Cerveau et odorat 1er édition: Comment (ré)éduquer son nez 9782759825097

Ce livre s’adresse à ceux qui veulent mieux comprendre le fonctionnement de l’odorat, un sens discret révélé récemment e

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French Pages 137 [135] Year 2020

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Cerveau et odorat 1er édition: Comment (ré)éduquer son nez
 9782759825097

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Cerveau et odorat Comment (ré)éduquer son nez

Le virus SRAS-CoV-2 perturbe l’odorat.

Cerveau et odorat Comment (ré)éduquer son nez

MOUSTAFA BENSAFI ET CATHERINE ROUBY

17, avenue du Hoggar – P.A. de Courtabœuf BP 112, 91944 Les Ulis Cedex A

Collection « Mes cerveaux et moi » dirigée par Fabien Dworczak. Cette collection présente la multiplicité des travaux autour des Neurosciences : les applications pratiques, pédagogiques, médicales, sociales, politiques… qui en découlent. « Mes cerveaux et moi » décrit les nombreuses recherches actuelles dans différents domaines autour de la description de notre cerveau, de mes cerveaux et l’« individu » avec le rôle fondamental de l’« inné » dans les comportements les plus complexes. Formé en neurosciences et en science politique, Fabien Dworczak poursuit ses recherches dans l’interaction entre ces deux « disciplines », en particulier dans le domaine des politiques publiques liées à la santé et à l’éducation en se focalisant sur les apports neuroscientifiques. Dans la même collection : Obésité : Au-delà de l’impasse, Lélia Bracco, 2018, ISBN : 978-2-7598-2154-9 Infertilité et cerveau ? Des clés pour concevoir ! Sandrine Alejandro et AnneSophie Godefroy, 2019, ISBN : 978-2-7598-2272-0 Cerveau et apprentissage, Imen Miri, 2020, ISBN : 978-2-7598-2276-8 Composition et mise en pages : Patrick Leleux PAO Illustrations : Arnaud Fournel et Simon Rouby Couverture : Conception graphique de B. Defretin, Lisieux Imprimé en France ISBN (papier) : 978-2-7598-2429-8 ISBN (ebook) : 978-2-7598-2509-7

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinés à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. © EDP Sciences, 2020

PRÉFACE

Dessine-moi une odeur ! C’est un exercice sur lequel s’acharne la communauté des scientifiques qui travaillent sur la compréhension des mécanismes de l’odorat. Chacun, à travers ses expertises et sa sensibilité, tâche de relever le défi. Ce dernier sera de nature moléculaire, génétique, cognitive, géographique, sociétale, voire juridique ou philosophique. La recherche sur la perception des odeurs, par comparaison avec d’autres champs d’investigation, mobilise une communauté relativement restreinte. Elle couvre en revanche de nombreuses disciplines. Chaque spécialiste va s’inspirer des découvertes des autres afin d’étoffer le panel des questions auxquelles il ou elle tentera de répondre. Et quel plaisir de faire partie de ce microcosme et de rencontrer cette communauté interdisciplinaire. Quel enthousiasme d’animer des discussions où tel ou tel neuroscientifique saura décrire la note hespéridée aromatique du dihydrojasmonate de méthyle que l’on perçoit dans Eau Sauvage de Dior ou Chrome d’Azzaro ; où une chimiste s’intéressera à la façon dont le polymorphisme génétique affecte la réponse aux composés qu’elle aura synthétisés ; où un industriel des arômes et parfums réfléchira avec un éthologue à la façon de caractériser l’émotion olfactive pour valoriser sa gamme de produits naturels ! Et puis, il y a la science 5

Préface

du goût et des saveurs qui est aussi associée aux odeurs. Que serait un vin sans son bouquet olfactif, un plat sans ses arômes ? N’oublions pas la communication. Pour une maman, l’odeur de son bébé constitue une drogue extrêmement puissante ! Cette interdisciplinarité est véritablement le mot d’ordre de notre communauté. Enfin, les approches numériques ne sont pas en reste. Comprendre puis mimer la complexité avec laquelle notre cerveau décode les molécules odorantes est un défi que relève une partie des experts en intelligence artificielle, chémoinformatique ou cybernétique. Car l’odorat, ce sens redoutablement complexe et formidablement subtil, nous autorise à percevoir l’invisible, l’impalpable. Il nous transporte. Il se trouve par ailleurs intimement lié à nos émotions. Par combinaison avec nos autres sens, la perception des odeurs donne bien souvent au monde qui nous entoure toute sa richesse. Et si Proust a si bien illustré le rapport entre odeurs et mémoire, Charles Baudelaire dans Les Fleurs du mal, illustre le rapport intime entre odeurs et émotions : « […] Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. Doux comme les hautbois, verts comme les prairies, – Et d’autres, corrompus, riches et triomphants, Ayant l’expansion des choses infinies, Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens Qui chantent les transports de l’esprit et des sens. » Et au-delà de l’odeur, il y a le monde du parfum. Ce parfum qui, lorsqu’on le perçoit, nous connecterait au quasi-divin. L’Homme a en effet érigé la composition des odeurs en un véritable art. Sur cet aspect, la France est au premier rang. Des grandes industries de la cosmétique ou du parfum, jusqu’à la composition de parfums de niche, notre pays est à la pointe de la créativité et rayonne à travers le monde. Dès lors, les Français sont considérés comme instruits en matière olfactive, bien que cela reste à démontrer ! Il est toutefois vrai 6

Préface

que nous sommes fiers de nos marques, proches de nos parfums et attachés aux traditions culinaires grâce à notre gastronomie, elle aussi mondialement reconnue. Et quel malheur que de perdre ce don de sentir ! L’anosmie n’est pas un handicap physique significatif, mais elle est un handicap émotionnel majeur. Elle prive d’une part de la beauté de notre environnement. Au-delà de l’aspect hédonique, l’absence de perception des odeurs a des répercussions sur le quotidien. Les odeurs, à travers la perception rétronasale, contribueraient à environ 75 % de la richesse de nos aliments ! La prise alimentaire devient alors une difficulté supplémentaire à surmonter en cas d’anosmie. Plus inquiétant, les conséquences de l’anosmie dépassent la seule privation du plaisir à se nourrir et peuvent déclencher un déclin plus profond. Près de 30 % des individus anosmiques présenteraient des symptômes dépressifs ! Sigmund Freud avait en effet déjà noté que, bien que l’odorat nous rapproche de notre côté animal, sa perte nous prive d’une certaine habilité au bonheur. Il était sur ce point en accord avec Friedrich Nietzsche qui était un fervent défenseur de l’odorat, qu’il considérait comme un sens noble. Avec l’épidémie de Covid-19, la perte de la perception des odeurs a été mise en lumière. La France a été l’un des premiers pays à identifier que l’anosmie constitue un symptôme précoce pour les patients atteints d’une forme mineure de la maladie. On notera qu’au-delà de l’odorat, la perception des saveurs et la chémoréception trigéminale (perception buccale du froid de la menthe par exemple, ou du piquant du poivre) sont aussi touchées. L’anosmie est aussi un symptôme réactif, dans la mesure où sa prévalence dans la population a fortement diminué à la faveur du respect des gestes barrières et du confinement. L’anosmie peut se soigner. Pas toujours. Des recherches ont pu montrer par exemple qu’un entraînement olfactif adapté améliorait les performances chez 63 % des individus ayant des troubles olfactifs post-infectieux depuis moins d’un an. Chez les Français atteints de la 7

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maladie d’Alzheimer, la prévalence de l’anosmie est de 83 %, contre 28 % pour le vieillissement olfactif classique, appelé presbyosmie. De l’autre côté du spectre, l’anosmie ne fait pas partie des préoccupations quotidiennes. Une étude réalisée en 2011 auprès de 7 000 jeunes adultes rapporte que 50 % d’entre eux seraient prêts à abandonner leur odorat plutôt que d’être privés de leur téléphone portable ou de leur tablette1 ! Bien que la science propose des solutions pour les pertes d’audition ou de la vue, l’odorat reste, malgré des progrès spectaculaires, le parent pauvre de la recherche sur les sens. Il est la Cendrillon qui attend que sa marraine la transcende et que son prince charmant l’identifie et la fasse briller. La recherche sur la perception des odeurs, son anatomie et ses mécanismes doit donc persévérer afin que des solutions voient le jour pour pallier ses déficits. L’ouvrage de mise au point de mes collègues et amis Catherine Rouby et Moustafa Bensafi y contribue avec talent. Pr. Jérôme Golebiowski Chimiste, Université Côte d’Azur, Nice Directeur du Groupement de recherche national et interdisciplinaire du CNRS Odorant-Odeur-Olfaction

1.  McCann Worldgroup, The truth about youth, 2011. 8

SOMMAIRE

Préface....................................................................................... 5 Sommaire................................................................................... 9 Introduction...............................................................................11 Chapitre 1. Neurobiologie de l’odorat et des sens chimiques....... 15 1 Le système olfactif..............................................................17 2 Le système gustatif.............................................................27 3 Le système trigéminal..........................................................29 Chapitre 2. Perception olfactive : entre universalité et diversité.. 33 1 Des perceptions olfactives variables chez un même individu......34 2 Des perceptions olfactives variables entre individus..................44 Chapitre 3. Les déficits olfactifs................................................ 57 1 Types, causes et diagnostic...................................................57 2 La prévalence des déficits olfactifs........................................66 3 Effets de la perte olfactive sur la qualité de vie ......................75 4 Soigner l’odorat ? ...............................................................85 Chapitre 4. Déficit olfactif, infection virale et Covid-19.............. 91 1 Le déficit olfactif à la suite d’une infection virale ...................91 2 Le SRAS-CoV-2 et le système olfactif......................................93 3 La prévalence du déficit olfactif dans la Covid-19....................98 4 Les caractéristiques du déficit olfactif dans la Covid-19..........104 Conclusions et perspectives ........................................................109 Postface..................................................................................117 Références bibliographiques.........................................................121 Glossaire..................................................................................131

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INTRODUCTION

L’anosmie c’est quoi ? Avant la pandémie, ce vocable n’était utilisé que par des médecins et de rares spécialistes, dont nous sommes. Tout cela a changé en deux mois et les médias bruissent maintenant de ce terme devenu courant, qui donne un nom à la privation d’odorat.

Le 31 décembre 2019, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a été alertée au sujet de l’apparition de cas de pneumonie à Wuhan, en Chine. Le 7 janvier 2020, les autorités chinoises ont identifié la cause de cette pneumonie : un nouveau coronavirus (SRAS-CoV-2). L’OMS l’a appelée « maladie à coronavirus 19 (Covid-19) » et l’a déclarée le 12 mars 2020 comme une pandémie ; à cette date, environ 20 000 cas confirmés et 1 000 décès avaient été déplorés en Europe. Le 29 juin 2020, on comptait plus de 10 millions de cas confirmés et presque un demi-million de décès dans le monde (source : Johns Hopkins University). La maladie est caractérisée par trois symptômes principaux non spécifiques, à savoir la fièvre, la fatigue et la toux sèche, mais d’autres signes moins fréquents sont signalés : maux de tête, douleurs abdominales, diarrhée, nausées ou vomissements. Le 20 mars 2020, les 11

Introduction

spécialistes français des maladies ORL et des maladies infectieuses ont publié des informations essentielles sur l’apparition de nouveaux symptômes : l’anosmie soudaine (perte totale de l’odorat), souvent associée à une agueusie (perte du goût), survenant sans obstruction nasale, chez les patients présentant une Covid-19 suspectée ou confirmée. Ils ont été suivis par des spécialistes ORL britanniques le 21 mars. En conséquence, la perte de l’odorat (et du goût) a été ajoutée à la liste officielle des symptômes de la maladie publiée par les gouvernements de nombreux pays (par exemple l’Italie, les PaysBas, la Suisse, la Russie, Taïwan, le Canada, le Chili, l’Argentine, les États-Unis). Dans le même temps, un nombre croissant de personnes dans le monde entier est testé positif à la Covid-19, alors que cellesci présentent uniquement une anosmie et une agueusie, et sont par ailleurs asymptomatiques : elles ne toussent pas, n’ont pas de fièvre. Le suivi de l’anosmie soudaine pourrait donc être un moyen facile et accessible d’identifier les personnes susceptibles d’être infectées et de contribuer à contrôler la propagation de la maladie. Des cliniciens et des scientifiques du monde entier ont ainsi témoigné et mentionné cette perte d’odorat, un phénomène largement relayé par les médias de tous les pays. Mais à quoi sert notre odorat ? Avant la pandémie Covid-19, un Européen moyen aurait été tenté de répondre qu’il ne sert à rien ; il y a pourtant des preuves éparses de son utilité, mais qui sont rarement mises ensemble à son crédit en tant que source d’informations, d’émotions et au bout du compte, de survie. Telle personne répondra que chez le bébé, l’odorat sert à trouver le sein maternel et à s’y attacher, l’attachement mère-enfant étant aussi une affaire sensorielle. Telle autre dira qu’au moins, ce sens chimique nous aide à éviter les substances et les lieux dangereux. Et pour reconnaître les aliments, les apprécier (ou pas), est-ce seulement la vue et le goût qui nous servent de sentinelles ? Et à propos de mémoire, les odeurs aident-elles à se souvenir ? À identifier ou à être identifié ? À plaire et à choisir un partenaire ? À chasser ? 12

Introduction

La liste est longue et vous remarquerez que toutes ces fonctions sont aisément reconnues comme essentielles aux animaux, y compris nos animaux domestiques. Comme si seul l’animal en nous avait besoin de ce détecteur et analyseur de l’environnement chimique. Comme si l’humanité pouvait se passer de ce sens moins noble, moins digne de confiance que les autres. Les sens nobles seraient la vue et l’ouïe, qui permettent une connaissance à distance de notre environnement, connaissance qui est reçue comme objective. Les sens moins nobles seraient les sens sans distance, qui ne permettent de communiquer que de près avec le monde et autrui : le toucher bien sûr, le goût et l’odorat, tous trois des sens proches. Notons que dans cette opposition entre noble et ignoble, l’odorat est en position intermédiaire parce qu’il permet à la fois une communication sans distance quand nous mangeons ou nous rapprochons d’autrui, et une communication distante puisqu’il analyse l’air ambiant en couplage avec une fonction vitale : la respiration. Malgré cela, sa perception est rapportée au corps propre, et vécue comme intérieure et subjective. Elle serait donc incompatible avec la raison. Si nous admettons malgré tout que l’odorat ait encore des fonctions importantes chez les humains, pourquoi demeure-t-il invisible ? Parce qu’il est animal, déprécié et négligé ? Parce qu’il est vecteur d’émotions ? Parce qu’il est politiquement incorrect ? Parce que nous n’arrivons pas à nous mettre d’accord sur les odeurs, leur intensité, leur signification, leur qualité ? Maintenant que l’anosmie est devenue visible, ce livre va tâcher de la comprendre en rendant visibles les qualités et les performances de l’odorat humain ; nous aborderons le fonctionnement de ce système sensoriel avec un peu de physiologie, de sciences cognitives et de comparaisons entre cultures. Nous verrons qu’il est possible de traiter scientifiquement la forte variation des perceptions de l’odeur. Les chapitres suivants éclaireront la face cachée de l’odorat : ce qui manque quand on le perd, les effets des déficits olfactifs sur la qualité de vie ; la fréquence des perturbations de l’odorat, les moyens de les 13

Introduction

mesurer. Sur la base d’une particularité décisive des cellules sensorielles olfactives qui est leur capacité à se régénérer, nous décrirons les moyens actuels ou futurs de soigner ou de guérir un odorat défaillant. Nous terminerons ce parcours par un bilan des nombreuses recherches sur l’anosmie et les virus relancées par la pandémie.

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1 Neurobiologie de l’odorat et des sens chimiques

Par sa physiologie et son anatomie, l’odorat constitue un système sensoriel distinct de l’autre sens chimique, la gustation1. Ces deux sens chimiques sont la plupart du temps confondus par le sens commun du mot goût, qui méconnaît l’importance de l’odorat dans l’appréciation globale de ce que nous mettons en bouche. Un autre sens est le plus souvent oublié, qui a lui aussi ses circuits et sa physiologie propres : la sensibilité trigéminale chimique2. On notera que ces trois canaux sensoriels contribuent à la construction de la flaveur des aliments. Flaveur signifie donc l’intégration de trois entrées sensorielles distinctes : l’olfaction rétronasale (que l’on oppose à l’olfaction orthonasale, voir encadré  1), la gustation transmise par les bourgeons du goût répartis sur la langue et le palais, et la sensibilité trigéminale due aux terminaisons du nerf trijumeau dans les muqueuses orale et nasale. Certains auteurs donnent une définition plus large de la flaveur, en y incluant aussi la texture, les sons produits 15

Neurobiologie de l’odorat et des sens chimiques

Encadré 1. Voies orthonasale et rétronasale L’olfaction orthonasale est le processus par lequel une substance odorante pénètre dans la cavité nasale par les narines pour être perçue. L’olfaction rétronasale est le processus par lequel une substance odorante pénètre dans la bouche par les aliments ou les boissons et se propage dans le nez en remontant dans la gorge. La voie rétronasale est celle qui fonctionne lorsque les aliments sont en bouche, éventuellement mastiqués et qu’ils libèrent des molécules odorantes directement par-delà le palais mou, sans effort de flairage.

Figure 1 | La sensibilité chimio-sensorielle. Coupe sagittale de la tête montrant l’emplacement des récepteurs des trois systèmes chimio-sensoriels : olfactif (sommet des fosses nasales, zone rose), gustatif (langue) et trigéminal (terminaisons libres dans la cavité orale et nasale, fibres jaunes). La flèche rouge indique la voie orthonasale de stimulation olfactive (respiration et flairage) et la flèche violette la voie rétronasale (mastication, déglutition). 16

CERVEAU ET ODORAT

Neurobiologie de l’odorat et des sens chimiques

par la consommation d’aliments et même leur aspect visuel. Quoi qu’il en soit, notre perception chimio-sensorielle intègre fréquemment plusieurs systèmes sensoriels sans que nous puissions les séparer consciemment (figure 1). Les sections qui vont suivre fournissent un descriptif de la neurobiologie du système olfactif suivi d’une présentation succincte des systèmes gustatif et trigéminal. 1 LE SYSTÈME OLFACTIF 1.1 Le nez : organe de l’olfaction Le nez a une double fonction : il permet un contrôle de la respiration en filtrant, réchauffant et humidifiant l’air arrivant aux poumons et c’est l’organe de l’olfaction. À l’intérieur du nez, la cavité nasale comporte deux volumes symétriques séparés par une cloison, le septum nasal ; l’os vomer de cette cloison et l’os ethmoïde à la base du crâne délimitent chaque narine et des structures cartilagineuses, les cornets inférieurs, moyens et supérieurs, lui donnent une forme contournée, à l’intérieur de laquelle le trajet de l’air n’est pas direct. La muqueuse respiratoire tapisse la majorité de la cavité nasale et la muqueuse olfactive se trouve sur le plafond, au niveau du cornet supérieur. Ces muqueuses sécrètent et font circuler le mucus. Le tissu est très vascularisé, ce qui assure réchauffement et humidification de l’air inspiré dont une partie poursuit son trajet directement jusqu’aux bronches et l’autre partie est déviée vers les cellules olfactives. La muqueuse respiratoire (figure  2A) est tapissée d’un mucus protecteur et comporte un épithélium et une lamina propria (tissu conjonctif lâche situé sous l’épithélium, qui a un rôle mécanique, nutritif et de défense). L’épithélium respiratoire est pseudo-stratifié et est composé de cellules gobelet sécrétrices du mucus, de cellules ciliées (dont les cils déplacent le mucus) et de cellules basales (cellules souches multipotentes assurant l’homéostasie de l’épithélium). La muqueuse olfactive est également tapissée d’une couche de mucus et comporte un épithélium olfactif dont les caractéristiques et 17

Neurobiologie de l’odorat et des sens chimiques

Figure 2 | Neuroanatomie du système olfactif. A : structures olfactives centrales recevant l’information à partir du bulbe olfactif. En rose, la muqueuse olfactive portant les récepteurs. En bleu, la muqueuse respiratoire dépourvue de récepteurs olfactifs. B : coupe à travers la lame criblée de l’ethmoïde, le bulbe olfactif et l’épithélium olfactif. En gris foncé, cellules basales. En rose, cellules de soutien. En 4 couleurs, les neurones olfactifs qui se connectent à un type de glomérule selon leur sensibilité chimique. Par la synapse dans le glomérule, le signal passe au 2e neurone : la cellule mitrale, qui le transmet aux autres structures cérébrales.

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Neurobiologie de l’odorat et des sens chimiques

propriétés sont décrites ci-après (section 1.2 de ce chapitre) et une lamina propria. On notera que la cavité nasale est également innervée par les branches ophtalmiques et maxillaires du nerf trijumeau : les fibres des cellules ganglionnaires du nerf trijumeau se ramifient dans la muqueuse nasale et s’étendent à travers l’épithélium respiratoire et olfactif. Ces terminaisons nerveuses du trijumeau assurent une fonction protectrice en permettant à l’organisme de détecter des stimulations chaudes, froides, irritantes ou douloureuses et de les éviter. Le système trigéminal est décrit en section 3 de ce chapitre. 1.2 La muqueuse olfactive Une molécule odorante peut atteindre la muqueuse olfactive de trois manières différentes. La première est par la voie rétronasale, les deux autres correspondent à une entrée par la voie orthonasale. Plus précisément, la deuxième est une entrée par simple diffusion d’une zone de concentration plus élevée (l’environnement) vers une zone de concentration plus faible (les narines). La troisième voie, et la plus courante, est le transport par inhalation nasale continue ou par flairage – une contraction vigoureuse du diaphragme augmentant le débit d’air vers la zone olfactive3. L’épithélium olfactif a une épaisseur d’environ 75 µm et couvre une surface comprise entre 2 et 3 cm² (4 à 6 cm² pour la somme des cavités nasales droite et gauche). Il tapisse la plaque cribriforme de l’os ethmoïde et s’étend jusqu’aux cornets nasaux. Il est constitué de quatre types de cellules (figure 2B), mais seuls les neurones sensoriels olfactifs jouent un rôle direct dans la transduction olfactive (voir section 1.4 de ce chapitre) : – les neurones sensoriels olfactifs (nombre estimé : 5-10 millions) ; c’est une des rares catégories de neurones à pouvoir se renouveler à partir des cellules basales (voir ci-après). Ces neurones sont dits bipolaires car ils comportent une dendrite orientée vers la cavité nasale, un corps cellulaire et un axone non myélinisé ; cet axone traverse 19

Neurobiologie de l’odorat et des sens chimiques

la lamina propria puis la lame criblée de l’ethmoïde (une structure osseuse poreuse de la base du crâne) et entre dans la boîte crânienne en direction du bulbe olfactif. L’ensemble des axones qui traversent l’ethmoïde est appelé nerf olfactif ; – des cellules basales situées en profondeur dans l’épithélium ; comme les neurones sensoriels olfactifs ont une durée de vie limitée (environ 30 jours), ils sont renouvelés régulièrement grâce aux cellules basales ; – les cellules des glandes olfactives ou glandes de Bowman qui jouent un rôle dans la sécrétion du mucus ; – les cellules de soutien qui sécrètent des enzymes capables de neutraliser l’environnement chimique du mucus ; elles servent à la cohésion de l’épithélium et garantissent un bon environnement aux neurones. Ainsi, les neurones sensoriels olfactifs ont la remarquable propriété d’être renouvelés à vie grâce aux cellules basales situées plus profondément dans l’épithélium. Ce mécanisme de plasticité neurale est appelé neurogenèse. Les cellules basales présentent des caractéristiques proches de celles des cellules souches et peuvent se différencier en nouveaux neurones. Ce renouvellement permet aux neurones sensoriels olfactifs de faire face à l’agressivité du monde extérieur. C’est particulièrement utile car ils sont les seuls neurones de notre organisme, qui entrent directement en contact avec l’air extérieur par leurs dendrites apicales émergeant dans la cavité nasale. 1.3 Les neurones sensoriels olfactifs et leurs récepteurs moléculaires aux odorants Toute molécule volatile présente dans l’environnement et qui remplit certaines propriétés (charge électrique appropriée, pression de vapeur saturante, solubilité dans l’eau par exemple) a une chance d’être détectée par les récepteurs situés sur les neurones olfactifs. En arrivant au niveau du mucus nasal, les molécules odorantes se lient aux récepteurs olfactifs ou sont prises en charge par des protéines de 20

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transport qui les véhiculent jusqu’aux récepteurs olfactifs. La liaison molécule odorante/récepteur est réversible, elle est réalisée grâce à des liaisons de faible énergie. Les récepteurs olfactifs sont positionnés sur la dendrite du neurone olfactif, plus spécifiquement sur des microstructures qui bourgeonnent de la dendrite, appelées cils olfactifs qui baignent dans le mucus (il y a entre 20 et 30 cils à l’extrémité de la dendrite). C’est à ce niveau que va s’opérer la conversion du signal chimique en un signal nerveux électrique, appelée phénomène de transduction chimio-électrique. Les récepteurs olfactifs sont des protéines à sept domaines transmembranaires, enchâssés dans la membrane des cils olfactifs. Les travaux de Linda Buck et Richard Axel, qui leur ont valu en 2004 le prix Nobel de Médecine et Physiologie4, ont mis à jour une grande famille composée d’environ 1 000 gènes différents qui codent pour autant de protéines réceptrices olfactives. Ces gènes sont apparentés à l’opsine des photorécepteurs de la rétine et codent pour des protéines ayant toutes la même structure globale (sept domaines transmembranaires) mais qui se distinguent les unes des autres par des petites différences de séquences d’acides aminés dans certaines régions de la protéine. Parmi ces 1 000 gènes, entre 350 et 400 sont fonctionnels chez l’Homme et 600 ne le sont pas, on les appelle des pseudo-gènes. En guise de comparaison, le génome de la souris comporte 1 200 gènes olfactifs dont 1 000 gènes fonctionnels et 200 pseudo-gènes. Certains associent cette augmentation du taux de pseudo-gènes olfactifs chez l’Homme avec l’acquisition de la vision des couleurs chez les primates. En effet, chez certains singes qui ont acquis la vision trichromatique, le taux de pseudo-gènes olfactifs est de l’ordre de 30 %. La démonstration d’une amélioration de la vision au détriment de l’olfaction n’est pas encore complète mais la co-occurrence de ces deux événements est notable. Elle suggère qu’au cours de l’évolution, la pression de sélection naturelle s’est réduite pour l’odorat alors 21

Neurobiologie de l’odorat et des sens chimiques

qu’elle augmentait pour la vue : une plus grande variation des gènes olfactifs est devenue compatible avec la survie. Quand on considère l’ensemble du génome humain (~ 20-30 000 gènes selon le mode de calcul), les gènes olfactifs constituent la première famille de gènes par son nombre (~3-5 % du génome). On notera que ces gènes olfactifs se caractérisent par un grand polymorphisme, ce qui veut dire plusieurs formes d’allèles pour un même gène. Ce polymorphisme se traduit par l’expression de différentes formes de récepteurs olfactifs d’une personne à l’autre et donc des variations interindividuelles phénotypiques (de perception) importantes : deux individus auront des sensibilités ou des préférences différentes pour une même molécule. D’un point de vue fonctionnel, un neurone récepteur olfactif exprimera à sa périphérie toujours un seul type de protéine réceptrice. Ce récepteur olfactif reconnaît des traits de la molécule et une même molécule peut activer plusieurs types de récepteurs. En retour, un récepteur peut être sensible à plusieurs molécules. 1.4 De la transduction olfactive au cerveau Lorsque la molécule odorante entre en interaction avec le récepteur olfactif, ce dernier va activer une protéine G (Golf), qui à son tour recrutera un second messager, l’adénylate cyclase III (AC3) (la littérature du domaine mentionne aussi une seconde voie impliquant un autre second messager, la phospholipase C). La voie impliquant l’AC3 conduit à l’augmentation de production d’AMPc (adénosine monophosphate cyclique) et l’ouverture d’un canal sodium/calcium. Ce processus a pour conséquence plusieurs échanges d’ions Cl–, Na+ et Ca++ entre l’intérieur et l’extérieur de la cellule qui conduisent à la dépolarisation de la membrane du neurone et ainsi à la production d’un potentiel d’action (PA)5 au niveau du segment initial de l’axone. Ce PA sera alors véhiculé par l’axone vers le bulbe olfactif (figure 3). Les axones olfactifs qui passent à travers la lame criblée (ou cribriforme) de l’éthmoïde se projettent jusqu’au bulbe olfactif, une 22

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Neurobiologie de l’odorat et des sens chimiques

Figure 3 | La transduction olfactive. A : en vert, un neurone olfactif portant sur sa dendrite (en bas) les cils olfactifs dont la membrane porte des récepteurs moléculaires. Son axone (en haut) transmet le potentiel d’action (PA) au bulbe. B : la transduction à partir d’un cil olfactif agrandi. La molécule odorante entre en contact avec un récepteur moléculaire, qui active une protéine G, relayée par l’adénylate cyclase III (AC), produisant de l’AMP cyclique (AMPc) qui permet l’ouverture d’un canal, des mouvements d'ions, la dépolarisation de la membrane.

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structure cérébrale d’environ 1 cm de longueur. Au sein du bulbe olfactif, les axones des neurones récepteurs olfactifs font synapse avec les dendrites des cellules mitrales en formant des structures sphériques d’environ 200 µm de diamètre appelées glomérules (figure 2B). Les cellules mitrales, en coopération avec les cellules granulaires et périglomérulaires, traitent l’information en provenance de l’épithélium et la transmettent vers des structures olfactives plus centrales. La configuration spatiale et temporelle des glomérules activés définit le pattern de l’odeur dans le bulbe olfactif. Ce pattern est ensuite interprété par d’autres structures olfactives plus centrales afin de donner un sens à la stimulation olfactive. Ainsi, on qualifie le bulbe olfactif de premier relais de traitement de l’information olfactive. D’un point de vue anatomique, les neurones de l’épithélium olfactif qui expriment le même type de récepteurs olfactifs feront converger leur axone toujours vers le même glomérule du bulbe olfactif. Chez l’Homme, on estime qu’il y a 16 glomérules reliés à un même type de récepteurs olfactifs (en guise de comparaison, ce rapport est de 2 pour 1 chez la souris). On ne sait pas expliquer cette différence entre espèces, mais on pense que ce rapport élevé pourrait être un des facteurs expliquant la forte variabilité interindividuelle observée en matière de perception olfactive (voir chapitre 2). Après transduction au niveau des neurones récepteurs de l’épithélium olfactif, les informations sur l’odeur sont transmises ipsilatéralement par le nerf olfactif vers le bulbe olfactif. Après le traitement du bulbe, le signal est projeté ipsilatéralement via le tractus olfactif latéral vers plusieurs aires olfactives qualifiées de primaires6,7 : (i) le cortex piriforme qui joue un rôle dans le transfert de l’image bulbaire en une représentation perceptive ; (ii) le tubercule olfactif ; et (iii) l’amygdale qui sont impliqués dans le traitement émotionnel des odeurs ; (iv) le cortex entorhinal, impliqué dans la mémoire olfactive. Depuis ces aires, des neurones transmettent l’information vers d’autres aires fonctionnelles incluant entre autres le cortex orbitofrontal (impliqué dans les intégrations affectives et sémantiques 24

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des odeurs), l’hippocampe (rôle dans la mémoire) et le thalamus (figure 2A). Les études de neuro-imagerie chez l’Homme montrent que l’hypothalamus (impliqué dans l’interaction du cerveau avec le système endocrinien), l’insula (une partie du cortex gustatif primaire) ou encore le gyrus cingulaire (aire impliquée dans le traitement des émotions entre autres) sont également activés par les odeurs. C’est au niveau de toutes ces régions olfactives primaires et secondaires que les différentes composantes d’une perception olfactive – ou odeur – s’apparient avec des événements non olfactifs qui lui donnent un sens pour l’organisme. Ainsi, l’olfaction diffère des sens de la vision et de l’audition où l’entrée périphérique est projetée vers le cortex après être passée par un relais thalamique. En revanche, l’information olfactive se projette d’abord au cortex olfactif primaire et de là vers le thalamus. 1.5 Du stimulus chimique à la perception L’odorat est caractérisé par sa diversité au niveau des propriétés physicochimiques des stimuli olfactifs, mais aussi des perceptions qu’ils induisent. En effet, comme nous l’avons vu plus haut, la perception olfactive est basée sur la liaison entre des ligands (molécules odorantes) et des récepteurs olfactifs ; c’est à partir de ce codage combinatoire que prennent naissance des perceptions qualifiées de « florale », « fruitée », « verte », « boisée », « intense », « familière », « agréable », « comestible », etc. Ainsi, un défi majeur dans la recherche sur les odeurs concerne la façon dont les propriétés physicochimiques des molécules odorantes peuvent expliquer ces différentes formes de perception. La façon dont le cerveau humain transforme des caractéristiques physiques en objets visuels et auditifs est bien connue : les couleurs perçues dépendent de l’intégration des longueurs d’ondes lumineuses dans le système visuel, et la hauteur d’un son est perçue comme haute ou basse selon sa fréquence acoustique. En olfaction, on sait encore très peu de chose sur ce problème dit du « stimulus-percept ». 25

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Les soixante dernières années ont été riches en travaux sur le domaine. Dans les années 1960-1970, la théorie stéréochimique de l’odeur proposée par Johan Amoore aux États-Unis8 stipulait que l’être humain peut distinguer sept odeurs primaires (camphrée, musquée, florale, mentholée, éthérée, âcre, putride) grâce à sept récepteurs différents de forme tridimensionnelle où se produirait l’interaction avec des molécules qui partagent une même forme géométrique, comme des clés s’adaptent à telle ou telle forme de serrure. Plus tard, dans les années 1970-1980, les travaux de Susan Schiffman9 suggéraient l’existence d’une relation entre poids moléculaire et valence hédonique (tonalité agréable/désagréable) des odeurs : les molécules les plus légères étant les plus désagréables. Néanmoins, les molécules odorantes sont décrites par plusieurs centaines de propriétés et descripteurs physicochimiques et la relation structure-odeur (valence hédonique ici) est sans doute bien plus complexe. Au début des années 2000, le groupe de Noam Sobel à l’Université de Californie à Berkeley10 a tenté de prendre en compte ce caractère multidimensionnel et a appliqué pour un ensemble très large de molécules odorantes une méthode d’analyse statistique multidimensionnelle (Analyse en composantes principales), destinée à réduire le nombre de dimensions des percepts olfactifs et des descripteurs physicochimiques. Ces auteurs ont observé que l’axe principal de la perception était sa dimension hédonique et, plus intéressant, que l’axe primaire des propriétés physicochimiques (qui se corrèle positivement avec le poids moléculaire des molécules mais qui inclut d’autres paramètres physicochimiques) reflète également l’axe primaire de la perception olfactive, l’hédonisme. Le modèle proposé par l’équipe de Noam Sobel suggérait donc que la perception de l’odeur est en partie prédéterminée par certaines propriétés physicochimiques des molécules odorantes. Cependant, comme nous l’avons décrit plus haut, la perception olfactive ne se limite pas à son caractère hédonique, si dominant soit-il, mais comporte d’autres dimensions qualitatives qui, elles, échappent encore à une description par les modèles actuels. Même si certaines 26

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molécules ont une identité olfactive marquée et typique d’une source odorante, comme l’alpha-pinène pour la résine de pin, le 1-octénol-3 pour le champignon de Paris cru, cela reste une exception. Il peut en effet y avoir plus d’une configuration physicochimique pour caractériser une qualité olfactive, tout comme deux molécules de structures très similaires peuvent évoquer des qualités très différentes. À la fin des années 2010 et au début des années 2020, en collaboration avec une équipe de chimistes dirigée par Jérôme Golebiowski à Nice et une équipe d’informaticiens dirigée par Marc Plantevit et Mehdi Kaytoue à Lyon, notre équipe a travaillé sur ce problème11. Pour ce faire, nous avons mis en place un modèle informatique prenant en compte les caractéristiques chimiques et les qualités olfactives de plus de 1 500 molécules odorantes. Grâce à une approche originale de fouille de données, nous avons pu développer un algorithme qui a extrait des configurations physicochimiques décrivant différentes qualités olfactives comme les notes fruitées ou boisées. La figure 4 fournit quelques chiffres clés à retenir en rapport avec l’odorat. 2 LE SYSTÈME GUSTATIF Certaines substances chimiques dissoutes dans la salive sont capables d’être détectées par les récepteurs gustatifs situés sur les cellules gustatives des bourgeons du goût12. Ces derniers, au nombre de 8 à 10 000, sont répartis sur la langue (regroupés en papilles gustatives) et sur le voile du palais. Chaque bourgeon comporte de 50 à 100 cellules gustatives dont la membrane présente des récepteurs capables de réagir à une multitude de substances ; on retenait classiquement quatre goûts de base (salé, sucré, acide, amer) jusqu’à ce que la culture et la recherche japonaises imposent l’umami, le goût du L-glutamate, considéré comme représentant typique du goût des protéines. Deux types principaux de récepteurs permettent aux cellules gustatives de reconnaître les substances : pour les goûts acide et salé, les 27

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Figure 4 | L’odorat. Les chiffres clés.

canaux ioniques laissant passer les ions Na+ et H+ ; pour les goûts sucré, amer et umami, des récepteurs couplés aux protéines G (ou RCPG) qui signalent des molécules organiques. Le goût acide est lié à la présence de protons (H+), fermant des canaux potassium qui permettent à la cellule de se dépolariser. Les ions Na+ et d’autres ions perçus comme salés pourraient générer cette dépolarisation en entrant dans les cellules par deux canaux ioniques potentiels. Le goût sucré pourrait dépendre d’un unique type de récepteur RCPG, qui répond à la totalité des molécules sucrées, naturelles ou édulcorants de synthèse. L’amertume est détectée par une famille de ces récepteurs, les T2R, qui détectent de nombreuses molécules amères. L’umami correspond à la détection du glutamate et de l’aspartate par le biais d’un récepteur RCPG dont le fonctionnement n’est pas 28

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complètement compris. Il faut enfin citer le récepteur des acides gras à longue chaîne (AGLC) mis en évidence dans les cellules gustatives de souris et qui est lié à leur préférence pour les aliments gras : la présence de ce récepteur chez l’humain est une piste qui pourrait conduire à ajouter le goût du gras comme 6e goût « de base », et à suspecter son rôle dans l’obésité13. Après la transduction du signal gustatif, l’information est transmise par trois nerfs crâniens : le nerf facial (VII), le nerf glossopharyngien (IX) et le nerf vague (X). Ces trois nerfs gustatifs convergent dans le noyau du faisceau solitaire, au sein du bulbe rachidien, puis l’information chemine vers le noyau ventropostéromédian du thalamus. Cette région thalamique du goût reçoit aussi l’information somesthésique de la langue et intègre ces deux modalités sensorielles. Le cortex gustatif primaire humain n’a été identifié que récemment. Il comprend l’insula dans le lobe temporal et l’operculum dans le lobe frontal. Il est très difficile de trouver des cellules, au niveau de ce cortex, qui ne répondent qu’aux stimuli gustatifs. Presque toutes répondent également à l’une ou plusieurs parmi les autres modalités perçues dans la cavité buccale : le chaud, le froid, le toucher. Ces aires primaires se connectent ensuite au cortex secondaire, le cortex orbitofrontal caudolatéral, où l’on trouve des neurones sélectivement sensibles à un seul goût, mais aussi quantité de neurones répondant à plusieurs goûts et à d’autres stimulations sensorielles comme les odeurs, la texture des aliments et leur aspect visuel. C’est une zone cérébrale importante où convergent les informations qui constituent la flaveur. Le noyau du faisceau solitaire envoie aussi des projections à l’amygdale, structure multi-sensorielle qui participe aux processus émotionnels et intervient en particulier dans le conditionnement gustatif aversif : c’est grâce à elle que nous acquérons en une seule expérience une aversion pour un aliment ou une boisson qui nous a rendus malades. Une autre connexion chemine de ce noyau à l’hypothalamus latéral qui participe à l’appréciation hédonique des stimuli, lors de la prise alimentaire notamment14. 29

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3 LE SYSTÈME TRIGÉMINAL Le nerf trijumeau est le cinquième nerf crânien (CN-V). Il est responsable à la fois des fonctions motrices et des sensations dans la bouche, le nez, les yeux et le visage. Le nerf contient trois branches principales : ophtalmique, maxillaire et mandibulaire. Les branches ophtalmique et maxillaire transportent toutes deux des informations sensorielles provenant de la cavité nasale. Les fibres sensibles de ces branches rejoignent le ganglion de Gasser où se trouvent les corps cellulaires des afférences trigéminales. Les axones de ces corps cellulaires se projettent ensuite vers le noyau spinal, puis les informations du trijumeau sont relayées vers le cerveau, incluant les aires somatosensorielles, le gyrus cingulaire, l’insula ou encore l’amygdale. Les fibres sensibles trigéminales innervent toute la cavité nasale et en particulier la muqueuse respiratoire. Néanmoins, des études anatomiques ont montré qu’il existe des collatérales de ces fibres trigéminales sensibles qui se terminent dans la muqueuse olfactive ; certaines pénètrent même dans le système nerveux central et se terminent dans le bulbe olfactif. La fonction globale de ces fibres trigéminales qui rejoignent le système olfactif n’est pas claire, elles pourraient constituer l’un des liens par lesquels le système trigéminal et le système olfactif interagissent15. On dénombre deux types de fibres sensibles trigéminales dans la cavité nasale : les fibres C (non myélinisées) et les fibres Aδ (myélinisées). Les fibres C sont impliquées dans la médiation des sensations de brûlure et de douleur et les fibres Aδ véhiculent des sensations de piqûre et de picotement. Ces sensations sont générées par l’interaction entre des composés volatils et des récepteurs positionnés à l’extrémité des fibres sensibles trigéminales. La plupart de ces récepteurs appartiennent à la famille des Transient Receptor Potential (TRP) : TRPV1 (V1 pour la famille des vanilloïdes, répondant à des températures supérieures à 42 degrés et à une stimulation chimique comme la capsaïcine, présente dans les épices), TRPM8 (M8 pour la mélastatine-8, répondant à des températures comprises entre 8 et 25 degrés 30

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et à une stimulation chimique comme le menthol), TRPA1 (A1 pour l’ankyrine 1, répondant à des températures inférieures à 18 degrés et à une stimulation chimique comme l’isothiocyanate d’allyle, le principal ingrédient de l’huile de moutarde), TRPV3 (réagissant à des températures supérieures à 39 degrés et à une stimulation chimique comme le thymol, présent dans le thym). Notez qu’il existe d’autres récepteurs qui ont un rôle dans la sensibilité trigéminale : les récepteurs des canaux ioniques de détection d’acide (ASIC), les récepteurs cholinergiques et les cellules chimiosensorielles solitaires, tous présents dans la muqueuse respiratoire de la cavité nasale16. En termes perceptifs, les sensations transmises par les branches intranasales du trijumeau peuvent être organisées selon deux axes principaux : (i) irritation (chatouillement, grattement, picotement, piquant, brûlant, douloureux) et (ii) température (de chaud, frais à froid). Par conséquent, les chimiorécepteurs intranasaux du trijumeau rendent la muqueuse nasale très sensible à une série de composés chimiques, et empêchent l’inhalation de substances potentiellement dangereuses en arrêtant l’inspiration et en provoquant des sensations comme la piqûre, la brûlure, la chaleur ou le froid. Dans la sphère alimentaire, les fibres sensibles du nerf trijumeau permettent de détecter et d’identifier les molécules irritantes et « chaudes » des produits épicés, la fraîcheur du menthol, l’irritation du gaz carbonique des boissons pétillantes, le piquant de la moutarde, du poivre et des piments.

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2 Perception olfactive : entre universalité et diversité

Pour certaines molécules, la perception olfactive peut être assez invariante, ou universelle, entre les individus. C’est le cas par exemple pour des composés soufrés ou aminés qui induisent des réactions de dégoût assez fortes quels que soient les cultures ou groupes d’individus. Cette invariance ne concerne pas seulement les odeurs désagréables puisque des molécules comme la vanilline (évocatrice de l’odeur plaisante de vanille) sont également perçues de manière assez stable à travers le globe. Toutefois, cette universalité de la perception n’est pas une règle : en réalité, quand on considère l’espace des odeurs, la perception olfactive est extrêmement variable d’un individu à l’autre. Cette variation est sous-tendue par un grand nombre de facteurs qui expliquent deux formes de diversité : intraindividuelle (état physiologique, âge, etc.) et inter-interindividuelle (culture, génétique…). Ces facteurs de variation de la perception olfactive sont résumés dans la figure 5. 33

Perception olfactive : entre universalité et diversité

Figure 5 | Diversité olfactive. Les sources de variation de la perception d’une odeur.

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Perception olfactive : entre universalité et diversité

1 DES PERCEPTIONS OLFACTIVES VARIABLES CHEZ UN MÊME INDIVIDU 1.1 Les variations selon l’état hormonal On a démontré des différences de sensibilité entre sexes pour les systèmes sensoriels : en vision, en audition, sens chimiques et sens tactile. La différence quand on en trouve une n’est pas grande mais toujours dans le même sens : les femmes se montrent en général plus sensibles que les hommes, et on peut se demander quel est le bénéfice biologique de cette différence. L’odorat féminin est mesuré plus performant dans la plupart des recherches et comme cette sensibilité fluctue également au cours du cycle menstruel, on peut la relier au taux d’œstrogènes dans la circulation sanguine : il augmente au milieu du cycle et reste élevé dans sa seconde phase, de même que la sensibilité ; cependant la relation entre hormones sexuelles et sensibilité n’est pas aussi simple, dans la mesure où les femmes qui prennent des contraceptifs montrent aussi ces fluctuations. Ceci conduit à penser que le rythme de température, qui est conservé chez les femmes sous contraceptifs oraux, est pour beaucoup dans ces variations cycliques. Il n’en reste pas moins qu’une femme en âge de procréer présente en général ces variations cycliques, ce qui peut avoir une conséquence intéressante : comme les femmes se proposent plus volontiers au milieu de leur cycle comme volontaires pour des tests olfactifs, et donc au moment du pic de sensibilité, la plus grande acuité mesurée chez les femmes pourrait refléter ce biais de recrutement. Dans notre équipe, Camille Ferdenzi17 a récemment évalué l’effet du genre et du statut hormonal sur la perception d’odeurs biologiques et florales : il n’y a pas de différences hommes/femmes dans la perception de ces composés ; néanmoins, nous avons observé que les femmes en phase fertile percevaient une des odeurs corporelles (acide 3-hydroxy-3-méthyl-hexanoïque) comme plus intense que les femmes – ne prenant pas la pilule – qui n’étaient pas en phase fertile. 35

Perception olfactive : entre universalité et diversité

Cet odorant corporel est connu pour être plus sécrété par l’homme que par la femme. Ces résultats renforcent ainsi l’idée d’une sensibilité plus fine aux odeurs corporelles biologiques autour de l’ovulation chez les femmes : le système olfactif féminin pourrait ainsi s’affiner pour des signaux sociaux véhiculés par les hommes au moment où la probabilité de concevoir est plus élevée. Nous invitons le lecteur à lire l’encadré 2 qui décrit notre relation aux odeurs selon Montaigne. Encadré 2. Les odeurs sociales, le nez de Montaigne et ses moustaches ! « Quelque odeur que ce soit, c’est merveille combien elle s’attache à moi, et combien j’ai la peau propre à s’en abreuver. Celui qui se plaint de nature, de quoi elle a laissé l’homme sans instrument à porter les senteurs au nez, a tort : car elles se portent elles-mêmes. Mais à moi particulièrement, les moustaches, que j’ai pleines, m’en servent : si j’en approche mes gans ou mon mouchoir, la senteur y tiendra tout un jour ; elles accusent le lieu d’où je viens. Les étroits baisers de la jeunesse, savoureux et gourmands, s’y collaient autrefois et s’y tenaient plusieurs heures après ». Essais, livre 1, Chapitre LV : Des senteurs

1.2 La gestation rend-elle plus sensible aux odeurs ? Il y a des multitudes de témoignages signalant une augmentation de sensibilité aux odeurs pendant la grossesse, en particulier pendant le premier trimestre : cette période où les femmes ressentent le plus de dégoût pour certains aliments et certaines odeurs de l’environnement coïncide avec une phase d’immunodépression chez la mère qui rend le fœtus plus vulnérable. On a donc fait l’hypothèse que cette augmentation de réactivité – négative – aux odeurs qui est plus orientée vers des sources odorantes nuisibles, a une valeur adaptative. Les femmes enceintes sont nombreuses à trouver aversives les odeurs de café, de rhum et de cigarettes. En revanche, les nombreuses enquêtes comparant des femmes gestantes aux non gestantes et aux hommes ont échoué à démontrer la réalité objective 36

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de cette augmentation subjective de sensibilité ; la mesure de seuils ne la confirme pas. L’enregistrement de l’activité électrique corticale chez 15 femmes enceintes et 15 non gestantes montre des réponses cérébrales identiques au niveau sensoriel entre les deux groupes, mais un traitement cognitif différent, visible sous la forme de l’amplification de la réponse tardive chez les femmes enceintes. On peut donc affirmer que seul le niveau émotionnel est changé par la gestation, pas le niveau sensoriel, et parler de réactivité émotionnelle plutôt que de vraie sensibilité18. 1.3 La ménopause Durant la ménopause, la privation d’hormones chez la femme se manifeste entre autres par des changements du vécu émotionnel, des sautes d’humeur et éventuellement une baisse de la confiance en soi, accompagnés souvent par des tendances à la dépression. Les femmes de cet âge se caractérisent parfois par une baisse de la capacité à éprouver du plaisir en réponse à des stimulations sensorielles, ce qu’on appelle anhédonie sensorielle. Notre équipe a tenté de caractériser dans cette tranche d’âge la relation entre l’anhédonie et le plaisir que procurent les odeurs19. Les résultats montrent qu’une partie seulement des femmes en cours de ménopause montre un niveau d’anhédonie élevé, c’est-à-dire une baisse du plaisir sensoriel. Quand c’est le cas, les odeurs plaisantes deviennent moins plaisantes, ce qui s’accompagne d’une baisse des performances olfactives. Malgré cela, les participantes à nos expériences dont la note d’anhédonie est élevée, celles qui déclarent éprouver un peu moins facilement du plaisir, sont aussi celles qui peuvent le mieux bénéficier de ce qu’on appelle « enrichissement olfactif ». Dans cette étude, deux groupes de femmes étaient sensoriellement « enrichies » à travers une odeur incluse dans une crème cosmétique ; les deux groupes ont appliqué pendant une semaine une crème qui était odorisée pour le groupe A et pas pour le groupe B, et ont rempli tous les jours avant et après le soin du visage un questionnaire sur leur 37

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humeur et leur état de stress20. Après cette semaine d’utilisation, les deux groupes de femmes ont été enregistrés au laboratoire pendant qu’on les stimulait avec l’odeur A ou avec une autre odeur agréable. Par rapport au groupe B, le groupe A a manifesté une diminution du stress au cours de la semaine, et répondu plus positivement que le groupe B à l’odeur A de la crème odorisée ; il est intéressant de noter que cette réponse positive se voit sur l’enregistrement de muscles du visage, les zygomatiques, dont la contraction est à l’origine du sourire ; cette réponse émotionnelle positive à l’odeur « d’enrichissement » passe inaperçue de la quasi-totalité des femmes du groupe A : une ou deux seulement ont reconnu cette odeur diffusée à leur venue au laboratoire comme étant la même que celle de la crème utilisée une semaine durant. Les effets émotionnels des odeurs sont en grande partie non conscients, même s’ils sont accompagnés d’effets explicites que recueillent les questionnaires. Les remaniements émotionnels qui accompagnent la ménopause pourraient donc être d’un côté source de problèmes et en même temps constituer une période sensible où des remédiations sont efficaces. 1.4 La satiété Nous savons tous que la même odeur de frites peut nous paraître alléchante avant le repas, et devenir écœurante après, quand nous sommes rassasiés ; on appelle alliesthésie cet effet de la faim ou du rassasiement qui fait qu’une même odeur provoque plaisir ou dégoût dans un court intervalle de temps. On sait depuis longtemps que chez les rongeurs, la réactivité du bulbe olfactif est augmentée par la faim, diminuée par la satiété. Ce qui est plus récent est la compréhension de la composante sensorielle de ce phénomène : il ne dépend pas de la satiété proprement dite, puisque mâcher un aliment sans l’avaler provoque la même baisse du plaisir ressenti, et pourtant l’intensité perçue reste la même ; on parle donc de satiété sensorielle spécifique. Pourquoi spécifique ? Dans une expérience, 38

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une équipe anglaise21 a fait sentir à des participants l’odeur de banane et celle de vanille, pendant que leur activation cérébrale était mesurée par imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Ils mangent ensuite de la banane à satiété mais rien à la vanille. Enfin on présente à nouveau les odeurs de banane et vanille pendant une seconde séquence d’IRMf et on compare l’activation entre ces deux odeurs : seule la banane provoque une baisse d’activation dans le cortex orbitofrontal, et seule la banane devient déplaisante, alors que l’intensité perçue reste inchangée ainsi que l’activation par l’odeur de vanille. Certaines régions de notre cerveau sont donc capables de moduler rapidement notre « envie » de consommer tel ou tel aliment. L’intérêt biologique de cette modulation est probablement qu’elle nous entraîne à varier notre alimentation. Dans certains groupes comme les personnes âgées, la satiété sensorielle spécifique est diminuée, ce qui entraîne un manque de variété du régime alimentaire et à force de manger toujours la même chose, peut conduire à un état de malnutrition. On comprend donc que notre bonne santé dépend de nos stimulations sensorielles, quantitativement et qualitativement. Pour savoir si ce phénomène est à l’œuvre dans une situation plus « écologique » qu’un laboratoire de neurosciences, nous avons collaboré22 avec le groupe du Dr Agnès Giboreau dans le restaurant expérimental (living lab) de l’Institut Paul Bocuse à Écully : un premier groupe expérimental a reçu un apéritif aromatisé avec une odeur de verveine et après le plat principal, le même groupe a reçu un dessert aromatisé à la verveine. À contrario, le groupe contrôle a reçu un dessert aromatisé à la verveine mais leur apéritif n’était pas aromatisé. Cette expérience a été répliquée en utilisant l’odeur d’anis à l’apéritif et/ou au dessert. Pour les deux odeurs, les résultats ont révélé que l’appréciation hédonique de l’odeur, mais pas son intensité, diminuait de manière significative dans le groupe test, et pas dans le groupe contrôle. Voici donc confirmée dans la vie quotidienne l’existence de ce mécanisme olfactif, qui ne 39

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parvient pas nécessairement à notre conscience mais régule notre comportement. Pour un même individu, les réponses aux odeurs peuvent varier aussi selon l’âge. Nous allons maintenant voir comment se constitue la performance olfactive au cours de la vie (section 1.5 de ce chapitre) et comment elle est affectée par le vieillissement (section 1.6 de ce chapitre). 1.5 Le développement Les nouveau-nés ne naissent pas sans expérience olfactive : les systèmes sensoriels se développent tôt dans la vie du fœtus. Le liquide amniotique dans lequel il baigne circule dans le nez et la bouche au cours des mouvements d’inhalation et de déglutition, et atteint les récepteurs de la cavité nasale. Preuve de l’efficacité des apprentissages avec ce mode de stimulation, les nouveau-nés montrent non seulement une attirance pour l’odeur du liquide amniotique, mais de plus s’orientent plus nettement vers l’odeur de leur propre liquide amniotique quand on le leur fait sentir en regard de celui d’un autre fœtus. Cette mémoire de la composition olfactive du milieu où se sont formés leurs sens chimiques, où les arômes alimentaires provenant du régime de leur mère jouent un rôle important, se maintient pendant des jours et probablement des années. L’équipe de Benoist Schaal23 à Dijon a montré que des nouveau-nés dont la mère a consommé de l’anis pendant les dernières semaines de gestation montrent une préférence pour l’anis dans les jours qui suivent. On comprend que cette familiarisation prénatale soit à la base de préférences alimentaires durables. La réactivité aux odeurs est donc d’origine prénatale, et bien qu’elle ne soit pas examinée à la naissance et dans la petite enfance comme le sont l’audition et la vision, elle joue un rôle, en particulier dans l’attachement. Qui n’a pas observé la déception ou même le désespoir d’un enfant quand on a lavé son doudou, devenu inodore ou parfumé autrement ? Les preuves ne manquent pas d’une importance de l’odorat, même s’il ne fait pas l’objet d’un enseignement dans la culture occidentale. 40

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Encadré 3. Évaluation de la fonction olfactive chez l’Homme L’odorat humain peut être évalué à au moins trois niveaux d’analyse. Le niveau du seuil olfactif correspond à la concentration à partir de laquelle un humain peut détecter la présence d’une molécule odorante sans pour autant pouvoir la reconnaître ni l’identifier (« je détecte quelque chose mais je suis incapable de dire ce que c’est »). Le niveau de la discrimination olfactive correspond à la capacité de différencier deux molécules odorantes sans pour autant être capable de les identifier (« la première odeur est différente de la seconde mais je ne peux pas les identifier »). Enfin le niveau de l’identification olfactive évalue la capacité d’une personne à identifier une source odorante (« c’est une odeur de banane, de rose… »). Le seuil olfactif est généralement déterminé pour une molécule donnée ; par exemple l’alcool phényl-éthylique, qui a la particularité de très peu (ou pas) stimuler les fibres trigéminales intranasales, constitue un stimulus qui cible avec une haute spécificité le système olfactif. Classiquement, le test de seuil comporte plusieurs dilutions d’une même molécule rangées de manière croissante (de la plus faible à la plus forte en concentration). La série commence avec la concentration la plus faible. On présente généralement deux flacons (parfois ce sont des stylos odorants selon le type de test) : un flacon comporte une odeur, l’autre aucune. Les deux flacons sont présentés de manière aléatoire au participant qui doit trouver lequel est odorisé. Si le participant ne trouve pas la bonne réponse, on passe à la concentration supérieure. Si le sujet détecte correctement deux fois de suite l’odorant, on revient à la concentration plus faible. On poursuit ce cycle de montée/descente jusqu’à atteindre un total de sept inversions de concentrations. Le test de seuil est alors terminé : la valeur du seuil correspond à la moyenne des concentrations des quatre dernières inversions. L’épreuve de discrimination olfactive répond aux mêmes principes expérimentaux avec quelques nuances méthodologiques. Ici, les odorants sont présentés à une concentration facilement détectable. Les odorants sont présentés en triplets (généralement 16 triplets, mais cela peut varier d’un test à l’autre). Le triplet comporte une paire d’odeurs identiques et une odeur « intruse ». La tâche du participant est d’identifier l’intrus. L’épreuve d’identification olfactive est la plus simple à mettre en œuvre. Les substances odorantes (de 4 à 40 odeurs selon les tests) sont successivement présentées au participant qui est libre de les flairer aussi souvent que nécessaire afin d’identifier chaque odeur à partir d’une liste de quatre descripteurs.

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En ce qui concerne la performance olfactive dans l’enfance, elle peut se mesurer de trois manières : par des tests de détection, discrimination, identification comme ceux qu’on utilise pour les adultes (encadré 3), ou bien par des tests comportementaux comme chez les bébés, ou bien encore pour les enfants plus grands, par des questionnaires. Les tests adaptés de ceux des adultes mesurent une sensibilité comparable à celle des adultes, et en revanche une forte augmentation avec l’âge des performances d’identification des odeurs. Cependant à mesurer les performances des enfants comme on mesure celles des adultes, on risque de méconnaître leurs aptitudes : les enfants sont des experts en reconnaissance des différents bonbons et une récente comparaison de pâtes à tartiner à la noisette a montré qu’ils étaient tous capables d’identifier la plus célèbre d’entre elles parmi dix échantillons ! De même, un enfant de cinq ans ne sera pas capable d’identifier l’odeur de gas-oil, mais dira « ça sent quand on part en vacances » ; les plus jeunes ont donc des compétences, des connaissances sur des odeurs qu’ils n’identifient pas : ils savent le plus souvent si elles proviennent d’un produit dangereux, ou comestible, ou cosmétique. Les études par questionnaires renseignent sur leur connaissance des odeurs sociales, et montrent également que dans l’enfance et l’adolescence ils construisent dans la vie quotidienne une certaine expertise pour reconnaître l’odeur de leurs parents, frères ou sœurs. Les enquêtes par questionnaires montrent que les enfants sensibilisés aux odeurs, qui en prennent conscience et en parlent plus que les autres, partagent avec leurs parents cet intérêt conscient ; mieux, une étude qui a mesuré en parallèle leurs performances olfactives montre qu’elles sont légèrement supérieures, selon la richesse de l’environnement odorant auquel ils sont exposés. Il y aurait donc une culture familiale où, en l’absence d’éducation scolaire aux odeurs, une transmission se fait par l’exposition aux mêmes odorants et à leurs usages et significations. 42

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Comment l’exposition dans l’enfance peut-elle affecter nos préférences à l’âge adulte ? Pour le savoir, nous avons comparé24 deux groupes de personnes vivant en France mais originaires de deux cultures différentes : des Français de souche européenne et des Français de souche nord-africaine. Ces derniers sont exposés plus tôt que les Français d’ascendance européenne à l’odeur de menthe, en lien avec la cérémonie du thé à la menthe, et l’odeur de rose était utilisée comme contrôle parce qu’elle n’est pas plus familière à l’un ou l’autre groupe. L’odeur de menthe était préférée à celle de rose dans le groupe originaire d’Afrique du Nord, qui y associait plus de souvenirs agréables. L’enregistrement de l’activité du cerveau via électro-encéphalographie (EEG) montre aussi des différences entre les groupes : chez ces mêmes personnes d’ascendance nord-africaine, les différences au niveau perceptif sont associées à un traitement neurophysiologique plus long et complexe pour l’odeur de menthe, pas pour l’odeur de rose. Il y a donc une signature cérébrale différente pour les odeurs perçues dès l’enfance et privilégiées par la tradition. Que cette influence puisse s’exercer dès la prime enfance a été démontré par une autre étude à propos de la vanille : profitant de la constatation que le lait maternisé proposé aux nourrissons en Allemagne avait été parfumé à la vanille pendant des décennies, les chercheurs25 ont aromatisé du ketchup avec une touche de vanille à peine décelable, et ont demandé à 133 visiteurs d’une foire de goûter et de juger s’ils préféraient ce ketchup ou la formule classique. Parallèlement, ces visiteurs répondaient à un bref questionnaire où se cachait la question importante : j’ai été nourri (i) au sein ou (ii) au biberon. Il apparaît clairement que seuls les visiteurs nourris au biberon avaient une préférence pour le ketchup vanillé, alors que ceux nourris au sein préféraient le ketchup ordinaire. L’exposition à la vanilline avant le sevrage et avant toute possibilité d’en parler explique donc cette différence, et ce qui est remarquable c’est que la préférence se manifeste encore des années après, comme résultat d’un apprentissage totalement involontaire. 43

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1.6 Le vieillissement Que se passe-t-il chez l’adulte qui vieillit ? Comme les autres sens, l’odorat paie son tribut à l’allongement de la vie. On appelle « presbyosmie » la diminution de performance olfactive avec l’âge. Selon la difficulté des tests employés, cette diminution commence dès 40 ans, et à partir de 60 ans dans la plupart des études. La sensibilité baisse, la discrimination aussi, mais c’est sur les épreuves d’identification des odeurs que la baisse est la plus visible. Si c’était un effet des connaissances sur les odeurs, on suppose que celles-ci augmentant au cours de la vie, il n’y aurait pas de perte avec l’âge. Tout se passe comme si l’accès aux connaissances sur les odeurs était de plus en plus difficile avec l’âge, un phénomène qui ne se limite pas à l’olfaction. Sur le plan biologique, une des explications les plus évidentes de ces altérations est une dégradation de la muqueuse olfactive avec l’âge. Des biopsies de muqueuse humaine montrent que, dès l’âge adulte, la muqueuse olfactive est altérée, sa surface diminue et les neurones sensoriels olfactifs sont remplacés par des portions de muqueuse respiratoire, non olfactive. Il est donc clair que même avant la vieillesse, le cerveau humain adulte doit maintenir la même performance avec moins de neurones. Dans le bulbe olfactif, le nombre de neurones diminue également avec l’âge, ce dont attestent des examens post-mortem mais aussi des mesures sur des images d’imagerie par résonance magnétique anatomique (IRM). Les autres structures cérébrales traitant les odeurs – les cortex piriforme et orbito-frontal – sont également moins actives chez les personnes âgées que chez les jeunes26. Pour répondre aux odeurs, il est possible que le cerveau âgé mobilise d’autres ressources que le cerveau jeune, plus lentement et avec des résultats un peu différents. Le message nerveux envoyé au cerveau par l’odorat serait moins intense, moins distinct et qualitativement modifié d’une manière qui n’est pas homogène pour tous les odorants. Une étude de notre groupe27 a posé la question de savoir ce qu’il advenait en particulier du plaisir olfactif chez la personne vieillissante. Un premier résultat est que des odeurs a priori plaisantes 44

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sont perçues comme moins agréables par les personnes âgées et cet effet se traduit au niveau du pattern de réponses EEG évoquées par ces odeurs appétitives. Le deuxième résultat est que les réponses aux odeurs déplaisantes ou neutres sont inchangées dans le groupe âgé. Ainsi, la réponse négative de survie est préservée par l’âge, mais le plaisir olfactif en revanche est diminué. À toutes ces variations chez une même personne s’ajoutent encore d’autres sources de différenciation entre personnes.

2 DES PERCEPTIONS OLFACTIVES VARIABLES ENTRE INDIVIDUS 2.1 La transmission des savoirs olfactifs La transmission des savoirs olfactifs se fait en famille et sous trois formes : matérielle, à travers la cuisine et les usages des cosmétiques, le lavage du linge ; affective, à travers les liens d’attachement qui gravent l’odeur de la mère, du père, des grands-parents, de lieux ou de moments spécifiques, comme les vacances, le thé à la menthe, etc. ; pédagogique enfin, la forme la plus rare où les odeurs sont nommées explicitement quand l’adulte cadre sur elles l’attention des enfants. Cette pédagogie a fait son entrée dans certaines écoles, mais n’est pas encore généralisée malgré la demande des enseignants. La première « niche » olfactive est donc héritée de la vie de famille, mais les enfants et surtout les adolescents expérimentent aussi entre eux d’autres odeurs qui leur permettent de sortir de ce cadre et d’enrichir cet acquis. La formation d’un couple entraîne la négociation d’une nouvelle niche, et l’éducation des enfants permet de transmettre une partie de l’héritage olfactif et affectif28. Dans d’autres cultures qu’en Occident, en particulier chez les chasseurs-cueilleurs, il existe une éducation olfactive : les enfants sont initiés par les adultes à la chasse, à la cueillette, et à reconnaître par l’odeur certains insectes, végétaux ou animaux dangereux. Dans une ethnie du Gabon par exemple, où nous avons enquêté29, les enfants apprennent aussi des règles de 45

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politesse qui interdisent de parler de certaines odeurs en présence des parents, mais le permettent avec d’autres membres de la famille. 2.2 La culture Compte tenu des influences précoces mentionnées ci-dessus, il n’est donc pas étonnant que les préférences olfactives changent selon la culture, puisque celle-ci propose des expériences chimiosensorielles qualitativement et quantitativement différentes autour du monde. Il est cependant remarquable que la variation semble réduite pour les odorants déplaisants : en comparant des enfants de 6 à 12 ans de trois groupes culturellement contrastés, Indonésiens, Syriens et Canadiens francophones, qui devaient évaluer 14 odorants, une étude30 a montré un consensus entre les trois cultures pour les odeurs déplaisantes, mais une divergence entre elles sur l’évaluation de ce qui est plaisant. Tout se passe comme si le système d’alarme que constitue notre odorat répondait de façon moins variable aux mauvaises odeurs (celles des sources à éviter) qu’aux odeurs plaisantes (celles des sources qu’on peut approcher et apprendre à apprécier). Une enquête linguistique sur une soixantaine de langues montre également une convergence entre différentes langues pour donner plus d’importance aux mauvaises odeurs. Les mots pour les nommer sont plus nombreux dans la plupart de ces langues : s’il y a des universaux olfactifs entre les langues, ils se trouvent parmi les « malodeurs ». Les usages des odeurs (cuisine, hygiène, esthétique) peuvent aussi se transmettre d’une culture à l’autre ; ainsi, deux populations géographiquement très éloignées mais qui ont une histoire commune, l’Europe et une de ses anciennes colonies britanniques, Singapour, ont des réponses affectives aux odeurs plus semblables que deux populations asiatiques entre elles, Singapour et la Chine31. Les historiens travaillent également sur l’évolution des pratiques et en particulier de la tolérance aux mauvaises odeurs : en Occident, le besoin de désodorisation est né au xixe siècle, au moment où la chimie essayait de rendre compte de la propagation des maladies 46

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par les miasmes, qui étaient supposés de même nature. Reconstituer le Paris ou le Versailles odorant des siècles passés nous obligerait à changer complètement de références ! 2.3 Les variations génétiques Avec leurs environ 400 gènes olfactifs qui codent chacun pour un type de récepteur aux odorants, les humains sont capables de percevoir des millions d’odeurs, mais la variation génétique entre individus est telle que chacun est équipé de son propre cocktail de récepteurs en état de marche. Un exemple de cette variation est l’anosmie spécifique à certaines molécules, qui varie fortement autour du monde. Bien que chaque odorant puisse être détecté par plusieurs récepteurs, le manque d’un seul d’entre eux peut provoquer des différences notables de perception. En collaboration avec l’équipe d’anthropologues-généticiens de Denis Pierron, Veronica Pereda-Loth et Harilanto Razafindrazaka du CNRS à Toulouse, nous avons étudié l’anosmie spécifique à la bêta-ionone pour lier ses effets perceptifs avec la transmission du gène OR5A1, responsable du récepteur qui se lie avec cet odorant. En Asie du Sud-Est, pour plus de la moitié de la population ce gène ne fonctionne pas, alors qu’en Afrique c’est autour de 20 % seulement. Les individus porteurs de deux allèles non fonctionnels – anosmie spécifique – sont 100 fois moins sensibles à cette molécule, la trouvent moins agréable, moins familière, moins intense, moins comestible que ceux dont le récepteur est fonctionnel. Or comme elle est un composant de l’odeur de nombreux végétaux et fruits (orange, raisin, tomate, framboise, etc.), l’anosmie spécifique modifie leurs préférences et leurs choix d’aliments et de boissons, et même de produits de soin et d’entretien. Dans la zone centrale de Madagascar, où l’ascendance de la population est majoritairement asiatique et minoritairement africaine, nous avons montré que la variante africaine du gène OR5A1 protège de manière significative contre l’anosmie spécifique à la bêta-ionone, qui est moins fréquente dans cette population qu’en Asie du Sud-Est. Cette étude valide ainsi le concept selon lequel, à 47

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côté des échanges culturels, le transfert génétique peut également influencer la perception de la population en contact. 2.4 L’environnement chimique Comme nous l’avons vu plus haut, l’environnement familial est une source de différenciation entre les individus, même s’ils ont une culture commune ; mais les environnements physiques modulent eux aussi nos réponses aux odeurs. Par exemple, en dehors des variations de température et d’humidité autour du globe, qui créent des milieux et des saisons plus odorants que d’autres, le milieu de travail ou de vie peut exposer nos cellules olfactives à des risques s’il impose un contact avec des solvants ou des produits phytosanitaires agressifs, ou avec d’autres pollutions chimiques. Il y a encore peu d’études olfactives sur ce domaine, mais plusieurs équipes ont mesuré l’effet de la pollution olfactive sur les habitants de Mexico : l’air de cette métropole est fortement pollué et depuis 1995 des toxicologues alertent sur les effets délétères de cet environnement chimique pour le développement cérébral des enfants et la santé en général32. Il y a un effet direct de la pollution à l’ozone sur la muqueuse olfactive et la comparaison des capacités olfactives des habitants de la capitale avec ceux de la province voisine de Tlaxcala, rurale et moins polluée, montre que l’odorat des urbains de tous les âges est atteint. Les toxicologues qui étudient Mexico ont montré la relation entre la mauvaise qualité de l’air et l’apparition précoce, même chez les jeunes, des atteintes neurales de la maladie d’Alzheimer. De plus, le tabagisme augmente ces risques. La pollution est actuellement suspectée de contribuer à aggraver la pandémie Covid‑19, et si cette hypothèse se confirmait, l’atteinte de l’odorat pourrait servir de témoin du risque d’attaques virales (la question de la Covid‑19 sera abordée dans le chapitre 4). Parallèlement, les experts de santé publique alertent sur l’influence sur la vie sauvage de la déforestation et des pratiques d’agriculture et d’élevage, qui amplifient la propagation de virus émergents. 48

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Clairement, l’Anthropocène est en train de créer un environnement qui a peu en commun avec la nature que nos ancêtres ont connue. 2.5 Les médicaments et le tabagisme Parmi les agents chimiques perturbant l’odorat, il y a aussi ceux que nous avalons. De nombreux médicaments altèrent l’odorat, notamment ceux destinés à pallier l’hypertension ou l’hyperlipidémie. La liste est loin d’en être close et les effets ne sont pas tous mesurés ni connus des médecins prescripteurs. Les personnes qui prennent ces traitements au long cours sont donc rarement averties de leurs effets potentiels, lesquels peuvent être dévastateurs pour un parfumeur, un chef pâtissier, mais également importants pour la qualité de vie de tout un chacun. Une étude33 menée chez des personnes âgées, en Irlande, a comparé deux groupes de sujets pour tester l’importance relative de l’âge, du nombre de médicaments pris et de l’exposition à d’autres substances chimiques de l’environnement. Le groupe de personnes âgées « à risque » qui avaient été exposées par leur travail à des solvants toxiques (formaldéhyde, toluène) montrait des déficits olfactifs par rapport au groupe « sans risque », la prise de médicaments étant associée à des problèmes de discrimination. Les effets les plus importants sur l’odorat étaient liés, dans cet ordre, à la prise de médicaments, au risque environnemental, puis à l’âge. Quant aux effets du tabac, ils sont controversés car plusieurs études ne montrent pas d’amélioration de sensibilité après l’arrêt du tabac, ce qui contraste avec l’impression subjective de nombre de fumeurs qui redeviennent sensibles aux odeurs en s’arrêtant. Beaucoup d’études comparant un groupe de fumeurs à un groupe de non-fumeurs n’ont pas trouvé de différence perceptive. Cependant, si l’on prend en compte le nombre de cigarettes par jour et la durée du tabagisme, on montre que fumer altère l’identification des odeurs d’une manière qui dépend de la dose, aussi bien chez les anciens fumeurs que chez les fumeurs actuels. Les anciens fumeurs récupèrent une fonction olfactive proche de la normale en proportion du temps écoulé depuis 49

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qu’ils ont arrêté34. Les fumeurs ont plus de risques de présenter un déficit olfactif que les non-fumeurs ; anatomiquement, leurs bulbes olfactifs sont plus petits, ils présentent moins de substance grise dans le gyrus olfactif, un cortex associé au cortex olfactif primaire, même si on n’a pas trouvé de corrélation claire entre l’anatomie et les performances olfactives. La muqueuse olfactive des fumeurs est modifiée par des métaplasies squameuses, c’est-à-dire un épaississement en réponse aux agressions du tabac et à l’inflammation, le tissu de remplacement étant mieux armé que le tissu original contre cette agression. On peut supposer que ces transformations jouent un rôle dans la diminution de l’odorat, en rendant plus difficile l’accès des molécules aux récepteurs. Après l’arrêt du tabac, ces métaplasies disparaissent en six mois environ, ce qui peut permettre un retour à la normale. Face à tous ces facteurs de risque décrits ci-dessus, on est en droit de se demander ce qu’est le vieillissement normal : la plupart des personnes de plus de 65 ans prennent des médicaments, et beaucoup sont atteintes de maladies chroniques : si on ne garde dans l’échantillon de personnes âgées que celles qui n’ont ni soucis de santé ni médicaments, l’effet du vieillissement « normal » sur l’odorat est bien plus limité. Une étude35 sur une vingtaine de centenaires (105 ans en moyenne) a montré que chez ces « experts en survie », la diminution de performance olfactive est beaucoup moins marquée que ce que laissent supposer les courbes décroissantes qui chutent dramatiquement à 80 ans dans la plupart des études. Ceci confirme qu’une santé préservée maintient l’odorat même dans le grand âge. 2.6 Le nez des non-experts Comment les non-experts en olfaction se représentent-ils les odeurs ? Dans les expériences où nous laissons les non-experts (le plus souvent occidentaux) parler des odeurs pendant une tâche de groupement (mettre ensemble celles qui se ressemblent), beaucoup d’odorants sont décrits par leurs effets sur celui qui parle.

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Nous avons mené une analyse linguistique36 des réponses de 246 personnes à un questionnaire sur les odeurs (qu’est-ce qu’une odeur ? quels types d’odeurs distinguez-vous ? citez des odeurs agréables, désagréables) qui montre que l’odeur n’est pas représentée comme une entité objective extérieure au sujet. Dans ce corpus, les principaux axes de classification des odeurs sont l’effet sur le sujet (41 %) et la source (28 %) qui totalisent donc 69 % des réponses. Les 31 % restants sont des combinaisons de ces premiers axes, où l’intensité (4 %) et la mémoire (5 %) ne sont pas fréquemment citées. Ceci provient sans doute du fait que les sujets n’étaient pas en train de flairer des odorants, mais d’écrire sur leur représentation des odeurs. Mais ce constat linguistique contraste avec l’intérêt accordé à la mémoire et à l’intensité dans les études psychologiques et psychophysiques, où l’on cherche à quantifier la perception pour la rendre objective. Cette enquête illustre que l’odeur est d’abord subjectivement subie, secondairement rattachée à un objet-source, puis moins souvent encore décrite sous d’autres angles. Elle montre aussi que la majorité des effets cités sont désagréables. Ceci renvoie à l’asymétrie entre les odeurs plaisantes et déplaisantes : on trouve plus de formes différentes et de variation à la question portant sur les odeurs agréables que sur les odeurs désagréables, les formes les plus citées, les plus partagées entre les sujets, étant les odeurs désagréables. 2.7 Les experts, leur nez et leur cerveau Sentir les odeurs et les discriminer sont des aptitudes partagées par tous les humains, avec les variations que nous avons évoquées ; les reconnaître, les décrire et surtout les nommer sont des tâches cognitivement beaucoup plus exigeantes, et qui nécessitent une formation. C’est le cas des parfumeurs, aromaticiens, cuisiniers, œnologues et de tous les métiers qui utilisent la chimie. Dans le domaine esthétiquement le mieux reconnu, la parfumerie, ces experts s’appellent des nez ; peu d’entre eux ont écrit sur leur formation (Edmond Roudnitska, Paul Jellinek, Jean-Claude Ellena sont 51

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des exceptions), mais tous passent du temps chaque jour à flairer pour s’entraîner. Des recherches récentes ont essayé de définir en quoi consiste leur expertise : est-ce qu’ils sont plus sensibles que le commun des mortels, ou plus cultivés ? Plusieurs travaux sur des œnologues indiquent qu’ils ne sont pas plus sensibles que les amateurs de vin ou les naïfs, mais qu’ils discriminent, mémorisent et surtout décrivent les odeurs beaucoup mieux. Leur supériorité en discrimination repose sans doute sur l’apprentissage perceptif : ils passent du temps chaque jour à sentir beaucoup d’odorants différents, ils sont donc « enrichis » sensoriellement. Mais leur expertise est surtout mémorielle et cognitive, elle leur permet de décomposer l’odeur, de la décrire par des notes, des facettes distinctes plutôt que comme une totalité ; au contraire les non-experts traitent les odeurs comme on traite les objets, de manière holiste et leurs efforts de description visent surtout à identifier l’objet-source dont elles proviennent. Au cours d’un long apprentissage, les professionnels de l’odorat acquièrent un vocabulaire et des concepts qui leur permettent de communiquer entre eux, avec les experts en chimie, et avec leurs clients moins experts. Nous nous sommes demandé si cet apprentissage modifiait à la longue leur perception, en particulier s’ils étaient aussi influencés que les non-experts (ou naïfs) par le plaisir/déplaisir ressenti, aux niveaux perceptif et verbal. Dans cette expérience37, nous avons donc comparé quatre groupes de participants : novices, cuisiniers stagiaires, parfumeurs et aromaticiens. Dans une tâche de simple perception, tous devaient évaluer l’intensité et la valence hédonique de 10 odeurs agréables et 10 odeurs désagréables ; dans une tâche de description verbale, ils devaient décrire chacun des 20 odorants aussi précisément que possible. Pour la tâche perceptive, tous les groupes, experts compris, ont évalué de la même manière les odeurs plaisantes et déplaisantes ; verbalement, les deux groupes d’experts ont un lexique de descripteurs nettement plus riche que les naïfs et les apprentis cuisiniers, ils font référence à des qualités olfactives, des 52

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termes chimiques. Ils décrivent aussi les odeurs par leur source, mais beaucoup moins que les non-experts. Les naïfs et apprentis utilisent principalement des termes émotionnels – surtout négatifs – et des noms de sources, très peu de descriptions qualitatives ou chimiques. Ceci dit, les experts ne sont pas moins sensibles que les naïfs aux effets émotionnels, les odeurs ne sont pas neutres pour eux ; simplement ils ne se servent pas de cet aspect dans leur description ; alors que les naïfs les subissent, les experts perçoivent les odeurs selon ce qu’ils peuvent ou savent en faire. Il est bien connu que la pratique professionnelle de la musique, d’un sport, des mathématiques, etc. modifie l’anatomie et le fonctionnement des aires cérébrales correspondantes. En ce qui concerne les cuisiniers (voir encadré 4), il n’y a pas encore eu d’étude anatomique, mais dans une étude fonctionnelle en EEG38, nous avons montré des différences d’activation cérébrale liées à leur spécialité : lors d’une tâche d’imagerie mentale d’odeurs, cet effet d’expertise se reflète dans le potentiel positif tardif qui correspond à l’imagerie mentale. Seuls les cuisiniers ont montré une activation symétrique des deux hémisphères cérébraux, et seulement quand ils imaginaient des odeurs. Les musiciens montrent cette même activation symétrique seulement quand ils imaginent les timbres d’instruments de musique, mais pas quand ils imaginent des odeurs. Ainsi, les experts utilisent plus leurs deux hémisphères de manière simultanée que les non-experts, mais seulement dans l’activité d’imagerie où ils sont entraînés. Comment acquérir une expertise ? Si la description sémantique des odeurs est une tâche cognitivement exigeante, que se passe-t-il quand on s’entraîne à nommer les odeurs ? Une étude39 d’Arnaud Fournel au sein de notre équipe a consisté à entraîner trois jours durant 20 volontaires non-experts. En nous inspirant des travaux de nos collègues Nathalie Mandairon, Marion Richard et Anne Didier40 qui ont mis en évidence chez l’animal les différences entre apprentissage perceptif et associatif, nous leur proposions d’une part un apprentissage perceptif en leur présentant des odorants sans leur donner de 53

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Encadré 4. Extraits du discours de cuisiniers sur leur imagerie mentale olfactive Entre 2008 et 2011, notre équipe a coordonné le projet Ratatouille1 qui avait pour objectif de mieux comprendre l’activité de création dans trois modalités sensorielles, à travers le discours de cuisiniers, musiciens et parfumeurs. Les entretiens avec ces professionnels posaient des questions sur le processus de création, ses étapes, ses contraintes, et aussi sur le rôle d’images mentales pour créer. Il est admis que les musiciens entendent mentalement les sons, mais il est beaucoup moins accepté que parfumeurs et cuisiniers aient des images mentales olfactives. Ces quelques extraits d’interviews suggèrent qu’ils en ont et s’en servent pour composer et mémoriser. – « Le goût, je l’ai déjà en bouche, je vois à peu près ce que ça peut donner, j’ai goûté le chocolat, je vois le pain ce que ça va donner, et le goût, je fais la fusion des deux… Je sais ce que je veux comme goût. C’est pas forcément ce que j’aurai, mais je sais ce que je veux comme goût maintenant. Et ça allez l’expliquer, ça je sais pas faire. » – « Je devine le goût final à l’avance. Il est imprimé dans ma tête définitivement. » On notera que ces images mentales sont souvent multi-sensorielles : vision, audition, gustation, olfaction se combinent. – « Je sais le goût du beurre (qui cuit), le bruit que ça va faire, je sais le goût amer que ça a dans la bouche. » – « La carotte panée je l’ai pas faite telle que je vous l’ai décrit mais je vois très bien ce que ça va donner, j’ai le goût en tête, je sais exactement comment ça sort. » – « Faire une salade et de la sauge dedans par exemple, ou du beurre et de la sauge, mais tu sais tout de suite puisque tu connais le goût de la sauge, tu connais le goût du beurre, tu connais le goût de la salade, tu sais que si tu mélanges ensemble, tu sais le goût que ça va donner. » – « On va savoir par exemple la carotte classique, la carotte orange et cumin, ou gingembre, ça marche, on sait que ça marche on sait, moi je sais dans mon palais, ou dans mon cerveau quel goût ça a. » Comme d’autres créateurs, les cuisiniers sont inspirés par des formes, des associations ou des rêveries :

1.  Le rôle de l’imagination dans la création : du linguistique au neuronal. Agence nationale de la recherche, Programme : la création : acteurs, objets, contextes ; ANR-08-CREA-011. 54

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« J’aime bien faire les magasins. Et souvent avec ma femme le samedi, «tiens on va faire un tour ?», et puis je regarde et puis je vais rester pendant des, oui une demi-heure devant un magasin en train de regarder puis, en même temps, je suis pas là, elle me parle des fois et elle est habituée maintenant, elle me parle et j’entends même pas parce que… j’ai vu cette forme sur cette porte. Un jour je suis passé devant une porte qui était décorée, il y a une forme qui m’a attiré l’œil et je me suis dit “ça avec une pâte à pain viennois, ah ! ça va faire quelque chose !” ».

noms ni de description, et d’autre part un apprentissage associatif, en leur présentant d’autres odorants associés chacun à des labels. Les labels fournis par des parfumeurs correspondaient à la source, à une qualité et au nom chimique ; par exemple pour la molécule de carvone : menthe, épicé, carvone. Après trois jours d’apprentissage, les mêmes participants ont été testés dans un dispositif IRMf mesurant les réponses hémodynamiques aux odeurs apprises perceptivement ou sémantiquement. Comme on pouvait s’y attendre, seul l’entraînement verbal améliorait la capacité à décrire sémantiquement les odeurs. Dans le cerveau, ce changement est associé à une augmentation d’activité dans un ensemble d’aires associatives – et pas dans les aires primaires : le gyrus frontal médian, le gyrus cingulaire et le gyrus angulaire. En peu de temps, il est donc possible pour les profanes d’acquérir une forme d’expertise olfactive grâce à la plasticité cérébrale et à l’apprentissage associatif.

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3 Les déficits olfactifs

1 TYPES, CAUSES ET DIAGNOSTIC Les troubles olfactifs peuvent être de différentes natures : quantitatifs – de la perte partielle à l’absence totale d’odorat – ou qualitatifs, les odeurs n’étant pas perçues de manière habituelle ou étant perçues comme des odeurs fantômes. Ces pertes ou altérations de l’odorat ont des causes diverses (origine sino-nasale, traumatisme, infection virale, etc.). Elles peuvent être diagnostiquées à l’aide de différentes méthodes allant de l’autoévaluation par questionnaire aux mesures psychophysiques ou neurophysiologiques, ces dernières étant les méthodes les plus sensibles (figure 6). 1.1 Quels sont les différents types de déficits olfactifs ? Les déficits olfactifs peuvent être classés comme quantitatifs ou qualitatifs. La normosmie fait référence à un sens de l’odorat normal. Les déficits quantitatifs comprennent l’hyposmie (une réduction quantitative de la perception olfactive, par la perte de sensibilité ou de discrimination), l’anosmie fonctionnelle (sans avoir disparu 57

Les déficits olfactifs

Figure 6 | Les déficits olfactifs. Types, causes, fréquence, diagnostic, conséquences, traitements.

totalement, l’odorat n’est d’aucune utilité aux patients dans leur vie quotidienne), l’anosmie (absence totale d’odorat) et l’hyperosmie (hypersensibilité olfactive très rare). Les déficits qualitatifs comprennent la parosmie ou distorsion qualitative de la perception des odeurs. Par exemple la rose ne sent plus la rose, le pain sent le goudron. Il arrive souvent que ces sensations olfactives erronées ne correspondent à aucune odeur connue ; elles peuvent être décrites dans des termes imprécis (e.g. « chimique », « artificiel »), et plusieurs sources odorantes peuvent être perçues avec cette même qualité odorante. On peut parler de cacosmie lorsque la plupart des parosmies sont désagréables. On notera que les parosmies sont le plus souvent associées à une perte de sensibilité olfactive, 58

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elles signent ainsi à la fois des troubles quantitatifs (hyposmie) et qualitatifs (parosmie). Les déficits qualitatifs comprennent aussi la fantosmie, hallucination olfactive caractérisée par la perception d’une odeur en absence de toute stimulation olfactive. À noter qu’au-delà de ces troubles, l’olfaction peut être caractérisée par des « déficits » très spécifiques à une molécule odorante. C’est ce qu’on appelle l’anosmie spécifique (et que nous avons vu au chapitre 2), un état physiologique normal associé à l’absence de perception d’une molécule spécifique (par exemple, c’est le cas de la molécule odorante d’androsténone qui n’est pas perçue par environ 30 % de la population mondiale). On trouve encore un autre terme dans la littérature : la sensibilité chimique multiple. Ici, les patients décrivent une variété de symptômes subjectifs à la suite d’une exposition, souvent traumatisante, à des substances chimiques. Selon certains chercheurs41, la sensibilité chimique multiple est plus un état psychologique qu’organique. 1.2 Quelles sont les différentes causes des déficits olfactifs ? Les déficits olfactifs peuvent avoir des origines diverses : un trouble de la conduction qui perturbe la transmission de la molécule odorante jusqu’à l’épithélium olfactif, un trouble sensoriel par altération structurelle ou fonctionnelle de l’épithélium olfactif ou du nerf olfactif, un trouble central qui atteint les aires olfactives centrales. Ils peuvent être classés en cinq grandes catégories. Premièrement, les déficits olfactifs d’origine post-infectieuse. L’apparition de ces déficits est soudaine. Elle est plus fréquente chez les femmes, surtout après 40 ans. La principale cause du déficit olfactif est l’infection des voies respiratoires supérieures par des bactéries pathogènes, des champignons et surtout des virus tels que les rhinovirus, les virus para-influenza et grippaux ou les coronavirus comme nous le verrons par la suite dans le chapitre 4. L’encadré 5 illustre un témoignage d’un jeune kinésithérapeute ayant perdu l’odorat à la suite d’un gros rhume. 59

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Encadré 5. Témoignage d’une personne ayant une anosmie acquise : l’odorat perdu et retrouvé C’était assez fou cette période où j’ai perdu l’odorat et aujourd’hui je ne me souviens pas de tout, c’est comme un épais brouillard. J’ai attrapé une sorte de gros rhume bizarre, pas beaucoup de fièvre, mon nez coulait en permanence, des rivières ! Pendant deux semaines j’avais un traitement médical qui n’a pas marché, et j’ai tout essayé, le lavage du nez. Je me suis même brûlé avec du sérum physiologique trop chaud dans le nez. Quelques jours plus tard je suis guéri mais je ne sens plus rien, et au bout d’une semaine je me suis rendu compte que j’utilisais énormément mon nez, c’est là que j’ai vu la différence, et j’ai essayé de m’auto-traiter : des compléments alimentaires avec du zinc, j’ai fait tellement de recherches, j’ai tout lu, j’ai essayé tous les remèdes, l’odorat ne revenait pas. Je commençais à avoir tous les symptômes qu’on peut voir chez ceux qui perdent l’odorat, j’avais la déprime, tout était gris, j’étais coupé du monde… c’était les deux mois les plus horribles de ma vie. Et j’ai découvert le système de santé à propos de l’odorat : c’est pas joli ! Je fais partie des patients qui ont vu 4 ou 5 médecins, sans compter les infirmières qui se moquaient de moi quand je leur ai raconté l’histoire. Maintenant tout le monde sait ce que c’est l’anosmie, l’hyposmie, tu ne passes plus pour un fou. Rien que cette info, ça met tout le monde au même niveau. Après des allers-retours chez des médecins, l’hôpital, une recherche sur tout le net, j’ai fini par trouver un médecin à Genève, un ORL spécialisé dans l’odorat. Moi de mon côté j’avais déjà commencé à m’entraîner sur tout ce que je pouvais, je me suis appliqué un protocole d’imagerie mentale : je voyais quelque chose, j’essayais d’imaginer l’odeur ; c’était insupportable mais ça m’a permis de garder le contact, je suis content de l’avoir fait ; c’est ce que l’ORL m’a dit de faire plus concrètement. Il m’a fait des tests olfactifs, des vrais, il m’a donné de la théophylline (apparemment, ça fait repousser les neurones olfactifs, mais il n’y a pas de preuve qu’ils se reconnectent) et il m’a donné un entraînement. Je devais renifler deux fois par jour du café et du citron, et pendant deux mois. Au moment où je suis allé le voir, j’avais déjà retrouvé quelques sensations, mais c’était une odeur de brûlé et un goût métallique. Après j’ai commencé à récupérer. C’est comme dans les films, tu as un univers tout blanc et à un moment tu vois la toute petite porte au fond de cet univers blanc, qui te fait dire c’est peut-être ça l’odeur ? ! Mais tu n’es même pas sûr de ce que tu perçois. Au fur et à mesure c’est revenu peu à peu ; l’entraînement je l’avais commencé tout seul, je flairais tout, mon oreiller. En fait, avant de le perdre, je vivais en permanence avec mon odorat ; il y en a qui ne l’ont plus et ne s’en rendent même pas compte, moi, même de ne plus sentir l’odeur de mon oreiller,

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je devenais fou ! Je ne savais pas que je l’utilisais autant. Où que j’aille, il n’y avait plus rien, ça n’avait plus de saveur ; je peux dire que j’ai fait une petite déprime… Sans ces stimuli, ta vie elle est fade. Je me suis battu, mais si on m’avait donné au départ toutes les infos que j’ai dû chercher ! Ben les gars, c’est votre boulot, non ? Vous êtes spécialisés ! Je suis allé voir un professeur, il n’avait rien à me dire, moins qu’à l’hôpital ! Il n’a même pas essayé ! Anonyme, kinésithérapeute

Deuxièmement, les déficits olfactifs d’origine sino-nasale. Leurs principales causes sont la rhinosinusite (avec ou sans polypose nasale) et la rhinite, allergique ou non. Soler et al.42 ont évalué l’apparition de troubles olfactifs dans une population de 110 patients souffrant de rhinosinusite chronique à l’aide du test Sniffin’ Sticks (voir section 1.3 de ce chapitre pour une description des tests olfactifs). Ils concluent que 41,8 % des patients présentaient une normosmie, 20,0 % une hyposmie et 38,2 % une anosmie, portant à près de 60 % le total des patients porteurs d’un déficit olfactif. Une méta-analyse de Kohli et al.43 sur un total de 35 publications scientifiques a montré que les dysfonctionnements olfactifs dans la rhinosinusite chronique s’observent dans 30,0 % des cas quand on utilise un test diagnostique simplifié, dans 67,0 % des cas quand on emploie un test plus sensible et enfin dans 78,2 % des cas avec le test Sniffin’ Sticks, le plus complet des trois. Ceci souligne l’importance du type d’outil psychophysique utilisé pour le diagnostic, comme nous le verrons par la suite. Dans tous les cas, le déficit olfactif d’origine sinonasale survient progressivement, comme dans les maladies neurodégénératives ou le vieillissement normal, et peut fluctuer dans le temps41. La troisième catégorie comprend les déficits olfactifs d’origine posttraumatique. Ces déficits sont causés par des blessures au nez, au visage ou à la tête qui peuvent induire une obstruction mécanique dans les fosses nasales, une section du nerf olfactif et/ou des lésions cérébrales centrales. Dans une étude récente, Bratt et al.44 ont évalué l’odorat de patients ayant subi un traumatisme crânien. Les participants éligibles étaient âgés de 18 à 65 ans et ont été contactés 9 à 104 mois après le traumatisme. Ceux 61

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qui ont signalé un éventuel changement post-traumatique de l’olfaction ont été invités à un examen approfondi à l’aide du test Sniffin’ Sticks. Sur un total de 211 participants éligibles, 182 (86,3 %) ont participé à des entretiens téléphoniques et 25 (13,7 %) ont été diagnostiqués comme souffrant de dysfonctionnement olfactif. 60 % d’entre eux, soit 8,2 % de l’ensemble des participants, souffraient d’anosmie. On notera que l’apparition des troubles olfactifs peut être soudaine ou bien retardée. La quatrième catégorie est l’origine congénitale (anosmie congénitale). Pour certaines anosmies congénitales, la cause génétique est connue. Par exemple, le syndrome de Kallmann provient d’une anomalie génétique qui perturbe dès avant la naissance la mise en place des bulbes olfactifs qui sont malformés ou absents ; dans ce cas la muqueuse olfactive se trouve déconnectée de son circuit nerveux et s’atrophie. Quand la cause de l’anosmie congénitale est inconnue, alors un diagnostic d’atrophie ou d’absence de bulbe olfactif doit être fait (voir encadré  6 ; généralement, le dysfonctionnement est observé au cours de l’enfance ou de l’adolescence). Encadré 6. Sentir les odeurs sans bulbe olfactif Comme nous l’avons décrit dans le chapitre 1, les bulbes olfactifs sont le premier relais de traitement de l’information olfactive dans le cerveau des mammifères, et nous venons de voir que leur absence à l’examen neurologique est un signe d’anosmie congénitale. On notera néanmoins qu’une observation clinique45 mentionne le cas de deux jeunes femmes (gauchères et en bonne santé) avec un odorat parfait, mais qui ne présentaient pourtant pas de bulbe olfactif apparent à l’IRM anatomique. L’évaluation psychophysique à l’aide de tests de détection, de discrimination et d’identification n’a révélé aucun signe de déficit olfactif. Par ailleurs, l’examen du cerveau de ces femmes par IRM fonctionnelle a révélé que l’activité induite par les odeurs dans le cortex piriforme (principale cible du bulbe olfactif) n’était pas différente de celle observée chez des personnes contrôles dont le bulbe olfactif est visible à l’examen IRM anatomique. Ces cas suggèrent donc que les sujets humains sont en mesure de réaliser des tâches olfactives complexes sans bulbe olfactif (ou avec un bulbe olfactif très réduit en taille), ce qui renforce l’idée d’une grande plasticité anatomofonctionnelle dans le système olfactif. 62

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Enfin, la cinquième catégorie comprend les déficits olfactifs d’origine idiopathique, définis comme tels lorsque l’examen détaillé ne révèle aucune étiologie claire. 1.3 Comment évaluer un déficit olfactif ? Le diagnostic olfactif est essentiel pour évaluer la nature et la gravité du déficit. L’évaluation de la fonction olfactive commence d’abord par une anamnèse du patient qui doit cibler les différents aspects des déficits. Tout d’abord, le caractère spécifique de la maladie : s’agit-il d’un déficit purement olfactif ? Ou d’un déficit gustatif ? Ou d’un déficit qui affecte la fonction trigéminale ? Le médecin recherche également si ce déficit est quantitatif (hyposmie, anosmie fonctionnelle ou anosmie), et/ou qualitatif (parosmie, fantosmie). Il recherche ensuite des informations sur l’apparition de la perte olfactive : est-elle soudaine (plus fréquent en post-infectieux et en post-traumatique) ? Quelle est sa fluctuation dans le temps (plus fréquent dans les maladies inflammatoires) et sa durée ? Il/elle s’interrogera aussi sur la présence d’obstruction nasale. Le médecin abordera aussi les effets sur la qualité de vie du patient. Est-ce que le déficit a un effet significatif sur sa vie professionnelle, sociale et affective ? D’autres facteurs pouvant contribuer à la maladie seront aussi recherchés : maladie chronique, infection passée, traumatisme crânien, médicaments, allergies, tabagisme et consommation d’alcool, exposition à des toxines, etc. À la suite de cette documentation des antécédents du patient, on passe généralement à l’examen clinique, très souvent une endoscopie nasale. Si le médecin suspecte une pathologie périphérique, il/elle peut procéder à l’examen des fosses nasales associé à une imagerie des sinus afin de vérifier la présence d’obstructions, d’infections ou de tumeurs. Pour sonder les causes dites centrales, une IRM anatomique peut s’avérer nécessaire pour détecter une tumeur ou une lésion cérébrale par exemple. En cas de perte olfactive précoce par rapport à l’âge du patient, cet examen est indiqué si on suspecte une maladie de Parkinson ou d’Alzheimer. 63

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Troisièmement, vient la séance de dépistage olfactif qui peut inclure une évaluation subjective (certes plus rapide, mais moins sensible) et/ou des mesures objectives de l’odorat : du seuil de détection, de la discrimination et des capacités d’identification. Ces mesures psychophysiques peuvent également être complétées par des mesures neurophysiologiques et neuro-anatomiques. Nous détaillons par la suite ces méthodes psychophysiques et d’imagerie cérébrale. Pour l’évaluation psychophysique, certains tests n’évaluent que la sensibilité olfactive par des seuils de détection. Généralement, le sujet désigne un flacon ou une fiole qui, parmi deux, trois ou quatre, comporte une odeur. Cependant, la plupart des tests diagnostiques olfactifs comportent une tâche d’identification d’odeurs (les tests comportent de 4 à 40 odorants selon les versions et modèles, et selon le temps qu’a le médecin pour l’évaluation). Comme la grande majorité des personnes non expertes en olfaction éprouve des difficultés à nommer les sources odorantes, plusieurs termes d’objets odorants (la plupart du temps quatre) sont proposés au participant qui doit en choisir un parmi les quatre. D’autres tests intègrent aussi une tâche de discrimination olfactive qui consiste à identifier un flacon odorant intrus parmi un triplet comportant deux odorants identiques et un différent. Quand les tests combinent au moins détection olfactive et identification, ils ont le mérite de discriminer entre un déficit quantitatif – de sensibilité – et/ou un déficit d’ordre cognitif. La plupart de ces tests se présentent sous la forme de cartes à gratter, de flacons ou de stylos odorisés. Les tests sont plus ou moins rapides selon les versions mais sont généralement faciles à utiliser en contexte clinique. L’évaluation est souvent très ludique, elle dépend du niveau de langage du patient et bien entendu de sa collaboration. Il est nécessaire d’adapter ces tests aux enfants ou aux personnes atteintes de troubles neurologiques (souvent âgées). De tels tests olfactifs ont été développés dans différents pays. On peut citer notamment le test d’Identification des odeurs de l’Université 64

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de Pennsylvanie (UPSIT) aux États-Unis basé sur l’identification de 40 odeurs, et le test Sniffin’ Sticks développé en Allemagne basé pour sa version la plus complète sur la mesure du seuil à une molécule odorante, sur les capacités de discrimination olfactive de 16 triplets d’odeurs et sur l’identification de 16 odeurs. En France, notre équipe à Lyon a développé le Test européen de capacités olfactives (ETOC)46, intégrant détection et identification olfactives de 16 odeurs ; une version courte – moins de 5 minutes – permet un dépistage de ces déficits olfactifs quand le contexte clinique ne laisse pas assez de temps. L’évaluation neurophysiologique est plus lourde à mettre en place et plus coûteuse, mais elle peut compléter le diagnostic dans plusieurs situations. Par exemple, les IRM anatomiques permettent de diagnostiquer une anosmie congénitale si les bulbes olfactifs ne sont pas visibles à l’examen neurologique. Au-delà de l’IRM anatomique, l’EEG est aujourd’hui la technique d’imagerie cérébrale la plus utilisée en clinique. Son principe est le suivant : via l’enregistrement des réponses électriques évoquées spécifiquement par les odeurs, l’EEG permet de mesurer les potentiels évoqués olfactifs (PEO), un PEO étant la moyenne de plusieurs réponses EEG à une stimulation odorante. L’acquisition EEG est non invasive puisque les électrodes sont positionnées sur le scalp des personnes évaluées. En fonction de la forme du PEO (en latence et en amplitude), le clinicien déterminera si le patient présente un déficit olfactif et complétera ainsi l’évaluation psychophysique.

2 LA PRÉVALENCE DES DÉFICITS OLFACTIFS Comprendre les pertes de l’odorat suppose que l’on connaisse les performances de la population générale et qu’on y caractérise la proportion de personnes qui souffrent de tels déficits. Détecter, discriminer les odeurs, les reconnaître comme familières, les associer à une signification sont les tâches du système olfactif. La question de savoir comment ces performances sont altérées dans la population est essentielle pour les scientifiques et les cliniciens, mais aussi pour les systèmes de santé 65

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publique, afin de mettre en place des stratégies de remédiation et/ou de traitement appropriées. Quelle proportion de la population souffre de ces déficits olfactifs, qu’ils soient quantitatifs ou qualitatifs ? La prévalence de ces déficiences olfactives diffère-t-elle en fonction de l’âge ? En 1987, la National Geographic Smell Survey47 a étudié un large échantillon de 1,2 million de personnes aux États-Unis, dans lequel 1 % des participants ne pouvaient pas sentir au moins trois odeurs sur les six constituant le test. Un peu plus tard, une autre étude48 menée dans le même pays a révélé une prévalence à 39 % de déficits olfactifs chez une population de personnes âgées. Depuis, l’épidémiologie des troubles olfactifs a été menée dans différents pays, via différents types d’enquêtes, ou différentes méthodes d’évaluation.

Encadré 7. Prévalence des troubles gustatifs L’enquête par autoévaluation de Hoffman et al.49 aux États-Unis révèle que 0,6 % des participants ont déclaré un problème gustatif, la prévalence augmentant avec l’âge (d’environ 0,01 % de 17 à 34 ans à 2 % après 75 ans). Toujours aux États-Unis, l’étude de Bhattacharyya et Kepnes50, par autoévaluation chez des personnes de plus de 40 ans, révèle que 5,3 % ont signalé une perturbation du goût. On notera que parmi les répondants déclarant un problème de goût au cours des 12 derniers mois, 43,2 % ont également déclaré un problème d’odorat, tandis que parmi les personnes sans anomalie du goût, seulement 8,8 % ont déclaré un problème d’odorat. Rawal et al.51 ont analysé le même jeu de données : la proportion d’adultes ayant déclaré des problèmes de goût au cours de l’année écoulée était de 5,3 % ; des proportions similaires ont été observées pour la perte des qualités salées, sucrées, acides et amères. Par une approche psychophysique, Boesveldt et al.52 ont estimé la prévalence des pertes gustatives sévères aux États-Unis à 14,8 %. Enfin, en Allemagne, Vennemann et al.53 ont mesuré la fonction gustative de 1 312 participants à l’aide d’un test d’identification comportant quatre saveurs : environ 20 % des participants n’ont reconnu que trois des quatre goûts ou moins alors qu’ils étaient présentés à des concentrations supérieures au seuil, ce qui est un signe d’altération du goût (dans cette étude, on supposait une « altération du goût » quand un participant n’identifiait pas correctement les quatre goûts).

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Malgré cette variété dans la méthode de test, il apparaît qu’environ 20 % de la population mondiale souffre d’un déficit olfactif, qu’il soit léger, total, qualitatif ou quantitatif. Cette prévalence augmente aussi significativement avec l’âge. Cette section du livre a pour ambition d’apporter un éclairage sur les enquêtes et expériences qui ont estimé cette prévalence en distinguant les études basées sur une autoévaluation des études psychophysiques, qui mesurent les performances olfactives. Ici, nous avons volontairement pris le parti de présenter un minimum de détails pour chacune de ces enquêtes réalisées à travers le monde en fournissant quand nous l’avons jugé nécessaire la taille de l’échantillon testé, la tranche d’âge des participants et/ou le test utilisé. L’encadré 7 est dédié à la prévalence des troubles gustatifs.

2.1 Estimation de la prévalence des déficits quantitatifs par autoévaluation Une des premières études de ce type a été menée aux États-Unis par Hoffman et al.49. C’était une enquête par questionnaire impliquant 42 000 personnes qui a chiffré à 1,4 % le pourcentage de participants qui déclaraient un problème olfactif. Cette prévalence augmentait significativement avec l’âge : près de 40 % des personnes déclarant un problème chimio-sensoriel étaient âgées de 65 ans ou plus. Toujours aux États-Unis, Bhattacharyya et Kepnes50 ont analysé les données du volet sur les troubles du goût et de l’odorat de l’enquête nationale d’examen de la santé et de la nutrition (NHANES) menée entre 2011 et 2012. On notera que les participants de cette enquête étaient âgés de 40 ans et plus. Elle montre que 10,6 % ont déclaré un trouble de l’odorat au cours des douze derniers mois, ce pourcentage augmentait de manière significative avec l’âge. En analysant le même jeu de données, Rawal et al.51 arrivent à des conclusions différentes au moins pour la prévalence des troubles olfactifs. Ici, le critère pour définir un trouble olfactif était plus large puisqu’il incluait les participants ayant signalé un problème olfactif récent, un odorat plus 67

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mauvais depuis l’âge de 25 ans ou une fantosmie. Dans ce cas, la prévalence était estimée à 23 % de la population testée (dont 10,6 % ayant déclaré des problèmes d’odorat au cours de l’année écoulée, 16,7 % ayant déclaré une perte d’odorat depuis l’âge de 25 ans, et 6 % de fantosmie – note : la prévalence de la fantosmie est traitée plus loin dans cette section. En Suède, Nordin et al.54 ont évalué la prévalence des déficits olfactifs sur un échantillon de 1 387 personnes dans un entretien posant la question de savoir si elles estimaient que leur odorat était dans la norme : 15,3 % pensaient leur odorat plus faible que la norme. Comme pour les études citées ci-dessus, cette prévalence augmente avec l’âge : elle est de moins de 10 % entre 20 et 39 ans, et de plus de 40 % après 80 ans. En Corée du Sud, Lee et al.55 ont mené une enquête nationale dans laquelle il était demandé à 7 306 participants si leur odorat était normal ou anormal au cours des trois derniers mois. Les résultats montrent une prévalence de 4,5 % avec des variations significatives selon l’âge (de 2,6 % à 20-29 ans à 8,6 % après 70 ans). Cette enquête montre également qu’en plus des maladies et des problèmes médicaux ORL, les faibles revenus et l’exposition habituelle aux polluants atmosphériques sont associés à un risque accru d’altération de l’odorat. En France, entre 2013 et 2016, notre équipe a coordonné le consortium Prevalolf financé par la mission interdisciplinarité du CNRS dans le cadre du programme Défisens dirigé par Pascal Sommer. Plus de 7 000 personnes ont participé en répondant à l’enquête, soit en ligne, soit en présence d’un enquêteur. Parmi les nombreuses tâches à réaliser, les participants devaient autoévaluer leur odorat et sentir une série de huit odeurs. Leur autoévaluation a montré que 6 % d’entre eux déclaraient un déficit olfactif. Ainsi, selon la question posée et l’échantillon observé, on obtient par questionnaire une estimation du déficit olfactif qui va de 1,4 % à 23 % (et qui peut doubler avec l’âge) ; cependant notre expérience 68

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nous a appris que beaucoup de personnes sous-estiment ou surestiment leur odorat, en bref sont de mauvais témoins de leur performance par rapport à ce qu’ils estiment être la moyenne. La figure 7A illustre la prévalence des déficits olfactifs dans le monde mesurée par autoévaluation. 2.2 Estimation de la prévalence des déficits quantitatifs par une mesure psychophysique Aux États-Unis, Murphy et al.56 ont évalué la prévalence des pertes olfactives sur un échantillon de 2 491  personnes âgées de 53 à 97 ans. Un questionnaire d’autoévaluation de l’odorat complétait l’étude. Les résultats ont montré une prévalence de 24,5 %, et qui augmentait avec l’âge : elle s’élevait à 62,5 % chez les personnes âgées de 80 à 97 ans. La déficience olfactive était plus fréquente chez les hommes. Par ailleurs, le tabagisme, les accidents vasculaires cérébraux, l’épilepsie et la congestion nasale ou l’infection des voies respiratoires supérieures étaient également associés à une prévalence accrue de déficience olfactive. On notera que la déficience olfactive autodéclarée s’élevait seulement à 9,5 %, confirmant que la plupart des sujets ne sont pas conscients de leur déficit ; des tests olfactifs psychophysiques sont donc une nécessité si l’on veut chiffrer la prévalence, surtout chez les personnes âgées. Toujours aux États-Unis, Boesveldt et al.52 ont utilisé un test olfactif rapide comportant 5 odeurs à identifier. Les participants ayant un score d’identification de 0 ou 1 sur 5 étaient classés comme ayant un déficit olfactif ; donc ici, il s’agit d’une prévalence des pertes olfactives sévères, voire de l’anosmie. Pour évaluer la fonction gustative, ils ont utilisé un test similaire avec les mêmes critères (la prévalence des déficits gustatifs est décrite dans l’encadré  7). La prévalence du déficit olfactif sévère s’élevait à 2,7 %. On notera que la perte olfactive était associée à un âge avancé et un niveau d’éducation plus bas, et plus fréquente chez les hommes. Aux ÉtatsUnis encore, Choi et al.57 ont mesuré les performances olfactives de 69

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1 236 personnes âgées de 60 ans et plus avec le Pocket Smell Test (un test comportant huit odeurs). Ils estiment à 18 % la prévalence des pertes olfactives. En Australie, Karpa et al.58 ont évalué un échantillon de 1 636 participants âgés de 60 ans et plus et chiffrent à 27 % la prévalence des déficits olfactifs. Comme pour les autres études, elle était plus élevée chez les hommes et augmentait avec l’âge. En Allemagne, l’étude de l’équipe de Basile Landis59 menée chez 1 240 personnes a utilisé le test Sniffin’ Sticks pour évaluer la fréquence des déficits. Les résultats ont révélé une prévalence de 4,7 % pour l’anosmie fonctionnelle (personnes identifiant moins de 8 odeurs sur 16), et de 16 % pour l’hyposmie (personnes identifiant plus de 8 odeurs et moins de 12 odeurs sur 16). Toujours en Allemagne, Vennemann et al.53 ont évalué 1 312 participants à l'aide du test Sniffin' Sticks. Ils chiffrent une prévalence de 3,8 % pour l'anosmie fonctionnelle et de 18,3 % pour l'hyposmie. En Suède, Brämerson et al.60 ont testé un échantillon de 1 387 personnes et ont montré que la prévalence des déficits olfactifs était de 19,1 %, dont 13,3 % d'hyposmie et 5,8 % d'anosmie. Elle était plus élevée chez les hommes et les personnes âgées, ainsi que les sujets ayant des polypes nasaux. Toujours en Suède, Seubert et al.61 ont mesuré les performances de 2 234 personnes de 60 à 90 ans et ont chiffré à 24,8 % la prévalence des déficits olfactifs. À Taïwan, Lin et al.62 ont testé 211 participants âgés de 19 à 89 ans à l’aide de la partie Identification du test Sniffin’ Sticks. Les auteurs observent une prévalence de 12,3 % (1,4 % pour l’anosmie ; 10,9 % pour l’hyposmie). Comme pour les études précédentes, l’âge a significativement influencé cette prévalence. En Espagne, Mullol et al.63 ont mis en place un test olfactif comportant quatre odeurs micro-encapsulées dans des cartes à gratter et distribuées à la population générale par le biais d’un journal bilingue (catalan, espagnol). Les lecteurs du journal, de tout âge, devaient réaliser trois tâches olfactives : détection, reconnaissance et 70

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identification des quatre cartes à odeurs puis autoévaluer leur odorat avant de retourner le questionnaire. Un total de 9 348 réponses a été analysé. Les résultats de l’étude montrent une prévalence des pertes olfactives s’élevant à 19,4 % pour la détection olfactive (0,3 % d’anosmie, 19,1 % d’hyposmie), 43,5 % pour la reconnaissance des odeurs (0,2 % d’anosmie, 43,3 % d’hyposmie) et 48,8 % pour l’identification des odeurs (0,8 % d’anosmie, 48 % d’hyposmie). Ces valeurs étaient plus élevées chez les hommes que chez les femmes. La détection des odeurs était plus faible chez les personnes âgées. L’autoévaluation de l’odorat des mêmes participants chiffre la prévalence des déficits à 6,9 % seulement. Ceci montre bien que l’approche autodéclarée sous-estime la prévalence. Cela indique aussi qu’un grand nombre de participants n’est pas conscient de sa perte olfactive. On notera que même si cette enquête présente des faiblesses (absence de contrôle de l’évaluation psychophysique ; l’échantillon n’est pas totalement représentatif de la population puisqu’il s’adresse aux lecteurs d’un journal), elle a l’avantage d’évaluer plusieurs aspects de la perception olfactive et surtout d’impliquer un nombre de participants très important. Enfin, en France, en utilisant le test ETOC46, qui combine la détection et l’identification de 16 odeurs, notre équipe a montré une prévalence moyenne de 20 % : l’hyposmie représentait 10 % chez les plus jeunes et 39 % chez les personnes âgées (l’anosmie ne représentait qu'1 % de ces personnes âgées). L’utilisation d’une version réduite de l’ETOC (6 odeurs) montre une prévalence des déficits olfactifs (anosmie et hyposmie combinées) de 15 % chez les jeunes contre 28 % chez les plus âgés. Ces chiffres sont en accord avec les résultats de notre étude à grande échelle (Prevalolf, voir section 2.1 de ce chapitre) qui a montré avec un test olfactif de huit odeurs sur support papier que la prévalence des déficits s’élevait à environ 18 %. Ainsi, ici encore, l’estimation de la prévalence des déficits olfactifs varie selon l’outil de dépistage et l’échantillon testé : de 2 à 5 % pour l’anosmie, et pour l’hyposmie de 10 % chez les jeunes à 30 % et plus 71

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chez les sujets âgés. On notera que cette prévalence augmente significativement dans certaines pathologies où notre équipe a montré qu’elle pouvait toucher plus de 50 % des patients atteints de cancer du poumon64, 83 % des patients atteints de la maladie d’Alzheimer65 et 91 % des patients atteints de la maladie de Parkinson66. La figure 7B illustre la prévalence dans le monde mesurée à l’aide de tests psychophysiques. 2.3 Prévalence des déficits qualitatifs (parosmie et fantosmie) Aux États-Unis, Nordin et al.67 ont évalué la prévalence de la parosmie et de la fantosmie chez 363 patients ayant des troubles olfactifs quantitatifs. Ils ont montré que 18,7 % de ces patients présentaient en outre une parosmie et 25,6 % une fantosmie. On notera que 9,1 % avaient une parosmie isolée, 16,0 % une fantosmie isolée et 9,6 % les deux. Au total, 34,7 % des patients présentaient donc un trouble qualitatif de l’odorat. En Suède, l’équipe de Nordin68 a évalué la prévalence de la parosmie sur un échantillon de 1 713 personnes a priori normosmiques (dont 1 387 adultes et 326 adolescents). Ils ont répondu à une question sur la parosmie soit via une interview structurée pour les adultes, soit via un questionnaire pour les adolescents. Ils obtiennent une prévalence globale de la parosmie de 3,9 % (4,0 % chez les adultes et 3,4 % chez les adolescents). Plus récemment, et toujours en Suède, Sjölund et al. 69 ont évalué la prévalence de la fantosmie par un entretien standardisé. La fantosmie était définie comme la perception d’une odeur en l’absence de tout stimulus odorant dans le milieu environnant. La question posée par les auteurs était : « Avez-vous, au cours de l’année écoulée, ressenti des odeurs dites “fantômes” »? Pour répondre à cette question, les sujets devaient utiliser une échelle en 5 points allant de 0 = « Jamais » à 4 = « Toujours ». Les résultats ont révélé une prévalence de 4,9 % pour la fantosmie. L’odeur fantôme la plus fréquemment évoquée était celle 72

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Figure 7 | Prévalence des déficits olfactifs dans le monde. A : prévalence dans le monde mesurée par autoévaluation. B : prévalence dans le monde mesurée par des tests psychophysiques.

de fumée ou de brûlé (signalée par 54 des 117 individus percevant des odeurs fantômes). Les autres qualités d’odeurs signalées étaient les odeurs de pourriture, de moisissure, de métal, d’aliments cuits, de parfum, de fleur et de poussière et/ou de saleté. 73

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Vingt-huit participants ont déclaré avoir ressenti plus d’un type d’odeur fantôme. Ces odeurs fantômes sont l’équivalent olfactif des sons fantômes ou acouphènes qui concernent 10 % de la population. Enfin, plusieurs des études précitées qui évaluaient la prévalence des troubles quantitatifs ont également chiffré celle des troubles qualitatifs. Ainsi, l’étude par autoévaluation de Bhattacharyya et Kepnes50 aux États-Unis a montré une prévalence de la fantosmie de 6 % (les personnes interrogées avaient plus de 40 ans). En analysant le même jeu de données, Rawal et al.51 arrivent aux mêmes conclusions, en apportant néanmoins une information essentielle sur l’effet du genre : parmi les participants qui ont déclaré avoir perçu des odeurs fantômes, près des deux tiers étaient des femmes. L’étude psychophysique de Basile Landis59 révèle des fréquences de parosmie de 2,1 % et de fantosmie de 0,8 %. Enfin, à Taïwan, Lin et al.62 montrent des prévalences de 10 % pour la parosmie et de 30,8 % pour la fantosmie. Cette dernière étude ne précise cependant pas la manière dont la question est posée aux participants. Les distorsions qualitatives de l’odorat ne sont donc pas rares et s’ajoutent fréquemment aux déficits quantitatifs.

3 EFFETS DE LA PERTE OLFACTIVE SUR LA QUALITÉ DE VIE Les déficits olfactifs sont donc bien plus fréquents que d’autres pertes sensorielles comme la cécité ou la surdité. Comme nous l’avons vu plus haut, on estime ainsi qu’ils touchent environ 20 % de la population, avec une prévalence et des degrés de sévérité qui diffèrent en fonction de l’âge et de certaines conditions pathologiques. Plusieurs études dans le monde démontrent que ces déficits ont des conséquences psychosociales et comportementales importantes pour les personnes qui en souffrent. Ces effets sont souvent ignorés ou banalisés ; ils peuvent être pourtant à l’origine de changements significatifs du comportement des individus touchés. 74

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3.1 Quels aspects de la qualité de vie sont affectés par les pertes olfactives ? Une enquête importante menée par Keller et Malaspina70 a exploré les conséquences négatives des pertes olfactives sur différents paramètres de la qualité de vie. L’étude a impliqué environ 1 000 personnes qui souffraient d’un dysfonctionnement olfactif. Dans cette enquête en ligne, les participants devaient – entre autres – fournir un récit de leurs expériences sur la façon dont ils ont été affectés par la perte olfactive subie. En outre, ils pouvaient répondre à plusieurs questions spécifiques sur les conséquences de cette perte sur leur quotidien. Ils ont montré un impact clair du déficit olfactif sur l’isolement social mais aussi un émoussement affectif (anhédonie) induit par la perte d’odorat qui est sans doute à l’origine d’un grand nombre d’effets sur le comportement social et alimentaire que nous allons détailler ci-après. Dans une autre étude par questionnaire menée au Royaume-Uni sur un échantillon de 496 patients présentant des déficits olfactifs, Philpott et Boak71 ont montré des taux élevés de dépression (43 %) et d’anxiété (45 %), de troubles de l’alimentation (92 %), d’isolement (57 %) et de difficultés relationnelles (54 %). Les femmes semblent avoir beaucoup plus de problèmes que les hommes en termes de dysfonctionnement social et domestique lié à la perte olfactive. Cette étude a également constaté la présence de troubles qualitatifs comme la parosmie (19 %) et la fantosmie (24 %). Ces données sont corroborées par plusieurs expériences menées ces vingt dernières années par des groupes indépendants qui démontrent elles aussi une influence significative des pertes olfactives sur la qualité de vie, notamment en ce qui concerne le comportement, la santé mentale et la santé alimentaire. Ainsi, Miwa et al.72 ont évalué l’impact sur la qualité de vie. Leur étude par questionnaire portait sur un échantillon de 420 patients dont certains présentaient encore une olfaction altérée et d’autres qui avaient récupéré. Ils ont montré que les problèmes le plus souvent 75

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cités étaient la capacité à détecter les aliments avariés (groupes avec déficience vs. groupes ayant récupéré, 75 % vs. 12 %), les fuites de gaz (61 % vs. 8 %), ou la fumée (50 % vs. 1 %). Temmel et al.73 ont aussi exploré les effets de la perte olfactive sur la qualité de vie chez 278 patients souffrant d’hyposmie ou d’anosmie. Chez la plupart des patients, la perte olfactive causait des problèmes liés à l’alimentation. De plus, les jeunes patients se plaignaient davantage que les plus âgés, et les femmes se plaignaient davantage que les hommes. Enfin, les plaintes étaient plus fréquentes chez les patients hyposmiques que chez les patients anosmiques. Sur un échantillon de plus de 400 personnes, Santos et al.74 ont évalué le risque d’apparition d’accidents domestiques générés par une perte olfactive. L’étude, basée sur un entretien et des évaluations diagnostiques de l’odorat, a montré que 76 % des patients présentaient un trouble olfactif dont 30 % une anosmie totale. Trente-sept pour cent des patients présentant une déficience olfactive (mais seulement 19 % des patients sans déficience) ont déclaré avoir subi au moins un événement dangereux lié à l’odorat. Parmi ces événements, les incidents pendant une activité culinaire étaient les plus fréquents (45 %), suivis de l’ingestion d’aliments avariés (25 %), de l’incapacité à détecter une fuite de gaz (23 %) et à sentir l’odeur du feu (7 %). Ainsi, les pertes olfactives exposent les patients à un risque accru d’accidents domestiques. L’étude de Blomqvist et al.75 portait aussi sur les effets de la perte d’odorat sur plusieurs aspects de la qualité de vie. Elle était basée sur une autoévaluation par questionnaire et incluait soixante-douze patients souffrant d’anosmie (46 %) ou d’hyposmie (54 %). Les patients ont signalé non seulement plus de difficultés à détecter les odeurs dangereuses, à cuisiner, mais aussi une réduction de l’appétit et de l’appréciation des aliments. Dans une enquête sur une période de dix ans chez environ 300 patients atteints de déficits olfactifs, Brämerson et al.76 ont évalué l’effet sur la qualité de vie d’une centaine de patients. Ceux qui 76

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se plaignent de pertes olfactives ont vu leur qualité de vie considérablement réduite, notamment en lien avec des problèmes d’emploi et de vie professionnelle, d’activités ménagères et de vie sociale et familiale. Ces effets sur l’emploi sont bien démontrés par l’enquête de Keller et Malaspina70. Smeets et al.77 ont évalué l’effet du déficit olfactif sur la qualité de vie et la dépression en comparant 90 patients souffrant de troubles olfactifs à un groupe de 89 personnes normosmiques. Ils ont montré un impact des déficits olfactifs sur la qualité de vie et le score de dépression, plus élevé chez les personnes ayant des troubles de l’odorat. Nordin et al.78 confirment les conséquences négatives de la perte d’odorat sur le quotidien de cinquante patients, incluant la diminution du plaisir de manger, l’incapacité à détecter le feu ou la fumée et des problèmes d’hygiène personnelle chez environ un tiers des patients. L’enquête de Merkonidis et al.79 portant sur plus de 200 patients avec déficits olfactifs montre que plus d’un tiers des personnes ont souffert de dépression, même si la plainte la plus fréquente était la diminution du plaisir de manger, suivie d’une diminution de la qualité de vie en général. Les auteurs mentionnent aussi que plus l’apparition des symptômes de pertes olfactives est brutale, et plus la capacité à faire face aux changements dans la vie quotidienne est réduite. Reprenant ces recherches dans une revue de questions, Croy et Hummel80 mentionnent que les patients souffrant d’une perte olfactive sont plus susceptibles de présenter des symptômes de dépression et estiment à environ un tiers le pourcentage de symptômes dépressifs au moins légers en cas de troubles olfactifs. En résumé, on peut synthétiser les résultats présentés ci-dessus comme suit. Les patients souffrant d’une altération de l’odorat risquent : – d’expérimenter plus d’accidents domestiques ; – de présenter des symptômes de dépression – pour environ 30 % des patients ; 77

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– de compromettre leur sécurité (détection du feu, de la fumée, du gaz, d’aliments avariés) ; – de se sentir inquiets de leur hygiène personnelle (par insécurité concernant leur odeur corporelle, l’odeur de l’haleine) ; – de rencontrer des difficultés dans leur vie sociale ; – d’être désadaptés professionnellement dans certains domaines comme les arts culinaires, la parfumerie, et autres domaines en lien avec les sens chimiques ; – de présenter des parosmies et des fantosmies, perturbations qualitatives gênantes voire handicapantes dans le quotidien ; – de rencontrer des problèmes majeurs dans le domaine de l’alimentation et de la nutrition : la grande majorité des patients qui présentent une perte olfactive voient leur comportement alimentaire altéré. En particulier, les patients hyposmiques ou anosmiques souffrent d’une réduction de la richesse de la perception alimentaire, et pour certains d’entre eux, cette perception appauvrie peut entraîner une diminution du plaisir de manger et par conséquent de l’appétit. Outre les problèmes d’alimentation, la préparation des aliments peut également devenir un problème pour certains patients et, par conséquent, pour leurs proches. Abordons maintenant la question de savoir si l’anosmie congénitale (anosmie de naissance) répond à la même règle, et tentons de comprendre comment les patients privés d’odorat s’adaptent à cette perte et quels mécanismes ils mettent en œuvre pour la compenser. 3.2 Anosmie congénitale et qualité de vie Souvent, l’absence d’odorat est détectée très tard chez les enfants qui en sont atteints de naissance : vers 8 ans ou plus tard encore. L’encadré 8 décrit le témoignage d’une personne anosmique de naissance. Dans quelques cas, les parents réalisent eux-mêmes des tests pour vérifier que l’enfant ne « sent » rien sans l’aide de la vision. Certains anosmiques prennent conscience eux-mêmes de leur différence et doivent lutter contre l’entourage pour la faire admettre. 78

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Quand ils en parlent à l’âge adulte, certains expliquent que même les médecins ne leur ont pas été d’un grand secours, soit en leur disant que « ça viendrait plus tard », soit en leur faisant sentir de la menthe, dont ils perçoivent la fraîcheur ; la menthe stimule un autre système sensoriel chimio-sensible, le système trigéminal. Ces enfants ont l’impression de connaître l’odeur des fraises, des oranges ou des gâteaux parce qu’ils en connaissent le goût. Ils sont perplexes en revanche pour les fleurs, les parfums, tout ce qui ne se met pas en bouche, et les mauvaises odeurs. Une personne anosmique se demandait pourquoi les odeurs contenues dans des flacons n’avaient pas au moins une couleur, qui permette de les repérer. Le manque ressenti par les personnes anosmiques de naissance n’est cependant pas comparable à la plainte de personnes qui ont perdu l’odorat. Dans ce cas, la souffrance est présente et d’autant plus forte que la perte a été brutale81. Croy et al.82 ont posé la question de savoir si l’anosmie congénitale induit les mêmes effets que ceux qu’on observe quand on considère toutes les pertes olfactives, dont la plupart sont acquises. Pour y répondre, ils ont comparé 32 patients nés sans odorat à 36 participants sans déficits olfactifs. Plusieurs paramètres de qualité de vie étaient mesurés à l’aide d’un questionnaire (alimentation, détection de dangers, interactions sociales, dépression). Les différences observées se résument comme suit : (i) des préoccupations sociales (inquiétude vis-à-vis de sa propre odeur corporelle, des interactions avec d’autres personnes), un nombre d’accidents domestiques et un score de dépression plus élevés chez les patients avec anosmie congénitale que chez les contrôles ; (ii) un nombre de relations sexuelles moins important chez les patients avec anosmie congénitale que chez les contrôles. Aucune différence significative n’a été observée sur les préférences et le comportement alimentaires, contrairement aux autres formes d’anosmie. Il semble que comme les personnes anosmiques de naissance régulent leur prise alimentaire sans le secours de l’odorat, seul leur comportement social est altéré par leur handicap. 79

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Encadré 8. Extrait du discours d’une personne ayant une anosmie congénitale J’avais onze ans lorsque j’ai découvert que j’étais anosmique. Je ne connaissais évidemment pas encore ce mot, je disais : « Qu’est-ce que vous faites avec votre nez ? Vous sentez les odeurs ? Mais c’est quoi une odeur ? C’est quoi sentir ? » Pour moi, le nez servait à respirer. Il faut une sacrée imagination à un enfant pour savoir que le nez a une double fonction ! Les oreilles servent à entendre et rien d’autre, alors pourquoi le nez aurait-il une autre particularité ? ! Il faut également une sacrée imagination à des parents pour envisager que leur fille n’a pas d’odorat. Lorsque j’ai demandé à ma mère ce fameux jour de découverte de mon anosmie : « Pourquoi mon frère dit-il que ça pue les frites ? Ça veut dire quoi puer ? », l’incompréhension a été totale. Un dialogue de sourds s’est enclenché jusqu’à ce que nous comprenions au bout de quelques heures que je ne sentais pas les odeurs, qu’il me manquait l’un des cinq sens. Nous avons rapidement considéré que cela n’était pas grave. Quelques années plus tard, un problème hormonal a surgi. Toutes mes amies étaient réglées sauf moi. Les règles sont tardives chez les femmes de la famille donc, une fois de plus, nous ne nous sommes pas inquiétées, ma mère et moi. La gynécologue consultée à l’époque non plus. Je suis restée petite fille très longtemps : très peu de poitrine, aucune pilosité, mais également aucune douleur liée aux règles et aucun embêtement tous les mois, cela me convenait parfaitement ! Je plaignais mes amies qui devaient subir chaque mois ce rituel féminin, sans comprendre combien cela impactait tout mon développement physique et psychique. À dix-neuf ans j’ai finalement pris les choses en main, trouvant étrange que la gynécologue ne s’inquiète pas. Après quelques recherches, j’ai découvert que l’endocrinologue était le spécialiste, peut-être, de ce que j’ai identifié alors comme un problème. Bien vu ! Il a identifié le syndrome de Kallmann de Morsier, qui se caractérise, pour faire simple, par un système hormonal défaillant (pour la surface immergée de l’iceberg), l’anosmie n’étant que l’émergence en surface du syndrome. Il semble que je n’ai pas développé de bulbe olfactif, ceci expliquant cela. Une fois de plus, personne ne s’inquiète. Ce diagnostic en main, ma gynécologue parfaitement incompétente m’envoie faire une cœlioscopie pour vérifier la taille de mes ovaires et considère que, tant que je ne veux pas d’enfants, tout cela n’est pas grave. À vingt et un ans, je rencontre mon premier petit ami sérieux qui s’étonne de ce corps de petite fille et m’incite à aller voir une autre gynécologue dans la ville où je fais mes études. Enfin une professionnelle qui comprend le problème et réagit ! Elle me propose immédiatement un traitement hormonal pour pallier mes défaillances et me donner une chance d’avoir des enfants un jour. 80

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Je fais ma puberté en quelques mois. Cela a été très violent, douloureux aussi. En quelques semaines, je suis passée du 85A de poitrine au 90C, certes pour la plus grande joie de mon petit ami, mais dans un bouleversement hormonal et physique important. Nous avons pu enfin avoir des relations sexuelles, impossibles auparavant. Pour avoir des enfants, il a fallu plus tard passer par la PMA. Mon intérêt pour les odeurs s’est manifesté parallèlement à cet épisode hormonal. L’année où je suis allée voir un endocrinologue, l’année où j’ai pu mettre les mots « Kallmann de Morsier » sur ce que j’avais, j’étais en prépa HEC à Dijon. Une amie qui ne pouvait vivre sans les odeurs m’a offert un livre unique : Le Parfum de Patrick Süskind. Avant Süskind, je savais que les odeurs existaient (les frites ça pue, la merde aussi, les parfums et les fleurs sentent bon, etc.), mais je ne savais pas ce qu’était une odeur, et surtout, je n’avais jamais compris que chaque personne avait sa propre odeur ! Une véritable révélation ! Un monde entier m’échappait donc… toutes ces informations que mon nez ne captait pas ! Tout ce décryptage du monde impossible pour moi ! Je suis certaine, avec le recul des années, que je suis devenue journaliste à cause de mon anosmie. Pour poser des tonnes de questions, puisque les odeurs ne m’amenaient pas les informations nécessaires pour vivre en intelligence avec ce monde et ses habitants. Lorsque ma fille est née, ne pas pouvoir sentir son odeur de bébé a été un drame pour moi… tout en ne sachant pas exactement ce que je perdais. J’ai commencé à accumuler de la documentation depuis, relancée à chaque naissance par ce manque. Cela fait dix-huit ans que je lis tout ce que je peux trouver sur les odeurs, les parfums, le fonctionnement du cerveau : revues, interviews, et beaucoup de romans bien sûr (je ris en lisant Zola qui est notamment célébré pour sa faculté merveilleuse à décrire les odeurs alors que l’on sait de source sûre qu’il était anosmique lui aussi !). Bref, cela fait des années que j’enquête pour savoir ce qu’est une odeur. À côté de cela, il faut bien vivre sa vie d’anosmique. Une vie qui cumule plusieurs problèmes : la sécurité personnelle de l’anosmique et celle de sa famille, voire d’un immeuble entier, n’est jamais garantie (je vous passe l’épisode de l’appartement de mes parents et de la fuite de gaz que je n’ai pas sentie) ; sa sociabilité aussi, car un anosmique n’est jamais sûr de ses odeurs corporelles et rechigne à certaines activités de groupe ; par ailleurs je n’apprécie ni l’alcool ni le café (pas d’olfaction, pas de rétro-olfaction !) donc traîner dans un café ou à l’apéro pendant des heures avec des amis qui alignent les bières et autres verres de vin me lasse très vite. Mais le manque principal est d’ordre affectif : l’odeur de mes quatre enfants, celle de mon homme aussi. Emmanuelle Dancourt, journaliste 81

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Dans une autre étude83, les mêmes auteurs ont réanalysé les données de leur étude de 2012 pour savoir si la perte de l’odorat influençait différemment les hommes et les femmes. L’échantillon original comportait 32 personnes ayant une anosmie congénitale dont 10 hommes et 22 femmes. Les hommes comme les femmes congénitalement anosmiques ont fait mention d’une insécurité relationnelle accrue, mais avec des conséquences différentes : les hommes nés sans odorat ont un nombre de relations sexuelles fortement réduit et les femmes sont affectées de telle sorte qu’elles se sentent moins en sécurité avec leur partenaire. Cette étude souligne ainsi l’importance de l’odorat dans les relations intimes. Elle est néanmoins basée sur un échantillon trop restreint, et nécessiterait donc une exploration sur un échantillon plus large. 3.3 Comment compenser ces altérations de qualité de vie ? Bien que certains patients se montrent indifférents aux effets de ces déficits olfactifs sur leur quotidien, la majorité des personnes touchées est en recherche de compensation de ces pertes sensorielles. Ici, les pertes en lien avec les interactions sociales et la détection des dangers sont celles qui sont le moins compensées. En revanche, les patients sont à la recherche de sensations pour compenser les pertes de sensibilité, de plaisir et de reconnaissance des odeurs alimentaires. En effet, un élément intéressant de l’analyse réalisée par Croy, Nordin et Hummel84 dans leur revue de questions, était que les patients avaient tendance à compenser la perte de sensations olfactives en recherchant dans l’alimentation des sensations par d’autres canaux sensoriels (gustatif, trigéminal, tactile, visuel, etc.). Une étude qui date d’une trentaine d’années avait déjà exploré ce phénomène. Ferris et Duffy85 ont testé 105 jeunes patients (de 25 à 45 ans) et 125 patients plus âgés (60 ans ou plus), qui ont tous rempli un questionnaire sur la nutrition. Les résultats ont montré que la plupart des patients sous-alimentés étaient anosmiques. Les changements dans les habitudes alimentaires et la diminution du 82

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plaisir de manger étaient plus marqués lorsque la perte d’odorat était récente (moins de trois ans) ; aucun changement n’apparaît au niveau de l’appétit, mais ces patients ont déclaré avoir utilisé au moins une stratégie de compensation en améliorant l’assaisonnement des aliments avec des épices. Une autre étude datant de la même époque avait observé des résultats similaires. Mattes et al.86 ont ainsi étudié l’impact des pertes de l’odorat (et du goût) sur les habitudes alimentaires et l’état nutritionnel des personnes. Leur étude, basée sur un questionnaire, a impliqué 40 personnes sans troubles olfactifs et 118 patients souffrant de dysfonctionnement chimio-sensoriel (odorat et/ou goût). Leurs résultats indiquent que plus de 40 % des patients ont modifié leurs consommations de sel, de sucre et d’épices, augmentant la quantité de sel et de sucre. Une autre étude menée par Aschenbrenner et al.87 a évalué le comportement alimentaire et les éventuels changements dans la sélection des aliments chez les patients souffrant de perte d’odorat. Ils ont testé 176 patients (114 femmes et 62 hommes) âgés de 17 à 86 ans. La consommation et le comportement alimentaires ont été mesurés par questionnaire. L’étude montre que : (i) 29 % des patients déclaraient moins manger depuis le début de la perte olfactive ; (ii) 39 % utilisaient plus d’épices avec leur nourriture ; (iii) 47 % sortaient moins souvent au restaurant ; (iv) 37 % mangeaient moins de sucreries ; et (v) 48 % buvaient moins de boissons sucrées. Enfin, une modification des préférences gustatives en faveur d’aliments salés a été observée chez tous les patients participant à l’étude. Dans la même veine, et plus récemment, Henkin88 a comparé la consommation de sel chez 56 patients souffrant d’hyposmie (mais dont la sensibilité gustative était normale), avec celle de 27 volontaires qui ne présentaient pas de pertes olfactives. Au contraire des normosmiques, 32 % des patients ont déclaré avoir augmenté leur consommation de sel, en moyenne 2,8 fois plus qu’avant le début de leur hyposmie. Ils ont également déclaré consommer plus d’aliments 83

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fortement salés que les autres et ajouter du sel à leurs plats avant de les goûter. L’auteur estime que cette consommation accrue de sel est un moyen d’améliorer la perception des saveurs et de compenser la perte de sensations olfactives. Plus récemment, notre laboratoire a mis en place une étude89 qui visait à mieux caractériser les effets des déficits olfactifs sur le comportement alimentaire. Des patients souffrant de déficits olfactifs et des participants sans déficits olfactifs ont été invités à effectuer une série de tâches : identification d’odeurs, évaluation de l’intensité de l’odeur, du plaisir, de la familiarité, de l’irritation et de la comestibilité des sources odorantes. Les participants devaient également remplir un questionnaire alimentaire détaillé. Bien qu’aucune conséquence significative de la perte olfactive n’ait été constatée sur les préférences alimentaires et habitudes culinaires, les patients étaient moins attirés que les participants normosmiques par les nouveaux aliments (ils étaient plus « néophobes » d’un point de vue alimentaire), et avaient tendance à éprouver moins de plaisir à manger. Ils utilisaient également beaucoup plus de sucre et de condiments tels que la mayonnaise pour rendre leurs plats savoureux. Ceci démontre donc que les troubles olfactifs ont un effet évident sur certains aspects de l’alimentation et suggère des mécanismes compensatoires qui vont de pair avec la perte olfactive : tenter de restaurer une partie de la saveur perdue et de sa composante hédonique par des stimuli non olfactifs. En conclusion, parmi les nombreuses gênes liées aux pertes olfactives, les plaintes prédominantes sont en lien avec la sphère alimentaire et la nutrition. Quand ces effets sur l’alimentation sont présents, les patients trouvent des stratégies d’adaptation pour compenser la perte de plaisir apporté par l’odeur via la sollicitation d’autres sens comme la gustation ou la sensibilité trigéminale. Pris dans leur ensemble, ces effets sur la qualité de vie représentent des risques non négligeables pour la santé alimentaire et sociale ainsi que le bien-être des personnes touchées. Il convient donc – une fois un déficit olfactif identifié chez une personne – d’envisager des interventions visant à 84

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traiter la perte de l’odorat afin d’améliorer le bien-être émotionnel, l’interaction sociale, et réduire autant que possible la dépression. La section suivante tentera d’apporter des réponses à ce sujet de la remédiation du sens olfactif.

4 SOIGNER L’ODORAT ? Une question centrale dans le domaine de la perte de l’odorat est de savoir dans quelle mesure cette déficience sensorielle peut être réversible. Le rétablissement de la fonction olfactive est variable selon la cause. De 20 % à 40 % des patients récupèrent leurs capacités olfactives à la suite d’une perte olfactive post-traumatique. Pour les anosmies sino-nasales, le taux de récupération est très variable ; les patients répondent bien aux différents traitements même si les rechutes ne sont pas rares. Enfin, pour les anosmies post-infectieuses, le taux de récupération serait de 50 % à 70 %. La littérature dans le domaine du soin des pertes olfactives est riche et différents types de traitement ont été tentés. Ces différentes stratégies ont été extrêmement bien listées et détaillées par Richard Doty de l’Université de Pennsylvanie à Philadelphie dans une longue revue de questions publiée en 201990. Elles incluent un certain nombre de molécules : l’acide alpha-lipoïque, les antibiotiques, la caroverine, les corticostéroïdes, le Danggui-shaoyao-san (en chinois, ou Toki-shakuyaku-san en japonais), la rasagiline, le citrate de sodium, la théophylline, la venlafaxine, les vitamines A, B-12, D, E, et le sulfate de zinc. Des pratiques comme l’acupuncture, l’amplification des flaveurs ou encore la chirurgie et l’entraînement olfactif ont été essayées. Pour la grande majorité de ces traitements, ni la durée de leurs effets quand ils ont été significatifs, ni leurs bases physiologiques ne sont pleinement connues. Souvent, le suivi des patients n’a pas été réalisé et on ne peut tirer de conclusions sur leur effet à long terme. Cependant, à la lecture de toutes ces publications, la stratégie la plus prometteuse est sans aucun doute l’entraînement olfactif que nous détaillons ici. 85

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L’entraînement olfactif a été popularisé par l’équipe de Thomas Hummel de l’Université de Dresde en Allemagne avec qui notre équipe lyonnaise a mis en place en 2019 un laboratoire international associé, en lien avec ces questions. Dans un article qui date de 200991, Thomas Hummel a développé une technique qui consiste à exposer un patient de manière quotidienne à une série d’odeurs, pendant plusieurs mois. Son équipe est partie du principe que la fonction olfactive est modulée par une exposition répétée aux odeurs, afin d’imaginer un protocole d’entraînement aux odeurs pour des patients souffrant d’une perte olfactive. L’étude a impliqué un groupe de 40 patients qui a réalisé l’entraînement et un groupe de 16 patients qui n’en a pas eu. L’entraînement a duré 12 semaines. Les patients flairaient deux fois par jour quatre odeurs (rose, eucalyptus, citron et clou de girofle). Leur odorat a été mesuré avant et après l’entraînement par le test Sniffin’ Sticks dont le score global est sur 48 et combine note de seuil, de discrimination et d’identification olfactive. Dans le groupe sans entraînement, seul un des 16 patients (6 %) du groupe a montré une amélioration de plus de 6 points au score global, alors que 10 des 36 patients entraînés (28 %) ont montré une amélioration. Ainsi, une exposition répétée sur une durée moyenne (12 semaines) peut améliorer les capacités olfactives d’un nombre non négligeable de patients. On notera que cette étude pionnière incluait des pertes olfactives post-traumatiques et post-virales. Dans la continuité des travaux de Thomas Hummel, une étude grecque92 a évalué l’effet de la même procédure d’entraînement sur une période de 16 semaines au lieu de 12. L’odorat des patients a été testé avant et après l’entraînement. Les odorants d’entraînement biquotidien le matin et le soir étaient les mêmes : rose, eucalyptus, citron et clou de girofle. Chaque séance comprenait une exposition alternée à chaque odorant pendant 10 secondes, avec des intervalles de 10 secondes entre les odeurs. L’étude a inclus 119 patients répartis en quatre groupes dont l’odorat était testé avant et après 16 semaines : groupe 1 : 49 patients ayant une perte post-infectieuse qui suivaient 86

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l’entraînement olfactif ; groupe 2 : 32 patients ayant une perte postinfectieuse qui ne suivaient pas d’entraînement ; groupe 3 : 23 patients ayant une perte olfactive post-traumatique et qui suivaient l’entraînement ; groupe 4 : 15 patients ayant une perte post-traumatique et ne suivant pas l’entraînement. Pour les quatre groupes, la perte d’odorat durait depuis 9 à 12 mois. On notera que seulement 5 % des patients n’ont pas pu finir l’entraînement et n’ont donc pas été inclus dans l’analyse finale. Les résultats ont montré qu’au bout de 16 semaines, dans le groupe de patients post-infectieux qui s’étaient entraînés, 67,8 % d’entre eux ont vu leur fonction olfactive s’améliorer. Ce pourcentage est à comparer avec celui des patients post-infectieux qui n’ont pas réalisé d’entraînement : 33 % d’entre eux montrent une amélioration spontanée de leur odorat, sans traitement. Dans les groupes post-traumatiques, 33,2 % des patients qui se sont entraînés ont amélioré leurs performances olfactives, contre 13,3 % des patients sans entraînement. En 2014, une étude issue du laboratoire de Thomas Hummel93 a même montré qu’un entraînement olfactif qui dure 32 semaines a des effets encore plus nets : 31 patients sur 39 (79 %) atteints de déficits olfactifs post-infectieux ont présenté une amélioration de leurs capacités olfactives après ces huit mois d’entraînement. Les auteurs montrent en outre que les effets de l’entraînement sont les mêmes quels que soient l’âge, le sexe, la durée et la gravité du dysfonctionnement olfactif. Dans une étude récente94, notre équipe à Lyon a mis en place un nouveau protocole d’entraînement olfactif basé sur l’association entre l’odeur et un contexte visuel durant l’apprentissage. Des patients atteints de déficit olfactif ont ainsi été entraînés pendant 12 semaines. Un sous-groupe de patients prenait part à un protocole où l’exposition olfactive était contextualisée : les patients sentaient quotidiennement les odeurs dans un contexte visuel et verbal (par exemple l’odeur de rose était sentie dans un flacon sur lequel était disposée une image de rose ainsi que le terme « rose »). Un autre sous-groupe de 87

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patients prenait part au même protocole, avec comme différence que les odeurs étaient présentées sans contexte. Les résultats ont montré que bien que les capacités olfactives des deux groupes se soient améliorées par l’entraînement, celles des patients subissant l’entraînement contextualisé l’ont été encore plus. Ce nouveau paradigme contextuel est actuellement exploité par notre équipe dans une cohorte plus large de patients afin de maintenir ou de restaurer l’olfaction et d’améliorer la qualité de vie des personnes touchées. Pour comprendre comment cette plasticité olfactive révélée par l’entraînement modifie le cerveau, le groupe de Thomas Hummel a mené une série d’études neurophysiologiques à deux niveaux du système olfactif : au niveau de l’épithélium olfactif et des réponses corticales aux odeurs, avant et après entraînement. Pour l’épithélium olfactif, Hummel et al.95 ont mesuré chez des patients les réponses électrophysiologiques à une odeur agréable de rose et à une odeur désagréable d’œufs pourris avant et après un entraînement allant de 4 à 6 mois. Les résultats ont montré que le nombre de réponses électrophysiologiques de l’épithélium olfactif était plus important après par rapport à avant l’entraînement, suggérant une plasticité qui prend place très tôt dans le système olfactif, dès l’étage de la muqueuse olfactive. Pour les structures centrales, Gellrich et al.96 ont exploré la possibilité d’un changement structural des aires olfactives et des aires associées à la suite de l’entraînement olfactif. Un total de 30 patients souffrant d’une perte olfactive post-infectieuse a été soumis à cet entraînement sur 12 semaines. Des images neuro-anatomiques ont été réalisées avant et après entraînement chez tous les patients à l’aide de l’IRM anatomique. Elles montrent une augmentation significative du volume de matière grise dans deux structures olfactives secondaires (voir chapitre 1) : l’hippocampe et le thalamus, deux aires impliquées respectivement dans la mémoire et l’attention. En conclusion, la littérature du domaine suggère que suivre un protocole d’entraînement de manière régulière peut être bénéfique pour 88

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une proportion non négligeable de patients. Le fait que seul un faible pourcentage ne suive pas le traitement jusqu’au bout suggère que ce type de protocole est simple et peu contraignant. Allonger la durée de l’entraînement augmente les chances d’amélioration. Les meilleurs taux d’amélioration sont observés pour les patients ayant des pertes post-infectieuses, dont beaucoup sont post-virales comme c’est le cas des patients atteints de Covid-19. L’entraînement est peut-être plus efficace lorsqu’il combine olfaction et indices visuels et verbaux. Cette plasticité olfactive qui fait suite à l’entraînement est associée à une augmentation fonctionnelle des réponses électrophysiologiques de l’épithélium olfactif et à une modification structurelle d’aires centrales comme l’hippocampe et le thalamus, reflétant l’implication de processus mnésiques et attentionnels lors d’un entraînement olfactif.

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4 Déficit olfactif, infection virale et Covid-19

1 LE DÉFICIT OLFACTIF À LA SUITE D’UNE INFECTION VIRALE Comme décrit au chapitre 3, les déficits olfactifs peuvent être causés par une infection des voies respiratoires supérieures, le plus souvent bactérienne ou virale. On ne sait pas toujours ce que ces agents infectieux modifient du fonctionnement du système olfactif, mais ils peuvent agir à plusieurs niveaux : modifier la morphologie des cellules olfactives, réduire le nombre de neurones olfactifs et le nombre de récepteurs dans le nez, et perturber la transmission des informations de l’épithélium olfactif vers le bulbe olfactif. Plusieurs études cliniques montrent que cette forme de déficit à la suite d’une infection est la plus fréquente de toutes les causes de pertes olfactives. Par exemple, Temmel et al.73 ont exploré les causes principales de pertes olfactives sur 278 patients souffrant d’hyposmie ou d’anosmie. Ils ont classé les causes de perte olfactive dans cet ordre : 38 % d’infections des voies respiratoires supérieures, 21 % de maladie sino-nasale, 18 % de causes idiopathiques, 17 % 91

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de traumatismes crâniens ou faciaux, 3 % d’anosmies congénitales et 3 % d’autres causes. Une autre étude97 sur 243 patients donne des pourcentages très proches : 40,2 % d’infection des voies respiratoires supérieures, 39,3 % de traumatismes crâniens ou faciaux et 6,3 % de maladie sino-nasale. Pour un nombre important de cas (14,2 %), l’étiologie était inconnue. Les cas restants étaient associés à des maladies neurologiques, à une intoxication, ou étaient d’origine congénitale. Dans la même veine, Fark et Hummel98 ont examiné 3 434 patients souffrant d’un déficit olfactif. Pour 35,8 % d’entre eux, l’origine était infectieuse. Dans cette vaste enquête, les deux autres causes principales des troubles olfactifs étaient les traumatismes (16,3 %) et les maladies des sinus comme la sinusite chronique ou la polypose nasale (15,7 %). Un autre groupe de patients (20,2 %) n’a pas pu être classé et a donc été qualifié d’idiopathique. Ce pourcentage rappelle que la médecine est loin d’expliquer tous les cas de perte d’odorat. L’irruption de la pandémie Covid-19 a contraint le monde de la recherche à approfondir fortement et rapidement la connaissance du nouveau virus, et des enquêtes en ligne quasi simultanées sur les perturbations de l’odorat se sont construites, souvent en coopérant entre pays (https://project.crnl.fr/odorat-info/ ; https://smelltracker.org ; https://gcchemosensr.org). Les sections qui vont suivre visent à présenter l’état des connaissances sur le mode d’action du virus dans le système olfactif (section 2 de ce chapitre) et à faire la lumière sur cette manifestation particulière de la Covid-19 en utilisant les données cliniques et neuroscientifiques disponibles à ce jour (sections 3 et 4 de ce chapitre). Dans un souci de clarté, et pour chacune des études, nous avons choisi de fournir au lecteur un certain nombre d’informations pertinentes comme la période pendant laquelle l’étude a été menée, le pays dans lequel elle a été réalisée, la taille de l’échantillon, la population étudiée ou encore le type de tests utilisés. Notre équipe a très récemment rédigé une revue de la littérature détaillée sur la question que le lecteur est invité à consulter99. 92

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2 LE SRAS-COV-2 ET LE SYSTÈME OLFACTIF Qu’est-ce qu’un virus ? C’est un parasite de taille ultra-microscopique qui doit infecter un organisme pour pouvoir se répliquer et se disséminer car il ne peut pas se répliquer de manière autonome : il a besoin de la circuiterie métabolique d’une cellule hôte. Suite à l’infection, cette dernière se désorganisera et son fonctionnement sera altéré. Le SRAS-CoV-2 fait partie de la famille des coronavirus (virus à couronne). Il a d’abord été nommé 2019-nCoV, avant d’être nommé SRAS-CoV-2 par la Commission internationale de classification des virus. En général, les coronavirus sont spécifiques à un hôte (par exemple, les chauves-souris). Cependant, il arrive parfois qu’en raison de mutations génétiques, ils changent d’hôte et passent par exemple d’un animal aux humains. De telles mutations ont provoqué les épidémies de SRAS-CoV en 2002, de MERS-CoV en 2012 et l’actuelle épidémie de Covid-19. Le SRAS-CoV-2 est un virus de forme ronde d’environ 100 nm de diamètre, qui porte une enveloppe entourant la particule virale. Son matériel génétique consiste en un brin d’ARN. Plusieurs protéines présentes sur l’enveloppe virale sont cruciales pour l’entrée du virus dans la cellule hôte, dont la protéine dite « S » qui donne sa forme de couronne au virion. L’infection cellulaire par le SRAS-CoV-2 nécessite trois étapes. La première étape est l’entrée du virus dans la cellule hôte. Ici, le virus se lie et fusionne à la membrane cellulaire par l’interaction entre sa protéine membranaire S et un récepteur cellulaire spécifique. Il a été montré que le SRAS-CoV-2 utilise le même récepteur cellulaire humain que le SRAS-CoV : l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 (ACE2). Le récepteur ACE2 est l’élément crucial de l’infection par le SRASCoV-2. Ce récepteur peut donc être vu comme une serrure que le SRAS-CoV-2 peut ouvrir grâce à une clé, la protéine S. On notera que les cellules des voies respiratoires, des poumons, du cœur, de l’œsophage, des reins, de l’intestin et de la vessie expriment ce récepteur ACE2 (figure 8). 93

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Figure 8 | SRAS-CoV-2 et sites récepteurs chez l’humain. Les organes dont les tissus portent le récepteur de l’angiotensine 2 (ACE2), qui permet l’entrée du virus dans leurs cellules.

Ainsi, la plupart des symptômes cliniques signalés lors d’une infection par Covid-19 (fièvre, toux sèche, mal de gorge, fatigue, diarrhée, difficulté à manger et à boire, essoufflement) pourrait provenir – directement ou indirectement – de l’invasion du SRAS-CoV-2 dans ces cellules cibles. En outre, les cellules de la cavité buccale expriment le récepteur ACE2 – en particulier sur la langue – expliquant (en 94

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partie) comment la perception gustative est affectée par le SRASCoV-2. La deuxième étape est la réplication. Une fois dans la cellule hôte, le matériel génétique viral est libéré dans le cytoplasme et les différentes protéines virales sont synthétisées par la machinerie de la cellule hôte. La troisième étape est la dissémination. Une fois produites, les protéines virales s’assemblent avec le génome et le virion est libéré à l’extérieur de la cellule (figure 9A). Comment le SRAS-CoV-2 influence-t-il l’odorat ? Comme décrit dans le chapitre 2 de ce livre, chez l’humain comme chez les autres mammifères, l’épithélium olfactif est une structure multicouche, en régénération constante, contenant des neurones et des cellules non neuronales. Une question importante est de savoir si le SRASCoV-2 infecte uniquement les cellules neuronales, uniquement les cellules non neuronales, ou les deux. Pour répondre à cette question, il convient d’identifier les types de cellules exprimant le récepteur ACE2. Plusieurs études suggèrent la présence de la protéine ACE2 sur la membrane des cellules non nerveuses de l’épithélium olfactif, notamment les cellules de soutien (figure 9B). Ces cellules de soutien jouent un rôle essentiel dans l’entretien de l’épithélium olfactif et tout dérèglement par un virus de leur rôle d’entretien peut altérer la réception olfactive et donc la perception. D’autres données suggèrent que les cellules basales aussi pourraient exprimer les récepteurs ACE2 et donc être infectées par le SRAS-CoV-2100,101. Comme on l’a vu dans le chapitre 2, ces cellules souches sont capables de donner naissance à de nouveaux neurones sensoriels olfactifs fonctionnels. Si elles sont infectées, elles peuvent ne pas être en mesure d’assurer le renouvellement des neurones olfactifs. Si l’hypothèse d’une infection des cellules non nerveuses est à privilégier, elle n’exclut pas l’hypothèse d’une infection des neurones sensoriels olfactifs. En effet, en infectant des cellules olfactives non neuronales, le virus s’accumule dans la cavité nasale. Plus la charge virale augmente, plus la probabilité d’infecter les neurones sensoriels olfactifs augmente. De plus, suite aux signes neurologiques observés 95

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Figure 9 | Mode d’action du virus. A : entrée du virus dans la cellule hôte, par le récepteur ACE2, réplication à l’aide du matériel génétique de l’hôte, dissémination. B : les cellules de la muqueuse olfactive qui laissent entrer le virus : cellules basales et cellules de soutien qui portent des récepteurs ACE2. Cela n’a pas été démontré pour les neurones olfactifs.

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dans la Covid-19, on a évoqué un transport de particules virales vers le cerveau par les neurones sensoriels olfactifs. En entrant dans la cellule, le virus pourrait voyager le long des axones olfactifs et ainsi pénétrer dans le système nerveux central ; mais on ne peut exclure une diffusion hors des neurones, le long des filets nerveux olfactifs. Cependant, ces hypothèses ne sont pas confirmées à ce stade tant que la présence de récepteurs ACE2 sur les neurones n’a pas été démontrée. Quelle que soit la voie d’entrée vers le cerveau, neurones ou autres cellules, il n’y a pas encore de certitude quant aux effets du virus sur le système olfactif central : les deux premières études publiées pendant la crise sanitaire n’ont pas montré d’impact. Eliezer et al.102 mentionnent le cas d’une femme de 40 ans testée positive Covid-19 et qui présentait une perte de l’odorat sans obstruction nasale : un examen par IRM n’a montré aucune anomalie anatomique des bulbes et des voies olfactives. Cette absence d’anomalie visible du bulbe olfactif a été confirmée par une autre étude de cas103, sur un patient de 27 ans testé positif Covid-19 qui présentait une anosmie. Ici encore, aucune anomalie dans l’anatomie du bulbe et du tractus olfactifs. Récemment cependant, une équipe marseillaise104 a publié le cas d’un patient de 27 ans par ailleurs asymptomatique, mais testé positif à la Covid-19. Quatre jours après le diagnostic, il a été atteint d’anosmie complète et d’une altération du goût. L’examen IRM a révélé cette fois un œdème des deux bulbes olfactifs. Son odorat ainsi que le volume de ses bulbes olfactifs étaient revenus à la normale 24 jours après le diagnostic. Une autre étude clinique105 par IRM montre elle aussi sur cinq cas souffrant de maux de tête qui avaient motivé l’usage de l’IRM, dont trois avec anosmie, que tous présentaient un œdème soit sur un seul, soit sur les deux bulbes olfactifs. Les auteurs interprètent cet œdème comme un signe de micro-saignements du bulbe. En somme, pour mieux comprendre l’effet de la Covid-19 sur le système olfactif central, il faudra nécessairement collecter plus de données, et des images anatomiques et fonctionnelles prises au début et à la fin de la maladie. 97

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Plusieurs facteurs seront à contrôler comme l’âge des patients, leurs antécédents, la sévérité de la perte et même le stade de la maladie où ont été acquises les images. Enfin, en plus de l’épithélium olfactif, le système trigéminal peut également être touché par le SRAS-CoV-2, car les fibres du trijumeau dans la muqueuse nasale s’étendent à travers l’épithélium respiratoire et olfactif (voir chapitre 1). Une étude très récente a démontré l’affinité du SRAS-CoV-2 pour les cellules de la muqueuse respiratoire nasale : elles expriment le récepteur ACE2106. L’infection virale de l’épithélium respiratoire pourrait donc entraîner une infection et/ou un dysfonctionnement des fibres du trijumeau. Comme le système trigéminal est étroitement lié à l’odorat, tant au niveau périphérique qu’au niveau du traitement central, cela expliquerait dans certains cas une diminution de la sensibilité du trijumeau et peut-être une diminution de l’intensité perçue des odeurs. En résumé, il semble que le SRAS-Cov-2 affecte essentiellement des cellules non nerveuses de l’épithélium olfactif, même si une infection directe des neurones olfactifs ne peut pas être exclue. Les mécanismes mis en jeu sont encore à l’étude. Enfin, il sera important d’évaluer l’impact à moyen et long terme de la perte olfactive sur l’activité du système olfactif central. Avant d’introduire la prévalence (section 3 de ce chapitre) et les caractéristiques des pertes olfactives dans la Covid-19 (section 4 de ce chapitre), nous invitons le lecteur à mieux comprendre l’anosmie dans la Covid-19 en prenant connaissance de l’encadré 9 qui illustre le témoignage d’une jeune étudiante ayant perdu l’odorat durant la crise sanitaire.

3 LA PRÉVALENCE DU DÉFICIT OLFACTIF DANS LA COVID-19 En Chine, une étude107 a examiné les données de 214 patients atteints de Covid-19 du 16 janvier au 19 février 2020 dans trois hôpitaux de soins dédiés à la Covid-19 à Wuhan. L’hyposmie n’a concerné 98

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Encadré 9. Témoignage d’une personne ayant contracté une anosmie durant la pandémie Covid-19 La maladie je pense l’avoir attrapée en concert le 12 mars, et les premiers symptômes ont commencé à apparaître le 16 mars, la perte de l’odorat en premier. J’ai mis du temps à l’assimiler au Covid, j’ai mis du temps à me rendre compte vraiment que je perdais le goût et l’odorat, parce que je continuais à vivre et à manger midi et soir sans vraiment faire attention. Je n’ai pas eu de toux, ni de fièvre, j’ai eu de grosses migraines et donc tout ça a duré environ 3 semaines. Je pense m’être rendu compte au bout de 2 jours que je n’avais vraiment plus d’odorat, là je me suis inquiétée en me disant que ce n’était pas normal, et c’est là que j’ai commencé à regarder les infos et que j’ai compris, le 16 mars, que c’était un des symptômes du Covid. Pendant 2 semaines, vraiment tous les jours, j’ai essayé de sentir des choses, de manger pour voir si petit à petit je récupérais, et vraiment je n’avais plus rien. Et la dernière semaine, ça aura fait 3 semaines en tout, là je récupérais petit à petit l’odorat, j’arrivais à sentir plus de choses, et à la fin à goûter plus de choses. Avant quand je mangeais, je n’avais aucune sensation, je mangeais pour manger, quoi. J’essayais de tester, de mettre des épices, de saler plus pour voir si ça jouait sur quelque chose, mais ça ne changeait rien. J’avais vu sur Internet que sentir des épices ça pouvait réactiver un peu l’odorat, j’ai essayé mais je n’ai pas l’impression que ça ait eu un effet. C’est revenu petit à petit tout seul sur la dernière semaine. Est-ce que vous avez paniqué un peu ? Sur le coup oui, au départ c’était très particulier, j’étais bloquée au niveau du nez mais pas du tout enrhumée et, au bout de 2-3 jours, je me suis dit que c’était autre chose. Sur le coup c’était inquiétant parce que je lisais sur Internet des gens qui disaient que ça pouvait mettre beaucoup de temps à revenir, mais après c’était pas plus angoissant que la période dans laquelle on vivait, où des gens étaient beaucoup plus malades que moi, donc je n’étais pas angoissée à l’extrême. Mais c’est vrai qu’émotionnellement on n’a plus du tout de plaisir à manger, c’est limite ; moi je me forçais à manger. J’étais confinée avec mon conjoint, il n’avait pas du tout de symptômes, il fallait bien qu’il mange ! Je me forçais à manger, mais je n’avais pas envie, c’était très particulier. Je n’avais pas envie de cuisiner non plus, j’avais l’impression que j’allais mal le faire, que ce serait trop salé ou pas assez. Est-ce que cela vous a affectée dans d’autres domaines ? Difficile à dire, c’était une période anxiogène, j’ai du mal à discerner ce qui était dû au confinement, au climat anxiogène ou à la perte du goût et de l’odorat. En plus, avec les migraines, je ne faisais rien de mes journées, j’attendais que ça passe, quoi ! Les migraines ont duré 10 jours, toute la journée ; après, quelques migraines, mais ce n’était rien comparé au début. Avez-vous vu un médecin ? 99

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J’ai une amie qui est interne en médecine, je lui en ai parlé, à l’époque on ne nous poussait pas à faire des tests. J’aimerais faire une prise de sang pour voir si j’ai des anticorps, je le ferai peut-être dans les prochaines semaines. En tout cas, je n’avais pas envie d’encombrer, je n’avais pas des symptômes gravissimes, je suis juste restée enfermée 3 semaines, j’ai vu personne, j’ai attendu que ça passe. Autour de moi des gens comme moi, d’une vingtaine d’années, n’avaient pas de gros symptômes non plus, mais j’ai l’impression d’être la seule à avoir perdu l’odorat… Ça s’est su assez vite, dès la 1re semaine du confinement, avant j’en avais jamais entendu parler. La première semaine du confinement, le soir on avait la liste de tous les symptômes et au bout de 4, 5 jours ils ont commencé à parler de la perte de l’odorat et du goût et là j’ai tout de suite tilté. Dans la vie courante, vous êtes dépendante de l’odorat ? Je pense l’être parce que j’associe beaucoup les personnes à des odeurs, j’aime beaucoup le parfum des personnes, c’est quelque chose qui m’intéresse, je mettais mon parfum je ne le sentais plus, c’est un sens qui m’a manqué pendant cette période, c’était pas agréable. Sur Internet on disait qu’il fallait essayer de sentir des épices tous les jours, et j’avais vu que si ça perdurait, il fallait voir un médecin qui pourrait travailler là-dessus, que l’odorat c’était comme un muscle, qu’il fallait l’entraîner, le réactiver. Donc pendant trois semaines vous avez eu un peu peur ? Oui et quand c’est revenu petit à petit j’étais assez soulagée, ça allait revenir, je n’avais pas perdu le goût et l’odorat pour toujours. Vous avez testé si c’était revenu complètement ? Non mais maintenant on est fin juin, j’ai pas l’impression que ça me handicape au quotidien, je cuisine, je mange, je re-sens tout, je sens le parfum des personnes autour de moi, j’ai une bougie allumée chez moi, je sens son odeur, j’ai l’impression que tout est revenu en tout cas. Ninon France, étudiante

que 5,1 % des patients. Cependant, un mois plus tard, une étude en ligne menée entre le 12 et le 17 mars 2020 dans toutes les provinces d’Iran par Bagheri et al.108, et impliquant plus de 10 000 participants a montré une forte corrélation entre le nombre de personnes qui déclaraient un trouble de l’odorat dans une enquête et le nombre de patients Covid-19 recensés : plus une province compte de cas Covid19 avérés et plus le nombre de personnes anosmiques augmente dans cette province. Une autre étude en ligne menée au Royaume-Uni109 100

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entre le 24 et le 29 mars 2020 rapporte que la perte d’odorat et de goût était présente chez 59 % des individus Covid-19 positifs contre 18 % des individus négatifs au test. Au-delà de ces enquêtes, une série d’études cliniques a précisé cette prévalence par des approches autodéclarées et des tests olfactifs. Ainsi, une étude italienne de Giacomelli et al.110 menée à Milan a concerné 59 patients Covid-19 avérés dont 33,9 % ont déclaré au moins un trouble du goût ou de l’odorat. Une étude européenne de Lechien et al.111 a évalué la prévalence des troubles olfactifs et gustatifs chez des patients atteints d’une infection Covid-19 confirmée en laboratoire (les patients qui présentaient des troubles olfactifs ou gustatifs avant l’épidémie n’ont pas été inclus). Ils ont été recrutés dans 12 hôpitaux européens (Italie, Espagne, France, Belgique) et devaient remplir des questionnaires standardisés d’autoévaluation de l’odorat et du goût, ainsi qu’un questionnaire de qualité de vie. Au total, 417 patients ont participé à l’étude ; 85,6 % ont déclaré une perte olfactive : 79,6 % d’entre eux étaient anosmiques et 20,4 % hyposmiques. La fantosmie et la parosmie ont concerné respectivement 12,6 % et 32,4 % des patients. L’étude de Levinson et al.112 a été menée à Tel Aviv. Les auteurs ont évalué la prévalence des pertes olfactives et gustatives sur un échantillon de 45 patients admis dans une unité Covid-19 entre le 10 et le 23 mars 2020 ; tous étaient symptomatiques, avec une forme légère de Covid-19 confirmée par PCR. Quarante-deux patients (93 %) ont rempli un questionnaire sur la présence de ces troubles chimio-sensoriels. Au total, 15 d’entre eux (35,7 %) ont déclaré une anosmie. Une étude menée en France par Klopfenstein et al.113 a décrit la prévalence de l’anosmie chez 114 patients Covid-19 diagnostiqués par PCR, inclus rétrospectivement entre le 1er et le 17 mars 2020. Parmi eux, 47 % ont déclaré une anosmie. Aux États-Unis, Yan et al.114 ont mené une étude rétrospective sur 128 patients testés positifs à la Covid-19 et ont montré 59 % de prévalence des déficits olfactifs. 101

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En utilisant une approche psychophysique, c’est-à-dire une mesure objective de la performance olfactive, Lechien et al.115 ont examiné des patients souffrant d’anosmie et ayant subi un diagnostic PCR, des autoévaluations de l’odorat et un test olfactif. L’étude a porté sur 78 patients, dont la perte olfactive soudaine était supposée comme la première manifestation d’une possible infection par Covid-19. Au total, 35 personnes (44,9 %) ont déclaré un dysfonctionnement olfactif soudain sans obstruction nasale ni écoulement. Au cours de l’évaluation clinique, 57 personnes (73 %) ont signalé une cacosmie et 38 (48,7 %) une fantosmie. On notera que sur 46 patients, on a pu réaliser un test olfactif psychophysique, l’épreuve d’identification du Sniffin’ Sticks (16 odeurs). Les auteurs diagnostiquent une anosmie chez 52 %, une hyposmie chez 24 % et la normosmie chez 24 %. Enfin, en Iran, l’étude de Moein et al.116 a évalué l’odorat de 60 patients hospitalisés atteints de Covid-19 testés par PCR et de 60 individus contrôles, à l’aide du test olfactif UPSIT. L’étude a eu lieu à Téhéran entre le 21 mars et le 23 mars 2020, et entre le 31 mars et le 5 avril 2020. Elle montre que 98 % des patients présentaient une forme de dysfonctionnement olfactif : 25 % étaient anosmiques, 25 % avaient une hyposmie sévère, 27 % avaient une hyposmie modérée et 13 % une hyposmie légère. Un seul patient (2 %) s’est avéré normosmique. Parmi les contrôles, seuls 18 % présentaient un déficit olfactif léger, contre 82 % de normosmiques. Par autoévaluation, seulement 35 % de ces patients Covid-19 ont signalé une perte de la fonction olfactive ou gustative, confirmant l’écart entre déclarations et mesures objectives dont nous avons déjà discuté dans le chapitre 3 de ce livre. En résumé, la prévalence des pertes olfactives dans la Covid-19 varie très fortement d’un pays à l’autre : elle est faible en Chine (5 % par autoévaluation), et plus élevée en Iran (98 % par évaluation psychophysique), aux États-Unis (59 % par autoévaluation), en Israël (35,7 % par autoévaluation), en Europe (44,9 % à 85,6 % par autoévaluation, 76 % par évaluation psychophysique), en Italie (33,9 % par autoévaluation) et en France (47 % par autoévaluation). Par ailleurs, 102

CERVEAU ET ODORAT

Déficit olfactif, infection virale et Covid-19

Figure 10 | Covid-19 : prévalence des pertes olfactives selon les pays. La perte du goût est très fréquemment associée. Les femmes sont plus touchées que les hommes et les jeunes plus que les âgés.

chez les patients Covid-19 qui présentent des pertes olfactives, l’anosmie est très fréquente : 50 % et 80 % d’anosmie ou d’hyposmie sévère, le reste étant des formes plus légères de déficit olfactif. Enfin, les patients rapportent aussi des troubles qualitatifs : de 12,6 % à 48,7 % de fantosmie et 32,4 % à 73 % de parosmie selon les études. Qu’ils soient de nature quantitative (anosmie, hyposmie) ou qualitative (parosmie, fantosmie), les troubles olfactifs dans la Covid-19 sont largement plus fréquents que ceux observés dans une population indemne. La figure 10 illustre la prévalence des déficits olfactifs dans la Covid-19 dans le monde. Comment expliquer ces différences de prévalence entre études ? Plusieurs hypothèses peuvent être soulevées. Une première piste concerne les différences méthodologiques entre les différents pays. Par exemple, l’âge moyen des patients inclus varie selon les études. Un autre facteur de confusion provient de l’utilisation de différents questionnaires pour estimer le déficit olfactif. Il est également possible 103

Déficit olfactif, infection virale et Covid-19

que les déficits olfactifs aient été sous-estimés en Chine. Dans cette perspective, un effort d’homogénéisation de la manière d’évaluer les déficits olfactifs serait certainement très productif. Une deuxième explication qui vient à l’esprit est l’origine géographique des populations étudiées. Bien que les différences entre l’étude chinoise et d’autres études puissent provenir de l’approche utilisée, la différence entre les populations chinoises et européennes soulève la question de l’influence du bagage génétique ou de polymorphismes spécifiques. En effet, les gènes codant pour le récepteur ACE2 peuvent varier (polymorphisme) d’une personne à l’autre117,118, renforçant l’idée que la diversité génétique soit à l’origine de la diversité de prévalence entre les populations. Une troisième hypothèse serait que différentes souches de virus circulent simultanément. Forster et al.119 ont identifié trois variantes centrales du SRAS-CoV-2, en analysant plusieurs dizaines de génomes complets provenant d’hôtes humains et en prenant comme référence le génome du coronavirus des chauves-souris. Ainsi, outre la diversité génétique humaine, la diversité génétique virale pourrait également expliquer la différence de symptômes et de prévalence de l’anosmie entre les populations. Enfin, une quatrième piste qui expliquerait les différences de sensibilités au virus et son impact sur l’odorat impliquerait une différence anatomique concernant la largeur et le volume de la fente olfactive (située dans la partie supérieure de la cavité nasale et qui héberge entre autres l’épithélium olfactif). En effet, Altundag et al.120 rapportent qu’une fente olfactive large peut prédisposer à une perte olfactive post-virale.

4 LES CARACTÉRISTIQUES DU DÉFICIT OLFACTIF DANS LA COVID-19 Dans le but de caractériser précisément les troubles olfactifs associés à la Covid-19, notre équipe a lancé une enquête en ligne au 104

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début de la pandémie. Cette enquête était accessible à partir d’un site d’information français consacré à l’odorat et à ses dysfonctionnements (https://project.crnl.fr/odorat-info/). L’étude, coordonnée par Camille Ferdenzi, comportait une série de questions en lien avec (i) les caractéristiques des troubles chimio-sensoriels (odeur, goût, trigéminal), et (ii) l’impact de ces déficits sur la qualité de vie et la cognition des personnes touchées. Pour les troubles chimio-sensoriels, il était demandé aux participants si, globalement, leurs perceptions olfactive, gustative et trigéminale étaient altérées. Des informations sur les déficits qualitatifs (parosmie, fantosmie) étaient également collectées. Pour les déficits olfactifs quantitatifs, nous avons recueilli des informations supplémentaires incluant par exemple le type de déficits (anosmie, hyposmie), leur caractère soudain ou progressif, permanent ou fluctuant, leur origine, leur date de début et de fin si le patient s’était rétabli. Les analyses préliminaires menées sur un échantillon de plus de 1 000 personnes positives à la Covid-19 ont montré que l’anosmie complète était prédominante, avec une apparition soudaine. De plus, l’apparition du déficit olfactif était variable selon les individus, mais la date d’apparition moyenne se situait autour du troisième jour. Pour environ un tiers des participants, ce déficit olfactif était le premier ou le deuxième symptôme de la maladie (on notera que ces patients sont plus jeunes que le reste de l’échantillon). En outre, seule la moitié des patients atteints d’un déficit olfactif avait retrouvé son odorat (en moyenne au bout de 10 à 15 jours). Pour les patients qui n’avaient pas encore retrouvé leur odorat, certains l’avaient perdu depuis deux mois déjà ; par ailleurs, ceux dont la durée de la perte olfactive est plus longue sont généralement plus âgés. À ce stade de l’écriture du livre, l’analyse des effets du déficit olfactif sur la qualité de vie et sur la cognition n’est pas encore complète. Une fois publiés, ces résultats seront présentés sur notre site internet d’information sur l’odorat (https://project.crnl.fr/odorat-info/). Nous invitons les lecteurs à le consulter. 105

Déficit olfactif, infection virale et Covid-19

Dans la même veine, notre équipe a également participé à une étude internationale en ligne (smelltracker.org) qui consistait à permettre aux personnes d’autoévaluer leur odorat en pleine crise sanitaire (le site était disponible à partir du mois d’avril 2020). Le projet a impliqué dix laboratoires dans le monde et l’étude en ligne a été traduite en quinze langues. Elle consistait en un test destiné aux personnes malades ou pas de Covid-19 et permettait une évaluation quotidienne de leur odorat en sentant cinq articles (par exemple fromage, moutarde…) que l’on peut trouver dans son réfrigérateur ou ses placards. Les participants à l’enquête devaient évaluer l’intensité perçue et le caractère émotionnel de chacun de ces cinq odorants. À la fin du test, ils pouvaient avoir une idée de leur performance olfactive par rapport à une norme. À ce jour, l’étude a impliqué plus de 10 000 participants. C’est de loin la première étude à collecter des données perceptives (les participants sentaient de vraies odeurs) et à les relier à la maladie Covid-19 sur un échantillon aussi grand. Une première partie des données acquises en Suède a été analysée et les résultats issus de près de 2 500 personnes ont été publiés récemment121. Un résultat d’intérêt de cette enquête est que les personnes qui présentaient des symptômes de Covid-19 avaient un niveau d’intensité perçue olfactive significativement plus bas que les participants sans symptômes. Cette première analyse suggère ainsi que des mesures aussi simples que l’intensité olfactive, si elles sont obtenues sur un échantillon important et représentatif, pourraient servir d’indicateur de la maladie Covid-19 dans la population générale. Une question d’importance est de savoir si ces pertes olfactives dans la Covid-19 sont les seuls déficits chimio-sensoriels que développent les patients, ou si l’anosmie et l’hyposmie peuvent s’accompagner de pertes gustatives ou de sensibilité trigéminale intranasale, comme de nombreux témoignages le suggèrent. Pour répondre à cette question, notre équipe a participé à une seconde étude internationale menée par le consortium GCCR (Global Consortium for Chemosensory Research). Ce consortium regroupe plus de 600 chercheur(e)s dans 106

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plus de 50 pays. Il a été créé au début de la pandémie et vise à mieux comprendre les troubles de l’odorat mais aussi du goût et de la sensibilité trigéminale associés avec la Covid-19. L’enquête consistait en un questionnaire relativement court et disponible en plus de 30 langues. Elle était destinée aux personnes diagnostiquées positives à la Covid-19, soit par des tests de laboratoire, soit par une évaluation clinique. En seulement une dizaine de jours de collecte, plus de 4 000 personnes avaient répondu à cette étude122. Les résultats ont montré qu’en plus de l’odorat, les sensibilités gustatives et trigéminales étaient significativement réduites durant la maladie. En d’autres termes, outre la baisse de sensibilité olfactive, les personnes touchées avaient également du mal à percevoir les goûts sucrés, salés, etc. et étaient moins sensibles aux stimulations trigéminales (le chaud véhiculé par les piments par exemple). Autre résultat important : la perte d’odorat n’était pas reliée à une obstruction nasale comme c’est généralement le cas dans d’autres anosmies post-virales. Ces données confirment donc que la déficience chimio-sensorielle associée à Covid-19 ne se limite pas à l’odorat, elle affecte tous les sens chimiques. Prises dans leur ensemble, ces données sont cohérentes avec les études que nous avons citées en section 3 de ce chapitre : dans la majorité des cas, la perte olfactive dans la Covid-19 apparaît de manière soudaine. Elle ne constitue pas toujours le premier symptôme identifié par les patients, mais ils en prennent conscience dès le troisième jour après le début de l’infection pour certains. Par ailleurs, on observe dans la plupart des études une forte association entre perte de l’odorat et perte du goût (voire perte de sensibilité trigéminale lorsqu’elle a été mesurée). La perte olfactive dans la Covid-19 est rarement associée à une obstruction nasale. En outre, les études publiées à ce jour suggèrent également que la perte de l’odorat affecte différemment les femmes et les hommes : les femmes sont significativement plus touchées que les hommes. Les effets de l’âge sont plus subtils à interpréter : si la perte olfactive semble toucher les personnes les plus jeunes, la durée de la perte est 107

Déficit olfactif, infection virale et Covid-19

significativement plus longue chez les personnes plus âgées. Enfin, la question de la récupération de la perte olfactive dans la Covid-19 reste la plus complexe aujourd’hui. Les données actuellement disponibles ne nous permettent pas de préciser quelles sont les chances de récupération. Alors que certaines études suggèrent que dans leur grande majorité, les patients récupèrent leur odorat, d’autres études comme l’enquête française coordonnée par Camille Ferdenzi montrent que beaucoup tardent à le retrouver : un suivi à plus long terme sera nécessaire pour évaluer si une partie des patients ne récupère pas (ou pas totalement). Un des problèmes que posent ces données est qu’elles sont basées sur une autoévaluation du patient. Si ce dernier avait une anosmie, et qu’après quelques jours il a le sentiment de mieux sentir, ceci ne signifie pas forcément qu’il est redevenu normosmique. Un changement de statut d’anosmie vers l’hyposmie peut lui donner le sentiment qu’il a récupéré son odorat. Il est donc nécessaire d’approfondir ce champ de recherche avec des évaluations psychophysiques qui permettront d’objectiver ces pertes olfactives lors de séances de suivi des patients.

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CERVEAU ET ODORAT

CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES

Nous avons vu au long de ce livre que l’odorat se nourrit d’informations chimiques : les molécules volatiles présentes dans notre environnement et qui remplissent certaines propriétés physicochimiques ont une chance d’être détectées par nos récepteurs olfactifs situés dans la cavité nasale. Une fois que les molécules odorantes se sont liées aux récepteurs olfactifs, l’information est transmise au bulbe olfactif puis aux régions olfactives primaires – cortex piriforme, amygdale – et secondaires (cortex orbito-frontal entre autres). Nous avons vu aussi qu’il n’y a pas de perception vraiment stable dans cette modalité, où la variation est la règle et non pas l’exception. Même s’il existe des réactions quasi universelles à certaines odeurs, nos réponses dépendent de notre état interne, de nos motivations actuelles, de nos expériences passées, de notre âge et de notre genre, et bien entendu de notre culture et du contexte dans lequel nous les percevons, consciemment ou non. Ces différentes réactions engendrent des comportements d’évitement ou d’approche, presque toujours connotés émotionnellement. Dans le sens négatif, une odeur peut fournir un signal d’alarme pour détecter des dangers dans notre environnement. Notre système olfactif détecte les aliments pourris ou moisis, les odeurs de polluants industriels ou les additifs au gaz de ville, ce qui nous alerte en cas de 109

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danger. Dans le sens positif, l’odorat a le rôle décisif d’une source de plaisirs et d’émotions conscients ou non. Inversement, nous avons vu que la perte ou la détérioration de cette source de plaisir et de cette boussole hédonique peut avoir des effets considérables sur la qualité de vie. Ces effets qui vont jusqu’à la dépression mettent en lumière la face cachée, si peu consciente, de l’odorat, que toute une idéologie datant du xixe siècle a considéré comme inessentiel, surnuméraire. Cette conception est encore très répandue dans le milieu médical, comme l’attestent des témoignages de patients anosmiques. Il y a là un enjeu de formation et aussi de recherche : il faut non seulement essayer des traitements mais les mener en double aveugle, comme les autres études cliniques. Il faut renforcer la recherche sur les médicaments qui altèrent l’odorat et le goût, et en informer patients et prescripteurs. L’éducation de l’odorat est aussi un enjeu, comme prise de conscience alimentaire pour les enfants qui sont de plus en plus cernés par l’obésité, comme support au bien manger et comme éducation esthétique. En termes de santé publique, rappelons que les troubles quantitatifs touchent environ 20 % de la population dans le monde avec des proportions d’anosmie allant de 1 à 5 %. La prévalence des pertes quantitatives augmente avec l’âge et avec certaines pathologies comme les maladies neurodégénératives d’Alzheimer, de Parkinson. Les causes de ces pertes olfactives sont multiples : congénitales, sinonasales, post-traumatiques et post-infectieuses. Parmi ces dernières, l’anosmie post-virale est la plus fréquente. Concernant la perte de l’odorat dans la Covid-19, le premier message à retenir est que, bien qu’elles fassent partie des symptômes de la maladie, la prévalence de l’anosmie et de l’hyposmie chez les personnes atteintes de Covid-19 varie considérablement d’un pays à l’autre, allant de 5 % en Chine, à 30-80 % en Europe, et même 98 % en Iran. Les différences génétiques, les choix méthodologiques ou des différences de souches virales peuvent contribuer à ces fortes variations. 110

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Déficit olfactif, infection virale et Covid-19

Deuxièmement, nous avons montré que, bien que la perte de l’odorat ne soit pas le premier symptôme à apparaître chez les patients atteints de Covid-19, elle est généralement soudaine après quelques jours et souvent associée à une perte de goût. Les pertes olfactives touchent plus souvent les femmes et les jeunes, mais chez les personnes âgées elles durent plus longtemps. Pour l’instant, il n’y a pas assez de recul pour comprendre pleinement les conséquences à long terme de cette perte d’odorat et les perspectives de récupération pour ceux qui ne se rétablissent pas rapidement, en quelques jours. Il faudra des études longitudinales pour étudier cette question, sachant que les pertes olfactives de longue durée s’accompagnent d’une grave diminution de la qualité de vie. Troisièmement, en ce qui concerne les mécanismes possibles de l’impact du virus sur l’odorat, la littérature suggère que les cellules de soutien et/ou basales de l’épithélium olfactif sont les plus touchées, conduisant à une altération indirecte de la fonction olfactive. Mais on ne peut pas exclure que les neurones sensoriels olfactifs euxmêmes soient aussi infectés par le virus. Dans ce cas, les dommages pourraient s’étendre au niveau cérébral avec la propagation du virus dans les zones corticales, ou bien la destruction des neurones récepteurs pourrait au contraire empêcher la propagation au-delà de la muqueuse. Cela entraînerait une perte olfactive de longue durée. Au pire, si la population de cellules souches est entièrement détruite chez certains patients, ceux-ci pourraient ne pas recouvrer complètement leur odorat. Le quatrième point à considérer concerne les effets d’une perte soudaine de l’odorat (et peut-être du goût) sur la qualité de vie des patients, souvent déjà affectés par les autres symptômes de la maladie. Là encore, des recherches supplémentaires sont nécessaires pour comprendre l’impact à long terme pour ces patients et les options de traitement possibles. La question de la récupération de la perte d’odorat après Covid-19 reste la plus incertaine aujourd’hui. L’un des problèmes est que les données actuelles sont basées sur l’autoévaluation 111

Déficit olfactif, infection virale et Covid-19

des patients. Un changement de statut, de l’anosmie à l’hyposmie, peut donner au patient le sentiment que son odorat est rétabli. Il est donc nécessaire d’approfondir ce champ de recherche en suivant les patients avec des tests psychophysiques pour chiffrer l’évolution des pertes olfactives. Ainsi, il faudra du temps et du recul pour appréhender pleinement les mécanismes, ainsi que les effets à court et à long terme de la Covid-19 sur la perception de l’odorat et du goût. L’acquisition d’une meilleure connaissance des troubles olfactifs liés à Covid-19 a des implications considérables. À court terme, le lien étroit entre les troubles olfactifs et Covid-19 – associé au fait que les troubles olfactifs peuvent parfois être le seul symptôme observable de la maladie – devrait inciter les personnes à s’isoler et à cesser de travailler si elles perdent soudainement leur odorat, pour limiter la propagation de la maladie. À plus long terme, établir sur de grands échantillons des liens entre des observations épidémiologiques détaillées et les déficits olfactifs clarifierait les mécanismes d’action du virus. Enfin, un autre défi consistera à suivre attentivement la manière dont les patients se remettent de leur perte olfactive et à déterminer dans quelle mesure celle-ci pourrait être néfaste pour leur qualité de vie. Comme les pertes olfactives post-virales peuvent parfois être graves et durables, cette question pourrait devenir, vu le nombre élevé de personnes touchées par la Covid-19 dans le monde, un effet secondaire important de la pandémie sur la santé psychologique des patients. Un effet secondaire non négligeable, dont nous espérons qu’il ne sera pas rapidement effacé par l’oubli, c’est la prise de conscience de l’importance de l’odorat pour l’espèce humaine. Il reste beaucoup à faire pour le sortir de l’ignorance et faire connaître son importance réelle. En réponse à la Covid-19, de nombreux gouvernements ont pris des mesures sans précédent en temps de paix pour éviter aux hôpitaux un débordement des unités de soins intensifs et de réanimation. En raison du lourd impact sociétal et économique de mesures comme le confinement que nous avons connu en France entre le 17 mars 2020 112

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et le 11 mai 2020, il sera nécessaire dans un futur proche de mettre en place des moyens et protocoles dédiés pour mieux prévoir la propagation de la maladie. Ces nouveaux outils seront extrêmement utiles pour évaluer l’efficacité des mesures de confinement, mais aussi pour définir des stratégies de déconfinement adaptées. C’est dans cette optique que notre équipe, celles de Denis Pierron à Toulouse, et de Jérôme Golebiowksi à Nice, ainsi que d’autres membres du consortium international GCCR, avons testé l’hypothèse que pendant la crise sanitaire, mesurer en continu les pertes du goût et de l’odorat au niveau de la population française pourrait aider à évaluer l’efficacité du confinement en France123. Nous avons montré sur un échantillon de plus de 5 000 personnes que les changements chimio-sensoriels (odorat et goût) pouvaient refléter non seulement des effets du confinement à court terme mais également à plus long terme en prédisant la surcharge dans les hôpitaux français. En effet nous avons montré, dès cinq jours après l’application du confinement, une diminution significative de l’apparition de nouveaux symptômes « pertes d’odorat et de goût », ce qui plaide en faveur d’un effet rapide du confinement sur la pandémie. De manière intéressante, nous avons observé les mêmes résultats dans un pays, l’Italie, qui a pris des mesures de confinement strictes comme le nôtre alors qu’au Royaume-Uni, avec des mesures moins contraignantes, l’effet du confinement sur ces symptômes a été moins rapide. Sur le long terme, nous avons montré que plus une région française présentait de cas de modification de l’odorat ou du goût à un temps donné, plus la surcharge des hôpitaux (personnes hospitalisées, en réanimation ou décédées) dans cette région était élevée quelques semaines plus tard. La corrélation est si forte que le seul indice « perte d’odorat et de goût » pouvait quasiment prédire la couleur « rouge » (déconfinement strict) ou « verte » (déconfinement moins strict) d’une région donnée. Prises ensemble, ces données suggèrent que les décideurs en santé publique pourraient ainsi suivre les changements de perte d’odorat et de goût au niveau populationnel afin de les utiliser, en combinaison avec 113

Conclusions et perspectives

d’autres indices, comme indicateur de la pandémie de Covid-19 et de son effet sur le stress hospitalier. Pour conclure ce livre, et au-delà de la Covid-19, la perspective la plus enthousiasmante dans le domaine de la restauration de l’odorat est le développement d’une prothèse olfactive. Les paradigmes actuels de restauration des fonctions sensorielles se sont concentrés principalement sur le développement d’implants. Pour le système auditif, les implants cochléaires, basés sur la stimulation électrique de la cochlée, permettent aux déficients auditifs de percevoir la parole. Cependant, l’apprentissage de la compréhension de la parole par stimulation électrique est une expérience nouvelle et difficile pour les receveurs. Malgré l’amélioration des techniques, les résultats varient considérablement d’un patient à l’autre, au point que de nombreux sourds ont besoin de plusieurs mois ou années pour atteindre une perception satisfaisante. C’est un entraînement individuel qui permet d’obtenir cette performance maximale, ce qui suggère que la plasticité neurale en est un déterminant décisif. Pour la vision, il existe des dispositifs qui stimulent électriquement des sites de la voie visuelle, et qui restaurent une vision très limitée. Ainsi, la stimulation de la rétine rend possible la localisation de sources lumineuses et/ou la détection de mouvements, la stimulation du nerf optique permet, après un entraînement suffisant, la reconnaissance de formes complexes. Enfin, le concept d’implant cortical dans le cortex visuel est encore en développement. Pour le système vestibulaire – l’équilibre –, les dispositifs d’implantation vestibulaire s’inspirent du principe de l’implant cochléaire et comprennent des capteurs de mouvement fixés à la tête ainsi qu’un stimulateur et un processeur électroniques qui traduisent les informations d’entrée (mouvements) en une impulsion électrique transmise au cerveau par des électrodes implantées près des terminaisons nerveuses vestibulaires. La restauration de la fonction vestibulaire est prometteuse. Ainsi, même si le niveau de maturité technologique est beaucoup plus avancé pour la modalité auditive que pour les systèmes visuel et vestibulaire, quelle que soit 114

Conclusions et perspectives

la modalité, on constate que la restauration de la perception ciblée n’est ni rapide ni infaillible aux lois de la variabilité interindividuelle : il n’y a pas de récupération totale de la perception par des prothèses sensorielles et, quelle que soit la modalité sensorielle, il est nécessaire de s’entraîner avec le dispositif pour atteindre une perception optimale. Cela devrait certainement s’appliquer à l’olfaction lorsqu’une telle technologie sera disponible. Comme nous l’avons vu plus haut, les paradigmes actuels utilisés pour restaurer la perception des odeurs comprennent la médication, la chirurgie et l’entraînement – mais pas encore les prothèses. L’entraînement olfactif est un outil prometteur actuellement disponible, bien que son efficacité n’ait pas encore été démontrée pour tous les patients. Même si elle est demandée par les personnes souffrant de perte d’odorat, une technologie sous forme de prothèse ou d’implant olfactif n’existe pas encore. C’est une perspective clairement futuriste mais que la science et la technologie vont sans aucun doute bientôt pouvoir approcher (figure  11). C’est le prochain défi des sciences olfactives.

Figure 11 | L’avenir des sciences olfactives. L’olfaction artificielle au service de l’anosmie ?

115

POSTFACE

En présentant le rôle et le fonctionnement de l’odorat, et en répondant aux idées reçues sur ce sens olfactif méconnu, les Dr Catherine Rouby et Moustafa Bensafi nous dressent l’état des connaissances actuelles. La lecture de leurs recherches nous fait réaliser combien – du fait de la nature même de ce sens – a été nécessaire une approche multidisciplinaire de neurobiologie faisant intervenir chimistes, biochimistes, généticiens et psychologues pour progresser dans la compréhension de l’odorat. Ainsi, les progrès de ces disciplines conjuguées permettent aujourd’hui peu à peu de distinguer les différentes étapes du processus olfactif. De la molécule au cerveau, du stimulus chimique jusqu’à l’émotion, il devient possible peu à peu de mieux comprendre l’expérience olfactive. Par la lecture de cet ouvrage, nous réalisons l’importance quotidienne de l’odorat : elle se révèle à toute personne qui le perd même pendant quelques jours, alors qu’il est si souvent considéré comme un sens mineur. L’épidémie de Covid-19 et la perte olfactive associée font apparaître le même témoignage à travers le monde : l’absence des odeurs, qu’elles soient dites « bonnes » ou « mauvaises », peut plonger l’individu affecté dans le doute et la perte de confiance concernant son hygiène corporelle, ou bien dans une mélancolie liée au fait de 117

Déficit olfactif, infection virale et Covid-19

se nourrir d’aliments ayant perdu tout arôme. Par sa disparition, l’odorat nous révèle sa présence, son importance, mais surtout son universalité. En tant qu’humains, nous partageons le rejet instinctif provoqué par une odeur nauséabonde ou au contraire la mise en appétit évoquée par le parfum de notre plat préféré. Les auteurs de l’ouvrage soulignent l’universalité mécanistique et émotionnelle de cette expérience olfactive et pourtant les recherches exposées et synthétisées nous montrent bien que cette universalité se heurte à une variabilité des déclencheurs. Autrement dit, l’émotion est commune, la mécanistique est commune, mais les molécules n’ont pas toutes une signification universelle. La madeleine chère à Proust prendra la forme d’une brioche pour les uns ou du ranovola2 pour les autres. La combinaison de facteurs génétiques, épigénétiques, culturels et environnementaux individualise l’expérience olfactive. Mais allant au-delà de ces différences individuelles, les auteurs nous obligent à considérer la versatilité de nos propres sensations et émotions lors d’une exposition à une molécule particulière. En effet, pour la même molécule aux mêmes concentrations, et dans le même environnement, nous n’aurons pas invariablement la même expérience olfactive selon notre état physiologique et psychologique. Notre appétit, notre humeur, nos hormones varient au cours du temps et influencent notre perception et le ressenti des molécules odorantes. Une odeur « agréable » peut devenir « désagréable », une odeur forte peut s’atténuer. En soulignant cette variabilité et versatilité, on appréhende la détresse du chercheur qui veut comprendre le fonctionnement de l’odorat par des expérimentations simples et répétables, quelle que soit la molécule ou l’humeur du participant ! Cette difficulté se dresse comme un obstacle dans l’avancement des connaissances et est souvent considérée comme un bruit inhérent : à éliminer pour faire des 2.  « Eau d’argent », boisson traditionnelle malgache, réalisée à partir de l’eau de cuisson du riz. 118

CERVEAU ET ODORAT

Déficit olfactif, infection virale et Covid-19

progrès substantiels dans notre compréhension. Ainsi un des principaux axes de recherche est d’identifier les éléments chimiques qui donneront à une molécule odorante des qualités spécifiques (fruitée, boisée, etc.). Alors comment identifier ces molécules ou groupes de molécules « fruitées » ou « boisées » si une même personne peut percevoir cette molécule différemment en fonction du moment ? Cette variabilité inéluctable oblige à de laborieuses répétitions des mêmes expériences plusieurs fois par participant et sur un grand nombre de volontaires afin de faire des moyennes pour identifier les invariants. Mais on sait combien les moyennes ont l’inconvénient de masquer des différences intéressantes. Et au fil des analyses, cette variabilité apparaît aujourd’hui non plus comme du bruit, mais comme l’une des caractéristiques fondamentales de ce sens et un objet d’étude majeur. Grâce aux nouvelles méthodes de fouille des données, l’accès à la variabilité et à la versatilité nous ouvre une possibilité de mieux comprendre la modulation du signal et ainsi les fonctions originelles de l’odorat, c’est-à-dire de passer du « comment » au « pourquoi ». Mais pour appréhender le « pourquoi », il est important de réaliser que l’utilisation que nous faisons de l’odorat a évolué au cours des derniers siècles, millénaires et surtout millions d’années. Notre physiologie évolue tellement moins vite que notre mode de vie, qu’il en résulte de nombreuses mésadaptations entre notre odorat et notre façon de vivre. Ainsi il est probable que la base des circuits neurobiologiques et d’une grande partie de notre répertoire olfactif soit encore celle de primates vivant dans les forêts luxuriantes africaines. Notre répertoire olfactif et les émotions associées restent ainsi fortement conditionnés par le besoin d’identifier et de consommer les fruits disponibles, d’éviter les plantes toxiques et d’éventuels prédateurs dans ce milieu tropical. À partir de cette base, un profond remodelage des circuits neurobiologiques s’est produit dans le genre homo avec l’expansion du cerveau. Au cours des derniers millions d’années, des changements de mode de vie « récents » comme la consommation de viande, la cuisson, le peuplement d’environnements froids et secs, 119

Postface

ont créé de nouvelles pressions de sélection sur notre odorat. Mais les changements modernes (depuis moins de 10 000 ans), tels que la consommation de produits agricoles, la vie sédentaire dans des maisons, n’ont pu affecter qu’à la marge les circuits olfactifs. Ainsi pour comprendre l’éventuelle fonction de telle ou telle caractéristique olfactive, il est probable qu’il faut tout autant étudier le mode de vie des grands singes, des Australopithèques ou des premiers homo que le mode de vie des volontaires participant aux expérimentations dans les laboratoires de recherche modernes. Avec ce cadre temporel en tête et en associant les progrès en neurobiologie et anthropologie, il est probable que nous puissions peu à peu répondre à l’interrogation de Charles Darwin qui, dans le dernier chapitre de la dernière édition de son livre qui a révolutionné la biologie3, se demande pourquoi certaines odeurs nous sont devenues agréables. Et pour paraphraser le défenseur de la froide théorie de la survie du « plus apte » : chercher à comprendre pourquoi les premiers êtres vivants ont commencé à ressentir du plaisir, exposés à certaines odeurs, formes ou couleurs, ce n’est rien de moins que chercher l’origine de la beauté. Denis Pierron Anthropologue, CNRS Université Toulouse III- Paul Sabatier

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GLOSSAIRE

2019-nCoV : voir SRAS-CoV-2. Agents pathogènes  : qui provoquent ou peuvent provoquer directement ou indirectement une maladie. Agueusie : perte du goût. Allèles : différentes versions d’un même gène ; chaque allèle se distingue par une ou plusieurs différences par rapport au gène original. Anamnèse : histoire de la maladie qui décrit les antécédents médicaux et l’historique de la plainte du patient. Anosmie : absence totale d’odorat. Anosmie fonctionnelle : l’odorat fonctionne si faiblement qu’il n’a aucune utilité dans la vie quotidienne. Anosmie spécifique  : incapacité de percevoir une molécule particulière, du fait de l’absence d’un type de récepteurs aux molécules odorantes. ARN (acide ribonucléique) : acide nucléique présent chez pratiquement tous les êtres vivants, et aussi chez certains virus ; chimiquement proche de l’ADN (synthétisé à partir d’un ADN dont il est une copie). Atrophie (s’atrophier) : diminuer de volume, dépérir, se dégrader. Axone : prolongement du neurone qui conduit le signal électrique (potentiel d’action) du corps cellulaire vers la terminaison synaptique ; les axones des neurones olfactifs rejoignent le bulbe olfactif par les trous de la lame cribriforme (figure 2B).

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Glossaire

Biopsie : prélèvement d’un fragment de tissu ou d’organe afin de l’analyser au microscope ou par une autre technique. Cacosmie : toutes les odeurs sont perçues désagréables. Cellule multipotente  : capable de se différencier en plusieurs types de cellules différents. Congénital : qui est présent à la naissance. Coronavirus : famille de virus caractérisés par leur forme en couronne. Corps cellulaire : partie centrale d’une cellule, qui comporte le noyau. Covid-19 : maladie à coronavirus 19 déclarée le 12 mars 2020 comme une pandémie par l’OMS. Dendrite : expansion du neurone transportant les influx nerveux généralement depuis une synapse vers le corps cellulaire ; la dendrite des neurones olfactifs porte les cils (figure 2B). Électro-encéphalographie (EEG)  : méthode d’exploration cérébrale qui mesure l’activité électrique du cerveau par des électrodes placées sur le cuir chevelu. Épithélium : cellules étroitement juxtaposées formant un tissu. Gène : séquence d’ADN qui code pour une protéine. Héritabilité : mesure de la part de variabilité d’un trait phénotypique qui, dans une population donnée, est due aux différences génétiques entre les individus composant cette population. Homéostasie : capacité d’un organisme à maintenir l’équilibre de son milieu intérieur, quelles que soient les contraintes et variations externes. Hyperlipidémie : augmentation des lipides contenus dans le sang (cholestérol, etc.) Hyperosmie : sensibilité particulièrement aiguë aux odeurs. Hyposmie  : performance olfactive diminuée par rapport à la moyenne d’une population. Idiopathique : adjectif utilisé en médecine qui indique soit un symptôme existant par lui-même (c’est-à-dire sans lien avec une autre maladie), soit une maladie ou symptôme dont on n’a pu déterminer la cause. Immunodépression : abaissement des défenses immunitaires ; la grossesse nécessite un abaissement des défenses immunitaires ou immunodépression afin de ne pas rejeter le fœtus qui est assimilé à un « corps étranger » par l’organisme de la mère ; la femme enceinte est donc plus sensible aux infections. Ipsilatéral – Controlatéral : du même côté du corps – du côté opposé.

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Glossaire

IRM anatomique (IRM) : l’imagerie par résonance magnétique est un examen qui permet d’obtenir des vues en deux ou trois dimensions de l’intérieur du corps ; l’IRM donne des informations sur des lésions qui ne sont pas visibles sur les radiographies standards, l’échographie ou le scanner. IRM fonctionnelle (IRMf) : application de l’imagerie par résonance magnétique permettant de visualiser, de manière indirecte, le fonctionnement du cerveau. Living lab : laboratoire d’innovation ayant pour but de tester des hypothèses scientifiques dans un contexte expérimental contrôlé se rapprochant le plus possible de conditions écologiques. Maladies neurodégénératives : maladies chroniques progressives qui touchent le système nerveux central en s’attaquant plus spécifiquement à certains circuits et fonctions : par exemple la mémoire pour la maladie d’Alzheimer, le contrôle des mouvements pour la maladie de Parkinson, qui sont les maladies neurodégénératives les plus répandues. Matière grise : la matière grise du cerveau contient les corps cellulaires des cellules nerveuses (neurones) alors que la matière blanche contient les fibres nerveuses (axones des neurones). MERS-CoV : virus appartenant à la famille des coronavirus, responsable de l’épidémie de syndrome respiratoire du Moyen-Orient en 2012. Myéline (myélinisé) : substance lipidique et protidique qui forme la gaine recouvrant certaines fibres nerveuses et permet une meilleure conduction de l’influx nerveux. Néophobie : consiste en un refus de goûter certains aliments ou groupes d’aliments, par peur de manger et d’essayer de nouveaux mets. Neurogenèse : génération de nouveaux neurones. Normosmie : performance olfactive moyenne dans une population. Odeurs micro-encapsulées : la micro-encapsulation est un procédé par lequel on enferme un produit (molécules odorantes par exemple), dans des microparticules. ORL (Oto-Rhino-Laryngologie) : spécialité médicale des maladies du nez, de la gorge et des oreilles. Parosmie : les odeurs perçues sont déformées. Patrimoine (bagage) génétique : l’ensemble du génome d’un organisme, c’est-à-dire les différents allèles des gènes que possède cet individu.

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Glossaire

PCR (Polymerase Chain Reaction) : méthode d’amplification permettant d’obtenir un grand nombre de copies d’un fragment d’ADN ; utilisée pour diagnostiquer la présence d’un virus (par exemple, SRAS-CoV-2) via un prélèvement naso-pharyngé (gorge, nez, nasopharynx) qui se fait à l’aide d’un petit écouvillon (goupillon) inséré dans le nez. Fantosmie ou phantosmie  : perception d’odeurs fantômes, en l’absence de stimulus. Plasticité neurale : capacité du système nerveux (et des neurones qu’il contient) à se modifier selon les stimulations qu’il reçoit. Poids moléculaire (masse moléculaire) : somme des masses atomiques des éléments dont est formée une molécule. Polymorphisme génétique  : existence de plusieurs états alternatifs de l’ADN, ou allèles, en une position définie du génome, ou locus, dans une population donnée. Post-traumatique : succède à un traumatisme physique (accident, chute, etc.). Potentiel d’action (PA) : élément de base du message nerveux ; on peut l’assimiler aux lettres de l’alphabet composant un message écrit ou aux bips d’un message codé en morse ; le message nerveux est codé en fréquence de PA. Potentiel évoqué olfactif  : onde cérébrale obtenue après une moyenne de plusieurs enregistrements EEG en réponse à la présentation d’une odeur ; le potentiel évoqué olfactif comporte une composante précoce (qui reflète le traitement physique de la molécule odorante) et une composante tardive (qui reflète le traitement cognitif de l’odeur). Potentiel positif tardif : voir potentiel évoqué olfactif. Prévalence  : nombre de cas d’une maladie dans une population à un moment donné. Protéines de transport (des molécules odorantes) : protéines facilitant la diffusion des molécules odorantes du mucus vers les récepteurs olfactifs. Psychophysique : branche de la psychologie expérimentale qui cherche à déterminer les relations quantitatives qui existent entre les propriétés physiques d’un stimulus sensoriel et la perception. Rhinovirus : chez l’être humain, le rhume est généralement lié à un rhinovirus. SRAS-CoV : virus appartenant à la famille des coronavirus, responsable de l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère en Asie en 2002.

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SRAS-CoV-2 : virus appartenant à la famille des coronavirus ; d’abord nommé 2019-nCoV, il a ensuite été rebaptisé SRAS-CoV-2, responsable de la pandémie de Covid-19 en 2019-2020. Synapse : contact entre neurones qui permet la transmission du message nerveux ; par exemple dans les glomérules (figure 2B). Transduction : transformation par les cellules sensorielles d’une information physique ou chimique en un signal nerveux électrique. Trigéminal : lié à l’une des fonctions du nerf trijumeau. Trijumeau : Ve nerf crânien comprenant 3 branches (voir figure 1). Virion  : Particule infectieuse d’un virus, formée d’un acide nucléique et de protéines. Virus Influenza/Parainfluenza humain  : virus à l’origine de certaines formes de grippes saisonnières chez l’être humain. Vision trichromatique : vision en trois couleurs, c’est-à-dire reposant sur trois types de cônes dans la rétine, dont la combinaison permet de différencier des millions de nuances colorées. Voie orthonasale : passage de l’air par le nez puis les voies respiratoires, par respiration ou flairage. Voie rétronasale : passage de l’air de la bouche au nez, principalement en mangeant. Voies respiratoires supérieures  : conduits et cavités amenant l’air aux poumons (bouche, nez, gorge, larynx et trachée).

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