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French Pages 204 [201] Year 2007
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TABLE DES MATIÈRES
DANS LA MÊME COLLECTION
Le but de notre collection est de contribuer à l’édification du Tchad moderne en permettant aux Tchadiens de mieux connaître leur pays dans toute sa diversité et sa richesse. Nous avons publié des travaux inédits, des documents d’archives, des traductions françaises d’ouvrages étrangers et réimprimé des textes devenus introuvables. 1993 Sadinaly Kraton. La chefferie chez les Ngama. Paul Créac’h. Se nourrir au Sahel. L’alimentation au Tchad (1937-1939). Jean Malval. Ma pratique médicale au Tchad (1926-1928). 1994 L’identité tchadienne. L’héritage des peuples et les apports extérieurs (Colloque INSH novembre 1991 – J. Tubiana, C. Pairault, C. Arditi éds.) Marie-José Tubiana. Femmes du Sahel, Regards donnés. Women of the Sahil, Reflections. (Photographies, texte bilingue). 1995 Daoud Gaddoum. Le culte des esprits margay ou maragi chez les Dangaléat du Guéra. Bernard Lanne. Répertoire de l’administration territoriale du Tchad (1900-1994). Claude Durand. Fiscalité et politique. Les redevances coutumières au Tchad (1900-1956). 1996 François Garbit. Carnets de route d’un méhariste au Tchad (1936-1940). Netcho Abbo. Mangalmé 1965 : la révolte des Moubi. 1997 Gérard Bailloud. Art rupestre en Ennedi. – Looking for Rock Paintings and Engravings in the Ennedi Hills (translated from French by A.-M. Skye). Peter Fuchs. La religion des Hadjeray. (Traduit de l’allemand par Hille Fuchs). Pierre Hugot. La transhumance des Arabes Missirié et les batailles intertribales d’Oum Hadjer de 1947. 1998 Pierre Toura Gaba. Non à Tombalbaye. Fragments autobiographiques. Zakaria Fadoul Khidir. Les moments difficiles. – Dans les prisons d’Hissène Habré en 1989. 2000 Baba Moustapha. Le souffle de l’harmattan. (PRIX ALBERT BERNARD DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES D’OUTRE-MER)
Gérard Serre. Une nomadisation d’hivernage dans l’Ouadi Rimé (Tchad 1956). 2001 Géraud Magrin. Le sud du Tchad en mutation : des champs de coton aux sirènes de l’or noir. (PRIX ALBERT BERNARD DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES D’OUTRE-MER)
2002 2003 2004 2005 2006
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Victor-Emmanuel Largeau. À la naissance du Tchad 1903-1913 (Documents présentés par Louis Caron). Claude Durand. Les anciennes coutumes pénales du Tchad. Les grandes enquêtes de 1937 et 1938. Joël Rim-Assbé Oulatar. Tchad. Le poison et l’antidote. Essai. Le Tchad au temps de Largeau 1900-1915 (photographies, dessins). Al-Hadj Garondé Djarma. Témoignage d’un militant du Frolinat. Bichara Idriss Haggar. Tchad. Témoignage et combat politique d’un exilé. Marie-José Tubiana. Parcours de femmes. Les nouvelles élites : entretiens. Les contes oubliés des Hadjeray du Tchad recueillis et édités par Peter Fuchs, traduits de l’allemand par Hille Fuchs. Alain Vivien. N’djaména naguère Fort-Lamy, histoire d’une capitale africaine. Zakaria Fadoul Khidir. Le chef, le forgeron et le faki. Lidwien Kapteijns. Mahdisme et tradition au Dar For. Histoire des Massalit 1870-1930, traduit de l’anglais par Geneviève d’Avout et Joseph Tubiana. Mahmat Hassan Abakar. Chronique d’un enquête criminelle nationale. Oumar Djimadoum. Un vétérinaire tchadien au Congo. DANS LA COLLECTION BIBLIOTHÈQUE PEIRESC (en collaboration avec l’ARESAE)
2006
Marie-José Tubiana. Carnets de route au Dar For 1965-1970.
CONTES TOUBOU DU SAHARA
POUR MIEUX CONNAÎTRE LE TCHAD
CONTES TOUBOU DU SAHARA Quatre-vingt-dix-neuf contes, mythes et chansons recueillis chez les Teda, Daza, Azza et Beri du Niger et du Tchad
par Jérôme Tubiana
Publié avec le concours de l’Institut National des langues et Civilisations Orientales
L’Harmattan 5-7, rue de l’École-Polytechnique - 75005 Paris FRANCE
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Une arche de grès du massif de l’Ennedi, au nord-est du Tchad.
A mes parents
Remerciements À tous les conteurs, en particulier, au Niger, Ousman Omar « Soja », Mélimi Ahmat, Mallom Barka El-Hadj Sénoussi, et les enfants de l’école de Tasker. Et au Tchad, Togoy Allanga. À des interprètes de talent : Abderahman Sougou Abdou et Adam Ali au Niger, Yahya Moussa Tourgoudi et Soukkour Maïdé au Tchad.
INTRODUCTION
A
S AHARA , les pannes de voiture sont des événements fondateurs. Elles vous mettent en danger, vous obligent à vous poser les questions essentielles – comme celles de la soif ou du temps qui passe – et surtout à changer de rythme. Du temps de la voiture à celui du chameau, on passe du temps occidental au temps oriental, ou pour être plus exact avec les points cardinaux, du temps du Nord au temps du Sud. La réparation d’une voiture, l’arrivée de pièces de rechange indispensables, les randonnées à chameau pour aller chercher du secours dans les agglomérations les plus proches et, si la voiture venait à s’avérer irréparable, l’attente d’autres moyens de transport bondés – car les gens du désert sont tous pris d’une frénésie de voyager si par hasard un véhicule en état de marche vient à passer –, tout cela est imprévisible mais, généralement, dure longtemps, des jours, des semaines, voire plus. Il faut alors renoncer à son programme – un mot qui rapidement n’a plus aucun sens – et se résoudre à apprendre la patience. Ce n’est pas toujours facile dans les petites villes ou les gros villages, souvent moroses par rapport aux paysages grandioses alentour, dans lesquels le voyageur en panne finit par échouer. Si l’on n’est pas submergé par l’ennui ou la folie, on finira par entrer dans le tableau bizarre de ces villes du désert, lieu immobile et lieu de passage à la fois. U
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La plupart de ces contes, mythes et chansons ont été recueillis dans ces lieux dans lesquels je ne me serais pas arrêté aussi longtemps sans des pannes de voiture. La première panne a duré un mois, à l’été 1995, dans la petite oasis de Fada, chef-lieu du massif de l’Ennedi, au nord-est du Tchad. Ce fut une épreuve, mais je me suis bientôt intégré dans un petit groupe de jeunes mêlant les « Fadaïens », ainsi que ceux qui parlaient le français aiment se nommer, et les « vacanciers », les écoliers venus de N’djaména en attendant la rentrée. Il y avait aussi quelques jeunes militaires, dont l’un était un conteur particulièrement doué. Je n’ai pas alors noté tout ce qu’il avait à raconter, mais huit ans après, en 2003, je me retrouvai de nouveau en panne à Fada, et c’est au cours de ce séjour qu’ont été recueillis une grande partie des textes qui suivent. L’année précédente, une autre panne m’avait obligé à passer plusieurs jours dans la petite oasis de Tasker, à l’est du Niger, à l’autre bout du domaine toubou. Commençant timidement à demander des contes, je me trouvais bientôt, tantôt visiteur tantôt visité, confronté à une foule de conteurs de tous âges, auxquels je dois l’autre grande partie des textes qui suivent. Quelques autres encore ont été recueillis au cours de cinq autres séjours dans le nord du Tchad entre 1992 et 2003. Les « conteurs » appartiennent à différentes catégories de la population. Certains sont des chefs traditionnels, d’autres des chefs religieux ou des marabouts (lettrés musulmans appelés mallom ou faqi en arabe et dans les langues locales), d’autres encore sont des enseignants ou des intellectuels « modernes ». Des enfants de l’école de Tasker, au Niger, ont aussi participé à la collecte de ces récits, avec l’accord de leurs maîtres. Enfin, sans forcément appartenir à l’une de ces catégories, les interlocuteurs les plus fréquents se sont révélés – et étaient déjà connus comme tels dans leurs communautés – des conteurs d’exception, par leur
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talent et par leur goût, sans qu’on puisse pour autant les qualifier de conteurs « professionnels » – mais on n’en est pas loin. Les textes ont été enregistrés dans les langues locales, puis traduits en français avec l’aide d’interprètes. 1. Présentation ethnographique De Tasker au sud-ouest à la frontière tchado-soudanaise au nord-est, le domaine des Toubou reste l’une des régions les plus difficiles d’accès du Sahara. Même si d’anciennes pistes caravanières comme la piste des oasis du Kawar au Niger et la Darb al-Arbaïn, la « piste des quarante jours », au Soudan, certaines fréquentées dès le VIII e siècle, bordent la région, l’essentiel de celle-ci est longtemps resté inconnu, aussi bien des voyageurs arabes que des explorateurs européens. Le premier véritable contact remonte au voyage de l’Allemand Gustav Nachtigal en 1869. Le massif de l’Ennedi, en particulier, est l’une des dernières régions du monde à avoir été visitée par des Européens, en 1911 seulement. Les textes qui suivent ont été recueillis parmi deux groupes ethniques distincts mais parfois confondus, du fait qu’ils sont très proches par leur mode de vie – ce sont essentiellement des éleveurs, en particuliers de dromadaires et de chèvres – et qu’ils appartiennent au même groupe linguistique : — d’une part, les Teda-Daza, plus connus sous les noms de Toubou et Gorane ; — d’autre part les Beri, plus connus sous les noms de Zaghawa et Bideyat. Ces populations vivent principalement dans le Sahara et le Sahel tchadiens, ainsi qu’au Niger et en Libye (Teda-Daza) et au Soudan (Beri).
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Chamelier anakazza (l’un des principaux sous-groupes dazagada) en quête de nouveaux pâturages dans le Djourab, au nord du Tchad.
– Les Teda-Daza À cheval sur le Sahara et le Sahel, et sur trois États (Libye, Niger, Tchad), le territoire des Teda-Daza est comparable à celui des Touareg, avec une superficie d’1,3 millions de km2, le quart du Sahara : ils occupent, au Tchad, l’essentiel de la zone saharienne et le nord du Sahel, ainsi que l’est du Niger et le sud de la Libye. Parmi les Teda-Daza, on distingue deux principaux sousgroupes : — les Teda. Au sens strict, eux seuls devraient pouvoir être appelés « Toubou ». Ce sont à l’origine les habitants du « Tou », c’est-à-dire du massif du Tibesti, au nord-ouest du Tchad. Mais on les rencontre aussi bien dans le massif de Termit au Niger que dans l’Ennedi au Tchad.
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— les Daza proprement dits et, plus largement, les Dazagada, autrement dit les « locuteurs de la langue des Daza », souvent appelés du nom arabe de « Gorane », mais parfois aussi « Toubou », notamment au Niger. Ils nomadisent sur de vastes étendues entre le Niger et le Tchad. Ils sont divisés en différents sous-groupes. Les textes daza qui suivent ont essentiellement été recueillis parmi trois d’entre eux 1 : Les Kecherda, qu’on nomme en général simplement « Daza ». Ils vivent essentiellement au Niger. Je les ai rencontrés dans l’Ayer, jusqu’à la pointe sud du massif de Termit. Les Anakazza. Ils fréquentent les plaines du sud du Borkou, du nord du Bahr-el-Ghazal jusqu’au sud-ouest de l’Ennedi. Je les ai rencontrés dans des endroits très variés : Manga, Egueï, nord du Bahr-el-Ghazal, Wadi Achim dans le nord du Batha, Fada et Wadi Nohi dans l’Ennedi. Les Wania 2. Semi-nomades habitant notamment les oasis de Wanianga, au nord de l’Ennedi, ils ont abandonné leur langue d’origine, le beri-a, pour adopter le dazaga. – Les Beri Les Beri ont été parfois assimilés, à tort, aux Teda-Daza. Ils ont un mode de vie similaire, et surtout les deux groupes ne sont pas étanches : de nombreux clans et même des sous-groupes teda-daza sont d’origine beri et vice-versa. En outre, une grande partie d’un sous-groupe Beri, les Borogat, parle le dazaga et revendique parfois une identité « daza » autant que « beri ».
1. Parmi les autres sous-groupes, on compte les Noarma, les Bollugada, les Gaeda, les Tebya, les Murdya, les Doza, les Gurma, les Kamadya, les Kreda, etc. 2. Tubiana, Jérôme, 1994.
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Les Beri occupent un territoire moins important que les TedaDaza, réunissant le nord-est du Tchad et le nord de la province du Darfour au Soudan, à cheval sur les zones saharienne et sahélienne. Les textes beri qui suivent ont été essentiellement recueillis parmi les Bideyat ou « Toba ». Ce sont ceux des Beri qui vivent le plus au nord, en zone saharienne, en particulier dans le massif de l’Ennedi. Les Beri eux-mêmes les distinguent des Zaghawa, qui vivent plus au sud, dans le nord des Sahel tchadien et soudanais. Les Bideyat sont divisés en deux principaux sousgroupes : les Bilia au sud-est, au contact des Zaghawa, et les Borogat au nord-ouest, au contact des Teda-Daza. – Les « forgerons » Chez les Teda-Daza comme chez les Beri, les « forgerons » – appelés azza en dazaga, dude en tedaga et may en beri-a – constituent traditionnellement une caste inférieure. Un certain nombre d’activités, jugées indignes par le reste de la population, leur sont réservées : c’est le cas non seulement de la forge, mais aussi de l’ensemble des activités artisanales, de la musique et de l’essentiel de la chasse, en particulier au moyen de pièges et de filets. Un mythe azza présenté ci-après explique l’origine de cette hiérarchie 1. À l’est du Tchad, les forgerons des Teda-Daza et des Beri vivent en petit nombre à proximité des non-forgerons, avec lesquels ils sont liés par des relations de vassalité, qui s’estompent cependant. Dans certains endroits où la population est relativement importante, comme à Fada, les forgerons ont leur propre quartier. 1. Voir mythe n° 1.
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Une grande partie des textes qui suivent a été recueillie auprès de « forgerons » Azza du Niger. À l’origine forgerons des Daza, ils ont désormais une certaine autonomie, et sont particulièrement nombreux dans la région de l’Ayer au nord-ouest du lac Tchad – et dans une moindre mesure dans le Kanem, au Tchad. Ils y ont leur propres « groupements » ou « cantons » administratifs, et leurs propres villages, comparables à ceux des Daza. Pour échapper à leur condition inférieure, les forgerons délaissent de plus en plus les activités traditionnelles et deviennent éleveurs de chameaux, adoptant le mode de vie des non-forgerons. En 2002, les Azza de l’Ayer (Niger) auraient ainsi envoyé trois caravanes de 500 chameaux chacune chercher des dattes dans l’oasis de Bilma 1, ce qui aurait été impensable autrefois. Les Azza deviennent aussi maîtres d’écoles, fonctionnaires, militaires, marabouts, etc. Ibrahim Suleyman, Azza de Tasker (Niger) et lui-même maître d’école, affirme qu’il y aurait parmi les Azza du Niger (en 2002) sept enseignants, deux inspecteurs des Finances, deux fonctionnaires au ministère de l’Agriculture, un ingénieur des Ponts et Chaussées, trois infirmiers et dix-sept militaires (dont douze anciens rebelles intégrés à l’armée suite à des négociations). J’ai observé ce phénomène d’ascension sociale aussi bien dans le nord-ouest du Tchad qu’au Niger. Cependant si les différences de mode de vie s’estompent, un certain antagonisme perdure entre Daza et Azza. Les Azza montrent souvent du doigt la pratique persistante du vol des chameaux chez les Daza.
1. Entretien avec Ibrahim Suleyman, Azza, Tasker, 2002.
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– Langues Les Teda parlent pour la plupart le tedaga, mais certains groupes parlent plutôt le dazaga – ce sont deux langues très proches. Les Dazagada parlent le dazaga. Les Beri parlent le beria, mais certains clans parlent plutôt le dazaga. Ces trois langues ont été classées par Jungraithmayr dans le groupe saharien ou saharien oriental, et auparavant par Greenberg dans la branche saharienne du groupe nilo-saharien 1. Les Azza parlent dazaga, de même que les forgerons des Teda parlent plutôt tedaga, et les forgerons des Beri parlent plutôt beri-a. Cependant les forgerons, chez les Teda-Daza comme chez les Beri, ont développé un « parler » propre, une sorte de langue secrète, notamment pour ne pas être compris de leurs « maîtres » nonforgerons. Kondé Hardan Erdimi, représentant des forgerons de Fada, explique : « En dehors du dazaga et du beri-a, nous avons nos propres dialectes. Si nous avons des secrets, si nous voulons partir ou faire quelque chose en cachette, si on a peur de quelque chose, on utilise cette langue. On peut parler devant vous, et si vous n’êtes pas forgeron, vous ne comprenez rien » 2. Au Niger ce parler est appelé « azzanga ». Il est présent dans certains des textes azza qui suivent. – Religion Les contacts avec les Arabes eurent lieu dès le VIIIe siècle, mais ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que l’islam commença réellement à pénétrer les sociétés teda-daza et beri : c’est l’un des éléments essentiels qui distingue les « nomades noirs » 3 teda-daza et beri
1. Jungraithmayr, 1981 : 265-266 ; Greenberg, 1966 : 130. 2. Entretien avec Konde Hardan Erdimi, Fada, 2003. 3. Chapelle, 1982 : 123-124.
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des Touareg, ces Berbères qui leur font pendant à l’ouest de la barrière naturelle que constitue le Ténéré. Les anciennes religions « païennes » ont laissé des traces. Jusque dans les années 50 et 60, on sacrifiait des chamelles ou des vaches, notamment à des serpents habitant des montagnes sacrées. Jusqu’à cette époque l’islam a cohabité avec ces cultes traditionnels. Aujourd’hui l’islam continue de gagner du terrain sur les survivances préislamiques qui apparaissent parfois dans les textes qui suivent. – Mode de vie Comme les Touareg, les Teda-Daza et les Beri sont essentiellement des éleveurs, de chameaux, de chèvres et de moutons, ainsi que de vaches au Sahel. Au Sahara, les chameaux sont leur principale richesse. La puissance d’un homme se mesure au nombre d’animaux qu’il possède, et les troupeaux d’une centaine de têtes ne sont pas rares. C’est pourquoi les nomades ne les abattent quasiment jamais, et se contentent de consommer leur lait, mais rarement leur viande. Les chameaux sont avant tout un objet d’échange, en particulier lors des mariages. Il faut beaucoup de chameaux pour épouser une belle fille, une fille de chef ou une fille de riche commerçant. Ce sont aussi les chameaux qui dictent les déplacements des nomades en quête de points d’eau et de pâturages dont la localisation varie chaque année, en fonction de la brève saison des pluies. Les hommes travaillent peu, se contentant de gérer les affaires, les mariages et les questions politiques. Ce sont les enfants qui, dès l’âge de sept ans, gardent les bêtes, faisant ainsi de longs séjours dans le désert. Parfois aussi, les hommes partent chercher des dattes dans les palmeraies ou du sel dans les salines, pour les échanger dans les marchés du Sud contre du mil, du thé, du sucre, des étoffes. Certains partent aussi chercher du travail en Libye.
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Longtemps, les Teda-Daza et les Beri ont été essentiellement connus comme les auteurs de terribles razzias chez les Touareg, les Arabes (jusqu’au Nil), et dans les grands royaumes du Sahel. Leur goût pour le vol est resté proverbial chez leurs voisins, qui manifestent encore une crainte certaine à leur égard. Il est vrai que le vol des chameaux est une tradition pour les jeunes hommes, qui doivent avoir accompli cet exploit, si possible sans être vus et sans avoir à faire couler de sang, sous peine d’être dédaignés par les filles à marier. Aujourd’hui nombre de Beri et de Teda-Daza se plaignent qu’à cause de cette tradition on les considère systématiquement, et parfois injustement, comme des voleurs. 2. Les textes Les textes qui suivent ont été classés en contes, mythes et chansons. La frontière n’est pas toujours très claire, et certains auraient pu trouver leur place dans plusieurs de ces catégories. Certains récits classés dans les contes (notamment ceux de la seconde partie, baptisée « Histoires d’hommes et de génies ») ne sont pas très éloignés du mythe, notamment dans la mesure où il existe parfois une croyance que l’histoire racontée s’est réellement passée, souvent dans un passé lointain. Certains contes ont des parties chantées plus ou moins importantes et certaines chansons impliquent un récit de l’ordre du conte. Sur une soixantaine de « contes » – elicha ou elife en dazaga, obutey ou obitey en beri-a –, les deux tiers environ ont été relevés chez les forgerons-chasseurs azza de l’Ayer, au Niger, dont la littérature orale était jusqu’ici peu connue. Elle est très proche de celle des non-forgerons, mais il me semble qu’elle s’en distingue souvent par un côté plus cru, plus truculent. La vingtaine d’autres contes ont été racontés par des Teda du nord-est du Tchad et du massif de Termit au Niger, des Dazagada
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de l’Ennedi (Anakazza et Wania) et de l’Ayer (Daza ou Kecherda) et des Bideyat (Bilia et Borogat). Cependant certains textes, contes ou autres, peuvent être communs à plusieurs groupes ethniques. Les « mythes » concernent l’ensemble des groupes ethniques étudiés : Teda du Niger et du Tchad, Dazagada du Tchad (Wania), Azza du Niger. Un certain nombre d’entre eux expliquent d’ailleurs l’origine d’un groupe ou d’un clan. Les mythes claniques, en particulier, sont aussi nombreux que les clans et je n’en ai conservé ici qu’une sélection. Les chansons sont presque toutes des chansons de chasseurs azza du Niger, sauf une qui est une chanson de forgeron-chasseur de l’Ennedi, et une autre qui est une comptine dazagada du Tchad. Tout en recueillant ces textes, je me suis intéressé à la littérature orale publiée précédemment. Jourdan 1 a relevé chez les Daza du Niger cinq contes animaliers, dont j’ai retrouvé certains. Lukas 2 a publié onze contes animaliers et des chansons daza. Charles et Marguerite Le Cœur 3 ont relevé chez les Teda du Tibesti et du Niger, les Daza et les Azza du Niger des textes très divers : deux contes animaliers daza, dont un est présenté comme étant d’origine kanouri, et quatorze chansons d’adultes et d’enfants, ainsi que des mythes pour la plupart claniques – que j’ai tous retrouvés. Fuchs 4 a publié différents contes et mythes, dont cinq contes animaliers dazagada et trois mythes bideyat. Marie-José et Joseph Tubiana 5 ont publié trente-sept contes, pour
1. Jourdan, 1935 : 50-57. 2. Lukas, J., 1953-54 : 1-16, 53-68 et 121-134. 3. Le Cœur, 1955. 4. Fuchs, 1961 : 225-226 et 230-235. 5. Tubiana, Marie-José et Joseph, 1962.
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la plupart animaliers, et deux mythes (ou « légendes »), relevés chez lez Zaghawa du Tchad. J’en ai retrouvé certains chez d’autres populations. Enfin Catherine Baroin a publié un conte azza du Niger 1 et un conte teda du Tchad 2. 3. L’animal sauvage, personnage de la littérature orale Les principaux personnages – héros ou anti-héros – d’une grande partie des textes présentés ici, comme de la littérature orale recueillie auparavant, sont des animaux. Curieusement pour des populations d’éleveurs, dans les contes beri 3 comme dans les contes teda-daza, l’animal domestique est peu fréquent, alors que l’animal sauvage est omniprésent. Il semble que l’animal domestique reste cantonné au domaine du matériel et du réel, alors que l’animal sauvage occupe la toute première place d’une littérature orale qui relève largement du merveilleux. Le « genre » principal de cette littérature orale est universel : il s’agit de ces « contes animaliers » (première partie des contes qui suivent) où les animaux parlent, se comportent comme des hommes, et reconstituent la société humaine. Or, dans les contes animaliers teda-daza et beri, l’animal domestique est rarement personnifié. La chèvre (ou le bouc) et le chameau sont personnifiés dans quelques contes, d’autres animaux, comme le coq, exceptionnellement. En revanche les animaux sauvages le sont systématiquement. Ils peuvent d’ailleurs, comme les hommes, être propriétaires d’animaux domestiques. Les vaches ne sont qu’un objet, en particulier objet d’échange lors des mariages
1. Baroin, 1988 : 111-137. 2. Baroin, 1999 : 288-289. 3. Voir plus loin, et Tubiana, Marie-José et Joseph, 1962.
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et signe de richesse, et les lions et les hyènes des contes en possèdent 1. Dans les contes beri, les seules vaches qui parlent sont les vaches de Dieu, et les seuls chameaux qui parlent sont les chameaux du Diable 2. Par comparaison, les contes arabes de l’est du Tchad mettent en scène les mêmes animaux sauvages – chacal, lion, hyène –, mais les animaux domestiques y semblent plus présents et plus souvent personnifiés, notamment le chameau mais aussi le chien 3. En revanche, bien que le chameau soit très présent dans la vie quotidienne des Teda-Daza et des Beri, il ne l’est pas particulièrement dans leur littérature orale. Quant au chien, il est également présent dans la vie quotidienne des Azza du Niger, mais pas vraiment dans leurs contes. La littérature orale distingue clairement espèces sauvages et domestiques, et l’utilisation d’un animal sauvage comme un animal domestique est une transgression. Dans l’une des versions du conte teda-daza expliquant l’origine des singes 4, ces derniers étaient jadis des hommes qui ont trait des gazelles dorcas, et fait leurs ablutions avec le lait de ces animaux au lieu d’eau. C’est cette transgression qui leur vaut d’être transformés précisément en animaux sauvages : les singes. Autre transgression, un mythe 5 connu des Beri et d’autres populations de l’Est tchadien (Dadjo, Mimi) met en scène un sultan qui monte, au lieu d’un cheval, une antilope damalisque, et qui finit par en mourir. Dans un
1. Voir Tubiana, Marie-José et Joseph, 1962 : 53-56 (« Le jugement du chacal »). Il arrive aussi que la chèvre, cependant, soit propriétaire de chiens et même de vaches. 2. Tubiana, Marie-José et Joseph. 1962 : 102-103 (« Siboro, l’enfant noir »). 3. Jullien de Pommerol, 1977 : 33, 85, 137 et 207. 4. Voir conte n° 38 : « Comment Dieu a créé les singes ». 5. Voir mythe n° 10 : « Histoire d’un sultan cruel » ; Tubiana, Marie-José et Joseph. 1962 : 163-165 et 199 ; Tubiana, Marie-José, 1989 ; Tubiana, Marie-José, 1999. Jullien de Pommerol a aussi relevé parmi les Arabes d’Abéché des contes dont le héros est un garçon qui monte un buffle ou un oryx. Jullien de Pommerol, 1977, contes n° 15, 17 et 35 : 71, 76 et 148.
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autre mythe beri 1, la transformation d’animaux domestiques en animaux sauvages semble punir une double transgression : un vice du héros – un appétit excessif – et le meurtre de ce héros par « là où il pèche » – son appétit. Bien que les animaux y soient humanisés, les contes sont néanmoins riches en connaissances naturalistes. Les animaux y conservent des comportements qu’ils ont dans la nature : le serpent s’enterre dans le sable, les souris se réfugient dans leurs trous, l’éléphant boit énormément, l’autruche enfouit sa tête dans le sable. Dans un conte bideyat 2, le chacal décrit lui-même son comportement : « je suis curieux, je furète sans cesse à gauche, à droite, mes yeux sont clairs, je vois loin, je suis rapide et fort ». Certains contes ont précisément pour fonction d’expliquer un phénomène naturel particulier, par exemple un caractère physique d’un animal : l’écureuil fouisseur est de petite taille parce que Dieu a cherché ainsi à compenser sa grande malice 3, l’autruche (mâle en l’occurrence) a le cou rouge parce que jadis une femme lui a entaillé cette partie du corps 4. Deux contes azza 5 expliquent la physionomie du hibou, et un autre 6 les comportements particuliers du lièvre, du chacal, de la hyène tachetée, et la domestication du chien. D’autres contes expliquent la mésentente régnant entre tel ou tel animal, voir entre tous les animaux, par rapport à un âge d’or initial dont la paix aurait été rompue par l’animal rusé 7. Certains contes référant également à un passé lointain expliquent l’origine, et par là même l’étrangeté ou la
1. Mythe n° 3 : « Histoire d’Ohay ». 2. Conte n° 2 : « Le lion et le chacal (2) ». 3. Conte n° 30 : « Pourquoi l’écureuil est petit ». 4. Tubiana, Marie-José et Joseph, 1962 : 149-153 (« Pourquoi l’autruche a le cou rouge »). 5. Contes n° 44 : « Le chef des oiseaux », et n° 45 : « Les vérités du hibou ». 6. Conte n° 27 : « L’écureuil et la hyène ». 7. Conte n° 26 : « Le village des animaux ».
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monstruosité, de certains animaux : le crocodile 1, les singes 2. Enfin les chansons de chasseurs regorgent de détails naturalistes. Au-delà de ces connaissances sur la nature, les contes animaliers stricto sensu ont comme principal ressort l’établissement d’une correspondance entre les animaux et les caractères humains. Les animaux – ainsi que parfois des phénomènes naturels, comme le feu de brousse 3 – y sont personnifiés, jouent le rôle des humains, parlent et se comportent comme des hommes. Quant aux hommes véritables ils n’interviennent pas. Dans ce type de conte, chaque animal représente son espèce, et chaque espèce a un caractère déterminé qui reste le même d’un conte à l’autre : ruse, bêtise, etc. En général, chaque espèce a aussi un sexe déterminé – ce qui apparaît clairement dans les contes relatant un mariage entre deux espèces différentes – : le chacal, l’écureuil fouisseur, le babouin doguéra, l’éléphant et la hyène rayée sont mâles, les gazelles et l’autruche sont femelles. Les contes mettent en scène une société animale qui représente la société humaine. Ici comme ailleurs, une grande partie des contes ont pour héros un personnage caractérisé par la ruse, qui trompe tous les autres, mais qui parfois se fait tromper à son tour. Ce rôle est tenu par le chacal dans des contes relevés dans tous les groupes ethniques étudiés 4, mais aussi dans de nombreux groupes voisins, notamment les Arabes de l’est du Tchad 5. C’est le personnage le plus humanisé, l’un des rares animaux à avoir un nom propre, et parfois même deux : dans les contes beri, il est
1. Conte n° 15 : « Le chacal et ses frères ». 2. Conte n° 38 : « Comment Dieu a créé les singes ». 3. Conte n° 33 : « L’écureuil, le chacal et le feu de brousse ». 4. Contes n° 1 à 15 et Tubiana, Marie-José et Joseph, 1962. 5. Jullien de Pommerol, 1977 : 33.
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appelé Namarda, ou Abou Alimé, c’est-à-dire « père d’Alimé » (sa fille) – ce dernier nom se retrouve dans les contes dazagada et arabes. Outre sa fille, les contes mentionnent sa mère et sa bellemère. Il se marie, possède des animaux domestiques, les monte. Parfois il représente l’homme en général, faible physiquement ou socialement, mais rusé, et capable par son intelligence de remporter la victoire. Parfois aussi il incarne l’animal qui se prend à tort pour un homme – une transgression qui montre les limites de la correspondance. Lorsqu’il affronte le lion, il incarne le faible rusé capable de remporter la victoire sur l’autorité. Lorsqu’en revanche il est en situation de duel avec un plus faible, c’est lui qui devient le fort stupide, ou le trompeur trompé. Parfois il joue aussi le rôle du juge. Dans quelques contes teda 1 et azza 2, le chacal est remplacé par le fennec 3. Dans quelques contes azza 4 et un conte teda 5, c’est le lièvre qui, comme dans nombre de sociétés plus méridionales, est le personnage central. Mais dans la plupart des contes azza 6, et uniquement dans ceux-ci, le trompeur est l’écureuil fouisseur 7. Il tient d’ailleurs aussi le rôle du juge, incarné dans d’autres contes par le chacal. Le daman, présent dans un conte beri 8, est aussi un personnage rusé.
1. Conte n° 16 : « Le fennec et la souris ». 2. Conte n° 17 : « La poule et le fennec ». 3. Dans deux contes daza relevés par Jourdan, le fennec est présenté comme le héros, mais il s’agit en réalité d’une erreur de traduction du mot turku, « chacal ». Jourdan, 1935 : 51-52 et 55. 4. Contes n° 18 à 21. 5. Conte n° 22 : « Le lièvre et les pastèques ». 6. Contes n° 23 à 35. 7. Qu’on retrouve chez des populations plus méridionales, comme les Massa du Tchad et du Cameroun, les Tupuri et les Mafa du Cameroun. Voir Dumas-Champion, 1999 : 369 ; Kleda, 1991 ; et Kosack, 1997. 8. Tubiana, Marie-José et Joseph, 1962 : 92-95 (« Niguinigui, le voleur de lait »).
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Le lion est le roi des animaux, fort mais aussi bête. D’autres personnages de forts stupides interviennent dans de nombreux contes : la hyène rayée, la hyène tachetée et l’éléphant. Il existe aussi des rôles de faibles, qui peuvent être tantôt stupides, tantôt rusés : ce sont la gazelle, la souris, le singe, et parfois des animaux domestiques comme la chèvre et la poule. L’autruche n’a qu’un seul caractère : la stupidité. La fonction des contes animaliers est le plus souvent de dégager, à travers les animaux, une morale qui porte sur les caractères et les comportements humains, ou les relations sociales. Certains contes mettent en scène des associations impossibles entre animaux, c’est-à-dire en fait – métaphoriquement – entre humains de caractères ou de situations sociales différents. De nombreux contes relatent ainsi des associations entre l’animal rusé et un animal stupide (chacal/lion, lièvre/éléphant, écureuil/lion) ou entre un animal fort et un animal plus faible (lion/hyène, chat/coq). Il existe aussi des tentatives d’association non plus d’un couple mais d’un groupe plus ou moins important d’animaux symbolisant la société humaine dans sa diversité 1. Ces animaux d’espèces différentes s’associent pour voyager, travailler, chasser, voler ou simplement vivre ensemble. Parfois des animaux d’espèces différentes se marient ensemble : ainsi le babouin et la gazelle dama 2, le chacal et l’autruche 3, le chacal et la gazelle 4. Systématiquement vouées à l’échec, ces associations apparaissent contre-nature, et par métaphore contraire à l’ordre social et à la bonne entente dans la société humaine. De même, un animal ne respectant pas la hiérarchie naturelle, et donc
1. Contes n° 9 : « Le chacal et le serpent » et n° 26 : « Le village des animaux ». 2. Conte n° 36 : « Le babouin et la gazelle dama ». 3. Tubiana, Marie-José et Joseph, 1962 : 88-91 (« Le chacal et l’autruche »). 4. Ibid., 1962 : 80-84 (« Le chacal qui battait sa femme »).
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transgressant la hiérarchie sociale, tel le chacal se prenant pour le lion 1, ou pour un roi 2, est voué à l’échec. Parfois, au contraire, le conte semble souligner l’injustice de l’ordre social 3. Il arrive alors que le triomphe de l’animal rusé sur le fort montre que le faible, grâce à son intelligence, peut prendre sa revanche et remettre en cause l’ordre social. Parfois aussi, le juge corrige l’injustice. Il arrive qu’un personnage humain soit présent dans un conte en compagnie des animaux personnifiés. Il a alors un rôle générique et représente l’espèce humaine tout entière. Comme celles des animaux sauvages entre eux, les associations de l’homme avec les animaux sauvages (travail en commun, mariage) sont vouées à l’échec, et apparaissent donc contre-nature. D’une manière générale, les animaux personnifiés – ainsi dans le conte du chacal voulant devenir marabout 4 – ne parviennent jamais vraiment à arriver au niveau des hommes : cette impossibilité souligne aussi la distinction marquée entre l’homme et l’animal, qui se fait à l’avantage de l’homme. Dominés par des évocations surnaturelles, les contes peuvent ainsi finir par le rétablissement d’un ordre naturel où chacun est à sa place. Par la distinction nette entre l’homme et l’animal, tout comme la distinction entre l’animal sauvage et l’animal domestique, la littérature orale dessine une classification du monde. Cependant on peut aussi voir dans les contes une classification du monde animal proprement dit en différents ensembles qui parfois se recoupent : les forts et les faibles, les intelligents et les stupides, les positifs et les négatifs.
1. Conte n° 1 : « Le lion et le chacal ». 2. Conte n° 8 : « Le chacal qui voulait être roi ». 3. Conte n° 10 : « Le jugement du chacal ». 4. Conte n° 11 : « Le chacal qui voulait devenir marabout ».
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D’une manière générale, les carnivores ennemis des troupeaux sont négatifs, mais certains ne sont pas systématiquement perçus de manière hostile : le lion est respecté pour sa force, et le chacal pour sa ruse qui prend le dessus sur la force. D’autres carnivores, comme les hyènes, sont franchement négatifs. Les faibles et les intelligents sont positifs, avec une certaine ambiguïté dans le cas du chacal : il y a un décalage entre le monde de la vie quotidienne, où le chacal est détesté, et celui de l’imaginaire, où il devient, plus qu’un animal, un personnage de fiction à part entière, tantôt gagnant, tantôt perdant. Parmi les animaux positifs pour leur intelligence, les contes indiquent aussi le hibou, considéré comme le « chef des oiseaux » 1 et le vautour, considéré comme « l’ami des grands chefs » 2. Les contes dans lesquels sont présents un grand nombre d’animaux d’espèces différentes prétendent présenter le monde animal dans son ensemble pour, on l’a vu, représenter la société humaine en général. Parmi ceux-ci, il existe cependant un genre particulier, le conte dit « cumulatif » 3, qui se présente comme une suite : la souris est mangée par le chat, le chat est chassé par le chien, le chien est frappé par le bâton, le bâton est brûlé par le feu, le feu est éteint par l’eau, etc. Ou bien un personnage va en voir un autre, qui l’envoie chez un autre, etc. Dans ce type de conte, tout peut être personnifié : les animaux sauvages, les animaux domestiques, mais aussi d’autres éléments de la nature ou de la météorologie, des objets… Le plaisir du conte animalier, fondé sur des rebondissements, est ici remplacé par un 1. Contes n° 44 : « Le chef des oiseaux », et n° 45 : « Les vérités du hibou ». 2. Conte n° 48 : « Le vautour et l’homme pauvre ». 3. Contes n° 9 : « Le chacal et le serpent » et n° 26 : « Le village des animaux » ; Tubiana, Marie-José et Joseph, 1962 : 44-48 (« Comment Dieu donna à chacun sa part »), 64-67 (« La tourterelle, l’âne, le cheval et le chameau »), 136-141 (« Le rusé chacal »).
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plaisir formel, fondé sur la répétition, et proche de l’énigme. Ce genre peut aussi cohabiter avec d’autres genres dans un même conte, simultanément ou successivement : seule la fin est cumulative dans « Le chacal et le serpent » 1 et « Le village des animaux » 2. Parfois ce type de conte est décliné sous forme de chanson enfantine – ce qui, au fond, ne change rien. J’en ai recueilli un exemple chez les Azza du Niger 3 : L’homme court vers le chien, Le chien court vers la hyène rayée, La hyène court vers les moutons, Les moutons courent en brousse, Le serpent court vers l’homme, Le termite court vers le bâton. Ce type de conte ou de chanson ne donne plus une vision métaphorique de la société humaine, mais une représentation, bien sûr incomplète, du monde – à commencer par le monde animal mais pas seulement. Au-delà de l’aspect ludique, il s’agit en l’occurrence d’un monde plutôt sombre, chaque être étant soit proie soit prédateur, et chaque prédateur étant la proie d’un plus gros, chaque mangeur pouvant à son tour être mangé 4. On peut aussi y voir l’idée d’un ordre naturel logique. Un conte dazagada 5 d’un type voisin contient à la fois l’idée d’une représentation et d’une genèse d’une partie du monde animal. Il établit une parenté entre neuf espèces différentes,
1. Conte n° 9. 2. Conte n° 26. 3. Chanson n° 16 : « Chanson d’enfant ». 4. Particulièrement dans la variante recueillie par Charles et Marguerite Le Cœur (1955 : 193). Voir chanson n° 16. 5. Conte n° 15 : « Le chacal et ses frères ». Voir aussi Jourdan, 1935 : 51-2.
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toutes des carnivores à l’exception de l’écureuil fouisseur, et dont trois d’entre elles sont considérées comme des animaux rusés – le chacal, le fennec et l’écureuil fouisseur. Ce conte explique aussi pourquoi l’une de ces neuf espèces, le crocodile, vit dans l’eau. Les chansons des forgerons-chasseurs évoquent des espèces présentes aussi dans les contes, comme le chacal, la hyène rayée et la hyène tachetée, mais aussi d’autres, rarement présentes dans les contes et les mythes, et davantage liées à la culture spécifique des chasseurs. C’est le cas en particulier des antilopes addax et oryx, et dans une moindre mesure de l’autruche. Le fait que ces deux antilopes, qui pour nous feraient facilement figure d’animaux mythiques, ne soient présentes dans aucun conte ou mythe mais seulement dans des chansons de chasse, et se cantonnent donc à l’univers culturel de la chasse, est très significatif. Ces espèces apparaissent essentiellement, pour les Teda-Daza et les Beri, comme un gibier, un objet de chasse. Elles occupent une place moins importante dans les cultures Teda-Daza et Beri que d’autres espèces, comme la gazelle dorcas, la gazelle dama et le mouflon à manchettes, qui eux sont présents dans les contes et les mythes, mais semblent absents des chansons de chasse. Enfin certaines espèces sont absentes ou quasiment absentes de la littérature orale, et cela aussi peut avoir une signification. C’est le cas par exemple du guépard : cette espèce qui fascine les Occidentaux ne retient pas l’attention des Teda-Daza et des Beri. Pour tenter d’évaluer ce que cette littérature orale a de spécifique, notamment quant à la place importante de l’animal, il m’est apparu intéressant de faire des comparaisons avec des populations voisines, en particulier avec les Arabes nomades qui sont installés depuis plusieurs siècles dans la même région. Ils vivent en général légèrement plus au sud, font des migrations plus longues vers le Sud, en particulier pour ceux qui élèvent des vaches, mais ont un mode de vie similaire. Pourtant leur culture
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est sensiblement différente. Leur représentation du monde et de la nature, notamment, semble davantage liée à l’islam. L’Encyclopédie de l’Islam note qu’on « ne trouve guère dans le folklore de l’Arabie ancienne, tel qu’il nous est parvenu, de contes d’animaux » 1. Il ne faudrait pourtant pas en tirer de conclusions trop hâtives, tant les contes animaliers semblent présents dans d’innombrables cultures de par le monde. Ils existent en tout cas parmi les Arabes tchadiens. Le meilleur corpus de littérature orale relevé parmi ces populations est celui publié par Patrice Jullien de Pommerol 2. Ce dernier dit avoir relevé 184 « récits » dans trois lieux (et donc trois groupes) distincts : — 85 « récits » à Abéché, auprès de locuteurs arabes (ou arabisés ?) vivant dans un milieu urbain évidemment multiculturel : il n’est pas évident qu’on puisse classer ces récits comme « arabes » 3. — 77 « récits » à Arada, auprès d’Arabes nomades éleveurs de chameaux de la branche des Mahariya, une des branches de l’important groupe Rizeigat 4. C’est évidemment ce groupe qui nous intéresse le plus, en raison de son mode de vie similaire à celui de la majorité des Teda-Daza et des Beri et de sa proximité géographique (parcours de migration en commun), mais aussi en raison de sa forte identité arabe. — 22 récits à Abougoudam, un village d’agriculteurs sédentaires arabes Salamat 5. Les animaux, et en particulier les animaux sauvages, sont bien présents dans ces contes arabes. Jullien de Pommerol classe ses « récits » en trois « genres », dont l’un est justement les « contes 1. Lewis et al., 1971 : 315 (article Hayawan). 2. Jullien de Pommerol, 1977. 3. Ibid., 1977 : 9 et 35. 4. Ibid., 1977 : 10 et 35. 5. Ibid., 1977 : 9, 11 et 35.
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d’animaux ». Sur ses 184 « récits », il en classe 55 dans ce groupe. La plupart des « récits » relevés chez les agriculteurs d’Abougoudam entrent dans cette catégorie 1. La seconde catégorie regroupe 55 « histoires, fables et facéties », recueillies surtout parmi les Arabes Mahariya 2. Enfin un troisième groupe rassemble « 74 contes merveilleux dans lesquels le héros est un homme, et non plus, comme dans le premier groupe, un animal ». Malheureusement, Jullien de Pommerol n’a publié que des « récits » de cette troisième catégorie, en l’occurrence uniquement ceux, au nombre de 63, contenant des morceaux chantés, de longueur variable 3. Ces « récits » publiés nous permettent d’ailleurs de relativiser l’étanchéité de ces catégories. Certes, dans une bonne partie d’entre eux, les personnages sont des êtres humains – souvent un frère et une sœur, dont il est parfois précisé qu’ils sont orphelins – mais aussi des « ogres », que bien souvent il vaudrait mieux qualifier de « génies » car ils ne semblent pas spécialement enclins à manger les humains auxquels ils sont confrontés. Ils sont assez semblables aux génies des contes teda-daza et beri. Cependant, les animaux sont aussi présents, plus ou moins personnifiés, soit dans les mêmes récits d’hommes et/ou de génies, soient dans des récits purement animaliers que Jullien de Pommerol n’a classé dans cette catégorie que parce qu’ils ont des morceaux chantés, mais qui devraient se trouver dans la première catégorie – augmentant l’importance des animaux dans l’ensemble de ce corpus. Enfin, dans cette troisième catégorie, des êtres humains se transforment en animaux sauvages 4, et des animaux sauvages apparaissent
1. Ibid., 1977 : 9 et 33. 2. Ibid., 1977 : 33. 3. Ibid., 1977 : 34. 4. Ibid., 1977, contes n° 6, 14, 21, 30, 47 : 52, 70, 85, 129, 203.
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clairement comme des êtres surnaturels. C’est le cas, dans des contes recueillis à Abéché, du serpent 1 et d’une hyène-génie 2, mais aussi d’un oiseau-monstre et d’un oryx borgne dans des contes d’Arada 3, et, dans des contes d’Abéché et d’Arada, du rollier d’Abyssinie, mentionné ici comme « l’oiseau vert », ce qui correspond à la traduction littérale de son nom arabe têr al khadar 4. Les Arabes ont donc également des contes mettant en scène des animaux sauvages, et l’on y retrouve certains motifs des contes teda-daza et beri. Notons cependant que, d’après le corpus recueilli par Jullien de Pommerol, les contes animaliers sont surtout racontés par des Arabes sédentaires (agriculteurs ou urbains du Sahel), plutôt que par les Arabes nomades 5 . Il convient d’être prudent en la matière : les contes passent sans doute facilement d’une population à l’autre, et certains motifs se retrouvent d’un bout à l’autre de l’Afrique – Jullien de Pommerol estime ainsi que les contes d’animaux qu’il a relevés chez les Arabes sont « très semblables à ceux que l’on rencontre dans la littérature de l’Afrique noire » 6 –, voire sur d’autres continents, à tel point qu’on peut les considérer comme universels. Mais le fait le plus frappant n’est pas tant que les animaux sauvages soient présents dans les contes teda-daza et beri, comme c’est le cas dans le monde entier, mais surtout que les animaux domestiques en soient absents, alors que nous nous trouvons chez
1. Ibid., 1977, contes n° 9 et 11 : 58 et 62. 2. Ibid., 1977, conte n° 30 : 129. Dans une variante (conte n° 3), cet animal est d’ailleurs remplacé par un simple « ogre ». 3. Ibid., 1977, conte n° 27 et 48 : 121 et 207. Un enfant est prisonnier d’un arbre appartenant à cet oryx. 4. Ibid., 1977, contes n° 4 et 26 : 48 et 118. Dans le conte n° 26, un garçon est avalé par le rollier. 5. Ibid., 1977 : 35. 6. Ibid., 1977 : 33.
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des éleveurs. L’animal domestique est bien davantage présent dans les contes arabes. Jullien de Pommerol relève ainsi chez les Arabes Mahariya des récits mettant en scène des chameaux. L’un est l’histoire d’une chamelle perdue, prétexte à chanter les louanges d’une « chamelle digne de celle du prophète » 1. Dans un autre, le personnage du chameau parle alors que les animaux sauvages présents (lion, chacal) restent muets 2. Nous n’avons pas retrouvé ces « contes de chameaux » chez les éleveurs de chameaux tedadaza et beri. En dehors des animaux d’élevage, le chien est aussi signalé par Jullien de Pommerol comme un des personnages importants des contes animaliers arabes 3. L’absence ou la présence du bétail dans les contes de populations d’éleveurs au mode de vie comparable semble bien être le symptôme d’une attitude générale par rapport au bétail. Pour les Teda-Daza et les Beri, le bétail n’est qu’un objet, un bien matériel. Cette idée se retrouve dans la terminologie arabe du bétail (le pluriel mâl désigne aussi bien les « bêtes du troupeau » que les « biens »), mais force est de constater que l’attitude des uns et des autres par rapport à ces « biens » est différente. Les liens qui peuvent unir un Teda, un Daza ou un Beri à un chameau ou une vache pourvu de qualités particulières ne semblent pas aussi prononcés que « l’identification » entre l’homme et le bétail, ou même « l’amour », que de nombreux auteurs ont signalé chez les Arabes ou les Somali, ou plus encore chez les Masai, les Nuer ou les Peuls.
1. Ibid., 1977, contes n° 21 : 85. Notons d’ailleurs qu’à la fin de cette histoire, les gens qui ont égorgé cette chamelle sont, en guise de punition, transformés en animaux sauvages, confirmation explicite de la primauté du chameau sur la faune sauvage dans le folklore des Arabes nomades ! 2. Ibid., 1977, conte n° 48 : 207. 3. Ibid., 1977 : 33 et 137 (conte n° 32).
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4. De la nature au surnaturel Outre les contes animaliers classiques, les animaux sont présents dans d’autres récits (« histoires d’hommes et de génies » et « mythes ») teda-daza et beri, où leurs actions surnaturelles – animaux qui parlent et se comportent comme des humains – ne sont pas liées à la volonté de représenter le monde humain, mais à un univers magico-religieux. Dans ces récits se côtoient des animaux, des humains et des êtres surnaturels, ces derniers pouvant être en partie animaux ou humains : animaux aux pouvoirs surnaturels – on en trouve dans les contes mais aussi dans de nombreux mythes claniques –, hommes se changeant en animaux, génies prenant des apparences humaines ou animales, oiseau-diable, serpent gigantesque, etc. Les espèces animales présentes dans ce type d’histoire ou servant de base à des personnages composites de ce type d’histoire sont, dans la culture teda-daza et beri, nimbées d’une certaine aura, d’un certain prestige – parfois elles sont aussi des « totems » claniques. En dehors de quelques cas particuliers – hyène, fennec – ces espèces qui apparaissent liées surtout au monde surnaturel se retrouvent rarement dans les contes animaliers classiques, et encore moins dans les chansons de chasse. Les mythes constituent un pan essentiel de la littérature orale, bien distinct de celui des contes animaliers. Si les contes animaliers appartiennent au domaine du merveilleux, avec des animaux qui parlent et se comportent comme les humains, les mythes appellent la croyance. Les mythes (on pourrait dire aussi les légendes) se rapportent à un passé lointain mais auquel on peut se rattacher par des généalogies. Leurs personnages sont souvent des ancêtres fondateurs, et les mythes sont, au moins en partie, des « vies » de héros ou de chefs. Des détails réalistes et des précisions biographiques viennent renforcer l’aspect véridique. Par exemple le
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mythe qui rapporte l’origine des Baga (un clan qu’on trouve aussi bien chez les Bideyat Bilia que chez les Zaghawa du Soudan) précise que leur « grand-père, Ahmat El-Qoreishi, il y a treize générations, est parti du Djebel Tarik en Libye et a traversé le désert. Il était près de mourir de soif quand une autruche s’est assise à côté de lui, l’a pris sur son dos avec sa femme et les a amenés au Wadi Bao où ils ont trouvé de l’eau. » 1 Dans les mythes, le réalisme voisine avec des interventions surnaturelles. Dans un mythe rapportant un combat entre deux clans bideyat, les Tamélé et les Nana, les membres des deux clans prennent l’apparence des animaux qui deviendront leurs totems respectifs : le cobra cracheur et le percnoptère d’Egypte 2. Par le surnaturel, ce mythe explique en fait une réalité plus prosaïque : la séparation de ces deux clans issus du grand clan des Nohida, les Tamélé s’étant mis sous la protection des Bilia alors que les Nana sont restés, avec les autres clans Nohida, dans l’ensemble Borogat. Un grand nombre de mythes se rapportent à un clan particulier dont ils expliquent l’origine. Une brève parenthèse est ici nécessaire pour mettre l’accent sur l’importance de la notion de clan chez les Teda-Daza et les Beri. Ces populations ont souvent été décrites comme rétives à toute autorité. De fait, les multiples chefs traditionnels n’ont qu’un pouvoir limité. Outre la dispersion entraînée par le nomadisme, cet aspect s’explique justement par la division de la société en de multiples clans, qu’on appelle yegetchi ou yele en dazaga, yele en tedaga, bye-a ou nefer 3 en beri-a. Chaque clan s’identifie par un ancêtre commun et un lieu d’origine connu, mais ses membres ne vivent généralement pas ensemble, si bien qu’un campement compte souvent autant de clans que de tentes
1. Entretien avec Abderahman Ahmat Ali, Zaghawa Baga, El-Fasher, Soudan, 2004. 2. Mythe n° 9 : « Histoire de Tamélé et Nana ». 3. Ce dernier terme est emprunté à l’arabe.
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en feuilles de palmiers. Néanmoins, outre leur origine, les membres d’un clan se reconnaissent à des signes identitaires : d’une part, des marques de chameaux, d’autre part, un ou plusieurs « totems » ou « interdits » 1. Il s’agit souvent d’un animal sauvage, que les membres d’un clan s’interdisent de tuer, dont ils ne consomment pas la viande et auquel ils manifestent du respect de diverses manières. Au-delà de la fondation des clans, les mythes renvoyant à leurs ancêtres expliquent en particulier le lien du clan avec son totem. La plupart de ces récits relatent comment l’animal a protégé l’ancêtre. Souvent, c’est l’ancêtre enfant, abandonné, qui a été protégé : « Les Tebya ne mangent pas la gazelle dorcas. Notre grand-père avait deux enfants en bas âge, leur mère était morte. Il les avait laissés seuls et était parti en brousse. Lorsqu’il revint, il vit une gazelle dorcas en train d’allaiter ses enfants. » 2 Parfois, c’est l’ancêtre adulte qui est protégé, souvent d’une attaque. Ce type de récit se déroule dans le contexte, parfois daté plus ou moins précisément, d’avant la colonisation, où les Teda-Daza et les Beri étaient fréquemment victimes (mais aussi auteurs) de razzia. Il arrive que le mythe explicatif d’un totem ne renvoie pas à l’ancêtre du clan, mais à des personnages et événements postérieurs. Le mythe d’un sultan montant une antilope damalisque, courant dans l’Est tchadien et le Darfour soudanais (Dadjo 3, Mimi), est le mythe d’origine des Arabes zaghawa, un groupe d’origine beri qui vit dans le Sahel tchadien, dans une région habitée par des Arabes nomades, avec le même mode de
1. Appelés gwotek (Tchad), kwode (Tchad) ou wadda (Niger) en dazaga, yugode ou yugote en tedaga, toguRi (Tchad) ou tigiRi (Soudan) en beri-a, et parfois kwode en bideyat. 2. Entretien avec Mallom Chidi Wedeymi, représentant Tebya, Fada, Tchad, 2003. 3. Entretien avec le shartay Abderahman Adam Abbo, chef des Dadjo du Darfour, Nyala, Darfour Sud, Soudan, 2004. Voir Tubiana, Marie-José, 1989 et 1999.
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vie que ceux-ci. Le mythe raconte qu’un sultan zaghawa cruel décida un jour, ou avait l’habitude (il existe plusieurs versions), de monter une antilope damalisque au milieu du cercle de ses sujets. Pour se débarrasser du tyran, quelques-uns rompirent le cercle, et l’antilope s’échappa vers le Sud. Dans l’une des versions, le sultan « se cogna aux arbres, aux épines, et finit par mourir. On retrouva des morceaux de son corps, du sang. À chaque endroit où l’on trouva une trace du sultan, on fit un signe sur le sol, et l’on bâtit ensuite un village sur ce signe. » 1 Dans une autre, le sultan épousa une femme arabe et fonda le groupe des Arabes zaghawa. Dans les deux cas, ce mythe explique la migration d’une partie d’une population beri loin de sa terre d’origine, la fondation d’un nouveau groupe, celui des Arabes zaghawa, et l’adoption par ce groupe de l’antilope damalisque comme totem, en remerciement du bienfait qu’a constitué le déplacement. Il explique aussi que leur clan d’origine ait l’antilope damalisque pour interdit, ceci pour remercier l’animal d’un tout autre bienfait : les avoir débarrassés d’un tyran 2. Dans ces mythes, l’animal totem semble appartenir moins à la nature qu’à un monde surnaturel qui renvoie aux religions préislamiques. Les animaux y ont souvent des pouvoirs et des comportements surnaturels, et lorsque ce n’est pas le cas, ce sont leurs comportements naturels qui peuvent apparaître comme les instruments d’une volonté divine. En outre, certains animaux semblent eux-mêmes d’essence surnaturelle. Certaines espèces semblent particulièrement liées au monde surnaturel. C’est le cas du fennec, qui est considéré comme un « génie » par certains
1. C’est aussi la version dadjo. Entretien avec le shartay Abderahman Adam Abbo, chef des Dadjo du Darfour, Nyala, Darfour Sud, Soudan, 2004. 2. Voir mythe n° 10. Tubiana, Marie-José et Joseph, 1962 : 163-165 et 199 ; Tubiana, Marie-José, 1989 et 1999.
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Teda-Daza – et pour cette raison est craint et respecté. Pour certains, les fennecs sont eux-mêmes des génies (djinn – terme emprunté à l’arabe), d’autres croyant plutôt que des diables vivent dans leurs terriers. Aujourd’hui encore, certains, « lorsqu’ils voient un terrier de renard, le contournent, même en voiture », explique Ousman Omar, dit « Soja », un marabout azza de l’Ayer. C’est pourquoi aussi « on tue les renards lorsqu’ils sont en dehors de leurs terriers, pas à l’intérieur ». Enfin, on dit que « si un fennec tombe dans un puits, tous les animaux qui en boivent l’eau meurent ». Ces croyances apparaissent dans un conte azza 1. Le personnage du serpent, fréquent dans la littérature orale, constitue un cas particulier. Il s’agit moins d’un animal que d’un monstre, doté de plusieurs têtes ou d’une longueur extraordinaire. Si le serpent est parfois présent dans des contes purement animaliers, il l’est surtout dans des mythes mettant en scène le monstre face à des personnages humains. Ainsi le conte beri 2 illustrant le motif universel de la « fille difficile » : une fille repoussant tous ses prétendants finit par épouser un serpent à sept têtes qui s’est changé en homme. Le monstre, punition de la « fille difficile », est ici l’instrument de la fonction morale et sociale du conte. Ce récit se retrouve dans de nombreuses populations, voisines – notamment les Arabes d’Abéché 3 – ou plus lointaines, avec en particulier le serpent ou d’autres animaux plus ou moins monstrueux. Dans une variante beri, la fille épouse simplement un chacal, sans caractère monstrueux, mais le mariage n’en est pas moins contre-nature et monstrueux.
1. Conte n° 50 : « L’homme qui avait porté les commissions d’un diable ». 2. Tubiana, Marie-José et Joseph, 1962 : 35-39 (« La jeune fille et le serpent ») ; GörögKarady et Seydou, 2001. 3. Jullien de Pommerol, 1977, contes n° 9 et 11 : 58 et 62.
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Un autre récit beri 1 évoque un serpent monstrueux qui aurait vécu jadis sur une petite montagne isolée baptisée Déni Bé, la « maison du serpent ». Ce serpent était si long qu’il buvait dans le puits d’Am Djeres, à vingt kilomètres de là, sans quitter sa montagne. Dans ce récit, la mention de lieux précis et réels est particulièrement importante. La montagne existe réellement, et on peut y voir une niche remplie de sable jaune, qu’on appelle le « trou du Serpent ». Les gens de la région croient que cette histoire s’est réellement passée, et certains lui donnent une date relativement récente, il y a une trentaine ou une cinquantaine d’années seulement. Certains racontent aussi que tout autour de la montagne du Serpent, le sol est jonché de squelettes, restes des massacres commis jadis par le monstre, mais il n’y en a pas un seul. Déni Bé est une montagne sacrée pour un clan bilia, et les membres de ce clan n’ont pas le droit d’y monter. Cependant des Beri d’autres clans, et même des Dazagada, connaissent cette légende et y croient. Cette croyance fait qu’un récit de ce type se distingue des contes animaliers, et même d’un récit comme celui de la fille difficile, et se rapproche plutôt des mythes d’origine des clans. Il n’y a ici aucune fonction morale : l’essentiel est la croyance de l’auditeur dans la vérité des faits relatés. Ce n’est pas un conte mais bien un « mythe », qui ne relève pas du merveilleux mais d’un surnaturel qui touche au religieux. D’autres mythes mettent en scène d’autres animaux monstrueux ou animaux-génies, ainsi un « oiseau-diable » 2 ou un oiseau gigantesque 3 capable d’emporter un homme dans ses griffes. Certains personnages des contes animaliers sont, plus ou moins explicitement, des génies, telle la gazelle « cyclope » –
1. Voir mythe n° 2 : « Déni Bé », et Fuchs, 1961 : 225-226. 2. Conte n° 54 : « La belle fille et l’oiseau-diable ». 3. Tubiana, Marie-José et Joseph, 1962 : 125-127 (« Les sottises de Mougounousse »).
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caractère propre aux génies – d’un conte beri 1. Le fait que les animaux des contes se comportent comme des humains ne suffit pas à en faire systématiquement des êtres surnaturels, dans la mesure où il s’agit d’avantage d’une norme du genre que d’un fait extraordinaire. Cependant on trouve aussi dans les contes (surtout dans ceux baptisés « histoires d’hommes et de génies ») – comme dans les mythes claniques – des animaux qui, sans être explicitement des génies, ont des pouvoirs surnaturels. C’est le cas du vautour et du corbeau qui mettent leurs pouvoirs au service du héros dans « Le vautour et l’homme pauvre » 2, un récit azza qui se trouve à mi-chemin du conte animalier et du mythe. C’est le cas aussi de la hyène tachetée dont les empreintes sont pleines d’or, dans un récit 3 d’un genre comparable au précédent. Enfin la littérature orale met parfois en scène des personnages humains se changeant en animaux 4. Le fait même de pouvoir se transformer, et de prendre une apparence animale ou une apparence humaine, est implicitement perçu comme une caractéristique des génies. Dans un conte daza 5 qui est une variante du mythe de la fille difficile – bien que la fille n’y soit pas présentée comme difficile –, un djinn prend ainsi l’apparence d’un humain pour épouser la fille, puis, l’apparence d’une hyène pour rattraper la fille qui s’enfuit. Le conte précise que lorsque le diable a son apparence humaine, il utilise des animaux sauvages comme vêtements ou accessoires pour se déguiser : « Son turban était un serpent et ses chaussures deux
1. Tubiana, Marie-José et Joseph, 1962 : 187-189. Ce motif se retrouve dans un conte relevé chez les Arabes Mahariya, dont l’un des personnages est un oryx borgne. Voir Jullien de Pommerol, 1977, conte n° 27 : 121. 2. Conte n° 48. 3. Conte n° 49 : « Histoire d’un homme pauvre ». 4. Conte n° 10 : « Histoire de Tamélé et Nana ». 5. Conte n° 51 : « La fille qui épousa un diable ».
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varans du désert, un lézard 1 lui servait de cravache et deux autres lézards 2 de lunettes. » En outre, il transforme des arbres d’une part en être humains qui constitueront son escorte, d’autre part en animaux domestiques qui constitueront la dot de la fille : « le diable partit en brousse, il transforma les savonniers 3 et les Acacia raddiana 4 en chameaux, et les autres acacias en hommes pour l’accompagner. » Puis à la fin du conte, il transforme les arbres en animaux sauvages, en l’occurrence en hyènes, l’animal dont il prend lui-même l’apparence. On voit précisément dans ce conte que les génies sont associés au monde de la nature sauvage, aux animaux sauvages mais aussi aux arbres de la brousse. Ils ne se transforment en humains ou en animaux domestiques que pour investir le monde humain, celui du village, mais leur vraie nature est la brousse. Ainsi, quand ils ne sont pas des génies eux-mêmes, les animaux sauvages sont du moins liés à des génies. Un récit teda et bideyat 5 raconte comment « un chasseur qui avait tué un couple de mouflons s’aperçut que la femelle avait sur ses mamelles un ongorde, un accessoire qui sert normalement à empêcher les chamelons de venir téter leurs mères. Le soir, il mangea la viande. Et la nuit, il entendit une voix qui disait : qui a tué Ongorde ? Le matin, le chasseur était mort. » Ce récit justifie les croyances qu’il n’est pas bon de tuer les mouflons femelles, et qu’il n’est pas bon de « tuer plus d’un mouflon à la fois » 6. Les mouflons n’apparaissent pas ici comme des génies, mais comme des animaux domestiques appartenant à des génies. 1. Dazaga tchohõ. 2. Dazaga galagala. 3. Balanites ægyptiaca. Dazaga hollohu. 4. Dazaga tefi ou tehi. 5. Conte n° 56 : « Qui a tué Ongorde ? » 6. Entretiens avec Omar Souleyman, Teda, Gouro, et Yahya Moussa Tourgoudi, dit « Heredji », Borogat, Archi, Tchad, 2003.
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De même, un conte beri 1 présente explicitement les gazelles comme les chèvres des génies. Il y a là l’idée que les animaux sauvages sont les animaux domestiques du monde surnaturel. Cette croyance se retrouve dans le mythe d’Ohay 2, où lors de la mort du héros, « ses chameaux se transforment en autruches, ses vaches en mouflons, ses chèvres en gazelles dorcas, ses moutons en gazelles dama, et ses ânes en grands koudous. » Le héros rejoignant par sa mort le monde surnaturel, et devenant une divinité-ancêtre, ses animaux domestiques se transforment en animaux sauvages. On retrouve aussi cette croyance dans le conte daza cité plus haut 3, dans lequel un djinn transforme les arbres de la brousse en chameaux (et en êtres humains) puis en animaux sauvages (en hyènes). Dans ce récit, ce ne sont plus seulement les animaux sauvages mais aussi les arbres de la brousse qui apparaissent comme les animaux domestiques du monde surnaturel, en l’occurrence d’un diable ou génie qui maîtrise aussi bien la faune que la flore. Une version arabe de ce même conte reprend plus simplement et plus clairement le motif des animaux sauvages « bétail » du monde surnaturel, puisque le personnage du djinn y utilise, au lieu de chameaux, des animaux sauvages (le lièvre, le chacal, les hyènes rayée et tachetée, le rhinocéros et l’éléphant), ainsi que le chien 4. Il n’est pas possible de dire si ce récit a été emprunté par les Arabes Mahariya d’Arada aux Daza ou à d’autres populations non-arabes voisines. Cela éclaire la transgression qui se produit, comme on l’a vu dans certains contes ou mythes, lorsque des humains traitent les animaux sauvages comme des animaux domestiques, en montant 1. Tubiana, Marie-José et Joseph, 1962 : 86-87 (« Tédi-Kidi »). 2. Mythe n° 3 : « Histoire d’Ohay ». 3. Conte n° 51. 4. Jullien de Pommerol, 1977, conte n° 50 : 219.
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une antilope au lieu d’un cheval, par exemple : non seulement les humains modifient alors l’ordre du monde, mais leur crime est aussi assimilable, de manière plus pragmatique, au vol des bêtes des génies. En fait, c’est la nature sauvage tout entière qui, dans son opposition à la nature domestique – distinction fondamentale dans la culture des éleveurs Teda-Daza et Beri –, est vue comme surnaturelle. Cette représentation est à rapprocher des religions préislamiques. L’islam, associé à une culture écrite, est quasiment absent de la littérature orale. Cinq contes mentionnent la religion de Mahomet à travers le personnage du marabout. Dans trois de ces contes, il s’agit non d’un marabout véritable mais du personnage du chacal qui se fait passer pour un marabout 1. On peut y voir le motif, fréquent dans les contes animaliers, de l’impossibilité pour les animaux de parvenir au rang d’hommes, mais aussi une forme de dérision envers la fonction du marabout. Dans les deux autres contes, qui ne sont pas des contes animaliers mais des histoires humaines, le marabout est tantôt le vainqueur d’un diable 2, tantôt un homme sage 3 : ces deux contes sont, mais ce sont les seuls que j’ai rencontrés, du côté de l’islam. Une question qui vient immédiatement à l’esprit s’agissant d’une littérature orale est celle de sa conservation, c’est-à-dire de sa transmission aux nouvelles générations. La réponse n’est pas simple, mais une partie de cette culture est probablement condamnée à tomber peu à peu dans l’oubli. L’influence croissante de l’islam y est évidemment pour quelque chose, en particulier pour tous les mythes claniques.
1. Voir contes n° 2 et 11, et Tubiana, Marie-José et Joseph, 1962 : 58-59. 2. Conte n° 55. 3. Conte n° 57.
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Les mythes expliquant l’origine d’un clan par des éléments surnaturels cohabitent déjà, et parfois se mélangent, avec des versions ou variantes plus religieusement correctes : on y met moins en avant des interventions d’êtres surnaturels, mais plutôt des origines arabes mythiques – comme dans le récit cité plus haut nommant comme ancêtre du clan Baga un certain Ahmat El-Qoreishi, ce qui sous-entend une appartenance aux Qoreish, la tribu du Prophète. À terme, ces versions prendront sans doute la place du mythe originel. Quant aux totems ou interdits claniques, ils sont remis en cause en permanence comme une superstition préislamique, et donc archaïque, par les tenants de l’islam orthodoxe. « L’islam nous interdit de pratiquer nos traditions », constate un vieux Bideyat 1 à ce propos. Une autre cause de disparition des mythes et des contes vient de la foi en la modernité que véhiculent les « élites » teda-daza et beri passées par l’école. Pour ces élites – intellectuels, hommes politiques tantôt au pouvoir tantôt en rébellion –, la préservation de la culture n’est pas vraiment une cause à défendre. Le fait que depuis près de trente ans, les trois derniers présidents tchadiens ont été teda-daza puis beri a engendré de violents changements culturels dans les lieux les plus reculés du Sahara. Ces bouleversements ne sont pas toujours visibles, mais il est évident que des croyances traditionnelles sont remises en cause ou perdent une partie de leur signification. Une troisième cause d’érosion de la culture, à laquelle la modernité n’est pas étrangère non plus, est la disparition de certains des principaux personnages de la littérature orale : les animaux sauvages, victimes de la chasse et de l’aridification. Les noms de certaines espèces s’oublient, les contes aussi sans 1. Entretien avec El-Hadj Tuka Itno, représentant du chef de canton Borogat, Fada, Tchad, 2003.
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doute. L’occasion de respecter certains totems ne se présente même plus. « Nous n’avons vu de girafes que dans les livres », constate ainsi un jeune Beri du clan Nekele 1, dont le totem est en principe la girafe. L’un des paradoxes de cette disparition est que le système clanique fonctionne tout autant que par le passé, notamment dans le jeu des luttes de pouvoir au Tchad. Mais on dirait qu’alors que la faune s’est appauvrie et qu’une grande partie des Teda-Daza et des Beri vivent loin de la nature, en ville, les clans se passent de ce monde animal où ils trouvaient leurs emblèmes, leurs marques. Avec la nature, c’est aussi le surnaturel qui disparaît. Et dans un même mouvement c’est une culture unique qui s’efface. Certains pans de cette culture semblent pourtant se maintenir. D’une certaine manière, les Teda-Daza et les Beri sont en train de redessiner une culture hybride, ne gardant de leurs traditions que ce dont ils ont une utilité immédiate : les langues – utiles car incomprises des autres groupes –, les clans – encore à la base de toutes les alliances politiques –, les marques de chameaux et audelà l’élevage dans son ensemble. Ce dernier ne semble pas en voie de disparition : l’argent gagné en ville est bien souvent investi dans des chameaux, seul placement de confiance, et les troupeaux n’ont jamais été aussi importants. Nombre de Teda-Daza et de Beri continuent ainsi de vivre auprès des troupeaux, résistent aux sirènes de la modernité et du pouvoir et ne renonceraient pour rien au monde à leur liberté de nomades. Comme le dit une chanson de fille azza 2 : « mon frère est riche, mais il ne se lasse pas de prendre soin du troupeau. »
1. Entretien avec Musa Mokhtar, Anka, Darfour, Soudan. 2. Chanson n° 1 : « Chanson de fille ».
La girafe, ici représentée sur des peintures rupestres du néolithique à Archi, dans le massif de l’Ennedi, était encore présente au sud-est du massif au début du XXe siècle.
CONTES
I. CONTES ANIMALIERS
AVENTURES DU LION ET DU CHACAL Contes teda, azza et beri
1. Le lion et le chacal (1) Raconté par Ahmat Kolomi, Teda, chef du puits de Dougouli, Niger 1 Le chacal et le lion avaient décidé de faire équipe pour chasser. Le lion se coucha sous un arbre et dit au chacal : — Fais le guet, et préviens-moi quand tu verras des animaux passer ! Bientôt, le chacal aperçut des chèvres. — Lion, voici des chèvres qui passent ! — Laisse-les donc passer, répondit le lion. Un peu plus tard, le chacal aperçut des moutons. — Lion, voici des moutons qui passent ! — Laisse-les donc passer. Peu après, le chacal aperçut des chameaux. — Lion, voici des chameaux qui passent !
1. Une variante de ce conte, dans laquelle c’est le lion lui-même, et non le fennec, qui fait le guet pour le chacal, m’a été racontée par Omar Souleyman, Teda, Gouro, Tchad. Une autre, avec le hérisson dans le rôle du fennec, a été relevée par Marie-José et Joseph Tubiana, 1962 : 50-52.
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CONTES TOUBOU DU SAHARA
— Bon, dit le lion. Je vais aller les tuer. Regarde bien vers là où je vais. Quand tu verras beaucoup de poussière, tu prendras nos affaires et tu me rejoindras là-bas. Un peu plus tard, le chacal vit un grand nuage de poussière au loin. Il prit les affaires du lion et les siennes et se dirigea vers le nuage. Arrivé là-bas, il constata que le lion avait tué les chameaux. Les deux compagnons eurent ainsi de quoi manger pour longtemps. Quand la viande des chameaux fut terminée, chacun partit de son côté. Bientôt, le chacal rencontra le fennec. Je vais faire comme le lion, se dit-il. Et il proposa au fennec de faire équipe pour la chasse. Il se coucha sous un arbre et dit au fennec. Fais le guet, et préviens-moi quand tu verras des animaux passer. Le fennec aperçut des chèvres. — Chacal, voici des chèvres qui passent ! — Laisse-les donc passer, répondit le chacal. Peu après, le fennec aperçut des moutons. — Chacal, voici des moutons qui passent ! Laisse-les donc passer. Un peu plus tard, le fennec aperçut des chameaux. — Chacal, voici des chameaux qui passent ! — Bon, dit le chacal. Je vais aller les tuer. Regarde bien vers là où je vais. Quand tu verras beaucoup de poussière, tu prendras nos affaires et tu me rejoindras là-bas. Peu après, le fennec vit un grand nuage de poussière au loin. Il prit les affaires du chacal et les siennes et se dirigea vers le nuage. Arrivé là-bas, il constata que les chameaux avaient piétiné le chacal, laissant celui-ci presque mort. Le chacal dit au fennec : — Tu te souviens des chèvres que tu as vues tout à l’heure, pars donc les chercher et amène-les moi ici.
AVENTURES DU LION ET DU CHACAL
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Le fennec se mit en route. A grand peine, il parvint à couper une oreille à un petit chevreau, et la rapporta au chacal. — Qu’est-ce que c’est que ça ? dit le chacal en jetant l’oreille par terre.
2. Le lion et le chacal (2) Raconté par Togoy Allanga, représentant Bilia, Fada, Tchad 1 Le chacal se rendit chez le lion. Ce dernier s’apprêtait à partir en voyage. — Moi, lui dit le chacal, je suis curieux, je furète sans cesse à gauche, à droite, mes yeux sont clairs, je vois loin, je suis rapide et fort. Il faut que nous voyagions ensemble. Le lion accepta et tous deux se mirent en route. Il faisait très chaud. Ils virent un lieu qui se trouvait à l’ombre d’un rocher, ils se concertèrent et décidèrent de s’y reposer. Ils s’étendirent, mais soudain le chacal se leva et attrapa le rocher. — Lève-toi vite, lion, ce rocher est en train de nous tomber dessus ! Aide-moi ! cria le chacal. Je vais aller chercher un tronc pour le soutenir, sans quoi il va nous tomber dessus. Le lion se mit à soutenir le rocher. Cependant, le chacal prit la fuite. Au bout d’un certain temps, le lion, fatigué, s’effondra sur le sol, et le rocher ne lui tomba pas dessus.
1. Une variante de l’épisode du rocher a été relevée par Marie-José et Joseph Tubiana, 1962 : 58-62.
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— Kay ! s’écria le lion. Regarde-moi ça, ce salaud m’a trompé ! Il suivit la trace du chacal et l’attrapa. Il s’apprêtait à le dévorer quand le chacal dit : — Attends ! Moi, je suis trop petit pour toi, je ne suis rien devant toi. Je vais te donner une idée : je vais grossir et quand je serais bien gras tu me mangeras. — Donne-moi ta parole ! répondit le lion. — Mets-moi dans ce panier en vannerie et prie Dieu qu’il me fasse grossir comme un chameau, comme un bœuf, et alors je grossirai. Tu traîneras le panier derrière toi jusqu’à ce que je sois suffisamment gros, et alors tu me mangeras. Le lion mit le chacal dans le panier, attacha le panier à son cou avec une corde, et se mit à courir, traînant le panier derrière lui, et chantant : — Que Dieu te fasse grossir comme un chameau, comme un bœuf, que je te mange ! Cependant, il y avait de gros trous au fond du panier. Le chacal sortit par l’un de ces trous et prit la fuite, tandis que le lion continuait de traîner le panier. — Que Dieu te fasse grossir comme un chameau, comme un bœuf, que je te mange ! Fatigué de nouveau, le lion s’arrêta pour manger. Regardant derrière lui, il trouva le panier vide. Une fois de plus, le lion partit donc à la recherche du chacal. Cependant dans sa fuite, le chacal rencontra un autre chacal. — Quand tu croiseras le lion qui me cherche, dit le chacal, dis-lui que je suis marabout ! L’autre chacal croisa le lion et il eut une autre idée. — Tu es en train de chercher un chacal, lui dit-il. Moi, je suis marabout. Ne te fatigue pas, je vais t’amener ce chacal.
AVENTURES DU LION ET DU CHACAL
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Il prit une tablette coranique 1 et commença à écrire dessus. — Ne crains rien, dit-il, je vais t’amener ce chacal. Si tu veux vraiment attraper le chacal qui t’a trompé, lève-toi, étends ton corps le long de ce tronc d’arbre et étire tes bras vers le haut. Le lion se leva et étendit son corps le long du tronc. Le chacal prit une corde dure et longue et attacha le lion à l’arbre en disant : — Attends, ne t’inquiète pas, l’autre chacal est en train d’arriver. Il commença par ligoter les pieds, et ainsi de suite il arriva au cou puis aux bras. Tout le corps du lion était attaché, et, de loin, on ne voyait qu’un gros tronc d’arbre. Le lion ne pouvait même pas bouger la queue. Alors le chacal prit un fouet et commença à frapper le lion. — Toi, tu es bien fou de chercher mon frère pour lui faire du mal ! lui cria-t-il. — Et quand je me serais détaché, où iras-tu ? rugit le lion. — Tu es dans ma main ! répondit le chacal. Et il continua de fouetter le lion pendant trois jours. Le troisième jour, il partit, laissant le lion fatigué et affamé. Toutefois, avant que le fauve ne meure, Dieu lui donna sa chance : des termites mangèrent la corde et le libérèrent. Mais le lion n’avait même plus la force de marcher et de chercher le chacal. Il abandonna donc les traces de son ennemi et alla chercher à manger, reprenant ses habitudes.
1. Tablette de bois sur laquelle on écrit des versets du Coran.
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CONTES TOUBOU DU SAHARA
3. Le lion et le chacal (3) Raconté par Togoy Allanga, représentant Bilia, Fada, Tchad 1 Un jour, le chacal vit un forgeron en train de travailler. — Fabrique-moi des armes de guerre ! lui demanda-t-il. — Non, lui répondit le forgeron. Moi, je connais un homme fort, il est capable de tuer n’importe qui. Je suis en train de fabriquer des armes pour lui, pas pour toi. Quand j’aurais terminé les armes de cet homme, j’en ferai pour toi. — Qui est cet homme plus fort que toi et moi ? D’où vient-il ? — Celui qui est plus fort que moi, plus fort que toi, c’est le lion ! — Le lion, plus fort que moi et toi, dis-tu ? Ecoute-moi, je vais monter sur le dos du lion, lui mettre un mors et le fouetter jusqu’à ce qu’il vienne devant toi. Tu verras s’il est plus fort que moi ! — Non, répondit en riant le forgeron. Toi, tu es un menteur. Tu ne peux pas mettre le mors au lion, le monter et l’amener ici. Le lion est fort et toi qui es-tu ? Tu n’es rien. — Tu vas voir si je l’amène devant toi ou non ! Toi tu dis que je ne peux pas, et moi je dis que je peux. Le chacal partit à la recherche du lion. En cours de route, il vit une plante qu’on appelle tutu 2. Il en cueillit trois fruits rouges, bien mûrs. Il en mit un dans son anus, et les deux autres sur ses yeux. Ainsi il ne voyait plus rien, et son anus était rouge écarlate. Il se rendit chez le lion. — Lion, lui dit-il, je suis très malade ! Patron, regardez-moi ! Il faut que vous m’ameniez chez le guérisseur.
1. Une variante de l’épisode du pigeon a été relevée par Marie-José et Joseph Tubiana, 1962 : 58-62. 2. Terme dazaga et beri-a (var. tudu) : Coccinia grandis, sorte de liane.
AVENTURES DU LION ET DU CHACAL
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— Vraiment, répondit le lion, je le vois, tu es malade. Moi, j’ai pitié de toi, je vais t’amener chez le guérisseur. — Patron, poursuivit le chacal, votre dos est glissant, il faut que je mette quelque chose dessus pour me soutenir. Le lion accepta. Le chacal coupa deux grosses branches d’Acacia senegal 1, les attacha avec une corde et les posa sur le dos du lion. Quand le lion tournait la tête d’un côté, une branche le blessait. Quand il tournait la tête de l’autre côté, l’autre branche le blessait. Il ne pouvait même pas mordre le chacal. Lorsqu’il était chez le forgeron, le chacal avait pris un fer à marquer les chameaux, encore rouge. Il monta sur le lion, et lui toucha le dos avec le fer. — Qu’est ce que tu fais ? rugit le lion. — Je suis malade, répondit le chacal, j’étais en train de m’endormir. Et il toucha le lion avec le fer une fois de plus. — Mais qu’est ce que tu fais ? répéta le lion. Il voulut saisir la patte du chacal et tourna la tête. Mais il était bloqué par la branche d’acacia. Il essaya de l’autre côté, mais l’autre branche le bloquait. Il essaya une deuxième fois, puis une troisième, mais les branches étaient toujours là. Il ne pouvait rien faire d’autre qu’avancer, et il partit tout droit chez le forgeron. Le chacal appela ce dernier : — Eh ! regarde-moi ! Tu m’as dit que je ne pourrais pas monter sur celui-là et l’amener chez toi ? Regarde-moi, maintenant. Je suis monté sur son dos, il est devenu mon cheval, regarde !
1. Dazaga tuhi, beri-a tue, arabe kitir.
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Et en touchant le lion avec le fer rouge, le chacal l’amena jusqu’à la maison du forgeron. A côté de celle-ci, il y avait un trou creusé par un oryctérope 1. Le chacal sauta dans le trou. Le lion ne pouvait poursuivre le chacal dans le trou. Il appela le pigeon et lui demanda de monter la garde. — Bien, dit le pigeon, je vais monter la garde. — Ne bouge pas, dit le lion, je vais apporter du bois pour enfumer ce chacal. Au bout d’un certain temps, le pigeon regarda dans le trou. Alors le chacal prit du sable et le lui jeta dans les yeux. Tandis que le pigeon n’y voyait plus, le chacal prit la fuite. Quand le pigeon se fut nettoyé les yeux, il regarda de nouveau dans le trou, mais le chacal n’y était plus. Le pigeon ne savait pas quoi faire. Si le lion, lorsqu’il reviendrait, s’apercevait que le chacal s’était enfui, il mangerait certainement l’oiseau ! Le pigeon partit ramasser beaucoup de coloquintes 2, les mit dans le trou jusqu’à ras bord, et reprit sa garde comme si de rien n’était. Le lion revint avec du bois et alluma un feu devant le trou. Soudain, une coloquinte explosa. — C’est très bien, rugit le lion, c’est un rein du chacal qui explose ! Une seconde coloquinte explosa. — C’est bon, c’est le deuxième rein qui explose. Encore une explosion. — C’est bon, le gros intestin a explosé ! Quand le feu fut éteint et le brasier refroidi, le lion voulut manger la viande bien cuite du chacal. Il essaya d’entrer dans le trou. Le pigeon en profita pour prendre la fuite et le lion, doublement trompé, resta seul. 1. Gros mammifère nocturne pourvu d’une trompe. 2. Fruit sphérique semblable à un petit melon. Dazaga olu, beri-a oru.
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4. Le lion et le chacal (4) Raconté par Issa Idrissa, 13 ans, Azza, Tasker, Niger 1 Un chacal et un lion vivaient ensemble. Le chacal avait emprunté de l’argent au lion, qui ne cessait de le lui réclamer. A chaque fois, le chacal disait : — Je n’ai pas d’argent, il faut me laisser le temps d’en chercher. Un jour, quand le lion revint à la maison, le chacal fit semblant d’être tombé malade. — Même si tu es malade, dit le lion, je ne repartirai pas sans mon argent. — J’ai de l’argent dans un village voisin, répondit le chacal, mais je ne peux y aller, je suis malade. — Je peux te prendre sur mon dos pour que nous allions chercher cet argent. — Je veux bien monter sur ton dos, mais il est très dur. Il faut mettre une selle. Le lion mit une selle sur son dos, mais sans attacher la sousventrière. — Je vais tomber, dit le chacal, attache bien la sous-ventrière. Et puis, il faut un mors, sinon ça n’ira pas. Le chacal choisit un mors particulièrement tranchant, le mit sur le museau du lion, et monta sur son dos. Il tira sur le mors, fit souffrir le lion, et le conduisit dans un village très lointain. En descendant du dos du lion, le chacal dit aux enfants du village :
1. Une variante de la fin de ce conte a été relevée par Marie-José et Joseph Tubiana, 1962 : 50-52.
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CONTES TOUBOU DU SAHARA
— Conduisez mon cheval au puits pour l’abreuver ! Au puits, l’un des enfants, imprudent, enleva le mors au lion, et celui-ci s’enfuit, courant vers le chacal. Entre-temps, ce dernier s’était procuré plusieurs chèvres. — Tu m’as fait souffrir, lui dit le lion, je vais t’écraser ! — Soit, répondit le chacal, mais laisse-moi d’abord te servir à manger. Affamé, le lion accepta. — Ouvre grand la gueule et ferme les yeux, lui dit le chacal. Et le chacal de jeter des morceaux de viande de chèvre dans la gueule du lion. Ce dernier était content et mangeait bien. — A présent, lui dit le chacal, je vais te jeter un bon morceau bien gras ! Ferme les yeux et patiente, ça va prendre un peu de temps. Le chacal mit une pierre dans le feu jusqu’à ce qu’elle devienne complètement rouge, la prit à l’aide d’une pince de fer et la jeta dans la gueule du lion. Et, tandis que ce dernier hurlait de douleur, le chacal prit la fuite.
5. Le lion et le chacal (5) Raconté par Mallou Lamine, Azza, Tasker, Niger 1 Un jour le lion et le chacal se disputèrent violemment. Le lion dit au chacal :
1. Une variante de ce conte avec l’écureuil fouisseur dans le rôle du chacal, et l’éléphant dans celui du lion, m’a été racontée par Mallom Issa Adam, Azza de Tasker, Niger. Voir aussi « Le lièvre et l’éléphant ».
AVENTURES DU LION ET DU CHACAL
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— Le jour où je te trouverai en train de dévorer la chèvre d’un Daza sous un arkenu 1, je te tuerai ! — Le jour où je te trouverai en train de dévorer la vache d’un Daza, répliqua le chacal, moi, je te tuerai ! Un jour, le chacal tua la chèvre d’un Daza sous un arkenu, et le lion tua la vache d’un Daza. Après avoir tué la vache, le lion était fatigué. Le chacal ramassa de vieux ustensiles qui traînaient autour d’un campement abandonné, et partit à la recherche du lion. Il attacha les ustensiles à la queue du lion, puis il le réveilla et lui dit : — Prends garde ! Voilà tes ennemis qui arrivent ! Dès que le lion se leva, les ustensiles se mirent à faire du bruit, et le lion s’enfuit, se croyant poursuivi. Lorsqu’il eut beaucoup couru, les vieux ustensiles se détachèrent, et le lion, épuisé, s’arrêta. Puis il partit à la recherche du chacal. Il le trouva au puits, où il buvait l’eau sale 2 qui se trouve à côté du puits. — Je vais te jeter dans le puits ou bien dans l’ofur, la poussière où viennent dormir les chameaux, à côté du puits, dit le lion. Et il demanda au chacal de choisir ce qu’il préférait. — Je préfère le puits, dit le chacal, parce qu’une fois jeté làdedans, je pourrai boire de l’eau pure. Aussitôt, le lion le jeta dans la poussière. Quand le lion commença à s’éloigner du puits, le chacal sortit de la poussière en criant : — Me voici, je suis vivant !
1. Arbre : Maerua crassifolia. 2. Dazaga tolo.
Togoy Allanga, Bideyat Bilia, transportant des sacs de céréales, Fada, Tchad.
LE CHACAL ET LA HYÈNE
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LE CHACAL ET LA HYÈNE Contes azza et beri 6. Le chacal et la hyène (1) Raconté par Togoy Allanga, représentant Bilia, Fada, Tchad 1 Autrefois, il y avait le chef des animaux, le lion, le chacal – il est petit, mais c’est le plus malin –, et la hyène rayée. Un jour, le chacal et la hyène partirent ensemble en voyage. Ils tuèrent un mouton puis le mangèrent. — Oncle, dit le chacal à la hyène, allons donc au puits prendre de l’eau. Ils trouvèrent un puits que des gens avaient creusé. Il y avait de l’eau dedans. — Buvons de cette eau ! proposa la hyène. Le puits n’était pas très profond, mais ils ne savaient pas comment puiser. — Donne-moi la main, je vais descendre boire dans le puits, proposa le chacal, puis tu m’aideras à remonter. Ensuite, ce sera ton tour. La hyène donna la main au chacal et celui-ci descendit dans le puits. Quand il eut bien bu, la hyène le tira et il sortit du puits. Puis il donna la main à la hyène. — Descends et bois ! lui dit-il. La hyène descendit, but abondamment, et dit : — Redonne-moi la main et fais-moi sortir. — Non, dit le chacal. Tu es trop lourde, il vaut mieux que tu restes dedans. Moi, je m’en vais. Tu croyais que j’allais te tirer de 1. Une version quasiment identique m’a été racontée par Ingay Tchoteya, Anakazza, Wadi Nohi, Tchad.
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là, mais tu vas rester dedans. Demain, les gens viendront avec leurs chevaux, leurs arcs en main et leurs chiens derrière eux. — Adjab 1 ! Bizarre ! s’exclama la hyène. Moi je t’ai sorti de ce puits, pourquoi me laisses-tu dedans ? — Tu dis « bizarre » ? répondit le chacal. Attends, ce qui est bizarre viendra demain matin, avec les gens et leurs chevaux, leurs arcs et leurs chiens. C’est à eux que tu raconteras tes histoires, pas à moi. Pour le moment rien n’est bizarre. Tu diras « bizarre » demain avec eux. Le lendemain matin, les gens dont la hyène et le chacal avait tué un mouton vinrent tous au puits pour prendre de l’eau, sur leurs chevaux, avec leurs arcs et leurs chiens. Ils virent la hyène au fond du puits, et la tuèrent. Le chacal était déjà parti depuis longtemps.
1. Terme arabe. Voir Jullien de Pommerol, 1999 : « ajab ! invar., interjection marquant la surprise, l’émerveillement. (…) étonnant !, prodigieux ! »
LE CHACAL ET LA HYÈNE
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7. Le chacal et la hyène (2) Raconté par Barkalé Hassan, instructeur d’alphabétisation, Azza, Tasker, Niger Un chacal parcourait la brousse à la recherche de bétail à tuer. Mais des villageois parvinrent à le capturer et l’emmenèrent dans leur village, où ils l’attachèrent avec une corde. Les femmes et les enfants le battirent et lui jetèrent des morceaux d’os. La hyène rayée passa à proximité et vit le chacal attaché. Le chacal vit la hyène et se mit à pleurer, en lui disant : — Hélas, tu es venue prendre ma place, parce qu’ici on me donne tous les jours de la viande ! Voici les os qui en témoignent ! La hyène détacha le chacal, le laissa partir et mit la corde à son propre cou. Le soir, les gens du village vinrent et trouvèrent la hyène à la place du chacal. Ils la battirent copieusement. Cependant la hyène parvint à casser la corde et suivit la trace du chacal. Elle le retrouva, le captura et fit un grand feu pour le faire griller. Soudain le chacal dit : — Hélas, voici un groupe de gens qui me poursuivent. Moi je vais rentrer dans le feu, mais toi, je ne sais pas où tu vas aller ! — Non, répliqua la hyène. C’est moi qui ait allumé ce feu, c’est moi qui vais rentrer dedans ! La hyène mourut brûlée, et le chacal s’en alla en riant.
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LES MÉFAITS DU CHACAL Contes teda-daza, azza et beri 8. Le chacal qui voulait être roi 1 Raconté par Togoy Allanga, représentant Bilia, Fada, Tchad 2 Le chacal rencontra l’autruche, et ils décidèrent de voyager ensemble. Sur leur chemin, ils arrivèrent à une grande crevasse dans la pierre. — Sautons par-dessus ce trou, proposa le chacal, on verra lequel de nous deux est le plus fort. Je vais sauter le premier ! Le chacal fit semblant de sauter et se cacha au bord du trou. L’autruche, croyant qu’il avait sauté, s’élança à son tour, tomba dans la crevasse et mourut. Le chacal descendit dans le trou et arracha toutes les plumes de l’autruche. Il en mit une centaine sur sa tête, d’autres sur son dos, prit une canne et dit : — C’est moi qui suis le roi, à présent. Moi, et personne d’autre ! Son corps était entièrement recouvert par les plumes de l’autruche, même sa queue et sa tête. Il alla trouver la hyène rayée, la hyène tachetée, la panthère, le chegelef 3 et le lion. Il les frappa de sa canne en disant : — Je suis roi ! — Ayez pitié de nous ! suppliaient-ils. Ils lui apportèrent des cadeaux. Ils partirent à la chasse et lui rapportèrent des animaux qu’il mangea. C’est ainsi que le chacal devint roi. 1. Une variante de ce conte a été relevée par Marie-José et Joseph Tubiana, 1962 : 88-91. 2. Une version quasiment identique m’a été racontée par Ingay Tchoteya, Anakazza, Wadi Nohi, Tchad. 3. Terme beri-a désignant un équivalent de notre loup-garou.
LES MÉFAITS DU CHACAL
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Cela dura longtemps. Pendant des années, le chacal resta couvert de plumes, mais ces plumes le fatiguaient. Un jour, il s’écarta un peu de son campement, enleva toutes les plumes et se reposa. Tandis qu’il dormait, la hyène tachetée arriva. — Toi, tu es en train de dormir ! dit-elle. Et elle tira la queue du chacal. — C’est toi, chacal, qui nous trompe depuis des années en te disant roi. Tu nous a maltraités ! Le chacal coupa sa queue, la laissant dans les pattes de la hyène, et prit la fuite. Cependant, la hyène alla signaler sa découverte aux autres animaux. La hyène rayée, la hyène tachetée, la panthère, le chegelef et le lion se concertèrent. — Pendant des années, le chacal nous a maltraités et terrorisés, dirent-ils. Cherchons-le pour le tuer. De son côté, le chacal rassembla tous les autres chacals. — Venez, courez vers moi, il y a un ennemi qui est en train de nous attaquer. Il les rassembla devant lui. — Vous allez être obligés de vous couper la queue, leur dit-il. Voilà le message que je dois vous transmettre : celui qu’on trouvera avec sa queue sera tué immédiatement. Tous les chacals regardèrent à quelle hauteur le chacal avait coupé sa queue et coupèrent la leur de même. Cependant, les ennemis du chacal approchaient. Ils trouvèrent un chacal avec la queue coupée, puis, regardant un peu plus loin, en virent un autre. Ils regroupèrent tous les chacals, et tous avaient la queue coupée. — On n’arrivera pas à mettre la main sur lui, soupirèrent-ils. Laissons tomber ! Cependant le lion se rendit chez une vieille femme.
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— Tous les chacals ont la queue coupée, je ne sais pas lequel est celui qui s’est moqué de nous, lui dit le lion. — Apporte-moi le lait d’une chamelle qui vient de mettre bas et je t’aiderai à trouver ce chacal, lui répondit la vieille. La vieille femme but beaucoup de lait. Son ventre était si plein que son pagne tomba par terre, et qu’elle-même tomba à la renverse. — Appelle tous les chacals, dit-elle au lion. Le lion les appela, puis, sur ordre de la vieille, secoua des savonniers, si bien que leurs fruits tombèrent par terre. Aussitôt, les chacals se mirent à manger les fruits. — Si tu vois un chacal qui, tout en mangeant, ne cesse de te regarder, attrape-le, c’est lui qui s’est moqué de toi, dit la vieille. Le lion attrapa le chacal et le tua.
9. Le chacal et le serpent Raconté par Mallom Barka El-Hadj Sénoussi, Teda, chef du puits de Termit (Termit Nord), Niger Le chacal, le lion, la hyène tachetée, la hyène rayée et le serpent voyageaient ensemble. Un jour, le serpent entraîna le chacal à l’écart du groupe, se cacha dans le sable, et dit au chacal : — Va demander aux autres s’ils sont capables de me trouver ! Le chacal s’en retourna alors vers les autres animaux, et, au lieu de leur transmettre le défi du serpent, il provoqua une bagarre entre eux. Ils se bagarrèrent tant et si bien qu’ils finirent par se trouver là où le serpent s’était enterré. Le chacal feignit de vouloir ramener la paix : — Nous sommes cousins, disait-il, pas de bagarre entre nous !
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Ce faisant, il attira le lion à l’endroit où le serpent s’était enterré. Le lion marcha sur le serpent, le serpent le mordit, puis il mordit la hyène tachetée et la hyène rayée, mais pas le chacal. Le lion, la hyène tachetée et la hyène rayée moururent, le serpent mourut aussi, piétiné, et le chacal poursuivit seul sa route.
Mallom Barka El-Hadj Sénoussi, chef et marabout (mallom) Teda, avec son Coran et son tapis de prière, Termit, Niger.
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10. Le jugement du chacal 1 Raconté par Togoy Allanga, représentant Bilia, Fada, Tchad Le lion, la panthère, le guépard, la hyène tachetée et la hyène rayée avaient rassemblé leur bétail. Le lion avait un gros taureau, et la hyène tachetée avait une vache qui avait mis au monde un veau. Dans la nuit, le lion se leva, prit le veau et le conduisit auprès de son taureau. Le lendemain matin, la hyène accusa le lion de lui avoir volé son veau. Les animaux se réunirent et partirent au tribunal. — C’est mon taureau qui a mis au monde ce veau, affirma le lion. Les juges restaient silencieux. — Est-ce qu’on a déjà vu un taureau mettre bas ? demanda la hyène. Ce veau m’appartient ! Mais le lion est le plus fort, et je vois que les juges ont peur de dire la vérité. Cela ne me plaît pas, je ne veux pas que mon affaire soit jugée par ce tribunal. Appelons le chacal, c’est lui qui rendra le jugement. On envoya chercher le chacal. — Non, répondit celui-ci, je ne veux pas être juge, j’ai peur du lion. Il ne respecte pas la loi, il ne connaît que la force. Le chacal semblait très nerveux. Tandis qu’il parlait, il ne cessait de bouger, il ne parvenait pas à rester en place. — Hé ! rugit le lion, en colère. Toi, je te parle ! Occupe-toi de notre jugement au lieu de tourner en rond ! Il faut que tu examines notre problème ! — Bon, répondit le chacal, je veux bien vous juger, mais il faut que vous me donniez un peu de temps. Mon père vient de
1. Une variante de ce conte a été relevée par Marie-José et Joseph Tubiana, 1962 : 53-54.
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mettre bas, je vais aller lui rendre visite puis je reviendrai examiner votre problème. Le lion s’approcha. — Espèce de voyou ! hurla-t-il. As-tu vu un jour un homme mettre bas ? — Patron, répondit le chacal, toi-même, tu viens de nous dire que ton taureau a mis bas. Comment a-t-il fait ? Si un taureau met bas, mon père ne peut-il également mettre bas ? Je vais donc aller lui rendre visite. Le lion se mit à rire. — Bon, dit-il, vous m’avez vaincu par l’intelligence. Hyène, reprends ton veau, et pardonne-moi.
11. Le chacal qui voulait devenir marabout Raconté par Mallom Barka El-Hadj Sénoussi, Teda, chef du puits de Termit (Termit Nord), Niger Le chacal aperçut un marabout qui faisait ses ablutions. Il profita de ce que le marabout avait le dos tourné pour prendre son Coran, et se sauva avec le livre saint. Il arriva dans un village. — Je suis un marabout, dit-il aux villageois. Amenez-moi donc vos enfants, et je leur enseignerai le Coran. Les villageois amenèrent leurs enfants au chacal. Cependant celui-ci coupait une branche d’arbre pour donner des coups de bâton aux mauvais élèves. Quand les enfants furent rassemblés devant lui, il leur dit : — Je vais vous enseigner le Coran, c’est simple, dites Yihou ! sinon je vais vous donner des coups de bâton.
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En entendant le cri habituel du chacal, les villageois comprirent que ce n’était pas un vrai marabout et tentèrent de l’attraper. Le chacal parvint à s’enfuir, mais c’est depuis cette histoire qu’il mange les chèvres des hommes.
12. Les trois façons de courir du chacal Raconté par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger Un groupe d’hommes avait capturé un chacal endormi. — On va te tuer ! dirent-ils. — Bon, d’accord, dit le chacal, mais avant de mourir, j’aimerais pouvoir vous enseigner mes trois façons de courir. La première s’appelle « djok-djok », c’est la marche rapide. La seconde s’appelle « fuzza-fuzza », c’est le trot. Et la troisième s’appelle « mirr », c’est le grand galop. — Bon, montre-nous donc ça, dirent les gens. Le chacal fit « djok-djok » puis revint vers les gens. — C’est bien, dirent-ils en rigolant. Puis le chacal fit « fuzza-fuzza », et revint vers les gens. Enfin le chacal fit « mirr » : il fila à toute vitesse, puis leva une patte en criant : — Adieu, à jamais !
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13. Les vérités du chacal Raconté par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger Un jour, des gens invitèrent le chacal à une réunion pour le tuer. Le chacal vint, mais avant d’entrer dans la maison où se tenait la réunion, il demanda : — Dites-moi donc d’abord quel est le but de cette réunion ? — Nous aimerions savoir combien de jours il y a dans un mois, répondirent les gens, pris de court. — Il y en a trois fois sept et trois fois trois, répondit le chacal. Faites le compte, et vous trouverez le nombre que vous cherchez. Laissez passer ce nombre de jours, regardez à l’Est ou à l’Ouest et si la lune n’apparaît pas, ce sera la fin du monde ! — Approche-toi donc, lui dirent les gens. — Si l’on me questionne trop, je risque de raconter des bêtises. — Allez, approche-toi un peu ! — Trop lutter fatigue les muscles ! conclut le chacal avant de s’enfuir dans la brousse.
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14. Le chacal et les chèvres Raconté par Ousman Omar dit « Soja » (soldat, parce qu’il a la carrure d’un soldat), Azza, Tasker, Niger Un chacal affamé vit un jour, tout près d’un village, un troupeau de chèvres. — Attention, se dit-il, le village est tout proche. Si je tue une grosse chèvre, les villageois vont certainement se lancer à ma poursuite. Mais si je me contente de prendre une petite chèvre, ils ne prendront pas cette peine. Je vais tuer une chèvre toute maigre ! Il choisit l’animal le plus petit, le plus maigre du troupeau, et le dévora. Le soir, le propriétaire des chèvres sortit pour inspecter ses bêtes, et constata que son petit chevreau malade avait disparu. — C’est sûrement le chacal ! se dit-il. Il prit son meilleur cheval et se lança à la poursuite du chacal. Il trouva bientôt l’endroit où le chacal avait dévoré son chevreau, et les traces du chacal qui allaient vers la brousse. Mais à présent il faisait nuit. — J’ai trouvé les traces du chacal, je vais aller dormir. Le lendemain à l’aube, toujours sur son meilleur cheval, il revint, suivit les traces, trouva le chacal et le poursuivit. Le chacal tourna brusquement à gauche, mais le cheval parvint à le suivre. Le chacal tourna brusquement à droite, mais le cheval lui collait encore au train. Enfin, à grand peine, le chacal réussit tout de même à semer son poursuivant. — Ouf ! souffla-t-il. Et c’est pour ce petit chevreau que cet homme me poursuit comme cela ! Ce n’est pas possible, j’ai dû commettre une faute plus grave !
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15. Le chacal et ses frères 1 Raconté par Ingay Tchoteya, Anakazza, Wadi Nohi, Tchad La première fois que la mère du chacal fut enceinte, elle mit au monde l’écureuil fouisseur. La deuxième fois, elle enfanta le fennec. La troisième, ce fut le chacal. Son quatrième enfant fut la hyène rayée. Le cinquième fut le guépard. Le sixième, le lycaon. Le septième, la panthère. Et le huitième, le lion. Un jour, tous les enfants se réunirent. — Notre mère a eu des enfants très différents, commença le chacal. Je propose que nous tuions la moitié d’entre nous. Tuons soit les plus grands, soit les plus petits. — Non, non, nous ne tuerons personne, répondirent les autres. Un autre jour, alors que la mère prenait une jarre pour se rendre au puits, le chacal lui dit : — Mère, laisse-moi t’aider. Ils partirent ensemble au puits et tirèrent de l’eau. — Aide-moi à mettre la jarre sur ma tête, dit la mère. Mais au lieu de l’aider, le chacal la poussa dans le puits, et elle mourut. Elle était de nouveau enceinte, et dans l’eau elle mit au monde le crocodile.
1. Jourdan a relevé une variante de ce conte, mais avec plusieurs erreurs ou imprécisions dans sa traduction : le chacal (turku) est appelé à tort « fennec », la hyène rayée (zigir) « loup » alors que la hyène tachetée (molofur) est appelée simplement « hyène », le lycaon (turdi) étant appelé « chien sauvage », ce qui est effectivement un de ses noms français. Voir Jourdan, 1935 : 51-52 (« Histoire du caïman »).
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DEUX HISTOIRES DU FENNEC Contes teda et azza 16. Le fennec et la souris Raconté par Omar Souleyman, Teda, Gouro, Tchad Un jour, le fennec et la souris décidèrent de faire la paix. Ils se mirent d’accord sur la manière dont ils allaient s’y prendre. — Cherchons un terrain nu, sans arbres ni buissons, et sans trous, proposa le fennec. Toutes les souris s’y rendront et tous les fennecs s’y rendront, et nous y signerons un pacte. La souris se rendit chez les siens pour leur rendre compte de ce que le fennec lui avait dit. — Inutile de raconter tout ce que le fennec et toi avez dit, l’interrompit le chef des souris. Dis-moi seulement la première et la dernière chose que le fennec t’a demandées. — Au début, répondit la souris, le fennec m’a saluée en me disant : « Bonjour ! Ta tante maternelle, qui est stérile, se porte-t-elle bien ? » Et j’ai répondu : « Elle va bien ». — Stérile, dit le chef des souris, cela veut dire qu’elle ne produit pas, et donc qu’elle est bien grasse. — La dernière chose que le fennec m’a demandée, continua la souris, c’est qu’on se retrouve tous sur un terrain nu, sans arbres et sans trous. Le chef des souris prit la parole : — Que chacun d’entre nous, ordonna-t-il, creuse un trou bien profond et monte la garde au bord de ce trou ! Bientôt tous les fennecs vinrent du Nord. De loin, ils virent que toute la plaine était blanche de souris bien alignées. Ils observèrent bien les souris et dirent :
HISTOIRES DU FENNEC
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— Celui qui n’aura pas mangé de viande aujourd’hui n’en mangera jamais de sa vie ! Et ils se lancèrent à l’assaut des souris. Aussitôt, chaque souris plongea dans son trou.
17. La poule et le fennec Raconté par Ali Mallom Issa, 9 ans, Azza, Tasker, Niger Chaque fois qu’une poule pondait, un chat et un chien volaient ses œufs. Elle alla demander de l’aide au fennec : — Fennec, lui dit-elle, le chat et le chien volent mes œufs ! Le fennec se rendit chez la poule, et lui demanda de lui montrer les traces des voleurs. Il les suivit et arriva chez le chien. Ce dernier nia avoir volé les œufs. — Ce n’est pas moi, dit-il, c’est le chat ! Le fennec le laissa tranquille et suivit d’autres traces, qui le menèrent chez le chat. A côté de celui-ci se trouvait une coquille d’œuf. Le fennec lui sauta sur la tête et le tua. C’est ainsi que la poule se fit justice.
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HISTOIRES DU LIÈVRE Contes azza et teda 18. Le lièvre et les lionceaux 1 Raconté par Ousman Omar « Soja », Azza, Tasker, Niger Une lionne avait laissé ses petits dans son terrier pour aller leur chercher à manger. Pendant son absence, le lièvre entra dans le terrier. — Où est notre mère ? lui demandèrent les lionceaux. — Je suis votre tante, répondit le lièvre, c’est votre mère qui m’envoie pour vous donner quelques conseils. La lionne revint avec du gibier, mais elle ne rentra pas dans le terrier. Elle poussa simplement la viande à l’intérieur, avant de repartir en quête d’autres proies. Le lièvre partagea la viande en trois parts, en mangea deux, et en donna une aux lionceaux. Et il fit de même à chaque fois que la lionne revint avec des proies. Cela durait depuis quelque temps, lorsqu’un jour la lionne rapporta peu de viande. Elle se coucha à l’entrée du terrier, et dit à ses petits : — Sortez donc, les enfants ! Je n’ai pas trouvé grand chose, nous allons manger tous ensemble. Quand les lionceaux sortirent, la lionne se rendit compte qu’ils étaient très maigres. — Que vous arrive-t-il ? leur demanda-t-elle, furieuse. Je vous apporte pourtant suffisamment à manger ! — Mais tu nous as envoyé notre tante pour qu’elle nous donne des conseils, répondirent les lionceaux. Et elle mange les deux tiers de la viande avant de nous donner le reste. 1. Une variante de ce conte a été relevée par Jourdan, qui traduit à tort lièvre (tchohor) par « lapin ». Voir Jourdan, 1935 : 53-55 (« Le lapin et le lion »).
HISTOIRES DU LIÈVRE
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La lionne ordonna à la prétendue tante de sortir du terrier. Le lièvre s’avança jusqu’à l’entrée, et s’aperçut que la lionne allait l’attraper. Il tendit alors ses deux oreilles à la lionne, en disant : — Tiens, voici mes sandales, pose-les donc dehors et je pourrai sortir. Furieuse, la lionne prit ce qu’elle croyait être des sandales et les jeta au loin. — Adieu ! cria le lièvre à la lionne, en levant une patte avant de s’enfuir.
19. Le lièvre et l’éléphant 1 Raconté par Issa Ibrahim, 12 ans, Azza, Tasker, Niger Le lièvre et l’éléphant décidèrent de creuser un puits ensemble. L’éléphant commença le travail. Il creusa quelques mètres, puis dit au lièvre de continuer pendant qu’il irait chercher de l’ongortchey 2. Le lièvre plongea dans le tas de sable que l’éléphant avait sorti du trou. Lorsqu’il aperçut l’éléphant qui revenait, il sortit du tas de sable en enlevant la poussière dont il était couvert. — Je suis trop fatigué, dit-il, j’ai beaucoup travaillé pendant ton absence. L’éléphant se remit seul à l’ouvrage et bientôt l’eau apparut au fond du puits. — Voici ce que nous allons faire, lui dit le lièvre. Toi, tu ne t’abreuveras que la nuit, et moi je boirai le matin.
1. J’ai relevé une variante de ce conte avec l’écureuil fouisseur dans le rôle du lièvre, racontée par Mallom Issa Adam, Azza de Tasker, Niger. Voir aussi le conte n° 5. 2. Plante.
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Le lendemain matin, le lièvre constata que l’éléphant avait bu toute l’eau du puits. Furieux, il creusa un trou à côté du puits pour y faire tomber le pachyderme. A la nuit, l’éléphant vint s’abreuver et il tomba dans le piège. Mais d’autres éléphants arrivèrent, qui l’aidèrent à sortir du trou et capturèrent le lièvre. — Attendez, dit celui-ci, vous pouvez me frapper sur la margelle du puits si vous voulez, vous pouvez me faire tout ce que vous voulez, sauf me jeter dans le tilitili 1. Je vous en supplie ! Aussitôt, les éléphants le jetèrent dans le tilitili. Le lièvre ne fut même pas blessé, il s’enfuit jusqu’au sommet d’une dune et demanda aux éléphants qui le cherchaient autour du puits : — Qu’est ce que vous cherchez, une aiguille que vous avez perdue ? — Je te retrouverai ! menaça l’éléphant. Depuis, l’éléphant cherche le lièvre sans jamais le trouver.
20. Le lièvre et le chacal Raconté par Barkalé Hassan, Azza, Tasker, Niger Un jour, le lièvre et le chacal décidèrent d’aller vendre leurs mères. Ils les conduisirent toutes deux au marché. Mais dans la nuit, le lièvre laissa rentrer sa mère à la maison, tandis que le chacal vendit la sienne et s’acheta des marchandises. Le chacal mit ses achats dans un sac, puis il prit la route du retour. Cependant, le lièvre était parti avant le chacal et s’était couché sur la route, faisant semblant d’être mort.
1. Poussière où viennent dormir les ânes, à côté du puits.
HISTOIRES DU LIÈVRE
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— Ce lièvre est en train de mourir, dit le chacal. Il tapa le corps du pied, mais le lièvre ne bougea pas. Et le chacal poursuivit sa route. Cependant le lièvre se releva, fit un détour et fila se coucher plus loin. Le chacal arriva auprès de lui. — Encore un cadavre de lièvre ! s’écria-t-il. Ce n’est pas possible, les lièvres seraient-ils en train de disparaître ? Une troisième fois, le lièvre répéta la supercherie. — Tiens, dit alors le chacal, pourquoi n’ai-je pas ramassé les deux lièvres précédents ? Je vais retourner en arrière pour les chercher, mais pour ne pas me fatiguer, je vais poser mon sac ici et je reviendrai le prendre plus tard. Le chacal retourna à l’endroit où il avait cru voir un lièvre mort pour la deuxième fois, mais il ne retrouva rien. Il continua jusqu’à l’endroit où il avait cru voir un cadavre de lièvre pour la première fois, mais il ne retrouva rien non plus. Il revint alors à l’endroit où il avait posé son sac, mais il ne retrouva ni ses achats ni le lièvre. La nuit tombait, il avait perdu ses biens à jamais. C’est ainsi que le lièvre a trompé le chacal.
21. Le lièvre et le singe Raconté par Barkalé Hassan, Azza, Tasker, Niger Le lièvre et le singe vivaient ensemble. Un jour, le lièvre proposa qu’ils aillent brûler un campement. Ils mirent le feu à deux ou trois tentes puis s’enfuirent. Le lendemain, les nomades suivirent leurs traces, les capturèrent et les ramenèrent au campement. — C’est vous qui avez fait ces dégâts ! dirent les nomades.
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CONTES TOUBOU DU SAHARA
— Regardez donc nos mains, dit le lièvre. Celui qui a les mains noires, c’est lui qui a mis le feu. Les gens virent que les mains du singe étaient noires. Ils le battirent tandis que le lièvre prit la fuite, laissant son compagnon crier.
22. Le lièvre et les pastèques 1 Raconté par Hissen, Teda, Gouro, Tchad Un jour, le lièvre vit un champ plein de pastèques, qui appartenaient à une vieille femme. — Maman, demanda le lièvre à celle-ci, je suis fatigué, je vais me reposer un peu auprès de toi. — Bien, répondit la vieille, repose-toi un peu, tu partiras demain. — Merci, maman ! Cependant, le lièvre ne cessait de regarder les pastèques. En pleine nuit, alors que la vieille dormait, il se leva et commença à en manger. La vieille entendit du bruit. — Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle. Aussitôt, le lièvre courut se coucher à plat ventre et se mit à ronfler. — Qui est dans le champ ? demanda la vieille. — Ce n’est pas moi, je dors ! répondit le lièvre. — Menteur ! C’était toi ! — Non, non, je dis la vérité !
1. La fin de ce conte est la même que celle du « Lièvre et les lionceaux ».
HISTOIRES DU LIÈVRE
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La vieille se rendormit. Au bout d’une heure, le lièvre se leva de nouveau, tout doucement. Mais bientôt la vieille eut envie de pisser. C’était la pleine lune, et elle vit les oreilles du lièvre audessus d’une pastèque. — Lièvre ! hurla-t-elle. — Maman, excuse-moi, je n’ai pas de couverture et je suis venu ici pour me couvrir avec une feuille de pastèque. — Menteur ! Elle prit une corde et attacha le lièvre à un piquet. Le matin, elle trouva cinq pastèques dévorées. — Je vais aller au village chercher le chien, et il te mangera, dit la vieille. La vieille détacha le lièvre et l’enferma dans une vieille case, puis elle se mit en route. Elle revint avec vingt chiens. — Pardon, laissez-moi ! suppliait le lièvre. Il glissa ses oreilles sous la porte de la case et dit à la vieille : — Soit, je suis prêt à mourir. Attrape donc mes chaussures et je sortirai. La vieille prit les oreilles et jeta le lièvre au loin. Il se mit à courir. Les chiens se lancèrent à ses trousses, mais en vain.
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LES JUGEMENTS DE L’ÉCUREUIL Contes azza racontés par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger 23. Les jugements de l’écureuil (1) Raconté par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger La hyène tachetée était tombée accidentellement dans un trou. Un singe passait par là, et la hyène lui demanda de l’aide. — Je veux bien t’aider, répondit le singe, mais cela doit faire longtemps que tu n’as pas mangé. Il faut me promettre de ne pas me manger quand tu seras sortie du trou. La hyène promit, le singe l’aida, mais une fois sortie du trou, elle attrapa son sauveteur et lui dit : — Tu sais, je n’ai plus la force de bouger, il faut que je te mange pour reprendre des forces ! — Attends une minute, supplia le singe, allons demander son jugement à l’écureuil. Lorsque la hyène et le singe lui rapportèrent l’affaire, l’écureuil fut très étonné : — Comment es-tu parvenu, toi, demanda-t-il au singe, à sortir la hyène de ce trou ? Et l’écureuil de proposer que l’opération soit répétée afin qu’il puisse rendre son jugement. La hyène retourna donc dans le trou. Aussitôt, l’écureuil dit au singe : — Et maintenant, prends donc la fuite ! Et regardant la hyène au fond de son trou : — Voilà, l’affaire est jugée !
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24. Les jugements de l’écureuil (2) Raconté par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger Un jour, un serpent vit un paysan en train de travailler, et lui dit : — Ce champ est à moi, pourquoi le cultives-tu ? — Non, répondit le paysan, c’est mon champ, et c’est pourquoi je le cultive ! Furieux, le serpent s’enroula autour du paysan. — Abandonne ce champ, lui dit-il, ou je te mords ! — Attends, dit le paysan, allons plutôt demander à l’écureuil de juger ce différend. Le paysan se rendit donc chez l’écureuil, avec le serpent autour du cou et sa houe 1 à la main. L’écureuil demanda au serpent de libérer le paysan de son étreinte afin que celui-ci pût parler. Dès que le serpent se fut exécuté, l’écureuil dit au paysan : Maintenant, fais-toi donc justice avec ta main droite ! Et le paysan tua le serpent. — L’affaire est réglée, conclut l’écureuil.
25. Les jugements de l’écureuil (3) Raconté par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger Deux hommes vivaient très pauvrement. — Nous sommes trop pauvres, dit l’un d’eux, cela ne sert à rien que nous restions ici. Allons plutôt chercher fortune ailleurs ! 1. Dazaga daba (origine arabe).
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Ils partirent. Sur leur chemin, ils parvinrent au tribunal de l’écureuil. L’un d’eux dit alors : — Je vais rester ici pour apprendre comment on rend la justice. L’autre décida de continuer seul sa route. Il s’installa un peu plus loin et devint porteur. Au bout de quelque temps, avec l’argent qu’il avait gagné, il acheta un taureau et des vêtements pour son ami et pour lui, ainsi que de la nourriture. Il mit le tout sur une charrette et se mit en route pour aller retrouver son ami. Il le retrouva exactement là où il l’avait laissé, sous l’arbre, en train d’écouter le tribunal. — As-tu gagné quelque chose ? demanda le porteur à son ami. — Rien, lui répondit-il, je n’ai fait qu’écouter. — Moi, j’ai gagné de l’argent, je t’ai acheté des vêtements, je me suis acheté des vêtements, j’ai un taureau pour nous deux, et il me reste encore de l’argent. Mangeons, buvons, achetons de la boule de mil, puis reprenons la route, rentrons dans notre village pour nous partager tout ça. Tandis qu’ils mangaient, un boucher vint les voir et leur demanda : — Ce taureau, il est à vendre ? — Oui, il est à vendre, répondit celui qui n’avait pas travaillé. Ils se mirent d’accord sur un prix, mangèrent la boule tous ensemble, puis le boucher leur donna la somme convenue, en disant : — Voilà votre argent, je prends mon taureau. — Attends, dirent-ils, nous allons détacher notre charrette. — Non, non, dit le boucher, j’ai acheté le taureau complet, avec la charrette et les vêtements qu’il y a dedans ! Si vous n’êtes pas contents, allons au tribunal. Ils y allèrent, et le tribunal donna raison au boucher. — Nous avons tout perdu, pleurait celui qui avait travaillé. L’autre ne pleurait pas.
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— Nous avons eu quelque chose et nous l’avons perdu, dit-il. Attends, nous allons arranger ça. Cependant le boucher avait égorgé le taureau. Celui qui avait suivi le tribunal lui dit qu’il voulait acheter la tête. Il posa son pied sur la tête du taureau et la main sur celle du boucher, et lui dit : — Je veux la tête. — Pas de problème, dit le boucher. Et le boucher vendit sa viande en disant : — Je garde la tête pour celui-ci. Le boucher lui montra ensuite la tête du taureau et lui dit : — Voilà, tu peux la prendre. — Ecoute, répondit l’homme, je ne t’ai pas demandé la tête de ce taureau, je t’ai demandé ta tête. Si tu n’es pas content, allons au tribunal. Devant le juge, qui est l’écureuil lui-même, l’homme dit : — Je veux la tête, celle du boucher. — Est-ce qu’il a demandé précisément la tête du taureau, demanda l’écureuil au boucher. — Non, admit le boucher. — C’est donc bien ta tête que tu lui as vendue, dit l’écureuil. Et il ordonna à l’assistance de couper la tête du boucher. — Tu es devenu un bon avocat, dit celui qui pleurait à son ami.
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AVENTURES DE L’ÉCUREUIL Contes azza 26. Le village des animaux Raconté par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger Un jour, l’écureuil fouisseur, le lion, la hyène tachetée, le chacal, le chat sauvage, la tortue, le serpent et le termite décidèrent de vivre ensemble et de fonder un village. Mais ce village n’a pas vécu plus d’une minute… Au départ, chacun posa ses conditions. La hyène prit la parole : — Je veux que jamais personne ne dise que je pue, dit-elle. — Et moi, dit le lièvre, que jamais personne ne dise que j’ai de grandes oreilles. Quant au chat, il voulait que jamais on ne l’apostrophe en lui criant « hé, chat ! » La tortue, elle, réclama que jamais personne ne lui marche dessus, sans quoi elle mettrait le feu au village. Le termite dit : — Et moi, si un jour quelqu’un pose son nez sur moi, je le piquerai. — Moi, dit le serpent, si quelqu’un me marche dessus, je le mordrai. Le lion, lui, ne voulait pas qu’on le regarde dans les yeux. — Et moi, dit le chacal, je suis libre d’aller partout où je le veux, et je veux que jamais personne n’entrave ma liberté. L’écureuil tapa sur le sable devant lui et dit : — Nous avons décidé de construire un village, mais après ce que vous avez dit, je ne vois rien ici qui ressemble à un village. Et l’écureuil de se tourner vers le chat et de lui crier : — Hé, chat !
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Furieux, le chat sauta sur l’écureuil. En se battant, ils bousculèrent le lion, qui marcha sur le serpent. Le serpent mordit le lion, et ce dernier mourut immédiatement. Cependant, le chacal dit à la hyène : — Tu sens la pourriture ! Furieuse, celle-ci attrapa l’écureuil, et le jeta sur... la tortue. Et la tortue mit alors le feu au village, tant et si bien que toute la brousse s’enflamma, et que chacun s’enfuit de son côté. Et voici comment l’écureuil mit fin au village des animaux.
27. L’écureuil et la hyène Raconté par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger Un chien, un chacal, un écureuil et un lièvre voyageaient ensemble, sous la direction de l’écureuil. Une averse les surprit en chemin, et ils se mirent à l’abri dans le terrier d’une hyène tachetée qui était partie chercher de la viande. Or peu après, celleci, surprise également par la pluie, regagna son terrier. Dès qu’il vit le museau de la hyène se pointer à l’entrée du terrier, le chien se mit à aboyer. — Calme-toi, lui dit l’écureuil, je suis le chef, je vais te protéger. L’écureuil s’approcha de l’entrée du terrier. — Laisse-moi sortir, s’il te plaît, demanda-t-il à la hyène. Une fois hors du terrier, l’écureuil dit à la hyène : — Mais où donc étais-tu ? Nous t’avons apporté des chèvres, nous nous sommes donnés du mal pour les attraper. Attends, assieds-toi là, ne bouge pas et chacun d’entre nous va te rapporter des chèvres.
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L’écureuil demanda au chien de sortir du terrier : — Chien, lui murmura-t-il à l’oreille, pars par là et ne reviens plus. Puis il fit sortir le chacal et le lièvre, et fit ainsi partir chacun des animaux dans une direction différente. Mais voilà qu’à peine le lièvre parti, le chien revint. — Tu es bête ou quoi ? lui murmura l’écureuil. Je t’ai dit de partir et de ne pas revenir. Va-t’en ! Et l’écureuil de rester seul avec la hyène. Au bout de quelques temps, il dit à celle-ci : — C’est étrange, mes amis ne sont pas encore revenus, le chien est déjà revenu une fois bredouille, je crois que je vais aller les guider. Donne-moi une heure et je reviens. — Vas-y, lui dit la hyène, et ramène-moi beaucoup de chèvres ! L’écureuil retrouva ses trois compagnons et leur dit : — Mes amis, écoutez-moi. Je suis votre chef, et je vous ai permis d’échapper à la hyène. A présent, voici mes consignes. Chien, tu iras au village, auprès des enfants, ils t’attacheront avec une corde autour du cou pour la nuit. Toi, lièvre, désormais, tu ne chercheras ta nourriture que la nuit. Et toi, chacal, tu iras dans la brousse, tu chercheras les fruits du savonnier 1 et tu les suceras, et tu mangeras aussi quelques chèvres. Depuis, le lièvre ne sort que la nuit, le chacal mange des chèvres et des fruits sauvages, et le chien vit avec l’homme. Quant à la hyène, elle attend toujours ses chèvres, et en attendant elle ne mange que des charognes.
1. Balanites ægyptiaca. Dazaga hollohu.
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28. Les yeux de la Terre 1 Raconté par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger Autrefois, l’éléphant, lorsqu’il voyait l’écureuil, avait pour habitude de le prendre par la queue et de le taper sur le sol. Un jour, lorsque l’écureuil aperçut l’éléphant qui venait vers lui, il rentra dans son terrier et en boucha l’entrée, ne laissant que ses yeux dépasser à travers le sable. L’éléphant passa devant lui sans le voir. — Eh ! viens ici, lui cria l’écureuil. L’éléphant regarda de tout côté mais ne vit rien. — Viens par là, c’est par là que je suis ! L’éléphant avança jusqu’au terrier de l’écureuil. — As-tu entendu parler des yeux de la Terre ? lui demanda celui-ci. Les deux yeux que tu vois ici, ce sont eux, les yeux de la Terre. Et moi, l’écureuil, je suis le représentant des yeux de la Terre. Et il vaut mieux pour toi que jamais la Terre n’apprenne qu’un éléphant a agressé l’écureuil. Depuis, l’éléphant ne s’attaque plus à l’écureuil. Il peut tout attaquer, tout détruire, sauf l’écureuil.
1. J’ai relevé une variante de ce conte avec le lion dans le rôle de l’éléphant, racontée par Ibrahim El-Hadj Abba, 13 ans, Azza de Tasker, Niger.
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29. L’écureuil, le chameau et l’éléphant Raconté par Barkalé Hassan, Azza, Tasker, Niger Un jour, l’écureuil fouisseur, le chameau et l’éléphant décidèrent, chacun de leur côté, d’aller s’abreuver à la mare. Le chameau était parti le premier et l’écureuil le trouva à la mare. — Je suis le chef 1 de cette mare, lui dit le chameau. Et il blatéra. L’écureuil rencontra l’éléphant, lui raconta toute l’histoire et le conduisit à la mare. L’éléphant vida l’eau de la mare tandis que le chameau les observait depuis une dune. Quand l’éléphant eut terminé, il dit à l’écureuil : — Conduis-moi donc au chef ! L’écureuil emmena l’éléphant au chameau. — C’est toi qui te dis le chef ? demanda l’éléphant. De peur, le chameau se mit à uriner partout. L’écureuil intervint. — Ce n’est pas le chef, ce n’est que son tchegeni 2. — Si c’est là son tchegeni, ce chef doit être vraiment fort, dit l’éléphant. Et l’éléphant prit peur et rebroussa chemin. — Je t’ai sauvé aujourd’hui, dit l’écureuil au chameau. Mais désormais ne dis plus jamais que tu es le chef !
1. Azzanga ankuRi. 2. Petit luth à deux cordes.
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30. Pourquoi l’écureuil est petit Raconté par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger 1 Autrefois, l’écureuil était aussi gros qu’une génisse de quatre ans. Un jour, il alla voir Dieu et lui demanda de le rendre malin. — Apporte-moi la peau d’un petit de phacochère, du lait de gazelle, les larmes d’une lionne et les défenses de l’éléphant, lui demanda Dieu. L’écureuil se mit en quête de tout cela. Il vit d’abord l’éléphant qui dormait. Il fabriqua une corde à base de kozzon 2 et en attacha un bout aux défenses de l’éléphant et l’autre à un arbre. Puis il alla voir les petits du phacochère, et leur dit : — Allez danser en chantant : tí kùnù tchulue, « les défenses de l’éléphant sont cassées ! » En entendant cette chanson, l’éléphant se réveilla et se leva si brusquement que ses défenses, attachées à la corde, furent arrachées. Furieux, il tua les petits du phacochère. L’écureuil récupéra les peaux de ceux-ci et les défenses de l’éléphant. Il aperçut ensuite une gazelle. — Viens jouer avec moi ! lui dit l’écureuil. Il vit un arbre dont le tronc formait une fourche. — Regarde, dit-il à la gazelle. Je passe trois fois ma tête dans la fourche puis je la ressors. En es-tu capable ? La gazelle essaya mais resta coincée. — Attends, lui dit l’écureuil, tu es trop grosse car tu as trop de lait. Je vais te traire pour te tirer de là. Ainsi l’écureuil prit le lait de la gazelle puis lui dit :
1. Une version quasiment identique m’a été racontée par Séni Allafi, 14 ans, Daza, Tasker, Niger. 2. Terme dazaga désignant Leptadenia pyrotechnica, arbuste semblable à un genêt.
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— Désolé, je ne peux t’aider à sortir de là, sinon je risquerais de renverser le lait. Et il laissa la gazelle coincée dans la fourche de l’arbre. L’écureuil trouva ensuite un lionceau, le tua, puis alla vite voir la mère de l’animal. — Quel malheur, dit-il à la lionne, ton petit est mort ! La lionne revint au terrier dans lequel elle avait laissé le lionceau et se mit à pleurer de grosses larmes. — Quel dommage de laisser ces larmes tomber sur le sol, lui dit l’écureuil, je vais les recueillir. Et il prit un récipient pour le faire. Tous ses objectifs remplis, l’écureuil revint chez Dieu. — Barr kanuma ! dit Dieu. Ça alors ! Tu es déjà très malin. Il vaut mieux que je te ne donne pas davantage de pouvoir. Et Dieu donna à l’écureuil sa taille actuelle.
31. L’écureuil et le lion Raconté par Ibrahim El-Hadj Korey, 12 ans, Azza, Tasker, Niger
Un lion et un écureuil décidèrent d’aller chercher de la paille 1 en brousse. Chacun se mit à faire une meule. Le lion finit le premier. — Je vais aller pisser pendant que tu finis ta meule, dit-il. Quand il eut le dos tourné, l’écureuil se cacha dans la meule que le lion avait faite. Le lion revint et ne vit pas l’écureuil. Il prit 1. Dazaga lè.
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sa meule sur la tête, avec l’écureuil caché à l’intérieur, pour rentrer chez lui. Arrivé, il posa sa meule et se mit à l’ombre d’un arbre pour attendre l’écureuil. Dès que le lion eut tourné le dos, l’écureuil sortit et se mit sous un autre arbre, feignant d’attendre l’arrivée du lion. Quand le lion se releva, l’écureuil lui demanda : — Mais où est donc ta meule ? Voici la mienne, mais où est la tienne ? — Tu te moques de moi ? rugit le lion. Cette meule est à moi, c’est moi qui l’ait apportée ici ! — Attends, lui dit l’écureuil, tu es plus fort que moi, je préfèrerais que nous fassions appel à un juge 1 pour régler cette affaire. — Le juge des animaux, c’est moi ! rétorqua le lion. Il n’y a pas d’autre juge ! Ils commencèrent à se disputer, lorsque l’écureuil aperçut une chèvre qui passait par là. Il se dressa et dit au lion : — Eh ! Tu perds ton temps à discuter alors qu’il y a là une proie pour toi. Et tandis que le lion s’intéressait à la chèvre, l’écureuil s’enfuit avec sa meule de paille.
32. L’écureuil et le calao 2 Raconté par Mahaman Nour Issa, 7 ans, Azza, Tasker, Niger Un jour, le petit calao à bec rouge et l’écureuil fouisseur décidèrent de cultiver un champ ensemble. 1. Dazaga ahõ tchara goronga. 2. Oiseau remarquable par son très long bec.
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— Pendant que toi tu travailleras sur notre champ, dit le calao à l’écureuil, je vais aller chercher de la nourriture ailleurs, et nous nous partagerons le tout. L’écureuil ne fit rien, et le champ ne produisit que quelques épis de mil. Le calao, lui, rapporta beaucoup de choses. — Demain, lui dit l’écureuil, nous partagerons tout cela. — Toi, tu es malin, répondit le calao. Je vais aller chercher notre chef le lion pour nous aider à faire le partage. Le calao se rendit chez le lion, et lui dit : — Je sais fabriquer de belles selles pour les chevaux, mais pour cela il me faut la peau d’un écureuil. Le calao montra l’écureuil au lion : — Regarde, c’est cet écureuil qu’il faut attraper, car il n’y en a pas d’autres. Je te ferai ta selle immédiatement ! — C’est vrai, dit l’écureuil au lion, on peut fabriquer une belle selle avec ma peau. Mais d’abord, pourrais-tu partager ces marchandises entre le calao et moi ? Si tu me donnes les deux tiers et un tiers au calao, je te donnerai ma peau ! Le lion partagea les marchandises comme l’écureuil le demandait, et l’écureuil partit avec les deux tiers des marchandises, en disant : — Bon, je reviens demain. Le lendemain, il ne revint pas. Chaque fois que tu vois un calao, non loin de là tu verras soit l’écureuil soit le terrier de l’écureuil. Car depuis le calao cherche l’écureuil.
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33. L’écureuil, le chacal et le feu de brousse Raconté par Issa Idrissa, 13 ans, Azza, Tasker, Niger Le feu de brousse 1 possédait du bétail. Un jour l’écureuil fouisseur et le chacal décidèrent d’aller voler ce bétail. Ils prirent les animaux et s’enfuirent avec eux dans la brousse. Soudain ils virent le feu qui s’avançait vers eux à grande allure. L’écureuil se mit alors à creuser des trous régulièrement, au fur et à mesure de leur fuite. — Le feu est en train de nous rattraper, dit-il au chacal. Il faut que nous prenions de grandes branches de kozzon 2 et que nous allions à sa rencontre. Tandis que le chacal fit ce que disait l’écureuil, ce dernier rentra dans l’un des trous qu’il avait creusés. Et le chacal mourut brûlé. Avec ses deux canines, on aurait dit que le chacal mort souriait. L’écureuil se moqua de lui : — Tu ris de moi, lui dit-il, est-ce parce que celui que nous avons volé nous a rattrapés ? 3 Et l’écureuil partit en riant.
34. L’écureuil et le chameau Raconté par Ousman Omar « Soja », Azza, Tasker, Niger Un jour, l’écureuil aperçut un chameau que des gens avaient beaucoup trop chargé, et qui criait de douleur. L’écureuil s’approcha du chameau. 1. Azzanga kora. 2. Terme dazaga désignant Leptadenia pyrotechnica, arbuste semblable à un genêt. 3. Variante : « Est-ce parce que je suis dans un trou ? »
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— Mais qu’est-ce que c’est que cette grosse bête ? lui demanda-t-il. Moi qui suis tout petit, je ne me laisse pas faire, et toi, qui es gros, tu laisses les gens te mettre sur le dos plus que tu ne peux porter. L’écureuil conseilla au chameau de se débarrasser de tout le chargement, de s’enfuir du village, et d’aller pousser ses cris ailleurs. Et le chameau suivit ce conseil. Les plus petits ne sont pas les moins malins.
35. L’écureuil et les haricots Raconté par Mallom Issa Adam, Azza, Tasker, Niger L’écureuil et le chacal demandaient une même fille en mariage. Finalement, ce fut l’écureuil qui l’obtint. Un jour que la femme avait commencé à cuisiner des haricots et qu’elle s’était absentée, l’écureuil, sans attendre son retour, eut envie de prendre un peu de haricots dans la marmite. Mais soudain il vit son épouse qui revenait. Pris de honte, il cacha les haricots dans son bonnet et le remit sur sa tête. Mais les haricots le brûlaient, et il se mit à bouger la tête pour apaiser sa douleur. — Qu’est ce qui ne va pas ? lui demanda sa femme. Pourquoi balance-tu la tête comme cela ? — C’est une habitude que j’ai depuis que je suis enfant, répondit l’écureuil. La brûlure finit par tuer l’écureuil. C’est la seule fois que l’écureuil n’a pas été le plus malin.
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HISTOIRES DE SINGES Contes teda-daza 36. Le babouin et la gazelle dama Raconté par Ingay Tchoteya, Anakazza, Wadi Nohi, Tchad Jadis, la gazelle dama était mariée au babouin. Ce dernier rentrait toujours à la maison à la nuit tombée. Lorsqu’il était à quelques mètres de la porte, il disait : — Je n’aime pas le feu, je n’aime pas la lampe. Eteins-les ! La gazelle mit au monde un enfant. Elle se rendit chez une vieille femme pour lui montrer son nouveau-né. — Cet enfant, c’est celui du babouin, dit la vieille. Son père aussi est comme cela, très laid. C’est pour cela qu’il rentre à la nuit et te demande d’éteindre le feu. — Comment puis-je faire pour voir comment est son corps ? demanda la gazelle. — Ramasse des herbes sèches. Quand le babouin rentrera à la nuit, tu mettras cette paille dans le foyer, elle s’enflammera immédiatement. La gazelle fit ce qu’avait dit la vieille, et elle vit le babouin. Il avait des bras forts, longs et arqués. — Pourquoi as-tu des bras longs comme cela ? demanda la gazelle. — Avant, j’ai fait la guerre, et j’ai dû tirer beaucoup de chameaux, répondit le babouin. — Et pourquoi as-tu tous ces poils ? — Ce n’est que ma couverture. — Et pourquoi as-tu une queue longue comme cela ? — Ce n’est que mon fouet. — Et pourquoi as-tu les pieds tordus vers l’intérieur ?
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— J’ai beaucoup monté de chevaux, les étriers m’ont tordu les pieds. — Et pourquoi as-tu les fesses rouges ? — Avant, j’ai été juge, et je suis beaucoup resté assis pour rendre la justice. Effrayée par la laideur du babouin, la gazelle prit la fuite. L’enfant se mit à pleurer. Le babouin le prit dans ses bras, lui donna des baies 1, et des graines de cram-cram 2. Ils partirent vivre dans les rochers.
Ahmat Kolomi devant sa tente, Dougouli, Niger.
1. Dazaga korba, beri-a korbo, fruits de l’arbre korbola (dazaga et beri-a). 2. Graminées épineuses qui s’accrochent aux vêtements.
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37. Les singes et la femme bavarde Raconté par Ahmat Kolomi, Teda, chef du puits de Dougouli, Niger 1 Une troupe de babouins avait installé son campement près de la maison d’une vieille femme bavarde. Chaque matin, elle faisait du bruit, râlait, insultait tous ceux qui passaient par là. Le chef des singes rassembla tous les singes et leur dit : — Vraiment, nous vivons dans un bon endroit. D’ici, nous voyons bien les environs. Nous avons de la nourriture en abondance. Nous sommes tranquilles, si ce n’est que je ne peux plus supporter cette vieille bavarde qui crie, râle, insulte tout le monde. A mon avis, nous ferions mieux de faire nos bagages, de plier nos tentes et de partir ! Les autres refusèrent : — Pas la peine, répondirent-ils. Nous sommes bien ici, nous mangeons bien. C’est vrai, la vieille est bavarde, mais tant qu’elle ne vient pas chez nous, cela ne nous gêne pas. Va vivre ailleurs si tu veux, mais nous, nous sommes bien ici, nous restons. — Bon, si vous ne voulez pas partir, je partirai seul. Le chef prit ses affaires et s’en alla donc, et les autres restèrent. Et la femme continua de bavarder et de colporter des médisances parmi les hommes du voisinage. Et voilà qu’un jour ces bavardages provoquèrent une bagarre. Un homme dégaina son couteau et le planta dans le ventre d’un autre, qui fut gravement blessé. Les gens allèrent demander conseil à la vieille : — Notre fils est blessé, c’est grave. Que faire ?
1. Une version quasiment identique m’a été racontée par Omar Souleyman, Teda, Gouro, Tchad.
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— C’est simple, répondit-elle. Je connais un médicament pour ce genre de blessure. Allez tuer des singes et prenez la graisse de leur ventre, entre l’intestin et la peau, et apportez-la moi. C’est avec cela que nous le soignerons. Les gens du village partirent à la recherche des singes, les tuèrent et leur ouvrirent le ventre. Mais ils s’aperçurent que les singes n’avaient pas de graisse dans le ventre. Seuls deux singes échappèrent au massacre. Ils coururent jusqu’à leur chef. — Qu’est-ce qui vous amène ici ? demanda ce dernier. — Après ton départ, un grand malheur s’est abattu sur nous. Tous les nôtres ont été tués, et c’est pourquoi nous sommes venus. — Mais quelle est la raison de ce malheur ? — La vieille a demandé aux villageois la graisse de notre ventre. — Je vous l’avais bien dit, vous auriez dû m’écouter. Il n’y a rien de pire qu’une femme bavarde !
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38. Comment Dieu a créé les singes 1 Raconté par Ahmat Kolomi, Teda, chef du puits de Dougouli, Niger 2 Le singe est comme l’homme, c’est pourquoi on 3 ne le mange pas, de même qu’on ne mange pas ses parents. Il y a très longtemps, des Arabes trairent les chamelles de Dieu 4. Ils ne burent pas le lait, mais s’en servirent, au lieu d’eau, pour faire leurs ablutions avant la prière. Mécontent, Dieu les punit en les transformant en singes. Un jour, un Arabe qui était en voyage rencontra un singe. Il lui donna du lait de chamelle dans un koro 5. Le singe but et se transforma en Arabe.
1. Selon les gens qui le racontent, ce récit peut-être considéré comme un conte (avec un aspect humoristique qui se fait au détriment des Arabes) ou comme un mythe (avec une valeur explicative et la possiblité d’une croyance). Il existe des variantes dans lesquelles il ne s’agit pas précisément d’Arabes mais d’hommes en général. Le Cœur (1950 : 94) en rapporte brièvement une, dans laquelle la faute des hommes en question est d’avoir commis un meurtre. Dragesco-Joffé (1993 : 141) rapporte une version touareg de cette histoire. Le motif d’une métamorphose d’hommes en singes à la suite d’une transgression se retrouve aussi dans la tradition arabe : il s’agit alors de « juifs ayant pêché et fait cuire du poisson le jour du sabbat » (Lewis et al., 1971 : 315). Mais il est difficile de dire si les récits teda-daza et touareg ont été empruntés aux Arabes. 2. Des versions quasiment identiques m’ont été racontées par Tchouwa El-Hadj Ali, Azza, Tasker, Niger et Omar Suleyman, Teda, Gouro, Tchad. Ce récit semble donc connu d’un bout à l’autre de l’aire teda-daza, ainsi que dans des populations voisines (voir note précédente). 3. Teda-Daza et Beri ne mangent pas les singes, mais il est difficile de dire si cet interdit est antérieur à l’islam ou non. 4. Selon la version racontée par Omar Souleyman, ils auraient trait des gazelles dorcas. 5. Grand bol d’une contenance de deux litres environ, servant d’unité de mesure sur les marchés.
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AUTRES CONTES ANIMALIERS Contes azza, teda-daza et beri 39. Le bouc et la hyène tachetée Raconté par Togoy Allanga, représentant Bilia, Fada, Tchad Le bouc était parti de chez lui pour aller rendre visite à certaines de ses chèvres. Puis, dans la nuit, il eut envie d’aller voir d’autres chèvres qui se trouvaient à quelque distance. En cours de route, la hyène tachetée l’attrapa. — Où vas-tu donc ? demanda la hyène. — Je viens de quitter certaines de mes chèvres, je vais en chercher d’autres puis je reviendrai chez moi, répondit le bouc en tremblant. — Dis-moi trois vérités, et je te laisserai en vie, demanda la hyène. — Ecoute-moi bien. La première des trois vérités, c’est que tu n’as pas faim. Si tu n’avais rien mangé de la journée, si tu étais affamée, tu ne m’aurais même pas posé de question. La deuxième vérité, c’est que si, au moment où j’allais partir de chez moi, j’avais su que j’allais te rencontrer, je ne serais pas parti. La troisième vérité, c’est que si tu me laisses rentrer chez moi et que je raconte que nous nous sommes rencontrés et que tu m’as laissé en vie, on ne me croira jamais. La hyène rit. — C’est vrai, ce soir, j’ai tué un âne, j’ai mangé, je n’ai pas faim. Pars donc ! Et elle relâcha le bouc.
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40. Le chat et le coq Raconté par Ousman Omar « Soja », Azza, Tasker, Niger 1 Un jour, le chat et le coq décidèrent de faire équipe pour chasser. Au cours de leur marche, le chat dit au coq : — Ecoute, nous avons faim et nous cherchons de la viande. Mais toi tu es de la viande, et en plus tu te promènes devant moi avec la viande que tu as sur la tête en abondance ! — Ce n’est pas cette viande-là qu’il te faut, répondit le coq. Laisse-moi tranquille et allons plutôt chercher du gibier dans la brousse. Ils se mirent en chasse, mais ne trouvaient rien. Le chat se jeta alors sur le coq, et mangea sa crête. Plus tard, le coq partit en pèlerinage à La Mecque. A son retour, tous les oiseaux vinrent lui souhaiter bonne arrivée. Le chat vint aussi. Il serra la patte du coq en lui disant « bonne arrivée ! » Mais il ne relâchait pas la patte de l’oiseau. Le coq prit peur et retira brusquement sa patte. — Toi, dit-il au chat, dans le temps, tu était mauvais. Eh bien, tu n’as pas changé ! Depuis, le coq se méfie du chat.
1. Une version quasiment identique de ce conte m’a été racontée par Magaram Djibril, 15 ans, Daza, Tasker, Niger.
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41. Trois amoureux Raconté par Barkay Herr, 14 ans, Daza, Tasker, Niger Un éléphant, un coq et une hyène rayée étaient en concurrence pour épouser une belle fille. Un jour, l’éléphant fit un énorme tas de crottin. — Quand le coq viendra, dit-il à la fille, dis-lui que c’est moi qui ai fait ça ! Le coq entra dans le tas de crottin et se mit à le manger, tant et si bien que bientôt il n’en resta plus rien. — Quand la hyène viendra, dit-il à la fille, dis-lui que c’est moi qui suis venu à bout de ce tas de crottin ! La hyène vint voir le coq. — Amène des animaux à deux pattes pour qu’ils te soutiennent, moi j’amènerai des animaux à quatre pattes, lui proposa-t-elle. La hyène se fit accompagner de la gazelle, du chacal et d’autres hyènes, tandis que le coq avait à ses côtés le vautour, le faucon, le corbeau et d’autres coqs. La hyène envoya le chacal en éclaireur, afin de vérifier si le coq et ses alliés étaient déjà au rendez-vous. Le vautour et le faucon virent le chacal et le tuèrent en lui arrachant les yeux. Puis le vautour partit à la rencontre de la hyène et de ses alliés, qui le firent prisonnier, mais ils parvint toutefois à se libérer à coups de bec. Depuis, on dit que ceux qui ont deux pattes ont eu le dessus sur ceux qui en ont quatre.
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42. Les deux femmes du calao Raconté par Tchouwa El-Hadj Ali, Azza, Tasker, Niger
Le petit calao à bec rouge avait pour épouses la souris et le pic. Un jour, il donna deux sacs de mil à chacune d’elles puis partit en voyage. Bientôt la souris feignit d’être malade. Elle se mit deux boules dans la bouche, une boule de terre rouge derrière la joue droite et une boule blanche derrière la joue gauche, puis elle dit au pic : — J’ai mal à mes deux joues, elles sont enflées. J’ai du pus du côté gauche et du sang du côté droit. — Tu es malade, compatit le pic, repose-toi et ne fais pas la cuisine. C’est moi qui préparerai les repas de nos enfants. A son retour, le mari se rendit d’abord chez le pic et constata que les deux sacs de mil qu’il lui avait laissés étaient vides. Puis il alla dans la maison de la souris, et la trouva bien portante, avec les deux sacs presque pleins de mil. — Comment se fait-il que l’autre femme n’ait plus rien alors que toi tu a encore du mil en abondance ? demanda-t-il. Très en colère, il revint dans la maison du pic. — Vous avez autant d’enfants l’une que l’autre, dit-il au pic, mais toi tu gaspilles la nourriture que je me donne beaucoup de mal pour trouver. — Depuis ton départ, répondit le pic, j’ai préparé la nourriture pour nos deux familles, c’est pourquoi mes sacs sont presque vides. Le calao appela la souris, qui vint en courant : — Je ne suis jamais tombée malade, assura-t-elle. Le mari se mit alors à crier sur le pic. — Toi, tu n’es qu’une gaspilleuse ! Fais attention, car les temps sont difficiles, et il nous faut savoir gérer le peu que nous avons.
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— Tu verras, dit la souris au calao. Tu vas voyager de nouveau, je ne tomberai pas malade et tu verras laquelle de nous gaspille la nourriture. Le mari repartit en voyage et donna à chacune un sac de haricots. Plusieurs fois par jour, la souris mettait quelques haricots sur un van et mettait une marmite au feu, faisant semblant de préparer à manger. — Tiens, se disait le pic, la souris prépare à manger, je peux donc moi aussi faire la cuisine. Dès que la souris apercevait le pic en train de préparer à manger, elle vidait sa marmite, cessait de cuisiner, et mangeait les restes du repas précédent. Ainsi, le pic préparait deux fois plus de nourriture que la souris. Quand le mari revint, il constata de nouveau que le pic consommait bien plus que la souris. Il se percha alors sur un arbre et cria : — Kut kut kut kut kut, mere uru ! La seconde épouse est mauvaise ! Tchuka tchae 1, tchuka tchae ! Puis il s’envola, abandonnant tout. Depuis lors, le cri du calao est : — Kut kut kut kut kut, mere uru ! Tchuka tchae, tchuka tchae ! Et depuis lors, le calao n’a qu’une seule épouse. Enfin, depuis lors, les femmes n’aiment pas les co-épouses.
1. Nom du petit calao à bec rouge en dazaga.
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43. Le calao et le génie Raconté par Binti Ibrahim, 8 ans, Azza, Tasker, Niger
Chaque fois que le génie Terkaala cherchait une proie, le petit calao à bec rouge venait voler autour de lui puis se perchait sur un arbre pour donner l’alarme, si bien que Terkaala rentrait bredouille. Pour se venger, le génie pilla le nid de l’oiseau. C’est pourquoi désormais le calao n’a pas de nid et vole le nid des autres oiseaux.
44. Le chef des oiseaux Raconté par Tchouwa El-Hadj Ali, Azza, Tasker, Niger Un jour, tous les oiseaux se réunirent. — Tous les autres animaux ont un chef, mais nous, les oiseaux, n’en avons pas, disaient les uns et les autres. Seul le hibou n’était pas venu à cette réunion, qui dura du matin jusqu’au soir. Au coucher du soleil, le hibou arriva, avec son vilain visage. — Pourquoi viens-tu si tard ? lui dirent les autres. — Je suis resté chez moi pour réfléchir. Je pensais à ces hommes qui valent moins qu’une femme. J’ai constaté que beaucoup de femmes valent plus que les hommes. Les autres oiseaux applaudirent. — Toi, dirent-ils au hibou, tu sais penser, tandis que nous sommes venus à la réunion sans la moindre idée. Tu seras notre chef.
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C’est pourquoi le hibou se trouve toujours immobile, au même endroit, comme les grands chefs, alors que les autres oiseaux volent en tous sens.
45. Les vérités du hibou Raconté par Ousman Omar « Soja » et Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger Un jour, des gens demandèrent au hibou : — Pourquoi as-tu toujours l’air si triste alors que les autres oiseaux chantent ? — La raison de ma tristesse, répondit le hibou, c’est qu’il y a plus de femmes que d’hommes, et plus de morts que de vivants. — Quel est le sens de ces affirmations ? demandèrent encore les gens. — Si je dis qu’il y a plus de femmes que d’hommes, c’est qu’à mon avis, certains hommes ne sont que des femmelettes, répondit le hibou. Et si je dis qu’il y a plus de morts que de vivants, c’est que les vivants mourant peu à peu, le nombre de morts va toujours grandissant.
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46. La gazelle, la chèvre, le chien et le chef Raconté par Abdelrazak Ibrahim, 12 ans, Azza, Tasker, Niger Un jour, une gazelle dorcas et une chèvre décidèrent de faire équipe pour cultiver un champ. Elles firent tous les travaux ensemble, puis vint le moment de la récolte. Elles discutèrent du partage, et se disputèrent sans parvenir à se mettre d’accord. Chacune partit alors chercher quelqu’un pour l’aider. La gazelle trouva un chien, et la chèvre demanda son assistance à un chef 1. Avant que ce dernier n’arrive, la gazelle cacha le chien dans une calebasse. — Donnez-moi de l’eau, demanda le chef en arrivant. — Il y en a dans cette calebasse, lui répondit la gazelle. Le chef ouvrit la calebasse, et le chien, qui était affamé, poursuivit le chef. De peur, celui-ci se pissa et se chia dessus. Arrivé chez lui, il se déshabilla, jeta ses vêtements par terre, et les donna à deux enfants. — Mais tu as chié et pissé dedans ! lui dirent les enfants. — Comment ? dit le chef, je vous ai donné des vêtements neufs ! — Non, tu nous les a donnés comme cela, dégoûtants ! — Toi, demanda le chef au plus grand des enfants, que vas-tu raconter à tes parents quand tu rentreras chez toi ? — Je dirai qu’il y a un chef qui a chié dans son pantalon, répondit le garçon. Le chef le tua et appela l’autre. — Et toi, que vas-tu raconter à tes parents quand tu rentreras chez toi ?
1. Dazaga derde.
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— Je ne dirai rien, répondit le petit garçon, je me contenterai de déposer les habits devant ma maison. Et le chef laissa l’enfant partir.
47. Le moustique et le scarabée Raconté par Omar Souleyman, Teda, Gouro, Tchad Un jour le moustique se rendit chez le scarabée 1. Ils se saluèrent : — Salam aleikum ! — Aleikum salam ! Puis le moustique demanda au scarabée la main de sa fille. Le scarabée était embarrassé, car il n’avait pas très envie que le moustique épouse sa fille. Cependant, le vent s’était levé et des nuages de poussière se dirigeaient vers les deux insectes. — Eh, « cou court 2 », demanda le moustique au scarabée, réponds-moi donc rapidement, car je vais bientôt devoir partir ! Le scarabée vit le vent qui arrivait, il ne répondit pas, et le vent emporta le moustique au loin.
1. Dazaga et tedaga todo : petit scarabée noir. 2. Tae kore (dazaga).
Tchouwa El-Hadj Ali et Fatimé Adam tressant des feuilles de palmier doum, Tasker, Niger.
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II. HISTOIRES D’HOMMES ET DE GÉNIES HISTOIRES DE GÉNIES Contes azza et teda-daza 48. Le vautour et l’homme pauvre Raconté par Ousman Omar « Soja », Azza, Tasker, Niger Il était une fois un homme très pauvre qui avait épousé une très belle femme. Un jour, il se rendit chez un devin qui lisait l’avenir sur le sable 1. — Pourrais-tu regarder la terre et me dire où je pourrais faire fortune ? lui demanda-t-il. — Ce n’est pas ici que tu feras fortune, lui dit le devin. Il faut que tu partes au loin, dans un autre pays. L’homme partit avec sa femme. Ils parvinrent à un autre village et se rendirent chez le chef. Tandis qu’ils patientaient dans l’antichambre, les notables les virent. — L’étranger a une très belle femme ! dirent-ils. Le chef leur dit de lui amener cette femme pour qu’il la voie. Quand il la vit, le chef dit : — Cette femme n’est pas faite pour un pauvre, elle est pour moi. Conduisez-la chez moi auprès de mes autres femmes, je la prends ! Et mettez cet étranger dans un sac, et allez le jeter dans le fleuve. Les notables mirent l’étranger dans un sac, mais une fois au bord du fleuve, ils n’eurent pas le cœur de le jeter dans l’eau et l’abandonnèrent là.
1. La géomancie est une pratique courante chez les Azza.
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Peu après, un homme qui longeait la rive du fleuve monté sur son âne vint à passer et vit un sac qui bougeait. — Qu’y a-t-il donc là-dedans ? cria-t-il. — C’est moi, répondit une voix venant du sac. Je suis un pauvre homme. Quand je suis arrivé dans ce village, on m’a proposé de remplacer le chef, et j’ai refusé. — Que tu es bête ! s’exclama l’homme. Moi, j’accepte ! Je vais te faire sortir de ce sac et y prendre ta place. L’homme pauvre sortit du sac et partit se cacher derrière le village. Cependant, le chef demandait aux notables : — Avez-vous bien jeté cet étranger dans le fleuve ? — Oui, oui, répondirent les notables. Méfiant, le chef leur ordonna d’aller vérifier que l’homme était bien mort. Ils retournèrent au bord du fleuve et virent que le sac était toujours là et qu’il parlait. — Nous avons voulu lui sauver la vie, dirent-ils, mais nous ne pouvons rien faire de plus. Et ils jetèrent le sac dans l’eau. Cependant, un peu plus loin au bord du fleuve, l’homme qu’ils croyaient avoir tué se lamentait. — Je suis encore plus pauvre et malheureux qu’avant, pleurait-il. Un vautour vint se percher à côté de lui. — Pourquoi pleures-tu ? lui demanda l’oiseau. — J’étais pauvre, lui répondit l’homme, et j’ai demandé au devin où je pourrais faire fortune. Le devin m’a conseillé de partir pour un autre pays. Je suis venu ici avec ma femme, et le chef de ce village m’a pris ma femme. Ma souffrance est donc deux fois plus grande qu’avant : je souffre toujours parce que je suis pauvre, et je souffre désormais parce que l’on m’a pris ma femme. C’est pourquoi je suis malheureux ! — Attends, lui dit le vautour, je vais te donner une amulette magique que tu mettras dans ta bouche, derrière la joue droite.
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Tu ne l’enlèveras que pour manger et boire. Même pendant ton sommeil, tu la garderas derrière ta joue. Le vautour lui donna l’amulette, et lui dit de retourner au village. — Quand tu y seras, la fille du chef tombera malade, d’une maladie que personne ne parviendra à guérir. Alors le chef promettra d’offrir sa fille en mariage à celui qui saura la guérir. Seule ta petite amulette peut la sauver. Tu la sortiras de ta bouche, tu la mettras dans de l’eau, tu lui donneras cette eau à boire, et tu auras une princesse pour femme. L’homme revint au village, et tout se passa comme le vautour avait dit. Le chef dépensa sans compter pour guérir sa fille, mais la santé de la princesse ne s’améliorait pas. Il ordonna alors au crieur de lancer un appel, offrant sa fille en mariage à celui qui la guérirait. L’homme entendit l’annonce et se porta volontaire. Grâce à son amulette, il parvint à guérir la fille, et le chef tint parole et la lui donna pour femme. Cependant la fille avait un amant. — C’est curieux, se disait-elle, mon époux a toujours quelque chose derrière la joue. Une nuit, elle vola l’amulette pendant le sommeil de son mari, et la donna à son amant. L’homme perdit ainsi son pouvoir. Le chef s’en rendit compte et lui reprit sa fille. L’homme se rendit alors de nouveau au bord du fleuve pour y pleurer. Et de nouveau, le vautour apparut. — Je t’ai donné un remède à tes souffrances, lui dit le vautour. A présent, tu es marié à une princesse, mais tu es encore malheureux. Pourquoi ? — On m’a volé mon amulette et on m’a repris ma femme, répondit l’homme. Le vautour convoqua alors tous les animaux, les oiseaux, les serpents, les lézards, les scorpions et les insectes.
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— Je vous donne quatre heures pour me retrouver cette amulette, leur dit-il. Et il chargea le hibou de diriger cette opération. Le hibou dit que pour récupérer l’amulette, il aurait besoin de quatre animaux : le corbeau, la souris, le chat et le serpent. Il les prit à part et leur dit : — Toi, corbeau, tu survoleras le village et tu te percheras sur le toit de la maison où se trouve l’amulette. Toi, chat, quand le corbeau sera perché sur la maison, tu nous montreras à quel endroit dans la maison se trouve l’amulette. Et toi souris, quand le chat t’aura montré où se trouve l’amulette, tu la prendras. Enfin toi, serpent, tu entreras dans la maison et tu mordras le maître de maison pour qu’il meure. Quand le conciliabule de ce petit groupe fut terminé, le vautour revint les voir. — Quelles sont vos idées ? leur demanda-t-il. Hibou, quel est ton plan ? Le hibou exposa son plan, et le vautour lui donna son accord. Puis le vautour dit au malheureux : — Reviens donc ici demain soir récupérer ton amulette. Le corbeau s’envola, survola le village, et se percha sur la maison. — A toi, dit le hibou au chat. Va ! Le chat entra dans la maison, regarda partout, et ne vit l’amulette nulle part. Il pensa qu’elle ne pouvait plus se trouver que dans la bouche de l’amant de la princesse. — Il faut que la souris m’accompagne pour que je lui montre précisément où se trouve l’amulette, dit le chat au hibou. Le chat et la souris entrèrent tous deux dans la maison. — L’amulette est derrière cette joue, dit le chat à la souris. Puis le chat repartit.
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La souris réfléchissait, mais elle ne voyait pas comment prendre l’amulette. Enfin l’amant s’endormit, et il ouvrit la bouche. La souris lui mordit alors la langue, si bien qu’il cracha l’amulette. La souris la prit, et alla la remettre au hibou. La mission était presque accomplie, restait au serpent à jouer son rôle. Il partit, mais lorsqu’il arriva à la maison, l’amant, effrayé par les morsures de la souris, avait vidé les lieux, et le serpent ne le trouva pas. Il revint vers ses compagnons. — Je ne l’ai pas trouvé, leur dit-il. — Tu n’as pas rempli ta mission, cache toi avant l’arrivée du vautour, lui conseilla le hibou. Peu après, le vautour se posa auprès du hibou et lui demanda de rendre compte de l’opération. — Seul le serpent n’a pas rempli sa mission, dit le hibou. — Où est le serpent ? demanda le vautour, qui voulait le tuer pour le punir. — Il n’est pas là, répondit simplement le hibou. Cependant, le malheureux vint au rendez-vous que lui avait fixé le vautour. — Voilà ton amulette, lui dit le vautour. A présent, quitte ce pays et pars au loin ! L’homme partit, s’installa ailleurs et y fit fortune, si bien qu’il devint l’homme le plus riche de son village. Un jour, il décida de revenir au village du chef. Il acheta un cheval, lui mit un mors en or et des étriers d’argent, et se mit en route avec un compagnon. Il se rendit chez le chef et y fut bien reçu. On lui donna à manger puis le chef l’invita à prendre le thé avec lui. — Etranger, tu ressembles à un chef. Qui es-tu donc ? lui demanda le chef. — Tu ne me connais pas, répondit l’homme. Et pourtant, moi, je te connais bien.
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Et l’homme de citer la généalogie du chef et les noms de ses épouses. — Je connais aussi une femme qui vit dans mon village et m’a demandé de te saluer, poursuivit l’homme. Et il cita le nom de celle qui fut jadis l’épouse préférée du chef. — Mais cette femme est morte depuis longtemps ! s’étonna le chef. — Comment se fait-il que tu ne me reconnaisses pas ? demanda l’homme. Celui à qui tu as donné ta fille en mariage, c’est moi. Celui dont tu as pris la femme, c’est moi aussi. — Celui dont j’ai pris la femme, j’ai ordonné à mes notables de le jeter dans le fleuve. Et toi, tu es vivant ! Et cette femme dont tu me parles, est-elle vivante elle aussi ? J’ai envie de la revoir, estce possible ? — Il semble que tu ne te souviennes plus de moi. Je te répète que c’est moi qui ait guéri ta fille, que c’est moi à qui tu l’as donnée en mariage, et que c’est moi aussi que tu as ordonné de jeter dans le fleuve. Le jour où tes notables m’ont jeté dans l’eau, je me suis retrouvé dans l’au-delà, chez la femme que tu aimais. — Et si moi je me jette dans le fleuve, je vais la voir ? — Tu vas la voir, c’est sûr ! Le chef réunit ses notables et leur ordonna de le mettre dans un sac comme ils l’avaient fait jadis de l’étranger, et de le jeter dans le fleuve. — En attendant que je sois revenu de chez ma femme morte, dit-il à l’étranger, je te nomme chef à ma place. — Non, ce n’est pas ainsi que tu dois agir, répondit l’homme. Tu dois réunir tes notables et toute la population pour dire publiquement : voilà ma décision, je vais partir en voyage durant un certain temps, et je nomme cet homme chef jusqu’à mon retour.
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Le chef fit comme l’étranger le lui demandait, puis tout le monde, les villageois, les notables et le nouveau chef, l’accompagna au bord du fleuve. Les notables le mirent dans un sac et le jetèrent dans l’eau. — Mais est-ce que le chef va vraiment revenir ? demanda un notable. Aussitôt, le nouveau chef ordonna que ce notable soit mis à mort, et cela fut fait. Puis le nouveau chef rentra chez lui, et il demeura le chef du village jusqu’à sa mort. Depuis, le vautour est considéré comme l’ami des grands chefs.
49. Histoire d’un homme pauvre Raconté par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger Deux frères avaient eu des destins différents : l’un était très riche, mais sans enfants pour garder ses bêtes, tandis que l’autre était très pauvre – il n’avait en tout et pour tout qu’une chamelle. Un jour, le riche partit en voyage et confia son troupeau à son frère. Une fois le riche parti, le pauvre prit le cheval de son frère et alla surveiller ses animaux. Arrivé à l’endroit où le riche avait laissé son troupeau, il se rendit compte que quelqu’un avait déjà rassemblé les chameaux et les avait emmenés un peu plus loin. L’inconnu qui avait fait cela dit au pauvre : — Rentre chez toi. Demain je te suivrai avec les biens de ton frère. — Tu les ramèneras chez moi, répondit le pauvre. Très bien, mais moi, où sont mes biens ? Je n’ai rien.
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— Toi, tu n’es pas pauvre, dit l’homme mystérieux. Souvienstoi, autrefois, alors que personne n’avait de chevaux, tu avais un cheval célèbre dans tout le pays, que tu faisais galoper lors des fêtes. Ecoute, voilà ce que tu vas faire pour devenir aussi riche que ton frère. A présent, tu es sur son cheval. Dès que tu approcheras du village, crie afin que tout le monde, hommes, femmes et enfants, sorte des maisons et te regarde. Mets ton cheval au galop, va jusqu’au centre du village, et dis que tu répudies ta femme. Ensuite, égorge ton unique chamelle et dépèce-la. Ne mange pas la viande, mais partage-la entre tous les villageois. Puis ramasse la peau et va-t-en. Cette peau, tu la vendras sur ton chemin, et tu accepteras le premier prix que l’on te proposera. L’homme pauvre fit tout ce que l’inconnu lui avait dit, et quitta son village avec sa peau. La première rencontre qu’il fit sur son chemin, c’était des gens qui avaient capturé une hyène tachetée. — Nous n’avons pas d’argent, lui dirent-ils, mais nous te donnerons cette hyène. Quand l’affaire fut conclue, les gens prirent la peau de la chamelle et la donnèrent à manger à la hyène. Puis, une fois que l’animal eut fini son repas, ils lui mirent une corde au cou, et l’homme pauvre partit avec sa hyène en laisse. Poursuivant son voyage, il parvint à un village. Il attacha la hyène à l’extérieur du village et y entra pour y chercher de quoi nourrir le fauve. Il revint avec des morceaux de charogne et des os. Quand il tendit la main pour donner à manger à la hyène, cette dernière disparut. Seules les empreintes de ses pattes sur le sol étaient encore visibles. L’homme toucha une empreinte, et vit alors de l’or sous le sable. Il en prit un peu, alla au marché et acheta mille vaches. Puis il revint auprès des empreintes de la hyène, reprit de l’or, et acheta mille chameaux. Allant et venant entre les empreintes de la hyène et le marché, il acheta encore mille chèvres, mille brebis, mille chiens, mille ânes et mille chevaux. Comprenant d’où venait son or, des
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villageois tentèrent de se servir en cachette, mais ils ne trouvèrent que du sable. L’or n’apparaissait que sous les doigts de l’homme pauvre. C’est ainsi qu’en suivant les étranges conseils d’un bon génie, car l’inconnu qui avait rassemblé les chameaux de son frère était en fait un génie, l’homme pauvre devint riche.
50. L’homme qui avait porté les commissions d’un diable Raconté par Ousman Omar « Soja », Azza, Tasker, Niger Un homme très pauvre vivait seul en brousse. Un jour qu’il était au marché pour se ravitailler en oignons, en piments et en condiments, un inconnu vint le saluer avec beaucoup de respect. — Tu ne me reconnais pas ? lui demanda l’inconnu. — Non, je ne te connais pas, je ne t’ai jamais vu. — Pourtant, nous sommes voisins. — Tu dois faire erreur, je n’ai pas de voisin. — Même si tu ne me connais pas, sache que nous sommes voisins. C’est pourquoi j’aimerais te demander, quand tu rentreras chez toi, de porter quelques commissions à ma femme et mes enfants. Quand tu auras fini tes courses, tu me trouveras sous cette tente et je te donnerai ces commissions pour ma famille. A la fin de l’après-midi, l’homme pauvre vint retrouver l’inconnu. — Voilà, lui dit-il, j’ai terminé mes achats, je rentre chez moi, donne-moi tes commissions. L’inconnu lui donna une natte de palmes neuve, des oignons, des ignames et des tomates. — Voici mes consignes, lui dit-il. Ne te rends pas chez moi dès aujourd’hui. Dors chez toi, et demain, attends le coucher du
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soleil et marche vers le Sud. Sur ton chemin, tu verras des terriers de fennecs 1. A partir de ce moment-là, ne dis surtout pas « bismillay 2 ! » En t’approchant des terriers, tu verras une femme. C’est ma femme, tu lui donneras les commissions. L’homme fit ce qui lui avait été demandé. Lorsqu’il aperçut les terriers de fennecs, ceux-ci prirent la forme d’un campement, chacun d’eux étant une tente. Il vit la femme et lui donna les commissions. Elle l’invita à boire de l’eau et à prendre le thé. Après avoir bu deux verres de thé, il s’endormit. Il fut réveillé par la femme qui lui proposait un troisième verre de thé, et dit alors : « bismillay ! » Aussitôt, la femme et les tentes disparurent, et l’homme se trouva entouré de terriers de fennecs. Il en devint fou. Voici ce qui arriva à l’homme qui avait porté les commissions d’un diable 3, mais n’avait pas suivi toutes ses consignes.
51. La fille qui épousa un diable 4 Raconté par Adissa El-Hadj Elimé, 15 ans, Daza, Tasker, Niger Un vieil homme vivait seul avec sa fille. Un jour qu’il demanda à celle-ci de regarder s’il y avait des poux dans sa chemise, elle y trouva un gros pou, si gros qu’il ne tenait pas dans la main. Elle chercha le bonnet de son père pour y mettre 1. Pour certains Teda, Daza ou Azza, les fennecs sont eux-mêmes des diables (djinn), ou bien des diables vivent dans leurs terriers. Aujourd’hui encore, certains, lorsqu’ils voient un terrier de fennec, le contournent. 2. « Au nom de Dieu » en arabe. Expression que l’on utilise couramment avant de manger, de boire ou de monter en voiture. Cette invocation est censée chasser le Diable. 3. Dazaga djinni : emprunt à l’arabe djinn. 4. Une version de ce conte a été relevée par Jullien de Pommerol chez les Arabes Mahariya d’Arada, dans l’est du Tchad. Jullien de Pommerol, 1977, conte n° 50 : 219.
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l’insecte, mais celui-ci n’y rentrait pas non plus. Elle partit chercher un tuk 1 et y mit le pou, mais celui-ci dépassait encore du récipient, si bien qu’elle dût le recouvrir avec une peau, comme un tambour. — Qu’y a-t-il là dedans ? demanda le père. — Un pou ! répondit la fille. La fille tapa le tuk du doigt, comme un tambour, pour appeler tous les voisins. Tous vinrent. — Celui qui pourra dire ce qu’il y a là-dedans aura ma fille en mariage ! dit le vieux. Personne ne trouva la réponse. Tant pis, rentrez chez vous ! dit le père. Un diable 2, ayant entendu le défi lancé par le vieux, prit l’apparence d’un homme. Son turban était un serpent et ses chaussures deux varans du désert, un lézard 3 lui servait de cravache et deux autres lézards 4 de lunettes. Il vint chez le vieux et dit : — Je sais ce qu’il y a dans ce tuk, c’est un pou. — C’est la bonne réponse, dit le vieux. Prends ma fille ! Le vieux et le diable discutèrent ensuite de la dot, puis le diable dit : — Donne moi cinq jours, et je reviendrai avec la dot. Le diable partit en brousse, il transforma les savonniers 5 et les Acacia raddiana 6 en chameaux, et les autres acacias en hommes pour l’accompagner. — Voilà, dit-il en arrivant chez son beau-père. A présent, je vais rentrer chez moi avec ma femme. 1. Tuk en dazaga, ou koro en arabe : grand bol d’une contenance de deux litres environ, servant d’unité de mesure sur les marchés. 2. Dazaga djinni. 3. Dazaga tchohõ. 4. Dazaga galagala. 5. Balanites ægyptiaca. Dazaga hollohu. 6. Dazaga tefi ou tehi.
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Pendant le voyage, la femme mit au monde un enfant. Peu après, elle constata que les chameaux de son mari avaient disparu. — Où sont les chameaux ? lui demanda-t-elle. — Ne t’inquiète pas, ils sont restés en arrière, répondit le diable. — Et tes compagnons, où sont-ils ? — Eux aussi sont restés en arrière, pour prier. Le diable s’assit et alluma un feu. Quand il eut obtenu des braises, il prit l’enfant et le mit à cuire. Il en mangea une partie et donna l’autre à sa femme. Elle refusa et se mit à pleurer. — Si tu n’arrêtes pas de pleurer, menaça le diable, je vais te tuer toi aussi ! Elle se calma, et son mari s’endormit. Elle prit alors une grosse pierre, le frappa à la tête et prit la fuite. Elle arriva dans le village de son oncle, et celui-ci la ramena chez son père. Cependant le diable se transforma en hyène et changea tous les arbres en hyènes. Et depuis lors d’innombrables hyènes viennent errer autour du village de la fille pour essayer de la reprendre.
52. Les deux épouses Raconté par Fatimé Adam et Tchouwa El-Hadj Ali, Azza, Tasker, Niger Un vieil homme avait deux femmes, l’une vieille et l’autre jeune. Ils n’avaient presque rien à manger. La vieille femme partit en brousse chercher de la gomme arabique 1 pour son vieux mari.
1. Résine d’acacia, consommée par les Teda-Daza.
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— Toi, lui dit le mari, quand tu es en brousse, tu manges la bonne gomme et tu ne me rapportes que la mauvaise, la sèche ! Il cria et la frappa à coups de bâton. — Bon, c’est simple, lui dit-elle. Demain, nous irons ensemble chercher de la gomme en brousse. Le lendemain, ils partirent en brousse. — Montre-moi où tu as trouvé cette gomme, lui demanda son mari. Elle vit de la gomme sur un arbre et lui dit : — Voilà de la gomme, là, sur cet arbre. Va la cueillir, je t’attends. Le mari se mit à récolter de la gomme sur l’arbre, mais au lieu de détacher la gomme avec la main, il la mettait directement dans sa bouche, si bien que sa barbe resta collée au tronc. Il se fatigua beaucoup, mais ne parvenait pas à décoller sa barbe. — Au secours, cria-t-il à sa femme, viens m’aider ! Elle prit son temps puis vint l’aider en disant : — Ah ! Tu m’accusais de ne t’apporter que la mauvaise gomme ! Elle alla chercher de l’eau froide, de l’eau chaude, et deux lames, l’une tranchante et l’autre moins. Elle voulut d’abord mettre de l’eau chaude. — Surtout pas, hurla le mari, mets plutôt de l’eau froide ! Mais quand elle prit l’eau froide, il cria : — Non, non, mets de l’eau chaude ! Quand elle voulait utiliser la lame tranchante, il demandait l’autre. Et lorsqu’elle prenait celle-ci, il voulait la lame tranchante. Enfin, tant bien que mal, elle parvint à raser la barbe et à libérer son mari, et ils revinrent au village. Le lendemain, la femme dit à son mari : — Nous devons retourner en brousse pour chercher de la gomme !
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— Non, non, répondit-il, vas-y seule ! Je te fais confiance, tout ce que tu rapporteras sera bon ! Les deux femmes savaient toutes deux traire une girafe, et le mari demanda qu’elles le lui apprennent. La girafe était borgne et ne voyait que de l’œil droit, si bien que les femmes parvenaient à la traire en l’abordant par le côté gauche. Le mari se trompa de côté et la girafe lui décocha un coup de patte qui le fit tomber par terre, puis elle s’enfuit. Un jour, la première femme, qui s’appelait Faro, vit un termite qui mangeait du mil. — Où donc as-tu trouvé ce mil ? lui demanda-t-elle. — Je l’ai trouvé chez le génie Terkaala, répondit l’insecte. Lorsque tu arrives devant sa maison, dis « fermefey » et la porte s’ouvre. Si tu dis « kurkumakum », la porte se ferme. La femme fit comme le termite lui avait dit. Elle dit « fermefey », la porte s’ouvrit et elle entra. Elle revint chez elle avec beaucoup de mil. — Faro, lui demanda son mari, montre donc comment tu as trouvé ce mil à Serey, qu’elle puisse en rapporter aussi. Serey était le nom de la seconde épouse. — Quand tu entreras chez Terkaala, lui dit Faro, tu verras une grosse calebasse et un grand tambour, n’y touche surtout pas ! Si tu y touches, je t’entendrai. Serey ouvrit la porte et entra dans la maison, et Faro entendit qu’elle touchait la calebasse et le tambour. Prise de peur, Serey courut se cacher sous un énorme récipient 1 où Terkaala faisait brûler de l’encens. Cependant le génie était dehors et il pilait du mil avec une pierre. Le bruit de la pierre écrasant le mil forma une phrase :
1. Dazaga wurrum ou worrum.
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— Attention, il y a quelqu’un sous le brûleur d’encens ! Terkaala trouva Serey et la tua, puis il la dépeça et se rendit au village : — A qui appartenait cette peau ? demanda-t-il. Connaissiezvous cette femme ? Terkaala vit Faro et la trouva à son goût. Il lui proposa de la tuer et lui promit de l’épouser ensuite dans l’au-delà. Le mari de Faro entendit cela et dit à Terkaala : — Pas question, c’est moi qui t’épouserai dans l’au-delà ! Terkaala tua l’homme et épousa Faro.
53. La belle fille et les crapauds Raconté par Salamatou Mala Abdou, 11 ans, Azza, Tasker, Niger Des jeunes filles, parmi lesquelles une seule était belle, se rendirent un jour à la mare pour y laver leur linge. Elles se dévêtirent pour jouer dans la mare, puis chacune remit ses vêtements et courut chez elle. Mais la belle fille ne put remettre ses vêtements, car un crapaud s’était installé sur ceux-ci. — Pars de mes vêtements ! lui cria-t-elle. Comme il ne bougeait pas, elle le tua. Mais tous les crapauds sortirent alors de la mare et se lancèrent à la poursuite de la fille. Elle arriva dans un village avec les crapauds à ses trousses. — Si vous parvenez à me débarrasser des crapauds qui me poursuivent, dit-elle aux villageois, vous pourrez me prendre soit pour femme, soit pour esclave ! — Continue ta route, répondirent les villageois.
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Elle se remit à courir, et vit devant elle une maison toute brillante, à l’entrée de laquelle se trouvait un homme. — Si tu parviens à me débarrasser des crapauds qui me poursuivent, lui dit-elle, tu pourras me prendre soit pour femme, soit pour esclave ! L’homme invita la fille à entrer dans la maison et s’assit sur le pas de la porte, un sabre à la main, dans l’attente des crapauds. Chaque fois qu’un crapaud tentait d’entrer dans la maison, l’homme le tuait de son sabre. Il tua ainsi tous les crapauds. L’homme décida de prendre la jeune fille pour femme. Il lui donna du savon pour qu’elle se lave, des vêtements neufs, et il construisit une tente pour qu’elle se repose. Enfin il lui donna un chameau et ils partirent ensemble en voyage. Ils arrivèrent en un lieu où l’homme possédait une troupe de canards 1 qu’il faisait garder par des esclaves. L’homme construisit une autre tente et posa sur le toit des brochettes de viande. — Attention, dit la jeune fille aux esclaves, les corbeaux sont en train de manger toute cette viande ! — Laisse ça, lui répondirent les esclaves, maintenant c’est toi qui conduira les canards en brousse ! Ainsi, tous les jours, la jeune fille dut conduire les canards à la mare à la place des esclaves. Elle chantait : — Yi wizzenga yardo tchendir, Ti wizzenga bordo tchendir, Tani wizze fillinör, Wizze kararo fillinör ! Un jour, un cavalier vint à la mare avec une calebasse à la main. La jeune fille prit la calebasse et donna de l’eau au cheval. Quand elle lui rendit la calebasse, le cavalier jeta le récipient, prit la jeune fille et l’emporta sur son cheval. Puis il se mit en quête 1. Dazaga sedan.
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des esclaves qui l’avaient obligée à garder les canards, pour les punir. Ainsi la jeune fille fut délivrée de toutes ses souffrances.
54. La belle fille et l’oiseau-diable Raconté par Abderazak Adam, 10 ans, Azza, Tasker, Niger Sept filles qui étaient parties en brousse chercher des chamelons trouvèrent des œufs sur leur chemin. Parmi elles, six avaient la peau noire tandis que la septième avait le teint clair. Cette dernière écrasa les œufs, qui avaient été pondus par un oiseau-diable 1. Quand l’oiseau revint à son nid, il constata les dégâts et suivit les traces des filles. Bientôt, il les rejoignit. Elles étaient assises à l’ombre d’un arbre et discutaient. — Qui a écrasé mes œufs ? demanda l’oiseau. — C’est cette petite fille noire, répondit la fille au teint clair en montrant du doigt l’une de ses compagnes. — Mais non, protestèrent les autres, c’est cette petite fille au teint clair ! L’oiseau prit la fille au teint clair, et dit aux autres de partir. Il mit sa prisonnière dans un trou et lui dit de chanter : — Musa, musa ! Musa, benne wõn do ! Moussa, Moussa ! Moussa, donne-moi un cordon pour attacher mon pantalon ! Elle chanta, puis elle parvint à sortir du trou et s’enfuit. L’oiseau se lança à ses trousses. Elle rencontra un groupe de vieilles femmes. — S’il vous plaît, leur demanda-t-elle, protégez-moi, cet oiseau me pourchasse ! 1. Dazaga wizz.
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Mais les vieilles refusèrent de l’aider et elle continua sa course. Elle rencontra un marabout : — Si tu parviens à me libérer de cet oiseau, lui dit-elle, je deviendrai soit ta femme soit ton esclave. — Rentre dans ma maison, lui répondit le marabout, et assieds-toi sur le lit. Peu après, l’oiseau arriva et le marabout le tua. La fille devint la femme du marabout. Ce dernier enterra l’oiseau, et sur la tombe poussa une herbe. Un jour la fille cueillit cette herbe pour sa sauce. Dans la marmite, la sauce se mit à parler : — Fulluk, fulluk, tungo nurgi ! disait-elle. Si tu me manges, je te mangerai ! La fille alla voir sa belle-mère. — J’ai cueilli de l’herbe pour la sauce, lui raconta-t-elle, mais cette herbe parle. Elle dit : Fulluk, fulluk, tungo nurgi ! — Pourquoi cueilles-tu de l’herbe sur la tombe d’un animal mort ? lui répondit sa belle-mère. On t’a déjà sauvé la vie une fois, ne recommence pas !
55. Ichami 1 Raconté par Tchouwa El-Hadj Ali, Azza, Tasker, Niger L’enfant Issa, surnommé Ichami, a été enlevé par un génie 2. Sa sœur chante pour lui. 1. J’ai relevé une variante de cette histoire, racontée par Awa Adam, 8 ans, Azza, Tasker, Niger. Dans cette variante Ichami est lui-même un génie (djinni). Marié de force à une femme qu’il n’aime pas, il s’enfuit en brousse et se perd. C’est sa femme qui le cherche en chantant « Depuis qu’Issa est perdu ». 2. Dazaga djinni.
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« Depuis qu’Issa est perdu, Ichami, fils de ma mère, Pas d’eau dans les puits, Pas de feuilles sur les arbres, Pas de lait dans les mamelles des vaches, Pas de paille en brousse ! Depuis qu’Issa est perdu, Les filles sont fatiguées de pleurer, Les garçons font du vacarme, Les marabouts sont fatigués de prier ! » Ichami fut retrouvé à l’intérieur d’un œuf d’autruche. Les villageois invitèrent toutes les filles à venir voir l’œuf. — Celle qui arrivera à briser la coquille aura Ichami pour époux, dirent-ils. Toutes les belles filles du village et des villages voisins vinrent tenter leur chance. Toutes essayèrent, mais aucune ne parvint à briser l’œuf. On dit alors à une esclave qui se trouvait là : — Viens donc essayer toi aussi ! — Non ! répondit-elle. Vous vous moquez de moi ! Si je parviens à briser la coquille, vous me marieriez à Ichami, moi, une esclave ? — Essaie donc ! Elle essaya, et l’œuf se brisa. Ichami sortit, mais il hésitait à épouser l’esclave. — Ecoute, lui dirent les villageois, nous avons donné notre parole ! Tu dois accepter ce mariage, même si ce n’est que pour quelques jours. Et ce fut fait.
Yahya Moussa Tourgoudi, Ennedi, Tchad.
56. Qui a tué Ongorde ? Raconté par Omar Souleyman, Teda, Gouro, et Yahya Moussa Tourgoudi, dit « Heredji », Borogat, Archi, Tchad 1 On 2 ne doit pas tuer plus d’un mouflon à la fois. Exceptionnellement, si les chasseurs sont nombreux, ils peuvent en tuer deux. Mais en tout cas, ils ne doivent jamais tuer la femelle, seulement le mâle. Sinon, cela porte malheur : le chasseur tombe malade, devient fou, aveugle ou pauvre, et ses enfants meurent. Même les militaires qui chassent trop ont des problèmes : lorsqu’ils repartent en véhicule, après la chasse, ils ont des accidents. Un jour, un chasseur avait tué un couple de mouflons. Il s’aperçut que la femelle avait sur ses mamelles un ongorde, un accessoire qui sert normalement à empêcher les chamelons de venir têter leurs mères. Le soir, il mangea la viande. Et la nuit, il entendit une voix qui disait : — Qui a tué Ongorde ? Le matin, le chasseur était mort. 1. Les deux interlocuteurs ont raconté ce récit ensemble, dans les environs d’Archi. 2. Yahya précise : les Teda, les Dazagada et les Beri.
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HISTOIRES DE VOLEURS Contes azza 57. Les deux voleurs Raconté par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger Deux voleurs vivaient chacun dans un village différent, l’un à l’Est et l’autre à l’Ouest. L’un avait chargé son chameau de chiffons et disait qu’il avait des chemises à vendre. L’autre avait du crottin de chameau et disait que c’était des dattes. Ils décidèrent d’aller vendre ces marchandises ailleurs et se mirent en route, chacun de leur côté. L’un allant vers l’Est et l’autre vers l’Ouest, ils se croisèrent sur la route principale. — Qu’as-tu donc là à vendre ? demanda le prétendu marchand de dattes. — Des vêtements. Et toi ? — Moi, des dattes. — Cela tombe bien, je cherche justement des dattes. — Cela tombe très bien, car de mon côté j’ai besoin de vêtements. Ils firent affaire, et chacun rebroussa chemin. Au bout d’une heure de marche, celui qui croyait avoir acheté des dattes se dit qu’il en mangerait bien quelques-unes, et constata qu’il avait acheté du crottin. Furieux, il fit demi-tour et se lança à la poursuite de l’autre. De son côté, celui-ci s’arrêta pour mettre ses vêtements neufs, réalisa son erreur, et retourna lui aussi sur ses pas pour retrouver l’autre. Les deux voleurs se retrouvèrent à l’endroit même où ils avaient fait affaire. — Pourquoi donc m’as tu vendu du crottin au lieu de dattes ? — Et toi, qui m’as vendu des chiffons pour des vêtements !
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Ils se battirent puis, fatigués, finirent par faire la paix. — Se chamailler ne sert à rien, dit l’un. Faisons plutôt équipe pour voler les autres ! Et les deux voleurs se mirent en route. En chemin, ils rencontrèrent des voyageurs venant de Libye, chargés de marchandises. Pendant que ces voyageurs dormaient, les deux voleurs leur dérobèrent toutes leurs affaires, les enterrèrent un peu plus loin, et se cachèrent. Leurs victimes cherchèrent leurs biens partout, et ne voyant rien, finirent par partir. Les voleurs sortirent alors de leur cachette et décidèrent de sortir leur butin du trou profond dans lequel ils l’avaient caché. Le faux vendeur de dattes descendit au fond du trou et passa les marchandises au faux vendeur de vêtements, resté en haut. Celui du bas ne voyant rien de ce que faisait celui du haut, ce dernier, à chaque fois qu’il recevait un objet, le cachait dans les environs. — Pourquoi donc mets-tu autant de temps à attraper les marchandises ? demanda celui qui était dans le trou. — Je les range soigneusement, répondit l’autre. Celui qui était au fond du trou comprit alors que son complice était en train de le tromper. Il ne restait plus dans la cachette qu’une grande malle. Il la vida des marchandises qu’elle contenait, les passa à l’autre, puis lui dit : — C’est presque fini, il ne reste plus qu’une malle. Il attacha la malle à une corde, tendit la corde à son compagnon, puis se mit rapidement dans la malle. — Attention, lui dit-il, cette malle est très lourde. L’autre sortit la malle du trou et alla la cacher avec le reste du butin. Puis il revint vers le trou et, croyant que son compagnon s’y trouvait encore, le reboucha avec du sable. Pendant ce temps, l’autre sortit de la malle et alla cacher le butin dans un autre endroit. Lorsque son compagnon revint là où il avait laissé le butin, il ne retrouva rien. Il chercha à droite, à gauche, mais en
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vain. Cependant ce voleur avait des pouvoirs magiques : il se transforma alors en âne et se mit à braire. — Tiens, j’entends un âne par là, se dit l’autre, qui justement n’avait pas de quoi transporter son butin. Il prit l’âne et décida de le charger, mais l’animal retrouva alors sa forme humaine, et lui sauta dessus : — C’est toi qui as volé tout le butin ! — Et toi qui as voulu m’enterrer dans le trou ! Ils se battirent de nouveau, puis, de nouveau, firent la paix. — Partons tous deux chez moi et reposons-nous pendant deux jours avant de partager le butin, proposa l’un des deux voleurs. Ce voleur était marié. Une fois arrivé chez lui, il dit : — Laisse-moi donc seul avec ma femme, je vais me reposer pendant deux jours. Pendant ce temps, va chez toi chercher tes bêtes pour transporter ta part du butin. L’autre parti, le marié ordonna à ses enfants de le mettre en terre comme s’il était mort. Au bout de deux jours, son compagnon revint. — Notre père est mort, lui dirent les enfants. Nous l’avons enterré hier. — Bon, j’étais venu chercher ma part du butin, mais puisque vous voilà désormais orphelins, je vais tout vous laisser. Pourriezvous me montrer la tombe de mon ami, que j’aille prier dessus ? Les enfants lui montrèrent la fausse tombe de leur père. — Merci, dit-il. A présent, rentrez chez vous, prenez soin de votre fortune. Quant à moi, je rentrerai chez moi. Les enfants partis, l’homme s’adressa au prétendu défunt : — Je suis un maleyka 1, lui dit-il. Sors donc de ta tombe, et raconte-moi à quoi tu as passé ta vie. Sors !
1. Nom arabe désignant un ange qui juge les hommes après leur mort.
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L’homme sortit et vit son compagnon. — Mais tu n’es pas un maleyka ! dit-il. — Non, je ne suis pas un maleyka, je suis ton ami ! Et toi, tu n’es pas mort ! Viens, allons chez toi partager notre butin.
58. Le voleur de chameaux Raconté par Mallom Omar Boko, Azza, Tasker, Niger Un célèbre voleur de chevaux était parti en quête de rapines. — Moi, je n’ai pas peur de lui, se vantait un homme. Même si je lui prête mon cheval, il n’osera pas me le voler ! Et l’homme prêta son cheval au voleur. Ce dernier partit avec, le vendit, puis revint au village. — Où est mon cheval ? lui demanda l’homme. — Après que j’ai pris ton cheval et quitté le village, lui répondit le voleur, j’ai rencontré des cavaliers qui m’ont invité à galoper en leur compagnie. Ils ont dit : urdjeli ma warap, « tape le malin ! », et nous nous sommes mis à galoper. En galopant, ils ont dit : salama zuta, « allez, descendez ! » Puis ils ont dit : matasoru chãng chigidikolkol, « pas de traces, pas une, silence complet ! » Ainsi, après que tu m’as prêté ton cheval, j’ai trouvé sur mon chemin des gens qui d’une phrase m’ont invité à galoper, et j’ai accepté leur invitation. J’ai aussi obéi à leur deuxième injonction, et je me suis arrêté. Enfin, j’ai obéi à la troisième expression, et j’ai vu tous les chevaux, dont le tien, disparaître. Tu vois, je ne suis pas un voleur !
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CONTES TOUBOU DU SAHARA
CONTES MORAUX Contes teda-daza et azza
59. L’arbre à beignets Raconté par Ousman El-Hadj Elimi, 8 ans, Teda, Tasker, Niger Un homme avait deux épouses, l’une sérieuse et l’autre moins. Elle se firent la promesse que si l’une d’elles venait à mourir, l’autre s’occuperait de ses enfants comme des siens propres. L’épouse sérieuse mourut. L’autre prépara de bons repas pour ses propres enfants, et ne donna que du son 1 aux autres. Cependant, quand les orphelins conduisaient les troupeaux de vaches en brousse, elle achetait des beignets et les leur donnait. En en mangeant un, l’un des orphelins trouva, à l’intérieur, un haricot, et il le sema. Dès lors, chaque fois que les orphelins partirent en brousse, ils trouvèrent des beignets là où le haricot avait été semé. Un jour, un de leurs demi-frères leur dit : — Je vais vous accompagner ! Ils partirent ensemble. — Je vais te montrer le chemin, dit l’un des orphelins à son demi-frère. Tu vois cet arbre, là-bas ? C’est sur cet arbre que je cueille des beignets. Le demi-frère partit, mais dès qu’il approcha de l’arbre à beignets, celui-ci se redressa et s’allongea tant que l’enfant ne put cueillir le moindre beignet. Cependant, quand les orphelins vinrent à leur tour, l’arbre redevint petit et ils trouvèrent des beignets. 1. Dazaga kemperi.
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Le demi-frère des orphelins rapporta à sa mère ce qui lui était arrivé. La mauvaise épouse prit alors une hache pour abattre l’arbre à beignets, mais il résista à ses coups.
60. Les moustaches du lion Raconté par Omar Souleyman, Teda, Gouro, Tchad Une femme sentait que son mari ne l’aimait plus. Elle se rendit chez le marabout. — Mon mari me délaisse, lui dit-elle, il me faut un remède. — Voici ce que je te propose, répondit le marabout. Je vais te demander de m’apporter une chose, et avec cette chose nous allons essayer de faire que ton mari t’aime. Voilà, cette chose que tu devras me chercher, ce sont les moustaches du lion. Avec ces moustaches, j’essaierai de faire un remède pour toi. La femme aperçut le lion, elle prit un chevreau, l’amena dans l’oued où vivait le lion et partit. Le lion l’attrapa et le mangea. Les jours suivants, elle fit de même. Petit à petit, elle se rapprocha du lion, et finit par déposer le chevreau juste devant le lion. A présent, dès que le lion voyait la femme avec le chevreau, il remuait la queue comme un chien. Un jour, la femme caressa le lion, puis soudain lui arracha les moustaches et les apporta au marabout. — Voilà les moustaches du lion, dit-elle. — Ça alors ! Comment as-tu fait pour les prendre ? lui demanda-t-il. Elle lui raconta toute l’opération. — Voilà ton remède, lui dit le marabout. Si tu fais la même chose avec ton mari qu’avec le lion, il va t’aimer. Je n’ai pas d’autre gri-gri pour cela.
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Bintou Abderahman partant pour l’école, Tasker, Niger.
61. Dieu punit ! Raconté par Bintou Abderahman, 8 ans, Azza, Tasker, Niger Un jour, trois filles partirent cueillir des dattes. Tandis que l’une avait grimpé sur le tronc d’un palmier pour en faire tomber les dattes mûres, les deux autres, par pure méchanceté, mirent des épines sur le sol là où elle devait descendre. En descendant, elle tomba dans les épines et les deux autres s’enfuirent. Elle cria et une lionne l’entendit. La lionne poursuivit les deux coupables jusqu’au bord d’une mare. La nuit tomba, les deux filles se mirent à trembler de peur. La lionne s’approcha d’elles et leur dit : — Vous, vous êtes méchantes ! Elle leur fit peur mais les laissa en vie. Cependant, la nuit suivante, l’une des deux fut enlevée par un inconnu et l’autre mourut soudain, sans raison. Seule la troisième survécut. Si l’on trahit la confiance d’autrui, Allah durgi, Dieu punit !
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62. Le chien Raconté par Bokar Lawali, 13 ans, Azza et Maryama Barkay, 11 ans, Daza, Tasker, Niger Une veuve avait deux enfants, un garçon et une fille. Elle vint à mourir à son tour, laissant beaucoup d’animaux en héritage aux deux orphelins. Un jour, la fille partit en brousse chercher une herbe appelée terkeheli, et fut enlevée par un garçon. Le chien des orphelins poursuivit le garçon et sauva la fille, mais il fut blessé. La fille alla chercher du beurre pour soigner la blessure, et le chien guérit. — Ecoute, dit-elle à son frère. Ce chien fait partie de notre famille. En aucun cas tu ne dois l’abandonner. Je ne veux jamais qu’il soit misérable dans le village ou qu’il parte voler en brousse. Le frère le lui promit, et en remerciement elle lui donna le quart de sa part d’héritage. Enfin elle dit que si ce chien mourait avant elle, elle lui ferait des funérailles comme on fait à une personne. C’est pourquoi depuis le chien est plus proche de la femme que de l’homme.
63. Une bonne marâtre Raconté par Zara El-Hadj Nouri, 8 ans, Azza, Tasker, Niger Une femme avait trois filles, et elle s’occupait aussi d’une fille que son mari avait eue avec une autre femme. Un jour elle envoya les quatre filles chercher du bois, et promit une poupée à celle qui en rapporterait le plus. Les trois sœurs attachèrent leur demi-sœur à un arbre, si bien que lorsqu’elle parvint à se libérer, elle n’avait
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plus le temps de faire un beau fagot, et elle rentra à la maison en pleurant. Sa marâtre, la mère des trois filles, lui demanda pourquoi elle pleurait, et pour punir ses trois filles, elle donna la récompense à sa belle-fille, celle qui n’avait rien rapporté. Une marâtre peut être aussi bonne qu’une mère.
HISTOIRES D’ESCLAVES Contes azza 64. Les neuf esclaves 1 Raconté par Héréta Ahmed, Azza, Tasker, Niger Neuf esclaves devaient se partager dix chamelles. Si chacun en prenait une, il en restait une dont ils ne savaient que faire. Ils essayèrent plusieurs fois, ils n’y arrivaient pas. Un Daza qui passait par là leur dit : — Etes-vous stupides ? Refaisons le partage. Voilà neuf chamelles pour un Daza, ce qui fait dix. Neuf esclaves et une chamelle, cela fait dix aussi. Voilà, le compte est bon ! C’est ainsi qu’un Daza trompa des esclaves.
1. Une variante de ce conte a été relevée par Baroin, 2003 : 134-5.
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65. L’esclave et la boule de mil Raconté par Héréta Ahmed, Azza, Tasker, Niger Un marabout faisait l’aumône 1 en donnant des boules de mil à des enfants. Un esclave voulut en profiter. Il se glissa au milieu des enfants et tendit ses deux mains en les passant autour d’un tronc d’arbre. Le marabout déposa la boule sur les deux mains, si bien que l’esclave ne savait pas comment prendre la boule sans la faire tomber par terre. — Je ne sais pas quoi faire, je ne peux me détacher de l’arbre ! se lamentait-il. Tous les esclaves vinrent l’aider, mais ils ne parvinrent pas à trouver de solution. Finalement, ils décidèrent d’abattre l’arbre. Les villageois entendirent les coups de hache et vinrent voir ce qui se passait. — Qu’est-ce que vous faites là ? demandèrent-ils. — Notre frère n’arrive pas à sortir ses mains de cet arbre, répondirent les esclaves. — Mettez donc la boule sur l’une des mains, et qu’il les retire ! dit un villageois. Ce qui fut fait, et l’esclave put détacher ses mains de l’arbre.
1. Dazaga sadaka : offrande, sacrifice, aumône.
MYTHES
Adam Chileymi, forgeron azza de Tasker (Niger), et son fils déploient un filet de chasse qu’Adam a fabriqué à base de sacs en plastique tissé dans lesquels on emballe les céréales. Devant eux, l’enclume et trois pièges à gazelle (dazaga kusku) également fabriqués par le forgeron.
MYTHES
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1. Histoire des Daza et des Azza Raconté par Mallom Ibrahim Mallom Ousman, Azza, chef des marabouts de Tasker, Niger Deux frères, l’un nommé Daza et l’autre nommé Azza, voyageaient ensemble. Ils se reposèrent, puis chacun prit une direction différente. Daza aperçut un groupe de chameliers, prit son javelot et les pourchassa. Il leur prit des habits et de la nourriture puis retourna auprès d’Azza. Cependant Azza était parti de son côté, avec pour tout équipement une corde. Il fit avec cette corde un piège 1, captura une gazelle dama ou une gazelle dorcas, et rapporta la viande à son frère. Tous deux mangèrent. Le père des deux frères dit : — Celui qui a rapporté de la viande avec pour seule arme une corde, c’est mon ezziretanga, le « propriétaire de la corde ». Celui qui est parti faire la guerre aux autres et prendre leurs biens, c’est mon digizetanga, le « combattant ». C’est de ces deux mots que chacun des deux frères tira son nom. Ezziretanga donna Azza, et digizetanga donna Daza. Le nom azza a deux autres origines : d’une part, al-azzawi, « les insultés » en arabe ; d’autre part, al-izzawi, « les nobles » en arabe. Les Daza ont refusé d’appeler les Azza « nobles », c’est pourquoi on les a nommés al-azzawi, « les insultés ». Après que le père des deux frères les eut nommés, Azza dit : — Puisque j’ai rapporté de la viande avec pour seule arme une corde, c’est moi qui suis noble. — Non, rétorqua Daza. Je suis parti me battre pour rapporter de quoi manger, c’est donc moi qui suis noble.
1. Dazaga kusku.
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Chacun resta sur sa position. C’est pourquoi, depuis, Daza et Azza vivent chacun de leur côté. Daza et Azza se mirent d’accord et décidèrent que les Azza auront comme activités la forge, les travaux manuels 1 et la musique.
2. Déni Bé Raconté par Togoy Allanga, représentant Bilia, et Bahar, Beri, Fada, Tchad Jadis, il y a plus de deux cents ans 2, sur la montagne Déni Bé 3 vivait un serpent si long qu’il buvait dans le puits d’Am Djeres, à vingt kilomètres de là, sans quitter sa montagne. Il avait aussi l’habitude de manger tout ce qu’il trouvait, les ânes, les gens, dans un rayon de vingt-cinq kilomètres. La femme de Sénomogo 4 venait de mettre au monde. Un jour, elle dit à son mari qu’elle allait en brousse chercher sa vache. — Il vaut mieux que tu ne partes pas, lui dit Sénomogo, tu risques de te faire manger par le serpent.
1. Dazaga tchuduku : travail de la main, artisanat. 2. D’autres versions mentionnent une date plus récente, il y a trente ou cinquante ans seulement. 3. « La maison du serpent » en beri-a. Cette montagne existe réellement, et on peut y voir une niche remplie de sable jaune, qu’on appelle le « trou du Serpent ». Les gens de la région croient que cette histoire s’est réellement passée. Certains racontent aussi que tout autour de la montagne du Serpent, le sol est jonché de squelettes, les restes des massacres commis jadis par le monstre, mais il n’y en a pas un seul. Déni Bé est la montagne sacrée d’un clan bilia. Il semble que jusqu’à une date récente, on y sacrifiait un bœuf pour les enfants du serpent. Cependant des Beri d’autres clans, et même des Dazagada, connaissent cette légende et y croient. 4. Dans des variantes, le héros est appelé Tehelo, et est considéré comme l’ancêtre d’une fraction des Kolyala, le clan qui détient la chefferie des Bideyat Bilia. Dans la version relevée par Peter Fuchs, le héros se nomme Tejello. Fuchs 1961 : 225-226.
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La femme désobéit, elle trouva sa vache et son veau et rentra chez elle avec eux. Au moment où elle arrivait en vue de chez elle, le serpent les prit tous les trois 1. Sénomogo s’était absenté. Caché, un enfant vit le drame et le lui rapporta. Sénomogo avait un bon cheval, fort et rapide à la course, auquel il donnait du mil et du lait. Il avait aussi un esclave. Il prit quatre lances, son sabre, monta sur son cheval et marcha vers le Sud, accompagné de l’esclave, lui aussi armé et à cheval. Au moment où il arriva là où sa femme avait été attrapée par le serpent, ce dernier se leva dans le ciel pour attraper Sénomogo et son esclave. Tout en continuant d’avancer, Sénomogo lança un javelot et atteignit le serpent à la gorge. Un autre se planta sur l’énorme tête du serpent, qui était plus grosse que son cou. Les deux autres javelots atteignirent aussi la tête, mais le serpent continuait d’avancer. Il ouvrit la gueule pour attraper Sénomogo, mais ce dernier lui donna un grand coup de sabre. Le sang du serpent jaillit sur lui, sur son esclave et son cheval. Le sabre planté dans sa gueule, le serpent tenta de se réfugier en haut de la montagne, mais il n’y parvint pas. Il tournait autour de la montagne, et son sang coulait abondamment. Lorsqu’il s’effondra, cela fit un bruit qui s’entendit jusqu’à quatre cents kilomètres. Les animaux furent si effrayés qu’ils s’enfuirent jusqu’à Kalaït et Arada 2. Sénomogo et son esclave prirent le chemin du retour. Alors qu’ils approchaient de leur village, le cheval de l’esclave s’effondra, empoisonné par le sang du serpent. Arrivé au milieu du village, le cheval de Sénomogo s’effondra à son tour. Sénomogo lui-même tomba malade. Les villageois égorgèrent des animaux, mirent du jus de viande grillée dans sa bouche, l’enveloppèrent dans des peaux de chameau et de mouton, et au bout d’un mois, il guérit 3. Son esclave et les deux chevaux étaient morts. 1. Dans une variante, le serpent dévore aussi les enfants de la femme. 2. A plus de deux cents kilomètres d’Am Djeres. 3. Dans une variante, le héros meurt dans la nuit.
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Quant aux enfants du serpent, Sénomogo les avait épargnés, se contentant de leur enlever la vue. Ils vivent toujours sur la montagne, aveugles, mais s’ils mangent de la chair humaine, leurs yeux se rouvriront.
3. Histoire d’Ohay Raconté par Togoy Allanga, représentant Bilia, Fada, Tchad Il n’y avait personne de semblable à Ohay. Il était très grand, très fort, possédait beaucoup de vaches, et avait épousé neuf femmes. Chaque jour, chacune de ses femmes lui préparait à manger, mais cela ne lui suffisait pas. La faim le dérangeait sans cesse. Il avait l’habitude d’égorger un bœuf et de le manger tout entier. Il donnait les pieds et la tête à ses femmes, et il mangeait le reste en un rien de temps. Un jour, il partit se promener et se sentit bientôt fatigué et affamé. Alors il égorgea quatre gros moutons, en attacha un sur son dos et un sur son ventre, en prit un troisième sous son bras gauche et le quatrième sous son bras droit et continua son chemin. Les propriétaires des moutons se lancèrent à sa poursuite. Deux d’entre eux le rattrapèrent tandis qu’il marchait tranquillement en mangeant des baies 1, avec ses quatre moutons sur lui. Il prit l’un de ses agresseurs par le cou, puis le second de même, et frappa trois fois leurs têtes l’une contre l’autre, puis les laissa tomber sur le sol et continua sa route. Et pendant qu’il faisait tout cela, la faim le tenaillait de plus en plus. Sa mère connaissait la grande faim de son fils. Elle alla chercher vingt sacs de cuir et les remplit de farine de mil bien amère.
1. Beri-a korbo, dazaga korba, fruits de l’arbre korbola (beri-a et dazaga).
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Puis elle se procura deux ou trois fûts d’huile et se mit à préparer la boule. Elle découpa le couvercle d’un fût et prépara la boule dans le fût. Tandis qu’il était en train de manger un fût, elle lui en préparait un autre, et ainsi de suite. Pendant trois mois, elle ne cessa de préparer à manger, et lui ne cessa de manger. Au bout de trois mois, enfin, il finit par récupérer l’énergie qu’il avait perdue durant sa promenade, il était rassasié. Avant de rentrer chez elle, sa mère laissa des instructions aux neuf femmes de son fils : — Il faut nourrir votre mari de cette manière-là, pas autrement ! Et elle partit. Les neuf femmes se concertèrent : — Cet homme, disaient-elles, on ne peut pas le nourrir, il faut qu’on trouve une autre solution. — Je vais préparer la boule, proposa l’une, mais sans la faire cuire. Je vais seulement la mettre au feu rapidement pour qu’elle soit chaude. Vous, dit-elle aux autres, faites de même. Nous allons toutes préparer nos plats de cette façon, il est affamé et sera obligé de les manger. Il va tomber malade, et au bout de six jours, il mourra. Bientôt, le ventre d’Ohay gonfla et il tomba malade. — Je sais que je vais mourir, dit-il à ses neuf femmes. Amenez les chameaux, les chèvres et les moutons, mettez-les dans un enclos et surveillez-les bien. Sinon, quand mon ventre éclatera, les chameaux, les chèvres et les moutons fuiront, et vous n’aurez plus rien, vous allez souffrir de la faim et puis mourir aussi. Peu après, le ventre d’Ohay éclata si fortement que les chameaux se transformèrent en autruches, les vaches en mouflons, les chèvres en gazelles dorcas, les moutons en gazelles dama, et les ânes en grands koudous. Avant de mourir, Ohay posa son pied sur des rochers et dit : — Vous montrerez cela à mes descendants ! Depuis, on peut voir l’énorme marque du pied d’Ohay sur les rochers, à Kobwé. Ses descendants forment le clan des Kobwéra.
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4. Oumatour et Djagué Raconté par Togoy Allanga, représentant Bilia, Fada, Tchad L’ancêtre du clan Gaéla s’appelait Oumatour et celui des Tabala s’appelait Djagué. Djagué n’avait qu’un seul os dans chaque avant-bras. Il n’avait en tout et pour tout que deux dents, une en bas et une en haut, chacune occupant toute la largeur de sa mâchoire. Il était vraiment bizarre, très grand, très fort. Il n’y avait personne d’autre de sa taille, et personne n’osait l’attaquer. Quant à Oumatour, il avait une très grosse tête, et la peau de son crâne pendait jusqu’à recouvrir ses oreilles. Il devait soulever cette peau pour écouter. Il avait comme arme une lance à trois pointes. A cette époque-là, il n’y avait presque personne dans la région, aucun Français, et très peu d’habitants. Djagué avait entendu parler d’Oumatour, mais ils ne s’étaient jamais rencontrés. — Si je trouve cet Oumatour, disait-il, je le tuerai ! Si je le vois de mes yeux, ce sera la fin de sa vie ! Djagué vivait dans la montagne. Un jour qu’il en descendait, il vit Oumatour en train de manger des baies. Oumatour ne vit pas Djagué qui s’approchait. — C’est lui, là, que je dois tuer, murmura Djagué. Soudain, il vit la triple lance d’Oumatour et prit peur. Au même moment, Oumatour se retourna, vit Djagué, et prit peur lui aussi. Chacun s’enfuit d’un côté.
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5. Histoire des Sar 1 Raconté par Bahar, Beri, Fada, Tchad Autrefois les Sar étaient les premiers habitants de Fada 2. Ils vivaient dans la montagne qui s’élève derrière la palmeraie. Les Sar avaient un forgeron. Un jour, par pure cruauté, ils tuèrent l’un des fils du forgeron. Ils arrachèrent son foie, le firent griller et le donnèrent à manger à sa mère en lui disant que c’était de la viande de chasse. Lorsque la femme du forgeron demanda « où est mon fils ? », on lui répondit : « c’est ce que tu as mangé ! » Elle courut chez son mari, qui lui dit : « ne pleure pas, prends patience, nous ne sommes pas encore assez forts pour nous venger ». Les jours suivants, il forgea un grand nombre de javelots, de couteaux et de flèches, les chargea sur son âne et partit jusque chez le sultan des For, au Sud-Est 3. Il montra les armes au sultan en lui disant : « Regardez, j’ai forgé ces armes pour des ennemis qui se préparent à vous attaquer ». Le sultan demanda alors au forgeron de guider ses troupes jusqu’au village des Sar. Les For se cachèrent près du village, et le forgeron y entra seul. Il frappa le tambour pour inviter les Sar à danser autour de lui, et ceux-ci dansèrent jusqu’à ce qu’ils s’endorment, épuisés. Alors les For attaquèrent les Sar et les tuèrent tous, sauf une femme qui était allée se faire tresser les cheveux loin du village. Cette femme était enceinte et donna naissance à des jumeaux. Ces jumeaux sont les ancêtres de l’actuel clan des Sar 4. Le premier avait la peau rouge 5, il est l’ancêtre de ceux qu’on appelle
1. Déjà publiée dans Tubiana, Jérôme, 2006a. Ce mythe a aussi été rapporté, avec quelques variantes, par Fuchs, 1961 : 226-227 ; Capot-Rey, 1961 ; et Chapelle, 1982. 2. Aujourd’hui chef-lieu de l’Ennedi, au nord-est du Tchad. 3. C’est-à-dire le sultan du Darfour, dans l’actuel Soudan. 4. Petit clan Bideyat Borogat. 5. C’est-à-dire cuivrée.
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aujourd’hui les Sar rouges. Le second avait la peau noire, il est l’ancêtre des Sar noirs. Dans la montagne derrière Fada, on peut voir de nombreux murs de pierre – les ruines des maisons des Sar – et des ossements blancs sur le sol – les os des Sar.
Forgeron beri frappant le tambour, Bardaba, Ennedi.
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6. Histoire de Midé 1 Raconté par Ahmat Moussa, chef de canton de Wanianga Yoan 2, et Brahim Bogali, son neveu Autrefois, personne ne vivait à Wanianga Yoan. Un jour arrivèrent du Sud un homme noir et son fils nommé Téhamo, descendus des montagnes de l’Ennedi avec une brebis noire. Ils établirent leur campement à quelque distance du lac Yoan. Ils se nourrissaient des dattes qu’ils trouvaient partout sur le sol et du lait de la brebis. Tous les matins, Téhamo menait paître cette dernière au bord du lac et ne rentrait qu’à la nuit tombée. Un jour, alors qu’il s’était assoupi à l’ombre d’un palmier dans une crique rocheuse de la rive Ouest, l’eau se mit à bouillonner devant lui comme sous l’effet de la chaleur oppressante du milieu du jour. Il vit alors une très belle jeune fille sortir du lac. Elle avait une peau blanche et lumineuse et n’avait pour vêtement que ses longs cheveux qui lui enveloppaient tout le corps. Le jeune berger s’approcha d’elle et ils firent connaissance. Dès lors, ils se rencontrèrent tous les jours au même endroit. Ils s’amusaient, bavardaient, chantaient et dansaient ensemble. Et quand Téhamo devait ramener sa brebis au campement, la jeune fille retournait dans le lac. Ainsi qu’elle le lui avait demandé, Téhamo n’en dit rien à son père. Mais celui-ci s’aperçut que son fils devenait triste, mangeait peu et ne faisait plus attention à rien. Il le questionna longtemps sans en obtenir de réponse, jusqu’à ce qu’enfin le jeune garçon lui raconte tout. Le père décida alors de capturer la jeune fille et d’en faire la femme de son fils. — Quand dois-tu la rencontrer ? lui demanda-t-il. — Vers le milieu du jour, quand tout est endormi, répondit Téhamo. 1. Ce mythe a aussi été recueilli par Fuchs, 1961 : 235-237. 2. Ounianga Kebir.
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Le lendemain, le père se cacha dans les roseaux non loin du lieu du rendez-vous. Il vit la jeune fille sortir de l’eau et jouer avec son fils. Quand elle voulut retourner dans le lac, le jeune garçon l’en empêcha. Pour lui échapper, elle se transforma en serpent, mais il ne la lâcha pas. Elle se changea alors en oiseau, mais elle ne put s’envoler. Elle reprit finalement sa forme humaine, et ils l’emmenèrent jusqu’au campement. On l’appela Midé, « ruisselante », et on la maria à Téhamo. Mais elle refusait toute nourriture et s’affaiblissait. Son mari s’en rendit compte et lui en demanda l’explication. — Tu ne me donnes pas la nourriture qui me convient, répondit-elle, et il m’est impossible d’en manger une autre. — Dis-moi ce qu’il te faut et où je puis le trouver. Peut-être est-ce bon pour moi aussi ? Elle lui répondit qu’il ne saurait pas trouver cette nourriture et lui demanda de la laisser retourner dans le lac pour aller l’y chercher. Téhamo l’aimait et craignait qu’elle ne revienne pas, mais il ne voulait pas qu’elle meure de faim. Le soir, il la reconduisit au lieu de leur rencontre, et lui dit que si elle ne revenait pas au bout de sept jours, il mourrait. Elle promit qu’elle reviendrait et disparut. Sept jours, il attendit sur la rive. Le matin du septième jour, elle revint, tenant dans sa main un sac. Elle jeta ce sac sur le tronc d’un palmier, et il se déchira, laissant s’envoler un grand nombre d’insectes 1 semblables à des mouches, qui eurent bientôt couvert toutes les feuilles du palmier. C’était là sa nourriture. Désormais, Téhamo et son père mangèrent aussi ces insectes. Midé et Téhamo eurent de nombreux enfants. Un de leurs fils, Nahar, est l’ancêtre de plusieurs clans Wania. D’autres de leurs descendants sont des géants blancs qui vivent toujours dans le lac auprès de Midé. On les surprend parfois endormis sur la rive à l’ombre des palmiers. A la nuit, on aperçoit parfois leurs chevaux qui viennent paître au bord du lac. 1. Dazaga odu : insecte dont les larves vivent dans l’eau des lacs de Wanianga, et les individus adultes sur les palmiers dattiers.
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7. Histoire des Tezerya Raconté par Omar Souleyman, Teda, Gouro, Tchad Le clan Tezerya, un clan teda, habite les oasis de Tazerbo, Koufra et Rebyana, dans l’actuelle Libye, et la palmeraie d’Ozou 1, au Tibesti. Ils sont originaires de l’oasis de Tazerbo. Autrefois, à une époque où les Arabes ne vivaient pas dans cette oasis, il y avait un corbeau qui partait chaque matin vers l’Est et revenait le soir. Un Teda curieux décida de voir où allait ce corbeau. Il prit un chameau et le suivit vers l’Est. Le corbeau allait plus vite que lui, et au milieu de la journée, alors que le corbeau prenait la route du retour, le curieux vit un troupeau de chameaux : c’est là que le corbeau allait. Le troupeau était gardé par une fille arabe du Fezzan. Le Teda enleva la fille et retourna à Tazerbo. Les parents de la fille remarquèrent son absence et virent les traces d’un chameau qui ne leur appartenait pas. Ils rassemblèrent leur famille et suivirent les traces jusqu’à Tazerbo. C’était la première fois qu’ils voyaient le village, avec ses palmiers dattiers et ses habitants noirs. Ils localisèrent la maison où la fille se trouvait, puis ils allèrent parler avec les villageois. Ils n’évoquèrent pas le problème de la fille, et dirent simplement : — Nous sommes voisins, il faut que nous signions un pacte entre nous. Ils signèrent ainsi des pactes avec quatre ou cinq clans teda, mais pas avec ceux qui avaient enlevé la fille. Puis ils attaquèrent ceux qui avaient enlevé la fille, et les autres, respectant les pactes, n’allèrent pas leur porter secours. Ils tuèrent tous les membres de ce clan, puis ils attaquèrent les autres clans, un par un, et éliminèrent ainsi presque tous les Teda de Tazerbo. Seuls
1. Aozou.
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quelques-uns parvinrent à s’enfuir à Koufra, à Rebyana, et au Tibesti : ce sont les ancêtres des Tezerya actuels.
8. Histoire du clan Karda Raconté par Abderahman Sougou Abdou, Azza Karda, Tasker, Niger Neuf frères marchaient en file indienne. Mais un serpent 1 se trouvait sur le chemin. Le premier se fit mordre, mais ne le dit pas à celui qui le suivait. Ainsi les sept premiers frères se firent mordre, et seul le huitième, l’avant-dernier, prévint le dernier du danger. C’est pourquoi seul le neuvième frère, le dernier, échappa à la mort. Son nom était Bokardogo ou Kerdè, et il fut le grandpère des Karda. On dit que les Karda sont moins nombreux que les autres clans.
9. Histoire de Tamélé et Nana 2 Raconté par Togoy Allanga, représentant Bilia et El-Hadj Touka Itno, représentant Borogat, Fada, Tchad Nana était le premier habitant du Wadi Nohi 3. Tamélé vint ensuite et trouva Nana sous un palmier doum, en train d’en manger les noix. Tamélé voulut cueillir des noix, mais Nana lui
1. Azzanga aso : serpent. Une variante mentionne wae : sorte de lézard (azzanga). 2. Peter Fuchs a relevé une variante de ce mythe, dans laquelle Tamélé et Nana sont deux demi-frères. Fuchs, 1961 : 55-56. 3. Grand oued du sud du massif de l’Ennedi.
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barra la route. Ils se battirent, chacun aidé par les siens. Soudain l’un des parents de Nana se transforma en percnoptère d’Egypte 1, puis un second, puis un troisième. Du côté des Tamélé, l’un se transforma en cobra cracheur et rentra dans un trou, puis un second, puis un troisième. Parmi les combattants qui ne s’étaient pas transformés, aucun des deux camps ne parvint à remporter la victoire. D’autres gens vinrent et les séparèrent. Ils firent la paix et restèrent ensemble dans le Wadi Nohi, devenant des amis. Depuis, là où il y a des palmiers doum, le clan Nana et le clan Tamélé 2 vivent en bonne entente et se partagent les noix. Et depuis, les Nana ne tuent pas le percnoptère d’Egypte et les Tamélé ne tuent pas le cobra cracheur. Ce serpent est dangereux mais n’attaque ni les Tamélé ni leur bétail.
1. Petit vautour au plumage blanc. 2. Un clan bideyat bilia qu’on retrouve parmi les Zaghawa Wogi du Darfour sous le nom d’Ohura.
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10. Histoire d’un sultan cruel 1 Raconté par Bahar, Beri, Fada, Tchad Il y avait un sultan qu’on appelait Ali Dinar. C’était un tyran, un meurtrier. Il maltraitait les gens, il leur ordonnait de déplacer des rochers, par pure cruauté. Il était la cause de beaucoup de morts. Tous les jours, les filles devaient chanter pour le sultan. Un jour, lors d’une réunion, quelqu’un dans la foule insulta le sultan. — Qui m’a insulté ? demanda aussitôt le sultan. — C’est le moustachu qui a dit cela, répondit le coupable, qui n’avait pas de moustaches. Aussitôt, tous ceux qui avaient une moustache l’arrachèrent et le sultan ne trouva pas de moustachu. 1. J’ai également relevé une version de ce mythe, avec une fin identique, auprès du shartay Abderahman Adam Abbo, le chef des Dadjo du Darfour soudanais. Marie-José et Joseph Tubiana ont relevé plusieurs versions de ce mythe chez les Zaghawa, avec pour héros un sultan nommé Tarding, ainsi qu’une version chez les Tundjur du Darfour. Tubiana, Marie-José et Joseph, 1962 : 163-165 et 199 ; Tubiana, Marie-José, 1989, 1999 et 2006 : 193. Dans notre version, le sultan cruel n’est pas appelé Tarding, mais Ali Dinar, qui est en fait le dernier sultan du Darfour, mort en 1916 : il y a là une confusion du personnage mythique avec un personnage historique récent. Bahar, notre conteur, précise qu’Ali Dinar aurait été le sultan des Woge. « Woge » ou « Wogi » est le nom du principal sous-groupe zaghawa du Darfour, auquel se rattachent la plupart des Zaghawa soudanais (à l’exception des Kobe et des Kabka) : les Wogi vivent donc effectivement au Darfour et ont été en partie des sujets d’Ali Dinar. Curieusement, cette version du mythe, avec la mort du sultan sur l’antilope et la fondation de villages là où sont tombés des morceaux de son corps, est plus proche de la version relevée chez les Dadjo que de celle habituellement relevée chez les Beri. Sur le sultan Tarding, Bahar raconte une tout autre histoire : « Il tenait le pouvoir de son grand-père, Yugun Sura. Il ne se nourrissait que du lait d’une chamelle qui avait mis bas cinq ou six jours auparavant. Il envoyait ses gens chercher du natron à Faya. Il vivait à Guru, près de Biltine. A l’époque, il y avait peu de moyens de déplacements. Les Français eux-mêmes montaient des bœufs. Un jour deux personnes se disputaient un âne, le sultan prit l’âne et le garda. L’un des demandeurs alla se plaindre aux Français, mais ceux-ci approuvèrent le sultan. Le demandeur essaya de corrompre les Français pour qu’ils désapprouvent le sultan. Un autre jour, le sultan apprit que quelqu’un avait tué un lion en brousse. Il demanda le cœur du lion. Il but une sorte d’alcool qu’on appelle guru [comme le village du sultan ?], c’est du merise, de la bière de mil. Il coupa le cœur, le mit dans la bière et but le breuvage. Il devint ivre, sema le désordre avec ses gardes, tua sa fille, sa femme. Puis il mourut. Le sultan qui lui succéda est Egid Abdullay dit Bederi, le « destructeur ». C’est un GenigergeRa [et/ou ?] un EricheRa. Il régna 33 ans. Son fils Mursal Egid devint sultan des Dorong [ou Dirong]. »
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Le sultan ne se déplaçait qu’à cheval. Il avait l’habitude de faire creuser de gros troncs d’arbre pour y conserver l’eau de pluie. Un jour, un vieil homme d’Archi vint le visiter en chameau. Avant qu’il ne reparte, le sultan lui ordonna de dire une vérité. Le vieux refusa en disant : — Cela ne se fait pas ! Le sultan le menaça. — Tu te déplaces à cheval, dit le vieux, ce n’est pas bon, le chameau peut courir longtemps alors que le cheval ne peut tenir qu’une journée. Voilà une vérité ! Tu conserves l’eau dans les troncs. Ce n’est pas bon. Tu vas manquer d’eau. Voilà une deuxième vérité ! Cela dit, le vieux prit son chameau et partit. Offensé, le sultan lança des cavaliers à sa poursuite. Le vieux fit galoper son chameau. Au bout d’une journée, les chevaux moururent d’épuisement. Le vieux a bien dit une vérité, dit le sultan. Plus tard, le sultan partit combattre les Blancs et perdit. Quand il revint, l’eau des troncs avait disparu. — Le vieux a encore dit une vérité, dit le sultan. Un autre jour, une vieille femme vint dire au sultan : — Mon fils, tu as beaucoup fait, tu as tout fait, il ne te reste qu’une chose à faire, monter une antilope damalisque sauvage. Et le sultan le fit. Un matin, entouré de tous ses proches, il monta l’antilope. Celle-ci voulait prendre la fuite, mais elle ne le pouvait pas. Elle s’énerva. Soudain des femmes prirent peur et laissèrent un trou dans le cercle. Alors l’antilope s’enfuit avec le sultan sur son dos. Il se cogna aux arbres, aux épines, et il finit par mourir. On retrouva des morceaux de son corps, et du sang. A chaque endroit où l’on trouva une trace du sultan, on fit un signe sur le sol, et l’on bâtit ensuite un village sur ce signe. Là où on trouva sa tête, on bâtit un village appelé Kernek 1. 1. Ce village pourrait se trouver au sud de Tine, en pays beri kobe, voire plus au sud, en pays masalit. Cela ne semble pas être un lieu habité par les Arabes zaghawa, de petits groupes de Zaghawa arabisés (appelés parfois aussi Ratanine ou Zaghawa Am Kimelte) auxquels renvoie habituellement ce mythe, expliquant ainsi leur origine. La version de Bahar ne mentionne d’ailleurs pas cette population.
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CONTES TOUBOU DU SAHARA
11. Pourquoi le clan Bolto ne mange pas l’outarde 1
Outarde de Nubie, Nord-Tchad.
Raconté par Ibrahim Souleyman, Azza Bolto, Tasker, Niger Les Bolto ne mangent pas l’outarde, d’aucune des espèces, ni même les œufs. Un jour, notre grand-père Boltu fut attaqué par des bandits. Ne pouvant résister, il prit la fuite avec sa famille, ses enfants et ses animaux. Mais les bandits suivirent les traces de notre grand-père. Ce dernier s’était caché derrière un grand arbre pour se reposer. Alors que les bandits approchaient, une outarde vint battre des ailes près de notre grand-père pour le réveiller. Croyant qu’elle allait faire peur aux enfants, il chassa l’outarde. Mais elle revint. Alors Boltu vit ses poursuivants et parvint à leur échapper, avec les siens. Par la suite, il interdit à tous ses descendants de manger de la viande d’outarde, et maudit celui qui en mangerait, en disant : 1. L’outarde est également le totem des Azza Keyda (avec un mythe similaire aux Bolto) des Barasa (parents des Bolto), des Daza Gabtcha, Martama et Warebe et des Bideyat Koma.
MYTHES
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— Le bien se rend par le bien, pas par le mal ! Si un vieux Bolto voit que quelqu’un d’un autre clan a tué une outarde, il ne le salue pas. Et s’il voit que quelqu’un a capturé une outarde vivante, le vieux lui donne une chèvre pour qu’il relâche l’outarde. Beaucoup de malheurs sont attribués à la transgression de l’interdit. Un de mes parents a désobéi et a mis un filet pour prendre une outarde. D’autres Bolto lui ont dit de ne pas le faire, mais il a répondu : — C’est Allah qui décide de tout, ce n’est pas l’outarde. Il avait en tout et pour tout une chamelle pleine et un chameau. Dans la même nuit, tous deux sont morts. Si un Bolto transgresse l’interdit, ses animaux ou ses enfants meurent.
12. Pourquoi le clan Trondo ne tue pas la tortue 1 Raconté par Korey Idris, Azza Trondo, Tasker, Niger On ne tue pas la tortue, on ne la touche même pas avec la main. Dans les années de guerre avec Kaossen 2, ils partirent en guerre contre Kaossen. Un jour, ils furent encerclés par l’ennemi. Leur chef dormait, et les gens de Kaossen s’approchaient pour le tuer. Une tortue se glissa alors sous le corps du chef étendu, pour l’avertir du danger. Il se réveilla, vit les ennemis et donna l’alerte à ses troupes. Les Trondo sortirent victorieux. Sur les cent combattants trondo, aucun ne mourut. Depuis, on respecte la tortue. Si on la voit au soleil, on doit la mettre à l’ombre. Si on transgresse l’interdit, un malheur arrive : on devient handicapé, ou l’on est gravement blessé. 1. La tortue est également le totem des Azza Kerey et Wudea, des Teda Musoa et Tomagra, et des Bideyat Sar. 2. De 1916 à 1920, le chef touareg Kaossen dirigea un important soulèvement contre la colonisation française dans le massif de l’Aïr, au Niger. Certains Toubous choisirent de soutenir les Français contre leurs ennemis traditionnels touareg.
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CONTES TOUBOU DU SAHARA
13. Pourquoi les clans Kodura et Mahamya ne mangent pas l’autruche 1 Raconté par Togoy Allanga, représentant Bilia, Fada, Tchad Les Kodura et les Mahamya ont le même grand-père. Alors qu’il était en voyage, il se perdit. Il n’avait plus d’eau et de nourriture et était en train de perdre conscience quand l’autruche apparut et se coucha devant lui. Il était si fatigué et affamé qu’il ne pouvait même plus marcher, et il monta sur le dos de l’autruche, qui continua son chemin. Elle le conduisit dans un endroit où il y avait des gens et de l’eau, le mit à terre et continua seule. Sans l’autruche, il serait mort. — A partir de maintenant, dit-il, moi-même et mes descendants ne devrons pas manger l’autruche. Depuis, les Kodura et les Mahamya ne mangent pas l’autruche.
1. Le clan KoduRa (ou KotoRa) se retrouve aussi bien parmi les Bideyat Bilia que parmi les Zaghawa du Soudan. Le clan Mahamya (ou Maema, ou Aema) se retrouve parmi les Zaghawa, les Bideyat et les Murdya. L’ancêtre de ces deux clans est aussi le même que celui des Baga (ou Maga, un clan qui se trouve parmi les Bideyat Bilia et les Zaghawa du Soudan), des ErdibaRa (un clan qui se trouve parmi les Bideyat Borogat et les Zaghawa du Soudan), et des DaedyaRa. Les Baga, les DaedyaRa et sans doute aussi les ErdibaRa, ont l’autruche pour totem. C’est aussi le totem des Zaghawa AndaguRa, Imogu et KorfukediRa. Entretiens avec Issak Mahmoud Adam, Zaghawa KoduRa, El-Fasher, et Abdallah Mindi Issa, Zaghawa Maema, Bir Mezza, Dar Sueni, Soudan, 2004.
MYTHES
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14. Pourquoi le clan Teda Terintera ne tue pas l’autruche 1 et ne mange pas les pattes avant de la chèvre Raconté par Adoum Kinjimi et par Mallom Barka El-Hadj Sénoussi, Teda, massif de Termit, Niger Un jour, le grand-père des Terintera fut attaqué par des ennemis. L’autruche vint se coucher à côté de lui, il monta sur son dos, et elle l’emmena loin des assaillants. Depuis, les Terintera ne tuent pas l’autruche. Mais ils ont aussi comme interdit les pattes avant de la chèvre, en raison de l’histoire suivante. Un jour, le clan des Odowaya attaqua le campement du grand-père des Terintera, pour lui prendre ses tentes, ses dattes et ses chameaux. Le chef des Odowaya se présenta devant le grandpère des Terintera et lui dit : — Je vais prendre tous tes biens ! L’autre répondit : — Arrête, tu ne peux pas faire une chose pareille, laisse-moi te donner un bouc à égorger, et demain matin seulement je te donnerai toutes mes tentes. — Bon, donne le bouc, répondit le chef des Odowaya. Le grand-père des Terintera tua le bouc, lui coupa les pattes avant, et ordonna à ses enfants de les apporter au chef des Odowaya, en lui disant : — Ce n’est que par la force de tes bras que tu pourras avoir mes biens !
1. L’autruche est également le totem des Murdya Mahamya, et de plusieurs clans beri (zaghawa et bideyat).
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CONTES TOUBOU DU SAHARA
15. Pourquoi le clan Teda Barawa ne tue pas le varan 1
Varan du désert ou varan gris, totem des Teda Barawa.
Raconté par Adoum Kinjimi, Teda, massif de Termit, Niger Au cours d’une guerre, les ennemis des Barawa se préparaient à attaquer leur village. Le varan vit l’ennemi et tapa le tambour des Barawa avec sa queue. Alors les Barawa sortirent de leurs maisons, virent l’ennemi et lui firent face.
1. Ce mythe est également rapporté par Dragesco-Joffé, 1993 : 205.
MYTHES
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16. Pourquoi le clan Teraon ne mange pas le bétail mordu par un fauve Raconté par Mallom Barka El-Hadj Sénoussi, Teda Teraon, chef du puits de Termit (Termit Nord), Niger Si le chacal, la hyène ou le guépard, les animaux qui ont des dents, ont touché une chèvre, un mouton ou un chameau, nous, les Teraon, ne mangeons pas cette chèvre, ce mouton ou ce chameau. Notre grand-père ne voulait pas que nous, ses descendants, mangions ces animaux, en raison de l’histoire suivante. Chaque soir, notre grand-père mettait ses chèvres dans un enclos 1, mais la nuit le chacal parvenait à creuser un trou, à entrer dans l’enclos et à tuer une chèvre. Alors notre grand-père construisit un enclos plus solide, mais là encore le chacal parvint à y pénétrer. La nuit tombée, notre grand-père alla se coucher à l’intérieur de l’enclos pour voir comment le chacal parvenait à y entrer. Caché, il vit que le chacal était en fait un diable qui avait pris l’apparence d’un chacal. Le diable se saisit d’une chèvre et lui trancha la gorge. Mais le matin la chèvre était encore vivante, dans l’enclos, et avait seulement une marque sur le cou. Notre grand-père dit alors que les animaux mordus comme cette chèvre, « c’est haram 2 pour moi et mes descendants ». Il y a une autre version de cette histoire. Un jour, alors que notre grand-père dormait, il vit en rêve un fauve qui mangeait une chèvre. A son réveil, il alla demander au marabout le sens de ce rêve. Le marabout lui dit que les animaux mordus par des fauves seraient désormais haram pour notre grand-père et ses descendants.
1. Dazaga sara. 2. « Interdit » en arabe.
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Goukouni Kosso, chamelier bollugada (dazagada), Ayer, Niger.
1. Chanson de fille Chanté par Fatimé Adam, Azza, Tasker, Niger Mon frère a une belle couverture libyenne sur son beau chameau. Sur le côté, il a un radio-cassette. Il ne vole pas de chèvres. Quand il vole, il vole des choses de qualité. Il a tellement de chameaux qu’il peine à les abreuver. Il n’en finit pas de s’enrichir. Il est riche, mais il ne se lasse pas de prendre soin du troupeau. Il a beaucoup d’entraves pour ses chameaux. Il se distingue des autres garçons par sa stature. Quand il va dans la boutique, il achète tout. Quand il va au marché, il rapporte des vêtements et des bijoux pour ses sœurs.
CHANSONS
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2. Chanson de l’antilope addax Chanté par Mallom Omar Boko, Azza, Tasker Niger On ne peut te voir que s’il n’y a pas d’arbres dans la cuvette, Melikore 1, tu apparais sur les dunes vives, Avant d’arriver sur ton territoire, on voit toujours quelques solitaires qui vont et viennent autour du troupeau comme les franges au bord du tapis, Des pistes mènent à ton troupeau comme à un village, Tu poses ton sabot sur le sable blanc du Ténéré, Ton village se trouve sur la plus haute dune, Quand on te cherche, on ne te trouve pas, Quand on te tue, on le regrette, Il y a eu la faim, et il y a eu le javelot, Il y a eu la soif, et il y a eu le couteau, Dans la cuvette, entre les dunes, Au nord-est ou à l’est, On a tourné autour des addax, On les a capturés, on les a tués, mais la soif nous a surpris, Et de leurs panses, nous nous sommes fait des chapeaux flottant au vent !
1. « Petit clair » : surnom de l’antilope addax en azzanga.
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CONTES TOUBOU DU SAHARA
Addax photographié dans les années 1960 dans le nord du Tchad. Photo Hubert Gillet.
3. Chanson de l’antilope addax (2) Chanson azza chantée par Issifiya Sountal-mi, Daza, chef du puits de Méhiriya, Niger Blanc, sans sueur, sans taches, sans tiques, Si tu n’as pas une bonne guerba 1, tu ne peux pas le tuer, Le paresseux ne peut pas le tuer.
1. Terme arabe désignant l’outre en peau de chèvre. Dazaga chini. La poursuite de l’addax dans des terrains désertiques demande beaucoup d’eau pour les hommes et éventuellement pour les bêtes (chameaux, chevaux).
CHANSONS
4. Chanson de l’antilope oryx Chanson beri chantée par Kondé Hardan Erdimi, représentant des forgerons (Azza), Fada, Tchad J’ai tué l’oryx ! Comment ça ? Je l’ai blessé à la bouche avec une lance, Le sang a coulé ! J’ai tué l’oryx ! Comment ça ? Ma deuxième lance est passée entre ses pattes avant. J’ai tué l’oryx ! La troisième est passée entre ses cornes. J’ai tué l’oryx ! La quatrième s’est plantée dans l’épaule, Le sang a coulé !
Antilope oryx photographiée dans les années 1960 dans le nord du Tchad. Photo Hubert Gillet.
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J’ai tué l’oryx ! Puis j’ai visé les côtes, Raté ! J’ai tué l’oryx ! J’ai visé les reins, Raté ! J’ai tué l’oryx ! J’ai tiré sur le ventre, Le sang a coulé ! J’ai tué l’oryx ! Sur la colonne vertébrale, Raté ! J’ai tué l’oryx ! J’ai visé la croupe au poil noir, Raté ! J’ai visé la queue, Raté ! J’ai continué de le poursuivre, Je l’ai dépassé. J’ai tué l’oryx ! J’ai tiré sur la gorge, Le sang a coulé !
5. Chanson de l’antilope oryx (2) Chanté par Adam Kourti dit « Wazza », Azza, Kitékité, Niger Tu as pour maison l’ombre de l’arbre, Pour fourrage nisa 1,
1. Setaria verticillata ?
CHANSONS
Et pour village le bas-fond. Tu marches le long des vallées, Et souvent sur les dunes, Blanc et sans sueur !
6. Chanson de la girafe Chanté par Adam Kourti « Wazza », Azza, Kitékité, Niger Grande comme un chameau, girafe ! Tu n’es pas un chameau, mais tu as une bosse, girafe ! Tu n’es pas une chamelle, mais tu as du lait, girafe ! Tu n’es pas une vache, mais tu as des cornes, girafe !
7. Chanson de la hyène tachetée Chanté par Tchouwa El-Hadj Ali, Azza, Tasker, Niger Dans la brousse, tu poursuis l’oryx pour le tuer Près du campement, tu tues les ânes, Tu ne fais pas de différence entre grands et petits, Le jour dans la brousse, la nuit près du campement !
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Issifiya Sountal-mi, chef daza de Méhiriya, Niger.
8. Chanson de la hyène rayée Chanson azza chantée par Issifiya Sountal-mi, Daza, chef du puits de Méhiriya, Niger Cou court, belle crinière, Comme le fils de ta mère à moustaches ! La nuit, tu fais le mal, Et le jour, tu vas te reposer au loin.
CHANSONS
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9. Chanson du chacal et de la hyène rayée Chanté par Tchouwa El-Hadj Ali, Azza, Tasker, Niger La hyène rayée et le chacal ont fait équipe pour chasser, et ont tué une chèvre. Le chacal veut garder la proie pour lui seul et chante à la hyène : Le cœur, c’est comme de la corde, ne le mange pas, suwu zenöbawu 1 ! Les rognons, ce sont des boules de pus, ne les mange pas, suwu zenöbawu ! Le bonnet 2, c’est plein de sable, ne le mange pas, suwu zenöbawu ! Le cou, c’est des tendons, ne le mange pas, suwu zenöbawu ! Le poumon, c’est plein de sang, ne le mange pas, suwu zenöbawu ! Le foie, c’est plein de sang, ne le mange pas, suwu zenöbawu !
10. Chanson du chacal Chanté par Tchouwa El-Hadj Ali, Azza, Tasker, Niger 3 Chacal, pourquoi marches-tu sans but ? Tu poursuis et tues les grandes chèvres, Tu arrêtes et tues les petites, Tu cherches les fruits verts du savonnier 4,
1. Surnom azza de la hyène rayée. Vient sans doute de sowur, nom de la hyène en azzanga, et du prénom arabe Zénaba. 2. L’une des quatre poches de l’estomac des ruminants. Dazaga kusu-kusu. 3. Une version quasiment identique de cette chanson m’a été donnée par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger. 4. Balanites ægyptiaca. Dazaga hollohu.
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Et ceux des buissons d’oyu 1, Tu montes la dune en balançant ta queue, Tu descends dans la vallée, crocs dehors, Tu cherches ta nourriture près du gros village.
11. Chanson de l’autruche Chanté par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger Quand tu ne la vois pas, tu la cherches. Quand tu la vois, tu le regrettes. Tu la recherches pour ses plumes, sa viande et sa graisse, Ses plumes sont très prisées, Mais tu le regrettes parce qu’il va te falloir souffrir, Et qu’il va falloir faire souffrir ton cheval pour la rattraper. Tu vas commencer à la chasser à l’heure la plus chaude, au milieu du jour, Mais ce n’est que dans l’après-midi que tu arriveras à l’attraper, Alors tu seras largement récompensé de ta souffrance. Mais si tu la perds et que tu ne l’attrapes pas, Alors tu auras perdu une journée à te fatiguer et à fatiguer ton cheval, Et encore deux jours pendant lesquels tu ne pourras pas chasser car tu seras obligé de laisser ton cheval se reposer !
1. Salvadora persica.
CHANSONS
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12. Chanson de l’autruche (2) Chanté par Adam Kourti « Wazza », Azza, Kitékité, Niger (Son surnom de « Wazza » signifie d’ailleurs « autruche », parce qu’il est aussi grand qu’une autruche) Quand tu ne la vois pas, tu la cherches, mais quand tu la verras tu le regretteras, Bele 1 ! Ses plumes, quand tu les vends, te rapportent une chamelle. Les pieds sous l’arbre, La tête au-dessus du feuillage ! Elle a du beurre, elle a de la graisse. Quand tu la cherches, tu te fatigues, Quand tu la trouves, tu le regrettes !
1. « Noir et blanc », surnom azza de l’autruche.
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13. Chanson de l’autruche (3) Chanson azza chantée par Issifiya Sountal-mi, Daza, chef du puits de Méhiriya, Niger Oiseau aux pattes sans chaussures, autruche 1 ! De loin, comme une chemise noire !
14. Chanson de chasseur Chanté par Ousman Omar « Soja », Azza, Tasker, Niger Le lièvre a de la viande, mais pas de peau. L’écureuil fouisseur a de la peau, mais pas de viande. Le chien a beaucoup de petits, mais ils ne portent pas ses affaires.
1. Azzãnga tchedey.
CHANSONS
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15. Chanson du chasseur Wazza
Adam Kourti, dit « Wazza », Tasker, Ayer, Niger.
Chanté par Tchouwa El-Hadj Ali, Azza, Tasker, Niger (Célèbre parmi les Azza du Niger, Adam Kourti, dit Wazza est un vieux chasseur – on dit qu’il a 102 ans – Azza de Kitékité) Wazza est brave, Il a du feu dans les yeux, L’air féroce, Une corne sur le front, Il tape le sol derrière lui comme un taureau, Même la nuit, quand tu le réveilles, il a son poignard à la main, Et le matin, son javelot !
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16. Chanson d’enfant 1 Chanté par Tchouwa El-Hadj Ali, Azza, Tasker, Niger L’homme court vers le chien, Le chien court vers la hyène rayée, La hyène court vers les moutons, Les moutons courent en brousse, Le serpent court vers l’homme, Le termite court vers le bâton.
17. Chanson de la poule Chanté par Abderazak Adam, 10 ans, Azza, Tasker, Niger Poule, poule, pourquoi cours-tu donc comme ça ? Quand je ponds mes œufs, mes hommes me les prennent. Quand je laisse mes poussins, le faucon me les prend !
1. Une variante de cette chanson a été relevée par Charles et Marguerite Le Cœur (1955 : 193) : « Les moutons vont aux pâturages, puis en reviennent. La hyène poursuit les moutons, Le chien poursuit la hyène, Les bâtons poursuivent le chien, La termite poursuit les bâtons, Le chat poursuit la termite. »
CHANSONS
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18. Chanson de la huppe 1 Chanté par Soukkour Maydé, Wania, et Nossour Haléki, Gaeda, Fada, Tchad L’oiseau-marabout n’a qu’un bec, L’oiseau-marabout n’a qu’une corne, L’oiseau-marabout a deux yeux, L’oiseau-marabout a deux pattes, L’oiseau-marabout a deux ailes, L’oiseau-marabout n’a qu’une huppe, L’oiseau-marabout a deux oreilles, Kouk ! kouk ! shh ! shh ! 2
Soukkour Maydé.
1. La huppe fasciée (Upupa epops) est appelée en dazaga tchohuri malloma, littéralement « l’oiseau-marabout ». 2. Cri de la huppe.
Crâne d’antilope addax, une espèce en voie de disparition, Ténéré, Niger.
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INDEX DES PERSONNAGES ANIMAUX
Addax : voir antilope addax Antilope : 21, 22, 29, 36, 37, 43, 158, 159, 169, 170, 172, 182 Antilope addax : 169, 170, 182 Antilope oryx : 171, 172 Autruche : 22, 23, 25, 35, 162, 163, 177, 178 Babouin : 23, 25, 97, 98 Bouc : 102, 163 Calao : 93, 94, 105, 106, 107 Chacal : 22-28, 42, 43, 49-59, 6173, 78, 79, 87, 88, 95, 96, 104, 165, 175 Chameau : 9, 20, 21, 33, 90, 95, 96, 127, 132, 147, 155, 158 Chat : 27, 75, 86, 87, 103, 115, 180 Chèvre : 20, 25, 58, 59, 72, 93, 109, 161, 165 Chien : 21, 27, 28, 33, 73, 75, 87, 88, 109, 139, 178, 180 Cobra cracheur : 35, 157 Coq : 103, 104 Corbeau : 40, 104, 115, 155 Crapaud : 126, 127
Écureuil fouisseur : 22, 23, 24, 27, 58, 73, 77, 86, 90, 93, 95, 178 Éléphant : 22, 23, 58, 77, 78, 89, 90, 91, 104 Fennec : 24, 29, 34, 38, 50, 51, 74, 75 Gazelle : 25, 29, 36, 39, 91, 92, 97, 98, 109, 144, 145 Gazelle dama : 25, 29, 97, 145 Gazelle dorcas : 29, 36, 109, 145 Girafe : 125 Hibou : 107, 108, 115, 116 Huppe : 181 Hyène : 21, 22, 23, 25, 28, 29, 40, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 72, 73, 82, 86, 87, 102, 104, 119, 123, 165, 173, 175 Hyène rayée : 23, 25, 28, 29, 61, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 73, 104, 175, 180 Hyène tachetée : 22, 25, 29, 40, 64, 65, 66, 67, 68, 72, 86, 87, 102, 119, 173 Lièvre : 24, 58, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 87, 88, 178
188
CONTES TOUBOU DU SAHARA
Lion : 22, 24, 26, 27, 44, 49, 5059, 65-69, 89, 92, 93, 94, 137, 158 Mouflon : 29, 41, 131 Moustique : 110 Oryx : voir antilope oryx Outarde : 160, 161 Percnoptère d’Egypte : 35, 157 Pic : 105, 106 Pigeon : 54, 56 Pou : 122 Poule : 24, 75
Scarabée : 110 Serpent : 22, 27, 28, 34, 38, 39, 40, 66, 67, 83, 86, 87, 116, 122, 146, 147, 156, 157, 180 Singe : 79, 80, 82, 101 Souris : 22, 27, 74, 75, 105, 106, 115, 116 Termite : 28, 86, 125, 180 Tortue : 87, 161 Varan : 164 Vautour : 27, 40, 104, 112, 113, 114, 115, 116, 118, 157
INDEX DES NARRATEURS
CONTES - MYTHES - CHANSONS Abdelrazak Ibrahim ———————————————————————— 109 Abdelrazak Adam ——————————————————————— 128, 180 Abderahman Sougou Abdou ————————————————————— 156 Adam Kourti dit « Wazza » ————————————————— 172, 173, 177 Adissa El-Hadj Elimé ——————————————————————— 121 Adoum Kinjimi ———————————————————————— 163, 164 Ahmat Kolomi ——————————————————————— 49, 99, 101 Ahmat Moussa —————————————————————————— 152 Ali Mallom Issa ——————————————————————————— 74 Bahar——————————————————————————— 146, 151, 158 Barkalé Hassan —————————————————————— 63, 78, 79, 89 Barkay Herr ———————————————————————————— 104 Brahim Bogali ——————————————————————————— 152 Binti Ibrahim ——————————————————————————— 107 Bintou Abderahman ———————————————————————— 138 Bokar Lawali ———————————————————————————— 139 Fatimé Adam ————————————————————————— 128, 168 Héréta Ahmed ——————————————————————————— 141 Hissen ——————————————————————————————— 80 Ibrahim El-Hadj Korey ———————————————————————— 92 Ibrahim Souleyman ————————————————————————— 160 Ingay Tchoteya —————————————————————————— 73, 97 Issa Ibrahim ———————————————————————————— 77 Issa Idrissa ———————————————————————————— 57, 95 Issifiya Sountal-mi ————————————————————— 170, 175, 178 Kondé Hardan Erdimi ——————————————————————— 171 Korey Idris ———————————————————————————— 161 Mahaman Nour Issa ————————————————————————— 93 Mallom Barka El-Hadj Sénoussi —————————————— 66, 69, 163, 165 Mallom Ibrahim Mallom Ousman —————————————————— 145 Mallom Issa Adam —————————————————————————— 96 Mallom Omar Boko —————————————————————— 135, 169 Mallou Lamine ——————————————————————————— 58 Mélimi Ahmat —————————— 70, 71, 82, 83, 86, 87, 89, 91, 118, 132, 176 Nossour Haléki —————————————————————————— 171
190
CONTES TOUBOU DU SAHARA
Omar Souleyman —————————————————— 74, 110, 131, 137, 155 Ousman El-Hadj Elimi ——————————————————————— 136 Ousman Omar dit « Soja » ————————— 72, 78, 95, 103, 108, 112, 120, 178 Salamatou Mala Abdou ——————————————————————— 126 Soukkour Maydé ————————————————————————— 181 Tchouwa El-Hadj Ali ——————— 105, 107, 123, 129, 173, 175, 176, 179, 180 Togoy Allanga ———————— 51, 54, 61, 64, 68, 102, 146, 148, 150, 156, 162 Yahya Moussa Tourgoudi dit « Heredji » ———————————————— 131 Zara El-Hadj Nouri ————————————————————————— 139
TABLES DES ILLUSTRATIONS
Une arche de grès du massif de l’Ennedi, au nord-est du Tchad .......................................................................................
6
Carte géographique
.....................................................................................................
8
Chamelier anakazza (l’un des principaux sous-groupes dazagada) en quête de nouveaux pâturages dans le Djourab, au nord du Tchad ..................................................................................................
12
La girafe, ici représentée sur des peintures rupestres du néolithique à Archi, dans le massif de l’Ennedi, était encore présente au sud-est du massif au début du XXe siècle .............................................
46
Togoy Allanga, Bideyat Bilia, transportant des sacs de céréales, Fada, Tchad ................................................................................................................
60
Mallom Barka El-Hadj Sénoussi, chef et marabout (mallom) Teda, avec son coran et son tapis de prière, Termit, Niger ...............................
67
Ahmat Kolomi devant sa tente, Dougouli, Niger
.....................................
98
Tchouwa El-Hadj Ali et Fatimé Adam tressant des feuilles de palmier doum, Tasker, Niger ....................................................................
111
Yahya Moussa Tourgoudi, Ennedi, Tchad
131
.................................................. .....................
138
Adam Chileymi, forgeron azza de Tasker (Niger), et son fils déploient un filet de chasse qu’Adam a fabriqué à base de sacs en plastique tissé dans lesquels on emballe les céréales. Devant eux, l’enclume et trois pièges à gazelle (dazaga kusku) également fabriqués par le forgeron ..............................................................
144
Bintou Abderahman partant pour l’école, Tasker, Niger
192
CONTES TOUBOU DU SAHARA
Forgeron beri frappant le tambour, Bardaba, Ennedi
.............................
152
........................................................................
160
Varan du désert ou varan gris, totem des Teda Barawa ..........................
164
Goukouni Kosso, chamelier bollugada (dazagada), Ayer, Niger ........
168
Addax photographié dans les années 1960 dans le nord du Tchad. Photo Hubert Gillet ................................................................................................
170
Antilope oryx photographiée dans les années 1960 dans le nord du Tchad. Photo Hubert Gillet .........................................
171
Issifiya Sountal-mi, chef daza de Méhiriya, Niger
....................................
174
Adam Kourti, dit « Wazza », Tasker, Ayer, Niger
....................................
179
Soukkour Maydé ...........................................................................................................
181
Crâne d’antilope addax, une espèce en voie de disparition, Ténéré, Niger ............................................................................................................
182
Outarde de Nubie, Nord-Tchad
TABLE DES MATIÈRES
Introduction
...................................................................................................................................
9
CONTES I. CONTES ANIMALIERS AVENTURES DU LION ET DU CHACAL Contes teda, azza et beri 1. Le lion et le chacal ............................................................................................................... 49 Raconté par Ahmat Kolomi, Teda, chef du puits de Dougouli, Niger
2. Le lion et le chacal ............................................................................................................... 51 Raconté par Togoy Allanga, représentant Bilia, Fada, Tchad
3. Le lion et le chacal ............................................................................................................... 54 Raconté par Togoy Allanga, représentant Bilia, Fada, Tchad
4. Le lion et le chacal ............................................................................................................... 57 Raconté par Issa Idrissa, 13 ans, Azza, Tasker, Niger
5. Le lion et le chacal ............................................................................................................... 58 Raconté par Mallou Lamine, Azza, Tasker, Niger
LE CHACAL ET LA HYÈNE Contes azza et beri 6. Le chacal et la hyène ......................................................................................................... 61 Raconté par Togoy Allanga, représentant Bilia, Fada, Tchad
7. Le chacal et la hyène
.........................................................................................................
63
Raconté par Barkalé Hassan, instructeur d’alphabétisation, Azza, Tasker, Niger
LES MÉFAITS DU CHACAL Contes teda-daza, azza et beri 8. Le chacal qui voulait être roi ...................................................................................... 64 Raconté par Togoy Allanga, représentant Bilia, Fada, Tchad
9. Le chacal et le serpent
......................................................................................................
66
Raconté par Mallom Barka El-Hadj Sénoussi, Teda, chef du puits de Termit (Termit Nord), Niger
10. Le jugement du chacal
..................................................................................................
Raconté par Togoy Allanga, représentant Bilia, Fada, Tchad
68
194
CONTES TOUBOU DU SAHARA
11. Le chacal qui voulait devenir marabout
..........................................................
69
Raconté par Mallom Barka El-Hadj Sénoussi, Teda, chef du puits de Termit (Termit Nord), Niger
12. Les trois façons de courir du chacal
....................................................................
70
Raconté par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger
13. Les vérités du chacal
.......................................................................................................
71
Raconté par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger
14. Le chacal et les chèvres .................................................................................................. 72 Raconté par Ousman Omar dit « Soja » (soldat, parce qu’il a la carrure d’un soldat), Azza, Tasker, Niger
15. Le chacal et ses frères
.....................................................................................................
73
Raconté par Ingay Tchoteya, Anakazza, Wadi Nohi, Tchad
DEUX HISTOIRES DU FENNEC Contes teda et azza 16. Le fennec et la souris ...................................................................................................... 74 Raconté par Omar Souleyman, Teda, Gouro, Tchad
17. La poule et le fennec
......................................................................................................
75
Raconté par Ali Mallom Issa, 9 ans, Azza, Tasker, Niger
HISTOIRES DU LIÈVRE Contes azza et teda 18. Le lièvre et les lionceaux ............................................................................................. 76 Raconté par Ousman Omar « Soja », Azza, Tasker, Niger
19. Le lièvre et l’éléphant
...................................................................................................
77
Raconté par Issa Ibrahim, 12 ans, Azza, Tasker, Niger
20. Le lièvre et le chacal
........................................................................................................
78
Raconté par Barkalé Hassan, Azza, Tasker, Niger
21. Le lièvre et le singe
..........................................................................................................
79
Raconté par Barkalé Hassan, Azza, Tasker, Niger
22. Le lièvre et les pastèques
.............................................................................................
80
Raconté par Hissen, Teda, Gouro, Tchad
LES JUGEMENTS DE L’ÉCUREUIL Contes azza racontés par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger 23. Les jugements de l’écureuil ....................................................................................... 82 Raconté par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger
24. Les jugements de l’écureuil
.......................................................................................
83
Raconté par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger
25. Les jugements de l’écureuil
.......................................................................................
Raconté par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger
83
TABLE DES MATIÈRES
195
AVENTURES DE L’ÉCUREUIL Contes azza 26. Le village des animaux .................................................................................................. 86 Raconté par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger
27. L’écureuil et la hyène
..................................................................................................
87
Raconté par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger
28. Les yeux de la Terre
........................................................................................................
89
Raconté par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger
29. L’écureuil, le chameau et l’éléphant
...................................................................
90
Raconté par Barkalé Hassan, Azza, Tasker, Niger
30. Pourquoi l’écureuil est petit
.....................................................................................
91
Raconté par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger
31. L’écureuil et le lion .......................................................................................................... 92 Raconté par Ibrahim El-Hadj Korey, 12 ans, Azza, Tasker, Niger
32. L’écureuil et le calao
.......................................................................................................
93
Raconté par Mahaman Nour Issa, 7 ans, Azza, Tasker, Niger
33. L’écureuil, le chacal et le feu de brousse
..........................................................
95
Raconté par Issa Idrissa, 13 ans, Azza, Tasker, Niger
34. L’écureuil et le chameau
..............................................................................................
95
Raconté par Ousman Omar « Soja », Azza, Tasker, Niger
35. L’écureuil et les haricots
.............................................................................................
96
Raconté par Mallom Issa Adam, Azza, Tasker, Niger
HISTOIRES DE SINGES Contes teda-daza 36. Le babouin et la gazelle dama ................................................................................. 97 Raconté par Ingay Tchoteya, Anakazza, Wadi Nohi, Tchad
37. Les singes et la femme bavarde ................................................................................ 99 Raconté par Ahmat Kolomi, Teda, chef du puits de Dougouli, Niger
38. Comment Dieu a créé les singes .............................................................................. 101 Raconté par Ahmat Kolomi, Teda, chef du puits de Dougouli, Niger
AUTRES CONTES ANIMALIERS Contes azza, teda-daza et beri 39. Le bouc et la hyène tachetée ..................................................................................... 102 Raconté par Togoy Allanga, représentant Bilia, Fada, Tchad
40. Le chat et le coq
.................................................................................................................
103
Raconté par Ousman Omar « Soja », Azza, Tasker, Niger
41. Trois amoureux .................................................................................................................. 104 Raconté par Barkay Herr, 14 ans, Daza, Tasker, Niger
196
CONTES TOUBOU DU SAHARA
42. Les deux femmes du calao
..........................................................................................
105
Raconté par Tchouwa El-Hadj Ali, Azza, Tasker, Niger
43. Le calao et le génie
..........................................................................................................
107
Raconté par Binti Ibrahim, 8 ans, Azza, Tasker, Niger
44. Le chef des oiseaux
.........................................................................................................
107
Raconté par Tchouwa El-Hadj Ali, Azza, Tasker, Niger
45. Les vérités du hibou ........................................................................................................ 108 Raconté par Ousman Omar « Soja » et Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger
46. La gazelle, la chèvre, le chien et le chef
............................................................
109
Raconté par Abdelrazak Ibrahim, 12 ans, Azza, Tasker, Niger
47. Le moustique et le scarabée
.......................................................................................
110
Raconté par Omar Souleyman, Teda, Gouro, Tchad
II. HISTOIRES D’HOMMES ET DE GÉNIES HISTOIRES DE GÉNIES Contes azza et teda-daza 48. Le vautour et l’homme pauvre ................................................................................ 112 Raconté par Ousman Omar « Soja », Azza, Tasker, Niger
49. Histoire d’un homme pauvre
................................................................................
118
Raconté par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger
50. L’homme qui avait porté les commissions d’un diable
........................
120
Raconté par Ousman Omar « Soja », Azza, Tasker, Niger
51. La fille qui épousa un diable ...................................................................................... 121 Raconté par Adissa El-Hadj Elimé, 15 ans, Daza, Tasker, Niger
52. Les deux épouses
...............................................................................................................
123
Raconté par Fatimé Adam et Tchouwa El-Hadj Ali, Azza, Tasker, Niger
53. La belle fille et les crapauds ....................................................................................... 126 Raconté par Salamatou Mala Abdou, 11 ans, Azza, Tasker, Niger
54. La belle fille et l’oiseau-diable
.................................................................................
128
Raconté par Abderazak Adam, 10 ans, Azza, Tasker, Niger
55. Ichami
......................................................................................................................................
129
Raconté par Tchouwa El-Hadj Ali, Azza, Tasker, Niger
56. Qui a tué Ongorde ?
.......................................................................................................
131
Raconté par Omar Souleyman, Teda, Gouro, et Yahya Moussa Tourgoudi, dit « Heredji », Borogat, Archi, Tchad
HISTOIRES DE VOLEURS Contes azza 57. Les deux voleurs
................................................................................................................
132
Raconté par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger
58. Le voleur de chameaux .................................................................................................. 135 Raconté par Mallom Omar Boko, Azza, Tasker, Niger
TABLE DES MATIÈRES
197
CONTES MORAUX Contes teda-daza et azza 59. L’arbre à beignets
.............................................................................................................
136
Raconté par Ousman El-Hadj Elimi, 8 ans, Teda, Tasker, Niger
60. Les moustaches du lion ................................................................................................. 137 Raconté par Omar Souleyman, Teda, Gouro, Tchad
61. Dieu punit !
..........................................................................................................................
138
Raconté par Bintou Abderahman, 8 ans, Azza, Tasker, Niger
62. Le chien
...................................................................................................................................
139
Raconté par Bokar Lawali, 13 ans, Azza et Maryama Barkay, 11 ans, Daza, Tasker, Niger
63. Une bonne marâtre
.........................................................................................................
139
Raconté par Zara El-Hadj Nouri, 8 ans, Azza, Tasker, Niger
HISTOIRES D’ESCLAVES Contes azza 64. Les neuf esclaves
................................................................................................................
141
Raconté par Héréta Ahmed, Azza, Tasker, Niger
65. L’esclave et la boule de mil
........................................................................................
141
Raconté par Héréta Ahmed, Azza, Tasker, Niger
MYTHES 1. Histoire des Daza et des Azza
.....................................................................................
145
Raconté par Mallom Ibrahim Mallom Ousman, Azza, chef des marabouts de Tasker, Niger
2. Déni Bé
......................................................................................................................................
146
Raconté par Togoy Allanga, représentant Bilia, et Bahar, Beri, Fada, Tchad
3. Histoire d’Ohay ..................................................................................................................... 148 Raconté par Togoy Allanga, représentant Bilia, Fada, Tchad
4. Oumatour et Djagué
.........................................................................................................
150
Raconté par Togoy Allanga, représentant Bilia, Fada, Tchad
5. Histoire des Sar ..................................................................................................................... 151 Raconté par Bahar, Beri, Fada, Tchad
6. Histoire de Midé ................................................................................................................... 153 Raconté par Ahmat Moussa, chef de canton de Wanianga Yoan, et Brahim Bogali, son neveu
7. Histoire des Tezerya
.........................................................................................................
155
Raconté par Omar Souleyman, Teda, Gouro, Tchad
8. Histoire du clan Karda ..................................................................................................... 156 Raconté par Abderahman Sougou Abdou, Azza Karda, Tasker, Niger
198
CONTES TOUBOU DU SAHARA
9. Histoire de Tamélé et Nana
.........................................................................................
156
Raconté par Togoy Allanga, représentant Bilia et El-Hadj Touka Itno, représentant Borogat, Fada, Tchad
10. Histoire d’un sultan cruel ........................................................................................... 158 Raconté par Bahar, Beri, Fada, Tchad
11. Pourquoi le clan Bolto ne mange pas l’outarde
..........................................
160
Raconté par Ibrahim Souleyman, Azza Bolto, Tasker, Niger
12. Pourquoi le clan Trondo ne tue pas la tortue ............................................... 161 Raconté par Korey Idris, Azza Trondo, Tasker, Niger
13. Pourquoi les clans Kodura et Mahamya ne mangent pas l’autruche ......................................................................................... 162 Raconté par Togoy Allanga, représentant Bilia, Fada, Tchad
14. Pourquoi le clan Teda Terintera ne tue pas l’autruche et ne mange pas les pattes avant de la chèvre ...................................................... 163 Raconté par Adoum Kinjimi et par Mallom Barka El-Hadj Sénoussi, Teda, massif de Termit, Niger
15. Pourquoi le clan Teda Barawa ne tue pas le varan
...................................
164
Raconté par Adoum Kinjimi, Teda, massif de Termit, Niger
16. Pourquoi le clan Teraon ne mange pas le bétail mordu par un fauve .......................................................................................................................... 165 Raconté par Mallom Barka El-Hadj Sénoussi, Teda Teraon, chef du puits de Termit (Termit Nord), Niger
CHANSONS 1. Chanson de fille
...................................................................................................................
168
Chanté par Fatimé Adam, Azza, Tasker, Niger
2. Chanson de l’antilope addax ........................................................................................ 169 Chanté par Mallom Omar Boko, Azza, Tasker Niger
3. Chanson de l’antilope addax ........................................................................................ 170 Chanson azza chantée par Issifiya Sountal-mi, Daza, chef du puits de Méhiriya, Niger
4. Chanson de l’antilope oryx ........................................................................................... 171 Chanson beri chantée par Kondé Hardan Erdimi, représentant des forgerons (Azza), Fada, Tchad
5. Chanson de l’antilope oryx
..........................................................................................
172
Chanté par Adam Kourti dit « Wazza », Azza, Kitékité, Niger
6. Chanson de la girafe
.........................................................................................................
173
Chanté par Adam Kourti « Wazza », Azza, Kitékité, Niger
7. Chanson de la hyène tachetée
.....................................................................................
Chanté par Tchouwa El-Hadj Ali, Azza, Tasker, Niger
173
TABLE DES MATIÈRES
199
8. Chanson de la hyène rayée ............................................................................................ 174 Chanson azza chantée par Issifiya Sountal-mi, Daza, chef du puits de Méhiriya, Niger
9. Chanson du chacal et de la hyène rayée
..............................................................
175
Chanté par Tchouwa El-Hadj Ali, Azza, Tasker, Niger
10. Chanson du chacal
..........................................................................................................
175
Chanté par Tchouwa El-Hadj Ali, Azza, Tasker, Niger
11. Chanson de l’autruche
..................................................................................................
176
Chanté par Mélimi Ahmat, Azza, Tasker, Niger
12. Chanson de l’autruche
..................................................................................................
177
Chanté par Adam Kourti « Wazza », Azza, Kitékité, Niger
13. Chanson de l’autruche
..................................................................................................
178
Chanson azza chantée par Issifiya Sountal-mi, Daza,
chef du puits de Méhiriya, Niger 14. Chanson de chasseur ....................................................................................................... 178 Chanté par Ousman Omar « Soja », Azza, Tasker, Niger
15. Chanson du chasseur Wazza ..................................................................................... 179 Chanté par Tchouwa El-Hadj Ali, Azza, Tasker, Niger
16. Chanson d’enfant .............................................................................................................. 180 Chanté par Tchouwa El-Hadj Ali, Azza, Tasker, Niger
17. Chanson de la poule ........................................................................................................ 180 Chanté par Abderazak Adam, 10 ans, Azza, Tasker, Niger
18. Chanson de la huppe
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181
Chanté par Soukkour Maydé, Wania, et Nossour Haléki, Gaeda, Fada, Tchad
Bibliographie
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Index des personnages animaux Index des narrateurs
183
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187
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189
Table des illustrations ................................................................................................................ 191
CONCEPTION GRAPHIQUE & MISE EN PAGE – Anne Lebossé
649655 - Avril 2016 Achevé d’imprimer par