Cahiers du Cinéma N° 302 - 07/1979

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Cahiers du Cinéma N° 302 - 07/1979

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CAHTERS DU CINEMA 302 Se]

SOMMAIRE/REVUE

MENSUELLE/JUILLET-AOUT

.

is

yw th.

fhe Ms t V lyons

1979

pA

CAIIERS DU CINEMA COMITE DE DIRECTION Serge Daney Jean Narboni Serge Toubiana REDACTEUR Serge Daney

FRANCIS EN CHEF

COMITE DE REDACTION Alain Bergala Jean-Claude Biette Bernard Boland Pascal Bonitzer Jean-Louis Comolli Daniéle Dubroux Thérése Giraud Jean-Jacques Henry Pascal Kané Yann Lardeau Serge Le Péron

Jean-Pierre Oudart Louis Skorecki

JUILLET-AOUT 1979

Ne 302 COPPOLA

ET « APOCALYPSE

NOW »

Au coeur des ténébres, par Serge Toubiana

p.5

Entretien avec Francis Coppola, par David Alper et Lise Bloch-Morhange

p.7

CANNES

1979

Festival, tribune, vitrine, par Serge Toubiana

p. 25

«Le cinéma du monde », par Daniéle Dubroux

p.29

Les anciens et le nouveau, par Serge Le Péron

.

p. 33

Les objets et les coups, par Nathalie Heinich

p. 37

A propos de Dalla Nube alla Resistenza (Straub-Huillet), par Jean-Pierre Oudart

p. 43

Les minutes d'un colloque (« Création et techniques »), par Serge Daney

p.44

EDITION Jean Narboni

LETRE-ANGE AU CINEMA

DOCUMENTATION, PHOTOTHEQUE

Evanouissements, par Alain Bergala

p. 47

Lenfant, I'ange, l'extermination et le crime, par Jean Louis Schefer

p. 53

Claudine

Paquot

CONSEILLER SCIENTIFIQUE Jean-Pierre Beauviala MAQUETTE Daniel et Co ADMINISTRATION Clotilde Arnaud

17, Bld. Poissonniére

261.51.26

La Drélesse

(J. Doillon), par Serge Daney

p. 56

L'Hypothése du tableau volé (R. Ruiz), par Yann Lardeau

p. 58

La Vengeance d'un acteur (Ichikawa

p. 61

K.,) par Charles Tesson

Les Saeurs Bronté (A. Téchiné), par Bernard Boland

ABONNEMENTS Patricia Rullier PUBLICITE Publicat

CRITIQUES

p. 62

PETIT JOURNAL

75002

GERANT Serge Toubiana

Nicholas Ray

p. 63

Lettre de Hollywood, par Bill Krohn

p. 64

Monte Hellman 4 Cannes

p. 66

La crise du cinéma francais dans ta presse, par Serge Toubiana

p. 67

FESTIVALS

p. 68

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Serge Daney

2.

Les manuscrits

1. Digne, par Yann Lardeau

Sceaux, par Marie-Christine Questerbert

p. 69

rendus. Tous droits réservés. Copyright by Les Editions de l'Etoile.

La Noce, film tunisien, par Abdelwahab Meddeb

p. 70

HOLOCAUSTE (suite). Point de vue, par Jean Baudrillard

p. 72

mensuelle éditée par fa s.art.

Ce journal contient un encart-abonnement numéroté de | a IV au milieu du numéro

ne sont pas

CAHIERS DU CINEMA - Revue Editions de |'Etoile. Adresse : 9, passage de la BouleBlanche (50, rue du Fbg-St-Antoine),

Administration - Abonnements : 3343.98.75. Rédaction : 343.9220.

En couverture : Martin Sheen dans Apocalypse

Now, de Francis Coppola

1 Mosa, dt

Fo,

APOCALYPSE

AU

NOW

CCEUR

DES TENEBRES

PRESENTATION PAR SERGE TOUBIANA

Les Cahiers publient un entretien exclusif avec Francis Coppola, réalisé en mars 1978 par Lise Bloch-Morhange et David Alper. C’est en effet le seul entretien qu’ait accordé Coppola a des journalistes (qu’ils soient américains ou étrangers) depuis trois ans; pendant la période ow le cinéaste s'est débattu dans les problémes difficiles du tournage puis du montage de son film Apocalypse Now, il avait fait le choix de ne pas «s’expliquer » avec la presse américaine. Cet entretien, Coppola I’a accordé 4 nos amis 4 deux conditions : qu’il ne porte pas sur le film (bien sar il en est question dans ses propos), qu’il ne soit pas publié avant que le film soit montré en public (a cette date, le film est en cours de montage). Précisons que les deux journalistes n’avaient pas vu le film, et qu’ils réalisaient cet entretien pour le compte d’un grand hebdomadaire francais : il ne devait d’ailleurs pas étre publié tel quel, mais servir de matrice pour la rédaction d'un « portrait », comme cela se pra-

tique beaucoup dans les magazines américains. A ce jour, ni l’entretien ni le portrait ont

été publiés.

Quel est I'intérét principal de cet entretien, de ce document, pour le lecteur? C’est

qu'il a été réalisé au cours du montage de Apocalypse Now (et non aprés comme c’est

d’usage), 4 un moment ou I’auteur ne sait pas encore /ui-méme quelle forme définitive prendra son film (dou ce cété flottant dans le discours), ou il ne connaft pas entiérement son ceuvre, ou il est lui-méme étonné par son matériau filmique, au moment ou quelque chose du tournage — la matiére brute — résiste au montage, moment ow la matiére brute va étre polic, ot le film prend forme. Moment ou se pose le probléme de la maitriser. Il en résulte que le discours a quelque chose de flottant, comme si Coppola ne savait pas encore comment « vanter la marchandise », comment expliquer ou convaincre un interlocuteur extérieur 4 l’entreprise. Mélange de modestie (ce qui est de rigueur quand une ceuvre n’est pas terminée et qu’on ne peut pas la juger), de naiveté aussi de la part de quelqu’un qui ne sait pas si la partie est gagnée ou non, et de mégalomanie de quelqu’un qui sait gvand méme que son film est attendu dans le monde entier, qui sait que toute la profession cinématographique (Hollywood avant tout) a les yeux tournés vers lui, qui sait que son film sera, de toutes facons, un événement. Ce mélange, cet entre-deux, qu’on décéle dans les réponses de Coppola, reléve bien sur d’un narcissisme d’auteur (il s'est crée toute une mythologie autour de lui et de son quelqu‘un qui nous parle et nous raconte comme s’il revenait d'un long voyage, comme sil ressortait d’une expérience ou d’un traumatisme, comme s’il atterrissait aprés une échappée hors du monde. comme s’il devait retrouver la mesure humaine, le sens des mots, pour essayer de parler de facon rationnelle (a des gens raisonnables) de quelque chose d’irrationnel, qui ne se communique pas.

APOCALYPSE

Il n’y arrive pas toujours, i] lui arrive de chercher ses mots, d’en chasser certains pour

en choisir d’autres. Comme un cinéaste qui a besoin de plusieurs prises pour choisir la bonne, pour filmer le « bon » plan. Son discours devient symptéme, il renvoie a un film-symptéme. Entre le discours du cinéaste et Ie film, il y aurait comme une métaphore. Sa parole va a l’aventure, elle entoure le film, ne le résume pas, échoue, puis repart 4 l’assaut, insatisfaite de ne pas l'avoir dompté. Comme si le film et ’énorme machine qui l’a produit ne se racontaient pas. De la méme facon que le scénario raconte l’histoire de ce Colonel Willard qui remonte une riviére (remonter implique bien I’idée d'un retoura la source, aux Origines, et d’une plongée vers le primitif : métaphore de l’inconscient, ou voyage hallucinatoire) ala recherche d'un autre, le Colonel Kurtz, quia choisi une autre vie, un autre langage, une autre Loi.

De la méme facon que n'est pas un film sur la guerre du Vietnam, mais un filmguerre, une expérience — a travers les moyens du cinéma — de la guerre, de l’aventure, de la plongée dans les ténébres et lirrationnel, Apocalypse Now est aussi ’expérience d’un corps a corps avec le cinéma, avec ce que celui-ci peut encore mobiliser de plus gigantesque pour produire des images et faire vivre au spectateur cette plongée hallucinatoire du regard. Nous reparlerons du film lors de sa sortie, en octobre.

Francis Coppola et son décorateur Dean Tavoulans dans le décor qu’ils ont construit puis, le film terminé, détruit.

ST

NOW

ENTRETIEN

AVEC

Question. J'ai lu, je crois que c’était dans un entretien paru dans « Playboy » en 74 ou 75, que lorsque vous avez obtenu U'Oscar pour Le Parrain H, vous étiez trés content, que cela avuit beaucoup d'importance pour vous.

FRANCIS

COPPOLA

Coppola. Eh bien, d’abord, le fait d’avoir eu Oscar:

j'en ai

eu cing... Alors, vous Savez,je crois que quand vos réves se réalisent, vous...

Question... vows vous rendez compte alors que ce nest pas

Francis Coppola. S’ai dit ga?

important?

Question. //s ont dit que vous Laviez dit.

Coppola. Vous les remettez en perspective. Et vous commencez a vouloir autre chose. Je crois que ce film représente

Coppola.

Bon, c’était un entretien, alors j'ai di dire cela.

Question. Supposons que le journaliste ait transcrit assez

Justement ce que vous aviez dit. Je voulais vous demander si

Topinion d'Hollywood, de la communauté cinématographique, comptait pour vous?

un tournant important dans ma vie, parce que c’était un film difficile et j’y ai consacré une part importante de ma vie, pendant longtemps.

Question. la jungle?

Vous pensez au temps que vous avez passé dans

Coppola, Oui, apres une expérience comme celle-la, c’est

difficile de vouloir les mémes choses qu’avant.

Oscars Coppola. Si je me souviens de ce que j’ai dit, ou de ce que j'ai pu dire au sujet de l’Oscar, c’est que nous, qui avons grandi

Question. Est-ce que c'est aussi une question d‘Gge? Parce que vous-méme étes a un tournant? Vous avez environ 40 ans, n'est-ce pas? Ou est-ce vraiment a cause de laventure de Apocalypse Now? Ou les dewx?

cela ne vous parait jamais aussi important que lorsque vous étiez plus jeune. Comme par exemple le désir de voir votre photo ou I’affiche de votre film sur le grand panneau de Time Square ! Et quand j’ai eu l’Oscar finalement,je me suis rendu

Coppola. Je crois que c’est les deux... Il ya beaucoup de choses qui m’arrivent en méme temps. Je vais avoir 39 ans en avril, je suis un professionnel dans le cinéma depuis [5 ou 16 ans je crois, et je pense queje suis 4 l’4ge ot l'on commence 4 réfléchir

sion... si J’étals content ou pas? Maisje crois, vous savez, que quand vous l’obtenez, ¢a compte.

eu une énorme capacité d’énergie et de réves et comme

avec le cinéma et avons vu la remise des Oscars quand nous étions gosses, nous avons toujours révé d’obtenir un Oscar. Je crois que, quand vous les obtenez, les récompenses et tout ca,

compte que je n’étais pas dans Time Square. Mon

Question.

Et maintenant,

impres-

étes-vous sensible aux réactions

des autres personnes dans lindustrie du cinéma?

Coppola. Pas tellement. Je crois que n’importe qui, tout le Monde, est sensible a fa facon dont les autres réagissent 4 ce

qu’il fait. Mais, vous savez, je suis dans le métier depuis longtemps maintenant et j'ai eu de la chance... J’ai connu les dif-

férents régimes de tous ces studios et j’ai toujours réussi d’une certaine fagon a y faire ma carriére et maintenant, vraiment, surtout aprés Apocalypse, je ne m'intéresse pratiquement plus a tout ce qui concerne carriére, succés, récompenses etc. Question. Et pourquoi?

sur ce que l’on fait et sion s’y prend de la bonne facon... Vous

savez, ce qu'on appelle la crise du milieu de la vie. J’ai toujours

un

corps qui se déplace a une trés grande vitesse et rentre dans un mur, ce film m’a pour ainsi dire arrété. Vous savez, beaucoup de ’élan que j'avais... au bout du compte, je crois que ce sera bon pour moi. Question. Est-ce que l'une des principales raisons pour les-

quelles le film est devenu cette sorte de mur n'est pas le fait que vous ayez eu des problémes avec un typhon, avec le Pentagone, etc? Toutes ces difficultés n'y ont-elles pas joué un role? Coppola. Eh bien, ce film a été la jaie jamais entreprise, et cela 4 tous vue de la production, c’est quelque exemple, vous étes au milieu de fa

chose la plus difficile que les niveaux. Du point de chose de gigantesque. Par jungie et vous essayez de

APOCALYPSE

faire du napalm pendant que se déroulent des batailles d’hélicoptéres. c'est fou, et c'est dangereux et... on ne peut rien

contréler. Vous voyez, rien que l’énormité de l’organisation concréte de la production, construire des choses dans ce pays et puis les faire sauter, tout ca... On n’a eu aucune aide (la ou nous en avions le plus besoin) pour obtenir du matériel, alors il a fallu qu’on le fabrique avec les moyens du bord. A tous les

niveaux. Au niveau du theme aussi. Ce que j’essayais de faire

avec ce film, c’était vraiment difficile. Et puis nous avons eu beaucoup de malchance en plus des typhons et des infarctus. vous savez, des choses dingues... c’était vraiment dingue.

Des Vietnams individuels Question. Er quand vous avez mis sur pied ce projet. pensiezvous qu'il y aurait tant de risques? Car vous éles connu comme quelqu'un qui prend des risques. Avez-vous voulu faire ce film parce qu'il comportait tellement de risques? Coppola. Je crois que cela tient a moi. Il semble que tous les projets que j’ai réalisés, je les ai rendus encore plus difficiles

qu’ils n’étaient. Si bien que je n’ai jamais atteint les buts que je m’étais fixés. Mais de cette facon vous obtenez beaucoup

plus de satisfactions que si vous réalisiez quelque chose que vous savez pouvoir faire facilement. Mais le projet a beaucoup changé. Je crois que quand j'ai commencé, je ne me suis pas rendu compte de tout ce qui allait se passer. pas seulement de tous les imprévus dans la production mais aussi... qu’un film

asa vie propre. Et je pensais en commencant le film que j‘allais faire quelque chose de pratiquement réaliste, un film d’aven-

ture stylisé se passant au Vietnam. et il s’est passé qu’a ce moment-la, nos vies, et la mienne plus spécialement, sont devenues des sortes de Vietnams individuels, que tout a pris des proportions énormes et nous a échappé; cette expérience nous a tous touchés et nous sommes devenus un peu fous. Et nous étions la, essayant de manipuler de grandes quantités de matériel et d’argent. essayant d’introduire des themes qui semblaient rester sans réponses, qui ne voulaient rien dire. nous demandant a quoi aboutirait le film. C’est devenu une sorte de Vietnam, d’expérience-Vietnam. Et mes sentiments étaient partagés. D’abord je pensais que tout s’arrangerait et que ce

serait un film « normal », ou bien je ne savais pas ou j’allais...

Maisje me rendais compte que les thémes du film me forgaient a aller de l'avant, et je ne savais pas ot cela me ménerait. Vous

savez, il y avait un scénario : une expédition qui remonte une

riviére, et au fur et 4 mesure que le scénario remontait cette riviére, j’étais de moins en moins intéressé; ils arrivent dans un endroit et ils sont capturés mais ils tirent et ils sont sauvés... ce qu’on voit au cinéma. Mais je me rendais compte que ¢a n’avail rien a voir avec ce que je voulais exprimer, alors jai transformé de plus en plus Je scénario. je m’en suis éloigné et pourtant nous nous laissions porter par les vents dominants, pour ainsi dire, et [‘expérience a commencé a nous emmener de plus en plus loin, En fait, nous commencions a étre hypnousés par la fumée rouge, bleue, verte et petit 4 petit nous avons peint nos visages, tout cela commencait 4 nous gagner, 4 nous arriver. Et... ce n'est pas queje le faisais consciemment. Je veux dire que j'ai laissé aller le film $a ot il voulait aller et chaque fois que je le laissais aller, il devenait plus étrange. Question. Est-ce que les themes qui sont Claient dans le scénario original de Milius? Coppola.

apparus

Pas vraiment.

Question. Alors ce nest plus le scénario original?

ainsi

Francis

Coppola

i

NOW

ENTRETIEN AVEC

FRANCIS COPPOLA

Coppola. Non, pas vraiment. Les parties du début, jusque vers le milieu, ou il y a une bataille d’hélicoptéres et un colonel qui fait du surf. etc., c’est dans le scénario, mais aprés ¢a a pris une tournure différente.

Question. Et quand vous avez acheté les droits. en 1969, on ma dit que vous laviez fait en pensant a Lucas?

Coppola. Eh bien, George allait le faire. C’est tout a fait par hasard que j'ai commencé a faire le film. Je crois que ce qui est

arrivé, c'est que...

.

tures qui se passe au Vietnam. La guerre du Vietnam n’était

9

Pas une guerre comme les autres, alorsje ne voulais pas que ce

film soit un film de guerre comme les autes, Et quandje l’ai terminé,je ne suis rendu compte que le film n’était méme pas sur le Vietnam,

Question. Dans que/ sens? Coppola. Vous comprendrez quand vous le verrez. Ce n'est pas réel,.. le film utilise le Vietnam comme toile de fond, comme vous pourriez décider de monter une piéce de Shakes-

peare dans un certain décor. Alorsje veux dire que le Vietnam

Question... [/ rravaillait sur un autre film?

est... ce n'est pas vraiment sur le Vietnam. Je ne crois pas.

Coppola. II faisait autre chose. Je crois que j’ai réalisé alternativement des projets trés personnels et d'autres a partir de scripts plus ordinaires, et, sans m‘en rendre compte, les deux derniers films que j’ai faits, bien qu’ils aient été dans la veine du Parrain LI] et de Conversation secréte, et quils se présentaient au départ comme des histoires, ont commencé a ressem-

bler un peu a ma vie.

Question. Mais si je comprend bien, vous navez jamais eu

Vintention de faire un film sur la guerre du Vietnam... un film

historique, épique...

Le bien et le mal Coppola. Je ne sais pas,je voulais faire un film qui se passe

Question. Qu'est-ce que cela veut dire exactement? Parce que vous avez déja dit cela, en parlant du Parrain, que vos films prenaient vie?

Le film comme escalade

pendant la guerre du Vietnam a propos des grandes questions posées par cette guerre, c’était cela mon but principal. Donecje

me suis davantage intéressé 4 ces questions qu’aux particularités de la guerre du Vietnam. Question.

Coppola. Vous savez, faire Le Parrain IT. c’était en quelque sorte écrire un scénario Original sauf que, parce qu‘il n’y avait

pas d’histoire,je me suis rendu compte petit a petit que le sujet que je traitais dans ce script faisait exactement référence a ce qui se passait dans ma vie 4 ce moment-la, par exemple dans

mon mariage et dans mes relations beaucoup plus fortes avec

ma famille et mon frére et j'utilisais ce matériau, je ne savais pas pour quoi faire, faire un autre Parrain... Alors j'ai simple-

ment regardé autour de moi... Je suis d'une famille italienne

etc. et jéprouvais, en désespoir de cause — pas parce que jessayais d’étre intelligent — que je ne me rendais pas compte

de ce que j‘étais en train de faire. Les gens me disaient « disdonc, tu sais, cette scéne, c’était »... ou bien ma femme me disait qu'on avait déja eu cette discussion. Dans la vie. Si bien que j'ai commencé a remarquer ce qui était en train de se passer et quand je suis parti tourner Apocalypse Now. je n’avais pas l’intention de faire autre chose qu’un grand film d'action et d’aventure. J‘avais quelques idées sur ce que je voulais faire mais ca ne s’est pas passé du tout comme ca. Je suis toujours tres souple quandje fais un film. Je veux dire par la que si une scéne est écrite d'une certaine facon, et que les acteurs, dans

une certaine situation, font quelque chose de meilleur, j‘utilise

cela, Mais c’est une sorte d’escalade parce qu’on a alors tendance a faire ce qui nous intéresse et ca nous entraine encore plus loin. et c’est ce qui est arrivé avec ce film. Question. Er est-ce que cela veut dire que Apocalypse Now nest pas seulement un film de 30.000.000 de dollars? C'est un tilm personnel en méme temps?

Coppola. Je dirais — je ne sais pas comment définir un film personnel — que ce qui nous arrivait 4 ce moment-la, la fagon dont nous faisions le film était trés inhabituels. Pourtant c’était intéressant parce que c’était une grosse production. C'est une chose de faire un film. de sortir dans la rue, de réunir quelques amis et de faire un film, mais c’en est une autre quand vous le

Quand

vous

dites questions,

questions politiques ou autre chose?

voulez-vous

dire

Coppola. Non. Des questions plus vastes... philosophiques. Comme le concept de morale. - du bien et du mal - que vous

rencontrez, chaque fois que vous traitez un sujet dans lequel il y a des gens qui croient étre bons, trés moraux, et qui font des

choses qui semblent trés mal.

Question. C'érait l'un des thémes des Parrain. Coppola. Je suppose que oui.

Question. //

va un autre théme dont vous avez déja parle, et

qui nous a beaucoup frappé, c'est le theme de la famille: dans ley Parrain, You're a Big Boy Now. fa présence de la famille

était trés lourde. Dans les entretiens, vous parlez de vos amis comme s‘ils étaient une sorte de famille, et votre propre famille

a une part trés importante dans votre vie. Hl semble que ce theme se retrouve beaucoup dans vos films, ce qui nest pas le cas pour d'autres cinéastes comme Spielberg et Lucas... Coppola. Vous savez. les films des gens sont faits de ce qui les intéresse. Je crois que George fait des films trés personnels, il fait exactement ce qu’il aime, il fait les films qu'il aimerait voir. Je crois que depuis peu je laisse mes films aller 1a ou ils

veulent aller, plus que ces cinéastes qui savent ce qu’ils font et qui le font. Je suis tout a fait prét 4 changer quelque chose dans ce que je fais si je vois quelque chose qui semble plus intéres-

sant,

Question. Mainienant que vous avez passé quelque chose comune trois ans a faire Apocalypse Now, est-ce que votre réaction est davoir envie de refaire des films moins importants, plus intimes?

alors c’est

Coppola, Non, non. Je crois que Apocalypse Now est pour moi une ligne de séparation. Je ne sais pas si dans six mois je penserai la méme chose...

hendais que le film, une fois fini, ne soit que cette série d’aven-

Question. Parce qu'en 1970 vous avez dit gue The Rain Peo-

faites a cette échelle et dans ce style de production;

étrange,

Mais

j'ai toujours été inquiet a propos de... fappré-

10

APOCALYPSE

ple était votre film préferé et que c'est sur Dementia 13 gue vous aviez eu le plus de plaisir a travailler.

Question. Et est-ce que la vision du munde qui vous entoure

change aussi?

Coppola. Je regarde le monde qui m’entoure avec plus d'intérét qu’avant. Quand depuis lage de |6 ans vous faites du

Coppola. Oui. Mais c’est parce que c’était mon premier film

et que c’était amusant a faire. Je n’ai jamais pris plaisir a faire des films. J’ai aimé faire certaines parties d’Apocalypse. Et

théatre, des spectacles et des films et que vous essayez d’y faire votre place — votre sphére d’activité est assez limitée. Quand

puis, 4 un moment donné, j’ai commencé a me rendre compte de ce que j’étais en train de faire, et la j’y ai vraiment pris plaisir. Il y a eu une période de deux mois, avant que Marty (Martin Sheen) ait son infarctus, qui a été probablement la plus

Jai débuté, le phénomene des jeunes réalisateurs et les occasions pour eux de faire des films se présentaient trés différemment. C’était un vrai combat pour arriver a faire son premier

heureuse de mon travail. Mais pour répondre a votre question, je crois que je ne m’intéresse plus tellement a ma carriére, je n’ai plus les mémes buts qu’auparavant.

film. J’ai débuté au cinéma avec simplement beaucoup d’éner-

gie et je crois qu’en grosje suis arrivé a ce queje voulais, et plus encore. Mais entre temps je me suis apercu que je ne ressais plus aux mémes choses qu’avant et queje n‘ai mémes ambitions. Maintenant je pourrais vous parler ment de mes projets, mais vraiment pour la premiére me suis permis de ne pas en avoir.

Alors...

Question. Cela veut-il dire qu'il ya quelques années votre but principal était de faire une carriére? Coppola, Bien sir, faire carriére, gagner de l’argent, avoir du succés, étre célébre, obtenir des prix... Question.

NOW

m’intéplus les simplefois, je

Question. En général beaucoup de choses naissent de ces

périodes d'accalmie.

Vous savez que c'est une attitude trés différente de

celle des cinéastes européens, qui veulent étre des artistes et des

Coppola. C’est probablement bon... C'est vraiment une période pénible, c’est trés déroutant car quand votre esprit a été

Coppola. Oui. Je crois qu’ils disent ca mais ils veulent gagner

ou qu’ils ne vous intéressent plus, vous gardez toujours cet esprit et vous ne savez plus quoi en faire. I! ne sait plus ce qui lintéresse. Il ne s’intéresse plus a l’argent - pas parce que j'en

créateurs,

vous voyez ce que je veux dire?

plein de réves, d’obsessions ou de désirs et que vous les réalisez

de l’argent et faire carriére et avoir des prix aussi. Simplement, ce n’est pas a la mode de dire ga.

ai beaucoup, j'ai tout risqué dans ce film - mais parce que maintenant je sais que demain je n’en aurai peut-étre plus et que

Question. Non. Mais je crois que cest différent.

quand j’en avais beaucoup, tout n’était pas si rose. Alors, vous vous intéressez moins aux choses qui vous étaient familiéres. Vous n’avez plus envie d’acquérir, de racheter des compagnies et de construire un petit empire. Pourquoi? Parce que j’y ai

L’art et argent

goute et j'ai vu ce que c’était et je me suis rendu compte. C'est

Coppola. C'est différent seulement en surface, je crois. Si vous étes un cinéaste européen,'on s’attend 4 ce que vous disiez : « Faire de l’argent ne m’intéresse pas », mais si vous les

comme renoncer a... par exemple, quand vous arrétez de lire des illustrés. Maisje n’ai pas remplacé ga par quelque chose de plus... alors c’est embétant, car il est évident que toute I’énergie

rencontrez et si vous parlez avec eux, vous vous rendez compte

qu’ils ne sont pas différents et qu’ils veulent que leurs films aient du succés, qu’ils veulent gagner beaucoup d’argent, qu’ils sont excités quand ils obtiennent des Oscars et qu’ils en font

étalage, que ca les impressionne autant que n’importe qui, sauf

que... ils ne sont pas aussi naifs que les Américains. Ils parlent en termes d’art. Je crois qu’en fin de compte beaucoup de réalisateurs américains s‘intéressent a l'art mais ils parlent en termes de... succés. Par exemple, Billy Friedkin vous parlera toujours d’art, vous savez, il veut gagner de Il’argent mais ¢a revient au méme. Si vous lui parlez vraiment, vous vous rendez compte qu'il aimerait beaucoup étre considéré comme un artiste et tout ¢a. Question. //} a une citation qui nous a frappé. Nous Uavons

trouvée plusieurs fois. Elle ne semble pas naive du tout. La

voila : « Je modeéle ma vie sur celle d’Hitler 4 cet égard — il n’a pas simplement pris le pouvoir dans le pays, il s’est frayé un chemin dans le gouvernement en place. La fagon d’arriver au pouvoir ne consiste pas seulement a défier Establishment. II

faut d’abord y faire sa place et ensuite défier et doubler !’Esta-

blishment ».

Coppola. C’était une comparaison trés malheureuse. C’est vrai, 4 ce moment-la, je pensais que je ne devais pas me situer en dehors du systéme en place mais queje devais essayer d’en faire partie, par « doubler » je voulais dire que j’avais l’intention d’utiliser ce pouvoir pour faire ce queje voulais faire. Or, A cette époque,je n'étais pas sfir de ce queje voulais faire... Je mettais beaucoup d’ardeur a réussir dans le cinéma, et avoir un peu de pouvoir pour faire des films plus ambitieux.

que j’avais doit étre encore la. quelque part, maisje ne sais pas dans quoi l’investir. Vous savez aussi que ce film a porté un coup dura ma vie personnelle, il m’a laissé un peu désorienté.

,

Question. Pourquoi? Parce que votre famille pendant longtemps?

vous étes resté éloigné de

Coppola. Plus que ca. Dans le film il y a un personnage qui commet certains excés a la fin et c’était le plus difficile. La fin

du film était et reste la chose la plus difficile parce que c’est la

chose qui essaye de fournir des réponses... Ce n'est pas si difficile de poser des questions mais essayer d’y répondre sans jamais... sans étre... quelles sont les régles d’un film sur le Viet-

nam? On ne peut jamais vraiment parler politique. On ne peut pas vraiment...

Question. Ce n'est pas possihle parce qu’en France il ya eu, seulement l'année derniére, (un des premiers films sur la guerre d'Algéric. Le film s‘appelle La Question ef a pour sujet fa torture en Algérie. En France on a donc attendu trés longtemps avant de faire ce premier film, et quand ila été fait, ¢ etait un film trés politique. Vous voyez ce que je veux dire?

Le cinéma et la politique Coppola. Eh bien pour moi, un film politique n’est pas un

film qui discute politique, c’est un film qui change lesprit de beaucoup de gens sur quelque chose. Le film le plus politique au monde pourrait étre un film dans lequel il n’y a pas un seul

APOCALYPSE

12

argument politique. Je pense que chaque fois qu'un film se présente comme un film politique avec discussions et débats, tout

ce qui se passe c’est que les gens qui sont d’accord avec le point de vue du film disent que c’est un film formidable et que les gens qui ne sont pas d’accord ne vont pas le voir. C’est une chose de parler d’un film politique mais personne n’a jamais fait un film... ou peut-étre que si... que des centaines de millions de gens vont voir. Et c’est ¢a qui est intéressant. Mais on ne peut pas fatre un film qui soit en surface un film politique...

il faut que ce soit un film trés séduisant. Il doit donner au

public ce quil veut et 'emmener allait.

Ia ot il ne savait pas qu'il

Question. Que pensez-vous de Coming Home? Coppola. Je ne Vai pas vu, mais 4 mon avis Coming Home est plutot libéral, i! met l'accent sur Ics rapports humains, et ce qu'il a de politique vient de la vieille politique libérale. Il ne traite rien de précis. Quand vous verrez -[pocalypse Now, vous comprendrez ce que je veux dire. c’est vraiment un film

étrange, plutét une sorte de voyage. Le principe qu’il essaye de mettre en oeuvre est de vous mettre au départ dans un endroit agréable et de vous faire remonter la riviére, et vous remontez

la rivi¢re et 4 la fin vous vous apercevez que vous étes devenu

pratiquement fou et vous ne savez pas commient vous en étes

arrivé la. Et c’était ca aussi, le Vietnam... C’est vraiment facile de vous retrouver dans un endroit ou vous ne pensiez jamais aller. Cela m’est un peu arrivé. La-basje devenais une sorte de

Kurtz, (0 pas au point de tuer des gens, mais j’arrivais a faire faire les choses comme je le voulais. Quand je me suis rendu

compte que j'avais dépassé mon budget de 30.000.000 de dollars et qu'il fallait queje finisse le film,je suis devenu bizarre. Je suis devenu un Kurtz. Parce que quand on est dans cette situation. je dirais qu'un réalisateur, dans la jungle. avec un budget dévorant, avec un film que personne ne peut arréter. est probablement l’une des personnes les plus puissantes au monde. Fondamentalement j’ai eu ce queje voulais. Et passer

d'un seul coup de tout ca 4 une vie normale, ou les gens autour de moi n’étatent pas des acteurs qui m‘obéissaient mais des étres humains avec leurs propres opinions, c’était vraiment...

Question. N‘avez-vous pas peur en abandonnani cette sorie

de lutte pour le pouvoir qui vous a amené aux commandes quand

de?

vous constriuisiez

votre carriére, de perdre le controle

Coppola, Peut-étre que oui. Je n’en sais rien. Ca ne me préoceupe pas beaucoup. Je crois que je suis sincere. Peut-étre que je penserai autrement dans six mois. C'est ce qui arrivera probablement. Mais ce queje désire le plus en ce moment c’est de finir le film. J‘aimerais mettre de l‘ordre dans cette compagnie que nous avons mise sur pied. Elle est devenue plus importante, plus rapidement que... je voudrais ralentir un peu le mouvement, la ramener 4 une échelle plus modeste et commencer a penser a mes projets. Je dis toujours que je veux faire

des films... Vous m’avez demandé si je voulais faire des films moins importants... Je sais que c’est en général ce qu’on pense quand on vient de terminer quelque chose de tres ambitieux. Question. C'est ce que George Lucas disait. Coppola. Je sais. C’est ce qu’il veut faire. Et il le fera probablement. Je crois que le film que je vais faire maintenant est bien plus ambitieux que Apocalypse Now.

Question. Dans quel sens?

NOW

Coppola. De mon point de vue, il est plus ambitieux. Je nai

jamais vu de film du genre d’Apocalypse. Et ce a quoije pense en ce moment est... je crois que c’est ca... les films se ressemblent a peu prés tous. Ils s‘identifient de la méme facon. Vous savez, un film peut avoir n’importe quel style, du moment qu'il est réaliste. Par exemple si on compare le cinéma au théatre...

il y a des tas de genres différents au théatre. toutes sortes de sty-. les... le théatre existe depuis longtemps et le cinéma... que ce

soit Le Parrain ou un autre... ils s'identifient de la méme facon. Question. Aféme Cris et Chuchotements?

Coppola. Méme si vous prenez les deux extrémités du spectre, mais vous savez.je crois qu'il s’élargit avec le temps. Mais si vous imaginez ce qu'un film pourrait étre. il pourrait étre n’importe quoi. Je crois queje m‘intéresse un peu plusau genre d’ceuvre que je pourrais produire si je décidais den faire une.

Quelque

chose

qui

me

tient

4 coeur.

Quelque

chose

qui

m‘arréte comme un bon projet ou unc bonne histoire ou quelque chose qui pourrait se vendre ou que les gens iraient voir. Question. // semble qu'auparavant, dans votre carriére, dans votre vie, vous étiez en quelque sorte conditionneé par le succes,

le potvoir, Fargent, méme le fait de faire des films d'une cerlaine fagon, et que maintenant ce que vous recherchez c'est vous-meénie et Hon pas ce qui a 16 tis en vous.

«Je ne ferai jamais La Strada... » Coppola. Je crois que c'est arrivé lentement et tout seul. En d'autres termes, je crois qu’Apocalipse Now a commencé par étre un certain film et en est devenu un autre. Surtout parce queje ne savais pas comment faire autrement. Je ne veux pas dire que j’'avais un certain contrdéle sur le film, ¢’est-a-dire que quand vous faites un film vous arrivez et vous dites. bon, qu’est-ce qu’on fait ici? Et vous commencez a vous demander pourquoi vous voulez faire ga. Je fais ca parce que c’est comme ca qu'un film se fait en principe et puis vous remarquez que vous aimez vraiment bien cet acteur. Ou par exemple un acteur lance toujours quelque chose a un autre acteur et alors vous dites : « bon, lance ca comme 4 cet acteur». Avant de vous en apercevoir les gens et les circonstances... ou bien vous

marchiez dans la boue et vous saviez ce que c’était que de mar-

cher dans la boue, alors vous dites, « bon, marche dans... ». alors, lentement. ce que vous ressentez a propos des circonstances et des gens commence a vous intéresser davantage que la scéne que quelqu’un a écrite dans une chambre, essayant d'imaginer 4 quoi ressemble une scéne de film. Alors vous sentez... je ne sais pas... vous commencez a mettre tout ce que vous ressentez dans le film. Parce que ca vous semble plus réel, plus intéressant que votre plan original. Et vous faites ¢a tous les jours. Petit a petit tout ca commence a prendre son indépendance. Et vous n’avez plus qu’a regarder. Je veux dire, vous regardez, vous choisissez... mais il n’y a pas de choix parce que c'est soit intéressant soit ennuyeux. Quand nous sommes arrivés a la plantation frangaise(2)— il ya une séquence dans le film ou ils arrivent dans une plantation abandonnée - it était écrit dans le script que les francais qui possédent cette plantation depuis longtemps n‘aiment pas trop les Américains et les encerclent.. Les Américains se méfient un peu d'eux, ils veulent des munitions et ils couchent avec [a fille. obtiennent les munitions et a la fin ils tuent le type. Vous voyez, je suis en

train de faire un film sur le Victnam et tout d’un coup. il y a

cette fille qui arrive et le vol des munitions. Je n’ai pas changé ca consciemment, ¢a paraissait sculement idiot. Et puis aprés, j'ai rencontré quelqu’un qui avait vraiment vécu sur une plantation, un des acteurs. H m’'a donné le point de vue des gens qui

“ENTRETIEN

AVEC

FRANCIS COPPOLA

avaient vécu au Vietnam, des frangais, et ce qu’ils ressentaient. Tout ca m’a paru beaucoup plus intéressant que ce qu'il y avail dans le script. Et puis il a commencé a parler avec un autre acteur et a discuter et puis j'ai dit. mon vieux, ifs sont dréles ces frangais... ce sont les seuls qui font de la politique dans le film. Alors la scéne de la plantation francaise, au lieu d’étre

une scéne d‘action et d’aventure avec le vol des munitions, la

fille et tout ca, ca devient une grande discussion politique. Mais c'est une discussion sur les francais. Ca m’intéressait parce que les arguments étaient les mémes. Je veux dire que ce qui était arrivé a ce moment-la s’est passé de la méme fucon vingt ans plus tard. Et c’était vraiment bizarre parce que non sculement

ona

fait cette guerre, mais tout s’était déja passé et il n’y avail

plus qu‘a regarder en arriére. intéressant, bien queje ne me seraient les gens quand tout a cais en pleine discussion 4

Tout ¢a semblait beaucoup plus sois jamais demandé ce que pencoup ils tomberaient sur des lrantable, comme dans la tea-party

d’« Alice aux Pays des Merveilles ». Alors je me suis dit : for-

midable ! ca sera intéressant. C'est ce que je veux dire quand... vous le faites volontairement... ¢a arrivait tout seul. Mais a propos de ce que vous disiez.je ne vais pas tellement nvinterroger maintenant sur ma vie. c'est comme... par exemple quelqu'un envoie un script ou vous entendez parler d'une idée, un type rencontre quelqu’un d’autre et ils dévalisent une banque... ¢a he m'intéresse pas, c'est comme un film. Je veux dire: me voici,je vis des choses qui m’intéressent vraiment et j’aimerais mieux faire quelque chose a partir de ca. Ce n'est pas forcément quelque chose sur quelqu’un qui me ressemble... maisje

crois que c’est un processus naturel. Comme

la notion de... et

je ne sais pas pourquoi... parce qu'on a vécu avec cetle notion

que les films européens seraient de l'art... faire un beau film comme... ce que j'aurais vraiment voulu faire, c'est un film

comme La Strada. Question.

Vraiment? C'est ce que vous auriez voult faire?

Coppola. Quand j'étais jeune, la plus belle chose au monde aurait été de faire un petit film beau, net, ou on aurait pleuré.

Question.

Vous aviez quel dge?

Coppola. Pendant une bonne partie de ma carriére... J'avais

18. 19 ans... c’était ce que j’espérais faire, mais vous savezje ne ferai jamais La Strada. C'est déja fait. c’est trés beau, on ne

pourrait pas mieux faire. Ce qui m‘intéresse maintenant ce sont ces longs films qui traitent un sujet, certaines notions. Apocalypse Now traite de la morale, du bien et du mal. Le Parrain du pouvoir et de la succession. Et maintenantje ne pense pas tellement en termes dhistoire mais de sujet. Je sais que le prochain film que je ferai sera tres long. C'est ce que je veux

dire quand je dis qu’il sera plus ambitieux. Question. Coppola.

Ca veut dire quoi, trés long? Vraiment

trés long.

APOCALYPSE

14

Question. Est-ce que ¢a vous demandera beaucoup de temps

pour le faire? Coppola,

Non.

Le film sera long. Trés long.

Question. Qu'est-ce qui vous fait penser cela? Coppola, A cause du sujet que je veux traiter. Ca veut dire

que probablement, il ne pourra pas étre projeté dans les salles de cinéma... Si vous faites un film de neuf heures, peut-étre

qu’il faut le passer a la télévision. C'est intéressant.

Question. Pourriez-vous arréter de faire des films? Coppola. Oui, bien sir, Facilement.

Question. Mais vous ne le ferez jamais. Coppola.

Peut-étre. Peut-étre que je le ferai.

Question. Peut-étre que vous y pensez mais... Coppola. Je ne sais pas.

Question. // semble que vous sovez passé du systéme des stu-

dios a la réalisation indépendante. C'est la raison pour laquelle vous avez créé « American Zoetrope » en 1969 : ott en Ges-vous maintenant dans vos relations avec les studios?

NOW

ce que ¢a se résume a ¢a ? Ou est-ce qu’on suit le film en attendant une sorte... d’incident, un mystére qui s’éclaircit ? On s’attend 4 ce que le personnage que joue Marlon élucide un peu toute cette folie que vous voyez, et au furet 4 mesure que le film

avance la folie grandit. Mais c’était tellement difficile de répondre aux questions qu’on se posait, comment vers un personnage ?

y répondre a tra- -

Cest ca qui me donnait mal 4a la téte tout le temps. Et plus je laissais le film aller, comme dans Vhistoire de la plantation frangaise, plus le film devenait sérieux. C’est-4-dire queje pou-

vais de moins en moins le cerner... et puis il y a l'attaque et ils

s’enfuient et font sauter le pont... Si bien que j’ai créé une sorte de point de non-retour. C’était une sorte de Vietnam. Je ne pouvais pas m’en sortir. Et le seul moyen que j’avais de m’en

sortir c’était par l'escalade dans le style. Et ainsi le film est devenu de plus en plus mythique. Il commence comme un film de guerre réaliste et finit par quelque chose de plus. Si vous voyiez la fin de ce film sans avoir vu le début, vous penseriez que c’est dingue. C’est un voyage, c’était une expérience

étrange.

Question. Vous parlez de Brando. C'est la deuxiéme fois que vous travaillez avec lui. Quelles sont les qualités qui vous attirent chez lui? Coppola.

Eh bien, il forme un tout d’une certaine facon. II

est vraiment trés bien, il s’en fiche mais en méme prend

ca au sérieux; c’est-a-dire qu'il se moque

temps il

de toute

la

projet lui-méme qu’aux moyens de production, qu’a l’indépen-

salade qui va avec le cinéma... vous le payez, il vient et il fait ce qu'on lui dit de faire. Mais ca c’est parce que, fondamenta-

n’ai pas moi-méme l’argent pour faire un film je le prendrai la

que tout ga c'est plus ou

Coppola. Je crois que pour le moment,je m’intéresse plus au

dance ou a la distribution. Alors a l'avenir, je pense que si je ot je pourrai Je trouver. Et si ga veut dire travailler avec les studios... s’ils me laissaient faire le film que je veux...

Question. Parce que maintenant, vous avez assez de liberté pour avoir le contréle sur vos films, méme quand vous travaillez

avec les studios?

lement, il ne croit pas tellement aux films ou aux critiques. II croit

moins

du

mensonge

ou

que

tout

le monde se fait de l'argent et perpétue ce systéme et il n’a aucun respect pour lui. Mais si vous parlez simplement avec lui pendant longtemps, il y a souvent des choses trés intéressantes dans ce qu'il dit. Et c'est comme dans fa séquence de la

plantation frangaise, c’est ce que Bernardo a fait avec lui dans Le Dernier tango, c’est-a-dire qu'il a simplement commence 4

faire parler Marlon.

Bien sir ici c’était différent parce que le

Coppola. Je crois que dans les prochains films que je ferai, méme ce contréle ne sera pas un facteur important. Le film sera ce qu'il est ou rien du tout. Je crois que c’est vrai pour Apo-

style était bien plus ample.

le finir? Ils n’y auraient rien compris.

Coppola, Oui, je me sens tout a fait en confiance avec les acteurs. Je travaille avec des acteurs depuis longtemps, depuis

calypse Now, et c’est pourquoi il a pu étre fait. Qui pouvait intervenir? Personne ne savait de quoi il s’agissait. Qui pouvait

Question. Ca a lair détre évident pour vous, mais ca ne

Vest peut-étre pas pour lexécutifd’un studio, @ moins qu'il soit

particuliérement au courant.

Coppola. Eh bien, ils savaient ga. Ils se rendaient compte, ils voyaient, II était évident que je ne tournais pas le scénario. Et i} était évident qu'il n’y aviuit pas de scénario, parce qu'il n’existait pas. Il était évident que je le construisais au jour le jour. C’était la seule facon — je ne referai jamais ga d’ailleurs-, mais

cétait la seule fagon queje connaissais de traiter ce film, vu la direction qu'il avait prise. Question.

Est-ce la premiére fois que cela vous arrivait?

Coppola. Oui. Je crois que c’était a cause du sujet, a cause de Marlon : cette séquence de la fin of on rencontre le personnage que Marlon interpréte, comment tourer ¢a ? Comment filmer la rencontre entre Kurtz et Willard ? Qui est-ce ce colonel Kurtz? Et il y a une histoire qui se développe. Et Willard essaie de l’avoir mais il n’y arrive pas... c'est l'autre qui l’a. Est-

Question. Est-ce que vous avez confiance en vous quand vous dirigez des acteurs?

mes débuts au théatre, et comme je l'ai dit,je suis trés souple

et donc si un acteur ne peut il y a le personnage et il y a s’adapter au réle j'adapte humain a quelque chose de

pas... il y l’acteur et le rdéle a fascinant,

a toujours deux pdles, si l’'acteur ne peut pas Facteur. Chaque étre de vivant, de vrai et

dintéressant et trés souvent j'adapte le personnage a la personnalité de V’acteur. Et c’est souvent comme ¢a qu’on obtient de

trés belles performances, car bien qu’on dise que ¢a influence la vie de l’acteur, en fait ga n’arrive jamais. C’est toujours une synthése. une sorte de troisiéme personnage. Mais si ca va mal parce que I’acteur est anxieux, alors je fais du personnage quelqu’un d’anxieux. Il y a toujours une fagon d’utiliser ce qu’on a. Si vous avez des difficultés parce qu'il pleut, vous vous en servez dans le décor. C'est ce que je veux dire par souplesse contrélée, o vous essayez de tout utiliser a votre avantage.

Une mathia Coppola ? Question. Pour en revenir a « American Zoetrope », est-ce

que vous avez réussi a faire ce que vous vouliez ?

ENTRETIEN AVEC FRANCIS COPPOLA

Coppola. Oui et non. Parce qu’en ce temps-la, en 1969-70,

Javais rassemblé des tas de toit et puis on a fait faillite eux qui sont devenus les Alors j'ai quand méme eu

gens et je les avais mis sous le méme et ils se sont dispersés mais ce sont nouveaux réalisateurs américains. la satisfaction d'avoir vu juste sur

tous ces gens qui ont beaucoup de succés maintenant. J’avais moins de satisfaction quand ils étaient tous dans la méme com-

pagnie.

Question. Il y avait Lucas , mais qui étaient... les autres?

Coppola. Georgie Lucas, Martin Scorsese, Spielberg y a été

aussi un moment, comme acteur, il y avait Pacino... beaucoup de scénaristes aussi qui ont réussi.

Question. //): a plusieurs themes paralléles dans votre travail et dans votre vie, ily a le réle du pére... le parrain dans la Maf-

fia... la presse a remarqué que vous n'appeliez pas Spielberg,

Lucas et Scorsese la « Maffia Coppola », avec vous dans le réle du parrain...

Coppola. Je crois que c'était parce que j’étais un peu plus vieux et que j'ai été le premier 4 avoir du succés, alors j'ai pu utiliser le pouvoir que me donnait ce succés pour essayer de donner aux autres leur chance, parce que j’étais le premier a en avoir eu et parce que les autres m’intéressaient, que je les aimais bien ou parce qu’ils avaient du talent. On a fait un film avec Carroll Ballard qui a vraiment beaucoup de talent et on

va faire ce film avec Wim Wenders, mais j'ai de moins en moins envie de faire ce genre de chose. Question. Est-ce parce que vous pensez que vous avez fait ce que vous pouviez faire et que c était le bon moment pour découvrir des jeunes talents et que maintenant

vous étes libre ?

Coppola. C’est en partie ce que je pense mais c’est surtout

qu’a

ce moment-la

j’aimais beaucoup

I‘idée de monter

une

compagnie, d’avoir des moyens, d’étre équipé et de pouvoir

agir, c’était dans mon caractére. Je suis devenu un peu plus casanier maintenant, je pense qu’Apoca/ypse m’a beaucoup

changé. J'ai eu tres peur avec Apocalypse parce que, quelle que soit la facon dont je my prenais, je n’y arrivais pas. Ca me dépassait toujours. Et puis quand j'ai vraiment baissé les bras et que j'ai dit « je suis vaincu », alorsje me suis rendu compte que c’était peut-étre moi qui lavais eu, j'ai été trés heureux et

Jen suis devenu presque mégalomane. Puis quand j'ai vraiment pris confiance et que je pensais l’avoir eu, je me suis rendu compte que c’était moi qui avait été eu. Et je suis passé

par la tellement souvent que maintenant, je suis arrivé 4 un point ot ca n’a plus d’importance. Tout ce queje sais, c’est que

je V’ai fait avec tout ce que j’avais

et il est ce qu’il est. Et c’est

ce processus qui m‘a fait me rendre compte que méme dans ma

vie, quoique je fasse, que les gens me disent que c’est formida-

ble ou pas, tout ce qui compte c’est que je le fasse avec tout ce que j'ai. C’est pourquoi ga m’intéresse de faire un autre film. Je crois que ca m’a décideé. J'ai toujours été, a moitié, business-

APOCALYPSE

16

man et cinéaste et je crois que maintenantje vais simplement essayer de faire un film, Question. Est-ce que vous faites des films pour le public américain ou pensez-vous tre plus universel ? Coppola. Saimerais que ce soit un public international, universel. Question. Mais comment vous vovez-vous ? Est-ce que vous pensez @ un public quand vous faites un film ? Coppola. Je pense a un public mais pas a un public américain. J’y pense comme a des gens. Question. Par exemple, vous avez fail faire un sondage en 76 pour savoir pourquoi les Ameéricains allaient au cinéma et pourquoi ils s’intéressaient @ la guerre. Coppola, Quand on a fait Apocalypse, c’était a un moment ou on ne faisait pas de film sur le Vietnam et nous avons pensé qu’il serait peut-étre sage de connaitre les préjugés que les gens avaient, dans quelle mesure ca aiderait le film de dire que c’était un film sur le Vietnam ? Est-ce qu’on devrait dire que cest un film d'action et d'aventure ? C’était bon de le savoir,

pour le marché. J’ai accepté, ¢a avait lair d’étre une bonne

idée, mais ce n’était pas vraiment important. Je n’étais pas vraiment préoccupé par ce que les gens pensaient. Je pensais, oui, lancons le film sur le marché de la facon la plus sophis-

tiquée possible. C'est un film avec un gros budget, qui évidem-

ment s'adresse a un trés grand public. Je pense qu’aprés Le Parrain, et avec Jaws et Star Wars de George, on pouvait faire un film que des centaines de millions de gens iraient voiret qui les influencerait d’une certaine fagon. Aprés Jaws, tout le monde parlait de requins et tout le monde s‘intéressait aux requins, et aprés Le Parrain, tout le monde s‘intéressait a la maffia. Si ce film peut atteindre un tel public, tout le monde parlera du Vietnam, de la morale, du bien et du mal. Ce sera vraiment bizarre. Si la moitié du monde parle de quelque chose d@important... Ca parait trés intéressant cette idée de combiner

un film « catastrophe », comme on les appelle, avec un sujet difficile.

Question. Cest une auire forme de pouvoir, un pouvoir social. Est-ce que ca vous intéresse maintenant? Je veux dire le pouvoir du cinéaste qui peut s‘adresser @ 200 millions de

Specialeurs.

Cuppola. Ce pouvoir est encore plus énorme que ce qu’on peut imaginer. Les gens s’en rendent compte, mais c’est monstrueux. George Lucas pourrait élire le Président. I] le pourrait vraiment.

Je ne m’intéresse plus au pouvoir Question.

Fous aussi.

Coppola. Mon prochain film sera sur l‘amour. Je ne m’intéresse plus au pouvoir. Mais ce que vous dites est trés vrai. Le pouvoir social des films « catastrophe », c’est une sorte de ruée vers l’or. Ce que je veux dire vraiment c’est qu’avec un film spectaculaire et un feuilleton populaire a la télévision, on pourrait créer un gouvernement et le maintenir au pouvoir. C'est vrai. Question. Er cela ne vous intéresse pas du tout? Essayer dutiliser ce pouvoir. Méme dans le bon sens ?

NOW

Coppola. Seulement dans le bon sens. Apocalypse m*inté-

resse beaucoup parce que quand on parle politique... ce n’est pas un film politique mais si il marche il sera politique. Parce qu'il donne au public exactement ce qu'il veut, mais dans un but qu’il ne soupconne pas... il ne sait pas... j'essaie de faire un film qu’ils voudront aller voir. Et pourtantje veux les emmener la o= ils se sentiront mal a l’aise. Mais ce nest pas facile a faire. ce n’est pas comme avec Jaws ou Star Wars ou méme Le Parrain... mais Le Parrain HT a eu beaucoup moins de succés que

le premier.

Question. Coppola.

The Conversation ? Personne n'est allé voir The Conversation.

Question. Saufen Europe. Coppola. Oui, peut-étre en Europe... Maisje crois que c’est vraiment possible de changer le monde avec un film. Question. Est-ce gue cela vous donne un sentiment de responsabilité quant a (utilisation de ce pouvoir? Coppola. Eh bien. je traverse une en ce moment, et quand je dis queje faire. que je n’aspire a rien et queje de finir ce film, c’est la vérité. Je veux ses qui me touchent beaucoup plus

drdle de phase de ma vie ne sais pas ce queje vais vis en ermite en essayant faire un film sur les chopersonnellement.

Question. Comunent se fait-il que vous sembliez condamné aux films @ gros succes? Vous, avec quelques autres, vous €tes vraiment les premiers.

Coppola. J'ai le sentiment, "intuition, et je le dis sans modes-

tie, que beaucoup de gens iront voir Apocalypse Now. Et il va déranger beaucoup de gens. Je ne sais vraiment pas ce qui va se passer avec ce film, il sort tellement de l‘ordinaire. Question. Pourquoi dites-vous qu'il dérangera beaucoup de gens?

Ca ressemble plus 4 200/ qu’a autre chose Copppola. A cause du sujet qu'il traite. I traite des gens, de la morale. Je crois que c'est une derniére ligne de repli. Les gens se battent pour ce qu’ils possédent. Ils se battront jusqu’a la mort pour leur idée du bien ou du mal. Et on commence a y réfléchir. Et on se demande si tout ¢a est vraiment bien ou mal,

vrai ou faux. Quand vous commencez a y penser, vous voyez

que la morale est la pierre de touche. la loi. Quand vous y pensez et dites que peut-étre la morale est relative, la morale est comme fa gravité, ici elle parait logique mais la-bas ¢a n’a plus de sens. La-bas c'est la guerre. Alors je ne sais pas. Et le film fonctionne a un niveau tres sensuel. Ce n’est pas un film réa‘ liste, ce n'est pas une histoire réaliste, ca ressemble plus 4 2007 qu’a autre chose. Il s’adresse surtout aux émotions alors que le sujet porte 4 controverse. Le film est toujours intéressant. et je crois que certains passages séduisent parce qu’ils sont trés beaux. On voit de trés belles choses. Je ne sais vraiment pas comment les gens vont réagir, Ce n'est pas ce quils attendent. Question.

Comment John Milius va-cil réagir?

Coppola, Sita du succés il l’adorera. S'il n’en a pas il le

détestera.

Question. C'est son attitude en ce moment.

ENTRETIEN AVEC

FRANCIS

COPPOLA

Coppola. Je crois que c’est lattitude de beaucoup de gens avec qui vous travaillez. Maisje ne veux pas vraiment critiquer en disant ca. Question. Non, maisje sais qu'il

s‘inquiéte maintenant que

tous ses amis fassent des films qui rapportent beaucoup dargent. Vous étes le premier grand cinéaste qui sorte d'une école de cinéma,

n’est-ce pas ?

Coppoia. Quand vous dites grand, limportance ou par le poids ? Question.

Pourquoi?

Vous

cinéastes les plus célebres...

vous

voulez

dire

par

étes de toutes fagons

Tun

des

Coppola. Mais fai maigri maintenant. Question. Non. Mais c'est que « great» mot qui a plus d'une signification.

en anglais est un

Coppola. Non, non, ga veut dire grand, comme Orson Wel-

les, qui est grand ct gros. Maisje plaisante. Est-ce que je suis le premier cinéaste important qui sort d’une école de cinéma ?

Question.

Avez-vous

appris

quelque

chose

a@ Técole,

a

U.C.L.A. ? Et est-ce que vous conseilleriez @ des jeunes cinéastes d'aller dans ce genre décole ? .

Les écoles de cinéma, le théatre Coppola. Ce qui m’intéressait a ce moment-la, c’était daller

dans une bonne école. Mais pas seulement parce qu’il y avait

de bons cours, mais parce que c’était intéressant d’étre avec des

gens qui s‘intéressaient aux mémes choses que vous, qu'il y avait I’équipement nécessaire el qu’on essayait de faire des films. Et on rencontre les autres étudiants. Je suis allé a l’école du cinéma avec Carroll Ballard. George Lucas ct ses amis étaient a I’école ensemble. Alors, je crois que ce qui est important, c’est d’essayer d’apprendre quelque chose ensemble. Question. Ei est-ce gue vous avez vraiment appris quelque chose du point de vue technique?

Coppola, Non, S‘ai plus appris a faire un scénario quand yétais obligé d’écrire un script tous les deux mois. J'ai plus appris dans la pratique. Question. Alors, quel conseil donneriez-vous @ un jeune cinéaste aujourd hui, aller @ PU.C.L.A. ou @ VULS.C. ou auire

chose ?

Coppola. C'est une possibilité, mais i] y en a plusicurs. Je donnerais le conseil a ceux qui s’intéressent au cinéma d’avoir un peu d’expérience dans le théatre. Question.

Le thédire vous a toujours fasciné ?

Coppola. Je crois que le thédtre est une merveilleuse oceasion pour apprendre certains principes de dramaturgic, travailler avec des acteurs sans étre tenu par des questions d'argent ou

de technique. Quand vous pouvez avoir une salle avec trois

personnes et faire une petite production. ca ne code pratiquement rien. Je crois que beaucoup de jeunes cinéastes débutent au cinéma sans jamais avoir travaillé avec des acteurs. Et avec trés peu d’expérience dans I’écriture. Un des grands conseils que j'ai donné a Lucas, c’est quandje lui ai dit « écris, assieds-

18

APOCALYPSE

NOW

Talia Shire. était la petite derniére; alors ila fallu que trouviez votre place.

vous

toi et écris». Ce n’est pas qu'une alfaire de caméras ou de machines. Je l’ai toujours encouragé 4 travailler avec des acteurs, il est encore mal a l’aise avec les acteurs. Question.

Est-ce qu'il a essayé de faire du thédire ?

Coppola. Non, mais il devrait. George est un véritable enfant du cinéma; quand il parle de faire des petits films en 16 mm, je crois vraiment qu'il les fera. Question. Sur ce point, je croiy que conception européenne,

vous

étes prés

de la

Coppola. Peut-étre. J'ai subi beaucoup d’ influences diverses. J'ai un frére plus agé qui s’intéresse beaucoup 4 la littérature, il est écrivain, professeur. Par lui je savais qu'il y avait quelque chose qui s’appelait littérature. Soyons sérieux : de tous les

films qui ont été faits, aucun n’a vraiment abordé les themes

que la grande littérature, depuis quatre cents ans et méme avant, a traités. Alors j'ai toujours su qu’une partie de ce que

je faisais était du show-business, et que ce que mon frére portait

sous son bras était de ta littérature. Et c’est 4 cause de ca que je me suis toujours demandé si le cinéma pouvait étre de la littérature. Et ce serait vraiment intéressant si quelqu'un

s'asseyait 4 sa table pour écrire ou concevoir un film traitant

des mémes idées qu’on trouve dans les romans d’il y a soixante

ans.

Question.

Coppola. Ma famille était trés bien physiquement. C’était une des choses intéressantes. Ma mere attachait beaucoup

Vous écrivez toujours des scenarios?

Coppola. Non,je ne fais plus rien. Je suis en période de ges-

tation. J’essaie de monter ce film.

La famille Coppola Question.

influence ?

Est-ce

que

votre

famille

vous

a

beaucoup

Cuppola. Je crois que oui. D’abord parce qu’on est des américains italiens, qu'il y a toute une tradition américaine italienne... comme dans une famille juive a New York. Parce qu’ils gardaient leur culture, ils parlaient italien et on ne se senlait pas tout a fait américain. On était aussi italien. Question.

lie, je me suis rendu compte queje n’étais pas italien non plus.

Ca vous met dans une drdéle de position. Il y a aussi que ma famille déménageait tout le temps. Ma famille était la seule constante de Ja vie. D’habitude on a des amis, des voisins, votre famille est la mais il y a d‘autres choses aussi, mais quand vous changez tout le temps, le seul point fixe est votre famille. Et puis, ils étaient dingues, je veux dire qu’ils sortaient de l’ordi-

pére élait musicien et mon

frére quelqu’un

de

sérieux qui s’intéressait a Ja littérature, une famille de personnalités marquées.

Question. Est-ce que vous avez eu des difficultés a-vous faire une place dans votre famille ? Vous avez dit que votre frére avait

une sorte d'aura dans la famille et que votre swur, Uactrice N

parce que mon

frére est

vraiment trés beau. mon pére est trés beau et ma sceur trés jolie et j'ai un dréle de physique, alors ca m’a mis dans... je n’étais pas bon éléve, alors tout ce qui me restait c’était d’étre le plus affectueux de la famille. J’étais celui qui demandait le plus d'amour. Alors pour me faire une place dans cette famille, il me fallait beaucoup d‘énergie et je crois que j'ai emprunté beaucoup des... réves des autres. Je crois que j'ai emprunté le réve de l’argent et du succés et du spectacle a mon pére et je crois que j’ai emprunté le réve d’obtenir le prix Nobel a mon frére. C’était une autre sorte de réve. Je prenais les ambitions des gens que j'aimais, au lieu d’avoir les miennes. Je me demande lesquelles j’avais. Je ne crois pas que c’était celles-la.

Question. Est-ce que c'est ce que vous essavez de trouver”

maintenant ? Coppola.

Vous parliez italien?

Coppola. Mes parents. Mais pas nous. Je le parle un peu maintenant, mais sans l‘avoir appris... alors on avait toujours l'impression de ne pas étre completement américain. Il y avait toujours quelque chose d’ européen. Et quand je suis allé en Ita-

Naire, mon

d'importance au charme physique

Peut-étre que oui.

Question. Est-ce que vous vous intéressez maintenant au

cinéma étranger?

Coppola. Pas en ce moment. Je suis vraiment dans une drdle de phase. Je ne vais pas au cinéma. Je ne fais rien. Question.

Et avant, alors ?

Coppola, Je Vaimais bien avant, j’aimais bien aller voir des films étrangers. surtout parce qu’ils semblaient vouloir briser les genres, et étre capable d’étre ce qu’ils étaient. Question. Sur le cinéma francais. quelle é1ail votre réaction ? Coppola. Sur Je cinéma francais,je ne suis pas tellement au courant des différentes écoles... maisje me rends compte qu‘il y a toute une période... la rage de ces gens a faire des films. Je

crois que tout ce mouvement en France nous a appris... ce qu’on

a voulu copier... pour voir ce qui se passerait.

Est-ce

ENTRETIEN AVEC FRANCIS COPPOLA rt

19

Question. Afais vous éres dégus par ces gens, parce qua la question de savoir si vous considériez ce groupe comme une autre Nouvelle Vague, vous avez répondu non. Mais que vou-

lez-vous dire par la?

Coppola. Je ne pense pas qu’on soit dans une période ou l'art cinématographique a fait un pas en avant. Il est dans une impasse. Les horizons qu’on contemple sont surtout des hori-

zons financiers, Les films appliquent de vieilles formules... Question. C'est votre impression ?

Coppola, Vous ne pensez pas que c’est vrai? Est-ce qu’il y a des idées nouvelles dans les films? Question. Le probléme est que les gens qui ont expérimenté des idées nouvelles sont restés marginaux. En France, des gens comme Robbe-Griller, d'un point de vue as littéraire. ont essayé. Mais disons qu'il n'est pas pris au sérieun...

qu’on pourrait avoir tout un petit mouvement de jeunes cinéastes américains qui traiteraient de sujets plus personnels?

Question. Pensez-vous que ce soit ce qui s'est passé ? Coppola. Non. Question. Une chose m'a beaucoup frappé. Nous avons passé pas mal de temps avee John Milius et il parlait constamment du réve que lui et d'autres avaient de recréer une veritable

école du cinéma ameéricain, personnifiée par ces jeunes qui se langaient dans le cinéma. Et pourtant, quand je vois les films quiils sortent, je n'y vois aucune unité d’ensemble.

Coppola. Ce qui est vraiment décevant dans un sens, c’est que toute cette génération est allée de Los Angeles a San Francisco pour faire ces films personnels, mais les cinéastes s’intéressent surtout a gagner de l’argent. Qui sera le prochain a battre tous les records de tous les temps ? C'est ce qui les intéresse vraiment. Question. rement ?

Est-ce parce qu ils ont trop bien réussi, financie-

Coppola. My a un équilibre a trouver pour donner au public quelque chose a quoi se raccrocher. Méme les livres de RobbeGrillet sont difficiles. Ce que j’ai le plus aimé de lui, c'est son livre d’essais qui s’appelle « Pour un nouveau roman». J'ai trouvé ca vraiment intéressant. Quand je parle de nouveaux

horizons, je crois qu'il s’agit d’avoir un public et de déplacer un public et je crois que ces jeunes ont raison quand ils disent qu’ils vont faire réagir le public. Mais je crois qu'on peut faire

réagir le public « vers le haut ». Mieux comprendre, en tirer plus, mieux participer 4 l’expérience plutdt que de se caler

dans son fauteuil,

Question. f/ semble que c'est ce qui s est passé pendant un

moment.

Par exemple les films faits par B.B.S(4 des films

comme Five Easy Pieces. Et pourtant, ces films ont été balavés par la marée de argent. Du moins c'est contme cela queje le

vos.

Coppola. Oui, les gens sont devenus cyniques. Question. Cchapper...

Ev vous dites que

vous étes

vent

ici pour

vous

Coppola. On est venu ici avec des notions trés romantiques, on était jeunes, on allait en faire une jolie petite ville, on allait faire des petits films, s’asseoir dans les cafés, rencontrer des filles et parler des films... C’est ce qu’on voulait faire. C’est ce que

je voulais faire, Et étre sérieux. Le cinéma est dans une impasse Coppola. Je ne sais pas. Je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de bons films dans ce pays, pas plus qu’aillcurs. Question. Pour quelles raisons?

Coppola. Je ne sais ‘pas. Question.

... Le systéme des studios ?

Coppola. Non, non, ces réalisateurs ont plus de pouvoir, je veux dire que George Lucas pourrait acheter un studio, Spielberg aussi, personne n’a jamais eu autant de pouvoir qu’eux. Je crois que c’est parce qu’ils sont jeunes... je crois que dans quelques années ils se fatigueront de cette compétition et de faire toujours mieux que le voisin, et qu’ils s*intéresseront a leurs vies, je ne sais pas.

Question. C'est la raison pour laquelle les gens viennent 4

Paris. Mais cGiait une fagon de vous échapper ?

Coppola. On allait avoir le contréle... c'est ironique parce que quand on est venu ici, il n’y avait pas du tout d’industrie cinématographique. Et si on considére les films faits ici depuis cette date, ils ont rapporté plus d’argent ensemble que les films faits 4 Hollywood pendant les vingt derniéres années. Question.

raiment ?

Coppola. Oh oui. Bien sir. Si on additionne les deux Parrain, Star Wars, American Grafitti et One Flew Over The Cuc-

koos Nest, Ga fait les trois quarts d'un billion de dollars proba-

blement, ou un demi-billion de dollars. C’est un accident. Question. Est-ce que vous avez habité Hollywood?

.

20

Coppola. Oui, avant de venir ici. Jaime bien Los Angeles, mais beaucoup de mes idées ont changé... D’habitude. quand vous faites des films vous avez d’abord une idée : je voulais faire

You're a Big Boy Now quand j'avais 19 ans. Et je l’ai fait a 27

ans, doncje faisais un film que j’avais voulu faire dix ans auparavant. Et quand je faisais ce film, ce a quoi je pensais surtout

c’était a The Conversation dont j'avais écrit le script trois ans

auparavant. J’ai toujours été le genre de personne qui faisait ce

qu'il avait projeté de faire. correspondant

a ma

Maintenant, j'aimerais faire un film

maturité plutét qu’aux idées de ma jeu-

nesse, comme quandje voulais faire un film comme La Strada ou Blow Lip. Question. Pouvez-vous remonter un peu dans le passé. ala période ott vous avez travaillé pour Roger Corman ? Comment voviez-vous cetie expérience @ Tépoque et maintenant?

Coppola. Je voulais absolument travailler dans le cinéma. J’avais fait beaucoup de théatre et le cinéma me fascinait. C'est ce qui m’intéressait ; arriver a faire du cinéma.

Question. f/ #’y avait pas quelque chose en vous qui disait : bon dieu, qu'est-ce que cest que ce film que je suis en train de

faire?

Coppola, Non, c’était simplement pour apprendre4 le faire.

Comment organiser la production, comment monter un film. Roger a fait un peu mon

éducation.

Question. Est-ce gu’il a contribué directement a votre éducation ou est-ce qu'il vous @ laissé grandir?

Coppola, En vous fixant des objectifs impossibles. comme... faire un film en trois semaines, ga vous forcait 4 apprendre vite. Les studios Question. On a le sentiment que vous Ges pris malgré vous, ef parce que vous avez réussi etc., dans un systeme qui vous deépasse. Est-ce que cest vat?

APOCALYPSE NOW

On avait ce script et i) m’intriguait. J‘aimais beaucoup l’idée de pouvoir faire un film qui m’appartienne. sans l'aide d’aucun studio, alors c’est ce qu’on a fait. Question. Que voulez-vous dire ? Coppola. Que Apocalypse Now m‘appartient. Question.

Artists ?

Mais

vous navez pas eu de Targent de

United

Coppola. Us ont acheté les droits de distribution pour l’Amérique, mais ce qu'on appelle le négatif, le copyright m’appartient. Vous voyez., faire un film qui cotte presque 30 millions de dollars et le posséder, ce n’est pas habituel. Bien str. ca ne veut plus rien dire si personne ne va le voir. Mais c’est ce que javais dans la 1éte a ce moment-la. Je pensais que ¢a pouvait étre le début d’un systéme, dans lequel on pourrait continuer a faire toute une série de films — et les posséder. Question.

Et vous continuez a penser cela ?

Coppola, Non, ca ne m’intéresse plus de savoir a qui appartient un film.

Question.

Vous avez une salle de projection ici?

Coppola. Oui, elle est trés belle, avec tout l’équipement, des

beaux studios de mixage. On a une installation technique trés sophistiquée, avec le premier systeme de montage électronique qui existe. Je peux monter mon film électroniquement. C’est un peu mon invention. Vous voulez voir les autres installa-

tions ?

Question. Bien stir. Ce systéme de montage électronique,

est-ce vous qui Lavez créée?

Coppola. Je ne me suis pas occupé de électronique maisje leur ai dit comment je voulais que ca marche. vous voyez, je peux avoir tout ca sur bandes... Je m’intéressais beaucoup a la technologie... ,

Coppola. Je pense que jusqu’a maintenant je nai pas vrai-

.

'

ment eu de contréle sur ce que je faisais. Et tout est arrivé tellement vite. Et je suis quelqu’un qui a toujours dit oui 4 tout. Alors je dis oui a tout et aujourd’hui, Apocalypse Now est ce qui a vraiment testé mes limites. J’ai pris tous les risques que je pouvais. J‘ai mis les moindres centimes que j’avais gagnés avec les autres films dans Apocalypse. j'ai tout risqué.

Question. Oui, j'ai he quelque part que « Zoctrope » venait d'un jouet d optique du NIX® siécle.

Question. Er comment se fail-il que vous ayez acheté le projet alors qu il ne vous intéressait pas tellement ? Vous ne pensiez

Question. Comment choisissez-vous les gens qui travaillent pour vous?

pas le faire, alors comment avez-vous b16 gagne 4 Lidée de le réaliser? Coppola. C’est un film sur fe Vietnam ; c'est exactement [a méme situation, dans le film et dans la vie : on s’est laissé engager petit 4 petit dans la guerre du Vietnam. Question.

A quel moment

avez-vous décidé de le faire?

Coppola. Jai décidé de le faire un jour. J’étais dans un avion

et l'idée de pouvoir financer des films nous-mémes m/intéres-

sait beaucoup. Je m‘interrogeais toujours sur la fagon de financer ces films. Il y avait autre chose que je voulais faire. j'avais le script d'Apocalypse, George ne pouvait pas Ie faire et nous pensions a lidée de nous procurer de l’argent chez les distributeurs étrangers. On pensait qu’ils aimeraicnt un film de guerre.

L’« American Zoetrope »

Coppola. C'est vrai.

Coppola.

Oh, je ne sais pas. Vous

les rencontrez ou

entendez parler d’eux ou vous avez vu leur travail.

vous

Question. Parce que vous avez une petite équipe permanente a « Zoetrope », de dix a douze personnes. Ou plus? Coppola. Cest difficile de dire permanente parce que quand on fait un film, il y a toujours tout un tas de gens. Question. Out, Fred Roos m'a dit que vous étes environ soixante quand vous faites un film, et seulement dix ou douze quand vous le préparez. Coppola, C'est d‘abord du personnel technique, des secrétai-

res, elc.

ENTRETIEN

AVEC FRANCIS COPPOLA

Question. Purce que vous avez la réputation de choisir des gens tres jeunes et tres brillants. Coppola, Beaucoup de mes babysitters ont fini par travailler avec nous. Je crois que c'est d’abord parce queje prends des ris-

ques. Et que ca m‘a réussi. Je donne sa chance a chacun.

Question. Oui, midis pensez-vous que les gens avec qui vous travaillez sont importants, je veux dire, est-ce que c'est important de faire un bon choix ? Coppola. Oh oui, bien sir... c’est la chose la plus importante de toutes. Si quelqu’un fait du bon travail pour moi, alors je reprends toujours la méme personne. Comme pour le directeur artistique, ou le photographe. J'ai tendance 4 toujours revenir en arriére.

Coppola.

Ca vous

Question.

Et c'est quelque chose d’habituel chez vous ?

jamais fini. On

rend trés inquiet

n’a jamais fini.

parce que rien n'est

Coppola. Oui. C'est pourquoi je suis un peu fatigué... parce

que j'ai tourné pendant trés longtemps. Maintenant le film est la et tout ce qu’il me reste a faire, c’est de me débrouiller avec.

Mais chaque fois que j‘essaie. il se débat un peu. Et je suis fatigué, Question. Depuis quand avez-vous commencé le montage? Coppola, Depuis monde attend.

longtemps. Je suis trés en retard. Tout

le

en

Question. Oui, comment faites-vous toujours pour créer de Fauente, de lanxiété : tout le monde attend ce film.

Coppola, En espérant que cela va m’aider. Donnez-moi des idées. Je n’ai pas encore fini ce film, je n’ai pas encore gagné.

Coppola, Parce qu‘ils savent qu'il n’est pas ordinaire et que je suis en retard. Je crois que si vous étes en retard. les gens deviennent curieux.

Question. Ca veut dire que, une fois fini le tournage, lorsque vous commencez le montage, vous recréez le film a nouveau. C'est assez exceptionnel, n'est-ce pas ?

Question. Oui. mais dans un sens, c'est une bonne curiosité parce qu‘ils Fattendent de plus en plus, Mais bien stir, plus vous attendez, phis vous espérez.

Question.

Alors

vous

étes revenu

au point

de départ,

SOMURC.

2?

APOCALYPSE

NOW

Coppola. Qui,je crois que chaque lois qu'un cinéaste connu se lance dans un grand projet, qu'il est cn retard et qu'il a beaucoup d’ennuis, tout le monde devient curieux ; est-ce que ¢a

Question. Est-ce gue votre idée de la guerre a heaucoup changé depuis Vépoque ou vous écriviez Patton ? Car vous avez dit que pour vous c¢était un Don Quichotte.

que ca allait étre ? Est-ce que ca allait étre raté ou merveilleux ?

Coppola. Je ne sais pas. Je pense honnétement qu'il y a des ressemblances entre ce film et Patton. On ne savait pas si le type était un fou ou un héros. Et bien sar, il était les deux. Je crois que c’était le sujet de ce film, il y avait cette dualité entre le bien ct le mal.

sera raté ? Tout le monde avait envie de voir /900. Qu’est ce Question, Coppola.

Question.

Vous favez vu? Hmm...

Vous [avez aimé ?

Coppola. Oui, mais il y a beaucoup de choses qui ne vont pas dedans. Mais c’est une grande ceuvre. Je pense que si j'ai été dégu, a part les choses évidentes qui ont été critiquées, c'est parce qu'il était exactement tel que je m’y attendais. Question. Je pense qu'il s est passé aussi autre chose qui aide

a entreteniv tout cet intérél, cette obsession @ Hollywood pour

Apocalypse Now. c'est que votre film a donne le feu vert a toute une série de filmy sur. ou concernant le Vietnam, ce qu'on

appelle la « Vietnamisation dHollywood ». Ha donc précédé tous ces films et pourtant il va sortir apres la plupart dentre

CUN.

La plus belle vigne d’Amérique Question. Est-ce que vous habitez ce snidio, quand vous travaillez au montage du film ?

quelquefois,

Coppola. Quelquefois. Shabite tout prés d'ici. Et j'ai aussi une trés belle vigne. J'ai la plus belle vigne d’Amérique. Question.

Cest quelle sorte de vin ?

Coppola..

Cabernet...

Cabernet Sauvignon.

c'est

comme

du

Bordeaux,

c'est du

Question. Je vois que vous Gles un amateur de vins francais.

Coppola. C’est dréle, n’est-ce pas? Question. Oui. Je crois que c'est encore une sorte de Parrain, Coppola. C’est intéressant parce que quand il sortira, ils vont se rendre compte queje nai pas fait du tout un film sur le Viet-

nam. J‘en ai montré une partie a la United Artists, a Reisner,

et il m’a dit: « Mais ce n’est pas sur le Vietnam!»

Question. Afais le fait que vous avez adopté ce projet a eu pour consequence que beaucoup de gens sont allés dans une direction identique, ou quiils croyaient identique. Coppola. Oui. Je suis allé la-bas et je me suis rendu compte qu'il est impossible de faire un film de guerre sur le Vietnam comme on ferait un film sur la deuxi¢me guerre mondiale. Comme je lai dit, il ressemble plus 4 2001...

Coppola. Quand Question.

ils sont bons.

Est-ce que c'est prés de San Franscico ?

Coppola. A environ une heure... c'est la ot est ma famille, a Napa Valley. Question. Est-ce que vous vous occtines de la fabrication du vin? Coppola. Question.

Non, non, c'est trop grand. Vraiment?

Vous é1es exploitant?

Coppola. Qui, on vend le vin. Je ne l’ai que depuis quelques années et 1977 sera la premiére année de grande production. Question. Alors ¢a sera peut-éire votre prochain métier ?

Un monstre 4 trois tétes Question. Quand vous en éfes-vous rendu compte? Quand vous Gtiez dans la jungle? Coppola. Je ne pense pas men étre jamais rendu compte... en toute sincérité...je n’avais rien prévu de tout cela. JS‘avangais pas a pas. Et le film est comme ga aussi. Le film est un processus. 1 sc déroule. Et il vous conduit pas a pas. Je n’ai toujours pas Ie film bien planifié dans ma téte. La fin est encore en train de sc mettre en place en quelque sorte. c'est pourquoi je suis dans unc dréle de phase parce queje travaille dessus depuis si longtemps queje n’arrive plus a me faire du souci. Je sais que c'est vraiment quelque chose d’énorme que c’est comme un

monstre a trois tétes.

Question. Est-ce que vous ressentez la pression de tous les

gens qui anendent?

Coppola. Je ressens non seulement la pression des gens qui attendent, du public, mais aussi des problemes financiers. Je veux dire que les gens, Europe, tout ¢a, ont été trés tolérants avec moi. Ils attendent. c’est vrai. Les gens en France sont vraiment gentils. je veux dire mon distributeur, Claude Berri.

Cuppola. Oui, peut-étre que je quitterai le cinéma et que je deviendrai vigneron. Entretien exclusif réalisé par Lise-Bloch-Morhange ct David Alper, 4 San Francisco, en mars 1978. Copyright Lise Bloch-Morhange et David Alper. Traduit de l‘américain par Francoise Gloriot.

1. Le Colonel Kurtz. interprété par Marlon Brando, est ce personnage qui. en pleine guerre du Vietnam, ne répond plus aux ordres du Quartier général américain. Il s’est réfugié a la frontiere du Cambodge. entouré de montagnards qui lui vouent une adoration quasi mystique.

Le Colonel Willard

(Martin Sheen) est envoyé sur ses traces par les

services secrets américains avec pour ordre de Ie tuer.

2, La séquence de la plantation francaise n‘a pas été retenue dans le montage du film, tel qu'il était présenté au Festival de Cannes.

3. Burt Schneider,

Bob

Rafelson ct Steve

Blauner forment

une

société de production indépendante, fondée en 1970 a la suite du suc-

cés de Easy Rider.

ENTRETIEN AVEC FRANCIS COPPOLA

.

23

sapere

CANNES

1979

FESTIVAL, TRIBUNE, VITRINE PAR SERGE TOUBIANA

Chaquce année, le Festival de Cannes refléte les diverses tendances du cinéma mondial. Chaque année, la presse, les media en général, examinent !’état de santé du cinéma, donnent la tendance : cette année, ce qui s'est dil ou écrit est 4 peu prés juste : suprématie du cinéma américain (Hollywood + cinéma indépendant), présence (4 mon avis tres décevante) des auteurs italiens, poussée du cinéma allemand (Schloendori?, Herzog, Fassbinder + les cinéastes de la « troi-

siéme génération » dont certains films étaient projetés dans fe cadre d'une semaine du jeune

cinéma allemand), difficultés quasi congeénitales du cinéma francais 4 étendre son image de marque a l'extérieur des frontiéres nationales. I] faudrait bien sir mentionner fa présence continue du cinéma de l'Est et l’absence presque totale (4 part dans les sélections comme « La Quinzaine

des réalisateurs » ou « La Semaine de la Critique ») de films du troisieme monde. La présence

d'un film chinois (pas tout récent d’ailleurs) nest qu'un alibi diplomatique, un petit scoop dans les relations entre cinématographies sceurs, pour saluer la présence assidue (pour la premiére fois a Cannes) de deux délégués chinois olficiels aux projections des films en competition ct pour faciliter, par cet appel du pied, l’ouverture de l’immense marché culturel-commercial que représente la Chine Populaire aux films occidentaux. (Il se passe toujours quelque chose cn Chine, et, pendant le Festival, un article du journal « Le Monde » titrait: « La Chine reconnait

plusieurs mérites a la démocratic bourgevise ». Pour ce qui est du cinéma, parions qu'une

grande compétition va s’organiser entre Ices cinématographies occidentales pour s‘arracher les faveurs des autorités chinoises décidées 4 acheter les « grands films populaires » occidentaux : tout ca sera médié par les relations diplomatiques, |’état-Chine traitant avec l’état-Gaumont, ou l’état-Hollywood. La France. quia du mal a vendre ses films a létranger mais quia d’assez bonnes relations diplomatiques avec la Chine, peut marquer des points sur ses partenaires occidentaux, et en marque déja puisque Je premier film acheté par les Chinois fut Les Seurs Bronte. Fermons cette parenthése sur ce que sont, cc que seront de plus en plus, les relations entre le cinéma et les rapports de force économiques et politiques dans le monde.)

Liintérét du festival, c'est qu'il affiche cette diversité du cinéma, il lui offre vitrine. Et, comme tous les objets qui s‘offrent en vitrine, les films sont percus chandises, et les spectateurs-critiques-cinéphiles qui font les cent pas, de salle salle de projection, 4 la recherche du plits de plaisir filmique. ont de moins sibilité d’en savoir plus sur ce qu’est la production du cinéma, ce qu'il en est économique et culturelle du cinéma dans le monde.

une tribune, une comme des marde projection en en moins la posde la géographie

A Cannes, on ne supporte pas de s’ennuyer4 un film : plus on voit de films, plus on est fatigué,

moins on supporte la différence, hétérogéne : il se crée un modéle de consommation du film

pour le spectateur qui favorise. bien sur, les films les plus standardisés. I] se créc une ligne de ségrégation intense entre les films qui jouent sur une certaine patience du spectateur et ceux qui font plaisir tout de suite. et ces films ne travaillent pas de la méme maniére le cinéma, ils ne travaillent pas au méme endroit le spectaleur, et dans le commerce. en dehors des festivals, ils ne travaillent pas les mémes spectateurs (création de ghettos). I] y a, bien sir. d'autres lignes de partage a lintérieur des films lents, longs et qui demandent patience, entre ceux qui portent une signature forte, l'image de marque d'un autcur et Ics autres, signés par des inconnus ou des cinéastes-loosers : les premiers sont vus comme un devoir (« i] faut avoir vu le film chiant de... »), les seconds sont jetés aux oubliettes.

CANNES

26

Paradoxalement, si Cannes permet de voir une quantité de films en tous genres — on se dit

alors que lindustrie est florissante -, le festival est un leurre pour ce qui est de comprendre la situation rée/le de cette industrie dans le monde. Pénible impression. Pourtant, d’année en année, l’organisation du festival sc perfectionne, la souplesse des différentes sélections épouse de mieux en mieux la diversité des types de production filmique. A quel prix et pour sanctionner quel processus? Au prix d’une ségrégation de plus en plus évidente des films entre eux, des types de production entre eux. Pourquoi de plus en plus évidente? Justement parce que Cannes affiche cette ségrégation aux yeux de tous les cinéphiles. Un fait indéniable, indiscutable : Cannes a réussi a faire passer. dans les media ~ qui sont présents massivement et qui concourent a cet unanimisme culture! qui domine le cinéma aujourd’hui — ‘image d'une unité du cinéma. d‘une unicité d’un art pourtant constitué de divers points de vue. diverses esthétiques, diverses praliques. Cette image est factice. Sous cet unanimisme de facade. des lignes de ségrégation profondes, irréversibles. Sil y a des films récompenses et des films qui trouvent souvent leur unique chance d'ttre vus un jour, d'autres ne sortent pas forcément vainqueurs de cette poussée des encheres (les films qui demandent une digestion plus lente); mais aucun ne résiste au slogan qui les attire et qui est bien celui qui anime toute Vidéologie libérale de la concurrence : « L’important c’est de participer». » Une compétition entre des films, c’est aussi une rivalité d’emblemes, un film étant toujours emblématique de quelque chose d’autre. Il peut étre 'embleme d'un pays : quand un film véné-

zuélien est sélectionné dans la « Quinzaine des réalisateurs », il est en fait equivalent général de tout le cinéma vénézuélien.

Ou d’une nation : chaque année, la sélection francaise au sein de la compétition officielle est fortement emblématique de la culture cinématographique nationale. Pas seulement parce que le festival se déroule sur notre territoire, pas seulement parce que la France est fiére d’étre le

pays ou s’effectuc la cotation des valeurs culturelles en mati¢re de cinéma (c’est a Paris qu’on

acquiert le statut d'auteur), et qu’il faut, en Moccurrence, que les films qu'elle présente se tiennent bien, aient une certaine « pose » culturelle, mais pour des raisons plus profondes, qui ont trait aux racines culturelles de notre cinéma « de qualité ». Les films francais sont trés souvent parachevés d’une certaine représentation de la culture francaise qui les chapeaute, qui les surplombe, effet de signature qui traduit sans doute linféodation de la machine cinématographique francaise (du moins ce qu'il en reste!) 4 la culture nationale. Des grandes cinématographies mondiales, Ia francaise est a [a fois la moins généalogique et la plus nationale, celle qui cadre de fucgon trés homogéne avec le territoire culturel, avec son découpage, son jacobinisme géographique, territoire culturel, dominé par une littérature qui a pris le pas sur le folklore, le récit, 1a nature. Curieusement, cette « mauvaise influence » dont souflre le cinéma frangais, si elle en dessine les limites (pas d’image de marque a I’étranger). lui assure néanmoins les conditions de survie, grace au protectionnisme culturel qui l'entoure : on peut dire qu’il existe une cinéma-

tographie nationale francaise alors qu’il existe de moins en moins une cinématographie italienne. Le cinéma italien, fortement marqué par son folklore, son enracinement social, a pro-

duit des films plus standardisés que les nétres, du méme coup s'est mieux vendu a létranger,

inversement il a réussi a mettre en place les conditions de protection face a lenvahissement du cinéma américain (capitaux + films de masse). Phénoméne qui pousse a la surévaluation des auteurs (cette année particuliérement visible avec les films tout a fait insignifiants de Risi et de Comencini) et une cosmopolitisation de la production. Exemple, Je film de Comencini, Le grand embouteillage : un film « espéranto » qui tente désespérement d’allier le folklore italien - politique. social, gestuel — avec une production de sauvetage: pléiade d’acteurs européens réputés, mal doublés, sous-employés dans des réles de figuration, uniquement présents pour justifier ou cautionner les avances-distribution qui viennent secourir une production qui va a veau l’eau, Je tout agrémenté d’un pseudo message de l'auteur qui nous avait fourni (il est vrai, a raison d'un film sur trois) des films de meilleure qualité. Le grand embouteillage. qui aurait fait, il y a une dizaine ou une quinzaine d’années un bon court métrage dans un film a sketchs signé par plusieurs metteurs en scéne (comme en faisait le cinéma italien), devient aujour@hui un film de grosse production, utilisant les studios de Cinecitta pour reconstituer une autoroute, plusieurs vedettes (francaise et italiennes) pour des petits réles, ce qui revient a un double gachis : des bons acteurs qui ne sont utilisés qu'au minimum de Jeur capacité de jeu. qui ne font que figurer, et qui, du méme coup, par leur présence de stars. écrasent les personnages du scénario, les empéchant d’exister. Ce que Bufiuel réussit dans ses derniers films avec des acteurs connus, dans un espnit de dérision et de burlesque, Comencini le rate dans un film prétenticux. ne maitrisant absolument pas les compromis que lui impose une production multinationale. J'ai peur que Le grand embouteillage ne soit un avant-gout de ce que nous réservent ceux qui se précipitent sur le cadavre du cinéma italien dans le but d'en sauver quelques oripeaux 4 coups de grosses productions, de distributions d’acteurs cosmopolites, d’effet de signature, et de bon marketing publicitaire. Ces produits culturels de pacotille ne pourront en

1979

27

FESTIVAL, TRIBUNE, VITRINE

rien rivatiser avec les films qu’Hollywood continue d’exporter, ni avec la production naissante de qualité du cinéma allemand. S’il n'y avait, curieusement. aucun film italien dans les autres

sélections que la sélection officielle (a part le film de Straub et Huillet, Dalla nube alla rezis

tenza, perdu dans « Un certain regard »), c’est sans doute parce que I'Italie se cantonne de plus en plus dans Ja production « haut de gamme », ou coexistent les restes d'une machine cinéma-

tographique en perdition (toujours Ices mémes bons acteurs, scénarios ficelés, metteurs en scéne

travaillant réguliérement, utilisation des studios), la seule qui ait subsisté aussi longtemps en Europe. avec une politique des auteurs tous azimuths, purement inflationniste : on dit un Fellini (méme si Prova dorchesira est un film de petite production — télévision italienne —, l’essentiel c’est qu'il porte signature du maitre), un Rosi, un Risi, un Comencini. On peut, bien str. ajouter une demi douzaine de noms, ceux des cinéastes qui présenteront leurs films Il’an pro-

chain, ici méme 4 Cannes, mais derriére, ou est la reléve?

Cest différent avec les films américains qui représentent moins un pays qu'une machine cinématographique, Hollywood (et sa périphérie) : avec les six films présents dans la competition officielle (en comptant les films « hors compétition »), Hollywood faisait la démonstration du large éventai! de production qu’il est 4 méme d’assumer aujourd'hui. Cela va des films d’auteurs réclamant leur indépendance par rapport aux studios (méme si leur films dépendent en partie ou en lotalité des finances des Majors) comme celui de Coppola et de Woody Allen, a des fic-

tions tout a fait standardisées comme le film de Martin Ritt, Norma Rae, ou celui de James Brid-

ges, The China Syndrome, le premier comme survivance du Hollywood des années cinquante (bon scénario, mise en scéne classique d’un cinéaste progressiste de deuxiéme plan, thématique sociale), le deuxiéme plus proche d'une fiction cinéma-télévision, exemple remarquable d’une bonne alliance entre le cinéma (d'action) et la dramatique de télévision (effet de reportage. de documentaire) qui ferait un bon « Dossiers de l’écran ». Un festival a aussi pour fonction d’ouvrir des marchés nouveaux aux films présentés, ce qui peut étre un des remédes a la crise économique du cinéma. On ne saura jamais quelles tractations peuvent présider a l’établissement dunc liste de films sélectionnés en compétition offcielle dans un festival de la taille de Cannes, mais on se doute que seule la diplomatie peut justifier la sélection de films comme cclui de Bo Widerberg (Wictoria), ou ce film australien (Afa brillante carriére, de Gill Amstrong) ou ce film yougoslave (ZL '‘Occupation en 26 images, de Lordan Zafranovic). a c6té des grosses machines ou des films d’auteurs reconnus. Diplomatie et volonté de risquer encore un dosage géographique (et politique) dans une sélection de films ou

les grandes puissances ont définitivement conquis l"hégémonie.

Car le cinéma « officiel » (pas celui d'une sélection comme « La Quinzaine des réalisateurs » ou s’affirment encore des productions nationales) est de moins en moins diversifié dans ses origines g¢ographiques, comme si le cinéma des grosses machines cinématographiques (USA. Italie, France, Allemagne, pays de l’Est) se calquait de plus en plus sur les machines économiques fortes. La compétition officielle sanctionne la divison du cinéma en super-puissances, et illustre

l'adéquation manifeste de cette division culturelle avec la division économique et politique du

monde. La double récompense du jury cette année, accordant deux grands prix ou partageant le grand prix en deux. entre Le Tambour d'une part et Apocalypse Now d'autre part, illustre ce resserrement, ce partage du pouvoir entre pays économiquement lorts, grosses machines cinématographiques (on ne soupconne pas quelle est ou quelle sera la puissance de production cinématographique de l’Allemagne, on peut sculement constater que, de tous les pays européens, c’est celui qui fait l’effet d’investissement en argent le plus grand dans l’industrie cinématographie). Ce double prix est bien str un compromis: entre deux (Europe-USA), entre deux conceptions du cinéma.

pays, plutét entre deux continents

Clivage entre un film un brin académique dans le cas du Tambour, s'inscrivant dans un cinéma culture! comme seule I’Europe sait en faire (on peut presque dire que le jury du Festival a accordé le grand prix au film allemand comme on attribue le Goncourt en littérature. récompensant un film hien fait. «fidéle» 4 Peuvre littéraire de Gunther Grass, un film d'adaptation et de mise en scéne plus qu'un projet cinématographique d'auteur), et Apocalypse Now, un film qui prone le gigantisme au cinéma, inscrivant le récit d’aventure a lintérieur de l’événement historique, la dimension humaine 4 travers l’expéricnce mystique, le rationnel et Pirrationnel, un film qui prone la relance de la machine cinématographique par un des ees projets fous que le cinéma avait le culot d’entreprendre 4 ses débuts (son époque inconsciente), a l"ére des Grilfith ou des B. DeMille, et qu'il s’était interdit d’entreprendre, d*imaginer, de mettre en chantier depuis longtemps. Couronner Le Tanthour et Apocalypse Now, en méme temps, c’était pour un jury reconnaitre deux « écoles » et n'en choisir aucune, entériner le partage du monde en zones ciné¢matographique d’influencc. S.T.

« Le Grand embouteiflage, qui aurait fait, il y a une dizaine d’années un bon court-métrage dans un film 4 sketches... » {Le Grand emboutei/lage, de Luigi Comencini)

Manque, dans ce compte-rendu, la critique - élogieuse — de deux films : Les petites fugues, d’Yves Yersin et Nighthawks de Ron Peck et Bob Hallam. Certains films on été distribués a Paris en méme temps que le festival (Les S@urs Bronté, Prova dorchestra etc.). Enfin, il sera parlé de Sibériade. Eboli, et Les Ambassadeurs au moment de leur sortie.

CANNES

« LE CINEMA PAR

En juin

DANIELE

1979, la vieille Europe avait décidé d’offrir au reste

du monde une nouvelle image d'’elle-méme: celle d’un bloc

new style. susceptible de peser un jour aussi lourd (telles étaicnt ses espérances!) que les deux blocs qui la cernaient, 4

Quest comme a l'Est.

Un mois plus tét, ces troissmonolithes rejouaient 4 Cannes, pour la trente-troisiéme année consécutive. un grand spectacle rituel ot ils se montraient les uns les autres de quoi ils étaient capables sur le terrain de la représentabilité. Cela s'appclait Le Cinéma du monde, offert en pature au monde du cinéma alin qu’il en réfere par voie de media au reste du monde. Cette étrange cérémonie comportait une scric d'offices. D‘abord, une compétition officielle ot chaque partic représen-

tée (Le tiers-monde n’ayant guére voix au chapitre) jouait la

carte de son image de marque par le biais d'un film, labellisé « qualité nationale ». Puis une remise de palmes (a cause de la mer toute proche), votées sportivement par un jury international, cléturait les festivités, Ensuite, chacun repartait chez soi, dans son monde, retrouver sa télé of l'on ne manquerait pas

de montrer, aprés la rubrique « spécial Cannes », les vindictes et tes conflits qui le divisent, ce monde.

Aussi unc telle manifestation appelle-t-elle, si l'on n'y prend garde, un compte rendu de type cosmographique. On est assuré de retrouvera l'Ouest, en Amérique, la grande tradition généalogique, voire le retour de ces cosmogonies qui font depuis Grillith les grandes heures du cinéma du nouveau continent. Dans Apocalypse Now, la guerre du Vietnam est bicn génératrice du chaos qui bouleverse l’ordre du monde, inverse le cours du temps et fait d’un fleuve indochinois la remontée cauchemardesque de la civilisation vers la barbaric. Les énormes moyens techniques et financiers utilisés pour le film étant mis en derniére analyse au service d'une problématique d'ordre eschatologique. Dans Les Afoissons du ciel, la damnation céleste prend la forme d’un immense nuage de sauterelles, messagéres, comme les hélicoptéres d’ Apocalypse Now. de camage

et de mort.

Comme pour coiffer le tout et prendre déja une longueur d'avance sur toute analyse. Woody Allen, dans Manhattan, décide de se prendre pour Dieu, car, dit-il 4 un ami qui le lui reproche : « I] faut bien prendre exemple sur quelqu’un ». Le

1979

DU

MONDE

»

DUBROUX

film s‘ouvre d’ailleurs sur un immense plan de New York (en scope noir et blanc) écrasé sous un ciel lourd. On dirait Jerusalem vu par l’ceil divin du haut de Golgotha. A l'Est, la production cinématographique échoppe toujours au méme probléme: la machine étatique. plus que jamais triomphante. Un journaliste célébre, dans Sans anesthésie de Wajda, sy cogne cl a force de persécution se trouve acculé au suicide, Elle se met cn scéne de fagon mugistrale avec Rhapsodie hongroise de Jancso. illustration haute en couleur de la notion « d'art étatique » : un art de commémoration patriotique masqué par le brio d’une rhétorique enflée d'allégories et d’académisme, dans Iequel les mouvements de foule et de caméra combinés décrivent des cercles concentriques plus impuissants que jamais 4 percer I'écran des fantasmes de Mauteur. Quant a l'Europe, dans ce relevé cartographique mondial, on la retrouve dans son rdle de gardienne en titre des traditions culturelles, adaptant des ceuvres littéraires importantes {« Le Tambour », « Woyzzck ») quand elle ne se couvre pas de ridicule dans des fictions séniles et réactionnaire (Caro Papa de Dino Risi). (1) A cette bréve exploration synchronique, on peut substituer une autre, de type diachronique. On s‘apergoit alors qu'il y a un nombre important (onze) de « films d’époque » dans cette compétition officielle, et que pour nombre d’entre eux, cet ancrage dans le passé sert 4 masquer la faiblesse de la fiction (absence de réel projet cin¢ématographique) sous les oripeaux charmants du temps passé. 47)" Brilliant Carcer de Gill Armstrong, en est un exemple typique : on y voit une jeune fille au début du siécle, prise entre son désir d’écrire (on ne sait pas exactement quoi) et le désir d’¢pouser l'homme que lui destinent deux grands-meéres trés collet monté mais pince sans rire. Bien qu’on lise dans lc press-book que ce sujet est d'une brulante actualité, on ne voit pas ce qui dans le film pourrait bien nous interpeler d'une maniére quelconque, car une fois dtés les jupons froufroutants de la jeune héroine et les collets montés des deux grands méres victoricnnes, l'histoire ne résiste pas a leffritage du temps: elle tomberait immédiatement en poussiére comme une momie sortic dune. vitrine. Dans la plupart de ces films, te costume, le temps (!"habit du temps) c’est ce qui garantit au spectateur la longueur d‘avance et la distance

CANNES

1979

nécessaire pour godter ces pochades d'un autre age. En fait ils se servent de leur historicité pour faire illusion. Dans Fenmune entre chien et loup de Delvaux, un grand théme historique. la seconde guerre mondiale, sert de support a une fiction qui montre une femme prise entre l'amour de son blond de mari

flamand collabo et de son brun d'amant wallon résistant. A ce

personnage de femme prise entre chien et loup, il n’est guére possible (ni souhaitable) de faire passer fe cap de la mode de la mode rétro. Costume, époque, ne servent la aussi qu’a colmater une fiction empesée encore par l’académisme du jeu ct des

images.

Les Moissons du ciel, plus qu'un film d’époque est un film sur le temps diégétique (les saisons. les heures du jour rythment le travail des hommes) et le temps météorologique (le ciel : ses couleurs, son étenduc. ses intempéries) qui déterminent la desLe Tambour de Volker Schloendorff

tinée des personnages. On peut reconnaitre au film de se circonscrire 4 son sujet, aussi transparent que la magnifique lumiére d’Almendros. . Le Tambour est aussi un film d’époque, une fresque de vingt années de montée et de retombée du nazisme dans une région

limitrophe de I"Allemagne. Mais le traitement de Phistoire (et de I’Histoire) est, si l'on peut dire, déformé, vu d’en bas, du

point de vue d’un enfant qui décide d’arréter sa croissance. et qui, a partir de cette détermination doublement (enfant et nain) et volontairement minoritaire, fait de la scene historique une monstrueuse parade de géants : ces adultes gonflés (monstrueusermnent) comme des baudruches pendant le nazisme,

Aussi cet effet de maitrise, caractéristique des films d’¢poque

dont on a parlé, le spectateur conforté dans sa croyance dans le pouvoir de ‘Homme sur les espaces et le temps, se trouve

dans Le Tambour soumis a une torsion salutaire, comme se trouve barré tout fonctionnement muséologique des signifiants (tous les films d’*époque ne sont pas, heureusement, des entre-

prises de momification du cinéma : habillage de fictions avec

les effets du temps ou le principal ressort émotionnel tient au culte de la relique). Le Tambour n’échappe pas cependant a cette capitalisation a son propre compte de la nostalgie du spectateur pour le référentiel perdu. Comme My Brilliant Career, Les Moissons du ciel, Femme entre chien et foup, Vic-

toria, Rhapsodie hongroise, ils sont tous plus ou moins vélléité

de réappropriation de ce réel et de ses valeurs ancestrales : hymne a la terre dans Les Moissons du ciel, artillerie symbolique de la femme-mére-terre et de l’arbre corrompu plongeant ses racines dans la terre, dans le film de Delvaux, nostalgie chez Oscar (le héros du Tambour) des hospitaliers jupons de sa grand-mére sous lesquels déja deux générations se sont abri-

tées.

On le voit, il y a quelque chose de casanier dans ces films : maison de la femme entre chien et loup, lovée sur elle-méme comme les béguinages (son départ final ne bouscule pas la rhétorique « fonciére » du film), nostalgie de la terre nourrici¢re dans Ley Moissons du ciel... scénarios dont le cheminement consiste a retrouver la réalité fantasmatique d'un univers perdu.

Ici trois films font rupture. Sans anesthésie (Wajda), Man-

hantan (Allen), Apocalypse Now (Coppola), dont le point de départ est la perte du repére territorial et la disparition du référentiel.

Sans anesthésie: un reporter célébre revient chez lui au

moment méme oll une émission de télévision qui nous le montre interviewé nous dit déja que son vrai territoire est celui, sans réalité, des media. Ce dont il ne va pas tarder a s’apercevoir :

« LE CINEMA

DU MONDE

»

son foyer, son épouse, son travail... tout part; et cette situation qu'il ne parvient pas 4 assumer le conduira a la mort. Issue tragique pour un voyageur. Mais il est d‘autres issues pour ces personnuages sans territoires, et d'autres types de voyageurs. Ainsi, Conrad : « La phipart des marins, ménent, si l'on peut s exprimer ainst, une vie sédentaire. Leur dine est casaniere, leur maison, le navire, est toujours avec eux, mais pareillement leur pays qui est la mer..». A Vinverse, Manhattan (sa ville, son quartier. sa maison, son navire pourtant) est pour Woody Allen l'inconnu perpétuel, le terrain d’aventure, l'infini sans cesse producteur de départs. Plus d’assise. plus d’ancrage, plus de repéres ici, seulement des rivages friables, des rencontres, des discours. de la parole, de la dépense, de la perte. Chez Woody Allen pourtant c'est sans cesse le méme engagement, la méme remise en jeu d'un systéme qui ne se garantit jamais d'un tuteur historique ou d'un guidage narratif. Fiction pure du réel oublié et content de l'étre, dérivant sur un flot de discours. I faut dire fa modernité

de ce cinéma-la qui, de Playrime (qu'on

peut revoir en ce

moment) a Afanhatian, joue avec lucidité de ce monde perdu. Capitalisation d'eflets d’époque et de voyage ou engagement

a vif de la fiction et de l'auteur: c'est bien ce qui fait la diffé-

rence entre les films anciens déja agés, et des films contemporains: The Deer Hunter et Apocalypse Now, qui wont pas fini d°étre comparés. Dans Ie film de Cimino, la boucle est simple : on s’aimail, on était bien chez soi, entre soi, on est parti pour un voyage au bout de lenfer: au retour, on aime encore plus

son chez soi et gare a qui oubliera ses attaches (c’est le sens du

triste hymne final). Capitalisation du voyage, de l’'aventure au profit du foyer, épreuve salutaire pour faire apprécier la maison, la frairte. la patrie: repli sur soi.

Dans Apocal:pse Now: dés le début, la maison est loin. les

illusion aussi: « Saigon!» dit Martin Sheen. lofficier perdu en entrebaillant son volet métallique. Impossible retour et le

port est trop loin. Nouveau départ, donc, seule issue. Aussi ce

bateau qui lui fait remonter jusqu’aux tréfonds de la jungle vietnamienne (exposé et dérisoire, se cognant sur les rives puis Tepartant) devient-il peu 4 peu le sujet du voyage. dont l'objet se perd dans !’étenduc du parcours (2). L’essentiel n’y est pas ce qui sc joue sur Ic bateau entre les personnages mais les rapports du batcau et du fleuve {son flot et ses rives). Modernité de ce film sur la guerre américaine au Vietnam dont le tournage lui-méme a redéployé de fagon quasiment hyperréaliste les conditions. Magistralement filmé, l'hyperréalisme de cette guerre elle-méme : la rencontre inoute de ces programmes spéciaux de Radio Saigon a destination des G.I. enveloppant le paysage victnamien de la guerre des tubes 4 la mode en Amérique («O Suzy Q »). Et finalement, au bout de ce voyage, l"apprentissage des lois de l’organisation humaine cnfouies dans la nuit des temps. Découverte utopique, impossible. sans objet, sans effet, sans réalité méme (le contraire du trésor). En tout état de cause intenipestive, comme la fiction elle-méme, marque selon Carmelo Bene (cité par Deleuze dans « Superpositions ») des grandes ceuvres... de tous les temps. D.D. L. Ine sera pas question ici des films frangais de la compétilion officielle : Les Seurs Bronté d' André Techiné, Série noire d'Alain Comaud et La Drélesse de Doillon, dont il est parlé par ailleurs dans ce numéro.

2. Apocalvpse Now. de ce point de vue. est lanti « 20 000 licues sous les mers» et le batewu l’anti-Nautilus, figure selon Barthes (dans un texte ancien de « Mythologies ») de cette cosmogonie lermée, de cette reduction bourgeoise du monde a un espace connu et clos, auquel i] opposait Ie Bateau lyre, libéré de sa concavité, de Rimbaud, dont la derive du bateau d'-fpoca/vpse est cerlai-

Nement tres proche.

Sans anesthésie

d'Andrej Waida

CANNES

LES ANCIENS

1979

ET LE NOUVEAU

PAR SERGE

LE PERON

«Cette année, les meilleurs films de Cannes ¢taient au Grand Palais », entend-on. C’est sans doute vrai. Mais on peut se demander s'il n’y a pas la plus qu'une clause de style, I’cffct d'une tautologie, celle de la machine cannoisc, parvenue dix ans aprés son redémarrage (cerné par de multiples manilestations paralléles dont «la Quinzaine des Réalisateurs» ct « Perspectives ») a la confection d'un idéal standard de films,

distribution indépendant face au monopole d’U.G.C. Les logiques ne sont pas les mémes: polissage et standard de qualité d'un cété (logique pyramidale : catégorie « peut mieux faire »,

et modernes ainsi que de moyens importants), auxquels les films viennent se conformer. En 1979 sc trouve réalisé le point d'équilibre optimum:: le festival de Cannes se renvoic a luiméme l'image du modéle qu'il a créé. [I lui aura fallu déployer une logique du centre, qui a réussi 4 remettre sur orbite, dans

C'est quand, face 4 cette dynamique, les partis pris ne sont pas clairs que peuvent naitre les malentendus. La « Semaine de la critique » par exemple, ne laisserait sans doute pas dans les esprits un souvenir impérissable. Elle a selon son habitude permis de faire émerger a la surface de Cannes un certain nombre de films, mais comme ces athlétes qui, ayant mis toutes leurs forces a passer les ¢liminatoires, disparaissent immédiatement au moment de leur prestation publique ; ainsi ce film bulgare intitulé Entends le cog (Stefan Dimitrov), ce film espagnol dit

4 un étalonnage cinématographique (fait de qualités culturelles

le cycle de ce qu’on désigne par marché du cinéma mondial. l'ensemble des films projetés.

Logique implacable quia rapidement destiné les manifestations paralléles a une méme finalité ; contribuer a modeler, année aprés année, un type de Film-Standard-Cannes (1). Et les sections n’ont pas manqué a la tache: clles s’enorgucillis-

sent méme, a juste titre, d’avoir drainé vers le festival officiel

quelques-unes de ses gloires: Bertolucci pour la « Semaine internationale de la Critique », les Taviani pour la « Quinzaine

des réalisateurs ». Dotées d'un regard plus large, de possibilités de balayage plus étendues et cn profondeur, elles ont bien rempli leur rdle de défricher pour le centre.

L’élément nouveau cette année est d'ailleurs que le festival

semble avoir aussi trouvé sa vitesse adéquate en ce qui conceme sa propre section paralléle (« Un certain regard »); celle-ci a. en effet. géné les « véritables » manifestations paralléles (en fait, les plus anciennes). C’est que la aussi la logique centripéete l‘emponrte : tirant les enscignements de ces manifestations off, on a vu au fil des ans la direction du festival tendre a assurer elle-méme son service Prospectives, s'ali¢ner son département Recherche, se payer ses défricheurs maison : mettre au point « Un certain regard ». Et plus prés des commandes. il n’est pas étonnant que cette section ail plus attiré les réafisateurs que les autres manifestations puisqu'au lond toutes tendent vers le centre. Le risque est désormais cher: que la

« Quinzaine », « Perspectives », la « Semaine » ct les autres

deviennent des sessions de repéchage pour lilms recalés au festival officiel. Et pourtant fe maintien de sections autonomes a autant d‘importance pour le cinéma que le maintien d'un réseau de

jusqu’au sommet); filmsa vif, hétérogénes, de l'autre (2) (logique horizontale qu’il faudrait peut-étre étendre a d’autres techniques:

la vidéo

par exemple

qui fournit chaque

produits importants : Godard, et d’autres...).

année

des

de l'aprés-franquisme (car il a été fait depuis la mort du Caudillo et qu’on y parle de la guerre civile: La rabia de Eugeni

Anglada); ce film canadien sur les sceurs trés dévouées d’un

couvent au Québec (Les Servanies du Bon Dieu de Diane Letourneau), ce film autrichien sur Schubert (En éirangerje suiy veau, de Titus Lebert)... Aussi, dans cet ensemble. Northern Lights n’a pas eu de mal a se maintenira flot. Co-réalisé par Rob Nilsson et John Hanson (fondateurs d'un groupe de cinéma indépendant a San

Franciso: Ciné Manifest), le fitm retrace les péripéties de la naissance de la Non Partisan League (groupe de défense de paysans contre les expropriations) du Nord Dakota vers 1915,

a travers Vaventure dun jeune fermier chargé de recruter des

adhérents pour la ligue. Henry Martinson (95 ans) héros authentique de cette époque, est la voix a partir de laquelle est racontée toute cette histoire, et le garant documentaire de la véracité des fhits.

Film souvenir. Northern Lights, réalisé par des cinéastes citant des modéles récents (Cassavetes, Bergman), n’utilise curicusement que des matériaux anciens, avec le respect et lenthousiasme (ct ‘application : le film a obtenu la « Caméra d'Or») de petits fils pour leur grand-pére bien aimé. Aussi repassent-ils scrupuleusement sur les traces des ainés : pellicule noir et blanc, regard quasi documentaire a lceuvre dans la photographie sociale de la décade Roosevelt (Dorothéa

Lang. Ben Shahn, Arthur Rothstein), mise en scéne (Vidor de

Notre pain quotidien, Ford des Raisins de la colére, Hawks) et

as

CANNES we

1979

Northern Lights, de John Hanson et Rob Nilsson

typage (le personnage principal compose subtilement sur son visage les traits légendaires de Tracy et Fonda des années 30) de cette époque ou le cinéma américain et le cinéma soviétique se faisaient parfois écho (on pense a Dovicnko, sans doute a cause de cette lumiére singuliére des plaines enneigées: a Eisenstein en particulier lors d'une séquence dans-un champ avec une moissonneuse — sans doute la premiere que voient les personnages — qui ressemble a s*'y méprendre — et jusque dans les gros plans chers aux Cahiers - ala séquence de I’éeremeuse mécanique dans La Ligne générale), Matériau ancien (ou recréé comme tel) ct matériau venu de ancien : car le régime fictionnel du film est bien celui-la : c'est la figure du vieux dura cuire hawksien (dont Ie mythe persiste encore aujourd'hui réellement avec John Wayne qui, malade. refuse longtemps de mourir), qui réalimente et redonne vie a ce personnage du courageux fermier en lutte contre l’injustice, aimant par-dessus tout sa femme et sa terre. Energique ancétre qui exécute au dernier plan, devant la caméra des petits médusés, un athleétique poirier. Une histoire de famille done (par ot le film évite un regard extérieur), comme le film de Fassbinder (Die Drive Generation) programmé a «Un certain regard» (3). Cette fois le grand-pére est nazi, et le petit-fils membre de la Fraction

Armée Rouge. Entre les deux il y a un pére policier. Fassbinder. lui, filme la troisiéme génération.

A nouveau avec ce film apparaissent les capacités irremplacables du cinéma de Fassbinder. II est certainement le seul cinéaste allemand (et peut étre le seu) cinéaste au monde avec Godard, pour d'autres raisons) 4 pouvoir filmer Ie terrorisme contemporain en action. SchloendoriT ou Reinhardt Haut?

peuvent a Ja rigueur filmer le systeme de répression étatique allemand et ses répercussions sur la vie d’individus innocents, Wenders peut filmer lerrance. Herzog horreur (Syberberg en fera peut étre un film grandiose), mais qui d’autre que Fassbinder dispose d°un systeme de réalisation et d’écriture suffisament rapide, suffisament moderne, suffisament direct pour sattaquer a la représentation d’un tel sujet? Cest qu'il est le seul a pouvoir filmer les terroristes sans emphase, sans empoissement idéologique, et au fond. sans crainte, sans inhibition d’aucune sorte. C’est-la grande liberté de son filmage. son extreme mobilité qui font la qualité essentielle des films de Fassbinder. Cette fois les terroristes- filmés non parce qu'ils ont raison ou parce qu‘ils ont tort. parce qu'il faut les comprendre ou parce qu'il n'y a pas d’explication, non pour ce gquils sont devenus, ce qu’ils devraient étre, ce qu’ils représentent... mais parce qu ils sont id, et qu'il est impossible dans l'Allemagne actuelle de faire impasse cinématographique sur eux. Filmés non a partir de leur univers psychologique ou d'une analyse politique, mais tout simplement (tout filmiquement) 4 partir de leur éfre - /4, a partir de corps mis en action. D’ot l'importance des acteurs (du casting en particulier) chez Fassbinder : c’est dans une maniére de déplacement, un geste, une pose, une maladresse, le port dun vétement ou d'un déguisement. le port du corps lui méme (corps ostcntatoire, jamais 4 la bonne place dans sa peau) que se trouve le formidable ressort émotionnel de ses films. Corps prégnants et fragiles a la fois, ici dans la posture du Hugo des « Mains sales » venu pour tuer et qui se donne limpression de jouer la comédie : le corps fréle de Bulle Ogier, le masque d’inquétude de Harry Bacr, Ja masse apaisante qu’est Je corps de Gunther Kaufman (le gros Franz), tous frappés de la méme précarile. Ainsi, mythe ou réalité, le terrorisme contemporain se trouve

wie LES ANCIENS

ET LE NOUVEAU

35

La troisiéme génération,

porté aux dimensions du-corps humain, son existence sainement ramené, en quelque sorte. 4 sa preuve matérielle. Aux antipodes de ce cinéma fondé sur I ‘étre-la des choses, la trivialité des corps et leurs déguisements. |’épaisseur opaque des visages et des situations, il y a ces films dont la destinée est

d’étre soumis a la maitrise d’une technique mise au point par

ailleurs, de maniére telle qu'y apparaissent parfois essentiellement les rovages de cette technique. C’est le cas par exemple de Old Boyfriends (de Joan Tewksbury, scénariste de Nash-

ville) dont le scénario a été confié a ces techniciens assidus que

sont les freres Schrader. Malgré un filmage plutét précis et efficace (dans le genre séries télévisé), c'est la mécanique scénanque qui ne cesse d’étre toujours la, comme en transparence. la

réalisation constituant en quelque sorte le tamis au travers

lequel

filtre le récit.

On y voit une idée de départ trés prometteuse : une jeune femme décide de remonter le cours de son initiation amou-

reuse, de rejouer le journal de son adolescence (c'est un peu la situation du film lui méme: un scénario a (re)jouer), en revivant avec les mémes hommes les situations qui autrefois l’ont affectée, en repassant réellement histoire qui de ces premiéres fois (premier rapport sexuel. premiéres caresses, premier baiser) dans une position de maitrise absolue. On y voit ensuite le récit se stratifier, et le personnage de la fille se préciser dans les investigations auxquelles sa premiére victime se livre. Et puis on apercoit le récit hésiter et prendre soudain un sens moral et puritain qu’on ne lui demandait pas (une legon de conduite dans la vie faite par un psychiatre réactionnaire), et Je film tourner court. S’y manifeste donc ce qui

était déja repérable dans Hardcore : une idée-force au départ et

de Rainer Werner

Fassbinder

un scénario qui ne fait que la déplier, comme s*il manquait au systéme artisanal mis en place par Paul Schrader, I’énergie d’un systéme a la hauteur des ambitions des projets filmiques. Cette adéquation de la machine et du projet. on peut la voir

4 lceuvre dans le film de James Bridges. Ching Syndrome (pour

lequel, ce n’est pas un hasard, une major, la Columbia, a fourni - pour ce film sur le nucléaire - l’énergie de sa machine).Son histoire est édifiante : un scénario original sur les media écrit par un documentariste politique de Chicago (Mike Gray) ayant fait scandale avec des films sur le Black Panther

Party: un scénariste de métier (T.S. Cook) alors appelé par

Michael Douglas (acteur et producteur du film),afin, dit-il, d’en « parfaire la ligne dramatique »; la rencontre avec la maison de production de Jane Fonda travaillant alors 4 un projet sur le nucléaire et ses dangers: la fusion des deux projets: le scénario relu et corrigé par les plus éminents experts; des conférences, des visites de toute l’équipe dans une centrale

nucléaire; l‘Oscar de la décoration 4 George Jenkins (déja pour

sa reconstitution minutieuse du « Washington Post » dans Les Hommes du président), pour la reconstitution de la centrale du film... Et finalement le film est exposition d’une pure machine fictionnelle en action, dont la perfection technique et la précision horlogére des assemblages, la qualité de Poutillage. le régime énergétique optimum. constituent le message essentiel: que ce sont des machines qui s‘affrontent

aujourd’hui,

et que,

dans

une

société

donnée,

la bonne

machine doit chasser la mauvaise. Dans le film, une machine d'information puissante (toujours selon la croyance américaine connue en la matiére, le lieu, la chance de la manifestation de la vérité, le camp du peuple) contre |’industrie nucléaire (dernier objet du capitalisme, machine de guerre et .de secret) condamnée pour cause de manque de franchise,

CANNES

The China Syndrome,

de James

1979

Bridges

lourdeur, danger, immobilisme et inefficacité : vices graves de construction face auxquels le film se doit d’afficher une mécanique sans faille.

Ce n’est certes pas le moindre paradoxe de Cannes de mettre en concurrence. sinon en compétition. des films au régime aussi différent que China Syndrome et par exemple Fadjal, film sénégalais de Safi Faye. Mais tout de méme, on a le sentiment qu’avec ce film, l’Afrique est au dessous de son potentiel énergétique réel. Je veux dire celui des conteurs, des faiseurs de récits qui tiennent dit-on en haleine leurs auditoires des jours entiers (c’est ce qui permet a Godard de dire que les concurrents les plus sérieux des américains, «les plus forts pour raconter des histoires », ce sont les africains). Aussi on

comprend mal que Safi Faye ne veuille filmer dans son village

natal que ce qui reléve de |’ethnologie la plus impersonnelle et qu’elle organise tout ce matériau en tétes de chapitres (gestes du travail, de la récolte, rituels du mariage et des funérailles) comme pour un traité de sciences humaines. On regrette un peu qu'elle ne conjugue pas ses personnages et ces situations a la premiére personne du singulier. Apres ces entreprises de mise en boite (parfois talentueuses mais assez vite répétitives) des gestes et coutumes, certes précieux, mais toujours livrés dans une sorte de froide objectivité. auxquelles nous ont habitué les voyageurs et les ethnologues, on s’attend a ce que les cinéastes africains soient autre chose que des conservateurs de

bibliothéque (Sembene Ousmane et Sidney Sokhona y ont déja réussi).

Question d’histoire. Dans les cing films passés ici en revue, Vhistoire est liée a un grand-pere (traditionnellement conteurs

Mhistoires): Pancétre glorieux de Northern Lights, le grandpére nazi de La Troisiéme génération, le psychiatre réactionnaire de Old Bovsriends, le vieux savant de China Syndrome (joué par Jack Lemmon) et bien sir le vieillard de Facdjal. La premiére question est alors celle-ci : dis-moi qui est ton grand pére (vieux réac ou pépé lutteur) et je te dirai quelle histoire tu me racontes. car quatre d’entre eux lui confient le mot de la fin. Seul Fassbinder inverse la relation: ce sont les petits-enfants qui ne sen laissent pas conter, qui racontent, en actes cette fois, leur guerre aux grands-péres de Allemagne contemporaine. L’effet ne se fait pas attendre : on a alors affaire a un récit iné-

dit.

S.L.P.

1. L’intérét d’Apocalypse Now tient aussi au fait qu'il se situe au-dela de ce standard et qu'il comporte en cela un tour supplémentaire (qui a beaucoup agacé la présidente du jury Francoise Sagan) par rapport au Tambour. 2. Logique qui a permis exemple des films dont place forte du cinéma. ce surtout) s‘ils fonctionnent

de montrer a « Perspectives » par la présence est nécessaire sur cette temps fort quest Cannes, méme (et sur un autre registre : films qui ont

de l’intérét en dehors de la logique dominante.

3. Ou étaient aussi programmeés deux autres films remarquables: De la nuée a fa résistance (Straub-Huillet, voir larticle de Oudart dans ce numéro) et Les Petites fugues (de Yves Yersin, dont il sera question dans un prochain numéro).

CANNES

LES OBJETS PAR

1979

ET LES COUPS

NATHALIE

HEINICH

« II nous faut donc chorsir des objets véritables,

objectant indéfiniment a nos désirs. Des objets que nous rechoisissions chaque jour, et non comme notre décor, notre cadre; plutét comme Nos spectateurs, nos juges; pour n’en étre, bien

sdr, ni les danseurs ni les pitres. »

Quelques chiffres

Environ soixante-dix films présentés par les cinq sélections,

et quatre cents au seul Marché du Film: voila qui en dit long sur les enjeux réels de Cannes, ol les commandes se passent sans bruit derriére le crépitement des flashes et le cliquétement des machines a écrire (sans compter les jacassements). Mais

revenonsa nos sélections : si l'on admet un cofit moyen de 300

millions de centimes pour les films présentés (approximation trés modeste si I’on pense aux 17 milliards du Coppola), cela

fait quelque 210 milliards dont nous sommes chargés, 4 quatre,

de rendre compte. Etant donné que la pige aux Cahiers est de 2 centimes le signe, qu’il y a environ mille huit cents signes dans un feuillet dactylographié et que le total de nos quatre articles n’excédera vraisemblablement pas une soixantaine de pages. on peut calculer que nous toucherons en tout moins de 2200 F. (a partager en quatre) pour rendre compte de plus de

200 milliards de centimes. Samedi 12 Série noire

Il y a trois raisons qui m’ont fait aimer Série Noire : la premieére, c’est le scénario de Georges Perec (je n’ai pas lu Des cli-

ques et des cloaques dont il est adapté) qui, dans la direction

déja bien explorée du héros pauvre mec, pousse aussi loin que possible ce mélange d’attendrissement et de répulsion qui fait, dans ces moments-la, horrible jubilation du spectateur-— tout en ménageant un « suspense » permanent entre le pathétique et le grotesque, la bain de sang et la cuite, qui barre toute avance sur le film (chose rare en ces temps de complicité louche instaurée sur le dos du film entre auteur et spectateur). La seconde raison, c’est le jeu de Patrick Dewaere. pour une fois bien au-dela (ne serait-ce que par la qualité du film) de ses prestations habituelles ; le bruit a couru a Cannes qu’il n’y avait la que cabotinage, maisje tiens 4 démentir: une telle violence (je he trouve pas d’autre mot) n’est manifestement plus de l’ordre de la mise en représentation, ni méme de ‘identification de l'acteur avec le personnage (dont !’excés permanent, au bord de la perte d’équilibre, rendait déja difficile incarnation), mais de ordre de l’exténuation méme du personnage dans le corps de Vacteur; lorsque Dewaere se frappe la téte contre un capot ou s’engloutit dans une baignoire, on est au-dela de la prouesse physique — on est dans la tension de l’émotion devant cette vio-

Francis Ponge

lence exerceée contre soi-méme, qui redouble la tension ména-

gée par le scénario, La troisiéme raison enfin, c'est la mise en

scene d’Alain Corneau, parfaite au lieu qu'elle s’est choisie (a-

t-on, a propos de lieu, jamais mieux fitmé la banlieue ?): sans

faiblesses et surtout sans « effets », mesurant son ambition a la

dimension de son projet, elle donne l'impression (rare en ces temps de riches faiseurs et d’auteurs fauchés) d’un film enfin « bien dans ses pompes » (et lidée que si le cinéma a quelque chose a attendre de ses cinéastes, c’est de ceux qui attendent du cinéma une profession plutét qu’un moyen d’expression. Mieux vaut un bon métier qu'une mauvaise vocation). J’ajou-

terai pour finir, 4 mon anthologie personnelle des grands morceaux de cinéma, l’admirable pré-générique du film. Bref, un

bon film de série. Attendez-vous, en plus, des Visions ? Allez

done au cinéma. Dimanche

13

Félicité Pour voir, par exemple, élicité de Christine Pascal (Pers-

pectives), qui de visions n’est pas avare : fantasmes et souvenirs

d'une fille abandonnée, « toute la nuit », a la solitude et a la jalousie. Souvenirs parfois pesants et parfois émouvants, par-

lois justes (les jeux de la mére et de la fille), fantasmes toujours vulgaires au sens ou leur banalité et leur grossiéreté (qui sont le lot de tout fantasme, si personnel et si troublant soit-il) sont

livrées telles quelles, mises a plat sur I’écran avec l’idée (fausse) qu'il suffit d’exposer un authentique fantasme pour en faire une image intéressante — un support a fantasmes. Or rien n’est

plus loin d’une image (publique) qu’un fantasme (privé), et rien n'est

plus

lassant,

c’est bien

connu,

que

les fantasmes

des

autres, Seuls sont censés s’y intéresser les psychanalystes, parce

qu’ils sont payés pour ca. Christine Pascal a tort de prendre le spectatcur pour son analyste, puisqu’il n’est pas payé pour voir son film (au contraire). Cela dit, elle paye quand méme, mais en monnaie de singe: je vous offre ma sincérité, prétez-moi votre estime ; je vous offre mon image, prétez-moi votre désir (échange dont elle sort forcément gagnante, puisqu'elle en régle les données : témoin la scéne chez le médecin, que C. Pascal ridiculise en jouant, pas trés honnétement, a la fois sur le besoin qu'elle a de lui et l’'avance qu'elle a sur lui). Bref la séduction s’exerce au culot (en faire toujours plus dans la transgression) sans que le spectateur en retire grand chose d’autre que la démonstration de ce culot. Ce qui fait, au total, un film pas dénué d’idées ni de finesses, mais pas irés sympatique.

CANNES

Lefebvre C’était dimanche midi;

1979

le soir 4 20h. pas trés solide aprés

le cocktail du colloque, j'ai vu Avoir seize ans de J.-P. Lefebvre (Quinzaine des réalisateurs), premier volet de I’« Autopsie d'une civilisation ». On y parle, 4 travers la reconstrution d’authentiques événements, de la vie des lycéens au Quebec, de leurs révoltes. de leurs rapports avec l’autorité. les institutions, les parents, eux-mémes. Comme c’est une histoire de désirs légitimes et d'interdits illégitimes. de pressions et d’oppression, on aurait pu s’attendre 4 une sorte de fiction de gauche, et comme il s’agit de l'auteur de L'Amour blessé, a une reconstitution naturaliste. Or Lefebvre s‘est tenu au plus loin de l'une et de l'autre : la majeure partie du film est construite de longs plans-séquences, faisant alterner systématiquement les travellings-avant et arriére ou (si mes souvenirs sont bons) les panoramiques. jouant sur la voix offet la musique, la disjonction de l'image et du son. Le tout multiplie les prises de distances a Pégard de l’objet — distance qui s’effondre, étrangement, avec les scenes de féte familiale quasi ethnographique ; les marques de l’énonciation s’effacent alors derriére l‘objet filmé, dont rien de plus n’est dit pour autant (c'est la la régle de tout cinéma. ethnographique) que lorsqu’elles s‘exhibaient a longueur de travellings. Reste alors impression que le cinéaste, hésitant entre mettre son objet a distance et y coller au plus prés, n'a fait dans les deux cas qu’alimenter sa propre fascination exprimant beaucoup moins de l'objet qu'il s’est choisi (on apprend peu, finalement, des ces lycéens) que de son propre désir de filmer: une passion en perte continuelle d’équilibre qui lait de ce film, malgré ses artifices et ses velléités. l'un des plus étonnants et des plus « honnétes » (entendez-le comme i] vous plaira) de la Quinzaine.

Félicité, de Christine Pascal

Lundi 14 Godard avait raison : comme les monstres croyaient aimer le cinéma, ils allaient voir des films; mais ce n’était pas par

plaisir, c’était pour obéir a la Loi. Par exemple je suis chargé

de vous parler de Julio comienza en Julio de Silvio Caiozzi (Quinzaine), film chilien réalisé au Chili, avec des images de Nelson Fuentes (tournées malheureusement dans un sépia rétro vite écceurant) dont la virtuosité écrase completement une velléité de métaphore socio-politique, vite engloutie dans 115 minutes de formalisme pimenté de grivoiseries bon ton, et soigneusement vidé de tout présent. Film symptome de ce que peut étre une production libérale sous un régime fasciste ? Ce soir-la, en regardant passer les gens a la terrasse du « Blue

Bar » (une tartelette aux fraises:

12 F.), j'ai pensé aux films

qu’on a aimés, et dont il ne reste rien, aux films qu'on n’aime pas mais dont il reste un plan, deux plans, une image. Et je me suis dit : si les millions partent en images, ou vont les images ? Mardi 15 Deux moyens métrages étaient présentés par Perspectives :

Passage de Flandre de Alain Rémond, et Pour Mémoire de

Jean-Daniel Pollet. Le premier est une sorte de documentaire sur un lieu, avec une musique mais sans commentaire. Il semble caractéristique de ce qu’a pu produire influence de News

from

Home,

introduisant

dans

le cinéma

« industriel » des

libertés réservées jusqu’alors 4 l"expérimental — malheureusement sans la rigueur du propos, le sens du rythme et Ja force des rapports images/sons qui sauvent Chantal Akerman de tout formalisme (ne pourrait-on en dire autant, #miutatis mutandis, de Félicité par rapport a Je Tu I Elle?) Pour Mémoire s’inscnit plus directement encore dans la tradition du documentaire avec, sur de trés belles images d’une fonderie, un

LES OBJETS

ET LES COUPS

39

commentaire philosophique qui, développant une quasi-mystique du travail, s‘inscrit en porte-a-faux (en surplomb) par rapport a son objet - dont, par ailleurs, il ne dit pas grand

avait des femmes nues, du sang, des discours politiques, des usines et de la grande musique, et que j‘étais génée par les lumi-

pour aller vite. qu'il! manque du son (mais ni en volume ni en, quantité), soit qu’il y en ait trop; tout semble se passer comme si, de plus en plus, les recherches cinématographiques se bornaient a un travail sur image a partirde laquelle on tente, tant bien que mal, d’adjoindre un son (revenons unc dernieére fois 4 Chantal Akerman pour rappeler qu’a cet égard Hotel Mon-

je ne trouverais que « pomographique », mais comme j'ai peur détre injuste, je préfére donner la parole au réalisateur: «J'ai

chose. Ce qui est frappant dans ces deux films. c’est qu’d la qualité de l'image ne correspond pas !"équivalent sonore — soit,

terey représentait un salutaire décrassage). Impérialisme de

Vimage sur le son dont les signes se sont multipliés 4 Cannes, tant par le nombre de films qui ne « tiennent » que par leur «belle image» (fiit-elle signée Nuytten), que par l'évidente domination des chets-opérateurs parmi les techniciens participant au colloque « Création et Technique ».

Et maintenant, je tiens 4 préciser que si la projection de L'Oiseau de madame Blomer (Perspectives) a 20 h. au Star IIE,

était immonde (salle glacée par une climatisation défectucuse, son trop fort et déformé par un bourdonnement ininterrompu, sautes d'images etc), ce n’est pas pour cela que j'ai détesté le film de David Delrieux, ni méme 4 cause de la morbidité de son sujet (les enfants myopathes, c’est-a-dire alteints d'une atrophie musculaire qui les condamne a Ia paralysie et a la mort avant l’age de, vingt ans); ce que j'ai trouve insupportable, c'est la maniére dont le réalisateur se protége en multipliant les

écrans, les fausses mises a distance de son sujet (un peu de

vidéo, un peu de théatre, un peu de document, un peu de fic-

tion): mise 4 distance qui lui fut peut-étre nécessaire pour affronter une telle réalité, mais qui prend vite un aspect « petit

malin » et apprend peu de choses, au demeurant, sur l’adolescent myopathe (obligé de surcroit a jover son propre réle, a mettre en scene sa propre détresse — ce que je trouve éthiquement inadmissible). Etrange, encore une fois, le nombre de films qui en disent plus long sur le désir (ou l’impuissance) du

cinéaste que sur l’objet qu’il s’est choisi... Mercredi

16

Spirit ofthe Wind de Ralph R. Liddle (Un Certain Regard).

Ce qui touche dans cette histoire (vraie) d'un jeune gracon han-

dicapé par une tuberculose osseuse. a demi déraciné de ses origines et qui deviendra champion mondial de traineau, c’est avant tout les images du Grand Nord et les aventures a la Jack

London, a mi-chemin de Jeremiah Johnson et Derzou Ouzala.

Mais lorsque, au bout d’une heure, l’aspect compétition prend le dessus, relevé par le poncif humaniste de la victoire sur soiméme et de la volonté triomphant de I’adversité, on se sent un peu débilité malgré le froid vif qui régne sur I’écran ; et parce que tout est agencé (montage, vitesse, musique ad hoc) pour vous faire vibrer aux images de course, on vibre de mauvaise grace et on finit par s’ennuyer. Bref, que ce soil un film « Chouette » (8-14 ans environ) n’interdil pas d'affirmer qu’il s’inscrit dans la grande tradition du film paviovien. Au premier plan de Cronica de um industrial (film brésilien de Luiz Rosemberg, présenté par la Quinzaing) - i] devait étre 17h. O1 — j'ai eu l'espoir de pouvoir le qualifier de « godardien», parce qu’il commence par une citation de Godard (« Toujours le sang, la peur, la politique, argent »). Quelle fat suivie par une phrase de Malcolm Lowry ne gatait rien, mais je me suis quand méme résignée, dés la premiére séquence, a me contenter de « sous-godardien ». [] ne devait pas étre plus de 17h 05 lorsque j'ai renoncé a qualifier le film. J’ai peu de souvenirs de ce qui s’est passé jusqu’a 18 h. 30, sinon qu’il y

gnons

bleus, beaucoup trop briltants, qui signalent les « Sor-

tie » de part et d’autre de !’écran du Star I (c’est d'ailleurs le cas

dans beaucoup de cinémas). Si on exigeait de moi un adjectif, vouluy que Chronique

d'un

industriel

suit un documentaire

généreun sur la liberté poétique, un regard profond et calme sur

la souffiance d'une existence politique formée dans le sang, le mensonye, et dont le langage officiel est la trahison. » (Dossier de presse).

Dans la méme salle étaient projetés, ce soir-la 4 22 h., les courts métrages présentés par la Quinzaine : Panuplie de Philippe Gaucherand (France), Vereda Tropical de Joaquim Pedro de Andrade (Brésil), Combattimento de Anna Kendall (France). /dvlle d'Aleksander Ulitch .(Yougoslavie), et Rumance de Yves Thomas (France). Panuplie est un‘ film sur et avec Jacques Monory (et Adriana Bogdan, décidément vouée aux peintres puisqu’elle fut l’actrice de Valerio Adami dans Vacanze nel deserto), quia le mérite de ne pas se contenter de montrer ses toiles, mais d’essayer d’en donner un €quivalent fictionnel autour des thémes du double, du miroir, du meurtre. Fiction pscudo-policiére que j’ai trouvée un peu faiblette, mais la démarche est intéressante et on sent que Monory s'y est fait plaisir. Ce qui n’est pas un reproche. Le film (18 mn.) est subventionné par la Fondation Maeght. Je ne vous dirai pas de quoi est fait Vereda

Tropical parce

que ce serait déja trahir "humour et la finesse d’un film qui traite de.sexe et de perversion comme il faudrait le faire plus

souvent : gaiement et (presque) chastement. Pierre Kast a raison d'écrire (dans le dossier de presse): Joaquim Pedro de Andrade, le plus secret, le plis corrosif, le plus sarcastique, et donc le plus ivrique des cinéastes brésiliens. dans cet épisode

d'un film qui voulait sans doute cueillir quelques lauriers d'un

commerce pornographique européen distingué, lance malicieusement au visage du voveur déconcerté un bol de vitriol.»

Jeudi 17

Midi: Afetroshima

:

de Tom

Drahos (Perspectives) est cons-

truit sur une bonne tdée: un homme

né le 16 aonit 1945, et

obsédé par la bombe atomique jusqu’a en perdre la raison, se réfugie dans le métro, abri anti-atomique ou il ne voit que rescapés de Hiroshima ou ennemis a abattre (dont son propre frére). Mais comme toutes les données sont fournies dés le départ (y compris la principale : la folie du personnage. lourdement appuyée par un discours psychiatrique en voix off), le reste du film se passe a altendre ce qu’on sait d’avance — situation pour le moins ennuyeuse. II est clair qu’en tant que telle la démence ne fictionne pas (4 moins d’étre. comme dans Psychose, la clé de votite er la piéce manquante du puzzle - sous forme, par exemple, d'une mére basculant en squelette). Bref, dans la mesure ou il repose sur wne idée qu'il tient telle quelle jusqu‘au bout, le film aurait fait un bon court métrage. D’autant plus que le noir et blanc des images du métro est fort beau. Le programme de courts métrages présenté par Perspectives fut peut-étre un des meilleurs moments du festival. Ce qui fait le charme du court métrage (lorsqu’il est bon, évidemment), cest de savoir qu’en quelques minutes il va boucler lidée a

laquelle il vous a amarré et dont en général on ne sait rien 4

Yavance (ce qui est de plus en plus rare dans le cas du long métrage), attente, découverte, embarquement, débarquement

40

CANNES

— sensations bréves et fortes qui, répétées cinq fois de suite, font

commie une vague de frissons dans Iéchine. Or ces films étaient

tous (in¢également) bons — et tout d’abord Colloque de chiens de Raul Ruiz, cinéaste dont non seulement j’aime tous les films, mais dont chaque nouveau film me fait encore plus aimer tous les autres. Celui-ci, bien qu'il ne fasse que dix-huit minutes, se situe au méme niveau que La Vocation suspendue, L’Hypothése du tableau volé, Les Divisions de la Nature (Ruiz parcourt la toute l’échelle des durées, pulvérisant la hiérarchie des meétrages : chaque film dure ce qu’il a 4 durer) : s‘attaquant au roman-photo, il s’inscrit exactement dans ce jeu des faux culturely dont il avait été question a propos de Rotterdam. et dont voici une des régles possibles : étant donné le cinéma (un dispositif'a images). fabriquez la piéce manquante (un élément de Ja culture), et vous obtiendrez un (vrai) film plus un faux (film/tableau/texte/roman-photo); entre temps vous aurez

été: dérouté/intrigué/fasciné/amusé/, et vous aurez: réfléchi/regardé/écouté/ri. Car Colloque de chiens est un film dréle,

non seulement parce qu’il fabrique un roman-photo plus vrai que nature (une histoire de fausse identité qui parle, entre autres, du retour des mémes dans les autres), mais aussi parce qu’il donne a rire sans jamais jouer le mépris: il ne s'agit pas en effet d'une « démystification », d’une lecture « au second degré » qui nouerait bétement deux intelligences (auteur et spectateurs) sur le dos du roman-photo {et de ses lecteurs), mais au contraire d'une véritable reconstruction de celui-ci avec les moyens du cinéma. En associant un texte en voix off une série Wimages, figées et enchainées comme (et mieux que) dans le

roman-photo, Ruiz rend a ce dernier ses titres de noblesse et,

cinéaste.

lui paye

son

tribut: qu’est-ce

en effet qu'un

film,

. sinon une série d’images associées a une narration —c’est-a-dire lessence méme du roman-photo, I’un des de la photographie au cinéma ? Voici donc logie, le cinéma rendu a la plus populaire gent canine rassasiée de sa part de fiction

passages privilégiés bouclée une généade ses origines, et la - car inutile de dire

que cette histoire-la, Ruiz ne l’a pas inventée : c’est un vrai dialogue de chiens.

Le film suivant (Georges Demeny de Joél Farges) traitait également du passage de la photographie au cinéma, a travers une enquéte sur le « phonoscope » ou « bioscope » de Georges Demeny, assistant de Marey. Si le sujet était d’autant plus inté-

ressant que peu connu. on peut néanmoins regretter que Far-

ges ne s‘en soit pas tenu a l’intelligente information qu'il donne plutét qu’a la mise en avant de sa démarche, un peu sophisti-

quée et un peu agacante.

J'avais déja mentionné, toujours a propos de Rotterdam, La Maison qui pleure de Jacques Robiolles, dont j'ajouterai seulement que humour y tient pour l’essentiel d’un enchainement délirant des poncifs ; mais cette « logique » narrative, a force d’étre dépourvue de toute contrainte, de tout systeme, finit par perdre un peu de sa capacité 4 dérouter : a force de s’attendre a fous, on nes étonne plus de rien — mais on s‘étonne aussi d’un rien. du moindre de ces gags visuels ou sonores dont rebondit le film (et j'ai particuliérement apprécié ces derniers en le revoyant).

Samedi Dimanche de Jacques Gurfinkiel raconte en treize

minutes le week-end solitaire et dépressif d'une moderne jeune fille, en noir et blanc et en voix off: le texte dit par Michael Lonsdale redouble ce qui advient a l’image et dit ce qu'elle ne montre pas, mais 4 un stade purement descriptif. Une telle économie tire son elficace de ce que l'angoisse, au lieu de s’exposer, s’engouffre dans les blancs de Ja narration: c'est l’exact

contrepoint du Répulsion de Polanski. On

pensait

aussi 4 Polanski

(celui de Cul-de-sac)

devant

Nuit féline de Gérard Max ; mais comme on pensait également

1979

a Hitchcock. celui des Ofseatx), ga faisait beaucoup pour un seul court métrage : §.L.P. m’a soufflé 4 loreille qu’un court

meétrage ne peut se permettre de courir deux idées 4 la fois — et

c'est vrai que cette double direction gate un peu cette histoire de sinistres travestis aux rapports inquiétants, dans un refuge pour chats non moins inquiétants, dont l’essence diabolique n’a jamais été aussi bien rendue (a l'aide, notamment, d’un montage excellent).

Savais bon espoir, en allant voir a midi la seconde sélection de courts métrages de Perspectives, d'y trouver d’aussi agréables surprises que la veille— d’autant plus qu’il y avait 1a le film de Francine Brouda. Mais j’ai di m’en tenir a ce dernier, les autres étant au-dessous de tout commentaire. Donec pourquoi Ley Deux éléves préférés... de Daniéle Dubroux Jui ont-ils ainsi

filé entre les doigts ? C’est la la question que nous nous sommes posés avec elle, et que personne n’a vraiment résolue parce

que, si c’est notre alfaire 4 tous (une affaire politique), c'est aussi son affaire a elle (une alflaire personnelle, c’est-a-dire para-politique ou. si vous préférez, parano-politique). Voila un film qui n’apporte pas de réponse (ce qui ne veut pas dire qu'il est irresponsable), un film tragique comme toute paranoia, et drole comme toute paranoia qui se sait et se joue comme telle. De sorte que si l’on rit de Francine Brouda, c'est avec Daniéle Dubroux, jamais sans elle ni contre elle ; mais ce n'est pas non plus contre Francine, parce que Daniele ne labandonne jamais, lichement, aux ricanements, étant de tout corps avec elle: l"une toujours solidaire de l‘autre, de sorte

qu'on est forcé de les aimer toutes les deux 4 la fois : et de rire avec elles. méme lorsqu’on rit d’elles. D’ailleurs leurs deux éléves ont été retrouvés dans la salle.

Vendredi

18

Ce vendredi 4 16 h., Perspectives présentait un programme « Cinéma différent» de sept films. J’en ai retenu Chromaticité | de Patrice Kirchhofer, qui poursuit un travail sensible (a tous les sens, anglais et francais : en ce qu'il applique avec cohérence une démarche totalement sensorielle) sur la dynamique des variations visuelles et des pulsations sonores; Dfejansité de Jean-Paul Dupuis, qui peut séduire non tant par la démarche cinématographique (plut6t paresseuse) que par le geste chorégraphique de deux danseurs emboitant leurs corps nus sur le sable — corps de désir homosexuel qui, 4 travers une sensualité un peu miévre, disent clairement que n‘importe quel désir ne peut pas se greffer sur n’importe quel corps; et surtout

Gradiva Esquisse

| de Raymonde Carasco qui, inspiré de la

nouvelle de Jensen, montre en trés gros plan, a intervalles et a vitesses variables (plus ou moins ralenti), le passage d’un pied nu de femme sur une dalle de pierre parfois habitée d’un lézard. L’effet de désir, de suspense et des fétichisation engendré par l’attente de cet objet pour le moins chargé d'affects est remarquable— mais il m’a paru se perdre 4 mesure qu'il se prolongeait et se systématisait selon des variations diverses. I] faut préciser que la photo de Bruno Nuytten contribue pour beaucoup 4 l'image, lumineuse et violente, qu’on garde de ce pied.

On se bousculait 4 18 h. pour assister a la premiére projec-

tion de La Femme intégrale de Claudine Guilmain (Perspectives) qui s’était assurée, par une série d'interpellations sincéres sans doute, mais néanmoins rentables, la curiosité d’un public plutét bien disposé, a en croire l’accueil compréhensif recu par la réalisatrice exposant les intentions du film, et les difficultés (financiéres et institutionnelles, on se rappelle le mini-scandale de l’Avance sur recettes) qu'il lui fallut surmonter: on se retrouvait la, par le biais du feminisme. en pleine passion militante. Mais une bonne partie du public n’a pas tardé a déserter

LES OBJETS

4)

ET LES COUPS

une salle traversée de nombreux ricanements : réactions peu sympathiques, certes, mais compréhensibles dans la mesure ou

le schématisme des idées (les obstacles rencontrés par une femme dans son désir d‘accéder a l’épanouissement de soi,

dans la matermnité comme dans la sexualité ~ étrange comme, abordant peu la question du travail, on en reste la a des problémes de ventre ; impasse du « néo-féminisme? »), ou le schématisme des idées donc n’a d’égal que la platitude de I’expression. Certes, on peut trouver rafraichissant Je manque de savoir-faire. et fascinante l’obstination tétue avec laquelle la réalisatrice méne son projet, et 'héroine sa conquéte amoureuse, a force coups de téléphone. On peut méme la juger plus intéressante que beaucoup d’autres (effectivement le film a fait parler. parmi nous, plus et autrement que d'autres), cette fiction un tant soi peu paranoiaque. en dépit ou a cause de sa nai-

veté (témoin ce long discors ou I’héroine expose son credo

féministe avec une fougue toute adolescente, comme si ni les spectateurs ni son interlocuteur ne savaient a l’avance de quoi il était question), et de sa rouerie (témoin le « Maisje suis ridi-

cule » qui clét, avec une minauderie toute feminine. ce méme discours). Naiveté et rouerie qui peuvent charmer comme

charment Ies petites filles, attirant moins l*indulgence que la sympathie. Mais pour passer d’une telle sympathie a la défense de ce film, il faut accepter de le défendre contre la réalisatrice elle-méme, dont les intentions ne coincident manifestement pas avec l‘intérét qu’on peut, un peu perversement, y trouver. Et parce qu'il y a, me semble-t-il. quelque chose de louche a aimer un film pour sa bétise,je ne ferai pas du paradoxe a bon

compte en jouant Claudine Guilmain contre Christine Pascal,

la sincérité du franc-tireur contre le’ protectorat de Gaumont. Ce qui me géne dans les deux cas, c’est que le cinéma y fait figure d’instrument un peu méprisé, tout juste bon a fabriquer

qui du débat, qui de l’« auteur ». en l'absence manifeste de tout projet cinématographique.

Samedi 19 A IL h. 30 j'ai vu passer une manifestation sur la Croisette, a lth. 35 jai lu dans Le Monde « Nuit d’émeute 4 Longwy ».

Eh bien ca ne m’a pas empéchée, 4 11 h. 55, de faire une crise

de déontologie (oui, c’est une sorte de rage de dents) : entre un nouveau cocktail et Rockers de Théodoros Bafaloukos (Quinzaine), ma conscience professionnelle m’a intimé de choisir Rockers. C’est un petit film avec beaucoup de reggae, qui conte gentiment une gentille histoire de gentils jamaicains en bute a des exploitants (exploiteurs?) pas vraiment méchants. C’est tellement gentil que ca en devient méme un peu inlantile, ou

plutét infantilisant pour les gentils jamaicains, qui aiment tellement danser et monter sur de rouges motos. Il y a beaucoup

de reggae, mais j’ai déja di vous le dire.

Pal Gabor J'ai quand méme eu le temps de vider un whisky en plein

soleil (les glagons ont tout de suite fondu) avant de retourner au Star pour Angi Vera (L ‘Education de Vera) du hongrois Pal Gabor (Quinzaine). En voyant I’héroine (interprétée par une jeune actrice, Veronika Papp, prénom et visage chargés de

réminiscences godardiennes) dénoncer en pleine séance du

Parti le mauvais fonctionnement de ’hépital oti elle travaille,

jai craint une éniéme « opération Astra », la vérité sort de la bouche des demoiselles et le systéme n'est pas si mauvais que ga puisqu’il produit les antidotes a ses propres défaillances (cf. La Prime, Astra « sociatiste » de premier choix). Mais le film bifurque immédiatement sur une autre piste : la jeune rebelle, loin d’avoir 4 continuer avec la bénédiction du spectateur un dur combat solitaire contre les excés bureaucratiques, est envoyée dans un centre d’éducation (sorte de stage de formation) pour membres du Parti — récent acquis de la Révolution,

l'action se passant en 1948. On y découvre avec elle les cent visages du socialisme, tandis que, passionnée par l'étude, elle accumule les preuves de son excellence : voila décidément une héroine positive - un peu trop positive méme. puisqu’elle pousse le zéle jusqu’a se faire, pas consciemment mais assez vilainement, délatrice. On croit qu'il va s’agir des effets et

méfaits de la propagande sur les ames naives, lorsqu’elle tombe

amoureuse de son professeur (pas trés excitant au demeurant, mais aprés tout je ne suis pas a sa place) qui. par chance, lui rend la pareille : les voila donc embarqués dans un Love Story clandestin, qui m’a fait craindre un moment d’assister au

éniéme combat de la subjectivité amoureuse contre l’oppres-

sion du social. Mais la encore Ie film, étonnamment, déjoue sa propre logique lors d'une séquence assez terrifiante : a l’occasion d'une séance publique d’auto-critique organisée dans le centre par les cadres du Parti, et ot cruauté et ldcheté sont poussées a un point qu’on dirait invraisemblable si on ne le soupsonnait pas véridique, la jeune Vera, loin de se révolter comme on s’y attendait, pousse a fond la logique du systeme en s’accusant publiquement d'avoir couché avec son prolesseur (dont on a appris entre temps qu’il est marié et pere de

famille), Ce dernier, effondré, avoue son amour pour la jeune

fille qui, se refusant alors l’excuse passionnelle, déclare qu’elle n’a voulu coucher avec lui que parce qu’elle fut dupe de ses sens, mais qu'elle ne l'aime pas et ne I'a jamais vraiment aimé.

Inconscience, sincérité poussée jusqu’au fanatisme, remords

ou duplicité? Toujours est-il que, loin d’étre rejetée comme il se devrait, elle est conviée, a la fin du stage, 4 devenir journa-

liste. Une trés belle demiére scéne la montre dans une voiture

en compagnie de sa « cheftaine » endormie, apercevant une de

ses anciennes camarades (la « forte téte » de la résistance individuelle) qui pédale péniblement sur un vélo, dans le froid de

Vhiver; Vera essaye en vain d’attirer son attention pour la saluer, mais la voiture est déja passée. Elle est finalement bien pessimiste et bien cruelle, cette idée que méme la révolte contre l’autorité vient ré-alimenter l’autorité elleeméme, que lindignation la plus sincere peut faire lobject de manipulations tout aussi sinceres (car la « chef-

taine » de Vera est une communiste convaincue et nullement machiavélique), et que, méme socialiste, l’ascension sociale est

ce qu'elle est. Mais ce qui, plus que cette conclusion, intéresse et étonne dans le film, c’est la maniére dont, provoquant puis décevant sans arrét les attentes les plus stéréotypées, il parle de ce qui n’est dit 4 aucun moment (y compris par le réalisateur

lui-méme) ; ‘imposition du contrdle collectif sur les conscien-

ces, l’intériorisation des censures, la force du surmoi qui carac-

ténise la confusion absolue du moral et du politique. De cela. entre les innombrables jeux de regards et les moindres dépla-

cements des personnages dans un espace comme balisé par d'invisibles barriéres qu'il faut savoir faire jouer sans les renverser (la scéne de la danse est, 4 cet égard, admirable) — de cela

parle le film, plus et mieux que de toute thématique, plus et mieux que par tout appel de fiction.

Ce jour-la j'ai encore

vu

Bastien

Bastienne

de

Michel

Andrieu (Perspectives), que j’avais été bien inspirée de rater le premier soir (pas vraiment exprés, Dieu m’est témoin), puisqu’il repassait 4 [7 h. au Marché du Film dans des conditions qui valaient le déplacement : une toute petite salle qui donnait accés, par une porte latérale, a la salle contigué d’ou

l'on entendait les dialogues italiens du film projeté 4 coté; en

laissant la porte ouverte on pouvait méme voir les deux films 4 la fois. Bastien Bastienne raconte Vhistoire de trois jeunes

garcons qui montent l’opéra de Mozart dans une grande mai-

son pendant la guerre de 14, sous le regard de ieurs méres (Anna Prucnal, Juliet Berto) occupées a alimenter leurs névroses aux violerits orages qut éclatent toutes les deux séquences. Si l'on peut apprécier les scénes de chant, le reste est, comme

CANNES

1979

me |’a soufflé D.D. avec qui j'ai vu le film, « pétale de rose fané

entre les pages d'un livre papier lible ». Nostalgie vieille France el images léchées, passages du rien ow rien ne se passe et dont Tien ne passe, beau travail de laccessoiriste. Quelqu’un m’avait dit entre temps, avec une moue de mépris, que c’était sirement un film « Cahiers ». 1] faut n’avoir pas compris grand chose aux Cahiers. Et voila, j'ai rayé lavant-dernier titre de ma liste, il ne me reste 4 vous parler que de La Afémoire courte d' Eduardo de Gregorio — sans doute ce que j'ai vu de mieux a Perspectives (courts métrages exceptés). C’est l'histoire d’une jeune femme (Nathalie Baye) mise par le hasard sur la trace d'une sorte de mafia d’anciens nazis, et sur les pas d'un homme (Philippe Léotard), lui aussi lancé 4 leur recherche. Le scénario se perd dans d’innombrables méandres avant qu'on apprenne ce qui pousse l’une et l'autre a dépister. ct tenter de supprimer, les res-

ponsables : des reglements de comptes familiaux liés qui a la collaboration, qui 4 la guerre d’Algéric. Le film en acquiert

alors un poids, une dimension qui donnent a regretter que ce qui s’y profile du désir et du refus de loubli, ait été desservi, plut6t que servi, par une trame policiére dont la sophistication ne débouche ni sur la recollection systématique des éléments accumuleés, ni sur leur éclatement. Mais le film est, en tant que film, totalement maitrisé — triste qu'il faille en passer encore par de tels adjectils - ou disons : animé d'un projet réellement cinématographique. Et si j’ai peu godté la photo constamment verdatre dans la sous-exposition, j'ai apprécié par contre les acteurs : Jacques Rivette et Bulle Ogier (pourquoi la voit-on si peu a l'écran?), et bien sir Nathalie Baye et Philippe Léotard (pas seulement parce qu’ils me rappelaicnt le couple de La

Gueule ouverte.

L Education de Vera, de Pal Gabor La Mémove

courte,

d Eduardo

de Gregorio

Et a propos de « projet cinématographique », n’est-ce pas la ce qui, pour beaucoup, manquait aux films de Perspectives? Voici donc l’occasion de placer le couplet obligé sur la crise du cinéma, qu‘il est difficile de ne pas associer, a l’arrivée comme au départ de Cannes, avec la pléthore d’affiches qui jalonnent la Croisette : sil ya manifestement trop de films pour satisfaire a la boulimie d’un spectateur, fat-il le plus enragé des cinéphiles, n'est-ce pas d'abord parce que la production est, de plus en plus, envisagée en termes de « coups » (les stratégies de miises étant multipliées par le fractionnement du public accentué par la surabondance des films), et la réalisation en termes de « placement » sur l‘improbable marché des auteurs? Cercle vicieux ou s‘emballe le systéme puisqu’il parait rentable de produire « tous azimuths », au coup par coup, en pariant sur un profit pour compenser trois pertes - et puisque pour beaucoup de « jeunes auteurs », avoir une idée et suffisamment d’énergie pour dénicher 200 millions suffit apparemment 4 réaliser, et a justifier, un film (d’ou le fait qu’il soit actuellement plus difcile de réaliser un second qu'un premier film). Faut-il alors risquer le poujadisme, en prénant le professionalisme (le cinéma comme « industrie », produit adapté a des demances— charge alors 4 nous tous de iravailler a intléchir el, si possible, a anticiper ces demandes) contre Ie dilettantisme (le cinéma comme « art », oll ne Se risque pas une carriére mais l’expression ponctuelle d’une subjectivité)? Faut-il en plus risquer le malthusianisme, en réclamant plus d’exigence et de rigueur de la part des producteurs et des réalisateurs (on n’est pas rigoureux, ni vrai-

ment exigeant, lorsqu’on joue en méme

temps sur les deux

tableaux : l’ceuvre et la rentabilité, art et ’industrie, prestige et profit venant au secours ‘un de l'autre pour éviter les pertes séches. double —-jeu dont le cinéma actuel se mystifie et. peutétre, s*épuise)? Ceci pour amorcer un débat — dontje ne prétends pas, au demeurant. que les termes soient neufs : tout cela va sans dire mais. comme dit qui vous savez, Ga va mieux en

le disant. N.H.

LE FASCISME, LES PAYSANS, NICOLAS POUSSIN « Dalla Nube Alla Resistenza » de J.-M. Straub et D. Huillet).

Comme par I’éclat d’un orage en plein soleil. les corps sont

sidérés. Stone. Arrét-Nash sur les images de La Forét interdite - Nick Ray-, sur les figures multipliées du pére, sur la peur qui saisit le fils d‘une folie imminente. Des peres, car c’est deux qu'il s’agit dans Ie film de StraubHuillet, ne cessent de se répéter qu’ils n'ont aucune chance

d'étre des noms qu’on invoque avec amour. Que Ics images ne peuvent

leur

donner.

selon

I*histoire

qui

les charge.

cette

chance-la. Serviteurs ou suppdts d’un dicu-patron, que sont-ils

pour les fils? Une loque gisant dans lherbe: Kronos cannibale, une miche de pain, un enculeur féroce ? Ces corps sidérés retiennent au moins trois mémoires ; Nico-

las Poussin, le fascisme, les paysans. Statues drapées de la pein-

ture, dévétues

par le cinéma

verts, en garcons animaux.

en corps paysans, en vicillards

Paysans travestis cn bourgeois,

corps et voix démentent I’engoncement des costumes. Et le fascisme? N’est-ce pas dans les images le fant6me qui prend corps, de linstant répété de la méme pose? Et qui soumet toutes les poses 4 une instance de fiction transitive, trans-€crite, qui répéte la méme chose? Qu'entre le fantasme homosexuel

surmoique dont héritent les fils, et la violence fasciste qui pro-

cede des conflits du social dans I"histoire, il y a dans le film un écran noir, un trou de mémoire qui ne cesse de s‘écrire par saccades, d'une poussée-éclair du corps sidéré dans les images. De se démentir dans la fascination des antiques. De s‘halluciner dans des instantanés qui suspendent. selon Poussin, un geste

tragique, ressaisie peut-étre encore en lecon d*histoire. Peutétre. Enongant que seule la violence lui fait faire masse d’une résistance, et que dans cette résistance git l’impossible bonheur d'un présent et l'angoisse d’un avenir : le cinéma de Straub dit

4 la lettre que le corps est toujours fuscisable, que tout corps mile est fuscisable, que sa violence est aussi improbablement

morale qu’a son extrémité meurtriére le désir de vivre d’un

enfant.

Mais aussi que pour excéder la mémoire-cadavre du fascisme et ta loi du pére mort, la malédiction d'un nom d’his- toire, il faut encore le récit de l'exécution d'une chienne pour en défaire la sidération haineuse. Cette évocation hors-film, dune affreuse et tendre insatisfaction plus forte que la pitié.

d’un remords plus cuisant que la honte, fait un instant grimacer les éclairs noirs, convulse les images. L’écriture ici trébuche, rencontre sa limite. Négatif-haché d'un film impossible. Si c’était un homme, le démembrement de Dionysos - souve-

nir-écran de Soudain [été dernier.

Rien donc que l’évocation de la mort d’une femme pour faire reculer un peu cette terreur sombre, et la beauté désertée de la terre pour apaiser ce gout de sang — dans quelle mémoire? Le cinéma de Straub travaille un spectateur improbable sur un

trouble et une solitude extrémes. La of Pombre d’un partage, d'une complicité. d'une alliance, lui font défaut.

obscéne. Pour se déposer aussi, d’un retour a l'actualité, dans des corps noués de souci marchant sur une route de campagne.

Jean-Pierre Oudart

La déesse dans l’arbre a cessé de veiller. La furie des hommes n'a pas d'yeux pour les choses de la terre, les plantes, les arbres qui les regardent dans un silence bruissant d'insectes. Les muscles manquent pour travailler. Les corps du film sont exemptés de tout labeur pour figurer ce qui ne peut avoir lieu qu'une

fois : les tableaux vivants, dans leur succession, exigent la répétition d'un sacrifice — de l’acteur comme nom, du corps comme

Cette procédure sert une stratégie : le corps est exclu de ce par quoi il pourrait, fictivement, faire masse autrement que comme espéce pétrifigée par la peur d'une histoire faisant retour, dans la mémoire des images, comme fantasme despotique tressant les conflits du présent. Espéce affectée dune disproportion qui voue les figure 4 'épreuve d'un clivage imaginaire — paysans italiens/gangsters de Chicago, mais pas Du

Rififi chez les hommes !~, que la fiction contracte en ambiguité

eds

foule. Pour que s‘active, suspendu, le fantasme qui parcourt cette écriture. et qui travaille les images scxuellement, il faut que les mémes corps ne prennent pas deux fois la pose.

7) Pa $0 *

CANNES

1979

LES MINUTES D'UN COLLOQUE PAR SERGE DANEY Les 12 et 13 mai, dans le désert intellectuel de Cannes, eut lieu un

man est déja en train de chercher du travail quand le metteur-en-scene

colloquc intitulé « Création et techniques », organisé avec le concours du Syndicat National des Techniciens de la Production Cinématogra-

en est encore au montage du film. Quelqu’un cite un mot de Mankicwiez: «on a gagné/ils ont perdu »...

colloque : répondrea un besoin supposé grandissant, « celui des créateurs, des techniciens. de confronter, d’échanger Jeur propre pratique

entre techniciens ct cinéastes, hi¢rarchie interne aux techniciens) sont

phique et de Télévision et présidé par Claude Renoir. L’ambition du

issue d’expériences parfois contradictoires dans la méme carriére, sinon dans la méme ceuvre ». De nombreux invités vinrent mais le public cannois resta clairsemé. Le bilan fut maigre, mais d’une mai-

greur qui ne surprit pas vraiment:

if était difficilement évitable que

créateurs et techniciens, avant de confronter quot que ce soit, fassent

étalage de tout ce qui les sépare, a commencer I"idée qu‘ils se font deux-mémes. A ce premier collaque, symptéme de ce qui ne va pas « dans la profession », souhaitons que d'autres succedent, a la fois plus

rudes et plus concrets.

1. Premier jour (matin). Les techniciens ne sont-ils que des extcu-

rants?

La question est posée de telle facon que la réponse ne puisse étre

que : non! Un non indigné. La preuve? Le monteur a le trac (dit Jean Ravel, monteur), signe qu’il y a bien la un facteur humain et non pas

simple exécution. Pourtant, on voit que la question fait mal, donc

qu'il doit s‘agir d’une vraie question. Une bonne partie de la matinée (de 9h 45 & 11 h 30 exactement) se passe 4 chercher un mot moins

péjoratif que celui d'« exécutant », Ravel définit le monteur comme le

« partenaire »

du

d'échecs sans gagnant.

metteur-en-scéne

Ken

Adam

dans

une

sorte

de

famille sans fronti€res du cinéma ». A 10h 54, Ghislain Cloquet (chefopérateur) lance le beau mot de « métier » et quelqu'un dans la salle parle, en anglais, de « craftsmanship » (artisanat). L’intervention de

Cloquet (elle restera, hélas, lettre morte) a l'avantage de poser la crise du cinéma francais en termes de crise des métiers, donc de crise dans la formation professionnelle. Vers midi, Thierry Deracles (monteur)

formule la seule critique des techniciens par un technicien : ils n’ont pas unc approche assez historique de leur travail. Idée intéressante mais vite abandonnée. Dommage.

En fait. ce sont les cinéastes, trés présents et mieux rompus aux discours, qui reprennent en charge la question. mais de /eur point de vue, qui est évidemment tout autre. Pour Claude Autant-Lara, inflexible,

« i) faut un commandant de bord », c’est tout. A Conchon (scénariste) qui lui demande mielleusement si le cinéaste ne changera pas sa conception du film s’il travaille avec le meilleur chef-opérateur du monde. l‘uuteur de Guria répond fiérement : non. Ce sont des cinéastes (el non des techniciens) qui remettent implicitement en cause la représentativité des techniciens présents au colloque. Rouffio fait remarquer l"absence des gens du son, des machinistes et des ¢lectriciens au profit du seul triangle cinéaste-chef-op-monteur, D’ailleurs, di mesure que le débat avance, la notion de technicien se divise et se particularise ; Cloquet explique tres bien comment sur un plateau, le

c'est cinéaste-chef opérateur,

véritable

fuies au profit d'une facon plus générale et moins compromettante de poser le probleme. On se demande si la production des films telle

qu’eile se fait aujourd"hui permet de susciter des équipes qui soient autre chose qu'une collection disparate de talents divers? Le producteur ne serait-il plus qu'un « simple gestionnaire de fonds »? (Marcel

Martin, 12 h 07). Ne faut-il pas parler d'une baisse dans la qualificalion professionnelle des patrons. entrainant du laxisme et des erreurs

chez les cinéastes? Ne fuut-il pas revaloriser la carte professionnelle, qui ne veut plus rien dire? (Robert Sussfeld, directeur de production, 11 h 53). C’est Alain Corneau, parlant de son propre film Série noire,

qui dit Jes choses les plus sensées : scul le choix préalable des techni-

ciens, d'une équipe capable de « créer un style», permet d'éviter [ce

pire. Il faut done se battre pour garder la possibilité d'elfectuer cc

choix, donc lutter contre les co-productions et les équipes impos¢es.

NB. I] n’a été parlé 4 aucun moment d’argent. ni de syndicat. [] n’en sera, du reste, jamais question tout au long du colloque. Hypothése : ni largent, ni les syndicats n‘existent.

partie

(décorateur) parle d'« obeir en

créant » et Ricardo Aronovitch (chef-opérateur) de « liberté et symbiose ». Ces formules pieuses ne satisfont pas. pas plus que « la grande

couple-roi,

Finalement, les deus questions douloureuses (nature de Ja relation

« béte 4 deux

téles » (d'ou que certains chel-opérateurs se font aussi cameramen et cadreurs). Ken Adam, de son cété, explique comment la hiérarchie (le mot est prononcé, il est 11 h 22 !) des techniciens peut étre amenée a changer, comment aux U.S.A. le metteur-en-scéne est de plus en plus

dépendant des effets spéciaux. A un moment, on est 4 deux doigts de parler criment de la non-coincidence fondamentale entre les intéréts

des auteurs et ceux des techniciens : Mikhlakov-Kontchalovsky : si le film est bon, le cameraman est jugé bon, sil est mauvais, le camera-

Premier jour (aprés-midi). /voliurion narrative et évolution des tech-

niques. L'écriture du scénario est-elle indépendante de la connaissance des techniques? Décors, image, son: la technique contrainte et/ou liberation pour la mise en scéne.

La partie la plus curieuse et la moins bonne du colloque. Tout le monde s’elforce de dévaloriser ce qu'il fait en comptant secrétement sortir grandi de tant d‘humour. D'ou des discours qui sonnent tres faux, Deux communications rivalisent de banalité, celle de Mikhalkov-Kontchalovsky et celle de Conchon. M-K, sans doute surveillé du fond de la salle par quelqu’un du KGB, dit que toutes les innova-

tions techniques pésent peu. au bout du compte, a cdté de la bouleversante simplicité du visage de Charlie Chaplin.

Propagande

pour

l"humain au détriment de la technique (et au détriment de la vérité

historique : on sait que Chaplin était un technicien acharné). M-K

sc

déclare favorable a des « scripts d'acier » pour séduire, dans le cadre @un cinéma d'Etat, le ministre de la culture.

A partir de 15 h 22. Georges Conchon abaisse encore le niveau du

débat avec des palinodies sur le statut malheureux du scénariste, « la voix caverneuse qui peut encore se faire entendre », métier ingrat, sans vraie liberté, quoiqu'exaltant. Sentiment tres désagréable que Conchon fait une sorte de visite guidée du « monde merveilleux du

cinéma » pour grands débutants. Vexant. Ul parle de Péechec de Faulkner-scénariste, sans doute pour qu'on ait l’idée de la comparer a Faulkner et s‘obstine a renier son « mariage raté » avec Chéreau (qu'il ne nomme pas), sans doute pour que ses patrons ne le tiennent pas responsable de ’échec commercial de Judith Therpauve, échec di, on le sait, 4 la conception béte du « grand film » selon Gaumont.

A 15h

48, le débat sombre. Comme le matin, ce sont les cinéastes

qui portent avec arrogance des coups au travail du scénarisle, mal défendu par Conchon. John Boorman mulltiplie les saillies humoris-

liques sans convaincre pour aulant ; contre lécriture: «

Fam against

LES MINUTES

45

D'UN COLLOQUE

good writing. Good writing is extremely dangerous », contre trop de perfection technique: « it’s so beautiful it makes you sick », « who needs Dolby sound?» etc. M-K. répéte qu'un script doit étre appétissant pour séduire. L'idée d'une évolution

soupconnée, presse

des techniques en vient 4 étre elle-méme

Elle sc réduirait. selon Luc Béraud a linvention de la

4 scotch

(16

h 59),

pour

Ravel

4 un

montage

plus

rapide

qu’auparavant vu l’évolution de I’ceil du spectateur sous l’influence de la publicité. Seul, Derocles tente de répondre a la question pos¢e en

parlant du couplage de la vidéo et du film, des possibilités de montage

sur le plateau méme, de la disparition possible du montage-pellicule

au profit d'un montage direct sur vidéo.

Deuxieme jour (matin). L'acteur et les techniques. par la technique? La technique brimée par lacteur:

Leacteur brimé

La longue communication d’Elia Kazan (10 h 06 - 10 h 41) trés attendue, mitraillée par les photographes, émaillée d’émotion et d’anecdotes. a l"avantage de faire le tour de fa question sans trop de précautions. Sauf qu'il ne s‘agit pas de la question poséc (lacteur et les techniques) mais d°une autre, dont on ne sortira pas (I'acteur et le directeur d’acteurs). A 10 h 33, Kazan lache la redoutable thése {« odieuse ». auraient dit les Chinois du temps de la bande des quatre)

voir de critique de cinéma, exclusivement.

Ensuite il affirme que

Facteur est un enfant. toujours tenu pour tel et prisonnier de ce statut :

« les acteurs devraient retuser le rdle indigne de fils — méme

s‘ils trou-

vent de bons péres ». Et sur cette note cedipienne. on se sépare.

(NB. A ce moment-la,je me dis que tant qu’a traiter les choses freu-

diennement, on pourrait aller plus loin. Si, dans la fabrication du film, (‘Auteur est toujours mis a la place du pére et si I’acteur y est toujours

enfant c’est évidemment la technique qui occupe la troisieme place,

celle de la mére, De Ia, sans doute, le rapport toujours exagéré, mystifié et mystifiant 4 la mére-technique. Défense d'y toucher, méme en paroles, sans les pinecttes du savoir-faire (qui appartient en propre aux techniciens et qui fait d’eux en quelque sorte des pervers). L’auteur, démiurgique ou non, est censé plier [a technique 4 sa penséc. par un coup de force, en faisant de l’acteur le support et le temoin de

cette opération mystéricuse. Ainsi seraient produits les films... Evidemment, dés qu'un cinéaste ne joue pas le jeu, commence a inlerroger la technique, a flirter avec elle. il ne peut plus avoir le méme rapport aux acteurs. Schlcendorff indique bien — par boutade? — un hori-

zon ou seuls quelques fous abordent: faire parler la mére devant les enfants. et non pas le contraire. Je pense bien sir a Godard. rigoureusement absent des discours du colloque. et dont le nom ne sera prononcé que le dernier jour, 4 16 h 34, par un touriste qui passait la par

hasard.)

selon laquelle le metteur-en-scéne est, le temps d'un film, « un Dieu

temporaire » (a temporary God). Parfois Kazan met laccent sur l'aspect « temporaire » quoique l‘aspect « Dieu » le retienne davantage. Mais un Dieu inquiet et qui créeraitde l’inqui¢tude chez l‘acteur.

« For the screen there is no substitute for disconfort. Is that acting? In films I think it is». Quelque chose de fort dans ce que dit Kazan:

il

ne cherche pas 4 gommer ce qu’il peut y avoir de violent et de tordu

dans le cinéma, violence et torsion qui ont fait de lui le premiera fabriquer des stars (Dean. Brando) d'un autre type que celles que tabriquail

déja Hollywood. Un Dieu temporaire a, bien sir, besoin d'une bonne équipe, de le désir est commence avec l’idée bien moins

celle qui veut et ce film et ce Dieu. c'est-d-dire celui dont le plus fon. A 10 h 45, Kazan se tait et Henri Virlojeux a parler tandis que les journalistes s’en vont, sans doute (naifs !) d’avoir « couvert » le colloque. Dommage car ta longue communication de Virlojeux (neu! minutes) tente

de répondre a la question, parle bien de Ja fragilité de l’acteur, de lenvie que lui inspire l’'apparente simplicité du travail du technicien. Virlojeux me semble toucher juste quand il fait allusion a l"horreur qui s‘empare de Il’acteur quand il entend le cadreur dire: «il est sorti du champ! ». Sans doute, tout l‘acteur réside-1-i] dans ce if. Mais de nouveau, la grande legon de ce colloque (que les cinéastes

abusent de leur monopole de la parole, que les techiniciens abusent de leur silence) se vérifie. De 10 h a 11 h 35, Francesco Rosi, se croyant l‘invité du dimanche chez Drucker, submerge le colloque de son babil anecdotique. On est prié de s’v extasier devant les tours de

4, Deuxieme jour (aprés-midi): Le marché de fa communicanon. L ‘audio-visuel est-il un plaisir solitaire? Images « réfléchies » er hom-

bardement audiovisuel? Le réalisateur nest-il plus qu'un exécuiant? Inévitable session

d‘adicu

sur les perspectives d'avenir,

marquée

par une peur généralisée (« trouille » serait plus juste) de la télévision.

Le plus paradoxal ctant que méme les défenseurs et les serviteurs de la télévision (ce jour-la, Maurice Faillevic) la défendent sans joie d’un

point de vue réactif, aigre ct vaguement honteux. Tout discours commensant par des formules du genre: «la TV existe. qu’on le yeuille ou non » ne veulent dire qu'une chose: la TV n’existe pas, ne devrait pas exister. Pas aimée, mal défendue, jamais donnée a désirer et toujours 4 craindre, la télévision est censée mener le cinéma 4 sa

perte (malgre le démenti infligée par l'exemple américain).

C’est Luigi Comencini qui ouvre le feu en mettant l'accent sur un phénoméene elfectivement capital : jadis, le film pouvait utiliser les

réactions du public et des critiques, il y avait feedback et communication. Aujourd’hui, la télévision interdit ce feedback, prive public ct critiques de leur ancien privilege et les bombarde solitairement. Selon lauteur du Pinocchio, cet isolement est voulu par les pouvoirs poli-

tiques méfiants envers le cinéma, toujours facilement irrespectucux a leur égard. Aprés Comencini, c'est Boorman

qui expliquera qu'il [ait

ses lilms de telle sorte qu’ils ne puissent pas passer a la télévision, en

force de Rosi mélant acteurs professionnels et non-professionnels ct obtenant de ces derniers des résultatsa la fois comiques ct inouis. On

disposant les acteurs vers les bords de l'écran. Amer, il conclut: « TV

gloser sur le genre de films que ¢a produit.

télévision est sensce procurer des plaisirs scandaleux et anormaux 1a

apprend qu'il faut étre malin avec les non-professionnels - tout en ayant une véritable relation amoureuse a eux — afin de leur donner le sentiment quils créent quelque chose, alors que... (rires). Inutile de A

11h

52 le débat qu'on croyait éteint se ranime, Coline Serreau

part a la defense des acteurs et pose une question : faut-if seulement

bien choisir les acteurs ou faut-il. aussi, les diriger? Un bon casting

tiendrait-il quitic d'une vraie direction d’acteurs, entendue comme

unc expérience intersubjective au cours de laquelle le cinéasic tente la

chose « la plus difficile du monde » : rendre un acteur meilleur. Coline

Serreau attaque Tavernier (absent) ct Corneau (présent) sur leurs déclarations en faveur de la premiére solution, elle-méme tenant évidemment pour la seconde. Dés lors, tl est clair qu’on aura parlé du rapport acteur-metieur-enscéne et de ricn d’autre. C'est Volker Schloendorif qui tranchera intelligeamment le débat, en le rendant insoluble. D’abord, il annulle la distinction professionne!l/non-professiannel en soutenant que le film est toujours un document sur celui — quet qu’il soil ~ qui se trouve devant la caméra. Idée s¢duisante mais d'un point de vue de cinéaste.

diminishes

everything».

Claude

s’explique sur sa matheureuse C'est pourtant ce qui

Renoir,

formulation

président

du ‘colloque.

de « plaisir solitaire ».

ressort de ce éniéme débat cinéma-télé.

La

ot le cinéma se trouve soudain crédilé d'un plaisir social. sympathique et sain (renversement un peu retrospectif: en son temps le cinéma avait été juge asocial par rapport au théatre). En fait Chostilité de la plupart des cinéastes (ct surtout des téléastes) vient de ce qu’elle les prive dune image narcissique d'eux-mémes. baptisée « rapport avec

le public » et qu'elle fait

d°cux, atroce éventualité, des techniciens, des

exéculants, c’est-d-dire des gens qui ne savent pas ou va leur travail. La boucle est bouclée.

Il revenait 4 quelqu'un d’extérieur au monde du cinéma. au sociologue Pierre Bourdieu, de porter Ie plus grand soupcon sur le colloque qu'il avait jusque-la suivi en observateur. II demande si « les rapports de production sur le platcau sont des rapports comme les autres? » et surtout si «la mystification des producteurs ne fait pas partte des

conditions de production des films — et du public? » [Il ne poussera pas la provocation plus loin. D‘ailleurs, bien que ces questions fussent on he peut plus réelles, la provocation restera inapercuc. $.D

46

L’ETRE - ANGE AU CINEMA

alTT Fecamf

Carpaccio.

Légende

de Ste Ursule

(Songe

de Ste

,

Ursule). Veruse.

Galerie de

' Académie.

L’ETRE - ANGE AU CINEMA

EVANOUISSEMENTS PAR ALAIN BERGALA

Ces notes sont la trace d'un parcours réel, celui de six films revus lors d'une semaine consacrée a Ange au

taire de l’apparition et de la rencontre, de Ja disparition et de la perte, un cinéma comme art de I’évanouissement.

Palace de Brunoy, comme il n’en restera bientét plus, avec rideau, piliers et vestibule rouge, décor empreint d'une nostalgie toute durassienne et d'une torpeur banlieusarde particuliérement propice & un cinéma de l'apparition.

Le Testament d'Orphée reste le film par excellence des rencontres et apparitions, innombrables, suscitées par la seule présence du poéte-médium, et c’est en méme temps un film ot les apparitions, les personnages, les gestes ne cessent de s’évanouir, de se dissoudre dans je décor, de

cinéma

dans

une salle de la banlieue parisienne,

le

remonter le cours du temps pour effacer leur émergence,

et tout ceci de la facon la plus simple, sinon la plus naive, Au programme donc: Ordet de Carl Théodor Deyer par un usage tout a fait enfantin et fasciné des trucages (1955); Le Testament d’Orphée de Jean Cocteau (1960) : primitifs du cinéma : le fondu - enchainé, jamais utilisé Théoréme de Pier Paolo Pasolini (1968); La Cicatrice ici comme ponctuation mais seulement pour faire appaintérieure de Philippe Garrel (1971); Scenic Route de raitre et disparaitre les personnages, le défilement 4 Mark Rappaport (1978); Flammes d’Adolfo G. Arricta l'envers des images. Dans une trés belle séquence de (1978) et un beau texte de Jean Louis Schefer écrit pour Flammes, Vévanouissement (physique cette fois) de la la circonstance (voir page 53) préceptrice est salué par un autre personnage, en termes de critique d’art, comme un spectacle « trés réussi » : si l'on n’oublie pas cette séquence, c’estt quelle nous renvoie peut-étre en miroir l'image du plaisir que l’on prend au cinéma, éclairant ce passage du journal de tournage de Il s‘agissait moins en programmant ces six films d’y | Fahrenheit 457 ot Truffaut relatait son envie confuse et repérer un theme commun (qu’ils n’ont d’ailleurs pas: impérieuse de filmer Oscar Werner en train de s’évacertains spectateurs s’étonnérent de l’absence d'anges nouir, brusquement, au milieu d’un plan, quitte a rajoumanifestes dans cette programmation) que de laisser ter pour cela une scéne non prévue au scénario. entrevoir, comme un fil d’or entre I’ancien et le nouveau, un certain état du cinéma, état tout a fait minoritaire, Au sujet de cet état du cinéma, on pourrait dire aussi aujourd’hui comme au temps de Dreyer ou de Cocteau, qu’il y a une vocation a l’étre-ange dans l’étre au cinéma, qu’aucun de ces films évidemment ne saurait incarner dans ces corps improbables pris dans la syncope d’une mais que chacun, a sa facon, désigne ou permet de réver. apparition-dispanition et qui flottent sur l’écran, le temps (Une seule fausse note, évidente aprés coup, dans cette d’un plan, menacés de toutes parts (par les bords de programmation : le film de Pasolini qui privilégie délibél'écran comme par I’émergence d'une autre image), porrement — le titre en témoigne — l’abstraction de la parateurs d'une promesse vague, jamais tenue mais contenue bole, subordonne le cinéma au didactisme et semble bien tout entiére dans l’énigme de leur apparition, de leur prés’étre protégé un peu réactivement, dans son travail de sence instable et vacillante et de l’immminence de leur évacinéaste, de toute contamination qui aurait pu lui venir nouissement. Dans cet état minimal du cinéma, comme de son sujet méme.)} dans les Annonciations de la Renaissance — dont on va reparler— ange, le messager, le porteur supposé du mesDe cet état minoritaire du cinéma, qui hante pourtant sage vaut le plus souvent pour le message méme : le poéte d'une certaine facon tout le cinéma, ne serait-ce que du Testament, le fils prophéte d’Order, le pompier de commme vérité trop nue, a recouvrir, on pourrait dire Flammes, la jeune femme de La Cicatrice. autant de ceci: que dans tout film, il reste toujours un cinéma preuves par le cinéma que le médium par excellence, davant le récit, un cinéma comme expérience élémenVange, est vraiment le message.

L'ETRE-ANGE AU CINEMA

« L‘ange tourne

Il pose

Jean Cocteau : Le Testament d‘Orphée sa main sur la rampe

du perron

courbe.

II remonte

les marches

avec indolence. Arrivé en haut, il ouvre la porte et, avant de disparaitre,

une derniére fois ta téte. Il disparait. » (Cocteau. Scénario du Sang d un poeres

I ne faudrait pas en déduire trop vite que cet état minimal du cinéma, ou la plume fait lange et vaut pour le message, soit l"enfance de I'art, méme si l’on sait depuis Freud que cette jubilation de J'apparition-disparition remonte a la premiére enfance: c’est un cinéma, au contraire, qui ne saurait souffrir encore moins qu’un” autre la paresse ou l'imprécision. II semble, a revoir ces films, que ce soit nécessairement un cinéma d’artisan attentif et minutieux, exigeant de facon impérieuse la plus extréme précision, méme s’il s'agit moins ici d'un calcul sur le spectateura la Hitchcock (qui exige une précision d’un autre ordre, plus conceptuelle qu’artisanale) que d’établir plus humblement les chances formelles d’un surgissement. Cet état du cinéma, d’avant le recouvrement par le récit, et que l'on pourrait appeler l’état d'apparition, passe a l’évidence. pour qui a vu le travail de Dreyer, de Cocteau, de Rappaport ou d’Arrieta, par des conditions. minutieusement réglées et qui ont a voir, tres directement, avec les gestes élémentaires du cinéma : la constitution d’un espace (souvent un double espace, hétérogéne). les entrées et les sorties de champ,.la mise en place de passages, portes et seuils, le regard et la vision,

les rapports du silence et de la parole, de la surface et de la figure, du temps et de l’événement. La précision minutieuse de ce réglage se donne a voir le plus souvent dans la mise en place de chaque plan plutét que dans le travail de montage. On ne peut manquer de citer ici le plan sublime d’Order of Pange de la mort, invisible mais prophétisé par le fils fou et introduit par un faisceau de lumiére venu de |’extérieur (il s’agit des phares de la voiture du docteur qui manceuvre pour repartir) est accompagné comme s'il é1ait visible par la caméra de Dreyer qui panoramique lentement dans la piéce, cadre la pendule murale au moment exact ou elle se met a sonner et s‘arréte devant la porte fermée de la chambre ou repose la malade. II faudrait citer aussi les entrées dans le champ par le haut et par le bas de l’écran qui parsement Flammes, comme dans la scéne du repas ov la recluse apparait en haut de I’escalier monumental comme si de rien n’était, et les travellings rectilignes de La Cicatrice dont on découvre en fin de parcours seulement qu’ils étaient circulaires et nous ont ramené rigoureusement au point de départ.

EVANOUISSEMENTS

49

Revenons a lange : j’ai toujours été frappé par le fait

que la scéne de |’Annonciation. dont on sait la fortune a

travers toute la Renaissance, posait précisément a la figuration un certain nombre de questions fondamentales (dont attestent, comme autant de solutions picturales, toutes les Annonciations qui nous sont parvenues et dont Vensemble constitue une série de variations autour de quelques problémes de figuration dont on peut s’étonner que le structuralisme. en son temps, ne se soit point emparé) qui sont finalement tres proches des questions de cinéma qui ont di se poser a Dreyer, Cocteau, Garrel ou Arrieta, et je ne pense pas ici a ce qu'il y a de banalement commun 4a toutes les questions générales 4 propos de la

figuration, mais a un certain nombre de questions préci-

ses, des questions de métier et de fabrication, qui semblent liges au theme méme de l’ange. 2 cette scéne inaugurale de l’Annonciation : la nécessité de figurer un double espace hétérogene, le mondain et le sacré (le fils fou, dans Ordet, évolue littéralement dans un espace hétérogene a la fiction de base; toujours en trop, a contrepied de lisotopie dramatique, i! ne cesse de surgir du hors-

Carl Theodor

champ dans des scénes déja commencées dont il vient perturber l’espace en traversant |’écran entre la caméra et la scene comme un figurant égaré). la mise en place des deux figures: le messager, le porteur de nouvelles, a la présence non terrestre, quasi-hallucinatoire, menacée d‘évanouissement, et le sujet de fa vision, celle qui recoit a la fois ce message et cette apparition; leurs postures et leurs regards; la disposition des seuils et des distances; Vorigine et la direction de Ja lumiére; enfin la conception du fond dans son rapport a ces deux figures, la conception de cette surface qui va constituer le lieu de l’apparition et espace du message, espace abstrait de la contemplation (comme chez Garrel), espace mondain du bruit de fond (comme chez Arrieta), espace chiffré du code (comme chez Rappaport). Tout ceci fait queje vois peu d’images, ni de textes, qui pourraient entrer en résonance de facon aussi riche avec un film comme celui d’Arrieta, que cette étonnante Annonciation a Ste. Ursule de Carpaccio, ot l'ange qui apparait en songe a Ursule se tient au bord extréme du

Dreyer:

Ordet

« Autrefais, fas opdrateurs parlaient de mettre de la lumiére Aujourd’hu on dit: mettre de la lumiére et de !ombre. Mettre de lombre est une réalité aussi importante que mettre da la lumiére » {C. Dreyer,

1954}

Da

En haut: Simone Martni, L Annonciation (Galleria UHizi).

En bas- Fra Angelico,

£ Annonciation

(Musée

St-Marc)

SI

EVANOUISSEMENTS

champ du tableau. sur le seuil de la porte, par ou s‘engouffre un singulier faisceau de lumiére venu de Vextérieur pendant qu’Ursule continue de dormir, les: yeux fermés a !’apparition, la téte reposant sur un coussin sous leque!. comme le fait remarquer Michel Serres (dans « Esthétiques sur Carpaccio ») une boule blanche suspendue a la broderie donne 4 lire le mot « infantia ». Cet état-la du cinéma, que l’on a dit d’apparition, semble avoir partie liée, par nécessité interne, avec une certaine lenteur, une certaine vacance apparente de |’énonciation, comme si lapparition ne pouvait surgir que sur le. fond d’une relative vacuité. C’est un cinéma qui ne suppose pas a priori un spectateur guetté a chaque seconde par [ennui et qu'il s’agirait de maintenir artificiellement en état de tension par un travail efficace de Pénonciation narrative, par une gestion du cycle tensiondétente dont la répétition modulée semble régir toute Yéconomie narrative du cinéma de l’efficacité, lequel semble bien postuler un spectateur menacé en permanence de déréliction. A cela, les spectateurs les plus fidéles de cette semaine autour de l’ange ont été sensibles : qu’i!l existe un cinéma, tout a fait reposant par rapport au cinéma ambiant, qui ne les prenne pas en charge sur le mode d’une hystérisation calculée. . D’ordinaire, au cinéma, il n’y a vacuité que passagére, comme pause ou attente, déja vectorisée par une économie narrative privilégiant le temps fort, le plein de l'événement, la figure par rapport au fond. Et quand les spectateurs parlent d’un film lent ou d’un film « qui a des longueurs », il ne s’agit jamais, dans cette logique dramatique, que d’un plus ou moins de lenteur dans la gestion de ce cycle tension-détente, lenteur 4 laquelle un montage plus serré pourrait remédier. Mais la «lenteur» qui semble affecter des films comme Orde:, Flammes ou La Cicatrice intérieure, nest pas quantifiable, reléve d’une autre économie fictionnelle ob ’événement (Ia figure, la rencontre, l’apparition) ne peut surgir (et il s'agit évidemment dans ce surgissement de tout autre chose que de surprendre le spectateur) que d'une certaine vacuité du fond (temps ou espace) et dun état de disponibilité du spectateur a cette vacance de lénonciation telle qu’on la concoit ordinairement, comme autorité et comme gestion de l’effet-spectateur. Notons au passage qu’il a fallu attendre les films d’Ozu pour que nous apparaisse comme une évidence lumineuse que le cinéma n’est pas condamné a étre un art de Pévénement, de la figure, mais qu’il peut aussi trouver un état de perfection dans l’art de montrer la trame continue, la vacuité étale, le temps de fond (comme on le dit de la toile) dont quelques événements infinitésimaux, en .séries un peu dérisoires, pris en charge par une énonciation pré-réglée, viennent légerement affecter la surface et nous la rendre ainsi sensible, pour elle-méme, sans que la figure occulte le fond mais nous permette au contraire de mieux en jouir.

Le spectateur de ce cinéma de l’apparition (dont les films d’Ozu, faut-il le préciser, ne font pas partie) doit consentir sans trop de résistance a cette torpeur un peu vide, a cet ennui léger, 4 cet état de vacance dont parlait précisément Jean Narboni a propos de Flammes

(Cahiers n° 295), il doit étre disposé 4 goiter comme un

plaisir cette attente légére, diffuse. cette langueur de l'énonciation, et donner congé en lui au spectateur quia besoin d’un maitre comme a celui qui est en quéte du

secret.

Ozu

Yasujiro:

Voyage

& Tokyo

C’est au prix de cet abandon a un état de disponibilité diffuse qu’il peut advenir a ce spectateur de retrouver la jubilation élémentaire, enfantine, liée 4 la rencontre mer-

veilleuse, a l’apparition soudaine d’un objet du désir au

champ de la vision (arrivée dans la nuit noire d’une voiture de pompiers d’un rouge éclatant: un pompier qui émerge d’une fenétre sur la nuit; la gravure dont on ne peut se passer sur le mur d’un appartement inconnu ou: Yon vient d’entrer, etc...), ou de retrouver l’épouvante tout aussi élémentaire de ce que Bonitzer appelle Ja « mauvaise rencontre » (Cahiers, n° 301) qui se traduirait moins par l’horreur, dans ce cinéma-la, que par un sentiment de catastrophe imminente (la femme poignardée dans la rue au début de Scenic Route, les mauvaises rencontres dans le Testament d'Orphée : le double du poéte dans la «rue obscure» de Villefranche; I"huissier de l'immense salle d’attente fantame: les hommes-chevaux et la Minerve qui va le transpercer de sa lance). Jubilation et terreur élémentaires qui sont au fond de notre rapport a tout le cinéma mais dont ces films autour de l’ange, de la rencontre, de l’apparition, acceptent de jouer le jeu 4 découvert, au contraire du cinéma de l’identification, de l’effet-spectateur, qui travaille précisément a recouvrir et a légitimer ce jeu élémentaire de l’apparition-disparition, a lier l’énergie erratique de ce surgissement, a transformer le temps vacant de l’apparition en temps dynamique et nodal de la narration, a moduler la jubilation de l’apparition en rétention-dévoilement du secret. A.B.

En haut, Prorbita rubare, de Luigi Comencin

(1948).

En bas (et pages suivantes), Bambini in citta (Les Enfants dans la ville } (1946), documentaire de Luigi Comencin,

7

7

=

i"

L'ETRE-ANGE AU CINEMA

L'ENFANT, L'ANGE, L'EXTERMINATION ET LE CRIME PAR JEAN

LOUIS SCHEFER

Le cinéma, méme muet, n’a jamais pu étre un cinéma silencieux : c’est plus entiérement un cinéma pris dans le chuchotement (les sous-titres, par exemple, lus a voix basse aux enfants au cours des projections). Et par ce silence chuchoté dans les premié-

res images, un retour de cette poussiére, en nous, de cette lumiére, de ces corps gris;

comme

si un enfant, assis en nous, tenait encore notre main.

Au fond du cinéma (dans sa condition la plus ancienne pour nous et la plus brutale) subsiste la terreur ou la peur vague liée toute notre enfance 4 n’importe quel film. Au fond: pourquoi n‘importe quel film répétait-il [a guerre? J’ai vu mes premiers films

aprés avoir été plongé dans des scénes de guerre (les abris la nuit, les bombardements,

exode, priéres agenouillés dans un salon éteint pendant des éclats de bombes, café pous-

siéreux et défilé de prisonniers a travers les vitres, voyage de nuit seul dans un camion

en hiver, quatre ans...). Mais uniquement des scénes et des scénes trouant une espéce d’inconscience d’enfant. D’enfant distrait pour qui au milieu d’un exode se maintenait une voix, un ton de voix, la musique, des tableaux, des objets que le souffle des bombes brisait lun aprés I’autre, un « air » réservé, un étre dont des catastrophes, deuils, ne faisaient jamais descendre; le puits, le gouffre ou qui cependant n’avaient pas d’envers... J'imagine dans ce mauvais temps, deuils, séjours arrachés, campements de fortune une voix, une retenue et un savoir souverain d’étre civilisé ne s’étaient détruits : la terre ne s’était pas ouverte sous les pas d'un enfant distrait : jamais un cri ne fut poussé autour de lui. Et la musique s’était donc maintenue autour, et dans la nuit, la lumiére tamisée ou les alertes. A cause de ce qui était encore la grande jeunesse du monde. La catastrophe n’avait pu faire un seul pas méme a travers des décombres, méme a travers un deuil jusqu’au jour ou on le mena au cinéma. Sciuscia : toute la peur de la guerre et quatre ans de terreur, et d’objets brisés et de visages disparus se fixerent en un instant dans telle salle, sur l'image du premier film. Ici commenga la premiére maladie dont

il fut coupable et puni. La premiére maladie de nerfs, c’est-a-dire la premiére identité

incertaine et criminelle qu'un enfant trouvat dans la peur (dans sa premiére véritable solitude) : enfant déguenillé en Italie cirant les souliers de soldats américains. C’est ainsi que le monde commenga, c’est-a-dire devint indescriptible. C’est ainsi que la peur de la guerre glaca tant d’enfants aprés la Libération, que leur vint non seulement la peur d’avoir échappé a un massacre mais la conscience discontinue d’avoir tout de méme été morts, a cause de ces films qui commencaient sans la méme voix que les avions ne couvraient jamais, sans une sceur, sans aide, sans odeur. C’est donc ainsi que commenga une aphasie, la famille disparue, que la conscience d'un crime précéda tout le crime. Ou que les dents claquées ne le furent que pour Charlot, Laurel et Hardy, Walt Disney. Ce n’est qu’ainsi que la guerre ne prit jamais fin. Les Disparus de Saint-Agil firent, par exemple, mourir son pére, s’écrouler une maison; Pinocchio tua et déporta quelques proches, Adémrai aviateur ou je ne sais quelle projection des Deux nigauds ne laissa suspendue qu’une salle 4 manger dans des décombres, un cheval de bois dans un wagon a bestiaux, un train de la Croix Rouge et du cho-

colat en gobelets dans une gare hollandaise.

54

L'ETRE-ANGE AU CINEMA

La peur de Fatty, de Charlot, d’Al Saint John commenga donc a décoller irréparablement le monde entier de la musique, des voix, des tableaux. C’est donc au cinéma que le monde commenga comme souvenir d’un crime 4 la fois perpétré sur personne et constamment suspendu. C’est donc au cinéma que la constance d'une voix entendue malgré le tonnerre et tant d'années, d'un soufle retenu, put seule mourir pour la premiere fois. Les films ont donc constitué une crainte particuliére liée a la fois 4 un univers du chuchotement (du chuchotement non religieux — c’était donc de la méme fagon quelque chose que le ciel ne pouvait entendre, comme des paroles étouffées dans une chambre)

liée comme inversement au silence des corps gris, au granit mince et gesticulant.

Mais il y a une chose de plus dans tout le cinéma; dans une persistance « burlesque », c’est-a-dire dans I’invention pure du mouvement associé a des visages blancs : Une ombre, comme si son pére par exemple mort pendant la guerre et - puisque sa dépouille, ou son corps, lui était resté cachée - angéliquement enlevé par une force, un étre pour un rachat inconnu ou plus certainement pour !'effet d'un abandon qui fit donc commencer le retard du crime sur cette doublure comique du monde qu’il fallait aller « pécher » au cinéma. Et comme si cette autre face du monde, la cohorte des anges, la cérémonie funebre, les pleureuses ne pouvaient venir que de la mais que tout cela ne venait sans cesse, en un tel abattement, que par ces rites grotesques. Plus encore sur ce monde momentané de granit sans fissures oll la succession des images, ou les gros plans, oti la raison de toutes les conduites demeuraient une énigme inquiétante : c’est-a-dire d'une familiarité et d'une connivence uniquement déplacées. Mais c’est ceci : le monde grotesque atteint comme sa raison et comme son énigme d’une telle maladresse parce que dans une scéne dérobée de son enfance son pére avait été un jour soustrait du monde comme la raison méme pour laquelle la guerre avait lieu. Et qu’au milieu des villes bombardées, des ponts félés restait dans un portrait supréme un regard photographié. Et que si demeuraient ces étres de pierre gesticulant dans un désespoir hatif c’était déja que tous les grands hommes, ou bien toute une face du monde, avait cessé non de vivre mais d’étre la et de pouvoir revenir, c’est-a-dire rentrer et, tendre les mains? Mais quel crime? Une détrésse sans objet qui se fixait la incertainement, ou pouvait subsister par l'écart et la différence méme dans laquelle elle se fixait, sur n’importe quoi. Et, plutét, si ce monde grotesque basculait, penchait, se décollait, ne répétait en lui que des séries de catastrophes (c’était son moteur, simplement inverse a toute raison),

c’était déja que le monde quotidien pouvait lui aussi étre miné d'une inquiétude et

d’une espéce de rire qui avaient déja plus de durée que toutes les images. Ou ne laissaient pas subsister d’image...

Une quantité et une force d’affects est liée peu a peu a des objets inconnus. Ils ont aussit6t ce pouvoir de n‘étre pas répétables, sécables ni reconductibles : ne s‘exportent. Hs ne situent donc pas leur sujet (le lieu de leur imputation constante ou constamment probable) dans le monde, c’est- a-dire dans un milieu ol surviennent des séries d’événements qui peuvent étre isolés, c’est-d-dire détachés de toute causalité ou non regardés... Le monde est done aussi pris dans la liberté de l’insignifiance, c’est pourquoi il est, dans n‘importe quelle conditon, vivable, supportable ou détaché. Les affects inconnus (nés ou sollcités dans une machine a simulations) sont d'un

monde d’abord sans dehors: défini par une constance de la signification et qui ne

« Lient » radicalement que par ces affects qui ont tous, sur leurs quantités monstrueuses, une durée — une tension interne — qui est aussi l'empreinte d’un lieu de leur échéance, de leur annulation (de l’annulation de leur caractére virtuel) ou la contradiction temporelle a l’intérieurde laquelle ce monde apparemment flottant, ce granit et ces flocons d’images prennent appui sur le sujet qu’ils supposent. Ou ce spectateur qui refilme tout ce monde-la et en qui se déplace sans aucune mémoire un monde de granit, ou n'est

saisi de sentiments qu’é cause des énigmes dont il devient responsable, parce qu'il est

toujours ici le garant ou le créateur de leur réalité.

L'ENFANT, L’ANGE, EXTERMINATION

ET LE CRIME

.

Et c’est donc, plus qu’une machine complexe, cela tout le film : instance isolée, ou muette d’un retour ici et faisant reflux sur ces quantités, énigmatiquement, (comme scénario et comme image) mais tout entiéres adressées au réel des affects qui est toute I’attente de

crime lui-méme.

Les monstres du cinéma

sont, par exemple,

:

55

méme qu’elle disperse qui voit méme d'une morale du monde dans un tissu a la fois fermé destinées, c’est-a-dire vouées et l’image. C’est-a-dire vouées au

!’étre intérieur du cinéma:

au fond,

comme n’importe laquelle de ses fictions, des étres délégués comme anamorphoses de

ce monde prédestiné a la morale, c’est-a-dire a la signification incessamment adressée 4 un sujet moral inconnu, a celui qui n’en fait pas la synthése mais en qui l’étrangeté doit vivre comme morale, ou bien : durer sans étre affectée par le temps ou la mémoire.

Mais qui donc ainsi viendrait, autrefois enlevé et peut-étre jeté dans le ciel, non pas choir comme toutes ces bombes, ou comme Ia chute d’un corps subitement ralentie par Pouverture d’un parachute ou son balancement en plein ciel, mais sortant d’une quantité d’images, sortant du blanc lui-méme, toucher et tendre les mains et dire « viens ! »? Mais ceci subsite : ["espéce inconnue, en celui qui regarde fe film, en celui qui dans ce film-la se voit dans une espece nouvelle, ce n’importe qui, cette ouverture, ces entrailles gelées ou son rire font recommencer la guerre. C’est-a-dire la supression d’un étre comme raison du bouleversement de la terre. Comme suppression de I"humanité en nous-mémes, et dont ne subsiste alors devant l’/mage blanche plus aucun représentant. Comme si ce visage de mosaique, fait de flocons, de points, de poussiére envahissait simplement et sans correction possible celui qui est assis, par ?extension immense d’un étre sans présent mais uniquement lié au mystére du Temps, a l’horreur du Temps. J.L.S.

CRITIQUES

LA DROLESSE

(JACQUES

DOILLON)

Pendiunt le Festival de Cannes, la télévision montra a plusieurs reprises des extraits — toujours les mémes - de La Dro-

lesse de Jacques Doillon, sélection francaise ct futur Prix du

jeunc cinéma. En voyant ces extraits, je me disais que pour ce qui est du codage du « nouveau naturel » (décrochements infi-

mes, mini-clins d'yeux), Doillon était décidément Ie meilleur, ou plutat le mieux place. Cet effet de « fraicheur jeune » que le cinéma [rancuis, sans doute parce qu'il se sait fondamentalement rance et sec, est censé produire réguliérement (la Nou-

velle Vague. Lelouch, Pascal Thomas, Diane Kurys, le Doillon

des Doigts dans la un maitre de plus. prouver avec La contenter de cette devageérer dans la

téte, Et la tendresse, bordel etc.) avait trouvé Lequel, par ailleurs et par chance, venait de Femme qui pleure qu'il pouvait ne pas se maitrise-la et qu’il était en mesure, a force naturel et dans la justesse de ton, de retrou-

Pialat, Eustache,

Vecchiali, Rozier:

ver les grands cinéastes francais du naturel (je pense a Demy,

(1).

la liste nest pas courte)

Puisje vis le film et je ne l’aimai pas. II était donc tentant de

comparer ce qui allait dans La Femme qui pleure et ce qui ne

va pas dans cette Drd/esse, ennuyeuse et peu drdle. Bien que les films aient été réalisés en méme temps, il me semble qu'il y a la deux potentialités du cinéma francais, et méme du cinéma tout court. Dans La Femme qui pleure, Doillon auteur-acteur, pris entre deux femmes plus unc (la petite fille), s’exposait au risque de ne pas contréler tous les effets induits par le dispositifot il se piégeait [ui-méme, non sans habileté.

Un dispositifou chacun toura tour gagnait et perdait et chacun

avec ses armes a lui. a elle : Laffin avec le trop-de-naturel de hystéric, Politoff avec le trop-de-métier du professionnalisme, Doillon avec 'humour coincé du jeu « neutre » (neutre : nilun ni autre) —et les trois face 4 une caméra qui, du coup, ne pouvail plus garantir de honne place au spectateur. Aussi,

A certains moments de grand cinéma, c‘était espace enire eux,

un «entre-cing » si l'on compte l’enfant et la cuméra. qui se mettait a exister. Rien de tel, hélas. avec La Drdlesse ol c’est du traditionncl face a face entre deux « natures » de comédiens que Doillon, la caméra et le spectateur, tous trois confondus, sont, sinon les maitres. du moins les bénéliciaires et au bout du compte, les profiteurs. Dans La Femme qui pleure, auteur,

acteurs, caméra, spectatcurs étaient dispersés au coeur d’une matiére assez riche, hétérogene, pour qu’ils s’y perdent et s‘y retrouvent, a tour de réle et chacun pour soi. Voir le film s‘apparentait un peu 4 une expérience, c’est-a-dire a quelque chose d’incommunicable, et les astuces de Doillon, arroseurarrosé, pour rester en dépit de tout le maitre du jeu. devenaient un élément parmi d'autres. Dans La Drélesse, c'est tout le contraire : la caméra est toujours la ou i} y a pourle spectateur un gain — j'ai envie de dire « du rab » - de naturel. de signification, de corporéité, peu importe, quelque chose qui lui signifie en silence (mais ce silence est, pour moi. tonitruant) : je suis la et 14 pour toi seul, tu n’es ni seul ni perdu dans cette histoire ingrate et scabreuse, dans cette histoire d’enfants-entre-eux. ou tu n’es jamais — sinon dans tes fantasmes les moins avoués. On pourra objecter que ce voyeurisme du spectateur, Doillon ne ignore pas et qu’il l’inscrit dans le film par le biais de la métaphore du voyant rouge de la « machine a surveiller » que confectionne Francois. Mais j’y vois plutdt le signe, le clin

doeil, par lequel le cinéaste suggére a son public. mine de rien

et comme en passant, qu'il n’est ni naif, ni dupe. La « machine a surveiller » n’a pas de fonction en dehors de cette dénégation. Dans un film comme La Drdlesse, ce West jamais la vérité des personnages, I’énigme qui Ices constitue, qui est le moteur du film. c’est cet effet de non-dupe, noué entre I’Auteur et son

LA DROLESSE

37

public sur le dos des personnages, c'est cette complicité de «ceux qui en savent plus» qui a besoin, pour donner le change, du naturel de ceux sur qui on en sait plus. Exactement sur le modéle de fa rhétorique publicitaire (2). Ainsi, lorsque Madeleine explique vers la fin du film (a Francois qui n’y comprend, évidemment, rien) quelle a dessiné par terre une « maison pour rire » et qu’elle précise bien qu'il ne s‘agit pas d'une « maison pour de rire », ce n‘est évidemment pas Madeleine Desdevises ou la drélesse qui parle, c’est Doillon qui « met

pas étre trop « au-dessus de tout ¢a », la ou une nette majorite de frangais réclame pour « tout ¢a » le maintien de la peine de

définition de son cinéma. Un cinéma ot I’on passe son temps a« se démarquer », un cinéma du presque. Un cinéma qui n'est pas sans rapport avec ce que Bonitzer appelait 4 propos de Malle (et de Pretty: Baby, autre film avec des enfants justement) le « pas vraiment». Une maison pour rire, ce n’est pas vrai-

du « film a thése » était la fin du fin, ’horizon indépassable du

dans la bouche d’une enfant » ce qui pourrait étre une bonne

ment une maison pour de rire et dans ce léger glissement, il y

a tqute la distance que Doillon tente d*établir entre un cinéma daté et vieillot dont il lui faut discrétement se démarquer (genre Jeux interdits, verts paradis des amours enfantines, ou les enfants jouent-a-faire-comme les grands ; succés garanti) et un cinéma plus moderne. non-dupe et revenu de tout, un peu freudien et post-gauchiste. dont i! faut faire partie sous peine davoir l’air un peu plouc.

J'imagine qu'un scénario comme celui de La Drélesse s’éta-

blit en tenant compte de deux listes, celle des piéges 4 éviter d'un cété. celle de ce qu'il faut suggérer a tout prix de lautre. Drdle de jeu. Drdle de jeu ot les enfants n’en sont pas vraiment, oi le plus enfant des deux n'est pas eclui qu’on pense,

ou le rapt n’en est pas vraiment un puisque ravisseur et ravie « jouent » brechtiennement leur histoire et la vivent comme un jeu, ot! l'on sc cache mais pas vraiment puisque le grenier est a cété de la maison des « patrons », ou il y a bien de la sexualité (infantile chez Mado, bloquée chez Francois — ce qui arrange

mort quand ce n’est pas la loi du lynch.

On aura beau jeu de dire que ce n'est pas le sujet du film ni le probléme de Doillon, 4 qui on saura gré de s’étre borné a montrer des rapports humains en dehors de toute volonté, démonstrative. Curieusement, le manque d’opinion du cinéaste quant 4 son sujet. son désengagement, est de plus en

plus brandi comme une qualité, comme si échapper aux pi¢ges

cinéma d‘aujourd'hui. Faible programme. D’autant plus qu'il n'est jamais réalisé. Je pense qu’il y a une these implicite (et

ailleurs pas fausse) dans Lu Drdlesse, une these qui vise a démystifier, dédramatiser, en laissant entendre que ces histoires de « rapts d’enfants », ce n'est pas ce qu'on pense, ni aussi sublime, ni aussi monstruecux, parce qu’au bout du compte, il est clair que tout couple, fit-il le plus disparate, illégal. horsexe ou anomique du monde, produit de fa normalité comme il respire. « Tout couple est normal», semble dire le film: entre Madeleine et Francois. par dela les restes d'enfance ou d'ado-

lescence prolongée, i] y a déja un vieux couple aigri ou l'on

imagine bien le mari rapporter sa paye a la femme et celle-ci Vappeler « papa». C'est peut-étre le calcul idéologique de Doillon, assez proche de celui d'un Malle (I"inceste-mére-fils

dans Le Souffle au ceur). Si un rapt, ce mest que ca, C’est-a-dire la fabrication bancale ct poctique d’un couple de plus. il suffirait de le montrer pour que les majorités silencieuses qui vont au cinéma mesurent Icur erreur : elles auraient fantasmé d'ina-

vouables différences la ou il n’y aurait rien que de trés banal.

Mais ce calcul serait naif. comme est naif tout discours sur

bien les choses) mais ou « on se caline » hors-champ, ot il y a

«le droit a la différence ». [I suppose en effet que c'est parce qu'il est différent que l'autre est intolérable. Erreur puisqu’il

les marges du film (étrange comme ils ont dix fois plus accent

c'est, plus profondément, le « droit a la ressemblance », lidée

bien des adultes (parents, policiers) mais qui ne sont pas vraiment des ennemis, tout juste une présence hostile et béte dans’

S’agit exactement du contraire. Ce que les majorités refusent aux minorités, les normaux aux anormaux, les Uns aux autres,

du terroir que les enfants !). Les policiers sont d’ailleurs des dei ex machina touta lait inespérés puisqu’il leur revient, au cours d'une toute derniére scéne qui est un coup de force scénarique de plus, d°étre particuliérement insensibles et incompréhensifs la ot tout le monde (acteurs, auteur, public) buigne dans la délicatesse (méme rude) des sentiments, En 1979. sur un sujet aussi risqué que le rapt d’enfant, j'aurais tendance a trouver

qu‘au-dela de quelques diflérences superficielles, ils soient — horreur — comme eux, que comme eux ils soient des étres par-

trop beau pour étre vrai et un rien démagogique un film qui unifie tout le monde saufla police. J’y verrais méme un signe

que si Doillon est amoureux de sa matiére filmique, il ne s’intéresse pas beaucoup au sujet de son film (3). Sujet grave pour-

tant.

Car du sujet de La Drélesse, on chercherait en vain la prise en compte dans le concert de louanges quia salué Ic film. A fortiori du contenu. Pas par hasard. Les petits maitres du pas-vraiment escamotent volontiers leur sujet, le contournent, le sacrifient a l’idée, plus immédiatement rentable, qu’ils pourraient le traiter s‘ils le voulaient. Ceci a la différence des grands per-

vers qui auraient tendance a traiter le leur séricuscment, avec

une innocence tétue. Sur le theme du détourmement de mineurs, voir La Machine (Vecehiali), Alice dans les villes (Wenders) ou. plus récemment, Gibier de passage (Fassbinder). Ce sont des films qui partent de l’opinion moyenne des

gens. Pas l‘opinion éclairée mais l’opinion la ott elle fait masse

et la ot elle fait peur: dans les manchettes et les sondages a la une de « France-Soir » ou du « Bild Zeitung », la ott les rapts enfants ct la passion pédophitique alimentent des fantasmes de masse et pas seulement I’étriquée musique de chambre du cinéma francais d'art et essai. Il y a intérét (et modestie) 4 ne

lants et sexués. La différence chez l'autre est plutét rassurante. Elle est d’abord le fond sur lequel se détache, comme en relief,

lintolérable similitude. D’ou que les différences. on les aime.

on les fétichise, on les encage, on en fait des musées et des conf€érences salle Pleyel. D’ow tes festivals de cinéma ethnographique ov J’on s’enchante de ja redécouverte compulsive que les sauvages (remplacer par : les fous, les enfants, les bétes. c’est la méme chose) sont bien des hommes, comme nous. Dott aussi ce cinéma naturaliste et cet effet de fraicheur jeune que nous n’avons jamais beaucoup aimé aux Calers, sans doute a cause de cette odeur de chair fraiche qui n'est exhibée que pour étre renormée. C'est un peu la fonction d'un film comme La Drélesse : renormaliser (« naturaliser », comme on dit d'un étranger) les sujets encore un peu tabou, en bénéficiant du fait qu’hier encore ils étaient tabou : bref rassurer. Vu le talent de Doillon, il faut souhaiter qu’il prenne le parti inverse, celui de La Femme qui pleure, qui est d’inquiéter. Serge Daney |. Mais tes grands cinéastes du naturel ne sont ralisme : rien de formel chez cux. pas d*hyperréel rogation fondamentale sur l"indécidabilité de la en demiére analyse, sur ]"énigme de la différence fe plus unportant depias que Chomme a marché ou Une sale histoire.

pas les petits maitres du natupublicitaire. mais une internarure dumaine, c'est-a-dire des sexes. Voir L‘Evenement sur la lune, Femme femmes

2. Dans les fondus au noir de La Fenune qui pleure, on « voyail » le point

faible du cinéma de Doillon qui est lenchainement des moments du film. D’ou

CRITIQUES

58 que les extraits télévisés de La Drofesse sonnent plutot juste 1a ot le film, vu dans sa continuité, parait une suite de coups de force, C'est que ce cinéma obéit

a une cconomie du fragment publicitaire, fragments de s¢duction qui ne peu* vent guére tre que juataposés puisque chacun est. cn lui-méme. definitif. C'est pourquoi je ne suis pas sur qu‘on ait eu raison de tant vanter la modestic et lintimisme du film de Doillon pour Fopposer aux grandes machines parinojaques (genre Apocalypse Now ou Les Sewurs Bronte). En faut. vu la minceur des effets produits et Je semi-escumotage de son sujet, La Drolesse mapparait quand meme comme une super-production gonflée /i ot i] y avait matiere a un cour métnige ou 4 un spot publicitaire (une version nude et sophistiquée de « La laine est vriie »). Que le film sont, vu son fiible coat. une bonne opération commerciale.

prouve seulement

lintelligence de Doillon

ct la relative

bétise des grandes machines, mais absolument pas qu'il y ail - comme c'est le cas pour la plupart des grands films -— adéquation ou cohérence entre l'écvonomie du film et son sujet. Ceci dit. il

pour

tre aussi

ya sans doute, comme on dit, un « créneau »

inéma et Doillon a sulfisamment de talent pour sy garer. C'est peutla derni¢re chance offerte au cinéma

Irangais de vendre son image de

marque a Pétranger: ce folklore qui plait tant aux U.S.A. : Ie huis clos psychologique de qualité,

3. Avant ménic la « crise des scénarios » dont on dil — 4 juste titre — qu'elle mine le cinéma frangai me semble qu'il faille parler d'une crise des « sujets », une crise dans l"idée méme de sujet, de sujet « 4 traiter », La plupart des cinéastes francais restent en deca du Jeur, toument autour, font miroiter qu'ils n’en n‘ignorent rien, ct veulent étre erédilés par avance de ce supposésavoir. D'ou la faiblesse des fictrons puisque la seule fiction est celle du supposésavoir de lauteur, Or, on commence é le savoir, les grands sujets ne sont appropnables que dans des fictions. Pour prendre un exemple récent. ila faltu attendre trés longtemps, le temps d'une yvénération, pour qu’avee Halyeatiste le feu vert soit donné a la fictionnalisation d'un sujet aussi grave que les camps extermination nazis. Sauf que la littérature de gare, les films lumipen-pomo, les revues du genre « Histona » n‘avaient pas altendu ce feu vert pour faire de ce lieu impossible, cet interdit de la representation, le lieu méme de limaginaire, le lieu privilégié de la fiction et du fantasme. Ces funtasmes choquent (ils ne sont guére rassurants) ces fictions génent (c'est MelYet-Kapay, ib empeche qu'ils sont ingontournables. Evidemment, si on concocte des lietions 4 partir

Barbe Bleue, d' Edgar G, Ulmer

alors venir @ailleurs, comme d’outre-tombe) que résidait toute létrangeté du film d'Ulmer . D’étre humaine et surnaturelle, morte déja quand nous Ientendions vive, cette voix, comme cette séquence, résumait sans doute le mieux ce qui étail a la base de la réalisation du film: une indifférenciation, ou une méme intensité de vie entre la marionnette et étre humain. Car de /’étroitesse du cadre qui caractérisait le film, de Vabsence permanente de profondeur du champ, de la frontalité des plans et, enfin, du déguisement des costumes, il résultait que lespace de référence du film était un theatre en miniature, un théatre ot la passion qui consumait les protagonistes, les dépossédant d’eux-mémes, les manipulait cruellement comme les marionnettes de son jeu : la création artistique.

de la une du « Nouvel Observateur», on ne risque rien, on risque seulement

de ne rien rencontrer en dehors du reflet de sa belle dime ou I’écho de son métalangage. Lorsqu’a propos justement d'une histoire de rapt d’enfants et de pédophilie, Paul Vecchiali avail entrepris de toumner La Machine, il navait pas

craint de courir le risque d'un film 4 these, 4 la Cayatte, et si fa Alachine est, au bout du compte. le contraire d'un film de Cayatte (auteur d'ailleurs d'un ter-

mible navet sur le méme sujet), ce n’était pas parce qui ne faisait pas vraiment

un film a these, c'est que les théses. il [es multiphait. sans oublier celle, inac-

ceptable et d'ailleurs inacceptée. ou le pédophile, a la maniére du R de La Pen-

daison dOshima (autre splendide « film 4 thése »). finissait par afficmer sa pas-

sion.

L'HYPOTHESE

DU TABLEAU VOLE

(RAUL RUIZ)

« Toute identité ne repose que sur le savoir

d'un pensant en dehors de nous-méme — si tant est qu'il y ait un dehors et un dedans — un pensant qui consente du dehors 4 nous penser en

tant que tel. Sic’est Dieu au-dedans comme au dehors, au sens de la cohérence absolue, notre identité est pure grace; si c'est le monde

ambiant, of tout commence ct linit par la désignation, notre identité n'est pas pure plaisan- | lerie grammaticale ».

Pierre Klossowski

ll fallait au Barbe-Bleue d’'UImer tuer ses modéles pour her vie a ses toiles; ses modéles ne pouvaient revivre que le corps inerte de marionnettes auxquelles chaque soir le tre prétait son souffle. Quand Ulmer cadrait ce thédtre de pées, quand il isolait une de ces marionnettes, I’émotion prenait - 4 l'instar des spectateurs dans le film - de ne

dondans peinpounous plus

savoir & qui attribuer les sanglots de la voix de Uhéroine : a la

femme qui manipulait cette marionnette, création vivante du peintre et préfiguration de la mort prochaine de I’actrice. a (étre aimé premier, amour désespéré du peintre qu'il tua pour son mensonge et réincarné dans les traits de cette marionnette, ou a la marionnette elle-méme, souvenir chaque soir revécu de cette passion meurtri¢re et de son objet. C’est dans la triple identité de cette voix, par ou, en délinitive, elle n‘appartient 4 Personne sinon au passé secret du peintre, nous paraissant

-

Digne des contes de Poé, Bluebeard d’Ulmer est moins un

film @horreur ou fantastique qu'un film policier. A plus d'un titre, L Hypothése du tableau volé de Raul Ruiz lut est proche. Ici, on redonne le mouvement aux figures immobilisées dans les tableaux. Toutefois, ce qui s’exprimait dramatiquement * dans le film d'Ulmer avec un nombre limité de personnuges. se formule chez Ruiz avec humour — voire avec dérision - 4 échelle de l’espéce humaine. C'est dire qu’en dépit du sourire narquois que semble nous offrir de fagon quasi-permanente

Jean Rougeul, le propos y est grave. La différence essenticlle entre les deux films est que ce qui était procédé de mise en L'Hypothése du tableau volé, de Radl

Ruiz

L'HYPOTHESE DU TABLEAU VOLE

59

scéne el moyen d‘expression chez Ulmer devient chez Ruiz le

propos méme du film. Consacré 4 I‘ceuvre de Pierre Klossowski, L'HWypothése du tableau yolé nous entraine dans un

dédale de six toiles inédites du peintre Tonnerre,

chacune

dédoublée en un tableau vivant. Ou plutét de sept toiles puisqu’il nous est dit qu'il en manque une, volée précisément. De 1a la forme premiére, policiére, du film ; ce suspense qui attache le spectateur aux pas du collectionneur, espérant qu’a la fin se dévoilera Ie mystére du tableau volé, qu’au terme du parcours le tableau manquant sera reconstitué en un tableau vivant. puisqu’il est la justification du lien logique cxistant entre tous les autres tableaux. Le rythme lent, la progression

sinueuse du film, son tracé labyrinthique et surtout le gris de

la projection fantasmatique de ce juge.

A ce moment, les portes

s’ouvrent au délire interprétatifet a la paranota : 1a ot il pas d'autre information que le medium comme support, le spectateur prend forme, le reste n’étant que leurre et Rougeul dit trés bien que le peintre Tonnerre « spécule

n’y a la ot alibi. habi-

lement sur notre curiosité de spectateur »; et encore, a propos

du tableau de la partie d’échecs des Templiers : « fn échappera @ personne le cété insoutenable de Canecdote : d'ott vient ce Croisé? Que surprend-il? Comment a-t-il pu surprendre les

joueurs alors qu’il arrive de la Croisade? Que cachent

les

Joueurs pour étre surpris par Uarrivée soudaine de ce nouveau personnage? » Or rien dans le tableau ne nous indique que ce

Croisé arrive d°Orient; il nous est désigné par la suite comme

concourent a l"évocation de cette mémoire des vieux films poli-

le Grand Maitre de l'Ordre des Templiers, et si, en l’occurennce, quelqu‘un vient de faire irruption dans le tableau, ce nouveau personnage, c’est bien évidemment Rougeul luiméme, comme si c’était par son intrusion que Ic tableau se révélait a nous. Et i] n'est qu'un seul interlocuteur face a Rougeul : le spectateur.

citant aujourd’hui ce procédé d’éclairage passé, propre a un

que parce qu'elle s’expose sous la forme d’infernaux complots,

la pellicule, cette pénombre ambiante, semblable a une brume londonienne, qui enveloppe toutes les images, qui en épuissil le représenté, le troublant et l’obscurcissant a volonte (travail proprement photographique, di au talent de Sacha Vierny),

ciers anglais, 4 son rappel en nous comme un moment essentiel, constitutifdu genre policier et de sa rhétorique. En ressus-

genre et a une école particuliéres, Ruiz nous le désigne isolé-

ment dans sa fonction de codage. Ansi L’Hypothése du tableau

volé se présente d’emblée comme une réflexion sur le cinéma puisque, si ce retour d’une tonalité perdue de la pellicule

contribue au charme du film, il participe aussi a lironie du style pompier du film.

des intrigues byzantines de la théologie), en tant que critique de la fonction désignante du signe— le langage étant pour Klos-

sowski le plus grand des simulacres -. participe activement a une telle démonstration, a une telle stratégie de décentrement du regard et d’obscurcissement de son objet. Attendre du film

un exposé clair des thémes klossowskiens ne pourrait que nous

L’Hypothése dit tableau volé, Cest d’abord cela : notre initiation a la place que nous occupons, celle de spectateur, par dévers le prétexte fallacieux d’une vague intrigue policiére, mais nécessaire : sans quoi il n’y aurait pas initiation {avec la part d'envotitement qu'un tel rituel implique) mais lecon a la facon de Godard d’/ci et ailleurs a Comment ¢a va, car quoique

différent dans leur démarche. Ruiz et Godard visent bien le méme but. La fiction policiére a cet égard présente un énorme avantage : en se présentant comme une énigme a résoudre, clle

focalise attention du spectateur sur ce but : découvrir la vérité

du crime, lidentité du coupable. Tout le cheminement de lenquéte valant pour une mise en suspens de ce résultat final, it masque au spectateur, trop pressé de savoir, ce qui constitue

essence méme du genre policier : toutes les circonvolutions et

les péripéties, les détours et les impasses, les brouillages du récit qui y conduisent, c’est-a-dire la ot la fiction policiére n'est qu’indices, la solution de l’intrigue n’étant jamais que ce qui fait synthése des indices. C’est pourquoi, précisément, la

solution finale n'est jamais celle attendue, qu’elle est toujours déplacée, surprenante puisque le récit n‘a pas d’autre fin que

de brouiller les pistes, de truquer les cartes, de décentrer le regard ct de lui faire perdre son objet. C’est parce que l’énigme

du tableau volé n'est pas levée a la fin du film que les ressoris du film policier y sont saisissables: de fabriquer la vérité

comme somme d'un ensemble dartifices. Il suffit en effet de faire sauter 'hypothése qu'il y a toute la coherence de la quéte, Cependant lhypothése ayant été dénoncée comme sophisme qu’d D'ailleurs hypothése du vol est

La théorie du simulacre chez Klossowski (ne serait-ce déja

vol d’un tableau pour que du récit donc. seffondre. énoncée. elle ne peut étre partir de sa vérification. souvent employée comme

moyen de taire un doute émis quant a une explication, comme préjugé.

C'est précisément cette réalité indicielle de image que nous expose Ruiz: a savoir l'indéterminé de son contenu ou seul le spectateur — Ou un intermédiaire — peut lui attribuer un sens explicite. Un sens qui n‘est alors pas dans l’image-quand bien méme elle le suscite : c'est sa ruse - mais dans le rapport qu’y entretient le spectateur. L*image apparait alors dés lors comme

détourner du film puisque c’est justement dans son mode d’exposition que L’Hypothése du tableau yvolé est un remarquable commentaire de l’ceuvre de Klossowski.

Ce solécisme de l'image, Ruiz l’actualise d‘abord en noyant cette derniére dans le double commentaire ou se réfléchissent les toiles de Tonnerre et leurs doubles, les tableaux vivants, par

un double jeu de miroirs ot s’infléchit le représenté. S'impli-

quant mutuellement et se redoublant l'un dans l’autre, les deux discours nous enveloppent dans leur double spirale; nous en perdons le terme. leur motif, les images qui se déroulent parallelement sous nos yeux et que nous voyons se dissoudre dans leur commentaire. En se les appropriant, celui-ci nous en déposséde d’autant; captant notre attention, il libére tes images de l"emprise de notre regard; sa démonstration nous aveugle.

elle nous déposséde de notre faculté de voir. Pris dans les mail-

les du commentaire, le spectateur s’y voit disparaitre. Mais il ne retient pas davantage le contenu des raisonnements : les

énoncés s’‘abiment dans leur double réflexion, s‘annulent dans

les méandres et les ruptures, dans le développement sans fin des disjonctions non-exclusives, des fausses oppositions qui

président a leur énonciation. Déja la voix du chroniqueur, imitant le ton des commentaires des films pédagogiques de l'aprés-

guerre. se désigne d’abord comme cette intonation radiophonique, comme souffle et comme reproduction. De la méme facon, la voix de Rougeul acquiert une existence autonome,

s¢parée du corps de I’acteur : souffle de ce corps assoupi, voix de réve. voix venant devant nous, au fond qu’au terme du film, gue, le vertige de ses

de derriére nous quand l’acteur se tient du champ, et nous tourne le dos. Si bien i] ne nous reste plus que la magie de la lanflexions.

Méme processus spéculaire en ce qui concerne l’image. Et d’abord dans son rapport au son: le double commentaire

cadrait les images et les faussait, c'est ainsi qu'il nous empé-

chait de les voir. Les images. elles, se complaisent 4 invalider le commentaire, a le vider de son sens, ce sont elles qui en font un pur assemblage de souffics. Pour que le commentaire garde encore l'apparence d’une cohérence quant a son propos, il fau-

CRITIQUES

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drait taire les images, et c’est bien a quoi, du reste, il s*épuise. Ce sont les images qui lui assurent le délire de son interprétation. Le paradoxe veut que les tableaux vivants; notamment lorsqu’ils s’animent comme les figurations du drame de famille, soient filmés a !a fagon des films muets. D’une maniére générale, il y a toujours un décalage— il ne s’agit jamais de ruptures totales — du commentaire au représenté, le commentaire a toujours une validation partielle dans le représenté : ainsi la fausse querelle entre les deux voix quant a l‘hypothése d'un lien entre les tableaux par un jeu de miroirs: 4 (hypothése avancée par le commentateur que les-toiles de Tonnerre constituaient « une vaste réflexion sur la reproduction de feuvre dart». le collectionneur rétorque, pour la réfuter, le méme argument: « Spéculation! Vulgaire spéculation! », arguant que c'est la forme du miroir comme pure forme qui désigne le tableau suivant ; or, a cette forme (un croissant) correspond la encore un miroir. Ruiz emploie systématiquement la dénégation : le propos réel du film est toujours ce qui y est nié, mais selon cette torsion propre que ce qui est affirmé ne peut I’étre que dans sa forme négative : nous assistons bien a la cérémonie, au culte de la guerre totale au moyen des tableaux vivants, mais ence que le dispositil politico-militaire est susceptible de recevoir. dans la préservation de sa forme, le panoptisme, des

contenus différents qui le dépossédent des attributs distinctifs de sa glorification; aussi en ce que les tableaux vivants, quand

bien mémce ils accomplissent le rituel, détiennent en eux vir-

tuellement la fragmentation, la désintégration du dispositif, la possibilité de se retourner contre ce qui les agence et que dans sa forme pure, ils dénoncent. Car il s’opére toujours une variation, un fléchissement dans le passage du modéle a la copie, dans la reproduction des toiles en tableaux vivants, a savoir précisément que l’acte de repro-

duction met fin a l'unicité de la représentation, et par suite a son appropriation unique, privative, la ou le pouvoir est suceptible de se privilégier : déja le peintre Tonnerre avec ses six (ou

sept) toiles représentant la cérémonie, encore plus quand il les

dédouble en tableaux vivants. prive le pouvoir de l’exclusivité de lusage du culte de Mithra sur laquelle se fonde sa domination incontestable. Dans la série infinie de ses reproductions le tableau original se perd, et Ic pouvoir y perd le contrdle de son image, la maitrise de sa représentation; les traits distinctifs qui Vassoient s'y indéterminent, ses attributs ne lidentifient plus. On comprend aisément pourquoi les Huit Pouvoirs se devaient de censurer toute [exposition du peintre Tonnerre sous peine de leur propre extermination. Les tableaux vivants, en effet. dans écart vital au modéle

reproduil qui les différencie jusque dans

la fidélité de leur

reproduction, délient les sujets de la figuration qui les ordonnait, les corps. les gestes et les accessoires redeviennent disponibles pour de nouvelles conjonctions. de nouveaux montages. Un corps nu nous revient ici habillé, un geste précédemment immobilisé poursuit son mouvement ou s’évanouit ce qu'il avail A charge de désigner. Ruiz use ici des propriétés spéciliques du montage cinématographique en tant qu'il définil, qu'il soit continu ou discontinu, al ‘intérieur d'un méme plan ou par Vassociation de deux plans différents, une stratégie des raccords. Mais le montage est ici utilisé 4 'opposé de sa conception ordinaire : les raccords ici ne visent pas a recadrer:; les dil-

férences de cadres — ou a lintérieur d'un méme cadre de son contenu — servent ici a décadrer, a désencadrer. Varier langle

de prise de vue, changer la focale, indifférencier le centre ct la périphéric cn multipliant les pdles d'attention, il s’agit toujours d’cflacer Ic cadre, de le faire déborder par son contenu.

La lumiére difluse, sans source précise. dans laquelle baigne

tout le film, la fluidité des mouvements de caméra participent

de cette stratégie (on se souvient que Raul Ruiz avait lui-méme

exposé les régles de cette stratégie dans un article du n° 287 des

Cahiers,

«Les

relations

dobjets

au

cinéma»).

Ce

n'est

qu’immobilisés dans l’ordre d'un cadre que les corps et les gestes font unité. qu’ils deviennent identifiables ct signes distinctifs, marques et enjeux mortels du pouvoir, sujets 4 la domination d’un regard (le nétre d’abord). Que leur soit restitué leur mobilité. que les gestes figés en Iles toiles, en les tableaux vivants, se déclarent le point d’aboutissement multiples, alors que ce point. cette inscription centrale se disperse a l’infini des

lignes de fuite que dessine la multiplicité des gestes qui avaient

précédemment abouti la, que ce que ces gestes ont désigné. chacun a un moment donné, a celui qui les a isolés en une configuration précise, s‘épuise dans toutes les conjonctions qu‘ils recélent et qu’il a fallu effacer pour les spécifier comme désignation. C’est le tableau final. celui qui n’a jamais existe, celui qu’ila fallu voler précisément pour que les six autres exis(ent, la s¢quence finale, ce long travelling ot tous les protagonistes se retrouvent réunis, disparaissent et reviennent avec leurs gestes et les gestes et les accessoires des autres, jusqu’a ce que s’ouvre la porte et que la lumiére inonde la pénombre.

Raul Ruiz s'attache au méme travail de dissolution du sujet

que celui qu’a effectué Syberberg sur Hitler avec son film. Cependant, c’est directement 4 l’espacc perspectifde représentation, ou un tel sujet de la conscience a pu exister pour un

pouvoir, qu’il se confronte. Mais Ruiz sail aussi que si on peut,

d‘un point de critique. exposer les figures constructives du champ de la représentation, en indexer les effets politiques et neutraliser son opérationnalité par sa mise en abyme, on ne peut mettre fin a la représentation par la représentation : celleci a encore de beaux jours devant elle. La dénégation n’est

dailleurs pas une figure de dissolution, mais de coexistence des

contraires, Et c’est bien plutét a diviser l’ordre de la représentation. a le cliver de sorte qu'il ne puisse plus faire unité sur son projet, a le rendre indécidable, que son travail vise. En dépit des apparences, la lucidité de Ruiz réside dans un pessimisme extréme, langien jusque dans sa forme. « Poussi¢re, ’homme redevient poussiére » : a lorigine étaient les camps, et demain seront les camps. La caméra cadre des figurines de bois noyées dans un cendrier. La main de Rougeul s’empare de quelquesuncs, tire un tiroir, cachant momentanément le cendrier, les y dépose. relerme le tiroir. Le cendnier réapparait sur I"écran, les corps restants, désarticulés, y baignent toujours. On ne quitte jamais une prison que pour une autre... Yann

Lardeau

Dessin de Raoul Ruiz pour £‘Hypothése du tableau volé

61

CRITIQUES

LA VENGEANCE D‘UN ACTEUR (ICHIKAWA KON)

Le titre, clair. limpide. véritable condensé scénarique, se voit justifié dés l’ouverture. L*emprise exercée par les premiéres

images ~ la scene d'un thédtre Kabuki, le rectangle du scope -

céde la place a une voix off, celle de l’acteur qui, aussitét, prend le récit en main. Son commentaire intérieur, principal véhicule des énoncés ayant trait a la vengeance, vise et présente ceux gui, dans le public, en feront les frais. Le seigneur Dobé.

fournisseur au palais, qui tire ses pouvoirs de sa fille Namiji.

geisha au service du maitre Shogun, et son associé, le marchand Kawaguchya. Devant ces forces en présence, disposées

sur le face a face scéne-salle, il ne lui reste plus qu’a distribuer

le réle clé, embrayeur de la machine narrative: partir de la réaction de Namiji, captivée par le spectacle. Approcher les autres par elle. Pour se venger de la mort de son pére et de sa mére (« suicidés » parce que ruinés par d’autres marchands), l'acteur dresse un plan superbe, d'une extréme rigueur. Affaire de scénario donc, ou plus exactement, et pour le plus grand plaisir du spectateur, de mise-en-scéne. Mettant tout le monde dos a dos (provoquer la ruine de Kawaguchya qui spécule sur le riz en incitant son college Hiromya a se débarrasser de ses stocks

a bas prix), il attend le moment ou sa victime va étre tuée pour se manifester auprés d’elle sous les apparences de son pére ou de sa mére. Simple effet de signature avec, juste retour des cho-

ses. la satisfaction de voir s‘imprimer avec horreur sur le visage de fautre fe fantome d’un nom

par lui rayé.

Ce type de récit ordonne au film un découpage modulé selon une fragmentation thédtrale. La trame élaborée par l’acteur progresse en une série de scénes qui font autant de blocs nar-

ratifs parfaitement

répérables.cux-mémes découpés

par une

série de plans distribués sur les bases dun échange équilibré. soigneusement symétrique. Exemplaire a cet égard la scéne ou les deux marchands réglent leurs comptes puisque l’affronte-

ment entre ces deus termes qui occupent respectivement le champ et le contre-champ repose sur un troisiéme, horschamp : lacteur qui, dans les coulisses. sans rien dire et laissant faire. les tient a l’ceil, tel ce spectateur de la partie de tennis de Stangers on a@ train qui ne bronche pas la téte.

/

Quand lacteur se trouve seu] avec une autre personne, c'est alors sa voix off qui. surgissant en fin de scene pour venir régler la position de savoir du spectateur en l’informant du (bon) déroulement de son projet. agit comme troisiéme terme, déléguant ses apparences d’acteur pour tenir le rdle nécessaire du second terme dans le systéme binaire de |’échange des plans. Non seulement les énoncés de cette voix off bouclent et cimentent chaque scéne, mais. en se répercutant de séquences en séquences, ils élaborent un réseau, font systéme : que la vengeance dite surun ton calme et déterminé, s’éxécute lentement, froidement calculée. non sans un certain cynisme. Cette construction en écho enferme le film dans un cercle de solidarités. produit du lisible qui dispose sur le récit une « colle logique »; la of « tout se tient ». aussi bien dans le jeu du champ-contrechamp tenu de main de maitre par un ticrs que dans les scenes ou lacteur se met en jeu. Si bien que. la aussi, entre ce qu'il fit sous nos yeux et ce qu'il dit aprés (au spectateur), tout semble se tenir. Trop bien méme. A vouloir appliquer cette grille de lisibilité sur la premiere séquence, on obtiendrait, 1°) un acteur jouant un rdéle de

femme (lusage du thédtre Kabuki) et, 2°} ce qui se passe dans sa téte A ce moment (sa voix olf, son projet de vengeance). Et ce schéma, une fois mené sur tout le film, offrirait le (triste) spectacle d’un acteur utilisant son savoir-faire pour parvenira ses fins. Mais il n’en sera rien car c’est fort heureusement le piége que ce film évite. L’acteur est ce qui, par rapport aux effets de lisibilité repérés, en trouble le fonctionnement. L’éventail-poignard que lui offre

a dessein le chefde la troupe est 4 ce titre exemplatre. Fort de cette méme grille. on aurait vite fait d’y voir, sous les apparences trompeuses du dehors (matériel d’acteur accordé a ses véte-

ments de femme). la vérité du dedans : le poignard et la voix

off en tant qu’instruments de sa vengeance. Le poignard n'est pas le dessous caché, bétement phallique, de ce qui est visible sur scéne, mais ce qui participe d'un autre code de la représentation. Le poignard dont l"usage reléve des arts martiaux ne

fournira pas d’actes de violence (pas de sang, contrairement a

Vailiche) mais offrira des scénes ot l'on se bat bien plus avec des gestes qu’avec des coups. Scenes essentiellement nocturnes

ott Pécran retrouve la fonction qu’il avait pour le Kabuki. Scénes, de ce fait, excentrécs pur rapport a l’évolution narrative puisque léchange des plans ne se commande plus de la méme fagon.

Ce qui ruine toute opposition binaire et stérile (du type réventail et le poignard, la surface et le fond. Pacteur et la voix

off} passe entre les deux termes— et non a cété, en dehors, a la différence du troisiéme qui les consolide -. abolissant les limites : cette voix de castrat qui sort de sa bouche, mince filet tra-

versant et troublant toute I’étendue du paradigme. Et c’est jus-

tement par elle. entre son vétement et son énoncé, avec ce qu'‘ils connotent sexuellement, que rien ne tient vraiment, que le noyau plein (de lisible, de logique) éclate. A travers ce récit de vengeance, c’est clle, du fait que son écorce séche ne se voit pas contrebalancée par des effets d’intériorité (pas de chaleur intime du dedans), qui travaille le film. Non pas en ce qu’il lait

de cet acteur du théatre Kabuki un théme a traiter (ou pire, un

cas) mais en inscrivant des désirs en termes de traces laissées et produites par son passage. Troupe itinérante de passage dans la ville d’Edo. Passage de

lacteur sur la scéne du thédtre avec ce qui s’ensuit. Ce qu'il Produit sur le spectateur. aussi bien en haut. chez Namiji. (entourée de spéculateurs. indifférents), au comble de |’émotion,

qu’en bas, chez Chatsu : pickpocket a priori plus intéressée par la salle que la scene, elle quitte pourtant le spectacle avant la fin, visiblement excédée (« Ni un homme, ni une femme »). Passage sur le film ou son rapport 4 l'autre - Kikunojo, le chef de la troupe. qui. en le poussant a éxécuter sa vengeance, perd ainsi son compagnon de vie; Yamitaro, ami de Chatsu. quit, attiré par lui, désire a la fin le suivre — fonctionne moins comme révélateur (la fiction de 7héuréme), producteur d’énoncés Ge me découvre ci ou ga), que comme questionnement: le lieu ou ga passe, ¢a reste, el ce qu'il en devient. Contrairement au maitre du palais dont on ne voit (en un seul plan) que le dos, réduit a son vétement (pas de corps, son habit le représente, if fait le plein), celui de Facteur résiste a toute saisie de ce genre. De cet acteur,

il ne restera

pourtant, au bout du compte,

qu’une enveloppe vide, un corps désormais empaillé, épou-

vantail perdu dans l'immensité d’un champ. Admirable plan final ot la caméra, dans son dos, s’éloigne lentement des ses restes, s'efface et efface (réduit filmiquement & un minuscule point noir) 'empreinte de son passage sur |’écran alors qu’une voix égréne des noms (Kikunojo, Chatsu., Yamitaro), s’interroge sur les traces qu’il a laissées en eux,

CRITIQUES

62

Autant de film marque, rative, ont le désirs. La ot fait claire.

questions soulevées - en ce que le passage d’un affecte - qui, dans l’évolution d'une trame narmérite d’inscrire le spectateur dans un circuit de une place. quelle qu'elle soit. n'est jamais tout a Charles Tesson

LES SCEURS

BRONTE

(André Téchiné)

Les mystéres de la création, et singulierement la création

romanesque. celle qui semble la plus proche de la représenta-

tion de la vie, voila un sujet passionnant pour le cinéma, de par

le potentiel de croyances et de superstitions (s'appuyant au besoin sur « les plus récentes découvertes des sciences humaines»), et par conséquent de figuration qu'il recéle. II s‘agira donc d’abord dans Les Seurs Bronté des rapports entre l'art et la vie. D’un cété le frére, Branwell, qui est né avec une « téte d’artiste », on le lui a dit (son pére), on le lui redira (sa maitresse, Mrs. Robinson), et il se met en devoird’y croire, ne voulant pas savoir que les autres n’y croyaient peut-étre pas autant que ca. En tout cas, le voila sommeé d’incarner l'art dans son étre. de représenter en personne la fiction de alliance de l'art et de la vie. De l'autre cdté. les trois sceurs. A leur endroit. Jes

spectateurs un peu cultivés sont prévenus, ils savent que les génies ce sont elles, pas lui. Mais, comme dans un film policier ou un western facile a comprendre. les apparences sont contre elles et le film se focalise sur Branwell en train d’essayer de vivre son art tandis que les sceurs, en femmes qu’elles sont. ne font rien de spécial, ne vivent rien de romanesque.

Ici. il est dommage qu’a partir de cette bonne idée de suspense, le « rien » des sceurs soit encore trop ou pas assez,je ne

sais : 4 quoi riment en effet ces innombrables images de lande

censées peupler ce rien? Veut-on nous signifier que les sceurs (surtout Emily) y puisérent leur inspiration? Mais les décors

naturels, qui sont parmi les plus puissants éléments utilisés par

le cinéma pour faire réver, ne s*embrasent pas sur commande, ou du simple fait d'une bonne photographie. De méme. les allusions a la situation sociale de la famille, méme si elles permettent des réussites de détail (le personnage du riche monsieur Robinson est. comme on dit, « bien campé ») ne sont pas vraiment convaincantes. Par ailleurs, le personnage de Branwell nous laisse sur notre faim: pas assez de drame, ou. au contraire, pas assez de dérisoire; pas assez de ce ratage total qui lorgne vers la réussite absolue, ou alors pas assez de cette médiocrité qui ne lorgne vers rien du tout. Et cela, malgré la

figure assez réussie de Mrs. Robinson (excellente Héléne Sur-

géne) en jeune — vieille mére phallique a la criniére rousse.

Il y a'dans Les Sewurs Bronté une rétention de la mise en

scéne qui, loin de suggérer par le peu. ne suscite souvent que de indifférence. Pourtant. le film reprend de l’intérét a partir du moment ou, par dela les références au « contexte » de la création littéraire (la lande, ’infériorité sociale des Bronté), par dela également un romanesque de convention (Vhistoire de Branwell et de Mrs. Robinson), i! poursuit un tout autre chemin. plus logique, celui des signes de la création littéraire, Car cet univers de la superstition nous méne au cceur du vrai sujet des Seurs Bronté : par quel signe, patent, indiscutable, inexplicable, se manifeste 4 Moeil nu le génie littéraire? Le suspense. qui est une des qualités du film, est toujours lié a la manifestation d’un signe, Ainsi on se rend compte que Branwell est perdu quand le signe attendu de lui (I’avis d’un grand poéte sur les textes qu'il lui avait envoyés) cligne vers sa sceur, laquelle

tn Le point de départ des Saeurs Bronte

se voit gratifiée non seulement d'une appréciation favorable sur ses poémes, mais aussi et surtout d’un aphorisme sur la bonne facon de réussir dans les lettres (quelque chose du genre

« il ne faut pas penser a la célébrité lorsqu’on écrit, mais au

plaisir qu’on y prend »). Un peu plus tard Branwell lira sa fin (c'est toujours écrit), et cette fois définitivement, dans une lettre de Mrs. Robinson. En fait. dans le film, il y a quelqu’un qui sai. qui a autorité sur les signes : c’est Charlotte (Marie-France Pisier). C'est elle

la révélatrice du génie d’Emily : elle lui lira a haute voix une

phrase de son livre, la faisant accéder a |’existence objective, puis l"encouragera a publier. lui parlant derriére une porte

comme s'il fallait qu’elle se dérobe a sa vue, a la proximité

familiale. pour lui dire la vérité de son génie. (Ainsi par un apparent paradoxe. le film semble dénigrer les signes visibles : 4 la fin Charlotte, myope, préfére ne rien voir plutét que porter

des lunettes: mais cette dévalorisation de la vue, nous sommes invités, nous spectateurs, a la considérer comme un signe de

génie particuliérement probant). C’est également Charlotte qui révélera 4 l’éditeur, encore une fois comme dans un film dit policier, le véritable sexe des écrivains. Bien entendu, Charlotte est aussi elle-méme romanciére. mais elle apparait, surtout vers la fin du film, comme la représentante, la dépositaire du génie familial en méme temps que la rédemptrice du ratage du frére. A ce titre elle recevra d’ailleurs la visite d'un phrénologue venu examiner la configuration de son crane pour voir

comment est fait le génie.

C'est ce double caractére de Charlotte (a la fois génie elleméme et détentrice de la vérité de son existence), bien incarné dans le sourire de Marie-France Pisier, qui est responsable de I'étonnante atmosphére dans laquelle baigne toute la fin du film. En effet, aprés la mort de la plupart des personnages. tout ‘se fait doux et rassurant autour du personnage de Charlotte,

comme lorsque quelque idéal se met a étre vécu. Puis quelque

chose de la gloire littéraire se réalise par cette sorte de montée vers l'Olympe de l’écrivain femme Charlotte Bronté pour y rencontrer (et y épouser symboliquement?) Pillustre Thackeray-Barthes, autre détenteur d’un savoir sur le génie littéraire. Alors résonne la musique inaugurale dune ouverture d’opéra, tandis que se déplace le faste des costumes : c“est cela la Gloire. Bernard Boland

PETIT JOURNAL

Des grands cinéastes améNicholas Ray est mort dans la nuit de dimanche a lundi 18 juin a New York a la suite d'un cancer.

écrivait proricains il était certainement le plus cher aux Cahiers. Dans le spécial « Cinéma américain » {n° 54), Jacques Rivette phétiquement.

Tous ses films «De tous, Nicholas Ray est sans doute le plus secret et le plus grand: sans aucun doute le plus spontanément poéte. {ceci nest pas humains rapports des difficulté la de étres, des solitude fa de crépuscule, du obsession méme la par sont traversés

la violence aveugie originelle son moindre point commun avec Rossellini). Inadaptés dans un monde hostile,troublés par les reflux de difficile de renier ». ses persannages sont tous plus au mains marqués du sceau d'un nouveau mai du siécle, qu’il nous serait

1952: Raymond N. Kienzle (Nicholas Ray) (1911-1979). avec Susan Hayward (Les indemptables}

PETIT JOURNAL

od

gens entrent et sortent et a nous les bénéfices... I va falloir éduquer

le public ». La campagne qui s’ensuivit fut trés classique. Des projections privées pour Vincente Minnelli et Steven Spielberg pour lancer le bouche 4 oreille dans le Director's Guild. d’autres projections pour les critiques et les journalistes, unc programmation a guichets fermés pendant unc semaine dans

un des cinémas de Westwood pour lui per-

mettre de se qualifier pour une nomination aux Oscars, ainsi qu'une campagne de presse soigneusement orchestrée (critiques, articles,

encarts publicitaires dans « Variety ») d’un montant de 250 000 dol-

lars ct dirigés avant tout vers l'Industrie elle-méme. ce qui eut comme résultat pour Michael Cimino quelques Oscars de l’'Academy et du Director’s Guids ainsi que quatre Oscars supplémentaires

pour un

film qui, sans ce que « Varicty » appelle « special handling » (traitement spécial) aurait pu se donner pendant deux semaines au Regent

avant de sombrer dans foubli.

I est tres significatifde voir que homme derri¢re Deer Hunter fut Carr, quelqu’un qui a établi sa fortune avec le remontage d°un film

italien de grand public sur le cannibalisme (Survive /) pour ensuite

s‘associer avec Robert Stigwood pour mettre la main sur le marché des jeunes avec Grease. Sa formation est celle d°un promoteur dans

le monde des boites de nuit de Las Vegas, ot il se familiarisa avec la

Photo Bob Waits

psychologie du public, et le talent qu'il y a acquis pour transformer un film invendable en événement culturel signale une évolution majeure 4 Hollywood: le retour du spectacle, et. du coup, le retour du producteur-homme de spectacle. Durs of Heaven est un autre

exemple mais moins significatif. Ecarté du Festival de New York, il

LETTRE

débuta

DE HOLLYWOOD PAR

BILL KROHN

est installée a langle du trottoir, entre les cinémas du Bruin et du Vil-

lage. que les studios utilisent pour les premieres de leurs grands films. Quand jarrivai, elle peignait le Bruin, qui donnait 4 ce moment-la Davy of Heaven; il y a quelques mois, quand le film eut terminé sa période d’exclusivité, elle tourna son chevalet de l'autre cdté et commenca a peindre !e Village. og Deer Hunter venait de sortir. Pendant

tout ce temps. elle avait travaillé sur cette méme peinture; une esquisse d'une facade de cinéma au milieu de nulle part. avec néons

el posters, quelques taches de couleur, un portique de verre. A mes yeux de profane, rien n’avait été rajoute sur la toile en l’espace de pres-

neuf mois.

Son

nom

est Alice

et elle est trés jolie. Quand

quelqu’un lui pose une question. elle a un sourire énigmatique, secoue fa téte et se remet a travailler; son pouvoir de concentration est extraordinaire. Sur le portique, on peut lire « Saturday Night Fever ».

Alice ne travaille pas trés rapidement.

modéles.

mais elle sait choisir ses

Days of Heaven a tenu l'affiche pendant trés longtemps au

Village, et Decr Hunter promet d’en faire autant. Tous deux furent des

films que IIndustrie appelle des « événements », une catégorie a part qui se trouve 4 mi-chemin entre le « block buster » (le film qui « casse

la baraque ») et le « flop » {le « bide »). I] n'y a vraiment pas de quatriéme catégorie pour un film commercial de nos jours aux EtatsUnis.

Les « block busters » et les « flops » sont parmi nous depuis pas mal de temps, mais les « événements » sont des phénomenes relativements récents. Les « événements » n'arrivent pas par hasard; ils sont créés. Par exemple, quand Deer Hunter fut terminé, Universal ne savait pas

quoi en faire et ‘avait mis de cété. Comment vend-on un film sur le Vietnam avec une fin qui sort de lordinaire et une longueur de trots heures et demie? L'homme qui finit par leur dire ce qu'il fallait faire fut Allan Carr, l'un des producteurs de Saturday Night Fever et de

Grease. Il avait vu le film en projection privée et il eut ce que l'on

appelle

une «expérience

cruciale».

Dans

quelques

salles

soigneusement

sélectionnées

pendant

venues autour du cinéma, personne en fait n'est allé voir le film apres son exclusivilé. mais le producteur Burt Schneider (Hearts and Alinds}, avait: probablement signé un «contrat de sang» avec

Westwood est une communaulé universitaire dans la partie Ouest de Los Angeles. Trois librairics, deux magasins de diététique. soixante-cing restaurants ct dix-sept salles de cinéma. Presque chaque soir depuis queje me suis installé ici en septembre, une femme peintre

que

dans

été, donna licu a des critiques enthousiastes et ful un sujet de conversation permanent tont au tong des quatre mois qu’il se donna au Bruin. Assez ctrangement, de ce que j'ai pu observer des allées et

un article du « Los

Angeles

Times », Carr explique: « J'ai tout de suite senti que c’était un film

type « événement ». Rien a voir avec Grease... une heure et demie, les

quelqu’un car 1] continua de se donner et ramassa autant de nominations pour les Oscars que Deer Hunter, ce qui, entre parentheses. fournit a Alice un sujet ideal... immobile et peu encombré... pour les mois pluvicux de l'automne et le début de lhiver.

Le mot « événement » fait maintenant partie du vocabulaire hollywoodien. non sans abus. Ce matin, dans le « Times » un executive de

la Fox lutilisa a propos d'un des « blockbusters » du studio de I’été.

un

remake

a gros budget

de lt,

The

Terror from

Beyond Space

(Edward L. Cahn, 1958) intitulé Alien. Mais Apocalypse Now, malgré les rumeurs pessimistes dans la presse, va trés certainement étre un

«blockbuster », bien que Francis Coppola soit en train de le vendre comme « événement ». Aprés des années de rumeurs et de projections privées

pour toul journaliste

capable de tenir un stylo, Coppola

a

enfin fini par organiser une avant-premiére surprise au « Village » (« sneak-previcw ») une semaine avant la grande premiere 4 Cannes. 800 personnes de la profession furent invitées 4 une projection d’une copie de travail et ont vu, en sortant du cinéma, une queue de gens affamés mais enthousiastes qui. pour certains, avaient été la depuis

trés t6t le matin et qui attendaient toujours pour assister 4 une pro-

jection

de deux

heures

du

matin,

prévue

spéecialement

pour

cux.

L’événement fut organisé par Bill Graham, un monteur de spectacles

de rock des années soixantes qui a un petit rdle dans le film, et on amusa les gens qui attendaient dans la queue avec des clowns et des jongleurs, et on les lit patienter avec des glaces et des jus de fruits fournis par de gentilles hdtesses portan des T-shirts of l'on pouvait lire « Trust Me » (ayez confiance en moi). J y avail beaucoup de photographes présents. Les premiéres critiques furent mitigeés, mais quand

j'ai appelé ma mére au Texas vingt-quatre heures plus tard, elle savait déja tout sur Apocalypse Now. Voila une réponse provisoire 4 la tres importante question posée il y a quelque « Quest-ce qu'un producteur? ».

temps dans

les Cahiers:

[fest bien évident que tout film ne peut étre un « événement ». Peu avant The Warriors il y eut The Brinks Job, qui raconte lhistoire

d'une forme de « gang » quelque peu différent: Le St. Augustine Gang. un petit groupe de gangsters miteux qui attaquérent l‘immeuble du Brinks 4 Boston, raflérent un des plus grands magots de l"histoire des Etats-Unis, et devinrent la cible d’une chasse aux sorciéres menée par Edgar J. Hoover, impliquant accidentellement dans leur méfait

Nicholas Ray qui avait séjourné Ja une semaine auparavant pour faire

65

PETIT JOURNAL

Le souvenir que nous avons d’eux est d‘autant plus intimidant qu’ils

sont encore tout a fait parmi nous, inactifs ou travaillant dans les mar-

ges de l'industrie, mais toujours préts a ressaisir leur chance et 4 nous montrer

que

le cinéma

ameéricain

chose de vraiment nouveau.

peut

encore

produire,

quelque

L*éclipse de Samuel Fuller est particulierement difficile a compren-

dre, parce que des cinéastes moins actils, tels que Aldrich, Karlson et Siegel furent également parmi les quelques vrais artistes des années

cinquante qui survécurent jusqu’aux années soixante-dix et réussirent méme 4 faire des films intéressants : U/zana's Raid, Framed. Charlie Varrick et surtout Dirty Harry. Mais les anti-héros de Fuller ont di

étre un peu trop « anti » ou tout simplement trop humains au gout des

supermen qui prévalurent dans les années soixante-dix, et pendant des années Fuller a di endurer les pi¢ges ct deceptions de la produc-

tion indépendante. Son unique fitm des dix derniéres années, 4 part Shark, qu'il renie complétement, fut le trés divertissant Dead Pigeon on Beethoven Strasse quia dit tout ce qu'il y avait a dire sur le Water-

gate avant méme qu'il n‘ait lieu. Maintenant, i] revient en force avec

The Big Red One, le film dont il réve depuis maintenant trente-cing ans. Le film raconte histoire de cing membres de la premiere division

de "Infanterie de Marine des Etats-Unis, la division dans laquelle il avait servi pendant la deuxiéme guerre mondiale, du débarquement en Afrique du Nord jusqu’a la découverte des camps de la mort en

The Brink's Job, de Wilham Friedkin {Au milieu: Warren Oates)

des recherches pour On Dangerous Grond, (Cahiers 288). C'est le dernier film de William Friedkin, celui qui pratique avec le plus de succés (4 part Monte Hellman) ce que Paul Shrader appelle « le style

transcendantal ». L’extase que recherche Friedkin s‘apparente plus a linfernal qu’au sublime, mais elle est assez authenlique et produite

sans étre alourdie par ces signaux superficiels et csthétiques necessai-

res pour créer I"« ¢vénement ». Quand Friedkin est apparu a Holly-

wood. il sortait avec Kitty Hawks, la fille de Howard

Hawks, mais il

Tchécoslovaquie, et tous les échos qui parviennent jusqu’a moi m‘incitent 4 penser que ce sera un chel-d’@uvre. Le retour de Fuller a Hollywood est en partie di a Peter Bogdanovitch, qui avait beau-

coup aimé le script et avail réussi 4 dénicher les deux demiers ingrédients qui

manquaient

pour faire un

vrai « package »: une

vedette

(Lee Marvin) et un avocat (Jack Schwartzman) qui apporta l'affaire aux Lorimar Productions et arrangea le financement. Avec comme producteur le frére de Roger Corman, Gene, le film fut tourné avec

un budget de 6 millions de dollars, en Israél et un peu en Irlande; deux pays ou la guerre n’est pas qu'un souvenir lointain. Sil est monté a

épousa Jeanne Moreau: all¢gorie. Allégorie: les qualites de Brinks Job (beauté, intelligence, désespoir) ne plurent 4 personne, ct il ne

temps, Lorimar espére faire la premié¢re 4 Deauville en septembre, non loin des plages normandes oi l'histoire se déroula.

décors, et ‘Academy choisit de passer sous silence l’interprétation de

déja appris la nouvelle a Cannes, que Jerry Lewis vient de finir Hardly Working. son dernier tilm. Lewis est le plus jeune de tous les MIA comme metteuren scéne, il est en fait un contemporain de la Nouvelle

resta méme pus a l"affiche assez longtemps pour permettre a Alice de mouiller son pinceau. It regut une nomination pour I’Oscar pour les

Warren Oates qui joue le role de « Speaky » O’ Keefe, le casseur de coffres-forts traumatisé qui craque sous la torture policiére et donne ses copains. Abandonné 4 la fois par la critique et le public, et sans la pro-

tection d'un producteur au pouvoir de Genghis Kahn ct a la foi de Jeanne d‘Arc,

The Brinks Jub se donna au Bruin une semaine, puis

émigra au U.A, Westwood, et init par disparaitre complétement vers une multi-salle des faubourgs, la ot ce canyon artificiel qu’est le Wilshire Boulevard déverse son sempitemel

rugissement.

Nouvelles bréves : Francois Truffaut fut de passage au prinlemps et resta environ un mois. Il prit contact avec UCLA 4 loccasion d’un hommage a Jean Renoir, ou il présenta Le Carrosse d'or devant une

salle comble. puis 4 une projection de L'Ombre d'un doute, au ban-

quet du « Life Achievement Award » que }American Film Institute donnait en I"honneur d’Alfred Hitchcock (« Vous l'aimez parce qu'il

tourne des scénes de meurtre comme des scénes d'amour; nous, on

laime parce qu’il tourne des scénes d‘amour comme des scénes de meurtre »), Et, enfin, ce qui est assez normal. a la premiére américaine de La Chanthre verte. Le personnage que joue Truffaut dans Rencon-

tres dur troisieme ivpe est trés significatifde lidée que les Américains

se font de lui; c'est un professeur. Comme observe avec indulgence pendant que les

un bon professeur, il fanatiques des OVNI

s‘échappent de leurs abris militaires, parce qu'il a compris que leur passion étrange est un « événement sociologique ». En tant que critique

cinématographique. i! reconnait un film de Hitchcock au premier coup dail, et en tant que frangais, il comprend l'amour, ce qui est également le cas des « gens ordinaires placés dans une situation extraordinaire ». Maintenant, il semble que ce personnage totalement ima-

ginaire (composé a parts égales de notre imaginaire et de celui de Truffaut) a réussi a ucquérir une nouvelle fonction : celui de se souvenir,

d'incarner

la mémoire

du Cinéma,

encombrante et dangereuse

qui devient

pour Hollywood.

chaque jour plus

La partic la plus problématique de cet héritage est constitué par un groupe de cinéastes que j‘appellerai les MIA, dont la carriére débuta dans la période de l'apres-guerre et ful prématurément interrompue.

Et je suis tres heureux de pouvoir annoncer, pour quiconque n‘a pas

Vague. Mais ila eu sa ration de problemes dans le nouvel Hollywood. De ce que j'ai pu entendre dire, One More Time et Which Way to the Front? ont énormément souffert d'un remontage et de I"ingérence des producteurs. Mais méme mutilées. ces sombres comédies en disent plus sur les crises des Etats-Unis de ces demiéres années (la guerre, les assassinats. le racisme) que cent films comme

The

Deer Humer.

Pour

linstant nous ne pouvons que spéculer sur The Day the Clown Cried.

une tragédie sur un clown juif interné dans un camp de concentration, dont la distribution fut arrétée par une série de désastres qui Samuel Fuller

PETIT JOURNAL

Monte

Hellman 4 Cannes

awe A Cannes,

de rencontrer intéressant de sont

Mark Hamill dans The Big Red One, de Samuel Fuller

commencérent

quand

.

le producteur abandonna

le film en

plein

milieu du tournage en Europe; il a été promis au Festival de Cannes pour l'année prochaine. Mais maintenant Lewis a trouvé le producteur révé, Joe Proctor, un promoteur immobilier qui a formé sa propre compagnie (Gold Coast Productions), avec le but de faire de la Floride un grand centre de la production cinématographique. Avec un budget de 3 millions de dollars, la premiére collaboration LewisProctor, Hardly Working. rappelle les dimensions des premiéres pro-

ductions

de

Lewis.

Le film

raconte

I"histoire d’un

clown

qui

se

retrouve sans travail quand le cirque ferme ses portes: ses tentatives

pour trouver une nouvelle profession et ses échecs spectaculaires cha-

que fois qu’il entreprend quelque chose de nouveau, lui valent une place dans la Guinness Book of Records. Si Joe Proctor réussit a atleindre son but. Lewis n’arrétera pas de travailler l'année prochaine. Alors qu'il vient de terminer un film, il se prépare a tourner That's

Life, (dans lequel il fera une bréve apparition), le 25 Juin. Décrit comme un « Animal House pour le'3* age », c’est une comédie sur un village pour retraités en Floride habité par Ruth Gordon, Red Buttons, Ethel] Merman, Phil Silvers, Red Skelton et une liste de vedettes dont les ages additionnés dépassent le budget d’ Apocalypse Now. Et en octobre ils vont démarrer les repérages de la suite Hardly Working: Hardly Working Attacks Star Wars ! Les trois films seront tournés en Floride, non loin des plages de Miami ot Lewis avait tourné son premier grand film, The Bellbov. en 1960. BK.

(Traduit de l’'améncain par Martine Dillon)

Errata Ce furent par erreur lcs placards non corrigés de la premiiére « Lettre d'Hollywood » de notre ami Bill Krohn qui furent montés dans le numéro 299 (pp.

64 et 65)! D’ou de nombreuses

erreurs. Les plus graves consistent en plusicurs

omissions de lignes. rendant la compréhension du texte difficile ou impossible, 1. Page 64, en bas de la premiére colonne. aprés « depuis 1964 », i] auruit fallu lire : « année ol fe nombre de films américains en distribution fut le plus bas de toute l’histoire et ot) te marché des films étrangers s‘étail temporairement elargi par compensation ». 2. Page 64, au début de la deuxiéme colonne, le cinguiéme des films que Bill Krohn avait vus depuis novembre et « qui valaient la peine » est bien Afovie Movie, produit et dirigé par Stanley Donen, parodie d'un double programme

des années trente consistant en un film avec des bagarres (Drnumite Hands) ct une comédie musicale (Baxter's Beauttes of 1933). 3. Page 65, au milieu de la premiere colonne, dans "allusion 4 Welles, it fallait compléter : « malgré des difficultés énormes, auxquelles on doit néanmoins de grands moments de vrai cinéma et qui lui ont beaucoup cotité : trois ans sur

it’s all true... » Enfin, Bill Krohn nous signale que le remake par Sidney Lumet de The Wizard of Oz. intitulé The Wiz, n'est si noir que parce qu'il est enti¢rement interprété par des comédiens Noirs. Nous nous excusons donc aupres de nos lecteurs, comme

90073.

projets.

Monte Hellman, ct [ui demander quels I] tente,

actuelle-

ment, de mettre sur pied deux projets de films: le premier. en Europe, pourrait étre produit par Klaus Heivig Janus films), qui a distmbué les premiers films de Hellman, The Shooting et Ride in The Whirlwind, une histoire d'espions qui se déroulerait a Genéve et ailleurs, de nos jours, une histoire anti-James Bond. car pour Hellman, les espions sont des gens simples : « Ce que je veux dire, c'est que espion, je

Nous nous

vous pourriez étre un pourrais étre un espion.

prenons

sommes

un

des

café

amis,

lons les uns contre

ensemble,

nous

lrava ail-

les autres,

mais

nous nous aimons bien... » Liautre projet serait produit par Fred Roos et Francis Coppola {voir notre entretien avec F. Roos dans le n° 301

des Cahiers).

Quand on demande 4 Monte Hellman sil est difficile de trouver un producteur aujourd‘hui aux U.S.A... il répond qu’en général non. « Les affaires marchent bien ces temps-ci. Peut-étre y a-t-il moinsde films. mais au moins I"heure est a la recherche de bons films 4 faire.» Et pour lui? «Pour moi, cest toujours difficile. parce que je suis un inclassable, Les producteurs n‘aiment pas me faire confiance. » Hest vrai que M, Hellman est plus connu et apprécié en Europe. En Amérique, comme il te dit lui-méme, «Je suis connu a cause de films que les producteurs trouvent mauvais, »

Celie situation devrait changer si, comme prévu, Coppola produit un prochain film de Heliman : « Francis a beaucoup d’énergie. Il ne peut pas personnellement réaliser tous les

films qu'il a envie de produire. donc je crois que c'est une bonne chose

pour lu d'avour des tas d'autres activités

autour,

cinéastes

¢ “est

et

une

bien

aide

stir

préc

pour

USE.

les »

Diici la, Avalanche Express, le Gilm que Mark Robson n’avait pu termi-

ner (il est mort en cours de tournage)

ct que Monte Hellman a terminé devrait sortir aux U.S.A. Nous avons demandé a Monte Hellman s'il y avait des cinéastes de qui il se sentait proche. Sa réponse est nette ;

«Je me sens de plus en

plus

scul. J'ai choisi d’aller de moins en moins au cinéma. Je ne vois pas de film dont je me sente proche. Le seu! peut-ctre ces derniers mois, c'est le film de Maurice Pialat. La Gueule ouverte, Jaime les films de Woody Allen, mais ils sont uniques. Les sujets qu'il traite sont en un sens proches des miens. Afanfatian par cxemple est plus ousertement fait sur la mort. sujet tres important pour moi. Mais je ne crois pas qu'il y ail quelqu’un qui fasse les mémes films que moi. J’avais limpression qu’Alain

Resnais

[aisait

mes

films.

Pas toujours de la méme fagon que i is i] choisissait mes sujets. La finie, Je Vaime, Je Vaime, Vaurais aimé les faire. » El les films américains ? Le film de Cimino, The Decr Hunter? «Je ne

vais pas voir les films de mes amis, j'ai

peur de ne pas les aimer... Jai vu le Deer Hunter. Ce film m’a rendu furicux. Je pense que c'est un film stupide et prétentieux, il n'y a aucune

intelligence dans ce film. Le fait que Jes gens le prennent au séneux me rend encore plus furieux ! Certaines

scénes sont bien faites mais le vthme

est tres mauvais. Comme le sujet choque, on tolére les choses... C'est de exploitation, vraiment. » Maintenant, il ne reste plus 4 Monte Hellman qua préparer son toummage, en octobre vraisemblableMent,

puisque

le scénano

est

bien

avancé. Le seul probleme : la distnbution. Pourle film produ par Coppola. une distribution americaine, pour le film européen, une distribu-

tion internationale. Ces films, nous espérons les voir 4 Cannes l'année prochaine. D'ic: la. espérons qu'un distributeur francais aura le courage et J'intelligence de sortir China 9, Liberty 37. le western que Monte Hellman n’a pas [ait pour quit reste dans les tiroirs.

S.T.

auprés de notre

correspondant aux U.S.A. Nous en profitons pour signaler que tout courrier concernant les Cahiers aus U.S.A. doit are envoyé 4 la Boite Postale 84 332,

ses

il est toujours agréable

Los Angeles, Culifornia,

Le dernier film de Paul Vecchiali, Corps 4 coeur, dont les Cahiers

avaient parlé (n° 294) Parafrance.

sort a Paris le 4 juillet, dans

le circuit

°

PETIT JOURNAL

67

La crise du cinéma frangais a travers la presse par Serge Toubiana

A Yoccasion du Festival de Cannes, la presse (quotidiens et magazines hebdomadaires) a cru bon, ajuste titre, d’agiter le spectre de la

ration de exploitation s'est faite 4 temps. Des trois secteurs, il est aujourd’hui le maillon fort: cette force des exploitants. de ceux qui

en général des « dessous de I‘affaire ». Des articles et des enquétes ont essayé d’éclairer les zones les plus obscures du milieu cinématographique en mettant en lumiére le r6le des producteurs. distributcurs,

gais, Car ce phénoméne encourage, on ‘en doute, les films faciles, tes films qui remplissent, sur un laps de temps assez court. le plus les sal-

crise du cinéma francais, et de tenter d’informer le lecteur, peu au fait

exploitants, ceux qui tiennent les rénes économiques de l‘industrie cinématographique en main. Ainsi « L’Express » a publié un entretien de cing pages avec Daniel Toscan du Plantier, Directeur Général de Gaumont, sous le titre lourdement évocateur : « L’ogre Gaumont ». « Le Nouvel Observateur », magazine trés « sociologique » pour tout ce qui touche notre époque,

mais d’ordinaire et curieusement trés peu bavard sur le cinéma « pris

comme

phénomene de société », a essayé de rattraper son retard en

publiant un dossier-enquéte réalisé par Anne Gaillard. On y retrouve le style accrocheur, coriace qu'avait A. Gaillard a la radio, style qui,

dans le petit monde du cinéma ot chacun ment, triche, jouc a cache

cache avec la vérité, améne, il faut le dire. un peu d’air frais. Son article fait utilement le point sur ce qui se pratique—on n‘est pas loin d’un

prennent le moins de risques dans le cinéma et qui prélévent le plus fort pourcentage sur les recetles, c’est aussi la faiblesse du cinéma fran-

les, les films produits grace au systéme des avances-distribution pratiqué par les deux ou trois monopoles de distributeurs-exploitants qui

sont hégémoniques en France (Gaumont-Pathé, U.G.C., Paratrance). Les producteurs, au sens classique du terme, se sont effacés pour laisser la place 4 des promoteurs financiers dont le seul travail consiste

A obtenir laval des distributeurs et des exploitants, La lecture du premier des articles de la série de D. Pouchin nous donne envie de conclure que le cinéma francais est, pour lessentiel, aux mains d’épiciers ou de grossistes, ou, tout au moins, que la tendance économique

qui se dégage de cette situation de crise, comme les réglementations mises en place par l’Etat pour la surmonter ou pour en différer les

effets immédiats, leur sont largement favorables.

Il manque a cette analyse— ici trés résumée—un maillon important : quelle relation existe entre le phénoméne économique qui fait qu'une

véritable racket - dans la distribution des films en France, et 4 travers les déboires d'un petit exploitant de salle de la région parisienne (son article commence comme un récit de fiction, une histoire qui racon-

-industrie repose sur la diffusion et moins sur la production, et les modifications qui touchent le cinéma lui-méme, en tant qu'art.

A. Gaillard remonte, palier aprés palier, les différents secteurs de cette

On peut facilement supposer que cetle restructuration ait eu pour effet d’accentuer la ligne de ségrégation qui existe et qui na fait que

terait !histoire de Monsieur Cometi qui a eu des ennuis avec un monopole de distribution trés connu, et l'effet dramatique est obtenu), industrie en crise. Mais c'est

« Le Monde » qui a mis le paquet en

confiant a Dominique Pouchin le soin de faire une longue enquéte sur la situation économique du cinéma frangais. Dans les limites de cc

que peut dire et dévoiler un journal d’information (au « Monde », il

faut informer, et ne blesser personne), Dominique Pouchin s‘en lire assez bien et le lecteur néophyte, a la lecture, pourra apprendre beaucoup. Deux points essentiels ont retenu mon attention dans cette série (et

ces deux points reviennent comme Gaillard).

un leitmotiv dans l‘article d°A.

Le premier concerne l’analyse du systéme d'exploitation des films en France mis en place depuis une quinzaine d’années. Partant de la

constatation évidente qu'il y a. depuis 20 ans, une diminution radicale

du nombre d’entrées (en France et dans le monde entier) ~ 412 mil-

lions d'entrées en 1957 contre 180 en 1978 - Pouchin décrit la mise en place de cette « ligne Maginot » grace a laquelle le cinéma francais a pu résister a cette hémorragie occasionnée aussi bien par le défi lancé

par la télévision que par la multiplication des loisirs (usage accru de Vautomabile) qui sont venus concurrencer le loisir-cinéma. Tout le systéme d’exploitation du cinéma s'est réorganisé vers la fin

des années

soixante

pour

parer a cette baisse de la fréquentalion.

Aidés par les pouvoirs publics (grace au sytéme de la taxe spéciale

additionnelle prélevée sur le prix d'un ticket de cinéma dont unc partie

et affeetée aux exploitants désireux d’affectuer des travaux de rénovation dans leurs sallesou de créer des multi-salles, sorte d’autofinan-

cement encadré par I'Etat), les exploitants ont pu, 4 temps, restruc- * turer le parc des salles et l’'adapter aux conditions nouvellement créees

par cette diminution

notable du nombre de spectateurs. Les salles

étant plus petites (ce qui permet d'enrayer quelque peu la baisse du

taux d’occupation par fauteuil), le nombre de films produits en France

ayant plutol augmenté, et le nombre de films distribués ayant trés nettement augmenteé (c'est en France, disons a Paris, que circulent le plus grand nombre de films au monde), on peut facilement conclure : les

films circulent de plus en plus vite, sont de plus en plus en concurrence les uns par rapport aux autres, épuisent de plus en plus vite leur

succés potentiel, et sont trés facilement « débarqués » des salles quand

ils n’atteignent pas un certain seuil de rentabilité. De ce fait. le secteur

de !’exploitation a moins souffert que la production ou la distribution

de cette crise du cinéma, particuliérement en France ott la restructu-

se creuser entre le cinéma francais dit « culturel » (ce qu'on appelait le cinéma « Art et Essai») et le cinéma « populaire » diffusé par les

grands circuits de distribution. Que ce phénomene de restructuration ait débuté sous le régne du gaullisme meériterait qu'on s’y arréte, A lépoque, le grand discours humaniste sur l’Art était tenu par quelqu'un comme André Malraux, apotre de la muséification des ceuvres d'art et de létatisation du cinéma (mise en place de l'Avance sur recettes, dontje ne mets pas en cause les effets positifs), c’est-a-dire

d'une forme de mécenat d’Etat, au moment méme ot: les pouvoirs publics confiaient les rénes de l'industrie cinématographique en crise

aux diffuseurs et aux exploitants. Le discours de Malraux a fonctionné comme un leurre, il était l’arbre qui cachait la forét;et le cinéma fran-

Gais ne s’est peut-étre pas sorti ce celte ormiére ou |’a plongé une politique culturelle bipolarisée entre un grand discours humaniste {valorisant le rdle de l'Etat, d'un Ministére de la Culture) et des réglementations économiques (mises en place par le Ministére des Finances)

privilégiant certains secteurs (le tertiaire) au détriment d'autres.

A la lecture des articles, le deuxi¢me point retenu concerne, dans le discours sur la crise du cinéma francais, le spectre qui hante tout le monde: le spectre de Gaumont, pieuvre tentaculaire, point qui fait

symptome.

Cette société, fortement

représentée par son Directeur

Général. trés nabab francais, est tour a tour présentée comme le sauveur du cinéma frangais, et bientét du cinéma italien, ou comme son fossoyeur, selon le camp dans fequel on se place. [] y a camp parce

qu'il y a une guerre de tranchees dans le cinéma francais (tout ca est

trés feutré, il faut étre dans le coup pour savoir, et les articles de Pouchin, ont parait-il, pas mal remué le « milieu ») qui oppose le monopole vertical qu’est Gaumont-producteur-distributeur-programma-

tcur-exploitant, auquel

il faut ajouter quelques sociétés satellites, et

lout le reste, c’est-a-dire ceux qui ne sont que producteurs, que dis\ributeurs, ou petits exploitants,

It est indéniable qu'il y a aujourd’hui un discours Gaumont.

Sa

caractéristique principale, c'est qu'il chevauche sur cette ligne de ségrégation qui partage inexorablement le cinéma frangais en deux,

avec d’un cété une production culturelle (a Toscan du Plantier de la promotionner, de s’en faire le chantre), et de l'autre la production de

films populaires pour les familles (tendance Alain Poiré, son ménte : il fait ses coups en douce, il ne tient pas discours). Ce discours de Gaumont

repose sur une vaste opération de simulation (aux effets publi-

68

PETIT JOURNAL

citaires réussis) qui consiste 4 mettre en scéne, de facon artificielle, un clivage 4 l'intérieur d’unc Institution entre (ceux qui sont pour) I'An

FESTIVALS

et (ceux qui sont pour) I’Industrie, pour mieux étendre I"hégémonic de cette méme Inslitution, Le slogan serait : « il se passe toujours quelque chose chez Gaumont », sous-entendu, il ne se passe rien ailleurs.

Digne

Ce discours a de l'impact, il impose un label, un sigle. Situation de

monopole oblige, 4 un moment donné, un film, que Gaumont l'art produit entiérement, y ail investi quelques sous, ou simplement le distribue ou lexploite (sans l’avoir produit), devient un « film Gaumont ». L’opération est bouclée : Gaumont sauve le cinéma francais, le cinéma frangais c'est Gaumont. Car cette pratique de l’O.P.A., pour étre suivie et payante, demande 4 étre de plus en plus ambitieuse: il faut faire monter les enchéres, étendre son hégémonie finan-

ciére, affirmer son

image

de marque,

partout.

Produire

un

film

devient souvent une opération de prestige, ou la marque de ‘auteur est concurrencée, altérée, par la signature du producteur.

Il faut ramener les choses a leur juste valeur. Gaumont est effectivement la plus puissanie des sociétés de cinéma en France, parce

qu’elle est liée a une branche importante du grand capital, et surtout parce qu'elle a assis sa force sur un

réseau

de salles important

(le

G.1.E. Gaumont-Pathé programme 580 salles en France) ou elle distribue une importante quantité de films chaque année. Par ailleurs.

cette société produit. ou entre en nombreux films. Mais le cinéma mont pour exister en France, et si des films d’Alain Poiré, des films

participation dans la production de « de qualité » n’a pas atlendu Gaule fait que Gaumont produise, a cété d’auteurs, marque une ouverture, il

n’y a pas pour autant que des aspects positifs. Comme

le soulignatt

Jacques Siclier dans son article sur Les Swurs Bronté(« Le Monde », 10 mai 1979) une politique de production qui tente dallier le prestige

artistique, culturel et commercial, auteurs de cinéma.

peut devenir le pire ennemi des

Cette politique, a lire Ies déclarations de Toscan du Plantier dans

« Le Monde » du 21 mai 1979,je me demande si elle ne témoigne pas

plus d'un désir (ou d'une frustration) littéraire que celui de produire des films. Curieusement, parlant du cinéma, il ne peut s’empécher de prendre ses références ailleurs. dans la littérature ou la peinture,

comme

si le cinéma francais avait besoin (alors que c'est son pire

défaut) de se faire parrainer, chapeauter par un autre art, un art qui serait son modéle. Deux phrases dites par T. du Plantier sont significatives a cet épard : « Notre ambition, notre fonction : étre éditeur,

@tre Gallimard, de musées sont pleins, semblent un peu a le cinéma francais regarde du cété de

la « série noire » a la N.R.F.» Plus loin: « Les les cinéma sont vides, Faites des cinémas qui resdes musées... ». Comment s’étonner dés lors que se porte mal, si le producteur le plus puissant I’édition, ou s‘il exalte, dans le cinéma, la produc-

tion de grandes messes culturelles ! Et si. de fautre cdté, on bicle des

films « grand public » pour que les distributeurs et les exploitants y trouvent

leur compte!

il faudrait le faire basculer de Fautre cété, du cdté de la production Alain Poiré. Ce qui ne va pas. d'uhord, cest que les grands tilms « populaires », commerciaux (type Flic eu yevou) sont mauvais, mal

manulacturés, inexportables. La grosse production frangaise a perdu lout esprit artisanal, elle a perdu le gout de l'innovation technique. la recherche des effets spéciaux, ‘esprit des dialogues d’autrelois,

Puti-

lisation intelligente des studios, des acteurs principaux et des acteurs secondaires dans des scénarios vivants, le souci de la mise en scéne. etc.

aujourd hui sur

hos écrans) qui vienne nous rappeler que le cinéma francais de grosse

production a cu, lui aussi, son heure de gloire. Que le film de Tati ait

élé un grave échec financier est aussi un symptome de celle crise du

cinéma

francais. $.T.

Ces

_particuliérement

origines (Garrel), Le Navire Nixht de Duras, dont il est ques-

journées,

placées

sous

le

signe de la politique des auteurs (opposée a la grande machinerie

cinéma ») avaient néanmoins un Grande

familial

assiduité

et

champétre.

a ces projec-

Prouve qu'il existe en province

la

Godard,

d'images

a di

laisser

perplexe quant 4 la configuration stratégique — a tétes multiples qu'elle dessine dans le cinéma. En fin de compte, une ambiance

plutét fluide. coo/, avec des trajectoires singuliéres et des minigroupes qui permettent d’éviter les excés du narcissisme d'auteur, risque inhérent aux renconires de Digne. [I semblait

plutét, a la fin de ces journées, que les spectateurs étaient venus d‘abord pour voir des films, éventuellement écouter les réalisateurs, en tous cas se garder de conclure trop vite.

Je ne parlerai vus

et

pas des

connus

4

films

Paris,

comme les derniéres bandes de Godard-Miéville, Le Bleu des Catherine

intéressent

aussi

des

divers

Ruiz (Des grands

que

écé-

surtout Syberberg Wagner).

La version courte de Winnefried Wagner (deux heures) donne envie de voir la version

masse

le public

qui

Moullet et (Winnefried

Miéville (France Tour Dérour Deux Enfants) délilaient en permanence dans une petite salle

cette

un

nemenis et des gens ordinaires),

jamais et les bandes de Godard-

dit.

télé),

cinéastes

Ants et Loisirs ne désemplissait

Ceci

Il faudra

l'interview (au cinmla comme a

pour de telé films

(pratiquement invisibles en dehors de Paris). La Maison des

annexe.

Genése d'un repas de

Moullet-Pizzorno.

mémes objets. Par exemple, les procédures et les techniques de

tions de la part du public. ce qui une demande

Cahiers. ou

et de Rappaport (Casual Relations). Je me bornerai a examiner des films qui, au-dela de leurs différences, interrogent les

de ces journées : « Pour un autre

cété

tion dans le prochain numéro de

jour revenir sur le travail de Robiolles (La Maison qut pleure)

de !industrie cinématographique, véritable repoussoir absent

déja

Pour que le débat sur la politique de Gaumont soit moins faussé.

It faut que ce soit le génial Playtime (qui ressort

Programme

lourd que celui de Digne: onze heures de projection par jour.

longue (cinq heures). Cette

lon-

gue confession de {a petite fille de Wagner est passionnante, un peu

par ce qu'clle revéle, beaucoup a cause du dispositif scénique qui

la permet. Ainsi la penombre qui entoure son visage souligne son charme anglo-saxon, sa civilité, la replonge dans la période noire

du nazisme (qui fut son heure de

gloire) en méme temps qu'elle la

pousse a prendre la caméra comme confidente. L’eflacement

du temps, produit par le cadre et léclairage. nous donne a voir une Winnefried inchangée, tou-

jours fidéle 4 Hitler. On comprend que ce témoignage n’était possible que parce que Winnefried Wagner n’était pas placée

sous le feu policier des projecteurs de cinéma.

Merril dans /n the Country,

De

plus, cette

de Robert

Kramer

69

PETIT JOURNAL image

permet

de

saisir

autre

chose: en isolant le visage de W.W..en la montrant seule chez elle, Syberberg indique bien. mais comme a contrario. te caractére

de

masse,

indifféren-

ciant, du nazisme: Winnefried Wagner se révéle nazie aussitat

du pouvoir. L’événement de ce festival était la rétrospective de loeuvre de Kramer

en présence

pour Newsreels, I’un sur le Vietnam, l'autre sur la guérilla au

Vénézuela,

ainsi

qu'une

copie

que le souvenir de ce corps de masse sans visage fait retour dans

neuve de in the Country. Ces documentaires montrent que la

que

que

ses propos. Elle laisse entendre le

dispositif

politico-mili-

taire du nazisme implique aussi les sujets. indépendamment de leur volonté et de leurs positions. Legon terrifiante. Dans Des grands événements

et des gens ordinaires, Raul Ruiz

se livre a une déconstruction des figures de rhétorique du documentaire télévisé, du reportage plus

précisément.

Le

point

de

départ du film. les élections législatives en 1978 dans te XIF arrondissement,

s'atomise

dans

une multiplicité de motivations, de justifications. de lapsus dans les témoignages, se perd dans Yeécart entre les échelles (ie) vote dans un bureau de vote particu-

lier et le vote dans son enjeu national). De méme, Les Divi-

guerre est le fondement esthéti-

La’

le minimum d’espace et de temps. La caméra devient I’équilence purement abstraite, technique, des images de guerre. Or,

déja, /n the Country. le premier film

de

Kramer,

frappe

par

la

violence de ses éclairages, la brutalité de ses coupes, |’interruption soudaine des mouvements de caméra, la rigueur du cadre.

Les corps n‘y sont que la cible de bombardements de particules de

lumiére ot ils peuvent entiére-

ment se dissoudre. spectres blancs venus du Japon. Une femme entre dans le champ du projecteur, elle se recouvre des images de guerre qu'il projetait.

ferences d’intensité de lumiére, jusqu‘au cceur de la couleur dans Milestones. Et sous les intensités

de Kramer, elle passe par ces dif-

de la guerre, il y a l'image mythi-

que de la terre premiere de la félicité: Magna Mater.

erroné!), le point de vue des idées (ol le chateau se peuple que vue

romantique) et le point de des choses (I'invasion féti-

chiste des touristes, Chambord transformeé en parc de loisirs. son

occupation cl sa gestion quotidienne par ses gardiens, etc.) Au fil de !*histoire, Chambord, au

lieu d'étre un monument histori-

que dressé 4 la gloire de la per-

manence de !Etat, n'est plus que Vimage fantastique née d°une

superposition d'images qui Sy déforment mutuellement. Ce jeu de miroirs déformants (admira-

blement ordonné par Henri Ale-

kan) indique l'une des sources de

Vart de Ruiz: ces miroirs baroques écrusés sous la spirale de leur cadre, ott le cadre effice ce quis’y rétléchit, au terme de quot

le miroir ne renvoie l'image de son cadre.

plus

que

Ce

projet

de

réconcilier

Amérique avec |‘Amérique, qui fut si souvent celui d’Holly-

wood, c'est, en derniere analyse, celui de Syberberg quant a |"AlleMagne et, en un sens, celui de Ruiz par rapport au Chili torturé aujourd'hui et 4 lorigine baroque de sa culture.

du

Les sept heures de projection

Hitler de Syberberg

raison

des

journées

Autre

noeud

de

préoccupa-

curent

dignoises :

salle de projection jonchee

de

bouteilles de biére, de mégots et de papiers. {] ne restait plus aux spectateurs épuisés qu'a sombrer dans le mutisme de La Fenune egauchére, Un dernier mot: on a pu voir dans le mutisme, fugitivement, le superbe La Terre qui flambe de Murnau, retrouve récemment dans un asile psy-

chiatrique de Milan!

tions pour les cinéastes présents a Digne: Ruiz, Syberberg et Robert Kramer sont tous trois traversés par une ménte interrogation de la figure paranviaque

dépasse le phénomeéne de curio-

situation, ce film pare au plus pressé. Une poursuite en voiture

valent d'une arme. D’ow une vio-

Kramer.

Il reste a

espérer que la Cinémathéque de Milan, désormais dépositatre du film. ne se contente pas de cette

tumide sortie.

Yann

Lardeau

mani alcoolique (qui remet ¢a !e

bistrot)

sité: 6000 entrées dans la semaine du 24 Mars au It Avril.

de

points de vue, multiplication ou

alors des fantémes de l'estheti-

vite. la nécessité de ce

guerre qui est propre aux images d'actualité. I! s’agit de ramener le maximum d‘informations dans

cinéma

Sil y a une musicalité des films

le chateau perd sa position centrale. I! y a le point de vue de Dieu (ou le chateau se voit dénoncé comme hérétique, pire :

Tres

premier Festival International de Films de Femmes a4 Sceaux,

organisé par Elisabeth Tréhard et Jacqueline Buet, directrices du Centre Culturel. s'est confirmée. Il existe un désir de voir des films réalisés par des femmes qui

du

sions de la nature, documentaire

sur Chambord, défait I'unité du monument en multipliant les

Sceaux

de ce dernier. I] avait apporté deux films qu'il avait réalisés

Un public local (mats surtout des

femmes, loin),

la

certaines

parole

venues

de

déclenchée,

et

absence remarquable des professionnels de ces confrontations - évaluations. II est illusoire de croire qu’on puisse rester en dehors, quand

lenjeu n’est rien

de moins qu'un renversement de point de vue.

Du film-tract fait en groupe, correspondant 4 une premiére phase

de

lunes.

les films

sont

massivement passés a Ia fiction.

Particularité, cette fiction a la plupart du temps partie liée avec

le documentaire. On assiste 4 un

vasle

mouvement

d'arpentage

ou les films allemands, apparaissent comme nettements les meilleurs of les plus dynamiques. La patience des femmes pouvoir des hommes

fait

Yauto-défense.

Perin-

Documentaire-fiction (Cristina

cioli) C'est le type méme

le

sur

d'un

film de quartier. Le scénario est classique. Etre battue, «¢a ne regarde personne », Addi ne parvient donc a se séparer de son

qu’en

apprenant

au

hasard des media. l’existence d'un centre a Berlin qui accueille les femmes battues et leurs enfants. Elle y trouve aussi des solutions. Filmé de maniére réaliste, en suivant la logique d'une Jusque sur les trottoirs, ou if ta talonne de son pare-choc, juxtapose 4 I’effet de déja-vu des poursuites des films noirs exactitude d'un trait machiste. Parce qu'il développe une forme de réponse

a cette violence, le film permet de mieux voir la différence de perception sociale entre la violence a ’extérieur ou a Vintérieur de a cellule familiale. Les Noces de Shirin (Elma Sanders) C’est l’'implacable odyssée de Shirin, une jeunc Turque, des

plateaux de I’Anatolie jusqu'a la ville industrielle de Cologne ou elle part travailler, que nous montre Elma Sanders. Determinée de part en part est la vie de Shirin, douce la voix offde la réa-

lisatrice qui nous la rédouble de lintérieur, de son désir piégé, retourné: il y a continuité entre la mise en infériorité dans ja ce)lule familiale traditionnelle tur-

que,

et

I’exploitation

ultérieure.

D'une

sociale

culture

a

lautre, oppression se poursuil, prend d'autres formes.

Personnaité réduite de toutes parts, de Halke Sanders

PETIT JOURNAL

La Noce La Noce {(al-'Irs) est un film tunisien réalisé par le collectif du

« Thédtre Nouveau » composé par Jalila Baccar, Mohamed Driss, Fadhel Jaziri, Fadhel Jaibi, Habib Mesrouki. Ce film fut récemment

projeté a la Cinémathéque de Paris quelques mois aprés qu’il fut mon-

tré en marge des derniéres Journées Cinématographiques de Carthage (novembre 1978). Refusé par la Quinzaine des réalisateurs et par la

semaine de la critique du Festival de Cannes, occulté par la critique « spécialisée » dans les cinémas arabes et du tiers-monde, ce film a di surprendre par la nouveauté de son-ton et de sa démarche.

Pour comprendre cette démarche, a la fois exemplaire et rigou-

reuse, et qui obtient un cinéma entier, il faut remonter loin. Le col-

lectifdu « Théatre Nouveau » est composé de personnalités compleé-

Personnalité réduite de toutes parts, de Halke Sanders

La Personnalité réduite de toutes parts Jutta Briickner, (dans Fais ce que dois, advienne que poura}

pour mettre en regard le roman familial d'une

avec

les

petite bourgeoise

transformations

de

l'Allemagne entre 1922 et 1975,

utilise des photos anonymes, des photos de famille et celles d’Auguste Sander, comme résidus qu'elle interroge, juxtapose,

feuillette. Mais plus que les analytiques d’U lla Stock], nihilisme

de G. Stelly, et le trés attachant

Mille

Claudia

chansons

sans

ton

de

Holldack, qui concréti-

sent tous des regards de femmes -dans un climat d'insécurité économique et d'indifférence a leur désir— sur le capitalisme comme

systéme de culture, cest sans doute le film d’Helke Sanders La Personnalité réduite de toutes parts qui ouvre une nouvelle phase dans la prise de cons-

cience. Un film trés habile a tous

égards. Sanders pointe le danger :

en se battant, un groupe de femmes a fini par obtenir l’exclusi-

vité d’un reportage photographique

sur

Berlin, ot elles vivent.

Mais au lieu de prendre directement

les

femmes

pour

objet,

objectifet l'intérét sont dépla-

cés par elles sur l‘omniprésent muir de Berlin, couvert de graffiti.

Au passage, elles nous font accéder a une plate-forme d’ou on peut juger les deux c6tés du mur, singulierement identiques. « Estce la, la mére-patrie de l'espoir des femmes?» s'interroge l'une delles. en

regardant

Bertin-Est.

Les autorités administratives et politiques de la ville supputaient

qu’un groupe de femmes photographierait d'autres femmes,

Agées par exemple, ou miséreuses. Sanders pousse le malentendu jusque dans ses demiéres conséquences. Elle pose la ques-

mentaires qui font converger leurs diverses maitrises vers la réalisation d’une euvre commune. Comme son nom I’indique, ce collectif a commencé par agir sur la scéne théatrale. Leur premier film, La Noce, est lui-méme inspiré d’une de leurs trois mises en scéne théa-

tion de l'utilisation politique et sociale de « notre » statut. A travers un réseau de panoramiques

trales, les deux autres étant L’Héritage et L'Instriction. D'ailleurs cette origine théatrale de I‘ceuvre a été utilisée comme argument pour

sur la ville, elle articule les diffé-

dénigrer le film. Or. si effectivement certaines dictions ne prennent

rentes étapes de travail, l'angle

pas assez de distance vis-a-vis de la voix théatrale, l'image comme le

tactique du projet. Des opérations continuelles de glissement, des murs de la ville elle-méme,

déplacement

aux photos de la ville, puis aux photos

réinscrites dans

la ville,

font de ce film, par sa conception intrinséquement cinématographique et sa stratégie, un film important {y compris pour la suite de ce Festival).

Palais des Arts (Jes 9 et 10 juin pour le cinéma). Le Goethe Ins-

titut a acheté des copies. FR3 contribuera peut-étre 4 une diffusion de ces films sur l'antenne,

apportera peut-étre une contribution financiére au Festival de l'an prochain. Entre quelques distributeurs

auront peut étre réagi....

Marie-Christine Questerbert {.Rappelons qu’en 1974, le Groupe Musidora langait une

premiére expérience de Festival, qu’en 1973 la Fnac prenait la reléve au Gaumont depuis,

n‘avaient

pas été reconduites. A Sceaux,

ce Festival International sera

dits expérimentaux.

Véquivalent de 150.000 francs. Au lieu de s’adresser comme de cou-

tume ala SATPEC en tant qu’organisme d‘Etat producteur, le collec-

tifa préféré lui emprunter une grande part de la somme dont il avait besoin. Une telle production indépendante est le signe d'une précieuse censeur et coercitif, fonde trés souvent le grand alibi de la pénurie créatrice. A.M.

gramme de Ja « Semaine d'agitation» d’Histoire d°’Elles au

annuel. Il n’incluait pas cette année, les films indépendants,

ce collectif, lequel a tenu a prendre en charge la gestion économique de son film. La Noce. qui est un long métrage en noir et blanc, a couté

démarcation symbolique vis-a-vis de ‘Etat. Car celui-ci, capricieux,

Gujer (Suisse), Certains films allemands, sont repris au pro-

Et que

l’antécédent

Ul faut enfin mentionner l’efficacité de la stratégie de production de

Vibekeh Lokkeberg (Norvége). et Nature-Morte d’Elisabeth

manifestations

I'espace atténuent

que |’Autre vous renvoie que le film n‘a pas convaincu.

graphie de Maxi Cohen (U.S.A.) qui utilise le cinéma comme cahier, au jour le jour, pour fil- . mer son pere. La Révélation de

Rive-Gauche.

dans

Noce atteint 4 l'universellement petit-bourgeois. Et c’est probablement en raison de ce non-déguisement de soi en fonction de l'image

and Maxi une passionnante bio-

ces

personnages

La Noce s'intégre aux préoccupations globales de ce collectif qui questionne la mythologie de la petite bourgeoisie de Tunis. De ce lieu si particulier représenté selon ses idiomes les plus spécifiques, La

Pour conclure, je cilerai, en dehors des films allemands, Joe

Sceaux temps,

des

théatral. Et ’écriture cinématographique s’impose en tant que telle dans le dispositif théatral méme, c’est-a-dire en un espace clos et a travers le dialogue quasi exclusif d’un couple.

:

PETIT JOURNAL

71

IL edt été difficile de ne pas prendre corps avec la violence quand le couple s‘enferme dans son appartement aprés le dépan du dernier

invité, qui tire son ambiguité de l’émergence de la parole et du geste de telle vérité die 4 l'atrophie de la conscience, sur le tard, fin de fete bien arrosée. Face a face donc de [homme (interprété par M. Driss) et de la femme (incamée dans J. Baccar) a envisager choc d'étincelles

suite a la sortie active de celui qui aurait pu agir comme le troisiéme terme perturbateur.

Nul besoin de ce classique troisiéme tour pour

que l’intimité du couple s’éveille infernale au soir de ce jour sepligéme que la coutume déleébre afin que I"hymen soit consacré, socialement accompli, achevé.

Par Iinsulte, par la provocation, deux discours diront leur violence

sans jamais s’atteindre vraiment. D'une violence qui est en-deca du besoin de la séparation ou de la rencontre. D’une violence immobile

qui ne pése pas sur les destinées, qui n'est pas moteur d’évolution. En somme, cela réfere 4 la scene de ménage : nécessaire et non productrice de rupture, effe se ravive de sous les cendres mémes, itérative par le jeu de l’anesthésie et du surgissement de sa propre force. Il fallait procéder avec une elliptique hardiesse pour que le mariage

aboultisse si vite (au soir du jour septiéme) a ce qui menace en tous deux : la violence qui ne produit pas l’événement. Mais cette saisie de la vérité du couple n'est pas dite dans les termes mémes de !"humain, c’est-d-dire en tant que virtualité mesurant, jugeant le réel pour rendre le vécu intense, subtil, nuancé.

Le jeu de lellipse transporte telle vio-

lence au plan du symbolique. Cela s’installe d'emblée dans la repré-

sentation, mathématique, précise et raisonnée de ce qui dans la struc-

ture du deux fonde l"écueil.

De cet écueil-la nous ne sortirons jamais. Les deux lieux d’ot' éma-

nent les discours sont ceux de l‘impuissance, cété homme,

de I’hys-

térie, cété femme. Ceci pour dire l’impossibilité des rapports (sexuels).

Ca décrit "impasse sur le mode du ne... pas. Certaines des percées et des scansions voudraient aborder le spectacle du cété de l’insuppor-

Tandis que la femme couvre l'attrait du psychologique en maquillant ses mouvements et son visage d’excessive maniére. De grimace en masque, elle défait l'image de la mére dans les replis du vulgaire. Elle

théatralise le grotesque. Elle vocifére. Mais finalement, de renaciements en renillements, de haine en pleurnicheries, elle se paralyse

végétative. Elle réussit néanmoins a délabrer fe maternel refuge que porte femme. Telle chute du mythe de la mére, lequel fait du couple une subtilisation de l’instance de l’inceste, n'est pas des moindres profanations que propose d’intolérable facon La Noce.

L’autre profanation majeure, elle aussi surdéterminée en grégarité

arabe, concerne la demeure, laquelle devient le lieu vide ou s‘essaient

tels non-rapports (sexuels). Lieu vide et instable: en état de ruines avancées, plafond perméable a la pluie, fracas des pravats s'amoncelant et faisant écho 4 lorage ; en chantier aussi: mais d'un chantier

vain qui risque d'étre 4 son tour enseveli suite a ‘annonce de |’avis de

détruire. Malgré la présence d’objets disparates glanés signes désignant le milieu petit-bourgeois de Tunis, tout semble désert dans cet appartement. Et ca tourne autour du /it vide, a deux inoccupable. Tel effet

d’abandon est comme accentué par l'utilisation des miroirs qui ne mettent pas le spéculaire au service du narcissisme, mais approfondissent encore ]'espace afin de donner un plus a voir qui. de préciosité,

ajoute a la déroute de la reconstitution et a la sensation d'un habiter inhabitable. Et rien ne pourrait advenir pour que restauration retape telle ruine. La logique de ce couple se devine dans la résignation a cohabiter. Tou-

tefois le film ne se préoccupe pas de la fragilité d'un tel avenir. Si jextrapole ainsi c'est pour mieux introduire les deux scénes paroxy-

tiques qui constituent les deux ruptures majeures du rythme et qui dénoncent des revirements et des épuisements légitimant les supputations plus haut suggérées.

Tl s’agit d'une part de la sortie de la femme sur le balcon en plein

table. Ca casse la séduction. Ca ne veut pas faire plaisir. Alors ¢a fait chier. C'est blafard, Ouvrez les yeux pour au mieux voir. C'est sombre. A peine profiterez-vous de quelque tache de lumiere. Telle obscurilé renforce l’effet de l'image, Elle attire le flux de I'attention au point ot les paroles, abondantes, passent a I'arriére, et perdent une part de

Orage et de son retour trempée et comme défaite par l’éleciricité condense dans I’air: douche froide qui transmute les énergies et pré-

que sens. Bien que bavard, le film ne s’appuie donc pas sur le mot pour

Film de la négativité toute qui a dd troubler ou géner ceux qui sont. institutionnellement ou de convention, autorisés 4 parler, ici en France, de cinéma arabe. Point d’identité a y défendre, ni de cause ol se tremper, ni de soleil ot se noyer, ni de paysage ou s’illusionner, ni

leurs sens pour ne plus agir qu’en équivalence signalétique avec le bruitage qui remplace ici toute musique. La parole s‘avére plutét son pallier fe manque de I'image.

Le langage prononcé est pourtant beau; il s‘instaure comme [ait fantasmatique : il constitue un débit verbal socialement enraciné dans ce qui fait obstacle au désir : il puise dans le proverbial, dans le mythi-

que ; et il fait trembler le stéréotype. Si les mots ne sont articulés que pour désigner le lieu de la violence, la musicalité de I'ceuvre est orchestrée par la manieére avec laquelle la camera se déplace, fouille l’espace, se proméne a travers des trajets qui

brouillent toute velléité de reconstitution des passages et des clatures. On ne sait comment se déplacent les protagonistes de la piéce aux chiottes, puis 4 la cuisine. puis a Ja salle d’eau, puis au débarras...

Labyrinthiquement remémorées, les cloisons se dérobent a leur édification par égard au déploiement scénique. Et le rythme s‘impose par l’organisation méme du fil des images qui

ponctue les temps forts et les silences ou ca respire. De phrasés en répons, c’est l’espace filmé qui imprime aux personnages la tempora-

lité de leur jeu respectif. Et de la particularisation du souffle, du com-

ment ca explose et ca se retient, de la qualité de qui s*emmure ou expectorie, s‘expose la différence gestuelle qui exile davantage l'une

figure de sa voisine.

L'homme joue au fonctionnel, au mécanique. Horloge que rien ne

trouble, pas méme le plus vindicatif des ressentiments, Ja plus criante

des insatisfactions. Tenacité de l'aveuglement le plus imperturbable. Citadelle qui dresse ses herses pour interrompre le fléau. Aucune

verité ne pourrait l'atteindre. A bord du feu des nerfs, il contréle sa

dépense au point ou ¢a tourne fixé par son moyeu afin que rien de sa patente misere ne soit pris en compte. Ce qu'on croirait étre son inexpugnable force se découvrirait, topiquement et 4 la longue, comme

jouant a sa perte : ne savez-vous pas que toute mécanique est destinée a l'usure ?

pare le retrait vers la conciliation de dénommée

femme.

II s‘agit

d’autre part du saccage de la robe de mariage par l’homme, entré dans

une furie contenue orientant les ciseaux selon un dosage acharné et rigide : autre scéne qui couronne I’étrange activité comme gymnastique dalias homme et qui emblématise la dépense substitutive en état de traversée de crise.

dailleurs ot investir et projeter la réalisation de son manque. Simple

fait de la représentation de la misére qui risquerait de ronger en tout

lieu l"étre malgré l'agencement des parades, magie ou dieu.

Abdelwahab Meddeb.

PETIT JOURNAL

mobilise pour refaire du social, du social chaud. de la discussion

HOLOCAUSTE

chaude, done de la communication. 4 partir du monstre {roid de Pextermination. On manque d’enjeux, d’investissement, d’histoire. de parole. C'est ca le probleme fondamental. L’objectif est donc d’en produire 4 tout prix, et cette émission était bonne pour ca: capter la chaleur artificielle d'un événement mort pour réchaulfer le corps mort

(suite)

du social. D’ou l'addition encore de medium

supplémentaire pour

renchérir sur l’eflet par feed-back : sondages immédiats sanctionnant l'effet massifde I’émission, l’impact collectifdu message — alors que

Le point de vue de Jean Baudrillard

ces sondages ne vérifient bien entendu que le succés télévisuel du

L’oubli de l‘extermination fait partie de extermination, car c'est aussi celle de la mémoire, de l'histoire. du social, etc. Cet oubli-la est aussi essentiel que ['événement. de toute fagon introuvable pour nous,

De la. il faudrait parler de la lumiére froide de la télévision. pourquoi elle est inoffensive pour l’imagination (y compris celle des enfants) pour la raison qu'elle ne véhicule plus aucun imaginaire et ceci pour Ja simple raison que ce n'est plus une image. L’opposer au cinéma doué encore (mais de moins en moins parce que de plus en plus contaminé par Ja télé) d'un intense imaginaire — parce que le

medium

inacessible dans sa vérité. Cet oubli-la est encore trop dangereux, il

faut Peffacer par une mémoire artificielle (aujourd*hui ce sont partout tes mémoires artificielles qui cffacent la mémoire des hommes, qui

eflacent les hommes de leur propre mémoire). Cette mémoire artificielle sera la remise en scéne de ]’extermination — mais tard, bien trop tard pour qu'elle puisse faire de ment quelque chose, et surtout, méme froid, irradiant loubli, la fagon plus systématique encore

vraies vagues et déranger profondésurtout a travers un médium luidissuasion et l’extermination d'une s‘1] est possible, que les camps eux-

mémes. La télé, Véritable solution finale a lhistoricité de toul événement, On fait repasser les Juifs non plus au four crématoire ou a la

chambre 4 gaz, mais a la bande-son et a la bande-image, a l’écran cathodique et au micro-processeur. L’oubli, l’'anéantissement atteint enfin par 1a 4 sa dimension esthétique — il s‘acheve dans le rétro, ici

enfin élevé a Ia dimension de masse.

L’espéce de dimension sociale historique qui restait encore a loubli sous forme de culpabilité. de latence honteuse, de non-dit. n’existe méme plus. puisque désormais « tout le monde sait ». tout le monde a vibré et chialé devant I'extermination — signe sir que «ca» ne se reproduira plus jamais. Mais ce qu'on exorcise ainsi a peu de frais, et au prix de quelques larmes. ne se reproduira en effet plus jamais, parce que c’est depuis toujours en train, actuellement, de se reproduire, et précisément dans la forme méme ou on prétend le dénoncer, dans le

medium méme de ce prétendu exorcisme:; la télévision. Méme pro-

cessus d’oubli, de liquidation, d’extermination, méme anéantissement des mémoires et de histoire. méme rayonnement inverse,

lui-méme.

Mais cette confusion

ne doit jamais étre levée.

cinéma est une image. C’est-a-dire pas seulement un écran et une forme visuelle, du phantasme, « télé », qui ne méme pas: un

mais un miyrhe, une chose qui tient encore du double, du miroir, du réve, etc. Rien de tout cela dans "image suggére rien, qui magnétise, qui n’est, elle, qu'un écran, terminal miniaturisé qui, en fait, se trouve immédia-

tement dans votre téte - c’est vous l’écran, et la télé vous regarde - en transistorise tous les neurones et passe comme une bande magnétique

— une bande. pas une image. Le Troisiéme Homme

ala TV : finie l'aura du film. Finie la séduc-

tion propre au cinéma et 4 son image, cette qualité. ce charme cet envoutement. qui, quel que soit le film, vous capte. Disparition deéfinitive de cette aura dont parle Benjamin, liée ici a l'image comme original (tel celui d’une ceuvre d'art), 4 ]’ici et maintenant, a une présence singuliére, qui était maximale dans la forme rituelle. mythique et cére-

moniale, rayonnante encore dans la forme esthétique, avec déja cependant une grande déperdition, et minimale dans la sphére électronique TV. La lumiére vient de derriére l’écran. Important? Journal TV: Chine-Vietnam, Meétallurgie en gréve, Carter/Begin/Sadate, Vacances scolaires. Magie dissuasive des faux compromis des solutions absurdes mais non contradictoires, etc. Contradiction

incluse, reprise en circuit intégré. on n*explose pas,

on implose. J.B.

implosive, méme absorption sans écho. méme trou noir qu’Ausch-

witz. Eton voudrait nous faire croire que la TV va lever I'hypothéque

d’Auschwitz en faisant rayonner une prise de conscience collective, alors qu'elle en est la perpetuation sous d’autres espéces, sous les auspices

cette

fois

non

medium de dissuasion.

plus

d'un

fiew

d’anéantissement,

mais

d'un

Ce que personne ne veut comprendre, c’est que Holocauste est d‘abord (et exclusivement) un événement, ou plutét un objet rélévisé (régle fondamentale de MacLuhan, qu’il ne faut pas oublier), c’est-a-

dire qu’on essaie de réchauffer un événement historique froid. tragique mais froid. le premier grand événement des systémes froids, des systémes de refroidissement, de dissuasion et d’extermination qui vont

COMMUNIQUE Nous avons regu de Mr Claude Beylie et Henry Moret la lettre suivante quis nous prient de porter @ la connaissance de nos lecieurs.

la télévision. et pour des masses elles-mémes froides, qui n’auront 1a

oceasion que d’un frisson tactile et d'une émotion posthume., frisson dissuasif lui aussi, qui les fera verser dans l’oubli avec une sorte de

bonne conscience esthétique de la catastrophe.

Pour réchaufler tout cela, il n’était pas de trop de toute l’orchestration politique et pédagogique qui est venue de partout tenter de rendre

un sens a l’événement (I"événement télévisé cette fois). Chantage pani-

que autour des conséquences possibles de cette émission dans l’ima-

gination des enlants et sociaux mobilisés pour danger de virulence dans bien plutét inverse : du

des autres. Tous les pédagos et travailleurs filtrer la chose, comme s'il y avait quelque cette résurrection artificielle ! Le danger était froid au froid, l'inertie sociale des systemes

froids, de la TV en particulier. II fallait donc que tout le monde se

CINE-CLUBLN.A. cet été sur T.F.!

loir insérer dans votre prochain numéro Ie communiqué suivant, sans

Comme I'an dernier, la série «Caméra Je» diffuse cet été plusieurs films produits par l'Institut National de l'Audiovrsuel (dont certains en co-production), ces films formant une série autour de la fiction. Chaque progrimme sera précédé dune séquence de présentation et d'un entretien avec le réalisateur.

de dimension :

Sept films au programme :

ensuite se déployer sous d'autres formes (y compris la guerre froide,

etc.) et concernant des masses froides (les Juifs méme plus concernés par leur propre mort, et l'autogérant, éventuellement, masses méme plus révoltées : dissuadées jusqu’a la mort, dissuadées de leur mort méme) de réchaufter cet événement froid 4 travers un medium froid,

TELEVISION

du

Par lettre recommandée, en date 18 avril, Me Mandel nous

demande autre

de vous prier de bien vou-

précaution

d’emplacement

ni

« La photographie de Jean Renoir

Les Indiens sont encore loin (Patricia

Je

Ley Epacvés du naufrage (Ricardo Franco): 26 juillet Le Fils puni (Philippe Collin) : 2 aoat Flummes (Adolfo Arrieta): 9 aout Les Enfants du placard (Benoit Jac-

publiée dans le n°78 de la revue Ecran 79 est I"euvre de Monsieur Jacques Raynal. Reproduction interdite » vous

remercie

par

avance

de

bien vouloir publier ce « rectificatil», et vous prie d'agréer Iexpression de mes sentiments confraternels. Claude Beylic, Henry Moret

Moraz):

quot):

12 juillet

16 aotit

Omoon on la cité du nom de Dieu (Luqman Latcef Keele): 23 xout L’Hypothése du tableau volé (Raul Ruiz): 30 aodt

A paraitre

CATHTERS DL CINEMA Numéro

JEAN ENTRETIENS;

Hors-Série

RENOIR

PROPOS

SUR

MES

FILMS

Ce volume, 4 paraitre fin octobre, réunira les entretiens de Jean Renoir publiés dans cing numéros des Cahiers du Cinéma épuisés depuis longtemps, et les déclarations du cinéaste au cours d’un certain nombre d’émissions télévisées, encore jamais publiées. I

Entretiens parus dans les Cahiers

1) Avec Jacques Rivette et Frangois Truffaut : n° 84 (avril 1954) 2) Avec Jacques Rivette et Francois Truffaut (suite): ne 35 (mai 1954) 3) Avec Jacques Rivette et Francois Truffaut : no 78 (Spécial Jean Renoir Noél 1957) 4) Avec Michel Delahaye et Jean-André Fieschi : n° 180 (juillet 1966) 5) Avec Michel Delahaye et Jean Narboni: n° 196 (décembre 1967)

II Entretiens télévisés

1) «Jean Renoir vous parle » (1962) 2) « Renoir le patron » (de la série « Cinéastes de notre temps », (1967) ~ la recherche du relatif

— la régle et l'exception

ITI

Propos de Jean Renoir

Sect CA

H

DU Cl

1) Propos rompus (Cahiers, n° 155, mai 1964) 2) Présentation de mes films (télévision, 1962)

TR | iD R q

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Edité par les Editions de |'Etoile - $.A.R.L. au capital de 50.000 F - R.C. Seine Commission paritaire N° 57650 — Imprimé par Laboureur, 75011 Paris

Photocomposition, photogravure, PMF, 35, rue de l'Ermitage, 75020 Le directeur de ja publication: Serge Daney - Printed in France.

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Au coeur des ténébres, par Serge Toubiana

p.5

Entretien avec Francis Coppola, par: David Alper et Lise Bloch-Morhange

p.7

CANNES 1979

.

Festival, tribune, vitrine, par Serge Toubiana

p. 25

« Le cinéma du monde », par Daniéle Dubroux

p. 29

Les anciens et le nouveau, par Serge Le Péron

p. 33

Les objets et les coups, par Nathalie Heinich

p. 37

A propos de Dalla Nube alla Resistenza (Straub-Huillet), par Jean-Pierre Oudart

p. 43

Les minutes d’un colloque {« Création et techniques »), par Serge

p.44

Daney

L'ETRE-ANGE AU CINEMA Evanouissements,

par Alain Bergala

L‘enfant, lange, l’extermination et le crime, par Jean

Louis Schefer

p. 47

CRITIQUES La Drélesse

(J. Doillon), par Serge Daney — L'‘Hypothése du tableau volé (R. Ruiz), par Yann Lardeau

La Vengeance d'un acteur (Ichikawa

K.,) par Charles Tesson — Les Saeurs Bronté (A. Téchiné), par Bernard

p. 56 Boland

p. 61

PETIT JOURNAL Nicholas Ray — Lettre de Hollywood, par Bill Krohn — Monte Hellman 4 Cannes

p. 63

La crise du cinéma francais dans !a presse, par Serge Toubiana

p. 67

FESTIVALS

p. 68

1. Digne, par Yann Lardeau — 2. Sceaux, par Marie-Christine Questerbert

La Noce, film tunisien, par Abdelwahab

Meddeb — HOLOCAUSTE

(suite). Point de vue, par Jean Baudrillard

p. 70