mettez-vous à servir plus. N’essayez pas d’obtenir de la personne qu’elle en fasse plus pour vous ; au contraire, augmentez ce que vous faites pour elle.

Repensez les commissions sur les ventes Même après avoir lu ce livre, vous pourriez encore croire que les vendeurs traditionnels ne sont pas des gens comme tout le monde, que les vendeurs d’appareils électroménagers ou de dispositifs de protection du domicile ne sont pas, à votre image, mus par un cocktail de motivations souvent généreuses. Ils sont différents. Ils fonctionnent « mécaniquement », selon une expression fréquemment entendue. (Glissez une pièce dans la fente, et ils exécuteront une petite danse. Une fois le temps écoulé, mettez une autre pièce, ou la danse s’arrêtera !) C’est pourquoi on utilise généralement les commissions pour motiver et rémunérer les vendeurs traditionnels. C’est le meilleur – et peut-être le seul – moyen de les faire bouger. Et si on se trompait ? Si on payait les vendeurs à la commission parce que… eh bien, parce qu’on les a toujours payés à la commission ? Si la prati­que était tellement ancrée dans l’orthodoxie qu’elle a cessé d’obéir à une vraie décision ? Si cela contrariait en réalité l’aptitude à servir ? C’est ce que soupçonnait Microchip Technology. Cette entreprise de semi-conducteurs américaine qui réalise 6,5 milliards de dollars de chiffre d’affaires par an rémunérait autrefois sa force de vente conformément aux standards de son industrie : 60 % de salaire de base, 40 % de commissions. Toutefois, voilà 13 ans, elle a aboli cette formule au profit de la suivante : 90 % de salaire de base et une rémunération varia­ ble de 10 % liée à la croissance de l’entreprise. Que s’est-il passé ensuite ? Le chiffre d’affaires a progressé. Le montant relatif aux ventes n’a pas varié. Le taux d’érosion de la clientèle a chuté. Et, trimestre après trimestre, Microchip a dégagé des profits, bien que son industrie soit une des plus concurrentielles du monde. 226

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Beaucoup d’entreprises, parmi lesquelles on compte certaines multinationales géantes, comme GlaxoSmithKline, ainsi que de petites compagnies d’assurances de l’Oregon et de jeunes entreprises informatiques anglaises de Cambridge, remettent en question la pratique des commissions ; elles appliquent de nouvelles stratégies et obtiennent d’excellents résultats. Elles découvrent que le fait de payer autrement leur force de vente a de nombreuses vertus. Cela élimine le problème des gens qui manipulent le système à leur avantage et cela encourage la collaboration. (Si je ne suis payé qu’en fonction de ce que je vends, pourquoi devrais-je vous aider ?) Cela évite aux cadres de perdre du temps et de l’énergie à régler d’interminables désaccords sur les rémunérations. Et surtout, cela fait des vendeurs les agents de leurs clients et non leurs adversaires, ce qui élimine un obstacle à un service complet et authentique. Les entreprises devraient-elles toutes renoncer aux commissions sur les ventes ? Pas nécessairement. Toutefois, la simple contestation de l’orthodoxie peut être saine. « Les vendeurs ne sont pas différents des ingénieurs, des architectes ou des comptables, m’a dit un jour le directeur des ventes de Microchip. Ceux qui sont vraiment bons désirent résoudre des problèmes et servir des clients. Ils veulent contribuer à quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes. »

Demandez-vous qui fait une faveur à qui Seth Godin, gourou du marketing et être des plus créatifs que je connaisse, explique très bien comment se répartissent les transactions de vente traditionnelle et de commercial sans vente. Nous les rangeons, dit-il, dans trois catégories. Nous nous disons : « Je te fais une faveur, mon gars. » Ou bien : « Hé ! Ce type me fait une faveur. » Ou encore : « Personne ne fait de faveur à personne. » Les problèmes surviennent, assure Godin, « quand une des parties de la transaction pense qu’elle fait une faveur à l’autre, mais que l’autre n’agit pas pareillement en retour ». Le remède à ce problème est très simple, et nous pouvons l’utiliser quand nous tentons de 227

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faire bouger autrui : nous devrions toujours agir comme si l’autre nous faisait une faveur. Cette démarche se rattache à la qualité d’accordage – en particulier au constat que vous pouvez renforcer votre capacité à prendre du recul en abaissant votre statut. Cela montre que, comme dans le cas du leadership serviteur, la manière la plus sage et la plus éthique de faire bouger autrui est d’agir avec humilité et gratitude.

Employez la technique de la « signalisation psychologiquement intelligente » Vous avez probablement remarqué que plusieurs exemples de ce chapitre – des matatus kényans à la pizzeria Il Canale – faisaient intervenir des écriteaux. La signalisation fait partie de notre environnement visuel, mais nous l’employons souvent de manière trop sommaire. Il existe un moyen de faire mieux. Je l’appelle la « signalisation psycho­logiquement intelligente ». En général, les écriteaux ou les affi­ ches sont destinés soit à aider les gens à trouver leur chemin, soit à annoncer des règles. La signalisation psychologiquement intelligente va plus loin. Elle parvient aux mêmes fins en utilisant les principes, vus plus haut, selon lesquels on devrait donner un caractère personnel à nos actes et leur donner du sens. Elle essaie de faire bouger autrui en exprimant de l’empathie pour la personne qui la regarde (c’est le volet personnel) ou en suscitant l’empathie de celle-ci de manière qu’elle comprenne la logique de la règle affichée (c’est le volet sens). Voici un exemple du premier genre. Il y a quelques années, je visitais avec ma famille un musée de New York. Peu après notre arrivée, plusieurs membres de la jeune génération ont annoncé qu’ils avaient faim, et nous avons dû consacrer une partie de notre temps, limité, à contempler le rayon des pâtisseries de la cafétéria plutôt que les tableaux du musée. Nous y avons trouvé une queue qui ondulait le long du comptoir comme un anaconda. J’ai grimacé, pensant que nous allions passer là une éternité. Heureusement, j’ai repéré cette pancarte :

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Figure 9.4 Affiche d’un musée de New York

Ne vous inquiétez pas. Cette queue avance vraiment vite. Mon taux de cortisol est retombé. La queue était bien moins longue que je le craignais, et j’ai passé ce bref temps d’attente dans un meilleur état d’esprit. En suscitant mon empathie pour les gens qui formaient la queue (c’est-a-dire en ajoutant à mon expérience quelque chose de personnel), la pancarte avait transformé l’impression ressentie. Au cours d’une promenade non loin de chez moi, à Washington, j’ai été témoin d’un exemple du second genre de signalisation psychologiquement intelligente. Dans un carrefour animé, une petite église trône au milieu d’une vaste pelouse. Beaucoup de gens du quartier viennent promener leur chien dans ce coin-là, ce qui risque évidemment de se traduire par un phénomène malodorant. Pour l’éviter, c’està-dire pour faire bouger les promeneurs de chiens afin d’obtenir qu’ils changent de comportement, l’église aurait pu afficher une simple supplication sur une pancarte ressemblant à celle-ci, que j’ai légèrement retouchée :

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Figure 9.5 Pancarte 1

En lieu et place, elle a choisi une autre méthode et affiché la pancarte suivante : Figure 9.6 Pancarte 2

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En rappelant aux gens la raison de la règle et en suscitant l’empa­ thie des propriétaires de chiens – en donnant du sens au règlement –, les auteurs de la pancarte ont amélioré la probabilité que les gens se comportent comme souhaité. À votre tour : prenez une pancarte que vous utilisez ou qui se trouve dans votre lieu de travail et retouchez-la pour la rendre plus intelligente sur le plan psychologique. En lui donnant un côté personnel ou du sens, vous l’améliorerez.

Traitez chacun comme vous traiteriez votre grand-mère Imaginer que tout scanner examiné était celui de son père : d’après ses déclarations au New York Times, tel a été le premier moyen employé par Yehonatan Turner, le radiologiste israélien qui a dirigé l’étude sur les portraits, pour compenser la nature impersonnelle de son travail. Vous pouvez vous inspirer de son conseil avec cette technique simple pour faire bouger autrui. À toute rencontre, imaginez que la personne en face de vous est votre grand-mère. C’est le moyen idéal pour donner un caractère personnel à ce que vous faites. Comment vous comporteriez-vous si la personne qui se gare dans votre espace de stationnement n’était pas un étranger, mais votre grand-mère ? Que changeriez-vous si le salarié à qui vous comptez demander d’accomplir une tâche déplaisante n’était pas une recrue dont vous pourriez vous défaire, mais la femme qui a donné naissance à un de vos parents ? À quel point seriez-vous honnête et éthique si la personne avec qui vous correspondez par courriel n’était pas un collaborateur occasionnel, mais la femme adorable qui vous envoyait pour votre anniversaire des cartes de vœux avec un billet de cinq dollars plié à l’intérieur ? En vous débarrassant du manteau de l’anonymat et en le remplaçant par cette forme de relation personnelle, vous avez plus de chances de servir de manière authentique, ce qui, au bout du compte, sera à l’avantage de tout le monde. Si vous êtes sceptique, essayez cette

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variante : traitez tout le monde comme vous traiteriez votre grandmère, mais dites-vous que celle-ci a 80 000 suiveurs sur Twitter.

Posez toujours ces 2 questions et répondez-y Enfin, chaque fois que vous avez l’occasion de faire bouger quel­qu’un – qu’il s’agisse de vente traditionnelle, comme lorsque vous tentez de convaincre un client potentiel d’acheter un nouvel ordinateur, ou de commercial sans vente, comme quand vous essayez de persuader votre fille de faire ses devoirs –, assurez-vous que vous êtes capable de répon­dre aux 2 questions qui sont au cœur d’un service authentique : 1. Si la personne à laquelle vous vendez est d’accord pour acheter, sa vie en sera-t-elle améliorée ? 2. Une fois votre interaction accomplie, le monde sera-t-il meilleur que lorsqu’elle a commencé ? Si vous répondez non à l’une ou à l’autre de ces questions, vous faites quelque chose de travers.

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Remerciements

V

endre est humain. Écrire un livre l’est moins, en tout cas si on s’y prend de manière aussi laborieuse que moi. C’est pourquoi je suis heureux d’avoir eu tant de gens autour de moi.

Rafe Sagalyn, le meilleur agent littéraire du monde, a compris les possibilités de ce livre bien avant son auteur. Ses conseils et son amitié me sont infiniment précieux. Merci aussi à Lauren Clark pour s’être chargée de la question sur le front international. Chez Riverhead Books, Jake Morrissey s’est montré comme toujours intelligent et pondéré, en particulier quand des gens comme moi l’étaient moins. Geoff Kloske a injecté dans ce projet son savoir-faire rédactionnel considérable et sa puissance d’éditeur, ce dont je lui suis reconnaissant. Un énorme merci aussi au service de production de Riverhead pour ses efforts héroïques quand j’ai dépassé les délais. Elizabeth McCullough m’a aidé en gros et en détail, que ce soit en dénichant d’obscures études à la bibliothèque de l’Université de Virginie, en repérant des fautes de frappe que personne n’avait vues ou en m’apprenant à présenter mes notes de bas de page. Cindy Huggett, un des meilleurs esprits en matière de formation et de développement, m’a aidé avec maestria à rendre utiles et cohérents mes exemples pratiques. Quant à Rob Ten Pas, il a une fois de plus fourni plusieurs illustrations éloquentes. Mes enfants, Pink, Sophia, Eliza et Saul, ont été fabuleux, supportant avec calme que leur père écrive un autre livre. (Hélas, il a été difficile

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de leur vendre l’idée que renoncer à des vacances, expédier les repas et manquer des matchs de baseball avait quelque chose de magnifique.) Mais la personne la plus importante pour moi, ici et en toutes choses, est Jessica Lerner. Elle a lu ce livre jusqu’au dernier mot, plusieurs fois, à haute voix. Comme si cela ne suffisait pas, elle m’a écouté lire chaque page, plusieurs fois, à haute voix. Elle m’a relu, poussé et retenu avec la combinaison étonnante de puissance intellectuelle et de tendresse qu’elle met dans tout ce qu’elle fait. Je ne le savais pas à l’époque, mais le pitch le plus intelligent que j’ai produit date du moment où je l’ai persuadée de sortir avec moi, il y a 22 ans. Je ne l’ai jamais regretté.

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Notes

1. Alfred C. Fuller (propos recueillis par Hartzell Spence), A Foot in the Door : The Life Appraisal of the Original Fuller Brush Man, New York, McGraw-Hill, 1960, p. 2. 2. John Bainbridge, « May I Just Step Inside ? », The New Yorker, 13 novembre 1948. 3. « The Ups and Downs of the Fuller Brush Co. », Fortune, 1938, accessible sur http:// features.blogs.fortune.cnn.com/2012/02/26/the-fuller-brush-co-fortune-1938/ ; Gerald Carson, « The Fuller Brush Man », American Heritage, août-septembre 1986 ; Bainbridge, « May I Just Step Inside ? » 4. Gerald Carson, « The Fuller Brush Man ». 5. Alfred C. Fuller, A Foot in the Door, p. 197-198. 6. Voir par exemple, James Ledbetter, « Death of a Salesman. Of Lots of Them, Actually », Slate, 21 septembre 2010, accessible sur www.slate.com/articles/business/ moneybox/2010/09/death_of_a_salesman_of_lots_of_them_actually.htm. 7. U.S. Bureau of Labor Statistics, « Occupational Employment and Wages Summary (2011) », (statistiques résumées de l’emploi et des salaires) publié le 27 mars 2012. Voir tableau 1, accessible sur www.bls.gov/news.release/ocwage.t01.htm. Selon ces données, 13,65 millions de personnes travaillent dans le secteur « vente et activités connexes » et 328 000 autres comme « responsables des ventes ». Cependant, cette enquête ne couvre pas « les travailleurs indépendants ou les propriétaires de sociétés de personnes ». Si nous supposons prudemment que seuls 10 % de ces quelque 14 millions de personnes exercent aussi une activité de vente, cela porte le nombre à plus de 15 millions, soit à peu près 11 % de la main-d’œuvre totale. Voir « Occupational Employment and Wages Technical Note », accessible sur www.bls.gov/news.release/ocwage.tn.htm. Voir aussi U.S. Census Bureau, The Statistical Abstract of the United States : 2012, 131e éd., tableau 606, selon lequel plus de 16 % des travailleurs indépendants relèvent des « activités commerciales et administratives ». La société de conseil en économie du travail Economic Modeling Specialists Intl. estime pareillement que la chute apparente du nombre de vendeurs serait en partie due au passage d’un grand nombre de personnes de l’emploi traditionnel à un statut de sous-traitant indépendant : « Les emplois dans la vente (comme d’autres emplois) sont loin de disparaître de l’économie autant qu’ils disparaissent de l’emploi traditionnel “couvert” – en fait, leur nombre et leur importance croissent hors de la zone éclairée par les statistiques sur l’emploi habituelles. » L’analyse d’EMSI se trouve sur www. economicmodeling.com/2010/09/30/the-premature-death-of-the-salesman/.

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8. U.S. Census Bureau, The Statistical Abstract of the United States : 2012, 131e éd. Voir page 300, tableaux 461 et 462, et page 18, tableau 13. Précision technique : les emplois de la fonction publique et les emplois de l’industrie manufacturière – c’est-à-dire les emplois groupés par secteur – sont totalisés mensuellement dans le bilan « Employment Situation ». Les emplois commerciaux, comme indiqué ci-dessus, sont totalisés deux fois par an dans les statistiques résumées de l’emploi et des salaires (« Occupational Employment and Wages Summary »), qui regroupe les emplois par métier. 9. C. Brett Lockard et Michael Wolf, « Occupational Employment Projections to 2020 », Monthly Labor Review, 135, no 1, janvier 2012, p. 84-108. Voir page 88 et tableau 1. 10. Statistique Canada, Enquête sur la population active [mensuelle], « Average Hourly Wages of Employees by Selected Characteristic and Profession », avril 2012, accessible sur www.statcan.gc.ca/tables-tableaux/sum-som/l01/cst01/labr69a-eng.htm ; Australian Bureau of Statistics, 2006 Census Tables, tableau 20680, accessible sur www.censusdata. abs.gov.au/ ; Office for (UK) National Statistics, « Labour Force Survey Employment Status by Occupation », avril–juin 2011, accessible sur www.ons.gov.uk/ons/ publications/re-reference-tables.html ?edition=tcm :77-215723. 11. Le nombre total de personnes occupant un emploi aux États-Unis est d’environ 216 millions. Le nombre de personnes travaillant dans les fonctions commerciales est d’environ 29 millions. Monika Wozowczyk et Nicola Massarelli, « European Union Labour Force Survey. Annual Results 2010 », Eurostat Statistics in Focus, 23 juin 2011 ; Vincent Bourgeais, Eurostat Media and Institutional Support, correspondance avec l’auteur, 17-22 mai 2012. 12. Bureau des statistiques du ministère japonais des Affaires intérieures et de la Communication, The Statistical Handbook of Japan 2011, tableau 12.3, « Employment by Occupation », offert en anglais sur www.stat.go.jp/english/data/handbook/c12cont. htm#cha12_1. 13. L’agriculture occupe 36,7 % de la main-d’œuvre en Chine et 18,1 % en Inde d’après The CIA World Factbook (2012), accessible sur http://1.usa.gov/2J7bUe et http://1.usa. gov/9doDpD. 14. Adi Narayan, « Welcome to India, the Land of the Drug Reps », Bloomberg Businessweek, 8 septembre 2011. 15. Voir « How Does Gallup Polling Work ? », sur www.gallup.com/poll/101872/how-doesgallup-polling-work.aspx. 16. U.S. Census Bureau, 2009, « Nonemployer Statistics », accessible sur www.census.gov/ econ/nonemployer. 17. Kaomi Goetz, « For Freelancers, Landing a Workspace Gets Harder », NPR, 10 avril 2012, accessible sur www.npr.org/2012/04/10/150286116/for-freelancerslanding-aworkspace-gets-harder. 18. Ryan Kim, « By 2020, Independent Workers Will Be a Majority », GigaOm, 8 décembre 2011, accessible sur http://gigaom.com/2011/12/08/mbo-partnersnetwork-2011/ ; Kauffman Foundation, « Young Invincibles Policy Brief : New Poll Finds More Than Half

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of Millennials Want to Start Businesses », 10 novembre 2011, accessible sur www. kauffman.org/uploadedfiles/millennials_study.pdf. 19. OCDE (2011), Entrepreneurship at a Glance 2011, Éditions OCDE. Offert sur http:// dx.doi.org/10.1787/9789264097711-en ; Donna J. Kelley, Slavica Singer et Mike Herrington, Global Entrepreneurship Monitor 2011 Global Report (2012), p. 12. Accessible sur http://gemconsortium.org/docs/2409/gem-2011-global-report. 20. Adam Davidson, « Don’t Mock the Artisanal-Pickle Makers », New York Times Magazine, 15 février 2012. 21. « The Return of Artisanal Employment », Economist, 31 octobre 2011. J’ai soutenu une position analogue dans Daniel H. Pink, Free Agent Nation : The Future of Working for Yourself, New York, Business Plus, 2002. 22. Les données les plus récentes d’Etsy se trouvent au www.etsy.com/press. 23. Robert Atkinson, « It’s the Digital Economy, Stupid », Fast Company, 8 janvier 2009. 24. Carl Franzen, « Kickstarter Expects to Provide More Funding to the Arts Than NEA », Talking Points Memo, 24 février 2012, accessible sur http://idealab. talkingpointsmemo.com/2012/02/kickstarter-expects-to-provide-more-funding-to-thearts-than-nea.php ; Carl Franzen, « NEA Weighs In on Kickstarter Funding Debate », Talking Points Memo, 27 février 2012, accessible sur http://idealab.talkingpointsmemo. com/2012/02/the-nea-responds-to-kickstarterfunding-debate.php. Cela dit, le taux d’échec de Kickstarter est élevé. À peu près la moitié des projets en quête de financement n’atteignent pas leur cible. Voir Samantha Murphy, « About 41 % of Kickstarter Projects Fail », Mashable Tech, 12 juin 2012, accessible sur http://mashable. com/2012/06/12/kickstarter-failures/. 25. Propos tenus à l’occasion de la Wired Business Conference, New York, 1er mai 2012. 26. Michael Mandel, « Where the Jobs Are : The App Economy », livre blanc TechNet, 7 février 2012, accessible sur www.technet.org/wp-content/uploads/2012/02/TechNetApp-Economy-Jobs-Study.pdf. 27. Michael DeGusta, « Are Smart Phones Spreading Faster Than Any Technology in Human History ? », Technology Review, 9 mai 2012. 28. «  Cisco Visual Networking Index : Global Mobile Data Traffic Forecast Update, 2011-2016 », 14 février 2012, accessible sur www.cisco.com/en/US/solutions/collateral/ ns341/ns525/ns537/ns705/ns827/white_paper_c11-520862.pdf. 29. Dominic Basulto, « 10 Billion Tiny Screens Can Change the World », Big Think, 22 février 2012, accessible sur http://bigthink.com/endless-innovation/10-billion-tinyscreens-can-change-the-world. 30. U.S. Bureau of Labor Statistics, Occupational Outlook Handbook, 29 mars 2012, accessible sur www.bls.gov/ooh/home.htm. Voir aussi Anthony P. Carnevale, Nicole Smith, Artem Gulish et Bennett H. Beach, « Healthcare », rapport du centre sur l’éducation et la main-d’œuvre de l’Université Georgetown (21 juin 2012), qui prévoit entre 25 % et 31 % d’augmentation du nombre d’emplois dans la santé aux États-Unis d’ici 2020 ; accessible sur www.healthreformgps.org/wp-content/uploads/Healthcare. FullReport.071812.pdf.

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31. «  Friday Thoughts », White Coat Underground, 24 juin 2011, accessible sur http:// whitecoatunderground.com/2011/06/24/friday-thoughts/. 32. Rosabeth Moss Kanter, « The “White Coat” Economy of Massachusetts », Boston Globe, 9 mai 2006 ; Derek Thompson, « America 2020 : Health Care Nation », Atlantic, 17 août 2010, accessible sur www.theatlantic.com/business/archive/2010/08/america2020-health-care-nation/61647/. 33. George A. Akerlof, « Writing “The Market for ‘Lemons’” : A Personal and Interpretive Essay », accessible sur www.nobelprize.org/nobel_prizes/economics/laureates/2001/akerlofarticle.html. 34. George A. Akerlof, « The Market for “Lemons” : Quality Uncertainty and the Market Mechanism », Quarterly Journal of Economics, vol. 84, no 3, août 1970, p. 488-500. 35. Ibid., p. 489. 36. Joe Girard, avec Stanley H. Brown, How to Sell Anything to Anybody, New York, Fireside, 2006, 1977, p. 6. 37. Ibid., p. 251. 38. Ibid., p. 121, 173. 39. Ibid., p. 49-51. 40. Ibid., p. 53. 41. Doug Gross, « Are Social Media Making the Resume Obsolete ? », CNN.com, 11 juillet 2012, accessible sur www.cnn.com/2012/07/11/tech/social-media/facebook-jobsresume/index.html. 42. Fortune 500, classement 2012, accessible sur http://money.cnn.com/magazines/fortune/ fortune500/2012/full_list/. 43. Alfred C. Fuller (propos recueillis par Hartzell Spence), A Foot in the Door : The Life Appraisal of the Original Fuller Brush Man, New York, McGraw-Hill, 1960. 44. Voir par exemple, John F. Tanner Jr., George W. Dudley et Lawrence B. Chonko, « Salesperson Motivation and Success : Examining the Relationship Between Motivation and Sales Approach », étude présentée au congrès annuel de la Society for Marketing Advances, San Antonio, Texas, novembre 2005. 45. Adam D. Galinsky, Joe C. Magee, M. Ena Inesi et Deborah H. Gruenfeld, « Power and Perspectives Not Taken », Psychological Science, no 17, décembre 2006, p. 10681074. 46. Ibid., p. 1070. 47. Ibid., p. 1071. 48. Britt Peterson, « Why It Matters That Our Politicians Are Rich », Boston Globe, 19 février 2012. Voir aussi Michael W. Kraus, Paul K. Piff et Dacher Keltner, « Social Class as Culture : The Convergence of Resources and Rank in the Social Realm », Current Directions in Psychological Science, vol. 20, no 4, août 2011, p. 246-250.

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49. Adam D. Galinsky, William W. Maddux, Debra Gilin et Judith B. White, « Why It Pays to Get Inside the Head of Your Opponent : The Differential Effects of Perspective Taking and Empathy in Negotiations », Psychological Science, vol. 19, no 4, avril 2008, p. 378-384. 50. Pauline W. Chen, « Can Doctors Learn Empathy ? », New York Times, 21 juin 2012. 51. Galinsky et al., « Why It Pays », p. 383. 52. On trouvera une introduction accessible et de qualité au domaine de l’analyse du réseau social dans les travaux de Valdis Krebs, offerts à l’adresse www.orgnet.com. Un excellent livre d’introduction au sujet : Lee Rainie et Barry Wellman, Networked : The New Social Operating System, Cambridge, MA, MIT Press, 2012. 53. William W. Maddux, Elizabeth Mullen et Adam D. Galinsky, « Chameleons Bake Bigger Pies and Take Bigger Pieces : Strategic Behavioral Mimicry Facilitates Negotiation Outcomes », Journal of Experimental Social Psychology, vol. 44, no 2, mars 2008, p. 461-468. 54. « L’effet caméléon évoque l’imitation inconsciente des attitudes, des manières, des expressions du visage et des autres comportements de son interlocuteur, de telle sorte qu’on modifie son comportement passivement et involontairement pour qu’il corresponde à celui des autres dans son environnement social du moment. » Tanya L. Chartrand et John A. Bargh, « The Chameleon Effect : The Perception-Behavior Link and Social Interaction », Journal of Personality and Social Psychology, vol. 76, no 6, juin 1999, p. 893–910. 55. Maddux et al., « Chameleons Bake Bigger Pies », p. 463. 56. Ibid., p. 466. 57. Ibid., p. 461. 58. Adrienne Murrill, « Imitation Is Best Form of Flattery – and a Good Negotiation Strategy », Kellogg News, 16 août 2007. Accessible sur www.kellogg.northwestern.edu/ news_articles/2007/aom-mimicry.aspx. 59. Rick B. van Baaren, Rob W. Holland, Bregje Steenaert et Ad van Knippenberg, « Mimicry for Money : Behavioral Consequences of Imitation », Journal of Experimental Social Psychology, vol. 39, no 4, juillet 2003, p. 393-398. 60. Céline Jacob, Nicolas Guéguen, Angélique Martin et Gaëlle Boulbry, « Retail Salespeople’s Mimicry of Customers : Effects on Consumer Behavior », Journal of Retailing and Consumer Services, vol. 18, no 5, septembre 2011, p. 381-388. 61. Robin J. Tanner, Rosellina Ferraro, Tanya L. Chartrand, James R. Bettman et Rick Van Baaren, « Of Chameleons and Consumption : The Impact of Mimicry on Choice and Preferences », Journal of Consumer Research, no 34, avril 2008, p. 754-766. 62. April H. Crusco et Christopher G. Wetzel, « The Midas Touch : The Effects of Interpersonal Touch on Restaurant Tipping », Personality and Social Psychology Bulletin, vol. 10, no 4, décembre 1984, p. 512-517 ; Céline Jacob et Nicolas Guéguen, « The Effect of Physical Distance Between Patrons and Servers on Tipping », Journal of Hospitality & Tourism Research, vol. 36, no 1, février 2012, p. 25-31. 63. Nicolas Guéguen, « Courtship Compliance : The Effect of Touch on Women’s Behavior », Social Influence, vol. 2, no 2 2007, p.  81-97.

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64. Frank N. Willis et Helen K. Hamm, « The Use of Interpersonal Touch in Securing Compliance », Journal of Nonverbal Behavior, vol. 5, no 5, septembre 1980, p. 49-55. 65. Damien Erceau et Nicolas Guéguen, « Tactile Contact and Evaluation of the Toucher », Journal of Social Psychology, vol. 147, no 4, août 2007, p. 441-444. 66. Voir aussi Liam C. Kavanagh, Christopher L. Suhler, Patricia S. Churchland et Piotr Winkielman, « When It’s an Error to Mirror : The Surprising Reputational Costs of Mimicry », Psychological Science, vol. 22, no 10, octobre 2011, p. 1274-1276. 67. Daniel Kahneman, Ed Diener et Norbert Schwarz, éd., Well-Being : The Foundations of Hedonic Psychology, New York, Russell Sage Foundation, 1999, p. 218. 68. P. T. Costa Jr. et R. R. McCrae, NEO PI-R Professional Manual, Odessa, FL, Psychological Assessment Resources, Inc., 1992, p. 15 ; Susan Cain, Quiet : The Power of Introverts in a World That Can’t Stop Talking, New York, Crown, 2012. 69. Voir par exemple tableau 1, Wendy S. Dunn, Michael K. Mount, Murray R. Barrick et Deniz S. Ones, « Relative Importance of Personality and General Mental Ability in Managers’ Judgments of Applicant Qualifications », Journal of Applied Psychology, vol. 80, no 4, août 1995, p. 500-509. 70. Adrian Furnham et Carl Fudge, « The Five Factor Model of Personality and Sales Performance », Journal of Individual Differences, vol. 29, no 1, janvier 2008, p. 11-16 ; Murray R. Barrick, Michael K. Mount et Judy P. Strauss, « Conscientiousness and Performance of Sales Representatives : Test of the Mediating Effects of Goal Setting », Journal of Applied Psychology, vol. 78, no 5, octobre 1993, p. 715-722 (c’est nous qui soulignons). 71. Murray R. Barrick, Michael K. Mount et Timothy A. Judge, « Personality and Performance at the Beginning of the New Millennium : What Do We Know and Where Do We Go Next ? », International Journal of Selection and Assessment, vol. 9, no 1-2, mars–juin 2001, p. 9-30. 72. Voir par exemple, Adam M. Grant, Francesca Gino et David A. Hofmann, « Reversing the Extraverted Leadership Advantage : The Role of Employee Proactivity », Academy of Management Journal, vol. 54, no 3, juin 2011, p. 528-550. 73. Adam M. Grant, « Rethinking the Extraverted Sales Ideal : The Ambivert Advantage », Psychological Science (à paraître, 2013). 74. H. J. Eysenck, Readings in Extraversion and Introversion : Bearings on Basic Psychological Processes, New York, Staples Press, 1971. 75. Grant, « Rethinking the Extraverted Sales Ideal ». 76. Ibid. 77. Steve W. Martin, « Seven Personality Traits of Top Salespeople », HBR Blog Network, 27 juin 2011, accessible sur http://blogs.hbr.org/cs/2011/06/the_seven_personality_ traits_o.html ; Lynette J. Ryals et Iain Davies, « Do You Really Know Who Your Best Salespeople Are ? », Harvard Business Review, décembre 2010. 78. Nate Boaz, John Murnane et Kevin Nuffer, « The Basics of Business-to-Business Sales Success », McKinsey Quarterly, mai 2010. 79. Cain, Quiet : The Power of Introverts, p. 166.

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80. Deniz S. Ones et Stephan Dilchert, « How Special Are Executives ? How Special Should Executive Selection Be ? Observations and Recommendations », Industrial and Organizational Psychology, vol. 2, no 2, juin 2009, p. 163-170. 81. Og Mandino, The Greatest Salesman in the World, New York, Bantam, 1968, p. 71, 87 ; en français, Le plus grand vendeur du monde, traduction Jean-Pierre Manseau, Paris, Un monde différent, 2004. 82. Napoleon Hill, How to Sell Your Way Through Life, Hoboken, NJ, Wiley, 2010, p. 49. 83. Ibrahim Senay, Dolores Albarracín et Kenji Noguchi, « Motivating Goal-Directed Behavior Through Introspective Self-Talk : The Role of the Interrogative Form of Simple Future Tense », Psychological Science, vol. 21, no 4, avril 2010, p. 499-504. 84. Ibid., p. 500-501. 85. Ibid., p. 500. 86. Voir en particulier l’œuvre d’Edward L. Deci et Richard M. Ryan, par exemple Edward L. Deci et Richard M. Ryan, « The “What” and “Why” of Goal Pursuits : Human Needs and the Self-Determination of Behavior », Psychological Inquiry, vol. 11, no4, octobre 2000, p. 227-268. Je décris certaines de ces recherches dans mon propre ouvrage, Daniel H. Pink, Drive : The Surprising Truth About What Motivates Us, New York, Riverhead Books, 2009 ; en français, La vérité sur ce qui nous motive, traduction Marc Rozenbaum Paris, Leduc.s, 2011. 87. Shirli Kopelman, Ashleigh Shelby Rosette et Leigh Thompson, « The Three Faces of Eve : Strategic Displays of Positive, Negative, and Neutral Emotions in Negotiations », Organizational Behavior and Human Decision Processes, vol. 99, no 1, janvier 2006, p. 81-101. 88. Ibid. 89. Barbara L. Fredrickson, Positivity : Top-Notch Research Reveals the 3 to 1 Ratio That Will Change Your Life, New York, Three Rivers Press, 2009, p. 21. 90. Barbara L. Fredrickson et Marcial F. Losada, « Positive Affect and the Complex Dynamics of Human Flourishing », American Psychologist, vol. 60, no 7, octobre 2005, p. 678-686. 91. Cory R. Scherer et Brad J. Sagarin, « Indecent Influence : The Positive Effects of Obscenity on Persuasion », Social Influence, vol. 1, no2, juin 2006, p. 138-146. 92. Voir par exemple Marcial Losada et Emily Heaphy, « The Role of Positivity and Connectivity in the Performance of Business Teams : A Nonlinear Dynamics Model », American Behavioral Scientist, vol. 47, no 6, février 2004, p. 740-765. 93. Barbara L. Fredrickson et Marcial F. Losada, « Positive Affect ». 94. Ibid., p. 658 95. Barbara L. Fredrickson, Positivity, p. 137. 96. Martin E. P. Seligman et Peter Schulman, « Explanatory Style as a Predictor of Productivity and Quitting Among Life Insurance Sales Agents », Journal of Personality and Social Psychology, vol. 50, no 4, avril 1986, p. 832-38.

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97. Martin E. P. Seligman, Learned Optimism : How to Change Your Mind and Your Life, New York, Vintage Books, 2006, p. 7-8. En français, La force de l’optimisme, traduction Larry Cohen, Paris, InterÉditions-Dunod, 2008. 98. Martin E. P. Seligman et Peter Schulman, « Explanatory Style », p. 834-835. 99. Ibid., p. 835. 100. Martin E. P. Seligman, Learned Optimism, p. 292. 101. Alicia H. Munnell, Anthony Webb, Luke Delorme et Francesca Golub-Saas, « National Retirement Risk Index : How Much Longer Do We Need to Work ? », Center for Retirement Research Report, vol. 12, no 12, juin 2012 ; Teresa Ghilarducci, « Our Ridiculous Approach to Retirement », New York Times, 21 juillet 2012. 102. Voir par exemple Shane Frederick, Nathan Novemsky, Jing Wang, Ravi Rhar et Stephen Nowlis, « Opportunity Cost Neglect », Journal of Consumer Research, no 36, 2009, p. 553-561. 103. Hal E. Hershfield, Daniel G. Goldstein, William F. Sharpe, Jesse Fox, Leo Yeykelis, Laura L. Carstensen et Jeremy N. Bailenson, « Increasing Saving Behavior Through Age-Processed Renderings of the Future Self », Journal of Marketing Research, no 48, 2011, p. S23-S37. 104. Hershfield et al., « Increasing Saving Behavior ». 105. Ibid., citant Hal Erner-Hershfield, M. Tess Garton, Kacey Ballard, Gregory R. Samanez-Larken et Brian Knutson, « Don’t Stop Thinking About Tomorrow : Individual Differences in Future-Self Continuity Account for Saving », Judgment and Decision Making, no 4, 2009, p. 280-286. 106. Hershfield et al., « Increasing Saving Behavior ». 107. Jacob Getzels et Mihaly Csikszentmihalyi, The Creative Vision : A Longitudinal Study of Problem Finding in Art, New York, Wiley, 1976 ; Mihaly Csikszentmihalyi et Jacob Getzels, « Creativity and Problem Finding », in Frank H. Farley et Ronald W. Neperud, éd., The Foundations of Aesthetics, Art, and Art Education, New York, Praeger, 1988. La citation elle-même se trouve dans Mihaly Csikszentmihalyi, Flow : The Psychology of Optimal Experience, New York, Harper Perennial, 1981, p. 277 ; en français, Vivre : la psychologie du bonheur, traduction Léandre Bouffard, Paris, Pocket, 2006. 108. J. W. Getzels, « Problem Finding : A Theoretical Note », Cognitive Science, no 3, 1979, p. 167-172. 109. Voir par exemple Herbert A. Simon, « Creativity and Motivation : A Response to Csikszentmihalyi », New Ideas in Psychology, no 6, 1989, p. 177-181 ; Stéphanie Z. Dudek et Rémi Cote, « Problem Finding Revisited », in Mark A. Runco, éd., Problem Finding, Problem Solving, and Creativity, Norwood, NJ, Ablex, 1994. 110. The Conference Board, Ready to Innovate : Are Educators and Executives Aligned on the Creative Readiness of the U.S. Workforce ? Research Report R-1424-08-RR, octobre 2008, accessible sur www.artsusa.org/pdf/information_services/research/policy_roundtable/ readytoinnovatefull.pdf. 111. Robert B. Cialdini, Influence : Science and Practice, 5e éd., Boston, Allyn & Bacon, 2009, p. 12-16 ; en français, Influence et manipulation, Paris, First, 2004.

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112. On trouvera une bonne introduction dans Daniel Kahneman et Amos Tversky, « The Framing of Decisions and the Psychology of Choice », Science, no 211, 1981, p. 453-458 ; Daniel Kahneman et Amos Tversky, « Rational Choice and the Framing of Decisions », in Robin M. Hogarth et Melvin W. Reder, éd., Rational Choice : The Contrast Between Economics and Psychology, Chicago, University of Chicago Press, 1987 ; Erving Goffman, Frame Analysis : An Essay on the Organization of Experience, Cambridge MA, Harvard University Press, 1974 ; en français, Les cadres de l’expérience, Paris, Les Éditions de Minuit, 1991. 113. Sheena S. Iyengar et Mark R. Lepper, « When Choice Is Demotivating : Can One Desire Too Much of a Good Thing ? », Journal of Personality and Social Psychology, no 79, 2000, p. 995-1006. 114. Aaron R. Brough et Alexander Chernev, « When Opposites Detract : Categorical Reasoning and Subtractive Valuations of Product Combinations », Journal of Consumer Research, no 39, août 2012, p. 1-16, 13. 115. Leaf Van Boven et Thomas Gilovich, « To Do or to Have ? That Is the Question », Journal of Personality and Social Psychology, no 85, 2003, p. 1193-1202, 1194. 116.  Ibid. 117. Varda Liberman, Steven M. Samuels et Lee Ross, « The Name of the Game : Predictive Power of Reputations Versus Situational Labels in Determining Prisoner’s Dilemma Game Moves », Personality and Social Psychology Bulletin, no 30, septembre 2004, p. 1175-1185. 118. Danit Ein-Gar, Baba Shiv et Zakary L. Tormala, « When Blemishing Leads to Blossoming : The Positive Effect of Negative Information », Journal of Consumer Research, no 38, 2012, p. 846-859. 119. Zakary Tormala, Jayson Jia et Michael Norton, « The Preference for Potential », Journal of Personality and Social Psychology, no 103, octobre 2012, p. 567-583. 120. Cette explication repose sur le récit de Lee Ross et Richard E. Nisbett, The Person and the Situation, Londres, Pinter & Martin, 2011, p. 132-133. 121. Sur Otis et son invention, voir Spencer Klaw, « All Safe, Gentlemen, All Safe ! », American Heritage, vol. 29, no 5, août-septembre 1978 ; PBS Online, « Who Made America » ? », accessible sur www.pbs.org/wgbh/theymadeamerica/whomade/otis_hi.html ; Otis Worldwide, « About Elevators », accessible sur www.otisworldwide.com/pdf/ AboutElevators.pdf. 122. Kimberly D. Elsbach et Roderick M. Kramer, « Assessing Creativity in Hollywood Pitch Meetings : Evidence for a Dual-Process Model of Creativity Judgments », Academy of Management Journal, vol. 46, no 3, juin 2003, p. 283-301. 123.  Ibid., p. 294. 124. Kimberly D. Elsbach, « How to Pitch a Brilliant Idea », Harvard Business Review, vol. 81, no 9, septembre 2003, p. 117-123. 125. Elsbach et Kramer, « Assessing Creativity in Hollywood Pitch Meetings », p. 296. 126. « Wordy Goods », Economist, 22 août 2012, accessible sur www.economist.com/blogs/ graphicdetail/2012/08/daily-chart-5.

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127. Maurice Saatchi, « The Strange Death of Modern Advertising », Financial Times, 22 juin 2006. 128.  Ibid. 129. Robert E. Burnkrant et Daniel J. Howard, « Effects of the Use of Introductory Rhetorical Questions Versus Statements on Information Processing », Journal of Personality and Social Psychology, vol. 47, no 6, décembre 1984, p. 1218-1230. Des constats plus ou moins identiques sont rapportés par Richard E. Petty, John T. Cacioppo et Martin Heesacker, « Effects of Rhetorical Questions on Persuasion : A Cognitive Response Analysis », Journal of Personality and Social Psychology, vol. 40, no 3, mars 1981, p. 432-440. à propos du rôle joué par le demandeur, voir Rohini Ahluwalia et Robert E. Burnkrant, « Answering Questions About Questions : A Persuasion Knowledge Perspective for Understanding the Effects of Rhetorical Questions », Journal of Consumer Research, no 31, juin 2004, p. 26-42. 130. Burnkrant et Howard, « Effects of the Use of Introductory Rhetorical Questions », p. 1224. 131. « CNN Poll : Are You Better Off Than Four Years Ago » ? », CNN.com, 13 septembre 2012, accessible sur http://bit.ly/OKlUAy. 132. Matthew S. McGlone et Jessica Tofighbakhsh, « Birds of a Feather Flock Conjointly ( ?) : Rhyme as Reason in Aphorisms », Psychological Science, vol. 11, no 5, septembre 2000, p. 424-428. 133.  Ibid. 134. Nicolas Ducheneaut et Victoria Bellotti, « E-mail as Habitat : An Exploration of Embedded Personal Information Management », ACM Interactions, vol. 8, no 5, septembre–octobre 2001, p. 30-38. 135. Jaclyn Wainer, Laura Dabbish et Robert Kraut, « Should I Open This Email ? InboxLevel Cues, Curiosity, and Attention to Email », Actes de l’Annual Conference on Human Factors in Computing Systems, Vancouver, Colombie-Britannique, mai 2011, p. 7-12, accessible sur http://kraut.hciresearch.org/sites/kraut.hciresearch.org/files/ articles/Dabbish11-EmailCuriosity.pdf. 136. Là encore, le travail capital d’Edward Deci et Richard Ryan est instructif. Pour une présentation de leurs recherches, on se référera à leurs publications (http:// selfdeterminationtheory.org/browse-publications) ou à mon propre livre, Daniel H. Pink, Drive : The Surprising Truth About What Motivates Us, New York, Riverhead Books, 2009 ; en français, La vérité sur ce qui nous motive, traduction Marc Rozenbaum, Paris, Leduc.s, 2011. 137. Brian Clark, « The Three Key Elements of Irresistible Email Subject Lines », Copyblogger, 26 août 2010, accessible sur www.copyblogger.com/email-subject-lines/. 138. Melissa Korn, « Tweets, Plays Well w/Others : A Perfect M.B.A. Candidate », Wall Street Journal, 1er septembre 2011 ; Ian Wylie, « Learning the Game of Social Media », Financial Times, 5 septembre 2011.

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Notes

139. Sarah Perez, « Twitpitch : The Elevator Pitch Hits Twitter », ReadWriteWeb, 18 avril, 2008, accessible sur www.readwriteweb.com/archives/twitpitch_the_elevator_pitch_ hits_twitter.php. 140. Paul André, Michael S. Bernstein et Kurt Luther, « Who Gives a Tweet ? : Evaluating Microblog Content Value », exposé présenté à l’ACM Conference on Computer Supported Co-operative Work 2012, 11-15 février 2012, Seattle, Washington, accessible sur www.cs.cmu.edu/~pandre/pubs/whogivesatweet-cscw2012.pdf. 141.  Ibid. J’ai exclu la catégorie « Conversation », dans laquelle les tweets rendent publiques leurs communications avec les autres, car elle se rapporte moins au pitch. 142. André, Bernstein et Luther, « Who Gives a Tweet ? » ; voir figure 1 et tableau 1. 143. « Pixar Movies at the Box Office », Box Office Mojo, accessible sur http:// boxofficemojo.com/franchises/chart/ ?id=pixar.htm. 144. « Pixar Story Rules (One Version) », Pixar Touch Blog, 15 mai 2011, accessible sur www. pixartouchbook.com/blog/2011/5/15/pixar-story-rules-oneversion.html. 145. Voir par exemple Jonathan Gottschall, The Storytelling Animal : How Stories Make Us Human, New York, Houghton Mifflin Harcourt, 2012, et Peter Guber, Tell to Win : Connect, Persuade, and Triumph with the Hidden Power of Story, New York, Crown Business, 2011. 146. Walter A. Friedman, « John H. Patterson and the Sales Strategy of the National Cash Register Company, 1884 to 1922 », Business History Review, vol. 72, no 4, hiver 1998, p. 552-584. Si vous vous intéressez aux évolutions anciennes de la vente en Amérique, lisez le précieux livre de Walter A. Friedman, Birth of a Salesman : The Transformation of Selling in America, Cambridge, MA, Harvard University Press, 2004. 147. Walter A. Friedman, « John H. Patterson and the Sales Strategy of the National Cash Register Company, 1884 to 1922 », Harvard Business School Working Knowledge, 2 novembre 1999, accessible sur http://hbswk.hbs.edu/item/1143.html. 148. « The Lord Chamberlain & Censorship », Leither Magazine, 9 mars 2012, accessible sur www.leithermagazine.com/2012/03/09/the-lord-chamberlain-censorship.html. 149. Voir Mary M. Crossan, « Improvisation in Action », Organization Science, vol. 9, no 5, septembre-octobre 1998, p. 593-599 ; Dusya Vera et Mary Crossan, « Theatrical Improvisation : Lessons for Organizations », Organization Studies, vol. 25, no 5, juin 2004, p. 727-749 ; Mary M. Crossan, João Vieira da Cunha, Miguel Pina E. Cunha et Dusya Vera, « Time and Organizational Improvisation », FEUNL Working Paper, no 410, 2002, accessible sur http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.881839 ; Keith Sawyer, Group Genius : The Creative Power of Collaboration, New York, Basic Books, 2007 ; Patricia Ryan Madson, Improv Wisdom : Don’t Prepare, Just Show Up, New York, Bell Tower, 2005. 150. Zazli Lily Wisker, « The Effect of Personality, Emotional Intelligence and Social Network Characteristics on Sales Performance : The Mediating Roles of Market Intelligence Use, Adaptive Selling Behaviour and Improvisation », thèse de doctorat, University of Waikato, Nouvelle-Zélande, 2011.

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151. Laura Janusik et Andrew Wolvin, « 24 Hours in a Day : A Listening Update to the Time Studies », exposé présenté à la réunion de l’International Listening Association, Salem, Oregon, 2006. 152. Mortimer Adler, How to Speak/How to Listen, New York, Touchstone, 1997, p. 5. 153. Judith Lee, « 10 Ways to Communicate Better with Patients », Review of Ophthalmology, vol. 7, no 10, octobre 2000, p. 38. 154. Keith Johnstone, Impro : Improvisation and the Theatre, New York, Routledge, 1981, p. 99. 155. Stephen R. Covey, The 7 Habits of Highly Effective People, New York, Free Press, 1990, p. 207 ; en français, Les 7 habitudes de ceux qui réalisent tout ce qu’ils entreprennent, traduction Magali Guenette, Paris, First, 2005. 156. Alfred C. Fuller (propos recueillis par Hartzell Spence), A Foot in the Door : The Life Appraisal of the Original Fuller Brush Man, New York, McGraw-Hill, 1960, p. 193. 157. Organisation mondiale de la santé, Rapport de situation sur la sécurité routière dans le monde/Global Status Report on Road Safety, 2009, accessible sur http://whqlibdoc.who. int/publications/2009/9789241563840_eng.pdf. Voir fiche-pays Kenya (non offerte en version française). 158.  Ibid., p. 1-2. Voir tableau 1. 159. James Habyarimana et William Jack, « Heckle and Chide : Results of a Randomized Road Safety Intervention in Kenya », Journal of Public Economics, vol. 95, no 11–12, décembre 2011, p. 1438-1446. 160.  Ibid., p. 441. 161.  Ibid., p. 444. 162. Yehonatan Turner et Irith Hadas-Halpern, « The Effects of Including a Patient’s Photograph to the Radiographic Examination », exposé présenté à la 94e Assemblée et réunion annuelle de la Radiological Society of North America, 3 décembre 2008. Voir aussi « Patient Photos Spur Radiologist Empathy and Eye for Detail », communiqué de presse RSNA, 2 décembre 2008 ; Dina Kraft, « Radiologist Adds a Human Touch : Photos », New York Times, 7 avril 2009. 163. Turner et Hadas-Halpern, « The Effects of Including a Patient’s Photograph ». 164. « Patient Photos Spur Radiologist Empathy and Eye for Detail », ScienceDaily, 14 décembre 2008, accessible sur http://bit.ly/JbbEQt. 165. Voir Atul Gawande, The Checklist Manifesto : How to Get Things Right, New York, Picador, 2011. 166. Voir par exemple « Disconnection from Patients and Care Providers : A Latent Error in Pathology and Laboratory Medicine : An Interview with Stephen Raab, MD », Clinical Laboratory News, vol. 35, no 4, avril 2009. 167. Sally Herships, « The Power of a Simple “Thank You” », Marketplace Radio, 22 décembre 2010.

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Notes

168. R. Douglas Scott II, The Direct Medical Costs of Healthcare-Associated Infections in U.S. Hospitals and the Benefits of Prevention, Centers for Disease Control and Prevention, mars 2009, accessible sur www.cdc.gov/HAI/pdfs/hai/Scott_CostPaper.pdf ; Andrew Pollack, « Rising Threat of Infections Unfazed by Antibiotics », New York Times, 26 février 2010 ; R. Monina Klevens et al., « Estimating Health Care –Associated Infections and Deaths in U.S. Hospitals, 2002 », Public Health Reports, vol. 122, no 2, mars-avril 2007, p. 160-166. 169. Adam M. Grant et David A. Hofmann, « It’s Not All About Me : Motivating Hand Hygiene Among Health Care Professionals by Focusing on Patients », Psychological Science, vol. 22, no12, décembre 2011, p. 1494-1499. 170.  Ibid., p. 497. 171. Atul Gawande, « The Checklist », New Yorker, 10 décembre 2007 ; Gawande, The Checklist Manifesto : How to Get Things Done Right, New York, Picador, 2011. 172. Grant et Hofmann, « It’s Not All About Me », p. 498 173. Voir par exemple Dan Ariely, Anat Bracha et Stephan Meier, « Doing Good or Doing Well ? Image Motivation and Monetary Incentives in Behaving Prosocially », American Economic Review, vol. 99, no 1, mars 2009, p. 544-555 ; Stephan Meier, The Economics of Non-Selfish Behaviour : Decisions to Contribute Money to Public Goods (Cheltenham, Royaume-Uni, Edward Elgar Publishing Limited, 2006) ; Stephan Meier, « A Survey of Economic Theories and Field Evidence on Pro-Social Behavior », in Bruno S. Frey et Alois Stutzer, éd., Economics and Psychology : A Promising New Cross-Disciplinary Field, Cambridge, MA, MIT Press, 2007, p. 51-88. 174. Laurel Evans, Gregory R. Maio, Adam Corner, Carl J. Hodgetts, Sameera Ahmed et Ulrike Hahn, « Self-Interest and Pro-Environmental Behaviour », Nature Climate Change, 12 août 2012, accessible sur http://dx.doi.org/10.1038/nclimate1662. 175. Adam M. Grant, « The Significance of Task Significance : Job Performance Effects, Relational Mechanisms, and Boundary Conditions », Journal of Applied Psychology, vol. 93, no 1, 2008, p. 108-124. 176. Robert K. Greenleaf, Servant Leadership : A Journey into the Nature of Legitimate Power and Greatness, 25th Anniversary Edition, Mahwah, NJ, Paulist Press, 2002, p. 27. 177.  Ibid. 178. Alfred C. Fuller (propos recueillis par Hartzell Spence), A Foot in the Door : The Life Appraisal of the Original Fuller Brush Man, New York, McGraw-Hill, 1960, p. 87.

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