Que serait le Petit chaperon rouge sans son loup aux grandes dents ? Certainement pas une héroïne de conte ! Alors que l
158 102 13MB
French Pages 188 [189] Year 2022
Table of contents :
Table des matières
INTRODUCTION
1ER CHAPITRE : LES MECHANTS, D’INDISPENSABLES INDESIRABLES
2EME CHAPITRE : UNE ESTHETIQUE DE LA PEUR ET DU FRISSON
3EME CHAPITRE : ÉCRITURE ETREECRITURES DES MECHANTS
CONCLUSION
« Il était une fois des contes aux forêts peuplées d’ogres, de loups et de sorcières et aux châteaux qui renfermaient de méchantes marâtres, de mauvaises fées et des ogresses déguisées. Les contes de fées auraient aussi pu s’appeler les contes de loups ou contes d’ogres ! » Que serait le Petit chaperon rouge sans son loup aux grandes dents ou Blanche-Neige sans sa méchante belle-mère ? Certainement pas des héroïnes de conte ! Alors que le héros doit se débarrasser des méchants pour arriver à sa fin heureuse, le conte a besoin d’eux. Car sans eux, pas d’histoire, et sans histoire, pas de héros ou d’héroïne… Depuis les premiers recueils de Perrault et Grimm, et avant eux les versions orales transmises de générations en générations, les méchants ont évolué et se sont transformés : la sorcière est devenue populaire, le loup ridicule et l’ogre toujours aussi méchant. Ce livre se penche sur leurs évolutions ainsi que sur l’importance, paradoxale et surprenante mais bel et bien indispensable, des méchants dans les histoires pour les plus jeunes. Les contes ont autant besoin de leur fin heureuse que de leurs moments qui font frissonner.
Récemment diplômée en littérature pour la jeunesse et amatrice de contes, Eva Barcelo-Hermant est heureuse de vous présenter le fruit de ses recherches. Apprentie bibliothécaire, elle se prépare à raconter de nombreuses fois le « Petit chaperon rouge » !
Illustration de couverture : Illustration de loup du livre Animaux Héros (1905) de Ernest Thompson Seton
ISBN : 978-2-14-027104-5
19,50 €
Eva Barcelo-Hermant
La fabrique des méchants
Contes de loups, contes d’ogres, contes de sorcières
Contes de loups, contes d’ogres, contes de sorcières
Eva Barcelo-Hermant
Contes de loups, contes d’ogres, contes de sorcières La fabrique des méchants
Contes de loups, contes d’ogres, contes de sorcières
%LA3@DL3 /CF LBC23A :7BBL@/7@3A 13BB3 1=::31B7=AD?@:CD 5e356=922E:BF65F5:D4@FCDE9QOEC2=
Eva Barcelo-Hermant
Contes de loups, contes d’ogres, contes de sorcières La fabrique des méchants
ª -h)BSNBUUBO SVFEFM²DPMF1PMZUFDIOJRVFo1BSJT XXXFEJUJPOTIBSNBUUBOGS *4#/ &"/
REMERCIEMENTS : Beaucoup de personnes m’ont soutenue, aidée et encouragée, d’abord pour rédiger mon mémoire puis pour qu’il voit le jour sous fome d’un livre et je leur en suis très reconnaissante. Je tiens à remercier tout particulièrement : Madame Prince pour sa confiance en moi et en mes projets, qui m’a honorée, Mes parents pour leur soutien indéfectible ainsi que la tendresse avec laquelle ils s’intéressent à ce qui me passionne, Mes grands-parents, Robert et Rémy, pour leurs précieuses relectures, leurs encouragements et pour m’avoir encouragé à faire de mon mieux, Louise et Hugo pour m’avoir fait lire et relire les mêmes histoires tant de fois (regardez les loulous, j’en ai fait un livre !) Et Madame Seuillot pour m’avoir demandé « Alors quand est-ce que vous le publiez ce mémoire ? » Encore merci à vous tous !
7
Table des matières INTRODUCTION ......................................................................... 13 Quelques réflexions sur le conte ..........................................14 Quelques pistes sur la méchanceté .......................................17 La méchanceté serait-elle un droit ou un devoir ? ..........18 Devoir moral et devoir d’optimisme… ............................19 1ER CHAPITRE : LES MECHANTS, D’INDISPENSABLES INDESIRABLES ...........................................................................21 Le mal et les méchants dans les contes merveilleux ................ 23 Essai de typologie des méchants ......................................25 Autopsie des méchants .....................................................28 La question de l’apparence humaine ...............................36 Histoire de couleurs .........................................................39 Pourquoi les méchants ? .......................................................45 Un enjeu narratif .............................................................45 Un enjeu pour l’enrichissement accompagnant le conte .49 Le conte d’avertissement est-il toujours d’actualité ? ..........53 Une morale explicite est-elle nécessaire ? .......................55 2EME CHAPITRE : UNE ESTHETIQUE DE LA PEUR ET DU FRISSON 63 L’affaiblissement du méchant pour les plus jeunes ..............65 Du refus de lire des contes de fées ...................................65 Appréhension du public face à la présence des méchants .........................................................................................71 Du plaisir et de l’importance de frissonner ..........................76 Rencontre avec la peur ....................................................77 La peur salutaire ..............................................................79
9
Jouer à se faire peur ........................................................83 Deux impératifs du conte de fées : la féerie et la fin heureuse ..............................................................................................85 L’importance de la fin heureuse ......................................85 Et des fins malheureuses ? ...............................................90 Des contes qui se déroulent dans le royaume de l’imaginaire......................................................................98 3EME CHAPITRE : ÉCRITURE ET REECRITURES DES MECHANTS 103 Des méchants privés de pouvoir ........................................106 Des méchants qui ne font plus peur ...............................107 Les méchants ridicules et risibles .................................. 112 Des méchants apprivoisés .............................................. 114 Des méchants complexes ................................................... 118 La parole aux méchants ................................................. 118 Des méchants populaires ...............................................122 Le problème de faire de nouveaux méchants sans défaire les anciens ......................................................................126 De vrais méchants ..............................................................130 Une méchanceté rachetée… mais à ne pas sous-estimer .......................................................................................130 D’authentiques méchants des contes, même avec un traitement différent.........................................................131 L’ogre, une figure rarement réhabilitée .........................133 Le paradoxe du petit bonhomme de pain d’épices : et si le méchant c’était moi ? ...........................................................141 Du costume de super-héros au costume de loup ............145 La valeur libératrice des méchants ................................146 CONCLUSION .......................................................................... 151
10
ANNEXES ................................................................................ 159 Les différentes versions du « petit chaperon rouge » .........159 Entretiens réalisés durant mon stage aux éditions Didier Jeunesse ..............................................................................163 Entretien avec Louise B., attachée de presse et chargée de l’événementiel ................................................................163 Entretien avec Frédérique R., directrice artistique .......168 Entretien avec Servane G., éditrice petite enfance et albums ............................................................................170 BIBLIOGRAPHIE ...................................................................... 177 CREDITS DES ILLUSTRATIONS ................................................. 185
11
INTRODUCTION « - Pourquoi Karaba la sorcière est-elle méchante ? - Est-ce qu’il doit y avoir une raison ? - Oui ! »
Ce dialogue a lieu entre Kirikou et son oncle sur le chemin pour aller combattre la sorcière Karaba. À peine né Kirikou apprend que son village souffre de la méchanceté d’une sorcière qui les terrorise, fait disparaître les hommes et vole les bijoux des femmes. Kirikou se fait alors un devoir de défaire cette sorcière, ce qui l’engage dans une quête initiatique riche en épreuves et en apprentissages dont il sortira adulte… et amoureux de Karaba ! Comme Kirikou, les enfants découvrent très jeunes que dans la vie il y a les gentils et les méchants, tout comme il y a les moments heureux et les moments difficiles et effrayants. Ils apprennent cela de leurs propres expériences de vies, mais aussi dans les histoires qu’on leur raconte. Parmi les histoires destinées à la jeunesse, le conte détient une place de choix. Il s’agit d’une forme de récit qui n’hésite pas à employer ces moments lumineux et sombres, ces personnages bons et cruels y compris dans des récits parfois très courts, de seulement quelques pages. Lire ces
13
histoires à des enfants revient à prendre place dans une longue tradition de transmission orale de ces contes qui ont voyagé à travers de nombreux endroits, de nombreuses époques, de nombreuses bouches pour parler du bien et du mal, des rencontres avec des méchants, le courage que cela demande de combattre le mal, entre autres dizaines de thèmes essentiels à la vie humaine. Popularisé pour la jeunesse, patrimoine littéraire mais aussi culturel et documentaire1, le conte de fées, que ce soit par le biais des albums lus en famille ou à l’école, des dessins animés ou encore de nombreuses autres façons (jeux d’enfants, pièces de théâtre, expressions…) s’est forgé une place conséquente dans la culture littéraire enfantine.
QUELQUES REFLEXIONS SUR LE CONTE Néanmoins, il serait faux et réducteur de voir uniquement les contes comme des histoires pour endormir les enfants, non seulement parce que ce n’est pas vrai d’un point de vue historique, ensuite parce que de très nombreuses œuvres adultes s’inspirent des contes et les reprennent, que ce soit sous forme de référence ou de réécritures. Pendant des siècles le conteur contait pour tous et si les enfants pouvaient écouter, ils n’étaient pas l’auditoire privilégié : « En effet une très grande partie des contes n’est à l’origine pas du tout destinée à l’enfance. Dans les sociétés traditionnelles, les récits de fiction partagés par les adultes le sont sous forme orale : ce sont des mythes, des sagas, des contes qui évoquent des réalités très loin du niveau de perception des enfants. Au sein de cet ensemble, quelques contes sont spécifiquement destinés à être dits à des enfants, mais ils sont loin d’être majoritaires2 ».
1Depuis
2005 les Contes de l’enfance et du foyer sont inscrits au registre international « Mémoire du monde » de l’UNESCO comme patrimoine documentaire 2 Cécile Boulaire, Lire et choisir ses albums, petit manuel à l’usage des grandes personnes, Paris, Didier Jeunesse, 2018, p.31
14
Les contes ont une origine orale de tradition populaire très ancienne. Cela participe assurément de leur charme et de leur considération comme objet d’enseignement. Cécile Boulaire le présente ainsi : « Le conte est un genre narratif dont l’origine se perd dans la nuit des temps : des querelles agitent les spécialistes pour essayer de savoir si le conte est un mythe dégagé, autrement dit un récit fondateur qui a perdu sa valeur de vérité, mais qu’on continue à transmettre pour le plaisir du récit ou si le conte a toujours été considéré comme un récit de fiction 1 »
« The fairy tale has no landlord 2 » rapporte l’autrice américaine Joan Gould dans son ouvrage Spinning straw into gold. Si les contes logent bel et bien partout et s’invitent à toutes les tables, certains ont néanmoins des auteurs, qui se nomment Charles Perrault, Wilhelm et Jacob Grimm, Hans Christian Andersen ou encore Afassaniev. Ce ne sont pas les créateurs des récits, mais ils ont fixé une des versions des contes, faisant passer le conte de l’oralité à l’écrit et d’une forme particulièrement mobile à une forme figée. On peut donc parler de leurs versions des contes, à la fois révélatrice d’une époque et d’une vision et marquée par la personnalité de leurs auteurs et le contexte dans lequel ils les ont fixés – les salons littéraires chez Perrault, une visée de mémoire mais aussi d’éducation chrétienne chez les frères Grimm. D’autres contes ont des origines mystérieuses, comme « Les trois petits cochons » ou sont connus comme des contes venus d’autres contrées, comme le conte norvégien « À l’Ouest du Soleil, à l’Est de la Lune ». Mais malgré l’important nombre de contes et de versions qu’il en existe, il y a quelque chose que l’on retrouve dans tous les contes. Outre le caractère ancien et le passage de l’oralité à l’écrit, une autre caractéristique importante du conte est dans sa grammaire et son fonctionnement propre. En effet, le conte est une forme à part entière, qui comporte certains codes facilement reconnaissables pour les lecteurs ou les auditeurs, qu’importe 1
Ibid., p.29 Gould, Spinning straw into gold, New York, Random House, 2006, p.23 : « le conte de fées n’a pas de propriétaire » – c’est nous qui traduisons 2Joan
15
l’histoire racontée. Certains sont évidents, comme la formulette du début et de la fin. Mais il y a autre chose plus subtile dans le conte, dans sa constitution même : « Ce qui caractérise le conte, ce qui en fait un genre particulièrement intéressant pour l’enfant, c’est précisément sa prévisibilité : les personnages positifs sont récompensés et les méchants punis ; le déroulement de l’histoire lui-même répond à des règles claires (par exemple il y a souvent trois épreuves ou trois adversaires à combattre), qui se retrouvent d’un conte à l’autre. 1 »
C’est ce caractère prévisible qui relie les contes entre eux, les distinguent des autres genres de récits et donne un aspect familier à l’univers des contes. Avant même d’entamer la lecture d’un conte on sait déjà quels éléments on pourra trouver dedans, un peu à la façon des cozy crimes, ces romans policiers réconfortants. Et c’est aussi en cela que le conte diffère profondément du roman : « Le personnage de roman vit des aventures inédites, on attend qu’il surprenne son lecteur, même si le lecteur se reconnaît dans certains de ses gestes ou de ses réactions. À l’opposé le personnage de conte ne nous ressemble pas, il est un peu caricatural ; ses aventures, très éloignées de notre quotidien, sont à la fois prévisibles pour nous dans leur dénouement… et séduisantes parce que souvent merveilleuses, extraordinaires. 2 »
Les personnages de contes possèdent la particularité d’être assez génériques, comme des toiles très peu peintes, facilitant ainsi les processus d’identification et de projection pour les lecteurs. Par ailleurs, ils sont classés de façon assez binaire entre les gentils et les méchants. Et si un personnage passe d’un camp à l’autre, fait rare, cela s’accompagne d’une transformation physique qui explique et symbolise ce changement de nature, on peut penser à la bête de « La belle et la bête » et au prince grenouille du conte éponyme. Les méchants sont eux aussi
1Cécile
Boulaire, Op. Cit., p.34
2Idem.
16
typiques et facilement reconnaissables, avec quatre principales figures : le loup, la sorcière, l’ogre et la méchante marâtre.
QUELQUES PISTES SUR LA MECHANCETE La présence de tels personnages dans des livres aujourd’hui destinés aux enfants soulève plusieurs questions. La première étant celle de la légitimité de leur présence. Pourquoi présenter des personnages méchants, capables de cruauté, parfois profondément mauvais par nature aux enfants ? Quel est l’intérêt pour eux ? Ces lectures risquent-elles de les effrayer, voire de les traumatiser ? Les réponses à ces premières questions en amènent d’autres, cette fois sur l’utilité de ces méchants. Est-ce une façon d’apprivoiser sa peur ? De découvrir dans les livres et le confort familial qu’il existe des méchants et de s’y préparer doucement ? De parler de tout autre chose, si on pense au loup du « Petit chaperon rouge » comme une métaphore du prédateur sexuel ? La méchanceté peut posséder une fonction utile lorsqu’elle se fait vecteur d’information et de mise en garde. Cette dernière option rejoint une longue tradition de vision de la littérature et encore plus celle destinée aux enfants, comme un outil d’instruction et d’éducation, présenté sous la forme d’une jolie histoire : docere et placere, instruire et plaire ou plutôt instruire en plaisant, qui pourrait ici se décliner comme instruire en faisant peur. Mais cela suppose une méchanceté utile, une méchanceté qui est là pour nous apprendre et donc n’est ni vaine, ni gratuite et donc par-là pas entièrement méchante. Une méchanceté pensée pour nos enfants, avec des contes où ce n’est pas la mère qui est méchante, mais la belle-mère. En effet la question de la présence de personnages méchants dans les livres pour enfants dépend de la façon dont on voit à la fois les enfants, ainsi que la littérature et les histoires qu’on leur lit. À propos des méchants Muriel Tiberghien dit :
17
« Leurs histoires dessinent en filigrane l’évolution de la morale sociale et du rapport à l’enfant1 »
Finalement, en interrogeant le méchant, on interroge l’enfance, la morale, la société et le rôle des histoires. Mais les méchants pour enfants ont-ils seulement le droit d’être réellement méchants ?
LA MECHANCETE SERAIT-ELLE UN DROIT OU UN DEVOIR ? Reprendre la loi du 16 Juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse éclaire grandement les choses. « Les publications visées à l'article 1er ne doivent comporter aucune illustration, aucun récit, aucune chronique, aucune rubrique, aucune insertion présentant sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche ou tous actes qualifiés crimes ou délits ou de nature à démoraliser l'enfance ou la jeunesse ou à inspirer ou entretenir des préjugés ethniques ou sexistes. Elles ne doivent comporter aucune publicité ou annonce pour des publications de nature à démoraliser l'enfance ou la jeunesse2. »
Ce que cette loi nous apprend, c’est que la méchanceté en littérature jeunesse n’est ni gratuite ni victorieuse. Et si elle est l’une des deux, alors elle ne peut absolument pas être ambiguë sur l’autre point : le « Petit chaperon rouge » de Perrault (si on le considère bel et bien comme de la littérature pour la jeunesse et non comme un conte de salon lettré) est clairement moral. Et l’on
1 Muriel
Tiberghien, Fripouilles, canailles, brigands et vrais méchants à travers 150 ans de littérature jeunesse, pp.60-68 in Les cahiers du CRILJ numéro 5 novembre 2013, Les méchants : des personnages comme il (en) faut, Orléans, CRILJ, 2013, p.60 2 Article 2 de la Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse (Version consolidée au 17 août 2010) page consultée le 29 avril 2020 :
18
attend des enfants à ce qu’ils s’identifient à la petite fille et non au loup.
DEVOIR MORAL ET DEVOIR D’OPTIMISME… Finalement, pour être vendu comme jeunesse et donc offert au public visé, un livre doit respecter certaines règles, en particulier par rapport à son méchant. Bertrand Ferrier les résume ainsi : « Le droit à la méchanceté est doublement limité : par la volonté de préserver la jeunesse des mauvais exemples, d’une part ; et par le souhait de la moraliser grâce aux livres, d’autre part1 »
Il faut remarquer au passage que « démoraliser » s’entend de deux sens : enlever ou brouiller une capacité à être moral, à exercer un jugement moral ; et priver quelqu’un d’enthousiasme. Le second sens semble à la fois relever de l’évidence – on n’a pas envie de lire à un enfant une histoire qui le rendra malheureux, en particulier si on veut ensuite qu’il s’endorme – et déboucher alors sur la fin de l’histoire. Une histoire qui finit mal peut-elle ne pas être démoralisante ? On retrouve alors la question de la fin heureuse, souvent vue comme un impératif cliché et mensonger du conte et qui serait pourtant indispensable à la jeunesse. La fin heureuse est-elle obligatoire et est-elle un marqueur prononcé d’appartenance d’un texte en littérature jeunesse ? Aujourd’hui outre la valeur patrimoniale du conte, perçu comme un important pilier de notre culture commune, le conte se double désormais d’une fonction d’apprentissage, principalement cristallisée autour de sa morale, rejoignant alors une longue tradition littéraire de docere et placere. Le méchant est le contre-exemple de ce travail moral : celui contre qui on met en garde, celui à qui on ne veut pas ressembler.
1Bertrand
Ferrier, Du sale juif à la pastille Vichy : le droit à la méchanceté dans les livres pour la jeunesse, pp48-59, p.52 in Les cahiers du CRILJ numéro 5 novembre 2013, Les méchants : des personnages comme il (en) faut, Orléans, CRILJ, 2013
19
Ce travail se donne donc comme but d’examiner les figures de méchants dans les contes traditionnels, leurs évolutions et éditions successives, ainsi que dans les albums qui ne sont pas des contes mais en reprennent les personnages archétypes, justement parce qu’ils viennent du conte et appartiennent dès lors à un certain mythe de l’enfance. Dans un premier chapitre, nous examinerons plus en détail les figures de méchants traditionnels et ce que leur présence a d’important, d’utile, de légitime dans les contes et récits pour la jeunesse. Puis nous verrons en quoi les contes ont besoin d’une certaine esthétique de la peur et du frisson, parfois salutaire et souvent agréable et largement bienvenue. Enfin nous nous pencherons sur ce que sont devenus les méchants à travers des regards d’époques aux sensibilités différentes.
20
1ER CHAPITRE : LES MECHANTS, D’INDISPENSABLES INDESIRABLES
Il était une fois des contes aux forêts peuplées d’ogres, de loups et de sorcières et aux châteaux qui renfermaient de méchantes marâtres, de mauvaises fées et des ogresses déguisées. Les contes de fées auraient aussi pu s’appeler les contes de loups ou contes d’ogres ! Les méchants se sont taillés une place jusque dans notre langage et ses expressions : on a une faim d’ogre ou un appétit de loup, on chausse les bottes de sept lieues, on crie au loup... Ce chapitre se propose d’examiner plus en détail, de se pencher sur leurs origines, ainsi que les symboles, significations et qu’il amènent avec eux dans une histoire. En effet les méchants sont des archétypes particulièrement riches tant on les retrouve dans de nombreux contes et variantes : sorcières, animal féroce et ogre correspondent à de nombreuses réalités et à de nombreux
21
textes. Cela nous permettra alors de mieux voir quels enjeux ils représentent dans les contes, que ce soit un enjeu narratif, un enjeu d’enrichissement ou encore un enjeu moral. Car on a beau vouloir s’en débarrasser le plus vite possible, il nous apparaît que les méchants jouent un rôle indispensable…
22
Le mal et les méchants dans les contes merveilleux « The more successful the villain, the more successful the picture » Alfred Hitchcock Dans un premier temps il nous faut replacer les méchants dans un contexte plus large. En effet les figures que nous avons déjà citées ne sont pas les seules formes de rencontre avec le mal dans les contes. On pourrait définir et séparer, trois formes sous lesquelles apparaissent le mal ou la méchanceté et dont les méchants ne constituent qu’une seule forme. Ensuite nous voulons examiner plus attentivement nos figures de méchants, les disséquer un peu. Ils ont été écrits tant de fois, de tant de façons différentes qu’ils ressemblent presque à des palimpsestes. Dès lors il nous semble indispensable de commencer un travail sur les méchants de contes de fées par un état des lieux du mal et de ses figures. La première forme est celle déjà évoquée du personnage mauvais et ce de façon intrinsèque, sans tentative de rédemption possible. Il lui arrive parfois d’être défait en étant tué à la fin, ce qui constitue une fin heureuse, mais ce n’est pas systématique – il suffit de penser au renard qui croque la galette de « Roule galette » ou au loup de Perrault qui fait pareil avec le petit chaperon rouge. Il s’agit souvent de l’animal sauvage – le loup, l’ours, l’alligator selon les régions du monde – et parfois du renard selon les contes. Il existe également dans ces figures de méchants, l’ogre, la sorcière et la famille méchante, le plus souvent la marâtre et les belles-sœurs, mais parfois la mère, la ou les sœurs. Puisque le conte traditionnel n’offre pas souvent de possibilité de rédemption à cette mauvaise figure, elle est à fuir ou à combattre. La seconde forme est celle du comportement, c’est-àdire un moment de folie passagère prenant un personnage, par
23
ailleurs aimant. On peut penser en particulier au père de l’héroïne dans « Peau d’âne », qui commence par aimer la princesse avant de vouloir l’épouser, puis finit dans plusieurs versions par assister à son mariage. Il peut parfois même lui présenter des excuses, une fois remis de son espèce de fièvre incestueuse, comme dans « Peau d’ânesse » de Fdida. Cela constitue généralement une mise à l’épreuve pour le héros ou l’héroïne (on peut penser à la bergère dans le conte « Grisélidis » par exemple), dont ses vertus lui permettent de sortir victorieux et d’arriver à une situation heureuse. Enfin, une troisième et dernière apparition, est dans la situation, la problématique sociale. C’est probablement le cas le plus délicat, celui dans lequel le héros ou l’héroïne, doit surmonter une situation sociale injustement en leur défaveur. On pensera en particulier à la pauvreté comme dans « Le petit poucet » et aux droits d’héritage dans « Le maître chat ». Dans ce cas, la méchanceté n’est pas incarnée, mais bel et bien présente et pesante pour le personnage principal. Elle est alors évitée, surpassée par la ruse des personnages, mais jamais totalement défaite à l’inverse du personnage méchant ou du comportement. On pourrait dire que le conte avec personnage méchant est plus souvent un conte d’avertissement, celui avec la situation sociale un conte d’accomplissement social, mais dans plusieurs cas ces fonctions sont mélangées et le conte avec situation sociale injuste est doublé d’un second méchant incarné par un personnage – l’ogre dans les deux contes précédemment cités. Ainsi les méchants sont des figures simples qui recouvrent une grande complexité. L’économe du conte se voit également dans ses antagonistes, qui sont des personnages à la fois peu décrits, peu fouillés et pourtant très efficaces et riches en symboles. Nous voulons désormais nous pencher plus précisément sur leur rôle, leur raison d’être dans les contes.
24
ESSAI DE TYPOLOGIE DES MECHANTS La méchanceté peut donc prendre différentes formes et les méchants n’être méchants que durant quelques pages, mais certaines figures sont bien caractéristiques. On dénombre quatre figures principales de méchants de contes de fées : l’ogre et la sorcière (qui ont tous deux des équivalents de l’autre genre, bien que moins marquants et nombreux), le loup et la méchante marâtre, qui peut également s’accompagner de sa ou ses méchantes filles. Regardons plus en détail les méchants des contes de Perrault :
Contes
Figure de méchants
Situation injuste
Contes en prose La belle au bois La huitième fée puis dormant l’ogresse Petit Chaperon rouge
Le loup
Barbe-bleue
Barbe-bleue (ogre)
Les mariages arrangés
Le Maître Chat Botté
L’ogre
Les différences d’héritage injustes dans un même famille
Fées
La méchante mère et la soeur
Les différences de traitement dans une même famille
Cendrillon
La méchante bellemère et ses filles
Riquet à la houppe
25
Contes
Figure de méchants
Situation injuste
Petit Poucet
La méchante mère puis l’ogre et l’ogresse
L’extrême pauvreté
Contes en vers Grisélidis Peau d’âne
L’humeur du roi La fièvre incestueuse du Roi déclarée suite à sa promesse à la reine
Les souhaits ridicules Si l’on compte bel et bien Barbe-bleue comme un ogre, alors la moitié des méchants de Perrault sont des ogres ou des ogresses. Ils sont tous dans les contes en prose et on les retrouve au rythme d’un conte sur deux. Ensuite il y a deux contes avec une méchante famille ou belle-famille, puis un unique conte de loup. On passe ensuite aux contes en vers : « Riquet à la houppe » ne comporte pas de méchant ; « Peau d’âne » est le seul des contes en vers à comporter un méchant. C’est également le seul conte à être passé en prose et à être édité en album seul. Riquet à la houppe et les souhaits ridicules n’ont jamais connu le même succès. Alors que c’est l’ogre le méchant le plus présent et qu’il n’y a chez Perrault qu’un seul conte de loup, « le petit chaperon rouge » est le conte qui connaît le plus d’éditions aujourd’hui. Le loup est l’une des figures les plus importantes de l’imaginaire enfantin. Voici les chiffres de nombre de livres édités pour les versions de Perrault des contes, d’après le fichier de référence de
26
la Bibliothèque nationale de France1 que j’ai consulté au début de l’année 2021 (« Grisélidis » et « Les souhaits ridicules » n’en faisaient pas partie) : Contes
Figure de méchants
Livres édités
Le Petit Chaperon rouge
Le loup
174
Cendrillon
La méchante belle-mère et ses filles
168
La belle au bois dormant
La huitième fée puis l’ogresse
168
Le Maître chat Botté
L’ogre
164
Petit Poucet
La méchante mère puis l’ogre et l’ogresse
155
Barbe-bleue
Barbe-bleue (ogre)
68
Peau d’âne
La fièvre incestueuse du Roi
65
Riquet à la houppe Les Fées
45 La méchante mère et la soeur
33
La question des recueils de contes des frères Grimm est plus complexe. Bien plus nombreux, plus de 200, ils n’ont pas tous connu le même succès, ce qui rend la comparaison compliquée. Les adaptations Disney, en particulier, ont mis en avant certains contes comme « Blanche-Neige » ou 1 Chiffres obtenus à l’aide du fichier de référence sur les contes de Charles Perrault de la Bibliothèque Nationale de France disponible à l’adresse suivante : qui ne comprend pas « Grisélidis » et « Les souhaits ridicules »
27
« Raiponce » ; d’autres sont uniquement présents dans les albums, comme « Nain tracassin » ou « Rumplestiltskin » dans le conte éponyme, d’autres encore n’ont jamais été traduits avant la parution intégrale de Natacha Rimasson-Fertin en 2009. Des contes des frères Grimm et de leurs méchants, nous pouvons retenir qu’ils reprennent sensiblement ceux de Perrault : loup, ogre, marâtre, avec la différence que la mauvaise fée devient la sorcière. Cela est également vrai chez Afassaniev et dans la plupart des contes, quel que soit leur origine ou leur conteur. De façon générale, dès qu’il y a des épreuves et dépassements, il y a un méchant pour les provoquer.
AUTOPSIE DES MECHANTS Il serait impossible de cataloguer chaque apparition de nos quatre archétypes de méchants et de regarder tout ce qu’ils impliquent et connotent. Il est néanmoins utile dans un travail qui se pose la question de leur évolution de regarder brièvement leurs origines et leurs histoires dans les grandes lignes.
Le loup, l’animal phobogène par excellence
Il me semble qu’il s’agit du méchant le plus présent dans l’imaginaire infantile. C’est pourtant surprenant car le loup est
28
loin d’être le méchant le plus répandu dans les premiers contes écrits. On ne le retrouve que dans un seul conte de Perrault, peutêtre bien le plus célèbre et dans deux des plus connus des frères Grimm : leur version du « Petit chaperon rouge » et du « Loup et les sept chevreaux ». À cela on peut ajouter « les trois petits cochons » dans les Nursery Rhymes of England de James Halliwell en 1886. Par la suite il sera également le méchant de « Pierre et le loup » conte musical de Prokofiev de 1936. Remarquons qu’il s’agit à chaque fois d’un loup solitaire face à respectivement une petite-fille (et sa grand-mère), trois petits cochons et sept chevreaux, tous plus faibles que lui. Et pourtant ils peuvent tous triompher de lui. Ce sont souvent des contes étudiés assez tôt à l’école – assez compréhensibles, ils permettent par ailleurs de revoir des notions mathématiques fondamentales et sont nécessaires avant d’en étudier les parodies et détournements, ce qui pourrait être une piste d’explication pour le succès du loup. Mais la renommée du loup est très importante et va bien au-delà des contes. Outre les fables de La Fontaine, elles aussi souvent utilisées comme support pédagogique, c’est jusque dans nos proverbes et nos expressions populaires que cette bête féroce s’invite : « l’homme est un loup pour l’homme », « voir le loup », « Tôt sait le loup ce que mauvaise bête pense » et bien sûr « crier au loup ». C’est un animal avec une forte symbolique, que l’on retrouve souvent dans des histoires autrement peuplées d’humains – comme le loup de Tex Avery ou les loups des proverbes précédemment cités 1. Le loup est également la figure du méchant pour lequel le danger est le plus réaliste et immédiat (la marâtre est très souvent accompagnée d’un autre méchant ou d’une autre épreuve). En effet le loup, qu’importe l’interprétation que l’on peut poser par-dessus, reste toujours un prédateur existant. Selon Jean-Marc Moriceau, dans Histoire du méchant loup, il y eut de nombreuses attaques mortelles de loup, notamment chez les 1
Dans les Fables de la Fontaine on peut penser au « Loup et l’agneau », au « chien et le loup », « le loup devenu berger », « le loup et la cigogne », « le loup et le chasseur », « le loup et le renard etc
29
enfants, bien que cela reste un comportement peu habituel chez cet animal. Les années 1693-1694, soit juste avant le premier manuscrit des Contes de Perrault, furent justement des années de crise : « Au cours de ces deux années noires, le risque d’être victime d’un loup prédateur aurait donc été, dans l’absolu, de 50 personnes par an et par million d’habitants 1 ». À cette période, la France comptait un peu plus de 20 millions d’habitants, ce qui permet à Moriceau la conclusion suivante : « Pour brosser le portrait du « grand méchant loup » pour son Petit chaperon rouge (1695) comme pour son Petit Poucet (1697), Charles Perrault n’avait alors que l’embarras du choix. L’angoisse des sept enfants, abandonnés dans la forêt par leurs parents pour la seconde fois était alors tellement fondée 2 ! »
Le loup est une figure poétique tout droit venue de l’imaginaire merveilleux, mais il reste toujours un danger en luimême. C’est d’autant plus fort qu’il est présent dans nos forêts ce qui grandit encore la légende qui l’entoure, car on peut en voir des images et trouver ses traces en forêt. Cette réalité de l’animal vient renforcer la légende qui l’entoure et dont la majorité des gens n’ont qu’une « expérience purement livresque 3 ». Le loup peut être replacé dans un contexte plus large d’animaux sauvages, mais conserve toujours une symbolique propre 4. Le loup est montré comme un animal fort, cruel, qui mange ses proies. Renaud Hétier le décrit comme « la figure principale de l’agression 5 ». Quant à Karine Tassin elle montre à quel point cet animal peut renvoyer à diverses choses : 1
Jean-Marc Moriceau, Histoire du méchant loup. 3000 attaques sur l’homme en France (XV-XX siècle), Paris, Fayard, 2007, p.133 2Id. 3Karine Tassin, « la place de l'animal dans la psychothérapie de l'enfant », Enfances et psy, n°35, pp. 58 – 68, p.61 4Dans les versions d’autres pays de nos contes de loups, on va trouver l’ours à la place du loup dans la version vietnamienne du petit chaperon rouge et une terrible marraine à la colère démesurée dans la version sicilienne. Dans la version de Louisiane de « la chèvre et les sept cabris », le loup est remplacé par un alligator 5Renaud Hétier, « Les trois parents de l'enfant : père, mère, marâtre de la tradition, mère, père et beau-père de la modernité » dans D'un conte à l'autre, d'une
30
« Il est, en effet, pourvu d’appendices terrifiants (son museau, ses griffes et ses dents) ou au contraire séduisants et même fragiles (sa queue, si souvent prise comme dans Pierre et le loup, […] gueule effrayante pouvant avaler la grand-mère dans le Petit Chaperon rouge, six des sept chevreaux ou le canard de Pierre, tout en les gardant vivants dans son ventre, à la façon d’une mère enceinte 1). »
Gustave Doré a gravé, dans l’imaginaire collectif, le loup comme une grande bête effrayante et pourtant très proche de nous. Dans la première des trois gravures qu’il a réalisées pour ce conte, le loup est plus grand et large que la petite fille2 et ne montre au lecteur que son dos, masquant ainsi sa tête, ne laissant qu’entrevoir le côté de sa gueule dans l’ombre. La petite fille étant de face, son visage, ses bras et son tablier blancs et inondés de lumière, paraissent diamétralement opposés dans ce premier face à face, dont nous connaissons déjà l’issue finale. Dans la gravure, où il attaque la grand-mère, il n’est toujours pas de face, mais il a la gueule grande ouverte pour attaquer et on discerne aisément ses crocs. La chaise est renversée, le chat se cache sous le lit, les lunettes et la tabatière tombent, la grand-mère a un pauvre mouvement de recul peu efficace : l’attaque du loup a commencé mais nous n’en verrons pas plus. C’est la dernière image dans l’ordre chronologique du conte qui nous dévoile la face du loup ainsi que ses pattes. On dirait presque qu’il sourit, alors que la petite fille le regarde avec des yeux exorbités. Dans ces trois gravures, il n’est qu’à quelques centimètres de la grandmère et de la petite fille et toutes deux périront pour l’avoir laissé s’approcher aussi près.
génération à l'autre, études dirigées par Catherine d’Humières, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2008, pp 13-24, p.13 1Karine Tassin, « la place de l'animal dans la psychothérapie de l'enfant » Op. Cit., p.61 2Ce qui était tout à fait possible selon Jean-Marc Moriceau : la taille moyenne des Français d’après les cohortes de naissance 1666 à 1694 est de 1,62 m. Les loups tués à la même époque ont des tailles allant de 1 à 2,27 mètres.
31
L’ogre, la figure de la force brute
Voici une définition de l’ogre datant du XIVème siècle : « géant des contes de fées, représenté comme se nourrissant de chair humaine » (ca 1300 – Corresp. entre Pharamond et Meliadus ds R. Lang. rom. t.35, 233, 108). Ce serait donc une figure proprement enfantine et du monde du merveilleux. Même si on notera qu’ogre(sse) pouvait aussi désigner une maquerelle. Sa variante nordique est le troll. L’ogre peut aussi être rapproché d’une autre figure de géant anthropophage, Cronos en mythologie grecque ou Saturne pour les Romains, le titan qui dévore ses enfants à leur naissance pour garder jalousement son trône. Son fils Zeus échappe à ce châtiment grâce à la ruse de sa mère qui le cache. L’ogre possède à la fois des signes distinctifs physiques, telles que la stature ou l’apparence effrayante et des particularités de caractère, souvent riche mais avare, affamé et effrayant pour sa femme ou les gens de sa maison. Si jamais un tel personnage est gentil, on parle alors de géant et non plus d’ogre, ce qui révèle que la cruauté fait partie intégrante du personnage, comme dans Le géant de Zeralda de Tomi Ungerer. Par ailleurs, l’ogre est faillible : il est stupide. Quant à l’ogresse, si elle est généralement plus intelligente que son mari, elle reste moins forte que lui et moins rusée que le héros, car c’est là le véritable point faible de l’ogre et de l’ogresse, comme le dit Muriel Tiberghien : « Leur vulnérabilité réside en fait dans leur bêtise ou leur vanité qui permettent aux jeunes héros qu’ils convoitent de leur échapper ou de les vaincre. Les contes illustrant la victoire de la ruse humaine (ou animale) sur la force bestiale de l’ogre abondent 1. »
1Muriel Tiberghien, « Fripouilles, canailles, brigands et vrais méchants à travers 150 ans de littérature jeunesse » Op. Cit., p.60
32
La sorcière, femme impie et puissante
Grande figure de l’imaginaire autour du conte et du merveilleux, la sorcière est aussi la grande absente du recueil de Perrault. Une seule exception, au masculin qui plus est, se trouve dans « La belle au bois dormant », à propos des rumeurs qui courent sur le château endormi : « Au bout de cent ans, le fils du roi qui regnoit alors et qui estoit d’une autre famille que la princesse endormie, estant allé à la chasse de ce costé-là, demanda ce que c’estoit que des tours qu’il voyoit au-dessus d’un grand bois fort épais. Chacun luy répondit selon qu’il en avoit ouï parler : les uns disoient que c’estoit un vieux chasteau où il revenoit des esprits ; les autres, que tous les sorciers de la contrée y faisoient leur sabbat. La plus commune opinion estoit qu’un ogre y demeuroit et que là il emportoit tous les enfans qu’il pouvoit attraper, pour les pouvoir manger à son
33
aise et sans qu’on le pust suivre, ayant seul le pouvoir de se faire un passage au travers du bois. 1 »
Les fées de ce conte sont jeunes et bonnes ou vieilles et aigries comme la huitième fée qui lance un sort à la princesse. Elle est décrite comme « une vieille fée que l’on n’avait point priée parce qu’il y avait plus de cinquante ans qu’elle n’était sortie d’une Tour et qu’on la croyait morte ou enchantée2 ». Quant au conte « Les Fées », il n’en comporte qu’une seule, ni bonne ni mauvaise. Sa magie révèle la bonté de celle ou celui qu’elle teste en venant matérialiser et extérioriser ce que sont intérieurement les jeunes filles dans leurs paroles. Mots de perles ou de crapauds, car ce sont justement nos mots qui traduisent l’intimité de notre pensée et de nos désirs à ceux qui nous entourent. Mais il n’y a pas de sorcière chez Perrault. Dans « la Belle et la bête » de Madame Le Prince de Beaumont, c’est aussi une sorcière qui est responsable de la transformation du Prince, mais elle est négligeable dans l’histoire : comme dans « les Fées », l’usage négatif des pouvoirs vient en réaction à un mauvais comportement du prince et l’enjeu du conte est dans la libération du prince plus que dans la défaite de la sorcière. En revanche dans les contes des frères Grimm elle devient terrible et redoutable, comme le montrent bien « Hansël et Gretël » et « Blanche-Neige » (encore que dans ce second cas elle combine marâtre et sorcière). Il y a aussi la terrible BabaYaga qui vit dans une isba sur pattes de poulet. Les sorcières de contes se divisent surtout en deux grandes catégories : la vieille femme qui vit dans la forêt à l’écart, comme dans « Hansël et Gretël » ; et la jeune femme séduisante, qui peut être logée dans la demeure de l’héroïne, en particulier si elle est sa marâtre, comme dans « Blanche-Neige » ou dans « les six cygnes ». Dans le premier cas on mettra en avant la vieillesse et la laideur de la sorcière, deux qualificatifs peu valorisants pour une femme, dans le second son arrogance, sa vanité et l’emprise 1
Charles Perrault, Contes de ma mère l’Oye, « La belle au bois dormant » 2 Idem.
34
qu’elle a sur son mari, qui le conduit à ne pas jouer son rôle de père. Ainsi dans « Hansël et Gretël » elle est présentée comme « une femme vieille comme Mathusalem » et elle sort de sa maison « à pas de loup ». Puis c’est « une méchante sorcière » qui fait semblant d’être gentille. Au moment où elle brûle dans le feu, rappelant un châtiment de l’Enfer, elle est qualifiée de « sorcière impie ». La reine de « Blanche-Neige » relève du second cas de figure mais est elle aussi une « impie » ainsi qu’un « cœur envieux ». Elle est très belle et très vaniteuse. Le conte de Grimm ne la présente pas tant comme une sorcière que comme une méchante marâtre. Ce n’est qu’après l’échec de la ruse du lacet qu’elle se tourne vers la sorcellerie : « Mais maintenant, je vais inventer autre chose pour causer ta perte », dit-elle et grâce à des pouvoirs de sorcellerie qu’elle possédait, elle fabriqua un peigne empoisonné ».
Le conte est assez discret sur les qualités de sorcière de la reine, ne présentant sa magie que tardivement et ne lui attribuant pas le qualificatif de sorcière, mais plutôt celui de « marâtre impie ». Dans la perception fortement chrétienne et morale des Grimm, impie pourrait bien être le pire des qualificatifs. En revanche le dessin animé des studios Disney a forgé l’image de la méchante reine comme une sorcière affreuse et puissante. Au moment où elle décide d’utiliser la sorcellerie pour tuer sa belle-fille, elle devient une vieille femme laide à la voix désagréable, vêtue de noir au cours d’une scène de métamorphose marquante, comme si la magie révélait sa véritable apparence de personne laide moralement, la faisant alors rejiondre la première catégorie de sorcière.
La méchante femme Enfin, la dernière figure est celle de la méchante mère, avec sa variante la méchante marâtre et son alliée ou son prolongement, la méchante sœur. Dans le cas d’une héroïne cela permet souvent d’introduire une différence entre la mère et la fille, qui explique le désamour : l’une est belle et gentille, l’autre laide et mauvaise. « Il était une fois une veuve qui avait deux filles : l’aînée lui ressemblait si fort d’humeur et de visage, que, qui la voyait, voyait
35
la mère. Elles étaient toutes deux si désagréables et si orgueilleuses, qu’on ne pouvait vivre avec elles. La cadette était le vrai portrait de son Père pour la douceur et l’honnêteté. Comme on aime naturellement son semblable, cette mère était folle de sa fille aînée et, en même temps, avait une aversion effroyable pour la cadette. Elle la faisait manger à la cuisine et travailler sans cesse. 1 »
Remarquons toutefois que ce personnage est rarement l’unique méchant – il est bien souvent le premier antagoniste qui vient perturber la situation initiale paisible du conte et envoie vers un autre méchant plus terrible. Ou alors, la méchante marâtre se double de pouvoirs de sorcière, comme la reine de « BlancheNeige » ou d’une ogresse comme celle de « La Belle au bois dormant ». On retrouve surtout la méchante marâtre dans des contes où l’héroïne est une jeune fille. La méchante femme est la figure que l’on retrouve le moins dans les contes contemporains et c’est encore plus vrai dans les albums que dans le conte. Le thème de la belle-mère est le plus fréquemment un sujet d’albums réalistes pour répondre à des situations connues par des familles.
LA QUESTION DE L’APPARENCE HUMAINE En observant ces quatre types de méchants, il en résulte que la majorité des méchants n’ont pas une apparence humaine. Le loup est un animal, la sorcière est souvent vieille et laide, l’ogre un géant. Ils vivent retirés dans la forêt ou dans des châteaux. Seule la marâtre et la sœur sont réellement considérées comme des êtres humains, encore qu’elles soient souvent décrites comme laides et donc pas enviables. Par ailleurs les méchants portent souvent des attributs peu communs, que ce soit la barbebleue ou les bottes de sept lieues. Ces particularités peu communes devraient éveiller les soupçons des héros, qui se laissent pourtant berner. Seul le lecteur peut apprendre à les reconnaître, au fur et à mesure des histoires !
1
Charles Perrault, Contes de ma mère l’Oye, « Les fées »
36
Tout cela fait que les méchants sont différents du héros ou de l’héroïne. Cela pose la question de l’altérité et de l’humanité du méchant. Les méchants sont-ils des hommes et des femmes comme le conteur et le lecteur ? Prenons cette réflexion de Grimm : « Les sorcières ont des yeux rouges et elles ne peuvent pas voir loin, mais elles ont l’odorat très fin, comme les animaux et quand des humains s’approchent, elles le sentent 1 »
L’utilisation du nom propre d’humain, comme gibier de la sorcière, donne l’impression qu’elles ne sont pas des humaines, mais des prédatrices d’humains et gare à ne pas confondre les deux ! D’ailleurs elles ne se fient pas à leur sens de la vue mais à celui de l’odorat bien plus fort chez de nombreuses bêtes sauvages et fauves que chez les humains. Cela justifie bien souvent leur mort dans d’atroces souffrances – la sorcière de « Hansël et Gretël » est brûlée vive, châtiment de l’enfer et punition historique des sorcières. Ses cris sont « terribles », mais en raison du caractère de légitime défense et de la nature même de la sorcière on ne s’attend pas à ressentir de la pitié ou de la charité envers elle. Les punitions envers les méchants, qui ont menacé l’intégrité du héros et de l’héroïne en voulant le manger, sont perçues comme justes et légitimes. Ceci dit, si trois de nos méchants typiques ont plus ou moins une forme humaine, malgré leur imposante stature, leur âge ou leur laideur physique et/ou de cœur, le loup fait figure d’exception puisqu’il s’agit d’une bête sauvage. Outre sa présence menaçante et son autorité de prédateur dans les contes animaliers comme « les trois petits cochons », on le trouve également dans des contes d’humains dans lesquels il est le seul personnage animal, à commencer par le fameux « Petit chaperon rouge ». Nous avons vu que le loup avait une renommée 1
Jacob et Wilhelm Grimm, Noël Daniel, Les contes des frères Grimm, [Kinder und Hausmärchen] traduit de l’allemand par Natacha RimassonFertin, Cologne, Taschen, 2017 p.56
37
impressionnante au vu du nombre de contes où il tient le rôle du méchant, alors qu’il n’apparaît dans aucun long-métrage du studio Disney. Voici ce qu’explique Véronique Meunier sur les animaux des contes : « Par l’humanité conférée à certains d’entre eux, par les prodiges qu’ils accomplissent ou la terreur qu’ils suscitent, les animaux des contes nous semblent tenir le rôle d’autant de projections affectives qui permettent au lecteur de mieux comprendre le monde et de combler son besoin de magie 1. »
Mais comment la grand-mère et la petite fille ont pu toutes deux prendre le loup pour l’autre ? Brève et piètre tentative de réalisme de la part de Perrault de dire que le loup contrefait sa voix pour berner la grand-mère et que la petite fille croit que sa grand-mère a un rhume ! Par la suite l’enfant détaille du regard sa grand-mère alitée et nous restitue ce qu’elle voit dans un dialogue au cours duquel elle énumère des parties du corps, dans l’ordre suivant : bras, jambes ; oreilles, yeux, dents. Ces termes réfèrent à un corps humain et non animal, sinon elle dirait pattes et gueule. Son regard suit un parcours en deux temps qui va des plus grands membres visibles aux détails du visage. D’abord son regard descend, des bras aux jambes, puis il remonte au sommet de la tête du loup déguisé et entame un deuxième mouvement de descente en finissant sur la bouche du loup, l’outil par lequel il la berne puis la dévore. C’est alors que le pacte de lecture du conte merveilleux agit. Nous devons croire à la fois que le petit chaperon rouge ne reconnaît pas le loup et qu’il s’agissait bel et bien d’un loup. Ainsi la version de Perrault et plus largement le conte derrière lui même si cela varie selon les versions, rend visible la séparation entre gentils et méchants et l’ingénue petit chaperon rouge ne sait pas (ou ne veut pas) voir les signaux du danger, signaux qui, rendus physiques apparaissent évidents au lecteur, bien qu’ils ne le soient pas tant dans la vie réelle. 1
Véronique Meunier, « Le bestiaire fantastique » dans Olivier Piffault (dir.), Il était une fois… les contes de fées, Paris, Seuil/Bibliothèque nationale de France, 2001, p.377
38
HISTOIRE DE COULEURS Paradoxe du conte dû à sa forme si simple mais si riche et significative, le manque de ressemblance entre un loup et une grand-mère importe peu, mais la couleur d’une barbe est un symbole qui change tout. Il y a deux couleurs qui ressortent avec netteté dans les contes en prose Perrault : le bleu de la Barbebleue et le rouge du Petit Chaperon Rouge. Bien que seul Barbebleue soit un méchant, il nous semble indispensable d’étudier la symbolique des couleurs de ces deux contes en parallèle. D’ailleurs les deux contes se suivent, ce qui juxtapose alors les deux titres éponymes de personnages associés à une couleur et renforce encore le parallèle entre eux. « ROUGE ! Tout en rouge ! Sandales rouges, socquettes rouges, pantalon rouge, chemise rouge, nœud rouge dans les cheveux ! 1 » dit la mère habillée toute en jaune au détective félin John Chatterton lorsqu’elle l’engage pour retrouver sa fille. Et si c’est Charles Perrault qui la coiffe le premier d’un chaperon, aujourd’hui iconique, la petite fille qui se balade dans la forêt peuplée de loups a toujours été vêtue de rouge. La plus ancienne version, celle du XIème de Egbert de Liège la désigne ainsi comme « la petite fille à la robe rouge 2 ». Cela fait plus d’un millénaire que l’on écrit l’histoire d’une petite fille en rouge à la rencontre des loups dans la forêt sans que la couleur de ses vêtements ne change 3 . On conte son histoire depuis encore plus longtemps, comme l’atteste les premiers mots du récit d’Egbert de Liège : « quod refero, mecum pagenses dicere norunt » ce qui peut se traduire comme cela : ce que je raconte, les paysans savent le conter avec moi.
1 Yvan Pommaux, John Chatterton détective, Paris, L’école des loisirs, 1993, p.9 2 Il s’agit de la version la plus ancienne que j’ai pu trouver – elle se trouve en annexe en fin d’ouvrage 3 Il s’agit néanmoins aujourd’hui d’un exercice de réécriture fort répandu que de changer la palette du petit chaperon : sur le catalogue de la BnF les mots-clefs « petit chaperon rouge » donne 118 œuvres, contre 136 œuvres pour « petit chaperon ». Le petit chaperon devient alors vermillon, belge, beige, rose…
39
Aujourd’hui l’une des explications les plus répandues et acceptées par rapport à cette couleur, est dans l’interprétation psychanalytique du conte comme rite d’initiation à la sexualité, le rouge se chargeant alors d’une fonction de rappel du sang des menstruations, ainsi que de l’interdit et la passion. C’est, entre autres grands noms, ce qu’en disent Freud et Bettelheim. Cependant l’historien des couleurs Michel Pastoureau explique que cette interprétation est complètement anachronique : « 'ތDXWUHV RQW ULVTXp XQH LQWHUSUpWDWLRQ SV\FKDQDO\WLTXH : ce rouge serait celui de la sexualité ; la petite fille aurait en fait très HQYLH GH VH UHWURXYHU GDQV OHV EUDV GX ORXS « &ތHVW Oj XQH interprétation séduisante mais trop moderne : dans la symbolique médiévale des couleurs, le rouge a-t-il vraiment une connotation VH[XHOOH"5LHQQތHVWPRLQVVU 1 »
Michel Pastoureau propose une tout autre interprétation, plus réaliste par rapport aux dates anciennes des premières versions du conte : « Une fillette vêtue de rouge transporte un objet blanc (le pot de beurre) et rencontre un loup noir. Nous retrouvons là notre triade FRORUpH FRPPH QRXV OD UHOHYRQV GDQV GތDXWUHV FRQWHV HW GDQV beaucoup de fables anciennes2 »
Qui plus est cette interprétation lie intimement la fillette et le méchant et place entre eux le pot de beurre. « Pendant tout le haut Moyen Âge, deux systèmes semblent ainsi coexister pour construire les bases de la symbolique des couleurs : un axe blanc/noir, hérité de la Bible et des premiers temps du christianisme ; et une triade blanc-rouge-QRLU YHQXH GތDXWUHV horizons, plus anciens ou plus lointains 3. »
C’est depuis la réforme protestante que le rouge a pris valeur de passion et de charnel, que ce soit le péché de chair ou l’amour divin (Pastoureau raconte que jusqu’au XIXème, de nombreuses robes de mariées étaient rouges, en particulier dans les milieux paysans). Dès lors, lorsque nous lisons ou écoutons, ce conte 1Michel
Pastoureau, Noir. Histoire d’une couleur, Paris, Editions du Seuil, 2008, p.53 2Ibid., p.54 3 Idem.
40
nous ne pouvons nous empêcher de voir dans le rouge le signe du danger, de l’interdit, du sang, du péché de chair. Si cela est vrai de nos jours, c’est anachronique pour les premières versions du conte. Ce que nous voyons et associons aujourd’hui au rouge n’est pas à jeter ou à oublier – et encore moins si notre lecture contemporaine fait sens avec ce conte – mais il est intéressant de le remettre en perspective et de se souvenir que les contes n’ont pas d’interprétation unique, figée et absolument vraie, mais que l’on peut poser un regard d’une époque sur un texte d’une autre époque et y trouver beaucoup de sens. Certaines vérités sur certains textes sont relatives à une époque, une croyance, une perception, une société ; et des textes répondent très bien aux nouveaux regards, nouvelles sensibilités et nouvelles valeurs que l’on pose sur eux. Pastoureau montre qu’il y a plusieurs hypothèses pour ce rouge, mais aucune réponse définitive. Au Moyen-Âge on habillait souvent les enfants en rouge, ce qui présentait l’avantage non-négligeable d’aider à les repérer avec plus d’aisance. Par ailleurs, la petite fille a pu mettre ses plus beaux habits pour aller visiter sa mère-grand. Dans certaines versions du conte c’est elle qui lui a confectionné son chaperon, il est donc normal de lui avoir cousu de jolis vêtements d’un beau rouge et de les porter pour visiter la couturière. La version du conte citée par Pastoureau raconte que la petite fille était née le Jour de la Pentecôte, ce qui la vouait au rouge de naissance, au point d’en faire son nom… Par ailleurs, si la petite fille est toujours vêtue de rouge, le loup, lui, est noir. Le noir est lié à ce qui est sombre, mystérieux ainsi qu’à la forêt dans laquelle il se cache. Qui plus est, avoir un loup noir fait d’autant plus sens que le chaperon est rouge, deux couleurs qui offrent un beau contraste, que les illustrateurs n’hésitent pas à exploiter aujourd’hui. D’ailleurs, lorsque Gilles Bizouerne et Ronan Badel en font un animal ridicule, ils le renomment Loup gris et le dotent d’un pelage gris clair dans la série d’albums éponymes. Il y a un objet féerique dans « Barbe-bleue », la clef qui reste tâchée de sang, auquel on peut ajouter un mystère, celui de savoir pourquoi il a tué ses femmes. Il existe de nombreuses
41
réponses à cette question, comme celle de Bruno Bettelheim pour qui elles ont été infidèles et il est jaloux ; ou encore l’idée d’Amélie Nothomb selon laquelle c’est la pièce secrète de Barbebleue qui tue dès qu’on rentre dedans. À cela on peut ajouter un élément qui combine le mystère et la magie, la barbe bleue qui donne son nom et son unicité au personnage. Le premier élément mystérieux, inexplicable et au-dessus de la nature, se rencontre dès le titre éponyme du conte, dans ses premières lignes, dans l’unique élément de description de l’ogre qui en fait aussi son unicité, sa barbe bleue. Une telle barbe est impossible naturellement. Dès lors une explication possible serait que la barbe est en fait d’un noir de jais si profond qu’elle en a des reflets bleus. C’est la thèse choisie par Michel Pastoureau et avancée par les illustrations de Walter Crane. Néanmoins Perrault ne tente pas de rationaliser cette barbe et utilise exclusivement le qualificatif de bleu sans aucune nuance. Par ailleurs, la couleur de la barbe est aussi une histoire de perception, car une fois séduite « la Cadette commença à trouver que le Maître du logis n’avait plus la barbe si bleue et que c’était un fort honnête homme », ce qui pour moi exclut l’hypothèse d’une barbe d’un noir de jais. Même s’il faut se méfier des interprétations trop tatillonnes et réalistes des contes, si c’était une barbe noire de jais, elle ne changerait pas de couleur selon ce qu’en pense la jeune fille mais selon la lumière ou encore l’endroit où ils se trouvent. Lire d’autres versions de ce conte permet d’examiner différentes variantes qui s’avèrent être une aide utile pour mieux comprendre ce symbole. Ainsi Italo Calvino rapporte dans ses Contes italiens une version piémontaise dans laquelle le personnage s’appelle Nez d’argent : on retrouve cette même association d’une caractéristique physique et d’une couleur impossible. Par ailleurs Bernadette Bricout évoque une version antillaise où la mère conseille à la jeune fille de piquer son époux, s’il coule du sang c’est un homme, du pus c’est le diable1. La jeune fille pique, du pus s’écoule, elle l’essuie et se pique à son 1 Bernadette Bricout dans l’émission de France Culture « La compagnie des auteurs » de Matthieu Garrigou-Lagrange du 24/12/2018 dans le premier épisode intitulé « la clé des contes »
42
tour pour ensanglanter l’épingle qu’elle présente ensuite à sa mère. La caractéristique physique impossible de ce personnage de mari diabolique, d’ogre civilisé, que ce soit une barbe-bleue ou un nez d’argent, symbolise l’effroi que nous devrions ressentir face à lui et ne devrait pas chercher à être expliqué rationnellement. Mais le choix du bleu spécifiquement est passionnant et source de questionnements sans fin. Dans l’Antiquité le bleu n’est pas une couleur valorisée. Compliquée à maîtriser et à utiliser, elle est surtout la couleur des yeux des barbares qui menacent l’empire romain. Par la suite, au fur et à mesure des avancées techniques permettant de produire cette couleur et de la stabiliser, les opinions évoluent énormément. Au XIIème siècle le bleu devient la couleur de la Vierge et de la royauté. En 1720, l’invention de la gravure en couleur permet de passer au trio de futures couleurs primaires : jaune-bleu-rouge. Aujourd’hui, dans les sociétés occidentales et ce depuis qu’il existe ce genre d’études, le bleu est cité comme couleur préférée. Le bleu est une couleur complexe, à la fois sage de par son étendue (il n’y a qu’à penser aux vêtements) et couleur de la mélancolie allemande, puis du blues américain, mais aussi de la romance fleur bleue. Le bleu est mystérieux car il est si riche qu’il en révèle très peu. Toutes ces significations sont rassemblées dans la barbe-bleue et continue à épaissir son mystère. Auxquelles de ces significations pensaient les conteurs puis Perrault ? À laquelle pensons-nous lorsque nous recevons le conte de nos jours ? Toujours est-il que la barbe est bleue et c’est à nous d’en trouver la raison. Enfin, il ne faut peut-être pas sous-estimer la puissance de l’allitération en [b] que crée barbe-bleue et qui a pu être un puissant facteur de décision dans le choix de la couleur surnaturelle pour cette barbe. Ce n’est pas anodin que Perrault ait juxtaposé le conte du bleu et le conte du rouge, ces contes que tout semble opposer. Le conte avec l’héroïne la plus vulnérable : jeune, du sexe faible, innocente, avec celui du terrible ogre, riche, puissant, effrayant, qui a déjà tué ses six femmes et aurait tué la septième s’il l’avait pu. Le conte qui se finit terriblement mal, enfant et mère-grand dévorées et celui qui se finit si bien, avec un heureux dénouement
43
pour chacun des enfants de la fratrie. Le conte de l’enfant face à la nature peu accueillante et de la jeune femme qui découvre le mariage. Ce qui lie ces deux contes diamétralement opposés, c’est la couleur du titre. Dans un récit aussi épuré que le conte, chaque détail est signifiant, encore plus quand il s’agit d’une couleur qui donne un nom. C’est comme cela que nous pouvons en conclure qu’il y a chez les méchants, jusque dans leur nom, jusque dans leur physique, quelque chose qui ne va pas, qui devrait nous mettre la puce à l’oreille, comme une barbe bleue. Il y a chez les méchants quelque chose qui ne s’accorde pas avec nous, comme le rouge du chaperon rouge est irréconciliable avec la noirceur du loup, l’un dévore l’autre. En revanche, dans la tradition orale, il finit au fond d’une rivière, enveloppé dans un linceul de draps blancs qui recouvrent sa noirceur.
44
Pourquoi les méchants ? « Fairy tales are more than true — not because they tell us dragons exist, but because they tell us dragons can be beaten. » Neil Gaiman citant de façon erronée G. K. Chesterton dans l’épigraphe de Coraline
Les méchants ont une présence paradoxale : elle est indispensable pour qu’il y ait histoire et pourtant ils sont profondément indésirables et on veut s’en débarrasser. C’est dans ce sens que le conte se fait récit de dépassement.
UN ENJEU NARRATIF Au XXème siècle plusieurs spécialistes se penchent sur les ressemblances entre les contes. C’est à cette période que le finlandais Antti Aarne, puis l’américain Stith Thompson, vont constituer le répertoire et la classification des « contes-types ». À peu près à la même époque, le folkloriste russe Vladimir Propp dégage un schéma et une grammaire du conte d’après les contes collectés par Afanassiev, comportant 31 fonctions et 7 catégories de personnages. La 8ème fonction fait entrer en jeu le méchant, qui est appelé l’antagoniste dans la traduction de 1965 ou l’agresseur dans celle de 1970. Le mal qu’il commet ou déclenche, se nomme malfaisance dans la traduction de 1965 et méfait dans celle de 1970. On retrouve, par la suite, l’antagoniste à la fonction 16 : « le héros et son agresseur s’affrontent dans un combat 1 » qui donne lieu à une victoire qui consiste en deux fonctions distinctes : la fonction 18, soit « l’agresseur est vaincu 2 » et la fonction 19, « le méfait initial est réparé ou le manque comblé3 ». 1
Vladimir Propp, Morphologie du conte [Morfologija skazki ; Transformacii volshebnykh shazok, 1969] traduit du russe par Marguerite Derrida, Tvetzan Todorov et Claude Kahn, Paris, Seuil, 1970, p.64 2 Ibid., p.65 3 Ibid., p.66
45
Après cela, soit la quête du héros est finie, soit il subit une nouvelle malfaisance. Dans ce second cas, on retrouve l’antagoniste dans les fonctions 28 et 30, respectivement « le faux héros ou l’antagoniste est démasqué » et « l’antagoniste est châtié ». Voyons plus en détail comment Propp présente la fonction de l’antagoniste, celle que nous retrouvons personnifiée en l’archétype du méchant : « Cette fonction est extrêmement importante : c’est elle qui donne au conte son mouvement. L’éloignement, la rupture de l’interdiction, l’information, la tromperie réussie préparent cette fonction, la rendent possible ou simplement la facilitent. C’est pour cela que l’on peut considérer comme la partie préparatoire du conte, alors que l’intrigue se noue au moment du méfait 1. »
Il existe également des contes qui débutent par « une situation de manque ou de privation, ce qui provoque une quête analogue à celles qui suscitent la malfaisance », mais ce ne sont pas ceux qui nous intéressent. Ce qui est intéressant c’est le rôle que Propp attribue à la malfaisance. C’est elle qui instigue l’action, elle constitue la poussée nécessaire au mouvement du conte. Sans elle pas d’histoire, pas de dépassement. Avant elle, il n’y a que des étapes qui préparent son arrivée. C’est le paradoxe de la malfaisance qui est aussi le propre de son fonctionnement : sans elle, pas de mouvement, sans mouvement, pas de conte, sans conte, pas d’histoire et s’il n’y a pas d’histoire c’est qu’il ne se passe rien. Or, nous voulons qu’il se passe quelque chose : le héros ou l’héroïne, veut vivre sa vie, ne pas rester bloqué à la situation initiale et le lecteur veut une histoire. Donc nous voulons de quelque chose dont on ne veut pas pour qu’il se passe quelque chose. Dès lors il est essentiel que le méchant soit crédible, ce qui veut ici dire effrayant. Car plus il suscite de peur, chez le héros et chez l’auditoire, plus ce dernier est soulagé quand le premier s’en sort. C’est tout simplement du suspense, comme le fait remarquer Véronique Meunier : « Nul doute que ces monstres effrayants produisaient (et produisent toujours) un effet saisissant sur l’imagination des 1Ibid.,
p.42
46
jeunes auditeurs. La tension entre la peur devant les dangers à affronter et le soulagement de le voir parfaitement surmonté crée un suspense qui sert le récit 1. »
Dans la grammaire du conte, la malfaisance et sa défaite forment donc le cœur de l’intrigue du conte. Autour il y a les circonstances de la vie du héros, de l’apparition de la malfaisance, des moyens de la défaire et du chemin initiatique accompli, mais le fil rouge de l’intrigue reste le combat contre la malfaisance. Ainsi résumé par Bruno Bettelheim : « Pour qu’il y ait conte de fées, il faut qu’il y ait menace – une menace dirigée contre l’existence physique du héros ou contre son existence morale 2 ».
Joan Gould a cette lecture de Blanche-Neige comme le récit d’un passage de l’enfance à l’âge adulte, d’un voyage depuis la maison de ses parents à sa propre maison. Entre ces deux maisons, symboles de deux étapes distinctes de sa vie, enfant, puis femme prête à se marier et à devenir mère, Blanche-Neige passe par la maison des nains. À l’inverse du dessin animé où ils ressemblent plus à des enfants que la jeune femme doit prendre en charge, dans le conte des frères Grimm ils tiennent le rôle de figure paternelle bénévolente, un père divisé en 7 nains, à la fois des adultes et des personnes qui ne se marieront jamais. C’est là qu’elle va pouvoir grandir, apprendre et devenir responsable ce qui, dans la compréhension des frères Grimm au XIXème, signifie savoir tenir sa maison. C’est là que s’accomplit sa transformation d’enfant à adulte, de petite fille à jeune femme. Lorsque la Reine revient à l’attaque pour la détruire, elle utilise des outils de femme et non d’enfant : lacet pour serrer son corset et lui donner une silhouette de jeune fille désirable, peigne pour coiffer ses cheveux et les remonter en une coiffe, comme elle le fera le jour de son mariage. Quant à la pomme, avec ses pépins noirs et sa chaire blanche sur laquelle la jeune vient poser sa bouche rouge, c’est un symbole de fertilité aux couleurs de l’ancienne trinité 1Véronique
Meunier, « Le bestiaire fantastique »,Op. Cit., p.376 Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, Paris, Robert Laffont, 2000, p.188 2Bruno
47
primaire mentionnée par Pastoureau. C’est déjà de trio de couleurs qui a donné la vie à la jeune fille au début du conte, lorsque sa mère fait couler du sang sur la neige blanche devant la fenêtre noire. Mais Blanche-neige aurait-elle quitté sa maison si sa belle-mère ne l’avait pas chassée ? Entourée de son père et de sa mère qui l’aimaient, aurait-elle eu la force de s’aventurer dans la forêt inconnue ? Peut-être serait-elle toujours restée chez elle, sans jamais devenir quelqu’un d’autre que l’enfant de ses parents. C’est sa belle-mère en la chassant, puis en venant la trouver trois fois chez les nains, qui lui donne la force de se transformer et permet donc au conte de Blanche-neige d’exister : « To our surprise, it’s the Queen, the Terrible Mother, who turns out to be the agent of growth in the story : not the Good Mother, who would keep her snow-white child by her side forever if she could, and certainly not the Prince, who doesn’t show up until the end of the story. (…) Forcing her stepdaughter out of her childhood home and into the wilderness, she oppresses her on the path of consciousness 1. »
Comme le disait Propp à propos de la huitième fonction, celle « qui donne au conte son mouvement », c’est la malfaisance incarnée par la Reine, la méchante mère qui vient mettre le conte en action et la vie de Blanche-Neige en mouvement, permettant alors à l’histoire de se dérouler, au conte de fées de s’accomplir et à Blanche-Neige de vivre sa vie jusqu’à devenir reine à son tour. De plus le méchant est celui qui permet d’extérioriser les épreuves auxquelles le héros doit faire face. Les contes de fées sans méchant sont majoritairement des contes sans épreuve 1Joan
Gould, Spinning straw into gold, Op. Cit., p.20 : « À notre surprise, c’est la Reine, la mère terrible, qui se révèle être l’agent de croissance dans cette histoire ; pas la Bonne Mère, qui aurait gardé sa fille à la peau de neige pour toujours si elle l’avait pu et certainement pas le Prince, qui n’apparaît pas avant la fin de l’histoire (…) Forçant sa belle-fille hors de la maison de son enfance dans la nature inconnue, elle la force sur le chemin de la prise de conscience » – c’est nous qui traduisons
48
comme « la moufle » ou alors des contes beaucoup plus portés sur la psychologie et moins sur l’action et les péripéties. C’est, par exemple, le cas de « Riquet à la houppe ». Ce conte, comme celui du Maître Chat et dans une certaine mesure Le Petit Poucet, part d’une situation injuste, ici l’injustice des dons de naissance, polarisée autour de deux extrêmes, beauté et esprit. Mais là où le Chat Botté et le Petit Poucet rencontrent un Ogre, Riquet à la houppe ignore cette seconde épreuve, ce qui en fait un conte bien plus psychologisant et au personnage nuancé que les deux autres. C’est aujourd'hui le conte en prose de Perrault qui a le moins de parutions 1.
UN ENJEU POUR L’ENRICHISSEMENT ACCOMPAGNANT LE CONTE
Cependant de nombreux auteurs se sont attachés à montrer que le récit du conte folklorique se double d’un récit symbolique, qui nourrira la psyché du lecteur et pourra répondre à certaines angoisses inconscientes. Freud, Jung, Bruno Bettelheim et Marie-Louise Von Franz pour ne citer qu’eux se sont penchés sur les significations et portées psychanalytiques de ces récits. Une des idées maîtresses de La psychanalyse des contes de fées de Bettelheim est que les meilleurs contes de fées enrichiront la vie de l’enfant. Les épreuves que le héros rencontre sont plus que de simples ressorts narratifs, ce sont aussi des épreuves symboliques, face auxquelles l’enfant peut se reconnaître et trouver du réconfort. Ainsi une bonne histoire outre un suspense judicieux, est aussi une histoire enrichissante et rassurante pour le futur, c’est à dire une histoire dans laquelle le héros ou l’héroïne triomphe des épreuves et des méchants : « Pour qu’une histoire accroche vraiment l’attention de l’enfant, il faut qu’elle le divertisse et qu’elle éveille sa curiosité. Mais pour enrichir sa vie, il faut en outre qu’elle stimule son imagination ; qu’elle l’aide à développer son intelligence et à voir clair dans ses émotions […] qu’elle lui fasse prendre conscience de ses
1
Toujours d’après les chiffres du fichier de référence de la BnF précédemment mentionnés
49
difficultés, tout en lui suggérant des solutions aux problèmes qui le troublent. 1 »
et : « Tel est exactement le message que les contes de fées, de mille manières différentes, délivrent à l’enfant : que la lutte contre les graves difficultés de la vie est inévitable et fait partie intrinsèque de l’existence humaine, mais que si, au lieu de se dérober, on affronte fermement les épreuves attendues et souvent injustes, on vient à bout de tous les obstacles et on finit par remporter la victoire. 2 »
Il ne faut pas croire que le conte de fées ne fait pas sens pour les enfants parce qu’il évoque des monstres ou des sorcières à combattre, qu’il ne parle de choses qui sont en-dehors de leur vie. Le conte de fée parle en fait de rudes épreuves et de terribles méchants normalement trop grands et graves pour qu’on y fasse face. Mais grâce à des vertus comme la persévérance, le courage ou la patience et des adjuvants comme une marraine ou un animal, le héros peut finalement les surmonter. Et ces épreuves prennent la forme d’un ogre ou d’un loup, mais renvoient plus largement aux insécurités de tous : manque d’amour, manque de reconnaissance, recherche de stabilité émotionnelle et/ou financière… Le conte de fées enseigne la persévérance face aux immanquables épreuves de la vie, extérieures comme intérieures. C’est pourquoi il ne faut pas chercher à comprendre les contes de fées au premier degré, comme le montre Tifenn de La Godelinais Martinot-Lagarde : « Une lecture littérale des contes de fées peut effrayer dans la mesure où elle donne aux épreuves une gravité disproportionnée par rapport à l’âge des protagonistes. Mais ces épreuves sont davantage à lire à la lumière des interprétations psychanalytiques qu’elles portent sur le matériel de l’inconscient d’un Freud […]
1Bruno
Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, Op. Cit., p.15 2Ibid., p.22
50
ou d’un Bettelheim ou sur les archétypes psychologiques mis en valeur par Jung et Marie-Louise von Franz. 1 »
Il y a une autre forme d’injustice qu’il est nécessaire de prendre en compte pour mieux saisir l’enjeu de transformation et de devenir du conte de fées. Celle d’être traitée en-dessous de notre condition. Les héroïnes de contes en particulier ne reçoivent pas ce qui leur est dû. Cendrillon ne devrait pas être la servante de sa belle-famille. Non seulement elle ne mérite pas ce que sa belle-mère lui inflige comme punition, mais surtout elle est fille d’homme riche. Elle est l’héritière légitime de la maison de son père et de ses richesses, et pourtant elle est asservie. C’est quelque chose qui se retrouve dans la plupart des contes de jeunes filles quittant l’enfance pour aller vers le mariage, et derrière cela dans la vie de chacun. Mais, à travers son travail, Cendrillon gagne une indépendance certaine. Un jour elle pourrait fuir la maison familiale pour être employée ailleurs : elle en est capable. Dans la version de Perrault la transformation de Cendrillon se fait grâce à la magie de la fée. En un tour de baguette et quelques mots la jeune fille belle et délicate est révelée, parée de ses plus beaux atouts et envoyée vers le bal. Dans l’adaptation Disney c’est une scène merveilleuse et pleine d’humour, dans laquelle chacun est hissé au-dessus de sa condition : les petites souris en puissants chevaux, le vieux cheval en laquais souriant. Pour Joan Gould cette transformation est à considérer à l’aune de ce que Louis XIV avait fait avec Versailles. De cette terre de marais il avait fait naître un château et un jardin avec d’incroyables jets d’eau, par la puissance de sa volonté et de son pouvoir de Roi-soleil. En revanche le conte collecté par les frères Grimm est bien différent. Cendrillon n’a pas de bonne fée, mais elle possède une graine, plantée sur la tombe de sa mère. Chaque fois que la 1 Tifenn, De La Godelinais Martinot-Lagarde, « La mise à l’épreuve » , dans Olivier Piffault (dir.), Il était une fois… les contes de fées, Paris, Seuil/Bibliothèque nationale de France, 2001, p.395
51
jeune fille va pleurer, ses larmes arrosent la graine, qui devient un arbre immense et magnifique. Et le jour où elle souhaite aller au bal, où elle réclame enfin ce à quoi elle a le droit, cet arbre qui a grandi grâce à toutes les larmes qu’elle a versé, lui offre la robe. Elle est alors puissante et capable, et va au bal, non pas une fois, mais trois fois. Et chaque nuit, le prince lui court après et la poursuit, jusqu’à ce qu’il soit capable de retrouver la maison de son père, et de la reconnaître, elle en haillons, à côté de ses bellessœurs bien habillées. Tout au long de ce conte, dont l’enjeu est de voir réellement qui en face de nous malgré les déguisements, la métamorphose de l’héroïne est en cours, que cela soit visible ou non, jusqu’à l’heureux dénouement. Pour qu’il y ait dépassement et résolution heureuse, il faut quelque chose à vaincre ou à surmonter. Et c’est peut-être là la plus importante des fonctions du méchant : exister pour être dépassé. D’une certaine façon la méchanceté dans les contes fait toujours sens : elle est là pour apprendre une leçon ou encore pour permettre au héros ou à l’héroïne de la dépasser et ce faisant de se dépasser, de devenir des personnes indépendantes, responsables, dès lors capables d’avoir leur propre titre, leur propre famille. C’est dans cette optique que la méchanceté du conte peut paraître irréaliste, car elle fait toujours sens et n’est jamais gratuite. C’est peut-être là le travail du conte sur la méchanceté, ce qui rend ces récits uniques : l’insérer dans un récit qui vient lui donner du sens et apporte quelque chose au héros qui ne se contente pas de la subir mais la dépasse. Le conte est le récit qui crée du sens, même à ce qui semble injuste et gratuit et c’est peut-être pour cette raison précisément que nous en lisons aux enfants.
52
Le conte d’avertissement toujours d’actualité ?
est-il
« Je présente mes respectueux hommages à la princesse, que je n’épouserai pas. Je préfère la sorcière ! » Princes et Princesses de Michel Ocelot S’il semble évident que le conte de fées porte en lui un message de résolution heureuse de résilience, aujourd’hui considéré comme essentiel, une autre fonction de ces contes est dans leur capital d’avertissement et d’éducation. Cette visée éducative du conte est en grande partie attribuable à Perrault qui prend une posture moraliste explicite dans la préface de l’édition de 1697. Dès le titre de son recueil il précise que ces histoires sont accompagnées de moralités. Il met donc autant en avant le conte que sa morale : ses histoires relèvent bel et bien du docere et placere et non du simple divertissement. « Cependant, Mademoiselle, quelque disproportion qu’il y ait entre la simplicité de ces recits & les lumieres de votre esprit, si on examine bien ces contes, on verra que je ne suis pas aussi blamable que je le parois d’abord. Ils renferment tous une morale trés-sensée, & qui se découvre plus ou moins, selon le degré de pénetration de ceux qui les lisent ; d’ailleurs, comme rien ne marque tant la vaste estenduë d’un esprit, que de pouvoir s’élever en même temps aux plus grandes choses, & s’abaisser aux plus petites ; on ne sera point surpris que la même Princesse à qui la nature & l’éducation ont rendu familier ce qu’il y a de plus élevé ne dédaigne pas de prendre plaisir à de semblables bagatelles. 1 »
Or de nos jours les contes et leurs morales peuvent sembler dans un autre temps, loin des progrès et des réalités que nous connaissons aujourd’hui, que ce soit le XVIIème siècle de Perrault ou le XIXème des frères Grimm et d’Andersen. On peut dès lors se demander si les fameux avertissements et morales des contes 1Charles
Perrault, Contes de ma mère l’Oye
53
ne seraient pas eux aussi prisonniers d’un temps passé. Cela ne veut pas forcément dire que cela annule la valeur, l’intérêt ou le plaisir que nous pouvons avoir à lire des contes, car ils ne se résument pas qu’à leur moralité et leur valeur éducative.
54
UNE MORALE EXPLICITE EST-ELLE NECESSAIRE ? Perrault termine toujours ses contes par un paragraphe nommé « moralité ». Séparées du texte par une ligne de démarcation et une police différente, il atteste la qualité morale et éducative du conte et le termine par la leçon à en retenir. Comme nous le signale la différence typographique, elles ne font pas partie du conte, elles ne relèvent pas du divertissement, elles sont une morale à ne pas lire trop vite ou oublier. Pourtant la simple présence de ces moralités chez Perrault est surprenante et mérite qu’on la regarde de plus près. Il s’agit en effet d’un procédé qui relève de la fable, qui est historiquement le genre éducatif et non le conte. Dans les sources italiennes du XVIème le conte se finit plus souvent par une devinette ou une énigme. C’est d’autant plus surprenant que Perrault reprend ainsi un procédé ancien, celui des fabulistes gréco-latin Phèdre et Ésope dans leurs fables, comme La Fontaine l’avait fait quelques années avant lui dans ses fables (mais non dans ses propres contes, de thèmes différents). Or, dans la Querelle des Anciens et des Modernes, Perrault est un Moderne. Tristan Landry le présente ainsi : « En tant que héros de la Querelle des Anciens et des Modernes, on ne s’attendait pas à ce que Perrault ait recours aux procédés stylistiques de ses opposants et, ici, il semblait imiter les Fables de la Fontaine, qui avait lui-même imité Ésope. La moralité devait être implicite dans le conte pour que celui-ci soit d’ascendance populaire. […] Même si le folkloriste doit se passer des conclusions morales à la fin du conte, rien ne l’empêche d’être moralisateur à l’intérieur du conte. 1 »
Se pose alors la question de savoir si Perrault pensait ce qu’il écrivait dans sa préface. Était-ce de l’ironie ou une justification qu’un ancien ministre préface un petit livre de ce genre, même dans l’hypothèse où l’auteur en était son fils ? 2 Comme le dit 1Tristan Landry, La mémoire du conte folklorique de l'oral à l'écrit. Les frères Grimm et Afanas'ev, Québec, Presses de l'Université Laval, 2005, p.132 2 Le recueil des contes de Perrault fut publié en 1697 sous le nom de son troisième fils, Pierre d’Armancour. Avant cela il y avait eu un manuscrit dit d’apparat qui comprenait seulement cinq contes accompagnés
55
Patricia Lojkine-Eichel : « ce postulat moral est-il autre chose qu’une posture 1 ? ». Ou peut-on encore penser que la moralité inspirée des fabulistes de l’Antiquité s’explique par le titre même du recueil, Histoires ou contes du temps passé ? Mais les contes populaires et les écrits des lettrés de l’Antiquité sont difficiles à mettre sur le même plan… En tout cas, quelle qu’en soient la raison et la crédibilité, la moralité du conte vient lui apporter et lui garantir un aspect moral et pédagogique : c’est le docere. Mais, on pourrait dire que la moralité possède également une autre fonction. De par sa qualité de commentaire et d’interprétation sur le conte qu’elle accompagne, elle réduit drastiquement la liberté du lecteur d’interpréter le conte comme il le veut. Si on prend le conte de « Barbe-bleue », le fabuliste semble plus mettre en garde contre les femmes qui gèrent un foyer, que contre les maris à la barbe de couleur inquiétante… Perrault propose ainsi une interprétation et une leçon, qui ne résistent pas aussi bien que le conte aux changements de temps et de regards, dessus. Perrault fait dire au « Petit chaperon rouge » de se méfier des loups, y compris ceux qui ont l’air très gentils. Les frères Grimm lui font dire qu’il faut écouter ses parents et ne pas s’égarer du droit chemin. Une édition de 1865, intitulée Les contes de Perrault continués par Timothée Trimm, éditée par le Journal Illustré, en propose une version différente qui reprend à la fois les morales de Perrault et de Grimm, additionnées d’un rappel de l’amour maternel. En effet dans la version de Trimm, la mère est si triste du décès de sa fille qu’elle tue le loup puis
d’illustrations inédites en couleur, offert à la nièce de Louis XIV, Elisabeth-Charlotte d’Orléans. Il existe de nombreuses pistes d’explication sur ce changement de nom d’auteur, dont aucune n’est entièrement sûre : Perrault, chef de file des Modernes dans la Querelle des Anciens et des Modernes, ne voulait pas relancer le débat avec cette publication d’un genre ancien alors qu’il venait de se réconcilier avec Boileau et ce n’était peut-être pas un genre assez sérieux pour cet académicien. En outre le recueil pouvait être un atout pour son fils, qui voulait devenir le sécrétaire d’Elisabeth-Charlotte 1 Patricia Lojkine, Contes en réseaux : l'émergence du conte sur la scène littéraire européenne, Genève, Droz, 2013, p.105
56
réussit, grâce à l’aide d’une fée, à ramener sa fille à la vie. Le conte de Trimm commence ainsi : « On vous a conté comment le Petit Chaperon Rouge fut mangé par le Loup de compagnie avec sa Mère-Grand; la moralité de ce conte, c'est qu'il ne convient point aux jeunes filles de s'amuser en chemin à cueillir des noisettes, à faire la chasse aux papillons de l'air et aux fleurs timides de la prairie. — C'est cet esprit de dissipation qui perdit le Petit Chaperon Rouge et qui exposa la pauvre Grand Mère a être la première victime1. »
Et se conclut de la façon suivante : « Rien n’égale sur terre / pour l’enfant malheureux / les élans généreux /de l’âme d’une mère. Enfants, conservez bien / Cette mère chérie / Vous ne trouverez rien / De mieux dans votre vie. »
En 1941 également, une édition des Contes de Perrault, chez l’Imagerie merveilleuse de l’enfance, qui ne comportait pas d’autre nom d’auteur que celui de Perrault, avait conservé le conte mais en avait changé la morale, probablement pour qu’elle soit plus adaptée aux enfants : « MORALITE Enfant, obéis à tes parents, ne t'attarde jamais sur ta route, ne parle pas à ceux que tu ne connais point, car le loup guette — pour les manger — les enfants désobéissants 2. »
Il y a peut-être autant de variations de moralités pour ce conte qu’il existe de façons de le raconter. Dans les albums modernes, cette moralité est parfois reprise, supprimée, modifiée et chamboulée. Ainsi des lecteurs contemporains s’indignent, non pas de l’écart de la fillette, mais du comportement de sa mère. 1Timothée
Trimm, Les contes de Perrault continués par Timothée Trimm, Paris, Le Journal illustré, 1865, disponible sur Gallica :
2Charles Perrault et A. Robida, E. Tap, R. Candide, Les contes de Perrault, Paris, Imagerie merveilleuse de l’enfance, 1941 disponible sur Gallica :
57
Pour Claude Ponti « la vérité est que sa maman est une mère monstresse. Comment peut-elle envoyer sa fille à l’abattoir, en forêt dans les bras du Loup sans préparation ni protection 1 ? ». Yvan Pommaux, tout en s’indignant du comportement de la mère, rectifie les choses dans son album John Chatterton détective. Le loup reste un loup et la petite fille renoue avec son ancien procédé de déshabillement, cette fois-ci mélangé avec « Hansël et Gretël », mais c’est le comportement de la mère qui est radicalement différent. Elle s’inquiète pour sa fille, lui envoie du secours et amène elle-même le tableau de valeur au loup, qu’elle n’hésite pas à jeter à terre pour prendre sa fille dans ses bras. Yvan Pommaux fait alors le choix de l’habiller en une unique couleur, comme sa fille, mais pour la mère il prend le jaune, couleur de la faute et du pardon. C’est à se demander, qui est le véritable méchant de cette histoire. Le loup qui dévore, en suivant sa nature de prédateur carnivore ou la mère qui demande à sa fille de traverser la forêt ? Ou alors, si ce n’est pas le plus méchant, celui qui est le plus à blâmer… Cette évolution du blâme, depuis le loup ou la fillette vers la mère, n’est pas insignifiante. Dans les contes, passer dans la forêt est un signe de changement de vie, de maturité, dont l’exemple le plus parlant est peut-être celui de Blanche-Neige, qui traverse la forêt entre la maison de ses parents et celle des sept nains. Ce qu’il y a derrière le blâme de sa mère c’est d’avoir envoyé son enfant, seule, dans une forêt vers un nouveau stade de vie et de maturité, sans les outils qu’il lui fallait pour y faire face. À partir de là on pourrait même aller plus loin en imaginant que le loup pourrait incarner la partie malfaisante de la mère. En effet le loup qui dévore la fillette et la grand-mère, en les gardant vivantes et entières dans son ventre, serait une sorte de mère monstrueuse, qui cache en elle son ascendance et sa descendance de lignée féminine pour devenir unique : sans femme plus jeune ou plus âgée autour d’elle. Parfois, la petite fille et la grand-mère s’en sortent, grâce à l’aide ponctuelle et unique d’une figure de force masculine qui arrive dans le conte à 1Claude
Pont interview avec Frédéric Potet du dimanche 20 décembre 2020 pour le journal Le Monde
58
la façon d’un deus ex machina. Parfois, dans les anciennes versions orales, c’est la jeune fille elle-même qui se sauve du loup grâce à sa ruse et à une forme de sororité qui lui permettent de franchir un fleuve, une autre forme de passage symbolique, symétrique à celui de la forêt. Yvan Pommaux et Claude Ponti nous révèlent une vision du conte où le loup est coupable de méchanceté, mais c’est la mère qui en est responsable et c’est une façon de lire le conte très différente de celles des anciennes versions orales, de Perrault ou de Grimm. La morale change du tout au tout selon le fabuliste et, dans une certaine mesure, selon le lecteur. Donner une morale explicite et séparée de l’histoire revient, d’une certaine façon, à signifier que la valeur de l’histoire réside dans cette morale, c’est-à-dire, dans la leçon à tirer de l’histoire (et non dans la fin heureuse comme nous aurions parfois plus envie de le faire). C’est une leçon déguisée en plaisir et le but de la lecture est le docere et placere. Dans cette morale, le méchant peut alors assumer deux rôles. Dans le premier cas, celui du Petit chaperon rouge ou du Petit Poucet, le méchant est une partie de la leçon et le héros ne risque pas de devenir le méchant, c’est une morale de l’avertissement. Dans le second cas la morale peut aussi être une injonction à bien-faire et le méchant assume le rôle de celui que l’on ne veut pas devenir. C’est le cas des « Fées » par exemple. La magie est intéressante dans ce conte, car elle n’est ni bonne, ni mauvaise en elle-même, cela dépend des deux sœurs. La féerie n’est alors rien d’autre qu’un moyen de révéler à tous, de façon extérieure et visible, ce que sont intérieurement les deux sœurs. Dès lors, tout le monde peut les voir telles qu’elles sont réellement et elles reçoivent ce qu’elles méritent. Pour la gentille sœur, cela veut dire être récompensée à chaque parole de perles et de diamants, qui lui permettront par la suite d’épouser le prince, effaçant le fossé social entre une « pauvre enfant » et un « fils de roi ». Les contes prendraient alors le rôle éducatif de catalogues des bons et des mauvais comportements, distinguant ceux à embrasser et ceux à éviter pour bien finir.
59
Pierre Gripari propose une réécriture savoureuse de ce conte, dans lequel la fée a « perdu l’usage du monde » s’étant s’est égarée dans la tuyauterie pendant quinze cent ans, récompense la sœur mal élevée et punit celle qui est respectueuse. La sœur qui crache des serpents rencontre un herpétologue qui tombe sincèrement amoureux d’elle et n’est absolument pas dérangé par ses serpents, bien au contraire. Quant à la sœur qui produit des perles, elle est séduite par un homme mauvais, qui l’oblige à parler. Quand la fée apprend cela, elle reconnaît ses erreurs et prononce elle-même la leçon qu’elle tire de cette histoire et qui pourrait tenir lieu de moralité : « J'aurais mieux fait de me tenir tranquille. Je n'ai aucun usage du monde, je juge tout de travers et je ne prévois même pas les conséquences de mes actes. Il faut que je trouve un enchanteur plus sage que moi, pour qu'il m'épouse et que je lui obéisse. Mais où le chercher ? 1 »
Alors elle dessine un enchanteur qui lui permet d’annuler les sorts. La vilaine sœur peut être libérée du mari qui la frappait et devenir meilleure et la bonne sœur, libérée de son fardeau, peut discuter en toute tranquillité avec son mari aimant. À la fin de l’histoire la méchante sœur et la fée auront reçu une leçon : la bonne sœur a bel et bien été récompensée et la méchante sœur a l’opportunité de s’améliorer. Gripari offre donc une relecture très différente du conte de Perrault : il le continue après le mariage, la magie, dépendante du caractère bien humain d’une fée, est faillible et enfin les personnages ont la possibilité de changer et de s’améliorer. On pourrait dire que le conte comporte une sorte de double message. Tout d’abord il y a la morale, qui provient de la tradition de docere de la littérature à visée éducative, que Perrault a fait passer de la fable au conte. La morale est donnée à la fin du conte de façon explicite. Elle prend majoritairement la forme d’un avertissement ou d’une injonction et est souvent liée aux erreurs du héros, qui l’amènent fréquemment jusqu’au méchant. 1Pierre
Gripari, La sorcière de la rue Mouffetard et autres contes de la rue Broca, Paris, Gallimard, 2002, p.98
60
Le petit chaperon rouge ne se méfie pas du loup, le petit poucet et ses frères suivent la lumière d’une chandelle jusqu’à la maison d’un ogre. Ensuite, il y a le message positif qui réside dans la fin heureuse ainsi que dans les épreuves surmontées et dans les méchants écartés, celui sur lequel la psychanalyse se concentre le plus. L’ogre, tout aussi grand, fort et puissant qu’il soit, est vaincu par le Petit Poucet et sa ruse. Face au loup, se trouve un bûcheron. Le favoritisme de la mère et la méchanceté de la sœur dans « Les fées » conduisent Fanchon à cracher des serpents et des crapauds et la bonne sœur à devenir une reine. La morale change considérablement selon les auteurs, les époques et les contes alors que le message de fin heureuse, à partir du moment où il y en a une, comme il n’est pas explicitement écrit, mais se comprend, reste toujours le même et est d’autant plus fort.
**
CONCLUSION DU CHAPITRE PREMIER Ainsi, justement parce que le but de notre héros ou de notre héroïne, est de s’en débarrasser, le méchant est bel et bien indispensable ! Il constitue l’un des enjeux essentiels du conte. D’un point de vue narratif, l’antagoniste est une étape indispensable pour la majorité des contes merveilleux. Non seulement il faut le vaincre, mais c’est cette victoire qui permet ensuite une progression pour le héros : stabilité financière comme pour Hansël et Gretël, succès social pour le marquis de Karaba ou le vaillant petit tailleur, la possibilité de fonder une famille pour l’héroïne du conte du Nain tracassin. Sur ce point on peut déjà leur reconnaître une qualité : les méchants peuvent être défaits. On peut tuer l’Ogre du Chat Botté mais pas les inégalités sociales ou les différences d’héritage… Car s’ils n’ont pas l’exclusivité du mal, ils en sont néanmoins la forme qui se combat et peut connaître une véritable défaite.
61
62
2EME CHAPITRE : UNE ESTHETIQUE DE LA PEUR ET DU FRISSON
Nous sommes arrivés à une affirmation importante : le méchant est nécessaire à l’intrigue du conte, ainsi qu’un chaînon essentiel de l’enrichissement qui l’accompagne en permettant d’affronter ses peurs face à un album. Et pourtant, force est de constater qu’aujourd’hui dans la production jeunesse, les contes passent par un « processus de civilisation » qui, trop poussé, en vient à retirer du conte tout élément non considéré comme enfantin par les auteurs ou folkloristes. Il s’agit généralement des éléments qui abordent la sexualité, la méchanceté, la cruauté et la peur. Cette volonté de protéger et épargner les enfants conduit alors à amputer les contes d’un aspect sombre et terrifiant qui leur est pourtant essentiel et à annuler des enjeux majeurs du conte – avertissement, peur etc – mais aussi à les réduire à leur
63
issue positive, sans prendre en compte les difficultés qui ont permis d’aboutir à cette fin heureuse. Et si elle ne l’était pas à ne pas hésiter à changer ou moraliser l’issue du conte, comme le font les adaptations des contes en dessins animés des studios Disney. Mais de la même façon que nous ne pouvons pas retirer le méchant d’un conte merveilleux sans perdre l’intrigue, nous ne pouvons pas retirer la méchanceté et l’effroi du méchant sans perdre la saveur du conte. Si cela est vrai pour des adultes, cela l’est aussi pour des enfants. Nous nous attaquons ici à l’importance de la peur et de la méchanceté dans le conte, y compris s’il est lu à des enfants, à l’importance de l’épine dans le dos de Karaba en fait. Et la peur n’est pas entièrement à éloigner des enfants à qui on lit des albums. Un équilibre est à trouver pour pouvoir et profiter de la peur incarnée par ces figures terrifiantes de l’imaginaire et l’humour pour les remettre en perspective et en question. Voici ce que me disait Servane G., éditrice petite enfance aux éditions Didier Jeunesse : « C’est bien aussi de faire rire et de détourner certaines figures. J’aime bien détourner certaines sacro-saintes figures, je trouve ça bien. Mais ça n’empêche qu’il faut aussi savoir garder certaines figures telles qu’elles sont avec leur côté sombre. Il y a besoin de rire, mais aussi de se faire peur et il ne faut pas que l’un annule l’autre 1. »
1
Entretien avec Servane G. du 13 février 2020 entièrement disponible en en fin d’ouvrage
64
L’affaiblissement du méchant pour les plus jeunes « Est-ce que vous voyez maintenant d’où viennent la haine et la peur des livres ? Ils montrent les pores sur le visage de la vie. Les gens installés dans leur tranquillité ne veulent que des faces de lune bien lisses, sans pores, sans poils, sans expression. » Ray Bradbury, Fahrenheit 451
Lors de mes deux stages en maison d’édition, il m’a semblé qu’il était de plus en plus difficile d’écrire des livres avec des méchants. « Les grandes figures des contes qui font peur se sont trop assagies, ont trop glissé dans le quotidien » me dira par la suite Servane G.. Je voyais cela à la fois dans les albums édités désormais éloignés des fins avec châtiments cruels que pouvaient avoir les contes des frères Grimm et dans les soumissions de manuscrits de nouvelles versions de contes dont une majorité avait pour objectif assumé de réhabiliter les méchants et derrière cela de se débarrasser de la peur, jugée néfaste, voir traumatisante pour les enfants. Cela mérite que l’on s’attarde plus longuement sur les reproches faits aux contes, à leurs méchants ainsi qu’à la peur qu’ils peuvent susciter.
DU REFUS DE LIRE DES CONTES DE FEES Depuis le XIXème siècle les contes sont majoritairement destinés aux enfants. Les rares contes que l’on trouve destinés aux adultes, éditions critiques mises à part, sont en majorité des contes peu connus, par exemple ceux qui viennent d’autres régions du monde ou des contes particulièrement sombres comme Les contes macabres de Edgar Allan Poe, traduits par Charles Baudelaire et illustrés par Benjamin Lacombe. La maison d’édition Soleil a placé ce recueil en adulte, dans la collection « Métamorphose roman graphique ».
65
Pour Noël Daniel la grande époque d’édition des contes de fées traditionnels est 1850-1950, après quoi on se concentre plutôt sur des récits de fiction par des auteurs-illustrateurs ou des collaborations. Cela n’empêche pas pour autant, une poignée de contes, de connaître un beau succès : d’après le catalogue de la BnF au moins un album du « Petit chaperon rouge » de Perrault et de Grimm sortent chaque année. Les contes donnent la sensation d’être des incontournables des catalogues des éditeurs, chacun se devant d’en posséder quelques-uns dans son fonds, et des exercices de style, presque initiatiques, pour les auteurs et les illustrateurs, venant offrir leur sensibilité, leur regard et leur appréhension du texte. Et pourtant, il me semble constater un certain manque d’engouement pour les contes et une volonté de changement et de renouveau profond pour ces récits patrimoniaux, de plus en plus loin des premières sources et de ce qu’elles apportaient. Certains parents refusent même de les lire. Les critiques envers les contes de fées traditionnels sont nombreuses : trop violents, trop misogynes, trop idylliques. On leur reproche leurs personnages trop archétypaux, d’être trop violents et trop idéalistes avec leur fin heureuse. En bref, on leur reproche soit d’être trop optimistes de façon naïve, soit trop violents, en particulier pour des enfants. Or, selon Dominique Peyrache-Leborgne c’est là justement un des traits propres au genre du conte : « Par les situations puissamment contrastées qui le traversent, le conte est souvent une sorte d’oxymore dramatisé et mis en images ; les contes de Grimm en sont des exemples évidents et l’une des raisons de leur réussite repose sur l’alternance très marquée de tonalités antithétiques oscillant entre violence et douceur, cruauté et empathie, pathétique et dénouement heureux 1 »
et
1
Dominique Peyrache-Leborgne « Violence et douceur des contes de Grimm, dans le texte et dans l’image, des frontispices anciens aux albums contemporains » dans Dominique Peyrache-Leborgne (dir.) Vies et métamorphoses des contes de Grimm. Traductions, réception, adaptations, Rennes, Presses Universitaires de Rennnes, 2017, p.105
66
« Ainsi les frères Grimm avaient-ils pleinement conscience que, malgré le caractère prépondérant des dénouements heureux (quasiment intrinsèques au conte merveilleux en dehors de certains contes d’avertissement et de punition à issue négative), les contes offraient une image du monde à la fois très sombre et très utopique 1 »
Ainsi l’écriture des contes serait entièrement à reprendre. Car, en substance, le reproche derrière tout cela est de ne pas être adapté aux enfants de notre époque. Trop violents pour ne pas les traumatiser, trop idylliques pour ne pas leur donner des idéaux de fin heureuse sans mérite, ne montrant pas aux jeunes filles des modèles assez actifs. Voici par exemple ce qu’en dit l’autrice Aurélie Tramier en 2020, lorsqu’une petite fille demande à sa tante de lui lire « Le petit poucet » : « C’est sordide. J’avais oublié à quel point le grand Charles était macho. Dans ses contes, les femmes sont toutes sottes, sorcières ou écervelées, à s’évanouir pour un oui ou pour un non. 2 »
Puis elle referme le livre, en refusant de lire la fin de l’histoire, pensant que la petite fille allait cauchemarder toute la nuit. Effectivement, les contes tels que fixés par Perrault et Grimm ne sont pas tous pour de jeunes enfants, contrairement à ce que veut la réputation jeunesse des contes. Ces versions des contes ne devraient pas être présentées trop tôt à des enfants, l’âge adéquat variant significativement selon les goûts et la sensibilité de chacun. C’est pour cette raison que de nombreuses maisons d’édition font le choix de présenter une nouvelle version du conte dans ses illustrations comme dans son texte. Prenons par exemple « le petit chaperon rouge », de nombreuses éditions précisent « d’après le texte de Charles Perrault » ou « d’après un conte des frères Grimm ». Parfois elles joignent, à ces grandes figures du conte traditionnel, un second auteur. Si c’est compliqué de mettre les deux auteurs sur le même plan, on préfère alors joindre la figure d’un nouveau conteur ou un adaptateur, on verra alors apparaître des mentions comme « un conte raconté par... » ou 1Id. 2Aurélie Tramier,
Peindre la pluie en couleurs, Paris, Marabout, 2020, p.73
67
« un conte adapté par... ». Cette figure du co-auteur posthume, second auteur ou nouveau conteur, quel que soit le nom qu’on lui donne, se veut alors le garant d’un texte de vocabulaire et d’une compréhension adaptée aux enfants, ainsi que d’un degré de violence qui n’effraiera pas les enfants. C’est un signe que le conte ne sera pas trop vieillot ou trop violent, que des enfants de notre époque peuvent le lire. Mais il serait erroné de croire, que le fait de retirer les éléments violents des contes, est uniquement un biais contemporain issu de l’inquiétude des parents. Ce que Tristan Landry nomme « processus de civilisation », était déjà en cours lorsque les contes sont passés de la forme orale à la forme écrite : « La violence est omniprésente dans les contes folkloriques. La façon dont le folkloriste enlève ou ajoute du contenu violent nous informe sur la nature de son travail d’adaptation. Le travail d’adaptation est une fenêtre ouverte sur un processus social à long terme, sur un « processus de civilisation ».
Il y a une première étape décisive de ce processus de civilisation, lorsqu’un conte passe de la forme orale à la forme écrite. Le petit chaperon rouge de Perrault a cessé de boire le sang de sa mère-grand, comme il le faisait dans la tradition orale. La seconde étape a lieu lorsque les contes sont réécrits pour des enfants comme public spécifique aux besoins particuliers, à qui il faut apprendre les choses de la vie. C’est là le glissement du divertissement vers la morale : « De l’un à l’autre, la violence s’enfouit, le langage se polit, les allusions trop explicitement sexuelles s’éclipsent : dans la tête de l’ethnologue, une certaine image de l’enfant – son lecteur idéal – existe et lui dicte des changements de nature pédagogique et éthique. »
Cependant, au vu de certaines versions particulièrement édulcorées, on peut se demander si cela ne relève pas plutôt du processus d’affadissement. Les contes n’étant pas originellement fait pour des enfants, encore moins lorsque les personnages sont adultes, leur destiner suppose forcément un travail d’adaptation. Cependant il y a une frontière : entre adapter le langage d’un texte aux enfants et enlever tout ce qui pourrait potentiellement être choquant, pas beau, qu’ils ne connaîtraient pas déjà.
68
Certaines réécritures retouchent les éléments des contes selon leur désirs ou leur morale, en oubliant parfois l’enjeu premier du conte. En 1902 Casterman publie une version de « Peau d’âne » au « texte établi par Pierre Féron », qui est une édition catholique. Peau d’âne n’est plus princesse mais bergère, ce qui enlève entièrement le problème de l’inceste : « La reine entre ses bras mourut, Et jamais un mari ne fit tant de vacarmes. Mais sa douleur fut courte ; au bout de quelques mois, Il voulut procéder à faire un nouveau choix ; Le choix du roi tomba sur une humble bergère ; Cette enfant, par son ordre, arrachée à sa mère, De force amenée à la cour Se lamentait et pleurait nuit et jour. 1 »
Outre l’enjeu familial écarté, c’est aussi la cohérence du conte qui pâtit de ses changements : les raisons du choix de cette bergère restent bien mystérieuses, de même que la présence d’une marraine féerique. Cette question de la trop grande violence de la littérature jeunesse n’est pas réservée qu’aux contes. Annie Rolland dit à ce propos : « La censure vise explicitement, dans la littérature de jeunesse, la thématique violente : la violence de la guerre, de la mort, de la souffrance sous toutes ses formes […] Plus insidieusement, elle vise la violence des relations humaines, des sentiments, de la sexualité et du désir. […] De manière plus implicite, elle vise ce en quoi la littérature donne à penser, c’est à dire ce qui dans la littérature montre et met en scène les principes fondamentaux de la nature humaine. Elle fonde ses arguments sur des à priori moraux, philosophiques et religieux et dénie toute contreargumentation scientifique 2. »
Un conte comme « Hansël et Gretël », combine une situation familiale d’extrême pauvreté, une mère mauvaise, des 1Charles
Perrault et Pierre Féron, Les Contes de Perrault, Paris, Casterman, 1902, p.48 2Annie Rolland, Qui a peur de la littérature ado ?, Paris, Thierry Magnier, 2008, p.37
69
enfants abandonnés à deux reprises, une sorcière qui enferme les enfants pour les manger, puis cette même sorcière poussée dans le four et brûlée vive par Gretël, avant que les enfants ne rentrent chez eux pour découvrir que leur mère est morte. Enfin, après cela, ils peuvent vivre heureux grâce au trésor dérobé à la sorcière. Ce qui fait que ce conte ne choque pas tant aujourd’hui (il est dans la liste de recommandations de lecture de l’Éducation Nationale pour le cycle 1) c’est que d’une part le châtiment de la sorcière est jugé légitime et d’autre part la belle-mère remplace la mère dans de nombreuses versions (et dans ce cas le père peut la chasser, ce qui peut être perçu comme un geste d’amour envers les enfants 1). Cela peut susciter quelques doutes quant à la légitimité de publier ces récits dans un catalogue jeunesse et poser la question de la nécessité d’une certaine adaptation. En effet, si ces textes n’étaient pas considérés comme patrimoniaux et partie intégrante de la culture littéraire infantile, donc portés par un bon a priori, leur réception serait peut-être tout autre. Lorsque j’ai demandé à Servane G. s’il serait compliqué d’écrire l’histoire de « Peau d’âne » aujourd'hui voici ce qu’elle m’a répondu : « Ah tu ne pourrais plus. Il y a plein de choses qui sont compliquées de faire aujourd’hui. Déjà tous les contes classiques, personne n’irait éditer une histoire comme ça si elle n’était pas déjà connue aujourd'hui, c’est sûr. On s’est mis tellement d’autocensure. Sûrement à tort je trouve. Après c’est l’intelligence de l’homme aussi de savoir juger ce qui peut être… »
Dans le royaume des histoires écrites spécifiquement pour les enfants – ce qui est relativement récent au regard de l’histoire de la littérature – il y a une grande volonté de faire une littérature de jeunesse qui apporte des réponses et des explications. Il suffit de lire les séries comme Tchoupi ou Petit Ours Brun, dans lesquelles chaque livre répond à une interrogation ou fait découvrir quelque chose : la rentrée en maternelle, la neige, avoir un petit frère ou une petite sœur. Ainsi de plus en plus d’albums récents dans la production éditoriale 1 Pour
Noël Daniel ce glissement de la méchanceté vers un membre extérieur de la famille se situe au niveau de la 4ème édition
70
jeunesse abordent des sujets difficiles (ou tout du moins que les adultes qui écrivent, éditent et achètent les livres pour les enfants estiment difficiles) sans passer par une forme de métaphore, en s’appuyant sur l’idée que si l’on explique bien à l’enfant, il sera capable de comprendre comme il faut. Or, si la littérature est évidemment aussi là pour faire découvrir le monde, elle n’a pas vocation à devenir un mode d’emploi du monde ou de la vie. Annie Rolland disait que la censure vise ce qui donne à penser et c’est peut-être bien ce qui arrive à certains contes et certaines histoires, par excès de précautions qui entourent l’enfant.
APPREHENSION DU PUBLIC FACE A LA PRESENCE DES MECHANTS
À moins d’avoir été entièrement réécrits et édulcorés, de nombreux contes de fées sont violents, c’est un fait ; en particulier certains des frères Grimm. Lors de mon stage aux éditions Didier Jeunesse, un conte était paru depuis peu, La jeune fille et le hibou, avec des illustrations de Anouck Fontaine et un texte de Catherine Pallaro, d’après un conte relativement peu connu des frères Grimm, « La jeune fille sans mains ». Tiphaine, l’éditrice des albums, m’apprit qu’ils avaient changé le titre originel des frères Grimm car il aurait pu paraître trop violent. Lors d’une discussion avec Louise B., attachée de presse et chargée de l’événementiel chez Didier Jeunesse, à propos des difficultés qu’elle rencontrait en mettant en avant des contes, dont celui-ci, voici ce qu’elle m’a dit : « Aujourd’hui c’est quand même compliqué et je ne sais pas si c’est négatif ou pas, s’il faut faire perdurer… On évolue avec son temps et surtout, quand on est petit, c’est difficile d’avoir un esprit critique dès l’enfance, de savoir déceler le bon du mauvais, le vrai du faux. Moi je ne suis pas forcément pour continuer… Dans La jeune fille et le hibou le fait que le frère tranche les mains de sa sœur, ça choque beaucoup. Je pense aussi que les gens ont beaucoup moins une culture des contes, les gens les connaissent peu ou alors ils les connaissent à travers les Disney. »
71
Voici un exemple de mail reçu à l’attention du service éditorial pendant mon stage : « Bonjour, Suite à la Folle Journée à Nantes ce we, mes parents ont offert le livre Pinocchio à mon fils de 5 ans. Et alors la, consternation ... une double page avec Pinocchio pendu, un cercueil pour Pinocchio qui ne veut pas prendre son médicament, Pinocchio transformé en âne battu avec des coups de fouet.... bref, vous trouvez cela adapté aux enfants ? Aucun âge mentionné sur la 4ème de couverture et livre sous blister qui ne pouvait être feuilleté avant achat! Bref, PAS DU TOUT adapté à un enfant ! Merci de me recontacter à ce sujet Cordialement »
Même s’il ne faut pas trop analyser un mail, surtout s’il semble avoir été écrit sous le coup de la colère, on peut tout de même noter que cette personne revient à deux reprises sur la question de l’adaptation du texte et par là, la pertinence de sa lecture à un enfant ; en demandant qu’on lui réponde, elle somme la maison d’édition de prendre ses responsabilités par rapport à un livre susceptible de choquer son enfant. En effet ce n’est pas l’histoire de Pinocchio, comme le raconte le film d’animation du studio Disney, avec son ton résolument joyeux, ses passages durs contrebalancés par des couleurs vives et des moments humoristiques, mais comme l’a raconté Collodi. Louise m’expliquait qu’aujourd’hui il est difficile d’assurer la promotion de nouveaux albums de conte, d’autant plus que le choix de la maison d’édition est de faire des contes assez peu connus et éloignés de ce qui a fait le succès des adaptations de Disney : « Aujourd’hui chez Didier Jeunesse on se pose beaucoup cette question. Est-ce qu’on peut continuer à publier des contes ? Estce qu’on va réussir à trouver notre public ? Est-ce que c’est quelque chose qui peut encore plaire ? Voilà : est-ce qu’il y a encore un intérêt à publier des contes ? Car aujourd’hui ça un côté un peu désuet, un peu ancien. Toutes ces questions de féminisme… C’est loin d’être féministe en général. Et puis en général c’est vu comme quelque chose d’assez élitiste, avec
72
beaucoup de texte, donc pas forcément évident pour les jeunes parents avec un enfant petit 1. »
La question de la violence n’est pas le seul élément des contes à être remis en question. Louise cite deux autres problématiques par rapport à l’édition des contes : la place de la femme dans les contes et la vision qu’ils donnent d’elle ; l’intérêt de ces histoires du temps passé, pour des enfants de notre époque, qui conduit à une question d’élitisme. Ces autres préoccupations sont revenues dans tous mes entretiens – j’ai l’impression que les contes sont des récits à moderniser, en particulier au niveau de la place de la femme. Voici par exemple ce que m’en disait Servane G. : « Autant toutes les questions sur la place de la femme sont des choses auxquelles il est important de penser parce qu’il faut se souvenir que ce sont des livres qui ont été écrit à une autre époque et dans une autre société et aujourd’hui il y a des choses que je n’écrirais pas. J’ai envie de montrer à mes filles des figures féminines qui ne sont pas celles des années 50. Mais c’est différent pour les figures qui sont de l’ordre de l’imaginaire. Pour moi c’est important que ces grosses figures soient des figures de l’imaginaire et qu’elles gardent leur côté cathartique. On n’est pas dans les histoires du quotidien »
Si l’écriture, le regard moderne sur le conte et les qualités des personnages principaux : courage de l’héroïne ou ruse du héros, sont mises en avant, cela peut attirer le lecteur et lui donner envie d’acheter l’album, ce qui ne serait pas le cas pour la figure du méchant. À ce propos, Louise me disait : « Je vais mettre en avant le méchant uniquement s’il ne l’est pas totalement. Je travaille souvent avec des mères, via instagram par exemple, elles peuvent, très vite, être beaucoup plus choquées qu’auparavant »
Il y a donc un véritable recul du méchant fort et terrifiant, par rapport à celui dont la méchanceté est éphémère et dont on peut guérir avec les bons mots ou les bons gestes : 1Entretien
avec Louise B. du 10 février 2020, entièrement disponible en annexe en fin d’ouvrage
73
« Ce qui marche bien c’est un personnage qui va devenir méchant, mais on apprendra dans la suite du récit qu’il est méchant pour une raison très mignonne, parce que finalement dans sa vie il lui est arrivé quelque chose qui lui a fait peur. Ce n’est plus forcément de la méchanceté mais de la méfiance envers les autres alors. Ma question : Alors est-ce que ça plaît plus aux mamans avec lesquelles tu travailles un album avec un héros ou une héroïne moderne et un méchant ridicule ? Louise B : Complètement ! Je crois que ça a un côté rassurant. Les mamans ou les papas bien sûr, n’ont pas envie de s’engager dans une histoire avec un risque de traumatisme. Aujourd’hui on aime plus mettre en avant des personnages courageux, malins qui vont savoir se dépêtrer de n’importe quelle situation par leur ruse plutôt de que de montrer de gros méchants qui pourraient faire du mal aux enfants. »
Au final l’idée maîtresse qui ressort de tout cela c’est que les contes sont un peu désuets. D’où la nécessité de leur ajouter de nouvelles illustrations et d’avoir recours à de nouvelles techniques : livre animé, un auteur garant d’un texte moderne et bien adapté. Par souci d’épargner et de protéger les enfants de la violence et de la cruauté, le méchant ne doit pas le rester. De là, en découle une production éditoriale de plus en plus frileuse, face à la véritable méchanceté dans ses contes et un public pas forcément ouvert à ça. Cela crée le risque d’un cercle vicieux : les albums présentent de moins en moins de cruauté, les lecteurs y sont de moins en moins et plus facilement choqués. C’est un des soucis avec les contes aujourd’hui majoritairement connus à travers les films d’animation du studio Disney, comme me le disait Louise : « L’aspect ambivalent, entre continuer à éditer des contes ou pas, c’est que si tu décides de faire des parutions qui collent avec les versions originales, actuellement c’est presque plus possible. C’est ultra trash. Aujourd’hui on argumentera en disant que ce sont des contes patrimoniaux, qu’ils font partie de la culture littéraire et qu’ils ont toujours existé et que les enfants ne sont « pas en sucre », ils peuvent entendre des histoires pareilles. Du coup c’est ça le souci ici on n’a pas envie de proposer des versions édulcorées aux enfants… »
74
Lors d’une représentation de la pièce de théâtre Oh boy ! suivie d’une séance de questions avec l’autrice Marie-Aude Murail, la scénariste Catherine Verlaguet et le metteur en scène Olivier Letellier, j’ai abordé cette question de la légitimité des méchants dans les œuvres jeunesse. Tous furent unanimes sur ce point : il faut de vrais méchants et il faut pouvoir montrer qu’on les dépasse. Marie-Aude Murail dit alors que « je suis douloureuse alors je veux le partager. Je partage tout, le bon, le mauvais. On ne peut pas vous protéger du monde, mais on peut vous accompagner, pour que ne soyez pas seuls dans les moments difficiles1 ». Et Catherine Verlaguet ajouta « pour vous montrer qu’on a le droit au bonheur et le droit de raconter la fin de l’histoire comme on veut ».
1
Marie-Aude Murail, le mercredi 16 Octobre 2019, lors d’une séance de questions avec le public après la représentation de la pièce de théâtre « Oh boy ! » au théâtre Monfort
75
Du plaisir et de l’importance de frissonner « Le gladiateur se croit déshonoré si on l’accouple à plus faible que lui ; il sait qu’on vainc sans gloire quand on vainc sans péril. Il en va de même de la fortune : elle choisit à dessein les plus rudes antagonistes. (…) Un grand exemple ne naît que de la mauvaise fortune. » Sénèque, De la providence, III, 4 (traduction René Waltz) Ce qui ressort des changements de l’édition jeunesse et des commentaires que j’ai pu entendre durant mon stage, c’est que les adultes, en achetant des albums, veulent protéger leurs enfants de la peur et leur éviter des frayeurs et peut-être par là les inévitables questions sur la peur, la méchanceté, le plus fort etc. Pourtant, croire que l’enfance est la période de l’innocence préservée de la peur et de l’inquiétude, revient à se méprendre lourdement sur ce qu’est réellement cet âge. Si on se penche justement sur les contes dont les héros sont des enfants comme « le petit poucet », « le petit chaperon rouge » ou « Hansël et Gretël » ils sont très loin d’être joyeux et idylliques. Ils parlent de la difficulté à trouver son prochain repas, des risques de grandir et montrent de très nombreuses figures d’autorité, plus puissantes qu’eux, n’hésitant pas à essayer de les mettre en danger ou à tenter de les dévorer. On est très loin des petites princesses qui rêvent de leur fin heureuse avec un beau prince, comme le veut le cliché. Mais en-dehors du monde des histoires, il suffit de visiter une cour d’école pour se rendre compte que les enfants n’ignorent ni la peur ni la méchanceté : « Va dans une cour de récré, c’est horrible. Moi ça me fend le cœur des fois, ils peuvent être d’une méchanceté atroce entre eux. Au contraire donnons-leur la possibilité d’exorciser le truc, de les
76
vivre autrement et de pouvoir avoir des clefs, des petites astuces dont ils peuvent s’emparer 1. »
En effet la peur, en particulier celle que l’on peut ressentir face à un conte, est à la fois importante et un plaisir.
RENCONTRE AVEC LA PEUR
Bien que pauvres en pensées intérieures et en explications psychologiques, les contes abordent très souvent la question de la peur. Pour Joëlle Turin la peur est une quête de l’enfance : « La peur est la grande affaire de l’enfance. Petit garçon ou petite fille, nul n’y échappe. Il faut beaucoup de temps, d’énergie et de volonté pour la combattre et l’apprivoiser. Elle est tout naturellement le sujet ou le ressort de bien des histoires. Elle l’est d’autant plus que chacun est attiré par ce qu’il craint. Les tout-petits déjà prennent plaisir à
1Entretien
avec Servane G. du 13 février 2020, entièrement disponible en annexe en fin d’ouvrage
77
écouter les récits qui parlent de peur ou leur font peur. Ils les réclament de façon souvent répétitive 1. »
Un conte des frères Grimm est très explicite sur ce sujet : « Celui qui s’en alla pour connaître la peur » dont on retrouve également une version nivernaise « Jean-sans-peur » ainsi que chez Starapola. La quête de ce personnage n’est pas de vaincre la peur, mais d’enfin connaître son frisson. Au cours de sa quête initiatique il fait de grandes choses que nul autre ne pouvait faire à cause de la terreur qu’il ressentait et épouse la fille d’un roi. Enfin après son mariage, allongé auprès de son épouse, il ressent la peur lorsqu’elle le réveille avec un seau de petits poissons glacés. Une première fonction de la peur dans les contes est de nous prévenir des dangers du monde extérieur et du monde hors du foyer. « Le petit chaperon rouge », « Le petit poucet » et « Hansël et Gretël » nous prodiguent alors le même avertissement de différentes façons, des enfants ne doivent jamais se perdre, seuls, dans la forêt, hors des chemins, sous peine de courir de graves dangers. Le conte parle aussi des risques du monde, c’est pourquoi tant de contes racontent les pièges des bois, des sources, des rivières, que ce soit à travers une mésaventure ou la figure d’un génie, d’un géant ou d’un loup. Malgré les dangers abordés, ces histoires rencontrent de grands succès auprès des enfants, dont l’une des raisons est justement cette façon à la fois juste et merveilleuse d’affronter la peur : « Les histoires, avec leurs cortèges de loups et de dragons, de sorcières, de serpents et de monstres, donnent symboliquement forme à ces peurs en les situant dans des lieux eux aussi hautement symboliques, tels la forêt et la grotte. Elles parlent selon le cas de nuit et de ténèbres, d’abandon, de l’autre et de l’ailleurs ou encore du mystère de la vie. [...] Elles offrent aussi à l’enfant un espace poétique de rêverie dans lequel il peut explorer ses craintes, les
1Joëlle
Turin, Ces livres qui font grandir les enfants, Paris, Didier Jeunesse, 2008, p.43
78
désamorcer mentalement, les déplacer sur des contenus plus distanciés et ainsi élaborer ses défenses 1. »
Dans la traduction de Natacha Rimasson-Fertin du « Petit chaperon rouge » des frères Grimm, un second loup essaie par la suite de s’en prendre à la petite fille et échoue car elle ne s’écarte plus de son chemin, preuve que la leçon a été apprise et qu’elle est bel et bien salvatrice.
LA PEUR SALUTAIRE La peur, comme la douleur, est une émotion qui possède un rôle de mécanisme de survie. Face à sa belle-mère BlancheNeige ne ressent pas la peur. Trois fois, la Reine la retrouve, la trompe et manque de la tuer, alors que trois fois les nains lui ont dit de ne laisser entrer personne, ne parler à personne, ne rien accepter. La peur nous avertit du danger et de la nécessité de nous protéger. Dans la version des frères Grimm, c’est parce que le Petit chaperon rouge ne ressent pas la peur face au loup, qu’elle ne peut reconnaître le danger représenté cet animal féroce et sauvage et qu’elle risque sa vie : « Et à peine entrée dans le bois le petit chaperon rouge rencontra le loup. Comme elle ne savait pas que c’était un animal féroce, elle ne fut pas effrayée le moins du monde2 »
Pareillement, lorsqu’elle arrive chez sa grand-mère, elle sent confusément que quelque chose n’est pas normal, mais n’écoute pas cette peur, rentre dans la maison et referme la porte derrière elle, s’enfermant ainsi avec le prédateur. Mais un chasseur les sauve toutes les deux et un étrange partage s’établit entre eux trois : le chasseur repart avec la peau du loup, symbole de sa victoire qui rappelle Héraclès avec le Lion de Némée, la grandmère s’attable devant sa galette et son vin, plaisir hédoniste, et la petite fille, soulagée, a appris une importante leçon. Pour le conte des frères Grimm, il s’agit de ne pas dévier du chemin, mais un regard contemporain encouragerait plus l’enfant à faire confiance 1Id. 2Grimm, Sybille Schencker, Le petit chaperon rouge [Rotkäppchen, 2014], traduit de l’allemand par Julie Duteuil, Zurich, Minedition, 2014
79
à son instinct, si elle sent une situation dangereuse, quand bien même, si elle ne peut entièrement l’expliquer. Les contes n’apprennent pas à ne pas avoir peur, ni à ignorer la peur, mais au contraire à la reconnaître, l’apprivoiser, l’utiliser. La peur dont parle le conte et celle créée chez son lecteur, n’est pas gratuite, elle fait sens. En un mot, la peur n’est pas un danger en elle-même mais un moyen de faire face au véritable danger. * *
*
Aux peurs réelles s’ajoutent les peurs imaginaires des civilisations. Voici comment les présente la psychanalyste Annie Birraux : « Toutes les cultures et toutes les civilisations se sont aussi créé des peurs imaginaires, afin de légitimer des rituels de groupe, des superstitions protectrices, des tabous et ce pour deux raisons : d’abord, pour anticiper l’angoisse humaine, la projeter et la faire advenir dans la réalité extérieure, mieux la circonscrire et la maîtriser et ainsi s’assurer de son propre sentiment d’existence […] ; ensuite pour « éduquer » les enfants à la prudence et leur signifier que l’environnement n’est pas naturellement hospitalier et protecteur 1 »
L’angoisse humaine est connue de tous les êtres humains, sous différentes formes et à tous les âges, dès l’enfance. Non seulement le conte aborde cette question, mais il renferme, offre et contient des armes pour vaincre cette angoisse et c’est pourquoi les enfants ne doivent pas en être privés ou dépourvus. Les contes leur parlent de ce qu’il y a d’intimement et de sourdement effrayant dans la vie, de ses difficultés et comment un héros ou une héroïne les surmonte. Dans une certaine mesure, les contes jouent un rôle de laboratoire des solutions face à la vie, ses aspérités et ses injustices, comme le dit la spécialiste de littérature jeunesse et de folklore, Maria Tatar : 1Annie
Birraux, « Les animaux dans les phobies d’enfants », Enfances & Psy, 2007/2 n° 35, pp.8-14, p.8
80
« Nos plus profondes angoisses, nos plus profonds désirs irriguent le folklore et s’y expriment au travers des histoires qui trouvent grâce auprès d’une communauté d’auditeurs ou de lecteurs. Étant donné la faiblesse psychique et psychologique propre aux enfants, il n’est pas surprenant que les récits d’abandon et de dévoration figurent en bonne place dans le répertoire folklorique. 1 »
Descartes, qui voit dans la peur la plus triviale des passions, convient qu’il faut s’y exposer pour ne plus être submergé : « Et pour ce que la principale cause de la peur est la surprise, il n’y a rien de meilleur pour s’en exempter que d’user de préméditation et de se préparer à tous les événements, la crainte desquels la peut causer 2 »
Mais Descartes n’a pas pensé spécifiquement à la jeunesse et ce n’est que récemment que conte et récit pour enfant sont devenus indissociables. Anticiper l’angoisse humaine en l’exposant aux enfants, y compris à travers un récit est-il quelque chose de souhaitable pour un public enfantin ? Selon Joëlle Turin oui, sans hésitation : « Les enfants connaissent et parfois jusqu’à la terreur, ces peurs d’un jour ou peurs de toujours. Ils doivent pourtant parvenir à les combattre, car ils ne peuvent grandir harmonieusement que dans un univers de sécurité. Quand l’imaginaire des auteurs scénarise pour eux ces thèmes effrayants, il donne une forme aux angoisses par des représentations tangibles et maîtrisables. C’est d’évidence une bonne raison pour ne pas priver les jeunes lecteurs de ces peurs de papier3. »
Ce qui revient souvent comme un impératif éditorial, pour un album effrayant, c’est que la peur doit s’arrêter avec le livre. Surtout dans le cas d’un album pour enfant, les enjeux sont différents en littérature pour les adolescents, le livre jeunesse n’a jamais vocation à les terrifier – tout au plus à les secouer, les surprendre, leur faire peur durant quelques pages mais jamais 1Maria
Tatar, traduit de l’anglais par Jacqueline Carnaud dans Il était une fois les contes de fées, Olivier Piffault (dir.), p.502 2René Descartes, Les passions de l’âme, article 176 « de l’usage de la peur », Paris, Flammarion, 1996, p.209 3Joëlle Turin, Ces livres qui font grandir les enfants, Op. Cit., p.74
81
plus. On pourrait faire une distinction entre peur et effroi ou peur et horreur. La peur doit pouvoir s’arrêter à la fin du livre et ne pas continuer quand le livre est refermé. Un album pour enfant peut lui permettre d’être apeuré, mais pas effrayé ou terrifié. D’une certaine façon, le mal doit rester dans le livre et son méchant, et ne pas envahir l’enfant. C’est une ligne très souvent retenue comme critère pour les histoires qui font peur du point de vue des éditeurs. Servane me parlait de l’importance de placer dans une histoire qui fait peur, une « une petite pirouette, un truc pour chasser la peur » et justement éviter qu’elle se prolonge avec la lecture : « L’angoisse ne peut pas rester. Le tout-petit n’a pas la culture et la connaissance des histoires pour prendre le recul nécessaire. (…) Je me suis toujours refusée de publier des histoires avec des monstres qui sont cachés sous le lit par exemple, pour moi c’est un non-sens. Jouer sur le côté mi-réel, mi-imaginaire, en faisant croire à des enfants qu’il y a des monstres cachés dans leur chambre, je trouve cela étrange de jouer à faire croire à des enfants qu’il y a des monstres cachés dans leur chambre, je trouve cela étrange, mais c’est mon ressenti. Ma fille, petite, avait des terreurs nocturnes, je t’assure que si on lui avait lu ce genre d’histoires… Je préfère les grandes figures de l’imaginaire. Il n’y a pas besoin de raccorder ça au quotidien de l’enfant. Au contraire je trouve cela d’autant plus fort s’ils se projettent dans un autre monde. Ils s’identifient de toute façon, tu n’as pas besoin de ramener ça dans leur quotidien, ils le font très bien tous seuls. Ils interprètent les choses souvent beaucoup plus justement que les adultes d’ailleurs 1 »
Cette problématique recouvre en fait une question-clef : celle de savoir comment protéger les enfants des dangers. Doiton leur en parler pour leur apprendre à les reconnaître ou, au contraire, les occulter dans l’espoir qu’ils n’auront jamais à y faire face ? Ce qui se joue aussi derrière cette question c’est l’image que nous avons des enfants, de la peur et du danger, ainsi que la question de leur protection. Et affronter ses peurs dans le livre grâce à un héros ou à une héroïne de papier est le premier pas pour pouvoir y faire face dans la vie. Au final, protéger les 1Entretien
avec Servane G.
82
enfants revient à la fois à les informer des dangers et peurs du monde, de façon subtile à travers les contes, ses épreuves et ses méchants ; mais aussi à leur fournir des armes et des outils pour se protéger.
JOUER A SE FAIRE PEUR « Le lecteur aime se faire peur » disait l’auteur de polars Franck Thilliez. Et pourquoi pas les enfants ? Outre les dangers réels abordés par certains contes, il y a aussi toute une série de jeux avec la peur qui n’est pas à sous-estimer. Le jeu peut d’ailleurs être un moyen d’apprivoiser sa peur, d’y faire face et le livre un endroit sécuritaire pour s’y confronter, comme le pense Joëlle Turin : « Cette expérience subjective d’appréhension d’un danger par le biais d’un personnage lui est bien moins pénible dans un album que dans la réalité. Elle répond à deux de ses attentes fortes : le goût du mystère et le plaisir d’avoir peur en toute sécurité.1 »
Dans ce cas le méchant est indispensable pour avoir peur et un bon conteur sait l’incarner afin de dédramatiser la tension qui peut être amenée par le conte. On peut penser à certains contesattrapes, où le conteur finit en se jetant sur l’assemblée. Cela évite de raconter la fin, exclut toute question de morale finale et permet de saisir le public puis de le faire rire. Cela coupe immédiatement l’angoisse. D’une certaine façon le conte est jeté sur eux, ils en éprouvent la peur un bref instant, puis reviennent à leur monde. C’est de cette façon que le petit chaperon rouge était raconté en Sicile par exemple. « Il faut traumatiser vos enfants, il faut leur faire peur sinon, ils vont tous devenir des experts comptables2 », disait avec provocation, mais aussi avec justesse, Tomi Ungerer. Le conte, en particulier si on veut le lire à des enfants, repose sur un 1Joëlle
Turin, Ces livres qui font grandir les enfants, Op. Cit., p.74 2Page consultée le 19/02/2021 à l’adresse suivante :
83
équilibre fragile mais essentiel – lui faire peur, l’emporter, lui offrir de belles émotions et ce sans jamais le traumatiser. Dans cet équilibre, la peur joue un rôle essentiel. Elle est une source de questionnements, de croissance et peut nous sauver, comme le sait désormais le Petit Chaperon rouge de Grimm. Et puis il ne faut pas oublier qu’entre les enfants et les livres, il y a les parents qui les lisent et peuvent estimer s’ils sont trop jeunes ou trop sensibles pour cette histoire. Le conte permet à l’enfant de ne pas vivre ses angoisses seul, s’il lui est raconté. Lire à un enfant « Le Petit Poucet » c’est lui offrir la possibilité de ne plus être seul face à l’angoisse d’être le plus petit d’une fratrie que la pauvreté obligerait à abandonner. S’il semble évident que la peur ne doit pas être bannie des contes pour enfants, il ne faut pas non plus les traumatiser. Pour cela deux impératifs essentiels : la qualité imaginaire du conte, qui place l’intrigue dans un monde différent à celui habité par l’enfant et son heureux dénouement afin de lui permettre de sortir de l’histoire apaisé.
84
Deux impératifs du conte de fées : la féerie et la fin heureuse « Le Petit Chaperon rouge a été mon premier amour. Je sens que si j'avais pu l'épouser, j'aurais connu le parfait bonheur. » Charles Dickens rapporté par Bruno Bettelheim « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » ou « s’ils ne sont pas morts, ils y sont encore », voici des formules finales de contes résolument tournées vers le bonheur, ici à travers la longue vie, le mariage et les enfants. À la fois objet de critiques car elle serait hautement irréaliste, la fin heureuse est pourtant souvent considérée comme un élément indispensable du conte merveilleux, en particulier lorsqu’il est destiné aux plus jeunes. En effet, pour reprendre la loi sur les publications destinées à la jeunesse, comment ne pas « démoraliser » la jeunesse si l’histoire finit mal ? Comment avoir de l’espoir après cela ? Ou s’il s’agit tout simplement d’une histoire du soir, comment s’endormir paisiblement ?
L’IMPORTANCE DE LA FIN HEUREUSE La fin heureuse est souvent la récompense après les moments douloureux et ce qui excuse et justifie les passages violents ou cruels du conte. Le conte équilibre lumière et ombre et en finissant sur une fin heureuse fait rejaillir la lumière, le bonheur, le triomphe des gentils, de ceux qui n’auraient pas dû gagner : des orphelins abandonnés, des jeunes filles délaissées par leur famille et rabaissées en-dessous de leur rang, un dernier fils de meunier. Dominique Peyrache-Leborgne la présente ainsi comme une forme d’équilibre avec la noirceur du conte : « C’est aussi parce qu’il offre une issue réparatrice que le conte peut se permettre d’évoquer les grandes difficultés de l’existence. Les contes évoquent donc le pire, ils peuvent et savent parler du pire, parce que leur rôle fondamental est aussi de trouver une
85
solution imaginaire à ces catastrophes et de s’apparenter, au fond, à un mécanisme de catharsis, à un principe de résilience. 1 »
et : « Tous deux [les frères Grimm] avaient aussi parfaitement saisi que la nature profonde de ces récits était de mettre en scène un monde souvent duel dans son essence, où la noirceur était faite pour être à la fois dite et surmontée, où le mal devait rester aussi terrifiant que l’issue réparatrice était lumineuse 2 »
Lors de mes entretiens avec Servane G., éditrice petite enfance et Frédérique R., responsable artistique chez Didier Jeunesse, toutes deux m’ont parlé de la fin heureuse comme d’un impératif. Voici par exemple ce que m’en disait Frédérique : « Dans les albums la tranche d’âge ça va être important, même s’il faut qu’il fasse flipper, dans les contes notamment, il faut que [l’enfant] ait eu peur, mais il ne faut pas qu’il soit angoissé. Il faut faire vachement gaffe à la résolution, que l’enfant n’aille pas se coucher, ne parte pas avec quelque chose qui lui pèse. Il faut qu’il ait eu peur, parce que c’est super agréable de se faire peur quand on est petit ou même quand on est grand, mais il ne faut pas rester avec une angoisse ou un truc qu’on n’a pas compris, parce que là ça pose un problème : on n’est pas là pour leur faire du mal à ces enfants. 3 »
Ainsi ce qui blesserait un enfant c’est le ressenti qu’il conserve à la fin de la lecture plus que les éléments violents de l’histoire. S’il sait que cela se déroule dans un monde ou un temps qui n’est pas le sien et que ces méchants ne peuvent pas 1Dominique
Peyrache-Leborgne, « Violence et douceur des contes de Grimm, dans le texte et dans l’image, des frontispices anciens aux albums contemporains » dans Dominique Peyrache-Leborgne (dir.), Vies et métamorphoses des contes de Grimm. Traductions, réception, adaptations, Rennes, Presses Universitaires de Rennnes, 2017, p.110 2Ibid., p.111 3Entretien avec Frédérique R. du 12 février 2020, disponible entièrement en fin d’ouvrage
86
lui faire de mal, il pourra supporter leur présence. Il est primordial qu’il ne ressorte pas de sa lecture abattu et désemparé face à la cruauté du monde. Ne pas faire du mal à un enfant ce n’est pas tant lui taire les épreuves de la vie que réussir à les lui présenter comme des passages douloureux dont on triomphe. Lui en parler sans lui dire que le mal est inéluctable mais qu’on peut mettre les épreuves derrière soi tout en cheminant vers une fin heureuse. Pour Bruno Bettelheim, la résolution heureuse du conte de fées possède également un autre but, celui de rendre l’histoire accessible, imaginable, y compris pour les enfants, sans leur donner d’exigence de comportement particulier comme le font les enfants. En cela il est symétriquement opposé au mythe qui, lui, présente un héros supérieur aux mortels, que nous devons nous efforcer toute notre vie d’imiter sans jamais y parvenir : « Les personnages et les événements des contes de fées personnifient et illustrent eux aussi des conflits intérieurs, mais ils suggèrent toujours avec beaucoup de subtilité comment il convient de résoudre ces conflits et quelles sont les démarches qui peuvent nous conduire vers une humanité supérieure. Le conte de fées est présenté sous une forme simple, familière ; l’auditeur n’est jamais soumis à aucune exigence. »
C’est dans ce sens-là que lire un conte de fées ce n’est pas donner des attentes irréalistes ou de futurs complexes à un enfant, mais lui faire un « cadeau d’amour » pour reprendre le mot de Lewis Carroll. Bettelheim conclut ainsi : « Cela évite au tout jeune enfant de se sentir obligé d’agir d’une façon particulière et il n’est jamais amené à éprouver un sentiment d’infériorité. Bien loin de manifester des exigences, le conte de fées rassure, donne de l’espoir pour l’avenir et contient la promesse d’une conclusion heureuse. 1 »
Il est donc possible pour un enfant de se retrouver dans un conte, malgré les différences d’époque, de naissance, d’âge et parfois 1
Bettelheim, Bruno, Psychanalyse des contes de fées, Op. Cit., p.39
87
de genre et c’est justement le fait de voir un reflet de lui, de sa personnalité, de ses questionnements, de ses tourments qui lui permet de ressentir les aspects positifs de la résolution heureuse du conte. C’est en ce sens que Freud parle du conte à la fois comme un moment d’évasion et de réalisation pour l’enfant. Voici l’explication de Tristan Landry à ce propos : « D’après Freud l’invulnérabilité des personnages de conte semble correspondre à un besoin invulnérable dans un monde d’adultes où sa petitesse le condamne à la dépendance et à l’obéissance. À cet égard la lecture de contes est, pour l’enfant, un moment d’évasion. Par ailleurs, la fin heureuse du conte permet à l’enfant de se « réaliser » à travers le héros admiré. »
Outre l’apaisement et les promesses gaies que procure la fin heureuse, elle se doublerait d’une fonction morale, comme beaucoup d’aspects de la littérature jeunesse. Pour Bettelheim, qui commence son ouvrage sur les contes en expliquant à quel point les enfants troublés, qu’il reçoit lors de ses consultations de psychanalyse, manquent de repères, de valeurs et derrière cela, de sens et de clarté dans leur vie ; le conte de fées prend alors un rôle éducatif : « Une éducation, qui subtilement, uniquement par sous-entendus, lui fasse voir les avantages d’un comportement conforme à la morale, non par l’intermédiaire de principes éthiques abstraits, mais par le spectacle des aspects tangibles du bien et du mal qui prennent alors pour lui toute leur signification. 1 »
Au vu de ces deux raisons d’être de la façon heureuse, il semblerait que moraliser mérite son double-sens : malgré ses épreuves le héros ou l’héroïne connaîtra une fin heureuse, parce qu’il est bon et que les méchants finiront punis. Dès lors le calcul est vite fait, mieux vaut être bon et heureux, que mauvais et châtié. Encore que la fin heureuse ne l’est pas pour tout le monde. Pour le méchant, en particulier ceux des frères Grimm, elle est particulièrement cruelle. Voici l’analyse de Dominique 1Bruno
Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, Op. Cit., p.16
88
Peyrache-Leborgne à propos de la fin du conte, qui nous montre qu’elle relève d’un processus double : « D’un côté la violence du châtiment ancre le dénouement dans une structure archaïque de vengeance, de punition divine et de sacrifice sanglant. L’impact émotionnel ainsi que la pédagogie moralisatrice et comminatoire en sortent renforcés : les pires châtiments attendent les méchants, qui seront impitoyablement punis. De l’autre, l’héroïne, support du processus d’identification, se voit reconnue, glorifiée et rétablie dans ses droits 1 »
Dès la seconde édition les contes prennent une visée éducative et ce projet entraîne des modifications, comme le souligne Christiane Connan-Pintado. La première édition n’était pas adaptée aux enfants, à la fois à cause de son aspect scientifique à l’opposé des livres illustrés ainsi que pour la violence et l’érotisme explicites de certains textes. « La leçon est entendue par Wilhelm qui prend désormais en charge l’édition des contes et infléchit le projet initial dès la deuxième édition. Natacha Rimasson-Fertin rappelle que les modifications effectuées portent aussi bien sur la forme (ajouts de diminutifs, de tournures enfantines) que sur le fond, jusqu’à faire des contes de véritables bréviaires d’éducation, en accord avec le souhait exprimé par les Grimm dans la préface de la deuxième édition 2. »
Si les deux frères ont enlevé de leurs contes les éléments sexuels, en particulier ceux qui avait trait aux relations hors-mariage, les éléments violents subissent un traitement différent, puisqu’ils n’ont pas hésité à en rajouter. Pour eux cette violence n’était ni superflue ni traumatisante, elle était éducative et donc, utile. Ainsi ils ont ajouté en 1819, dans la même version où la Reine de Blanche-Neige passe de mère à belle-mère, des colombes qui crèvent les yeux des sœurs de Cendrillon. Cette image est si 1Dominique
Peyrache-Leborgne, « Violence et douceur des contes de Grimm, dans le texte et dans l’image, des frontispices anciens aux albums contemporains », Op. Cit., p.115 2Christiane Connan-Pintado et Catherine Tauveron, Fortune des Contes des Grimm en France. Formes et enjeux des rééditions, reformulations, réécritures dans la littérature de jeunesse, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2014, p.73
89
violente qu’elle n’a, à ma connaissance, jamais été illustrée. Le conte de Perrault ne possédait pas cette fin et relève d’un idéal féminin différent, plein de douceur, de bonté et de puissance de pardon. Mais si on se place du point de vue d’un jeune enfant qui découvre ce conte, la fin où Cendrillon pardonne à ses sœurs et les accueille est probablement bien plus proche de ce qu’il souhaiterait, dans un idéal de famille réunie où chacun reçoit ce qui est juste et peut alors dépasser ces défauts et rancunes, que celle des Grimm et de leur famille mutilée.
ET DES FINS MALHEUREUSES ?
90
Cependant, tout ceci – le sentiment de sécurité du conte, l’enseignement de bien et de mal qu’il instille doucement à son lecteur – n’est plus vrai dès que le conte ne possède pas cette fameuse fin heureuse. Au vu de ce que nous venons de voir, on peut se demander si la fin malheureuse ou triste a une place en littérature pour la jeunesse. Le conte le plus célèbre avec une fin triste, pour ne pas dire tragique, est « le petit chaperon rouge » conté par Perrault, qui fut prolongé par les frères Grimm d’une suite grâce à la figure du chasseur, qui libère la petite fille et la grand-mère du ventre du loup, à la façon de « Loup et les sept chevreaux » ; ainsi que d’un second épisode qui montre qu’en apprenant sa leçon elle ne peut plus être attaquée par le loup et le vainc avec sa grand-mère. Aujourd’hui les deux versions sont toujours présentées, ce qui permet à chaque lecteur de choisir quelle version lui convient le mieux. Dans les versions orales, la fin était heureuse pour la jeune fille : elle réussissait à se sauver grâce à la ruse1. Mais la grand-mère n’était jamais sauvée. Dans le recueil de Perrault il n’y a que deux contes d’enfants : celui-ci et « Le Petit poucet ». Ce dernier possède une fin particulièrement heureuse puisque les épreuves sont surmontées, la sorcière défaite et toutes les injustices de départ résolues. La méchante mère n’est plus là, ils ne sont plus pauvres et le petit dernier gagne place et reconnaissance dans sa famille, ce qui doit bien plus parler aux enfants que le fait de porter des messages pour le roi comme dans la fin de Perrault. Au contraire, dans le premier conte, la grand-mère meurt, l’héroïne meurt et le loup n’est pas puni, soit tout l’inverse de la version des frères Grimm, qui vont jusqu’à légitimer le fait qu’une mère ait envoyé sa fille dans une forêt malgré les prédateurs, car elle l’avait prévenue de ne pas s’écarter et elle a désobéi. La traduction de Natacha Rimasson-Fertin en deux volumes chez José Corti possède aussi les contes retranchés par les frères Grimm. Ils ont retiré « Le Chat Botté » et « Barbe1
Voir annexe sur les différentes versions du « Petit chaperon rouge » en fin d’ouvrage
91
bleue » du recueil car ces deux contes ressemblaient trop à ceux de Perrault. Selon Bettelheim c’est leur modification qui fait de cette histoire un conte et en a assuré le succès. Mais même en sachant qu’il y a une fin heureuse, il existe toujours une dualité de cette histoire. Il ne faut pas forcément opter pour l’une des deux versions. Dans l’esprit d’un enfant les deux peuvent cohabiter, en le laissant libre d’osciller entre l’une et l’autre, il peut lui-même choisir celle qu’il préfère et changer d’avis. Selon Claude Ponti les deux fins sont vraies. Il raconte ainsi que lui préférait les fins dures, comme celles du Petit chaperon rouge dévorée par le loup, car c’était une leçon plus forte. Puis son point de vue a évolué avec sa fille : « Elle a vu La Petite Sirène, de Disney, qui se termine bien, alors que le conte originel, d’Andersen, se finit tragiquement. Nous avons eu une longue discussion à ce sujet et nous sommes arrivés à la conclusion que les deux versions étaient vraies et complémentaires. Elle-même était capable d’accepter la version dure d’Andersen et de préférer celle, plus douce, de Disney. 1 »
D’un point de vue de stricte leçon, la version du « Petit chaperon rouge » de Perrault est plus forte. Elle crée une grande frayeur et montre une erreur impardonnable et irréparable. C’est peut-être cette fin effroyable qui a assuré une telle pérennité à ce conte, aujourd’hui un des plus réécrits et présents en albums. De nombreux auteurs, à l’instar de Dickens, ont été sensiblement marqués par cette fin et viennent offrir leur version de l’histoire. Ils la racontent une fois de plus, à leur tour et à leur façon et peuvent faire le choix de réparer cette fin malheureuse, à l’instar d’Yvan Pommaux dans John Chatterton détective. Outre une mère qui s’inquiète pour se fille et envoie un champion félin à sa rescousse, elle se jette dans la gueule du loup sans hésitation, avec pour unique arme l’oeuvre d’art convoitée par le prédateur. Mais dès qu’elle voit sa fille elle lâche le tableau sans égard pour sa valeur. Après cela, l’illustration montre la petite fille en rouge et sa mère, heureuses de se retrouver, partant en voiture à toute
1Claude Pont interview avec Frédéric Potet du dimanche 20 décembre 2020 pour le journal Le Monde
92
vitesse en direction de l’arrière-plan de l’image, hors du sens de lecture des pages, là où les lecteurs ne peuvent les suivre. * *
*
Mais alors quelle est la véritable morale du Petit chaperon rouge ? Impossible de le dire tant ce conte est riche en versions et significations diverses. Il n’y en a pas une, mais des dizaines selon le conteur, l’auteur, les parents, et surtout le lecteur et le message qu’il a envie d’y voir. Envie ou besoin, après tout c’est un conte. La première version d’Egbert de Liège ne fait aucune mention de mère-grand ou de galette, l’enfant vagabonde dans la forêt sans but. Et elle n’a que 5 ans. Ce que ce maître d’école distingue dans cette version, c’est la piété de la petite fille : les loups veulent déchirer sa robe, sauf qu’il s’agit de son cadeau de baptême et elle le leur dit, alors les bêtes se calment et se laissent caresser. Ce qui ressort des versions orales, c'est la transmission des valeurs et fonctions féminines quand une petite fille devient une jeune fille. La mère l’envoie vers sa propre mère et sur le chemin, elle rencontre le loup. Mais il est relativement anecdotique dans cette version. C’est sous la plume de Perrault qu’il devient le danger et l’enjeu de l’histoire et depuis c’est làdessus que les histoires se concentrent. Et enfin, plus récemment, des auteurs comme Claude Ponti ou Yvan Pommaux, blâment la mère, responsable d’avoir envoyé une enfant mal préparée dans la forêt. Dans les contes, la forêt est le lieu de la transformation et de l’inconnu. On sait comment on y entre et qui l’on est quand on y entre, mais on ignore qui on sera quand on en ressortira. C’est une expérience partagée chez de nombreuses héroïnes des contes qui mènent au mariage : Blanche-Neige traverse la forêt pour s’y réfugier chez les nains. Le prince l’y voit et tombe amoureux d’elle. Il tente de l’acheter, mais les nains refusent sans
93
cesse jusqu’à ce que le prince comprenne qu’il n’y a pas de prix possible pour la jeune femme. Il promet de la regarder et les nains acceptent qu’il l’emmène. Mais les gardes font tomber le cercueil et le choc déloge le morceau de pomme de sa gorge. Elle était entrée enfant, elle en ressort prête à être mariée, cap symbolique de la vie de femme, prête à fonder sa famille et son foyer. La belle au bois dormant fait encore plus fort : la forêt grandit autour d’elle, son lit devenant alors le cœur même de la forêt de ronces qui met à l’épreuve ses prétendants. La lecture du conte selon laquelle la mère a abandonné sa fille en l’envoyant dans la forêt révèle alors une colère contre la figure nourricière perçue comme toute-puissante. Ce n’est pas qu’elle n’a pas protégé sa fille ou qu’elle n’en a pas été capable, c’est qu’elle a refusé de le faire et l’a sciemment envoyé vers le lieu du danger. Mais aucune mère ne peut protéger son enfant de tous les dangers. Toutes les jeunes filles vont un jour affronter la forêt de l’inconnu pour grandir. Les mères doivent les laisser y aller, après avoir préparé du mieux qu’elles le pouvaient leur enfant aux épreuves de la vie dont elles avaient conscience, tout en sachant pertinemment qu’aucun apprentissage ne peut entièrement protéger des difficultés de l’existence. Et ce n’est pas grave. Ou du moins pas si grave que cela. Car dans les versions orales, la petite fille se sauve elle-même, par sa propre ruse. Elle demande à sortir de la maison pour faire ses besoins, ce que le loup accepte, après lui avoir attaché un fil autour de la cheville. Alors elle le coupe, le casse ou encore l’attache à un arbre, et se sauve. Parfois, une autre péripétie l’attend, si le loup s’en rend compte et se lance à sa poursuite. Elle s’élance vers une rivière où des femmes lavent des draps. La voyant arriver, les laveuses tendent les draps pour qu’elle puisse passer. Quand c’est le tour du loup, elles lâchent les draps et il tombe et se noie. Le véritable défaut que je trouve aux versions de Perrault et des frères Grimm est d’avoir déplacé l’enjeu du conte. Le premier en fait un conte de la puissance du loup, plus grand, plus fort, plus rapide, plus malin. Les seconds reprennent cette version pour en faire un conte où le bûcheron surgit, auréolé de sa
94
puissance paternelle. Mais dans les versions orales elle se sauve elle-même et c’est le plus important. Bien plus qu’un conte d’éducation dont la morale réside en un aphorisme final, il ne faut pas perdre ce conte de transmission, de sororité et de résilience dont le récit tout entier est porteur de sagesse. Au regard de cela, la petite fille en rouge s’en sort face au loup. Face au danger, elle sait réagir, tenter sa chance et même trouver des alliées. Elle ressort de la forêt grandie, empreinte de ce savoir nouveau qu’elle a découvert dans la maison de mère-grand et de l’intime conviction que, une fois confrontée au danger, elle a su y faire face. Finalement, il me semble que la mère du petit chaperon rouge pourrait bien être la plus douce des mères des contes. Contrairement à la mère de Cendrillon, elle ne l’abandonne pas (la mort prenant la forme d’un abandon symbolique dans les contes). Contrairement à la mère dans les « Fées » elle aime sa fille, plusieurs versions nous disent qu’elle est folle d’elle. Contrairement à la mère de Blanche-Neige, elle ne la chasse pas dans la forêt. Elle envoie sa fille dans la forêt le jour où il était temps pour elle, qui plus est vers un but précis, vers la demeure d’une alliée. Contrairement à la mère de la Belle au bois dormant, qui est consciente du danger couru par sa fille précisément le jour de ses seize ans, elle ne part pas dans un autre royaume. La maison maternelle sera toujours là, et les filles n’étant pas des oiseaux qui quittent le nid à jamais, elle pourra y revenir si elle le souhaite. Parions même que sa mère l’accueillera à bras ouverts. Ce que Perrault, comme les frères Grimm, a soigneusement écarté du conte, c’est le repas cannibale qui est pourtant le cœur même de la transmission dans cette lignée de femmes. Le loup tue la grand-mère, dévore sa part crue, puis récupère le sang et la chair qu’il range. Quand le petit chaperon rouge arrive, elle a faim et soif et le loup lui indique où trouver les provisions à cuisiner. Sans qu’elle le sache, elle prépare et cuisine alors la mère-grand. Ce qu’elle croit être du vin est en fait son sang. Ce repas cannibale est alors le moment de transmission,
95
d’absorption de la jeune fille de ce que sait son ancêtre, dans une étape d’un cycle sans fin : une mère envoie sa fille prête à devenir chez sa mère-grand. La fille dévore la mère-grand, préparant la mère à devenir grand-mère, la fille à devenir femme adulte et mère. Et quand la fille de la fille à son tour sera grande, ce nouveau cycle de transmission et de remplacement féminin tournera de nouveau, jusqu’à ce que chaque fille devienne une grand-mère, prête à transmettre puis à disparaître.
* *
*
C’est sans surprise que « Le petit chaperon rouge » n’a jamais été adapté en dessin animé par Walt Disney. Ce conte a une temporalité très réduite, très peu de personnages, ne présente pas de famille et est souvent associé à une triste fin. Qui plus est, le sous-entendu d’agression sexuelle aurait été compliqué à éliminer ou minimiser suffisamment. C’est donc un des rares contes très connus à ne pas être passé sous le crayon des studios Disney. La plupart l’ont été, en particulier ceux de princesses. Par ailleurs, les autres récits adaptés en dessins animés sont très fortement associés aux contes dans l’imaginaire collectif. Cela tient à la fois aux similitudes de leur texte-source avec le conte et à leur appartenance au catalogue Disney : Alice au pays des merveilles, Pinocchio, Le livre de la jungle, Peter Pan… Ce faisant, les adaptations des studios Disney n’hésitent pas à modifier les fins de contes afin de les rendre heureuses. L’exemple le plus parlant est probablement leur adaptation de « La petite sirène » d’après le conte de Hans Christian Andersen. La fin du conte de Hans Christian Andersen n’est pas si triste, puisque la petite sirène rejoint les filles de l’air grâce à ses bonnes actions et reçoit une nouvelle chance d’acquérir une âme immortelle, ce qui est plutôt abstrait et très moral. En revanche ce sont les péripéties qui sont cruelles envers l’héroïne et pourraient être insoutenables pour un enfant : elle ne reçoit aucune reconnaissance pour son sauvetage, accepte de se faire
96
couper la langue et souffre le martyr à chacun de ses pas, pour un prince qui, ne sachant pas reconnaître son amour, lui en préfère une autre, injustement créditée de ses mérites. Afin de donner une fin heureuse et plus simple que celle du conte, le film Disney a blanchi le prince et renforcé les méfaits de la sorcière. Si la sorcière du conte initial n’était pas aimable, elle n’était toutefois pas déloyale : avant de conclure le marché avec la petite sirène, elle la prévenait des souffrances, des risques et du prix à payer. Qui plus est, elle accepte un second marché avec ses sœurs pour lui permettre de redevenir une sirène. Dans le dessin animé elle lui met des bâtons dans les roues, prend magiquement une autre apparence et utilise la voix de la sirène pour tromper le prince et l’épouser. Après avoir fait preuve de roueries tout au long du film, elle utilise déloyalement leur marché. Dans ce cas, la fin heureuse est le résultat d’une simplification de l’intrigue et d’un plus grand manichéisme, le prince étant innocent, la sorcière absolument fourbe et mauvaise. Finalement, les adaptations des studios Disney se concentrent principalement sur l’aspect de récits merveilleux des contes et les potentiels poétiques de leurs univers, ainsi que sur l’aspect réconfortant du conte, n’hésitant pas à évacuer pour cela les aspects plus sombres des contes et plusieurs enjeux de dépassement, créant un déséquilibre par rapport à l’alternance de passages d’ombres et de lumière dont parlait Dominique Peyrache-Leborgne. Au final c’est un message d’espoir que délivre le conte en se terminant par une fin heureuse, condensée dans une expression pure et simple comme « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ». Cette formule vient clore le conte dans une jolie boucle ronde. Ce faisant elle renvoie à sa sœur, sa compagne du début du conte, la formule gravée dans la mémoire collective sous la forme que lui a donnée Charles Perrault en 1694 : « Il était une fois... ».
97
DES CONTES QUI SE DEROULENT DANS LE ROYAUME DE L’IMAGINAIRE Les premiers mots du conte sont ceux qui ouvrent sur un autre espace et un autre temps. Nous ne savons pas vraiment lequel, mais il est autre et ailleurs nous disent en quelques syllabes des formules comme « Il était une fois... » « Bien loin dans la mer 1... », « C’était il y a plus de cent ans... ». Même s’ils peuvent parler de notre monde, les contes ne se déroulent pas vraiment dedans et le lecteur le sait dès cette formule qui scelle un accord de croyance, un pacte de lecture entre le lecteur et le conteur de papier. La formule de début est une clef vers un monde merveilleux peuplé de fées où les animaux parlent, où des enfants naissent dans des plantes et dans lequel on peut confondre sa grand-mère avec un loup. Le conte possède sa propre langue, la « langue du récit » selon l’expression de René Diatkine ou la « langue des fées » pour Katy Feinstein, qui n’est pas celle de tous les jours. Ses premiers mots sont la formule initiatique du conteur et les derniers la formule finale, comme une porte pour entrer et sortir du merveilleux. Ce n’est pas la langue du quotidien, c’est celle des contes, qui ouvre sur leur monde, dans lequel des loups, des ogres et des enfants se promènent seuls dans la forêt, la langue au charme désuet faite de formules comme « tire la chevillette et la bobinette cherra ». La formule du conteur est un contrat de lecture vers un monde de l’imaginaire pour se faire des peurs bien réelles mais limitées à un monde de papier et d’imagination, c’est à dire à un livre qu’on peut refermer à la fin de l’histoire et ranger pour la nuit. « Ce sont des mots qui s’assemblent pour transmettre un récit structuré. C’est le récit qui permet à l’enfant de grandir. Cette langue du récit est une langue écrite, construite, qui permet à l’enfant de s’évader et de faire la différence avec le réel. C’est donc la langue des livres et c’est aussi celle des contes. […] Les premières paroles structurées, les premières histoires sont dites par les parents. Ce sont les berceuses, les jeux de doigts, les comptines 1Hans
Christian Andersen et Noël Daniel, Les contes de Hans Christian Andersen, Cologne, Taschen, 2017, p.50
98
que disent les parents à leur bébé. Cela se fait dans toutes les langues, dans toutes les cultures et en tout cas avec tout le cœur et l’amour des parents. Ce sont les premières transmissions. Lire des livres, c’est donner le plaisir des mots en s’appuyant sur le plaisir d’écouter des histoires, dans une transmission où est privilégiée l’écoute libre et individuelle 1. »
Dans ce monde, la peur et le méchant sont différents. Si le conte peut susciter de véritables frayeurs chez les enfants comme chez les adultes, il est aussi un territoire pour se confronter en pensées et aux mots à nos peurs et aux méchants des contes. C’est le monde du « pour de faux ». La responsabilité de la création d’un univers merveilleux n’est pas uniquement prise en charge par le récit et la langue avec laquelle il est raconté. Les illustrations et la nature de leur relation avec le texte jouent un immense rôle dans l’orientation réaliste, ou non, du récit. Voici ce qu’en dit Lucie Bousquet : « Le non-réalisme de l’illustration ouvre à l’enfant un vaste champ de liberté : c’est justement parce que l’image ne cherche pas à être une copie du réel, pas plus que ne le souhaite le conte, que l’imaginaire peut éclore. Cette dimension du « pour de faux » est rassurante pour l’enfant et favorise l’investissement psychique de l’image. (…) L’image est intéressante car elle propose à la fois une certaine proximité et un décalage par rapport au réel, elle inscrit ainsi l’enfant dans un jeu entre réalité et fantasme2. »
Lucie Bousquet prône donc elle aussi une orientation du conte non-réaliste, qui signifie à l’enfant que l’histoire qu’il voit et entend n’est pas entièrement vraie. Cela lui laisse la possibilité d’y investir autant de croyance et de véracité qu’il le souhaite. Il est d’ailleurs intéressant de voir que les contes connus aujourd’hui comme des contes de fées ne présentent pas tant de 1Katy
Feinstein, Le livre et le tout-petit enfant, pp.107-117 in BEN SOUSSAN, Patrick, Petite enfance et cultures en mouvement, Toulouse, ERES, 2004, p.110
2Lucie Bousquet, « le conte et ses images » dans La lettre de l’enfance et de l’adolescence, 2010/1 n°79, pp.53-58, p.54
99
merveilleux que cela. Dans le recueil de Perrault, le conte de « Cendrillon » présente même une tentative de rendre le merveilleux plus réaliste et plausible : la marraine de la jeune fille transforme les souris en chevaux de robe… gris souris ! Mais les illustrateurs de talents, comme Walter Crane, Kay Nielsen ou encore Hans Gustaf Tenggren, ont souvent représentés avec beaucoup de poésie et d’imagination ces éléments merveilleux. Ces images ont ensuite accompagné la diffusion de ces récits. Le fait que le monde soit imaginaire rebondit bien évidemment sur le méchant. À monde pour de faux, méchant pour de faux ! Comme la fin heureuse, le monde imaginaire permet de garder à distance le méchant et ce qu’il amène de cruel et de profondément sombre. Et même si en cherchant un peu on peut très facilement trouver des ressemblances entre les méchants et des êtres humains, ils restent éloignés de la réalité. Pour Servane G. il s’agit de l’élément le plus important pour pouvoir créer une histoire effrayante : « On n’est pas dans les histoires du quotidien. Forcément si tu appelles un loup dans ton quotidien tu vas l’assagir. Tu ne peux pas faire rentrer un personnage de conte terrifiant dans l’univers d’un tout-petit sans te dire « en fait il est gentil ». Il faut le laisser là où il est dans l’imaginaire. Tout ça, ça se complète. Mais à trop vouloir tout ramener à soi… C’est ça le problème, la société actuelle fait qu’on veut toujours tout ramener à nous. On est une espèce de grosse société individualiste où tout ce qu’on lit on le ramène à notre propre expérience selon nos propres critères, nos propres besoins et on est une société méga-individualiste, on veut tout ramener à nous, y compris nos histoires qu’on ramène dans le quotidien de nos enfants pour que ça leur parle directe ment. Certains publient des livres où tu peux imprimer dessus le prénom de l’enfant, pour que ça leur parle d’eux. Soi-disant l’enfant ne pourrait aimer qu’un livre qui lui parle de lui, mais non au contraire. Il faut réapprendre à l’enfant à regarder ailleurs et à vibrer avec des histoires qui ne le concernent pas. C’est avec ces histoires là qu’il apprendra à se construire, avec la peur. »
100
**
CONCLUSION DU CHAPITRE DEUXIEME La peur est partie intégrante de la vie, pour de bonnes raisons. Celui qui ne la ressent pas est poussé à partir à l’aventure pour essayer de la découvrir, car tant qu’il ne connaît pas la peur, il ne peut pas savoir ce qu’est le courage, mais aussi la joie, la satisfaction et le contentement. Il recherche la peur à tout prix pour se relier à son humanité à travers tous ces sentiments partagés entre les hommes et qui font de lui un humain. Ce n’est pas sans raison que sa femme lui offre sa première frayeur, démontrant par là qu’elle préfère un mari parfois apeuré à un mari surhumain qui n’aurait peur rien de rien. Dès lors, les livres qui parlent de la vie ne peuvent ignorer ce sentiment. Nier la peur aux enfants revient à nier une grande partie de ce qui est humain chez tout le monde, y compris chez les plus jeunes. Les enfants aussi ont peur et ont le droit d’avoir envie d’avoir peur, même dans leurs lectures. Nous ne pouvons pas leur donner uniquement des livres déjà entièrement compris, expliqués et interprétés pour eux. Assez vite, quand ils ne sont plus tout-petits, on peut leur laisser une marge d’interprétation et de découverte. Ils ont droit aux émotions et aux belles histoires qui suscitent de la peur. Néanmoins, nous avons vu que de nombreux livres jouent avec les frayeurs des enfants, en particulier des albums considérés comme classiques ou incontournables, les abordent différemment : par le rire ou par l’aventure et l’action comme le fait le héros de Il y a un cauchemar dans mon placard. Une fois la peur installée, le rire et le courage sont deux armes très importantes à offrir aux enfants pour y faire face. Dans le conte des Grimm, Celui qui ignorait la peur, le jeune roi finit par connaître le frisson lorsque sa femme le réveille en lui renversant un seau de petits poissons froids. Les contes jouent quelque peu ce rôle, réveillant et faisant découvrir de nouvelles sensations, à l’aide de la peur et du rire, des ombres et de la lumière. Et la fin heureuse ne vient pas affaiblir la puissance de l’histoire. Les péripéties conservent leur force et leur impact malgré l’heureux dénouement. C’est pour cette raison que l’on peut relire sans fin les contes.
101
Voyons maintenant ce qui arrive à nos méchants une fois sortis du conte vers les albums jeunesses, désormais confrontés aux visions d’auteurs et illustrateurs différents et d’enfants qui ont bien changé depuis que Perrault et Grimm ont écrit leurs contes.
102
3EME CHAPITRE : ÉCRITURE ET REECRITURES DES MECHANTS
Le succès des contes ne connaît pas de fin. Il suffit de regarder la production éditoriale pour la jeunesse, composée d’albums pour diverses tranches d’âge et romans qui réécrivent de nouveau les contes. À cela il faut encore ajouter ceux écrits sur le mode du conte, dont le plus célèbre est sans doute Harry Potter. Par ailleurs, les contes ont investi de nouvelles formes, en plus de l’album et du roman, comme la bande-dessinée et
103
l’audiovisuel avec les longs-métrages d’animation ou de prises de vues réelles et les séries. Les contes sont sans cesse réécrits, témoignant par-là de la volonté de chaque génération de s’approprier ces récits d’enfance intemporels pour les raconter à leur façon, avec un style et une vision qui leur sont propre, des valeurs remises au goût du jour, avec le souhait de les voir à son tour transformés en grands récits fondateurs d’humanité qui berceront une nouvelle génération. Comme le dit Noël Daniel dans l’introduction de son édition des contes de Grimm chez Taschen : « Le conte de fées est un des rares genres littéraires qui rassemble adultes et enfants. (…) Les contes de fées et les mondes imaginaires qu’ils évoquent si bien restent à portée de mains, inspirant littérature pour adultes, mémoires, films, dessins animés, chansons, opéras, pièces de théâtre et jeux vidéo. C’est la puissance narrative de ce monde imaginaire primaire, irrationnel, qui a attiré les frères Grimm. 1 »
Grâce à leur statut d’histoires qu’on raconte aux enfants pour leur transmettre des messages et leur inculquer des valeurs, statut très romancé et pourtant très présent dans la culture populaire, s’ensuit un désir de raconter à son tour les contes, à la fois pour l’histoire et pour transmettre aux futures générations nos valeurs importantes. Outre les thèmes et les personnages, en réécriture ou en hypertexte, les nouveaux contes et œuvres qui s’en inspirent conservent certains éléments et codes du genre, mais dans un cadre, une longueur et une psychologie des personnages d’œuvres plus longues, selon les habitudes du roman ou de l’audiovisuel. Les contes de fées n’ont pas fini de faire parler d’eux. Pour Annie Rolland, ce n’est pas surprenant : « La littérature pour adolescents ne raconte pas autre chose que les contes de fées, car les thèmes fondamentaux ne sont les mêmes : ils définissent la condition humaine douloureusement
1Jacob
Grimm, Wilhelm Grimm et Noël Daniel, Les contes des frères Grimm, Op Cit. p.13
104
mortelle, le sentiment d’exister dans la violence et la peur, les tourmentes engendrées par les passions. 1 »
Les méchants connaissent eux aussi une vie hors des contes de fées, voire sont auréolés de succès ! Tout d’abord, ce sont des éléments majeurs dans les ouvrages qui font référence à des contes. Harry Potter fait partie d’une famille avec un garçon du même âge, injustement méchante envers lui, jusqu’à ce qu’il soit choisi. Et il y a bien évidemment des sorciers et des sorcières partout dans son école et son monde. Dans Le prince de la brume 2 de Carlos Ruiz Zafon, le docteur Richard Fleischman promet à Caïn son premier enfant, en échange de l’amour de Eva Gray. En fait, c’est plutôt le statut du héros ou de l’héroïne qui est modernisé, ainsi qu’une approche et une écriture très différente du conte. Mais les péripéties et les rencontres avec le méchant se retrouvent souvent, introduisant ainsi le merveilleux dans un récit qui se déroulait dans un monde plus actuel que celui des contes. On retrouve donc aujourd’hui dans les livres jeunesses de nouveaux contes, des adaptations, des parodies et des albums qui ne sont pas des contes mais en reprennent les personnages. Dans cet ensemble très hétéroclite de textes proposant des versions très différentes des méchants et des enfants ; on peut justement interroger cet ensemble sur ce que nous montrent les nouveaux contes et les réécritures des anciens sur les méchants, ce qui nous interpelle et ce que nous en montrons aux enfants.
1Annie 2Carlos
Rolland, Qui a peur de la littérature ado ? Op. Cit, p.30 Ruiz Zafon, El principe de la niebla, Barcelone, Edebé, 1993
105
Des méchants privés de pouvoir « Les contes enrichissent la vie de l’enfant et lui donnent une qualité d’enchantement unique parce qu’il ne sait pas très bien comment ces contes ont pu exercer sur lui leur charme » Bruno Bettelheim Il y a plusieurs pistes par lesquelles on peut ne plus avoir peur des méchants. Le premier axe d’évolution est le plus simple à voir et nous l’avons déjà mentionné à maintes reprises : lorsque les méchants sont privés de leur pouvoir de faire peur, ils deviennent ridicules et, par là, une source de rire. On peut sans doute le voir d’une part comme une conséquence de la spécialisation de la production des contes pour des enfants de plus en plus jeunes ; d’autre part comme un changement du regard sur l’enfant, que l’on ne veut pas exposer à des histoires trop sombres, dont les thèmes seraient hors de sa portée ou de son appréhension. Si ce procédé a un très bon côté, dédramatiser la figure archaïque et effrayante du méchant, il faut tout de même faire attention à son excès, qui est de nier la peur du méchant. Cela empêche d’apprivoiser cette peur et de vivre avec, ainsi que les diverses choses qui peuvent être projetées dans l’angoisse. Annuler la figure qui exprime la peur en la rendant impuissante et ridicule ne revient pas à supprimer la peur de la vie des enfants, comme le montre Joëlle Turin : « Présenter le loup sous un jour favorable est une autre manière de nier sa cruauté archaïque et de nettoyer la scène tragique en balayant toute trace de réalité désagréable. Philippe Corentin s’y emploie pour jouer avec les interdits et défier par l’imaginaire les géants tutélaires qui gouvernent les vies des enfants 1 »
1Joëlle Turin, « Les grands méchants loups le sont-ils toujours ? », dans Les cahiers du CRILJ numéro 5 Novembre 2013, Les méchants : des personnages comme il (en) faut, Orléans, CRILJ, 2013, pp.79-85, p.83
106
DES MECHANTS QUI NE FONT PLUS PEUR La première façon, et la plus évidente, pour que le méchant ne fasse plus peur, c’est qu’il n’en ait plus envie. Il en aurait tous les signes… sauf la méchanceté ! C’est le cas de la sorcière Pélagie, l’héroïne de Paul Korky et Valérie Thomas dans la série d’albums éponymes. Pélagie est une sorcière sympathique, décalée et extravagante, dont personne n’a peur, hormis son chat Rodolphe qui redoute son talent pour provoquer des catastrophes. Dans sa première aventure, Pélagie la sorcière, son problème est de vivre dans une maison noire, entièrement noire, « noire à l’extérieur et noire à l’intérieur 1 ». Seulement Rodolphe est noir aussi et dès qu’il ferme ses yeux verts, Pélagie trébuche sur lui ou lui écrase la queue, autant de gags dignes d’un dessin animé des Looney Tunes et qui prennent à rebrousse-poil la relation traditionnelle entre une sorcière et son familier. Pélagie utilise alors sa magie pour teindre son chat de plusieurs couleurs, ce qui le rend profondément malheureux. Par amour pour lui et pour ne plus risquer de l’écraser, elle repeint sa maison de plusieurs couleurs. Sa magie est un outil qui lui permet de gagner du temps et de faire des choses surnaturelles : ici teindre son chat en rouge, jaune, rose et violet, mais elle ne l’utilise pas pour faire du mal, au contraire. Elle change sa maison noire de sorcière traditionnelle en une jolie maison colorée, par amour pour son chat. Trop occupée à faire face à sa tendance à la catastrophe, Pélagie vit ses aventures sans chercher à faire du mal. La sorcière ressemble plus alors à une dame excentrique, mais certainement pas méchante. Ce premier cas de figure est probablement le plus éloigné du conte de fées, le seul lien avec le conte étant dans l’emploi d’un de ses personnages. Même sans une autre référence au conte, le seul statut de sorcière de Pélagie est suffisant pour y faire allusion pour tout enfant qui a déjà entendu un conte de sorcière.
1
Valérie Thomas et Paul Korky, Pélagie la sorcière [Winnie the Witch, 2006] traduit de l’anglais par Hélène Montardre, Toulouse, Milan jeunesse, 2006, p.4
107
Un second cas de figure pour se défaire du méchant, c’est de lui enlever ce qui fait sa force, c’est à dire sa capacité à faire peur. C’est un procédé très savoureux, d’autant plus que les auteurs l’accompagnent souvent d’une dose d’humour et le lecteur possède alors la satisfaction de voir la peur changer de camp. C’est ce qui arrive assez souvent au loup qui n’est pas ou plus le roi de la forêt, comme dans C’est moi le plus fort ! de Mario Ramos. Cet album est à lire une fois familiarisé avec les contes de loups les plus connus, car le loup de Mario Ramos croise d’abord le petit chaperon rouge, les trois petits cochons et les sept nains du dessin animé Disney. Tous les personnages de l’album sont eux-mêmes déjà familiers des contes de fées, comme l’attestent leurs réponses prudentes et informées aux demandes de louanges du loup. Seulement, si eux ont appris leur leçon, ce n’est pas le cas du loup, qui se sent tout puissant. Il finit par rencontrer un crapaud, animal que les amateurs de conte connaissent pour être tout autre chose que ce qu’il semble être, comme un prince. Mais le loup, lui, l’ignore. Le crapaud lui apprend alors que le plus fort, c’est sa maman et que, si on l’embête, elle arrête d’être gentille. La véracité de ces propos est alors démontrée par l’illustration, représentant la dragonne si grande que seule une partie de ses jambes rentrent dans le champ de l’image, laissant au lecteur le soin d’imaginer le reste. C’est à ce moment que le méchant commence à avoir peur et le lecteur peut jubiler de le voir se désigner lui-même comme « le gentil petit loup 1 ». Finalement la peur est aussi une question de contexte. Face à un animal merveilleux comme le dragon, qui renvoie autant à l’univers des contes qu’à celui des chevaliers, la confrontation relativise la toute-puissance du loup en le mettant dans un contexte où il ne peut plus être le fort : loup face à dragonne, enfant face à parent. Mais on peut trouver encore pire danger qu’un parent, comme le découvrent amèrement les loups de Geoffrey de
1
Mario Ramos, C’est moi le plus fort, Paris, L’école des loisirs, 2001, p.25
108
Pennart et Philippe Corentin : une petite fille. C’est ce qui se passe dans leurs deux réécritures du « Petit chaperon rouge ». Ce qui rend ces réécritures savoureuses c’est qu’elles n’essaient pas de faire table rase du conte premier et de la puissance que le méchant y avait, mais y constituent une réponse sous la forme d’une nouvelle histoire, qui reprend les mêmes personnages. C’est ce que Catherine Tauveron appelle la réécriture-réappropriation : « Sous ce terme Tauveron désigne la forme « noble » du détournement, celle qu’un auteur offre par une recréation personnelle d’un conte connu, la « réappropriation personnelle d’une œuvre inspiratrice ». Lorsque Philippe Corentin et Geoffroy de Pennart donnent leurs propres versions du Petit Chaperon rouge leur objectif est de divertir leurs jeunes lecteurs en dépoussiérant le conte traditionnel. 1 »
Voici plus précisément le changement de personnage du Petit chaperon rouge qu’elle relève dans les réécritures de Geoffrey de Pennart et Philippe Corentin : « [Elle] devient une enfant qui n’éprouve aucune peur dans les albums de Corentin et Pennart. Cette incapacité à voir le mal qui caractérise le personnage du conte originel se transforme en une incapacité à voir le mal qu’elle est susceptible de faire aux autres. Le caractère primesautier de Chaperon est conservé et définit le personnage avec parfois une telle exagération qu'elle confine à la caricature 2 »
Dans Chapeau rond rouge 3 la petite fille connaît déjà la morale de l’histoire selon les frères Grimm, suivre le chemin, mais décide sciemment de s’en passer, là où la petite fille de Perrault faisait preuve d’une trop grande naïveté. Dès les premières lignes on sent la rupture avec ces deux grandes sources. L’héroïne de Pennart comprend pourtant un important trait commun avec ses deux prédécesseuses, elle ne sait pas reconnaître un loup et sa 1Anne Vignard,
« Écritures et réécritures de textes patrimoniaux tels que les contes dans les albums de littérature de jeunesse : transmission ou trahison ? », Paris, Biennale internationale de l’éducation, de la formation et des pratiques professionnelles, Juillet 2012, p.8 2 Ibid., p.9 3 Geoffroy Pennart, Chapeau rond rouge, Paris, L’école des Loisirs, 2004
109
mère-grand ne fait pas mieux qu’elle. Le loup se retrouve alors victime du conte : brutalement réveillé par la petite fille qui refuse de voir en lui le grand méchant loup au lieu d’un gentil chien, puis renversé par la grand-mère, il se retrouve alité tel un malade et non plus comme un prédateur qui tend un piège. Là encore la petite fille au chapeau rond rouge connaît son histoire, car elle le prend d’abord pour sa grand-mère, puis l’attaque afin de l’assommer et d’ouvrir son ventre. Le loup doit son salut à l’arrivée rapide de la grand-mère et du docteur, qui éloignent la fillette et lui prescrivent du repos après cette aventure dont sa réputation d’animal féroce ne se remettra jamais. L’histoire réussit simultanément à reprendre les grandes lignes du conte, à en subvertir les personnages et les péripéties, changeant ainsi complètement ce que l’on attendait d’eux. Ni la petite-fille ni sa grand-mère ne se soucient de ce que l’on attend d’elles : la première attaque le loup et lui donne la galette qu’elle devait apporter, la seconde ne reste pas au lit mais se promène en voiture. Seul le loup semble savoir ce qu’on attend de lui, mais dans une histoire dont les autres protagonistes refusent de jouer leur rôle, il est dépassé et finit effectivement plus comme un gentil chien de compagnie que comme un loup féroce. Mademoiselle Sauve-qui-peut de l’album éponyme1 est encore plus terrible. C’est elle que tout le monde craint, en particulier le loup qui se sauve. Ce qui est intéressant dans cette réécriture, c’est que la rencontre complètement inversée de la fillette et du prédateur. Ils ne se rencontrent pas sur le trajet, le loup est déjà au lit quand elle arrive et il se cache d’elle. Ensuite c’est la petite fille dialogue seule. Elle exprime ce qui lui semble étrange chez sa grand-mère. Elle prend symboliquement le pouvoir dans cette scène où le loup refuse de lui parler et même d’ouvrir les yeux pour la voir. La gravure de Gustave Doré montrait un loup aussi grand que la petite fille, tous deux immobiles au lit avant qu’il ne l’attaque. Les illustrations de Corentin montrent la petite fille active, presque debout sur le loup, n’hésitant pas à tirer la langue ou les babines du loup, s’appuyer sur sa figure, pendant qu’il supporte tout cela stoïquement. À la 1
Philippe Corentin, Mademoiselle Sauve-qui-peut, Paris, L’école des loisirs, 1996
110
fin de son examen, elle le chasse et s’exclame ne pas être aussi bête que le petit chaperon rouge, qui était incapable de reconnaître un loup dangereux. Mais Mlle Sauve-qui-peut ellemême ne reconnaît pas un loup inoffensif et convalescent... Elles ne partagent aucun attribut explicitement reconnaissable : MlleSauve-qui-peut est tête nue et vêtue d’une robe verte. Seuls ses cheveux roux pourraient rappeler la première petite fille, mais cela reste une ressemblance légère. Ces histoires allient le plaisir de retrouver le conte, de jouer avec et de raconter autrement l’histoire en se libérant du méchant, en redistribuant les rôles et en donnant la puissance à la petite fille. Il faut néanmoins noter que si cette subversion des rôles peut être une vraie réussite, cette forme de détournement possède également un écueil, qui est de rater le méchant et donc l’enjeu même de cette réécriture. Il y a une ligne ténue entre le bonheur de rire d’une figure effrayante et un méchant sans consistance ou cohérence. Les méchants faibles, qui ne font pas peur et deviennent magiquement l’ami des enfants, ou ceux qui se repentent à la fin parce que subitement pris de remords, ceux sans charme ou cohérence, ne font pas des histoires inoubliables. Si toutes les figures de méchants peuvent passer par ce type de réécriture, c’est particulièrement le cas du loup du « Petit chaperon rouge ». Cela pourrait s’expliquer par la puissance de la figure du loup et la version de Perrault se terminant mal, on a encore envie de raconter l’histoire, et souvent en la modifiant. C’est un effroyable méchant dans l’univers des contes : il dévore les petites filles, les cochons, les biquets et parfois sans être puni de ses crimes et c’est bien là tout le bonheur de renverser son rôle et le priver de puissance, comme le dit Renaud Hétier : « Mettre en scène un loup, c’est partir d’un personnage dont la nuisance n’est plus à démontrer (elle est culturellement acquise) en dégageant alors tout l’espace narratif pour contrarier cette première représentation 1 »
1Renaud
Hétier, « Les trois parents de l'enfant : père, mère, marâtre de la tradition, mère, père et beau-père de la modernité » dans Catherine d’Humières (dir.) D'un conte à l'autre, d'une génération à l'autre, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2008, pp 13-24 p.21
111
Le loup n’est jamais une figure entièrement innocente, il a trop d’histoires sanglantes dans son sillage pour l’être. Cet animal livresque et phobogène est trop riche et puissant pour l’introduire dans une histoire sans l’idée sous-jacente de méchanceté ou de ruse déguisée en gentillesse pour tromper ses proies, comme ce fut le cas avec le Petit chaperon rouge. C’est ce qui fait le charme de l’album Une soupe au caillou d’Anaïs Vaugelade. L’intrigue d’un groupe de personnages rassemblés pour préparer une soupe en apportant chacun un nouvel ingrédient à partir de l’impulsion d’un protagoniste qui se contente de mettre un caillou dans une marmite d’eau bouillante est n’est pas nouvelle. Jon J. Muth la raconte avec des trois moines qui arrivent dans un village dont les habitants sont méfiants. En préparant leur soupe sur la place du village, ils finissent par les attirer peu à peu et les faire abandonner leur égoïsme, dans un conte qui insiste particulièrement sur l’aspect moral de l’histoire. L’album d’Anaïs Vaugelade est différent car c’est un loup qui arrive dans un village et demande à une poule s’il peut faire la soupe chez lui. Le loup amenant avec lui sa réputation, un premier voisin, suivi d’un second et de bien d’autres, vont vérifier que la poule va bien et ramène alors des ingrédients, puis passent un bon moment ensemble. On retrouve donc le même bonheur de partager que dans l’autre version, ainsi que la solidarité entre les animaux de la basse-cour face au prédateur et la possibilité de faire confiance à ce même prédateur puisqu’il ne menace personne. Ce serait donc une histoire de loup qui finit bien. Mais la dernière page vient ouvrir et chatouiller cette heureuse conclusion. On y voit le loup qui demande à entrer chez un dindon pour faire sa soupe au caillou. Impossible de savoir s’il se contentera ce soir encore d’une soupe aux cailloux ou s’il va manger le dindon, comme il avait l’intention de le faire avec la poule. Dans ce cas le dindon deviendrait alors le dindon de la farce…
LES MECHANTS RIDICULES ET RISIBLES Une façon très efficace, et peut-être bien la meilleure de toutes, pour se débarrasser de la peur est de ridiculiser le méchant.
112
Le rire a le pouvoir de modifier le regard sur l’autre, et ainsi d’effacer la frayeur ressentie initialement. Un procédé récurrent pour y parvenir est de les faire changer de statut, parfois même sans qu’ils s’en rendent compte. Ainsi la sorcière devient une vieille femme moche et seule, le loup est stupide ou végétarien, le géant est bête et/ou solitaire. Cela se voit surtout dans des albums qui reprennent les méchants des contes dans une nouvelle histoire sans en écrire un nouveau. C’est le cas de Loup gris de Gilles Bizouerne, illustré par Ronan Badel. Loup gris, le héros de cette série d’albums, se croit grand, puissant et effrayant, mais il échoue à chacun de ses projets. Chaque album fonctionne sur le même principe : il imagine une ruse pour dévorer quelqu’un et échoue. Là où Pélagie la sorcière vit ses aventures avec des attributs comme la baguette magique, le balai et le chat noir, sans but de faire du mal aux autres, Loup gris essaie d’être méchant, veut dévorer les animaux et se pense sincèrement un grand prédateur. C’est un échec total : il est le seul à se croire terrifiant et c’est précisément cela qui est drôle et le destitue de son statut effrayant. Il devient alors un méchant loup raté, incapable d’assumer son rôle de prédateur et de trouver de quoi se nourrir. Pélagie est une sorcière avec chat noir, magie et fantaisie sans être méchante, là où Loup gris essaie et échoue à un être méchant, devenant par là un méchant raté et donc un loup raté, incapable d’asseoir son statut de prédateur ou de se trouver à manger. Où tu vas comme ça ? 1 repose sur un retournement de situation comique en dernière page, que ne laissait présager ni l’apparente naïveté de la petite fille ni l’apparence sage du papa. Une petite fille rentre chez elle en passant par la forêt, y rencontre un loup qui lui propose de l’accompagner pour la guider. Mais alors qu’il la regarde en se léchant les babines, voilà qu’ils croisent une sorcière, décidée elle aussi à les accompagner pour ne pas que la fillette se perde, puis un ogre sous prétexte de la protéger et un monstre pour éloigner les cauchemars. Alors qu’on se demande comment la fillette va se débarrasser de ces quatre sinistres personnages qui se battent pour la dévorer, elle arrive enfin chez son père, ce qui ravit ses compagnons, heureux de 1 Gilles Bizouerne et Bérangère Delaporte, Où tu vas comme ça ? Paris, Didier Jeunesse, 2018
113
l’ajouter au menu. Apparaît alors la lumière de la lune et il se transforme en un loup-garou bien plus imposant que les autres monstres, pendant que sa fille lui souhaite bon appétit. Tous ces méchants le sont réellement, comme le montre d’ailleurs leur bagarre silencieuse, dans laquelle ils s’arrachent des touffes de poils et se font pléthore de croche-pieds. Sauf que la dernière page relativise leur force, les prive de leur puissance et de leur capacité à faire peur, là encore grâce à l’apparition d’un parent dans la fiction, bien plus puissant que tous les dangers qui menaceraient son enfant et une petite fille très complice avec son papa et qui n’est naïve qu’en apparence. C’est leur toutepuissance qui leur est enlevée.
DES MECHANTS APPRIVOISES
Il y a une troisième piste incontournable pour cesser d’avoir peur du méchant : devenir son ami. Cela ne veut pas dire qu’il ne fait pas peur, au contraire, mais qu’il est possible de se lier d’amitié avec lui et de cesser de le voir comme un méchant. C’est ce qui arrive au cochon Marcel dans Le déjeuner des loups de Geoffroy de Pennart, ainsi qu’à Tom et à Loulou dans Loulou
114
de Grégoire Solotareff. Ce qui triomphe alors ce n’est ni la force, ni la peur, mais la puissance de l’amitié. Derrière cela un thème important, apprendre à connaître l’autre sans préjugé face à son origine ou son apparence : Loulou est un ami, Marcel un cuisinier talentueux et un cochon courageux. Comme le dit Maria PagoniAndréani : « L’histoire nous montre plutôt un processus de construction de l’amitié et un ensemble de conditions qui déterminent son élaboration 1 »
En effet l’amitié n’est jamais gratuite ou immédiate dans ces albums. Il faut plusieurs pages pour apprendre à se connaître et à s’apprécier. Cela passe très souvent par l’échange et nécessite le courage du personnage normalement prévu pour le dîner. Dans Loulou, l’amitié est rendue possible par le manque d’expérience de Loulou et Tom vis-à-vis de l’autre espèce. C’est la condition sine qua none pour leur amitié, annoncée dans les premiers mots de l’album : « Il y avait un lapin qui n’avait jamais vu de loup… et un jeune loup qui n’avait jamais vu de lapin2 ». C’est un chiasme très simple et d’autant plus efficace qu’il nous présente la paire de l’histoire, un lapin et un loup, par leur nature et non leur nom. C’est donc une présentation générique, qui met en avant une relation entre un loup et un lapin, pour laquelle on s’attend à ce que le loup veuille manger le lapin et le lapin fuir le loup, mais ce ne sera pas la relation de Tom et de Loulou. Ils restent désignés par leur nature jusqu’à ce que Tom se présente, puis nomme Loulou, lui offrant ainsi une identité et une singularité. Il n’est plus un loup, il est Loulou, loup orphelin et ami de Tom. La répétition de son animalité dans son nom, en doublant et en perdant la lettre finale, devient un surnom tendre et individuel. Quant à Tom, son nom pourrait faire référence à Tom Pouce, héros de conte de petite taille et de grande ambition. Ils vont alors pouvoir apprendre à se connaître, sans préjugés, en
1Maria
Pagoni-Andréani, « La place de la norme dans les albums de jeunesse pour des enfants de 3 à 6 ans », Le Télémaque, 2003/1 n° 23, p. 99-116, p.105 2 Grégoire Solotareff, Loulou, Paris, L’école des Loisirs, 1999, p.3-5
115
tant que Loulou et Tom et non en tant que loup et lapin et vont pouvoir construire une amitié. La première chose que l’on apprend sur cette relation est son authenticité : « Tom et Loulou devinrent de vrais amis 1 ». Suit alors l’énumération de ce qu’ils font dans leur amitié, placée sous le signe de l’échange : Tom apprend à Loulou à se débrouiller pour être autonome et Loulou apprend à Tom à courir vite, ce qui le distingue de tous les autres lapins. C’est à ce moment qu’arrive la peur, l’élément qui va mettre l’histoire en mouvement et leur amitié à l’épreuve. C’est là que leur nature et par là le comportement que l’on attend d’eux reprend le dessus : les lapins ont peur des loups et Tom a peur de Loulou. Suite à cette révélation leur relation ne peut plus être sur un plan d’égalité et prend fin. Le rêve de Tom, dans lequel Loulou le dévore, est la confrontation du lapin avec ses peurs, que Joëlle Turin commente de la façon suivante : « Une manière d’affirmer par un style pictural saturant l’espace et considéré comme subversif que les peurs existent vraiment. Elles restent ou non tapies au fond de chacun de nous, elles parviennent avec le temps et l’expérience à se raisonner plus ou moins, elles changent d’objet ou de nature, mais elles demeurent, expression probable de notre angoisse existentielle 2. »
Ce qui sauvera leur amitié c’est l’aventure entreprise par Loulou, au cours de laquelle il ressent la peur véritable, celle qu’il n’oubliera pas et permettra à Tom de lui faire de nouveau confiance. « Tu ne comprendras jamais aucune personne tant que tu n’envisageras pas la situation de son point de vue, tant que tu ne te glisseras pas dans sa peau et que tu n’essaieras de te mettre à sa place 3 » explique inlassablement Atticus Finch à ses enfants Jem et Scout. C’est également ce que doit comprendre Loulou pour regagner la confiance de Tom, car son expérience de la 1
Ibid., p.13 Turin, Ces livres qui font grandir les enfants, Paris, Didier Jeunesse, 2008, p.67 3 Harper Lee, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur [To Kill A Mockingbird, 1960] traduit de l’anglais par Mme Stoïanov et Isabelle Hausser, Paris, Editions de Fallois, 2005, p.52 2Joëlle
116
véritable peur du loup prend valeur de gage de confiance, d’assurance qu’il ne recommencera plus jamais. Finalement c’est l’empathie développée par Loulou au cours de son expérience effrayante dans les montagnes qui sauvera leur amitié. Les choses sont différentes pour Lucas et Maurice dans Le déjeuner des loups 1. Il est évident, dès le début, que les loups mangent les cochons, ce dont tous les protagonistes sont conscients. C’est justement pour éviter cela que le cochon Maurice fait tout ce qu’il peut pour ne pas être uniquement un cochon. En passant du temps avec Lucas il lui dévoile sa personnalité au-delà de sa nature : fin cuisinier, mélomane, bon joueur aux cartes etc. Une fois encore il est question de ne plus être un animal dans un rôle traditionnel mais de devenir un personnage nommé. D’une certaine façon c’est déjà ce que faisait Pennart et Corentin dans leurs réécritures du petit chaperon rouge, en détournant le titre traditionnel du conte et en nommant autrement la petite fille. Dans nos deux albums la victime traditionnelle change bel et bien de statut, mais aussi le loup, qui devient Loulou ou Lucas, car leur relation se construit avec des efforts dans les deux sens. Ce phénomène des personnages qui sortent de leurs rôles attribués est ce que Renaud Hétier appelle une « une sortie assez franche de l’ordre naturel ou perçu comme naturel, clairement hiérarchisé et manichéen2 ». Autrement dit, dans ces nouvelles écritures des archétypes des contes, le plus important n’est pas tant de connaître sa place dans la société pensée comme un ordre naturel, que de savoir qui l’on est pour ensuite pouvoir découvrir les autres, hors des rôles ancestraux.
1
Geoffroy Pennart, Le déjeuner des loups, Paris, L’école des Loisirs, 1998 2Renaud Hétier, « Les trois parents de l'enfant : père, mère, marâtre de la tradition, mère, père et beau-père de la modernité », Op. Cit., p.17
117
Des méchants complexes « Mais quel mal y a-t-il à être mauvais ? Nous n’avons jamais lâché de bombe atomique sur personne. Nous n’avons jamais pollué l’environnement, fait des expériences sur des animaux, ni réduit les allocations familiales. Nos mauvaises actions sont plutôt agréables. Pourquoi, à ton avis, existe t-il tant de films et de livres à notre sujet ? Parce que les gens nous aiment bien. Nous sommes des vilains plutôt sympathiques » Anthony Horowitz, L’île du crâne Un second axe d’évolution des méchants est de s’opposer à la simplicité et la dualité manichéenne qui caractérisent le conte, en faisant apparaître la complexité et les nuances qui composent les méchants – et souvent derrière eux, en creux, les gentils aussi. La différence avec les deux types de méchants vus précédemment est qu’ils n’essaient généralement pas de supprimer la peur ou même la méchanceté, mais la racontent ou la présentent autrement, montrant parfois qu’elle était légitime, d’autres fois que c’est une question de point de vue.
LA PAROLE AUX MECHANTS La première possibilité pour cela est de donner la parole aux méchants et d’écouter l’histoire de leur point de vue. On retrouve cela dans certaines œuvres pour enfants comme l’album La vérité sur l’affaire des trois petits cochons ou encore Matriochka de Sandra Nelson et Sébastien Pelon. Dans ces deux albums les méchants sont méchants et les auteurs ne cherchent pas à cacher cela, ni à l’atténuer. Dans le premier c’est une réécriture qui joue sur l’ironie et la sincérité dans les paroles, alors que le second est un conte qui double l’histoire des héroïnes de celle de la sorcière, permettant la cohabitation des deux et de leurs enjeux avec finesse. La vérité sur l’affaire des trois petits cochons raconte la vérité du point de vue du loup, jouant sur l’idée que les histoires
118
nous proviennent d’un conteur qui possède une certaine vision d’une histoire, mais qu’il est bon d’écouter les autres points de vue : certaines vérités relèveraient d’un contexte. Le loup raconte alors aux lecteurs sa version, symétrique à celle des petits cochons dans la structure, mais très différente dans les explications. Ce qui en ressort alors c’est que le lecteur doit faire fonctionner sa capacité à douter, à remettre en question les propos des protagonistes et à confronter les deux versions pour établir ce que lui en pense, très aidé par l’ironie du livre. Au final le loup est bel et bien le méchant de l’histoire et on peut se méfier de ses belles paroles innocentes tout en riant. Quant à Matriochka, il s’agit d’un conte qui comprend deux histoires. Le début est très classique, avec une formule d’ouverture qui ancre l’intrigue dans un village au milieu des forêts russes tandis que l’illustration, avec sa cabane de bois et le père qui fume la pipe renforce la sensation d’une histoire qui se déroule ailleurs et il y a longtemps. On découvre ensuite les cinq sœurs, à la fois unies par leurs ressemblances physiques et leur amour fraternel, et différentes car chacune possède un talent unique. À la troisième double-page arrive la fameuse huitième fonction de Propp, la malfaisance, celle qui va mettre l’histoire en mouvement. Elle est introduite tout simplement par l’adverbe temporel « un jour », sans autre explication, comme les difficultés tombent parfois dans nos vies, un jour, sans avertissement auparavant. La sœur aînée Katerina doit aller travailler chez Baba-Yaga car la famille ne possède plus rien à manger. C’est une péripétie qui fait écho à de nombreux autres contes, à commencer par « Le petit poucet » et « Hansël et Gretël » : la famille aimante ne peut plus faire face aux difficultés du quotidien et pour y survivre s’ampute d’un de ses membres, l’exilant en milieu hostile, parfois la forêt, ici l’antre de la sorcière. Ce conte traite néanmoins cette difficulté avec beaucoup plus de douceur que ses illustres prédécesseurs : ici les parents abordent le problème avec les enfants. De plus les pages suivantes montrent le père pleurant silencieusement le départ de ses filles et la mère en pleine confection de poupées pour les protéger. Dans la difficulté, la base familiale reste donc solide et inébranlable. Et c’est comme ça que la première difficulté du
119
livre est surmontée par les cinq sœurs, qui refusent la séparation de la fratrie qui aurait conduit à la mise à l’écart et l’abandon affectif de la sœur aînée et partent toutes avec elle, se cachant sous sa robe comme des petites matriochkas. S’ensuit alors la seconde rencontre avec la malfaisance, cette fois incarnée par la terrible sorcière et ogresse Baba-Yaga. La confrontation est effrayante : elle occupe presque toute la place de la double-page, à la fois vêtue d’une robe sombre et possédant une chevelure d’un roux vif très coloré qui attire le regard, alors que la petite fille se tient dans l’ombre, au seuil de la porte, ni entièrement dehors ni entièrement dedans, reléguée au bord de la page si bien qu’on ne voit ni son visage ni complètement son corps. Quant au texte il nous précise qu’elle est encore plus terrifiante que ce que les héroïnes imaginaient, ce qui admet que les peurs sont parfois entièrement justifiées et nous la présente de la façon suivante : « Elle avait des dents pointues, le nez crochu et une voix aiguë 1 ». Cette phrase au rythme ternaire, dont chaque segment finit par une sonorité en [u] peu agréable à l’oreille, rappelle quelque peu l’énumération du petit chaperon rouge face au loup, reprend les éléments physiques caractéristiques des méchants avec les dents pointues et le nez crochu de l’ogresse. Quant à la voix désagréable, il me semble qu’elle est révélatrice de façon extérieure et audible de la laideur intérieure de la sorcière-ogresse, comme dans « Les Fées » de Perrault, mais de façon moins visible et plus symbolique. Arrivent alors les trois épreuves typiques du conte, auxquelles les cinq sœurs font face en étant aussi unies qu’une seule personne et c’est cette union de leurs talents combinés qui les sauvera. Les deux premières épreuves sont classiques : tout en faisant le ménage dans l’isba elle doit aussi préparer à manger le premier soir, puis le second coudre un beau manteau, ce qu’elles arrivent à faire grâce aux talents des deux aînées et des dix mains au lieu de deux. La troisième épreuve comporte une différence de taille : ce n’est pas une tâche impossible à accomplir, il s’agit de combattre directement la sorcière qui s’apprête à dévorer Katerina. C’est alors le tour des trois plus 1Sandra
Nelson et Sébastien Pelon, Matriochka, Paris, Flammarion, 2009
p.17
120
jeunes sœurs de faire preuve de leurs talents : la troisième chante, ce qui fait alors pleurer Baba-Yaga et donc ressentir une émotion intense ; la quatrième lit ses pensées, ce qui signifie la comprendre, reconnaître la malédiction qui l’a transformée en sorcière-ogresse ; la cinquième la bat aux échecs, mettant fin à la malédiction de la sorcière, aux épreuves des sœurs et à la pauvreté de la famille, car elles avaient parié la fortune de BabaYaga. Dès lors, comme dans « le Petit poucet » et « Hansël et Gretël » les enfants retournent dans leur famille, auréolées de succès et de fortune, sans méchanceté familiale, pour vivre leur fin heureuse en famille. Toutefois l’histoire ne prend pas fin ici et ce n’est pas ce que l’illustration choisit de montrer. Baba-Yaga est une ancienne tsarine maudite car elle n’arrivait pas à avoir d’enfant mais, une fois battue aux échecs, elle redevient une belle jeune femme. La mère des sœurs lui offre les poupées qu’elle avait fabriquées pour protéger ses enfants, en précisant qu’elles exauceront un souhait. Elle tombe amoureuse, se marie et donne naissance à une petite fille, Matriochka, qui une fois adulte fabriquera les poupées du même nom. La grande image finale montre la tsarine, aux cheveux toujours roux vif mais désormais vêtue de bleue et auréolée de lumière qui rappelle la Vierge Marie, sereine, contemplant son enfant dont le visage ressemble trait pour trait aux sœurs qui l’ont libérée. En plus de l’aspect étiologique de l’histoire de la création des poupées russes, il y a une fin double : une enfantine pour les petites héroïnes et une de femme pour la sorcière-ogresse. Dans cet album les deux histoires cohabitent. La défaite de la méchanceté ne signifie pas la fin entière de Baba-Yaga, mais plutôt la séparation de la sorcière-ogresse maudite qui permet de retrouver la femme qu’il y avait avant la malédiction, avec une métamorphose physique importante qui vient renforcer et symboliser le changement moral. C’est donc une dissociation entre la méchanceté, possiblement due à une réaction passagère à une souffrance subie sans guérison, et la personne qui peut devenir meilleure par la suite. Dès lors la victoire des héroïnes est multiple, non seulement elles s’en sont sorties, mais elles ont également sauvé la tsarine : les deux histoires se rencontrent dans
121
un contexte de malfaisance pour terminer avec la fortune d’un côté, la fin de la malédiction de l’autre. La force de l’album est donc de faire cohabiter ces deux histoires, montrant tout autant la peur légitime des sœurs face à la sorcière que la vulnérabilité de la sorcière face à la malédiction, sans que l’une ne vienne diminuer l’autre.
DES MECHANTS POPULAIRES
Cela procède d’une redéfinition de ce qu’est la méchanceté et de qui sont les méchants. C’est un appel à porter un autre regard sur eux, une demande à entendre leur point de vue et leurs valeurs qui ne sont pas forcément celles traditionnelles.
122
L’idée majeure derrière la popularité des figures de méchants, c’est que leur histoire n’a pas été écoutée, que le conte traditionnel ne montre qu’un pan de leur vie et qu’une facette d’eux, alors qu’ils méritent eux aussi leur temps de parole et d’écoute. C’est également une façon de remettre en question l’ordre et les valeurs établies. Prenons par exemple le film « Maléfique », un long métrage de prise de vues réelles sorti en 2015 et produit par les studios Disney. Ce film est particulièrement intéressant parce qu’il révèle beaucoup de choses dans la façon dont sont perçus aujourd’hui les contes de fées : une redistribution de la parole, la présence de préoccupations féministes, l’idée qu’il faut raconter de nouveau les contes de notre enfance. Par ailleurs le film fait des choix esthétiques plus réalistes et plus sombres que le premier dessin animé qui faisait la belle part aux tons pastel. Qui plus est, le fait que ce soit un film Disney avec une méchante bien plus nuancée, qui met en avant des problématiques sociales, montre à quel point le regard sur les différentes formes de méchanceté et l’adhésion ou l’identification qu’elles peuvent susciter chez certains évoluent. Ainsi le film est très clairement une réponse du studio à leur premier film d’animation, sorti en 1959, bien plus que sur le conte de Perrault. Il est raconté à la première personne par la princesse Aurora, faisant écho à l’idée que la version des contes que nous avons entendue enfant n’est pas l’entière vérité, il faut donc la reprendre, la raconter autrement, cette fois par l’héroïne. La scène du réveil de la princesse prend une toute autre portée : si l’on reste sur l’idée, propre aux films Disney, que le baiser d’amour véritable est la panacée, le chaste baiser du prince à la princesse laisse vite place à un baiser tendre de Maléfique au front la jeune fille princesse, éclipsant l’amour adolescent au profit de l’amour mère-fille. Notons que cette nouvelle version est tout aussi éloignée de la version de Perrault que l’était le premier long-métrage. Ce qui est plus intéressant, c’est que ce film brouille les frontières entre bons et gentils dans ce film, ce qui n’arrivait pas dans leurs premières adaptations des contes. Le roi, autrefois un gentil personnage et une sorte de victime collatérale de la malédiction de la fée, est désormais le méchant
123
de l’histoire. Il est devenu roi en blessant et mutilant la fée Maléfique de ses ailes, faute encore aggravée par le fait qu’il ait réussi cela en trahissant sa confiance en leur amitié. Ce récit du point de vue de la princesse commençant désormais avec l’histoire de l’enfance de la fée, encourage donc la compassion envers Maléfique, elle-même victime de méchanceté et donc la compréhension envers ses actes mauvais. Elle est de plus rachetée par l’amour qu’elle porte à la princesse, qu’elle protège à plusieurs reprises. Au final tout le film excuse les actions malveillantes de la fée, comme des réactions douloureuses à ce que lui a fait subir le roi. La conclusion du film est que la fée est à la fois héroïne et vilaine. Si cela n’est pas faux, il s’agit néanmoins d’une conclusion bien trop réaliste et nuancée pour figurer dans un conte. C’est un film à destination des adolescents et adultes, une réécriture peu fidèle d’un conte qui correspond à des envies de fiction très différentes de celles des enfants. La méchanceté est alors montrée comme n’étant pas foncièrement et intrinsèquement une mauvaise chose, s’il s’agit d’une défense face à un agresseur, d’autant plus que Maléfique tue le roi en un acte de légitime défense à la fin du film. À la sortie du film, Angelina Jolie qui jouait Maléfique, écrivait que : « Looked at in this light, “wicked women” are just women who are tired of injustice and abuse. Women who refuse to follow rules and codes they don’t believe are best for themselves or their families. Women who won’t give up on their voice and rights, even at the risk of death or imprisonment or rejection by their families and communities 1. »
1Page
consultée le 04/05/2020 à l’adresse suivante :
« Regardé de ce point de vue, les « mauvaises femmes » sont seulement des femmes fatiguées de l’injustice et des abus. Des femmes qui refusent de suivres les règles et les codes dont elles savent qu’ils ne fonctionneront pas pour elles ou leurs familles. Des femmes qui refusent de taire leurs voix ou d’abandonner leurs droits, même au péril de leur vie, d’être emprisonnées ou d’être rejetées par leur famille ou leur communauté. » c’est nous qui traduisons
124
C’est donc une définition nouvelle de la méchanceté, comme une réaction légitime du refus d’accepter de subir plus longtemps des injustices et derrière cela une affirmation de soi et de sa valeur face aux difficultés de la vie. Tout cela repose toujours sur l’idée que la méchanceté dépend énormément du point de vue selon lequel on considère ce qui est bon ou mauvais, point de vue qui n’est plus immuable. C’est dans cet état d’esprit qu’elle peut conclure sa tribune avec la formule suivante : « If that is wickedness, then the world needs more wicked women. » soit « Si c’est cela être mauvais, alors le monde a besoin de plus de mauvaises femmes ». La méchanceté serait alors question de perspective et aussi de valeurs. Chez les adolescents et les jeunes adultes, les méchants ont une popularité déroutante. Hachette a lancé en 2019 deux collections de remaniement des contes de fées en roman : Twisted Tales, qui raconte un nouveau conte à partir du dessin animé et Villains Disney, qui narre l’histoire du point de vue du méchant. Il y a donc une double interprétation du même conte avec un point de vue différent, un nouveau personnage principal et de nouvelles valeurs. Ce n’est pas anodin si ces nouvelles versions de contes visent un public de lecteurs adolescents ou de jeunes adultes car ils mettent en avant de nouveaux personnages aux problèmes et aux inspirations autres que ceux des héros de l’enfance. Si les fins de contes ne sont pas celles des œuvres pour adolescents, ce n’est pas pour autant que les albums pour la jeunesse sont vides de nuances. Au contraire, ils n’hésitent pas à changer ce que l’on sait des personnages, sans essayer de faire cohabiter le bon et le mauvais mais en les faisant fonctionner différemment. Lorsque le héros d’un album n’est plus un enfant, mais un loup ou une sorcière dont on attend de la méchanceté, cela interroge la figure à laquelle le lecteur s’identifie. Encore plus quand le méchant se revèle inoffensif. Dès lors il n’y a plus besoin d’une figure de protecteur fort pour faire face au méchant et le défaire. Et cela a des conséquences pour les petits lecteurs :
125
« C’est donc toute une structure sociale qui peut s’effondrer pour renvoyer l’individu à lui-même : l’enfant peut faire face tout seul au méchant… qui n’est pas si méchant que ça. L’autonomie ne relève plus d’une conquête au prix d’un conflit (où les obstacles sont tels qu’ils supposent l’alliance avec des forces secourables, mettant en jeu tout un travail de socialisation), mais d’un exercice immédiat. 1 »
C’est là toute la poésie de l’album Les trois brigands de Tomi Ungerer. Une petite fille, à la fois blonde et charmante comme un cliché de princesse, mais aussi assez déterminée et audacieuse pour prendre son destin en main afin de ne pas aller vivre chez sa « vieille tante grognon », est capable de faire une différence sur trois brigands qui ont toujours terrifié tout le monde jusqu’ici. Et après avoir été convaincus qu’ils pouvaient faire autre chose que ce qu’ils avaient toujours fait, ils décident d’agir selon leurs désirs : ils créent une ville pour enfants. Affranchis des carcans de ce que doivent faire des brigands finalement nos personnages se révèlent aptes à réaliser de grandes choses, même si elles sont surprenantes pour eux. Comme Kirikou, qui justement grâce à sa petite taille fait ce qu’aucun homme avant lui n’avait fait : permettre à Karaba de se libérer sa colère, nos héros et héroïnes ne sont plus là pour donner des leçons et des avertissements. S’ils inspirent des enfants, c’est en osant être ce qu’on n’attendait pas d’eux et en se découvrant au passage.
LE PROBLEME DE FAIRE DE NOUVEAUX MECHANTS SANS DEFAIRE LES ANCIENS
Le problème d’avoir une surreprésentation des textes qui se jouent du méchant et le rendent ridicule par rapport aux sources premières, c’est qu’il peut manquer un texte premier, justement celui qui montre pourquoi le méchant est effrayant. Sinon toute la force du fait de rire du méchant est vaine. Cécile Boulaire explique ce paradoxe du trop vouloir bien faire et dédramatiser avec brio : 1 Renaud Hétier, « Les trois parents de l'enfant : père, mère, marâtre de la tradition, mère, père et beau-père de la modernité » , Op. Cit., p.17
126
« On a mis en valeur les albums aux fins ouvertes, ceux qui faisaient de discrètes allusions à des éléments culturels extérieurs à l’album lui-même, ceux qui laissaient des « blancs » à remplir et des déductions à opérer. Ce faisant, on a parfois oublié que l’album s’adressait à des enfants, […] pour la plupart des enfants, l’album est la première rencontre avec la culture écrite. Si lire un album suppose de connaître déjà plein d’histoires (dont il faudra relever les allusions) ou suppose de savoir déjà effectuer de complexes opérations logiques de déduction ou d’imagination, alors il met en difficulté l’enfant […] qui le savoure pour la première fois. Le risque c’est de donner à l’enfant, très tôt, la certitude que le livre, ce n’est pas pour lui, parce qu’il ne dispose pas des codes qui lui permettraient d’en tirer du plaisir. Nous courons ce risque quand nous valorisons des livres qui flattent notre culture ou notre manière de lire, en oubliant à quels enfants nous voulons les lire 1. »
À trop vouloir investir la figure du méchant de messages positifs, on perd la force première de cette figure. Cette inquiétude d’adulte qui ne veut pas terroriser l’enfant et donc défait pour lui les potentiels sujets d’inquiétude avant qu’il en ait peur, est contre-productive. Pierre Le Guirinec explique cela de la façon suivante : « La compréhension enfantine se situe parfois à mille lieues de celle de l’adulte, à qui l’album actuel s’adresse de plus en plus (on parle de la double adresse). Le méchant moderne est donc de plus en plus problématique. Pour comprendre un personnage originellement négatif, les histoires en albums engagent le jeune lecteur ou auditeur-spectateur dans une posture de pré-jugement pour laquelle il n’est pas en mesure de prendre de la distance 2. »
On ne peut pas découvrir le loup et le petit chaperon rouge à travers les albums de Philippe Corentin. Avant de jouer avec le méchant, il faut le connaître. Et la peur n’est pas entièrement à 1Cécile
Boulaire, Lire et choisir ses albums. Petit manuel à l’usage des grandes personnes, Op. Cit, p.173-174 2Pierre Le Guirinec, L’enfant, l’album et le méchant : du stéréotype à l’activation des préjugés, pp86-98 in/apud Les cahiers du CRILJ numéro 5 Novembre 2013, Les méchants : des personnages comme il (en) faut, Orléans, CRILJ, 2013
127
éloigner des enfants à qui on lit des albums. Un équilibre est à trouver pour pouvoir profiter de la peur incarnée par ces figures terrifiantes de l’imaginaire et de l’humour pour les remettre en perspective et en question. Voici ce que me disait Servane : « C’est bien aussi de faire rire et de détourner certaines figures. J’aime bien détourner certaines sacro-saintes figures, je trouve ça bien. Mais ça n’empêche qu’il faut aussi savoir garder certaines figures telles qu’elles sont avec leur côté sombre. Il y a besoin de rire, mais aussi de se faire peur et il ne faut pas que l’un annule l’autre. »
D’ailleurs, dans la plupart des albums que nous avons mentionnés, même si le méchant est ridicule et ne parvient pas à ses fins, il garde le potentiel de peur qu’il a acquis dans le conte, c’est le dénouement de l’intrigue qui devient très différent, c’est ce que montre Joëlle Turin en particulier à propos du loup : « Les métamorphoses du loup peuvent néanmoins se révéler plus nuancées : celui-ci conserve sa dimension dangereuse dans la plupart des cas, la peur étant alors le ressort de l’action, mais les hasards de l’intrigue lui interdisant la réalisation de ses méfaits. L’enfant-lecteur goûte aux joies du frisson et du suspense liés au sort de la victime potentielle, pour laquelle il prend et fait cause. Le soulagement qu’il ressent à la fin de l’histoire lui est tout aussi agréable1 »
Ainsi, depuis plusieurs dizaines d’années, probablement les années 1950 que Noël Daniel date comme la fin de la grande époque d’édition des contes, la création d’albums inspirés des contes et qui en reprennent les personnages emblématiques est de plus en plus forte. Ces nouveaux albums et nouveaux contes sont riches en humour, en tabous brisés, en valeurs diverses, en héros et héroïnes courageux mais aussi insupportables. Cette variété d’histoires, de versions de contes et d’interprétations de personnages, à commencer par les méchants, traduit une diversité de pensées et de visions de l’enfance, de la littérature et derrière cela également de la société et des relations humaines rafraîchissantes. Il y a néanmoins un équilibre à trouver et il n’est pas nécessaire de faire disparaître les méchants des livres, ce qui 1Joëlle
Turin, Ces livres qui font grandir les enfants, Op Cit., p.65
128
aboutirait à la création d’un nouveau tabou, celui de la vraie méchanceté, mais de faire de la place dans les livres jeunesse pour le rire, la bonté, la gentillesse et la subversion, à côté de la peur, sans nier cette dernière.
129
De vrais méchants « On ne peut pas vous protéger du monde, mais on peut vous accompagner, pour que ne soyez pas seuls dans les moments difficiles. Pour vous montrer qu’on a le droit au bonheur et le droit de raconter la fin de l’histoire comme on veut » Marie-Aude Murail et Catherine Verlaguet En marge de toutes ces évolutions et variations observées sur le méchant, il y a une dernière piste à suivre, celle où le méchant reste un méchant. Le méchant qui ne cherche pas à s’expliquer, se justifier ou se faire pardonner. Celui dont on ne pourra jamais se faire un ami et dont il semble impossible de rire tant il est terrifiant. Le méchant qui est tout simplement méchant. Pire, parfois il le sait et en prend du plaisir. Pourquoi est-il méchant ? Dur d’y répondre, car ce n’est pas au lecteur ni au héros de le savoir. Nous devons seulement composer avec sa méchanceté. Peut-être que certains méchants sont méchants parce que c’est leur nature de l’être et qu’il n’y a pas de rédemption possible car ils n’en veulent pas. Parfois défaire le méchant c’est le sauver, c’est ce qui arrive à Karaba et Baba-Yaga, battues et sauvées par des enfants qui leur offrent alors la possibilité de partir vers de nouvelles étapes de la vie qui nécessitent de savoir ne pas être seul : trouver une moitié, fonder une famille. Mais parfois il n’y a pas d’autres choix que de fuir ou de tuer le méchant.
UNE MECHANCETE RACHETEE… MAIS A NE PAS SOUS-ESTIMER Tout d’abord, il ne faut pas sous-estimer la méchanceté du méchant qui se rachète par la suite. La peur que Tom ressent face à Loulou est réelle et authentique, comme nous le montre l’illustration du rêve du lapin. L’heureux dénouement, même lorsqu’il a lieu pour le héros comme pour le méchant, vient
130
nuancer la peur et la méchanceté, mais ne l’annule pas entièrement. C’est la même chose pour les cinq sœurs face à Baba-Yaga dans Matriochka : ce n’est pas parce que la sorcièreogresse a de bonnes raisons d’être méchante, ou ne le sera plus par la suite, que les héroïnes n’ont pas raison d’être effrayées ou pire devraient se laisser manger. Avant d’aider les autres, le héros ou l’héroïne doit d’abord se donner les moyens de survivre et de prendre soin de lui ou d’elle. La sensibilité des productions contemporaines conduit à un traitement très différent des méchants, aux antipodes des châtiments racontés par les frères Grimm. La réparation apportée au héros se situe moins dans la punition de l’antagoniste malfaisant que dans les récompenses du héros, comme le don de la fortune qui vient mettre fin aux préoccupations matérielles dans Matriochka. Parfois il s’agit même du simple fait de rester en vie et de tirer de l’expérience un apprentissage, comme dans la version du Petit chaperon rouge de Louise Rowe. Nous avons vu que la figure du loup est celle qui connaît le plus souvent le ridicule. On relativise sa faiblesse en le plaçant face à des créatures plus fortes, on le qualifie de chien dans Chapeau rond rouge, il est même celui qui a peur du Petit chaperon rouge dans Mademoiselle Sauve qui peut. Il existe pourtant encore des loups méchants dans les albums jeunesse, même quand ils reçoivent des traitements différents. En effet, si tant de livres viennent nuancer la peur du méchant, il faut bien quelques albums qui créent et entretiennent cette peur et ce ne sont pas que les versions fixées par les premiers folkloristes.
D’AUTHENTIQUES MECHANTS DES CONTES, MEME AVEC UN TRAITEMENT DIFFERENT
Dans la version de Louise Rowe du Petit chaperon rouge d’après les frères Grimm, l’autrice revisite la forme du conte en album pop-up et son fond, en en faisant une histoire qu’elle
131
qualifie de « wolf-friendly ending1 ». Le loup est présent dans les six double-pages, avec à chaque fois une modification de taille significative. Dans la première double-page qui illustre la rencontre entre la fillette et le prédateur, il est plus petit qu’elle, ce qui lui donne un aspect plutôt inoffensif et fait sens avec l’ignorance de la fillette quant aux loups. À la page suivante l’illustration nous montre le loup s’apprêtant à rentrer dans la maison de la mère-grand et il a grandi et est désormais de la taille d’un humain, ce qui aurait dû alerter la grand-mère. Ensuite, la petite fille et le loup déguisé accomplissent le célèbre dialogue du conte et bien qu’on ne distingue que sa tête, on voit aisément qu’il est déjà plus imposant qu’elle. À la quatrième double-page le loup se jette sur la petite fille pour la manger. Partant du creux du pli de la double-page, l’animation nous montre le loup gueule grande ouverte, les crocs blancs et la langue rouge bien visibles, dirigés droit vers le lecteur. En plus d’occuper toute la doublepage, il prend aussi l’espace entre le livre et le lecteur, la troisième dimension qu’un album sans animation ne peut pas investir, changeant l’histoire de la petite fille en rouge en une attaque personnelle contre celui qui tient le livre. Mais après cela, une fois la page tournée, il commence à diminuer. À la cinquième double-page, le bûcheron a découvert le loup endormi : debout, il est plus grand que le prédateur et le surplombe. Il va alors empoigner l’animal et le secouer jusqu’à ce qu’il recrache ses deux proies. À la dernière page, le bûcheron, la grand-mère et la petite fille regardent le loup s’enfuir dans la forêt, redevenu aussi petit et maigre qu’à la première page. Ce changement d’échelle du méchant est symbolique de la peur que les différents personnages ressentent face à lui, à l’exception de la quatrième double page qui vient aussi effrayer le lecteur, projetant la peur de l’histoire directement vers lui, dans sa figure. La fin a beau être heureuse pour tous les protagonistes, le loup a réellement fait peur. L’issue du conte est importante et influe énormément l’entièreté du conte. Mais elle ne le change pas complètement. Le petit chaperon rouge, dévorée par le loup, sauvée par le bûcheron 1Expression
reprise du site internet de l’autrice, consulté le 01/04/2021 et disponible à cette adresse : « une fin amicale pour les loups » – c’est nous qui traduisons
132
ou se libérant elle-même en traversant le fleuve des lavandières, est toujours l’histoire d’une petite fille en rouge face à un loup. Les péripéties de l’histoire conservent leur puissance malgré une fin heureuse ou malheureuse, c’est bien pour cela que les enfants demandent à ce qu’on leur relise les contes. Il existe encore des loups méchants, comme le terrible loup noir de John Chatteron, détective. Cette réécritureréappropriation du fameux conte par Yvan Pommaux n’essaie pas d’amoindrir la cruauté du loup. Grand, puissant, bruyant, il s’entoure d’images et de représentation d’autres loups, à la façon d’un temple d’images mauvaises et toxiques au but unique de le célébrer. Voici ce qu’il crie à sa victime : « Je suis LE LOUP ! Le plus FORT, le plus MALIN des loups ! 1 »
Cette formule riche en superlatifs insiste sur sa force et sa ruse, deux qualités déjà présentes dans le conte de Perrault. Auparavant il réaffirme son identité en mettant en avant sa nature animale avant toute chose. L’usage de l’article défini au lieu d’un indéfini souligne l’importance qu’il se donne, c’est comme s’il était le plus loup des loups, c’est-à-dire le plus fort, le plus malin, celui qui triomphe du petit chaperon rouge. Pour parvenir à ses fins de collectionneur, il n’hésiterait pas à tuer la petite fille en rouge et sa mère, faisant passer toute forme d’art glorifiant les loups avant la vie humaine et on peut se demander comment s’est déroulée l’acquisition des œuvres qu’il possèdait déjà avant le début de l’album. On le rencontre tout d’abord par sa voix, une page entière avant de le voir. Même déguisé sous un costume bleu bien coupé, il reste un loup terrifiant. Face à lui un chat noir, l’animal de la sorcière, à la fois domestique et farouche comme le chat de Kipling, qui lui est nommé et par là plus humanisé que le loup. C’est lui qui neutralise le loup noir et sauvage, grâce aux indices d’une petite fille rusée qui connaît bien ses classiques.
L’OGRE, UNE FIGURE RAREMENT REHABILITEE Mais il me semble que la figure qui connait le moins de réhabilitation et reste le plus souvent méchant est l’ogre. Dans Le 1
Yvan Pommaux John Chatteron détective, Op. Cit., p.31
133
géant de Zéralda de Tomi Ungerer, l’ogre est apprivoisé par Zéralda et devient un géant et non plus un ogre par glissement sémantique significatif. Toutefois l’image finale qui montre la famille comblée avec leur dernier-né au milieu de tous leurs enfants interroge cette fin heureuse. Un garçon, affublé d’un couteau et d’une fourchette, est prêt à dévorer le bébé, pourtant de sa famille. Si son père a perdu le goût de la chair fraîche et du sang, ce détail de la dernière image vient nuancer la fin entièrement positive, avec cette filiation d’ogre de père en fils dont l’un d’eux a hérité. Dans les récits pour adultes on retrouve également des ogres, même s’ils portent d’autres noms. Dans la série « Millenium 1 » les héros font face à Ronald Niedermann, un homme de taille immense, de force remarquable, incapable de ressentir la douleur. Ses seules faiblesses sont sa peur du noir et ses croyances en des lutins et des fantômes. Le champion de boxe Paolo Roberto lui fera difficilement face et c’est Lisbeth Salander, jeune femme dont l’accent est souvent mis sur sa petite taille et son poids faible, qui réussira à le combattre en usant de ruse. Parmi les ogres, il y en a un particulièrement réputé et redouté : Barbe-bleue. Le plus terrible des ogres, qui est en fait le diable dans la version antillaise. Et si le plus terrible des ogres est le diable, on peut en déduire que tous les ogres ont une part du diable en eux, plus ou moins grande, plus ou moins dure à défaire. Comme pour Baba-Yaga, décrite dans Matriochka comme sorcière et ogresse, Barbe-bleue gagne la réputation d’ogre et de diable. Il semblerait que les figures les plus emblématiques d’un archétype de méchant, une fois qu’ils ont gagné un nom et par là une unicité, dépassent l’archétype jusqu’à fusionner avec un deuxième type de méchant. Barbe-bleue est terrifiant, avec sa barbe de couleur soit surnaturelle soit si noire qu’elle en est bleue (là encore on notera que la couleur extrême devient différente, comme le pire des méchants devient un autre type de méchant) ; sans parler des 1 Stieg Larsson, La fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette [Flickan som lekte med elden, 2005] traduit du suédois par Lena Grumbach et Marc de Gouvernain, Arles, Actes Sud, 2006
134
rumeurs selon lesquelles Perrault se serait inspiré d’une figure historique réelle1 et la possibilité de le lier avec de trop nombreux tueurs en série. Mais en même temps il est fascinant car, en mourant sans confession, il emporte avec lui son mystère : pourquoi a-t-il tué la première de ses femmes ? L’hypothèse de la curiosité, dont Perrault fait l’enjeu de la moralité, permet de remonter les meurtres jusqu’à celui de la seconde femme. Mais qu’avait découvert la première femme de si affreux, que cela méritait de la tuer et de conserver son corps ? Avait-il seulement une raison de l’assassiner sauvagement avant de conserver son corps sans vie dans sa demeure ? L’évolution de la place de la femme dans la société encourage bien peu à réhabiliter un tel personnage. Et pourtant le mystère demeure et les tentatives de le résoudre ne s’éteindront pas de sitôt. Pour certains c’est un déviant ou un impuissant sexuel dont les femmes se sont moquées, d’où sa vengeance. Dans la réécriture qu’Amélie Nothomb fait du conte en un roman éponyme, les sept femmes sont d’abord les colocataires du riche personnage, avant de toutes succomber à son charme. C’est un noble espagnol, riche, très soigné, fou d’art et de couleurs. Mais ce n’est pas Barbe-bleue en personne qui tue, c’est sa chambre interdite. Il a créé une pièce noire, une pièce d’absence totale : vide de meubles, vide de lumière, vide de couleur et surtout vide de chaleur. Les femmes entrent dedans par curiosité du secret du maître du logis et n’en ressortent jamais. À la fin l’héroïne venge ses comparses et pousse le noble dans la pièce où il gèlera à son tour, le prenant alors à son propre piège.
1Perrault
ne fait aucune référence à un personnage réel, mais cela n’empêcha pas les rumeurs de circuler. Barbe-bleue fut comparé au roi d’Angleterre Henri VIII, qui eu six épouses et en fit décapiter deux, ainsi qu’au baron Gilles de Rai, pédocriminel et tueur d’enfants.
135
136
Barbe-bleue est un conte d’autant plus surprenant que son titre met l’accent sur le méchant et non sur le héros : « Le petit chaperon rouge », « Peau d’âne », « La belle au bois dormant » sont les titres des autres contes de Perrault ; « Celui qui ignorait la peur », « Blanche-Neige » sont les titres des frères Grimm ; « La petite sirène », « Le stoïque soldat de plomb » sont ceux d’Andersen. Barbe-bleue fait figure d’exception. C’est lui qui est nommé et décrit physiquement ; tout ce que l’on sait de sa femme c’est qu’elle est jeune, curieuse des plaisirs de la richesse et qu’elle est la septième femme. Or, dans l’écrasante majorité des contes, en particulier ceux que nous avons cités et étudiés auparavant, le schéma est celui d’un héros ou d’une héroïne qui rencontre un jour la malfaisance. Mais le conte de Barbe-bleue commence justement par la quête de l’ogre pour trouver une nouvelle épouse : « Il estoit une fois un homme qui avoit de belles maisons à la ville et à la campagne, de la vaisselle d’or et d’argent, des meubles en broderies et des carosses tout dorez. Mais, par malheur, cet homme avoit la barbe bleuë : cela le rendoit si laid et si terrible qu’il n’estoit ni femme ni fille qui ne s’enfuit devant lui1 »
Il est l’individu malfaisant qui va chercher la personne qui deviendra l’héroïne. Dans certaines versions, à commencer par celle de Perrault, il mène une cour si riche à une jeune fille qu’elle change de regard sur lui et accepte de l’épouser. En général, ces versions se terminent par un second mariage pour l’héroïne. Rendue riche par son veuvage, elle jouit de son pouvoir financier, en achetant des charges pour ses frères, mariant sa sœur Anne et se choisissant son second époux. Ce n’est pas surprenant que tant d’analyses et de versions se concentrent sur lui et ses mystères : Barbe-bleue est le conte du méchant par excellence, celui qu’on ne peut pas sauver, celui qu’il faut défaire, celui qu’on ne peut pas comprendre mais dont il est si difficile d’accepter de ne pas percer le mystère.
1Charles
Perrault, Contes de ma mère l’Oye, « Barbe-bleue »
137
Mais dans d’autres versions, plus anciennes, moins retouchées par Perrault pour séduire les salons littéraires, les choses sont bien différentes. Chez les frères Grimm, qui supprimaient un conte de leur recueil s’il était trop proche de celui de Perrault, cette version plus ancienne est devenue « le conte de l’oiseau ourdi » et met en scène un sorcier. Comme dans la version piémontaise que nous rapporte Italo Calvino, l’ogre ou le sorcier ne fait pas la cour aux jeunes filles. Il se déguise en mendiant, va jusqu’à une maison où il y a trois jeunes filles et demande quelque chose à manger. Lorsque la plus grande s’approche pour lui donner un morceau de pain, il la capture avec sa magie et la ramène chez lui. Lorsqu’il doit s’absenter, il lui confie les clefs de sa maison en lui interdisant de visiter une chambre ainsi qu’un œuf. Elle doit toujours le garder avec elle et s’il lui arrive quelque chose, elle connaîtra un grand malheur. Bien sûr, sa curiosité est attisée, elle entre dans la chambre interdite et y découvre une hache étincelante à côté d’un baquet plein de membres humains. De surprise, elle fait tomber l’oeuf, qui ne se casse pas mais reste irrémédiablement taché. Lorsque le maître du logis rentre et lui demande l’oeuf et les clefs, il comprend la vérité, l’entraîne dans la chambre, la décapite avec la hache et jette son corps dans le baquet. Il reprend alors son déguisement, et les choses se déroulent exactement pareil avec la seconde sœur. C’est avec la troisième sœur que les choses changent. Lorsqu’il lui remet l’oeuf et les clefs, elle ne lui obéit qu’à moitié, et pose l’oeuf en lieu sûr avant d’explorer la maison et la pièce interdite. Elle a le même mouvement de surprise que ses sœurs mais l’oeuf, bien à l’abri, reste intact. Elle reconnaît alors ses sœurs dans le bain de sang et y plonge courageusement les mains pour rassembler tous leurs membres et leur redonner vie. Elle les cache dans la maison et attend le retour de l’ogre. Celui-ci est heureux de voir l’oeuf intact, lui apprend qu’elle a réussi l’épreuve et qu’ils peuvent donc se marier. Mais avec la connaissance de ce qui se cache dans la chambre interdite, les dynamiques de pouvoir ont déjà commencé à évoluer et elle pose une condition au mariage : elle veut qu’il amène à ses parents une besace d’or qu’il devra porter lui-même sur son dos. Au fond de
138
la besace, elle cache ses sœurs. Pendant que l’ogre peine à accomplir sa tâche, elle prépare la noce et invite tous les amis de son fiancé. Elle prend une tête de mort, lui met un voile et une couronne de fleurs et la place devant une fenêtre en haut de la maison. Quant à elle, elle se couvre de miel, évente un édredon et se roule dans les plumes puis, devenue cet étrange oiseau, se sauve par la fenêtre. Son fiancé revient, croit voir sa fiancée à la fenêtre et rentre joyeusement. Elle ferme alors les portes de la maison sur lui et sa bande, y met le feu et se sauve. Joan Goud montre que l’oeuf, symbole de fertilité, est utilisé par le sorcier pour rendre la jeune fille responsable. Avant, elle ne devait prendre soin que d’elle. Désormais l’oeuf est aussi précieux qu’elle, puisque sa survie dépend de lui. Pour cela, elle le tient et le protège avec une main, qui ne sert plus qu’à cela : sa main doit prendre la forme d’un nid. Et c’est ce qui la perd quand en découvrant la chambre interdite elle a un mouvement de surprise et laisse échapper l’oeuf. Dans les contes il faut souvent deux tentatives ratées avant de réussir. Les deux premiers petits cochons voient leurs maisons détruites. Cendrillon et la Belle ont deux méchantes sœurs. La Reine offre d’abord un peigne et un corsage à sa fille avant la pomme. L’héroïne n’est jamais prête immédiatement. La troisième sœur réussit à poser l’oeuf et les responsabilités qui vont avec. Cela a beau sembler simple, cela va contre une habitude que les femmes apprennent dès leur plus tendre enfance : prendre soin des autres. Et une femme enceinte, elle, ne peut pas poser son œuf. Joan Gould rapproche ce conte des autres grands récits de curiosité féminine, dont les héroïnes sont Eve, Pandore et Psyché. Lorsque cette dernière relève les épreuves de sa belle-mère Vénus pour retrouver son amoureux Cupidon, elle est déjà enceinte de lui. Elle doit traverser les Enfers et est prévenu avant d’y entrer qu’elle ne doit s’arrêter pour aider personne. Si elle commence à ralentir et aider, elle n’achèvera jamais sa quête. Heureusement que Psyché était encore enceinte et qu’elle avait ses deux bras et ses deux mains libres, car sinon elle n’aurait pas pu lancer les gâteaux pour calmer le chien des Enfers Cerbère et tenir tête à la Reine des morts Perséphone.
139
Pour l’héroïne de l’oiseau ourdi, qui a su déjouer les ruses du sorcier, rendre la vie à ses sœurs et se sauver, il n’est pas question d’un second mariage. Elle en a fini avec la vie domestique et ses contraintes. Devient-elle une femme-oiseau, libre dans la nature ? Une artiste ? Les contes ne disent pas ce qu’elle fait par la suite, laissant libre cours à notre imagination et ajoutant un mystère de plus à cette histoire.
Ainsi, malgré les changements de sensibilité et de regards portés sur l’enfant, le désir de lui éviter la peur et les traumatismes, le besoin de le protéger dans un monde où les mauvaises nouvelles circulent de plus en plus et où la méchanceté peut paraître omniprésente, les véritables méchants, ceux qui nous terrifient et dont on ne peut que les fuir ou les combattre et certainement pas s’en faire des amis, sont toujours bel et bien présents dans les albums jeunesse. Nous nous éloignons d’eux, en apprenant à rire d’eux, à les considérer inoffensifs et même à voir une autre personne susceptible de devenir un ami et pourtant nous gardons certains méchants intacts, car ces indésirables font partie de la vie et par là sont bel et bien indispensables dans nos histoires. Nous revenons alors à l’une de nos premières questions. Pourquoi lire de telles histoires de méchants, alors même que leur simple existence peut sembler intolérable ? Que la gratuité de leur méchanceté semble inexplicable ? Que nous voudrions protéger tous ceux que nous aimons, en particulier quand ils sont jeunes et si peu aptes à se défendre d’eux ? Parce que nous savons que l’enfant se doute de leur existence et qu’il mérite de savoir qu’il risque effectivement d’en rencontrer sur sa route. Qu’il est compliqué de lui lire des contes en écartant les histoires de méchants, ils font partie de la vie. Pour s’y confronter une première fois dans la sécurité des livres aux côtés d’un lecteur qui nous veut du bien. Autant apprendre à les reconnaître et les éviter ou les combattre dès nos lectures. Sans oublier le plaisir du frisson et le bonheur de pouvoir refermer le livre et la fin heureuse.
140
Le paradoxe du petit bonhomme de pain d’épices : et si le méchant c’était moi ? « Moi non plus je n’ai pas peur de moi, répond Hipollène » Claude Ponti, L’arbre sans fin
Le héros et le méchant se reconnaissent dans un conte, tout du moins pour le lecteur, car comme nous l’avons vu, les personnages ont une fâcheuse tendance à se laisser berner par les loups, ogres et autres sorcières. Et l’apport moral et le message positif du conte résultent d’une identification, d’une projection ou au moins d’une complicité du lecteur envers le héros ou l’héroïne. Jusqu’ici nous avons vu de nombreux méchants et de nombreuses variations des relations entre les méchants et les gentils. Il nous faut néanmoins remettre en question ce que nous avions considéré comme acquis jusque-là : et si ce n’était pas au héros que le lecteur voulait ressembler ? Comme le dit Joëlle Turin : « Bien malin qui peut prédire les effets de tel ou tel récit. La lecture appartient au domaine de l’imagination. Elle est un jeu
141
dont le sens échappe en partie au jeune lecteur. La part de mystère et d’imprévu inhérente à toute démarche de lecture participe largement au plaisir qu’elle procure1. »
Et si un lecteur voyait dans le « Petit chaperon rouge » non pas l’histoire d’une petite fille en rouge dans une forêt de loups, mais l’histoire d’un loup affamé qui rencontre une proie et fait ce que font les loups en la dévorant ? Les enfants connaissent eux aussi la faim, y compris la « faim de loup ». Si le lecteur voulait être le méchant et non le héros ? Penchons-nous de plus près sur le conte du « Petit bonhomme de pain d’épices ». Il peut d’abord sembler évident que l’enfant s’identifiera à celui qui est, comme lui, petit et épris de liberté et de désir de courir autant qu’il le souhaite, mais une lecture plus approfondie du conte peut nous révéler une autre histoire. L’histoire du petit bonhomme de pain d’épices débute par le désir d’un couple, souvent représenté par un petit vieux et une petite vieille. Cette dernière veut offrir à son mari un bonhomme de pain d’épices, alors elle prépare la pâte, le façonne puis l’enfourne. C’est l’histoire du petit bonhomme de pain d’épices et pourtant elle débute par celle de ses créateurs. L’histoire de chaque enfant commence d’abord par celle de ses parents, de leur désir d’enfant et du récit de sa conception et durant cette première partie, il est passif. Puis, il prend vie, demande à sortir du four plus tôt que la petite vieille ne l’avait prévu et s’enfuit de la maison avant d’être dévoré par le couple. On attend quelque chose de ce petit bonhomme, rester sage et obéir aux désirs de ses concepteurs même si cela lui coûte la vie et il refuse de le faire parce qu’il a d’autres désirs, sortir, courir, voir le monde. Comme le petit bonhomme de pain d’épices, un enfant se retrouve très souvent pris entre son désir et celui que ses parents ont pour lui, que ce soit rester calme et silencieux alors qu’il voudrait s’agiter et faire du bruit, aller à l’école parce que c’est l’heure alors qu’il n’en a pas envie, dormir alors qu’il voudrait encore jouer. Y céder 1
Joëlle Turin, Ces livres qui font grandir les enfants, Op Cit., p.68
142
systématiquement, rester toujours silencieux et immobile sans jamais s’opposer pourrait bel et bien être perçu comme une mort symbolique. Même au-delà de la maison de ses parents, d’autres personnages plus grands et forts, essaient de lui imposer leur volonté, comme le feront des grands frères et sœurs, des enseignants et plein d’autres personnes qui s’occuperont de lui. Au lieu de rentrer sagement dans le rang et d’écouter, car il perçoit les dangers que ces autres personnes et animaux représentent pour lui, il choisit de courir encore et encore, malgré les nombreux dangers qu’il croise. Face au dilemme d’Achille, il choisit la vie glorieuse mais courte. Il croise finalement un adversaire plus rusé que lui, qui profite de sa naïveté pour lui jouer un méchant tour afin de le croquer, lui inculquant une leçon de rouerie dont il n’aura pas le temps de profiter. Cette lecture fait sens. Cependant une toute autre lecture fait également sens. Un renard apprend, parce qu’il voit, entend ou sent, que deux adultes cuisinent un petit bonhomme de pain d’épices (ou une galette) qu’ils voudraient manger. Mais, miraculeusement, malgré les tentatives du couple, le petit bonhomme de pain d’épices n’a pas été dévoré. D’autres animaux plus forts que le renard essaient alors de le manger. Autres coups de chance, eux non plus n’y arrivent pas ! Le renard peut alors tenter sa chance et réussir, non pas parce qu’il a cuisiné ou grâce à sa force, mais par sa ruse. Un enfant pourrait tout à fait s’y reconnaître, lui qui attend que le gâteau soit cuit, alors que ce sont ses parents qui savent quand il est prêt et quand ce sera l’heure de le manger, que des grands frères et sœurs peuvent essayer de venir en prendre en douce dans la cuisine et qu’il a la sensation qu’il sera le dernier à pouvoir essayer d’en prendre un bout. Mais il peut compter sur sa débrouillardise pour réussir à avoir du gâteau, même si on le menace de l’en priver. Il n’est pas insensé qu’un enfant s’identifie plus à l’animal qui mange le pain d’épices ou la galette plutôt qu’à l’aliment qui est dévoré. Et, dans ce, cas il aura également le bonheur d’avoir joué au plus puissant, au plus rusé, lui qui est trop souvent le plus petit, celui qui doit apprendre, grandir, faire autrement et face à qui les grands ont toujours raison. Cette lecture permettrait d’entendre dans le conte quelque chose que
143
l’on perçoit encore confusément en soi-même, dont on n’est pas encore entièrement conscient. Ces deux lectures sont possibles et je ne crois pas qu’elles doivent s’exclure mutuellement. Selon les jours et les humeurs, un enfant pourrait même s’identifier aux deux. Bruno Bettelheim disait des trois petits cochons que nous sommes les trois, selon notre façon de conjuguer principe de plaisir et principe de réalité. Nous pourrions aussi être à la fois le renard et le petit bonhomme de pain d’épices, celui qui veut s’échapper, celui qui veut tout dévorer. Il pourrait même y avoir une question d’âge dans l’identification au petit bonhomme de pain d’épices. Lorsque des adultes lisent ce conte, ils peuvent se sentir petit bonhomme de pain d’épices, se rappeler qu’ils se sentaient ainsi enfants ou se demander s’ils ne sont pas plutôt une des figures adultes qui forment des obstacles sur le chemin du petit bonhomme. Les parents, grands-parents, frères et sœurs, enseignants des enfants sont-ils comme ce vieux couple, comme la vache, le lapin, le grand cheval qui veulent empêcher le petit bonhomme de pain d’épices de courir librement comme il le souhaite ? L’empêcher de faire tout ce qu’il a envie de faire pour lui apprendre comment il doit être et se comporter. Pareillement, on pourrait même se demander à qui s’adresse réellement Blanche-Neige. Ce conte est l’histoire d’une jeune fille qui, chassée par sa belle-mère, va faire sa vie, d’abord avec des nains puis rencontre enfin son prince, cela tout le monde le sait. Mais je pense que pour de nombreuses autres personnes, il contient une seconde histoire : celle d’une femme esclave de ce que lui dit son miroir, qui se voit dépassée en beauté et en jeunesse par une jeune femme, au sein de sa propre maison. C’est l’ordre des choses, auquel toutes les femmes seront un jour confrontées. Mais la reine n’a pas d’amour pour cette jeune femme, qui n’est pas sa fille dans de nombreuses versions et sans cette force d’amour et de fierté envers la jeune fille, ne réussit pas à l’accepter. Elle décide alors de la détruire et ce faisant précipite son propre déclin qui la mène à sa perte finale en une une punition cruelle – danse aux souliers chauffés dans la version des Grimm, chute fatale dans le dessin animé Disney, oubli dans
144
d’autres versions – et dont la première étape fut de se déguiser en une vieille femme, qui est précisément l’image même de ce à quoi elle veut échapper. Blanche-Neige est aussi le conte qui recommande d’accepter le temps qui passe et de se libérer de la petite voix narquoise du miroir pour ne pas en souffrir terriblement comme la reine. S’il est aujourd’hui principalement perçu comme un conte pour les jeunes enfants, (dans la version des frères Grimm l’héroïne n’a que sept ans), c’est un conte que l’on peut lire et relire aux différents âges de la vie en y découvrant de nouvelles richesses.
DU COSTUME DE SUPER-HEROS AU COSTUME DE LOUP
Dans Max et les maximonstres, Max met son costume de loup pour faire des bêtises. Une fois dans la peau du loup, il les enchaîne, en commençant par de simples bêtises qui ne sont pas nommées jusqu’à manquer de respect à sa mère et devenir le roi des maximonstres. Pour se permettre d’être méchant Max enfile son costume. Quand sa mère le punit, il pourrait l’enlever et s’excuser, redevenir Max sans le loup, juste Max. Mais Max ne cède pas face à sa mère, au contraire, il poursuit jusqu’à devenir le roi des maximonstres. Puis il en a assez, décide de rentrer chez lui et se retrouve dans sa chambre à côté d’un repas chaud, toujours vêtu de son costume. Tous ces éléments semblent alors nous indiquer que ce costume symbolise la permission pour Max de faire des bêtises, autorisation qu’il se donne à lui-même en choisissant de le mettre et ne pas l’enlever et donc la part méchante en lui, d’enfant-loup, d’enfant non sage. Max refuse d’ôter son costume et ne peut pas enlever cette part de lui car il ne peut pas renoncer à cet aspect de lui. Mais il apprendra à l’accepter et faire avec, comme nous le montre la dernière image de Max, heureux dans sa chambre, toujours vêtu de son costume et toujours aimé et pris en charge par sa mère comme le prouve le plateau-repas, gage d’amour et promesse de réconciliation future. Ce n’est pas aller trop loin, me semble-t-il, d’avancer qu’il s’agirait d’une des raisons du succès de cet album qui reconnaît l’existence des enfants turbulents, y compris de celui qui se cache
145
en tout enfant sage. Chaque enfant a la possibilité de le devenir, sans être uniquement défini par ses bêtises. Accepter la part de loup en nous est une image qui revient fréquemment dans les fictions pour les enfants comme pour les adolescents. Dans les séries pour adolescents, où les loups-garous sont en vogue, le loup symbolise souvent ce qui change à l’adolescence : arrivée de la pilosité, changements soudains et déroutants du corps, sautes d’humeur, intégration dans la meute ou bande de copains… Accepter sa part de loup c’est accepter sa part nouvelle et différente, qui semble au premier abord sauvage et incontrôlable. Le loup en nous revêt alors des enjeux et des implications différents pour chaque tranche d’âge, mais cette image est assez fréquente pour nous indiquer à quel point elle est forte et importante.
LA VALEUR LIBERATRICE DES MECHANTS Il y a des moments où on a besoin d’être méchant, égoïste et de vouloir tout casser. Parfois, comme Max, nous avons besoin de mettre un costume de loup. Si l’ogre est le méchant qui le reste le plus souvent, l’évolution de la sorcière de contre-exemple de vie à héroïne est passionnante. Chez les frères Grimm elle n’est jamais sauvée et pourtant elle est aujourd’hui extrêmement populaire en jeunesse comme en adulte, depuis Hermione Granger 1 jusqu’à Mona Chollet et profite désormais d’une aura de puissance féminine2. Depuis 1986 avec le Prix Sorcières, elle symbolise une récompense importante dans les livres pour la jeunesse : « Cette sélection réaffirme le souhait des libraires et des bibliothécaires de proposer aux jeunes lecteurs d’aujourd’hui des livres qui ne laissent pas indifférents, faits de larmes et de rires,
1
J. K. Rowling, Harry Potter à l’école des sorciers [Harry Potter and the Philosopher’s Stone, 1997] traduit de l’anglais par Jean-François Ménard, Paris, Gallimard, 1998 2 Mona Chollet, Sorcières. La puissance invaincue des femmes, Paris, La Découverte, 2018
146
de violence et de douceur, des livres pour se construire en toute liberté, en toute curiosité 1 »
Historiquement, la sorcière est la femme qui vit autrement. Son évolution dans la littérature sous toutes ses formes est symbolique d’une évolution considérable du regard de la société sur les femmes et la tolérance envers les différences, depuis le rejet total et meurtrier, dans la réalité comme dans les contes, jusqu’à l’acceptation et la célébration. En effet, le méchant montre parfois une différence qui peut être libératrice. Ce n’est pas que le lecteur s’identifie pleinement au personnage mauvais, mais il trouve en lui quelque chose qui peut faire écho à une situation ou un sentiment qu’il connaît. Autrement dit ce méchant incarne alors une crainte ou un désir que le lecteur connaît lui-même intimement. Cécile Boulaire parle alors de reconnaissance symbolique entre l’enfant et le anti-héros : « La reconnaissance ici est symbolique : le lecteur retrouve dans le personnage quelque chose de ses émotions intimes, peurs ou désirs. Il a toujours en lui une crainte diffuse d’être abandonné ; il est intimidé par les plus grands, craint la violence et désire secrètement devenir puissant à son tour ; sa curiosité pour l’inconnu et les découvertes est toujours tempérée par la peur que les choses se déroulent mal 2. »
Le méchant représente ce que l’enfant rêverait par moment d’être. Quelqu’un qui n’écoute plus les injonctions à être gentil, quelqu’un qui n’écoute plus du tout, qui n’essaie pas d’apprendre, de s’améliorer ou d’être différent. Quelqu’un qui se contente d’être et de faire ce qu’il a envie. Au final, quelqu’un qui complète le héros, et donc la partie gentille en lui, comme le montre Cécile Brosseau : « Chez les enfants, être méchant est aussi un moyen d’équilibrer leur assujettissement. Ils obéissent beaucoup et dépendent de la volonté de leurs parents. Désobéir, mettre un coup de pied, se 1 « http://www.abf.asso.fr/4/25/13/ABF/le-prix-sorcieres-pourquoicomment-et-son-histoire- » - page consultée le 17/03/2021 2Cécile Boulaire, Lire et choisir ses albums, petit manuel à l’usage des grandes personnes, Op. Cit, p.185
147
fâcher, bouder, griffer, casser est un acte de rébellion, de prise de pouvoir, de revendication. Le méchant intéresse beaucoup les enfants pour ça, mais ils investissent très bien le héros qui dompte ce méchant et rétablit l’ordre car, au fond, on aime bien aussi vivre tranquille, en sécurité. Le héros est celui qui ramène la paix. Il y a comme un pacte avec le méchant qui est là et qui menace de tout chambouler. Le héros est fort grâce au méchant. Ces deux-là vivent en nous, c’est notre équilibre. Les enfants le perçoivent très bien 1. »
Embrasser le méchant dans lequel on se reconnaît revient alors à s’accepter entièrement.
**
CONCLUSION DU CHAPITRE TROISIEME Les méchants sont très présents et importants, dans les contes bien sûr dont ils sont un enjeu central, mais de façon plus large dans la littérature jeunesse qu’ils imprègnent de leur présence terrifiante, obligeant les nouveaux albums à prendre position par rapport à eux. Les livres d’enfants transmettent la peur du méchant, des exemples précieux et savoureux pour s’en débarrasser, mais aussi la nécessité de les remettre en question et de savoir rire d’eux. De plus en plus d’albums invitent à poser d’autres regards sur eux : compréhension voire pitié, amusement, sympathie, crainte et même empathie. Au final, les appréhensions des méchants sont variées et permettent des regards plus nuancés sur eux. Néanmoins, au sein de cet éventail de réactions variées face aux méchants, il ne faut pas oublier la peur, car la peur ne doit jamais disparaître entièrement quand on aborde le sujet des méchants. 1Cécile Brosseau, « Propos d’auteurs, paroles de médiateurs » dans Les cahiers du CRILJ numéro 5 Novembre 2013, Les méchants : des personnages comme il (en) faut, Orléans, CRILJ, 2013, p.35
148
D’un genre économe et peu porté sur la psychologie, de très nombreux albums, romans, films et autres histoires sont nés en s’inspirant des contes pour les raconter de nouveau et les comprendre autrement. Cela reflète des changements de pensées sur les standards de genre bien sûr, mais aussi sur ce que nous comprenons comme l’autre, comme l’ennemi.
149
CONCLUSION « Maintenant que ce livre est achevé, je peux dire qu’il ne s’est pas agi d’une hallucination, ni d’un accident de travail, mais plutôt d’une confirmation de quelque chose que je savais déjà au départ […] et qui m’a poussé à faire ce voyage à travers les contes de fées : les contes sont vrais » Italo Calvino, préface des Contes italiens
Avec ce travail je voulais comprendre qui étaient les méchants, pourquoi ils s’invitaient dans nos histoires du soir et ce que l’on pouvait en tirer. Cela partait d’un constat personnel, car après plusieurs mois de stage dans deux maisons d’édition durant lesquels j’avais pu lire d’innombrables manuscrits qui voulaient en finir avec les méchants, dans une écrasante majorité des cas en les minimisant ou en les ridiculisant, alors que les albums publiés présentaient des méchants très différents des textes que je pouvais lire durant mes études en master de littérature pour la jeunesse. De cela, une première observation est apparue : bien que l’un des enjeux majeurs du conte soit leur défaite, les méchants sont nécessaires à un conte réussi. C’est cette première réflexion qui m’a amenée à réfléchir plus longuement sur les méchants, ces figures si riches en
151
contradictions, ne serait-ce que dans leurs histoires qui en ont conduit certains à la popularité. Le conte est une forme de récit dans laquelle chaque élément est riche de sens, de symboles et de significations. Cela devait aussi se vérifier quant aux ombres qui pèsent sur les héros et héroïnes de ces histoires. Et une fois de plus, les contes se sont révélés d’une grande richesse. Les méchants sont des figures qui cristallisent, rassemblent et donnent forme à tout ce que nous pouvons rencontrer de mauvais autour de nous. Cela peut-être une nature profondément différente de la nôtre, comme une proie face à un prédateur, lorsque des cochons, des chèvres ou des petites filles font face à un loup affamé. Ou encore des défauts, personnifiés par un méchant qui les incarne dans leurs terribles extrêmes, comme la force brute et bête de l’ogre du « Petit poucet » qui égorge ses propres filles, ou la jalousie d’une femme, mère ou marâtre selon ce qui vous permet de vous endormir, comme la Reine de Blanche-Neige qui détruirait la jeune fille plutôt que de l’accepter et de s’accepter. Certains méchants sont aussi et tout simplement des obstacles sur notre route, qui nous forcent à nous dépasser et nous élever grâce à nos diverses forces et talents, comme le font les cinq sœurs dans Matriochka et nous rassurent au passage sur l’existence de ces forces et talents. C’est comme cela, qu’à force de les étudier plus longuement, l’idée qu’ils étaient finalement indispensables a pris forme. Comme le jeune naïf qui n’a pas peur, sans les méchants nous ignorerions tout de la peur, mais aussi du courage. Nous ne pourrions jamais nous dépasser et nous trouver sans une force aussi grande que la méchanceté. Comme Blanche-Neige, nous avons parfois besoin d’une méchante pour nous pousser à grandir, car ce changement comporte un lot d’épreuves à surmonter qui pourrait être décourageant sans une bonne raison de s’y attaquer, comme le découvrent amèrement aussi les trois petits cochons. Parfois, ils nous révèlent aussi ce que nous ne voulons pas être : nous ne voulons pas être la belle-mère de Blanche-Neige ou n’importe quel autre méchant qui nous ferait particulièrement
152
peur parce qu’il représenterait un potentiel futur pour nous. Les méchants deviennent finalement des enjeux d’intrigue et de maturité dans tous les récits, que ce soit ceux des contes ou de nos histoires. * *
*
Cela relèverait d’une vision romantique et idéalisée de l’enfant et de l’enfance que de croire qu’ils ne connaissent rien de la malfaisance et qu’il faut les protéger du mal à tout prix. La question de ce qu’on lit aux enfants, de ce qu’on veut, mais aussi de ce qu’on peut raisonnablement leur lire, pose forcément par ricochet la question de ce que l’on pense des enfants et dans notre cas ce que l’on pense des méchants. Dès le plus jeune âge, ils seront confrontés à d’autres personnes, enfants comme adultes, qui pourront faire preuve de méchanceté envers eux. Dans ce cas leur lire des histoires, à des âges où ils sont encore en grande construction de leur identité et en pleine découverte du monde, revient à les aider à faire face à ces méchants ainsi qu’à leur arme la plus puissante, la peur. La peur, bien maîtrisée comme cela manque aux personnages de conte, peut devenir un outil pour surmonter les situations difficiles. Comme les héros de conte, les méchants font également figure de toiles de projection pour sortir des enfants ou même des adultes, nos peurs, nos phobies, nos appréhensions. Parfois avant même d’en être conscients. Voici encore une raison de se confronter à eux et de connaître la peur qu’ils amènent avec eux. Découvrir le monde et les personnes qui l’habitent dans le contexte d’un album de conte pensé et illustré pour des enfants et par le biais d’un lecteur qui les protège et veut leur bien, sera bénéfique pour eux. Tout comme une fois que la réalité des méchants de conte sera là, il sera bon d’équilibrer la peur des méchants avec des albums où on rit d’eux, où ils ne sont plus si puissants et parfois, dans certains cas rares, plus si méchants. Car les enfants ont autant besoin que les adultes, si ce n’est plus, de livres pour se faire peur.
153
Sans surprise au vu du succès des contes dans des livres pour tous les goûts et tous les âges, les méchants ont aussi cheminé hors des contes vers d’autres contrées. Dans les contes, ils sont terribles, hors des contes pas forcément. En cela, les loups, ogres et sorcières des contes font honneur à ce genre insaisissable et immuable, tant ils sont racontés, pensés, interprétés de différentes façons, jusqu’à avoir des versions et des regards entièrement différents sur certains méchants. Un retour sur l’histoire des méchants nous a également appris qu’ils ne sont pas autant limités aux contes qu’on voudrait nous le faire croire : la sorcière qui devient aigre et méchante avec la différence, l’ogre qui prend la vie de ses victimes majoritairement féminines… Sous des apparences pittoresques et au-delà des descriptions romanesques, ce sont des figures que l’on retrouve dans la vraie vie, parfois avec métaphore, parfois sans. Dans le sens inverse, leur évolution montre aussi une forme d’espoir : que ce soit les adolescents qui se reconnaissent en eux et sont friands de nouvelles versions, nouveaux points de vues et de toujours plus de réécritures, ou des évolutions de société qui permettent de redorer le blason de la sorcière en tant que femme puissante, ou de différencier ogre et géant, cela nous montre une volonté farouche de ne pas faire rimer différent et méchant, ainsi que de plonger plus profondément dans les histoires et les versions, afin de démêler méchanceté et souffrance et parfois de pouvoir aider et guérir. On peut d’autant plus lire des contes d’ogres, de sorcières, de loups, de marâtres et d’autres affreux, que parfois le méchant, l’autre, celui qui est différent de moi, sera mon ami si j’apprends à le connaître au-delà des préjugés. De méchants, ils peuvent même devenir des personnages que nous apprécions de croiser, voir chers à notre cœur. Ainsi, lorsqu’ils risquent de disparaître ou de faiblir, nous pouvons les regretter, car ils amenaient avec eux de la peur, du suspense et la garantie d’émotions fortes. Avoir peur peut aussi être une belle émotion, surtout quand on joue à frissonner dans un cadre de lecture rassurant avec un parent. J’ai alors commencé à les regarder autrement, par-delà leur apparence terrifiante, jusque dans leur passé pour découvrir qu’eux aussi pouvaient souffrir, d’une épine empoisonnée dans
154
le dos par exemple. Parfois, les méchants ont une belle histoire à nous raconter si on prend le temps et la peine de l’écouter. Enfin, nous pouvons et même devons rire des méchants pour les faire trembler. Mais nous ne devons jamais oublier qu’il faut les prendre au sérieux, s’en protéger et que nous avons la force d’en réchapper. La malfaisance, même si elle est passagère et motivée, peut être fatale et de la même façon que Peau d’âne doit fuir son père pour survivre, les méchants doivent être pris au sérieux et fuis ou combattus. Et puis il y a un tout dernier type de méchant que nous ne devons pas minimiser, celui qui est présent en nous et ce dès l’enfance. C’est lui le méchant le plus important, celui que l’on doit apprendre à reconnaître, à regarder différémment, à apprivoiser et enfin à aimer. * *
*
Au final, ce travail m’a révélé quelque chose de très important sur les liens entre littérature et littérature jeunesse : le passage de l’un à l’autre a lieu lorsque le lecteur est pris en compte comme étant un enfant avec des besoins différents et une compréhension du monde spécifique à un âge. Cela se traduit par le processus de civilisation qui vise à élaguer certaines formes de violence et de sexualité des contes pour laisser place à plus de morale et de valeur d’apprentissage. La littérature jeunesse se distingue donc par une valeur éducative qui serait le but de l’aspect plaisant du conte. Si les deux valeurs étaient d’ores et déjà présentes dans le conte oral, c’est le passage en littérature jeunesse qui crée une proéminence marquée de l’éducatif sur le récréatif. Heureusement, cette disparité a depuis été remise en question. La littérature de jeunesse est aussi devenue une forme de littérature dont le but est de plaire au jeune lecteur, pour que justement il devienne et reste un lecteur. Cela se traduit par de nombreux beaux livres et beaux albums, aux fabrications et mises en pages diverses, soignées et audacieuses.
155
Ce travail m’a aussi montré à quel point un conte riche en significations, en belles émotions fortes, en messages puissants, nécessite un méchant de taille et à travers lui des enjeux et obstacles importants. Cette alternance de sombre et lumineux, souvent décriée pour être irréaliste (mais le réalisme n’est pas le propos du conte) constitue justement l’un des enjeux majeurs du conte de méchant ainsi que la raison précise d’avoir peur pour certains parents. Dans un contexte où le monde peut sembler inquiétant, car nous sommes de plus en plus au courant des faits divers qui font réaliser que les enfants ne sont pas aussi protégés qu’on pourrait le croire, l’album et le moment privilégié de lecture partagé entre un parent et un enfant peuvent tendre à protéger du monde plutôt que de le découvrir. Ne pas faire de mal à l’enfant avec une histoire effrayante, encore moins si le méchant semble réaliste semble être un nouveau mot d’ordre d’achat de livres « jeunesse ». La production éditoriale se situe dans un équilibre délicat quant aux contes : conserver certaines versions traditionnelles, les réécrire avec plus ou moins de fidélité à la violence originelle et en produire de nouveaux. Néanmoins, la production de contes n’est plus exclusivement réservée à la jeunesse. Si elle n’est pas revenue vers un public d’adultes, c’est un public d’adolescents et de jeunes adultes qui la revendiquent et se l’approprient à leur façon, dans une démarche à laquelle la forme du conte se prête particulièrement bien, justement de part son historique et sa forme épurée, si sujette aux nouvelles versions et visions. * *
*
Au-delà des méchants, ce travail m’a convaincue de l’importance qu’il y avait à lire de beaux albums aux enfants, à leur faire découvrir de beaux textes et les redécouvrir avec eux. Il n’est pas trop tôt pour leur parler du monde, en particulier à travers des personnages de l’imaginaire, avec lesquels ils pourront composer en grandissant. En cela, le rôle des auteurs,
156
illustrateurs, libraires et bibliothécaires est primordial, car ces derniers sont les garants de la transmission d’anciens textes et de nouvelles versions des contes que l’on croit connaître, mais que l’on peut découvrir encore et encore. Les contes de fées sont aussi des contes de loups, d’ogres, de sorcières et de marâtres. Mais ce sont aussi des contes de héros, d’héroïnes, d’enfants, d’hommes et de femmes, enfin des contes de nous. De plus en plus de générations, dont la mienne, découvrent les contes à travers les versions animées des films Disney. S’ils sont réjouissants de tendresse, d’optimisme et de couleurs, ce travail m’a convaincue de l’importance qu’il y avait à découvrir le conte derrière le vernis léger qui est la marque de leurs adaptations, de revenir à des versions écrites plus anciennes, plus sombres, plus violentes, mais dont la lumière n’est jamais moindre pour autant. Il y a un équilibre délicat à atteindre pour naviguer entre ces différentes versions et ces nombreux conteurs et aucun n’est à sacrifier. * *
*
Enfin, la dernière chose que ce travail a révélée, mais qui est loin d’être la moindre, est qu’il est essentiel de confier à un enfant les outils, les mots et les clefs nécessaires à sa construction pour qu’un jour il puisse dire, comme Hipollène, que lui non plus n’a pas peur de lui. Merci de m’avoir lue et j’espère que ce livre vous aura donné envie d’aller lire, relire et raconter des contes autour de vous !
157
158
ANNEXES LES DIFFERENTES VERSIONS DU « PETIT CHAPERON ROUGE » DE PUELLA A LUPELLIS SERVATA, « La petite fille épargnée par les louveteaux » Extrait du Fecunda ratis de Egbert de Liège, 1020 Datée du XIème siècle, il s’agit de la version la plus ancienne de l’histoire de la petite fille en rouge que j’ai pu trouver, celle à laquelle Pastoureau fait référence. Mais la forme orale précédait celle écrite : dès la première ligne l’auteur rend hommage aux récits populaires. Quod refero, mecum pagenses dicere norunt, Et non tam mirum quam ualde est credere uerum: Quidam suscepit sacro de fonte puellam, Cui dedit et tunicam rubicundo uellere textam. Quinquagesima sancta fuit babtismatis huius, Sole sub exorto quinquennis facta puella; Progreditur uagabunda sui inmemor atque pericli,
Ce que je vais raconter, les paysans le savent déjà. Il ne pas faut pas trouver cela extraordinaire, mais y croire très fort : Le jour de la Pentecôte, un homme offrit, pour son baptême, une robe de laine rouge à une petite fille : c’est lui qui l’avait tenue et soulevée des fonts baptismaux. Désormais âgée de 5 ans, un matin au lever du soleil, la petite fille vagabonda jusqu’à s’enfonçer dans la forêt, insouciante du danger.
Quam lupus inuadens siluestria lustra petiuit Et catulis predam tulit atque reliquit edendam.
Aussitôt, un loup l’attaque et l’entraîne dans la forêt profonde jusqu’à son terrier où il la laisse à ses petits comme gibier.
159
Qui simul aggressi, cum iam lacerare nequirent, Ceperunt mulcere caput feritate remota. 'Hanc tunicam, mures, nolite', infantula dixit, 'Scindere, quam dedit excipiens de fonte patrinus!'
Ils se jettent sur elle. Mais, incapables de la blesser, ils lui caressent la tête sans férocité. « Petites souris, ne déchirez pas ma robe ! » dit l’enfant, « C’est mon parrain qui me l’a offerte à mon baptême ! » Dieu, qui est leur créateur, apaise les esprits des bêtes sauvages.
Grâce au travail de collecte des folkloristes à la fin du XIXème siècle dans diverses régions françaises comme le Nivernais, le Forez ou le Velay, nous pouvons connaître des versions orales qui gardent encore des motifs que Perrault n’a pas conservé. Tout d’abord, lorsque la petite fille et le loup se recontrent, ce dernier lui laisse le choix du chemin qu’elle préfère prendre, entre le chemin des épines et celui des aiguilles. Pour certains commentateurs cet élément est simplement du jeu pour amuser les enfants, et c’est parce qu’il ne signifiait rien que Perrault l’a laissé de côté. Yvonne Verdier montre pourtant que ce sont bel et bien des symboles forts, à comprendre au vu des coutumes couturières paysannes. L’épingle y est un symbole d’amour et d’attachement amoureux. Une aiguille au bout percé d’un chas est un symbole beaucoup plus sexuel. Dès lors une jeune envoyée sur le chemin des épingles, c’est une jeune fille qui prend le chemin de la puberté. Là encore, cette symbolique n’est pas la seule possible, et l’examen d’Yvonne Verdier révèle d’autres possibilités d’autant qu’il existe de nombreux noms pour les chemins : pierrettes, ronces, fleurs ou encore fraises. L’autre motif soigneusement expurgé par Perrault mais présent dans toutes les versions de tradition orale est celui du repas cannibale de la jeune fille. Arrivé en premier, le loup tue la grand-mère, en dévore une partie, puis met de côté ce qui reste de chair et de sang. Quand la jeune fille arrive, il lui demande de faire à manger. Elle cuisine alors la chair de sa grand-mère, et boit son sang. Parfois un animal, comme une chatte, la prévient
160
de ce qu’elle dévore réllement mais la jeune fille n’écoute pas. De façon symbolique c’est à ce moment que la petite fille incorpore sa mère-grand et son savoir. Ensuite le loup lui demande de se déshabiller et de se mettre au lit avec lui. C’est alors qu’elle comprend ce qui se passe, avec le même procédé de dialogue que Perrault a conservé. Pour s’en sortir elle choisit la ruse : elle lui demande la permission de sortir pour faire ses besoins. Il accepte, à condition de lui nouer un fil ou un brin de laine autour de la cheville. À peine dehors elle s’en débarrasse, parfois en le cassant, d’autres fois en l’attachant à un arbre, et se sauve. Il y a alors deux fins possibles : soit le loup s’en rend compte, mais trop tard pour réussir à la rattraper. Soit il la poursuit jusqu’à une rivière où les femmes lavent des draps. Elles les tendent pour laisser la jeune fille traverser la rivière, mais les lâchent quand le loup veut faire pareil et il se noie.
161
ENTRETIENS REALISES DURANT MON STAGE AUX EDITIONS DIDIER JEUNESSE ENTRETIEN AVEC LOUISE B., ATTACHEE DE PRESSE ET CHARGEE DE L’EVENEMENTIEL Qu’est-ce que tu mets en avant quand tu présentes un conte ? Les contes, ce n’est vraiment pas ce qu’il y a de plus simple à mettre en avant. Aujourd’hui chez Didier Jeunesse on se pose beaucoup ces questions : est-ce qu’on peut continuer à publier des contes ? Est-ce qu’on va réussir à trouver notre public ? Est-ce que c’est quelque chose qui peut encore plaire ? Voilà : est-ce qu’il y a encore un intérêt à publier des contes ? Parce que justement aujourd’hui ça un côté un peu désuet, un peu ancien. Toutes ces questions de féminisme… C’est loin d’être féministe en général. Et puis, en général, c’est vu comme quelque chose d’assez élitiste, avec beaucoup de textes, donc pas forcément évident pour les jeunes parents avec un enfant petit. Par exemple là, au comité de lecture de Nantes, on leur a fait lire le texte de Catherine Pallaro, Une Belle et une bête. L’enjeu c’était : est-ce que pour vous, c'est encore utile de publier des contes. Et les réponses qui revenaient souvent étaient « pas forcément ». Parce que ça ne se vend pas ou peu, que c’est difficile à mettre en avant et que finalement il y a beaucoup de contes réutilisés aujourd’hui dans les Disney ou chez Hachette, édulcorés, avec une dimension féerique et des méchants plus attendris qu’avant. Alors ce que je vais mettre en avant ça va beaucoup être la dimension merveilleuse, la qualité du texte et un imaginaire qui va être propice à l’épanouissement de l’enfant, dans le sens où ce sont des textes exigeants avec une dimension profonde qui pourra lui être bénéfique. Loup gris, par exemple, ça va être Gilles Bizouerne et Ronan Badel. Je vais beaucoup axer sur la popularité du conteur et sa renommée. La jeune fille et le hibou, c'était plus compliqué. Catherine Pallaro n’était pas connue du grand public, Anouck Fontaine c’était son premier album. Dans Loup gris, le loup est attachant, ridicule, qui fait beaucoup rire. On est loin de la
163
dimension du loup terrifiant qui dévore les petits enfants ou les animaux. Quand tu mets en avant les contes, tu ne parles jamais des contes comme un livre pour faire peur, se faire des frissons puis on referme les livres et c’est fini ? Non, ce n’est pas forcément quelque chose que je vais mettre en avant. Je peux jouer sur cette dimension, mais très vite je rassure en disant que ce ne sera pas terrifiant ou traumatisant. Il n’y a pas de risque que l’enfant soit traumatisé par cette lecture ou celle de ses parents. Je vais mettre en avant le méchant si c’est un méchant qui n'est pas totalement méchant quelque part, pas si c’est une figure terrifiante. Je travaille beaucoup avec les mamans via Instagram par exemple, elles peuvent très vite être beaucoup plus choquées qu’auparavant. On a des retours parfois dès qu’il y a un vocabulaire un peu trop incisif ou dès qu’on sort des codes de la façon traditionnelle de s’adresser aux enfants, elles peuvent facilement être choquées. On va avoir des retours négatifs dans le sens « ah, je ne comprends pas comment dans la littérature de jeunesse, on peut avoir un discours avec des termes assez durs, qui peuvent effrayer ». Donc en fait, c'est plutôt l’inverse. Ça pourrait leur faire peur de savoir qu’il y a un méchant effrayant, même pour quelques pages et avec une fin qui se termine bien ? Oui tout à fait. Des fois, on est surpris par des personnages qui n’ont pas vocation à faire peur et qui font peur aux enfants, alors que personne n’avait vu cette dimension dans le texte. Un méchant savoureux, oui. Je vais jouer sur la truculence du récit, sur un méchant qui peut avoir des ambivalences. Ce qui marche bien c’est un personnage qui va être méchant, mais on apprendra dans la suite du récit qu’il est méchant pour une raison très mignonne, parce que finalement dans sa vie il lui est arrivé quelque chose qui lui a fait peur. Ce n’est plus forcément de la méchanceté, mais de la méfiance
164
envers les autres alors. Quand je présente un titre, j’aime bien mettre en avant ce qui peut servir de « leçon » dans un récit, ce que l’enfant peut apprendre, ce qui peut faire qu’il va ressortir grandi de sa lecture, parce qu’il va y avoir un message. Mais pour avoir un héros très gentil et très courageux, est-ce qu’il ne faut pas un méchant effrayant ? Un danger ou une peur terrifiante, même si par la suite on découvre que ça n’en était pas vraiment un ? Oui ça c’est vrai que les personnages forts, téméraires, courageux, ça fonctionne très bien. Les parents adorent. Oui quelque part forcément ça revient à glorifier le méchant. Mais si on se place du côté du gentil, louer son courage, ça va aussi rendre le méchant moins nocif, moins destructeur et quelque part moins méchant. Le gentil n’a pas peur et se joue du méchant et retourne la situation et ne se laisse pas terroriser et apeurer par ce méchant. Donc on met un peu le côté terrifiant en avant, mais on va aussi l’amoindrir parce que s’il n’a pas assez de pouvoir pour apeurer le gentil, ça va le rendre moins méchant. J’ai l’impression que plus le gentil fait preuve de courage et d’ingéniosité, plus vite le méchant va être tourné en ridicule. Par exemple présenter le méchant comme quelqu’un qui a un but précis et une quête. Assez rapidement, on se place du côté du gentil qui va tout faire pour déjouer sa cruauté et ne pas tomber dans ses griffes. Donc, en fin de compte, il n’y a pas forcément de corrélation entre la méchanceté du méchant et le courage du héros. Ça pourrait marcher d’avoir un héros ou une héroïne modèle et un méchant qui serait finalement ridicule ? Oui. Il n’y a pas de corrélation entre la méchanceté et le courage. Finalement ça plairait plus aux mamans avec lesquelles tu travailles cette héroïne moderne et un méchant ridicule ?
165
Complètement ! Je crois que ça a un côté rassurant. Les mamans ou les papas bien sûr, n’ont pas envie de s’engager dans une histoire avec un risque de traumatisme. Aujourd’hui on aime plus mettre en avant des personnages courageux, malins qui vont savoir se dépêtrer de n’importe quelle situation par leur ruse plutôt de que de montrer qu’il y a de gros méchants qui pourraient faire du mal aux enfants. L’aspect ambivalent entre continuer à éditer des contes ou pas, c’est que si tu décides de faire des parutions qui collent avec les versions originales, aujourd’hui c’est presque plus possible. C’est ultra trash. Aujourd’hui on va argumenter en disant que ce sont des contes patrimoniaux qui font partie de la culture littéraire et qui ont toujours existé ainsi et que les enfants ne sont « pas en sucre » et qu’ils peuvent entendre des histoires pareilles. Du coup c’est ça le souci ici on n’a pas envie de proposer des versions édulcorées aux enfants… … de faire la licence Disney ? Exactement. Mais par exemple au comité de lecture, le texte Une belle et une bête, il y avait des bibliothécaires qui disaient que c’était bien d’avoir accès à ces contes autrement que par les Disney ou justement on reste dans le schéma classique de la princesse qui a besoin d’être sauvée par son prince qui ne va jamais périr de la main du méchant. Aujourd’hui c’est quand même compliqué et je ne sais pas si c’est négatif ou pas, s’il faut faire perdurer… On évolue avec son temps et surtout quand on est petit, c’est difficile d’avoir un exprès critique dès l’enfance, de savoir déceler le bon du mauvais, le vrai du faux. Dans La jeune fille et le hibou, le fait que le frère tranche les mains de sa sœur, ça choque beaucoup. Je pense aussi que les gens ont beaucoup moins une culture des contes, les gens les connaissent moins ou alors ils les connaissent à travers les Disney. Donc déjà ils pensent que ce qu’ils ont vu ou lu sont les versions originales et que d’un coup Didier Jeunesse va proposer un truc ultra trash, alors que ça n’a jamais été le cas, alors qu’en fait c’est plutôt l’inverse, nous qui essayons de revenir au conte traditionnel et ça ça ne plaît pas. Les gens n’ont pas envie de lire à leurs enfants des histoires terribles où il se passe des choses abominables avec des méchants vraiment méchants. C’est pour
166
ça qu’aujourd’hui le méchant c’est plus souvent une figure très ridicule. Est-ce que les évolutions de la société rendent les contes obsolètes ? Comme les normes et les lois, la vision de la femme a évoluée – et heureusement – avant c’était des choses beaucoup plus classiques, plus normales. Je crois que plus on avance dans le temps, plus de choses sont acceptées. Mais d’un autre côté, beaucoup plus de choses nous choquent. En plus les parents ont envie d’être protecteur avec leurs enfants. Les mères ont un côté maternel à vouloir protéger leur(s) enfant(s) des horreurs et des atrocités qui se passent dans le monde le plus longtemps possible. Les enfants ont beaucoup plus accès à l’information par les médias. Elles souhaitent conserver le plus longtemps possible leur « innocence » et favoriser les albums tendres. Il y a toujours des personnages forts, mais elles n’ont pas envie d’entrer dans des débats avec leur enfant, surtout s’il y a le risque qu’ils prennent peur. Je pense que les combats ont changé et les enjeux aussi. Ce sont des thématiques et des enjeux plus actuels avec ce qu’on peut vivre aujourd’hui, les dangers auxquels les enfants sont confrontés. Cette vision assez manichéenne des choses, ça se perd aussi. On peut aussi parler plus franchement, sans passer par les personnages, avec une dimension merveilleuse. On est plus ancré dans le réel. Dans l’imaginaire collectif, le conte est vraiment associé à quelque chose de dépassé et de « has-been » et qui ne peut plus fonctionner. Même les éditeurs vont favoriser plus l’efficacité d’un texte, qu’il soit plus percutant, chantant, qu’il marque beaucoup plus les esprits.
167
ENTRETIEN AVEC FREDERIQUE R., DIRECTRICE ARTISTIQUE Dans les albums, la tranche d’âge ça va être important, même s’il faut qu’il fasse flipper, dans les contes notamment, il faut qu’il ait eu peur, mais il ne faut pas qu’il soit angoissé. Il faut faire vachement gaffe à la résolution, que l’enfant n’aille pas se coucher, ne parte pas avec quelque chose qui lui pèse. Il faut qu’il ait eu peur, parce que c’est super agréable de se faire peur quand on est petit, même quand on est grand, mais il ne faut pas rester avec une angoisse ou un truc qu’on n’a pas compris, parce que là ça pose un problème : on n’est pas là pour leur faire du mal à ces enfants. Tu penses qu’il y a des choses qu’on ne peut pas dire aux enfants. Des fois les méchants servent à parler d’autre chose… À partir du moment où c’est fait de façon subtile, pas trop appuyée… Il ne faut pas que l’illustration paraphrase le texte, il ne faut pas qu’elle l’appuie, c’est une mise en image du regard de quelqu’un. Tu fais illustrer par un illustrateur ou un autre, il ne va pas du tout avoir le même regard, même si tu l’as orienté d’une certaine façon. Après je pense qu’on peut parler d’à peu près de tout, mais de façon intelligente… En fait, je déteste les bouquins, sauf si tu es sur un truc didactique, les bouquins qui vont te dire comment il faut penser, voilà les « prêts-à-penser », je déteste ça. On a fait des bouquins sur le deuil, sur les règles, sur la différence quelle qu’elle soit, mais avec des gens qui ont une manière d’écrire et de représenter le propos de manière hyper subtile. Il ne s’agit pas de dire « voilà on va t’expliquer comment tu vas t’en sortir après un deuil ». C'est quelque chose de diffus, où les choses ne sont pas forcément dites en fait. Entre les lignes, dans le dessin, il y a des choses qui passent. Mais il ne faut pas que ce soit martelé, stigmatisé. Ce n'est pas comme ça qu’on fait passer un message et puis ce n’est pas notre rôle, ici, d’aider quelqu’un sur quelque chose qui le touche.
168
Est-ce que tu pourrais autant faire un ancien méchant qu’un méchant moderne ? Oui on a fait les deux d’ailleurs. Dans Où tu vas comme ça, ils font un petit peu peur et en même temps… ils se retrouvent tous à avoir peur du papa à la fin qui est un loup-garou et va défendre sa fille coûte que coûte. Et puis ça devient un jeu en fait et finalement qui est-ce qui a le pouvoir ? C'est la petite et son père. En fait il y a des bases classiques, ce truc de petite fille qui va toute seule dans la forêt, ça n’arrive jamais dans la vraie vie, personne ne laisserait ses enfants aller seuls dans la forêt à 5 ans. Comment représenter les méchants ? Ils sont déjà dans l’imaginaire collectif : un ogre c’est à peu près comme ça, une sorcière avec le nez et le chapeau. Ce sont les représentations classiques de ces méchants. Comme Loup gris, ils essaient de faire peur et ils n’y arrivent pas trop. On a fait des vrais méchants aussi, si tu prends Aïcha et l’ogre, il est bien flippant. Moi, je peux avoir une vraie tendresse pour les méchants. Parce qu’ils ne sont pas méchants par hasard souvent. Et effectivement aujourd’hui on n'a plus à s’inquiéter des vrais méchants que des méchants des livres. Les méchants des livres, ils sont là pour nous faire grandir, ils ne sont pas là pour nous faire du mal. J’irais autant vers des représentations classiques, mais un peu revisitées quand même, que des trucs très modernes. Des fois, tu peux avoir très peur avec juste un loup qui est juste une masse noire et des yeux. Aujourd’hui les vrais méchants c’est plus les méchants des albums et je pense même que les enfants le savent et ont juste envie de se faire peur.
169
ENTRETIEN AVEC SERVANE G., EDITRICE PETITE ENFANCE ET ALBUMS
En petite enfance, est-ce qu’il y a des méchants ? Il y a rarement des méchants qui le sont jusqu’au bout. Je dirais qu’il y a plutôt… Déjà qu’est-ce que tu appelles petite enfance ? Une tranche d’âge pour les petits… Avant la maternelle ? Je pense qu’on peut dire la première année de maternelle aussi. À 2-3 ans, ils sont encore tout petits... Oui d’accord. Je pense qu’il y a peu de méchants qui restent méchants jusqu’au bout. C'est-à-dire, que si on met à part les contes, mais même les contes adaptés aux tout-petits sont souvent très délayés et très assagis, un peu trop justement, je trouve ça dommage que justement pour les petits, les loups ne sont plus des êtres qui font peur, la plupart du temps maintenant ils sont effectivement tournés en dérision. Et c’est dommage parce que les enfants, dès tout-petits, ils ont besoin de pouvoir s’emparer d’un livre avec des personnages qui leur font vraiment peur et maintenant on se l’interdit, souvent trop. Après pour les tout-petits, je pense que c’est important qu’il y ait une petite pirouette, un truc qui te fasse sortir de la peur. Parce qu’un enfant à cet âge n’a pas le même recul ni la même analyse qu’en enfant plus grand et il me semble que si tu n’as pas la possibilité de le faire sortir de sa peur, c’est compliqué. Comme les conteurs qui racontent un conte effrayant puis finissent en chatouillant ? Quelque chose qui coupe ? Oui c’est ça, une pirouette qui te fait respirer en fait. Parce que je pense que c’est très bien de continuer à incarner comme ça la peur avec des personnages forts, le loup, la sorcière… Je trouve ça dommage que l’identité de ces personnages-là ait été si… tournée en dérision aujourd’hui et trop largement. En fait c’est des personnages de dessin animé en gros. On a souvent perdu l’intensité de l’émotion ou du sentiment ou de la sensation. Je trouve ça dommage.
170
En petite enfance, il y a principalement une évolution des méchants vers le ridicule. Ils ne font plus vraiment peur ? C’est ça. Alors il ne s’agit pas de terroriser une génération non plus, mais je trouve que c’est dommage de tout tourner en ridicule. Je pense que c’est important de réintégrer des figures comme ça, impressionnantes ou un peu terrorisantes, en gardant en tête que comme on s’adresse à des tout-petits, il faut quelque chose qui les fasse respirer. Une fin rassurante ? Oui c’est ça. L’angoisse ne peut pas rester. Le tout-petit n’a pas le recul nécessaire et la culture et la connaissance des histoires pour prendre de lui-même le recul. Il faut quand même lui ouvrir le champ. Sinon c’est un peu à gérer pour lui, il prend tout en pleine poire. Après, ce n’est pas une figure de conte, mais à l’inverse, j’ai toujours été très friande de lectures avec des figures qui incarnent la peur, loup, sorcière, qui soient des figures de l’imaginaire, qui n’aient pas d’emprise sur le quotidien et la réalité de l’enfant. En revanche, je me suis toujours refusée de publier des histoires avec des monstres qui sont cachés sous le lit par exemple, pour moi c’est un non-sens. Parce que de jouer sur le côté mi-réel, mi-imaginaire, je trouve ça, c’est mon ressenti personnel, je trouve ça étrange de jouer à faire croire à des enfants qu’il y a des monstres cachés dans leur chambre. Moi qui aie eu une petite qui avait des terreurs nocturnes, je t’assure que si on lui avait lu ce genre d’histoires… Je préfère les grandes figures de l’imaginaire. Il n’y a pas besoin de raccorder ça au quotidien de l’enfant. Au contraire, je trouve que c’est d’autant plus fort s’il se projette dans un autre monde. Ils s’identifient de toute façon, tu n’as pas besoin de ramener ça dans leur quotidien, ils le font très bien tous seuls. Ils interprètent les choses souvent beaucoup plus justement que les adultes d’ailleurs. Je trouve ça important de faire la part de choses entre le quotidien des enfants. En revanche ce que je trouve dommage c’est que l’imaginaire s’est lissé et je ne sais pas si c’est lié ou pas, mais je trouve que le glissement de l’imaginaire dans le quotidien de l’enfant fait que tout s’est un peu lissé. Parce qu'il ne faut rien dire qui puisse le heurter, tout ça… Je trouve ça dommage en fait. Il y a les
171
histoires de l’enfant, du quotidien qui sont importantes dans leur mesure, mais je trouve aussi qu’il faut leur garder… On a trop souvent tendance à lire et à éditer des livres pour les tout-petits qui sont ancrés dans leur quotidien et dans leurs problèmes. En fait, à cet âge-là, ils ont aussi besoin de partir ailleurs. Je déteste ce qu’on appelle la « littérature-médicament ». Je ne comprends pas ce « on va déménager, on va prendre un livre sur le déménagement ; tu vas avoir un petit frère, on prend un livre sur le petit frère ». Alors je l’ai fait aussi parfois avec mes enfants quand il y avait des questions ou des petits nœuds particuliers. Mais aujourd'hui, les parents achètent de la littératuremédicament en fait. Soit c’est du consommable pour occuper les petits, soit c’est un livre qui répond à une problématique du quotidien de l’enfant. Moi, ça m’énerve. J'aime bien l’idée qu’on fait justement des livres pour les sortir de leur quotidien. Il faut aussi leur offrir de belles histoires ou des histoires terribles, à leur mesure bien sûr, qu’ils leur provoquent des émotions. La littérature pour les tout-petits, ça peut aider à répondre à des problématiques de leur quotidien, mais la littérature de jeunesse pour les tout-petits, en premier lieu, elle est là pour faire aimer les mots, la langue, les sons, les images, le mouvement, en un mot plonger l’enfant dans toute la richesse et la saveur d’un livre. Ça, pour moi, tu l’as si tu es transporté. Même en tant qu’adulte, tu te passionnes par un bouquin quand tu es complètement ailleurs, happé dans ton truc. Ça peut arriver que tu passionnes pour un essai sur une question précise, mais quand tu te plonges dans un roman, tu t’en vas de chez toi quoi, tu n’es plus dans ton quotidien. Les enfants c’est pareil, il faut leur faire aimer ça. C’est pour ça que j’achète des trucs comme Bonne nuit le monde, ils vont loin et ils en prennent ce qu’ils veulent. Tout ça pour dire que les grandes figures des contes qui font peur se sont trop assagies, ont trop glissé dans le quotidien. Louise me disait que les mères avec qui elles travaillent ont peur de faire peur à leur enfant Oui, c’est ça. Tout est trop lissé. Quand je suis allée intervenir en bibliothèque à Vitry il y a quelques semaines, il y avait beaucoup
172
de femmes qui travaillaient dans des crèches, des puéricultrices. Je leur avais emmené trois textes, deux refusés et un accepté pour leur faire comme un comité de lecture. Je les ai laissé lire puis on en a parlé et je leur ai demandé ce qu’elles auraient fait, pourquoi, comment. Entre autres, il y avait le texte que j’ai accepté d’Yves Grevet qui joue sur la peur. Pour le coup, il n’y a pas de figure de méchant. On ne le sait pas au départ, le texte commence par un enfant abandonné, puis au bout d’un moment, on comprend, quand le point de vue s’éloigne, que l’enfant est sous une table avec une nappe et jouait à se faire peur. Un parent vient la chercher et elle, elle voulait rester dans son imaginaire. Une puéricultrice était super choquée, elle disait que l’enfant allait croire que ses parents l’avaient abandonné. Or c’est le jeu, le pari du livre. À la première lecture, l’enfant se fait peur et par la suite il pourra y rejouer. Je n’aurais pas fait ce texte s’il n’y avait aucune chute, aucune pirouette. Je ne fais pas un enfant abandonné dans la forêt qui meurt de faim. Si l’enfant n’allait pas jusqu’au bout de l'histoire, ça lui aurait fait peur. Mais un livre, tu vas jusqu’au bout. Le loup, la sorcière, c’est pareil. En fait, aujourd'hui, on ne veut plus du tout créer… On a tellement eu ce discours moralisateur, bienveillant de « il faut préserver l’enfant, c’est un être magnifique tout ça tout ça », c’est vrai, mais c’est un être qui se construit. Il a besoin de tout ça, de jouer à se faire peur. C'est important pour sa construction à lui Surtout qu’ils connaissent déjà la peur… Mais bien sûr ! Tu ne peux pas nier l’être humain. Ne pas leur en parler, c’est créer un tabou ? C’est ça exactement. On est assez pour réintégrer le loup comme vraie figure de peur à l’ancienne qui mange les enfants. Même des textes classiques, comme Marlaguette chez le Père Castor, où à la fin il redevient sauvage et retourne bouffer les animaux, je ne sais pas si on pourrait le publier comme ça. On s’interdit tellement de choses maintenant sous prétexte qu’on va choquer. Ça veut aussi dire qu’on ne fait pas confiance aux enfants. On ne les juge pas capables d’avoir l’interprétation du truc… On leur prémâche du tout, on ne leur fait plus découvrir de nouvelles saveurs, je trouve ça vraiment dommage.
173
C’est bien aussi de faire rire et de détourner certaines figures. J'aime bien détourner certaines sacro-saintes figures, je trouve ça bien. Mais ça n’empêche qu’il faut aussi savoir garder certaines figures telles qu’elles sont avec leur côté sombre. Il y a besoin de rire, mais aussi de se faire peur et il ne faut pas que l’un annule l’autre. Je trouve qu’on a trop tendance à lisser. Mais c’est nousmêmes, en tant qu’éditeurs aussi qui ne nous autorisons plus à faire et publier certaines choses, de peur de choquer. Aussi parce que les commerciaux vont freiner des quatre fers. Ce serait compliqué d’imaginer « Peau d’âne » aujourd’hui ? Ah, tu ne pourrais plus. Il y a plein de choses qui sont compliquées de faire aujourd’hui. Déjà tous les contes classiques, personne n’irait éditer une histoire comme ça si elle n’était pas déjà connue aujourd'hui, c’est sûr. On s’est mis tellement d’autocensure. Sûrement à tort, je trouve. Après c’est l’intelligence de l’homme aussi de savoir jauger ce qui peut être…. Autant toutes les questions sur la place de la femme, ce sont des choses auxquelles je pense, il est important de penser parce que des livres ont été écrits à l’époque avec une autre société et qu’aujourd’hui moi-même il y a des choses que je n’ai pas envie d’écrire. J’ai envie de montrer à mes filles des figures féminines qui ne sont pas celles des années 50. Mais après ce n’est pas la même chose pour les figures qui sont de l’ordre de l’imaginaire. C’est pour ça aussi que c’est important que ces grosses figures là soient des figures de l’imaginaire et qu’elles gardent leur côté cathartique. On n’est pas dans les histoires du quotidien. Forcément, si tu appelles un loup dans ton quotidien, tu vas l’assagir. Tu ne peux pas faire rentrer un personnage de conte terrifiant dans l’univers d’un tout-petit sans te dire, en fait il est gentil. Il faut le déplacer, le laisser là où il est dans l’imaginaire. Tout ça ça se complète. Mais à trop vouloir tout ramener à soi… C’est ça le problème : la société actuelle fait qu’on souhaite toujours tout ramener à nous. On est une espèce de grosse société individualiste où tout ce qu’on lit, on le ramène à notre propre expérience selon nos propres critères, nos propres besoins et on est une société méga-individualiste, on veut tout ramener à nous, y compris nos histoires qu’on ramène dans le quotidien de nos enfants pour que ça leur parle directe ment.
174
Certains publient des livres où tu peux imprimer dessus le prénom de l’enfant, pour que ça leur parle d’eux. L'égocentrisme absolu qui se répercute aussi sur les enfants. Soi-disant l’enfant ne pourrait aimer qu’un livre qui lui parle de lui, mais non au contraire. Il faut réapprendre à l’enfant à regarder ailleurs et à vibrer avec des histoires qui ne le concernent pas. C'est avec ces histoires-là qu’il apprendra à se construire, avec la peur. Mais bon c’est une évolution de la société et après on fait comme on peut. Est-ce que tu penses qu’il y a des choses qu’on ne peut pas dire aux enfants ? Ou est-ce qu’il y a plutôt une certaine façon de le faire ? Dans un livre, est-ce qu’on peut tout dire ? Euh ouais. Je dirais ça aussi, qu’on peut tout dire à partir du moment où tu lui donnes une clef pour retomber sur ses pieds. Après, c’est parce que moi je fonctionne comme ça avec mes propres filles par exemple. En revanche, je fais en sorte de ne pas les inquiéter. Il ne faut pas créer d’angoisse. Il faut pouvoir nourrir leur construction sans créer d’angoisse. Après effectivement tu ne dis pas tout à des tout-petits, il faut pouvoir tenir compte de leur âge te de leur possibilité d’intégrer ce que tu leur dis. Mais à leur niveau, si tu as la bonne façon et la bonne approche, oui tu peux leur dire. D'où l’importance du caractère imaginaire des histoires ? Pour moi c’est vraiment important de les faire sortir de leur quotidien parce que ce sera d’autant plus facile de leur faire passer des messages ou en tout cas juste des émotions qu’ils ne pourraient pas vivre avec quelque chose qui leur ressemble trop. Sinon c’est trop dur. Si tu le déplaces dans l'imaginaire, ça va être plus simple pour eux de s’y plonger et ça ne les empêchera pas de se projeter malgré tout. Peut-être qu’il y a un aspect cathartique là-dedans ? Vivre les émotions à travers quelqu’un d’autre, ici un héros de papier, pour la première fois sans être concerné Oui et je pense que c’est important. On a trop souvent tendance à considérer les enfants comme des petites choses fragiles. En fait non, ils sont forts et pleins de ressources. Je ne dis pas qu’il faut les élever à la dure. Avec mes filles il y a un album qu’on a adoré dans lequel les deux personnages s’écrivent des lettres
175
d’insultes, à la fin ils se rapprochent et se rendent compte qu’ils se ressemblent. Je trouve ça vachement drôle et bien. Mais la vie c’est comme ça aussi, on se met en colère, on a peur, on se crie dessus, on est heureux. En tant qu’adulte, ça m’insupporte de ne voir que des films tout gentils. Des fois aussi tu as envie d’être bousculée, de ne pas voir que des choses mielleuses. Je ne vois pas pourquoi on refuserait ça aux enfants, pourquoi les voir autrement que comme des êtres humains qui ont envie et besoin d’avoir des émotions ; ça va avec les livres. Pourquoi on leur interdirait d’avoir peur dans un livre, de pleurer ? C’est riche de vivre des émotions comme ça, quand on a la chance de les vivre à travers un livre et des histoires. Ce serait dommage de les en priver, parce que ça te nourrit, ça te rend plus fort, plus riche… On a tendance à considérer les petits comme des petits êtres fragiles à qui il ne faut donner que du mignon, du tout doux. C'est bien, il en faut, mais il faut aussi les titiller un peu. Je pense que c’est important pour eux. Et puis je pense que les enfants dès tout-petits savent déjà ce que c’est que la peur, la méchanceté... Va dans une cour de récré, c’est horrible. Ça me fend le cœur, des fois, ils peuvent être d’une méchanceté atroce entre eux. Au contraire, donnons-leur la possibilité d’exorciser le truc, de les vivre autrement et de pouvoir avoir des clefs, des petits trucs dont ils peuvent s’emparer.
176
BIBLIOGRAPHIE CONTES & ALBUMS : ANDERSEN, Hans Christian et DANIEL, Noël, Les contes de Hans Christian Andersen, traduit du danois par David Soldi, Ernest Grégoire et Louis Moland, Cologne, Taschen, 2017 BIZOUERNE, Gilles et DELAPORTE, Bérangère, Où tu vas comme ça ?, Paris, Didier Jeunesse, 2018 COOPER, Helen, La soupe au potiron [Pumpkin Soup, 1998], Paris, L’école des loisirs, 1999 CORENTIN, Philippe, Mademoiselle Sauve-qui-peut, Paris, L’école des loisirs, 1996 GRIMM, Jacob, GRIMM Wilhelm et DANIEL, Noël, Les contes des frères Grimm, [Kinder und Hausmärchen] traduit de l’allemand par Natacha Rimasson-Fertin, Cologne, Taschen, 2017 GRIMM, Jacob, GRIMM Wilhelm et SCHENCKER, Sybille, Le petit chaperon rouge [Rotkäppchen, 2014], traduit de l’allemand par Julie Duteuil, Zurich, Minedition, 2014 GRIPARI, Pierre, La sorcière de la rue Mouffetard et autres contes de la rue Broca, Paris, Gallimard, 2002 KORKY, Paul et THOMAS, Valérie, Pélagie n’a peur de rien [Winnie Flies Again, 1999], Toulouse, Milan, 2000 KORKY, Paul et THOMAS, Valérie, Pélagie la sorcière [Winnie the Witch, 2006], traduit de l’anglais par Hélène Montardre, Toulouse, Milan jeunesse, 2006 NELSON, Sandra et PELON, Sébastien, Matriochka, Paris, Flammarion, 2012 OCELOT, Michel, Kirikou et la sorcière, Toulouse, Milan, 2000 PALLARO, Catherine et FONTAINE, Anouck, La jeune fille et le hibou, Paris, Didier Jeunesse, 2019 PENNART, Geoffroy, Chapeau rond rouge, Paris, L’école des Loisirs, 2004
177
PENNART, Geoffroy, Le déjeuner des loups, Paris, L’école des Loisirs, 1998 PERRAULT, Charles, Contes de ma mère l’Oye [1697], Paris, Gallimard, 2018 PERRAULT, Charles et FERON, Pierre, Les Contes de Perrault, Paris, Casterman, 1902 PERRAULT, Charles et A. Robida, E. Tap, R. Candide, Les contes de Perrault, Paris, Imagerie merveilleuse de l’enfance, 1941 POMMAUX, Yvan, John Chatterton détective, Paris, L’école des loisirs, 1993 RAMOS Mario, C’est moi le plus fort, Paris, L’école des loisirs, 2001 ROWE, Louise d’après Charles Perrault, Le petit chaperon rouge [Red Riding Hood: A Pop-up Book, 2009], Paris, Mango, 2009 PONTI, Claude, L’arbre sans fin, Paris, L’école des loisirs, 1992 SCIESZKA, Jon, SMITH, Lane, La vérité sur l’affaire des trois petits cochons [The True Story of the 3 Little Pigs, 1989] traduit de l’anglais par Gilles Lerger, Paris, Nathan, 1991 SOLOTAREFF, Grégoire, Loulou, Paris, L’école des Loisirs, 1999 TRIMM, Timothée, Les contes de Perrault continués par Timothée Trimm, Paris, Le Journal illustré, 1865 UNGERER, Tomi, Le géant de Zéralda, Paris, L’école des Loisirs, 2002 VAUGELADE, Anaïs, La soupe aux cailloux, Paris, L’école des loisirs, 2000
ROMANS : LARSSON, Stieg, La fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette [Flickan som lekte med elden, 2005] traduit du suédois par Lena Grumbach et Marc de Gouvernain, Arles, Actes Sud, 2006
178
LEE, Harper, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur [To Kill A Mockingbird, 1960] traduit de l’anglais par Mme Stoïanov et Isabelle Hausser, Paris, Editions de Fallois, 2005 ROWLING, J K, Harry Potter à l’école des sorciers [Harry Potter and the Philosopher’s Stone, 1997] traduit de l’anglais par Jean-François Ménard, Paris, Gallimard, 1998 RUIZ ZAFON, Carlos, El principe de la niebla, Barcelone, Edebé, 1993 TRAMIER, Aurélie, Peindre la pluie en couleurs, Paris, Marabout, 2020
FILMS : GERONIMI, Clyde, La belle au bois dormant [Sleeping Beauty, 1959], 1959, Walt Disney Pictures HAND, David (réalisateur), Blanche-Neige et les sept nains [Snow White and the Sewen Dwarfs, 1937],1938, Walt Disney Productions MUSKER, Jon et CLEMENTS, Ron, La petite sirène, [The Little Mermaid, 1989], 1990, Walt Disney Pictures, Silver Screen Partners IV OCELOT, Michel (réalisateur), Kirikou et la sorcière, 1998, Les Armateurs, Studio O, Odec Kid Cartoons, Trans Europe Film STROMBERG, Robert (réalisateur), Maléfique [Maleficient, 2014], 2014, Moving Picture Company, Roth Films, Walt Disney Pictures
OUVRAGES CRITIQUES OUVRAGES : BETTELHEIM, Bruno, Psychanalyse des contes de fées [1976], Paris, Robert Laffont, 2000 BOULAIRE, Cécile, Lire et choisir ses albums. Petit manuel à l’usage des grandes personnes, Paris, Didier Jeunesse, 2018 BRICOUT, Bernadette, La clef des contes, Paris, Seuil, 2005
179
CHOLLET, Mona, Sorcières. La puissance invaincue des femmes, Paris, La Découverte, 2018 CONNAN-PINTADO, Christiane et TAUVERON, Catherine, Fortune des Contes des Grimm en France. Formes et enjeux des rééditions, reformulations, réécritures dans la littérature de jeunesse, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2014 GOULD, Joan, Spinning straw into gold. What Fairy Tales reveals about the transformations in a woman life, New York, Random House, 2006 LANDRY, Tristan, La mémoire du conte folklorique de l'oral à l'écrit. Les frères Grimm et Afanas'ev, Québec, Presses de l'Université Laval, 2005 LOJKINE, Patricia, Contes en réseaux. L’émergence du conte sur la scène littéraire européenne, Genève, Droz, 2013 MARTIN, Marie-Claire et MARTIN, Serge, Quelle littérature pour la jeunesse ?, Paris, Klincksieck, 2009 MORICEAU, Jean-Marc, Histoire du méchant loup. 3000 attaques sur l’homme en France (XV-XX siècle), Paris, Fayard, 2007 PASTOUREAU, Michel, Noir. Histoire d’une couleur, Paris, Editions du Seuil, 2008 PASTOUREAU, Michel, Dictionnaire des couleurs de notre temps, Chamallières, Bonneton, 1999 PROPP, Vladimir, Morphologie du conte [Morfologija skazki ; Transformacii volshebnykh shazok, 1969] traduit du russe par Marguerite Derrida, Tvetzan Todorov et Claude Kahn, Paris, Seuil, 1970 ROLLAND, Annie, Qui a peur de la littérature ado ?, Paris, Editions Thierry Magnier, 2008 TURIN, Joëlle, Ces livres qui font grandir les enfants, Paris, Didier Jeunesse, 2008
ARTICLES :
180
BERLIOZ, Jacques, « Le véritable père du Petit chaperon rouge », L’Histoire, n°126, Octobre 1989 BIRRAUX, Annie, « les animaux dans les phobies d’enfants », Enfances & Psy, 2007/2 n° 35, pp.8-14 BOUSQUET, Lucie, « le conte et ses images », La lettre de l’enfance et de l’adolescence, 2010/1 n°79, pp.53-58 HEIDMANN, Ute, « Ces images qui détrompent… Pour une lecture iconotextuelle des recueils manuscrit et imprimé des contes de Perrault », Féeries, n°11, 2014 PAGONI-ANDRÉANI, Maria, « La place de la norme dans les albums de jeunesse pour des enfants de 3 à 6 ans », Le Télémaque, 2003/1 n° 23, p. 99-116, p.105 TASSIN, Karine, « la place de l'animal dans la psychothérapie de l'enfant », Enfances & Psy, 2007/2 n° 35, pp. 58 – 68 CHAPITRES D’OUVRAGES COLLECTIFS : CONNAN-PINTADO, Christiane, « De Perrault à nos jours : le double discours du conte », dans I. Cani, N. Chabrol-Gagne, C. D’Humières (dir.), Devenir adulte et rester enfant ? Relire les productions pour la jeunesse, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2008, pp.269-281 CONNAN-PINTADO, Christiane,« Evolution des rôles dans la triade féminine du Petit Chaperon rouge », pp.107-118 in/apud D’un conte à l’autre, d’une génération à l’autre, dir. Catherine d’Humières, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2008 FEINSTEIN, Katy, « Le livre et le tout-petit enfant » dans BEN SOUSSAN, Patrick, Petite enfance et cultures en mouvement, Toulouse, ERES, 2004, pp.107-117 HÉTIER, Renaud, « Les trois parents de l'enfant : père, mère, marâtre de la tradition, mère, père et beau-père de la modernité » dans D’HUMIÈRES, Catherine (dir.) D'un conte à l'autre, d'une génération à l'autre, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2008, pp 13-24 PEYRACHE-LEBORGNE, Dominique, « Violence et douceur des contes de Grimm, dans le texte et dans l’image, des frontispices anciens aux albums contemporains » dans
181
PEYRACHE-LEBORGNE, Dominique (dir.) Vies et métamorphoses des contes de Grimm. Traductions, réception, adaptations, Rennes, Presses Universitaires de Rennnes, 2017, pp. 105-126, VIGNARD, Anne, « Écritures et réécritures de textes patrimoniaux tels que les contes dans les albums de littérature de jeunesse : transmission ou trahison ? », Paris, Biennale internationale de l’éducation, de la formation et des pratiques professionnelles, Juillet 2012 PIFFAULT, Olivier (dir.), Il était une fois… les contes de fées, Paris, Seuil/Bibliothèque nationale de France, 2001 : G DE LA GODELINAIS MARTINOT-LAGARDE, Tifenn, « La mise à l’épreuve » , dans Olivier Piffault (dir.), Il était une fois… les contes de fées, Paris, Seuil/Bibliothèque nationale de France, 2001, pp.395404 G MEUNIER, Véronique, « Le bestiaire fantastique » dans Olivier Piffault (dir.), Il était une fois… les contes de fées, Paris, Seuil/Bibliothèque nationale de France, 2001, pp.375-385 G MEUNIER, Véronique, « Figures du merveilleux dans le conte de fées littéraire », dans Olivier Piffault (dir.), Il était une fois… les contes de fées, Paris, Seuil/Bibliothèque nationale de France, 2001, pp. 386394 Les cahiers du CRILJ numéro 5 Novembre 2013, Les méchants : des personnages comme il (en) faut, Orléans, CRILJ, 2013 G BROSSEAU, Cécile, « Propos d’auteurs, paroles de médiateurs » dans Les cahiers du CRILJ numéro 5 Novembre 2013, Les méchants : des personnages comme il (en) faut, Orléans, CRILJ, 2013, p.35 G FERRIER Bertrand, « Du sale juif à la pastille Vichy : le droit à la méchanceté dans les livres pour la jeunesse » dans Les cahiers du CRILJ numéro 5 Novembre 2013,
182
G
G
G
Les méchants : des personnages comme il (en) faut, Orléans, CRILJ, 2013, pp.48-59 TIBERGHIEN, Muriel, « Fripouilles, canailles, brigands et vrais méchants à travers 150 ans de littérature jeunesse » dans Les cahiers du CRILJ numéro 5 Novembre 2013, Les méchants : des personnages comme il (en) faut, Orléans, CRILJ, 2013, pp.60-64 TURIN, Joëlle, « Les grands méchants loups le sont-ils toujours ? » dans Les cahiers du CRILJ numéro 5 Novembre 2013, Les méchants : des personnages comme il (en) faut, Orléans, CRILJ, 2013, pp.79-85 LE GUIRINEC, Pierre, « L’enfant, l’album et le méchant : du stéréotype à l’activation des préjugés » dans Les cahiers du CRILJ numéro 5 Novembre 2013, Les méchants : des personnages comme il (en) faut, Orléans, CRILJ, 2013, pp.86-98
183
CREDITS DES ILLUSTRATIONS Introduction : Saint Georges contre le dragon. Illustration de Flora Annie Steel pour English Fairy Tales publié en 1927 Mise sur Pixabay par GDJ La lampe d’Aladdin Mise sur Pixabay par OpenClipart-Vectors Chapitre 1 Sorcière sur un balai avec son chat noir Mise sur Pixabay par StarGladeVintage Loup sauvage Mise sur Pixabay par StarGladeVintage La sorcière de Hanset et Gretel : illustration de John D. Batten Mise sur flickr par plaisanter~ (licence CC BY-SA 2.0) Portrait de Charles Perrault (image recadrée) par Harry Clarke pour une édition anglaise des contes datant de 1922 Mise sur Flickr par CircaSassy Sorcière fantaisie Mise sur Pixabay par OpenClipart-Vectors Chapitre 2 Illustration de Hans Tegner pour le livre de contes d’Andersen Fairy tale and Stories (1900) disponible sur Wikimedia Commons Frayeur dans la chambre à coucher Mise sur Pixabay par OpenClipart-Vectors Illustration de loup du livre Animaux Héros (1905) de Ernest Thompson Seton Mise sur Flickr par CircaSassy
185
Petit chaperon rouge Mise sur Pixabay par AnnaliseArt Chapitre 3 Illustration de loup du livre Animaux Héros (1905) de Ernest Thompson Seton Mise sur Flickr par CircaSassy Loup chevauché Mise sur Pixabay par Clker-Free-Vector-Images « Miscellaneous magic » du livre Magic No Mystery par William Henry Cremer (1876) (image recadrée) Mise sur flickr par plaisanter~ (licence CC BY-SA 2.0) Illustration de D. J. Munro pour une édition des contes de Perrault intitulée The Tales of Mother Goose Mise sur Flickr par CircaSassy Renard Mise sur Pixabay par Clker-Free-Vector-Images Conclusion : Silhouette vintage d’une femme en train de lire Mise sur Pixabay par Jo-B Petite fée Mise sur Pixabay par Clker-Free-Vector-Images
186
Structures éditoriales du groupe L’Harmattan L’Harmattan Italie Via degli Artisti, 15 10124 Torino [email protected]
L’Harmattan Sénégal 10 VDN en face Mermoz BP 45034 Dakar-Fann [email protected] L’Harmattan Cameroun TSINGA/FECAFOOT BP 11486 Yaoundé [email protected] L’Harmattan Burkina Faso Achille Somé – [email protected] L’Harmattan Guinée Almamya, rue KA 028 OKB Agency BP 3470 Conakry [email protected] L’Harmattan RDC 185, avenue Nyangwe Commune de Lingwala – Kinshasa [email protected]
L’Harmattan Hongrie Kossuth l. u. 14-16. 1053 Budapest [email protected]
L’Harmattan Congo 67, boulevard Denis-Sassou-N’Guesso BP 2874 Brazzaville [email protected] L’Harmattan Mali ACI 2000 - Immeuble Mgr Jean Marie Cisse Bureau 10 BP 145 Bamako-Mali [email protected] L’Harmattan Togo Djidjole – Lomé Maison Amela face EPP BATOME [email protected] L’Harmattan Côte d’Ivoire Résidence Karl – Cité des Arts Abidjan-Cocody 03 BP 1588 Abidjan [email protected]
Nos librairies en France Librairie internationale 16, rue des Écoles 75005 Paris [email protected] 01 40 46 79 11 www.librairieharmattan.com
Librairie des savoirs 21, rue des Écoles 75005 Paris [email protected] 01 46 34 13 71 www.librairieharmattansh.com
Librairie Le Lucernaire 53, rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris [email protected] 01 42 22 67 13
« Il était une fois des contes aux forêts peuplées d’ogres, de loups et de sorcières et aux châteaux qui renfermaient de méchantes marâtres, de mauvaises fées et des ogresses déguisées. Les contes de fées auraient aussi pu s’appeler les contes de loups ou contes d’ogres ! » Que serait le Petit chaperon rouge sans son loup aux grandes dents ou Blanche-Neige sans sa méchante belle-mère ? Certainement pas des héroïnes de conte ! Alors que le héros doit se débarrasser des méchants pour arriver à sa fin heureuse, le conte a besoin d’eux. Car sans eux, pas d’histoire, et sans histoire, pas de héros ou d’héroïne… Depuis les premiers recueils de Perrault et Grimm, et avant eux les versions orales transmises de générations en générations, les méchants ont évolué et se sont transformés : la sorcière est devenue populaire, le loup ridicule et l’ogre toujours aussi méchant. Ce livre se penche sur leurs évolutions ainsi que sur l’importance, paradoxale et surprenante mais bel et bien indispensable, des méchants dans les histoires pour les plus jeunes. Les contes ont autant besoin de leur fin heureuse que de leurs moments qui font frissonner.
Récemment diplômée en littérature pour la jeunesse et amatrice de contes, Eva Barcelo-Hermant est heureuse de vous présenter le fruit de ses recherches. Apprentie bibliothécaire, elle se prépare à raconter de nombreuses fois le « Petit chaperon rouge » !
Illustration de couverture : Illustration de loup du livre Animaux Héros (1905) de Ernest Thompson Seton
ISBN : 978-2-14-027104-5
19,50 €
Eva Barcelo-Hermant
La fabrique des méchants
Contes de loups, contes d’ogres, contes de sorcières
Contes de loups, contes d’ogres, contes de sorcières
Eva Barcelo-Hermant
Contes de loups, contes d’ogres, contes de sorcières La fabrique des méchants