Cahiers du Cinéma #305

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CAHIERS DU CINEMA305 1979

MENSUELLE/NOVEMBRE SOMMAIRE/REVUE

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LA

DU

1928-1931

Direction

REVUE

CINEMA : Jean

1946-1949

George

Aurlol

Réédition du Cinquantenaire en fac-similé

événement.

C'est

un

monument

fittéraire

et

« Cette superbe ef luxueuse réédition de ia célabre revue de Jean-George Auriol constitue un é6vénement sans pré-

cédent tation

PREFACES de Jean-Paul Le Chanois et Jacques Donicl-Vatcroze INTRODUCTIONS d'Odette et Alain Virmaux

dans

pratique

I'histoire du livre de cinéma. grace

& une

pagination

D'une

consul-

complémentaire

et

des tables, c'est & fa fois un outil de recherche précieux, la réunion de textes théoriques essentiels, mais aussi un acte de foi. On achéte fant de choses inutifes qu'if vaut mieux ici faire un eftort particulier (quitia & étre ailleurs beaucoup plus sévére) pour ne pas manquer cette édition exceptionnalle @ laquelie nous n'osions réver. »

Témoignages

5 iomes

un

artistique qui revit. C'est un trésor de connaissances qui se rouvre, Bret : cette ddilion du Cinquantenaire avec tous ses index, ses tables, ses introductions et 368 témoignages aujourd'hui fera date. if taut se dépécher de se fa procurer avant qu'elle soit, eile aussi, introuvadle. » Le Figaro

image

reliés, sous jaquette et étui et un index général

3 TOMES PARUS (série 1928-1931)

et Son

« Aucune déceplion ne vient troubler le plaisir de feuilleter cetle luxueuse édition. Entin & portée de main quelquesuns des plus beaux et des plus rares textes de i'histoire de fa critique et de la recherche cinématographiques. C'est un événement sans précédent dans I'histoire de Fédition cinématographique. » Cinéma 79

« Une

aubaine

pour

les colfectionneurs

qui s‘errachaient

ces numéros & prix d'or chez les bouquinisies. Nées de la passion et de I'enthousiasme des premiers cinéphiles, ces revues inventarent fa critique de cinéma. La Revue du Cinéma, ou le septiome art exalté. » Télérame

En souscription jusqu'a l’'achévement prévu de l'édition {30 novembre 1979) 5 tames

+ Index

général

: 1180

ou 5 versements de 270 F ou 10 versements de 142 F

Documentation

sur demande

38 rue Chanzy 75011

« Une entreprise considérable & faqueife tous les cinéphiles devraient faire un succés. Cette “éddition du Cinquante-

naire” est bien un événement. » F

Le Monde

«if nous faut saluer bien bas te courageux éditeur qui met a@ notre portée un ensembie dont iédition originale se négocie plusieurs centaines de milliers de centimes ; et dire & tous fes cinéphiles sérieux : vous ne pouvez pas vous passer de cet ouvrage | » Ecran 79

Paris - CCP 3479510 S La Source - Tél. 371.68.98

PIERRE LHERMINIER EDITEUR

COMITE DE DIRECTION Serge Daney Jean Narboni Serge Toubiana REDACTEUR Serge Daney

EN CHEF

COMITE DE REDACTION Alain Bergala Jean-Claude Biette Bernard Boland Pascal Bonitzer Jean-Louis Comolli Daniéle Dubroux Thérése Giraud Jean-Jacques

Henry

Pascal Kané Yann Lardeau Serge Le Péron Jean-Pierre Oudart Louis Skorecki EDITION Jean Narboni

DOCUMENTATION, PHOTOTHEQUE Claudine Paquot

Ne 305

NOVEMBRE

1979

DE LA NUEE A LA RESISTANCE Le plan straubien, par Serge

Daney

p.5

Un recueil de matériaux, par Manfred Blank

p. 8

Entretien avec Jean-Marie Straub et Daniéle par Serge Daney et Jean Narboni

CINEMA

SUISSE

Huillet,

po. 14

DOCUMENTAIRE

Présentation, par S. D. et S. T. Entretien avec Richard

“p21

Dindo, par Serge

Daney et Serge Toubiana

p. 23

. Entretien avec Fredi Murer, par Louis Skorecki

p. 28

CINEMA FRANCAIS: OU EST LA CRISE ? Table ronde avec Luc Béraud, Serge Daney, Serge Toubijana et Bertrand van Effenterre

Eduardo de Gregorio,

Pascal

Kané,

p. 34

CRITIQUES Winifred Wagner (H.-J. Syberberg),

par Jean-Claude

Adolf et Marféne (U. Lommel) et

Jane sera toujours Jane (W.

Bockmayer),

Biette

p. 46

par Louis Skorecki

p. 48

CONSEILLER SCIENTIFIQUE Jean-Pierre Beauviala

Don Giovanni (J. Losey), par Louis Skorecki

p. 49

MAQUETTE Daniel et Ca

La Dérobade (D. Duval}, par Daniéle Dubroux

p. 50

Tapage nocturne (C. Breillat), par Pascal Bonitzer

p. 51

ADMINISTRATION Clotilde Arnaud ABONNEMENTS Patricia Rullier PUBLICITE Media Sud 1 et 3, rue Caumartin 75009 742.35.70 GERANT Serge Toubiana DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Serge Daney Les manuscrits ne sont pas rendus. Tous droits réservés. Copyright by Les Editions de Etoile. ; CAHIERS DU CINEMA - Revue

NOTES

SUR

D'AUTRES

FILMS :Aace a’Ep, Le Tambour,

La Lettre écarlate, Premier Secret,

Heroes, The Big Fix, L'Ecole est finie, La Vedette, Le Point douloureux, Rue du Pied-de-Grue,

Courage fuyons, Moonraker, Movie Movie, il y a longtemps Au revoir a lundi, La séduction de Joe Tynan PETIT

que je t'aime, Charles et Lucie,

JOURNAL

Rencontre

avec Otar losseliani

p. 60

Festivals : Telluride, Lille Télévision : Aue des Archives

p. 64 (Ruiz), Paris-Berlin, Berzosa

Livres : « Eloge du cinéma expérimental » (Noguez), « Ciné-Rock » etc. Numéros Zéro : un film de Raymond

Depardon sur /e Matin de Paris

informations : Festival Super 8 a Caracas,

Ce journal contient un encart-abonnement

Cinéma

numéroté

polonais a Paris etc.

de | a IV au milieu du numéro.

mensuelle éditée par la s.a.rt.

Editions de I'Etoile. Adresse : 9, passage de la BouleBlanche (50, rue du Fbg-St-Antoine),

Administration - Abonnements 343.98.75. Redaction : 343.92.20.

p. 53

En couverture : Mauro

Monni

dans De /a nuée a /a résistance de 3.-M- Straub et D. Huillet.

p. 68

La

DE LA NUEE A LA RESISTANCE

LE PLAN STRAUBIEN

PAR SERGE

DANEY

Le dernier Srraubfiim (4 mon sens le plus beau et le plus stimulant depuis longtemps. le plus accessible aussi) est composé de deux parties distinctes, l'une mythologique, lautre moderne, les deux sans rapport apparent. Cété nube: six dialogues parmi les vingt-sept « Dialogues avec Leucd », écrils par Cesare Pavese en 1947. Cété resistenza: des extraits d'une autre livre de Pavese, « La Lune et les feux », publié en 1950, quelques mois avant son suicide. Ce dernier cété ne surprendra pas. Chaque Straubfiim est un relevé — archéologique, géologique, ethnographique, militaire aussi — d'une situation historique ob des hommes ont résisté. La of Nictzsche disait que « le seul étre que nous connaissons est I’étre qui représente », les Straub pourraient dire: n’existe pour sar que cc qui résiste. A la nature, a la langue, au temps, aux textes, aux dieux, 4 Dieu, aux patrons, aux nazis. A la mére et au pére. Le texte de Manfred Blank qui ful assistant sur Dalla nube ct que nous publions dans ce numéro (p. 8) explique bien comment le plan, atome de base du cinéma straubien, est le produit. le reste plutét, la restance, d'une triple résistance: des textes aux corps, des lieux aux textes et des corps aux lieux. Et vice versa. I] faudrait y ajouter une quatriéme: celle du public au plan ainsi « taillé » (pour reprendre la métaphore du silex), résistance obstinée du public de cinéma a quelque chose @iniraftahble et

qui le nie comme public (voir, infra, Ventretien avec les Straub. p. 14).

Je ne reviendrai pas la-dessus. D’abord parce que la-dessus, les Ca/tiers depuis quinze ans ont

J, Narboni « La vicariance du pouvoir » (sur Oshon, Cahiers N° 224) et «La» (sur Fortin’ Caui, Cahiers Ne 274), Bonitzer: «J-M. § ct J-L. G» (Cahiers Ne 264) ct moi-méme : « Un tombeau pour l"ceil » (sur fife,

Cahiers N° 258).

2, Crest résister aussi au Livre, comme le retrave Moise ef claran et comme le signale Sibony (dans «L’Autre

incastrable », p, 23):

La Bible, cétatt passtonnément Misi-

ble. e¢(...) pemt-érre le peuple du Livre

nwa tenu que de se rehiffer et de se rai dir a cette écriture et di coup den retenir les marques secréics »,

beaucoup écrit (1). Ensuite parce que ce qui frappe dans ce « Nicht versdhnt italien » qu’est

Dalla nube, C'est autre chose: la sensualité, le goat du récit, le bonheur de la langue (litalien) et aussi unc volonté d’élucider, un « quoi qu'il en soit, i] faut y aller» qui me feraient presque dire que ce film charrie les éléments d’une psychanalyse des Straub par cux-mémes, Comme si au sortir du triptyque juif (composé, rappelons le du « petit » Schonberg, de Moise ef Aaron et de Fortiné Cani), aprés avoir brandi le signifiant « résistance » comme un absolu (car sans doute, tre juif. c’est résister (2)), ils en entreprenaient la généalogic. Lu résistance est le point Warrivéc d'une histoire qui commence ailleurs. plus t6t, avec la nuée. Quelle est cette histoire qui enjambe deux millénaires, enlace les hommes et les dieux, puis les hommes a la plus terrible —la plus moderne aussi — des divinités, l'Histoire? A partirde quel moment a-t-on résisté? Pour-

quoi résister? Et a quoi résiste-t-on, au juste?

Contre le spectacle. Mais quel spectacle? — Les six dialogues qui composent la premiere partie prennent acte d'un événement unique: les dieux se sont séparés des hommes. Tout voisinage entre cux est rendu caduc, ct aussi l’alliance, la promiscuité, le mélange. C'est la nouvelle loi qu’au premier plan du film, la nymphe Néphélie, la nuée. assise dans son arbre, annonce a Ixion. « // ¥ a des monstres », dit-elle. Désormais, ceux qui (tels les Centaures) participaient dune double nature savent qu’ils sont des monsires et se cachent. Chaque dialogue marque un approlondissement de Ja séparation. Je résume (et grossis): les dieux se désolidarisent des hommes, les abandonnent (deuxiéme dialogue: La Chimeére). ils séparent les hommes des choscs en donnant a cellés-ci un nom (troisiéme dialogue: Les Aveugies), ils les séparent d’eux-mémes et

les transforment en bétes (quatriéme dialogue: L’Hommiec-loup), ils les séparent les uns des

autres a travers les sacrifices (cinquiéme dialogue: L ‘Jnvitc) et la séparation est totale quand ils se contentent, oisils, de regarder ces sacrifices (sixiéme dialogue: Les Fenx). Ce dernier dialogue marque (chez Straub, pas chez Pavese), en méme temps que la fin de la premiere partie, le début de la résistance, sinon de la révolte, et préfigure la seconde partic, a travers lc theme des fer. H vaut la peine de s’y attarder un moment. A son pére qui lui explique que ces feux, il faut quand méme les allumer, un jeune paysan répond: « Afoi. je ne veux pas. ne comprends, je ne veux pas, Us font bien, les patrons, de nous manger la moélle, si nous avons 616 aussi injustes entre nous autres, Ils font bien les dieux de nous regarder souffrir ». Significativement, Straub coupe le reste du dialogue de Pavese (le fils ajoutait « Siamo tutti cattivi » — nous sommes tous méchants - et le pére le traitait ignorant avant de renouveler son offrande 4 Zeus). de méme qu’il en avait coupe les deux premiéres phrases (Pavese commencait par faire dire au fils: route fa montagne briile) pour entamer le dialogue avec la constatation par le fils gue: nos feux. personne ne ley voit. On a trop parlé du respect méticuleux des Straub aux textes pour ne pas noter ici dans quel sens ils savent aussi les violenter. Car ces coupes ne sont pas faites au hasard, ni le fait que ce

6

soit justement le théme du regard qui est ainst privilégi¢. La résistance commence au moment ou. achevée leur séparation d’avec les dieux. les hommes s'imaginent étre le spectacle auque! les dieux prennent plaisir. de loin. Début de la résistance, mais aussi de la pose. du théatre(3), de la complaisance, de l'esthétisme. d"une « plus-value figurative » réservée au corps humain. Entre l'insouciance d'Ixion qui ne prend pas trés au scrieux ce que la nymphe tui dit (premier dialogue) et le premier non! (sixiéme dialogue: la caméra se porte alors au niveau de la main du gargon, une main qui hésite encore a se faire poing, mais une main qui a un devenir-poing). la distance entre les dieux et les hommes, a force de se creuser, est devenue l°espace de la contemplation esthétique. Le fils: £1 les dicux?Hs sont injustes les dicux. Le pére: Sice n était pas ainsi, ils ne seraient pas des diewx. Qui ne travaille pas, conmment veux-te qu'il passe le temps? Quand

if n'y avait pas encore de patrons et quéon vivait avec justice, i fallait tuer de temps a@ autre

quelqu'un pour les faire jouir. Is sont faits ainsi. Mais de netre temps, ils n’en ont plus besoin.

Nous sommes si nombreux @ aller mal qu'il leur suffit de nous regarder, C’est donc une seule et méme chose que le malheur des hommes et leur transformation en objets de jouissance esthe-

tique pour des dieux oisifs. Bien str, les dieux. ce sont aussi les patrons. les spectateurs - tous ceux qui ne travailient pas. Et leur résister, c’est d’abord refuser d’étre regardé. C'est, par exemple, leur tourner le dos.

Refus du spectacle. honte faite au spectateur- dieu, cet entant gaté? Peut-étre. Mais plus que de refus, c'est d’accomodation qu'il s‘agit dans les films des Straub. Pour décrire les dieux a Ixion, Néphélic dit: [ds tatens tout de loi. avec les vei, les narines, les levres. La fabrication du plan straubien est tout entiére dans une pratique du cadrage qui casse ce lointain, qui apprenne a regarder « de prés », qui torde I'cspace homogéne de la contemplation paranoiaque, par oti les dicux-spectateurs dépossédent les hommes de leur malheur et par ou les hommes. pour leur complaire, se muent en histrions de Icur sort, devenu un destin, C’est ce refus d'un arriére-monde, d'un au-dela, d'un arriére-p/an. qui confere a Dalla nube cette sensualité immédiate, pathétique. ott le souvenir d'un monde « ow !’on serait chez soi », d’une intimité avec les

choses, c’est aux sens les mieux liés a la périphérie du corps— louie, le tact - qu’il faut le confier. Pas au regard.

Inscription yraic ou surimpression? - [| n'y a pas d‘arriére-plan. soit. Mais y a-t-il pour autant un plan? Qu encore: quel est le consent de ce qu'on appelle, par commodité, un plan? Contenu est a prendre tci 4 la lettre. Dans un court film intitulé Toure révolution estun coup de deés, les Straub font dire un poéme de Mallarmé au cimetiére du Pére-Lachaise: les « acteurs » (un par caraclére typographique) sont dissémineés — écriture vivante — sur la pente d'une petite colline. Sous cette colline furent enterrés des victimes de la Commune. Mais cela, le film ne le dit pas. Dans Fortini Cani, la caméra parcourt plusieurs fois une campagne italienne ou, pendant la seconde guerre mondiale, des populations civiles furent massacrées. Le contenu du plan, c’est alors, stricto sensu, ce qui s’y cache: les cadavres sous la terre. De quoi conclure 4 une sorte de piété nécrophile, dirigée par les Straub contre le spectaleur, sommé de savoir ou de se taire au nom du respect di aux morts, ct surtout 4 ceux-la. Coalescence impossible entre le percu et le

su, le contenu d'une perception ct la perception d'un savoir. En ce sens, la politique (et la

morale) des Straub est une politique (et une moralc) de la perception. En ce sens, elle est matéste (mais a la fagon de Lucréce, ou de Diderot). Dalla nube permet de revenir sur cette question. La aussi, Jes plans ont un « contenu », mais ce n'est pas le méme, ni la méme horreur. C'est, par exemple, le champ de blé que l'invité (Héraklés) regarde et admire (cinquiéme dialogue): mais i] sait qu'on le fertilise chaque année avec le sang de Ia victime d'un sacrilice et qu'il est désigné pour étre cette victime. C'est le plan magnifique de « I"herbe et des acacias » devant lequel, a la toute fin du film, Nuto révéle au batard que c'est I’endroit ou Santa fut tuée, puis brulce par les partisans. C’est enfin le plan du loup (quatriéme dialogue) dont les chasseurs se demandent quoi faire puisque, de leur propre aveu, « Ce n'est pas la premiere fois que Fon tue

une bite / Mais cest la premiére fois que nous avons tué un homme ». Ce sont la trois exemples

remarquables. Ils suffisent a instiller un doute. Doute quant a ce qu’on voit. Car que se passe-t-il dans ce « passage » du polythéisme au monothéisme — qui intéresse tant les Straub — sinon que

nous savons de moins en moins discerner les méramorphoses? Du sang en blé. de Phamme en loup. de la femme en feu. etc.

Si bien qu'il ya deux limites au plan straubien. L’une, interne, c’est ce qu'il contient (le plan comme tombeau). L’autre, irréprésentable. indécidable, c’est que toute chose filmée, cadrée. risque aussi d’étre autre chose. Lycaon, I"homme-loup qui pleure, ne serait pas si bouleversant si. dans le commentaire, les chasseurs ne parlaient de lui comme d'un homme f« f/s est défendu comme un vieux, avec les yeux ») et si leur embarras ne venait pas d’un doute plus profond, d'un doute quant 4 leur propre identité (« Es-1u stir tui-méme que tune te sentes parfois Lycaon commie lui?»). Risque soudain d’étre un et l'autre. En ce sens. pour reprendre la problématique de « l’inscription vraie » ouverte aux Cahiers (par Pascal Bonitzer). on peut dire quit y a bien quelque chose qui s‘inscrit matériellement, indiscutablement. hic et nunc. sur le film et sur la bande magnétique. satf gion ac sait pas ce que cest, au juste. Crest pourquoi le théme de la résistance est si essentiel pour les Straub. I] a aussi valeur conjuratoire: la résistance est le seul jndice qui ne trompe pas, qui atteste d'une réalité quelconque,

DE LA NUEE A LA RESISTANCE 3. Comme chez tous les modemes, le thédtre est exclu du cinéma striubien. Le thédtre comme technique. comme savoir-faire. Mais pas comme imaginaire. [| y aun pout du théatre antique chez Straub, de la toge et du drape. qui renvoi

nt a Cecil

B,

de Mille qu’aux situations de Terreur qu'il connote.

7

LE PLAN STRAUBIEN

4. Plus loin dans ce numéro, un admirateur de Straub, le cinéaste suisse Richard Dindo, auteur de L'Exécution

du

traitre

a@ ta parne

Ernest S. est amené a aborder ce théme de la trahison. Force nous est de constater que ce théme est a@ peu

pres

la seule fiction

marxisme

a donné

a laquelle

sinon

du moins consistance.

le

naissance,

d’un neeud de contradictions. Elle est, au sens freudien aussi. un symptéme. La ou ca résiste. il faut filmer, bien qu'on ne sache jamais vraiment quoi (et micux on peut le décrire, moins on le sait). Dans Pinscription vraic, il n’y a que les traces de inscription dont on soit sir. Le reste est métamorphose, avatar, double identité et double appartenance, erreur, frafison. C’est ce soupcon, mieux: le désir de dire ce soupgon qu'il me semble pereevoir pour la premiére fois avec une telle franchise dans Dalla nube.(4). , Un plan sans image ou deux images par plan? — Il y a des trucages que les Straub n'utilisent jamais - et qui semblent la négation méme de leur cinéma - comme la surimpression ou le fondu-enchainé, c’est-a-dire toutes les fois qu'une image en recouvre une autre (4 moins qu'elle ne la contienne). qu’elle en est le souvenir(a moins qu’elle ne la préfigure). Le temps de la surimpression est celui du travail actifde loubli: une voix nous y dit: tu oublieras, tu as déja oublié... Ces empiétements d'une image sur une autre sont une des deux limites du plan straubien. l'autre étant l’écran noir (ou vide). Dans Afvise et Aaron par dela la fixité des images, il y avait ’éblouissement d'un plan vide, D'une non-image. Dans Dalla nuhe, il s‘agit de bien autre chose, i] s’agit d'une mise en garde: quoi que vous regardiez, un champ cultivé, une colline. une béte, 7 oubliez pas que cest toujours de Vhumain que vous voyvez, Deux images. Si voir un film, dans la version Godard-Mieville, c’est assimiler papa 4 lusine et maman a un paysage (ou vice versa). dans la version Straub-Huillet, c’est assimiler l’usine et — de plus en plus — le paysage 4 papa et maman. Humanisme donc, au sens d’une prévalance, d'une prégnance de image humaine en toutes choses. C’est en ce sens-la que ces films « nous regardent »: un homme nous regarde au fond de chaque image, dans une impossible surimpression. Le cinéma, ce scrait alors ce qui permet de rompre lenchantement par Icquel nous pensons voir autour de nous autre chose que de Vhumain, alors que ce ne sont que champs cultivés, arbres taillés, cimetiéres ignorés, animauxqui-sont-peut-étre-des-hommes (d’ou !"interdit de les tuer), Huminisme vieux-marxiste aussi, au sens ou Brecht disait qu’une photo des usines Krupp n’apprend rien sur les usines Krupp. Qu’y manque-t-il? Le travail des hommes et les hommes au travail. Et qu’y a-t-i! a apprendre? Toujours la méme chose: les hommes créent les dieux (ou Ics ouvricrs les patrons, les acteurs

les spectateurs) et en retour ces dieux les dépossédent de leur monde, le leur rendent étranger,

5. ne sagit pas danthropomorphisme. I] y a prégnance de la figure humaine en toutes choses, mais pas inverse. Si l'on considére qu'un cinéaste n’est important que dans la mesure oil i] étudie, de tilm en film, un certain état du corps humain, les films de Straub resteront comme des documentaires sur deux ou trois pasitions du corps: étre assis, se pencher

pour lire, marcher... c'est deja beau-

coup.

6. Lhumanisme

le leur aliénent. Car il s’agit bien d’aliénation et de réappropriation (et aussi d’expéricnce et de mauvaise conscience, themes existentialistes auxquels le cinéma des Straub se rattache). On comprend du coup Icur horreur pour les catégories esthétiques toutes faites: trouver « beau » un plan de paysage est. a la limite, blasphématoire. parce qu’un plan. un paysage. c'est, au bout du compte, quelgu'un. Mais pas le contraire (5). I] n’y a de beauté que morale. Humanisme ou hommanisme? - Au moment de la sortie de Fortin’ Cani, Straub avait déclaré que son film ressemblait 4 du Hawks. Cette comparaison n‘avait convaincu personne et avait choqué. En voyant Dalla nube, je me suis demandé s‘il ne fallait pas la prendre au sérieux. Les deux cinéastes ont un point commun, leur humanisme, c’est-a-dire un inintérét a peu pres total pour tout ce qui n’est pas le corps humain: un corps bavard et en mouvement (ce sont deux cinéastes du réflexe), Un corps male. Aussi, leur humanisme repose sur un jeu de langage: s‘agitil de homme (espéce animale), de l'Homme (essence humaine) ou de Phomme ("humain sous sa forme male)? On a beaucoup parlé de la misogynie hawksiennc mais on a peu parlé des

Straubfilms sous l'angle de la différence des sexes. Pourtant il est clair que nous sommes, au

marxisie ne fai-

sant, bien entendu, pas exception. Voircomment La Afere est le persannage dont tl est essentiel qu'elle mar-

che dans Vidéal du fils, qu'elle en comprenne quelque chose. Voir la version pieuse et dégotitante de Gorki (puis Poudovkine ct Donskoi) et la version perverse de Brecht.

moins depuis Lecons d'histoire, dans un monde héroique, guerrier, ov les femmes se sont raréfiées, au point de disparaitre (presque) enti¢rement de Dalla muhe. Pas de femme dans les Straub films, j'entends pas de figuration de la femme. Pas de mére non plus (tout comme chez Hawks). Sans doute parce qu’au regard d’une mere, « Vhumanisme » (I’héroisme sans objet que son rejeton partage avec ses petits camarades) sera toujours un peu dérisoire, touchant et sans grande portée (6). L’humanisme, cela se sait de plus en plus, est unc invention des hommes. c'est un « hommanisme », la version sympathique de lalliance des hommes contre les femmes.

Dalla nube alla resisienza s‘ouvre sur Pimage un peu irréelle d'une déesse (admirable Olim-

pia Carlisi) et se clét sur le récit de la mort d’une femme, Santa, que les partisans ont dd tuer. parce qu'elle les trahissait, eux aussi. Au début de la nuéc et a la fin de la résistance, il y a donc un double-jeu, une double appartenance. qui ont. par deux fois, figure feminine. Une figure qui matérialise ce autour de quoi les Seraubfilms tournent : lappartenance simulianée aux deux camps, la trahison. Au-dela de ces histoires de dieux oisifs et d’hommes révoltés, il me semble que Jean-Marie Straub ct Daniéle Huillet partent sourdement de quclque chose qui demeure largement méconnu parce que cette méconnaissance garantit le lien social: qu ‘il y a une indifference profonde des femmes pour toute crovance, tout idéal, Une indilférence qui contraste sechement avec la pi¢té un peu mélodramatique dont sont tissés les rapporis entre hommes (voir le pathos dans la saga pére-fils de Fertini Cani, ou encore, dans Dale niche, Vamitié entre le batard et Cinto, le petit garcon au couteau). Voila ce qui resiste 4 l’humanisme et dont l"hommanisme, en retour, se nourrit: la femme. La femme: ce qui résiste a ce qui résiste: "homme. La femme, la roche, Car « fa roche ne se touche pas en paroles » (troisiéme dialogue). La roche: élément indestructible que Straub, pas du tout panthéiste. se garde bien d’appeler la nature. « Les choses du monde sont roche » dit Vaveugle Tirésias — qui fut femme sept ans — a un futur aveugle — qui s’appelle CEdipe. S.D.

DE LA NUEE A LA RESISTANCE

UN RECUEIL DE MATERIAUX PAR

MANFRED

Oedipe et Tirésias sont assis sur un chariot, on les voil de derriére.

Deux vaches tirent le chariot, il avance sur un chemin, le long de prairies, de champs de mats, des champs moissonneés. [ls discourent sur ce que c'est, lorsqu’on parle des dicua: l’espace dans Icquel ils se meu-

vent est lait par les hommes, nature travaillée.

Un chéne sur une montagne. Dans Ie chéne est assise Néphélie, la nuée. Devant l'urbre se tient Ixion. Ixion avait poussé son beau-pére

dans une fosse pleine de charbons ardents, Zeus lui avait pardonné ce

crime ct "avait méme admis a la table des dicux. Lorsqu’ Ixion fait des avances 4 la femme de Zeus. Héra. Zeus lui envoie une nuée qui # Paspect d*Héra. Nuée se dit en grec « nephele ». Qu'lxion et la nuée

aicnt engendré la race des Centaures, étres a demi bétes, avec Ie haut

du corps d’un homme et le bas d'un cheval, cela Pavese cn doute dans sa préface au dialogue: mais qu’lxion doive expier éternellement son crime, lié 4 une roue de feu qui tourne continuellement, tui parait

vriisemblable.

Deux choses, a premiere vue tres différentes, sont ici entrelacécs. La séparation du monde des dieux d’avec celui des hommes, l’interdic-

tion de se mélanger, l’etablissement en dehors de la nature ct indépendamment des hommes de lois toutes faites: et la magic météorologi-

que, le sacrifice pour la pluie. La nuée apporte lu pluie, Ie feu éveille fe sol, et quand le feu brale, vient la pluie. Et le feu a quelque chose a faire avee répandre le sang. avec le sacrifice humain. Deux pauvres bergers, pére et fils, allument un feu, un fa/o, dans la nuil sur une montagne. Ils prient Zeus pour la pluic. Le fils demande uu pre pourquoi ils font cela, ct le pére raconte "histoire d’Athamas

et comment raconte,

patrons.

les sacrifices humains prirent naissance. Pendant qu'il

on voit la lune. Avec les dicux, dit-il, c’est comme

sont les patrons ou ils sont comme

les patrons.

avec les

Le bdtard, qui est parti pour l’Amérique — il a fui devant les fascistes— et son ami Nuto, le menuisier, marchent a travers les collines couvertes de vigne prés de Santo Stefano Belbo. Celui qui revient au foyer veut apprendre ce qui est arrivé pendant son absence. Pendant l'une de ces promenades, la caméra est devant ceux sur la route sinucuse, Nuto dit que cela a déja sa raison d’étre, avec les feux — que cela donne une meilleure récolte — et avec la lune. Superstition ne serait que ce qui fait du mal. Celui qui userait de la lune et des feux

pour voler les paysans, ce serait lui Fignorant et i] faudrail te fusiller publiquement

(sur da place).

De quoi traite un film?

Les films des Straub traitent du rapport des textes & des lieux, des paysages: et de ceux-ci a des hommes, aux hommes en géncral ct a cers qui dans le film représentent / jouent / récitent,

L'INSTITUT

NATIONAL

DE L’AUDIOVISUEL

PARTE

/ |}. La aube Olimpia Carlisi, /ysione Guido

Gino

Tiresia

Ennio

Lauricellau./ 4. prinio cacciatore Andrea

Bacci,

secondo cacciatore Lori Cavallini / 5. Litferse Francesco Ragusa, Era-

cle Fiorangelo Pucci / 6. Padre Dolando Bernardini, Figlio Andrea Filippi / SECONDA PARTE / i/ bastardo Mauro Monni, Nute Carmelo Lacorte, Cintu Mario di Mattia, f/f Valine Luigi Giordanello, il

Cavaliere Paolo Cinanni, quelli nel bar Maria Eugenia T.. Alberto Signetto,

Paolo

Georges

Vaglio,

Pederzolli,

Ugo

Bertone, Gianni

Canfarelli,

Dome-

Fotografia

Saverio

nico Carrosso, Sandro Signetto, Antonio Mingrone, i parroce Gianni Toti / Musica diretia da Gustav Leonhardt / Sueno Louis Hochet, Trascrizione

FONO-RETE-/

Diamanti, Gianni Canlarelli / Eleuricista Francesco Ragusa, Macchinista Gianfranco Baldacci / Parruechiera Silvana Todero, Costiant CANTINI, Calzature POMPEI / Ayyistenti Leo Mingrone, Isaline Panchaud, Manfred Blank, Rotraud Kiihn / Vincent Nordon, Stépha-

nie de Mareuil, Paolo Pederzolli / Sviduppo e Stampa di LUCIANO VITTORI.

De quoi traite le film (deuxie¢mement)

Un film quia pour base dew textes. IE n’en sera fait ni montage nt

adaptation. Des 27 Dialogues 6 passent dans Ic film:de ce dont traite

La luna ei falo, peut-8tre un tiers. C’est un film sur: comment deur

textes d’un auteur sont en rapport lun avec l'autre, et un film ou deux

textes d’un auteur ont été employes comme mateériau. Certes ils ont été écrits 4 peu de temps d'intervalle, mais ils ne sont pas traités comme un morceau de la vie de f'auteur. Ce qu’était Pavese passe dans unc attitude, unc position; et dans la maniére dont les images, les cadrages sont en rapport aux mots. 20 fovrier (Préfjace aux « Dialoghetti ») Le pouvaat on aurait fan volontiers

a moins de tant de mythologie

Mais nous sommes convaincus que fe mythe est un langage, un moyen

eXpressi

@-dire non pas quelque chose darbitraire mais une

pépiniére de symboles auxquels appartient. commie @ tous lex langa-

wes, une substance particuliére de sienifications que rien d autre ne pourrait rendre. (...) Ici nous nous sommes contentés de nous servir de mythes helléniques étant donnée la vogue populaire pardonnable de ces mivthes, leur réc eplion immediate et traditionnelle. (...) Nous som-

mes convaincus qu'une grande revelation peut sortir seulement de Pinsistance tétue sur une meme difficulté. Nous navons rien en commun avec les voyageury, les expéerimentateurs, les aventuriers. Nous

savons que le moven le plis stir — et le plus rapide — de s’Gronner est de fixer, intrépides, toujours le méme objet. Un beau jour cet objet. it

nous semblera — miraculeux -— ne avoir jamais vu.

parle la, a son histoire, et clle cst connuc, ct on sail aussi comment cela

présente / una

produzione di Daniéle Huillet ¢ Jean-Marie Straub / con la RAI-TV, tr JANUS Film Fernsehen e ARTIFICIAL EYE / DALLA NUBE ALLA RESISTENZA / Testi di Cesare Pavese DIALOGH] CON LEUCO Einaudi 1947, LA LUNA EI FALO Einaudi 1950/ PRIMA {ppoloco

dini.

Les Dialogues ne sont pas dramatiques, ce ne sont pas des dialogues théatraua, ils ne traitent pas non plus de philosophic 4 une table. Qui

Dalla Nube alla resistenza (de la nuée a fa résistance) de quoi traite le film — 104 minutes — (premiérement)

Générique

BLANK

Lombardi / 2.

Felici, Sarpedorne Lori Pelosini / 3. kKdipo Walter Par-

finit. Les Dialogues ont une situation et un theme. Ils parlent toujours de deux choses en méme temps; le mythe est présenté et il est analyse. Comme si ld une personne parlait ct que ta personne qui parle soit en méme temps représentéc. Les deux choses sont également prises au sé€rieux. Que quelque chose soit en méme temps la vie et un modele

de la vie et les deux dans la téte.

Ne pas analyser, mais représenter, selon une analyse incluse.

Mais d'une fagon tres vivante

Ixion remet sa hache dans sa ceinture, lorsquil arrive devant Népheélie, comme s‘il venait juste de tuer, Il est debout prés de I’a-pic,

UN RECUEIL DE MATERIAUX et les plans sur lui montrent les pentes brusques de la montagne. Le premier plan, dans lequel on les voit tous les deux, est pris d’en bas,

trés bri¢vement on le voit au premier plan ct derriére en haut la nuée, assise dans le chéne. Tous les plans sutvants montrent chaque fois seulement un des deux, depuis une hauteur moyenne, Néphélie toujours légerement den bas, [xion d’en haut. Une ére est passée, celle du melange des créatures les plus diverses; dans la téte des hommes les

dieux deviennent des étrangers: ils échappent 4 la perception — Néphélie dans le chéne est une image incorporelle ayant l’aspect d’Hera, plutét une représentation qu'une forme et ils sont dans la téte des hommes comme une loi. ff ¥ a une foi, Ixion, & laquelle il faut abéir, Cest la premiére phrase du dialogue La nubv, La nuée. Hippolochos est le fils de Bellérophon, de celui qui —sur l'ordre des

dicux — a tué la chimére, monstre avec le corps de trois bétes: le devant

du

lion, le milieu de la chévre.

dévasté le pays

le bas du serpent.

Elle avait

avec son haleine de feu. Bellérophon est le fils de Glau-

cos, qui nourrissait les chevaux avec des hommes,

et le petit-fils de

Sisyphe, qui, apres avoir trompeé la mort plusieurs fois, 4 cause de son changement de vie ou bien parce qu’il avait trahi un commerce amou-

reux de Zeus, fut condamné 4 la mort que l’on sait. Sarpédon, un neveu d"Hippolochos, donc un petit-neveu de Bellérophon, a vu son

grand’oncle, errant a travers la campagne abandonnée. vieux, en haillons, et accusant les dieux. [Is lui auraient fait tuer la chimére et maintenant qu’il est devenu vieux, ils l’en punissent. Sarpédon fait son rapport 4 Hippolochos — dialogue La chimera,

La Chimére.

Oedipe. qui a tué son pére et épousé sa meére sans le savoir demande

au prétre Tirésias, qui Urera au clair son histoire. quel est le réle des dieux dans ce qu’on raconte sur lui, Tirésias. Tirésias décrit cela devenir aveugle, vivre femme sept ans - comme un processus de connaissance, auquel les dieux ne font que donner un nom — / cechi, Les Avcugles.

Deux chasseurs ont abattu un loup. C’est Lycaon, roi d’Arcadie,

que Zeus a changé en loup. [l avait été fameux pour sa cruauté. Quand

Zeus avait visité la terre sous forme humaine. Lycaon lui avait pré-

senté la chair d'un enfant. Les chasscurs se demandent s‘ils n‘ont pas tue un homme et se décident, aussi parce que l’existence de loup de

Lycaon

écorché:

leur parait quelque chose d’humain, 4 enterrer le cadavre L‘vento-lupo.

L’'Homme-Loup.

Héraclés, le vainqueur, l'invaincu, est |"héte du souverain phrygien Lityerses. Celui-ci veut lui donner I"hospitalité, mais ensuite le faire

tueret fumer le champ de blé aprés la moisson avec son sang. Héraclés

pose des questions sur la naissance et le déroulement de ce sacrifice

humain et veut déller Lityerses 4 la moisson. Celui qui perd sera sacri-

fic. Ce sera Lityerses et ce doit étre le dernier sacrifice humain — le dialogue L'espite,

L’H6te.

L’action d‘olfrande des deux bergers dans le dialogue / frochi, Les

Feux. est presque une parodie. Comme, lorsqu’il pleut, i] pleut partout, dit le pére. le lait et le miel suflisent, les bétes, on peut les sacrifier, oui, dans les grandes fermes. Et I"histoire d’Athamas, qu‘il raconte ensuite, est une sorte de piéce satirique avec le roi Athamas

en héros pantouflard Néphélie,

et sa jeune femme

Ino en dragon

la nuée, la premiere femme d’Athamas,

du foyer.

apparait en petit

nuage au ciel, qui donne a Ino l’idée de sacrifier Athamas a la place des beaux fils enfuis; et qu’ensuite, lorsqu'Athamas va étre sacrifié.

arrive aussitét la pluie qui éteint les feux, c’est pour le peére le signe évident de la complicité des dieux et des patrons. 13 mai (1948) Recueillir toutes les situations typiques propres (pour cela tu es ne):

violence et sang sur les champs fete en colline promenade sur la créte mer depuis la rive...

Par chance ily en a beaucoup. 26 novembre (1949)

N’est-ce pas le theme de la Lune ef feux? Quelqu'un, qui se nomme

du licu le nomment aussi ainsi.

un bastardo, un batard — et les notables

Ce sont tous des bdtards.

f notre

argent qu ils veulent. La terre et l'argeat, comme en Russie— il revient d’ Amérique, ou il est devenu quelque chose, en Italie la guerre fasciste

est finie. {f était un enfant trouvé, des paysans [ont élevé en échange

“ #fuochi. Andrea f cechi: Walter

Filippi {le fils) et Dolando Pardini (CEdipe) et Ennio

Bernardini

é

(le pére)

Lauricella (Tirésias)

DE LA NUEE A LA RESISTANCE

d'un dédommagement, des paysans du Piémont. II est revenu parce qu’il cherche ses racines, le morceau de terre avee lequet il a quelque chose a laire. Peut-étre gua présent surgira aussi mon pere. Peut-étre

qu'il veut s‘acheter un morceau de terre. Ceux qui étaient dans la petite ferme ou il a été élevé sont tous morts. La ferme est a présent exploitée par Valino avee sa femme, la grand’mére et son fils Cinto,

ila une jambe raide, c’est un infirme. La terre appartient 4 une grande propriétaire terrienne, et elle a pris la place des maitres chez qui le batard a travaitlé comme valet, avant de partir pour Génes, devenir

technicien et ensuite partir t¢te baissée sur un navire, a cause des fascistes. Avec Nuto, le menuisier-musicien — quand il était gamin, il Vadmirait — il va par les chemins et les collines, et Nuto

lui raconte

ce qui s’est passé pendant qu'il était loin. Nuto a cessé de faire de la Musique, Jes uns se sont arrangés avec Jes fascistes, cela

a commencé

avec les partisans: Nuto n’était pus chez les partisans, ov nt aurait briilé la maison, mais il avait un contact avec eux. Deux cadavres sont découverts, des traitres, que les partisans ont exécutés. Il ya du remue-

ménage au village. le curé fait un discours funebre contre les rouges. Le batard achéte au Cinto un couteau, Cinto veut le conserver pour lui tout seul. Le Valino et la propriétaire entrent cn dispute 4 cause de haricots et de pommes de terre. Valino furieux bat sa femme et met le feu da la maison eta la grange. Tout brite, fa femme ct la grand’mére meurent dans les flammes. Cinto peut se sauver, il a son couteau. Mauro Monni (te batard)

po .

:

.

re

Valino se pend. Le batard donne Cinto comme fils adoptif a Nuto. I

©

os

he veut plus rester, peut-étre qu'il va retourner en Amérique. Nuto lui

raconte comment

Santina, la plus jeune et [a plus jolie fille de ses

anciens maitres. est morte. Elle a été. pour trahison, fusillée et briilée

par les partisans.

-

Ce n'est du roman complet qu'une petite partie, celle du récit au

temps présent et des souvenirs que le batard et Nuto se racontent.

Dans le film il n’y a pas de retours-arriére, les souvenirs sont racon-

tés:est racontée aussi la nuit ou fa ferme brife et ott la famille de Cinto meurt. On voit /e ane/, film noir, un morceau de film d’horreur de quatre minutes et demie. roman, au passe.

Le batard

raconte

cela. comme

dans

le

Le film, dit Straub, seratt une sorte de Non réconciliés, mais sur Fltalie et en deux parties. Et comment la pensée mythologique la devient déchiffrable en tant

que fugon du peuple d'écrire "histoire, c’est aussi un morceau Muise et slaron.

de

De quoi traite le film (trvisi¢mement).

Dans Moise ef Aaron Vamphithéatre cst un lieu ou un opera est

Mauro Monni et Mario di Mattia (Cinto).

Carmelo Lacarte {Nuto) et Mauro Monni.

filme. ct c’est fe désert que traverse le peuple juif. un plateau de sable. Dans FortinieCani il y a de longs panoramiques. on voit des montapnes, des rues, des villages dans des paysages ow les fascistes allemands ont massacré la population civile. Aucun texte n'est posé sur ces

panoramiques, unc fois seulement on voit une plaque commémorative. Le cadre, que fc film entier feur donne. laisse les paysages parler

eux-mémes, Dans Toute révoltition est un coup de dés neut personnages récitent, assis sur une petite butte dans le cimetiére parisien du

Pére-Lachaise prés du muir dey federcs. un poeme de Mallarmé. Le cimetiere et son histoire et ce qu'il a a faire avec la Commune, c'est

comme une clé au pocme et au film. Trois fois des lieus dans les films des Straub, trois exemples oll les Heux nous apparaissent comme lobjet du film. Tout au sud de la Toscane, au sud de Grosseto, le long de la céte,

ily aun pays plat. la Maremme. Ce [ut autrefois un pays marécageux,

inaccessible: foisean, qui v vole, perd ses plumes, et j’y ai perdu une personne chere.

Dans le village d'Alberese, la off commence une chaine de collines qui va vers le sud, divisant pendant quelques kilometres ta plaine cn

deux : une a l’eatérieur du pays vers la montagne ct une vers la cdte, il y a. juchée sur unc colline, une maison avec une grande terrasse du haut de laquelle on domine d'un cété Ia terre a présent cultivée, traversée de petits canaux. et de autre la chaine de collines. Vers la plaine est assis, dans un grand fauteuil de paille accosté a la balustrade, Lityerses. et devant la balustrade, du cdté des collines, est

debout Héraclés. Dans le deuxtéme plan on voil le champ de ble que

regarde Héraclés, il s’étend jusqu'aux collines au-dessus desquelies voguent dans le ciel quelques petits nuages: on entend les grenouilles

gh UN RECUEIL DE MATERIAUX

Ul

coasser dans les canaux d‘asstchement.

Un plan comune par Murnau,

City girl? Non, absolument Murnau, Cela a couté du travail de faire de cette terre cnnemie, menacante. de la terre cullivée, la terre porte encore les marques de son histoire. Cela a couté du travail et des vies humaines. Le mont Serra, haut d'environ 900 métres. se trouve juste entre Pise

el Lucques. C'est une montagne sans route, qui s¢ refuse. A environ 600 metres de hauteur il y a auprés d'une baraque de tle un parking, dou partent deux chemins qui longent sinueusement a pente. Aprés

600 ou 700 metres on arrive, devant une maison de picrres en ruine,

4 un chéne au pied duquel poussent de hautes herbes. C'est larbre de Néphélie, dans lequel elle qui vient du sommet, est assise; ct elle regarde d’en haut Ixion, debout en dessous, la-pie & e6té de tui.

Un

peu

plus loin vers le haut

il y a un plateau herbeux

carré,

entouré de tous les cétés par des buissons peu élevés. C'est ici, avec

une vue dégayée sur le ciel et sur la lune, que les deux bergers allument le feu du sacrifice et que le pére, en contemplant la lune, raconte I"histoire d’Athamas. Au bord du plateau la roche sort de terre et forme sur trois cétés un

mur

autour dune

saillie située plus bas.

Dans

une crevasse sur

celte saillic de terre les deux chasseurs ont allumé un feu dans la nuit,

ils sappuient au rocher devant le feu et parlent: de cété, devant cux, git le loup abattu sur un fragment de rocher, comme sur une pierre de sacrifice. De autre c6té, vers Lucques, se trouvent dans la montagne des bois

Woliviers en terrasses.

Derriére une maison rabougrie se tient un bois

épais. Il monte jusqu’a la maison, en gradins de terre, disposés comme

s‘ils étaient des banes de gazon. Hippolochos et Sarpédon sont assis sur un de ces degrés. Ie dos tourné a la maison. A travers le euillage vert-argent le soleil frappe les troncs, le sol, les visages: un moment de repos estival.

De Pontedera en direction de Livourne, entre Tripalle ct Viechio, il ya une petite route de limon jaune. jonchée de petiles pierres pointues. La s'avancent vers Thébes. Oedipe et Tirésias. La route va un certain temps tout droit le long des champs. un cyprés fait une ombre élroite et tranchante, c'est une route poussiéreuse qui rélléchit Je soleil, trés bri¢vement on passe une fois a travers un sombre chemin creux, puis 4 nouveau, Iégérement courbe. le long des champs; la

caméra reste toujours dans la méme position, les plans

sont separés

par un bref bout de film noir, Puis on n'entend plus que le bruit des

roues de bois sur les pierres et le gémissement du chariot - un chemin impitoyablement uniforme.

De quoi traite le film (quatri¢mement}

Ceux qui jouent dans Dalla nube alla resistenza sont, a une exception -pres.-des « laiques » (se dit en allemand pour « amateurs »). Un

laique est. d'un cété, quelqu’un qui n‘a pas la consécrution de prétre: de l'autre cété c’est quetqu'un qui dit de lui-méme qu'il ne comprend rien aux choses scientifiques. Un laique est quelqu’un qui appartient au peuple. (1) Liste. Guido Lombardi (Ixion) est un faiseur de vidéo de Ligurie, Fiorangelo Pucci (Héraclés) enscigne dans une école de Fano. Gianni Toti

(le prétre) est journaliste 4a Rome, Carmelo Lacorte (Nuto) enscignant

dans un institut de marxisme d’Urbino. Olimpia Carlisi (la nuée) est actrice depuis quelques innées, Ennio Lauricella (Tirésias) était professeur de Irancais 4 Rome. il est a la retraite; Walter Pardini (Ocdipe) est institutcur a Pontedera. Francesco Ragusa (Cecco, Lityerses) est électricien et paysan pres de Pise. Mario di Mattia vient d’Alba

Fucense dans les Abruzzes: il a joué le réle de Cinto et comme lui il aide son pere a la ferme. Luigi Giordanetlo (Valino) est un paysan de Torre Bormida dans le Piémont. Gino Felici et Lori Pelosini (Hippo-

lochos et Sarpédon). les deux chasscurs Andrea Bacci et Lori Cavallini, et le pére et le fils Dotando Bernardini et Andrea Filippi viennent de Buti sur le mont Serra, ils sont ouvrers el employés. Mauro Monni {le batard) est aussi de Buti. I] est employé-technicien. Paolo Cinanni travaille 4 Rome dans unc organisation qui s‘occupe des travailleurs émigrés, la FILEF. (2) Remarques. Olimpia Carlisi ct Ennio Lauricella nous sont familicrs @ travers Othon. Olimpia était Camille, la fille adoptive de l'empercur Galba,

chez laquelle la politique et l'amour ne se consument pas, incarnation de fa Rome a qui personne ne demande son avis: dant tous semblent

avoir le bonheur en téte, et c’est ce qui lait galoper les intrigues. Et elle était, en un mélange original de proximité quelqu’un d’Europe Centrale imagine pour ricella a joué l‘empercur Galba devant les assis sur son fauteuil-tréne devant le muren

et d’éloignement. ce que une italienne. Ennio Lauyeux duquel. quand il est ruines. l’action de la piece

devient une comédie. II est le souverain de Rome et, avec un grand R

qui roule et un francais distingué et ronflant, un comique séricux ct digne.

Olimpia Carlisi porte une robe et un voile d'un rouge clair, Iéger,

et elle parait, avec son teint clair. Gtre presque transparente: l'image d'une déesse, une sorte d‘illusion des sens en forme de personne. Partant de l'image trompcuse d'une deéesse, en laquelle le processus de communication directement corporel entre les dieux et les hommes

semble ne faire qu'un, ot Ies uns ne sont plus que l"incarnation d'un systéme moral

pour les

autres étres — les dieux deviennent

une cate-

Le Piémont est le paysage de Pavese, un pays accidenté, avec des croupes de montagnes rondes. étroitement échelonnées, recouvertes

gorie idéaliste —, une ligne directe parait conduire 4 la construction du destin en tant que développement du domaine de l’expérience — dans

d'urbres Iruitiers. Dans la vallée des fleuves. du Belbo, de ta Bormida, se trouvent les plus gros villages et les petites villes. reliés par des rou-

ou son modeéle.

de vignes jusqu’au sommet.

de champs de noiseliers. de plantations

tes droites qui longent les fleuves; entre [es collines et sur les collines

les petits villages avec une église et une taverne, Ics routes serpentent

le long des colines, s‘en vont sur unc croupe de montagne et c'est déja

le prochain tournant. Sur ces routes — du coté de fa montagne les citernes emmurées, dans lesquelles les paysans recueillent eau de pluic pour l"époquc de la sécheresse, puits étroms avec unc ouverture voulée vers le haut — Nuto et le batard se racontent leurs souvenirs. Et quand le curé fait son préche anticommuniste devant I"éplise a Santo Stefano Belbo - juste en face le bar s‘appelle maintenant Lu

Luna ei fald, des dessins d'enfants d'une lune et d’un feu pendent A

derriére le comptoir 4 cé1é d'une photo de Pavese dans un journal on voit a gauche les collines. ces collines oft on a fait briler les feux et ou! les partisans étaient. A Santo Stefano on peut acheter une carte postale d'un monument

que la ville a dédié a Pavese: devant des muisons en fer a cheval qui ont

l’aspect de casernes construites

trop petites. se trouve sur une

pelouse une colonne avec une téte de Pavese dessus: la patine du Métal, érodée. ressemble a du sang et le photographe a exposé l'image de sorte que l'on ne voit quelque chose que des muisons: la téte de Pavese se trouve dans Ie noir.

le dialogue de Tirésias: c'est la continuation

historique de la penséc

Mario di Mattia vient de ’endroit ou, dans l'amphithéatre, la plus grande partie de A/oise et Aaron a été tournée. Son pére est paysan ct en plus surveillant de Pamphithéatre, de ta chapelle romane au-dessus

de Pamphithédtre et de la colonic romaine dont on fait les fouilles en dessous.

Alba Fucense est un village de peut-étre cent habitants: i] est cons-

truit tout entier a angles droits, Les maisons ont presque toutes Ie méme style, en contraste étrange avec le paysage. dans lequel le village se trouve: vers lest une plaine fertile et vers loucst Ie mont Vclino,

le mont Sinai dans Moise ef Aaron, qui s’éleve brusquement de la

plaine, jusqu’é 2800 métres. Le village a été détruit par un tremblement de terre en 1916. Les fascistes ont fait don aux habitants d'un nouveau village.

Lorsque Mario avait onze ans, il a cessé de grandir — un dérange-

ment de croissance di aux hormones, disent les médecins. Lorsque Cinto est questionné sur ce qu'il ferait si son pére lui prenail Ie couteau que le batard lui a offert, il fait la réponse qu'il tuerait son pére,

une determination impitoyable. Le point of Pexpérience d’étre étranger a son entourige - une experience de souflrance - engendre une volonté de s‘alfirmer qui s‘oppose 4 cet entourage.

La personne

de

Cinto parait avoir quelque chose a faire avec fa Johanna Fihmel de

DE LA NUEE A LA RESISTANCE Sur la perfection technique on ne peut sans doute dire quelque

I2

Nou réconciliés, la vieitle femme qui vit dans une clinique neurologi-

que et seule comprend qu'il n’y a que la violence qui aide, ot la vio-

chose qu’en parlant des langages cinématographiques.

que et maintenant. ou quelque chose recommence qui lui ressemble comme un ceufa un autre. elle ne peut plus avoir en téte qu'un revol-

Le film hollywoodien, et la on peut de nouveau dire « Ie film hollywoodien de tous les pays » ou ce que Godard a appelé l’impéria-

lence régne. Ses réactions au fascisme l’ont conduite dans cette clini-

ver.

Buti est une commune de peut-étre 4 4 5000 habrttants: juste au

bout du village commence la montée abrupte vers le mont il ya un terrain qui s‘appelle circolo primo magaty, quelque aujurd’hui en Allemagne serait inévitablement appelé un culture alternative. A Buti iln’y a rien en face de quoi ceci alternative. Le circoto est ouvert toute l'année, ce qui y a

Serra, La chose qui centre de serait une lieu, c'est

lisme du cinéma américain. done quelque chose que nous aimons. a pour unité de base la seéne, dans les films de Straub il y a une primauté du plan isole. Lorsqu‘aprés une coupure, laquelle n‘est lié ni un changement de licu ni une saute de temps, le caractére de la lumiere change ou bien il y a une saute dans le son concernant le niveau des bruits de fond, onest habitué 4 considérer cela comme une laute artistique ou comme

une léte de F Unita permanente. Mauro Monni, qui avec sa femme et

génant, suuf dans des films B, ou cela a un charme étrange.

de vingt ans, est l'un des organisateurs du circolo. Tous ceux de Buti

années trente ou quarante; tout ce que l'on entend est ce que lingénieur du son a enregistré ct mixé en lieu et place. il n’y a pas de pas-

sa fille s‘occupe encore a Buti d'un bar, rendez-vous de tous les moins

qui jouent dans Ie film participent aux activilés du cercle, soit en faisant des groupes de théatre, en jouant de la musique, en veillant a la nourriture ou cn organisant le programme. Le pourcentage électoral

du P.C.1. a Buti oscille entre 60 et 64%.

Paolo Cinanni vient de la Calabre. Aprés un grave accident il devint

chémeur,

purtit s’établir au

Piémont

et recommenga

4 apprendre.

L'un de ses professeurs d'anglais fut dans les années trente Pavese. alors sans travail ct sans ressources. Paolo Cinanni a combattu en Calabre et, plus tard. au Piémont. comme lun des organisateurs des partisans. Sur les luttes paysannes en Calabre il a écrit un livre dont. disait Straub, on n’a méme pus parlé dans I’ Gad. Le chevalier, quil interpréte, est un vieil homme solitaire qui ne poss¢de qu*un petit morceau de terre; mais il y tient commeau ticu ol tla ses racines: un petit morceau de terre, qu'il voulait conservera sa famille comme une terre libre, mais sa famille est morte,

(3) Paralipomeénes Les interprétes viennent des professions les plus diverses et de lieux trés divers. Le film parle de I'ltalie. un pays dont la société est encore agraire. Si la mythologie grecque est le récit devenu Histoire de la

société agraire. ct n’appartient pas sculement aux professcurs de lycée.

alors ce que ce film met ensemble dans ses deux partics. c'est le present de I'Italic avec une facon collective d’écrire Histoire. Il met aussi cela ensemble cn amenant les interprétes aux textes. Les Straub ont été un an avant le début du tournage ici et la en [ulie

et ont répété les textes avec les interprétes. [len est sorti des pages de textes qui ont l’aspect de longues poésies en rythme

libre. dans les-

quelles la structure des textes, la résistance des interprétes contre tes

textes et lidentitication des interprétes avec les textes sont li comme une partition. Entre les diufogues il y a un titre. ct au début de la

deuxiéme partic il y a un long tambour. Y est écrit qui joue quoi, le réle et Finterpréte: comme dans les films mucts, oo il y a un insert quand quelqu’un de nouveau

arrive.

Fairc un film, c’est vivre un morceau de vic: ct dans ce que quelqu'un jouc. représente, récite. i] écrit sa vie, sa biographie. Les pens de Buti qui jouent dans la premiére partic, parlent avec Faccent toscan: ils font des dialogues qu’ils disent leur chose personnelle: ils changent le texte, ils y montrent un aceés pratique.

Mauro Monni, lorsque lui. Je batard. racontant Ie travail a Génes

et la fuite devant les fasctstes, monte une rue cn pente, il ne peut, a cause de l’effort. parler qu’en respirant lourdement. Cvest l’et¥ort. lorsqu’on grimpe en montagne, et c’est Feffort de raconter des souvenirs, qui pésent sur vous.

Ce qu’est un plan Qui, if existe une technique légendairement partaite de Straub et il existe la perfection technique du film hollywoodien de tous les pays. Puis il existe encore beaucoup

d’autres choses, et ceci n'est pas a

cote; et la technique des films hollywoodiens n’est pas un raflinement routinicr. Elle sait ce qu’il faut faire pour impressionner; et ceux qui

lont en main utilisent souverainement Ie grand stock que seule une usine peut avoir. Pourtant la notion de chose fisye est le résultat du

coup de poing sur I’ceil que la conception de l'autcur-artiste et de la critique a donné aux critiques de film.

Dans

Othon

le son est comme

dans

un

film en son

original

des

sages adoucis, et au mixage plus rien n’y a été change. Le décor sonore

du film est Ie bruit du trafic 4 Rome, toujours présent, continucllement montant ct descendant. C'est un film avec un mixage ramenant au son photographique. dit Straub.

La séquence finale de De fa nice a la résistance a été filmée en une joumée. Nuto raconte au batard comment Santina est morte, la plus jeune fille des maitres chez lesquets le batard était valet. On voit Nuto

racontant en plan rapproché, de face. le batard qui écoute, aussi de devant, en une sorte de plan américain; une fois un champ avee des arbres, qui se trouve devant cux, dans le champ de leur regard. et a la fin — & nouveau dans la direction vers laquelle ils regardent - la

croupe d'une colline derriére laquelle le soleil disparait. Pendant que tout cela a été filme, Ie soleil s*est mu de I’est vers Mouest et a éclairé les personnes, que l"on voit toujours a la méme place, depuis un autre angle pour chaque plan. Avec le plan sur le soleil ¢’est méme leur de la lumiére qui change.

Dans Afvise ef Aaron

la cou-

les durées des plans isolés, les endraits on

viennent les coupures, sont déduits de la structure du texte musical. Un changement de plan est comme un paragraphe dans un texte écrit. Seulement pour autant que la structure musicale a a faire avec : comment, dans une situation dramatique. des hommes sont en relation les uns avec les autres — le plan isolé devient partie de ta composition

d'une scéne. Le concept de composition c'est, en langage technique devenu théorie. comment

on parle 4 travers la cinématographic.

Une svéne a son licu et ses personnages. A partir de positions don-

nées une fois pour toutes de personnages dans un espace — dont la

perspective est le plan d’ensemble - chaque image de personnages recoil un earactére propre de surdétermination: lespace total et le

rapport des personnages ct des choses les uns avec les autres revient

pour ainsi dire dans chaque plan fragmentairement: c'est cc qui s‘est condensé dans les notions d’axe et d*air dans le discours sur les images et les sequences. Deux personnes parlent ensemble et l'on voit tantét lune, tantot Fautre. Elles doivent regarder toujours vers le méme bord de limage.

Un

systéme d’images nail ainsi. et les images sont soumuses 4 la

contrainte d'un syst¢me. C'est ce sysléme — et tout ceci ne se veut pas

une critique — que les soi-disant bons artisans maitrisent en dormant.

Que les films de Straub ne fonctionnent pas ainsi, cela vient justement de ce que leur unité de base est te plan. Un plan. cela revient toujours dans les entretiens, est une pensée, et le mot /insteflung aurait au moins deux dimensions: technique. choisir une position, cadrer, et morale, représenter un point de vue.

Mais gue cela ne soit pas ajoulé aux images comme un commentaire, mais détermince leur manieére d'exister, est aussi difficile a décrire que

facile 4 voir:

parce qu'il n'y a pas la un surplus d*abstraction

comme dans les inrages de Herzog, qui spéculent sur un réflexe, nous loffrant comme

Pavlov a son chien

fa viande avec la cloche.

Dans les films de Straub. ccla a été dif. on parle du rapport des textes aux lieux et aux personnages. Chaque plan particulier en parte aussi. Ol commence un plan et ob if s‘arréte, a été déduit de la struc-

Lori Pelosini et Gino Felici dans De /a nuée 4 /a résistance

Le

fascistes, plus tard partisane et puis elle a trahi les partisans, a été fusil-

Dans la séquence finale de De la nuée a la résixtance on voit Nuto

dant des partisans. Ila été pendu par les chemises noires, dit Nuto, il enléve ses lunettes et regarde devant lui. On voit la colline et le soleil, qui disparait derriére elle. De Ja musique commence.

ture d'un

texte, un texte

musical,

épique,

dramatique,

lyrique.

morceau de texte qu'un plan determine, est un fragment. Le plan. tel qu’on le voit ensuite sur l’écran, montre, dans la relation d’une personne a un lieu, l’analyse du fragment. qui raconte et le batard qui écoute. Nuto, rapproché, est 4 gauche du champ. assis, il a été ici tout le temps. il a tout vécu, et il restera ici:

4 sa droile on voit un buisson avec des feuilles d’un vert sombre, une

Iée par les partisans et son corps a été brulé sur le champ.

Le batard veut savoir ce qu'il est advenu de Baracca, le comman-

plante qu’on utilise dans les oceastons officielles pour décorer, aussi au cimetiere. {la ses luncttes et il lit le rapport sur Santina.

Le chatiment d’Ixion — ceci vient du premier dialogue du film ~ serait, disent tes philologues de I‘Antiquité, une image de la roue du soleil. Et ce soleil est le feu, le feu qui va dans la terre et éveille la terre,

Avant, dans le roman et dans le film, il y avail toujours eu des occasions données pour qu'un se souvienne; devant le bar, en promenade,

Santina: parulicle, comme le feuillage de cimetiére vert-sombre dans

venant de fa sittation. Maintenant ceci est dans la construction du roman

une place, la premiére et la derniére, ob Nuto

veut rapporter

quelque chose au batard. Pendant tout un chapitre il n'y a pas de récit

4 la premiére

personne:

un changement

dans

la maniére

du

récit.

pour qu'elle donne une bonne moisson. C'est un coucher de soleil et un plan paralléle au plan du champ,

quand est racontée la mort de

les plans sur Nuto et le batard était svérrigue,

le cadre de la scéne.

La musique continue sur le générique final, puis elle s’arréte et apparait le mot Fine. fin, pour la premiére fois dans un film des Straubs. M.B.

dirait un spécialiste de littérature; quelque chose va étre raconlé qui. pourrait-on

dire, résume

dans sa structure

encore

une

fois tout

le

roman,

Le batard l’écoute. debout, il avait dit que peut-étre il allait retourner en Amérique, ce pays semble lavoir décu: i] est plutét 4 droite du champ. a gauche un arbre de nouveau avec ces feuilles de cime-

tiere.

Lorsque

Nuto raconte la mort de Santina, comment

le comman-

dant des partisans a briilé son cadavre, on voit un champ, limité derriere par une coltine: un plan comme le champ de blé dans le cinquiéme dialogue. ot Lityerses voulait tuer Héraclés pour que la moisson soit meilleure, Santina, la jolie fille des maitres, une putain des

Ce texte a été publié dans la revue allemande Fifmkritik (n° 268,

avril 1979). Traduction de Daniéle Huillet.

Rappelons qu'il a déja été question de De /a nuée a /a résistance

dans les Cahers, numéros 297 (Fieschi) et 302 (Oudart). Le film sort le 7 novembre

1979 a ia Pagode.

DE LA NUEE A LA RESISTANCE

ENTRETIEN AVEC JEAN-MARIE ET DANIELE HUILLET

Tournage

de Dalla nube..

STRAUB

‘!e choix du couteau

Cahiers. Fos films sont en général produits etfen Allemagne even Halie au moins) difftsés par des chaines de télévision, Est-

de 1954 et qu’a ce moment-la, on ne songeait absolument pas a la télévision.

situation ott des films commic les vétres. en amont comnie en aval. nauront dautre débouché que les programmes culturels de la télévision? Est-ce que vous envisages une telle evolution

vous? Ca se passe au niveau du sujet, du theme, du traitement?

ce que vous pensez que. bon an malan.on s‘achemine vers une

de gaité de ceur?

Jean-Marie Siraub, Legons a histoireest le premier film que nous ayons fait en songeant réellement 4 la télé. C’était un film dont on savait au départ qu'il ne sortirait jamais dans une salle de cinéma. Méme pas en Allemagne ou i] n'est sorti que dans quelques cinémas communaus, comme a Francfort. Daniéle Huillet. Cela dit. on s’est battu pour que aussi dans des cinémas communaux.

le film passe

Straub. Cétait un produit fait et imayiné en fonction de la télé. Mais Nicit Fersdhni n'a pas été du tout produit, ni méme co-produit. par la télé, et le Bach ne Va été que pour 150.000 marks sur les 470 000 qu‘il a couté. II n’était pas du tout imaginé pour la télévision, d’autant plus qu'il s‘agissait d°un projet

Cahiers. C'est quoi un film pensé pour la télévision pour

Straub, C'est avant tout le traitement. Ici, il faut faire une petite parenthése. Lecons d'histoire jusquici n’a été retransmis que deux fois et 4 des heures assez bizarres, dix heures. dix heures trente du soir. Le Bach a été programme finalement quatre fois par quatre chaines différentes, a une heure normale, en dehors des programmes culturels et sans introduction, Par ailleurs. le Bach « circulé dans des cinémas en Allemagne dans des villes grandes et moyennes et il a été vu par 50 000 parisiens dans des petits ghettos d’Art et Essai, C’est important de préciser cela parce que les gens ont toujours impression que nos films, personne ne les voit. On ne fait pas des films pour quils restent dans une armoire mais pour qu’ils soient vus et on met plus de temps encore pour lutter une fois que le film est fait que pour le faire. Mais tu nas qu’a prendre ce numéro du Cinématographe qui vient de sortir: on nous traite de « purs, durs et seuls ». C'est I'étoile jaune. méme si. de la facon

ENTRETIEN

AVEC

J.-M. STRAUB

@ une heure ou, sur une autre chaine, il y avail Rischia Tutto

ou Canzonissima, jé ne sais plus. Ha été présenté, pas du tout comme un film de Straub (absolument inconnu du public de télévision), ni méme comme tiré dune cuvre de Heinrich Boll qui. entre temps, avait eu le prix Nobel... rien, aucune publicité de ce genre. Pourtant, il va cu trois cent mille spectatcurs qui ont vu le film jusqu’au bout, ce qui est Gnorme pour I'Italic. Is se sont intéressés 4 quelque chose qui leur élait parfaitement étranger et pour lequel il n’y avait aucun attrait publicitaire. Ces trois cent mille postes, ca représente au moins cing cent mille personnes. Alors, quand on a pu dire, pour Le Conformisie Qui avait été vu par a peu pres deux cent mille personnes dans onze salles 4 Paris, « voila le premier succes commercial de Bertolucci»... on peut juger... Huilter. Pour que des gens voient Chronique dans d'autres pays que l'Allemagne et le voient dans Icur langue, on s'est donné la peine de faire un truc qui nousa torturés pendant plus d'un an, ona fait des commentaires en italien, en anglais, en francais et en néerlandais. Méme si ga nous amusail d’expéri-

menter, de voir ce que ca donnait, c’était un travail énorme de

traduction, de montage ct de mixage pour que les gens soient touchés dans leur propre langue par le commentaire et par les informations que véhiculait ce commentaire. Ceci pour répondre a ceux qui nous traitent de fanatiques ct qui ne sont pas de bonne foi... Je crois que méme Afoise ef Aaron, qui n’était pas non plus un film pensé pour la télé puisque c’est un projet qui remonte a 1959 ct qu’a cette ¢poque-li on ne pensait pas a la télévision, ga passe quand méme trés bien. Saufcette provocation du moment oti il n’y a plus d‘image. au point qu’en Allemagne ils ont été obligés de prévenir: attention. ce n'est pas votre poste qui est cassé! Mais ca passe: la télévision devient un moyen d'information et de surprise. Cela dit, Afoise et Aaron, c'est quand méme un film qui est fait pour étre vu du début jusqu’a la fin. tandis que Lecuns d‘histoire, les gens peuvent prendre le film en cours de route, arréter quand ils en ont marre, aller s’occuper de leurs gosses, aller chercher une biére. ouvrir la porte... Straub. Ce n'est pas une structure dramatique, c'est autre chose. Cahiers.

équivaut

Vous semblez penser qu'un spectateur de télévision

@ un spectateur de cinéma.

Dans ce cas, pourquoi ne

pas faire carrément des films de télévision?

Straub. On Va fait une fois parce que ¢a nous a été propose. Le résultat c’est un film de 14 minutes 30 4 25 images/seconde qui s'appelle Introduction a la « musique d‘accompagnement pour une scene de fila» d@Arnold Schinherg. Huilfet.

15 minutes.

Straub. Non. quatorze minutes trente. C'est la seule fois que la télé nous a proposé quelque chose. Cahiers. Mais sufets?

vous,

Is

ET D. HUILLET

dont c'est écrit. c'est des compliments mi-figue. mi-raisin. Maintenant, une autre parenthése: méme les Italiens qui avaient racheté Nicht Versdhat pour seulement deux millions de lires ont fini par le diffuser au bout de deux ou trois ans. C’était la premiere fois qu‘ils passaient un film avec des soustitres Gusque fa. il n’y avait eu que Les Paraplities de Che dbourg, mais c’était a cause de Valibi musical). Le film est passé

vous mavez pas envie de proposer des

Straub. A vrai dire, non, Jusqu’a

présent, non.

Huillet. On a essayé avee Le Fiance, la comedienne et le

maquercau, C’était fin 1967 pour un programme en Allemagne qui sappelait « Le petit jeu de télévision ». Straub, breves.

Un créneau ou ils présentaient des petites fictions

Hiuiller. is ont demandé de quoi il s‘agissait. On feur a envoyé un découpuage. Ils n’ont jamais repondu. Un vrai tombeau. On a fait le film quand méme.

Cahiers. A/ais n'est-ce pas aussi parce que vous pensiez que

vous naviez pas a vous adapter a quelque chose de préexistant et de familier pour le téléspectateur, la série, le feuilleton, cer-

tains themes ?...

Huillet, Ca ne veut pas dire grand chose parce que pour le «petit Schonberg », on s'est adapté. Le fait de faire quelque chose contre quelque chose, c’est une adaptation. Straub. Pour revenira la question de la différence entre spectateur de cinéma et télespectatcur, ce n’est pas seulement une aflaire numérique. La télévision, ¢a a un autre avantage, en plus du nombre, par rapport au type de films que l'on fait et au type de sortie qu'on peut avoir (et qui est le seul qu'on aura jamais dans ce type de société). c'est la possibilité que les films soient vus et entendus par des gens qui n‘iraient jamais dans Ics ghettos d’Art et d’Essai des pays étrangers a la langue des films,

oti passent ces films. ghettos fréquenteés seulement. en tous cas

les deux premiéres semaines, par les ciné¢philes. qui ne sont pas les gens pour lesquels on travaille. On n’aurait jamais le courage de faire un film si c’était seulement pour les cinéphiles. Done, a la télé, on trouve un public socialement diversifié ct qui ne fréquente pas ces ghettos... Huillet... qui codtent aussi de plus en plus cher. Straub. Alors la, un grand mot: je prétends que les films qu'on fait sont des films pro/étariens et la seule chance qu'on ait de toucher une partie du public qui n’appartient pas au public dit cultivé et a la classe dominante, c'est justement la télé. Ca ne veut pas dire que l'autre public ne nous intéresse pas. Nicht Versdhnt, c’était un film pensé pour la bourgeoisie.

Mais de plus en plus, c'est ce queje viens de dire. C'est trés pré-

tentieux, mais c'est comme ca. Et je pense que ce ne sont pas seulement les sujets mais la fagon de les traiter qui font que ces films sont ce que je prétends. La télé, c'est ga pour nous. Cahiers. Qu est-ce que ¢a veut dire pour toi des films « prolérariens » y compris dans leur facture? Straub. Je ne suis pas stir queje ne sois pas le plus mal placé pour essayer de définir ca. J’étais seulement peut-étre le seul bien placé pour lancer une affirmation pareille. 1] est bien évident que l’obsession culturelle, le fait de partir souvent d’une cuvre préexistante, qu’elle soit littéraire ou musicale, c'est déja un point. La facture c’est un autre point ct ca a deja élé dit ~ alors pourquoi ne pas le répéter? — « Leur scule difliculté, c'est qu’ils sont trop simples ». Enfin, étant donné qu‘ils partent chaque fois d’une ceuvre préexistante, le pari consiste en unc opération, disons léniniste, en une entreprise d’cxpropriation. C'est d'essayer de proposera unc classe des choses qu’on a eu la chance de rencontrer — qu‘il s‘agisse de Pavese, de Brecht, de Bach, ou méme d’Heinrich BOI], c'est pareil — ct qu'elle ignore. Cahiers. Quand tu tenais ces mémes propos, a Uépoque d Othon, ¢a bouleversait pas mal de gens parce quon se disatt:

DE LA NUEE A LA RESISTANCE

16

peut-étre, oui parce quavec le cinéma, if peut y avoir des cri-

tiques, des textes, des polémiques, brefun certain feed-back,

dans les revues ou méme dans les quotidiens. Mais quest-ce que ¢a@ veut dire par rapport @ un public de télévision? Est-ce que fa télévision, justement, ne prive pas les cinéastes de tout feed-back, plus encore que le cinéma? Quwest-ce qui se passe quand un film passe a@ la télévision? Straub. Ah ca, on ne sait rien! On sait quand méme des petites choses. Les gens qui ont programmé Legons d’histoire la premiére fois nous ont dit: c’est la premiére fois qu’on a regu tant de lettres de téléspectateurs, des lettres qui demandent: qu'est-ce que cette ceuvre dont le film est tiré? Comment s’appelle l’auteur de ces textes? Les gens n’avaient pas fait

altention au générique — c’est normal : qui fait attention aux génériques? — et c’était des gens qui ignoraient jusqu’a l’exis-

dune telle accélération est Beaubourg), ces mémes chiffres refletent moins de vérité qu'avant. Est-ce que, par une sorte de fuite en avant, vous ne déplacez pas votre ancienne attitude face au cinéma vers un médium — la télé — ott la « frequentation »

du public est encore plus difficile a interpréter? Est-ce que ¢a

ne vous permet pas de rendre cette catévorie de « spectateur » encore plus idéale, voire plus idéalisée qu'avant? Je veux dire par speciateur quelqu’un qui est plongé dans une salle de

cinéma et @ qui, de ce fait. on ne peut plus s'adresser seulement comme @ un ciloven...

Straub. Mais ga existe plus depuis belle lurette, un tel spectateur! Au moins depuis les premiers films parlants de Chaplin... Cahiers. Peux-tt préciser ce que tu entendais tout a Cheure

par « prolétarien »?

S-agit-il du vieux theme léniste de

lexpro-

tence de Brecht! Ca, c'est intéressant. On a l’impression de ne pas avoir perdu son temps. Jusque la. donc, on sait quelque chose: au-dela, on ne sait rien, tu as raison.

priation déléments culturels au profit d'une classe qui ne les connait pas et @ qui on bourre la té1e d‘idées fausses?

Cahiers. Afais vos films ne s 6putsent pas dans le fait de donner aux gens Uenvie de se reporter aux textes de base!

Straub. Pas du tout. Ca n’a rien a voiravec une volonté. C'est une question de conditions de vie. On vit dans des conditions qui ont quelque chose en commun avec celles du prolétariat.

Straub. Oh non, pas du tout. Un autre élément qu'on apprend ensuite, c’est quelques lettres de gens qui nous disent: je suis secrétaire ou je fais tel ou tel boulot et ce qui m’a touché dans votre film. c'est que c’est tres pessimiste et qu’en méme temps, ca donne envie de lutter et de vivre, de défendre la planéte sur laquelle on vit. Ou encore. aprés une vision de Furtini, quelqu’un qui écrit: je suis allé me promener avec ma Volkswagen le long du Main et je me suis demandé en voyant ces collines ce qui s’y était passé. C’est ca qui nous intéresse.

Huillet. Mais sur les formes. les gens ne parlent pas. D'ail-

leurs sent, faire pensé

qui est-ce qui parle des formes? En tout cas. jusqu’a préon croit plus au systeme Legons d’histoire qui consiste a quelque chose et 4 l’insérer ensuite a la télé, en ayant pour la télé. [I vaut mieux trailer avec la télévision sur

un produit fini ow ils savent ce qu’ils ont et of il n’y a pas de malentendu. plut6t que ga craque 4 la derniére minute parce

qu’on leur livre autre chose que ce qu‘ils attendaient. Le « Nicht Verséhnt » italien » qu’ils réclamaient de nous est fuit maintenant (Dalla nube...), va savoir s‘ils vont le diffuser ou

non...

Straub. Us avaient co-produit le Bach (a l’époque, c'était quinze millions de Jires). 1] nous a fallu dix ans, parce qu’on a besoin de beaucoup de temps - on nest pas trés intelligents — et qu’on a besoin de vivre dans le pays et de se heurter a la réalité d’un pays. pas seulement la réalité quotidienne, sociale et économique, mais aussi géographiquc, géologique, climatique, pendant dix ans avant de pouvoir faire un film comme Dalla nube, Quant 4 Godard, qui dit que la télé ca oblige un cinéaste a repenser sa pratique, ¢a luia réussi, a lui. une fois. Pour Tour Detour, i] a certes repensé sa pratique, mais !a solution qui consiste 4 la programmer au ciné-club d*Antenne 2, c’est catastrophique! Il n’était pas du tout fait pour ce créneau-la. Cest absurde! S‘il avait fait un film pour le ciné-club d’Antenne 2, il aurait fait un autre film. Ila fait des expériences, ¢a a marché une fois sur deux et pourtant, au départ, if avait un nom qui simposuit plus que le nétre. Alors, je crois que nous, on perdrait notre temps... Cahiers, H nous semble quavec la télévision, le spectateur devient encore plus vague ef utopique quau cinéma. Pendant longtemps. tenir compte du nombre entrées qu'un film faisait. ca avait un sens. Aujourd hui, vu Faccélaration qui est donnée par Cindustrie cutturelle aux « wuvres dart » (an bon exemple

Huillet. Des conditions de survie. Cahiers. // a effectivement un ahime entre un paysan, un ouvrier et un bourgeois au niveau de ses conditions de vie ou de survie, au niveau aussi des luties qu ‘il va mener ou réprimer.

Mais c'est précisement dans [clement de la culture que se fait

de plus en plus le bain lénifiant et réconciliateur.

Straub. Qui. Mais ce n'est pas en tant qu‘objects culturels que ces textes ou ces partitions-la sont recomposés dans nos films. Ca ne nous intéresse pas. Ce qui est Intéressunt, ce n'est pas de parler de Schoenberg, de Pavese ou de Brecht. c’est ce dont il parlaient. Cahiers, Et est-ce que la culture, ce n'est pas une médiation dont vous avez besoin pour étre trois: vous (les cinéastes). cur

fle public) et la culture?

Huillet. L’idée du trois, elle est intéressante, mais ce n’est pas ga du tout: la culture. eux et nous.. C’est justement le refus de nous enfermer et de les enfermer, comme essaye de le faire tout l'appareil culturel, et pas seulement culturel. de les enfermer dans « ce moment la », avec rien avant, rien aprés. uniquement dans le temps présent. Straub, La, on retrouve Bufiuel, c’est-a-dire faire sentir aux gens par des films qu’on ne vil pas dans le meilleur des mondes. L'obsession de la télévision et de tout pouvoir en place, c'est de faire croire aux gens, 4 chaque seconde, 4 chaque minute, que le monde dans lequel ils vivent, le scul dans lequel on leur permet de vivre, est justement le meilleur des mondes possi-

bles.

Cahiers. Sur ce point, ilsemble qu'il y ait une évohition dans votre auvre. Dans vos premiers films — comme Machorka-MulP — iv avait davantage la tentation d'une intervention imme-

diate.

Straub, C’était dix ans aprés. Pas plus immeédiate done que le Potemkine. Le film a été fait en 62-63 ct le réarmement allemand a été entériné en 1957 et on avait commencé a marteler lidée du réarmement dans la presse et ailleurs dés 1950. Cahiers. Ce retard, c'est quelque chose qui tient @ vous, au temps dont vous avez hesvin. ou est-ce que ¢a tent au cinéma? Straub, Les deux. Et puis Godard, en fait dintervention immediate, le fait beaucoup mieux que nous. Pourquoi est-ce

ENTRETIEN AVEC J.-M. STRAUB

ET D. HUILLET

LS

SE7;LAM ata

TTA Ht il athe

Mario di Mattia et Mauro Monni dans De fa nuée 4 /a résistance

qu’on essaierait de faire moins bien ce qu’il fait? Nous, je le dis trés modestement et trés orgueilleusement, on fait beaucoup mieux ce qu'on fait qu'il ne Ie ferait. Alors, pourquoi ne pas

faire ce qu'on fait?

Huillet. En plus, it y a chez Godard un aspect qui renforce

cet enfermement dans l’ici-maintenant dont on parlait tout a l'heure. Ce n'est pas une critique, mais enfin, c'est quelque

chose que je ressens.

Cahiers. Dunc, fe sens de la culture, c'est bien de sortir de cet ici-maintenant, cest un heritage? C'est bien le vieux theme leniniste? Srraub, Oui. Cahiers. Ev cette assimilation critique de la culture hourgeoise par la classe qui na pas du tout participé de cette culture. he penses qu aujourd hut ¢a avance, ¢a reciule? Straub, Je Cai dit oui quand tu as parlé de la vieille these léniniste mais maintenant je dois te dire non. Ce n'est pas du tout l’assimilation de la culture bourgeoise qui nous intéresse, c'est des interventions pointillistes et particuliéres, ce dont parlent certains textes. C'est parce que ¢a nous intéresse, nous, cc Test pas parce que c'est de la culture bourgeoise et qu'on aurait envie de la présenter de maniére critique. C’esit parce qu'on rencontre par hasard — et tout sujet de film est une rencontre

- un sujet en fonction de ce que l'on est 4 un moment précis, et de ce qu’on est devenu.

I! s’agit des contenus traités par des

objets culturels. Qu’est-ce qui a changé depuis dix ans? Mai,

personnetlement, je n’en sais rien, peut-étre qu'il y a des gens qui en savent plus. On fe saura dans deux siécles, I"histoire ne travaille pas comme ca, sur dix ans.

Huillet, Prenons l'exemple de Pavese. A la limite, Pavese !ui-

méme, on s’en fout pas mal quand on arrive a la fin du film, Ce qui nous intéresse, c’est les bonshommes qui disent les textes de Pavese. ce qu’ils font dans la vie, comment ils disent ces textes, les problémes qu’ils ont avec ce qu’ils disent, ce qui fait que ce qu’ils disent tout d'un coup, ca n’appartient plus a

Pavese mais au bonhomme qui le dit qui, lui-méme, ne savait

pas au départ qui était Pavese. Le seul intérét du texte ou de ce que tu appelles la culture, c’est que le type qui la écrita fait un certain travail. ila produit quelque chose qui nous a tou-

chés cl qui ensuite a résisté — ce a quoi on juge qu'il a bien fait son travail.

Straub, Et encore. on ne lui fait pas confiance sur toute la ligne: on en coupe pas mal. Huiller. Ce qui se passe avec le bonhomme qui dit ce texte, de par sa vie, par ce qu'il est. sa fagon de réagir. de marcher, de s’asseoir. c’est en fait beaucoup plus que la critique du texte. Parce qu'il en fait sa chose et, cependant, quelque chose qui reste a cdté..,

DE LA NUEE A LA RESISTANCE

Paolo Pederzolli. Alberto Signetto, Riccardo Carrosso, Gianni Canfarelli, Ugo Bertone, Sandro Signetto, Maria Teresa T., Antonio Mingrone dans la scéne du bar de De /a nuée a fa résistance.

Straub. On se retrouve du cété de la maieutique de Monsicur Jean-Luc, simplement elle est pratiquée d'une autre maniére. C’est une opération différente, mais avec quelque chose de

commun,

Cahiers. Duns Dalla nube... cette idée d'un écart temporel, d'un avant ct dun aprés est dans la forme méme du film.

méme les films prétendus culturels. Et puis, ce qui nous intéresse, c’est également de faire passer ce qui devrait étre évident:

Ic parti auquel avait adhéré Pavese, le Parti Communiste Ita-

lien, n’acceptait pas certaines choses. Or, il ne faut pas qu’un des aspects soit sacrifié au profit d’un autre. C’est la qu’on

rejoint le probleme du suicide de Pavese et. a coté, en deca et

au dela de "histoire d‘amour,

le suicide de Maiakowski.

Straub. C'est le film, C’est pourquoi on est un peu orgueilleux de ce film la. Je pense que les gens qui travaillent dans le champ artistique doivent. sans glisser dans l’enflure et sans quitter d'un poil l’idée qu'il ne faut jamais provoquer des sensations. doivent traduire des sensations qui correspondent a des expéricnees, fabriquer des objets de plus en plus écartelés.

Cahiers. fei, une question un peu abrupte: est-ce que tous vos films ne sont pas traversés par cette idée: if fit un temps on les Partis Communistes européens étaient purs, durs et violents et ls ne le sont plus, Doow, la aussi, un cété avant et apres: avant, on regarde en arriére vers le PC et apres vers le désespoir,

a pas un film plus écartelé que celui-ci au niveau des sentiments. Déja, au niveau de Pavese. il y a un écartélement extréme entre Ic Pavese de 1947, auteur des « Dialogues avec Leuco » et le Pavese de 1950, auteurde « La Lune et les feux ». Ce qui est important, c’est que c'est le méme bonhomme et que ces deux aspects, il les voulait indissociables. 1] faut essayer de fabriquer des objets qui traduisent un éventail de plus en plus large, un éventail de sensibilité et de sentiments, de sensations,

Straub, Ov est le film de nous qui insinue que le PC était pur et dur? Que, pour étre grossier, on lorgne. nous, vers la terreur, c’est une affaire personnelle qui tient 4 nos conditions de vie. Je ne vois pas pourquoi on le nierait ou on le cacherait. Mais l'autre aspect,je ne vois pas du tout d’oll vous le tirez. Pour se limiter au Pavese, c’est vraiment un film qui répond par la négative. Il ne faut pas confondre les personnages et le film...

salions. Je tiens a ca dans la mesure ot 99 % des films actuellement sont des objets destinés a provoquer des sensations,

débats & propos de tes films, ily a quelqu‘un qui te demande sinces « stalinien » et que tune réponds jamais non. Ona le

Et ¢a devrait étre le cas aussi au niveau des sentiments. I n’y

au sens ou Cézanne disait qu'il essayait de matérialiser des sen-

le terrorisme, Baader etc.

Cahiers. On te pose cette question parce que souvent, dans les

ENTRETIEN

AVEC J.-M. STRAUB

ET D. HUILLET

19

sentiment a la fois que tu veux provoquer et que ti nas pas envie den parler sérigusement. Straub. Stalinicn,je le suis peut-étre au niveau de la vic quo-'

tidienne, des décisions pratiques, concretes. particuliéres. Ca

n’a rien a voir avec des principes ou une stalinisation générale. « Stalinien », je le serais exactement dans la mesure ou le personnage — attention.je dis bien le personnage du film - de Fortini l’est dans ses moments de terrorisme: l’immense farce de la coexistence pacifique et tout le reste... dans ce sens la, oui.

Huillet.

Moi,

cst

un vocabulaire que je n’emploie

pas.

Quand Straub dit « je suis stalinien », dans un débat de type ciné-club (jamais dans une aréne politique). je l’entends

comme quelqu’un qui dit non et qui est capable de dire non

dans certains cas ot on a inculqué qu’il ne fallait pas dire non.

C'est une descendance historique extreémement

particuliére,

partiale.., Quant 4 entrer dans une discussion pour savoir s'il faut penser ou non que la classe ouvriére doit avoir un Parti... c’est autre chose. Mais alors, ce nest pas une nostalgic, parce que cest quelque chose qui n‘a pas encore existé. Cahiers. Afais le Parti réel, celui qui a bel et bien existé et qui a suscité tant de réves et tant de morts, quest-ce que c'est? Un

simulacre, une annonce, une prophétie, une farce?

Huillet. Farce, oui! On vit d’une farce 4 l'autre. La Révolution francaise, c'est aussi une farce quand on pense que main-

tenant on a plein de ministres qui sont des princes! Et l'Europe! Quand on pense au nombre de mecs qui se sont fait trouer Ia peau

pour la farce qui a lieu maintenant!

Straub. Pour répondre au niveau du terrorisme, j‘aime beau-

coup les vingt-cing minutes de France Tour Détour qui traitent du tcrrorisme; ca me touche beaucoup et ca me fascine, comme tout ce que fait le citoyen Jean-Luc, mais ce qu'il se

permet la, sa proposition d’enlever n’importe qui,je ne suis pas

d’'accord. Méme a ce niveau de provocation morale et a l‘inté-

immédiatement capable de dire ce qu'il a vu ou de décrire ce

qucil a ressenti, justement parce qu'il est aussi un spectateur.

: Suaub, C'est une forme d’amitié, de respect. Je m‘intéresse

a lui pas seulement en tant que spectateur mais en tant que citoyen, individu, personne humaine. Le probléme, c’est que

nous on n’a jamais

fait de film pour les spectateurs de cinéma.

C'est en cela aussi que le travail qu'on fait est différent de de Godard et le sien différent du nétre. Lui, il fait malgré des films pour des spectateurs de cinéma. Nous, ga ne intéresse pas, des spectateurs de cinéma. Ca ne veut pas

celui tout nous dire

que ca ne nous intéresse pas d'aller discuter de pourquoi on a fait tel ou tel choix. Ca nous intéresse beaucoup. au contraire.

Francois Albéra nous a fait venir a son cours a Genéve, on y

est resté six heures et c’était trés intéressant, surtout quand c’était trés concret.

Cahiers, Mais ni fuis des films pour qui alors, des citoyens? Straub, Oui.

Pourquoi?

Huillet. Ce que vous décrivez qui provoquerait l'agressivite

du spectateur, ca nous arrive entre nous, mais pas pour un film. Quand i! essaie de me faire préciser des trucs que je n'ai pas envie de préciser parce que je suis fatiguée ou que ca m’emmerde, c'est aussi « occupe-toi de tes affaires ct non des micnnes »... Mais c’est le contraire du stalinisme parce que c’est le contraire du mépris.

Straub, Mais moi,je ne vois jamais

un film en tant que spec-

tateur de cinéma. Peut-étre que ca correspondait 4 quelque chose pour moi il y a vingt ans, mais il m’a lallu vingt ais pour voir concrétement un film, Cahiers. énorme: il Mais quel sensations

Tu as dit tout a Vheure quelque chose qui parait faut matérialiser des sensations, ne pas en produire. autre mode d'action aun film que de produire des chez le spectateur? Hy a tun moment ott le choyen

que tu vises devient spectateur. Quand Renoir dit: « les acteurs

rieur d’un film, donc esthétique,je ne me serais jamais permis

créent un pont, le cinéma est fait pour créer un pont», quelle est la nature du pont que tu recherches dans tes films?

Huillet. Ce qui fait souvent que dans les débats on a l’impres-

Straub. Laissons pour Vinstant la division de classes et essayons de raisonner comme ga. Les gens qui attendent des sensations au cinéma ne nous intéressent pas. Je ne me prends pas pour Cézanne mais si tu vois une toile de Cézanne, ¢a ne provoque pas des sensations chez toi, tu vois la des sensations matt¢rialisées,

ga, la suggestion qu'il fait aux terroristes...

sion que Straub est agressif. c’est qu'il se défend en attaquant et que ca c’est quelque chose que les gens admettent difficile-

ment.

Cahiers. Ce qui rend les gens violents, c’est plus aussi que vous leur dites que bien quiils soient les vos films, ils sont les derniers @ pouvoir en parler leurs, ils n’on rien vu. C'est ¢a qui fait partie de ce fait rout @ Cheure te « stalinisme », une solide

que ga, c'est seuls @ voir et que dailqu'on appetradition de

meépris pour lintellectuel bourgeois ou petit-bourgevis,

Straub. Je ne dis jamais ga qu’a des gens qui m’ont déja agressé ou qui m’ont dit: votre truc, vous prétendez que ¢a sadresse a des gens qui que... et moi qui ne suis pas qui que... mais qui suis beaucoup mieux, j'ai rien compris, alors? Mais

je ne pratique jamais

ou qui me dit: quand

cette attitude-la avec quelqu’un de timide méme,

c’était un peu dur...

Cahiers. Mais tu fais alors quelque chose qui revient au meéme: tit dis a ce timide. explique ce que tt nas pas compris.

Donec.

tu

le

nies

comme

spectateur,

Cest-d-dire

comme

quelqu'un qui est encore pris dans ce quil a vu, qui nest pas

Cahiers. Finalement, on aun peu fe sentiment que vous vou-

lez faire réfléchir les gens (en tant que citovens) en operant chez enx wrcourt-cirenit entre ce qu ils percoiyvent fou devraient percevoir) etce quiils savent (ou devraient savoir) et en faisant ainsi Peconomie du stade des sensations qui est aussi cehii du sensationnel, dit spectacle, du jeu avec le spectateur... Dans Dalla nube, ¢a apparait trés netement: ily aun plaisir dans la perception, dans le fait de percevoir des choses, au niveau des SCHS...

Srraub. Si ce nest pas ce qu'on appelle le cinéma, qu'est-ce que c'est, nom de Dieu?

(Propos recueillis par Serge Daney et Jean Narboni)

Ein Film von Fredi M. Murer

D/A

JANET HAUFLER - PETER SIEGENTHALER - MATHIAS GNADINGER- MICHAEL MAASSEN ERNST STIEFEL - und als Nachtwachter WALO LOOND Regie FRED! M. MURER - Kamera HANS LIECHTI - Ton FLORIAN EIDENBENZ - Schnitt RAINER TRINKLER

Produktion Nemo &

CINEMA

DOCUMENTAIRE

SUISSE

LES DERNIERS

ARPENTEURS

PRESENTATION PAR

SERGE

DANEY

ET SERGE

TOUBIANA

Le « cinéma suisse », c’est-a-dire des films faits par des Suisses (francophones ou alémaniques) fut « découvert » a Paris vers le milieu des années soixante. La vogue passa. Pourtant. de temps 4 autre, un oubli était réparé: on « découvrait » Goretta, Reusser, d’autres encore... Aujourd’hui, a l’occasion des Perites fugues, c’est Yersin qui est enfin consacré auteur et, a travers les deux films de Richard Dindo et ceux de Fredi Murer (qu’on ne peut que souhaiter voir bientdt), ce sont deux exemples de cinéma suisse alémanique. Ces « découvertes » qui nous ont pris une quinzaine d’années nous ont caché le fait qu'il s’agissait en fait d’une seule et méme génération de cinéastes qui ont commencé 4 travailler ensemble, au méme moment, qui se connaissent et qui, méme aujourd’hui, continuent a se voir— et a parler entre eux de ce qu’ils font. Pas de quoi constituer une vague ou une école, mais bien un lac, un vivier, toujours plus riche qu'il n'y parait. Premier décalage donc, di aux aléas de la distribution puis de la production en France (une partie du « jeune cinéma suisse » vient vieillir en France et s’adapter plus ou moins bien 4 d’autres normes de production). Sous le label « jeune cinéma suisse » (et sur la base d’une solide ignorance de ce qu’a pu étre le « vieux cinéma suisse »), le public francais croit voir exprimés, mis en images et en sons, avec

une justesse et une minutie dont le cinéma francais semblait étre devenu incapable, des themes et un style liés a ’époque et 4 lair du temps (l’aprés-68) : intimisme, délicatesse des sentiments

ct précision méticuleuse d’un cété (une sorte de « complexe de horloger »), révolte calme, utopic radicale et poétique de l'autre (et les deux conciliés 4 un moment chez le Tanner de La Salamandre et du Milieu du monde). Second décalage : dés qu’il s‘agit d’analyser, de ralentir, de décomposer, c’est - 4 travers la médiation de Godard qui, lui aussi, entre Grenoble et Rolle, chevauche une frontiére- vers la Suisse que l’on se tourne. Aussi bien pour requinqucr la production commerciale (l’aventure Gasser / Action Films, des films comme La Dentelliére de Goretta) que pour ne rien céder d’une contestation assez desespérée (Le grand soir de Reusser). Or-—c'est le troisiéme décalage — en découvrant aujourd'hui le premier long métrage de fiction d’Yves Yersin, les deux enquétes filmiques de Richard Dindo et, espérons-le, le Grauzone de Fredi Murer, nous prenons soudain la pleine mesure d'un cinéma qui a tiré sa précision, son calme, son gout de Il’analyse, d’une solide tradition documentariste. C’est le cas de Dindo et de Murer (voir les deux entretiens qui suivent), comme de Yersin (voir entretien dans le prochain numéro et un texte de Y. Lardeau), Paradoxalement, nous faisons cette découverte au moment ou ces cinéastes amorcent un passage vers le film de fiction, leur expérience de documentariste ne leur ayant pas, de leur propre aveu. permis d’aller jusqu’au bout d’eux-mémes. Et nous enregistrons ce passage 4 la fiction avec une certaine appréhension. Le documentaire était sans doute le point de départ obligé pour des cinéastes vivant et travaillant dans un pays dont I"identité nationale est depuis toujours problématique. Pays des banqucs. place-forte du Capital, milieu du monde, la Suisse et ses cinéastes s’affrontent a une tache que l’on imagine mieux étre celle des pays neuls, des pays du tiers-monde : arpenter (c’était le titre d'un film de Michel Soutter : Les Arpenteurs), décrire, faire un relevé des richesses (populations ct paysages) d’un pays qui n’aurait pas de passé. Point zéro ou amnésie? Le documentaire est alors la forme, mais aussi le rapport social, 4 travers laquelle un cinéaste peut parler de son pays tout en se mettant sur la touche. Responsabilité sociale des cinéastes suisses : ils ausculient leur pays. I! faut évidemment une bonne dose de méfiance envers sa propre culture

Be

CINEMA

Richard

Dindo

(ou un profond désarroi devant sa non-culture) pour camper dans cette position. tournant le dos au public, toujours couvert par exactitude des faits, l'inscription vraie des gestes et des accents. Pas de contrat entre le cinéaste suisse et son public (ou des producteurs suisses — inexistants), mais inverscment et pour cette raison méme, l’exacerbation d‘un contrat personnel, moral, soit avec son séticr, soit avec la matiére premieére des films, les gens que l'on va chercher pour les disposer devant une caméra. L’entretien avec Fredi Murer (avec l'extraordinaire passage ou il raconte comment il s'est mis dans la position d'un aveugle pour faire un film) dit bien lexigence d'un cinéuste envers la qualité de son métier. L'entretien avec Dindo dit bien, avec une lucidité assez terrifiante. comment les gens qu'il filme constituent — imaginairement - son

seul public - et sa famille.

Il va donc des cinéastes opérant en Suisse et nourrissant envers ce « pays au-dessus de tout soupcon » un rapport des plus soupconneux. Il n'y a pas de cinéma national suisse quoique les films suisses permettent de cerner — un peu par analogie — pourquoi, un peu partout dans le monde, les cinémas nationaux reculent. Ou plutét: comment ils ont le plus grand mal a se maintenir. Le foss¢ sc creuse chaque jour d’avantage entre les modéles internationaux (américains, sauf que ce sont aussi les modéles américains nationaux) et les expériences singuliéres. les pratiques focales du cinéma. Le cinéma se lézarde par le milicu. La ot des codes et une hisloire communs rendaient, il n’y a pas si longtemps (cf. I'Italie), les cinéastes solidaires de leur public, un divorce s ‘approfondit, un « chacun pour soi » se creuse. Du cété intemational, nous avons a faire 4 un cinéma sur-codé (4 un cinéma de genres. d’effets spéciaux, l’eflet « film d'auteur » métant que le dernier venu, venu d'Europe dailleurs). Du cdté local, nous nous trouvons face a un cinéma suis-codé, qui doit inventer ses codes ~ ses lois ct ses interdits — au fur et a mesure, ct qui doit les inventer dans un cadre de plus en plus institutionnalisé. Entre les deux : ce qu'on appelle la crise.

Les cinéastes suisses parlent volontiers en moralistes. C’est compréhensible. Hl ya aujourd'hui

deux morales au cinéma. Dans le cas du cinéma a vocation exportatrice {valeur d’échange, spectacle), il y a une morale du spectacle (ce souci nous revient par quclqu’un comme Coppola.

régisseur de yénie, 4 la maniére de Ceci! B. De Mille. mais n’ayant rien a dire de précis). Dans

le cus d'un cinéma inexportable (valeur d’usage, pédagogie), une morale du rapport filmeur/filmé (ce souci-la, les Ca/iers l'on toujours eu, inutile de citer de noms). D'un cété on refait le Vietnam aux Philippines, de l'autre on s’en voudrait de toucher 4 un cheveu de ceux qu’on filme. Deux violences aux deux bouts de la chaine. Quelque part dans un maillon inconfortable, les cinéastes suisses, dans leur exil intémieur, résistent.

S.D et S.T.

DOCUMENTAIRE

SUISSE

CINEMA SUISSE

ENTRETIEN

AVEC

Je suis content qu’un distributeur ait bien voulu program-

mer mes films documentaires parce qu’on connait mal en France le cinéma documentuire suisse qui est, en plus, déja pratiquement essoufflé, puisque presque tous mes amis cinéastes en Suisse alémanique se mettent a faire des films de fiction. I] m’a toujours semblé qu'’en France, ot je vis depuis 1967, ob

je lis les Cahiers ou je vais a la Cinémathéque —j'y suis allé pen-

dant des années tous les jours - je n’ai pratiquement jamais vu de films documentaires suisses ou autres. Je me souviens qu’a cette époque, qui va de 67 a 72, avant de faire moi-méme des

RICHARD

DINDO

sculement de ne pas avoir réussi 4 tirer profit de mon expérience parisicnne, mais aussi de me rendre compte que j'étais

devenu plus étranger encore, que j’avais fait un film pour per-

sonne, que je me suis décidé a faire du cinéma documentaire. Je me suis dit: je vais apprendre a faire du cinéma en faisant des films documentaires, c'est plus facile. Je dois réapprendre le langage des autres, le langage simple des gens du peuple, me mettre 4 ’écoute, avant de parler. Ceci dit, je fais bien la dif-

ference avec la Suisse romande, car c’est en Suisse alémanique

un film dIvens, La Seine a rencoutré Paris, iln’y a pas de film plus beau que celui-la, et dans tous les genres. Je trouve domMage qu'on refoule a ce point en France le cinéma documen-

que le cinéma documentaire a commenceé a exister. Ceux qui travaillent dans le cinéma documentaire le font parce que les Suisses ont toujours eu un probléme fondamental d'identité : ils n’ont cette assurance qu’ont les Frangais de leur propre culture qui est autrement riche. Nous. nous n‘avons pas de culture; en fait, nous sommes soit dans l'ombre allemande. soit dans lombre (francaise, ce qui fait que la Suisse a une espéce de complexe d’infériorité culturelle, que tu vois surtout chez les écrivains. L’artiste suisse se pose d'abord le probléme « qui

gue au cinéma

de responsabilité sociale. Par exemple, Gottfried Keller qui est

films,je n’ai pas vu plus de trois films documentaires, un film de Buriuel. un film de Dreyer et un film de Ivens. Aujourd’hui

je trouve cela dramatique. I] y a une espéce de, disons-le, de mondanilé du cinéma (francais) qui est peut-étre a l’origine de

ce refoulement du cinéma documentaire. J’ai revu récemment

taire qui a une dimension sociale qui par certains cétés man-

francais d’aujourd*hui. Je ne l'entends pas au

sens politique, mais dans la maniére de regarder le réel qui nous entoure. Pur exemple, j'ai rencontré René Allio il y a

suis-je?, pour qui je travaille? » et ila tout de suite une espéce notre grand écrivain suisse, c'est quelqu’un qui a été éduqué

discuté: il a envie de faire un familiales et ca lui a beaucoup cinéastes documentaires, et je des cinéastes qui ont habitude

par la bourgeoisie. la nouvelle bourgeoisie naissante, pour devenir écrivain : tl a été engagé comme employé municipal. ila écrit les comptes et proces-verbaux du parlement ziirichois. Les artistes suisses ont toujours buté sur ce type de responsabilité sociale.

temps en temps vers le documentaire, cela nous apporterait beaucoup et cela leur apporterait beaucoup. a eux aussi.

Cahiers. Et en quot fe documentaire peut-if peut apporter une réponse a cee question de Pidentite? Lidentité. justement

quelques jours, ct nous avons documentaire sur ses origines appris de parler avec nous, trouve que cela serait bien si

de la fiction, de la mise en scéne, des acteurs, se tournaient de

est-ce que ga nest pas plutét Paffaire de la fiction? Cahiers. Afais comment tu expliques queen Suisse, il se soit développe une tradition documentaire? Qucest-ce qui fait qu'il sest créé la-bas, phis quici en France, et peut-étre plus que

Dindo. Comme nous avons une culture simple, pour ne pas dire simpliste, nous abordons les choses d'une maniére plutét immédiate, simple, le documentaire nous a semble instinctive-

cinéma documentaire que paradoxalement, nous découvrons tres tard, au moment ou les gens sont de nouveau happes par la fiction?

C'est une espéce de non-culture cin¢matographique qui nous a fait croire que le documentaire c’était plus facile a faire, que Ga nous permeitait d’aller plus vite a la rencontre de notre réalité immédiate. Mon premier film documentaire était sur des peintres nails : Javais lu dans un journal un article sur des peintres naifs, j’étais

partout ailleurs en Europe des conditions qui ont produit wi

Dindo. Je voudrais dire deux mots sur ma propre évolution puisque j'ai justement donné une réponse, avec mes films, a

cette question. Je suis arrivé a Paris en 1967, et, a la Cinémathéque, les films qui m’ont marqué sont les films de fiction que vous avez aimés vous-mémes, pas parce que je lisais les Cahiers, mais parce que je les aimais de moi-méme. Mon premier projet de film était le résultat de mon séjoura Paris et de mon éducation parisienne en quelque sorte (des lectures, de Mai 68, etc.) et je suis rentré en Suisse pour faire un premier film avec de l'argent prété par des amis cinéastes, C’était un film un peu straubien, maladroit, et je me suis rendu compte

que, du fait de mon éloignement de la Suisse, du fait de ma nouvelle éducation, jétais devenu doublement étranger a mon

pays. Ce film ne s’adressait 4 personne : non seulement juvats mal assimilé ma nouvelle expéricnce intellectuclle maisjc me suis rendu compte que cet apprentissage intellectuel parisien ne me servail a ricn en Suisse. J*étais tellement choqué, non

ment - et aussi pour des raisons matérielles— une voic a suivre :

assez désespéré, je pensais queje ne ferais jamais de cinéma, je me suis dit: je vais faire quelque chose de trés simple,je vais

faire un film sur les peintres naifs. Et j'ai inventé mon cinéma

documentaire en évitant de me poser de vrais problémes. C'est une espéce de peur, peut-étre due au fait que les intellectucls suisscs sont en général des autodidactes et que nous aussi. cinéastes suisses alémaniques sommes tous, sans exception, des autodidactes, Avec cette psychologie de l'autodidacte. cette envic de savoir... d’apprendre. Cahiers... d expérimenter, de se votr avancer par svi-mtéme.

Mais ily a ence moment en Suisse alémanique un film qui hat tous les records de recettes, un film comique. Tu as vice film, i provient de quelle tradition?

CINEMA SUISSE

24

Dindo, Oui, Les Faiscurs de Suisses. Alors la, il faut dire deus choses... le sujet du film, c’est les naturalisations, les étrangers qui veulent devenir suisses. Ce quil faut savoir, c’est qu'on a toujours refoulé. nous cinéastes suisses alémaniques, le fait qu'il y avait cu un cinéma suisse, qui produisait douze films de fiction par an. des fois plus, avant et pendant la guerre, dont la qualité était assez bonne. mais que nous n‘avons pas voulu

prendre en compte: ct quand nous avons commencé. ona

tout

réinventé, et on a fit notre cinéma compléetement. économiquement et culturellement, en dehors des structures pos¢es a cette Gpoque-la. C'etait fa un cinéma commercial. purfois de bonne qualité, et nous avons fait notre cinéma de fagon arttrtisanale, en commengunt au point zéro, en niant ce cinéma, Maintenant. a travers ce film, Les Fuiseurs de Suisses, et quelques autres, on redécouvre une ancienne tradition. en méme temps qu'on retombe dans toutes les limites et les aspects négatifs de ce cinéma-la. Car if n'a pas notre volonte, issue de 68. dupprofondir.. notre relation avec la Suisse, C’étaient en géneral des films patriotiques. et nous avons évidemment une autre relation avec la notion de patrie. It faudrait développer un certain type de documentaires qui correspondraient mieux 4 la réalité de la Suisse wlémanique. 4 sa culture et a son langage. plutét que faire des films commerciaus qui. méme s‘ils permettent de eréer des nouvelles structures de production, ne vont pas plus loin que ce quia ¢té fail dans le passé ct qui nient, finalement. acquis du cinéma documentaire. Evidemment, du fait du succes méme des Faiyeurs de Suisses, tout le monde est tenté de suivre cetle bréche, l'ancienne génération qui sent de nouveau qu'il vy a de argent 4 gagner. et les vieux producteurs

qui se réveillent. car ils vivent toujours.

L'Exécution

:

Et puis, une autre raison qui m’a fuit préférer faire des films documentuaires, c'est qu'on avait beaucoup de problémes tres pratiques : parexemple il n’y a pas d’acteurs, chez nous, ou tres peu: il ya unc langue que fondamentalement on n‘aime pas. qui nous a toujours paralysé. choqué, qu’on ne peut pas écrire, quilest difficile de faire parler aus gens. etc. Toutes ces raisons ont lait que, objectivement, on était poussés a faire autre chose. Et le danger. c’est qu’actuellement on retombe en arriére, on

perd l'acquis d’un certain cinéma documentaire, qui a quand méme son intérét. ct on perd aussi toute volonté d’aller vers du

nouveau, vers autre chos¢ qui serait a la fois une continuation de l'acquis documentaire et la recherche d'une fiction nouvelle. Cahiers.

Tout @ Vheure, tu citais lvens, Bufuel et Dreyer...

mais Mune manicre générale, dans Uhistoire du cinéma, a de

ues rares exceptions pres, les documentaires Wont jamais eu de succes public Des films comme Terre sans pain, les films de Flaherty, aujourd hui on tes voit dans les cinématheques, dans

les musées, ils wont jamais contribueé a résoudre les probleémes

didentité, mais au contraire @ les rendre encore plus cruels, a

les exacerber. Est-ce que tu es conscient de ca, out Est-ce que it veux néanmoins toucher, avec des filnis documentaires, de plus en plus de gens:

Dindo. Ca peut paraitre arrogant, maisje ne me pose jamais le probleme du public. II faut dire que nous avons distribué nous-mémes nos films, nous avons créé nous-mémes notre circuit paralléle parce que Ies distributcurs refusaient de prendre nos films, ce qui fait qu’on a beaucoup de contacts avec le public: un film comme Ernest S. a été montré dans un certain nombre de salles parce que la presse en avait beaucoup parle. Et nous avons l’habitude, assez artisanale. d'accompagner les films et de rencontrer le public : et mon premier public, c'est les gens avec lesquelsje filme. Par exemple, dans Les Combatrants d' Espagne. c'est ceux que je filme.je voulais faire le film pour cux. ou pour Ernest S$. Mon public c’est la famille S., en quelque sorte. Je me pose toujours les problemes de cette

du traitre a fa patrie Ernest S.

dErnest S assis, de dos, R. Oindo

Ernest S.

(Tournage,

automne

75), de

face

le frére

ENTRETIEN AVEC

maniére,

RICHARD

DINDO

individualiste artisanale, je ne pense jamais a un

public,je pense aux gens avec lesquels je fais le film par sympathie. Pour moi, le cinéma documentaire c'est une manicre de rencontrer les gens que j'avais envie de connaitre, et c'est pour cux queje fais les films. Si eux s’y reconnaissent. pour moi le travail est fait et je passe 4 autre chose. Voila mon option, et finalement nos films sont vus par pas mal de gens en Suisse, parce que la télévision finit en général par les acheter. Un film comme Ernest S. a eu un taux d’écoute de 20 %, ce qui n’est

pas mal. Je vois le public comme des gens précis, avec qui on

a envie de discuter, des gens qu’on rencontre, et comme la Suisse est un petit pays, c'est possible. Quand j'ai lu le récit de Meienberg qui a écrit le texte d’Erues: S., je me suis imaginé tout de suite une mére de famille. la mére de Ernest S. qui était morte mais queje m‘imaginais derriére un rideau blanc... C’est d‘abord ¢a qui m‘a touche. Je me suis dit : il faut la filmer, mais de maniére a ce qu'on ne la reconnaisse pas, parce qu’elle aura sirement peur de se montrer, elle parte de son fils derri¢re un rideau blane poussé par le vent, avec une voix tremblante, et hésitante : c’est comme cu que j'ai abordé ce film. A la fin, on finit toujours par retomber sur l'appareil d’Etat, comme on l'on dit des critiques et on finit toujours par s’insurger contre

lui, mais ce n'est pas le sujet de mes films. C’est ce qui définit un peu le cinéma suisse alémanique, l'amour. la sympathic pour les personnages, non des acteurs, mais des vrais hommes

et des vraies femmes de notre vécu.

Cahiers. Er tu nvas pas fe sentiment que le public qui voit le

Jilm, on lui demande au lieu détre spectateur, détre le temoin

d'une certaine qualité de rapport entre toi ct tes objets-sujets? Finalement cest une conception tres morale, et ménie un peu moraliste du cinéma quon trouve par exemple chez Godard ou

chez Srrauh,... Curieusement, une forme de narcissisme extremement exigeant, quelque chose comme « regardez commie je me comporie bien avec eux !»,

Dindo, C'est peut-étre vrai. Les choses de la morale sont tou-

jours ambigués. Ce que jaime dans le cinéma documentaire

par rapport 4 un certain type de cinéma de fiction, commercial ou autre. c'est qu'il y a toujours aussi une attitude morale. Je parle ici d’une autre morale. Pour moi. le grand cinéaste exemplaire, celui que j'aime le plus, c’est Ivens, parce que c'est un homme d’une intégrité absolue. et j'ai toujours cru que le cinéma documentaire permettait mieux, du fait de son cété artisanal. de garder une morale « propre » en quelque sorte. Si jaime quelqu’un comme Straub par exemple, c'est pour Ics mémes raisons. C’est un homme d’une exigence unique qui n'a pas une morale comme les autres. C’est peut-étre narcissique. mais c’est en étant le plus exigeant avec soi-méme qu'on apporte le plus aux autres. Cahiers. On a vu hier ton film Des Suisses dans la guerre d’Espagne : conunent choisis-t tes swets? On a Limpression

que ce qui preside @ ton choix

releve plus d'une probléematique

ahistorien, Carchiviste, qui par ailleurs utiliserait le cinéma conune son instrument de travail, qui défricherait avec le cinéma comme dauires avec un sivlo. L’urgence du travail cinématographique serait secondaire par rapport @ Turgence dune mise a jour de Uhistoire de la Suisse qui semblerait étre refoulée en Suisse meme: commie si tu voulais dire que la Suisse a une histoire propre, qivelle a vécu, comme tous les autres pays d'Europe. des phénomeénes importants, la Guerre d'Espagne (et les Brigades Internationales) ou le nazisme. la trahison. Et dans tes films, les plans nous arrivent conime suscités par cette exigence morale d’historien. Dindo. Nous nous considérons ellectivement un peu comme des ethnographes et des archéologues. En ce qui me concernc.

25

j'ai aussi fait plusieurs films sur la pratique artistique proprement dite. j'ai toujours aussi posé le probléme, en quelque sorte, « du sujet dans Phistoire ». Pour moi, faire du cinéma, etait ne pas intervenir. prendre les choses comme clles sont. ne rien ajouter (ce serait la définition que fait Engels du « matérialisme »). De Ja, les plans simples de ces « combuattants d' Espagne » : en les mettant dans unc image, on les met dans

«Histoire »..... I n’y a rien a ajouter, ce n'est pas au cinéaste

(ni a sa caméra) de faire croire 4 une présence qui n’aurait pas

de poids en face des autres. La ot il y a effacement du sujetcinéasic, il y a aussi effacement du sens. Les combattants d’Espagne sont filmés comme s‘ils se photographiaient eux-

mémes, c’est fait comme avec une caméra Selbstiausldser. Ce que j'ai appris chez Straub ; tout ce qu'on n‘a pas le droit de faire, tout ce qui serait faux et artificiel. On n’apprend pas chez lui comment faire du cinéma, mais comment ne pas faire certuines choses. C’est avant tout un enseignement de la rigueur. ai Pimpression jusqu’a présent d’avoir fait des films en attendant de me retrouver sujet dans ma propre pratique, et de commencer vraiment 4 travailler, ce qui fait que ce qui domine mes films. et je vois ca aujourd"hui comme une énorme lacune. comme une espéce de vide. c'est l’effacement du cinéaste. En face des combattants d’Espagne.je suis la comme paralysé, une paralysie volontaire. introvertie, il ya une telle sympathie pour cux, une tetle volonté de les mettre devant la caméra. cn face des autres, que le sujet cinéaste n'a plus besoin d’exister en face deux. il n’est que Vorganisateur de leur rencontre avec les autres. J'ai impression d’avoir fait des films pour revenir au pays, moi, doublement étranger. d’une part de par mes origines italiennes, d'autre part de par mon passage a Paris qui m’avait compléetement transformé intellectuellement: quand je pense a la Suisse, j'ai impression qu'elle ne m‘a rien donne, rien apporté sinon un apprentissage par le négatif. Un jour, je me

suis rendu compte que tous mes personnages avaicnt un cer-

lain dye. une soixantaine d’années ou plus,je n’avais jamais eu conscience de cela, je crovais avoir fait mes films un peu par hasard, ct finalement, sans le savoir. javais été pendant tout ce temps a la recherche de quelque chose de tres précis ct qu'un jour il fuudrait le nommer et aller plus loin dans cette direction-la. Il y avait, a mon insu. un travail. sur ‘absence du pére et actuellementje fais un film sur une figure de pére. consciemment. ct a travers lui je ressors tous ces problemes tcls que je les ai découverts dans mes films en les regardant : le probleme de la mémoire du lieu. de la mémoire de la parole. de la mémoire du paysage, de la mémoire de gens disparus, de la mémoire politique... C'est un film sur lécrivain Max Frisch (ou plutét une lecture de certains de ses textes) qui était pour moi pendant longtemps le seul lien au pays, un homme queje connaissais, 4 travers son écriture, tellement bien, queje m’étais dit : puisqu'il est suisse je suis suisse aussi. Ce sera une réflexion sur loutil documentaire et sur la fonction de l’intellectuel dans la société. a partir de cet écrivain qui est en quelque sorte « le premier intellectue] » de notre pays. C'est en devenant « fils d’écrivain » queje me constituerai enfin « sujet-cinéaste »... Cahiers. Quand tu dis tes « amis cinéastes », tu parles de cinéastes suisse alémaniques, des gens comme Murer par exemple? Dindo.

Je parle toujours des suisses alémaniques.

Murer,

oui. Je suis venu de Paris en Suisse en voulant faire du cinéma, javais un scénario sous le bras. ce scénario parisien, intellectualiste dont j’ai parlé tout 4 l'heure. et j’avais envic de rencon-

Irer un cinéaste suisse,je ne connaissuis personne:je lis le journal le premier jour de mon

uarrivée : il y avait unc photo de

CINEMA

SUISSE

Des Suisses dans fa guerre civile espagnole

Murer. il animait une discussion publique dans une école, j'ai trouvé son numéro de téléphone dans le Bottin. et Je méme jour nous nous sommes rencontreés. et je lui ai parlé de mon expérience parisienne qui l‘a beaucoup intéressé et c’est a travers lui que j'ai rencontré les autres cinéastes suisses alémaniques qui m’ont un peu plus tard donné de l’argent pour mon premier film. Ce qui fait que jai impression d'avoir fait mon chemin avec les autres, dans une démarche spécifique du fait de ma différence. mais dans un esprit de solidarité. avec Vimpression de participer a un effort de mise en place d’un

cinéma documentaire suisse.

Cahiers, in vovant tes dew films (Ernest 8. et Les Combattants d’Espagne) of a Fimpression que les gens qui parlent sont des anciens acieurs de quelque chose. des gens qui ont ce au ceur d'un événement, et que tt les filmes comme des gens siniples. en essayant de faire réapparaitre leur passe glorieux, leur héroisme., le fait que eux-meémes se soient vécus comme dans

une fiction, Ernest S. comine les gens des brigades sont des

gens qui, par idéahsmre ou aveuglement, naiveté, se sont crus comune dans une fiction: ils ont Ge tout saufles documentaristes de leur vie. Ettot te viens, quarante ans apres, pour faire des

documentaires sur des gens qui ont vécu leur vie conume une

fiction, Diott ce calme, cette sérénité, de part et d'aurre, cette ahsence d‘hysterte... Dindv. Ce sont des films sur une blessure, sur une absence, sur un vide; dans ma propre vie, la Guerre d'Espagne a toujours é1é une blessure : fhabitais chez un oncle qui avait un livre sur la Guerre d’Espagne dans sa bibliothéque et a partir de lage de douze ansje lisais sans arrét ce livre et cela pendant des années, mais au débutje ne comprenais pus et jai toujours interrompu la lecture en route et un jourje Mai lu jusqu’a la détaite de la République et gaa été tellement douloureux que sai arrété et je ne Mai plus jamais relu. Pour moi la Guerre dEspagne est unc blessure fictive. Cahiers. Done fa. fe doctunentaire vient au moment ott la fiction est blessée, ott elle est arrétee dans le temps... Dindo. Exact. Et la démarche par rapport a Emest S. est semblable : ¢’est un film sur un homme qu'on ne peut plus montrer parce qu'il n’existe plus, qui a été meurtri. et on ¥

montre le paysage de lidylle car il n’va rien de plus meurtrier

en Suisse, que cette idylle qui cache la violence; et en face de cette absence, on voit sa famille d'une part, et le paysage d’autre part, il n’y a rien d’autre a montrer, et 4 partir de 1a il met en route un mécanisme qui n’arréte pas de combler un vide; c‘est ce mécanisme qui m’‘intéresse dans Ernest S, c'est le déroulement, le tapis compresseur, le film n‘arréte pas de savancer au bord du goulfre. pour finalement lentement le remplir comme pour mettre une couverture de neige par dessus la blessure. Cahiers. Ce ‘est pas tout a fait ca, parce qu Gta fin de Ernest S. aa un moment ott revient quelque chose de la rhétorique marxiste raditionnelle, une maniere de dire : oui, mais Ernest S. ce nest qucun petit dans (Histoire, est-ce quill n'y avait pas des responsables plus importants? Ca relativise quand méme pas mal limage de Ernest S. qui, a la fin du film, devient un Jeune tepe quia été manipule par PHistoire, par tour le monde. er qui sert aussi ad amener la dénonciation finale. Cette rhétorique, ce nest pas ce quiil ya de mieux dans le film selon moi. Dindo. Tout a fait d’accord. C’est beaucoup venu de Meicnberg qui cst co-auteur du film, quia écrit le livre a partir duquel le film s'est fait et le commentaire, et jétais d'accord, pas 4 cause du murxisme, mats par logique : on s‘est apercu en tra-

vaillant sur le film que cette idée selon laquelle Ernest S. était

un lampiste était tres répandue dans le peuple, mais sans que ga aille plus loin — il y a une certaine lacheté en Suisse. une manieére de ne pas aller au bout des chases. comme une médiocrité. On s‘est dit si Ernest S. était un lampiste, qui sont les vrais coupables? Mais ce qui m’a intéressé d’abord c'est la famille S.. el puis jessayais de me mettre au niveau du mouvement ouvrier:je me suis dit. si ses fréres étaient de gauche, et lui non, cela permet de comprendre beaucoup de choses.., et tout dé suile on risque de tomber dans une rhétorique qui cache des choses plus importantes mais c’étail une ¢poque ou nous

étions assez dogmatiques...

Cahiers. La figure du traiire dans le mouvement ouvrier est

quelque chose de passionnant, il faudra un jour eu faire Uhis-

toire, Le marxisme a besoin de cette figure du traitre. elle va

une place. ily a toute une rhetorique depuis Marx mais surtout depuis Lénine... Et puis ily a aussi cette idée qu'on trouve chez

Brecht : on est traitre, dans le bon sens, a sa classe d'origine. On

ENTRETIEN AVEC RICHARD

DINDO

27

est bourgeois ou petit-bourgeois et on devient. non pas prolétaire mais on se met sur les positions du proletariat: donc la trahison est aussi une figure positive. Dindo. Dans Ernest S. cette dimension presque mythologique de la trahison est abordée a travers son aspect le plus simple le plus superiiciel : sil avait cu une conscience politique, il n’aurait pas trahi, Jes vrais traitres c'est les autres... Il y a quelque chose que je voulais ajouter par rapport 4 ce que nous disions tout a l'heure. Ce qui m’a complctement paralysé, démoralisé, pendant des années, c’est le fait méme de revenir en Suisse; 4 [époque je rentrais en voiture ct chaque fois le passage de Ia frontiére m’angoissait: on arrivait a Bale, et je regardais les gens dans !a rue par la fenétre, et 4 chaque

fois favais un choc terrible. J'ai perdu des années de ma vie a

battants d’Espagne, c’était une maniére de rencontrer les Suis

ses avec lesquels j'avais envie de vivre et queje n’aurais jamais connus autrement, De méme Frisch, c'est un homme pour qui

je me serais Goupé une main il y a vingt ans pour le connaitre.

faire un film un jour avec lui, c’est pour moi aujourd'hui dans

lu logique des choses. Le film sur Ics combattants d’Espagne.

je l’ai fait pour la génération de 68; savoir qu’il y a des gens en Suisse qui ont risqué leur vie contre les fascistes, ca les fait

aimer...

Cahiers. Ca fait aimer la Suis Dindo. ... non, ca fait aimer un type de Suisses différents des

autres...

me demander comment, moi. tel que j'étais.je pourrats lire du cinéma pour ces gens-la...

Cahiers. ... ta veux faire alliance avee les meilleurs Suixses?

Cahiers. C'est lié au refs de la fiction. Quand tt vois ce

pourrait construire un pays dans lequel! il vaudrait la peine de vivre. A la limite il est faux de dire queje ne fais pas mes films pour un public,je veux dire en faisant mes filmsje ne pense pas au publicje pense aux gens qui sont dans le film. a eux eta moi ensemble. C’est aux gens qui sont dans le film queje le montre cn premier et quand ils sont contents j'ai Fimpression d’avoir rempli mon contrat; s'il y a des gens en plus qui veulent le voir. tant mieux. C'est comme des films de commande qu’on sc commande 4 soi-méme.

public. tu nas pas envie de lui raconter une histoire, ut as envie

de lui faire la morale. Si les Américains sont aussi bons pour raconter des

histoures, c'est qutls wont pas ce probleme,

ce probléme leur est méme incomprehensible. Eux, ils

que

nauront

jamais honte d'éve américains. au contraire c'est leur réve détre toujours plus américains parce qua Vorigine, ils ne le sont pas, C'est une position privilegiée.

Dindo, C'est tout a patrie ce n'est pas ou je ow je suis né, mais c'est ou un port 4 New York

fait exact, quand Max Frisch dit: la suis né par hasard. la patrie c’est la rue aussi des ruelles a Rome ot j'ai vécu, ou une plage en Allemagne du Nord,

Dindo, Je veux faire alliance avec les Suisses avec qui on

Cahiers. Hs ont priorité, ils ont un droit de preemption sur le film?

de fond - et qui sont aussi dans laprés-coup d'un cinéma qui

Dindv. Quand on est a la recherche du pére, if est normal que les personnages des films se constituent en famille. le public pour moi, cest une famille; la famille, comme lieu de reconnaissunce, Un sujet se constitue de pur la reconnaissance au sein de la famille, J’ai toujours travaillé la-dessus, inconsciemment, ce n’est qu'avec le temps que je m’cn suis rendu compte. Donc recherche du pére absent, mort depuis toujours, et constitution d’une famille de rechange qu'on se choisit soi-méme. c'est ca pour moi, le cinéma. Donc je me fous du public dans la mesure of le public ne peut pas étre ma famille, non seule-

cifiquement ancré dans le centre de FEurope?

public » sa n’existe pas, c'est des gens dans !e grand noir qu'on

Dindo. Les combattants d’Espagne, étaient tres touchés du fait que quelqu’un veuille faire un film avec eux. Comme je venais d'un pays qui ne m'avait rien donné, ot j‘étais doublement étranger, revenir en Suisse et faire un film sur les com-

Propos recueillis au magnétophone Toubiana

ou une ile en Gréce: c’est la-dessus que le film se fera, cn quelque sorte sur les pavsages de patrie, et sur le rapport de lintellectuel suisse avec ses propres origines a travers son écriture. Cahiers. Tu nas pas le sentiment que tes films sont des films

qui sont faits dans une partie du monde ot il n'y a plus de

guerre, mais ou ily ena eu, et quand tin'y a plus de guerre la Jiction « prend mal », Ce sont des films qui sont un peu dans le deuil de la guerre - les deux tiens ont la guerre commne toile pouvait coller a la guerre, un cinéma agressif, patriotique, d'un cinéma de défense; et quien ce sens il s'agit d'un cinéma spe-

Filmographie de Richard 1970. La Répérition 1971. Dialogue (16 1972. Peinires natfs 60 mn.) 1973. Schweizer im

Dindo.

par Serge Daney et Serge

1976. Die Erschiessung des Landesverraters Ernst S. (L’Exé-

| h 39, Réalisa-

de L Exécution du traitre 4 la patrie ErnstS. dans leur numéro 290-291, page 50 Troisisme semaine des Cahiers » a Paris. Dans le numéro 304, Serge Toubiana et Louis Skorecki a rendu compte de Grauzone dans son texte sur le festival de Dindo sont disponibles chez « Hors-champ Diffusion », 28, rue du Faubourg du

(article de Sylvie a fait la critique Locarno (p. 30). Temple a Paris.

Spanischen Burgerkrieg (Des Suisses dans

16 mm,

1h 27. Réalisation, scénario,

montage: Richard Dindo. Images: Rob Gnant. Son: Boner. Extraits de Terre d'Espagne, de Joris Ivens. Les Cahiers ont déja parlé Pierre a l'occasion de la « des Petites fugues (p. 57) Les deux films de Richard

ne connaitra jamais. Un goulfre.

cution du traitre 4 la patrie Ernst S.) 16 mm,

(16 mm, 60 mn.) mm, 45 mn.) en Suisse alémanique orientale (16 mm,

la guerre d’Espagne).

ment parce que je ne le connais pas, mais aussi parce qu'une famille ne peut pas étre si nombreuse que ca. Le « grand

Robert

tion: Richard Dindo. Scénario: R. Dindo et Niklaus Meienberg. Images: Rob Gnant, Robert Boner. Son: Beni Lehmann. Montage: Georg Janett. 1976. Raimon: chansons contre la peur (16 mm, 52 mn.) 1977. Hans Staub, reporter photographe (146 mm. 45 mn.) 1977. Clément Moreau, graveur utilttaire (16 mm, 50 mn.) 1978-80. Journal I a Hl.

Ceux de Murer devraient étre programmés, au début de l'année 1980 a la Porte de la Suisse, rue Scribe, a Paris.

CINEMA

ENTRETIEN

Cer entrenen

a Gté réalisé avec la collaboration

AVEC

active de

Richard Dindo (qui traduisait au fur et @ mesure ley propos, en aHemandou en suisse-alémanique, de Fredi M. Murer, et qui Autervient aussi dans

fa discussion) etde

eto multi-technicien du cinéma

Georg dane, montenr

suisse, dans

lequel il travaille

depuis de nombreiuses années. Quily soient ici remerciés de leur participation.

Fredi M.

Murer.

Ma

premiére grande

rencontre avec

Ic

cinéma a été une exposition 4 Ziirich en 1959. Elle retraguit, a l'aide de photos, de textes. et de projections de films. unc bonne partic de l'histoire du cinéma. J’étais alors étudiant en photographic dans cette méme école, celle qui organisait cette rétrospective. J‘avais 20 ans. j'ai découvert le cinéma queje ne connaissais pas. cclui qui ne passatt pas dans les salles. Jai été trés impressionné par deux cinéastes. Le premier, c’est Flaherty, dont jai immeédiatement pensé queje pourrais me rapprocher un jour, a cause de cette sorte de simplicité qu'il a... Venant de la photographie, je pensais que Flaherty s’y apparentail, avec quelque chose de dynamique en plus: if élail presque seul, avee sa caméra., faisant un travail quasi-cthnographique... Le second cinéaste dont jai eu la réveélation, c'est Bunucl. I] faut dire queje viens de la Suisse centrale, catholique et profondément conservatrice et que, par mon éducation, je me sentais proche de lui. de son surréalisme aussi. J'ai décide ace moment-la que jallais faire du cinéma. A I’époque, de grands changements étaient en train de se passer dans le domaine culturel; musique, peinture. le « new american cinema » (des gens comme Shirley Clarke, Cassavetes) faisait son apparition, ct le mouvement « underground » aussi. A Knokke-le-Zoute, ou je présentais Chicorée. fai pu voir un film de Warhol qui durait toute une nuit. ca a été une experience ¢motionnelle et physique trés profonde. En méme temps qu “ailleurs unc nouvelle époque commengait. en Suisse célait Minverse: une époque venail de se terminer, Le cinéma suisse, qui arrivait a sa fin, datait de la guerre et d’avant la guerre. ¢’ctait un cinéma national et indépendant (la Suisse était le seul pays indépendant d’Europe). Ce cinéma « du pere » en quelque sorte, je te refusais, je pensais qu'il fallait faire quelque chose de nouveau. L’ancicen cinéma ¢tail fortement patriolique, avec une dimension de résistance envers les cultures ¢trangéres, mais il copiait une symbolique étrangere. pour mieux la repousser; ca restait tres ambivalent. [ fallail dépasser le cinéma traditionnel suisse, en inventer un autre, pratiquement tout réinventer, J'ai commencé a lire des écrits de Poudovkine, ct mon premier film était un plagiat d°Eisenstein en super 8. Apres, j'ai refusé violemment, d'une maniére presque anarchiste. tout ce qui me rappelait une certaine tradition cinématographique et dramaturgique. et jal fait des films purement selon mes sentiments. mes émotions. mon intuition. Je cherchais 4 avoir des contacts, 4 travers ces films que je Lvisais, avec des gens de chez nous qui penseraient un peu de la méme lagon que mai.

SUISSE

FREDI

MURER

Georg Janet. On peut ici ouvrir unc parenthese, plus géné-

rale. I] existait a 'époque une industrie cinématographique qui produisait encore quelques films, en 35 mm bien entendu, et Fredi Murera été l'un des premiers 4 utiliser le 16 mm qui était encore, cing ans avant, plus ou moins un jouet pour millionnaires. La carriére de Murer est un peu paralléle a l’introduction du 16 mm et des facilités qu'il a apportées avec Jui. Murer. Le cinéma queje faisais alors était fortement marqué par la double influence dont je vous parlais, Flaherty et Bufiuel. une influence largement inconsciente. Je m*étais en quelque sorte trouvé des nouveaux péres, ce mélange d’ethnographie et de recherche... Cahiers. Mais n'est-ce pas vrai aussi de Grauzone? C'est une fable avec un réalisme photographique, tres appuye, allie

aun cote surréel...

Murer, Oui, c’est absolument vrai. Et trés conscient. Mon précéedent film. un film sur les montagnards de cette Suisse centrale dot je suis originaire, qui sont les habitants les plus anciens du pays. était un film documentaire/ethnographique. réalisé au retour d’une sorte d'exil en Angleterre, suite a beaucoup de frustrations. J’ai essayé. apres des recherches, d’instaurer une dimension de misc en scéne 4 Ja fois avec les gens de la région et avec I"équipe technique. d‘impliquer les techni-

ciens dans le tournage. Avante film-la, j'ai filmé des amis, trés

souvent. et pour m‘amuscr je Icur faisais jouer des rdles qui allaient a l'encontre de leur personnalité, par exempleje faisais jouer le rdle de quelqu’un qui nétait pas du tout conscient politiquement a un amt militant. Cela donnait aux films un aspect un peu familial. avec des allusions, des connexions qu'on comprenait sans doute mal si on n’appartenait pas 4 la famille, si on n’en faisait pas partie. Ou plutdt: ceux qui connaissaient ces rapports, ces connexions, trouvaient une dimension de plus au film. Janell. Une précision au sujet du film sur les montagnards, qui devrait vous intéresser. Mis 4 part les interviews comme on les pratique habituellement, des gens qui racontent des histoires, il y a des images qui montrent des gens en train d’écouter sur un appareil l'enregistrement des interviews qu "ils viennent de donner, et qui en font une sorte de commentaire mimé, au second degré. Ca se rapproche de cerlaines techniques vidéo, mais ga concerne l’écoute. Afurer Une fois.je me trouvais a Londres. j'ai cu Pimpression que les esquimaux de Nanouk étaient aussi loin que les montagnards de la Suisse centrale. Ca m’a poussé a rentrer, pour faire enfin mon Nanouk a moi. Pour revenirau probléme de faire des films avec ses amis, ai aussi fait, a mes debuts, un

film sur un poéte et un autre sur un peintre'’, des amis a moi,

et favais construit des fictions autour d’eux, autour de leurs personnages. Cela donnait un duel, une rivalité entre eux et moi quant a la conduite du film. Et finalement. je me suis rendu compte avec ces gens qui sont plutét muets, sans lan-

ENTRETIEN

AVEC

FREDI

29 gage, qui parlent peu, et que jai fait parler quand méme,je me

MURER

suis rendu compte a travers ce film ct a travers cux que dans mes films j'avais toujours cherché des images et que moi, je m'étais toujours tu,je m"étais toujours un peu caché derriére la caméra. Cahiers. Et dans Grauzone? On a Pimpression que utes un pewle gardien chez qui Alfred s'endort, dans la forét, et aussi. quelquefois, Alfred lui-méme. Murer. A un sons, qui fait le qui a enregistré le « prophéte ».

moment donné Alfred, qui est un flic en enregistrant ce que disent pour lui ce que raconte le type au va se servir de ce discours, Mais

chasseur de les autres. et mégaphone, il ne l'utilise

pas en tant que tel, il le découpe, il s’en sert, une fois découpé,

pour lui-méme et pour tous les gens de l"entreprise a qui il le

fait entendre. Ce que fait Alfred 4 cc moment-la avec ce dis-

Grauzone

cours de l‘autre. c’est un peu ce que j’ai 'impression d’avoir fait tout au long du film. Alfred aussi ulilise des matériaux étrangers, le langage des autres. pour en faire autre chose. quelque

chose de lui-méme.

Cahiers. Si Grauzone est tn film trés travaillé (et cela vaut auiant pour image que pour le son) je n'ai pas Vimpression

que fe avail sur le son, soit travaillé de la méme facon.

Murer. Jai travaillé beaucoup plus longuement le son que l'image. D‘abord j'ai toul tourné en son synchrone. L'image devait étre comme un documentaire de fiction, quelque chose de bien observe... I] fallait que cette image, méme si on enlevait la bande-son, putsse se présenter comme la description minuticuse du week-end d'un couple. Pour la bande sonore. il ya la partie radio et télévision, les sons des media, qui doit instaurer un climat, qui raconte une autre histoire paralléle, une histoire qui existe par elle-méme, ct j'ai voulu que ces gens détruisent un peu histoire racontée par les images. ou tout au moins qu‘ils tui donnent une autre dimension. Le son vient toujours @une source précise et reconnaissable, ce deuxiéme son qui raconte une autre histoire, il vient toujours de quelque part. Ce qu'il faut dire, et qu’on ne sait pas forcément si l'on n’est pas suisse allemand, et cela cxplique cn bonne partie les rires

appuyeés du public, c’est que les voix de radio et de télévision

sont toujours les voix originales, des voix que nous, on entend tous les jours. J’ai fait un mixage extrémement compliqué, avec douze bandes séparées, parce que je voulais 4 travers ce naturalisme d’espace qui vient des images, garder toujours les sons précis qui correspondent. Cahiers, Pourtant le son, aussi travaillé qu'il soit. est plus proche du « son standard » que Fimage, tres claborée, Un son

« travaillé » a peut-étre plus de mala se démarquer dun autre

qu'une image, meme si celle-ci est approximative, c'est plus facile pour une image de se distinguer Mune autre.

Murer. Je ne sais pas. Dans Padre Padrone par exemple, il

y a quelque chose que j'aime beaucoup, c’est quand une voix

unique, par un effet d‘étrangeté, se transforme en un cheeur enticr. Jaime beaucoup cela. Dans Grauzone j'ai un peu pris comme référence la fameuse émission d‘Orson Welles sur les muartiens, avec ce renfort d'authenticité que donne la radio: plus on disait aux gens, « ne vous en faites pas, ce n’est qu'une émission de radio, une fiction », ct plus les gens se méfiaient de ces avertissements, de ces « corrections », de ces mises-aupoint de la radio. J'ai cherché 4 utiliser cette psychologie de lauthentique. Si je prends une distance par rapport au naturalisme Ge parle toujours du son). c’est sans doute davantage au

niveau de ce qui est dit, au niveau du contenu, qu’au niveau

de la qualité technique du son, de lenregistrement. Je ne pense

CINEMA SUISSE

Vision of a Blind Man, de Fredi Murer

pas que j'aurais pu aller plus loin dans la distanciation. Si Javais été plus loin. au niveau de la technique, le film serait devenu surréel ct incompréhensible. Dindo. Je veux ajouter quelque chose. Fredi est quelqu’un qui “un langage trés riche quand il parle en suisse-allemand.

c'est un tres bon conteur, ct stant toujours tu pendant toutes ces années de cinéma, il avait finalement un peu envie de

se

défouler avec son langage, sur ce qu'il avait envie de dire ct de formuler, et ca a peut-étre trop rempli. trop alourdi le film.

Murer. Grauzone est mon quatorziéme film, c'est la premitre fois que je parle moi-méme, que mon propre langage apparait dans un film, que je mets mes propres phrases dans la bouche des autres, Avant, javais estorqué le langage des autres. Mon prochain film se concentrera plus sur l’image,je tiendrai la caméra moi-méme. il n'y aura pratiquement pas de

paroles, ce sera pratiquement un film muet. avee sonorisation,

bruitage, musique, ce sera plutét un langage du geste et du corps que j" essuierai de saisir avec les images. Dans Grauzene javais enviec de me décharger d'une sorte d’'accumulation de langage...

Dindo. C’est un probléme fondamental du cinéma suisse-

alémanique.

C'est pour nous une période de mutation:

nous

avons cnvie de mettre nous-mémes nos sujets en pratique et en questionct ceci. aprés une période de long mutisme. C'est un probléme qui vient de trés loin et qui touche 4 notre maniére de parler, de communiquer etc... Ca touche aussi au probléme de la limite du'cinéma documentaire.

Murer. Par exemple. pour en revenir au son. dans Ie cas de Skolimovski (The Shout), il est sir que ce type de recherche sonore risque de déboucher sur lartistique. Partificiel. ga risque de se renverser. Dans le cinéma, contrairement au

domaine industriel ob l'on a plus de moyens pour l’expérimentation, on a bien stir tendance 4 s’appuyer sur ce qui a toujours é1é fait... Moi, aprés mes cing premiers films. tous post-synchronisés. et avant les films suivants, avant mon premier film synchrone, jai fait un film expérimental, La Vision de Fhomume aveugie. J'ai choisi la journée la plus longue, je me suis bandé les veux, j'ai installé une caméra sur mon épaule, un Nagra autour du ventre, j'ai demandé a des amis de me choisir des lieux de lournage. vingt et un endroits différents. bien sar

sans me dire ot ca se trouvait.

sont arrivés chez moi, ils mont

A quatre heures du matin ils

promen¢

ici et la, j'entendais

maisje ne voyais rien, et je me suis rapidement apercu que jientendais des choses que je n’aurais jamais entendues si Javais pu voir. J'ai essayé de raconter sur magnétophone ce que je ressentais, ce que je voyais... non ce que jentenduais, le sol sur lequel jétais, et ai essayé selon mes impressions sensorielles de décrire le paysage. de décrire ce que j'aurais di voir si j'avais vu. Quand j’entendais des pas avec un écho,je disais «tiens, c’est un tunnel»... Et apres j'ai fait des images pour faire la preuve de mes descriptions sensorielles,je suis allé plus loin encore, utilisant la caméra comme une deuxieme téte en quelque sorte, en sachant parfaitement comment fonctionne le zoom ct le reste. par coeur. j'ai done cherche des images tout en essayant de décrire ce que j‘étais en train de filmer. Vingt et un tieux de tournage, de quatre heures du matin a neu! heures

du soir. Dans mon imagination, Ztrich est devenue une ville

complétement nouvelle ct étrangére, et quand j'ai vu le film je me suis rendu compte que le son était infiniment plus riche que ces images. plutat plates que j'avais tournées en méme temps. Jen ai tiré quelques rétlexions: en ayant par exemple filmé interview de quelqu’ un dontj’ ‘avais coupé la moitie du visage,

J'ai compris qu’on avait toujours tendance a idealiser la réalité avec une espéce de culluralisme

photographique,

on

met en

Tournage

quelque sorte en ordre le monde. J‘ai compris qu'il fallait faire des expériences, pour retrouver le sens tacite, tactile, des choses, de ce qu’on peut toucher avec la main, et qu'il fallait en faire plus. Je n'ai malheureusement montré ce film qu’une seule fois, if y avait un tel fond d’incompréhension de la part des gens. peut-étre a cause de la mentalité suisse qui refuse tout ce qui est expérimentation, nouveauté, qui est une mentalité

trés traditionnaliste,

Cahiers. Done nites mis la place du spectateur de cinéma, celui qui est dans le noir. Car le spectateur entend davantaxe

un film qu iil ne le voit: sil peut fermer les yeux, il ne peut pas

(il n’v pense jamais) se boucher les oreilles... Quant @ Grauzone, au lien détre Vhistoire d'un photographe qui passe @ la mise en scene de films (c'est ton itinéraire), Cest Chistoire d'un écouteur de sons qui passe & la mise en scene des sons... Afurer. Je ne m’en étais pas rendu compte, mais ¢’est vrai qu’il s’agit dun chasseur de sons et pas d'un chasseur d ‘images.

Pour en revenir au son de Grauzone, j'ai travaillé avec des

micros trés directionnels, avec la perche qui suit les gens de trés prés, souvent avec deux micros parce quavec le Nagra 4 deux pistes on peut faire au fur et 4 mesure de Ja prise du son un mixage.

Dindv. C’est une technique que l'on emploie souvent en

Suisse. Les Suisses sont des artisans. ils ont l'amour du petit travail bien fait, ils sont perfectionnistes, patients (pédants aussi), et il est normal que nous, on travaille le son. Je ne suis pas d’accord avec Murer, les Suisses sont des maitres du son, il n’y a qu’a voir les documentaires suisse-alémaniques,.. Les techniciens ici sont des ultra-professionnels. Si Murer enregistrait un entretien avec le micro au beau milieu, avec un son non-directionnel, jamais ils n“accepteraient ca.

de Grauzone.

A droite, Fred: Murer,

a la caméra

Hans

Liechti.

Cahiers. \Wais est-ce que ce nest pas le méme réflexe de tech-

nicien qicon trouve partout, en plus « propre» peut-étre, en

plus soigné?

Janet. Iya certainement la une volonteé de « travailler pro-

pre», mais pas du tout dans des directions prédéterminées,

plutdt dans des codes que l'on travaille chaque fois de nouveau. En Allemagne. par exemple. vous n‘arriverez jamais 4 faire ce que l'on_fait en Suisse, du fait que pratiquement tous les techniciens viennent de la télévision, et méme s'ils arrivent a oublier leurs codes-télé, ce n’est pas dit qu’ils arriveront a créer autre chose 4 la place... Tandis que nous, nous n’avons pratiquement jamais travaillé sur des produits industrialisés, alors on y arrive. Dindo. Une laut pas sous-estimer ce coté artisanal en Suisse, amour du travail bien fait, if ya la une richesse... surtout dans fe cinéma documentaire. Par exemple, a Paris j’ai été interviewé par des maoistes du groupe Foudre, et ils aiment beaucoup nos films documentaires suisse-alémaniques., [ls veulent faire des films et ils étaient trés surpris de la qualité de nos films documentaires. Il y a ce cété la, chez Godard aussi. Je suis allé dans son studio récemment, et c'est un bricoleur, pas tres doué probablement, mais il a une volonte... I] est passionné par ce

type de travail, par le personnage de Marcel (dans 6 fois 2) si tu veux, c'est un coté peut-étre trés silisse... Afurer. Le perfectionnisme technique des Suisses a aussi des limites. des revers. Souvent ga cache un manque de fantaisie, un manque de créativité... Jane, On fait un cinéma @horloger. Méme les petits films. les petits produits, ils sont assez bien faits si l'on compare avec ce qui se passe souvent dans le cinéma. Avec un film basé essentiellement sur des interviews par exemple, sur le contenu

CINEMA SUISSE

32

de ce que disent les gens. si on ne parvient méme pas

te son chers, que ca parlait le mal

alors moi je m’emmerde... les films de débutants, on soit compréhensible. Le Fredi. nous avons a vivre et fe bien, et chacun doit

4 piger

Ici, méme dans les films pas ie au moins d'arriver a ce risque est bien clui dont avec cette contradiction, avec s‘en tirer a sa fagon...

A/urer. ly a une névrose nationale de l'ordre. de la proprete.

de la perfection, et j'aimerais bien, plus souvent. voir son contraire au travail. Je me rappelle, a Zdrich, dune affiche qui disait « Tenez la ville propre! », et c’était justement — la ville est impeccable. tout est en ordre — c’était la seule chose, cette

affiche. qui venait casser cet ordre! Quand on va aux « Jour-

nées du cinéma suisse », ol on montre la production de lannée. on a l'impression que les premiers films des jeunes cinéastes sont d’ores et déja aussi parfuits, techniquement parlant, que nos quatriémes ou cinquiémes films 4 nous. C'est un probléme national, peut-étre faudrait-il consciemment essayer de le transgresser, d'aller ailleurs. Janen. Ce que vous appelez en francais une « forme utile », dans le batiment par exemple, ce que vous appelez « fonctionnel». en allemand et aussi chez nous on ne dit pas ca. on dit «c'est bon, c’est la bonne forme»... avec toutes les connotations quasiment religieuses ou éthiques. Dans le développcement de Fenvironnement, dans lexpérience du Bauhaus allemand qui a encore des répercussions aujourd hui, ¢’était carrément dit: la « bonne forme ». pas la « forme utile » comme disent déja chez nous les Vaudois, les Romans. Cahiers. Comment

peut-on définir Grauzone?

Murer. Grauzone, Cest un « low-budget film». il a couté 450.000 francs suisses (soit un peu moins de 120 millions anciens), c’est un «challenge » de faire un film avec si peu d'argent. je pense d‘ailleurs qu'on ne devrait pas faire ici de

films qui codtent plus cher que ga... Janent.

Sur

Grauzone

Saimerais

ajouter

que

lentreprise,

indépendamment du résultat, est en soi trés sympathique dans

la mesure ob pour une fois, et ca n'arrive malheureusement pas souvent, surtout en Suisse alémanique, un réalisateur se lancant dans une nouvelle aventure, sur une nouvelle voie, malgré lexpérience quil a derriére lui (et faire un premier long métrage est toujours une aventure), a su bien définir les limites dans lesquelles il voulait se lancer. Moi je me meéfie des gens qui, pour une aventure similaire, s’entourent d’une part d’une équipe technique trop grande, d’autre part d'une distribution ambiticuse. des gens qui des qu’ils savent qu‘ils vont réaliser un film se mettent a chercher des acteurs qui ont un nom. qu‘ils ne connaissent méme pas, et qui en plus. ont un budget tel qu’il a des répercussions néfastes sur le tournage. Murer a su éliminer ces dangers en écrivant une histoire dense et concentrée. en utilisant le noir et le blanc, en évitant la trop grande entreprise qu’en général on n‘arrive pas a maitriser. Murer. Des gens ont critiqué mon film, ily le disaient trop chargé. trop lourd, ils lui reprochaient de nécessiter une deuxiéme vision. C'est une critique queje ne partage pas: dans un orchestre symphonique on nentend pas chaque instrument, il nest pas nécessaire d’étre en mesure 4 chaque instant dentendre distinctement chaque instrument. J'ai parlé 4 des gens qui avaient trés bien retenu des phrases entiéres du dialogue mais qui ne sc souvenaient pas bien des images. et inver-

sement...

Dindo, La je voudrais intervenir pour essayer de situer Murer. Ila en quelque sorte un peu inventé le nouveau cinéma

Grauzone. de Fredi Murer

ENTRETIEN AVEC FREDI

MURER

suisse, il a été le premier 4 effectuer cette fuite en avant pour inventer quelque chose de nouveau, et il s'est créé une espéce de mythe autour de lui. Quand les gens vont voir ses films. ils ne les voient pas comme les autres films, ils attendent de lui certaines choses, et ca lui crée des problémes dans la mesure ot ila comme un contrat a remplir. A chaque nouveau film les gens disent « tiens, ce n’est pas typique de Fredi Murer». Ca. ca le paralyse un peu. Cahiers. Erle cinéma suisse? Quels sont les rapports avec les autres cinéastes? Mfurer. Je connais Yves Yersin depuis longtemps. il a fait le montage de Passage. Reusser et Tanner, on a commence 4 peu pres en méme temps... Actuellementje fais un film 4 épisodes avec Tanner, Reusser. Yersin, Lyssy et Koerfer. [I existe une Association des Cinéastes Suisses, une espéce de syndicat. et on se voit souvent. on se montre nos films, on discute. Avec ce film a épisodes on a l'occasion de se voir encore plus. de parler de la pratique du cinéma. Avant, on discutait surtout de problemes techniques... Janet. ... et politiques, culturels, vis-a-vis de "Etat, comment faire augmenter les crédits, les questions relatives aux procédures de demandes de subvention. Ce sont des questions qui prennent beaucoup de temps, qui sont plus ou moins bureaucratiques. mais qui sont utiles, encore qu’elles n’aient rien aaaa voir avec les discussions sur le travail de chacun, qui ont licu chez nous dans des cercles plus restreints, entre amis. Pour la liaison avec la Suisse romande, le fait qu‘ils produisent selon d‘autres schémas, comme par exemple Tanner avec Citel, et du tail de la séparation par les langues. une psychologic un peu différente, tout cela rend ce genre de travail en commun un peu difficile. Cahiers. Reparlons de Grauzone, du travail avee les acteurs par exemple...

Murer. Avant, javais travaillé avec des gens que je connais bien. dontje connais les limites, les possibilités, J‘ai cru queje

pourrais faire ec méme travail avec des actcurs « lou¢s » en quelque sorte. Comme beaucoup de cinéastes, jai une relation ambigué ct méme inexistante avec le thédtre. maisje croyais que je pourrais continuer, avec des acteurs. 4 avoir le méme type de relation. Je crois que je me suis lourdement trompé. Les deux acteurs n’avaient aucune expérience du cinéma ou de la télévision, de plus ils avaient tendance, comme toujours les acteurs, a exagérer le « gestus ». et j’ai pratiquement di leur désapprendre tout ce qu’ils avaient appris 4 I’école de theatre, pour qu’ils deviennent plus naturels, quils n’en assent pas de trop. Lacteur principal. celui qui joue Alfred. me disait: « Si je ne peux rien faire, ce n'est pas la peine queje sois la. tu peux prendre n’importe qui dans la rue, tu n’as pas besoin d'un acteur qui sorte d'une école de théatre ». Je voulais un peu forcer, upprofondir cette phrase de Renoir, «un film de fiction

avec des acicurs est aussi un documentaire sur ces acteurs », mais comme les réles n’étaient pas trés sympathiques je me suis heurté a une résistance de leur part, j'ai cu des problémes duns mes rapports avec eux, des tensions, J’aurais aimé approfondir mes rapports avec eux, sentimentalement, allectivement, mais du fait méme de cette résistance ga a été difficile. ils sont restés peut-élre un peu schématiques comme person-

nages...

Cahiers.

Le cote « documentaire sur les acteurs », ily est

dans le film...

Murer. Ga s'est glissé dans le film, du fait de ce rapport que

Javais avec eux, mais pour moi ce n'est qu'une premiere expe-

33

rience dans cette direction, une expérience riche d’enseignements. Inversement,je n’avais pas non plus confiance en moi dans la mesure ou je ne partais pas te langage du théatre, ce jargon de la mise en scéne,je parlais plutét comme n‘importe qui avec eux... Les rapports affectifs dont les acteurs ont souvent besoin. cette demande d'amour. cette attente du pére, de ia figure du pére... je ne sais pas les donner. Cahiers. Au début de Grauzone. ces plans des toits de la ville. cd me faisait penser @ Ozu, et puis ut fais ce long mouvement de caméra pour te rapprocher de la fenétre d' Alfred, je me suis dit: fa, Ozu aurait coupe. tf aurait « CConUMiIe » toul Ce MOU

vement...

Murer. Ce que je voulais, c’était montrer lusine et le type qui travaille hors de lusine. qui est comme extérieur au territoire de lusine: il va chercher des sons a lintérieur, mais de Vextérieur; il fallait montrer espace autour, espace qui va de Vusine jusqu’a la maison. Le commentaire du début explique cela. Cahiers. Que

veut dire « Grauzone »?

Afurer. C’est la « zone grise ». cette zone intermédiaire, le pays de nulle part, le vo man's land. C’est une image que je donne de la Suisse. mais ¢a pourrait étre ailleurs. des gens ni tres riches. ni trés pauvres, entre les deux. C’est une couche tres nombreuse de la population, c’est cette classe moyenne 1a, peut-étre plus quaillcurs, qui domine la civilisation sociale en Suisse. La société capilaliste fit tout pour satislaire ces gens-la,

elle est presque unilatéralement construite selon les besoins de

cette nouvelle classe moyenne. En Suisse, if n’y a jamais dalternative réelle cntre deux idées opposées. mais toujours entre deux compromis, C'est toujours un compromis entre deux compromis en quelque sorte. L’espace vital se rétrécit, ators on a le choix entre le pire et le moins pire. Zone Grise, C'est le contraire de la dialectique. le contraire de la lutte entre les contraires. En Suisse, tout se ressembie, c'est une métaphore de Pimprécis, des formes qui glissent Ics unes sur les autres sans vraiment devenir elles-mémes. Zone grise ne montre pas du lout image traditionnelle de la Suisse, il montre une Suisse future qui faute de place, construit et de ce fait détruit cn méme temps son paysage. Ce pays pourrail devenir un modéle de ce qui attend peut-étre les autres socictés post-capitalistes. Propos recueillis au magnétophone par Louis Skorecki 1. Ce peintre, Giger, va bientat faire parler de lui. IE est en effet Pauteur des

costumes. maquettes et décors d"fien, le second film de Ridley Scott (le premier etait The Duellists)

Filmographie de Fredi M. Murer 1962.

Marcel

1966.

Chicorce.

1965. Pazifik. 1966, 1968. 1969, 1969. 1971. 1973.

(8 nun,

335 min.)

— Oder die Zufriedenen. (16 mm, (16 mit,

27 min.)

60 min.)

Bernhard Luginbuehl (16 min, 23 min) Vision ofa Blind Man. (16 mm, 60 mind 2069 (an épisode de Swiss Made). (35 nun, 32 min) Sad-ts-Fiction. (16 mm, 43 min.) Passagen. (16 mim, 50 min.) Christopher und Alexander. (16 mim, 46 min.)

1974. Wir Bergler in den Bergen sind eigentlich nicht schuld,

dass wir da sind. (16 man, 1978. Grauzone.

108 min)

CINEMA

FRANCAIS

OU EST LA CRISE?

Une rumeur de plus en plus persistante circule dans le milieu cinématographique et trouve un écho qui l'amplifie considérablement dans de nombreux relais mass médiatiques : elle se résume a un « Vive le cinéma américian qui fictionne tous azimuts ! » (succés de Apocalypse Now, de Alien, Veffet-Holocauste. etc) ct a un « Ras-le-bol du cinéma francais qui piétine dans le récit, le genre littéraire. incapable de fictionner !... ». D’ou lidée de cette table-ronde sur le cinéma francais, la crise des fictions, la crise écono-

mique.

Cette table ronde a une histoire : la rencontre entre nous — Luc Béraud. Eduardo de Gregorio, Pascal Kané et Bertrand Van Effenterre : cinéastes, et Serge Toubiana : critique aux Cahiers sest faite a Cunnes, durant le dernier festival international du film. Son objet, sa cible journalistique : parler du Geune) cinéma frangais au moment (ct en plein centre d'un lieu) ov tout le cinéma mondial s’affiche sur un écran féérique qui cache les profondes fissures qui lézardent

l'édifice cinématographique

(CI. l'article « Festival, tribune, vitrine », Cahiers

n° 302), au

moment of Cannes recompense deux superproductions (Apocalypse Now et Le Tambour) dont on imagine mal qu’clles pourraient naitre du cinéma frangais. Quelques semaines plus tard, chacun ayant lu le décryptage de cette discussion. il nous a semblé important de revenir sur les questions de fond abordées la premiere fois, en essayant de mieux structurer les axes d'une problématique. Une nouvelle discussion s’est organisée (a laquelle s'est joint Serge Daney) d’ou ressortent Ies interventions qui suivent. Les axes de cette problématique — que chacun aborde avec son angle de vue propre — sont les suivants : 1. Qu’en est-il des fictions dans le cinéma francais? Comment disposer opposition « cinéma américain construit a partir de fictions/cinéma frangais travaillant le récit, ’écriture »? Quelle est l'économie de cette différence-opposition, son historique, l‘avenir qu'on lui entrevoit? 2. A partir de la, comment situer le débat autcur/metteur en scéne? La notion d'auteur. aujourd'hui généralisée, est-elle une catégoric inflationniste qui cache cette crise généralisée du récit fictionnel dans le cinéma francais (ou européen)? La méme question, vue d'un autre angle : est-il possible aujourd "hui de réexaminer la notion de mise en scene, en la réévaluant, au détriment de celle d'auteur qui n’a plus son sens puisqu’elle mystifie le dispasitif symbolique — ct son économie — de la création cinématographique (réle des scénaristes. des productcurs, des acteurs, ctc).

3. Le réle de la télévision : sila télévision américaine, grace aux multiples docu-drames, feuilletons. qu'elle produit ev série (les serials) fournit au cinéma une matrice fictionnelle populaire (rdte qui était celui de la série « B » dans le cinéma classique). sil existe entre le cinéma américain et la télévision américaine une sorte de « trone commun » au niveau économique - utilisation des mémes studios, systéme de relais ou de tremplins entres les acteurs, les producteurs, les scénaristes ef les metteurs en scenes — ef au niveau du récit : comment raconter des histoires, qu’en est-il de cette rclation en France? La télévision francaise (le fait qu'elle sc méfic des auteurs de cinéma ct que ceux-ci soient rebutés a l’idée d’y travailler) n’est-clle pas responsable de cette crise de 'imaginaire qui affecte le cinéma? C'est autour de ccs axes que s'est organiséc. empiriquement, a batons rompus, cette tuble ronde avec des cincastes francais. Ce sont des axes de travail qu’une revue comme les Cafiers nest pas préte de quitter de sitdt. S. D. et S. T.

CINEMA

FRANCAIS

TABLE RONDE Duney. J'ai eu tort d’assimiler récit et fiction. Effectivement, le cinéma francais est un cinéma de récits, de récits d’expé-

Crise des fictions

Serge Daney. Tout le monde arrive a la conclusion suivante : le cinéma francais est a la fois : pittoresque (par rapport

aux U.S.A.), marginal. et en méme temps nivelé. Tout cela est un peu contradictoire. I] y a des raisons économiques, que l’on peut décrire : on ne sait pas vendre le cinéma frangais 4 l’étran-

ger. on n'est pas aidé par le systéme de distribution. etc. Et il y a peut-étre des raisons plus profondes. Alorsje vous pose une question que vous n’abordez pas dans votre premiére table ronde : est-ce qu’il n'y a pas une crise des récits, des histoires que I’on raconte, des fictions? Est-ce qu’on peut dire a la fois « on va résister » (disons, pour aller vite, son direct contre effet « dolby ») et en méme temps vouloir té6ucher un public dont on constate depuis quelque temps que. lorsqu’on lui raconte des histoires avec un souffle épique. des fictions conradiennes 4 la Coppola ou méme des vieilles science-fictions du genre

Alien, il marche. Et pas seulement parce que les films améri-

cains sont mieux distribués. mais parce qu'il y a un rapport heureux a la fiction, au récit. qui semble étre préservé aux U.S.A. et qui semble étre complétement en crise en France? Et

cette question de la fiction qui, en ce moment,

m’intéresse

beaucoup, je la trouvais absente de cette table ronde.

Et je

pense a une question subsidiaire : vouloir Videntification, c’est

en général ne pas vouloir de personnages contradictoires. Or. tout le cinéma moderne que l'on a aimé (en tant que cinéphile ou apprenti cinéaste) est un cinéma qui a démoll les fictions, démonté, cassé, ou démultiplié Pidentification, et ce cinéma-la

.

aujourd'hui, d'un cété on I’a derriére nous, et on ne peut plus

le faire aussi bien que quelqu'un comme Godard Ia fait 4 un moment donné. et de l'autre. on ne retrouve pas le plaisir de raconter des histoires, le goiit de la fiction.

Luc Béraud. Effectivement, fe plaisir de la démolition, du contre, du anti et ainsi de suite est quelque chose qui maintenant n’a plus lieu d’étre puisque cela a déja été inventorié et réussi. Mais la ou je ne suis pas d’accord avec ce que Daney

vient de dire, c’est queje pense que le cinéma européen et sur-

tout le cinéma francais est un cinéma du récit, et qu’un de ses soucis principaux est d’interroger le récit. de lui trouver une

forme, et quand tu parlais tout a l'heure de récit conradien a

propos de Coppola. d’accord, mais c’est ce qui fait qu’a l’intérieur méme de son film. il y a quelque chose de pas du tout ameéricain : le trajet, qui vient du « Coeur des ténébres ».

Eduardo de Gregorio. Ce qui est curieux, c’est que moi j'ai entendu dire aux Etats-Unis que ce qui dérangeait les gens dans Apocalypse Now, surtout les critiques, c’était la voix off, et les gens étaient trés violemment contre. Ce serait peut-étre intéressant de savoir pourquoi. Est-ce que c’est littéraire par rapport 4 une idée purement spectaculaire du cinéma, oti tout ce qui est introspection doit étre laissé de c6été? Je ne sais pas. Crest la qu'il y a un cété européen dans ce film et qui doit sans doute géner. Mais le reste, les personnages, on ne peut pas dire qu‘ils ne soient pas américains,..

rience: quelqu’un dit: il mest arrivé ceci, i! mest arrivé ca, avec une voix off et des effets littéraires dans la bande-son. Le cinéma de fiction. c'est disons Holocausie... On nous montre des choses comme si il n’y avail jamais eu personne pour en rendre compte déja. Alors disons qu'il y aurait une crise des

récits et une libération des fictions.

Béraud . Quandje dis récit.je n’en parle pas du tout par rap-

port a des références littéraires mais par rapport a ce qu’est le récit, c’est-a-dire comment Daney.

récite!

Béraud.

Eh

raconter quoi?

bien, a la limite, un récit. c’est quelqu’un

qui

Ah non,je ne crois pas...

Danev , C’est toute une tradition Trangaise, chez Guitry déja.

chez Bresson, etc, La voix off dans la Nouvelle Vague, les pre-

miers films de Rohmer...

Béraud . Quandje dis que le cinéma frangais est un cinéma du récitje veux dire par la que c’est un cinéma qui s*interroge

sur la fagon de raconter quelque chose alors que les fictions américaines marchent toutes grosso modo de la méme facon. non seulement sur lidentification mais aussi sur la linéarité, méme si il y des flash-backs et d'autres choses comme ¢a. Elles ne se posent jamais la question de savoir comment elles vont raconter. En France. comme il s’agit d’un cinéma beaucoup plus ouvert sur la réalité et sur la société que le cinéma amé-

ricain - contrairement a ce qu'on dit facilement-, la premiére

question que se pose l’auteur, c'est : comment moi je vais faire passer cette chose commune qui est notre regard sur notre civi-

lisation.

Daney. Ma question est évidemment un peu trop générale.

Ce n’est pas seulement le cinéma frangais qui n’a plus de fic-

tions, c'est peut-étre aussi toute la culture francaise, la France. C’est pour ca que le récit, qui est peut-étre la forme littéraire.

francaise de la fiction, la forme ot la fiction est passée dans la voix de quelqu‘un, ga a triompheé avec la Nouvelle Vague...

De Gregorio. Mais a ce moment-la, a quoi est-on condamné? A essayer d‘imiter le modéle de fiction aménicain? Béraud . Est-ce que Hollywood s’est posé la question? Nous qui arrivons aprés Godard et Bresson, qui se sont posé des questions et les ont résolues d'une certaine fagon, on n’a aucune envie — ce ne serait pas trés honnéte — de repartir comme si rien ne s‘était passé, alors que Hollywood ne s’est jamais posé cette question et continue...

Daney. Iln’y a pas vraiment eu de cinéma moderne en Amérique... Béraud. Si, il ya des films influencés par le cinéma européen. par Resnais; Portrait d'une enfant déchue par exemple, il y a Welles, mais a part des choses extrémement ponctuelles, comme ca. disons que le cinéma américain ne s’est pas beaucoup interrogé sur sa fagon de raconter ses histoires...

CINEMA FRANCAIS

36

Daney. Ila une fiction, c’est-a-dire une dérive. Et nous on a

bien des réponses, mais plus personne ne pose de questions.

Qu’est-ce qu’‘il faut faire ? De Gregorio.

Mais alors, qu’est-ce qu'il faut faire?

Bertrand van Effenterre. Je crois que ce que dit Eduardo, c'est que nous sommes condamnés a imiter le modéle américain. . De Gregorio.

Non,

la tu exageres...

kan Effenterre. comme ¢a. Si on France. puisqu’on mum. on retombe

c'est 4 peu prés tout ce que l'on pourra citer. La production

américaine qui envahit la France, c'est plutét The Big Fix, le dernier Schatzberg, ot il ne s'agit pas du tout de questions sans réponse.

Fan Effemerre. Bon, fexagére, mais c'est une autre fagon de poser fa question de Daney. Effectivement, je crois que la dif-

férence avec ce qui s’est passé jusqu’a present, c'est que le modéle américain est maintenant le modéle qui a-réussi a simplanter. Je commence a penser qu’il y a eu une influence des séries de télévision américaine a haute dose sur la perception du spectateur en France. Le modéle ameéricain est maintenant completement intégré dans les mceurs du spectateur francais. Ha tout bouffé, Je crois que c’est un probléme de récit-fiction. c’est 4 peu pres le nceud de la question. Je crois

qu’on est devant une alternative : ou bien s’adapter aux normes

ameéricaines, et la le probléme se pose en d’autres termes, c’esta-dire : est-ce qu'on en a les moyens. la capacité... Daney.

le désir...

Fan Effenterre... Ou bien est-ce qu'il y a la place pour autre chose a c6té? Daney dit que c’est un probléme de culture nationale. comme Si cette culture s’était vidée de son sens, n’existait Plus. Le probléme ne se pose pas comme ga. Est-ce qu'elle a

encore les moyens de s‘exprimer par rapport a ce modéle amé-

ricain omnivore ? Et c'est la ot peut-étre notre réle intervient.

Daney. En tout cas, cest une vraie question. Elle n’a pas du tout de réponse, en tout cas, moi je n’en ai pas. Mais elle me semblait manquer dans la premiére table ronde, on y parlait beaucoup de choses techniques. comme le son direct, — ou de problémes de statut : « est-ce qu'on est des auteurs ou des metteurs en scene »? De Gregorio.

Le désir de fiction... C'est peut-étre trés sub-

jectif aussi. Je ne nie pas la possibilité Paimer un cinéma qui

existerait en dehors de cet espace-la. qui est celui des fictions, et qui me parait important. Je crois que javais quand méme posé une question un peu idiote: ot sont les sujets dans le cinéma frangais? Daney. Moi je suis d’accord maniere idiote. Fan Effenterre.

pour poser cette question

de

Ou sont les sujets?

De Gregorio. Qui. trés souventje me pose la question, pour moi-méme aussi. Béraud. Oui mais si tu poses la question : ou sont les sujets, ga veut dire aussi oU sont aussi les réponses? C’est-a-dire que poser une question. a laquelle le film va apporter une réponse. en principe cela suppose une approche du monde qui prétend détenir des clés ou, tout au moins, avoir des choses a dire. Je

crois que nous, cinéastes européens, sommes plongés dans un doute qui est peut-étre historique...

Daney. On na plus de questions. Coppola pose des questions. et il se moque bien de ne pas avoir de réponses a la fin VApocalypse. Béraud.

Je ne pense pas qu'il ait des questions non plus.

Je ne pense pas que l'on puisse généraliser prend les films américains qui arrivent en voit le vingtiéme de la production au maxitoujours sur les mémes. Tu cites Coppola et

Fiction, scénario Serge Toubiana, Il y a des scénarios. Des scénarios au sens le plus général du terme. Au sens oll scénario, c’est plus qu’un scénario de film, au sens ou un fantasme, c’est aussi un scénaT10...

De Gregorio. Ces scénarios vont au-dela du film, tu as raison. Je n’ai pas vu le China Svudrome. mais le scénario. la, c'est la réalité américaine. Le film est en prise avec cette réalité, méme sil est médiocre ou conventionnel,je ne sais pas, et tout ce qui se développe apres, 4 partir du film, c'est: comment ¢a peut mobiliser une certaine tranche du public américain. Béraud. Tu veux dire que l’équivalent en France, ce serait Boisset qui prend une réalité... une réalité policiére... De Gregorio. Queje sache. le film sur Ben Barka n’a pas été fait au moment de lassassinat. Il y a eu un décalage historique. Béraud. Oui, mais Le Juge Favard a été fait un an apres, le temps de mettre en branle la production. Effectivement,je n'ai pas vu le Svadrome chinvis mais j'ai vu le film de Martin Ritt (Norma Rae) qui est un film que j’aime bien, qui est un film

qui pose des questions et qui a des réponses a apporter, qui sait ou il va, etc. comme les films de Boisset. C’est-a-dire qu’ils font une lecture quel sens ils respond un plongé, et je

d'un phénoméne particulier en sachant trés bien veulent lui donner; il y a la quelque chose qui corpeu a un certain état d'esprit dans lequel je suis sais que pas mal de mes camarades y sont plongés

aussi, c’est-a-dire essayer de trouver un sens ou au moins lais-

ser planer un peu de sens sur la réalité que l'on pergoit. Non? Toubiana.

Cest intéressant parce que quand

on parle des

cinéastes américains, effectivement, on dit Coppola et puis,

bon, on n’en trouve pas d’autre. A mon avis. on peut rajouter Scorsese. mais i] n’y en a pas beaucoup. I] y a un peu une fonction de mythe du cinéma ameéricain, qui fait qu'il occupe te marché, les esprits, les fantasmes, le terrain, et que dés qu’on essaie de le décrire. de dire qui. quel film. on cherche et on ne trouve pas grand chose: or ce ne serait pas faux de dire que le cinéma américain n'est pas trés bon aujourd*hui. De Gregorio. Ce nest pas un probleme de qualité.

Toubiana. Donec c'est autre chose, ce n’est pas effectivement

la qualité d'un film, c’est la capacité d’une machine a mettre en branle le public. les fantasmes, l'économie, les ouvriers du cinéma. Et impression que l'on a d'ici. c’est que ¢a fonctionne. Daney. C'est partager avec un grand public des scénarios de simulation, comme China Syndrome, qui mont pas besoin d’étre trés raffings au niveau dune écriture de cinéma car ils

ont une autre vocation...

Van Effenterre. Non.je ne crois pas; a la limite c"est un scoop

journalistique. Il n*y aurait pas eu Three Mile Island. China Syndrome peut-étre s‘écrasait. Les qualités intrinséques du film ne sont pas trés...

OU EST LA CRISE?

ee p

La Tortue sur fe dos, de Luc Béraud

De Gregorio. Je ne parle pas de qualité... Van Effenterre. Ce qui peut nous fasciner et en méme temps nous poser des questions, c'est essentiellement pour moi loccupation du terrain, et une occupation du terrain en profondeur. Indépendamment de quelques phénoménes extraordinaires du style Coppola, il y a une permanence du cinéma américain, une permanence d'un type de récit qui est un truc fondé sur un enchainement linéaire. primaire. d“une histoire... Danev. Ce sont des fictions. Au sens de feindre, faire sem-

blant. Quand on dit fiction, on dit aussitél que ¢a s‘oppose au rée] mais que ca s’en rapproche de trés trés prés, par exemple

China Syndrome. Mais ca me parait trés logique dans un pays

ou le mode de gouvernement consiste a faire des scénarios de simulation politique sur le reste du monde. L°Amérique crée

des fictions pour le reste du monde, des fictions politiques. Pour des raisons politiques et culturelles évidentes, ce n’est

plus du tout la fonction d'un cinéaste européen de simuler des comportements (« si eux font ga. nous on fait ¢a »). Les Américains, jouent aux échecs avec le reste du monde, donc ils créent des fictions, et il semble que leur cinéma, via la télévi-

sion, est en train d'étre synchrone avec ces fictions, que la bou-

cle se boucle. Et nous, on est un peu paumés par rapport 4 ¢a. Toubiana. Je pense que le fait que la télévision fonctionne en permanence sur des « serials », et que ces « scrials » sont vus. diffusés a I'étranger, en Amérique Latine, en Europe, c’est ¢a qui deéfinit la base, le point d’appui de tout le cinéma américain. Cest la que ca invente, en fait... Van Effenterre. Oui, c'est offre, maintenant, qui crée la demande par le canal de la télévision. A force de balancer des « serials », les gens demandent ca, méme au cinéma. Le principe de China Syndrome, c’est exactement fait, au niveau du filmage, comme une série américaine. Moi ca me faisait penser aux séries du genre Les Ruey de San Francisco. Cest la méme

facon de filmer. Chaque série est faite par un type différent en

fonction de ses disponibilités et en fonction de ses capacités a faire ca de mieux en mieux et de plus en plus vite. Toubiana. Ce qui m’a frappé dans China Syndrome, c'est que c'est un film qui ne laisse aucune place a l"érotisme ou a toute forme, méme banale, de sexualité. C'est un film qui ne

perd pas de temps a décrire des attitudes psychologiques, des

poches de relation amoureuse ou ambigué entre Jane Fonda et

Michael Douglas. C’est sur ce point que j'ai percu le modeéle

A droite: Virginie Thévenet et J.-F. Stevenin

A gauche, au milieu, Luc Béraud

télévisuel trés fortement présent. A la télévision, dans //olvcauste, par exemple, on ne perd pas de temps sur les relations

amoureuses du jeune couple, quand

il en est question c'est

absolument mauvais, cela ressemble a de la pub sur un couple qui prend un plan d’épargne-logement. trés images d‘Epinal.

Cette absence de sexualité est un syptome. au sens large du

terme, qui prouve que c’est un film (China Syndrome) fait pour passer a la télé trés vite aprés sa fabrication, et il aurait eu un formidable impact médiatique grace au canal télévisuel dont il épouse fa rhétorique. Mais ila eu la chance de précéder de peu lévénement de la centrale nucléaire...

Daney.

C’est toujours plus facile de s ‘identifier 4 un person-

nage qui n’a pas de sexualité, qui n’a pas de rapports au désir.

Des qu'un personnage est par exemple pris dans le désir, c’est

dur de s‘identificr 4 lui. On le voit bien chez Pialat, c’est dur de s*identifier dans ses films, c’est limite. Mais j‘aimerais revenir a cette hésitation que j'ai pergue en lisant la transcription de la table ronde : est-ce qu’on est des auteurs, point a la ligne? Ou est-ce qu’il y aurait une commande imaginaire a laquelle on aurait envie de se soumettre, mais qui n’existe pas? Ou estce qu'on va faire comme Hollywood. sauf qu'on ne peul pas ou qu’on ne veul pas le faire? Ca semblait refléter une sorte de matheur dans la recherche de son identité de cinéaste. Et c'est ca qui me frappe le plus, indépendamment des dillerences

entre vous.

Alors la, on a envie de demandera Bertrand ce qu'il veut dire quand il affirme qu’il faut résister. Ce que ca veut dire, concrétement, comme horizon ; « cinéma de résistance », Ou demander a Eduardo ce que ga veut dire de renoncer au statul d'auteur pour se revendiquer simplement comme metteur en scéne, c’est-a-dire de se limiter soi-méme. Ou demande a Pascal comment il voit la télévision par rapport au cinéma, com-

ment elle change le statut du cinéma. Chacun semble avoir un

début de solution pour continuer a travailler...

Béraud.

Moi je serais plutdt de avis de Bertrand, c’est-a-

dire de la résistance. Tu vas nous parler de Videntité culturelle et de tout Ga, maisje crois que c’est notre seul point d’attache et que c'est en revendiquant cela que !’on a peut-étre des chances de devenir compétitifs par rapport aux autres. De toutes fagons, c’est la seule chose, la seule pratique qui me permet de ne pas trop changer de peau entre ma vie quotidienne et le moment ou je me mets au boulot. Il y a des gens en France qui visent le modéle américain. Je pense a Verneuil ou méme a

CINEMA FRANCAIS

38

Zidi. Des gens qui visent la fiction pure. Je suppose qu’'ils doivent, lorsqu’ils descendent de l’'autobus ou referment leur jour-

nal pour entrer dans le studio, changer de peau, qu'il doit se passer quelque chose, une métamorphose, parce qu’il n'est pas possible de faire les films qu’ils font et, en sortant du studio, de voir ce quils voient. Moi, personnellement, j'ai impression qu’entre les films que j’essaie de faire et la vie queje mene, c'est la méme chose. avec simplement un filtre de récit fictionnel. Tout le monde fait des films d’auteur

Pascal Kané. J'ai relu la table ronde, et je me suis rendu

compte qu’il y avait un malentendu sur le débat que l'on avait entre le théme de I’« identité culturelle » qu'amenait Bertrand.

qui est un théme

incontournable,

et celui de «la

mise en

scéne » dont Eduardo et moi parlions. Il me semble, cflectivement que cela peut préter a malentendu, et on devrait. en tout cas a la lecture de la premiére mouture, donner raison 4 Van Effenterre sur le fond. C’est méme une évidence. I! me semblait vouloir dire qu'on ne peut plus se battre sur le terrain : on fait des filnis d'auteur contre des films commerciaux. Tout le monde fait des films d'auteur, aujourd’hui. d'une certaine facon. ou ils sont tous appelés et catalogués «auteur». C’est dans la fagon dont l’auteur passe dans le film, la fagon dont il sy investit, qu'il y a des diflérences. Alors que la Nouvelle Vague amenait des sujets différents (les auteurs se démarquaient aussi en ce que leurs sujets étaient différents),

aujourd'hui, je ne suis pas stir que les sujets soient différents.

Peut-étre que le point de vue change mais les sujets, pas tellement. Et c’était pour essayer de trouver un autre espace de définition aux auteurs qu'Eduardo et moi. pas obligatoirement dans le méme sens, on parlait de mise en scéne. Mais, probablement,-la définition de mise en scéne ne doit pas étre suffisante. [! faudrait l"expliquer autrement. Enfin, j'ai impression que ce n'est pas tellement dans le sujet que ca se passe. |’apport du cinéaste.

Van Effenierre. Je suis assez d’accord avec toi dans la mesure

oul j'ai impression que les deux choses se passent effectivement a deux moments différents, Pour moi. c’était une approche générale, une espéce de constatation; devant le laminage américain, est-ce qu'il y a encore une place pour quelque chose de différent’ ? Effectivement, a un autre niveau. a un niveau pratique, se pose le probléme d'une approche différente, d'une conception. A la limite, c’est de savoir pourquoi on se pose en lant que cinéaste qui est important. Par exemple, si tu lis l'interview de Martin Ritt Ge ne sais plus dans quelle revue), tu te rends compte qu’i! ne se place pas du tout de la méme facon que nous. Lui, effectivement, son probleme c'est de fabriquer, comment faire fonctionner le mieux possible avec une « idéc-bloc » sur laquelle il a écrit son scénario et qui avance comme ga. Il ne pose pas son travail en termes de responsabilité sociale, cc que font en général les cinéastes curopéens. Kané, Oui, mais alors si le mot de mise en scéne n’était pas suffisant, de méme, parler de l’identité culturelle. ne lest pas non plus. Parce qu'une identité culturelle, ca peut recouvrir beaucoup de choses, une politique de sujets trés précisément. Actucllement, ce n'est pas derriére la banniére de nouveaux sujets que l’on peut se poser en « autres » du cinéma dominant. De Gregorio. Vai le sentiment. comme ¢a, qu “ity a une contradiction absolue. Pour moi, « mise en scene », c'est poser

un certain cinéma que je vois aujourd’hui et qui n'est pas du

cinéma ou qui est, pour reprendre le mot de Biette du « cinéma filmé ». C’était établir, proposer un droit a la difference: dire justement « on a le droit d’étre différents » et on le revendique.

Jopposais ca au terme d’auteur parce que le terme d’auteur me paraissait incapable aujourd’hui d’exprimer cette différence dans la mesure ou tout le monde se revendique comme auteur sur le marché frangais ou parisien. Tout le probléme, c’est comment, 4 partir de la revendication de cette différence, arriver quand méme a un public, 4 un public qui est par ailleurs bombardé par cet autre cinéma queje refuse. Je crois qu'il ya la une contradiction essentielle dans laquelle on devrait étre pris. Au moment ou tu veux arriver a un public, tu te poses le probléme du sujet, forcément. Tu te poses justement le probléme des fictions. Est-ce qu'il faut faire fictionner le spectateur? Est-qu‘on peut? Kane. Je suis d’accord avec tout ce que tu viens de dire. La

question que j'aimerais te poser, c'est que lorsque tu dis que tu

aimerais te siluer contre ce « cinéma filmé » qui est le cinéma que les gens voient, est-ce que tu as l"impression que c'est un probléme de sujets?

De Gregorio.

C'est aussi un probleme de sujets, mais cest

aussi le probléme du comment c'est fabriqué. Les deux choses

sont peut-étre imbriquées maisje ne pourrais pas définir cette imbrication. A mon avis. elle existe a plusieurs niveaux.

Kane, Ce qu’on disait a Cannes, c'est que c’était le rapport cinéma-télévision qui était en jeu. Parler de mise en scéne,

c’était se situer contre le filmage télévisucl du cinéma. C'est en

ce sens queje comprends I’expression « cinéma filmé »: quand la télévision enregistre le cinéma. C’était jouer le cinéma contre la télévision, Le cinéma d’aujourd "hui devenant justement minoritaire contre la télévision, méme s‘il peut devenir tres puissant quand c’est Coppola qui filme la place de la télé-

vision, qui se substitue a tout l'appareil télévisuel.

Cinéma de scénario contre cinéma de mise en scene ? De Grégorio. Oui, c’est sans doute la télé qui est a la base de cet aplatissement. Pour moi le probleme se pose ainsi : comment réconcilicr un cinéma de scénario et un cinéma de mise en scene? Et le terme « auteur» me parait la compléetement inopérant. Daney. Parce qu'un auteur. dans le sens plein du terme, c'est

quelqu’un pour qui c’est indissociable. Le cinéma francais qui

a toujours été un cinéma d’auteur, majorilairement. ca toujours é1é plulét: « concu, écrit et réalisé par... ». comme les films de Guitry que je voyais étant yosse. C'est encore vrai

aujourd’hui. C'est un cinéma qui a toujours ¢té hexagonal, minoritaire et difficilement exportable. Ca ne date pas dhier. De Gregorio.

En méme

temps, if y avait un cinéma de sceé-

narisles, ¢a existe et ca a toujours existe.

Danev. Oui mais pas tres bon... Prévert... L’dage d’or de lentre-deux guerres mais si on prend toute lhistoire du cinéma, du début jusqu’a maintenant. a part /époque du Front Populaire ct trois ou quatre scénaristes. le cinéma francais, du moins celui auquel nous nous sommes rélérés et qui nousa fait ce qu’on cst, c’est un cinéma d'auteur, dans le sens arrogant et litteraire du terme. De Gregorio. Oui, mais le mot auteur, aujourd “hui, n'a plus du tout la méme valeur. Dans les années cinquante, ¢a avait une valeur de rupture. Aujourd’hui, c’est dans ce sens-la que tu es contre le cinéma d’auteur. contre l’expression « cinéma d’auteur». Béraud. Ecoutez, le film de Losey. Don Juan, cest le type méme du film de commande. D’ailleurs, l'autre jour, on nous

a dit « te film de Gaumont ».

OU EST LA CRISE?

Dore et fa fanterne magique. A guahce’ Valérie Mairesse. A droite, au milieu, Pascal Kané

Van Effenterre. Le film de Mozart! Ce que tu définis en disant qu’il faudrait concilier la mise en scéne et le scénario. cu pourrail étre recouvert par un terme qui serait Vevigence. De Gregorio. Oui, mais cest un terme moral. Van Effenterre. C’est pour ca que tout a Vheure je parlais de responsabilité carje crois que c’est la-dessus que lon débouche en definitive. qui

Dane. Vous ne pensez pas qu'il y a des raisons profondes font que, quelle que soit l'exigence dont tu parties, c'est

objectivement difficile aujourd’hui en France d’étre a la fois quelqu’un qui est l'auteur de ce qu'il fait, qui « écrit » avec sa

mise en scéne el qui en méme temps est capable de susciter, de se laisser mener par des fictions la ow elles naissent, c’est-a-dire 4 fleur de peau et partout dans le corps social. C’est de 14 que jétais parti. Pour moi, quand tu parles d’exigence, il ya quand méme un cdoté voru pieux... Kane,

Le

cinéma

d'auteur

contredit

complétement

le

schéma américain dont on parlait au sujet de la fabrication dun

teur.

film comme China Svadrome qui est un film de produc-

Béraud. Est-ce que n’intervient pas 4 ce moment-la un facteur économique précis, a savoir le fait qu’on n‘arrive pas a faire de films? Pour quelqu’un qui n’a pas de box-office personnel. mener & bien un projet va lui prendre deux. trois, quatre ou cing ans. Il est donc obligé de se transformer en marketing personnel, obligé d’cxacerber tout ce qui va le diflérencier de lautre.

Daney.

Ce que tu décris la, est-ce que ce n'est pas l’échec

d'un type de producteurs ni chair ni poisson qui voulaient a la

fois jouer la carte des auteurs parce qu’eux-mémes respectaient et admiraient ces auteurs (comme Tchalgadjieff par rapport 4 Bresson. qui l’a ruiné) et qui avaient aussi leur orgueil. qui voulaient impuser feur marque, mais sans aller jusqu’au bout? Parce que les producteurs auxquelsje pense, ce sont plutdt les anciens producteurs améericains, les dinosaures qui n’avaient aucun respect pour les metteurs en scéne qu’ils faisaient travailler. Béraud. On aga en France, c'est Alain Poiré a la Gaumont qui est un dinosaure. J'ai eu l'occasion de travailler comme

assistant sur un film de Poiré : il a son droit de veto sur le casling, il intervient relativement peu au stade du scénario mais

il choisit les scénaristes, les sujets et ainsi de suite; c'est un producteur a l’américaine, mais regardez le produit que ga donne ! Kane. Cela dit. est-ce que ce n'est pas aussi l’échec de cette conception de ‘auteur ou entre une dimension complétement

paranofaque et morbide que ton film (La Tortue sur le dos)

montre d'une facon précise. Car c’est vraiment le sujet de ton film,je trouve, ce rapport presque maladifa l'idée et a la notion d'auteur.

Béeraud. Oui, c'est vrai mais je pense aussi que cela est da, c’est ce que j’essayais de dire tout 4 Mheure, 4 un probléme éco-

nomique. Je trouve que les gens qui tournent beaucoup se posent moins le probléme. Un type comme Boisset, qui n'a pas

trop de problémes 4 faire des films, ne se pose plus les problé-

mes d’autcur, il a des problémes d’actualité, des problémes de

sujets,

Les producteurs Kane.

Mais en méme temps, i] veut étre un auteur. C’est-a-

L’expérience Duval ?

dire qu’ici il n‘y a personne qui ait la pulsion de dire : je veux

étre producteur, je veux imposer ma marque comme producteur, comme l'impose de facon trés forte Michael Douglas, On ne parle que de Michael Douglas dans le film; fe réalisateur, on n’en parle pas. Or, chez nous cette pulsion passe uniquement a travers l’élément de la culture : je suis un auteur.

Toubiana, vous?

Béraud : Les deux ou trois producteurs qui existaient (je dis qui existaient parce qu’ils sont tous en faillite actuellement), cest Jean-Serge Breton, c'est Hubert Niogret et d'autres comme Stéphane Tchalgadjieff, dont le mérite n’était pas d'imprimer leur marque sur le film mais au contraire - (méme si Ga revient au méme) — d'essayer d’exacerber lidentité du metteur en scéne qu'il appréciait.

Toubiana. De la petite carriére qu'il fait et quia l'air de pas mal se monter. Il y a un producteur, la.

Et

Vexpérience

de

Duval,

comment

la voyez

Beraud. C’est un auteur quia du bol, non? Tu parles de La

Dérobade?

Béeraud. Je Wai pas vu La Dérohade mais j'ai Vimpression que c’est un auteur qui a de la chance, cest l'un de nous qui aurait eu du bol. Toubiana, Mais en méme temps, ce n’est pas un sujet de lui,

CINEMA FRANCAIS

40

c'est un sujct de producteur, un best-seller. C’est done un film de producteur qui choisit le metteur en scéne.

De Gregorio, Cest done un producteur plutét dans le sens traditionne! du mot, comme il en existait avant.

Béraud. Absolument, d’ailleurs il y avait plusieurs personnes sur fa liste.

Kané, Comme il en existe encore. a la limite. aux Etats-Unis. Juimerais revenir a ce qu’Eduardo semblait dire quand il parlait de retour a la mise en scéne. J’avais compris ca un peu dans

Toubiana. Cest donc une expérience heureuse de metteur en scene... Béraud.

Attends de voir...

Toubiana.

Non, non, je ne parle pas du contenu.

Kané. Crest basé sur La Denrelliére, si tu veux. Touhiana.

Je pense aussi a Leterrier et a son film,

Ke voir

maman, papa travaille ; C’était un livre de Frangoise Dorin, une productrice avait acheté les droits, et devait choisir un metteur en scéne: lui, pas lui. non lui va mettre en scéne. et

puis. bon, le film fait quatre cent mille entrées. Ce sont des eapericnces qui existent dans le cinéma frangais, Kané. Ce que tu dis rentre duns la catégorie des producteurs qui ont un sujet et qui ensuite vont se cacher derriére Vimage de marque du metteur en scéne pour le sortir. Toubiana. A monavis, c'est Pimage de marque du « package deal ». ce n'est pas l'image de marque de Duval. Kané, En Amérique, ¢a ne se passerait pas comme contraire, on joucrait 4 mort le sujet. Béraud.

sonne.

Qui, dans la rue, sait qui est Daniel

Duval?

¢a, au Per-

De Gregorio. Un jour, j'ai fait une expérience, j'ai fait un pari : qui connait le nom d’André Téchiné dans la rue? Je suis

allé un samedi soir sur le boulevard Montpamasse pour demander aux gens. Personne. C'est intéressant de savoir ¢a. Les gens, ce qu'ils connaissent, c’est le nom de Fellini.

Toubiana. Juste pour finir la-dessus. Je n'ai pas vu le film de

* Duval mais j‘ai vu l'affiche. Cest un film qui sort avec Pimage

que le cinéma lrangais, au vu de ce film, se porte bien, qu'il nest pas malade et qu'il n’a pas beoin de Amérique : un bestseller, une star. (enfin une star francaise, pas plus) un metleur

en scéne qui a fait ses prcuves avant, puis un producteur qui

au départ a du fric et quia confiance. Je pensais au Leterrier, mais il ya de temps en temps des cas qui te donnent I’idée que le cinéma lrangais est bien portant. Par ailleurs, le film d’André te prouve le contraire : tu as un auteur, quelqu’un qui a une prétention a signer et qui te fait un film qui est un gouflre dans tous les sens du terme, est un bide, et qui te prouve que le cinéma francais voulant concurrencer Fellini ou Visconti ou l’Amérique est malade, structurellement. Il va un cancer dans ce film. De Gregorio. Entre le producteur Benjamin Simon (qui a produit La Dérehade) et les autres producteurs dont ona parlé, il ya une difference de base. Je ne le connais pas mais quand méme, il est allé vers un bouquin qui est un best-seller. il a monté le coup !ui-méme d’une facon traditionnelle, tandis que tous ces producteurs dont on parlait avant, c’étaient des producteurs de lavance sur recettes. Auteur ou metteur en scéne? Toubiana.

Et souvent des directeurs de production...

Bérand, Et c'est des producteurs 4 qui l’on apportait un scénario. La, il est parti d‘un bouquin, il est allé chercher un cinéaste,

ce sens: a ’intéricur d'un espace qui m’est donné, mon espace

4 moi sera la mise en scéne. En gros. ce que j'avais compris, c'est que tu revendiquais un peu la liberté de Douglas Sirk quand il avait un contrat de sept ans avec la Columbia et qu'il avait le droit de refuser deux fois un sujet par cxemple; mais ca n’avait aucune espéce d'importance puisque. de toutes fagons, son territoire, c’était la mise en scéne et que, finalement il acceptait le premier scénario qu'on lui donnait car cétait toujours le support d'un autre travail. Je caricature un petit peu, mais c’est ga que j'avais compris de ton intervention. De Gregorio. Non, non, ce Métait pas Ga el je crois que j'ai précisé avant cc que jentendais par mise en scéne par rapport a autcur. A mon avis. ce qui va se passer en France. c’est qu'il y aura quand méme des producteurs a la recherche de bouquins, el de gens pour les adapter: les autres. les films qui commencent a partir de quelqu‘un qui cst auteur deviendront minoritaires. malheureusement. A ce moment-la Ic probleme se pose: comment faut-il réagir par rapport a ca. $i on accepte de rester, si on accepte cet espace-li et si on est accepté dans eet espace-la. Quelle tactique adopter pour nc pas faire du «cinéma filmé»? Je m’exprime peut-étre en des termes trop vastes ou trop génériques, mais j'ai l'impression que c’est ce vers quoi on va. Il faut se cramponner. Je vais continuer a faire des films. Je trouve ca formidable, mais il y aura de moins en moins de possibilités pour les faire. Parce que si le cinéma d'auteur existait en France, c’est parce que « l"avance sur recettes » existait aussi. Je dis le cinéma d’auteur tel qu’on lenten-

dait dans les dix derniéres années. Ce sont des vérités de base. Béraud. Tu penses que lon peut continuera faire des films. Mais comment?

De Gregorio. At’ mais j’en sais rien (rires). Je pense qu'il y aura un espace plus traditionnel. qu'on reviendra vers des formules plus traditionnelles. Que Daniel Duval ait cu du pot pour faire un film qui marchera peut-étre, soit, mais cette offre du producteur ne me parait pas exceptionnelle. Beéraud. Je crois qu'on oublie un phénomene trés important. Disons que La Dérobude, ca correspond a un marché potentiel. Qu’est-ce qui s’est passé. disons autour de la Nouvelle Vague, et jusqu’a une date récente, jusqu’a il y a trois Ou quatre annécs, et qui est en train de s‘arréter a cause de la politique actuclle de « l'avance sur recettes ». c’est que des gens ont dit : nous aussi. on veut faire des films et on saura créer l’espace pour qu’ils soient diffusés. L’espace, on ne l’a pas trouvé. Le probléme. c'est que le public va moins au cinéma et que espace est occupé soit par ces grosses machines, soit par les films américains qui ont comme atout d'une part Pimpérialisme de la pensée américaine. d’autre part “occupation des media. Mais le cinéma dit d’auteur, le nétre, c’est un cinéma qui se fait'en ne répondant 4 aucune donnée de base du mar-

ché. Tout simplement, on les fait et on essaie apres de les diffuser.

Kané. A la limite, ona envie de dire que c'est ca la definition du cinéma d’auteur aujourd hui. C’est-a-dire quand un film est fait sans la moindre préoccupation du marché potentiel qu il

peut rencontrer.

Le contrat Toubiana.

Sans commanditaire. sans contrat de départ.

OU EST LA CRISE?

A gauche, Brigitte Fossey dans Erica Minor A droite, J-F. Stevenin et B. Fossey dans Mais ou est donc Ornicar?. de Bertrand van Effenterra

Béeraud. On arrive a les avoir a Vusure, a avoir un contrat avec Klaus Helwig qui est un allié allemand. On arrive, sur la

tout ca mais malheurcusement, ga me parait un fail de la réalité. Je ne dis pas du tout qu'il faille ’accepter comme ¢a.

Il y aun phénoméne, c’est qu'il y a trop de films cn France par tapport au public et en plus, c'est le pays le plus ouvert a la cinéphilie, c'est le pays ou l’on projette le plus de films4 la fois. c’est le pays qui découvre Je plus de metieurs en scéne. Les Allemands sont venus se faire reconnailre ict, par exemple...

Van Effenterre. Je la constate,je constate que tout concournt acette disparition du cinéma dans lequel l'auteur est l"élément de départ, mais qu'il y a encore - et c’est pour cela queje parle de résistance — un certain nombre d‘armes, d’atouts. Cela part de « l'avance sur recettcs » qu'il faut 4 tout prix préserver. ca part aussi du fait que maintenant on commence a s‘occuper. nous, de production, a yérer nos propres films. Cela part pcut-

mauvaise conscience, a obtenir de F.R.3 une petit obole. On arrive un peu a élargir la somme de « l’avance sur recettes ».

Kané. Je ne suis pas d’accord. Hi ne faut pas dire que l’on produit trop. ce n'est pas vrai. On produit plus que les autres, voila. [I faut réduire le nombre de films produits, quoi, c’est ca? Béraud. vite.

Mais évidemment en faisant ga, on réduit la créati-

Daney. C'est carrément

idiot.

Van Effenterre. Je crois que le début tel que tu le poses, c’est celui devant Iequel on se trouve maintenant. Effectivement. des opérations commerciales. sans que cela soit péjoratif, style La Dérobade. dans lesquelles on peut éventuellement s‘intégrer. avoir des propositions de travail. Toubiana. D'accord, mais il faut désirer ga. [Il ne faut pas croire que Duval a recu un coup de fil. un beau matin,je suis sr qu'il désire fondamentalement ce lype de situation.

Van Effenterre. Par rapport a ga, ta position, Eduardo, en caricaturant un peu, c'est de dire : j'ai impression qu‘a l’inté-

rieurde ce genre d’opération,je peux trouver ma place. Et moi, ma position, tout aussi abstraite, elle est de dire : a Nintérieur de ce genre d'opération, je suis certain de ne pas trouver ma place. De Gregorio.

Ma

position, ce n’est pas de dire que je crois

queje peux trouver de la place dans cet espace-la. Ma position, cest de me dire : 'autre espace ne va plus exister: C'est ce dont

j'ai peur. Je caricature, la aussi. Qu'est-ce qu'il faut faire d partir du moment ou, effectivement, ce ne sera plus moi tout seul qui sera au début du projet mais éventuellement quelqu'un d‘autre? Comment laudra-t-il procéder a partir de ce moment ta? En supposant qu'il y ait cette demande. Ce quin “est pas du tout le cas pour instant.

Van Effenterre. Tu entérines déja la disparition... De Gregorio. Ce West pas que je l'entérine, c'est que je la

constate. Je veux bien avoir une attitude volontariste devant

étre aussi du fait qu'un jour, il va falloir faire ce que les Allemands ont fait, c‘est-a-dire s'‘occuper de caturant, on peut dire, a la limite, que Coppola. Et je dis, il n°en reste pas moins du projet, c'est, pour prendre un terme

distribution. En caric'est la démarche de que le point de départ trés général, ton désir.

Et si jessaie de trouver les moyens pour résoudre ces problémes et d’échapper a cette disparition, c'est que, trés profondé-

ment,je pense que I’autre solution dont tu parles est quelque chose qui va m’enlever mon identité. De Gregorio.

Pour moi, ce que disait Serge tout a Pheure :

c'est aussi un probléme de contrat avec quelqu’un d’autre qui

nest pas Moi-méme, et qui puisse représenter Ic public: > est capital. C’ -dire que lorsque je fais un film, que je di de m’asseoir 4 ma table et de commencer a écrire. je n’ai pas d’interlocutcur, d'une certaine facon; pas d‘interlocuteur qui puisse représenter le public Ge ne parle pas de linterlocuteur complice que serait un co-scénariste). C’est [a ott les producteurs n’ont pas joué leur réle, celui qu’on leur a donné. Ce sont ces producteurs-la qui sont en train de disparaitre. Ils l’ont joué d'une autre fagon et on peut leur étre trés reconnaissant d’avoir produit ces films-la. Mais ils étaient simplement des opérateurs. Beraud. droit...

Mais tu sais trés bien aussi qu’on

leur refusait ce

De Gregorio. Absolument. Van

Godard.

Effenterre.

ls

étaient

de

notre

cété,

comme

disait

De Gregorio, Mais le probleme, c'est que ces intermédiaires ont disparu ou disparaissent. C’est ce désir maintenant de trouver un interlocuteur qui putsse représenter autre chose que moi-méme. Toubiana, Cela peut étre des institutions comme la télé aujourd’hui, mais ce ne sont pas de vrais commanditaires. Ce qu’Eduardo dit va peut-étre contre le désir de Van Effenterre de contréler toute la chaine, contre son projet d’indépendance.

CINEMA

42

Crest important, parce que le projet d’indépendance, a la Duras, est un projet qui est absolument contradictoire avec Vidée d’avoir déja, au moment de I’élaboration du projet filmique, les contraintes du marché qui se symbolisent dans la présence d'un producteur, c’est-a-dire quelqu'un qui dit oui ou

non, Il ya un autre exemple, c'est Clair de femme de Costa

Gavras. Ce enfant peut raccourcis — maniére, ce que ce n'est

n’est pas un film désiré. si on veut, au sens ou un l’étre. Et c'est vrai qu’on lui tombe dessus a bras puisque le film est mauvais et que, d’une certaine systeme de production est mal vu par nous. Est-ce pas négatif. pour des cinéastes comme vous. de

continuera véehiculer cette idée qu'un film imposé, un film fait parce qu'il faut crouter comme on dit, ca ne peut que donner un film mauvais?

Beéraud. A priori,je pense que La Dérobade. ga va étre bien. Duval était en train d’écrire un scénario pour lui ct quil va faire maintenant. Quand il a eu ce coup de téléphone, on lui

a propose de faire ca. Ila dit : oui.je veux bien, a condition que

je fasse I’autre aprés. Et ainsi de suite. Maisje ne crois pas que le fait que l'on vous appelle au téléphone fasse que les films soient mauvais, puisque tous les films américains étaient faits comme ca. L’exemple de Costa : on I'a appelé au téléphone, il a dit oui, puis i! s’est planté. parce que ce film n’était peut-étre

pas fait pour lui.

Kane. On tourne un peu en rond sur la méme question et on

retombe sur lidée qu'un auteur, aujourd’hul. doit étre un metteur cn scéne pour pouvoir s’en sortir. La preuve. c'est que le Demy qui est un pur ftlm de commande (Lady Oscar) est un

film admirable.

Toubiana. Le seul auteur accompli, en ce sens, c’est Duras. Elle n’est pas dans un rapport malheureux a la commande,

comme vous. Toubiana. Béraud.

ego.

Duras?

La commande? passe.

c'est elle, c'est son

dartiste trés fort, absolu, et les moyens cet égo, de ce narcissisme. Et surtout avec une intelligence laquelle elle peut fonctionner.

de I’économie

dans

Beraud. ly aun bluff terrible chez Duras. Vu qu'elle est une institution, elle peut aller chercher des stars, des choses comme ga. bon, qu'elle détourne. Pas n’importe quelle star. C’est assez limite.

Toubiana. pareil.

Elle a cu « l'avance » au départ, dés le départ?

Béraud. La Chaise longue, oui. La Musica aussi je crois... Daney. Ce qui, a un moment, me paraissait un point commun aux films que nous aimions bien dans le (jeune) cinéma francais — je me rappelle que Pascal était d’accord avec ca -. c’était une certaine cohérence dans le rapport entre leur sujet et leur économie. C’est-a-dire que, vu les données concrétes dont ils disposent, les cinéastes ont ou n’ont pas ce Nair de savoir jusqu‘a quel budget ils peuvent étre Fauteur complet de leur film. Et ils se moquent du reste. Quelques uns y sont parvenus: i] y a Duras, il y a Garrel, a sa maniére, il y a Straub. etc. Ce sont toujours des cas tres singuliers et méme tératolo-

giques.

Béraud. Non mais regarde ! C’est formidable ! IIs ne sont que trots !

Kane, Straub est un assisté. croient...

Il a un réseau

de gens qui

Daney. Oui, mais il la créé ce réseau. Straub produit ses films. [I fait ses films avec différentes télés, allemande, autri-

chienne ou italienne, qu'il méprise ou qu‘il séduit. I] leur prend de argent. Ul sait parfaitement gérer un budget. C’est certaine-

Aaron, sait exactement ou chaque centime va. C'est exemplaire. en tout cas limite. Donc il produit son film. I] le produit de A jusqua Z. Et aprés, il m’envoie méme des notes prises par un assistant pendant le toummage du demier film pour que jc m’en serve éventuellement pour une critique. I] pense absolument 4 tout. Il est attachéde presse, etc. Bon,on pense ce qu'on veut de ses films. Mais ils les produit vraiment. Ce soir, on parle plutét des films faits par des gens qui, comme Straub. ont

Elle peut séduire des institutions. Ce

idée beaucoup plus fluctuante de leur économie. C'est vrai que le cinéma « d'auteur » et |’inflation de ce terme, ga a correspondu a: « avance sur recettes » + LINA, + les télés. Et la. il faut revenir a ce que l’on disait sur les contrats. Ce n’étaient pas

de vrais contrats. « L’avance », ce n'est pas un vrai contrat,

Et c'est un cinéma d’institution.

Daney. Duras, c’est un auteur trés trés francais. Dans le sens que je définissais tout a Iheure. C’est-a-dire uvec un ego

Daney.

Toubiana.

un narcissisme d’auteur mais veulent faire des films avec une

Sirement, elle nen a pas et elle sen

Parce que sa seule commande,

Toubiana.

Danev. Visiblement pas. Les premiers films ont été complétement ignorés.

ment fe seul cinéaste qui, sur un gros budget comme Moise er

Duras, Straub, etc.

Van Effenterre.

FRANCAIS

Béraud. Tu oublics quand méme qu'elle avait un aval terrible, que c’était une des stars du dit « nouveau roman ».

n'est pas

Béraud. Mais enfin, Duras téléphone 4 Frangois Périer qui arrive une demie-heure aprés pour faire un commentaire, par exemple. Daney. Oui, mais si tu veux. on peut dire que Duras, a fait

des films qui n’ont été vus par personne, méprisés par tout le

monde, avant /ndia song. Je veux dire qu’elle a cu sa part Wobstination pour. comme dit Bertrand, contréler toute la chaine.

c'est personne, ou c’est un peu de copinage qui change. Les télés. on sait trés bien que la télé allemande a de I'argent, elle a une politique de la marge et du gaspillage. Et INA. on a vu ce que ca avait donné. L’INA a contribué a ce que de bons films se fassent, mais elle n’a pas pour autant appris a produire... Van Effenterre. Si, eflectivement. on pouvait travailler différemment. on le ferait. On a pour l’instant cette seule possibilité, je crois. C'est ca qui est dramatique. Savoir si cela va nous permettre, 4 un moment donné, soit de rentrer dans un systéme économique qui existe mais qui, pour l’instant, ne

veut pas de nous, et d’y rentrer avec suffisamment d‘atouts en

mains pour étre relativement maitre du jeu plus tard, cest une question, ou savoir si, 4 un moment donné, la résistance qu'on aura apporté par la fabrication de nos films et par la perma-

nence du cinéma qu’on a envie de faire ou qu’on représente,

permettra de garder un lien avec le public et de continuer. C’est cela le probléme et l’enjeu actuel. De Gregorio, En fait, ce que l'on est en train de dire, c’est que. que ce soit unc solution ou lautre, la situation qui ¢lait valable il y a cing ans en France ne lest plus aujourd hui. Ce cinéma d’auteur produit avec « l‘avance sur recettes », d’unc certaine fagon, n’existe plus.

OU EST LA CRISE?

La Mémoire

courte.

d’' Eduardo

de Gregorio

Spectacle ou musée ? Kané.

Mais avant ca, ne faudrait-il pas que quelqu'un

se

fasse l'avocat du diable? Sinon on risque de passer a cété de la

question que tout le monde se pose, a savoir: est-ce qu'il faul

encourager un cinéma d’auteur comme on le pense en France aujourd’hui? Est-ce que c’est une bonne chose, unc bonne

politique? On est les premiers a aller voir des films dont on sort furieux en disant ; mais vraiment, ce con qui se prend pourje ne sais pas qui... On se dit: mais ce type, il aurait eu un pelit peu des contraintes de production, un contrat, il ne se pren-

drait pas pour un grand littérateur, ce serail une situation drélement plus saine.

Daney. Attention, dans les media. Kané.

Oui

c’est le discours qui devicnt

mais il faut qu’on

dominant

laffronte, d’autant plus que

nous... enfin, moi, personnellement, il m‘arrive de dire: merde, a tout prendre, je préfére un film comme China Syrdrome qui est un film ou il n’y a pas d’auteur mais ot il ya une

fagon d‘amorcer une communication avec quelqu‘un, il y a unc fagon de ne pas prendre les gens pour des cons, il y a une

fagon d’essayer de remplir un contrat, On est trop souvent en présence d'un cinéma d'auteur en France qui se fout trop de ca.

Daney. Un contrat n'est pas fait pour étre rempli, il est fait pour existerau départ. Apres, ce qu’on en fait, c'est aussi toute Vaventure de l'art. China Syndrome, c'est un contrat régulier... Kané. Quand tu dis ga, tu annules la question. On peut direc : est-ce que Mondrian a rempli son contrat avec les spectatcurs de son temps? Probablement pas... Dancy. Non sans doute parce que Ia peinture spectacle. Tout a l’heure, on parlait du manque départ. Quand Godard filmait Le Mepris pour élait assez malin pour inscrire et le contrat et

ce n'est pas un de contrat au Carlo Pont, il comment il Ic

tournait en le prenant a la lettre. C’était un moment ou il y avait encore du jeu entre un gros producteur et un auteur petit malin qui voulait jouer au plus fin. Aujourd’hui, ca ne semble méme plus possible.

De Gregorio, Tuas dit un mot qui était intéressant quand tu as dit en‘parlant de la peinture que ce n’était pas un spectacle. Le cinéma d'auteur frangais nest pas un spectacle. Et quand

A gauche:

Philippe

Léotard et Nathalie

Baye. A droite:

Bulle Ogier et P. Léotard

je dis que ce n’est pas du spectacle.je ne le dis pas d’une fagon pejorative. Fobserve simplement : ces films-la ne remplissent

pas les conditions qu'un spectacle demande. Daney.

C’est vraiment

une question de posture de specta-

teur. Moi j'ai vu Alien, sur la 42* rue a New-York, et j'étais 4 peu prés comme n’importe quel spectateur. J’ai revu ce

matin le dermier film des Straub, il m’a compléetement bouleversé et je lai trouvé magnifique, mais j’étais plut6t tendu vers

I"écran que rivé A mon siége. comme pour .Alien, Ce n'est pas

lun contre l'autre. Ce sont deux postures de spectateurs qui,

tendanciellement. m’angoisse que l’on a ils ne l’ont réglé avec

s’éloignent

lune

de

lautre:

et moi,

¢a

assez parce que je participe des deux. Et ce débat sur le cinéma d'auteur francais, eux en Amérique, jamais eu, parce que ca ne s"est pas posé, ca s'est le cinéma « indépendant » qui va directement dans

les musées. Alors est-ce qu'aujourd’hui, avec un certain retard et vu la spécificité du cas frangais, on n'est pas en train de se poser cette question-la? C’est-d-dire: ce petit bloc de cinéma d‘auteur créé par « l'avance sur recetles » dans des conditions

précises il y a quelques années est en train de se scinder en

deux. Une partie est préte a résister cn se prenant en charge

elle-méme avec toute l’exigence nécessaire, et sait qu'elle va

étre marginalisée. Une autre partie essaie de se raccrocher au spectacle, compte tenu du fait que le retour du spectacle et le retour au spectacle, n’est pas un phénomene-dt au hasard. Crest redevenu fondamental, 4 notre époque, en Europe... De Gregorio. On a envie pcut-Gtre de faire ca. Si tout se scinde, il faut aussi accepter que dans le cinéma indépendant américain, la fiction ait a peu pres disparu.

Kane. Il faut dire qu’il y a une oppression terrible en Amé-

rique. Il n’y a pas tout I’éventail qu’on trouve en France.

Daney. C’est les ghettos. C'est trés tranché. Et nous, on est justement au milieu.

Van Effenterre. Cest pour cela qu'il faut se défendre. Daney. Mais en méme temps, tu ne peux milieu parce que le milieu est un licu miné.

pas défendre

le

De Gregorio. Une faut pas se dire qu'il faut choisir entre A ou Z parce que Ga ne se pose pas comme ¢a d'une facon absolue. Ca se pose peut-étre historiquement. d’un point de vue

dhistorien, mais ca ne se pose pas dans la pratique.

4a

Van Effenterre. Absolument, Ce n‘est peut-étre pas ton cas,

mais moi jai envie d'étre précisément 4 la fois d'un cété et de Vautre. De Gregorio, C'est mon cas aussi. Béraud.

C’est le cas de tous les quatre.

Van Effenterre. Et cest ga que lon doit arriver a protéger.

CINEMA FRANCAIS entiérement soumis au cinéma américain. I] y a quelque mots.

il n'y en avait que pour le cinéma italien, puis il y a eu des exces

dans les importations italiennes, et du coup on n‘en parle plus, Comment veux-tu, dans ces conditions, que nous arrivions a trouver un public la ov. partout, dans la rue. dans les vétements, dans ce qu’ils lisent, on ne parlé que des Etats-Unis. Kané. In’y a que les films américains qui fassent événement Méme un gros film frangais, cher. ne fait pas événement. Flic

cetle possibilité d'étre a la foiset d'un cété et de l'autre. La référence au spectacle, c'est toute l'ambiguité du spectacle. En méme temps, quand on dit spectacle, c’est quelque chose qui a tendance a devenir actuellement de luniversel. Et moi, ce que j’entends par spectacle. c'est précisément de ne pas tendre vers cet universel. [I y a une espéce de contradiction.

ou vovou, ce West pas un film-événement. c'est un film quia

De Gregorio. lly aun énorme décalage historique. C'est que l'on vit maintenant dans le temps des caricatures. Donc, on est complétement déphasés. N’importe quelle subtilité dans le spectacle n'est plus percue comme telle ou elle est percue comnic obscurité plutdt. Je ne parle pas de la France mais quand tu vas 4 New York. tu montres tes films, tu le pergois trés vite, Il faut étre linéaire, i] faut étre trés simple...

Danev. Il faudrait plutét prendre le tout venant de la production des séries américaines; des docu-drames du genre Holocauste, il y ena plein, C’est eux qui sont la matrice. C'est la que les cinéastes apprennent leur métier en Amérique, ou chez Corman, Coppola le premier. Ca n’arréte pas. Il y a un bombardement fictionnel constant... a partir de la télévision...

marché, c’est tout. Apocalvpse,

cest un événement.

Quantité/Qualité

Kane. C’est la ot les gens apprennent a regarder.

Si Herzog ou Fassbinder ou méme Syberberg (bien que ce soit un autre cas) ont réussi a s*imposer, c’est parce qu’ils ont caricaturé 4 un moment donné, trés fortement. Ce que le cinéma francais nest pas capable de faire. En tout cas, un certain cinéma francais, celui qui nous intéresse.

Daney. Si bien qu’aprés, ils ne pourront méme plus voir autre chose. C’est la o8 le crime se commet. Il y a une production énorme quantitativement; dans la masse, il y a quelques

Le cinéma francais anomique ou anémié...

ment, se veut trés exigeant, mais qui, quantitativement. n'est pas assez important pour qu'tl se crée dialectiquement un rapport entre la qualité et la quantité. Quand ona cinquante films

Beraud. Daney.

ll n'a pas envie de le faire,

d‘auteur faits par des jeunes cinéastes frangais qui sont tous

Je suis sir que dans le cas francais, il s‘agit d'un

cinéma absolument anomique. Le cas allemand est tout a fait

différent. Moije n’aime pas du tout Le Tamibour que je trouve tres académique mais c’est un grand sujet, c’est une grande fiction... Et puis, ca raconte la grande affaire de ! Europe du X X* sitcle : qu'elle ait accouché du nazisme. Qu’on ait couronné a Cannes cette année Le Tambouret le film de Coppola. a la fois documentaire ct fiction sur la guerre du Vietnam, et que la

France n’ait eu que Doillon, Corneau et Téchiné c'est assez

révélateur de ce par quoi j'ai commencé, c’est-a-dire l'absence de de grandes fictions dans le cinéma francais, ce en quoi il est particulier (et, par ailleurs, tout 4 fait passionnant). Béraud. Est-ce que tu ne penses pas que ces trois éventails (Doillon. Corneau, Techiné) sont tout aussi dignes d’tntérét que Schléndortfou Coppola. qui nous offrent la méme chose

mais avec des moyens différents?

Daney. Bon il y a VEmpire américain réel et il y a le Reich

allemand imaginaire, mais en France, quoi? La culture, l’écri-

ture...

Béraud. Est-ce que ce n’est pas une erreur de vouloir juger et apprécier le cinéma francais avec les données de base du cinéma am¢ricain? On est tous en train de baver devant lui. On est lous en train de se dire : si nos films ne se vendent pas'aux Etats-Unis, si ceci, si cela... mais finalement... Les Américains sont xénophobes. ils ont un marché qui est tres fermé, tres protégé.

Toubiana. Mais il faut qu’ils se vendent d’abord en France,

vos films. Aux spectateurs, pas aux marchands, au un par un, si tu veux. Si un film se vend en France. i! peut se vendre cn Amérique. Beéraud.

Les carles sont

truquées

bons films mais, en général. ils sont assez fuibles. Alors qu’ici nous sommes en train de défendre un cinéma qui, qualitative-

puisque

les media

sont

ambitieux., il y ena deux ou trois qui logiquement sont réussis : on dit formidable, un nouvel auteur! ou alors : trés intéressant. le scénario, mais il n’a pas eu assez de moyens ni assez d*expérience... Ca ne fait jamais masse. c’est ga qui est décevant. Alors qu’en Amérique, le feuilleton, le docu-drame. aussi faibles. aussi débiles qu’ils soient, font masse. Ca forme des gens. Ca ne forme pas seulement des spectateurs. ca forme aussi des gens

a faire des images. Et dans la masse, aprés, i! y a Coppola, il y a Scorsese. Il y a des gens qui ont plus de talent que les autres.

Béraud. Tu as parlé d'auteur et tu as parlé de série. Effectivement, il y a des séries. puis tout 4 coup, dans une série, on se rend compte qu'il y a un mec qui les fait mieux. On le remarque par rapport a d‘autres. [1 commence a lever le front et puis,

petit a petit, tl devient le mégulo qu’est Coppola. Alors que

nous, on part d'un « moi je » et puis on essaie. sans machine. Kané. C'est ce qui ne va pas,

Beéraud. Ce qui est trés étrange en France, c'est que la télévision ne défriche pas de talents, Toubiana. C'est la télé qui est la catastrophe du cinéma fran-

cais.

Béraud. Je peux vous raconter Ie cas précis d'un type a qui un producteur avait proposé de faire un film (plus exactement. a partir d'un bouquin). Le producteur va voir le chefde ta troistéme chaine en lui disant: voila, j'ai ce bouquin (c’était un

classique, un trés beau livre d’ailleurs) et le type qui va le faire.

Le directeur de la troisiéme chaine, Contamine, a dit non: allez me chercher des gens connus (il a parlé de Moltnaro et de Chabrol). C’est-a-dire allez chercher des stars du cinéma pour faire de la télévision. Ce qui est insensé. C'est une aberration. Résultat : tous. autant qu’on est, on ne fait pas de télévision.

OU EST LA CRISE?

45

Daney. C'est trés important. C'est une réponse a tout ce débat que on au sur ‘auteur et le narcissisme d'auteur. S‘il

tique que ¢a se passe. mais c'est simplement au niveau d’un

gens, qui les fasse travailler tout le temps. il y aurait une chance au moins statistique pour qu'il y ait, 4 un moment, des gens qui fassent des films de mieux en micux, qui s’émancipent, etc. L’autre systeme. c’est celui de la rareté. On a quelques mégalomanes fous qui tiennent a leur projet et qui lc ménent a bien, de plus en plus marginaux d’ailleurs.

ces exigences au niveau des techniciens ne rentrent pas 4 la télé.

y avait a la télévision quelque chose qui vraiment pousse les

Pourquoi est-ce que l’on ne fait pas de télévision?

Béraud. Parce qu’il y a 4 la téte des chaines de télévision des

fonctionnaires qui ont une carriére a mener.

Toubiana. La culture cinéphilique vous en empéche. Je parle pour vous. votre culture cinéphilique. votre amour du cinéma américain. Kané.

Béraud.

On

Kané. Ce n’est pas vrai qu'Eduardo, Luc, toi et moi, nous puissions dire que nous n‘avons pasenvie de travailler a la télévision. Je dis qu’aujourd"hui si on se met a dire qu’on a envie de travailler et qu’on rentre a la télé, on est pris. Toubiana. Symboliquement. le nom de Il’auteuren prend un sacré coup. Est-ce que tu connais l’auteur d’Holocausie? C’est un certain Chomsky, C’est anonyme.

La TV francaise : dramatique Kané.

professionnalisme du travail. Quand Eduardo dit : on n’a pas de techniciens qui ont ces exigences, moije dis : les gens qui ont

n'y a pas acces, tout simplement.

Les types qui font des dramatiques télévision ont

Van Effenterre. J'ai vécu en Suisse ot les types travaillent tout le temps au cinéma et a la télévision. Un type comme Goretta fait une dramatique chaque année a la télé. Toubiana, Ce qui permet d’avoir un nom, d’avoir une signa-

ture.

Van Effenterre. Tanner et Soutter font des matches de football a la télé.

beaucoup plus de moyens, ont des moyens qui doivent étre a peu prés voisins de ceux que tu as cus sur ton dernier film.

Daney. Syberberg va avoir une émission a la télévision autrichienne.

De Gregorio. Absolument. Mais combien de minutage utile

Touhiana. Chez ces gens, il y a un petit culot qui fonctionne. Ils savent qu'il faut 5% pour la recherche. Ce raisonnement

il faut que tu fasses par jour, par cxemple? II y a deux choses fondamentales. La premiére : on ne peut pas désirer la télévision. Je sais effectivement que l'on doit faire dix minutes utiles

par jour. ce qui veut dire que tu ne fais qu’une

prise. La

seconde : c’est que tu dois travailler trés souvent avec des techniciens qui n’ont aucun désir de travailler. Et ca, c’est trés dur.

Toubiana. Un'ya pas d’émulation a la télé, c'est un service, Béraud. Troisieme chose, et il faut le dire, c'est qu'il y a un contréle trés violent sur ce que tu fais. II y a une censure, au niveau des feuilletons. Toubiana. lly a un exemple qui est intéressant, c'est le cas de Moatt qui a essayé de passer de la (élé au cinéma et quia

échoué. Donc quelqu’un quia

été « l'enfant terrible » de la télé

qui est évident dans un capitalisme qui fonctionne. a savoir

mettre un peu d’argent dans du non-profit. en France. ca ne se

fait pas.

Van Effenterre. Je suis prét demain a travailler sur des feuil-

letons, méme un scénario que l'on me donnera et sur lequel on

me laissera travailler. C'est ca qu'on ne veut pas. Les exigences queje peux avoir par rapport au récit, par rapport a la fiction, ne sont pas comprises par le public. C’est en gros ¢a qu’ils vont me dire. Mais ce n’est pas vrai.. Des que tu ne fais pas la soupe, on ne veut pas de toi. Kane. On va te dire : tes normes de production ne sont pas

celles de la télé.

avec la liberté de faire ce qu'il voulait sur des budgets colossaux, quand il a voulu sortiret se risquer au marché et non plus au service public, il a chuté. Kane. Tous les cing ans,.il y a un type de la télé qui essuie. Je ne crois pas que cela soit un exemple. Ce qui est plus étonnant. c’est qu'il n’y ait pas l"excmple de gens venant du cinéma qui passent a la télé. I y a un vicux préjuge: faire de la télévision, pour un cinéaste de cinéma, c'est déchoir.

Béraud. Tout ca n’existe pas parce que les émissions de télé-

vision se font avec les moyens du cinéma.

Kané, D'accord, dans un premier temps,je pense que c’est ca. Dans un premier temps, c'est déchoir. Aujourd’hui, les choses sont en train de changer mais il y a toujours des préjuges. D'abord les gens de cinéma répugnent un petit peu a faire de la télévision et lorsqu’ils changent d’avis, qu‘ils acceptent, ils déchoient aux yeux des gens de la télévision. Ils sont donc mis dans des conditions de production ot on dit : merde, vous nallez pas faire votre cirque d’auteur, faites dix minutes par jour! Donc il y a un cerele vicieux..,. Van Effenterrce. On oublie une chose, c’est qu'il y a une volonté, a la direction des chaines, d’empécher des gens comme nous de rentrer. Ce n'est pas forcément au niveau poli-

Encombrant, l’auteur

Béraud.

Mais en fait, on peut s’y adapter. Méme

les huit

minutes, on doit pouvoir y arriver, i] n’y a pas de raison. Seulement, on nous plaque des désirs d’auteur et a la télévision. il ne faut pas d’auteurs, Daney. Vous ne croyez pas que l’on est tous responsables, y compris les revues de cinéma (les Cahiers, etc.). pur cette pratique systématique de l’entretien, des propos d'auteur, @avoir créé cette sorte d’inflation? La ou finalement les gens sont préts a dire: la commande. oui, ca nous intéresse, on en réve tous. Est-ce qu'il n’y a pas une sorte de décalage pénible — nous, on le sait parce que ga s'est créé un peu aux Casriers et que main-

tenant, on commence a prendre du recul.

Kané. Ona parlé de deux choses trés importantes. Il me semblait que javais essayé de montrer comment fonctionnaient les rapports a la télévision et toi, tu as parlé de la politique de la télévision. Et ce sont deux choses un peu différentes. C’est vrai qu‘il faudrait qu'on mette la politique de fa télévision sur la sellette. De Gregorio, C’est un autre débat.

CRITIQUES

WINIFRED WAGNER (HANS JURGEN SYBERBERG) Winifred Wagner, qui était anglaise, fut la femme de Siegfried, fils de Richard ct de Cosima Wagner. Siegfried fut chef d'orchestre (moyen, 4 en juger par ses disques) et metteur en scéne du festival de Bayreuth. [ mourut en 1930. Winifred. veuve, dirigea les destinées de Bayreuth jusqu’a la fin de la guerre, et cul pour associé Tietjen, lui aussi chef d’orchestre moyen. Mais laissons cela, car Syberberg ne s’intéresse pas aux qualités musicales des chefs d’orchestre qui ont dirigé 4 Bayreuth, ce qui l’intéresse — il le dit dans les intertitres ou plutét dans les questions qu'il pose a Winifred dans son interviewfleuve (le film que nous voyons est la réduction d’un vaste film de cing heures) —c’est la banalité du mal et le mal de la banalité représentés ici en la seule et unique personne de Winifred Wagner, grande amie de Hitler. Plus exactement c’est Winilred qui prophétise a froid tout un passé et c’est dans le fait méme qu'elle ne voit pratiquement pas le mai en ce qui concerne Hitler que Syberbery, lui, capte le caractére banal du mal. En effet Hitler, pour Winifred qui l’évoque, est un brave oncle. Voncle Wolf (il fut — ce n'est plus elle qui le dit — un peu le pére qui manquait, a partir de 1930, a Wieland agé de 13 ans et a Wolfgang dgé de 11 ans. Tantét on l’appelait 'Oncle Wolfavec un revolver dans la poche, tantét le Kapelimeister (chef d’orchestre) Wolf, Wagner étant probablement I"homme que Hitler vénérait le plus (et a qui plus tard Syberberg arrachera ce privilége culturel qu’il compte bien articuler 4 Brecht), il était juste qu'il reportat toute son admiration en temoignant de affection pour ses descendants et sa famille. Et si Hitler fut antisémite. nous dit Winifred, c’est parce que Streicher le harcelait avec ses idécs, jui un homme si plein de tact — et de tact autrichien, Ici done nous avons le portrait de Hitler par Winifred, Syberberg ayant fait plus tard (en 1977) son propre « portrait » de Hitler.

Qu'en

est-il

dans

Winified

Wagner

de cette éventuelle

« mythologisation positive filtrée par le contrdle spirituel de ironie ct du pathos » dont parle Syberberg dans un texte terminé a Munich le 1* mars 1978 et paru dans un numéro de la revue Change, « Allemagne en esquisse »? Je ne sais pas, car on écoute volontiers jusqu’au bout cette suite interminable d'histoires que nous raconte cette gaillarde grand-meére. I] est probable que son rire et sa franche assurance sont ce que Syberberg nous donne pour leffet visible, par nous spectateurs, de la banalité du mal, dans la mesure ou il tient pour escompté le fait que nous sommes assez mars (politiquement?) moralement pour faire nous-mémes I’aller et le retour entre ce que nous voyons et entendons et ce que nous connaissons des faits

de "Histoire. Du cété de I'Histoire, le pathos? De ce cdté-ci de Cécran. lironie? Peut-étre. Est-ce par cette confiance dans ce dévidage de contes et de légendes qui nous parviennent (histoire merveilleuse des coléres de Toscanini contre Furtwiingler qui dépasse son temps de répétition - peu probable qu'il s’agisse ici d'un ralentissement de tempo puisqu’on sait que Furtwiingler dirigeait au moins « Parsifal » beaucoup plus vite que Toscanini; histoire quasi-brechtienne des trains spéciaux de blessés acheminés vers le sanctuaire de Bayreuth; histoire chaplinienne ou fubitschienne de Hitler en voiture etc...) que Syberberg entend construire cette « mythologisation positive » qui n’aurait alors pour appui qu’une connaissance. supposée chez le spectateur, de tous les hors-champs. Le pathos envahit lappartement de Winifred et en chasse l’ironie: les plans of Winilred prend seule son repas au bout de cette longue table discrétement ornée ct évoque une éventuelle apparition de Hitler dans sa salle 4 manger, fut-il sous ses yeux le meurtrier immeédiat d'une fillette. ainsi que l'accucil qu'elle Jui ferait comme autrefois, sont émouvants comme un carillon qui sonne l'heure (et comme un effet de montage réussi: ici la parole enregistrée est placée sur des plans muets ou de toute évidence Winifred ne parle pas). et le décor bientdt figé par l'absence soudaine du personnage-titre se charge alors de toute la mémoire qui vient d’étre traduite cn mots devant nos yeux et a nos oreilles patientes et soumises. Le plaisir de la fiction se serait-il aujourd’hui réfugié dans les sillons de I’Histoire qu’il ne resterait pour faire renaitre cclle-la que de laisser la parole aux témoins de celle-ci, sacrée nouvelle grande foumisseuse de fictions, ef @ fey en croire sur cette parole? Est-ce vraiment une force du cinéma, fiit-il destiné 4 la télevision, aux cassettes ct aux vidéo-disques. que de reléguer a lintertitre, comme au bon vicux temps du cinéma muet ou des films télévisuels de Godard, la fonction d‘éclairer un vécu brut pour leque!l on postule ici presque ouvertement un spec-

tateur savant et inattentif?

Certes la conscience de Winifred Wagner est légére devant Paction dont Hitler est porté responsable, et il est probable que le mal a bien cette banalité-la ou plutét cette faniliarité-la, car Winifred n’est pas banale, aucun étre humain ne lest. Elle lest cependant parfois dans son apparition, cinématographiquement. Vieille pour vieille, dautres images nous traversent lesprit pendant que nous !écoutons parler dans ces gros plans rocailleux, celles par exemple de Ia vieille de Now réconciliés totalement dépourvue dironie et de pathos. mythique a grand peine, et dont les gestes. les positions, les litanies nous font obstacle et mystére. Elle accroche, comme une personne qu’on pourrait toucher. La connaissance que nous avons de Winifred est, elle, immédiate, pleine, entiére dés les premiéres images. Cette femme est en quelques minutes Ie support indiscutable de son vécu. Elle est la preuve vivante de ce qu'elle dit mais pas

WINIFRED WAGNER

47 (1) Le mot apocalypse a été universellement compris dans le sens de destruction totaleet son sens premierde « révélation » a été refoulé au plus profond du film de Coppola. {2} En effet ces personnages sans failles, ignorent les lapsus, les gestes révélateurs, les comportements ambigus, tout ce qui physiquemient signale une lutte. un corps a corps. ou un corps 4 ceeuravec Ie récl. D’ou le refoutement du men-

songe. C'est alors sur ta quantité d'informations livrécs qu'il faut juger les personnages et sur omission de certaines informations. C’est de ce fait. 4 Taune de ce systéme que l'on peut reprocher 4 Syberberg — méme si c'est significatif de son obsession a constituer une mémoire dans laquelle il s‘identifierait a la culture allemande et 4 son irationalisme - d'avoir privilégié la persécution contre des morts au détriment de fa persécution contre des vivants: il s'attarde en effet sur l‘ostracisme contre Mahler mort depuis 1911 et dont la musique finirait bien par vivre, et oublie l'ostracisme contre Schnberg ainsi que tous les musiciens dits « décadents », allemands, autrichiens, et des pays occupés qui

curent a vivre soit I'exil soit le silence.

WINIFRED

H. J. Syberberg et Winifred Wagner

de plus que ce quelle dit. Syberberg assume uniquement sa subjectivité. et l'assume totalement: il accomplit cette opération minimale que Coppola accomplit lorsqu’il fait se tapir dans l'ombre le personnage effrayant de Kurtz. L*un par insistance et dévidage, l'autre par procédé de caches imposent aux spectateurs des subjectivités absolues sur lesquelles le cinéaste qui Nous occupe ticnt un discours (les intertitres et l'énoncé des

questions) et l'autre suspend tout discours, mais auxquelles

Fun et autre (on peut espérer que c’est circonstancicl, lié a un seul film) n’opposent pas d'autres subjectivités si ce n'est sur le

mode de la fascination et de la quéte. Une telle anxiété a rem-

plir espace d'un film par une seule identité précipite la fascination chez tout spectateur en quéte de son identité de spectateur, Il y a peut-étre la une démarche étrangement hitchcockienne. d'une dialectique transversale et non interne au film. Le spectateur paisible postulé par Griffith, Ozu, Ford, Lang ou Straub est légerement floué au profit du spectateur dynamique qui attend aujourd’*hui du metteur-en-scéne qu’il lui désigne son fauteuil — un fauteuil avec son nom de spectateur imprimé sur le dossier - et qu'il le cloue dessus.

Si c’est un personnage qui dit tout (ou presque) ou si a

inverse (comme dans Apocalypse Now (1)) il fait suspense de son silence au point de faire pensée totalisante de son mutisme, et qu'il monopolise ce que le spectateur doit percevoir d’inlormations et que toutes les instances de la mise en scéne— cadrages, découpage, montage - ont été domestiquées en faveur de ce personnage (tels ici ces effets de zoom lent qui viennent vérifer -— et sursignifier. dans la mesure ot! la nouvelle rhétorique nous a rendu cette opération naturelle -— /‘Ghsence démotion chez Winilred lorsqu’elle évoque tel épisode de sa vie), si le spectateur s*habitue si bien au fauve (dans Apocalypse Now, a Kurtz) que celui-ci lui devient familier au point qu’il contamine, dans sa « subjectivité absolue », tout le film ct ecflace ainsi le moindre signe de culpabilité (planche de pathos pour le spectateur) (2), chez le personnage au profit d'une aura mythifiante qui rejettc la faute au coeur du spectateur (ce coeur plein de ténébres!) et lui ordonne d'adorer le film, pur de toute faute, régénéré de subjectivité, comme une star d’antan, n'estce pas 1a, dans Ie cadre strict de la projection cinématographique, que s‘accomplit le cérémonial puritain, que le mal devient banal, lorsque le film commence par tuer les personnages, en les plagant sur un piédestal? Jean-Claude

Bictte

WAGNER,

Jiirgen Syberberg. fred Wagner.

16 mm

R.F.A.,

1977.

Réalisation ; Hans

noir et blanc. /nterprétation : Wini-

ADOLF ET MARLENE (ULLI LOMMEL) JANE SERA TOUJOURS JANE (WALTER BOCKMAYER) Qu’est-ce que ces deux films ont en commun? Adolfer Marfene raconte (en 35 mm) la rencontre imaginaire entre Hitler et Marléne Dietrich, Jane sera toujours Jane est le portrait (en

{6 mm) d'une veille dame qui dit tre la femme de Tarzan. En

fait, tout rapproche ces deux films, excessivement

dissembla-

bles. D’abord. tous deux traitent de l'imaginaire et de son rap-

port au réel. Ensuite. ils ont attendu pour sortir 4 Paris, ils ont di autendre : Jane date de 1977, le film d°Ulli Lomme! de 1976. (IIs sortent au Afarais, d'autres sont annoncés, de ce jeune cinéma allemand dont tout le monde dit qu'il est le plus Tiche de nouveaux talents mais que personne ne va voir: la

faute 4 qui?). Enfin, il est impossible de ne pas voir qu’il s’agit

la d'oeuvres d’artistes (c’est comme ca), deux artistes en conilit avec le réel, deux cinéastes d’Allemagne. :

[Ine s’agit pas de dire ici ce qu'on dit abusivement du cinéma italien, a savoir qu'il est « le meilleur», « le plus en prise sur ta réalité quotidienne, tout en restant un spectacle de qualité ». Non. Il y a de tout dans le nouveau cinéma allemand. et c'est précisément le fait qu'il y ait de tout qui le rend passionnant. Un cinéma qui nait de rien (la grande époque est loin, elle ne doit avoir d’autre incidence que symbolique). qui voit de jeunes réalisateurs travailler dans une fiévre que méme la Nouvelle Vague n’a pas connue (Bockmayer, par exemple. a réalisé quatorze films entre 1970 et 1978, tous inédits). un cinéma paradoxal (il n’y a pas d’équivalent. en Allemagne, de nos circuits « art et essai »). En fait, mis 4 part tous ces petits films qui parasitent le systéme, qui restent marginaux (produits par la television le plus souvent, c’est Jd aussi qu‘ils passent). le cinéma allemand a proprement parler n’existe plus: il est mort. Extraordinaire situation : un cinéma qui renait fébrilement de ses cendres, sans infrastructure véritable pour Ie recevoir. ni un public au sens ou on l’entend habituellement. Un

cinéma lantéme, avec des spectateurs anonymes, Cinéma de

taupe. dans le noir complet. incessant. Le modéle de ce cinéma

Ag

souterrain, trop inquiet pour cesser de tourner, ne manquant

pas de se tourner lui-méme en dérision, se prenant au séricux Lrop vile pour que Ga porte 4 conséquence, ce modéle me semble étre Fassbinder. Deésespoir, désillusion, complaisance : dans un univers clos parviennent les échos pourtant proches du monde en marche (mais pas en réyle: il a des dettes et des papiers truqués). Bandes d‘urtistes dans les blockhaus aux murs transparents. malades de paranota créatrice : 4 laff du neufet du vif (Mair du temps, lépaisseur des choses}, mais aussi exposés, épiés, vulnérables. Modéle admirable que Fassbinder: lourdement artiste. n’ayant pas peur du ridicule, faisant réellement c:uvre: les films se suivent. imprévisibles, autant daccidents non prémédités qui constitueront un tout hétéro-

clite. un jour, Lommel! et Bockmayer ont tous les deux a voir

avee Fassbinder: Lammel a joué dans plusieurs de ses films (Fassbinder tut rend la pareille en jouant dans Adolf e¢ Marlene), il est un peu un de ses disciples: quant 4 Bockmayer, Fassbinder en a fait un éfoge vibrant dans un bel article. Ce sont deux cinéastes qui ont du culot : ils choisissent des sujets forts et risqués (ct d'un }). ils les traitent jusqu‘au bout (on aime ou on n‘aime pas. c'est un autre probléme), sans se préoccuper de filmer « comme il fuut » (et de deux !), ils s’exposent cuxmémes cn méme temps quilts exposent leurs fictions, leurs points de vues (el de trois '). Films infiniment critiquables qu'il nest pas question de confondre, ni dans sa téte, ni dans un

texte.

Adolf et Marlene. Pas commode le sujet, plutét

énorme!

I] s‘agit, a travers

deux ou trois rencontres Adolf/Marlene (inventées, mais plau-

sibles), de démonter Hitler, de casser la fascination que les documentaires « wagneriens » (comme Hitler. ine carriére) continuent a cxercer sur les jeunes Allemands. Du moins est-ce

ainsi que Lommel

definit le projet. If est clair qu'il a voulu

montrer Hitler dans quelques moments de sa vie quotidienne, sans les apparats de la mise en scéne de propagande. dans unc

espece de domesticité béte, une domesticité non hérorque. La

fascination pour Marlene. le désir fou de la rencontrer : aulant dangles intéressants pour aborder le petit-bourgeois minable qu’est Hitler. La ot ¢a se gate un peu, c’est qu'Hitler n'est pas n'importe qui: c'est sous-eslimer notre propre rapport a lui que de penser qu’on peut le débarrasser si facilement de ses oripeaux tragico-héroiques. Lui enlever sa moustache . celle qu’il avail volée d Chaplin, ne sulfit pas a le rendre inoffensif. Le montrer mou, veule, et béte. ne permet de le juger ni pour ce qu'il fut. ni pour ce qu'il reste. Mais peut-on vraiment repro-

cher a un jeuncjcinéaste allemand de vouloir joueravec Hitler?

N’est-ce pas le signe. encourageant, du désir ludique d’en finir

avec le monstre ct son image écumante, un désir de se jouer de

lui en jouant ses propres fantasmes? Le film est done cela: lensemble des bavardages quotidiens de Monsieur Hitler et de

son entourage,ses marches dans la nature avec son chien, ses

poses. Ce qui est intéressant, c’est que Lommel ne montre pas un Troisigme Reich de pacotille ; tout semble se dérouler aujourd’hui, dans un no man’s land a lécart de tout. sur la scéne de quelque theatre contemporain, quelque part en Allemagne. Mélodrame ouate autour de quelques personnages en quéte d‘identité et de destin, en quéte d*histoire : rien ne parvient de l’extéricur (du monde réel) que quelques images dunce pseudo-Martene en noir ct blanc, images stylisées d’un dehors qui n’existe que sous forme d'archétype révé. C'est plus net encore dans la bande sonore : rien ne vient déranger les monologues interminables du Fiihrer, mis 4 part. a la fin du film, le bruit des bombes et des balles. Lommel n‘impose rien. il transpose : i filme irrévérencieusement les poses d'un tyran/pocte, les dist pos tropibrillantes d’un monde stylisé. immonde, au parfum conling (apocalypse douillette. On mange des gateaux,

on consulte des voyantes, on regoit son médecin, on apprend

CRITIQUES

lespagnol en prévision d'un départ pour Amérique du Sud, on écoute des chorales d'enfants, on va voir chanter Marlene une derniére fois dans un club de Casablanca, on se marie avec Eva Braun. On s‘envole en fumeéc, briile par trois fidéles, pour que lhistoire finisse en beauté, comme il faut. Des militaires Noirs américains esquissent un pas de danse, Marlene passe en jeep en chantant une derniére chanson. Elle n“a pas voulu voir le film, quelle accuse de tous les noms, On ne peut pas l’en bldmer. Tout comme on ne peut pas vraiment faire de critique 4 ce film: comme L‘Ombre des anges (Schmid/Fassbinder). un poéme moisi et malaisant vaut plus pour ceux qui l’ont fait (avee raison) que pour ceux, passublement interloqués et perplexes. qui le regoivent. C’est un film sophistique dont les sophismes, pour une lois de bonne foi, ne peuvent que nous couper le sifflet. Fin. Jane sera toujours Jane.

Encore un melodrame malaisant, mais d’une autre nature.

Walter Bockmayer avait fait (en 1974) une adaptation de la « Traviata » : des hommes inadéquats y mimaient maladroitement les roles de femmes, pour Ie plus grand inconfort du specluteur (ce film = super 8 gonflé en 16 — montré 4 Thonon, est resté inédit). Si) fallait chercher un rapport entre Jaue et cette

Traviata (un rapport qui n’est pas évident). il ne pourrait étre

que 14: dans Tinconfort et Minadaptation des personnages autant que des spectateurs. Il ‘agit d’une histoire contempo-

raine, trés sociale en méme temps que complétement imaginaire, une histoire impossible 4 avaler et que pourtant on avale

commie de la purée (mais ga fait mal, ca ne passe pas si bien que ga). Une vieille dame arrive dans un asile de vieillards beau et Johanna

Be

Konig dans Jane sera ‘oujours Jane, de W.

Bockmayer

cone

“4

JANE SERA TOUJOURS

tre Ie repas du reptile : un petit rat blanc. bien vivant, soudai-

nement happé par les crocs, se débattant de moins en moins, lentement digéré jusqu’a ce qu‘il disparaisse complétement a Vintérieur du python, au museau taché de sang vermillon. On ne nous a ricn épargné de ce lent et inexorable avalage qui tascine et dégotte la vicille dame, aussi horrifiée et frissonnante que nous. Tel est le cheminement du film: une inexorable identification a Jane. la compagne de Tarzan. va mener la vieille dame vers des mésaventures sociales (elle devient la risée des autres pensionnaires, incomprise de tous) et des aventures exotiques (elle s*envolera pour l'Afrique. revétant dans lavion son maillot en simili- \Gopard). Caurait pu étre grotesque et gringant: Cest terriblement émouvant, sec ct plausible. On apprend tout des différents maris de Jane (Lex Barker. Johnny Weissmuller, etc.) par un reporter (Peter Chatcl), gentiment amuse par ses excentricités. « Ce sont tous vos maris ? » « Oui, c'est Tarzan ». Jane upprend dans les bandes dessinées Ie langage de: singes, elle va parler aux orangs-outans du zoo, elle discute avee Loretta pour passer le temps. La performance de lactrice qui jouc Jane, Johanna Kénig. est d’autant plus surprenante (elle est admirable) qu'il semble qu'elle soit un équivalent allemand de notre « Mére Denis », une actrice non-professionnelle’ célébre pour ses publicités télévisées. Bien qu'il

repose largement sur ses épaules ct sur son jeu, rieur et Gmou-

vant a la fois, Johanna K6nig n'est pas unique raison de Thomogénéité étrange de ce film. C'est lattention qui importe: dés le premier plan (trois femmes sur un banc, qui causent), un plan fixe et soutenu, an est duns le document brut,

recréé. La caméra virevolte dans certaines scenes, s'immobilise

dans d’autres, avance et recule quelquefois. toujours pour saisir au vol un peu de réve tétu, pour faire avancer la mise en image dune lumpen-mémoire faite de romans - photos populaires. pour ta faire s'imposer contre vents et gens, pour que cette histoire Midentilication naive ct impossible se termine sur un happy end.'en dépit du bon sens. contre le bon sens. Pour insister dans celte direction, Bockmayer n‘a pas craint d'utiliser la musique pop aussi loin qu'il le pouvait: elle souligne les ctlets. fait fondre les réticences devant l'invraisemblable, ajoute quelques larmes 4 l’Gmotion du spectateur, déja mise a mal. Est-ce que Sirk fisatt autre chose? /ane yera toujours Jane est une maniere d’¢quivalent actuel au flamboyant Afirage de la vie. En plus petit. en plus étrique, en plus allemand. Depuis Tors les autres sappellent Ali, on Wavait pas vu ga. Louis Skorecki

ADOLF

UND

MARLENE

(ADOLF

ET

MARLENE),

R.F.A., 1976. Scénario et réalisation ; Uli Lommel. Coproduction: Albatros et Trio. Directeur de production» Harry Baer. Décorateur: Curd Melber. Directeur de fa photo: Michael Ballhaus. Afonrage - Thea Eymes. Afusique » Wagner et Liszt. Jaterprétation ; Kurt Raab, Margit Cartensen, Ila Von Hasperg, Harry Baer.

JANE

BLEBT

JANE

49

JANE

propre. Elle fait de sa chambre une jungle en miniature, avec un perroquet, des palmiers. des tissus qui imitent le léopard. Tres vite, une scéne infiniment cruelle donne le ton de lhistoire: dans la boutique ou elle achéte son perroquet (qu'elle baptise Loretta). elle tombe en admiration devant un magnifique python, Elle se le passe autour du cou, pose des questions sur son régime alimentaire, envisage de l'acheter. On lui mon-

JANE

SERA

TOUJOURS

JANE),

R.F.A., 1977. Reéafisation : Walter Bockmayer et Rolf Buhrmann, Seénario: Walter Bockmayer. Coproduction : Enten Produktion et ZDF. Directeurde production : Rolf Buhrmann. Décoratcur : Norbert Schaub. Directeur de la photo: Peter Mertin. Wontage : Inge Gielow. Musique : David Bowie. Asha Puthli, Mandigo ct Stomu Yamashta. /aterprétation ; Johanna Konig, Peter Chatel, Karl Blomer,

DON GIOVANNI (JOSEPH LOSEY) L'adaptation au cinéma de l’opéra de Mozart et Da

Ponte

repose sur un principe simple: comment faire « passer» a Pécran une ceuvre lyrique sans pour aulant abandonner ce qui fait sa singularité scénique et musicale, autrement dit : trouver

le dosage adéquat entre un spectacle ralfiné ct réservé a une élite (lopéra) et un divertissement plus populaire (le cinéma)? Si le principe est simple (et plutot démocratique), l’entreprise est pour le moins hasardcusc (est-elle seulement possible”), et le résultat décevant — pour ne pas dire catastrophique. L'idée de Losey est la suivante : puisque « chanter demande un effort physique ». il faut travailler 4 « rendre lelTort vraisemblable

sans

€tre aussi

l'Opéra

déroutant

qu'une

le serait si on la regardait

véritable

lout

performance

4

le temps en trés gros

plan », (in « Le Livre de Losey », de Ciment. Stock).

Idée— limite, compromis batard : comment peut-on vouloir a la fois (effort et la vraisemblance. le corps démesurément tendu dans sa tdche et ce méme corps harmonieusement inté-

gré a la fluidité d'une fiction limpide? Le probleme que,pose

ce film, le seul probleme. c’est celui de la post- “synchronisation (mettre des voix sur des images) ou du play-back (mettre des images sur des voix). deux procédés qui nen font qu'un, qui reviennent en fait sensiblement au méme. Don Juan en playback prouve par l’absurde, par l'évidence de son ratage (encore

que c’est le type méme de ratage qui ne manquera pas d’étre

unanimement salué comme un succés), que le parti pris de Straub/Huillet, aussi aride et inconfortable qu'il puisse étre. est complétement incontournable : seul le son direct ne chatre pas un opéra, il n'y a pas moyen de faire autrement. Est-ce a dire que lopéra est pour toujours condamné a étre ce spectacle pour initiés, codé et sublime pour les uns (ceux qui en possédent le code). ridicule et démesuré pour les autres (ceux qui nen sont pas des familiers)? Non. Il fut ici apporter quelques nuances. Si l’entreprise de reconstitution cinématographique d’un opéra (sa restitution transposée) n'est qu'une formule hybride, imparfaite et frustrante, il y a des degrés dans l'insucces: tout est affaire d’ambition. tout est dans la pertinence du dosage. Losey a choisi la démesure tempérée, la luxuriance lyrique (larges mouvements, nombreux figurants, beaux palais. bande sonore écrasante) et l’aller ct retour entre des intérieurs baroques et des extérieurs beaucoup plus naturalistes (la nature est moins datée que le décor: comment faire autrement?)! C’est comme une bande magnétique qu'on collerait derriére une carte postale en cinémuascope : la carte, si elle est sulfisamment affranchic, arrivera toujours, et la bande magnétique avec elle, mais elles arriveront séparément, Un montage audio-visuel est tout saufun film. plus ca y ressemble et moins cen est un: if tui manque toujours quelque chose, la parole en mouvement. Losey envoie donc une lettre a quelques centaines de milliers de spectateurs, pour les convaincre que la culture a du bon. qu'elle peut passer comme une lettre 4 la poste. On pourrait presque parler de puste-stuchronisation « «je fais le Uri. vous n’avez plus qu’a vous laisser porter». Vers ou? Une fiction transparente et démagogiquement pré-révolutionnaire (avec son valet noir. ridicule muect de histoire, mignonne addition inutile en signe de signature)? Une comédie musicale au son trop fort, arbitrairement transposée dans Jes décors et les éclairages des deux Casanova (Comencini, Fellini)? Un tapis de luxe pour voyageurs volants, peu soucieux de faire en fait du sur-place en technicolor/dolby? Une parodie de culture pour cadre moyen 4 qui on fait doublement honte : « vous navez pas ce dernier enregistrement du « Don Juan» de

Mozart qui rend a la fois tous les autres vicillots et lait fone-

lionner votre chaine stéréophonique a plein rendement ! » Losey'a péché par orgueil et démagogie, ifedt été mieus inspire

CRITIQUES

DON GIOVANNI], France. 1979. Realisation : Joseph Losey en collaboration avec Frantz Salieri, concu par Rolf Liebermann. Coproduction - Gaumont-Camera One-Opera Film Produzione - Janus Films - Antenne 2. Producteur délégue :

Michel

Seydoux.

Assistant réalisateur > Jean-Michel

Lacor.

Scénographie: Alexandre Trauner. Directeur de la photo: Gerry Fischer. /ngénicur du son: Jean-Louis Ducarme. Jacques Maumont, Michéle Neny. Avontage : Reginald Beck. Musique; W. A. Mozart, Orchestre et choeurs de l'Opéra de Paris dirizés par Lorin Maazel, /aterprétation » Ruggero Raimondi. John Macurdy, Edda Moser, Kiri Te Kanawa, Kenneth Riegel, José Van Dam, Teresa Berganza, Malcolm King.

LA DEROBADE (DANIEL

Ruggero Raimondi dans Don Giovanni, de Joseph Losey

de rester simple. modeste: sur le méme type de parti pris (transposition découpée d'un opéra), Jean-Pierre Ponnelle avait fait pour la télévision une adaptation de sa propre mise en scéne de « Noces de Figaro ». Elle était vivante, pas du tout encombrée de gadgets inutiles, figurants ou décors. Il y passait. trés simplement, un peu du mouvement et de la vivacité des opéras de Mozurt. Sans plus, mais c’était déja ca. Losey s’est trompé. Complétement. Quand il dit (op. cité): « Je crois qu’a

aucun moment on ne pense quwils ne chantent pas vraiment »,

il réve. C'est tout Ie contraire : des le début on sait, on sent que ces chanteurs doublés d’acteurs font effort vain (c’en est génant de les voir s’appliquer) de simuler un direct stylisé, le présent d*une représentation improbable. Pire : le son assourdissant. saturé et électrique (méme les voix des chanteurs sont

bétement

délormées, artificielles, sans chaleur), cette bande

sonore fait qu'on décroche complétement (et littéralement) de Faction en images. Le son ne vient de nulle part, les voix sont

définitivement condamnées a ne sortir d'aucune bouche (et

ajouter quelques « sons d’ambiance ». pris en direct ou pas. n’y changera rien). Ceci dit, si !'on accepte lartificialité batarde du spectacle (ct si on reste trois heures dans un cinéma, on accepte bien quelque chose, il arrive inévitablement qu’on se laisse entrainer quelque part). on doit bien convenir qu'il y a quelques jolis moments : la longue liste des conquétes de Don Juan qui se déroule sur Ie sol. la figure en forme de masque de

létrange Kiri Te Kanawa, la belle performance (c'est de loin

le meilleur) de José Van Dam dans le réle de Leporello. Et surtout les quelques scénes frontales, celles qui restituent tant bien que mal !’espace scénique tout simple de la représentation lyrique. Et un épisode savoureux, le seul a étre (modestement) réussi : celui o Don Juan, pour se débarasser d’Elvire et courtiser sa femme de chambre, oblige Leporello 4 prendre sa

place et a lui chanter une aubade. Tapi dans l"ombre, portant le masque de son valet pendant que celui-ci porte le sien. Don

Juan'chante des doux mensonges pour égarer

la crédule Elvire.

Le valet Leporello mime tant bien que mal les ardeurs de l'amour, pendant qu’en coulisses. en play-back, Don Juan y va de sa‘ voix irrésistible. Double play-back donc (celui de la scéne et celui du film), qui est davantage qu’un private-joke au second degré : quelques accents de vérité y passent, qui donnent la mesure de ce qu’aurait été une adaptation honnéte, une adaptation ot! l'on aurait décidé de faire preuve (et non pas signe) d'intelligence. Louis Skorecki

DUVAL)

Au demier conseil des Ca/iers, un rédacteura |’humour sarcastique langa cette question 4 la cantonnade : « Pourquoi n’at-on pas confié la réalisation de La Déruhade 4 Mizoguchi. puisqu’il a toujours travaillé 4 la commande? ». Quelqu’un et peut étre le méme qui avait posé la question répondit : « C’est vrai, il a déja traité ce sujet dillicile avec La Rue de la hone !». Je m‘apprétais 4 ajouter: « Et parce qu'il est mort aussi... » Maisje fus prise d'un doute impardonnable pour une critique de cinéma : je ne savais plus. non je ne savais plus, si Mizoguchi était vivant comme Abel Gance, ou mort comme Chaplin. Jen conclus que ce genre de bourde ou trou de mémoire devait s‘interpréter, non comme une manilestation de ligno-

rance, mais plutét comme un hommage a des auteurs dont il

est bien plus facile doublier la mort que la vic.

Cette parenthése refermeée, il ne s'agil pas de comparer ici La Rue de la Honte et La Dérobade, ni Mizoguchi et Daniel Duval, bien qu’ils aient tous deux traité du sujet de la prostitution et que l'un comme l'autre ne fussent pas les auteurs originaux du scénario qu’on leur proposait de traiter. C'est Benjamin Simon, un producteur, pouss¢ par Miou-Miou, une actrice qui voulait absolument étre "héroine d'un film adapté du roman de Jeanne Cordelier, quia décidé de choisir Daniel Duval pour réaliser ce film. Pourquoi lui? On lit dans le pressbook que La Dérobade est une marginale par rapport « aux paumés » que rassemble chaque fois l’univers de Duval, car clle, se sortira de sa condition ». Cette assertion met les choses au clair, il faut entendre par la: Daniel Duval. cinéaste. auteur de sujets singuliers, tente avec La Dérobade de sortirde la marginalité, du ghetto des jeunes réalisateurs-pleins-de-talent-aux-films-qui-ne-marchentpas. en se frayant une voie dans Ie cinéma commercial. notamment en répondant 4 une commande de producteur. Il serait mal venu. a l"heure ot !’on ne cesse de se lamenter sur Ja pénurie de producteurs frangais, de disqualifier un tel projet, comme si la commande ¢tait un piége pour I’art. Elle n’a pas empéché toute une frange de réalisateurs commandités par Hollywood d’étre reconnus 4 posteriori. comme de grands

auteurs.

Le cadeau piégé dans cette affaire, c’est offre d’adaptation du roman de Jeanne Cordelier, dont le sujet (Vitinéraire de Vinnocence a la prostitution) est un sujet bateau. «le plus vieux du monde », qui se doit plus qu‘aucun autre d’étre porté par la spécificité d'une écriture littéraire (a vifet inscrite dans sa chair chez Jeanne Cordelier) et/ou cinématographique, ce qui manque précis¢ment au film de Daniel Duval. On a Cimpression qu‘a force de vouloir éviter les écueils (le risque du

LA DEROBADE naturalisme salace ou de la caricature) lécriture cinématogra-

phique s’en tient & une panacée prudente dans décéle toutefois plusicurs tentatives avortées.

laquelle on

Par exemple. fa tentatton de renouer avee une tradition mélodramatique du cinéma populiste francais des années 40 a la Carné : la musique de Cosma, le personnage archétypal de Marie, jeune fille de province vulnérable et douce tombée dans le piége de la prostitution par amour du beau mac. Cette amorce de parti pris fictionnel est hélas court-circuité par la recherche d'une distanciation de bon ton pour un sujet tabou, par laquelle Duval tente sans doute de préserver sa spécificité d'auteur. Cette retenue s‘avére dans un premier temps opératoire, car elle permet de démystifier la fantasmagorie qui entoure la prostitution dans un procés de banalisation du « mal ». On voit en effet Marie, sujette aux mémes contraintes el petites vexations (se faire jauger par un patron ou une patronne) que dans la recherche de nimporte quel emploi de bureau ou de vendeuse. La facilité du glissement au passage a lacte; le: « Vous commencez demain », de la patronne du bordel, ressemble a s’y méprendre 4 'embauche d‘une apprentice présentée par son pére (Ie souteneur en |’occurence). Cependant. cette direction fictionnelle., qui aurait pu jouer sur le registre de la répétition (on imagine comment Chantal,

Akerman aurail traité le sujet), en mettant accent sur les lieux morts

de la fiction (entrées et sorties des chambres

montées

ct descentes

d'escalier,

attente,

d’hétel,

reconduction

des

mémes actes jusqu’a I’étouffement, l’exaspération), cette direction n'est pas tenue, méme s'il se dessine une intention de placer le spectateur dans une position de frustration voyeuriste analogue ou comparable a celle du client de bordel; analogie impossible 4 pousser plus avant il est vrai puisque le client

connait et désire le type de sa frustration, alors que Je specta-

SI

dent et normatifsur le registre des perversions, qui sont, il faut bicn le dire, les pires moments du film. A force de prudence, le film sen tient donc. au parcours oblige, mis sur rail, du chemin de peine de la prostitution. A

cette

fiction

sans surprise,

if aurait

fallu

pour

létoffer.

la

consistance d'un personnage a la Eugéne Siie. ou Fambiguité équivoque d'une Catherine Deneuve dans Belle dv your. Or le personnage de Marie (Miou-Miou) est a la fois transparent et suns €quivoquc. Dés te début du film. elle parait déja avoir tout compris sur la question avec ce petit sourire étudié d‘acteur Pro qui a trouvé son truc, si bien qu’on ne croit nia sa naiveté,

ni surtout a son amour pour Gégé, le seul personnage intéres-

sant du film avec Maloup, grace 4 Maria Schneider (et non a cause du scénario) dont on attend sans cesse l’apparition sur lécran.

En réalité. le film est fait du point de vue de Gégé, le beau

mac, interprété avec talent par Daniel Duval. L’ambivalence de son personnage, 4 la fois lache et violent mais animé d°un amour fou pour Maric, fait a lui seul consister la fiction. Son amour eluant une maniére de plaider non coupable pour le mac, on comprend qu'il Wait pu devenir le héros principal et le sujet veritable du film, a cause du cété un peu scandaleux d'un tel parti pris. Crest donc laspect constat des diverses situations rencontrées par les prostituées dans un milieu donné, qui l’emporte, cest-d-dire en derniére analyse le point de vue sociologique émanant d'une recherche réaliste, qui n’a pas su trouver dans son rapport au réel le moyen de « fui faire signifier davantage ». (selon lexpression de Bazin). Une espéce de prudence.

amorcée aujourd*hut dans le cinéma frangais. semble en étre la cause, commie si te retour d'une politique de producteurs, dont

La Dérobade est le signe, ne pouvait s’effectuer qu’a ce prix.

teur visé par Ic film (celui des films de Sautet, i] me semble), doit en avoir pour son argent. Dés lors on va le distraire en le promenant dans tous les lieux possibles ou sévit la prostitution : de bar ou I’on danse, en bar ob I’on boit, de maison close

C’est unc vue 4 court, terme, une vue d’économe.

qu'il faut d’exotisme codé, un peu comme dans ce petit train des studios Universal a Hollywood. ot l'on vous fait faire dans un temps record, sans mettre le pied a terre, le tour de la grande machine hollywoodienne, agrémenté au tournant du spectacle de quelques trucages qui font frisonner les foules. Dans La Dérobade, on aura aussi quelques frissons de fete foraine par lentremise du spectacle de perversions majeures, exéculées vile fait bien fait par le sado et le maso de service, filmées pour le grand public juste au-dessus de la ceinture. Panorama pru-

LA DEROBADE, France, 1979. Réalisation : Daniel Duval. Scénario et dialogue - Christopher Frank, d'aprés le récit de Jeanne Cordelier, Coproduction » A.T.C. 3000 et

en hétel d'abattage. Un véritable voyage organisé avec juste ce

Daniéle Dubroux

Societé

Nouvelle

Prodis.

Producteur

délégué:

Benjamin

Simon. Assistant réalisareur : Jean-Pierre Vergne. Directeur de la photo: Michel Cenet. Ingénieur du son: Michel Vionnct. Deécorateur ; Francois Chanut. Montaxe : Jean-Bernard Bonis. Interpretation » Miou-Miou, Maria Schneider, Daniel Duval. Niels Arestrup, Brigitte Ariel, Jean Benguigui, Martine Ferriere, Marie Pillet, Regis Porte.

Au milieu: 0, Duval, Miou-Miou et M. Schneider dans La Dérobade

TAPAGE NOCTURNE (CATHERINE BREILLAT) On sail que le mui. dans sa petile rotondité pathologique, et a travers les cffets de capture qui le constituent, est traditionnelicment en France un objet de narration privilegié. Avant-

guerre, cette tradition égotiste s°est trouvée enrichie (on a pu

dire 4 tort: contestéc) des conceptions érotiques nées de influence de la psychanalyse et du surréalisme; c'est de la que Leiris a pu formuler sa théorie de la corne de taureau, qui exigeait du moi, pour paraitre sur la page en habit de lumiére. des prestations de matador. I! s’agissait de fonder ses prétentions a la dignité littéraire, par une notion de « danger » appuyée sur le roe de la castration, Tentatives pathétiques ou tragiques, empreintes d'une immense vanité virile pour la plupart (« L’Age "homme », « L’Arrét de mort », « Le Bleu du ciel».

52

CRITIQUES

« Le Bavard »), mais fascinantes, de déchirer la petite rotondité

pathologique pour atleindre une dimension plus cruelle. plus essentielle, de jouissance. Ces récits difficiles devaient donner lieu. comme il se doit. un peu plus tard. a des facilites. L’érotisme étant une notion

ambigué, (malgré la définition radicale de Bataille). 4 cheval

sur le sybaritisme et l'ascétisme. l'expérience n‘ayant d'autre autorité qu’elle-méme et lexpiation de cette autorité étant au choix du sujet. la moindre expérience érotique (par exemple le dépucelage par la bonne espagnole) pouvait donner un petit

livre (Ph. Sollers,

« Une curieuse solitude ». d’ailleurs sans

doute ce qu'tl a écrit de mieux). On a maintenant, dans le méme esprit, des petits films. Ainsi Tapage nocturne, qwiln’y a sans doute pas lieu d’écraser sous trop de moralisme esthétique. Le film de Catherine Breillat na pas d'autre prétention que de raconter une histoire d’amour un peu acide (l'amour, l'histoire), qui prend reliefactuel moins de ce qu'on y snifte de la coke. baise dans les escaliers et dine au Buin-Douche, que de ce qu’une femme s’y raconte a la premiére personne. Qu‘une femme— une jeune fille, peu importe - se réfléchi en tant que telle dans le miroir dun film, ga c’est d'aujourd’hui. On se souvient qu’a I’époque de la Nouvelle Vaguc ilsuffisait. pendant un temps. qu'un cinéaste se présente avec Vétiquetle «jeune» pour trouver une production.

Aujourd'hui, c'est « femme »,

Sil ya un film auquel celui de Catherine Breillat me fait penser, peut-Gtre par contraste. c'est Luniére de Jeanne Moreau. La aussi, une femme dont c’est le premier film, par le truchement d*un personnage Ia actrice. ici cinéaste (dans les deux cas 4 trés courte distance de Pauteur), expose ses amours,

ses hommes, ses appartements, avec une tranquille impudcur

et fa calme certitude de rayonner du feu divin. La différence est dans l‘éclat voulu : Jeanne Moreau ne craignait pas de nommer son personnage Sarah Dedieu et de se poser en rivale du soleil (« le soleil m’emmerde ». textuel). D’ailleurs son film était plus ambitieux. Plus modeste peut-étre. ou plus jeune ou plus adroite ou plus subtile. Catherine Breillat choisit léclat lunaire. comme le suggérent le titre et Vaffiche du film. D'un narcissisme dont on aura compris. je pense. quil nVirrite un petit peu, le film se veut lucide cependant. L’argument du récit, la formule « les sentiments sont toujours réciproques» (elle revient en leitmotiv dans la bouche de Bruno/Bertrand Bonvoisin, famant sadique. timoré ct habile de Solange/Dominique Laffin), est troublante, puisqu’on ex périmente quotidiennement le contrairc. On croit géenéralement que « réciproques » veut dire « simultanés ». La sentimentalité a minima que le film expose montre bien comment fonctionne la réciprocité en question : en chicane. Si tu ne m’aimes pas je Uaime car si tu m’aimes je ne Caime pas — « jamais tu ne me regardes 1a d’ou je te Vois » — et toutes les miséres bien connues de chacun. {A chacun sa chicane). Plus simplement. la dimension ott évolue (si l'on peut dire) le couple de Tupage nocturne est celle de ce que Stendhal appelle I’« amour de téte », fondé sur un double narcissisme, ow la régle pour chacun des partenaires est de feindre lindifférence et le retrait, pour mieux piéger l'autre et lui faire avouer

son attachement, son engagement.

Hest vrai que chez l'un, chez Bruno, l’aliénation narcissique et la tactique de retrait attcignent un tel degré que Solange est presque exonérée de toute initiative: elle ne peut que se sou-

mettre A un caprice un peu sadique qui n'est que lécran d'une

visible inhibition, Inutile de dire qu’elle y puise une nette supériorité, lors de inévitable rupture. En attendant. elle jouit, et d'autant plus votontiers que. comme Bruno est un snob lecteur de Lacan, — ce n’est pas dit explicitement mais ca transparait

dans tous ses propos— elle sail que ca ne peut que lui faire plai-

sir, théoriquement parlant. Cest également censé faire plaisir

aux speelaleurs. Soumise 4 des petites humiliations par son partenaire, le personnage (et non moins I'actrice. et par le truchement de celle-ci auteur, coalescente de la narratrice) y triomphe sourdement, les fesses couvertes de griffures, c'est la pelite touche d'Histoire d’O. De ce récit comme de tant d'autres, on peut tirer la morale qu’une femme a toujours besoin d’un petit voyou pour étre touchée de la [leche de l’ange. La grace dont il s’agit est ici toute restreinte ct parisienne. symbolisée par un envol de pigeons de jardin public figé par arrét sur image. Dans les larmes de trois jours que Solange. «7 cauda et off avoue verser apres la rupture, if ya toute la revanche symbolique que l'on sent passer dans ce film : pleurer (soulfrir) est une supériorité par rapport 4 la lacheté affective de homme: inversement. le fait que ces larmes soient éphémeres et superticielles, signifie que le petit moi de Solange n’a pas été entamé, que son « orgucil » est intact, Les sentiments sont bien réciproques, ils ont toujours été. Solange est la méme chose que Bruno. On ne peut qu’en prendre acte ct se dire que tout ga ne nous a guére mené plus loin que quelques marques de griffes et d’escalier sur les lesses. D’autant moins loin qu'il y a a l’évidence un personnage sacrifté (peut-étre deux), et sacrifié précisément a la vanité de la narratrice. dans Tapage nocnirne, c’est celui de la femme de Bruno, vaguement lesbienne et contidente de Solange. II fallait.

pour que Solange garde son rayonnement central, que ce per-

sonnage soit secondarisé et humilié (par le film, j’entends) comme est seccondarisé et humilié le riche protecteur de Solange. Le film aurait eu plus de force et de vérité. me semblet-il, si Catherine Breillat avait su donner plus de réalité et de complexité aux relations de Bruno et de sa femme (ou d'une autre), La rupture elit peut-étre semblé moins arbitraire : tclle qu’clle est exposée, il n’y a aucune raison pour qu'elle intervienne ai tel moment plutét qu’a tel autre, alors que « dans la vie » (il me semble qu’on est en droit, ici, d’utiliser cet argument). il y a toujours une raison concréte pour que le lien soit tranché, et quand la rupture vient de homme, elle vient d*unc autre femme. Mais il semble consubstantiel au propos de Catherine Breillat quil n'y ait pas autre femme. Fen

reviens done

a lirritation

que javouais

un

peu

plus

haut. Cette irritation vient. en définitive, de ce que la facilité.

une facilité multiple, est partout dans Tapage nociure ; facilite aux sens divers de plume facile. facilités monétaires. esprit facile, vie facile... sens divers et ambigus mais que dominc lidée dauto-satislaction. de pas la peine de se fatiguer, de « on est comme on est». 1a ou on est. et bien content comme ga. Dans le genre aulobiographie morale a base d’érotisme, genre désormais bien ancré dans le cinéma francais (de Rohmer a

Eustache)., 4 la tradition fonciérement réactionnaire mais ¢a

existe, on peut attendre un peu plus. On ne souhaite évidemment pas que Catherine Breillat en bave davantage, ce serait stupide, simplement qu'elle se laisse fasciner un peu moins par elle-méme. Elle sait raconter une histoire. choisir ct diriger des comeédiens (B.B. ect D.L. sont vraiment bien). Reste Ie reste. Pascal Bonitzer TAPAGE NOCTURNE. France, 1979. Réalisation, adaptation, dialogue : Catherine Breillat. Coproduction - Axe Films et French Production et producieur délégué: Pierre Sayag.

assisiqar réalisateur ; Olivier Jacquot. Décorateur : Domini-

que Anthony. Directeur de la photo; Jacques Boumendil. Invénieur du son: Alain Curvelier. Mfontage : Annie Charrier, Musique: Serge Gainsbourg, interprétée par « Bijou ». aterpréraion ; Dominique Laffin, Marie-Héléne Breillat, Bertrand Bonvoisin, Joc Dallesandro. Dominique Basquin, Daniel Langict.

NOTES

SUR

D'AUTRES

FILMS

NOTES

RACE D'EP

de Lionel Soukas et Guy

SUR

D‘AUTRES

Hocquenghem. (France, 1979).

FILMS

lous types, y compris les non-homoscxucls. C'est 14 of le film cloche :

il est trop parisien pour avoir un impact trés large, trop confus et foi-

c'est le désir. Mais de quoi ce film doit-il étre sauvé? Peut-étre de la

sonnant pour avoir un réel impact parisien, particulier, privé. Sutve par fe désir ! De quoi est fait ce film? D'un désir de reconslituer quelques moments de l’Histoire peu connus (le photographe

Vhomosexualité ct celui de I"homosexualité en histoires. Par ailleurs,

mouvement homosexuel allemand de Fentre-deux guerres), ainsi que des histoires plus personnelles (une histoire d‘amour dans les années

Ce qui sauve

Race d'Ep ! (pédéraste en Verlan. a I'envers donc),

complaisance: il y a une ambigiité. qui n’était pas nécessaire. a vouloir se situer 4 tout prix sur un double terrain. celui de [Histoire de il est impossible'de

dabord

faire abstraction de cette confusion

elle a a voir,

métaphoriquement,

avee

des genre:

homosexualit

ensuite c'est elle qui donne son ton au film, qui le structure, pour le meilleur et pour le pire. Comtplaisances publiques et complaixances

privées.

L‘ambition

ambigué

du propos est donc de mélanger,

de

mixer des considérations générales (historiques, esthétiques, sociologiques, politiques) et des considérations particuliéres (au sens ot l'on dit. trop poétiquement. « amitiés particuliéres »), ce qui se traduit a la fois dans le découpage (quatre « histoires ») et dans le style du film (embrasscr plusicurs choses a la fois, fuire fresque). Cette tentation du general, cette compulsion a parler de plusicurs choses a ta fois. au risque (exaltant, neuf) de sc mettre 4 bredouiller, est stirement la caracléristique principale du nouveau cinéma homosexuel; les films de Fassbinder (et d'autres jeunes cinéastes allemands) courent sans cess ce risque du trop-plein, conséquence logique (et courageuse) du fait que la pensée/sensibilité homosexuelle n’a pas encore pu sexprimer en tant que telle. Mais fa ob Fassbinder fonce, réussissant ou ratant complétement un film, Soukaz et Hocquenghem ne réussissent qu’a moitié. Peut-Ctre parce quils sont deux : Soukaz seul. avee ses films

Von Gloeden et ses modcles costumes au début du siécle en Sicile. le

60, une nuit de drague aujourd'hui). Reconstitution : elle ne se soutient que d'une formidable soil de liction, une envie irrépressible de

jouer ct de faire jouer tout, n'impone quai. N‘importe quoi peut fie-

uonner, faire plaisir, faire jouir. Il y a, dans cette jubilation a porter

a fécran des fictions incarnées par des corps qu'on aime, un désir de mise en scéne qui n’existe plus ailleurs, dans les froides fantaisies des films « d'auteur » : méme dans les passages les moins évidents (les épié sodes pré-nuzis par exemple, kitschement rétro et alanguis), i] passe un trés fort sentiment de vérité. vérilé des corps, des décors. de

lambiance, une vérité qui ne vient que de l'invention pure : gestes, démarches, couleurs, voix, tout participe d'une spontanéité inventive dont il va peu d’équivalents (Vecchiali ct Fassbinder peut-étre). C'est une nouvelle crédibilité : cruelle, douce,

musicale.

Elle ne doit pas

faire oublier pour autant les errances travesties au gout du jour : nos-

talgies théatrales et photographiques, tentation de la scientificité paradoxale (instaurer un contre-savoira allure encyclopédique), tentation aussi de la démesure (sous-titre du film: «Un Siécle d'images de Vhomosexualité »).

Le dernier épisode pourtant, « Royal Opéra », est au-dessus de lous

en super 8 (Boy-Fricnd fet 2), des films qui s‘adressatent done a un public plus restreint, parvenart a se faire plaisir tout en fuisant plaisi

ces soupcons.

vées. 4 étaler les imayes ct les sons de ses fantasmes, ce nurcissisme en

parisien. Le premier est marié, if est tombé par hasard dans un bar homosesuel de Vavenue de l'Opéra. C’est la tentative de séduction qui trace litinéraire du film : sur les quais. aux Tuileries. prés d’une pissoliére au petit matin, un jeune Francais homosexuel Goué par Hoc-

@ ses spectatcurs qui pouvaient se compter un a un; le narcissisme extréme de amateur, celui qui aime, 4 montrer ses collections prirencontrait

un autre, celui de gens qui pouvaient

se reconnaitre. se

rencontrer, sur I’écran, dans la salle. Le spectacle devenait drague

bariolée, la complaisance se justifiait totalement de n’étre que cela, le prétexte 4 une projection privée: circulation éphémeére des désir

miniiturisation du monde, remise en question de la place problémua-

tique de chacun des spectateurs. Race d'Ep ! vise un public plus large. qu'tl s‘agit suns doute de mobiliser, un public trop grand. Je ne veux

pas dire qu'il est interdit 4 un cinéaste homosexuel de faire un film

homosexucl a grand public. Au contraire. Simplement, ce type de film nécessite unc analyse de la diversité hétéroclite du public (Ics homosexuels ne se ressemblent pas, ils sont aussi différents entre cux que n'importe quel groupe). un public qui doit pouvoir Gtre composé de G. Hockenghem et P. Stanislas dans Race d'£p! de Lionel Soukaz et Guy Hockenghem,

Le seul 4 étre enti¢rement contemporain,

nuit de deux hommes,

il raconte la

un ameéricain de passage ct un homoseauel

quenghem) tente de draguer un ¢tranyer qui n’y comprend rien. S’il

n'y avait que cet itinéraire exotique et documentaire (le voyage est animé, vif, constamment surprenant), le film serait déja assez émou-

vant, ethnographiquement parlant. It y a plus: une voix trés efféminée, une votx de « folle », censée étre celle du dragueur, commente les images: elle raconte au téléphone la version fausse de l'histoire : la

drague a marché, laméricain a c1é séduit, ils ont couché ensemble. Cette voix, exagérée par rapport au corps qui est supposé la porter,

donne a [histoire un aspect contradictoire. un lon qui déconcerte et oblige a y regarder a deus fois. plus attentivement. Et c’est ant mieux:

on voit alors, avec une évidence crue, que l"image elle aussi raconte en fait "histoire d'une drague réussic: deux hommes jouent a se séduire, s‘olfrent tantot, se refusent ensuite, échangent des regards. marchent céte 4 cote, paralléles ct symétriques, pareils ‘un a l'autre. Hy a dans ces frélements progressits du plaisir une vérité qui ellace

la fable de la fiction: cette fable. qui est cn plus.en trop.n"apporte plus dés lors -— mais c’est considérable - que élément de [ragilité qui manquait aun conte trop clair, Quelque chose de tragique nait de ce déca-

lage : pus entre une voix qui ment et une image qui dit vrai, mais bien de l'adéquation décalée entre une image qui ne peut mentir et une voix qui dit la vérité dérisoire du desir. Un désir assez fort pour contre-

dire son propre scénario vaut qu'on s‘y arréte. Les signes en sont par-

tout, épars, brilants: le désir désigne, sauve.

L. S.

DES BLECHTROMMEL (LE TAMBOUR). de Volker Schléndorif.

(R.F.A..

1979) d'aprés le roman

de Ginter Grass, avec David

nent, Mario Adorf. Angela Winkler, Danicl Olbrychski.

Ben-

Face au géant Apocalypse Now. Vautre Palme d’Or du lestival de Cannes, Le Tambour, prosse production franco-allemande, reléve apparemment plus dun calcul politique soucicux de préserver une image d'indépendance et doriginalité du cinéma européen (moins de la vieille Europe que de la C.E.E.} I s’agit de renforcer unc certaine

I. Cette opposition, on le sait.

CRITIQUES est truquée. I est vrai aussi que le nazisme

— el tout ce qui y touche - est la seule grande fiction contemporaine que l'Europe puisse opposer aux superproductions umericaines. Ce n'est assuré-

ment pas ici le rapport du cinéma a la fittérature qu’on a voulu primer a Cannes: sinon Avneur de perdinen aurait e1é retenu par la sélection ollicielle.

DIE

ROTE

BUCHSTABE

(LA

LETTRE

ECARLATE).

de Wim

Wenders. (R.T.A. 1973). W’aprés le roman de Nathaniel Hawthorne, avec Senta Berger, Lou Castel, Hans Christian Blech, Yella Rottlander, Yelna Samarina, Rudiger Vogler.

Voici un étrange Wenders: sans dérives automobiles, sans polaroid. sans cinéma ni télévision. Tourné. qui plus est. en costumes

d’époque (X VII¢) puisqu’il s‘agit d'une adaptation fidele du roman de

Nathaniel Hawthorne, réalis¢e en 1972

A. Winkler, D, Bennent, D. Olbrychski et M

Un film anachronique done, par son sujel, par sa sortie en salle, et surtout par son projet : on sent en cllet. dans ce parti pris de filmerau plus prés. sans fioritures de style, sans clins d’ceil a la modernité, sans meétaphorisation, un sujet déja-la et suffisamment pris dans sa propre fiction pour se soutenir d*une lecture littérale — on sent comme la nos-

Adorf dans Le Tambour

ltalgie dun

temps oli les films se soutenaicnt de raconter (plus ou

moins bien) une histoire (plus ou moins bonne), sans que I’« auteur »

conception prévalente de ce cinéma qui vcut qu’a la prétendue crise

du cinéma. la solution soit dans un juste mélange du culturel (de la

alittérature, de l'écrit)et du spectaculaire (du théatre). (1). Le Tambour

est un beau fleuron de ce mode de production. Pourtant, en dépit de son succés commercial vraisemblable et de ses lettres de noblesse culturelle, Le Tambour est d'abord un échee cinématographique. Dans son roman. Giinther Grass avait réussi ce paradoxe de fire

de la mesquinerie petite-bourgeoise une cpopée. de verser minutieuse comptabilité dans la démesure du baroque.

i

De l"écriture

charnelle du Tambour, de la cruauté de son rire, de la virulence de ec

délire, de cette destruction vive par le sculpteur de ordre premier et

monumental de la pierre, i] ne reste rien sur !"écran, rien que des ima-

ges irréprochables, mais aseptisées, lisses, egalisées par une commune

absence d’alfects, de tensions et, par suite. vouées a une cgale désaf-

fection un spcctateur réduit a Vindifférence. Du récit par Oscar de son refus de grandir, la férocité de l’énonciation subsiste seulement dans lintonation du commentaire off de David Bennent: mais

Vabsence d‘écho dans "image la rend un peu dérisoire. En fait. Le Tambour Woftre pas de par ow i] puisse linvestir ment appelé a buter : de rien arriver de plus, ct a

prise 4 Vimaginaire du spectateur, une faille ou un obstacle sur tequel il soit inévilablece qui se passe ici font a cre écrit, il ne peut nous non plus. En ce sens, Le Tantbour est

un succes du cinéma académique : un récitembelli parsa présentat mais dont rien dans sa forme ne vient contrarier l’évidence. Acadéemique: un cadre que son contenu ne sounret @ aucune violence.

Crest toujours sur une résistance premitre que s‘appuie la séduction. Oscur ne gagne pas son speetateur parce qu'il n'y a pas dadver-

saire @ sa hauteur dans le film et qu'il vaine sans péril. defiut majeur

oll se ruine son inutile volonté de puissance. La petitesse d’Osear ne conteste nullement Vordre hiérarchique du grand et du petit, celle-ci

est renvoyee 4 la voix eff au hors-champ, Ce renvoi trahit une carenee scénographique inhérentea l’économie réaliste du film, Bref. ila man-

qué 4 Schléndorff les moyens de son entreprise. Lors de la rédaeuon

du

scénario

du

Yanbour,

Grass juge

(correctement)

Schléndori?

« trop protestant ef cartésien »; le second.dit Qustement) du premier

qu'il est « un catholique ies paien ». De fait, le rationalisme protestant dominé dans Ie texte est revenu, intégralement, dans application

de la mise en cadre. Volker Schléndorff'a été indéniablement un des pionnicers de la jeune génératton du cinéma allemand: il la été en portanta Vécran de grands livres contemporains (de Musil. Yourcenar, B6ll...): chacun de ses films le montre particuliérementattentif'a Phis-

toire de "Allemagne d’aprés-guerre. Mais il est 14 doublement prisonnier: de Mécrit et de sa rationalité classificatrice parce qu'il Jui faut

passer par des ceuvres littéraires: de sa compétence de régisseur qui, lui assurant la trop grande maitrise technique de son sujet. bloque dans ses réalisations la dynamique propre de l'image 4 déborder de son cadre. Cette double dépendance. en le soumettant aux eréations dautrui, Vempéche de constituer son ceuvre personnelle de cinéuste. Aujourd’hui. c'est au tour du Tambour de souffrir cruellement de cette limite — de cette trop grande modestie. Y¥.L.

vienne lui ravir la premiere place. Wenders ici semble s‘elfacer der-

riére Hawthorne, et plus encore derritre le souvenir de ce cinéma-la. dont les « auteurs » ne le sont devenus qu’aprés coup. Je crois n’étre pas la seule 4 avoir flairé une odeurde Afoonfeci dans ce film. qui peut pitsser pour un exercice un peu mimétique d‘intégration du patrimoine cinéphilique. Cest principalement ce qui lui vaut. semble-t-il le dedain largement partage dont il fait Pobjet. Un dédain certes légi-

time pour peu qu'on se situe en amont de la position occupée par le film. c’est-a-dire dans la cinéphilic: il n’a alors ni les qualités de

Vauteur daujourd’hui qu’est Wim Wenders. ni celles des auteurs hier, Lang et tous ceux qu’on peut s‘exercer a citer. Mais lorsqu’on se Lrouve, comme moi-méme et comme d'autres (de plus en plus nombreux sans doute) qui, par exemple. itbordent Meonfleer pur Pintermeédiaire des Enfants du placard et de La Letre ecartare — lorsquon sc trouve done en ave/ de Phéntage cneéphilique - le film vient oecuper une place d’ou il gagne. je crois. 4 dire vu: non tant comme préfigurauion des futurs Wenders. ou comme simulacre un peu nostalgique d'une cinéphilie qui ne vil plus que dans la mémoire des autres. que comme un film racontant. avec des moyens simples. une histoire trés belle et qu’a mon sens il ne trahit pas. Le scénario en eflet serre et sert au plus prés le roman. et méme si le personnage de la femme adultére saplatit a étre condensé dans l'incarnation de la «belle femme » (nterprétée par Senta Berger, par ailleurs béetement maquillée). méme si da fillette, malgré le charme de Yella Rotlander. perd aussi de sa complexité, par contre le médecin s’enrichit d’°une ambiguité que ne lui aecordait pas le roman (figure a la fois de l"a-social et de la Loi bafouée qui cherche a se venger par-deld la justice des hommes, il devient le véritable pivot de la narration). tandis que le personnage du

pasteur acquiert une présence, une lorce tragique assez impression-

nantes. (Lou Castel, avee son regard fixe. a-t-il jamais été aussi bien utilisé?) Tout cela, certes. ne sulfirail pas 4 faire du film autre chose qu'une plate adaptation, sil n’y avait dans Ie scénurio des inventions troublantes: par exemple lorsque. apres la scéne du début ot la femme est publiquement sommeée de prononcer fe nom de son amant, le médecin demande 4 un homme de lui dire qui habite dans la cabane qu’on apercoit la-bas 4 léeart - la cabune de la femme - et que homme tui repond: « On n‘a pas le droit de prononcer le nom » (réplique qui n’est pas dans le roman. et qui fait circuler l"interdit sur le nom avec un eltet de tabou en écho qui donne une autre dimension

4 Vostracisme atroce de la femme adultére): ct sil n'y avait aussi, dans une mise en scéne pourtant dépouillée d’eflets de style. la manifestation parfois dune écriture par laquelle le film échappe constamment.

bten que sans ostentation. au degré 2¢ro de la narration. Je pense par

exemple a ces chutes qui étrangement se répetent. hors de toute nécessité psychologique ou de toute intention comique (Ies chutes du pasteur. la double chute du gouverneur courant au petit matin vers le bricher): je pense surtout a fa malicieuse habilere avec laquelle Wenders désumorce les atientes quit a lui-méme créées : si l'on attend dés le

début

a ce que

l'objet de lattente

porte sur Fidentité de Famant,

celle-ci nous est indiquée trés vite par la chute du pasteur lors du jugement public, et Vattente se déplace sur une autre question : non plus « qui est-ce? » mais «comment apprendra-t-on que c'est lui?» De

NOTES

SUR

D'AUTRES

55

FILMS

méme avec le faux suspense de Ia tin, quand [a petite fille force sa mére

a s’arréter 4 cause d'un caillou dans sa chaussure : on s‘attend 4 une

course-poursuite, attraperont-elles le bateau, montage alterné sur les deux femmes et le médecin a leurs trousses— eh bien non, tout se passe le plus simplement, et 'ombre du meédecin s‘arréte au bord de l"écran

tandis qu’elles s‘embarquent au loin. If y a, aussi, cette petite musique

ala Wenders, un peu trop présente peut-étre mais utilisée parlois avec des effets dramatiques si appuyés qu’ils relevent moins de la maladresse que dune déconcertante liberté d’écriture: ce plan trés court sur le pasteur of survient un fragment de phrase musicale, aussit6t

coupé par le contre-champ, comme un ellet d‘index : « c'est lui». II y a méme Riidiger Vogler, qui a lair tout content de retrouver sa petite compagne d'dlice dans les villes, mais la je vais trop vite. Je

nvarréte done a ceci : un sujet magnifique, serré au plus pres avec, en

pointillés, la marque d’une écriture qui doit tout au réalisateur—cela suffit, lorsqu'on baigne dans cette innocence cinéphilique qui empéche d’apercevoir ce qu'il peut y avoir, dans cette forme de fidelité aux auteurs, de velléitaire et de mimétique - cela suffit 4 capter le plaisir, lémotion de se voir conter, comme avant, une belle histoire. Plaisir

et émotion augmenteés du frisson nostalgique qui circule 4 lidée qu’on

se réapproprie la, comme par délegation, un peu de l"héritage, imparti aux anciens, d'un monde qu’on n’a pas connu. N. H. THE DEBUT

(PREMIER

SECRET), de Nouchka

Van Brakel, (Hol-

lande. 1977), d’aprés te roman de Hester Halbach, avec Marina De

Graal, Gerard Cox.

« Elle a quatorze ans. Elle adore les grosses pommes vertes. Elle écoute les Village People. Elle s*éclate au « Palace ». Et elle aime un

homme

de quarante ans». Voici le résumé publicitaire du film. It

pouvait faire craindre le pire, tel n’est pas le cas: s‘il y a bien une fille de 14 ans, des pommes vertes, de la musique disco. et un homme de 40 ans (il en fait plus). ces ingrédients ne sont ni au centre de I"histoire. ni arrangés de la maniére (un peu perverse. un peu émoustillante) qu’on veut bien laisser entendre. D’abord. ca se passe en Hollande (c'est tres précis sur ce pays. on en apprend beaucoup — psychologiquement parlant), ensuite c'est le film d’une femme, et ga se sent : sans

que ce soit ce qu'on

appelle (souvent abusivement)

un «film

de

femme », ce n’est pas non plus un film fabriqué selon les normes fictionnelies Ics plus courantes. Entendez que le voyeurisme. qui est un élément moteur de ce type d’histoire- et ici, i s’agit autant du voyeu-

risme du spectateur devant la nudité et la hardiesse d'une petite fille,

devant les scénes d'amour physique. que du voyeurisme dans "économie de la fiction: surveillance des parents, provocateur de la petite devant le grand homme. désir de envies de voir, ce « voycurisme » nen est pas (tout a lait) un.

au travail strip-tease s’exposer, Qu'est-ce

a dire ? Cette histoire d’amour et d‘éveil (amour est partie d'un jeu pour

une

petite

fille, méme

les sentiments

les plus

forts ont

une

Marina De Graaf et Gérard Cox dans Premier secret.

un point de vue forcément plus léger. que vient préciser et relativiser Vattention perspicace et douce, uimante, de la mére. Tout cela pour dire quil s’agit d'un film sensible, agréable 4 suisre (méme s'il manque singuliérement de rigueur formelle : la scene ot !'héroine est violée, par exemple, sans étre une partie de rince-l’ceil comme c'est souyent Ie cas dans les films. y compris ceua qui veulent « dénoncer le viol», n'a pas été assez pensée pour échapper au stéréotype, ce qui uurait été la seule fagon = il est vrai que ce nest pas facile a faire — de justifier sa présence dans le scénario et le fait qu'elle soit effectivement montrée), un film quia des qualités 4 ne pas négliger. Relativisons les

choses : si l’on compare ce film a certains de ses équivatents frangais

(je pense quelques Barouh), toutefois

en particulier aux filme de Charlotte Dubreuilh et aussi a scénes entre parents et enfants du Divercement, le film de alors on peut crier: « vive la hollandaise ». En regrettant qu'elle ne vole pas davantage.

LS.

HEROES, de Jeremy Paul Kagan, (U.S.A.. 1979}, avec Henry Winkler, Sally Field, Harrison

Ford.

Heroes donne le sentiment désagréable d'une série TV éparée dans

le cinéma. Le flottement du cadre et la performance narcissique des acteurs. un verbe omniprésent proche parfois du verbiage, viennent directement de Ja télévision. Reprises telles quelles, ces recettes supportent mal le passage au grand écran. Elles lassent vite, elles afladissent (humour de J.P. Kagan, elles neutralisent l'objet de ses films (1). Comme dans The Big Fix, Kagan filme ici le reflux des années 70. Enfermé dans un hépital psychiatrique militaire de New York a la

suite d’une expérience traumatisante de la guerre du Vietnam, Jack Dunne (Henry Winkler) s*évade pour monter avec ses anciens compagnons de guerre un élevage de vers de terre en Californie. Lorsqu’il

dimension ludique et se trouvent relativisés par un mode de vie, de

retrouve les traces de ceux-ci, son réve s’effondre et, finalement., il revit le traumatisme qui est 4 l’origine de son délire.

sualité est tout entiére racontée et montrée avec une grande prudence :

Ce moment dernier de ta rencontre (rencontre avec soi-méme), est le temps fort de Herves. Elle apparait quand, dans la progression du

lescent/adulte. Cette prudence de la réalisatrice se double (et sc ren-

quelque sorte la situation de la génération de la Convention de Chicago dix ans aprés, quand la mutation n'est pas encore véritablement accomplie. Mais pour produire l"image de cette mutation, il faut a Kagan rivaliser avec trop d’images de on the road, de « lage du flic burlesque » 4 Monte Hellman, pour que leur retour ne soit plus qu'un effet de citation et désigne autre chose que Fépuisement de la veine. Kagan se trouve ainsi réduit 4 montrer la folie de Jack Dunne, assez douce pour réconforter des familles, fa o deux générations sont conviées 4 se réconcilier aujourd hui pour se transmettre les armes de gestion de la société, aprés effacement du contentieux du Vietnam. La parenthése se ferme. La continuité est assurée par, outre la puérilité du délice innocent de Jack Dunne, ses interminables querelles de

pensée, qui ne peut pas changer radicalement du jour au lendemain fit-ce sous influence d’un amour fou). cette histoire d’éveil de la sen-

c'est un élément, majeur mais pas fétichisé comme le grand saut dans autre chose, du lent (et rapide a d'autres égards) passuge a lage ado-

force) d‘une attention trés subtile aux rapports, que ce soient les rapports familiaux. amicaux, ou méme amoureux. Attention toute psy-

chologique, faite de détails, de regards, de gestes esquissés, d’humour aussi. Il est dommage que cette attention et cette prudence ne se

retrouvent que trés partiellement dans le travail de mise en scéne, qui, sans étre plat ou quelconque, n‘est cependant pas a la hauteur du sujet: c'est un filmage discret, pas déplaisant. mais somme toute banal. qui vient contredire souvent les subtilités de la fiction. Ainsi les scenes d'amour, sans étre trop appuyées ou grivoises, manquent-elles

de coloration propre : elles hésitent sans cesse entre le porno mou et tes notations humoristiques, sans jamais atteindre 4 une unité, sans jamais atteindre pleinement la densité de l’instant, qui est pourtant leur moteur fictionnel. On ne peut pas ne pas penser au Lofita de

Nabokov/ Kubrick (plusieurs scénes identiques se retrouvent dans Ices deux films) qui avait un ton caustique. tragique et drdle 4 la fois, et qui rend passablement dérisoires et inconsistantes les amours enfantines telles que Nouchka Van Brakel les filme. Ceci dit. ce n’est pas

le méme sujet : Kubrick filmait la passion délirante (et mortelle) d'un

vieil esthete, Van Brakel filme plutét du point de vue de Ia petite fille,

film, elle a pratiquement perdu tout son sens pour nous. Elle fixe en

meénage qui ponctuent le film et of se perd intérét de son sujet. recon-

duisant, sous des couleurs pop. le schéma

le plus conformiste.

|. Alors que Cassavetes emploie ces procédés comme

YoL.

autant de modes de

brouillage du sens, de dilution du réel, Kagan lui sen sert aux fins classiques dex position, de monstration. C’est la toute la dilférence entre un usage normatif de techniques nouvelles leignant fa spontanéité et la création authentique @une esthétique neuve. D'aillcurs Cassavetes joue un médecin dans Herovy.

6

ea

CRITIQUES

AU REVOIR A LUNDI, de Maurice Dugowson, (France. 1979), d’aprés le roman de Roger Fournier « Moi, mon corps, mon ame. Montréal, etc. », avec Miou-Miou, Carole Laure, Claude Brasseur. David Birney. CHARLES ET LUCIE, de Nelly Daniel Ceccaldi et Ginette Garcin.

IL Y

A LONGTEMPS

chella. (France.

QUE

Kaplan,

JE T’AIME,

1979), avec Jean Carmet.

(France,

[979),

avec

de Jean-Charles Tac-

Marie Dubois.

ce Dugowson ot I’on sent par ailleurs une certaine considération du

réalisateur pour ses personnages et pour son public. on n'est pas dégu :

Carole Laure est brune et charmante. Miou-Miou est blonde et char-

mante, "histoire avance sans surprises, au Canada il fait froid et le couple. eh bien le couple... Le couple est 4 la mode cet automne. Le petit Frangais aussi : gentil, tellement gentil qu’il n’y a vraiment pas de quoi étre méchant. N.H.

THE

BIG FIX, de Jeremy Paul Kagan. (U.S.A.,

Dreyfuss, Susan Medina.

Le petit Francais de la rentrée fait recettes. Recette : les avatars d’un

couple séparé (// y a longiemps que je Caime, de Jean-Charles Tacchella): les avatars d*un couple cherchant couples (in revoir a hindi,

de Maurice Dugowson). Le couple est a la mode cet automne. Recette : du frangais d°exportation (Tacchella, qui cherche évidem-

ment a exploiter le créneau de Cousin Cousine, succes assuré outre Atlantique): du francais d’importation (Dugowson, une co-production franco-canadienne, un ton bien de chez nous qui nous revient du froid); du frangais de transhumance (Kaplan, voyage nord-sud et retour, une petite virée a lintéerieur de nos frontiéres). Recette : franais, frangais. francais. Bien francaise la comédie familiale de Tacchella, cadres movens et sentiments modernes. Bien frangaise mais un peu ringarde. la comédie a gags de Kaplan, le peuple ct les sentiments de toujours. Bien frangais le ton de Dugowson, la légéreté qui n’exclut pas 'émotion (d’ailleurs c'est une « comédie dramatique », je Vai lu

dans Pariscepe), d'aujourd’hui. Dans hy Dubois) qui accord » de d’aventures

sentiments

d’avant-garde

et jeunes

femmes

a longtentps que je Caime, un couple (Jean Carmet, Marie vient de féter ses noces d'argent décide « d'un commun se séparer pour vivre de nouvelles aventures. En fait on n’aura droit qu’a des situations bien banales, enfin pas

trés folichonnes. les moments les plus exaltants restant ¢videmmment céux qui marquent le retoura la vie familiale : naissances, maladies. ruptures, réconciliations, bref tout ce qui réunit ct qui soude. C'est la bien sir te vrai sujet (mais s’agit-il réellement d'un sujet?) du film. On baigne alors dans I‘ambiance un rien débilitante mais toujours chaleureuse du consensus domestique. On se moque gentiment de l'un. de Pautre. de soi-méme (un cinéphile s*est égaré 1a), tout ¢a est bon

enfant. un peu plus francais que nature - témoin la sceéne-choc du film, destinée a faire rire les Américains et eux seuls sans doute:

le

rituel des bises qui s’échangent 4 chaque nouveau visiteur autour du

lit de Paceouchée. Voila qui est bien de chez nous. Dans Charles et Lucie, un couple (Daniel Ceccaldi, Ginette Garcin) de concierge-brocanteur, victime dune escroquerie, part dans le midi pour prendre possession d'un fabuleux ct faux héritage. Croyant trouver la richesse, ils tombent au plus bas du dénuement pour, coup de theatre, réaliser une fortune 4 la fin du film. On ne peut pas dire qu’ils vont d’aventures en aventures, plutét de gags en gags. Ca a un petit gout de réchauffé, de comédie d’avant-guerre dont on ressort, sans beaucoup de succes, les ficelles. Les personnages secondaires sont vraiment secondaires, les numéros d’acteurs trainent toujours un plan de trop, les dialogues sentent cncore la page blanche. J'ai retenu les trois « bons » mots du film : le premier, c'est sur Ja plate-forme dun camion qui les emmene vers Marseille; il lui fait des avances: Non,

proteste-t-elle, pas en roulant! Lui: Pourquoi? Elle : Parce qu’en rou-

lant, ga va trop vite! Le deuxi¢me. c'est dans la mer ot ils se baignent tous nus: elle entreprend: Lui : Non. pas dans "eau! Elle : Pourquoi?

Lut: Purce que dans Feau., ga fait des bulles. Le troisieme, c'est dans la forét pendant qu'elle essute de limer le piége ot i] s‘est pris le picd:

il la lutine: Elle : Non, pas en limant! Lui : Pourquoi? Elle : Parce que

quand je lime, je lime! Dans Au revoir a lunadi, deux jeunes femmes (Curole Laure, Miou-

Mtou) se désolent de ne connaitre que des hommes mariés ( «Les hommes. ou bien ils sont cons, ou bien ils sont moches, ou bien ils sont mariés »). L’une se fait faire un enfant et prend un autre amant (marié), l'autre part en Floride jouer la femme au foyer auprés de

homme de sa vic (pas marié) enfin déniché. Elles craquent chacune

de lcur cété, et se retrouvent. Comme on sat a l'avance de quoi il s‘agira (difficile aujiourd’ hui de découvrir un film a partir de rien, sans Pariscuope, sans critiques. sans conseils d’amis: est-ce que ca existe encore, le cinéma au hasard, entrer téte baissée dans une salle. payer pour du pur inconnu?) -— comme on sait done, en gros, de quoi est fait

Anspoch,

1979), avec Richard

Bonnie Bedelia, John

Lightgow. Ofelia

Moses Wine, la trentaine passée depuis peu, ex-étudiant a Berkeley

el ancien contestataire, conserve des glorieuses années 60 un héritage

hétéroclite: un manque cruel de situation (« espion industriel », vaguement détective : on le voit en réalité au début du film calculer le rendement d’un abattoir de poulets, ce n’est pas une situation !). un

mariage assez évidemment rate (sa femme suit maintenant les destinées d’un gourou prétentieux et mou), deux enfants en bas age. et une

vieille tante Sonya ayant gardé pour sa part son accent yiddish et ses idées léninistes. Par l"entremise d'une gentille copine et ex-camarade,

Moses se trouve investi de la mission de retrouver les traces d°un danpereux gauchiste passé a la clundestinité, et dont le nom (Howard

Eppis) se trouve malencontreusement mélé (par des adversaires poli-

tiques, pense-t-on) a celui du candidat démocrate Hawthome 4 la présidence des Etats-Unis.

La film de Jeremy Paul Kagan est l’adaptation du roman du méme nom (titre francais, « Le grand soir», éd. Alta), écrit par un nouveau journaliste de l'eacellente revue américaine Rolling Stone, dont le

moindre intérét n’cst pas d’avoir donné naissance a une génération d‘authentiques écrivains (leurs noms sont maintenant connus: H.S.

Thompson (« Lus Vegas parano »): Tom Wolfe (« Acid Test »}: R.L. Simon (qui a écrit The Big Fix) etc. Leur inspiration (les années 60 eLaprés)et leurs méthodes (application a Vactualité politique des procédés de la fiction) comme leur talent et leur succés. ne pouvaient manquer attirer les cinéastes. The Big Fix—le film est la pour nous rap-

peler

que

les

ceuvres

littéraires

dés

qu’elles

sont

accomplies

gagnent rarement a étre adaptées au cinéma (Cl. Hitchcock : « Pour-

quoi je ne tournerai jamais Crime et chdtiment? parce que !ostoTevski l'a déja parfaitement réussi cn littérature »). De face: Richard Dreyfuss dans The Big Fix.

NOTES SUR D'AUTRES FILMS The Big Fix fait partie de ces films dont on voil le scénario courir a da surface de l'image et du son, sur le corps des acteurs, dans lali-

57

aujourd’hui et de s‘aimer. Plus exactement, une affligeante romance

bourgcoise (notre temps. autres cspaces), avec son cortége de joies et

gnement d'une séquence a lautre. sans parvenir a prendre sur la mali¢re cinématographique: ainsi laneé. le récit tui-méme dérape

de peines, d’amour et de haine. Finalement, dans I'écceurement de ce

(dosage du reportage et de la fiction) est definitivement perdu; et il y

gisme, commie on voudrait bien nous le luisser entendre.

complétement vers la fin et verse dans unc histoire peu crédible de chinois conduisant 4 distance (grace 4 un dispositif vidéo) une camionnettle remplie d'explosifs. A ce moment d‘ailleurs, le pari du film

a longtemps que Richard Dreyfuss. « toujours-déja-la » dans le réle de Pétudiant génial qui n'a pas su grandir ne fait plus que de la figuration dans une aventure de Moses Wine.

Hy a pourtant unc scéne réussie dans ce film, dont il était logique

d'attendre

beaucoup

plus (trap?), celle ol: Wine

retrouve

Eppis-le

film, on finit par se dire, malgré tout, que pour s‘offrir une telle his-

toire d'amour, c'est non seulement une aflaire de culture (ou d’éducation) mais surtout une question de moyens. Peu de place done pour les dlans naturels, 4 coups de sentiments exprimés

et de psycholo-

Aprés le ratage scolaire. i] y a bien ectte courte minute ob l'on fait Ja queuc (sans succes) pour trouver de l'embauche, mais cela ne saurait avoir de graves incidences sur leur vic amoureuse. C'est 14 (dans le film) parce que ga existe (dans le réel), reflet paresseux d'un esprit

comptable étriqué, encart qui ne pése pas lourd dans l’économie du

dangereux dans une villa du cété de Beverly Hills: rasé de pres, che-

film.Comme s'il ne s’agissait aussi que de poids et de mesures. D‘ail-

grace a sa propension ¢prouvec a lancer des slogans qui font courir les

longues séquences champétres : parcs du dimanche avec attractions pour enfants, promenades en barque, etc.

veua coupes ct famille fondée (une femme, deux enfants lui aussi): reconverti depuis longtemps. sous un pseudonyme. dans [a publicité,

foules (Ho. Ho. Ho Chi Minh, F. N. L is goin'to win! qui a bien da etre traduit dans une demi douzaine de langues. toujours avec succes). Lracteur qui joue Eppis est trés bien, Richard Dreyfuss est alors emporté par la situation, la manif qu'ils miment avee les enfants

leurs, aprés ces injections a petites doses. on enchaine bien vite sur de A se laisser bercer par la musique du film, 4 se laisser emporter par

son tempo (ses accés de colére et ses débordements de tendresse), les

images ct les étres suivent leur cours. Ainsi va Ja vie. Ainsi va ce cinema, C. T.

autour de la piscine est réellement dréle, ct la fusillade qui suit est enfin du bon thriller. La se condensent les capacités fictionnelles dune époque sous l’ellet conjugue d‘un genre cin ématographique qui lui est antéricur (le policier) et d'une distance critique (comique) qui

est possible maintenant. IL y a effectivement la,

suires 4 la réalisation de fitms qu’on n‘irait pas leurs intentions. L'ECOLE

EST

FINIE,

de

Olivier

Nolin,

les ingrédients néces-

seulement voir pour S.L.P.

(France,

1979}.

avec

Corinne Dacla, Bertrand Waintrop, Catherine Rouvel, Héléne Vincent.

DER HAU V!DARSTELLER (LA VEDETTE), de Reinhard Haul, (R.FLA.. 1977), avee Mario Adorf. Vadim Glowna, Michael Schwei-

ger.

Engagé comme acteur principal d'un film de fiction retragant sa vie.

un adolescent compte sur l‘aide du cinéaste pour échapper a la domi-

nation brutale de son pére, un ferrailleur grossier et borné. Décgu dans

ses attentes, désemparé, Pépé se révolte et. trés vite, sombre dans la

Une touche de mélancolie, un accent quelque peu rétro, le titre laisse a lui seul préesager une fiction qui sonne au creux de nos propres

délinquance. Reinhard Hauif se refuse de juger. Il se contente, en principe, de montrer objectivement les différentes faces de la relation de Pépé {Michael Schweiger) au cinéaste Max Schneider (Vadim Glowna), a sa brute épaisse de pére (Mario Adorf). Il constate la brusque aggra-

petit gros joufllu rigolard), mais l'action se déroule aujourd'hui. Et dans ce décor, lui seul importe: lui, adolescent au corps d‘éphébe.

Coutcau dans la téte (réalisé apres), La Fedete tient du film clinique. I tente de lixer le moment ou un comportement socialement ou psy-

souvenirs. Il y a bien un collége, une salle de classe (avec l'inévitable

jeune gargon bien propret (du cdété de Passy-la Muctte) qui, chez un artiste ot il adonne a la sculpture, rencontre elle, fille de commer-

Gants, a ses legons de piano. L'idylle suit tranquillement son cours Jusq| ‘au Jour ou la mére du garcon perce le secret de leur enfant désiré. La. quitte a s’attirer les foudres des parents. au prix de fugues et dun chantage au suicide, on s‘obstine a te garder- et par conséquent.

respeclubilité oblige. on les incite a se marier. A la naissance, méme

les esprits les plus réticents s‘attendrissent. Déja. au sein du couple. quelques remous (une bréve aventure entre elle ct le professeur du col-

lege, lui aussi artiste}, mais 4 la faveur d'un agréable séjour a la mon-

tagne (la derniére s¢quence). tout rentre paisiblement

dans

Vordre :

bien-étre ct bon vivre. Sous couvert d'une légére odeur de scandale au regard des convenances bourgeoises

(si jeunes quand

méme !), paradosalement,

une

soif d'amour et de pureté avec une bonne dose de normalité. L’un fai-

sant habilement passer l'autre. Champ plutét étroit pour ce qui aurait pu prendre une tournure de film a these (entre Afeurir d'aimer et Les Risques du métier), D’un cété, une pile revendication : sur une pente rétrograde. 4 contre-courant, le droit de s‘aimer, le droit a la différence ou 4 lindiftérence. De autre, l'approbation molle du sens commun :

de notre temps. certes, mais de nos jours, micux vault ca que...

Traiter ce sujet. ce serait peut-Ctre, pour le cinéaste, filmer chez de jeunes adolescents l'emprunt de modéles adultes, qu'ils soient réels ou fictifs : mimer des gestes et des comportements dictés par. un code, tenir et réciter des propos amoureux (déja lus, déja perous). Pour tout dire, s’aflubler de romanesque. jusqu’a tremper dans du théatre de boulevard. A cet égard, quand le professcur annonce au gargon sa coupable liaison, i! lui parle d homme a homme, le traite en rival (en adulte) alors qu'il n’a devant lui qu'un corps d’cnfant. La of ga cloche dans le codage de la scéne, la ob ca ne peut visiblement pas coller (ga

creve méme les yeux), on s'arrange pour taire passer la chose : joucr

sur un registre naturel ol chaque parole doit sonner juste, o& chaque réaction doit faire vrai, comme si de rien n’étail et que tout allait de soi. Avant tout, pour l'enfant, se hisser et se montrer a la hauteur que la situation Jui confére. Un enfant? Oui. mais pas vraiment. Voyez !

Reste alors un film de plus sur la relative difficulté d'étre jeune

vation de lassocialité de Pépé apres Ie lournage du film. Comme chologiquement

Le

pathologique devient Juridiquement condamnable.

Selon la conception libérale du film, c’est au spectateur de tirer la conclusion en pleine indépendance. Ce spectateur idéal a la neutralité présupposée d'un juré dans un procés. Or tout procés stipule un coupable.

Pépé est un piétre coupable. qui poursuit dans la ville le cinéaste et

multiplic les agressions et actes de vandalisme. En fait, c'est. par psycholique interposé, au proces de Mart, 4 la vieille malédiction de la creation que nous assistons. La Vederte nest qu'une version de plus, réaliste ct purtlaine, de Frankenstein, sur fond de lutte de classe. Entre la paleur, les lévres pineées de Michacl Schweiger ct le masque livide

de Boris Karloff, la parenté n'est pas doutcuse : Max a intitulé son film Lehens Pepe. Le theme du

double

a toujours

été

celui

d’une

relation

forte

d'amour et de haine, d’un retournement violent de la vie en désir de

mort. Michacl Schweiger 1offre de son personnage que l*image froide dun étre amorphe, sans émotion. Surlécran il n’existe pas. Max reste

totalement Gtranger a Pépé, aucune intensité entre lui et Pépé. Rien

n’est plus grave pour une image que de laisser son spectateur indilfé-

rent. Pas de passé, pas de présent, sans désir, sans passion, neutre dans

son expression,

sans conviction,

La

laisse indiflérents. LE

POINT

DOULEUREUX,

de

Mie de

Marc

Pépé-La

Bourgeois,

Vedette

France,

avee Jean-Luc Bideau, Victor Garrivier, Prudence Harington.

nous

Y.L.

1979.

Le Point douloureux de Marc Bourgeois commence par un trés long plan-séquence, caméra portée d la main, dans les dortoirs d'un collége : auscultation des lieux que désertent les éléves, lente avancée

entre les lits, murs crasseux, la cage d'escalier que dévalent les retardataires, demi-tour vers les dortoirs vides et silencieux, effraction du regard dans la chambre du surveillant qui, assis dans la lumiére blatarde de la fenétre, se met a la flte; une fois le morceau fini, crt de Vimage. Ce premier plan semble porteur d'une forte idée de cinéma,

dun

travail sur la durée, sur la place du spectateur qui évolue dans

58

CRITIQUES

le bougé. le tremblé de la caméra. Mais comme les plans qui suivent _ ressemblent tousa celui-ci, ce parti pris apparait vite comme un pari

systémalique ci un peu creux, qui se réduit aux prouesses techniques du chel-opérateur et cameraman (Yves Lafayc) sans vraiment ré-ali-

menter le propos narratif (Phistoire d"un professcur qui démissionne

de l’enscignement apres que. ayant dit 4 un ¢cleve d‘aller se faire pendre ailleurs, 'éléve se fut effectivement pendu). La tiction d’aitleurs s‘effi-

loche vite au fil des errances du personnage (Jean-Luc Bideau), comme si elle n*était qu'un prétexte a la dérive de l'image, ponctuce de dialogues et de morceaux de textes qui restent des idées de scénario,

des projets décriture qui n’ont pas pris le temps de se muer en projets de cinéma. Cette dérive de l'image, la véritable matrice du film, aurait pu se développer. faire systeme comme, par exemple, chez Garrel (dont Mare Bourgeois fut lassistant), mais ta béquille de cette fiction avortée semble I’en empécher : l'une se frotic a l'autre sans jamais s'y noucr, et le parti pris anti-naturaliste d'une camera presque subjective ct d'un son décalé par rapport 4 image (toujours enregistré du point de vue du personnage, méme si celui-ci est filmé de trés loin) ne fait

pas vaciller une fiction quasi inexistante. ne fait pas avancer la pure

exploration d'un monde visuel. Comme un désir de filmer arrété a luimeéme, n’exprimant pour le cinéma qu'une fascination un peu glauque. N. H. RUE

DE

PIED-DE-GRUE,

de Grand-Jouan,

(France,

1979), avec

Philippe Noirct, Pascale Audret. Jacques Dufilho, Jean Dasté, Gui-

liana De Sio, Jacques Chailleux.

4 son piano pour faire plaisir au pére, le vieux « tonion » a ses souvenirs et a sa virilité hésitante. Les femmes vaquent : la jeune épouse

4 la maison. la grand-mére aux waters, plus une prostituée au grand pour

luprés-boisson

des

hommes.

Mélancolie

embrumée

Calcools et de misogynie molle: un sujet gringant qu‘un cinéaste davant-guerre, méme sans grand talent, aurait eu des chances de réus-

sir. Aujourd*hui : fa mélancolie hésitante ne suffit plus a structurer un film; manque un certain type d’acteurs, de dialogues, d’image. de son, el surtout: des salles, des spectatcurs, D'un tel sujet, que peut-il rester

aujourd hui: une lourde virée déplaisante dans la province frangaise. une comédie anachronique? Si l'anachronisme y est, la virée a été évi-

téc de justesse, peut-étre par te ratage - intéressant - du film, par le

désir — non négligeable - de ne pas le « réussir ». Ratage : on est a mi-

chemin entre "histoire pittoresque bien découpée et une suite dimpressions, ou les personnages auraient rendu toute histoire superfluc. Désir de ne pas réussir: ne pas coincer les comédiens dans un

conte trop ordonné et édifiant, refuser les regles de la nouvelle « qualité francaise ». aceepter de s égarer. Pas assez heélas : les impressions

d'ivresse et la logique alcoolique sont moins fortes que la logique du spectateur.

Pourquoi? Parce que le film est encore trop raisonnable :

il aurait — peut-étre - dt suivre davantage le comportement des per-

sonnages, se mettre 4 leur diapason, On

aurait cu une ceuvre zigza-

guante et un peu Jolle, erratique : un film a l'image - difficile - de son sujel.

COURAGE

L.S.

FUYONS,

Rochefort et Catherine

mage,

consistance

des

Deneuve dans Courage fuyons

personnages

de Yves Robert. (France.

1979), avec Jean

(plus

physique

que

psychologi-

que), acuité des situations (plus impressionniste que réaliste). séquences qui se situent en mai 68 par exemple (et qui étaient queées) réussissent. malgré Ja charge ct la satire, a bien rendre la gilité béte de cette Epoque, un climat — au sens météorologique —

Les risfraqui

it presque toujours échappe au cinéma. qu'il soit militant. documen-

taire, ou de fiction. Un cinéma

«fl pleut sur Nantes, et je me souviens...»: il y a de ca dans le Grand-Jouan., sans la chanson. Reste la mélancolie : trois générations occupées scricusement a boire ct 4 causer, le pére a son roman, le fils

ceeur

Jean

météorologique et populaire, bien

écrit, bien construit (malgré des laiblesses vers la fin), solide, sans chichis: Yves Robert est un amuseur qui ne méprise pas son public.

LS.

THE

SEDUCTION

OF JOE

TYNAN

LA

SENATEUR, de Jerry Schatzberg, (U.S.A. Barbara Harris, Meryl Streep.

VIE

PRIVEE

1978) avec Alan

D'UN

Alda,

A propos de cette Vie privée d'un sénateur (c'est le sous-titre fran-

ais) je \oudrais seulement

relever ce paradoxe:

comment

se fait-il

que ce film qui réunit toutes les conditions pour pluire aujourd’hui, pour salisfaire 4 la rumeur @amour qui nous assourdit, nous soit

insupportable jusqu’au dégotit? Pourtant, je le répéte, toutes Ices conditions exigévs sont réunies : une bonne direction d’acteurs, une bonne histoire, actuelle 4 souhait, unc bonne mise en scéne, souple et

charmeuse, Mais voila: Schatzberg, pris dans I’hystérisation naissante du cinéma moderne (je lance le mot en passant. i] faudra évidemment y revenir) ne fait que s*y vautrer au lieu de s’y alfronter : impossible de savoir sil dirige les acteurs ou est dirigé par eux. Impos-

sible de savoir si ce film nous monire toute horreur de ere Carter - le ciel américain vide du politique, de toute vie publique - ou n'est qu’une manilestation, parmi d’autres. de cette horreur.

Je veux bien qu'il y ait (4 un défi au regard critique, analogue 4 celui que vous lance dans le cinéma francais, un film comme celui du cou-

ple Breillat-Laffin. Sauf que Schatzberg ne peut soutenir jusqu’au bout son talent, son métier: il échouc 4 filmer 4 peu prés toutes les scénes ou il est question de vie publique jusiement (jusqu’a cette réception mondaine chez « les politiques » qui sombre dans la platitude).

Robert

Quant aux scénes de la « vie privée ». quelle sinistre réussite ! Une sorte d’exacerbation maladive, nausécuse de lintimuté. importée

lis sont rares les films auxquels on prend plaisir a prendre plaisir, plus rares encore les films francais qui restituent un peu de |’émotion idiote qui étreignait trop souvent dans les trop grandes salles des

vulgarité : favoue avoir été surpris par ces peu ragotitantes « baccha-

Rochefort,

Catherine

Deneuve,

Webber, Michel Beaune.

Philippe

Leroy-Beaulieu.

années 60; Courage Fuvons est de ceux-la : un bon film sans lourdeur, dréle, sentimental. Ecrit par Dabadie (pas étonnant qu’on retrouve 1a couardise du personnuge de Bedos dans ses sketches, en plus nuance),

c'est Phistoire d'un grand amour de hasard entre un pharmacien

coincé (Rochefort)et une chanteuse émancipee (Deneuve). amour que

ni la lacheté de l'un, ni les mensonges de Mautre ne parviendronta briser, pour la bonne raison que le liche se met 4 mentir et la menteuse

aavorr peur. Plaidoyer pour la faiblesse. idéalisation des vertus nationales Ics moins reluisantes (égoisme. licheté. pctitesse d’esprit, etc.),

Courage Fuvons ne réussit pourtant pas a se rendre detestable. sauvé de justesse par un anarchisme enfantin qui ne se prend pas au sérieux

et, surtout. par un sens certain du cinéma : frontalité classique du fil-

d'Europe (dun Truffaut dé-nervé) lui tient lieu de griffe: ah ces regards qui n’en finissent pas de sc faire signe, ces févres de se joindre ! Pour nc pas parler des scénes amourcuses qui témoignent d’un étrange retour du potnt de vue puritain, de cettc audace honteuse qui s‘appelle nales » sexo-alimentaires entre Alan Alda ct Meryl Streep. Si c'est ga

le talent...

B.B.

Les Cahiers ont deja parlé de : Camouflage de Krzystof Zanussi, n°

284 page 39, critique de Jean-Paul Fargier. -i Child is Waiting de John Cassavetes, n® 290-291 page 49, critique de Nathalie Heinich el Patrice Pinell. -t/vai. Avani de Ahmed El Maanouni, n® 290-291 page 28. critique de Serge Le Peron. Northern Lights de John Hanson

et Bob Nilson, n° 302. page 34. critique de Serge Le Peron. Sais Aucsthésie de Dubrous.

Andrzcj Wajda, n° 302. page 30. critique de Danictle La Luna de Bernardo Bertolucci, n° 304, P. Bonilzer.

NOTES

SUR

D'AUTRES

i)

FILMS

MOONRAKER, de Lewis Gilbert, d'apres [‘ceuvre de lan Fleming 1979) avec Roger Moore. Lois Chiles, Michael Lonsdale. d Kiel. Voonraker Cest une navette, spatiale bien sar. La navette du retour

de James Bond. ce mythe pour sociologue de tous calibres. Presque vingt ans, déja! La baucle « mode/démodé’retour » va vite dans les

sociétés post-modernes. Le phallo-macho de Intelligence Service fonectionne maintenant au second degré. Cette fois, la onzieme, les aventures du britannique multinational ne relevent plus tant de la lutte contre le Mal - ce vieux truc un peu guerre froide - que du combat contre la pesanteur. Bond peut voler a travers ‘espace. sauter d'avion sans parachute. Il devient lui-méme pur signe [lottant,

Comme le dollar, il flotte ct entraine dans l'apesanteur tout ce qu'il eflcure. Pendant les deux premiers tiers du film, une collection de voyuges.

de déplacements terrestres, trés agence de tourisme. Un joura Venise. un carnaval de Rio. un chateau frangais (celui de Vaux-le-Vicomte) transporté en Californie, un tour dans la jungle amazonienne. A cette Vitesse le voyage aventureux s‘annule, devient hyper-réel. Le trajet du film consume l’exotisme en une mécanique au rythme de gag. Un pay-

sage. un probleme, un gadget. « On trouve tout dans les tiroirs des Services Secrets de Sa Gracieuse

Majesté ». Et plus que

les méchants,

c’est plutdt le temps lui-méme qu’il s‘agit de tuer. Ainsi, la montre

bracelet qui trucide au curare fait paradigme. Elle est ’arme absolue qut casse les fuseaux horaires... D’abord done, quatre ou cing petits

documentaires, sans grands liens les uns avec les autres. La narration

n'intéresse vraiment personne, if s’agit seulement de changer de conti-

nent. Ilya bien un méchant, Michel Lonsdale. pour tisser un fil mais il na, lui non plus. pas lair d’y croire beaucoup. Acteur durassien il répete « Deétruire dit-il ». Il réve d’exterminer [‘humanité pour recons-

tituer une arche de Noé — tres nouvelle droite — dans espace.

Mais ce qui imporie, en fait, c'est de prendre lair. Car le film ne décolle que lorsqu’il perd toute référence terrestre, quand i] se met a flotter dans des espaces oll tous deviennent interchangeables. Dans la galuxie, le super macho, qu'on a Manqué d’une super machette pour fuire «in» et féministe. dérive sans points de répéres, il a — tout

comme

nous — perdu ses coordonnées.

Les étoiles font la guerre et

lamour, les rencontres sont de tous les types. On emprunte et Ion méle de grosses rétérences : la un Frankenstein aux dents d‘acier sourit Aune petite fille, ict James Bond se déguise en Clint Eastwood, ailleurs

Corinne Clery méle histoire d'O et 007. Et puis il y a ces maquettes spatiales belles comme des sculptures de Duchamp (décorateur:

Ken

Adam). Purement ludiques, elles déjouent toute intrigue. Tournoyantes, elles minent

le sens de toute Ihistoire, neutralisent toute signili-

cation. Ces petites machines flottantes sont déja en vente duns les hyper-marchés électroniques. Elles se branchent directement sur les récepteurs de télévision. James Bond démultiplie l'eifet Pif Gadget sur

grand écran.

Movnraker joue moins avec !'écran du fantasme, celui

que l’on décore de tout prés, qu’avec de petites manettes imaginaires qui, du fond de Ja salle jouent sur des commandes d'appareils télévi-

sés. Plus machinique que mécanique, Bond est moins un héros qu'un embrayeur éphémeére de touts petits récits indifférents les uns aux autres. Cette indifférence stellaire rend obsolete les références uu Dom

Pérignon mais aussi le cortege des Bond’s girls. Ici tout court, glisse. fuit. Réalisé sur six plateaux, dans plusieurs studios utilisés simultanement, le montage ne prend pas vraiment soin d'eflacer ces aléas. Bond passe d’une séquence a l'autre sans que rien ne le retienne. Dans Goldfinger c'est la femme qui était recouverte d'une pellicule dor. Aujourd’hui c’est le corps de Bond qui est recouvert d'un sca-

phandre d'acier, alors que ses compagnes sont dévétues. Dans cet echange-la, il y a plus que de lérotisme familial. il se réalise une vé table permutation, Les petites machines chromées ont gagné, on ne s‘intéresse plus qu‘a elles.

MOVIE-MOVIE

(FOLIE-FOLIE),

C.D. de

Stanley

Donen,

(U.S.A..

1979), avec Georges C. Scott, Trish Van Devere. Barbara Harris, Red Buttons, Barry Bastwick.

Au départ le projet de Vovie Afovic'a de quoi agacer avec son allure de bonne idée publicitaire : reconstituer une séance de cinéma américain de l’entre-deux guerres, Deux films. donc, Pun en noir et blanc, autre en couleur, avec un interméde documentaire sur la guerre entre

les deux. De toutes fagons fe fait que le deuxiéme film soit une come-

die musicale m’a plutét fait penser a une reconstitution esthétique d’un cinéaste ameéricain connu juste aprés cette perspective. le premier film (en noir et blanc) se tement comme un musée vivant et articulé de ce qui

de l'itinéraire la guere. Dans présente exacfaisuit (et fait

encore) le plaisir des amoureux du cinéma ameéricain du « bon bieux temps ». Ce que Donen

met en évidence et « monte » (comme on dit

« monter » une piéce, un bijou) avec un savoir faire admirable, ce sont

des « ficelles », des trames scénariques, Exemple : le petit gars parti de rien devient boxeur pour les beaux yeux de sa seeur. puis devient avocat pour faire triompher la bonne cause. Il y a aussi des situations. figures archétypiques. comme imprimées en caractéres gras (ainsi la

physionomic ¢garce du boxeur lors de la prestation de la chanteuse de

cabaret). et des procédés formels jouant sur Ja dissociation entre un

contenu au passé et une énonciation au present (le cadre se rétrécit et dessine un ceeur, un cerele entoure la joviale et émouvante trombine de George C. Scott. le « pére mort » dans la fiction et renaissant dans Vénonciation etc). Le tout, je le répéte parfaitement articulé, empaqueté (c’est aussi nous, cinéphiles, que Donen emballe) comme un cadeau de Noél. Ce premier film. je lavoue. m’a troublé. un peu inquiété méme. Impossible de ne pas penser que ce que j'aimais par-

dessus tout dans le cinéma ameéricain, ce fabuleux filon de réel, cette circulation secréte et harmonieuse entre le fond social ct économique et histoire individuelle, le voici maintenant sorti de terre, trésor mis au jour, avec le mélange d’euphorie et de déception que comporte toute découverte importante. Second

temps (uprés la guerre, dérisoire). la comédie

musicale en

couleurs. La machine se remet en marche et d’une certaine fagon c’est

encore

plus cuphorisant

que

la premiére

fois.

Le

pére (George

C.

Scott) est revenu et va devoir encore mourir, une [ois le spectacle

réussi. Sa mort fait plus mal - et plus plaisir. D'abord on la connait d‘avance. ensuite elle est d'avantage inscrite. gravée cn lui. George C.

Scott attend sa fin et celle du spectacic avec de véritables poses de sta-

tue, Pendant ce temps, pour les protagonistes du spectacle c'est vraiment la folie. Les rouages scénariques ne se contentent plus d'apparaitre (et de mourir) a Pair libre mais ils sont gagnés secondairement par l’effervescence de la couleur de la musique et de ta danse. Avait-on suffisemment remarqué que chez les maitres du musical d’aprés guerre (Minnelli, Walters, et bien sur Donen) c'est en quelque sorte la narration elle-méme qui se coloriait dansait, et chantait dans ses

cheminements les plus inattendus: // a justement un piano sur le foit, Plus d’espaces ni de temps laissés tranquilles: le comptable devenu compositeur embrasse littéralement la piéce de ses promesses

de chansons et de ses imitations d'instruments.

Et pourtant, 4 mesure que le film avance, que George C. Scott sent le mal le gagner, une idée s'impose qu’on pourrait exprimer comme

ceci: Stanley Donen, ce cinéaste d'aprés guerre, est (auteur de la comédie musicale, mais seulement /e servitcur du film en noir et blanc. Conviction

fragile, difficile a prouver, parce qu'elle surgit au

cceur méme de la folie de cette seconde Folie (pour reprendre le titre frangais). Et pourtant:

sila fille du metteur en scéne-producteur, cette

actrice qui ressemble a Liza Minnelli, qui ne sait ni danser ni chanter au début, devient

la triomphante vedette du spectacle final, ce n'est

pas par « magie » (ou par clin d’ceil » vet « on-sait-bien-que » qui dissimule toujours la plus folle des croyances) mais par métaphore. Métaphore du travail d’auteur, et pas de confiseur, de Stanley Donen sur la comédie musicale a laquelle il a imprimé un style, qu'on peut

retrouver ici dans cette élégance souriante et tonique des trois princi-

paux acteurs. Cette impression qu’ils donnent d’étre embarqués dans un spectacle dilficile a jouer: entre la magie et le clin d’ceil. trouver la métaphore. De méme le personnage de l'actrice qui ressemble a Liza Minnelli se trouve, comme par hasard, étre la fille du producteur de spectucle. Ce n’est pas par miracle: tl a fallu qu'elle le gugne ce peére : quelle Jui rende l'argent qu'il lui avait donné. Pas pour des prunes: un spectacle a eu lieu. Le producteur-mtteur en scéne peut—cette

fois — mourir en pa

B.B.

Ces notes ont été rédigées par Bernard Boland, Christian Descamps, Nathalie Heinich, Serge Le Péron, Louis Skorecki et Charles Tesson,

PETIT JOURNAL

RENCONTRE

AVEC

OTAR

IOSSELIANI

Otar losseliani, cinéaste géorgien, était de passage a Paris a 'occasion de ‘hommage qui fui était rendu a fa Cinémathéque (Chaillot et Beaubourg) dans la premiére semaine du mois doctobre, ou deux films sur trois étaient présentés : || était une fois un merle chanteur (1973) et La chute des feuilles (7967), Manquait son dernier film, Pastorale, pourtant programmé par la Cinémathéque, mais dont la copie fut bloquée par les autorités soviétiques pour des raisons d‘autant plus absurdes que fe film est sorti dans les salles 8 Moscou depuis quatre mois. Disons le simplement, mais nettement: il n'y a pas de raisons valables, logiques, rationnelles ou compréhensibles pour que /es autorités soviétiques en matiére de cinéma continuent 4 mettre un véto sur ce film que de nombreux critiques étrangers ont pu voir — dans une salle périphérique — lors du dernier Festival de Moscou. Le fait que ces autorités ne donnent aucune explication a leur geste est bien la preuve que cette censure reléve d'une politique

A moins que ce véto s‘explique pour des raisons artistiques ; les films, passionnants, d‘Otar losseliani ne relevent pas d'un genre mineur qui serait ‘adaptation d'un texte littéraire — n’oublions pas qu’en U.R.S.S. ie mot d‘ordre du réalisme socialiste est toujours en vigueur, et fait de fa littérature l'art dominant, le cinéma venant loin derriére et devant se mettre au service des grands textes littéraires —, mais bien d'une pratique cinématographique entiére, d'une écriture poétique et musicale parfaitement maitrisée. losseliani filme la vie

Cahiers. Vous avez dit un jour dans une interview quill y avait un mythe du cinéma géorgien, qu'est-ce que ca veut dire ?

sifiée. Actuellement, l'Eglise géorgienne a retrouvé sa souveraineté, la Géorgie retrouve peu 4 peu Sa Culture, sa langue, mais malheureusement certaines choses sont perdues a tout jamais. Les cinéastes géorgiens ont beaucoup exploité l'exotisme de leur pays. Dans leurs films on chantait, on était poli, gai, nonchalant, on s’occupait seulement de la forme sans voir l’'essentiel de l'esprit, de la mentalité géorgienne. Ces réalisateurs ont beaucoup de talent, mais jamais ils ne se confrontaient a un probléme sérieux. Seuls Giorgi Changuelaia et son frére Eldar, Merab Kokot-

quotidienne (a Tbilissi, ow i] habite) et son cinéma n’embaume pas la

réalité (on est loin d'un cinéma hagiographique), au contraire il la caresse, en effleure les contours, en suit le mouvement et le tempo musical. La liberté de ton de son cinéma donne au réalisme poétique toute sa force et fait de losseliani un cinéaste de premier plan.

ST.

(culturelle) absurde.

Otar losseliani. Les Géorgiens sont connus comme des gens en principe nonchalants ; en réalité ils essaient de comprendre la vie et ses mystéres: nous ne pouvons rien retirer de ce monde-la, on arrive nu, on repart nu, voila pourquol il faut toujours se séparer des objets, de la fortune, de l'argent, c'est plus agréable de donner que de prendre, et, en vivant ensemble, on partage la tristesse qui vient de la compréhension de ce phénoméne, on s’assoit autour d’une table et on regrette que le temps passe et que Ion ne fasse rien, on sait qu'il n'y a rien a faire. La seule chose importante c'est d'étre poli, de ne pas déranger les gens autour de sci, ils sont déja dérangés par le fait qu’ils sont vivants. Lutter pourquoi? Pour garder sa terre, pour garder son mode de vie, sa culture. La Géorgie, chrétienne depuis le quatriéme siécle, était entourée par les géants musulmans, la Perse, la Turquie, le Caucase du Nord. Elle aurait di étre avalée tout de suite mais elle a résisté jusqu’au début du dix-neuviéme. Toute seule. A cette époque nous étions 800.000 habitants. C’était de plus en plus difficile. C'est pour ¢a qu’on a traité avec la Russie orthodoxe un pacte de protection mutuelle contre les Musulmans. Tout d'un coup le tzarisme a profité de l'occasion, il a colonisé la Géorgie. On a tué toute la famille royale, acheté |'aristocratie, déchu les évéques et les patriarches de |'Eglise, ils ont colonisé l’Eglise géorgienne qui était ancienne, plus ancienne que I|'Eglise russe — une différence de six siécles — ils en ont fait une Eglise provinciale, rus-

chachvili et Rezo Tchreidsé et Lana Gogoberidzé ont agi autre-

ment, ca se termine la. Mais l'exemple de ces derniers a servi; la génération de jeunes réalisateurs qui va terminer cette année la faculté de cinéma semble préte a prendre la reléve. Voila pourquoi il était trés important pour moi et mes collégues de lutter pour que Pastorale soit montré, c'est un film fait dans les régies de la culture ou j'ai essayé de toucher certaines questions morales de la vie quotidienne. On n‘a rien pu dire contre et finalement le film est sorti sur les écrans 4 Moscou. Pour faire sortir un film comme le mien, il faut dépenser de I'énergie pendant trois ans, ala fin ca marche. Un exemple: le deuxiéme film de Kontchalovski aprés Le premier maitre, Le Bonheur d‘Assia, était formidable. On ne voulait pas qu'il sorte. Il edt pourtant suffi de deux ans de lutte de la part d’ Andrei et le film serait sorti. Au lieu de quoi il a voulu tourner tout de suite, impressionner de la pellicule (Once Vania, Nichée de gentifshommes, etc.), et aprés retrouver des forces pour Assia. Mais aprés, on le sait bien,

c’est

le Rubicon,

on

ne traverse

pas.

PETIT JOURNAL On parle ici de lutte. Mais contre qui, contre quoi devons-nous lutter ? Précisément, on le sait bien. Les bureaucrates, les fonctionnaires partout dans le monde, incarnent « l'esprit petit-bourgeois ». Ils ne peuvent pas nous aimer. C'est presque normal. Mais chez nous les fonctionnaires doivent en principe défendre des choses

telles que I'humanisme,

le progrés, l'amitié, la paix, des choses

nobles, généreuses. Nous pouvons donc-— mais il faut parfois beaucoup de temps-— toujours argumenter, raisonner ces fonctionnaires logiquement. A {a fin, its doivent bien céder. Pirosmani, un autre exemple, un film merveilleux. Combien d’années il_a fallu lutter pour qu'il sorte? Deux ans. Giorgui Changuelaia aussi est fatigué, mais aujourd’hui, il tourne toujours des choses honnétes, et Tarkovski, c’est pareil. Cahiers. Lorsqu‘on n’est pas au fait de fa situation, on pense que pour ennuyer un cinéaste, les autorités 'empéchent de tourner ses films ; or d’aprés ce que vous dites, on n’a pas limpression que les autorités vous empéchent de tourner, mais qu’elles tentent de dévier votre qeuvre vers des ceuvres mineures. Pour moi c'est une décou/osseliani. La censure, pour te cinéma, est a mon avis assez raisonnable; il est interdit de tourner des pornos, il est interdit de tourner des films méchants, il est interdit d’étre inhumain, c'est ¢a la censure, trés simple; mais a partir de la tu peux choisir ton chemin. Etre putain, orthodoxe, mentir, dire que chez nous c’est le paradis sur terre, qu'il n'y a pas de problémes, c'est de la mauvaise propagande: un pays sans problémes est un pays mort, mais chez nous on vit. J'ai découvert qu’en France ce n’est pas du tout le paradis non plus. Ca va mal en France, peut-étre que chez moi c’est mieux, peut-étre, je ne sais pas. Moi je pense que c'est mieux dans le sens que les relations entre les gens se font sans complexes. Nous ne nous embarassons pas de savoir si « tu es plus riche que moi, con Ou pas con ». Les cons sont associés entre eux, les gens honnétes sont associés entre eux, les gens qui travaillent de leurs mains sont toujours honnétes, il n'y a pas de lutte pour étre dix fois plus riche que les autres. Quand tu parles avec quelqu‘un, tu détermines en cing minutes ce qu’il est, c'est I'expérience de notre vie qui nous donne cette possibilité. Si tu n'a pas envie d’avoir des relations avec quelqu’un, tu n’es pas obligé de faire semblant de |'aimer pour la bonne marche de tes affaires, tu peux toujours choisir l'affrontement et garder !’espoir de gagner. En France le rapport de forces est différent et ce genre d'espoir est mince. De ce point de vue notre facon de vivre en Géorgie me convient mieux, parce que cela me débarrasse de plein de faux problaémes. A mon avis en France, les gens travaillent du matin au soir comme des fous, pour avoir un déjeuner et un diner, puis, dormir et se réveiller, travailler comme des esclaves. Et dans votre milieu du cinéma par exemple, savoir avec qui on déjeune, avec qui on dine, c‘est aussi une affaire, cela signifie que la vie est perdue, ratée. Je pense que l'on ne peut nulle part sur la terre créer de paradis, méme si pour ce faire on n‘avait a tuer qu'une seule personne. Les gens sont des pécheurs. Mais si tu ne veux pas t embarrasser de cette absurdité, il faut découvrir tes vrais problémes, les vrais problémes de la vie. De ce paint de vue, le cinéma géorgien c'est de la légende. L’avant-garde et tout ca, c'est faux. Dans ce pays immense qu’ est l’Union Soviétique, il n'y a peut-étre que cing metteurs en scéne qui essaient de suivre la ligne qu’ils ont choisie, Panfilov par exemple, qui est trés bien, c'est un type trés honnéte; Tarkovski, c'est un personnage pur, mais les conditions |‘ont poussé a tourner des films sur I’Histoire, le passé, des histoires dans les nuages, ou alors le fantasme, il n'a jamais touché le contemporain. Avec Le Miroir, un peu. C'est un film de qualité, en m&me temps c'est une pensée qui existe, qui pulsionne, il y a des idées, des idées bien articulées, c'est trés important. Mais on ne peut pas demander que tous s’occupent de l’actualité, chacun a sa méthode; Panfilov a essayé de faire une satire merveilleuse dans Je demande la parole. On peut discuter a ce niveau-la, on peut parler, mais je ne peux pas parler avec les autres potiches, ca n’existe pas pour moi. Cahiers. Et ce/ui qui a fait La Prime ? Mikaelian ? fossetiani. \\a fait un autre film, Les deux veuves, un film trés bien, un film merveilleux. Deux femmes russes, deux vieilles qui gardent la tombe d'un soldat inconnu, et les officiels cherchent le cadavre d'un soldat inconnu pour le mettre sur la place sous la flamme et

dram ate bh, Pa

verte, parce qu’en fait il n'y a pas de censure.

La chute des fetes, de O. losseliani

cest

la discussion

entre

eux.

Finalement

on dérange

ce pauvre

cadavre, on le met sur la place, il y a des orchestres, les gens plantent des arbres autour et les deux femmes perdent ce qui leur don-

nait une raison de vivre. Cahiers. Et La Prime?

Josseliani. C'est con. Pour Les deux veuves, il faut tout de méme préciser quelque chose; a la fin de son film, Mikaetian, pour sortir de cette situation, efface tout ce qu'il a raconté: on voit les vétérans

de la guerre qui s‘embrassent, on voit les femmes qui pleurent en

regardant le tombeau officiel en regrettant les morts, et a la fin cela devient une chose trés importante, ce tombeau reconstruit, ca signifie que le cinéaste a contourné l'obstacle, c'est aussi une facon de mentir, il fait les choses a moitié, et il efface tout; c'est mon avis. Parce qu'il faut un peu de courage, tu as peur, tune seras pas payé, mais le film sera créé, il existera, le film sera peut-étre caché, peut-étre interdit, mais il faut étre un peu optimiste, le temps viendra ou nous serons tous appelés au jugement, on nous demandera alors ce qu'on a fait.

Cahiers. Et toi? Ta logique c'est d'attendre, de te battre pour Pastorale? /osseliani. Ma logique est simple. Je ne prends pas au sérieux ce métier, je ne suis pas admirateur de mon métier. Il y a des gens qui adorent le cinéma et pour avoir la possibilité de crier « moteur » et « coupez » feraient n’‘importe quoi. Pour moi c’est plus sérieux de passer trois mois sans rien faire avec des amis que j admire, dans

PETIT JOURNAL

62 ce monde-la on passe trois mois mais ca vaut une quinzaine d’années, c'est ca l'essentiel de notre vie. Voila pourquoi je suis absolument iranquille, je ne souffre pas, je lutte pour Pastorale, mais tranquillement, sans hystérie. Cahiers. Que devient Paradjanav? fosseliani. Paradjanov, c'est Dali, tu comprends. Si Paradjanov arrive ici, I'étoile de Salvador Dali tombe 4 zéro. II est bien maintenant a Tbilissi, il est entouré d'admirateurs. On lui a proposé de faire quelque chose mais il n’en a pas trés envie. II va bien, c'est un type formidable. II a tellement de talent et d’imagination, il sait comment habiller une femme pour qu'elle soit dix fois plus belle, il sait arranger une table pour que cela soit formidable, méme s‘il

y a deux ceufs a manger, il adore les objets d'art, les produits artisanaux, il connait admirablement la valeur de tout ca. C’est un véritable artiste, un peu fou, il faut seulement ne pas lui demander d’étre responsable de ses actions. Je |’aime bien. Cahiers. Tu disais au début, « parlons métier », mais tous les gens qu’on a cités, et toi compris, finalement vous tournez assez peu dans fa mesure ou pour tourner un film il faut se battre, attendre. Comment un cinéaste...

fossefiani. Mais il n'y a pas de secret dans ce métier, ce n'est pas comme pour étre violoniste ot! il faut jouer pendant 15-20 ans avant de jouer vraiment, et en méme temps tu perds le rapport avec la musique car tu commences a la détester. Le seul moyen pour étre proche de la musique, c'est dé chanter, la tu recois tout ce quelle peut donner, mais quand tu deviens professionnel, tu perds. Notre métier est formidable parce que il n'y a pas de secret, n'importe qui peut tourner demain, monter un film ca signifie avoir du gol, avoir le sens du rythme, c'est comme chanter, Voila pour-

quoi ni moi ni Pascal ne prenons

le métier de cinéaste trés au

sérieux. Beaucoup de cinéastes qui nous entourent font croire aux gens... ils sont habillés étrangement, ils s’entourent d'un secret, ils font croire qu'ils pensent, ce n'est pas vrai tout ca, le seul instrument que nous avons c'est notre conscience, voila pourquoi il faut y faire attention.

Cahiers. Un musicien, s‘il ne peut pas jouer du violon, if peut chanter, mais un cinéaste, s'il ne tourne pas, il ne fait pas de cinéma. Josseliani. Quand on n‘a pas tourné pendant longtemps dans des

petits détails, on s’apercoit qu'on a oublié, comment

il faut faire

telle ou telle chose, mais c'est mieux, Car tu ne suis pas les habitudes, tu découvres de nouveau les régles, par exemple j’oublie comment il faut planifier mon travail, comment faire pour qu'il soit plus pratique, mais tu découvres, en un mois, des régles nouvelles. Tu ne perds pas le métier parce qu'il n’existe pas. Si tu veux dire queique chose, ce qui est important c’est de savoir quoi dire. Quand tu commences 4 parler, tu peux faire des fautes, ce n'est pas Ca qui est important. Si tu as un acteur qui parle formidablement le francais, mais qui n‘a rien a dire... Cahiers. Mais finalement ces films sont produits... Josseliani.\ls sont produits malgré la situation. C'est partout dans le cinéma comme ¢a. Le cinéaste ressemble 4 Chariot qui traverse la salle de restaurant avec son plateau plein de choses et ou tout

le monde

le bouscule dans tous les sens. C’est le seul métier ou

méme en tombani, tu dois tenirle coup et aprés c'est la joie quand tu y arrives et que tu donnes a boire aux gens, c’est ca le métier. Cahiers. Concrétement.

¢a se passe comment sur un tournage?

fosseliani. Tu as toujours

le Conseils des Artistes, comme

s'appelle, tu as les rédacteurs qui arrivent...

ca

Pascal Aubier. Rédacteur, c'est une profession qui n’existe pas ici. Dans un film il y a un quelqu’un, qui est d’ailleurs trés bien placé au générique, qui doit en principe surveiller qu'on fait bien les choses, comme prevu dans le scénario et comme Il se doit. fosseliani. Par exemple, le conseil des rédacteurs du studio dit qu'il y a beaucoup de gens qui ne sont pas rasés, mal habillés, il est trés umpartant que tous les citoyens soviétiques soient « trés bien habillés avec une chemise blanche propre. bien rasés et souriants, ce qui signifie qu’on vit bien ». S‘il n'y a pas ces signes-la, alors tu

Tournage de Pastorale. O

losseliani (l'homme 4 casquette}.

as des problémes: « non, non, ¢a ne passera pas, attention », alors tu rases les acteurs, tu les habilles propre, et ils ne trouvent plus rien 4 redire... et tu continues a tourner... et le résultat: « c'est quoi, qu’est-ce que vous avez tourné? Il y a quelque chose de mystérieux dans ce film... il faut bien réfléchir, on peut faire une faute et perdre son fauteuil ». Celui qui te contréle est responsable et peut perdre son fauteuil s‘il fait une erreur. Et la seule chose qui I'intéresse, c'est son fauteuil, alors si tu insistes, si tu es logique, s'il découvre qu'il peut répéter ton raisonnement devant les autorités supérieures, il est pour, iln’est pas humainement contre toi, il te fait un signe: « comme ¢a Ga peut passer ». Et voila pourquoi tu es entouré par de gens qui veulent t aider, il te respecte, mais la seule chose c'est que ce ne soit pas dangereux pour lui. Par exemple, je ne comprends pas pourquoi mon ministre du cinéma refuse d’envoyer Pastora/e pour une projection privée dans le cadre de la Cinémathéque a Beaubourg, 150 places, c'est quo ¢a? Il ne s'agit pas de distribution, il peut garder sa politique, dire qu'il n'est pas d‘accord pour distribuer ce film-la, mais il a montré ce film 4 Moscou a tous les étrangers qui le voulaient, a titre de démonstration. Le film était distribué dans des salles de cinéma

normales autour du centre du festival, pendant le festival. Je sais

trés bien qu'il n'est pas mon ennemi, cipe il m'aime, parce que je suis un c’est comme un partenaire de jeu. On res... Il y a peut-étre une raison mais verte, je ne comprends pas.

il ne me déteste pas, en prinpersonnage avec qui il lutte, ne déteste pas ses partenaije ne l’ai pas encore décou-

Cahiers. Qu’est-ce que /e grand public soviétique voit? Quel est fl équivalent la-bas de De Funes, de Deton, est-ce que ¢a existe, qu‘estce qui fait rire les gens? fosseliani. Le Comité de cinéma adorart ca. Le public est nourri de Fantomas, de De Funes, de films arabes sentimentaux a pleurer:

PETIT JOURNAL

Y a t-i/ aussi des films soviétiques dans ce registre?

lossaliani. On essaie, mais on ne sait ni danser ni chanter, c'est moche, alors on fait des films policiers, la qualité des criminels est une norme trés étroite, si tu es policier, tu dois étre trés honnéte, tu ne peux pas étre criminel-policier. Si tu es un fonctionnaire ce n’est pas possible, alors si tu es un criminel tu peux étre un déclassé, un artiste, ¢a c’est bien artiste, il est toujours criminel. On n’arrive donc pas non plus a faire des vrais films policiers, c'est difficile.

Cahiers. Et fes comédies 7 Josseliani. Les comédies, ca veut dire qu'on peut se moquer un

tout petit peu de certains et c'est clair que tu peux te moquer d‘un directeur de club populaire qui est rétrograde, mais pas d'un responsable, jamais. Les comédiens ca ne marche plus. Qu il y a un chien, deux amoureux et un chien qui les réunit.

FESTIVALS TELLURIDE Du cadre legendaire de cette petite ville du Colorado tout a été justement dit par Serge Toubiana dans son compte rendu du festival 78 (Cahiers nv 294), Sajouterai simplement. concernant le site, que lair. d'une pureté absolue, y modele un style de vie a ce point écologique

qu’atlumer une cigarette dans certains lieus de la ville. provoque des réserves comparables (idéologiques). 4 celles qu'aurait pu susciter le fait d’entamer une bonne partie de roulette russe dans un soviet d‘ouvriers ct soldats en pleine Révolution d’Octobre. Harmonie du

lieu et du festival: celui-ci avait ménagé des séances de nuit en plein

air, ou dés le premier soir une foule nombreuse venait assister, dans une ambiance décidément bactériostatique,4 la projection du Napu-

leon A Abel Gance a qui était rendu un sérieux hommage. Gance. C’est ainsi qu'on a pu voirsurun écran géant en polyvision

(projection simultanée de trois images : conditions proches de celles de sa premiere mondiale a !'Opéra de Paris en 1927), une version pratiquement intégrale du film (prés de cing heures). Comme Griffith (dans Neaissence d'une Nation) et Eisenstein (dans Le Cuirassé

Potembkine ou ivan le Terrible) ausquels on pense d’emblée a cause de leur commune et démesurée envergure épique et de leur nationalisme, Ganee réalise [4 un véritable sermenr d'allégeance a son sujet (le génie humain incarné dans le personnage de Napoléon rencontrant

le génie de Histoire incarné dans Ja Révolution Francaise : ¢’est-idire la marque de Dieu), et en méme temps défire le récit de ce ser-

ment. La of un film simplement a la gloire de Napoléon méme méga-

lomane (un film de propagande : c’est ce qu'il [era ~ct ratera —en 1960 avec -fusterfifz) se serait contenté de filmer la destinée exceptionnelle

de 'Empereur. Gance reerée littéralement Napoleon selon un scéna-

Tio ostentatoirement repris de Dicu lui-méme: ‘enfant venu (de Corse) pour suuver les hommes (la France}. Défi a ordre originel du monde lance aussi dans J accuse, film antimilitariste of, littéralement, le personnage passe une alliance avec l"au-dela pour changer le cours des choses (délire scientiste : empécher les hommes d'etre tues

par Vinvention d’yne armure en plastique qui se trouve dépassée

quand la Seconde Guerre approche). Auiourd’hui. Abel Gance a qua-

fosseliani.

Je

pense

que c'est

le

meilleur

cinéaste

en

Union

Soviétique, qu'il n'a jamais sali ses mains. || a fait de Iégéres béti-

ses a

la fin...

Cahiers. // a fait un film sur la vie de Stakhanov. fosseliani. Ah ga je ne sais pas... la vie de Stakhanov... peut étre, c’était un type qui vivait, il ne se posait pas de problames dans son cinéma... ll a fait deux ou trois films: Au Bord de /a mer bleue, bleue, Okraina, La Maison de fa rue Troubnaia, vous avez vu, c'est formidable, c’était produit en méme temps qu Eisenstein, La Ligne générale, Eisenstein ? A |'époque ou il travaillait, il savait tres bien ce qu'il faisait, il n’était pas idiot, il appartenait a un certain milieu, il a vu tout ce qui se passait autour de lui, et en méme temps il en faisait I' apologie, dés son premier film. L’escalier, tout ca, des mensonges. Mais c’était bien fait, il s’occupait de la forme en mentant sur |essentiel. Lhistoire de lvan le Terrible, c'est l'apologie du moustachu, il en était amoureux, il le soutenait mais il a été un petit peu trop loin, ilen a fait trop. Dovjenko était naif, il était paysan, il y croyait, c'est pardonnable. . epee Entretien réalisé par Serge Daney et Serge Toubiana, avec la collaboration de Pascal Aubier

tre vingt dix ans: présenta Telluride. il prétérait parler, plut6t que de

ses films passes, de celui qu’il projette encore de réaliser: un film sur Christophe Colomb. Etaient aussi venus d‘autres cinéastes européens (Alain Tanner, Jacques Demy. Barbet Schroeder, Werner Herzog). et-un réalisateur japonais Shuji Terayama dont Ie eélebre Empercur Tomato Ketchup a plus mal vieilli que celui de Gance. A célé une activité littéraire (une vingtuine de romans) ct thédtrale (il dirige la prolixe compugnic Tenjosaiki a Tokyo) débordante. Terayama continue a réaliser des films expérimentaus (expérimentations 4 partir de la pellicule film ou de la vidéo) qui sont plus qu’estimables, méme s‘il manque 4 ces ex périences un projet général de cinéma (inestimable avance de Godard sur ce point). Chuck

Jones.

Avec

Robert

Wise. Chuck

génération de cinéastes américains projections

étaient

précédées

i

Jones représentait cette

de l'aprés-guerre. Nombre de

de courts cartoons

réalisés par lui et

c“était trés agréable (le festival tui avait consacré un hommage

en

1977). Jones est, avec Tea Avery, le plus genial réalisateur de dessins unimés depuis trente ans. Ila fail vivre toutes ces années Bugs Bunny. Daffy Duck, Elmer, Coyotte, Road Runner etc, Oeuvre unique a Tournage

de Napoléon

{au centre

Abel Gance)

et Siar

Cahiers.

Cahiers. Et Boris Barnet?

YASS ves

des petites filles abandonnées par leurs parents, qui grandissent, qui tombent amoureuses de leurs fréres et aprés on découvre le pére qui souffre beaucoup, qui est blessé pour la vie d’avoir perdu sa petite fille, c'est immense, a peu prés deux cents films par an et tout le monde les voit, et les films indiens aussi... Le Vagabond de Rechgapour, etc., des westerns aussi...

64

PETIT JOURNAL

tere tnattendu de ses cadrages, mouvements d’appareils zooms, Vinsistance diabolique sur un détail, qui procurent une torsion de

espace filmé comme Sydney Sokhona avait réussi

a cn produire dans

Nationalité : hmmigré Saul que son statut par rapport a ce qu’il filme est exaclement inverse de celui de Sokhona qui, lui. filmait les siens de Vintérieur, la of Les Blank filme espaces (villages. salles de hal. lieux de recréation. de divertissement) cl personnages (musiciens, chanteurs, artistes) eatéricurs a sa culture (méme si en Amérique le rapport des minorités a la majorité est plus complesc. moins mani-

chéen que dans un pays comme la France). De la sensualité qui se dégage d'une voix, d'une musique, dune couleur, d’une odeur, Les

Blank donne une approche un peu perverse qui fait penser, en pity Joyeux, au systeme mis en place par Moullet. Gates of Heaven. Ce premier long meétrage de Errol Morris a pour

sujet les cimetiéres d’animaux domestiques. En réalité c’est ta névrose de la classe moyenne americaine qui se trouve ici radiographice, a travers sa particuliére passion

pour les animaux

domestiques. Ce sujet

est d’actualité; on dit qu’a New York le nombre de bétes d’appartement atteint le nombre d*habitants et, derision ou solution, le gadget de masse a la mode aux U.S.A. est une laisse de chien... sans chien (par

la se trouvent rassembleés les avantages de Vanimal-asoir quelqu’un a protéger, 4 promener: avoir un sujct de conversation ct un fidele compagnon 4 qui parler —. sans les inconvenients — le nourrir, avoir a ramuasser ses excréments). Logique ultime de simulacre (de communication, Pamitic, dhumanité plaquéc sur les animaux domestiques) de ne plus avoir besoin pour fonctionner d’éire méme visible.

Morris se présente comme un fanatique de anti cinéma-veérité. Ses

Débat en plein aira Telluride {de dr. a g.: Tom Luddy, Klaus Kinski et Werner Herzog).

cadres sont elfectivement construits selon un principe de condensa-

cause de lintelligence proprement cinématographique dont elle fait preuve : curactére tenu des scénarios et des personnages (dans le dessin animé, le « tout est possible » est souvent synonyme de perte d’intérét et d’ennui), cadrages rigoureux et jeu avec le hors champ (cela aussi c'est plutét rare dans les cartoons, qui ont tendance 4 ne privilégier que le champ). traitement du jeu des personnages relevant autant de

Iest pas Gtonnant qu'avec un sujet pareil et de tels partis prts de représentation, la somme obtenue soit particuligrement tératologique. Le moment le plus terrifiant est celui of l'on réalise qu'une vieille dame

tion de Funivers mental (i) s’agit bien de radiographies) de linterviews : i filme généralement les gens chez cus. dans leurs décors, avec leurs objets, leurs photos, leurs couleurs. leurs vétements damiliers. Il

frisée ct pale, intervicwée dans un fauteuil rouge prés de sa lJampe en

un entretien avec Chuck Jones.

bronze a la lumicre jaunatre, posséde une ressemblance plus que troublante avec le caniche en photo, situé derriére elle sur le mur rose de la salle 4 manger (animal défunt qu'elle affirme ne pas pousoir oublier). Plus Join un couple raconte qu'il communique avec son

Les Américains. Les Blank. Les autres cinéastes américains présents a Telluride opérent dans les marges du systéme de production. Ron Taylor n'est pas un inconnu pour les lecteurs (attentifS) des

celui de Ja réincarnation, méme si personne n’ose le prononcer : réincarnation du réve américain en substituts dérisoires. Gates of Heaven pointe ainsi la véritable tentation du cinéma ethnographique pour un genre cinématographique : fe fantasaque.

ta direction d’acteurs que du pur graphisme, référence au cinéma des

origines (et en particulier aux burlesques du cinéma muct, a Chaplin, 4 Keaton...). Nous publierons dans le prochain numéro des Cahiers

fidéle berger allemand passé dans l’au-dela. Le maitre mot du film est

Cahiers - il fut « découvert » il ya deux ans lors d'un festival de Deauville ou il n’était pas invité (Louis Skorecki, Cahiers n° 282) avec un

film-saga Suckalo. Ita passé ce temps a Monter une entreprise de bains diététiques 4 Boulder — Colorado {ce qui faisait de Jur ici Yenfant

du pays). ct réalisé un petit film (Taps) sur les facéties dune danseuse

(de claquettes) de ruc (sobriquet : Rosie Radiator) qui ne bouleverse

pas les regles du genre.

Les Blank

L’histoire (authentique) de Red Skin

pourrait bien en

tor Schetzinger était porté disparu. Ha été miraculeusement retrouvé lors du creusement d'une piscine sur un terrain ayant appartenu a une Major Company. L'histoire (qu'il raconte cette fois) est celle de Wing

Foot (de la tribu des Navajos) et de Corn Blossom (la femme qu'il

aime, de la tribu des Pueblos), arrachés depuis leur plus jeune age a

Stan Brackhage étatt aussi present (mais il n’avait pas de film au les-

tival) comme

Red Skin.

relever elle aussi. Ce film muet et en couleurs réalisé en 1929 par Vie-

avec trois courts métrages (As Good As

Mother, Del Mero Corazon, ct un film sur une exhibition de Werner Herzog en train de manger sa chaussure). Blank est le promoteur actuel (sinon linventeur) du cinéma odorilére. Tandis qu'il fait voir

et entendre des éléments de culture populaire (musicaux surtout, voir Cahier n° 304), il donne a sentir des odeurs présentes dans ces cultures: les odeurs de cuisine exclusivement. [] a ainsi organisé dans une

des salles de la ville une garfic session qui consistait a fuire cuire de

Pail pendant la projection de ses films. et a répandre parmi les spectateurs l'odeur de ce liliacé frit qui connait par ailleurs aux U.S.A. un certain nombre d'udeptes, organisés comme un véritable groupuscule politique (avec une revue, un comité central, des idéologues etc.). Ceux qui le souhaitaient pouvaient a la fin manger le produit de sa cuisson sur du pain. Difficile aprés tout ga de préetendre que le travail de Les Blank est plus intéressant qu'il n’y parait. Et pourtant, pourvu qu’on ne marche pas trop dans le discours édifiant qui accompagne

ces projections, sa manicre de filmer vaut la peine d’étre remarquée + étrange en vérité, pas toujours paradoaale

mais suffisamment cons-

tante, pour parvenira imprimer d'un film a l'autre une vision personnelle et obsessionnelle de ses sujets. Le retour incessant des mémes

preoccupations d’abord (la musique et la cuisine), mais aussi le carac-

leur entourage et éduqués selon les codes américains. Rejetés par la société blanche, ils veulent revivre chez cua mais les deux tribus,

depuis toujours rivales, s‘opposent au mariage des deux jeunes gens, La fiction nouée a la maniére des grandes tragédies classiques (situation effectivement comélienne : comment accomplir ses passions sans trahir les siens), se dénoue d*une surprise quasiment divine. Dans sa quéte éperdue, Wing Foot découvre du petrole, précicux liquide qui permettra aux indiens d’étre plus forts face aux blanes, qui réconciliera les deus tribus (Wing Foot faisant don de cette richesse aux deux

tribus a la fois) et permettra le mariage des deux jeunes gens.

Outre le caractére d’actualité de la morale politique (qui aurait pu

servir de credo aux pays producteurs de pétrole), on reste étonné par la modemité du théme (cclui de la double appartenance de culture, situation de nombre d’intellectuels du tiers monde), le caractere sou-

tenu du rythme narratil (situations extremes, emb

ge fictionnel

permanent, véritables coups de dés scénariques), la beauté des images (le sens du décor et des costumes qui déterminent toutes les situations

du film), De plus, la primauté des sentiments, alliée a la nécessité

absolue de justice, en fait l'un des rares mélodrames de l'histoire du cinéma qui ne soit pas du tout réactionnaire. Autant dire qu'il s‘agit d'un modéle du genre qu’on aimerait pouvoir montrer ici. Serge Le Péron

PETIT JOURNAL

LILLE 79

viennent pas a masquer lindigence ou labsence de direction d’acteurs.

COURT-METRAGE: PANORAMA INCOMPLET

Huitiéme

_ Deux films a faire exception peut-étre : sans échapper a la totalité de ces défauts, ils bénéficiaient d'interprétes remarquables et bien dirigés. L'extraordinaire ascension de Maurice Bellange, de Bruno Decharme, film d@’un maniérisme irritant et qui veut raconter trop en trop peu de temps, est en grande partie sauve par le (rés grand talent

festival international du film de court-métrage et docu-

mentaire. La municipalité de Lille, tres peu aidée par le C.N.C., ne ménage pas ses efforts pour donner du retentissement a cette manifestation au cours de laquelle sont projetées quelques 50 heures de docu-

mentaires, de courts métrages de fiction et de films d’animation. Le public lillois ne s’est guére dérangé. Et le soleil presque méridional qui remplissait

65

la minceur du scénario ni

de Daniel Emilfork, parfaitement a l'aise en moraliste maléfique et sentencieux. La Confesse, de Pascal Remy. se distingue par un scéna-

rio bien adapté au court-métrage, une utilisation intéressante de la

voix off, et une prestation mine

en

Daniel

Emilfork

remarquable du comédien

Philippe Tho-

travesti.

les terrasses de calé du centre piétonnier n’explique pas

tout. Du cdté des professionnels, on critiquait la sélection ou le mélange des genres qui oblige a tout voir. Mais chacun sentait confusément que,

st le coeur n‘y était pas, ¢'¢tait sans doute pour

des

raisons

plus graves : impasse de fa formule festivaligre qui ne débouche sur rien que d'autres festivals, médiocrité remarquable de la production frangaise (presque absente de la competition) crise de la machine ciné-

matographique traditionnelle - celle qui. pour parler vite, est prise entre Apocalypse Now et la vidéo. A ce conmpte, les pays de lest. du moins la Pologne et la Hongrie,

nMavaient pas de mal a faire assez bonne figure. Des films conime @une part Les fenunes qui travaillent de Piotr Szulkin, La Fenéire de

Piotr Andrejew, Cinéma vérité d’Andrzej Warchat pour la Pologne, ou d’auure part La Saliére d'Istvan Orosz et Fétonnant document-fiction Intersee tion de Peter Fabry pour la Hongric. témoignent inconstestablement qu'existent dans ces pays des écoles de cinéma vivantes et ouvertes a la recherche. On reste pantois en découvrant dans ces films les tics les plus récents de l’avant-garde européenne : ralentissements godardiens, fondus au blanc, ctc. Les productions précédem-

ment cilées savent cependant éviter suflisamment les piéges du formalisme pour étre d'une qualité moyenne honorable. Ricn de plus mais

cetait deja beaucoup a Lille cette année. Au reste. c'est sans doute par reconnaissance de spectateur que fe jury a distingué deux films de pays

socialistes, choisis non parmi

les plus intéressants mais du moins

applaudis par le public. II s‘agit d*un documentaire bulgare: Le Ber-

ger de Christo Kovatchev — mais qu’est-ce que le cinémia bulgare? et d'un court métrage animé du polonats Warchat, Le petit pigeon. Du

cédté des pays capttalistes. deux

ou trois films seulement

ont

semblé s‘intéresser a la recherche d'un langage nouveau. Ces tentatives. A demi réussies seulement, sont 4 chaque fois issues des techniques d’animation ou video. Citons le films japonais Les Chants de Maldoror de Shuji Terayama, film assez prétentieus dans l"ensemble.

mais ow les calligrammes qu’une plume venue de nulle part inscrit

parfois sur (image. produisent un indéniable effet d’étrangeté. Les animatrices canadiennes Caroline Leafet Veronica Soul ont réussi,

dans leur film a la premiére personne /nferview, 4 mélanger habilement techniques d’animation et cinéma-verité. Enfin La Promenade,

film frangais de Jacques Barsac, temoigne de recherches sur la super-

Decharme.

dans

L’extraordinaire

ascension

de

Maurice

Belgane,

de

Bruno

Pour en finir avec les films frangais, i] faut mentionner ici ce qui fut

{ce fuux évenement du festival. a savoir la demande de saisic (restéc vaine a ce jour) par la rédaction en chef du Afatin de Paris du film

Numeéros zéru de Raymond

Depardon.

Je renvoie le lecteur a l'article publié dans ce méme

Cahiers.

numéro

des

Parmi les autres documentaires, le film Un réfiugié du Fietnan d’Heynowski et Scheumann (R.D.A.) atteint le spectateur avec vio-

lence et aurait certainement remporteé le prix d’« obscénité ontologi-

que » s'il existait a Lille (1). C’est un ciné-tract de quatre minutes qui

décompose quatre fois de suite au ralenti la célébre séquence ow |’on

voit le chef de la police de Saigon exécuter un prisonnier 4 bout portant dans la rue. L‘image du policier se décafe un peu et par un rapide

fondu-enchainé, on retrouve le méme homme, sourire aux lévres, en

train de prendre les commandes dans son restaurant prés de Washington. La mise a mort documentaire indéfiniment répétée est bien ce

« spectacle intolérable » dont parle André Bazin (2) et je ne connais

position d*imayes (grace a la vidéo) et le coloriage de pellicule noir et blanc. Le résultat est intéressant sur le plan formel mais n’est pas soutenu par un projet assez cohérent. I] puise trop dans l"imagerie surréa-

guére pour ma

actuel. de telles recherches ont le mérite de vouloir sortir de impasse

quent un cinémaa l’estomac tout droit issu de I"« Agitprop » (Allema-

liste et 'embrayage de la fiction reste maladroit.

Dans le contexte

part de film plus traumatisant que celui-la.

fl faudra un jour se pencher de plus prés sur l’usage intensif du

tabou de mort dans les films d'Heynowski

et Scheumann

qui prati-

et se distinguent avec bonheur des produits pour la plupart mort-nés

gne, années 30),

Il convient pourtant de distinguer parmi ces derniers, deux courants qui me paraissent avoir fortement valeur de sympt6me. Dans le

tion du film d°‘Orson Welles Fi/ating Orhello (malheureusement a une heure fort tardive ct avec une traduction simultanée vite noyée sous le flot wellesien). Ce film important méritera qu'on y revienne abondamment sil trouve en France un distributeur assez courageux pour prendre le risque de sa nouveauté. C’est un des premiers vrais films de télévision comme on peut lentendre de certains Godard récents. Tentons de donner briévement une idée du dispositif scenique : Wel-

présentés pur ailleurs a Lille sous label francais.

« panorama de la production

frangaise », curieusement

L’événement véritable du festival, fut la projection hors compéti-

placé hors

compélilion, se retrouvaient en effet deus films représentatils de ce cinéma ethnographique a la frangaise qui si volontiers s’attache 4 des

personnuges condamneés a la marginalité ct 4 la solitude pur la société

daujourd hui. Cinéma du déja-fini dont la nostalgie tourne trop souventa vide. De quel autre cinéma porte-t-on [a le deuil? Les courts métrages de fiction portaient quant a eux trés visiblement le deuil des longs métrages qu'ils auraient révé d'étre. Cela aboutit a une sorte de gontlement généralisé du produit, une mobilisation accrocheuse de toute la machine 4 artifices (bunde son pour sourds, écluirages esthétisants, couleurs, effets-choc au montage) qui ne par-,

les, assis 4 la table de montage, régle un jeu complexe de questions et

de reponses, de vérités et de mensonges. a propos de son film Oshello. Au cours de ce jeu, il perd a plaisir le spectateur sous

labondance d'anecdotes sur le film, puis convoque successivement a Mécran de sa table de montage une discussion entre lui et les acteurs

vicillissants qui acceptent ici de risquer leur image, des extraits mucts du film commentés aujourd hui (véritable nouveau montage)... el sur-

PETIT JOURNAL

66

TELEVISION RUE DES ARCHIVES:

L'HISTOIRE DE FRANCE A LA TELEVISION VUE PAR RAOUL RUIZ ll y avait Marie (9 ans), Cécile (10 ans}, Valérie (13 ans) et Sophie (17 ans). Nous ne les voyions pas, mais nous entendions leurs voix. Elles lisaient les manuels d'Histoire de France d’A. Calvet (1903), d'A. Aymard (1929), de D. Ferré Poitevin (1956), d’Audrin et Dechappe. Ceux-la disaient tous a peu prés la méme chose: que ‘Histoire de France, c’est I’Histoire des Droits de I'Homme. En-dessous de ces voix, il y avait une Histoire de France faite avec des séquences des dramatiques de la télévision, en deux époques: 1. De nos ancétres les Gaulois 4 la prise du pouvoir par Louis XIV; 2. De la révocation de Edit de Nantes a4 linvention du cinéma. Ces bandes vidéo n’‘ étaient pas tout 4 fait d’accord avec les propos antérieurs des manueis sur le sens de I Histoire : elles montraient qu’en fait de libération, I'Histoire de France c’était plutat I'6mancipation de I’ Etat moderne, sa libération en bas des factions féodales, en haut de la juridiction divine. Elles ne prétendaient qu'illustrer d'images vidéo ces vieux manuels et elles laissaient entendre que ces images du passé, ces fragments de dramatiques, c'étaient peut-étre autant de célébrations présentes du culte de l'Etat industriel sous le travesti des guerriers, rois et chefs religieux défunts.

Bin Vietnam —

flichtling

A Refugee

from Viet Nam

L‘Historre de France et la Télévision Francaise : un corps problématique Jean-Roger Cadet, 1966} Photo Jean Abba.

Studio HsS

Un réfugié du Vietnam: photo distribuée par le service de presse lors du festival (assassin

devenu

restaurateur vu par Heynowski

et Scheumann).

tout Welles lui-méme. acteur et metteur en scene retotalisés pour ce jeu inédit ou (homme entier se risque. Jeu sur le temps mais aussi mise en scéne de l’activité cinématographique par la télévision, quand

le vieux Welles aprés avoir projeté des extraits de son film d'il y a 24

ans, rejoue devant nous des scénes d’Ovfedlo, rencontre des éetudiants

cinéphiles de Boston qui « savent » tout sur lancien film, et entin fait semblant de résumer cette pseudo-interview de lui-méme avant de sortir du champ en laissant la machine seule. Comme si le temps du cinéma‘ avait fait place au temps de l’entretien avee le cinéma. Dominique Bergouignan

1. Le prix de la Te eusre est alld a

Ports fa grdve de Diew de Vespagnel Curlos Tuillefer

Yar manqué la projection): le prix special du jury a éte déeumne a Jana Bokova pour Renconpes, un honnéle reportage Lele sur une agence matnmoniwle de Londres caperle en

video.

2 Voir Panalyse de Yann

Lardeau dans les Cahiers du Cinéma nv 289 guin

1978).



(Lous X/, de

PETIT JOURNAL L'Histoire de France est pleine de bruit et de fureur : L’Eglise brilait les Cathares, les Croisés reprenaient Jérusalem aux Infidéles, Philippe te Bel exterminait les Templiers, les Anglais condamnaient Jeanne d’Arc au bicher, les Catholiques assassinaient les Protestants la nuit de la Saint-Barthélémy, ils recommencaient un siécle

aprés, lors de la révocation de I'Edit de Nantes. En janvier 1793,

les Francais « gui-guillotinaient » Louis XVI... « Et ifs dansaient toujJours, et ils dansaient toujours... ». Les guerres de religion. La guerre comme religion.

L’Histoire est une éternelle répétition. A la longue cette répéti-

tion se fait infernale; c'est que nous sommes pris dans sa derniére spire. Les dramatiques de la télévision francaise répétent toute 'Histoire de France. Chaque dramatique répéte toutes les autres. Chaque plan d‘une dramatique répéte tous les plans de toutes les dramatiques. Etienne Marcel était un bourgeois de Calais; les Anglais le tuérent lachement avec ses cing compagnons. En 1357, le marchand Eustache de Saint-Pierre, maire de Paris, voulut ren-

verser le Dauphin Charles (Charles V); son copain Maillard jugea

plus prudent de l'occire. Louis XIII, Philippe Le Bel et Jean-Pierre Marielle y étaient une seule et méme personne. Philippe le Bel s'appelait aussi Jean Rochefort. A I'époque, le TNP jouait a la Comédie Francaise et le théAtre de boulevard remplissait Chaillot. En 1966, avec Les Cathares, Stellio Lorenzi confondait la télévision avec la Cour des Papes d’Avignon. I} persista longtemps dans

erreur {encore au moment de La Mort de Marie Antoinette, 1973).

Louis XIV n‘était pas un souverain absolu: il avait un maitre de cérémonie sans égal qui savait rigoureusement diriger ses pas Roberto Rossellini. C'était I'Histoire de France. C’était Histoire de la Télévision. C’était Rue des Archives, \es dimanches 23 et 30 septembre, a 20 h, 30 sur FR3. Une heureuse récréation proposée par |INA. Ca s'appelait Le Petit Manuel d'Histoire de France. C'était signé Raoul Ruiz. Y. Lardeau

Petit Manuel d'Histoire de France (1 et 2), émission réalisée par Raoul Ruiz, dans ja série « Rue des archives », produite par FINA. diffusion 1 . De nos ancétres fes Gaulois d fa prise du pouvoir par Louis XIV, le 23 septambre 1979: 2 ° De fa révocation de I'édit de Nantes & invention du cinéma, le 30 septembre 1979, sur FR3.

PARIS-BERLIN (A2) PLAISIR ET DECEPTION J'ai eu l'occasion de dire (Cahiers n° 286), 4 propos d‘une émission sur le Photojournalisme qu elle avait faite avec Michel Pamart,

tout le bien qu’il fallait penser du travail de production de Teri Wen-

Damisch. (Rappelons qu'elle a notamment été responsable du magazine mensuel d'information artistique Z/g-Zag : films sur Picabia, Malevitch, Duchamp, Chardin, Cézanne, Ben Shahn etc...). Toutes ces émissions sont intelligentes, vives, et donnent au documentaire de création artistique une valeur didactique qu'il n'a pratiquement jamais a la télévision. Loin des messes culturelles confuses et pompeuses, des images d'art en forme d'interlude pour boucher les trous des programmes, l'approche de T.W.D a toujours été celle de la clarté, de la recherche patiente et modeste, en un mot: ne jamais faire l'économie du sujet a traiter, respecter Yceuvre d'art autant que Je public auque! on Ja présente. Comment se fait-il que ce Paris-Berlin (diffusé en octobre sur A2.) ne remplisse pas le contrat qu'on espérait? Quelles sont les raisons du ratage (partiel) de ce qui aurait dO étre une « parure visuelle et sonore, spectaculaire, inédite dans le domaine du documentaire »?

Le sujet : les rapports (1900-1933) entre l'Allemagne et la France,

envisagés d'un point de vue politique, culture}, artistique, voire anthropologique. Vaste programme. Trop vaste peut-étre. Mais le

découpage en quatre épisodes d‘une heure aurait pu aider, alors

qu'il dessert presque entreprise. Pourquoi? Parce que, si les auteurs ont bien découpé le sujet en quatre tranches distinctes, ils n‘ont pas su le faire avancer d'une partie a l'autre: A chaque épisode tout recommence, le raisonnement se clét sur lui-méme, qui n'introduit pas vraiment a une suite, et le ton piétine sans s‘accor-

Paris-Berlin : Freud, Galigari.

der au théme; un peu comme si on avait arbitrairement décidé d'un style avant que le projet ne se précise, un style qu’on aurait plaqué sur le propos.

Une exception: Un Déjeuner au Bauhaus (n° 3) donne une idée

de ce qu’aurait pu étre la série tout entiére. Le cadre central (un décor du Bauhaus dans un studio de télé), avec ses spécialistes allemands, 2 demeure, donne un centre de gravité logique au reste de |'émission, l'empéchant de se répandre dans la nature: dés qu’on y va, dans cette nature, c’est pour une ballade dans l'espace des architectures, une ballade qui explore vraiment quelque chose. Les mouvements de caméra incessants, qui n‘avaient aucune raison d’étre quand il s’agissait de parler d'histoire, de folklore ou de politique, trouvent ici une pertinence qui vient de leur objet: des batiments, des constructions, des volumes que la caméra enveloppe. qu'elle livre peu a peu au regard, et qui se découvrent. On apprend un peu a voir, on regarde. Méme la surabondance de la musique ne parvient pas a brouiller le plaisir de la rencontre : architectures inédites, cachées, émouvantes. lin‘en va pas de méme pour tes trors autres parties. Le style néosyberbergien de la premiére n'est pas crédible, malgré les interventions de Syberberg lui-méme, et les ballets autour de Freud/Caligari n’expliquent pas grand-chose (pas plus qu’'ils ne divertissent vraiment). On ne communique qu’avec {es enfants (la petite fille qui chante un chant patriotique est a la fois crédible et émouvante). Ce sont également les tableaux qui sauvent les épisodes 2 et 3 de ennui: Matisse, Mondrian, Schwitters, le « Blaue Reiter». Initiation et plaisir : on voudrait en voir davantage, on se désespére que ¢a finisse trop vite. Surtout que dés qu'on quitte les peintures, c'est pour tomber dans I'approximatif: 'emphase des commentaires, leur ton « Comédie Francaise » (impossible de comprendre vraiment, d’entendre autre chose que le ron-ron d’une voix d’acteur), l'expressionnisme maladroit et rétro des images, etc... Le pire est peut-étre la reconstruction des gags/événements dadaistes qui deviennent, par la mollesse du filmage, d'inconsistantes plaisanteries de potaches, vidées de leur signification, vaines. Travail de copiste qui vide |'original de tout ce qu'il pouvait avoir de subversif, d'étrange, de daté, D’autant plus que l'insertion de documents et de films de I'époque ne permet pas qu'on soit par trop approximatif. La comparaison, le contraste, sont des armes absolues: contrairement a ce que l'on pense, le ridicule tue. L‘heure :21h.30 fait problame. Quand on a |'habitude de travailler pour des créneaux horaires qui se situent aux alentours de 22h.30, gagner une heure est une victoire dont il est difficile d'assumer les implications : un public plus vaste, moins accoutumé a l'histoire de l'art. et donc un autre type d‘approche (moins rébarbatif) a inventer. Probablement persuadés qu'il ne fallait surtout pas ennuyer le public, les auteurs ont choisi un ton hybride : vaguement inspiré des « cabarets » bertinois des années vingt, additionné de séquences dansées, parsemé de saynétes scolairement « brechtiennes ». Le résultat est inévitable : si l'on a un sentiment assez fort de |'époque, du décor, le plus important est noyé, dilué dans une fresque multiforme; les informations (trop nombreuses) se perdent, les peintures (trop rares) s‘oublient. Tout était sans doute une question de dosage : quelle quantité de style « variétés »

68 peut-on injecter dans le documentaire sur l'art sans que ¢a devienne carrément du music-hall? Trop c’est trop: Teri WenDamisch et Pierre Desfons avaient pourtant mieux réussi (mieux dosé) avec Paris New-York, conservant l’essentie! du documentaire contre la musique et la danse. Ici c’est |'inverse qui se passe: la musique l’emporte, elle gagne sur les images. Est-ce que cela veut dire que |’émission elle aussi gagnera des spectateurs? Je n’en suis pas sdr: le nouveau public, celui qu'on vise, aime trop peu changer d’habitudes, un dimanche soir qui plus est, pour venir a une célébration baroque et chantante de I’art et de la culture. Et si cela était? Si un nouveau public se constituait, friand dart a bon

marché, satisfait de voir l'affiche (rouge) plutét que le détail du pro-

gramme? Ce serait bien pour la promotion des « émissions culturelles 4 une heure de plus grande écoute », mais nous perdrions quelque chose de plus précieux : approche patiente d'une ceuvre dart, hors de I’étouffoir des musées ou des galeries, la rencontre rare avec le travail d'un artiste, I'égale importance accordée a la liberté de celui qui regarde et a la chose regardée: toutes carac-

téristiques d'une véritable télévision. Mais qui peut dire vraiment ce qu'on découvrira

au prochain détour des chemins de zig-zag? Louis Skorecki

Paris-Beriin, rapports et constrastes {1900-1933}, série de quatre émssions proposée par Teri Wehn-Damisch, réalisées par Pierre Desfons, produites par Antenne 2

dans la série Ping-Pong, diffusions 4 2 1 h 30 Jes dimanches -7 octobre 1979, Le Cabinet du docteur Caligari, 14 octobre 1979, Un Soir au cabaret. 21 octobre 1979, Un Déjeuner au Bauhaus, 28 octobre 1979, Une Enquéte sur fe Landwerkanal

PORTRAIT/MOSAIQUE BRETAGNE APROPOS

D'UNE

BERZOSA

EMISSION

(LN.A/A.2)

DE DE J.-M.

Voila une émission pas comme les autres, singuliére, une émission d'auteur. Au moment ou les cinéastes, dés leur premier film, se gonflent d'importance et aspirent (un peu vite) 4 ce statut mal compris, vécu de facon somme toute trés littéraire, il est rassurant de voir qu’a la télévision, au milieu de f anonymat grisétre que ne viennent éclairer nulles étoiles louangeuses, quelques personnes travaillent, et de maniére tétue. Berzosa est a I'évidence une de ces personnes. Pour quelqu’un qui n’aurait vu que ce film, et qui le regarderait avec un peu d‘attention, il n'y aurait nul besoin de lui en montrer dix autres: la preuve est d’ores et déja faite que c'est la le maillon d’une aeuvre Qu’est-ce qui se cache (a peine} derriére ce titre curieux ? Un portrait/mosaique de la Bretagne, une accumulation de visages et d’accents, une exploration a la lettre de ce qu'on appelle la « couleur locale ». Au début c’est déroutant, tant le ton est heurté, cassant, presque cacophonique. On ne sait plus a quel saint se vouer: faut-il ricaner devant la naiveté des personnages, figés dans une attitude photographique ? Doit-on s'émouvoir de quelque accent de vérité ? Aussitét qu’on croit avoir compris, qu'il nous semble enfin suivre le fil de l'histoire, voila le ton qui change du tout au tout : un train miniature construit et conduit par un anglais, deux vieux jumeaux qui récitent leur texte en choeur, un jeune chanteur et folkloriste qui fait de la propagande pour une culture qui s'émiette. Au bout d’un quart d’heure, on y est {a peu prés : les surprises ne cesseront pas pour autant de manquer) : il s'agit d'un voyage organisé, d'une visite a une région, avec guides et commentaires. Pas du tout comme Le Cuisinier de Ludwig de Syberberg (o0 il y avait un humour constant, un humour qui ne dérapait pas), plutét un voyage en dents-de-scie, une visite en contrastes, dans une cariole aux roues qui grincent. Le rire se fige dans la gorge, on nous renvoie sans cesse notre réaction immédiate entachée de suspicion. lmpossible d’échapper a la réalité : nous sommes bel et bien des (télé)-spectateurs, des juges, avec ce que cela comporte d‘arbitraire, d'usurpé. Un exemple: une jeune femme face a des adultes a qui eile enseigne le breton. Elle parle de ses difficultés, du fait aberrant que le breton ne peut étre ensei-

gné que de maniére bénévole. Un a un, plusieurs de ses vieux éléves se présentent, nom, prénom, profession, raisons pour lesquelles j apprends le breton, etc. Passages simples, émouvants, précis. L‘institutrice explique alors que son mari, pourtant dipl4mé, ne peut pas enseigner le breton, qu'il en est réduit a travailler comme macon. On voit le mari qui s‘explique (et on |'entend au moins

autant): il est japonais ! Stupeur, rires : qu’est-ce qu'on peut bien faire devant ce gag vivant? Etre stupéfait bien sar, rire, et puis, c'est

inévitable, écouter notre propre rire qui meurt (mal) dans notre gorge. Entendons nous bien : il n'y a nulle volonté didactique de distanciation chez Berzosa, nul effet de prof pour faire une lecon plus originale que celle de son coliégue. C'est plutét un irréductible étonnement devant la variété des types humains, leurs maniéres, leurs maniérismes, leurs parlers, allie a un refus violent, viscéral, de lier fe tout, de lier la sauce pour qu’elle « passe ». Ce n'est pas non plus une galerie de tableaux (encore qu'il y en ait} ou de monstres (il y en a aussi), c’est le tac au tac d’un ton précis, qui va droit au

but: 1) je filme. 2) je colle. 3) on regarde.

Il n'est pas indifférent de rappeler que Berzosa parle |'espagnol, la langue de Luis Bufuel et Raoul Ruiz: peut-étre cette langue at-elle une maniére (thé&trale) de se mettre en scéne elle-méme qui expliquerait (un peu) ce rapport unique qu’ ils entretiennent avec le systéme du comportement et de la parole ? Ils ont tous es trois une logique de l‘illogique qui ne leur serait pas aussi particuliére si elle ne passait pas toujours par le langage, et par la production de signes. Plutét que de surréalisme, il faudrait peut-étre parler daccumulation de preuves: des preuves qui pleuvent, qui s‘enchainent, qui font corps. Et qui font sens: méme |'absurde obéit 4 des régles, ne serait-ce que la premiére et la plus simple:

la régle de l'addition (un plus un égale deux).

Dans laddition: les deux vieux jumeaux (un peu Dupont et Dupond de Hergé), leur litanies et gestes symétriques, les deux sceurs Coadec qui leurs chantent deux blues bretons dans un champ au milieu des vaches, le jeune chanteur a casquette et cheveux longs et son copain (casquette et cheveux longs), un journalier qui casse des biches et qui parle peu, un beau vieux a moustache trés serein devant un chateau, Jean Edern Hallier qui en sort, le vieux qui l'appelle « patron », Edern Hallier pas content qui tient a dire que le vieux est son second pére, on recommence Ia « prise » pour « effacer » la hiérarchie qui fait hiatus, etc. De deux en deux on additionne les scénes dréles, d'un en un les scénes plus sérieuses, mais il y a toujours un respect extréme de la personne que l'on filme, une personne a qui l'on se confronte, que |’on montre, et un point c'est tout. Cette émission passera 4 la télévision le 21 novembre, sur Antenne 2. C’est la seconde de la série Frances (produite par Pascale Breugnot). La premiére est La Derniére chasse de M. Fricous (Denis Chegaray, 17 octobre), une émission un peu naive et maladroite, insistant trop sur la protection de la nature, alors que le plus intéressant est le portrait des chasseurs: pas besoin de réquisitoire, fit-ii en forme de conte de Daudet, quand les chasseurs se chargent eux-mémes de se dénoncer, dés qu’ils se montrent). Berzosa, quant a lui fait plus que faire parler des gens : il les laisse... Il est l'auteur de la série Chili Impressions. || sait ce que cela veut dire. Louis Skorecki Des Choses vues et entendues — ou révées — en Bretagne, 4 partir des quelles Dieu

nous

garde

de généraliser,

érrussion

réalisée

par José-Maria

Berzosa,

dans

la série

Frances proposée par Pascale Breugnot, produrte par Antenne 2 — INA, diffusée le 21

novembre a 22 h 35.

PETIT JOURNAL

69

sur l’essentiel ct Pinutile. Aussi le filmage, et le montage qui a suivi.

se font-ils guider par le son, et opérent selon les mémes régles : ils tran-

chent dans la chair de la salle de rédaction (la pellicule, legérement

poussée pour des questions de lumiére, offre un grain qui s’accorde tres bien avec la désquamation réalisée), ils vont 4 l’essentiel, vers

ceux qui décident en derniére instance

(Perdriel, Colombani,

De

Virieux, Kidel), car la se condensent de maniére exemplaire (sur des visages, des corps, des comportement : de fagon quasiment anthropo-

logique), ce qu’on appelle génériquement, fes pouvoirs de PInforma-

Hon,

Ici le film qui pourrait n’étre alors qu’une entreprise de propagande

(pour ou contre fe Afatin de Paris), ajoute au registre didactique qu'il

ne cesse de dérouler, un intérét proprement cthnologique qui finit de

lui donner son prix. Sans doute a cause de l’unité de ficu, du coduge

extreme qui régit les modalités (de langage. de maniéres. dShumour...)

de cette profession, du fait qu'il s’agit aussi d’une premi¢re, d'un

Photo de tournage de Numéros 2éro, de Raymond

locaux du Matin de Paris).

« NUMEROS UN

Depardon {Claude Percriel dans les

ZERO »

FILM DE RAYMOND DEPARDON SUR «LE MATIN DE PARIS »

Du travail des journalistes (comme des hommes politiques), on ne

peut généralement voir que laboutissement (articles finis, journaua télévisés, déclarations, etc), jamais le processus de réalisation. C’est un peu comme sil n’était possible de connaitre du travail des ouvriers

enfantement, on a le sentiment d’assister 4 la découverte (elle-méme autant que par l’ceil-oreille de la caméra) d'une tribu, via la caste de ses chefs, experimentant encore un peu maladroitement les rituels qui vont lui servir de loi, Ce rituel n’est pas encore rodé, poli, éprouve: il est abrupt, tl tatonne, if est encore un peu bancale. il bégayve. Aussi sa representation est-elle parsemée d’exces de langage, de jugements

4 l'emporte-piéce vis 4 vis de tel ou tel (souvent d'ailleurs non dénués

de fondements). Ces aspérités provoquent chez Claude Perdriel (directeur du Afatin de Paris) les réserves que l'on sait. Elles sont pourtant la condition de la crédibilité d‘une telle entreprise. S‘il faut en défendre le maintien dans le film, ce n’est pas seulement 2 cause de principes généraux sur la censure, mais parce qu‘ils sont autant d’accents

de vérité de la liberté de pensée d’un quotidien qui se veut de gauche.

Et les accents de vérité finissent toujours par se verser au crédit de ceux quien ont été capables, méme si (et c'est bien fa leur caractéristique), i] est sur le moment douloureux de se les entendre prononcer. Serge Le Péron

d'une usine de voitures que les véhicules finis. Or s'il y a une question

importante 4 traiter aujourd’hui c’est bien celle-l4 : comment s‘effec-

tue I'Information? qui fagonne, ordonne, interpelle cette autre caté-

gorie floue qu'est opinion publique? Comunent ca va et comment ca ne va pas dans cette institution (c"est la question qu’Odette pose dans le film de Godard a propos de la Révolution portugaise au journaliste : « qu'est-ce qu'il devient, le Portugal, entre le moment ou i] ren-

tre dans ta machine et le moment ou il en sort? »:

C’est ce qu’a pu filmer Raymond Depardon., photographe d’agence

(il est fe fondateur de Gamma),

déja rompu

a la pratique du cinéma

direct (le fameus film sur Madame Claustre qui devait lancer l'affaire. un film sur la campagne de Giscard, et de nombreua reportages avec son umi Gilles Caron), C’était i] ya deux ans au Afatin de Paris, Aux taches qui allaient devenir quotidiennes de la fabrication d'un journal.

s’ajoutait le fait qu'il s’agissait de la mise en ceuvre des premiers numé-

ros, des Nuiéros Zére (cest Ic titre du film), d°un journal en train de naitre. Peut-étre sous le coup de la jubilation, les journalistes ont accepté de laisser paraitre la partie cachée de leur métier.

Aussi le film fonctionne d’abord 4 la maniére de ces coupes géolo-

giques reproduites dans les manuels d'enseignement, ou |’on voit dif-

férentes strates, courbes, crevasses, secousses, constantes du sous-sol,

constituer lassise de paysages que l’on connait. Se trouvent donc représentés, ce qui donne lieu a ces titres, ces « unes », ces mises en pages. ces articles, ces accrochages qui constituent le paysage quolidien de Information: une ambiance un peu fébrile. une quantité importante de cigarettes. des discussions animées, des jeux de mots plus ou moins bons, des essais, des ratés... a brouhaha singulier doué d'une finalité professionnelle (ce qui fe distingue du brouhaha des cafés) et immédiate. Seul pour filmer ct enregistrer le son (un micro Canon fixé sur la caméra), véritable machine audio-visuelle branchée sur le corps de cette machine d'écriture qu’est un quotidien, Depardon (professionnel Jui aussi de Information) u pu mettre a vif les

lignes de fond qui structurent un tel milicu : Ja dureté implacable des

relations de travail, le caractére abrupt des rapports de pouvoir, et finalement la violence, la violence verbale, la violence du verbe, a Veeuvre dans un tel métier. Car chaque mot est prononcé (ou écrit). pour trancher ou étre tranche, pour mettre en cuvre son propre pouvoir a tous les niveaux : chacun (le journaliste. le responsable de la rubrique, le rédacteur en chef, le box office...) tranchant et légiférant

LIVRES. « Eloge du cinéma

expérimental »

(Dominique Noguez.Centre G.Pompidou) Ce livre (sous-titre : Définitions, jalons, perspectives) est un peu la suite, radicalisée, d'un autre livre de Dominique Noguez, « Le Cinéma, autrement (10-18. 1977), qui essayait. en son temps, de

parler « aulrement» d’un «autre» cinéma. S‘il y faut autant de guil-

lemets, c’est que ce terrain d’investigation (le cinéma marginal, différent, autonome, indépendant. underground, expérimental, en un

mot: aire) est un terrain largement inexploré, vierge. dans lequel on trouve de tout. Le mérite de Noguez a toujours été de s‘attacher, modestement et méthodiquement, sans a priori critique ou subjectif,

a faire connaitre l'ensemble le plus représentatifde ce cinéma passion-

nant (autant que passionné, cest-a-dire souvent sectaire). L’entreprise

est gigantesque, utopique diront certains : comment

laissera larriére-

plan ses godts et préférences, comment distinguer ce qui fait référence

de ce qui est secondaire, mineur? Car entreprendre un tel travail demande en méme temps, exige méme, que ]’on soit passionné, que l'on soit guidé par une subjectivité a l’épreuve des balles. du temps.

des gens. C'est cette double contrainte (conjuguer fe travail d‘historien

minuticux a celui d’exégéte enthousiaste. communicatif) qui fait le prix de ces recherches (a peu prés uniques en France) et relativise considérablement les critiques particuliéres qu'on peut avoir a faire a leur auteur. Critiques rendues encore plus problématiques par l’ignorance dans luquelle nous sommes d'une grande partie des @uvres et des artistes dont il est fait éloge. Comment présenter ce livre? H indi-

que d’emblée, dans son prologue, qu’on ne peut « accéder au cinéma

expérimental autrement que par l’enchantement d'une projection ». (précaution qu’il n’est pas inutile de prendre: aucun livre. si savant ou émouvant soit-il, ne dispensera jamais de la vision pure et simple

Ww

des films), Noguez

PETIT JOURNAL

replace ensuite Ie cinéma expérimental dans le

champ plus vaste de (histoire des genres, s’attachant 4 mettre en évidence les différentes formes qu'il peut prendre : éelaté, formaliste, fictionnel, abstrait. etc. Ceci sans jamais coller d’¢tiquettes arbitraires.

MUSIQUES

classifier arbitrairement ou simplifier outre mesure ce qui ne peut pas Vétre: un ensemble de films de toutcs Ics époques et de tous les pays. essenticllement divers et hétéroclite. C'est ce qui explique aussi que

DE FILMS

q@uvres, he se contentant pas de les placer sagement dans le chapitre qui leur convient le mieux. Si "on parle longuement de underground

A quoi cela peut-il servir d’éditer, sous forme de disques. la musique de films? Qui cela intéresse-t-il? Difficile de répondre. Ce qui est sur, c’est qu'il existe un public d’amateurs, limité sans doute, pour ce « type » de musique. Le plus souvent, on publie les bandes sonores de

futuriste italien des années dix, Ifen va de méme pour le cinéma fransais: si une étude s’attache a en définir les tendances actuelles. il se retrouve aussi dans d’autres chapitres: « Célébration de quelques

tions de films déja anciens, celles que vient de rééditer United Artists (distribution : Sonopresse)? I] y a la: La grande évasion et Les Chas-

le livre soit un peu « éclaté », revenant plusieurs fois sur les mémes

ameéricain dans une partie autonome, on ne manque pas de l’évoquer ailleurs, par exemple dans ses liens de ftlation avec le mouvement

@uvres nouvelles », « Un cinéma de la durée» etc. L’index permet heureuscment (et utilement) de trouver tres vite un film ou un cinéaste

en particulier, et les études qui s’y ratlachent. Quant aux photos. elles he sont pus seulement belles, elles sont rares. Le tout forme un ensemble abondant : considérations historiques, linguistiques. ou relatives aux problémes de la figuration: nombreuses approches, souvent tres pertinentes, d’ceuvres particuliéres (Dwoskin. Akerman, Theuring.

Snow, Nekes, Duras, Kirchhofer, limuru. Mekas, Kubelka, Markopoulos, McLaren. Bokanowski., etc.).

Voila un précieux instrument de travail pour ecux quit décideront

aller y voir de plus prés, la distanee souvent

en ne se contentant pas de s‘ellaroucher de

radicale qui sépare ces petils films des grandes

machines hollywoodiennes. Ce livre est un guide pour un voyage inorganisé aua pays des éparpillements : dans mille et un lieux du monde,

du plus grand musée a Ia plus petite salle souterraine, on peut encore partir 4 Vayenture. Hy a maintenant un atlas pour cela.

Louis Skoreck:

«Eloge

National

du

cinéma

experimental»

de Dominique

Noguez — Musée

d’Art Moderne - Centre Georges Pompidou.

esperer depasser le petit cercle des spécialistes. Que penser des parti-

seurs de scalps (musique Elmer Bernstein), Taras Bulha (Franz Waxman). Salomon et fa Reine de Saba (Mario Nascimbene), Goldfinger QVohn Barry). Elmer Gantry (André Previn) et Jugermment d Nuremberg

(Ernest Gold). On s‘apergoit, hélas. que la musique hollywoodienne

s‘essoullle depuis vingt ans, batarde de plus en plus, a propulser tant

bien que mal (c'est de la « grosse musique ») des films eux-mémes largement indigestes. Si elle fait passer la soupe, une fois les images retirées, il ne reste plus qu’une anecdotique soufflerie d'orchestre, a peine réminiscente des films que ces musiques ont, dans leur temps. seute-

nus, Est-ce a dire qu'il faut décourager la publication des musiques de films? Certes non. Seulement. il faut choisir : ou de bons films (que la bande sonore. 4 coup sir, ne manquera pas d'évoquer), ou de bonnes musiques (il y ena peu. mais i] y ena quand méme), ou. mieux encore, les bonnes musiques de bons films: l'eacellente partition de Duke

Ellington pour Adwopwe dun

exemple

parfait (Le 25cm

meurtre (Otto Preminger) en est un

existe-t-il encore?).

Que retenir de ces sept disques? Ni « Goldfinger » (le vicux « tube » de Shirley Bassey pour le film du méme nom”: encore que, pour les nostalgiques...), ni les autres musiques, fades, lourdes. encombrantes.

Quoi alors? Juste deux choses:

la partition de Previn pour Eimer

Ganiry (Richard Brooks), non qu'elle soit sensiblement meilleure. simplement elle rappelle un peu un film plutét bon. Et surtout, dans le disque de Juxement a Nuremberg (Stanley Kramer), deux « narratons »: Burt Lancaster (8 minutes I!) et Spencer Tracy (5 minutes 43). On se demande si la n'est pas la formule idéale : donner si possible, au milieu des partitions d’orchestre, quelques voix d’acteurs; cela a au moins le mérite de donner un accent de vérité, un accent que la musique de film seule ne procure pratiquement jamais.

« Ciné-rock » (Jonathan

films récents : s'il y a un air a succes dans le film ou. mieux, une chanson‘rengaine qui a été promotionnée par les radios. le disque peut

Farren)

Louis Skorecki

Dans le foisonnement des livres qui cherehent 4 explorer un theme ou un domaine que le cinéma a largement illustré, ce « Ciné-Rock » se distingue par sa modestic érudite. On ne se rendait pas bien compte

du nombre impressionnant de films qui ont a voir, de prés ou de loin, avec la musique rock. C'est le premier mérite de ce livre que de pré-

senter, clairement et chronologiquement. une sélection cohérente qui va des années cinquante 4 aujourd “hui. Pour ne pas rendre l’énumé-

ration indigeste, Farren a choisi trente films caractéristiques, dont il présente le résumé suivi d'une analyse (assez Vivante quoique souvent bavarde), et flanqué de quelques notes sur des films qui s'apparentent.

FESTIVAL DE SUPER

Roeg.

En 1979, pourla quatriéme lois, du 22 au 26 aout. Caracas est devenu le

traire qu'elle soit, permet de se retrouver facilement dans la jungle du tock cinématographique. On peut ne pas étre d’accord sur telle ou

sion tlou, gigantesque et infinitésimial appelé le Super 8. Paris n’a plus de

A

fa fin,

une

annexe:

interviews

de

Ken

Russel,

Nicholas

Bruno Nuytten, et fiches techniques. Cette classification. toute arbi-

telle préférence, mais approche géncrale sur la maniére de filmer la

musique est cohérente, les illustrations sont bien sir nombreuses, et la connaissance du sujet est sans failles (nombreux inédits, films de série Z., ete) C'est un livre qui se lit et se regarde avec plaisir et qui devrait plaire a la fois aux amateurs de rock et aus passionnés de cinéma. Pour ceux qui aiment les deux, c’est (comme disent les américdins) un « mus».

Louis Skorecki Ciné- Rock (Jonathan

Farren.

Rock

& Folk: Albin

Michel)

centre mondial d'un moyen d’eapresfestival de Super 8 (ni de films en

16,

35 ou 70mm, ailleurs, puisque le Festival de Paris animé par PierreHenri Deleau est « ajourné »), Téhérana dispar pour des rarsons islami-

quement révolutionnatres, TH ne nestart que Caracas. qui avait deja orpanisé unc telle manifestation en 1976,

pour recueillir Mhéritage de ces festi-

vals défunts. Cette

année:

une

quinzaine

de

pays (membres pour la plupart d’une

Fédération Intemationile de Super 8 fondée en 1975). A Caracas. le Super 8 n’est pas un parent pauvre du 35 mm: Fexistence

de ce festival fait qu'il a droit aux

manchettes des journaus, que la 1élé-

vision en rend compte, qu'un munis-

8 A CARACAS

tre se déplace pour le ¢léturer et qu'on refuse du monde tous les soirs aux projections: un millier de personnes peuvent étre aussi féroces qu'enthousiastes devant une ccuvre qu’elles jugent ratée ou réussie, méme si parlois elles se trompent. Le Super 8. cc format,

minuscule

pourtant. est envahi aussi par le monstre californien {ou new-yorkais). Nombre des films vénézuéliens en Super 8 sont des hommages attendris, avec Vindispensable note humour « distancié », au « grand » cinéma, celui qui voyait l'Amérique

latine a travers les yeux ronds et les chapeaux de Carmen Miranda ou les

cohortes de Panche Villa, Pourtant, a Inntérieur de ces films, on

quelque rythme,

dénote

chose de différent: une respiration quia

un un

souMle latin... tropical, Les films de Julio Nen compartent cette caracté(sutte page

71}

onmuree HRenNay oe

Francois

Métro Couronnes, de F. Pain.

Pain, inculpé, arrété sur identification 4 partir d'une photo de manifestation.

UN CINEASTE

EN PRISON

Frangois Pain est cinéaste. On en a parlé ici, début 78, au moment de l’entretien avec Jean-Pierre Beauviala:: il est l'un des premiers expérimentateurs de la « paluche » avec laquelle il a réalisé, pour 'INA, une bande vidéo qui travaille les contradictions associées aux innocences supposées d'un cinéma de pur enregistrement et aux hypothétiques malversations d'un cinéma de la manipulation. D'uncété la diserétion— et l'indiserétion - de 1a caméra invisible captant les allées et venues d'un couloir de métro— pas n’importe lequel, Couronnes, prés de Belleville -, de l'autre la pratique sur cette image, l'exercice d'un bon arsenal d’interventions électroniques:

26 septembre 70 interpellé aux abords du mulée par les autorités italiennes a ’encontre affaire par l'autre » dira Le Monde — au titre de de l'agence Associated Press et parue dans le

irisations, colorisations...

Palais de Justice 4 Paris. au moment de l’audience d’examen de la seconde demande d'extradition forde Francesco Piperno, Frangois Pain est inculpé, incarcéré ce jour-la - « curieuse contamination d'une la loi anti-casseurs : il est identifié sur une photo prise le 28 mars, six mois plus tot, par un photographe numéro de