Commencement de commentaire sur l’épître aux Romains: Introduction, édition critique, traduction et commentaire par Daniel Hadas 3110595249, 9783110595246

Peu avant d’accéder à l’épiscopat d’Hippone, en l’année 395/96, Augustin entreprend un projet ambitieux de commentaire s

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Commencement de commentaire sur l’épître aux Romains: Introduction, édition critique, traduction et commentaire par Daniel Hadas
 3110595249, 9783110595246

Table of contents :
Avertissement
Table des matières
1. Introduction générale
2. Introduction à l’édition
Conspectus siglorum
Texte et traduction
Commentaire
Sigles
Bibliographie
Index

Citation preview

Augustine d’Hippone Commencement de commentaire sur l’épître aux Romains

Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum (CSEL)

Herausgegeben von der Arbeitsgruppe CSEL an der Universität Salzburg

Extra Seriem

Augustine d’Hippone

Commencement de commentaire sur l’épître aux Romains Introduction, édition critique, traduction et commentaire par Daniel Hadas

International Advisory Board: François Dolbeau, Roger Green, Rainer Jakobi, Robert Kaster, Ernst A. Schmidt, Danuta Shanzer, Kurt Smolak, Michael Winterbottom Zur Erstellung der Edition wurde das Programm CLASSICAL TEXT EDITOR verwendet.

ISBN 978-3-11-059524-6 e-ISBN (PDF) 978-3-11-059478-2

Library of Congress Control Number: 2018964955 Bibliografische Information der Deutschen Nationalbibliothek Die Deutsche Nationalbibliothek verzeichnet diese Publikation in der Deutschen Nationalbibliografie; detaillierte bibliografische Daten sind im Internet über http://dnb.dnb.de abrufbar. © 2019 Walter de Gruyter GmbH, Berlin/Boston Druck und Bindung: Hubert & Co. GmbH & Co. KG, Göttingen www.degruyter.com

Avertissement Les abréviations employées pour les ouvrages d’auteurs antiques sont, pour les textes latins, ceux du Thesaurus Linguae Latinae, et pour les textes grecs, ceux du Greek-English Lexicon de Liddell-Scott-Jones et du Patristic Greek Lexicon de Lampe. Sauf indication contraire, les éditions consultées sont, pour les textes latins, celles utilisées par la base de données Library of Latin Texts de Brepols,1 et pour les textes grecs, celles utilisées par la base de données Thesaurus Linguae Graecae. Dans la mesure du possible, les citations sont faites par chapitre : nous ne renvoyons pas systématiquement aux éditions elles-mêmes, mais le faisons chaque fois qu’un texte pourrait être difficile à localiser autrement.2 Renvois : Beaucoup d’ouvrages d’Augustin ont été divisés par les Mauristes ou les éditeurs postérieurs3 en chapitres et sous-chapitres, selon deux numérotations continues. Le cas échéant, par souci d’économie, nous renvoyons seulement aux sous-chapitres : ainsi, nous renvoyons, par exemple, à conf. 7,13, plutôt qu’à conf. 7,9,13. Nous avons généralement agi de même pour les ouvrages d’autres auteurs divisés de façon similaire. Pour le texte de l’Inchoata expositio, la division en chapitres est celle des Mauristes ; la division en sous-chapitres vient de CSEL 84. Pour les revues savantes, les sigles employés sont ceux de l’Année Philologique. Traductions : Nous sommes responsable de toutes les traductions dans ce livre. Nous avons choisi de traduire non seulement le texte édité, mais aussi toutes les citations latines et grecques dans l’introduction générale et le commentaire. Nous espérons ainsi rendre ce livre plus accessible, notamment aux étudiants. Les traductions ont pour seul objet de faciliter la compréhension de l’original. Elles sont donc très littérales, ce qui donne un français souvent peu élégant. S’il nous est permis de nous abriter sous les ailes du saint patron de l’érudition : Jérôme, malgré sa célèbre défense de la traduction ad sensum, n’a pas agi autrement en traduisant la Bible.

|| 1 Des listes des éditions de référence pour les œuvres d’Augustin sont disponibles sur les sites internet de l’Augustinus-Lexikon et de la Nuova Biblioteca Agostiniana. 2 Deux précisions : pour le commentaire d’Origène sur l’épître aux Romains, nous avons utilisé la division en chapitres et sous-chapitres de l’édition de C. HAMMOND BAMMEL (Der Römerbriefkommentar des Origenes : kritische Ausgabe der Übersetzung Rufins, 3 t., Freiburg 1990–1998), qui est reprise dans toutes les éditions et traductions subséquentes. Pour les sermons sur les épîtres de Paul de Jean Chrysostome, nous avons utilisé l’édition de Montfaucon, telle qu’elle est reproduite dans PG. L’édition de FIELD (voir CPG 4427–4440) lui est bien supérieure, mais elle est trop souvent introuvable. 3 Pour les ouvrages dont l’editio princeps est postérieure aux Mauristes. Là où la capitulation des Mauristes existe, nous l’avons toujours respectée (ainsi, nous n’avons pas employé la nouvelle division en chapitres de lib. arb. dans CSEL 74, ni celle de doctr. christ. dans CSEL 80).

https://doi.org/10.1515/9783110594782-001

VI | Avertissement

Ad maiorem Dei gloriam. Ce livre est la version remaniée d’une thèse doctorale soutenue le 17 janvier 2015 à l’Université de Paris IV – Sorbonne, devant un jury constitué de Vincent Zarini (directeur de la thèse), Jean-Marie Salamito, Martine Dulaey et Michele Cutino. Je les remercie tous pour leurs conseils et corrections, de même que d’autres érudits parisiens : Laetitia Ciccolini, François Dolbeau, Pierre Petitmengin et Mickaël Ribreau. Je remercie de même les lecteurs anonymes du CSEL, puis Dorothea Weber, Victoria Zimmerl-Panagl et surtout Clemens Weidmann, pour son travail patient et méticuleux dans la préparation de ce livre pour la publication. Pour l’amélioration de mon expression française, je remercie Maëlle et Rozenn Quéré, et surtout Amicie Pélissié du Rausas. Je suis l’unique responsable de tous les défauts et lacunes du livre. J’ai eu le grand bonheur de pouvoir enseigner pendant toute la période de travail qui a conduit à ce livre. Je remercie donc mes collègues et étudiants au Courtauld Institute, à University College London et surtout à King’s College London. C’est grâce à eux que les études classiques et médiévales sont toujours restées pour moi une matière vivante, et je ne pense pas que j’aurais pu terminer autrement ce travail. Je remercie aussi particulièrement quelques compagnons de route dans l’étude de l’Antiquité tardive et de la transmission des textes, Tina Chronopoulos, Sophie Lunn-Rockliffe et Philip Wood. Surtout, je remercie Carlotta Dionisotti, onore e lume des études latines, dont l’érudition, la sagesse et la bonté ne cessent de m’inspirer et de me réjouir depuis le début des mes études. Je tiens à remercier ceux qui m’ont généreusement accueilli lors des nombreux voyages nécessités par ce travail : Anne-Sophie Briant-Vaghela, Anna Stamatopoulos, Nina Ogrowsky, Christine Bauquis, Rozenn Quéré, Benoît Pelé et leurs enfants, Perrine Lottier, Sacha Wolff et leurs enfants. En dernier lieu, je remercie ma famille et tous mes amis, quorum dilectio mihi centum codicibus potior est.

Table des matières 1 1.1 1.2 1.3 1.4 1.5 1.6 1.7 1.8 1.9 1.10

Introduction générale | 1 L’Inchoata expositio dans les Retractationes | 1 Titre et date | 1 Plan de l’œuvre | 3 Genre et style | 8 Contexte général | 11 Contexte augustinien | 15 Sources | 19 Thèmes | 21 Postérité | 24 Le regard des modernes | 28

2 Introduction à l’édition | 30 2.1 Manuscrits | 30 2.1.1 Famille Λ | 31 2.1.2 Famille Ξ | 43 2.1.3 Manuscrit contaminé | 64 2.1.4 Manuscrits perdus | 66 2.2 Le stemma et sa démonstration | 68 2.2.1 Élimination des manuscrits descendants de manuscrits existants | 68 2.2.2 Indépendance des autres manuscrits | 71 2.2.3 L’archétype (Ω) | 76 2.2.4 Familles et sous-familles | 77 2.2.5 Contamination | 79 2.2.6 La place de B | 79 2.3 Tradition indirecte | 82 2.3.1 Glossa ordinaria (Gl) | 82 2.3.2 Pierre Lombard (Lomb) | 83 2.4 Les éditions | 84 2.4.1 Analyse | 85 2.5 Claude de Turin | 90 2.5.1 Texte édité | 97 2.5.2 Notes sur le texte de Claude | 102 2.5.3 Modifications de Claude | 105 2.6 Commentaire anonyme dans Paris Lat. 11.574 | 106 2.7 Clausules | 110 2.7.1 Méthodologie | 111 2.7.2 Résultats | 113 2.7.3 Conclusions | 115

VIII | Table des matières

2.7.4 2.8 2.9

Critique textuelle | 117 Notes critiques pour l’Inchoata expositio | 117 Différences entre la présente édition et celle de CSEL 84 | 148

Conspectus siglorum | 150 Texte et traduction | 152 Commentaire | 196 Sigles | 390 Bibliographie | 391 Index | 399

1 1.1

Introduction générale L’Inchoata expositio dans les Retractationes

Dans les Retractationes (« Révisions »), le catalogue critique de ses œuvres qu’il rédigea vers 427,1 Augustin décrit ainsi le texte que nous présentons : Epistulae quoque ad Romanos sicut ad Galatas expositionem susceperam. Sed huius operis si perficeretur plures libri erant futuri. Quorum unum in sola disputatione ipsius salutationis absolvi, ab initio scilicet usque ad illud ubi ait: ‘gratia vobis et pax a Deo Patre nostro et Domino Iesu Christo’ [Rom. 1,7]. Factum est quippe ut immoraremur, cum vellemus solvere incidentem sermoni nostro difficillimam quaestionem de peccato in spiritum sanctum, quod non remittatur neque in hoc saeculo neque in futuro [Mt. 12,31s.]. Sed deinde cessavi alia volumina adiungere exponendo epistulam totam, ipsius operis magnitudine ac labore deterritus, et in alia faciliora deflexus sum. Ita factum est ut librum quem feceram primum relinquerem solum, cuius esse titulum volui ‘epistulae ad Romanos inchoata expositio’. (« J’avais aussi entrepris un commentaire de l’épître aux Romains, comme celui [de l’épître] aux Galates.2 Mais il y aurait eu plusieurs livres pour cette œuvre si elle avait été terminée. J’en terminai un en discutant seulement de la salutation même, c’est-à-dire du début jusqu’à l’endroit où il dit : ‘la grâce soit avec vous et la paix de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ’. Il advint en effet que nous nous attardâmes en voulant résoudre une question très difficile qui survint dans notre propos, celle du péché contre l’Esprit Saint, qui n’est pardonné ni en ce monde ni dans [le monde] à venir. Mais ensuite je tardai à y ajouter d’autres volumes3 pour commenter toute l’épître, découragé4 par l’importance et l’effort d’un tel travail, et je me détournai vers d’autres choses plus faciles. Ainsi advint-il que je laissai seul le premier livre que j’avais fait, dont je voulus que le titre soit ‘commencement de commentaire sur l’épître aux Romains’ »).

Puisque l’Inchoata expositio (comme nous appellerons désormais ce texte) ne comporte aucun indice interne de sa date ou de ses circonstances de composition, ce texte de retract. fournit nos seules informations sur ces sujets.

1.2

Titre et date

Augustin a donc nommé son texte Epistulae ad Romanos inchoata expositio. Possidius, évêque de Calama, ami et biographe d’Augustin, est moins précis. L’Indi-

|| 1 Retract. 1,25. Pour la datation, voir CCSL 57, xiii. 2 C’est à dire in Gal. 3 Pour le sens de ce terme, voir n. à 23,15, in aliis voluminibus. 4 Pour ce sens de deterritus, voir Serv. ecl. 6,3 : gesta regum Albanorum, quae coepta omisit nominum asperitate deterritus (les faits des rois albains, qu’il [sc. Virgile] commença, mais abandonna, découragé par la dureté de leurs noms).

https://doi.org/10.1515/9783110594782-002

2 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

culum, son propre catalogue des œuvres augustiniennes, parle seulement de quaedam exposita de epistola ad Romanos, libri duo (« quelques commentaires sur l’épître aux Romains, deux livres »).5 Ces deux livres ne peuvent être que l’Inchoata expositio et une œuvre antérieure, l’Expositio quarundam propositionum epistulae ad Romanos (« Commentaire sur quelques propositions de l’épître aux Romains », in Rom.),6 qui, ainsi que son titre l’indique, n’est pas un commentaire suivi de Rom.,7 tout comme l’Inchoata expositio ne commente que Rom. 1,1–7. Il faut en tout cas s’en tenir au titre d’Augustin. Il importe aussi de traduire i n c h o a t a expositio par « commentaire c o m m e n c é »8 ou « c o m m e n c e m e n t de commentaire », et non pas « commentaire inachevé », vel sim.9 En effet, inchoata10 est à contraster avec imperfectus, adjectif qu’Augustin ajouta au titre de sa première tentative de commentaire littéral du début de la Genèse : De Genesi ad litteram liber imperfectus (« Livre inachevé sur la Genèse selon la lettre »).11 Ce texte devait commenter en entier Gen. 1,1–31, mais s’arrête à Gen. 1,26.12 Il s’agit donc d’un ouvrage qu’Augustin mena presque à bout, alors que l’Inchoata expositio n’est qu’une ébauche. C’est ce que reflète la distinction entre inchoata et imperfectus.13 Comme Augustin a tenté de placer ses œuvres dans retract. en ordre chronologique,14 on peut fixer une date approximative pour l’écriture de l’Inchoata expositio. Le livre fait partie de la séquence dans retract. qui va de util. cred. à la fin du livre 1 : les ouvrages écrits quand Augustin était iam … apud Hipponem Regium presbyter

|| 5 Possid. indic. 10,1,11 (WILMART, Operum, 175). Comparer la description ibid. 10,1,12 de in Gal. : Expositio epistolae omnis ad Galatas, liber unus (« Commentaire sur t o u t l’épître aux Galates, un livre »). 6 Sur ce texte, voir retract. 1,23. 7 L’œuvre appartient plutôt au genre des Quaestiones. Voir MARA, Agostino interprete, 9 ; PLUMER, Augustine’s Commentary, 25. 8 RAULX et al. et PERONNE et al. traduisent « explication commencée ». 9 Voir DOLBEAU, Brouillons, 203 : « inchoata, épithète voulue par l’auteur, signifie ‘entamée, mais non achevée’ ». 10 Pour un autre exemple d’inchoatus dans ce sens (chez Ausone), voir DOLBEAU, Brouillons, 192. 11 Gen. ad litt. imperf. 12 Voir retract. 1,18. 13 Voir aussi retract. 1,4,1 et 1,5,1 sur soliloq., dont le statut d’imperfectus transparait à peine pour nous (sur ce point, voir DOLBEAU, Brouillons, 200), et retract. 2,4,1 sur doctr. christ., qu’Augustin décrit comme étant resté imperfectus quand il avait écrit, sur quatre livres envisagés, les deux premiers et une partie du troisième. imperfectus figure aussi dans le titre habituellement donné à c. Iulian. op. imperf., ouvrage qui est très loin de n’être qu’une ébauche. Mais comme son écriture fut interrompue par la mort d’Augustin, on ne peut attribuer son titre à l’auteur (voir CSEL 85/1, ix/x). Il remonte plutôt à l’Indiculum de Possidius, qui appelle aussi haer. un inperfectum opus (voir DOLBEAU, Brouillons, 195–197). 14 Retract. praef. 3. Sur les limites de retract. pour la chronologie, voir CCSL 57, xv–xxi. La thèse que l’Inchoata expositio fut écrite avant in Rom est à rejeter (voir MENDOZA, 488).

Introduction | 3

(« déjà prêtre à Hippone la Royale »),15 mais avant son ordination à l’épiscopat, alors que le livre 2 de retract. est consacré aux œuvres qu’il écrivit évêque. Or, Augustin fut ordonné prêtre en 39116 et évêque en 395 ou 396.17 L’Inchoata expositio fut écrite vers la fin de cette période, puisque seulement deux œuvres (divers. quaest. et de mend.) la suivent dans retract., toutes les deux en dehors de la séquence chronologique. Si l’on admet, sur la base de retract. 1,23,1, que in Rom. fut dictée à l’époque du Concile de Carthage du 26 juin 394,18 on peut encore préciser : selon l’ordre de retract., in Rom. est suivie de in Gal. puis de l’Inchoata expositio. Notre texte aurait donc été écrit après le Concile et avant l’élévation d’Augustin à l’épiscopat : entre juin 394 et 395/396. Il est impossible d’en savoir plus, puisque, bien que nous soyons certains qu’il composait rapidement, nous ne connaissons pas les détails du rythme de travail d’Augustin.

1.3

Plan de l’œuvre

I. Introduction (1) Le but de la lettre II. Exégèse de Rom. 1,1–7 (2–9) A

segregatus et vocatus (2)  segregatus correspond à la synagogue, vocatus à l’Église.

B

per prophetas suos in scripturis sanctis (3)  prophetas indique l’importance des Juifs (3,1s.).  Paul ne parle pas des prophètes parmi les idolâtres qui ont parlé du Christ (3,3–5).

C

de Filio suo qui factus est ei ex semine David secundum carnem (4,1–3)  Paul ne parle pas non plus des prophètes païens mais non idolâtres qui parlent du Christ, mais de ceux du peuple de David (4,1–3).

D

factus est … secundum carnem (4,4–12)  Ce n’est qu’en tant que filius David que Jésus est un homme, d’où secundum carnem (4,4–8).  Jésus n’est factus que dans sa nature humaine (4,9–12).

|| 15 Retract. 1,14,1. 16 MANDOUZE, Prosopographie, 1140 avec n. 7. 17 PLUMER, Augustine’s Commentary, 3s. 18 PLUMER, Augustine’s Commentary, 3.

4 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

E

praedestinatus Filius Dei in virtute secundum spiritum sanctificationis ex resurrectione mortuorum (5,1–9)  La Résurrection montre la virtus de Jésus (5,1s.).  Notre sanctification vient de la Résurrection de Jésus (5,2s.).  Il vaut mieux comprendre praedestinatus est avec ex semine David et ex resurrectione mortuorum qu’avec Filius Dei in virtute secundum spiritum sanctificationis (5,4–9).

F

Iesu Christi Domini nostri (5,13–17)  La praedestinatio du Christ s’accomplit dans son rôle de premier ressuscité (5,10–13).  Plus précisément, il est le chef de file de ses ressuscités, ceux qui seront sauvés (5,13–17).

G

per quem accepimus gratiam et apostolatum (6,1s.)  Paul a reçu l’apostolat par la grâce, et non par le mérite.

H

ad oboediendium in omnibus gentibus pro nomine eius in quibus estis et vos vocati (6,3s.)  L’apostolat, c’est annoncer le nom de Jésus (6,3),  y compris parmi vous, les gentils (6,4).

I

Résumé de A–H (7,1–4)  Le texte peut être analysé comme une série de questions-réponses.

J

omnibus qui sunt Romae dilectis Dei, vocatis sanctis (7,5–7)  dilectis et vocatis indiquent que c’est Dieu qui nous choisit d’abord, et non l’inverse.

K

gratia vobis et pax a Deo Patre nostro et Domino Iesu Christo (8)  Toute grâce ne vient pas de Dieu (8,1s.).  Toute paix ne vient pas de Dieu (8,3).  D’abord vient la grâce (rémission des péchés), ensuite la paix (adhérer à Dieu) (8,4–6).

III. Réflexions supplémentaires sur gratia et pax (9–13) A

Conflit entre gratia et pax et justice de Dieu (9,1–10,13)  Le problème : Dieu est-il juste quand il pardonne les péchés ? (9,1).  La justice doit séparer les repentis de ceux qui restent dans leurs péchés (9,2–6).  Mais une grâce qui provoque le repentir vient avant la grâce de la rémission (9,6).  La justice remet les peines éternelles, mais non pas les peines corporelles (10,1–10).

Introduction | 5

 

Reprise : gratia et pax n’impliquent pas une abrogation de la justice de Dieu (10,11). La paix complète ne viendra que dans le monde à venir (10,12s.).

B

gratia et pax sont à identifier avec l’Esprit Saint (11s.)  gratia et pax sont le don de Dieu et donc l’Esprit (11,1s.).  C’est pourquoi Paul parle de gratia et pax dans toutes ses épîtres (11,3– 6).  Les épîtres catholiques parlent aussi de la Trinité dans leurs exordes (12,1–9).

C

Digression : salus en Punique signifie « trois » en latin (13)  Une équivalence découverte par Valérius (13,1s.).  La femme cananéenne de l’Évangile a donc demandé la Trinité pour sa fille (13,3–6).  Les trois pains de l’Évangile sont aussi la Trinité (13,6).  Valeur limitée de l’équivalence (13,7).

IV. Le blasphème impardonnable contre l’Esprit Saint (14–23) A

Présentation du problème et de sa vraie solution (14,1)  Pécher contre l’Esprit, c’est rejeter gratia et pax en persistant dans le péché sans se repentir.

B

Les mots et les intentions (14,2–8)  Il y a seulement blasphème si celui qui parle comprend ce que signifie Spiritus sanctus.

C

Fausse solution 1 : Les non-catholiques peuvent commettre le blasphème impardonnable contre l’Esprit (15)  Le problème : Personne ne serait exempt (15,1).  Cas 1 : Les païens (15,2–4).  Réfutation 1 : Mais nous appelons les païens à la conversion (15,4s.).  Cas 2 : Les Juifs (15,5s.).  Réfutation 2 : Exemple de Paul (15,6).  Cas 3 : Les Samaritains (15,7s.).  Réfutation 3 : La femme samaritaine et les Samaritains dans Act. (15,9).  Cas 4 : Simon le Magicien (15,10).  Réfutation 4 : S. Pierre appelle Simon au repentir (15,10).  pré-Réfutation 5 : L’Église appelle les hérétiques au repentir (15,11s.).  Cas 5 : Les hérétiques blasphèment contre l’Esprit par le fait même d’être hérétiques (15,12s.) et par leurs enseignements sur l’Esprit Saint (15,13– 15).

6 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio 

Réfutation 5 : L’Église appelle les hérétiques au repentir et à revenir en son sein (15,16).

D

Fausse solution 2 : Les baptisés peuvent commettre le blasphème impardonnable contre l’Esprit (16,1)  Le problème : L’Église pardonne aussi aux baptisés.

E

Sous-hypothèse 2a : Le blasphème impardonnable contre l’Esprit, c’est le péché post-baptismal, quand on n’est plus dans l’ignorance (16,2–4)  Présentation de l’hypothèse (16,2).  Réfutation 1 : Mais blasphémer contre l’Esprit et pécher sans ignorance ne sont pas la même chose (16,2s.).  Réfutation 2 : Si l’hypothèse est vraie, tout péché grave post-baptismal serait impardonnable (16,3s.).

F

Sous-hypothèse 2b : Le blasphème impardonnable contre l’Esprit Saint, c’est dire du mal de l’Esprit Saint quand, à cause du baptême, on n’est plus dans l’ignorance (16,5–17,1)  Présentation de l’hypothèse (16,5).  Réfutation 1 : Le Seigneur ne dit rien sur le baptême quand il parle du blasphème (16,5).  Réfutation 2 : Simon le Magicien était déjà baptisé quand il blasphéma mais pouvait encore être pardonné (16,6).  Réfutation 3 (s’appliquant aussi à sous-hypothèse 2a) : Être baptisé ne signifie pas toujours la fin de l’ignorance, et les ignorants sont pardonnés (16,7s.).  Réfutation 4 : Il serait absurde que le seul le blasphème contre l’Esprit, et non celui contre le Fils, commis sans ignorance, soit impardonnable (17,1).

G

Sous-hypothèse 2c : Le blasphème impardonnable contre l’Esprit, c’est le péché post-baptismal, mais seulement pour ceux qui ne sont plus dans l’ignorance (17,2–5)  Formulation de l’hypothèse (17,2).  Réfutation : Tous savent que certains actes (adultère, vol, etc.) sont mauvais, mais ces actes sont pardonnables (17,2–5).

H

Sous-hypothèse 2d : Le blasphème impardonnable contre l’Esprit Saint, c’est le péché quand on connait la volonté de Dieu (18s.)  Argument 1 : Hebr. 10,26 soutient cette hypothèse (18,1s.).  Argument 2 : Lc. 12,47s. soutient cette hypothèse (18,3–5).  Réfutation 1 : On peut connaitre la volonté de Dieu avant le baptême, et le baptême remet tous les péchés (18,6–8).

Introduction | 7





 



Réfutation 2 : La volonté de Dieu, c’est de l’aimer et d’aimer son prochain. Les baptisés qui le savent et ne le font pourtant pas peuvent être pardonnés (18,9–13). Réfutation 3 : David connaissait la volonté de Dieu quand il a péché, et il fut pardonné, mais aussi puni. C’est à de tels cas que s’applique Lc. 12,47s. (18,14s.). Réfutation 4 : Hebr. 10,26 indique seulement que l’on ne peut être rebaptisé (19,1–3). Réflexion sur réfutation 4 : Le baptême est une cause nécessaire mais non suffisante pour la « connaissance de la vérité » dont parle Hebr. 10,26 (19,3–6). Retour sur réfutation 4 : Hebr. 10,26 et 6,1s. interdisent le second baptême (19,6–11).

I

Sous-hypothèse 2e : Le blasphème impardonnable contre l’Esprit Saint, c’est offenser l’Esprit Saint lui-même avec la connaissance (20,1–21,2)19  Énoncé de l’hypothèse (20,1).  Réfutation : Les Juifs qui ont péché, comme l’indique le Seigneur, contre l’Esprit Saint ne connaissaient pas l’Esprit Saint (20,2–6).  Conséquence de la réfutation : Pécher contre l’Esprit, c’est voir ses œuvres avec un esprit malveillant (21,1s.).

J

Sous-hypothèse 2f (implicite) : Le blasphème impardonnable contre l’Esprit Saint, c’est rejeter les œuvres de l’Esprit par malveillance et jalousie (21,3–7)  Réfutation 1 : Le pardon était sûrement ouvert même aux pharisiens que le Seigneur a accusé de péché contre l’Esprit (21,3s.).  Réfutation 2 : Paul lui-même fut malveillant et jaloux (21,4–7).

K

Retour à la vraie solution : Le blasphème impardonnable contre l’Esprit, c’est la persistance dans le péché (22,1–4)  Tous les péchés particuliers à l’extérieur de l’Église et à l’intérieur ne sont pas ce blasphème (22,1–3).  La persistance consiste à résister à la gratia et pax de Dieu, qui sont l’Esprit (22,4).

L

Relecture de Mt. 12 à la lumière de K (22,4–23,7)  Mt. 12,33 prouve qu’en rejetant les miracles de Jésus, les pharisiens n’avaient pas commis le blasphème impardonnable contre l’Esprit (22,4s.).

|| 19 Il y a dans I–J une certaine incohérence dans la structure de l’Inchoata expositio. Voir n. à 21,1s.

8 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio  

La guérison du paralytique montre que le but des miracles était l’appel à la conversion (23,1–5). Le but de Jésus en Mt. 12 était donc d’offrir gratia et pax, et d’exhorter les pharisiens à ne pas les refuser (23,6s.).

M

Le blasphème impardonnable contre l’Esprit n’est pas une seule parole, mais un comportement (23,8–12)  Énoncé de l’argument (23,8).  Justification par l’Écriture (23,9–11).  L’impénitence peut donc être décrite comme un blasphème (23–12).

N

Conclusion sur le blasphème impardonnable contre l’Esprit et conclusion du texte (23,13–15)  Reprise de K, L, M : Jésus appelle les pharisiens, et nous tous, à changer de comportement et accepter gratia et pax, pour ne pas commettre le blasphème impardonnable contre l’Esprit (23,13).  C’en est assez pour le commentaire sur Paul ; pour plus de détails, voir un commentaire de l’Évangile (23,14s.).

1.4

Genre et style

L’Inchoata expositio constitue le premier livre d’un projet de commentaire à grande échelle, divisé en multiples livres,20 sur un texte scripturaire. Un calcul simpliste, mais néanmoins indicatif, montre que si le commentaire actuel sur 7 versets de Rom. tient sur 35 pages de l’édition CSEL, et constitue un livre, une continuation avec la même proportion texte / commentaire aurait donné une œuvre d’environ 1800 pages, soit 60 livres. Sans doute, en évitant les digressions, Augustin aurait pu progresser plus rapidement dans la suite du commentaire, mais il envisageait certainement de créer une œuvre très importante, largement plus longue que tout ce qu’il avait écrit jusqu’alors. À cette époque, aucun commentaire d’une telle ampleur n’avait été réalisé dans l’Église latine.21 Les modèles les plus proches étaient les commentaires d’Ambroise sur l’Évangile de Luc, en 10 livres, et surtout les commentaires de Jérôme sur l’épître

|| 20 Pour la division en livres (« volumes »), voir 23,15, et n. ad loc., in aliis voluminibus. 21 Les plus longs commentaires latins écrits du vivant d’Augustin sont postérieurs à l’Inchoata expositio : ceux de Jérôme sur Ésaïe, en 17 livres (écrit en 408–410), et sur Ézéchiel, en 14 livres (écrit en 410–414 ; pour la datation, voir FÜRST, Hieronymus, 119). Mais ils commentent des textes beaucoup plus longs que Rom. Les plus amples œuvres exégétiques d’Augustin, in psalm. et in euang. Ioh., ne sont pas des commentaires, mais des recueils de sermons (exception faite des exposés sur les 32 premiers psaumes recueillis dans CSEL 93/1A).

Introduction | 9

aux Galates et l’épître aux Éphésiens, chacun en 3 livres. Derrière ces prédécesseurs latins se profilaient les vastes commentaires d’Origène, le modèle exégétique de toute l’Église antique.22 Origène avait justement écrit un commentaire sur Rom. en 15 livres, dont la traduction abrégée de Rufin occupe quatre volumes dans la collection Sources Chrétiennes.23 Si Augustin n’a pas pu exploiter ce commentaire à l’époque de l’Inchoata expositio,24 il montrait déjà un vif intérêt pour Origène, qu’il exhortait Jérôme à traduire,25 et il semble s’être lui-même servi des traductions latines des œuvres de l’Alexandrin dès que celles-ci lui devenaient disponibles.26 On ne peut concevoir Augustin formant le projet d’un commentaire d’une ampleur comme celle qu’il projetait pour l’Inchoata expositio sans l’exemple d’Origène. Par rapport à in Gal., l’Inchoata expositio marque donc un progrès notoire dans les ambitions exégétiques de son auteur. in Gal. est écrite sur le modèle des commentaires de Marius Victorinus et de l’Ambrosiaster : toute l’épître est commentée en un seul livre, sans grandes digressions, et le texte de Paul prend souvent la forme de lemmes, plutôt que d’être intégré dans la prose d’Augustin. Dans l’Inchoata expositio, par contraste, il n’y a pas de lemmes, et Augustin se livre à plusieurs digressions,27 dont la dernière, sur le blasphème contre l’Esprit Saint, finira par constituer plus de la moitié du texte. Encore une fois, sa pratique rappelle celle d’Origène, pour qui le passage commenté sert souvent de point d’appui à toutes sortes de réflexions sur des problèmes théologiques et exégétiques qui dépassent largement le cadre du passage. Il convient de souligner que l’Inchoata expositio est bien une œuvre d’exégèse « scientifique » (pour se permettre un anachronisme), stimulée par « l’intérêt exégétique … sans motivation anti-hérétique directe ».28 Fredriksen Landes29 a pourtant voulu y voir une œuvre anti-manichéenne, et Mara partage en partie ce point de

|| 22 Sur ce point voir SOUTER, The Earliest, 1 (« Origène, dont la figure domina les efforts subséquents pendant des siècles »). 23 532.539.543.555. On trouvera la liste des commentaires d’Origène dans NAUTIN, Origène, 242–251. Celui sur Rom. est loin d’être le plus long : l’Évangile de Jean fut commenté jusqu’à Io. 13,33 en 32 livres. 24 Voir n. à 5,11–17. 25 Voir surtout epist. 28,2. 26 Voir ALTANER, Augustinus und Origenes : Augustin aurait exploité Origène dès gen. c. Manich. (236–239). Mise au point chez DULAEY, L’apprentissage (1), 288s. ; (2) 82 ; (3) 64 pour toutes les œuvres jusqu’à de serm. dom. (l’Inchoata expositio est donc exclue). Dulaey est plus sceptique sur l’influence directe. En effet, l’hypothèse d’un intermédiaire perdu ou d’un enseignement oral sera généralement impossible à écarter. 27 3,3 sur Virgile ; 13 sur la Cananéenne. 28 RING, 49. RING, Die unvergebbare Sünde, 11. 29 FREDRIKSEN LANDES, Augustine on Romans, ix.

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vue, tout en considérant l’œuvre comme essentiellement anti-donatiste.30 Il est certes vrai que Mani lui-même a beaucoup imité Paul,31 et que les Manichéens, du moins en Afrique, attachaient une grande importance aux épîtres de l’apôtre.32 Il est vrai aussi que les Donatistes aimaient à citer Paul pour montrer la pureté requise selon eux de l’Église, et prétendre que les persécutions qu’ils enduraient des Catholiques indiquaient que la vraie Église était la leur.33 Augustin connaissait ces faits, et on admettra qu’ils aient pu le motiver à commenter l’apôtre plutôt qu’un autre texte. Mais, dans son exégèse même de Rom., et ses réflexions sur le blasphème contre l’Esprit Saint, il est conduit par la recherche du sens essentiel des Écritures qu’il commente, et non pas de ce qui pouvait réfuter une hérésie donnée. Dans l’Inchoata expositio, Manichéens et Donatistes ne figurent donc que dans une énumération générale d’hérétiques,34 amenée très naturellement par la question abordée dans ce passage. On remarquera aussi qu’Augustin commente Rom. 1,3 sur la venue du Christ « selon la chair » sans polémiquer contre le docétisme des Manichéens, alors qu’ils récusaient justement ce texte.35 De même, il affirme l’impossibilité du second baptême, sans aborder la dispute entre Catholiques et Donatistes sur cette question.36 Du reste, on pourrait tout aussi bien maintenir que l’Inchoata expositio est un texte anti-ébionite, anti-arien, ou anti-novatianiste, puisque des croyances de toutes ces sectes y sont combattues.37 Mais c’est l’usage normal des commentateurs patristiques de noter, au fil de la lecture, comment le texte scripturaire soutient la position de leur Église contre celles qu’ils rejettent. Il ne saurait en être autrement, puisque orthodoxie et hérésie s’étaient si largement construites dans le combat sur

|| 30 MARA, Agostino interprete 37.78–80. L’hypothèse de l’anti-Donatisme repose essentiellement sur l’idée que, dans son interprétation du blasphème contre l’Esprit Saint, Augustin polémique contre les Donatistes, qui niaient la possibilité du pardon ecclésiastique des péchés graves. Nous ne connaissons aucun texte qui puisse justifier cette affirmation (voir n. à 14,1, Le blasphème). 31 Voir MENDOZA, 466 et surtout RIES, Saint Paul. Quelques réserves chez DECRET, L’utilisation, 29– 40. 32 Voir MENDOZA, 466s., et surtout DECRET, L’utilisation. 33 MENDOZA, 468s. ; FREND, The Donatist Church (mais Frend rappelle que Paul n’avait aucun statut spécial chez les Donatistes, qui accordaient la même valeur à toute la Bible, tout comme les Catholiques). 34 15,13–16. Pour le choix d’inclure les Donatistes, voir cependant n. ad loc. Et pour une autre pointe anti-manichéenne possible, voir n. à 3,1 ; 3,3, fuerunt enim ; et 4,1, Les prophètes, (e). 35 Voir n. à 4,8, addendo ergo. De même, il commente ex semine David en Rom. 1,3 sans insister sur la génération humaine du Christ : à contraster avec l’emploi de ex semine David en c. Faust. 2,2. 36 19. La pratique donatiste est bien condamnée en 15,14, mais les deux passages ne sont pas reliés, et l’interprétation de Hebr. en 19 n’a pas sa source dans la polémique anti-donatiste (voir n. à 18,2 et 19,10, et comparer haer. 44 et 49 pour le second baptême condamné chez d’autres hérétiques). Noter aussi l’exégèse anti-donatiste de Rom. 1,5 en epist. 49,2 : elle est absente de l’Inchoata expositio. 37 Ébionites : 4,4–8 ; Ariens : 4,8–11 ; Novatianistes : voir n. à 14,1, Le blasphème.

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le sens de la Bible. Dans ce sens, l’Inchoata expositio est sans doute un ouvrage en partie polémique, et on pourrait en dire autant pour une très grande partie de l’exégèse augustinienne.38 Mais notre texte n’est nullement un commentaire antihérétique comme l’est gen. c. Manich., écrit, comme son titre l’indique, pour réfuter une interprétation particulière d’un partie de l’Écriture. La langue de l’Inchoata expositio appelle peu de remarques :39 elle est celle que l’on attendrait d’un commentaire rédigé.40 L’écriture est formelle et suivie, avec une forme d’élégance modeste, y compris dans la recherche de clausules,41 mais elle vise surtout la clarté. C’est donc essentiellement le style submissus (« simple, bas ») tel qu’il est décrit dans doctr. christ. 4,42 et dont le but principal est d’enseigner. Mais, suivant ses propres recommandations,43 Augustin se permet parfois un ton plus élevé, où des questions rhétoriques44 ou des périodes développées45 interpellent le lecteur. On trouve ces effets surtout dans la seconde partie du texte, où l’auteur argumente plus qu’il ne commente. Nous restons cependant très loin de la langue artificielle et complexe des écrits de Cassiciacum, de l’audace linguistique des Confessions, de l’éclat rhétorique des œuvres polémiques (y compris civ.), mais aussi des rythmes saccadés et du lexique46 et de la syntaxe47 plus vulgaires des sermons.

1.5

Contexte général

On a souvent parlé d’un foisonnement de commentaires sur Paul dans l’âge d’or de la patristique,48 la période qui s’étend approximativement du Concile de Nicée à

|| 38 Sur ce point, cf. n. à 4,4. 39 Pour RING, 49, la langue du texte est claire et raffinée mais un peu lassante. 40 En gen. c. Manich. 1,1 et in psalm. 6,2, des commentaires écrits à l’époque de notre texte, Augustin signale qu’il vise une écriture compréhensible pour les moins éduqués. La langue de l’Inchoata expositio est quelque peu plus sophistiquée. 41 Voir infra, 2.7, pp. 110–117. 42 Pour ce parallèle, voir aussi n. à 7,1–5. 43 Doctr. christ. 4,134. Il y note que le style simple est le plus tolérable pour de longs développements : facilius submissum solum quam solum grande diutius tolerari potest (« seul le style simple peut être plus facilement supporté un certain temps que le style sublime seul » ; traduction BA 11/2). Cependant, les conseils de doctr. christ. portent surtout sur la prédication. 44 13,6 ; 15,1.9.11–12 ; 16,8 ; 17,3 ; 21,3.6 ; 22,1–3 ; 23,14 ; voir aussi 14,3. 45 E.g. 18,11 ; 23,1.13. 46 Voir n. à 15,2, pagani. 47 On ne trouve qu’un exemple de l’oratio obliqua introduite par une particule, en 14,1, où le choix syntactique semble motivé par un souhait de clarté absolue sur un point essentiel. Pour cette syntaxe chez Augustin, voir DOKKUM, De constructione. 48 E.g. MARA, Agostino Interprete, 13–33 ; PLUMER, Augustine’s Commentary, 5 ; O’DONNELL sur conf. 7,27 ; MARTINS, Pauline Commentaries.

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celui de Chalcédoine. Mara recense pour cette période quatorze commentateurs grecs sur Paul, un commentaire en syriaque, en plus des six commentateurs latins :49 Marius Victorinus, l’Ambrosiaster, Jérôme, Augustin, Pélage, et un anonyme.50 On a ensuite cherché diverses explications de cette multiplicité. Il s’agit là d’un problème qui n’admet pas de solution définitive, mais qui appelle quelques remarques : (a) Le lien postulé entre la rédaction de ces commentaires et les disputes théologiques et surtout christologiques de cette époque est à admettre.51 Avec les écrits de Jean, les épîtres sont la grande source biblique de christologie, et attiraient donc inévitablement l’intérêt des exégètes. L’Inchoata expositio elle-même entre dans les débats christologiques dès 4,4. (b) Par contre, chercher la cause de ces commentaires dans l’angoisse sociale du temps, et dans une nouvelle soif de salut chez les hommes,52 laisse perplexe. Il semble impossible soit de vérifier soit de réfuter ce type d’explication, qui est capable, avec un peu de bonne volonté, de rendre compte de presque tout développement dans l’histoire des religions. (c) Il est possible, dans une certaine mesure, d’expliquer les développements dans l’Église latine par ceux dans l’Église grecque.53 Ce n’est que depuis la seconde partie du 4ème siècle que les Latins entament une activité littéraire qui puisse rivaliser un tant soit peu avec la production démesurée des auteurs chrétiens grecs. Les plus grands des Pères latins, Ambroise, Jérôme, Augustin, représentent tous à leur façon l’ambition de construire une égalité intellectuelle entre les deux Églises. Dans un tel contexte, on peut comprendre que, si les Grecs ont produit quatorze nouveaux commentaires sur Paul, sans parler des œuvres déjà existantes d’Origène,54 les Latins en aient écrit six. (d) Dans un sens, il peut s’agir d’un faux problème. Le grand nombre des commentaires pauliniens étonnerait à une époque où l’on commentait peu la Bible. Mais l’âge d’or de la patristique fut incontestablement un âge d’or du commentaire, et on

|| 49 MARA, Agostino interprete, loc. cit. Des commentaires (ou homélies) grecs seuls subsistent ceux de Jean Chrysostome, Théodore de Mopsueste (en traduction latine) et Théodoret de Cyr. Le commentaire syriaque est d’Éphrem. 50 H. J. FREDE (éd.), Ein Neuer Paulustext und Kommentar, 2 t., Freiburg 1973/1974. 51 Voir MARTINS, Pauline Commentaries, 626. 52 Voir MARA, Agostino interprete, 31–33 ; MENDOZA, 464. 53 Sur ce point, voir déjà PLUMER, Augustine’s Commentary, 41 ; MARTINS, Pauline Commentaries, 627 ; et c. Faust. 3,2 : Tot acuti et docti viri, divinarum scripturarum pertractatores diligentissimi … qui quidem in latina lingua perpauci sunt, eos autem in graeca quis numeret ? (« Tant d’hommes intelligents et instruits, commentateurs très diligents des Écritures divines … de fait, ils sont très peu nombreux dans la langue latine, mais qui pourrait les énumérer tous dans [la langue] grecque ? »). 54 Voir NAUTIN, Origène, 243–245, 254. Origène a commenté Rom., Gal., Eph., Phil., Col., 1–2 Thess., Tit., Philem. Il a prêché sur 1–2 Cor., Gal., 1 ou 2 Thess., Tit. et Hebr.

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s’attend dès lors à voir les commentaires se multiplier autour des textes bibliques qui jouent un rôle central dans la foi et la liturgie des chrétiens. Les écrits de Paul font incontestablement partie de ces textes. Les chiffres de quatorze commentaires grecs et six commentaires latins55 deviennent alors moins frappants, si on les rapporte au nombre de commentaires sur d’autres textes de même importance. Ainsi, pour les Évangiles, nous relevons dix-sept commentaires grecs, écrits par huit auteurs,56 et huit commentateurs latins.57 Pour les psaumes, la prière liturgique de l’Église depuis toujours, on compte douze commentateurs grecs58 et six commentateurs latins.59 Ou encore, la Genèse, et surtout le récit de la création,60 a été commentée par sept Grecs61 et quatre Latins (dont Augustin cinq fois).62 Dans cette optique, ce serait plutôt une absence de travaux sur Paul qui exigerait une explication.

|| 55 Nous ne pouvons discuter plus avant les développements dans l’Église d’Orient, qui dépassent malheureusement notre compétence. 56 (Dans cette note et les suivantes, les numéros entre parenthèses sont ceux de CPG et CPL, sauf autre indication). Commentaires sur M a t t h i e u : Didyme l’aveugle (QUASTEN, Patrology, 91) ; Cyrille d’Alexandrie (5206) ; Apollinaire de Laodicée (3690) ; Théodore de Mopsueste (3840) ; Jean Chrysostome (4424, homélies) ; anonyme arien (CPG 4659 = CPL 707 ; voir aussi CPL 668-75) ; sur M a r c : Théodore de Mopsueste (3841) ; sur L u c : Cyrille d’Alexandrie (5207) ; Apollinaire de Laodicée (3692) ; Théodore de Mopsueste (3842) ; Évagre le Pontique (2458[6]) ; Titus de Bostra (3567) ; sur J e a n : Didyme l’aveugle (2557) ; Cyrille d’Alexandrie (5208) ; Apollinaire de Laodicée (3691) ; Théodore de Mopsueste (3843) ;. Jean Chrysostome (4425, homélies). 57 Sur tous les Évangiles : Fortunat d’Aquilée (104 ; CSEL 103) ; sur M a t t h i e u : l’Ambrosiaster [?] (186) ; Chromace d’Aquilée (218) ; Hilaire de Poitiers (430) ; Jérôme (590) ; Arnobe le Jeune (240) ; Augustin (de serm. dom. ; in Matth.) ; sur M a r c : Jérôme (594, homélies) ; sur L u c : Ambroise (143) ; sur J e a n : Augustin (in euang. Ioh.). Le petit nombre de commentaires sur Marc s’explique par la grande proximité de son texte avec celui de Matthieu. 58 Athanase (2140) ; Didyme l’aveugle (2550) ; Cyrille d’Alexandrie (5202) ; Évagre le Pontique (2455) ; Astérios le Sophiste (2815) ; Eustathe d’Antioche (QUASTEN, Patrology, 304) ; Eusèbe de Césarée (3467) ; Diodore de Tarse (3818) ; Théodore de Mopsueste (3833) ; Jean Chrysostome (4413– 4415, homélies) ; Hésychios de Jérusalem (6552–6554) ; Théodoret de Cyr (6202). 59 Ambroise (140s.) ; Hilaire de Poitiers (428) ; Jérôme (582 ; 592) ; Augustin (in psalm.) ; Prosper d’Aquitaine (524) ; Arnobe le Jeune (242). La plupart des commentateurs grecs et latins sur les psaumes n’ont pas commenté tout le psautier. 60 Voir in Gal. 40 : Multi legentes apostolum, librum autem Geneseos ignorantes, putant solos duos filios habuisse Abraham (« Beaucoup qui lisent l’apôtre, mais ignorent la Genèse, pensent qu’Abraham eut seulement deux fils »). Ce que l’on ignore, c’est justement le contenu de la Genèse après le récit de la création. 61 Athanase (QUASTEN, Patrology, 39) ; Didyme l’Aveugle (QUASTEN, Patrology, 90) ; Basile (2835 ; homélies sur la création) ; Grégoire de Nysse (3153s. ; sur la création) ; Eusèbe d’Émèse (QUASTEN, Patrology, 351) ; Théodore de Mopsueste (3827) ; Jean Chrysostome (4409s., homélies). 62 Ambroise (123, sur la création) ; Rufin (195) ; Grégoire d’Elvire (547s.) ; Jérôme (580, quaest. hebr. in gen.) ; Augustin (3 commentaires : gen. ad litt. imperf. ; gen. c. Manich. ; gen. ad litt., puis conf. 11–13 et civ. 11–17 ; voir aussi c. adv. leg. 1,2–28). Victorin de Poetovio (79, sur la création), le premier commentateur latin de la Bible, écrivit avant Nicée.

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D’autre part, et surtout pour les exégètes latins, le Nouveau Testament était beaucoup plus abordable que l’Ancien, pour des raisons qui pour la plupart restent valables de nos jours. Le Nouveau Testament est plus court ; il était plus familier, puisqu’on l’entendait constamment à l’église ;63 on pouvait le commenter sans s’évertuer sans cesse à chercher la Nouvelle Alliance préfigurée dans l’Ancienne. Ensuite l’Ancien Testament est en hébreu, et les Latins n’y avaient accès que par une double traduction, les versions latines de la Septante. On affirmait certes que la Septante était elle-même inspirée,64 mais l’ignorance totale de l’original était néanmoins embarrassante. C’est ainsi que notre âge d’or n’a produit que deux grands commentateurs latins sur l’Ancien Testament en dehors des psaumes et de la Genèse : Jérôme, qui apprit l’hébreu, et Origène, dont plus de mille pages d’exégèse vétérotestamentaire furent traduites par ce même Jérôme et par Rufin.65 Pour revenir à notre texte, il y a lieu de se demander si, en commençant l’Inchoata expositio, Augustin avait vraiment conscience de participer à un foisonnement. Des six commentateurs latins sur Paul, Pélage et l’anonyme de Frede sont postérieurs à l’Inchoata expositio, Jérôme n’avait pas commenté Rom., et il est loin d’être certain que Marius Victorinus l’ait fait.66 S’il n’y avait que le seul commentaire de l’Ambrosiaster, on comprend aisément qu’en lisant celui-ci,67 Augustin ait conclu qu’il restait encore beaucoup à dire sur l’enseignement de l’apôtre.68

|| 63 Pour les détails, voir JUNGMANN, Missarum solemnia, 486–498. 64 Voir BA 11/2, 514–521. 65 Notons cependant le commentaire sur le Cantique du mystérieux Apponius. Le renouveau du commentaire vétérotestamentaire, avec Cassiodore sur les psaumes, et Grégoire le Grand sur Ézéchiel, Job et le Cantique, dépasse le cadre de ce livre. 66 Pour l’existence de ce commentaire, on renvoie à l’Ambrosiaster, in Rom. 5,14 (CSEL 81/1, 176s.). Mais ce passage est loin de montrer que le commentaire a certainement existé, puisque Victorinus y est cité, comme témoin d’une leçon pour Rom. 5,14, avec Tertullien et Cyprien, qui n’ont certainement pas commenté Rom. HADOT, Marius Victorinus, 287, renvoie aussi à Victorinus lui-même, in Gal. 5,8, où l’auteur cite Rom. 8,30 avec les mots sicuti supra dictum est … ceteraque quae per ordinem dicta sunt (« comme il a été dit plus haut … et les autres choses qui ont été dites en ordre »). On ne discerne pas bien s’il s’agit d’une référence par Victorinus à son propre commentaire, ou seulement à l’épître aux Romains elle-même. Jérôme (in Gal., praef. [CCSL 77A, 6]) parle des commentaires de Victorinus in apostolum (« sur l’apôtre »). Mais, comme le note HADOT (loc. cit.), Jérôme parle ici « sans précision ». 67 Augustin l’a en effet connu dès l’époque de l’Inchoata expositio ; voir infra, 1.7, pp. 20s. 68 PLUMER (Augustine’s Commentary, 39) contraste à bon droit le commentaire théologique d’Augustin avec Victorinus et l’Ambrosiaster, plus proches du grammaticus, et Jérôme, dont les commentaires pauliniens sont essentiellement des compilations d’exégèse grecque (voir n. à 2,5). Voir cependant pour des traits du grammaticus chez Augustin, n. à 5,4–7 ; 7,1–5 ; 7,5 ; 11,3, et aussi les remarques assez réduites en 6,3. Pour les limites du modèle grammatical pour les auteurs chrétiens, voir n. à 2,5.

Introduction | 15

1.6

Contexte augustinien

La rédaction d’un grand commentaire sur Rom. devait marquer l’aboutissement de deux développements chez Augustin : sa réflexion sur Paul et sa vocation d’exégète. On a déjà beaucoup étudié la place de Paul dans les premiers écrits d’Augustin,69 et un très bref résumé peut donc suffire ici. Nous avons vu l’importance de Paul pour les Manichéens, et Augustin pouvait déjà avoir rencontré les écrits de l’apôtre quand il était dans la secte. C’est en tout cas Paul qu’il lit en s’approchant de la conversion à Milan (conf. 8,27), et c’est sur l’épître aux Romains que s’ouvre le codex de l’apôtre pour Augustin et Alypius dans l’épisode célébrissime du tolle lege (conf. 8,29s.). On comprend donc qu’Augustin ait pu se sentir appelé à commenter Paul, et nous le trouvons en effet citant et commentant longuement Rom. dès mor. Manich. 31–33. Mais c’est surtout après l’ordination qu’Augustin se tourne de plus en plus vers l’apôtre : à la séquence in Rom., in Gal., Inchoata expositio il faut ajouter divers. quaest. 66–68 et surtout le premier livre de quaest. Simpl., sur lequel nous reviendrons. De façon générale, il semble que ce n’est qu’une fois prêtre qu’Augustin s’est senti vraiment autorisé à commenter la Bible. Avant l’ordination, il n’a écrit qu’une œuvre d’exégèse, gen. c. Manich., qui, on l’a dit, est surtout un texte polémique. Si, peu après l’ordination, il écrit à son évêque, Valérius, pour demander un temps de congé où il puisse étudier les Écritures,70 c’est qu’il considère leur connaissance comme indispensable à son nouveau rôle. Nous ignorons si Valérius accéda à cette requête.71 Toujours est-il qu’après 391, l’activité littéraire d’Augustin se tourne de plus en plus vers l’exégèse : en plus des travaux sur Paul déjà mentionnés, avant de devenir évêque, il commente la Genèse (gen. ad litt. imperf.), le sermon sur la montagne (de serm. dom.), les 32 premiers psaumes (in psalm. 1–32),72 et des passages des épîtres catholiques (divers. quaest. 75s.).73 C’est là un assemblage de textes très riches, mais dont aucun n’est à l’échelle envisagée pour l’Inchoata expositio. Si le commentaire sur Romains avait été fini, ils ne feraient figure que de travaux préparatoires avant la première grand œuvre exégétique d’Augustin. À côté des impulsions internes qui ont motivé ce projet ambitieux, il faut faire la part de la querelle entre Augustin et Jérôme. On sait qu’en 394/395 le premier avait || 69 Voir e.g. PLUMER, Augustine’s Commentary, 5 ; MARA, Agostino interprete, 34–58 (avec référence à ses travaux antérieurs) ; MARTINS, Pauline Commentaries ; O’DONNELL sur conf. 7,27, apostolus Paulus ; MUTZENBECHER, CCSL 44, xvii–xix. 70 Epist. 21,3s. 71 Mais l’enrichissement des connaissances exégétiques d’Augustin en ces années a été soigneusement étudiée par DULAEY, L’apprentissage, (1), (2), (3). 72 Il s’agit seulement des commentaires sur Ps. 1–32 recueillis dans CSEL 93/1A. 73 PLUMER (Augustine’s Commentary, 19) remarque que ces travaux constituent aussi des expérimentations avec différentes formes d’exégèse : quaestiones, scholies, commentaire suivi.

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reproché au second son exégèse de Gal. 2,74 qui supposait un comportement malhonnête chez Paul. Quand Augustin écrit lui-même un commentaire de Gal. la même année, c’est clairement en partie dans l’espoir de rectifier ce qui lui déplaît dans celui de son prédécesseur.75 Par cet acte, Augustin affirme donc assez ouvertement que sa propre autorité d’interprète peut valoir, sinon dépasser, celle de Jérôme. Mais en même temps in Gal. ne pouvait suffire en soi à le placer sur un pied d’égalité avec le moine de Bethléem. À côté des trois longs livres érudits de Jérôme sur Gal., le livre unique d’Augustin, commentant étroitement le texte, ne pouvait que paraitre un commentaire mineur. Il n’en serait pas ainsi d’un grand commentaire sur Rom. Jérôme n’avait pas tenté de commenter la plus longue et dense des épîtres de l’apôtre, et avait même admis que Gal. n’en était que la version simplifiée.76 Si alors Augustin parvenait à commenter toute l’épître, dans un grand ouvrage à livres multiples, où il déploierait sa propre érudition,77 ses qualités d’exégète seraient au moins aussi fermement établies que celles de Jêrome. Il rendrait aussi service à l’Église latine, sans continuer ouvertement une querelle désagréable, puisqu’il commentait un texte essentiel que Jérôme n’avait pas abordé. C’était là une gageure où transparait toute l’audace d’Augustin dans ses premières relations avec Jérôme. Et le défi parait encore plus grand quand on perçoit qu’Augustin avait entrepris son grand commentaire sans accès à l’exégèse grecque dont Jérôme se prévalait tant, et sans même (à notre sens) un manuscrit grec de l’épître aux Romains.78 Il n’avait pas non plus hésité à faire dévier son commentaire vers un sujet – la nature de l’Esprit Saint – sur lequel Jérôme, en traduisant le traité pneumatologique de Didyme l’aveugle, avait mis en doute la compétence de toute l’Église latine, et notamment d’Ambroise.79 C’est dire

|| 74 Voir n. à 1,4, sed plane. Datation de CCSL 31. 75 Voir surtout in Gal. 10 ; 15. Avant l’épiscopat, il reviendra encore une fois sur le problème, dans de mend. 8 ; 43. La décision même d’écrire un traité sur le mensonge est sans doute motivée par la dispute avec Jérôme (voir AugLex s.v. Mendacio (De–), 3). 76 Voir n. à 1,1, non quia. 77 Voir n. à 3,3s. ; 13,1, pater Valerius. 78 Pour ces lacunes, voir n. à 2,5. 79 La traduction date de 384–386 (voir FÜRST, Hieronymus, 170). Dans la préface (SChr 386, 138s.), Jérôme écrit Malui alieni operis interpres existere quam, ut quidam faciunt, informis cornicula alienis me coloribus adornare. Legi dudum de Spiritu Sancto cuiusdam libellos et, iuxta comici sententiam [Ter. Eun. 7s.], ex graecis bonis latina vidi non bona … Qui hunc [sc. Didyme] legerit latinorum furta cognoscet, et contemnet rivulos cum coeperit haurire de fontibus. (« J’ai préféré être le traducteur de l’œuvre d’un autre, plutôt que de faire comme certains, [et tel] une corneille hideuse, me parer des couleurs d’autrui. J’ai lu récemment les livres d’un certain [auteur] sur l’Esprit Saint, et, comme le dit le comique, j’ai vu du mauvais latin découler du bon grec … Celui qui le lira reconnaitra les vols des Latin, et méprisera les ruisseaux quand il aura commencé à boire à la source »). Tout ceci vise le De spiritu sancto d’Ambroise (voir aussi n. à 2,5). Du reste, dans sa première lettre à Jérôme, tout en

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toute la confiance qu’avait Augustin dans ses propres capacités d’interprète et de théologien. Pour tout ce que ses écrits comportent d’humilité devant Dieu et ses frères, Augustin fut de tout temps pleinement conscient de son génie. Mais, en l’occurrence, sa confiance fut mal placée, dans la mesure où il abandonna son commentaire sur Rom. à peine commencé. Trente ans plus tard, dans retract., il nous apprend qu’il avait trop présumé de ses forces : il fut ipsius operis magnitudine ac labore deterritus (« découragé [effrayé ? terrifié ?] par l’importance et l’effort d’un tel travail »). Peu avant, il avait de même abandonné, bien plus proche de la fin,80 son commentaire sur le sens littéral de la Genèse (gen. ad litt. imperf.) et en retract. 1,18 il explique en termes similaires cette défaite : Volui experiri in hoc quoque negotiosissimo ac difficillimo opere quid valerem; sed in scripturis exponendis tirocinium meum sub tanta sarcinae mole succubuit, et nondum perfecto uno libro ab eo quem sustinere non poteram labore conquievi (« Je voulus aussi expérimenter l’étendue de mes forces dans cet ouvrage très absorbant et très difficile, mais dans l’exposition des Écritures mon inexpérience ploya sous le poids d’un si grand fardeau, et sans avoir achevé un seul livre, je me retirai de ce travail que je ne pouvais soutenir »). Selon son propre jugement, donc, huit ou neuf ans après son baptême, malgré toute son ambition, ses efforts et son intelligence, Augustin n’était pas encore prêt à devenir un second Jérôme, et encore moins un second Origène.81 Chez un auteur ordinaire, on comprendrait facilement la défaillance devant un projet aussi grandiose que l’(Inchoata) expositio. Mais, quand il abandonna son commentaire, Augustin avait encore devant lui quelques milliers de pages à écrire. C’est plutôt à nous, pauvres lecteurs, de rester operis magnitudine ac labore deterriti face à cette productivité inépuisable. On souhaiterait donc savoir plus précisément ce qui a pu empêcher Augustin de continuer à commenter Rom. au fil des années, quitte à se remettre au travail après les lectures ou réflexions supplémentaires dont il semble avoir ressenti le besoin. C’est d’ailleurs bien ce qu’il fera avec la Genèse, remplaçant gen. ad litt. imperf. avec gen. ad litt. Pourquoi ne pas avoir recommencé ou continué l’Inchoata expositio ? Cependant, gen. ad litt. est un livre tout à fait exceptionnel parmi les écrits d’Augustin évêque. Une fois élevé à sa chaire, il ne ralentit guère sa production || critiquant son commentaire sur Gal., Augustin l’avait exhorté à faire de la traduction des Pères grecs son activité prioritaire (epist. 28,2). 80 Voir supra, 1.2, p. 2. 81 O’DONNELL (Confessions, xlii–xliii) voudrait voir chez Augustin après l’ordination un blocage psychologique, conduisant à l’échec de nombreux projets d’écriture, et qui ne s’est résolu qu’avec la rédaction de conf. Ce jugement ne convainc pas : si, dans ces années, Augustin a abandonné quatre projets (doctr. christ. et c. epist. fund. en plus de gen. ad litt. imperf. et l’Inchoata expositio), il en termina treize autres (util. cred. ; de duab. anim. ; c. Adim. ; lib. arb. ; in psalm. [expositions sur Ps. 1–32 : voir BA 57A, 41–51] ; fid. et symb. ; psalm. c. Don. ; de serm. dom. ; in Rom. ; in Gal. ; de mend. ; quaest. Simpl. ; agon.).

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littéraire, mais elle change de caractère : la polémique et autres ouvrages d’occasion dominent,82 et le commentaire des Écritures se fait presque entièrement dans la prédication. Même en 426, quand à 72 ans il se retire des charges pratiques de l’épiscopat, avec l’espoir de se consacrer enfin aux Écritures,83 il n’arrive à produire aucun texte d’exégèse, trop absorbé par d’autres défis, dont surtout les besoins de la polémique anti-pélagienne.84 Ce n’est là que le reflet de la perception qu’a eue Augustin de tout son épiscopat : il aurait voulu vaquer à l’étude des Écritures, mais son devoir requérait d’abord qu’il répondît aux besoins de ses fidèles et de ses correspondants, puis aux hérétiques et aux païens qui menaçaient sans cesse son Église. De l’extérieur, on se demande certes si toutes les occasions qui ont suscité des écrits – souvent très longs – d’Augustin en demandaient vraiment autant, si même il ne trouvait pas dans la littérature occasionnelle et dans la prédication publique une stimulation qui lui manquait dans le travail plus méditatif du commentateur. Quoi qu’il en soit, la façon dont l’évêque d’Hippone a perçu ses responsabilités rendait très improbable qu’il finisse un jour l’Inchoata expositio. Toutefois, en expliquant dans retract. l’abandon de son commentaire, Augustin n’évoque nullement les devoirs de l’épiscopat, mais seulement l’envergure du travail.85 Est-ce là seulement le souvenir de sa réaction de trente ans plus tôt, ou une frayeur qu’il ressent encore devant l’idée de commenter en entier l’épître aux Romains ? Citons un texte écrit en 412, à mi-chemin entre l’Inchoata expositio et retract. : Paulus apostolus … contra superbos et arrogantes et de suis operibus praesumentes pro commendanda ista Dei gratia fortiter atque acriter dimicat … Primo, quod omnis eius salutatio sic se habet: ‘gratia vobis et pax a Deo Patre et Domino Iesu Christo’; deinde ad Romanos paene ipsa quaestio sola versatur tam pugnaciter, tam multipliciter, ut fatiget quidem legentis intentionem, sed tamen fatigatione utili ac salubri, ut interioris hominis [2 Cor. 4,16] magis exerceat membra quam frangat.86 (« L’apôtre Paul … se bat avec force et pénétration, pour la louange de cette grâce de Dieu, contre les superbes et les arrogants, et ceux qui présument de leurs œuvres … D’abord parce que toutes ses salutations ont cette forme : ‘la grâce soit avec vous et la paix de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ’ ; ensuite parce que [dans l’épître] aux Romains on ne discute

|| 82 Sur ce point, voir MADEC, Petites études, 320s. 83 Voir epist. 213,6 84 De 426 jusqu’à sa mort, Augustin écrira 5 livres sur le problème de la grâce (grat. ; corrept. ; praed. sanct. ; persev. ; c. Iul. op. imperf). retract. entre aussi dans un sens dans cette catégorie, puisque ce sont surtout ce qu’il considère ses erreurs sur la grâce qu’Augustin y cherche à corriger. civ. (qu’il achève en 427) peut être vu comme un ouvrage d’occasion, comme l’est certainement c. Maximin. haer. est écrit à la demande de Quodvultdeus, et adv. Iud. est un sermon (voir FITZGERALD, Augustine, s.v.). 85 Sur ce point, voir DOLBEAU, Brouillons, 205. 86 Spir. et litt. 12.

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presque que de cette seule question, avec tant d’entêtement et de variété, qu’elle fatigue l’attention du lecteur, mais toutefois par une fatigue utile et bénéfique, qui exerce plutôt qu’elle ne brise les membres de l’homme intérieur »).

On voit ici des souvenirs évidents de l’Inchoata expositio : grâce et œuvres sont les thèmes fondamentaux de Rom. ;87 la salutation gratia et pax contient une indication précieuse sur l’activité de Dieu telle que la comprend Paul. Mais ce texte rappelle aussi que l’Inchoata expositio est loin de marquer la fin du travail d’Augustin sur l’épître aux Romains.88 Elle sera très bientôt suivie de quaest. Simpl., qui inaugure les idées nouvelles et terribles d’Augustin sur la grâce, celles qui vont donner naissance à toute la controverse pélagienne.89 Une fois formulées, ces idées allaient devenir pour Augustin la base de toute interprétation possible de Rom. Un commentaire continu de l’épître n’aurait alors pu être qu’un exposé incessant sur la prédestination imméritée des élus, la faiblesse de la liberté humaine, et le choix incompréhensible de Dieu. On imagine alors qu’au fil des années Augustin ait pu sentir qu’il en disait déjà assez sur cette doctrine. S’il l’a amèrement défendue, il ne l’a jamais pour autant trouvée réjouissante. Il est ainsi possible que ce soient bien ses nouvelles conclusions sur la grâce, et non seulement les capacités limitées en exégèse d’Augustin vers 395, qui aient pu susciter chez lui, dans toute la période de quaest. Simpl. à retract., des sentiments de fatigue, de découragement, même de peur, devant la perspective de rédiger un commentaire complet de l’épître aux Romains.

1.7

Sources

Même ses critiques les plus sévères n’ont jamais mis en doute l’originalité d’Augustin.90 Or celle-ci se retrouve pleinement dans l’Inchoata expositio, à la fois dans ses notions les plus importantes (gratia et pax représentant l’Esprit Saint dans la salutation ;91 l’identification du blasphème contre l’Esprit Saint92) et dans des détails (la valeur donnée à suos de Rom. 1,2 en 3,2–5 ; le parallèle punique-latin en 13 ; l’utilisation de la quatrième Bucolique de Virgile ibid.). Mais ce n’est pas pour autant qu’Augustin travaillait en dehors de la tradition exégétique des autres Pères,

|| 87 Voir 1,1–3 et n. ad loc. 88 Pour les travaux d’Augustin sur Paul après l’Inchoata expositio, voir MARA, Agostino interprete, 27s. ; RING, n. 195 à 23,15. 89 Voir n. à. 7,7. 90 Voir la remarque célèbre de Gibbon : « His learning is too often borrowed and his arguments too often his own » (« Son érudition est trop souvent empruntée à autri et ses arguments sont trop souvent les siens »). 91 Voir n. à 11,1s. 92 Voir n. à 14,1, Le blasphème.

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ce qui l’eût rendu très vulnérable aux reproches d’un Jérôme. Au contraire, comme nous avons essayé de le montrer dans notre commentaire, toutes ses exégèses se situent à l’intérieur de cette tradition, qu’elles la reprennent,93 la développent,94 ou cherchent à la modifier sur des points essentiels, comme il advient surtout pour le blasphème contre l’Esprit Saint. Nous avons donc cité un nombre de textes qu’Augustin n’avait probablement ou certainement pas lus,95 parce qu’ils appartiennent à un complexe d’idées qu’il connaissait bien, soit par d’autres sources perdues, soit par la transmission orale. À l’époque d’Augustin, l’Église chrétienne est un milieu où l’on discute incessamment des mêmes textes depuis des siècles. Quand il écrit l’Inchoata expositio, Augustin est un membre actif de ce milieu depuis presque une décennie, prédicateur, auteur, mais aussi lecteur et disciple. Il est alors tout naturel que sa propre lecture puisse se comprendre, par exemple, comme une réaction aux anciennes exégèses que nous trouvons chez Origène ou à celles, plus récentes, d’un Chrysostome. La trace écrite qui nous reste de l’exégèse patristique n’est qu’une fraction d’un dialogue constant et immense maintenu par le clergé et les fidèles de tout le bassin méditerranéen.96 On peut cependant identifier deux ouvrages écrits qu’Augustin avait certainement consultés quand il rédigea l’Inchoata expositio : le commentaire sur Rom. de l’Ambrosiaster,97 et le De Paenitentia d’Ambroise.98 L’utilisation du De paenitentia s’explique par le fait qu’Ambroise y traite lui aussi du blasphème contre l’Esprit Saint.99 Du reste, si Augustin connait ces deux textes, il est loin d’en être un simple

|| 93 Par exemple, sur Hebr. 6 ; voir n. à 18,2. 94 Un cas notoire est l’identification de l’Esprit avec le Don de Dieu : voir n. à 11,1s. 95 « Probablement » pour la plupart des textes grecs ; « certainement » pour ceux, tels les commentaires pauliniens de Théodoret de Cyr, écrits après l’Inchoata expositio. Voir n. à 2,5. 96 Sur la tradition orale et la recherche de sources en patristique, voir MUTZENBECHER, CCSL 44, xxiv. 97 Pour les parallèles avec l’Ambrosiaster, voir n. à 1,3, nonnulli qui ex Iudaeis, et les renvois dans cette note. Augustin possédait certainement le commentaire en 420, puisqu’il le cite (sous le nom de sanctus Hilarius) en c. Pelag. 4,7. Pour d’autres parallèles dans les commentaires Pauliniens, voir BASTIAENSEN, Augustine’s Pauline Exegesis ; MARA, Agostino interprete, 22 ; MUTZENBECHER, CCSL 44, xxiv (sur quaest. Simpl.). PLUMER (Augustine’s Commentary, 53–56) ne trouve pas très probable qu’Augustin ait utilisé l’Ambrosiaster sur Gal, mais admet n’avoir pas exploré entièrement la question. 98 Pour les parallèles avec cette œuvre, voir n. à 18,2, et les renvois dans cette note. RING, 58s., notait déjà certains parallèles, mais ne pensait pas que la dépendance directe était certaine. Augustin semble aussi avoir consulté sur certains points Jérôme (voir n. à 11,3s. ; 21,7, mais contraster n. à 5,11–17). 99 Il se peut qu’Augustin réagisse aussi à la quaestio anti-novatianiste de l’Ambrosiaster en Ps.Aug. quaest. test. 102 (CSEL 50). Voir n. à 20,5, malevolentiae et RING, 58s. Mais les idées de l’Ambrosiaster dans ce texte sont trop proches de celles d’Ambroise pour que l’on puisse démontrer l’utilisation des deux auteurs.

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copiste : il ne reprend des remarques de l’Ambrosiaster que pour les modifier, et, si sa réflexion sur le blasphème est bien dans la lignée anti-novatianiste d’Ambroise, celui-ci n’avait nullement affirmé, comme le fait Augustin, que ce blasphème s’identifiait avec l’impénitence jusqu’à la mort.100 Faut-il aussi nommer parmi les sources de notre texte le commentaire sur Rom. de Marius Victorinus ? Impossible de répondre, puisque ce texte a disparu et, comme nous l’avons dit,101 il n’est pas sûr qu’il ait existé. Retenons cependant que Plumer a montré de façon convaincante l’emploi du commentaire de Victorinus sur Gal. dans in Gal.102 Si il y avait un commentaire sur Rom., il est donc très probable qu’Augustin s’en est servi, ou a eu l’intention de s’en servir (après tout, Victorinus n’avait pas forcément fait de remarques détaillées sur la salutation de l’épître).

1.8

Thèmes

Quand un commentateur écrit trente pages sur sept versets de la Bible, on peut facilement supposer qu’il s’est résolu à tout dire. Mais ce n’est pas le cas pour l’Inchoata expositio : sa longueur vient surtout de ses digressions, alors que le commentaire néglige entièrement certains aspects du texte. Augustin n’a pratiquement rien à dire sur les circonstances extérieures qui ont trait à Rom. : il n’explique pas quand, où et sous quelles conditions Paul écrivit aux Romains.103 De même, son commentaire a peu d’ambitions philologiques : comme nous l’avons déjà dit,104 il l’a commencé vraisemblablement sans posséder de manuscrit grec de de l’épître. Augustin envisage donc un commentaire essentiellement t h é o l o g i q u e . Or il annonce dès le premier paragraphe quel est pour lui le message théologique de Rom. : le salut donné par la grâce aux Juifs et aux gentils ensemble. Peut-on ensuite dire que l’Inchoata expositio est axée sur ce message ? En vérité, et selon une tendance caractéristique de la pensée d’Augustin,105 le rôle des Juifs dans le plan de Dieu tend à s’estomper, et l’intérêt de l’auteur se porte surtout sur le rôle de la grâce dans la Nouvelle Alliance. Sans doute, s’il avait continué son commentaire, Augustin aurait-il été amené à reprendre et approfondir ses réflexions de in Rom.106 et in Gal.107 sur le rôle du peuple sub lege (« sous la Loi » de

|| 100 Voir n. à 14,1, Le blasphème. 101 Supra, 1.5, p. 14. 102 Augustine’s Commentary, 7–33. Plumer lui-même voudrait que cette utilisation ne soit que « probable au plus haut degré » (31), mais ses scrupules semblent excessifs. 103 Voir n. à 1,1–3. 104 Supra, 1.6, p. 16. 105 Voir n. à 1,1–3. 106 Aug. in Rom. 12 ; 21. 107 Passim, mais surtout 17 ; 46.

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Moïse) dans l’histoire du salut. Mais, dans son commentaire des sept premiers versets de Rom., les Juifs en tant que peuple sous la Loi réapparaissent à peine après les deux premiers paragraphes,108 alors que l’accent est sans cesse mis sur le don de la grâce comme fait central du christianisme. Sans doute, dans le commentaire tel quel, Augustin ne parle pas que de la grâce. Il s’occupe aussi d’affirmer la valeur incontournable des prophéties de l’Ancien Testament (3,1–4,2) et la divinité du Christ (4,3–12), de déterminer le sens de praedestinatus en Rom. 1,4 (5), d’expliquer la structure de la salutation (7). Mais en Rom. 1,5, c’est surtout sur gratia qu’il s’arrête (6,1s.), et dilectis et vocatis en 1,7 lui donnent de nouveau l’occasion d’affirmer que c’est la grâce qui nous sauve (7,5– 7).109 Puis, devant gratia et pax dans la salutation, le progrès du commentaire s’arrête net, pour laisser la place à la réflexion sur la grâce et la justice (9s.), la grâce et la paix comme noms de l’Esprit Saint (11–13), et le péché contre l’Esprit Saint, qui est donc un péché contre la grâce (14–fin). Dans ce sens, toute la seconde partie de l’Inchoata expositio n’est pas vraiment une digression, mais plutôt une méditation sur ce qui semble le plus arrêter Augustin dans l’épître aux Romains : l’enseignement sur ce que Dieu est venu nous donner. C’est en même temps une méditation sur l’Esprit Saint, puisque Augustin affirme que l’Esprit est la grâce et la paix. Notre texte marque ainsi une nouvelle étape dans un projet que son auteur avait signalé dès util. cred. (« nous dirons ailleurs quelque chose plus ouvertement sur l’Esprit Saint »),110 et qui commence à se réaliser avec la première manifestation, dans fid. et symb. (19) de la grande idée d’Augustin que l’Esprit peut en quelque sorte se comprendre comme étant l’amour de Dieu.111 Dire que l’Esprit est grâce et paix est clairement une autre expression de cette même conception, surtout que c’est cette équivalence qui permet à Augustin de montrer que le péché impardonnable ne peut être que celui qui se prolonge

|| 108 Voir tout de même 6,4 ; 19,10. Des Juifs réapparaissent bien sûr dans la discussion sur le blasphème contre l’Esprit Saint (surtout en 15,5–7 ; 20,1–23,13), puisque c’est à des pharisiens que le Christ semble reprocher ce blasphème. Mais Augustin n’y associe pas l’aveuglement des pharisiens avec leur attachement à la Loi. 109 Voir n. à 7,7. 110 Util. cred. 7 (de Spiritu Sancto alias planius aliquid eloquemur). Noter aussi dans fid. et symb. 19 : De Spiritu autem sancto nondum tam copiose ac diligenter disputatum est a doctis et magnis divinarum scripturarum tractatoribus, ut intelligi facile possit eius proprium, quo proprio fit ut eum neque Filium neque Patrem dicere possimus, sed tantum Spiritum sanctum (« Les doctes et grands commentateurs sur les Écritures divines n’ont pas encore écrit assez copieusement et soigneusement sur l’Esprit Saint, pour que l’on puisse facilement comprendre ce qui lui est propre, ce qui, en lui étant propre, fait que nous ne puissions l’appeler ni le Fils ni le Père, mais seulement l’Esprit Saint »). 111 Voir n. à 11,1s., mais surtout, pour l’évolution de cette conception, DU ROY, L’intelligence, 430– 432. Elle est anticipée dès mor. eccl. 23.31.

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jusqu’à la mort : un refus obstiné de l’amour de Dieu, qui est l’Esprit, et qui s’offre en tout temps au pénitent. La grâce telle qu’elle apparait ici ne correspond donc pas entièrement à la vision que l’on associe habituellement à Augustin interprétant Rom., et qui éclora pleinement dans quaest. Simpl. La liberté humaine est encore vue comme faisant le premier pas pour accueillir la grâce,112 qui, elle, n’est pas encore ce choix insondable par Dieu de sauver une minorité parmi une humanité justement damnée. Dans l’Inchoata expositio, et surtout dans sa doctrine pleine de miséricorde sur ce que peut être le péché impardonnable, la grâce semble encore le fait, ou la nature même, d’un Dieu « qui veut que tous les hommes soient sauvés » (1 Tim. 2,4), phrase dont le sens obvie allait devenir intolérable à Augustin.113 Dans notre texte, cette grâce n’est pas conçue dans l’abstraction : elle est active d a n s l ’ É g l i s e .114 En justifiant sa doctrine que seule l’impénitence sera impardonnable, Augustin se réfère continuellement à la pratique de l’Église, qui selon lui n’a jamais refusé le pardon aux pénitents. Cette perspective sur l’histoire de la pratique pénitentielle est quelque peu idéalisée,115 mais il faut y voir aussi une exhortation : ce n’est qu’en admettant tous les pénitents au pardon que l’Église accomplira pleinement sa mission de ministre de la grâce divine. Dans ses écrits postérieurs sur le blasphème contre l’Esprit Saint, Augustin va développer cet enseignement en le tournant contre les Donatistes : si, par l’Esprit qui est en elle, l’Église catholique peut tout pardonner, les Églises hérétiques, dépourvues de l’Esprit, sont coupées de ce pardon, et tous ceux qui meurent dans l’hérésie auront donc commis le blasphème impardonnable. Cette supposition est aussi présente dans notre texte,116 mais ce n’est pas elle qui motive la discussion sur le blasphème. Augustin a en vue d’autres lecteurs que les Donatistes : parmi les genres littéraires du christianisme antique, le commentaire scripturaire est de ceux dont le public essentiel fut le clergé. Pour ce public (et surtout pour les évêques), l’Inchoata expositio comporte un enseignement pratique sur l’étendue du pardon qu’il faut offrir, et dans ce sens ce commentaire est en même temps un texte pastoral.117

|| 112 Voir 7,7 et n. ad loc. 113 Voir enchir. 97–103 ; c. Iulian. 4,42–44 ; corrept. 44. 114 Pour ce qui suit, voir encore une fois à la n. à 14,1, Le blasphème. 115 Voir WATKINS, A History, 469 et n. à 16,1. 116 Voir 15,16 ; 22,1 : c’est seulement par le retour à l’Église catholique que les hérétiques peuvent se libérer de leur blasphème. 117 Sur ce point, voir RING, Die unvergebbare Sünde, 42, et n. à 14,1, desperans vel irridens.

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1.9

Postérité

Le premier auteur à réemployer l’Inchoata expositio, c’est Augustin lui-même. Comme nous l’avons dit, tout son enseignement postérieur sur le blasphème contre l’Esprit Saint se fonde sur ce qu’il dit dans notre texte. Mais ce n’est que le serm. 71 qui donne des indices certains d’une consultation directe de l’Inchoata expositio.118 Ce texte, parmi les plus longs des sermons augustiniens qui nous soient parvenus,119 traite exclusivement du blasphème contre l’Esprit Saint, et son auteur,120 tout comme Possidius, semble le considérer comme son dernier mot sur le sujet.121 On comprend qu’Augustin ait voulu préparer soigneusement sa prédication sur une question qu’il présente comme très difficile,122 et il était donc naturel qu’il se rapportât à son premier traitement détaillé du problème.123 Mais, en produisant le serm. 71, Augustin condamna l’Inchoata expositio à une obscurité relative dans les siècles suivants. Pourquoi en effet consulter ce texte ? Malgré son titre, il était peu utile aux lecteurs de Rom., puisqu’il n’offrait qu’un commentaire du tout début de l’épître.124 Et il n’allait pas non plus devenir le texte de référence pour l’enseignement augustinien sur le blasphème impardonnable. Déjà, au 6ème siècle, Eugippe se sert du serm. 71 à cette fin,125 et ne fournit aucun extrait de l’Inchoata expositio.126 L’Inchoata expositio n’a donc jamais connu le succès fulgurant réservé à bien d’autres textes augustiniens. Il ne nous en reste que 21 manuscrits complets : petit nombre pour cet auteur. De même, bien peu de textes le citent : en plus de Claude de Turin et un commentateur carolingien anonyme, puis Pierre Lombard et la Glossa ordinaria, dont nous discutons dans l’introduction à l’édition,127 nous n’avons relevé

|| 118 Pour Augustin qui se relit lui-même, voir DROBNER, The Chronology, 49s. 119 VERBRAKEN, Le sermon, 56. La date du serm. 71 n’est pas connue. Verbraken (ibid. 57) suggère les environs de 417, à cause des similarités avec correct. L’édition critique de Verbraken – la première – a été remplacée par celle qui se lit chez DE CONINCK, La tradition manuscrite, 173–238, seule citée dans notre commentaire. 120 Voir enchir. 83 et la remarque sur ce passage dans n. à 14,1, Le blasphème. 121 C’est sans doute le serm. 71 que désigne Possidius dans indic. 10,6,199 (p. 207 ; voir n. 5 supra) comme Tractatus de blasphemia spiritus sancti (« Traité sur le blasphème contre l’Esprit saint »). 122 Serm. 71,1.38. 123 Les parallèles les plus indicatifs pour la consultation sont ceux qui portent non pas sur des arguments de fond, mais sur des détails. Voir n. à 8,6 ; 15,2, pagani ; 21,7. 124 Nous avons considérablement plus de manuscrits de in Rom. et in Gal. 125 VERBRAKEN, Le sermon, 60, qui relève aussi la même pratique chez Bède le Vénérable et Florus de Lyon (vide infra). 126 Voir les index de l’édition CSEL 9. 127 Voir 2,3 ; 2,5 ; 2,6.

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que des échos possible chez Haymon d’Auxerre128 au 9ème siècle, et quelques évocations chez l’exégète parisien Pierre le Chantre au 12ème siècle.129 On mesure plus précisément le faible retentissement du texte, en constatant combien il est absent chez les commentateurs postérieurs de Paul, pour lesquels Augustin était souvent une source principale. Pélage est une curieuse exception.130 Par contre, il n’y a aucun signe d’une connaissance de l’Inchoata expositio dans les remarques sur Rom. 1,1–7 chez l’anonyme de Frede, puis chez Cassiodore,131 dans les

|| 128 Le commentaire d’Haymon sur Rom. est édité en PL 117, 361–508 (Rom. 1,1–7 commenté à 367– 369), où il est attribué à Haymon de Halberstadt (pour la question de l’attribution, voir Lexikon des Mittelalters ss.vv. Haimo v. Auxerre et Haimo v. Halberstadt). Il se rapproche de l’Inchoata expositio en mettant l’accent sur suos dans prophetas suos en Rom. 1,2 (cf. 3,3), en liant praedestinatus en Rom. 1,6 avec l’humanité du Christ (cf. 5,11–17 et n. ad loc.), en séparant grâce et apostolat en Rom. 1,5 (cf. 6,1s. et voir n. à 6,1, gratiam cum omnibus), en notant que sanctis en Rom. 1,7 doit être compris comme cause et non pas conséquence de vocatis (cf. 7,7), dans l’association pour Rom. 1,7 gratia / peccata remittuntur – pax / reconciliamur Deo (cf. 8,4), puis dans l’équivalence (atténuée chez Haymon) entre l’Esprit Saint et gratia et pax. Nombre de ces parallèles sont déjà chez Pélage (vide infra), que, selon SOUTER (Pelagius’s Expositions, t. 1, 340s.), Haymon n’a pourtant pas consulté. 129 Pierre cite en périphrase Inchoata expositio 11,4–6, sur les salutations des épîtres à Timothée, dans deux versions de son grand manuel de prédication, le Verbum adbreviatum (textus alter 45, [CCCM 196B, 231] ; textus conflatus 1,54 [CCCM 196, 367s.]). Pierre a commenté toute l’Écriture (CCCM 196, x), et il y a peut-être d’autres traces de notre texte dans ses commentaires, presque tous inédits. Il reste à voir si les extraits chez Haymon et Pierre ne peuvent pas venir de Claude de Turin. Nous n’avons pas trouvé de traces de l’Inchoata expositio dans le Milleloquium de Barthélemy d’Urbino, immense florilège augustinien du 14ème siècle (sur lequel voir SIEBEN, Bartholomew). Nous avons consulté l’editio princeps : D. Aurelii Augustini Milleloquium Veritatis a F. Bartholomæo de Urbino digestum, Paris 1555. Notre texte figure bien dans la liste de ceux que Barthélemy déclare avoir vus (2450s.), mais un examen de tous les passages où l’annotation marginale de l’editio princeps renvoie au « tom. IIII » (les renvois sont à l’édition d’Érasme) ne révèle aucun extrait de l’Inchoata expositio, alors que l’on trouve plusieurs extraits de in Gal. et in Rom. Il est vrai qu’il y a des lacunes dans ces références marginales : un index locorum du Milleloquium serait un travail ingrat, mais bienvenu. 130 CPL 728. Aux parallèles recueillis par SOUTER (Pelagius’s Expositions, t. 1, 186s.), ajouter la lecture anti-manichéenne de prophetas suos en Rom. 1,2 (SOUTER, op. cit., t. 2, 8 ; cf. notre n. à 4,1, Les prophètes, e), l’association en Rom. 1,4 de praedestinatus à ex resurrectione mortuorum (SOUTER, ibid. 9 ; cf. Inchoata expositio 5,4) ; la séparation pour Rom. 1,5 entre grâce et apostolat (SOUTER, ibid. 9 : gratia in baptismo, apostolatum quando ab Spiritu sancto directus est [« la grâce dans le baptême, l’apostolat quand il fut envoyé par l’Esprit Saint »] ; cf. Inchoata expositio 6,1, et voir première n. ad loc.) ; la séquence vocatis-sanctis pour Rom. 1,7 (SOUTER, ibid. 10 ; cf. Inchoata expositio 7,7), et l’association de gratia en Rom. 1,7 à la rémission des péchés (SOUTER, ibid. ; cf. Inchoata expositio 8,4). 131 CPL 902. Cassiodore mentionne l’Inchoata expositio en Institutiones 1,8,12 mais semble seulement la connaitre par retract. (R. A. B. MYNORS [éd.], Cassiodori Senatoris Institutiones, Oxford 1937, 187 est à corriger sur ce point), puisque, dans son propre commentaire sur Rom. il cherche lui aussi l’Esprit Saint dans la salutation, mais ne songe pas à l’équivalence Esprit – gratia et pax (PL 70,

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compilations augustiniennes sur l’apôtre de Bède le Vénérable132 et de Florus de Lyon,133 dans le commentaire de Raban Maur,134 le commentaire anonyme « d’Avranches » édité dans CCCM 151,135 les notes de Smaragde de Saint-Mihiel sur Rom. 1,1– 7,136 chez Lanfranc du Bec,137 Guillaume de Saint-Thierry,138 Hervé de Bourg-Dieu139 et Pierre Abélard.140 Beaucoup de silences, donc, qui n’indiquent nullement une quelconque hésitation face au contenu de l’Inchoata expositio, mais seulement que le texte était peu disponible, ou du moins peu lu. Nous n’avons pas poussé ces recherches au-delà du 12ème siècle, mais ne connaissons aucune indication que le texte soit devenu plus tard le sujet d’un intérêt croissant. Il n’a jamais bénéficié d’une étude spécifique,141 et, jusqu’à l’apparition de CSEL 84 en 1971, il a été publié seulement dans les grandes séries des opera omnia d’Augustin.142 Ce sont surtout deux de ses digressions, sur la quatrième bucolique (3,3s.) et la langue punique (13), qui ont attiré l’attention des spécialistes, intéressés moins par l’Inchoata expositio elle-même que par la réception chrétienne de Virgile et les formes de la civilisation punique en Afrique du Nord, respectivement. La parution dans CSEL 84 de l’Inchoata expositio avec in Gal. et in Rom. a néanmoins motivé de nouvelles traductions ou éditions bilingues, toutes munies au moins d’une introduction :143 Fredriksen Landes publie en 1982 une édition anglaise bilingue de in Rom. et l’Inchoata expositio, avec une courte introduction aux deux textes. Elle est suivie par Mara, qui fournit dans Agostino interprete di Paolo (1993) une traduction italienne de ces deux mêmes textes, munie de quelques notes et d’une introduction détaillée, traitant surtout de leur place dans l’histoire de l’exégèse et dans les travaux d’Augustin sur Paul. Enfin, en 1997, paraissent deux

|| 1321s.). La compilation augustinienne sur Paul d’un certain Pierre de Tripoli, mentionnée par Cassiodore (inst. 1,8,9), est perdue (voir WILMART, Le mythe). 132 Pour ses sources, voir FRANSEN, Description. 133 Pour ses sources, voir CHARLIER, La compilation. 134 Voir CANTELLI BERARDUCCI, Hrabani Mauri, 1344–1360, qui montre que l’Inchoata expositio n’est citée nulle part dans les compilations exégétiques de l’auteur. 135 Ce commentaire serait d’origine insulaire et du 9ème siècle (CCCM 151, xvii). 136 PL 102, 15. Sur ce texte, voir SOUTER, Pelagius’s Expositions, t. 1, 29s. 137 Commentaire, ou plutôt scholies, sur Rom. en PL 150, 103–156. 138 Édition dans CCCM 86. Guillaume dit pourtant dans sa préface qu’Augustin fut sa source principale. 139 Ses extraits de l’Inchoata expositio viennent de Claude de Turin. Voir infra, 2.5. 140 CCCM 11. Les quelques ressemblances passent par Haymon d’Auxerre. 141 Si ce n’est le court article de RING s.v. Epistulae ad Romanos inchoata expositio dans AugLex, et les 11 pages de MARA, L’interpretazione, qui ne traitent que d’un aspect du texte. 142 Pour les détails, voir infra, 2.4, et Bibliographie, Éditions. 143 L’édition espagnole bilingue de Martin Perez (1959) dans la série complète Obras de san Agustin avait précédé. On trouvera des références complètes à toutes les éditions mentionnées dans Bibliographie, Traductions.

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nouvelles éditions bilingues : une italienne, regroupant dans la série complète Nuova biblioteca agostiniana les trois œuvres de CSEL 84,144 sans annotation, mais avec une introduction de Mendoza qui doit beaucoup à Mara ; et une allemande, de Ring,145 joignant de façon unique l’Inchoata expositio à in Gal. et divers. quaest. 66– 68 (ces quaestiones portent aussi sur Rom.). Le volume de Ring, pourvu de nombreuses notes, parait comme second tome des Prolegomena dans la série « Sankt Augustinus – Der Lehrer der Gnade » (« Saint Augustin, le docteur de le grâce »), produite par le Centre pour les Études Augustiniennes de Würzburg. La série a pour but de présenter en version bilingue annotée toutes les œuvres anti-pélagiennes d’Augustin, avec en plus quatre volumes de prolegomena, contenant des œuvres antérieures à la dispute avec Pélage, où Augustin développe son enseignement sur la grâce.146 L’Inchoata expositio a donc toujours été présentée avec d’autres œuvres de son auteur sur Paul, soit in Gal. soit in Rom. soit les deux.147 Ce choix se comprend facilement : c’est à Augustin lui-même, dans retract., que nous devons la séquence in Rom. – in Gal. – Inchoata expositio. Mais, en même temps, il ne pouvait que faire un certain tort à notre texte, qui, comme nous l’avons dit, peut être frustrant pour qui y cherche une élaboration de la pensée d’Augustin sur Paul. On sent, dans beaucoup des éditions citées, que c’est surtout par souci d’exhaustivité que l’Inchoata expositio est incluse, et les introductions, en se concentrant sur Augustin lecteur de Paul, ont souvent peu à dire sur elle. Il faut donc féliciter Ring d’avoir publié l’Inchoata expositio sous la rubrique de la grâce, qui est en effet son vrai thème. Ring est du reste le seul éditeur à avoir fourni de vrais éléments de commentaire, et ceux-ci, pleins d’érudition et de bon sens, nous ont été d’une grande utilité. Notre travail est cependant le premier à présenter l’Inchoata expositio toute seule, et à l’étudier dans sa spécificité. Les opuscules d’Augustin peuvent vite se noyer dans l’océan immense de ses écrits, où bien des œuvres majeures attendent encore commentaires et études détaillées. Mais Augustin a marqué de son génie tout ce qu’il a écrit, et ses textes plus courts, ou même inachevés, ne sont pas forcément les moins riches.

|| 144 Ce volume comprend aussi de serm. dom., quaest. euang. et in Matth., mais les trois œuvres sur Paul sont présentées comme une unité, avec leur propre introduction et bibliographie. 145 Ring réédite sa traduction de Inchoata expositio 14–23 dans Die unvergebbare Sünde, 42–61. 146 Trois de ces volumes de prolegomena ont paru, tous édités par Ring (obiit 2009) : le premier (1989) contenait in Rom. ; le second est celui qui contient notre texte ; le troisième présente quaest. Simpl. ; mais nous ignorons le contenu envisagé pour le quatrième, tout comme le statut actuel de ce projet ambitieux. Nous tirons ces informations du site internet du Zentrum für Augustinusforschung. Aucune publication n’est sortie dans la série depuis 2005, et elle ne figure pas sur la page « Die Projekte des ZAF » du site. 147 L’édition de Martin Perez contient de même in Rom. et in Gal. et fait le choix intéressant d’ajouter in epist. Ioh. La BA envisage aussi de consacrer un volume à in Gal., in Rom. et l’Inchoata expositio (voir MADEC, La Bibliothèque, 14).

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1.10 Le regard des modernes Il convient en effet de demander s’il faut juger l’Inchoata expositio comme un échec. Le projet dont elle est l’ébauche a évidemment échoué, mais, selon les méthodes de production de l’époque, le livre tel quel peut tout de même être considéré comme une œuvre à part entière.148 Or, cette œuvre, Augustin a choisi de la conserver149 et n’en a fait que des critiques mineures dans retract. Surtout, il y a puisé lui-même dans ses réflexions postérieures sur une question qu’il considérait très importante, celle du blasphème contre l’Esprit Saint. C’est donc qu’il a jugé l’Inchoata expositio digne de lui, et digne d’être lue. Doit-on partager ce jugement ? Les principales évaluations modernes sont divisées. Pour Souter, il s’agit, « pour sa taille, d’une des œuvres les plus intéressantes d’Augustin, et nous ne pouvons que regretter profondément que son espoir de la finir un jour n’ait pas été destiné à se réaliser ».150 Ring (49) pense tout le contraire : Augustin a bien fait d’abandonner son projet de commentaire dont le premier livre est déjà lassant. Nous préférons le jugement de Souter, tout en acceptant le texte que nous avons, plutôt que le commentaire complet imaginaire. Ne prétendons pas qu’elle doive prendre place au premier rang des œuvres augustiniennes, mais l’Inchoata expositio reste toute imbue des grandes qualités de son auteur : l’élégance et la puissance de sa langue, la bonté de son cœur, la réflexion passionnée et cohérente sur les mystères du salut, et aussi cette intelligence toujours innovatrice et surprenante qui fait d’Augustin un des auteurs antiques les moins prévisibles (les digressions du texte qui ont reçu l’attention des spécialistes l’ont bien méritée : chacune est unique en son genre). Enfin, l’Inchoata expositio a une vertu bien plus rare chez Augustin, celle de la concision : on y trouve en forme brève, mais généralement lucide, bien des idées qu’il a longuement développées ailleurs. Toutefois, on reprochera sans doute à notre texte un défaut qui est assez caractéristique de l’exégèse augustinienne, et de l’exégèse patristique en général : dans son exposé de Rom. 1,1–7, on peine souvent à croire que les sens plus subtils qu’Augustin veut y voir furent vraiment dans l’esprit de Paul. Un tel reproche aurait

|| 148 DOLBEAU, Brouillons, 201 : « Augustin acceptait de livrer au public des traités incomplets, ou plutôt des éléments complets – des ‘livres’ au sens intellectuel – d’un traité inachevé, à condition qu’ils aient été révisés … Aux yeux d’un auteur antique, l’élément primordial est le livre (terminé et donc révisé). » 149 Ce n’est pas le cas des toutes les œuvres qui nous sont parvenues. Augustin indique dans retract. qu’il avait voulu supprimer son autre commentaire inachevé, gen. ad litt. imperf., remplacé par gen. ad litt. (retract. 1,18), et aussi immort. (retract. 1,5,1), de mend. (retract. 1,27) et in Iob (retract. 2,13). La survie des tous ces textes est due à la persistance de ses disciples : voir DOLBEAU, Brouillons, passim. 150 SOUTER, The Earliest, 191s.

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probablement peu gêné l’auteur,151 mais elle heurte les sensibilités de l’érudition scientifique. Laissons la parole à ce pionnier de la critique moderne que fut Richard Simon : « La remarque qu’il fait d’abord sur ces paroles, Paulus servus Iesu Christi, vocatus Apostolus, segregatus in Evangelium Dei, est plutôt une subtilité qu’une critique exacte … L’observation qu’il fait ensuite sur ces autres mots, qu’il avoit promis auparavant par ses Prophetes, dans les Ecritures Saintes, n’est gueres mieux fondée que la précedente … La maniere dont il interprete au même lieu ces paroles, Qui praedestinatus est Filius Dei ex resurrectione mortuorum, n’est point naturelle … Il s’etend après cela au long sur cette forme de salut qui est ordinaire à Paul, Gratia vobis et pax a Deo Patre nostro et Iesu Christo. Comme il n’est fait mention que du Pere et de JESUS-CHRIST, il juge que le Saint Esprit, qui est appelé don de Dieu, est exprimé dans ces mots, gratia et pax, qui ne sont autre chose qu’un don de Dieu. Mais je ne voy pas quelle necessité il y a de trouver les trois personnes de la Trinité à la tête des Epitres de Paul, ainsi que ce pere a prétendu les y trouver ».152 On peut répondre que les remarques d’Augustin ne sont pas moins intéressantes ou moins vraies pour être inexactes sur les intentions de Paul, et on se rappellera des débats herméneutiques qui mettent en question la possibilité de retrouver objectivement le sens voulu par un auteur. On réaffirmera aussi la valeur intrinsèque de l’exégèse théologique, à côté du travail de l’historien des textes. Mais, surtout, on n’écartera pas facilement l’enseignement de l’Inchoata expositio sur ce que constitue le blasphème impardonnable contre l’Esprit Saint, enseignement pleinement accepté par l’Église catholique.153 Pour le croyant, Augustin offre en effet la seule interprétation de l’Évangile qui puisse libérer de la terreur d’encourir la damnation par un seul acte ou une seule parole, qui rendrait inutile tout repentir. C’est donc une doctrine pleine d’espoir, ce qu’il faut saluer chez un auteur à qui on a beaucoup reproché, et non sans raison, d’avoir limité l’étendue de la miséricorde divine.

|| 151 Voir le principe énoncé en doctr. christ. 3,84s., et n. à 13,7, non pugnaciter. 152 SIMON, Histoire critique, 256s. 153 Voir Catéchisme de l’Église catholique, §1864 : « ‘Tout péché et blasphème sera remis aux hommes, mais le blasphème contre l’Esprit Saint ne sera pas remis’ [Mt. 12,31] … Il n’y a pas de limites à la miséricorde de Dieu, mais qui refuse délibérément d’accueillir la miséricorde de Dieu par le repentir rejette le pardon de ses péchés et le salut offert par l’Esprit Saint. »

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2 Introduction à l’édition 2.1

Manuscrits

La liste ci-dessous comporte tous les manuscrits contenant l’Inchoata expositio dont l’existence nous est connue. Cette liste a été constituée à partir des indications de CSEL 84 et des catalogues du projet Die handschriftliche Überlieferung der Werke des Heiligen Augustinus.154 Le personnel du projet, et notamment Johannes Divjak, l’éditeur de CSEL 84, ont aussi eu la bonté de nous informer que leurs fiches n’indiquaient aucun manuscrit contenant l’Inchoata expositio pour les pays dont les catalogues n’ont pas encore paru. Nous avons collationné sur place tous les manuscrits, à l’exception de S (collationné sur les microfilms de l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes [= IRHT] ; certaines leçons vérifiées sur place), U (IRHT) ; T (site de la médiathèque de Troyes) ; K (IRHT + site Codices Electronici Ecclesiae Coloniensis) ; L2 (site Plutei Online de la Biblioteca Laurenziana). Que soient remerciés les bibliothécaires qui nous ont donné accès à leurs collections. Il y a peu d’éditeurs qui peuvent se vanter d’avoir collationné sans fautes. Pour notre part, nous avons souvent eu à travailler rapidement sur une durée de temps limitée, et ne prétendons pas offrir une édition sans omissions ou erreurs. Cependant, pour les manuscrits déjà utilisés dans CSEL 84 (O E S T V U Z L1 L2 F M C B1 R B) nous avons vérifié nos propres collations contre l’apparat existant. Cela a permis de corriger les erreurs plutôt nombreuses de CSEL 84, mais aussi les nôtres. De plus, pour T K L1 L2 des reproductions numériques sont disponibles en ligne, dont nous nous sommes servi pour vérifier nos collations initiales de ces manuscrits. Nous avons pu de même revérifier sur place les leçons de O. Il n’y a donc que pour les manuscrits P A G H V1 qu’aucun contrôle n’a été possible.155 Nous n’avons pas collationné Prag. – ce choix sera justifié plus bas.

|| 154 Dorénavant HU. Pour les volumes de cette série, voir le site internet du CSEL. On consultera ces mêmes volumes pour les détails des œuvres augustiniennes contenues dans les manuscrits décrits ci-dessous (sauf T). 155 Il est en de même pour les manuscrits Δ Θ de Claude de Turin. Quant aux manuscrits parisiens de Claude (Χ Φ Ψ) nous avons pu vérifier nos collations lors de voyages répétés à Paris, et Carlotta Dionisotti, que nous remercions, a aussi effectué des vérifications. Germ a été collationné sur place, puis ces collations ont été vérifiées sur sa microfiche, disponible en ligne.

https://doi.org/10.1515/9783110594782-003

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Tous les manuscrits de l’Inchoata expositio descendent d’un archétype commun, Ω. La tradition se divise ensuite en deux familles, Λ et Ξ. Enfin, le manuscrit B appartient à la fois aux deux familles.156

2.1.1

Famille Λ

La famille Λ est beaucoup moins bien représentée que la famille Ξ : 6 manuscrits + les extraits carolingiens de Claude de Turin et de la compilation que nous appelons Germ, contre 17 manuscrits. L’origine de Λ et les détails de son histoire ne se laissent pas discerner. Ses premiers représentants sont du 9ème siècle : un manuscrit bavarois (O), et les deux commentaires carolingiens. O est lié avec un autre manuscrit bavarois, du 14ème siècle (E), mais qui lui ressemble peu. La branche d est représentée par deux manuscrits du 12ème siècle, un italien (S) et un français (T), ayant chacun une relation parmi les grandes compilations augustiniennes de la Renaissance (U V). On en déduit l’existence d’au moins 5 descendants de Λ aujourd’hui perdus, et il y en eut sans doute plus, vu l’éparpillement dans l’espace et le temps de ceux qui restent. Tous les manuscrits Λ sauf E sont des recueils augustiniens. Mais leur contenu est trop divers pour que l’on puisse savoir si Λ même était un tel recueil, ou déterminer quoi que ce soit sur son contenu au-delà de la présence de l’Inchoata expositio. Sous-famille O E Les deux manuscrits O E partagent assez de fautes pour que l’on puisse identifier un hyparchétype commun. Mais cinq siècles les séparent, et ils sont loin d’avoir un texte très similaire. O Oxford, Bodleian Library, Laud misc. 134 D. MAIRHOFER, Medieval Manuscripts from Würzburg in the Bodleian Library, Oxford. A descriptive Catalogue, Oxford 2014. s. 9, minuscule carolingienne. Le manuscrit appartint à la cathédrale Saint Kilien de Würzburg. Selon l’hypothèse de Bischoff157 il fait partie d’un groupe de livres

|| 156 Pour la bibliographie des descriptions qui suivent, on se reportera aux notes pour les informations qui ne viennent pas des catalogues nommés ou de l’autopsie. 157 BISCHOFF – HOFMANN, Libri, 19s. et 39 ; BISCHOFF, Katalog, t. 1, no. 3843. Mairhofer accepte ces conclusions.

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écrits à l’abbaye bavaroise de Niederaltaich sous les ordres de l’abbé Gozbald,158 d’où ils furent amenés à Saint-Kilien par l’abbé, quand celui-ci devint évêque de Würzburg (842–855). Hoffmann suggère d’identifier O avec l’entrée Epistolae Pauli ad Romanos … Augustini du catalogue de Würzburg écrit vers l’an 1000.159 Il fait partie des manuscrits de Saint-Kilien acquis, on ne sait trop comment, par William Laud, archevêque de Cantorbéry, suite à l’occupation de Würzburg par les troupes suédoises en 1631–1634.160 O entra dans les collections de Laud en 1637, et fait partie du don de livres qu’il fit à l’université d’Oxford, dont il était chancelier, le 28 juin 1639. O contient trois œuvres d’Augustin : l’Inchoata expositio (1r–15v) ; spir. et litt. ; c. Pelag., puis un canon de la messe et deux prières, ajoutés par un scribe de Würzburg au 9ème siècle. Il semble que l’Inchoata expositio a été écrit séparément, mais relié très tôt avec les deux autres textes.161 O est de loin le plus ancien manuscrit à transmettre l’integralité de l’Inchoata expositio. Son texte fut écrit par au moins 4 mains. Bischoff162 parle de mains d’écoliers, qui manquent d’élégance formelle. De même, ces scribes sont de mauvais copistes : le texte de l’Inchoata expositio pullule de fautes. En général, il ne doit pas s’agir de fautes provenant de leur exemplaire, à moins que l’on postule que deux copies de l’Inchoata expositio circulaient autour de Würzburg au 9ème siècle. En effet, le texte a été soigneusement corrigé par deux autres scribes,163 travaillant aussi à Würzburg au 9ème siècle,164 qui rectifient un grand nombre de fautes. Çà et là, ces corrections ressemblent à des conjectures, mais il s’agit avant tout d’un texte qui a été revu sur son exemplaire. Celui-ci doit donc aussi avoir séjourné à Würzburg. Malgré leur antiquité, les fautes uniques de O corrigées par la suite ne présentent donc pas un grand intérêt pour l’histoire textuelle de l’Inchoata expositio. On n’en retrouvera pas le relevé ici : voir plutôt l’apparat de CSEL 84, où un grand nombre de ces corrections sont enregistrées. La liste ci-dessous des fautes uniques donnera seulement les leçons séparées de O (ac.) et O (pc.) où les deux sont fautives.

|| 158 Gozbald fut abbé de Niederaltaich depuis 830 au plus tard, selon sa fiche dans le Repertorium « Geschichtsquellen des deutschen Mittlelalters » en ligne. 159 HOFFMANN, Die Würzburger, 223, no. 62. Faut-il aussi l’identifier avec l’entrée eiusdem [sc. Augustini] epistola ad Bonifacium episcopum (ibid. 234, no. 212), ce qui pourrait faire référence à c. Pelag. ? Hoffmann y voit epist. 212. 160 KNAUS, Würzburg, 949 ; MAIRHOFER, 14–18, indiquant aussi que certains des manuscrits – mais on ignore lesquels – donnés par Laud à la Bodléienne le 28/06/1639 avaient été acquis par Thomas Howard, Earl d’Arundel, lors d’une mission diplomatique en Allemagne en 1636. 161 BISCHOFF – HOFFMAN, Libri, 39 ; MAIRHOFER, 437. 162 BISCHOFF – HOFFMAN, Libri, 19. 163 La majorité des corrections sont d’une seule main, et nous n’avons pas tenté de distinguer les deux correcteurs dans l’apparat. 164 MAIRHOFER, 436.

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Même remarque, mutatis mutandis, pour les corrections dans les autres manuscrits de notre texte. Seul parmi les manuscrits de l’Inchoata expositio, O contient, dans ses marges latérales, une série de titres. Ceux-ci, en majuscules rustiques, démarquent des divisions ou des points saillants du texte. Nous les reproduisons, avec l’indication, selon le découpage moderne, des parties du texte auxquelles ils se réfèrent. Des lettres ont dû être reconstituées, car les marges du manuscrit ont été tranchées sans égard pour ces titres. (6,4) (init. 7) (init. 9) (9,4) (13) (init. 14) (15,2) (15,5) (15.) (15,10) (15,12) (16,1) (18,1) (18,7) (18,14) (19,1) (19,7) (23,3)

DE ORDINE VERBORUM RECAPITULATIO QUOMODO INTEL〈L〉EGEND〈A〉 SIT IUSTITIA IU〈DI〉CIS DEI QUAE SIT 〈H〉UMANAE 〈I〉USTITITIAE 〈D〉ISCIPLINA 〈D〉E VALERIO 〈P〉ATRE HINC INC〈IPIT〉 DISPUTA〈TIO〉 DE INREM〈IS〉SIBILI CO〈N〉TRA 〈SANCTUM〉 BLASPHE〈MIA〉 DE PAGANIS DE IUDAE〈IS〉 〈D〉E SAMARI〈T〉ANIS 〈D〉E SIMONE D〈E〉 HERETICIS DE XPIANIS APOSTOLUS AD HEBR〈E〉OS 〈D〉E CORNELIO DE DAVID IN EPI〈S〉TOLA A〈D〉 HEBRE〈OS〉 〈D〉E PROPO〈SI〉TIONE 〈A〉RIS〈T〉OTELICA 〈C〉ONCLU〈S〉IO PRAE〈C〉EDENTI〈U〉M QUAE〈S〉TIONUM

SPIRITUM

Ces marginalia seraient-ils bien plus anciens que O ? Ils rappellent ceux du manuscrit de gen. ad litt. Roma, Biblioteca nazionale, Sessoriana 13, du 6ème siècle, provenant du milieu d’Eugippe.165 Mais de tels marginalia ont aussi été ajoutés à d’autres manuscrits à Würzburg au 9ème siècle.166 En tout cas, ils ne trouvent nul écho dans le reste de la tradition de l’Inchoata expositio, ce qui suggère déjà ce que la critique textuelle va confirmer : qu’aucun manuscrit subsistant ne descend de O. E Erlangen, Universitätsbibliothek 77 H. FISCHER, Katalog der Handschriften der Universitätsbibliothek Erlangen – I. Band : Die Lateinischen Pergamenthandschriften, Erlangen 1928.

|| 165 Voir GORMAN, Marginalia. Eugippe n’a pas utilisé l’Inchoata expositio dans ses Excerpta d’Augustin (voir supra, 1.9). Pour les titres dans la tradition médiévale des œuvres d’Augustin, voir DOLBEAU, Un demi-siècle, 76s. 166 MAIRHOFER, 24 ; 436.

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Minuscule gothique, écrit d’une seule main. On y lit au folio 127r : iste liber scriptus est iubente domino Hainrico abbate domus huius in Haylsprunne id est Fontis Salutis anno domini m.ccc.decimo, puis sur une page finale, collée à la 3ème de couverture, istum librum scribi feci167 dominus H. abbas. halsprunensis anno domini m.ccc.x. regnante H. rege romanorum168 sibi dilectissimo. Le manuscrit fut donc copié en 1310, au monastère cistercien de Heilsbronn. Hainricus abbas, c’est Heinrich von Hirschlach, abbé de Heilsbronn de 1282 à 1302, puis de 1306 à 1317, sous lequel la bibliothèque connut un grand essor. Les protestants mirent fin à la vie monastique à Heilsbronn en 1578, et ses livres devinrent la propriété de la Fürstenschule ouverte dans les bâtiments de l’abbaye. Celle-ci ferma en 1736, et la bibliothèque appartint désormais aux Margraves Karl Wilhelm Friedrich d’Ansbach (1712–1757) et Friedrich III de Bayreuth (1711–1763). Ce dernier fonda l’université d’Erlangen en 1742, et y fit don de ses livres de Heilsbronn en 1748. En 1769, la lignée des margraves de Bayreuth prit fin, et Karl Alexander (1729–1806), margrave d’Ansbach depuis 1757, devint margrave d’Ansbach-Bayreuth. Il fera don à l’Université de toute sa bibliothèque à son abdication en 1791, mais les livres de Heilsbronn sont à Erlangen dès 1770. E contient la traduction latine par Mutianus des sermons de Jean Chrysostome sur Hebr.,169 puis l’Inchoata expositio (128r–137r). Ce contenu est particulier : E est le seul manuscrit comportant notre texte qui ne soit pas au moins en partie un recueil augustinien, et le seul où figurent ces sermons de Chrysostome. De fait, puisque le folio 127 est la fin d’un cahier et comporte le colophon que nous venons de citer,170 l’Inchoata expositio ne devait pas faire partie du plan original pour ce livre. Mais le texte est écrit de la même main que Chrysostome et la mise en page est rigoureusement la même. Il semble donc que l’Inchoata expositio a elle aussi été copiée en 1310, et que l’on a décidé de l’ajouter à Chrysostome avant la reliure du livre.171 Par contre, il est improbable que l’exemplaire de E pour Chrysostome ait contenu aussi l’Inchoata expositio : celle-ci aurait plutôt été extraite d’un recueil augustinien que le copiste de E avait à sa disposition. Dans notre texte, le premier scribe a fait quelques corrections, i.e. E (pc.), mais on y lit surtout très clairement les corrections d’une deuxième main (E2). Celles-ci || 167 fecit avant correction. 168 Il s’agit d’Henri VII. 169 Voir EAC s.v. Muzianus. 170 Avant la partie citée plus haut, avec une ligne blanche séparant les deux notices, on y lit explicit commentarium Iohannis episcopi Constantinopolitani in epistolam Pauli apostoli ad Hebreos ex notis editum post eius obitum a Constanto presbitero Antyoceno. Translatum de graeco in latinum a Mutiano scolastico. Ce texte n’est pas suivi d’un incipit pour l’Inchoata expositio, et tout 127v est vide. 171 Il faudrait cependant examiner à quel point d’autres livres écrits à la même époque à Heilsbronn pourraient avoir un format identique.

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paraissent dues en partie à la vérification de l’exemplaire, en partie à la conjecture, mais non pas à la collation d’un autre manuscrit. Sous-famille d Cette sous-famille se divise en deux branches, S U et T V, comportant, comme on l’a dit, chacune un manuscrit du 12ème siècle et un manuscrit de la Renaissance. Sous-famille d, branche S U S Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, San Marco 637 [Il n’existe pas de catalogue imprimé complet des manuscrits de San Marco à la Laurenziana].172 s. 12,173 minuscule pré-gothique, écrit et corrigé de plusieurs mains. S fait partie d’un groupe de manuscrits augustiniens médiévaux écrits dans le centre-nord de l’Italie, et rassemblés par Niccolò Niccoli.174 S a été annoté par Tommaso Parentucelli, le futur pape Nicolas V, sans doute lors du Concile de Florence (1439–1442), où il était présent comme assistant du cardinal Niccolò Albergati.175 À la mort de Niccoli en 1437, celui-ci laisse à ses fidéicommissaires le soin de disposer de sa bibliothèque. En 1444, les manuscrits de Niccoli entrent au couvent dominicain de San Marco à Florence, dans la bibliothèque que Cosimo des Médicis, le plus illustre de ces fidéicomissaires, avait fait construire à cette fin.176 S figure dans le catalogue de San Marco rédigé en 1499 ou 1500, sous le numéro 250, où l’Inchoata expositio, avec in Gal., est indiqué par Augustinus super epistolas Pauli ad Romanos et Galatas.177 Les dominicains dressèrent ensuite en 1769 un catalogue de leurs manuscrits (= MS San Marco 945), où les manuscrits 1–861 prirent leurs cotes actuelles. On y lit un o à côté de la notice de S, ce qui indique que le manuscrit entra à la Laurenziana en 1809, suite à la sécularisation de San Marco en 1808.178 Le manuscrit contient des opuscules augustiniens, divisés en six sections.179 L’Inchoata expositio se trouve dans la 5ème section, aux folios 103r–110r. Il est précédé de in Gal., et suivi de divers. quaest. et de Mend., qui termine la section. Il s’agit donc des 4 dernières œuvres de retract. 1, dans l’ordre du texte.

|| 172 Voir cependant pour les manuscrits de la Laurentienne, les précieuses indications bibliographiques sur le site Plutei online de la bibliothèque. 173 Cf. ULLMAN – STADTER, The Public Library, 68, 154 ; M. L. TANGANELLI et A. MANFREDI dans COPPINI – REGOLIOSI, Gli umanisti, 159–161 (notice détaillée sur S) ; MANFREDI, S. Agostino, 51s. 174 MANFREDI, S. Agostino, 44s.52s. 175 Ibid. 59s. 176 ULLMAN – STADTER, The Public Library, 8–15. 177 Commentaire et édition de ce catalogue, ibid. 107–267. 178 Ibid. 52s. Pour la date de 1809, voir le site de la Laurenziana. 179 Voir MANFREDI, S. Agostino, 52.

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U Roma, Biblioteca Apostolica Vaticana, Urbinas Latinus 69 C. STORNAJOLO, Codices Urbinates Latini, t. 1, Roma 1902. Vatican Library : Catalogues – Manuscripts (http://opac.vatlib.it/iguana/www. main.cls?sUrl=homeMSS) s. 15, minuscule humanistique, écrit d’une seule main. Il s’agit d’un exemple typique des manuscrits de luxe que fit écrire ou acheter Federico da Montefeltro, seigneur d’Urbino (1422–1482). Federico finit la construction de son palais à Urbino en 1463–1464, et, selon le témoignage de Vespasiano da Bisticci, passe ensuite quatorze ans à fournir de livres la bibliothèque du palais.180 La miniature d’Augustin dans U (2r) fut exécutée par l’atelier de Francesco di Antonio del Chierico, qui travaillait pour Federico pendant cette période.181 U semble d’ailleurs être entré dans la collection après 1474, puisqu’il comporte les emblèmes pontificaux dont Federico commence à orner ses manuscrits à partir de cette date, quand Sixte IV lui confèra les titres de duc d’Urbino et de gonfalonier.182 Dans le catalogue des livres d’Urbino compilé dans les années 1487–1498, par le bibliothécaire Agapito,183 U figure dans la 53ème notice, où l’Inchoata expositio est désignée par Augustini … in epistolam Pauli ad Romanos.184 A la mort de Francesco Maria II della Rovere en 1631, la lignée des ducs d’Urbino prit fin et la ville passa sous l’autorité du pape. En 1657, aux ordres d’Alexandre VII, la bibliothèque des ducs fut transférée au Vatican.185 U est un recueil augustinien. Il contient cons. euang. puis des lettres et des opuscules. À l’exception des pseudépigraphes, les opuscules datent tous des années anterieures à l’épiscopat d’Augustin. L’Inchoata expositio se trouve aux folios 248r– 258v. Manfredi fait remarquer que U et S contiennent 11 œuvres d’Augustin en commun, avec souvent des titres formulés de façon identique, et quelques autres points communs, dont notamment des textes avec les mêmes lacunes pour epist. 87 et le De vocatione omnium gentium de Prosper d’Aquitaine. Il en conclut que U est probablement une copie de S : le texte aurait été copié à Florence pour Federico sur S, disponible à la bibliothèque de San Marco.186 Cette hypothèse est plausible, et la collation des deux manuscrits pour l’Inchoata expositio ne permet pas de l’exclure avec certitude. Mais S comporte trop de fautes absentes de U,187 pour que l’on puisse

|| 180 STORNAJOLO, Codices urbinates graeci, xv ; MANFREDI, S. Agostino, 54. 181 GARZELLI, I miniatori, 114s.127. 182 Ibid. xvi–xvii. 183 TOCCI, Agapito, 245–254. 184 STORNAJOLO, Codices urbinates graeci, lxv. 185 STORNAJOLO, ibid. xxxiv–xliv. 186 MANFREDI, S. Agostino, 54–56. 187 Voir la liste infra, 2.2.2, p. 73.

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prouver que U a puisé l’Inchoata expositio dans S. Nous avons donc postulé un hyparchétype commun pour les deux manuscrits. Sous-famille d, branche T V T Troyes, Bibliothèque Municipale 40/2 [A.] HARMAND, Catalogue général des bibliothèques publiques des départements, tome second, Paris 1855. A. VERNET – J.-P. BOUHOT – J.-F. GENEST, La bibliothèque de l’abbaye de Clairvaux du XIIème au XVIIème siècle, II : Les manuscrits conservés – Première partie : Manuscrits bibliques, patristiques et théologiques, Paris 1997 (T = F79). s. 12, minuscule pré-gothique. La cote Troyes 40 regroupe onze188 manuscrits de Clairvaux du 12ème siècle, contenant exclusivement des œuvres d’Augustin. Parmi ces volumes, il faut extraire 40/4 + 40/5 (in psalm.), 40/7 (c. Iulian. op. imperf.) et 40/8 (lettres), qui ne faisaient pas partie de la série originale des opuscula (vide infra).189 Par contre, il faut ajouter un manuscrit aujourd’hui perdu, mais qui figure dans le fragment de catalogue des livres de l’abbaye de la fin du 12ème siècle (no. 10, De peccatorum meritis et remissione et alii libri ejusdem in uno volumine),190 puis dans le catalogue que fit dresser Pierre de Virey, abbé de Clairvaux de 1471 à 1496, en 1472, sous la cote F82.191 Les biens de l’abbaye de Clairvaux ayant été confisqués à la Révolution, T et les autres volumes de Troyes 40 sont transférés en 1795, avec la grande majorité des manuscrits de Clairvaux, à la municipalité de Troyes.192 Le corpus dont les restes subsistent dans Troyes 40 est bien décrit par le titre que lui donne Pierre de Virey, Opusculorum sancti Augustini.193 Il s’agit d’une tentative, la première dont les fruits aient survécu, de réunir toutes les œuvres mineures d’Augustin. La série débute en 40/1 avec retract., puis, sur les 6 premiers volumes, les opuscules se suivent rigoureusement dans l’ordre194 où ils figurent dans retract. D’ailleurs, à partir de 40/2, la retractatio pour chaque texte figure devant le texte en question.195 Font defaut, hormis les œuvres perdues, certains textes qui devaient être introuvables (psalm. c. Don. ; c. Secundin. ; coll. c. Don. + collatio ; gest. Pelag. ; c.

|| 188 La cote 40/4 englobe deux manuscrits : voir la notice F86–F88 dans VERNET – BOUHOT – GENEST. 189 DE GHELLINCK, Une édition, 65–71. 190 VERNET – GENEST, La bibliothèque, 4–16.349–356. 191 Ibid. 27–34, 131s. ; VERNET – BOUHOT – GENEST, 384S. 192 VERNET – GENEST, La bibliothèque, 60–62. 193 VERNET – GENEST, La bibliothèque, 130–132. 194 Une seule exception : l’ordre ord., beat. vit. dans 40,1 inverse celui de retract. 195 Sauf quelques exceptions, dont on trouvera les détails dans VERNET – BOUHOT – GENEST, 380– 386, et que l’on n’explique pas facilement.

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Emer. ; c. Gaud.) et la plupart des œuvres d’une longueur considérable (mus. ; conf. ; c. Faust. ; trin. ; cons. euang. ; civ. ; loc. hept. ; quaest. hept. ; c. Iulian.).196 On sait que retract. n’est pas une liste complète des œuvres augustiniennes, puisqu’il se termine avec corrept. Ce texte est suivi dans 40/9 de coll. c. Maximin. et c. Maximin. Puis le corpus continue dans 40/10, avec 115 folios d’opuscules et une centaine de folios de sermons. Ici, les compilateurs n’avaient plus retract. comme guide, et un bon nombre de textes pseudépigraphes sont admis, alors qu’il n’y en a aucun dans les volumes précédents. Ce corpus a été copié à Clairvaux, entre 1115, date de fondation de l’abbaye, et 1153, terminus ante quem d’après une lettre du prieur de Clairvaux, Philippe, qui y fait référence.197 Parmi les ouvrages nommés dans retract. qui manquent dans ce corpus, certains étaient dans d’autres manuscrits du 12ème siècle de la bibliothèque de Clairvaux : conf. (473198 ; Montpellier, BU de Médecine 232) ; c. Iulian. (528) ; civ. (68) ; cons. euang. (526) ; mus. (1002), trin. (411) ; loc. hept. + quaest. hept. (197). Puis étaient présentes, aussi dès le 12ème siècle, la majorité des œuvres qui ne figurent pas dans retract. : comme on l’a vu, in psalm. (40/4 + 40/5), c. Iulian. op. imperf. (40/7) et 225 folios de lettres (40/8), et aussi contin. (801), in epist. Ioh. (972), in euang. Ioh. (90), et de grandes collections de sermons (40/10 ; 198). On ne dispose pas d’une datation assez précise pour tous ces manuscrits pour savoir lesquels étaient déjà à Clairvaux lors de la création du corpus de Troyes 40. Mais on constate que toutes les œuvres majeures, et bien des œuvres mineures, qui manquaient dans le corpus sont dans d’autres manuscrits, et inversement, que peu des œuvres présentes dans le corpus sont reprises ailleurs dans les manuscrits du 12ème siècle. Nous pouvons en conclure que ce n’est pas seulement la création du corpus de Troyes 40, mais l’organisation générale de la bibliothèque, qui reflète un projet cohérent et suivi pour rassembler le maximum possible des œuvres d’Augustin. C’est tout l’ensemble du corpus d’opuscules dans Troyes 40 qui figure dans le catalogue du 12ème siècle, où Vernet et Genest199 identifient T avec la notice 6, Retractationum et alii libri ejusdem [i.e. Augustini] in uno volumine, prima pars. Dans le catalogue de Pierre de Virey, T porte la cote F79 : item ung autre pareil et samblable volume en quantité et en lettre qui est la seconde partie Opusculorum sancti Augustini contenant ses traictiés et livres. Notre texte y est nommé (epistole) ad Romanos (inchoata) expositio.200

|| 196 Deux œuvres sont intercalées : bon. viduit. (après virg. dans 40,3) et epist. 172 (epist. 105 chez VERNET – BOUHOT – GENEST est à corriger) dans F82 après epist. 166 et 167, auxquels il répond. 197 VERNET – GENEST, La bibliothèque, 14s. 198 Sauf autre indication, les cotes sont celles de la Bibliothèque Municipale de Troyes. 199 La bibliothèque, 350. 200 Ibid. 131. epistole a été ajouté par un correcteur avant la fin du 16ème siècle.

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T contient, dans l’ordre de retract., toutes les œuvres de de serm. dom. à nat. bon., hormis psalm. c. Don., c. Faust., conf., et les deux œuvres perdues, Contra epistolam Donati haeretici et Contra partem Donati. L’Inchoata expositio se trouve aux folios 69v–76r. Même dans le contexte du renouveau intellectuel du 12ème siècle, et des triomphes du mouvement cistercien sous Bernard, la compilation augustinienne de Clairvaux représente un succès extraordinaire. On voudrait bien savoir à quelles sources ont puisé ses compilateurs. Pour le moment, on notera que le corpus de Troyes 40 existait dans une forme moins complète à Pontigny,201 mais il faudrait disposer d’éditions critiques de tous les textes du corpus pour établir en détail les sources de ces deux collections, et la relation entre elles. Voici ce qu’apporte l’Inchoata expositio à la question : le texte de T présente une version du texte Λ, remanié avec hardiesse et intelligence pour pallier aux fautes dont il a hérité (voir détails plus bas, 2.2.4, p. 78). Ce remaniement semble être dû exclusivement à la conjecture, et non pas à la collation d’autres manuscrits.202 Il est tentant d’associer un tel travail vigoureux de scribe-éditeur au mouvement intellectuel qui conduisit à la création du corpus. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas T lui-même qui est la source de ce texte remanié. En effet, V présente ce même texte, tout en étant le jumeau, et non pas la copie, de T. C’est donc dans l’ancêtre commun de T V qu’il faut chercher l’origine du texte. V Roma, Biblioteca Apostolica Vaticana , Vaticanus Latinus 445 M. VATTASSO – P. FRANCHI DE’ CAVALIERI, Codices Vaticani Latini : Tomus I, Roma 1902.

|| 201 Voir en dernier lieu PEYRAFORT-HUIN, La bibliothèque, 79s. (analyse et bibliographie), 247s. (notices du catalogue). Le corpus de Pontigny est moins complet seulement après la fin de la séquence de retract. Pour cette séquence, les deux corpora ont les mêmes textes dans le même ordre, sauf que celui de Pontigny inclut mus., n’inverse pas ord. et beat. vit. (voir n. 194 supra), et n’inclut pas gen. ad litt., qui semble d’ailleurs mal placé dans le corpus de Clairvaux, étant bien trop long pour un opuscule. Pour les textes après retract., BOUHOT, L’homéliaire, 124, fait remarquer que la séquence de Troyes 40/9s. se retrouve dans Troyes 70, manuscrit du 13ème siècle de Saint-Marien d’Auxerre. Mais nous ne voyons pas comment il conclut que ce manuscrit « atteste l’existence d’un témoin intermédiaire entre les manuscrits de Pontigny et ceux de Clairvaux ». Comparer aussi avec la collection de Pontigny-Clairvaux le manuscrit Charleville, Bibliothèque Municipale 202, s. 12. Il s’agit d’une collection, en 18 volumes, d’œuvres augustiniennes, provenant de l’abbaye cistercienne de Signy. Mais elle contient surtout sermons, lettres et les œuvres plus longues, et ne suit pas l’ordre de retract. 202 Comparer le texte de in Gal. dans T, qui propose un nombre de variae lectiones au-dessus de la ligne. À ceux enregistrés dans CSEL 84 (pp. 69, l. 22 ; 77,11 ; 80,23 ; 86,18 ; 90,7) ajouter, toujours avec la pagination de CSEL, 71,7 quia] vel quam ; 77,4 imponuntur] vel exponuntur ; 86,12/13 dispositum angelo per manum mediatoris] dispositum per angelos in manu mediatoris. On ne trouve pas de telles variantes dans T pour l’Inchoata expositio.

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Vatican Library : Catalogues – Manuscripts (http://opac.vatlib.it/iguana/www. main.cls?sUrl=homeMSS) s. 15, minuscule gothique arrondie. Écrit d’une seule main, comme le confirme le colophon au folio 502r : hoc totum volumen scripsit Petrus Beeckhusen. Ce Beeckhusen, au nom flamand ou allemand, n’est pas autrement connu. Manfredi donne une datation de s. 15med. pour l’écriture, et affirme que le manuscrit fut illuminé à Florence dans les années 1440.203 Il indique aussi que V, comme S, contient des annotations de Tommaso Parentucelli (Nicolas V).204 On peut donc supposer que V fut écrit pour Parentucelli lors du Concile de Florence. Mais il a aussi pu l’acheter au Concile, ou le ramener du nord des Alpes,205 où il a beaucoup voyagé avec le cardinal Albergati.206 Vespasiano da Bisticci fait mention en tout cas d’un « Sancto Agostino, in dodici bellissimi volumi, tutti fatti di nuovo con grandissimo ordine »,207 que possédait Parentucelli lors du Concile. V pourrait être un de ces volumes.208 Mais V ne semble pas être resté entre les mains de Parentucelli. Il ne figure pas dans l’inventaire des livres de Nicolas V dressé après la mort du pape par Cosimo di Montserrat,209 et il porte les armes non pas de Nicolas, mais de Paul II, Pietro Barbo. Selon l’hypothèse de Manfredi,210 Nicolas aurait prêté ou donné V à Barbo, et le manuscrit serait ensuite entré à la Vaticane pendant le pontificat de ce dernier (1464– 1471). En tout cas, V figure dans les catalogues de la Vaticane rédigés sous Sixte IV en 1475 et 1481. Le premier inventaire n’énumère pas le contenu de V ; dans le deuxième, l’Inchoata expositio figure sous le titre Epistolae ad Romanos inchoata expositio liber unus.211 V est une énorme collection (512 folios) d’opuscules d’Augustin. On y décèle un effort d’organisation surtout dans une première partie, qui va jusqu’au folio 284r. Dans cette section se trouvent toutes les œuvres non perdues qui figurent dans retract. 1, plus les deux premières œuvres de retract. 2 (quaest. Simpl. et c. epist. fund.) – manquent cependant psalm. c. Don. (sans doute introuvable) et divers. quaest. (omis comme trop long ? mais le texte se retrouve dans la deuxième partie de V). Chaque œuvre est précédée de sa retractatio, et l’ordre même de retract. est

|| 203 S. Agostino, 56. 204 S. Agostino, 56.59s. ; La biblioteca personale, 675s. 205 « Non andò mai fuora d’Italia in quelle legationi col suo cardinale, ch’egli non portassi qualche opera nova che non era in Italia » (VESPASIANO DA BISTICCI, Le vite, t. 1, éd. A. GRECO, Firenze 1970, 46). 206 Pour l’arrière-plan de ces trois hypothèses, voir MANFREDI, La biblioteca personale, 652–654. 207 VESPASIANO DA BISTICCI, Le vite (n. 205 supra), 45. 208 Cf. MANFREDI, La biblioteca personale, 687 ; S. Agostino, 47–49. 209 MANFREDI, I codici, xliv–504. 210 I codici, 78 ; La biblioteca personale, 676. 211 MANFREDI, S. Agostino, 57. L’inventaire de 1475 a été publié par MÜNTZ – FABRE, La bibliothèque, 177–180. L’inventaire de 1481 reste inédit (voir BIGNAMI ODIER, La bibliothèque, 23).

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suivi de c. acad. à mor. Ensuite, V a un ordre à lui, et intercale plusieurs œuvres qui figurent dans retract. 2 : catech. rud. ; epist. 140 ; nat. bon. ; c. adv. leg. ; c. mend. Dans cette séquence, l’Inchoata expositio est aux folios 204v–209r. quaest. Simpl. termine la séquence, après quoi viennent encore 25 opuscules (dont un pseudépigraphe),212 sans que l’on y trouve de principe unifiant de sélection ou d’ordre.213 Cependant tous les textes qui figurent dans retract. sont encore précédés de leur retractatio. Dans la mesure où il s’agit d’un recueil construit à partir de retract., on peut associer V au « canon bibliographique » de Parentucelli. Ce document est une liste des livres latins214 que devrait contenir une bibliothèque idéale. Il fut rédigé par Parentucelli lors du Concile de Florence pour Cosimo des Médicis, pour le guider dans la formation des bibliothèques de San Marco et de la Badia Fiesolana.215 Selon Vespasiano da Bisticci, il a aussi servi à Federico di Montefeltro dans la création de la bibliothèque d’Urbino. Le canon a donc pu influencer la création de U et F. Mais évidemment ce document indique aussi comment Parentucelli voulait former sa propre bibliothèque. Une grande partie du canon est consacrée à la patristique,216 et Parentucelli s’y donne souvent le mal de citer autant que possible non seulement les auteurs, mais les titres de leurs œuvres.217 Pour Augustin, le canon rend donc explicite le type de travail auquel ont dû se livrer les moines de Clairvaux dans la création de T. La liste des œuvres augustiniennes est divisée en deux parties. La première est introduite par Scripsit autem Sanctus Augustinus infrascripta de quibus in Retractationibus fit mentio, puis viennent tous les titres de retract., dans l’ordre du texte,218 plus une notice pour retract. lui-même (Augustinus in suis libris Retractationum). Ensuite

|| 212 De Unitate Trinitatis, de Vigile de Thapse. 213 Cependant, la séquence bon. coniug. ; virg. ; bon. viduit. (que l’on retrouve dans le corpus de Troyes 40, et sans doute ailleurs) est logique en soi. 214 Le canon témoigne d’un grand intérêt pour les traductions latines de textes grecs, mais n’envisage nullement la collection de manuscrits grecs. 215 Pour l’origine du canon, voir BLASIO – LELJ – ROSELLI, Un contributo, 125–131. Pour le texte même : 132–155. 216 Dans un projet que l’on qualifie un peu facilement d’« humaniste », une section à peu près égale est pourtant consacrée à Aristote et aux auteurs scolastiques. La littérature classique vient en dernier, et n’occupe qu’une part minime du canon. 217 Il ne faut pas cependant exagérer l’étendue de son travail. Ainsi, il ne semble pas avoir utilisé le De viris illustribus de Jérôme ou sa continuation par Gennade. 218 L’œuvre perdue Contra partem Donati (retract. 2,5) n’est pas à sa place entre 40,29 et 40,30 (numérotation de BLASIO – LELJ – ROSELLI, Un contributo). On retrouve son titre à 40,19, où devait figurer le Psalmus contra partem Donati (retract. 1,20). Noter aussi l’erreur curieuse : « Contra Iulianum Cesarem apostatam, libri VI » (40,86), à contraster avec « Contra VIII libros Iuliani pelagianiste » (40,94). Ces erreurs ne viennent pas forcément de Parentucelli, puisque notre texte du canon provient d’une copie écrite après sa mort.

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vient la deuxième partie, introduite par Post haec nonnulla edidit que secuntur. Il y a des parallèles évidents entre un tel catalogue et le contenu et l’organisation de V, et il est d’autant plus probable que V fut écrit sous les ordres de Parentucelli. On pourrait plus facilement affirmer que V fut écrit à Florence, s’il avait été copié en partie sur S, qui, on l’a vu, fut annoté par Parentucelli dans cette ville. En fait, les deux manuscrits ont 8 œuvres en commun, et une parenté a été affirmée pour gen. ad litt. imperf. Manfredi indique donc la possibilité d’une dépendance directe de V sur S.219 Quoi qu’il en soit pour d’autres œuvres, ce n’est certainement pas le cas pour l’Inchoata expositio, où les deux types de texte T V et S U se distinguent très clairement. On est donc plutôt porté à s’interroger sur les relations entre V et T. Les deux manuscrits sont structurés sur retract. (partiellement pour V), et tous les textes de T se retrouvent dans V, sauf doctr. christ. et c. Fel. Nous avons déjà vu que, pour l’Inchoata expositio, T et V sont jumeaux, c’est-à-dire qu’ils descendent du même hyparchétype. Or, leurs textes se ressemblent tant que l’on peine à croire à l’existence de nombreuses étapes intermédiaires, d’un côté ou de l’autre. Dès lors, il est tentant de supposer que Beeckhusen et Parentucelli ont eu accès, en France ou à Florence, à l’exemplaire même de T. Mais la prudence s’impose, pour plusieurs raisons :  Si les textes de l’exemplaire de T se présentaient déjà dans l’ordre de retract., on voit mal pourquoi V aurait bousculé cet ordre. En fait, nous ne savons pas si cet exemplaire avait cet ordre, et, pis encore, nous ne savons pas si T avait un seul exemplaire.220  Si, encore une fois, l’exemplaire de T portait déjà ses textes dans l’ordre de retract., la présence d’un tel manuscrit à Florence lors du Concile aurait sans doute eu un retentissement, puisqu’il correspondait justement au projet exprimé par le canon de Parentucelli.  Si l’on suppose que T a eu un exemplaire unique, et qu’il partage cet exemplaire avec V, on s’attend à ce que tous les textes partagés entre T et V descendent de cet exemplaire. Nous ne pouvons aborder cette question que pour ceux d’entre ces textes pour lesquels les éditeurs ont utilisé T et V. Divjak (CSEL 84) a bien vu le lien étroit entre T et V pour l’Inchoata expositio, mais pour in Gal. et in Rom., il place T et V dans des familles différentes. Pour divers. quaest., Mutzenbecher (CCSL 44A) affirme une parenté entre T et V, mais son apparat montre bien qu’il ne s’agit plus de jumeaux.

|| 219 S. Agostino, 56–61. 220 La partie pertinente du corpus de Pontigny pourrait être l’exemplaire de T. Mais c’est seulement sur place que V aurait pu être copié sur ce corpus, puisque celui-ci resta à Pontigny jusqu’à la Révolution (voir catalogue I de PEYRAFORT-HUIN, La bibliothèque, avec ses concordances).

Introduction | 43

Pour quaest. Simpl., Mutzenbecher (CCSL 44)221 place T et V dans des familles différentes. Pour les autres textes partagés, les informations font défaut. Les conclusions provisoires sont donc négatives : aucune information connue ne permet d’affirmer que, hormis pour l’Inchoata expositio, T et V soient jumeaux, et on ignore comment un texte apparenté à celui de Clairvaux est arrivé dans le manuscrit de Parentucelli. Claude de Turin et Paris Lat. 11.574 Pour leurs commentaires sur l’épître aux Romains, Claude de Turin et le commentateur anonyme de Paris Lat. 11.574 ont tiré des extraits de l’Inchoata Expositio en utilisant un texte de la famille Λ. On trouvera la présentation et, pour Claude, l’édition de ces extraits infra, 2.5 et 2.6.

2.1.2

Famille 

La famille  n’est pas attestée avant le 11ème siècle,222 mais rien ne permet d’affirmer que son archétype soit plus récent que celui de Λ. On situera volontiers cet archétype en Allemagne, d’où viennent ses descendants proches du 12ème siècle (K Z P W). On peut aussi reconstruire en partie le contenu de  : la famille  comporte trois branches, κ, C V1 et γ. Si une œuvre figure au sommet de plusieurs de ces branches, elle devait être dans . C’est le cas, évidemment, pour l’Inchoata expositio, mais aussi pour psalm. c. Don. (dans K et γ sauf R), quaest. Simpl. (dans K Z P W A Prag), quaest. Dulc. (dans K P W Prag) et le Hypomnesticon pseudonyme (CPL 381 ; dans K P W Prag). Pour l’Inchoata expositio,  est aussi caractérisé par un titre inventé mais bien trouvé : In salutatione epistole ad Romanos disputatio (K) ; in salutationem epistulae Pauli ad Romanos (P). Sous-famille κ Cette sous-famille se divise en deux branches, K Z et c. K Z, deux manuscrits contemporains de provenance germanique, présentent un bon texte, ce qui rend moins évident leur relation de famille. Par contre, c, qui est composé de 4 manuscrits ita-

|| 221 MUTZENBECHER, CSEL 44, xxxiv, ne rapporte pas ses « Stichproben » pour V, et ne fournit donc pas de moyen pour contrôler ses affirmations. 222 De fait, les plus anciens manuscrits de  sont du 12ème siècle, mais, parmi les manuscrits perdus, celui de Pomposa pouvait appartenir à , et celui de Schaffhausen lui appartenait certainement. Or, ces deux manuscrits figurent dans des catalogues de la fin du 11ème siècle (voir infra, 2.1.4).

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liens, un du 13ème siècle, et trois de la Renaissance, présente un texte très distinctif parce que très mauvais. Dès alors, il est tentant de postuler pour c un hyparchétype déjà tardif, fruit de beaucoup de siècles de corruption. Mais on sait qu’il suffit d’un seul mauvais scribe pour vicier toute une tradition.223 Sous-famille κ, branche K Z K Köln, Erzbischöfliche Dom- und Diözesanbibliothek 77 Codices Electronici Ecclesiae Coloniensis (http://www.ceec.uni-koeln.de/)224 s. 123/4, minuscule pré-gothique, allemand, écrit d’une seule main, lieu d’écriture inconnu. Au folio 1r, on lit, écrit d’une seule main : Iste liber est facultatis arcium coloniensis; Symon de Outdorp, Notarius et studii coloniensis Bedellus. Ce Simon fut bedeau de l’Université de Cologne de 1400 à 1426.225 Si le manuscrit n’est pas originalement de Cologne, il est donc arrivé dans la ville au plus tard entre ces dates.226 La note de Simon dans K est curieuse : nous n’avons pas trouvé d’autres indications de livres qu’il aurait ainsi marqués,227 et le bedeau n’était pas responsable des livres d’une université. On suppose alors que Simon aurait écrit la note lors d’un prêt isolé du livre, dans l’espoir d’assurer son retour. S’agissait-il d’un prêt à une personne rattachée à la cathédrale ? Rien ne permet de l’affirmer, puisque l’on ignore à quelle date K est entré dans la Dombibliothek. Mais il y était déjà en 1752, où il figure sous sa cote actuelle dans le catalogue de J. Hartzheim (Catalogus histo-

|| 223 Qu’on voie la remarque de SHANZER, compte-rendu : « The issue is not intervening time, but the quality of the first copyings ». Nous savons du reste que l’archétype de c fut écrit en minuscule (voir infra, 2.2.4, p. 78), et selon Divjak (CSEL 84, xxiii), pour in Rom. et in Gal., beaucoup de fautes de c sont déjà dans Vat. Lat. 491, écrit au 8ème siècle d’une main insulaire en Italie du nord. 224 Le catalogue en-ligne rassemble et complète les informations des catalogues antérieurs, notamment : P. JAFFE – W. WATTENBACH, Ecclesiae Metropolitanae Coloniensis codices manuscripti, Berlin 1874 ; G. GATTERMANN (éd.), Handschriftencensus Rheinland : Erfassung mittelalterlicher Handschriften im rheinischen Landesteil von Nordrhein-Westfalen, Wiesbaden 1993 ; D. W. ANDERSON – J. BLACK, The Medieval Manuscripts of the Cologne Cathedral Library. Vol I, Ms. 1–100, Collegeville MN 1995 (inédit, revu en 1997 pour son incorporation dans le site). 225 KEUSSEN, Die alte Universität, 411. Pour plus d’informations sur ce personnage, qui quitta Cologne pour être le premier bedeau de l’Université de Louvain, voir ibid. 140 ; REUSENS, Documents, 317 (mais, sauf erreur de Keussen, Reusens se trompe en identifiant le Simon de Louvain avec le fils de celui de Cologne). Voir aussi LAMBERTS – ROEGIERS, Leuven University, 32. 226 KEUSSEN, Die alte Universität, 411, indique que Simon fut bedeau de la faculté de droit dès 1396, avant de le devenir pour toute l’université, mais n’indique pas à quelle date il a changé de poste. Il doit s’agir de 1400, date de départ du bedeau précédent de l’université. La note de K est à situer après que Simon soit devenu bedeau général. 227 PLOTZEK (Zur Geschichte, 41) n’indique aucun autre livre avec les mêmes marques que K dans la Dombibliothek, et nous n’avons pas trouvé de mentions de Simon dans les catalogues des manuscrits du Stadtarchiv de Cologne qui ont été publiés jusqu’ici.

Introduction | 45

ricus criticus codicum mss. Bibliothecae Ecclesiae Metropolitanae Coloniensis, Köln, 1752).228 K contient essentiellement des opuscules augustiniens : en plus de l’Inchoata expositio (61r–73v), on y trouve beat. vit. ; epist. 130 ; fid. et op. ; psalm. c. Don. ; quaest. Simpl. ; quaest. Dulc., et aussi le Hypomnesticon pseudonyme et l’épître 1 de Jérôme. Z Zwettl, Stiftsbibliothek 296 C. ZIEGLER, Zisterzienserstift Zwettl : Katalog der Handschriften des Mittelalters – Teil III, Codex 201–300, Wien 1989. s. 124/4, minuscule pré-gothique, écrit au monastère cistercien de Zwettl, où le manuscrit est toujours resté. Deux livres indépendants, mais contemporains, ont été reliés ensemble pour former Z. Le premier (fols 1–102), célèbre pour ses enluminures, rassemble des œuvres d’histoire naturelle et de computus. Le second (fols 103–215) est un recueil augustinien. Les deux parties étaient déjà regroupées au 17ème siècle, puisqu’elles sont décrites comme une unité dans un catalogue manuscrit des livres de l’abbaye, datant de ca. 1620–1640.229 La partie augustinienne est un recueil sans unité évidente. Trois opuscules sur les états de vie (op. monach. ; virg. ; bon. viduit.) sont suivis de epist. 130, agon., et le début (1,1–3) de gen. ad litt. Puis viennent deux œuvres en rapport avec Paul : l’Inchoata expositio (184r–196v) et quaest. Simpl. Sous-famille κ, branche c L1 Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, plut. XVI dext. VII A. M. BANDINI, Catalogus codicum latinorum Bibliothecae Mediceae Laurentianae, t. 4, Firenze 1777. s. 13, minuscule gothique, écriture rapide et très abrégée, apparemment d’une seule main. Le manuscrit vient du couvent franciscain de Santa Croce, à Florence. Si L1 fut écrit par les franciscains de Florence, on fixe son terminus post quem dans la période 1218–1228, années de l’installation graduelle des Franciscains dans la ville.230 Mais il semble en fait que la bibliothèque de Santa Croce n’a commencé à se former que vers la fin du 13ème siècle, par des achats et des dons,231 à l’époque où || 228 On a écrit une autre cote sur beaucoup des manuscrits de la Dombibliothek, dont K (178). ANDERSON – BLACK (n. 224 supra) donnent une concordance pour ces cotes, mais n’indiquent rien sur leur origine. 229 ZIEGLER, 240. Ce catalogue ne nous est pas accessible. 230 BUSIGNANI – BENCINI, Le chiese, 23s. 231 DAVIS, The early collection, 409s. Davis ne cite aucune indication de l’existence d’un scriptorium à Santa Croce à cette époque.

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s’achèva la construction de la basilique actuelle et où un studium de l’ordre franciscain s’y forma.232 L1 figure en tout cas dans le catalogue du 15ème siècle des manuscrits de Santa Croce, dans la notice 174, où l’Inchoata expositio est signalée par Augustinus … super epistolas beati Pauli, ad Romanos.233 Suite à un motu proprio du 3 octobre 1766 du Grand-Duc Léopold de Toscane (le futur empereur Léopold II), plus de 700 manuscrits de Santa Croce furent transférés à la Bibliothèque Laurentienne.234 L1 entra à la Laurentienne le 16 Octobre 1766, selon une étiquette sur le recto de la 3ème page de garde : Bibliotheca s. Crucis Petri Leopoldi M. E. D.235 iussu in Laurent. translata Die XVI. Octobr. MDCCLXVI. Pluteus XVI. dextr. Cod. 7.236 Les manuscrits transférés furent répertoriés par Bandini dans le catalogue qui sert encore, et qui reproduit l’organisation de la bibliothèque du couvent. L1 y figure dans une section (plutei dextri 16–18) presque exclusivement consacrée aux œuvres d’Augustin. Jusqu’au folio 151v, le manuscrit contient un assemblage d’opuscules augustiniens, authentiques et pseudépigraphes. On y constate une concentration de sermons, et d’ouvrages exégétiques (l’Inchoata expositio aux folios 4r–8r ; in epist. Ioh. ; in Rom. ; in Gal. ; loc. hept. ; quaest. hept.). Au folio 151v commence le commentaire d’Ambroise sur l’Évangile de Luc, dont L1 contient les dix livres. L2 Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, plut. XII, XXVIII A. M. BANDINI, Catalogus codicum latinorum Bibliothecae Mediceae Laurentianae, t. 1, Firenze 1774. s. 15ex., minuscule humaniste, écrit d’une seule main. L2 est un manuscrit de luxe (« supra quam dici possit nitidissimus », Bandini), écrit pour Lorenzo des Médicis, et illuminé par le grand miniaturiste florentin Attavante degli Attavanti.237 Le manuscrit fut donc copié entre 1472, première année de l’activité d’Attavante,238 et la mort de Lorenzo en 1492. L2 ne figure toutefois pas dans l’inventaire de la bibliothèque privée des Médicis, dressé par la Signoria de Florence en 1495.239 Mais on le retrouve dans l’inventaire dressé à Rome par le prêtre érudit Fabio Vigili entre 1508 et 1510, pour le cardinal Giovanni des Médicis, le futur pape Léon X. L2 y est décrit à la notice 153, où l’Inchoata expositio est nommée Super epistola inchoata ad Roma-

|| 232 MANSELLI, Due biblioteche, 357s. 233 MAZZI, L’inventario, 101. 234 LENZUNI, Le vicende, 73s. 165 manuscrits furent ensuite restitués au couvent. 235 Magni Etruriae Ducis. 236 L’étiquette est imprimée sauf les mots Pluteus XVI. dextr. Cod. 7, écrits a la main. 237 F. GALLORI dans COPPINI – REGOLIOSI, Gli umanisti, 213s. 238 LEVI D’ANCONA, Miniature, 254s. 239 RAO, L’inventario, xxiii–xxiv, et sa concordance des inventaires (72).

Introduction | 47

nos I.240 L2 a donc suivi les vicissitudes de la bibliothèque privée des Médicis : restée à Florence jusqu’en 1508, elle est ensuite amenée à Rome par Giovanni, puis rapportée à Florence en 1523 par Giulio des Médicis (le pape Clément VII), qui inaugure la construction de la Bibliothèque Laurentienne.241 L2 contient exclusivement des œuvres augustiniennes, la séquence étant : doctr. christ. ; vera relig. ; nat. bon. ; util. cred. ; epist. 140 ; l’Inchoata expositio (151r– 163r) ; in Rom. ; in Gal. ; in epist. Ioh. ; cur. mort., et le De incarnatione verbi pseudépigraphe (PL 42, 1175–1194). L2 partage donc avec L1 notre texte, puis in Rom., in Gal. et in epist. Ioh. D’ailleurs, Divjak avait placé L1 et L2 (avec F M) dans la même famille c non seulement pour l’Inchoata expositio, mais aussi pour in Rom. et in Gal. Seulement, il n’a pas vu que, du moins pour l’Inchoata expositio, L2 est une copie directe de L1 (voir infra, 2.2.1, pp. 68–70). Il est donc probable que le scribe œuvrant pour Lorenzo des Médicis avait copié sur L1 à Santa Croce les quatre commentaires sur les épîtres. La beauté luxueuse de L2 est à contraster avec la piètre qualité de son texte, du moins pour l’Inchoata expositio, où il ne fait que reproduire, sans grand soin, un exemplaire tardif et mauvais. Surtout qu’il y avait à Florence un texte bien meilleur et plus ancien de l’Inchoata expositio, celui de S à San Marco. Mais il n’était pas facile de réaliser à la fois tous les idéaux de la Renaissance. F Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, Mediceus Faesulanus VIII A. M. BANDINI, Bibliotheca Leopoldina Laurentiana, t. 2, Firenze 1792. s. 15, minuscule humaniste. Comme tous les Faesulani de la Laurentienne, F vient de la « Badia Fiesolana », fondée au 11ème siècle à Fiesole, et qui passa aux chanoines du Latran en 1439. Cosimo des Médicis s’occupa de la reconstruction de l’abbaye à partir de 1456, et il chargea Vespasiano da Bisticci d’en fournir la bibliothèque vers 1460. Vespasiano raconte qu’il proposa de faire ce travail à partir du canon de Tomaso Parentucelli,242 exclusivement en faisant copier de nouveaux livres, et qu’il finit ce travail en 22 mois.243 De fait, à partir des comptes de la bibliothèque de l’abbaye, de la Mare a montré les exagérations de Vespasiano : les livres de la bibliothèque furent acquis de 1461 à 1467–1468, et tous n’étaient pas de nouvelles copies. Mais F lui-même est un livre nouveau, comme le montrent ses enluminures caractéristiques, et la fiche collée au verso de la 4ème page de garde, célé-

|| 240 RAO, L’inventario, 18. 241 RAO, L’inventario, xxvi. La bibliothèque n’ouvrira ses portes qu’en 1571. 242 Vide supra sur V, pp. 41s. Le canon est à comparer avec la description du contenu de la bibliothèque donnée par VESPASIANO DA BISTICCI, Le vite (n. 205 supra), 184–189. 243 Pour ces faits, voir VESPASIANO DA BISTICCI, Le vite (n. 205 supra), 183–189 ; DE LA MARE, New research, 441s.

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brant la générosité de Cosimo.244 F fut enregistré dans les comptes de la bibliothèque le 17 décembre 1463.245 de la Mare a aussi identifié le scribe de F : il s’agirait d’un certain Jacobus Gossardi ou Gossarch, ultremontanus presbyter, qui a copié quatre autres manuscrits de l’abbaye, et s’est identifié dans Faesulanus 51.246 Les manuscrits de la Badia subirent le même sort que ceux de Santa Croce. Par un décret du 14 mai 1778, le Grand-Duc Léopold supprima l’abbaye. En juillet 1778, la bibliothèque fut transférée à la Biblioteca Magliabechiana à Florence. Les manuscrits entrèrent ensuite à la Laurentienne en 1783.247 F est une grande collection, sans unité apparente,248 d’opuscules et de sermons augustiniens, tous authentiques sauf le Liber De tripicli habitaculo,249 un extrait des Meditationes,250 et le De fide ad Petrum de Fulgence de Ruspe (CPL 826). Tous les textes exégétiques de F sont déjà dans L1 : loc. hept. ; quaest. hept. ; in Rom. ; in Gal. et l’Inchoata expositio (124r–129v). On croirait donc facilement que Vespasiano fit copier ces textes sur L1 à Santa Croce. Mais, au moins pour l’Inchoata Expositio, bien que L1 et F partagent assez de fautes uniques pour postuler un hyparchétype commun en-dessous de c, L1 contient aussi trop de fautes absentes de F pour en être l’exemplaire. De plus, F ne fut pas forcément copié sur un manuscrit de Florence : Vespasiano raconte avoir fait chercher « a Milano, a Bologna et in altri luoghi »251 des exemplaires de textes qu’il ne trouvait pas à Florence. M Venezia, Biblioteca Marciana 1801 (Z 68) J. VALENTINELLI, Bibliotheca manuscripta ad S. Marci Venetiarum – tomus II, Venezia 1869.252 Minuscule humaniste, écrit d’une seule main. M fait partie d’une collection de sept volumes de luxe (les manuscrits 1798, 1799, 1800, 1801, 1802, 1803 et 2113 de la Marciana) censés rassembler les opera omnia d’Augustin. Ces manuscrits furent créés pour le cardinal Bessarion, dont ils portent les armes. La collection entière fut copiée par un seul scribe, qui s’identifie au folio 226v de M : Francischus de Ugolinis presbiter de colle vallis else scripsit. Anno domini m. cccc. lxxi. de mense septembris.

|| 244 Pour ces caractéristiques, voir ibid. 442s. ; PIETRAGALLA, dans COPPINI – REGOLIOSI, Gli umanisti, 171–173. 245 DE LA MARE, New research, 442, et n. 163. 246 DE LA MARE, New research, 506. 247 VITI, La badia, 101s. 248 Nous ne sommes pas convaincu par l’analyse de la structure proposée par PIETRAGALLA (n. 244 supra), 173. 249 Cf. CPL 1106. 250 Cf. CPL 386. 251 VESPASIANO DA BISTICCI, Le vite (n. 205 supra), 189. 252 M est sous le numéro (III).45 dans ce catalogue.

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M fut donc écrit, au moins en partie,253 en 1471, sans que l’on sache si ce fut le dernier volume à être achevé. Le scribe n’est pas autrement connu ; son colophon indique que c’était un prêtre de Colle di Val d’Elsa, au nord-ouest de Sienne. Pour la formation de la collection augustinienne de Bessarion, Vespasiano da Bisticci entre encore une fois en scène. Dans une lettre du 22 mai 1472 à Lorenzo des Médicis, Bessarion explique qu’il avait commandé à Vespasiano une collection complète des œuvres d’Augustin, dont neuf volumes étaient déjà copiés « forniti de minii, de ligatura et di ognichosa »,254 et dont un dixième était en préparation « a far che niuna opra li manchi ». Bessarion mourut le 18 novembre 1472, et le 22 du mois, Vespasiano écrivait à Lorenzo, pour lui indiquer qu’après trois ans et demi de travail, les dix volumes étaient désormais finis, et lui recommander de les garder pour lui.255 Ces volumes devaient en effet aller à la République de Venise, à laquelle Bessarion avait légué ses livres en 1468, où elles allaient former le noyau de la Marciana. Lorenzo n’a pas suivi le conseil peu louable de Vespasiano, et dans l’inventaire de 1474 des livres de Bessarion légués à la République, M se retrouve sous la notice Augustinus de agone christiano et aliis operibus.256 Nous avons dit que M appartenait à une collection de sept volumes, alors que Bessarion et Vespasiano parlent de dix volumes. À la série des sept volumes copiés par Francischus de Ugolinis, Labowsky257 ajoute donc les manuscrits 1795 + 1796 (in psalm.) et 1690 (in euang. Ioh. et in epist. Ioh.) de la Marciana, sans malheureusement indiquer ce qui l’a conduite à croire que ces manuscrits appartiennent à la série (in epist. Ioh. se retrouve dans M). En tout cas, même avec ces trois volumes en plus, la collection de Bessarion ne constitue pas une réussite à l’échelle de celle de Clairvaux.258 Vespasiano avait indiqué l’absence de civ.,259 sans doute omis à dessein comme trop long et nullement rare. Mais, hormis les lacunes dans les lettres et sermons, dont il est peut-être impossible encore aujourd’hui de constituer une collection définitive, 28 œuvres de la transmission médiévale font défaut.260 Par contre, certaines œuvres figurent deux

|| 253 M continue pendant 28 folios après 226v. 254 Pour une description des miniatures de la collection, voir GASPARRINI LEPORACE, Biblia, 29. 255 Édition des deux lettres chez LABOWSKY, Bessarion’s Library, 137s. ; commentaire ibid. 38. 256 Ibid. 243 ; M réapparait dans les inventaires de 1524 (ibid. 276, no. 629) et 1543 (ibid. 304, no. 378). 257 Ibid. 38. 258 Vide supra sur T, p. 37–39. 259 Ibid. 138. 260 c. Adim. ; beat. vit. ; bon. viduit. ; coll. c. Don. ; un. eccl. ; contin. ; corrept. ; divers. quaest. ; c. Emer. ; c. Fel. ; fid. et op. ; c. Gaud. ; gen. ad litt. imperf. ; grat. ; haer. ; adv. Iud. ; c. Iulian. op. imperf. ; c. Petil. ; nat. et grat. ; op. monach. ; epist. 187 ; c. Priscill. ; psalm. c. Don. ; in Matth. ; retract. (la retract. pour l’Inchoata expositio suit le texte, mais ce procédé n’est pas systématique) ;

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fois,261 et la collection comporte 17 traités apocryphes, dont 10 dans M.262 On s’est donc peu fié à retract. pour déterminer l’authenticité, et de même retract. n’as pas été utilisé, comme dans T ou V, pour donner un ordre à la collection. 1802 a été réservé aux sermons, 1803 aux épîtres et sermons, 1795 + 1796 à in psalm., et 1690 aux exégèses de Jean. Mais, en dehors de ces gros blocs, les textes semblent avoir été accumulés pêle-mêle, y compris dans M, où l’Inchoata expositio (229v–235r) prend place entre trois sermons authentiques et le Liber exhortationis apocryphe.263 Le rôle de Vespasiano da Bisticci dans la création de M et de F ferait volontiers supposer que ces deux manuscrits descendent d’un même exemplaire. Mais la distribution des erreurs montre que M descend de c indépendamment de l’hyparchétype de L1 F. On en conclura que Vespasiano, malgré l’ambition de ses patrons et l’influence de Parentucelli, formait ses collections augustiniennes sans grande organisation. Du reste, si c a disparu, il doit au moins avoir contenu les œuvres partagées entre L1 F M (serm. 346–348.350), entre F M (util. cred.)264 et encore entre L1 M (in epist. Ioh., le sermon apocryphe De decem plagis,265 et les traités apocryphes Liber exhortationis, pseudo-Speculum). c même était donc une collection éclectique, ce que reflète la mauvaise qualité de son texte. Sous-famille γ Parmi les sous-familles des manuscrits de l’Inchoata expositio, γ est la mieux représentée, avec huit manuscrits. Tous datent soit du 12ème siècle (P W B1 A) soit du 15ème (H G R Prag), et proviennent de deux aires géographiques assez restreintes : Belgique – Pays-Bas – Allemagne du nord-ouest (B1 A H G R) ou sud-ouest de l’Allemagne, entre Stuttgart et le lac de Constance (P W et peut-être Prag). γ lui-même est probablement à situer dans cette deuxième région, puisque P W sont parmi les plus

|| c. Secundin. ; spec. (remplacé par le pseudo-Speculum dans M ?) ; spir. et litt. ; symb. Certaines œuvres sont aussi incomplètes : pour les détails, consulter les descriptions de HU 1/2. 261 in epist. Ioh. dans 1690 et M, comme on l’a vu ; c. Adim. dans 1800 et 2113 ; agon. deux fois dans M ; des extraits de pecc. mer. dans 1798 et le texte entier dans 2113. 262 De fide ad Petrum de Fulgence de Ruspe (1798) ; Contra Felicianum Arianum (bis : 1799 et 1800 ; CPL 808) ; le De vita christiana attribué parfois à Pélage (M ; CPL 730) ; le Adversus V Haereses (bis : M et 2113 ; CPL 410) ; De incarnatione verbi (M ; PL 42, 1175–94) ; De essentia divinitatis (M ; CPL 633, ep. 14) ; un Liber de oratione (M, pour ses sources voir HU 1/2) ; le De fide sanctae Trinitatis d’Alcuin (M) ; De singularitate clericorum (M ; CPL 62) ; un livre De fide (M, pour ses sources voir HU 1/2) ; De visitatione infirmorum (M, CPPM 3082) ; Liber exhortationis (M) ; le pseudo-Speculum (M) ; Confessio fidei d’Alcuin (M) ; De praedestinatione et gratia (1802 ; CPL 382) ; le Dialogus de 65 questions entre Augustin et Orose (2113 ; CPL 373a) ; le Hypomnesticon (2113 ; CPL 381). 263 Son véritable auteur est Paulin d’Aquilée : édition à PL 99, 197–282. 264 Util. cred. figure aussi dans L2. 265 Ps.-Aug. serm. 21, son véritable auteur étant Césaire d’Arles (voir CPL 368).

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anciens manuscrits de la famille, et sont ceux qui s’approchent le plus de l’archétype. Faut-il penser aux grandes bibliothèques de Reichenau ou de SaintGall ?266 γ représente un texte intelligent, avec de nombreuses variantes par rapport à Ω, mais peu de fautes évidentes. Nous pouvons aussi reconstruire une partie de son contenu, et de celui de ses descendants perdus :  γ comportait les œuvres qui figuraient dans Ξ même et qui sont énumérées plus haut : l’Inchoata expositio ; psalm. c. Don. ; quaest. Simpl. ; quaest. Dulc. et le Hypomnesticon pseudépigraphe. Il avait aussi serm. 46 et 47, qui figurent dans tout γ, epist. 185, qui figure dans P W Prag, et peut-être le Contra Felicianum Arianum pseudonyme (CPL 808), que l’on trouve dans P G.  À part P Prag, tous les manuscrits γ passent par un hyparchétype γ1. Celui-ci a conservé toutes les œuvres de γ que l’on vient d’énumérer. Il semble avoir acquis in Gal., que l’on retrouve dans W H G R.  Vient ensuite un deuxième hyparchétype γ2, dont descendent tous les manuscrits γ1 sauf W. γ2 conserve encore psalm. c. Don, quaest. Simpl. et serm. 46 et 47. Mais il peut aussi avoir comporté les œuvres partagées entre B1 et G ; c. Faust., c. Maximin., et l’Altercatio Heracliani et Germinii (CPL 687). Ce cas est cependant plus complexe, puisque pour l’Inchoata expositio, G semble descendre directement de H (voir infra, 2.2, p. 70s.), qui ne comporte pas ces autres œuvres. Leur présence dans deux manuscrits apparentés pour l’Inchoata expositio ne peut être due au hasard – surtout qu’il ne s’agit pas de textes très communs ou très liés – mais une explication complète doit attendre une édition des textes en question qui se serve de ces manuscrits. P Stuttgart, Württembergische Landesbibliothek, theol. et phil. 2° 207 S. VON BORRIES-SCHULTEN, Die Romanischen Handschriften der Württembergischen Landesbibliothek Stuttgart, Teil 1 : Provenienz Zwiefalten, Stuttgart 1987.267 s. 121/4 (vers 1100–1120, selon Borries-Schulten), écrit d’une seule main (sauf une partie de 133r). Au folio 2r on lit liber sanctae Mariae de Zvivilda, puis Matris Christe tuae famulos librosque tuere / quos Zwivilda tuum servat ad obsequium. Au folio 136r (la dernière page) on lit encore Sancte Marie Zvivildae, puis les mêmes vers qu’au folio 2r, d’une main du 17ème siècle. P vient donc du monastère cistercien de Zwiefalten, fondé en 1089. Selon Borries-Schulten, les vers au folio 2r sont de la main

|| 266 Le manuscrit perdu de Schaffhausen, apparenté à P, était de la région de ces deux monastères, s’il fut écrit à Schaffhausen (voir infra, 2.1.4). 267 Vol. 2 dans la série Katalog der illuminierten Handschriften der Württembergischen Landesbibliothek Stuttgart.

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d’Ortlieb, le chroniqueur de Zwiefalten, et son bibliothécaire jusqu’en 1140. Il a écrit les mêmes lignes dans 36 autres manuscrits de Zwiefalten.268 Le monastère est sécularisé par le Reichsdeputationshauptschluss du 25 février 1803. Ses manuscrits et incunables passent d’abord à Ellwangen, capitale de la nouvelle région de Neuwürttemberg, où l’on projetait la création d’une bibliothèque centrale. En 1806, le duché de Württemberg est érigé en royaume, et ce projet est annulé. La majorité des livres d’Ellwangen, dont P, furent intégrés en 1806 à la bibliothèque royale de Stuttgart, devenue aujourd’hui Landesbibliothek.269 P est une petite anthologie d’œuvres augustiniennes, sans unité apparente : Il contient serm. 46 ; serm. 47 ; un. bapt. ; l’Inchoata expositio (53v–65r) ; quaest. Simpl. ; quaest. Dulc. ; l’Hypomnesticon pseudonyme, et 5 épîtres.270 Pour l’Inchoata expositio, P offre un texte très pur du type γ, et pourrait très bien avoir été copié directement sur cet hyparchétype. Prag Prague, Knihovna Metropolitní kapituly u sv. Vitá A.LXXIII.2 A. PATERA et A. PODLAHA, Soupis Rukopisů Knihovny Metropolitní Kapitoly Pražské, t. 1, Praha 1910. Selon le catalogue, ce manuscrit de la bibliothèque de la cathédrale Saint Guy de Prague se divise en deux parties. La première, qui contient l’Inchoata expositio, se termine au folio 153r, où on lit explicit a. d. m°cccc°lxxi in vigilia Viti (donc le 14 juin 1471). La seconde partie (153r–166r) daterait aussi de la fin du 15ème siècle. Une page de garde indique que le manuscrit a appartenu à magister Johannes Herttemberger de Cubito (Elbogen / Loket), et fut acheté en 1491. Johannes Herttemberger fut aumônier royal, chanoine de la cathédrale de Prague, et archidiacre à Jungbunzlau / Mladá Boleslav de 1480 jusqu’à sa mort en 1499.271 180 manuscrits de la bibliothèque de Saint-Guy portent son nom,272 souvent avec l’indication qu’il les a achetés. Nous n’avons ni vu ni collationné Prag, parce qu’il s’agit presque certainement, pour notre texte, d’une copie directe de P. Comparons le contenu de P avec les 14 premiers éléments de Prag (jusqu’au folio 150v) :

|| 268 BORRIES-SCHULTEN, 6. 269 LÖFFLER, Die Handschriften des Klosters Zwiefalten, 12. La Landesbibliothek est dans un bâtiment moderne : celui de la bibliothèque royale fut détruit par les bombardements alliés de 1944. 270 Pour la liste des épîtres, vide infra sur Prag. La notice de BORRIES-SCHULTEN indique aussi, aux folios 43r–49v, entre un. bapt. et psalm. c. Don., « Ps.-Leo I : Sermo 1 », ce que LÖFFLER, Die Handschriften des Klosters Zwiefalten, 30, appelle « Leo, Tractatus adversus errores Eutychetis ». Il doit s’agir du texte édité à PL 54, 477–487 (cf. CPL 1658). 271 Informations retrouvées par une recherche internet, mais qui proviennent de A. PODLAHA, Series praepositorum etc. s. metropolitanae eccelsiae Pragensis, Prague 1912, 108, livre qui nous est inaccessible. 272 PODLAHA, Soupis Rukopisů Knihovny, t. 2, 617.

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P serm. 46 serm. 47 un. bapt. psalm. c. Don. in Rom. imperf. quaest. Simpl. quaest. Dulc. Ps.-Aug. hypom. epist. 93 (extr.) epist. 185 (extr.) epist. 141 (extr.) epist. 153274 epist. 149 epist. 189

Prag serm. 46 serm. 47 un. bapt. psalm. c. Don. in Rom. imperf. quaest. Simpl. quaest. Dulc. Ps.-Aug. hypom. epist. 93 (extr.) epist. 185 (extr.) epist. 141 (extr.) 273 epist. 153 epist. 149 epist. 189

La partie datée de Prag contient ensuite des extraits de cinq épîtres augustiniennes (185 ; 87 ; 105 ; 43 ; 51), puis la partie non datée contient un sermon apocryphe, agon., le De bono disciplinae pseudonyme (CPL 1002) et Ps.-Aug. reg. (praeceptum longius). Tout ceci ne peut venir de P. Mais les quatorze premiers éléments sont identiques à ceux de P, et dans le même ordre. Il ne peut s’agir d’une coïncidence. Trois explications sont possibles : (1) Prag est une copie directe de P ; (2) Prag est une copie de P via un intermédiaire ; (3) P et Prag sont deux descendants d’un même ancêtre. Seule l’hypothèse (3) ferait de Prag un témoin indépendant pour l’Inchoata expositio. Celle-ci est trop improbable pour exiger l’inclusion de Prag dans notre édition275 (surtout que nous disposons de sept autres manuscrits de la famille γ). Il est certes impossible d’éliminer (2) et (3) sans avoir vu Prag, et même une collation complète ne permettrait pas forcément de décider. Mais il faudrait pour ces deux cas que l’on ait pris spontanément à deux occasions la décision de reproduire les mêmes quatorze textes, dans le même ordre. Or quiconque fréquente les recueils

|| 273 Dans la mesure où l’on peut reconstituer leur contenu à partir de HU, il semble que les extraits de epist. 93, 185, 141 sont rigoureusement identiques dans P et Prag. 274 HU indique epist. 154, mais il doit y avoir erreur. Borries-Schulten indique epist. 153, et il s’agit certainement de epist. 153 dans Prag, puisque Patera et Podlaha donnent l’incipit. Nous n’avons malheureusement pas songé à régler cette question sur place pour P. 275 Du reste, nous avons tenté sans succès de communiquer avec la bibliothèque de Saint-Guy pour obtenir une reproduction du manuscrit.

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augustiniens sait à quel point il est rare que leur contenu se reproduise sur plus de quatre ou cinq éléments. Si Prag fut copié sur P, cela a dû se faire à Zwiefalten même, puisque P semble y être resté jusqu’à 1803. Nous n’avons trouvé aucun autre lien entre Zwiefalten et Herttemberger. Il est cependant lié à l’Allemagne : son nom indique une origine germanique, de même que sa présence à l’Université de Leipzig, attestée de façon intermittente de 1454 à 1476.276 Aurait-il acheté ou fait copier Prag lors d’un séjour en Allemagne ? Toutefois, la mention de saint Guy dans le colophon semble rattacher Prag plus directement à la cathédrale de Prague. W Fulda, Hochschule und Landesbibliothek Aa23 R. HAUSMANN, Die Theologischen Handschriften der Hessischen Landesbibliothek Fulda bis zum Jahr 1600, Wiesbaden 1992. s. 121/4, minuscule pré-gothique, texte principal écrit de deux mains.277 Au verso de la page initiale de garde, on lit dans une main des s. 12–13 liber sancti martini in winigartin, et sur la même page Monasterii Weingartensis 1628. Le livre a donc appartenu au monastère bénédictin de Weingarten, fondé en 1056, et c’est là qu’il fut copié, selon Jakobi-Mirwald et Köllner.278 L’histoire des manuscrits de Weingarten ressemble fort à celle des manuscrits de Zwiefalten. Encore une fois, le Reichsdeputationshauptschluss de 1803 mit fin à la vie monastique. Par la même résolution est créée la principauté de NassauOrange-Fulda, qui comprend et Fulda et Weingarten. Le premier (et unique) prince, Guillaume-Frédéric, le futur roi Guillaume Ier des Pays-Bas, installa sa résidence à Fulda, et y fit venir en 1805 les manuscrits de Weingarten, qu’il destina à la bibliothèque de la ville, fondée en 1778 par l’avant-dernier prince-évêque de Fulda, Henri VIII von Bibra. Les manuscrits y sont encore,279 sauf ceux qu’emportèrent les généraux français qui occupèrent Fulda après la bataille d’Iéna.280 W est un petit recueil augustinien, contenant epist. 140 ; in Rom. ; in Gal. ; serm. 46/47 ; psalm. c. Don. ; l’Inchoata expositio (52v–57v) ; quaest. Simpl. ; quaest. Dulc. ; trois pages d’extraits de sermons et d’épîtres, et aussi le Contra Felicianum

|| 276 HONEMANN, Die Epistola, 63s. L’université de Leipzig fut fondée en 1409 par la « nation » germanique en révolte contre l’Université de Prague. 277 Le changement de mains a lieu au folio 39r, avec le début de serm. 46. Sur le verso de la page initiale de garde, une main du 11ème siècle a écrit le début d’une passio Petri et Pauli, tandis qu’une main de s. 12fin. a ajouté un extrait de Rupert de Deutz à la fin du manuscrit (77v–78v). Pour les détails, voir HAUSMANN et JAKOBI-MIRWALD – KÖLLNER, Die Illuminierten Handschriften, no. 32. 278 HAUSMANN et JAKOBI-MIRWALD – KÖLLNER, Die Illuminierten Handschriften, no. 32. 279 Ils ne sont plus cependant à leur emplacement original, mais dans un bâtiment moderne de la Hochschule de Fulda. 280 LÖFFLER, Die Handschriften des Klosters Weingarten, 21–28.

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Arianum et l’Hypomnesticon pseudo-Augustiniens. W semble avoir ajouté in Rom. aux œuvres héritées de γ1, pour compléter le recueil des opuscules sur Paul. B1 Bruxelles, Bibliothèque Royale II.1072 (1115) J. VAN DEN GHEYN, Catalogue des manuscrits de la Bibliotheque Royale de Belgique. Tome Deuxième : Patrologie, Bruxelles 1902. s. 12,281 minuscule pré-gothique, écrit d’une seule main. Au folio 1r de ce manuscrit, on lit Istum librum dedit ecclesiae Alnensi magister Benedictus sancti Iohannis in Leodio. Anima eius requiescat in pace. L’ecclesia Alnensis, c’est l’abbaye d’Aulne dans le diocèse de Liège, qui aurait été fondée par saint Landelin au 7ème siècle, et se rattacha aux cisterciens en 1147. Quant au maître Benoît de Liège, nous devons à Vercauteren une étude de la vie de ce personnage, finalement assez obscur. Dès 1136, il fut magister scholarum de la Collégiale de Saint-Jean de Liège, doyen dès 1159. En 1171, il fut chanoine à la Collégiale de Looz (province de Limbourg), sans avoir quitté Liège, et en 1179, au 3ème Concile du Latran, il intervint au nom de l’abbaye de Saint-Trond, où sa présence est attestée en 1181. En 1188, il fut nommé dans la charte d’une donation par des bourgeois de Liège, justement à l’abbaye d’Aulne. En 1189, il fut à Cologne, où il souscrivit deux actes du puissant archevêque Philipp von Heinsberg. On perd ensuite sa trace, peut-être parce qu’il est mort peu de temps après.282 Benoît fut donc associé à un nombre d’endroits, ce qui ne facilite pas l’identification de l’origine de B1, surtout qu’aucun autre manuscrit, à notre connaissance, n’est identifié comme ayant appartenu à cet homme. On ne saurait dire non plus à quelle date B1 fut donné à Aulne. La notice doit être postérieure à la mort de Benoît, mais il ne s’agit pas forcément pour autant d’un legs. On retrouve B1 à Aulne en 1632, date du catalogue imprimé par SANDERUS (Bibliothecae Belgicae), où B1 est décrit p. 242, avec l’Inchoata expositio prise par mégarde pour in Rom., puisque le texte est appelé Expositio quarundum quaestionum epistulae ad Romanos. L’abbaye d’Aulne fut incendiée le 14 mai 1794 par l’armée révolutionnaire française. Boulmont283 brosse un tableau apocalyptique des soldats jetant les manuscrits au feu. Bon nombre ont pourtant survécu et sont restés ensemble, puisque le grand bibliophile anglais Sir Thomas Phillipps en achèta un bloc de 114, dont B1, à une date inconnue entre 1822 et 1829,284 pour sa bibliothèque de Middle Hill. On retrouve

|| 281 La datation de s. 13 chez Van Den Gheyn est à corriger. 282 VERCAUTEREN, Un clerc liégeois, 58, signale la mention d’un Benedictus presbyter, mort le 24 septembre 1189, dans l’obituaire de Saint-Lambert de Liège, mais ajoute qu’il ne s’agit pas forcément du même homme. 283 Les fastes, 16. 284 Inconnue dans la mesure où elle n’est pas précisée par MUNBY, Phillipps Studies, t. 3, 22s., où l’achat figure au chapitre 2, Abroad, 1822–1829.

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ces manuscrits dans le catalogue privé de Phillipps, Catalogus Librorum Manuscriptorum Bibliothecae D. Thomae Phillipps Bart. AD 1837, Middle Hill : aux pages 75–78 figurent les manuscrits « ex bibliotheca monasterii de Alna », numérotés 4621– 4734.285 B1 doit y être le no. 4652, ainsi décrit : S. Augustinus contra Faustum, f[olio], v[ellum], s. xii. À la mort de Phillips en 1872, sa bibliothèque passa à sa fille Katharine Fenwick. Thomas FitzRoy Fenwick, fils de celle-ci, s’occupa de vendre les manuscrits. La Bibliothèque Royale de Bruxelles s’intéressa dès avril 1887 à acheter des manuscrits d’origine belge, et en juin 1888, Charles Ruelens, le conservateur des manuscrits, achèta à Fenwick 106 manuscrits d’Aulne. C’est ainsi que B1 retourna en Belgique.286 Au folio 1v, le contenu de B1 est répertorié de deux manières dans une main du ème 12 siècle. La colonne de gauche comporte une liste des titres en majuscules, où bleu et rouge alternent ligne par ligne. L’Inchoata expositio y figure en dernier lieu (Epistulae ad Romanos inchoata expositio liber unus). La colonne de droite présente ces mêmes titres sous forme d’un poème en hexamètres léonins. Ce poème semble être resté jusqu’ici inédit. Hic Augustinus, pietatis in agmine primus, Pastor sollicitus, libris quasi milite cinctus, congreditur bello cum quodam nomine Fausto, nempe rebelle Deo veluti secta Manicheo. Huius dogma malum gentem quandam tenebrarum inducit – blandus sermone sed arte nefandus, utpote delirus, qui delirare peritus scripturas falsat et scripta prophetica damnat. Christum carne negat cuius se nomine velat, quo super incesta profert nimis ac inhonesta. Multa nefanda probat et quaeque probanda profanat. Quae simul ut legit pater Augustinus abegit, et quidquid finxit valida ratione restinxit. Illius obiectis responsa dat obvia libris bis tribus ac ternis, bis denis atque quaternis. Fausto sic victo sequitur liber Arrius in quo dogmatis assertor proprii reperitur et error. Is mox desivit, pius auctor ut obvius ivit. Hoc obnitente silet error et iste repente. Hinc liber antistes quo Maximinus et heres terrae praedictae cadit, a patre victus et ipse. Hinc liber extat ubi, duo cum certent, manet uni

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|| 285 Pour l’histoire complexe de l’impression de ces catalogues privés, voir MUNBY, The Phillipps Manuscripts. Nous avons consulté l’exemplaire de la British Library, cote C.194.c.90. Dans celui réimprimé par MUNBY (loc. cit.), la description du no. 4652 est identique. 286 MUNBY, Phillipps Studies, t. 5, 28–30.

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recta fides. Alii doctrina magis placet Arii, qui, cum sit praesul, fit ab ecclesia tamen exsul, nomine Germinius. Alius fuit Heraclianus, qui licet extiterit laicus, certamine vicit. Inde liber sequitur qui Pastorum titulatur, quo patet expresse quid pastor debeat esse. Hinc liber est ad oves, intendens scribere mores, sed gregis illius cui praebet pabula Christus, qui gregis ad faenum dignatur linquere caelum, ut fugiens caenum grex possit287 scandere caelum. Ad Mediolanum duo libri Simplicianum, in quibus excussit reserari quae iussit. Hinc opus inceptum super hoc Pauli documentum quondam Romanis quod amore dat pietatis, quod pater incepit imperfectumque reliquit, intendens aliis quis plus fuit utilitatis. Isti sunt libri Cunonis tempore scripti, quos quicumque legis eius miserendo memor sis.

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De même que la liste en majuscules, ce poème reproduit fidèlement et dans l’ordre le contenu de B1 : c. Faust. (1–15) ; c. Arian. (16–19) ; c. Maximin. (20–21) ; l’ Altercatio Heracliani et Germinii (22–26) ; serm. 46 (27–28) ; serm. 47 (29–32) ; quaest. Simpl. (33–34) ; l’Inchoata expositio (35–38 = 111v–116r). Seuls manquent serm. 58 (69r–70v), entre c. Faust. et c. Arian., et le texte final, un sermon apocryphe sur la Vierge (116v–118r), qui est clairement l’ajout d’une main plus tardive. Cunonis tempore scripti … L’identification de ce Cunon permettrait de dire où et quand B1 a été écrit. On pense volontiers à un supérieur religieux. Nous avons donc tenté d’identifier Cunon dans le Monasticon Belge.288 On n’y trouve aucun Cunon ou Kunon dans les index, tandis que les Conon et Conrad (dont Cunon peut être une variante) sont bien trop nombreux pour que l’on puisse faire un tri sans autres indices. B1 est le produit d’un scriptorium cultivé. La table de matières est en vers. L’écriture et les enluminures sont très belles. De plus, le texte de c. Faust. a été soigneusement glosé, et ces gloses, qui portent sur des mots rares du texte,289 semblent

|| 287 poscit B1 (ac.) 288 8 tomes, 1890–1993. 289 Nous n’avons pu examiner ces gloses, qui méritent une étude, que jusqu’au folio 36r. Il semble toujours s’agir de citations. Parmi les sources identifiées, Isidore est majoritaire, mais on trouve aussi les Excerpta Festi de Paul Diacre (ou peut-être Nonius), Raban Maur, Augustin lui-même, Julien de Tolède, et deux gloses qui figurent aussi dans le commentaire sur Paul imprimé à PL 117, 361–938 sous le nom d’Haymon de Halberstadt, mais qu’il faudrait plutôt attribuer à Haymon d’Auxerre (voir supra, 1.9).

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faire partie de la facture originelle du livre. Cependant son texte de l’Inchoata expositio n’est pas spécialement bon. A Berlin, Staatsbibliothek, Theol. et philosoph. lat. fol. 348 (lat. 293) V. ROSE, Verzeichniss der lateinischen Handschriften der Königlichen Bibliothek zu Berlin. Zweiter Band : Die Handschriften der kurfürstlichen Bibliothek und der kurfürstlichen Lande. Erste Abteilung, Berlin 1901. s. 124/4, minuscule pré-gothique, écrit de plusieurs mains.290 Au folio 1v, on lit : Liber sanctorum Cosme et Damiani martyrum in Lisbern. Le livre provient donc du monastère de Liesborn (Nordrhein-Westfalen), couvent de femmes dès le 9ème siècle, mais transformé en maison bénédictine pour hommes en 1132. A figure dans le catalogue de 1219, composé sous l’abbé Werner (1198–1221), des livres de Liesborn, sous la notice Augustinus super epistola Iohannis. etc. Hieronymus super Mathaeum, Augustinus de Pastoribus et de Ovibus, etc.291 Ce catalogue n’est connu que par sa copie faite dans le catalogue dressé en 1795, sous l’avant-dernier abbé, Ludger Zurstraßen (1767–1798). Il est plus difficile d’identifier A dans ce second catalogue, mais il peut se cacher sous la notice Quaedam opera Augustini, Hieronymi et Bernardi.292 Ce sont encore les guerres napoléoniennes qui mirent fin à la vie monastique à Liesborn. Le pays de Münster fut occupé en 1802 par les Prussiens, et ceux-ci décidèrent le 2 mai 1803 de fermer l’abbaye, dont les biens furent appropriés par la couronne prussienne.293 129 manuscrits furent alors acquis par la bibliothèque universitaire de Münster. En 1823, la bibliothèque royale de Berlin acheta à l’université 51 de ces manuscrits, dont A.294 Ceux-ci n’auraient pas été préservés autrement : des 801 manuscrits répertoriés à Münster en 1889, 693, dont 69 des 70 manuscrits de Liesborn, ont été détruits lors des bombardements alliés de 1944/1945.295 A se divise en deux parties, chacune d’une main différente.296 Le gros de la première partie, qui va jusqu’au folio 88v, est composé du commentaire de Jérôme sur l’Évangile de Matthieu, suivi de l’epist. 137 d’Augustin. La deuxième partie contient des textes caractéristiques de γ : serm. 46 et 47, l’Inchoata expositio (109r–117r) et quaest. Simpl.297

|| 290 FINGERNAGEL, Die illuminierten, t. 1, 40. 291 ROSE, Verzeichniss, 1444. 292 ROSE, Verzeichniss, 1444. 293 MÜLLER, Das Bistum, 84s. 294 MÜLLER, Das Bistum, 56s. 295 MÜLLER, Das Bistum, 57 ; KRISTELLER – KRÄMER, Latin Manuscript Books, 622. 296 Selon ROSE, Verzeichniss. Les indications de FINGERNAGEL (Die illuminierten, t. 1, 40) sont moins claires. 297 Une autre main a ajouté l’epist. 174 de Bernard de Clarivaux à la fin du volume.

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H Zwolle, Gemeentearchief GAZ 19 [Pas de catalogue – Notice sommaire sur le site Medieval Manuscripts in Dutch Collections] s. 152/4, minuscule gothique, écrit d’une seule main. Le début du manuscrit manque : il commence aujourd’hui à in Gal. 11 (est circumcidi. Quamvis Titus …) Nous n’avons trouvé aucune information sur la provenance ou l’histoire de ce manuscrit. Mais ses liens étroits avec G et son emplacement actuel rendent fort probable qu’il vient d’un monastère des Frères de la Vie Commune, Zwolle étant un des centres de ce mouvement. Puisque G semble être sa copie directe, on pense en particulier aux chanoines de Bethléem à Zwolle même, ou à ceux de Windesheim.298 H est un recueil augustinien, contenant presque exclusivement des textes de la collection γ1 : in Gal. ; l’Inchoata expositio (23r–33v) ; quaest. Simpl. ; serm. 46 et 47, puis aussi une partie de quaest. euang. G Paderborn, Erzbischöfliche Akademische Bibliothek Ba3 U. HINZE et al., Erzbischöfliche Akademische Bibliothek Paderborn – Handschriften, 2008 (ressource électronique sur le site de la bibliothèque).299 Minuscule gothique, écrit d’une seule main. Au folio 1v on lit : Liber canonicorum regularum ordinis beati Augustini domus sancti Meynulphi in Bodeken Paderburnensis dyocesis, et ces informations sont complétées en fin de volume (260v) : Anno domini m.cccc.lxxii. hec terminata sunt pro et in monasterio sancti Meynulfi in Bodeken Paderbornensis diocesis ordinis sancti Augustini, Iohanne Dulmiane priore,300 Antonio Lippie scriptore, Iohanne Betteren de Paderborn formatore et sollicitatore.301 Le manuscrit fut donc écrit en 1472 au monastère augustinien de Saint-Meinolf, à Böddeken, à quelque 20 km au sud de Paderborn. La fondation de Saint-Meinolf, comme monastère de femmes, date du 9ème siècle. En 1409, le couvent se transforme en communauté de chanoines augustiniens, et se rattache au mouvement des Frères de la Vie Commune, sous la tutelle de la maison des chanoines de Bethléem à Zwolle, puis rejoint la congrégation de Windesheim (source aussi de B et R) en 1430.302

|| 298 Voir la description de G pour ses liens avec ces deux communautés. 299 Mise à jour de HINZ, Verzeichnis. 300 Johannes Lenwerts / Lennaerts, de Dülmen, près de Münster, prieur de 1465 à 1477 (KOHL, Monasticon, t. 2, 69). 301 Il s’agit de l’enlumineur, selon le catalogue, mais nous avons cherché en vain un tel sens pour formator (passe encore) ou sollicitator dans les lexiques médiévaux. 302 GRUBE, Des Augustinerpropstes, 489 ; MUHS, Libri Sancti Maynulfi, 248.

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Encore une fois, c’est le Reichsdeputationshauptschluss qui met fin à la communauté, entre le 19 février et le 3 mars 1803.303 Les livres de Böddeken devaient cependant rester quatorze ans dans la bibliothèque fermée du monastère. En 1817, ils sont enfin transportés au Gymnasium Theodorianum, le lycée jésuite de Paderborn. La majorité partira en 1822 pour l’Université de Münster, pour y être détruit dans les bombardements de 1944.304 Mais quelques-uns restent à la Theodoriana, où l’on retrouve G, sous sa cote actuelle, dans le catalogue dressé par le bibliothécaire du lycée en 1896/1897.305 Les manuscrits de la Theodoriana, dont six de Böddeken, seront ensuite transférés à la bibliothèque épiscopale de Paderborn en 1925.306 G est un grand recueil augustinien, contenant une œuvre majeure (c. Faust) ; des opuscules (c. Maximin. ; de duab. anim. ; c. Fort. ; fid. et symb. ; haer.; in Gal. ; l’Inchoata expositio aux folios 180r–186v ; quaest. Simpl. ; quaest. euang. ; pat.), des épîtres (221–224), des sermons (46/47), des textes pseudo-augustiniens (l’Altercatio Heracliani et Germinii ; De fide ad Petrum [CPL 826] ; Contra Felicianum Arianum ; De bono disciplinae [CPL 1002]; s. [apocryphe] 55). G partage donc 7 œuvres avec B1, mais du moins pour l’Inchoata expositio, il descend de γ2 sans passer par B1, puisqu’il doit descendre directement de H (voir infra, 2.2.1, pp. 70s.), qui n’a que 4 de ces 7 œuvres. R Utrecht, Universiteitsbibliotheek 4 C 7 (68) P. A. TIELE, Catalogus codicum manu scriptorum bibliothecae Universitatis RhenoTrajectinae, t. 1, Utrecht 1887. Minuscule gothique, écrit d’une seule main. Au folio 144r on lit Finitus est hic liber et scriptus a fratre Arnoldo Aelberti canonico regulari monasterii regularium in Traiecto et pertinet eidem monasterio. Anno domini m°cccc°lxiiii . xxviii die Maii. On connait donc le nom du scribe (Arnold Albertzoon en flamand ?),307 la date de complétion (28 mai 1464) et le lieu d’écriture (le monastère augustinien de s. Marie et les douze apôtres, Utrecht). Le destin de R suit celui de son monastère. Celui-ci, fondé en 1290–1292, et rattaché en 1430 à la Congrégation de Windesheim des Frères de la Vie Commune (source aussi de G et B), est fermé en 1597 suite aux mesures de la municipalité protestante, et ses livres sont déjà confisqués en 1581. La municipalité d’Utrecht fait

|| 303 MUHS, Libri Sancti Maynulfi, 245. 304 Il reste un manuscrit à Münster (MUHS, Libri Sancti Maynulfi, 254, n.39). L’article de Muhs est à lire en entier pour le sort pathétique de la bibliothèque de Böddeken après la sécularisation. 305 RICHTER, Handschriften-Verzeichnis, t. 2, 4. 306 HINZ, Die mittelalterlichen Handschriften, 77. 307 Ce même scribe a mis son nom à neuf autres manuscrits des chanoines réguliers (voir la description du manuscrit 40 sur le site de la Bibliothèque Universitaire d’Utrecht). Voir aussi KOHL, Monasticon, t. 3, 430.

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transférer les livres confisqués des maisons religieuses dans une bibliothèque publique, située dans le chœur de l’Église Saint-Jean. Celle-ci formera le noyau de la bibliothèque universitaire, lors de la fondation de l’Université d’Utrecht en 1636.308 R est un recueil augustinien sans unité apparente. Il contient des épîtres (166 ; 167 ; 171 ; 147–48 ; 54–55 ; 102) et des opuscules authentiques (de serm. dom. ; l’Inchoata expositio aux folios 49r–55v ; in Gal. ; de mend. ; c. mend. ; nat. bon. ; div. daem.) et pseudépigraphes (le commentaire sur l’Apocalypse de Césaire d’Arles [CPL 1016] ; De triplici habitaculo [CPL 1106]). On n’y reconnait plus du tout la collection γ1. Sous famille C V1 Trois manuscrits contiennent un extrait identique de l’Inchoata expositio, allant de 22,2 à la fin du texte, et présentant ainsi en bref la doctrine d’Augustin sur le blasphème contre l’Esprit Saint. C’est ce qu’indique la rubrique du texte dans C : Quaestio de spiritu blasphemiae Augustini superius prolixa tractatur.309 Sed hac fine concluditur sic. C Montecassino, Archivio della Badia 173L M. INGUANEZ, Codicum Casinensium manuscriptorum catalogus, Vol. 1 – Pars 1, Montecassino 1905. s. 112/2, minuscule bénéventaine,310 écrit d’une seule main. Dans la chronique de Montecassino, Guido, moine de l’abbaye, donne la liste des manuscrits copiés sous Désiderius, abbé de Montecassino de 1058 jusqu’à son élévation à la papauté, sous le nom de Victor III, en 1086. La liste de Guido commence avec les œuvres d’Augustin, et C est à identifier avec le deuxième manuscrit de cette liste, De opere monachorum.311 Aurait-il pris son texte de notre extrait du cinquième manuscrit de la liste, décrit comme Super epistolam ad Romanos, et que l’on ne retrouve plus aujourd’hui ? C, qui ne doit jamais avoir quitté Montecassino, est une anthologie augustinienne. Il contient 2 opuscules d’Augustin (op. monach.; symb.), 2 opuscules / sermons pseudo-Augustiniens (De symbolo [CPL 404] ; Adversus quinque haereses [CPL 410]),312 et 9 courts textes homilétiques de factures diverses, dont un extrait de serm. 71,37, sur le blasphème contre l’Esprit Saint (nam et si quisquam … pacis vincu|| 308 Voir VAN DER HORST, Handschriften, 50s., supplémenté par les informations sur le site de la bibliothèque. MEINSMA (Middeleeuwsche Bibliotheken, 267–275) énumère 129 manuscrits du monastère qui sont aujourd’hui dans la bibliothèque universitaire, R étant le no. 21 dans sa liste. 309 tractatur est le texte que nous avons noté, mais INGUANEZ indique tractata. 310 LOEW, The Beneventan, t. 2, 74. 311 Texte dans MGH SS 34, 444–446. L’identification fut faite par l’éditeur, H. HOFFMANN. 312 Ces deux textes sont souvent attribués par les érudits à Quodvultdeus.

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lo custoditur). L’extrait de l’Inchoata expositio se trouve juste avant celui-ci, en avant-dernière place, aux pp. 175–79. V1 Roma, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vaticanus Latinus 4918 Pas de catalogue imprimé. Des indications bibliographiques sur Vatican Library : Catalogues – Manuscripts (http://opac.vatlib.it/iguana/www.main.cls?sUrl= homeMSS) s. 12inc.,313 minuscule pré-gothique, écrit d’une première main jusqu’au folio 117r, et de plusieurs autres mains jusqu’à la fin. Une page de garde, avec des extraits des Dialogues de Grégoire le Grand, est écrite en minuscule bénéventaine du 11ème siècle, et il en est de même pour quatre bandes de parchemin qui renforcent la reliure.314 Ces éléments, et des liens de V1 avec C et avec le manuscrit 168L de Montecassino (vide infra), suggèrent une origine dans le sud de l’Italie. On trouve cependant du parchemin bénéventain provenant du même manuscrit dans la reliure de Vat. Lat. 4920 et 4923–4925,315 et comme tous ces livres ont fait partie d’une même collection (vide infra), ces ajouts bénéventains pourraient être bien postérieurs à leur fabrication. Le scribe de la première partie s’est identifié dans un petit poème au folio 107v : Funde preces Christo, libro qui cernis in isto: scriba sit ut justus, castus simul, atque venustus, Qui Placidus vere Christum sibi captat habere. Aliud. A Placido scriptum librum qui videris istum, Fac Placido placidum placide placida prece Christum.316

Au folio 1r on lit emptum ex libris Cardinalis Sirleti, inscription qui se trouve sur 84 manuscrits de la Vaticane (36 grecs et 48 latins : Vat. Lat. 4917–4966), achetés par Paul V au duc Angelo d’Altemps, la vente étant enregistrée à la Vaticane le 15 mai 1612. V1 figure au no. 18 dans le catalogue d’achat (Isidorus contra Iudeos 8.°).317 emptum ex libris Cardinalis Sirleti, parce que le duc d’ Altemps avait acheté le 6 août 1611 la bibliothèque du cardinal Ascanio Colonna, qui avait quant à lui acheté, le 4 juin 1588, la bibliothèque du cardinal Guglielmo Sirleto (1514–1585), bibliophile et érudit.318 Mais ce sont les bibliothécaires de la Vaticane qui ont placé l’attribution

|| 313 MEERSSEMAN, Seneca maestro, 49. 314 LOEW, The Beneventan, t. 2, 149. 315 LOEW, The Beneventan, t. 2, 149. 316 Texte déjà imprimé par Faustino Arevalo dans son édition d’Isidore de Séville, et que l’on trouve donc à PL 81, 806. 317 MERCATI, Codici latini, 106–111 ; 113–136 pour le catalogue. 318 RUSSO, La biblioteca, 226.

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à Sirleto sur les manuscrits achetés au duc d’ Altemps, et tous ne viennent pas forcément de la bibliothèque de ce cardinal.319 Mais V1 en provient bel et bien, puisque, dans Vat. Lat. 6163, le catalogue des livres de Sirleto dressé avant leur vente à Colonna,320 il figure comme élément no. 497 : Isidori iunioris de Christo contra Iudeos. S. Augustini de sp. blasfemia. Contenu :  1r–107v : Isidore de Séville, De fide catholica contra Iudaeos.  108r–111r : Notre extrait de l’Inchoata expositio, avec le titre Quaestio de spiritu blasphemiae. Augustinus.  111r : Le même extrait d’Augustin, serm. 71 que l’on trouve dans C, avec le titre item unde supra. De inremissibile blasphemiae [sic] spiritus. Augustinus.  111v –113v : Augustin, epist. 54 (= ad inquisitionem Ianuarii ; extraits ; détails dans HU).  113v–115r : Augustin, sermo Dolbeau 29 (= De providentia Dei), cap. 8 et 10 = l’extrait dans le manuscrit 168L de Montecassino, où il suit aussi un extrait de epist. 54, apparemment le même qu’ici.  115r–115v : extrait d’Augustin, doctr. christ. 3,42–45 (quisquis autem rebus … improbandum quod facimus).  115v–116v : Ambroise, epist. 1,3 (CSEL 82), incomplet, s’arrête §5 (et inlecebrosa rigidioribus).  117r–130v : pseudo-Sénèque, De copia verborum.321 L’extrait de l’Inchoata expositio figure donc parmi une petite collection d’extraits augustiniens, tous visant à donner une réponse courte à des questions philosophiques ou théologiques. Ott Roma, Biblioteca Apostolica Vaticana, Ottobonianus Latinus 945 [pas de catalogue imprimé] Au folio 2r (page de garde), et de nouveau au folio 136v on lit : S. ISIDORI Iunioris De Christo contra Iudaeos. Unus ex codicibus centum bibliothecae Altempsianae manu regia exceptis, nunc vero a Joanne Angelo duce ab Altaemps propriis sumptibus fidelissime ex originalibus desumptis, ut bibliotheca Altempsiana quoad potuit tanto splendore iam decorata non careret. Le duc d’ Altemps avait en effet fait copier en 1619–1620 à la Vaticane les manuscrits qu’il avait vendus à Paul V, pour en conserver des exemplaires dans sa

|| 319 MERCATI, Codici latini, 111. 320 RUSSO, La biblioteca, 235–299, donne l’édition de ce catalogue. 321 Sur le contenu de ce texte, voir C. W. BARLOW (éd.), Martini Bracarensis opera omnia, New Haven 1950, 209s.

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propre bibliothèque.322 Ott est la copie de V, et son contenu est rigoureusement identique. L’extrait de l’Inchoata expositio se trouve 106v–110r. Les Ottoboniani, on le sait, constituaient à l’origine la collection privée du pape Alexandre VIII. Celle-ci incluait les manuscrits Altemps, qui semblent y être entrés par un legs du duc Pietro, mort le 15 mars 1691.323 La Bibliothèque Vaticane acheta les manuscrits Ottoboniani des héritiers d’Alexandre en 1748. Ott est donc la copie de V1 et peut être entièrement laissé de côté pour l’édition critique de notre texte.324

2.1.3

Manuscrit contaminé

B Bruxelles, Bibliothèque Royale 48 (1058) J. VAN DEN GHEYN, Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque Royale de Belgique. Tome Deuxième : Patrologie, Bruxelles 1902. s. 15, minuscule gothique, écrit d’une seule main. Sur le verso de la couverture, on lit : W.3. Hoc volumen scriptum est labore ac diligentia religiosi fratris Ioannis Mol. Huius domus … professus … in Facons … quondam rector fuit. Van Den Gheyn en avait conclu une provenance du prieuré augustinien de Corsendonk, près de Turnhout, fondé en 1398 et se ralliant à la congrégation de Windesheim des Frères de la Vie Commune (source aussi de G et R) en 1409–1412.325 Cette attribution est confirmée par De Bruyne,326 qui montre que la cote W3 correspond à l’organisation des livres de Corsendonk, et que B figure dans le catalogue des manuscrits de Corsendonk dressé en 1633, et reproduit par SANDERUS (Bibliothecae Belgicae, 46–71). On ne connait cependant pas d’autres livres copiés par Joannes Mol.327 Corsendonk fait partie des établissements religieux fermés par l’édit du 17 mars 1783 de l’empereur Joseph II,328 et dont les biens furent mis en vente – le 2 mai 1785 pour ceux de Corsendonk.329 Mais plutôt que vendus, grand nombre des livres de ces maisons furent acquis par la Bibliothèque Royale (alors « Bibliothèque de Bourgogne ») de Bruxelles, où l’on retrouve la majorité de ceux de Corsendonk.330 On ne || 322 MERCATI, Codici latini, 109s. 323 BIGNAMI ODIER, Premières recherches, 11s. 324 Nous avons vérifié Ott en partie. On y trouve les leçons typiques de V1 : perserveranti nequitia (22,3) ; nam hic (22,4) ; om. et [recte factorum] (22,5) ; fidei miraculis (23,2). 325 KOHL, Monasticon, t. 1, 80. 326 DE BRUYNE, De la provenance, 108–121. 327 DE BRUYNE, De la provenance, 21 ; KOHL, Monasticon, t. 1, 75. 328 MARCHAL, Catalogue, cxcv/cxcvi. 329 KOHL, Monasticon, t. 1, 73. 330 Ibid.

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sait pas la date d’entrée exacte de B, mais il porte les armes de Léopold II, ce qui indique qu’il était déjà entré dans la Bibliothèque entre Décembre 1790, quand Léopold rétablit l’autorité de l’empire sur Bruxelles, et la mort de l’empereur, le 1 mars 1792. B porte aussi l’estampille de la Bibliothèque Nationale de Paris, et fait donc partie des livres de Bruxelles emportés à Paris par l’Armée Révolutionnaire en 1794, et rendus par Louis XVIII en 1815/1816.331 On verra plus bas que B contient une texte créé à partir de collations détaillées, qui correspondent au projet théologique et philologique des Frères de la Vie Commune. Ce projet demandait en premier lieu que les communautés se fournissent de l’essentiel des œuvres des Pères, et il y avait en effet à Corsendonk un quantité impressionnante de recueils organisés des textes d’Augustin,332 copiés, pour ceux qui sont datés, entre 1457 et 1466. Mettant à part le contenu de B, on trouvait les œuvres majeures c. Faust.,333 civ.,334 in psalm. (en trois tomes, mais incomplet),335 trin.,336 conf.,337 puis une grande anthologie d’épîtres,338 deux collections de sermons,339 et pas moins de 27 opuscules,340 répartis en six manuscrits, sans compter 12 apocryphes. B entre bien dans cette optique : c’est une collection des commentaires d’Augustin sur le Nouveau Testament : il contient in euang. Ioh. ; in epist. Ioh. ; l’Inchoata expositio (228r–234r) ; in Rom. ; in Gal.

|| 331 MARCHAL, Catalogue, ccv.ccxv/ccxvi. 332 Dans ce qui suit, la numérotation est celle de DE BRUYNE, De la provenance, 110s. 333 no. 10 (=Bruxelles, BR 119–24 (1122), copié en 1466). 334 no. 12 (=Bruxelles, BR 291 (1148), copié en 1457). 335 no. 13 (ps. 1–34 = Bruxelles, BR 1274 (1077)) ; no. 14 (ps. 50–100 = Paris, Bibliothèque Mazarine 599), no. 15 (= Paris, Bibliothèque Mazarine 600). Le no. 13 date de s. 15, alors que 15 et 16 seraient du s. 14, selon le catalogue de la Bibliothèque Mazarine. Datation à corriger ? 336 no. 19 (= Bruxelles, BR 149–50 (1095), s. 15). 337 no. 23 (= Bruxelles, BR 1949 (1045), s. 15). 338 no. 16 (= Bruxelles, BR 272–74 (1074), écrit en 1455). 339 no. 18 (= Bruxelles, BR 149–50 (1095), s. 15) et no. 20 (non identifié). 340 no. 10 : quaest. Simpl. ; lib. arb. ; cons. euang. ; praed. sanct. ; bon. coniug. no. 12 (= Paris, Bibliothèque Mazarine 640, s. 15) : retract. ; bon. viduit. ; de mend. ; c. mend. ; c. Parm. ; corrept. ; nat. et grat. ; haer. ; de duab. anim. ; c. acad. ; ord. no. 19 : enchir. ; virg. no. 20 : un. bapt. no. 21 (perdu, écrit en 1462) : fid. et symb. ; c. Fel. ; c. Fort. ; quaest. Dulc. ; corrept. no. 22 (non identifié, écrit en 1459) : beat. vit. ; contin.

66 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

2.1.4

Manuscrits perdus

Nous connaissons les notices suivantes de manuscrits aujourd’hui disparus :341  Cam Ce sigle indique dans l’apparat les leçons d’un manuscrit cité par l’édition de Louvain (vide infra), qui provenait de l’abbaye cistercienne de Cambron, en Hainaut, fondée en 1148. On croit retrouver facilement la trace de ce manuscrit dans le catalogue des manuscrits de Cambron, imprimé par Sanderus, Bibliotheca Belgica. Ce catalogue divise les textes par auteurs, sans indiquer où un livre s’arrrête et le prochain commence. Mais on peut isoler la séquence (pp. 346s.) : Contra Faustum Manichaeum Libri 33 ; Rescriptum contra dogma Arii ; Altercatio Germini Arrianorum Episcopi & Heracliani de fide Nicei Concilii ; De Pastoribus ; De Ovibus ; Epistolae ad Romanos inchoata expositio. Ce contenu est extrêmement proche de celui de B1, notre autre manuscrit d’un monastère cistercien belge. Mais il est curieux que les leçons de Cam rapportées ne correspondent jamais avec γ.342  La célèbre bibliothèque de l’abbaye de Pomposa possédait l’Inchoata expositio. Dans le catalogue de ses livres dressé en 1093,343 le 9ème élément est ainsi décrit : Libri confessionum XIII ; In salutatione epistolae Pauli ad Romanos liber I, eiusdem Augustini super Iohannem. Ce manuscrit était toujours à Pomposa en 1459, puisqu’il figure au no. 153 de l’inventaire de la bibliothèque dressé cette année.344 Le titre In salutatione … suggère que ce manuscrit appartenait à la famille Ξ.  Le catalogue de l’abbaye bénédictine de Schaffhausen, produit sous l’abbatiat de Siegfried (1083–1096) comporte la notice suivante : [1] Augustinus de pastoribus ; [2] Augustinus de ovibus ; [3] eius de unico baptismo ; [4] cantilena Augustini per alfabetum ; [5] ipsius super salutationem epistole ad Romanos ; [6] quarundam questionum Augustini ad Cecilianum, episcopum Mediolansem ; et [7] fides Leoni.345 On identifie aisément : [1] serm. 46 ; [2] serm. 47 ; [3] un. bapt. ; [4] psalm. c. Don. ; [5] l’Inchoata expositio ; [6] quaest. Simpl. (avec l’erreur sur le nom, mais non pas le poste, du destinataire). Ces six éléments se retrouvent uniquement, et dans le même ordre, dans P, qui donne aussi à l’Inchoata expositio un titre analogue (in salutationem epistolae Pauli ad Romanos). Ceci permet d’identifier [7] avec le texte de PL 54, 477–487, et d’affirmer que le manuscrit de Schaffhausen

|| 341 Nous laissons de côté les notices de catalogue du type Augustinus super Paulum ad Romanos, puisqu’il est impossible de savoir si elles font référence à l’Inchoata expositio. 342 Voir infra, 2.4.1, p. 87. 343 Édité par MERCATI, Opera Minora I, 358–388. 344 Édité par MANFREDI, La biblioteca di Pomposa. 345 LEHMANN, Mittelalterliche Bibliothekskataloge, 294.

Introduction | 67





était très proche de P. Comme il lui est antérieur, et vu la place de P dans notre stemma, il n’est pas exclu que le manuscrit de Schaffhausen fût l’archétype de la famille γ. Le manuscrit Leipzig, Universitätsbibliothek 329 comporte aux folios 1r–1v un catalogue du 12ème siècle du cloître augustinien de Saint-Moritz de Naumburg.346 Ce catalogue commence avec l’énumération de 31 titres augustiniens, dont le 23ème est : A. in solutione epistole ad Romanos. Il faut probablement corriger solutione par salutatione, et y voir un texte de l’Inchoata expositio. La disposition du catalogue ne permet pas d’identifier quelles autres œuvres étaient dans le même manuscrit. Dans les premières décennies du 14ème siècle, les Franciscains d’Oxford réalisèrent le Registrum Anglie de libris doctorum et auctorum veterum, impressionnant catalogue des ouvrages patristiques et exégétiques disponibles dans 185 bibliothèques ecclésiastiques d’Angleterre et d’Écosse.347 Il s’agit d’un répertoire organisé par auteur, et non pas d’un catalogue de manuscrits. Il permet donc de savoir où les Franciscains ont trouvé un ouvrage donné, mais non pas la composition du manuscrit où ils l’ont trouvé. Pour Augustin, le répertoire est organisé en suivant retract., puis en ajoutant des titres qui n’y figurent pas. Les Franciscains indiquent la présence de l’Epistole ad Romanos inchoata exposicio dans sept maisons religieuses : les Augustiniens de Saint Peter and Paul, Ipswich ; les Bénédictins de Bury Saint Edmunds ; les Augustiniens de Jedburgh (Écosse) ; les Bénédictins de Malmesbury ; les Bénédictins de Saint Albans ; les Prémontrés de Titchfield (Hampshire) ; les moniales bénédictines de Romsey (Hampshire).348

|| 346 Catalogue imprimé dans BECKER, Catalogi, 269–272. Nous avons aussi consulté le manuscrit enligne à www.manuscripta-mediaevalia.de. 347 Édité par R. H. ROUSE – M. A. ROUSE – R. A. B. MYNORS, London 1991. 348 Les données du Registrum furent reproduites et modifiée dans la seconde moitié du 14ème siècle par Henri de Kirkstede, moine de Bury Saint Edmunds, dans son Catalogus de libris autenticis et apocrifis (éd. R. H. ROUSE – M. A. ROUSE, London 2004). Henri élimine les notices pour Titchfield et Romsey, et remplace (probablement par glissement d’un chiffre) Bury Saint Edmunds par l’abbaye de Saint-Jean, Colchester. Ces informations ne sont pas fiables : voir l’édition des ROUSE, cxv–cxviii, 558s. L’inchoata expositio n’apparait pas autrement dans les 16 volumes jusqu’ici parus du Corpus of British Medieval Library Catalogues. Au vol. 6, The Libraries of the Augustinian Canons (éd. T. WEBBER – A. G. WATSON, London 1998), notre texte est signalé par les éditeurs (pp. 155s.) comme présent dans un manuscrit décrit dans un catalogue de la fin de s. 15, des livres de Sainte Marie des Près, Leicester. Mais le texte en question y est appelé seulement Augustinus super Epistolas [sic] Pauli ad Romanos, et il peut donc très bien s’agir de in Rom. ou de la compilation de Bède ou de Florus de Lyon (voir supra, 1.9).

68 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

2.2 Le stemma et sa démonstration Nous proposons pour l’Inchoata expositio le stemma suivant :349 Ω

Λ

Ξ

Claud s. 9

κ ΧΦ

s. 10 s. 11 s. 12 s. 13 s. 14 s. 15 s. 17

Germ O

γ

Ψ

d

γ1

Δ

C Σ

Θ

T

S

c V1

KZ

P

W

γ2 B1

A

L1 E V U

B

F L2

M Prag

H R G

Ott

En dernier lieu, c’est surtout l’apparat critique qui permettra d’évaluer ce stemma. Mais pour rendre cette évaluation plus facile et plus complete, nous présentons l’essentiel des étapes qui ont servi à sa construction.

2.2.1

Élimination des manuscrits descendant de manuscrits existants

L2 copie de L1 L1 et L2 partagent un nombre de fautes uniques : 5,1 terror] error L1 (ac.) L2 Am ; 10,10 evangelizatum] evangelizatus ; 13,1 quorundam] quaedam L1 (ac.) (?) L2 ; 13,4 impetratura] impetratum ; 17,2 quicquid2] quiquidem ; 18,12 admonere] amonere ; 22,2 haec] hoc ; 23,11 intrabit in] intrabit ; 23,15 consequentem] connectere.350 L1 ne peut être une copie de L2 puisque L1 lui est antérieur d’un siècle. Donc soit L2 est une copie de L1, soit les deux descendent d’un ancêtre commun. || 349 Nous remercions très cordialement Maxine Anastasi d’avoir effectué les premiers dessins électroniques du stemma, et Clemens Weidmann pour le dessin final. 350 Mais l’abréviation dans L1 est à peine déchiffrable.

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S’il s’agit d’un ancêtre commun, L1 et L2 doivent chacun avoir des fautes absentes de l’autre. L2 a en effet un grand nombre de fautes qui lui sont uniques : 2,5 graeca] gratia ; 5,4 ad1] ad ad ; 5,7 et si] si ; 5,11 qua] quam ; 7,2 om. quia2 ; 8,4 gratia] gratiam ; commoneat] commoveat (cum G) ; 12,4 om. ergo ; ut et] et (et ut c) ; 13,3 personam] primam ; 14,4 ad quaerentis] acquirentis ; sic peccare ut] sicut peccare ; 14,6 teneri] temere ; 14,7 quid2] quod ; 14,8 adversus filium] adversus spiritum filium ; 15,13 quaestio] quaestiodo (sic) ; 15,16 claudenda] laudanda ; 16,3 qua] quam ; 17,1 tamen] non ; 18,4 om. et faciens2 ; digna2] digne ; 18,6 ut hoc sit peccare in spiritum sanctum] ut hoc sit peccare in spiritum sanctum quibus dicit nunquam posse dimitti peccatum ut hoc sit pecccare in spiritum sanctum (errore oculi) ; 18,7 perceptum] praeceptum ; 18,12 spiritales] spetiales ; spiritu] spiritum ; petractant] pertradunt ; om. per ; 19,8 enim qui] qui enim ; 19,10 iacientes] iacentes ; deum] domini ; 19,11 dicenda] danda ; 20,4 qua2] quia ; 21,3 quaero] quere ; 21,3 admitti] amitti ; 21,5 illam] illa ; 23,13 quis1] qui ; 23,13 modo] non ; mentis] menti. Par contre, rares sont les fautes de L1 absentes de L2 : 5,15 ipsius iesu christi dei nostri L1] ipsius domini nostri iesu christi L2 ; 10,5 tempore L1 M ] tempus L2 F ; 12,4 commemoratione c] commemorationem L2 ; 15,13 se vivunt L1 M, vivunt F] saeviunt L2 (pc.) ; 15,14 putent L2 (ac.)] putant L1 F M (pc.) ; 18,4, 18,5 multa] om. c, multis L2. Il doit s’agir là de corrections de scribe, puisque deux arguments soutiennent la conclusion que L1 est la copie direct de L2. Premièrement, L1 était à Florence à l’époque où L2 fut copié pour Lorenzo des Médicis (vide supra, pp. 45s.). En second lieu, un nombre de fautes dans L2 s’expliquent par des graphismes de L1 : 4,9 appareret] apparent – L1 a écrit apparet avec le trait d’abréviation pour re audessus du e. L2 a pris ce trait pour le signe du n. 9,5 confundantur] et fundantur – L1 a écrit con par le c inversum, que L2 a pris pour un et tironien. 13,5 mulieris] multis – L1 a abrégé mulieris par ml’ris. Le trait horizontal du r est très droit, et dépasse sur la gauche, si bien qu’il ressemble à un t, d’où multis. 14,3 quodlibet] quod licet L2 – L1 a abrégé quodlibet par q’l; – ce qui se comprenait facilement comme quod licet. ̅ Mais, à cause de la 15,16 misericordiae] nunc – L1 a abrégé misericordi(a)e par mie. ligature du mi, et d’un trait horizontal faible pour le e, on y lirait voluntiers nnc. L2 a lu, sous le trait, soit nc (en sautant le premier n), soit nuc : deux équivalents de nunc. 17,2 accusat] accedat – L1 (tout comme F) a abrégé accusat par acc̅at. L2 a mal compris cette abréviation insolite. 19,6 tamen] tum – L1 abrège tamen par tn̅ . Par confusion de minimes, L2 y a vu tu̅ . 20,4 deinde] demum – L1 abrège deinde par dein̅ . Mais, à cause de la ligature, in ressemble fort à m, d’où L2 a compris demum.

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21,4 spem] spiritus – L1 abrège spem par spe̅. Mais cet e a semblé un c à L2, qui a cru alors voir le nomen sacrum pour spiritus (la même erreur est dans M, sans doute pour la même raison). 21,5 commutare] omutare – Cette vox nihili est causée par le fait que L1 a abrégé le com de commutare par un c inversum dont la boucle fut presque fermée par le rubricateur. De plus, L1 abrège etiam par un et tironien très arrondi, surmonté d’un trait droit. Cela se prenait facilement pour q surmonté du même trait, qui serait l’abréviation de quae. L2 a fait l’erreur plusieurs fois : 4,10 sed etiam] sed quae ; 10,4 etiam ipse] quae ipse ; 10,13 perfecta etiam] perfecta quae. Enfin, quand il lui reste un petit espace en fin de ligne, L1 aime à le remplir par un petit tilde qui ressemble quelque peu à l’abréviation « insulaire » pour est (÷). L2 s’y est plusieurs fois mépris : 5,2 signata est] est signata est ; 5,11 ut quod] ut quod est ; 6,1 apostolatum se] apostolatum est se ; 6,1 qui salvi] qui est salvi. Ces fautes prouvent que L1 est l’ancêtre direct de L2. On peut supposer des étapes intermédiaires entre les deux manuscrits, mais on s’attendrait alors à moins de fautes graphiques, puisqu’elles sont souvent faciles à corriger. L2 n’a donc aucune valeur indépendante pour la constitution du texte, et il a été éliminé de l’apparat critique. G descend de H Nous n’avons pas trouvé d’indices graphiques qui indiqueraient que G est une copie directe de H. Notons cependant le cas de sed carne (4,9) dans les manuscrits γ. Ces mots sont absents des manuscrits du 12ème siècle P W A. Mais dans ceux du 15ème (R G H), ils ont été interpolés, sans doute par collation. Or dans H (comme dans R) ils sont ajoutés par un correcteur. Mais dans G, ils sont écrits de première main. De même, en 10,1, dans tous les manuscrits γ sauf G, pour cruciatusque corporales on trouve l’erreur cruciatusque corporum cruciales. La mauvaise leçon est bien dans H, mais cruciales a été rayé par un correcteur, et corporales est absent de G, où on lit donc simplement cruciatusque corporum. De plus, les trois conditions pour indiquer que G descend directement de H sont en général remplies. G H partagent des fautes uniques 2,4 om. illum ; 3,1 in quod] inquit ; 5,2 signata] significata ; 5,4 om. est ut … praedestinatus est ; 5,7 david2] david ex resurrectione mortuorum ; 5,17 om. nostri ; 6,2 sanat] solvat ; 9,6 om. gratia2 ; 11,4 interponit] interponat (cum O S U K Z c) ; 14,3 vile et] videlicet (cum R) ; 14,7 an] ac ; 16,6 cum] tamen ; 19,10 sacerdotium] sacrificium ; 19,11 negat] negant ; 23,4 eis] hiis H, his G ; 23,5 declaravit] declaruit (cum O Z P (ac.)) ; 23,12 hoc est] hic est (cum A) ; 23,13 posse] posse est.

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G a des fautes uniques 3,1 evangelium] in evangelium ; iam] nam ; 8,5 adhaereamus] adheramus ; 8,6 vestra … vos et deum] nostra … nos et dominum ; 9,4 ea enim] etiam ; 10,5 vestrum] nostrum ; tempus] spiritus (sicut 10,13) ; 10,6 vobis] nobis ; 10,7 sustinetis] sustinentis ; 10,13 spiritus] tempus (sicut 10,5) ; 11,1 om. dei spiritum … donum dei ; 12,2 intellecto] intellectio ; commoneat] commoveat (cum L2) ; 13,2 tria2] terra ; 13,3 domino] deo ; 13,5 quid2] quod ; 14,1 impia] inopia ; 15,10 om. ita ; nullum] ullum ; 19,4 potest] possunt. H n’a pas de fautes absentes de G Il y a en fait des exceptions : 1,4 uti H U V B edd] ut G cett ; 3,1 se segregatum … commemorat] dicit sese H, dicit se A R G ; 3,3 quidam] quidem R H B1 V, om. G P W A ; 5,3 consurrexistis H (cum aliis)] conresurrexistis G (cum aliis) ; 7,4 Christi Iesu H B1 P W A] Iesu Christi G (cum aliis) ; 10,8 dei] deum R H, domini G (cum aliis) ; 14,6 resurrexit H (cum aliis)] resurrexerit G (cum aliis) ; 15,4 patrem deum G (cum aliis)] deum patrem γ2 ; 17,3 inveniemus G (cum aliis)] invenimus H (cum aliis) ; 21,3 perseverantia G (cum aliis)] perseverantiam K Z (ac.) γ (ac. W) ; 23,6 dimissione H T V U (ac.)] dimissionem G cett. ; 23,13 ut hoc modo H] et hoc modo cett. Qui examine ces cas verra que la plupart des fautes ont pu être corrigées par conjecture, sinon inconsciemment. Pour d’autres, il faut supposer une mesure de contamination. On ne peut donc établir précisément la relation H G. Mais il est clair que G n’a rien d’important à ajouter à H pour l’établissement du texte, ni même pour notre connaissance des fautes de la branche γ2. G a donc été écarté de l’apparat critique. Pour l’élimination de Prag et Ott, voir les descriptions de ces manuscrits.

2.2.2

Indépendance des autres manuscrits

Pour alléger l’apparat critique, ont été écartées, sauf exception, les fautes qui se trouvent dans un seul manuscrit. Mais la connaissance de celles-ci est nécessaire pour la validation du stemma. On sait en effet que tout manuscrit qui contient un nombre substantiel de fautes qui lui sont propres ne peut être l’ancêtre d’aucun autre manuscrit. C’est le cas de tous les manuscrits de l’Inchoata expositio sauf L1 H Ott (et Prag, selon notre supposition). Nous donnons ici le catalogue de ces fautes. Il n’inclut généralement que les leçons qui ne sauraient être justes, et offre ainsi un coup d’œil sur la qualité relative du texte dans chaque manuscript, en termes de sens et de latinité (à ne pas confondre avec la proximité avec l’archétype). Restent donc absentes de notre apparat

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et du présent relevé les leçons qui figurent dans un seul manuscrit et qui, en soi, pourraient être bonnes : une édition critique n’est pas un répertoire complet de variantes.351 O 2,2 om. proprie ; 3,1 prophetarum] profetatum ; 7,1 quia] qui ; 5,11 et ceteri] ceteri ; 7,7 quis … obtemperat] aliqui (qui ac. O) … obtemperant ; 10,4] eluceret] eluceretur ; 10,5 a domo dei] ad amorem dei (et 10,6 domo] amore [e glossemate?]) ; impius] iniquus ; 11,2 reconciliamur] reconciliamus ; 11,6 seiungebamur] separemur ; 12,3 in recognitione] et ad recognitionem ; 13,2 intelligantur] intelliguntur ; 13,4 confessione] confusione ; domine] deum ; 13,5 quid2] quia ; 13,6 om. quae ; quod] qui ; 14,1 reconciliamur] reconciliemur ; 14,3 impietatis] pietatis ; 14,8 om. sanctum1 ; 15,6 lapidantium] lapidabat ; om. apostolus ; 15,11 cui umquam] civium quam O (ac.; civium quem pc.) ; amputavit] conputavit ; 15,13 verbis] versis O (ac.; perversis pc.) ; 16,7 educati] seducati ; vetet … polliceatur] vetat … pollicetur ; 17,2 rei causa] causae ; 17,4 ; correctionem] correptionem ; 19,1 om. cordis ; 19,2 peccaverit] peccavit ; 19,6 id] ita O (pc.; quid in O ac. non liquet) ; 19,8 iam] cum ; 19,9 subvertat] subvertit ; 22,2 om. misericordiae ; 23,13 desperans] desperant ; 23,14 et domino nostro] nostro et domino. Ça et là, des corrections dans O empirent encore le texte : 11,4 quoquo modo] quo modo ; 12,6 veritate] veritatem ; 13,1 punice] punice loqui ; 14,2 dimitti1] non dimitti ; 18,9 accedit] accidit ; 22,2 veritatis scientiam perceperunt] et veritatis scientiam venerunt ; 23,5 dictis] indiciis (sed quid in O (ac.) non liquet) ; 23,12 si non facit] si facit ; 23,13 del. quod si faciunt. E 1,4 plane] plana ; receperint] inceperint ; connectit] coniecit ; 3,5 gentium] gentium sed ; 4,4 qua] quia ; 4,11 sunt omnia] om. omnia ; 5,7 pertineat] permaneat ; 5,11 resurgeret] resurgere ; 5,15 om. ipsius ; 6,1 om. autem ; 8,3 adiungens etiam] adiungit etiam ; 8,5 quo] qua ; 9,3 om. sua ; 10,1 pressurae] pressura ; 10,2 pii] pie ; om. venire ; 10,3 ipsa est quae ] ipse est qui ; 10,5 alienas] alienigenas ; 10,8 salvus erit] salvabitur ; 10,13 om. nunc ; 11,3 om. maxime ; 11,4 om. eam ; 12,3 in] ex ; 12,4 om. omisit ; om. sit ; 12,8 Iacobus … epistolae] Iacobi … epistola ; 12,9 om. ante ; 13,1 qui et] quid ; 13,3 mulier] mulier quae ; 13,5 quid2] qui ; 14,2 om. si verbum dixerit adversus filium hominis (in marg. add. si peccaverit contra patrem et filium sed E2 e coniectura) ; om. autem ; om. esse ; 14,3 om. enim ; 14,4 tacito] scito ; 14,7 maledicta] maledicto (maledictum uv. E2) ; cogitatione] cogitationes E (cogitationibus E2) ; quodlibet] quolibet ; 15,1 transitorie] transitoriam ; 15,5 om. etiam ; 15,6 qualium] qui alium ; 15,11 umquam] quam ; 15,13 om. deum ; 15,14 acta] actus ; 15,16 om. et errorem ; 16,2 om. peccatum ignorantiae videat … ignorantiae tempore (pro quo in marg. peccatum ignorantiae tempore E2) ; 16,4 qui] si ; iudicatum] iudicandum ; in illa]

|| 351 La plupart des fautes ante correctionem sont aussi écartées (voir p. 32s.).

Introduction | 73

nulla ; 17,2 om. dicere ; auferendae] ferende ; 18,2 dicit] dicitur ; 18,10 nobis dominus ipse] ipse nobis ; 18,11 om. ista ; talibus] aliis ; 19,1 om. de ; 19,2 holocausto] holocausta E, holocaustum E2 ; 19,3 om. nondum1 ; 19,7 om. iam ; 20,1 non si] nisi ; om. sed si proprie sciens admiserit ; 20,4 diiudicatio] iudicatio ; 20,5 operaretur] operetur ; cum et] cum etiam ; 20,6 falsam] eorum ; 21,1 incipit elucere] elucet ; 21,3 quoque] quisque ; 22,2 perceptionem] peceptioni ; om. sancto ; 22,3 blasphemiam] blasphemia ; prolatam] prolatum ; nequitia] malicia ; 22,4 om. ipsa ; 22,5 frustra] fructus ; 23,1 om. dominus ; 23,4 quid] quod ; 23,6 om. peccatorum ; quam] quia ; 23,12 factis deum negant … persevaturos] factis negant factis deum negant sic istis factis diicant [sic] se in mala vita sua persevaturos E (ac.), factis negant sic isti factis dicant se in mala vita sua perseveraturos E2 ; 23,13 peccatis] praeceptis. S 3,3 de innovatione] om. de ; 4,9 mutatum] mutantum ; 10,10 evangelizatum] evangelizandum ; 14,3 ut] sicut ; 19,11 baptismo] baptismum. Noter aussi, pour étayer l’hypothèse que S n’est pas l’ancêtre de U : 10,5 evangelio] evangelium SO ; fit] sit O S R M ; 13,2 intelligatur] intellegantur O S V (ac.) ; 18,7 docente] dicente S O W ; 23,13 spiritum sanctum] spiritu sancto O S E. U 1,1 nullis] nonnullis ; 2,1 om. a ; discernit] decernit ; 3,3 diceret] diceret et ; 4,2 praeferens] preferent ; 4,2 non] ne ; 4,4 impietati] impietatem ; 4,10 om. est3 ; 4,12 a deo] ab eo ; 4,6sq. om. ex resurrectione mortuorum in quantum … dominus ipsius David ; 5,7 om. ut infirmitas .. ad virtutem dei ; 5,13 corporis] corpus ; 8,4 qua1] quia ; 8,5 adhaereamus] adheremus ; 9,1 miretur] meretur ; 10,1 poena] poenas (cum S (ac.)) ; 10,7 nos] et nos (e Vulgata) ; 10,8 ad] et ; 11,3 excepta] accepta ; om. qui ; 11,5 om. a ; 12,8 om. et2 ; 12,9 tamen] tamquam ; 13,5 om. sicut ; 14,1 ad implendam] adimplenda ; 14,3 dum] domini ; 14,5 eum qui hoc] cum per hoc ; 15,2 nunc] non ; 15,12 reliquerunt] relinquerunt ; 15,13 idem2 … idem3] id est … id est ; 16,6 spiritum sanctum] sancto spiritu ; paenitendi] poenitendo ; 16,8 om. ubi ; 18,9 pendeat] pendent ; 19,4 om. in ; 19,6 si iam] suam ; 19,11 om. in3 ; 20,4 domino] dominus ; 23,7 aut1] ac ; 23,14 om. et3 ; 23,15 cuius] eius. T 2,5 om. cum graeca ; 3,4 inveniri] inveniri etiam ; 5,6 mortuus est] mortuus ; 10,12 pressuram] pressuram habebitis ; 16,2 om. esse1 ; 21,3 baptismum] baptismi ; 22,4 ortus] orsus ; 23,6 reconciliatione] reconciliationem. V 2,4 huiusmodi] huius ; 2,5 cum graeca] congrua ; 5,13 conditione] correctione ; 6,3 om. eius ad hoc … obediatur fidei pro nomine ; 7,2 promiserat] praemiserat ; 8,1 om. salutem dicat … ille illis ; 9,6 om. in eo quoque ; 10,1 om. novimus (legimus pc.) ; 10,9 propterea] et propterea ; 12,7 autem] aut ; 12,8 om. et1 ; 12,9 tamen] et tamen ; 13,7 om. sive2 ; 14,2 quod] quid ; 14,3 om. hoc2 ; 14,4 om. si aliqua ; 14,6 eum] enim ; 15,2 om. nostram ; 15,2 maledictis] et maledictis ; 15,10 om. tam ; 15,11 liberationis] liberatoris ; 15,14 venisse confingant] veris se confragant ; 15,15 contendant] contendent ; 16,2 om. esse1 ; adversus] contra ; 14,7 vitam] vita ; 17,1 si] cum ; 17,2 quicquid1] quid ; 17,4 quoniam] quem ; 18,4 multa] paucis multis ;

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18,5 sit] sic ; 18,7 ipsa] ipso ; 18,7 nullo] ullo ; 18,11 om. autem ; baptizatis] baptizatus ; 18,12 huiusmodi] huius ; 18,14 cum1] eum ; 19,1 om. qui ; 19,4 etiam2] et V (om. ac.) ; acceperit] accepit V (om. ac.) ; 19,6 possit] posse ; om. non3 ; 19,10 om. et2 ; 19,11 repetenda] repetendi ; 20,1 om. peccatum … sciens admiserit ; 20,4 permittente] promittente ; 21,6 om. ideo ; 21,7 et invidia] in invidia ; 23,7 dimitteretur] dimittetur ; om. de venia … in peccatis ; 23,12 perseverent] perseverant ; 23,13 hoc modo verbum] hoc verbum modo. K 5,7 enim] autem ; 10,6 futura] futura mala ; 10,11 deum] dei ; 10,12 molestiae] molestiam ; 12,5 secunda] secundam ; 12,5 gratia misericordia] misericodia gratia ; 14,7 quia] cum ; 15,6 increpitat] increpat ; 16,6 paulo ante] ante paulo ; 17,2 ut] aut ; 17,4 illis] illic ; 18,7 centurio] et centurio ; 21,4 om. et ; 23,13 om. Iesum ; 23,15 tractatione] tractationem ; 23,15 huius] hui (sic). Z 2,4 contentos] coniunctos ; 3,3 om. versum ; 5,15 om. filius dei2 ; 6,1 om. non ; 11,5 gratia misericordia] gratiam misericordiam ; 12,9 om. salutem (cum P) ; 14,3 ignarum] ignaram ; 14,3 vanum et] vanum ; 15,3 de trina] doctrina ; 15,14 esse3] etiam ; 18,12 huiusmodi] huiusmodo ; 19,6 posse (om. ac.) (cum V). F 2,4 contentos] contentionem ; om. ergo ; 3,2 iustificantur] iustificantes ; 4,2 ibi] in ; 4,10 factus est non] factus ut ; 5,9 om. ut ; 5,15 resurrectione1] resurrectionem ; iesus christus … mortuorum2] suorum ; 7,2 in scripturis] de scripturis ; 7,7 sanctis1] sanctis etiam hoc significavit ; 9,2 hi] hiis ; separentur] seperarentur (sic) ; 12,1 admonent] ammonet ; 12,4 pace] pacem ; 12,7 deo patre] christo ; 12,8 usitatissimum] inusitatissimum ; 12,9 veritatem] veritate ; 13,6 et1] in ; 13,7 est] esse ; 14,1 in eorum impia] ideo impia eorum ; 14,8 hoc modo etiam si] hoc etiam moysi ; 15,2 maledictis contumeliisque] maledictisque contumeliis ; et3] sed ; 15,10 eum] cum ; 15,11 umquam] numquam ; 15,12] revocat] revocatur (cum L2) ; 15,13 omnino non] non omnino ; 15,16 pergam] perquam ; 16,1 tunc] quis ; 16,7 aut] autem ; credendum] credendus ; 16,8 num] unde ; quemadmodum] quemadmodum dum ; 16,8 haberent] habere ; 17,5 quaerendum] quaerendus ; 18,2 voluntarie enim] enim voluntarie ; adhuc] autem ; 18,4 congruere] congrue (cum L2) ; 18,7 om. veritatis ; 18,11 ecclesiae] iam ecclesiae ; 19,6 possit] possint ; id est] idem ; 19,7 etiam quadrupes esse] quadrupes non esse ; 22,1 abluerentur] ablueretur ; 22,2 auxilium] oleum ; 22,3 in spiritum sanctum quod] quod in spiritum sanctum ; 23,4 sunt2] sunt inquit ; 23,5 om. illa ; 23,13 blasphemiam] graphemiam. M 2,4 apparet] apparent ; 3,3 audita] audito ; 3,5 seduceretur] seducerentur ; aliquid] ad id ; 4,2 satis] sunt ; 4,6 filius] filius eius ; 4,8 addendo] ad dicendo ; 4,10 secundum id] sed id ; 5,1 quemlibet] quodlibet ; 5,5 omnino omissum ; 5,10 sit] est ; 5,13 conditione] resurrectione ; 6,2 cardinem causae] causa divine cause ; om. se ; 6,4 id est ut et] et ut ; 7,5 deinde] domini nostri ; 7,6 dilecti] dilectioni ; 9,1 quisque] quisquam ; 9,2 manifestus] manifestus est ; 9,4 ea] si ; vitentur] nitentur ; 10,9 omnia] illa omnia ; 11,3 oblatrabant] oblectabnt (sic) M (ac.; oblactabnt pc.) ; 11,5 nam] non ;

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11,6 id verbum] ad verbum ; inhaereamus] inheramus ; 12,5 illis] illius ; 13,1 quod] et ; 13,2 concinentia] continenti et ; 13,3 evangelio] evangelium ; 13,7 elegantiam] elegantis ; 14,7 quaeritur] quere ; 15,1 poterit] potuit ; 15,2 contumeliisque] contumeliis quia ; contemnunt] contendunt ; 15,3 oblatrant] oblectant ; venerentur2] venerantur ; 15,11 tam] tamen ; 15,12 tam] tamen ; 15,12 teneri] tenere ; 15,14] sed2] si ; 16,3 ullo] nullo ; 16,6 iam] inde ; 16,8 ubi] nisi ; 17,2 accusat] accecat ; 17,4 peccato] peccatum ; 18,1 dicendus] dicendum ; deum] domini ; 18,3 si] ut ; 18,5 vero] enim (cum O (pc.)) ; cognita] cogita ; 18,7 sacramenta] sacrata ; res in] res inde ; praecesserant] processerant ; 18,8 multi] oculti ; voluntate] veritate atque voluntate ; 18,11 domini] deum ; 18,15 om. et1 ; 19,4 provectum] proventum ; 19,7 animal] vel ; 19,10 iacientes] uicientes (uv.) ; 19,11 traduntur] creduntur ; tractatione] tritatione ; 20,3 om. autem ; dominum] deum ; 20,5 operaretur] perperaretur (uv.) ; compararunt] comperarant ; 21,4 spem] spiritus (cum L2) ; 21,5 prius] primus ; 22,4 ait illis] ait ait ; 22,5 aut] at ; om. sine ; 23,2 miraculis] vinculis ; 23,4 tantam] tantum ; om. tibi dico surge ; 23,12 intelligendus] intelligendum ; om. perseveraturos … hoc est ; 23,13 om. sanctum ; 23,15 consequentem] commentatione. P 4,8 excellentissimae] excelleret ; 7,2 respondit1] respondite ; 12,9 om. salutem (cum Z) ; 16,4 participes] particeps (cum E (ac.)) ; 18,7 enim et ante] et ante enim P (ac.), et enim ante P (pc.) ; 22,3 confugerunt] confugierunt ; 22,4 paci] pace. W 4,7 om. ei ; 6,1 om. fidelibus … omnibus ; 9,1 gratiam] gratia ; 14,5 arbitror] arbibitrorum (postea correctum?) ; 17,2 testimonii] testimoniis ; 22,3 in nequitia] nequitia (postea correctum) ; 23,12 veniam] venia. B1 1,1 ostendit] ostendi ; 1,4 fungens] confungens ; 2,4 contentos] contemptos ; 5,13 venire] venisse ; om. omnium ; 6,1 extitisset] extitisse ; 8,5 restat] resta ; 8,6 om. Christi ; 10,6 om. ostendit ; 10,11 discedere] discerne ; 11,2 sancto] sanctos ; 11,2 incommutabilis] incominutabilis ; 13,3 cui] cur ; 13,7 consentiat] sentiat ; interpretantis] interpretantur ; 14,5 sic] si ; 14,6 om. ac si verbum ; vocari] vocavi ; 15,2 om. et4 (cum A (ac.)) ; 15,10 ita] illa ; 15,16 pergam] per gratiam ; 18,5 dictum1] dignum ; 18,14 certe] cer (sic) ; 20,5 claruerunt] clamaverunt ; 20,6 corruptione] recorruptione ; 23,3 salvaret] salvarem ; 23,3 om. sibi. A 2,5 graeca] gregea ; 4,10 om. etiam ; 7,5 om. qui ; 10,2 etiam iusti homines] iusti homines etiam ; 14,8 om. etiam ; 19,1 intelligunt] intelligitur ; 20,4 fallaciae spiritus] facile (facile spiritus c) ; 21,7 dicat] dicamus ; 23,1 regnum] regnorum. R 2,4 illum] eum ; 5,9 praedestinatum] praedestinatus ; 7,4 ad nos] nobis ; 8,4 remittuntur] demittuntur (omnino falsum. Cf. 8,4 remissis peccatis ; 8,6 quibus remissis) ; 10,1 relaxetur] relaxeretur ; 10,7 om. Paulus ; 11,6 ut et] et ut ; 13,5 respondent] respondeant ; 13,7 om. in tribus ; 13,7 elegantiam] elegantia ; 14,1 sane] sana ; 14,3 aspergat] arguat ; 16,2 om. ignorantiae1 ; 17,2 quaero] quere ; 18,11 ista] ita ; 21,7

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om. odio ; 22,3 om. ut (cum H (ac.)) ; 22,4 om. iudaeis ; 23,7 resisterent] resisteret ; 23,15 om. nunc. C 22,2 negatur] tegatur (uv.) ; 22,3 dimitti] dimittit ; 22,4 paci] pacis ; eius1] ei ; 23,3 obtulisset] obtulisse ; 23,6 eieceret] eiecerent (cum F) ; 23,12 quam] qua ; 23,15 om. consequentem. V1 22,3 perseverantia] perseveranti ; in nequitia] nequitia ; 22,5 om. et ; 23,2 fidem] fidei ; 23,3 om. iam ; 23,7 persevarantia] perseverantiam (cum Z (ac.), per perseverantiam E2) ; 23,8 linguam] lingua ; om. quod2 ; 23,12 gratia] gratiae. B 5,4 om. mortuorum1 ; 9,6 om. in ; praecedat] procedat ; 10,4 neminem] nemini ; 13,2 intelligatur] intelligitur ; 13,6 petens] petrus ; 15,12 gregibus] regibus ; 19,2 significaverit] significaret ; 21,6 dimissione] remissione ; 23,15 suscepisse] accepisse.

2.2.3

L’archétype (Ω)

Deux fautes, bien que corrigées dans une partie de la tradition, démontrent l’existence d’un archétype commun pour tous les manuscrits de l’Inchoata expositio. 11,2 et ideo ipsa trinitas pariterque incommutabilis in ista salutatione cognoscitur. trinitas] trinitas inseparabilis T V incommutabilis] incommutabilis unitas B Gl Lomb edd T V et B (avec une partie de la tradition indirecte) présentent un texte acceptable, là où tous les autres manuscrits ont clairement une lacune. Mais, comme on le verra, T V comme B représentent des traditions peu fiables. La lacune était certainement dans Ω.352 23,3 cum enim primo ei donum invisibile obtulisset invisibile T V F R; visibile cett. edd Invisibile est sans aucun doute la bonne leçon, même si la faute a longtemps échappé aux éditeurs353 : en Mc. 2,3–12, le Seigneur donne d’abord le don invisible du pardon, et ensuite le don visible de la guérison physique. Mais visibile était la leçon de l’archétype de toute la tradition. L’archétype de T V l’a corrigée, selon ses habitudes d’émendation, et R ou sa source a aussi vu la faute, ce qui est peu étonnant, puisque R présente généralement un texte cohérent. On se demande par contre si F n’a pas retrouvé la bonne leçon par étourderie, étant donnée la piètre qualité de son texte.

|| 352 Sur ce passage, voir aussi infra, 2.8, note critique ad loc. 353 ROUSSELET (À propos d’une édition, 239) est le premier à l’avoir signalée.

Introduction | 77

Il est possible que cette faute, très facile à faire, remonte jusqu’au manuscrit d’Hippone, tel que l’aurait produit un des secrétaires d’Augustin. Il y a peut-être aussi des traces de fautes de l’archétype en 9,6 ; 11,6 ; 13,2 ; 15,15 ; 19,7 ; 21,4 ; 23,1 ; 23,12.354 Voir infra, 2.8, notes critiques ad loc.

2.2.4

Familles et sous-familles

Nous présentons une sélection des fautes partagées que l’on retrouvera dans l’apparat, et qui ont permis de diviser les manuscrits par familles et branches. Famille Λ 4,11 om. si2 ; 5,8 ipsis] ipsius ; 5,10 tamquam] et tamquam ; 6,1 om. enim ; 10,1 paenitenti] paenitentia ; 11,2 et ideo] ideo et ; 13,2 om. et ; 14,7 om. sed … expositum ; 15,3 om. sollicite ; 15,6 om. et1 ; 15,14 om. esse fateantur … substantia ; 15,15 baptizare] baptizari ; 17,4 respuit] respuitur (corr. E ; a regula respuitur pc. O) ; 22,1 om. aut scismaticis ; 22,5 animum] animam ; 23,9 om. sicut manifestum … factis ; 23,12 om. nec. Famille Ξ 1,3 om. gentes … adversus ; 2,2 pecoribus … solent] pecoribus dici solet ; 3,3 venit iam] iam venit (cum U) ; 4,9 om. sed carne (add. R (pc.) H (pc.) G; vide supra, p. 70) ; 5,2 fecit] facit ; 5,9 om. sed dominum suum ; 5,14 om. enim ; 10,6 quantae … futurae] quanta … futura (quanta etiam O) ; 10,12 sed1] et ; 11,4 quoquo] quo (quoquo Z ; quo pc. O) ; 12,5 om. pax ; 14,3 vile et] videt (videlicet R H per coniecturam) ; 20,3 israel] in israel ; 20,5 infideles iudaei sine] iudaei ; 20,6 narratio] ratio (retio W) ; 23,4 om. autem ; 23,8 opere] ore. Sous-familles dans Λ OE 6,2 meritis] meriti (meritis pc. O) ; 9,2 terror] error (terror pc. O) ; 9,6 grata] gratia ; 10,7 om. in3 ; 10,12 reflectunt] replectunt (reflectunt pc. O) ; 11,6 familiarius] familiaris ; 11,6 verbum] verum ; 16,1 attendat] adtendant ; 16,8 audebimus] audivimus ; 19,7 om. est ; 22,1 commutetur] commutentur (cum S (ac.)).

|| 354 Ajoutons le cas de 19,6, où accipit semble avoir figuré dans Ω, mais où la séquence des événements envisagés demande le parfait. Mais dans tous ces cas on ne peut exclure que bonnes ou mauvaises leçons se soient répandues par des voies dont ne rend pas compte le stemma : « Whether cases of this kind reflect archetype errors which individual scribes had the wit to correct … or whether the correct readings survived against the odds in an attenuated line of descent and the errors which replaced them are polygenetic in origin in other manuscripts, is simply impossible to ascertain » (SHAW, Dante, 62).

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d (= S U T V) 8,1 salutem2] salutem dicat ; 8,4 adversabamur] adversabamur a ; 12,4 om. et ; 13,2 concinentia] consonantia ; 16,3 recurari] curari ; 18,7 accepit] excepit ; 20,1 non] non iam ; 22,4 et paenitendi] ad paenitendum. SU 5,17 om. est ; 10,1 poena] poenas (poena pc. S) ; 19,4 posteriorem] posteriorum (posteriorem pc. U) ; 20,2 principem] principe. TV Les erreurs de l’archétype de T V sont assez nombreuses pour qu’on les retrouve facilement dans l’apparat. Cet archétype est caractérisé par sa tendance à éliminer les anacoluthes, et à corriger les erreurs, réelles ou imaginées, dont il a hérité, que ce soient celles de toute la tradition (4,7 ; 5,8 ; 10,5 ; 11,2 ; 15,15 ; 16,3. 8 ; 18,11 ; 19,7 ; 23,3. 13), celles de Λ (4,9,11s. ; 10,2 ; 18,5 ; 21,2 ; 23,9.12), ou celles de son propre ancêtre (2,3 ; 16,2 ; 18,8). Sous-familles dans Ξ C V1 Voir l’apparat critique pour ces deux extraits identiques. κ 3,1 in christum] christo ; 12,5 illis quae ad timotheum sunt] qui (quae c) ad timotheum ; 13,3 om. et ; 14,4 tum] cum (cum U) ; 14,7 ei] et ; 18,6 cognoscatur] cognoscitur ; 18,14 electione] lectione ; 20,4 diiudicat] diiudicatur ; 20,5 om. ut ; 22,3 prolatam] probatam (prolatam pc. Z). c Le texte c, on l’a dit, est très mauvais, et on ne retrouvera ses nombreuses erreurs que trop facilement dans l’apparat. L’archétype des manuscrits c fut copié sur un manuscrit en minuscule, qui, le plus probablement, était soit d’origine insulaire, soit assez tardif.355 C’est ce que prouve la faute malit non] mali tamen en 21,2. L’exemplaire de l’archétype n’avait pas séparé les deux mots, et avait abrégé tamen par tn, avec une ligne par-dessus le n. KZ 5,9 quod] quo ; 14,2 om. filium hominis … adversus (cum O) ; 16,2 om. non ; 18,8 quisquis] quis ; 18,9 quod] quo ; 23,8 quod2] quo.

|| 355 L’abréviation en question pour tamen est essentiellement insulaire au moins jusqu’au 11ème siècle. Voir LINDSAY – BAINS, Notae Latinae, 302–304, suppl. 48.

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γ 2,2] pecoribus] de pecoribus ; 3,3 etiam si] etiam ; 11,1 om. domino nostro ; 12,2 subicit] subiecit ; 12,3 om. et pax ; 12,5 illis quae ad timotheum sunt] illi quae est ad timotheum ; 15,3 om. trina ; 15,3 deo patre] patre deo ; 15,8 solus] unus solus ; 18,14 decipiendum] ad decipiendum ; 19,4 provectum] profectum ; 20,5 in eis ut] ut in eis ; 21,4 blasphemat] blasphemans.

2.2.5

Contamination

L’Inchoata expositio ne fut certes jamais un des textes les plus populaires d’Augustin. Mais il circulait sans doute au Moyen Âge énormément plus de manuscrits que la vingtaine qui subsiste aujourd’hui. On ne s’étonnera donc pas de trouver des cas de contamination possible dans l’apparat critique. Cependant, le cas le plus marqué de contamination est entre K Z et γ – deux branches d’une même sousfamille. C’est loin d’être assez pour mettre en doute la valeur générale de la méthode stemmatique pour l’édition de notre texte.

2.2.6

La place de B

L’évaluation de B est le problème le plus difficile auquel s’affronte un éditeur de l’Inchoata expositio. Ce manuscrit présente un texte généralement convaincant, et surtout qui ne s’aligne ni avec Λ ni avec Ξ. Divjak356 lui a accordé une place privilégiée, et en cela il suivait de près ses prédécesseurs : toutes ces éditions de l’Inchoata exposition portent un texte très proche de B (voir infra, 2.4.1). Est-ce le bon chemin ? Présentons d’abord les faits. Où Λ ou Ξ se trompe clairement, B se range normalement du côté de la leçon juste : Erreurs de Λ absentes de B 4,11s. esset] est sed (bis) ; om. si ; 5,8 his ipsius ; 5,10 et tamquam ; 6,1 om. enim ; 10,1 om. ut ; paenitenti] paenitentia ; 10,11 ab iustitia ; 11,2 et ideo] ideo et ; 13,2 om. et ; 14,7 om. sed per rationem expositum ; 15,3 om. sollicite ; 15,5 om. et1 ; 15,14 om. esse fateantur … substantia ; 15,15 baptizari ; 15,16 ac ; 16,7 vetet et ; 17,4 respuitur ; 19,3 nondum1] non ; 19,7 quadrupedem ; 22,1 om. aut scismaticis ; 22,5 animam ; 23,9 om. sicut manifestum … factis.

|| 356 CSEL 84, xxxi.

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Erreurs de Ξ absentes de B 1,3 om. gentes et maxime adversus ; 2,2 om. unde … pecorum ; 3,1 auctoritatem ; 4,9 om. sed carne ; 5,9 om. sed dominum suum ; 5,14 om. enim ; 10,12 sed1] et ; 11,4 quo modo ; 12,5 om. sunt (?) ; om. pax ; 14,7 ei] et vel eum ; 18,8 (si)qui(s) ; 20,4 operatur357 ; 20,5 om. infideles … sine ; 20,6 ac] et ; ratio ; 21,3 horum ; 21,4 eodem ; 21,5 om. iam ; 23,4 om. autem ; 22,5 illa (cum E U) ; 23,8 ore. Dans les cas moins tranchés, B se range tantôt d’un côté, tantôt de l’autre : BΛ 3,1 segregatum se (= d) ; 4,12 factum deo … factum deo] factum … factum a deo ; 5,2 fecit ; 5,7 mortuus est1 ; 6,2 ordinem ; 7,1 est enim qui scribit epistolam ; 7,2 de quo filio suo ; 9,4 adiuvetur ; 9,5 ignoscatur ; 14,3 vile et abiectum ; 18,7 praecesserat ; 19,7 esse ; 21,3 edomita ; 22,5 diceretur eis ; 23,6 gratiam in dimissione peccatorum ; 23,9 oris sono. BΞ 3,3 iam venit ; 4,4 filium tantummodo david ; 4,7 evangelium] in evangelium (= c γ) ; 5,11 qua etiam ; 6,3 in christo ; 9,1 peccatis ; 9,5 quaecumque ; 9,6 non ignoscitur ; 10,6 quanta … futura ; 10,8 dei] domini ; 10,11 hoc ; 11,1 domino nostro ; 13,5 mulieris lingua ; 15,3 digna ; 15,11 corrigat ; 16,7 quid autem agimus ; 17,1 dicatur ; 17,2 rei causa ; 18,5 posse dimitti ; 18,7 certior ; 18,12 in christi pace ; 20,3 in israel ; 23,3 saeculum2] mundum (dissentiunt C V1) ; 23,7 dicerent verbum (dissentiunt C V1). Nous avons ici les conditions de base pour supposer que B est indépendant de Λ Ξ, et que l’on peut donc s’en servir pour choisir entre les leçons des deux familles. B pourrait même être indépendant de l’archétype de Λ Ξ, puisque, comme on l’a vu, il est seul, avec la conjecture de T V, à présenter un bon texte en 11,2 (voir aussi infra, 2.8, note critique sur 13,5, unde interrogati). Néanmois, il faut plutôt voir B comme un texte créé par collation d’un ou plusieurs manuscrits de Λ et Ξ. Nos arguments sont les suivants :  Si B était indépendant de Λ Ξ, on s’attendrait à ce que ça et là les trois branches présentent chacune une leçon unique susceptible d’être juste. C’est ce qui n’arrive jamais : B est en désaccord avec des leçons différentes de Λ et de Ξ seulement en 11,2 et 13,5, où le texte de Λ et Ξ est problématique.  Pour que B soit indépendant de Λ Ξ, on voudrait aussi que B présente des leçons absolument uniques et justes qui reflètent cette indépendance. B a en effet des leçons uniques qui pourraient être justes, comme en ont tous nos manuscrits. En voici la liste : 2,3 pecus dei et ovile dei] ovile ei et pecus dei ; 2,5 concordet]

|| 357 Ce cas peut paraitre difficile (voir infra, 2.8, note critique ad loc.) mais B montre une forte tendance à préférer la syntaxe classique.

Introduction | 81





concordat ; 3,1 numerum] numero ; 3,3 nisi] nisi quod ; 5,2 quae] quae in ; 5,5 certior] rectior ; 7,6 ut] ut et (cum Gl) ; 7,7 unde] inde ; 11,1 intelligimus] intelligamus ; aliud] aliud est ; 11,6 qua] quibus (voir infra, 2.8, note critique ad loc.) ; 13,5 respondent] respondentes ; 14,1 nominet] nominasset ; 14,7 cogitatione] in cogitatione ; 15,5 sancto spiritu] ipso spiritu sancto ; 15,12 quae] qui eam ; 16,7 om. etiam ; 16,8 peccata2] peccato ; 17,1 facit1] faciat ; 17,2 aut si] adhuc si ; 18,4 sententia] scientia ; 18,9 om. cum ; 23,3 salvaret] servaret ; 23,10 ut] in ; 23,13 concedi] concedere. Certaines de ces leçons pourraient hypothétiquement remonter à une source indépendante. Cependant, aucune ne dépasse ce qui pourrait émaner du texte Λ ou Ξ, par conjecture ou par inattention. Si B était indépendant de Λ Ξ il devrait partager peu ou pas d’erreurs avec des manuscrits Λ ou Ξ. Or il partage certaines erreurs notables des deux côtés. Pour Λ : 10,2 enim] enim iustitia B O E S U ; 16,3 recurari] curari Bd ; 23,12 sic1] sicut B O E S U. Pour Ξ, il partage des erreurs avec γ : 3,3 etiam si] etiam ; 12,2 subicit] subiecit ; 19,4 provectum] profectum ; 23,3 saeculum2] mundum (etiam κ sed non C V1). L’origine de B rend particulièrement probable que son texte fut créé par collation de plusieurs manuscrits. La congrégation de Windesheim se dévouait à de telles collations, selon le témoignage de leur historien contemporain, Jan Busch (1399–c. 1479) dans son Liber de origine modernae devotionis (1464) : Omnes sermones, omelias, libros et tractatus quattuor Ecclesiae doctorum aliorumque patrum orthodoxorum ad primam sui fontis originem, quantum in exemplaribus emendacioribus e diverso collectis habere potuerunt, fidelissime reduxerunt … Omnes divini officii libros, totam Bibliam, et eximiorum doctorum numerosa volumina, in tercium, quartum aut quintum iam dudum transfusa, non solum ad primum originis sui fontem reducere aut reparare, verum eciam omnes pene et singulos huiusmodi libros praenominatos in fractura, vel rotunda, seu eciam brevitura conscribere, punctuare, orthographialiter accentuare curaverunt.358

En 1934, Dom De Bruyne écrivait à propos de ce passage de Busch : « Quand on lit dans le Chronicon Windeshemense toutes ces affirmations audacieuses, on est tiraillé entre l’admiration et le scepticisme. Il serait à souhaiter qu’un jeune docteur en théologie examine sérieusement ce problème d’histoire ».359 Ce travail n’est pas près d’être fait à grande échelle, puisqu’il faudrait collationner des centaines de pages. Mais que les résultats pour l’Inchoata expositio servent d’échantillon. Nous avons, si l’on compte H, quatre manuscrits de la congrégation de Windesheim. Trois

|| 358 GRUBE, Des Augustinerpropstes, 312s. 359 De la provenance, 108s.

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d’entre eux (H G R) sont des copies simples d’un exemplaire. Le dernier, B, présente un texte qui, vraisemblablement, est le fruit de collations minutieuses, et dont le créateur a réussi, consciemment ou pas, à trouver des manuscrits des deux familles du texte, puis à choisir entre eux avec équilibre et intelligence. Ce n’est pas forcément le copiste de B, Joannes Mol de Corsendonk, qui a fait ce beau travail. Un texte du même type que B fut utilisé par Amerbach et Érasme, sans que l’on puisse affirmer qu’ils aient utilisé B même, puisqu’ils ne reproduisent pas ses fautes. Il est donc probable que ce texte édité a circulé dans plusieurs copies. L’état actuel de B n’est pas obligatoirement non plus le fruit du seul travail éditorial des Frères de la Vie Commune. En 7,6 il partage une leçon avec la Glossa Ordinaria360 (ut et nos), et en 11,2 la conjecture incommutabilis unitas est déjà dans la Glossa et chez Pierre Lombard.361 Ces faits sont difficiles à interpréter. Les Frères étaient-ils assez attentifs pour émender leurs textes patristiques en utilisant ces commentaires-chaines du 12ème siècle ? Ou avaient-ils consulté un manuscrit qui ressemblait à celui qu’auraient utilisé les auteurs de la Glossa et Pierre Lombard ? En fait, on ne peut même exclure, bien que ce soit peu probable, que B reproduise fidèlement un tel manuscrit. Il faudrait alors replacer au 12ème siècle, sinon avant, la forme contaminée du texte représenté par B.

2.3

Tradition indirecte

À part Claude de Turin et l’anonyme de Paris Lat. 11.574 (infra, 2.5 ; 2.6), véritables témoins du texte, les œuvres suivantes présentent des extraits de l’Inchoata expositio, sans qu’il soit toujours facile de discerner si celles-ci viennent directement du texte augustinien.362

2.3.1

Glossa Ordinaria (Gl)

Dans cette glose anonyme de la Bible entière, rédigée entre environ 1080 et 1130 autour d’Anselme de Laon,363 on retrouve l’Inchoata expositio là où l’on s’y atten-

|| 360 Édition consultee : Biblia Latina cum glossa ordinaria : Facsimile reprint of the Editio Princeps of Adolph Rusch of Strassburg 1480/81, Turnhout 1992 (t. 4, 274 pour notre passage). 361 Voir la prochaine section, Tradition indirecte, p. 82–84. 362 Les extraits de l’Inchoata expositio dans la Glossa ordinaria et Pierre Lombard recouvrent les mêmes parties du texte que Claude de Turin mais leur texte diffère du sien en 7,7 ; 11,1.2, ce qui semble suffire pour montrer qu’ils n’en dépendent pas. Pour quelques autres textes qui citent l’Inchoata expositio, mais sont sans utilité pour l’édition, voir supra, 1.9. 363 Voir COLISH, Peter Lombard, 164. Pour l’édition consultée, voir n. 360 supra. Tous les passages en question sont à t. 4, p. 274.

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drait : dans le début du commentaire sur l’épître aux Romains. Il s’agit d’extraits de 4,8s. ; 7,6s. ; 11,2. Comme on l’a dit plus haut, deux leçons de B sont déjà dans la Glossa. À part ces deux leçons, la Glossa ne contribue rien à l’établissement de notre texte.

2.3.2

Pierre Lombard (Lomb)

Pierre Lombard a commenté l’épître aux Romains dans ses Collectanea, son grand commentaire sur les épîtres de Paul, fait à partir de textes d’auteurs antérieurs. Celui-ci fut rédigé entre 1139 et 1141, et réécrit entre 1155 et 1158. Puisqu’il n’y pas d’édition moderne de ce texte, nous l’avons consulté dans celle de la Patrologia Latina, qui dit reproduire celle de Josse Bade (Paris 1535), et qui contient la deuxième rédaction.364 Pierre tend beaucoup à la paraphrase, plutôt qu’à la citation directe. On retrouve des traces de 4,4 (PL 191, 1306A) ; 4,8,11s. (1306A–B)365 ; 5,1 (1310B) ; 5,4 (1314C) ; 5,11–17 (1313C ; 1314C) ; 6,1s. (1315B–C) ; 7,5–7 (1316A) ; 11,1s. (1316C–D). Mais on ne tire du texte de Pierre que 3 leçons (4,12 bis ; 7,7 ; 11,1) pour notre apparat. C’est cependant assez pour conclure que Pierre disposait d’un texte de la famille Λ.366 Laon n’est pas loin de Paris, et on ne s’étonnera pas de trouver des similarités entre Pierre et la Glossa Ordinaria. Ainsi, on constate que des extraits de 4,4.8.11 sont cousus ensemble de façon très similaire dans les deux textes : Glossa : Impietati haereticorum occurritur, qui obtuso corde capitulum hoc intelligentes Christum tantum hominem accipiunt. Addendo enim ‘secundum carnem’ divinitati suam dignitatem reservavit, in qua Christus Dei verbum est per quem facta sunt omnia. Pierre Lombard : Ubi occurritur impietati haereticorum, qui obtuso corde hoc capitulum intelligentes, Christum tantum hominem accipiunt; divinitatem vero in eo non intelligunt. Addendo enim ‘secundum carnem’ servavit divinitati suam dignitatem, qua Christus Verbum Dei est, per quod facta sunt omnia.

Il est clair que ces deux paraphrases ne peuvent être indépendantes. Pierre a conservé un peu plus de 4,4, et ajoutera ensuite des passages de 4,12, absents de la Glossa, ce qui tend à lui donner la priorité. Mais la question reste à démêler, surtout

|| 364 COLISH, Peter Lombard, 23s. Le texte du commentaire sur Rom. est à PL 191, 1301–1534. 365 Les paraphrases du chapitre 4 sont repris par Jean de Cornuailles, élève de Pierre (PL 199, 1084s.). 366 C’est ce que tend à confirmer la très courte citation de 4,9 dans les Sententiae, 3,6,4, où Pierre a la bonne leçon sed carne, absente de l’archétype de Ξ.

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que ces deux textes attendent une édition critique. Soulignons aussi la présence dans les deux textes de la leçon incommutabilis unitas dans la citation de 11,2. Comme on l’a vu, cette leçon est uniquement dans le manuscrit B de l’Inchoata expositio, et il s’agit d’une conjecture.

2.4 Les éditions Cinq éditions de l’Inchoata expositio précèdent celle-ci.367 Am J. Amerbach, Tertia pars librorum divi Aurelii Augustini quos edidit presbyter ordinatus, Bâle, 1506, [o4v]–p1r. Er D. Erasmus, Quartus Tomus Operum divi Aurelii Augustini Hipponensis Episcopi complectens reliqua τῶν διδακτικῶν, Bâle, 1528, 833–844.368 Lov Tomus IIII operum Divi Aurelii Augustini Hipponensis episcopi complectens reliqua τῶν διδακτικῶν per Theologos Lovanienses ab innumeris mendis purgatus, Anvers 1571, 360–366.369



Sancti Aurelii Augustini Hipponensis episcopi operum tomus tertius …. opera et studio monachorum ordinis Sancti Benedicti e congregatione Sancti Mauri pars secunda, Paris 1690, cols 925–942. Réimprimé dans la Patrologia Latina de Migne, t. 35, 2087–2106.

J. DIVJAK, Sancti Aureli Augustini Opera. Sect. IV Pars I. Expositio quarundam propositionum ex epistola ad Romanos. Epistolae ad Galatas expositionis liber unus. Epistolae ad Romanos inchoata expositio, Vindobonae 1971 (CSEL 84), 144–181.

|| 367 Sans compter les multiples réimpressions des opera omnia d’Augustin faites à partir de Er, Lov, μ. Quant à FREDRIKSEN LANDES, Augustine on Romans, son texte n’est autre que celui de CSEL 84, avec de nouvelles collations de O. 368 Nous n’avons pas eu accès à cette première édition lors de la collation, et avons donc collationné dans la réimpression de 1541, faite à Bâle, où le texte est aux colonnes 1173–1190. 369 L’« édition de Louvain », comme on l’appelle d’habitude. Selon la préface du t. 1, l’éditeur du t. 4 fut « Embertus Everaerds Arendoncanus [i.e. d’Arendonk], pastor ecclesiae Divi Jacobi », sur qui voir FOPPENS, Bibliotheca, 259.

Introduction | 85

2.4.1

Analyse

Amerbach Dans son épître introductive au lecteur,370 Amerbach dit tout ce qu’il a à dire sur les sources manuscrites de la vaste collection d’œuvres augustiniennes qu’il est parvenu à rassembler : Perquisitum [sic] ergo magna cura quem per omnes bibliothecas transmitterem Augustini libros gratia investigandi, repperi religiosum fratrem laboriosumque virum dominum Augustinum Dodonem Phrysium, ordinis divi Augustini, monasterii sancti Leonardi Basiliensis canonicum, qui hanc provinciam subiret : ipsumque proinde fratrem per me sufficienti pecunia munitum bibliothecas omnes Germaniae nostrae perscrutaturum dimisi, ac membratim Augustinum per eas divisum in unum corpus collecturum. Magna igitur diligentia adhibita, quasi per omnia sua membra inventus Augustinus ex Germania, Gallia, Italiaque ad me traductus et comportatus, quod dudum animo destinaveram, magna difficultate et ingentissimis laboribus tandem omnipotentissimo maximo Deo favente, auspice Augustino explevi.

C’est bien imprécis. Augustinus Dodo (obiit 1502)371 ne fut certainement pas le seul collaborateur d’Amerbach, et on peine à croire qu’il ait visité toutes les bibliothèques d’Allemagne. Il est aussi difficile de savoir comment Amerbach s’est procuré des manuscrits de France et d’Italie. La correspondance d’Amerbach ne jette que peu de lumière sur ces questions. On y voit bien un Dodo très actif en Allemagne dans sa recherche de textes augustiniens : vers 1494, il est à Kirschgarten, près de Worms372 ; en 1496, à Sponheim, chez Johannes Trithemius373 ; encore en 1496, Jakob Wimpfeling, à Speier, fait copier des textes pour lui374 ; en 1497, le prieur de Bödingen, près de Hennef, fait lui aussi copier des textes, des manuscrits (circa XI volumina … valde antiqua et formaliter ac satis correcte scripta) non pas de son propre cloître, mais du monastère bénédictin de Saint-Michel à Siegburg.375 Mais Dodo n’est pas la source unique pour Amerbach. En 1496, Alexius Stab, moine de Saint-Blaie en Forêt Noire, fournit, à le demande d’Amerbach et sans intervention apparente de Dodo, un rapport des manuscrits de Jérôme et Augustin dans son monastère.376 Et surtout, la correspondance montre

|| 370 Prima pars librorum divi Aurelii Augustini … Bâle 1506. Les pages introductives ne sont pas numérotées, mais l’épître se trouve à la 6ème page imprimée. On la trouvera aussi dans HARTMANN, Die Amerbachkorrespondenz, epist. 293. 371 Sur Dodo, voir SCARPATETTI, Die Kirche, 323–331, avec une brève étude des mentions de Dodo dans la correspondance d’Amerbach. 372 HARTMANN, Die Amerbachkorrespondenz, epist. 33 373 HARTMANN, Die Amerbachkorrespondenz, epist. 48. 374 HARTMANN, Die Amerbachkorrespondenz, epist. 56. Voir aussi epist. 302. 375 HARTMANN, Die Amerbachkorrespondenz, epist. 61. 376 HARTMANN, Die Amerbachkorrespondenz, epist. 50.

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qu’Amerbach avait d’autres sources à Paris. Déjà, en 1495, un certain Augustinus de Ratisbonne, étudiant à Paris, lui écrivait pour lui proposer des copies de certaines œuvres augustiniennes.377 On ne sait pas si Amerbach y a donné suite, mais en 1503–1505, l’humaniste Wilhelm Kopp, les fils d’Amerbach, Bruno et Basile, et l’imprimeur bâlois Johannes Froben sont tous chargés de trouver certains textes à Paris.378 Rares sont les œuvres d’Augustin qui sont nommées dans cette correspondance,379 et l’Inchoata expositio n’en fait pas partie. Mais la proximité de son texte avec celui de B suggère qu’il fut procuré par Dodo. Saint-Léonard à Bâle faisait en effet partie de la Congrégation de Windesheim, source de B, et parmi les couvents où l’on connait la présence de Dodo, il en est de même pour Kirschgarten et Bödingen.380 Quoi qu’il en soit, le texte d’Amerbach partage avec B un nombre de leçons rares ou uniques (voir 1,4 ; 2,2.3.4 ; 3,1 ; 5,2.11.17 ; 6,3 ; 7,6.7 ; 8,4 ; 10,1.6 ; 11,1.2 ; 12,7 ; 13,2 ; 14,1.5.7 ; 15,5.12 ; 16,7.8 ; 17,1.2 ; 18,4.9 ; 19,4.10 ; 23,7.10.11.13.15). Mais Amerbach avait accès à plusieurs manuscrits, ou à un manuscrit avec des variantes.381 On trouve dans son texte des variantes marginales (signalées dans l’apparat par Am+). Et ces variantes et le texte principal portent des traces d’autres filières du texte : Am Λ 5,10 et tamquam ; 9,1 peccantibus (Am+) ; 18,1 ut1] et (non T V) Am O 14,4 tacito] cito Am O (ac.) E Claud 6,2 meritis] meriti Am O E (cum L1 (ac.)) 9,2 terror] error Am T V 13,5 respondent] cum respondent Am S (ac.) O (pc.) 13,6 id] at La plupart des leçons du type B d’Amerbach se retrouvent dans Er et Lov, chaque édition ayant puisé à son prédécesseur. Cependant, Er et Lov ont aussi eu accès à d’autres manuscrits.

|| 377 HARTMANN, Die Amerbachkorrespondenz, epist. 37. 378 HARTMANN, Die Amerbachkorrespondenz, epist. 211.234.238.246.256. 379 Epist. 246 était accompagnée d’une liste des œuvres que cherchait Amerbach à Paris, mais Hartmann ne l’a pas éditée. 380 Saint-Léonard rejoint la Congrégation en 1464 (KOHL, Monasticon, t. 2, 30) ; Kirschgarten est refondé par elle en 1443 (ibid. 257) et Bödingen fondé par elle en 1424 (ibid. 75). 381 Amerbach ne voulait pas accumuler les manuscrits de chaque texte. Quand Wilhelm Kopp lui envoie de Paris des textes dont il a déjà quatre copies, il est loin de lui en savoir gré (HARTMANN, Die Amerbachkorrespondenz, epist. 246).

Introduction | 87

Érasme Érasme a la réputation de n’avoir pas beaucoup ajouté à la base manuscrite pour son édition d’Augustin.382 Mais pour l’Inchoata expositio, il doit avoir utilisé au moins un manuscrit, duquel il tire des variantes absentes d’Amerbach, mais qui se retrouvent dans B : 2,4 cooptavit ; 2,5 concordat ; 3,1 numero ; 3,3 etiam si] etiam ; 3,3 nisi] nisi quod ; 5,10 om. apostolus ; 9,2 hi] ii ; 12,2 subicit] subiecit (cum γ) ; 13,5 respondent] respondentes ; 15,8 de leprosis decem] decem leprosis ; 19,4 posteriorem] posteriorum (cum S U (ac.)) ; provectum] profectum (cum γ) ; 20,5 cum et] et cum ; 24,3 salvaret] servaret ; 23,12 nec] ne ; isti] isti in.

Ce manuscrit semble avoir porté une variante provenant de la famille Λ : 2,2 unde B ; unde etiam Λ Er ; deest Ξ. L’édition de Louvain Les Lovanienses sont moins avares d’informations sur leurs manuscrits que leurs prédécesseurs. Le tome 4 de leur édition d’Augustin se termine avec une section de Notae sive recognitiones … ex manuscriptorum codicum collatione deprehensae (532– 547). Pour l’Inchoata expositio, ils indiquent que leur texte est « correctus ad exemplum Cambr. », puis donnent une liste de variantes venant de ce manuscrit. Ces variantes, marquées par Cam dans notre apparat, doivent venir du manuscrit de Cambron présenté plus haut (2.1.4). Mais il faut supposer que d’autres variantes de Cam furent intégrées tacitement dans le texte. Voici la distribution des nouvelles variantes de Lov : Λ Ξ Lov 1,4 fungens ; 2,3 pertinent (pertinet Z R M B Am Er) ; 23,11 putandi sint (non Cam) Ξ Lov 1,3 om. gentes et maxime adversus ; 2,2 om. unde … pecorum γ Lov 10,6 parebunt (cum Z ; non C am) ; 10,8 parebunt ; 14,8 ea] ita (non Cam) ; 23,12 si non faciat Λ Cam 10,2 enim iustitia (iustitia om. T V) ; 19,7 per] post (cum T V) Cam B Am Er 23,13 concedi Il en ressort que Cam appartenait probablement à Λ,383 et que les éditeurs avaient un autre manuscrit, de la sous-famille γ dans Ξ. Mauristes Les sources de l’édition des Mauristes sont entièrement connues et conservées. Pour l’Inchoata expositio, ils indiquent (col. 984) : « In MSS nostris non reperta est sed

|| 382 Pour le peu que l’on sait de ses sources manuscrites, voir DE GHELLINCK, Patristique, 380–391. 383 Malgré les indication de son contenu : voir supra, 2.1.4, p. 66.

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multis mendis purgata nunc fuit ope MS Vaticani et recensita ad editiones Am Er & Lov ». Manuscriptis nostris, ce sont les manuscrits que les Mauristes ont réunis à SaintGermain-des-Prés pour leur édition des opera omnia d’Augustin, et qui venaient principalement des monastères de leur propre congrégation. On remarquera qu’ils n’ont pas connu le manuscrit Troyes 40 (dont notre T fait partie), qui leur aurait beaucoup facilité la tâche. Quant au MS Vaticanus, comme Divjak l’avait déjà vu,384 il s’agit de V. L’accès des Mauristes à ce manuscrit est indirect.385 Sixte V (1585–1590) et Clément VIII (1592–1605) avaient projeté une édition romaine des opera omnia d’Augustin. Celleci n’a jamais vu le jour, mais donna lieu à des collations de manuscrits de la Vaticane contre l’édition de Louvain, qui subsistent dans les manuscrits Vaticanus Latinus 4991 (tomes 2 et 4 de l’édition de Louvain) et 4992 (tomes 5 et 8 ; les tomes 1, 9 et 10 n’ont jamais été collationnés). Les collations pour le tome 4, et donc pour l’Inchoata expositio, sont le travail d’un nommé Christophe Aury, autrefois professeur à la Sorbonne, et recteur d’une église Saint-Antoine à Paris, qui a œuvré du 25 juillet 1597 au 10 octobre 1598.386 Lors d’un séjour à Rome, des Mauristes préparant leur propre édition des opera omnia ont ensuite copié Vat. Lat. 4991 et 4992. Cette copie est aujourd’hui Paris, Bibliothèque Nationale, Latin 11.646, et c’est elle qui est le vrai MS Vaticanus pour l’Inchoata expositio et bien d’autres textes de l’édition mauriste.387 Comme les Lovanienses, les Mauristes offrent une liste de variantes en fin de volume (979–983). Nous signalons celles pour l’Inchoata expositio par μ+ dans l’apparat. Toutes viennent de V. Ainsi, le texte des Mauristes a été constitué à partir de V et des trois éditions antérieures. Il ne sert donc pas comme témoin indépendant pour notre édition. Ses leçons sont cependant signalées dans l’apparat, pour leur intérêt historique, et aussi par respect pour le jugement critique de ces grands connaisseurs d’Augustin. CSEL 84 C’est la seule édition « critique », au sens moderne. Parmi nos manuscrits, Divjak (dont nous avons conservé les sigles) a utilisé tous les manuscrits de la famille Λ (O E S U T V) et dans la famille Ξ, Z B1 R C et les manuscrits c (L1 L2 M F), en plus de B. Il signalait aussi l’existence de A P V1,388 mais ne les a pas consultés, sans en indiquer la raison. Il ne semble pas avoir connu les manuscrits H W G Prag et Ott, ni les divers

|| 384 CSEL 84, xxxii. VRBA, Beiträge, 53 avait établi les faits. 385 Pour ce qui suit, voir VRBA, Beiträge ; PETITMENGIN, À propos des éditions. 386 VRBA, Beiträge, 59 ; PETITMENGIN, À propos des éditions, 218s. 387 PETITMENGIN, À propos des éditions, 241. 388 CSEL 84, xiii/xiv.

Introduction | 89

florilèges et extraits que nous avons employés. Il n’a pas, non plus, pris en compte les trois éditions du 16ème siècle. L’édition CSEL a d’autres problèmes. Divjak a bien repéré certains faits stemmatiques : la famille c (mais sans voir que L2 dérive de L1), la relation étroite entre T et V, et celle entre B1 et R.389 Mais, bien qu’il ait disposé de manuscrits de toutes les branches de la tradition, il a maintenu qu’il était impossible de construire un stemma : « soli codices Italici [i.e. les manuscrits c] de eodem exemplari descripti videntur esse. Ceteri vero quamvis nonnullis locis390 inter se congruant, interdum tamen ita discrepant ut certas eorum familias dinoscere non liceat. Inde sequitur eos de exemplaribus contaminatis esse descriptos ». Par conséquent, il a conclu à la supériorité de B : « quamquam saec. XV scriptus tamen lectiones interdum optimas conservavit ». Il faut rejeter ces conclusions, fondées, du reste, sur des collations bien souvent inexactes. Que ceci soit dit sine invidia envers notre prédécesseur, dont le travail nous a été d’une grande utilité, et dont chacun sait les contributions à l’étude d’Augustin. Reprenons les mots de Rousselet : « Nous soumettons donc ici à l’attention des chercheurs une reprise de cette édition critique et nous prions I. Divjak de l’accepter comme la collaboration d’un travailleur de la onzième heure qui sait reconnaître ce qu’il doit aux défricheurs de la première heure ».391 L’article de Rousselet cherche en effet à améliorer le texte des trois œuvres éditées dans CSEL 84. Mais pour l’Inchoata expositio, Rousselet, ne disposant que des données fournies par Divjak, avait supposé que l’accord de O E S U T V pouvait faire autorité contre le reste des manuscrits,392 et une grande partie des corrections qu’il propose sont fondées sur cet accord. Nous savons aujourd’hui que ces cinq manuscrits représentent la seule famille Λ, et Rousselet aurait certainement pesé les variantes autrement s’il avait connu l’existence de Ξ. Dans les faits, nous avons accepté le même texte que lui sauf en 4,9 ; 5,10 (voir infra, 2.8, note critique ad loc.) ; 5,11 (voir note critique ad loc.) ; 9,1 (voir note critique ad loc.) ; 14,6 ; 15,5 ; 16,7 (voir note critique ad loc.) ; 19,3 (voir note critique ad loc.) ; 21,4 (voir note critique ad loc.).

|| 389 CSEL 84, xxx–xxxiii. Divjak y décrit R comme « descriptus » de B1, mais il doit s’agir d’un lapsus, comme l’indique son choix d’inclure R dans son apparat, et le contenu même de cet apparat. C’est aussi à tort que Divjak indique une parenté spéciale entre Z et B. 390 On aurait préféré lire « nonnullis erroribus ». 391 ROUSSELET, À propos d’une édition, 233. 392 ROUSSELET, À propos d’une édition, 237.

90 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

2.5

Claude de Turin

L’Espagnol Claudius, prêtre à la cour de Louis le Pieux, puis évêque de Turin, est célèbre surtout pour ses croyances iconoclastes. Mais il eut aussi une grande activité d’exégète à la manière carolingienne, créant des commentaires scripturaires à partir d’extraits des écrits des Pères. Il commenta de cette façon la plupart des épîtres de Paul, dont l’épître aux Romains. Ce commentaire est resté inédit, sauf sa préface. Dans celle-ci, Claude déclare : Amantissimus Domini sanctissimus Augustinus … fatetur tamen de semetipso in suo libro Retractationum, quod coeperit hanc ad Romanos exponi [sic] epistolam, atque de titulo ipsius epistolae unum fecerit librum, qui etiam penes nos est, sed postea, ut ipse in eodem Retractationum libro fatetur, dimisit eam territus illius magnitudine atque obscuritate ad alia faciliora tendendo.393

Claude, on vient de le dire, était un compilateur.394 Si donc il possédait un manuscrit de l’Inchoata expositio, on peut supposer qu’il en avait recopié des passages dans son commentaire. L’examen des manuscrits de Claude a permis de vérifier cette hypothèse : le commentaire sur Romains offre de longs extraits de la première partie de l’Inchoata expositio.395 De plus, l’édition récente (CCCM 263) du commentaire sur les épîtres aux Éphésiens a révélé que celle-ci cite aussi l’Inchoata expositio.396 Enfin, Claude a réemployé dans son propre commentaire sur l’épître aux Hébreux l’exégèse de Hebr. 10,26 que l’on trouve dans l’Inchoata expositio (§19). Un texte de ce commentaire a été imprimé sous le nom d’Atton de Verceil (c. 885–961). Celui-ci, en effet, avait fait copier les commentaires de l’Ambrosiaster sur 1, 2 Thess. et 1, 2 Tim., et ceux de Claude sur Col., Phil., Tit., 1 et 2 Thess., 1 et 2 Tim. et Hebr. Ces commentaires figurent, réunis avec ceux longuement attribués par erreur à Atton lui-même sur les autres épîtres pauliniennes, dans un manuscrit de Verceil397 écrit sous ses || 393 MGH Ep. IV, 599 (éd. DÜMMLER). Dümmler a collationné les manuscrits parisiens que nous appelons Χ Φ Ψ, en suivant de préférence le texte de Χ. 394 Voir les remarques amères de Dúngal de Bobbio (ZANNA, Responsa, 56) sur le manque d’originalité de Claude, qui travaille glosario opere mais présente ses commentaires comme ses propres créations. 395 Il n’était pas de la méthode de Claude de reproduire dans son commentaire la longue digression sur le blasphème contre l’Esprit Saint qui forme la deuxième partie de notre texte. 396 CCCM 263, 8s., citant 11,1–6. Parmi les variantes recensées par cette édition, nous ne rapporterons que celles qui sont autrement attestées dans la tradition de l’Inchoata expositio. 397 Vercelli, Biblioteca capitolare XXXXIX (40). L’attribution des commentaires sur Rom., 1 et 2 Cor., Gal., Eph., Phil. à Atton est réfutée par HOFFMANN, Die Würzburger, 17–49. Ils seraient plutôt à attribuer à un certain Lantfranch, un italien autrement inconnu, actif au s. 91/3. FONAY WEMPLE (Atto of Vercelli, 31) note qu’ « Atton » utilise extensivement Claude dans ses propres commentaires. On retrouve en effet des idées de l’Inchoata expositio dans son commentaire sur Rom. 1,2–7 (PL 134, 130–134). HOFFMANN, Die Würzburger, 24.34.50s.71.108 note de même des parallèles entre le commentaire de Lantfranch et l’Inchoata expositio. Tous paraissent venir de Claude. Mais Atton ne se

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ordres. Tout cet ensemble fut imprimé sous le nom d’Atton, le plus récemment dans PL 134.398 On trouve donc dans PL 134, 791s. une version de tout le chapitre 19 de l’Inchoata expositio. Nous avons malheureusement appris trop tard la présence de cet extrait pour consulter les manuscrits, soit de Claude, soit du pseudo-Atton.399 Mais nous avons collationné le texte de l’Inchoata expositio avec celui imprimé dans PL 134, et aussi avec celui de Paris, Bibliothèque Nationale Lat. 12.290 (s. 93/4, France centrale / vallée de la Loire),400 dont la microfiche est disponible sur internet.401 Selon ces collations, l’extrait comporte un texte considérablement remanié, sinon corrompu, et n’apporte aucune lumière nouvelle pour l’édition de l’Inchoata expositio.402 On voudrait bien savoir où et à quelle époque Claude avait penes nos un manuscrit du texte augustinien. Malheureusement, si Claude donne souvent dans les préfaces de ses commentaires des indications très précises de temps et de lieu, il ne le fait pas dans la préface au commentaire sur Romains, qui ne comporte pas non plus de dédicace.403

|| contente pas de recopier, et on ne peut donc s’en servir pour l’édition de Claude. De même, les citations et paraphrases de l’Inchoata expositio que l’on retrouve dans Hervé de Bourg-Dieu († c. 1150) recouvrant aussi Rom. 1,2–7 (PL 181, 600–604) viennent de Claude, mais n’ont rien à apporter pour notre édition de ses extraits. 398 Voir FONAY WEMPLE, Atto of Vercelli, 23–25. L’édition PL reprend celle de Buronzo del Signore (Vercelli 1768). 399 Pour une liste des manuscrits de Claude, voir BOULHOL, Claude de Turin, 343. Selon HOFFMANN, Die Würzburger, 17, trois manuscrits autres que celui de Verceil contiennent, sous diverses formes, le travail du pseudo-Atton. Parmi ceux-ci, seul Bamberg, Staatsbibliothek Msc. Bibl. 89 (s. 11/12) contient un commentaire sur Hebr. Il s’agit de celui d’Alcuin (PL 100, 1031–1084). Le commentaire imprimé d’Alcuin s’arrête à Hebr. 10,36, mais dans le manuscrit de Bamberg, le texte d’Alcuin s’arrête au plein milieu de la glose sur Hebr. 10,26 (donatum fuit hostias, PL 100, 1081), puis, sans indication de coupure, le scribe poursuit avec le commentaire de l’Ambrosiaster sur Rom. 16,19–fin. Ceci correspond exactement au contenu de Fulda, Hochschule und Landesbibliothek Aa 15 (s. 91/3) : voir FOX, Alcuin’s Expositio, 330. 400 BISCHOFF, Katalog, t. 3, no. 4822. Voir ci-dessous sur Φ, qui fut écrit avec lui. 401 Notre extrait est au folio 114v. 402 Quelques points à noter (dans ce qui suit le texte de Paris Lat. 12.290 est x et celui de PL 134 z) : 19,2 ut hoc significaverit] et hoc significat z ; et hoc significarit x (significarit etiam O S E2 U) ; 19,3s. fateamur … veritatis accepit om. z ; habet x, sed conicitur pro conficitur ; 19,5 non accepit] non accipit x (cum S U Ξ) ; 19,7 per baptismum] post baptismum x (cum O E S U B Am Er) ; 19,7 etiam quadrupes est] quadrupes debet esse etc z ; 19,8s. in fundamento manente itaque fundamento] fundamento manentem itaque fundamento x ; fundamento manente itaque a fundamento z ; 19,10 non iterum] ne iterum z. Comme on pouvait s’y attendre, le texte de x rejoint quelques fois le nôtre contre z. 403 BOULHOL (Claude de Turin, 21) affirme cependant qu’il fut « sans doute » écrit pour Théodemir, abbé de Psalmodi.

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Il reste les indices suivants : Le commentaire de Claude sur l’Évangile de Matthieu n’utilise pas l’Inchoata expositio dans son exégèse de Mt. 12,31–33.404 Puisque Claude dit dans la préface du commentaire avoir donné la place d’honneur aux extraits d’Augustin,405 on le voit mal négliger sciemment le résolution augustinienne du problème du blasphème contre l’Esprit Saint. Claude ne devait donc pas encore connaitre l’Inchoata expositio quand il a rédigé son commentaire, dont la dédicace date de 815.406 Le commentaire sur Galates est le premier des commentaires de Claude sur Paul.407 Il fut écrit après que Louis le Pieux eût reçu le sacre impérial, donc après le 11 septembre 813, et avant septembre 816, puisqu’il fut commandé trois ans avant que Claude ne rédige la dédicace, et à une époque où Louis n’était encore que roi. Les commentaires sur Éphésiens et Philippiens furent complétés un an plus tard que le commentaire sur Galates, et avant tous les autres commentaires pauliniens.408 Leur date est donc à placer entre 814 et 817 et, si l’on admet le premier point, les commentaires sur Eph. et Phil. sont postérieurs à 815, ce qui appuie une date plus tardive pour le commentaire sur Gal. Si C. Ricci a raison de voir dans la préface aux commentaires sur Eph. et Phil. une allusion à l’élévation de Claude à l’épiscopat de Turin,409 et s’il faut admettre que celle-ci eut lieu vers 817–818,410 on obtient la séquence : Mt. 815, Gal. 816, Eph.-Phil. 817. Les rubriques des manuscrits, où il est appelé Claudius episcopus,411 étayent aussi l’hypothèse que le commentaire sur Romains fut écrit après l’élévation de Claude à l’épiscopat.

|| 404 Le commentaire sur Matthieu est inédit. Nous l’avons consulté dans le manuscrit London, British Library, Royal 2 C X (anglais, s. 12), où l’exégèse de Mt. 12,31–33 est aux folios 75r–75v. 405 MGH Ep. IV, ep. 2, 594. 406 MGH Ep. IV, ep. 2, 593. 407 MGH Ep. IV, ep. 3, 596S. 408 MGH Ep. 4, 598 (= CCCM 263, 5). 409 CCCM 263, vii/viii. 410 CCM 263, vii/viii. 411 Χ : In Christi nomine incipit praefatio in epistula ad Romanos, après quoi une seconde main a ajouté dans la marge : Claudii episcopi ; Φ : Incipit praephatio Claudii episcopi ; Ψ : Incipit praefatio Claudii episcopi ; Δ (après la préface et 1(4) de l’Inchoata expositio) : Incipit epistola Pauli apostoli ad Romanos. Expositio a Claudio episcopo. Les premières pages de Θ ont disparu. Dúngal de Bobbio (ZANNA, Responsa, 56) atteste que Claude se faisait appeler Claudii Taurinensis episcopi dans l’incipit de ses commentaires. Selon le témoignage de DÜMMLER (MGH Ep. IV, ep. 1,590 ; ep. 2,593 ; ep. 3, 596 ; ep. 4, 597) dans les commentaires publiés avant l’épiscopat, notre auteur se fait appeler Claudius presbyter.

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Pour le commentaire sur Romains, nous avons donc un terminus post quem plausible de 817, mais pas de terminus ante quem. Quant au lieu, si Claude était évêque quand il rédigea sa préface, penes nos doit signifier « à Turin ». Mais il a pu acquérir le manuscrit à une date antérieure, au nord des Alpes, surtout qu’il se déplaçait alors avec le souverain.412

Ajoutons que l’édition de toutes les œuvres de Claude, et une étude détaillée des sources dont il disposait, permettrait peut-être de tirer des conclusions plus nettes sur la datation. Mais ce travail reste à faire. Quoi qu’il en soit, le manuscrit de l’Inchoata expositio dont disposait Claude a aujourd’hui disparu. Il a donc fallu le reconstruire tant bien que mal, avant tout en éditant la partie du commentaire de Claude sur Rom. qui comporte nos extraits. Pour cette édition, nous disposons des manuscrits suivants :413 X Paris, Bibliothèque Nationale, Latinus 2393 P. LAUER, Bibliothèque Nationale : Catalogue général des manuscrits latins, t. 2, Paris 1940. s. 93/4, minuscule carolingienne,414 vient peut-être d’Auxerre, selon Ferrari ;415 de Clermont-Ferrand selon Heil ;416 Bischoff indique seulement « le sud de la France ».417 Le manuscrit est entré, on ne sait comment, dans la bibliothèque de Colbert, puis dans la bibliothèque royale, vraisemblablement lors de l’achat des manuscrits de Colbert par Louis XV en 1732.418 X contient le commentaire de Claude sur Rom. (1r–58r), et le commentaire d’Alcuin sur Hebr.419 Φ Paris, Bibliothèque Nationale, Latinus 12.289 L. DELISLE, Inventaire des manuscrits des Saint-Germain-des-Prés conservés à la Bibliothèque Impériale, Paris 1868.

|| 412 BOULHOL, Claude de Turin, 19s. Pour les diverses tentatives de chronologie de toute l’œuvre de Claude, ibid. 255–257. 413 Pour cette liste voir FERRARI, Note su Claudio. Ferrari (298) oublie cependant de signaler la présence du commentaire sur Romains dans Σ, erreur rectifiée par BOULHOL, Claude de Turin, 338. Les renseignements sur les manuscrits viennent des catalogues cités, sauf autre indication. 414 BISCHOFF, Katalog, t. 3, no. 4183. Pour. FERRARI, Note su Claudio, 296, le manuscrit « è probabilmente da collocare nel prima metà del secolo IX ». Lauer donnait une date de s. 10. 415 Note su Claudio, 296. 416 Kompilation, 232. Pour l’entrée de certains manuscrits de Clermont dans la collection de Colbert, voir DELISLE, Le cabinet, t. 1, 464s., 480–482. 417 BISCHOFF, Katalog, t. 3, no. 4183. 418 DELISLE, Le cabinet, t. 1, 485s. 419 FERRARI, Note su Claudio, 296. Lauer attribue à tort ce commentaire à Claude.

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s. 92/4, minuscule carolingienne.420 Le manuscrit vient de la bibliothèque de Saint-Benoît-sur-Loire, Fleury, où il fut peut-être écrit.421 Il s’agit très probablement de l’élément no. 139 dans le catalogue de 1552 des livres de Fleury : Claudii episcopi in epistolam ad Romanos et alias ejusdem apostoli epistolas expositio, cuius initium est : incipit praefatio Claudii episcopi.422 Il a échappé au pillage du monastère après son sac par les protestants en 1562. En effet, on y lit au folio 1r monasteri Floriacensis s. Benedicti 1642 … S. Germani in Pratis. Ceci indique qu’en 1642, sinon plus tôt, le manuscrit fut emprunté de Fleury par les Mauristes de Saint-Germain-des-Prés. Fleury avait en effet rejoint la Congrégation de Saint-Maur en 1626, et on sait que les Mauristes de Saint-Germain empruntaient pour leurs éditions des manuscrits aux abbayes provinciales de la congrégation, et ne les rendaient pas toujours.423 C’est ainsi que Φ figure parmi les manuscrits de Saint-Germain qui entrent à la Bibliothèque Nationale en 1795/1796.424 Φ contient les commentaires de Claude sur Rom. (1r–83v), 1–2 Cor. Il a été écrit avec Paris Lat. 12.290, qui contient le reste des commentaires de Claude sur Paul (Gal., Eph., Phil., Col., Tit., Philem., Hebr.).425 Ψ Paris, Bibliothèque Nationale, Latinus 2392 P. LAUER, Bibliothèque Nationale : Catalogue général des manuscrits latins, t. 2, Paris 1940. s. 93/4, minuscule carolingienne.426 Provenance inconnue, Heil (Kompilation, 232) suggère Clermont-Ferrand.427 Le manuscrit était à la bibliothèque royale dès l’époque d’Henri II, qui l’a fait relier.428 Ψ contient le serm. 370 d’Augustin, puis les commentaires de Claude sur Rom. (3r–67r), 1, 2 Cor.

|| 420 BISCHOFF, Katalog, t. 3, no. 4821. 421 FERRARI, Note su Claudio, 294. Bischoff loc. cit. écrit de même « Fleury ? ». 422 Ce qui correspond bien à l’incipit de Φ (cf. n. 411 supra). Le catalogue de 1552 fut édité par CUISSARD, Catalogue général, vii–xiii. Mais il se trompe en identifiant le no. 139 avec le MS 88 (85) de la bibliothèque d’Orléans, qui contient en fait le commentaire sur Paul d’Haymon d’Auxerre. Voir la notice de PELLEGRIN, Catalogue. 423 Cf. l’exemple de certains manuscrits augustiniens de Saint-Rémi de Reims : DOLBEAU, Augustin et la prédication, 539, n. 30 ; 552. 424 DELISLE, Le cabinet, t. 2, 5s. 425 FERRARI, Note su Claudio, 294. 426 BISCHOFF, Katalog, t. 3, no. 4182. FERRARI loc. cit. 297 indique s. 10. LAUER indique s. 9 ; HEIL, Kompilation (232) s. 9/10. 427 Nous ignorons pourquoi RICCI (CCCM 263, xxv) indique que Ψ forme un couple avec Paris Lat. 2394A (s. 9ex.– s. 10inc., Saint-Martial, Limoges). 428 DELISLE, Le cabinet, t. 1, 188.

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Δ Monte Cassino, Archivio della Badia 48 M. INGUANEZ, Codicum Casinensium manuscriptorum catalogus, Vol. 1 – Pars 1, 1905, Montecassino.429 s. 11, minuscule Bénéventaine.430 Comme l’ont indiqué les bibliothécaires du monastère sur le recto de la page de garde,431 ce manuscrit est à identifier avec celui copié entre 1023 et 1024 par les ordres de l’abbé Théobald, tel que le raconte la Chronique du monastère : Codices quoque nonnullos quorum hic maxima paupertas usque ad id temporis erat, describi precepit, quorum nomina indicamus … Claudium super epistolas Pauli.432 Il contient des commentaires sur Rom. (2–215), 1 et 2 Thess., 1 et 2 Tim., Tit., Philem., Hebr. Tous les commentaires ne sont pas de Claude : ceux sur 1 et 2 Thess. et 1 et 2 Tim. sont des remaniements de l’Ambrosiaster, et celui sur Hebr. est d’Alcuin.433 Θ Roma, Biblioteca Apostolica Vaticana , Vaticanus Reginensis Latinus 98 A. WILMART, Codices Reginenses Latini, t. 1, Roma 1937. s. 12, minuscule pré-gothique. Wilmart et Ferrari434 suggèrent tous deux une origine française,435 et Ricci, suivant Martin Steinmann, l’Angleterre ou le nord de la France.436 En tant que Reginensis, le manuscrit a appartenu à Christine de Suède, puis est entré en 1690 à la bibliothèque Vaticane par le don du pape Alexandre VIII, qui avait hérité des manuscrits de la reine. Θ contient les commentaires de Claude sur Rom. (1r–51v), 1 et 2 Cor., Eph., Phil., Col., Tit.

|| 429 Voir aussi la description détaillée de L. Buono dans OROFINO, I codici decorati, 89–91 + pl. 66s. 430 Pour la datation, voir aussi LOEW, The Beneventan, 244s. ; 342. 431 Pour l’attribution des notes, voir Buono dans OROFINO, I codici decorati, 89. On y lit : seculi xi. incipientis codex exaratus anno 1023 tempore Theobaldi Abbatis, ut ex Chron. Casinensi lib. 12 cap. 52. et ex Cod. MS sign. num. 28 pag. 585 ac ex Cod. MS. num. 57 pag. 587. Le second renvoi est à une liste des manuscrits écrits sous Théobald en 1023 (cf. INGUANEZ, 71). Une seconde note a tenté d’identifier le scribe : scriptor huius codicis forsan est Johannes Subdiaconus et Monachus, qui scripsit cod. 5 sub Atinalfo abbate (Atenolfus, abbé de 1011 à 1022). Cf. INGUANEZ, 11. 432 Chronica Monasterii Casinensis 2,53 (MGH SS, 24, ed. H. HOFFMANN, 1980). Nous citons la version A du texte. 433 FERRARI, Note su Claudio, 297s. 434 FERRARI, Note su Claudio, 297. 435 HEIL, Kompilation (232) propose Fleury, mais on notera que Θ est indépendant de Φ, le manuscrit de Fleury. 436 CCCM 263, xxviii.

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Σ Troyes, Bibliothèque Municipale 221 [A.] HARMAND, Catalogue général des bibliothèques publiques des départements, tome second, Paris 1855. A. VERNET – J.-P. BOUHOT – J.-F. GENEST, La bibliothèque de l’abbaye de Clairvaux du XIIème au XVIIIème siècle, II : Les manuscrits conservés – Première partie : Manuscrits bibliques, patristiques et théologiques, Paris 1997 (Σ = E86). s. 12, minuscule pré-gothique. Provient de Clairvaux, où il fut vraisemblablement écrit. S’il ne figure pas dans le fragment de catalogue des livres l’abbaye de la fin du 12ème siècle,437 il est bien à sa place dans celui que fit dresser Pierre de Virey, abbé de Clairvaux de 1471 à 1496, en 1472 : item ung autre volume bien escript de la belle grosse lettre contenant l’Exposition domini Claudii episcopi sur ladite Epistre saint Pol ad Romanos.438 Σ contient les commentaires de Claude sur Rom. (1r–108v), 1 et 2 Cor. Nous avons collationné tous les manuscrits décrits ci-dessus,439 exclusivement pour les extraits de l’Inchoata expositio. Pour ces extraits, nous proposons le stemma suivant :440 Claud

Χ

Φ

Ψ Δ

Σ

Θ

|| 437 VERNET – GENEST, La bibliothèque, 14–16.349–356. 438 VERNET – GENEST, La bibliothèque, 27–34.119. Pour le sort des manuscrits de Clairvaux, voir supra, 2.1.1, p. 37, sur T. 439 Tous ont été collationnés sur place, sauf Σ, pour lequel nous avons utilisé la reproduction numérique sur le site internet de la Médiathèque de Troyes. 440 Comme celui-ci est basé uniquement sur les extraits de l’Inchoata expositio, il est impossible d’exclure qu’une relation plus complexe entre les manuscrits émergerait d’une collation du texte entier. RICCI propose dans CCCM 263 une édition intégrale des commentaires sur Eph. et Phil. Celleci devrait éclairer quelque peu la tradition du commentaire sur Rom. : les trois commentaires sont dans Θ, et Φ, on l’a dit, va de pair avec Paris Lat. 12.290, qui contient Eph. et Gal. Malheureusement, la méthode éditoriale de Ricci est, à notre sens, fautive (elle ne distingue pas clairement entre leçons partagées et erreurs partagées), mais nous rejoignons néanmoins sa conclusion que Θ est indépendant de Φ / Paris Lat. 12.290.

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2.5.1 Texte édité 1. (1) In epistola quam Paulus apostolus scripsit ad Romanos, quantum ex eius textu intelligi potest, quaestionem habet talem: Utrum Iudaeis solis evangelium Domini nostri Iesu Christi venerit propter merita operum legis; an vero nullis operum meritis praecedentibus, omnibus gentibus venerit iustificatio fidei, quae est in Christo Iesu, ut non quia iusti erant homines, crederent, sed credendo iustificati, deinceps iuste vivere inciperent. (2) Hoc ergo docere intendit apostolus, omnibus venisse gratiam evangelii Domini nostri Iesu Christi. Quam propterea etiam gratiam vocari ostendit, quia non quasi debitum iustitiae redditum est, sed gratuito datum. (3) Coeperant enim nonnulli qui ex Iudaeis crediderant tumultuari adversus gentes, et maxime adversus apostolum Paulum, quod incircumcisos et a legis veteris vinculis liberos admittebat ad evangelii gratiam, praedicans eis ut in Christum crederent, nullo imposito carnalis circumcisionis iugo. (4) Sed plane tanta moderatione, ut nec Iudaeos superbire permittat, tamquam de meritis operum legis, nec gentes merito fidei adversus Iudaeos inflari, quod ipsi receperint Christum, quem illi crucifixerunt. Tamquam enim, sicut alio loco dicit, pro ipso Domino legationem fungens, hoc est, pro lapide angulari, utrumque populum tam ex Iudaeis quam ex gentibus connectit in Christo per vinculum gratiae, utrisque auferens omnem superbiam meritorum, et iustificandos utrosque per disciplinam humilitatis associans. ... 3. (3) Fuerunt enim et prophetae non ipsius, in quibus etiam si aliqua inveniuntur quae de Christo audita cecinerunt, sicut etiam de Sibylla dicitur: quod non facile crederem, nisi poetarum quidam in romana lingua nobilissimus antequam diceret ea de innovatione saeculi, quae in Domini nostri Iesu Christi regnum satis concinere et convenire videantur, praeposuit versum, dicens: “Ultima Cumaei venit iam carminis aetas.” (4) Cumaeum autem carmen Sibyllinum esse nemo dubitaverit. Sciens ergo apostolus ea in libris gentium inveniri testimonia veritatis, quod etiam in Actibus apostolorum loquens Atheniensibus manifestissime ostendit, non solum ait per prophetas suos, (5) ne quis a pseudoprophetis per quasdam veritatis confessiones in

1,15 cf. 2 Cor. 5,20 16 lapide angulari] cf. Eph. 2,20 3,5sq. Verg. ecl. 4,4 8sq. cf. Act. 17,28 ΧΦΨΔΘΣ La numérotation des chapitres et sous-chapitres correspond à celle de l’Inchoata expositio. Les ellipses ( … ) indiquent des passage du commentaire de Claude qui ne sont pas reproduits, parce qu’ils ne contiennent pas d’extraits de l’Inchoata expositio. 1,1 quantu Δ ‖ 2 solis om. Ψ Σ ‖ 3 nonnullis Χ (ac.) Δ ‖ 4 veniret Χ Φ Δ Σ (ac.) ‖ 9 timultuari Χ (ac.) ‖ 10 vinculos Χ (vinculo uv. pc.) | liberis Χ (ac.) ‖ 12 plane] id agit add. Σ ‖ 13 supervire Δ ‖ 15 legatione Σ (pc.) | fugens Χ (ac.) Φ (ac.) 3,1 fuerant Χ (ac.); hinc incipiunt excerpta in Θ extantia | si del. Σ ‖ 4 nostri om. Θ ‖ 5 concinere] con??re Φ (ac.) | convenire] cum venire Σ | proposuit Χ ‖ 8 ea] etiam Θ

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aliquam impietatem seduceretur; sed addidit in scripturis sanctis, volens enim ostendere litteras gentium superstitiosae idololatriae plenissimas non ideo sanctas haberi oportere, quia in eis aliquid quod ad Christum pertinet invenitur. 4. (1) Et ne quisquam etiam prophetas aliquos remotos atque alienos a gente Iudaeorum forte praeferret, in quibus nullus simulacrorum cultus esset, quantum attinet ad simulacra quae humana operatur manus – nam simulacra phantasmatum suorum sectatores suos omnis error illudit – (2) ne quis tamen aliqua huiusmodi praeferens, quia ibi Christi nomen ostentat, eas potius sanctas scripturas esse asserat, non eas quae populo Hebraeorum sunt divinitus creditae, satis opportune mihi videtur adiungere, cum dixisset in scripturis sanctis, quod adiecit: de Filio suo, qui factus est ei ex semine David, secundum carnem. (3) David enim certe rex Iudaeorum fuit. Oportebat autem ut ex illa gente orirentur Christi praenuntiatores prophetae, ex qua gente carnem assumpturus erat quem praenuntiabant. (4) Occurrendum autem erat etiam illorum impietati, qui Dominum nostrum Iesum Christum secundum hominem tantummodo, quem suscepit, accipiunt, divinitatem autem in eo non intelligunt ab universae creaturae communione discretam, velut ipsi Iudaei, qui Christum filium tantummodo David esse opinabantur, ignorantes excellentiam qua Dominus est ipsius David, secundum id quod est Filius Dei. (5) Unde illos in evangelio redarguit per prophetiam, quae ipsius ore prolata est. (6) Quaerit enim ab eis, quem ipse David Dominum appellat, quomodo filius eius sit, cum deberent utique respondere quod secundum carnem filius esset David, secundum divinitatem autem Filius Dei et Dominus ipsius David. (7) Quod Paulus apostolus quia iam didicerat, posteaquam dixit, evangelium Dei, quod ante promiserat per prophetas suos in scripturis sanctis de Filio suo, qui factus est ei ex semine David, addidit secundum carnem, ne hoc solum et totum in Christo esse arbitrarentur, quod factum erat secundum carnem. (8) Addendo ergo secundum carnem, servavit divinitati dignitatem suam, quae non solum semini David, sed nec alicui angelicae aut cuiusvis excelsissimae creaturae generationi tribui potest, quandoquidem ipsum est Verbum Dei, per quod facta sunt omnia. (9) Quod Verbum ex semine David caro factum est et habitavit in nobis. Non mutatum est aut conversum in carne, sed in carne ut carnalibus congruenter appareret indutum. (10) Quapropter apostolus non solum eo verbo

11 Rom. 1,2 4,7sq. Rom. 1,3 15–19 unde…David] cf. Mt. 22,42–46 26 per…omnia] cf. Io. 1,3 26sq. Verbum…nobis] cf. Io. 1,14 ΧΦΨΔΘΣ 11 addidit] didit Χ (ac.) | volens] voluit Θ 4,2 perferret Δ | nullas Χ (ac.) ‖ 3 simulacra1] phantasmatum suorum sectatores suos add. Θ (ac.) 4 inlustridit Φ (ac.) ‖ 6 non eas om. Θ | opportune] que add. Θ ‖ 7 adiunxisse Θ | quod adiecit om. Θ ‖ 10 adsumptus Φ ‖ 13 discretum Θ ‖ 14 filium] dei add. Ψ ‖ 16 phetiam Χ (ac.); prophetiae Δ ‖ 19 quia] qui Φ ‖ 21 ei om. Φ ‖ 25 ipsud Χ Φ Δ ‖ 26 ominia Χ ‖ 27 habitabit Χ Ψ | est om. Θ | in3 om. Θ Σ | carne2] carnem Χ

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quod ait secundum carnem humanitatem a divinitate distinxit, sed etiam illo quod ait factus est. Non est enim factus secundum id quod Verbum Dei est. (11) Omnia enim per ipsum facta sunt, nec fieri cum omnibus posset per quem facta sunt omnia. Neque ante omnia factus est, ut per ipsum fierent omnia: ipso enim excepto, si ante illa iam factus est, sed non essent illa omnia quae per illum fierent; nec possent vere dici facta omnia per ipsum, in quibus ipse non esset, ipse etiam factus est. Sed (12) et ideo apostolus cum factum diceret Christum, addidit secundum carnem, ut secundum Verbum quod est Filius Dei, non factum a Deo sed natum esse monstraret. Qui praedestinatus est Filius Dei in virtute. 5. (1) Eundem sane ipsum, qui secundum carnem factus est ex semine David, praedestinatum dicit Filium Dei, in virtute … (14) Non itaque ex illorum mortuorum resurrectione praedestinatus est, quos est damnaturus. Praedestinatum enim esse ex resurrectione mortuorum, ut praecederet resurrectionem mortuorum, vult intelligi apostolus: hos autem praecessit, qui ad ipsum caeleste regnum, quo eos praecessit, secuturi sunt. (15) Propter quod non ait ‘qui praedestinatus est Filius Dei in virtute secundum spiritum sanctificationis ex resurrectione mortuorum Iesus Christus Dominus noster’, sed ex resurrectione mortuorum Iesu Christi, tamquam qui diceret: ‘Qui praedestinatus est Filius Dei ex resurrectione mortuorum suorum’, hoc est ad se pertinentium in vitam aeternam; velut si interrogaretur ‘quorum mortuorum?’, et responderet, ‘ipsius Iesu Christi Domini nostri’. (16) Ex resurrectione enim ceterorum mortuorum non est praedestinatus, quos non praecessit ad gloriam vitae aeternae, non utique secuturos, quoniam ad poenas suas impii resurrecturi sunt. (17) Ergo ille tamquam Filius Dei unigenitus, etiam primogenitus ex mortuis praedestinatus ex resurrectione mortuorum. Quorum mortuorum, nisi Iesu Christi Domini nostri? (4) Potest quidem etiam sic esse ordo verborum, ut non ad spiritum sanctificationis adiungamus quod ait ex resurrectione mortuorum, sed ad id quod ait praedestinatus est, ut ordo sit: qui praedestinatus est ex resurrectione mortuorum, cui ordini interposita sunt haec: Filius Dei in virtute secundum spiritum sanctificationis. (5) Et nimirum iste ordo certior et melior videtur, ut sit filius David in infirmitate secundum carnem, Filius autem Dei in virtute secundum spiritum sanctificationis.

5,2 Rom. 1,4 ΧΦΨΔΘΣ 29 quod1] quo Θ | quod2] quo Χ Φ Θ Σ (ac.) ‖ 30 est2 om. Χ (ac.) ‖ 31 hominibus Θ ‖ 32sq. si …  est] omnia illa iam facta sunt Θ ‖ 33 esset Χ (ac.) | quae] nisi Θ | per om. Δ | fierent] omnia add. Θ possunt Χ Φ Δ ‖ 34sq. ipse2 … apostolus] sed Θ ‖ 35 et om. Ψ Σ | apostolus … diceret om. Φ (ac.) 36 esset Δ (uv. ac.) ‖ 37 qui … virtute] deest in Inchoata expositione ‖ 37‒5,1 Filius … ipsum om. Χ (ac.) 5,3 est1 om. Θ (uv. ac.) | quos] quod Φ | damnaturus] in fine add. Θ ‖ 4 resurrectionem] resurrectione Χ (ac.) Ψ Δ; in praem. Χ (pc.) Φ ‖ 5 qui] quia Θ | qui … praecessit2 om. Φ ‖ 6 non om. Δ (pc.) virte Χ ‖ 7sq. Iesus … mortuorum om. Δ ‖ 8 qui om. Θ ‖ 9 ad] a Δ

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(6) Factus est ergo ex semine David, id est filius David ex mortali corpore, propter quod et mortuus est. Praedestinatus est autem Filius Dei et Dominus ipsius David ex resurrectione mortuorum. (7) In quantum enim mortuus est, ad id pertinet quod est filius David; in quantum autem resurrexit a mortuis, ad id quod est Filius Dei et Dominus ipsius David. 6. (1) Per quem accepimus gratiam et apostolatum. Gratiam cum omnibus fidelibus, apostolatum autem non cum omnibus. Et ideo si tantummodo apostolatum se diceret accepisse, ingratus exstitisset gratiae, qua illi peccata dimissa sunt: tamquam meritis priorum operum accepisse apostolatum videretur. (2) Optime itaque tenet ordinem causae, ut nemo audeat dicere vitae prioris meriti ad evangelium se esse perductum, quando nec ipsi apostoli, quia ceteris membris post caput corporis supereminent, accipere apostolatum proprie potuissent, nisi prius communiter cum ceteris gratiam, quae peccatores sanat et iustificat, accepissent. (3) Et post haec addidit: ad obediendum fidei in omnibus gentibus pro nomine eius. Ad hoc dicit apostolatum se accepisse, ut obediatur fidei pro nomine Domini nostri Iesu Christi, hoc est ut credant omnes Christo et signentur in eius nomine qui salvi esse cupiunt. (4) Quam salutem non solis Iudaeis, sicut nonnulli qui ex ipsis crediderant arbitrabantur, venisse iam ostendit, cum ait in omnibus gentibus. In quibus estis, inquit, et vos vocati Iesu Christi, id est ut et vos sitis eius Iesu Christi, qui omnium gentium salus est, quamquam non in numero Iudaeorum, sed in numero ceterarum gentium sitis inventi. 7. (1) Huc usque dixit ipse quis esset qui scribit epistolam. Est enim qui scribit epistolam. Est qui scribit Paulus servus Christi Iesu, vocatus apostolus, segregatus in evangelio Dei. (2) Sed quia occurrebat ‘quod evangelium?’ respondit: quod ante promiserat per prophetas suos in scripturis sanctis de Filio suo. Item quia occurrebat ‘de quo Filio suo?’ respondit: qui factus est ei ex semine David secundum carnem, qui praedestinatus est Filius Dei in virtute secundum spiritum sanctificationis ex resurrectione mortuorum Iesu Christi Domini nostri. (3) Et quasi diceretur ‘quomodo tu ad eum pertines?’ respondit: per quem accepimus gratiam et apostolatum, ad oboediendum fidei in omnibus gentibus pro nomine eius. (4) Item quasi diceretur ‘quae igitur causa est ut scribas ad nos?’ respondit: in quibus estis et vos vocati Iesu Christi. (5)

6,1 Rom. 1,5 9 Rom. 1,5 13sq. Rom. 1,6 ΧΦΨΔΘΣ 22 id est om. Θ | id … David2 om. Φ (ac.) ‖ 23 et2 om. Θ ‖ 24 resurrectionem Χ ‖ 26 David] deinde subiuncxit add. Δ Σ 6,2 cum om. Δ (ac.) ‖ 3 ingratis Χ (ac.) Δ; ingratas Φ (ac.) | dimissa om. Θ (ac.) ‖ 4 tamquam] et praem. Θ | apostolatum] apostolorum Θ (del.) ‖ 5 meritis Θ Σ (pc.) ‖ 6 quia] quia a Χ Φ ; qui Θ 7 potuissent] potuisset Χ (ac.) ‖ 8 gratiamque Δ ‖ 11 eius] eo in Φ ‖ 13 arbitrantur Θ 7,2 est qui scribit om. Θ | qui Ψ; quae Χ Φ Δ; quod Σ ‖ 3 evangelium Θ ‖ 5 ei om. Θ ‖ 9 quae] quem Δ

Introduction | 101

Nunc deinde adiungit ex more epistolae quibus scribat: omnibus, inquit, qui sunt Romae, dilectis Dei, vocatis sanctis. Etiam hic significavit benignitatem Dei potius quam meritum illorum. Non enim ait ‘diligentibus Deum’ sed dilectis Dei. (6) Prior enim dilexit nos ante omnia merita, ut nos eum dilecti diligeremus. (7) Unde etiam addidit vocatis sanctis. Quamquam enim sibi quis tribuat quod vocanti obtemperat, nemo potest sibi tribuere quod vocatus est. Vocatis autem sanctis, non ita intelligendum est, tamquam ideo vocati sunt, quia sancti erant, sed ideo sancti effecti, quia vocati sunt. 8. (1) Restat ergo ut salutem dicat, ut compleatur usitatum epistolae principium, tamquam ille illis salutem. Pro eo autem ac si diceret salutem, gratia vobis et pax a Deo Patre nostro et Domino Iesu Christo. Non enim omnis gratia a Deo est. (2) Nam et iudices mali praebent gratiam in accipiendis personis aliqua cupiditate illecti aut timore perterriti. (3) Neque omnis pax Dei est, vel ab illo, unde ipse Dominus discernens ait: Pacem meam do vobis, adiungens etiam et dicens non se talem pacem dare, qualem dat hic mundus. (4) Gratia est ergo a Deo Patre et Domino Iesu Christo, qua nobis peccata remittuntur, quibus adversabamur a Deo, pax vero ipsa qua reconciliamur Deo. (5) Cum enim per gratiam remissis peccatis absumptae fuerint inimicitiae, restat ut pace adhaereamus illi, a quo nos sola peccata dirimebant. 11. (1) Quod autem apostolus gratiam et pacem a Deo Patre et Domino Iesu Christo dicit, non adiungens etiam Spiritum sanctum, non mihi alia ratio videtur, nisi quia ipsum donum Dei Spiritum sanctum intelligimus. Gratia porro et pax, quid aliud quam donum Dei? (2) Unde nullo modo dari hominibus gratia potest qua liberamur a peccatis, et pax qua reconciliamur Deo, nisi in Spiritu sancto. Et ideo et ipsa Trinitas pariterque incommutabilis in ista salutatione cognoscitur.

7,11sq. Rom. 1,7 13sq. prior…nos1] cf. 1 Io. 4,19 8,2sq. Rom. 1,7 6 Io. 14,27 ΧΦΨΔΘΣ 11 scribit Θ | inquid Χ Ψ ‖ 12 Dei1 om. Χ (ac.) ‖ 13 merito Δ | dilectis] dili??tis Φ (ac.) ‖ 14 eum om. Θ ‖ 15 quod] quot Θ ‖ 16 nemo] tamen add. Σ | sibi om. Χ (ac.) ‖ 17 sunt] sint Θ | effecti] vocati Φ (ac.) 8,2 salutem1] mandet add. Χ (ac.); dicat add. Θ | autem ac si] ut Θ | gratia] inquit add. Σ ‖ 5 Dei] deo Θ ‖ 6 ait] sequitur verbum erasum in Ψ ‖ 7 Domino] nostro add. Θ ‖ 8 adversabamus Ψ (uv.) a om. Σ (ac.) | ipsa] est add. Χ ‖ 9 gratia Φ Δ | adsumptae Δ ‖ 10 adhaeramus Φ 11,4 gratiam Χ (ac.) Φ ‖ 5 et2 om. Θ ‖ 6 pariterque] pariter Θ

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102 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

2.5.2

Notes sur le texte de Claude

Problèmes en rapport avec le stemma 1,1 omnibus gentibus venerit iustificatio fidei : veniret Χ Φ Δ Σ (ac.) : C’est la seule erreur de Χ Φ Δ à se retrouver dans Σ, et encore y fut-elle corrigée. Plutôt que de supposer une contamination, il faut voir ici une faute facile, qui s’est reproduite indépendamment dans deux branches de la tradition. 4,9 et habitavit in nobis : habitabit Χ Ψ : Le remplacement de b par v est fréquent dans tout le Moyen Âge latin, et n’est pas une faute commune qui pointerait vers une relation généalogique, surtout qu’ici il suffisait de corriger par le texte de Io. 1,14, que tout chrétien un peu lettré connaissait par cœur. 4,10 apostolus non solum eo verbo quod ait … sed etiam illo quo ait : quod] quo Θ ; quod] quo Χ Φ Θ Σ (ac.) : Si, dans le premier cas, il s’agit d’une correction de Θ, le second est plus difficile à évaluer, puisque la répartition des leçons ne correspond guère au stemma (même problème dans le texte même de l’Inchoata expositio). Nous avons préféré quod, pour la symétrie de la construction. Entre 5,7 et 6,1 deinde subiunxcit Δ Σ : Cette petite phrase pour introduire le lemme suivant n’est pas dans l’Inchoata expositio. Il ne semble pas non plus être l’œuvre de Claude, dont l’habitude est d’introduire un lemme sans mots de liaison. Or il est possible que deux scribes différents aient eu l’idée de créer çà et là une transition moins brusque.441 Mais il est improbable qu’ils l’aient fait indépendamment avec les mêmes mots au même endroit. Il faut plutôt supposer une contamination entre un ancêtre de Δ et un ancêtre de Σ. Conjectures dans Σ442 Σ, comme l’autre manuscrit de Clairvaux auquel nous avons affaire (T), tend à améliorer le texte par conjecture. Citons les cas suivants : 1,1 omnibus gentibus venerit iustificatio fidei : veniret Σ (ac.) ; venerit Σ (pc.) : venerit est appelé par venerit immédiatement avant, pour assurer le symétrie des temps dans les deux clauses de la question indirecte. Mais venerit fut peut-être la leçon de l’exemplaire de Σ (vide supra). 1,4 sed plane tanta moderatione : add. id agit Σ : Le texte d’Augustin nous oblige soit à comprendre 1,3s. comme une très longue phrase plutôt maladroite, soit à

|| 441 Dans la branche Ξ de la tradition de l’Inchoata expositio, que nous croyons correspondre au texte d’Augustin ici, la transition est faite par inquit au milieu du lemme de 6(1). Mais cet inquit ne figure pas dans la branche Λ, y compris chez Claude. 442 Nous parlerons ici des corrections ou conjectures « de Σ », et plus bas de celles « de Θ » par économie d’expression. Rien ne permet en fait d’affirmer que ce sont les scribes de ces manuscrits mêmes, et non pas ceux de leurs ancêtres, qui sont à l’origine de toutes ces corrections.

Introduction | 103

2,4 3,3

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voir 1(4) comme une phrase sans verbe principal. Plutôt que de trancher, Σ ajoute un verbe. pro ipso Domino legationem fungens : legatione Σ (pc.) : Σ corrigé rétablit l’usage classique de l’ablatif avec fungor. in quibus etiam si aliqua inveniuntur : in quibus etiam aliqua inveniuntur Σ (pc.) : etiam si, la leçon de Claude, vient de l’archétype de l’Inchoata expositio. Mais en fait ce si fait appel à une apodose qui n’apparait jamais. Le correcteur de Σ, comme plusieurs manuscrits et tous les éditeurs de l’Inchoata expositio avant nous, règle le problème en se débarrassant de si.443 sed in carne ut carnalibus congruenter appareret indutum : in om. Σ : Le passif d’induo se construit avec l’accusatif ou l’ablatif, sans préposition. Σ corrige et retrouve le texte d’Augustin. Même correction dans Θ. nemo audeat dicere vitae prioris meriti ad evangelium se esse perductum : meritis Σ (pc.) : Le correcteur de Σ a réussi à rétablir la bonne leçon de l’Inchoata expositio. Même correction dans Θ. est enim qui scribit epistolam: est qui scribit Paulus servus Iesu Christi : est qui scribit Ψ ; est quae scribit Χ Φ Δ ; est quod scribit Σ ; om. Θ : Cette redondance se retrouve sous diverses formes dans la majorité des manuscrits Λ de l’Inchoata expositio. Pour Claude, nous avons préféré la leçon de Ψ, manuscrit qui présente généralement un texte meilleur. Mais Σ a vu que cette leçon était dépourvue de sens. Sa modification de qui en quod est à comparer avec la conjecture sunt quibus scribit ici dans les manuscrits T V de l’Inchoata expositio. pro eo autem ac si diceret salutem: gratia vobis et pax a Deo Patre nostro : gratia inquit vobis Σ : Σ a pu ressentir qu’introduire le lemme dans une phrase sans verbe principal n’était pas dans la manière de l’auteur que cite Claude.444 Augustin avait en effet écrit gratia vobis inquit, ce que Σ est près de retrouver.

Conjectures dans Θ Θ lui aussi contient un nombre de leçons uniques. Malgré son indépendance des autres branches de la tradition, il ne s’agit pas de leçons authentiques pour Claude, mais d’efforts pour corriger les irrégularités de celui-ci, ou les fautes caractéristiques de la branche Λ de l’Inchoata expositio. 3,5 volens enim ostendere litteras gentium : voluit Θ : Le texte transmis de Claude avait remplacé le utique d’Augustin avec enim, qui demandait une nouvelle proposition indépendante, et non le complément participial qui termine la phrase de 3,4s. Θ transforme donc le participe en verbe conjugué.

|| 443 Voir infra, 2.8, note critique ad loc. 444 Impossible de savoir si Σsavait que cet auteur était Augustin, mais cela nous semble fort probable.

104 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

4,9 non mutatum est aut conversum in carne : est om. Θ : La bonne leçon pour l’Inchoata expositio, c’est non mutatum et conversum in carnem. Mais Claude avait affaire au texte Λ, où on lisait non mutatum est conversum in carnem, et avait ajouté aut pour éviter le non-sens. Θ a ressenti qu’il n’y avait pas lieu de commencer une nouvelle phrase après habitavit in nobis, et a réussi à se rapprocher du texte d’Augustin en effaçant est. 4,9 sed in carne ut carnalibus congruenter appareret indutum : in om. Θ : Vide supra sur Σ. 4,11s. Neque ante omnia factus est, ut per ipsum fierent omnia: ipso enim excepto, si ante illa iam factus est, sed non essent illa omnia quae per illum fierent, nec possent vere dici facta omnia per ipsum, in quibus ipse non esset, ipse etiam factus est. Sed et ideo apostolus cum factum diceret Christum …] Neque ante omnia factus est, ut per ipsum fierent omnia: ipso enim excepto, omnia illa iam facta sunt, sed non essent illa omnia quae per illum fierent, nec possent vere dici facta omnia per ipsum, in quibus ipse non esset. Sed cum factum diceret Christum … Θ; Neque ante omnia factus est, ut per ipsum fierent omnia: ipso enim excepto, si ante illa iam factus esset, non essent illa omnia quae per illum fierent, nec possent vere dici facta omnia per ipsum, in quibus ipse non esset, si ipse etiam factus esset. Et ideo apostolus cum factum Deo diceret Christum … Inchoata expositio : Ce passage est corrompu dans la branche Λ de l’Inchoata expositio, y compris dans le texte de Claude. Augustin avait deux fois écrit esset, qui a été transformé en est sed. Puis un si a disparu. Par conséquent, si le sens général du passage est resté clair, l’enchevêtrement des phrases est tombé à l’eau. Θ s’est permis des corrections radicales. 5,15 tamquam qui diceret: qui praedestinatus est Filius Dei ex resurrectione mortuorum suorum : qui om. Θ : Augustin avait écrit tamquam si diceret. La branche Λ de l’Inchoata expositio avait remplacé ce si par qui, ce qui est maladroit mais donne encore un sens possible. Mais Θ préfère éliminer la maladresse, rejoignant ainsi une correction des manuscrits T V de Λ.445 6,1 ingratus exstitisset gratiae, qua illi peccata dimissa sunt: tanquam meritis priorum operum accepisse apostolatum videretur : et tamquam Θ ; tamquam enim Inchoata exposito : La disparition du enim d’Augustin dans la branche Λ de la tradition crée une asyndète, dont Θ se débarrasse à sa façon. 6,2 nemo audeat dicere vitae prioris meriti ad evangelium se esse perductum : meritis Θ : Vide supra sur Σ. 6,2 nec ipsi apostoli, quia ceteris membris post caput corporis supereminent, accipere apostolatum proprie potuissent : quia a Χ Φ ; qui Θ : C’est quia qui doit être

|| 445 Voir infra, 2.8, note critique ad loc.

Introduction | 105

la leçon de Claude, mais elle crée un contresens. Θ réussit à retrouver le texte d’Augustin. 7,1 est enim qui scribit epistolam: est qui scribit Paulus servus Iesu Christi : est qui scribit Ψ ; est quae scribit Χ Φ Δ ; est quod scribit Σ ; om. Θ : Θ élimine tout simplement l’ajout de la branche Λ de l’Inchoata expositio, rejoignant ainsi le texte de la branche Ξ, que nous pensons être celui d’Augustin (vide supra sur Σ). 8,1 ut compleatur usitatum epistolae principium, tamquam ille illis salutem : salutem dicat Θ : Θ a voulu donner la forme complète de l’usitatum principium des lettres latines. La même leçon se trouve dans les manuscrits d de la branche Λ de l’Inchoata expositio. Mais ni le stemma de Claude ni celui de l’Inchoata expositio ne permet de la considérer comme la leçon originale de Λ. Il faut plutôt supposer que cette correction a eu lieu de façon indépendante dans Θ et d. Comparer X (ac.) : salutem mandet. 11,2 et ideo et ipsa Trinitas pariterque incommutabilis in ista salutatione cognoscitur : et ideo ipsa … pariter Θ : Θ corrige (1) une faute caractéristique du texte de l’Inchoata expositio chez Claude,446 retrouvant ainsi le bon texte pour Augustin ; (2) une faute de l’archétype de l’Inchoata expositio. Dans ce deuxième cas, sa conjecture est moins heureuse. Pour le reste, ni les corrections de Σ ni celles de Θ ne donnent d’indications probatoires que leur texte aurait été contaminé par la collation avec un manuscrit du texte même de l’Inchoata expositio.447

2.5.3

Modifications de Claude

Claude lui aussi a modifié le texte augustinien, pour faciliter les transitions dans son propre commentaire. Ces modifications ne sont pas des vraies variantes pour Augustin, et ne figurent donc pas dans notre apparat critique de l’Inchoata expositio.

|| 446 Du moins dans son commentaire sur Rom. Dans le texte édité du commentaire sur Eph., la seule leçon attestée est et ideo ipsa (CCCM 263, 8), la leçon de Ξ, et la bonne, selon nous. Tous les témoins de Λ hormis Claude lisent ideo et ipsa. On peut imaginer différentes explications de ces désaccords, mais il est impossible d’être certain quant à la leçon de l’exemplaire de Claude. En 11,1, CCCM 263, 8 rapporte la leçon domino n o s t r o , sans variante, leçon attestée par une partie de la tradition de l’Inchoata expositio, mais rejetée par nous, et absente des manuscrits de Claude sur Rom. De fait, dans Paris Lat. 12.290, seul manuscrit du commentaire sur Eph. que nous avons pu vérifier (sur la reproduction digitale de la microfiche), nostro est absent. 447 RICCI (CCCM 263, xxxviiii–xli) note cependant dans Θ des corrections d’après les sources de Claude. Elle propose aussi que certaines corrections de Θ pourraient éventuellement indiquer une révision du commentaire par Claude lui-même.

106 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

entre 4,12 et 5,1 : Qui praedestinatus est Filius Dei in virtute Claud : Le lemme a été ajouté par Claude, l’Inchoata expositio étant rédigé en texte suivi, sans lemmes. 5,15 Propter quod non ait: Qui praedestinatus est Filius Dei in virtute secundum spiritum sanctificationis ex resurrectione mortuorum Iesus Christus Dominus noster; sed, ex resurrectione mortuorum Iesu Christi … Claud : Propter quod non ait: Qui praedestinatus est Filius Dei ex resurrectione mortuorum Iesus Christus Dominus noster; sed, ex resurrectione mortuorum Iesu Christi Domini nostri Inchoata expositio : Claude, par souci de clarté, s’est décidé à reprendre presque la totalité de Rom. 1,4. L’allongement de la première partie de cette phrase a peut-être conduit au raccourcissement de la seconde, mais ceci est moins certain, et nous admettons donc l’omission de Domini nostri dans l’apparat de l’Inchoata expositio. 6,3 Et post haec addidit: Ad obediendum fidei in omnibus gentibus pro nomine eius … Claud : quod autem subiungit Inchoata expositio : Claude, on l’a vu, préfère aligner les lemmes sans transition. Il devait trouver la transition d’Augustin, qui plaçait le lemme au milieu d’une proposition dépendante, un peu trop complexe. Plutôt que de la supprimer, il la remplace.

2.6 Commentaire anonyme dans Paris Lat. 11.574 Nous appelons Germ les extraits de l’Inchoata Expositio dans le manuscrit Paris, Bibliothèque Nationale, Latinus 11.574. Il s’agit d’un manuscrit de s. 91/2, d’origine française (Corbie ?), en minuscule carolingienne,448 contenant un commentaire sur

|| 448 Pour la datation, voir BISCHOFF, Katalog, t. 3, no. 4691. Bischoff avait auparavant (Manuscripts and Libraries, 111–113 ; voir aussi BOODTS, The Reception, 440s.) affirmé que le manuscrit serait tout ce qui reste d’une catena sur une grande partie de la Bible, commandée par Louis le Pieux, et avait proposé comme exécuteur de ce projet Hélisachar, chancelier de Louis le Pieux, et abbé de SaintRiquier, puisque Paris Lat. 17.146, donné par Hélisachar à Saint-Riquier, serait une source directe de Paris Lat. 11.574. Mais GORMAN, Paris lat. 12,124, affirme que rien ne relie ces deux manuscrits, et ne croit pas à l’existence de la catena. Il admet cependant que Paris Lat. 11.574 puisse provenir soit de Saint-Riquier, soit de Corbie (même avis chez BOODTS, The Reception, 442s. ; nous remercions Mme Boodts pour son aide sur Germ). Il a aussi confirmé l’hypothèse de Bischoff que Paris Lat. 12.124 (Origène, in Rom.) fut une source directe de Paris Lat. 11.574. Or, Paris Lat. 12.124 figure dans le catalogue de Corbie de s. 12ex. (COYECQUE, Catalogue, xviii, no. 231). Y fut-il écrit ? Pour BISCHOFF (Katalog, t. 3, no. 4731), Paris Lat. 12.124 fut copié c. 800 dans le nord-ouest de la France. Mais selon Colleen Curran (per litteras), le manuscrit fut certainement écrit par un scribe insulaire. Elle note aussi des traits insulaires chez le copiste de Paris Lat. 11.574, mais admet que ce dernier manuscrit fut copié sur le continent. Mlle Curran (que nous remercions pour son aide) voit Corbie comme un lieu probable pour de tels échanges de tradition entre scribes insulaires et continentaux. On associe volontiers la riche bibliothèque et le haut niveau d’activité intellectuelle de Corbie avec le travail très savant que présente notre manuscrit.

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l’épître aux Romains, formé, comme celui de Claude de Turin, entièrement d’extraits patristiques. On ne connait aucune autre copie de ce commentaire, qui n’a jamais été imprimé. Le manuscrit était peut-être à Angers au 11ème siècle, puisqu’un bifolium écrit en cette ville à cette époque y a été inséré avant le premier folio.449 À un moment inconnu, le manuscrit est entré à Saint-Germain-des-Prés, d’où il sera transféré en 1795/1796 à la Bibliothèque Nationale.450 Pour le fond et la forme, le commentaire de Paris Lat. 11.574 est le fruit d’un travail considérable. Le manuscrit est de grand format (42 × 30 cm), écrit sur deux colonnes. Les lemmes de Rom. sont en lettres onciales rouges, et, pour chaque extrait, l’auteur et (dans certains cas) l’œuvre sont indiqués en bleu ou rouge.451 Le commentaire comporte « 841 extraits d’ouvrages des Pères de l’Église ».452 On ne dispose pas d’une liste complète de ces extraits,453 mais Gorman souligne à juste titre leur grande diversité, et affirme ne connaitre aucun commentaire carolingien où les sources sont identifiées avec un tel degré de précision.454 Le compilateur se démarque aussi en déployant, pour commenter Rom. 9, un texte rare : le De induratione cordis Pharaonis (CPL 729), attribué dans la tradition médiévale, y compris dans Paris Lat. 11.574, à Jérôme,455 mais qui est en fait l’œuvre de Pélage, ou d’un de ses disciples.456 Il ne faut pas voir dans l’utilisation de ce texte un choix fortuit : l’extrait est vraisemblablement le plus long de toute la compila-

|| 449 GORMAN, Paris lat. 12124, 77. 450 DELISLE, Le cabinet, t. 2, 5s. 451 Pour des descriptions plus détaillées, voir GORMAN, Paris lat. 12124, 77s. ; BOODTS, The Reception, 437–439 (qui note que le manuscrit comporte une lacune et semble avoir perdu on ou plusieurs folios à sa fin). 452 FRANSEN, Le dossier, 464. L’auteur affirme aussi (465) que le commentaire puise aux travaux analogues de Bède le Vénérable et Raban Maur sur Rom. GORMAN, Paris lat. 12124, ne semble pas partager ces conclusions, mais BOODTS, The Reception (passim) montre l’emploi de Bède. Si Fransen a raison sur Raban, la compilation est postérieure à celle de Raban, vraisemblablement écrite entre 828 et 836 (Raban Maur, epist. 24, MGH Ep. V, 430, semble indiquer que ses commentaires sur Paul furent écrits pendant le séjour de Servatus Lupus à Fulda, qui daterait de ces années : voir E. DÜMMLER, MGH Ep. VI, 1s.). 453 GORMAN, Paris lat. 12124, 102–128 fournit un échantillon des sources ; des compléments dans BOODTS, The Reception, surtout sur les sources augustiniennes. 454 GORMAN, Paris lat. 12124, 78s. 455 De même, les extraits du commentaire de Pélage sur Rom. dans le manuscrit sont attribués soit à Iohannes soit à Victor episcopus (BOODTS, The Reception, 440, n. 10). 456 Pour la tradition manuscrite du De induratione, voir NUVOLONE-NOBILE, Problèmes : l’auteur connaissait 9 manuscrits du texte, dont le plus ancien est de s. 11. L’édition critique du texte annoncée dans cet article n’a jamais vu le jour, et tout nouvel éditeur devra se servir de Paris Lat. 11.574, que Nuvolone-Nobile ne mentionne pas. BOODTS (The Reception, 446) indique la présence d’un autre extrait du De induratione dans le commentaire sur Rom. 8,28–30.

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tion,457 et il comporte un enseignement nettement opposé à celui d’Augustin sur ce que signifiait Rom. 9 pour le rapport entre la grâce et le libre arbitre. Or, Augustin avait étalé sa propre interprétation de Rom. 9 dans quaest. Simpl., ouvrage cité ailleurs dans Paris Lat. 11.574. Le compilateur a donc délibérément écarté la doctrine augustinienne en faveur d’une interprétation — pour lui hiéronymienne — qui donnait un tout autre rôle à la liberté humaine. Il est ensuite tentant de voir dans le commentaire de Paris Lat. 11.574 un élément de la longue controverse (849–860) sur la grâce et le libre arbitre soulevée par les écrits de Gottschalk d’Orbais.458 En effet, dans cette dispute où l’arme principale était les citations patristiques, le De induratione joue un rôle assez considérable. Hincmar se sert du texte dans son premier traité contre Gottschalk, le Ad reclusos et simplices, écrit vraisemblablement en 850.459 Dans une lettre de Raban Maur à Hincmar de la même année, nous apprenons que Gottschalk avait reproché à Hincmar d’être « séduit » par le texte, dont Gottschalk semble avoir mis en doute l’authenticité hiéronymienne.460 Nous apprenons de même par le De tribus epistolis de Florus de Lyon, écrit en 852 ou 853,461 que Pardulus de Laon, autre opposant de Gottschalk, affirmait lui aussi que le traité était de Jérôme.462 En réponse, Florus dit ne trouver aucune mention du traité dans les autres œuvres de Jérôme, mais ajoute :

|| 457 L’extrait se trouve aux folios 58r–60r. Il correspond aux passages suivants dans le texte de PLS 1, 1506–1539 : Cum enim nondum [§13] … in contumeliam [§18] ; Quae quaestio [§22]… invenerit mentem [§28] ; cum ergo [§30] … nescio Deum [§31] ; superest de proposita [§34] … contumeliae perversus [§39] ; habet enim potestatem [§41] … vas honoris efficiatur [§45]. Nous n’indiquons pas de petites coupures à l’intérieur de ces extraits. Un annotateur carolingien a comparé les extraits avec un exemplaire du texte complet du De induratione, pour indiquer en marge certains des passages sautés par le compilateur. On lit ainsi : hic minus habetur quam beatus Ieronymos dixisset multum (58v) ; hic minus est (ibid.) ; hic minus habetur (59r) ; et hic minus (ibid.). La même main a ajouté en marge au folio 58v une phrase sautée par le compilateur (ou son copiste : nous ne savons pas si Paris Lat. 11.574 est l’original de cette compilation, comme le rappellent GORMAN, Paris lat. 12124, 79 et BOODTS, The Reception, 438.442). 458 Voir l’étude exhaustive de DEVISSE, Hincmar, 115–153.187–279 ; bibliographie supplémentaire en BOODTS, The Reception, 443s. 459 DEVISSE, Hincmar, 134. 460 Raban Maur, epist. 44, MGH Ep. V, 492s. : Vos seductos esse asserit stilo cuiusdam libelli, qui fertur esse Hieronimi, de induratione cordis Pharaonis, ut diceretis non Deum indurasse cor Pharaonis, sed indurari permisisse. Il est difficile de savoir si c’est à Gottschalk, ou à Raban lui-même, qu’il faut attribuer le fertur. En tout cas, pour Gottschalk, ni Jérôme, ni aucun autre père de l’Église, n’est une autorité absolue : tous peuvent se tromper (pour Jérôme, voir De praedestinatione 13 [= LAMBOT, Œuvres, 235s.] ; à Responsa de diversis 4 [ibid. 138–145], Gottschalk signale des erreurs chez Cyprien, Grégoire de Nazianze, Jérôme, Augustin, Grégoire le Grand, et le grammairien Priscien). Augustin lui-même ne pensait pas autrement : c. Faust. 11,5 ; epist. 82,3.24. 461 Voir ZECHIEL-ECKES, Florus, 135–137. 462 Florus de Lyon, De tribus epistolis (CCCM 260, 399). Voir aussi idem, Libellus de tenenda immobiliter scripturae sanctae veritate (CCCM 260, 454).

Introduction | 109

sed quia nos huiusmodi libellum numquam vidimus, utrum ille, qui apud istos invenitur, et stili gravitate et fidei sinceritate eius esse credendus sit, tamquam de ignoto iudicare non possumus.463 Enfin, dans son troisième et dernier traité sur la prédestination, écrit en 859–860, Hincmar prend lui-même note des doutes sur l’authenticité du De induratione. Il évite de se prononcer sur la question, mais s’incline dans la mesure où il ne cite plus le texte dans ce traité.464 Sur la base de ces faits, on peut supposer que le commentaire de Paris Lat. 11.574 émane du milieu d’Hincmar et de Pardulus, et avait pour but de fournir, sur le texte biblique de référence dans ce débat, une lecture radicalement opposée à la double prédestination de Gottschalk. Il y a cependant deux obstacles à cette hypothèse : (1) elle exige que l’on avance la date assignée au manuscrit par les paléographes ; (2) il n’y a aucune mention de ce commentaire dans tout le dossier de la controverse, ce qui, étant donnée l’ampleur du travail, ne laisse pas de surprendre, si vraiment il fut écrit pour réfuter Gottschalk. Retenons en tout cas que le commentaire est en soi un témoignage du grand intérêt que soulevait la question de la prédestination dans les milieux cultivés du 9ème siècle en Francie. Il se peut par exemple que Gottschalk ait lu à Corbie soit Paris Lat. 11.574, soit la copie du De induratione dont la compilation tire ses extraits, et que cette lecture ait stimulé ses propres réflexions.465 Du reste, la présence dans Paris Lat. 11.574 d’extraits de l’Inchoata expositio correspond à la volonté du compilateur de fournir une alternative à la vision rigide de la prédestination enseignée par Augustin à partir de quaest. Simpl., et qui est absente de l’Inchoata expositio.466

|| 463 Ibid. 400. 464 Hincmar de Reims, De praedestinatione Dei 1 (PL 125, 74). Pour la datation, voir DEVISSE, Hincmar, 227, et voir ibid. 234, n. 230.237 pour l’absence de citations du De induratione. 465 Pour le séjour probable de Gottschalk à Corbie en 829 ou peu après, voir L. TRAUBE, MGH Ant. 3, 709s. Il y a un écho de Inchoata expositio 5,15 en Gottschalk, De praedestinatione 24 [= LAMBOT, Œuvres, 344] : ‘ex resurrectione mortuorum Iesu Christi domini nostri’ nihil est aliud quam ex resurrectione mortuorum suorum. Germ serait-il la source de Gottschalk, chez qui LAMBOT (op. cit.) n’indique aucun autre extrait de l’Inchoata expositio ? 466 Nos conclusions rejoignent partiellement celles de BOODTS, The Reception, qui étudie en détail la sélection des extraits augustiniens sur Rom. 8,28–30 : « We find that the compiler has not exclusively focussed on Augustine’s later exegesis of Rom. 8,28–30, on those works that are associated with Augustine’s later, more rigid doctrine of grace » (453s.). BOODTS (456) est d’avis que le commentaire fut probablement compilé avant le début de la controverse lancée par Gottschalk, et que le compilateur ne prend pas position sur la question de la prédestination.

110 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

Les extraits (Germ) de l’Inchoata expositio dans le manuscrit sont chacun précédés d’un lemme, et d’une indication de provenance, sous la forme : A(U)G(USTINU)S, Ex lib(ro) ad Rom(anos).467 Ils sont les suivants :      

3r. L e m m e : Vocatus Apostolus. E x t r a i t : breviter in (2,1) … superbire admoneat (3,1). 3r. L e m m e : Quod ante promiserat per prophetas suos. E x t r a i t : siquidem de populo (3,2) … divinitus creditae (4,2).468 3v. L e m m e : De filio suo. E x t r a i t : David enim (4,3) … esse monstraret (4,12). 4r. L e m m e : Qui praedestinatus est filius Dei. Et cetera. E x t r a i t : eundem sane (5,1) … domini nostri (5,17).469 4v. L e m m e : Per quem accepimus gratiam. E x t r a i t : gratiam cum omnibus (6,1) … Iesu Christi (7,4).470 4v. L e m m e : dilectis dei, vocatis sanctis. E x t r a i t : hic significavit (7,5) … pax erit (8,6).

Comme le montrera l’apparat critique, le texte excerpté par Germ appartenait certainement à la famille Λ de la tradition de l’Inchoata expositio, sans se ranger clairement avec une branche de cette famille.471 Il a aussi des erreurs qui lui sont propres :472 si ceux-ci étaient dans son exemplaire (ce qui est indémontrable), celuici ne peut être la source de la famille Λ.

2.7

Clausules

Augustin a-t-il écrit l’Inchoata expositio dans une prose rythmée ? Un réponse positive aiderait l’éditeur à choisir entre les variantes. Di Capua a déclaré que l’œuvre

|| 467 En contraste, les extraits de in Rom. ont le libellé Ex q(uae)s(tionibus) ad Rom(anos) (e.g. 5r ; 9r ; 13v ; 14r ; 19r ; 19v ; 21r). 468 Dans l’Inchoata expositio, mais non pas dans Germ, cet extrait suit immédiatement le précédent. 469 Même remarque. 470 Même remarque. 471 Fautes que Germ partage avec d’autres témoins : 3,1 in Christum] Christum E Germ  ; 3,3 crederem] credere O (ac.) Germ ; 3,4 per prophetas] per om. K Germ (ac.) ; 5,9 sedet] sedit S U Germ ; 5,13 decebat] dicebat E V Germ (ac.) Am ; 6,2 meritis] meriti O (ac. ; uv.) E Claud. Germ Am ; 7,7 quis] qui O (ac.) Germ Am. Il peut facilement s’agir dans tous ces cas de pures coïncidences. 472 Fautes uniques : 5,11 qua] quae ; 6,1 qua] quia ; 6,2 cardinem] consuetudinem Germ (pc. ; lectio ac. non liquet). Deux modifications sont dues au compilateur : 2,1 discernit] discernit apostolus ; 7,5 etiam hic] hic enim.

Introduction | 111

était plus rythmée que in Rom. et in Gal.,473 mais il n’en fournit pas de preuves, et la question ne semble pas avoir été autrement étudiée. Augustin affirme lui-même avoir généralement écrit, dans une certaine mesure, une prose rythmée : in meo eloquio, quantum modeste fieri arbitror, non praetermitto istos numeros clausularum (doctr. christ. 4,117).474 Malheureusement, il n’indique ni la nature du numerus, ni les limites à entendre par quantum modeste. Les spécialistes modernes, qui se sont généralement limités à étudier les fins de phrases, dites « clausules », distinguent trois types de rythme dans la prose latine. À l’époque classique, on aurait fondé le rythme sur la longueur des syllabes (« clausules quantitatives »). Plus tard, quand on n’entendait plus ces quantités, serait survenu un nouveau système, fondé sur l’accent tonique (« cursus tonique »). Dans une période intermédiaire, on aurait organisé les clausules quantitatives de façon à construire en même temps un rythme tonique (« cursus mixtus »). Nombre d’études ont tenté d’identifier ces différents rythmes dans divers écrits d’Augustin,475 et on a cru y retrouver des traces des trois systèmes. Qu’en est-il de notre texte ?

2.7.1

Méthodologie

Dans le domaine de la prose rythmée, l’accord est loin d’être fait, que ce soit sur l’objet de la recherche ou sur le meilleur moyen d’obtenir des résultats. Nous nous sommes donc contenté d’examiner les fins de phrase selon les indications de base des manuels (LHS, 2, 714–721 ; STOTZ, Handbuch, t. 4, 482–487). Autrement dit, seront considérées comme clausules quantitatives les unités crétique + spondée, crétique + crétique, trochée + spondée, et crétique avec résolution de la deuxième syllabe longue + spondée.476 Les quatre formes reconnues du cursus tonique seront le cursus planus, le cursus tardus, le cursus velox et le cursus trispondaicus. Quant au cursus mixtus, on l’identifiera aux fins de phrase qui surimposent des éléments des deux listes. Les fins de phrase qui n’entrent dans aucune de ces catégories seront considérées comme arythmiques. En partant de l’édition CSEL 84, toutes les fins de phrase ont été prises en considération,477 sauf celles se terminant par une citation biblique, puisqu’en principe Augustin ne modifie pas le texte de la Bible à des fins rhétoriques. Ces phrases ne

|| 473 Il ritmo, 667. 474 Voir aussi les passages, d’interprétation difficile, de mus. étudiés par DI CAPUA, Il ritmo prosaico, 622–629. 475 Pour une bibliographie, voir OBERHELMAN, Rhythmical clausulae, 260s. 476 Suivant les indications de Cicéron (Orat. 214) et Quintilien (inst. 9,4,93, plus ambigu) la dernière syllabe d’une phrase est considérée comme étant longue dans tous les cas. 477 La ponctuation de CSEL 84 n’a pas toujours été suivie.

112 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

figurent donc pas dans le décompte des fins de phrase prises en considération, qui sont ainsi au nombre de 192. À défaut d’un accord sur la valeur des formes monosyllabiques de esse en dernière position et qui ne peuvent être élidées, les fins de phrase qui les contiennent sont considérées comme arythmiques : mortuus est (5,6) ; esse testatus sit (5,10) ; princeps sed iudex est (5,13) ; secuturi sunt (5,14) ; resurrecturi sunt (5,16) ; quod vocatus est (7,7) ; quia vocati sunt (7,7) ; esse dignatus est (14,6) ; ecclesiae plenae sunt (18,11) ; confessione liberatus est (18,14) ; sermo nunc ortus est (22,4).

De même, nous avons renoncé à faire entrer dans un système de cursus tonique (et donc de cursus mixtus, mais non pas de clausules quantitatives) toutes les fins de phrase comportant un monosyllabe. En effet, il semble impossible de déterminer, sans recourir à des critères subjectifs, si ces monosyllabes portaient oui ou non un accent tonique :478 quem praenuntiabant (4,3) ; facta sunt omnia (4,8) ; facta sunt omnia (4,11) ; quos est damnaturus (5,14) ; non cum omnibus (6,1) ; dat hic mundus (8,3) ; intelligi non potest (12,8) ; quam chananaei (13,5) ; esset hoc quaeritur (14,7) ; invitamus ad fidem (15,4) ; fecerit non teneri (15,12) ; baptizare non dubitent (15,15) ; esse non posse (16,4) ; offerri non potest (19,5) ; tamquam in fundamento (19,8) ; peccatis hoc facerent (23,7) ; hoc est perseverent (23,12) ; iste sit modus (23,15).

Notre texte vérifie donc entièrement l’observation de Nicolau : « dans les œuvres des écrivains de basse époque, il n’y a presque plus de monosyllabe final, sauf les diverses formes du verbe esse. »479 Il est tentant d’en conclure, avec Di Capua,480 que ces formes de esse étaient devenues trop faibles pour jouer un rôle rythmique, puis de faire ensuite rentrer les autres monosyllabes ci-dessus dans un système tonique. De telles pratiques pouvaient très bien correspondre à la diction d’Augustin pour certaines de ses fins de phrase. On risque donc de fausser les résultats en considérant ces formes comme arythmiques, mais – le grand défaut des études sur la prose rythmée étant de voir du rythme où il n’y en a pas – nous avons préféré pour cette fois le risque de les fausser vers le bas plutôt que vers le haut. D’ailleurs, s’il est acceptable de retrouver le cursus tonique dans de tels cas douteux, une fois que celui-ci s’est montré très prépondérant dans les cas certains, ce scénario ne s’applique pas à notre texte. L’incertitude surgit de nouveau pour la question de l’élision. Par exemple, Nicolau affirme que l’on prononçait sans élision à l’époque d’Augustin,481 alors qu’ || 478 HAGENDAHL, La prose métrique, 14–17, tente de résoudre ce problème à l’aide des grammairiens antiques, mais il n’échappe pas au piège de la subjectivité. 479 L’origine, 90. 480 Il ritmo, 634. 481 L’origine, 97s.

Introduction | 113

Oberhelman et Hall (270) admettent et hiatus et élision.482 Ici, nous avons accepté l’élision, presque certaine, des formes de esse en position finale, mais les autres cas de hiatus ont été classés, par nouvelle mesure de prudence, parmi les fins de phrase arythmiques : vivere inciperent (1,1) ; superbire admoneat (3,1) ; meritum illorum (7,5) ; gratia est a deo (8,1) ; illi inhaereamus (10,6) ; sanctum intelligimus (11,1) ; gratia et pax (12,9) ; responsum est tria (13,1) ; trinitati attestatur (13,6) ; cogitatione intuebatur (14,7) ; manifestissime ostenditur (23,2) ; opere exprimimus (23,8) ; dicere intelligatur (23,10).

Enfin, la question de l’accent d’intensité secondaire restant obscure,483 pour les mots en dernière position de six syllabes ou plus, seule leur valeur quantitative est prise en compte: congregatione (2,2) ; salutationem (11,4) ; collocutione (13,1).

2.7.2

Résultats

Clausules quantitatives L’hypothèse d’un rythme basé exclusivement sur la quantité des syllabes est à écarter pour notre texte. En effet, on ne trouve que 17 exemples des formes voulues qui ne rentrent pas en même temps dans un cursus tonique. Il s’agit de 8,85 %484 des fins de phrase examinées : Crétique + spondée : esse non posse (16,4). Crétique + crétique : circumcisionis iugo (1,3) ; dignitatem suam (4,8) ; facta sunt omnia (4,8.11) ; vocationis dei (9,6) ; intelligi non potest (12,8) ; intelligatur salus (13,2) ; esset hoc quaeritur (14,7). Trochée + spondée : congregatione (2,2) ; praenuntiabant (4,3) ; factus esset (4,11) ; salutationem (11,4) ; collocutione (13,1) ; amputavit (15,11) ; non teneri (15,12) ; perseverent (23,12). Cursus mixtus Des trois systèmes, le cursus mixtus est celui qui répond au plus grand nombre de fins de phrase : 68 en tout, soit 35,42 % des fins de phrase examinées.

|| 482 Rhythmical clausulae, 270. 483 Ainsi FRAENKEL, Iktus und Akzent (350–352) pense avoir résolu le problème, mais LHS 1, 248 est déjà moins certain. 484 Tous les pourcentages sont arrondis.

114 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

Surtout, la forme crétique + spondée / cursus planus obtient une prépondérance relative par rapport à toutes les autres formes de fins de phrase du texte. On en trouve 35 exemples, soit 18,23 % des formes examinées : vetustate discernit (2,1) ; esse contentos (2,4) ; interpretatione concordet (2,5) ; esse testatur (3,2) ; error illudit (4,1) ; ore prolata (e)st (4,5) ; ipsius david (4,6) ; appareret indutum (4,9) ; esse monstraret (4,12) ; resurrectione signata (e)st (5,2) ; dexteram patris (5,9) ; sitis inventi (6,4) ; venire credendum (e)st (10,2) ; saepe testatur (10,4) ; futura serventur (10,6) ; corrigi nolunt (10,9) ; spiritu sancto (11,1) ; audientis admittit (13,7) ; usque perdurat (14,1) ; impietatis aspergat (14,3) ; blasphemando contemnunt (15,2) ; impietatis oblatrant (15,3) ; dubitationis ignosci (15,5) ; spiritum sanctum (16,2) ; paenitendo curari (16,3) ; indubitanter accusat (17,2) ; voluntate peccare (18,5) ; quaecumque peccavit (18,8) ; oppressione laetari (18,12) ; necandumque curavit (18,14) ; baptizando purgari (19,2) ; quadrupes esse (19,7) ; esse contendat (21,3) ; posse concedi (23,13) ; suscepisse tractandam (23,15).

On retrouve d’autres formes du cursus mixtus dans 33 fins de phrase, soit 17,19 % du total : Crétique + spondée / cursus trispondaicus : nulli relaxetur (10,1). Crétique + Crétique / cursus tardus : coaptavit ecclesiae (2,4) ; timore perterriti (8,2) ; ignoscitur gratia (e)st (9,6) ; posse discedere (10,11) ; salutatione cognoscitur (11,2) ; spiritus dixerit (15,5) ; contentionibus saeviunt (15,13) ; nulla conceditur (17,5) ; veritatis peccaverint (19,5) ; permittente tractabitur (20,4) ; opportunitas flagitat (20,11). Trochée + spondée / cursus planus : illis salutem (8,1) ; subvertat necesse (e)st (19,9). Trochée + spondée / cursus velox : pertinet invenitur (3,5) ; tantae sublimitatis (5,11) ; divinitus adiuvetur (9,4) ; convicia iactitasse (14,3) ; colere maluerunt (15,4) ; misericordiae iudicavit (15,16) ; irremissibile iudicatur (17,2) ; Dominus amputavit (17,4) ; veniam iudicetur (20,1). Trochée + spondée / cursus trispondaicus : atque misceantur (9,5) ; negligenter audiendum (e)st (14,2) ; dixisse iudicetur (14,5) ; illam crediderunt (15,8) ; peccare iudicatur (21,2). Crétique avec résolution de la deuxième syllabe longue + spondée / cursus trispondaicus : figmenta venerentur (15,3) ; peccare videantur (17,3) ; medicina remaneret (18,13) ; accepisse fateamur (19,3) ; dimissione generarent (22,5). Cursus tonique 44 fins de phrase entrent dans les quatre formes du cursus tonique, soit 22,92 % du total. Cursus planus : filius dei (4,4) ; dominum suum (5,9) ; corporis sui (5,13) ; domini nostri (5,15) ; ignoscendo peccatis (9,1) ; corrigi volunt (9,2) ; penitus purgant (10,12) ; principiis suis (12,1) ; positam puto (12,6) ; mihi videtur (12,9) ; apostolus Paulus (13,4) ; apertissime docet (13,7) ; dederit deus (15,1) ; aditum clausit

Introduction | 115

(15,12) ; spiritui sancto (15,12) ; paenitentiae locum (16,1) ; indulgentiae dei (22,3) ; aliquid factis (23,9). Cursus tardus : humilitatis associans (1,4) ; veterem pertinent (2,3) ; scribit epistolam (7,1) ; effugere sinitur (10,3) ; incommutabiliter teneat (10,13) ; trinitate commoneat (12,2) ; omnino brevissima (12,6) ; reus tenebitur (14,4) ; dixisse tenebitur (14,8) ; nullum relinqueret (15,10) ; lacrimis revocat (15,12) ; eius cognoscitur (18,3) ; consecrandis fidelibus (19,11) ; dominus venerat (23,6) ; pacique resisterent (23,7). Cursus velox : illi crucifixerunt (1,4) ; iustificant accepissent (6,2) ; dilecti diligeremus (7,6) ; excludere blasphemabant (20,2) ; quaestio dissoluta (e)st (23,14). Cursus trispondaicus : mortuis appellat (5,12) ; apostolatum videretur (6,1) ; enim Chananaea (13,5) ; sustinere personam (13,6) ; sanctum ministrata (e)st (15,7) ; modo moraretur (18,7). Fins de phrase arythmiques Elles sont minoritaires, par rapport à la somme des trois autres catégories : 63 fins de phrase, soit 32,81 % du total. Ces chiffres s’obtiennent en ajoutant les fins de phrase classées plus haut comme entièrement arythmiques aux suivantes : iesu christi (1,1) ; gratuito datum (1,2) ; dici solent (2,2) ; nemo dubitaverit (3,4) ; iudaeorum fuit (4,3) ; secundum carnem (4,7) ; verbum dei (e)st (4,10) ; fierent omnia (4,11) ; virtutem dei (5,7) ; quos est damnaturus (5,14) ; non cum omnibus (6,1) ; esse cupiunt (6,3) ; dat hic mundus (8,3) ; reconciliamur deo (8,4) ; interveniente pax erit (8,6) ; odissent sua (9,3) ; donum dei (11,1) ; interponit misericordiam (11,4) ; quam chananaei (13,5) ;485 invitamus ad fidem (15,4) ; ipse lapidaverat (15,6) ; verbum dei (15,9) ; paeniteret admonuit (15,10) ; deum negent (15,14) ; baptizare non dubitent (15,15) ; paenitendi dedit (16,6) ; errore peccaverint (16,8) ; ignorans peccat (18,1) ; voluntas dei (18,6) ; cognoverant eam (18,7) ; voluntatem dei (18,8) ; offerri non potest (19,5) ; demonstrat apparent (20,6) ; animo contradicit (21,1) ; erat invidus (21,6) ; mereretur fidem (23,5) ; peccatis hoc facerent (23,7) ; iste sit modus (23,15).

2.7.3

Conclusions

Pour identifier la prose rythmée, les spécialistes entreprennent des comparaisons avec des textes considérés comme certainement arythmiques. Par la suite, Nicolau demande qu’au moins 60 % des fins de phrase soient rythmées,486 alors qu’Oberhelman, qui se livre à des calculs plus sophistiqués, et qui limite son étude au cursus mixtus, requiert 70% ou plus.487 S’il est vraiment permis de croire qu’Augustin

|| 485 Mais voir infra, 2.8, n. critique ad loc. 486 NICOLAU, L’origine, 128. 487 OBERHELMAN, Rhetoric and homiletics, 19.

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utilisait trois systèmes rythmiques différents dans un texte d’une trentaine de pages, on obtient ici 67,19% de fins de phrase rythmées. L’exclusion des formes purement quantitatives, ou, à rebours, l’inclusion de certaines formes éliminées plus haut par mesure de prudence, permettrait de hausser ou de baisser ce pourcentage.488 Mais il est difficile d’arriver à une certitude d’ensemble. Par contre, que 35% de toutes les fins de phrase présentent la forme universellement reconnue du cursus mixtus (spondée + trochée / cursus planus) ne peut être dû au hasard. En même temps, cette forme est reconnue parce qu’elle est courante, et courante certainement parce qu’elle survenait sans devoir être trop cherchée : « le devoir de l’orateur et de l’écrivain … consiste à faire un choix rationnel parmi les clausules que leur offre la langue courante et à régulariser en quelque sorte les cadences naturelles».489 Cette clausule devait faire partie de ces « cadences naturelles ». 35% indiquent-ils alors, pour cette époque et cet auteur, que nature devient culture? La statistique toute seule ne saura résoudre ces problèmes. Puisque toute la prose latine montre un certain nombre de formules rythmiques, la question de la prose rythmée est finalement une question d’intention. Quand ces formules, chez Arnobe ou dans les documents de la Curie médiévale, occupent une proportion extraordinaire des fins de phrase, on ne saurait douter qu’il s’agit d’un effet voulu et forcé. Mais il ne s’ensuit pas que des proportions plus basses indiquent forcément qu’un auteur utilisait le rythme sans choix conscient. Rappelons à ce titre que chez Cicéron même, dont les remarques ont lancé ces études, les clausules typiques ne dominent jamais un texte.490 On ne parle pas pour autant chez lui d’un rythme inconscient. De même Augustin, rhéteur de profession et de nature, devait entendre et choisir les fins de phrase rythmées, quelle qu’en soit leur proportion. Il dit, on l’a vu, qu’il utilisait le rythme quantum modeste fieri arbitror, et c’est ce que confirment les résultats obtenus pour l’Inchoata expositio : on ne va jamais très loin sans trouver une fin de phrase rythmée, mais ce rythme est sous-jacent et modeste ; il fait couler le texte sans vouloir le conduire. Après tout, ce qui, très souvent chez Augustin, et avant tout dans un commentaire scripturaire, doit prendre le plus de relief, ce sont des phrases pour lesquelles le rythme est hors de question : celles de la traduction latine de la Parole sacrée.

|| 488 Nous n’avons pas tenté d’appliquer la méthode dite de « comparaison interne » de JANSON (22– 26), qui semble (mise à part les objections de l’auteur même) fondée sur l’hypothèse impossible de la distribution normale, au hasard, des mots dans un texte – les mots ne sont jamais distribués au hasard. 489 NICOLAU, L’origine, 33. Voir aussi EKLUND, The use and abuse, 42. 490 Dans le tableau de ZIELINSKI, Das Clauselgesetz (dépliant à la fin du volume) les quatre clausules quantitatives que nous avons cherchées ici représentent environ 67% du total.

Introduction | 117

Enfin, selon les résultats provisoires d’Oberhelman491 la forte présence du cursus mixtus indique qu’Augustin concevait notre texte comme appartenant à un registre littéraire relativement élevé.

2.7.4

Critique textuelle

Dans aucun cas cette édition ne s’est permise de choisir entre deux variantes selon le critère que l’une d’entre elles formait une « meilleure » fin de phrase rythmique. En effet, comme le démontre Eklund, il ne suffit pas de savoir qu’un auteur recherche çà et là un rythme, pour pouvoir établir, avec un haut degré de probabilité, qu’il le cherchait dans un cas donné. Eklund exige que 90–95% des fins de phrase soient certainement rythmiques, avant que l’on puisse corriger avec certitude les aberrations.492 L’Inchoata expositio est loin de montrer une telle uniformité, et le rythme ne pourra donc apporter aucune aide pour la critique textuelle.

2.8 Notes critiques pour l’Inchoata expositio 2,1 Paulus servus Iesu Christi : christi iesu O E T K Z P W L1 F : Le stemma ne permet pas de choisir entre les deux leçons. C’est que les scribes médiévaux mélangeaient et modifiaient incessamment les formules du type Dominus noster Iesus Christus. En 2,4, où le verset de Rom. est repris, la bonne leçon est probablement Christi Iesu, alors que 7,1 suggère qu’Augustin lisait bien Iesu Christi. Il est très difficile de trancher dans de tels cas, qui ont du reste peu d’importance. 3,1 quoniam credentes in Christum, in quorum numerum vocatus est, Iudaeis praeposuerat : in christum O (om. ac.) S T V U] christo κ B Am Er Lov ; in christo γ ; christum E Germ μ : Il semble que l’archétype de Λ ait porté credere in Christum, et que la leçon de E Germ soit une pure faute d’omission. Les Mauristes ont refait la faute indépendamment, puisqu’ils ne pouvaient trouver cette leçon dans aucune de leurs sources (Am Er Lov et V). Augustin emploie très rarement la locution credere Christum dans le sens « croire au Christ » – seulement quatre exemples sur LLTA493 : in Gal. 18 ; serm. 51,11 (si pie vivamus, si Christum credamus : on sent la recherche de l’équilibre) ; serm. 263,3 (non est magnum videre

|| 491 OBERHELMAN, Rhetoric and homiletics, 96S. 492 The use and abuse, 37–40. 493 D’après une recherche sur cred* Christum et Christum cred*dans LLTA. Cela n’inclut pas les cas où les deux mots seraient séparés par d’autres, dont il n’est pas facile de faire la part. Nous avons évidemment mis de côté les instances où Christum est le sujet d’un infinitif dans le discours indirect (e.g. agon. 22,24 : ergo et ego inde credo Christum natum esse de virgine, quia in evangelio legi).

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Christum oculis carnis, sed magnum est credere Christum oculis cordis : l’équilibre, encore une fois) ; c. Petil. 3,38 (où Augustin cite peut-être Petilianus). Voir par contraste serm. 14A,3 : Hoc ergo tractavimus: interesse debere inter fidem christianorum et fidem daemonum, quia et illi credunt - dixerunt Christo: ‘Scimus qui sis’ [Mc. 1,24]. C r e d i d e r u n t C h r i s t u m , s e d n o n c r e di d e r u n t i n C h r i s t u m. Unde ergo distinguitur qui credit Christum ab eo qui credit in Christum? Quia omnis qui credit in Christum continuo sine dubio credit Christum, non autem omnis qui credit Christum continuo credit in Christum.494 Le stemma n’est pas favorable non plus à Christo. B n’est pas fiable, et la présence de in dans toute la branche γ de Ξ et dans Λ (sauf l’erreur chez E) indique que la préposition était bien dans l’archétype. Reste donc à choisir entre in Christo et in Christum. Selon les résultats de LLTA,495 Augustin a écrit 11 fois credere in Christo, et 244 fois credere in Christum (dont Inchoata expositio 1,3). Même si l’on retrouve souvent, comme ici, les deux leçons dans divers manuscrits pour un même passage, in Christum est toujours la leçon la plus probable en cas de doute, et c’est donc celle que nous avons adoptée. Sans doute Augustin se pliait-il généralement aux formules des anciens Symboles de la foi, qui presque toujours portent credo in Iesum Christum, se calquant sur la formule grecque πιστεύω εἰς,496 d’origine néotestamentaire.497 3,3 etiam si aliqua inveniuntur : etiam γ B Er Lov μ : etiam si est sans doute la leçon de l’archétype. Mais tous les éditeurs depuis Érasme ont préféré omettre si. Non sans raison : la protase établie par si ne trouve jamais d’apodose. Mais le plus probable est qu’Augustin a perdu le fil de sa phrase lors de sa longue parenthèse sur la Sibylle. γ B auraient donc corrigé (indépendamment ?) pour améliorer le texte. 3,3 ultima Cumaei venit iam carminis aetas : iam venit Ξ U B edd : Citation de Virgile, ecl. 4,4. La leçon iam venit est métriquement possible, mais elle est inconnue des anciens manuscrits de Virgile498 (même si on la retrouve dans des ma-

|| 494 La même distinction dans in euang. Ioh. 29,6, où credere in est aussi expliqué (Quid est ergo credere i n e u m ? Credendo amare, credendo diligere, credendo in eum ire, et eius membris incorporari). Sur ce passage, et pour d’autres parallèles, voir MOHRMANN, Credere. 495 Pour une recherche sur cred* in Christum / in Christum cred*, et cred* in Christo / in Christo cred*. 496 Voir les textes rassemblés par HAHN, Bibliothek der Symbole (credo in + ablatif seulement dans le texte 24, p. 25). 497 Voir LSJ s.v. πιστεύω, 1 ; BINDLEY, The Oecumenical Documents, 22s. Augustin suit l’usage consacré, selon MOHRMANN, Credere, 196 : « in c. acc. l’a emporté de bonne heure sur in c. abl. ». 498 Voir l’apparat de S. Ottaviano dans S. OTTAVIANO – G. B. CONTE (éds.), P. Vergilius Maro. Bucolica, Georgica, Berlin 2013, ad loc. En fait le Romanus est le seul des manuscrits majuscules à conserver ce verset, mais Ottaviano a aussi collationné 18 manuscrits carolingiens (il est vrai qu’elle n’en reproduit pas toutes les variantes).

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nuscrits plus tardifs),499 et, quand Augustin cite de nouveau ce verset, à civ. 10,27, il écrit bien venit iam. 4,4 filium tantummodo David : tantummodo filium david V ; filium david tantummodo Ξ B edd : La leçon adoptée est celle de Λ (corrompue dans V). En effet, la position de tantummodo dans Ξ B établirait plutôt un contraste entre filium David et un autre titre du Christ où David ne figure pas forcément. Or le contraste voulu est entre filium David et Dominus David (voir la suite de 4,4), si bien que l’emphase de tantummodo doit tomber sur filium. 4,8 nec alicui angelicae aut cuiusvis excellentissimae creaturae generationi tribui potest : excellentissimae T V F γ (exc. P) B edd] excelsissimae O E S U Claud Germ K Z L1 M Am (vl.) ; excelleret P : Les deux superlatifs excellentissimus et excelsissimus, presque synonymes, se confondent facilement dans une tradition manuscrite. Ainsi la distribution des leçons ne suit pas le stemma. Trois arguments poussent à préférer excellentissimae. (1) excellentissimae reprend ce qui est dit des Juifs en 4,4 : ignorantes excellentiam qua Dominus est ipsius David. L’excellentia des choses créées sera ainsi contrastée avec celle de Dieu. (2) Les résultats de LLTA500 montrent qu’ailleurs Augustin utilise beaucoup plus souvent excellentissimus que excelsissimus : on trouve 5 exemples du second,501 contre 65 du premier.502 (3) C’est seulement excellentissimus que l’on trouve employé dans le sens voulu, pour désigner un être au sommet de la création, et que l’homme serait tenté d’adorer : Non sit nobis religio vel ipsa perfecta et sapiens anima rationalis sive in ministerio universitatis sive in ministerio partium stabilita … hoc etiam ipsos optimos angelos et e x c e l l e n t i s s i m a ministeria Dei velle cre-

|| 499 G. P. E. WAGNER (Publius Virgilius Maro varietate lectionis et perpetua adnotatione illustratus a Christ. Gottl. Heyne, editio quarta, 1830–1841, Leipzig, t. 1, 130) donne iam venit en variante, avec la source « Leid », c’est-à-dire un (ou plusieurs ?) des cinq manuscrits de Leyde énumérés t. 4, 613.617. 500 Dans cette recherche, les formes adverbiales excellentissime et excelsissime ont été écartées. 501 Epist. 77,2 ; in epist. Ioh. 52,11 ; civ. 8,14 ; 12,1 ; trin. 4,18 (ici il faut probablement préférer la variante bien attestée excellentissima, puisque la locution excellentissima sapientia est employée ailleurs par Augustin – epist. 140,3 ; cons. euang. 1,11.52 ; in psalm. 8,5 ; c. Faust. 22,40 ; c. Iulian. op. imperf. 5,1 – alors que excelsissima sapientia serait unique). 502 Le mot s’emploie à propos de D i e u (conf. 1,20 ; epist. 170,9 ; in psalm. 130,7 ; serm. 351,3 ; 314(augm),7 ; divers. quaest. 79,4 ; trin. 9,1), des q u a l i t é s d i v i n e s (soliloq. 1,6 ; mus. 6,7 ; lib. arb. 2,14.17 ; doctr. christ. 1,14 ; gen. ad litt. 10,24 ; 12,28 ; cons. euang. 4,10 ; in psalm. 8,5 ; civ. 20,30 ; c. Petil. 3,50 ; c. Maximin. 2,13), de l ’ e x c e l l e n c e h u m a i n e (conf. 4,16 ; mor. eccl. 67 ; epist. 140,44 ; 150 ; 155,2 ; epist. Divj. 17,2 ; cons. euang. 1,11.34 ; 2,86 ; de serm. dom. 1,42 ; in psalm. 36,1,3 ; 53,10 ; 103,3,13 ; 150,6 ; serm. 210,9 ; 241,1 ; 218(augm),6 ; civ. 1,36 ; 6,6 ; 8,4 ; 19,3 ; c. Faust. 22,36.40 ; trin. 15,8 ; c. Parm. 3,25 ; bapt. 6,3 ; c. Petil. 3,34 ; c. Pelag. 4,26 ; c. Iulian. 1,30 ; 3,9 [ironique] ; 6,51 [de même] ; c. Iulian. op. imperf. 5,1 ; persev. 49), puis des a n g e s (vera relig. 303 ; coll. c. Maximin. 14,11 – ces textes seront cités), d ’ a u t r e s c r é a t u r e s (in psalm. 103,3,15 [arbres] ; 145,3 [corps] ; 259,3 [indéfini]), de l ’ a u t o r i t é d e l ’ É g l i s e (quant. an. 7), et de l ’ É c r i t u r e (cons. euang. 2,86 ; divers. quaest. 36,1 ; c. Faust. 22,38 ; c. adv. leg. 2,5 ; c. Cresc. 2,27).

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damus, ut unum cum ipsis colamus Deum, cuius contemplatione beati sunt (vera relig. 301.303). Nonne si templum alicui sancto angelo e x c e l l e n t i s s im o de lignis et lapidibus faceremus, anathemaremur a veritate Christi et ab ecclesia Dei, quoniam creaturae exhiberemus eam servitutem quae uni tantum debetur Deo ? (coll. c. Maximin. 14,11). 4,12 cum factum Deo diceret Christum … non factum Deo sed natum esse monstraret : deo1] deum c ; om. Λ B Lomb edd : deo2] deum c ; a deo Λ B Lomb edd : deo doit être la leçon originale de Ξ dans les deux cas, la variante de c n’ayant pas de sens. Ce deo datif reprend ei, du texte de Rom. 1,3, tel que le cite Augustin en 4,2.7.503 On peut certes s’en passer en 4,12, mais (1) c’est la lectio difficilior : ces deux datifs ne sont pas d’interprétation facile, et on s’explique mal que Ξ ait modifié le texte simple tel qu’on le trouve dans Λ pour les installer ; (2) ei est absent de la Vulgate en Rom. 1,3,504 ce qui peut avoir influencé Λ. 5,3 si consurrexistis cum Christo : conresurrexistis O E K Z γ (exc. R H ; cum resurrexistis B1) : Comme il arrive souvent dans les citations bibliques, la répartition des leçons ne suit pas le stemma. Nous suivrons donc les habitudes d’Augustin. Selon LLTA, il cite Col. 3,1 8 fois avec la leçon consurrexistis (epist. Divj. 3,1 ; serm. 53,14 ; 116,2 ; 263A,1 ; 304,4 ; 362,24 ; 395,1 ; contin. 29), et une seule fois avec conresurrexistis (spec. 385, avec consurrexistis en variante). De tels résultats inciteraient à corriger le texte de spec. puis à accepter consurrexistis pour l’Inchoata expositio, d’autant plus que conresurrexistis est la leçon de la Vulgate,505 vers laquelle on sait que les scribes ont tendance à dériver. Mais la majorité des textes augustiniens en question ne bénéficient pas d’édition critique moderne, si bien que nos résultats demeurent provisoires. 5,10 tamquam admonens unde : et tamquam Λ Am : Rousselet506 a préféré et tamquam, coordonné avec et consequenter. Mais le et de et consequenter relie plutôt 5,10 à ce qui précède, alors que la proposition introduite par tamquam est bien une explication de la manière dont l’apôtre a parlé consequenter, et non pas une seconde idée à juxtaposer à ce fait.

|| 503 Les fiches de la base de données Vetus Latina confirment qu’Augustin a généralement inclus ce ei en citant Rom. 1,3 tout au long de sa carrière. 504 Du moins selon Gryson. Mais, comme le montre son apparat, ei est amplement attesté par les anciens manuscrits, y compris l’Amiatinus, le Fuldensis, et la Bible d’Alcuin. La leçon est inconnue du grec (voir CRANFIELD, A Critical and Exegetical Commentary, 59). 505 Dans les manuscrits de spec., le texte de la Vulgate a très largement remplacé le texte biblique authentique d’Augustin : voir CSEL 12, xiiii–xxiii. Mais, encore une fois, on trouve consurrexistis en variante dans la Vulgate, y compris dans la Bible d’Alcuin (voir Gryson ad loc.). Les deux leçons, de même que resurrexistis, sont bien attestées dans les versions pré-hiéronymiennes, telles que les reconstruit H. J. FREDE (Vetus Latina 24/2 : Epistulae ad Philippenses et ad Colossenses, Freiburg 1966–1971, ad loc.), qui donne aussi de nombreux exemples de resurrexistis chez Augustin. 506 À propos d’une édition, 237.

Introduction | 121

5,11 qua etiam caput est ecclesiae : iam Λ (tam E Germ ; del. E2) : L’idée d’Augustin, c’est que c’est par la résurrection de tous les bienheureux (ex resurrectione mortuorum), dont il est la cause, que l’on voit la gloire divine du Christ (propria illa et eminentissima dignitate). C’est cette même gloire qui le rend tête de l’Église. Mais il serait étrange de dire que le Christ est déjà (iam) tête de l’Église par la résurrection des bienheureux, étant donné que celle-ci n’a pas encore eu lieu.507 De plus, voir 5,12 : non enim sic praedestinari oportuit nisi Filium Dei, secundum quod est e t i a m caput ecclesiae ; 5,13 quorum e t i a m caput est tamquam corporis sui. 5,15 tamquam si diceret, qui praedestinatus est Filius Dei ex resurrectione mortuorum suorum : qui diceret O S E U Claud Germ ; diceret T V : T V a bien senti que tamquam qui diceret, la leçon de l’archétype de Λ, est fautive. Pourquoi dire que Paul écrirait « comme celui qui dit », quand Augustin veut tout simplement dire qu’il écrit « comme s’il disait » ? LLTA montre aussi qu’il affectionne l’expression tamquam si diceret pour introduire une paraphrase d’un texte de l’Écriture : on la retrouve 18 fois dans son œuvre (dont Inchoata expositio 18,5).508 6,2 optime itaque tenet cardinem causae : ordinem Λ B Lomb edd : Augustin indique que Paul a bien désigné la grâce, et non les bonnes œuvres (6,1 meritis priorum operum ; 6,2 vitae prioris meritis), comme cause première de toute conversion à l’Évangile. Pour cette idée, ordinem causae convient mal. L’ « ordre de la cause » n’est pas une expression claire : il aurait fallu plutôt ordinem causarum.509 Par contre, Augustin aime utiliser la métaphore du cardo, du « gond », pour indiquer l’élément essentiel et primordial sur lequel repose l’existence de tout un système :Et tamen pulchrum illud atque aptum, unde ad eum [sc. l’orateur Hierius] scripseram, libenter animo versabam ob os contemplationis meae et nullo conlaudatore mirabar. Sed tantae rei c a r d i n e m in arte tua nondum videbam, omnipotens, qui facis mirabilia solus (conf. 4,23s.). Animadvertimus, cum apostoli epistola legeretur … quemadmodum exhorrueritis homines, qui putantes hanc solam esse vitam, quam cum pecoribus habemus communem … dicunt: ‘manducemus et bibamus; cras enim morimur’ [1 Cor. 15,32]. Hinc ergo sumatur nostrae disputationis exordium, et hic sit nostri velut c a r d o sermonis, quo

|| 507 Nous ne suivons donc pas ROUSSELET (À propos d’une édition, 237) qui voudrait voir un contraste entre iam (présent) et resurrecturi sint (futur). Bien entendu, le Christ est déjà tête de l’Église dans le présent (ou plutôt dans l’éternité). Mais il s’agit ici d’expliquer quand cette fonction se manifeste (apparet) pleinement, et ceci n’aura lieu qu’à la résurrection des morts. 508 Les autres textes sont gen. ad litt. imperf. 26 ; de serm. dom. 1,58.60 ; in Gal. 37.42 ; de mend. 34 ; loc. hept. 1,99 ; quaest. hept. 1,40 ; 2,42 ; in Iob 28 ; in euang. Ioh. 9,7 ; in psalm. 4,8 ; 71,3 ; 92,6 ; 118,18,4 ; serm. 10,2 ; c. Adim. 26. 509 Comparer civ. 5,8s.

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7,1

7,2

9,1

9,2

cetera, quae Dominus suggerere dignatus fuerit, referantur (serm. 361,1).510 L’expression « le gond de la cause » reste cependant difficile. On peut comprendre qu’Augustin voit la cause de la conversion comme un ensemble intégré, où les bonnes œuvres peuvent aussi avoir leur rôle à jouer, mais où c’est toujours la grâce qui est l’essentiel, le gond, de cet ensemble causal. cardo est un mot bien moins commun que ordo, ce qui plaide aussi en sa faveur. est enim qui scribit : scribit epistolam ΛB edd : Impossible d’être certain quant à la bonne leçon. Nous avons préféré le texte de Ξ, puisque epistolam est quelque peu redondant après qui scribit epistolam dans la phrase précédente. item quia occurrebat de quo filio suo : suo om. Ξ : Encore un cas très incertain. Mais la leçon de Λ renforce le parallèle avec la question précédente, qui porte aussi sur un nom qualifié, et omet le qualificatif : in e v a n g e l i u m D e i . Sed quia occurrebat q u o d e v a n g e l i u m ? … de F i l i o s u o . Item quia occurrebat d e q u o filio ? gratiam praebet ignoscendo peccatis : peccantibus Λ Am+ : Évidemment, les deux leçons sont possibles.511 Mais peccatis conserve une harmonie avec le reste du passage : peccata remittuntur (8,4) … remissis peccatis … sola peccata (8,5) … peccata vestra … (8,6) … peccatorum suorum … peccatorum suorum (9,2). On peut même prétendre que le participe présent peccantibus ne convient pas, puisque le Seigneur ne pardonne pas au pécheur pendant l’acte du péché, mais une fois le repentir venu. Mais, sans participe passé actif, le latin n’est pas toujours très précis sur la limite temporelle du participe présent (voir LHS 2, 207s.). En 8,3, ceux qui peccantes displicuerunt sibi regroupent certainement non seulement ceux qui sont dégoûtés par leur action au moment du péché, mais aussi ceux qui s’en repentent après. Voir aussi in psalm. 50,7 (misericordia est ut ignoscat peccanti, iustitia est ut puniat peccatum) ; serm. 114A,3 (in danda venia peccanti ignoscis). nondum poenarum manifestus terror apparet : error O E L1 (ac.) Am ; horror d c (pc. L) : La leçon horror se défend, et trouve de l’appui des deux côtés du stemma. error est clairement faux, mais est-ce plus probablement une corruption de horror ou de terror ? Nous avons choisi terror, puisque LLTA montre qu’Augustin associe volontiers terror et poena, soit en les apposant (conf. 1,23 ; lib. arb. 2,29 ; quaest. hept. 6,8 ; voir aussi c. Gaud. 2,4), soit, comme ici, avec poenarum au génitif qualifiant terror (epist. 145,6 ; util. cred. 9 ; un. eccl. 53). Par contre, on ne trouve jamais chez lui poena et horror ainsi associés.

|| 510 Voir aussi conf. 5,15 ; quant. anim. 23 ; lib. arb. 3,3 ; epist. 102,26 ; trin. 3,16 et Arnob. nat. 7,39 : ventum est ergo ... ad ipsum articulum causae, ventum rei ad cardinem. 511 ROUSSELET (À propos d’une édition, 237) a préféré peccantibus, mais sans savoir que les deux leçons avaient le même niveau d’appui dans le stemma.

Introduction | 123

9,5 ut ignoscatur talibus quaecumque antea commiserunt : ignoscatur Λ (ignoscetur U ; ignoscantur T)] ignoscantur Ξ (ignoscatur R) : On ne trouve que deux exemples de ignosco à la troisième personne du pluriel du passif chez Augustin : in euang. Ioh. 124,5 : Duas itaque vitas sibi divinitus praedicatas et commendatas novit ecclesia, quarum est una in fide, altera in specie … una aliena peccata ut sua sibi i g n o s c a n t u r ignoscit, altera nec patitur quod ignoscat ; nat. et grat. 65 : Cur quaerit baptismatis sacramentum? An propter commissa praeterita, ut ea tantum i g n o s c a n tu r , quae fieri infecta non possunt? Comme on le voit, dans ces deux cas, le sujet de ignosco est exprimé directement devant lui, ce qui rend l’utilisation du singulier impersonnel impossible. Ce n’est pas le cas dans notre passage, puisque quaecumque peut s’employer sans antécédent. On trouve d’ailleurs des parallèles à la construction proposée ici, où un mot pluriel pour les péchés se trouve dans une relation un peu vague avec le passif de ignosco au singulier : epist. 63,2 : H a e c o m n i a non recte facta esse confessi sunt et, ut sibi i g n o s c e r e t u r , rogaverunt ; civ. 21,27 : Nobis voluit salvator ostendere … non nobis deesse p e c c a t a , pro quibus dimittendis debeamus orare et eis, qui in nos peccant, ut et nobis i g n o s c a t u r , ignoscere. ignoscatur correspond aussi mieux à la suite du passage : quia talibus non ignoscitur … quia ignoscitur … (9,6). Cependant, si l’on accepte le quae de Λ pour quaecumque (voir n. suivante), il faut probablement écrire ignoscantur. 9,5 quaecumque antea commiserunt : quae Λ : La certitude est impossible. Mais (1) quaecumque correspond mieux à l’emphase de tout l’Inchoata expositio sur la capacité de Dieu à pardonner t o u s les péchés (voir 18,8 : ei dimitti omnia q u a e c u m q u e peccaverit) ; (2) la construction avec quae tend à donner l’illusion que celui-ci aurait pour antécédent talibus. 9,6 quapropter et quia talibus ignoscitur, iustitia Dei est, et quia ignoscitur, gratia est : non ignoscitur Ξ B edd : La leçon de Ξ B est acceptée par la plupart des éditeurs, mais elle ne saurait être juste.512 La syntaxe exigerait que talibus soit l’objet du pardon pour les deux ignoscitur, ce qui est un non-sens. C’est ce que montrent les traductions établies sur ce texte, comme celle de Tarulli : « Se dunque a questi tali non si dà perdono, è giustizia di Dio; se li si perdona è grazia di lui ».513 Ceci équivaut à dire que Dieu peut agir justement sans pardonner aux repentis – c’est peut-être une idée augustinienne en soi, mais elle serait totalement hors contexte. Raulx (éd.) n’a pas ce problème, mais semble supposer un mot comme aliis devant ignoscitur2 : « Conséquemment, Dieu est juste en ne pardonnant pas à ceux-ci, et il est miséricordieux en pardonnant à c e u x -

|| 512 Comme l’a déjà vu ROUSSELET, À propos d’une édition, 237. FREDRIKSEN LANDES, 63, et RING, 243 acceptent la correction de Rousselet. 513 Traduction très similaire chez MARA.

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l à . »514 Une telle traduction supppose aussi que talibus fasse référence aux pécheurs non-repentis. C’est très maladroit, puisqu’en 9,5 talibus désigne justement les repentis, et les non-repentis sont dits non tales. Seule la leçon de Λ correspond à la logique du texte. Augustin veut montrer qu’en pardonnant aux pécheurs repentis, Dieu montre à la fois sa justice (9,2 iustum est … vere iustum est … 9,4 iustitiae disciplina ; l’inverse serait iniustum [9,3] … iniustissimum [9,5]) et sa grâce (9,1 gratiam praebet ignoscendo peccatis). C’est ainsi qu’Augustin peut conclure (9,6) : iusta est ergo gratia Dei et grata iustitia. La grâce est juste puisque Dieu agit justement en pardonnant les repentis, mais la justice est pleine de grâce, puisqu’elle pardonne (et, comme il va le dire, puisque le mouvement du repentir vient de la grâce). Mais avouons que le texte de Λ est bien maladroit. Y aurait-il une corruption plus profonde ? 10,8 inchoationis iudicii a domo dei … et si iustus vix salvus erit : domini Ξ (dei F M ; deum RH) B Am Er Lov : Nous avons préféré la leçon dei de Λ, puisque c’est celle universellement attestée dans la première citation de 1 Petr. 4,15–18, tout de suite avant en 10,5 (avec domo dei repris en 10,6). Mais Augustin ne citait pas forcément deux fois de la même façon : en 10,5 il avait écrit salvus fit, et ici salvus erit. Comme le montre le relevé de VetLat 26/1, dans ces deux cas, Augustin utilisait volontiers les deux leçons.515 Sans doute, citait-il de mémoire, en écrivant (ou dictant) rapidement, ce qui permettait de telles variations. En in psalm. 147,27, il a enchainé domini et dei en citant 1 Petr. 4,17 (du moins selon le texte de CSEL 95/5). La leçon domini de Ξ peut donc très bien être juste ici aussi. 10,11 haec dixi : hoc Λ B edd : On ne peut être sûr de la bonne leçon, mais nous avons préféré le pluriel haec, parce que le singulier reprendrait plus naturellement le dernier point du texte, et non tout le développement précédent. Or, Augustin résume non pas 1 Petr. 4,6, qu’il vient de citer, ni même l’explication des souffrances des justes au §10, mais tout le développement sur la justice et la grâce qui commence en 9,1. Mais on se demande si haec n’a pas été influencé par haec dixi dans la citation de Io. 16,33 en 10,12. 10,11 a iustitia deum posse discedere : ab Λ : Selon le témoignage de LLTA, Augustin utilise ab devant la consonne i exclusivement dans des citations ou paraphrases bibliques, avec les noms hébreux Ierusalem (de loin le plus fréquent, généralement en citant Lc. 24,47), Iacob(o), Iericho, Iohanne. 11,2 Et ideo ipsa Trinitas pariterque incommutabilis 〈unitas〉 in ista salutatione cognoscitur : trinitas] trinitas inseparabilis T V ; post incommutabilis add. unitas B

|| 514 Même solution chez PERONNE, etc. et MARTIN PEREZ. 515 L’allusion (10,8) au propheta fait penser qu’Augustin a peut-être consulté son texte de prov. 11,31 en re-citant 1 Petr. 4,18. Mais toutes les citations de ce second texte chez Augustin sur la base de données Vetus Latina sont les mêmes que celles relevées par VetLat 26/1 pour 1 Petr. (sauf pecc. mer. 1,54, qui n’inclut pas σῴζεται).

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Gl Lomb edd : Comme on l’a vu plus haut (2.2.3, p. 78), l’archétype présentait ici une lacune, que T V et B Gl Lomb ont tenté de combler par conjecture. Leurs deux conjectures vont dans le même sens : ils ajoutent un mot qui indique l’unité fondamentale des trois personnes de la Trinité. Cette hypothèse semble la bonne. Il est rare en effet qu’Augustin parle de la Trinité sans mettre en avant son unité, et l’idée convient bien au contexte, où il montre que les trois personnes sont mentionnées e n s e m b l e dans les salutations épistolaires du Nouveau Testament. Plutôt que d’ajouter une nouvelle conjecture, nous avons préféré accepter celle de B Gl Lomb, sans toutefois la considérer comme certaine. Pour l’ajout de T V, bien que la formule inseparabilis trinitas soit bien augustinienne,516 la combinaison des termes incommutabilis et inseparabilis par pariterque est maladroite. pariterque (« en même temps ») fait attendre un degré d’opposition entre les deux termes, mais rien n’oppose clairement « inséparable » et « immuable ». Pour le texte adopté, comparer surtout le passage suivant : Hoc enim affectu ab omni mortifera iucunditate rerum transeuntium sese extrahit et inde se avertens convertit ad dilectionem aeternorum, i n c o m m u t a b i l e m s c i l ic e t u n i t a t e m e a n d e m q u e T r i n i t a t e m (doctr. christ. 2,20). 11,6 peccatorum abolitio fiat, qua seiungebamur a Deo : quibus V (pc. ; ac. non liquet) B edd : Nous avons gardé la leçon de l’archétype, considérant que l’on peut traduire qua comme un adverbe (« là où »). Mais la conjecture quibus est bien attirante, surtout étant donné le parallèle avec 8,4 (gratia est … qua nobis peccata remittuntur, q u i b u s adversabamur Deo). Comparer aussi 23,6 (pacem in reconciliationem Dei, a quo separant sola peccata). 12,7 et in Iesu Christo conservatis : in om. Λ c μ : Il est très difficile de savoir s’il faut omettre cet in. Augustin ne cite pas ailleurs Jude 1,1, et les autres citations patristiques sont partagées. in est attesté aussi en grec et dans la Vulgate, bien que faiblement.517 Il semble plus probable qu’Augustin a écrit in, que Λc ont ensuite omis sous l’influence de la tradition majoritaire de la Vulgate. Cette hypothèse correspond du moins à l’avis de Thiele, VetLat 26/1, pour qui in fait partie du texte « africain ».518 13,2 concinentia linguarum non fortuito sic sonuisse arbitratus est : fortuitu T V Z B edd; fortitudo c : Les deux formes adverbiales fortuito et fortuitu sont synonymes, la deuxième étant plus tardive.519 Les scribes les confondent très facilement, si bien que la répartition des leçons ne suit pas le stemma. Mais de fait les résultats de LLTA suggèrent qu’Augustin n’utilise jamais fortuitu. On compte 16

|| 516 18 exemples sur LLTA. 517 Pour tous ces faits, voir VetLat 26/1, 412s. ; Gryson ad loc. 518 Loc cit. et 94*s. pour le texte « Africain » de Jude. 519 Et archaïque ? OLD et ThLL (s.v.) acceptent tous les deux Rhet. Her. 1,11,9 puis quelques exemples d’époque classique.

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exemples de fortuito adverbial,520 alors que les deux cas de fortuitu sont bien douteux : retract. 1,1,2 (unde et illa verba sunt, quae nulla religio dicere prohibet: forte, forsan, forsitan, fortasse, f o r t u i t u ) semble contredit par quaest. hept. 1,91 (verba, quae nemo potest auferre a consuetudine loquendi, parata sunt, id est forte et fortasse et forsitan et f o r t u i t o ) et trin. 3,19 (ne quis ea vel f o r t u i t u , vel causis tantummodo corporalibus vel etiam spiritalibus tamen praeter voluntatem Dei exsistentibus agi crederet) par trin. 9,10 (ea quae non sunt ficto phantasmate cogitantur sive aliter quam sunt sive f o r t u i t o sicuti sunt).521 D’ailleurs, la bonne leçon est peut-être fortuita, en accord avec l’ablatif concinentia. C’est bien la concinentia linguarum (« l’accord des langues ») qui est dite ne pas être due au hasard, et l’accumulation d’expressions adverbiales (concinentia … non fortuitu … sic) pour qualifier sonuisse est un peu maladroite. D’où les tentatives d’une partie de la tradition de transformer concinentia en accusatif sujet de sonuisse. 13,5 tria enim mulieris lingua salus vocantur : lingua mulieris Λ : Les problèmes de l’ordre des mots sont des plus difficiles à résoudre dans la critique textuelle latine. Ici, aucune règle ne permet de déterminer si le génitif doit venir avant ou après le nom qu’il modifie. Mais mulieris lingua maintient au moins le parallélisme avec Romana lingua en 13,6. 13,5 unde interrogati rustici nostri quid †sit Punice, respondent †Chanani, corrupta scilicet, sicut in talibus solet, una littera. Quid aliud respondent quam, †Chananaei? : sit] sint T V B edd ; Chanani O E c B edd] canani K ; chemani S T ; chaemani V ; chaemam U ; cananei Z ; chanei γ (canei P W) ; Chanan(a)ei T B edd] cananei V ; chanani O (pc.) S E M ; canani O (ac.) κ (exc. M) ; canai γ (cha- B1 H) ; chanam U : Ce texte constitue l’unique attestation que le peuple punique d’Afrique du Nord, ou du moins certains paysans parmi ce peuple, s’appelaient du nom de Cananéens, qui serait l’ancien nom sémitique des Phéniciens du Moyen-Orient.522 À ce titre, le passage est souvent cité par les historiens de la

|| 520 Ce sont, avec les variantes des éditions CCSL / CSEL : epist. 102,13 (-tu dans 2 MSS) ; 149,22 (-tu dans 2 MSS) ; gen. ad litt. 3,18 (-tu dans 4 MSS, dont 2 avec variante -to) ; quaest. hept. 1,91 (bis ; -tu dans 1 MS / 4 MSS) ; serm. 8,1 ; civ. 4,18 (bis ; -tu dans 2 MS / 8 MSS, dont un avec variante -to) ; 19,33 ( -tu dans 4 MSS) ; 7,3 ( -tu dans 5 MSS, dont 2 avec variante -to) ; 11,5 ; 18,41 (-tu dans 8 MSS, dont 1 avec variante -to) ; trin. 9,10 (-tu dans 4 MSS, dont 3 avec variante -tu) ; c. Iulian. 5,14 (pas d’édition critique). Comme on le voit, les apparats critiques rendent moins certains nos résultats. Cependant, pour les textes où subsistent des manuscrits de l’Antiquité tardive (gen. ad litt. ; civ.), on n’y trouve jamais fortuitu. 521 La variante fortuito est attestée dans les deux passages en questions. Pour retract. 1,1,2 CSEL 36 préfère -to, mais note -tu dans 10 MSS, dont un avec variante -to ; CCSL 57 donne -tu mais note -to dans 3 MSS. Pour trin. 3,19 on trouve -to dans 3 MSS, dont 2 avec la variante -tu (CCSL 50). 522 Le problème du nom que ce peuple se donnait et donnait à sa langue n’est pas résolu. Pour KRAHMALKOV, Phoenician-Punic (11, 399), les punicophones appelaient leur langue Pon(n)im. Mais il n’y a qu’un passage du Poenulus de Plaute pour étayer cette théorie. On a souvent soutenu et aussi

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Phénicie et de Carthage.523 Malheureusement, il semble que les mots clé du texte sont corrompus, et que, dans l’état des connaissances actuelles de la langue et de l’ethnologie puniques, il n’y a aucun espoir de les corriger de façon à éclairer la nomenclature en question.524 Difficultés du textus receptus Les variantes sint … Chanani … Chananaei constituent le textus receptus, c’est à dire celui de toutes les éditions antérieures. Aucun éditeur n’a tenté de justifier ce texte. Amerbach l’a vraisemblablement recueilli d’un texte du type représenté par le manuscrit B,525 et c’est ensuite la force de la tradition qui a assuré sa survie. Évidemment, Amerbach ne connaissait pas le punique, mais la philologie sémitique permet aujourd’hui une défense du textus receptus. En effet, le terme c(h)anani correspond orthographiquement à la forme « gentilique » des langues sémitiques, un nom-adjectif se terminant en i, qui est d’usage pour les noms de peuples.526 La forme c(h)ananaeus, quant à elle, est la transcription latine de la forme grecque Χαναναῖος. Celle-ci est formée par une procédure courante, selon laquelle les gentiliques hébreux en -i deviennent des adjectifs grecs en -αῖος.

|| rejeté l’hypothèse que ϕοῖνιξ serait en fait un terme d’origine grecque, signifiant rouge : voir HUSS, Geschichte, 2 ; LIPINSKI et RÖLLIG, Dictionnaire s.v. Phénicie. De plus, on n’admet pas toujours que ϕοῖνιξ soit à l’origine de Punicus : voir LIPINSKI et RÖLLIG s.v. Puniques. Quant à Canaan, KRAHMALKOV admet qu’il s’agit du « Phoenician name of Phoenicia » (loc. cit. 236 – on y trouvera aussi la liste des rares attestations du mot dans les textes puniques ; sur cette liste, voir aussi QUINN, Augustine’s Canaanites, 176s.), mais l’origine punique de ce mot est aussi mise en doute : voir ZOBEL, Kena’an, § I.3 ; LIPINSKI et RÖLLIG s.v. Canaan. Dans l’Ancien Testament, et dans l’ensemble de la documentation orientale, les termes Canaan(éen) et Phénicie(en) se recoupent, mais sont loin d’être toujours synonymes. On sait que la « terre de Canaan » est un des noms de la Terre Promise. Voir ZOBEL, loc. cit. § I.2, 4 ; II.1. 523 E.g. D. HARDEN, The Phoenicians, London 1962, 22 ; S. MOSCATI, Chi furono i Fenici, in : S. MOSCATI (éd.), I Fenici, Milano 1988, 24s. ; M. SOMMER, Die Phönizier, München 2008, 14 ; D. HOYOS, The Carthaginians, London 2010, 1, 220. 524 Nous n’avons aucune compétence en punique, mais des savants qui connaissent cette langue ont très généreusement partagé avec nous leur érudition. Nous ne pouvons citer tous ceux qui sont venus à notre aide, mais tenons à nommer au moins Maria Bianco, François Bron, Lionel Galand, Rober Kerr, Reinhard Lehmann et Philip Schmitz. Avant tout, nous voulons remercier Josephine Crawley Quinn, avec qui nous avons longuement discuté de ce passage, en personne et per litteras, et qui, en collaboration avec Neil McLynn, était déjà arrivée indépendamment à des conclusions similaires aux nôtres. Nous devons au professeur Quinn la correction des leçons de certains manuscrits, mais nous restons l’unique responsable de tout ce qui suit. Voir aussi le travail collaboratif : QUINN – MCLYNN – KERR – HADAS, Augustine’s Canaanites. 525 Voir supra, 2.4.1, p. 86. 526 Voir FRIEDRICH – RÖLLIG, Phönizisch-Punische Grammatik, 139.

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L’exemple le plus répandu du phénomène est sans doute le couple Yehudi / Ἰουδαῖος.527 Ainsi, les paysans auraient utilisé la forme sémitique du mot, qu’Augustin aurait corrigé par la forme gréco-latine qu’il connaissait par la Bible. Cette hypothèse a le mérite de correspondre à des faits linguistiques connus. Mais elle n’est pas recevable, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la séquence sint … C(h)anani … C(h)ananaei trouve très peu de soutien dans le stemma. sint n’est que dans T V B, que l’on sait représenter des traditions enclines à la conjecture. L’archétype portait certainement sit, sur lequel nous reviendrons. Chanani (avec la variante orthographique Canani) en première position est assez bien représentée des deux côtés du stemma pour avoir pu figurer dans l’archétype. Mais C(h)anan(a)ei en seconde position est seulement dans le groupe suspect T V B : l'archétype portait vraisemblablement de nouveau C(h)anani. Bien entendu, la présence du même mot dans les deux positions constituerait un non-sens, mais il n’y a rien d’improbable à ce qu’un tel non-sens ait figuré dans l’archétype. Seuls des scribes qui connaissaient eux-mêmes le punique étaient susceptibles de préserver le bon texte dans un tel passage, et on sait d’ailleurs quel désordre règne dans la transcription des noms propres dans toute la latinité médiévale. Il faut donc conclure que le textus receptus constitue une conjecture, probablement faite à deux reprises, de manière indépendante, dans la tradition de T V et celle de B. C’est certes une conjecture intelligente, mais il est improbable qu’elle vienne d’un scribe qui connaissait quelque chose aux formes sémitiques, et elle a donc moins d’autorité en soi que ne l’aurait la conjecture d’un éditeur moderne. Un second problème saute aux yeux, celui du nombre de lettres différentes entre les deux formes. Augustin parle d’une seule lettre corrompue, mais entre Chananaei et Chanani, il y a deux lettres de différence : la diphtongue ae a disparu en entier. Une diphtongue ne représente certes qu’un seul son, mais, par définition, elle s’écrit en deux lettres. Il convient cependant de se demander si Augustin épelait le mot C(h)ananaeus ou C(h)ananeus. On sait qu’à son époque la diphtongue ae se prononçait comme un e long,528 prononciation qu’elle devait garder jusqu’aux réformes d’Érasme. Augustin lui-même le confirme : Non est enim scriptum ‘aequus’, quod ab aequitate dicitur, sed ‘equus’, animal quadrupes (in psalm. 32,2,2,24). L’orthographe tendait ensuite à suivre la prononciation. Mais en même temps les grammairiens luttaient pour pré-

|| 527 Pour une prise de conscience de l’hellénisation des noms hébreux dans la Bible, voir Origène, in Ioh. 2,33,197. 528 Voir LHS 1, 68.

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server l’orthographe ancienne,529 si bien que, même au haut Moyen Âge, celle-ci n’aura pas complètement disparu. Mais l’influence des grammairiens fut peut-être moindre pour une forme comme C(h)ananaeus, où ni la racine ni le suffixe530 ne sont de souche latine. À défaut d’autographes, le meilleur témoin que nous possédons des habitudes orthographiques d’Augustin est le célèbre manuscrit Saint-Pétersbourg, Q. v. I.3, vraisemblablement écrit en Afrique du Nord du vivant de l’auteur.531 Plusieurs érudits nous renseignent sur l’orthographe de la diphtongue ae dans ce manuscrit. J. Zycha532 signale que les inversions de ae et e sont fréquentes et sans logique apparente, puisque l’on trouve des orthographes alternatives du même mot sur une même page. Notons que, selon lui, on trouve uniquement l’orthographe Manicheus (et non pas Manichaeus). Green533 lui aussi relève des exemples de e et ae inversés ; dans sa liste on notera en particulier la forme Hebreos. Dans une étude plus détaillée, Mutzenbecher534 affirme que e n’est que rarement mis pour ae (formes à noter : Hebrea, Manicheorum) mais que ae pour e est bien plus fréquent (hypercorrection).535 Elle nous informe aussi sur l’orthographe de Iudae(us) :536 la forme en ae est courante, celle en e n’apparait que deux fois. Si le manuscrit de Saint-Pétersbourg utilise normalement les orthographes Iudaeus et Manicheus, on en conclura que les deux formes C(h)ananaeus et C(h)ananeus pouvaient être produites dans le milieu d’Augustin. Il est beaucoup moins aisé d’en déduire ce qu’Augustin considérait comme la bonne orthographe du mot. Même si le manuscrit de Saint-Pétersbourg venait directement du scriptorium d’Hippone, ce qui ne semble pas être le cas,537 il faudrait savoir si l’auteur assurait la correction des vétilles orthographiques dans les textes écrits sous sa dictée ou copiés de ses autographes. Toutefois, si notre passage porte vraiment sur la différence entre les formes C(h)anani et C(h)anan(a)ei, Augustin avait lieu de s’interroger plus particulièrement

|| 529 Voir SEELMANN, Die Aussprache, 224–226. À Varron, De re rustica 2,1,7 (cité n. 547 infra) la transformation AE → A est décrite comme la perte d’une lettre (mais le texte n’est pas certain : voir C. GUIRAUD [éd.], Varron : Économie rurale. Livre II, Paris 1985, n. ad loc.). 530 Les formes en -aeus sont étrangères au latin : toutes celles que l’on trouve chez GRADENWITZ (Laterculi, 482) sont d’origine grecque. Voir aussi K-S 1,981 ; et SCHULZE, Zur Geschichte, 392, pour les adjectifs gentilices d’origine grecque ou étrusque. 531 Voir W. M. GREEN, CSEL 80, vii–ix ; infra, n. à 2,5. 532 CSEL 25, xxx. 533 CSEL 80, xxvi. 534 MUTZENBECHER, Codex Leningrad, s’occupe essentiellement de ce qu’elle appelle « dem ersten Teil » (406) du manuscrit, c’est à dire apparemment jusqu’au folio 86r. 535 Ibid. 419s. 536 Ibid. 424. 537 Ibid. 437–442.

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sur l’orthographe exacte de cette deuxième forme. Il était alors en mesure de la relier à la forme grecque en -αῖος du Nouveau Testament, et donc de préférer l’orthographe en -aeus. Nous admettons cependant que, dans la rapidité de son travail, il ait pu négliger cette question. Par conséquent, nous ne considérons pas que la formule una littera constitue un obstacle infranchissable pour le textus receptus. Mais, si nous admettons ex hypothesi la forme C(h)ananei, il reste le problème du sens de corrupta. Si l’on traduit, comme nous l’avons fait, corrupta una littera, « avec la corruption d’une lettre », le lecteur français comprendra spontanément que, dans la prononciation du mot par les paysans, le son représenté par une seule lettre était modifié, par rapport à la prononciation, et donc à l’orthographe, qu’Augustin considérait comme normative. En effet, en français, corrompre signifie « empirer, vicier, rendre mauvais », un sens qui dérive sans altération de l’usage latin de corrumpere et corruptio. Mais dans le transfert C(h)ananei → C(h)anani, une lettre et le son qu’elle représente n’ont pas été modifiés, mais éliminés. Étymologiquement, corrumpere vient de rumpere, et peut donc aussi signifer « briser, éliminer, détruire ».538 Une telle traduction pourrait donner raison au textus receptus. Mais retrouve-t-on ce sens de corrumpere chez Augustin ? Pour répondre à cette question, nous avons examiné sur LLTA tous les exemples (env. 1700) de formes en corrump*et corrup* chez notre auteur. Il s’agit donc non seulement du verbe corrumpere et du nom corruptio, dans toutes leurs flexions, mais aussi des dérivés corruptibilis, corruptibiliter, corruptibilitas, corruptor, corruptrix, corruptela. Or, dans cette masse de données, il n’y a qu’un seul passage où un des mots en question a probablement le sens voulu. Il s’agit d’une réflexion, en civ. 3,20, sur le suicide collectif des habitants de Sagonte en 219 av. J-C : Si Saguntinorum christianus populus esset et huiusmodi aliquid pro fide evangelica pateretur, quamquam se ipse nec ferro nec ignibus c o r r u p i s s e t , sed tamen si pro fide evangelica excidium pateretur, ea spe pateretur, qua in Christum crediderat.

Il est difficile d’expliquer l’emploi de corrumpere ici. Peut-être Augustin le doit-il à sa source non identifiée.539 Ou peut-être fait-il référence à la corruption des âmes

|| 538 Cf. ThLL s.v. Mais l’article ne distingue pas très clairement delere, perdere de depravare, mutare in deterius. 539 Il ne s’agit pas de Tite-Live (21,14) qui parle bien, comme Augustin, d’un bûcher, mais dit seulement que certains s’y jetèrent, et ne mentionne pas d’égorgements. La diversité règne dans les narrations du destin du peuple de Sagonte, dont on trouvera la liste chez HUSS, Geschichte, 282s. C’est Silius Italicus (2,592–707) qui donne la version la plus proche de civ. Mais, à notre connaissance, Augustin n’avait pas lu ce poète : il peut donc y avoir une source commune.

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qu’entraîne le suicide. En tout cas, s’il faut bien comprendre corrumpere dans le sens de « détruire », le passage reste tout à fait isolé. Pour le reste, corrumpo et ses dérivés signifient un phénomène précis et obsédant pour Augustin. Il s’agit du mouvement vers la destruction.540 Seules les choses créées y sont soumises, et la vie de l’homme, après la chute, n’est qu’une longue lutte pour résister à la corruptio morale et endurer la corruptio physique. Ces deux processus ont une fin : pour le corps, la mort ;541 pour l’âme, la damnation. Mais le processus et la fin sont deux choses différentes, et corruptio ne désigne que la première des deux. Citons deux passages qui montrent bien ce sens de corruptio comme processus : Omnis natura quae minus bona fieri potest, bona est; et omnis natura dum c o r r u m p i t u r , m i n u s b o n a f i t . (lib. arb. 3,36) O r d i n a t i o esse cogit, inordinatio ergo non esse; quae perversio etiam nominatur atque corruptio. Quidquid itaque c o r r u m p i t u r , eo t e n d i t , u t n o n s i t . (mor. Manich. 8)

Noter de même la perpetua corruptio des corps dans l’Enfer— corruptio, justement, parce que le corps n’est jamais détruit : Proinde illi qui ad iudicium resurrecturi sunt, non commutabuntur in illam incorruptelam quae nec doloris corruptionem pati potest … Isti vero p e r p e t u a c o r r u p t i o n e cruciabuntur; quia ‘ignis eorum n o n e x s t i n g u e t u r , et vermis eorum n o n m o r i e t u r ’ [Is. 66,24]. (epist. 205,15)

Augustin parle aussi, comme en français, de la corruptio des juges et de la corruptio des textes.542 Mais, encore une fois, un juge corrompu ou un texte corrompu n’ont pas cessé d’exister – ils ont seulement été endommagés, rendus pires.543 De même, il aime à appliquer la phrase ne corrumpas tituli inscriptionem,544 version de la note introductoire des psaumes 55–58, au refus par Pilate de modifier l’inscription sur la Croix (Io. 19,19–22).545 Ce que demandent les prêtres, et ce que refuse Pilate, c’est bien de changer l’inscription, et non pas de l’effacer. On voit donc à quel point Augustin est précis et cohérent dans sa distinction entre corruption et destruction, élimination. Passons maintenant aux rares exemples où l’auteur applique corrumpo et ses dérivés à l’analyse des mots. En mus. || 540 Pour plus de détails, voir AugLex s.v. corruptio – incorruptio. 541 Mais vide infra sur l’Enfer. 542 Les exemples sont trop nombreux pour être cités. La corruption judiciaire apparait surtout dans les écrits anti-donatistes, celle des textes dans la polémique contre les Manichéens. 543 Epist. 82,34 : De interpretatione tua iam mihi persuasisti, qua utilitate scripturas volueris transferre de Hebraeis, ut scilicet ea, quae a Iudaeis p r a e t e r m i s s a , vel c o r r u p t a sunt, proferres in medium. Les passages praetermissa ne figurent plus ; les corrupta sont toujours là. 544 La forme exacte du texte varie chez Augustin. 545 Cons. euang. 1,5 ; in euang. Ioh. 117,5 ; in psalm. 55,2 ; 56,3 ; 80,11 ; serm. 201,2 ; 218(augm),7.

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5,24, la substitution de certaines unités métriques à d’autres dans un vers est qualifiée de corruptio. Il s’agit toujours de substitution, jamais d’élimination. En in psalm. 132,3, Augustin accepte que la désignation Circelliones, employée par les catholiques, puisse être une forme corrompue pour Circumcelliones. Ici il y a bien élimination de lettres, comme dans C(h)ananei → C(h)anani, mais c’est le mot tout entier, et non pas une seule lettre, qui est décrit comme corrompu : forte corrupto sono nominis eos appellamus … Donc, encore une fois, le processus décrit est bien une substitution, et non pas une élimination. Même constat pour un petit traité de grammaire dont certains acceptent l’authenticité augustinienne, l’Ars breviata.546 Il y est question de corruptio dans une discussion (2,6) sur la formation des noms : Sane particulae quibus nomina conponuntur aut integrae sunt omnes, aut c o r r u p t a e omnes, aut partim integrae partim c o r r u p t a e . C o r r u p t a s dico quando per ipsam compositionem integritatem amittunt, nec ex eo tamen minus latinum nomen efficiunt. Nam cum ‘ineptus’ dicitur ‘in’ utique latinum est, et tamen ‘eptus’ latinum non est. Ex eo enim quod est ‘aptus’ c o r r u p t u m est. Si quis itaque non diceret ‘ineptus’ sed ‘inaptus’, eo minus latinum nomen esset quod c o r r u p t u m nihil haberet.

Comme on le voit, les formes dites corrompues sont des modification des formes intègres, et corruptus ne peut ici signifier « éliminé ».547 Conclusion : dans corrupta una … littera, le mot corrupta ne peut pas faire référence à l’élimination de la lettre e dans un transfert C(h)ananei → C(h)anani. Venons-en à l’hypothèse qui ferait de C(h)anani la forme gentilique sémitique. Sous ce biais survient une nouvelle objection au textus receptus : C(h)anani est une forme punique au singulier, alors que C(h)ananaei est un nominatif pluriel en latin. Au pluriel, le gentilique devrait être une forme du type C(h)ananim.548 La leçon C(h)anani permettrait donc de défendre la leçon sit de l’archétype, mais ne saurait correspondre au pluriel C(h)ananaei.

|| 546 L’authenticité est vigoureusement défendue par LAW, St. Augustine’s, puis par BONNET, Abrégé, vii–xx. Mais ont-ils vraiment réfuté les objections des Mauristes et de Marrou ? En revanche, les arguments de Law contre l’authenticité des Regulae grammaticales attribuées à Augustin semblent probatoires. D’ailleurs, il n’y a aucun dérivé de corrumpo dans ce second texte. 547 Pour le vocabulaire de la véritable élimination, voir Varron, De re rustica 2,1,7 : Nostri … oves ‘baelare’ vocem efferentes dicunt, quo post ‘balare’ e x t r i t a u n a l i t t e r a , ut in multis ; Macrobe, sat. 1,12,30 : d e t r i t i s q u i b u s d a m l i t t e r i s ex ‘Iunonio’ ‘Iunius’ dictus ; Isidore de Séville, Orig. 6,19,22s. : ‘Osanna’ in alterius linguae interpretationem in toto transire non potest. ‘Osi’ enim ‘salvifica’ interpretatur; ‘anna’ interiectio est, motum animi significans sub deprecantis affectu. Integre autem dicitur ‘osianna’, quod nos c o r r u p t a m e d i a v o c a l i l i t t e r a e t e l i s a dicimus osanna, sicut fit in versibus cum scandimus. 548 FRIEDRICH – RÖLLIG, Phönizisch-Punische Grammatik, 139.

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On pourrait certes répondre qu’Augustin ne savait pas distinguer singulier et pluriel en punique. Cette idée est improbable en soi,549 et de plus elle est clairement contredite par un passage de haer. 87, sur le nom d’une secte locale : Abeloim vocabantur, punica declinatione nominis. Hos nonnulli dicunt ex filio Adae fuisse nominatos qui est vocatus Abel, unde Abelianos vel Abeloitas eos possumus dicere.

Ici le pluriel sémitique est bien en -im et les formes latines et grecques proposées pour le remplacer sont bien au pluriel. Ce passage de haer. permet de formuler une dernière objection au textus receptus, ou du moins à son explication par le gentilique sémitique : une forme punique n’est pas une forme « corrompue » d’un mot punique. Abeloim n’est pas présentée comme une forme fautive, mais tout simplement comme un mot punique. Or, on a vu que corrumpo et ses dérivés ont un sens presque universellement péjoratif chez Augustin. Prétendrait-il vraiment qu’en se nommant dans leur propre langue, avec leur propre grammaire, les paysans n’utilisaient pas une forme correcte ? Surtout que l’idée d’une supériorité innée du latin (ou du grec) aux autres langues « barbares » est étrangère à la pensée augustinienne.550 Difficultés des autres hypothèses Il est douteux en soi qu’un transfert C(h)anan(a)ei → C(h)anani, où il est évident que la différence entre les deux mots ne porte que sur la façon de former l’adjectif à partir d’un même nom de lieu, ait nécessité une glose quelconque. Mais, quoi qu’il en soit, il est clair que le textus receptus est de fait irrecevable. Il convient alors de passer en revue quelques hypothèses pour le corriger. Nous venons de voir qu’un pluriel punique correspondant à C(h)ananei devrait prendre la forme Chananim. Ce –m sémitique a très bien pu se perdre dans la transmission. Doit-on le rétablir, avec un texte sint … C(h)ananim … C(h)anan(a)ei ? C’est impossible, puisqu’il y a plus d’une lettre de différence entre C(h)ananim et C(h)anan(a)ei. On peut alors proposer sint … C(h)ananim … C(h)anani, où cette dernière forme serait formée de la racine sémitique + la terminaison latine. Mais le passage de haer. que l’on vient de citer montre qu’Augustin ne procédait pas ainsi. De plus, encore une fois, C(h)ananim serait une forme juste en punique, et non pas une « corruption ».

|| 549 Il n’est pas aisé, en parcourant les passages recueillis par GREEN, Augustine’s Use (auxquels il faut ajouter les passages mentionnés dans notre commentaire, n. à 13,1–7), de se faire une idée exacte des connaissances puniques d’Augustin. Mais elles paraissent assez étendues pour conclure qu’il connaissait de tout temps un fait de langue élémentaire comme la formation des pluriels. 550 Voir commentaire, n. à 13,1–7.

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On peut ensuite postuler des émendations basées sur ‫( ְכּנַעַן‬Kena‘an), le vocable hébreu sur lequel sont formés Χαναναῖος / C(h)ananaeus. Il y a en effet, comme on le voit, trois modifications dans la transformation grecque du mot hébreu : (1) l’occlusive k est devenue une occlusive aspirée, ch ; (2) la voyelle initiale e est devenue a ; (3) la lettre gutturale ‘ayin a disparu, ce qui a conduit à la fusion des deux dernières syllabes. Toutes ces transformations suivent les normes de la LXX,551 mais le mot punique des paysans pouvait en théorie très bien être plus proche de la forme hébreu. Cependant, il y a d’énormes difficultés à déterminer dans quelle mesure l’orthographe massorétique des textes bibliques pouvait correspondre à la phonétique des paysans des alentours d’Hippone au 4ème siècle. L’orthographe de la LXX peut très bien refléter, elle aussi, une prononciation de l’hébreu qui était proche d’une prononciation punique. En tout cas, on écartera d’emblée (1) et (3) : (1) Pour qu’Augustin ressente la transformation ch → k comme une corruption, il faudrait qu’il entende très clairement la différence entre les deux sons. Mais le latin les a toujours très mal distingués, le ch étant importé du grec, et sans place certaine dans l’orthographe latine, sauf à l’intérieur de quelques mots (pulchrum, sepulchrum).552 L’incertitude a régné de tout temps pour l’orthographe latine des mots qui comportaient, ou que l’on croyait comporter, un χ dans leur forme grecque. C’est ce que montrent les variantes pour notre passage, et il en est ainsi aussi dans le manuscrit de Saint-Pétersbourg, où on lit Chanan (le Κανά de Io. 2), Nabuccodonossor (corr. Nabuch-), Rebeccha.553 On peine alors à croire qu’Augustin ait pris position sur la bonne prononciation de l’occlusive initiale de C(h)ananaei, surtout sans indiquer très clairement à un public latin de quoi il en retournait.554 (3) Il est probable que les paysans ne prononçaient pas le ‘ayin, puisque celui-ci tend à disparaitre en punique.555 Mais, même s’ils le prononçaient, pourquoi Augustin devait-il y voir une corruption ? La forme Chanaan lui était bien connue de l’Ancien Testament, où elle est normale dans la Bible latine, comme calque du grec Χανααν.556 Doit-on supposer le cas inverse, qu’Augustin, fort de ses connaissances bibliques, s’attendait à une forme sur base Χανααν ? C’est faire de lui un philologue

|| 551 Pour (1) et (2) voir HELBING, Grammatik, 27s. Pour (3), il semble qu’une forme du type Χανααναῖος était simplement trop barbare pour être créée en grec ou en latin. 552 Voir LHS 1, 75. KERR, Latino-Punic, 115, semble donc trop confiant en se servant de notre passage dans son dossier sur l’aspiration en punique. 553 MUTZENBECHER, Codex Leningrad, 422–424. 554 Comme il le fait clairement à cons. euang. 1,34. 555 Voir FRIEDRICH – RÖLLIG, Phönizisch-Punische Grammatik, 15 ; KERR, Latino-Punic, 24–38. 556 Pour la LXX, voir ZOBEL, Kena’an, § I.2. Pour la Bible latine, voir Novae Concordantiae bibliorum sacrorum iuxta Vulgatam Versionem Critice editam, t. 1, Stuttgart 1977, 759–761. La Vulgate n’entre pas en jeu pour l’Inchoata expositio, mais sur un tel point son orthographe suit celle des versions antérieures. Les résultats de LLTA donnent 87 fois la forme Chanaan chez Augustin.

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des langues sémitiques, ce qu’il n’était certainement pas, et encore moins ses lecteurs. De plus, Augustin fait dériver Chananaeus de Chanaan sans broncher en c. Iulian. op. imperf. 4,129 : de isto ergo Chanaan ducunt originem Chananaei. Enfin, l’orthographe en aa est la seule façon connue de reproduire en grec et en latin le ‘ayin du mot + sa voyelle, et il est douteux que la transformation aa → a puisse être décrite par corrupta … una littera. (2) ne peut être exclu avec certitude. Nous possédons certaines indications, bien qu’éparses et confuses, sur les voyelles du punique tardif. De l’étude qu’en fait Kerr,557 on retiendra qu’il existe une « harmonisation des voyelles » qui produit des orthographes du type Χανα- , mais que la « voyelle réduite » e est aussi clairement attestée. On doit donc admettre la possibilité que le mot des paysans avait un premier syllabe en Ke, et qu’Augustin ne savait pas qu’une telle prononciation se justifiait par l’hébreu. Le bon texte serait alors soit sint … C(h)enan(a)ei … C(h)anan(a)ei soit sit … C(h)enani … C(h)anani. Dans ce deuxième cas, le sujet de sit serait la langue des paysans, par un transfert un peu abusif du mulieris lingua de la phrase précédente.558 Il faudrait alors comprendre C(h)enani et C(h)anani comme deux mots puniques, des formes « gentiliques » servant à indiquer le nom de la langue.559 Ceci est problématique : si la réponse des paysans peut, à la rigueur, être en punique, son explication doit être en latin. En effet, nulle part ailleurs Augustin n’écrit un mot en punique sans indiquer qu’il s’agit de punique. On peut résoudre le problème en proposant un texte sit … C(h)enani … C(h)anan(a)eus, en supposant qu’Augustin ne prenait en considération que le radical, quand il différenciait les deux formes. Mais toutes ces suggestions semblent reposer sur des bases trop instables pour en tirer une solution pour notre texte. Cependant, ces conjectures ont au moins le mérite de correspondre à l’énoncé corrupta … una littera. C’est aussi le cas de deux hypothèses formulées à partir de leçons des manuscrits. Le sous-archétype γ portait la leçon sit … C(h)anei … C(h)anai, d’où l’on peut proposer un texte sit … C(h)anaei … C(h)anani. Et à partir des leçons de d, on peut supposer un texte sit … C(h)amani … C(h)anani. Par la structure du stemma, il est possible en soi que γ ou d conservent de bonnes leçons perdues dans les autres branches. Mais, encore une fois, on ne peut admettre ces deux conjectures sans accepter C(h)anani comme forme punique. De plus, qui pis est, rien ne recommande ni C(h)anaei ni C(h)amani, si ce n’est le fait que ces deux formes diffèrent du mot Chanani d’une seule lettre. Il n’existe pas, à notre connaissance, de phénomène en punique qui justifierait la transformation n→e ou n→m.

|| 557 Latino-Punic, 76–105. 558 Nous devons cette idée sur sit à Jo Quinn. 559 On s’attendrait plutôt à des formes féminines en -it pour le nom d’une langue, mais il est possible que de telles formes se soient prononcées en -i en Afrique du Nord (voir QUINN, Augustine’s Canaanites, 186).

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Bien entendu, il est possible qu’Augustin se soit trompé en postulant que le nom que se donnaient les paysans avait comme racine Kena‘an. Mais il faudrait tout de même une attestation indépendante de C(h)amani ou C(h)anei pour que l’on puisse considérer une de ces formes comme une conjecture valable. On pourrait sans doute proposer d’autres hypothèses, mais elles seront toutes bien incertaines, jusqu’à ce que l’on trouve une information extérieure à notre texte sur le nom que se donnaient ces paysans et qui ressemblait à C(h)anan(a)ei. Il faut donc se résigner au verdict de non liquet. D’ailleurs, la difficulté du problème est reflétée par l’expression parenthétique à laquelle nous n’avons pas fait référence jusqu’ici : sicut in talibus solet. À première vue, il semble s’agir là d’un indice précieux. La corruption d’une seule lettre s’est faite « comme il est d’usage chez de tels hommes » (ou peut-être « dans de tels mots »). C’est donc un phénomène habituel, et non pas isolé. Mais quel est le sens exact de l’expression, et qu’implique-t-elle ? Augustin veut-il dire que les paysans d’autour d’Hippone agissent comme les paysans du monde entier, en parlant mal (cf. doctr. christ. 4,12s.) ? Est-ce que ce sont seulement les paysans de chez lui (rustici nostri) qui tendent à faire des fautes en général ? Ou nous indique-t-il une faute typique et particulière, qui consiste à modifier une seule lettre dans un certain type de mot ? Dans ce dernier cas, est-ce toujours la même lettre ou y a-t-il variation ? On est bien incapable de répondre à ces questions, et finalement, pour nous, il s’agit d’un indice qui n’indique rien. 14,3 quodlibet vile et abiectum : videt Ξ (videlicet R H G) : videt donne un sens acceptable, mais un peu plat. Pour vile et abiectum, comparer mus. 6,57 ; in psalm. 32,2,2,16 ; serm. 37,17. 15,3 nam neque de ipso Deo Patre digne sentiunt : digna Ξ B edd : Il ne semble pas, selon les résultats de LLTA, qu’Augustin ait combiné ailleurs digne ou digna avec sentire. Mais on trouve des parallèles pour digne chez d’autres auteurs de son époque :560 Ambroise, in psalm. 118,12,2 ; Jean Cassien, Institutiones 8,4,3 ; Prosper d’Aquitaine, in psalm. 144,29.561 Par contre, digna est apparemment limité à Arnobe (Adversus nationes 1,39), dont on sait les particularités stylistiques. D’autre part, dans ce §15 de l’Inchoata expositio, Rousselet562 note le parallèle avec male senserit (15), perverse sentit (12), impie sentiant (14).

|| 560 LLTA reste bien incomplet pour la période patristique. On peut le compléter avec la version digitale de PL (http://pld.chadwyck.co.uk/) mais, mis à part les problèmes posés par l’antiquité des éditions dont Migne s’est servi, la version digitale ne facilite pas les recherches sur deux mots séparés l’un de l’autre. Nous avons fait une recherche sur les deux formes placées ensemble, dont nous incluons ici les résultats. 561 Pour les textes un peu plus tardifs, ajouter Fulg. Rusp. epist. 15,10 ; 18,9 ; Greg. M. moral. 27,45. On lit digna sentitis chez Alc. Avit. epist. 51 (MGH). 562 ROUSSELET, À propos d’une édition, 238.

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15,5 quem sancto Spiritu plenum lapidaverunt : sancto spiritu Ξ (sancto plenum spiritu M)] sancto ipso spiritu Λ (spiritu ipso sancto T) ; ipso spiritu sancto B edd : La tradition représentée par B, que suivent les éditeurs, a clairement modifié la leçon de Λ, puisque ipso pouvait clarifier la logique de l’argument, mais sa position entre sancto et spiritu sonnait faux. En effet, Spiritus sanctus / sanctus Spiritus fonctionnait presque comme un seul mot, et il est rare qu’Augustin sépare le nom et l’adjectif autre que par un possessif (suus, Dei) ou les adverbes postpositifs (autem, enim, quoque, ergo …). On peut certes citer epist. 95,5 (Spiritus autem ille Sanctus) ; quaest. Simpl. 2,1,5 (Spiritus ille Sanctus) ; c. Fel. 1,7 (in Spiritu isto Sancto). Mais, dans tous ces cas, c’est spiritus, et non pas sanctus, qui est placé avant le démonstratif. L’ordre avec sanctus en premier suggère que la sainteté n’est pas tout à fait une qualité intrinsèque de l’Esprit. C’est ce qui a gêné B. On pourrait donc adopter, comme conjecture, la leçon de B (ou celle de T). Mais la repetition ipso Spiritu Sancto ... ipse Spiritus serait bien lourde, et le texte de Ξ parait adéquat (comparer 14,1, que B modifie aussi). 15,11 cui umquam … schismatico spem liberationis, si se corrigat, amputavit : corrigeret Λ : Faut-il le subjonctif présent ou imparfait ? Avec le verbe de l’apodose au parfait de l’indicatif, aucune des deux options ne correspond à l’usage classique (voir K-S 2,2,660–664). Mais Augustin s’en écarte souvent.563 Comme il faut choisir, nous avons préféré le présent, plus vif que l’imparfait, qui tend à placer les faits dans le domaine du passé ou de l’irréel, alors que le repentir est une possibilité toujours présente. 15,15 denuo baptizare non dubitent : dubitant O E S U κ : Vu la répartition des leçons, il est probable que dubitant était celle de l’archétype, indépendamment corrigée dans T V et γ. On doit en tout cas accepter dubitent. Le style d’Augustin est trop soigné pour qu’il ait pu construire cum avec l’indicatif, après que ce même cum a gouverné toute une série (15,13–15) de verbes au subjonctif : cum … asseverent … fateantur … negent … fateantur … sentiant … confingant … negent … contendant … exsufflent. 15,16 errorem atque impietatem : ac O E S U (et ac ac.) V ; et T F : LLTA donne 4498 résultats pour ac dans le corpus augustinien. Dans un échantillon des 1000 premiers cas + 185 dans les sermons, on trouve ac exclusivement devant des mots commençant par une consonne. C’est assez pour conclure qu’Augustin suivait la règle classique, qui exigeait atque avant une voyelle.

|| 563 Parmi les exemples de PALUSZAK, The Subjunctive, 295, pour le présent, seul epist. 151,13 est quelque peu analogue à notre passage. Parmi les exemples avec l’imparfait (303), seul epist. 31,3 a vraiment un sens potentiel. STOKES, Conditional Sentences, ne relève pas d’exemples pour le présent. Ceux avec l’imparfait (110s.) expriment généralement l’irréel. (Nous remercions Andrew Abela et Kathy Otey de nous avoir fourni un exemplaire de cette étude).

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16,7 quid autem agimus de his : agimus om. Λ : Augustin fait avancer son argument par une question du type « que dire / que faire de … », un procédé qui lui est cher. On trouve facilement des exemples où, comme dans le texte de Λ, la question quid de est posée sans verbe principale :564 mus. 3,21 ; mor. eccl. 44 ; in euang. Ioh. 12,8 ; 19,14 ; 23,13 ; 43,7 ; 47,6 ; in psalm. 39,13 ; 52,4 ; 57,10.14 ; 66,7 ; 93,17 ; 103,3,18 ; 138,21 ; 140,18.24 ; serm. 90,4 ; 155,14 ; 159A,4 ; 162A,1 ; 176,2 ; 229J,5 ; 359B,5 ; quaest. hept. 3,36 ; trin. 3,25 ; c. Cresc. 4,13 ; c. Iulian. op. imperf. 3,13.565 Mais les exemples avec le verbe agimus (ou agemus / agamus) ne manquent pas non plus : gen. ad litt. 2,26 ; de serm. dom. 1,76 ; in euang. Ioh. 35,4 ; in psalm. 91,7 ; serm. 313D,4 ; trin. 6,10. Ici, nous avons préféré le texte de Ξ,566 parce que la grande majorité des questions sans verbe sont très courtes, et viennent non pas des écrits, mais de la prédication. 16,8 quia baptizati peccaverunt : peccarunt Λ (exc. O) : Les accords de O Ξ contre E d sont trop rares pour en tirer des conclusions stemmatiques. Selon les résultats de LLTA, le corpus augustinien porte 3039 fois des formes en -averunt, contre 402 formes syncopées en -arunt. Pour pecca(ve)runt, le contraste est encore plus marqué : 11 cas de peccarunt contre 340 de peccaverunt. Dans un cas donné, la forme non syncopée est donc la plus probable. De plus, dans ce cas, le sens de la question rhétorique semble exiger une ressemblance phonétique aussi forte que possible entre la forme ici et peccaverint (sans variantes) à la fin de la phrase. Comparer la note sur 19,2. 17,1 cum scientia quisque peccasse dicatur : iudicatur Λ : La leçon de Λ donne un sens correct, mais le plus probable est qu’elle est née de iudicatur à la fin de la phrase. D’ailleurs la répétition du même verbe, pour décrire deux déductions pas tout à fait parallèles, n’est pas souhaitable. 17,2 auferendae rei causa : rei eius Λ : Impossible de savoir avec certitude si Augustin a écrit eius. Nous avons suivi Ξ, supposant que l’interpolation de eius pour clarifier la phrase est un peu plus probable que son omission. Mais, à rebours, la répétition de lettres dans rei eius aurait pu induire un scribe à sauter le deuxième mot. 17,3 quid inveniemus in quo scientes homines peccare videantur : inveniemus E κ P W G μ] invenimus O d A B1 R H B Am Er Lov : Présent et futur conviennent tous les deux, et la confusion règne dans les manuscrits, bien qu’il semble probable que inveniemus fut la leçon originale de Ξ, et invenimus celle de Λ. Nous avons préféré le futur, pour le parallèle avec d’autres questions rhétoriques au futur, servant elles aussi un raisonnement par l’absurde : Quis inveniri p o t e r i t cui ve|| 564 La tournure est assez proche de l’anglais « What about … ». 565 Ces deux derniers exemples sont les plus proches du texte Λ de l’Inchoata expositio. 566 ROUSSELET (À propos d’une édition, 238) a préféré omettre agimus, mais ne s’appuie que sur son argument stemmatique défectueux.

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niam peccatorum dederit Deus? (15,1) ; Num a u d e b i m u s peccata eorum propterea non ignorantiae peccata deputare, quia baptizati peccaverunt? (16,8). 18,4s. vapulabit pauca … vapulabit multa : paucis … multis d E2 (ubique) : Cette leçon de d E2 est sûrement fausse. En effet, les fiches de la base de données Vetus Latina montrent que pauca … multa pour le texte latin de Lc. 12,47s. se trouvent assez souvent chez Augustin, et nulle part ailleurs à l’époque patristique. Les scribes tendaient donc à corriger le texte augustinien pour l’accommoder aux leçons plus répandues (surtout paucas … multas et paucis … multis). Même dans notre texte, en 18,15, multa n’est plus remplacé par multis que dans E (multa1) ou E2 L2 (multa2). 18,5 numquam posse dimitti peccatum : dimitti posse tr. Λ : Aucun moyen d’être sûr de la bonne leçon. Nous avons suivi Ξ, sous prétexte que cette branche a en tout un peu moins de fautes que Λ. 18,7 multo certior baptizatus sit: certius Λ Er Lov μ : L’utilisation de certior dans un sens quasi-adverbial est bien moins fréquente chez Augustin que l’adverbe certius. Mais certior est la lectio difficilior, et on comparera les passages suivants : Non igitur per eius [sc. Dei] praescientiam mihi potestas adimitur; quae propterea mihi c e r t i o r aderit, quia ille cuius praescientia non fallitur adfuturam mihi esse praescivit (lib. arb. 3,18) ; Ratio … versabatur namque, non veritate c e r t i o r , sed consuetudine securior, in rebus humanis (mor. eccl. 11); Non solum bona, quae sanctis et fidelibus suis est redditurus, verum etiam mala, quibus erat hic mundus abundaturus, ante praedixit, ante conscribenda curavit, ut bona post saeculi finem secutura c e r t i o r e s expectaremus, quam mala similiter praenuntiata ante saeculi finem praecedentia sentiremus (epist. 78,1). 18,7 sacrosancta signacula, quorum res in eo praecesserant : praecesserat Λ B edd : res au singulier pourrait se justifier par l’unité fondamentale des dons du baptême. Mais le pluriel correspond au pluriel signacula, qui correspond à son tour au deux effets du baptême que Cornelius aurait reçus en avance : voluntatem Dei … cognovit ; Spiritum sanctum … accepit. 18,12 in Christi pace regnare : in om. Λ : Augustin écrivait bien regnare in pace pour décrire la paix finale des élus au paradis. Comparer in euang. Ioh. 104,1 (Hac p a c e in pressuris omnibus consolamur … ut i n hac feliciter sine ulla tribulatione r e g n e m u s ) ; catech. rud. 36 (Simul omnes cum illo i n aeterna p a c e r e g n a b u n t ) ; contin. 17 (ut i n eius perfecta et sempiterna p a c e … r e g n e m u s ) ; 20 (Absit autem, ut insint ulla vitia i n illa quae futura est p a c e r e g n a n ti b u s 567) ; civ. 15,6 (homo sine ullo peccato i n aeterna p a c e r e g n a b i t ) ; c. Iulian. op. imperf. 6,15 (i n aeterna cum illo postea p a c e r e g n e m u s ). Nous n’avons pas trou-

|| 567 Cette expression n’est pas facile à analyser, mais il semble que in modifie pace, et que regnantibus est au datif.

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vé sur LLTA d’exemples de pace sans préposition qualifiant regnare chez Augustin. 19,2 ut hoc significaverit apostolus : significarit O S E2 U (significavit ac. E) : Encore une fois, T V a corrigé la leçon originale de Λ,568 probablement avec raison. Augustin connait les formes syncopées de -averit en -arit : on en trouve 53 exemples sur LLTA. Mais LLTA donne aussi plus de 1500 formes en -averit. Pour le mot en question ici, on trouve 26 exemples de significaverit569 contre un seul de significarit.570 Il reste que l’on est bien dépendant des choix des éditeurs antérieurs en telle matière. Comparer la note sur 16,8. 19,3 ut eos qui nondum baptizati sunt : non Λ (om. E) : Rousselet571 a préféré la leçon de E, considérant notre texte comme « non-recevable ». Il explique : « la restriction (ita sane ut … fateamur) reconnait que le baptême est une condition nécessaire mais non suffisante de la science achevée (plena scientia) : ex quo conficitur ut … non omnis baptizatus etiam scientiam veritatis acceperit ». Rousselet aurait raison si le but de 19,3 était d’introduire 19,4, où l’idée du baptême comme condition nécessaire mais insuffisante pour la science entre effectivement en jeu. Mais de fait 19,3 vise à étoffer l’idée introduite en 19,1s. : que Hebr. 10,26, cité en 18,2, veut dire « on ne peut être baptisé une seconde fois ». Pour ceci, il faut montrer que postquam accepimus scientiam veritatis signifie « après que nous ayons reçu le baptême ». Mais, comme l’a montré l’exemple de Corneille en 18,7, on peut certainement avoir une certaine scientia veritatis avant le baptême. Corneille a été baptisé ad perficiendam scientiam veritatis, ce que reprend la plena scientia ici. La restriction vise donc bel et bien à préciser que ceux qui n ’ o n t p a s reçu le baptême peuvent être décrits comme n’ayant pas reçu la connaissance de la vérité. Augustin est ensuite gêné parce qu’il a déjà accepté (18,7s.) que l’on puisse être baptisé mais tout à fait ignorant. C’est pourquoi il s’étend en 19,3–7 sur l’idée de la condition nécessaire mais non suffisante. Le choix entre nondum et non est plus délicat. Cependant, ce ne sont pas t o u s les non-baptisés, mais plutôt ceux, tels Corneille, qui sont sur la voie du baptême, et donc p a s e n c o r e baptisés, que l’on décrirait comme ayant une connaissance partielle (nondum plenam) de la vérité.

|| 568 Qu’il s’agisse de la leçon de Λ est vraisemblablement confirmé par l’extrait de Inchoata expositio 19 dans le commentaire de Claude de Turin sur Hebr. (voir supra, 2.5, p. 91). 569 Retract. 1,25 ; mag. 35 ; epist. Divj. 5,3 ; doctr. christ. 3,78 ; quaest. hept. 5,4.29 ; in Iob 7 ; quaest. euang. 2,2 ; in euang. Ioh. 58,5 ; in psalm. 67,3 ; 118,3,3 ; serm. 270,7 ; pat. 19 ; civ. 13,23 (bis) ; 15,7 ; c. Adim. 14 ; c. Faust. 22,82.83.87 ; trin. 3,20 ; pecc. mer. 1,58 ; anim. 4,37 ; gest. Pelag. 32 ; grat. 5 ; c. Iulian. op. imperf. 6,40. 570 anim. 1,27. 571 ROUSSELET, À propos d’une édition, 238.

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19,7 si iam eiusdem veritatis per baptismum sacramenta percepit : per T V γ Lov μ] post O E S U κ B Am Er : La distribution des leçons ne suit pas le stemma, mais il est probable que post était la leçon de l’archétype, corrigée par conjectures indépendantes dans T V et γ. per est certainement la bonne leçon572 : (1) cette proposition explique celle qui la précède (si iam oblatum est), et doit donc avoir le même sens : « s’il est déjà baptisé » ; (2) tout le développement du chapitre 19 veut montrer que le sacrement ou sacrifice de la connaissance de la vérité, c’est le baptême (voir aussi 18,7), même si tout baptisé ne connait pas la vérité. Mais la leçon post séparerait justement ce sacrement de la vérité de celui du baptême. 19,7 etiam quadrupes esset : quadrupedem esse Λ (quadrupes E2 ; quadrupedem O (ac. ; quadrupede pc.) d ; quid E (ac.) non liquet ; esse etiam B edd) : Si la phrase non ideo tamen … etiam quadrupes (-pedem) esse(t) fait partie du discours indirect introduit par diceremus, il faut quadrupedem esse. Mais le maintien du discours indirect requerrait plutôt un sed entre le premier quadrupedem et non ideo. On peut cependant prétendre que le texte de Λ est à préférer comme difficilior. Le texte de edd, qui est aussi celui de CSEL 84, n’est pas grammatical. 20,3 quae ex parte Israel facta est : in israel Ξ B edd : Augustin cite Rom. 11,25, πώρωσις ἀπὸ μέρους τ ῷ Ἰ σ ρ α ὴ λ γέγονεν. in ne traduit donc pas un mot grec, mais sert à clarifier le rôle d’Israel dans la phrase, le latin n’ayant pas d’article pour indiquer son cas. Cependant, si l’on peut se fier à nos éditions, il semble qu’Augustin n’employait généralement pas ce in. Les éditeurs l’admettent dans le texte 6 fois,573 mais il fait défaut 33 fois.574 À vrai dire, les deux leçons se retrouvent très souvent dans les manuscrits. Mais il est probable que, au moins dans la majorité des cas, in était interpolé sous l’influence de la Vulgate, où on lit caecitas ex parte contigit i n Israel. Noter aussi quaest. euang. 2,33,5 (ut etiam omnis Israel salvus fiat, cui ex parte caecitas facta est) où il est clair qu’Augustin considérait Israel comme un datif.

|| 572 Comme l’a vu ROUSSELET, À propos d’une édition, qui dit justement : « l’impossibilité d’un second baptême n’est en rien liée à l’enseignement complémentaire qui suit le baptême ». 573 In euang. Ioh. 51,8 (bis ; « omittunt plurimi codices », CCSL 36) ; 93,4 ; c. adv. leg. 2,4 (1 famille de MSS omet in) ; epist. 149,19 (in omis dans 3 manuscrits, dont 1 avant correction) ; serm. 202,3 ; 260C,6. (Dans cette note et la suivante, nous avons souligné les références pour lesquelles il n’existe pas d’édition critique moderne). 574 In psalm. 7,1 (in dans une famille de MSS), 6 (in dans 2 manuscrits, dont 1 après correction) ; 9,1 ; 13,8 (in dans une famille de MSS + 6 MSS, dont 1 après correction) ; 19,5 (in dans 4 MSS), 9 (in dans 1 MSS) ; 45,15 ; 46,3 ; 58,2,2 (in dans une famille de MSS + 4 MSS) ; 65,5 (bis),10 ; 73,10 ; 79,14 ; 81,2,5 ; 88,2,8 ; 109,11 (ter ; les deux premières fois on trouve in dans une famille de MSS + 1 MS) ; 138,8 ; 147,28 (in dans 2 manuscrits, dont 1 après correction) ; praed. sanct. 33 ; serm. 136,4 (ter) ; 138,6 ; c. Iulian. 5,8 ; quaest. hept. 2,154,7 (in dans 2 MSS + 2 MSS d’Eugippe) ; 5,56 (in dans deux MSS) ; in Iob 17.36 ; c. Faust. 9,1 (in dans 2 MSS après correction).

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20,4 utrum in quoquam spiritus sanctus an fallaciae spiritus operetur: operatur Ξ : On sait que bien des auteurs de l’Antiquité tardive se permettaient l’emploi de l’indicatif dans les questions indirectes.575 Pour certaines œuvres, on a montré qu’Augustin connait cette construction, même si l’emploi du subjonctif reste largement majoritaire.576 Nous avons examiné sur LLTA les quelques 1500 cas577 de questions indirectes introduites par utrum dans le corpus augustinien. Dans 5 8 cas, le verbe se trouve à l’indicatif. Parmi ceux-ci, on distingue les cas où Augustin aurait, pour ainsi dire, oublié qu’il avait affaire à une construction indirecte, soit que l’interrogatif introduisant la proposition ait été f o r t él o i g n é d e u t r u m (gen. ad litt. 8,19 : u t r u m … posuit … ambigue sonat ; gen. ad litt. imperf. 7 : quaeri potest u t r u m … facti sunt ; in psalm. 135,3 : quaeritur … u t r u m … vocandi sunt ; civ. 12,9 : discutiendum est … u t r u m … fecerunt ; 14,10 : u t r u m … habebant … quaeritur ; 22,29 : u t r u m videbunt … quaestio est ; trin. 2,13 : videbimus … u t r u m … mittebantur ; 2,23 : non satis elucet … u t r u m … gerebat ; 2,26 : quemadmodum appareat … u t r u m … loquebatur ; 3,4 : erit videndum … u t r u m … mittebantur), soit que utrum ait été s é p a r é d e s o n p r o p r e v er b e par une ou plusieurs propositions subordonnées (gen. ad litt. 4,7 : cogitet anima … u t r u m haec … erant ; gen. ad litt. imperf. 19 : u t r u m … dictum est … quaeri potest ; in euang. Ioh. 89,4 : u t r u m … deputandi sunt … quaeritur ; catech. rud. 24 : interrogatum etiam u t r u m … desiderat ; c. Faust. 21,10 : dicant … u t r u m … non habebant ; trin. 1,5 : videat … u t r u m … non intellegit ; c. Parm. 3,8 : quaeram u t r u m … erat ; c. Gaud. 2,8 : dic mihi u t r u m … perierat). Pour les a u t r e s c a s , on peine à identifier ce qui a causé l’emploi de l’indicatif : conf. 9,4 (nescio u t r u m … erant) ; epist. 64,3 (miror enim u t r u m iam potest) ; 95,3 (nescio u t r u m plures correcti sunt, quam in deterius abierunt) ; 108,13 (quaero enim u t r u m … tetigerunt) ; 159,1 (obscurissimam quaestionem, u t r u m … egreditur) ; epist. Divj. 24,1 (quaero etiam u t r u m … possunt) ;578 gen. ad litt. 1,38 (restabit quaerere u t r u m … non potuit) ; quaest. hept. 2,1 (u t r u m … ignoscebat … incertum est) ; 5,23 (quaerendum u t r u m … intellegenda sunt) ; 7,2 (quaeritur u t r u m … vocabatur) ; 7,49 (quaeri potest u t r u m verius intellegitur) ; 7,54 (oritur quaestio u t r u m … intellegebant) ; cons. euang. 17,39 (incertum est u t r u m … adhaeserant) ; in euang. Ioh. 79,1 (nescio u t r u m … dicendus est) ; in psalm. 44,29 (quis nouit … u t r u m … quaero) ; 67,15 (nescio u t r u m … dictum est) ; 147,6 (vide u t r u m …

|| 575 Voir LHS 2, 538s. ; BONNET, Le latin, 675s. 576 Voir REGNIER, De la latinité, 68–71 (mais l’auteur ne dit rien sur les proportions indicatif / subjonctif) ; ARTS, The Syntax, 94s. ; COLBERT, The Syntax, 49 ; PALUSZAK, The Subjunctive, 89–94. 577 On trouve plus de 2000 exemples de utrum, mais dans bien des cas il introduit une question directe, ou une question sans verbe. 578 Entouré de questions indirectes avec utrum + subjonctif, dont utrum … possint tout de suite après.

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est)579 ; serm. 8,12 (nescio u t r u m inventus est) ; 12,11 (unde igitur scitis u t r u m … commemorat?) ; 114B,11 (vide u t r u m intrabis) ; 181,3 (dicite … u t r u m … estis) ; 277,10 (responde u t r u m … pervenit) ; 292,7 (nescio u t r u m aliud dicturus est) ; 296,10 (nescio u t r u m meministis) ; 350B (nescio u t r u m respondere poterit) ; adult. coniug. 1,35 (quis enim novit u t r u m … statuerant?) ; 2,10 (quaero u t r u m non erit) ; util. ieiun. 4 (nescio u t r u m non claudes oculum) ; urb. exc. 4 (nescio u t r u m minor fuit) ; civ. 12,13 (nescio u t r u m … deputandum est) ; util. cred. 23 (perscrutari atque discutere … u t r u m hic est) ; c. Adim. 28 (interrogo … u t r u m … possunt) ; c. Faust. 19,31 (nescio u t r u m quisquam … invenit) ; nat. bon. 13 (videamus u t r u m … remanebit) ; trin. 15,47 (quaerere u t r u m iam processerat) ; c. Cresc. 2,6 (vide u t r u m non diversa sequimini) ; 4,77 (interroga Felicianum u t r u m … fuerat) ; coll. c. Don. 1,14 (ut constaret u t r u m … subscripserant) ; c. Gaud. 1,52 (nescio u t r u m … poterit) ; grat. Christ. 1,25 (vellem ergo diceret … u t r u m … cucurrerat … cupiverat … suspenderat … factus erat … u t r u m … tradiderat … mortificaverat … posuerat). Ainsi, les résultats d’une étude limitée à une seule particule interrogative ont le même profil que ceux des études limitées à une partie de l’œuvre augustinienne : Augustin avait une préférence très marquée pour le subjonctif, mais l’indicatif le remplace de temps en temps, souvent sans raison apparente. L’indicatif apparait pendant toute la carrière littéraire580 de l’auteur, et dans des œuvres de tout genre. Ajoutons que la proportion des indicatifs serait sans doute plus élevée sans la tendance des scribes et des éditeurs à recréer la syntaxe classique où l’auteur y avait failli. Souvent, comme dans notre passage, il ne s’agissait que de corriger une seule lettre. De tels résultats ne sont pas de nature à nous diriger vers une conclusion sûre pour notre texte. Le subjonctif est cependant à préférer. (1) Étant donné la prépondérance des subjonctifs, ce mode est toujours plus probable dans un cas donné. (2) Notre phrase reprend quaeri potest utrum s c i r e n t Iudaei per Spiritum sanctum operari Dominum (20,2), et elle est reprise de nouveau par quomodo poterant … diiudicare utrum per Spiritum sanctum Dominus o p e r a r e t u r . 20,5 quomodo poterant infideles Iudaei sine isto munere diiudicare : infideles om. Ξ ; sine om. Ξ : Les deux mots omis par Ξ ne sont pas nécessaires pour donner un sens acceptable. Mais ils servent tous deux à renforcer la réponse négative d’Augustin à la question posée en 20,2 : les Juifs savaient-ils que Jésus agissait par l’Esprit Saint ? Non, parce qu’ils n’avaient pas la diiudicatio spirituum. En 20,4, l’auteur dit que celle-ci fidelibus datur, et infideles et sine (munere) servent

|| 579 Entouré de 4 cas de vide utrum + subjonctif. 580 Mais on voudrait savoir s’il figure dans le style quelque peu ampoulé des dialogues de Cassiciacum.

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à renforcer, chacun à son tour, le contraste entre ces deux mots et la condition des Juifs. 20,6 signa in eis quantum evangelica narratio demonstrat apparent : apparerent O E S U B Am Er Lov ; apparuerunt μ : apparerent doit être la leçon de Λ, corrigée dans T V. Nous donnons raison à l’indicatif, puisque apparent est le dernier des verbes dépendants de cum (et falsos testes, 20,5), les trois autres étant à l’indicatif : compararunt et submiserunt (20,5) … conati sunt (20,6). Les Mauristes ont mis le verbe au passé pour garder un même temps dans toute la séquence. Mais apparent est au présent, comme demonstrat juste avant, et sans doute sous son influence, parce que la narration de l’Évangile rend présent le passé devant les yeux du lecteur. Comparer : sicut etiam praeter progeniem Iacob alii fuerunt credentes in Deum sicut Iob, sicut civitas Nineve et si qui alii sunt, qui vel a p p a r e n t in scripturis vel in genere humano latent … (epist. 164,2) ; ut … discant fideles tui ea magis a te poscere et sperare praemia fidei quae non a p p a r e n t in vetere testamento, sed revelantur in novo (in psalm. 89,12). 21,3 edomita invidia salutem cum lacrimis poscens : domita Ξ (deest c) : Il n’existe pas de différence de sens très marquée entre les verbes domare et edomare chez Augustin. Analysant sur LLTA l’emploi des deux verbes, on voit d’abord que notre auteur les utilise tous les deux, mais surtout domare, pour la subjugation ou l’apprivoisement d’êtres physiques et tangibles – les exemples sont trop nombreux pour être cités.581 Viennent ensuite les applications à caro582 ou corpus583 mots que l’on ne peut ni identifier avec la chair physique ni en séparer to-

|| 581 Pour se limiter aux participes passés, d o m i t u s est appliqué à : bestiae (lib. arb. 1,16.19 ; divers. quaest. 36,1), pecus (lib. arb. 1,19) ; servus (ord. 2,6 – mais le servus en question est la mémoire) ; filius durus (epist. 173,3) ; barbari (epist. 220,7) ; huius saeculi potestates (epist. 232,3) ; peccator (in psalm. 31,2,23) ; tu (serm. 55,4 – au milieu d’une comparaison animaux-hommes, ici et dans l’exemple précédent) ; proximi (civ. 4,6) ; gentes (civ. 19,7) ; homines (civ. 19,21). De même, e d o m i t u s est appliqué avec un sens plus ou moins identique à : os (conf. 1,13) ; pecora (conf. 13,30) ; articuli (mus. 1,10) ; filius (c’est à dire Absalom, doctr. christ. 3,68) ; bestiae (vera relig. 238) ; Romani (cons. euang. 1,18) ; peccator (in psalm. 31,2,23 – Ou faut-il lire domitum, pour correspondre au reste du passage ?) ; Africa (op. monach. 32) ; orbs terrarum (c. Faust. 22,60). 582 caro + domare : epist. 211,8 ; doctr. christ. 1,51 ; vera relig. 241 (?) ; in psalm. 50,3 (carnalis delectatio) ; serm. 8,8 (appetitum carnis) ; 169,1 ; 205,2 ; 207,2 ; 208,1 ; 304,2 (carnis illecebras) ; util. ieiun. 3.5.7 ; civ. 15,7. caro + edomare : epist. 166,22 ; in psalm. 67,34 ; 114,7 ; 145,3 ; c. Faust. 21,7 (carnales motus). 583 corpus + domare : in psalm. 140,16 ; serm. 13,1 ; 56,8 (nihil in corpore) ; c. Faust. 16,31. corpus + edomare : serm. 315,4 ; c. Faust. 30,5. Application métaphorique à d’autres parties du corps : domare + cervicula (epist. 277) ; cor (c. Faust. 19,29) ; lingua (epist. 277 ; in psalm. 140,18 ; serm. 55,1 ; 180,12 ; nat. et gr. 16 —Augustin pense à Iac. 3,8, qu’il cite souvent) ; membra (util. ieiun. 7) ; edomare + cor (epist. 128,4). L’objet peut être aussi indéfini : exemples avec domare en serm. 179A,7 ; 328,6.

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talement.584 Ensuite, les verbes sont appliqués, comme dans notre passage, à des qualités intérieures et intangibles. Pour d o m a r e , on trouve cette acception surtout avec cupiditas / -tates (epist. 138,14 ; 247,1 ; vera relig. 198 ; gen. ad litt. 10,25 ; in psalm. 127,16 ; 147,4 ; serm. 87,13 ; 178,6) ; concupiscentia(e) (retract. 1,19 ; serm. 145,6 ; 155,2 ; contin. 8, 12 ; c. Pelag. 1,24) ; libidines (mor. eccl. 67 ; epist. 171A,2 ; 177,1 ; nupt. et concup. 2,59) ; et superbia (in euang. Ioh. 1,15 ; 3,11 ; in epist. Ioh. 8,7 ; serm. 125,2 ), auxquels viennent s’ajouter des exemples uniques avec appetitus (c. Iulian. 4,66) ; avaritia (serm. 339,9) ; ira (serm. 315,10) ; iuventus (vera relig. 131) ; vitia (contin. 32). Pour e d o m a r e , il y a de nouveau concentration autour de concupiscentia (epist. 140,83 ; de serm. dom. 1,9 ; in psalm. 77,27 ; serm. 207,2) et superbia (epist. 93,6 ; doctr. christ. 2,10 ; in psalm. 118,15,4 ; serm. 125,2 ; divers. quaest. 71,5 ; c. Iulian. op. imperf. 2,173). Ensuite, le verbe est appliqué à affectiones (in psalm. 9,8) ; amor (in Matth. 11,4) ; animi (doctr. christ. 3,30) ; avaritia (in psalm. 143,5) ; consuetudo (epist. 48,3 ; doctr. christ. 1,51) ; cupiditates (in psalm. 41,10) ; duritia (in psalm. 38,7) ; feritas (c. epist. fund. 38) ; frons585 (conf. 8,3) ; ira (c. Faust. 19,25) ; spiritus (bapt. 1,8). Il n’est pas facile d’établir une distinction entre ces deux listes, surtout que notre texte n’est pas le seul où les manuscrits présentent les deux leçons. Mais il semble que la variété des qualités auxquelles Augustin appliquait edomare est la plus grande. De plus, edomare est en général un mot plus rare, si bien que la chute du e est plus probable que son ajout. Notons cependant que domare était appliqué à invidia chez Horace (comperit invidiam supremo fine domari ; epist. 2,1,12) alors que nous n’avons pas trouvé ailleurs la combinaison edomare + invidia. 21,4 nam si qui per invidiam : qui μ (marg.)] quis Λ c edd ; quisquis K Z μ (marg.) ; quisquam γ : Le sens exige un mot qui permette de subordonner existimandus est à attendamus, ce que quis (ou quisquam) ne peut faire. Donc, à moins qu’Augustin ne se soit perdu dans sa phrase, il faut remplacer ce quis qui vient apparemment de l’archétype. Nous avons préféré qui, une des conjectures mauristes, à quisquis, la conjecture (?) de K Z, sous prétexte que la chute d’une lettre est un peu plus probable que celle d’une syllabe, et que si qui ressemblait plus que si quisquis à ce si quis si fréquent en Latin. Pour d’autres passages où le qui dans si qui est un pronom relatif, et non le pluriel de l’indéfini quis, voir in euang. Ioh. 6,12 ; in psalm. 30,2,2,8 ; 58,1,7.21 ; 85,3 ; 102,4. Mais la construction reste rare chez Augustin, et Rousselet586 a préféré quisquis.

|| 584 Voir par exemple les réflexions en retract. 2,2 ou doctr. christ. 1,51–53. 585 Dans le sens métaphorique de « impudence, fierté ». 586 À propos d’une édition, 238.

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22,5 quod utique nulla ratione diceretur eis : eis om. Ξ : L’argument d’Augustin repose non seulement sur les paroles du Seigneur, mais sur les personnes auxquelles elles sont adressées. Jésus aurait pu dire ses paroles sur les arbres et les fruits, que le péché des Juifs fût pardonnable ou pas. Mais il n’avait une raison de l e u r les dire que si leur propre péché était pardonnable. 23,1 appropinquabit enim regnum coelorum : appropinquavit E S T U μ : En Mt. 3,2 et 4,17 (cité ici), on lit ἤγγικεν γὰρ ἡ βασιλεία τῶν οὐρανῶν. La bonne traduction est donc appropinquavit. Mais on ne distinguait plus bien b et v dans l’Antiquité tardive, et la leçon appropinquabit s’est répandue largement dans l’Église latine. Sauf pour notre texte, où CSEL 84 donne appropinquabit, les éditeurs modernes, et avant eux les Mauristes, choisissent toujours appropinquavit quand Augustin cite ces passages. Mais en fait les deux leçons se retrouvent presque toujours dans les manuscrits.587 Il est donc impossible de savoir quelle leçon préférait Augustin, ou s’il écrivait toujours la même chose. De plus, avec la venue du Christ, le Royaume des Cieux est à la fois présent et imminent, si bien que le contexte n’est pas apte à éclairer la question. Reste qu’ici appropinquabit est probablement la leçon de l’archétype. 23,6 ut gratiam pacemque hominibus largiretur, gratiam in dimissione peccatorum, pacem in reconciliatione Dei : in dimissione peccatorum gratiam tr. Ξ : Le chiasme de Ξ est certes possible, mais la leçon moins maniérée de Λ donne un texte plus facile à suivre. Le but premier d’Augustin est de clarifier sa pensée, et non pas de chercher un effet de style. Ceci dit, la corruption Ξ→Λ semble plus probable que l’inverse. 23,9 qui tantum oris sono confitentur : sono oris tr. Ξ : Encore un problème d’ordre des mots, où la certitude est impossible. Nous avons préféré oris sono, parce que cet ordre met l’emphase de tantum sur oris, qui reprend lingua en 23,8. On trouve le même ordre des mots pour la même idée en epist. 27,6 (filium nostrum … statueram litteris in manum tuam tradere consolandum, exhortandum, instruendum non tam o r i s s o n o quam exemplo roboris tui). 23,9 confitentur enim se nosse deum : enim om. Λ (exc. O) C : Le plus probable est que enim était dans Ξ et absent de Λ. Il est généralement absent de Tit. 1,16 dans

|| 587 Les passages en question sont conf. 13,13 (-bit dans 8 MSS, dont 1 avant correction) ; serm. 71,19 (-bit dans 13 MSS, dans 1 avant correction), 20 (-bit dans 19 MSS, dont 1 avant correction) ; in psalm. 59,4 (-bit dans 6 MSS, dont 1 après correction) ; 66,8 (pas d’édition critique) ; 101,1,2 ; 137,6 (-bit dans 3 MSS) ; 150,3 (-bit dans 2 MSS) ; serm. 109,1 (pas d’édition critique) ; 306C,1 ; 351,2 (pas d’édition critique. Nous avons relevé -bit dans Londres, British Library, Harley 4091, s. 11) ; 352A,3.4 (transmis dans 1 seul MS) ; civ. 18,49 (-bit dans 1 MS) ; epist. 199,35 (-bit dans 5 MSS) ; cons. euang. 2,25 (quater : -bit dans 7 MSS, dont 2 avant et 2 après correction ; dans 6 MSS, dont 2 avant et 2 après correction ; dans 6 MSS dont 1 avant et 1 après correction ; dans 3 MSS) ; c. Faust. 12,42 (-bit dans 3 manuscrits, dont 1 après correction) ; in Iob 37 (-bit dans 3 MSS).

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la Vulgate, ce qui a pu influencer Λ et C. Les citations du passage par Augustin sont rassemblées par Frede, VetLat 25, 883s. Les textes en question ne bénéficient pas toujours d’éditions critiques, mais dans l’état actuel de nos connaissances, il semble qu’Augustin citait le verset avec enim. Pour l’exception, serm. 269,4, nous n’avons que l’édition des Mauristes. 23,10 nemo dicit dominus Iesus nisi in spiritu sancto : dominus iesus Λ C] dominum iesum K Z γ V1 ; dominum deum c : En CCSL 35, sur de serm. dom. 2,83, l’éditeur affirme que, « si coll. c. Maximin. 5 excipias », Augustin écrivait toujours Dominus Iesus dans son texte de 1 Cor. 12,3 (οὐδεὶς δύναται εἰπεῖν· Κύριος Ἰησοῦς, εἰ μὴ ἐν πνεύματι ἁγίῳ).588 Mais la vérité est difficile à atteindre. On trouve ce texte cité dans 9 passages du corpus augustinien, que l’on peut répartir ainsi :  À deux reprises, Augustin cite le passage par le biais d’Ambroise. Pour persev. 64, où il n’y a pas d’édition critique, on lit Dominus Iesus chez les Mauristes. Mais en c. Pelag. 4,30, l’édition CSEL 60 a Dominum Iesum.  En coll. c. Maximin. 5 tous les manuscrits témoignent en faveur de Dominum Iesum. Cependant il ne s’agit pas d’un vrai texte augustinien, mais de la transcription des paroles de Maximinus.  Dans les autres textes sans édition critique, on lit Dominus Iesus : in euang. Ioh. 74,1 (bis) ; serm. 269,4 (quater). D’ailleurs, dans ces deux passages, le contexte montre que Dominus Iesus doit certainement être la bonne leçon.  Dans les autres textes pour lesquels nous disposons d’éditions critiques, les éditeurs préfèrent toujours Dominus Iesus. C’est ce qu’on lit sans variantes en c. Faust. 21,8 ; trin. 9,15. Mais en de serm. dom. 2,83 et divers. quaest. 62, la variante Dominum Iesum se retrouve dans l’apparat.589 Ajoutons que les éditions de de serm. dom. et divers. quaest. offrent un apparat bien plus complet que celles de trin. et (surtout) c. Faust. En somme, nous manquons de données, et celles dont nous disposons sont ambiguës. Il faut aussi éviter de conclure qu’Augustin utilisait forcément toujours le même texte. Néanmoins, il semble probable que Dominus Iesus était son texte habituel. 23,12 et etiam ita faciant : et etiam ita scripsi] ut et agnita O E S U ; et ita T V ; ut etiam ita Ξ B edd : Il semble que l’archétype portait la leçon de Ξ, qui s’est cor-

|| 588 La disparition de δύναται  / potest ne nous concerne pas ici. Augustin donne la forme avec potest en de serm. dom. 2,83 (et ibid. sans potest) ; c. Faust. 21,8. Et on trouve potest en coll. c. Maximin. 5. 589 Le texte est cité 3 fois en de serm. dom. 2,83. On y trouve -um respectivement dans 10 MSS dont 1 avant correction + Florus de Lyon ; 10 MSS, dont 1 avant correction + Florus de Lyon, Julien de Tolède ; 9 MSS dont 1 avant correction + Raban Maur. En divers. quaest. 62, un seul MS témoigne pour -um.

148 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

rompue dans Λ. Ensuite, comme souvent, T V a tenté de corriger la corruption. Il est possible qu’Augustin se soit perdu dans la syntaxe de cette immense phrase, qui commence en 23,9 (sicut enim non confitentur). Mais si ce n’est pas le cas, ut ne peut convenir. Il ne se coordonne pas avec sic (isti factis), qui répondait déjà à quomodo (illi factis). Et il ne peut introduire l’idée du but de l’action dicant : la traduction « pour que » serait mal venue. Nous proposons donc un texte qui modifie celui de Ξ par une seule lettre.

2.9 Différences entre la présente édition et celle de CSEL 84 Nous présentons le texte de CSEL 84 à droite, et celui que nous avons adopté à gauche. Nous ne relevons pas les nombreuses différences entre les leçons des manuscrits, telles qu’elles sont indiqués par CSEL 84, et nos propres indications. 1,4 uti] ut 2,2 unde] unde etiam 2,3 homines] hominum 2,3 pertinent] pertinet 3,1 quo] quod 3,1 segregatum se] se segregatum 3,3 etiam1] etiam si 3,3 nisi quod] nisi 3,3 iam venit] venit iam 4,4 David tantummodo] tantummodo David 4,6 cui] cum 4,7 in evangelium] evangelium 4,10 quo] quod 4,12 factum1] factum Deo 4,12 a Deo] Deo 7,1 scribit epistolam2] scribit 7,6 ut et] ut 7,7 sint] sunt 9,4 adiuvetur] adiuventur 9,6 non ignoscitur] ignoscitur 10,3 sacris scripturis] sanctis scripturis 10,6 quanta … futura] quantae … futurae 10,7 ut et] ut590 || 590 Le texte de CSEL 84 correspond à la Vulgate, mais n’est attesté que par le seul manuscrit U, et ne figure donc pas dans notre apparat.

Introduction | 149

10,11 haec] hoc 11,1 domino] domino nostro 11,5 Iesu Christo] Christo Iesu 11,6 quibus] qua 12,7 Iesu Christo] in Iesu Christo 13,2 fortuitu] fortuito 13,5 sint] †sit 13,5 respondentes] respondent 14,3 quaerentem] quaerere 15,3 digna] digne 15,5 ipso spiritu sancto] sancto spiritu 16,2 peccasse ignorantia] peccatum ignorantiae 16,3 si adversus1] adversus 16,3 curari] recurari 17,2 rei] rei eius 18,2 quod] hoc591 18,7 certius] certior 19,4 posteriorum] posteriorem 19,6 accipit … accipit] accepit … accepit 19,7 post] per 19,7 esse2] esset 19,9 recuperari] recurari 20,1 non iam] non 21,4 qui] quis 22,3 in malignitate] malignitate 23,2 invisibile] visibile 23,3 mundum] saeculum 23,4 ait] dicit592 23,7 dicerent verbum] verbum dicerent 23,7 blasphemiam] blasphemarent 23,12 dicere intelligendus est factis] nec dicere intelligendus est si non facit 23,12 ut2] et

|| 591 Le texte de CSEL 84 est dans toutes les éditions antérieures, mais ne se retrouve dans aucun manuscrit. 592 Le texte de CSEL 84 n’est attesté nulle part.

Conspectus siglorum Manuscrits Famille Λ Sous-famille O E O Oxford, Bodleian Libr., Laud misc. 134, s. 91/2, Niederaltaich E Erlangen, Universitätsbibliothek 77, an. 1310, Heilsbronn E2 corrections d’une deuxième main dans E Sous-famille d Branche S U S Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, San Marco 637, s. 12, centrenord de l’Italie U Roma, Biblioteca Apostolica Vaticana, Urbinas Latinus 69, s. 152/2, Italie Branche T V T Troyes, Bibliothèque Municipale 40/2, s. 121/2, Clairvaux V Roma, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vaticanus Latinus 445, s. 15med., Florence (?) Claud

Claude de Turin, Commentaire sur l’épître aux Romains (reproduit Inchoata Expositio 1 ; 3,3s. ; 4 ; 5,1.5–7.14–17 ; 6 ; 7 ; 8,1–5 ; 11,1s.) + Commentaire sur l’épître aux Éphésiens (reproduit Inchoata expositio 11,1–6, édité dans CCCM 263, 8).

Germ

Commentaire anonyme dans Paris, Bibliothèque Nationale Lat. 11.574, s. 92/2, nord de la France (reproduit Inchoata expositio, 2,1 breviter – 4,2 creditae ; 4,3 – 7,4 ; 7,5 hic significavit – 8,6).

Famille Ξ Sous-famille κ Branche K Z K Köln, Erzbischöfliche Dom- und Diözesanbibliothek 77, s. 123/4, Allemagne Z Zwettl, Stiftsbibliothek 296, s. 124/4, Zwettl Branche c L1 Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, plut. XVI dext. VII, s. 13, Florence (?) F Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, Mediceus Faesulanus VIII, c. 1460–1470, Florence M Venezia, Biblioteca Marciana 1801 (Z 68), an. 1471, Italie

https://doi.org/10.1515/9783110594782-004

Conspectus siglorum | 151

Sous-famille γ P Stuttgart, Württembergische Landesbibliothek, theol. et phil. 2° 207, s. 121/4, Zwiefalten W Fulda, Hochschule und Landesbibliothek Aa23, s. 121/4, Weingarten B1 Bruxelles, Bibliothèque Royale II.1072 (1115), s. 12, Flandre (?) A Berlin, Staatsbibliothek, Theol. et phil. lat. fol. 348 (lat. 293), s. 124/4, Liesborn H Zwolle, Gemeentearchief GAZ 19, s. 15, Zwolle (?) R Utrecht, Universiteitsbibliotheek 4 C 7 (68), 1464, Utrecht γ1 = accord de W B1 A H R γ2 = accord de B1 A H R Sous-famille C V1 Extrait : 22,2– fin C Montecassino, Archivio della Badia 173L, s. 112/2, Montecassino V1 Roma, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vaticanus Latinus 4918, s. 12inc., Italie (?) Manuscrit contaminé B Bruxelles, Bibliothèque Royale 48 (1058), s. 15, Corsendonk Éditions Am Am+ Er Lov μ μ+

Amerbach, 1506 Variantes marginales dans Am Érasme, 1528 Édition de Louvain, 1571 Édition mauriste, 1690 Variantes dans l’édition mauriste

edd = accord de Am Er Lov μ Autres sources Cam Leçons d’un manuscrit perdu de l’abbaye de Cambron, citées dans l’édition de Louvain Gl Extraits de l’Inchoata expositio dans la Glossa ordinaria Lomb Extraits de l’Inchoata expositio dans les Collectanea de Pierre Lombard Retr

Augustin, Retractationes (CCSL 57)

EPISTOLAE AD ROMANOS INCHOATA EXPOSITIO

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1. In epistola quam Paulus apostolus scripsit ad Romanos, quantum ex eius textu intelligi potest, quaestionem habet talem: Utrum Iudaeis solis evangelium Domini nostri Iesu Christi venerit propter merita operum legis, an vero nullis operum meritis praecedentibus, omnibus gentibus venerit iustificatio fidei, quae est in Christo Iesu, ut non quia iusti erant homines, crederent, sed credendo iustificati, deinceps iuste vivere inciperent. (2) Hoc ergo docere intendit apostolus, omnibus venisse gratiam evangelii Domini nostri Iesu Christi, quam propterea etiam gratiam vocari ostendit, quia non quasi debitum iustitiae redditum est, sed gratuito datum. (3) Coeperant enim nonnulli qui ex Iudaeis crediderant tumultuari adversus gentes, et maxime adversus apostolum Paulum, quod incircumcisos et a legis veteris vinculis liberos admittebat ad evangelii gratiam, praedicans eis ut in Christum crederent, nullo imposito carnalis circumcisionis iugo, (4) sed plane tanta moderatione, ut nec Iudaeos superbire permittat, tamquam de meritis operum legis, nec gentes merito fidei adversus Iudaeos inflari, quod ipsi receperint Christum, quem illi crucifixerunt. Tamquam enim, sicut alio loco dicit, pro ipso Domino legatione fungens, hoc est pro lapide angulari, utrumque populum tam ex Iudaeis quam ex gentibus connectit in Christo per vinculum gratiae, utrisque auferens omnem superbiam meritorum, et iustificandos utrosque per disciplinam humilitatis associans. 2. Itaque epistolam sic exorsus est: Paulus servus Iesu Christi vocatus apostolus, segregatus in evangelium Dei. Breviter in duobus verbis ecclesiae dignitatem a synagogae vetustate discernit. (2) Ecclesia quippe ex vocatione appellata est, Synagoga vero ex congregatione. Convocari enim magis hominibus congruit, congregari autem magis pecoribus: unde etiam greges proprie pecorum dici solent. (3) Quamquam ergo plerisque scripturarum locis ipsa ecclesia grex Dei et pecus Dei et ovile Dei vocetur, tamen, cum in comparatione hominum pecora dicuntur, ad vitam veterem pertinent, (4) et apparet huiusmodi homines, non cibo sempiternae veritatis, sed temporalium promissionum tamquam terreno pabulo esse contentos.

1,15 pro1 …fungens] cf. 2 Cor. 5,20 16 lapide angulari] cf. Eph. 2,20 2,1sq. Rom. 1,1 Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) ‖ 1,1 in inc. Claud in … Romanos] Retr 1,25 ‖ 18 associans des. Claud (usque ad 3,7) ‖ 2,2 breviter inc. Germ 1,1 in om. d | scribit E B ‖ 2 solum U c A (ac. uv.) ‖ 3 nostri om. K Z γ1 (exc. R) ‖ 4 veniret O E (venerit E2) ‖ 6 apostolus om. T V μ | omnibus om. T V ‖ 7 quam] quod T V μ ‖ 8 gratuitu K Z; gratuitum M (ac.) γ | coeperant] comparant c ‖ 9sq. gentes … adversus om. Ξ Lov ‖ 10 quod] qui T V | a1 om. V γ | liberos om. c ‖ 12 carnalis om. T V | uti U V H B edd ‖ 14 ipsi om. T V | receperunt c crucifixerant γ; crucifixerint Z ‖ 15 enim om. K Z γ | dicet c | legationem U V (ac. uv.) Claud M confungens B Am Er ‖ 17 utrique O E 2,1 Christi Iesu tr. O E T K Z L1 F P W ‖ 4 vero om. γ ‖ 5 de pecoribus γ Lov | unde … pecorum om. Ξ Lov | etiam om. B Er μ; deest Ξ Lov | solet Ξ Lov ‖ 6 locis scripturarum tr. γ | grex] lex c ‖ 6sq. ovile

https://doi.org/10.1515/9783110594782-005

COMMENCEMENT DE COMMENTAIRE SUR L’ÉPÎTRE AUX ROMAINS 1. Dans l’épître que l’apôtre Paul écrivit aux Romains, d’après ce que l’on peut comprendre de son texte, il posa le problème suivant : l’Évangile de notre Seigneur Jésus Christ était-il venu exclusivement aux Juifs, à cause des mérites des œuvres de la Loi ? Ou bien, sans qu’eurent précédé les mérites des œuvres, la justification de la foi, qui est en Jésus Christ, était-elle venue à tous les peuples, si bien que les hommes ne croyaient pas parce qu’ils étaient justes, mais justifiés par leur croyance, ils commençaient ensuite à vivre dans la justice. (2) L’apôtre a donc voulu enseigner ceci : que la grâce de l’Évangile de notre Seigneur Jésus Christ est venue à tous. De plus, il montre qu’elle est appelée grâce pour cette raison, que cela n’a pas été rendu à la justice comme une dette, mais que cela a été donné gratuitement. (3) Certains en effet d’entre les Juifs qui avaient cru avaient commencé à s’agiter contre les gentils, et surtout contre l’apôtre Paul, parce qu’il admettait à la grâce de l’Évangile des hommes incirconcis, et libres des chaines de l’ancienne Loi, leur prêchant de croire au Christ, sans [leur] imposer le joug de la circoncision charnelle. (4) Mais clairement [il faisait ceci] avec une telle modération qu’il ne permettait ni aux Juifs de se vanter, sous prétexte des mérites des œuvres de la Loi, ni aux gentils de se gonfler en face des Juifs à cause du mérite de la foi, en arguant qu’ils avaient reçu le Christ, qu’eux avaient crucifié. En effet, ainsi qu’il le dit ailleurs, comme s’il remplissait une ambassade pour le Seigneur lui-même, c’est-à-dire pour la pierre d’angle, il noue les deux peuples, aussi bien ceux venus des Juifs que ceux venus des gentils, dans le Christ, par la chaine de la grâce, enlevant aux deux tout l’orgueil des mérites, et associant par la discipline de l’humilité les deux [peuples] pour qu’ils soient justifiés. 2. Donc, il a commencé l’épître ainsi : Paul, esclave de Jésus Christ, appelé [comme] apôtre, séparé [segregatus] pour l’Évangile de Dieu. Brièvement, avec deux mots, il sépare la dignité de l’Église de la vieillesse de la Synagogue. (2) En effet, l’Église prend son nom de l’appel, mais la Synagogue du rassemblement. Effectivement, être appelé convient mieux aux hommes, et être rassemblé au bétail. C’est aussi pourquoi l’on parle habituellement, au sens propre, de troupeaux [greges] de bétail. (3) Donc, même si en bien des lieux de l’Écriture, l’Église elle-même est appelée le troupeau de Dieu et le bétail de Dieu et la bergerie de Dieu, néanmoins, quand le bétail est nommé dans une comparaison avec les hommes, ceux-ci relèvent de l’ancienne vie. (4) Et il est manifeste que les hommes de ce genre se contentent non pas de la nourriture de la vérité éternelle, mais, pour ainsi dire, du fourrage

Dei et pecus Dei tr. B edd ‖ 6 Dei2 om. γ1 ‖ 7 cum om. T V Germ (ac.) A (ac.) | homines B edd; spirit(u)alium hominum T V | dicuntur] qui add. T V ‖ 8 pertinet Z M R B Am Er

154 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

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Paulus ergo servus Christi Iesu vocatus est apostolus, quae vocatio illum coaptavit ecclesiae. (5) In evangelium autem Dei segregatus est; unde nisi a grege synagogae, si verborum latinorum significatio omni modo cum graeca interpretatione concordet? 3. Sane evangelium Dei, in quod se segregatum esse commemorat, commendat auctoritate prophetarum, ut, quoniam credentes in Christum, in quorum numerum vocatus est, Iudaeis praeposuerat, a quibus se dixerat segregatum, gentes rursus iam non superbire admoneat. (2) Siquidem de populo Iudaeorum fuerunt prophetae, per quos evangelium, cuius fide credentes iustificantur, ante promissum esse testatur: Segregatus enim, inquit, in evangelium Dei, quod ante promiserat per prophetas suos. (3) Fuerunt enim et prophetae non ipsius, in quibus etiam si aliqua inveniuntur quae de Christo audita cecinerunt, sicut etiam de Sibylla dicitur – quod non facile crederem, nisi poetarum quidam in romana lingua nobilissimus, antequam diceret ea de innovatione saeculi, quae in Domini nostri Iesu Christi regnum satis concinere et convenire videantur, praeposuit versum, dicens: “Ultima Cumaei venit iam carminis aetas.” (4) Cumaeum autem carmen Sibyllinum esse nemo dubitaverit. Sciens ergo apostolus ea in libris gentium inveniri testimonia veritatis, quod etiam in Actibus apostolorum loquens Atheniensibus manifestissime ostendit, non solum ait per prophetas suos, (5) ne quis a pseudoprophetis per quasdam veritatis confessiones in aliquam impietatem seduceretur; sed addidit etiam in scripturis sanctis, volens utique ostendere litteras gentium superstitiosae idololatriae plenissimas non ideo sanctas haberi oportere, quia in eis aliquid quod ad Christum pertinet invenitur. 4. Et ne quisquam etiam prophetas aliquos remotos atque alienos a gente Iudaeorum forte praeferret, in quibus nullus simulacrorum cultus esset, quantum attinet ad simulacra quae humana operatur manus – nam simulacris phantasmatum suorum sectatores suos omnis error illudit – (2) ne quis tamen aliqua huiusmodi praeferens, quia ibi Christi nomen ostentat, eas potius sanctas scripturas esse asserat, non eas quae populo Hebraeorum sunt divinitus creditae, satis opportune mihi videtur adiungere, cum dixisset in scripturis sanctis, quod adiecit: de Filio suo,

3,6sq. Rom. 1,1sq. 4,7sq. Rom. 1,3

11sq. Verg. ecl. 4,4

14sq. apostolus…ostendit] cf. Act. 17,28

Λ (O E d (S U T V) Germ) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) ‖ inc. Claud ‖ 4,6 creditae des. Germ (usque ad 4,8)

17 Rom. 1,2

3,7 fuerunt

10 Christi Iesu O E T V B edd] Iesu Christi tr. S U; Christi Ξ | cooptavit B Er Lov μ ‖ 11 evangelio O E T Germ κ | nisi] nii [sic] c (enim pc., quid ac. non liquet F) ‖ 12 verborum significatio latinorum tr. T V concordat B Er Lov μ 3,1 quod] quo O S U Germ κ R (ac.) B Am Er Cam | se om. c | segregatum se tr. d B edd | se … commemorat] se dicit (se om. B1; dicit se tr. A R; dicit sese H) segregatum γ ‖ 2 auctoritatem Z c (auctorem F) γ (ac. R) | in Christum O (om. ac.) d] Christo κ B Am Er Lov; in Christo γ; Christum E Germ μ | numero B Er Lov ‖ 3 dixerit c; dixit γ2 ‖ 4 Iudaeo O E c ‖ 5 fidei T V | iustificans L1 M; iustificantes F 6 enim om. γ; est c ‖ 7 fuerunt] fuerant c | et om. c | etiam si] etiam γ B Er Lov μ | aliqua om. A H R

2,4 – 4,2 | 155

terrestre des promesses temporelles. Donc, Paul l’esclave du Christ Jésus fut appelé [comme] apôtre, et cet appel le joignit à l’Église. (5) Et il fut séparé [segregatus] dans l’Évangile de Dieu; à partir d’où, si ce n’est du troupeau [grex] de la Synagogue ? — si le sens des mots latins est entièrement en accord avec l’interprétation du grec. 3. Mais l’Évangile de Dieu, pour lequel il se dit séparé, il le recommande par l’autorité des Prophètes: ainsi, puisqu’il avait placé ceux qui croient au Christ, dans le nombre desquels il fut appelé, au-dessus des Juifs, desquels il s’était dit séparé, il avertit maintenant de nouveau les gentils de ne pas s’enorgueillir. (2) En effet, c’est du peuple juif que vinrent les prophètes, ceux par qui il témoigne que l’Évangile, par la foi auquel les croyants sont justifiés, fut promis à l’avance. Car il dit séparé dans l’Évangile de Dieu, qu’il avait promis à l’avance par ses prophètes. (3) Il y eut en effet aussi des prophètes qui n’étaient pas les siens, chez qui, même si l’on trouve des choses qu’ils avaient entendues et chantées du Christ, comme on le dit aussi de la Sibylle – ce que je ne croirais pas facilement, si ce n’était qu’un certain poète, le plus illustre de la langue romaine, avant de dire les paroles sur la rénovation de l’âge, qui semblent bien correspondre et convenir au règne de notre Seigneur Jésus Christ, plaça d’abord un verset où il dit : « La dernière époque du chant cuméen est déjà arrivée. » (4) Or nul ne peut douter que le chant cuméen, c’est [le chant] sibyllin. Ainsi l’apôtre, sachant que ces témoignages de la vérité se trouvaient dans les livres des gentils (ce qu’il montre aussi très clairement dans les Actes des Apôtres, quand il parle aux Athéniens), ne dit pas seulement par ses prophètes, (5) – afin que personne ne soit entraîné par les faux prophètes, à cause de certaines déclarations de la vérité, vers un sacrilège quelconque, – mais il ajouta aussi dans les Écritures saintes, voulant montrer en tout état de cause que les écrits des gentils, tout remplis de l’idolâtrie superstitieuse, ne doivent pas être considérés saints parce que l’on trouve en eux quelque chose qui a rapport au Christ. 4. Et pour éviter aussi que d’aventure on préfère certains prophètes éloignés et séparés du peuple juif, chez qui il n’y avait aucun culte des images (pour ce qui est des images que fabrique la main humaine – car toute erreur fourvoie ses disciples avec les images de ses imaginations) – (2) donc pour éviter que quelqu’un, préférant quelque chose de ce genre, parce qu’il y fait valoir le nom du Christ, affirme que ce sont plutôt ces [écrits]-là qui sont les écritures saintes, et non ceux qui furent confiés par Dieu au peuple hébreu, il me semble faire une addition très opportune quand, après avoir dit, dans les Écritures Saintes, il ajoute à propos de son Fils, qui a été 8 sillaba O (ac.) E (Sibilla E2) ‖ 9 nisi] quod add. B Er Lov μ | quidam om. P W A (fuitne sup. lin. sicut glossema in γ?); quidem V B1 H R ‖ 10 ea diceret tr. γ2 | eadem novatione c | quae] quod γ2 | Domini] dei c ‖ 11 concinere] continere c P (ac.) B1 (ac.) | et convenire om. T V | videntur T V | proposuit T V 12 iam venit tr. U Ξ B edd | carminis] temporis T V (ac. uv.) ‖ 14 ea] etiam T V | quod] quae μ 17 etiam om. Claud ‖ 18 utique] enim Claud | superstitione ydolatrie c; superstitiosa idolatria Germ ‖ 19 opportune c | invenitur] videatur T V 4,2 proferret T V μ | attinet om. T V ‖ 3 simulacris] simulacra E Claud ‖ 4 huius V c (h’i L1 M) 5 proferens T V μ | ostentat] ostentant M; et add. c | esse om. T V

156 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

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qui factus est ei ex semine David, secundum carnem. (3) David enim certe rex Iudaeorum fuit. Oportebat autem ut ex illa gente orirentur Christi praenuntiatores prophetae, ex qua gente carnem assumpturus erat quem praenuntiabant. (4) Occurrendum autem erat etiam illorum impietati, qui Dominum nostrum Iesum Christum secundum hominem tantummodo, quem suscepit, accipiunt, divinitatem autem in eo non intelligunt ab universae creaturae communione discretam, velut ipsi Iudaei, qui Christum filium tantummodo David esse opinabantur, ignorantes excellentiam qua Dominus est ipsius David, secundum id quod est Filius Dei. (5) Unde illos in evangelio redarguit per prophetiam, quae ipsius David ore prolata est. (6) Quaerit enim ab eis, quem ipse David Dominum appellat, quomodo filius eius sit, cum deberent utique respondere quod secundum carnem filius esset David, secundum divinitatem autem Filius Dei et Dominus ipsius David. (7) Quod Paulus apostolus quia iam didicerat, posteaquam dixit, evangelium Dei, quod ante promiserat per prophetas suos in scripturis sanctis de Filio suo, qui factus est ei ex semine David, addidit secundum carnem, ne hoc solum et totum in Christo esse arbitrarentur, quod factum erat secundum carnem. (8) Addendo ergo secundum carnem, servavit divinitati dignitatem suam, quae non solum semini David, sed nec alicui angelicae aut cuiusvis excellentissimae creaturae generationi tribui potest, quandoquidem ipsum est Verbum Dei, per quod facta sunt omnia. (9) Quod Verbum ex semine David caro factum est et habitavit in nobis, non mutatum et conversum in carnem, sed carne ut carnalibus congruenter appareret indutum. (10) Quapropter apostolus non solum eo verbo quod ait secundum carnem humanitatem a divinitate distinxit, sed etiam illo quod ait factus est. Non est enim factus secundum id quod Verbum Dei est. (11) Omnia enim per ipsum facta sunt, nec fieri cum omnibus posset per quem facta sunt omnia. Neque ante omnia factus est, ut per ipsum fierent omnia: ipso enim excepto, si ante illa iam factus esset, non essent illa omnia quae per illum fierent, nec possent vere dici facta omnia per ipsum, in quibus ipse non esset, si ipse etiam factus esset. (12) Et ideo apostolus cum factum Deo diceret Christum, addidit secundum carnem, ut, secundum Verbum quod est Filius Dei, non factum Deo sed natum esse monstraret.

16–19 unde…David] cf. Mt. 22,42–46 1,14

26 per…omnia] cf. Io. 1,3

26sq. Verbum2 …nobis] cf. Io

Λ (O E d (S U T V) Claud) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) ‖ Germ

8 David2 inc.

10 prenuntiabat c ‖ 12 quem] qui c ‖ 14 filium tantummodo David Λ (tantummodo filium David tr. V); filium David tantummodo tr. Ξ B edd | opinantur T V ‖ 15 ipsius] ipse c | secundum] sed L1 M 16 David om. Claud | ore david tr. d (ac. V) ‖ 17 etenim Z γ | filium c ‖ 18 cum] cui T V μ 19 autem om. E c ‖ 20 in evangelium c γ B edd ‖ 22 esse om. c ‖ 22sq. arbitrarentur esse tr. d 24 divinitati servavit tr. d (ac. U) 23 factus T V γ Lov (non Cam) μ | secundum carnem1 om. γ ‖ divinitati] divinitatem et c ‖ 25 cuivis T V | excellentissimae T V F γ1 B edd] excelsissimae O E S U

4,2 – 12 | 157

fait pour lui de la semence de David, selon la chair. (3) David en effet fut assurément le roi des Juifs. Or les prophètes qui annonceraient le Christ devaient surgir de ce peuple qui était le peuple chez lequel celui qu’ils annonçaient allait prendre chair. (4) Il fallait aussi aller à l’encontre de l’impiété de ceux qui acceptent notre Seigneur Jésus Christ seulement selon l’homme qu’il a assumé, mais ne comprennent pas qu’il y a en lui la divinité, distincte de l’unité de toute la création – comme les Juifs eux-mêmes, qui pensaient que le Christ était seulement le fils de David, ignorant cette prééminence, par laquelle il est le Seigneur même de David, par le fait qu’il est Fils de Dieu. (5) C’est pourquoi il les réfute dans l’Évangile par une prophétie qui fut prononcée par la bouche de David lui-même. (6) Car il leur demande comment celui que David lui-même appelle Seigneur serait son fils. Et ils devaient assurément répondre que selon la chair il était fils de David, mais selon la divinité Fils de Dieu et Seigneur de David lui-même. (7) Paul l’apôtre, puisqu’il avait déjà appris cela, après avoir dit l’Évangile de Dieu, qu’il avait promis en avance par ses prophètes dans les Écritures saintes à propos de son Fils, qui a été fait pour lui de la semence de David, ajouta selon la chair, afin qu’ils ne crussent pas que dans le Christ, il n’y avait uniquement et totalement que ce qui avait été fait selon la chair. (8) Donc, en ajoutant selon la chair, il conserva à la divinité sa propre dignité, qui ne peut être attribuée à la semence de David, et pas plus à une quelconque génération angélique ou à celle de la créature la plus exaltée, quelle qu’elle soit, puisqu’il est le Verbe de Dieu lui-même, par qui toutes choses ont été faites. (9) Ce Verbe a été fait chair de la semence de David, et a habité parmi nous, non pas transformé et changé en chair, mais revêtu de la chair, pour apparaitre comme il le convenait aux êtres charnels. (10) Ainsi, ce n’est pas seulement en disant les paroles selon la chair que l’apôtre a séparé l’humanité de la divinité, mais aussi en disant les paroles il a été fait. Car il n’a pas été fait selon ce qu’il est le Verbe de Dieu. (11) En effet, tout a été fait par lui, et celui par qui tout a été fait ne pouvait pas être fait avec ce tout. Et il n’a pas, non plus, été fait avant tout, pour que tout soit fait par lui. Car si lui était l’exception, puisqu’il avait été fait avant ces choses, ce qui était fait par lui ne serait pas tout, et on ne pourrait pas véritablement dire que tout avait été fait par lui, puisque lui-même n’y serait pas, s’il avait été fait lui aussi. (12) Et pour cette raison, quand l’apôtre dit que le Christ a été fait pour Dieu, il ajouta selon la chair, pour montrer que, selon le Verbe qui est le Fils de Dieu, il n’a pas été fait pour Dieu mais en est né.

Claud Germ K Z L1 M Am (vl.); excelleret P | creaturae om. T V ‖ 27 caro] secundum carnem T V | et2] est O E S U Germ; est aut Claud ‖ 28 carnem] carne Claud | sed] in add. Claud | sed carne om. Ξ (ac. H R) | sed carne indutum ut carnalibus congruenter appareret tr. T V | ut] hominibus add. γ ‖ 29 quod] quo T V ‖ 30 quod1] quo T V Claud B | enim est tr. T V ‖ 32 potest T V ‖ 33 esset] est sed O E S U Claud Germ ‖ 34 omnia facta tr. T V | ipse om. T V Germ (pc. uv.) ‖ 35 si om. Λ | etiam] enim c (ipse tr. post factus F) | esset et] est sed et O E S U Claud Germ; sed T V | Deo om. Λ B Lomb edd; deum c 37 Deo] deum c; a Deo Λ (ab eo U) B Lomb edd

158 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

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5. Eundem sane ipsum, qui secundum carnem factus est ex semine David, praedestinatum dicit Filium Dei in virtute, non secundum carnem, sed secundum Spiritum, nec quemlibet spiritum, sed Spiritum sanctificationis ex resurrectione mortuorum. (2) In resurrectione enim virtus morientis apparet, ut diceretur praedestinatus in virtute secundum Spiritum sanctificationis ex resurrectione mortuorum. Deinde sanctificatio vitam novam fecit, quae Domini nostri resurrectione signata est. (3) Unde idem apostolus alio loco dicit: Si consurrexistis cum Christo, quae sursum sunt quaerite, ubi Christus est in dextera Dei sedens. (4) Potest quidem etiam sic esse ordo verborum, ut non ad Spiritum sanctificationis adiungamus quod ait ex resurrectione mortuorum, sed ad id quod ait praedestinatus est, ut ordo sit: qui praedestinatus est ex resurrectione mortuorum; cui ordini interposita sunt haec: Filius Dei in virtute secundum Spiritum sanctificationis. (5) Et nimirum iste ordo certior et melior videtur, ut sit filius David in infirmitate secundum carnem, Filius autem Dei in virtute secundum Spiritum sanctificationis. (6) Factus est ergo ex semine David, id est filius David ex mortali corpore, propter quod et mortuus est. Praedestinatus est autem Filius Dei et Dominus ipsius David ex resurrectione mortuorum. (7) In quantum enim mortuus est, ad id pertinet quod est filius David; in quantum autem resurrexit a mortuis, ad id quod est Filius Dei et Dominus ipsius David, sicut alibi idem apostolus dicit: Nam etsi mortuus est ex infirmitate, sed vivit in virtute Dei, ut infirmitas pertineat ad David, vita vero aeterna ad virtutem Dei. (8) Ideoque in his ipsis verbis Dominum suum designat eum David, dicens: Dixit Dominus Domino meo: Sede ad dexteram meam, donec ponam inimicos tuos sub pedibus tuis. (9) Ex eo enim quod resurrexit a mortuis, sedet ad dexteram Patris. Praedestinatum ergo ex resurrectione mortuorum, ut sederet ad dexteram Patris, videns in Spiritu David, non auderet dicere filium suum, sed Dominum suum. (10) Unde et consequenter apostolus hic adiungit Iesu Christi Domini nostri, posteaquam dixit ex resurrectione mortuorum, tamquam admonens unde illum David Dominum suum potius quam filium esse testatus sit. (11) Non autem ait eum ‘praedestinatum ex resurrectione a mortuis’, sed ex resurrectione mortuorum. Non enim resurrectione ipsa sua Filius apparet Dei, propria illa et eminentissima dignitate qua etiam caput est ecclesiae,

5,3sq. Rom. 1,4 7sq. Col. 3,1 19 2 Cor. 13,4 21sq. Ps. 109,1 26 Rom. 1,4 30 caput…ecclesiae] cf. Col. 1,18 Λ (O E d (S U T V) Claud Germ) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) ‖ 5,2 virtute des. Claud (usque ad 5,8) ‖ 8 potest inc. Claud ‖ 18 David des. Claud (usque ad 5,42) 5,1 ipsum sane tr. γ1 ‖ 6 vitam] nostram praem. T V μ+ | facit Ξ | quae] in add. B edd | nostri] Iesu Christi add. F γ2 ‖ 7 conresurrexistis O E K Z P (ac.) W B1 (cum resurrexistis) A ‖ 8 ad dexteram T V potest] postea c ‖ 9 ex om. c ‖ 10sq. sed … mortuorum om. U T c P (ac.; ut … est deest etiam pc.) 10sq. ut … est om. K Z γ ‖ 11 sint V μ ‖ 12 ordo] ceteris add. S U ‖ 15 est3 om. T V 15sq. autem est tr. c ‖ 17 enim om. T V | est1 om. Ξ (exc. B1) ‖ 18 ad id quod om. T V ‖ 19 sed om. c | in] ex (= Vulg.) M γ1 (exc. H) ‖ 20 his om c ‖ 21 ipsius Λ ‖ 22 a dextris meis (=Vulg.) T V γ

5,1 – 11 | 159

5. Assurément, celui qui a été fait selon la chair de la semence de David, est le même que celui qu’il dit être le Fils de Dieu, prédestiné dans la puissance, non pas selon la chair, mais selon l’Esprit, et pas n’importe quel esprit, mais l’Esprit de sanctification en raison de la résurrection des morts. (2) Car la puissance du mourant apparait dans la résurrection, si bien qu’il est dit prédestiné dans la puissance selon l’Esprit de sanctification en raison de la résurrection des morts. Ensuite la sanctification a créé la vie nouvelle, qui est marquée par le sceau de la résurrection de notre Seigneur. (3) Ainsi, ce même apôtre dit ailleurs : Si vous avez ressuscité ensemble avec le Christ, cherchez les choses d’en haut, là où est le Christ, siégeant à la droite de Dieu. (4) Mais l’enchainement des mots peut aussi être tel que nous ne devons pas joindre les paroles en raison de la résurrection des morts avec l’Esprit de sanctification, mais avec les paroles il a été prédestiné. Ainsi l’enchainement serait qui a été prédestiné en raison de la résurrection des morts – et le Fils de Dieu dans la puissance selon l’Esprit de sanctification est intercalé à cet enchainement. (5) Et assurément cet enchainement-là semble plus certain et meilleur, pour qu’il soit fils de David dans la faiblesse selon la chair, mais Fils de Dieu dans la puissance selon l’Esprit de sanctification. (6) Il a donc été fait de la semence de David, c’est-à-dire, fils de David de son corps mortel, à cause duquel il est aussi mort. Mais il a été prédestiné Fils de Dieu et Seigneur de David lui-même en raison de la résurrection des morts. (7) En effet, le fait qu’il soit mort se rapporte à ce qu’il est fils de David, mais le fait qu’il soit ressuscité d’entre les morts, à ce qu’il est Fils de Dieu, et Seigneur de David lui-même, comme ce même apôtre dit ailleurs : En effet, même s’il est mort par sa faiblesse, il vit cependant dans la puissance de Dieu, pour que la faiblesse se rapporte à David, mais la vie éternelle à la puissance de Dieu. (8) Et pour cette raison David le désigne comme son Seigneur par ces paroles mêmes, où il dit : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite, jusqu’à ce que je place tes ennemis sous tes pieds. (9) En effet, par le fait qu’il soit ressuscité d’entre les morts, il siège à la droite du Père. Alors David, voyant dans l’Esprit celui qui fut prédestiné, en raison de la résurrection des morts, à siéger à la droite du Père, n’aurait pas osé l’appeler son fils, mais son Seigneur. (10) Il est donc logique aussi que l’apôtre ajoute ici de Jésus Christ notre Seigneur, après avoir dit, en raison de la résurrection des morts, comme s’il rappelait pourquoi David avait rendu témoignage de qu’il était son Seigneur, plutôt que son fils. (11) Mais il ne dit pas qu’il était « prédestiné en raison de la résurrection d’entre les morts » mais en raison de la résurrection des morts. Car ce n’est pas par sa propre résurrection qu’il apparait comme Fils de Dieu dans cette dignité spéciale et excellente par laquelle il est aussi tête de l’Église, puisque les

sub … tuis] scabellum pedum tuorum (=Vulg.) T V R ‖ 23 quod] quo K Z | sedet] sedit S U Germ | a dextris T V ‖ 24 vivens γ2 | in Spiritu] ipsum c ‖ 25 sed … suum2 om. Ξ | et om. E M A (ac.) 26 apostolus om. B Er Lov | hic om. c ‖ 27 et tamquam Λ Am ‖ 28 autem om. T V | eum om. U B1 | ex resurrectione om. B edd ‖ 30 Dei] de B Am Er Lov | etiam] iam Λ (tam E) | est caput tr. F B edd

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cum et ceteri mortui resurrecturi sint. Sed Filius Dei praedestinatus est quodam principatu resurrectionis, quia ex resurrectione omnium mortuorum ipse praedestinatus est, id est ut prae ceteris et ante ceteros resurgeret designatus, ut quod hic positum est Filius Dei, cum dixisset praedestinatus est, ad documentum valeat tantae sublimitatis. (12) Non enim sic praedestinari oportuit nisi Filium Dei, secundum quod est etiam caput ecclesiae, unde illum alio loco primogenitum ex mortuis appellat. (13) Eum enim decebat venire ad iudicium resurgentium, qui praecesserat ad exemplum, neque ad exemplum omnium resurgentium, sed ad exemplum eorum qui sic resurrecturi sunt, ut cum illo vivant et regnent in sempiternum, quorum etiam caput est, tamquam corporis sui. Ex ipsorum enim resurrectione etiam praedestinatus est, ut ipsis princeps fieret. Ceterorum autem in sua condicione resurgentium non princeps sed iudex est. (14) Non itaque ex illorum mortuorum resurrectione praedestinatus est, quos est damnaturus. Praedestinatum enim esse ex resurrectione mortuorum, ut praecederet resurrectionem mortuorum, vult intelligi apostolus: hos autem praecessit qui ad ipsum caeleste regnum, quo eos praecessit, secuturi sunt. (15) Propter quod non ait ‘qui praedestinatus est Filius Dei ex resurrectione mortuorum Iesus Christus Dominus noster’, sed ex resurrectione mortuorum Iesu Christi Domini nostri, tamquam si diceret: ‘qui praedestinatus est Filius Dei ex resurrectione mortuorum suorum’, hoc est ad se pertinentium in vitam aeternam; velut si interrogaretur, ‘quorum mortuorum?’ et responderet, ‘ipsius Iesu Christi Domini nostri’. (16) Ex resurrectione enim ceterorum mortuorum non est praedestinatus, quos non praecessit ad gloriam vitae aeternae, non utique secuturos, quoniam ad poenas suas impii resurrecturi sunt. (17) Ergo ille tamquam Filius Dei unigenitus, etiam primogenitus ex mortuis praedestinatus est ex resurrectione mortuorum. Quorum mortuorum, nisi Iesu Christi Domini nostri? 6. Per quem accepimus, inquit, gratiam et apostolatum: gratiam cum omnibus fidelibus, apostolatum autem non cum omnibus. Et ideo si tantummodo apostolatum se diceret accepisse, ingratus exstitisset gratiae, qua illi peccata dimissa sunt. Tamquam enim meritis priorum operum accepisse apostolatum videretur. (2) Optime itaque tenet cardinem causae, ut nemo audeat dicere vitae prioris meritis se ad evangelium esse perductum, quando nec ipsi apostoli, qui ceteris membris post

36 primogenitum…mortuis] cf. Col. 1,18 6,1 Rom. 1,5 Λ (O E d (S U T V) Germ) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) ‖ Claud

42 non2 inc.

31‒33 quodam … est1 om. c ‖ 34 positam L1 F ‖ 37 eum] cum V Am | dicebat E V Germ (ac.) Am 38 neque … exemplum3 om. c | ad1 om. T V ‖ 39 sic om. E c | regnant O c A ‖ 42 ita Am ‖ 43 quos] quod Am | enim om. Ξ ‖ 44 resurrectione c | mortuorum2] multorum c ‖ 47 Iesus … mortuorum om. c (pro verbis omissis suorum F) ‖ 48 Domini nostri om. Claud | si om. T V; qui O E S U Claud 54 est om. S U Germ ‖ 50 Domini nostri Iesu Christi tr. T V F ‖ 52 gloriam] gratiam γ1 ‖ 55 Domini nostri Iesu Christi tr. B edd

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autres morts eux aussi vont ressusciter. Mais il a été prédestiné comme Fils de Dieu par une certaine primauté dans la résurrection, puisqu’il a été, lui, prédestiné en raison de la résurrection de tous les morts, c’est-à-dire, désigné pour ressusciter devant les autres et avant les autres. Ainsi, quand il est écrit ici Fils de Dieu, après qu’il a dit il a été prédestiné, cela sert comme indication de cette si grande éminence. (12) Nul en effet ne devait être prédestiné ainsi à part le Fils de Dieu, selon le fait qu’il est aussi tête de l’Église. C’est ainsi qu’ailleurs il l’appelle le premier-né d’entre les morts. (13) Car celui qui devait venir pour le jugement des ressuscitants, c’est celui qui les avait précédés en donnant l’exemple, et non pas l’exemple pour tous les ressuscitants, mais l’exemple pour ceux qui allaient ressusciter pour vivre et régner avec lui dans l’éternité, ceux desquels il est aussi la tête, comme de son propre corps. Car il a été aussi prédestiné en raison de la résurrection de ceux-ci pour devenir leur chef. Mais pour les autres, ressuscitant dans leur condition, il n’est pas le chef, mais le juge. (14) Ainsi il n’a pas été prédestiné en raison de la résurrection de ces mortslà, qu’il va condamner. Car l’apôtre veut que l’on comprenne qu’il avait été prédestiné en raison de la résurrection des morts pour devancer la résurrection des morts. Or ceux qu’il a devancés, c’est ceux qui vont le suivre dans ce même règne céleste où il les a devancés. (15) C’est pourquoi il ne dit pas : « qui a été prédestiné comme Fils de Dieu en raison de la résurrection des morts, Jésus Christ notre Seigneur », mais en raison de la résurrection des morts de Jésus Christ notre Seigneur, comme s’il disait : « qui a été prédestiné comme Fils de Dieu en raison de la résurrection de ses propres morts », c’est-à-dire, de ceux qui lui appartiennent pour la vie éternelle. C’est comme si on lui demandait « de quels morts ? », et il répondait : « ceux de Jésus Christ notre Seigneur lui-même ». (16) Car il n’a pas été prédestiné en raison de la résurrection des autres morts, qu’il n’a pas devancés dans la gloire de la vie éternelle. Eux ne le suivront certainement pas, puisque les impies vont ressusciter pour leur punition. (17) Lui donc, en tant que Fils unique de Dieu, est aussi le premier-né d’entre les morts prédestiné en raison de la résurrection des morts. De quels morts, si ce n’est ceux de Jésus Christ notre Seigneur ? 6. Par qui, dit-il, nous avons reçu la grâce et l’apostolat : la grâce avec tous les fidèles, mais l’apostolat non pas avec tous. Et pour cette raison, s’il avait dit qu’il avait seulement reçu l’apostolat, il se serait montré ingrat envers la grâce, par laquelle ses péchés ont été pardonnés. Ce serait en effet comme s’il avait reçu l’apostolat par les mérites de ses œuvres antérieures. (2) Il montre donc très bien la cause première, pour que nul n’ose dire qu’il a été conduit à l’Évangile par les mérites de sa vie antérieure, puisque même les apôtres, qui surpassent tous les membres du corps

6,1 inquit om. Λ ‖ 4 enim om. Λ ‖ 5 ordinem Λ B Lomb edd | meriti O (ac. uv.) E Claud Germ Am 5sq. ad evangelium se tr. Claud ‖ 6 nec] vero c | qui] quia Claud

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caput corporis supereminent, accipere apostolatum proprie potuissent, nisi prius communiter cum ceteris gratiam, quae peccatores sanat et iustificat, accepissent. (3) Quod autem subiungit ad oboediendum fidei in omnibus gentibus pro nomine eius, ad hoc dicit apostolatum se accepisse, ut oboediatur fidei pro nomine Domini nostri Iesu Christi, hoc est, ut credant omnes Christo et signentur in eius nomine qui salvi esse cupiunt. (4) Quam salutem non solis Iudaeis, sicut nonnulli qui ex ipsis crediderant arbitrabantur, venisse iam ostendit, cum ait in omnibus gentibus. In quibus estis, inquit, et vos vocati Iesu Christi, id est ut et vos sitis eius Iesu Christi, qui omnium gentium salus est, quamquam non in numero Iudaeorum sed in numero ceterarum gentium sitis inventi. 7. Huc usque dixit ipse quis esset qui scribit epistolam. Est enim qui scribit Paulus servus Iesu Christi, vocatus apostolus, segregatus in evangelium Dei. (2) Sed quia occurrebat ‘quod evangelium?’ respondit: quod ante promiserat per prophetas suos in scripturis sanctis de Filio suo. Item quia occurrebat ‘de quo Filio suo?’ respondit: qui factus est ei ex semine David secundum carnem, qui praedestinatus est Filius Dei in virtute secundum Spiritum sanctificationis ex resurrectione mortuorum Iesu Christi Domini nostri. (3) Et quasi diceretur ‘quomodo tu ad eum pertines?’ respondit: per quem accepimus gratiam et apostolatum, ad oboediendum fidei in omnibus gentibus pro nomine eius. (4) Item quasi diceretur ‘quae igitur causa est ut scribas ad nos?’ respondit: in quibus estis et vos vocati Iesu Christi. (5) Nunc deinde adiungit ex more epistolae quibus scribat: Omnibus, inquit, qui sunt Romae, dilectis Dei, vocatis sanctis. Etiam hic significavit benignitatem Dei potius quam meritum illorum. Non enim ait ‘diligentibus Deum’ sed dilectis Dei. (6) Prior enim dilexit nos ante omnia merita, ut nos eum dilecti diligeremus. (7) Unde etiam addidit vocatis sanctis. Quamquam enim sibi quis tribuat quod vocanti obtemperat, nemo potest sibi tribuere quod vocatus est. Vocatis autem sanctis non ita intelligendum est tamquam ideo vocati sunt quia sancti erant, sed ideo sancti effecti quia vocati sunt. 8. Restat ergo ut salutem dicat, ut compleatur usitatum epistolae principium, tamquam ‘ille illis salutem’. Pro eo autem ac si diceret ‘salutem’, Gratia vobis, inquit, et pax a Deo Patre nostro et Domino Iesu Christo. Non enim omnis gratia est a Deo. (2) Nam et iudices mali praebent gratiam in accipiendis personis aliqua

9sq. Rom. 1,5 13sq. Rom. 1,6 7,11sq. Rom. 1,7 13 prior…nos] cf. 1 Io. 4,19 8,2sq. Rom. 1,7 Λ (O E d (S U T V) Claud Germ) Ξ (κ (K Z c (L 1 F M)) γ (γ 1 (γ 2 (B 1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) 7,10 Christi des. Germ(usque ad 7,12) ‖ 12 hic inc. Germ ‖ 8,2sq. gratia … Christo] Retr 1,25 7 corpori T V | potuissent] promississent c (permisissent F) ‖ 11 Christo] in Christo B Am Er Lov 12 solum c γ2 ‖ 13 arbitrantur γ2 ‖ 14 id est ut et] et ut M | et2 om. L1 F 7,1 scribit1] scripsit M γ | scribit2] scripsit γ; epistolam add. Λ (post epistolam add. forsitan e glossemate in Λ: est quibus scribit est qui scribit S U, sunt quibus scribit T V, est qui scribit Claud, est 7 diceret Lov enim qui scribit Germ) B edd ‖ 2 Christi Iesu tr. O (ac.) Germ ‖ 4 suo2 om. Ξ ‖ 9 scribat c ‖ 10 Iesu Christi] Christi Iesu tr. P W B1 A ; Domini nostri add. T V ‖ 11 scribit V M R

6,2 – 8,2 | 163

à part la tête, n’auraient pu véritablement recevoir l’apostolat, s’ils n’avaient d’abord reçu, ensemble avec les autres, la grâce, qui guérit et justifie les pécheurs. (3) Ensuite, quand il ajoute pour obéir à la foi parmi tous les peuples pour son nom, il dit qu’il a reçu l’apostolat pour que l’on obéisse à la foi pour le nom de notre Seigneur Jésus Christ, c’est-à-dire, pour que tous ceux qui veulent être sauvés aient foi dans le Christ, et soient scellés en son nom. (4) Et il montre déjà que ce salut n’est pas venu seulement aux Juifs, comme le pensaient certains d’entre eux qui avaient cru, quand il dit parmi tous les peuples. Parmi lesquels vous êtes, dit-il, vous aussi, les appelés de Jésus Christ, c’est-à-dire, pour que vous apparteniez, vous aussi, à ce Jésus Christ, qui est le salut de tous les peuples, bien que vous ayez été trouvés non pas dans le nombre des Juifs, mais dans le nombre des autres peuples. 7. Jusqu’ici, il a dit qui il était, lui qui écrit l’épître. Celui qui écrit est en effet Paul, esclave de Jésus Christ, appelé [comme] apôtre, séparé pour l’Évangile de Dieu. (2) Mais, puisque la question se présentait : « quel Évangile ? », il a répondu : [celui] qu’il avait promis en avance par ses prophètes dans les Écritures saintes à propos de son Fils. Ensuite, puisque la question se présentait : « à propos de quel Fils ? », il a répondu : qui a été fait pour lui de la semence de David selon la chair, qui a été prédestiné [comme] Fils de Dieu dans la puissance selon l’Esprit de sanctification en raison de la résurrection des morts de Jésus Christ notre Seigneur. (3) Et comme si l’on avait dit « quel est ton rapport avec lui ?», il a répondu : par qui nous avons reçu la grâce et l’apostolat, pour obéir à la foi parmi tous les peuples pour son nom. (4) Ensuite, comme si l’on avait dit « quelle est donc la raison pour laquelle tu nous écris ? », il a répondu : parmi lesquels vous êtes, vous aussi, les appelés de Jésus Christ. (5) Maintenant, donc, il ajoute, selon la coutume des épîtres, à qui il écrit : à tous ceux, dit-il, qui sont à Rome, les bien-aimés de Dieu, les saints appelés. Ici aussi il a indiqué la bonté de Dieu plutôt que leurs propres mérites. Il ne dit pas, en effet, « ceux qui aiment Dieu », mais les bien-aimés de Dieu. (6) Car il nous a aimé le premier avant tout mérite, pour que nous, étant aimés, l’aimions. (7) C’est pourquoi il ajoute aussi les saints appelés. En effet, même si quelqu’un peut se l’attribuer, s’il obéit à celui qui appelle, personne ne peut s’attribuer d’avoir été appelé. D’ailleurs les saints appelés ne doit pas être compris comme s’ils ont été appelés parce qu’ils étaient saints, mais ils sont devenus saints parce qu’ils ont été appelés. 8. Il lui reste donc à dire la salutation, pour que soit complété le commencement normal d’une épître, comme « celui-là à ceux-là, salut ». Mais, au lieu de dire cette salutation, il dit la grâce soit avec vous et la paix venant de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ. Toute grâce, en effet, ne vient pas de Dieu. (2) Car les mauvais juges, eux aussi, font grâce quand ils font acception des personnes, tentés

14 ut] ut et B Gl edd | unde] inde B Am Er Lov ‖ 15 sibi om. c | quis] qui O (aliqui pc.) Germ Am 17 sunt1 O S U Claud Germ c] sint E T V K Z γ B Lomb edd | quia1] qui L1 F; quod M 8,2 salutem1] dicat add. d | vobis om. Er Lov ‖ 2sq. vobis inquit om. Claud; inquit vobis tr. T V F P (ac.) ‖ 3 nostro om. T V

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5 cupiditate illecti aut timore perterriti. (3) Neque omnis pax Dei est, vel ab illo, unde

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ipse Dominus discernens ait: Pacem meam do vobis, adiungens etiam et dicens non se talem pacem dare, qualem dat hic mundus. (4) Gratia est ergo a Deo Patre et Domino Iesu Christo, qua nobis peccata remittuntur, quibus adversabamur Deo, pax vero ipsa qua reconciliamur Deo. (5) Cum enim per gratiam remissis peccatis absumptae fuerint inimicitiae, restat ut pace adhaereamus illi, a quo nos sola peccata dirimebant, sicut propheta dicit: (6) Non gravabit aurem, ut non audiat, sed peccata vestra inter vos et Deum separant. Quibus remissis per fidem Domini nostri Iesu Christi, nulla separatione interveniente pax erit. 9. Fortasse autem quisque miretur quomodo intelligenda sit iustitia iudicis Dei, cum gratiam praebet ignoscendo peccatis. (2) Sed hoc plane iustum est apud Deum, quia vere iustum est, ut hi quos peccatorum suorum paenitet, eo tempore quo nondum poenarum manifestus terror apparet, misericorditer separentur ab eis qui defensiones peccatorum suorum pertinaciter exquirentes nulla paenitentia corrigi volunt. (3) Iniustum est enim ut cum his illi ad consortium poenale copulentur, qui vocantem Deum non spreverunt, et peccantes displicuerunt sibi, ut, quemadmodum ille peccata eorum, sic etiam ipsi odissent sua. (4) Ea enim demum est humanae iustitiae disciplina, non in se amare nisi quod Dei est, et odisse quod proprium est, nec approbare peccata sua, nec in eis alium improbare, sed seipsum, nec putare satis sibi esse ut sua peccata displiceant, nisi etiam vigilantissima deinceps intentione vitentur, nec in eis vitandis vires suas existimare sufficere, nisi divinitus adiuventur. (5) Iustum est ergo apud Deum ut ignoscatur talibus quaecumque antea commiserunt, ne, quod iniustissimum est, cum eis qui tales non sunt confundantur atque misceantur. (6) Quapropter et quia talibus ignoscitur, iustitia Dei est, et quia ignoscitur, gratia est. Iusta est ergo gratia Dei, et grata iustitia, cum in eo quoque etiam paenitentiae meritum gratia praecedat, quod neminem peccati sui paeniteret, nisi admonitione aliqua vocationis Dei. 10. Porro iustitiae divinae tanta constantia est, ut, cum poena spiritalis et sempiterna paenitenti fuerit relaxata, pressurae tamen cruciatusque corporales,

6sq. Io. 14,27 11sq. Is. 59,1sq. Λ (O E d (S U T V) Claud Germ) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) ‖ mebant des. Claud (usque ad 11,1) ‖ 13 erit des. Germ

11 diri-

6 Dominus ipse tr. γ2 ‖ 7 pacem talem tr. c ‖ 8 Domino] nostro add. U B edd | adversabamur] aversabamur T μ+; a add. d μ+ ‖ 10 fuerunt c | pacem U A ‖ 11 gravavit T V 9,2 peccantibus Λ Am+ ‖ 3 hi] ii B Er Lov μ ‖ 4 error O E L1 (ac.) Am; horror d c (pc. L1) | separantur O (ac.) S U ‖ 9 nisi] id add. c ‖ 11 esse sibi tr. c | deinceps om. c ‖ 13 adiuvetur O E S U V B edd est om. O E | ignoscatur Λ (ignoscetur U; ignoscantur T)] ignoscantur Ξ (ignoscatur R) | quaecumque] quae Λ | ante P W H R ‖ 15 non ignoscitur Ξ B edd ‖ 16 grata] gratia O E 10,1 ut om. O E (ac.) S U V (ac.) | poena] poenae O (ac.) E (ac. uv.); poenas S (ac.) U ‖ 1sq. poenae spiritales et sempiternae ... fuerint relaxatae T V (an irrepsit aliquid ambiguum in Λ?) ‖ 1 spiritales

8,2 – 10,1 | 165

par une convoitise, ou terrifiés par une menace. (3) Et toute paix n’appartient pas non plus à Dieu, et ne vient pas de lui. C’est pourquoi le Seigneur lui-même a fait la distinction, en disant Je vous donne ma paix, ajoutant aussi [quelque chose], en disant qu’il ne donne pas la sorte de paix que donne ce monde. (4) Il s’agit donc de la grâce venant de Dieu le Père et de notre Seigneur Jésus Christ, par laquelle les péchés nous sont remis, par lesquels nous nous opposions à Dieu. Et puis la paix est celle-là même par laquelle nous sommes réconciliés avec Dieu. (5) Car, une fois les péchés remis par la grâce, puisque l’hostilité a été enlevée, il nous reste à adhérer par la paix à celui duquel seuls les péchés nous séparaient, comme le dit le prophète: (6) Il n’appesantira pas son oreille pour ne pas entendre, mais vos péchés vous séparent de Dieu. Une fois ceux-ci remis par la foi en notre Seigneur Jésus Christ, il n’y aura plus de séparation pour venir en travers, et il y aura la paix. 9. Mais peut-être que certains s’étonneront : comment comprendre la justice de Dieu le juge, alors qu’il donne la grâce en pardonnant les péchés ? (2) Mais cela est certainement juste chez Dieu, puisque cela est vraiment juste, que ceux qui se repentent de leurs péchés, à l’époque où la terreur des punitions n’apparait pas encore ouvertement, soient miséricordieusement séparés de ceux qui cherchent obstinément des défenses pour leurs péchés, et ne veulent être corrigés par aucune pénitence. (3) Car il est injuste que les premiers soient joints avec les seconds dans une punition commune, eux qui n’ont pas dédaigné le Dieu qui les appelait, et se sont déplu à eux-mêmes en péchant, et ainsi, de même que lui avait détesté leurs péchés, eux-mêmes les avaient détestés. (4) Car enfin, ce que doit apprendre la justice humaine, c’est ne rien aimer en soi-même, sauf ce qui appartient à Dieu, et détester ce qui nous est propre, puis ne pas approuver ses propres péchés, ni en imputer la responsabilité à quelqu’un d’autre, mais à soi-même, et ne pas penser qu’il suffit que nos péchés nous déplaisent, si, par la suite, on ne les évite pas aussi avec l’application la plus vigilante, et ne pas croire que nos propres forces suffiront pour les éviter, si elles ne sont pas assistées par Dieu. (5) Il est donc juste de la part de Dieu de pardonner à de tels hommes tout ce qu’ils ont commis auparavant, pour éviter – et ce serait le comble de l’injustice – qu’ils soient confondus et mélangés avec ceux qui ne sont pas ainsi. (6) C’est pourquoi pardonner à de tels hommes, c’est la justice de Dieu, et leur pardonner, c’est [en même temps] sa grâce. La grâce de Dieu est donc juste, et sa justice est gracieuse, puisque ici aussi la grâce précède même le mérite de la pénitence, dans la mesure où personne ne se repentirait de son péché, sans quelque avertissement venant de l’appel de Dieu. 10. Mais il y a une telle constance dans la justice divine que, même si la peine spirituelle et éternelle est remise pour le pénitent, néanmoins les tribulations et les souffrances corporelles, par lesquelles, comme nous le savons, même les martyrs

E (ac.) S (ac.) ‖ 2 paenitentia Λ (vix recte; vide l. 4: nulli relaxetur) | corporales] corporum cruciales γ (cruciales del. H)

166 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

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quibus etiam martyres exercitatos novimus, postremo mors ipsa, quam peccando meruit nostra natura, nulli relaxetur. (2) Quod enim etiam iusti homines et pii tamen exsolvunt ista supplicia, de iusto Dei iudicio venire credendum est. (3) Ipsa est quae in sanctis scripturis etiam disciplina nominatur, quam nemo iustorum effugere sinitur. (4) Neminem quippe excepit, cum diceret: Quem enim diligit Deus corripit, flagellat autem omnem filium quem recipit. Unde etiam ipse Iob, qui propterea tam multa illa passus est, ut hominibus quis vir esset et quantus Dei servus eluceret, poenas tamen corporis pro peccatis suis se exsolvere saepe testatur. (5) Petrus quoque apostolus, exhortans fratres ad perferendas pro Christi nomine passiones, ita loquitur: Nemo autem vestrum patiatur quasi homicida aut fur aut maledicus aut curas alienas agens; si vero quasi christianus, non erubescat; glorificet autem Deum in isto nomine, quia tempus inchoationis iudicii a domo Dei. Si autem initium a nobis, quis finis eorum qui non credunt Dei evangelio? Et si iustus quidem vix salvus fit, peccator et impius ubi parebit? (6) Manifeste ostendit easdem ipsas passiones quas iusti patiuntur ad iudicium Dei pertinere, quod inchoari dixit ex domo Dei, ut inde coniciatur quantae impiis futurae serventur. (7) Unde etiam ipse Paulus ad Thessalonicenses dicit: ita ut nos ipsi de vobis gloriemur in ecclesiis Dei, pro vestra patientia et fide in omnibus persecutionibus vestris, et pressuris quas sustinetis in exemplum iusti iudicii Dei. (8) Quod omnino ad illud respicit, quod ait Petrus tempus esse inchoationis iudicii a domo Dei, et illud quod de propheta interposuit: Et si iustus vix salvus erit, peccator et impius ubi parebit? (9) Unde mihi videtur etiam illa quae per Nathan prophetam regi David comminatus est Deus, quamquam statim ignoverit paenitenti, propterea tamen accidisse omnia, ut demonstraretur illam veniam spiritaliter datam propter futurum iudicium poenarum, quod exspectat eos qui hoc tempore corrigi nolunt. (10) Dicit enim et alibi Petrus: Propter hoc enim et mortuis evangelizatum est, ut iudicentur quidem secundum hominem in carne, vivant autem secundum Deum in spiritu. (11) Haec dixi, ut ostenderem quantum possem et quantum opportunitas praesentis loci scripturarum sinit, non sic accipiendam gratiam et pacem Dei, cum dicitur, ut existiment homines a iustitia Deum posse discedere. (12) Nam et ipsam pacem cum promitteret Dominus, ait: Haec dixi, ut in me pacem habeatis, in mundo

10,7sq. Hebr. 12,6 12–16 1 Petr. 4,15–18 19–21 2 Thess. 1,4sq. 22 propheta] cf. Prov. 11,31 (LXX) 23sq. illa…Deus] cf. 2 Reg. 12,10–14 27–29 1 Petr. 4,6 33sq. Io. 16,33 Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) 3 exercitos κ | postremum κ ‖ 4 enim etiam] enim iustitia O E S U B Am Er Cam; enim T V; etiam enim 6 scripturis sanctis tr. O V F γ2; sacris tr. c | tamen om. T (pc.) R ‖ 5 est2] enim c; enim add. d ‖ scripturis B ‖ 14 tempus] tempore L1 M; est add. T V | Dei] est add. E ‖ 15 quis] qui κ | crediderunt E γ | evangelio Dei tr. B Am Er μ | evangelium O S | sit O S M R ‖ 16 apparebit E c; parebunt Z γ Lov (non Cam) μ ‖ 17 quod om. K Z γ ‖ 18 quanta O | quanta … futura Ξ B Am Er Lov | servantur B edd | ipse om. c ‖ 20 et2] ex c | in2 om. O E ‖ 22 Dei] Domini K Z L1 γ (Deum H R) B Am Er Lov | et2] ut

10,1 – 12 | 167

furent éprouvés, et enfin la mort elle-même, que notre nature a méritée en péchant, ne sont remises à personne. (2) Car le fait que même les hommes justes et pieux s’acquittent tout de même de ces supplices, il faut croire que cela vient du juste jugement de Dieu. (3) C’est ce qui, dans les Écritures saintes, est aussi appelé discipline, [et] qu’il n’est permis à aucun des justes d’esquiver. (4) En effet, il ne fit d’exception pour personne, quand il dit: En effet, celui qu’il aime, Dieu le châtie, et il fouette tout fils qu’il accueille. Ainsi Job lui aussi, qui a souffert tant de choses, pour qu’il soit manifesté aux hommes quel homme il était et quel grand esclave de Dieu, témoigne néanmoins souvent qu’il s’est acquitté des peines du corps pour ses péchés. (5) De même, Pierre l’apôtre, en exhortant les frères à endurer les souffrances pour le nom du Christ, parle ainsi : Mais que nul d’entre vous ne souffre en tant que meurtrier, ou voleur, ou médisant, ou parce qu’il se mêle des affaires d’autrui ; mais si c’est en tant que chrétien, qu’il ne rougisse pas, mais qu’il glorifie Dieu à cause de ce nom, puisque le temps du commencement du jugement [vient] de la maison de Dieu. Mais si le début [vient] de nous, quelle sera la fin de ceux qui ne croient pas à l’Évangile de Dieu ? Et si le juste est à peine sauvé, où paraitra le pécheur et l’impie ? (6) Il montre clairement que ces mêmes souffrances que souffrent les justes relèvent du jugement de Dieu, qu’il dit commencer avec la maison de Dieu, pour que l’on puisse en déduire quelles [souffrances] futures sont réservées aux injustes. (7) Ainsi Paul lui aussi dit aux Thessaloniciens : si bien que nous aussi, nous nous vantons de vous parmi les églises de Dieu, à cause de votre patience et de votre foi dans toutes vos persécutions, et dans les tribulations que vous subissez pour [donner] l’exemple du juste jugement de Dieu. (8) Ceci correspond entièrement à ce que dit Pierre, que le temps du commencement du jugement [vient] de la maison de Dieu, et à ce qu’il a intercalé du prophète : Et si le juste sera à peine sauvé, où paraitra le pécheur et l’impie ? (9) Ainsi, il me semble que de même tout ce dont Dieu a menacé le roi David par le prophète Nathan – bien qu’il ait tout de suite pardonné au pénitent – est arrivé, pour montrer que ce pardon fut donné spirituellement pour le jugement punitif à venir, qui attend ceux qui ne veulent pas se corriger maintenant. (10) En effet, Pierre dit aussi ailleurs : C’est pourquoi l’Évangile a aussi été prêché aux morts, pour qu’ils soient jugés selon l’homme dans la chair, mais qu’ils vivent selon Dieu dans l’esprit. (11) J’ai dit ces choses pour montrer, autant que je le pouvais, et autant que le permet l’occasion du passage en question des Écritures, que la grâce et la paix de Dieu, quand on en parle, ne doivent pas être comprises de telle façon que les hommes croient que Dieu puisse abandonner la justice. (12) En effet, même quand le Seigneur a promis la paix, il a dit : J’ai dit ceci, pour que vous ayez la paix en moi,

c ‖ 23 apparebunt E; apparebit c; parebunt γ Lov μ ‖ 24 prophetam Nathan tr. γ ‖ 25 omnia accidisse tr. γ ‖ 26 specialiter U R ‖ 27 et2] ex c ‖ 30 haec] hoc Λ B edd ‖ 32 a] ab E d | Deum] Domini c

168 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

autem pressuram. Sed tribulationes et molestiae cum per iustitiam Dei redduntur 35 peccatis, bonos et iustos, et quibus iam plus peccata ipsa displicent quam ulla

corporis poena, non reflectunt ad peccandum, sed ab omni labe penitus purgant. (13) Pax enim perfecta etiam corporis suo tempore roborabitur, si nunc pacem quam Dominus per fidem dare dignatus est inconcusse spiritus noster atque incommutabiliter teneat. 11. Quod autem apostolus gratiam et pacem a Deo Patre et Domino Iesu Christo dicit, non adiungens etiam Spiritum sanctum, non mihi alia ratio videtur, nisi quia ipsum donum Dei Spiritum sanctum intelligimus. Gratia porro et pax, quid aliud quam donum Dei? (2) Unde nullo modo dari hominibus gratia potest qua liberamur 5 a peccatis, et pax qua reconciliamur Deo, nisi in Spiritu sancto. Et ideo ipsa Trinitas pariterque incommutabilis unitas in ista salutatione cognoscitur. (3) Quod propterea maxime credo, quoniam excepta epistola quam ad Hebraeos scripsit, ubi principium salutatorium de industria dicitur omisisse, ne Iudaei qui adversus eum pugnaciter oblatrabant, nomine eius offensi, vel inimico animo legerent, vel omnino legere non 10 curarent, quod ad eorum salutem scripserat – (4) unde nonnulli eam in canonem scripturarum recipere timuerunt – sed quoquo modo se habeat ista quaestio, excepta hac epistola, ceterae omnes, quae nulla dubitante ecclesia Pauli apostoli esse firmantur, talem continent salutationem, nisi quod ad Timotheum in utraque interponit misericordiam. (5) Nam ita scribit: Gratia, misericordia, pax a Deo Patre et 15 Christo Iesu Domino nostro. (6) Quo enim familiarius eo dulcius quodammodo scribens ad Timotheum, id verbum interposuit, quo plane aperitur atque ostenditur non meritis operum priorum, sed secundum misericordiam Dei nobis dari Spiritum sanctum, ut et peccatorum abolitio fiat, qua seiungebamur a Deo, et reconciliatio, ut illi inhaereamus. 12. Nec aliae apostolorum epistolae, quas usus ecclesiasticus recipit, parum nos admonent de ista Trinitate in principiis suis. (2) Nam Petrus ita dicit: Gratia vobis et pax adimpleatur. Deinde statim subicit: Benedictus Deus et Pater Domini nostri Iesu Christi, ut per gratiam et pacem Spiritu sancto intellecto, Patris et Filii commemora-

11,14sq. 1 Tim. 1,2; 2 Tim. 1,2 12,2sq. 1 Petr. 1,2 3sq. 1 Petr. 1,3 Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) ‖ 11,1 quod inc. Claud (in Rom., in Eph.) ‖ 6 cognoscitur des. Claud (in Rom.) ‖ 19 inhaereamus des. Claud (in Eph.) 34 pressuras c | sed] et Ξ | molestiae] angustias c | reddunt c ‖ 36 replectunt O (ac.) E | ab omni labe] abhominabile c ‖ 37 corpori T V | roborabitur] dabitur T V μ+ ‖ 38 donare γ2 11,1 a om. O E (add. E2) | Patre] nostro add. γ | Domino om. γ; nostro add. E Claud (non in Rom., sed forsitan in Eph.; vide p. 105 adn. 446) κ B edd ‖ 3 intelligamus B edd ‖ 4 quam donum Dei] sunt praem. γ; est praem. B Lomb edd; quam donum Dei (Dei donum tr. T V) sunt d ‖ 5 ideo et tr. O E d; et ideo et Claud in Rom.; et ideo Claud in Eph. | Trinitas] inseparabilis add. T V ‖ 6 unitas B Gl Lomb edd (an recte vix liquet); om. cett. ‖ 8 salutatorium] salutorium Z W | dicit B1 A H ‖ 11 quoquo] quo O (pc.) Claud (vl.) Ξ (exc. Z) Am | ista] haec c ‖ 12 dubitatione c B1 ‖ 14 interponat O S U κ H; ambae

10,12 – 12,2 | 169

mais la tribulation dans le monde. Mais quand les épreuves et les chagrins sont la récompense des péchés par la justice de Dieu, ils ne ramènent pas vers le péché les bons et les justes, et ceux à qui les péchés eux-mêmes sont déjà plus odieux que toute peine du corps. Ils les lavent plutôt entièrement de toute tâche. (13) En effet, même la paix parfaite du corps sera affermie en son temps, si notre esprit conserve désormais, sans fléchir ou changer, la paix que le Seigneur a daigné nous donner à travers la foi. 11. Mais, si l’Apôtre parle de la grâce et la paix venant de Dieu le Père et du Seigneur Jésus Christ, sans ajouter aussi l’Esprit Saint, il ne me semble pas y avoir d’autre explication que celle-ci : nous comprenons que le don de Dieu lui-même est l’Esprit Saint. Et la grâce et la paix, qu’est-ce, sinon le don de Dieu ? (2) Ainsi, la grâce, par laquelle nous sommes libérés des péchés, et la paix, par laquelle nous sommes réconciliés avec Dieu, ne peuvent nullement être données aux hommes, si ce n’est dans l’Esprit Saint. Et c’est pourquoi la Trinité elle-même, [qui est] en même temps Unité immuable, se reconnait dans cette salutation. (3) Je crois cela surtout parce que – mise à part l’épître qu’il écrivit aux Hébreux, où l’on dit qu’il a omis exprès la salutation initiale, pour éviter que les Juifs, qui aboyaient agressivement contre lui, offensés par son nom, ne lussent avec un esprit hostile, ou ne s’intéressassent pas du tout à lire, ce qu’il avait écrit pour leur salut – (4) d’où certains ont craint de la recevoir dans le canon des Écritures – mais quelle que soit la réponse à cette question, à l’exception de cette épître, toutes les autres, que l’on affirme être de l’apôtre Paul sans qu’aucune église n’en ait douté, contiennent une salutation de ce type, à l’exception des deux à Timothée, dans lesquelles il intercale la miséricorde. (5) En effet, il écrit ainsi: la grâce, la miséricorde, la paix venant de Dieu le Père et du Christ Jésus notre Seigneur. (6) C’est qu’en écrivant d’une certaine façon plus familièrement et plus agréablement à Timothée, il a intercalé ce mot, par lequel il est clairement révélé et manifesté que l’Esprit Saint nous est donné non pas par les mérites des œuvres antérieures, mais selon la miséricorde de Dieu, pour que s’accomplissent à la fois l’abolition des péchés, là où nous étions séparés de Dieu, et la réconciliation, pour que nous nous attachions à lui. 12. Et les autres épîtres des apôtres, qu’accepte la tradition de l’Église, ne nous informent pas qu’un peu sur cette Trinité dans leurs introductions. (2) Pierre, en effet, parle ainsi : Que la grâce et la paix soient complétées pour vous. Ensuite il ajoute tout de suite : Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ. Ainsi, une fois que l’on a compris l’Esprit Saint par la grâce et la paix, la mention du Père et du

lectiones in codicibus Claud | misericordia pax] et (om. V) misericordia et pax d ‖ 15 Iesu Christo tr. E T V B edd | familiaris O E ‖ 16 verum O E Claud | quo T V P W B edd] quod O E S U Claud κ γ2 | appetitur c ‖ 18 qua] quibus V (pc. ; ac. non liquet) B edd (an recte?) | seiungebantur c (seiungebatur F) Deo] Domino c 12,1 recepit L1 F ‖ 3 subiecit γ B Er Lov ‖ 4 ut] ubi c | intellectu c

170 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

5 tio animum de Trinitate commoneat. (3) Et in alia sic ait: Gratia vobis et pax multipli-

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cetur in recognitione Dei et Christi Iesu Domini nostri. (4) Iohannes autem nescio quam ob causam omisit tale principium, sed plane Trinitatis commemorationem nec ipse neglexit, pro gratia et pace societatem interponens: Quod ergo vidimus, inquit, nuntiamus et vobis, ut et vos societatem habeatis nobiscum, et societas nostra sit cum Patre et Filio eius Iesu Christo. (5) In secunda vero illis quae ad Timotheum sunt consonat, dicens: Sit vobiscum gratia, misericordia, pax a Deo Patre et Iesu Christo Filio Patris. (6) In tertiae principio de Trinitate penitus tacetur, credo quod sit omnino brevissima. Sic enim incipit: Senior Gaio dilectissimo, quem ego diligo in veritate. Quam veritatem pro ipsa Trinitate positam puto. (7) Iudas, nominato Deo Patre et Domino Iesu Christo, ad intelligendum Spiritum sanctum, hoc est donum Dei, tria verba ponit. Sic quippe incipit: Iudas Iesu Christi servus, frater autem Iacobi, in Deo Patre dilectis, et in Iesu Christo conservatis, vocatis, misericordia vobis et pax et caritas adimpleatur. (8) Gratia enim et pax sine misericordia et caritate intelligi non potest. Iacobus autem usitatissimum exordium fecit epistolae, ita scribens: Iacobus Dei et Domini nostri Iesu Christi servus, duodecim tribubus quae sunt in dispersione, salutem, (9) credo, considerans salutem non esse nisi in dono Dei, ubi gratia et pax. Et quamquam ante hoc verbum nominaverit Deum et Dominum nostrum Iesum Christum, tamen quia nulla gratia et nulla pace salvi fiunt homines, nisi quae est a Deo Patre et Domino Iesu Christo, sicut Iohannes in tertia veritatem, sic iste salutem pro ipsa Trinitate posuisse mihi videtur. 13. Quo loco prorsus non arbitror praetereundum quod pater Valerius animadvertit admirans in quorundam rusticanorum collocutione. Cum alter alteri dixisset ‘salus’, quaesivit ab eo qui et latine nosset et punice, quid esset ‘salus’. Responsum est: ‘Tria’. (2) Tum ille agnoscens cum gaudio salutem nostram esse Trinitatem, concinentia linguarum non fortuito sic sonuisse arbitratus est, sed occultissima dispensatione divinae providentiae, ut cum latine nominatur ‘salus’, a Punicis intelligantur ‘tria’, et cum Punici lingua sua ‘tria’ nominant, latine intelligatur ‘salus’. (3) Chananaea enim, hoc est punica mulier, de finibus Tyri et Sidonis egressa, quae in evangelio personam gentium gerit, salutem petebat filiae suae, cui

5sq. 2 Petr. 1,2 8–10 1 Io. 1,3 11sq. 2 Io. 1,3 13sq. 3 Io. 1 16–18 Iudas 1 19–21 Iac. 1,1 Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) 5 sic] sicut γ1 | et pax om. γ ‖ 6 Iesu Christi tr. O E T V ‖ 7 commisit c | commemoratione c 8 ergo om. S U | inquit om. T V ‖ 9 et1 om. d; ex c | et ut tr. c | vobiscum c ‖ 10 illi γ | quae … sunt] qui ad Timotheum K Z; quae (quia L1 F) ad Timotheum c; quae est ad Timotheum γ ‖ 11 pax om. Ξ 18 etenim c 14‒16 nominato … Iudas om. T V ‖ 17 in2 om. Λ c μ | conservatis] et add. B edd ‖ 2 23sq. a deo est tr. c 20 tribus c B ‖ 21 salutem om. Z P | domo E V c (doo F) A (ac.) μ+ ‖ 24 saltem c 13,2 quorundam] quadam c (quae-ac. uv. L1) | collatione A H R | cum] enim add. T V ‖ 5 continentiam O (ac.) R (ac.); concinentiam O (pc.) R (pc.) Am+; continencia E (corr. E2) H; consonantia d;

12,2 – 13,3 | 171

Fils instruit l’intelligence sur la Trinité. (3) Et dans l’autre [épître] il parle ainsi : Que la grâce et la paix se multiplient pour vous dans la connaissance de Dieu et du Christ Jésus notre Seigneur. (4) Quant à Jean, je ne sais pour quelle raison, il a omis une introduction de ce type, mais clairement lui non plus ne néglige pas de mentionner la Trinité, substituant « alliance » à « grâce et paix ». Donc ce que nous avons vu, ditil, nous vous l’annonçons aussi, pour que vous ayez vous aussi une alliance avec nous, et que notre alliance soit avec le Père et son Fils Jésus Christ. (5) Mais dans la seconde [épître] il est en accord avec les [épîtres] à Timothée, en disant : Que la grâce, la miséricorde, la paix, venant de Dieu le Père, et de Jésus Christ le Fils du Père soient avec vous. (6) Dans l’introduction de la troisième, il y a un silence total sur la Trinité – c’est, à mon avis, parce qu’elle est extrêmement courte. Car il commence ainsi : L’ancien au très bien-aimé Gaius, que j’aime dans la vérité. Je pense que cette vérité est mise pour la Trinité même. (7) Jude, ayant nommé Dieu le Père et le Seigneur Jésus Christ, met trois mots pour que l’on comprenne l’Esprit Saint, c’est-à-dire le don de Dieu. Il commence donc ainsi : Jude, l’esclave de Jésus Christ, et le frère de Jacques, à [ceux qui sont] bien-aimés en Dieu le Père, et gardés en Jésus Christ, aux appelés, que la miséricorde et la paix et la charité vous soient données en abondance. (8) En effet, la grâce et la paix ne peuvent être comprises sans la miséricorde et la charité. Quant à Jacques, il donne un début des plus usuels à son épître, écrivant ainsi: Jacques, l’esclave de Dieu et de notre Seigneur Jésus Christ, aux douze tribus qui sont dans la dispersion, salut. (9) Je pense qu’il voyait que le salut ne se trouve que dans le don de Dieu, où sont la grâce et la paix. Et, bien qu’il ait nommé Dieu et notre Seigneur Jésus Christ avant ce mot, cependant, parce que les hommes ne sont sauvés par aucune grâce et par aucune paix, à part celle qui vient de Dieu le Père et du Seigneur Jésus Christ, il me semble que, tout comme Jean avait mis « vérité » dans sa troisième [épître], il a mis ici « salut » pour la Trinité même. 13. En cet endroit, je ne pense pas qu’il faille laisser de côté ce que le père Valérius a remarqué en s’émerveillant, lors de la conversation de certains paysans. Quand l’un avait dit « salus » à l’autre, il demanda à celui qui connaissait et le latin et le punique, qu’est-ce que c’était que « salus ». On lui répondit : « Trois ». (2) Alors lui, reconnaissant avec joie que notre salut, c’est la Trinité, s’est dit que ces sons étaient produits par une harmonie des langues qui n’était pas due au hasard, mais plutôt à une dispensation très secrète de la divine providence. Ainsi, quand on dit « salus » en Latin, « trois » est compris par les Puniques, et quand les Puniques disent « trois » en leur langue, on comprend salus [santé / salut] en latin. (3) En effet, la femme cananéenne, c’est-à-dire punique, étant sortie du territoire de Tyr et de Sidon, [et] qui représente les gentils dans l’Évangile, demandait le salut pour sa fille.

convenientiam B edd | fortuitu T V Z B edd; fortitudo c; an fortuita? ‖ V (ac.) ‖ 8 hoc] hec F M | et om. κ

7 et om. Λ | intellegantur O S

172 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

10 responsum est a Domino: Non est bonum panem filiorum mittere canibus. (4) Quod

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crimen obiectum illa non negans, tamquam de confessione peccatorum impetratura salutem filiae, hoc est novae vitae suae: Ita, inquit, Domine, nam et canes edunt de micis quae cadunt de mensa dominorum suorum. (5) ‘Tria’ enim mulieris lingua ‘salus’ vocantur: erat enim Chananaea. Unde interrogati rustici nostri quid †sit punice, respondent †‘Chanani’, corrupta scilicet, sicut in talibus solet, una littera. Quid aliud respondent quam †‘Chananaei’? (6) Petens itaque salutem Trinitatem petebat, quia et romana lingua, quae in salutis nomine Trinitatem punice sonat, caput gentium inventa est in adventu Domini, et diximus Chananaeam mulierem gentium sustinere personam. Panem autem appellans Dominus id ipsum quod a muliere petebatur, quid aliud quam Trinitati attestatur? (7) Namque alio loco eandem Trinitatem in tribus panibus intelligendam esse apertissime docet. Sed haec verborum consonantia, sive provenerit, sive provisa sit, non pugnaciter agendum est ut ei quisque consentiat, sed quantum interpretantis elegantiam hilaritas audientis admittit. 14. Illud sane magna intentione animi considerandum, et totis viribus pietatis amplectendum satis apparet, quoniam si gratia et pax ad implendam Trinitatis commemorationem sic ab apostolo ponitur ac si sanctum Spiritum nominet, ille peccat in Spiritum sanctum, qui desperans vel irridens atque contemnens praedicationem gratiae per quam peccata diluuntur, et pacis per quam reconciliamur Deo, detrectat agere paenitentiam de peccatis suis, et in eorum impia atque mortifera quadam suavitate perdurandum sibi esse decernit, et in finem usque perdurat. (2) Quod ergo ait Dominus dimitti homini, si verbum dixerit adversus filium hominis, si autem verbum dixerit adversus Spiritum sanctum, non ei dimitti neque hic neque in futuro saeculo, sed reum esse aeterni peccati, non negligenter audiendum est. (3) Constituamus enim aliquem latinae linguae ignarum, cum illo audiente pronuntiatus fuerit ab aliquo ‘Spiritus sanctus’, quaerere quid rerum significetur sub isto syllabarum sono; ab aliquo autem deceptore vel irrisore impio responderi aliquid aliud, quodlibet vile et abiectum, ut quaerentem decipiat, sicuti a talibus fieri solet ridendi gratia; illum autem per ignorantiam contempsisse hoc nomen, dum nescit quid significet, et aliqua etiam in hoc convicia iactitasse: neminem esse

13,10 Mt. 15,26 12sq. Mt. 15,27 20sq. namque…panibus] cf. Lc. 11,5 14,8–10 si…peccati] cf. Mt. 12,31sq. Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) 10 partem Er ‖ 13 lingua mulieris tr. Λ ‖ 14 vocatur E d | erant enim Chananaei K Z γ (ac. R) | sit] sint T V B edd ‖ 15 respondent O E S U K c R (pc.)] om. Z γ (ac. R); cum respondent T V Am; respondentes B Er Lov μ | Chanani O E c B edd] Canani K; Chemani S T; Chaemani V; Chaemam U; Cananei Z; Chanei γ (Canei P W) | tabulis Am+ ‖ 16 Chanan(a)ei T B edd] Cananei V; Chanani O (pc.) E S M; 19 id] ad O (ac.); at O (pc.) S (ac.) Am Canani O (ac.) K Z L1 F; Canai γ (Chanai B1 H); Chanam U ‖ 21 intelligenda c ‖ 22 sonantia L1 F | pervenerit V F

13,3 – 14,3 | 173

Il lui fut répondu par le Seigneur : Il n’est pas bon de jeter le pain des fils aux chiens. (4) Quant à elle, sans nier le crime qu’on lui reprochait, comme si par la confession de ses péchés elle allait obtenir le salut de sa fille, c’est-à-dire de sa nouvelle vie, elle dit: Oui, Seigneur. Justement, même les chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leurs seigneurs. (5) En effet, dans la langue de la femme, « trois » se dit salus, car elle était cananéenne. Ainsi, quand on demande à nos paysants †qu’est-ce que c’est† en Punique, ils répondent †« Chanani »†, avec bien entendu la corruption d’une lettre qui est d’usage chez de tels hommes. Que répondent-ils d’autre que †«Chananaei »† ? (6) Donc, en demandant le salut, elle demandait la Trinité, puisque, de plus, la langue romaine, qui fait le son de la Trinité en punique avec le mot salus, s’est trouvée à la tête des gentils lors de la venue du Seigneur ; et nous avons dit que la femme cananéenne représentait les gentils. D’ailleurs, quand le Seigneur appelait « pain » la chose même qui était demandée par la femme, que faisait-il d’autre que porter témoignage à la Trinité? (7) Ailleurs, en effet, il enseigne très clairement que cette même Trinité doit être comprise par trois pains. Mais, quant à cette consonance des mots, qu’elle soit due au hasard, ou voulue, il ne faut pas se battre pour que chacun l’accepte, sinon dans la mesure où la bonne humeur de l’auditeur accueille l’élégance de l’interprète. 14. Mais voici ce qu’on voit bien qu’il faut considérer avec une grande attention de l’esprit, et embrasser avec toutes les forces de la piété : si la grâce et la paix sont ainsi placées par l’apôtre pour compléter sa mention de la Trinité, comme s’il nommait l’Esprit Saint, celui-là pèche contre l’Esprit Saint, qui, désespérant, ou persifflant et méprisant la prédication de la grâce par laquelle les péchés sont lavés, et de la paix par laquelle nous sommes réconciliés avec Dieu, refuse de faire pénitence pour ses péchés, et décide qu’il doit persévérer dans une certaine douceur impie et mortelle de ces [péchés], et y persévère jusqu’à la fin. (2) Donc, quand le Seigneur dit qu’il sera pardonné à l’homme, s’il dit une parole contre le fils de l’homme, mais que, s’il dit une parole contre l’Esprit Saint, il ne lui sera pardonné ni ici ni dans le monde à venir, mais qu’il sera coupable d’un péché éternel, il ne faut pas écouter avec négligence. (3) Imaginons en effet quelqu’un qui ne connait pas la langue latine. Alors qu’il écoute, « Esprit Saint » est prononcé par quelqu’un. Il demande quelle chose est signifiée par ce bruit de syllabes. Alors quelque chose d’autre, ce que l’on voudra de vil et de bas, lui est répondu, par un menteur ou un moqueur impie, pour tromper l’interrogateur, comme de tels hommes le font souvent pour rire. Ensuite lui, dans l’ignorance, a méprisé ce nom, alors qu’il ignorait ce qu’il signifie, et a même lancé quelques insultes contre lui. Je ne pense pas qu’il y ait quelqu’un d’assez sot et irréfléchi, pour taxer cet homme d’une quelconque accusa-

14,2 quoniam] quia γ2 ‖ 3 sic] sicut c | Spiritum sanctum tr. γ (ac. P) B edd | nominasset B edd 7 sibi om. T V ‖ 8 ergo] autem γ | adversum S U ‖ 8sq. filium … adversus om. O K Z ‖ 8 hominis om. γ ‖ 9 verbum om. c | ei om. M; enim L1 F ‖ 12 Spiritus sanctus ab aliquo tr. T V | quaerentem d ‖ 14 vile et] videt Ξ (videlicet H R) | sicut O T V ‖ 16sq. arbitror esse tr. T V

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arbitror tam vanum et inconsideratum, qui hunc hominem ullo crimine impietatis aspergat. (4) At contra, si tacito nomine res ipsa verbis quibus potest ad quaerentis intelligentiam perducatur, tum vero si aliqua contumeliose in tantam sanctitatem vel verba vel facta protulerit, reus tenebitur. (5) Quae cum ita sint, manifestum esse arbitror eum qui hoc nomine audito aliam pro alia rem significari putaverit, et adversus eam rem quam significari hoc nomine credidit verbum dixerit, non hunc sic peccare, ut adversus Spiritum sanctum verbum dixisse iudicetur. (6) Itaque si quisquam quaerens quid sit Spiritus sanctus audiat ab imperito hunc esse Filium Dei per quem facta sunt omnia, qui etiam certa opportunitate temporis de virgine natus sit, et occisus a Iudaeis, et resurrexerit, quibus auditis vel neget vel irrideat quae dicta sunt, non eum sic teneri putandum est, ac si verbum adversus Spiritum sanctum dixerit, sed potius adversus Filium Dei, vel filium hominis, sicut et vocari et esse dignatus est. (7) Non enim quid sit imperito per vocem propositum, sed per rationem expositum, considerandum est, quia ille cum maledicta proferret, ei utique maledicebat quem sibi enarratum cogitatione intuebatur. Quodlibet autem vocaretur, utrum res ipsa veneranda an neganda vel vituperanda esset, hoc quaeritur. (8) Hoc modo etiam si quispiam quaerat quid sit Iesus Christus, et ea quaerenti respondeantur quae non in Filium Dei sed potius in Spiritum sanctum conveniunt, quibus auditis ille blasphemet, non utique adversus Filium, sed adversus Spiritum sanctum verbum dixisse tenebitur. 15. Sed si transitorie ac negligenter attenderimus quod dictum est, Si quis verbum dixerit adversus Spiritum sanctum, non remittetur ei, neque in hoc saeculo neque in futuro, quis inveniri poterit cui veniam peccatorum dederit Deus? (2) Nam et pagani qui appellantur etiam nunc totam nostram religionem, quia iam ferro et caedibus prohibentur, maledictis contumeliisque insectantur, et quicquid de ipsa Trinitate dicimus, negando et blasphemando contemnunt. (3) Non enim excipiunt sibi Spiritum sanctum quem venerentur, ut in cetera saeviant, sed simul adversus omnia quaecumque sollicite de trina Dei maiestate loquimur, quanto possunt furore impietatis oblatrant. Nam neque de ipso Deo Patre digne sentiunt, quem partim penitus negant, partim sic fatentur ut de illo falsa fingendo non utique illum sed sua figmenta venerentur. (4) Multo magis ergo quod de Filio Dei vel de Spiritu sancto dicimus suo impio more deridere quam nostra pia societate colere maluerunt. Quos

15,1–3 Mt. 12,32 Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) 18 si] sic Am | cito O Am | ad inquirentis S (pc.) U ‖ 19 tum] cum U κ | si aliqua om. V μ | contumeliosa O S B Am Er Lov | vel om. d ‖ 21 re F B Am Er Lov ‖ 21sq. adversum c ‖ 22 non] in c 22sq. peccare sic tr. c ‖ 23 adversum T V | sanctum Spiritum tr. O E Z | itaque] ita quoque T V μ 27 putandus L1 M 24 sanctus om. c ‖ 26 occisus] sit add. d μ | resurrexit T V K (ac.) c B1 H B ‖ 29 quid] qui c ‖ 29sq. sed … expositum om. Λ ‖ 30 rationem] intentionem L1 M | ei] et κ; eum γ 31 enarravit c; enarratum in B edd ‖ 33 hoc etiam modo si (modo si] Moysi F) tr. c | quispiam]

14,3 – 15,4 | 175

tion d’impiété. (4) Mais, au contraire, si le nom n’est pas prononcé, mais la chose même est portée à l’intelligence de l’interrogateur par des mots qui peuvent y suffire, c’est alors que, s’il produit des dits ou des faits méprisants envers une si grande sainteté, il sera tenu coupable. (5) Puisqu’il en est ainsi, je considère qu’il est clair que celui qui a pensé, quand il a entendu ce nom, qu’une chose était signifiée à la place d’une autre, et a dit une parole contre cette chose qu’il a cru être signifiée par ce nom, celui-là ne pèche pas de telle façon, que l’on jugera qu’il a dit une parole contre l’Esprit Saint. (6) Ainsi, si quelqu’un qui demande ce qu’est l’Esprit Saint entend d’un homme ignare que celui-ci est le Fils de Dieu, par qui tout a été fait, et qui est né d’une vierge à un certain moment du temps, et fut tué par les Juifs, et ressuscita, et ayant entendu ces choses, il nie ou persiffle ce qui a été dit, il ne faut pas penser qu’il est coupable de la même façon que s’il avait dit une parole contre l’Esprit Saint, mais plutôt contre le Fils de Dieu, ou le fils de l’homme, comme il a daigné être appelé et être. (7) Car il ne faut pas considérer ce qui a été mis devant un ignare par la voix, mais ce qui lui a été expliqué par la raison, puisque, quand il produisait des insultes, il insultait bien entendu celui dont on lui avait parlé, et qu’il voyait dans sa pensée. Donc, peu importe le nom dont on l’ait appelée, ce que l’on cherche, c’est si la chose elle-même devait être vénérée, ou niée, ou insultée. (8) Et de même, si quelqu’un demande ce qu’est Jésus Christ, et que l’on répond à l’interrogateur des choses qui ne conviennent pas au Fils de Dieu, mais plutôt à l’Esprit Saint, et ayant entendu cela, il blasphème, il sera coupable d’avoir dit une parole non pas, bien sûr, contre le Fils, mais contre l’Esprit Saint. 15. Mais si nous n’écoutons qu’en passant, et avec négligence, ce qui est dit : Si quelqu’un dit une parole contre l’Esprit Saint, il ne lui sera pas pardonné, ni en ce monde, ni dans [le monde] à venir, qui pourra-t-on trouver à qui Dieu aura accordé le pardon de ses péchés ? (2) En effet, ceux-là aussi que l’on appelle païens, puisqu’on leur interdit désormais de le faire avec l’épée et les tueries, poursuivent encore maintenant toute notre religion avec insultes et injures. Et tout ce que nous disons de la Trinité elle-même, ils le méprisent, en niant et en blasphémant. (3) En effet, ils ne se font pas une exception de l’Esprit Saint, qu’ils vénèreraient, pour s’acharner contre le reste, mais ils aboient en même temps avec toute la fureur possible de l’impiété contre tout ce que nous disons avec révérence sur la triple majesté de Dieu. En effet, même sur Dieu le Père lui-même, ils n’ont pas des idées dignes [de lui] : certains le renient entièrement, [et] certains le confessent de telle façon, qu’en inventant des mensonges sur lui, ils ne le vénèrent pas du tout, mais plutôt leurs propres inventions. (4) Encore plus, donc, ils ont préféré se moquer selon leur habitude impie de ce que nous disons du Fils de Dieu ou de l’Esprit Saint, plutôt que

quisquam c | quid] quis O B edd | ea (Cam)] ita γ Lov ‖ 33sq. respondeatur O S U ‖ 34 sanctum Spiritum tr. S U 15,1 attenderemus c ‖ 2 in … saeculo] hic T V ‖ 5 de om. c ‖ 7 sanctum Spiritum tr. O κ | ut] et T V ‖ 8 sollicite om. Λ μ+ | trina om. γ ‖ 9 Deo Patre] Deo add. γ | digna Ξ B edd

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tamen, quantum possumus, adhortamur ad Christum cognoscendum, et per ipsum Patrem Deum, summoque et vero imperatori militandum esse suademus, eosque promissa impunitate praeteritorum omnium peccatorum invitamus ad fidem. (5) Qua in re satis iudicamus, etiam si quid adversus Spiritum sanctum in sua sacrilega superstitione dixerunt, cum christiani facti fuerint, sine ulla caligine dubitationis ignosci. Iudaei vero quales adversus Spiritum sanctum fuerint, testis est Stephanus, quem sancto Spiritu plenum lapidaverunt, cum illa omnia quae in eos dixit, ipse Spiritus dixerit. (6) In quibus verbis apertissime dictum est Iudaeis: Vos semper restitistis Spiritui sancto. In illo tamen numero Iudaeorum resistentium Spiritui sancto, et non ob aliud Stephanum vas eius, nisi quod eo plenus erat, lapidantium, etiam Paulus apostolus erat in manibus omnium quorum vestimenta servabat. Quod sibi postea etiam paenitendo increpitat, eo ipso Spiritu iam plenissimus, cui primo inanissimus resistebat, et paratus iam lapidari pro talibus dictis, qualium praedicatorem ipse lapidaverat. (7) Quid Samaritani? Nonne ita Spiritui sancto adversantur, ut ipsam prophetiam penitus conentur exstinguere, quae per Spiritum sanctum ministrata est? (8) Quorum tamen saluti et ipse Dominus attestatur, in eo qui de leprosis decem mundatis solus reversus est ut ageret gratias, cum esset Samaritanus, et in illa muliere cum qua ad puteum sexta hora locutus est, et eis qui per illam crediderunt. (9) Post Domini autem ascensionem, sicut in Actibus apostolorum scriptum est, quanta gratulatione sanctorum recepit Samaria verbum Dei? (10) Simonem quoque magum arguens Petrus apostolus, quod tam male de Spiritu sancto senserit, ut eum venalem putans pecunia sibi emendum poposcerit, non tamen ita de illo desperavit, ut veniae locum nullum relinqueret. Nam benigne etiam ut eum paeniteret admonuit. (11) Ipsa denique catholicae ecclesiae tam insignis auctoritas, quae in eodem dono Spiritus sancti omnium sanctorum mater toto fecunda orbe diffunditur, cui umquam haeretico vel schismatico spem liberationis, si se corrigat, amputavit? (12) Cui placandi Dei aditum clausit? Nonne omnes ad ubera sua, quae superbo fastidio reliquerunt, cum lacrimis revocat? Quis vero vel de principibus vel de gregibus haereticorum invenitur, qui non adversetur Spiritui sancto? Nisi forte quisquam tam perverse sentit, ut arbitretur eum teneri reum qui

20sq. Act. 7,51 25 paratus…dictis] cf. 2 Cor. 11,25 28–30 saluti…Samaritanus] cf. Lc. 17,11–19 30sq. illa…crediderunt] cf. Io. 4,7–42 32sq. quanta…Dei] cf. Act. 8,4–17 33–36 Simonem…admonuit] cf. Act. 8,18–24 Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) 13 cognoscendum Christum tr. E | agnoscendum S T V ‖ 14 Deum Patrem tr. O γ2 ; Patri Deo d μ+ suadeamus E S U ‖ 16 indicamus T Z γ | adversum T V; in c ‖ 17 super institutione c | fuerint facti tr. γ2 ‖ 19 sancto Spiritu Ξ (sancto plenum Spiritu M)] sancto ipso Spiritu Λ (Spiritu ipso sancto T); ipso Spiritu sancto B edd | illa] ille Am ‖ 20 Iudaeis om. γ1 ‖ 22 et om. Λ | alium c | quod] ipse add. μ ‖ 24 quod] ipse add. T V μ ‖ 26 nonne] non c; ipsi add. T V ‖ 27 ipsam] etiam γ ‖ 28 et om. O d ; ut (uv.) E ‖ 29 de … decem] decem leprosis B Er Lov ; de decem leprosis tr. μ | sedecim Am | solus]

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de le vénérer dans une pieuse communion avec nous. Néanmoins, dans la mesure du possible, nous les exhortons à connaitre le Christ, et par lui Dieu le Père, et nous les persuadons de combattre pour le commandant souverain et véritable, puis, en leur promettant l’impunité pour tous leurs péchés passés, nous les invitons à la foi. (5) En cette matière, même si dans leur superstition sacrilège ils ont dit quelque chose contre l’Esprit Saint, une fois qu’ils sont devenus chrétiens, nous considérons certainement, sans l’ombre d’un doute, qu’il leur est pardonné. Quant aux Juifs, Étienne témoigne de quelle façon ils s’opposaient à l’Esprit Saint, puisqu’ils l’ont lapidé quand il était plein du Saint Esprit, alors que tout ce qu’il disait contre eux, c’était l’Esprit lui-même qui le disait. (6) Parmi ces paroles, il fut très ouvertement dit aux Juifs : Vous avez toujours résisté à l’Esprit Saint. Néanmoins, dans le nombre de ces Juifs qui résistaient à l’Esprit Saint et qui lapidaient Étienne, son vaisseau, pour la seule raison qu’il en était plein, il y avait aussi l’apôtre Paul, [présent] dans les mains de tous ceux dont il gardait les vêtements. Plus tard, même, il se le reproche en faisant pénitence, déjà tout plein de ce même Esprit, auquel il résistait auparavant, dans sa grande vanité, et déjà prêt à être lapidé pour des paroles telles que celles du prédicateur qu’il avait lui-même lapidé. (7) Qu’en est-il des Samaritains ? Ne sont-ils pas tellement opposés à l’Esprit Saint qu’ils tentent d’éteindre entièrement la prophétie elle-même, qui a été fournie par l’Esprit Saint ? (8) Néanmoins, le Seigneur lui même rend aussi témoignage à leur salut, dans celui des dix lépreux purifiés qui fut le seul à revenir pour rendre grâce, alors qu’il était samaritain, et dans cette femme avec qui il a discuté au puits à la sixième heure, et [dans] ceux qui ont cru par elle. (9) De plus, après l’ascension du Seigneur, comme il est écrit dans les Actes des apôtres, avec quelle réjouissance des saints la Samarie a-t-elle reçu la parole de Dieu ! (10) Et aussi, quand il reprocha à Simon le Magicien d’avoir pensé tant de mal de l’Esprit Saint, qu’il a cru qu’il était à vendre, et a demandé de se l’acheter pour de l’argent, l’apôtre Pierre n’a pas tant désespéré pour lui, qu’il ne lui a laissé aucune place pour le pardon. En effet, il l’a même prévenu avec bonté qu’il devait se repentir. (11) Enfin, l’autorité si éminente de l’Église catholique, la mère de tous les saints, qui par ce même don de l’Esprit Saint se répand dans sa fécondité sur la terre entière, à quel hérétique ou schismatique a-t-elle jamais coupé l’espoir de se libérer, s’il se corrigeait ? (12) À qui a-t-elle fermé l’accès à l’apaisement de Dieu ? Ne les rappelle-t-elle pas tous en pleurant à ses seins, qu’ils avaient abandonnés dans leur dégoût arrogant ? Mais qui trouvera-t-on, parmi les chefs ou les troupeaux des hérétiques, qui ne s’oppose pas à l’Esprit Saint ? Ou peut-être y a-t-il quelqu’un qui pense tellement absurdement qu’il croit que celui qui dit quelque chose contre

unus praem. γ ‖ 30 et2] vel T V B1 μ ‖ 32 recipit E Z M R Lov μ ‖ 34 pecuniam c | poposceret c; posceret A H R ‖ 35 desperat O (desperavit vel desperabat ac.); sperabat E (desperabat E2) | nullum locum tr. T V ‖ 39 corrigeret Λ | auditum c ‖ 40 verba c | quae] qui eam B Am Er Lov | relinqueret c 41 regibus B Am Er Lov | hircorum γ2

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adversus Spiritum sanctum aliquid dixerit, eum vero qui adversus Spiritum sanctum multa fecerit non teneri. (13) Qui autem tanta evidentia contra Spiritum sanctum pugnant quam illi qui adversus ecclesiae pacem superbissimis contentionibus saeviunt? Sed si de verbis quaestio est, quaero utrum nihil dicant adversus Spiritum sanctum, cum alii eum, quod ad ipsum proprie pertinet, omnino non esse asseverent, sed ita esse unum Deum, ut idem ipse Pater, idem ipse Filius, idem ipse Spiritus sanctus appelletur; (14) alii fateantur quidem esse Spiritum sanctum, sed aequalem Filio, vel omnino esse Deum negent; alii unam quidem et eandem Trinitatis substantiam esse fateantur, sed de ipsa divina substantia tam impie sentiant, ut eam commutabilem et corruptibilem putent, ipsumque Spiritum sanctum, quem Dominus discipulis se missurum esse promisit, non quinquagesimo die post eius resurrectionem, sicut apostolorum Acta testantur, sed post trecentos fere annos per hominem venisse confingant; (15) alii similiter adventum eius quem tenemus negent, et eum prophetas in Phrygia, per quos tanto post loqueretur, elegisse contendant; alii sacramenta eius exsufflent, et baptizatos in nomine Patris et Filii et Spiritus sancti denuo baptizare non dubitent. (16) Sed ne pergam per singula, quae sunt innumerabilia, his certe omnibus quos pro tempore breviter attigi, ad sponsam Christi redeuntibus et errorem atque impietatem paenitendo damnantibus, nulla catholica disciplina negandam ecclesiae pacem et claudenda viscera misericordiae iudicavit. 16. Quod si quisquam tunc putat verbum dici adversus Spiritum sanctum cum ab eo dicitur cui iam per baptismum dimissa peccata sunt, attendat nec talibus per ecclesiae sanctitatem auferri paenitentiae locum. (2) Si enim propterea credit non dari veniam quia gratia fidei sacramentisque fidelium iam perceptis non potest dici peccatum ignorantiae, videat aliam causam esse, cum dicitur propterea non ignosci quia non ignorantiae tempore peccatum est, et aliam causam esse, cum dicitur propterea non ignosci quia verbum dixit adversus Spiritum sanctum. (3) Si enim sola ignorantia veniam meretur, et ignorantia non accipitur nisi antequam quisque fuerit baptizatus, non solum adversus Spiritum sanctum, sed etiam si adversus filium hominis post baptismum dixerit verbum, et omnino si qua fornicatione vel homicidio vel ullo flagitio aut facinore post baptismum sese maculaverit, non potest paenitendo recurari. (4) Quod qui senserunt exclusi sunt a communione catholica, satisque iudicatum est eos in illa crudelitate divinae misericordiae participes esse

Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) 43 aliquid … sanctum2 om. E c A (ac.) ‖ 46 se (om. F) vivunt c ‖ 48 ipse3 om. O S U ‖ 49 fateantur quidem esse] quidem fateantur c ‖ 50 Deum esse tr. E c ‖ 51 esse … substantia om. Λ | ipsa] ipsa a L1 F ; ipsa et M ‖ 52 putant O (pc. uv.) E c (pc. M) | sanctum Spiritum tr. T V Z B1 R ‖ 53 non] in add. γ ‖ 56 eum] ei in c ‖ 58 baptizari Λ | dubitant O E S U κ ‖ 60 atque] ac O E S U (et ac ac.) V; et T F 61 neganda c; esse add. S U T 16,2 dicatur c | sunt peccata tr. M B edd | adtendant O E ‖ 4 quia] ei qui T V ; ei quia μ ‖ 5 peccasse ignorantia T V μ ‖ 6sq. quia … ignosci om. O (ac.) c ‖ 6 non om. K Z B Am (sed habet Am+) Er Lov

15,12 – 16,4 | 179

l’Esprit Saint est tenu coupable, mais celui qui fait de nombreuses actions contre l’Esprit Saint n’est pas tenu. (13) Or, qui combat aussi évidemment contre l’Esprit Saint que ceux qui s’acharnent contre la paix de l’Église dans leurs disputes orgueilleuses ? Mais si c’est une question de paroles, je demande s’il ne disent rien contre l’Esprit Saint, alors que certains déclarent que, pour ce qui est de [l’Esprit] luimême, il n’existe pas du tout, mais que, Dieu étant unique, le même être est [appelé] Père, le même est [appelé] Fils, [et] le même est appelé Esprit Saint ; (14) d’autres admettent bien qu’il y a un Esprit Saint, mais nient qu’il soit égal au Fils ou en général qu’il soit Dieu ; d’autres admettent qu’il y a une seule et même substance dans la Trinité, mais ont des idées tellement impies sur cette substance divine, qu’ils croient qu’elle est modifiable et corruptible, et ils prétendent que ce même Esprit Saint, que le Seigneur promit d’envoyer à ses disciples, n’est pas venu cinquante jours après sa résurrection, comme en témoignent les Actes des apôtres, mais après presque trois cent ans, à travers un être humain. (15) De même, d’autres nient sa venue, à laquelle nous croyons, et maintiennent qu’il a choisi des prophètes en Phrygie, par lesquels il allait parler si longtemps après ; d’autres éteignent ses sacrements, et n’hésitent pas à baptiser de nouveau ceux qui furent baptisés au nom du Père, du Fils, et de l’Esprit Saint. (16) Mais – pour ne pas passer en revue chaque cas, tant ils sont innombrables – certainement, quant à tous ceux que j’ai mentionnés brièvement en cette occasion, s’ils retournent à l’épouse du Christ, en condamnant leur erreur et leur impiété par la pénitence, aucun enseignement catholique n’a jugé qu’il fallait leur refuser la paix de l’Église et leur fermer les entrailles de la miséricorde. 16. Mais si quelqu’un considère que le moment où une parole est dite contre l’Esprit Saint, c’est quand elle est dite par celui à qui ses péchés ont déjà été remis par le baptême, qu’il note que la place pour la pénitence n’est pas enlevée non plus à de tels hommes par la sainteté de l’Église. (2) En effet, s’il croit que le pardon n’est pas accordé parce qu’une fois reçus la grâce de la foi et les sacrements des fidèles, on ne peut parler d’un péché d’ignorance, qu’il voie que c’est une chose de dire que l’on ne pardonne pas parce que le péché ne fut pas commis en temps d’ignorance, et une autre chose de dire que l’on ne pardonne pas parce que [quelqu’un] a dit une parole contre l’Esprit Saint. (3) En effet, si seule l’ignorance mérite le pardon, et l’ignorance n’est admise qu’avant qu’une personne soit baptisée, si quelqu’un dit une parole après le baptême non seulement contre l’Esprit Saint, mais aussi contre le fils de l’homme, et puis, en général, s’il s’est sali après le baptême par une fornication ou un homicide ou par un scandale ou un crime, quels qu’il soient, il ne peut pas être guéri de nouveau par la pénitence. (4) Ceux qui ont cru cela ont été exclus de la communion catholique, et il a été clairement décidé qu’avec cette cruauté ils ne

8 quisquam T V ‖ 9 solum] si add. T V B edd ‖ 12 curari d B edd ‖ 12sq. catholica satisque] catholicae salutis quia O ‖ 13 salutisque E | est om. γ (ac. A) | credulitate E2 U L1 F γ

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non posse. (5) Si autem illud solum quod adversus Spiritum sanctum dicitur sine 15 venia esse post acceptum baptismum putatur – primo Dominus cum inde loqueretur,

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nullum tempus excepit, sed regulariter ait: Qui dixerit verbum adversus Spiritum sanctum, non remittetur ei, neque in hoc saeculo neque in futuro. (6) Deinde Simon, quem paulo ante commemoravi, iam baptismum acceperat, cum Spiritum sanctum turpissimo mercatui subditum credidit, cui correpto a se Petrus tamen consilium paenitendi dedit. (7) Quid autem agimus de his qui cum baptismi sacramenta pueri vel etiam infantes perceperint, postea negligenter educati per ignorantiae tenebras vitam turpissimam ducunt, nescientes omnino quid christiana disciplina iubeat aut vetet, quid polliceatur et quid minetur, quid credendum, quid sperandum, quid diligendum sit. (8) Num audebimus peccata eorum propterea non ignorantiae peccata deputare quia baptizati peccaverunt, cum omnino ignorantes et omnino, quemadmodum dicitur, ubi caput haberent nescientes, in magno errore peccaverint? 17. Quod si eo tempore cum scientia quisque peccasse dicatur quo scit malum esse quod facit, et tamen facit, cur hoc in Spiritum sanctum solum, non etiam in Dominum Iesum Christum irremissibile iudicatur? (2) Aut si hoc ipsum esse creditur peccare vel verbum dicere adversus Spiritum sanctum, quodlibet peccatum cum scientia committere, ut quicquid homines ignorando peccant, in Filium peccare, quicquid autem scientes peccant, in Spiritum sanctum peccare iudicentur, quaero quis nesciat malum esse, verbi gratia, corrumpere pudicitiam uxoris alienae, vel eo ipso certe quod hoc in sua coniuge nollet perpeti, aut fraudare quemquam in negotio, aut circumvenire mendacio, aut opprimere testimonii falsitate, aut auferendae rei causa insidiari et occidere quempiam, et si quid omnino est quod sibi ab altero fieri non vult, et si fieri senserit, toto corde indubitanter accusat. (3) Aut si haec ab ignorantibus fieri dicimus, quid inveniemus in quo scientes homines peccare videantur? (4) Restat ergo ut, si hoc est peccare in Spiritum sanctum, peccare cum scientia, illis peccatis quae commemoravi negetur paenitendi locus, quoniam peccato in Spiritum sanctum omnem spem veniae Dominus amputavit. Quod si regula christiana respuit, omnesque illos qui sic peccant ad correctionem

16,16sq. Mt. 12,32 Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) 14 sanctum Spiritum tr. P W B1 ‖ 15 baptismum acceptum tr. c ‖ 16 generaliter γ ‖ 18 sanctum Spiritum tr. O S ‖ 20 quid] quod c | agimus om. Λ μ | his] iis Er Lov μ ‖ 21 etiam vel tr. γ2 | etiam om. B Am Er Lov ‖ 22 quid] qui L1 F ‖ 23 vetet] veniet c ; et (aut E) add. Λ ‖ 24 num] non V B1 | audivimus O E ‖ 25 peccata om. T V μ; peccato B Am Er Lov (sed nil opus dativo casu. Vide ThLL V, 621, 10–40) | peccaverunt] peccarunt E d | omnino1 om. c ‖ 26 haberentur O (ac. uv.) U; haberetur S (ac.) T V μ+; lectio duplex in Λ? 17,1 cum scientia] conscientia c | iudicatur Λ ‖ 2 facit1] faciat B Am Er Lov | solum] et add. γ1 ‖ 3 et remissibile κ P (ac.) | aut] adhuc B Am (non Am+) Er Lov ‖ 4 adversum T V ‖ 8 ipso] ipse c 12 haec] hoc L1 M 9sq. auferenda c ‖ 10 rei] eius add. Λ μ | quemquam Z γ (quequam B1) ‖

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peuvent avoir part à la miséricorde divine. (5) Mais si l’on pense que c’est seulement ce qui est dit contre l’Esprit Saint qui est sans pardon après la réception du baptême – premièrement, quand le Seigneur en a parlé, il n’a fait d’exception pour aucun temps, mais a dit comme règle générale : Celui qui dit une parole contre l’Esprit Saint, il ne lui sera pas pardonné, ni en ce monde, ni dans [le monde] à venir. (6) Ensuite Simon, dont j’ai parlé un peu plus haut, avait déjà reçu le baptême, quand il crut que l’Esprit Saint était soumis au commerce le plus infâme. Mais, en le censurant, Pierre lui a donné un conseil de pénitence. (7) Et puis, que faisons-nous de ceux qui ont reçu les sacrements du baptême quand ils étaient enfants ou même bébés, et après, éduqués avec négligence, mènent une vie des plus infâmes dans les ténèbres de l’ignorance, sans la moindre idée de ce que la discipline chrétienne ordonne ou défend, ce qu’elle promet et ce qu’elle menace, [ou] ce qu’il faut croire, espérer [et] aimer ? (8) Oserons-nous considérer que leurs péchés ne sont pas des péchés d’ignorance, parce qu’ils ont péché une fois baptisés, alors qu’ignorant tout, et ne sachant nullement, comme on dit, où ils avaient leur tête, ils ont péché dans un grand égarement ? 17. Mais si l’on dit que quelqu’un pèche sciemment s’il pèche à l’époque où il sait que ce qu’il fait est mal, et il le fait tout de même, pourquoi un tel [péché] est-il jugé impardonnable seulement [s’il est commis] contre l’Esprit Saint, et non pas contre le Seigneur Jésus Christ ? (2) Ou si l’on croit que pécher, ou dire une parole contre l’Esprit Saint, c’est justement commettre un quelconque péché sciemment, si bien que, quand les hommes pèchent dans l’ignorance, on juge qu’ils pèchent contre le Fils, mais quand ils pèchent sciemment, ils pèchent contre l’Esprit Saint, je demande : qui ignore que c’est mal, par exemple, de corrompre la chasteté de la femme d’autrui (tout au moins à cause de cela même, qu’il ne voudrait l’endurer chez sa propre femme), ou d’user de fraude avec quelqu’un dans une affaire, ou de le tromper par un mensonge, ou de lui faire du tort par un faux témoignage, ou de guetter et tuer quelqu’un pour lui enlever ses biens, et tout ce qu’il y a en général qu’il ne veut pas qu’il lui soit fait par un autre, et s’il se rend compte qu’on le lui fait, il s’en plaint sans hésitation de tout son cœur ? (3) Ou bien, si nous disons que ces choses-là sont faites par des ignorants, quelle [situation] trouverons-nous où il apparaitra que les hommes pèchent sciemment ? (4) Il reste donc que, si pécher contre l’Esprit Saint, c’est pécher sciemment, la place pour la pénitence est refusée aux péchés que j’ai mentionnés, puisque le Seigneur a coupé tout espoir de pardon au péché contre l’Esprit Saint. Mais si la règle chrétienne rejette cela, et ne cesse

inveniemus E κ P W μ] invenimus O d γ2 B Am Er Lov ‖ praem. O (pc.) | respuitur Λ (ac. E) K Z

13sq. in … peccare om. T V ‖

16 regula] a

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vitae vocare non cessat, (5) adhuc quaerendum est quid sit peccare in Spiritum sanctum, cui peccato venia nulla conceditur. 18. An forte non est dicendus cum scientia peccare qui peccatum ipsum malum esse novit, et tamen Deum voluntatemque eius ignorans peccat? (2) Hoc enim videtur et ad Hebraeos dicere, cum dicit: Voluntarie enim peccantibus nobis postquam accepimus scientiam veritatis, non adhuc relinquitur pro peccatis sacrificium. (3) Parum enim erat, si tantummodo diceret voluntarie peccantibus nobis, nisi adderet postquam accepimus scientiam veritatis, in qua utique Deus voluntasque eius cognoscitur. (4) Quae sententia videtur congruere dominicae illi sententiae, cum ait: Servus ignorans voluntatem domini sui, et faciens digna plagis, vapulabit pauca; servus autem sciens voluntatem domini sui, et faciens digna plagis, vapulabit multa, (5) ut hoc putemus dictum esse, quod dictum est vapulabit pauca, tamquam si diceret ‘leviter emendatus ad veniam pertinebit’, in eo vero quod dictum est vapulabit multa, sempiternum supplicium intelligatur, quod minatur peccantibus in Spiritum sanctum, quibus dicit nunquam posse dimitti peccatum: ut hoc sit peccare in Spiritum sanctum, cognita Dei voluntate peccare. (6) Quod si ita est, cogitari oportet et discuti prius quando cognoscatur voluntas Dei. (7) Nonnulli enim et ante perceptum baptismi sacramentum cognoverunt eam. Nam et Cornelius centurio voluntatem Dei utique apostolo Petro docente cognovit, et ipsum Spiritum sanctum manifestissimis coattestantibus signis, antequam baptizaretur, accepit, quamquam non ideo sacramenta illa contempserit, sed multo certior baptizatus sit, ut etiam ipsa sacrosancta signacula, quorum res in eo praecesserant, ad perficiendam scientiam veritatis percipere nullo modo moraretur. (8) Multi autem nec post acceptum baptismum curant cognoscere voluntatem Dei. Quapropter quisquis ante baptismum cognita Dei voluntate peccaverit, non possumus dicere aut ullo modo credere, cum ad baptismum accesserit, non ei dimitti omnia quaecumque peccavit. (9) Huc accedit quod cum voluntas Dei in diligendo Deo et proximo breviter insinuetur credentibus, ita ut in his duobus praeceptis tota lex pendeat et omnes prophetae, – dilectionem autem proximi, id est (10) dilectionem hominis, usque ad inimici dilectionem nobis Dominus ipse commendat – (11) et videmus quam multi iam

18,3–5 Hebr. 10,26 8–10 Lc. 12,48.47 16–19 nam…sit] cf. Act. 10 25sq. cum…prophetae] cf. Mt. 22,37–40 27sq. usque…commendat] cf. Mt. 5,44; Lc. 6,27 Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) 18,2 hoc] quod edd ‖ 7 scientia U B edd | videtur om. B1 A H (ac.) ‖ 8 faciens] non faciens E S V γ2 (ac. R) B ‖ 9 paucis E2 d | faciens] non faciens E d K Z (pc.) γ2 (ac. R) ‖ 10 multa om. c ; multis E2 d | ut] et O E S U Am | paucis E2 d ‖ 11 leniter V B | emendatus] enim datus (datur M) c ‖ 12 vapula13 dimitti posse tr. Λ ‖ 15 cognoscitur κ ‖ 16 sacrabit om. Z γ | multa om. c; multis E2 d ‖ mentum baptismi tr. c ‖ 17 Dei] Domini E d | dicente O S W ‖ 18 attestantibus T V ; contestantibus c | excepit d ‖ 19 certius Λ Er Lov μ ‖ 20 signacula] quae add. γ2 | praecesserat Λ B edd 22 curant … baptismum2 om. T V | quisquis] quis (quod in Ξ credo fuisse) K Z; siquis c ; qui γ

17,4 – 18,11 | 183

d’appeler tous ceux qui pèchent ainsi à corriger leur vie, (5) il faut encore chercher ce que c’est de pécher contre l’Esprit Saint, ce péché auquel nul pardon n’est accordé. 18. Ou peut-être ne doit-on pas dire que celui-là pèche sciemment, qui sait que le péché lui-même est un mal, et pèche en ignorant cependant Dieu et sa volonté ? (2) C’est en effet ce qu’il semble aussi dire aux Hébreux, quand il dit : Quand nous péchons volontairement, après avoir reçu la connaissance de la vérité, il ne nous reste plus de sacrifice pour les péchés. (3) En effet, c’eût été trop peu, s’il avait dit quand nous péchons volontairement, s’il n’avait ajouté après avoir reçu la connaissance de la vérité, par laquelle, évidemment, Dieu et sa volonté deviennent connus. (4) Cette sentence semble s’accorder avec la sentence du Seigneur, où il dit : L’esclave qui ignore la volonté de son maître, et fait ce qui mérite des coups, sera battu un peu. Mais l’esclave qui connait la volonté de son maître, et fait ce qui mérite des coups, sera beaucoup battu. (5) Ainsi, on croira que les paroles il sera battu un peu furent dites comme s’il disait « ayant été légèrement corrigé, il aura droit au pardon » ; mais par les paroles il sera beaucoup battu, on comprendra le supplice éternel, dont il menace ceux qui pèchent contre l’Esprit Saint, auxquels il dit que leur péché ne peut jamais être pardonné. Alors pécher contre l’Esprit Saint, ce sera pécher en connaissant la volonté de Dieu. (6) S’il en est ainsi, il faut d’abord considérer et examiner à quel moment la volonté de Dieu devient connue. (7) Certains, en effet, l’ont même connue avant d’avoir reçu le sacrement du baptême. Ainsi Corneille le centurion, lui aussi, a connu la volonté de Dieu, évidemment par l’enseignement de l’apôtre Pierre, et avant d’être baptisé il a reçu l’Esprit Saint même, comme en témoignèrent des signes très clairs. Cependant il n’a pas pour autant méprisé ces sacrements, mais il a été baptisé avec bien plus de certitude, ne voulant nullement tarder de recevoir, pour perfectionner sa connaissance de la vérité, les très saints signes des choses qui étaient venues en avance en lui. (8) D’autre part, beaucoup ne s’intéressent pas à connaitre la volonté de Dieu même après le baptême. C’est pourquoi, quant à celui qui pèche avant le baptême [mais] après avoir connu la volonté de Dieu, nous ne pouvons ni dire ni croire d’aucune façon, que, quand il accède au baptême, tous les péchés qu’il a commis ne lui sont pas remis. (9) De plus, alors que la volonté de Dieu est communiquée brièvement aux croyants comme [consistant à] aimer Dieu et son prochain, si bien que toute la Loi et tous les prophètes sont contenus dans ces deux préceptes – et le Seigneur lui-même nous ordonne [d’étendre] l’amour du prochain, c’est-à-dire (10) l’amour de l’homme, jusqu’à l’amour de l’ennemi – (11) et nous voyons combien d’hommes déjà baptisés admettent que ces [enseignements] sont

23 peccaverit] cum peccant T V | dicere] eos add. T V | ullo] nullo T V Z (ac.) M R ‖ 24 accesserit] accesserint aut T V | eis T V | peccaverint T V ‖ 25 quod] quo K Z | cum om. B edd | deum et proximum c ‖ 26 omnes om. E T V | prophetiae c ‖ 27 autem om. γ ‖ 28 commendet videamus T V

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baptizati et vera esse ista fateantur et tamquam Domini praecepta venerentur, cum 30 autem perpessi fuerint alicuius inimicitias, ita rapiuntur animo ad ulciscendum et

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tantis inardescunt facibus odiorum, ut nec prolato et recitato evangelio placari possint. Et talibus hominibus iam baptizatis ecclesiae plenae sunt. (12) Quos tamen spiritales viri fraterne admonere non cessant, et in spiritu lenitatis instanter instruunt, ut huiusmodi tentationibus occurrere ac resistere parati sint, et magis diligant in Christi pace regnare quam de inimici oppressione laetari. (13) Quod inaniter fieret, si talium peccatorum nulla spes veniae, nulla paenitentiae medicina remaneret. (14) Et certe caveant qui hoc sentiunt, ne David patriarcham divina electione probatum atque laudatum ignorasse affirment voluntatem Dei, cum alienae coniugis amore perculsus etiam maritum eius decipiendum necandumque curavit. De quo tamen scelere cum esset primo sua, deinde prophetae voce damnatus, paenitendi humilitate et peccati confessione liberatus est. (15) Sed plane vapulavit multa, et exemplo suo docuit intelligi non ad sempiternam poenam, sed ad severiorem disciplinam pertinere quod dictum est a Domino: Qui autem novit voluntatem domini sui, et facit digna plagis, vapulabit multa. 19. Nam et illud ad Hebraeos qui diligentius pertractant, sic intelligunt, ut non de sacrificio contribulati per paenitentiam cordis accipiendum sit quod dictum est (2) non adhuc pro peccatis relinquitur sacrificium, sed de sacrificio de quo tunc loquebatur apostolus, id est holocausto dominicae passionis, quod eo tempore offert quisque pro peccatis suis, quo eiusdem passionis fide dedicatur, et christianorum fidelium nomine baptizatus imbuitur, ut hoc significaverit apostolus: non posse deinceps eum qui peccaverit iterum baptizando purgari. (3) Quo intellectu non intercluditur paenitendi locus: ita sane ut eos qui nondum baptizati sunt nondum plenam scientiam veritatis accepisse fateamur. (4) Ex quo conficitur ut omnis qui scientiam veritatis accepit etiam baptizatus intelligatur, non autem omnis baptizatus etiam scientiam veritatis acceperit, propter quorundam posteriorem provectum vel miserabilem negligentiam. Et tamen illud sacrificium de quo loquebatur, id est holocaustum Domini, quod tunc pro unoquoque offertur quodammodo cum eius nomine in baptizando signatur, iterum si peccaverit offerri non potest. (5) Non enim possunt denuo baptizari qui semel baptizati sunt, quamvis etiam post baptismum per ignorantiam veritatis peccaverint. (6) Ita fit ut, quoniam sine baptismo nemo

32–34 quos…instruunt] cf. Gal. 6,1 37–41 ne…est] cf. 2 Reg. 11,1–12,25 19,1sq. ut…cordis] cf. Ps. 50,19 3 Hebr. 10,26

43sq. Lc. 12,47

Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) 29 venerantur O Z B ‖ 30 rapiantur T V ‖ 31 inardescant E T ‖ 32 plenae ecclesiae tr. W B1 33 instanter om. c ‖ 35 diligunt c | in om. Λ | laetari] iactari c ‖ 36 nulla2] nulle c ‖ 38 lectione κ ‖ 39 percussus V B1 | decipiendo c (decipiendus pc. L1); ad decipiendum γ ‖ 41 peccati] peccandi S U ‖ 42 multa] inulta Am | et] sed K Z γ ‖ 43 severiorem] seniorem c ‖ 44 voluntatem om. L1 M ; tr. post sui F | facit] non facit U A (ac.) H R (ac.) | vapulavit O L1 M P

18,11 – 19,6 | 185

vrais, et les vénèrent comme des préceptes du Seigneur ; mais quand ils ont souffert l’inimitié de quelqu’un, ils sont tellement emportés vers la vengeance dans leur esprit, et ils brûlent avec de tels feux de haine, que l’on ne peut les apaiser même en proférant et récitant l’Évangile. Et les églises sont pleines d’hommes de ce genre, déjà baptisés. (12) Néanmoins, les hommes spirituels ne cessent de les avertir fraternellement, et les instruisent avec empressement dans un esprit de douceur, pour qu’ils soient prêts à faire front à de telles tentations et à y résister, et pour qu’ils préfèrent plutôt régner dans la paix du Christ que se réjouir en écrasant leurs ennemis. (13) Ceci se ferait en vain, s’il ne restait à de tels péchés aucun espoir de pardon, aucun remède par la pénitence. (14) Et ceux qui pensent ainsi doivent prendre garde d’affirmer que David, le patriarche approuvé et loué par l’élection divine, avait ignoré la volonté de Dieu, quand il s’évertua, poussé par l’amour de la femme d’un autre, à tromper aussi son mari, et à le faire périr. Mais après qu’il eut été condamné pour ce crime premièrement par sa propre voix, puis par celle du prophète, il en fut libéré par l’humilité de sa pénitence et la confession de son péché. (15) Mais, certainement, il fut beaucoup battu, et a enseigné par son exemple, qu’il faut comprendre qu’il s’agit non pas de la peine éternelle, mais d’une discipline plus sévère, quand il est dit par le Seigneur : Mais celui qui connait la volonté de son maître et fait ce qui mérite des coups, sera beaucoup battu. 19. En effet, ceux qui examinent aussi avec plus d’attention ces [paroles] aux Hébreux, les comprennent de façon à ne pas appliquer au sacrifice d’un cœur meurtri par la pénitence les mots (2) il ne reste plus de sacrifice pour les péchés, mais au sacrifice duquel parlait alors l’apôtre, c’est-à-dire l’holocauste de la passion du Seigneur, que chacun offre pour ses propres péchés au moment où il est consacré dans la foi en cette même passion, et imprégné du nom des fidèles chrétiens dans le baptême. Ainsi l’apôtre indiquerait que celui qui a péché ne peut ensuite être purifié de nouveau par le baptême. (3) Dans une telle interprétation, la place pour la pénitence n’est pas éliminée – sous condition, bien sûr, que nous admettions que ceux qui ne sont pas encore baptisés n’ont pas encore reçu la connaissance entière de la vérité. (4) De là, il ressort que tout ceux qui ont reçu la connaissance de la vérité doivent aussi être compris comme baptisés, mais tout baptisé n’a pas aussi reçu la connaissance de la vérité, à cause du progrès moins rapide ou de la négligence pitoyable de certains. Et pourtant ce sacrifice dont il parlait, c’est-à-dire l’holocauste du Seigneur, qui est offert d’une certaine façon pour chacun, au moment où il est marqué par son nom dans le baptême, ne peut être offert de nouveau s’il pèche. (5) Car ceux qui ont été baptisés une fois ne peuvent être baptisés de nouveau, même s’ils ont aussi péché par ignorance de la vérité après le baptême. (6) Par conséquent, puisque l’on ne peut pas dire correctement que

19,6 baptizatus] fuerit add. L1 (ac.) M; sit add. F | significarit O E2 (significavit ac.) S U ‖ 8 interdicitur 9 fateantur c γ ‖ 10 accipit c γ ‖ 11 accepit F B edd | posteriorum S c | nondum1] non Λ (om. E) ‖ U (ac.) B Er Lov μ | profectum γ B Er Lov ‖ 12 id est] idem L1 (uv.) M ‖ 14 in] iam c | peccaverint K Z γ

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recte dicitur accepisse scientiam veritatis, omnis qui accepit eam, non ei relinquatur pro peccatis sacrificium, hoc est non possit denuo baptizari, nec tamen omnis qui non accepit per doctrinam scientiam veritatis debeat arbitrari posse pro se illud offerri sacrificium, si iam oblatum est; id est (7) si iam eiusdem veritatis per baptismum sacramenta percepit, non potest iterum baptizari. Tamquam si diceremus omnem hominem non esse quadrupedem. Non ideo tamen omne animal quod homo non est etiam quadrupes esset. (8) Eos enim qui iam baptizati fuerint curari melius dicimus per paenitentiam, non renovari, quia renovatio in baptismo est, ubi quidem operatur paenitentia, sed tamquam in fundamento. (9) Manente itaque fundamento, recurari aedificium potest; si autem fundamentum iterare quis voluerit, totum aedificium subvertat necesse est. (10) Propterea hoc dicit Hebraeis, qui ex novo testamento ad sacerdotium vetus declinasse videbantur: Ideoque remittentes, inquit, initii Christi verbum, in consummationem respiciamus, non iterum iacientes fundamentum paenitentiae a mortuis operibus et fidei in Deum, lavacri doctrinae, impositionis manus, resurrectionis etiam mortuorum, et iudicii aeterni. (11) Ista omnia in baptismo traduntur, quae negat esse repetenda, utique in consecrandis fidelibus. Nam in verbi Dei tractatione atque doctrina non iterum tantum sed saepius dicenda sunt, sicut rerum de quibus disseritur opportunitas flagitat. 20. An vero iam illud occurret, ut non si quodlibet peccatum sciens admiserit, sed si proprie peccatum in Spiritum sanctum sciens admiserit, tunc non habere veniam iudicetur? (2) Quo loco quaeri potest utrum scirent Iudaei per Spiritum sanctum operari Dominum, quando eum in principe daemoniorum daemonia excludere blasphemabant. (3) Miror autem quomodo possent in illo Spiritum sanctum cognoscere, cum ipsum Dominum Filium Dei esse nescirent, in illa scilicet caecitate quae ex parte Israel facta est, donec plenitudo gentium intraret. (4) De qua opportunius suo loco, Domino adiuvante atque permittente, tractabitur. Deinde si diiudicatio spirituum illa intelligitur, qua quisque diiudicat utrum in quoquam Spiritus sanctus an fallaciae spiritus operetur, haec autem diiudicatio certo quodam tempore per Spiritum sanctum fidelibus datur, sicut alio loco idem apostolus dicit, (5) quomodo poterant infideles Iudaei sine isto munere diiudicare, utrum per Spiritum sanctum Dominus operaretur? Et tamen in eis, ut iusta poena ferirentur,

28–31 Hebr. 6,1sq. 20,3–5 scirent…blasphemabant] cf. Mt. 12,24 7 Rom. 11,25 10sq. haec…dicit] cf. 1 Cor. 12,10 Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) 17 accepit] accipit S U Ξ ‖ 19 accipit S U Ξ ‖ 20 per T V γ Lov μ] post O E S U κ B Am Er ‖ 21 sacra23 est om. O E | quadrupes E2 Ξ B edd] quadrumentum γ2 | percepit] perceperit L1 M; et add. c ‖ pedem Λ (quadrupede pc. O) | esset] esse Λ B edd ‖ 24 non om. c ‖ 26 recuperari d c (cf. CIL 9, 5804) ‖ 29 inicium E; initio B Er Lov | consum(m)atione E S U κ ‖ 30 fide E S U c ‖ 31 mortuorum etiam tr. c

19,6 – 20,5 | 187

quelqu’un sans le baptême a reçu la connaissance de la vérité, pour chacun qui l’a reçue, il ne reste plus de sacrifice pour le péché, c’est-à-dire qu’il ne peut être baptisé de nouveau. Mais tous ceux qui n’ont pas reçu par l’enseignement la connaissance de la vérité ne doivent pas penser que ce sacrifice peut être offert pour eux, au cas où il aurait déjà été offert. C’est-à-dire que (7) si [quelqu’un] a déjà reçu par le baptême les sacrements de cette même vérité, il ne peut être baptisé une seconde fois. C’est comme si nous disions que tout homme n’est pas un quadrupède. Pour autant, tout animal qui n’est pas un homme ne serait pas aussi un quadrupède. (8) Donc, pour ceux qui ont déjà été baptisés, il vaut mieux que nous disions qu’ils sont guéris par la pénitence, et non pas renouvelés, puisque le renouveau est dans le baptême, où la pénitence agit, il est vrai, mais, pour ainsi dire, sur la fondation. (9) Si donc la fondation reste en place, l’édifice peut être réparé. Mais si quelqu’un veut refaire la fondation, il doit renverser tout l’édifice. (10) C’est ainsi qu’il dit ceci aux Hébreux, qui semblaient s’être détournés du nouveau testament vers l’ancien sacerdoce : Donc, dit-il, laissant de côté la parole du début sur le Christ, regardons vers l’accomplissement, sans jeter une seconde fois la fondation de la pénitence des œuvres mortes, et de la foi en Dieu, de l’enseignement du bain, de l’imposition des mains, et aussi de la résurrection des morts, et du jugement éternel. (11) Toutes ces choses sont transmises dans le baptême, et il dit qu’il ne faut pas les répéter, bien entendu dans la consécration des fidèles. Car dans l’explication de la parole de Dieu et dans l’enseignement, il ne faut pas les dire seulement deux fois, mais très souvent, selon que l’exige l’occasion [offerte] par les choses que l’on explique. 20. Mais peut-être que maintenant cet [argument] se présentera : ce n’est pas quand on commet sciemment un péché quelconque, mais quand on commet sciemment un péché [qui serait] précisément contre l’Esprit Saint, que l’on est condamné à ne pas obtenir de pardon. (2) Ici on peut se demander si les Juifs savaient que le Seigneur agissait par l’Esprit Saint, quand ils blasphémaient, [disant] qu’il chassait les démons par le prince des démons. (3) Mais je me demande comment ils pouvaient connaitre l’Esprit Saint en lui, puisqu’ils ignoraient que le Seigneur lui-même était le Fils de Dieu, justement dans cet aveuglement qui est survenu pour une partie d’Israël, jusqu’à l’entrée de la totalité des gentils. (4) Quant à cela, on en parlera plus opportunément à sa place, si Dieu nous aide et le permet. Enfin, si l’on comprend par le discernement des esprits, ce [discernement] par lequel chacun discerne si c’est l’Esprit Saint ou un esprit trompeur qui agit dans un individu, et [si] ce discernement est donné à un certain moment aux fidèles par l’Esprit Saint, comme ce même apôtre le dit ailleurs, (5) comment les Juifs infidèles pouvaient-ils discerner sans ce don si le Seigneur agissait par l’Esprit Saint ? Et pourtant, pour qu’ils soient frappés d’une

20,1 non] iam add. d μ ‖ 4 principem S U ‖ 6 in om. T V ‖ 7 quae] qua L1 F | Israel] in Israel Ξ B edd | qua] quo c B1 ‖ 8 atque] aut c ‖ 9 diiudicatio] iudicatio S (ac.) T V | diiudicat] diiudicatur κ 10 an] aut A H R | facile c A | operatur Ξ | quodam] quidem c ‖ 12 quomodo] quo M Am | infideles om. Ξ | sine om. Ξ ‖ 13 ut in eis tr. γ | ut om. κ | ista T V | fieret K Z γ ; fierent c

188 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

apertissima indicia malevolentiae claruerunt, cum et falsos testes in eum compara15 runt, et submiserunt simulatores qui eum in verbo caperent; (6) et cum tremenda

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mirabilia quae in eius resurrectione facta sunt eis renuntiarentur, famam falsam disseminare ac veritatem abscondere custodum corruptione conati sunt; et alia malitiosi et venenosi animi signa in eis, quantum evangelica narratio demonstrat, apparent. 21. Unde iam velut incipit elucere, eum peccare in Spiritum sanctum, qui operibus quae per Spiritum sanctum fiunt malevolo animo contradicit. (2) Quamquam enim nesciat utrum ille sit Spiritus sanctus, tamen qui hoc animo est, ut ea opera quibus invidet malit non esse Spiritus sancti, non quia mala sunt, sed quia invidet eis, quia ipsi bonitati est contrarius per malitiam suam, recte in Spiritum sanctum peccare iudicatur. (3) Verumtamen si ex eo quoque hominum numero, quibus Dominus illud crimen obicit, veniens ad fidem Christi, et paenitendi cruciatibus edomita invidia salutem cum lacrimis poscens, sicut etiam nonnulli eorum fortasse fecerunt, quaero utrum quisquam tanto errore crudescat, ut aut neget eos ad Christi baptismum admitti oportuisse, aut frustra admissos esse contendat? (4) Nam si qui per invidiam opera divina blasphemat, quoniam bonis Dei, hoc est donis Dei, malitia sua resistit, in Spiritum sanctum peccare, et propterea spem veniae non habere existimandus est, attendamus utrum ex eo numero fuerit idem apostolus Paulus. (5) Dicit enim: Qui prius fui blasphemus et persecutor et iniuriosus; sed misericordiam consecutus sum, quia ignorans feci in incredulitate. (6) An forte ideo non pertinuit ad hoc genus criminis, quia non erat invidus? (7) Audiamus quid alibi dicat: Fuimus enim, inquit, et nos stulti aliquando et increduli, errantes, servientes voluptatibus et desideriis variis, in malitia et invidia agentes, abominabiles, invicem odio habentes. 22. Si ergo nec paganis, nec Hebraeis, nec haereticis aut schismaticis nondum baptizatis ad baptismum Christi aditus clauditur, ubi condemnata vita priore in melius commutentur, quamvis christianitati et ecclesiae Dei adversantes antequam christianis sacramentis abluerentur, etiam Spiritui sancto quanta potuerunt infestatione restiterint; (2) si etiam hominibus qui usque ad sacramentorum perceptionem veritatis scientiam perceperunt, et post haec lapsi Spiritui sancto restiterunt, ad

14sq. et…compararunt] Mt. 26,59 15 et1 …caperent] cf. Mt. 22,15; Mc. 12,13; Lc. 20,20 15–17 et2 …sunt] cf. Mt. 28,11–15 21,14sq. 1 Tim. 1,13 17–19 Tit. 3,3 Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P)) B edd (Am Er Lov μ) ‖

22,5 si inc. C V1

14 aptissima c | et cum tr. B Er Lov μ ‖ 16 renumerarentur c ‖ 17 ac] et Ξ | sint Er Cam ‖ 18 ratio Ξ (retio W) ‖ 19 apparerent O E S U B Am Er Lov; apparuerunt μ 21,1 incepit K Z γ B edd ‖ 1sq. qui … sanctum om. c ‖ 2 fiant c ‖ 2sq. quamquam] quam c 4 malit non] mali tamen c ‖ 5 invidet eis] in Iudeis c | est] esse c | in om. c ‖ 6 peccare om. c iudicetur O E S U ‖ 7 illud crimen Dominus obicit tr. c | venientes γ | poenitenti Am ‖ 8 domita Ξ (deest c) | edomita … etiam om. c | poscentes γ | horum Ξ ‖ 9 horrore T V ‖ 10 amissos c

20,5 – 22,2 | 189

peine juste, des signes très clairs de mauvaise volonté se sont manifestés en eux, puisqu’ils ont préparé de faux témoins contre lui, et suborné des hypocrites pour le piéger dans ses paroles ; (6) et quand on leur annonça les prodiges terribles qui se produisirent à sa résurrection, ils ont tenté de disséminer de fausses rumeurs, et de cacher la vérité en corrompant les gardes. Et, comme le montre la narration des Évangiles, d’autres signes d’un esprit malicieux et venimeux sont apparus chez eux. 21. C’est ainsi que maintenant on commence, pour ainsi dire, à voir en pleine lumière que celui qui pèche contre l’Esprit Saint, c’est celui qui, avec un esprit malveillant, résiste aux œuvres qui sont faites par l’Esprit Saint. (2) En effet, même s’il ignore s’il s’agit de l’Esprit Saint, si toutefois sa pensée est telle, qu’il préfère que les œuvres dont il est jaloux ne soient pas de l’Esprit Saint (non pas parce qu’elles sont mauvaises, mais parce qu’il est jaloux d’elles, parce qu’il est opposé par sa malice à la bonté elle-même), on juge correctement qu’il pèche contre l’Esprit Saint. (3) Néanmoins, si quelqu’un, même parmi ce groupe d’hommes, contre lesquels le Seigneur a lancé cette accusation, venant à la foi du Christ, et ayant maîtrisé sa jalousie par les souffrances de la pénitence, demandait le salut avec des larmes, comme certains d’entre eux l’ont peut-être fait aussi – je demande si quelqu’un est assez endurci dans l’erreur, soit pour nier qu’il fallait les admettre au baptême du Christ, soit pour prétendre qu’ils y ont été admis en vain. (4) En effet, si celui qui blasphème par jalousie contre les œuvres divines doit être considéré comme péchant contre l’Esprit Saint, parce que dans sa malice il résiste aux bonnes choses de Dieu, c’est-à-dire aux dons de Dieu, et qu’alors il ne peut avoir d’espoir du pardon, voyons si ce même apôtre Paul était de ce nombre. (5) Il dit en effet : Moi qui fus auparavant un blasphémateur et un persécuteur et un insolent ; mais j’ai accédé à la miséricorde, parce que j’ai agi en ignorant dans l’incrédulité. (6) Ou est-ce peut-être qu’il ne relève pas de ce genre de crime, parce qu’il n’était pas jaloux ? (7) Écoutons ce qu’il dit ailleurs : Nous étions, dit-il, sots nous aussi autrefois, et incrédules, égarés, servant nos plaisirs et nos désirs divers, agissant dans la malice et la jalousie, abominables, nous détestant les uns les autres. 22. Si donc l’accès au baptême du Christ n’est fermé ni aux païens, ni aux Hébreux, ni aux hérétiques ou schismatiques qui ne sont pas encore baptisés, s’ils condamnent leur vie antérieure, et se transforment pour le mieux, bien qu’ils se soient opposés au christianisme et à l’Église de Dieu avant d’être lavés par les sacrements chrétiens, et qu’ils aient résisté à l’Esprit Saint avec toute l’hostilité dont ils étaient capables ; (2) si l’aide de la miséricorde n’est pas refusée non plus aux

11 qui μ+] quis Λ c edd; quisquis K Z μ (marg.) (an recte?); quisquam γ | blasphemet S U ; blasphemans γ | hoc … Dei2 om. T V Ξ ‖ 12 sanctum Spiritum tr. c ‖ 13 estimandus T V | eo] eodem Ξ (vix recte ante idem) | idem om. V μ ‖ 14 et1] et qui c ‖ 17 enim om. c ‖ 19 agentes Z c 22,1 nec2 om. Z; aut K γ | nec haereticis om. c | aut schismaticis om. Λ ‖ 3 commutetur O E S (ac.) 4sq. infestinatione c ‖ 5 resisterunt O E B Am Er Lov ‖ 6 sancto Spiritui tr. K Z P C V1

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sanitatem redeuntibus, et pacem Dei paenitendo quaerentibus, auxilium misericordiae non negatur; (3) si denique de illis ipsis quibus blasphemiam in Spiritum sanctum ab eis prolatam Dominus obiecit, si qui resipiscentes ad Dei gratiam confugerunt, sine ulla dubitatione sanati sunt – quid aliud restat, nisi ut peccatum in Spiritum sanctum, quod neque in hoc saeculo neque in futuro dimitti Dominus dicit, nullum intelligatur nisi perseverantia in nequitia et malignitate cum desperatione indulgentiae Dei? (4) Hoc est enim gratiae illius et paci resistere, de quibus nobis sermo nunc ortus est. Nam hinc licet advertere etiam ipsis Iudaeis, quorum blasphemiam Dominus arguit, non fuisse clausum corrigendi se et paenitendi locum, quod idem Dominus in ea ipsa reprehensione ait illis: Aut facite arborem bonam et fructum eius bonum; aut facite arborem malam et fructum eius malum. (5) Quod utique nulla ratione diceretur eis, si propter illam blasphemiam iam commutare animum in melius et recte factorum fructus generare non possent, aut frustra etiam sine peccati sui dimissione generarent. 23. Ergo quia Dominus in Spiritu Dei expellebat daemonia, ceterosque humanorum corporum morbos languoresque sanabat, non ob aliud nisi ut crederetur dicenti sibi: Agite paenitentiam; appropinquabit enim regnum caelorum – (2) invisibiliter enim peccata dimittuntur, cui dimissioni fidem miraculis comparabat, quod in illo paralytico manifestissime ostenditur. (3) Cum enim primo ei donum invisibile obtulisset, propter quod venerat (non enim iam venerat filius hominis ut iudicaret saeculum, sed ut salvaret saeculum) – cum ergo dixisset (4) dimissa sunt tibi peccata, murmuratumque esset a Iudaeis indignantibus quod eis tantam potestatem sibi arrogasse videretur, Quid est, inquit, facilius dicere, Dimissa sunt tibi peccata; an dicere: Surge et ambula? Ut sciatis autem quia potestatem habet filius hominis dimittere peccata, (dicit paralytico) tibi dico: Surge, tolle grabatum tuum, et vade in domum tuam. (5) Quo facto et quibus dictis satis declaravit ideo se illa facere in corporibus, ut crederetur animas peccatorum dimissione liberare, id est ut de potestate visibili potestas invisibilis mereretur fidem. – (6) quia ergo in Spiritu Dei faciebat illa omnia, ut gratiam pacemque hominibus largiretur (gratiam in dimis-

22,16sq. Mt. 12,33 23,3 Mt. 4,17 6sq. non…saeculum2] cf. Io. 3,17 7sq. Mt. 9,2 9–12 quid… tuam] cf. Mt. 9,5sq. Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P) C V1) B edd (Am Er Lov μ) ‖ am2 … Dei] cf. Retr 1,25

23,15sq. grati-

8 negetur E R ‖ 8sq. sanctum Spiritum tr. S U T Z P (pc.) W V1 ‖ 9 probatam κ (ac. Z) C | abiecit c 10 ulla om. A H R respicentes O A; resipientes E (corr. E2) κ P W Am (in marg. resipiscentes) ‖ 11 sanctum om. C V1 ‖ 12 perseverantiam K Z (ac.) γ (ac. W); perseveranti V1 | in] et qui c | et] in add. d μ ‖ 13 illius] illi γ ‖ 13sq. sermo nobis tr. E γ (exc. W; pc. P) ‖ 15 et] ac O; ad E | et paenitendi] ad paenitendum d ‖ 17 aut … malum om. C V1 B ‖ 18 eis om. Ξ | iam om. Ξ | animam Λ ‖ 19 sanctorum L1 M | possunt c ‖ 20 gerarent C V1 (ac.) 23,1 Spiritum K C ‖ 3 poenitentiam agite tr. T V | appropinquavit E S U T μ | caelorum] Dei O E T V C V1 ‖ 4 comprobat M C B Am Er Cam ‖ 5 ei primo tr. E B1 H R | invisibile T V F R] visibile cett. edd

22,2 – 23,6 | 191

hommes qui ont reçu la connaissance de la vérité jusqu’au [stade de] la réception des sacrements, et sont tombés après cela dans la résistance à l’Esprit Saint, s’ils retournent à la raison et demandent la paix de Dieu par la pénitence ; (3) si enfin, parmi ceux-là mêmes à qui le Seigneur avait reproché le blasphème contre l’Esprit Saint prononcé par eux, si certains, devenus plus sages, ont cherché refuge dans la grâce de Dieu, ils ont sans aucun doute été guéris – que reste-t-il d’autre, sinon que le péché contre l’Esprit Saint, dont le Seigneur dit qu’il ne sera pardonné ni dans ce monde ni dans [le monde] à venir, ne peut être compris comme rien d’autre, si ce n’est la persévérance dans le vice et la malice, sans espoir de l’indulgence de Dieu ? (4) Voici, en effet, en quoi consiste la résistance à sa grâce et à sa paix, à propos desquelles est survenue notre discussion ici. En effet, on peut conclure que la place pour se corriger et se repentir n’était pas fermée aux Juifs mêmes auxquels le Seigneur reprocha leur blasphème, du fait que ce même Seigneur, au sein même de ses reproches, leur dit : Ou bien faites un bon arbre, avec son bon fruit ; ou bien faites un mauvais arbre, avec son mauvais fruit. (5) Ceci, bien entendu, leur aurait été dit sans aucune raison, si, à cause de ce blasphème, ils ne pouvaient plus changer leur esprit pour le mieux, et produire des fruits de bonnes œuvres, ou s’il les auraient même produits en vain, sans [obtenir] le pardon de leur péché. 23. Donc, puisque le Seigneur chassait les démons dans l’Esprit de Dieu, et guérissait les autres maladies et faiblesses des corps humains, pour une seule raison, pour qu’on le crût quand il disait : Repentez-vous, car le royaume des cieux va s’approcher – (2) car les péchés sont pardonnés invisiblement, et il donnait la foi en cette rémission par les miracles. C’est ce qui est montré très clairement avec ce paralytique. (3) En effet, après lui avoir d’abord conféré le don invisible, pour lequel il était venu (car le fils de l’homme n’était pas alors venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde) – donc quand il eut dit, (4) tes péchés sont pardonnés, et des murmures s’étaient élevées des Juifs indignés, parce qu’il leur semblait qu’il s’arrogeait un pouvoir si grand, Qu’est-ce qu’il est plus facile, dit-il, de dire ? Tes péchés sont pardonnés ? Ou de dire : lève-toi et marche ? Mais pour que vous sachiez que le fils de l’homme a le pouvoir de pardonner les péchés, (il dit au paralytique) Je te le dis : Lève-toi, prends ton grabat, et va à ta maison. (5) Par cet acte et par ces paroles il manifesta très ouvertement qu’il faisait ces choses dans les corps, pour que l’on croie que les âmes étaient libérées par la rémission des péchés, c’est-à-dire pour que le pouvoir invisible meritât la foi à travers le pouvoir visible – (6) Donc, parce qu’il faisait toutes ces choses dans l’Esprit de Dieu, pour prodiguer aux hommes la grâce et la paix (la grâce dans le pardon des péchés, la paix dans la réconciliation avec

6 iam om. T V | filius hominis om. T V ‖ 7 saeculum1 om. S (ac.) T V | servaret B Er Lov μ | saeculum2 Λ C V1] mundum (e Vulgata. Cf. Aug. serm. 5,1) Ξ (exc. C V1) B Am Er Lov ‖ 8 eis om. O (pc.) E (pc.); is Ξ (exc. C V1; hiis H) ‖ 9 peccata] tua add. c ‖ 10 autem om. Ξ ‖ 11 surge] et add. E T V ‖ 12 quo] 14 meretur T (ac.) c ‖ 15 illa] ille E U Ξ (om. F) quod C V1 (ac.) | declaruit O Z P (ac.) H Am ‖ 15sq. in dimissione peccatorum gratiam tr. Ξ ‖ 15sq. dimissionem U (ac.) T V H

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sione peccatorum, pacem in reconciliatione Dei, a quo separant sola peccata), cum dixissent Iudaei quod in Beelzebub eiceret daemonia, misericorditer eos voluit admonere, ne verbum dicerent et blasphemiam in Spiritum sanctum, hoc est, ne gratiae Dei pacique resisterent, quam per Spiritum sanctum donare Dominus venerat, (7) non quia iam hoc fecerant quod sibi neque in hoc saeculo neque in futuro dimitteretur, sed ne desperando de venia, aut quasi de sua iustitia praesumendo et paenitentiam non agendo, aut perseverando in peccatis, hoc facerent. Hoc modo enim verbum dicerent, hoc est blasphemarent in Spiritum sanctum, in quo Dominus signa illa propter largiendam gratiam pacemque faciebat, si perseverantia peccatorum ipsi gratiae pacique resisterent. (8) Verbum enim dicere non ita videtur hic positum, ut tantummodo illud intelligatur quod per linguam fabricamus, sed quod corde conceptum etiam opere exprimimus. (9) Sicut enim non confitentur Deum qui tantum oris sono confitentur, non etiam bonis operibus – nam de his dictum est: Confitentur enim se nosse Deum, factis autem negant. Ex quo manifestum est dici aliquid factis, sicut manifestum est negari aliquid factis. – (10) et sicut illud quod ait apostolus, Nemo dicit ‘Dominus Iesus’ nisi in Spiritu sancto, non potest recte intelligi, nisi ut factis dicere intelligatur – (11) non enim hoc in Spiritu sancto dicere putandi sunt, quibus ipse Dominus dicit: Utquid mihi dicitis ‘Domine, Domine’ et non facitis quae dico vobis?, et illud: Non omnis qui dicit mihi ‘Domine, Domine’ intrabit in regnum caelorum – (12) sic etiam qui hoc verbum, quod sine venia vult intelligi Dominus, in Spiritum sanctum dicit, hoc est qui desperans de gratia et pace quam donat in peccatis suis perseverandum sibi esse dicit, nec dicere intelligendus est si non facit, ut quomodo illi factis Deum negant, sic isti factis dicant se in mala vita sua et perditis moribus perseveraturos, et etiam ita faciant, hoc est perseverent. (13) Quod si faciunt, quis iam miretur aut quis non intelligat et Dominum Iesum Christum per illam comminationem ad paenitentiam vocasse Iudaeos, ut eis in se credentibus gratiam pacemque donaret, et huic gratiae pacique resistentibus, et hoc modo verbum atque blasphemiam in Spiritum sanctum dicentibus, hoc est in peccatis suis desperata atque impia mentis obstinatione perseverantibus, et adversus

17 dixissent…daemonia] cf. Mt. 12,24 29 Tit. 1,16 31 1 Cor. 12,3 33sq. Lc. 6,46 34sq. Mt. 7,21 Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P) C V1) B edd (Am Er Lov μ) 17 Beelzebub] principe daemoniorum add. T V | eicit T V; eicerent F C; eijecerit Am | voluit eos tr. V 18 Spiritu sancto K Z γ ‖ 19 Dei om. c ‖ 20 hoc1 om. T V ‖ 22 aut] ac O E T C V1 γ2 ‖ 23 verbum dicerent Λ C V1] dicerent verbum tr. Ξ (exc. C V1) B edd | est om. c | blasphemare κ (ac. Z); blasphemiam B edd ‖ 24 largiendum c ‖ 24sq. perseverantiam E2 Z (ac.) V1 ‖ 25 ipsa gratia c 27 quod] quo K Z | opere] ore Ξ ‖ 28 sono oris tr. Ξ ‖ 29 enim om. E d C ‖ 30 est1 om. c | dicere O E S U | dici … est2 om. C V1 | sicut1 … factis2 om. Λ | illud] id L1 M ‖ 31 Dominus Iesus Λ C] Dominum Iesum K Z γ V1; Dominum Deum c | sancto] dicere add. E S (ac.) T V (lectio ambigua in Λ?) ‖ 32 ut] in B edd ‖ 33 sint B Am Er Cam ‖ 34 mihi dicit tr. B edd ‖ 35 sic] sicut O E S U B Am; si c | qui om. Ξ (exc. C V1) ‖ 36 dictum γ1 | hoc] hic P W B1 R | desperans de] desperande C V1 ‖ 37 dicit esse tr. c nec om. Λ; ne B Er Lov ‖ 37sq. si non facit] factis T V μ ; si non faciat γ Lov ‖ 38 quomodo] quo c

23,6 – 13 | 193

Dieu, de qui seuls les péchés [nous] séparent), quand les Juifs avaient dit qu’il chassait les démons par Béelzéboub, il voulut les avertir dans sa miséricorde, afin qu’ils ne dissent pas une parole et un blasphème contre l’Esprit Saint, c’est-à-dire afin qu’ils ne résistassent pas à la grâce et à la paix de Dieu, que le Seigneur était venu donner par l’Esprit Saint. (7) Non pas qu’ils avaient déjà fait ce qui ne leur serait pardonné ni dans ce monde ni dans [le monde] à venir, mais pour éviter qu’ils le fissent, en désespérant du pardon, ou en présumant de leur propre justice sans faire pénitence, ou en persévérant dans leurs péchés. C’est en effet de cette façon qu’ils diraient une parole, c’est-à-dire qu’ils blasphémeraient, contre l’Esprit Saint, dans lequel le Seigneur faisait ces signes pour prodiguer la grâce et la paix : s’ils résistaient par la persévérance dans les péchés à la grâce et à la paix elles-mêmes. (8) Car « dire une parole » ne semble pas être mis ici pour que l’on comprenne seulement ce que nous façonnons avec notre langue, mais ce que, conçu dans notre cœur, nous exprimons aussi par nos œuvres. (9) En effet, tout comme ceux-là ne confessent pas Dieu, qui le confessent seulement avec le son de leur bouche, sans ajouter les bonnes œuvres – car c’est d’eux qu’il est dit : Ils confessent en effet qu’ils connaissent Dieu, mais ils le nient par leurs actes. D’où il est clair que quelque chose peut se dire par les actes, tout comme il est clair que quelque chose peut se nier par les actes – (10) Et tout comme ce que dit l’apôtre, Personne ne dit « Seigneur Jésus », sauf dans l’Esprit Saint, ne peut être bien compris, à moins que l’on comprenne « dire avec les actes » – (11) car on ne doit pas penser qu’ils le disent dans l’Esprit Saint, ceux à qui le Seigneur lui-même dit : Pourquoi me dites-vous « Seigneur, Seigneur » et vous ne faites pas ce que je vous dis ? puis ceci : Tous ceux qui me disent « Seigneur, Seigneur » n’entreront pas dans le royaume des cieux – (12) de même, celui-là aussi qui dit cette parole contre l’Esprit Saint, dont le Seigneur veut que l’on comprenne qu’elle ne peut être pardonnée, à savoir celui qui, en désespérant de la grâce et de la paix que donne [le Seigneur], dit qu’il doit persévérer dans ses péchés, ne doit pas, non plus, être considéré comme ayant dit [cette parole] s’il ne la met pas en action. Ainsi, tout comme ceux-là renient le Seigneur par les actes, de même ceuxci disent par les actes qu’ils vont persévérer dans leur vie mauvaise et leurs mœurs dépravées, et puis ils le font, c’est-à-dire : ils persévèrent. (13) S’ils font ainsi, qui serait désormais étonné [d’apprendre], ou qui ne comprendrait pas, d’abord que le Seigneur Jésus Christ ait appelé les Juifs à la pénitence par cette menace, afin qu’ils crussent en lui et qu’il leur donnât la grâce et la paix, et puis que, pour ceux qui résistent à cette grâce et cette paix, et qui disent ainsi une parole et un blasphème contre l’Esprit Saint, c’est-à-dire pour ceux qui persévèrent dans leurs péchés par

Deum] Dominum U F P (ac.) B edd | isti] in add. B Er Lov ‖ 39 et etiam ita scripsi] ut et agnita O E S U; 40 quod si om. c | faciant γ | quis2] iam add. C V1 et ita T V; ut etiam ita Ξ B edd | hoc] id γ1 ‖ 42 huic] huc C V1 ‖ 43 Spiritu sancto O E S

194 | Augustini epistolae ad Romanos inchoata expositio

45 Deum sine humilitate confessionis atque paenitentiae superbientibus, neque in hoc

saeculo neque in futuro veniam posse concedi? (14) Quae si ita sunt, opportunitate tractandi de gratia et pace, quae nobis est a Deo Patre et Domino nostro Iesu Christo, magna et difficillima eodem ipso Domino largiente quaestio dissoluta est. (15) Quisquis autem adhuc de re tanta diligentiorem considerationem tractationem50 que desiderat, in evangelii tractatione atque in verbis evangelistarum sibi desideranda esse cognoscat; et meminerit nos nunc epistolam Pauli apostoli ad Romanos suscepisse tractandam, cuius epistolae textum consequentem in aliis voluminibus, si Dominus voluerit, vestigabimus, ut huius iam tandem iste sit modus.

Λ (O E d (S U T V)) Ξ (κ (K Z c (L1 F M)) γ (γ1 (γ2 (B1 A H R) W) P) C V1) B edd (Am Er Lov μ) 46 posse concedi veniam tr. S U ; posse concedi poenitentiam T V | concedere B Am Er Cam | quae si 49 re tanta] hac tanta re γ ita] quesita c ‖ 47 de om. C V1 | pacem C V1 | nostro om. T V C V1 ‖ 50sq. desiderandam d (desiderandum U); desiderando c ‖ 51 apostoli om. c ‖ 52 textum om. c 53 vestigabimus Λ K A C V1 B edd] investigabimus Z c γ (exc. A) | ut] ut in K Z (ac.) C V1 B | huius] salutatione add. K Am Er Lov

23,13 – 15 | 195

l’obstination désespérée et impie de leur esprit, et qui s’enorgueillissent contre Dieu sans l’humilité de la confession et de la pénitence, le pardon ne puisse leur être accordé, ni dans ce monde, ni dans [le monde] à venir ? (14) S’il en est ainsi, à partir de l’occasion de traiter de la grâce et de la paix, qui nous viennent de Dieu le Père et de notre Seigneur Jésus Christ, une question importante et très difficile a été résolue, par le don de ce même Seigneur. (15) Mais si quelqu’un souhaite un examen et une explication plus poussés sur une si grande question, qu’il sache qu’il devrait les souhaiter dans une explication de l’Évangile et dans les paroles des Évangélistes ; et qu’il se souvienne que maintenant nous avons entrepris d’expliquer l’épître de l’apôtre Paul aux Romains. Nous examinerons la suite du texte de cette épître dans d’autres volumes, si le Seigneur le veut, pour qu’enfin ce soit maintenant la fin de celui-ci.

Commentaire 1,1–3 But général de l’épître Comparer le programme traditionnel du grammairien, tel que le décrit Servius (Aen. prolog.) : In exponendis auctoribus haec consideranda sunt: poetae vita, titulus operis, qualitas carminis, scribentis intentio, numerus librorum, ordo librorum, explanatio [En commentant les auteurs, voici ce qu’il faut considérer : la vie du poète, le titre de l’œuvre, la nature du poème, l’intention de l’écrivain, le nombre de livres, l’ordre des livres, l’explication]. Augustin se limite à l’intentio, avant de passer à l’explanatio (le commentaire même). D’autres commentateurs de Rom. s’intéressent plus au contexte historique : Origène (comm. in Rom. 1,1,5) indique au moins que Rom. fut écrit de Corinthe ; l’Ambrosiaster (in Rom. prol. [CSEL 81, 5–7]) explique la présence des destinataires, Juifs et chrétiens, à Rome ; Jean Chrysostome consacre un long développement (PG 60, 392s.) dans l’ ὑπόθεσις de ses sermons sur Rom., à l’établissement de la chronologie relative des épîtres de Paul. De même, Jérôme, dans le sillage duquel travaille Augustin (voir Introduction, 1.6), s’occupe dans les prologues de ses commentaires sur Gal., Eph., Tit., Philem. (ad 1,1–3) des circonstances d’écriture et du public de chaque épître. Sur Eph., il fixe même (avec ses exagérations habituelles) un principe général : le commentateur doit chercher quid habeant in veteri lege proprium Idumaei, Moabitae, Ammonitae, Tyrii, Philistiim, Aegyptii, et Assyrii; quid rursum in novo testamento Romani, Corinthii, Galatae, Philippenses, Thessalonicenses, Hebraei, Colossenses, et quam nunc ad Ephesios epistolam habemus in manibus (PL 26, 440) [ce qui est caractéristique, dans l’ancienne Loi, des Moabites, des Ammonites, des Tyriens, des Philistins, des Égyptiens, et des Assyriens. Et puis dans le Nouveau Testament, ce qu’il en est des Romains, des Corinthiens, des Galates, des Philippiens, des Thessaloniciens, des Hébreux, des Colossiens, et de l’épître aux Éphésiens que nous avons maintenant entre nos mains]. Augustin, par contre, décrit le public en termes très généraux, et n’a rien à dire sur la date ou les circonstances d’écriture de Rom. Sans doute avait-il moins accès que Jérôme à l’érudition chrétienne grecque qui pouvait répondre à de telles questions (voir sa demande à Jérôme de traduire plus de commentaires grecs, epist. 28,2). Mais il avait aussi à se démarquer de Jérôme, en présentant son commentaire comme l’œuvre moins d’un grammairien érudit (voir n. à 2,5) que d’un philosophe chrétien, tel Marius Victorinus, qui est presque aussi avare d’informations historiques dans les prologues de ses propres commentaire sur Eph. (aucune note historique) et Gal. (une seule indication : Epistola ad Galatas missa dicitur ab apostolo ab Epheso civitate, et idcirco quidam illam praemittunt epistolam, hanc ordinant consequentem [On dit que l’épître aux Galates fut envoyée par l’apôtre de la ville d’Éphèse, et c’est pourquoi certains placent celle-là d’abord, et rangent celle-ci ensuite]). (Sur la nature du commentaire, voir aussi Introduction, 1.8, et pour les liens avec Victorinus, ibid. 1.7).

https://doi.org/10.1515/9783110594782-006

Commentaire | 197

Augustin restreint le but de Paul à la réfutation de la doctrine juive sur les mérites des œuvres de la loi (merita operum legis, 1,1 ; sur merita, voir n. à 6,1, tamquam enim meritis). Il donne des notes introductives très similaires en in Gal. 1 (Causa propter quam scribit apostolus ad Galatas, haec est, ut intellegant gratiam Dei id secum agere, ut sub l e g e iam non sint [La raison pour laquelle l’apôtre écrit aux Galates est la suivante : pour qu’ils comprennent que la grâce de Dieu agit sur eux, pour qu’il ne soient plus sous la L o i ]) et in Rom. prol. (Sensus hi sunt in epistola ad Romanos Pauli apostoli: primo omnium, ut quisque intellegat in hac epistola quaestionem versari o p e r u m l e g i s et gratiae [Dans l’épitre de l’apôtre Paul aux Romains, il y a les idées suivantes : en premier lieu, que chacun comprenne que dans cette épître la discussion porte sur les œ u v r e s d e l a L o i et de la grâce]). En quaest. Simpl. 1,2,2, la présentation de Rom. est subtilement différente : Et primo intentionem apostoli quae per totam epistulam viget tenebo quam consulam. Haec est autem, ut de o p e r u m m e r i t i s nemo glorietur, de quibus audebant Israelitae gloriari, quod datae sibi legi servissent et ex hoc evangelicam gratiam tamquam debitam meritis suis percepissent, quia legi serviebant [Et tout d’abord, je vais saisir, pour y faire référence, l’intention de l’apôtre, qui perdure dans toute l’épître. Or celle-ci est la suivante : personne ne doit se vanter des m é r i t e s d e s e s œ u v r e s , desquels les Israélites osaient se vanter, parce qu’ils pensaient avoir servi la Loi qui leur avait été donnée, et pour cette raison auraient reçu la grâce de l’Évangile comme récompense de leurs mérites, parce qu’ils servaient la Loi]. Ici les Juifs sous la Loi ne sont plus qu’un exemple de l’erreur générale qui consiste à croire que les œuvres peuvent sauver : c’est la célèbre doctrine d’Augustin sur la prédestination qui fait surface (voir aussi, RING n. à 1,2). Ce glissement est déjà anticipé dans l’Inchoata expositio : en 6,1s., il est dit de Paul qu’il rejette la possibilité de la vocation meritis priorum operum [à cause des mérites des œuvres antérieures] ou vitae prioris meritis [à cause des mérites de la vie antérieure], et la Loi n’est pas mentionnée. La démarche deviendra typique : les vases de Rom. 9,14–24 et les oliviers de Rom. 11,16–24 ne seront plus Juifs et gentils, mais, respectivement, élus et damnés (quaest. Simpl. 1,2,17–19), baptisés et non-baptisés (nupt. et concup. 1,21.37s.). Pour plus d’exemples, voir AugLex s.v. gratia, IV, et pour une explication, voir spir. et litt. 23 : Quamvis itaque illos, quibus circumcisio persuadebatur, ita corripere atque corrigere videatur apostolus, ut legis nomine eandem circumcisionem appellet ceterasque eiusmodi legis observationes … tamen legem, ex qua neminem dicit iustificari, non tantum in illis sacramentis, quae habuerunt promissivas figuras, verum etiam in illis operibus vult intellegi, quae quisquis fecerit iuste vivit [Donc, bien que l’apôtre semble réprimander et corriger ceux à qui l’on prêchait la circoncision, en appelant du nom de ‘Loi’ cette même circoncision, et les autres observations de la Loi du même genre … cependant, la Loi, par laquelle il dit que personne n’est justifié, il ne veut pas qu’on la comprenne [comme étant] seulement dans ces sacrements, qui comportèrent les figures de la promesse, mais aussi dans ces œuvres, par lesquelles tout homme qui les accomplit vit une vie juste].

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Ce point de vue est à contraster avec celui d’Origène (voir T. P. SHECK, Origen and the History of Justification, Notre Dame IA 2008, 91–93), suivi par Jérôme, pour qui les écrits de Paul sont bien centrés sur le rejet de la Loi juive. Ce qui la remplace, c’est la foi, guidée par l’accomplissement de la Loi dans la Nouvelle Alliance : Nullus quidem apostoli sermo est, vel per epistolam, vel praesentis, in quo non laboret docere antiquae legis onera deposita, et omnia illa quae in typis et imaginibus praecesserunt … gratia evangelii subrepente cessasse, quam non sanguis victimarum, sed fides animae credentis impleret [Il n’y a en effet aucun discours de l’apôtre, que ce soit dans ses épîtres, ou de vive voix, où il ne cherche pas à enseigner que les fardeaux transmis par l’ancienne Loi, de même que tout ce qui a précédé en signes et en images … ont cessé quand s’insinua la grâce de l’Évangile, qui s’accomplit non pas par le sang des victimes, mais par la foi de l’âme qui croit] (Hier. in Gal. prol. [CCSL 77A, 7,61– 69]). Par contraste, Augustin ne parle pas de fides dans son résumé introductif de Rom., malgré le rôle primordial de la foi dans l’épître (surtout 3,21–5,2). Dans quaest. Simpl, qui suit de peu l’Inchoata expositio, puis plus tard, dans son immense production anti-pélagienne, Augustin affirmera sans cesse que la foi ne vient que par la grâce, que personne ne mérite. En présentant ici, sous l’influence de Io. 1,17, Rom. comme contrastant opera et gratia, plutôt qu’opera et fides, il anticipe déjà cette doctrine (voir aussi n. à 7,7). 1,1 non quia iusti erant homines, crederent, sed credendo iustificati, deinceps iuste vivere inciperent Augustin commente en paroles très similaires Gal. 2,16 : Et ideo illi [sc. les Juifs convertis], qui cum iam essent sub lege Christo crediderunt, non, quia iusti erant, sed ut iustificarentur, venerunt ad gratiam fidei [Et donc ceux qui ont cru au Christ alors qu’ils étaient déjà sous la Loi, ce n’est pas parce qu’ils étaient justes, mais pour être justifiés, qu’ils sont venus à la grâce de la foi] (in Gal. 15 ; voir aussi serm. 2,9). On peut voir dans ces répétitions (cf. n. à 8,4) le signe d’un projet de refaire à grande échelle in Gal. dans le commentaire sur Romains, tout comme Rom. lui-même développe plus profondément l’enseignement de Gal. C’est du moins ce qu’Augustin aurait pu conclure de Jérome, in Gal. prol. (CCSL 77A, 7,52–57): Praefatione commoneo, ut sciatis eamdem esse materiam epistolae Pauli ad Galatas, et quae ad Romanos scripta est, sed hoc referre inter utramque, quod in illa altiori sensu et profundioribus usus est argumentis, hic quasi ad eos scribens, de quibus in consequentibus ait ‘o insensati Galatae!’ [Gal. 3,1] et ‘sic insipientes estis?’ [Gal. 3,3] [Dans cette préface je vous avertis, pour que vous sachiez que le sujet de l’épître de Paul aux Galates et de celle écrite aux Romains est le même, mais qu’il y a cette différence entre les deux, que dans cette dernière, il s’est servi d’idées plus élevées et d’arguments plus profonds, alors qu’ici il écrit ce qui convient à ceux à qui il dira par la suite ‘ô Galates sans intelligence !’, et ‘êtes-vous insensés à ce point ?’]. Et Jérôme, justement, n’avait pas tenté de commenter Rom. (voir Introduction, 1.6).

Commentaire | 199

1,3 nonnulli qui ex Iudaeis crediderant La proposition (sans doute juste) que Rom. vise particulièrement les convertis juifs est déjà présente dans une source directe pour l’Inchoata expositio, l’Ambrosiaster, in Rom. : Hi ergo ex Iudaeis credentes Christum … non accipiebant Deum esse de Deo, putantes uni Deo adversum [Donc ceux-ci, venant des Juifs [et] croyant au Christ … n’admettaient pas qu’il était Dieu de Dieu, pensant que cela s’opposait au Dieu unique] (prol. 3, rec. αβ). Le rôle des Juifs comme des proto-Ariens n’est pas dans notre texte, mais il disparait aussi de la version finale du commentaire de l’Ambrosiaster : Isti igitur ex Iudaeis credentes et inproprie sentientes de Christo legem servandam celeriter dicebant, quasi non esset in Christo salus plena [Donc ceuxci, croyants venus des Juifs, avec des idées fausses sur le Christ, disaient tout de suite qu’il fallait observer la Loi, comme si le salut entier n’était pas dans le Christ] (prol. 2, rec. γ). Pour l’influence de l’Ambrosiaster sur l’Inchoata expositio, voir BASTIAENSEN, Augustine’s Pauline Exegesis, et n. à 2,2. vocatus ; 3,1 ; 5,1.2 ; 6,1 gratia cum omnibus ; 7,1–5 ; 8,4 ; 11,1s. 1,3 carnalis circumcisionis iugo Pour la circoncision chez Augustin, voir AugLex s.v. circumcisio ; RING n. 11. 1,4 sed plane tanta moderatione … Cette image d’un Paul conciliateur est bien proche de celle que donne Jérôme de l’apôtre faisant l’équilibre, pour les Galates, entre l’enseignement judaïsant des autres apôtres et son propre rejet de la Loi : Ita caute inter utrumque et medius incedit, ut nec evangelii prodat gratiam pressus pondere et auctoritate maiorum, nec praecessoribus faciat iniuriam dum adsertor est gratiae [Ainsi il s’avance prudemment entre les deux côtés, se plaçant au milieu, pour éviter à la fois de trahir la grâce de l’Évangile, écrasé sous le poids et l’autorité des ancêtres, et de faire du tort à ses prédécesseurs par son affirmation de la grâce] (in Gal. prol. [CCSL 77A, p. 8,84–87]). Mais Jérôme va plus loin en affirmant (ibid.) que Paul procédait oblique … et quasi per cuniculos latenter [par détours … et, pour ainsi dire, par des voies souterraines, en cachette]. Pour Augustin, le Paul de Jérôme est malhonnête, d’où la célèbre querelle entre les deux hommes (voir surtout epist. 28,4s. ; 40,3–7, et pour l’analyse et la bibliographie, AugLex s.v. Hieronymus, IV.1.c ; F. DOLBEAU (éd.), Augustin d’Hippone. Vingt-six sermons au peuple d’Afrique, Paris 1996, 39–42, 619). 1,4 nec Iudaeos superbire permittat, tamquam de meritis operum legis Pour la vantardise (ou « vanité » ou « superbe ») des Juifs dans la pensée de Paul, voir TWNT s.v. καυχάομαι, C.1.a. Mais ce mot et ses dérivés sont normalement rendus dans les versions latines par gloria et dérivés, effectivement plus proches du grec : καυχάομαι, comme gloriari, indique la manifestation extérieure de la vanité, alors que superbire et superbus font plutôt référence à la qualité interne. superbus ne qualifie donc jamais les Juifs dans le Nouveau Testament, du moins dans la Vulgate.

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De même on ne trouve pas de mots de la famille de superbus pour qualifier les Juifs sous la Loi dans les commentaires pauliniens de Marius Victorinus, de l’Ambrosiaster (in Gal. 3,10 : la Loi vient plutôt punir les Juifs pour leur superbia) ou de Jérôme (en in Gal. 1 ad 2,14 on lisait autrefois ut etiam Iudaeis superbia, gentibus desperatio tolleretur [aussi pour que la vanité des Juifs et le désespoir des gentils leur soient enlevés], mais ces mots ont été supprimés dans CCSL 77A, 57). Pour Augustin, par contre, la superbia caractérise souvent les Juifs : in Gal. 16, 24s. ; in Rom. 56.58 ; adv. Iud. 1,7,9 ; in Iob 3 ; serm. 77,12 ; 200,4. Dans un sens, les Juifs sont plus superbes que d’autres, parce qu’ils sont définis par leur certitude de n’avoir pas besoin du Christ. Mais Augustin voit aussi souvent la superbia comme la source fondamentale du péché chez tous : initium omnis peccati superbia [la vanité est le commencement de tout péché] (Sir. 10,15, cité 30 fois par Augustin, selon LLTA) ; le diable a péché par superbia (in Gal. 24) ; la superbia est la source de toutes les hérésies (serm. 46,18) ; et dans l’Inchoata expositio, ce sont les superbientes qui commettront le péché impardonnable (23,13). Ainsi, encore une fois, le comportement des Juifs n’est que le reflet de l’orgueil de tout homme qui pense pouvoir se passer de la grâce (voir n. à 7.7 ; RING, n. 147 à 1,4). Bien entendu, en soi, l’obéissance des Juifs à la Loi avant la venue du Christ n’est pas condamnée. Mais il n’y avait pas lieu de s’en vanter, d’en devenir orgueilleux, puisque cette obéissance s’était faite dans la peur et non dans l’amour (Erant quidam in lege, qui de operibus legis gloriabantur, quae fortasse non dilectione, sed timore faciebant [Il y avait certains sous la Loi, qui se vantaient des œuvres de la Loi, qu’ils accomplissaient peut-être non pas dans l’amour, mais dans la peur], serm. 2,9 ; voir n. à 2,3). Pour les justes qui acceptèrent le Christ, cette peur conduisit non pas à la superbia, mais à la conversion : Ut enim tam prope invenirentur … lege ipsa factum est, sub qua custodiebantur conclusi in eam fidem, id est in adventum eius fidei, quae postea revelata est; conclusio enim eorum erat timor unius Dei [Qu’il se soient trouvés si proches … ce fut par l’effet de la Loi elle-même, sous laquelle ils étaient gardés, enfermés pour cette foi, c'est-à-dire pour l’arrivée de cette foi, qui fut révélée par la suite. Car leur enfermement était leur peur du Dieu unique] (in Gal. 26, sur Gal. 3,23). 1,4 ipsi receperint Christum, quem illi crucifixerunt Repris de l’analyse de Rom. en in Gal. 1 : Illi contra Iudaeis se praeferre gestirent tamquam interfectoribus Domini [Eux par contre s’empressaient de se mettre audessus des Juifs, sous prétexte que ceux-ci avaient tué le Seigneur]. 1,4 per disciplinam humilitatis RING, n. 146 à 1,4 cite in Gal. 15, sur Gal. 2,11–15 : Valet autem hoc ad magnum humilitatis exemplum, quae maxima est disciplina christiana. Humilitate enim conservatur caritas. Nam nihil eam citius violat quam superbia [Ceci sert comme grand exemple de l’humilité, qui est le sommet de la discipline chrétienne. C’est en effet par

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l’humilité que la charité est préservée, puisque rien n’est plus rapide que l’orgueil pour lui faire violence]. Voir aussi Inchoata Expositio 9,4, et AugLex s.v. humilatio, humilitas). 2,2 vocatus … segregatus … ecclesia … ex vocatione … Synagoga vero ex congregatione Les étymologies grecques sont exactes : ἐκκλησία vient de κλῆσις [appel] et συναγωγή de συνάγω [rassembler], qui peut s’employer pour les animaux (LSJ s.v. I.1, « of persons, animals, etc. »). Mais si, en Rom. 1,1, on retrouve bien la racine d’ἐκκλησία dans le grec κλητός que traduit vocatus, il n’y a aucun rapport entre συνάγω et le mot grec ἀφωρισμένος, que traduit segregatus. Voir n. à 2,5. Segregatus, donc, parce que Paul se sépare de la Synagogue. RING, n. à 2,5, maintient que l’idée d’une « Aussonderung und Trennung von der Synagoge » pour Paul n’est pas dans Rom. Cette affirmation est discutable (cf. Rom. 9,1–7). Augustin peut en tout cas avoir rapproché ce thème de Rom. 1,1 en suivant l’Ambrosiaster : Apostolus autem quoniam in Iudaismo locum doctoris habebat utpote fariseus, ideo a Iudaismi praedicatione s e g r e g a t u m se dicit, ut a lege dissimulans Christum praedicaret, qui, quod lex non potuit, credentes in se iustificaret [Puisqu’il occupait dans le judaïsme la place d’un docteur, en tant que pharisien, l’apôtre se dit avoir été s é p a r é de la prédication du judaïsme, pour qu’il pût se retirer de la Loi et prêcher le Christ, qui justifierait ceux qui croyaient en lui, ce que la Loi ne pouvait faire] (in Rom. 1,1; voir n. à 1,3, nonnulli qui ex Iudaeis). 2,2 congregari autem magis pecoribus L’image de la Synagogue pecus est une reformulation de celle de la Synagogue esclave, lequel vient surtout de Gal. 4. La bête, comme l’esclave, obéit sans comprendre : Haec enim onera [sc. les commandements non éthiques de la Loi] potius nolebat imponi gentibus, quorum utilitas in intellectu est. Nam haec omnia exponuntur christianis ut, quid valeant, tantum intellegant, etiam facere non cogantur. In observationibus autem, si non intellegantur, servitus sola est, qualis erat in populo Iudaeorum et est usque adhuc [Ce sont ces fardeaux-là, plutôt, dont l’utilité est dans leur compréhension, qu’il ne voulait pas que l’on impose aux gentils. En effet, tous ces [commandements] sont expliqués aux chrétiens, pour qu’ils comprennent seulement ce qu’ils signifient, et ne soient pas obligés de les accomplir. Mais dans leur observation, s’ils ne sont pas compris, il n’y a qu’esclavage, comme celui qui fut et qui dure encore chez le peuple juif] (in Gal. 19). Ainsi, dans l’exégèse de la Parabole du Fils Prodigue où celui-ci représente l’Église venue des gentils, son frère aîné, qui représente les Juifs, est en même temps assimilé au bétail : Quamquam enim tamquam in agro positus [Lc. 15,25] iste filius terrena desideraret, ab uno tamen Deo ista desiderabat bona, quamvis communia cum pecoribus. Unde in psalmo ex persona synagogae … convenienter accipitur dictum: ‘Quasi pecus factus sum ad te, et ego semper tecum’ [Ps. 72,23]. Quod etiam pa-

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tris ipsius testimonio conprobatur cum dicit: ‘Tu mecum es semper’ [Lc. 15,31]. Non enim quasi mentientem redarguit, sed secum perseverantiam eius adprobans ad perfruitionem potioris atque iocundioris exultationis invitat [En effet, bien que ce fils, en tant que situé dans le champ, convoitât [les biens] terrestres, il convoitait néanmoins ces biens du Dieu unique, même si c’étaient les mêmes [que convoite] le bétail. Ainsi dans le psaume, avec la voix de la synagogue … on apprend qu’il a été dit correctement : ‘Je suis devenu comme du bétail pour toi, et je suis toujours avec toi’. C’est ce qui est prouvé aussi par le témoignage du père lui-même, quand il dit :‘Tu es toujours avec moi’. En effet, il ne le réprouve pas, comme s’il mentait, mais il approuve sa persévérance [à rester] avec lui, et il l’invite à se repaitre d’une exultation plus haute et plus joyeuse] (quaest. euang. 2,33,5). L’image du bétail ne signale donc pas seulement l’obéissance, mais aussi le service de Dieu qui vise les récompenses terrestres – trait caractéristique, selon les pères, des Juifs qui suivent la lettre de l’ancienne Loi. 2,2 greges proprie pecorum dici solent Cela reste l’avis des latinistes : ThLL s.v. grex commence avec l’emploi « de bestiis » [des bêtes]. Si Augustin sentait le besoin de rappeler le sens propre du mot, c’est que son emploi « de hominibus » [des humains] est tout aussi fréquent (ibid.) – on parle beaucoup moins de « troupeaux » d’hommes en français – et aussi que congrego et congregatio s’employaient plus pour les hommes que pour les animaux (ThLL ss.vv.). Quant à segrego (voir OLD s.v.) son emploi est strictement figuratif. Augustin a repris le contraste entre convocare et congregare en in psalm. 77,3 (Proprie dicatur synagoga Iudaeorum, ecclesia vero christianorum, quia congregatio magis pecorum, convocatio vero magis hominum intellegi solet [On fait bien de dire ‘synagogue des Juifs’, mais ‘Église des chrétiens’, puisque ‘congrégation’ s’entend plutôt du bétail, mais ‘convocation’ plutôt des hommes]) et de même en in psalm. 81,1 (c’est ce dernier passage, et non pas l’Inchoata expositio, qu’il ne semble pas avoir connue, qui serait la source d’Isidore de Séville, Etymologiae 8,1,8). 2,3 plerisque scripturarum locis Augustin doit penser avant tout à la présentation du Christ comme le bon berger en Io. 10. Mais, comme il l’indique, l’arrière-plan scripturaire est volumineux : voir TWNT s.v. ποιμήν. Voir aussi la longue prédication d’Augustin sur Ez. 34 en serm. 46 (de pastoribus [sur les bergers]) et serm. 47 (de ovibus [sur les brebis]), et la suite du passage de in psalm. 77,3 cité à la n. précédente. L’interprétation ici est sans doute facilitée par la tendance de grex, employé des hommes, à avoir une nuance péjorative, comme le voyait déjà Donat : grex vel bonorum vel malorum et levium est, ut Cicero [Catil. 2,10,23] ‘in his bonis gregibus omnes aleatores, omnes impuri impudicique versantur’ (Don. ad Ter. Ad. 363) [grex se dit des bons, ou des mauvais et des frivoles, comme [chez] Cicéron : ‘dans ces bons troupeaux se trouvent tous les joueurs de dés, tous les hommes impurs et honteux’].

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ThLL s.v. ajoute Cicéron, Divinatio in Caecilium 49 ; Pro Sestio 18,112 ; pour Augustin, voir epist. 35,2, sur Primus, un sous-diacre espagnol devenu Donatiste : Nunc cum g r e g i b u s circumcellionum inter vagabundos g r e g e s feminarum … in detestabilis vinolentiae bacchationibus superbus exultat [Maintenant il se réjouit, tout fier, avec les t r o u p e a u x de circoncellions, parmi les t r o u p e a u x vagabonds de femmes … dans les détestables débauches de l’ivresse]. De même, pour pecus pris dans un sens péjoratif, voir ThLL s.v. II.A.1, et, pour Augustin, mus. 1,5, à propos, des hommes captifs de la musique : plebi … quae non multum a pecoribus distat [pour la plèbe … qui ne diffère pas beaucoup du bétail] ; serm. 166,2 : nos irati dicimus alicui: ‘Pecus es’ [quand nous sommes en colère, nous disons à quelqu’un : ‘Tu es une bête’]. On trouve chez Origène une exégèse du rôle du bétail dans la Bible qui diffère un peu de celle d’Augustin ici : le bétail ne représente pas les Juifs, mais la partie la moins éclairée des membres de l’Église. Le Christ φιλάνθρωπος δὲ ὢν καὶ τὴν ὅπως ποτὲ ἐπὶ τὸ βέλτιον ἀποδεχόμενος τῶν ψυχῶν ῥοπὴν, τῶν ἐπὶ τὸν λόγον μὴ σπευδόντων ἀλλὰ δίκην προβάτων οὐκ ἐξητασμένον ἀλλὰ ἄλογον τὸ ἥμερον καὶ πρᾷον ἐχόντων ποιμὴν γίνεται· ‘Ἀνθρώπους γὰρ καὶ κτήνη σῴζει ὁ κύριος’ [Ps. 35,7] (Jo. 1,27,190 [[Le Christ], aimant les hommes, et acceptant toute inclination des âmes vers le bien, devient le berger de ceux qui ne se précipitent pas après la raison, mais comme le bétail, n’ont pas examiné ni soumis à la raison leur nature apprivoisée et douce ; ‘car le Seigneur sauve les hommes et le bétail’.]; de même 1,28,198 ; 28,24,216, et Rufin. Orig. in lev. 3,3 : Sicut enim sunt quidam homines Dei, ita sunt quidam et oves Dei [Tout comme certains sont les hommes de Dieu, d’autres aussi sont les brebis de Dieu]). Cette utilisation du Ps. 35,7 par Origène se retrouve chez Ambroise (in psalm. ad loc.), puis passe chez Augustin, non pas sur le Ps. 35, mais en in psalm. 8,10 : Carnalium hominum [1 Cor. 3,1.3] salus carnalis est, tamquam pecorum. Filios autem hominum seiungens ab eis quos homines pecudibus iunxit, longe sublimiore modo, ipsius veritatis illustratione, et quadam vitalis fontis inundatione, beatos fieri praedicat. Sic enim dicit: ‘Homines et iumenta salvos facies, Domine, sicut multiplicata est misericordia tua, Deus. Filii autem hominum in protectione alarum tuarum sperabunt’ [Le salut des hommes charnels est charnel, comme celui du bétail. Séparant donc les fils des hommes de ces hommes qu’il joint au bétail, il annonce qu’ils deviendront bienheureux d’une manière bien plus sublime, par le rayonnement de la vérité ellemême, et par une inondation de la source vitale. Car il dit ainsi : ‘Seigneur, tu sauves les hommes et le bétail, tout comme ta miséricorde s’est multipliée, ô Dieu. Mais les fils des hommes espéreront dans la protection de tes ailes’]. Voir aussi, dans le même lignée, le contraste en in psalm. 22,4s., entre virga [verge] (appliquée ad gregem ovium [au troupeau des moutons]) et baculus [bâton] (ad grandiores filios et ab animali vita ad spiritalem crescentes [aux fils plus grands, qui croissent de la vie animale à la vie spirituelle]), et le contraste entre creatura [créatures] et homines [hommes] en in Gal. 63.

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Simples dans l’Église et Juifs adhérant à l’ancienne Alliance sont donc deux interprétations possibles pour le bétail. La première correspond particulièrement au modèle, chez Clément d’Alexandrie puis Origène, d’une initiation graduelle à la gnose chrétienne. La seconde s’intègre mieux à la vision radicale de la grâce chez Augustin, qui tend à repousser la possibilité d’une procédure d’initiation à l’échelle humaine (voir quaest. Simpl. 1,2,22, et n. à 18,12). Mais les deux interprétations se recoupent aussi : Juifs et chrétiens simples obéissent aux commandements sans comprendre et dans la peur (voir n. à 1,4, nec Iudaeos superbire ; 9,2, nondum poenarum ; 18,11, nec prolato). L’affirmation que pecora dans la Bible peut avoir des sens différents, sinon opposés, correspond au principe de liberté qu’Augustin énonce en in psalm. 8,13, justement après une longue exégèse sur les animaux en Ps. 8,8s. : non quia ista nomina isto solo modo intellegi et explicari possunt, sed pro locis; namque alibi aliud significant. Et haec regula in omni allegoria retinenda est, ut pro sententia praesentis loci consideretur quod per similitudinem dicitur [non pas parce que ces mots peuvent être compris et expliqués uniquement de cette manière, mais selon les passages, puisqu’ils ont d’autres sens à d’autres endroits. Et c’est cette règle qu’il faut retenir dans toute allégorie : considérer selon le sens du passage en question ce qui est dit dans la comparaison]. Voir aussi in Gal. 63 (homo [homme] et creatura [créature] signifient parfois l’homme ancien, parfois l’homme racheté), et, pour le principe herméneutique, Jean Chrysostome, hom. in 2 Tim. 8,1 (PG 62, 643) : ἐπειδὴ γὰρ τὰ πράγματα σύνθετά ἐστι καὶ ποικίλα, εἰκότως εἰς πολλὰς εἰκόνας καὶ παραδείγματα παρείληπται [Puisque les choses sont composées et complexes, c’est à bon droit qu’elles sont employées pour de nombreux images et exemples]. On contrastera Origène, qui tend à vouloir trouver un sens unique pour un signe donné dans tout le texte sacré. 2,5 si verborum latinorum significatio omni modo cum graeca interpretatione concordet Non concordat, comme on lit en marge dans l’édition d’Érasme. Pour la faute, voir n. à 2,2, vocatus … Mais pourquoi Augustin s’est-il trompé? L’étude de P. COURCELLE (Les lettres grecques, 137–209) sur le grec d’Augustin fait autorité, et il n’y a pas lieu de remettre en cause sa vision globale d’une amélioration progressive du grec – toujours limité – d’Augustin. Cependant, une étude de tous les recours au grec chez notre auteur dans les années précédant et suivant de peu l’Inchoata expositio (la dernière œuvre prise en compte étant doctr. christ.) montre que Courcelle est trop sévère quand il écrit : « On s’aperçoit qu’il sait quelques mots grecs, assurément, comme tout Romain qui a étudié Cicéron et Varron ; mais c’est une connaissance purement livresque … entre 390 et 400, il ne sait guère que lire le grec et quelques mots élémentaires ; c’est tout ce qu’il a retenu des études grecques de son enfance » (140s., avec référence à l’Inchoata expositio, 142, n. 2).

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Tout d’abord, Courcelle ne fait pas justice à la quantité de grec utilisé par Augustin dans ces premières années. On ne relève pas moins de 48 exemples de recours au grec, dont peu peuvent se réduire à une culture héritée de Cicéron et Varron. Augustin ne pouvait certes pas rivaliser avec ses grands contemporains, Ambroise ou Jérôme, dans l’exploitation du grec. Mais il ne repousse pas pour autant leur modèle d’un engagement réel avec la langue qui avait transmis le christianisme au monde latin. En effet, il est rare que son exploitation du grec puisse se réduire à des banalités. Pour les étymologies, φιλοκαλία (c. acad. 2,7) et φιλοσοφία (c. acad. 2,7 ; ord. 1,31) sont certes élémentaires. Mais d’autres montrent une analyse plus poussée. En c. acad. 3,18 academicus est dit venir de ἑκὰς δήμου [loin du peuple] (sans citation des termes grecs). Cette étymologie – sans doute fausse – n’est pas attestée ailleurs (FUHRER, Augustin contra Academicos, ad loc.), même si Augustin ne l’a sûrement pas inventée. En epist. 31,11 ἀλογία, dans le texte qu’attaque Augustin, signifie « festin », mais Augustin le lie avec ἄλογος [sans raison] pour poursuivre sa polémique (étymologie d’évaluation difficile : voir ThLL s.v). La situation est similaire pour les traductions de termes grecs. Dans certains cas (notamment dans les sermons), la traduction ne fait que donner un équivalent simple, parfois déjà bien établi, du terme grec : ord. 2,37 ; mus. 1,23 ; 2,1 ; 3,2 ; 4,36 ; quant. anim. 30 ; gen. c. Manich. 1,9 ; mag. 15 ; 19 ; in psalm. 4,4 ; de serm. dom. 1,31 ; serm. 200,1 ; serm. 351,8 ; serm. 346B,1 ; serm. 273,6. Mais, bien souvent, la traduction est le fruit ou la source d’une réflexion poussée sur le sens du mot grec : ord. 2,40 ; mus. 3,2 ; 6,38 (Quidam videntur amare deformia, quos vulgo Graeci σαπροφίλους vocant [Certains semblent aimer ce qui est laid. Les Grecs les appellent couramment σαπροφίλους [sc. ceux qui aiment la pourriture]]. Le mot n’est pas autrement attesté, et peut très bien venir du parler vulgaire, comme Augustin l’indique) ; 6,57 (ἀναλογία = corrationalitas, mot inventé par Augustin) ; lib. arb. 3,48 ; gen. c. Manich. 1,39 ; divers. quaest. 46,2 ; 63 ; 73,2 ; in psalm. 3,5 ; 6,3 ; 7,12 ; 97,7 ; 16,13 ; fid. et symb. 5 ; de serm. dom. 1,23 (COURCELLE, Les lettres grecques, 141, est injuste sur ce passage, comme l’a noté MARROU, Saint Augustin, 710) ; 1,51 (repris en doctr. chr. 3,19) ; de serm. dom. 2,30 ; quaest. Simpl. 1,2,1 ; c. epist. fund. 32 ; 45 ; doctr. christ. 2,41s.48.93 ; 3,8 ; serm. 162C,2. Certes, à cette époque, Augustin n’était nullement un helléniste achevé, mais il a exploité avec son imagination et son intelligence habituelles les connaissances qu’il avait. Pour la limite de ces connaissances, noter un nombre de passages où le grec est employé avec moins de compétence : ord. 2,35 ; in psalm. 4,4.6 ; gen. ad litt. imperf. 42 ; de serm. dom. 1,14.60 ; in Gal. 24 (voir ci-dessous), 30, 42 (proche de l’Inchoata expositio : Augustin voit en Gal. 5,12 un jeu de mots – elegantissima ambiguitate [une ambiguïté très élégante] – sur abscidantur [ἀποκόψονται ; qu’ils soient tranchés] et la circoncision [circumcidantur ; qu’ils soient circoncis], qui ne fonctionne qu’en latin, puisqu’en grec « circoncire » se dit περιτέμνειν) ; doctr.

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christ. 2,42 (curieusement, Augustin s’est trompé non pas sur le grec, mais sur le latin) ; 3,18. Mis à part ces erreurs réelles, il y a quelques passages où l’on est gêné par le manque de référence au grec, parce que la logique de l’argument semblait l’exiger : mag. 14s.: Augustin montre que dans 2 Cor. 1,19 (Non erat [sc. in Christo] Est et Non, sed Est in illo erat / οὐκ ἐγένετο Ναὶ καὶ Οὔ, ἀλλὰ Ναὶ ἐν αὐτῷ γέγονεν [Il n’y avait pas [dans le Christ] Oui et Non, mais il y avait Oui en lui]), il faut interpréter Est comme un nom et non pas un verbe. Il ne prête aucune attention à l’original grec, où il n’y a pas de forme verbale ; in psalm. 7,13 : il tente de choisir entre vibrabit [il brandira] et splendificabit [il fera resplendir] pour στιλβώσει [Ps. 7,13], sans aucune référence au sens grec du terme (l’hébreu, comme toujours dans les premiers in psalm., reste hors de champ) ; fid. et symb. 2 : les manuscrits d’Augustin ont invisa [invisible] ou informi [sans forme] pour ἀμόρφου [sans forme] en Sap. 11,18 ; Augustin rapporte les deux leçons sans référence au grec. Ces silences soulèvent la question difficile des textes grecs accessibles à Augustin. Pour les textes extrabibliques, il s’agit d’un problème de Quellenforschung qui dépasse notre cadre. Notons seulement que, en contraste marqué avec Jérôme, Augustin trouvait de mauvais goût d’étaler des noms d’auteurs et de textes grecs païens dont la lecture était impossible pour la grande majorité de son public. Il déclarait : Non enim libenter, nisi necessitate, graeca vocabula in latino sermone usurpaverim [Je n’aime pas utiliser des mots grecs dans un discours en latin, si ce n’est pas nécessaire] (mus. 1,23, voir aussi 3,2 ; util. cred. 5 ; gen. ad litt. imperf. 5), et il aurait pu étendre sa remarque à toute allusion à la culture hellénique. Du reste, nul ne doute du vaste apport de cette culture à la pensée augustinienne dès ses premiers écrits, et vouloir tout expliquer par l’existence de traductions latines, parce qu’Augustin ne pouvait lire des livres en grec, risque de devenir une petitio principii (voir sur ce point, pour les sources grecques chrétiennes, Mutzenbecher dans CCSL 44A, xlvii/xlviii ; pour une mise au point sur les lectures grecques d’Augustin, voir D. T. RUINA, Philo in Early Christian Literature, Assen 1993, 321). Le problème se profile autrement pour la Bible. Contre le défaut de grec chez Augustin et ses lecteurs pesait l’impératif d’obtenir une connaissance profonde du texte sacré. Or celui-ci était un texte grec dans les deux Testaments, puisque la LXX était pour Augustin une traduction inspirée par l’Esprit (voir BA 11/2, 514–521). Certes, dans la pratique, comme tous les exégètes latins de l’époque patristique, Augustin ne se réfère jamais s y s t é m a t i q u e m e n t à l’original grec. Surtout dans ses sermons, comme on pouvait s’y attendre, le grec apparait peu. Mais, parmi ses traités exégétiques d’avant l’épiscopat, comme le montre le relevé supra, Augustin écrivit de serm. dom. avec un texte grec de l’Évangile de Matthieu à sa disposition, et de même il se réfère souvent au psautier grec dans les premiers in psalm. Il n’en est pas de même pour les commentaires pauliniens, qui sont entièrement dépourvus de références au grec du texte qu’ils commentent. C’est généralement un peu plus tard que le texte grec de Paul commence à apparaitre : parmi les ouvrages

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écrits vers l’époque de l’Inchoata expositio, on trouve bien des références au grec de 1 Cor. en in Gal. 9 et de serm. dom. 1,51 (de même que, un peu plus tard, en c. epist. fund. 45 et doctr. christ. 2,48), de 1 Tim. en lib. arb. 3,48, et de Philem. en divers. quaest. 73,2 ; mais pour Rom., il n’y a aucune référence au grec avant c. Faust. 11,3.4 (voir n. à 4,10).6. (D’autres livres grecs s’ajoutent au bilan dans ces mêmes années : Actes + Daniel, quaest. Simpl. 1,2,1 ; Sagesse, doctr. christ. 2,42). Cette séquence étonne, mais on peut proposer deux explications complémentaires. Tout d’abord, il semble probable qu’à l’époque des commentaires pauliniens, Augustin ne possédait simplement pas de manuscrit grec de toutes les épîtres. C’est ce que tend à montrer, au-delà de l’argument e silentio, la faute en in Gal. 24, sur Gal. 3,19. Τί οὖν ; ὁ νόμος τῶν παραβάσεων χάριν προσετέθη, ἄχρις οὗ ἔλθῃ τὸ σπέρμα ᾧ ἐπήγγελται, δ ι α τ α γ ε ὶ ς δι’ ἀγγέλων ἐν χειρὶ μεσίτου y est traduit : Quid ergo ? Lex transgressionis gratia proposita est, donec veniret semen cui promissum est, d i s p o s i t u m per angelos in manu mediatoris [Quoi donc ? La loi fut ajoutée à cause de la transgression, jusqu’à ce que vienne la semence à qui la promesse fut donnée, [la semence] réglée par les anges, dans la main d’un médiateur]. Il aurait fallu disposita, pour reproduire l’accord νόμος / διαταγείς [loi / réglée], et dans la Vulgate on lit en effet ordinata. Mais Augustin commente : ‘dispositum est per angelos semen in manu mediatoris’, ut ipse liberaret a peccatis iam per transgressionem legis coactos confiteri opus sibi esse gratiam et misericordiam Domini [‘la semence fut réglée par les anges dans la main d’un médiateur’, pour que celui-ci libérât des péchés ceux qui avaient déjà été obligés, par leur transgression de la Loi, de confesser qu’ils avaient besoin de la grâce et de la miséricorde de Dieu]. Il pense donc que dispositum qualifie semen (σπέρμα). Comme le fait remarquer ROUSSELET (À propos d’une édition, 244) il refait la faute en gen. ad litt. 5.8, mais se reprend en retract. 2,24,2 : In quinto libro et ubicumque in eis libris posui de semine cui repromissum est, quod dispositum sit per angelos in manu mediatoris, non sic habet apostolus, sicut veriores codices post inspexi, maxime Graecos. De lege enim dictum est, quod tamquam de semine dictum multi Latini codices habent per interpretantis errorem [Dans le cinquième livre, et partout dans ces livres où j’ai écrit, à propos de la semence à qui la promesse fut donnée, que [cette semence] fut réglée par les anges dans la main d’un médiateur, ce n’est pas ce que dit l’apôtre, comme j’ai l’ai vu après dans des manuscrits plus fiables, surtout les grecs. Car c’est de la Loi qu’est dit ce que beaucoup de manuscrits latins indiquent comme étant dit de la semence, par une faute du traducteur] (comparer retract. 1,7,2). À notre sens, il faut voir ici une indication que l’auteur ne disposait pas de ces veriores codices … maxime Graecos quand il s’attela à commenter Gal. et Rom. Aurait-il pu se les procurer avant de commencer son travail ? Il faudrait, pour répondre, une connaissance de la circulation des livres grecs en Afrique latine que nous ne possédons pas. Mais l’augmentation de l’exploitation du texte grec dans doctr. christ. correspond parfaitement au principe énoncé dans ce même livre (2,34) : Latinae quidem linguae homines, quos nunc instruendos suscepimus, duabus

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aliis [sc. linguis] ad scripturarum divinarum cognitionem opus habent, hebraea scilicet et graeca, ut ad exemplaria praecedentia recurratur, si quam dubitationem attulerit latinorum interpretum infinita varietas [Les hommes de langue latine, que nous avons entrepris d’instruire ici, ont besoin de deux autres [langues] pour la connaissance des écritures divines, à savoir de l’hébreu et du grec, pour que l’on puisse faire recours aux exemplaires plus anciens, si la diversité infinie des traducteurs latins soulève un doute]. Pour COURCELLE (Les lettres grecques, 149s.), ces conseils sont si éloignés de la méthode d’Augustin en 397 qu’il préfère croire qu’ils ne furent pas écrits « avant les années 416/19 », et appartiennent aux remaniements de doctr. christ. avant sa publication finale en 426/427. Mais une telle théorie n’a pu survivre à la réflexion de W. M. Green sur le manuscrit de Saint-Pétersbourg de doctr. christ. (CSEL 80, vii–ix ; voir supra p. 129 : le manuscrit, vraisemblablement écrit du vivant d’Augustin, comporte les deux premiers livres du texte dans leur état actuel, et indique donc que ces livres circulaient avant qu’Augustin ne finisse doctr. chr., et qu’il ne les a pas modifiés en terminant son ouvrage). C’est donc bien dès les premières années de son épiscopat qu’Augustin reconnait les exigences philologiques et linguistiques du travail d’exégète. Faut-il y voir un des facteurs qui l’ont poussé à se détourner largement du commentaire rédigé des Écritures (voir Introduction, 1.6), voire même à ne jamais terminer l’Inchoata expositio ? En effet, philologue érudit, Augustin ne l’a jamais été. Que l’on revoie, à titre d’exemple, in Gal. 24 et retract. 2,24,2. La retractatio est pour gen. ad litt., écrit de 401 à 414. Retractationes lui-même ne fut écrit qu’en 426/427. Faut-il conclure que ce n’est qu’entre 414 et 426 qu’Augustin se serait procuré un texte grec de Gal.? Improbable, puisque nous avons vu qu’il disposait d’autres épîtres de Paul en grec avant 400, et la forme habituelle du livre pour Augustin était le codex (voir AugLex s.v. codex, 3a/b), format dans lequel on assemblait souvent toutes les épîtres de Paul entre deux couvertures (B. M. METZGER, The Text of the New Testament, Oxford 3 1992, 6). C’est plutôt qu’en écrivant gen. ad litt., Augustin ne s’est nullement avisé de consulter son texte grec de Gal. : il ne commentait pas Gal., et son instinct était alors de se contenter de la version latine reçue, celle qu’il connaissait plus ou moins par cœur. D’ailleurs, même en écrivant retract., Augustin n’avait pas noté que la faute sur Gal. 3,19 était déjà dans in Gal., alors même qu’il reprenait sa ponctuation de ce verset (retract. 1,24,4). N’est pas philologue qui décide de commenter les épîtres de Paul sans se référer constamment au texte grec, ou qui consignera le gros de son énorme activité exégétique à des sermons donnés au grand public. On est tenté, alors, sur les pas d’Érasme, d’opposer Augustin à Jérôme, et sans doute, en entreprenant de commenter Paul, Augustin comptait-il ajouter au travail de son prédécesseur en poussant plus loin la réflexion théologique, plutôt que rivaliser avec lui sur le terrain des langues (voir Introduction, 1.6 ; n. à 1,1–3). Mais il ne faut pas forcer cette opposition : il y a une différence de degré et non pas deux approches fondamentalement divergentes. Augustin, à ses heures, pouvait parler langues et ponctuation, souvent

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avec un succès notable (voir MARROU, Saint Augustin, 422–444). Origène et Jérôme l’ont sans doute fait plus souvent. Mais les compétences linguistiques et grammaticales n’ont jamais été qu’ancillaires pour les Pères, et aucun ne nous a légué ce que nous considérerions aujourd’hui être un commentaire philologique des Écritures. Revenons à l’Inchoata expositio. Si Augustin a fait une erreur, ce n’est certainement pas que son grec était trop faible pour voir que συναγωγή et ἀφωρισμένος avaient des racines différentes. Nous pensons que la faute s’explique au mieux par l’hypothèse qu’il ne disposait pas d’un manuscrit grec de Rom. Mais il est vrai que notre passage peut aussi s’élucider par une hypothèse toute contraire : si Augustin exprime des doutes sur son analyse de segregatus, ce serait justement parce qu’il a le grec devant lui, et voit bien que ἀφωρισμένος est un mot sans lien étymologique avec le bétail. Il se serait alors demandé si c’était parce que le vocable grec pouvait néanmoins s’appliquer particulièrement à la séparation du bétail qu’il avait été traduit par segregatus (la réponse est négative : voir Diccionario Griego-Español s.v. ἀφορίζω). Cette explication rendrait certes mieux compte des références citées plus haut au grec d’autres épîtres dans des ouvrages proches dans le temps de l’Inchoata expositio, puisque, on l’a dit, les épîtres pauliniennes circulaient souvent ensemble. Mais on reste alors perplexe devant le contraste entre le recours plutôt fréquent à l’original grec dans de serm. dom. et les premières in psalm., et son absence dans les commentaires sur Paul. Quoi qu’il en soit, rappelons enfin que l’Inchoata expositio n’est qu’inchoata. Si Augustin s’était avisé de la terminer, plus tard dans sa carrière, il est probable qu’il aurait tout de même tranché la question de la graeca interpretatio. Pour d’autres problèmes avec le grec, voir n. à 4,10 ; 5,11–17 ; 5,13, neque ad exemplum ; 12,2s. ; 12,8. Voir aussi l’étrange remarque d’Ambroise sur le latin de Paul, De fuga saeculi 16. 3,1 commendat auctoritate prophetarum ut … gentes rursus iam non superbire admoneat L’Ambrosiaster (in Rom. 1,2) commente : Ut manifestius salutarem esse adventum Christi significaret, etiam personas, per quas promissionem signaverit, demonstravit, ut quam vera et magnifica sit promissio, ex his videretur; nemo enim rem vilem magnis praecursoribus nuntiat [Pour indiquer plus clairement que la venue du Christ apportait le salut, il a aussi désigné les personnes par qui il avait manifesté la promesse, pour qu’il apparaisse par ceux-ci combien la promesse est vraie et magnifique ; car personne n’annonce une chose sans importance par de grands précurseurs]. Autrement dit, Paul démarque l’importance de l’Évangile en le reliant avec les prophètes. Augustin est bien plus précis, puisqu’il fait rentrer Rom. 1,2 dans la vision globale de Rom. qu’il avait donnée au chapitre 1. Dans la longue tradition des polémiques anti-gnostiques, Augustin revient sur les références de Paul à l’Ancien Testament quand il attaque le rejet du Dieu d’Israël par les Manichéens (voir n. suivante, fin). C’est ainsi qu’il commente Rom. 1,1–4 en

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c. Fort. 19 : Videmus apostolum de Domino nostro nos docere, ut et virtute Dei ante carnem praedestinatus fuerit, et secundum carnem factus sit ei de semine David. Hoc vos cum semper negaveritis et negetis, quomodo scripturas flagitatis, ut secundum eas potius disseramus? [Nous voyons que l’apôtre nous enseigne sur notre Seigneur, comment il fut à la fois prédestiné par la puissance de Dieu avant la chair, et fait pour lui selon la chair de la semence de David. Étant donné que cela, vous l’avez renié et vous le reniez toujours, comment est-ce que vous réclamez les Écritures, pour que nous disputions plutôt selon elles ?] Voir aussi c. Faust. 2,2 (sur 2 Tim. 2,8) ; 13,3, et, pour la tradition anti-gnostique sur Rom. 1,1–4, Irénée de Lyon, haer. 3,16, et sur Rom. en général, Tertullien, adv. Marc. 5,13s. Pour une analyse de l’Inchoata expositio dans le contexte des écrits anti-manichéens d’Augustin, voir A. MASSIE, Peuple prophétique et nation témoin, Paris 2011, 254–258 (mais comparer avec nos remarques en Introduction, 1.4). En c. Faust. 11,1, on trouvera Faustus présentant un argument manichéen, selon lequel Paul aurait corrigé en écrivant aux Corinthiens ce qu’il avait écrit aux Romains : Quare consideres oportet, quantum intersit inter haec duo capitula, e quibus unum [Rom. 1,3] perhibet Iesum filium David secundum carnem, alterum [2 Cor. 5,16] vero iam se neminem nosse secundum carnem [Il faut donc que tu considères la grande différence entre ces deux passages, dont l’un déclare que Jésus est le fils de David selon la chair, l’autre, par contre, qu’il ne connait déjà plus personne selon la chair]. Faustus propose aussi que le texte de Rom. ait pu être interpolé (voir n. à 4,8, addendo ergo). Non superbire … En réalité, le respect des écrits et du passé juifs, qui l’opposait aux Manichéens, était bien plus actif chez Augustin que toute recherche de rapports fraternels avec des Juifs actuels. Les relations entre chrétiens et Juifs s’étaient depuis longtemps détériorées à son époque, et on pourrait assez facilement accuser les gentes chrétiennes en masse de superbia envers les Juifs. « The pupils hated their masters, and were hated in their turn. With a cry of joy Eusebius, possibly a man of Jewish descent, retells from Josephus the story of the fall of Jerusalem » (A. D. MOMIGLIANO, Pagan and Christian Historiography in the Fourth Century A. D, dans idem, Terzo Contributo alla storia deli studi classici e del mondo antico, Roma 1966, 87–109 [88]). Même si cette analyse est trop sombre, si les chrétiens de l’Antiquité tardive s’entretenaient plus et plus amicalement avec les Juifs que ne le voulaient leurs prêtres et évêques, rien n’indique qu’Augustin, qui était justement prêtre et évêque, ait recherché de tels échanges (encore un contraste avec Jérôme), bien que son milieu ne manquât pas de Juifs. Voir, sur ces points, P. FREDRIKSEN, Augustine and the Jews, New York 2008, 88–102 ; 307–314 ; D. SHANZER, Who was Augustine’s Publicola?, REJ 171 (2012), 27–60 ; et AugLex s.v. Iudaei, 6. Mais Fredriksen montre aussi tout ce qu’il y avait de positif envers les Juifs réels du présent dans l’enseignement augustinien, et le rejet de la superbia revient effectivement dans les conseils d’Augustin sur comment présenter les arguments chrétiens aux Juifs : Haec, carissimi, sive gratanter, sive indignanter audiant Iudaei, nos tamen ubi possumus, cum eorum dilectione praedicemus. Nec s u p e r b e g l o r i e m u r adversus ramos

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fractos, sed potius cogitemus cuius gratia, et quanta misericordia, et in qua radice inserti sumus [Rom. 11,17s.] [Très chers, cela, que les Juifs l’entendent avec gratitude ou avec indignation, nous avons à le prêcher néanmoins quand nous le pouvons, dans l’amour envers eux. Et il ne faut pas nous g l o r i f i e r s u p er b e m e n t envers les branches brisées, mais considérer plutôt par quelle source de grâce, et avec quelle grande miséricorde, et dans quelle racine nous avons été insérés] (adv. Iud. 15 ; voir cependant n. à 20,3). 3,3 fuerunt enim et prophetae non ipsius … Paul a écrit per prophetas suos [par ses prophètes] plutôt que seulement per prophetas [par (les) prophètes], et pour Augustin, cet ajout du possessif nécessite une explication. La difficulté peut nous sembler inventée, mais pour un lecteur latin suos devait paraitre emphatique, puisque le latin tend à se passer de possessifs quand ceux-ci sont clairement sous-entendus (voir LHS 2, 178). Pour une réaction similaire à un possessif, voir in psalm. 4,9 : ‘A tempore frumenti, vini et olei s u i multiplicati sunt’ [Ps. 4,8]. Non enim vacat, quod additum est, ‘sui’: est enim et frumentum Dei … et est vinum Dei … et oleum Dei [‘Du temps de son blé, [son] vin et [son] huile, ils furent multipliés’. En effet, ‘son’ n’est pas ajouté sans raison, car il y aussi un blé de Dieu … et il y a un vin de Dieu … et une huile de Dieu]. Mais la Bible n’est pas un texte latin, et il fallait plutôt se poser la question du possessif dans ses langues d’origine. Bien plus tard (419), quand il écrit les Locutiones in Heptateuchum, Augustin, désormais conscient de ce problème linguistique, présente une toute autre analyse du possessif « redondant » : Quod scriptum est ‘Et extendit manum s u a m , accepit eam, et induxit eam ad semetipsum in arcam’ [Gen. 8,9], locutio est, quam propterea hebraeam puto, quia et punicae linguae familiarissima est, in qua multa invenimus hebraeis verbis consonantia. Nam utique sufficeret: ‘Et extendit manum’, etsi non adderet ‘suam’. Tale est etiam quod paulo post dicit: ‘Habebat olivae folia, surculum in ore s u o ’ [Gen. 8,11] [Quand il est écrit ‘et il étendit s a main, il la reçut, et il la fit entrer vers lui dans l’arche’, c’est une tournure que je crois être hébraïque, puisqu’elle est aussi très courante dans la langue punique, dans laquelle nous trouvons beaucoup d’éléments qui correspondent aux mots hébreux. ‘Et il étendit (la) main’ aurait en effet entièrement suffi, sans l’ajout de ‘sa’. C’est de même qu’il dit aussi un peu plus tard : ‘Il avait des feuilles d’olive, un rejeton dans s a bouche’] (loc. hept. 1,24). Quant aux prophètes païens témoins de la vérité, ils viennent de l’apologétique chrétienne, qui en hérita de l’apologétique juive. Il existait en effet tout un dossier d’oracles des gentils glorifiant le Dieu unique et le Christ, puis prédisant le triomphe du christianisme et la fin du monde. Les auteurs principaux des oracles étaient des figures en quelque sorte marginales du monde grec : la Sibylle (d’origine mystérieuse), Orphée (thracien), Hermès Trismégiste (égyptien), le mage Hystaspe (perse). Mais on n’a pas résisté à ajouter Apollon, le dieu mantique grec par excellence. Pour les sources de tous ces oracles et leur emploi chez les chrétiens, voir BUSINE, Paroles,

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361–431 (Le travail de Busine est cependant concentré sur Apollon. Malgré, sinon à cause de, l’immense bibliographie sur ces figures prophétiques, il ne semble pas exister d’étude générale des oracles païens dans l’Église antique). Pour la Sibylle, voir n. suivante : elle forme un cas à part, car elle a souvent été vue comme une vraie monothéiste, inspirée directement par Dieu. La tradition dont hérite Augustin est essentiellement grecque, et il ne la connaissait pas forcément très bien, au-delà de la transmission orale. C’est surtout Lactance, apologète et latin parmi les Grecs, qui a présenté ces oracles à l’Église latine, mais on ne peut montrer qu’Augustin avait lu Lactance à l’époque de l’Inchoata expositio. D’autre part, on a aussi voulu identifier les quosdam platonicorum libros [certains livres des Platoniciens] lus par Augustin avant sa conversion (conf. 7,13) avec la Philosophie tirée des oracles de Porphyre (voir BUSINE, Paroles, 241 ; O’DONNELL sur conf. ad loc.), ce qui lui aurait donné accès à certains oracles d’Apollon à la louange des Juifs (A. SMITH, éd., Porphyrii philosophi fragmenta, Stuttgart 1993, 324F ; 344F). Seulement, l’unique prophétie qu’il cite dans notre texte ne vient pas du grec, mais de Virgile. Par contre, quand Augustin en viendra à écrire son chef-d’œuvre sur le mode apologétique, on retrouvera bien la Sibylle (civ. 18,23), Hermès (civ. 8,23–26), Orphée (civ. 18,14, avec Musaeus et Linus) et Apollon (19,23, avec Hécate. Ici l’œuvre de Porphyre est nommée comme source, et les oracles dateraient d’après la venue du Christ). Seul Hystaspe ne semble jamais l’avoir intéressé, mais, même pour ceux qui le citent, c’est une figure bien obscure (voir Encyclopaedia Iranica s.v. Hystaspes, oracles of : http://www.iranicaonline. org/articles/hystaspes-oracles-of). La valeur apologétique de tels oracles était évidente, mais il fallait aussi expliquer comment des dieux païens pouvaient être si bien renseignés. On sait que les chrétiens des premiers siècles accusaient les païens de rendre un culte à des démons, qui se cachaient sous les noms de leurs dieux. Ce sont ces mêmes démons qui seraient à l’origine des oracles. Dès Justin Martyr (apol. 1,54 ; dial. 69), on affirme en effet que les démons invisibles avaient eu connaissance des prophéties juives, qu’ils avaient répétées – et déformées – parmi les nations. Augustin pense de même, expliquant ainsi, par exemple, les prophéties exactes d’Hermès Trismégiste sur la chute des temples païens : Huic autem Aegyptio illi spiritus indicaverunt futura tempora perditionis suae, qui etiam praesenti in carne Domino trementes dixerunt : ‘Quid venisti ante tempus perdere nos?’ [Mt. 8,29] [À cet Égyptien, les esprits ont indiqué le temps futur de sa perdition, [ces mêmes esprits] qui ont aussi dit en tremblant au Seigneur, présent dans la chair : ‘Pourquoi es-tu venu avant l’heure pour nous perdre ?’] (civ. 8,24 ; de même div. daem. 9–12). C’est ainsi que, dans l’Inchoata expositio, les prophètes païens sont décrits comme chantant ce qu’ils avaient e n t e n d u du Christ (quae de Christo a u d i t a cecinerunt). L’inspiration démoniaque n’est pas une voie d’explication ouverte à l’érudition moderne, et celle-ci voit donc les oracles dont parle Augustin comme des productions plus ou moins falsifiées de Juifs et de chrétiens, ou comme des textes païens

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interprétés à contre-sens. Pour Augustin, évidemment, la thèse de l’inspiration, qu’elle fût divine ou démoniaque, ne posait pas problème en soi. Mais, comme tous ceux qui vivent dans une culture où la prophétie est monnaie courante, il était conscient qu’un oracle donné pouvait être sujet à caution. On voit dans l’Inchoata expositio ses doutes envers la Sibylle (non facile crederem, 3,3), qu’étanche seul le témoignage de Virgile, dont l’indépendance était garantie. Plus tard, il admettra la possibilité que les Oracula Sibyllina puissent être de facture chrétienne (civ. 18,46), tout comme il mettra en doute l’authenticité des oracles « antiques » que citent des païens sur le renversement des temples (div. daem. 12) ou de certains oracles antichrétiens cités par Porphyre : Quis ita stultus est, ut non intellegat aut ab homine callido eoque christianis inimicissimo haec oracula fuisse conficta aut consilio simili ab inpuris daemonibus ista fuisse responsa? [Qui est trop sot pour comprendre que ces oracles furent soit inventés par un homme malin et un grand ennemi des chrétiens, soit, avec un but similaire, prononcés par des démons impurs ?] (civ. 19,23). Certes, c’est l’hostilité de ces oracles au Christ qui met Augustin sur ses gardes, mais, en l’espèce ses doutes étaient tout à fait fondés. Ces problèmes d’authenticité sont certainement une des causes de l’hostilité d’Augustin envers les oracles dans l’Inchoata expositio. Mais, pour lui, les oracles authentiques venaient aussi des démons, et malgré leur force apologétique (voir c. Faust. 13,15), avaient pour but non pas d’éclairer mais de tromper. C’est ce qu’articule déjà Lactance à propos d’un oracle de l’Apollon de Milet sur le Christ : Nam quod ait portentifica illum [sc. le Christ] opera fecisse, quo maxime divinitatis fidem meruit, adsentiri nobis iam videtur, cum dicit eadem quibus nos gloriamur. Sed colligit se tamen et ad daemoniacas fraudes redit. Cum enim verum necessitate dixisset, iam deorum ac sui proditor videbatur, nisi quod ab eo veritas expresserat, mendacio fallente obscurasset. Ait ergo illum fecisse quidem opera miranda, verum non divina virtute, sed magica. Quid mirum, si hoc Apollo veritatem ignorantibus persuasit ? [En effet, en disant qu’il a fait des œuvres miraculeuses, par lesquelles avant tout il a mérité que l’on croie à sa divinité, il semble être désormais en accord avec nous, quand ce qu’il dit est identique à ce dont nous nous glorifions. Mais il se reprend tout de même et revient aux fraudes démoniaques. En effet, en disant la vérité par nécessité, il semblait déjà avoir abandonné ses dieux et soi-même, si ce n’est que, ce que la vérité avait extrait de lui, il l’a rendu obscur par un mensonge fallacieux. Il dit donc qu’il a bien fait des œuvres admirables, mais par une puissance non pas divine, mais magique. Qu’y a-t-il d’extraordinaire, si Apollon a convaincu de cela ceux qui ignorent la vérité ?] (inst. 4,13,16). « Ces vers apolliniens produits par le clergé milésien avaient pour but de soutenir les défenseurs du paganisme », dira BUSINE (Paroles, 228) sur l’oracle en question. Pour Lactance, l’inspiration surnaturelle était authentique, et Augustin aurait pu penser de même. Mais ils seraient en accord avec nos conclusions d’historiens sur l’effet voulu par l’oracle (voir Inchoata expositio 3,5). Il convenait donc d’avertir le lecteur que Paul ne faisait nullement référence à de tels textes quand il parlait d’un Évangile promis per prophetas.

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De tels avertissements étaient sans doute tout à fait pratiques : dans l’Antiquité tardive, on voit les oracles païens « extraits du contexte civique de la pratique oraculaire qui leur avait donné jour pour être élevés au rang des livres sacrés de référence » (BUSINE, Paroles, 233. Voir aussi, MORESCHINI, Storia, 244s.) en compétition avec la Bible. Dans une Église largement formée de convertis ou d’enfants de convertis, tout ce corpus devait fasciner bien des chrétiens, et la présence de quelques textes pro-chrétiens pouvait justifier son étude. C’est dans ce contexte que l’on comprendra la remarque de l’Inchoata expositio, ou encore la très longue polémique anti-oraculaire d’Eusèbe dans la Praeparatio Evangelica (livres 4–6). Per prophetas s u o s … Pour Augustin, il s’agissait aussi d’affirmer la dignité suprême de l’Ancient Testament contre les attaques des Manichéens (voir n. précédente). En effet, Faustus, quelques années avant l’Inchoata Expositio, avait écrit : Sane si sunt aliqua, ut fama est, Sibyllae de Christo praesagia aut Hermetis, quem dicunt Trismegistum, aut Orphei aliorumque in gentilitate vatum, haec nos aliquanto ad fidem iuvare poterunt, qui ex gentibus efficimur christiani. Hebraeorum vero testimonia nobis, etiamsi sint vera, ante fidem inutilia sunt, post fidem supervacua [Assurément, s’il existe, comme on le raconte, des prophéties sur le Christ venant de la Sibylle, ou de cet Hermès que l’on appelle Trismégiste, ou d’Orphée, ou d’autres prophètes des gentils, celles-ci pourront quelque peu nous aider dans notre foi, nous les gentils qui devenons chrétiens. Mais les témoignages des Hébreux, même s’ils sont vrais, nous sont inutiles avant la foi, et redondants après la foi] (c. Faust. 13,1). On ignore si l’argument est purement théorique, ou si les Manichéens affectionnaient vraiment de tels textes (voir PRÜMM, Das Prophetenamt, 72, et cf. n. à 4,1, Les prophètes, e). Mais Augustin se devait en tout cas de réfuter tout ce qui tendait à dévaloriser l’Ancien Testament. La réfutation détaillée de Faustus, le Contra Faustum, attendra 397s., mais on en voit une anticipation dans ce passage de l’Inchoata expositio (cf. c. Faust. 12,2s. pour une nouvelle analyse de per prophetas suos, avec la démonstration qu’il s’agit bien des prophètes de l’Ancien Testament ; 13,15–17 pour le problème des oracles païens). Du reste, l’Ambrosiaster (in Rom. prol. ad loc. ; voir n. à 1,3, nonnulli qui ex Iudaeis), sans entrer dans le problème des oracles, voyait déjà dans Rom. 1,2 la défense de l’Ancien Testament : ‘in scripturis sanctis’. Hoc ad cumulum verae protestationis adiecit, ut maiorem fiduciam credentibus faceret e t l e g e m c o m m e n d a r e t [‘dans les Écritures saintes’. Il a ajouté cela pour porter à leur sommet les assurances qu’il dit vrai, afin de donner plus de confiance aux croyants, e t d e r e c o m m a n d e r l a L o i ]. 3,3s. La Sibylle et la quatrième Bucolique Pour ce passage et tout son arrière-plan voir notre Christians, Sibyls and Eclogue 4, RecAug 37 (2013), 51–129, y compris pour la bibliographie antérieure (les études principales sont : PRÜMM, Das Prophetenamt ; P. COURCELLE, Les exégèses chrétiennes de la quatrième églogue, REAug 59 [1957], 294–319 ; H. DE LUBAC, Exégèse

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médiévale: les quatre sens de l’Écriture, II.2, Paris 1964. 233–262 ; J.-M. ROESSLI, Augustin, les sibylles, et les Oracles Sibyllins, dans FUX, Augustinus Afer, 263–286 ; N. BROCCA, Lattanzio, Agostino e la Sibylla Maga, Roma 2011). La Sibylle est à l’origine une figure complexe et énigmatique de la prophétie grecque. Comme le montre A. Rzach (RE s.v. Sibylla), elle est associée à nombre d’endroits et de périodes historiques et préhistoriques ; elle apparait souvent sans invitation, plutôt que d’être consultée, et prédit très souvent des malheurs. Les anciens croyaient en général qu’il y avait plusieurs Sibylles, mais on pouvait aussi expliquer sa réapparition à diverses époques par sa vie extrêmement longue (voir surtout les célèbres passages d’Ovide, met. 14,130–153, et de Pétrone, Satyricon 48 → l’épigraphe du Waste Land de T. S. Eliot). Malgré ses aspects mythiques, on croyait à la réalité historique de la Sibylle, que semblent confirmer les restes des sanctuaires de Cumes et d’Érythrée : on n’y venait pas pour vénérer la Sibylle, qui n’était pas une divinité, mais pour la rencontrer. Dans leurs œuvres apologétiques, on l’a dit, Juifs et chrétiens aimaient à citer les Sibylles comme témoins de leur religion. La base de ces références était les Oracula Sibyllina, les douze livres d’hexamètres grecs qui prétendaient êtres les vraies prophéties de la Sibylle, des textes qui ont largement survécu (édition critique dans GCS 8). Ces textes sont majoritairement, sinon entièrement, de facture juive et chrétienne, si bien qu’ils ne contiennent aucun élément polythéiste. Dans la même lignée, la Sibylle elle-même était parfois mise en lien direct avec l’Ancien Testament : elle serait la reine de Saba (Testamentum Salomonis, Recensio D, cap. V, éd. C. C. MCCOWN, Leipzig 1922), ou la fille de Noé (LIMC s.v. Sibylla, 30–33 ; Oracula Sibyllina 1,288s. ; 3,827. Voir aussi Pausanias 10,12,9). Sur ces bases, les auteurs chrétiens tendaient à en faire non pas le véhicule d’un témoignage démoniaque (voir n. précédente), mais une vraie prophétesse de Dieu (voir surtout Théophile d’Antioche, Ad Autolycum 2,9). Cependant, les oracles sibyllins perdaient toute leur valeur apologétique si l’on ne croyait plus à leur authenticité. On voit des doutes surgir dans le traité antichrétien de Celse, et Origène, dans sa réponse, ne tente pas vraiment de défendre les oracles (Cels. 7,53.56). Dès cette époque, les oracles n’ont plus le même prestige dans l’Église grecque. Sans doute qu’on les y lisait encore, mais à l’époque d’Augustin, rares sont les écrits grecs qui y font référence. On sait que, dans la culture romaine, la Sibylle jouissait d’un rôle officiel qu’elle n’avait jamais eu dans le monde grec. La mythologie romaine voulait que l’un ou l’autre des Tarquins eût acheté un recueil de ses oracles à la Sibylle de Cumes, et ce qui passait pour être cette collection, complété à diverses époques, était consulté par un collège de prêtres à Rome, les XVviri sacris faciundis, dans les périodes de troubles. Ces faits expliquent la présence de la Sibylle chez Virgile, dans la quatrième Bucolique et dans l’Énéide. Les consultations se sont faites bien plus rares sous les empereurs qu’aux temps républicains, mais le collège des XVviri a perduré jusqu’à la fin du 4ème siècle, et donc existait encore à l’époque de l’Inchoata Exposi-

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tio (voir surtout H. BLOCH, A new document of the last pagan revival in the West, 393-394 AD, HThR 38 [1945], 199–244). Ce rôle officiel de la Sibylle à Rome l’a rendue suspecte dès le départ aux chrétiens de langue latine. Beaucoup d’auteurs n’en parlent jamais, et certains y sont très hostiles, l’associant ouvertement au paganisme romain. C’est le cas surtout pour Paulin de Nole (carm. 19,63–68), Prudence (Contra Symmachum 2,892–895 ; Apotheosis 438–442) et le Carmen contra Paganos (Anthologia latina 4,1). De même, pour l’Ambrosiaster (in 1 Cor. 2,12), la Sibylle est inspirée non pas par Dieu, mais bien par un démon, comme la Pythie. Mais les Divinae Institutiones, la vaste œuvre apologétique de Lactance, constituent une exception notable : la Sibylle y est introduite dès le premier livre (1,6,6–17), et Lactance citera 56 fois les Oracula Sibyllina, toujours avec le plus grand respect. Il citera aussi, comme faisant autorité sur le millénaire doré qui suivra le retour du Christ, les prophéties sibyllines qu’il croit trouver dans la quatrième Bucolique : Poeta secundum Cumaeae Sibyllae carmina prolocutus est [Le poète a prophétisé selon les chants de la Sibylle de Cumes] (inst. 7,24,11). Ce poème devait en effet inévitablement interloquer les auteurs chrétiens de langue latine. Écrit peu avant la naissance du Christ, il prédisait la naissance d’un enfant miraculeux, qui amènerait le retour d’un âge d’or et le pardon des péchés. Or le v. 4 du poème, que cite Augustin dans l’Inchoata expositio, annonçait justement que cette prophétie correspondait à un oracle de la Sibylle de Cumes (mais voir n. à 3,4, Cumaeum). On pouvait alors imaginer que Virgile avait utilisé à ses propres fins des vers sibyllins qui parlaient du Christ (nul n’admettra aujourd’hui une telle explication, mais il demeure possible que Virgile ait eu accès à des textes sibyllins de facture juive ; voir N. HORSFALL, Virgil and the Jews, Vergilius 58 [2012], 67–80). En fait, Lactance ne va pas aussi loin : il affirme seulement que la Sibylle de la Bucolique parlait de l’âge d’or, et n’identifie pas l’enfant avec Jésus. En effet, la Bucolique posait aux chrétiens latins des difficultés assez similaires à celles soulevées par la Sibylle : Virgile était suprême parmi les poètes classiques, et donc païens, et tous apprenaient à l’école à interpréter la Bucolique selon les traditions non chrétiennes, qui identifiaient l’enfant avec diverses figures historiques de l’entourage de César-Auguste (voir A. CUCCHIARELLI [éd.] – A. TRAINA [trad.], Publio Virgilio Marone. Le Bucoliche, Roma 2012, 237–244). Un chrétien pouvait néanmoins prétendre que Virgile avait remodelé à ses propres fins panégyriques des vers sibyllins dont il ignorait le vrai sens. Mais une telle explication tranchait avec toute la vision traditionnelle du poète. Cette vision était bien moins puissante dans le monde grec, et on trouve justement des tentatives d’identification de l’enfant du poème avec le Christ dans trois textes grecs. Tous sont d’origine problématique. Le v. 7 est cité dans un sermon sur la Nativité attribué à Théodore d’Ancyre (éd. M. JUGIE, Homélies Mariales Byzantines, Patrologia Orientalis 19, Paris 1962, serm. 6,14), mais dont l’authenticité reste à prouver. Le martyr Artémius aurait cité la Bucolique devant Julien l’Apostat, selon

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une Passion dont les phases de réécriture ne se laissent pas aisément démêler (éd. B. KOTTER, Die Schriften des Johannes von Damaskos, vol. 5, Berlin 1988, 183–245, §46). Et surtout, il y a l’Oratio ad Sanctorum Coetum, cet étrange discours que l’on trouve à la fin des manuscrits de la Vita Constantini d’Eusèbe, ce qui correspond plus au moins à la promesse faite dans cette Vita (4,29–32) de fournir un spécimen des discours pieux dont Constantin régalait sa cour (édition critique de l’Oratio dans GCS 7, 153–192). Si Constantin a vraiment prononcé ce discours, le texte que nous avons serait la version grecque d’un original latin. Mais les spécialistes restent partagés sur l’authenticité de l’Oratio, et à notre sens, la question est insoluble. Quoi qu’il en soit, ce discours introduit la Sibylle comme témoin privilégié des vérités chrétiennes (18), puis comme source de la quatrième Bucolique, qui bénéficie ensuite d’une exégèse détaillée et confuse (19–21), mais dont il ressort au moins que pour Constantin, ou le pseudo-Constantin, Virgile parlait du Christ, et le faisait en connaissance de cause. On trouve donc une utilisation chrétienne de la quatrième Bucolique dans des textes grecs, et chez Lactance, qui écrivait dans la ville grecque de Nicomède (voir Jérôme, De viris illustribus 80). Jusqu’à Augustin, l’Église latine ne reprend pas ce thème, pas plus qu’elle n’accueille facilement les Sibylles. Mais, dès l’Inchoata expositio, Augustin fera ces deux pas ensemble. Par la suite, il se montrera de plus en plus ouvert envers la possibilité d’une Sibylle prophétesse du vrai Dieu (comparer c. Faust. 13,15 et cons. euang. 1,28 avec civ. 18,23.47), et proposera à plusieurs reprises une lecture chrétienne de certains vers de la Bucolique (epist. 258 ; 104 ; 137 ; civ. 10,27). Cette lecture montre certains parallèles avec l’Oratio ad Sanctorum coetum. te duce [sous ta conduite] de la Bucolique (13) est appliqué au Christ dans l’Oratio (19,7) et quatre fois chez Augustin (epist. 104,11 ; 137,12 ; 258,5 ; civ. 10,27). Dans l’Oratio, Virgile est appelé τὸν ἐξοχώτατον τῶν κατὰ Ἰταλίαν ποιητῶν [le plus excellent des poètes de l’Italie] (19,4), ce qui rappelle poetarum quidam in Romana lingua nobilissimus dans l’Inchoata expositio (mais voir les remarques de M. GEYMONAT, Un falso cristiano della seconda metà del IV secolo (sui tempi e le motivazioni della « Oratio Constantini ad Sanctorum Coetum »), Aevum(ant) n. s. 1 [2001], 349–366 [358s.]). L’Oratio (19,1–3) tente de réfuter l’accusation selon laquelle les Oracula Sibyillina sont une supercherie chrétienne en montrant (tant bien que mal) que Virgile a écrit avant la venue du Christ. Il faut peut-être voir le même enchainement d’idées derrière l’affirmation de l’Inchoata expositio que seule la Bucolique rend crédible les affirmations selon lesquelles la Sibylle aurait parlé du Christ. (Ou est-ce plutôt qu’Augustin ne connaissait pas encore les Oracula Sibyllina ?) Si Constantin a vraiment prononcé l’Oratio, Augustin a pu connaitre ce texte. Mais on ne peut le démontrer, et certaines conceptions sur le sens chrétien de la Bucolique devaient circuler assez largement. Il importe surtout de constater ce qui sépare Augustin de Lactance et de l’Oratio. Augustin n’a jamais affirmé sans ambages que la Sibylle était une vraie prophétesse, et il n’a jamais proposé une inter-

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prétation chrétienne intégrale de la Bucolique, ou identifié l’enfant à Jésus. Sa remarque dans l’Inchoata expositio relie l’innovatione saeculi du poème au règne du Christ, et dans epist. 137,12, il veut que l’assyrium … amomum [amome assyrien] (25) du poème corresponde à la vérité répandue par l’Église. Ses quatre autres utilisations de la Bucolique (epist. 104,11 ; 137,12 ; 258,5 ; civ. 10,27) sont toutes des citations des vers 13s. (te duce, si qua manent sceleris vestigia nostri, / inrita perpetua solvent formidine terras [sous ta conduite, s’il reste des vestiges de notre crime, rendus caduques, ils libéreront les terres de la peur perpétuelle]) pour parler du lavement des péchés par le Christ. Mais Augustin savait très bien que te duce ne pouvait faire référence qu’à Asinius Pollio, tout comme il admettait ouvertement le sens politique qu’avait le poème pour son auteur (epist. 104,11 ; civ. 10,27). Sa lecture consiste donc à identifier des bribes de prophétie, et non pas, comme le fait l’Oratio, à montrer que Virgile a soigneusement composé un tout qui parlait du Christ sans qu’il y paraisse. De plus, son interprétation de la Bucolique est loin d’être centrale dans la pensée apologétique d’Augustin. Certes, les trois lettres où il la déploie sont toutes écrites à des païens, et civ. est aussi, du moins en théorie, un texte ad gentes. Mais Augustin ne se sert pas pour autant de la Bucolique pour tenter des démonstrations apologétiques. Il s’agit plutôt de références de passage à un texte dont la valeur était goûtée par les lecteurs d’Augustin (voir HAGENDAHL, Augustine, 695), et qui, par le sens nouveau qu’Augustin proposait d’y voir, pouvait leur donner une petite impulsion vers la conversion. Mais il n’a jamais tenté de faire de la Bucolique un argument de conversion en soi : il était bien trop prudent. Pour autant, l’Inchoata expositio n’est pas un texte ad gentes, et la présence de la Bucolique peut donc étonner. Nous y voyons encore l’influence de Jérôme. Celuici aimait en effet parsemer ses commentaires scripturaires de citations de Virgile. On en trouvera tous les exemples (51 passages) recueillis et commentés dans M. T. MESSINA, L’autorità delle citazione virgiliane nelle opere esegetiche di san Girolamo (= Atti della Accademia nazionale dei Lincei : Memorie, s. 9, 16,4), 2003, Roma (travail construit sur les fondations jetées par HAGENDAHL, Latin Fathers, 209–246). Cette utilisation de Virgile par Jérôme rappelle fortement celle de son maître en grammaire Donat, dans son commentaire de Térence. Des versets de Virgile servent à clarifier les sens d’un mot, à fournir une information historique ou géographique, ou à renforcer une pensée de l’auteur. Voir in eccles. 7,28 (= MESSINA no. 40) pour un exemple assez typique : Et quia ‘appositum est cor hominis diligenter ad malitiam ab adolescentia’ [Gen. 8,22], et paene omnes offenderunt Deum, in hac ruina generis humani, facilior ad casum est mulier. De qua et poeta gentilis: ‘varium et mutabile semper femina’ [Virgile, Énéide 4,569s.] [Et, puisque ‘le cœur de l’homme s’applique avec diligence au crime dès la jeunesse’, et presque tous ont offensé Dieu, dans cette ruine du genre humain, la femme est plus encline à la chute. Sur elle, le poète païen [dit] aussi : ‘la femme est un être toujours variable et changeant’]. Augustin, on le

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voit, va plus loin : sa citation ne sert ni de confirmation ni d’illustration, mais fait partie intégrante de son argumentation (voir encore HAGENDAHL, Augustine, 695). Si Augustin réagissait ici à Jérôme, il a peut-être déclenché une réaction inverse. Dans son epist. 53,7, à Paulin de Nole, écrit vers la même époque que l’Inchoata expositio, Jérôme s’était moqué de ceux qui christianisaient les vers virgiliens. Sa cible principale est le centon de Proba (CPL 1480), qu’il cite, mais deux des vers qu’il en tire viennent de la quatrième Bucolique. On a souvent (au moins depuis Pierre Abélard, Sic et non 25) voulu voir dans ce passage une réaction contre l’exégèse chrétienne du poème. Si c’est le cas (ce qui n’est pas certain), on peut y voir plus précisément une riposte de Jérôme à Augustin. 3,3 poetarum quidam in romana lingua nobilissimus Virgile n’est pas nommé, mais introduit par une paraphrase qui ne peut désigner que lui. Deux phénomènes sont à l’œuvre. D’un côté, Augustin se livre à un effet prisé de la rhétorique antique : citer sans prononcer le nom de l’auteur de la citation (voir L. PERNOT, La rhétorique de l’éloge dans le monde gréco-romain, Paris 1993, 728). Quand la citation venait de Virgile (comme pour Homère chez les grecs ; voir Sénèque le Jeune, epist. 58,17), il était d’usage d’employer une paraphrase à la louange du poète. Cicéron avait ainsi cité Ennius sans le nommer : a summo poeta [du plus grand poète] (de orat. 1,198) ; ille summus poeta noster [ce poète, le plus grand des nôtres] (Balb. 51). Mais, après l’apparition de Virgile, c’était à lui que s’appliquaient généralement de telles périphrases. Quelques exemples : Sénèque le Jeune : ille vir disertissimus [cet homme très éloquent] (dial. 8,1,4) ; maximum poetarum [le plus grand des poètes] (dial. 10,2,1. La citation pose problème : Voir la note de L. D. REYNOLDS [éd.], L. Annaei Senecae Dialogorum libri duodecim, Oxford 1977, ad loc.) ; Constantin [?] : τὸν ἐξοχώτατον τῶν κατὰ Ἰταλίαν ποιητῶν (Oratio ad sanctorum Coetum 19,4. Voir n. précédente) ; Panegyrici Latini : magnus poeta [le grand poète] (12,12. Comparer Cicéron comme summus orator [le plus grand orateur], 12,19, mais aussi Ennius summi poetae [du plus grand poète], 9,7) ; Orose : poeta praecipuus [le poète excellent] (hist. 2,5,10. Mais poetae optimi [du meilleur poète] de Lucain, hist. 6,1,29). En même temps, en appelant Virgile poeta quidam in Romana lingua, Augustin prend ses distances. Virgile est vu de l’extérieur : il n’est pas le poète (Augustin aurait pu écrire poeta ille), mais un certain poète (de même civ. 10,1 ; cf. conf. 3,7 : cuiusdam Ciceronis [d’un certain Cicéron], et, à rebours, Josèphe, écrivant pour son public gentil, Guerre des Juifs 4,460 : ὑπὸ Ἐλισσαίου τινὸς προφήτου [par un certain prophète Élie]) ; il n’appartient pas à notre langue, mais à la langue romaine. On contrastera avec la tendance à appeler Virgile Virgilius / Maro n o s t e r [n o t r e Virgile / Maron], usage fréquent chez certains auteurs du 1er–3ème siècle, surtout Sénèque le Jeune (epist. 21,5 ; 28,1.3 ; 56,12 ; 59,3 ; 70,2 ; 84,3 ; 86,15 ; 92,9 ; 95,69 ; 104,24 ; 115,4 ; frg. apud Gell. 10 ; nat. 4b,4,2 ; 6,13,5 ; 6,22,4 ; frg. 113) et Columella

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(2,2,84 ; 9,2,640 ; 9,4,644), mais aussi Aulu-Gelle (12,1,20) – on trouve aussi poeta noster [notre poète] (Columella 1,3,38 ; 2,8,104 ; 7,5,520). Cette habitude a dû perdurer chez les païens, mais nous avons très peu de leurs écrits jusqu’à la fin du 4ème siècle, où elle réapparait en effet : Macrobe, sat. 1,24,16–17.24 ; 2,1,1 ; 3,5,5 ; 3,12,4 ; 5,3,16 ; 6,1,2 ; Ausone, Commemoratio 22,5 ; Cupido cruciatus 1 ; epist. 1 ; Origo gentis Romanae 7,4 ; Martianus Capella 3,266. Par contre, chez les chrétiens, si imbus fussent-ils de Virgile, un tel langage était généralement évité. Lactance, souvent à l’écart de la culture cléricale, appellera bien Virgile poeta noster (inst. 1,5,19), nostrorum primus Maro [Maron, le premier des nôtres] (inst. 1,5,11), noster Maro [notre Maron] (inst. 1,13,12). Mais Paulin de Nole est plus représentatif : Virgile est poeta non nostri iam studii [le poète qui désormais ne relève plus de notre zèle] (epist. 22,3). De même, Rufin reproche (à tort) à Jérôme l’utilisation d’un tel langage : Relegantur nunc, quaeso, quae scribit: si una operis eius pagina est, quae non eum iterum ciceronianum pronuntiet, ubi non dicat: ‘sed Tullius noster’, ‘sed Flaccus noster et Maro’ [Qu’on relise, s’il vous plaît, ce qu’il écrit. Y a-t-il une seule page de son œuvre, qui n’annonce pas de nouveau qu’il est cicéronien, où il ne dit pas ‘mais notre Tullius’, ‘mais notre Flaccus et Maron’] (apol. adv. Hier. 2,7, en référence à Jérôme, epist. 22,30). En vérité, Jérôme, quand il nommait Virgile, le faisait soit en langage neutre, soit en l’appelant gentilis poeta [le poète païen] (HAGENDAHL, Latin fathers, 305s. nostri Flacci [notre Flaccus] dans la préface à la traduction du Job hébreu n’est noster qu’en contraste avec graeci Pindari [le grec Pindare]). De même, pour Ambroise, Virgile est quidam poeta [un certain poète] (Abr. 1,19,82 – noter le parallèle avec notre passage de l’Inchoata expositio) ou quidam [un certain homme] (Abr. 2,1,4), ou placé parmi les adversariis [adversaires] (in psalm. 43,17) et les gentiles homines [hommes païens] (spir. sanct. 2,5,36) (passages recueillis par A. V. NAZZARO, La presenza di Virgilio in Ambrogio, dans : G. MAZZOLI et F. GASTI [éds.], Prospettive sul tardantico, Como 1999, 91–108. Le même auteur note, dans Enciclopedia Virgiliana s.v. Ambrogio, que ces quatre passages sont les seuls des 418 citations de Virgile chez Ambroise où la source soit désignée de quelque façon que ce soit). Augustin lui aussi, en visant les païens, appellera Virgile eorum poeta [leur poète] (civ. 15,9 ; voir aussi serm. 198(augm),34), poeta ille v e s t r a r u m clarissimus litterarum [ce poète, le plus célèbre dans v o s lettres] (epist. 91,2) ou Virgilio t u o [t o n Virgile] (epist. 17,2), une phraséologie sans doute influencée par Act. 17,28, ὡς καί τινες τῶν καθ’ ὑμᾶς ποιητῶν εἰρήκασιν [comme l’ont dit aussi certains des poètes parmi vous] (voir n. à 3,4, in Actibus). Cependant, comme le montre notre passage de l’Inchoata expositio, Augustin est bien plus hardi que ses contemporains chrétiens. Une fois, il appellera bien Virgile poeta noster (c. acad. 3,9), même s’il indique qu’il y a là une concession à Licentius, féru de poésie. Mais Augustin l’était-il moins, lui qui nous a laissé les pages les plus émouvantes de toute l’Antiquité sur la lecture de Virgile (conf. 1,20s.), qui dans sa première œuvre chrétienne se met en scène in recensione primi libri Virgilii [dans la critique du premier livre de Virgile] (c. acad. 1,15), et qui expliquera bientôt que

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l’enseignement de Virgile peut apprendre comment enseigner la Bible (util. cred. 12s.) ? Bien entendu, la position fondamentale d’Augustin chrétien reste celle qu’il exprimera dans vera relig. 100 : Omissis igitur et repudiatis nugis theatricis et poeticis, divinarum scripturarum consideratione et tractatione pascamus animum [Il nous faut donc laisser et répudier les bagatelles du théâtre et de la poésie, et nourrir notre âme par la considération et l’explication des Écritures divines]. Mais il ne tentera jamais d’interdire la lecture du poète, ni de déclarer, comme Jérôme, qu’il ne le lit plus. Et, même quand, dans civ., il s’attaque à travers lui à toute la culture romaine, il n’hésitera pas à lui rendre hommage : celui qui est nobilissimus dans l’Inchoata expositio reste magnus, omnium praeclarissimus atque optimus, summus [grand, le plus illustre et le meilleur de tous, le plus grand] (HAGENDAHL, Augustine, 457s. ; ajouter locutor egregius [orateur prééminent], in psalm. 118,29,3). Toutefois, il ne faut pas non plus réduire ces louanges à des élans désintéressés d’enthousiasme : que Virgile soit cité comme témoin contre les païens dans civ., ou pour le christianisme, comme dans l’Inchoata expositio, les titres que lui donne Augustin servent aussi à renforcer le poids de son témoignage (le même épithète que dans l’Inchoata expositio, nobilissimus, est employé quand il cite la quatrième Bucolique en civ. 10,27). Du reste, l’étude de Virgile chez Augustin n’est pas à faire. HAGENDAHL, Augustine, recueille (316–376) et analyse (384–463) toutes les références au poète dans le corpus augustinien, et son travail fut suivi de celui, plus méditatif, de S. MACCORMACK, The Shadows of Poetry: Vergil in the Mind of Augustine, Berkeley 1998. Pour la question des citations attribuées et anonymes chez Augustin, on consultera pour les auteurs païens HAGENDAHL, Augustine, 697–701 : Augustin tend à ne pas attribuer une citation quand ce qu’il cite est vu comme représentatif d’une pensée séculaire, plutôt qu’important en tant que c e passage de c e t auteur (comme dans l’Inchoata expositio). 3,3 concinere et convenire Concinere : littéralement « chanter ensemble ». Le mot est employé métaphoriquement dès Cicéron et Varron, mais le sens littéral reste vigoureux (comparer ThLL s.v. A et B. concinentia est employé assez littéralement en Inchoata expositio 13,2). C’est sans doute pourquoi Augustin, qui l’affectionne (83 exemples de concino et dérivés sur LLTA), tend à y ajouter un synonyme, ici convenire. De même in psalm. 72,21 : Cui filiorum tuorum c o n c i n u i ? id est: cui congrui? Cui accommodatus sum? [Avec lequel de tes fils ai-je été en correspondance’ [concinui]? C’est-à-dire, avec lequel aije été en accord [congrui] ? Auquel me suis-je accommodé ?] Et comparer trin. 4,4 (CCSL 50, 164,19–21): haec enim congruentia (sive convenientia vel c o n c i n e n t i a vel consonantia commodius dicitur) [cette congruence (ou fait-on mieux de l’appeler « concinence » ou consonance ?)]. concinere est employé ici à propos de l’accord de sens entre la quatrième Bucolique et des événements de l’histoire sacrée. Très similaire est l’emploi fréquent du

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mot et de ses dérivés par Augustin pour désigner l’accord entre l’Ancien et le Nouveau Testament : Potuitne quidquam magis concinere his testimoniis novi testamenti, quam illud quod in veteri dictum est? [Est-ce que quelque chose pouvait correspondre [concinere] plus à ces témoignages du Nouveau Testament que ce qui est dit dans l’Ancien ?] (mor. eccl. 57 ; cf. ibid. 15.46) ; ita duo testamenta fideliter concordantia sacratam concinunt veritatem [Ainsi les deux Testaments, en concordance fidèle, font correspondre [concinunt] la vérité sacrée] (epist. 55,29) ; concinunt nova veteribus, vetera novis … audiatur vox c o n c i n e n t i u m testamentorum, non calumniantium exheredatorum [Le nouveau correspond [concinunt] à l’ancien, l’ancien au nouveau … que l’on entende la voix des Testaments en correspondance [concinentium], et non celle des calomniateurs déshérités] (in psalm. 49,4 ; voir aussi in Gal. 61 ; c. Faust. 13,18 ; c. Cresc. 4,64, et, pour l’idée, AugLex s.v. congruentia testamentorum. Depuis Clément d’Alexandrie, les Pères grecs parlaient déjà souvent d’une συμφωνία [concordance] des deux Testaments. Voir Lampe s.v. συμφωνία, σύμφωνος, et ajouter, pour συμφωνέω, Origène, comm. in Matth. 14,4 [GCS 40, 280s.]). 3,4 Cumaeum autem carmen sibyllinum esse nemo dubitaverit Cette glose (que l’on retrouve en epist. 258,4) est nécessaire pour deux raisons. D’abord, la Sibylle n’est pas autrement mentionnée dans la quatrième Bucolique que par la référence initiale au Cumaeum carmen. Or l’Inchoata expositio est un commentaire scripturaire, écrit pour un public ecclésiastique qui n’avait pas forcément une grande culture classique : certains lecteurs avaient besoin de la précision que Cumaeum désignait la Sibylle de Cumes (pour les détails, voir Enciclopedia Virgiliana s.v. Cuma). Ensuite – comme il arrive souvent quand on affirme qu’une chose est « sans doute » vraie – il existait en réalité des doutes sur le sens de Cumaeum. Une autre tradition exégétique associait le mot à Hésiode : Quidam interpretantur ‘Cymaei’ Sibyllam, quod fuerit illa Cumaea, quae futura praedixit. Verum poeta veriorem historiam secutus est. Cymaeum Hesiodi carmen dicit. Cyma enim in Asia est, quam reiecta Ascra, civitate sua, posteriore tempore aetatis suae incoluit, in qua eadem carmina Hesiodus se scripsisse testatur, et de saeculis refert; quem imitatur poeta scribens saeculis futura tempora meliora [Certains expliquent ‘Cymaei’ par la Sibylle, à cause de celle de Cumes, qui a prédit l’avenir. Mais le poète a suivi une histoire plus authentique. Il parle du poème cuméen d’Hésiode. En effet, Cyma est en Asie. Ayant rejeté Ascra, sa ville, il y habita par la suite, et c’est là que poète Hésiode témoigne qu’il a écrit ces mêmes poèmes, et il y parle des âges. C’est lui qu’imite le poète en écrivant que dans les âges [à venir] il y aura des temps meilleurs] (Philargyrius, ad loc.) ; ‘Cumaei carminis’: Hesiodi, a patre Dio, qui Cumaeus fuit. Hesiodus autem libris suis quattuor saeculorum facit mentionem [‘chant cuméen’ : d’Hésiode, de son père Dion, qui fut Cuméen. Or, dans ses livres, Hésiode fait mention de quatre âges] (Ps.-Probus ad loc. On trouvera ces deux textes dans : G. THILO [éd.], Servii Grammatici qui feruntur in Vergilii Bucolica et Georgica com-

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mentarii, Leipzig 1927, 73s. ; 331). La référence est à Hésiode, Opera 635–640. Philargyrius ou sa source s’est fourvoyé : c’est bien le père d’Hésiode qui est dit venir de Κύμη en Asie Mineure (pour cette ville, voir RE s.v. Kyme, 2). Cette exégèse a été défendue par G. RADKE, Vergils Cumaeum carmen, Gymnasium 66 (1959), 217–246, mais elle est généralement rejetée par les érudits (voir R. COLEMAN, Vergil : Eclogues, Cambridge 1977, 130). Avant d’en terminer avec la Sibylle, rassurons quelque peu le lecteur qui verra dans son évocation ici un des excès de l’exégèse patristique, déterminée à trouver un sens profond dans chaque mot de la Bible. C’est déjà une telle réaction que l’on trouve dans l’étude sibylline, du reste très pieuse, de Charles Alexandre : « Haec quam frigide, quam indigne tanto viro dicta sint, quid opus est admonere ? Nam illud quidem ‘per prophetas suos in scripturis sanctis’ cum aliquo respectu ad Sibyllina scripta fuisse a divo Paulo, quis credat ? Sapit hoc (pace sit dictum sancti viri) argutiam commentatoris parati quidvis potius quam nihil e singulis auctoris sui voculis expiscari » [Il n’y nul besoin de faire remarquer à quel point ce qui est dit ici est fade et indigne d’un homme si instruit. Qui pourrait croire que ces mots, ‘par ses prophètes dans les Écritures saintes’, furent dits par Paul en songeant un tant soit peu aux écrits Sibyllins ? On y ressent (sauf le respect dû au saint homme) le commentateur ingénieux, prêt à dire n’importe quoi, plutôt que de ne rien tirer de chaque syllabe de son auteur] (Oracula Sibyllina: volumen alterum, Paris 1856, 285 ; voir aussi Introduction, 1.10, mais contraster n. à 7,2). 3,4 in Actibus apostolorum loquens Atheniensibus On avait constaté depuis longtemps qu’en citant Aratus (Phainomena 5), dans Act. 17,28, Paul indiquait que l’on pouvait trouver des vérités valables pour les chrétiens dans les textes païens. Clément d’Alexandrie, selon ses habitudes, souligne l’attitude positive de Paul envers la sagesse grecque : ἐξ ὧν δῆλον ὅτι καὶ ποιητικοῖς χρώμενος παραδείγμασιν ἐκ τῶν Ἀράτου Φαινομένων δοκιμάζει τὰ παρ’ Ἕλλησι καλῶς εἰρημένα, καὶ διὰ τοῦ ἀγνώστου θεοῦ [Act. 17,23] τιμᾶσθαι μὲν κατὰ περίφρασιν πρὸς τῶν Ἑλλήνων τὸν δημιουργὸν θεὸν ᾐνίξατο [Par là, il est clair que, en utilisant aussi des exemples poétiques des Phainomena d’Aratus, il approuve ce qui a été bien dit par les Grecs, et il a laissé entendre que le dieu créateur est honoré par les Grecs sous la périphrase du ‘dieu inconnu’] (Stromates 1,91). Origène est plus réservé : il note seulement la capacité qu’a Paul de parler aux païens dans un langage qui leur convient, devenant ainsi ‘τοῖς ἀνόμοις ὡς ἄνομος’ (1 Cor. 9,21) [comme un homme sans loi pour ceux qui sont sans loi], mais déformant le sens original d’Aratus, qui en fait parlait de Zeus : εὐσέβειαν μαρτυρῶν τοῖς ἀσεβεστάτοις καὶ τῷ εἰπόντι ‘ἐκ Διὸς ἀρχώμεθα’ [Arat. 1]· ‘τοῦ γὰρ καὶ γένος ἐσμέν’ καταχρήσαμενος πρὸς ὃ ἐβούλετο [Il rend témoignage à la piété des plus impies, et exploite à ses propres fins celui qui dit : ‘commençons par Zeus’ ; ‘car nous sommes aussi de sa race’] (Jo. 10,7,30 ; voir aussi hom. in Lc. 31 [GCS 352, 176] et la glose sur 1 Cor. 9,21 en JThS 9 [1908], 513). On retrouve l’accent mis sur le public chez Ambroise : sic interdum

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etiam apostolus suadet incredulis nec versus refugit poeticos ut fabulas destruat poetarum [ainsi parfois même l’apôtre convainc les non-croyants, et ne recule pas devant les vers poétiques, pour détruire les fables de poètes] (in Luc. 6,108). De même, en commentant l’autre citation païenne de Paul, en Tit. 1,12, Jérôme (in Tit. ad loc.) et Jean Chrysostome (hom. in Tit. 3,1 [PG 62, 675–678]) insistent sur le fait que l’apôtre n’approuvait nullement de telles citations dans leur contexte original, et Chrysostome affine quelque peu l’idée d’Origène sur la déformation d’Aratus : οὐ τὰ περὶ τοῦ Διὸς εἰρήμενα εἵλκυσεν εἰς τὸν Θεόν, ἀλλὰ τὰ προσήκοντα τῷ Θεῷ, καὶ οὐ γνησίως οὐδὲ κυρίως ἐπιτεθέντα τῷ Διί, ταῦτα ἀποδίδωσι τῷ Θεῷ [Il n’a pas trainé vers Dieu ce qui fut dit de Zeus. Plutôt, il rend à Dieu ce qui, convenant à Dieu, fut appliqué contre nature et improprement à Zeus]. Mais en même temps, ces citations de Paul pouvaient servir aux auteurs chrétiens pour justifier leur propre réemploi d’auteurs païens : ainsi, par exemple, Ambroise, fid. 3,1,3s. ; Jérôme, epist. 70,2 ; Socrate, Histoire Ecclésiastique 3,16. Ni ici ni ailleurs, Augustin ne diverge fondamentalement du point de vue établi par Origène : Paul a parlé en sachant parfaitement que les écrits païens sont superstitiosae idolatriae plenissimas (3,5). Cependant, qu’il ait connu ou pas son contexte original, Augustin se rapproche de Clément, et s’éloigne des autres textes cités ci-dessus, en voyant dans la citation d’Aratus une vérité authentique trouvée par les païens : Sapientes gentium quod invenerint creatorem, manifeste idem apostolus, cum Atheniensibus loqueretur, ostendit [Que les sages des gentils ont trouvé le créateur, ce même apôtre le montra ouvertement, quand il parlait aux Athéniens] (in Rom. 3) ; pervenerant enim ad cognitionem Dei [car ils étaient arrivés à la connaissance de Dieu] (serm. 198(augm),29) ; rem magnam de Deo [une grande chose sur Dieu] (civ. 8,10) ; ex illa veritate est, quam et illi impii simulacrorum cultores in iniquitate detinent, qui cognoscentes Deum non sicut Deum glorificaverunt [Cela vient de cette vérité, que même ces adorateurs impies des images détiennent, dans l’injustice – eux qui, tout en connaissant Dieu, ne l’ont pas glorifié comme Dieu] (un. bapt. 6). Ce dernier passage contient une allusion à Rom. 1,18.21, et en fait tous les passages que nous venons de citer relient la citation d’Aratus à Rom. 1,18–25. En effet, plus il rehaussait la valeur de la citation d’Aratus, plus celle-ci pouvait servir d’exemple de la connaissance de Dieu acquise, mais gâchée, par les païens, ce dont parle Paul dans l’épître aux Romains. Si Augustin n’a pas fait le rapprochement ici aussi, c’est sans doute qu’il le réservait pour son commentaire de la suite de Rom. 1. 4,1 Les prophètes non juifs et non idolâtres Il n’est pas facile de déterminer précisément à quoi pense Augustin. Mais tentons de cerner la question, en voyant qui, pour lui, n’était ni Juif ni idolâtre avant l’ère chrétienne. (a) Tout d’abord, il y avait certains exemples dans la Bible : Nec ipsos Iudaeos existimo audere contendere neminem pertinuisse ad Deum praeter Israelitas … Populus enim re vera, qui proprie Dei populus diceretur, nullus alius fuit; homines autem

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quosdam non terrena, sed caelesti societate ad veros Israelitas supernae cives patriae pertinentes etiam in aliis gentibus fuisse negare non possunt [Je ne pense pas que les Juifs eux-mêmes osent prétendre que personne n’a appartenu à Dieu en dehors des Israélites … De fait, il n’y avait pas d’autre peuple, qui était proprement appelé le peuple de Dieu, mais ils ne peuvent nier qu’il y a eu aussi parmi les autres peuples certains hommes qui, par une alliance non pas terrestre mais céleste, faisaient partie des vrais Israélites, des citoyens de la cité d’en haut], écrit Augustin en civ. 18,47. Il donne l’exemple de Job, auquel il ajoutera en serm. 198(augm),38 Melchisédech. Assurément, de telles figures ne sont ni juives ni idolâtres, mais Augustin insiste aussi dans ces passages sur le fait qu’ils ont bénéficié d’une révélation divine. Il est donc hors de question qu’Augustin indique dans l’Inchoata expositio qu’il faut, selon Paul, se détourner de leurs prophéties : dans le cas de Job, il s’agirait même de rejeter un livre de la Bible hébraïque. (b) Faut-il penser aux Samaritains ? Ils figurent en effet dans l’Inchoata expositio (15,7–10 ; voir n. à 15,7). Mais Augustin les a parfois considérés comme idolâtres (voir n. à 13,3–6), et il serait impossible de les appeler remotos atque alienos a gente Iudaeorum. (c) Dans l’ornière de la tradition apologétique (voir SChr 507, 139 n. 3), Augustin a plusieurs fois affirmé que les philosophes, principalement les platoniciens, se sont approchés de la connaissance du Dieu unique : Si hanc vitam illi viri nobiscum rursus agere potuissent, viderent profecto cuius auctoritate facilius consuleretur hominibus, et paucis mutatis verbis atque sententiis christiani fierent [Si ces hommes pouvaient vivre cette vie une seconde fois, en notre compagnie, ils verraient certainement par quelle autorité on peut plus facilement aider les hommes, et, en changeant peu de mots et de sentences, ils deviendraient chrétiens] (vera relig. 23 ; voir aussi c. acad. 3,37–42 ; soliloq. 1,9 ; civ. 6,10 ; 8,6.9 ; epist. 164,4). Et pourtant, il ne manque jamais de les condamner, soit qu’ils aient continué à pratiquer l’idolâtrie dont ils savaient la vanité (Platon et Socrate en vera relig. 4–7 ; Sénèque en civ. 6,10 ; Platon, Aristote et tous les platoniciens en civ. 8,12), soient qu’ils aient eu la présomption de croire que la philosophie seule leur suffisait pour accéder à Dieu (serm. 198(augm),36 : l’exemple donné est Pythagore). Ce débat n’est pas purement historique : tout le serm. 198(augm) fut prononcé contre les philosophes païens contemporains qui rejetaient l’accusation d’idolâtrie : Nos, inquiunt, non simulacra colimus, sed quod per simulacrum significatur [Nous n’adorons pas les images, disent-ils, mais ce qui est signifié à travers l’image] (16 ; voir aussi doctr. christ. 3,26s. et n. à 15,3, de ipso Deo Patre). Le problème est encore de savoir si ces philosophes peuvent aussi être identifiés avec prophetas aliquos remotos atque alienos a gente Iudaeorum, chez qui on trouverait le Christi nomen (4,2 ; contraster conf. 3,8). Des figures quasi-mythiques, tels qu’Orphée (voir n. à 3,3, fuerunt enim), sinon Pythagore, peuvent sans doute être situées à la charnière entre prophétie et philosophie. Mais il est beaucoup plus difficile de voir Platon et ses disciples dans cette position, même si Clément

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d’Alexandrie avait voulu voir dans République 362a une prophétie de la Crucifixion (Stromates 5,108 ; repris par Eusèbe, Praeparatio evangelica 12,10,4 ; 13,13,35). Il ne semble donc pas qu’Augustin fasse allusion ici à des philosophes, bien que la longue tradition chrétienne de recueillir des témoignages philosophiques fasse sans doute partie de l’arrière-plan de sa pensée : l’existence chez les païens d’une philosophie quasi-monothéiste, dont Augustin n’a jamais douté, rendait plus probable l’existence d’une prophétie du même genre. (d) Cette prophétie était aussi probable d’un point de vue historique. Idolum aliquamdiu retro non erat. Priusquam huius monstri artifices ebulissent, sola templa et vacuae aedes erant [Dans le passé, pendant bien longtemps, il n’y avait pas d’idolâtrie. Avant qu’eussent jailli les créateurs de cette monstruosité, il y avait seulement des temples et des sanctuaires vides], écrit Tertullien (De Idololatria 3). C’est là l’entrée en scène, pour l’Église latine, d’un postulat cher aux penseurs chrétiens : que la religion primitive des nations n’était pas idolâtre. Deux théories antiques étaient les principaux étais de cette idée. L’Évhémérisme, qui trouvait un appui scripturaire (Sap. 14,12–21), maintenait que les dieux traditionnels étaient des êtres humains honorés après leur mort, et que l’on avait fini par confondre avec des dieux (voir RAC s.v. Euhemerismus, B pour l’Évhémérisme chrétien. On trouvera aussi un exposé très clair de cette doctrine chez Isidore de Séville, Etymologiae [ce RAC du 7ème siècle] 8,11,1–10). Une deuxième approche, plus complexe, et que l’on associe généralement à Possidonius, voulait que les sculpteurs eussent fait des idoles en forme humaine comme une espèce de propédeutique, qui aiderait les hommes à concevoir le(s) dieu(x) invisible(s) (voir J. H. WASZINK – J. M. C. WINDEN [éds.], Tertullianus. De Idololatria, Leiden 1987, 104–106, s’appuyant sur Dion de Pruse, Oratio 12,56–61. Ajouter Philostrate, Vita Apolloni 6,19 et Prudence, Contra Symmachum 2,39–58). C’est surtout dans civ. qu’Augustin mettra en valeur la dimension historique de ces idées. Il y consacre finalement peu d’espace à l’Évhémérisme, bien qu’il juge ses doctrines probables (civ. 7,18.27 ; 18,24), mais il s’intéresse beaucoup à la deuxième théorie, au point d’en être pour nous une des sources principales. C’est qu’il l’avait connue chez Varron, qui affirmait qu’à Rome même l’idolâtrie ne faisait pas partie de la religion primitive (civ. 4,31 ; 7,5 + les idées similaires tirées de l’Asclépius, 8,24s.). À l’époque de l’Inchoata expositio, réécrire l’histoire religieuse de Rome n’était certes pas encore le souci d’Augustin. Mais il avait déjà plusieurs fois noté que l’idolâtrie n’était pas la seule possibilité de culte chez les païens. On trouvera l’exposé le plus complexe de cette thèse en vera relig. 190–196, sur le schéma d’un déclin plus ou moins chronologique dans le choix de l’objet d’adoration : summus Deus [Dieu très haut] → anima [âme] → vita genitalis [vie générative] → corpora [corps] (les corps célestes ou mundus totus [univers entier]) → simulacra [représentations] (l’idolâtrie) → phantasmata sua [leurs illusions] (voir n. suivante) → nihil [rien] (pour des parallèles grecs, voir Origène, Jo. 2,3.25–27 ; Eusèbe, Laus Constantini 13). « plus ou moins chronologique », car la perspective n’est pas historique et les étapes

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pouvaient avoir lieu simultanément en divers endroits, ou se reproduire même au sein d’un individu (dans vera relig., Augustin pense dans une certaine mesure à luimême, et à Romanianus, destinataire du traité, dans leurs rapports avec le Manichéisme). De même, les schémas un peu moins détaillés de in Gal. 32 ; doctr. christ. 1,15 ; 2,74–91 ; in psalm. 78,9 ne sont pas clairement temporels. Mais tous ces textes établissaient la possibilité que des peuples ou des individus païens mais non idolâtres aient existé avant la naissance du Christ. C’est parmi eux qu’il faut chercher les prophètes non idolâtres de l’Inchoata expositio. (e) Si ces prophètes pouvaient exister, il fallait les mentionner, pour les exclure aussi de l’exégèse paulinienne. N’est-ce là qu’une possibilité théorique, ou Augustin fait-il allusion à des figures spécifiques ? Il pourrait s’agir encore de la Sibylle, dont il dira plus tard : Haec autem … ita nihil habet in toto carmine suo … quod ad deorum falsorum sive fictorum cultum pertineat [Ainsi, celle-ci … n’a rien dans tout son poème … qui relève du culte des dieux faux ou imaginaires] (civ. 18,23). Cette phrase se termine ut in eorum numero deputanda videatur, qui pertinent ad civitatem Dei [si bien qu’il semble qu’il faut la compter parmi ceux qui appartiennent à la cité de Dieu], mais il semble qu’à l’époque de l’Inchoata expositio, Augustin n’avait pas lu, ou n’avait que peu lu, les Oracula Sibyllina, et la Sibylle était encore pour lui fermement païenne : en c. Faust. 13,15, elle est rangée parmi les prophètes qui suos congentiles populos idola et daemonia colenda partim docere ausi sunt, partim prohibere non ausi sunt [qui parfois ont osé enseigner aux peuples gentils comme eux qu’il fallait adorer les idoles et les démons, parfois n’ont pas osé l’interdire]. Est-ce alors plutôt le mage Hystaspe (voir n. à 3,3, fuerunt enim), puisque les anciens croyaient depuis Hérodote (1,131) que les Perses n’étaient pas idolâtres ? Ou s’agirait-il d’Épiménide, que Paul, en le citant en Tit. 1,12, avait appelé ἴδιος αὐτῶν προφήτης [leur propre prophète]? C’était une figure bien obscure (voir RE s.v. Epimenides, 2), et Augustin se sentait peut-être incapable d’exclure qu’il ait été non idolâtre. Mentionnons encore la tradition qui voulait que les rois mages de l’Évangile eussent eu accès aux prophéties de Balaam, que l’on associait de diverses manières à Zoroastre, qui pourrait alors être un prophète païen non idolâtre (sur cette tradition, voir, pour les Grecs, Origène, Cels. 1,59s. et la n. de SChr 132, ad loc. ; pour les Latins, l’Ambrosiaster = Ps.-Aug. quaest. test. 63 [CSEL 50] ; Ambroise, in Luc. 2,48 ; Jérôme, in Matth. ad 2,2 ; pour les Églises d’Orient, SChr 523, 186s. n. 1 ; §7 de l’Évangile arabe de l’enfance du Christ, avec la n. ad loc. dans la tradution de M. ERBETTA, Gli Apocrifi del nuovo testamento: Vangeli I.2, Milano 1981). (f) MARA (Agostino Interprete, 167 n. 12), sur la base de conf. 3,10 et c. Faust. 13,18, affirme qu’Augustin fait référence ici aux écrits manichéens, puisque l’on y trouvait le nom du Christ (4,2, Christi nomen). Pour l’utilisation par les Manichéens de (pseudo-)prophéties, voir J. C. REEVES, Heralds of That Good Realm, Leiden 1996, 1–30 : il est vrai que les Manichéens comptaient, du moins parfois, Zoroastre, Bouddha, Platon et Hermès Trismégiste parmi les précurseurs du Christ et de Mani. Mais (1) les Manichéens semblent en tout cas s’être surtout intéressés aux apocalypses

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juives ; (2) au-delà de ce qu’en dit Faustus (c. Faust. 13,1), Augustin ne semble pas avoir connu ces traditions de prophéties manichéennes qui ne dérivaient pas de Mani. Par contre, il est certain que les Manichéens, puisqu’ils rejetaient l’Ancien Testament, étaient parmi les plus susceptibles d’être attirés par les traditions prophétiques hétéroclites dont il s’agit ici (voir aussi n. à 3,3, fuerunt enim ; n. suivante, et comparer Pélage, s’inspirant d’Augustin, dans in Rom. ad loc. : Ipsos adserit Dei prophetas esse et illas scripturas sanctas quae de Christo antea cecinerunt [cf. 3,3, quae de Christo audita cecinerunt]. Verum totus hic locus contra Manichaeos facit, ubi dicit quod ante evangelium Dei sit promissum et per prophetas Dei et in sanctis scripturis et quod Christus secundum carnem ex David stirpe, id est Maria virgine, sit creatus [Il affirme que les prophètes de Dieu et les Écritures saintes sont ceux qui ont chanté auparavant du Christ. Mais tout ce passage est contre les Manichéens, où il dit que l’Évangile de Dieu fut promis auparavant et par les prophètes et dans les Écritures saintes, et que le Christ fut créé selon la chair de la souche de David, c’està-dire de la vierge Marie] [A. SOUTER (éd.), Pelagius’s Expositions of Thirteen Epistles of St Paul, t. 2, 8, Cambridge 1922–1931]). En fin de compte, il est inutile de rechercher trop de précision là où Augustin a choisi d’être vague. Ses réflexions, et la tradition écrite ou orale, lui enseignaient que toutes les prophéties païennes qui pouvaient servir aux chrétiens n’étaient pas forcément superstitiosae idolatriae plenissimas. L’important n’était ni d’enquêter sur ces prophéties ni de les cataloguer, mais de les écarter. 4,1 nam simulacris phantasmatum suorum sectatores suos omnis error illudit Pour le sens de phantasmata, voir l’analyse de la fonction de l’imagination dans la pensée augustinienne chez O’DALY, Augustine’s Philosophy, 106–130. Augustin distingue souvent (e.g. mus. 6,32 ; trin. 8,9 ; 9,10) entre phantasia et phantasma. La première est l’imagination « reproductive », qui rend présent à notre esprit ce que nous avons senti et vécu. Le second est l’imagination « créative », qui se sert de ce que nous avons senti et vécu pour nous présenter ce que nous ne connaissons pas (l’exemple donné en trin. 8,9 est celle d’Augustin s’imaginant Alexandrie à partir de ce qu’il connait de Carthage). Notre volonté nous permet de contrôler nos phantasiai et phantasmata, mais ceux-ci peuvent aussi se présenter à notre esprit indépendamment de la volonté, dans la pensée quotidienne, puis dans les rêves, les extases, les visions. La distinction phantasmata – phantasiai a des bases stoïciennes et peutêtre néoplatoniciennes, mais telle quelle, ne se retrouve que chez Augustin, qui luimême ne l’a pas toujours respectée. O’Daly ne s’interroge pas sur le choix du mot phantasma. En grec, φάντασμα signifie à l’origine « apparition, fantôme » (Mt. 14,26 : οἱ δὲ μαθηταὶ ἰδόντες αὐτὸν ἐπὶ τῆς θαλάσσης περιπατοῦντα ἐταράχθησαν λέγοντες ὅτι φάντασμά ἐστιν [les disciples, le voyant marcher sur la mer, furent troublés, disant que c’était un fantôme]). Selon LSJ s.v. Platon l’utilise comme synonyme de φαντασία, dans ses divers sens, dont le plus proche de celui voulu par Augustin serait : « imagination, i.e. the re-

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presentation of appearances or images, primarily derived from sensation » (LSJ s.v. φαντασία 2.a). En latin classique, phantasma apparait seulement une fois, chez Pline le Jeune, epist. 7,27,1, pour désigner un fantôme. Le mot devient beaucoup plus courant dans le latin des chrétiens (voir ThLL s.v.), pour désigner les fantômes (on lit encore phantasma en Mt. 14,26 dans la Vulgate), les illusions, et cette illusion par excellence qu’est le Christ des Docétistes, ce dernier usage étant importé du grec des chrétiens (voir Lampe s.v. φάντασμα). Par contre, le développement du mot en latin pour désigner plus largement des activités de l’imagination n’a pas son parallèle chez les Pères grecs. Comparer Lampe, loc. cit. avec ThLL s.v. phantasma, II, et surtout II.2.b, où l’on voit le rôle primordial d’Augustin : il est le premier et le principal auteur à utiliser phantasma « de imaginibus … quae res externas sensibus perceptas in animo reddunt » [des images … qui reproduisent dans l’esprit les choses externes perçues par les sens]. ThLL est moins précis qu’O’Daly, mais ajoute une parenthèse utile : « et animum male irritant, depravant » [et ils excitent l’esprit vers le mal, le corrompent]. En effet, si les phantasmata produits par l’imagination n’étaient pas forcément trompeurs ou coupables, le choix de les désigner par un mot à connotations très négatives (fantômes, illusions suscitées par les démons, le faux Christ docétiste) reflète bien la méfiance profonde d’Augustin envers l’activité libre de l’imagination. De fait, fidèle à son titre (Augustine’s Philosophy of Mind) O’Daly loc. cit. s’est essentiellement intéressé à dégager une vue d’ensemble de la philosophie augustinienne de l’imagination. Par conséquent, il se concentre largement sur des textes tardifs (surtout trin. et gen. ad litt.), où l’approche d’Augustin est plutôt théorique. Mais, dans les années précédant l’épiscopat, la conception du phantasma est utilisée surtout à des fins polémiques, tout comme dans l’Inchoata expositio. Ce qui intéresse Augustin dans ces textes n’est pas la fonction de l’imagination en soi, mais comment l’imagination conduit, par le chemin du péché, à l’erreur. C’est ainsi qu’il présente souvent les fausses croyances comme un symptôme de la sensualité, d’une dépendance excessive sur l’expérience sensuelle : Plerumque decipitur [sc. anima], ut aut nihil putet esse nisi corpus, aut etiamsi fateatur esse aliquid incorporeum, de illo tamen nisi per imaginationes corporeas cogitare non possit et tale aliquid esse credere, quale fallax corporis sensus infligit [[L’âme] est très souvent trompée, et pense que rien n’existe à part les corps, où, même si elle accepte que quelque chose d’incorporel existe, elle ne peut y songer qu’à partir de ses imaginations corporelles, et croit qu’elle ressemble à ce qui se presse fallacieusement sur les sens du corps] (mor. eccl. 38 ; de même c. acad. 3,13 ; mus. 6,32 ; gen. c. Manich. 2,30.40 ; vera relig. 51s.; de serm. dom. 1,34 ; 2,11). Le ton de reproche est encore plus marqué en vera relig. 8 : ad quam [sc. veritatem] percipiendam nihil magis impedire, quam v i t a m l i b i d i n i b u s d e di t a m et falsas imagines rerum sensibilium, quae nobis ab hoc sensibili mundo per corpus impressae, varias opiniones erroresque generarent [rien n’entrave plus la perception de cette [vérité] qu’une v i e a d o n n é e a u x p l a i s i r s , et les fausses images des choses sensibles, qui, venant de ce monde

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sensible, se sont imposées sur nous par le biais du corps, pour générer la diversité des croyances et des erreurs] (voir aussi util. cred. 1 : vanorum hominum mentibus [les esprits vains des hommes] ; in psalm. 4,9 ; 7,11 : animus fingit … spe vana mortalique iactatur [l’esprit imagine … et se vante dans son espoir vain et mortel]). En vera relig. 8, que nous venons de citer, ces idées sont ouvertement associées à Platon, et chacun remarquera la profonde influence platonicienne dans l’hostilité au corps que traduit cette conception des phantasmata. Cependant, vera relig. est un texte anti-manichéen, et Augustin a toujours soin, dans un tel contexte, de se démarquer du rejet total du corps prôné par les Manichéens. Les corps en euxmêmes sont bons (Omnis corporea creatura, si tantummodo possideatur ab anima quae diligit Deum, bonum est infimum, et in genere suo pulchrum [Toute créature corporelle, à condition qu’elle soit sous la domination d’une âme qui aime Dieu, est un bien du plus bas ordre, et une chose belle dans son genre], vera relig. 107), et le phantasma coupable ne naît pas de l’amour du corps, mais de l’amour d é s o r d o n n é du corps : si autem diligatur ab anima q u a e n e g l i g i t D e u m … deserit amantem species concupita, et per cruciatum sentientis discedit a sensibus, et erroribus agitat, ut hanc esse primam speciem putet, quae omnium infima est, naturae scilicet corporeae, quam per lubricos sensus caro male dilecta nuntiaverit, ut cum aliquid cogitat, intellegere se credat, umbris illusus phantasmatum [mais si elle est aimée par une âme q u i n é g l i g e D i e u … la beauté désirée abandonne l’âme, et se retire des sens dans la tourmente de celui qui perçoit, et qu’elle plonge dans l’erreur. Ainsi, il pense que la beauté première est celle qui est la plus basse de toutes, c’est-à-dire celle de la nature corporelle, que lui avait présentée sa chair, prenant un plaisir néfaste des sens trompeurs, si bien que, quand il songe à quelque chose, il pense la comprendre, égaré par les ombres de ses imaginations] (vera relig. 107s.). La théorie des phantasmata permettait ainsi à Augustin d’affirmer (comme il le fera maintes fois et de manières multiples) que le mal ne venait pas des choses créées, mais d’une perception, d’une évaluation erronées de ces choses. Sur le plan moral, cela conduisait à la licence, sur le plan religieux aux fausses croyances. Dans le cas des idoles, Augustin semble penser que le phantasma s’est brutalement manifesté dans la formation d’une image physique du divin. C’est ce qu’indique l’opposition dans l’Inchoata expositio entre simulacrorum … quae humana operatur manus et simulacris phantasmatum suorum. Dans le premier cas, le simulacrum est l’idole, un objet physique et tangible, la concrétisation évidente d’une conception sensuelle de la divinité. C’est ainsi que ceux qui cherchent le bonheur dans luxurias dominationes superbias ceteraque id genus [le plaisir, la domination, la vantardise, et les autres choses de ce genre] se tourneront ad simulacrorum fallaciam [vers la tromperie des idoles] (beat. vit. 33, mais le terme simulacra est peut-être à prendre ici dans les deux sens). C’est ainsi, aussi, que l’idolâtrie est pire que le culte des choses créées, puisqu’elle place une création de l’être humain audessus d’une création divine : Qui vero talia opera etiam colunt quantum deviaverint a veritate, hinc intellegi potest, quia si ipsa animalium corpora colerent, quae multo

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excellentius fabricata sunt et quorum sunt illa imitamenta, quid eis infelicius diceremus? [Quant à ceux qui vont jusqu’à adorer de telles œuvres, on peut comprendre comme suit à quel point ils ont dévié de la vérité : s’ils adoraient les corps mêmes des êtres vivants, qui ont été fabriqués d’une manière bien plus sublime, et dont [ces œuvres] sont des imitations, qui trouverions nous de plus malheureux qu’eux ?] (divers. quaest. 78). Par cette vision des idoles, Augustin dépassait la critique biblique et apologétique de l’idolâtrie, qui se concentrait sur le fait que l’idolâtre adorait un objet périssable, bois, pierre métal. Pour Augustin, la fabrication de l’idole n’est que la manifestation extérieure de la fausse conception intérieure. Et l’erreur ne serait pas moindre si la conception ne conduisait pas à la fabrication d’un objet. Cette approche permettait – soit dit en passant – de justifier l’art religieux chrétien (puisque l’erreur ne consistait pas dans la fabrication). Mais surtout elle permettait de ravaler les croyances des gnostiques, qui avaient le monde physique en horreur, au niveau de l’idolâtrie. En effet, dans la polémique, Augustin s’est surtout servi de la théorie des phantasmata pour attaquer la cosmologie baroque des Manichéens, auxquels il pense sans doute aussi ici dans l’ Inchoata expositio (voir n. précédente, e). C’est ainsi que cette théorie est omniprésente dans vera relig. (voir surtout 107–110 et 267–270, où figurent des éléments spécifiques de la cosmologie), qu’on la retrouve dans les autres traités anti-manichéens d’avant l’épiscopat (mor. eccl. 38 ; mor. Manich. 38 ; gen. c. Manich. 2,30.40 ; util. cred. 1 ; en c. Adim. 13,1 et 17,2 Augustin accuse les Manichéens d’être favorables envers la vraie idolâtrie). Et dans les Confessions Augustin se mettra en scène comme étant lui-même la victime de ces phantasmata manichéens : Et apponebantur adhuc mihi in illis ferculis phantasmata splendida … illa erant corporalia phantasmata, falsa corpora, quibus certiora sunt vera corpora ista, quae videmus visu carneo…. Quanto ergo longe es a phantasmatis illis meis, phantasmatis corporum, quae omnino non sunt! [Et dans ces plats, on m’offrait toujours des imaginations splendides … c’était des imaginations corporelles, des faux corps. Les vrais corps, que nous voyons de notre vision charnelle, sont plus fiables … Combien donc tu es loin de ces miennes imaginations, ces imaginations portant sur des corps qui sont entièrement inexistants] (conf. 3,10. Voir aussi O’DONNELL ad loc. pour les phantasmata dans les écrits anti-manichéens. O’Donnell signale que le choix du mot phantasma sert aussi à mettre en relief le docétisme des Manichéens : vide supra sur ThLL, et comparer Prudence, Apotheosis 956–958 : le Christ des Manichéens est sine corpore vero … mendax fantasma cavamque corporis effigiem [sans vrai corps … une imagination trompeuse, et l’image creuse d’un corps] ; de même, 1051s.). Ensuite, par opposition avec les rituels de purification manichéens, la vraie purification commençait par l’acceptation que les idées implantées en nous par les sens ne peuvent conduire à la perception de Dieu : Nec istis videatur oculis, nec ullo phantasmate cogitetur, sed mente sola et intellegentia cerni queat [Il n’est pas visible

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à nos yeux, et ne peut se concevoir par aucune imagination, mais il peut seulement être discerné par l’esprit et l’intelligence] (vera relig. 10) ; cito se incomprehensibilem esse demonstravit dilectoribus suis, ne illum corporeis imaginationibus comprehendi arbitrarentur [Il a vite montré à ceux qui l’aimaient qu’il est insaisissable, afin qu’il ne pensassent pas qu’il put être saisi par les imaginations corporelles] (in psalm. 17,11 ; voir aussi epist. 7,7). Mais comment faire la distinction entre Dieu perçu à l’intérieur de nous et le phantasma ? C’est le Christ lui-même, la Vérité (Io. 14,6), qui agit dans notre esprit pour que nous puissions discerner le vrai du faux : Si non cernis quae dico, et an vera sint dubitas, cerne saltem, utrum te de his dubitare non dubites, et si certum est te esse dubitantem, quaere, unde sit certum. Non illic tibi, non omnino solis huius lumen occurret, sed ‘lumen verum, quod illuminat omnem hominem venientem in hunc mundum’ [Io. 1,9], quod his oculis videri non potest nec illis, quibus phantasmata cogitantur per eosdem oculos animae impacta, sed illis, quibus ipsis phantasmatibus dicitur: non estis vos, quod ego quaero [Si tu ne discernes pas ce que je dis, et si tu doutes que cela soit vrai, discerne au moins : est-ce que tu doutes que tu doutes sur ce point ? Et s’il est certain que tu doutes, demande-toi : pourquoi estce certain ? Alors, ce n’est pas du tout la lumière de notre soleil qui viendra se présenter, mais la vrai lumière, qui illumine tout homme venant en ce monde, qui ne peut être vue ni de ces yeux, ni de ceux par lesquels se conçoivent les illusions qui s’impriment dans l’âme par le biais de ces mêmes yeux, mais par les [yeux] qui nous permettent de dire à ces mêmes imaginations : ce n’est pas vous que, moi, je cherche.] (vera relig. 204s.). Voir G. MADEC, Christus, scientia et sapientia nostra, RecAug 10 (1975), 77–85 ; voir aussi n. à 14,2–8. Dans son rejet des sens, la doctrine d’Augustin est bien sévère : seul le mundissimus (le plus pur) peut discerner les phantasmata (soliloq. 3,4, et là encore il ne s’agit que de géométrie). Et elle n’est pas facilement réconciliable avec un Christ incarné et une perception sensuelle qui continuera dans l’au-delà pour nos corps ressuscités. En effet, comme l’admet Augustin, ce ne sont pas seulement les illusions qui sont formées en nous à partir des sens. C’est aussi par les sens que l’on nous enseigne la vérité : Et quoniam necessitate iam per hos oculos et per has aures de ipsa veritate admonemur, et difficile est resistere phantasmatis quae per istos sensus intrant in animam, quamvis per illos intret etiam ipsa admonitio veritatis ; – in ista ergo perplexitate, cuius vultus non sudet, ut manducet panem suum [Gen. 3,19] ? [Et puisque, forcément, c’est désormais par ces yeux et par ces oreilles que l’on nous enseigne la vérité, et qu’il est difficile de résister aux imaginations qui entrent dans l’âme par ces sens, bien que l’enseignement de la vérité entre aussi par eux – dans cette perplexité, qui est-ce donc, dont le visage ne sue pas pour manger son pain ?] (gen. c. Manich. 2,30). Et les phantasmata en matière de religion ne sont pas non plus le domaine exclusif des hérétiques. Parmi les chrétiens mêmes, les carnales et parvuli [les charnels et les petits] peuvent se faire des idées de Dieu basées sur leurs phantasmata : Solent Deum sibi libertate phantasmatis corporis humani specie figurare [Ils ont tendance, dans le libre cours de leur imagination, à se représenter Dieu

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sous l’apparence d’un corps humain] (c. epist. fund. 25 ; voir aussi c. Faust. 22,54). Augustin reconnait d’ailleurs la difficulté pour tous d’y échapper : même les spiritales [spirituels] (voir n. à 18,12) ne perçoivent l’infinité de Dieu que quantum in hac vita animus potest [dans la mesure où l’esprit en est capable en cette vie], et il n’hésite pas à employer dans ce contexte la première personne : si non possem m e intendere ad superiora neque cogitationes m e a s a falsis imaginibus … evolvere [si j e ne peux pas m’élever vers les choses d’en haut ni dégager m e s pensées des fausses images] (c. epist. fund. 25). Il serait vain de chercher une formule pour résoudre ces tensions dans la pensée d’Augustin. Elles reflètent des paradoxes fondamentaux en lui (sinon dans la condition humaine) : l’angoisse envers le corps, qui l’avait entrainé vers le Manichéisme et le Platonisme, et l’accueil joyeux de l’Incarnation, qui l’a poussé à consacrer tout le dernier livre de la Cité de Dieu à la nature du corps ressuscité, y compris ses perceptions sensuelles (civ. 22,29). Du reste, si les détails de la théorie des phantasmata semblent bien être une innovation augustinienne dans la doctrine chrétienne sur l’idolâtrie, sa pensée doit ici (directement ou indirectement) beaucoup à Origène : Οὐ μόνον ἀπὸ τῶν ἀγαλμάτων ποιοῦσιν ἑαυτοῖς ἄνθρωποι θεούς [Ier. 16,20], ἀλλ’ εὑρήσεις καὶ ἀπὸ τῶν ἀναπλασμάτων ποιοῦντας ἀνθρώπους ἑαυτοῖς θεούς· ὅσοι γὰρ δύνανται ἀναπλάσαι θεὸν ἕτερον καὶ κοσμοποιίαν ἄλλην παρὰ τὴν ὑπὸ τοῦ πνεύματος ἀναγεγραμμένην, οἰκονομίαν κόσμου παρὰ τὸν ἀληθῆ κόσμον, οὗτοι πάντες ἐποίησαν ἑαυτοῖς θεοὺς καὶ προσεκύνησαν τοῖς ἔργοις τῶν χειρῶν [Ier. 1,16]. Οἷον νόησόν μοι εἴτε ἐν Ἕλλησι τοὺς γεννήσαντας δόγματα, φέρ’ εἰπεῖν, τῆς δε τῆς φιλοσοφίας ἢ τῆσδε, εἴτε ἐν ταῖς αἱρέσεσι τοὺς γεννήσαντας πρώτους δόγματα, οὗτοι ἐποίησαν ἑαυτοῖς εἴδωλα καὶ ἀναπλάσματα τῆς ψυχῆς καὶ στραφέντες προσεκύνησαν τοῖς ἔργοις τῶν χειρῶν αὐτῶν, ἀποδεξάμενοι ὡς ἀλήθειαν τὰ ἴδια ἀναπλάσματα. [Ce n’est pas seulement à partir des images que les hommes se font des dieux, mais tu verras que les hommes se font des dieux aussi à partir de leurs inventions. En effet, tous ceux qui sont capables de se fabriquer un autre dieu et une autre création du monde, différents de ceux consignés à l’Écriture par l’Esprit – un système du monde différent du vrai monde –, tous ceux-ci se sont fait des dieux, et ont adoré les ouvrages de leurs mains. Ainsi, songe pour moi soit à ceux des Grecs qui ont engendré des doctrines, par exemple, dans une ou l’autre philosophie, soit à ceux, dans les hérésies, qui ont les premiers engendré des doctrines. Ceux-ci se sont fait des idoles et des inventions de l’âme, et, en se fourvoyant, ils ont adoré les ouvrages de leurs mains, acceptant comme vérité leurs propres inventions] (hom. in Jer. 16,9 ; voir aussi hom. in Ezech. 7,3 ; hom. in Ex. 8,3). Origène lui aussi attaque en premier lieu les gnostiques, et a le même plaisir à en faire des idolâtres. Ce qu’ajoute Augustin, c’est surtout une manière de montrer que ces idoles gnostiques sont tout autant des créations de la sensualité que les idoles au sens propre. Quant à l’idée que omnis error peut être qualifié d’idolâtrie, elle est bien vieille. Tertullien déjà avait affirmé : Cum universa delicta adversus Deum sapiant, nihil

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autem, quod adversus Deum sapiat, non daemoniis et immundis spiritibus deputetur quibus idola mancipantur, sine dubio idololatrian admittit quicunque delinquit [Étant donné que tous les péchés ont la saveur de l’opposition à Dieu, et qu’il n’y a rien qui ait cette saveur de l’opposition à Dieu, qui ne soit pas attribué aux démons et aux esprits impurs, auxquels appartiennent les idoles, il est certain que tout homme qui pèche commet l’idolâtrie] (idol. 1). Et derrière Tertullien, on peut même voir Paul, selon le sens que l’on donne à la parenthèse en Eph. 5,5 (τοῦτο γὰρ ἴστε γινώσκοντες, ὅτι πᾶς πόρνος ἢ ἀκάθαρτος ἢ πλεονέκτης, ὅ ἐ σ τ ιν ε ἰ δω λ ο λ ά τ ρ η ς , οὐκ ἔχει κληρονομίαν ἐν τῇ βασιλείᾳ τοῦ Χριστοῦ καὶ Θεοῦ [Car, sachez-le bien, tout homme fornicateur ou impur ou avare – q u i e s t u n i d o l â t r e – n’aura pas d’héritage dans le royaume du Christ et de Dieu]). 4,3 Christi praenuntiatores prophetae Pour praenuntiator (littéralement : celui qui annonce en avance) voir ThLL s.v. (résultats vérifiés sur les bases de données LLTA/B ; Patrologia Latina ; Monumenta Germaniae Historica ; Epigraphik Datenbank Clauss Slaby). Ce mot apparait une fois dans la traduction latine d’Irénée de Lyon (haer. 4,25,1). Ensuite, jusqu’au haut Moyen Âge, on le trouve seulement chez Augustin, qui l’emploie en tout 7 fois (notre passage + conf. 9,13 ; gen. ad litt. 8,8 ; serm. 163,11 [seul cas où il ne s’agit pas des prophètes de l’Ancien Testament] ; serm. 288,2.4 ; c. Faust. 22,79). Notre passage est le plus ancien de ces textes, et il se peut qu’Augustin ait (ré)inventé le mot ici, pour souligner la logique qui liait praenuntiatores et quem praenuntiabant (4,3). Ailleurs, le mot est souvent employé dans une structure rimée avec un autre nom d’agent en -or (narrator rerum praeteritarum … p r a e n u n t i a t o r tantummodo futurarum [narrateur des choses passées, praenuntiator seulement des choses à venir], gen. ad litt. 8,8 ; p r a e n u n t i a t o r esset Deus, non promissor [Dieu serait un praenuntiator, et non un prometteur], serm. 163,11 ; salvatoris p r a e n u n t i a t o r e s , veritatis attestatores [des praenuntiatores du Sauveur, des attestateurs de la vérité] serm. 288,2 ; dispensatores veteris testamenti idemque p r a e n u n t i a t o r e s novi testamenti [les dispensateurs de l’Ancien Testament, et en même temps les praenuntiatores du Nouveau Testament], c. Faust. 22,79) : c’est donc une innovation dont Augustin s’est surtout servi pour des effets de style. Mais le mot était aussi un calque de προφήτης (pro : en avance ; phētēs : celui qui dit, annonce). praenuntius, qui est classique, pouvait certes jouer ce rôle, mais les Pères l’emploient rarement ainsi, et Augustin ne l’emploie jamais (voir ThLL s.v.) : peut-être était-il trop associé à la divination païenne (ThLL s.v. I.A). Ainsi, pour ravaler les prophètes de l’Ancien Testament au rang des prophète païens, Faustus le Manichéen les appelle vates et leurs prophéties praesagia (c. Faust. 12,1 ; 13,1) : les chrétiens évitent généralement ces mots (voir respectivement ThLL et Blaise ss.vv.). Et Faustus invente le mot praefator (c. Faust. 13,1 ; voir ThLL s.v.) pour regrouper les prophètes juifs avec la Sibylle et Hermès Trismégiste (voir n. à 3,3).

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4,4–10 Jésus, fils de David et Fils de Dieu C’était de longue date que l’on voyait dans Rom. 1,3s. l’énoncé des deux natures du Christ. Ainsi, par exemple, Tertullien : Apostolus de utraque eius substantia docet : ‘qui factus est’, inquit, ‘ex semine David’ – hic erit homo et filius hominis; ‘qui definitus est Filius Dei secundum Spiritum’ – hic erit Deus, et sermo Dei Filius : videmus duplicem statum, non confusum sed coniunctum, in una persona Deum et hominem Iesum [L’apôtre enseigne sur ses deux substances : ‘qui a été fait’, dit-il, ‘de la semence de David’ – voici l’homme, et le fils de l’homme ; ‘qui a été établi Fils de Dieu selon l’Esprit’ – voici Dieu, et la Parole, Fils de Dieu : nous voyons le double statut, non pas confondu, mais conjoint, Jésus, dans une seule personne, Dieu et homme] (adv. Prax. 27 ; de même, Origène, comm. in Rom. 1,7,1). Quant à Augustin, il reprend ici son exégèse telle qu’on la trouve en in Rom. 51, sur Rom. 9,5, où, du moins selon lui, Paul contrastait encore une fois le Christ κατὰ σάρκα [selon la chair] avec sa divinité. On trouve déjà dans in Rom. l’idée de susceptio [assomption, action d’assumer] (hominem … quem suscepit, 4,4 / secundum susceptionem carnis [selon l’assomption de la chair] – le terme est très fréquent chez Augustin pour décrire l’Incarnation) et l’introduction de Mt. 22,42–45, passage d’ailleurs inéluctable dans notre contexte, puisque c’est le seul endroit des Évangiles (avec ses parallèles en Mc. 12,35–37 ; Lc. 20,41–44) où le Christ parle de lui-même comme étant fils de David : Augustin rapproche encore ce passage de l’Évangile de Rom. 1,1–3 en in psalm. 9,35 ; c. Faust. 13,3. Voir aussi serm. 92,2 : Hic [sc. Mt. 22,42–45] cavendum est, ne putetur Christus se negasse filium esse David. Non se filium David negavit, sed modum quaesivit: ‘Dixistis filium esse David, non nego; sed ille eum « Dominum » vocat. Dicite mihi quomodo sit filius, qui est et dominus. Dicite quomodo’. Illi non dixerunt, sed tacuerunt. Dicamus nos, exponente ipso Christo. Ubi? Per apostolum suum [Ici il faut éviter de penser que le Christ ait nié être le fils de David. Il n’a pas nié être le fils de David, mais a demandé comment il l’était : ‘Vous avez dit [que le Christ est] le fils de David. Je ne le nie pas. Mais il l’appelle « Seigneur ». Dites-moi comment il est fils, celui qui est aussi Seigneur. Dites-moi comment’. Eux, ils ne le dirent pas, mais se turent. Disons-le, nous, avec le Christ lui-même qui nous l’explique. Où ? Par son apôtre]. Augustin citera ici Phil. 2,7–9, qui est pour lui l’exposé théologique de la simple affirmation de Rom. 1,3, γενομένου ἐκ σπέρματος Δαυὶδ κατὰ σάρκα. Pour d’autres parallèles grecs à cette exégèse de Rom., voir Jean Chrysostome, hom. in Rom. 1,2 (PG 60, 397) : οὐ γὰρ περὶ ἀνθρώπου ψιλοῦ, φησὶν, ὁ λόγος ἡμῖν. διά τοι τοῦτο προσέθηκα τὸ ‘κατὰ σάρκα’, αἰνιττόμενος ὅτι καὶ κατὰ πνεῦμα γέννησίς ἐστι τοῦ αὐτοῦ [Car notre discours, dit-il, n’est pas sur l’homme tout court. C’est bien pourquoi j’ai ajouté ‘selon la chair’, signalant qu’il y a aussi pour lui une génération par l’Esprit] ; Theod. Mops. in 2 Tim. 2,8 (éd. H. B. SWETE, Cambridge 1882) : Bene memoratus est ‘ex semine’ [sc. David], ut corporis magis adsumptionem factam insinuaret. Nec autem absolute ista posuit [Il a bien fait de dire ‘de la semence [de David]’, pour signaler qu’il y plutôt eu une assomption du corps. Mais il n’a pas, non plus, dit cela de façon absolue].

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4,4 Dominum nostrum Iesum Christum secundum hominem tantummodo, quem suscepit, accipiunt Accipiunt est au présent : cette croyance n’est pas limitée aux Juifs du Nouveau Testament. Sans doute Augustin pense-t-il en premier lieu aux Juifs de sa propre époque (pour ses rapports avec eux, voir n. à 3,1, commendat auctoritate) : dans la vision chrétienne, le refus de Jésus parce qu’il se disait divin a toujours été un trait caractéristique du judaïsme, même si, en réalité, les Juifs de l’Antiquité tardive tentaient surtout de penser à Jésus le moins possible (voir J. NEUSNER, Judaism and Christianity in the Age of Constantine, Chicago 1987, 3s.94s. et passim). De plus, Augustin avait hérité d’une tradition hérésiologique, qui incluait dans ses catalogues un certain nombre de sectes qui niaient la divinité du Christ. Dans le De haeresibus, sa propre contribution à cette tradition, Augustin en nomme cinq : Carpocratiens (7) , Cerinthiani (8), Ébionites (10), Theodotiani (10), Pauliniani (44) ; la notice sur Photinus en 45 est très vague, mais voir conf. 7,25 et O’DONNELL ad loc. – les Photiniens ont longtemps été représentatifs pour Augustin de ceux qui niaient la divinité du Christ, mais il semble avoir finalement perdu confiance dans ses informations sur leurs croyances (cf. n. à 15,13–16, Sabelliani). Tous sont tirés du Diversarum Haereseon liber de Philastre de Brescia ou de ses sources (voir AugLex s.v. Haeresibus ad Quodvultdeum (De–), 4), et, bien qu’ils soient décrits au temps présent, la plupart avaient depuis longtemps disparu : les Carpocratiens n’existent plus dès l’époque d’Eusèbe de Césarée (DTC s.v. Carpocrate, III) ; les Cerinthiani sont un souvenir lointain et confus dès la même époque (SKARSAUNE – HVALVIK, Jewish Believers, 492s.) ; Origène serait le dernier chrétien à avoir vu des Ébionites (SKARSAUNE – HVALVIK, Jewish Believers, 462), sans doute le plus célèbre de ces mouvements ; les Theodotiani, qui n’ont jamais dû être que quelques disciples d’un individu obscur, ont disparu depuis le milieu du 3ème siècle (DTC 5,2,2427), et les Pauliniani, c’est-àdire les disciples de Paul de Samosate, apparaissent pour la dernière fois au Concile de Nicée (DTC s.v. Paul de Samosate). Photin est plus récent en date, mais « il ne paraît pas que l’hérésie de Photin se soit beaucoup développée en dehors de son pays d’origine, ni même qu’elle ait trouvé à Sirmium de très nombreux adhérents » (DTC s.v. Photin de Sirmium, III). Les hérésies auxquelles s’est confronté Augustin de son vivant, Donatistes, Manichéens, Pélagiens et Ariens, ne mettaient nullement en cause le fait que Jésus était un être divin. Il ne faut pas en conclure qu’ici, ou dans haer., Augustin poursuit des fantômes. Les catalogues d’hérésies sont à mi-chemin entre l’histoire et la théologie. La fascination qu’exerçaient (et qu’exercent) ces catalogues sur les fidèles, ou du moins sur les hommes d’Église, vient du sentiment profond de la difficulté à maintenir l’orthodoxie, de la menace constante de l’erreur. L’éclosion en secte, à un moment historique, d’une erreur donnée n’est pas un phénomène unique : elle indique la capacité permanente de cette erreur à faire recrudescence. C’est ainsi que les catalogues d’hérétiques se révèlent frustrants pour l’historien moderne : tout l’intérêt de leurs auteurs porte sur les croyances des sectes, et ils ne contiennent qu’un mini-

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mum d’informations sur les conditions sociales, politiques, géographiques, etc. dans lesquelles un mouvement a vu le jour. C’est que les hérésies ne sont pas perçues comme le produit de ces conditions, mais comme des machinations du diable (invidia vero et haeresis opera diaboli [mais la jalousie et l’hérésie sont les œuvres du diable], bapt. 6,50), et donc aussi permanentes que lui. Ne voir en Jésus qu’un être humain est un exemple bien pertinent : à chaque époque, des chrétiens ont été tentés par cette idée. Voir, à cet égard, l’évocation des Ébionites dans le De Trinitate d’Hilaire de Poitiers (2,4.23, etc.) : aucun Ébionite réel ne menaçait l’Église d’Hilaire, mais leur nom donnait une réalité concrète à une des erreurs en fonction desquelles l’auteur tentait de définir l’orthodoxie. De même, en conf. 7,25, Augustin se décrira lui-même et Alypius comme ayant, à un moment de leur progression vers la foi de l’Église, des croyances respectivement photiniennes et apollinaristes, sans entendre par là un contact réel avec ces sectes. De plus, il n’y avait pas que Juifs, hérétiques, et chrétiens vacillants pour nier la divinité du Christ. Le public de l’Inchoata expositio était aussi exposé aux païens. Face au triomphe de l’Église, il n’était plus possible pour ceux-ci de ne prêter aucune attention à Jésus, et il n’était plus sage d’en dire du mal. Restait à adopter une position « ébionite » : illi vel maxime pagani, qui Dominum ipsum Iesum Christum culpare aut blasphemare non audent eique tribuunt excellentissimam sapientiam, sed tamen tamquam homini; discipulos vero eius dicunt magistro suo amplius tribuisse quam erat, ut eum Filium Dei dicerent et verbum Dei, per quod facta sunt omnia, et ipsum ac Deum Patrem unum esse, ac si qua similia sunt in apostolicis litteris, quibus eum cum Patre unum Deum colendum esse didicimus [surtout ces paiens, qui n’osent pas blâmer ou blasphémer le Seigneur Jésus-Christ lui-même, et lui accordent une sagesse prééminente, mais comme si c’était un homme ; puis disent que ses disciples ont attribué à leur maître plus qu’il n’était, en disant qu’il est le Fils de Dieu et la parole de Dieu, par qui tout a été fait, et que lui et Dieu le Père sont un, et tout ce qui est similaire dans les écrits apostoliques, par quoi nous apprenons qu’il faut l’adorer comme un seul Dieu avec le Père] (cons. euang. 1,11 ; de même civ. 18,53 et la citation de Porphyre en civ. 19,23). 4,8 addendo ergo secundum carnem, servavit divinitati dignitatem suam L’exégèse d’Augustin fonctionne par déduction, puisque secundum carnem en soi affirme l’humanité du Christ. C’est pourquoi (voir n. à 3,1, commendat auctoritate), Rom. 1,3 était répugnant aux Manichéens, et Faustus (c. Faust. 11,1) tente de s’en débarrasser en déclarant que le texte de Paul a été interpolé (ou que Paul l’aurait écrit quand sa connaissance du Christ était encore immature. Mais c’est là une pure hypothèse d’argumentation, pour Faustus, qui croit à l’interpolation : voir DECRET, L’utilisation, 50s.). Dans sa réponse (c. Faust. 11,2–fin), Augustin soulignera donc l’autre versant de secundum carnem : l’affirmation de l’Incarnation (voir Introduction, 1.4).

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4,8 alicui angelicae aut cuiusvis excellentissimae creaturae Pour la distinction entre le Christ et les anges chez Augustin, voir J. BARBEL, Christos Angelos, Bonn 21964, 163–174. Il s’agit d’un élément de la polémique anti-arienne, mais aussi d’une réflexion théologique sur les théophanies. 4,9 non mutatum et conversum in carnem, sed carne ut carnalibus congruenter appareret indutum Ce passage est un des premiers où Augustin précise que ὁ λόγος σὰρξ ἐγένετο [le Verbe se fit chair] (Io. 1,14) ne signifie pas une mutatio ou conversio. Il reviendra souvent sur ce point, y compris une vingtaine d’années plus tard, dans epist. 137, « le seul traité spécial sur l’incarnation qu’Augustin nous aurait légué » (AugLex s.v. Christus, III.3) : Verbum autem in principio, per quod facta sunt tempora, tempus elegit, quo susciperet carnem, non tempori cessit, ut verteretur in carnem [Le Verbe au commencement, par lequel les temps ont été faits, a choisi un temps pour assumer la chair. Il n’a pas cédé au temps, pour se changer en chair] (epist. 137,10 ; voir aussi e.g. divers. quaest. 73,2 : neque conversus et transmutatus in hominem [non pas changé et transformé en chair] ; agon. 11 : non quia aeternitas illa mutata est, sed quia mutabilem creaturam mutabilibus hominum oculis ostendit [non pas parce que cette éternité se soit transformée, mais parce qu’elle a montré une créature changeable aux yeux changeables des hommes] ; cons. euang. 1,7 : non quod fuerit mutatus in carnem [non pas parce qu’il fut transformé en chair] ; serm. 117,16 : incommutabiliter autem manens verbum carnem assumpsit, ut esset quodammodo contextum [= indutum ici] [restant immuable, le Verbe a assumé la chair, pour y être d’une certaine façon entrelacé] ; serm. 182,6 : agnosce Christum in carne venisse, accepisse quod non erat, non amisisse quod erat, hominem in se mutasse, non in hominem fuisse mutatum [Reconnais que le Christ est venu dans la chair, qu’il a reçu ce qu’il n’était pas, [mais] n’a pas perdu ce qu’il était, qu’il a transformé l’homme en lui, mais n’a pas été transformé en homme]). Comment une chose peut devenir une autre sans se transformer est un mystère, mais Augustin tentera de l’expliquer par une image qui met en place un parallèle entre la parole humaine et le Verbe de Dieu : Sicuti cum loquimur, ut id, quod animo gerimus, in audientis animum per aures carneas inlabatur, fit sonus verbum quod corde gestamus, et locutio vocatur, nec tamen in eundem sonum cogitatio nostra c o n v e r t i t u r , sed apud se manens integra, formam vocis qua se insinuet auribus, sine aliqua labe suae mutationis adsumit: ita verbum Dei non c o m m u t a t u m caro tamen factum est, ut habitaret in nobis [Tout comme, quand nous parlons, pour que ce que nous avons dans notre esprit se glisse par les oreilles charnelles dans l’esprit de l’auditeur, le verbe que nous portons dans notre cœur devient un son, qui s’appelle parole. Cependant, notre pensée ne se c h a n g e pas en ce son, mais reste intègre en soi, [et] sans aucune corruption ou transformation, assume la forme de la voix pour s’insinuer dans les oreilles. De même, le Verbe de Dieu, sans se t r a n f o r m e r , s’est cependant fait chair pour habiter parmi nous] (doctr. christ. 1,26). Par contraste, Augustin affirme (trin. 2,11) que la colombe du

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baptême du Christ et les flammes de la Pentecôte sont mutata atque conversa (pour l’origine cicéronienne de cette expression, voir CCSL 50, 94s.), non pas parce qu’ils deviennent l’Esprit Saint, mais parce que, sous l’impulsion de l’Esprit, ils se détournent de l’activité que leur dictent les lois de la nature. Une modification parallèle n’a pas lieu dans la nature divine du Christ. G. Madec (AugLex, loc. cit., à consulter aussi pour la vaste bibliographie sur la christologie augustinienne) souligne que ces formules ont pour but de répondre à un point de vue néoplatonicien qui ne pouvait concevoir un mélange entre Dieu et homme. C’est sans doute vrai, mais le souci de montrer que « l’Incarnation n’implique nullement de la part de Dieu l’abandon du gouvernement de l’univers » (ibid.), qu’en devenant homme le Christ reste Dieu, dépasse les limites d’une controverse donnée. Voir, par exemple, l’importance de cette question chez Hilaire de Poitiers, qui y consacre tout le livre 10 du De Trinitate : demonstrantes secundum dispensationem carnis adsumptae tum, cum se ex forma Dei evacuans formam servi accepit, infirmitatem habitus humani Dei non infirmasse naturam, sed, salva divinitatis in homine virtute, adquisitam esse Dei ad hominem potestatem. Namque cum in hominem Deus natus sit, non idcirco natus est, ne Deus non maneret [en démontrant que, selon la dispensation de la chair qu’il a assumée quand, en se vidant de la forme de Dieu, il a reçu la forme d’un esclave, la faiblesse de la condition humaine n’a pas affaibli la nature de Dieu, mais la puissance divine est restée intacte dans l’homme, et le pouvoir de Dieu a été acquis pour l’homme. En effet, quand Dieu est né comme homme, il n’est pas né pour ne plus rester Dieu] (10,7). Hilaire répond aux Ariens, pour qui les souffrances du Christ étaient inadmissibles s’il était Dieu en égalité avec le Père, mais la pierre d’achoppement – le Christ vrai Dieu et vrai homme – reste la même, comme elle le sera dans les terribles controverses christologiques du 5ème siècle, qui sont ici anticipées. Pour les difficultés de parler de ce mystère en langage humain, comparer E. EVANS, Tertullian’s Treatise Against Praxeas, London 1948, 70–73 : dans différents écrits, Tertullien accepte ou refuse de parler de l’Incarnation comme une conversio de Dieu en chair, mais le fond de sa théologie de l’Incarnation ne diffère pas de celui d’Augustin. 4,10 non solum eo verbo quod ait secundum carnem, humanitatem a divinitate distinxit, sed etiam illo quod ait factus est S’étant occupé des Ébionites au début du §4, Augustin se tourne maintenant vers les Ariens : la divinité du Fils une fois établie, il fallait affirmer que cette divinité est égale à celle du Père. D’ailleurs, les Manichéens aussi pouvaient nier l’éternité du Fils. Ainsi Fortunatus définit le Verbe comme natum a constitutione mundi cum mundum fabricaret [sc. Deus] [né dès la fondation du monde, quand [Dieu] fabriqua le monde] (c. Fort. 3). Ici, ce sont surtout les mots factus est qui pouvaient suggérer que le Christ est un être créé. Comparer in Gal. 30, sur Gal. 4,4 (factum ex muliere [fait d’une

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femme]) : ‘Factum’ autem dixit propter susceptionem creaturae, quia qui nascuntur ex feminis non tunc ex Deo nascuntur [Io. 1,13], sed tamen Deus illos facit, ut sic nasci possint, ut omnem creaturam [Il dit ‘fait’ à cause de l’assomption d’une créature, parce que ceux qui naissent des femmes ne naissent pas à ce moment-là de Dieu. Néanmoins, c’est Dieu qui les fait, comme toute créature, pour qu’ils puissent naitre de la sorte]. Et de même, la présence de factus semble être un des facteurs qui motivent Tyconius (Liber regularum 1,12,1) à interpréter Rom. 1,1–4 comme parlant non pas du Christ, mais de l’Église (voir n. à 5,11–17 ; 5,13, neque ad exemplum). En fait, dans les deux textes de Paul, factus / factum traduit γενομένου / γενόμενον, et le terme grec implique beaucoup moins un acte de création. C’est pourquoi ces textes pauliniens ne sont pas très souvent des éléments de la dispute entre Catholiques et Ariens. Mais nous avons proposé (n. à 2,5) qu’Augustin ne disposait pas de manuscrit grec de Rom. quand il rédigeait l’Inchoata expositio. Comparer avec c. Faust. 11,4, où il note que in quibusdam latinis exemplaribus non legitur: ‘factus’, sed ‘natus ex semine David’, cum graeca ‘factus’ habeant, unde non ad verbum sed ad sententiam transferre voluit dicendo ‘natum’ latinus interpres [dans certains exemplaires latins, on ne lit pas ‘fait’ mais ‘né de la semence de David’, alors que le grec a ‘fait’. Le traducteur latin a donc voulu traduire non pas mot à mot mais selon le sens, en disant ‘né’]. Il semble ici reconnaitre l’écart entre γίγνεσθαι et fieri, même s’il ne met pas en cause la traduction du premier par le second, consacrée depuis longtemps dans les versions latines de la Bible, surtout pour Gen. 1,1–25 et Io. 1,14. On pourrait objecter qu’Origène, qui écrivait bien entendu sur le texte grec, prend les mêmes précautions qu’Augustin : ‘Factus est’ autem sine dubio id quod prius non erat secundum carnem. Secundum Spiritum vero erat prius et non erat quando non erat [‘Il a été fait’ sans doute ce qu’il n’était pas avant selon la chair. Mais selon l’Esprit il était avant et il n’y avait pas [de temps] quand il n’était pas] (Rufin. Orig. in Rom. 1,7,1). Mais cette partie du commentaire d’Origène est clairement interpolée par Rufin, son traducteur (voir SChr 532, n. ad loc.), comme l’indique l’introduction de la formule anti-arienne classique non erat quando non erat. Par contre, les « hérétiques » qui, selon Philastre de Brescia excluaient du canon l’épître aux Hébreux quia et factum Christum dicit in ea [parce qu’il y dit aussi que le Christ a été fait] (Diversarum haereseon liber 89) se fondent certainement sur le grec : en Hebr. 3,2, le Christ est dit πιστὸν ὄντα τῷ ποιήσαντι αὐτὸν [fidèle à celui qui l’a f a i t ] (voir n. à 11,3s.). 4,11 non essent illa omnia … L’utilisation de Io. 1,3 pour affirmer que le Fils est séparé de toute la création est plus vieille encore que la controverse avec les Ariens. Voir, pour l’Église latine, Novatien, De trinitate 13 : Cum enim manifestum sit omnia esse facta per Christum, aut ante omnia est, quoniam omnia per ipsum, et merito et Deus est, aut quia homo est, post omnia est et merito per ipsum nihil factum est. Sed nihil per ipsum factum esse

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non possumus dicere, cum animadvertamus ‘omnia per ipsum facta esse’ scriptum [En effet, comme il est clair que tout a été fait par le Christ, ou bien il est avant tout, parce que tout [existe] par lui, et c’est à bon droit qu’il est aussi Dieu, ou bien, parce qu’il est un homme, il est après tout, et c’est à bon droit que rien n’a été fait par lui. Mais nous ne pouvons dire que rien n’a été fait par lui, quand nous voyons qu’il est écrit que ‘tout a été fait par lui’] ; Tertullien, adv. Prax. 16 : Omnem enim dicens potestatem [Mt. 28,18], et omne iudicium [Io. 5,22], et omnia per eum facta, et omnia tradita in manu eius [Io. 3,35], nullam exceptionem temporis permittit, quia non omnia erunt si non omnis temporis fuerint [En effet, en parlant de tout pouvoir, et de tout jugement, et de tout ayant été fait par lui, et de tout ayant été remis en sa main, il ne permet d’exception pour aucun temps, puisqu’il ne s’agirait pas de tout, si tous les temps n’étaient pas inclus]. Augustin avait peut-être peu lu Novatien ou Tertullien à l’époque de l’Inchoata expositio, mais il pouvait aussi trouver une exégèse très similaire chez Ambroise : Caveamus … si nesciamus, quae propria sunt divinitatis aeternae incarnationisque distinguere, si creatorem cum suis operibus conferamus, si auctorem temporum dicamus coepisse post tempora; neque enim potest fieri, ut per quem sunt omnia sit unus ex omnibus [Prenons garde … si nous ne savons pas distinguer ce qui est propre à la divinité éternelle et [ce qui est] propre à l’Incarnation, si nous confondons le créateur et ses œuvres, si nous disons que l’auteur des temps a commencé [à exister] après les temps. Car il n’est pas possible que celui par qui tout a été fait fasse partie de ce tout] (incarn. 2,13). Pour sa part, Augustin revient bien souvent à ce thème, à tous les niveaux de son activité littéraire : prédication (serm. 9,6 : Deus Christus Filius Dei unum est cum Patre, et ideo non debet a nobis accipi in vanum [Ex. 20,7], ut putemus eum factum, id est creaturam aliquam, per quem facta sunt omnia [Dieu le Christ, Fils de Dieu, est un avec le Père, et c’est pourquoi il ne doit pas être pris en vain par nous, pour que nous pensions qu’il a été fait, c’est-à-dire que celui par qui tout a été fait serait une créature quelconque] ; voir aussi in euang. Ioh. 1,11), traités simples (fid. et symb. 5 : Nos autem in eum credimus, per quem facta sunt omnia, non in eum, per quem facta sunt cetera [Mais nous croyons en celui par qui tout a été fait, non pas en celui, par qui le reste a été fait]), spéculations théologiques (trin. 1,12 [CCSL 50, 42,99–103]) : Quia si vel Filium fecit Pater quem non fecit ipse Filius, non omnia per Filium facta sunt. At omnia per Filium facta sunt. Ipse igitur factus non est ut cum Patre faceret omnia quae facta sunt [Parce que, si le Père a fait seulement le Fils, sans que le Fils le fasse, tout n’a pas été fait par le Fils. Mais tout a été fait par le Fils. Lui n’a donc pas été fait, pour qu’il puisse avoir fait avec le Père tout ce qui a été fait]). Pour les mêmes idées sur un mode lyrique, voir l’hymne au Fils en soliloq. 1,3, avec ses six répétitions de in quo et a quo et per quem … omnia [en qui et de qui et par qui … tout [existe]].

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5,1 nec quemlibet spiritum, sed Spiritum sanctificationis ex resurrectione mortuorum Cette petite glose est tout ce qu’Augustin nous dit dans l’Inchoata expositio sur Spiritum sanctificationis (πνεῦμα ἁγιωσύνης). En revanche, en in Rom. 1, il avait expliqué l’expression en la joignant avec ex resurrectione mortuorum et en nommant l’Esprit Saint : Quod autem dicit ‘secundum Spiritum sanctificationis ex resurrectione mortuorum’, id est quia Spiritus donum acceperunt post eius resurrectionem [Quand il dit ‘selon l’Esprit de sanctification à partir de la résurrection des morts’, c’est parce qu’ils reçurent le don de l’Esprit après sa résurrection] (voir déjà l’Ambrosiaster, in Rom. 1,4 : ‘Filium Dei’ dicens Patrem significavit Deum; addito autem ‘Spiritu sanctificationis’, ostendit mysterium Trinitatis [En disant ‘le Fils de Dieu’, il indique Dieu le Père. Et puis, en ajoutant ‘l’Esprit de sanctification’, il montre le mystère de la Trinité]). Selon RING (n. à 5,15), Inchoata expositio 5 éclaire ce texte de in Rom. en montrant qu’Augustin concevait l’épître aux Romains comme adressée non seulement aux chrétiens de Rome, mais à tous les mortui Iesu Christi [les morts de Jésus Christ], « alle, die die Gabe des Hl. Geistes empfangen haben, die als ekklesialer Leib Jesu Christi mit diesem gekreuzigt worden und auferstanden sind ». Sans doute, ces idées correspondent-elles aux conceptions générales d’Augustin, mais Ring est inexact sur deux points : (a) dans l’Inchoata expositio (voir 5,5 et n. à 5,4–7 et 5,11– 17), Augustin préfère joindre secundum Spiritum sanctificationis à Filius Dei et le séparer de ex resurrectione mortuorum, et s’écarte donc de son exégèse dans in Rom. ; (b) dans ce chapitre les mortui sont bien les morts, au sens littéral, et non pas les chrétiens baptisés, suivant la théologie de Rom. 6,3s. Voir aussi, pour spiritus ici, n. à 11,1s. 5,2 in resurrectione enim virtus morientis apparet Encore une fois (cf. n. à 1,3, nonnulli qui ex Iudaeis), Augustin s’est inspiré directement de l’Ambrosiaster (in Rom. 1,4) : Tunc praedestinatus est secundum Spiritum sanctificationis in virtute manifestari Filius Dei, cum resurgit a mortuis, sicut scriptum est in psalmo octogesimo quarto: ‘Veritas de terra orta est’ [Ps. 84,12] [Il a été prédestiné selon l’Esprit de sanctification pour se manifester dans sa puissance comme Fils de Dieu, au moment où il est ressuscité des morts, comme il est écrit dans le psaume 84 : ‘La vérité a surgi de la terre’]. Suit l’exemple des disciples sur la route d’Emmaus : Nam et discipuli in morte eius dubitaverunt, dicente Cleopa et Ammau: ‘Nos putabamus quia ipse erat qui incipiebat liberare Istrahel’ [Lc. 24,21]. Ipse enim Dominus ait: ‘Cum exaltaveritis filium hominis, tunc cognoscetis quia ipse ego sum’ [Io. 8,28] [En effet, même les disciples ont douté lors de sa mort, puisque Cléopas et Ammaus disaient : ‘Nous avons cru qu’il était celui qui commençait à libérer Israel’. En effet, le Seigneur lui-même dit : ‘Quand vous aurez élevé le fils de l’homme, alors vous saurez que je suis’]. Comme on le voit, l’Ambrosiaster, lui aussi, voit virtute (δυνάμει) comme le mot clé par lequel Paul indique pourquoi la résurrection montre que Jésus est le Fils de Dieu.

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5,4–7 potest quidem etiam sic esse ordo verborum … Augustin propose de ponctuer comme suit, en lisant ensemble par hyperbate les mots éspacés : de Filio suo, qui factus est ei ex semine David secundum carnem, q u i p r a e d e s t i n a t u s e s t , Filius Dei in virtute secundum Spiritum sanctificationis, e x r e s u r r e c t i o n e m o r t u o r u m

Il cherche ainsi à construire une symétrie entre les deux pendants des deux filius : secundum carnem / secundum Spiritum sanctificationis. Mais sa pensée devient difficile à suivre (voir n. à 7,4s.), car il propose ensuite (5,6) de contraster factus + ex semine David + secundum carnem et praedestinatus + Filius Dei + ex resurrectione mortuorum, ce qui donnerait lieu à une troisième ponctuation. Pour les raisons qui inclinaient Augustin à séparer praedestinatus de Filius Dei, voir n. à 5,11–17. La ponctuation des textes est une des activités habituelles du grammairien antique (voir S. F. BONNER, Education in Ancient Rome, London 1977, 220–222. Voir aussi n. à 7,1–5 ; 7,5 ; 11,3 ; G. BELLISSIMA, Sant’ Agostino grammatico, dans : Augustinus Magister, t. 1, Paris 1954, 35–41 ; AugLex s.v. Grammatica, grammaticus. Pour des exemples classiques d’hyperbates construites par la ponctuation [distinctio], voir Scholies sur Éschine, ad 3,71 ; Quintilien, Institutio Oratoria 11,3,35–37). Étant données leur formation culturelle et leur étude incessante du texte sacré, il était naturel que les écrivains chrétiens s’intéressassent aussi à la ponctuation. On attribue généralement le début de l’étude « grammaticale » de la Bible, y compris de sa ponctuation, à Clément d’Alexandrie, et surtout à Origène (voir M. IRVINE, The Making of Textual Culture, Cambridge 1994, 162–169. Pour des exemple de distinctio chez Origène, voir Cant. 4 [GCS 33, 241] ; Jo. 32,26,330, et, pour des hyperbates, Selecta in Gen. PG 12, 92s. ; hom. in Jer. 12,12). C’est ensuite avec Augustin et Jérôme que ces méthodes – bien que toujours vues comme ancillaires – s’implantent fermement dans l’activité des exégètes latins. Il ne semble pas exister d’étude d’ensemble de la distinctio chez Augustin (quelques précisions chez MARROU, Saint Augustin, 427). Par contre, on lit ses propres conseils, très clairs, en la matière en doctr. christ. 3,3–9. Mais, comme nous l’avons déjà dit (n. à 2,5), Augustin a toujours été bien plus théologien que philologue. Ambroise avait affirmé que le commentaire de Paul pouvait être essentiellement affaire de grammairien : In plerisque ita se ipse [sc. Paul] suis exponat sermonibus ut is qui tractat nihil inveniat quod adiciat suum, ac si velit aliquid dicere grammatici magis quam disputatoris fungatur munere [Très souvent, il s’explique luimême dans ses discours, à tel point que celui qui le commente ne trouve rien du sien à ajouter, et s’il veut dire quelque chose, il fait office de grammairien, plutôt que d’argumentateur] (epist. 7,1 [CSEL 82/1] ; pour la méthode de grammairien chez Marius Victorinus, voir PLUMER, Augustine’s Commentary, 22s.). Une telle approche est loin de caractériser les commentaires augustiniens sur l’apôtre, et Augustin eût-

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il partagé l’avis exprimé ici par Ambroise, il est douteux qu’il eût même entrepris ces commentaires. Ainsi, les problèmes de distinctio abordés dans les commentaires scripturaires d’Augustin sont relativement peu nombreux, du moins pour les œuvres d’avant l’épiscopat. Citons à titre d’exemple in psalm. 3,7 : Non ita distinguendum est, quasi una sententia sit: ‘Exsurge, Domine; salvum me fac, Deus meus, quoniam tu percussisti omnes adversantes mihi sine causa’ [Ps. 3,7s.]: non enim propterea salvum facit, quia percussit inimicos eius; sed potius ipso salvo facto, illos percussit. Ergo ad id quod sequitur pertinet, ut iste sit sensus: ‘Quoniam tu percussisti omnes adversantes mihi sine causa, dentes peccatorum contrivisti’. Id est, inde contrivisti dentes peccatorum, quoniam percussisti omnes adversantes mihi [Il ne faut pas ponctuer comme s’il y avait une seule phrase dans ‘Lève-toi, Seigneur, sauve-moi, mon Dieu, puisque tu as frappé tous ceux qui s’opposaient à moi sans raison’. En effet, il ne l’a pas sauvé parce qu’il a frappé ses ennemis. Mais, une fois qu’il l’a sauvé, il les a frappés. [Ces mots] ont donc trait à ce qui suit, pour que l’on comprenne : ‘Parce que tu as frappé tous ceux qui’ s’opposaient à moi sans raison, tu as broyé les dents des pécheurs’; c’est-à-dire, si tu as broyé les dents des pécheurs, c’est parce que tu as frappé tous ceux qui s’opposaient à moi]. Ajouter in psalm. 13,7 ; in Gal. 10.12.56 et (juste après l’episcopat) quaest. Simpl. 1,2,6. Parmi ces exemples, in psalm. 13,7 et in Gal. 12 ont un point commun notable avec notre passage de l’Inchoata expositio : Augustin y propose des hyperbates reliant deux morceaux de textes séparés par un élément intermédiaire : in psalm. 13,7 : (sur Ps. 13,4s., οὐχὶ γνώσονται πάντες οἱ ἐργαζόμενοι τὴν ἀνομίαν; οἱ κατεσθίοντες τὸν λαόν μου βρώσει ἄρτου. τὸν κύριον οὐκ ἐπεκαλέσαντο. ἐκεῖ ἐδειλίασαν φόβῳ, οὗ οὐκ ἦν φόβος, ὅτι ὁ Θεὸς ἐν γενεᾷ δικαίᾳ) [Tous ceux qui pratiquent l’iniquité ne sauront-ils pas ? Ceux qui dévorent mon peuple comme on mange du pain. Ils n’ont pas fait appel au Seigneur. Ils ont fui dans la terreur, là où il n’y avait pas de terreur, parce que Dieu est dans la géneration juste] : Ad superiora refertur, ut sit sensus: ‘Nonne cognoscent omnes qui operantur iniquitatem quoniam Deus in generatione iusta est ?’ [Ceci se rapporte à ce qui vient plus haut, pour que le sens soit : ‘Ne savent-ils pas, tous ceux qui pratiquent l’injustice, que Dieu est dans la génération juste ?’] (passage omis dans les éditions antérieures à CSEL 93, 1A). in Gal. 12 : Nam etiam sic potest intellegi, quod ait: ‘e contrario’, ut ordo iste sit: ‘Mihi enim qui videntur, nihil apposuerunt, sed e contrario’ [Gal. 2,5s.], ‘ut nos quidem in gentes iremus’ [Gal. 2,9] [Car on peut aussi comprendre ainsi quand il dit ‘au contraire’, pour que l’ordre soit comme suit : ‘Ceux qui sont réputés ne m’ont rien imposé, mais au contraire’, ‘que nous, de notre part, allions parmi les nations’]. Augustin tend donc à s’occuper des problèmes de ponctuation, ou d’ordo, pour utiliser son propre vocabulaire, quand il veut proposer une syntaxe particulièrement difficile. Du reste, il n’est nullement le seul à postuler des hyperbates plus ou moins inattendues. Mis à part Origène (vide supra), on trouve des exemples bien plus extrêmes chez Jérôme. En in Tit. 1,12–14 il tente une énorme hyperbate, passant

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de Tit. 1,5 à 1,12, pour résoudre le problème posé par τις ἐξ αὐτῶν ἴδιος αὐτῶν προφήτης [un des leurs, leur propre prophète] (Tit. 1,12), qui semblerait autrement se référer à οἱ ἐκ τῆς περιτομῆς [ceux venus de la circoncision] (Tit. 1,11), alors qu’il s’agit du païen Épiménide (mais Jérôme finit par rejeter sa propre proposition : multa in medio sunt et hoc absurdum videtur [il y a beaucoup [de mots] au milieu, et cela semble absurde]). Et en in Gal. 3,19s. (CCSL 77A, 98s.) il propose, quia vero lectionis ordo confusus est et hyperbato perturbatur [parce que le vrai ordre du texte est brouillé et perturbé par une hyperbate], de changer l’ordre des éléments de la phrase : [1] Lex [2] propter transgressiones [3] posita est [4] donec veniret semen cui promissum erat [5] ordinata [6] per angelos [7] in manu mediatoris [[1] La Loi [2] à cause des transgressions [3] fut imposée [4] jusqu’à ce que vienne la semence à qui fut faite la promesse [5] ordonnée [6] par les anges [7] dans la main d’un médiateur]→ [1] Lex [3] posita est [6] per angelos [7] in manu mediatoris [2] propter transgressiones [5] ordinata [6] per angelos [4] donec veniret semen cui repromissum erat [[1] La Loi [3] fut imposée [6] par les anges [7] dans la main d’un médiateur [2] à cause des transgressions [5] ordonnée [6] par les anges [4] jusqu’à ce que vienne la semence à qui fut faite la promesse]. Augustin ne se permet pas de telles violences au texte, tout comme il ne répète pas les censures de Jérôme sur la compétence littéraire de Paul : Profundos sensus Graeco sermone non explicat, et quod cogitat in verba vix promit [Il n’élucide pas dans la langue grecque ses idées profondes, et c’est à peine s’il exprime par les mots ce qu’il pense] (in Tit. 1,1b–4 ; on trouve des remarques similaires chez Faustus le Manichéen : c. Faust. 32,7. À contraster avec la belle étude de l’éloquence paulinienne en doctr. christ. 4,46–48.107–124). De plus, Augustin présente ici sa ponctuation préférée comme une lecture possible (iste ordo certior et melior v i d e t u r ), mais non nécessaire. C’est que, selon les interprétations qu’il en fournit, aucune des ponctuations proposées n’est contraire à l’orthodoxie ou au bons sens, et, selon le principe établi en doctr. christ. 3,9 : Ubi autem neque praescripto fidei neque ipsius sermonis textu ambiguitas explicari potest, nihil obest secundum quamlibet earum, quae ostenduntur, sententiam distinguere [Là où une ambiguïté ne peut être résolue ni par la règle de la foi, ni par le contexte même du discours, rien n’empêche de ponctuer la phrase selon n’importe laquelle des [ponctuations] qui se présentent]. Augustin n’est pas le seul à trouver problématique l’enchainement des idées en Rom. 1,3s. Jean Chrysostome, hom. in Rom. 1,2 (PG 60, 397) remarque que ἀσαφὲς τὸ εἰρημένον ἀπὸ τῆς τῶν λέξεων πλοκῆς γέγονε [ce qui est dit est ambigu à cause de l’enchainement des mots]. Mais sa solution est différente : il voit le passage comme proposant cinq causes par lesquelles on peut voir que Jésus est le Fils de Dieu : ἀπὸ τῶν προφητῶν, ἐξ αὐτοῦ τοῦ τρόπου τῆς γεννήσεως, ἀπὸ τῶν θαυμάτων ὧνπερ ἔπραττε (il comprend donc δυνάμει / virtute différemment d’Augustin), ἀπὸ τοῦ Πνεύματος, ἀπὸ τῆς ἀναστάσεως Κυρίου [à partir des prophètes, à cause de la façon même dont il fut engendré, à partir des miracles qu’il a faits, à partir de l’Esprit, à partir de la résurrection du Seigneur]. Ainsi, Augustin se soucie plus que Chrysos-

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tome de repérer dans le texte une structure logique qui corresponde à l’ordre des énoncés (c’est le sens de consequenter, 5,10). 5,5 filius David in infirmitate secundum carnem Voir déjà dans le même sens sur Rom. 1,3, Origène, Jo. 32,25,322 (commentant Io. 13,31s.) : ἡ διὰ τὸν ὑπὲρ ἀνθρώπων θάνατον δόξα οὐ τοῦ μὴ πεφυκότος ἀποθνῄσκειν ἦν μονογενοῦς λόγου καὶ σοφίας καὶ ἀληθείας, καὶ ὅσα ἄλλα εἶναι λέγεται τῶν ἐν τῷ Ἰησοῦ θειοτέρων, ἀλλὰ τοῦ ἀνθρώπου, ὃς ἦν καὶ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου, ‘γενόμενος ἐκ σπέρματος Δαβὶδ τὸ κατὰ σάρκα’ [La gloire de sa mort pour les hommes n’appartient pas au Verbe Fils unique, de nature immortelle, sagesse et vérité, et tous les autres éléments plus divins qui sont dits être en Jésus, mais [cette gloire appartient] à l’homme, qui était aussi fils de l’homme, qui est ‘né de la semence de David selon la chair’]. Et, comme l’explique le paragraphe suivant (323), c’est justement pour cela que Jésus dit à Io. 13,31 νῦν ἐδοξάσθη ὁ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου [Maintenant le fils de l’homme a été glorifié]. Voir n. à 14,6. 5,7 Nam et si mortuus est ex infirmitate Pour mortuus est [il est mort], on lit ἐσταυρώθη [il fut crucifié] en grec, et crucifixus est [il fut crucifié] dans la Vulgate, sans variantes (selon Nestle-Aland28 et Gryson). Mais la base de données Vetus Latina montre que mortuus est est une variante assez bien attestée chez les auteurs latins. Augustin connait les deux leçons mais préfère largement crucifixus, qu’il utilise 18 fois (civ. 16,2 ; epist. 185,49 ; 205,8 ; 238,17 ; c. Faust. 2,11 ; in Iob 36 ; in epist. Ioh. 2,6 ; in psalm. 65,40 ; 66,32 ; 79,3 ; 101,2,10 ; 120,63 ; 150,10 ; serm. 88,1 ; 363,3 ; trin. 1,3.28 ; 13,18) contre 3 fois mortuus est (Inchoata expositio + quaest. hept. 2,60 ; in psalm. 53,17). 5,9 sedet ad dexteram Patris L’expression n’est pas biblique, bien qu’elle ait ses racines dans Ps. 109,1, qu’Augustin vient de citer, puis Rom. 8,34 (ad dexteram Dei [à la droite de Dieu]), Eph. 1,20 (ad dexteram suam [à sa droite]), Hebr. 1,3 (ad dexteram maiestatis [à la droite de la majesté]). Mais ad dexteram Patris vient des symboles de la foi, et figure en effet non seulement dans le symbole de Nicée, mais dans les trois symboles moins répandus (de Milan, d’Hippone, et « des catéchumènes ») auxquels Augustin était habitué (voir FITZGERALD, Augustine s.v. Creeds). La formule est également courante dans les « grandes doxologies » (voir DACL s.v. doxologies). Sur son emploi chez Augustin, voir LA BONNARDIÈRE, L’épître, 138s., n. 4. Les Manichéens se moquaient de l’expression, dans la lignée des critiques gnostiques de l’Ancien Testament, parce qu’elle révélait, pour eux, une conception physique de Dieu. Augustin répondra donc en allégorisant : Nec nos hoc de Deo Patre sentimus – nulla enim forma corporis Deus finitur atque concluditur – sed dextera Patris est beatitudo perpetua quae sanctis datur [Nous non plus, nous ne pensons pas cela de Dieu le Père – car Dieu n’est ni limité ni enfermé par aucune forme cor-

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porelle – mais la droite du Père est la béatitude perpétuelle qui est donnée aux saints] (agon. 28 ; voir aussi symb. 11). Comme dans l’Inchoata expositio, le Christ à la droite du Père est immédiatement associé aux élus qui le rejoindront (voir n. à 5,13, cum illo vivant). 5,11–17 Jésus, le premier des ressuscités En expliquant pourquoi il préfère joindre praedestinatus est à resurrectione mortuorum (voir n. à 5,4–7), Augustin accumule les mots qui signalent la précédence du Christ dans la résurrection des morts : principatu … prae ceteris et ante ceteros … primogenitum … praecesserat … caput … princeps … praecederet … praecessit [3 fois de suite]. Une réflexion sur le sens de praedestinatus éclairera ce choix lexical. praedestino n’apparait pas en latin classique (voir ThLL s.v ; en Tite-Live 45,40,8, les éditeurs adoptent généralement la correction destinantis), et le mot fut peut-être inventé par les premiers traducteurs du Nouveau Testament. Il sert en effet, y compris dans la Vulgate, à traduire différentes formes de προορίζω [littéralement : « pré-limiter »] en Rom. 8,29s. ; 1 Cor. 2,7 ; Eph. 1,5.11. Dans tous ces passages, il s’agit du dessein de Dieu pour sauver les hommes, ce qui correspond – sans entrer dans les détails du débat avec les Pélagiens – à la « prédestination » au sens augustinien habituel (contraster Act. 4,28 : où il s’agit d’une décision humaine, la Vulgate traduit decreverunt). Or, en Rom. 1,4, praedestinatus ne traduit pas προορισθέντος mais ὁρισθέντος [littéralement : « limité »]. La traduction n’est donc pas très exacte, et l’est d’autant moins si Jean Chrysostome a raison de gloser ὁρισθέντος par δειχθέντος, ἀποφανθέντος, κριθέντος, ὁμολογηθέντος [montré, révélé, jugé, admis] (hom. in Rom. 1,2 [PG 60, 397s.]). Voir aussi Théodoret de Cyr, Rom. ad loc. (PG 82, 52), qui est très proche de l’Ambrosiaster, in Rom. 1,4 : praedestinatus est secundum Spiritum sanctificationis in virtute m a n i f e s t a r i Filius Dei [il a été prédestiné selon l’Esprit de sanctification pour être r é v é l é dans la puissance comme Fils de Dieu]). Néanmoins, selon les résultats de la base de données Vetus Latina, cette traduction est presque universelle dans l’Église latine, même si on lit definitus chez Tertullien (adv. Prax. 27) et destinatus chez Hilaire de Poitiers (trin. 7,24). Or, praedestinatus Filius Dei en Rom. 1,4 avait de quoi choquer, puisqu’il semblait mettre le Fils en relation de subordination, sinon de postériorité dans le temps, par rapport au Père. C’est du moins ainsi qu’ont réagi certains auteurs latins. Pour Tyconius, c’est une des raisons (voir n. à 4,10 ; 5,13, neque ad exemplum) de comprendre Filius Dei ici non pas du Christ, mais de l’Église : Dominus autem noster non est Dei filius ‘praedestinatus’, quia Deus est et coaequalis est Patri [Mais notre Seigneur n’est pas le fils de Dieu ‘prédestiné’, puisqu’il est Dieu et il est égal au Père] (Liber regularum 1,12,1). Pour Jérôme et Rufin, en hellénistes achevés, il s’agissait plutôt d’un problème de traduction. Le premier explique : Differentiam vero graeci sermonis προορίσας et ὁρισθέντος latinus sermo non explicat. Superior quippe sermo ad eos refertur, qui antea non fuerunt, et priusquam fierent, de his cogitatum est, et

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postea substiterunt. Inferior vero de eo quem nulla cogitatio, voluntas nulla praecessit, sed semper fuit, et numquam ut esset, accepit exordium. Unde recte nunc de his qui cum ante non essent, postea substiterunt, dicitur προορισθέντες. De Filio vero, hoc est, de Domino nostro Jesu Christo, in alio loco scriptum est ὁρισθέντος, quia semper cum Patre fuit, et numquam eum ut esset voluntas paterna praecessit [Les mots latins ne rendent pas la différence entre les mots grecs προορίσας et ὁρισθέντος. En effet, le premier mot fait référence à ceux qui n’existaient pas auparavant, et auxquels on a pensé avant qu’ils ne soient faits, et ensuite ils ont existé. Mais le second [mot indique] celui que nulle pensée, nulle volonté n’a précédé, mais qui a toujours été, et n’a jamais reçu un moment pour commencer à être. C’est donc à bon droit que προορισθέντες se dit ici de ceux qui n’avaient pas existé auparavant, puis ont commencé à exister. Mais le Fils, c’est-à-dire notre Seigneur Jésus Christ, est dit ailleurs ὁρισθέντος, puisqu’il a toujours été avec le Père, et la volonté paternelle ne l’a nullement précédé, pour qu’il fût] (in Eph. 1,5). De même, Rufin est suffisamment gêné par praedestinatus pour interpoler une remarque dans sa traduction du commentaire d’Origène sur l’épître aux Romains : Observandum est enim quia non dixit: ‘qui p r a e d e s t i n a t u s est Filius Dei in virtute secundum Spiritum sanctificationis’, sed ‘qui d e s t i n a t u s est Filius Dei’ … Quamvis enim in latinis exemplaribus ‘praedestinatus’ soleat inveniri, tamen, secundum quod interpretationis veritas habet, ‘destinatus’ scriptum est, non ‘praedestinatus’. Destinatur enim ille qui est, praedestinatur vero ille qui nondum est, sicut de his 〈de〉 quibus dicit apostolus: ‘Quos autem praescivit illos et praedestinavit’ [Rom. 8,29]. Praesciri ergo et praedestinari possunt illi qui nondum sunt, ille autem qui est et semper est non praedestinatur sed destinatur. [Il faut en effet noter qu’il n’a pas dit ‘qui fut p r é d e s t i n é Fils de Dieu dans la puissance selon l’Esprit de sanctification’, mais ‘qui fut d es t i n é Fils de Dieu’ … En effet, bien que, dans les exemplaires latins, on trouve d’ordinaire ‘prédestiné’, néanmoins, selon une traduction véridique, c’est ‘destiné’ qui est écrit, [et] non pas ‘prédestiné’. Car celui qui est est destiné ; mais celui qui n’est pas encore est prédestiné, comme c’est le cas pour ceux dont l’apôtre dit : ‘Ceux qu’il a connus par avance, il les a aussi prédestinés’. Donc ceux qui ne sont pas encore peuvent être connus par avance et prédestinés, mais celui qui est, et qui est toujours, n’est pas prédestiné mais destiné] (Rufin. Orig. in Rom. 1,7,1 ; Rufin ajoute que les Ariens profitaient de la traduction praedestinatus ; voir n. à 4,10). Augustin, pour sa part, ne disposait peut-être pas d’un texte grec de l’épître (voir n. à 2,5), et n’avait certainement pas le commentaire traduit d’Origène, puisque la traduction date de 405/406 (voir SChr 532, 28). S’il connaissait déjà Tyconius (il disposait du Liber regularum dès 396 : voir SChr 488, 91 et cf. n. à 23,8–12), son exégèse a dû lui paraitre trop extravagante pour être prise en compte. Le commentaire de Jérôme sur Eph. date de 386, donc avant l’Inchoata expositio (voir FÜRST, Hieronymus, 116s.) mais il est très improbable qu’Augustin ait négligé la remarque de Jérôme, s’il l’avait lue et s’en était souvenu. Il n’a donc pas été jusqu’à remettre en question praedestinatus. Mais il a jugé que le mot ne devait s’appliquer au Christ

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que par rapport au salut des hommes, et non pas par rapport au Père. L’Ambrosiaster peut lui avoir donné l’idée d’interpréter ex resurrectione mortuorum comme la résurrection générale (‘ex mortuorum’ quia resurrectio Christi generalem tribuit resurrectionem [‘des morts’ parce que la résurrection du Christ donne lieu à la résurrection générale], in Rom. 1,4). Ensuite, il suffisait de joindre praedestinatus avec ex resurrectione mortuorum (voir n. à 5,4–7) : si les élus étaient prédestinés à ressusciter, le Christ pouvait être décrit comme prédestiné à ressusciter comme première étape de cette résurrection générale (ex ipsorum enim resurrectione praedestinatus est, 5,13) Il n’en restait pas moins que le verbe praedestinatus était appliqué directement à Jésus. Cela n’a pas paru intolérable à Augustin, qui va dire : non enim sic praedestinari oportuit nisi Filium Dei (5,12 ; on a déjà vu, n. à 5,4–7, qu’il ne tenait pas absolument à séparer praedestinatus de Filius Dei). Il faut comprendre qu’il acceptait déjà de résoudre le problème par l’unité des deux natures du Christ, comme il le fera bien plus tard, quand il commentera Rom. 1,1–4 en praed. sanct. 31 : Nam et ipsum Dominum gloriae, in quantum homo factus est Dei Filius, praedestinatum esse didicimus … Ipsa est illa ineffabiliter facta hominis a Deo verbo susceptio singularis, ut Filius Dei et filius hominis simul, filius hominis propter susceptum hominem, et Filius Dei propter suscipientem unigenitum Deum, veraciter et proprie diceretur; ne non Trinitas, sed quaternitas crederetur. Praedestinata est ista naturae humanae tanta et tam celsa et summa subvectio. [En effet, nous avons appris que le Seigneur de la gloire lui-même, dans la mesure où le Fils de Dieu s’est fait homme, a été prédestiné … C’est là l’inexprimable et unique assomption de l’homme, accomplie par Dieu le Verbe, pour qu’il soit correctement et proprement appelé à la fois Fils de Dieu et fils de l’homme, fils de l’homme à cause de l’homme assumé, et Fils de Dieu à cause du Dieu-engendrement unique, qui assume : sinon il faudrait croire non pas à la Trinité, mais à la Quaternité. C’est cette élévation, si grande, si haute, de la nature humaine au sommet qui fut prédestinée] (voir aussi in euang. Ioh. 105,8. La même idée est déjà chez Rufin. Orig. in Rom. 1,8,2 : quod per indissolubilem unitatem verbi et carnis omnia quae carnis sunt adscribuntur et verbo [puisque, par l’indissoluble unité du Verbe et de la chair, tout ce qui appartient à la chair est aussi mis au compte du Verbe]. Mais pour Origène, le problème posé est de savoir comment ἐξ ἀναστάσεως νεκρῶν [à partir de la résurrection des morts], qu’Origène, à l’encontre d’Augustin et de l’Ambrosiaster, comprend de la seule résurrection de Jésus, peut s’appliquer à Filius Dei). 5,11 Non enim resurrectione ipsa sua … La formule est osée, puisqu’elle semble dévaloriser la résurrection de Jésus. Mais Augustin veut indiquer que même celle-ci ne prend son vrai sens que par la résurrection qu’elle confère aux croyants. Il utilisera un langage encore plus hardi en serm. 169,12 (sur Phil. 3,10) : Hoc putatis esse magnum, quia carnem suam resuscitavit? Ipsam dixit ‘virtutem resurrectionis eius’ [Phil. 3,10]? Nonne erit etiam nostra in

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fine saeculi resurrectio? … Nonne quomodo ‘ipse resurrexit a mortuis, et iam non moritur, et mors ei ultra non dominabitur’ [Rom. 6,9], sic et nos, mirabilius, ut ita dicam? Nam illius ‘caro non vidit corruptionem’ [Act. 2,31], nostra de cinere reparatur [Pensez-vous que c’est quelque chose de grand, qu’il ait ressuscité son propre corps ? Est-ce cela qu’il appelle ‘la puissance de sa résurrection’ ? N’y aura-t-il aussi notre résurrection à la fin des temps ? … N’est-ce pas que, tout comme ‘il est ressuscité des morts et désormais il ne meurt pas, et la mort n’aura plus d’emprise sur lui’, il en sera de même pour nous, un plus grand miracle, si je puis le dire. Car sa ‘chair n’a pas vu la corruption’ ; la nôtre sera recréée à partir des cendres]. Voir aussi la belle exégèse en in psalm. 3,9 : ‘Exsurge, Domine, salvum me fac, Deus meus’ [Ps. 3,7]. Potest hoc ipsi capiti suo corpus dicere; illo enim exsurgente salvum factum est, ‘qui ascendit in altum, captivam egit captivitatem, dedit dona hominibus’ [Eph. 4,8]. Hoc enim in p r a e d e s t i n a t i o n e a propheta dicitur, quousque ad terras Dominum nostrum illa de qua in evangelio [Mt. 9,37] dicitur messis matura deposuit, cuius salus est in eius resurrectione, qui pro nobis dignatus est mori [‘Lèvetoi, Seigneur, sauve-moi, mon Dieu’. Le corps peut dire cela à sa propre tête, puisque, quand il se lève, celui qui est monté en haut, qui a fait captive la captivité, qui a donné des dons aux hommes’, [le corps] est sauvé. En effet, ceci fut dit par le prophète en vue de la p r éd e s t i n a t i o n , jusqu’au moment où cette moisson mûre dont on parle dans l’Évangile déposerait notre Seigneur dans [nos] terres, [cette moisson] dont le salut est dans la résurrection de celui qui a daigné mourir pour nous]. Ce praedestinatione est peut-être un souvenir de Rom. 1,4, tout comme le Christ caput ecclesiae (tête de l’Église) se retrouve ici et dans Inchoata expositio 5,11. 5,12 unde illum alio loco primogenitum ex mortuis appellat Alio loco doit signifier « dans un endroit autre que Rom. 1 », puisque Paul appelle Jésus primogenitum ex mortuis (πρωτότοκος ἐκ τῶν νεκρῶν) au même verset de Col. où il le dit être caput ecclesiae (ἡ κεφαλὴ [τοῦ σώματος] τῆς ἐκκλησίας). Mais Augustin pense peut-être aussi à 1 Cor. 15,20, où le Christ est dit ἀπαρχὴ τῶν κεκοιμημένων / primitiae dormientium [prémices de ceux qui se sont endormis]. En in Rom. 48, Augustin a écrit une phrase presque identique (unde et alio loco primogenitum eum a mortuis dicit [c’est pourquoi, ailleurs aussi, il l’appelle le premier-né d’entre les morts]) ; là il s’agit du parallèle entre Rom. 8,29 et Col. 1,18. 5,13 neque ad exemplum omnium resurgentium Ici commence un développement, qui continuera jusqu’en 5,17, fondé sur une lecture qui fait de Iesu Christi Domini nostri un génitif dépendant de mortuorum. De fait, comme le fait remarquer RING (n. à 5,15 ; 5,17), Augustin, par le biais de la traduction latine, a presque certainement mal compris Paul. On voit généralement Ἰησοῦ Χριστοῦ τοῦ κυρίου ἡμῶν en Rom. 1,4 comme étant un génitif en apposition à (περὶ) τοῦ υἱοῦ αὐτοῦ en Rom. 1,3. Comme le texte latin traduisait de filio suo, il aurait dû continuer avec un second ablatif, Iesu Christo Domino nostro. On trouve la même

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erreur déjà chez Tyconius, où elle contribue à lui faire vouloir appliquer filio suo non pas au Christ mais à l’Église (voir n. à 4,10 ; 5,11–17) : Si diceret ‘de filio suo ex resurrectione mortuorum’, unum filium ostenderat; nunc autem ‘de filio’, inquit, ‘suo ex resurrectione mortuorum Iesu Christi Domini nostri’ [S’il avait dit ‘à propos de son fils à partir de la résurrection des morts’, il aurait désigné un seul fils. Mais ici il dit ‘à propos de son fils à partir de la résurrection des morts de Jésus Christ notre Seigneur’] (Tycon. reg. 1,12,1). Comprendre : Paul mentionne deux « fils », filio suo et Iesu Christi, et il ne peut s’agir du même être. Augustin a trop de bon sens pour être induit en pareille erreur. Pour ce qui sépare la résurrection des justes de celle des mauvais, voir doctr. christ. 1,37 : Cuius autem animus non moritur huic saeculo neque incipit configurari veritati, in graviorem mortem morte corporis trahitur neque ad commutationem caelestis habitudinis sed ad luenda supplicia revivescit [Mais celui dont l’âme ne meurt pas à ce monde, et ne commence pas à se conformer à la vérité, est entraîné dans une mort plus grave que la mort du corps, et il ressuscite non pas pour être transformé dans l’état céleste, mais pour expier dans les tourments]. Évidemment, le Christ ne pouvait être considéré comme l’exemplum pour une telle résurrection (voir aussi Origène, Jo. 2,17,117s. : καὶ πρῶτόν γε ἴδωμεν τὸ ‘οὐκ ἔστι Θεὸς νεκρῶν ἀλλὰ ζώντων’ [Mc. 12,27] ἴσον δυνάμενον τῷ οὐκ ἔστιν ἁμαρτωλῶν ἀλλὰ ἁγίων Θεός [Et notons d’abord que ‘il n’est pas le Dieu des morts mais des vivants’ équivaut à ‘il n’est pas le Dieu des pécheurs mais des saints’]). MARA, Agostino interprete, sur ce passage (172s. n. 19) est à corriger. Elle renvoie à Origène, comm. in Rom. 1,6 (= 1,8,3) pour « un’interpretazione vicina » sur Eph. 2,6. Mais Origène dit là, sur la base de Mt. 27,52s. et Hebr. 12,23, que certains hommes ont pu être prémices de la résurrection en union avec le Christ (in primitivatu participes [participants dans les prémices]), et seraient déjà au ciel avec lui. Ces spéculations sont étrangères à la pensée d’Augustin ici. 5,13 cum illo vivant et regnent in sempiterno Augustin adopte la formule liturgique ancienne (voir JUNGMANN, Missarum Sollemnia, 472s.), et encore en usage aujourd’hui. C’est d’ordinaire du Christ que l’on dit qu’il vit et régne avec le Père, si bien que l’allusion liturgique renforce le thème de l’incorporation des ressuscités dans le Christ (voir n. à 5,9). 5,13 ceterorum autem in sua conditione resurgentium non princeps sed iudex est On peut s’étonner de lire que le Christ ne jugera pas les élus, quand des textes comme 2 Cor. 5,10 ou Mt. 25,31–46 parlent clairement d’un jugement pour tous. Bien entendu, Augustin ne nie nullement un jugement universel, mais il sait que la Bible parle ailleurs du jugement comme réservé aux méchants, et il doit faire la part de ces deux langages : Cum audimus ‘qui credit in Christum, non veniet in iudicium’ [Io. 3,18], intellegamus quia non veniet in damnationem. Dicitur enim iudicium pro dam-

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natione [Quand nous entendons ‘celui qui croit au Christ ne viendra pas au jugement’, comprenons qu’il ne viendra pas à la condamnation. Car ‘jugement’ est dit pour ‘condamnation’] (agon. 29) ; omnes et iusti et iniusti resurrecturi sunt. Sed, sicut Dominus in evangelio loquitur, ‘qui bene fecerunt, in resurrectionem vitae; qui vero male egerunt, in resurrectionem iudicii’ [Io. 5,29], iudicium appellans poenam sempiternam, sicut alio loco: ‘Qui non credit’, inquit, ‘iam iudicatus est’ [Io. 3,18] [Tous, et les justes et les impies, ressusciteront. Mais, comme le Seigneur le dit dans l’Évangile, ‘ceux qui ont fait le bien, pour la résurrection de la vie, mais ceux qui ont mal agi, pour la résurrection du jugement’, appelant ‘jugement’ la peine éternelle, comme il dit ailleurs : ‘Celui qui ne croit pas est déjà jugé’] (epist. 205,14). À rebours, un autre texte peut l’inciter à appliquer le jugement seulement aux bons : ‘Impii non resurgunt in iudicio’ [Ps. 1,5]: id est, resurgunt quidem, sed non ut iudicentur, quia iam poenis certissimis destinati sunt [‘Les impies ne ressusciteront pas dans le jugement’ : c’est-à-dire, ils ressusciteront, mais non pour être jugés, puisqu’ils sont déjà destinés à des peines très certaines] (in psalm. 1,5 ; similairement in psalm. 25,2,6). Le principe fondamental pour Augustin est donc que tous seront jugés, et les textes qui semblent dire autre chose sont à interpréter en fonction de ce principe. Contraster la vision très littérale (et peu orthodoxe) de Lactance, en inst. 7,20,5 : Ps. 1,5 indique que les païens ne ressusciteront pas du tout : quoniam sententia de his in absolutionem ferri non potest, iam iudicati damnatique sunt [parce qu’une sentence d’absolution pour eux ne peut être portée, ils sont déjà jugés et condamnés] – et la résurrection et le jugement sont ensuite réservés aux croyants. Chez Augustin, l’équivalence jugement-condamnation au moment du Jugement Dernier n’est que l’accomplissement de ce qui se passe déjà dans notre for intérieur : Numquid enim Deus continetur loco, quem praesentem habet omnis angelica et humana conscientia, non solum bonorum sed etiam malorum? Verum hoc interest, quod bonis conscientiis adest ut pater, malis ut iudex [Est-ce que, en effet, Dieu est contenu dans un espace, lui qui est présent dans toute conscience angélique et humaine, non seulement des bons, mais aussi des mauvais ? Mais la différence, c’est qu’il est présent pour les bonnes consciences comme un père, pour les mauvaises comme un juge] (serm. 12,3). 6,1 gratiam cum omnibus fidelibus, apostolatum autem non cum omnibus Augustin voit gratiam comme faisant référence à la grâce salvifique dont auront besoin tous les élus, et la sépare donc entièrement d’apostolatum, le don de convertir, donné seulement à ceux dont c’est la mission. Cette séparation n’est pas fréquente dans les commentaires sur Rom. Origène avait compris gratiam (χάριν) comme étant justement le don de convertir octroyé aux apôtres : Neque enim gentes quae erant alienae a testamento Dei et conversatione Israhel credere poterant evangelio nisi per gratiam quae apostolis fuerat data, per quam praedicantibus apostolis in fidem oboedire dicuntur et in omnem terram de nomine Christi sonus gratiae eorum commemoratur exisse [Rom. 10,18] [En effet, les gentils qui étaient étrangers au tes-

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tament de Dieu et à la vie d’Israel n’auraient pas pu croire à l’Évangile, sans la grâce qui fut donnée aux apôtres. Par celle-ci, il est dit qu’ils ont obéi dans la foi à la prédication des apôtres, et que le retentissement de leur grâce, venant du nom du Christ, est dit être sorti par toute la terre] (Rufin. Orig. in Rom. 1,9,2). Jean Chrysostome comprend χάριν dans deux sens : Paul indique à la fois qu’il n’est pas devenu apôtre par ses mérites (οὐχ ἡμεῖς αὐτὸ καθωρθώσαμεν τὸ γένεσθαι ἀπόστολοι … ἀλλὰ χάριν ἐλάβομεν [Ce n’est pas nous qui avons réussi à devenir apôtres … mais nous avons reçu la grâce]; même réflexion sur κλητὸς ἀπόστολος [appelé [comme] apôtre], en hom. in 1 Cor. 1,1 [PG 61, 11s.]) et que c’est la grâce qui a rendu efficace sa prédication (οὐχ ἄρα οἱ ἀπόστολοι ἦσαν οἱ καθορθοῦντες ἀλλ’ ἡ προοδοποιοῦσα χάρις αὐτοῖς [Ce ne sont pas les apôtres qui réussissaient, mais la grâce qui leur préparait le chemin]) (hom. in Rom. 1,2s. [PG 60, 398]). Théodoret de Cyr ne va pas au-delà de l’interprétation d’Origène (Dieu est ἀναλογοῦσαν τῷ κηρύγματι δωρησάμενος χάριν [ayant octroyé la grâce appropriée pour la prédication], in Rom. 1,5 [PG 82, 52]). La séparation ne semble donc pas venir de la tradition grecque. Par contre, BASTIAENSEN (Augustine’s Pauline Exegesis, 35s.) et MARA (Agostino Interprete, 174 n. 21) suggèrent avec raison qu’Augustin a pu s’inspirer ici de l’Ambrosiaster, qui écrit : post resurrectionem manifestatus Filius Dei in virtute gratiam dedit iustificans peccatores [après la résurrection, révélé [comme] Fils de Dieu dans la puissance, il donna la grâce, en justifiant les pécheurs] (in Rom. 1,5). Mais Bastiaensen a tort de conclure « Augustine’s understanding of the text is the same as Ambrosiaster’s, but formulated in a much clearer way ». Pour l’Ambrosiaster la grâce dont il est question ici reste surtout celle donnée aux apôtres pour la prédication, dont il ajoute qu’elle se manifeste par les miracles : ut apostolatus cum gratia esset doni Dei, non sicut Iudaeorum sunt apostoli. A Deo ergo Patre hanc acceperunt potestatem, ut vice Domini signis doctrinam dominicam acceptabilem facerent [pour que l’apostolat soit avec la grâce du don de Dieu, non pas comme pour les apôtres des Juifs. Ils ont donc reçu cette puissance de Dieu le Père, pour [agir] à la place du Seigneur, [et] rendre acceptable par les signes la doctrine du Seigneur]. Cette pensée diffère de celle d’Augustin, qui veut souligner que les apôtres ont d’abord reçu une grâce qui n ’ e s t p a s spéciale, parce qu’ils étaient dans le péché comme tous. C’est donc plutôt sa réflexion antérieure sur l’hostilité apparente de Paul, dans Gal., aux autres apôtres, qui nourrit sa pensée ici : Neque in contumeliam praecessorum eius putet quis ab eo dictum ‘qui videntur esse aliquid – quales aliquando fuerint, nihil mea interest’ [Gal. 2,6]. Et illi enim tamquam spiritales viri volebant resisti carnalibus, qui putabant aliquid ipsos esse et non potius Christum in eis, multumque gaudebant, cum persuaderetur hominibus et seipsos praecessores Pauli, sicut eundem Paulum, ex peccatoribus iustificatos esse a Domino [Et que nul ne pense que c’est par mépris de ses prédécesseurs qu’il a dit ‘ceux qui semblent être quelque chose – ce qu’ils furent par le passé, peu m’importe’. En effet, eux aussi, en tant qu’hommes spirituels, voulaient résister aux hommes charnels, qui pensaient qu’ils étaient eux-mêmes quelque chose, plutôt que le Christ en eux. Et ils étaient très joyeux quand les hommes

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étaient convaincus que même eux, les prédécesseurs de Paul, tout comme ce même Paul, furent pécheurs avant d’être justifiés par le Seigneur] (in Gal. 13). Pour Augustin, Paul, l’ennemi du Christ devenu chrétien, est un type des apôtres, et non pas l’exception parmi eux. Ainsi reviendra-t-il sur Paul pécheur dans Inchoata expositio, 14,6 ; 21,4–7 ; voir n. suivante. 6,1 tamquam enim meritis priorum operum Augustin reprend et modifie les mots utilisés en 1,3 (tamquam de meritis operum legis) dans sa description des Juifs convertis réfutés par Paul. Il met ainsi en valeur le parallèle entre le chemin personnel de Paul et celui voulu par Dieu pour tous les Juifs, et même tous les hommes (voir n. à 1,1–3) qui seront sauvés. C’est de même qu’Augustin voudra dans les Confessions universaliser son expérience personnelle de conversion (voir P. COURCELLE, Les Confessions de saint Augustin dans la tradition littéraire, Paris 1963, 119. Mais ce livre n’aurait-il pas dû consacrer plus d’espace à Paul ? Voir n. à 15,3, quanto possunt ; 15,12, ad ubera sua ; 21,4.5.7). Le mot meritum, qui n’est pas biblique, pèse lourd dans la théologie augustinienne des œuvres et de la grâce. Voir par exemple divers. quaest. 68,3, la première des exégèses détaillées de Rom. 9 où Augustin expose son idée de la massa peccati [masse du péché]: Cum ergo m e r i t u m peccando amiserimus, et misericordia Dei remota nihil aliud peccantibus nisi aeterna damnatio debeatur, quid sibi vult homo de hac massa, ut Deo respondeat et dicat: ‘Quare sic me fecisti?’ [Rom. 9,20] Si vis ista cognoscere, noli esse lutum, sed efficere filius Dei per illius misericordiam, qui dedit potestatem filios Dei fieri credentibus in nomine eius [Io. 1,12], non autem, quod tu cupis, antequam credant divina nosse cupientibus. Merces enim cognitionis m e r i t i s redditur; credendo autem m e r i t u m comparatur. Ipsa autem gratia, quae data est per fidem, nullis nostris m e r i t i s praecedentibus data est. Quod est enim m e r i t u m peccatoris et impii? Christus autem pro impiis et peccatoribus mortuus est [Rom. 5,6], ut ad credendum non m e r i t o , sed gratia vocaremur, credendo autem etiam m e r i t u m compararemus [Puisque nous avons perdu notre m é r i t e par le péché, et, quand la miséricorde de Dieu s’éloigne, plus rien n’est dû aux pécheurs à part la damnation éternelle, pour qui se prend-il, l’homme de cette masse, pour répondre à Dieu et dire: ‘Pourquoi m’as tu fait ainsi ?’ Si tu veux savoir cela, ne sois pas du limon, mais transforme-toi en fils de Dieu par la miséricorde de celui qui a donné le pouvoir de devenir fils de Dieu à ceux qui croient en son nom, et non pas, comme tu le désires, à ceux qui désirent connaitre les choses divines avant de croire. En effet, la récompense de la connaissance est donnée aux m é r i t e s , mais le m é r i t e est acquis par l’acte de croire. Or cette grâce, qui est donnée à travers la foi, est donnée sans aucun m é r i t e préalable de notre part. Car quel est le mérite du pécheur et de l’impie? Mais le Christ est mort pour les pécheurs et les impies, pour que nous soyons appelés à croire, non pas par le m é r i t e mais par la grâce, et pour que nous acquérions ensuite le m é r i t e par l’acte de croire]. La notion selon laquelle l’homme pouvait mériter le salut impliquait par contrecoup que Dieu avait un devoir de le conférer, et

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cette façon de penser est devenue intolérable à Augustin. Voir dans l’Inchoata expositio : 7,5 : benignitatem Dei potius quam m e r i t u m illorum ; 7,6 : prior enim dilexit nos ante omnia m e r i t a (avec n. de RING ad loc.) ; 9,6 : paenitentiae m e r i t u m gratia praecedat ; 11,6 : non m e r i t i s operum priorum, sed secundum misericordiam Dei. Voir aussi n. précédente, n. à 1,1–3 ; 7,7 ; 9,1–6, et AugLex s.v. meritum, 4. 6,2 ceteris membris post caput corporis supereminent Chez les auteurs classiques, superemineo se construit avec l’accusatif (Virgile, Énéide 1,498 : deas supereminet omnes [elle surpasse toutes les déesses]. Pour plus d’exemples, voir les lexiques. Le verbe est essentiellement poétique). Mais, selon les résultats de LLTA, à partir du 4ème siècle, peut-être sous l’influence d’Eph. 3,19 (τὴν ὑπερβάλλουσαν τῆς γνώσεως ἀγάπην τοῦ Χριστοῦ [l’amour du Christ qui surpasse la connaissance], généralement rendu par supereminentem scientiae caritatem Christi), les auteurs chrétiens commencent à employer le verbe avec le datif. Hilaire de Poitiers ne l’emploie que deux fois avec un objet, mais celui-ci est alors au datif : primo illi superioris caeli circulo supereminens [surpassant le premier cercle de ce ciel supérieur] (in psalm. 135,11) ; supereminens facturis omnibus [surpassant toutes les créations] (trin. 6,38). On trouve aussi le datif chez Faustinus « le Luciférien » : supereminens mundo nobilitas [l’excellence surpassant le monde] (De Trinitate 38, CCSL 69). Ambroise continue à employer l’accusatif (Ioseph 3,13 ; spir. sanct. 1,118), mais préfère le datif : crux supereminens corpori [la croix surpassant le corps] (patr. 31) ; populus Dei … supereminet terris [le peuple de Dieu … surpasse les terres] (in Luc. 9,29) ; supereminentem ceteris elephantum [un éléphant surpassant tous les autres] (off. 1,40) ; rationabile, quod ceteris animae virtutibus supereminet [la rationalité, qui surpasse toutes les autres vertus de l’âme] (spir. sanct. 2,126) ; iniquitates meae … supereminent mihi [mes crimes … me surpassent] (in psalm. 37,29). Par contre, Rufin se limite à l’accusatif (Apologia 1,17 ; Traductions : Basile, serm. 5,108 ; Origène, De principiis 1,1,8 ; 4,1,63 ; hom. in Ex. 2,1 ; hom. in Lev. 7,5 ; hom. in Num. 21,1 ; Cant. 2 [GCS 33, 153] ; Eusèbe, Histoire Ecclésiastique 8,1,6 ; Ps.Clément, Recognitiones 5,22). Jérôme n’emploie jamais le verbe avec un objet, sauf quand il cite Eph. 3,19. Quant à Augustin, il emploie superemineo souvent, et quand il lui donne un objet, celui-ci est toujours au datif : Deus … ipsi menti supereminet [Dieu … surpasse l’esprit même] (vera relig. 189) ; supereminere terrae [surpasser la terre] (gen. c. Manich. 2,12 ; voir cons. euang. 4,15) ; ceteris vero supereminere naturis [mais surpasser toutes les autres natures] (mus. 6,55) ; superioribus creaturae tuae partibus supereminens [surpassant les parties supérieures de ta création] (conf. 7,24) ; eius evangelium superemineat ceteris [son Evangile surpasse tous les autres] (spec. 197) ; corpori supereminens [surpassant le corps] (quaest. euang. 2,41) ; supereminens omnibus veritas [la vérité qui surpasse tout] (in psalm. 33,2,6) ; aquis circumfluentibus supereminet [[la terre] surpasse les eaux qui coulent autour d’elle] (in psalm. 135,7) ; inferiori mari supereminet [[la cité] surpasse la mer en-dessous d’elle] (ibid.) ; quod

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supereminens esset omnibus [qu’il les surpassait tous] (serm. 169,5 ; voir de mend. 41 ; c. Cresc. 2,15) ; Deus supereminens omnibus quae fecit [Dieu surpassant tout ce qu’il a fait] (serm. 293A(augm),8) ; supereminens universae creaturae [surpassant toute créature] (serm. 341(augm),7) ; illam, quae supereminet donis omnibus, caritatem [cette charité qui surpasse tous les dons] (virg. 47). Blaise s.v. superemineo, a tenté de donner un sens spécifique au verbe quand il prend le datif : « être supérieur à ». Cette notice est à corriger : l’usage varie selon les auteurs et non selon le sens. 6,3 et signentur in eius nomine Comme le signale RING (n. ad loc.), signentur fait référence au baptême. Blaise ne note pas « baptiser » comme sens de signo dans son Dictionnaire (il faut attendre l’analyse de ThLL), mais voir RING, Le Vocabulaire latin des principaux thèmes liturgiques, Turnhout 1966, §329, pour l’emploi de signo, signum, signaculum dans les anciennes liturgies baptismales. Le sens baptismal de signare est particulièrement lié à signaculum (« sceau »), employé dès Tertullien pour le baptême (Blaise s.v., 8, et Inchoata expositio 18,7), tout comme l’est son équivalent grec, σφραγίς, dès Clément d’Alexandrie (Lampe s.v., C). 7,1–5 Questions et réponses en Rom. 1,1–7 L’analyse d’un texte de l’Écriture comme une série d’éléments qui répondent chacun à une question amenée par l’élément précédent est fréquente chez Augustin. Ainsi doctr. christ. 4,108s., sur Gal. 3,18–21 : ‘Si enim ex lege hereditas, iam non ex promissione. Abrahae autem per promissionem donavit Deus’. Et quia o c c u r r e r e poterat audientis cogitationi : ‘Ut quid ergo lex data est, si ex illa non est hereditas ?’, ipse sibi hoc obiecit atque ait velut interrogans: ‘Quid ergo lex?’ Deinde respondit: ‘Transgressionis gratia proposita est, donec veniret semen, cui promissum est, dispositum per angelos in manu mediatoris. Mediator autem unius non est, Deus vero unus est’. Et hic o c c u r r e b a t , quod sibi ipse proposuit: ‘Lex ergo adversus promissa Dei?’ Et respondit: ‘Absit’, reddiditque rationem dicens: ‘Si enim data esset lex, quae posset vivificare, omnino ex lege esset iustitia. Sed conclusit scriptura omnia sub peccato, ut promissio ex fide Iesu Christi daretur credentibus’ [‘En effet, si l’héritage vient par la Loi, il ne vient plus par la promesse. Mais Dieu fit son don à Abraham à travers la promesse’. Et puisque l a q u e s t i o n pouvait s e p r és e n t e r dans la pensée de l’auditeur : ‘Pourquoi donc la Loi fut-elle donnée, si l’héritage ne vient pas d’elle ?’, il s’est fait cette objection à lui-même, et dit, comme s’il posait la question : ‘Qu’est donc la Loi ?’ Puis il a répondu : ‘Elle fut ajoutée à cause de la transgression, jusqu’à ce que vienne la semence à qui la promesse fut donnée, [la semence] ordonnée par les anges, dans la main d’un médiateur. Or il n’y pas de médiateur pour un seul, mais Dieu est un seul’. Et ici s e p r é s e n t a i t u n e q u e s t i o n , qu’il s’est lui-même posée : ‘La Loi est-elle donc opposée aux promesses de Dieu ?’ Et il a répondu : ‘Loin de là’, et il a donné la cause, en disant : ‘Car si une Loi avait été donnée, qui pouvait

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donner la vie, la justice viendrait entièrement de la Loi. Mais l’Écriture a tout enfermé dans le péché, pour que la promesse soit donnée par la foi en Jésus Christ à ceux qui croient’]. Noter la répétition d’occurrere, comme en Inchoata expositio 7,2 : quia occurebat … quia occurrebat. Pour d’autres exemples de telles analyses chez Augustin, voir in psalm. 7,3 ; 9,20 ; 25,2,1 ; de serm. dom. 1,19 ; 2,71 ; quaest. Simpl. 1,1,1s.7 ; 1,2,15 ; doctr. christ. 3,6–8 ; c. Faust. 13,7s. (Augustin présente Jérémie comme en dialogue avec un catéchumène d’origine païenne) ; epist. 149,9. C’est là encore une méthode de grammairien (voir n. à 5,4–7 ; 7,5 ; 11,3). Ainsi fonctionne, par exemple, la glose de Donat sur Térence, Eunuche 766s., où la réplique de Thaïs est présentée comme si elle répondait à une série de questions implicites de Chremes ou de Thrason (Thaïs dit à Chremes d’aller directement chez le soldat Thrason, pour prendre sous sa tutelle sa sœur perdue, Pamphila) : ‘Hoc modo dic, sororem illam tuam esse et te parvam virginem amisisse, / nunc cognosse. Signa ostende’. Ordine exsequitur. Primo utrum personam habeat: ‘Dic sororem’ inquit ‘esse illam tuam’. Utrum negotium habeat: ‘Et te parvam virginem amisisse’. Cur hodie agat: ‘Nunc cognosse’. Et unde probet: ‘Signa ostende’ [‘Tu diras seulement : c’est ta sœur, et tu l’avais perdue quand c’était une jeune vierge ; maintenant tu l’as reconnue. Montre les signes’. Elle poursuit dans l’ordre. Premièrement : a-t-il un rôle approprié ? ‘Tu diras’, dit-elle, ‘que c’est ta sœur’. Y a -t-il affaire ? ‘Et tu l’avais perdue quand c’était une jeune vierge’. Pourquoi fait-il ça aujourd’hui ? ‘Maintenant tu l’as reconnue’. Et comment le prouvera-t-il ? ‘Montre les signes’] (voir aussi Donat sur Térence, Hecyra 327–329). Dans un commentaire d’école, l’objet de ces découpages textuels est de montrer la cohérence du propos, que l’auteur a dit ce qu’il fallait dans l’ordre où il le fallait. C’est là une question d’esthétique et de rhétorique. Dans une exégèse scripturaire, il s’agit surtout d’arriver à une compréhension plus profonde du texte. Mais ces deux approches ne s’excluent pas. Dans le passage de doctr. christ. que nous venons de citer, l’extrait de Paul, qui a été choisi justement parce que certaines questions d’enchainement sont placées dans le texte par l’auteur même, fait partie de l’exposé sur la rhétorique chrétienne : Gal. 3,18–21 sont présentés comme un modèle de la dictio submissa [style simple]. Et le but de cette façon d’écrire ou de parler serait d’enseigner clairement, en tenant toujours compte de la réaction de l’élève : Pertinet ergo ad docendi curam non solum aperire clausa et nodosa solvere quaestionum, sed etiam dum hoc agitur, aliis quaestionibus, quae fortassis inciderint, ne id quod dicimus improbetur per illas aut refellatur, o c c u r r e r e [Il relève donc du devoir de l’enseignant non seulement d’ouvrir ce qui est fermé et de résoudre les questions complexes, mais aussi, tout en faisant cela, d’a l l e r à l ’ e n c o n t r e des autres questions qui peuvent se présenter, pour éviter que ce que nous disons ne soit désapprouvé ou falsifié par ces [questions]] (doctr. christ. 4,110). La présentation de Rom. 1,1–7 dans l’Inchoata expositio comporte donc un éloge implicite de ses qualités didactiques et rhétoriques. Du reste, Augustin se servira très fréquemment lui-même des couples questions-réponses dans la prédication, y compris pour des traitements

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exégétiques très similaires à celui présenté ici (e.g. serm. 159,17 ; 160,2 ; 162C,11 ; 170,4 ; 176,2 ; 179,4 ; 182,2 ; 198 (augm),30.32) : ainsi, il illustre et imite en même temps la rhétorique des auteurs bibliques. En effet, quelle que soit la valeur de cette succession de questions-réponses pour l’étude de Paul (et elle n’est pas forcément négligeable), il s’agit bien d’une façon d’écrire typique d’Augustin lui-même. Par ailleurs, qui ne reconnaitra pas en lisant la fin de doctr. christ. 4,110 un des risques que courait son auteur ? Fit autem, ut cum incidentes quaestioni aliae quaestiones et aliae rursus incidentibus incidentes pertractantur atque solvuntur, in eam longitudinem ratiocinationis extendatur intentio, ut nisi memoria plurimum valeat atque vigeat, ad caput, unde agebatur, disputator redire non possit [Mais il arrive, quand on discute et résout les autres questions qui se présentent à la suite d’une question, puis encore les questions qui se présentent à la suite de celles qui se sont présentées, que l’effort du raisonnement s’étende sur une telle distance, que – à moins que sa mémoire soit très puissante et très active – celui qui raisonne ne peut pas revenir au premier point dont il s’agissait]. C’est bien ainsi, en répondant aux incidentes quaestiones, qu’Augustin est parvenu à consacrer tout un livre aux sept premiers versets de l’épître aux Romains. Voir sur ces problèmes de composition les belles pages de MARROU, Saint Augustin, sur la digression chez Augustin (59–76), et les pages tout aussi belles où Marrou se dédit de sa propre analyse (665–672). Retenons-en à la fois que « s’en tenir rigoureusement au sujet, comme le recommande le goût d’aujourd’hui, était un souci qui ne tourmentait guère les anciens » (75), et qu’en vérité Augustin, quelle que soit l’ampleur de ses digressions, perdait très rarement le fil de ses idées (667s. ; voir cependant n. à 5,4–7 ; 13,6 ; 21,1s.). L’analyse d’Augustin ici est une expansion de celle de l’Ambrosiaster : Igitur quattuor modis scribit Romanis … primus modus est quo se ostendit quid sit et cuius sit et quid fuerit, quo et hereses percutit [Donc il écrit aux Romains en quatre temps … Dans un premier temps, il se révèle : ce qu’il est, et à qui il appartient, et ce qu’il avait été. Par là, il frappe aussi les hérésies] (in Rom. prol. 4, rec. γ). 7,2 sed quia occurrebat ‘Quod evangelium?’ Origène lui aussi propose que Rom. 1,2 ait eu pour but de préciser de quel Évangile il s’agissait : Utrum simpliciter accipi debeat evangelium per scripturas profeticas a Deo repromissum, an ad distinctionem alterius evangelii quod aeternum dicit Iohannes in Apocalypsi [14,6], quod tunc revelandum est cum umbra transierit [Cant. 4,6] et veritas venerit, et cum mors fuerit absorta [1 Cor. 15,54] et aeternitas restituta, considerato etiam tu qui legis. (Rufin. Orig. in Rom. 1,6,1) [Doit-on comprendre tout simplement l’Évangile promis par Dieu à travers les écrits prophétiques, ou y a-t-il une distinction d’avec un autre Évangile, celui que Jean appelle ‘éternel’ dans l’Apocalypse, [et] qui sera révélé au moment où l’ombre sera partie et la vérité sera venue, et où la mort aura été engloutie et l’éternité restaurée ? – pose-toi aussi la question, toi qui lis].

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Origène fait ici allusion à sa conception de l’Évangile éternel (voir SChr 532, 174, n. 1), qui est étrangère à la pensée d’Augustin. Mais les deux exégètes se rejoignent en pensant que le sens d’εὐαγγέλιον en Rom. 1,1 avait besoin d’être précisé, et que Rom. 1,2s. ne servaient donc pas à décrire mais à définir (voir aussi n. à 8,1–3). Ils avaient sans doute raison : Paul n’écrivait pas à un public de culture chrétienne, pour lequel « Évangile » avait déjà un sens arrêté. 7,5 ex more epistolae Augustin indique que Paul a suivi dans l’ouverture de son épître la structure habituelle aux lettres grecques et romaines, qui était : nom de l’auteur, au nominatif + nom du destinataire, au datif + mot(s) de salutation (voir RE s.v. Brief, 839). De même retract. 2,20 (sur epist. 54) : quorum librorum prior epistula est; habet quippe in capite quis ad quem scribat [le premier des ces livres est une lettre ; en effet, il indique au début qui écrit à qui]. C’est encore une habitude de grammairien (voir n. à 5,4–7 ; 7,1–5 ; 11,3) de souligner qu’une œuvre suit les règles de son genre. Ainsi, par exemple, Servius sur Énéide 1,1 : Est poeticum principium professivum: ‘Arma virumque cano’, invocativum: ‘Musa mihi causas memora’, narrativum ‘Urbs antiqua fuit’ [Il y a un incipit poétique déclaratif : ‘Je chante les armes et l’homme’ ; invocatif : ‘Muse, dis-moi les causes’ ; narratif : ‘Il y avait une ville antique’]. 7,7 Quamquam enim sibi quis tribuat quod vocanti obtemperat, nemo potest sibi tribuere quod vocatus est. Obéir à celui qui appelle, c’est la foi, la seule étape du salut où l’homme prenne l’initiative. C’est ce qui est rendu plus explicite en in Rom. 52s. (sur Rom. 9,13) : Non ergo elegit Deus opera cuiusquam in praescientia, quae ipse daturus est, sed fidem elegit in praescientia, ut quem sibi crediturum esse praescivit, ipsum elegerit, cui Spiritum sanctum daret, ut bona operando etiam aeternam vitam consequeretur. Dicit enim idem apostolus: ‘Idem Deus, qui operatur omnia in omnibus’ [1 Cor. 12,6], nusquam autem dictum est: ‘Deus credit omnia in omnibus’. Q u o d e r g o c r e d i m u s , n o s t r u m e s t , q u o d a u t e m b o n u m o p e r a m u r , illius qui credentibus in se dat Spiritum sanctum [Donc, Dieu ne choisit pas dans sa prescience les œuvres de quelqu’un, [ces œuvres] qu’il va lui-même donner. Mais dans sa prescience il choisit la foi. Ainsi, l’homme dont il savait par avance qu’il allait croire en lui, c’est lui qu’il a choisi, pour lui donner l’Esprit Saint, pour qu’il puisse aussi obtenir la vie éternelle en faisant de bonnes œuvres. En effet, ce même apôtre dit : ‘C’est le même Dieu, qui opère tout en tous’, mais il n’est dit nulle part : ‘Dieu croit tout en tous’. Q u e n o u s c r o y i o n s r e l èv e d o n c d e n o u s , m a i s q u e n o u s f a s s i o n s l e b i e n r e l è v e d e c e l u i qui donne l’Esprit Saint à ceux qui croient en lui]. Cependant, Augustin allait corriger ce passage de in Rom. dans les Retractationes (1,23,2–4) : Non dicerem, si iam scirem etiam ipsam fidem inter Dei munera repperiri [Je ne l’aurais pas dit, si j’avais déjà su que même la foi se trouve parmi les dons de Dieu] (voir aussi praed. sanct. 7s.). De même, la formule d’Augustin dans

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l’Inchoata expositio ne correspondra pas à sa pensée plus développée sur la grâce (voir RING, n. à 7,7). Voir à ce titre l’espace de plus en plus restreint qu’il accorde bientôt à la notion de sibi tribuere, de ce que l’homme peut mettre à son propre compte dans son salut. La formule en divers. quaest. 68,5 est déjà beaucoup moins généreuse que celles de in Rom. et l’Inchoata expositio : Quoniam nec velle quisquam potest nisi admonitus et vocatus … efficitur ut etiam ipsum velle Deus operetur in nobis. Ad illam enim cenam, quam Dominus dicit in evangelio praeparatam [Lc. 14,16–24], nec omnes qui vocati sunt venire voluerunt, neque illi qui venerunt venire possent nisi vocarentur. Itaque nec illi debent s i b i t r i b u e r e qui venerunt, quia vocati venerunt, nec illi qui noluerunt venire debent alteri tribuere sed tantum sibi, quoniam ut venirent vocati erant in libera voluntate. Vocatio ergo ante meritum voluntatem operatur. Propterea et si quisquam s i b i t r i b u i t quod venit vocatus, non s ib i p o t e s t t r i b u e r e quod vocatus est [Puisque personne ne peut même vouloir s’il n’est pas averti et appelé … il s’ensuit que même l’action de vouloir, c’est Dieu qui la fait opérer en nous. En effet, quant à ce repas dont le Seigneur dit dans l’Évangile qu’il a été préparé, tous ceux qui ont été appelés n’ont pas voulu y venir, et ceux qui sont venus n’auraient pu venir s’ils n’avaient été appelés. Par conséquent, ceux qui sont venus ne doivent pas s e l ’ a t t r i b u e r , puisqu’ils sont venus après avoir été appelés, et ceux qui n’ont pas voulu venir ne doivent pas l ’ a t t r i b u er à autrui mais seulement à eux-mêmes, puisqu’ils ont été appelés à venir de leur volonté libre. C’est donc l’appel avant le mérite qui fait opérer la volonté. Aussi, même si quelqu’un s ’ a t t r i b u e d’être venu, une fois appelé, il ne p e u t p a s s ’ a t t r i b u e r d’avoir été appelé]. Ensuite dans quaest. Simpl., tribuere n’apparait dans ce contexte que pour la négation : nobis vero t r i b u i non potest quod vocamur [mais il ne peut nous être a t t r i b u é d’être appelés] (1,2,12). Voir aussi la formule absolue en in psalm. 3,10 : ‘Tu autem Domine … gloria mea’ [Ps. 3,4]. Ex illa regula, ne quis sibi aliquid t r i b u a t [‘Mais toi, Seigneur … tu es ma gloire’. Selon la règle, que personne ne doit rien s ’ a t t r i b u er ] (Augustin revient souvent sur ce thème, avec des formules plus ou moins sévères, dans les premières Enarrationes : in psalm. 5,17 ; 6,5 ; 7,8 ; 18,1,15). Voir aussi, pour la grâce et les œuvres, n. à 1,1–3 ; 1,4, nec Iudaeos ; 6,1, tamquam enim meritis, et noter comment en 7,5s. dilectis est glosé comme vocatis ici, de manière à insister de nouveau sur l’action de Dieu précédant celle des hommes. Il convient enfin de rappeler qu’Augustin n’a jamais accepté que sa doctrine mît en question le libre arbitre, et encore moins la justice de Dieu. Mais nous ne pouvons aller plus loin sur une question qui a fait couler tant d’encre et de sang depuis 1600 ans. Pour un résumé, avec une bibliographie importante, voir AugLex s.v. gratia, III–V (et voir aussi, plus court mais incisif, FITZGERALD, Augustine s.v. Predestination). Si la formule dans l’Inchoata expositio ne correspondait plus au nouveau point de vue d’Augustin, on se demande pourquoi il ne l’a pas critiquée dans retract. Il faut simplement y voir un des indices qu’en écrivant retract., Augustin n’a pas accompli la tâche surhumaine de relire soigneusement chaque mot de ses œuvres

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(voir BA 12, 59–61, où G. Bardy fait remarquer que l’Inchoata expositio « ne soulève qu’une difficulté de détail » dans retract., en contraste avec in Rom. et in Gal.). 8,1 usitatum epistolae principium, tamquam ille illis salutem Voir n. à 7,5. salutem est le mot de salutation traditionnelle dans une lettre latine (serm. 101,9 : nam et antiqui in epistulis suis sic scribebant: Ille illi salutem [car les anciens aussi écrivaient dans leurs lettres : ‘Celui-ci salue celui-là’]), tout comme χαίρειν [sois joyeux] en grec. Il convenait de préciser que gratia et pax (χάρις καὶ εἰρήνη) avaient pris la place de ces mots, puisque cette salutation-là n’avait rien de conventionnel : elle n’apparait pas avant Paul (voir J. A. FITZMEYER, Romans, A New Translation with Introduction and Commentary, New York 1993, 227s.). Comparer Théodore de Mopsueste, in 1 Thess. 1,1 (éd. H. B. SWETE, Cambridge 1882) : τὸ ‘χάρις ὑμῖν’ οὕτως τίθησιν ὥσπερ ἡμεῖς τὸ ‘χαίρειν’ ἐν τοῖς προγραφαῖς τῶν ἐπιστολῶν εἰώθαμεν [Il écrit ‘la grâce soit avec vous’ comme nous avons l’habitude [d’écrire] χαίρειν au début des lettres]. χάρις καὶ εἰρήνη restera d’ailleurs largement réservé à la Bible : la salutation n’est que rarement adoptée dans les lettres écrites par des chrétiens après Clément de Rome, sauf celles qui prétendent émaner des apôtres (e.g. Constitutiones apostolicae 1,1 [SChr 320, 102] ; la lettre des martyrs de Lyon de 177 emploie la salutation quasi-apostolique εἰρήνη καὶ χάρις καί δόξα ἀπὸ Θεοῦ πατρός καί Χριστοῦ Ἰησοῦ τοῦ κυρίου ἡμῶν [la paix et la grâce et la gloire venant de Dieu le Père et du Christ Jésus notre Seigneur], Eus. H.E. 5,1,3). Comparer 12,8, usitatissimum exordium fecit epistolae, et voir n. ad loc. 8,1–3 Non enim omnis gratia est a Deo … Neque omnis pax Dei est, vel ab illo De nouveau (voir n. à 7,2), Augustin veut qu’un élément de la phrase serve à définir, et non pas à décrire, celle qui la précède. S’il avait continué son analyse dans les termes employés en 7,1–4, il aurait écrit : sed quia occurrebat ‘quae gratia et quae pax?’ [Mais puisque la question se présentait : ‘quelle grâce et quelle paix ?’] Pour un argument similaire, voir quaest. Simpl. 2,1,7 : l’Écriture distingue entre Spiritus Dei et spiritus Dei malus, et entre prophètes tout court et prophètes de Baal. Mais, bien entendu, l’Écriture ne distinguait pas toujours, et alors Augustin expliquait, dans un argument de forme stoïcienne (voir e.g. Sénèque le Jeune, epist. 59,1– 4) qu’un mot apparemment ambigu pouvait être à prendre au sens « propre ». C’est ainsi qu’il rejette la leçon quaecumque b o n a vultis [tout l e b i e n que vous voulez] pour la règle d’or en Mt. 7,12 : Intellegendum est ergo plenam esse sententiam et omnino perfectam, etiamsi hoc verbum non addatur. Id enim quod dictum est ‘quaecumque vultis’ non usitate ac passim sed proprie dictum accipi oportet. Voluntas namque non est nisi in bonis; nam in malis flagitiosisque factis cupiditas proprie dicitur, non voluntas [Il faut donc comprendre que la sentence est complète et entièrement parfaite, même si l’on n’ajoute pas ce mot. En effet, quand il est dit ‘tout ce que vous voulez’, il ne faut pas comprendre que c’est dit de la façon habituelle et répandue,

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mais au sens propre. En effet, il n’y a de volonté que pour le bien, car dans les actes mauvais et honteux, on parle au sens propre non pas de ‘volonté’, mais de ‘désir’] (de serm. dom. 2,74 ; voir aussi ibid. 2,81.83, et civ. 14,8). C’est la même idée d’un sens propre, correct et définitif des mots qui conduit à la célèbre formule dilige et quodvis fac [aime et fais ce que tu veux] (voir AugLex s.v.) ou encore à la démonstration finale dans civ. que Rome n’a jamais été une res publica (19,21). Augustin a cependant la prudence de ne pas ériger en principe, pour la lecture de l’Écriture, la restriction de chaque mot à un sens propre. Au contraire, le passage cité de de serm. dom. se termine par un avertissement : non quia sic semper loquuntur scripturae, sed ubi oportet ita omnino proprium verbum tenent, ut non aliud sinant intellegi [non pas parce que les Écritures parlent toujours ainsi, mais, quand il le faut, elles utilisent un mot entièrement dans son sens propre, si bien qu’elles ne permettent pas que l’on comprenne autre chose]. La recherche un peu excessive d’éléments restrictifs dans les phrases de Paul (pour laquelle voir aussi quaest. euang. 2,12) trahit peut-être l’influence de Jérôme, qui offre plusieurs exégèses de ce type dans ses propres commentaires sur Paul : Quaeritur utrumnam ad distinctionem evangelii alterius, nunc dixerit ‘pacis evangelium’ [Eph. 6,15]. An certe proprium sit hoc evangelii, ut pacis evangelium nominetur? [On cherche à savoir si c’est pour faire la distinction d’avec un autre Évangile qu’il a dit ici ‘Évangile de paix’. Ou est-ce le propre de l’Évangile d’être appelé Évangile de paix ?] (in Eph. 6,15 [PL 26, 551]; cf. le passage d’Origène cité n. à 7,2) ; Quaeritur quare ad id quod ait ‘secundum fidem electorum Dei et cognitionem veritatis’, iunxerit ‘quae iuxta pietatem est’ [Tit. 1,1]; utrumnam sit aliqua veritas quae non in pietate sit posita, et nunc ad distinctionem illius inferatur cognitio veritatis, quae iuxta pietatem est. Est plane veritas, quae non habet pietatem, si quis grammaticam artem noverit vel dialecticam, ut rationem recte loquendi habeat, et inter falsa et vera diiudicet. Geometrica quoque et arithmetica et musica habent in sua scientia veritatem; sed non est scientia illa pietatis [On cherche à savoir pourquoi, quand il est dit ‘selon la foi des élus de Dieu et la connaissance de la vérité’, il a ajouté ‘qui est selon la piété’. Y aurait-il une vérité qui n’est pas située dans la piété, et serait-ce pour faire la distinction d’avec elle que l’on parle ici de la connaissance de la vérité, qui est selon la piété. C’est clairement une vérité qui ne contient pas de piété, si quelqu’un connait l’art grammatical ou la dialectique, pour posséder la méthode de l’éloquence, et juger entre le vrai et et le faux. De même, la géométrie et l’arithmétique et la musique possèdent une vérité pour qui les connait, mais ce n’est pas là une connaissance de la vérité selon la piété] (in Tit. 1,1b–4 [CCSL 77C, 8]). Ensuite, sur Tit. 3,15 : ‘Saluta eos qui nos amant in fide’. Si omnis qui amat amaret in fide et non essent alii qui absque fide diligerent, numquam Paulus ad amorem fidem adposuisset … amant quippe et matres filios … uxores maritos …, sed amor ille non fidei est. Sola sanctorum dilectio in fide diligit [‘Salue ceux qui nous aiment dans la foi’. Si tous ceux qui aiment aimaient dans la foi, et il n’y en avait pas d’autres qui aimaient sans foi, Paul n’aurait jamais juxtaposé la foi à l’amour … bien sûr, les mères aiment aussi leur fils

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… les femmes leurs maris …, mais cet amour-là n’est pas celui de la foi. Seul l’amour des saints aime dans la foi] (in Tit. 3,15 [CCSL 77C, 72s.]). Sur Tit. 1,1, Jean Chrysostome est très similaire à Jérôme (hom. in Tit. 1,1 [PG 62, 665]) et on sait que Jérôme puisait beaucoup de ses exégèses dans la tradition grecque. La méthode employée ici par Augustin n’a pas de source unique : elle fait partie du patrimoine exégétique de l’Église (voir e.g. le long développement sur le génitif τῶν Ἰουδαίων de Io. 2,13 chez Origène, Jo. 10,13,68–15,87 ; voir Introduction, 1.7, et comparer n. suivante). 8,2 aliqua cupidine illecti, aut timore perterriti Mêmes motivations imputées au juge par le perdant d’un procès hypothétique en in psalm. 25 (= serm. 166A),2,13 : ‘Placere illi voluit’, inquit, ‘diviti favit’, aut ‘aliquid ab illo accepit’, aut ‘timuit illum offendere’ [‘Il a voulu lui plaire’, dit-il, ‘il a favorisé le riche’, ou bien ‘il a reçu quelque chose de lui’, ou encore ‘il a eu peur de l’offenser’]. Ce même passage rappelle que de tels reproches s’adressaient directement aux hommes d’Église : le condamné tenetur iure forte non ecclesiastico, sed principum saeculi, qui tantum detulerunt ecclesiae, ut quidquid in ea iudicatum fuerit, dissolvi non possit [est tenu, il se peut, non pas par la loi ecclésiastique, mais celle des princes du monde, qui ont tant concédé à l’Église, que tout ce qui est jugé en elle, ne peut être dissout]. Il s’agit des jugement des évêques : voir n. à 18,11, nec prolato. 8,3 non se talem pacem dare, qualem dat hic mundus Dans son exégèse de Io. 14,27 en in euang. Ioh. 77,4, Augustin ajoute un troisième type de paix aux deux qu’il décrit ici : Sed quid est quod ubi ait ‘pacem relinquo vobis’, non addidit ‘meam’; ubi vero ait ‘do vobis’, ibi dixit ‘meam’? Utrum subaudiendum est ‘meam’ et ubi dictum non est, quia potest referri ad utrumque etiam quod semel dictum est? … Quid si enim pacem suam eam voluit intellegi qualem habet ipse, pax vero ista quam nobis relinquit in hoc saeculo, nostra est potius dicenda quam ipsius? Illi quippe nihil repugnat in seipso, qui nullum habet omnino peccatum. Nos autem talem pacem nunc habemus, in qua adhuc dicamus ‘dimitte nobis debita nostra’ [Mt. 6,12] [Mais pourquoi est-ce que, quand il dit ‘je vous laisse la paix’, il n’ajoute pas ‘ma [paix]’, alors que, quand il dit, ‘je vous donne’, là il dit ‘ma [paix]’ ? Est-ce qu’il faut sous-entendre ‘ma [paix]’ même là où ce n’est pas dit, puisque l’on peut appliquer aux deux [mots] même ce qui n’est dit qu’une seule fois ? … Serait-ce qu’il voulait que l’on comprenne que sa paix est celle qu’il possède lui-même, mais cette paix qu’il nous laisse dans ce siècle, il faut plutôt l’appeler la nôtre que la sienne ? En effet, rien ne combat contre lui à l’intérieur de lui, puisqu’il est entièrement sans péché. Mais, quant à nous, nous avons pour maintenant la sorte de paix dans laquelle nous disons encore ‘pardonne-nous nos dettes’]. Cette lecture (très peu convaincante) de Io. 14,27 n’est pas dans l’Inchoata expositio, mais, comme le note RING (n. à 8,4 ; 11,2), notre texte distingue déjà, en 10,12s., entre la paix léguée aux chrétiens sur la terre, et la paix parfaite de l’au-delà, suite à la délinéation des quatre étapes de l’histoire humaine dans in Rom. 12 et in Gal. 46 (ante legem → sub

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lege → sub gratia → in pace) [avant la Loi → sous la Loi → sous la grâce → dans la paix]. 8,4 gratia … qua nobis peccata remittuntur, quibus adversabamur Deo, pax vero ipsa qua reconciliamur Deo Ici, et en reprenant ces expressions en 11,2 ; 14,1 ; 23,6, Augustin ne fait que réécrire légèrement ce qu’il avait déjà dit sur gratia et pax en in Gal. 3 : Gratia Dei est, qua nobis donantur peccata, ut reconciliemur Deo, pax autem, qua reconciliamur Deo [La grâce de Dieu est ce par quoi les péchés nous sont remis, pour que nous nous réconcilions avec Dieu, et la paix est ce en quoi nous sommes réconciliés avec Dieu] (voir déjà vera relig. 312 : l’Esprit est gratiam qua reconciliamur [la grâce par laquelle nous nous réconcilions], parallèle noté par DU ROY, L’intelligence, 378). La source doit être l’Ambrosiaster (Gratia est, quia a peccatis absoluti sunt, pax vero quia ex impiis reconciliati sunt creatori [Il y a la grâce, parce qu’ils ont été absous des péchés, et la paix, parce que, ayant été impies, ils se sont réconciliés avec le créateur], in Rom. 1,7, rec. αβ ; voir n. à 1,3, nonnulli qui ex Iudaeis). Jean Chrysostome va plus loin, établissant une séquence ἀγάπη (sur la base de ἀγαπητοῖς [bien-aimés] en Rom. 1,7) → χάρις → εἰρήνη [amour → grâce → paix]: Οὐδὲ γὰρ μικρὸν κατέλυσεν ὁ Χριστὸς πόλεμον, ἀλλὰ καὶ ποικίλον καὶ παντοδαπὸν καὶ χρόνιον, καὶ τοῦτον οὐκ ἐκ τῶν ἡμετέρων πόνων, ἀλλὰ διὰ τῆς αὐτοῦ χάριτος. ἐπεὶ οὖν ἡ μὲν ἀγάπη τὴν χάριν, ἡ δὲ χάρις τὴν εἰρήνην ἐδωρήσατο, ὡς ἐν τάξει προσηγορίας αὐτὰ θείς, ἐπεύχεται μένειν διηνεκῆ καὶ ἀκίνητα, ὥστε μὴ πάλιν ἕτερον ἀναῤῥιπισθῆναι πόλεμον [Le Christ n’a pas mis fin à une petite guerre, mais à [une guerre] complexe et multiforme et ancienne, et ceci non pas par nos propres efforts, mais par sa grâce. En effet, puisque l’amour a donné la grâce, et la grâce la paix, en mettant ces choses à la place de la salutation, il prie pour qu’elles restent constantes et immobiles, pour qu’une autre guerre ne se déclenche pas] (hom. in Rom. 1,4 [PG 60, 399s.]). À la relecture de ses œuvres, la distinction entre gratia et pax a déplu à Augustin. Il l’a corrigée pour in Gal. (retract. 1,24,2), et c’est ensuite le seul élément qu’il trouve à corriger pour l’Inchoata expositio (retract. 1,25 ; voir n. à 7,7). Dans les deux cas, il a tenu à préciser que la paix et la reconciliatio faisaient aussi partie de la grâce. C’est que, dans les trente ans qui séparaient les commentaires pauliniens de retract., gratia était devenu pour Augustin le terme fondamental pour décrire la possibilité pour l’homme d’accéder à la réconciliation avec Dieu et au salut. 8,5 absumptae fuerint inimicitiae absumo désigne la destruction totale, sens qui lui est fréquent, soit pour la destruction d’objets concrets (ThLL s.v. I.C) soit pour celle de choses abstraites (ibid. II.A– D). Augustin aime à employer le mot pour rappeler par assonance absorpta en 1 Cor. 15,54 (absorpta est mors in victoria / κατεπόθη ὁ θάνατος εἰς νῖκος [la mort a été engloutie dans la victoire]). L’effet se voit très clairement en serm. 305A,7 : ‘Ubi est, mors, aculeus tuus?’ [1 Cor. 15,54] a b s u m p t a e morti et devictae dicetur, quia ‘novis-

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sima inimica destruetur mors’ [1 Cor. 15,26] [‘Mort, où est ton aguillon ?’ dira-t-on à la mort e n l e v é e et vaincue, parce que ‘le dernier ennemi détruit sera la mort’]. Mais noter aussi : Abundantia pacis in tantum crescet, donec omnem mutabilitatem mortalitatis a b s u m a t [L’abondance de paix croîtra, jusqu’à e n l e v e r toute la mutabilité de la mortalité] (epist. 55,10, avec un écho de tout 1 Cor. 15,53s., comme dans beaucoup de ces passages) ; temporalis autem mors corporis … a b s u m a t u r vero et ipsa in renovatione corporis [mais la mort temporelle du corps …. est elle aussi e n l e v é e dans la rénovation du corps] (epist. 157,19) ; anima … spiritale corpus efficiat, a b s u m e n s omnem corruptionem [l’âme rend le corps spirituel, e n l e v a n t toute corruption] (epist. 205,11) ; a b s u m p t a est enim omnis corruptio [car toute corruption a été e n l e v é e ] (in psalm. 55,6) ; omnis mortalitas a b s u m a t u r [toute mortalité est e n l e v é e ] (in psalm. 71,10 ; de même 84,7) ; mortalitatem fuerat a b s u m p t u r a mutatio in aeternam incorruptionem [la mutation vers l’incorruption éternelle allait e n l e v e r la mortalité] (pecc. mer. 1,5) ; contentione mortis a b s u m p t a [la rivalité de la mort ayant été e n l e v é e ] (perf. iust. 16) (on trouve aussi adsumpta / assumpta en variante dans des citations de 1 Cor. 1,54 en in psalm. 83,8 ; 84,10). Cette réminiscence semble aussi entrer en jeu dans l’Inchoata expositio : la disparition totale des inimicitiae entre Dieu et l’homme n’aura lieu qu’avec la résurrection finale. 8,5 pace adhaereamus illi Écho de Ps. 72,28, mihi autem adhaerere Deo bonum est [pour moi, le bien, c’est d’adhérer à Dieu], un verset très prisé par Augustin (37 citations, selon LLTA), puisqu’il exprimait en termes bibliques le summum bonum [le bien le plus haut] cherché par les philosophes. Voir O’DONNELL sur conf. 7,17. 8,6 Non gravabit aurem, ut non audiat; sed peccata vestra inter vos et Deum separant Dans la Vulgate on lit en Is. 59,1s. : neque adgravata est auris eius ut non exaudiat, sed iniquitates vestrae diviserunt inter vos et Deum vestrum. Mais Augustin cite un texte « Vetus Latina » traduit de la Septante, et qui la suit de près : οὐκ … ἐβάρυνεν τὸ οὖς αὐτοῦ τοῦ μὴ εἰσακοῦσαι· ἀλλὰ τὰ ἁμαρτήματα ὑμῶν διιστῶσιν ἀνὰ μέσον ὑμῶν. Comme le montre R. GRYSON (éd.), Vetus Latina 12/2/9, Freiburg 1997, ad loc., le texte d’Augustin correspond au « texte ancien africain », tel que le connaissait Cyprien. Pour l’initiation graduelle d’Augustin au livre d’Isaïe, voir L. C. FERRARI, Isaiah and the Early Augustine, dans : B. BRUNING – M. LAMBERIGTS – J. VAN HOUTEM (éds.), Collectanea Augustiniana. Mélanges T. J. Van Bavel, t. 2, Louvain 1990, 723–756. Augustin cite ici Isaïe 59,1s. pour la première fois. Noter son réemploi en serm. 71,19 : Illis [sc. peccatis] enim manentibus, manent quodam modo i n i m i c i t i a e adversus Deum, et ab illo alienatio, quae a nostro malo est, quoniam non mentitur scriptura dicens : ‘Peccata vestra separant inter vos et Deum’ [En effet, quand ces [péchés] demeurent, en quelque sorte, l ’ h o s t i l i t é envers Dieu demeure, et l’éloignement de

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lui, qui vient du mal en nous, puisque l’Écriture ne ment pas en disant : ‘Vos péchés vous séparent de Dieu’]. Comparer inimicitiae en Inchoata expositio 8,5 : en écrivant son sermon sur le blasphème contre l’Esprit Saint, Augustin a relu sa première œuvre qui traitait de ce thème (voir Introduction, 1.9). Ici s’arrête l’avancée, jusqu’alors raisonnablement rapide, du commentaire sur l’épître aux Romains. Le reste de l’Inchoata expositio est occupé par diverses réflexions occasionnées par les mots gratia et pax (voir Introduction, 1.8). 9,1–6 La justice de Dieu dans les récompenses différentes Dieu serait-il injuste ? Augustin est de ceux que cette question a beaucoup troublés. « Justify the ways of God to men », pour employer les mots de Milton, a toujours été un de ses grands désirs. Or, nous sommes surtout habitués à voir ce problème se poser – chez Augustin et dans toute la tradition occidentale – face au mal et à la souffrance. Mais ici nous voyons le revers de la médaille : c’est la bonté de Dieu, telle qu’elle s’exprime dans le pardon des pécheurs, qui a besoin d’être justifiée. Augustin manichéen admettait l’existence d’une puissance maléfique à l’œuvre dans l’univers, qui récompensait injustement la bonté et la méchanceté (voir conf. 3,12s.). Mais, pour Augustin chrétien, la toute-puissance est entièrement juste, et doit donc récompenser selon les mérites. Licentius formule ce principe en ord. 1,19 : Si autem, ut nobis traditur nosque ipsius ordinis necessitate sentimus, iustus est Deus, sua cuique distribuendo utique iustus est [Mais si, comme on nous l’a enseigné, et comme nous le ressentons par la nécessité de l’ordre lui-même, Dieu est juste, c’est assurément en distribuant à chacun son dû qu’il est juste]. Et Augustin le redira plusieurs fois avec ses propres mots dans ses premiers écrits : Si Deum iustum fatemur – nam et hoc negare sacrilegium est – ut bonis praemia, ita supplicia malis tribuit [Si nous admettons que Dieu est juste – puisque nier cela, c’est aussi un sacrilège – il donne des récompenses aux bons, tout comme [il donne] des supplices aux mauvais] (lib. arb. 1,1 ; de même Évodius en 2,2) ; 〈Deus,〉 cuius legibus arbitrium animae liberum est, bonisque praemia et malis poenae fixis per omnia necessitatibus distributae sunt [Dieu, par tes lois, l’arbitre de l’âme est libre, et les récompenses sont données aux bons et les châtiments aux mauvais, par une nécessité dans laquelle tout s’enchevêtre] (soliloq. 1,4). Ce point de vue simple avait pour conséquence que la récompense de la vie éternelle était réservée à ceux qui la méritaient : Vita enim aeterna est totum praemium, cuius promissione gaudemus, nec praemium potest praecedere merita priusque homini dari quam dignus est. Quid enim hoc iniustius, et quid iustius Deo? Non ergo debemus poscere praemium antequam mereamur accipere [En effet, la vie éternelle est toute la récompense, dont la promesse nous réjouit. Et la récompense ne peut pas venir avant les mérites, et être donnée à l’homme avant qu’il n’en soit digne. Effectivement, qu’est-ce qui serait plus injuste, et qu’est-ce qui est plus juste que Dieu ? Nous ne devons donc pas demander la récompense avant de mériter de la recevoir] (mor. eccl. 9. Sur cette justice « distributive », et ses sources philosophiques, voir THONNARD, Justice de Dieu, 387s.).

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Seulement, Augustin n’a jamais été à l’aise avec la notion de l’homme méritant ce que Dieu lui donnait (voir n. à 6,1, tamquam enim meritis). Ainsi, la formule rigide de Licentius dans ord. se profile contre l’humilité avec laquelle Augustin y parle de lui-même : Satis mihi sint vulnera mea, quae ut sanentur, paene cotidianis fletibus Deum rogans, indigniorem tamen esse me, qui tam cito saner quam volo, saepe memet ipse convinco [Mais mes plaies me suffisent. Pour qu’elles soient guéries, je prie Dieu avec des larmes presque quotidiennes, et pourtant je me juge souvent indigne d’être guéri aussi rapidement que je le souhaite] (ord. 1,29). Et, malgré de telles professions, à la relecture de ord., Augustin a trouvé qu’il y attendait trop de l’homme et pas assez de Dieu : dictum est tamquam Deus non exaudiat peccatores [c’était dit comme si Dieu n’exauçait pas les pécheurs] (retract. 1,3,3 ; voir aussi retract. 1,4,2, où il réprouve la formule de soliloq. 1,2 : Deus, qui nisi mundos verum scire noluisti [Dieu, qui a voulu que seulement les hommes purs connaissent la vérité]). Augustin a donc conclu que, dans ces premiers écrits, en voulant célébrer et défendre le Dieu de Justice, il n’avait pas fait assez de place au Dieu de Miséricorde. La miséricorde de Dieu, qui pardonne les offenses des hommes, est bien entendu au cœur de la croyance chrétienne en un Dieu d’amour. Mais il ne faut pas perdre de vue ce que cette miséricorde peut avoir de scandaleux, tant au niveau psychologique (ce qui est dit en Inchoata expositio 18,11s. est de toutes les époques), qu’au niveau philosophique. Les Stoïciens n’avaient-ils pas affirmé que la miséricorde était exclue de l’apanage du sage ? ἐλεήμονάς τε μὴ εἶναι συγγνώμην τ’ ἔχειν μηδενί· μὴ γὰρ παριέναι τὰς ἐκ τοῦ νόμου ἐπιβαλλούσας κολάσεις, ἐπεὶ τό γ’ εἴκειν καὶ ὁ ἔλεος αὐτή θ’ ἡ ἐπιείκεια οὐδένειά ἐστι ψυχῆς πρὸς κολάσεις προσποιουμένης χρηστότητα [[les sages] ne sont pas miséricordieux, et n’accordent de pardon à personne. En effet, ils ne relâchent pas les peines qui découlent de la loi, puisque les concessions et la pitié, et même la douceur, sont des faiblesses d’une âme qui affecte la bonté en face des peines] (Zénon, selon Diogène Laerce 7,123. Voir Sénèque le Jeune, De clementia 1,20 : Sénèque prône la clémence, mais il la sépare de la justice. Pour la réaction d’Augustin aux formules stoïciennes, voir civ. 9,5 ; 14,9). L’insistance chrétienne sur le pardon de Dieu pouvait alors donner lieu aux railleries d’un Celse : ὁμοίως τοῖς οἴκτῳ δουλεύουσι, δουλεύσας οἴκτῳ τῶν οἰκτιζομένων, ὁ θεὸς [sc. le dieu des chrétiens] τοὺς κακοὺς κουφίζει καὶ μηδὲν τοιοῦτο δρῶντας τοὺς ἀγαθοὺς ἀποῤῥίπτει, ὅπερ ἐστὶν ἀδικώτατον [Comme ceux qui sont esclaves de la pitié, [leur] Dieu, se faisant l’esclave de sa pitié envers ces pleurnicheurs, réconforte les mauvais, et rejette les bons qui ne font rien de tel, ce qui est tout à fait injuste] (Origène, Cels. 3,71). Voir aussi Jean Chrysostome, hom. in Tit. 4,1 (PG 62, 521) : ποῦ ταῦτα, φασὶν [sc. les païens], ἄξια Θεοῦ, τὸν μυρία ἐργασάμενον κακὰ ἀφιέναι τῶν ἁμαρτημάτων; [Comment, disent-ils, cela est-il digne de Dieu, pardonner les péchés de celui qui a fait le mal d’innombrables fois ?]. Et, chez Augustin, serm. 352,9 : Solent inde christianis pagani insultare de paenitentia quae instituta est in ecclesia … Vos, inquiunt, facitis ut peccent homines, cum illis promittitis veniam, si egerint paenitentiam. Dissolutio est ista, non admonitio [Les païens ont l’habitude de

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se moquer des chrétiens à cause du pardon qui est établi dans l’Église … Vous faites pécher les hommes, disent-ils, en leur promettant le pardon, s’ils font pénitence. C’est là un relâchement, et non pas un enseignement]. Et même l’Église avait vu, depuis le 2ème siècle, surgir des mouvements rigoristes, dont les Donatistes qu’Augustin a tant combattus, qui tenaient d’une façon ou d’une autre à limiter la miséricorde de Dieu (voir n. à 14,1). « Apôtre de l’amour », Augustin n’a jamais été tenté par ce rigorisme. Pour tout ce que sa doctrine de la prédestination comporte de sombre, il a toujours affirmé que Dieu pouvait pardonner même les offenses les plus graves (voir quaest. Simpl. 1,2,22). Par contre, il n’a pas toujours cherché à employer un langage qui soutienne ce qui est dit dans l’Inchoata expositio : que la miséricorde était un des éléments de la justice divine. Au contraire, certains passages donneraient à voir justice et miséricorde comme deux champs d’action divine nettement séparés : ostendit etiam in puniendo iustitiam et liberando misericordiam [il montre aussi sa justice en punissant, et sa miséricorde en libérant] (lib. arb. 3,4) ; Vide enim quem invoces. Iustum invocas: odit peccata, si iustus est; vindicat in peccata, si iustus est; non poteris auferre a Domino Deo iustitiam eius. Implora misericordiam, sed adtende iustitiam: misericordia est ut ignoscat peccanti, iustitia est ut puniat peccatum [Vois donc celui que tu invoques. Tu invoques le juste. Il hait les péchés, s’il est juste ; il punit les péchés, s’il est juste. Tu ne pourras pas enlever sa justice au Seigneur Dieu. Implore la miséricorde, mais prends note de la justice. Dans la miséricorde, il pardonne le pécheur ; dans la justice, il punit le péché] (in psalm. 50,7. Voir aussi in psalm. 7,10 ; serm. 216,5). Sans doute, Augustin ne voulait nullement suggérer par de telles expressions que le pardon de Dieu était injuste. Mais il est très difficile de parler de pardon, de miséricorde, de clémence, sans opposer ces qualités à la justice. Y a-t-il vraiment pardon si la faute ne méritait pas la condamnation ? Cependant, à la longue, il était impératif de faire entrer la miséricorde de Dieu dans le schéma de la justice. La notion même de justice découle de Dieu, qui est toujours juste : Omnis ista hominum iustitia, quam et tenere animus humanus recte faciendo potest et peccando amittere, non imprimeretur animae, nisi esset aliqua i n c o m m u t a b i l i s iustitia, quae integra inveniretur a iustis [Toute cette justice des hommes, que l’esprit human peut retenir en faisant le bien, et perdre en péchant, ne s’imprimerait pas dans l’âme, s’il n’y avait pas une justice i m m u a b l e , qui [reste] intacte [quand elle est] trouvée par les justes] (divers. quaest. 82,2). La justice même (l’« idée » de justice, au sens platonique) est en Dieu, et on peut même dire que Dieu est la justice : non enim potest iustitia velle facere quod iniustum est [car la justice ne peut vouloir faire ce qui est injuste] (serm. 214,4). Voir la miséricorde comme en dehors du champ de la justice était le fait non pas du chrétien, mais de l’impie : ‘Et cum perverso perversus eris’ [Ps. 17,27]: Et perversus videris perversis, quoniam dicunt: ‘Non est recta via Domini’ [Ez. 18,25], et ipsorum via non est recta. ‘Quoniam tu populum humilem salvum facies’ [Ps. 17,28]. Hoc autem perversum videtur perversis, quod confitentes peccata sua salvos facies [‘Et tu seras pervers avec le pervers’ : Et tu

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sembleras pervers aux pervers, parce qu’il disent : ‘La voie du Seigneur n’est pas droite’, et c’est leur propre voie qui n’est pas droite. ‘Parce que tu sauves un peuple humble’. Or, c’est cela qui semble pervers aux pervers, que tu sauveras ceux qui confessent leurs péchés] (in psalm. 17,27s.). Confitentes peccata sua … Comme le montre notre passage de l’Inchoata expositio, ce qui a permis à Augustin de faire de la miséricorde une partie de la justice distributive, c’est la pénitence, ce grand thème de notre texte. Comme le disait déjà Origène : Quomodo enim licet magno principi liberare aliquem de insula et de exilio et de publicis vinculis, multo magis licet universitatis Deo eum qui inhonoratus est in honorem pristinum restituere, si tamen sentiens delictum suum confessus fuerit se digne sustinuisse quod passus est [Si, en effet, il est permis à un grand prince de libérer quelqu’un d’une île et de l’exil et de la prison publique, il est d’autant plus permis au Dieu de l’univers de restaurer à son honneur d’auparavant celui qui fut déshonoré, si toutefois il perçoit son offense et confesse qu’il a mérité de subir ce qu’il a souffert] (Hier. hom. Orig. in Ezech. 10,1). Pénitents et impénitents avaient un comportement fondamentalement différent, et il serait alors injuste de leur attribuer la même récompense (Inchoata expositio 9,2s.). Les deux avaient certes péché, mais l’impénitent avait repoussé Dieu une deuxième fois, en refusant le pardon proféré aux pénitents : ‘Dulcis et rectus Dominus’ [Ps. 24,8]: Dulcis est Dominus, quandoquidem et peccantes et impios ita miseratus est, ut omnia priora donarit. Sed etiam rectus est Dominus, qui post misericordiam vocationis et veniae, quae habet gratiam sine meritis, digna ultimo iudicio merita requiret [‘Le Seigneur est doux et droit’ : Le Seigneur est doux, puisqu’il a pitié même des pécheurs et des impies, et pardonne toutes leurs actions antérieures. Mais le Seigneur est aussi droit, lui qui, après la miséricorde de l’appel et du pardon, qui contient une grâce sans rapport aux mérites, exigera lors du jugement ultime des mérites dignes [de sa grâce]] (in psalm. 24,8 ; de même ibid. 10 ; in psalm. 32,1,5 ; c. Adim. 7,3 ; voir aussi Ambroise, apol. Dav. I 46s.). D’ailleurs, le pardon des pénitents n’impliquait nullement la rémission entière de la peine, puisque le pénitent est actif. La pénitence (paenitentia), c’est accepter de porter soi-même la peine (poena) du péché (étymologie douteuse, mais voir Isidore de Séville, De ecclesiasticis officiis 2,17,2), avant que Dieu ne l’inflige : Tamen si vis ut ille ignoscat, tu agnosce. Impunitum non potest esse peccatum; impunitum non decet, non oportet, non est iustum. Ergo quia impunitum non debet esse peccatum, puniatur a te, ne puniaris pro illo [Mais, si tu veux qu’il pardonne, à toi de reconnaitre. Le péché ne peut être impuni ; le [péché] impuni ne sied pas, il ne doit pas être, il est injuste. Donc, si le péché ne doit pas être impuni, qu’il soit puni par toi, pour que tu ne sois pas puni pour lui] (serm. 20,2 ; voir aussi in psalm. 50,7 ; serm. 351,7, et déjà Origène, hom. in Ex. 11,5 ; hom. in Lev. 3,4 ; hom. in Num. 10,1 ; Ambroise, paen. 1,58, cité n. à 18,4). Cette peine est bien plus qu’un chagrin intérieur (nec putare satis sibi esse ut sua peccata displiceant, 9,4 ; voir n. ad loc.), puisqu’elle doit s’exprimer, comme le dit le Seigneur en Mt. 6,14s., par la miséricorde envers les autres : Quicquid autem, post eam quae fit in baptismo abolitionem

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omnium peccatorum, in hac vita manendo peccamus, etiam si non tale sit, quod a divinis removeri compellat altaribus, n o n d o l o r e s t e r i l i s e d m i s e r i c o r d i a e s a c r i f i c i i s ex p i a t u r [Or, après cette abolition des péchés qui a lieu dans le baptême, tout péché que nous faisons en demeurant dans cette vie, même s’il n’est pas du genre qui exige que l’on soit écarté des autels divins, n e s ’ e x p i e p a s p a r u n e s o u f f r a n c e s t é r i l e , m a i s p a r l e s s a c r i f i c e s d e l a m i s é r i c o r d e ] (epist. 153,15). Et, comme le rappelle cette dernière citation, la peine pouvait aussi être, selon la gravité de l’offense, celle imposée par la discipline de l’Église (pour ces pratiques, dans l’Afrique d’Augustin, voir WATKINS, A History, 437–447 et RING, n. à 19,11, avec bibliographie). Enfin, les souffrances et la mort, comme il sera dit en Inchoata expositio 10, faisaient partie pour le pénitent des peines du péché. Il serait faux d’affirmer que, plus tard, Augustin ait renié l’idée que la miséricorde de Dieu est juste à cause de la pénitence. Certes, il n’a jamais cessé de proclamer la justice de Dieu, ni de prêcher le repentir. Cependant, la justification proposée dans l’Inchoata expositio sera dans un sens dépassée par un thème qui y est déjà présent : c’est par l’action de la grâce de Dieu que l’on décide de se repentir : neminem peccati sui paeniteret, nisi admonitione aliqua vocationis Dei (9,6). Quand Augustin en est venu à penser que même le choix d’écouter cette admonitio ne pouvait se faire que par l’élection divine (voir n. à 7,7), le problème de justifier la miséricorde est devenu en dernier lieu le problème de justifier cette élection. Mais Augustin a décidé qu’une telle justification dépassait l’entendement humain : Cur autem ad eam [sc. praedestinationem] alii pertineant, alii non pertineant, occulta causa esse potest, iniusta esse non potest. ‘Numquid enim iniquitas apud Deum? Absit’ [Rom. 9,14]. Nam et hoc ad illam pertinet altitudinem iudiciorum, quam mirans tamquam expavit apostolus [Rom. 11,33] [Pourquoi certains relèvent-ils de cette [prédestination], et d’autres n’en relèvent-ils pas ? La cause peut être cachée, mais elle ne peut être injuste. ‘Y aurait-il injustice en Dieu ? Loin s’en faut !’ Car cela aussi relève de cette profondeur des jugements, que l’apôtre admire comme s’il en tremblait] (epist. 149,22 ; voir aussi quaest. Simpl. 1,2,18 ; corrept. 17, et AugLex s.v. iustitia, V). Quelle que soit notre évaluation de la doctrine d’Augustin sur la prédestination, on est tenu de respecter son refus de mesurer la justice de Dieu dans l’éternité selon ce que nous pouvons comprendre de la justice en cette vie. Le modèle de la justice distributive ne peut pas, en fin de compte, s’appliquer parfaitement à Dieu : Deus autem nulli debet aliquid, quia omnia gratuito praestat [Mais Dieu ne doit rien à personne, puisqu’il donne tout gratuitement] (lib. arb. 3,45 ; voir THONNARD, ‘Justice de Dieu’). Par ailleurs, Augustin a toujours affirmé que, même si la relation entre la justice et la miséricorde de Dieu nous dépasse, nous en savons assez pour être tenus de la refléter dans nos relations avec les hommes, et ceci en tempérant sans cesse la justice par la miséricorde. Voir, par exemple, epist. 153, où il explique à Macedonius, vicarius Africae, pourquoi les évêques intercèdent en faveur des criminels : cette intercession est faite à l’image de Dieu le Père, qui fait briller son soleil sur les justes et les injustes (4), ou de Jésus pardonnant à la femme adultère (9) ; comme

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pour Dieu, la condition de l’intercession est le repentir du coupable (2,21s.). Et, malgré tout, une vingtaine d’années après l’Inchoata expositio, la tension du langage entre justice et miséricorde n’est pas entièrement résolue : tanto … sunt intercedentium et parcentium beneficia gratiora, quanto peccantium iustiora supplicia [autant les tourments des pécheurs sont plus justes, autant les bienfaits de ceux qui intercèdent pour eux et les épargnent sont plus gracieux] (16). N’y entend-on pas l’écho d’Origène, pour qui, à la différence d’Augustin, c’était toujours la condamnation et non pas la miséricorde, qui avait besoin d’être justifiée ? Sed fortasse aliquis neget bonitati Dei convenire ut pro unius diei peccato annum suppliciorum rependat; quin immo dicet : ‘etiamsi diem pro die reddat, quamvis iustus, non tamen clemens videtur esse aut benignus’ [Mais peut-être quelqu’un niera qu’il convient à la bonté de Dieu de payer le péché d’une seule journée avec une année de supplices. Bien plus, il dira : ‘même s’il donnait une journée pour une journée, il se montrerait juste, mais non pas clément ou bienveillant’] (Rufin. Orig. in Num. 8,1). 9,2 nondum poenarum manifestus terror apparet Il s’agit des peines de l’enfer. Pour Augustin, celles-ci provoquent aussi la pénitence, mais une pénitence qui n’a plus l’effet salvifique qu’elle peut avoir en cette vie : Utrumque autem horum, ignem scilicet atque vermem [Is. 66,24], qui volunt ad animi poenas, non ad corporis pertinere, dicunt etiam uri dolore animi s e r o a t q u e i n f r u c t u o s e p a e n i t e n t e s e o s , qui fuerint a regno Dei separati, et ideo ignem pro isto dolore urente non incongrue poni potuisse contendunt … Ego tamen facilius est ut ad corpus dicam utrumque pertinere quam neutrum, et ideo tacitum in illis divinae scripturae verbis animi dolorem, quoniam consequens esse intellegitur, etiamsi non dicatur, ut corpore sic dolente animus quoque s t e r i l i p a e n i t e n t i a crucietur [Ceux qui veulent que ces deux choses, nommément le feu et le ver, relèvent des peines de l’esprit, et non pas de ceux du corps, disent que c e u x q u i s e s o n t r e p e n t i s t r o p t a r d e t s a n s f r u i t sont aussi brûlés par une douleur de l’esprit, eux qui ont été séparés du royaume de Dieu. Et ainsi ils maintiennent que le feu peut sans difficulté indiquer cette douleur brûlante … Pour ma part, il m’est plus facile de dire que les deux choses, plutôt qu’aucune de deux, relèvent du corps, et donc que la douleur de l’esprit n’est pas mentionnée dans ces mots de l’Écriture divine, pour que l’on comprenne qu’elle s’ensuit, même si ce n’est pas dit, puisque, quand le corps souffre ainsi, l’esprit lui aussi est tourmenté par sa p é n i t e n c e s t é r i le ] (civ. 21,9). Contraster civ. 21,24 : paenitentiae fructuosae [la pénitence porteuse de fruits], et Jérôme, Contra Rufinum 2,7 pour Origène inteprétant Is. 66,24 comme indiquant une pénitence porteuse de fruits. Cela a trait à la vision apocatastatique d’Origène (voir n. à 14,1, Le blasphème, et P. LARDET, L’apologie de Jérôme contre Rufin : Un commentaire, Leiden 1993, 166s., n. 281s.) : si l’enfer sera finalement vidé, il devient lui aussi lieu de pénitence. Mais pour Augusin, la terreur ultime, celle éprouvée en Enfer, ne provoque jamais qu’une pénitence inutile. On voit ici l’aboutissement de la réflexion d’Augustin

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sur l’obéissance à Dieu régie par la peur, qu’il n’a jamais vue que comme le signe d’une relation très incomplète avec Dieu. Elle est surtout caractéristique des Juifs : Accepit legem populus Iudaeorum. Istam in decalogo non observabat. Et quicumque obtemperabant timore obtemperabant poenae, non amore iustitiae [Le peuple juif a reçu la Loi. Il ne l’observait pas dans le décalogue. Et ceux qui y obéissaient obéissaient par peur de la peine, et non par amour de la justice] (serm. 9,8. De même mor. eccl. 56 ; in Gal. 21 ; de serm. dom. 1,64 ; voir n. à 2,3). Dans le pire des cas, la peur humaine envers Dieu est même le reflet de la peur des démons : Incipit homo a fide. Quid pertinet ad fidem? Credere. Sed adhuc ista fides discernatur ab immundis spiritibus. Ad fidem quid pertinet? Credere. Sed ait apostolus Iacobus: ‘Et daemones credunt, et contremiscunt’ [Iac. 2,19]. Si tantum credis, et sine spe vivis, vel dilectionem non habes: ‘Et daemones credunt, et contremiscunt’ [L’homme commence par la foi. Qu’est-ce qui relève de la foi ? Croire. Mais encore faut-il distinguer cette foi [de celle] des esprits impurs. Qu’est-ce qui relève de la foi? Croire. Mais l’apôtre Jacques dit : ‘Les démons croient, eux aussi, et ils tremblent’. Si tu ne fais que croire, et tu vis sans l’espoir, ou [si] tu n’as pas l’amour : ‘Les démons croient, eux aussi, et ils tremblent’] (serm. 158,6 ; voir aussi n. à 23,8–12). Augustin admet cependant que la peur peut être encore nécessaire aussi aux chrétiens, mais seulement selon l’immaturité de leur foi : Fit ut homines q u o s n o n d u m d e l e c t a t p u l c h r i t u d o v ir t u t i s , nisi poenis a peccando deterreantur … difficilius domentur quam ferae [Il arrive que les hommes q u e l a b e a u t é d e l a v e r t u n e r é j o u i t p a s e n c o r e , s’ils ne sont terrifiés de pécher à cause des peines … soient plus difficiles à dompter que des bêtes sauvages] (divers. quaest. 36,1 ; de même in psalm. 30,1,20. Et voir ensuite serm. 9,8 ; 159,6 ; 169,8 ; 178,10 ; mor. eccl. 56 ; in epist. Ioh. 9,2.4 ; de serm. dom. 1,64 : Juifs de l’ancienne Alliance et les chrétiens charnels sont souvent superposés). Il a la même réaction envers les peines infligées par les autorités de ce monde : Nec ideo sane frustra instituta sunt potestas regis, ius gladii cognitoris, ungulae carnificis, arma militis, disciplina dominantis, severitas etiam boni patris … Haec cum timentur, et cohercentur mali et quietius inter malos vivunt boni, non quia boni pronuntiandi sunt, qui talia metuendo non peccant – non enim bonus est quispiam timore poenae sed amore iustitiae [Ces choses n’ont donc pas été instituées en vain : le pouvoir du roi, le droit de vie et de mort du juge, les tenailles du bourreau, les armes du soldat, la discipline du seigneur, même la sévérité du bon père … Quand ces choses sont craintes, les mauvais sont réprimés, et les bons vivent plus tranquillement entre les mauvais, non pas qu’il faut juger bons ceux qui ne pèchent pas par peur de telles choses – car nul n’est bon par peur du châtiment, mais par amour de la justice] (epist. 153,16). C’est déjà le thème du conte de l’anneau de Gygès, au second livre de la République de Platon, et Augustin rappelle aussi Gygès en insistant que celui qui n’est juste que par la peur pécherait s’il pouvait échapper aux yeux de Dieu : Sed interrogo te: si non te videret Deus, quando facis, nec quisquam te convinceret in iudicio eius, faceres ? … Si faceres, ergo poenam times, castitatem nondum amas [Mais je te demande : si Dieu ne te voyait pas, quand tu fais [le mal], si personne ne pouvait

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te dénoncer devant son jugement, le ferais-tu ? … Si tu le fais, c’est donc que tu crains le châtiment, tu n’aimes pas encore la chasteté] (serm. 161,8). Cette hostilité envers la peur rappelle qu’Augustin avait souscrit au rejet manichéen du Dieu coléreux de l’Ancient Testament. Mais, en soi, sa pensée est tout à fait chrétienne, le fruit de sa méditation sur 1 Io. 4,18 : φόβος οὐκ ἔστιν ἐν τῇ ἀγάπῃ, ἀλλ’ ἡ τελεία ἀγάπη ἔξω βάλλει τὸν φόβον, ὅτι ὁ φόβος κόλασιν ἔχει, ὁ δὲ φοβούμενος οὐ τετελείωται ἐν τῇ ἀγάπῃ [Il n’y a pas de peur dans la charité, mais la charité parfaite bannit la peur, parce que la peur suppose le châtiment, et celui qui a peur n’est pas parfait dans la charité]. Si l’Inchoata expositio était parvenue jusqu’à Rom. 8,15, Augustin y aurait sans doute développé ses réflexions sur la peur. Ailleurs, en contrastant ces passages de Rom. et 1 Io. avec des textes des psaumes, il en vient à réhabiliter la peur : Sectamini caritatem, intret caritas; admittite illam, timendo peccare, admittite amorem non peccantem, admittite amorem bene viventem. Illa … intrante, incipit timor exire. Quanto plus illa intraverit, tanto timor minor erit. Cum illa tota intraverit, nullus timor erit, quia ‘perfecta caritas foras mittit timorem’ [1 Io. 4,18]. Intrat ergo charitas, pellit timorem. Non autem intrat et ipsa incomitata. Habet secum suum timorem, quem introducit ipsa, sed illum ‘castum, permanentem in saeculum saeculi’ [Ps. 18,10]. Servilis timor est, quo times cum diabolo ardere; timor castus est, quo times Deo displicere. [Poursuivons la charité ; qu’entre la charité. Admets-la, en ayant peur de pécher ; admets l’amour qui ne pèche pas, admets l’amour qui vit droitement. Quand celle-ci [sc. la charité] entre, la peur commence à sortir. Plus elle entre, plus la peur va diminuer. Quand elle sera entrée en entier, il n’y aura plus de peur, puisque ‘la charité parfaite bannit la peur’. Donc la charité entre, elle met dehors la peur. Mais elle aussi, elle n’entre pas toute seule. Elle a avec elle sa propre peur, qu’elle introduit elle-même, mais c’est [la peur] chaste, ‘qui dure pour les siècles des siècles’. C’est par une peur d’esclave que tu crains de brûler avec le diable ; c’est par une peur chaste que tu crains de déplaire à Dieu] (serm. 161,8 ; voir de même in Gal. 43, 53 ; in psalm. 18,1,10 ; 18,2,10 ; epist. 140,51–53.56–60 ; 145,4 ; in euang. Ioh. 43,5.7 ; 85,3 ; in epist. Ioh. 9,5–8 ; virg. 39 ; serm. 348,4 ; pour une autre interprétation de Ps. 18,10, voir civ. 14,9). 9,2 nulla paenitentia corrigi volunt Augustin anticipe la seconde partie du texte (§14–fin), où l’impénitence sera définie comme le péché impardonnable. 9,4 humanae iustitiae disciplina Ayant montré comment la justice de Dieu (iustitia iudicis Dei, 9,1) se manifeste dans le pardon des offenses, Augustin passe maintenant à la justice humaine, c’està-dire le comportement requis pour obtenir ce pardon. Il revient à la justice divine en 10,1 (iustitiae divinae), 10,2 (iusto Dei iudicio).

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Pour la disciplina attendue des hommes définie par l’humilité, voir in Gal. 15, cité n. à 1,4, per disciplinam. 9,4 non in se amare nisi quod Dei est, et odisse quod proprium est Cette formule n’a rien à voir avec la haine de soi, dans un sens psychologique. Elle repose plutôt sur la croyance augustinienne selon laquelle tout ce qui est bon ne l’est que dans l’unité avec Dieu : Deus ergo singulariter bonus est et hoc amittere non potest. Nullius enim boni participatione bonus est, quoniam bonum, quo bonus est, ipse sibi est. Homo autem, cum bonus est, ab illo bonus est, quod a se ipso esse non potest … Pertinet ergo ad nos, ut boni simus, accipere et habere quod dat qui de suo bonus est, quo quisque neglecto de suo malus est [Dieu est donc uniquement bon, et ne peut pas perdre cette qualité. En effet, il n’est pas bon par participation dans un bien, car il est pour lui-même le bien par lequel il est bon. Mais l’homme, quand il est bon, est bon à cause de lui, ce qu’il ne peut être à cause de lui-même … Il nous revient donc, pour être bons, de recevoir et de retenir ce que donne celui qui est bon par sa propre nature. Celui qui le néglige est mauvais par sa propre nature] (epist. 193,12). Du reste, ce proprium en nous, qui ne vient pas de Dieu, n’existe pas au sens propre, puisque tout ce qui n’est pas bon tend vers la non-existence : Quia enim bonus est, sumus, et in quantum sumus boni sumus. Porro quia etiam iustus est, non impune mali sumus, et in quantum mali sumus, in tantum etiam minus sumus [En effet, parce qu’il est bon, nous sommes, et dans la mesure où nous sommes, nous sommes bons. En outre, parce qu’il est en même temps juste, nous ne sommes pas mauvais impunément, et dans la mesure où nous sommes mauvais, nous sommes aussi moins] (doctr. christ. 1,75 ; voir aussi les remarques sur corruptio dans la n. critique à 13,5, unde interrogati). 9,4 nec in eis alium improbare, sed seipsum Voir civ. 15,7 (sur Gen. 4,7) : Potest quidem ita intellegi ad ipsum hominem conversionem esse debere peccati, ut nulli alii quam sibi sciat tribuere debere quod peccat … Tunc enim dominabitur quisque peccato, si id sibi non defendendo praeposuerit, sed paenitendo subiecerit. Alioquin et illi serviet dominanti, si patrocinium adhibuerit accidenti [On peut ainsi comprendre que la conversion du péché doit être vers l’homme lui-même, pour qu’il sache qu’il ne doit attribuer le fait qu’il pèche à personne d’autre que lui-même … Car chacun aura la domination sur le péché au moment où il ne le mettra pas au-dessus de lui-même, en le défendant, mais il l’asujettira, en faisant pénitence. Autrement c’est lui qui servira [le péché] dominant, s’il lui accorde sa protection quand il survient]. À la lecture de tels avertissements, on pense volontiers au désir humain constant de considérer notre prochain comme responsable de nos fautes (« C’est la femme que tu as mise auprès de moi qui m’a donné de l’arbre, et j’ai mangé »). Ce sens n’est pas exclu (MARA, Agostino interprete, 178, n. 26 renvoie ainsi à Ambroise, off. 1,118), mais RING (n. à 9,4), préfère voir ici une pointe anti-manichéenne, puisque la gnose manichéenne voulait

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que le degré de perfection que chacun pouvait atteindre dépendât de son type de nature (voir LIEU, Manichaeism, 27–29). En effet, la tendance à imputer ses fautes à des facteurs surnaturels inquiétait particulièrement Augustin, tendance nullement réservée aux Manichéens. Voir, dans ce sens, in psalm. 7,19 : ‘Confitebor Domino secundum iustitiam eius’ [Ps. 7,18]. … Ista confessio ita Deum laudat, ut nihil possit impiorum valere blasphemia, qui volentes excusare facinora sua, nolunt suae culpae tribuere quod peccant, hoc est, nolunt suae culpae tribuere culpam suam. Itaque aut fortunam aut fatum inveniunt quod accusent, aut diabolum, cui non consentire in potestate nostra esse voluit qui nos fecit; aut aliam naturam inducunt, quae non sit ex Deo, fluctuantes miseri et errantes potius quam confitentes Deo, ut eis ignoscat. Non enim oportet ignosci, nisi dicenti: Peccavi [‘Je confesserai au Seigneur selon sa justice’. Cette confession loue le Seigneur de telle façon que le blasphème des impies ne peut avoir aucune force, [ces impies] qui, en voulant excuser leurs crimes, ne veulent pas que ce soit leur propre faute quand ils pèchent – c’est-à-dire qu’ils ne veulent pas que leur faute soit de leur faute. Ainsi ils trouvent comme coupables la fortune ou le destin, ou le diable, [bien que] celui qui nous a faits ait voulu qu’il soit en notre pouvoir de ne pas donner notre accord au [diable]. Ou bien ils introduisent une autre nature, qui ne vient pas de Dieu, et ces misérables flottent et dérivent, plutôt que de confesser à Dieu, pour qu’il les pardonne. Car on ne doit pas pardonner sinon à celui qui dit : ‘J’ai péché’]. Ici, aliam naturam [une autre nature] désigne les croyances manichéennes, mais fortunam aut fatum [la fortune ou le destin] visent surtout l’astrologie. Voir aussi c. Faust. 12,9–13, qui anticipe sur la lecture antimanichéenne citée plus haut de Gen. 4,7 dans civ., mais fait d’abord de Cain l’image du peuple juif, qui fait les attributions à l’envers : Ignorantes Dei iustitiam et suam volentes constituere, elati de operibus legis, non humiliati de peccatis suis non ‘quieverunt’ [En ignorant la justice de Dieu et en voulant établir la leur, se vantant des œuvres de la Loi, plutôt que de s’humilier à cause de leurs propres péchés, ils ne sont pas ‘restés tranquilles’] (c. Faust. 12,9). Nous rejoignons ici le grand thème de l’épître aux Romains, tel qu’il est décrit dans Inchoata expositio 1 : s’il ne faut pas imputer nos fautes aux autres, Augustin tend de plus en plus à ajouter qu’il faut imputer nos bonnes œuvres exclusivement à Dieu (voir n. à 7,7). 9,4 nec putare satis sibi esse ut sua peccata displiceant La distinction entre le dégoût inspiré par le péché et le vrai repentir est établie par Paul (voir quaest. Simpl. 1,1,8 sur Rom. 7,15). Augustin la reprend avec beaucoup de finesse psychologique : Multi enim multo citius se fatentur peccasse atque ita sibi succensent, ut vehementer se peccasse nollent, sed tamen animum ad humiliandum et obterendum cor implorandamque veniam non deponunt [Beaucoup d’hommes avouent bien plus rapidement qu’ils ont péché, et se le reprochent, si bien qu’ils voudraient ardemment n’avoir pas péché. Mais toutefois ils n’abaissent pas leur esprit pour humilier et broyer leur cœur et pour implorer le pardon] (de serm. dom. 1,74). Il utilise un langage similaire pour décrire sa propre lutte contre la conver-

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sion : Mihi autem d i s p l i c e b a t , quod agebam in saeculo, et oneri mihi erat valde, non iam inflammantibus cupiditatibus, ut solebant, spe honoris et pecuniae ad tolerandam illam servitutem tam gravem. Iam enim me illa non delectabant prae dulcedine tua et decore domus tuae, quam dilexi [Ps. 25,8] [Ce que je faisais dans le monde me d é p l a i s a i t et m’était bien pesant. Mes désirs ne brûlaient plus, comme d’habitude, par l’espoir de l’honneur et de l’argent, pour que je pusse tolérer cet esclavage si lourd. Car déjà ces choses ne me plaisaient plus en face de ta douceur et de la beauté de ta maison, que j’ai aimée] (conf. 8,2) ; sicut nemo est, qui dormire semper velit, omniumque sano iudicio vigilare praestat, differt tamen plerumque homo somnum excutere, cum gravis torpor in membris est, eumque iam d i s p l i c e n t e m carpit libentius, quamvis surgendi tempus advenerit: ita certum habebam esse melius tuae caritati me dedere quam meae cupiditati cedere; sed illud placebat et vincebat, hoc libebat et vinciebat [Tout comme il n’y a personne qui voudrait dormir tout le temps, et, selon tout jugement sain, il est mieux d’être éveillé, mais un homme tarde très souvent à chasser le sommeil, quand il y a dans ses membres un lourd engourdissement, dont il jouit avec plaisir, bien que celui-ci lui d é p l a i s e déjà, bien que le temps du réveil soit arrivé – de même, j’étais certain qu’il serait mieux de me confier à ta charité que de céder à mes désirs. Mais [si] le premier [choix] me plaisait et me conquérait, le second me charmait et m’enchainait] (conf. 8,12). 10,1–10 Justice des souffrances en ce monde Ayant montré au §9 pourquoi il est juste que les pénitents soient pardonnés après la mort, Augustin va maintenant expliquer pourquoi il est juste qu’ils souffrent en cette vie. Pour confronter pleinement le problème, il ne présente plus ceux qui souffrent comme accablés par le péché, mais souligne que même les meilleurs des hommes souffrent (etiam martyres, 10,1 ; etiam iusti homines et pii, 10,2 ; ipse Iob, 10,4 ; fratres, 10,5 ; iusti, 10,6). Avec l’exemple de David, il revient à un grand péché, mais David entre finalement dans la même catégorie que Job ou les martyrs, parce que l’explication d’Augustin repose sur le principe que tous les hommes sont assez mauvais pour avoir besoin d’une purification sévère (neminem quippe excepit, 10,4). Cette explication a deux aspects : les souffrances sont la peine du péché personnel et originel, et ils sont une école de vertu. On tenterait en vain de séparer ces deux approches : la punition est juste (tribulationes et molestiae … per iustitiam Dei redduntur peccatis, 10,12) et en même temps elle rend meilleur (non reflectunt ad peccandum, sed ab omni labe penitus purgant, ibid.). Cette double explication revient très souvent sous la plume d’Augustin. Parfois il met l’accent sur la punition des péchés (divers. quaest. 59,3 ; in Gal. 50.64 ; epist. 43,21, les Donatistes, en refusant les peines temporelles, se réservent les peines éternelles), parfois sur l’effet bienfaisant des souffrances (lib. arb. 3,28 ; divers. quaest. 79,5 ; epist. 38,1, à propos de lui-même ; epist. 157,19 ; agon. 8 ), ou encore il combine les deux (divers. quaest. 82 ; vera relig. 78–80 ; in psalm. 9,2 ; in Rom.

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54) … On pourrait citer des centaines d’exemples, ou encore étudier l’application de cette doctrine par Augustin à sa propre vie dans les Confessions. Quant au péché originel, on sait qu’Augustin en est venu à penser qu’il justifiait la peine éternelle pour tous les hommes : Hinc est uniuersa generis humani massa damnata, quoniam, qui hoc primus admisit, cum ea quae in illo fuerat radicata sua stirpe punitus est, ut nullus ab hoc iusto debitoque supplicio nisi misericordi et i n d e b i t a gratia liberetur [Ainsi toute la massse du genre humain fut damnée, puisque celui qui pécha le premier fut puni avec la souche qui avait pris racine en lui, pour que personne ne soit libéré de ce châtiment juste et dû, sauf par la grâce miséricordieuse et i n d u e ] (civ. 21,12). Dans ce sens, il n’existe pas pour Augustin de problème de la souffrance des innocents, puisqu’il n’y a pas d’innocents. Si Augustin a poussé plus loin que tous ses prédécesseurs la réflexion sur le péché originel (on lui doit le terme : voir BA 20A, 431–435), le reste de son enseignement sur la souffrance des justes est beaucoup moins original. Que cette souffrance purifie des péchés et apprend la vertu (ce second point devant beaucoup au stoïcisme) est une doctrine très répandue, sinon universelle, chez les Pères. À défaut d’une étude générale sur la question, voir F. BILLISCH, Das Problem des Übels in der Philosophie des Abendlandes, t. 1, Wien 21955, 192s.213–216.234–239 ; Dictionnaire de Spiritualité s.v. souffrance, 4 ; TRE s.v. Leiden, IV.2.1. Pour Philon, qui a beaucoup influencé Clément d’Alexandrie et Origène, et par là tous les Pères, en cette matière (comme en tant d’autres), voir De congressu 158–180, et la note complémentaire 22 dans l’édition de M. ALEXANDRE, Paris 1967. Pour Origène, voir Philocalie 27,6, et ad loc. SChr 226, 288s., n. 1 (mais Origène a la particularité de croire que les souffrances purgent aussi de fautes commises dans des existences antérieures). On tend toutefois, dans les études patristiques, à insister sur la prééminence de la doctrine d’Augustin sur la souffrance. Cela est sans doute dû moins à son originalité, qu’à son importance dans la pensée augustinienne. Nul autre des Pères n’y a consacré autant de pages, ni ne semble avoir ressenti le problème avec une telle intensité. Augustin peut choquer par sa sévérité, qu’il condamne les nouveaux-nés à l’enfer (voir AugLex s.v. infans, 5) ou qu’il imagine comment les religieuses de Rome ont pu être violées pour leur bien (civ. 1,18). Mais ne doutons pas pour autant qu’il ressent profondément tout ce que la souffrance a de scandaleux. Qu’on l’entende avouer, malgré toutes ses explications, malgré sa foi inébranlable en la Providence, que nous ne pouvons comprendre l’injustice, telle que nous la voyons se déchainer sans cesse devant nous : N e s c i m u s enim quo iudicio Dei bonus ille sit pauper, malus ille sit dives; iste gaudeat, quem pro suis perditis moribus cruciari debuisse maeroribus arbitramur, contristetur ille, quem vita laudabilis gaudere debuisse persuadet; exeat de iudicio non solum inultus, verum etiam damnatus innocens, aut iniquitate iudicis pressus aut falsis obrutus testimoniis, e contrario scelestus adversarius eius non solum inpunitus, verum etiam vindicatus insultet; impius optime valeat, pius languore tabescat; latrocinentur sanissimi iuvenes, et qui nec verbo quemquam laedere potuerunt, diversa morborum atrocitate affligantur infantes; utilis rebus humanis

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inmatura morte rapiatur, et qui videtur nec nasci debuisse, diutissime insuper vivat; plenus criminibus sublimetur honoribus, et hominem sine querella tenebrae ignobilitatis abscondant, et cetera huiusmodi, quae quis colligit, quis enumerat? [En effet, nous i g n o r o n s par quel jugement de Dieu cet homme bon est pauvre, cet autre homme mauvais est riche ; cet autre se réjouit, dont nous pensons qu’il aurait dû être tourmenté par le regret pour ses mœurs honteuses ; cet autre est affligé, alors que sa vie louable [nous] convainc qu’il devait se réjouir ; l’innocent sort du jugement non seulement sans être vengé, mais même condamné, soit opprimé par l’iniquité du juge, soit écrasé par les faux témoignagnes ; au contraire, son adversaire criminel se moque de lui, étant non seulement impuni, mais même justifié ; l’impie se porte à merveille, l’homme pie se morfond dans la maladie ; les brigands sont des jeunes hommes des plus vigoureux, et les bébés qui n’auraient pu blesser quelqu’un même par une parole sont affligés par l’atroce multiplicité des maladies ; celui qui est utile aux affaires humaines est arraché par une mort prématurée, et celui dont il semble qu’il n’aurait même pas dû naitre, reste très longtemps en vie ; l’homme qui regorge de crimes est élevé dans les honneurs, et les ténèbres d’une vie obscure cachent l’homme sans fautes ; et toutes les autres choses du même genre – qui pourrait les cataloguer, les énumérer ?] (civ. 20,2 – le passage rappelle le soliloque d’Hamlet). 10,1 poena spiritalis et sempiterna L’expression poena spiritalis, contrastée avec pressurae … cruciatusque corporales, est curieuse, dans la mesure où les punitions des damnés sont aussi corporelles, comme Augustin va le montrer en détail en civ. 21. On pense à gen. ad litt. 12,60, où Augustin considère que l’enfer peut être un lieu spiritalis. Mais il s’agit là du lieu où iront les âmes avant la résurrection de la chair (voir AugLex s.v. infernus, et pour l’inspiration néo-platonicienne de cette vision, BA 49, 559s.), alors qu’ici Augustin ne distingue pas entre les deux étapes de la damnation. spiritalis est donc plutôt utilisé seulement par opposition aux souffrances en ce monde, tout comme Augustin parlera ailleurs (epist. Divj. 1,1 ; c. adv. leg. 1,31) des poenae spiritales comme celles dont Jésus menace les hommes après la mort, en opposition aux punitions matérielles prescrites par la Loi de l’Ancien Testament. 10,1 etiam martyres Voir, dans le même sens, epist. 157,19 : ut … temporalis autem mors corporis, etiam in iis qui Christi morte redimuntur, relinquatur interim ad exercitationem fidei, et agonem praesentis luctationis, in quo et martyres certaverunt [pour que … la mort temporelle du corps, même pour ceux qui sont rachetés par la mort du Christ, reste en place entre-temps, comme une épreuve de leur foi et un concours de lutte immédiat, dans lequel les martyrs, eux aussi, ont combattu]. Les martyrs illustraient particulièrement bien la valeur de la souffrance (voir n. à 10,1–10), puisque la tradition hagiographique cumulait les détails de leurs tortures, et toute l’Église reconnaissait qu’ils en avaient été récompensés par la vie éternelle. Augustin n’en affirme pas moins

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que leurs souffrances étaient en partie une punition pour leurs péchés. Ailleurs, il proposera même que Dieu a pu offrir le martyre à certains pour les libérer des leurs faiblesses morales : Iam forte aliqui ipsorum intendebant collum in dulcedinem vitae huius. Dominus qui erat in illis, fecit strepitum gehennarum, et ‘erutus est passer de muscipula venantium’ [Ps. 123,7] [Peut-être déjà certains d’entre eux tendaient leur cou vers la douceur de cette vie. Le Seigneur, qui était en eux, fit le vacarme de la géhenne, et ‘le passereau a été arraché du piège des chasseurs’] (in psalm. 123,13. De même in psalm. 118,13,3). 10,3 quae in sanctis scripturis etiam disciplina nominatur Pour disciplina dans la Bible, voir AugLex s.v. disciplina, II.1. Le mot apparait 99 fois dans la Vulgate. Mais Augustin pense peut-être en particulier à Prov. 3,11 (= Hebr. 12,5), puisqu’il va bientôt (10,4) citer Prov. 3,12 (= Hebr. 12,6). Il est vrai qu’à l’époque de l’Inchoata expositio, Augustin n’utilisait pas la Vulgate, mais Frede, VetLat 25 ad loc. montre que disciplinam était bien dans le texte de Hebr. 12,5 pour Augustin, et cite d’ailleurs notre passage parmi les testimonia (les volumes de la Vetus Latina de Beuron pour Prov. n’existent pas encore, et il nous dépasse de démêler les citations directes de Prov. 3,11s. des citations par le biais de Hebr. 12,5s. Sur ce point, La Bonnardière, L’épître, 140s., note qu’Augustin n’attribue jamais Hebr. 12,6 à Paul quand il le cite [voir n. à 11,3s.]). 10,4 quem enim diligit Deus corripit Dans la Vulgate, pour Hebr. 12,6 (ὃν γὰρ ἀγαπᾷ κύριος παιδεύει), on lit quem enim diligit Dominus castigat. Dans VetLat 25 ad loc., on voit qu’Augustin connaissait aussi la leçon castigat, mais s’en est généralement tenu au texte trouvé ici. Voir aussi ibid. pour la distribution complexe de ces leçons dans les versions latines de l’épître. Hebr. 12,6 est le verset de l’épître aux Hébreux cité le plus fréquemment par Augustin (LA BONNARDIÈRE, L’épître, 140) ; il est combiné avec Job, comme dans l’Inchoata expositio, en in Iob 36 ; urb. exc. 3. Pour le rapport avec Prov. 11,4, voir n. précédente. 10,4 poenas tamen corporis pro peccatis suis se exsolvere saepe testatur Dans A Masque of Reason (1945) du poète Robert Frost, Dieu dit à Job : « I’ve had you on my mind a thousand years / To thank you someday for the way you helped me / Establish once for all the principle / There’s no connection man can reason out / Between his just deserts and what he gets ». C’est dans cette optique que l’on tend aujourd’hui à lire le livre de Job : ses consolateurs ont entièrement tort de dire à Job qu’il est puni pour ses péchés, et c’est pourquoi Dieu s’irrite contre eux (Job 42,7. Voir J. E. HARTLEY, The Book of Job, Grand Rapids MI 1988, 43–50). Mais selon Augustin, Job a très souvent (saepissime) dit le contraire : malgré sa justice, sa souffrance a servi à expier ses péchés (il en est de même pour Moïse, Aaron, Samuel et Paul : in psalm. 98,10–13).

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Toutefois, pendant longtemps, Augustin est rarement revenu sur Job pécheur, insistant plutôt sur son rôle comme modèle de patience (pour les années autour de l’Inchoata expositio, voir mor. eccl. 42 ; in psalm. 25,1,3 ; de serm. dom. 2,32s. ; quaest. Simpl. 2,3,1 ; in Iob. 38), comme le fera, dans le sillage de Iac. 5.11, toute la tradition patristique (voir Dictionnaire de Spiritualité s.v. Job, II ; SChr 178, 199, n. 3. Dans l’Église latine, cette tradition commence avec Tertullien, De patientia 14 et Cyprien, De bono patientiae 18). Mais il est vrai que patience et pénitence ne sont pas aisées à séparer chez Augustin (voir n. à 10,1–10). En tout cas, comme le note J.-M. Roessli (AugLex s.v. Iob ; à consulter aussi pour la bibliographie sur Augustin et Job), Augustin est revenu aux péchés de Job dans ses écrits anti-pélagiens, puisque « Pelagius avait consacré à Job un véritable panégyrique. Pour lui, l’exemple de la bonté de Job prouve la réalité de la sainteté naturelle de l’homme ». Augustin répond en alignant les passages où, selon lui, Job se déclare lui-même pécheur : voir pecc. mer. 2,14.17 ; nat. et grat. 73 ; perf. iust. 23– 28 ; c. Iulian. op. imperf. 1,105 (et, en dehors de la controverse avec Pélage, in psalm. 37,5 ; urb. exc. 4 ; serm. 392,3). C’est dans ces textes que le saepissime de l’Inchoata expositio est enfin justifié. Mais retenons qu’un des versets qu’utilise souvent Augustin pour étayer cette vision de Job est Job 14,4, où les versions basées sur la Septante (τίς γὰρ καθαρὸς ἔσται ἀπὸ ῥύπου; ἀλλ᾽ οὐθείς [Car qui sera pur de la souillure ? Mais personne]) étaient beaucoup plus utiles à Augustin que la Vulgate (Quis potest facere mundum de inmundo conceptum semine? Nonne tu qui solus es? [Qui peut rendre pur ce qui fut conçu d’une semence impure ? N’est-ce pas toi, qui seul es ?]). En vérité, il n’y a peut-être aucun texte du livre de Job qui comporte certainement une confession par Job de ses propres fautes. Nous ne voulons pas insinuer qu’Augustin lisait le livre de Job sans sensibilité aucune. Il savait très bien que ce livre ne pouvait être compris qu’en fonction de la justice extraordinaire de Job (secundum modum conversationis humanae perhibet ei Deus tam magnum iustitiae testimonium [selon la mesure du commerce humain, Dieu porte un si grand témoignage à sa justice], pecc. mer. 2,14) et dans in Iob il l’identifiera même avec le Christ. Il était aussi très conscient de ce que, malgré tout ce que l’on avait dit sur la patience de Job, l’affligé usait souvent d’un langage dur envers son créateur, velut stomachans adversus Deum [comme s’il s’indignait envers Dieu] (in psalm. 103,4,8. Le problème est repris par Grégoire le Grand, Moralia in Iob praef. 8). Mais pour lui, il n’y avait aucune contradiction entre ces faits et l’affirmation que Job subissait en toute conscience une peine juste. On rencontre rarement avant Augustin l’idée que les souffrances de Job aient pu être en partie une punition pour ses péchés. Les Pères tendent plutôt à insister, suivant Job 1,1, sur sa justice : Origène l’appelle iustissimus et totius pietatis observantissimus [très juste, et très fidèle à tout devoir religeux] (Rufin. Orig. in ex. 7,2), iam perfectus [déjà parfait] (ibid. 11,3). De même, selon Jean Chrysostome, οὐ μόνον ἐκεῖνα οὐκ ἔπραττε τὰ ἁμαρτίαν ἔχοντα, ἀλλ’ οὐδὲ τὰ μέμψιν καὶ κατάγνωσιν [il évitait de faire non seulement les actes qui contiennent un péché, mais même ceux

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susceptibles d’un reproche ou d’un blâme] (Iob 1,1 [SChr 346, 84]). Et Ambroise note l’erreur de ses consolateurs : Unum enim solacii genus est in aerumna et amaritudine constitutis: culpa vacare, ut ea quae perpetiuntur adversa non pro delicti pretio sustinere videantur. Hoc quoque viro sancto adimere gestiebant, ut videretur ipse suae auctor aerumnae, qui peccatis gravibus Domini contraxisset offensam et pro impietatibus suis illa toleraret, describentes impiorum supplicia [Il y a en effet un seul genre de consolation pour ceux qui sont dans la souffrance et l’amertume : être sans faute, pour qu’ils ne paraissent pas endurer les malheurs qu’ils éprouvent comme la récompense d’un crime. Même cela, ils tentaient de l’enlever au saint homme, en décrivant les tourments des impies, pour qu’il apparût comme lui-même responsable de sa souffrance, comme s’il avait offensé le Seigneur par des péchés graves et endurait ces choses à cause de ses impiétés] (Iob 1,4,10). Sans doute, aucun de ces textes n’est à comprendre comme indiquant que Job était un homme entièrement parfait, comme l’était le Christ. Mais pour leurs auteurs, le sujet du livre de Job était exclusivement les souffrances d’un juste, et non la punition d’un coupable. 10,5 1 Petr. 4,15–18 Variantes notables d’avec la Vulgate : Grec ἀλλοτριεπίσκοπος εἰ δὲ ὡς ὅτι ὁ καιρὸς τοῦ ἄρξασθαι τὸ κρίμα πρῶτον ἀφ’ ἡμῶν σῴζεται

Inchoata expositio curas alienas agens si vero quasi quia tempus inchoationis iudicii initium a nobis salvus fit

Vulgate alienorum appetitor si autem ut quoniam tempus ut incipiat iudicium primum a nobis salvatur

Selon Thiele, VetLat 26/1 ad loc. le texte tel que le présente l’Inchoata expositio n’est typique que d’Augustin. Ce texte de 1 Petr. est réemployé de façon similaire en c. Faust. 22,14 (de nouveau avec Hebr. 12,6), mais surtout dans le commentaire sur les psaumes (in psalm. 6,4–8 ; 30,1,24 ; 59,6 ; 93,23s. ; 110,2 [avec Hebr. 12,6] ; 118,16,5 ; 147,27), sans doute parce que les psaumes sont si souvent des prières de souffrance. Pour une exégèse plus détaillée, voir in psalm. 9,1 : Duo etiam iudicia insinuantur per scripturas, si quis advertat, unum occultum, alterum manifestum. Occultum nunc agitur, de quo apostolus Petrus dicit: ‘Tempus est ut iudicium incipiat a domo Domini’. Occultum itaque iudicium est poena, qua nunc unusquisque hominum aut exercetur ad purgationem, aut admonetur ad conversionem, aut si contempserit vocationem et disciplinam Dei, excaecatur ad damnationem. Iudicium autem manifestum est, quo venturus Dominus iudicabit vivos et mortuos [Pour qui fait bien attention, deux jugements sont aussi indiqués par les Écritures, l’un caché, l’autre manifeste. Il s’agit ici du [jugement] caché, duquel l’apôtre Pierre dit : ‘Il est temps que le jugement commence à partir de la maison du Seigneur’. Donc le jugement caché est la

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peine par laquelle tout homme est maintenant, ou bien éprouvé pour sa purification, ou bien averti pour sa conversion, ou encore, s’il méprise l’appel et la discipline de Dieu, aveuglé pour sa damnation. Le jugement manifeste est ensuite celui par lequel le Seigneur, quand il viendra, jugera les vivants et les morts] (de même cons. euang. 2,8). On trouve ici l’idée, implicite dans l’Inchoata expositio (reflectunt ad peccandum, 10,12), et fréquente dans des écrits plus tardifs, que les mêmes punitions qui sont si utiles aux élus ne sont pour les autres qu’une étape sur la voie de la damnation. 10,7 pressuris Grec θλίψεσιν, Vulgate tribulationibus. pressuris est le texte normal d’Augustin, et la leçon est répandue dans les anciennes versions latines de 2 Thess. Voir VetLat 25, ad loc. pressura traduit θλῖψις dans la Vulgate du Nouveau Testament pour les deux exemples du mot dans l’Évangile de Jean (16,21 ; 16,32, cité avec pressuram plus bas, 10,12). Partout ailleurs – et le mot apparait 25 fois – il est rendu par tribulatio, sauf en Phil. 1,17 (pressuram), Col. 1,24 (passionum) et dans le cas étrange de 2 Cor. 1,4 (ὁ παρακαλῶν ἡμᾶς ἐπὶ πάσῃ τῇ θλίψει ἡμῶν εἰς τὸ δύνασθαι ἡμᾶς παρακαλεῖν τοὺς ἐν πάσῃ θλίψει / qui consolatur nos in omni tribulatione nostra ut possimus et ipsi consolari eos qui in omni pressura sint). Indications du caractère très hétérogène du texte de la Vulgate (cf. n. à 12,2s. ; 13,4). 10,9 Pour la faute de David, voir n. à 18,14s. 10,9 accidisse omnia … propter futurum iudicium poenarum Même thématique déjà chez Origène, Hier. Orig. hom. in Ezech. 1,2 : Noli aestimare quia haec ultio [punition des Egyptiens] poena tantum fuerit peccatoribus, quasi post mortem et supplicia iterum a supplicio excipiendi sint. Puniti sunt in praesenti, ne in futuro iugiter punirentur [Ne vas pas croire que cette vengeance servait exclusivement comme punition pour les pécheurs, comme si, après la mort et les supplices, le supplice les attendait encore. Ils ont été punis dans le temps présent, pour qu’ils ne soient pas punis continuellement dans le temps à venir]. On trouve des commentaires similaires chez Origène pour d’autres cas apparemment désespérés : les gens de Sodome et Gomorrhe (ibid.), ou Pharaon (Philocalie 27,4s.). C’est qu’Origène est beaucoup plus enclin qu’Augustin à voir toutes les souffrances comme bienfaisantes (voir n. à 10,1–10 ; 10,5). 10,10 mortuis evangelizatum est Augustin ne parle pas de la descente aux enfers, malgré le sens obvie de 1 Petr. 3,18–4,6. Voici un exemple frappant d’Augustin prônant tacitement une exégèse insolite, qu’il n’expliquera que bien plus tard. En effet, il faut attendre epist. 164, datant de 414/415, pour qu’il indique, en réponse aux questions d’Évodius, com-

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ment il préfère comprendre ce passage de l’épître. Il y propose que Pierre ne parle pas de la descente aux enfers, mais de la prédication de la foi dans le monde, qui, tant qu’il ne reçoit pas l’Évangile, est équivalent à l’enfer ou aux morts. Il glose donc ainsi 1 Petr. 4,6 : Etiam quod sequitur et dicit Petrus, ‘propter hoc et mortuis evangelizatum, ut iudicentur quidem secundum homines in carne, vivant autem secundum Deum spiritu’, non cogit apud inferos intellegi. Propter hoc enim in hac vita et mortuis evangelizatum est, id est infidelibus et iniquis, ut, cum crediderint, iudicentur quidem secundum homines in carne, hoc est in diversis tribulationibus et ipsa morte carnis, unde idem apostolus alio loco dicit tempus esse, ut iudicium incipiat a domo Domini [1 Petr. 4,17], vivant autem secundum Deum spiritu, quia et in ipso fuerant mortificati, cum morte infidelitatis et impietatis detinerentur [De plus, ce qui suit et ce que dit Pierre, ‘c’est pourquoi l’Évangile a aussi été prêché aux morts, pour qu’ils soient jugés selon les hommes dans la chair, mais qu’ils vivent selon Dieu dans l’esprit’, ne demande pas que l’on comprenne [une évangélisation] aux enfers. En effet, l’Évangile a aussi été prêché aux morts en cette vie, c’est-à-dire aux infidèles et aux méchants, pour que, s’ils croient, ils soient jugés selon les hommes dans la chair, c’est-à-dire par les tribulations diverses et la mort même de la chair – c’est pourquoi ce même apôtre dit ailleurs qu’il est temps que le jugement commence à partir de la maison de Dieu – mais pour qu’ils vivent selon Dieu dans l’esprit, puisque c’est aussi en lui qu’ils avaient été mortifiés, quand ils étaient retenus par la mort de l’infidélité et de l’impiété] (epist. 164,21). Comme le montre la reprise de 1 Petr. 4,17, toute cette exégèse devait déjà être dans l’esprit d’Augustin quand il a écrit l’Inchoata expositio. Mais il ne l’aurait peut-être jamais rédigée sans la demande d’Évodius. Cette lecture inattendue de Pierre s’explique par les difficultés qu’avait Augustin à comprendre la doctrine de la descente aux enfers, même s’il l’a toujours acceptée comme faisant partie de l’enseignement des Écritures et de la foi de l’Église (epist. 164,14). Voir, pour cette question, AugLex s.v. descensus Christi. 10,13 Pax enim perfecta etiam corporis La vie éternelle sera une vie de paix : c’est là une croyance universelle des chrétiens. Mais il est caractéristique d’Augustin, qui, manichéen, avait rejeté la chair, et qui est toujours resté troublé par la persistance des désirs charnels, de comprendre cette paix avant tout comme la fin de la lutte entre la chair et l’esprit. Il avait particulièrement développé cette doctrine dans les œuvres exégétiques sur le Nouveau Testament qui précèdent immédiatement l’Inchoata expositio. Ici, il ne fait qu’une brève allusion au rôle de la chair dans l’histoire du salut, tel qu’il l’avait expliqué en in Rom. 12 : Quattuor istos gradus hominis distinguamus: ante legem, sub lege, sub gratia, in pace. Ante legem sequimur concupiscentiam carnis, sub lege trahimur ab ea, sub gratia nec sequimur eam nec trahimur ab ea, in pace nulla est concupiscentia carnis [Distinguons ces quatre étapes de l’homme : avant la Loi, sous la Loi, sous la grâce, dans la paix. Avant la Loi, nous suivons la concupiscence de la chair ; sous la

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Loi, nous sommes traînés par elle ; sous la grâce, nous ne la suivons pas et ne sommes pas traînés par elle ; dans la paix, il n’y a aucune concupiscence de la chair]. Voir aussi in Rom. 43.45 ; in Gal. 61 et l’exposé de Gloria in excelsis Deo, et in terra pax hominibus bonae voluntatis [Gloire à Dieu au plus haut, et sur la terre paix aux hommes de bonne volonté] en de serm. dom. 2,21.23, qui est repris en in Rom. 12. On doit supposer qu’Augustin envisageait d’exposer cette doctrine en beaucoup plus de détail au moment de commenter Rom. 7s. 10,13 inconcusse atque incommutabiliter teneat Augustin combine très souvent des formes de inconcussus et tenere. On trouve inconcusse + tenere en c. acad. 1,19 ; epist. 93,23 ; 190,3 ; in Matth. 11 ; in psalm. 134,10 ; c. mend. 41, et inconcussse + retinere en conf. 6,7 ; epist. 147,35 ; doctr. christ. 1,93 ; c. Faust. 21,2 ; retract. 1,11. Ou encore il emploie l’adjectif : tenebo istud inconcussum [je garderai cela [comme] inébranlable] (mus. 6,8 ; cf. mus. 6,46 ; lib. arb. 1,31 ; 2,5 ; epist. 1,2 ; 186,20 ; in euang. Ioh. 19,3 ; trin. 8,7 ; c. Parm. 3,28 ; un. bapt. 16 ; c. Iulian. op. imperf. 2,117) ; ut … inconcussam teneat angulorum aequalitatem [pour que … elle garde une égalité inébranlable des angles] (quant. anim. 15) ; teneamus igitur has leges inconcussas [gardons donc ces lois [comme] inébranlables] (mus. 5,8) ; pietatem inconcussam tene [garde une piété inébranlable] (lib. arb. 2,54) ; inconcussum animum tenuit [il garda un esprit inébranlable] (mor. eccl. 42). La tournure est caractéristique d’Augustin, puisqu’elle n’est pas spécialement fréquente chez d’autres auteurs (voir ThLL s.v. inconcussus), bien qu’elle semble débuter chez Lucain (inconcussa tenens dubio vestigia mundo [gardant ses pas inébranlables dans un monde vacillant], 2,248 ; il s’agit de Caton, restant fidèle à sa vertu). Augustin l’emploie généralement – comme dans l’Inchoata expositio – en rapport avec la foi, que nous devons garder inébranlable dans notre esprit. Voir aussi, dans ce sens, les expressions du type inconcussa fide retinendum [à retenir avec une foi inébranlable] (lib. arb. 2,39.47 ; epist. 120,13 ; quaest. Simpl. 1,2,17 ; fid. et symb. 20). Pour incommutabiliter, voir n. à 11,2, incommutabilis unitas. 11,1s. L’Esprit Saint est gratia et pax. Nous donnons quelques indications pour éclairer ce passage, sans vouloir faire le point sur la doctrine augustinienne sur l’Esprit Saint. En attendant l’article Spiritus Sanctus de AugLex, voir SMULDERS, Esprit Saint, 1279–1283, et FITZGERALD, Augustine s.v. Holy Spirit pour une brève présentation et des repères bibliographiques. On comprend aisément qu’Augustin ait voulu retrouver l’Esprit Saint en Rom. 1,7. D’abord, il a toujours eu tendance à interpréter des triades scripturaires (pour l’Inchoata expositio, voir aussi §13) ou philosophiques (voir DU ROY, L’intelligence, 537–549) comme faisant référence à la Trinité. De plus, il s’était depuis un certain temps intéressé à la nature de l’Esprit Saint, qu’il considérait encore peu explorée (voir Introduction, 1.8).

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Dans ses écrits antérieurs sur Paul, Augustin avait surtout identifié la Trinité dans la formule ἐξ αὐτοῦ καὶ δι’ αὐτοῦ καὶ εἰς αὐτὸν τὰ πάντα [tout est de lui et par lui et en lui] en Rom. 11,36 (mor. eccl. 24 ; divers. quaest. 81,1 ; fid. et symb. 19 ; serm. 1,5 ; l’exégèse est reprise en trin. 1,12). Il en serait donc venu à une nouvelle exégèse trinitaire de ces mots si l’Inchoata expositio était arrivée jusqu’à Rom. 11. Cependant, la doctrine trinitaire prendrait bien plus d’importance dans Rom. si Augustin pouvait montrer que les trois Personnes de la Trinité apparaissaient dès les premières lignes de l’épître. En outre, Augustin pouvait ressentir la nécessité d’offrir une démonstration orthodoxe de la présence de l’Esprit Saint dans la salutation, puisque, en se faisant appeler apostolus Iesu Christi, reprenant ainsi le titre que se donne Paul en Rom. 1,1, dans l’epistula Fundamenti (voir AugLex s.v. Epistulam Manichaei quam uocant fundamenti (Contra–), II ; RIES, Saint Paul, 18–22 et 26), Mani avait voulu indiquer qu’il était lui-même en quelque sorte l’Esprit Saint, le Paraclet promis dans l’Évangile de Jean (c. epist. fund. 7 ; c. Fel. 1,9 ; voir Inchoata expositio 15,14 et RIES, Saint Paul, 9.14.23. Cette revendication semble avoir déjà été faite par Montanus [voir n. à 15,13–16] et se retrouve dans certains enseignements sur Mohammed [voir Encyclopaedia of Islam s.v. ’Īsā, VII]. Pour Mani et s Paul, voir Introduction, 1.4). On se demande néanmoins pourquoi Augustin ne s’est pas contenté de noter la référence au πνεῦμα ἁγιωσύνης [Esprit de sainteté] en Rom. 1,4, comme il l’avait fait dans in Rom. (voir n. à 5,1). À notre connaissance, nul autre exégète parmi les Pères n’a cherché à identifier gratia et pax dans les épîtres de Paul avec l’Esprit Saint (du moins n’y a-t-il rien de tel dans le commentaire d’Origène sur Rom., ni chez Jean Chrysostome, Théodore de Mopsueste, Théodoret de Cyrrhe, ni, du côté latin, Marius Victorinus, l’Ambrosiaster, Jérôme, Pélage, ou l’anonyme de Frede). Mais, comme Augustin va le noter en 11,3–6, le Père, le Christ et gratia et pax apparaissent dans les salutations de toutes les épîtres de Paul, si bien que la démonstration que gratia et pax étaient l’Esprit vaudrait une fois pour toutes. De plus, l’équivalence entre gratia et pax et l’Esprit revient sur la présentation de l’Esprit comme donum Dei [don de Dieu], qui est fondamentale dans la théologie trinitaire d’Augustin. Enfin, ce n’est que par cette équivalence qu’Augustin pourra donner la solution au problème du blasphème contre l’Esprit Saint qu’il va proposer dans la deuxième partie de l’Inchoata expositio. Gratia porro et pax, quid aliud quam donum Dei? C’est peut-être la lecture de l’Ambrosiaster (voir n. à 1,3, nonnulli qui ex Iudaeis) qui a inspiré à Augustin de lier gratia et pax avec donum Dei. Celui-ci écrit en effet : ‘Gratia vobis et pax a Deo Patre nostro et Domino Iesu Christo’. Quoniam unum d o n u m est Dei et Christi, idcirco participes illos optat esse gratiae Dei, quae est et Christi [‘La grâce soit avec vous et la paix de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ’. Puisqu’il y a un seul d o n de Dieu et du Christ, il prie pour qu’ils participent à la grâce de Dieu, qui est aussi celle du Christ] (in 2 Cor. 1,2 ; de même ad Gal. 1,2). Toutefois, si Augustin s’était contenté de dire que la grâce et la paix nous sont données p a r l’Esprit ou d a n s l’Esprit, on

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n’y verrait pas grand-chose de plus qu’un automatisme du langage chrétien (comparer e.g. Origène, Jo. 2,77s. : Οἶμαι δὲ τὸ ἅγιον πνεῦμα τήν, ἵν’ οὕτως εἴπω, ὕλην τῶν ἀπὸ Θεοῦ χαρισμάτων παρέχειν τοῖς δι’ αὐτὸ καὶ τὴν μετοχὴν αὐτοῦ χρηματίζουσιν ἁγίοις [Je pense que l’Esprit Saint fournit, pour ainsi dire, la matière des grâces de Dieu à ceux qui sont appelés saints à cause de lui et de leur participation en lui]). Mais Augustin dit bien plus : il affirme que l’Esprit Saint est le don de Dieu, qui e s t la grâce et la paix. Pour lui, les mots donum, gratia, pax font plus que démarquer l’action de l’Esprit : ils aident à définir l’Esprit même. Par là, il s’approche d’une source suggérée par DU ROY (L’intelligence, 378), Didyme l’Aveugle : In fine Epistolae secundae, quam ad Corinthios scribit Paulus, ait: ‘Gratia Domini nostri Iesu Christi, et caritas Dei, et communicatio sancti Spiritus, sit semper cum omnibus vobis’ [2 Cor. 13,13]. Ostenditur quippe ex sermone praesenti una Trinitatis assumptio, cum is qui gratiam Christi accepit, habeat eam tam per administrationem Patris, quam per largitionem Spiritus sancti. Datur enim a Deo Patre et Iesu Christo, iuxta illud: ‘Gratia vobiscum, et pax a Deo Patre, et Domino Jesu Christo’, non aliam dante gratiam Patre et aliam Salvatore. Siquidem et a Patre et Domino Jesu Christo eam dari describit, Spiritus sancti communicatione completam. N a m e t i p s e S p i r i t u s d i c t u s e s t g r a t i a , secundum illud: ‘Et Spiritui gratiae iniuriam faciens, in quo sanctificatus est’ [Hebr. 10,29] [À la fin de la seconde épître que Paul écrit aux Corinthiens, il dit : ‘La grâce de notre Seigneur Jésus Christ, et la charité de Dieu, et la communion de l’Esprit Saint soient toujours avec vous’. Il est montré par ces expressions qu’il y a une seule et unique assomption de la Trinité, puisque celui qui reçoit la grâce du Christ l’obtient tout aussi bien par le ministère du Père que par la largesse de l’Esprit Saint. Elle est donnée en effet par Dieu le Père et par Jésus Christ, selon les mots ‘la grâce soit avec vous, et la paix de Dieu le Père et du Seigneur Jésus Christ’, si bien que le Père ne donne pas une grâce, et le Sauveur une autre. Il écrit en effet qu’elle est donnée et par le Père et par le Seigneur Jésus Christ, et complétée par la communion de l’Esprit Saint. C a r l ’ E s p r i t l u i a u s s i e s t a p p e l é g r â c e , selon ces mots : ‘Et faisant tort à l’Esprit de grâce, dans lequel il fut sanctifié’] (Hier. Didym. spir. 16 [SChr 386]). Cependant, comme le contexte l’indique, Didyme se préoccupe ici surtout de montrer l’égalité de l’Esprit avec le Père et le Fils, plutôt que de définir ce qu’est l’Esprit (Ambroise, en reprenant Didyme, dans De spiritu sancto 1,12,126, écrit seulement : haec gratia et pax fructus est Spiritus [cette grâce et paix sont le fruit de l’Esprit]). Quant à la notion que l’Esprit Saint peut se définir comme le don de Dieu (voir AugLex s.v. donum, III), elle a ses racines dans les Écritures (voir le dossier scripturaire rassemblé en trin. 15,33–35) et dans la tradition théologique latine, surtout Hilaire de Poitiers (unus Spiritus donum in omnibus [un seul Esprit, le don en toutes choses], trin. 2,1 ; voir SMULDERS, Esprit Saint, 1274s.). Pour Augustin, ce titre de donum est révélateur, parce que, chez le Dieu d’amour, le donum Dei ne peut être que l’amour, à la fois l’amour entre le Père et le Fils et, inséparablement, l’amour de Dieu pour les hommes. Augustin expose ces idées pleinement pour la première fois

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dans une page célèbre du De fide et symbolo, où l’on notera comment l’action r é c o n c i l i a t r i c e de l’Esprit Saint fait écho à son titre de gratia et pax dans l’Inchoata expositio : Ausi sunt tamen quidam ipsam communionem Patris et Filii atque, ut ita dicam, deitatem, quam graeci θεότητα appellant, Spiritum sanctum credere: ut, quoniam Pater Deus et Filius Deus, ipsa deitas, qua sibi copulantur et ille gignendo Filium et ille Patri cohaerendo, ei a quo est genitus aequetur. Hanc ergo deitatem, quam etiam dilectionem in se invicem amborum caritatemque volunt intellegi, Spiritum sanctum appellatum dicunt multisque scripturarum documentis adsunt huic opinioni suae, sive illo quod dictum est quoniam ‘caritas Dei diffusa est in cordibus nostris per Spiritum sanctum qui datus est nobis’ [Rom. 5,5], sive aliis multis talibus testimoniis, et eo ipso quod p e r S p i r i t u m s a n c t u m r e c o n c i l i a m u r D eo : unde etiam cum d o n u m D e i dicitur, satis significari volunt caritatem Dei esse Spiritum sanctum [Certains ont cependant osé croire que l’Esprit Saint est la communion même du Père et du Fils, et, si je puis le dire, leur divinité, ce que les Grecs appellent θεότης. De la sorte, puisque le Père est Dieu et le Fils est Dieu, la divinité même, par laquelle ils sont réunis – le premier en générant le Fils, et le second en s’attachant au Père – serait l’égale de celui par qui [le Fils] fut généré. Ils disent donc que cette divinité, qu’ils veulent aussi que l’on comprenne comme étant l’amour mutuel et la charité des deux entre eux, s’appelle l’Esprit Saint. Et ils soutiennent leur avis par de nombreuses preuves des Écritures, comme celle où il est dit que ‘la charité de Dieu s’est répandue dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné’, et bien d’autres témoignages semblables, et par le fait même que c’est p a r l ’ E s p r i t q u e n o u s s o m m e s r é c o n c i l i é s a v ec D i e u . Ensuite, quand il est appelé d o n d e D i e u , ils prétendent qu’il est clairement indiqué que la charité de Dieu est l’Esprit Saint] (fid. et symb. 19. Pour les sources, voir SMULDERS, Esprit Saint, 1279s. ; AYRES, Augustine, 88–92. Augustin est bien plus original qu’il ne veut l’admettre ici). Par la suite, c’est surtout, comme on s’y attendrait, dans le De Trinitate qu’Augustin expliquera la relation entre le titre donum Dei et la vie interne de la Trinité (trin. 5,11 ; 15,37). Mais l’action extérieure du donum, l’Esprit comme amour pour nous, et donc comme gratia et pax, apparait souvent même avant l’Inchoata expositio (beat. vit. 35 ; mor. eccl. 23.62 ; soliloq. 1,3, où la séquence gratia → pax trouve son équivalent : per quem accepimus, ne omnino periremus … per quem a malis bona separamus … per quem mala fugimus et bona sequimur … per quem bene servimus et bene dominamur … per quem discimus … qui nos convertis … exaudibiles facis … revocas in viam → qui nos unis … nos purgas et ad divina praeparas praemia [par qui nous recevons [le don] de ne pas mourir entièrement … par qui nous séparons le bien du mal … par qui nous fuyons le mal et nous poursuivons le bien … par qui nous servons bien et nous sommes bien régis … par qui nous apprenons … toi qui nous convertis … qui nous rends dignes d’être exaucés … qui nous rappelles à la voie → qui nous unis … nous purifies et nous prépares aux récompenses divines] ; divers. quaest. 44 ; 64,4 ; vera relig. 25s.36–38.65–69.312s. ; in Rom. 60 ; serm. 9,6). L’identification de l’Esprit avec

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gratia et pax dans l’Inchoata expositio n’est donc pas une solution factice pour rendre Paul plus trinitaire, mais le fruit d’une longue réflexion. Selon AYRES (Augustine, 91), dans le passage cité de fid. et symb., « Augustine is moving hesitantly towards the position that the Spirit as love is the substance of the gifts he gives ». En effet, Augustin n’utilise pas un langage entièrement cohérent dans l’Inchoata expositio. Ayant affirmé que l’Esprit est la grâce, il passe tout de suite à une formulation conventionnelle à base de préposition (dari hominibus gratia … et pax … i n Spiritu sancto ; voir aussi 11,6) et il ne serait pas facile de déterminer si l’on peut remplacer toutes les mentions de gratia (Dei) dans notre texte par Spiritus sanctus sans en fausser le sens. Mais c’est en vain que l’on voudrait établir dans la pensée augustinienne une séparation étanche entre le don qui est l’Esprit, et les dons conférés par l’Esprit, entre la grâce qui est Dieu, et la grâce que Dieu nous donne (voir trin. 15,34) : Augustin ne tente pas d’ériger une théologie systématique, mais de méditer le sens de la parole « Dieu est amour ». Deux mots ne peuvent suffire pour décrire ou définir cet amour (voir trin. 15,37) : au §12, à gratia et pax seront ajoutés societas, misericordia, caritas [alliance, miséricorde, charité], mais ce ne sont encore que des mots humains pour dire l’indicible. Quidquid de illo h u m a n i t e r d i c i t u r quod etiam hominibus aspernabile videatur, ipsa humana ammonetur infirmitas etiam illa quae congruenter in scripturis sanctis de Deo dicta existimat humanae capacitati aptiora esse quam divinae sublimitati [Par tout ce qui est d i t h u m a i n e m e n t de lui et qui semble méprisable même aux hommes, la faiblesse humaine est prévenue que même ce qu’elle pense être dit convenablement de Dieu dans les Écritures saintes est plus approprié aux capacités humaines qu’à la sublimité divine] (quaest. Simpl. 2,2,1 ; voir n. à 14,2–8). Enfin, cet amour-Esprit Saint qui vit en Dieu et qui est donné aux hommes doit trouver sa manifestation dans l’amour des uns pour les autres dans l’Église. C’est là, pour Augustin, le sens du miracle des langues à la Pentecôte : Sicut enim post diluvium superba impietas hominum turrim contra Dominum aedificavit excelsam, quando per linguas diversas dividi meruit genus humanum, ut unaquaeque gens lingua propria loqueretur, ne ab aliis intellegeretur, sic humilis fidelium pietas earum linguarum diversitatem ecclesiae contulit unitati, ut quod discordia dissipaverat, colligeret caritas, et humani generis tamquam unius corporis membra dispersa ad unum caput Christum compaginata redigerentur, et in sancti corporis unitatem dilectionis igne conflarentur [En effet, tout comme après le déluge l’impiété orgueilleuse des hommes éleva une tour très haute contre le Seigneur, quand le genre humain mérita d’être divisé par les différentes langues, pour que chaque peuple parlât sa propre langue et ne fût pas compris des autres, de même la piété humble des fidèles rassembla dans l’unité de l’Église la diversité de ces langues, pour que la charité unît ce que la discorde avait dispersé, et les membres dispersés du genre humain, comme ceux d’un seul corps, fussent joints et rassemblés dans une seule tête, le Christ, et fondus dans l’unité du corps saint par le feu de l’amour] (serm. 271). Encore une doctrine d’amour, donc, mais son côté sombre, c’est la condamnation sans

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appel des hérétiques : Ab hoc itaque dono Spiritus sancti prorsus alieni sunt, qui oderunt gratiam pacis, qui societatem non retinent unitatis. Licet enim etiam ipsi hodie solemniter congregentur, licet istas audiant lectiones, quibus Spiritus sanctus est promissus et missus, ad iudicium audiunt, non ad praemium [Sont donc entièrement étrangers à ce don de l’Esprit Saint ceux qui détestent la grâce de la paix, qui ne retiennent pas l’alliance de l’unité. En effet, bien qu’eux aussi se réunissent solennellement aujourd’hui, bien qu’ils écoutent ces lectures dans lesquelles l’Esprit Saint est promis et envoyé, ils écoutent pour le jugement, non pas pour la récompense] (serm. 271 ; voir aussi serm. 272C,3). Augustin y reviendra vigoureusement dans le serm. 71, quand il reprendra la doctrine de l’Inchoata expositio sur le blasphème contre l’Esprit : Nam et si quisquam ita sit contrarius veritati, ut Deo loquenti, non in prophetis, sed in unico Filio … reluctetur, remittetur ei, cum paenitendo conversus fuerit ad Dei benignitatem, qui … dedit ecclesiae suae Spiritum sanctum, ut cuicumque in eo peccata dimitteret, dimitterentur ei [Io. 20,23]. Qui vero huic d o n o exstiterit inimicus, ut non illud per paenitentiam petat, sed ei per impaenitentiam contradicat, fit irremissibile, non quodcumque peccatum, sed contempta vel etiam oppugnata ipsa remissio peccatorum [En effet, même si quelqu’un s’oppose tant à la vérité, qu’il lutte … contre Dieu qui parle non pas dans les prophètes, mais dans son Fils unique, il lui sera pardonné, quand il se sera converti par la pénitence à la bonté de Dieu, qui … a donné à son Église l’Esprit Saint, afin que, pour tout homme à qui elle pardonnerait les péchés, ils lui soient pardonnés. Mais celui qui s’est fait l’ennemi de ce d o n , qui, plutôt que de le chercher par la pénitence, y contredit par l’impénitence, [pour lui] devient impardonnable non pas tout péché, mais son mépris, son hostilité même envers le pardon des péchés] (serm. 71,37). Ici, la citation de Io. 20,23 montre comment la gratia et pax de l’Esprit se manifent dans l’Église ; mais elle montre aussi les conséquences fatales, selon Augustin, pour tous ceux qui voudraient chercher grâce, paix et pardon ailleurs (voir n. à 12,4, societatem interponens). 11,2 gratia … qua liberamur a peccatis et pax qua reconciliamur Deo Voir n. à 8,4. Pour le rôle de l’Esprit Saint après l’effacement des péchés (= pax) voir in psalm. 4,7 : ‘Sacrificate sacrificium iustitiae, et sperate in Domino’ [Ps. 7,6] … An sacrificium iustitiae opera iusta sunt post paenitentiam? Nam et interpositum diapsalma non absurde fortassis insinuet etiam transitum de vita vetere ad vitam novam, ut exstincto vel infirmato per paenitentiam vetere homine, sacrificium iustitiae secundum regenerationem novi hominis offeratur Deo, cum se offert ipsa anima iam abluta, et imponit in altare fidei, divino igne, id est, S p i r i t u s a n c t o comprehendenda [‘Sacrifiez un sacrifice de justice, et espérez dans le Seigneur’ … Est-ce que le sacrifice de justice, ce sont les œuvres justes après la pénitence ? Car même la pause interposée indique peut-être aussi, assez logiquement, le passage de l’ancienne vie à la vie nouvelle. Ainsi l’homme ancien est éteint ou affaibli par la pénitence, et le sacrifice de la justice est offert à Dieu selon la régénération de l’homme nouveau, quand

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l’âme s’offre elle-même, déjà lavée, et se place sur l’autel de la foi, pour être embrassée par le feu divin, c’est-à-dire l ’ E s p r i t S a i n t ]. Et voir le dossier scripturaire rassemblé en serm. 71,19. On trouve déjà chez Origène la même idée d’une réconciliation en deux étapes : Vir iustus Helchana duas simul habuisse refertur uxores [1 Reg. 1,2], quarum una Phennana, alia Anna dicebatur, id est conversio et gratia [On raconte que l’homme juste Helchana eut deux femmes en même temps, dont l’une s’appelait Phennana et l’autre Anna, c’est-à-dire la conversion et la grâce] (Rufin. Orig. in gen. 11,2 ; voir hom. in Lev. 8,11). 11,2 incommutabilis unitas Voir n. critique ad loc. Pour incommutabilis, voir AugLex ss.vv. incommutabilis, mutabile – immutabile, et O’DONNELL sur conf. 7,1,1. Selon les résultats de LLTA, incommutabilis et ses dérivés figurent 666 fois dans le corpus augustinien, en plus de 134 exemples d’immutabilis et dérivés. C’est dire l’importance de l’immutabilité chez Augustin. Il s’agit essentiellement d’une qualité divine, et AugLex montre les racines de cette vision de Dieu (que l’on retrouve difficilement dans la Bible) dans le Platonisme et la polémique contre le Dieu manichéen, sujet aux puissances ténébreuses (voir 15,14 : commutabilem et corruptibilem). L’homme aussi s’élève en se tournant vers l’incommutabilitas de Dieu, et, même en cette vie, doit s’efforcer de devenir incommutabilis dans la foi et l’amour (voir 10,13 et n. ad loc.). D’où le contraste dans l’ouverture des Confessions entre inquietum … cor nostrum donec requiescat in te [notre cœur inquiet jusqu’à ce qu’il repose en toi] et Dieu stabilis et incomprehensibilis, immutabilis mutans omnia, numquam novus numquam vetus [stable et insaisissable, l’immuable qui transforme toutes choses, jamais nouveau, jamais ancien] (conf. 1,1 ; 1,4). 11,3s. Paul et l’épître aux Hébreux Pour les points de vue de l’Église ancienne sur la canonicité et l’auteur de l’épître aux Hébreux, voir, en plus des références données par RING, n. à 11,4 ; Dictionnaire de la Bible. Supplément, t. 3 s.v. Hébreux, 1411–1420 ; KOESTER, Hebrews, 20–27. Dans l’Église d’Orient, Clément d’Alexandrie est le premier auteur dont l’avis sur l’épître nous soit conservé (Eusèbe, Histoire ecclésiastique 6,14). Il note que l’épître ne porte pas le nom de Paul, et que son style diffère de celui des treize autres épîtres attribuées à l’apôtre. Il propose néanmoins que Hebr. fut écrite par Paul en hébreu, et traduite par Luc. Il fournit deux explications pour l’absence du nom de Paul. Soit, selon l’avis du μακάριος πρεσβύτερος [prêtre bienheureux], que l’on identifie généralement avec son maître, Pantène, Paul n’a pas voulu signer l’épître διά τε τὴν πρὸς τὸν κύριον [cf. Hebr. 3,1] τιμὴν διά τε τὸ ἐκ περουσίας καὶ τοῖς Ἑβραίοις ἐπιστέλλειν, ἐθνῶν κήρυκα ὄντα καὶ ἀπόστολον [à la fois par respect pour le Seigneur, et parce que c’était par surcroît qu’il écrivait même aux Hébreux, étant le messager et l’apôtre des gentils]. Ou bien, Ἑβραίοις ἐπιστέλλων πρόληψιν εἰληφόσιν κατ’ αὐτοῦ καὶ ὑποπτεύουσιν αὐτόν, συνετῶς πάνυ οὐκ ἐν ἀρχῇ ἀπέτρεψεν αὐτούς,

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τὸ ὄνομα θείς [comme il écrivait même aux Hébreux, qui avaient un préjugé contre lui et s’en méfiaient, il a eu l’intelligence de ne pas les repousser entièrement dès le début, en y mettant son nom]. L’explication proposée dans l’Inchoata expositio était donc très ancienne. Elle sera aussi reprise par Jérôme (vide infra) et par Jean Chrysostome (hom. in Rom. 1,1 [PG 60, 395]). Origène, comme Clément, préfère attribuer Hebr. à Paul. Il note que l’épître est ἑλληνικωτέρα [plus grecque] que les treize autres, mais répond que son contenu est à la hauteur de l’apôtre et propose donc que τὰ μὲν νοήματα τοῦ ἀποστόλου ἐστίν, ἡ δὲ φράσις καὶ ἡ σύνθεσις ἀπομνημεύσαντός τινος τὰ ἀποστολικὰ καὶ ὥσπερ σχολιογραφήσαντός τινος τὰ εἰρημένα ὑπὸ τοῦ διδασκάλου [les idées sont de l’apôtre, mais le langage et la composition sont de quelqu’un d’autre, qui avait noté les [dires] de l’apôtre et avait, pour ainsi dire, commenté les paroles du maître] (Eusèbe, Histoire ecclésiastique 6,14). Bien qu’il exprime parfois un avis nuancé (voir SChr 302, 544, n. 1), dans la pratique, Origène a cité Hebr. d’innombrables fois en l’attribuant sans ambages à Paul. Comme en beaucoup de matières, sa décision a fait autorité : après Origène, en Orient, on tente encore parfois d’expliquer la différence entre Hebr. et les treize épîtres (voir notamment Eusèbe lui-même, Histoire ecclésiastique 3,38), mais Hebr. est acceptée partout comme un texte authentique et canonique de Paul. En Occident, la situation est plus complexe. Tertullien voudrait que l’épître soit de Barnabé (De pudicitia 7), mais son contemporain anti-montaniste, le Romain Gaius, ne semble pas l’accepter comme canonique (Eusèbe, Histoire ecclésiastique 6,20 – l’indication n’est pas très claire), tout comme Hippolyte, selon Photius (KOESTER, Hebrews, 23). Hebr. est aussi absente du canon de Muratori, et n’est citée ni par Irénée de Lyon, ni, au siècle suivant, par Cyprien. Mais au 4ème siècle, avec la croissance de la communication entre Églises grecque et latine, Hebr. commence à être acceptée par l’Occident. Philastre de Brescia présente comme hérétiques ceux qui considèrent que l’épître n’est pas de Paul (Diversarum hereseon liber 89 ; on en déduira aussi que les Novatianistes l’acceptaient : voir n. à 18,2). Hilaire de Poitiers, Ambroise, Rufin la considèrent de même comme une épître de Paul, soit qu’ils la citent sous son nom, soit qu’ils affirment que Paul a écrit quatorze épîtres. En Afrique, le Concile de Carthage en 397 nomme soit quatorze épîtres de Paul soit treize et eiusdem ad Hebraeos i [1 du même aux Hébreux] (CCSL 149, 43,393 ; enseignement repris au Concile de Carthage en 419 : ibid. 108). À part Augustin, le seul des Pères latins après Tertullien et Gaius à aborder ouvertement la question de l’auteur de Hebr. est Jérôme. Il donne son avis le plus développé sur la question, ou plutôt un recueil d’avis, en 392/393 en De viris illustribus 5 : Epistula autem quae fertur ad Hebraeos, non eius [sc. Pauli] creditur, propter stili sermonisque dissonantiam, sed vel Barnabae iuxta Tertullianum, vel Lucae Evangelistae iuxta quosdam, vel Clementis, Romanae postea ecclesiae episcopi, quem aiunt sententias Pauli proprio ordinasse et ornasse sermone, vel certe, quia Paulus scribebat ad Hebraeos et propter invidiam sui apud eos nominis titulum in principio salutationis

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amputaverat (scripserat autem ut Hebraeus hebraice, id est, suo eloquio disertissime), ea quae eloquenter scripta fuerant in hebraeo, eloquentius vertisse in graecum et hanc esse causam, quod a ceteris Pauli epistulis discrepare videatur [Quant à l’épître qui est dite ‘aux Hébreux’, on ne croit pas qu’elle soit de lui, à cause du désaccord du style et du langage, mais plutôt de Barnabé, selon Tertullien, ou de Luc l’évangéliste, selon certains, ou de Clément, [qui fut] par la suite évêque de l’Église romaine, qui, dit-on, aurait ordonné et orné les idées de Paul avec son propre langage, ou encore, parce que Paul écrivait aux Hébreux et avait tronqué l’inscription de son nom au début de la salutation, à cause de la jalousie [qu’il y avait] envers lui parmi eux (mais, en tant qu’Hébreu, avait écrit en hébreu, à savoir avec grande élégance dans sa propre langue), ce qui avait été écrit éloquemment en hébreu, il l’a traduit avec encore plus d’éloquence en grec, et c’est la raison pour laquelle elle semble dissonnante par rapport aux autres épîtres de Paul]. Jérôme ne tranche pas entre toutes ces hypothèses, et ailleurs nous constatons qu’il alterne entre différents points de vue, sans que ceux-ci se répartissent selon l’ordre chronologique ou le genre d’écrit. Parfois il laisse ouverte la possibilité que le texte ne soit pas de Paul : Relege ad Hebraeos epistulam Pauli apostoli, sive cuiuscumque alterius eam esse putas, quia iam inter ecclesiasticas est recepta [Relis l’épître aux Hébreux de l’apôtre Paul, ou de qui que ce soit d’autre dont tu penses qu’elle puisse être, puisqu’elle a déjà été acceptée parmi les [épîtres] ecclésiastiques] (in Tit. 2,2 [CCSL 77C, 39]) ; epistulae, quae sub Pauli nomine ad Hebraeos fertur [de l’épître aux Hébreux qui est transmise sous le nom de Paul] (vir. ill. 15) ; quicumque est ille qui ad Hebraeos scripsit epistolam [qui que soit celui qui a écrit l’épître aux Hébreux] (in Am. 3,8) ; apostolus Paulus – sive quis alius scripsit epistulam [l’apôtre Paul – ou si quelqu’un d’autre a écrit l’épître] (in Ier. 6,36). Parfois il insiste sur le contraste entre Orient et Occident : apud Romanos usque hodie quasi Pauli apostoli non habetur [chez les Romains, jusqu’à nos jours elle n’est pas considérée comme étant de l’apôtre Paul] (vir. ill. 59, reprenant Eusèbe, Histoire Ecclésiatique 6,20) ; Paulus apostolus in epistula sua quae scribitur ad Hebraeos (licet multi de ea latinorum dubitent) [Paul l’apôtre, dans son épître qui est écrite aux Hébreux (bien que beaucoup des Latins en doutent)] (in Matth. 26,8s.) ; epistula ad Hebraeos, quam omnes Graeci recipiunt et nonnulli Latinorum [l’épître aux Hébreux, que tous les Grecs acceptent, et nombre de Latins] (epist. 73,4) ; Paulus apostolus in epistola ad Hebraeos, quam latina consuetudo non recipit [l’apôtre Paul, dans l’épître aux Hébreux, que la tradition latine n’accepte pas] (in Is. 3,6) ; in epistola quae ad Hebraeos scribitur … licet eam latina consuetudo inter canonicas scripturas non recipiat [Dans l’épître qui est écrite aux Hébreux … bien que la tradition latine ne l’accepte pas parmi les écritures canoniques] (in Is. 3,8). Certaines expressions sont trop ambiguës pour indiquer un point de vue : Paulus apostolus ad septem scribit ecclesias – octava enim ad Hebraeos a plerisque extra numerum ponitur [L’apôtre Paul écrivit aux sept églises – en effet, la huitième, aux Hébreux, n’est pas comptée par la majorité] (epist. 53,9) ; si quis vult recipere eam epistolam quae sub nomine Pauli ad Hebraeos scripta est [si quelqu’un

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veut accepter cette épître qui fut écrite aux Hébreux sous le nom de Paul] (in Tit. 1,5b [CCSL 77C, 15] ; contraster ibid. préface : ce sont les gnostiques qui rejettent Hebr.) ; Paulus apostolus loquitur – si quis tamen ad Hebraeos epistolam suscipit [l’apôtre Paul dit – si toutefois on accepte l’épître aux Hébreux] (in Ezech. 9,28). Parfois le souci d’accommoder le maximum de points de vue possible peut l’amener à l’incohérence : Illud nostris dicendum est, hanc epistulam, quae scribitur ad Hebraeos, non solum ab ecclesiis orientis sed ab omnibus retro ecclesiae graeci sermonis scriptoribus quasi Pauli apostoli suscipi, licet plerique [des Latins ? des Grecs ?] eam vel Barnabae vel Clementis arbitrentur, et nihil interesse, cuius sit, cum ecclesiastici viri sit et cotidie ecclesiarum lectione celebretur [Il faut le dire aux nôtres : cette épître qui est écrite aux Hébreux est acceptée, non seulement par les Églises d’Orient, mais aussi par tous les anciens auteurs de langue grecque de l’Église, comme étant de l’apôtre Paul, bien que la majorité la considère comme étant soit de Barnabé, soit de Clément, et qu’il importe peu de qui elle est, puisqu’elle est d’un homme de l’Église, et elle est en usage tous les jours dans les lectures des églises] (epist. 129,3). Mais, à côté de tout ceci, on le trouve aussi citant des versets de Hebr. en les attribuant à Paul sans la moindre hésitation : voir in Gal. 4,3 ; 5,22s. ; in psalm. 13,8 ; adv. Iovin. 1,17,28 ; in Ion. 4 ; in Matth. 21,34s. ; in Zach. 3,12 ; tract. in psalm. 89,17 ; 96,4 ; 109,4 ; epist. 73,6 ; 140,8. Et dans son commentaire sur Galates (1,1), il fait sienne une explication attribuée par Clément d’Alexandrie au μακάριος πρεσβύτερος : In epistola ad Hebraeos propterea Paulum solita consuetudine nec nomen suum nec apostoli vocabulum praeposuisse, quia de Christo erat dicturus ‘habentes ergo principem sacerdotum et apostolum confessionis nostrae Iesum’ [Hebr. 3,1]; nec fuisse congruum, ut ubi Christus apostolus dicendus erat, ibi etiam Paulus apostolus poneretur [Dans l’épître aux Hébreux Paul n’a mis au début ni son nom ni le mot ‘apôtre’, selon son usage habituel, puisqu’il allait dire du Christ ‘donc, comme nous avons le grand-prêtre et l’apôtre de notre confession, Jésus’, et il ne convenait pas que, là où le Christ allait être appelé ‘apôtre’, il fût aussi question de ‘l’apôtre’ Paul]. Comment démêler ces contradictions ? Il se peut que Jérôme ait cru personnellement que Hebr. était de Paul, mais, avec son attachement habituel à l’érudition, ait souvent voulu rendre compte d’un ou de plusieurs autres points de vue parmi ceux qu’il connaissait. Quant à Augustin, son utilisation de l’épître aux Hébreux a été minutieusement étudiée par LA BONNARDIÈRE (L’épître). Retenons : (a) Dans ses premières œuvres, Augustin ne cite qu’une fois Hebr. (mor. eccl. 28 : le Christ est splendor Patris [splendeur du Père], selon Hebr. 1,3). (b) Vers 394, donc à l’époque de l’Inchoata expositio, Augustin doit s’être mis à l’étude de Hebr., puisqu’il commence à la citer : Inchoata expositio 18,2s. ; 19,10 [mais voir n. à 18,2] ; de serm. dom. 2,27 ; c. Adim. 16,3 ; divers. quaest. 75. (c) Notre passage de l’Inchoata expositio est le seul où Augustin discute de l’autorité de Hebr. Sa source serait Jérôme, De viris illustribus 5, cité ci-dessus (nonnulli, 11,4, fait écho à quosdam). (d) À cette époque, Augustin pensait que l’épître aux Hébreux était écrite par Paul. C’est ce qu’indiquent toutes

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ses citations de l’épître, et aussi son choix de l’inclure parmi les quattuordecim Epistolis apostoli Pauli [quatorze épîtres de l’apôtre] en doctr. christ. 2,29 (pour l’Inchoata expositio, voir aussi 19,2 : loquebatur apostolus … significaverit apostolus). (e) Une fois évêque, Augustin a longtemps délaissé Hebr. : il ne la cite que très rarement entre 406 et 411. (f) En 411, il commence de nouveau à employer Hebr., dans la controverse avec les Pélagiens sur le baptême des enfants. (g) Mais, dorénavant, il ne veut plus attribuer l’épître à Paul, et la cite sans donner de nom d’auteur. On peut considérer civ. 16,22 comme son avis (ou plutôt aporie) final sur la question : epistula, quae inscribitur ‘ad Hebraeos’, quam plures Pauli apostoli esse dicunt, quidam vero negant [l’épître qui est intitulée ‘aux Hébreux’, que beaucoup disent être de Paul, ce qu’en revanche certains nient]. LA BONNARDIÈRE suggère (145) que la lecture du commentaire de Jérôme sur Isaïe a modifié le jugement d’Augustin. C’est possible, mais on a vu que les diverses déclarations de Jérôme pouvaient de fait étayer des avis multiples. Par contre, deux autres facteurs ont pu influencer Augustin. Peut-être ne fut-il pas certain que Pélage et ses disciples aient accepté eux-mêmes Hebr. comme un texte de Paul : il n’aurait alors pas voulu faire dévier le débat sur un point non essentiel (voir les expressions assez ambiguës en pecc. mer. 1,50. Sed contra, pour Julien d’Éclane, Hebr. fut écrite par l’apôtre : c. Iulian. 4,24 ; c. Iulian. op. imperf. 3,40). Ensuite, il est possible que, ayant amélioré son grec (voir n. à 2,5), Augustin ait constaté lui-même le vaste écart entre la langue de Hebr. et celle des treize épîtres. Quoi qu’il en soit, ses hésitations sur Hebr. sont le fruit d’un jugement personnel : elles ne lui sont dictées ni par Jérôme, ni par les Conciles ou la tradition. Il en est de même pour l’avis exprimé dans l’Inchoata expositio. Augustin n’a pas simplement recopié Jérôme, mais il choisit, parmi les hypothèses que celui-ci proposait, celle qui, selon son point de vue de l’époque, expliquait le mieux l’absence de salutation. Pour l’idée d’un auteur du Nouveau Testament s’adaptant aux Juifs, comparer Origène Jo. 1,4,22 : Ματθαῖος μὲν γὰρ τοῖς προσδοκῶσι τὸν ἐξ Ἀβραὰμ καὶ Δαβὶδ Ἑβραίοις γράφων· ‘Βίβλος’, φησί, ‘γενέσεως Ἰησοῦ Χριστοῦ, υἱοῦ Δαβίδ, υἱοῦ Ἀβραάμ’ [Mt. 1,1] [En effet, en écrivant aux Hébreux qui attendaient le [descendant] d’Abraham et de David, Matthieu dit ‘le livre de la genèse de Jésus Christ, fils de David, fils d’Abraham’] (ceci en contraste avec l’ouverture des autres Évangiles). 11,3 principium salutatorium salutatorium signifie « contenant une salutation ». Ce sens est très rare, mais on le retrouve dans la glose de Donat sur Térence, Eunuche 191 (‘Et tu numquid vis aliud?’ ‘Vale’: subaudiendum salutatorium [‘Est-ce que tu veux quelque chose d’autre ?’ ‘Porte-toi bien’ : à comprendre comme salutatorium]) et chez Priscien, Institutions 2, 186 Keil (vocativus etiam salutatorius vocatur [le vocatif est aussi appelé salutatorius]). C’est donc un mot de grammairien (voir n. à 5,4–7 ; 7,1–5 ; 7,5). Augustin ne l’a pas réemployé.

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11,4 ceterae omnes Augustin avait déjà comparé les fins des toutes les épîtres en in Gal. 65, mais sans en tirer de conclusions théologiques : Conclusio epistolae tamquam subscriptio manifesta est, nam et in nonnullis aliis epistolis ea utitur: ‘Gratia Domini nostri Iesu Christi cum spiritu vestro, fratres. Amen’ [Gal. 6,18] [La fin de l’épître est comme une signature manifeste. En effet, il s’en sert aussi dans plusieurs autres épitres : ‘La grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec votre esprit, frères. Amen’]. 11,4 quo enim familiarius, eo dulcius Jean Chyrsostome a lui aussi noté cette divergence dans les épîtres à Timothée, et fait une remarque similaire : διὰ τί τῶν ἄλλων ἐπιστολῶν οὐδαμοῦ τὸν ἔλεον προέταξεν, ἀλλ’ ἐνταῦθα; καὶ τοῦτο ἀπὸ πολλῆς φιλοστοργίας· πλείονα γὰρ ἐπεύχεται τῷ παιδί, δεδοικὼς ὑπὲρ αὐτοῦ καὶ τρέμων [Pourquoi est-ce que nulle part dans les autres épîtres il n’a mis d’abord la ‘miséricorde’, mais [il l’a fait] ici ? Cela vient aussi de sa grande affection : il fait plus de vœux pour son enfant, craignant et tremblant pour lui] (hom. in 1 Tim. 1,2 [PG 62, 2] ; idée reprise par Théodore de Mopsueste, 1 Tim. 1,2, éd. H. B. SWETE, Cambridge 1882). Mais Chrysostome se concentre ensuite sur la tendresse de Paul envers Timothée, alors qu’Augustin fait revenir son commentaire sur le thème central de ses exégèses pauliniennes, la prééminence de la grâce. Origène a aussi profité du début de son commentaire sur Rom. pour noter les variations dans les salutations des épîtres. Mais, du moins dans la version de Rufin, il n’en offre pas d’analyse, au-delà de la remarque générale : Quamvis curiosior videatur huiuscemodi observatio, tamen qui nihil otiosum credit esse in scripturis divinis etiam horum differentias et diversitates non inanes putabit [Bien qu’une observation de ce type paraisse excessivement méticuleuse, néanmoins, celui qui croit qu’il n’y a rien de superflu dans les Écritures divines, pensera que même les différences et divergences de ces [salutations] ne sont pas sans importance] (Rufin. Orig. in Rom. 1,10,2). Il est fort probable qu’il a examiné la question quelque part dans ses œuvres perdues. 12,1–9 Les épîtres catholiques Augustin présente les épîtres catholiques dans l’ordre 1 et 2 Petr., 1–3 Io., Jude, Jacques. Elles apparaitront dans le même ordre dans la liste des livres canoniques en doctr. christ. 2,29. Cet ordre est très rare : il n’est attesté dans aucun manuscrit ancien du Nouveau Testament, et parmi les Pères, il figure seulement chez Philastre de Brescia et Cassiodore. Voir T. ZAHN, Geschichte des Neutestamentlichen Kanons, t. 2.1, Erlangen 1890, 379. Pour le canon chez Augustin, voir AugLex s.v. canon scripturarum, et RING, n. à 12,1.

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12,2s. adimpleatur … multiplicetur Ces deux mots traduisent le même mot grec, πληθυνθείη. On trouve la même variation dans la Vulgate, mais dans l’ordre inverse : multiplicetur en 1 Petr. 1,2 et adimpleatur en 2 Petr. 1,2 (cf. n. à 10,7). Pour 1 Petr. 1,2, selon VetLat 26/1 ad loc. les citations patristiques sont partagées entre les deux leçons, mais adimpleatur serait caractéristique de divers textes africains. Pour 2 Petr. 1,2, multiplicetur est la leçon majoritaire donnée par les citations, et s’identifie avec un texte africain-espagnolgaulois du 4ème/5ème siècle (texte T, qui est aussi une des filières pour adimpleatur en 1 Petr. 1,2). On constate en tout cas qu’Augustin semble totalement dépendant du texte latin (voir n. à 2,5). Il ne cite pas ailleurs ces deux versets. 12,3 recognitione Grec : ἐπιγνώσει. Vulgate (Gryson ad loc.) : cognitione ; variantes : cognitionem, agnitione (leçon du Codex Amiatinus). Selon VetLat 26/1 ad loc., recognitione(m) est la leçon habituelle des anciennes versions, mais cognitione n’est pas rare chez les Pères. 12,4 nescio quam ob causam omisit tale principium La question n’est pas abordée dans in epist. Ioh. 1, mais sans doute convenait-elle mieux au commentaire rédigé qu’à la prédication. 12,4 societatem interponens MARA, Agostino interprete, 183 n. 35 renvoie à serm. 71,27 (corriger : 71,28) : Ad ipsum [sc. l’Esprit Saint] enim pertinet s o c i e t a s , qua efficimur in unum corpus unici Filii Dei. Unde scriptum est: ‘si qua igitur exhortatio in Christo, si quod solacium caritatis, si qua s o c i e t a s Spiritus’ [Phil. 2,1]. Propter hanc societatem illi in quos primitus venit linguis omnium gentium sunt locuti. Quia per linguas consociatio constat generis humani, sic oportebat per linguas omnium gentium significari istam societatem filiorum Dei et membrorum Christi futuram in omnibus gentibus: ut quemadmodum tunc ille apparebat accepisse Spiritum sanctum, qui loquebatur linguis omnium gentium, ita nunc ille se agnoscat accepisse Spiritum sanctum, qui tenetur vinculo pacis ecclesiae, quae diffunditur in omnibus gentibus [L’a l l i a n c e lui appartient aussi, par laquelle nous sommes transformés en un seul corps, [celui] du Fils unique de Dieu. C’est pourquoi il est écrit ‘s’il y a une exhortation dans le Christ, s’il y a une consolation de la charité, s’il y a une a l l i a n c e de l’Esprit’. À cause de cette alliance, ceux en qui [l’Esprit] est venu pour la première fois ont parlé dans les langues de tous les peuples. Puisque l’association du genre humain passe par les langues, il fallait donc que soit indiquée par les langues de tous les peuples cette alliance à venir parmi tous les peuples des fils de Dieu et des membres du Christ. Ainsi, tout comme, alors, c’était celui qui parlait dans les langues de tous les peuples qui paraissait avoir reçu l’Esprit Saint, de même, maintenant, c’est celui qui est tenu par le lien de la paix de l’Église, qui est répandue parmi tous les peuples, qui doit reconnaitre qu’il a reçu

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l’Esprit Saint]. L’identification de l’Esprit avec societas, tout en ré-exprimant la nature de l’Esprit comme amour, est ici devenue un outil de la polémique antidonatiste (de même, sur les langues de feu, serm. 271 ; 272C/3. Voir n. à 11,1s., et pour l’union entre ces deux visions de l’Esprit, J. RATZINGER, Der Heilige Geist als communio, dans : C. HEITMANN – H. MÜHLEN [éds.], Erfahrung und Theologie des Heiligen Geistes, München 1974, 223–238). 12,4 vidimus Le texte grec (1 Io. 1,3) porte ὃ ἑωράκαμεν καὶ ἀκηκόαμεν (l’ordre des deux verbes est inversé dans certains manuscrits), et toutes les versions latines connues ont bien audivimus (VetLat 26/1 ad loc.). Il peut s’agir d’un simple oubli par Augustin, bien que l’omission de καὶ ἀκηκόαμεν se retrouve dans plusieurs manuscrits grecs (voir Novum Testamentum Graecum. Editio critica maior, IV.1,3, Stuttgart 2003, ad loc.). 12,4 nuntiamus Grec : ἀπαγγέλλομεν ; Vulgate : adnuntiamus. Voir VetLat 26/1 ad 1 Io. 1,3 : nuntiamus est habituel chez Augustin ; adnuntiamus est majoritaire dans le restant des citations patristiques. 12,6 quam veritatem pro ipsa Trinitate positam puto Idée pleinement développée en trin. 8,3 : In corporibus autem fieri potest ut aeque verum sit hoc aurum atque illud, sed maius hoc sit quam illud, quia non eadem ibi est magnitudo quae veritas, aliudque illi est aurum esse, aliud magnum esse. Sic et in animi natura secundum quod dicitur ‘magnus animus’, non secundum hoc dicitur ‘verus animus’; animum enim verum habet etiam qui non est magnanimus, quandoquidem corporis et animi essentia non est ipsius veritatis essentia, sicuti est Trinitas Deus unus, solus, magnus, verus, verax, veritas [Dans le cas des corps, il peut certes se faire qu’une première chose et une deuxième soient véritablement de l’or, mais que l’une soit plus grande que l’autre, parce que là la grandeur et la vérité ne sont pas la même chose, et pour ce [corps] c’est une chose d’être de l’or, et une autre d’être grand. De même, pour la nature d’une âme, si l’on parle d’une ‘grande âme’ sous un certain [rapport], on ne parle pas d’une ‘vraie âme’ sous le même [rapport]. En effet, celui qui n’est pas magnanime a lui aussi une vraie âme, puisque l’essence du corps et de l’âme n’est pas l’essence de la vérité elle-même, comme la Trinité est le Dieu unique, seul, grand, vrai, véritable, vérité]. 12,8 usitatissimum exordium fecit epistolae Comparer 8,1, usitatum epistolae principium, et voir n. ad loc. Augustin se fourvoie à cause du grec (voir n. à 2,5). salutem correspond bien au χαίρειν [réjouis-toi] de Jacques en étant l’usitatissimum exordium des lettres latines, tout comme l’est χαίρειν pour les lettres grecques. Mais les deux mots n’ont pas le même sens. Sans doute Augustin aurait-il pu retrouver l’Esprit Saint ou la Trinité aussi dans le sou-

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hait de joie qu’exprime χαίρειν, mais toute la digression du §13 serait alors à refaire. Comparer la discussion sur Lc. 10,4 (καὶ μηδένα κατὰ τὴν ὁδὸν ἀ σ π ά σ η σ θ ε / neminem in via s a l u t a v e r i t i s [ne saluez personne sur la voie]) en serm. 101,9, dont la conclusion (quid est ergo per occasionem s a l u t a r e ? Per occasionem s a l u t e m adnuntiare [Qu’est-ce donc que s a l u e r , l’occasion venue ? C’est annoncer le s a l u t , l’occasion venue]) serait à modifier si l’original grec était pris en compte. 13,1–7 Augustin et la langue punique Tous les passages où des éléments de punique apparaissent chez Augustin ont été recueillis par GREEN, Augustine’s Use. Pour l’analyse, voir BROWN, Religion, 285– 287 ; VATTIONI, Sant’Agostino (mais Vattioni ne semble pas avoir connu le travail de Green). Il faut maintenant ajouter aux exemples de Green les textes inédits à son époque : serm. 293A(augm),7s. ; epist. Divj. 20,3 ; 21 ; de plus, si le texte est d’Augustin (voir Introduction à l’édition, n. 546) l’Ars breviata 11,4, et peut-être encore rabones en epist. 103,23 (R. M. KERR, Latino-Punic Epigraphy, Tübingen 2010, 35. Mais ce serait le seul mot punique non glosé chez Augustin ; vide infra). L’évocation du punique dans notre texte a les traits caractéristiques des références à cette langue chez Augustin : (a) Dans la mesure où l’on peut en juger, les informations linguistiques sont exactes. Il n’est pas possible de déterminer à quel point Augustin parlait le punique, mais on n’a pas, jusqu’aujourd’hui, trouvé d’erreurs certaines chez lui (voir VATTIONI, Sant’ Agostino, 446–449 ; AugLex s.v. lingua punica). (b) Le punique est associé à la campagne (quorundam rusticanorum, 13,1 ; rustici nostri, 13,5). Voir GREEN, Augustine’s Use, 181, et comparer surtout epist. 66,2 (ce sont des coloni, donc de paysans, pour lesquels il faudra traduire en punique une dispute entre Augustin et l’évêque donatiste Crispinus) ; epist. 108,14 (l’évêque donatiste ne parle que latin, mais doit faire interpréter ses propos en punique pour les Circumcellions) ; epist. 209,3 et epist. Divj. 20,21 (l’évêque Aurelius de Macomades parle en punique aux gens de Thogonoetu, aux alentours de Fussala, dans l’arrière-pays du diocèse d’Hippone). Mais nous sommes loin de savoir avec précision qui, dans l’Afrique d’Augustin, parlait latin, punique, ou les deux. Ici, des deux paysans, l’un est bilingue et l’autre pas. (Voir MILLAR, Local Culture, 263s., et GREEN, Augustine’s Use, 182, pour les difficultés à interpréter epist. 84,2). (c) En revanche, Augustin ne suppose jamais que son propre public soit entièrement bilingue : il traduit tous les mots et expressions puniques qu’il utilise. Voir serm. 167,4 : Proverbium notum est punicum, quod quidem latine vobis dicam, quia punice non omnes nostis [Il y a un proverbe punique bien connu, que je vais du reste vous dire en latin, puisque vous ne connaissez pas tous le punique]. (d) Le punique est utilisé pour illustrer ou ornementer un passage, et n’est pas un élément constitutif et nécessaire de l’argument développé par Augustin. Face à ces limites dans l’utilisation de la langue punique par Augustin, BROWN (Religion, 289–291) a conclu que, dans l’Afrique de son époque, christianisation et adhérence à la culture latine allaient de pair. Sans doute, dans l’Occident du Bas-

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Empire et du haut Moyen Âge, on ne peut séparer le christianisme et le latin. Mais, même si cette unité existait inconsciemment chez Augustin (comment réfuter de telles hypothèses ?), elle ne correspond à aucun point de vue théorique qu’il ait exprimé. Au contraire, à part son affirmation que l’hébreu est la langue primitive des hommes (civ. 16,11), Augustin n’a jamais déclaré la supériorité d’une langue sur les autres. Bien au contraire, l’Église sanctifie toutes les langues des croyants : Modo loquitur ecclesia omnibus linguis: in omnibus enim linguis clamat evangelium … Et quomodo dicit oculus ‘mihi ambulat pes’, sic et pes dicit ‘mihi videt oculus’; sic et ego dico ‘lingua mea est graeca’, ‘lingua mea est hebraea’, ‘lingua mea syra’. Omnes enim una fides tenet, omnes enim una caritatis compago concludit [Maintenant l’Église parle dans toutes les langues, puisqu’elle proclame l’Évangile dans toutes les langues … Et tout comme l’œil dit ‘le pied marche pour moi’, et le pied dit de même ‘l’œil voit pour moi’, ainsi je dis moi aussi ‘le grec est ma langue’, ‘l’hébreu est ma langue’, ‘le syrien est ma langue’. En effet, une seule foi les contient toutes, une seule unité de la charité les englobe] (serm. 162A,11). Ainsi, le punique est pour Augustin tout aussi digne de respect et riche de sens et de mystères que toute autre langue. C’est ce que montre notre passage de l’Inchoata expositio, et aussi les remarques d’Augustin sur certaines particularités du lexique des chrétiens punicophones : Nequaquam mihi videretur absurdum ‘pietatem’ et ‘misericordiam’ uno vocabulo punice nominari [Il ne me semblerait pas du tout absurde que ‘piété’ et ‘miséricorde’ se disent par une seul mot en punique] (mag. 44) ; optime Punici christiani baptismum ipsum nihil aliud quam ‘salutem’ et sacramentum corporis Christi nihil aliud quam ‘vitam’ vocant [Les chrétiens puniques font très bien de ne donner nul autre nom au baptême lui-même que ‘salut’ et au sacrement du corps du Christ que ‘vie’] (pecc. mer. 1,34). C’est cette attitude, aussi, qui peut seule expliquer l’importance unique du punique chez Augustin. En effet, un recueil de tous les témoignages littéraires de l’Antiquité gréco-latine sur cette langue (MILLAR, Local Culture) montre que huit seulement ne viennent pas de notre auteur. Et ce déséquilibre ne se justifie pas seulement par le volume relatif du corpus augustinien, puisque nous ne manquons pas d’autres auteurs d’origine africaine (Apulée, Tertullien, Cyprien, Arnobe, Lactance … ). C’est plutôt, comme le fait remarquer ADAMS (Bilingualism, 237–240) qu’Augustin ne partage pas le snobisme ordinaire des hommes de culture grecque et latine envers les langues « barbares ». Comparer les louanges décernées par Stace à son ami africain Lucius Septimius Severus (Non sermo Poenus, non habitus tibi, / externa non mens: Italus, Italus [Tu n’as ni le parler ni la manière puniques, ni un esprit d’étranger. [Tu es] italien, italien], Silvae 4,5,45s. ; voir VATTIONI, Sant’ Agostino, 443s.) ou le mépris chez Apulée pour un adolescent ne parlant que le punique (Apologia 98). Voir aussi, dans l’entourage d’Augustin, le dégoût envers les noms puniques de lieux (c. acad. 1,18) ou de personnes (epist. 162), ou encore punicus lancé comme une insulte à la face d’Augustin par Julien d’Éclane (voir D. WEBER, For What is So Monstrous as What the Punic Fellow Says ?, dans : FUX, Augustinus Afer, 75–82). En contraste, Augustin « quando

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parla della lingua o della letteratura punica c’è solo il tono di meraviglia e di stima, non di rimprovero o di lotta » (VATTIONI, Sant’ Agostino, 467). ADAMS (Bilingualism, 233–239) a voulu expliquer ce respect du punique chez Augustin par la proximité de cette langue avec l’hébreu, qu’il a assez souvent relevée (voir AugLex s.v. lingua punica, lingua hebraea). BROWN (Religion, 286) était déjà allé plus loin : en signalant la parenté hébreu-punique, Augustin plaçait ses congrégations africaines « in the penumbra of the chosen people ». On objectera qu’Augustin n’a nulle part fait la moindre allusion à un lien spécial entre les deux peuples. De plus, la langue punique n’unissait pas tout le public d’Augustin (vide supra), et il ne concevait nullement les punici comme une ethnie ou un peuple, mais seulement comme un groupe linguistique (voir QUINN, Augustine’s Canaanites, n. 16. VATTIONI, Sant’ Agostino, 440 est à corriger sur ce point). De fait, tout le concept d’une identité africaine ou punique à laquelle se rallierait le peuple d’Afrique du Nord est à remettre en question (voir A. H. M. JONES, Were Ancient Heresies National or Social Movements in Disguise ?, JThS 10 [1959], 280–298, article pourtant cité élogieusement par Brown, et qui remettrait en cause l’approche historique de Vattioni). Autrement dit, rien n’indique qu’Augustin se soit servi du punique parce qu’il accordait à cette langue ou à ceux qui la parlaient un statut spécial. Augustin a usé du punique tout simplement parce que c’était une langue qu’il connaissait et que connaissait une partie de sa congrégation. Et il ne lui ressemblait pas de négliger toute connaissance qui pouvait servir à l’instruction chrétienne et à glorifier Dieu. Mais cette explication simple ne rend pas moins remarquable l’ouverture d’Augustin envers le punique. Au contraire, elle témoigne de la liberté de son esprit, et de sa capacité à faire avancer le projet qu’annonçaient les lettrés de l’Église depuis Justin Martyr et Tertullien, de repenser la culture humaine à la lumière de l’Évangile. 13,1 pater Valerius Valérius est l’évêque d’Hippone qui précéda Augustin, puis partagea sa chaire avec lui, et il est donc encore en place à l’époque de l’Inchoata expositio. Sur lui, voir MANDOUZE, Prosopographie, 1139–1141. Valérius n’est jamais nommé par Augustin sans l’épithète pater [père] ou senex [ancien]. Il l’appelle pater quand il lui écrit (epist. 21,3), et aussi quand il parle de lui à la troisième personne (epist. 31,4 ; 33,4). pater est affectueux envers un homme qu’Augustin aimait beaucoup, mais aussi honorifique pour un évêque (voir ThLL s.v. II.C.3.a.β. C’est à dessein qu’Augustin appelle frater [frère] l’évêque donatiste Maximinus dans la salutation de epist. 23, comme il l’explique, epist. 23,1). Dans epist. 21,6, Augustin s’adresse à Valérius comme senex Valeri, formule trouvée à la troisième personne en epist. 29,7 ; serm. 355,2. Bien plus tard, en 426, lors de la désignation de son propre successeur, Augustin donnera à Valérius les deux titres. C’est le signe, sans doute, de l’émotion d’un vieillard se tournant vers son passé, mais c’est aussi qu’il aura à le critiquer : Adhuc in corpore posito beatae memoriae

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patre et episcopo meo sene Valerio episcopus ordinatus sum et sedi cum illo, quod concilio Nicaeno prohibitum fuisse nesciebam nec ipse sciebat [Quand mon père et évêque, l’ancien Valérius, d’heureuse mémoire, était encore dans son corps, je fus ordonné évêque, et j’ai siégé avec lui. J’ignorais que cela avait été interdit par le Concile de Nicée, et lui non plus, il ne le savait pas] (epist. 213,4). Notre passage est le seul où Augustin transmette une idée de Valérius, ce qui contraste avec ses très nombreuses références à Ambroise (voir AugLex s.v. Ambrosius, 3). Cette intervention d’un personnage vivant dans un commentaire scripturaire peut étonner, mais son modèle est à chercher dans les citations de Juifs de leur connaissance, généralement consultés pour des problèmes linguistiques, dans les commentaires d’Origène (voir A. MONACI CASTAGNO, Origene : Dizionario, Roma 2000, s.v. Giudaismo, 1,5) et de Jérôme (voir M. GRAVES, Jerome’s Hebrew Philology, Leiden 2007, 88–90. Jérôme prétend aussi parfois avoir obtenu lui-même oralement des informations que, de fait, il recopie d’Origène : NAUTIN, Origène, 326s.). Augustin aussi peut consulter un Juif (de serm. dom. 1,23 ; de même son confrère d’Oëa, epist. 71,5), mais ici, plutôt que de l’hébreu, il fait entrer du punique par le biais de Valérius. Il est notable que ce jeu de sens latin / punique vienne d’un homme qui était natura Graecus minusque Latina lingua et litteris instructus [grec par naissance, et peu instruit dans la langue et les lettres latines] (Possidius, Vita Augustini 5). 13,1 responsum est, Tria. Valère écoute la conversation en punique de deux paysans, et y entend un mot punique homophone du latin salus [santé / salut]. Il demande à celui des deux paysans qui parle aussi latin que signifie ce mot punique, et le paysan répond en latin : tria [trois]. Comparer le mot hébreu pour « trois », ‫( שָֹׁלשׁ‬šaloš). Il est vrai que le phonème š ne correspond pas aux s de salus. Mais on en sait trop peu sur la phonologie du punique pour mettre en cause les indications d’Augustin. Pour les détails, voir QUINN, Augustine’s Canaanites, n. 8. La théorie de Valérius sur une homophonie entre deux langues (concinentia linguarum, 13,2) voulue par la Providence (occultissima dispensatione divinae providentiae, ibid.) a de quoi surprendre, et nous n’avons pas trouvé de parallèles exacts, du moins avant les célèbres jeux de mots de Grégoire le Grand sur les esclaves anglais qu’il rencontre au marché de Rome : Interrogavit quod esset vocabulum gentis illius. Responsum est quod ‘Angli’ vocarentur. At ille: ‘Bene’ inquit ‘nam et angelicam habent faciem, et tales angelorum in caelis decet esse coheredes. Quod habet nomen ipsa provincia, de qua isti sunt allati?’ Responsum est quia ‘Deiri’ vocarentur idem provinciales. At ille: ‘Bene’ inquit ‘Deiri, de ira eruti et ad misericordiam Christi vocati. Rex provinciae illius quomodo appellatur?’ Responsum est quod ‘Aelle’ diceretur. At ille alludens ad nomen ait: ‘Alleluia, laudem Dei creatoris illis in partibus oportet cantari’ [Il demanda quel était le nom de ce peuple. On lui répondit qu’ils s’appelaient ‘Anglais’. Et il dit : ‘C’est bien. Car ils ont un visage angélique, et de tels hommes doivent être cohéritiers avec les anges aux cieux. Comment s’appelle la

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province de laquelle ils ont été transportés jusqu’ici ?’ On lui répondit que les provinciaux en question s’appelaient ‘Deiri’. Et il répondit : ‘C’est bien. Les Deiri ont été arrachés de l’ire de Dieu et appelés à la miséricorde du Christ. Comment s’appelle le roi de cette province ?’ On lui répondit qu’il s’appelait ‘Aelle’. Et il dit, faisant allusion à ce nom : ‘Alleluia, les louanges du Dieu créateur doivent être chantés dans ces régions’] (Bède le Vénérable, Histoire ecclésiastique 2,1,11. De même, indépendamment de Bède, dans la « Vie de Whitby » de Grégoire : B. COLGRAVE [éd.], The Earliest Life of Gregory the Great, Cambridge 1985, 90). Noter chez Bède le parallèle avec le responsum est de l’Inchoata expositio, bien que Bède ne semble pas avoir connu notre texte (voir Introduction, 1.9). Dans cette anecdote, ce sont les vocables barbares qui ont un sens nouveau dans les trois « langues sacrées », grec, hébreu et latin (voir Isidore de Séville, Etymologiae 9,1,3), alors que, chez Augustin, le mystère consiste aussi dans le sens barbare du mot latin (voir n. à 13,1–7). Du reste, les nombreuses populations bilingues de l’Antiquité ont dû souvent noter des coïncidences similaires. L’intérêt que leur porte Augustin est consistant avec sa réflexion constante sur le rapport entre mots et choses (voir n. à 14,2–8). Il découle aussi assez naturellement de la science étymologique grecque et latine, qui, dès le Cratyle de Platon (et sans doute bien avant), pouvait considérer comme racine possible pour un mot tout autre mot quelque peu homophone qui avait un lien de sens, aussi fantaisiste soit-il, avec lui. Malgré sa pensée complexe sur le langage, Augustin était tout aussi friand de telles étymologies que les autres lettrés de son époque (voir MARROU, Saint Augustin, 127s. ; BARTELINK, Einige Bemerkungen, 186 ; n. à 2,2 vocatus ; 2,5). On trouvera grand nombre des étymologies déployées par Augustin chez R. MALTBY, A Lexicon of Latin Etymologies, Leeds 1991, mais cet ouvrage précieux ne comporte malheureusement pas d’index des auteurs, pas plus que son complément, C. MARANGONI, Supplementum Etymologicum Latinum I, Trieste 2007. Voir toutefois dialect. 6 (si l’ouvrage est vraiment d’Augustin) ; mus. 2,15 pour une certaine impatience envers la science étymologique. Augustin n’a jamais rapproché la remarque sur l’homophonie salus / 3 qu’il fait dans l’Inchoata expositio et la ressemblance punique-hébreu qu’il note ailleurs (voir n. à 13,1–7). Dans la mesure où cette homophonie existait aussi en hébreu, il aurait pu renchérir sur les réflexions de Valérius. Il n’y a peut-être simplement jamais songé, mais c’est aussi qu’il n’accepte pas entièrement l’approche de Valérius (13,7). Pour une pensée similaire à celle de Valérius, mais portant sur les images, plutôt que sur les sons, voir Rufin, Histoire Ecclésiastique 11,29, sur la christianisation d’Alexandrie en 391. Les chrétiens peignent des croix in ingressibus in parietibus in columnis … Quod cum factum hi qui superfuerant ex paganis viderent, in recordationem rei magnae ex traditione sibimet antiquitus commendata venisse perhibentur. Signum hoc nostrum dominicae crucis inter illas, quas dicunt hieraticas, id est sacerdotales litteras, habere Aegyptii dicuntur, velut unum ex ceteris litterarum quae apud illos sunt elementis. Cuius litterae seu vocabuli hanc esse adserunt interpretationem: vita ventura. Dicebant ergo hi, qui tunc admiratione rerum gestarum convertebantur

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ad fidem, ita sibi ab antiquis traditum, quod haec quae nunc coluntur, tamdiu starent, quamdiu viderent signum istud venisse, in quo esset vita. Unde accidit ut magis hi qui erant ex sacerdotibus vel ministris templorum ad fidem converterentur, quam illi quos errorum praestigiae et deceptionum machinae delectabant [dans les entrées, sur les murs, sur les colonnes … Quand ceux qui restaient des païens voyaient ce qu’ils avaient fait, on raconte qu’il se sont rappelés d’une grande chose qui leur venait de la tradition antique. On dit que les Égyptiens ont parmi ces lettres qu’ils appellent ‘hiératiques’, c’est-à-dire sacerdotales, notre signe de la croix du Seigneur – c’est donc une [lettre] parmi les autres lettres qui leur servent d’alphabet. Ils disent que le sens de cette lettre ou de ce mot serait ‘la vie à venir’. Donc, ceux qui à cette époque se convertissaient à la foi dans l’émerveillement de ce qui était advenu, disaient qu’on leur avait transmis de l’antiquité que ce que l’on adorait maintenant resterait en place jusqu’à ce qu’ils vissent venir ce signe, dans lequel était la vie. Il advint donc que ceux qui étaient parmi les prêtres ou les ministres des temples se convertissaient plus à la foi, que ceux que réjouissaient les sortilèges de l’erreur et les artifices de la tromperie]. Rufin parle de l’hiéroglyphe Ankh, qui reste en usage dans l’Église copte (voir P. R. AMIDON, The Church History of Rufinus of Aquileia. Books 10 and 11, Oxford 1997, 109, n. 49). 13,3–6 La Cananéenne Les exégèses augustiniennes de cette péricope ont été étudiées par LA BONNARDIÈRE, La Chananéenne, puis, en dernier lieu, par M. PAULIAT, Parole de Dieu, réponses des hommes. Augustin exégète et prédicateur du premier Évangile dans les Sermones in Matthaeum, thèse, Université de Lyon II 2017, 330–333 (nous remercions Mme Pauliat de nous avoir transmis son travail). Augustin s’est souvent référé à la péricope (toujours dans la version de Mt., sauf en cons. euang. 2,103, où il indique le parallèle avec Mc. 7,24–30), y compris dans ses deux travaux antérieurs sur Paul (in Rom. 66 ; in Gal. 31). Il interprète toujours la Cananéenne comme représentante des gentils, ce qui de toute manière est le sens évident de l’Évangile. Il aime aussi (surtout en serm. 77) insister sur l’humilité devant le Seigneur de celle qui sait reconnaître sa qualité de pécheresse (confessione peccatorum, 13,4) : c’est de nouveau la tendance d’Augustin à voir le contraste Juifs-nations comme anticipant le salut par la grâce du pardon (voir n. à 1,1–3). Par contre, l’équivalence entre la fille de la Cananéenne et sa vie nouvelle (filiae, hoc est novae vitae suae) ne se retrouve qu’en in psalm. 37,1, en des termes presque identiques à ceux de notre texte (curari petiverat filiam suam, fortassis in filia significans vitam suam [elle avait demandé que soit guérie sa fille, indiquant peut-être par sa fille sa vie]). Pour une exégèse similaire sur une autre femme de l’Évangile, voir divers. quaest. 64,4 sur la Samaritaine de Io. 4 : Sitiebat Dominus mulieris illius fidem, quoniam Samaritana erat, et solet Samaria idolatriae imaginem sustinere: ipsi enim separati a populo Iudaeorum simulacris mutorum animalium, id est, vaccis aureis, animarum suarum decus addixerant. Venerat autem Iesus Dominus noster, ut gentium

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multitudinem, quae simulacris serviebat, ad munimentum fidei christianae et incorruptae religionis adduceret [Le Seigneur avait soif de la foi de cette femme, parce qu’elle était samaritaine, et la Samarie sert généralement comme image de l’idolâtrie. En effet, séparés du peuple juif, ils avaient voué la noblesse de leurs âmes aux effigies des animaux muets, c’est-à-dire aux vaches dorées. Mais notre Seigneur Jésus était venu pour conduire à la sécurité de la foi chrétienne et de la religion sans corruption la multitude des gentils qui était esclave des effigies] (de même in euang. Ioh. 15,10. Mais en serm. 101,2, la Samaritaine est plutôt rangée parmi les Juifs). Pour les problèmes linguistiques de ce passage, voir la seconde n. critique à 13,5, et QUINN, Augustine’s Canaanites, commentaire linguistique et historique de tout le §13 de l’Inchoata expositio. Deux points essentiels : (a) Il est loin d’être établi que le nom que se donnaient les rustici (13,5), quelle que fût sa vraie forme, soit réellement apparenté avec « Canaan ». (b) Augustin n’indique pas que cet ethnonyme était l’appellation générale que se donnaient les populations puniques dans leur propre langue. En effet, si l’ethnonyme était universel ou même répandu parmi cette population, il devait assurément être connu de tous en Afrique du Nord, latinophones ou punicophones. Or, non seulement l’ethnonyme n’apparait-il nulle part ailleurs dans les sources africaines (pour l’exception, possible, mais douteuse, voir QUINN, Augustine’s Canaanites, n. 5), mais, de plus, Augustin ne s’attend pas à ce que son public fasse spontanément le lien ente Canaan et la langue punique. D’où les deux précisions : Chananaea enim, [1] hoc est Punica mulier, [2] de finibus Tyri et Sidonis (13,3 ; même procédure, de façon plus explicite, en in psalm. 44,27). La mention de Tyr et Sidon vient certes des Évangiles (Mt. 15,21 ; Mc. 7,24), mais ces deux villes étaient aussi celles que la tradition latine associait particulièrement à Carthage : Urbs antiqua fuit (T y r i i tenuere coloni) / Carthago [Il y avait une ville antique (les colons t y r i e n s l’occupaient), Carthage] (Virgile, Énéide 1,12s.) ; Sidonia Dido [Didon la Sidonienne] (ibid. 1,446.613 ; 9,263 ; 11,72). On ignore si ces villes avaient le même relief dans les traditions historiques des punicophones « indigènes », ni à vrai dire s’il y avait vraiment deux traditions selon les deux langues des populations, plus d’un millénaire après la fondation de Carthage, et plus de 500 ans après l’immigration des premières populations romaines en Afrique du Nord. Quoi qu’il en soit, si t o u s ceux qui parlaient punique s’appelaient Cananéens entre eux, et l’avaient fait depuis leur arrivée du Moyen-Orient, Augustin ne présenterait pas ce fait comme une information tirée des paysans par l’interrogation (d’ailleurs, on cerne mal la portée de nostri dans rustici nostri, 13,5). 13,3 personam gentium gerit Repris en 13,6, gentium sustinere personam. Voir LA BONNARDIÈRE, La Chananéenne, 143 : « Saint Augustin exprime cette signification [celles des figures bibliques qui préfigurent l’Église] sous la formule : personam gerere ou typum gerere

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ou figuram gerere ou praefigurare : toutes ces formulations sont pour lui interchangeables ». 13,4 hoc est novae vitae suae Pour l’interprétation allégorique des miracles du Christ, voir n. à 23,1, non ob aliud. 13,3 Non est bonum panem filiorum mittere canibus Mt. 15,26 Grec : οὐκ ἔστιν καλὸν λαβεῖν τὸν ἄρτον τῶν τέκνων καὶ βαλεῖν τοῖς κυναρίοις. Vulgate : Non est bonum sumere panem filiorum, et mittere canibus. Augustin cite le texte dans une forme abrégée, qu’il a tendance à utiliser (in psalm. 37,1 ; 58,1,25 ; in Rom. 74 ; serm. 88,10), bien qu’il connaisse la forme complète de la phrase (toujours avec la traduction tollere … et mittere : quaest. hept. 7,37 ; fid. et op. 30 ; serm. 56,10 ; 60A,2 ; 77,10 ; 121,3 ; 218,6 ; 154A,5). L’abrègement correspond à une habitude mentale d’Augustin, et non à une variante textuelle, puisque la base de données Vetus Latina n’en donne aucun exemple en dehors des œuvres d’Augustin. 13,4 ita Pour ναί. La Vulgate a etiam, mais Augustin donne toujours ita en Mt. 15,27 (in psalm. 58,1,31 ; serm. 60A,3 ; 77,10 ; 88,10 ; 154A,5 ; virg. 32). D’ailleurs le désordre règne (voir n. à 10,7) dans les traductions de ναί dans la Vulgate. Si on comprend le choix de le rendre par est en Mt. 5,37 ; 2 Cor. 1,17–20 ; Iac. 5,12, et par immo en Rom. 3,29, aucune loi ne semble gouverner la variation entre etiam (Mt. 11,9 ; 13,51 ; 15,27 ; 17,24 ; Lc. 10,21 ; Act. 5,8 ; 22,27 ; Phil. 4,3 ; Apoc. 1,7 ; 22,20), ita (Mt. 11,26 ; Lc. 11,51 ; 12,5 ; Philem. 1,20) et utique (Mt. 16,26 ; Mc. 7,28 ; Lc. 7,26). Ce désordre est hérité des versions anciennes : pour Mt. 15,27, les manuscrits recensés dans la base de données Vetus Latina ont les trois leçons ita / etiam / utique. 13,4 canes La Vulgate a canibus en Mt. 15,26 et catelli en Mt. 15,27, sans logique, puisque le texte grec est κυναρίοις … κυνάρια. 13,6 Romana lingua … caput gentium inventa est La pensée et l’expression commencent à s’embrouiller (voir n. à 7,1–5). Le lien tria / salus repose sur la phonétique. Pour que la Cananéenne ait un rapport avec ces mots, il faudrait qu’elle prononce le son salus. Mais elle n’avait aucune raison de le faire en sa propre langue, puisque elle n’avait pas à dire « trois ». Elle devait donc le dire en latin – seulement la Cananéenne ne parlait certainement pas latin avec le Christ. Certes, les Pères ont rarement posé la question de la langue que parlait Jésus, mais ils n’avaient aucune raison de croire que c’était le latin, puisque la situation linguistique en Palestine n’avait pas substantiellement changé depuis l’époque de l’Incarnation.

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C’est dans la conscience de cette difficulté qu’Augustin parle du latin comme caput gentium (l’expression étonne appliquée à une langue : ailleurs, c’est Rome qui est caput, civ. 15,5). Il semble vouloir dire que, dans la mesure où elle représente les gentes, la Cananéenne parle s y m b o l i q u e m e n t latin – peu importe la langue qu’elle ait parlée en réalité. Reste le problème que, selon le récit des Évangiles, la Cananéenne n’a pas prononcé un mot avec le sens de salus dans quelque langue que ce soit. Face à ces maladresses, on se demande si ce passage vient vraiment d’Augustin, et s’il ne reproduit pas plutôt des propos de Valérius. Augustin va prendre ses distances par rapport au contenu du §13 en 13,7, et de fait il n’est pas possible de déterminer dans ce paragraphe où s’arrête la contribution de son prédécesseur. enim (13,3) relie directement le développement sur la Cananéenne à celui sur les paysans puniques, tout comme namque (13,7) enchaine directement sur les trois pains (voir n. suivante). Ces liaisons indiquent-elles que les deux rapprochements viennent de Valérius ? Pour Rome comme synecdoque pour tous les non-Juifs qu’elle commandait, voir Origène, Jo. 23,12,93 (sur Io. 11,48 : ἐὰν ἀφῶμεν αὐτὸν οὕτως, πάντες πιστεύσουσιν εἰς αὐτόν, καὶ ἐλεύσονται οἱ Ῥωμαῖοι καὶ ἀροῦσιν ἡμῶν καὶ τὸν τόπον καὶ τὸ ἔθνος [Si nous le laissons ainsi, tous croiront en lui, et les Romains viendront, et ils détruiront et notre lieu [saint] et notre peuple]) : τὸν τόπον τῶν ἐκ περιτομῆς ἔλαβον τὰ ἔθνη· ‘τῷ γὰρ ἐκείνων παραπτώματι σωτηρία γέγονεν τοῖς ἔθνεσιν, εἰς τὸ παραζηλῶσαι αὐτούς’ [Rom. 11,11]· εἰς δὲ τὰ ἔθνη Ῥωμαῖοι παρελήφθησαν, ἀπὸ τῶν βασιλευόντων οἱ βασιλευόμενοι ὀνομασθέντες [Les gentils ont pris possession du lieu des hommes de la circoncision, car ‘par leur faux pas est advenu le salut des gentils, afin de les rendre jaloux’. Et les ‘Romains’ ont été mis pour les gentils : le peuple régnant donne son nom aux peuples sur lesquels il règne]. Ce texte rappelle deux facteurs qui poussaient à faire de « Romains » et « nations / gentils » des équivalents : (1) L’empire que nous appelons « romain » s’appelait déjà ainsi pour ses habitants, et depuis l’édit de Caracalla en 212, toutes les personnes libres de l’empire étaient citoyens romains. (2) La destruction du temple de Jérusalem par les R o m a i n s était universellement perçue dans l’Église des premiers siècles comme un élément de l’accomplissement de tout texte biblique qui pouvait indiquer que Dieu allait privilégier les g e n t i l s sur les Juifs. De fait, on savait bien que le monde romain n’était pas le monde entier, mais chrétiens et païens latins de l’empire avaient tendance à négliger ce fait (alors que le chauvinisme grec faisait des synonymes de Ἕλλην [grec] et « païen »). Ainsi, dans sa polémique avec les Donatistes, Augustin parle sans cesse d’une Église catholique répandue dans le monde entier (per totum orbem, per orbem terrarum), malgré tout un continent non évangélisé – hormis l’Éthiopie – au sud de l’Afrique romaine. Pour le rapprochement entre un mot sémitique et Rome caput gentium, comparer ce passage avec Orose, hist. 6,20,6s. : In diebus ipsis [l’entrée d’Auguste à Rome en 29 av. J-C] fons olei largissimus … de taberna meritoria per totum diem fluxit. Quo

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signo quid evidentius quam in diebus Caesaris toto orbe regnantis futura Christi nativitas declarata est? ‘Christus’ enim lingua gentis eius, in qua et ex qua natus est, ‘unctus’ interpretatur. Itaque cum eo tempore quo Caesari perpetua tribunicia potestas decreta est, Romae fons olei per totum diem fluxit, sub principatu Caesaris Romanoque imperio per totum diem, hoc est per omne Romani tempus imperii, Christum et ex eo christianos, id est unctum atque ex eo unctos, de meritoria taberna, hoc est de hospita largaque ecclesia affluenter atque incessabiliter processuros … evidentissima his, qui prophetarum voces non audiebant, signa in caelo et in terra prodigia prodiderunt [En ces mêmes jours, une fontaine d’huile très abondante … coula pour une journée entière d’un cabaret. Qu’est-ce qui est plus évident que l’indication par ce signe de la naissance à venir du Christ, dans les jours de César qui allait régner sur le monde entier ? En effet, ‘Christ’ se traduit ‘oint’ dans la langue de ce peuple dans lequel, et dont il est né. Donc, puisque, au moment où la puissance tribunicienne perpétuelle fut décernée à César, à Rome une fontaine d’huile coula pour toute une journée, des signes très évidents dans le ciel et des merveilles sur la terre indiquèrent à ceux qui n’entendaient pas les voix des prophètes … que sous le principat de César et sous l’empire romain, pour une journée entière, c’est-à-dire pour tout le temps de l’empire romain, le Christ, et les chrétiens venant de lui, c’est-à-dire l’oint et les oints venant de lui, allaient sortir abondamment et sans cesse d’un cabaret, c’est-à-dire de l’Église accueillante et généreuse]. Mais le rapprochement d’Orose, s’il est tout aussi saugrenu que celui de l’Inchoata expositio, est tout de même plus cohérent. 13,7 in tribus panibus Même si nous sommes encore dans le développement de Valérius (voir n. précédente), l’explication des trois pains de Lc. 11,5 par la Trinité est fréquente chez Augustin. RING (n. 174 à 13,7) renvoie à in psalm. 102,10 ; ajouter epist. 130,15, et surtout quaest. euang. 2,21 ; serm. 105,4 ; serm. 105A,1, qui portent tous directement sur Lc. 11,5–13. Citons l’élan d’enthousiasme trinitaire en serm. 105,4 : Panis est, et panis est, et panis est: Deus Pater, Deus Filius, Deus Spiritus sanctus. Aeternus Pater, coaeternus Filius, coaeternus Spiritus sanctus. Incommutabilis Pater, incommutabilis Filius, incommutabilis Spiritus sanctus. Creator et Pater et Filius et Spiritus sanctus. Pastor et vitae dator et Pater et Filius et Spiritus sanctus. Cibus et panis aeternus et Pater et Filius et Spiritus sanctus [Il est pain, et il est pain, et il est pain : Dieu le Père, Dieu le Fils, Dieu l’Esprit Saint. Le Père éternel, le Fils coéternel, l’Esprit coéternel. Le Père immuable, le Fils immuable, l’Esprit Saint immuable. Le Créateur, c’est et le Père et le Fils et l’Esprit Saint. Le pasteur et le donneur de vie, c’est et le Père et le Fils et l’Esprit Saint. La nourriture et le pain éternels, c’est et le Père et le Fils et l’Esprit Saint]. Cette exégèse n’est pas une trouvaille d’Augustin, puisqu’elle est déjà chez Origène : τὸ μὲν οὖν ‘τίς ἐξ ὑμῶν’ πρὸς τοὺς μαθητὰς λέγεται … αἰτεῖ δὲ ὁ μαθητὴς τὸν φίλον ‘τρεῖς ἄρτους’, βουλόμενος θρέψαι τῇ περὶ τῆς τριάδος θεολογίᾳ τὸν γινό-

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μενον πρὸς αὐτὸν ἀπὸ τῆς ὁδοῦ [‘Qui parmi vous’ est donc dit aux apôtres … Et l’apôtre demande à son ami ‘trois pains’, voulant nourrir avec l’enseignement divin de la Trinité celui qui vient du chemin à lui] (Orig in Luc. frg. 76 SChr 87,526s. = frg. 182 Rauer. L’exégèse n’est pas reprise par Ambroise, in Luc. ad loc.). 13,7 non pugnaciter agendum est Augustin utilise ailleurs une phraséologie similaire pour indiquer qu’il ne veut pas insister sur la vérité d’un énoncé, qu’il aimerait pourtant accepter : non ago pugnaciter [je ne me bats pas] (doctr. christ. praef. 9, sur l’homme qui aurait appris à lire par révélation divine) ; non tamen opus est pugnaciter agere [cependant, il n’y pas besoin de se battre] (divers. quaest. 80,3 : les paroles du Christ sur son âme peuvent à la rigueur être prises au sens figuré) ; non est cum illo laboriosa contradictione pugnandum [il ne faut pas se battre avec lui par des contradictions laborieuses] (civ. 22,16 : illo est celui qui affirme que l’on ressuscitera avec l’âge que l’on avait à sa mort) ; non pugnaciter resistendum est [il ne faut résister en se battant] (civ. 22,20 : on peut admettre que le corps à la résurrection aura la même taille qu’à la mort) ; non ago pugnaciter [je ne me bats pas] (bapt. 5,12, laissant ouverte la question des effets exacts du baptême de Jean). C’est, sans doute, en partie parce que l’idée centrale du §13 ne vient pas de lui qu’Augustin prend ses distances. Mais, comme on vient de le voir, il peut aussi montrer le même recul envers ses propres pensées, surtout dans des cas d’exégèse particulièrement fantaisiste. Pour un exemple où il est aussi questions de nombres, voir la fin de son interprétation complexe des dix vierges de Mt. 25,1–13 en divers. quaest. 59,4 : Cur autem quinque dictae sint, ut mihi videtur, expositum est. Sed videmus nunc in aenigmate, tunc autem facie ad faciem; et nunc ex parte, tunc autem ex toto [1 Cor. 13,12]. Ipsum autem in aenigmate et ex parte nunc in scripturis aliquid cernere, quod tamen sit secundum catholicam fidem, ex illo pignore contingit, quod accepit virgo ecclesia humili adventu sponsi sui, cui, illo ultimo adventu cum veniet in claritate, nuptura est, cum iam facie ad faciem contuebitur. Dedit enim nobis pignus Spiritum sanctum, sicut dicit apostolus [2 Cor. 5,5]. Et ideo ista expositio nihil certum intuetur, nisi ut secundum fidem sit, neque aliis praeiudicat, quae nihilo minus secundum fidem esse potuerint [Il a été expliqué pourquoi, à mon sens, elles sont dites être cinq. Cependant, nous voyons maintenant par énigme, mais alors [ce sera] face à face, et maintenant en partie, mais alors en entier. Or, le fait de voir maintenant dans les Écritures quelque chose en énigme et en partie – mais qui est néanmoins selon la foi catholique – relève de ce gage que l’Église vierge a reçu lors de la venue humble de son époux, celui qu’elle épousera lors de cette dernière venue, quand il viendra dans la gloire, quand elle le verra désormais face à face. En effet, il nous donne en gage l’Esprit Saint, comme le dit l’apôtre. Et c’est pourquoi cette explication n’envisage rien de certain, sauf d’être selon la foi, et ne porte nullement préjudice aux autres [explications] qui pourront être tout autant selon la foi] (même hési-

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tation sur des exégèses numérologiques à divers. quaest. 57,1 ; de serm. dom. 2,87 ; quaest. euang. 2,40,1). Pour le principe qui veut qu’une exégèse soit acceptable si elle est conforme à la vérité catholique, même si elle se trompe sur le sens d’un texte voulu par son auteur, voir doctr. christ. 1,86–88. Animé par sa formation de rhéteur, Augustin tend particulièrement à noter de telles exégèses douteuses quand elles font preuve de cette vertu fondamentale de l’art oratoire qu’est l’elegantia (interpretantis elegantiam, 13,7, voir ThLL s.v. II.C.2). L’élegantia se manifeste, du moins selon le goût augustinien, par des rapprochements d’idées ingénieux, voire extravagants. Voir les exemples numérologiques cités plus hauts, et, pour un rapprochement intralinguistique similaire à celui de l’Inchoata expositio, in Gal. 31 (sur Gal. 4,6 Abba Pater [Dieu Père]) : Duo sunt verba, quae posuit, ut posteriore interpretaretur primum, nam hoc est abba quod pater. E l e g a n t e r autem intelligitur non frustra duarum linguarum verba posuisse idem significantia propter uniuersum populum, qui de Iudaeis et de gentibus in unitatem fidei vocatus est, ut hebraeum verbum ad Iudaeos, graecum ad gentes, utriusque tamen verbi eadem significatio ad eiusdem fidei spiritusque unitatem pertineat [Les mots qu’il a mis sont deux, pour que le premier soit interprété par le second. Car ‘abba’ est la même chose que ‘père’. Mais on peut comprendre é l é g a m m e n t qu’il n’a pas mis sans raison des mots des deux langues ayant le même sens, à cause du peuple universel qui, venant de Juifs et des gentils, a été appelé à l’unité de la foi. Ainsi le mot hébreu ferait référence aux Juifs, le [mot] grec aux gentils, et la signification identique des deux mots à l’unité de la même foi et du même Esprit]. Voir aussi in Gal. 42. Dans l’elegantia latine, l’ingéniosité peut être bien plus importante que le raffinement et le bon goût impliqués par le vocable « élégance » en français : Quid autem stultius homine verba metuente? E l e g a n t e r Demetrius noster solet dicere eodem loco sibi esse voces inperitorum, quo ventre redditos crepitus. ‘Quid enim’ inquit ‘mea, susum isti an deosum sonent?’ [Qu’est-ce qui est plus sot qu’un homme qui craint des mots ? Notre ami Démétrius aime dire é l é g a m m e n t que les voix des ignorants valent autant pour lui que les pets du ventre : ‘Qu’est-ce que ça me fait’, dit-il, ‘qu’ils viennent d’en haut ou d’en bas ?’] (Sénèque le Jeune, epist. 91,19). Chez les auteurs de l’âge d’or, et leurs commentateurs, on rencontre certes une sensibilité plus restreinte, mais là encore l’ingenium reste souvent un ingrédient essentiel de l’elegantia : voir S. STUCCHI, Notazione sul concetto di elegantia in Cicerone, Latomus 72 (2013), 642–659 ; C. BUONGIOVANNI, L’uso degli avverbi bene ed eleganter nel commento di Porfirione al terzo libro dei Carmina di Orazio, dans : C. LONGOBARDI – C. NICOLAS – M. SQUILLANTE (éds.), Scholae discimus : Pratiques scolaires dans l’Antiquité tardive et le Haut Moyen Âge, Lyon 2014, 179– 189. Sans voir dans l’Inchoata expositio le grotesque de l’exemple de Sénèque, on qualifiera difficilement le rapprochement salus-tria d’ « élégant » en français. Mais il n’est pas aisé de trancher entre les métamorphoses du goût et celles du sens des mots.

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14,1 Le blasphème contre l’Esprit Saint, péché impardonnable Quel est ce péché ? magna et difficillima quaestio (23,14), difficillimam quaestionem [une question très difficile] (retract. 1,25,1) ou, comme Augustin le dira dans son grand sermon sur le sujet, in omnibus sanctis scripturis nulla maior quaestio [il n’y a nulle question plus grande dans toutes les Écritures saintes] (serm. 71,8. On trouvera tous les textes où Augustin parle du blasphème contre l’Esprit Saint réunis en traduction allemande et annotés chez RING, Die unvergebbare Sünde, 41–109). Il consacrera le reste de l’Inchoata expositio à sa réponse. Comme celle-ci découle de l’identification qu’il vient d’établir entre l’Esprit Saint et gratia et pax, il la donne d’abord ici, la défendra dans les §14–21, et finira le livre en la réarticulant en détail aux §22s. (voir Introduction, 1.3, p. 5–8 ; RING, n. à 14,1 ; RING, Die unvergebbare Sünde, 13.17). L’urgence de la question est une évidence pour quiconque croit à l’autorité des Écritures. Mais Augustin a dû aussi se sentir appelé à y répondre parce qu’il n’y avait ni unité ni clarté dans la tradition exégétique dont il héritait, et parce que les réponses de ses prédécesseurs ne l’ont pas satisfait (pour ces réponses, voir DTC s.v. Blasphème contre le Saint-Esprit, complété par ce qui suit). Dans l’Église primitive, il semble que ce sont surtout Novatien et ses disciples qui se soient intéressés au blasphème contre l’Esprit Saint. Dans ce qui nous reste de son œuvre, Novatien lui-même ne fait que citer Mt. 12,32 pour renforcer sa doctrine sur la divinité de l’Esprit (trin. 29 ; Mt. 12,32 et parallèles sont aussi absents de l’Ad Novatianum contemporain, CCSL 4, 137–152). Mais certains témoignages montrent qu’au 4ème siècle les Novatianistes se prévalaient des paroles du Christ sur le blasphème impardonnable pour justifier leur choix d’exclure de l’Église ceux qui avaient renié le Christ lors des persécutions : voir surtout l’Ambrosiaster = Ps.-Aug. quaest. test. 102,4 (CSEL 50) ; Ambroise, paen. 2,20 ; Pacien de Barcelone, epist. 3,15 ; Jérôme, epist. 42,1. (L’apostasie est aussi le péché contre l’Esprit Saint pour Origène en comm. ser. in Mt. 114 [GCS 382, 239], mais elle rentre dans la catégorie générale du péché grave des baptisés : vide infra et n. à 18,2. Les Donatistes aussi accusaient parfois certains clercs catholiques d’avoir commis ce péché : c. Petil. 2,139. Pour une conception manichéenne du péché impardonnable, voir LIEU, Manichaeism, 25s.). C’est donc souvent en réponse aux Novatianistes que les auteurs catholiques ont été amenés à trouver leur propre explication du blasphème. Celle-ci, naturellement, tendait à se concentrer sur le contexte où Jésus prononça ses paroles, et donc à comprendre le blasphème par le biais des pharisiens auxquels le Seigneur s’adresse à Mt. 12,31s. et Mc. 3,28–30 (en Lc. 12,10, il parle au peuple). Dans les interprétations les plus simples, on explique alors que les pharisiens ont eux-mêmes commis ce péché en prenant les miracles du Christ pour des œuvres du diable. Haec caecitas est, non videre quod videas, et sancti Spiritus opera diabolo deputare eamque gloriam Domini, qua diabolus ipse superatur, diaboli appellare virtutem [Voici l’aveuglement : ne pas voir ce que tu vois, et attribuer au diable les œuvres de

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l’Esprit Saint, et appeler puissance du diable cette gloire du Seigneur, par laquelle le diable lui-même est vaincu] écrit Pacien de Barcelone (epist. 3,15), et on trouve la même explication chez l’Ambrosiaster = Ps.-Aug. quaest. test. 102,13–15 (CSEL 50) ; Ambroise, in Luc. 7,21 (Ambroise recueille diverses thèses sur le blasphème, sans donner son propre avis) ; paen. 2,21s. (cité n. à 21,1s.) ; Jérôme, epist. 42 ; in Matth. ad 12,32 ; Basile, Moralia 35 (PG 31, 756) ; Regulae brevius tractatae 273 (PG 31, 1271) ; Jean Chrysostome, hom. in Mt. 41,3 (PG 57, 449). Augustin rejettera essentiellement cette lecture : pour lui, les pharisiens n’ont pas commis de péché impardonnable (Inchoata expositio 22,4s. ; mais voir 21,1s. et n. ad loc.). Même pour ceux qui étaient moins charitables envers les pharisiens, elle avait pour inconvénient de ne pas pouvoir s’appliquer très souvent à l’Église contemporaine. Ainsi, l’Ambrosiaster maintient que Jésus a parlé essentiellement contre les Juifs de sa propre époque : Quod autem in Spiritum sanctum peccaverunt Iudaei, alia causa est et quae ad tempus illud pertinuit. Unde non illis hoc remitti neque hic neque in futurum ostendit. Non enim errore peccaverunt in Spiritum sanctum, sed malivolentia. Scientes enim prudentesque opera quae videbant in gestis salvatoris Dei esse, ut populum a fide eius averterent, haec simulabant esse principis daemoniorum [Que les Juifs aient péché contre l’Esprit Saint, c’est une autre affaire, et qui relève de cette époque-là. C’est pourquoi il indique que cela ne leur sera pardonné ni ici ni dans le futur. En effet, ils n’ont pas péché contre l’Esprit Saint par erreur, mais par malveillance. C’est avec science et prévoyance qu’ils ont prétendu que c’étaient des [œuvres] du prince des démons, ces œuvres qu’ils voyaient venir de Dieu, dans les actes du Sauveur, pour détourner le peuple de la foi en lui] (quaest. test. 102,13 [CSEL 50]) ; Chrysostome, loc. cit. est similaire ; voir n. à 20,5, quomodo poterant). De telles exégèses restaient sans doute utiles pour attaquer les Juifs (voir n. à 15,5), mais à l’intérieur de l’Église, on tendait tout de même rarement à dire que le Christ œuvrait pour le diable. Fallait-il en conclure que le blasphème impardonnable ne risquait pas d’être commis par les chrétiens ? Basile répondra en alignant œuvres du Christ et œuvres des chrétiens (vide infra), et cette réponse est implicite dans une certaine mesure dans tous les textes auxquels nous venons de nous référer. Mais Novatien n’était pas le seul à vouloir voir le blasphème chez les chrétiens auxquels il refusait la communion. Toute la tradition polémique tendait à identifier blasphémateurs et hérétiques (voir AugLex s.v. blasphemia), et les écrivains catholiques n’ont pas résisté à identifier à leur tour le blasphème contre l’Esprit Saint avec certaines hérésies qu’ils combattaient. On trouve déjà une telle interprétation chez Irénée de Lyon, face aux gnostiques (voir n. à 15,13–16), mais elle se prêtait surtout facilement aux attaques contre les Ariens. Il était en effet crédible d’affirmer que l’Évangile identifiat le blasphème à la négation de la divinité du Christ. Les Novatianistes eux-mêmes ont peut-être adopté ce point de vue, puisqu’il se peut qu’Ambroise reprenne leurs arguments quand il écrit (sans adhérer à ce qu’il propose) : In persecutione quid quaeritur, nisi ut Deum Christum negemus ? [Que cherche-t-on lors de la persécution, sinon que nous niions

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que le Christ est Dieu ?] (in Luc. 7,21). Et Jérôme répondra justement que lors des persécutions on reniait plutôt le fils de l’homme, ce qui était pardonnable (epist. 42,2. Selon Épiphane, Panarion 54,2, les Theodotiani – pour lesquels voir n. à 4,4 – se servaient du même argument pour éviter le martyre). Donc cette approche n’est pas forcément catholique à l’origine. Mais elle le deviendra inévitablement, puisque la polémique anti-arienne tend toujours à maintenir que les Ariens faisaient du Christ un être non divin. Hilaire de Poitiers explique ainsi Mt. 12,29 : Cum cetera dicta gestaque liberali venia relaxentur, caret misericordia, si Deus negetur in Christo [Alors que les autres paroles et actes sont pardonnés par sa faveur généreuse, il n’y a plus de miséricorde, si l’on nie Dieu dans le Christ] (in Matth. 12,17), ce qui sera repris par Jérôme (in Matth. ad 12,32. Jérôme ne donne pas ici d’avis définitif. Voir aussi Apollinaire de Laodicée, apud REUSS, Matthäus-Kommentar, 21 ; Théodore d’Heracleia, ibid. 81). Athanase continue dans la même lignée dans sa quatrième épître à Sérapion. S’il affirme (8) que le blasphème impardonnable consiste à nier à la fois l’humanité e t la divinité du Christ, la conclusion de l’épître montre bien qu’il vise surtout les Ariens : καὶ οἱ μὲν Φαρισαῖοι θεωροῦντες τὸν κύριον ἐν σώματι διεγόγγυζον λέγοντες· ‘διὰ τί σὺ ἄνθρωπος ὢν ποιεῖς σεαυτὸν Θεόν;’ [Io. 10,33]· οἱ δὲ Χριστομάχοι βλέποντες αὐτὸν πάσχοντα καὶ κοιμώμενον βλασφημοῦσι λέγοντες· ὁ ταῦτα ὑπομένων οὐ δύναται υἱὸς ἀληθινὸς καὶ ὁμοούσιος εἶναι τοῦ πατρός [Et les pharisiens, voyant le Seigneur dans un corps, murmuraient, disant : ‘Pourquoi toi, qui es un homme, tu te fais Dieu ?’ Mais les Combattants-contre-le-Christ, le voyant souffrir et mourir, blasphèment en disant : ‘Celui qui endure ces choses ne peut être le vrai Fils et consubstantiel au Père’] (ep. Serap. 4,15 ; pour d’autres parallèles dans la tradition grecque, voir LUZ, Matthew, 207 ; pour la réfutation spécifique de cette approche par Augustin, voir serm. 71,24 : l’explication est illogique, puisque Jésus ne dit pas que le blasphème contre le Père, pourtant l’égal de l’Esprit et du Fils en tant que Fils de Dieu, est impardonnable). Ensuite, quand les « Macédoniens » (voir n. à 15,13–16) proposèrent une conception arienne de l’Esprit, on les accusa bien entendu de blasphémer eux aussi contre l’Esprit Saint. C’est ce que fait Athanase (Epistulae ad Serapionem 1,3.33 ; 2,16), tout comme Épiphane, lorsqu’il affirme que les paroles du Christ sur le blasphème visent ceux qui veulent ἐν τάξει δούλου αὐτὸ [sc. l’Esprit] ὁρίζεσθαι καὶ κτιστὸν καὶ ἀλλότριον τῆς τοῦ Θεοῦ οὐσίας [le placer au rang d’un esclave, [comme] une créature, et un être séparé de l’essence divine] (Panarion 54,2 ; voir aussi Didyme l’aveugle, De spiritu sancto 1,273 [SChr 386] ; Ambroise, paen. 2,20, et pour les échos de cette utilisation de Mt. 12,31s. chez s. Augustin, RING, Die unvergebbare Sünde, 32). Du reste, on pouvait expliquer cette hérésie comme consistant à renier à la fois la divinité du Fils et celle de l’Esprit, et affirmer ainsi l’unité de la Trinité : Cur autem dixerit Dominus qui blasphemaverit in filium hominis, remittetur ei, qui autem blasphemaverit in Spiritum sanctum, nec hic nec in futuro remittetur ei, diligenter adverte. Numquid alia est offensa Fili, alia Spiritus sancti? Sicut enim una dignitas, sic una iniuria … Si qui vero sancti Spiritus dignitatem, maiestatem et potestatem abneget

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sempiternam et putet non in Spiritu Dei eici daemonia, sed in Beelzebub, non potest ibi exoratio esse veniae, ubi sacrilegii plenitudo est, quia qui Spiritum negavit, et Dominum Patrem negavit et Filium, quoniam idem est Spiritus Dei, qui Spiritus Christi est [Écoute attentivement pourquoi le Seigneur a dit que, pour celui qui blasphémait contre le fils de l’homme, il lui serait pardonné, mais pour celui qui blasphémait contre l’Esprit Saint, il ne lui serait pardonné ni ici ni dans le futur. Est-ce qu’offenser le Fils, c’est autre chose qu’offenser l’Esprit Saint ? Tout comme il y a une seule dignité, il y une seule injure … Mais si quelqu’un nie la dignité, la majesté et la puissance éternelle de l’Esprit Saint, et pense que les démons ne sont pas expulsés dans l’Esprit de Dieu, mais dans Béelzébub, dans ce cas, aucune supplication pour le pardon n’est possible, là où il y a la plénitude du sacrilège, puisque celui qui a nié l’Esprit a nié et le Seigneur, le Père, et le Fils, puisque l’Esprit de Dieu est le même que l’Esprit du Christ] (Ambroise, spir. sanct. 1,3,54 ; de même Chromace d’Aquilée, in Matth. 50,3 [CCSL 9A] ; Cyrille d’Alexandrie apud REUSS, MatthäusKommentar, 203. Pour l’accusation du blasphème impardonnable lancée, au-delà des querelles trinitaires, contre les Donatistes, voir n. à 15,13–16). En dehors de ces polémiques doctrinales, une autre approche consistait à voir le blasphème comme tout péché grave commis par un baptisé (voir LUZ, Matthew, 207). Il s’agit parfois des péchés du corps (les dés, Ps.-Cyprien, De aleatoribus 10 ; la fornication : encore Novatien, selon l’Ambrosiaster, in 1 Cor. 6,18 ; Ps.-Aug. quaest. test. 102,6.12 [CSEL 50]). Parfois, il s’agit du blasphème, sans que celui-ci soit défini avec précision : Tertullien, De pudicitia 13,19s. (SChr 395 ad loc. renvoie à Cyprien, Testimonia 3,28, mais Cyprien ne partage certainement pas l’avis de Tertullien). Cette approche n’est pas seulement le fait des rigoristes, puisqu’on la retrouve chez Origène. Voir Jo. 2,11,80 : μήποτε οὐ πάντως διὰ τὸ τιμιώτερον εἶναι τὸ πνεῦμα τὸ ἅγιον τοῦ Χριστοῦ οὐ γίνεται ἄφεσις τῷ εἰς αὐτὸ ἡμαρτηκότι, ἀλλὰ διὰ τὸ Χριστοῦ μὲν πάντα μετέχειν τὰ λογικά, οἷς δίδοται συγγνώμη μεταβαλλομένοις ἀπὸ τῶν ἁμαρτημάτων, τοῦ δὲ ἁγίου πνεύματος τοὺς κατηξιωμένους μηδεμιᾶς εὔλογον εἶναι συγγνώμης τυχεῖν, μετὰ τηλικαύτης καὶ τοιαύτης συμπνοίας τῆς εἰς τὸ καλὸν ἔτι ἀποπίπτοντας καὶ ἐκτρεπομένους τὰς τοῦ ἐνυπάρχοντος πνεύματος συμβουλίας [Peut-être que ce n’est pas du tout parce que l’Esprit Saint est plus en honneur que le Christ qu’il n’y pas de pardon pour celui qui a péché contre lui, mais parce que tout ce qui est rationnel participe au Christ, et on leur accorde le pardon s’ils se repentent de leurs péchés, alors qu’il n’est nullement raisonnable qu’obtiennent le pardon ceux qui ont été trouvés dignes de l’Esprit Saint, ceux qui, avec une inspiration si grande et d’une telle nature [les poussant] vers le bien, sont néanmoins tombés et ont repoussé les conseils de l’Esprit résidant à l’intérieur d’eux] (de même ibid. 28,15,124–26 ; De principiis 1,3,7 [voir n. à 17,2, quodlibet peccatum] ; à hom. in Jer. 2,3 celui qui n’a pas commis de péché grave après le baptême est ὁ τηρήσας τὸ βάπτισμα τοῦ ἁγίου πνεύματος [celui qui a conservé le baptême de l’Esprit Saint]). C’est aussi ainsi qu’Athanase a compris Origène : Παλαιοὶ μὲν οὖν ἄνδρες, Ὠριγένης ὁ πολυμαθὴς καὶ φιλόπονος καὶ Θεόγνωστος ὁ θαυμάσιος καὶ σπουδαῖος [Théognoste

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d’Alexandrie ; l’ouvrage en question est perdu] … ἀμφότεροι γὰρ περὶ τούτου γράφουσι ταύτην εἶναι τὴν εἰς τὸ ἅγιον πνεῦμα βλασφημίαν λέγοντες, ὅταν οἱ καταξιωθέντες ἐν τῷ βαπτίσματι τῆς δωρεᾶς τοῦ ἁγίου πνεύματος παλινδρομήσωσιν εἰς τὸ ἁμαρτάνειν [Ainsi les hommes anciens, Origène, ce polymathe dur à la tâche, et l’admirable et dévoué Théognoste … tous deux ont écrit à ce sujet, disant que le blasphème contre l’Esprit Saint, c’était quand ceux qui, par le baptême, avaient été trouvés dignes du don de l’Esprit Saint, retournaient au péché] (ep. Serap. 4,2 ; les indications de RING, Die unvergebbare Sünde, 1 sur Origène sont à revoir). Mais on sait qu’Origène croyait, ou espérait, que tous les hommes seraient pardonnés en fin de compte, et il expliquera ailleurs que, si le blasphème n’est pardonné οὔτε ἐν τούτῳ τῷ αἰῶνι οὔτε ἐν τῷ μέλλοντι [ni dans ce monde / cette ère ni dans celui / celle à venir] (Mt. 12,32), il pourra l’être néanmoins à la fin des toutes les ères (Jo. 19,14,88 ; hom. in Lev. 8,4 ; comm. in Mt. 15,31 [GCS 40, 443s.]. D’autre part, il y a pour bien des péchés un pardon dans l’Église et en cette vie : hom. in Lev. 2,4). L’Église a fini par rejeter la cosmologie d’Origène. Mais sa doctrine sur le péché impardonnable met en relief un problème qui transparait dans beaucoup des textes évoqués ci-dessus. Si les Pères ont aimé se référer au blasphème contre l’Esprit Saint pour faire planer la menace de la damnation sur les hérétiques et les pécheurs, ils semblent rarement avoir pleinement accepté qu’une fois commis, le blasphème contre l’Esprit Saint est, selon l’Évangile, non seulement extrêmement grave, mais réellement impardonnable. Il en est ainsi même des Novatianistes, qui excommuniaient définitivement les lapsi des persécutions, mais n’excluaient pas la possibilité que Dieu leur pardonnerait : Respondit … ‘Nec ego rennuo agendam paenitentiam admissae idolatriae, sed ego remittere non audeo, quia crimen hoc ab eo remittendum est, in quem admissum est’ [Il répond … ‘Moi non plus, je ne nie pas qu’il faut faire pénitence quand on a commis l’idolâtrie, mais je n’ose pas moi-même pardonner, puisque ce crime doit être pardonné par celui contre qui il a été commis’] (Ambrosiaster = Ps.-Aug. quaest. test. 102,23 [CSEL 50] ; voir DTC s.v. Novatien, 840s. C’est aussi la doctrine de Tertullien montaniste : voir SChr 394, 64s.). Le problème surgit en même temps chez Cyprien, qui applique bien Mc. 3,28s. aux lapsi, alors que le grand adversaire de Novatien n’a jamais douté qu’ils soient pardonnables dans l’Église (epist. 16,1 ; voir aussi epist. 73,19 sur les Marcionites). De même, dans un élan d’enthousiasme polémique, Chromace d’Aquilée écrira des Ariens et Macédoniens : Quos non immerito Dominus ad tantae blasphemiae reatum nec in praesenti saeculo nec in futuro remissionem peccati habituros ostendit [Ce n’est pas injustement que le Seigneur a montré que, pour le crime d’un si grand blasphème, ils n’auraient de pardon pour leur péché ni dans ce monde, ni dans le monde à venir] (in Matth. 50,3). Mais entend-il vraiment les exclure à tout jamais de l’Église, plutôt que les appeler à y rentrer ? Est-ce là l’intention d’Athanase ? Ou d’Ambroise, dont le passage anti-macédonien se termine : Ideo revertimini ad ecclesiam, si qui vos separastis impie. Omnibus enim conversis pollicetur veniam, quia scriptum est ‘omnis quicumque invocaverit nomen Domini salvus erit’ [Rom. 10,13] [Retournez donc à

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l’Église, si vous vous en êtes séparés par impiété. Car il promet le pardon à tous ceux qui se convertissent, puisqu’il est écrit ‘quiconque invoque le nom du Seigneur sera sauvé’] (paen. 2,26. Voir aussi Apollinaire de Laodicée apud REUSS, MatthäusKommentar, 21, cité n. à 22,4–23,7) ? La possibilité du pardon est encore plus claire dans les textes pastoraux. Le sermon de Jean Chrysostome qui traite de Mt. 12,31s. se terminera en rappelant le pardon promis à tous les pénitents (hom. in Mt. 41,4 [PG 57, 449–452]). Quand Basile affirme que nous reproduisons souvent le péché des pharisiens (ὅπερ πάσχομεν οἱ πολλοί, τὸν μὲν σπουδαῖον κενόδοξον πολλάκις ῥιψοκινδύνως ἀποκαλοῦντες, τοῦ δὲ ζῆλον ἀγαθὸν ἐπιδεικνυμένου ὀργὴν καταψευδόμενοι, καὶ ἄλλα τοιαῦτα [C’est ce qui arrive a beaucoup d’entre nous, qui, avec abandon, appelons souvent la vertu ‘vaine gloire’, et calomnions la colère de celui qui montre son zèle pour la bonté, et d’autres choses de la sorte], reg. br. 273 [PG 31, 1271]), il est impossible de conclure qu’il nous voue tous pour autant à la condamnation éternelle. D’où la conclusion de Cyrille d’Alexandrie (du moins si l’on peut se fier aux catenae) que le blasphème contre l’Esprit Saint n’est dit impardonnable que pour faire peur : πλὴν δίδοται τοῖς μετανοοῦσιν διὰ τῆς τοῦ πνεύματος χάριτος συγγνώμη. ἀλλὰ τὸ μέγεθος θέλων δεῖξαι ὁ Χριστὸς τοῦ ἁμαρτήματος οὕτως εἶπεν, ἐπεὶ οὐκ ἔστιν ἁμαρτία ἀσυγχώρητος παρὰ θεῷ ἐν τοῖς γνησίως καὶ κατ’ ἀξίαν μετανοοῦσιν [Mais, par la grâce de l’Esprit, le pardon sera donné à ceux qui se repentissent. Cependant, voulant montrer la grandeur du péché, le Christ a parlé ainsi, puisque, auprès de Dieu, aucun péché n’est impardonnable pour ceux qui se repentent authentiquement et selon la mesure [de leur faute]] (apud REUSS, Matthäus-Kommentar, 203. Voir déjà, chez Basile, De spiritu sancto 46, et Didyme l’aveugle, De spiritu sancto 1, 2 [SChr 386], les emplois un peu vagues de Mt. 12,31s. pour insister sur la divinité de l’Esprit Saint, sans que soit abordé le problème du péché impardonnable). C’est ce paradoxe qu’Augustin va révéler au grand jour, et qui justifiera sa propre doctrine. Il comprend très bien que l’on puisse accuser certains hérétiques d’avoir blasphémé contre l’Esprit Saint, et va montrer que l’on pourrait facilement étendre cette doctrine à tous les hérétiques, sans parler des Juifs et des païens (§15). Il comprend aussi très bien que l’on puisse chercher le blasphème dans le péché grave des baptisés (§16–20). Mais, répond-il, de telles solutions sont impossibles, parce que le blasphème contre l’Esprit Saint doit être véritablement impardonnable, alors que la tradition et la pratique de l’Église n’excluent aucun pénitent du pardon (15,4s.11.16 ; 16,1.4 ; 17,4 ; 18,8.12s. ; 21,3 ; 22,1–3). Ces nombreux renvois à la tradition et à la pratique catholiques montrent bien que le développement de l’Inchoata expositio sur le blasphème contre l’Esprit Saint est beaucoup moins une polémique contre les sectes rigoristes qu’une réfutation de traditions venant de l’intérieur de l’Église (contra MARA, L’interpretazione, 241–243, pour qui Augustin vise surtout les Donatistes. Mais Mara, ici et en Agostino Interprete, 78s., 193 n. 59, 194 n. 60, exagère beaucoup le rigorisme des Donatistes sur la réception des pécheurs. Les Donatistes s’inquiétaient surtout de la sainteté des

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prêtres. Voir AugLex s.v. Donatistae, 2 ; J. DANIÉLOU – H.-I. MARROU, Nouvelle Histoire de l’Église, t. 1, Paris 1963, 285 ; et pour l’absence d’indications d’une restriction de la pénitence chez les Donatistes, WATKINS, A History, 451s.). Certes, Augustin ne dit pas très ouvertement qu’il réfute des enseignements reçus, mais c’est bien parce qu’un ton irénique convenait à une dispute ecclésiastique interne, où les mêmes doctrines trinitaires et la même pratique du pardon étaient, ou devaient être (voir n. à 16,1), acceptées par tous les participants. D’ailleurs, la définition du blasphème que va proposer Augustin, si elle est originale en tant qu’exégèse, ne fait qu’aligner l’interprétation de cette péricope des Évangiles avec une doctrine très généralement admise, la damnation de ceux qui refusent la conversion ou le repentir (voir RING, n. 194 à 23,15, f ; pour la tradition ecclésiastique comme règle d’interprétation des Écritures chez Augustin, voir MENDOZA, 470–473). Un des buts d’Augustin est justement de montrer que cette doctrine est suffisante pour expliquer ce qu’est le blasphème impardonnable, et qu’il ne faut donc pas voir dans ce blasphème une autre voie de perdition. La doctrine augustinienne est par conséquent dans la lignée de celle, signalée plus haut, qui identifiait le blasphème impardonnable avec le péché grave des baptisés. En effet, la première fois qu’Augustin aborde la question (voir RING, n. à 23,14, b), son exégèse ira exactement dans ce sens : Peccatum ergo fratris ad mortem [1 Io. 5,16] puto esse, cum post agnitionem Dei per gratiam Domini nostri Iesu Christi quisque oppugnat fraternitatem, et adversus ipsam gratiam, qua reconciliatus est Deo, invidentiae facibus agitatur … Et hoc est fortasse peccare in Spiritum sanctum, id est per malitiam et invidiam fraternam oppugnare caritatem post acceptam gratiam Spiritus sancti, quod peccatum Dominus neque hic neque in futuro saeculo dimitti dicit [Ainsi, le péché d’un frère [qui conduit] à la mort, je pense que c’est quand, après avoir reconnu Dieu par la grâce de notre Seigneur Jésus Christ, quelqu’un s’attaque à la fraternité, et s’agite, à cause des flambeaux de la jalousie, contre cette grâce même, par laquelle il fut réconcilié avec Dieu … Et c’est peut-être cela, pécher contre l’Esprit Saint, c’est-à-dire, dans la malice et la jalousie, s’attaquer à la charité fraternelle après avoir reçu la grâce de l’Esprit Saint – c’est le péché dont le Seigneur dit qu’il ne sera remis ni ici ni dans le monde à venir] (de serm. dom. 1,73.75). Mais, en limitant le blasphème impardonnable aux baptisés, Augustin n’expliquait pas pourquoi les non-chrétiens couraient aussi le risque de la damnation (sur ce point, voir RING, Die unvergebbare Sünde, 13). Et surtout, la formule de de serm. dom. ne laisse aucun espoir au repenti, ce qu’Augustin se reprochera en relisant cette œuvre : Addendum fuit: si in hac tam scelerata mentis perversitate finierit hanc vitam, quoniam de quocumque pessimo in hac vita constituto non est utique desperandum [J’aurais dû ajouter : s’il a terminé cette vie dans cette perversité si coupable de l’esprit, puisque, pour tout homme, si mauvais soit-il, qui est encore en cette vie, il ne faut pas désespérer entièrement] (retract. 1,19,7 ; pour la lecture modifiée dans le sens de retract. de 1 Io. 5,16 en corrept. 35 voir RING, Die unvergebbare Sünde, 33s.). Et bien avant les Retractationes, la lecture du De paenitentia d’Ambroise

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(1,45s. ; voir n. à 18,2) lui a indiqué la possibilité d’une interprétation plus miséricordieuse de 1 Io. 5,16. En effet, à partir de l’Inchoata expositio, qu’il en parle en longueur dans le serm. 71, ou qu’il la résume en quelques mots dans l’Enchiridion, la doctrine d’Augustin est fixée : le blasphème impardonnable ne peut être que le choix de rester impénitent jusqu’à la mort, c’est-à-dire soit, pour le non-chrétien, le refus de la conversion, soit, pour le chrétien, la persistance dans le péché mortel ou l’hérésie : Contra hoc donum gratuitum, contra istam Dei gratiam loquitur cor impaenitens. Ipsa ergo impaenitentia est Spiritus blasphemia, quae non remittetur neque in hoc saeculo, neque in futuro. Contra Spiritum enim sanctum, quo baptizantur quorum peccata omnia dimittuntur, et quem accepit ecclesia, ut cui dimiserit peccata, dimittantur ei [Io. 20,22s.], verbum valde malum et nimis impium, sive cogitatione, sive etiam lingua sua dicit, quem patientia Dei cum ad paenitentiam adducat, ipse secundum duritiam cordis sui et cor impaenitens thesaurizat sibi iram in die irae et revelationis iusti iudicii Dei, qui reddet unicuique secundum opera eius [Rom. 2,4–6] [Le cœur impénitent parle contre ce don gratuit, contre cette grâce de Dieu. C’est donc cette impénitence même qui est le blasphème contre l’Esprit, qui ne sera pardonné ni dans ce monde, ni dans le monde à venir. C’est en effet contre l’Esprit Saint, en qui sont baptisés ceux dont tous les péchés sont pardonnés, [et] que l’Église reçoit, afin que, pour celui à qui elle pardonne les péchés, ils lui soient pardonnés – [c’est contre cet Esprit] qu’il dit une parole très mauvaise et excessivement impie, que ce soit par la pensée ou encore avec sa langue, celui qui – alors que la patience de Dieu l’attire vers la pénitence – selon la dureté de son cœur et [selon] son cœur impénitent, s’amasse un trésor de colère pour le jour de la colère et de la révélation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres] (serm. 71,20) ; qui vero in ecclesia remitti peccata non credens contemnit tantam divini muneris largitatem, et in hac obstinatione mentis diem claudit extremum, reus est illo irremissibili peccato in Spiritum sanctum, in quo Christus peccata dimittit. De qua quaestione difficili in quodam propter hoc solum conscripto libello enucleatissime quantum potui disputavi [Mais celui qui, ne croyant pas que les péchés soient pardonnés dans l’Église, méprise la générosité si grande du don divin, et qui termine ses jours dans cette obstination de son esprit, est coupable de ce péché impardonnable contre l’Esprit Saint, [cet Esprit] par lequel le Christ pardonne les péchés. J’ai discuté de cette question difficile, avec tout le détail qui m’était possible, dans un petit traité écrit dans ce seul but] (enchir. 83. Voir aussi epist. 185,48s. On comprend généralement, comme le disent VERBRAKEN, Le sermon, 55 et RING, n. à 23,14, e, le libellus comme étant le serm. 71, plutôt que l’Inchoata expositio). On constate cependant deux développements dans la pensée d’Augustin, qui tendent à l’assombrir. D’abord, comme l’avait noté RING (n. à 23,14, f ; Die unvergebbare Sünde, 30), dans les textes postérieurs à l’Inchoata Expositio, il n’évoque plus le blasphème contre l’Esprit Saint sans insister sur le fait que le pardon est réservé à l’Église, et que les hérétiques risquent donc la damnation. Voir, dans ce sens, en plus des textes cités ci-dessus, c. Cresc. 4,10 : Sed hunc reatum insolubilis

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aeternique peccati, quod in Spiritum sanctum committitur, nec vobis obicimus, quos correctos cum vivitis sanari posse non desperamus, nec vestris, qui sanctos codices cremandos ignibus tradiderunt, nisi quod usque in finem vitae huius ab unitate disiuncti cor inpaenitens habuerunt [Mais ce crime du péché impardonnable et éternel, qui est commis contre l’Esprit Saint, nous n’en accusons ni vous – puisque, tant que vous êtes en vie, nous ne désespérons pas que vous puissiez être corrigés et guéris – ni les vôtres, qui ont livré les livres saints au feu pour être brûlés, à moins que, séparés de l’unité, ils aient gardé un cœur impénitent jusqu’à la fin de cette vie]. Dans le serm. 71, il soulignera même que la pénitence des hérétiques est en ellemême incomplète par définition, et donc inutile : Si quemquam extra ecclesiam suorum paeniteat peccatorum, et huius tanti peccati quod alienus est ab ecclesia Dei cor impaenitens habeat, quid ei prode est illa paenitentia, cum isto solo verbum dicat contra Spiritum sanctum, quod extraneus est ab ecclesia, quae accepit hoc donum, ut in ea in Spiritu sancto fiat remissio peccatorum? [Si quelqu’un en dehors de l’Église se repent de ses péchés, et conserve un cœur impénitent envers ce péché si grand, par lequel il est séparé de l’Église de Dieu, quel avantage tire-t-il de cette pénitence, puisqu’il dit une parole contre l’Esprit Saint par le seul fait d’être en dehors de l’Église, qui a reçu ce don : que le pardon des péchés dans l’Esprit Saint se fasse à l’intérieur d’elle] (serm. 71,28). Sur ce point, voir Introduction, 1.8. Deuxièmement, quand, dans la querelle avec les Pélagiens, Augustin réemploiera le langage des Évangiles sur le péché impardonnable, ce sera pour souligner que seuls ceux que Dieu a choisis seront capables du repentir efficace : Non enim verum videt, qui putat reatum sibi ipsi tollere paenitentem; quamquam et ipsam paenitentiam Deus det, quod confirmat apostolus dicens ‘ne forte det illis Deus paenitentiam’ [2 Tim. 2,25], sed reatum apertissime Deus tollit homini dando indulgentiam, non sibi ipse homo agendo paenitentiam. Debemus quippe illum recolere, qui paenitentiae locum non invenit, quamvis cum lacrimis quaesierit eam [Hebr. 12,17]. Ac per hoc et paenitentiam egit et reus remansit, quia veniam non accepit, et illi qui dicent inter se, ‘paenitentiam agentes et prae angustia spiritus gementes quid nobis profuit superbia?’ [Sap. 5,3.8] et cetera, rei utique in aeternum non accepta venia permanebunt, sicut ille etiam de quo Dominus ait ‘Non remittetur ei, sed reus erit aeterni peccati’ [Mc. 3,29] [En effet, il ne voit pas la vérité, celui qui pense que le pénitent s’enlève lui-même son crime, bien que Dieu donne aussi la pénitence même, ce que confirme l’apôtre en disant ‘si peut-être Dieu leur donne la pénitence’ – mais c’est très clairement Dieu qui enlève le crime, en donnant le pardon à l’homme, et non l’homme qui [l’enlève] pour lui-même, en faisant pénitence. Nous devons plutôt nous rappeler de celui qui n’a pas trouvé de place pour la pénitence, bien qu’il l’ait cherché avec ses larmes. Et ainsi il fit pénitence et il resta coupable, puisqu’il ne reçut pas le pardon. Et puis, ceux qui diront entre eux, en faisant pénitence, et en gémissant dans l’angoisse de leur esprit, ‘quel bien avons-nous tiré de notre orgueil ?’ et tout le reste, ils resteront certainement coupables pour l’éternité, sans avoir reçu de pardon, tout comme celui de qui le Seigneur a dit : ‘Il ne lui sera pas pardonné, mais il

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sera coupable du péché éternel’] (c. Iulian. op. imperf. 6,19 ; voir aussi 4,96). De nouveau, la terreur de commettre l’impardonnable, que l’Inchoata expositio avait soulagée, pèse lourdement sur toute l’humanité. Mais terminons plutôt avec un aspect plus charitable de la pensée augustinienne : Nec de peccatorum differentia modo tractandum est, sed credendum omnino, nullo modo nobis ignosci ea, quae peccamus, si nos inexorabiles ad ignoscenda peccata fuerimus [Et il ne faut pas maintenant discuter de la différence entre les péchés, mais croire absolument que les péchés que nous commettons ne nous seront jamais pardonnés, si nous sommes nous-mêmes inexorables pour pardonner les péchés] (fid. et symb. 22). 14,1 desperans vel irridens atque contemnens praedicationem gratiae Il est à regretter qu’AugLex se soit dispensé d’un lemme desperatio. Despero et dérivés apparaissent quelque 650 fois chez Augustin : le désespoir, en tant qu’état psychologique et choix moral, l’interpella d’une façon unique parmi les Pères. La mention du désespoir dans l’Inchoata expositio éclaire un des rôles importants de cette émotion dans la pensée augustinienne. Comme le remarque finement RING (n. à 23,14, a), la combinaison de desperando de venia avec de sua iustitia praesumendo au moment de la reprise de 14,1 en 23,7 est caractéristique. En effet, pour Augustin, ce qui sépare les sauvés des damnés n’est pas la justice de leur comportement, mais l’acceptation du pardon et de la grâce, puisque nul ne peut être assez juste pour être sauvé sans la grâce et la miséricorde (voir n. à 10,4, poenas tamen corporis), et, inversement, nul ne peut pécher trop gravement pour se séparer de la possibilité du pardon. Par conséquent, pour expliquer que tous ne soient pas sauvés, il fallait avant tout indiquer pourquoi certains se détournaient du pardon offert. Nous savons (voir n. précédente) qu’Augustin allait conclure que le refus était lui-même dû à un défaut de grâce. Mais cette explication est, pour ainsi dire, extérieure : elle ne rend pas compte de ce qui se passe dans l’âme de celui qui reste dans le péché. Pour répondre à ce niveau, Augustin faisait bien sûr appel au plaisir du péché (impia atque mortifera quadam suavitate, 14,1, voir n. ad loc.), qui est à associer à irridens atque contemnens. Mais, pour lui, si l’on ne cherche pas le pardon, c’est aussi parce que l’on pense ne pas pouvoir l’obtenir. C’est là le désespoir qui damne, et qui est un péché en soi, puisqu’il comporte un jugement fautif sur l’étendue de la grâce. Il est le contrepoids de la vertu théologique de l’espoir : ‘Conscientiam’ vero ‘bonam’ [1 Tim. 1,5] subiunxit propter spem. Ille enim se ad id quod credit et diligit perventurum esse desperat cui malae conscientiae scrupulus inest [Il a donc ajouté ‘une bonne conscience’ à cause de l’espoir. En effet, celui qui a à l’intérieur de lui le trouble d’une mauvaise conscience désespère de parvenir à ce qu’il croit et aime] (doctr. christ. 1,95). Un tel désespoir est, naturellement, voulu par le diable (persuadens eis, quia iam peccaverunt, desperent et omnino se ad veniam posse pertinere non arbitrentur

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[les persuadant que, puisqu’ils ont déjà péché, ils doivent désespérer et considérer qu’ils ne peuvent absolument pas obtenir le pardon], serm. 20,2 ; de même in psalm. 5,17), et il crée un cercle vicieux dans l’âme de l’individu : Quisquis enim non credit dimitti sibi posse peccata, fit deterior desperando, quasi nihil illi melius quam malum esse remaneat [En effet, quiconque croit que ses péchés ne peuvent pas être pardonnés, devient pire à cause de son désespoir, comme s’il ne lui restait rien de mieux que d’être mauvais] (doctr. christ. 1,35 ; de même serm. 20,1). Dans la prédication, Augustin aime illustrer cette évolution en évoquant le gladiateur, l’homme entièrement perdu dans l’imagination antique : animo quodam gladiatoricio, quoniam vitam desperat, quicquid potest facere ad satiandam cupiditatem et libidinem suam facit, tamquam devotus ad victimam [avec une espèce d’âme de gladiateur, puisqu’il désespère de sa vie, il fait tout ce qu’il peut pour assouvir sa convoitise et ses désirs, comme un être voué au sacrifice] (serm. 20,3) ; desperando moriuntur, quomodo gladiatores quasi destinati ad ferrum, inhiando voluptatibus et vivendo nequiter, quasi addictas iam animas suas contemnunt [ils meurent dans le désespoir, comme des gladiateurs, se croyant condamnés à mourir par l’épée – ils se gavent de plaisirs et vivent dans le mal, méprisant leurs propres âmes comme déjà vouées [à la mort]] (serm. 339,3 ; de même in euang. Ioh. 33,8 ; in psalm. 70,1,1 ; 101,1,10 ; serm. 352A,6 ; contraster l’image du gladiateur in bonam partem, serm. 9,13). Dans la pratique, ce désespoir n’était pas seulement un état psychologique. Il se manifestait (et se comprend aisément) par le refus de se soumettre à la discipline pénitentielle rigide de l’Église (voir n. à 9,1–6), qui était le seul moyen d’obtenir le pardon des péchés graves : Quisquis ergo post baptismum aliquorum pristinorum malorum opere obligatus tenetur, usque adeone sibi inimicus est, ut adhuc dubitet vitam mutare, cum tempus est, cum ita peccat et vivit? … veniat ad antistites, per quos illi in ecclesia claves ministrantur, et tanquam bonus iam incipiens esse filius, maternorum membrorum ordine custodito, a praepositis sacramentorum accipiat satisfactionis suae modum … ut si peccatum eius, non solum in gravi eius malo, sed etiam in tanto scandalo aliorum est, atque hoc expedire utilitati ecclesiae videtur antistiti, in notitia multorum, vel etiam totius plebis agere paenitentiam non recuset [Si donc quelqu’un, après le baptême, est encore tenu enchainé pour avoir commis certains de ses anciens crimes, est-il son propre ennemi au point d’hésiter encore à changer de vie, alors qu’il est encore temps, alors qu’il pèche ainsi et reste en vie ? … Qu’il vienne aux évêques, ceux par qui les clés de l’Église lui sont offertes, et, comme s’il commençait déjà à être un bon fils, qu’il respecte l’ordre des membres maternels, [et] qu’il reçoive de ceux qui sont préposés aux sacrements la mesure de sa punition … ainsi, si son péché n’est pas seulement un mal grave pour lui-même, mais aussi un grand scandale pour les autres, et s’il semble à l’évêque que de faire ainsi serait profitable pour l’Église, qu’il ne refuse pas de faire une pénitence qui sera connue de beaucoup, ou même de tout le peuple] (serm. 351,9 ; comparer, sur les rigueurs de la pénitence, Ambroise, paen. 2,96–98, et les remarques de R. GRYSON, SChr 179, 48–50).

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Ce sont les exigences de cette discipline qui expliquent le développement d’un motif encore absent de l’Inchoata expositio : le désespoir peut s’opposer non seulement à l’espoir-vertu, mais à un espoir maléfique, qui consiste à remettre le jour de la pénitence (ou même du baptême : voir conf. 1,18 ; 9,22 ; epist. Divj. 2 ; epist. 258, et l’exemple célèbre de Constantin ; voir aussi POQUE, Un souci, 277, et n. à 16,7, postea negligenter) : Duae voces, ambae contrariae, ambae periculosae, per quas homines pereunt, sed tamen Deus neutram vocem contempsit: et hanc et illam curavit. Quae sunt illae duae voces? ‘Quare non peccem, quare non faciam quidquid volo? Quando me convertero, omnia mihi dimittuntur’. Tales sperando pereunt. Alia vox ex alia parte contraria quidem, sed aeque periculosa. ‘Quare non faciam quidquid volo, cui nulla misericordia debetur, cui nulla indulgentia dabitur? Faciam quidquid volo’. Desperando pereunt [Il y a deux voix, contraires l’une à l’autre, dangereuses toutes les deux, par lesquelles les hommes périssent. Mais Dieu n’a méprisé ni l’une ni l’autre de ces voix : il a guéri et l’une et l’autre. Quelles sont ces deux voix ? ‘Pourquoi ne pécherais-je pas ? Pourquoi ne ferais-je pas tout ce que je veux ? Quand je me convertirai, tout me sera pardonné’. Ceux-là périssent par l’espoir. L’autre voix, de l’autre côté, dit le contraire, qui est tout aussi dangereux. ‘Pourquoi ne ferais-je pas tout ce que je veux, moi à qui nulle miséricorde n’est due, à qui nul pardon ne sera donné. Je ferai tout ce que je veux’. Ils périssent par le désespoir] (serm. 352A,6. De même in euang. Ioh. 33,8). Là, on ne doute plus de la capacité de Dieu à pardonner, mais c’est plutôt sa capacité à condamner que l’on oublie. Par contre, et ici nous rejoignons bien le thème de cette partie de l’Inchoata expositio, il était du devoir de l’Église de ne pas provoquer le désespoir, en prenant le parti du diable par le refus de pardonner aux pénitents. Une vingtaine d’années après notre texte, Augustin revient à ce thème en imaginant les paroles du pénitent rejeté par l’Église : ‘Aut date mihi eundem iterum paenitendi locum aut d e s p e r a t u m me pronuntiate, ut faciam, quicquid libuerit, quantum meis opibus adiuvor et humanis legibus non prohibeor, in scortis omnique luxuria damnabili quidem apud Deum sed apud homines plerosque etiam laudabili. Aut si me ab hac nequitia revocatis, dicite, utrum mihi aliquid prosit ad vitam futuram, si in ista vita inlecebrosissimae voluptatis blandimenta contempsero, si libidinum incitamenta frenavero, si ad castigandum corpus meum multa mihi etiam licita et concessa subtraxero, si me paenitendo vehementius quam prius excruciavero, si miserabilius ingemuero, si flevero uberius, si vixero melius, si pauperes sustentavero largius, si caritate, quae cooperit multitudinem peccatorum [1 Petr. 4,8], flagravero ardentius’. Quis nostrum ita desipit, ut huic homini dicat: ‘Nihil tibi ista in posterum proderunt. Vade, saltem vitae huius suavitate perfruere’? [‘Soit vous me donnez de nouveau ce même espace pour la pénitence, soit vous déclarez que je suis un cas d é s e s p é r é , pour que je fasse tout ce qui me plaît – tant que je suis soutenu par mes richesses et ne suis pas retenu par les lois humaines – avec les prostituées et toute cette débauche qui est honteuse auprès de Dieu, mais même louable pour la majorité des hommes. Soit, si vous me rappelez de cette vie criminelle, vous me dites : aurai-je quelque chose à gagner pour la vie fu-

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ture, si, dans cette vie, j’ai méprisé les séductions de la volupté si alléchante, si j’ai retenu les aiguillons du plaisir, si, pour châtier mon corps, j’ai renoncé même à bien des choses qui me sont permises et concédées, si, par la pénitence, je me suis tourmenté encore plus violemment qu’avant, si j’ai gémi plus misérablement, si j’ai versé plus de larmes, si j’ai vécu une vie meilleure, si j’ai assisté plus généreusement les pauvres, si j’ai brûlé avec plus d’ardeur dans la charité qui recouvre une multitude de péchés ?’ Qui d’entre nous est assez insensé pour dire à cet homme : ‘Cela ne te servira à rien dans [la vie] future. Va-t’en, contente-toi seulement de la douceur de cette vie [présente]’ ?] (epist. 153,7). Voici de nouveau notre gladiateur, mais celui qui le voue à la perdition n’est plus le diable, ou sa propre méchanceté, mais (in potentia) l’Église. Sur le désespoir, voir aussi n. à 22,3, cum desperatione. 14,1 gratiae per quam peccata diluuntur, et pacis per quam reconciliamur Deo Repris de 8,4 ; voir n. ad loc. 14,1 impia atque mortifera quadam suavitate On trouve cet état de l’âme décrit de façon plus détaillée e.g. en in psalm. 6,7 : ‘Lavabo per singulas noctes lectum meum’ [Ps. 6,7]. Lectus est hoc loco appellatus ubi requiescit animus aeger et infirmus, id est in voluptate corporis et omni delectatione saeculari; quam delectationem lacrimis lavat qui sese ab illa conatur extrahere. Videt enim iam se damnare carnales concupiscentias, et tamen delectatione tenetur infirmitas, et in ea libenter iacet, unde surgere nisi sanus animus non potest [‘Je laverai mon lit chaque nuit’. Ici est appelé ‘lit’ [l’endroit] où l’âme malade et infirme se repose, à savoir dans la volupté du corps et toute la jouissance du monde. Cette jouissance, il la lave avec ses larmes, celui qui tente de s’en extraire. Car il voit qu’il condamne déjà les désirs charnels, et son infirmité est néanmoins retenue par la jouissance, et il se couche volontairement sur elle, d’où l’âme ne peut se lever à moins d’être saine]. Mais il n’est nul besoin d’aligner les parallèles en traitant d’un des topoi les plus établis dans la littérature morale de l’Antiquité, et sans doute de tous les temps. Pour Augustin, toutefois, la douceur (suavitas) du péché ne tient pas seulement au plaisir sensuel, mais, selon sa lecture de Paul, au fait même qu’il soit interdit : Quod autem ait ‘Peccatum enim, occasione accepta per mandatum, fefellit me et per illud occidit’ [Rom. 7,11], ideo dictum est, quia desiderii prohibiti fructus dulcior est. Unde etiam quaecumque peccata occulte fiunt, dulciora sunt, quamvis mortifera ista dulcedo sit [Quand il dit ‘en effet, le péché, ayant reçu l’occasion par le commandement, m’a trompé, et m’a tué à travers lui’, c’est dit parce que le fruit du désir interdit est plus doux. C’est pourquoi, aussi, tous les péchés qui sont commis secrètement sont plus doux, bien que cette douceur soit mortelle] (in Rom. 32). L’exemple le plus célèbre est son analyse de sa propre motivation quand il vola des poires : Id furatus sum, quod mihi abundabat et multo melius, nec ea re volebam frui quam furto appetebam, sed ipso furto et peccato [J’ai volé ce que j’avais en abondance, et de bien

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meilleures, et je ne voulais pas jouir de la chose que je cherchais à obtenir par le vol, mais du vol et du péché eux-mêmes] (conf. 2,9). Augustin applique souvent l’adjectif mortifer aux plaisirs du péché : mortifera suavitate se retrouve en conf. 6,21, puis nous avons deliciis … mortiferis [délices … mortels] (conf. 13,29 ; cf. gen. ad litt. 11,59) ; mortiferarum voluptatum [des voluptés … mortelles] (epist. 26,6 ; cf. gen. ad litt. 11,7 ; in psalm. 15,5 ; quaest. Simpl. 1,1,7. Déjà chez Cyprien, De habitu virginum 21 ; Lactance, Divinae institutiones 4,26,20 ; De ira Dei 26) ; mortiferis et nefariis turpitudinibus [débauches mortelles et criminelles] (epist. 6,7, de la fornication) ; mortifera iucunditate [joie mortelle] (doctr. christ. 2,20) ; mortifera … dulcedo [douceur mortelle] (in Rom. 32) ; delectatione mortifera [jouissance mortelle] (in psalm. 9,17 ; cf. in psalm. 106,4 ; serm. 87,11 ; 143,1) ; mortiferarum seductionum [séductions mortelles] (serm. 260B,3). Il ne s’agit nullement d’une métaphore : ces péchés apportent (ferre) la mort de l’âme. C’est le peccatum mortiferum [péché mortel] de Num. 18,22 (voir in Rom. 32 ; in euang. Ioh. 26,11 ; fid. et op. 36 ; serm. 71,7 ; 181,8 ; 351,9). 14,2–8 Le blasphème et le sens des mots Ce passage appartient aux réflexions d’Augustin sur le rapport entre les mots et ce qu’ils signifient, ou, pour utiliser sa propre terminologie, qui couvre un champ encore plus large, entre signa [signes] et res [choses] (significet, 14,3 ; rerum, 14,3 ; res ipsa, 14,4.7 ; aliam … rem, eam rem, 14,5). Ses exposés les mieux connus de ces idées sont dans le De magistro et De doctrina christiana, mais on y trouve déjà de multiples allusions dans les œuvres d’avant l’épiscopat autres que mag. (ord. 2,35.39 ; soliloq. 2,3 ; quant. anim. 10.65 ; mus. 3,3 ; in psalm. 9,11 ; voir aussi n. à 13,1, responsum est). On a beaucoup écrit sur signa et res : pour une étude générale du développement de cette distinction, voir MAYER, Die Zeichen (qui ne prend pas en compte notre passage) ; pour une présentation plus concise, et une notice bibliographique, voir BA 11/2, 483–495 ; pour une mise aux point sur les sources (et une réponse aux critiques de Wittgenstein) voir G. WATSON, Saint Augustine’s Theory of Language, dans : R. LEO ENOS, et al. (éds.), The Rhetoric of Saint Augustine of Hippo, Waco TX 2008, 247–266. Malgré un modèle qui sépare totalement mots et choses, Augustin se montre parfois conscient du rôle que jouent les signa pour constituer les res tels que nous les percevons : Innumerabilibus enim modis eaedem res et appellari et d i v i d i possunt [En effet, des choses identiques peuvent être nommées et divisées d’innombrables façons [différentes]] (quant. anim. 79 ; sur ce problème, voir R. A. MARKUS, St. Augustine on Signs, Phronesis 2 [1957], 60–83). Pourquoi Augustin s’est-il servi de ces idées ici ? D’abord, le blasphème étant a priori affaire de paroles (voir la définition traditionnelle en mor. Manich. 20 : Est autem blasphemia, cum aliqua mala dicuntur de bonis. Itaque iam vulgo blasphemia non accipitur nisi mala verba de Deo [Le blasphème, c’est quand on dit du mal d’un bien. C’est pourquoi, dans la langue courante, on n’utilise plus ‘blasphème’ sauf pour ‘dire des paroles mauvaises sur Dieu’] ; et comparer 14,7, per vocem proposi-

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tum), il pouvait s’en former une conception assez superstitieuse, selon laquelle le fait même de prononcer certains mots attirerait une malédiction par un engrenage occulte. C’est ainsi, par exemple, que dans la tradition religieuse romaine, on pensait que des erreurs dans l’emploi des formules liturgiques pouvaient avoir des conséquences néfastes (voir M. BEARD – J. NORTH – S. PRICE, Religions of Rome, t. 1, Cambridge 1998, 32). De telles croyances ne sont pas entièrement étrangères au christianisme, qui a ses propres textes liturgiques, et où, en particulier, l’efficacité de l’activité sacramentelle du prêtre dépend des mots employés, et non des pensées de celui qui les prononce. Mais Augustin explique ce dernier fait par un choix libre de Dieu, plutôt qu’une puissance intrinsèque des mots (divers. quaest. 79,4). Faire de l’articulation de certains mots un acte puissant en soi ne pouvait seoir au Dieu qui exigeait un culte en esprit et en vérité. D’autre part, le risque de blasphémer à la suite d’un faux jugement sur le Dieu des chrétiens était réel, puisque l’ignare (imperito, 14,7) qui voulait s’informer sur la foi était exposé non seulement à la prédication de l’Église, mais aux mensonges des hérétiques et des païens (pour lesquels, voir n. à 15,2, iam ferro). Le cas de celui qui est trompé parce qu’il ne parle pas latin est un reflet exagéré de telles conversations. C’est pourquoi la fausse interprétation de Spiritus sanctus est présentée par un deceptore vel irrisore impio (14,3). Ce dialogue imaginaire rappelle surtout des conversations similaires entre ignares et hérétiques : sicut in isto capitulo faciunt [sc. les Manichéens], quod ab apostolo scriptum est: ‘rectores harum tenebrarum, et spiritalia nequitiae in caelestibus’ [Eph. 6,12]. Quaerunt enim d e c e p t o r e s illi et interrogant hominem scripturas divinas non intellegentem, unde sint in caelo rectores tenebrarum, ut, cum respondere non potuerit, traducatur ab eis per curiositatem [comme ils le font dans ce passage où il est écrit par l’apôtre : ‘les régisseurs de ces ténèbres et les esprits du mal dans les espaces célestes’. En effet, ces m e n t e u r s cherchent et demandent de l’homme qui ne comprend pas les Écritures divines, pourquoi il y a des régisseurs des ténèbres dans le ciel, pour que, quand il n’aura pas pu répondre, il soit séduit par eux par le biais de la curiosité] (agon. 4). Voir aussi Rufin, Histoire Ecclésiastique 10,22 (sur le Concile de Rimini en 359) : Callidi homines et versuti simplices et inperitos occidentalium sacerdotes facile circumveniunt, hoc modo proponendo eis, quem magis colere et adorare vellent, homousion an Christum. Illisque virtutem verbi, quid homousion significaret, ignorantibus velut in fastidium quoddam et execrationem sermo deductus est, Christo se credere non homousio confirmantibus [Les hommes rusés et habiles ont facilement trompé les évêques simples et incultes des occidentaux, en leur demandant comme suit : Qui est-ce qu’il voulaient plutôt honorer et adorer, le ‘homousion’ [i.e. « même substance »] ou le Christ ? Et, puisqu’ils ignoraient le sens du mot, ce que ‘homousion’ signifiait, leur discours en est venu presque au dégoût et à l’imprécation, quand ils confirmaient qu’ils croyaient au Christ, et non pas au ‘homousion’]. Terminons avec l’exemple d’Augustin lui-même, face aux critiques manichéennes de l’Ancient Testament : Quasi acutule movebar, ut suffragarer stultis d e c e p t o r i b u s , cum a me quaererent, unde

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malum et utrum forma corporea Deus finiretur et haberet capillos et ungues et utrum iusti existimandi essent qui haberent uxores multas simul et occiderent homines et sacrificarent de animalibus [J’étais poussé, comme par un aiguillon, à m’accorder avec ces m e n t e u r s stupides, quand ils me demandaient d’où venait le mal, et si Dieu était limité par une forme corporelle, et s’il avait des cheveux et des ongles, et si l’on devait considérer comme justes ceux qui avaient beaucoup de femmes en même temps et qui tuaient des hommes et sacrifiaient des parties d’animaux] (conf. 3,12). Dans de telles conditions, le blasphémateur ignare est au fond justifié, puisqu’il blasphème quodlibet vile et abiectum (14,3). Mais, quand il reformule sa pensée en 14,6, Augustin ne nous permet plus de penser aux hérétiques. L’imperitus n’y est plus le disciple, mais le maître, et l’Esprit Saint n’est plus identifié comme étant vile et abiectum, mais comme étant le Christ, décrit correctement selon les formules des symboles de la foi. MARA (L’interpretazione, 237s.) identifie une allusion aux doctrines non orthodoxes sur la filiation de l’Esprit. Il convient plutôt de constater la volonté d’Augustin de mener jusqu’au bout sa réflexion sur la péricope de l’Évangile, même si sa conclusion, en limitant la portée du blasphème contre Jésus, a de quoi choquer. En même temps, Augustin répond implicitement à ceux qui voulaient définir le blasphème impardonnable en termes d’erreurs christologiques (voir n. à 14,1, Le blasphème). Mais, en précisant les informations fournies au deuxième blasphémateur, Augustin expose, peut-être inconsciemment, un problème dans cette approche du blasphème, qui est celui de la définition. Augustin avait commencé son exposé avec aliquem latinae linguae ignarum (13,3), et il se sert souvent de la diversité des langues pour rendre claire sa pensée sur la différence entre le signifiant et le signifié (conf. 10,29 ; serm. 260C,2 ; 288,3 ; 293A(augm),7 ; catech. rud. 3 ; voir BA 11/2, 490s.). Mais, surtout en matière de religion, l’ignorance d’une langue est très loin d’être la seule cause de l’incompréhension. On peut très bien connaitre le latin, et ne pas du tout savoir ce que signifie Spiritus sanctus pour les chrétiens, tout comme on peut comprendre tous les mots employés du Christ en 13,6, et rester très loin d’une compréhension de la foi chrétienne en lui : Quaerentem quippe animam ubi figat spem, cum ab hoc mundo avellitur, opportune excipit cognitio nominis Dei [Ps. 9,11]: nam nomen ipsum Dei usquequaque vulgatum est; sed cognitio nominis est, cum ille cognoscitur cuius est nomen [En effet, quand l’âme cherche où placer son espoir, quand elle est arrachée de ce monde, la connaissance du nom de Dieu l’accueille au bon moment : car le nom même de Dieu est répandu partout ; mais la connaissance du nom, c’est quand on connait celui à qui le nom appartient] (in psalm. 9,11). Le langage occupe ici un rôle paradoxal. D’un côté, il est absolument incapable de décrire Dieu de façon adéquate (voir n. à. 11,1s. et, bien avant Augustin, Novatien, De Trinitate 4,10). De l’autre, il nous a été donné précisément pour parler de Dieu : Diximusne aliquid et sonuimus aliquid dignum Deo? … ne ineffabilis quidem dicendus est Deus, quia et hoc cum dicitur, aliquid dicitur … Et tamen Deus, cum de illo nihil digne dici possit, admisit humanae vocis obsequium, et verbis nostris in laude

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sua gaudere nos voluit. Nam inde est et quod dicitur ‘Deus’. Non enim revera in strepitu istarum duarum syllabarum ipse cognoscitur, sed tamen omnes latinae linguae socios, cum aures eorum sonus iste tetigerit, movet ad cogitandam excellentissimam quandam inmortalemque naturam [Avons-nous dit quelque chose et prononcé quelque chose digne de Dieu ? … On ne peut même pas dire que Dieu est indicible, parce que même quand on dit cela, on dit quelque chose … Et pourtant Dieu, bien que rien de digne ne puisse être dit de lui, a accepté l’hommage de la voix humaine, et a voulu que nous nous réjouissions de nos propres mots, [employés] à sa louange. Effectivement, c’est même pour cela qu’il est appelé ‘Dieu’ (Deus). Car il n’est pas véritablement connu en lui-même par le bruit de ces deux syllabes, mais, néanmoins, pour tous ceux qui ont part à la langue latine, quand ce son atteint leurs oreilles, il les pousse à considérer une certaine nature au-dessus de tout et immortelle] (doctr. christ. 1,13s.). Cette conception de excellentissimam quandam inmortalemque naturam n’est pas ici réservée aux chrétiens, puisqu’elle appartient à omnes latinae linguae socios (sur ce thème voir serm. 288,3 ; 293A (augm),7, et déjà Tertullien, apol. 27, et la n. ad loc. dans l’édition de J. E. B. MAYOR et A. SOUTER, Cambridge 1917). Le langage ne donne pas cette conception, mais l’évoque : elle est déjà à l’intérieur de tous les hommes. Une idée similaire sur la locution Spiritus sanctus semble être impliquée dans notre passage de l’Inchoata expositio. Mais comment fonctionnent ces processus d’évocation ? Et comment aller plus loin, s’instruire dans la foi chrétienne ? Prima facie, cette instruction-là au moins doit passer par le langage. Les deux questions ont une même réponse dans le De magistro : nous pouvons apprendre / reconnaitre ce que sont les choses invisibles par les verba du langage dans le mesure où le Verbum-Vérité, le Christ, à l’intérieur de nous agit pour nous en rendre capable : Cum vero de his agitur quae mente conspicimus, id est intellectu atque ratione, ea quidem loquimur quae praesentia contuemur in illa interiore luce veritatis, qua ipse qui dicitur homo interior [2 Cor. 4,16] illustratur et fruitur. Sed tum quoque noster auditor, si et ipse illa secreto ac simplici oculo [Mt. 6,22] videt, novit quod dico sua contemplatione, non verbis meis. Ergo ne hunc quidem doceo vera dicens, vera intuentem. Docetur enim non verbis meis, sed ipsis rebus, Deo intus pandente, manifestis [Mais quand il s’agit de ce que nous percevons par l’esprit, c’est-àdire par l’intelligence et la raison, nous parlons de ce que nous voyons comme présent dans cette lumière intérieure de la vérité, par laquelle l’homme qui est dit ‘intérieur’ est illuminé et se nourrit. Mais alors notre auditeur lui aussi, s’il voit de même ces choses avec son œil secret et simple, il comprend ce que je dis par sa propre contemplation, et non pas par mes paroles. Donc, même celui-là, je ne l’enseigne pas, en disant la vérité alors qu’il voit la vérité. Il est enseigné, en effet, non pas par mes paroles, mais par les choses elles-mêmes, rendues manifestes, puisque Dieu les révèle à l’intérieur de lui] (mag. 40 ; pour l’analogie entre les deux Verbes, voir en particulier fid. et symb. 3 ; pour la conciliation de cette vision avec l’Incarnation,

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voir n. à 4,1, nam simulacris ; 18,7, Corneille, et MAYER, Die Zeichen, t. 2, 203–278. L’Incarnation est signe, et en fin de compte, tout l’univers créé est signe). À ce stade, on se demande si le blasphème, tel qu’il est présenté dans notre passage de l’Inchoata expositio, est vraiment possible. Seul celui qui sait ce que signifie Spiritus sanctus peut blasphémer contre l’Esprit. Mais un tel savoir, semble-t-il, ne peut être acquis que par l’instruction du Christ, et ne peut donc être complet que quand cette instruction l’est aussi. Or ceci ne pourra arriver que dans l’autre monde, quand nous verrons Dieu face à face, et alors, évidemment, plus personne ne voudra blasphémer. Ce problème n’est pas pleinement abordé dans l’Inchoata expositio, mais il trouve une sorte de résolution en 21,1s., où Augustin indique qu’une science partielle est suffisante pour se rendre coupable du blasphème. Le problème fait partie aussi de la question plus large du péché d’ignorance, sur laquelle voir n. à 16,2. Du reste, tout ce passage sur blasphème et langage constitue une digression dans l’Inchoata expositio, puisque, comme il l’a déjà signalé en 14,1, et comme il l’expliquera en détail en 23,8–12 (voir n. ad loc.), pour Augustin ici, le blasphème impardonnable contre l’Esprit Saint est tout autre chose que des paroles prononcées à un moment donné. 14,6 filium hominis, sicut et vocari et esse dignatus est La première exégèse augustinienne de filius hominis semble être celle de in Rom. 51 : Dominum nostrum et secundum susceptionem carnis filium hominis confitemur, et secundum aeternitatem verbum in principio Deum benedictum super omnes in saecula [Rom. 9,5] [Nous confessons notre Seigneur à la fois, selon son assomption de la chair, comme fils de l’homme, et, selon l’éternité, comme le Verbe-Dieu au commencement, béni par-dessus tous pour les siècles [des siècles]]. Il comprend donc le titre comme faisant référence à l’Incarnation, en contraste avec Filius Dei. Il restera toujours fidèle à cette interprétation (voir AugLex s.v. filia / filius, II.2.c), qui est celle de tous les Pères, depuis Ignace d’Antioche (voir TWNT s.v. ὁ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου, D.III, et ajouter Origène, hom. in Ezech. 1,4, et, parmi les premiers témoignages de l’Église latine, Tertullien, adv. Prax. 21 : ‘quia filius hominis est’ [Io. 5,27] – per carnem scilicet, sicut et Filius Dei per Spiritum eius [‘parce qu’il est le fils de l’homme’ – à savoir par la chair, tout comme [il est] aussi Fils de Dieu par l’Esprit] ; ibid. 27 ; Novatien, trin. 11 : Qui legunt ergo hominis filium hominem Christum Iesum, legant eundem hunc et Deum et Dei Filium [Donc, ceux qui lisent que l’homme Jésus Christ est le fils de l’homme, qu’ils lisent aussi que le même est et Dieu et Fils de Dieu]). Cette doctrine orthodoxe s’était développée en contraste avec les enseignements gnostiques, selon lesquels le Fils de l’Homme était une émanation du monde immatériel, plus ou moins identifiée avec le Christ (voir F. H. BORSCH, The Christian and Gnostic Son of Man, London 1970, 58–110). De même, la doctrine augustinienne opposera le Fils de l’Homme incarné au Fils de l’Homme manichéen,

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le Christ comme émanation du Premier Homme de leur cosmologie (voir c. Faust. 2,3s.). Pour une réflexion plus détaillée, de l’époque de l’Inchoata expositio, sur le titre « fils de l’homme », voir l’exégèse de Ps. 8,5 (Quid est homo, quia memor es eius; aut filius hominis, quoniam tu visitas eum? [Qu’est-ce que l’homme, pour que tu te souviennes de lui, ou le fils de l’homme, pour que tu lui rendes visite ?]) en in psalm. 8,10s. : Licet attendere atque dispicere, quid hoc loco inter hominem et filium hominis distet, ut qui ‘portant imaginem terreni hominis’, qui non est filius hominis, hominum nomine significentur; qui autem ‘portant imaginem caelestis hominis’ [1 Cor. 15,49] filii hominum potius appellentur … Filius igitur hominis primo visitatus est in ipso homine Dominico, nato ex Maria virgine [Faisons attention, et notons quelle est la différence ici entre l’homme et le fils de l’homme. Ainsi, ceux qui ‘portent l’image de l’homme terrestre’, qui n’est pas le fils de l’homme, sont indiqués sous le nom d’ ‘hommes’, mais ceux qui ‘portent l’image de l’homme céleste’ sont plutôt appelés ‘fils des hommes’ … La première visite a donc été rendue au fils de l’homme dans l’hommeSeigneur lui-même, né de la vierge Marie]. Donc, non seulement le titre associe le Christ à nous, mais il nous associe à lui. C’est ce qu’Augustin aime dire de façon plus simple dans la prédication : in se, Filio Dei et filio hominis, filios Dei faciens filios hominum [en lui-même, [qui est] Fils de Dieu et fils de l’homme, il transforme les fils des hommes en fils de Dieu] (serm. 260C,6 . De même serm. 121,5 ; 263A,2). 15,2 pagani qui appellantur Augustin présente paganus au sens de « païen » comme appartenant au langage courant. En effet, cet emploi du mot n’apparait que dans la deuxième moitié du 4ème siècle, sans que l’on en sache avec certitude l’origine, ni à l’époque, ni de nos jours. Ambroise et Jérôme, généralement plus corrects qu’Augustin, ne s’en servent pas (pour ces informations, voir ThLL s.v. paganus, II.1s., et, pour une mise au point, R. LIZZI TESTA, When the Romans became pagani, dans : LIZZI TESTA (éd.), The Strange Death of Pagan Rome, Turnhout 2013, 31–51). Sur LLTA, on trouve environ 450 exemples du mot chez Augustin, toujours avec le sens de « païen ». Il est très rare que, comme ici, il s’excuse de l’employer. La remarque de l’Inchoata expositio est reprise en serm. 71,5 (ipsi qui p a g a n i appellantur [ceux qui sont appelés ‘païens’]) et on trouve une locution similaire en civ. 9,19 (qui p a g a n i appellantur [qui sont appelés ‘païens’]). Ensuite, dans deux textes qui font référence à civ., Augustin parle de infidelium, quos vel gentiles vel iam vulgo usitato vocabulo p a g a n o s appellare consuevimus [les infidèles, que nous avons coutume d’appeler soit ‘gentils’, soit ‘païens’, un mot déjà beaucoup employé dans l’usage courant] (epist. 184A,5, repris en retract. 2,43). Mais, dans tous les autres cas, il emploie le mot sans faire de remarque. Néanmoins, Augustin a toujours senti cet emploi comme quelque peu abusif. En effet, ThLL (loc. cit.) note qu’il s’en sert « maxime in sermonibus, ubi multo rarius invenitur ‘gentilis’, quae vox in ceteris operibus praevalere videtur » [surtout dans

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les sermons, où l’on trouve bien moins souvent ‘gentil’, le mot qui semble dominer dans les autres œuvres]. En effet, des 450 exemples mentionnés ci-dessus, 292 viennent de la prédication (sermones + in psalm. + in euang. Ioh. + in epist. Ioh. ; mais il est vrai que ni tout in psalm. ni tout in euang. Ioh. ne furent prêchés). De plus, 45 exemples viennent de c. Faust., où Augustin se sert du mot parce que Faustus l’avait fait (c. Faust. 13,1 ; 20,1–4 ; 33,2 ; cf. n. à 22,1). Par contraste, dans la grande majorité de ses écrits rédigés, Augustin n’emploie jamais paganus. 15,2 iam ferro et caedibus prohibentur Pour l’évolution de la pensée augustinienne sur l’empire chrétien, voir MARKUS, Saeculum, 29–44. Markus montre qu’à l’époque de l’Inchoata expositio Augustin a partagé et développé le point de vue triomphaliste d’Eusèbe, et pensait donc que la christianisation de l’empire marquait une étape importante dans l’accomplissement du plan divin. Il s’est graduellement dégagé de cette lecture de l’histoire, pour en arriver, dans civ., à sa vision complexe de la séparation entre civitas terrena [cité terrestre] et civitas Dei [cité de Dieu]. Mais il ne s’ensuit pas que l’hostilité à l’empire chrétien qui éclata au sac de Rome, et provoqua l’écriture de civ., eut de quoi surprendre Augustin. Au contraire, même dans ses années d’optimisme sur cet empire, il a souvent affirmé que les païens qui restaient n’avaient rien perdu de leur haine, que la bataille ferro et caedibus des premiers siècles avait été remplacée par une bataille de mots. Voir, dans ce sens in psalm. 6,12 : Quod autem dicit: ‘Erubescant et conturbentur’ [Ps. 6,11], non video quemadmodum evenire possit, nisi in illo die cum manifesta fuerint iustorum praemia et supplicia peccatorum. Nam nunc usque adeo non erubescunt impii, ut nobis insultare non desinant, et plerumque tantum valent irrisionibus suis, ut infirmos homines de Christi nomine erubescere faciant [Mais quand il dit ‘qu’ils rougissent et qu’ils se troublent’, je ne vois pas comment cela peut arriver, si ce n’est au jour où seront manifestes les récompenses des justes et les supplices des pécheurs. En effet, pour le moment, les impies sont si loin de rougir, qu’ils ne cessent de nous insulter, et très souvent ils ont tant de succès avec leur moquerie, qu’ils font que les hommes faibles rougissent du nom du Christ] ; in psalm. 10,4 : Potest ergo et de persecutoribus martyrum intellegi, quod sagittare voluerint in obscura luna rectos corde [Ps. 10,3], sive adhuc in ecclesiae novitate, quia nondum terris maior effulserat, et gentilium superstitionum tenebras vicerat, sive linguis blasphemorum et christianum nomen male diffamantium, quasi nebulis cum terra obtegeretur videri perspicua luna non poterat, id est ecclesia [On peut donc aussi comprendre cela des persécuteurs des martyrs, puisqu’ils voulaient tirer des flèches sous la lune obscure sur ceux au cœur droit, que ce soit quand l’Église était encore nouvelle, puisqu’elle n’avait pas encore grandi pour resplendir sur la terre, et n’avait pas vaincu les ténèbres des superstitions païennes, ou que ce soit à propos des langues des blasphémateurs, qui diffamaient méchamment le nom chrétien, quand la terre était comme recouverte de brouillard, et la lune, c’est-à-dire l’Église, ne pouvait se voir

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pleinement]; in Gal. 51 : Idolorum autem servitus [Gal. 5,20] ultima fornicatio est animae, propter quam etiam bellum adversus evangelium cum reconciliatis Deo furiosissimum gestum est, cuius reliquiae quamvis tepidae diu adhuc tamen recalent [Mais l’idolâtrie est la fornication ultime de l’âme. C’est à cause d’elle, aussi, que l’on a fait la guerre, avec une furie extrême, contre l’Évangile et les hommes réconciliés à Dieu. Les restes de cette [guerre], bien qu’ils soient depuis longtemps tièdes, se réchauffent toutefois encore]. Cette évaluation de l’attitude païenne n’a d’ailleurs rien d’unique. Voir, par exemple, Rufin, Histoire ecclésiastique 11,22 (sur les violence anti-chrétiennes à Alexandrie sous Théodose) : Novi motus et contra temporum fidem adversum ecclesiam concitantur … gentiles … nec vocibus iam et seditionibus, ut solebant, sed manu ferroque decertare nituntur [De nouveaux mouvements, s’opposant à la foi de l’époque, s’élèvent contre l’Église … les gentils … ne tentent plus de lutter avec des paroles et des séditions, selon leur habitude passée, mais avec leurs mains et leurs épées] ; Prudence, Contra Symmachum 1,653s. : nostra fides saeclo iam tuta quieto / viribus infestis hostilique arte petita est [Notre foi, déjà en sécurité dans ce siècle tranquille, fut attaquée par des puissances ennemies et un stratagème hostile]. Mais ce dernier texte, en faisant référence au discours de Symmache sur l’autel de la Victoire, rappelle aussi que (fût-ce par prudence ou par ouverture d’esprit) les réflexions païennes sur le christianisme ne comportaient pas forcément toute la hargne que les chrétiens prétendaient y voir. De même, quoi qu’il dise du discours anti-chrétien ambiant, ce n’est qu’après le sac de Rome qu’Augustin a senti dans ce discours une menace assez vivante pour exiger une réplique dans le genre apologétique, un texte ad et adversus nationes. Avant civ., il a plutôt tendance à réduire l’importance du discours païen. C’est ainsi que dans l’exposé de sa vision optimiste de l’empire dans cons. euang. 1, le propos anti-chrétien est bien présent, mais l’accent est mis sur sa faiblesse : Christiana religio disseminata per mundum tanta fertilitate provenit, ut homines infideles iam inter se ipsos calumnias suas mussitare vix audeant, compressi fide gentium et omnium devotione populorum [La religion chrétienne, disséminée de par le monde, croît si fertilement, que désormais les hommes infidèles osent à peine murmurer entre eux leurs calomnies, écrasés par la foi des nations et la dévotion des tous les peuples] (1,10) ; istis iam paucissimis nec iam obpugnantibus sed tamen adhuc mussitantibus [ils sont déjà très peu nombreux, et déjà ils n’attaquent plus, bien qu’ils murmurent encore] (1,24 ; voir aussi n. à 4,4). Et ailleurs il dira même que les hérétiques ont maintenant pris la relève des païens dans le rôle de persécuteurs de l’Église : Prima enim persecutio ecclesiae violenta fuit, cum proscriptionibus, tormentis, caedibus christiani ad sacrificandum cogerentur. Altera persecutio fraudulenta est, quae nunc per huiuscemodi haereticos et falsos fratres agitur [En effet, la première persécution de l’Église fut violente, quand, par la proscription, les tortures, les tueries, on forçait les chrétiens à sacrifier. La seconde persécution est mensongère, celle qui, de nos jours, est menée par ce genre d’hérétiques et par les faux frères] (in psalm. 9,27) ; non debemus nos christiani et episcopi unitatem disrumpere

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christianam, quam iam paganus non insequitur inimicus [Nous les chrétiens et les évêques, nous ne devons pas rompre l’unité chrétienne, que l’ennemi païen, déjà, n’attaque plus] (epist. 43,8). Mais il faut ici faire la part de la polémique : il est douteux qu’Augustin ait jamais cru que les païens pouvaient disparaitre entièrement (voir quaest. euang. 2,13 : Quod autem in stagnum praecipitati sunt [sc. les porcs de Lc. 8,33], significat quod iam clarificata ecclesia et liberato populo gentium a dominatione daemoniorum in abditis agunt sacrilegos ritus suos qui Christo credere noluerunt [Qu’ils se sont jetés dans le lac, cela signifie qu’après la glorification de l’Église et la libération du peuple païen de la domination des démons, ceux qui n’ont pas voulu croire au Christ pratiquent dans le secret leurs rites sacrilèges]). 15,3 de ipso Deo Patre La distinction établie place d’un côté des croyances fortement polythéistes, où l’on retrouverait difficilement un parallèle avec le Dieu suprême des chrétiens : Si dixero pagano ‘Ubi est deus tuus?’ ostendet mihi idola. Si fregero idolum, ostendet montem, ostendet arborem, ostendet vilem de flumine lapidem … ‘Ecce’, inquit digitum intendens, ‘ecce est deus meus’. Cum irrisero lapidem, cum abstulero, cum fregero, cum proiecero, cum contempsero, intendit digitum ad solem, ad lunam, intendit ad quamlibet stellam: illam vocat Saturnum, illam Mercurium, illam Iovem, illam Venerem. Quicquid voluerit, quocumque digitum intenderit, respondet mihi: ‘Ecce est deus meus’. Et quia video solem, et frangere non possum, sidera non possum deicere, caelum non possum evertere, quasi superior sibi videtur visibilia demonstrando, et digitum extendendo ad quod voluerit, et dicendo: ‘Ecce est deus meus’. Et ad me se convertit dicens: ‘Ubi est deus tuus?’ [Si je dis à un païen ‘Où est ton dieu ?’ il me montrera des idoles. Si je brise l’idole, il montrera une montagne, il montrera un arbre, il montrera la pierre vile d’un fleuve … ‘Voilà’, dit-il, pointant du doigt, ‘voilà mon dieu’. Quand je me serai moqué de la pierre, quand je l’ aurai enlevée, quand je l’aurai brisée, quand je l’aurai jetée au loin, quand je l’aurai méprisée, il pointera du doigt vers le soleil, vers la lune, il pointera vers une étoile quelconque : celle-là, il l’appellera Saturne, celle-là Mercure, celle-là Jupiter, celle-là Vénus. Quoi qu’il veuille, où qu’il pointe du doigt, il me répond : ‘Voilà mon dieu’. Et, parce que je vois le soleil et je ne peux pas le briser, je ne peux pas jeter à bas les étoiles, je ne peux pas renverser le ciel, il lui semblera qu’il est [m’]est supérieur quand il montre des choses visibles, et quand il pointe du doigt vers ce qu’il veut, et quand il dit : ‘Voilà mon dieu’. Et il se tourne vers moi en disant : ‘Où est ton Dieu ?’] (serm. 223A,4). De l’autre côté, il faut placer des croyances plus liées à la philosophie, qui organisaient la multiplicité des dieux sous le règne d’un dieu suprême, et qui permettaient ainsi une controverse avec les chrétiens sur base de présupposés similaires, sinon identiques : Unde etiam nunc pagani, quos iam declarata veritas de contumacia magis quam de ignorantia convincit, cum a nobis discutiuntur, non se plures deos sequi sed sub uno deo magno plures ministros venerari fatentur [Ainsi, même de nos jours, les païens – que la vérité, déjà révélée, convainc plus

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d’obstination que d’ignorance – quand ils sont interrogés par nous, professent qu’ils n’honorent pas plusieurs dieux, mais qu’ils vénèrent plusieurs ministres sous un seul grand dieu] (Orose, hist. 6,1,3 ; cf. Prudence, Apotheosis 186–216). Pour ces croyances, voir Der Neue Pauly s.v. Monotheismus, IV, et pour la réaction, largement négative, d’Augustin, voir n. à 4,1, ‘les prophètes’ (c), et tout les livres 9 et 10 de civ. Ce polythéisme hiérarchique pouvait donner le titre de « père » au Dieu suprême, puisque ce titre appartenait déjà traditionnellement, et notamment chez les poètes, à Zeus / Jupiter (voir RE s.v. pater, 1), ce que n’ont pas manqué de noter certains des premiers apologistes : voir Justin Martyr, Apol. 1,22 ; Minucius Felix 19, avec les commentaires d’A. WARTELLE (Paris 1987) et J. BEAUJEU (Paris 1964) ad loc. respectivement (mais le renvoi de ces auteurs à Clément d’Alexandrie, Protreptique 32 est trompeur, puisque Clément ironise sur le titre πατὴρ ἀνδρῶν τε θεῶν τε [père et des hommes et des dieux] que Justin et Minucius voudraient assimiler au Dieu chrétien). Pour le début de la rencontre des Pères avec les idées païennes d’un dieu suprême, voir MORESCHINI, Storia, 29–37 et N. ZEEGERS-VANDER VORST, Les citations de poètes grecs chez les apologistes chrétiens du IIème siècle, Louvain 1972, 230–239. L’érudition moderne tend à donner raison au scepticisme d’Augustin : « radikaler Monotheismus war der paganen Antike fremd » (Der Neue Pauly s.v. Monotheismus, IV ; voir aussi A. J. FESTUGIÈRE, Études de religion grecque et hellénistique, Paris 1972, 9–12). 15,3 fingendo … sua figmenta Ces mots recouvrent les mêmes notions augustiniennes que phantasmata, dont nous avons discuté n. à 4,1, nam simulacris : fingo désigne d’abord ce que fabriquent les mains, donc l’idole, puis ce que fabrique l’esprit (→ français « fiction »), donc la fausse croyance. De plus, dès l’époque classique, fingere est très fréquemment employé pour désigner les « fictions » des poètes, et plus particulièrement leurs inventions à propos des dieux, qui entrent particulièrement en jeu ici (voir n. précédente). Voir les nombreux exemples à ThLL s.v. fingere, II.C, et en particulier Cicéron, Tusculanes 1,65, cité à conf. 1,25 ; civ. 4,26 : F i n g e b a t haec Homerus et humana ad deos transferebat: divina mallem ad nos [Homère i n v e n t a i t ces choses, et transférait les traits humains aux dieux : j’aurais préféré qu’il transférât les traits divins à nous]. La fausse image du Père est bien entendu à contraster avec la seule voie qui conduit à la vraie connaissance de lui, le Christ : per ipsum Patrem Deum (13,4). 15,3 quanto possunt furore impietatis oblatrant Augustin, se concevant toujours, sur le modèle de Paul (voir. n. à 6,1, tamquam enim meritis), comme ayant été lui-même ennemi du christianisme, avait usé de termes similaires pour parler de son propre passé : Ego itaque diu multumque considerans quales oblatrantes, et quales quaerentes expertus sim, vel qualis ipse, sive cum latra-

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rem, sive cum quaererem, fuerim … [Donc, ayant moi-même considéré longuement et beaucoup quel genre d’aboyeurs et quel genre de chercheurs j’avais rencontrés, et quel genre d’homme je fus moi-même, quand j’aboyais, ou quand je cherchais … ] (vera relig. 56). 15,4 summoque et vero imperatori militandum L’image de la vie chrétienne comme service et combat militaires, qui a ses racines chez Paul, est omniprésente dans le christianisme antique, dans un univers où la guerre était une réalité inéluctable. Voir J.-M. HORNUS, tr. A. KREIDER et O. COBURN, It Is Not Lawful for Me to Fight, Scottdale PA 1980, 68–80 ; pour l’arrière-plan philosophique, H. EDMONDS, Geistlicher Kriegsdienst, Darmstadt 1963 ; pour imperator comme titre du Christ / de Dieu, ThLL s.v. III.B.b ; Blaise s.v. 2–3 ; H. CANCIK, Christus Imperator, dans : H. VON STIETENCRON (éd.), Der Name Gottes, Düsseldorf 1975, 112–130. Pour l’image militaire chez Augustin, voir AugLex s.v. miles, 3 ; militia christiana, mais surtout POQUE, Le langage, 37–68. Cette étude méticuleuse éclaire le choix de cette image ici : l’enrôlement pour le service militaire correspond au baptême (40–47), dont Augustin va justement parler (invitamus ad fidem ; voir n. suivante). L’évocation de l’imperator rappelle l’expression character imperatoris [marque de l’empereur] (43–46), une de celles employées par Augustin pour la figure du baptême comme marque (tatouage vel sim.) du soldat : « De même que le character militiae est, au sens propre, la formule matricule imprimée sur la peau du soldat, et contient en ses signes abrégés le nom du chef auquel il est lié par serment, le character du chrétien est le nom trinitaire imprimé symboliquement en son âme par la triple interrogation baptismale et auquel il est lié par le sacramentum fidei » (43). Noter le lien avec la foi trinitaire, dont l’absence chez les païens est le thème de 13,2–4. POQUE (Le langage, 38) maintient aussi que « par nature, Augustin devait être a priori peu enclin à employer le vocabulaire et le symbolisme d’un métier qu’il n’avait jamais exercé, qui ne jouissait à ses yeux d’aucun prestige », et on ajoutera aux textes qu’elle cite sur ce front Possidius, Vita Augustini 27 : Servandum quoque in vita et moribus hominis Dei referebat, quod instituto sanctae memoriae Ambrosii compererat, ut uxorem cuiquam numquam posceret, neque militare volentem ad hoc commendaret …. ne militiae commendatus ac male agens, eius culpa suffragatori tribueretur [Il disait aussi qu’un homme de Dieu devait conserver dans sa vie et ses mœurs ce qu’il avait appris par l’enseignement d’Ambroise, d’heureuse mémoire : de ne jamais demander une femme pour quelqu’un, et, pour celui qui voulait se faire soldat, de ne pas le recommander pour cela … pour éviter que, si quelqu’un qui avait été recommandé à l’armée agissait mal, sa faute ne fût imputée à son recommandeur]. Mais il n’en reste pas moins que les images militaires reviennent très souvent dans la bouche d’Augustin. Au lecteur de décider si « on peut y déceler un trait de caractère, une constante du tempérament » (POQUE, Le langage, 66). Ici on constate en tout cas un rappel de l’héroïsme des martyrs, puisque Augustin vient

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(15,2) de parler des persécutions, et que martyr et soldat étaient très souvent assimilés chez les Pères (voir J. FONTAINE [éd.], Ambroise de Milan : Hymnes, Paris 1992, 53s.). 15,4 promissa impunitate praeteritorum omnium peccatorum Pour ce thème dans une allocution au catéchumènes, voir serm. 352,2 : Ament fieri quod non sunt, oderint quod fuerunt. Novum hominem nasciturum iam voto concipiant: quidquid de vita praeterita remordebat, quidquid angebat conscientiam, quidquid omnino vel magnum vel parvum, vel dicendum vel non dicendum, non dubitent posse dimitti, ne forte quod vult dimittere Dei miseratio, contra se teneat humana dubitatio [Qu’ils aiment devenir ce qu’ils ne sont pas ; qu’ils haïssent ce qu’ils ont été. Qu’ils conçoivent déjà par leurs vœux le nouvel homme qui va naitre : tout ce qui, dans leur vie passée, leur causait du remords, tout ce qui opprimait leur conscience, absolument tout, petit ou grand, dicible ou indicible, qu’ils ne doutent pas que cela peut être pardonné, à moins que, ce que la miséricorde de Dieu veut pardonner, le doute humain veuille peut-être le retenir contre soi-même]. Et comparer les vers inscrits au baptistère du Latran, et attribués à Sixte III : Mergere, peccator, sacro purgande fluento. / Quem veterem accipiet, proferet unda novum. / Nulla renascentum est distantia, quos facit unum / unus fons, unus spiritus, una fides … Nec numerus quenquam scelerum nec forma suorum / terreat. Hoc natus flumine sanctus erit [Plonge-toi, pécheur qui attends la purification, dans le courant sacré. Du vieil homme qu’elle recevra, l’eau fera sortir l’homme nouveau. Il n’y a aucune différence parmi ceux qui renaissent, ceux qu’unissent une seule source, un seul esprit, une seule foi … Que le nombre ou la forme de ses péchés ne fasse peur à personne. Celui qui nait de ce fleuve sera saint] (ILCV 153). 15,5 Iudaei vero En reprenant le cas des Juifs en serm. 71,5, Augustin fournit plus de détails. Il distingue entre le blasphème contre l’Esprit Saint des Sadducéens (Spiritum negabant [ils niaient l’Esprit]) et celui des pharisiens (esse in Domino Iesu Christo negabant [ils niaent que [l’Esprit] était dans le Seigneur Jésus Christ]), rapprochant ainsi son analyse des Juifs de celle des hérétiques dans l’Inchoata expositio (15,13s.). Et surtout, il précise que le blasphème des Juifs dans le Nouveau Testament se renouvelle continuellement : Nonne usque adhuc verbum contra Spiritum sanctum loquuntur, sic eum negantes esse in christianis, sicut illi in Christo esse negaverunt? [N’est-ce pas que, jusqu’à nos jours, ils parlent contre l’Esprit Saint, niant qu’il est dans les chrétiens de la même façon que ceux-là ont nié qu’il était dans le Christ ?] 15,6 etiam Paulus apostolus Cette réflexion sur Paul pénitent est en partie inspirée par le De paenitentia d’Ambroise (voir n. à 18,2) : Paulus enim, qui lapidantium Stephanum vestimenta servabat, non multo postea per gratiam Christi factus apostolus est, qui fuerat persecutor [En

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effet, Paul, qui gardait les vêtements de ceux qui lapidaient Étienne, peu de temps après, par la grâce du Christ, est devenu apôtre, lui qui avait été persécuteur] (1,47). Elle sera développée dans quaest. Simpl. 1,2,22, où Paul deviendra un des types bibliques du salut donné en dehors de tout mérite : Restat ergo ut voluntates eligantur. Sed voluntas ipsa, nisi aliquid occurrerit quod delectet atque invitet animum, moveri nullo modo potest. Hoc autem ut occurrat, non est in hominis potestate. Quid volebat Saulus nisi invadere, trahere, vincire, necare christianos? Quam rabida voluntas, quam furiosa, quam caeca! Qui tamen una desuper voce prostratus occurrente utique tali viso, quo mens illa et voluntas refracta saevitia retorqueretur et corrigeretur ad fidem, repente ex evangelii mirabili persecutore mirabilior praedicator effectus est [Il reste donc que ce soient les volontés qui sont choisies. Mais la volonté elle-même, à moins que quelque chose ne se présente qui puisse attirer et engager l’esprit, ne peut nullement être mise en mouvement. Or, que cela arrive ne dépend pas de la puissance humaine. Que voulait Saul, sinon attaquer, traîner, enchainer, tuer les chrétiens ? Une volonté combien enragée, combien furieuse, combien aveugle ! Mais, renversé par une seule parole venant d’en haut – avec surtout l’apparition d’une vision par laquelle cet esprit et cette volonté pouvaient être détraqués, leur violence brisée, et redirigés vers la foi – soudainement le prodigieux persécuteur de l’Évangile est devenu son prédicateur encore plus prodigieux]. Voir aussi n. à 21,4.5.7. 15,6 erat in manibus illorum L’expression est hardie, mais il faut l’accepter, comme le montrent de nombreux parallèles (voir CSEL 101, 168s.181s. et l’exemple cité infra, n. à 21,5). Pour l’explication, voir un passage de Césaire d’Arles, qui doit se fonder sur un sermon perdu d’Augustin : Paulus apostolus prius sceleratus erat, inimicus christianorum: rapiebat, vastabat, saeviebat. Ibi erat, quando lapidatus est martyr Stephanus. Parum illi erant manus suae, manibus omnium lapidabat, quia, ut illi non impedirentur vestimentis suis, sed liberis manibus saxa proicerent, omnium vestimenta servabat [Act. 7,58] [L’apôtre Paul était auparavant un scélérat, un ennemi des chrétiens : il ravissait, il détruisait, il enrageait. Il était là, quand le martyr Étienne fut lapidé. Ses propres mains ne lui suffisaient pas : il lapidait avec les mains de tous, puisque, pour qu’ils ne furent pas empêchés par leurs vêtements, mais qu’il eurent les mains libres pour jeter les pierres, il gardait les vêtements de tous] (serm. 38,3 [SChr 243]). Cette idée est peut-être influencée par la langue courante : Solent et homines dicere manus suas esse alios homines, per quos faciunt quod volunt [Les hommes ont aussi la coutume d’appeler leurs ‘mains’ les autres hommes par l’entremise desquels ils font ce qu’ils veulent] (in euang. Ioh. 48,7, relevé par BARTELINK, Einige Bemerkungen, 199).

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15,6 sibi postea etiam paenitendo increpitat Augustin reprend implicitement sa réflexion de de serm. dom. 1,77 : Intuere apostolum Paulum. Nonne tibi videtur in se ipso Stephanum martyrem vindicare, cum dicit: ‘Non sic pugno tamquam aerem caedens, sed castigo corpus meum et servituti subicio’ [1 Cor. 9,26s.]? Nam hoc in se utique prosternebat et debilitabat et victum ordinabat, unde Stephanum ceterosque christianos fuerat persecutus [Regarde l’apôtre Paul. Ne te semble-t-il pas qu’il venge en lui-même le martyr Étienne, quand il dit : ‘Je ne combats pas comme si je frappais l’air, mais je châtie mon corps et le soumets à la servitude’ ? En effet, avant tout, ce qu’en lui-même il terrassait et affaiblissait et vainquait, pour le ranger à sa place, c’est ce par quoi il avait persécuté Étienne et les autres chrétiens]. Mais il doit penser aussi à Act. 22,20. Paul est ici le seul exemple d’un Juif qui se soit converti après avoir rejeté le Christ, mais voir 21,3 et n. ad loc. (sicut etiam). Il sera évoqué de nouveau dans le même sens en 21,4s. 15,7 Quid Samaritani ? … ipsam prophetiam penitus conentur exstinguere RING (n. à 15,7) cherche à déterminer ce qu’Augustin entend par cette affirmation sur les Samaritains, Il tente d’abord d’y voir une référence à Am. 7,12s., mais note qu’il est impossible de montrer qu’Augustin connaissait ce texte à l’époque de l’Inchoata expositio. Il propose donc, sur la base de in euang. Ioh. 15,21, qu’Augustin veuille indiquer que les Samaritains acceptaient seulement la loi de Moïse, et non pas les livres prophétiques de l’Ancien Testament (ce qui est exact). Cette hypothèse est en effet étayée par des informations qui circulaient en latin sur la figure très obscure du prophète samaritain Dosithée (sur lequel, voir EAC s.v. Dositheus) : Dositheum … Samaritanum, qui primus ausus est prophetas quasi non in Spiritu sancto locutos repudiare [Dosithée … le Samaritain, qui le premier a osé répudier les prophètes, comme s’ils ne parlaient pas dans l’Esprit Saint] (Ps.-Tert. haer. 1 [CCSL 2, 1401]) ; Dositheus, Samaritanorum princeps, prophetas repudiavit [Dosithée, le chef des Samaritains, a répudié les prophètes] (Hier. c. Lucif. 23). Dosithée passe aussi dans certaines traditions pour le maître de Simon le Magicien, dont Augustin va immédiatement parler. Pour l’attitude générale d’Augustin envers les Samaritains, voir n. à 13,3–6, et RING, loc. cit. Il est remarquable qu’il les inclue ici, modifiant ainsi la division du monde en païens, Juifs et chrétiens, traditionnelle depuis Aristide (Apologie 2) et très fréquente chez Augustin. C’est bien cette division que l’on retrouve en serm. 71,5 : Augustin considérait-il le cas des Samaritains comme trop complexe pour la prédication ? 15,10 Simonem quoque magum L’évocation de Simon le Magicien vient de la polémique avec les Novatianistes. Ambroise, que suit Augustin (voir n. à 18,2), le cite dans ce contexte comme exemple d’un blasphémateur contre l’Esprit Saint, mais conclut néanmoins : et tamen non

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interclusit [sc. Pierre] ei spem veniae, quem invitavit ad paenitentiam [et pourtant il ne coupa pas l’espoir du pardon à celui qu’il invita à la pénitence] (paen. 2,23 ; voir déjà Origène, Philoc. 27,8). Mais les Novatianistes répondaient qu’en lui disant si f o r t e remittatur tibi (εἰ ἄ ρ α ἀφεθήσεταί σοι [si peut-être il te sera pardonné], Act. 8,22), Paul indiquait tacitement (dubium ei dedit responsum [il lui donna une réponse ambiguë]) à Simon qu’aucun pardon ecclésiastique ne lui était possible (Ambrosiaster = Ps.-Aug. quaest. test. 102,24 [CSEL 50]). 15,11 haeretico vel schismatico Augustin continue à suivre Ambroise (voir n. à 18,2), qui passe directement de Simon le Magicien aux haereticos et schismaticos [hérétiques et schismatiques] (paen. 2,24). Bien qu’il les nomme de nouveau en 22,1, Augustin n’a rien de précis à dire sur les schismatiques dans l’Inchoata expositio. Il comblera cette lacune avec un long exposé en serm. 71,30. 15,12 ad ubera sua Comme bien d’autres Pères, Augustin exploite l’image des seins de l’Église de multiples façons, mais – fait difficilement explicable – il ne l’associe aux hérétiques que dans des écrits d’avant l’épiscopat : quasi vagientes ecclesiae catholicae u b e r a sustentant, si ab haereticis non fuerint depraedati [les s e i n s de l’Église catholique les nourrissent comme des [enfants] vagissants, s’ils n’ont pas été capturés par les hérétiques] (mor. eccl. 10, sur les Manichéens) ; ut ecclesiae catholicae baptismum non iteres, sed adprobes potius tamquam unius verissimae matris, quae omnibus gentibus et regenerandis praebet sinum et regeneratis u b e r a infundit [que tu ne répètes pas le baptême de l’Église catholique, mais que tu l’approuves plutôt, comme celle de la seule vraie mère, qui offre sa poitrine à tous les peuples, et à tous ceux destinés à renaitre, et verse [le lait de] ses s e i n s à ceux qui sont renés] (epist. 23,4, à un évêque donatiste) ; ab unius ecclesiae verae matris u b e r i b u s nos avertere atque abripere moliuntur, affirmantes quod apud ipsos sit Christus [Ils tentent de nous détourner et de nous arracher des s e i n s de l’Église unique, la vraie mère, en affirmant que le Christ est chez eux] (in psalm. 10,1, sur les hérétiques en général). Une fois, il l’applique dans le même contexte et à la même époque à lui-même (voir. n. à 6,1, tamquam enim meritis), avec beaucoup d’imagination : nunc u b e r a , post longissimam sitim pene exhaustus atque aridus, tota aviditate repetivi, eaque altius flens et gemens concussi et expressi, ut id manaret quod mihi sic affecto ad recreationem satis esse posset, et ad spem reducendam vitae ac salutis [presque à bout et desséché après une si longue soif, je me retournai tout avide vers ses s e i n s , et, pleurant et gémissant profondément, je les battis et les pressai, pour qu’en jaillisse ce qui pouvait suffire à me rafraichir quand j’étais ainsi affligé, et à ramener l’espoir de la vie et du salut] (util. cred. 2). On s’attendrait à voir l’image réapparaitre dans la langue émotionnelle des Confessions, mais les seins n’y figurent qu’au sens propre, quand

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Augustin parle de son enfance (conf. 1,7.11). Pour l’Église-mère en général chez Augustin, voir MAYER, Augustins Lehre, 46s. En serm. 71,6, Augustin renforce son argument sur la nécessité de pardonner les blasphèmes contre l’Esprit Saint commis en dehors de l’Église, en demandant si, dans le cas contraire : Illi soli existimandi sunt ab huius gravissimi peccati reatu liberari, qui ex infantia sunt catholici ? Nam quicumque verbo Dei crediderunt, ut catholici fierent, utique aut ex paganis, aut ex Iudaeis, aut ex haereticis in gratiam Christi pacemque venerunt. Quibus si non est dimissum quod dixerunt verbum contra Spiritum sanctum, inaniter promittitur et praedicatur hominibus, ut convertantur ad Deum, et sive in baptismo sive in ecclesiae pace remissionem accipiant peccatorum [Faut-il croire que seuls sont libres de la culpabilité de ce péché le plus grave ceux qui sont catholiques depuis l’enfance ? Car tous ceux qui ont cru à la parole de Dieu, pour devenir catholiques, sont évidemment venus soit des païens, soit des Juifs, soit des hérétiques, [pour entrer] dans la grâce et la paix du Christ. Si la parole qu’ils ont dite contre l’Esprit Saint ne leur est pas pardonnée, c’est en vain que l’on promet et que l’on prêche aux hommes, pour qu’ils se convertissent à Dieu et reçoivent, soit dans le baptême soit dans la paix de l’Église, la rémission de leurs péchés]. Comme dans l’Inchoata expositio, il ne combat pas une position réelle : il s’agit d’une réduction à l’absurde. 15,12 de principibus vel de gregibus haereticorum En util. cred. 1 (adressé à un Manichéen) Augustin est de fait plutôt pessimiste sur les principes : Si mihi, Honorate, unum atque idem videretur esse, haereticus, et credens haereticis homo, tam lingua quam stilo in hac causa conquiescendum mihi esse arbitrarer [S’il me semblait, Honorat, qu’être hérétique et être un homme qui mettait sa foi dans les hérétiques, c’était la même chose, je serais d’avis qu’en cette affaire je ferais mieux de faire taire et ma langue et mon style] (cf. aussi 3 : de illis non nimis aestuo [pour ceux-là, je ne me donne pas trop de mal]). Et il est également pessimiste en in psalm. 7,7 sur le nombre de chrétiens qui pourront conserver une foi ab omnium pravarum opinionum labe purgata [purifiée de la tache de toute croyance vicieuse], c’est-à-dire rester de vrais catholiques, dignes du salut. Mais, pour Augustin, la capacité de Dieu à pardonner à tous les pénitents n’a hélas jamais conduit à la conclusion que beaucoup d’hommes seraient sauvés. 15,12 eum vero qui adversus Spiritum sanctum multa fecerit Un problème sous-jacent dans cette partie de l’Inchoata expositio est de savoir si le blasphème contre l’Esprit Saint est un blasphème au sens littéral, c’est-à-dire des paroles blasphématoires (voir n. à 14,2–8). Puisque Augustin a déjà donné sa définition de ce blasphème en 14,1, nous savons que sa propre réponse est négative, et il va s’expliquer sur ce point en 23,8–12. Mais, parmi les identifications catholiques traditionnelles du blasphème (voir n. à 14,1, Le blasphème), celle qui l’associait aux Juifs dans l’Évangile y voyait un péché en paroles, et Augustin fera une concession à

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ce point de vue en 21,1s. (voir n. ad loc.). Ensuite, la réponse traditionnelle par l’hérésie faisait du blasphème tout un enseignement, plutôt que des mots prononcés à un seul moment. Mais cette réponse – du moins en théorie – n’incluait que les doctrines hérétiques qui comportaient un faux enseignement sur l’Esprit, ce qu’Augustin présente comme absurde (tam perverse, 15,12), mais qu’il admettra ex hypothesi (sed si de verbis quaestio est, 15,13) en 15,13–16. La troisième réponse, qui identifiait le blasphème avec un péché grave des baptisés, supposait déjà qu’il s’agissait d’actes et non de paroles. En la réfutant, Augustin partira tout de même de la thèse qu’il pourrait s’agir de paroles blasphématoires prononcées par les baptisés (16,1.5), ce qu’il va écarter (16,3.6), pour se concentrer sur les actes (16,7–19), et revenir aux paroles en 20,1–21,2. 15,13–16 Les hérétiques qui blasphèment explicitement contre l’Esprit Saint Augustin différencie cinq sectes aux enseignements blasphématoires, mais sans les nommer. Cette stratégie, que l’on retrouve ailleurs (e.g. fid. et symb. 2 ; serm. 2,2 ; agon. 16–34 ; Zénon de Vérone, serm. 2,8) sert à la fois à présenter leur erreur comme la nature essentielle de chaque secte, et à centrer la discussion sur l’erreur même, où qu’elle se trouve (voir n. à 4,4). Tous ceux qui croient, par exemple, que le Fils est moindre que le Père sont des hérétiques, qu’ils se fassent appeler « Ariens » ou pas. Mais Augustin s’attendait néanmoins à ce que l’on puisse donner des noms aux cinq alii évoqués, et leur identification, en effet, ne pose pas problème. Elle a déjà été faite correctement en marge de l’édition Mauriste : Sabelliani (quod ad ipsum proprie pertinet, omnino non esse asseverent, 15,13), Ariani (aequalem Filio, vel omnino esse Deum negent, 15,14), Manichaei (de ipsa divina substantia tam impie sentiant, 15,14), Cataphryges (adventum eius, quem tenemus, negent, 15,15), Donatistae (sacramenta eius exsufflent, 15,15). Pour la bibliographie voir MARA, L’interpretazione, 237–241, et pour les parallèles avec haer. voir RING, n. à 15,15. Quelques remarques supplémentaires : S a b e l l i a n i : Quand il reprend son argument sur les hérétiques et le blasphème contre l’Esprit Saint dans serm. 71 et epist. 185, Augustin ne laisse plus les sectes visées dans l’anonymat. Dans le sermon, il appelle les « Monarchianistes » Sabelliani, quos quidam Patripassianos vocant [les Sabelliens, que certains appellent Patripassianistes [i.e. croyant que le Père souffre]] (serm. 71,5). En epist. 185,42, ils sont représentés par Photinianus, qui eius [sc. Spiritus sancti] omnino negat aliquam esse substantiam [Photi(nia)nus, qui nie absolument qu’il a une substance quelconque] (sur Photinus, voir n. à 4,4). Il n’y avait à vrai dire plus aucune secte monarchianiste qui menaçait l’Église d’Occident au temps d’Augustin (voir EAC s.v. Monarchians – Monarchianism, et n. à 4,4 pour ces anachronismes), mais la simplification du monarchianisme restait une tentation permanente face aux difficultés de la foi trinitaire : « Alongside these radical forms of monarchianism, but not to be confused with them, a more generic monarchianism existed. It intensely affirmed monothe-

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ism, and was charaterized by [the] suspicion and aversion to the theology of the Logos » (EAC, loc. cit.). Dès avant l’épiscopat, Augustin combat cette tendance dans des ouvrages qui visent exclusivement les fidèles : voir in psalm. 5,3 ; gen. ad litt. imperf. 60, et surtout fid. et symb. 16s. (le problème est bien entendu repris dans trin. 1,7 ; 5,10). Voir aussi Prudence, Apotheosis, où les deux premières sections sont consacrées à la réfutation de croyances monarchianistes, la première intitulée Contra heresim quae Patrem passum adfirmat [contre l’hérésie qui affirme que le Père a souffert], la seconde Contra Unionitas [contre les Unionites], et commençant (178) : Cede, profanator Christi, iam cede, Sabelli [Va t-en, profanateur du Christ, va t’en maintenant, Sabellius]. A r i a n i : En serm. 71,5 ils sont dits Arriani et Eunomiani et Macedoniani [Ariens et Eunoméens et Macédoniens], et de même en epist. 185,42. On ne refera pas l’histoire des combats sur l’Esprit Saint entre Ariens, Catholiques et autres. Mais notons qu’Eunomius et Macédonius restent actifs du vivant d’Augustin, et qu’au 4ème siècle, l’Église arienne était encore destinée à un long avenir. Il y a donc là une controverse tout à fait d’actualité, et à laquelle l’apport d’Augustin sera considérable (voir AugLex s.v. Arriani, Arrius). M a n i c h a e i : Les Manichéens ne figurent plus dans serm. 71 et epist. 185. Augustin n’a pourtant jamais cessé de les voir comme des blasphémateurs, et en 428, en haer. 46,16, il répète encore que Mani prétendait que l’Esprit Saint avait été envoyé en lui. Mais Augustin s’est beaucoup moins consacré à la polémique antimanichéenne après les vingt premières années de son activité littéraire (voir FITZGERALD, Augustine s.v. Anti-Manichean Works), sans doute en partie à cause de l’efficacité de la répression officielle des Manichéens (voir LIEU, Manichaeism, 192– 207 ; LANCEL, Saint Augustin, 56s.). C a t a p h r y g e s : L’affirmation que les Cataphrygiens, ou Montanistes, niaient la venue de l’Esprit à la Pentecôte est reprise en haer. 26 : Adventum Spiritus sancti a Domino promissum in se potius quam in apostolis fuisse adserunt [Ils affirment que la venue de l’Esprit Saint, promise par le Seigneur, a eu lieu en eux plutôt que dans les apôtres] (voir aussi agon. 30). De tels jugements sont trop partiels : d’un côté « la doctrine de Montan et de ses disciples immédiats différait à peine de l’enseignement orthodoxe », mais de l’autre Montan(us) « se présentait ou était présenté par ses disciples comme le Paraclet » (DTC s.v. Montanisme, 2358, 2367, et voir n. à 11,1s.). Sont-ce des doutes sur la valeur de ses accusations qui ont poussé Augustin à omettre les Cataphrygiens en serm. 71 et epist. 185 ? La cause est plutôt l’obscurité relative d’une secte qui avait presque entièrement disparu d’Afrique à son époque (voir DTC, loc. cit.). En montrant comment Manichéens et Montanistes auraient pu être inculpés pour blasphème impardonnable par leur attitude envers la prophétie, Augustin rappelle Irénée de Lyon, qui faisait déjà ce reproche aux gnostiques, notamment à cause de leur refus d’accepter certains livres canoniques (voir n. suivante) : ἄθλιοι ὄντως οἱ ψευδοπροφήτας μὲν εἶναι θέλοντες, τὸ δὲ προφητικὸν χάρισμα ἀπωθού-

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μενοι ἀπὸ τῆς ἐκκλησίας … ἁμαρτάνοντες εἰς τὸ πνεῦμα τοῦ Θεοῦ εἰς ἀσυγχώρητον ἐμπίπτουσιν ἁμαρτίαν [Ils sont vraiment misérables, ceux qui veulent être des faux prophètes, tout en chassant la grâce prophétique de l’Église … péchant contre l’Esprit de Dieu, ils tombent dans un péché impardonnable] (haer. 3,11,19). D o n a t i s t a e : Si les Donatistes ne figurent pas dans les catalogues de epist. 185 et serm. 71, c’est qu’ils sont déjà la cible principale de ces deux textes. Leur inclusion dans l’Inchoata expositio est quelque peu abusive, puisqu’ils n’avaient aucune doctrine spécifique sur l’Esprit. Mais Optat de Milève avait déjà présenté la pratique donatiste de rebaptiser les catholiques comme constituant le péché impardonnable contre l’Esprit Saint : Absit enim ut umquam exorcizemus sanum fidelem, absit iam lotum revocemus ad fontem, absit in Spiritu sancto peccemus cui facinori et praesenti et futuro saeculo indulgentia denegatur [Loin de nous, en effet, de jamais exorciser un fidèle bien-portant, loin de nous de rappeler aux fonts celui qui est [déjà] lavé, loin de nous de pécher contre l’Esprit Saint, ce crime pour lequel le pardon est refusé et dans ce monde et dans le monde à venir] (Contra Donatistas 5,3,10). Ensuite, on imagine très mal Augustin omettre d’un catalogue d’hérétiques ces ennemis principaux de l’Église catholique d’Afrique. Comparer un autre catalogue d’hérétiques, le serm. 183 sur 1 Io. 4,2, où Augustin a besoin d’une subtilior disputatio [démonstration plus subtile], pour montrer que les Donatistes font partie de ceux qui nient la venue du Christ dans la chair, vu que hoc confitentur quod nos: unigenitum Filium aequalem Patri, eiusdem substantiae, aeterno coaeternum [ils confessent la même chose que nous : le Fils unique égal au Père, de la même substance, coéternel à l’éternel]. Et Augustin de conclure comme dans l’Inchoata expositio que le rejet donatiste de l’unité catholique équivaut à l’erreur doctrinale (serm. 183,10). 15,14 sicut apostolorum Acta testantur Ailleurs, Augustin affirme que les Manichéens excluaient les Actes de leur Bible justement parce qu’ils ne voulaient pas accepter la venue de l’Esprit à la Pentecôte : util. cred. 7 ; c. Adim. 17,5 ; agon. 30 ; c. epist. fund. 9 ; c. Faust. 19,31 ; epist. 237,2. 15,15 sacramenta eius exsufflent Ce passage semble être le premier où Augustin utilise le verbe exsufflare au sujet de la pratique donatiste de rebaptiser les catholiques. Cet usage, très fréquent chez lui, fait du second baptême une réitération déformée de l’exorcisme du premier baptême, pour lequel on employait aussi exsufflare (voir ThLL s.v. B.2 ; RAC s.v. Exorzismus, B.VI.d). L’exorcisme chassait le mauvais esprit, le second baptême chassait l’Esprit Saint. 15,16 ne pergam per singula quae sunt innumerabilia Topos de la littérature anti-hérétique : Tam multa sunt, ut quamlibet breviter dicenda, multas litteras flagitent [Elles sont si nombreuses, qu’elles exigent beaucoup de lettres, même pour être décrites très brièvement] (haer. praef. 4) ; alii haeretici, quos

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commemorare longum est [les autres hérétiques, qu’il faudrait beaucoup de temps pour énumérer] (epist. 185,48) ; quis tot numerat pestes ? [qui peut énumérer tant de fléaux ?] (serm. 183,1 ; une exégèse dans le même sens à in Matth. 11,8) ; τὰ μὲν πολυειδῆ καὶ πολύτροπα καὶ πολυσχιδῆ τῶν σκολιῶν βουλευμάτων [les apparences multiples, les détours multiples, les divisions multiples des doctrines tordues] (Épiphane, De fide 1,1) ; plurima sunt sed pauca loquar, ne dira relatu / dogmata catholicam maculent male prodita linguam [Ils sont très nombreux, mais j’en dirai peu, pour que ces dogmes terribles à raconter n’entachent pas, en étant révélés pour le mal, une langue catholique] (Prud. apoth. 1s.). La vérité est une, mais les erreurs possibles sont infinies. La doctrine d’ecclésiologie est ici renforcée par un thème de la philosophie morale, selon lequel les vertus sont unies, comme l’enseigne Socrate, mais le vice tend à la diversification : Non debes admirari, si tantas invenis vitiorum proprietates: varia sunt, innumerabiles habent facies, comprendi eorum genera non possunt. Simplex recti cura est, multiplex pravi [Tu ne dois pas t’émerveiller, si tu trouves tant de particularités dans les vices. Ils sont variés, ils ont d’innombrables apparences, on ne peut en saisir tous les genres. S’appliquer au bien est chose simple, [s’appliquer] au mal est complexe] (Sénèque le Jeune, epist. 122,17 ; pour des parallèles, voir B. INWOOD [éd.], Seneca. Selected Philosophical Letters, Oxford 2007, ad loc.). 16,1 iam per baptismum Pour les sources de cette doctrine voir n. à 14,1, Le blasphème, et RING, n. à 16,4 (mentionnant Montanistes, Novatianistes et Donatistes, mais voir la n. à 14,1 sur ces derniers). Comme le montre Ring, bien qu’Augustin souligne dans l’Inchoata expositio l’antiquité de la doctrine du pardon de l’Église pour tous les pénitents, la question se discutait encore dans les conciles du 4ème siècle. Voir aussi le langage très sévère de l’édit de 391 sur les apostats, préservé en Codex Theodosianus 16,7,4,1 : Sed nec umquam in statum pristinum revertentur, non flagitium morum oblitterabitur paenitentia neque umbra aliqua exquisitae defensionis aut muniminis obducetur … Lapsis etenim et errantibus subvenitur, perditis vero, hoc est sanctum baptisma profanantibus, nullo remedio paenitentiae, quae solet aliis criminibus prodesse, succurritur [Mais, de plus, ils ne retourneront jamais dans leur statut antérieur, leur crime moral ne sera pas effacé par la pénitence, et ne sera pas voilé par quelque ombre d’une défense ou d’une riposte élaborées … Car on porte main forte à ceux qui ont trébuché ou erré, mais les hommes perdus, c’est-à-dire ceux qui ont profané le saint baptême, on ne les secourt par aucun remède de cette pénitence qui est normalement salutaire pour les autres crimes]. On comprend alors aisément qu’Augustin ait beaucoup insisté, ici comme dans la prédication, sur le fait que le pardon restait ouvert aux grands pécheurs parmi les baptisés : Hic fortasse dicis: ‘Sed ego iam baptizatus sum in Christo, a quo omnia mihi peccata praeterita dimissa sunt. Vilis factus sum nimis iterans vias meas [Ier. 2,36], et canis horribilis oculis Dei, conversus ad vomitum suum [Prov. 26,11]. Quo abibo a spiritu eius? Et a facie eius quo fugiam [Ps.

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138,7]?’ Quo, frater, nisi ad eius misericordiam paenitendo, cuius potestatem peccando contempseras? [Ici tu dis peut-être : ‘Mais je suis déjà baptisé dans le Christ, par qui tous mes péchés antérieurs ont été pardonnés. Je suis devenu vil en reprenant trop souvent mes voies, et [suis devenu] un chien horrible aux yeux de Dieu, revenu à son vomissement. Où irai-je loin de son esprit ? Et où fuirai-je de sa face ?’ Où, frère, si ce n’est, par la pénitence, vers la miséricorde de celui dont tu avais méprisé la puissance en péchant ?] (serm. 351,12) ; contra nonnullas haereses tenuit ecclesia catholica istam veritatem de paenitentia agenda. Fuerunt enim qui dicerent, quibusdam peccatis non esse dandam paenitentiam; et exclusi sunt de ecclesia, et haeretici facti sunt [À l’encontre de certaines hérésies, l’Église catholique a retenu cette vérité sur la nécessité de faire pénitence. En effet, il y en eut pour dire que la pénitence ne devait pas être accordée pour certains péchés, et ils ont été exclus de l’Église, et sont devenus hérétiques] (serm. 352,9). 16,2 peccatum ignorantiae Le problème du péché d’ignorance, le οὐδεὶς ἑκῶν κακός [nul n’est volontairment mauvais] de Socrate, est effleuré dans l’Inchoata expositio, sans être pleinement abordé, puisqu’il suffit à Augustin de montrer que les péchés commis sans ignorance sont pardonnés (17,1–4 ; 18,11–15). Pour la doctrine d’Augustin sur le peccatum ignorantiae [péché d’ignorance], le choix du mal par ignorance du bien, voir AugLex s.v. ignorantia, 2 ; BA 23, 782s. ; BA 24, 769–771 ; GAUDEMET, L’Église, 273–275 (pour l’applicaton judiciaire). Concupiscence et ignorance (mais non pas l’ignorance complète : voir n. à 17,2, Les péchés évidents) sont les peines immédiates du péché originel. Ces peines sont méritées, et les châtiments des péchés commis par ignorance et concupiscence le sont aussi, pour Adam et Ève et pour tous leurs descendants. Celui qui pèche par ignorance est donc damné en toute justice. Le baptême libère de cette condamnation, mais « resterait à expliquer la signification des textes où Augustin, parlant des baptisés, appelle, semble appeler péchés véritables les fautes d’ignorance involontaire » (J. CHÉNÉ, BA 24, 771). La réponse donnée pour la concupiscence par M. E. ALFLATT (The Responsibility for Involuntary Sin in Saint Augustine, RecAug 10 [1975], 171–186) doit aussi s’appliquer à l’ignorance : l’ignorance et la concupiscence ne sont pas elles-mêmes effacées par le baptême (pour l’ignorance, voir Inchoata expositio 16,7s., et surtout c. Iulian. 6,49), et dans la mesure où elles conduisent le baptisé à pécher, il continue à mériter la peine héritée d’Adam. Il s’agit bien d’une culpabilité héritée, puisque Augustin admet sans difficulté, qu’au niveau de l’individu, l’ignorance peut nous disculper : Possunt enim homines et agere et non agere quod sciunt. Quis autem dixerit eos agere debere quod nesciunt? [Les hommes peuvent en effet et faire et ne pas faire ce qu’ils connaissent. Mais qui dirait qu’ils doivent faire ce qu’ils ne connaissent pas ?] (doctr. christ. 4,76, où il s’agit justement de l’enseignement des chrétiens).

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C’est ainsi qu’Augustin ne tire jamais de Lc. 23,34 (πάτερ, ἄφες αὐτοῖς, οὐ γὰρ οἴδασιν τί ποιοῦσιν [Père, pardonne-leur, parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font]) plus qu’une indication de la mansuétude du Christ envers ses persécuteurs. Du reste, des 92 citations de ce verset par Augustin, 87 viennent de la prédication : il ne lui a pas servi pour la construction de son système de la grâce (en de serm. dom. 1,73, il prétend même que ces paroles ne pourraient s’appliquer aux baptisés). Il n’est pas possible de dire si ses conclusions sur le péché d’ignorance étaient déjà pleinement formées dans l’esprit d’Augustin à l’époque de l’Inchoata expositio. Mais il n’y dit rien qui indiquerait que l’ignorance en soi suffise pour le pardon, et les éléments majeurs de son enseignement sur le lien entre le péché originel et la concupiscence et l’ignorance sont déjà en place dès lib. arb. 3,51–54, écrit à la même époque (il y propose toutefois une autre explication de l’ignorance en 3,56). Voir aussi epist. 47,4, datant de peu après l’Inchoata expositio (396–399) : Si quis autem bonum putaverit esse quod malum est, et fecerit, hoc putando utique peccat, et ea sunt omnia peccata ignorantiae, quando quisque bene fieri putat quod male fit [Mais si quelqu’un pense que quelque chose de mal est bien, et il le fait, il pèche certainement en pensant de la sorte, et ces péchés sont tous [des péchés] d’ignorance, quand quelqu’un pense qu’une mauvaise action est une bonne action]. 16,3 si qua fornicatione vel homicidio Mêmes exemples dans la prédication sur le pardon offert à tous : Grave vulnus est: adulterium forte commissum est, forte homicidium, forte aliquod sacrilegium. Gravis res, grave vulnus, lethale, mortiferum: sed omnipotens medicus [La blessure est grave : peut-être a-t-on commis un adultère, peut-être un homicide, peut-être quelque sacrilège. La chose est grave, la blessure est grave, meurtrière, mortelle : mais le médecin est tout-puissant] (serm. 352,8). 16,6 Simon … iam baptismum acceperat C’est ainsi que Simon peut aussi servir d’exemple dans les exhortations à la pénitence dans la prédication : Post adventum de caelo Spiritus sancti, quidam Simon pecunia voluit eundem Spiritum sanctum emere, sceleratissimum et impium mercimonium cogitans, iam baptizatus in Christo: et tamen paenitentiae consilium ab ipso Petro correptus accepit [Après que l’Esprit Saint fut venu du ciel, un certain Simon voulut acheter ce même Esprit Saint pour de l’argent, concevant un marché abominable et impie, [alors qu’il était] déjà baptisé dans le Christ. Et pourtant, réprimandé par Pierre lui-même, il reçut un conseil de pénitence] (serm. 351,12). Mais, dans un contexte anti-donatiste, il peut tout aussi bien rappeler les risques qu’encourt encore le baptisé : Quasi non legant Simonem magum et accepisse baptismum, et tamen a Petro audisse: ‘Non est tibi pars neque sors in hac fide’ [Act. 8,21]. Ecce quia fieri potest, ut aliquis habeat baptismum Christi, et non habeat fidem vel dilectionem Christi, habeat sanctitatis sacramentum, nec computetur in sorte sanctorum [Comme s’ils ne lisaient pas que Simon mage avait reçu le baptême et avait pourtant entendu de

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Pierre : ‘Tu n’as pas de part ni de lot dans cette foi’. Voyez qu’il peut arriver qu’une personne ait le baptême et n’ait pas la foi ou l’amour du Christ, qu’il ait le sacrement de la sainteté, et ne soit pas compté dans le lot des saints] (serm. 260A,2 ; voir n. suivante). Après tout, selon la tradition dont Augustin héritait, Simon le Magicien ne s’était pas repenti, mais était devenu le premier hérésiarque (haer. 1). 16,7 postea negligenter educati Cette objection fait partie de l’autocorrection par Augustin de ce qu’il avait écrit en de serm. dom. 1,73–75 (voir n. à 14,1, Le blasphème ; 21,2–7) où il avait désigné le péché impardonnable comme commis post agnitionem Dei per gratiam Domini nostri Iesu Christi [après que l’on a connu Dieu par la grâce de notre Seigneur Jésus Christ], ce qui faisait clairement référence aux baptisés. Dans l’Inchoata expositio, il tient beaucoup à détruire toute équivalence facile entre baptême et connaissance de Dieu (voir 18,6–8 ; 19,3–7). On pense à Augustin lui-même, qui a failli être baptisé dans son enfance (conf. 1,17s.) : en aurait-il été moins negligenter educatus ? De fait, les rigueurs de l’éducation requise pour un enfant baptisé faisaient que l’on retardait souvent le baptême pour bien des années : voir POQUE, Un souci. L’ignorance post-baptismale est aussi le lot inévitable de tous ceux qui reçoivent un baptême, en lui-même valable, au sein d’une église hérétique : Sunt quidam, qui Christum solo sacramento induerunt, quo in fide vel moribus nudi sunt. Nam et multi haeretici ipsum habent sacramentum baptismatis, sed non ipsum fructum salutis, nec vinculum pacis, ‘habentes’, sicut ait apostolus, ‘formam pietatis, virtutem autem eius abnegantes’ [2 Tim. 3,5] [Il y en a certains qui ont revêtu le Christ uniquement par le sacrement, et sont tout nus dans leur foi ou leurs mœurs. Beaucoup d’hérétiques, en effet, ont eux aussi le sacrement du baptême, mais non pas le fruit même du salut, ni le lien de la paix, ‘ayant’, comme dit l’apôtre, ‘la forme de la piété, mais reniant sa puissance’] (serm. 260A,2 ; voir n. précédente). Deux thèmes de l’Inchoata expositio se rejoignent donc ici : le pardon offert aux hérétiques et celui offert aux baptisés. 16,7 quid credendum, quid sperandum, quid diligendum sit Comparer doctr. christ. praef. 12 : après, ou avec, le baptême on apprend quid credendum, quid sperandum, quid diligendum [ce qu’il faut croire, ce qu’il faut espérer, ce qu’il faut aimer]. De même, Augustin décide d’organiser son petit manuel de la vie chrétienne selon les trois vertus théologales : Vis enim tibi, ut scribis, librum a me fieri quem enchiridion, ut dicunt, habeas … Haec autem omnia quae requiris procul dubio scies, diligenter sciendo quid credi, quid sperari debeat, quid amari [Tu veux, comme tu l’écris, que je te fasse un livre que tu auras comme enchiridion [manuel portatif], comme on dit … Mais tout ce que tu cherches, tu le sauras certainement, quand tu sauras précisément ce qu’il faut croire, ce qu’il faut espérer, ce qu’il faut aimer] (enchir. 4). Voir aussi Paulin de Nole, déclarant qu’après son propre baptême, il a encore besoin de l’instruction d’Augustin : ut infantem adhuc verbo Dei et

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spiritali aetate lactantem educa verbis tuis, uberibus fidei, sapientiae, caritatis inhiantem [Éduque-moi par tes paroles, comme un enfant qui est encore au sein pour ce qui est de la parole de Dieu et l’âge spirituel, [un enfant] qui ouvre grand la bouche vers les seins de la foi, de la sagesse, de la charité] (epist. 4,3 = Aug. epist. 25,3). 16,8 quemadmodum dicitur, ubi caput haberent nescientes Pour les expressions populaires chez Augustin, voir J. H. BAXTER, Colloquialisms in St. Augustine, ALMA 3 (1927), 32s. (une douzaine d’exemples tirés des sermons) ; M. BAMBECK, Spanisch und portugiesisch ‘querer’ und die Bibelexegese Augustins, Archiv für das Studium der Neueren Sprachen und Literaturen 207 (1970/1971), 30– 35 (certains des exemples choisis sont douteux) ; B. LÖFSTEDT, Augustinus als Zeuge der lateinischen Umgangssprache, dans : H. RIX (éd.), Flexion und Wortbildung, Wiesbaden 1975, 192–197 ; G. M. J. BARTELINK, Augustin und die Lateinische Umgangssprache, Mnemosyne 35 (1982), 283–289 ; G. M. J. BARTELINK, Einige Bemerkungen ; C. EICHENSEER, Augustinianae locutiones cotidianae, Vox Latina 19 (1983), 427–431 (recueil sans commentaire de locutions augustiniennes, et dont il est difficile de cerner le but). Notre passage n’apparait dans aucune de ces études, et il est absent aussi de ThLL s.v. caput et d’A. OTTO, Die Sprichwörter und Sprichwörtlichen Redensarten der Römer, Leipzig 1890. Pour des expressions similaires relevées par Augustin, voir in Gal. 35 (nescientes, ut dicitur, ubi ambulant [ne sachant pas, comme on dit, où ils marchent]) ; epist. 33,3 (de homine, quem falsae blanditiae faciunt adrogantem, recte etiam vulgo dicitur ‘crevit caput’ [pour un homme que les fauses flatteries rendent arrogant, on fait bien de dire, dans la langue populaire, ‘sa tête a crû’]). Comme le montrent ses nombreuses apparitions dans le relevé pourtant incomplet d’Otto, Augustin apprécie beaucoup la verve de telles expressions. Une étude complète de leur utilisation chez lui serait souhaitable, mais il faudrait éviter de la confondre, comme on l’a parfois fait, avec ses concessions aux solécismes du latin parlé. 17,1 irremissibile irremissibilis, qui apparait pour la première fois chez Tertullien, n’appartient pas au vocabulaire habituel d’Augustin, qui s’en sert exclusivement pour parler du blasphème contre l’Esprit Saint (c. Cresc. 4,10 ; serm. 71,17.24.37 ; enchir. 83). De fait, ThLL s.v. note que, dans toute la littérature chrétienne, le mot est largement employé dans ce contexte, et a même pu être formé à partir de Mt. 12,32 (remittetur … non remittetur [sera pardonné … ne sera pas pardonné]). 17,2 quodlibet peccatum cum scientia committere C’est essentiellement l’interprétation d’Origène, telle qu’elle est exposée dans les textes cités à n. à 14,1, Le blasphème, dont surtout De principiis: Operatio virtutis Dei Patris et Filii indiscrete super omnem protenditur creaturam, Spiritus vero sancti participationem a sanctis tantummodo haberi invenimus … Propter quod et consequens

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puto quia ‘qui peccaverit quidem in filium hominis venia dignus est’, pro eo quod is, qui verbi vel rationis est particeps, si desinat rationabiliter vivere, videtur in i g n o r a n t i a m v e l s t u l t i t i a m decidisse et propter hoc veniam promereri; qui autem iam dignus habitus est sancti Spiritus participatione et retro fuerit conversus, hic re ipsa et opere blasphemasse dicitur in Spiritum sanctum [L’opération de la puissance de Dieu le Père et du Fils s’étend sans discrimination sur toute créature, alors que nous voyons que la participation à l’Esprit Saint est obtenue seulement par les saints … Pour cette raison, il me semble logique aussi que ‘celui qui pèche contre le fils de l’homme est digne de pardon’, puisque celui qui a part au verbe ou à la raison, s’il cesse de vivre raisonnablement, semble être tombé dans l ’ i g n o r a n c e o u l a b ê t i s e , et mériter de la sorte le pardon. Mais celui qui a déjà été trouvé digne de la participation à l’Esprit Saint, et qui s’est tourné en arrière, celui-là est dit avoir blasphémé – au sens propre et par ses œuvres – contre l’Esprit Saint] (Rufin. Orig. princ. 1,3,7). Ceci équivaut à une distinction entre baptisés et non-baptisés, selon la lecture d’Origène fournie par Athanase (qui modifie aussi quelque peu les rôles du Père et du Fils) : ὁ μὲν γὰρ Ὠριγένης καὶ τὴν αἰτίαν τῆς κατὰ τῶν τοιούτων κρίσεως οὕτω λέγει· ὁ μὲν Θεὸς καὶ πατὴρ εἰς πάντα διήκει καὶ πάντα συνέχει, ἄψυχά τε καὶ ἔμψυχα, λογικά τε καὶ ἄλογα· τοῦ δὲ υἱοῦ ἡ δύναμις εἰς τὰ λογικὰ μόνα διατείνει, ἐν οἷς εἰσι κατηχούμενοι καὶ Ἕλληνες οἱ μηδέπω πιστεύσαντες· τὸ δὲ πνεῦμα τὸ ἅγιον εἰς μόνους ἐστὶ τοὺς μεταλαβόντας αὐτοῦ ἐν τῇ τοῦ βαπτίσματος δόσει. ὅταν τοίνυν κατηχούμενοι καὶ Ἕλληνες ἁμαρτάνωσιν, εἰς μὲν τὸν υἱὸν ἁμαρτάνουσιν, ἐπεὶ ἐν αὐτοῖς ἐστιν, ὥσπερ εἴρηται· δύνανται δὲ ὅμως λαμβάνειν ἄφεσιν, ὅταν καταξιωθῶσι δωρεᾶς τῆς παλιγγενεσίας. ὅταν δὲ οἱ βαπτισθέντες ἁμαρτάνωσι, τὴν τοιαύτην παρανομίαν εἰς τὸ πνεῦμα τὸ ἅγιον φθάνειν φησίν, ἐπειδὴ ἐν αὐτῷ γενόμενος ἥμαρτε· καὶ διὰ τοῦτο ἀσύγγνωστον εἶναι τὴν κατ’ αὐτοῦ τιμωρίαν [En effet, Origène explique aussi la cause de la condamnation de tels hommes ainsi : Dieu le Père se répand à travers tout et contient tout, ce qui vit et ce qui est sans vie, ce qui est raisonnable et ce qui est sans raison. Ensuite, la puissance du Fils s’étend uniquement à ce qui est raisonnable, y compris les catéchumènes, et les païens qui n’ont pas encore cru. Mais l’Esprit Saint s’étend seulement à ceux qui ont eu part à lui par le don du baptême. Donc, quand des catéchumènes ou des païens pèchent, ils pèchent bien contre le Fils, puisqu’il est en eux, comme on l’a dit. Mais ils pourront néanmoins recevoir le pardon quand ils seront trouvés dignes du don de la renaissance. Mais quand les baptisés pèchent, il dit qu’une telle infraction atteint l’Esprit Saint, puisque l’on aura péché après être entré en lui [sc. l’Esprit]. Et c’est pourquoi sa punition ne peut être remise] (Epistulae ad Serapionem 4,10). Le non-baptisé a déjà le Christ / Λόγος à l’intérieur de lui, et, un peu paradoxalement, son péché contre le Λόγος est donc péché d’ignorance. Augustin ne se préoccupe pas de ce paradoxe, puisqu’il préfère montrer que baptême et scientia ne vont pas de pair, et que les péchés cum scientia sont en tout cas pardonnables.

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17,2 Les péchés évidents Les péchés énumérés sont des violations de la seconde partie des dix commandements. L’équivalence entre ces commandements et la règle d’or se fonde sur Mt. 7,12. Augustin l’expose plus longuement dans son grand sermon sur les dix commandements : Furtum si faciam id facio quod pati nolo; si occidam, id facio quod ab altero pati nolo; si parentibus meis honorem non deferam quando volo deferatur mihi a filiis meis, id facio quod pati nolo; si sim moechus et aliquid tale moliar, id facio quod pati nolo – nam si quis interrogetur, dicit: Nolo ut uxor mea tale aliquid faciat – si concupisco uxorem proximi mei, nolo quisquam concupiscat meam, id facio quod pati nolo; si concupisco rem proximi mei, nolo ut auferatur mea, id facio quod pati nolo [Si je fais un vol, je fais ce que je ne veux pas souffrir. Si je tue, je fais ce que je ne veux pas souffrir aux mains d’un autre. Si je ne respecte pas mes parents, alors que je veux être respecté par mes fils, je fais ce je ne veux pas souffrir. Si je suis adultère, et j’entreprends quelque chose de la sorte, je fais ce que je ne veux pas souffrir – en effet, si l’on pose la question à quelqu’un, il dit : Je ne veux pas que ma femme fasse quelque chose de la sorte – si je convoite le femme de mon prochain, [et] ne veux pas que quelqu’un convoite la mienne, je fais ce que je ne veux pas souffrir. Si je convoite le bien de mon prochain, [et] ne veux pas que le mien me soit dérobé, je fais ce que je veux pas souffrir] (serm. 9,15 ; de même in psalm. 32,2,2,6). Quis nesciat? Pour la règle d’or chez Augustin, voir DU ROY, La règle, 243–270. La règle, telle qu’elle s’accomplit dans les dix commandements, est présentée comme une évidence pour tous les hommes, plutôt qu’un fruit de la révélation (voir n. suivante). On voit s’esquisser ainsi une idée de d r o i t n a t u r e l . Bien qu’une théorie unifiée de ce droit ne se dégage pas aisément de ses écrits (voir FITZGERALD, Augustine s.v. Natural Law ; AugLex. s.v. ius, 3,b), Augustin a souvent réaffirmé le caractère universel de la règle d’or et son application dans les commandements sur le prochain. C’est ainsi, par exemple, qu’il résout le problème du relativisme culturel : Varietate innumerabilium consuetudinum commoti quidam … putaverunt nullam esse iustitiam per se ipsam, sed unicuique genti consuetudinem suam iustam videri … Non intellexerunt, ne multa commemorem, ‘quod tibi fieri non vis, alii ne feceris’ nullo modo posse ulla eorum gentili diversitate variari [Certains, dérangés par la variété des coutumes innombrables … ont pensé qu’il n’existait pas de justice en soi, mais que ses propres coutumes semblaient justes à chaque peuple … Ils n’ont pas compris – pour ne pas en dire plus – que ‘ce que tu ne veux pas que l’on te fasse, ne le fais pas à un autre’ ne peut nullement être altéré par leur variété des peuples] (doctr. christ. 3,52 ; voir aussi 1,70). Ou encore, en in euang. Ioh. 49,12, la connaissance de cette règle, et des interdits qui en découlent, est la marque de la condition humaine après la Chute mais avant la Loi écrite (voir in Gal. 46) : Deinde crescit, incipit accedere ad rationales annos, ut legem sapiat naturalem, quam omnes habent in corde fixam: quod tibi non vis fieri, alii ne feceris. Numquid hoc de paginis discitur, et non in natura ipsa quodammodo legitur? Furtum vis pati? Utique non vis. Ecce lex in corde tuo [Ier. 31,33]: quod non vis pati, facere noli [Ensuite il grandit, il commence à

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s’approcher de l’âge de la raison, pour connaitre la loi naturelle, que chacun tient fixée dans son cœur : ce que tu ne veux pas que l’on te fasse, ne le fais pas à un autre. Est-ce que l’on apprend cela des pages [des livres], plutôt que de le lire, d’une certaine manière, dans la nature elle-même ? Veux-tu souffrir un vol ? Assurément, tu ne veux pas. Voilà la loi dans ton cœur : ce que tu ne veux pas souffrir, ne le fais pas]. Voir aussi conf. 2,9 ; c. Faust. 15,7 (avec de nouveau l’expression naturali lege [loi naturelle]) ; epist. 157,15 ; in psalm. 35,1 ; 57,1 (très proche du texte cité de in euang. Ioh.) ; c. Pelag. 3,13. En lib. arb. 1,6, c’est Évodius qui dit : Adulteria et homicidia et sacrilegia … quis est cui non male facta videantur … Hoc [sc. adulterium] scio malum esse quod hoc ipse in uxore mea pati nollem … Quisquis autem alteri facit, quod sibi fieri non vult, male utique facit [L’adultère et l’homicide et le sacrilège … à qui ces choses ne semblent-elles pas des méfaits ? … Je sais que c’est mal parce que je ne voudrais pas le souffrir moi-même chez ma propre femme … Et quiconque fait à un autre ce qu’il ne veut pas qu’on lui fasse fait assurément le mal]. Augustin réplique qu’un amateur de pratiques licencieuses pourrait offrir sa femme à un autre de plein gré, pour gagner l’accès à la femme de celui-ci, et en de serm. dom. 1,50 il présente une situation plus honorable qui conduit aussi à un adultère autorisé par le mari. Mais en général il considère l’adultère comme illustrant particulièrement bien à quel point la règle d’or est universelle et évidente : Qui hoc facit alteri nihil sic nollet pati. Ad alia paratior est omnis homo. Hoc autem nescio utrum inventus est qui tolerabiliter ferat [Celui qui fait cela à un autre ne voudrait rien souffrir de la sorte. Tout homme préférerait [souffrir] autre chose. Quant à cela, je ne sais pas si l’on a trouvé quelqu’un qui pourrait l’endurer avec patience] (serm. 8,12). Augustin introduit la loi naturelle pour répondre à l’hypothèse selon laquelle, si seuls les péchés commis cum scientia sont impardonnables, les non-baptisés seront absous (voir n. précédente) : Augustin montre que les non-baptisés étaient tout à fait capables de pécher cum scientia, dans la mesure où ils pouvaient violer consciemment la loi inscrite dans le cœur de tous les hommes. 17,2 quod sibi ab altero fieri non vult Augustin donne la règle d’or dans sa forme négative, plutôt que dans la forme positive de Mt. 7,12. C’est là son habitude : voir A.-M. LA BONNARDIÈRE, En marge de la « Biblia Augustiniana » : Une « retractatio », REAug 10 (1964), 305–307 ; A. BASTIAENSEN, Le praeceptum aureum dans la tradition épigraphique et littéraire, RBen 98 (1988), 251–257 ; DU ROY, La règle, 243–264. Cette forme négative se trouve chez Cyprien, Testimonia 3,119 ; [Cyprien] Sermo de centesima, PLS 1, 65 ; et dans la traduction latine de la Διδαχή pseudoapostolique (SChr 248, 207 ; le latin ne fait que reproduire le grec, §1, ibid. 140). Parmi les contemporains d’Augustin, citons, pour la forme négative, l’Ambrosiaster = Ps.-Aug. quaest. test. 4,1 (CSEL 50, 24) ; Jérôme, epist. 121,8.12 ; Gaudent. serm. 10,18 (CSEL 68, 98) (tous trois proches d’Augustin sur la loi naturelle) ; Paulin de Nole, epist. 32,9 ; puis la réflexion sur la complémentarité des formes positives et

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négatives de la régle dans l’Epistula ad adolescentem (CPL 732) de facture pélagienne : Dicis forsitan: Ipsorum mandatorum quae nobis implere necesse est, breviter mihi species indica. Nihil esse brevius puto quam quod apostoli de Sancti spiritus iudicio definierunt, dicentes: ‘Quaecumque vobis fieri non vultis, alii ne feceritis [Act. 15,19.29]. Et ipse Dominus: ‘Quaecumque vultis ut faciant vobis homines bona, et vos facite illis similiter’ [Mt. 7,12]. Haec duo mandatorum genera, si quis bene intellegat et custodiat, ab omni poterit alienus esse peccato … Non solum malum, quod inferri sibi moleste fert, alteri non faciet, verum etiam omne, quod bonum est, quod negari sibi ab altero non vult, alteri exhibebit [Tu dis peut-être : Montre-moi brièvement la forme de ces commandements que nous devons accomplir. Je pense que rien n’est plus bref que ce que les apôtres ont fixé par le jugement de l’Esprit Saint en disant : ‘Tout ce que vous ne voulez pas que l’on vous fasse, ne le faites pas à un autre’. Et le Seigneur lui-même [dit]: ‘Tout le bien que vous voulez que les hommes vous fassent, vous aussi, faites de même pour eux’. Ces deux types de commandements, si quelqu’un les comprend bien et les observe, il pourra être libre de tout péché … En effet, non seulement le mal qu’il supporte difficilement qu’on lui inflige, il ne le fera pas à autrui, mais tout ce qui est bien, [et] qu’il ne veut pas que les autres lui refusent, il le fera aux autres] (PLS 1, 1378). Pour ce qui est de l’arrière-plan scripturaire, LA BONNARDIÈRE (305) avait proposé puis écarté Tobie 4,16. Il fallait plutôt renvoyer, sur les indications de Cyprien (loc. cit.), à Act. 15,19.29, où καὶ ὅσα μὴ θέλετε ἑαυτοῖς γένεσθαι ἑτέρῳ μὴ ποιεῖν [et tout ce que vous ne voulez pas qu’il vous advienne, ne le faites pas à un autre] est un ajout au « décret apostolique » attesté dans de nombreux manuscrits (voir NestleAland28 ad loc. ; DU ROY, La règle, 157–159, et, pour l’histoire textuelle très perturbé de ces versets, G. RESCH, Das Apostoldecret nach seiner ausserkanonischen Textgestalt, Leipzig 1905. Cependant : « il s’agit ici pour saint Augustin non d’un texte scripturaire précis, mais d’une sentence, exprimant le précepte fondamental de la loi naturelle » [LA BONNARDIÈRE, 305] ; de même, Bastiaensen ; voir n. précédente). Augustin n’associe jamais le précepte au restant d’Act. 15,19, et, selon les informations de la base de données Vetus Latina, nul autre des Pères latins, à part Cyprien, ne connait cet ajout au texte des Actes. Le plus probable est peut-être qu’Augustin a tiré la citation de Cyprien, mais l’ait dissociée d’Act, parce qu’il ne la trouvait pas dans son propre texte du livre biblique. Mais la Διδαχή est aussi une source possible, puisque Augustin a connu une forme latine de ce texte : voir B. ALTANER, Zum Problem der lateinischen Doctrina Apostolorum, VChr 6 (1952), 160–167. Du reste, dans sa première évocation de la règle d’or, déjà sous forme négative, Augustin en fait non pas un précepte biblique, mais un proverbe : In omni vero contractu atque conversatione cum hominibus satis est servare unum hoc vulgare proverbium: nemini faciant, quod pati nolunt [Mais dans tout échange et contact avec les hommes, il suffit d’observer uniquement ce proverbe populaire : qu’ils ne fassent à personne ce qu’ils ne veulent pas souffrir] (ord. 2,25 ; cf. doctr. christ. 3,52, cité note précédente).

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La préférence d’Augustin pour la forme négative de la règle d’or s’explique par son désir de l’associer aux prohibitions des dix commandements (voir n. précédente). 18,1 Deum voluntatemque eius ignorans Augustin indique par cette expression qu’il revient au cas des non-baptisés (voir n. à 17,2, Les péchés évidents). Les non-baptisés pouvaient en effet connaitre la loi naturelle, mais a priori ne connaissaient pas Dieu et n’avaient aucune connaissance complète de sa volonté (voir Rufin. Orig. in Rom. 2,5,19 : Interest enim cognovisse Deum et cognovisse voluntatem Dei, quia cognosci Deus a creatura mundi per ea quae facta sunt etiam gentilibus potuit, et sempiterna eius virtus ac divinitas [Rom. 1,20], voluntas vero eius non nisi ex lege agnoscitur et profetis [Il y a effectivement une différence entre connaitre Dieu et connaitre la volonté de Dieu, puisque Dieu peut être connu même des païens, depuis la création du monde, à travers les choses créées, ainsi que sa puissance éternelle et sa divinité. Mais sa volonté n’est connue qu’à travers la Loi et les prophètes]). Mais Augustin va répondre (a) que l’on pouvait être non baptisé et connaitre la volonté de Dieu (18,7) ; (b) que l’on pouvait être baptisé sans la connaitre (18,8, reprenant et modifiant 16,7s.) ; (c) que ceux qui péchaient en connaissant Dieu et sa volonté n’étaient nullement exclus du pardon (18,9–11). C’est sur ce troisième point que portait l’essentiel de la controverse, d’où l’espace qu’Augustin lui consacre. 18,2 Hebr. 10,26 Variantes d’avec la Vulgate : Grec μετὰ τὸ λαβεῖν τὴν ἐπίγνωσιν τῆς ἀληθείας οὐκέτι θυσία

Inchoata expositio postquam accepimus scientiam veritatis non adhuc sacrificium

Vulgate post acceptam notitiam veritatis iam non hostia

Pour ces variantes, voir VetLat 25 ad loc. Augustin ne cite ce verset qu’une fois ailleurs, à in Iob 31 (s’arrêtant à veritatis), sous la même forme. Ce texte correspond à celui de la famille A de VetLat 25, dont Augustin est la source principale – au point que l’on a voulu en faire l’auteur de cette version de Hebr. – mais qui est tout de même représentée par quelques manuscrits et citations indépendants (voir VetLat 25, loc. cit., 1034s.). Ce n’est pas simplement au hasard de ses lectures bibliques (voir n. à 11,3s.) qu’Augustin s’avise de citer un verset de Hebr. 10, et de l’expliquer en 19,10 avec des versets de Hebr. 6. En effet Hebr. 10,26s.29 et Hebr. 6,4–6 faisaient partie de la controverse sur les limites du pardon ecclésiastique, qui est inséparable de celui sur le blasphème contre l’Esprit Saint (voir n. à 14,1, Le blasphème et, pour ce qui suit, KOESTER, Hebrews, 20s.25). Les Novatianistes appuyaient leur position sur Hebr.

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6,4–6 (voir Ambroise, paen. 2,6 ; Philastre de Brescia, Diversarum hereseon liber 89 ; Épiphane, Panarion 59,2 ; Théodoret de Cyr, Hebr. ad loc. [PG 82, 717]), et Origène en étayait son propre refus du pardon post-baptismal pour les péchés graves (Jo. 28,15,124–126, avec référence au blasphème contre l’Esprit Saint ; Athanase, Epistulae ad Serapionem 4,2, qui ajoute Théognoste d’Alexandrie) ou l’apostasie (hom. in Jer. 13,3), tout comme le faisait Tertullien montaniste (De pudicitia 3,5). De même, Clément d’Alexandrie avait cité Hebr. 10,26s. en annonçant sa doctrine qu’une seule grande pénitence post-baptismale était possible (Stromates 2,57 ; voir SChr 38 ad loc. ; voir aussi Jean Chrysostome, hom. in Heb. 20,1 [PG 63, 143]), et Origène réitérait sa position sur l’apostasie en citant Hebr. 10,29 (comm. ser. in Mt. 114 [GCS 382, 239], de nouveau avec référence au blasphème contre l’Esprit Saint ; hom. in Jer. 13,3). Augustin répondra (19,2s.) que ces passages de Hebr. indiquent en fait l’impossibilité d’un second baptême. C’est là la doctrine de tous les Pères orthodoxes, que ce soit sur Hebr. 6 (Athanase, Epistulae ad Serapionem 4,6 ; Ambroise, paen. 2,6–8, mais noter l’alternative en 2,10 : Quae inpossibilia sunt homini, possibilia sunt apud Deum [Lc. 18,27], et potens est Deus, quando vult, donare nobis peccata, etiam quae putamus non posse concedi [Ce qui est impossible pour l’homme est possible pour Dieu, et Dieu est capable, quand il le veut, de pardonner nos péchés, même ceux que nous pensons ne pouvoir être pardonnés] ; Philastre de Brescia, loc. cit. ; Épiphane, loc. cit. ; Jean Chrysostome, hom. in Heb. 9,3s. [PG 63, 79s.] ; Théodoret de Cyr, loc. cit. ; d’autres références en KOESTER, Hebrews, 25, n. 19) ou sur Hebr. 10 (Jean Chrysostome, hom. in Heb. 20,1 [PG 63, 143s.] ; Théodoret de Cyr, Hebr. ad loc. [PG 82, 753]), passage tout de même moins discuté. Comme nous l’avons vu plus haut, les textes cités d’Athanase et Ambroise traitent aussi du blasphème contre l’Esprit Saint, et Augustin connaissait certainement au moins le De paenitentia quand il rédigea l’Inchoata expositio (voir n. à 14,1, Le blasphème ; 15,6, etiam Paulus ; 15,10 ; 15,11 ; 18,14s. ; 19,1 ; 21,1s., et n. suivante), si bien que l’on peut le considérer comme sa source principale ici. 18,4 Lc. 12,47s. Augustin inverse l’ordre des deux phrases de l’Évangile. C’est chez lui une habitude, comme le montre RING, n. à 18,4, qui conclut à bon droit que l’inversion n’est pas le reflet d’une variante textuelle, mais s’explique par « nur thematische Gründe ». Ici, en effet, il convenait de faire succéder le péché impardonnable au péché pardonnable. C’est encore sur les traces du De paenitentia de Ambroise (voir n. précédente) qu’Augustin cite Lc. 12,47s. Comme va le faire Augustin (19,15), Ambroise avait vu dans vapulabit multa non pas le châtiment éternel, mais les peines rédemptrices du péché, infligées par Dieu en cette vie (voir n. à 9,1–6) : Sed ne sine iudicio hanc esse misericordiam putes, est discretio inter eos qui perpetuam detulerunt oboedientiam mandatis caelestibus, et inter eos qui aliquando vel errore vel necessitate lapsi sint

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[Mais pour que tu ne considères pas que cette miséricorde est sans justice, il y a une séparation entre ceux qui ont offert une obéissance sans relâche aux commandements du ciel, et ceux qui ont quelquefois trébuché soit par erreur soit par nécessité] (paen. 1,58 ; ainsi déjà Cyprien, epist. 11,1). Pour une interprétation plus rigoriste, contraster Origène (Hier. hom. Orig. in Ier. 1,3 [SChr 238, 320]) sur Ier. 27,23 : In thesauro Dei vasa irae sunt, extra thesaurum vasa peccantia non sunt vasa irae, sed vasis irae minora sunt. Servi enim sunt ignorantes voluntatem domini sui et non facientes voluntatem eius. Qui autem ingreditur ecclesiam aut vas irae est aut vas misericordiae [Rom. 9,22–24] … qui ingressus est ecclesiam – o cathecumene, ausculta – qui accessit ad sermonem Dei, nihil aliud quam conscriptus est in certamine pietatis, et conscriptus, si non legitime certaverit, caeditur flagellis, quibus non verberantur hi, qui ne in principio quidem conscripti sunt [Dans le trésor de Dieu il y a des vases de colère. En dehors du trésor, les vases pécheurs ne sont pas des vases de colère, mais sont moindres que les vases de colère. Ils sont en effet des esclaves qui ignorent la volonté de leur maître et ne font pas sa volonté. Mais celui qui entre dans l’Église est soit un vase de colère soit un vase de miséricorde .. celui qui est entré dans l’Église – ô catéchumène, écoute – celui qui a accédé à la parole de Dieu, n’est rien d’autre qu’un soldat enrôlé pour le combat de la piété, et un soldat enrôlé qui ne se bat pas convenablement est frappé avec les fouets, par lesquels ne sont pas frappés ceux qui n’ont même pas été enrôlés pour commencer] (comparer comm. in Rom. 2,5,19, où les versets séparent Juifs et gentils). L’interprétation de ces versets trouvée ici, Augustin l’avait déjà formulée en de serm. dom. 1,63 (voir n. à 14,1, Le blasphème ; 20,5 ; 22,4s.). Mais plus tard il préfère les lire autrement. Il met l’accent sur leur sévérité en c. Faust. 22,14 (exemple de la colère de Jésus ; voir déjà Tertullien, adv. Marc. 4,29,11) et quaest. hept. 3,31 (expliquant Lev. 10,1–3). Deux fois, tout à fait à l’encontre de l’Inchoata expositio, vapulabit pauca … vapulabit multa sont tous les deux rapportés à la damnation, et indiquent les différents degrés de peines qui séparent soit chrétiens et païens (grat. 5) soit différents types de païens (in psalm. 78,9). Sous un tout autre angle, dans un passage très personnel, il y voit la réaction interne au péché : In multis enim quantum nobis innotescit voluntas Dei, etiam reatus noster innotescit nobis, et quanto ille nobis innotescit, tanto plus imus in fletus et lacrimas [Dans beaucoup de cas, en effet, dans la mesure où la volonté de Dieu nous devient connue, notre faute aussi nous devient connue, et plus elle nous devient connue, plus nous nous tournons vers les gémissements et les larmes] (in psalm. 98,12). Mais l’interprétation qui revient le plus souvent comporte une réponse hardie au problème posé dans civ., celui de l’écroulement de l’empire romain : Illis enim, qui contra christianam fidem querelas impias iactare non quiescunt, dicentes quod antequam ista doctrina per mundum praedicaretur, tanta mala non patiebatur genus humanum, facile est ex evangelio respondere. Dominus enim dicit: ‘Servus nesciens voluntatem domini sui et faciens digna plagis vapulabit pauca, servus autem sciens voluntatem domini sui et faciens digna plagis vapulabit multa’. Quid ergo mirum, si christianis temporibus iste mundus

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tamquam servus iam sciens voluntatem domini sui et faciens digna plagis vapulat multa? [En effet, à ceux qui ne cessent de lancer des reproches impies contre la foi chrétienne – disant que, avant que cette doctrine ne fût prêchée de par le monde, le genre humain ne souffrait pas tant de maux – on peut facilement répondre par l’Évangile. Car le Seigneur dit : ‘L’esclave qui ignore la volonté de son maître, et fait ce qui mérite des coups, sera battu un peu. Mais l’esclave qui connait la volonté de son maître, et fait ce qui mérite des coups, sera beaucoup battu’. Qu’y a-t-il donc d’extraordinaire, si, dans l’ère chrétienne, ce monde, comme un esclave qui connait désormais la volonté de son maître et fait ce qui mérite des coups, est beaucoup battu ?] (epist. 111,2 ; de même serm. 296,11 ; 72(augm),7 ; urb. exc. 8). C’est de fait l’interprétation de l’Inchoata expositio, appliquée non plus à l’individu, mais à la communauté. Il n’y pas lieu de conclure de la diversité de ces lectures qu’Augustin aurait changé d’avis sur le sens de l’Évangile. Lc. 12,47s. est une sentence d’ordre général, et il est naturel qu’Augustin lui trouve de multiples applications. 18,7 Corneille et la foi pré-baptismale Les réflexions d’Augustin sur Corneille ont été recensées et analysées par F. BOVON, De vocatione gentium, Tübingen 1967, 65–71.74s.280–289 : Augustin s’est surtout intéressé à Corneille dans les controverses. Contre les Donatistes, il utilise son exemple à la fois à pour montrer la liberté qu’a Dieu de transmettre l’Esprit comme il le veut, et non seulement à travers une Église de parfaits, et en même temps (sur les traces du De rebaptismate, CPL 59) comme preuve de la séparation entre baptême et don de l’Esprit, ce qui indiquait comment le baptême des Donatistes pouvait être valable sans être salvifique (voir n. à. 16,6 ; 16,7, postea negligenter). Ensuite, contre Pélagiens et semi-Pélagiens, Augustin affirme que, si Corneille reçut la visite de l’ange, celle de Pierre, et celle de l’Esprit, ce ne fut pas en récompense de ses mérites indépendants de la grâce, mais par une certaine grâce qu’il avait reçue, même en étant païen. On ne saurait prétendre trouver toutes ces exégèses en germe dans l’Inchoata expositio. Mais on y voit un élément qui reviendra beaucoup par la suite : Augustin souligne que, malgré le don de l’Esprit, Corneille avait besoin du baptême. En effet, l’épisode mettait a priori en doute la nécessité du sacrement, puisque son effet l’avait précédé. Mais, en décrivant, comme il le fait souvent, le baptême en termes de signum et res (signacula … res, voir n. à 6,3 ; 14,2–8), Augustin le fait entrer dans sa vision globale de la nécessité des signes. En effet, pour lui, ce qui distingue la nouvelle alliance de l’ancienne n’est pas l’absence de signes, mais le fait que ces signes soient moins nombreux, et surtout soient compris : Sub signo enim servit, qui operatur aut veneratur aliquam rem significantem, nesciens quid significet. Qui vero aut operatur aut veneratur utile signum divinitus institutum, cuius vim significationemque intellegit, non hoc veneratur, quod videtur et transit, sed illud potius, quo talia cuncta referenda sunt … Posteaquam resurrectione Domini nostri manifestissimum

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indicium nostrae libertatis inluxit, nec eorum quidem signorum, quae iam intellegimus, operatione gravi onerati sumus, sed quaedam pauca pro multis eademque factu facillima et intellectu augustissima et observatione castissima ipse Dominus et apostolica tradidit disciplina, sicuti est baptismi sacramentum et celebratio corporis et sanguinis Domini. Quae unusquisque cum percipit, quo referantur imbutus agnoscit, ut ea non carnali servitute, sed spiritali potius libertate veneretur [En effet, celui-là est un esclave sous un signe, qui pratique ou vénère une chose qui a un sens, sans savoir quel sens elle a. Mais celui qui pratique ou vénère un signe utile, institué par Dieu, dont il comprend la puissance et la signification, ne vénère pas ce qui est visible et éphémère, mais plutôt ce à quoi de telles choses doivent toutes être rapportées … Depuis que, par la résurrection de notre Seigneur, l’indication absolument claire de notre liberté a commencé à briller, nous ne sommes même plus opprimés par la pratique onéreuse de ces signes que nous comprenons désormais. Mais le Seigneur lui-même et l’enseignement des apôtres a transmis quelques [signes] – un petit nombre pour remplacer un grand, très faciles à accomplir, et très vénérables dans leur sens, et très chastes dans leur pratique – tels le sacrement du baptême et la célébration du corps et du sang du Seigneur. Chacun, quand ils les reçoit, ayant été initié, sait ce qui est désigné par eux, et les vénère donc non pas dans l’esclavage charnel, mais plutôt dans la liberté spirituelle] (doctr. christ. 3,30–32 ; cf. vera relig. 88–90 ; epist. 54,1 ; 55,13 et voir BA 11/2, 555). On ne dégage pas facilement de cette compréhension des sacrements p o u r q u o i le signe reste nécessaire, mais ce n’est que reposer la question de la nécessité d’une vraie Incarnation. Or, quels qu’aient été les tendances platoniques ou les restes de Manichéisme chez Augustin, une fois devenu chrétien, il n’a jamais douté ni qu’il fallût des signes ni que le Christ dût se faire chair (voir MAYER, Die Zeichen, t. 2, 393–415, soulignant qu’Augustin est généralement plus à l’aise avec la « Verweisungfunktion » de l’Incarnation et des sacrements, qui nous mène au-delà du monde corporel, qu’avec la sanctification qu’ils confèrent à ce monde). ad perficiendam scientiam veritatis. En doctr. christ. praef. 12, Augustin rappelle que Corneille avait encore besoin de catéchèse, puisque que le message de l’ange en soi n’avait pas révélé le contenu de la foi chrétienne : Cogitemus … centurionem Cornelium quamvis exauditas orationes eius eleemosynasque respectas ei angelus nuntiaverit, Petro tamen traditum imbuendum, per quem non solum sacramenta perciperet, sed etiam quid credendum, quid sperandum, quid diligendum esset audiret [Songeons … que le centurion Corneille, bien que l’ange lui eût annoncé que ses prières avaient été exaucées et ses aumônes prises en compte, fut néanmoins confié à Pierre pour être initié. Il devait non seulement recevoir de lui les sacrements, mais encore entendre ce qu’il fallait croire, ce qu’il fallait espérer, ce qu’il fallait aimer] (voir n. à 16,7, quid credendum). Mais surtout, comme Augustin va l’expliquer en 19,4–11, le baptême ne confère pas la scientia veritatis dans le sens qu’il transmet un enseignement (comment serait-ce possible par l’acte liturgique du baptême ?), mais en opérant une transformation intérieure qui seule rend possible

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l’acceptation complète de cet enseignement. C’est parce que le don de l’Esprit (voir n. suivante) n’est normalement possible qu’après cette transformation que le cas de Corneille pose problème. 18,7 ipsum Spiritum sanctum … antequam baptizaretur, accepit Il n’y a pas pour Augustin de sacrement de la confirmation, mais un don de l’Esprit par imposition des mains dans le rite du baptême. Cependant Augustin insiste, contre les Donatistes, sur le fait que le don de l’Esprit, à la différence du baptême, peut se faire par intervention directe de Dieu, sans l’intermédiaire du prêtre (voir n. précédente, et V. SAXER, Les rites de l’initiation chrétienne du IIe au VIe siècle, Spoleto 1988, 394s.). Du reste, une certaine intervention de l’Esprit Saint avant le baptême devait être admise pour tous les catéchumènes adultes de bonne foi. On ne saurait expliquer autrement la conversion, y compris celle d’Augustin lui-même, qui affirma sans ambages l’action de l’Esprit pour le mener à la foi, et écrivit ses cinq premiers traités chrétiens avant même de recevoir le baptême. 18,7 coattestantibus ThLL s.v. coattestor indique que ce mot apparait exclusivement chez Augustin. Il cite notre texte, puis in psalm. 21,2,2. Ajouter cons. euang. 3,79 (sicut Lucas et Iohannes coattestantur [comme en (co-)témoignent Luc et Jean]) ; serm. 360B,19 (coadtestantibus signis et miraculis tantis [tant de signes et de miracles (co-) témoignent]), et aussi Primasius, in apoc. 4,14, introduisant justement une citation d’Augustin. ThLL voudrait que le mot signifie « idem fere q[uod] attestari » [à peu près la même chose que « témoigner »], ce qui s’applique pour l’Inchoata expositio, mais moins bien dans les autres passages indiqués, où il y a une référence claire à l’accord de plusieurs témoins. 18,8 nec post acceptum baptismum curant cognoscere voluntatem Dei Augustin semble passer à l’ignorance voulue chez les baptisés, qui pose moins de problèmes que l’ignorance involontaire (voir n. à 16,2), puisqu’elle comporte un choix moral de l’individu : Non tibi deputatur ad culpam quod invitus ignoras, sed quod neglegis quaerere quod ignoras [On ne te reproche pas d’être dans l’ignorance contre ton gré, mais de négliger de chercher ce que tu ignores] (lib. arb. 3,53 ; de même 3,58). Mais cet argument n’est pas entièrement à sa place, puisque, comme il va le dire dans la phrase suivante, l’exemple de Corneille sert à montrer que l’on peut connaitre la volonté de Dieu a v a n t le baptême, et donc par extension que l’on peut commettre des péchés pardonnables en connaissant la volonté de Dieu, puisque le baptême lave tous les péchés.

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18,9 in diligendo Deo et proximo Le double commandement, qui scande toute la pensée d’Augustin, avait déjà reçu deux grands développements, dans mor. eccl. et vera relig. 243–251 ; le suivant sera dans doctr. christ. 1 (pour cette époque, voir aussi in Rom. 67 ; in Gal. 35 ; de mend. 40 ; divers. quaest. 35s.). Introduction et bibliographie pour ce vaste sujet en AugLex s.v. caritas. 18,9s. dilectionem autem proximi, id est, dilectionem hominis « Dans la langue profane, le terme ‘proximus’ désigne seulement le proche parent » (AugLex s.v. caritas, 734). D’où la tendance d’Augustin à préciser : voir les passages allégués loc. cit., et ajouter in psalm. 14,3 : ‘Nec fecit proximo suo malum’ [Ps. 14,3]. Proximum omnem hominem accipi oportere notum est [‘Et il n’a pas fait de mal à son prochain’. On sait qu’il faut comprendre le prochain comme étant chaque être humain] (de même §5), et surtout le développement sur le Bon Samaritain en doctr. christ. 1,66–70. 18,11 ita rapiuntur animo ad ulciscendum En théorie, il s’agit d’un comportement qui appartient à l’ancienne alliance : ‘Audistis quia dictum est antiquis: Oculum pro oculo, et dentem pro dente. Ego autem dico vobis, non resistere malo. Sed si quis te percusserit in maxillam, praebe illi et alteram; et quicumque voluerit tecum iudicio contendere et tunicam tuam auferre, dimitte illi et pallium’ [Mt. 5,38–40]. In quibus duabus sententiis revera duorum Testamentorum differentia demonstratur, sed amborum tamen ab uno Deo constitutorum. Nam quoniam primo carnales homines ardebant multo amplius se vindicare, quam erat illa iniuria, de qua querebantur, constitutus est eis primus lenitatis gradus, ut iniuriae acceptae mensuram nullo modo dolor vindicantis excederet. Sic enim et donare aliquando posset iniuriam, qui eam primo non superare didicisset. Unde Dominus iam per evangelii gratiam ad summam pacem populum ducens, huic gradui superaedificat alterum, ut qui iam audierat non ampliorem vindictam, quam quisque laesus est, reddere, placata mente totum se donare gauderet [‘Vous avez entendu qu’il fut dit aux anciens : Un œil pour un œil, et une dent pour une dent. Or moi je vous dis de ne pas résister au mal. Mais si quelqu’un t’a frappé sur la joue, tend-lui aussi l’autre [joue]. Et si quelqu’un veut entrer en jugement avec toi, et t’enlever ta tunique, laisse-lui aussi ton manteau’. Dans ces deux sentences on voit véritablement la différence entre les deux Testaments, bien qu’ils soient tous les deux établis par un seul Dieu. En effet, comme les premiers hommes, [étant] charnels, brûlaient de se venger bien au-delà du tort dont ils se plaignaient, un premier grade de patience fut établi pour eux : la douleur du vengeur ne devait nullement dépasser la mesure du tort reçu. En effet, on pouvait même un jour pardonner un tort, si l’on avait d’abord appris à ne pas le dépasser. Ensuite, le Seigneur, conduisant désormais un peuple, par la grâce de l’Évangile, à la paix absolue, éleva un deuxième grade au-dessus de ce premier, pour que celui qui avait déjà entendu qu’il ne fallait pas rendre une

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vengeance qui dépassait la blessure qu’il avait reçue, se réjouît, avec un esprit pacifié, de tout pardonner] (c. Adim. 8 ; de même de serm. dom. 1,56s.). Mais, dans l’expérience pastorale, Augustin sait très bien qu’il n’en est rien : Dicitur tibi: ‘Non occides’. Tu autem occidere vis inimicum tuum, et ideo forte non facis, quia times iudicem hominem, non quia cogitas Deum. Ignoras quia ille testis est cogitationum. Illo vivo quem vis mori, te homicidam tenet in corde [On te dit : ‘Tu ne tueras pas’. Mais toi, tu veux tuer ton ennemi, et si tu ne le fais pas, c’est peut-être parce que tu crains le juge humain, non pas parce que tu penses à Dieu. Tu ignores qu’il est témoin de tes pensées. Bien que celui que tu voudrais voir mort soit vivant, il te convainc d’être un assassin dans ton cœur] (serm. 9,3). 18,11 nec prolato et recitato evangelio Augustin fait référence à l’activité judiciaire des évêques, arbitres de différends civils (voir LANCEL, Saint Augustin, 365–381 ; GAUDEMET, L’Église, 211–252). Sans doute pouvaient-ils avoir fréquemment recours à la récitation des Évangiles pour amadouer les chrétiens dont il tentaient de régler les querelles (GAUDEMET, L’Église, 246, note « le caractère conciliateur que gardait en toutes circonstances la juridiction épiscopale »). Voir serm. 167,4, où Augustin s’imagine arbitrant une dispute en renvoyant les parties à Mt. 5,40 et Eph. 5,16, et serm. 179A,7, où il exhorte ses ouailles à préferer le pardon à la chicane : Si non dimittis adversario tuo, tu tibi es adversarius. Vis videre quantum intersit? Verbi gratia, ille te laesit auferendo pecuniam; tu te fraudas non merendo indulgentiam. Postremo dicturus es: ‘Multum saevit, sanguinem meum quaerit’. Ille, sanguinem carnis tuae; tu, mortem animae tuae. ‘Non ignosco’, inquit. ‘Multum me laesit, multum mihi adversarius fuit’. Peior tibi es. ‘Non ignosco’. Rogo te, ignosce, dimitte. ‘Sed non me rogat’. Tu pro illo roga. ‘Prorsus non ignosco’. Litigare vis, et nescis cum quo debeas. Litigare amas? Redi ad te. ‘Irascere, sed noli peccare’ [Ps. 4,5]. Tibi irascere, ut non pecces. In te saevi, te castiga. Habes intus quod domes, et dormis [Si tu ne pardonnes pas à ton adversaire, tu es ton propre adversaire. Tu veux savoir la différence que cela fait ? Un exemple : il t’a fait du mal en prenant ton argent ; tu voles à toi-même en ne méritant pas l’indulgence. Enfin tu diras : ‘Il enrage, il cherche mon sang’. Lui, [il cherche] le sang de ta chair ; toi, la mort de ton âme. ‘Je ne pardonne pas’, dis-tu. ‘Il m’a fait beaucoup de mal ; c’était mon grand ennemi’. Tu es plus méchant envers toi-même. ‘Je ne pardonne pas’. Je te le demande : pardonne, laisse. ‘Mais il ne me le demande pas’. À toi de demander à sa place. ‘Je ne lui pardonne absolument pas’. Tu veux intenter un procès, et tu ne sais pas à qui tu devrais [l’intenter]. Tu aimes les procès ? Rentre en toimême. ‘Sois en colère, mais ne pèche pas’. Sois en colère avec toi-même, pour que tu ne pèches pas. Enrage envers toi-même, châtie-toi. Tu as en toi ce que tu dois dompter, et tu dors]. Augustin reproduit ici dans sa prédication le quotidien de l’évêque-arbitre.

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18,12 spiritales viri Pour ceux qu’Augustin considère comme spiritales, voir A. SOLIGNAC, BA 14, 629– 634 ; R. J. TESKE, Spirituals and Spiritual Interpretation in St. Augustine, AugStud 15 (1984), 65–81 ; R. J. TESKE, Homo Spiritualis in St. Augustine’s De Genesi contra Manichaeos, Studia Patristica 22 (1989), 351–355 ; R. J. TESKE, « Homo spiritualis » in the Confessions of St. Augustine, dans : J. MCWILLIAM (éd.), Augustine: From Rhetor to Theologian, Waterloo ON 1992, 67–76 ; et surtout MAYER, Augustins Lehre, en commençant par 6–11 pour le dossier scripturaire. Des passages proches du nôtre sont vera relig. 66 (Ita fit homo spiritalis omnia iudicans, ut ipse a nemine iudicetur [1 Cor. 2,15], diligens Dominum Deum suum in toto corde, in tota anima, in tota mente, et diligens proximum suum non carnaliter, sed tamquam seipsum [Il devient ainsi l’homme spirituel qui juge de tout, pour que, lui, il ne soit jugé par personne, aimant le Seigneur son Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit, et aimant son prochain, non pas charnellement, mais comme soi-même]) ; serm. 56,15 (Adhuc dicite: Quis potest? Quis illud [sc. aimer ses ennemis] facit? Deus illud faciat in cordibus vestris. Et ego scio, pauci illud faciunt, magni sunt qui faciunt, spiritales faciunt [Dites encore : Qui en est capable ? Qui le fait ? Que Dieu le fasse dans vos cœurs. Moi aussi, je sais que peu le font ; qu’ils sont grands, ceux qui le font ; les spirituels le font]) ; puis des réflexions sur Gal. 6,1 : in Gal. 56 (Nihil autem sic probat spiritalem virum quam peccati alieni tractatio, cum liberationem eius potius quam insultationem potiusque auxilia quam convicia meditatur [Rien ne prouve qu’un homme est spirituel autant que sa façon de traiter les péchés d’un autre : quand il pense à le libérer plutôt qu’à s’en gausser, à l’aider plutôt qu’à l’injurier]) ; serm. 163B,3 (Et si clamas, intus ama; hortaris, blandiris, corripis, saevis: dilige et quidvis fac [Même si tu cries, aime intérieurement ; tu exhortes, tu caresses, tu réprimandes, tu t’enrages : aime et fais ce que tu veux]). Cependant, même si l’amour de Dieu et du prochain, et l’enseignement de cet amour, sont toujours compris implicitement comme un sine qua non pour être spiritalis, « Ethische Leistungen scheinen nicht mit der Qualifikation ‘spiritalis’ in einem unmittelbaren Zusammenhang zu stehen » (MAYER, Augustins Lehre, 57). En effet, ce qui caractérise le spiritalis, c’est surtout une connaissance de la profondeur des mystères chrétiens : il connait le sens allégorique, et donc spirituel et non pas charnel, de l’Ancien Testament (c’est déjà l’interprétation de Clément d’Alexandrie et surtout d’Origène, chez qui elle est presque obsessive. Voir SOLIGNAC, 630 ; MAYER, Augustins Lehre, 45, mais il y aurait plus à dire sous ce chef) ; il comprend la hiérarchie des biens, avec à son sommet un Dieu qu’il conçoit correctement comme une substance spirituelle (c’est sur cet aspect que portent les écrits de Teske, qui insiste – un peu à l’excès – sur l’origine de cette conception dans le néo-Platonisme. Selon Teske, seuls quelques chrétiens néo-platonisants, Ambroise, Marius Victorinus, Simplicianus, seraient des spiritales pour Augustin). Dans un tournant dangereux, Augustin affirmera aussi plus tard que seul le spirituel comprend les vérités de la prédestination, et qu’il les cachera dans une certaine mesure aux simples (MAYER,

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Augustins Lehre, 38s.), ce qu’Augustin lui-même a fait (FITZGERALD, Augustine s.v. Predestination, 679). L’Église se divise-t-elle donc entre spiritales et carnales, comme semble l’indiquer notre passage de l’Inchoata expositio ? La réponse est complexe. Tous les hommes ont dans leur âme une substance spirituelle (MAYER, Augustins Lehre, 13s.), qu’ils conservent après la chute, tout en devenant charnels. Dans le baptême, les chrétiens renaissent à la vie spirituelle (MAYER, Augustins Lehre, 40s.), et il s’agit ensuite de croître : aucun chrétien n’est entièrement spirituel en cette vie. À partir de quaest. Simpl. 1,2,17, Augustin insistera sur le fait que même les plus élevés dans l’Église restent en lutte permanente contre l’homme charnel en eux (MAYER, Augustins Lehre, 25–27.58 ; SOLIGNAC, 633). C’est bien ainsi qu’il commente Gal. 6,1 vers 410 : Numquid enim quia spiritalis est, homo non est? Numquid quia spiritalis est, non portat ‘corruptibile corpus quod aggravat animam’ [Sap. 9,15]. Numquid quia spiritalis est, finivit hanc vitam, quae ‘tota temptatio est super terram’ [Iob 7,1]. Ergo bene illi dictum est, omnino bene: ‘intendens te ipsum, ne et tu tempteris’ [Gal. 1,6] [Est-ce que, parce qu’il est spirituel, il n’est plus un homme ? Est-ce que, parce qu’il est spirituel, il ne porte pas ‘un corps corruptible qui pèse sur l’âme’ ? Est-ce que, parce qu’il est spirituel, il a terminé cette vie, qui est ‘entièrement tentation sur la terre’. On fait donc bien, on fait très bien de lui dire : ‘faisant attention à toi-même, pour que tu ne sois pas tenté, toi aussi’] (serm. 163B,3). En même temps, ceux dans l’Église qui sont prédestinés à la damnation ne sont spirituels ni de fait ni in potentia (MAYER, Augustins Lehre, 40–43. On se demande si un tel baptisé est incapable de toute croissance spirituelle, ou s’il faut plutôt comprendre que, puisque celle-ci sera finalement vaine, il ne pourra pas figurer au rang des spirituels, ne serait-ce que temporairement). Notons deux tensions dans cette notion de spiritalis qui ont trait à notre passage de l’Inchoata expositio : (a) Tout d’abord, Augustin dit que la volonté de Dieu n’est pas difficile à apprendre (breviter insinuetur, 13,9), puisqu’elle consiste à aimer Dieu et son prochain. Et, dans doctr. christ., Augustin va fonder toute son herméneutique des Écritures sur le principe qu’elles ne contiennent pas de mystère qui aille au-delà du double commandement. Dans l’Inchoata expositio, ce sont ensuite les spirituels qui exhortent les autres, les charnels, à y adhérer. Mais, si le commandement est simple, le spirituel, on l’a vu, doit être « soweit wie möglich auch ein theologisch Gebildeter » (MAYER, Augustins Lehre, 28). Faut-il comprendre que seul celui qui peut allégoriser l’Ancien Testament et expliquer la théologie trinitaire est capable – pour ne pas parler de l’amour de Dieu – d’aimer son prochain, d’aimer son ennemi ? Augustin croyait certainement que seul celui qui aimait son prochain était un vrai « theologisch Gebildeter », mais dans quelle mesure pensait-il aussi l’inverse ? Qui veut répondre à cela doit surtout se rappeler qu’il incombe au spirituel de partager sa connaissance : Augustin a inlassablement expliqué à sa congrégation ce qu’il

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croyait être le sens caché des Écritures (voir in euang. Ioh. 98 pour sa propre présentation de cette prédication en termes de spirituels et charnels). (b) En pratique, les spiritales viri sont clairement des membres du clergé. Qui d’autre est susceptible de parler prolato et recitato evangelio (13,11 ; voir n. précédente) ? Augustin écrira certes : In ecclesia tua … non solum qui spiritaliter praesunt sed etiam hi qui spiritaliter subduntur eis qui praesunt – masculum enim et feminam fecisti hominem [Gen. 1,27] hoc modo in gratia tua spiritali, ubi secundum sexum corporis non est masculus et femina, quia ‘nec Iudaeus neque Graecus neque servus neque liber’ [Gal. 3,28] – spiritales ergo, sive qui praesunt sive qui obtemperant, spiritaliter iudicant [1 Cor. 2,15] [Dans ton Église … non seulement ceux qui commandent spirituellement, mais aussi ceux qui sont spirituellement soumis à ceux qui commandent – car tu as ainsi fait l’homme mâle et femelle dans ta grâce spirituelle, où il n’y a ni mâle ni femelle selon le sexe du corps, puisqu’il n’y a ‘ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre’ – donc, les spirituels, qu’ils commandent ou qu’ils obéissent, jugent spirituellement] (conf. 13,33). Mais comme le fait remarquer SOLIGNAC (632) sur ce passage, quand Augustin en vient à expliquer ce que jugent les fidèles, « il semble bien parler maintenant comme si, selon l’ordre normal des choses, le spirituel au sens plein était l’évêque ». MAYER, Augustins Lehre, 55–57 note de même que quand Augustin parle d’individus ou de groupes spécifiques comme étant spiritales, il s’agit toujours d’évêques, de prêtres, de diacres ou de moines (et, si Augustin parle 29 fois d’homo spiritalis [homme [sc. être humain] spirituel] et 25 fois de vir spiritalis [homme [sc. mâle] spirituel], il ne mentionne jamais de femina spiritalis [femme spirituelle] : ibid. 6, 57). Certes, Augustin n’a jamais proposé d’équivalence naïve entre la sainteté et l’état de vie, et la controverse avec les Donatistes l’a mille fois obligé à admettre la faillibilité des prêtres. En même temps, vu ses hésitations devant la vie familiale et les rapports sexuels, on voit difficilement comment, pour lui, une personne mariée pourrait progresser beaucoup vers l’état de spirituel : Quamvis a furtis, a rapinis, a fraudibus, ab adulteriis et fornicationibus omnique luxuria, a crudelitate odiorum et inimicitiarum pertinacia, ab omni denique idololatriae foeditate, spectaculorum nugacitate, haeresum atque schismatum impia vanitate, atque ab omnibus huiuscemodi flagitiis et facinoribus immunes, puri atque integri esse debeant, tamen propter administrationem rerum familiarium, et coniugiorum artissima vincula, tam multa peccant, ut non tam de istius mundi pulvere aspergi, quam luto obliniri videantur [Bien qu’ils doivent être intacts, purs et libres du vol, de la rapine, de la fraude, de l’adultère et de la fornication, et de toute intempérance, de la cruauté de la haine et de l’entêtement de l’inimitié, enfin de toute la souillure de l’idolâtrie, de la frivolité des spectacles, de la vanité impie des hérésies et des schismes, et de toute infamie et crime de ce genre – néanmoins, à cause de l’administration de leurs affaires familiales, et des liens très étroits du mariage, ils font tant de péchés, qu’ils semblent non pas aspergés par la poussière de ce monde, mais plutôt enduits de sa boue] (serm. 351,5 ; cf. soliloq. 1,17 et voir aussi le contraste entre laïcs et clergé en util. cred. 35 : Pauci haec faciunt, pauciores bene pruden-

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terque faciunt: sed populi probant, populi audiunt, populi favent, diligunt postremo populi. Populi suam imbecillitatem, quod ipsa non possunt, nec sine provectu mentis in Deum, nec sine quibusdam scintillis virtutis, accusant [Peu nombreux sont ceux qui le font, moins nombreux ceux qui le font bien et prudemment : mais le peuple les approuve, le peuple les écoute, le peuple les soutient, enfin le peuple les aime. Le peuple en veut à sa faiblesse, qui fait qu’il ne peut pas en faire autant : [voilà qui] n’est pas sans un progrès de l’esprit vers Dieu, ni sans quelques étincelles de vertu] ; de même c. Faust. 5,9 : le thème se développe en partie en réponse à l’ascétisme manichéen). Ces tensions ne sont nullement exclusives à la pensée augustinienne, mais sont le fait inévitable d’une religion qui est à la fois religion du livre et religion des simples, qui crée des formes spéciales de vie consacrée, tout en exigeant la sainteté de tous. Pour Augustin lui-même, le problème sera en fin de compte dépassé par sa vision de la grâce, qui sauve des homme de toutes sortes, y compris ceux qui, tels le bon larron (quaest. Simpl. 1,2,14–19), n’ont jamais vécu comme des spirituels. 18,14s. La faute de David David est le pécheur repenti le plus célèbre de l’Ancien Testament, et pouvait figurer dans toute discussion sur la valeur de la pénitence. Il est déjà exemple du pardon dans la quaestio anti-novatianiste de l’Ambrosiaster = Ps.-Aug. quaest. test. (102,5 [CSEL 50] ; voir n. à 20,5, malevolentiae). Mais Augustin continue surtout à suivre le De paenitentia d’Ambroise (voir n. à 18,2) : Nihil ergo te revocet a paenitentia. Haec tibi communis cum sanctis est, utinamque imitanda talis qualis sanctorum deploratio. David ‘manducabat sicut panem cinerem et potum suum lacrimis temperabat’ [Ps. 101,10]. Ideo nunc amplius gaudet, quia amplius flevit [Donc, que rien ne te fasse revenir de la pénitence. Tu la partages avec les saints, et tu dois l’imiter autant que les larmes des saints. David ‘mangeait les cendres comme du pain et mélangeait ses larmes à sa boisson’. C’est pourquoi maintenant il se réjouit plus, parce qu’il a plus pleuré] (paen. 2,93 ; voir aussi 2,69, et l’emploi de l’exemple de David par Ambroise pour exhorter Théodose au repentir : epist. extra coll. 11,7s. [CSEL 82/3] ; la première Apologia David, adressée à Théodose, et Paulin de Milan, Vita Ambrosii 24.39). Néanmoins, soucieux de réduire la part du scandaleux dans l’Ancien Testament, Augustin cherche ailleurs à minimiser la faute de David : Intellegitur, quanta temperantia multas mulieres habuerit, quando de una, in qua excessit modum, a se ipso puniri coactus est. Sed in isto viro inmoderatae huius libidinis non permansio, sed transitus fuit. Propterea etiam ab arguente propheta ille inlicitus appetitus ‘hospes’ vocatus est [2 Reg. 12,4]. Non enim dixit eum regi suo, sed hospiti suo vicini pauperis ovem ad epulandum exhibuisse [On comprend avec quelle modération il a eu plusieurs femmes, quand, ayant dépassé la mesure dans le cas d’une seule, il fut contraint à se punir lui-même. Mais ce fut chez cet homme non pas l’installation, mais [seulement] le passage de la luxure immodérée. C’est en effet pour cette raison que ce désir interdit fut appelé ‘hôte’ même par le prophète accusateur. Effectivement, il

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n’a pas dit qu’il avait offert le mouton du pauvre voisin pour le festin de son roi, mais de son hôte] (doctr. christ. 3,71). Mais quand il prêche la pénitence, la faute prend de nouveau toute son ampleur : Intuere David regem: iam utique et ipse illius temporis sacramenta perceperat, iam utique circumcisus erat, quod patres nostri pro baptismo habebant … Iam etiam unctus erat unctione venerabili, qua ‘regale sacerdotium’ [1 Petr. 2,9] praefigurabatur ecclesiae. Repente autem factus et adulterii et homicidii reus, non frustra tamen de tam immani et abrupto profundo sceleris paenitens clamavit ad Dominum [Regarde le roi David : lui aussi, assurément, avait déjà reçu les sacrements de cette époque ; assurément, il avait déjà été circoncis, ce que nos pères faisaient à la place du baptême … De plus, il avait déjà été oint de l’onction vénérable, par laquelle était préfiguré le ‘sacerdoce royal’ de l’Église. Mais, quand il est devenu tout d’un coup coupable d’adultère et d’homicide, ce n’est pas en vain, cependant, que, du gouffre si énorme et si abrupt de son crime, le pénitent a crié vers le Seigneur] (serm. 351,12) ; multi enim cadere volunt cum David, et nolunt surgere cum David [Nombreux, en effet, sont ceux qui veulent tomber avec David, et ne veulent pas s’élever avec David] (in psalm. 50,3). Si David pécheur repenti a un équivalent dans le Nouveau Testament, c’est Pierre, dans son reniement du Christ. Il ne figure pas dans l’Inchoata expositio. Mais dans serm. 71, on ne retrouve plus David, et Pierre, pour ainsi dire, a pris sa place : ‘Dico autem vobis, quicumque confessus fuerit me coram hominibus, et filius hominis confitebitur in illo coram angelis Dei. Qui autem negaverit coram hominibus, denegabitur coram angelis’. Et ne ex hoc apostoli Petri desperaretur salus, qui eum coram hominibus ter negavit, continuo subiecit: ‘Et omnis qui dicit verbum in filium hominis, remittetur illi. Ei autem qui in Spiritum sanctum blasphemaverit, non remittetur’ [Lc. 12,8–10], illa scilicet blasphemia cordis impaenitentis, qua resistitur remissioni peccatorum, quae fit in ecclesia per Spiritum sanctum. Quam blasphemiam Petrus non habuit, quem mox paenituit quando amare flevit [‘Mais je vous le dis, quiconque m’aura confessé devant les hommes, le fils de l’homme confessera aussi pour lui devant les anges de Dieu. Mais celui qui [me] reniera devant les hommes sera renié devant les anges’. Et pour que l’on ne désespérât pas pour autant du salut de l’apôtre Pierre, qui l’avait renié trois fois devant les hommes, il ajouta ensuite : ‘Et quiconque dit une parole contre le fils de l’homme, il lui sera pardonné. Mais pour celui qui aura blasphémé contre l’Esprit Saint, il ne lui sera pas pardonné’. Il s’agit du blasphème d’un cœur impénitent, par lequel on résiste au pardon des péchés, qui se fait dans l’Église par l’Esprit Saint. Pierre n’eut pas ce blasphème : il fit bientôt pénitence, quand il pleura amèrement] (serm. 71,34 ; voir aussi Pierre associé à David en serm. 351,12). 19,1 qui diligentius pertractant Pour les sources d’Augustin, voir n. à 18,2. Il fait très probablement référence une fois de plus au De paenitentia d’Ambroise. Pour le contraste entre le sacrifice du baptême et ceux de la pénitence, voir serm. 351,6 : Non enim ea dimitti precamur [sc.

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lors de l’acte de contrition dans la messe, ou en récitant le Pater], quae iam in baptismo nisi dimissa credimus, de ipsa fide dubitamus. Sed utique de quotidianis peccatis hoc dicimus, pro quibus etiam sacrificia eleemosynarum, ieiuniorum, et ipsarum orationum ac supplicationum quisque pro suis viribus offerre non cessat [En effet, nous ne demandons pas que l’on nous pardonne les [offenses] que nous devons croire avoir déjà été remises dans le baptême – autrement, nous douterions de la foi elle-même. Mais nous disons cela, évidemment, des péchés quotidiens, pour lesquels chacun, selon ses forces, ne cesse d’offrir aussi des sacrifices d’aumônes, de jeûnes, et justement de prières et de supplications]. 19,2 id est, holocausto dominicae passionis Jean Chrysostome, sur Hebr. 6,6, rappelle que c’est justement l’épître aux Romains qui rend explicite le lien entre la mort du Christ et le baptême : ὃ δὲ λέγει, τοῦτό ἐστι· τὸ βάπτισμα σταυρός ἐστι· ‘συνεσταυρώθη γὰρ ὁ παλαιὸς ἡμῶν ἄνθρωπος’ [Rom. 6,6]. καὶ πάλιν· ‘σύμμορφοι γεγόναμεν τῷ ὁμοιώματι τοῦ θανάτου αὐτοῦ’ [Rom. 6,5]· καὶ πάλιν· ‘συνετάφημεν οὖν αὐτῷ διὰ τοῦ βαπτίσματος εἰς τὸν θάνατον’ [Rom. 6,4]. ὥσπερ οὖν οὐκ ἔνι δεύτερον σταυρωθῆναι τὸν Χριστόν – τοῦτο γὰρ ‘παραδειγματίσαι’ αὐτόν ἐστιν – οὕτως οὐδὲ βαπτισθῆναι [Voici ce qu’il dit : le baptême, c’est la croix, puisque ‘notre homme ancien a été crucifié avec lui’. Et encore : ‘nous sommes devenus similaires à la forme de sa mort’ ; et encore : ‘nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort’. Donc, tout comme le Christ ne peut pas être crucifié une deuxième fois – car c’est cela, le ‘déshonorer’ – de même on ne peut être baptisé [une deuxième fois]] (hom. in Heb. 9,3 [PG 63, 79] ; exégèse très similaire chez Théodoret de Cyr, Hebr. 6,4–6 [PG 82, 716s.]). Cette union à la Passion, dont le baptême est le signe efficace, se fait par la foi, le grand sujet de Rom. : Tum enim cuique occiditur cum credit occisum [Pour chaque homme, il est tué au moment où il croit qu’il a été tué] (quaest. euang. 2,33,3). 19,6 per doctrinam Par ces mots, Augustin distingue entre le baptême, qui est, pour ainsi dire, le sceau de la connaissance de Dieu, et l’enseignement catéchétique. Voir n. à 18,7, Corneille. 19,7 omnem hominem non esse quadrupedem De propositione aristotelica, lit-on ici dans la marge du manuscrit O. Il s’agit en effet d’un peu de logique d’école, comme on en trouve souvent en forme simple chez Augustin (voir MARROU, Saint Augustin, 240s.245 ; J. PÉPIN, Saint Augustin et la dialectique, Villanova PA 1976, 166–187 ; pour l’exemple d’Origène : SChr 290, 378– 384), et dont il expose la valeur en doctr. christ. 2,117–131. Ici, Augustin montre qu’une équivalence entre les baptisés et ceux qui ont la scientia veritatis serait un sophisme « par non-distributivité du terme majeur » (voir W. T. PARRY – E. HACKER, Aristotelian Logic, Albany NY 1991, 293), d’un type qu’il relève particulièrement souvent dans ses premiers écrits, sous diverses formes : Convenit inter nos, neque

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quemquam beatum esse posse, qui quod vult non habet; neque omnem qui quod vult habet, beatum esse [Nous sommes d’accord que personne ne peut être heureux, qui n’a pas ce qu’il veut, et que tous ceux qui ont ce qu’ils veulent ne sont pas heureux] (beat. vit. 10) ; sed illud videte, utrum quomodo verum est quod omnis egens miser sit, ita sit verum quod omnis miser egeat [Mais voyez ceci : est-ce que, tout comme il est vrai que tout homme en manque de quelque chose est misérable, de même il est vrai que tout homme misérable est en manque de quelque chose ?] (beat. vit. 22 ; voir aussi 29) ; ita fit ut omne punctum etiam signum sit, non autem omne signum punctum videatur [Ainsi se fait-il que tout point est aussi un signe, mais tout signe ne semble pas être un point] (quant. anim. 18) ; si enim me rogares quid esset homo, et eum hoc modo definirem, ‘homo est animal mortale’; non continuo quia verum dictum est, etiam definitionem probare deberes, sed superposita ei particula, id est ‘omnis’, convertere illam et intueri, utrum etiam conversa vera esset. Hoc est: utrum quemadmodum verum est ‘omnis homo animal mortale est’, ita esset verum ‘omne animal mortale homo est’ [En effet, si tu me demandais qu’est-ce que c’est qu’un homme, et je le définissais comme suit : ‘l’homme est un animal mortel’, ce n’est pas forcément parce que j’ai dit vrai que tu devrais aussi approuver la définition, mais [tu devrais] ajouter une particule, à savoir ‘tout’, puis la retourner, et voir si elle est encore vraie, une fois retournée. À savoir : est-ce que, tout comme ‘tout homme est un animal mortel’ est vrai, ‘tout animal mortel est un homme’ serait également vrai ?] (quant. anim. 47) ; quia verum est, cum dicimus: ‘si orator est, homo est’, ex qua propositione si adsumamus: ‘non est autem orator’, non erit consequens cum intuleris ‘non est igitur homo’ [Même si c’est vrai quand nous disons : ‘si c’est un orateur, c’est un homme’, si, partant de cette proposition, nous ajoutons : ‘mais ce n’est pas un orateur’, il sera inconséquent pour toi de conclure : ‘donc, ce n’est pas un homme’] (doctr. christ. 2,126 ; voir encore, pour les œuvres d’avant l’épiscopat, immort. 20 ; lib. arb. 1,16 ; mus. 1,6 ; 3,4 ; mag. 9.39 ; de serm. dom. 1,60 ; divers. quaest. 34 ; 51,2 ; 74 ; in psalm. 1,3 ; 10,8). Pour la même matière que dans l’Inchoata expositio, voir divers. quaest. 77 : Omnis autem passio, in quantum ipsa passione patimur, non est peccatum. ‘Sic et si patimur timorem, non est peccatum’. Tamquam si diceretur: Si bipes est, non est pecus. Si ergo propterea hoc non est consequens, quia multa sunt pecora bipedia, propterea et illud non est consequens, quia multa sunt peccata quae patimur [Et toute affection, dans la mesure où nous sommes affectés par l’affection elle-même, n’est pas un péché. ‘Et ainsi, si nous sommes affectés par la peur, ce n’est pas un péché’. C’est comme si l’on disait : si c’est un bipède, ce n’est pas un animal. Si donc cette [proposition] n’est pas conséquente, parce qu’il y a beaucoup d’animaux bipèdes, de même cette autre n’est pas conséquente, parce qu’il y a beaucoup de péchés par lesquels nous sommes affectés]. Et Augustin avait déjà employé cette distinction syllogistique dans l’exégèse paulinienne, dans un passage qui anticipe une des clefs de voûte de sa doctrine de la prédestination : Quod autem ait ‘quos vocavit, ipsos et iustificavit’ [Rom. 8,30], potest movere et quaeri, utrum omnes, qui vocati sunt, iustificentur. Sed alibi legimus: ‘Multi vocati, pauci autem

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electi’ [Mt. 22,14]. Tamen quia ipsi quoque electi utique vocati sunt, manifestum est non iustificatos nisi vocatos, quamquam non omnes vocatos sed eos, qui ‘secundum propositum vocati sunt’ [Rom. 8,28] [Quand il dit ‘ceux qu’il a appelés, ils les a aussi justifiés’, cela peut nous troubler, et soulever la question : est-ce que tous ceux qui ont été appelés sont justifiés ? Mais nous lisons ailleurs : ‘Beaucoup sont appelés, mais peu sont choisis’. Cependant, puisque les élus eux aussi ont certainement été appelés, il est clair que seuls les appelés sont justifiés, bien que ce ne soit pas tous les appelés, mais ceux ‘qui ont été appelés selon son dessein’] (in Rom. 47). Comme le remarque RING (n. à 19,7), l’exemple employé ici est « etwas verunglückt ». Il eût été plus simple de dire « tout humain [= celui qui a scientia veritatis] est bipède [= baptisé], mais tout bipède n’est pas humain ». 19,8 operatur paenitentia, sed tamquam in fundamento Augustin anticipe sur Hebr. 6,1, qu’il va citer en 19,10. 19,10s. Hebr. 6,1 Le texte d’Augustin est très différent de la Vulgate : Grec διὸ ἀφέντες τὸν τῆς ἀρχῆς τοῦ Χριστοῦ λόγον

Inchoata expositio Ideoque remittentes initii Christi verbum

ἐπὶ τὴν τελειότητα φερώμεθα μὴ πάλιν θεμέλιον καταβαλλόμενοι μετανοίας

in consummationem respiciamus non iterum iacientes fundamentum paenitentiae

ἀπὸ νεκρῶν ἔργων καὶ πίστεως ἐπὶ Θεόν βαπτισμῶν διδαχῆς ἐπιθέσεώς τε χειρῶν

a mortuis operibus et fidei in Deum lavacri doctrinae impositionis manus

ἀναστάσεώς τε νεκρῶν

resurrectionis etiam mortuorum

Vulgate Quapropter intermittentes inchoationis Christi sermonem ad perfectionem feramur non rursum iacientes fundamentum paenitentiae ab operibus mortuis et fidei ad Deum baptismatum doctrinae impositionis quoque manuum ac resurrectionis mortuorum

Pour les sources du texte augustinien, et de son exégèse, voir n. à. 18,2. Augustin choisit de commenter les deux versets qui précèdent Hebr. 6,4–6, puisque ce sont eux qui, selon lui, indiquent clairement le sens des passages controversés de l’épître. Hebr. 6,4–6 eux-mêmes ne sont jamais cités dans le corpus augustinien (voir VetLat 25 ad loc.). Par contre, Augustin réemploie Hebr. 6,1s. en conf. 13,28 ; fid. et op. 17 (voir aussi 28 ; 31 ; 33) ; in euang. Ioh. 98,5, comme ici, pour distinguer entre baptême et catéchèse. Voir aussi Jean Chrysostome sur ces versets : Εἰ μὲν γὰρ ἐπιδείξεως ἦν ἡμῖν ὁ λόγος καὶ φιλοτιμίας, ἐχρῆν ἀεὶ μεταπηδᾷν καὶ μεταβαίνειν,

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οὐδὲν φροντίζοντας ὑμῶν ἕνεκεν, ἀλλὰ τῶν κρότων μόνον τῶν παρ’ ὑμῶν· ἐπειδὴ δὲ οὐ πρὸς τοῦτο τὴν σπουδὴν ἐθέμεθα, ἀλλὰ πάντα ὑπὲρ τῆς ὠφελείας ἡμῖν πονεῖται τῆς ὑμετέρας, οὐ παυσόμεθα περὶ τῶν αὐτῶν ὑμῖν διαλεγόμενοι, ἕως ἂν αὐτὰ κατορθώσητε [Si je faisais un discours ambitieux de parade, il faudrait faire sans cesse sauts et virages, ne songeant nullement à vous, mais seulement à vos applaudissements. Mais, comme ce n’est pas pour cela que je me donne du mal, mais ce labeur est entièrement pour votre bien, je ne cesserai pas de vous parler des mêmes choses, jusqu’à ce que vous les corrigiez] (hom. in Heb. 9,1 [PG 63, 75s.]). Il y a en effet deux raisons pour répéter les enseignements élémentaires de la catéchèse. D’abord, les fidèles auront encore besoin d’en approfondir leur connaissance : Est autem catholica fides in symbolo nota fidelibus, memoriaeque mandata, quanta res passa est brevitate sermonis, ut incipientibus atque lactantibus, eis qui in Christo renati sunt, nondum scripturarum divinarum diligentissima et spiritali tractatione atque cognitione roboratis, paucis verbis credendum constitueretur, quod multis verbis exponendum esset proficientibus, et ad divinam doctrinam certa humilitatis atque caritatis firmitate surgentibus [Or, la foi catholique est connue des fidèles, et commise à la mémoire, par le Symbole, dans le mesure où la matière l’admet, vu la brièveté du texte. Ainsi, pour les débutants et ceux qui sont [encore] au sein, pour ceux qui sont renés dans le Christ, [mais] ne sont pas encore fortifiés par l’étude et la connaissance très diligentes et spirituelles des Écritures divines, on a défini avec peu de mots ce qu’il faut croire. Cela sera à expliquer avec beaucoup de mots pour ceux qui progressent, et qui s’élèvent jusqu’à l’enseignement divin, dans la fermeté sûre de l’humilité et de la charité] (fid. et symb. 1). De plus, leur enthousiasme pour les vérités de la foi, et pour la vie morale, aura toujours besoin de ravitaillement : Si vero qui audiunt movendi sunt potius quam docendi, ut i n e o q u o d i a m s c i u n t agendo non torpeant et rebus assensum quas veras esse fatentur accommodent, maioribus dicendi viribus opus est. Ibi obsecrationes et increpationes, concitationes et coercitiones et quaecumque alia valent ad commovendos animos, sunt necessaria [Mais s’il faut émouvoir, plutôt qu’enseigner, ceux qui écoutent, pour qu’ils ne languissent pas en mettant en œuvre c e q u ’ i l s s a v e n t d é j à , et qu’ils donnent leur assentiment aux choses qu’ils admettent être vraies, il faut des ressources d’éloquence plus importantes. C’est alors que sont nécessaires les suppliques et les reproches, les encouragements et les réprimandes, et tout ce qu’il y a d’autre, qui sert à remuer les esprits] (doctr. christ. 4,15). Les sermons d’Augustin sont un vaste témoignage de sa propre dévotion à ce programme d’enseignement constant des vérités fondamentales et de rappels incessants à la vertu. On peut en dire autant des homélies de Jean Chrysostome. Contrastons une remarque d’Origène sur Hebr. 6,1 : Absit ut aliquis in ecclesia sit qui dehortatoriis a fornicatione indigeat sermonibus … Omnis sermo qui praecepit ‘non fornicaberis, non adulterabis, non furaberis’ non est ‘solida esca’ sed quasi ‘lac’ [Hebr. 5,12] praebetur infantibus. Athletarum cibus est de omnipotenti Deo, de mysteriis eius, quae tecta sunt et latenter in scripturis significata … Et quoniam moralis

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locus lac sit, apostolus docet, cum iam aliqua de lacte dixisset, addens ‘non rursum iacientes fundamentum paenitentiae ab operibus mortuis’ [Plaise au ciel qu’il n’y ait personne dans l’Église qui aurait besoin de sermons pour le détourner de la fornication … Tout sermon qui enseigne ‘tu ne forniqueras pas, tu ne commettras pas l’adultère, tu ne voleras pas’ n’est pas la ‘nourriture solide’, mais s’offre comme du ‘lait’ aux bébés. La nourriture des athlètes a trait au Dieu tout-puissant [et] à ses mystères, qui sont cachés et indiqués secrètement dans les Écritures … Et que la matière morale, c’est du lait, l’apôtre l’enseigne, quand, après avoir dit quelque chose sur ce lait, il ajoute ‘sans jeter une seconde fois la fondation de la pénitence des œuvres mortes’] (Hier. hom. Orig. in Ezech. 7,10). Ce contraste se reflète dans la pratique : là où les sermons d’Augustin ou de Chrysostome sont des exhortations brûlantes à un peuple de pécheurs, ceux d’Origène (qui, rappelons-le, ne fut jamais évêque) sont des cours paisibles d’exégèse allégorique, où l’on entrevoit à peine l’existence d’un public. 19,10 ex novo testamento ad sacerdotium vetus declinasse videbantur Voir epist. 82,28 : Iudaeis tamquam Iudaeus fiebat [1 Cor. 9,20], quando eos ab illo errore, quo vel in Christum credere nolebant vel per v e t e r a s a c e r d o t i a sua caeremoniarumque observationes se a peccatis posse mundari fierique salvos existimabant, sic liberare cupiebat, tamquam ipse illo errore teneretur [Il devenait comme un Juif pour les Juifs, quand, en tentant de les libérer de l’erreur, par laquelle ou bien ils ne voulaient pas croire au Christ, ou bien ils croyaient qu’ils pouvaient être purifiés de leurs péchés et être sauvés par leurs a n c i e n s s a c e r d o c e s et l’observation de leurs cérémonies, il faisait comme s’il était lui-même tenu par cette même erreur]. Augustin comprend donc que dans Hebr. Paul avertit des chrétiens d’origine juive qui voulaient après le baptême continuer à pratiquer des rites baptismaux de purification. 19,11 in verbi Dei tractatione Voir n. à 23,14s. 20,1 si proprie peccatum in Spiritum sanctum sciens admiserit Sur cette question, voir n. à 21,1s. 20,3 in illa scilicet caecitate Origène insiste déjà sur la faillibilité du discernement des esprits chez les pharisiens : références à SChr 385, 134s., n. 2. Pour Augustin et les Juifs, voir n. à 3,1, commendat auctoritate. Pour l’exégèse augustinienne de Rom. 11,25, voir RING, n. à 20,4. L’interprétation d’Origène, selon laquelle πᾶς Ἰσραὴλ σωθήσεται [tout Israël sera sauvé] (Rom. 11,26) indique que le peuple juif sera sauvé à la fin des temps (hom. in Ex. 6,9 ; hom. in Lev. 3,5 ; 5,11 ; hom. in Num. 6,4 ; 7,4 ; 15,4 ; hom. in Jos. 4,3 ; 8,5 ; 11,3 ; 24,2 ; hom. in Jud. 5,5 ; hom. in Jer. 4,6 ; 5,2,4 avec SChr 232, n. ad

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loc. ; Jo. 13,57,392 ; comm. in Rom. 8,11,5–8 ; d’autres références à SChr 385, 28) est bien étrangère à la pensée d’Augustin, pour qui cette phrase indique le nouveau peuple élu, qui ne comporte qu’une partie de l’ancien : ‘Caecitas ex parte in Israel facta est, donec plenitudo gentium intraret et sic omnis Israhel salvus fieret’. ‘Ex parte’ dixit, quia non omnes excaecati sunt; erant enim ex illis, qui Christum cognoverunt. Plenitudo autem gentium in his intrat, qui ‘secundum propositum vocati sunt’ [Rom. 8,28]. ‘Et sic omnis Israel salvus fiet’, quia et ex Iudaeis et ex gentibus, qui ‘secundum propositum vocati sunt’, ipsi verius sunt Israel [‘L’aveuglement est survenu pour une partie d’Israël, jusqu’à ce qu’entrât la plénitude des gentils, et qu’ainsi tout Israël fût sauvé’. Il dit ‘pour une partie’ parce que tous n’ont pas été aveuglés. Il y en eut en effet parmi eux qui reconnurent le Christ. Et la plénitude des gentils entre dans ceux qui ‘ont été appelés selon le dessein’. ‘Et ainsi tout Israël sera sauvé’, parce que ceux d’entre les Juifs et les gentils qui ‘ont été appelés selon le dessein’, ce sont eux qui sont plus véritablement Israël] (epist. 149,19). Voir aussi, avec tout de même des indications d’un renversement partiel à la fin des temps, quaest. euang. 2,33,5, sur le fils prodigue, symbole des gentils : le père sort pour inviter le fils aîné, qui représente les Juifs, au repas. Cela semble cependant représenter non pas le salut assuré des Juifs, mais seulement un appel final (vocatio) de Dieu vers eux : Cum ergo plenitudo gentium intraverit, egredietur opportuno tempore pater eius, ut etiam omnis Israel salvus fiat, cui ex parte caecitas facta est velut absenti in agro, donec plenitudo filii minoris longe in idolatria gentium constituti redux ad manducandum vitulum intraret. Erit enim quandoque aperta vocatio Iudaeorum in salutem evangelii. Quam manifestationem vocationis tamquam egressum patris appellat ad rogandum maiorem filium [Donc, quand la plénitude des gentils sera entrée, son père sortira, au temps opportun, pour que tout Israël soit aussi sauvé, pour une partie duquel l’aveuglement est survenu, comme s’il était absent dans le champ, jusqu’à ce que la plénitude du fils cadet, établi au loin dans l’idolâtrie des gentils, fût reconduite pour manger le veau, et soit entrée. Il y aura en effet un jour un appel ouvert aux Juifs [pour entrer] dans le salut de l’Évangile. C’est la révélation de cet appel qu’il décrit comme la sortie du père pour appeler son fils cadet]. Mais libre au fils aîné d’écouter l’appel ou pas : l’Évangile n’affirme pas qu’il soit entré. Cependant, A. MASSIE (De « l’espérance cachée » à la « plénitude de la foi » : Le salut d’Israël, figure de la fin des temps, selon Augustin ?, dans : L’exégèse patristique de Romains 9–11, Paris 2007, 149–165), veut voir dans ce passage une affirmation claire de l’ « espérance du salut d’Israël à la fin des temps » (162). Il admet que « une affirmation de ce type ne se retrouve pas ensuite » (162), mais prétend néanmoins identifier dans civ. 20,29s. une nouvelle « affirmation claire de la conversion du peuple juif » (164), évangélisé à la fin des temps par Hélie. En fait, dans civ., cette conversion est limitée à la génération de Juifs qui sera en vie lors de la venue d’Hélie : Paenitebit quippe Iudaeos in die illa, etiam eos qui accepturi sunt Spiritum gratiae et misericordiae, quod in eius passione insultaverint Christo, cum ad eum aspexerint in sua maiestate venientem eumque esse cognoverint, quem prius humilem in suis parentibus inluserunt; quamvis

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et ipsi parentes eorum tantae illius impietatis auctores resurgentes videbunt eum, sed puniendi iam, non adhuc corrigendi [Assurément, les Juifs se repentiront ce jour-là, même ceux qui vont accueillir l’Esprit de grâce et de miséricorde, parce qu’ils ont insulté le Christ lors de sa passion, quand ils auront regardé vers lui alors qu’il viendra dans sa majesté, et auront reconnu que c’est celui qu’ils avaient auparavant raillé [quand il était] humble, en [la personne de] leurs parents – bien que leurs parents, eux aussi, les responsables de cette si grande impiété, le verront en ressuscitant, mais ce sera désormais pour être punis, et non plus pour être corrigés] (civ. 20,29s.). Si Augustin avait enseigné – surtout dans civ. – la possibilité du salut de t o u s les Juifs, l’histoire du peuple juif en Occident, dans les siècles à venir, n’aurait-elle pas été moins douloureuse ? 20,4 opportunius suo loco … tractabitur Ces mots et l’expression vague en 23,15 sont les seuls passages où Augustin fasse référence à la suite hypothétique de son commentaire. Noter qu’il s’agit d’un passage de Rom. sur Juifs et gentils, ce qui correspond au sujet général de l’épître, tel qu’il l’avait énoncé au §1. Il s’agit aussi de versets qui n’ont reçu aucun commentaire dans in Rom. (bien que le commentaire de Rom. 11,1 au §61 eût indiqué l’essentiel de ce qu’Augustin avait à dire sur Rom. 11,25s.). Pour tractabitur, voir n. à 23,14s. 20,4 certo quodam tempore En plus de 1 Cor. 12,10, qui de fait ne mentionne pas le don de l’Esprit à un moment spécifique, Augustin doit penser à la Pentecôte (voir 15,14) et à Io. 7,39 (τοῦτο δὲ εἶπεν περὶ τοῦ πνεύματος ὃ ἔμελλον λαμβάνειν οἱ πιστεύσαντες εἰς αὐτόν· οὔπω γὰρ ἦν πνεῦμα, ὅτι Ἰησοῦς οὐδέπω ἐδοξάσθη [Il dit cela à propos de l’Esprit qu’allaient recevoir ceux qui avaient cru en lui. En effet, il n’y avait pas encore d’Esprit, puisque Jésus n’avait pas encore été glorifié]). Voir son commentaire sur ce dernier passage en divers. quaest. 62 : ‘Spiritus autem nondum erat datus’, id est: nondum sic apparuerat, ut omnes eum datum esse faterentur, sicut etiam Dominus ‘nondum erat clarificatus’ inter homines, sed tamen clarificatio eius aeterna numquam esse destitit [‘Mais l’Esprit n’avait pas encore été donné’, c’est-à-dire : il n’était pas encore apparu de telle façon que tous admettraient qu’il avait été donné, tout comme le Seigneur, lui aussi, ‘n’avait pas encore été glorifié parmi les hommes’, bien que sa glorification éternelle n’ait jamais cessé d’exister] (commentaires similaires en c. Faust. 32,17s. ; in epist. Ioh. 6,11 ; in psalm. 7,6 ; 45,8 ; 90,28 ; 92,7 ; 103,1,10 ; serm. 267,1, sermon de Pentecôte ; un commentaire plus complexe en c. epist. fund. 11). Mais en trin. 4,29 et in euang. Ioh. 52,8 il précise que, puisque l’Esprit fut bien donné aux prophètes et aux patriarches dans l’ancienne alliance, ce qui distingue son don après la Résurrection, c’est son extension à tous les peuples, indiquée par la Pentecôte. Dans une telle analyse, il semble que rien n’empêcherait les pharisiens, en tant que Juifs, d’avoir la diiudicatio spirituum.

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20,5 quomodo poterant infideles Iudaei Augustin s’était déjà demandé si les pharisiens avaient commis le péché du blasphème impardonnable en de serm. dom. 1,75 (voir n. à 14,1, Le blasphème), et avait répondu négativement (voir n. à 22,4–23,7), bien que sans s’interroger sur leur capacité à discerner les esprits. Voir par contre quaest. Simpl. 2,3,3 : Potest et illud mirum videri, quomodo daemones agnoverint Christum, quem Iudaei non agnoscebant [Ceci peut aussi sembler remarquable : comment les démons ont-ils reconnu le Christ, que les Juifs ne reconnaissaient pas ?]. Pour cette ignorance des Juifs, qui les disculpe, voir déjà Origène : Non ita inepti erimus, ut putemus quod qui secundum corpus Iesum vidit, viderit etiam Patrem [Io. 14,9]. Alioquin inveniuntur et scribae et pharisaei hypocritae et Pilatus, qui eum flagellis cecidit, et omnis ille populus qui clamabat: ‘crucifige, crucifige eum’ [Lc. 23,21], videntes Iesum secundum carnem, etiam Deum Patrem vidisse. Quod utique non solum absurdum videtur esse, sed et impium. … Nullus vidisse eum dicitur, nisi qui agnovit quod verbum Dei et Filius Dei est, in quo simul utique agnosci et videri dicitur Pater [Nous ne serons pas assez sots pour penser que celui qui a vu Jésus selon le corps a aussi vu le Père. Sinon il se trouverait que les scribes, et les pharisiens hypocrites, et Pilate, qui le battit avec des fouets, et tout ce peuple qui criait ‘crucifie, crucifie-le’, en voyant Jésus selon la chair, avaient aussi vu Dieu le Père. Cela paraitrait non seulement tout à fait absurde, mais même impie … Personne n’est dit l’avoir vu, sauf celui qui a reconnu qu’il est le Verbe de Dieu et le Fils de Dieu, et c’est alors, assurément, que le Père est dit être vu et reconnu en même temps [que le Fils]] (Hier. hom. Orig. in Cant. 3 [GCS 33, 215s.] ; cette doctrine rejoint le rigorisme d’Origène envers les baptisés, sur lequel voir n. à 14,1, Le blasphème, et hom. in Ezech. 5,3). Ces réponses sont à contraster avec celle de l’Ambrosiaster, dans sa propre discussion du blasphème contre l’Esprit Saint. Plus que tout autre auteur patristique, il interprète l’Évangile sur le blasphème comme un passage anti-juif : voir quaest. test. 102,13 (CSEL 50) (cité plus haut, n. a 14,1, Le blasphème) ; comparer in Rom. 10,3 : De his dicit qui non malivolentia et invidia, sed errore Christum non recipiunt [Il parle de ceux qui ne reçoivent pas le Christ, non pas par mauvaise volonté et jalousie, mais par erreur]. Voir aussi le commentaire de Jean Chrysostome sur Rom. 10,3 : πάλιν τὸ ῥῆμα συγγνώμης· ἀλλὰ τὸ ἑξῆς κατηγορίας ἐπιτεταμένης, καὶ πᾶσαν ἀναιρούσης ἀπολογίαν. ‘καὶ τὴν ἰδίαν γὰρ’, φησὶ, ‘δικαιοσύνην ζητοῦντες στῆσαι, τῇ δικαιοσύνῃ τοῦ Θεοῦ οὐχ ὑπετάγησαν’. ταῦτα δὲ ἔλεγε, δεικνὺς ὅτι ἀπὸ φιλονεικίας καὶ φιλαρχίας μᾶλλον ἢ ἐξ ἀγνοίας ἐπλανήθησαν [Il parle encore de pardon, mais ce qui suit [apporte] une accusation véhémente, et qui ne permet aucune défense. ‘Et en cherchant’, dit-il, ‘à établir leur propre justice, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu’. Il dit cela pour montrer qu’ils ont erré par jalousie et soif du pouvoir, plutôt que par ignorance] (hom. in Rom. 17,1 [PG 60, 565]). De même hom. in 1 Tim. 3 (PG 62, 517), contrastant les autres Juifs avec Paul : τίνος οὖν ἕνεκεν καὶ ἄλλοι Ἰουδαῖοι οὐκ ἠλεήθησαν; ὅτι οὐκ ἐξ ἀγνοίας, ἀλλὰ καὶ εἰδότες καὶ σφόδρα ἐπιστάμενοι ἔπραττον ἅπερ ἔπραττον [Pourquoi donc n’y eut-il pas de miséricorde pour les

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autres Juifs aussi ? Parce que ce n’est pas par ignorance, mais tout pleins de connaissance et de savoir, qu’ils faisaient ce qu’ils faisaient]. 20,5 Et tamen Le développement prend une tournure imprévue. On s’attend à ce qu’Augustin dise que leur ignorance absout les Juifs du blasphème contre l’Esprit Saint. Il va dans une certain mesure conclure le contraire : voir n. à 21,1s. 20,5 malevolentiae Le mot serait-il emprunté à l’Ambrosiaster (loc. cit. n. à 20,5, quomodo poterant), dont Augustin se rapproche (voir n. suivante et n. à 18,14s. ; 22,1) ? Augustin emploie malevolentia 35 fois dans son œuvre, mais il ne l’applique qu’une fois ailleurs aux Juifs, dans un passage qui fait écho au nôtre, puisqu’il commente le faux témoignage (cf. falsos testes, 20,5) contre Jésus en Mt. 26,61 : Et sacramenta de latere tuo defluunt; deponeris de ligno, involveris linteaminibus, poneris in sepulcro, adduntur custodes ne tollant te discipuli tui; venit hora resurrectionis tuae, terra concutitur, monumenta scinduntur, resurgis occultus, appares manifestus. Ubi sunt ergo illi mendaces? Ubi est falsum testimonium m a l e v o l e n t i a e ? [Et les sacrements coulent de ta côte ; tu es déposé du bois ; tu es enveloppé de linges ; tu es placé dans un sépulcre ; on ajoute des gardes, de peur que tes disciples ne t’enlèvent ; l’heure de ta résurrection arrive ; la terre tremble ; les tombeaux se fendent ; tu resurgis en secret ; tu apparais ouvertement. Où sont donc ces menteurs ? Où est le faux témoignage de leur m a u v a i s e v o l o n t é ?] (in psalm. 65,7). 21,1s. Les pharisiens et le blasphème contre l’Esprit Saint On est surpris de voir Augustin conclure que les pharisiens ont commis ce blasphème. Il va tout de suite dire qu’ils n’en sont pas moins pardonnables (21,3–7). Pourquoi importait-il alors d’affirmer que leur ignorance ne les innocentait pas ? (a) Deux facteurs ont sans doute poussé Augustin à admettre que les pharisiens ont blasphémé contre l’Esprit Saint. D’abord, c’est le sens obvie de Mt. 12,22–37 et encore plus de Mc. 3,22–28 : Jésus parle aux pharisiens, et on ne saurait croire qu’il fait une remarque qui ne les vise nullement (cf. les remarques précises en serm. 71,34 sur le contexte des passages des trois Évangiles où Jésus parle du blasphème). Ensuite, comme nous l’avons vu (n. à 14,1, Le blasphème ; n. à 20,5, quomodo poterant), la tradition exégétique suivait souvent ce sens obvie, en expliquant que le blasphème contre l’Esprit Saint correspondait aux paroles de pharisiens en Mt. 12,24 (sur ce point, voir MARA, L’interpretazione, 243 ; MARA, Agostino interprete, 207 n. 80). C’est notamment le cas d’Ambroise, dans le De paenitentia : Quos adstringat consideremus, repetentes superiora lectionis ipsius, ut evidentius conprehendamus … De his utique expressum videmus qui Dominum Iesum in Belzebul eicere daemonia loquebantur, quibus sic respondit Dominus quod Satanae hereditas in his esset, qui Satanae conpararent salvatorem omnium et in regno diaboli constituerent Christi

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gratiam. Et ut cognosceremus quia de hac dixit blasphemia, adiunxit: ‘Progenies viperarum, quomodo potestis bona loqui, cum sitis mali [Mt. 12,34]?’ Hos ergo, qui haec loquuntur, negat ad veniam pertinere [Considérons ceux qu’il enchaine ; revoyons ce que nous avons lu plus haut, pour comprendre plus clairement … Nous voyons évidemment que l’on parle de ceux qui disaient que le Seigneur Jésus chassait les démons dans Belzéboul, ceux à qui le Seigneur répondit que l’héritage de Satan était pour ceux qui comparaient le Sauveur de tous à Satan, et qui plaçaient la grâce du Christ dans le règne du diable. Et, pour que nous sachions qu’il parlait de ce blasphème-là, il ajouta : ‘Engeance de vipères, comment pouvez-vous dire de bonnes choses, quand vous êtes mauvais ?’ C’est donc de ceux qui parlent ainsi qu’il dit qu’ils ne parviennent pas au pardon] (paen. 2,21s.). Or, on l’a dit (n. à 18,2), Augustin suit souvent le De paenitentia dans l’Inchoata expositio, il est normal qu’il accommode son propre avis, dans la mesure du possible, à celui de son maître. En outre, on discerne sa sympathie envers l’anti-judaïsme de cette approche traditionnelle dans le fait que, dans l’Inchoata expositio, il ne désigne jamais les interlocuteurs du Seigneur comme « pharisiens » mais toujours comme « Juifs » (20,2.5 ; 22,4 ; 23,4.6.13 ; contraster serm. 71,5). (b) La difficulté de ce développement vient plutôt de sa place dans la s t r u c t u r e de l’argument. Sans doute Augustin voulait-il terminer ses réflexions sur le blasphème contre l’Esprit Saint par le cas de ceux auxquels Jésus l’avait vraisemblablement reproché. Mais les pharisiens auraient été plus facilement intégrés au §15, où Augustin indique que le blasphème des Juifs non baptisés est pardonnable (15,6). Ici, ils entrent dans la discussion par le biais de la question qui termine le développement des §16–19 sur le rapport entre scientia et blasphème : An vero iam illud occurret, ut non si quodlibet peccatum sciens admiserit, sed si proprie peccatum in Spiritum sanctum sciens admiserit, tunc non habere veniam iudicetur? (20,1) A priori, la réponse d’Augustin est négative, puisque l’on sait qu’il considère comme uniquement impardonnable la continuation dans le péché jusqu’à la mort. Pour étayer cette conclusion, on voudrait d’abord une indication (qui n’est nulle part dans l’Inchoata expositio) sur qui pèche proprie et sciens contre l’Esprit Saint, puis une affirmation que cette personne est pardonnable. Mais ce qu’Augustin nous fournit, c’est l’exemple des pharisiens, selon lui, qui n ’ o n t p a s péché sciemment, mais qui o n t néanmoins commis le blasphème contre l’Esprit Saint, seulement sous une forme qui reste p a r d o n n a b l e . Ces pharisiens sont donc loin d’offrir une réponse limpide à la question posée. Faut-il alors conclure que la réponse à cette question est en fait positive, que persister impénitent jusqu’à la mort dans le péché, c’est en quelque sorte l a m ê m e c h o s e que blasphémer sciemment et uniquement contre l’Esprit Saint ? Une telle solution sauverait la logique du développement, mais il faut néanmoins la rejeter. On voit mal ce que voudrait dire cette équivalence, et nulle part Augustin ne dit ouvertement, ni dans l’Inchoata expositio ni ailleurs, que c’est la connaissance de Dieu, de l’Esprit, ou de quoi que ce soit, qui rend un péché impardonnable : on vient

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de voir que tout les §16–19 vont dans le sens contraire. Seul est impardonnable qui ne veut pas le pardon (22,3s.) : quel rapport entre cette formule et la connaissance ? De plus, quand Augustin reprend la question du péché contre l’Esprit Saint dans le serm. 71, la connaissance n’y joue aucun rôle, et, en désignant surtout la persistance dans le Donatisme comme exemple de ce péché, ce sermon en rend coupable des hommes qui étaient par définition dans une ignorance relative (voir n. à 16,7, postea negligenter), et n’avaient pas reçu l’Esprit dans leur église (voir n. à 18,7, ipsum Spiritum et serm. 71,32.37). Reconnaissons donc qu’Augustin s’est simplement embrouillé quelque peu dans son argument, ce qui n’a rien d’impensable (voir n. à 7,1–5). D’ailleurs il semble le reconnaitre lui-même, en rendant explicite dans d’autres textes sur le blasphème contre l’Esprit un point qui reste toujours implicite dans l’Inchoata expositio : Intellegant ergo non o m n e sed a l i q u o d significatum esse peccatum in Spiritum sanctum, quod omnino non remittetur [Qu’ils comprennent donc que ce n’est pas t o u t péché mais un c e r t a i n [péché] contre l’Esprit Saint dont il est indiqué qu’il ne sera absolument pas pardonné] (epist. 185,49) ; admoneo non dixisse Dominum ‘o m n i s blasphemia spiritus non remittetur’, neque dixisse ‘qui dixerit q u o d c u m q u e verbum contra Spiritum sanctum, non remittetur ei’, sed ‘qui dixerit v e r b u m ’ [Je vous signale que le Seigneur n’a pas dit ‘t o u t blasphème contre l’Esprit ne sera pas pardonné’, et qu’il n’a pas dit, non plus, ‘qui a dit une parole, q u e l l e q u ’ e l l e s o i t , contre l’Esprit Saint, il ne lui sera pas pardonné’, mais ‘qui a dit une parole’] (serm. 71,9. Les §10–17 sont ensuite consacrés à justifier cette distinction, avec de multiples exemples scripturaires : Augustin aurait jugé que c’est cette distinction, plutôt que son approche dans l’Inchoata expositio, qui permet d’expliquer clairement comment les pharisiens ont pu blasphémer contre l’Esprit Saint sans commettre l’impardonnable). 21,2–7 quibus invidet … quia invidet … edomita invidia … per invidiam … non erat invidus … invidia agentes Pour l’invidia chez Augustin, voir AugLex s.v., avec n. 24 pour d’autres passages où, dans la lignée de Mt. 27,18, il applique le mot à l’attitude des Juifs envers Jésus (mais la référence à coll. c. Don. 3,11 est à corriger). Dans cet article, C. Oser-Grote fournit pourtant des informations incomplètes en affirmant, avec référence à de serm. dom. 1,75, que pour Augustin, « wer ‘per malitiam et inuidiam’ die brüderliche Liebe verletzt begeht eine weder jetzt noch künftig vergebbare Sünde ». L’assocation entre invidia, le blasphème contre l’Esprit Saint, et les pharisiens vient effectivement de de serm. dom. 1,73–75, mais, comme nous l’avons vu (n. à 14,1, Le blasphème ; 16,7, postea negligenter), Augustin modifiera rapidement le point de vue qu’il exprime dans ce passage. Il faut donc voir dans l’importance donnée ici à l’invidia une retractatio du rôle qui lui est attribué dans de serm. dom. Toutefois, même dans ce premier texte, Augustin n’avait pas conclu que l’invidia des pharisiens était suffisante pour les condamner (voir n. à 22,4–23,7).

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En matière doctrinale, l’invidia se manifeste par la mauvaise foi. La gravité du péché des pharisiens consiste dans leur rejet, par jalousie, de ce qu’ils savent être bon (non quia mala sunt, sed quia invidet eis). Augustin imputera le même esprit aux schismatiques. S’ils se séparent de l’Église, tout en partageant sa foi, ce n’est plus que par jalousie. Sur ce plan, ils sont pires que les hérétiques, honnêtes dans leur erreur : Solet autem quaeri, etiam scismatici quid ab hereticis distent, et hoc inveniri quod scismaticos non fides diversa faciat, sed communionis disrupta societas … Quicumque i n v i d e n t bonis, ita ut quaerant occasiones excludendi eos aut degradandi, vel crimina sua sic defendere parati sunt, si obiecta vel prodita fuerint, ut etiam conventiculorum segregationes vel ecclesiae perturbationes cogitent excitare, iam scismatici sunt et ab unitate corde discissi [On cherche aussi souvent quelle est la différence entre les schismatiques et les hérétiques, et on trouve que ce qui crée des schismatiques, ce n’est pas une foi différente, mais la rupture de l’alliance de la communion … Tous ceux qui sont tellement j a l o u x des bons, qu’ils cherchent l’occasion de les exclure ou de les humilier, ou sont tellement préparés à défendre leurs crimes – s’ils leur sont reprochés, ou sont dévoilés – qu’ils songent même à susciter des séparations dans les assemblées ou des perturbations dans l’Église, sont déjà des schismatiques, et se sont divisés de l’unité dans leurs cœurs] (in Matth. 11,2). 21,3 verumtamen si … Un verbe conjugué fait défaut dans la protase de cette phrase longue et lâche. Il faut y voir une petite imprécision syntactique de l’auteur, et non pas chercher à corriger. 21,3 sicut etiam nonnulli eorum fortasse fecerunt fortasse parce qu’Augustin fait référence non pas aux Juifs en général, mais aux pharisiens à qui parlait Jésus dans Mt. 12 (quibus Dominus illud crimen obicit, 21,3), puis à ceux qui ont commis les crimes détaillés en 20,5s. Pour cette volonté généreuse de voir parmi les premiers chrétiens juifs certains de ceux qui ont le plus persécuté le Christ, voir aussi catech. rud. 42 : Sed cum viderent Iudaei tanta signa fieri in eius nomine, quem partim per invidiam, partim per errorem crucifixerunt, alii irritati sunt ad persequendos praedicatores eius apostolos, alii vero id ipsum amplius admirantes, quod in eius nomine, quem veluti a se oppressum et victum riserant, tanta miracula fierent, paenitendo conversi crediderunt in eum milia Iudaeorum [Act. 2,41] [Mais quand les Juifs voyaient de si grands signes se faire au nom de celui qu’ils avaient crucifié en partie par jalousie [et] en partie par erreur, certains furent provoqués à persécuter ses prédicateurs, les apôtres, mais d’autres – s’émerveillant en particulier du fait même que tant de miracles se faisaient au nom de celui dont ils avaient ri, comme d’un homme écrasé et vaincu par eux – des milliers de juifs se convertirent par la pénitence [et] crurent en lui] (de même in Matth. 13,2 ; serm. 313E,4).

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21,4 fuerit idem apostolus Paulus Comme il se doit, la question du blasphème contre l’Esprit Saint dans le commentaire de l’épître aux Romains se termine avec le cas de l’auteur même de l’épître. Pour l’importance de Paul pécheur comme modèle pour Augustin, voir n. à 6,1, tamquam enim meritis, et les n. suivantes. 21,5 1 Tim. 1,13 Le texte d’Augustin est identique à celui de la Vulgate, sauf que cette dernière traduit ὑβριστήν par contumeliosus, là où Augustin a iniuriosus, mot qui ne figure jamais dans la Vulgate, bien qu’il ne soit nullement rare ou vulgaire (voir ThLL s.v.). iniuriosus est la seule leçon connue d’Augustin, et serait typique de deux grandes familles de versions anciennes, selon VetLat 25 ad loc. Ce verset de Paul revient, en tout ou en partie, avec une très grande fréquence dans la prédication d’Augustin. Il y encourage sans cesse ses ouailles à voir Paul comme exemple de l’étendue de la miséricode divine envers les grands pécheurs. Citons à titre d’exemple, et pour la proximité de son contenu avec l’Inchoata expositio, un passage d’un sermon pour la fête de Pierre et Paul : Nonne ille Saulus est qui interfuit cum lapidaretur Stephanus, qui lapidantibus vestimenta servavit, ut in omnium manibus lapidaret? Nonne ille est qui litteris acceptis a principibus sacerdotum ibat qua poterat, alligaturus christianos et ad supplicia perducturus? Nonne, cum iret et minas et caedem anhelaret [Act. 9,1], sicut legimus, vocatus est, caelesti voce prostratus est, verbo revocatus ad verbum? Ut eum ergo Dominus sic vocaret, quae merita eius praecesserant? … Audi ipsum Paulum, non sane gratiae Dei ingratum, audi haec commemorantem et praedicantem: ‘Qui prius’, inquit, ‘fui blasphemus et persecutor et iniuriosus, sed misericordiam consecutus sum’ [N’est-ce pas ce Saul qui fut présent quand Étienne était lapidé, qui a gardé les vêtements des lapidateurs, pour qu’il lapidât dans les mains de tous ? [voir n. à 15,6, erat in manibus] N’est-ce pas celui qui, ayant reçu des lettres des archiprêtres, allait où il pouvait pour enchainer les chrétiens et les mener au supplice ? N’est-ce pas alors même qu’il était en route et qu’il ‘respirait’, comme nous le lisons, ‘les menaces et la tuerie’, qu’il fut appelé, qu’il fut renversé par une voix céleste, qu’il fut rappelé par un verbe vers le Verbe ? Alors, pour que le Seigneur l’appelât de la sorte, quels mérites avaient précédé de son côté ? … Écoute Paul lui-même – absolument sans ingratitude envers la grâce de Dieu – écoute ce qu’il dit et prêche : ‘Moi qui fus auparavant’, dit-il, ‘un blasphémateur et un persécuteur et un insolent, mais j’ai accédé à la miséricorde’] (serm. 299A (augm),6). Voir ensuite in psalm. 45,13 ; 55,12.14 ; 58,1,12 ; 67,12 ; 72,30 ; 75,14 ; 83,16 ; 100,2 ; 112,6 (combiné avec Tit. 3,3) ; 118,7,2 ; 139,14 ; 147,26 ; serm. 56,3 ; 168,4 ; 170,1 ; 297,5 (encore pour la fête de Pierre et Paul) ; serm. 380,7 (combiné avec Tit. 3,3) ; in euang. Ioh. 3,10 (et, sans référence explicite à Paul, in psalm. 39,3 ; 51,17 ; serm. 360). Dans les œuvres rédigées, le verset est employé beaucoup moins souvent. Il est significatif qu’on le trouve en quaest. Simpl. 1,2,3, pour que Paul puisse illustrer les

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nouvelles idées d’Augustin sur la grâce (voir n. à 15,6, etiam Paulus). Il est ensuite employé en lib. arb. 3,51 (sur le péché dans l’ignorance ; voir n. à 16,2) ; fid. et op. 47 (nécessité du repentir avant le baptême) ; c. mend. 9 (exemple concret dans le sens de l’Inchoata expositio : Priscillianistes devenus Catholiques). Mais une seule fois, en virg. 37, Augustin suggère qu’il y a un groupe de chrétiens pour lesquels Paul repenti ne sert pas de modèle : Sed respice [Augustin s’adresse au Christ] agmina virginum, puerorum puellarumque sanctarum. In ecclesia tua eruditum est hoc genus; illic tibi a maternis uberibus pullulavit, in nomen tuum ad loquendum linguam solvit, nomen tuum velut lac infantiae suae suxit infusum. Non potest quisquam ex hoc numero dicere: ‘Qui prius fui blasphemus et persecutor et iniuriosus, sed misericordiam consecutus sum, quia ignorans feci in incredulitate’ [Mais tourne-toi vers les rangs de vierges, de garçons et de filles saints. Cette race a été élevée dans ton Église. Elle s’est accrue pour toi dès le sein maternel. Elle a délié sa langue pour dire ton nom. Elle a tété ton nom comme le lait versé sur son enfance. Nul de ce nombre ne peut dire : ‘Moi qui fus auparavant un blasphémateur et un persécuteur et un insolent, mais j’ai accédé à la miséricorde, parce que j’ai agi en ignorant dans l’incrédulité’]. C’est dire la valeur énorme qu’Augustin, qui tend généralement à voir tous les hommes comme de grands pécheurs, attribue à la continence sexuelle (voir n. à 18,12, mais aussi les réflexions modérées de BROWN, Augustine, 500–502). 21,7 Tit. 3,3 Variantes notables d’avec la Vulgate (mis à part les différences dans l’ordre des mots) : Grec ἦμεν ἀνόητοι στυγητοί μισοῦντες ἀλλήλους

Inchoata expositio fuimus stulti abominabiles invicem odio habentes

Vulgate eramus insipientes odibiles odientes invicem

Le texte d’Augustin est plus correct, puisque odibilis n’apparait pas en latin classique, en dehors d’un fragment d’Accius (voir ThLL s.v.), et la forme participiale odiens est aussi très rare avant l’ère chrétienne (voir ThLL s.v.). Tel quel, ce texte est d’ailleurs attesté seulement par Augustin lui-même (voir VetLat 25 ad loc., et pour la latinité de son texte, ibid. 153). Ce verset revient beaucoup moins souvent chez Augustin que 1 Tim. 1,13. En dehors des passages où les deux sont combinés (voir n. précédente), Augustin l’applique à Paul en c. Pelag. 1,15 ; grat. 12 et serm. 71,3 (encore un parallèle avec l’Inchoata expositio). Une fois, rassurant une communauté rendue inquiète par les railleries des Donatistes, il se l’applique à lui-même : Vident enim in causa se nihil habere, et linguas convertunt in nos, et incipiunt de nobis dicere mala, multa quae sciunt, multa quae nesciunt. Quae sciunt, praeterita nostra sunt: ‘Fuimus enim aliquando’, sicut dicit apostolus, ‘stulti et increduli’, ‘et ad omne opus bonum reprobi’

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[Tit. 1,16]. In errore perverso desipientes et insanientes fuimus, non negamus; et quantum praeteritum nostrum non negamus, tanto magis Deum qui nobis ignovit, laudamus [Ils voient en effet que leur cause est sans valeur, et tournent leurs langues contre nous, et ils commencent à dire du mal de nous : beaucoup de choses qu’ils connaissent, beaucoup qu’ils ne connaissent pas. Ce qu’ils connaissent, c’est notre passé. ‘En effet, nous étions autrefois’, comme le dit l’apôtre, ‘sots et incrédules’, ‘et rebelles envers toute bonne œuvre’. Dans notre erreur détraquée, nous étions sots et fous – nous ne le nions pas – et si nous ne nions pas notre passé, c’est d’autant plus que nous louons Dieu, qui nous a pardonné] (in psalm. 36,3,19). Mais Tit. 3,3 était bien moins apte que 1 Tim. 1,13 à rappeler les péchés et la pénitence de Paul, parce que, dans Tit. 3,2–7, l’apôtre semble parler moins de ses propres péchés que de l’état général de l’humanité pré-chrétienne. Ainsi, l’Ambrosiaster écrit sur Tit. 3,3 : Haec bona quae incredulitas non habet christianis data memorat [Il dit que ces biens que l’incrédulité ne possède pas ont été donnés aux chrétiens] (in Tit. 3,3), et on trouve des explications similaires chez Jean Chrysostome (hom. in Tit. 5,3 [PG 62, 691s.]) et Théodore de Mopsueste (in Tit. 3,3–7, éd. H. B. SWETE, Cambridge 1882). L’interprétation d’Origène (Rufin. Orig. in Ios. 5,6), est plus proche de celle d’Augustin, puisqu’il voit bien dans le verset une référence personnelle à Paul. Mais il objecte la justice de Paul : Quis erit similis Paulo etiam secundum legis observantiam ? Audi denique ipsum dicentem: ‘secundum iustitiam quae in lege est, conversatus sine querela’ [Phil. 3,6] [Qui sera pareil à Paul, même pour l’observation de la Loi ? Écoute-le enfin quand il dit lui-même : ‘selon la justice qui est dans la Loi, j’ai agi sans tort’]. Il conclut donc lui aussi que Paul parle d’un péché général : Omnes homines, etiamsi ex lege veniant, etiamsi per Moysen eruditi sint, habent tamen ‘opprobrium Aegypti’ [Ios. 5,9] in semetipsis, opprobrium peccatorum [Tous les hommes, même s’ils viennent de la Loi, même s’ils ont été enseignés par Moïse, ont néanmoins l’opprobre de l’Égypte à l’intérieur d’eux – l’opprobre des péchés]. Jérôme suit Origène en notant la justice de Paul sous la Loi. Cependant, comme Augustin (dont il est peut-être la source ici), il applique le verset spécifiquement à Paul, mais seulement après la venue du Christ : An non nobis videtur Paulus fuisse stultus, quando habebat ‘zelum Dei, sed non secundum scientiam’ [Rom. 10,2], et persequebatur ecclesiam, et lapidantium Stephanum vestimenta servabat? Cum in tantum odii contra salvatorem instigatus exarserat, ut litteras a sacerdotibus acciperet, pergens Damascum ad eos qui in Christum crediderant vinciendos? … Quae autem maior potest esse malitia et invidia, quam contra absentes epistolas sumere, et ubique Christi vastare discipulos, nolle ipsum salvum fieri, et ceteris qui salvi esse poterant, invidere, odisse christianos et consequenter ab omnibus odium promereri? Quis autem maior error et inobedientiae vecordia, quam, postquam respiravit dies, et praeterierunt umbrae [Cant. 2,17], legem abolitam velle servare? [Ou bien, est-ce que Paul ne nous semble pas avoir été un sot, quand il avait ‘le zèle de Dieu, mais non pas selon la connaissance’, et quand il persécutait l’Église, et gardait les vêtements de ceux qui lapidaient Étienne ? Quand, une fois provoqué, il avait brûlé de tant de

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haine contre le Sauveur, qu’il reçût des lettres des prêtres, allant à Damas pour enchainer ceux qui avaient cru au Christ ? … Peut-il y avoir malice [et] jalousie plus grandes que de prendre des lettres contre des hommes absents, et détruire partout les disciples du Christ ; de ne pas vouloir être sauvé soi-même, et être jaloux des autres qui pouvaient être sauvés ; de haïr les chrétiens et mériter de la sorte la haine de tous ? Y a-t-il erreur et désobéissance et folie plus grandes que de vouloir préserver la Loi abolie, après que le jour a respiré et les ombres sont parties ?] (in Tit. 3,3). Enfin, chez Théodoret de Cyr, on trouve un compromis plein de bon sens, mais qui n’a pas la force rhétorique de l’interprétation augustinienne : ἑαυτὸν μέντοι συνέταξεν ὁ θεῖος ἀπόστολος, οὐχ ὡς ἅπασι τοῖς ἐγκλήμασιν ὑποκείμενον, ἀλλ’ ὡς διώκτην γεγενήμενον. οὐδὲ γὰρ τοῖς ἄλλοις πᾶσι πάντες ὑπέκειντο· ἀλλ’ οἱ μὲν τόδε ἦσαν, οἱ δὲ τόδε· ἀλλ’ ὁμῶς τῆς σωτηρίας ἀπήλαυσαν [Le divin apôtre s’est inclus lui-même : non pas dans le sens qu’il mérite tous les reproches, mais parce qu’il fut persécuteur. De même, tous ne méritent pas tous les autres [reproches], mais les uns étaient une chose, les autres une autre. Mais ils ont [tous] néanmoins bénéficié du salut] (in Tit. 3,3 [PG 82, 868]). 22,1–3 Si ergo nec paganis … Les catégories d’hommes pardonnables sont présentées dans le même ordre qu’aux §15–21, mais les Samaritains sont omis (voir n. à 15,7). Pour ce classement des hommes, voir déjà vera relig. 25–32, où l’accent est cependant moins mis sur la possibilité qu’ont tous ces groupes de se réformer que sur leur rôle en tant que nonrepentis dans le plan de Dieu. Mais le repentir n’y est pas oublié pour autant : Haec enim ecclesia catholica per totum orbem valide lateque diffusa, omnibus errantibus utitur ad provectus suos, et ad eorum correctionem, cum evigilare voluerint. Utitur enim gentibus ad materiam operationis suae, haereticis ad probationem doctrinae suae, schismaticis ad documentum stabilitatis suae, Iudaeis ad comparationem pulchritudinis suae. Alios ergo invitat, alios excludit, alios relinquit, alios antecedit. Omnibus tamen gratiae Dei participandae dat potestatem; sive illi formandi sint adhuc, sive reformandi, sive recolligendi, sive admittendi [En effet, l’Église catholique, répandue puissamment de long en large dans le monde entier, se sert de tous ceux qui sont dans l’erreur, pour son propre progrès, et pour les corriger, quand ils voudraient se réveiller. Elle se sert ainsi des gentils comme de la matière pour son œuvre, des hérétiques pour éprouver sa doctrine, des schismatiques pour enseigner sa stabilité, des Juifs pour montrer le contraste de sa beauté. Donc, elle invite certains, elle exclut d’autres, elle abandonne d’autres, elle précède d’autres. Mais elle donne à tous la possibilité de participer à la grâce de Dieu, qu’ils soient encore à former, ou qu’ils soient à réformer, ou à rassembler, ou à admettre] (vera relig. 30s.). 22,1 christianitati Christianitas est un mot rare chez Augustin, de même que christianismus (seulement dans les citations de Faustus en c. Faust. 13,1 et de Porphyre en civ. 19,23) : Augustin

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s’est généralement dispensé d’un nom abstrait pour désigner le christianisme ou l’ensemble des chrétiens (à part ecclesia). Il faut faire une exception pour c. Petil. : christianitas est employé 2 fois par Pétilianus, et Augustin reprend le mot 11 fois dans la réfutation du deuxième passage (Pétilianus : 2,196.202 ; Augustin : 2,203–205 ; pour ce phénomène voir la remarque sur c. Faust. dans n. à 15,2, pagani). Mais, en dehors de cette œuvre, il emploie christianitas seulement 6 fois, dans l’Inchoata expositio, puis vera relig. 26 ; util. cred. 36 ; epist. 53,1 (bis ; il se peut qu’Augustin, de nouveau, reprenne le mot d’un texte donatiste) ; de serm. dom. 2,41. À part ce dernier passage, et l’Inchoata expositio, le mot sert à opposer la vraie communauté chrétienne aux fausses églises des hérétiques. Dans notre texte, christianitas s’oppose bien aux hérétiques, mais en même temps aux païens. Du reste, christianitas n’est pas en usage fréquent chez les Pères (voir ThLL, Onomasticon II s.v.). Parmi les prédécesseurs et contemporains d’Augustin, Tertullien, Cyprien, Hilaire de Poitiers, Jérôme, Ambroise ne l’emploient jamais, et il n’y a que chez Philastre de Brescia et Marius Victorinus qu’il soit courant. Il est possible qu’Augustin l’ait employé dans l’Inchoata expositio sous l’influence, sinon de Victorinus (voir Introduction, 1.7), au moins des quaestiones de l’Ambrosiaster (voir n. à 20,5, malevolentiae), qui comportent une défense, face aux païens, du titre de christianitas donné à l’Église (114,31 [SChr 512]). 22,3 perseverantia in nequitia et malignitate Dans ces dernières pages de l’Inchoata expositio, perseverantia et dérivés deviennent les mots-clefs pour désigner le péché impardonnable : perseverando in peccatis (23,7) ; perseverantia peccatorum (23,7) ; in peccatis suis perseverandum (23,12) ; in mala vita sua et perditis moribus perseveraturos (23,12) ; perseverent (23,12) ; impia mentis obstinatione perseverantibus (23,13). Dans le serm. 71, Augustin a remplacé ces expressions par le seul mot impaenitentia (serm. 71,20. 21.22.23.25.34.35.37), mot qui n’apparait nulle part ailleurs chez lui, et qui est généralement assez rare (voir ThLL s.v., et ajouter Novatien, De bono pudicitiae 3 [CCSL 4] ; Hilaire de Poitiers, in psalm. 2,44 ; Fulgence de Rupse, epist. 7,15 ; Ambroise, in psalm. 38,37 ; Jérôme, traduction de la règle de Pacôme 6 [éd. BOON, Pachomiana Latina]). impaenitentia est bien plus commode que les périphrases avec perseverantia, mais il se peut qu’à l’époque de l’Inchoata expositio Augustin ait ignoré l’existence du mot, et il est clair qu’il ne l’a jamais considéré comme très correct. 22,3 cum desperatione Voir n. à 14,1, desperans. Ici et en 23,12 le désespoir est donné comme seule motivation pour le refus du pardon, alors qu’il est combiné en 14,1 avec le mépris (irridens atque contemnens) et en 23,7 avec l’arrogance (quasi de sua iustitia praesumendo). Dans l’esprit d’Augustin, tous ces facteurs, sans doute, se rejoignent et s’entre-

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mêlent pour expliquer l’impénitence, mais le désespoir est pour lui l’élément principal. L’exemple biblique majeur de ce désespoir est Judas : Iudam traditorem non tam scelus quod commisit, quam indulgentiae desperatio fecit penitus interire. Non erat dignus misericordia. Ideo ei non fulsit lumen in corde, ut ad eius indulgentiam concurreret quem tradiderat, sicut illi qui eum crucifixerant [Act. 2,37]. Sed desperando se occidit, et laqueo suspendit se, suffocavit se. Quod fecit in corpore suo, hoc factum est in anima ipsius. Spiritus enim dicitur etiam iste ventus aeris huius. Quomodo ergo qui sibi collum ligant, inde se occidunt, quia non ad eos intrat spiritus aeris huius, sic illi qui desperant de indulgentia Dei, ipsa desperatione intus se suffocant, ut eos Spiritus sanctus visitare non possit [Pour le traître Judas, ce n’est pas tant le crime qu’il commit, mais son désespoir du pardon, qui l’a entièrement détruit. Il n’était pas digne de miséricorde. C’est pourquoi la lumière n’a pas brillé dans son cœur, pour qu’il courût vers le pardon de celui qu’il avait trahi, comme [l’ont fait] ceux qui l’avaient crucifié. Mais il se tua par désespoir, et il se pendit avec une corde ; il s’étouffa. Ce qu’il a fait dans son corps, la même chose s’est faite dans son âme. En effet, on appelle aussi ‘esprit’ le vent dans cet air [qui nous entoure]. Donc, tout comme ceux qui s’attachent le cou se tuent de cette façon, puisque l’esprit de cet air n’entre pas en eux, de même, ceux qui désespèrent du pardon de Dieu s’étouffent intérieurement par ce même désespoir, et ainsi l’Esprit Saint ne peut venir en eux] (serm. 352,8). Mais on ne trouve pas dans l’Inchoata expositio la notion terrifiante que Dieu abandonne certains au désespoir parce qu’ils ne méritent pas la grâce qui permet le repentir. 22,4–23,7 La possibilité du repentir pour les pharisiens Bien qu’Augustin ait modifié ses vues sur le péché impardonnable depuis de serm. dom. (voir n. à 14,1, Le blasphème), on y trouve déjà l’affirmation que Mt. 12,33 montre que Mt. 12,31 ne condamne pas définitivement les pharisiens : Unde quaeri potest, utrum in Spiritum sanctum Iudaei peccaverint, quando dixerunt quod in Belzebub principe daemoniorum daemonia Dominus expelleret … Non enim hoc colligitur de verbis Domini … Nam si eos sic haberet condemnatos, ut nulla spes illis reliqua esset, non adhuc monendos iudicaret, cum addidit dicens: ‘Aut facite arborem bonam et fructum eius bonum, aut facite arborem malam et fructum eius malum’ [On peut alors se demander si les Juifs ont péché contre l’Esprit Saint quand ils ont dit que c’était dans Belzéboub, prince des démons, que le Seigneur expulsait les démons … En effet, ce n’est pas ce que l’on déduit des paroles du Seigneur … Car s’il les avait condamnés à tel point qu’il ne leur restait plus d’espoir, il n’aurait pas jugé qu’il y avait encore à les avertir, [comme] quand il ajouta les mots : ‘Ou bien faites un bon arbre, avec son bon fruit, ou bien faites un mauvais arbre, avec son mauvais fruit’] (de serm. dom. 1,75 ; mais on y trouve aussi l’idée que les pharisiens auraient blasphémé contre le Fils de l’Homme plutôt que l’Esprit, qu’Augustin a abandonnée dans l’Inchoata expositio).

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Une exégèse positive sur les deux arbres n’appartient pas seulement aux discussions sur le pardon, mais aussi aux polémiques anti-manichéennes sur la liberté. Les Manichéens en effet voyaient dans les deux arbres les deux types de nature humaine, découlant des deux principes à l’œuvre dans l’univers : Sed ut intellegas istas duas arbores sic esse a Domino positas, ut ibi significaretur liberum arbitrium, non naturas esse istas duas arbores, sed voluntates nostras, ipse ait in evangelio: ‘Aut facite arborem bonam, aut facite arborem malam’. Quis est qui possit facere naturam? Si ergo imperatum est nobis ut faciamus arborem aut bonam aut malam, nostrum est eligere quod velimus [Mais, pour que tu comprennes que ces deux arbres furent indiqués par le Seigneur pour signifier ici le libre arbitre, [et] que ces deux arbres ne sont pas des natures, mais nos volontés, il dit lui-même dans l’Évangile : ‘Ou bien faites un bon arbre, ou bien faites un mauvais arbre’. Qui est-ce qui pourrait faire une nature ? Si donc il nous est commandé de faire un arbre soit bon soit mauvais, il nous appartient de choisir ce que nous voulons] (c. Fort. 22 ; pour les parallèles voir AugLex s.v. arbor, n. 43, et J. KEVIN COYLE, Good Tree, Bad Tree : The Matthean / Lucan paradigm in Manichaeism and its opponents, dans : L. DITOMMASO – L. TURCESCU [éds.], The Reception and Interpretation of the Bible in Late Antiquity, Leiden 2008, 121–144 = J. KEVIN COYLE, Manichaeism and Its Legacy, Leiden 2009, 65–88). Et les Donatistes eux aussi avaient une interprétation particulière des deux arbres : ils représentaient les deux églises, dont seule la donatiste avait un baptême valable (voir AugLex s.v. arbor, n. 45). Contre cette exégèse, Augustin affirme de nouveau qu’en désignant les deux arbres et leurs fruits, le Christ ne fait qu’affirmer la possibilité du choix moral chez l’individu. Pour un point de vue inverse à celui d’Augustin sur les pharisiens, voir les exégèses anti-juives citées dans n. à 14,1, Le blasphème ; 20,5, quomodo poterant, et Athanase, Epistulae ad Serapionem, 4,5 (voir aussi 9) : Οὐ διδάσκων ἁπλῶς ὁ κύριος ἐλάλει ταῦτα οὐδὲ ἐπὶ μέλλουσι τὴν τιμωρίαν ἠπείλει, ἀλλ’ εὐθὺς αἰτιώμενος ἀληθῶς τοὺς φαρισαίους ὡς ἤδη γενομένους ὑπευθύνους τῆς τηλικαύτης βλασφημίας εἴρηκε τοῦτο τὸ ῥητὸν ὁ κύριος … ἐπὶ πολλαῖς δ’ οὖν πρότερον πλημμελείαις αἰτιώμενος αὐτοὺς ὁ σωτήρ, ὅτε τὴν ἐντολὴν τοῦ Θεοῦ τὴν περὶ τῶν γονέων δι’ ἀργύριον παρέβαινον [Mt. 15,3–7] καὶ τὰ τῶν προφητῶν παρεκρούοντο καὶ τὸν οἶκον τοῦ Θεοῦ ἐποίουν οἶκον ἐμπορίου [Io. 2,16], ὅμως παρῄνει καὶ μετανοεῖν αὐτοῖς. ἐπὶ δὲ τῷ λέγειν αὐτούς· ‘ἐν Βεελζεβοὺλ ἐκβάλλει τὰ δαιμόνια’, οὐκέτι ταύτην ἁμαρτίαν ἁπλῶς, ἀλλὰ καὶ βλασφημίαν εἴρηκεν εἶναι τηλικαύτην, ὥστε ἄφυκτον καὶ ἀσύγγνωστον εἶναι τὴν τιμωρίαν τοῖς τοιαῦτα τολμῶσιν [Ce n’était pas simplement pour enseigner que le Seigneur disait cela, et ce n’était pas pour une éventualité future qu’il faisait peser la menace de la punition. Mais c’était dans l’immédiat, blâmant avec bonne cause les pharisiens, parce qu’ils s’étaient déjà rendus coupables d’un si grand blasphème, que le Seigneur a dit cette parole … Donc, par avant, quand le Seigneur les blâmait pour un nombre de fautes, quand ils enfreignaient le commandement de Dieu sur les parents pour cause d’argent, et quand ils repoussaient les [paroles] des prophètes, et quand ils faisaient de la maison du Seigneur une maison

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de commerce, il les exhortait néanmoins aussi à se repentir. Mais quand ils ont dit : ‘C’est dans Belzébul qu’il expulse les démons’, il n’a plus appelé cela simplement un péché, mais aussi un blasphème si grand, que la punition est inévitable et irrémissible pour ceux qui osent de tels actes]. En contraste, voir la tentative ingénieuse pour conserver la possibilité d’une absolution des pharisiens chez Apollinaire de Laodicée (apud REUSS, Matthäus-Kommentar, 21) : τὸ δὲ μήτε ἐπὶ τοῦ παρόντος αἰῶνος μήτε ἐπὶ τοῦ μέλλοντος ἀφεθήσεσθαι τὴν κατὰ νόμον ἑρμηνεύει κρίσιν καὶ τὴν μέλλουσαν. ὅτε γὰρ νόμος τὸν καταρώμενον Θεὸν θανατοῦσθαι κελεύει, καὶ ὁ κύριος ἐπιψηφίζεται τῷ νόμῳ, συγγνώμην ἐπὶ τῷ τοιούτῳ μὴ διδούς. παρασεσιωπημένη δὲ ἐν τοῖς τοιούτοις ἡ διὰ βαπτίσματος ἄφεσις εἴη, ἐπεὶ μηδὲ καιρὸς ἦν πω περὶ ταύτης Ἰουδαίοις διαλέγεσθαι· μεταξὺ γάρ πως εὑρίσκεται τῆς ἐν τῷ αἰῶνι τούτῳ καὶ τῆς μελλούσης κατακρίσεως, ὅτι ὁ βαπτιζόμενος ἔξεισιν ἀπὸ τοῦ αἰῶνος τούτου, καὶ μεταξύ πως τῆς παρούσης καὶ τῆς μελλούσης ζωῆς ἐξετάζεται, καὶ οὕτως παραίτησιν τῆς ἐκ νόμου ἐξετάσεως ἴσχει κατὰ τὸν λέγοντα Παῦλον ‘Θεὸς ὁ δικαιῶν· τίς ὁ κατακρινῶν;’ [Rom. 8,33] [Que cela ne sera pardonné ni dans le siècle présent ni dans celui qui viendra, il l’interprète comme se référant au jugement selon la Loi et au [jugement] futur. En effet, tant que la Loi ordonne de mettre à mort celui qui maudit Dieu, le Seigneur donne lui aussi son appui à la Loi, n’accordant nul pardon à un tel acte. Mais dans ces [paroles] le pardon par le baptême semble être passé sous silence, puisque ce n’était pas encore le moment d’en parler aux Juifs. C’est qu’il [sc. le baptême?] se trouve en quelque sorte placé entre le jugement de ce siècle et celui du siècle à venir – puisque le baptisé sortira de ce siècle – et qu’il est en quelque sorte mis à l’épreuve entre la vie présente et la vie à venir, et obtient ainsi une excuse pour l’épreuve par la Loi, comme le dit Paul : ‘C’est Dieu qui justifie. Qui est-ce qui condamne ?’]. Mais Athanase lui aussi avait souligné (Ath. ep. Serap. 4,5) que les pharisiens n’étaient pas baptisés, et il est possible que ces deux exégèses aient le même sens, et rejoignent ainsi Augustin. 23,1 Ergo quia Dominus … La proposition subordonnée introduite par quia est reprise en 23,6 (quia ergo), après quoi vient enfin la principale (misericorditer eos voluit admonere). Tout 23,2–6 est une parenthèse en dehors de cette structure. Cette parenthèse n’est pas une digression. Elle sert à fermer la boucle qui joint l’identification de l’Esprit Saint avec gratia et pax à l’interprétation augustinienne du blasphème contre l’Esprit Saint. Dans Mt. 12,22–37, la sentence du Christ sur le blasphème contre l’Esprit Saint est provoquée par la réaction des pharisiens à la guérison d’un démoniaque. En affirmant, par le biais de Mt. 9,1–8, que les miracles du Christ signalaient la rémission des péchés dans l’Esprit, c’est-à-dire le don de la grâce et de la paix dans ce même Esprit (quia ergo in Spiritu Dei faciebat illa omnia, ut gratiam pacemque hominibus largiretur, 23,6), Augustin veut montrer que cette réaction des pharisiens est en fait un rejet de la rémission des péchés. Les pharisiens continueraient dans ce rejet s’ils ne cherchaient pas dans le Christ la rémission de leurs propres

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péchés, et c’est alors qu’ils commettraient le blasphème contre l’Esprit Saint, et seraient damnés (23,7). 23,1 non ab aliud … Origène est peut-être le premier à affirmer inlassablement que l’essentiel des miracles du Christ est leur fonction pédagogique : εἰ δὲ καὶ ὁ σωτὴρ τάδε τινὰ ἰάσατο, καὶ ἐδωρήσατο ὑγείαν καὶ ὄψεις καὶ ἀκοὰς ἀνθρώποις, προηγουμένως μὲν τὴν ἀναγωγὴν αὐτῶν ζητητέον, τοῦ λόγου τὰ τῆς ψυχῆς πάθη θεραπεύειν διὰ τούτων τῶν ἱστοριῶν δηλουμένου [Si le Sauveur a aussi fait de telles guérisons, et s’il a donné la santé et la vue et l’ouïe à des hommes, il faut avant tout chercher l’enseignement contenu dans ces [actes], puisqu’il est révélé par ces récits que le Verbe guérit les maladies de l’âme] (Philocalie 26,8 ; de même e.g. Jo. 6,33,166 ; comm. in Mt. 10,24 [GCS 40, 33–34]). Dans des œuvres antérieures à l’Inchoata expositio, Augustin avait plusieurs fois repris cette doctrine : voir vera relig. 83–85 ; in Gal. 15 ; in psalm. 9,2 ; serm. 63A ; de serm. dom. 2,84 (c’est aussi le schéma de l’Incarnation même : Visibiliter nos commonere dignatus est ut ad invisibilia praepararet [Il a daigné nous enseigner visiblement, pour nous préparer à l’invisible], agon. 12 ; voir serm. 214,7). En util. cred. 34 on trouve toute une discussion dans le même sens sur les miracles, où leur herméneutique est approfondie : Miraculum voco, quidquid arduum aut insolitum supra spem vel facultatem mirantis apparet. In quo genere nihil est populis aptius et omnino stultis hominibus, quam id quod sensibus admovetur … Homines illius temporis aquam in vinum conversam, saturata quinque milia quinque panibus, transita pedibus maria, mortuos resurgentes viderunt. Ita quaedam corpori manifestiore beneficio, quaedam vero menti occultiore signo, et omnia hominibus maiestatis testimonio consulebant [J’appelle ‘miracle’ tout ce qui est ardu et insolite, [et] se manifeste au-delà de l’attente ou des facultés de celui qui l’admire. Dans ce genre, rien n’est plus approprié aux nations et aux hommes entièrement sots que ce qui se présente aux sens … Les hommes de ce temps ont vu l’eau transformé en vin, les cinq mille rassasiés avec cinq pains, les mers traversées à pied, les morts qui ressuscitaient. De la sorte, cela – parfois par un bienfait plus évident pour leurs corps, parfois par un signe plus secret pour leur esprit, mais dans tous les cas comme témoignage de sa majesté – était pour le bien des hommes]. Tous ces passages se concentrent donc sur la « Verweisungsfunktion » (voir n. à 18,7, Corneille) des miracles : elles sont une concession au besoin qu’ont les faibles de signes visibles. Si une telle approche est typique d’Augustin (voir MAYER, Die Zeichen, passim), elle fait aussi partie d’une tendance répandue chez bien des Pères à dévaloriser la compassion du Christ pour les souffrances ordinaires des hommes. Cette tendance était l’héritage d’une philosophie gréco-romaine où le sage était caractérisé par son indifférence à ces souffrances, que ce soit la douleur physique ou la perte d’un être aimé. Elle trouvait sa réponse dans la foi des fidèles envers les miracles des saints, et BROWN (Augustine, 416–422) a montré comment Augustin luimême a graduellement intégré cette foi dans sa vision de l’activité divine dans notre

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monde. Déjà dans in Gal. 15 il avait suggéré, que si l’homme spirituel n’a pas besoin de miracles, ce n’est pas qu’il ferme les yeux au monde physique, mais qu’il voit suffisamment en lui, dans ses états ordinaires, les signes de l’amour divin : Et ideo Dominus non ait: ‘Tollite iugum meum et discite a me, quoniam quatriduana de sepulcris cadavera exsuscito atque omnia daemonia de corporibus hominum morbosque depello’ et cetera huiusmodi. Sed ‘tollite’, inquit, ‘iugum meum et discite a me, quia mitis sum et humilis corde’ [Mt. 11,29]. Illa enim signa sunt rerum spiritalium, mitem autem esse et humilem caritatis conservatorem res ipsae spiritales sunt, ad quas per illa ducuntur, qui oculis corporis dediti fidem invisibilium, quia iam de notis usitatisque non possunt, de novis et repentinis visibilibus quaerunt [Et c’est ainsi que le Seigneur ne dit pas : ‘Prenez mon joug et apprenez de moi, parce que je ressuscite du sépulcre les cadavres de quatre jours, et je chasse tous les démons et les maladies des corps des hommes’, et le reste des choses de ce genre. Mais il dit : ‘Prenez mon joug et apprenez de moi, parce que je suis doux et humble de cœur’. En effet, ces [miracles] sont les signes des choses spirituelles, mais être doux et humblement fidèle à la charité sont les choses spirituelles elles-mêmes, auxquelles sont conduits par le biais de ces [miracles] ceux qui, livrés à leurs yeux corporels, cherchent la foi dans les choses invisibles – puisque ils ne peuvent plus le faire par ce qui est connu et normal – à travers les choses visibles nouvelles et surprenantes]. Bien entendu, les textes où Augustin dévalorise bien plus le visible ne manquent pas : la tension entre la beauté créée qui reflète le créateur (Rom. 1,20) et le plaisir des yeux, source de tentation (1 Io. 2,16), parcourt toute son œuvre. Son expression, philosophique et personnelle, de cette tension, et de l’angoisse qu’elle provoque, est une des grandes sources de son éloquence. D’où, en partie, le succès ininterrompu des Confessions auprès de lecteurs qui ne partagent pas la foi de leur auteur. 23,1 Agite paenitentiam; appropinquabit enim regnum caelorum Curieux exemple de la persistance d’une erreur. Les Mauristes renvoient à Mt. 3,2, et cette référence est reprise par les traducteurs Raulx, Péronne, Fredriksen Landes, Mara, Mendoza / Tarulli et Ring. MARA (Agostino interprete, 206) ajoute même une note : « si tratta di Giovanni il Batista ». Mais la référence est certainement fausse : dicenti sibi montre que c’est le Seigneur même qui parle, et il faut donc renvoyer exclusivement à Mt. 4,17. 23,4 Mt. 9,2.5s. CSEL 84 renvoie à Mc. 2,9–11. Nous avons préféré renvoyer à l’Évangile de Matthieu, puisque c’est son texte que suit Augustin pour le blasphème contre l’Esprit Saint. Mais il est impossible de savoir lequel des Évangiles Augustin a consulté – s’il ne cite pas de mémoire – puisque les variantes entre Mt. 9,2, Mc. 2,5 et Lc. 5,20, puis entre Mt. 9,5s., Mc. 2,9–11 et Lc. 5,23s. sont minimes. Précisons : pour ne tenir compte que du texte adopté dans Nestle-Aland28 et Gryson, le texte d’Augustin rejoint Mc. contre Mt. et Lc. en omettant tua après peccata1 ; il rejoint Mt. et Lc. contre

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Mc. en omettant paralytico après facilius dicere, puis en omettant et tolle grabbatum tuum après et ambula ; il omet in terra après ou avant filius hominis, contre les trois Évangiles ; il rejoint Mc. et Lc. contre Mt. en omettant tunc (τότε) avant dicit paralytico, et en incluant tibi dico après paralytico ; il rejoint Mc. contre Mt. et Lc. en portant grabatum (κράβαττον) plutôt que lectum (Mt. : κλίνην ; Lc. : κλινίδιόν) après tolle. Dans l’Inchoata expositio on lit dimissa sunt, alors que la Vulgate a demittuntur ou remittuntur dans les trois Évangiles. Mais face aux difficultés détaillées ci-dessus, et en l’absence d’une édition critique de la Vetus Latina pour ces passages, nous renonçons à l’étude de cette variante. Notons seulement qu’Augustin a la leçon demittuntur pour Mt. en trin. 15,17 (texte de CCSL 50), la leçon dimittuntur pour Mt. en cons. euang. 2,57 ; et la leçon dimittuntur pour Lc. en cons. euang. 2,58 (texte de CSEL 43 pour cons. euang.), alors que nous n’avons pas retrouvé ailleurs la leçon dimissa sunt tibi peccata. 23,6 gratiam in dimissione peccatorum, pacem in reconciliatione Dei, a quo separant sola peccata Repris de 8,4–6 (voir n. à 8,4) : Augustin conclut son exposé en revenant vers l’épître aux Romains. 23,8–12 Le blasphème n’est pas qu’en paroles. Augustin répond à une dernière difficulté : le blasphème est normalement compris comme un péché en paroles (voir n. à 14,2–8), et non comme le résultat des choix de toute une vie. Pour résoudre le problème, Augustin a recours à la méthode préférée des Pères, et celle qu’il préconise lui-même en doctr. christ. 3,83 : un passage de l’Écriture perçu comme ambigu est expliqué par d’autres qui comportent des mots ou expressions similaires. Comme tout moraliste chrétien, Augustin ressent souvent la nécessité de souligner que la piété doit se manifester par les œuvres. On retrouve dans ce contexte des éléments du dossier scripturaire rassemblé ici. Augustin joint ainsi Lc. 6,46 à Mt. 7,21 en divers. quaest. 76,2. Mais surtout il aime à préciser le sens de 1 Cor. 12,3 par Tit. 1,6 (in euang. Ioh. 74,1), par Mt. 7,21 (de serm. dom. 2,83, dont s’inspire notre texte ; trin. 9,15) ou par les deux (serm. 269,4 ; les trois passages sont déjà réunis chez Tyconius, Liber regularum 6,4,1). En effet, 1 Cor. 12,3 posait à l’inverse le problème du blasphème dans l’Inchoata expositio, puisqu’il semblait indiquer que l’on pouvait se sauver uniquement par des paroles. Par contraste, l’exemple par-dessus tous de la parole en action, c’est le Christ : Verbum Dei est Christus, qui non solum sonis, sed etiam factis loquitur hominibus [Le Christ est la parole de Dieu, qui ne parle pas aux hommes seulement par des sons, mais aussi par des actes] (serm. 252,1). Quant à la définition large du blasphème, elle est déjà chez Origène : Ego tamen puto quod non ille solum maledicat Christo, qui sermonem adversum eum maledicum

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profert, sed et ille, qui sub nomine christiani male agit et turpiter conversatur et inhonestis vel verbis vel actibus suis facit ‘nomen eius blasphemari inter gentes’ [Rom. 2,24], sicut e contrario non ille, qui sermonibus solis Dominum benedicit, ipse benedicere putandus est, sed qui actibus et vita et moribus suis facit ab omnibus nomen Domini benedici [Mais, pour ma part, je ne pense pas que seul celui-là maudisse le Christ, qui profère des paroles de malédiction contre lui, mais aussi celui qui, sous le nom de chrétien, fait le mal et vit dans l’immoralité, et qui, par ses paroles ou ses actes déshonorants, fait que ‘son nom est blasphémé parmi les nations’. Tout comme, à l’inverse, ce n’est pas celui qui bénit le Seigneur seulement en paroles que l’on doit considérer comme bénissant, mais celui qui, par ses actes et sa vie et ses mœurs, fait que le nom du Seigneur soit béni par tous] (Rufin. Orig. in Num. 17,6). Elle est aussi reprise implicitement par Augustin en fid. et op. 30, où il combat une vue laxiste du blasphème contre l’Esprit Saint, qui semble inspirée par la sienne : Illud sane non absurde intellegunt, eum peccare in Spiritum sanctum et esse sine venia reum aeterni peccati, qui usque in finem vitae noluerit credere in Christum, sed si recte intellegerent, quid sit credere in Christum. Non enim hoc est habere daemonum fidem, quae recte mortua perhibetur [Iac. 2,20], sed fidem, quae per dilectionem operatur [Gal. 5,6] [Ce n’est assurément pas sans logique qu’ils considèrent que celui qui pèche contre l’Esprit Saint et est impardonnablement coupable du péché éternel, c’est celui qui aura refusé, jusqu’à la fin de sa vie, de croire au Christ. Mais [seulement] s’ils comprennent correctement ce que c’est que de croire au Christ. Ce n’est pas, en effet, d’avoir la foi des démons [voir n. à 9,2, nondum poenarum], que l’on fait bien d’appeler ‘morte’, mais la foi qui agit dans l’amour]. On voit avec quelle rapidité la doctrine que nul acte n’était impardonnable était devenue celle que nul acte ne serait condamné. Cependant, dans le serm. 71, Augustin ne parait plus entièrement convaincu par ses propres conclusions sur la relation blasphème-paroles. On n’y trouve plus l’affirmation que le blasphème correspond à des actes. Augustin préfère se limiter à affirmer que l’impénitent aura sans doute blasphémé de nombreuses fois, dans le sens ordinaire du terme, en paroles ou en pensée (sive cogitatione, sive etiam lingua sua [que ce soit par sa pensée, ou même par sa langue], 20 ; cf. trin. 15,17 pour l’équivalence cogitatio [pensée] – paroles), mais avec l’accent mis sur les paroles, ce qui soulève un nouveau problème : Quod [que le blasphème impardonnable serait l’impénitence] non ideo videatur absurdum quia cum homo usque in finem huius vitae in dura impaenitentia perseverans, diu multumque loquatur adversus hanc gratiam Spiritus sancti, evangelium tamen tam longam contradictionem cordis impaenitentis, quasi breve aliquid, ‘verbum’ appellavit [Que cela ne semble pas absurde, parce que, si un homme persiste dans l’impénitence rigide jusqu’à la fin de cette vie, il parlera pendant longtemps et de nombreuses fois contre cette grâce de l’Esprit Saint, alors que l’Évangile appelle ‘parole’ – comme si c’était quelque chose de court – cette contradiction si longue du cœur impénitent] (22 ; suivent des exemples pour montrer que l’Écriture emploie verbum [parole] au singulier pour verba [paroles] au plu-

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riel). Mais le changement s’explique en partie par la perspective anti-donatiste du serm. 71 : comme le reconnait déjà l’Inchoata expositio (15,12–15), le blasphème des hérétiques était essentiellement affaire d’enseignement, et donc de paroles. 23,11 Lc. 6,46 Grec : τί δέ με καλεῖτε·‘Κύριε, Κύριε’ καὶ οὐ ποιεῖτε ἃ λέγω; Vulgate : Quid autem vocatis me ‘Domine, Domine’ et non facitis quae dico? Augustin a utquid pour quid ; dicitis pour vocatis ; et dico vobis pour dico. Toutes ces variantes s’éloignent du grec, mais pourraient s’expliquer par un texte grec aujourd’hui perdu. Dans la Vulgate, utquid ne traduit τί tout seul qu’en 1 Cor. 15,29s. Ailleurs il traduit soit ἱνατί (Mt. 9,4 ; 27,46 ; Lc. 13,7 ; Act. 7,26 ; 1 Cor. 10,29), soit εἰς τί (Mt. 26,8 ; Mc. 14,4 ; 15,34 ; Rom. 5,6 [variante pour ἔτι]). Il y a donc lieu de supposer l’existence d’un texte grec avec ἱνατί ou εἰς τί en Lc. 6,46. Selon la base de données Vetus Latina, les leçons d’Augustin ici se retrouvent çà et là chez d’autres Pères, tous plus tardifs. Augustin lui-même cite le texte dans la même forme qu’ici en divers. quaest. 76,2 (datant des mêmes années que l’Inchoata expositio), dans la même forme mais sans vobis en serm. 129,2, et dans la forme de la Vulgate en in euang. Ioh. 85,1. 23,14s. tractandi … tractationemque… tractatione … tractandam Répétitions sans effet stylistique, mais qui suggèrent qu’Augustin a écrit rapidement ces dernières phrases. Le goût antique était cependant moins hostile que le nôtre à la répétition : voir P. E. PICKERING, Did the Greek ear detect « careless » verbal repetitions?, CQ 53 (2003), 490–499. Pour le sens de tracto et dérivés chez les auteurs chrétiens, voir C. MOHRMANN, Études sur le latin des chrétiens, t. 2, Roma 1961, 70s. : « tractare et tractatus désignaient de préférence l’exposé exégétique, oral ou écrit ». 23,15 in evangelii tractatione Référence imprécise : Augustin peut penser aux commentaires sur Lc. d’Ambroise et sur Mt. d’Hilaire de Poitiers, voire même aux commentaires grecs (voir Introduction, 1.5 ; les commentaires de Jérôme et de Chromace d’Aquilée sur Mt. sont postérieurs à l’Inchoata expositio : voir FÜRST, Hieronymus, 119 et CCSL 9A, vii). Mais nous avons vu (n. à 14,1, Le blasphème) qu’Augustin est en décalage avec toutes les exégèses reçues sur le blasphème contre l’Esprit Saint. Il indique donc peut-être une intention éventuelle d’écrire lui-même un commentaire sur un Évangile synoptique, ce qu’il n’est jamais parvenu à faire, bien qu’il ait en effet fourni, dans le serm. 71, une discussion encore plus détaillée que celle de l’Inchoata expositio sur le blasphème contre l’Esprit Saint.

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23,15 in aliis voluminibus … ut huius iam tandem iste sit modus Pour le sens de volumen chez Augustin, voir AugLex s.v. codex : bien qu’il écrive ou dicte sur des codices, des livres reliés, Augustin divise ses livres en volumina, dont la longueur correspond approximativement à celle des anciens rouleaux de papyrus. « La formule ‘iste (hic) sit huius voluminis modus (terminus, finis)’ est un cliché qui revient fréquemment en fin de livre ». Ainsi, en retract. 1,25,1, s. Augustin appelle alia volumina [autres volumes] la suite hypothétique de notre texte. Il faut faire la part de ces habitudes de composition dans l’analyse de l’Inchoata expositio. Par sa longueur même, le développement sur le blasphème contre l’Esprit Saint permet de faire du commentaire de la salutation initiale de Rom. un volumen de taille ordinaire.

Sigles AugLex BA Blaise CCCM CCSL CIL CPG CPL CPPM CSEL DACL DTC EAC GCS Gryson HU ILCV IPM K-S Lampe LHS LIMC LLTA / B LSJ Mendoza MGH Nestle-Aland28 OLD PG PL PLS RAC RE RING SChr ThLL TRE TWNT VetLat 25 VetLat 26/1

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Index 1 Bible Les renvois sont aux numéros des pages. Les chiffres en romain renvoient aux citations bibliques dans le texte de l’Inchoata expositio. Les chiffres en romain suivis d’un astérisque (*) renvoient aux passages bibliques évoqués, mais non cités, dans le texte de l’Inchoata expositio. Les chiffres en italique renvoient aux passages bibliques cités dans le commentaire. Les passages bibliques cités à l’intérieur de citations d’auteurs chrétiens ne sont pas inclus. Sont exclus de même les passages bibliques évoqués exclusivement à des fins linguistiques. Gen. 1,1–25 : 240 4,7 : 275 2 Reg. 11,1–12,25 : 184* 12,10–14 : 166* Tob. 4,16 : 350 Iob 14,4 : 280 42,7 : 279 Ps. 8,5 : 328 50,19 : 184* 72,28 : 265 84,12 : 242 109,1 : 158 Prov. 3,12 : 279 11,31 (LXX) : 166* Sap. 14,12–21 : 226 Sir. 10,15 : 200 Is. 59,1s. : 164.265 66,24 : 271 Ier. 27,23 : 353 Mt. 3,2 : 385 4,17 : 190.385 5,44 : 182* 6,14s. : 269 7,12 : 261.349 7,21 : 192 9,1–8 : 383 9,2 : 190.385 9,5s. : 190*.385 12,22–37 : 372.383 12,24 : 186*.192* 12,31 : 172*.315.381 12,32 : 172*.174.180.314.315.346 12,33 : 190.381 14,26 : 228s. 15,26s. : 172.305 22,37–40 : 182*

https://doi.org/10.1515/9783110594782-009

22,42–46 : 156*.235 25,1–13 : 308 25,31–46 : 251 26,59s : 188* 26,61 : 372 27,18 : 374 27,52s. : 251 28,11–15 : 188* Mc. 2,5.9–11 : 385 3,22–28 : 372 3,28s. : 314 12,13 : 188* 12,35–37 : 235 Lc. 5,20.23s. : 385 6,27 : 182* 6,46 : 192.388 10,4 : 298 11,5 : 172* 12,47 : 182.184.352.354 12,48 : 182.352.354 17,11–19 : 176* 20,20 : 188* 20,41–44 : 235 23,34 : 344 Io. 1,3 : 156* 1,14 : 156*.238.240 1,17 : 198 3,17 : 190* 4,7–42 : 176* 7,39 : 370 13,31 : 246 14,6 : 232 14,27 : 164.263 16,33 : 166 20,23 : 289 Act. 4,28 : 247

400 | Index

  7,51 : 176 8,4–17.18–24 : 176* 8,22 : 337 10 : 182* 15,19.29 : 350 17,28 : 154*.220 Rom. 1,1 : 152.154 1,2s. : 154 1,4 : 158 (bis) 1,5 : 160.162 1,6 : 162 1,7 : 162 (bis) 3,21–5,2 : 198 6,3s. : 242 8,29 : 250 8,29s. : 247 8,34 : 246 9,14–24 : 197 11,16–24 : 197 11,25 : 186.370 11,26 : 368.370 11,36 : 285 1 Cor. 2,7 : 247 12,9 : 192 12,10 : 186*.370 15,20 : 250 15,53s. : 264s. 2 Cor. 1,4 : 282 1,19 : 206 5,10 : 251 5,20 : 152* 11,25 : 176 13,4 : 158 Gal. 1,5 : 247 1,11 : 247 3,18–21 : 257 3,19 : 207s. 4,4 : 239 4,6 : 309 5,12 : 205

6,1 : 184* Eph. 1,20 : 246 2,20 : 152* 3,19 : 255 5,5 : 234 Phil. 2,7–9 : 235 Col. 1,18 : 158*.160*.250 2 Thess. 1,4s. : 166 1 Tim. 1,2 : 168 1,13 : 188.377s. 2 Tim. 1,2 : 168 Tit. 1,1s. : 245 1,16 : 192 3,2–7 : 378 3,3 : 188.377s. Hebr. 1,3 : 246 3,2 : 240 6,1s. : 186.366 6,4–6 : 351.366 10,26 : 182.184.351s. 10,29 : 351s. 12,5s. : 279 12,6 : 166 12,23 : 251 Iac. 1,1 : 170 1 Petr. 1,2 : 168.296 1,3 : 168 3,18–4,6 : 282 4,6 : 166 4,15–18 : 166.281 4,17 : 283 2 Petr. 1,2 : 170.296 1 Io. 1,3 : 170.297 2,16 : 385 4,2 : 341 4,18 : 273 4,19 : 162* 2 Io. 1,3 : 170 3 Io. 1 : 170 Iudas 1 : 170

Index | 401

2 Auteurs anciens Les renvois sont aux numéros des pages. Sont inclus tous les passages cités textuellement dans le commentaire. Ambr. Abr. 1,19,82 : 220 epist. 7,1 (CSEL 82/1) : 243 in Luc. 6,108 : 223s. 7,21 : 311s. 9,29 : 255 in psalm. 37,29 : 255 incarn. 2,13 : 241 Iob 1,4,10 : 281 off. 1,40 : 255 paen. 1,47 : 334s. 1,58 : 352s. 2,10 : 352 2,21 : 372s. 2,23 : 336s. 2,24 : 337 2,26 : 314s. 2,93 : 362 spir. sanct. 1,3,54 : 312s. 1,12,126 : 286 2,1,26 : 255 2,5,36 : 220 Ambrosiast. voir aussi Ps.-Aug. quaest. test. in 2 Cor. 1,2 : 285 in Rom. prol. 2 (rec. γ) : 199 prol. 3 (rec. αβ) : 199 prol. 4 (rec. γ) : 258 1,1 : 201 1,2 : 209.214 1,4 : 242.247.249 1,5 : 253 1,7 (rec. αβ) : 264 10,3 : 371 in Tit. 3,3 : 378 Apoll. in Rom. 8,33 (iuxta REUSS, MatthäusKommentar, 21) : 383 Ath. ep. Serap. 4,2 : 313s.

4,5 : 382 4,10 : 347 4,15 : 312 Aug. adv. Iud. 15 : 210s. agon. 4 : 324 11 : 238 12 : 384 28 : 246 29 : 251s. bapt. 5,12 : 308 6,50 : 237 beat. vit. 10 : 364s. 22 : 365 33 : 230 c. acad. 1,15 ; 3,9 : 220 c. Adim. 8 : 357s. c. Cresc. 4,10 : 317s. c. epist. Fund. 25 : 232s. c. Faust. 11,1 : 210 11,4 : 240 12,9 : 275 13,1 : 214 13,15 : 227 22,79 : 234 c. Fort. 3 : 239 19 : 210 22 : 382 c. Iulian. op. imperf. 6,19 : 318s. catech. rud. 42 : 375 civ. 4,26 : 332 8,10 : 224 8,24 : 212 9,19 : 328 15,7 : 274 15,9 : 220 16,22 : 294 18,23 : 227 18,47 : 224s. 19,23 : 213 20,2 : 277s. 20,29s. : 369s.

402 | Index

  21,9 : 271 21,12 : 277 21,24 : 271 22,16.20 : 308 conf. 1,1 : 290 2,9 : 322s. 3,10 : 231 3,12 : 324s. 7,24 : 255 8,2.12 : 276 13,29 : 323 cons. euang. 1,7 : 238 1,10 : 330 1,11 : 237 1,24 : 330 2,58 : 386 3,79 : 356 4,15 : 255 de serm. dom. 1,73–75 : 316.345 1,74 : 275 1,75 : 381 1,77 : 336 2,21.23 : 284 2,74 : 261s. divers. quaest. 36,1 : 272 59,4 : 308 62 : 370 64,4 : 303s. 68,3 : 254 68,5 : 260 73,2 : 238 77 : 365 78 : 230s. 80,3 : 308 82,2 : 268 doctr. christ. praef. 9 : 308 praef. 12 : 345.355 1,13s. : 325s. 1,26 : 238 1,35 : 320 1,37 : 251 1,75 : 274 1,95 : 319 2,20 : 323 2,34 : 207s. 2,126 : 365 3,9 : 245 3,30–32 : 354s. 3,52 : 348

3,71 : 362s. 4,15 : 367 4,76 : 343 4,108s. : 256 4,110 : 257s. enchir. 4 : 345 83 : 317 epist. 6,7 : 323 17,2 : 220 23,4 : 337 25,3 : 345s. 26,6 : 323 33,3 : 346 35,2 : 203 43,8 : 330s. 47,4 : 344 55,10 : 265 55,29 : 222 82,28 : 368 91,2 : 220 111,2 : 353s. 137,10 : 238 137,12 : 218 149,19 : 369 149,22 : 270 153,7 : 321s. 153,15 : 269s. 153,16 : 271.272 157,19 : 265.278 164,21 : 283 184A,5 : 328 185,42 : 339 185,48 : 341s. 185,49 : 374 193,12 : 274 205,11 : 265 205,14 : 252 213,4 : 300s. fid. et op. 30 : 387 fid. et symb. 1 : 367 5 : 241 19 : 287 22 : 319 gen. ad litt. 8,8 : 234 gen. c. Manich. 2,30 : 232 haer. praef. 4 : 341 26 : 340 in euang. Ioh. 48,7 : 335 77,4 : 263

Index | 403

in Gal. 1. : 197.200 3 : 264 12 : 244 13 : 253s. 15 : 198.200.385 19 : 201 24 : 207 26 : 200 30 : 240 31 : 309 35 : 346 46 : 263s.348 51 : 330 56 : 359 65 : 295 in Matth. 11,2 : 375 in psalm. 1,5 : 252 3,7 : 244 3,9 : 250 3,10 : 260 4,7 : 289 4,9 : 211 6,7 : 322 6,12 : 329 7,7 : 338 7,11 : 230 7,19 : 275 8,10 : 203 8,10s. : 328 8,13 : 204 9,1 : 281 9,11 : 325 9,17 : 323 9,27 : 330 10,1 : 337 10,4 : 329 13,7 : 244 14,3 : 357 17,11 : 232 17,27s. : 268s. 22,4s. : 203 24,8 : 269 25,2(= serm. 166A), 13 : 263 33,2,6 : 255 36,3,19 : 377s. 37,1 : 303 49,4 : 222 50,3 : 363 50,7 : 268

55,6 : 265 65,7 : 372 71,10 : 265 72,21 : 221 77,3 : 202 98,12 : 353 103,4,8 : 280 118,29,3 : 221 123,13 : 279 135,7 : 255 in Rom. prol. : 197 1 : 242 3 : 224 12 : 283 32 : 322.323 47 : 365s. 48 : 250 51 : 327 52s. : 259 lib. arb. 1,1 : 266 1,6 : 349 2,39.47.54 : 284 3,4 : 268 3,45 : 270 3,53 : 356 loc. hept. 1,24 : 211 mag. 40 : 326 44 : 299 mor. eccl. 9 : 266 10 : 337 38 : 229 42 : 284 57 : 222 mor. Manich. 20 : 323 mus. 1,5 : 203 1,23 : 206 5,8 : 284 6,8 : 284 6,38 : 205 6,55 : 255 ord. 1,19 : 266 1,29 : 267 2,25 : 350 pecc. mer. 1,5 : 265 1,34 : 299 2,14 : 280 perf. iust. 16 : 265 praed. sanct. 31 : 249 quaest. euang. 2,13 : 331

404 | Index

  2,33,3 : 364 2,33,5 : 201s.369 2,41 : 255 quaest. Simpl. 1,2,2 : 197 1,2,12 : 260 1,2,22 : 335 2,1,7 : 261 2,2,1 : 288 2,3,3 : 371 quant. anim. 15 : 284 18 : 365 47 : 365 79 : 323 retract. 1,3,3 : 267 1,4,2 : 267 1,19,7 : 316 1,23,2–4 : 259 1,25,1 : 389 2,20 : 259 2,24,2 : 207 serm. 2,9 : 200 8,12 : 349 9,3 : 358 9,6 : 241 9,8 : 272 9,15 : 348 12,3 : 252 20,2 : 269.319s. 20,3 : 320 56,15 : 359 71,5 : 334.399s. 71,9 : 374 71,6 : 338 71,19 : 265 71,20 : 317.387 71,22 : 387 71,28 : 295.318 71,34 : 363 71,37 : 289 92,2 : 235 101,9 : 261.298 105,4 : 307 117,16 : 238 158,6 : 272 161,8 : 272s. 162A,11 : 298 163,11 : 234 163B,3 : 359s. 166,2 : 203

166A : voir Aug. in psalm. 25,2 167,4 : 298 169,5 : 255s. 169,12 : 249s. 179A,7 : 358 182,6 : 238 183,1 : 342 183,10 : 341 198(augm),16 : 225 198(augm),29 : 224 214,4 : 268 223A,4 : 331 252,1 : 386 260A,2 : 344s. 260C,6 : 328 271 : 288.289 288,2 : 234 293A(augm),8 : 256 299A(augm),6 : 376 305A,7 : 264s. 339,3 : 320 341(augm),7 : 256 351,5 : 361 351,6 : 363s. 351,9 : 320 351,12 : 342s.344.363 352,2 : 334 352,8 : 344.381 352,9 : 267.343 352A,6 : 321 360B,19 : 356 soliloq. 1,2 : 267 1,3 : 241.287 1,4 : 266 spec. 197 : 255 spir. et litt. 18 : 18 23 : 197 trin. 1,12 : 241 2,11 : 239 4,4 : 221 6,38 : 255 8,3 : 297 un. bapt. 6 : 224 util. cred. 1 : 230.338 2 : 337 3 : 338 34 : 384 35 : 361s. vera relig. 8 : 229

Index | 405

10 : 231 23 : 225 30s. : 379 56 : 332s. 66 : 359 100 : 221 107s. : 230 189 : 255 190–196 : 226 204s. : 232 312 : 264 virg. 37 : 377 47 : 256

Clem. str. 1,91 : 223 Cod. Theod. 16,7,4,1 : 342 Const. or. s. c. 19,4 : 217.219 Cyrill. in Matth. (iuxta REUSS, MatthäusKommentar, 21) : 315 Didym. voir Hier.

Ps.-Aug. quaest. test. 102,13 : 311 102,23 : 314 102,24 : 337 Bas. reg. br. 273 : 315 Beda hist. eccl. 2,1,11 : 301s.

Don. Ter. Ad. 363 : 202 Ter. Eun. 191 : 294 766s. : 256 Epiph. exp. fid. 1,1 : 342 haer. 54,2 : 312

Caes. Arel. serm. 38,3 : 335

Euseb. H.E. 5,1,3 : 261 6,14 : 290s.

Chromat. in Matth. 50,3 : 314

Faustin. trin. 5,1 (CCSL 69) : 255

Chrys. hom. in 1 Cor. 1,1 : 253 hom. in. Heb. 9,1 : 366s. 9,3 : 364 20,1 : 352 hom. in Rom. 1,2s. : 235.245.247.253 1,4 : 264 17,1 : 371 hom. in 1 Tim. 1,2 : 295 3 : 371 hom. in 2 Tim. 8,1 : 204 hom. in Tit. 3,1 : 224 4,1 : 267 in Iob 1,1 : 280s.

Filastr. 89 : 240

Cic. Balb. 51 : 219 de orat. 1,1,98 : 219

Hier. c. Lucif. 23 : 336 Didym. spir. 16 : 286 epist. 53,9 : 292 73,4 : 292 129,3 : 293 hom. Orig. in cant. 3 : 371 hom. Orig. in Ezech. 1,2 : 282 7,10 : 367s. 10,1 : 269 hom. Orig. in Ier. 1,3 : 353 in Am. 3,8 : 292 in eccles. 7,28 : 218 in Eph. prol. (PL 26, col. 440) : 196 1,5 (PL 26, col. 448) : 247s.

406 | Index

  6,15 (PL 26, col. 551) : 262 in Ezech. 9,28 : 293 in Gal. prol. (CCSL 77A, p. 7,52–57) : 198 prol. (CCSL 77A, p. 7,61–69) : 198 prol. (CCSL 77A, p. 8,84–87) : 199 1,1 (CCSL 77A, p. 11) : 293 2,14b (CCSL 77A, p. 57, app. crit. ad lin. 11) : 200 in Ier. 6,36 : 292 in Is.3,6 : 292 3,8 : 292 in Matth. 26,8s. : 292 in Tit. 1,1b–4 (CCSL 77C, p. 8) : 245.262 1,5b (CCSL 77C, p. 15) : 292s. 1,12–14 (CCSL 77C, p. 28) : 244s. 2,2 (CCSL 77C, p. 39) : 292 3,3 (CCSL 77C, p. 62) : 378s. 3,15 (CCSL 77C, p. 72s.) : 262s. vir. ill. 5 : 291s. 15 : 292 59 : 292 Hil. in Matth. 12,17 : 312 in psalm. 135,11 : 255 trin. 2,1 : 286 6,38 : 255 10,7 : 239 Inscr. christ. Diehl 153 : 334 Iren. haer. 3,11,19 : 340s.

Mar. Victorin. in Gal. prol. : 196 Novatian. trin. 11 : 327 13 : 240s. Optat. 5,3,10 : 341 Orig. voir aussi Hier. et Rufin. Cels. 3,71 : 267 hom. in Jer. 2,3 : 313 16,9 : 233 in Luc. frg. 76 SChr 87, 526s. = 182 Rauer : 307s. Jo. 1,4,22 : 294 1,27,190 : 203 2,11,80 : 313 2,17,117s. : 251 2,77s. : 286 10,7,30 : 223 23,12,93 : 306 32,25,322 : 246 philoc. 26,8 : 384 Oros. hist. 2,5,10 : 219 6,1,3 : 331s. 6,1,29 : 219 6,20,6s. : 306s. Pacian. epist. 3,15 : 310s.

Johannes Chrysostomus voir Chrys. Josephus BJ 4,460 : 219

Paneg. 9,7 : 219 12,12.19 : 219

Lact. inst. 1,5,11.19 : 220 1,13,12 : 220 4,13,16 : 213 7,20,5 : 252 7,24,11 : 216

Paul. Nol. epist. 4,2 : 345s. 22,3 : 220

Lucan. 2,248 : 284

Philarg. Verg. ecl. 4,4 : 222

Pelag. in Rom. 1,2 : 228

Index | 407

Possid. vita Aug. 5 : 301 27 : 333

Serv. Aen. prol. : 196 1,1 : 259

Prisc. gramm. II 186 Keil : 294

Stat. silv. 4,5,45s. : 299

Ps.-Prob. Verg. ecl. 4,4 : 222

Tert. adv. Prax. 16 : 241 21 : 327 27 : 235 idol. 1 : 233s. 3 : 226

Prud. apoth. 1s. : 342 178 : 340 956–958 : 231 c. Symm. 1,653s. : 330 Rufin. apol. adv. Hier. 2,7 : 220 hist. 10,22 : 324 11,22 : 330 11,29 : 302s. Orig. in ex. 7,2 : 280 11,3 : 280 Orig. in gen. 11,2 : 290 Orig. in Ios. 5,6 : 378 Orig. in lev. 3,3 : 203 Orig. in Num. 8,1 : 271 17,6 : 386s. Orig. in Rom. 1,6,1 : 258 1,7,1 : 240.248 1,8,2 : 249 1,9,2 : 252s. 1,10,2 : 295 2,5,19 : 351 Orig. princ. 1,3,7 : 346s. Sen. dial. 8,1,4 ; 10,2,1 : 219 epist. 91,19 : 309 122,17 : 342

Ps.-Tert. haer. 1 : 336 Theod. Mops. in 1 Thess. 1,1 : 261 in 2 Tim. 2,8 : 235 Theodoret. in Rom. 1,5 : 253 in Tit. 3,3 : 379 Tract. Pelag. 2 (PLS 1,1378) : 350 Tycon. reg. 1,12,1 : 247.251 Verg. Aen. 1,12s. : 304 1,498 : 255 ecl. 4,4 : 97.154 4,13s.25 : 218 Zenon iuxta Diog. Laert. 7,123 : 267