Cahiers du Cinéma #304

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CAHIERS | DU CINEMA “Gy

SOMMAIRE/REVUE

MENSUELLE/OCTOBRE

1979

A nos lecteurs et lectrices.

Les codts actuels de fabrication de la revue ainsi que l’augmentation des

diverses charges des Editions de |'Etoile nous mettent dans |’obligation

d'augmenter, a partir du 1° janvier 1980, le prix de vente des Cahiers du Cinéma, et, en conséquence, les tarifs d’abonnements.

Le prix de vente — qui n'a pas augmenté depuis janvier de 15a18F.

1978 — sera porté

Cette augmentation permettra aux Cahiers de continuer a paraitre en toute indépendance, et de poursuivre I’édition de publications annexes (numéros « hors-série », etc), tout en maintenant un équilibre financier indispensable. Nous ne saurions trop conseiller a nos lecteurs de profiter, avant la mise en vigueur des nouveaux tarifs, de la campagne d’abonnements qui se poursuivra jusqu’a la fin du mois de décembre 1979 (voir notre encartabonnement au milieu de la revue).

COMITE Serge

DE DIRECTION

Daney

Jean Narboni Serge Toubiana REDACTEUR

Serge

1979

PIALAT

Le mal est fait, par Jean

Narboni

p.5

Entretien avec Maurice Pialat, par Daniéle Dubroux, Serge Le Péron et Louis Skorecki

COMITE DE REDACTION Alain Bergala Jean-Claude Biette Bernard Boland Pascal Bonitzer Jean-Louis Comolli Daniéle Dubroux Thérése Giraud Jean-Jacques

OCTOBRE

MAURICE EN CHEF

Daney

Ne 304

Henry

Pascal Kané Yann Lardeau Serge Le Péron Jean-Pierre Qudart Louis Skorecki EDITION Jean Narboni

Note sur Passe ton bae dabord,

par Thérése Giraud

p.17

FESTIVALS Venise

p.7

{

1979, par Pascal Bonitzer et Serge Toubiana

‘pl 9

Trois cartes postales de Locarno, par Louis Skorecki

p.28

Deauville, petite vitrine pour grand écran américain, par Louis Skorecki

p.35

Hyéres

p.40

1979, par Leos Carax et Alain Bergala

CRITIQUES Apocalypse Now (F. Coppola), par Serge

Daney et Pascal Bonitzer

p.45

DOCUMENTATION, PHOTOTHEQUE Claudine Paquot

Renaldo et Clara (B. Dylan), par Louis Skorecki

p.49

Ceddo (O. Sembene), par Serge

p.51

CONSEILLER SCIENTIFIQUE Jean-Pierre Beauviala

Les Demoiselles de Wilko (A. Wajda), par Jean-Louis Bachellier

p.53

Nighthawks (R. Peck et P. Hallam), par Nathalie Heinich

p.55

Les Petites fugues (Y. Yersin), par Serge Toubiana

p.57

Alien (R. Scott), par Pascal Bonitzer

p.58

Prova dorchestra (F. Fellini), par Bernard Boland

p.59

The China syndrome (J. Bridges), par Pascal Kané

p.61

MAQUETTE Daniel et Co ADMINISTRATION Clotilda Arnaud ABONNEMENTS Patricia Rullier

Daney

PETIT JOURNAL PUBLICITE Media Sud 1 et 3, rue Caumartin 75009 742.35.70 GERANT Serge Toubiana

JEAN

SEBERG:

Lilith et moi, par Jean Seberg

p62

Lettre de Hollywood, par Bill Krohn

p.65

Entretien avec Ron Peck et Paul Hallam (Nighthawks)

p.67

Informations, courrier, etc.

p.71

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Serge Daney Les manuscrits ne sont pas rendus. Tous droits réservés. Copyright by Les Editians de Etoile. . CAHIERS DU CINEMA - Revue mensuelle éditée par la sacl. Editions de Etoile.

Ce journal contient un encart-abonnement

numéroté

de | a IV au milieu du numéro.

Adresse : 9, passage de la BouleBlanche (50, rue du Fbg-St-Antoine},

Administration - Abonnements : 343.98.75. Rédaction : 343.92.20.

En couverture:

Maurice

Pialat, Gérard

de Loulou. {Photo Sygma. E. George)

Depardieu et Isabelle Huppert, pendant le tournage

(Photo Sygma.

E. George)

MAURICE

PIALAT

LE MAL PAR JEAN

EST FAIT NARBONI

C’était - impossible de l’oublier — non dans un film de Pialat, mais dans Que la béte meure. et je ne sais pas qui, du cinéaste Chabrol, du scénariste Gégauff ou de Pacteur, avait inventé la situation et la réplique : « Est-ce que tu te rends compte que ta vie est foutue? ». Maurice Pialat, massif, abrupt et pourtant si incroyablement doux, disant cela, du fond d’une douleur, 4 l’enfant qui venait d’avouer avoir tué la « béte », son pére : une vérité de son propre cinéma m’a toujours paru étre recelée dans ce moment

du film d’un autre. Une vérité qui pourrait se décrire ainsi : la plus grande tension entre

la description, étape par étape, du mouvement de la vie comme démolition, et l’espoir fou, ouvert par l'interrogation, que non, peut-étre, « pas définitivement foutue ».

Maurice Pialat a réalisé son premier long métrage, L’Enfance nue, a plus de quarante ans. C’est-a-dire relativement tard par rapport a la majorité des cinéastes, mais aussi dix ans apres la Nouvelle Vague. Ce n’est pas sans importance. Et au-dela du ressentiment qu’il exprime dans ]’entretien qui suit, il faut prendre au sérieux ce double retard

par rapport a lui-méme et a une tendance déterminante du cinéma francais, pour pouvoir mesurer la place vraiment singuliére (autant que celle de Rozier ou Eustache) qui lui revient. Celle aussi qu’i] occupe dans ses propres films, difficile 4 assigner (son point de yue comme on dit), parce qu’indéfiniment déplacée dans I’échelonnement des générations et des sentiments, et qui pourrait lui faire revendiquer : tous les noms de la fiction, c’est moi. Pour évaluer ce qui a bougé et ce qui stagne dans le cinéma francais, il faut essayer de penser les films de Pialat non dans la descendance de la Nouvelle Vague, non pas bien sir dans sa reprise, mais pas non plus dans une réaction contre

elle, simplement dans son aprés-coup : Passe ton bac d'abord dans celui d’ Adieu Philippine et du Pére Noél a les veux bleus, Nous ne vieillirons pas ensemble dans celui de L'Amour fou et de Pierrot le fou, L’Enfance nue dans celui des Quatre cents coups.

Essayer de saisir son importance en constatant qu’il s’est d’emblée donné pour objet celui auquel Godard (qu'il déclare détester) ne cesse, aprés quinze ans, de revenir depuis Numéro deux: la famille et son neeud, la famille comme usine et comme paysage. (Godard qu'il faut lui aussi prendre au sérieux, sans le croire entiérement, quand il dit que dans Numéro deux, il occupe la place du grand-pére). Ce qui avait frappé Oudart au moment de L'Enfance nue était une sorte de miracle

de la prise de vues, « ni distanciée ni complice », dans ce cinéma a peine narratif, surtout pas existentiel. Or, ce mystére de la prise de vues me semble étre un trait commun

4 une sorte de courant erhnographique du cinéma frangais, cruel et exact (Rouch bien

stir, mais aussi Rozter, Eustache). Se demander si Pialat porte un regard, et de quelle nature, sur l’adolescence ou l’enfance, s’il s’agit dans ses films d’un point de vue adulte sur les jeunes, ou de I’obsession chez un vieux du regard que les jeunes, te/s qu’'t/ les voit, portent sur lui, se demander en un mot ott il se tient dans tout ¢a, n’est sans doute pas sans intérét, mais secondaire. La cruauté et l’exactitude de ce cinéma ethnographique

tiennent a une position de caméra (mais c’est encore trop « physique », il faudrait parler de position d’« expérience ») telle que puisse étre saisi, et de la seulement, ce qui fait

mal ou ¢a fait mal. Rien ne doit nous étre épargné de ce que la chirurgie désigne du terme: « point de douleur exquise ». Soit: celui ot impact sera maximum d’une

6

phrase (je cite de mémoire) comme: « Si tu mourais maintenant, cela ne me ferait rien », ou « tu sens le vin », lancée dans un souffle par la mére agonisante 4 son mari penché sur elle. Cette violence n’est pas chez Pialat sadique, comme elle I’est chez Rouch ou Eustache, mais exactement masochiste. C’est-a-dire rien moins que complaisante: stricte et disciplinée au contraire. D’ou fa haine qu’il voue a la graisse (compren-

dre aussi 4 partir de 1a pourquoi Monte Hellman aime tant La Gueule ouverte).

Dire qu'il existe un devenir-fiction de tout documentaire, et un poids documentaire de toute fiction est devenu aujourd’hui une généralité creuse. C'est proprement d’effets

de fantastique qu'il s‘agit dans le cinéma dont je parle, et notamment chez Pialat. Le

jeu d’acteurs et la prise de vues y détiennent un privilege absolu sur le montage, méme si celui-ci est long. difficile et raffiné. L’enjeu est d’épingler un état de surprise et comme de dénuement du corps d’acteur. avant que la narration, imminente, ne I’ait declenché. Le montage consistant alors 4 maintenir, tout au long d’un récit minimal (aucun liant), cet étal antérieur du corps, en sorte que sous ce semblant de récit ne cesse de courir un refus de se plier a lui. La scéne-type du cinéma de Pialat pourrait étre condensée ainsi : quelqu’un fait irruption dans un lieu qui n’est pas habitué @ lui et ou se trouvent un

ou plusieurs familiers de ce lieu. Dans le plan et dans tous les sens (du décora l’acteur,

des acteurs entre eux, de la prise de vues a tous ces éléments) se fait alors entendre un: « pas de chez nous ». C’est le sujet méme de L'Enfance nue, c’est la violence des visites incessantes que Jean Yanne rend aux uns et aux autres dans Nous ne vicillirons pas ensemble, c’est ’admirable ouverture de ce méme film (la fille disant 4 son amant : « C’est sinistre chez vous »), Pialat : un cinéma de personnes déplacées (a entendre dans

tous les sens).

Pas plus que I’approche existentielle (Passe ton bac d’abord west pas un film sur la déprime des jeunes), Panalyse politique ou sociologique ne peut rendre compte de ce cinéma, méme si elle en emporte des morceaux. Certes le mot « anarchie », parmi tous

les graffiti de lycéens qui ouvrent le film, est le seul filmé en trés gros et isolé. Mais pré-

cisément cela n’implique rien. On a écrit a gauche que le film traitait du chomage, de la crise, de l'avenir sombre proposé aux jeunes (c'est vrai, c’est vrai...). Mais a droite on peut dire aussi (on I’a d’ailleurs fait) : « Voyez ce que le monde moderne (id. le libéralisme) fait des filles et des fils de notre bon peuple du Nord ». N’y manque méme pas, comme dans certains films francais de l’immédiat avant-guerre, le show business corrupteur, sous la figure des deux photographes (s¢quence admirable mais — pour ne pas

préciser plus — péniblement anti-« cosmopolite »).

La question que posent indéfiniment ces films est a la fois plus précise et plus ample : « Est-ce que tu te rends compte que ta vie est foutue?». Soit: comment faire pour ne pas mourir la gueule ouverte, comment en réchapper? « Repartez comme vous étes venus », intime justement le pére d'une des filles aux deux photographes. Impossible : on ne se tire pas d’un plan de Pialat dans I’état ot on y est entré. Le mal est fait. J.N.

ENTRETIEN

Cahiers.

Passe ton bac d’abord,

déja une histoire assez longue...

AVEC

votre dernier fil,

MAURICE

a

Maurice Pialat. C’est un film qui ne devrait pas étre

fait. On m’a déja dit qu’il s’agit d’un film pessimiste; moi je ne le vois pas du tout comme ¢a. Pourtantje dois bien

reconnaitre que lorsque je l’ai tourné, je n’éfais pas au mieux de ma forme, et ¢a doit se voir effectivement dans le film. Ce sont des choses qu’on doit en principe oublier au moment ou le film sort (il est bien rare que la vérité sur les films soit dite dans les interviews), mais je crois qu’il faut le rappeler, d’autant qu’il s’agit d’un probleme général au cinéma francais: ce film, comme beaucoup d'autres, ne trouvait pas l’argent nécessaire pour exister. Finalement, il a été tourné a la place d’un autre que j'ai arrété, et quand j’ai commencé a tourner ce qui a donné

ce film-la, le budget était a peine la moitié du budget dun

film francais bon marché. On ne peut pas parler sérieusement de ce film sans dire ces choses-la d’abord, et pourtant c’est exactement ce qu’il ne faut pas dire quand on sort un film, puisqu’on passe chez Drucker ou on dit que tout est bien, l’actrice formidable, etc. et tout le monde

fait de la leche. On ne lit pratiquement — et cela vous le

savez mieux que moi — aucune critique dans les journaux

francais, alors il faut jouer une espéce de jeu lénifiant, mais

c’est difficile quand ca ne correspond pas du tout a la réalité ou au contenu du film. Le réalisateur doit donc jouer avec la presse une espéce de jeu bébéte. Mais si le réalisateur ne peut méme pas parler du contenu de son film, quitte a casser ce discours lénifiant, alors il vaut mieux qu’il se taise, en tout cas dans ces cas-la moi je préfére me

taire.

C’est d’ailleurs le méme probléme sur un tournage: comme il n’y a pas de producteurs en France, on ne trouve personne pour vous dire: « Ca, ce n’est pas bon, il faut le retourner ». Quand on tourne un film, il n’y a personne au dessus ou 4 c6té de soi. Et ga n’est pas seulement une question d’argent : sur Lou/on, il n’y a pas eu de problemes d'argent, mais comme sur celui-la, j’étais tout seul... Cahiers. C'est lié a la situation du cinéma aujourd'hui : cest a la fois au niveau des producteurs, du cété des critiques et du cété des spectateurs que ¢a ne va pas. Tout est lié, le spectateur est mis dans une position telle qu'il

na plus la possibilité de choisir tel film plutot que tel autre. Pialat.

Mais

comme

spectateur,

je

vois

un

peu

nWimporte quoi et il m’est arrivé d’aller voir des films

PIALAT

absolument sans aucune raison, par suivisme; il y a des films qu’on est obligé pratiquement d’aller voir, méme si

on déteste ca. Ca m’est arrivé une fois avec Lelouch (je crois que c’était La Vie, l'amour, la mort) alors que je déteste ce cinéma-la, j’en connais toute la connerie, tout

le vide, et il m’est arrivé quand méme d’aller voir ca...

Cahiers. Revenons a l'histoire de Passe ton bac d’abord.

Quand a-t-il été tourné?

Pialat. En janvier et mai 78. Mon premier film,je l’ai

fait en

68

et j'ai

un

peu

limpression

depuis

d’étre

condamné a refaire a chaque fois mon premier film. Et c’est ce qui est le plus dur, moralement, Passe ton bac

d'abord, c’est le produit de cette crise: j'avais 50 millions quand

il m’en

fallait 300.

Dix ans aprés mon

premier

film, je me trouvais dans la situation ol je ne pouvais méme pas faire un film bon marché. Cahiers. Et pendant ces dix ans (ceux qui ont suivi 68), lVidée de faire des films avec d'autres gens que ceux qu'on

lait habitués @ voirau cinéma (des jeunes, des prolos, des provinciaux, des non-acteurs) a fait son chemin et a sou-

vent abouti a des résultats décevants. C'est certainement le premier film de cette période qui trouve le ton juste pour parler et mettre en scéne, disons la réalité de jeunes ouvriers aujourd'hui. Pialat. Peut-étre que les autres ont commis l’erreur de faire ces films avec trop d‘idées préconcues. Quand il ya

des choses bien dans ce film, c’est quand je laisse suffisamment venir la réalité, cela ne signifie pas d’ailleurs

qu’il ne faille pas diriger, contr6ler, écrire auparavant les

roles. La difficulté quand on rencontre des gens qu’on ne connait pas (ici une bande de jeunes), c’est de tomber dans le coté enquéte, abstrait... Si l’on n’a pas l’équivalent autour de soi, des gens qu’on connait trés bien et qui sont susceptibles de vivre la méme chose, on n’y arrive pas. Pour Passe ton bac d’abord je suis parti de quelque chose d’enregistré avec des gens que je connaissais bien. La fille qui m’avait raconté (avec son gars) cette petite aventure qui a été le point de départ du scénario, avait

déja tourné avec moi il y a dix ans alors qu’elle était une

gamine, et cela s’est fait comme ca; pas du tout a la suite

d’une sélection opérée a partir d’idées, de partis pris. Puis

les choses se sont enroulées : comme eux n’ont pas voulu tourner dans le film (ils étaient pourtant trés bien: on a fait des essais), j'ai cherché autre chose, j'ai voulu sortir

de histoire prévue pour eux (une histoire simple: une

fille qui vit en rupture avec sa famille, qui couche a droite

ENTRETIEN AVEC

MAURICE

PIALAT

9

et a gauche, jusqu’a ce qu'elle rencontre un jeune gars et qu’elle se mette a vivre comme Ses parents), car ce scénario était complétement accroché a eux (elle était trés intéressante et lui encore plus, c’était un gars particuliérement attachant, intelligent). Quand eux n’ont plus voulu tourner donc, j’ai cherché des acteurs professionnels (c’est comme ca qu’on retrouve dans le film Sabine Haudepin qui est une comédienne et qui joue bien) que j’ai d’abord mélésa des jeu-

nes du coin qui étaient bien mais qui ne jouaient pas beaucoup. Et puis dans le second tournage, j’ai tourne

Cahiers.

Est-ce

exemple?

que

c'est

mieux

que

Eustache,

par

Pialat. Zidi? Non, parce que Zidi ¢a n’est pas ce que ca devrait étre. Zidi c’est interchangeable, tandis que Eustache ne l’est pas. Et si Zidi ou un autre que lui était tenu par des producteurs exigeants, la ca risquerait d’étre vraiment intéressant; mais quand un producteur accepte aux rushes de monter £ ‘Atle ou la cutsse, il ny a plus rien a espérer... Ca ne vous parait pas sérieux ce que je dis la?

sans comédiens professionnels (et c'est pour ca qu’a un certain moment ils disparaissent du film, vous ne l’aviez peut-étre pas remarqué). Il ya donc eu ces deux tournages

Cahiers. Non, il suffit de voir le nombre de films intéressants qui font moins de 10 000 entrées.

ment au montage pour en faire quelque chose de cohérent (en fait i] aurait fallu pouvoir retourner quelques petites choses pour pouvoir le structurer tout a fait).

cest L’Hotel de la plage... eh bien c'est celui qui a le mieux marché.

successifs mis bout a bout qu’il a fallu travailler énormé-

Cahiers. f/ ya des films comme ¢a, ott le fait qu il arrive

des accidents ne nuit pas a la qualité du film, comme si méme cela devait arriver ainsi. La Nuit du carrefour par exemple, avec cette bobine briilée dont parle Mitry, il

nest pas évident que le film aurait été meilleur.

d’idées communes

avec

Daniel

Toscan

Cahiers. C'est nul! Pialat. Au

fond, c’est Les

Vacances de M. Hulot fait

par un frangais réac qui n’a pas le talent de Tati, en 1976. Cahiers. Ca fait beaucoup!

Pialat. Qui mais ca doit étre l'un des films de Renoir qui a le moins bien marché. II faut que je vous dise : j'ai

beaucoup

Pialat. Prenez l'année 77 : le meilleur film, pour moi,

du

Pialat. Mais bien sir, c’est un film dégueulasse, mais au moins il ose certaines choses que plus personne n’ose

Plantier—bien surje fais de la leche puisqu’il m’a produit

faire en France.

(ne serait-ce que le Centre, qui est une création vichys-

qui n'existe plus, et vous parlez comme s'il existait.

— il a des informations que je n’ai pas: par exemple ce qu’il m’a appris sur le néo-péetainisme du cinéma francais soise!), Par exemple quand i! dit que les meilleurs films

sont les films qui marchent. Pour lui La Grande illusion

est meilleur que La Régle du jeu, pour ma part,je n’ai pas

attendu aujourd’hui pour le penser. J'ai aimé La Régle du jeu quand il est sorti, mais je ’aime beaucoup moins

maintenant.

Cahiers. Vous préférez La Grande illusion? Pialat. Oh non, j'aime pas tellement La Grande ilhtsion non plus. ...j’aime moins Renoir qu’avant aussi.. Cahiers. Ca se complique! Pialat.

Ce

que je veux

Cahiers.

En fait vous révez d’un systéme de production

Pialat. Non, maisje me dis qu’on arrive peut-étre a la fin dune époque qui était celle des cinéphiles. Vous ne pouvez pas savoir ce que c’était le cinéma quand on y allait dans le quartier, le samedi soir et que fe rideau s’ouvrait et que toute la salle était suspendue (aussi bien aux navets qu’aux grands films). Mais quand on crée une catégorie « art et essai» ca ne va plus, moi j'ai toujours détesté ga: c'est I’élitisme et le snobisme, le pire... Mais peut-étre que ca n’est pas trés original, tout ¢a... Cahiers. Non, pas trés: c'est le discours de tous les vieux ringards de droite qui répétent que le cinéma est

mort a cause de Duras. dire,

c’est

qu’un

artiste

ne

s’amuse pas a faire des choses moins bien, sil a du talent,

quand il a de argent que quand il fait des choses confidentielles. Donc les films qui marchent sont quand méme

les meilleurs films.

Cahiers. C’est complétement faux aujourd'hui. Pialat. Si. Les films qui ne marchent pas sont plutét moins bien que les films qui marchent... par exemple Zidi, c’est beaucoup mieux que Marguerite Duras.

Pialat. Non, moi je dis plutét que c’est parce que le cinéma meurt que Duras peut exister. Cahiers. Si les films se ressemblent actuellement, ga nest certainement pas a cause de la cinéphilie, mais cela vient d’un systéme de production-distribution bien défini.

Et dailleurs vous, vous étes un cinéphile, complétement... Pialat. Bien sir. Tout le monde 4 un moment de sa vie

(dans son enfance par exemple) est cinéphile, et je crois

que le film qui a tout déclenché chez moi, c’est La Béte

humaine de Renoir, vers les 13-14 ans. Je suis allé le voir cing, six fois de suite (ca, c’est un comportement de ciné-

10

Passe ton bac d'abord, de Maurice Pialat.

ENTRETIEN

AVEC

MAURICE

PIALAT

phile), mais a cette époque tout le monde faisait-ca : les

dactylos allaient voir et revoir Je méme film plusieurs fois

de suite. Elles se procuraient le texte et les photos du film (il y avait des revues populaires qui les publiaient). Aujourd’hui on fait des films au cinéma pour des gens qui ont une certaine culture et qui sont des petits employés

raisonneurs dans leur grande majorité; ce sont des gens

qui n’ont rien a raconter et on ne peut pas raconter quelque chose 4 des gens qui n’ont rien a raconter. Un cinéaste doit étre comme son public et je ne me sens pas comme ce public actuel du cinéma. Nous ne vieillirons pas ensemble a marché, je pense. sur un malentendu et aussi parce qu'il avait été fait pour qu’il marche... Parfois je dis que depuis, j’aurais du faire dix films qui auraient pu tout autant marcher, mais ¢a n’est pas sir: je me demande ot j’aurais été le chercher, «mon public» comme dirait Jeanson. Nous ne vieillirons pas ensemble

c’est un film qui a plu aux cartes vermeilles, plus quelques jeunes qui avaient connu ¢a.

Cahiers. C'est le dernier public un peu critique ; les car-

tes vermeilles plus quelques jeunes.

le porno. I] y en a qui ont une certaine pureté. Et ce qui

est remarquable, c’est que ces films, réalisés le plus souvent en trois ou quatre jours, sont techniquement a peu

prés du niveau film francais moyen. Depuis que j’ai vu les films pornos, je me dis: tous les films francais

devraient coiter le prix des pornos. On devrait étre capa-

bles de raconter une histoire dans le méme temps qu'il

faut pour tourner un porno. Ca va un peu trop vite pour le jeu.. mais je suis sir qu'il y a des choses a faire formi-

dables avec des stars du porno. Bien stir le gros défaut du pomo c’est la misogynie et ca c’est inadmissible!..

Cahiers. Aujourd ‘hui, pour parler ace public-la (immi-

grés, jeunes..) il faudrait pouvoir faire léquivalent actuel

de ce que fut bh série B et cela nest pas possible dans le systeme de production-distribution en France.

Mais ca n’est pas impossible.

Peut étre que

moins isolé, j'aurais pu le faire il y a trois quatre ans. II

faudrait un Corman en France.. et les salles suivraient.

Cahiers. Revenons un peu a Passe ton bac d'abord, i/

sagit d'une bande de jeunes et pourtant le choix de cha-

cun est extrémement précis. on na pas du tout Pinipression d'un groupe indifférencié : chaque personnage est complétement singulier. Je voudrais savoir comment yous

avez choisi ces jeunes puisque beaucoup d'entre eux ne sont pas des acteurs professionnels. Pialat. On a commencé a tourner le premier scénario et on a trouvé les différents interprétes dont on avait besoin sur place, en se servant d’un magnétoscope. Cahiers. essais?

Pour Passe ton bac d’abord, jai rencontré un groupe dans lequel presque tous les jeunes étaient bons. La sélection s’opérait autrement: ceux qui étaient meilleurs

avaient un réle plus long, voila tout. II nous est arrivé de

permuter d'une scéne a I’autre. Par exemple cette fille qui a remplacé celle qui nous avait introduit prés de la

bande, tout simplement parce qu'elle était assise dans le café a cété a é1é excellente et pourtant elle avait fait de

trés mauvais essais.

C’est que beaucoup d’éléments entrent en compte au moment ot l’on tourne la scéne, qu’on n’a pas forcément

aux essais : I’intérét d’abord pour la scéne, une certaine émulation voire une rivalité, une certaine confiance, qui

peut venir au bout d’un certain temps et qui ne vient pas

tout de suite. Souvent quand on est mauvais aux essais,

Pialat. \l y a aussi les publics de Bruce Lee... Pour ces films-la, il ya un public qui existe encore, et puis bien sir

Pialat.

rendu compte que j’avais tort. Non que les essais au magnétoscope constituent une sécurité, mais on sail tout de méme un peu ot l’on va. Cela en dit moins long que ca promet : je m’en suis apercu sur Loulou. sur lequel j'ai engagé des gens qui ont fait des magnétoscopes sensationnels et qui ont été trés décevants dans le film.

Vous utilisez le magnétoscope pour faire des

Pialat. Oui, avantje ne faisais pas d’essais et je me suis

c'est qu’on n’est pas a l’aise ou qu’on a le trac, ca ne veut pas forcément dire qu’on sera mauvais au tournage. C’est trés important le contact qui s‘établit au tournage avec les interpretes. Aprés aussi, j'aime bien suivre les gens avec qui j’ai tourné, ceux avec qui ¢a a collé, retour-

ner avec eux. Ce n'est pas un hasard si l’histoire qui a

déctenché le processus de Passe ton bac.. est celle qui est

arrivée a une fille qui avait joué gamine dans L'Enfance nue. Sur Loulou aussi j'ai repris des gens de Passe ton bac. C’est qu’on a toujours Iimpression de bien connaitre les gens a la fin du tournage, on a donc envie de recommencer avec eux en connaissance de cause, si l'on peut dire.

Et au fond ¢a ne conceme pas seulement les fessionnels. Je crois qu’a la fin de Loulou, avec on se connaissait bien aussi. Et je crois que si on pas connus, elle ne serait pas aussi bien qu’elle

non-proHuppert ne s‘était est dans

le film. Par contre Depardieu a fait sur Loulou un pas-

sage, comme il fait dans tous ses films; c’est comme

tard ou Macha

Léo-

Meéril, ca n'est pas qu’ils sont mauvais,

mais ils ne sont pas la vraiment, et il n’y a pas de contact

avec eux. Rocky, le gargon qui fait le camionneur dans Passe ton bac d‘abord et que j'ai repris sur Loulou, c’est

vraiment quelqu’un qui fait complétement éclater les notions de professionnel et d’amateur. Ce gars-la, la pre-

miére seconde ou il a commencé a tourner il est devenu un trés grand professionnel. Sur des détails incroyables qui ne sont pas toujours visibles sur l"écran mais qui ont

une importance primordiale au tournage: savoir se déplacer en ayant conscience des possibilités du cadre, des nécessités de la lumiére etc. Sur Lou/ou. il nous a pratiquement improvisé une fin de scéne en se déplacant sur le plateau au millimetre pres. C’est vraiment un acteur exceptionnel. Et puis il y a eu quelque chose de trés fort entre nous. Cela n’arrive pas tout le temps; Macha Meril

ou Léotard, quelles que soient leurs qualités de comé-

diens, il ne s'est rien passé d’intéressant entre nous et cela se voit dans les films. Il y a des choses qu’on ne peut plus

demander de dire a des comédiens. Dans Nous ne vieil-

12

ENTRETIEN AVEC

es La Gueule ouverte, de Maurice

Pialat. En haut:

Monique

Mélinand,

Philippe Léotard

et Hubert

Deschamps.

En bas: P

Léotard et Nathalie

Baye.

MAURICE

PIALAT

lirons pas ensemble,

par exemple, Macha

Méril devait

dire des phrases naives, des phrases de petite fille prati-

quement. On a tourné ces scénes et elles étaient impossibles. I] a fallu les retourner avec un autre texte. Le texte original était sans doute trop naif pour le cinéma de

maintenant : ces phrases, elles étaient indicibles, comme aurait dit ma co-scénariste, Arlette Langman. Et finale-

ment

Macha

Méril

a créé un

personnage

de femme

d’'aujourd’hui auquel on croit moins que le personnage

un peu du dix-neuviéme siécle que j’aurais voulu qu'elle

incarne. On ne pourrait plus faire La Porteuse de pain aujourd’hui, il n’y a plus de place pour le mélodrame et cest dommage. Jean Yanne aussi a fait dans le film une véritable transposition de son personnage. Mais la je m’y attendais plus;je le connaissais, il n’allait pas me faire un tdle de mélo,je ne le voyais pas pleurer pour une femme. D’ailleurs, au cinéma les hommes ne doivent pas pleurer,

c’est ce queje lui ait fait dire dans Nous ne vieillirons pas ensemble, sauf dans Ordet. Cahiers. Passe ton bac d’abord « été tourné en 35 mm?

Pialat. Qui et je vous assure que techniquement c’est

du niveau d’un film de 3 millions de francs.

Cahiers. La couleur fait penser au dernier film Godard pour le cinéma, Comment ¢a va.

de

13

formidable. Et il parvient a exprimer ce que les meilleurs

acteurs parviennent parfois a faire : sa vérité, et ce qu'il joue la, est exactement a Ja hauteur de ce qu’il est. Et du coup i! ose dire des choses qui expriment en deux phrases

tout a fait banales la rivalité entre les générations.

Cahiers. C'est probablement a coups de circonstances conime celles-la que le film trouve un accent de vérité, une

Justesse qui sont tout de méme rares dans le cinéma francals.

Pialat. C’est aussi que la banalité est la chose la plus

difficile a traiter, Le conflit des générations, il n’y a pas

plus banal, sur un script, ces phrases ne signifient nen, on avi impression de les avoir entendues mille fois chez sa

crémiére.

Cahiers. Esi-ce que vous avez conscience de la maniére

dont s effectue ce passage du naturel le plus plat a quelque chose qui en est @ la fois la reprise littérale et la ressaisie, la condensation. La méme chose et quelque chose de tout a fait different? Pialat. Je ne saurais pas vous répondre, maisje sais que

c’est quelque chose que je ressens quandje revois les bandes qui ont été jusqu’ ici inégalées, celles des fréres Lumiere : c’est ce qu’on

Pialat. Je ne vais plus voir ses films, a lui.

voit tout

les jours et en

méme

temps il y a quelque chose d’autre, d’irremplagable.

Cahiers. Est-ce que c’est trés écrit, le dialogue? Pialat. En général oui, assez. Dans La Maison des bois, c’était écrit 4 80%, méme si l'on croit que c'est impro-

visé. C'est un peu la méme chose pour Passe ton bac dabord. Eux rajoutent de petites choses de leur cru. Le

dialogue de Loulou est écrit par Arlette Langman a 100 %, mais il y a toujours une part d’imprévu, d’improvisation. Avec les non-professionnels, on peut toujours

s’attendre a ce qu’ils prolongent le texte avec leur propre

vécu. Quand le pére. apres la séquence avec les deux représentants de l’agence de photo, dit 4 son fils qui n’est pas d’accord parce qu'il les a foutus dehors: « T’es jeune toi, tu connais tout », c’est une phrase impossible a écrire. Cahiers.

H/ v a aussi

un

moment

trés beau

condense tout le rapport entre le peére et le fils,

ow

se

west a la

fois un mot et tune maniére de le dire, une voix, un regard:

if est assis @ la table et il dit a son fils qui ne l'a pas vu: « Bonjour grand ».

Pialai. Bien entendu, ce nest pas moi qui ai écrit ¢a. Mais cet homme-la est exceptionnel, comme acteur aussi je veux dire. C’est le pére du jeune, il est mineur maisje vous assure que comme acteur, il en a des emplois possibles : tous ceux qui vont de Gabin a Ventura, aussi bien un ouvrier qu’un flic, un truand. Il y a des gens comme ca. réellement doués; c’est faux de dire: « il joue sa vie donc c’est facile »; quand il répond aux deux photographes, ca n’est plus sa vie, c’est du jeu a l’état pur et il est

Cahiers. Méme chose pour les courts métrages de Grif-

fith qui passent a la télévision en ce moment. Mais il ya

tout de méme un probleme dans la maniére dont vous exposez les choses, on aun peu impression quciil y a les acteurs (ou les non-acteurs) d'un cété et le metteur en scéne de l'autre: c'est un peu comme si il n'y avait pas

quelque chose en plus au cinéma, a savoir la technique.

Pialat. L’idéal effectivement au cinéma, ce serait qu’il

n'y ait pas le probleme de la technique. Bien sir c'est

important, mais c’est important 4 partir du moment ou Lumiére a inventé la machine: depuis elle n’a pas vraiment changé, pas vraiment progressé. On serait d’ailleurs plutét en pleine régression et ca me fait fulminer. Par exemple sur le son, qui est de plus en plus mauvais. Pourtant on trouve encore de bons techniciens et ¢a c'est rassurant. En France, méme au dernier moment, on arrive toujours a réunir une équipe de gens qui sont compétents. Mais on ne parvient pas aujourd’hui a la qualité technique que les films d’autrefois atteignaient. I] y a par exemple une chose que je ne supporte pas c’est le manque de profondeur de champ, cette manie d’éclairer a 4 et de pratiquer sans arrét le rattrapage de point. Et cela m’est

encore arrivé sur Passe ton bac d'abord, mais de maniére

bien pire encore sur Lou/ou. C’est un bricolage insupportable. Je sais que maintenantje ne voudrais plus faire de film 4 moins de 2,8. Mais c’est difficile a contr6ler, il faut avoir le nez sur eux, ils trichent, ils s’arrangent en douce avec les labos, c’est trés dur.

ENTRETIEN AVEC

Cahiers.

tenu du budget sur Passe ton bac

Pialat. Bien sir, on n’a pas manqué de me dire: « qu’est-ce que tu vas faire a Lens, bassin minier, tu parles d'une affiche! ». Eh oui, c'est vrai, ces jeunes, ils sont de

Pialat. Eh bien c'est assez remarquable, parce que sur ce film, avec 70 millions anciens on avait un matériel trés au point pour éclairer, on avait par exemple des « Hacmi » qui donnent un éclairage caractéristique (que d’ailleurs certains n‘aiment pas).

Je ne saurais pas parler d’eux. Pourtantje les cdtoie, je les

Cahiers. Sur le plan de l'écriture. est-ce que vous voyez

Foucauld. Mais c’est dur en France. Si Family life avait été réalisé par Eustache il aurait fait beaucoup moins

d’abord,

lumiére?

Compte

i/ y avait

un

investissement

important

sur la

une difference entre Passe ton bac d’abord et des films

comme Adieu

Philippine de Rozier ou Les Doigts dans

la téte de Doillon? Chez

improvise et chez Doillon

Rozier c'est stirement plis

c'est comme

vous beaucoup

écrit. On pourrait dire de Passe ton bac : c'est Adieu Philippine 79; ce ne serait pas faux et pourtant votre film est unique, different. En quoi selon vous?

Pialat. Je crois qu’il ya dans Adieu Philippine. des qualités qui manquent a Passe ton bac d'abord. Vous savez, moi je trouve que Rozier est le seul cinéaste frangais qui a du talent. Je voudrais le produire, Rozier et je pense qu’on

devrait

aujourd’hui.

pouvoir

s’en

sortir.

Cahiers. Je veux dire que depuis Adieu

méme

encore

Philippine, i/

n’y a pas eu de films qui refletent autant l'époque.

Pialat. C’est un film en liberté, c’est un film fait par quelqu’un qui n’était pas loin d’avoir le méme age que ceux qu’il filmait (pour moi, avec Passe ton bac d'abord. cest différent), un film trés improvisé (c'est la 4 mon avis

la limite du style de Rozier mais c'est ce qui en fait en

méme temps tout le prix), et puis c’est un film trés dréle. Crest, a la limite, presque un film d’amateur, mais c’est le seul bon film francais de ces années-la. Et en fait c’était tout de méme un film construit car il y avait Michéle

O'Glor. Mais le grand probleme c’est que c'est un film muet, c’est un film quia été tourneé sans le son et sonorisé, et la-dessus, pour ma part, je Suis assez ferme: il faut qu'il

y ait le son en méme temps que l"image (depuis qu’il y a le son), sinon ce n’est pas du cinéma pour moi.

Cahiers. Et par rapport a Doillon? Pialat. La,je ne sais pas. J’avais vu Les Doigis dans la 1éte et j’avais été agréablement surpris. Mettez vous a ma place : quand on fait des films aujourd’hui et qu’on voit

qu’il n’y a personne, on n‘est pas content au fond; bien. sr on est jaloux des autres, mais on a aussi besoin d'avoir autour de soi d’autres gens: il y a Rozier, il ya Eustache et puis il y a pas grand monde. Aussi. quand j'ai vu le film de Doillon j'ai été agréablement surpris, méme si on pouvait encore y voir un cété Godard attardé, mais pas trop. Cahiers. La oti votre film fait rupture aussi avec la production francaise courante, c'est tout simplement qu'il prend comme sujet des jeunes de milieu ouvrier, et malgré toutes les dénégations, c'est une catégorie qu'on ne voit pas dans le cinéma francais.

Lens, pas de Neuilly et ca nest pas Diabolo menthe. Mais

connais, je viens moi-méme d'un milieu bourgeois, mais Je ne sais pas : je me sens surtout proche de ces jeunes de Lens que je filme, j’ai I’ impression d’avoir été toujours dans leur situation. je me retrouve avec eux : j’ai fait des études loupées etc.. Je suis peut étre une sorte de Pere de d’entrées : il faut un peu d’exotisme ici, méme problémes quotidiens.

pour les

Et c’est comme ca dans le cinéma frangais depuis la

Nouvelle Vague; on a perdu alors l’essence du cinéma davant-guerre. Il y avait des choses intéressantes dans ce cinéma-la. Ce sont vos foutus prédécesseurs qui ont mis

Ga par terre.

Cahiers. C'est difficile d'affirmer qu'ils sont responsables du déclin du cinéma francais. Pialat. Non, car ils n’ont jamais eu vraiment le pouvoir, le pouvoir qu’en tout cas j’ai cru qu’ils avaient. Mais tout de méme depuis, i] n'est plus possible de faire un film francais en studio. On a perdu la quelque chose d’essentiel du cinéma. Imaginez Le Jour se léve en décors naturels.. Trauner, c’est plus important que Carné dans le film. Cahiers. C'est curieux au fond cette haine de la Nou-

velle Vague. D’abord vous étes proche de cinéastes qui étaient aussi des exemples pour la Nouvelle Vague

(Renoir, Dreyer...), ensuite vous partagez avec elle un mode de filmage :; un certain rapport @ lacteur en particulier qui existait déja dans le cinéma classique mais qui

a été repris par la Nouvelle Vague (un rapport trés dur,

une espéce de mise ala torture de lacteur). Ona Vimpression que vous avez accompli un chemin paralléle avec la Nouvelle Vague. Pialat. C’était si on veut le liévre et la tortue : ils faisaient des films et je n’en faisais pas (j’étais pourtant plus

vieux qu’eux). La Nouvelle Vague, c’était une histoire de copains et quand on n’en était pas, on avait du mal a tour-

ner. Truffaut aprés a permis que soit réalisé L’Enfance

nue, et mon premier film passatt avec un film de Godard, mais c’était une époque dure et je leur en veux peut-étre parce que, toute cette époque-la, je n’ai pas tourné. Cela dit, la Nouvelle Vague, ca n’avait pas a étre I’Assistance Publique: ils s’étaient bien débrouillés. c’était un courant. Certains d’entre eux ont fait des conneries qu'on paye encore aujourd'hui maisje crois que c’était inévitable. Cahiers. Votre film, Passe ton bac d’abord, fail aussi penser @ un autre cinéaste que visiblement vous naimez pas beaucoup; cest Lelouch, (En méme temps cest un film que Lelouch naurait jamais pu faire). Des senti-

MAURICE PIALAT ments trés simples, trés quotidiens, trés roman-photo.

I

¥ aun point commun avec lui: cest que contrairement aux cinéastes qui disent,

tel personnage est bien et tel

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Pialat. Lui, je ne peux pas le voir. C’est dommage qu'il

soit plus fort que moi, car c’est une des rares personnes

nages.

sur qui je bondirais immeédiatement s'il entrait dans la piéce. la, tout de suite. Malheureusement c'est un costaud, il sait faire les pieds au mur. II l’a fait publiquement sur Le Mépris, devant Bardot. De toute facon i! y a une chose qu’on ne peut pas nier, c’est que ses films vieillis-

début par exemple. Et méme quand le professeur de philo

mourir de rire, maisje suis sur que Pierrot fe fou, que je trouvais moyen, a pris aussi un sacré coup de vieux.

autre n'est pas bien, lui = comme vous — vous vous intéressez plut6t aux sentiments. Dans Passe ton bac d’abord, Timportant cest plutét les sentiments, moins les person-

Cela peut donner des moments d'une grande cruauteé : quand le jeune Don Juan largue la fille dans le café au (Jean-Francois Adam) entre dans le café avec ostensible-

ment « Libé » sous le bras et que tout de suite Sabine

Haudepin lui pose la question qu'on pose en tant que spectateur: « Vous lisez « Libé?»; il pourrait y avoir la un discours idéologique ou opportuniste et il dit seulement .« En fait c'est ma femme qui le lisait ». Ma femme + le passé, et d’emblée on se retrouve sur un autre terrain que celui des bons et des méchants. Pialat. Cest Adam Cahiers.

qui a

de ce film?

signifie pas grand chose, c’est un peu un coup de chance,

je tourne 4 un moment ou les autres ne tournent pas. Mais vous savez, la crise du cinéma frangais, vous la res-

sentez aussi bien quand vous ne tournez pas que lorsque

vous tournez. Tenter quelque chose de relativement cotteux alors qu’on sait qu’on ne peut pits en général le faire, c’est aussi angoissant que de ne pas tourner du tout. Et pourtant, il n’y a rien de plus logique que de permettre a un réalisateur de passer a des réalisations plus cotiteuses, de faire des choses plus difficiles, ne pas l'obliger en permanence a refaire son premier film.

C’est mon probléme. Il y a deux solutions qui se présentent alors : ne plus tourner ou essayer de faire des films marché,

mais

vraiment

en

dessous

du

cott

moyen d’un film frangais(3 4 6 millions) : ga ne colle pas,

parce qu'il n’y a pas une audience (internationale entre autre) suffisante pour l’amortir. Et faire un film en dessous de ce chillre, je ne vois pas trés bien comment faire. C’est tout de méme décourageant de voir que la moitié du budget d’un film s’en va dans ce qui, pour moi, est secondaire : charges sociales plus salaires des techniciens. La solution, ce serait peut-étre de travailler compleétement en coopérative et que tous ceux qui travaillent sur le film soient les producteurs de ce film. Parce que la participation, c’est une imposture. Cahiers. De ce point de vue aussi Godard c'est intéres-

sant, car il est parvenu @ une relative autonomie de production,

il a monté

cette petite entreprise

Sonimage...

Vous auriez peut-étre des choses a nous dire la-dessus:

c'est dommage

que vous le détestiez tant.

Pialat. Cela arrive souvent : quelqu’un fait des choses pas trés bien pendant dix ans et puis il se met a faire des

choses bien. Cela prouve qu’il ne faut pas se décourager! Et puis, lui au moins,

Pialai. Je ne peux rien dire: j’en dirais trop. Je ne suis pas du tout content de deux bobines. Comme il y en a neuf, cela fait quand méme une majorité de bobines qui vont 4 peu prés. Et c’est tout de méme lié aux moyens dont on a disposé. Sur Loulou, exceptionnellement dans le cinéma francais, on a eu plus de moyens. Mais ¢a ne

trés bon

Cahiers. Godard, ¢a devient vraiment unique apres Tout va bien, ef tout ce qu'il a fait depuis est réellement passionnant,

i! a de imagination.

Vous savez

Jen veux (je dis bien: j'en veux) a la Nouvelle Vague,

fait le texte, 1a.

Vous G1es content tout de méme

sent trés mal. Il ya longtemps qu’d bout de souffle me fait

c'est vrai et c'est a Iui que jen veux le plus, car c’était lui le plus intéressant de tous les autres réunis. Mais je n‘aime pas son esprit suisse. Et puis, c’est quelqu’un qu’on a beaucoup copie. Les gens qui ont du talent sont faciles 4 copier. Moi, c’est le contraire, je suis accusé de plagier et déja condamné a propos de Nous ne vicillirons pas ensemble, le seul film que j'aie fait qui ait bien marché. J’espére qu'il y aura du monde dans la salle quand Ga va repasser en appel. Ce a quoi j’ai été condamné (80 000 francs) avec les frais de justice, c’est mon cachet pour le film!

Cahiers. O8 en est fa réalisation de Loulou? Pialat. Le film devait sortir en septembre mais il a mandqué trois jours de tournage. Non pas a cause d’Huppert, comme on a pu le dire, mais parce qu'il y a eu un malentendu avec un acteur (Guy Marchand) qui joue, avec elle d’ailleurs, les scénes les plus importantes du film. Il est possible qu’on puisse le sortir avant la fin de

l'année.

Cahiers. Vous nes jamais content de vos films et sur-

tout quand ils sortent. Quand Nous ne vieillirons pas ensemble esf sorti, vous avez dit que c'éiait votre plus mauvais film. Vous dites que Passe ton bac d’abord ne vous satisfait pas. Pialat. Je crois qwil ne faut jamais se dire que son dernier film est le meilleur, cela vous tue. Il vaut mieux dire

que ca ne vaut rien. Mais sérieusement, ce que je peux

dire de Passe ton bac d'abord, c'est que s'il avait eu les moyens nécessaires, on pouvait faire un film du niveau

des Vitelloni. Et jenrage de ne pas avoir eu les moyens de

faire ca (méme si je n'ai pas une admiration folle pour Les Vitelloni, au moins Ga raconte une histoire et ca a pu marquer toute une époque, et celui-la ne le fera pas parce qu’on n’a pas été jusqu’au bout). Et pourtantje trouve ca bien meilleur que La Gueule ouverte par exemple, film sur lequel j’étais un peu essouffle.

ENTRETIEN AVEC

Cahiers. Ce cinéma que vous voulez faire, avec des sen-

timents tres forts, trés excessifs,.c’est peut-étre un cinéma

impossible @ faire maintenant : un film comme Gertrud

(le dernier Drever) se casse la gueule, on ne supporte plus des sentiments au cinéma.

Pialat. Oui, méme Nous ne vieillirons pas ensemble posséde un indice de satisfaction trés mince. Il a marché commercialement, d’accord, mais sur un malentendu. Moi ce que j’aime dans le film, c’est que c’est un film sec, il n’y a pas de gras. Il n'y a d’ailleurs que 120 plans (80 dans La Gueule ouverte); dans Passe ton bac d’abord, il y a bien 600 plans et dans Loufou aussi j'ai beaucoup

Marléne

Jobert et Jean Yanne

dans Nous ne weillirons pas ensemble,

de Maurice

Pialat

MAURICE

PIALAT

découpé. Maisje crois queje vais revenir a mon ancienne manieére de faire. Finalement, ma facon de tourner c’est celle-la ; on fait une scéne et puis on passe a autre chose;

pas de graisse. Jusqu’a La Gueule ouverte, je tournais les scénes comme ¢a; il y avait des contre-champs car c’est difficile a éviter, mais c’était la scene en un plan. Il y a d’ailleurs quelqu'un qui a su trés bien utiliser cette maniére de faire, c’est Pascal Thomas et comme 1] met-

tait de la sauce moderne-roublard-journaliste. ga a mar-

ché. Au cinéma, le plagiat c’est ¢a.

Entretien réalisé par Daniéle Dubroux, Serge Le Péron et Louis Skorecki.

MAURICE

PIALAT

NOTE SUR PASSE TON BAC D‘ABORD PAR THERESE GIRAUD

Qu’est-ce qui rend le film de Maurice Pialat si émouvant, si ctrange? Pas seulement le fait qu'il aborde

— comme I'a trop facilement souligné la critique - le sujet grave de la jeunesse paumée du Nord (les [ils et filles d’ouvriers et de petits-bourgeois cn bute au chGmage, sans autre avenir social que les petils meticrs

humiliants).

Le film résiste 4 toute lecture normative, il ne colle pas a l’actualité, pas plus qu'il n’est le produit de

cette actualité. Pialat ne filme pas des loubards (c’est peut-étre le sujet de son prochain film, Leufow), des

punks ou des marginaux, ceux qui défraient la chronique et qui produisent un « supplément liguratif». Le sujet, vieux comme Ie monde. ce sont les tatonnements et la résistance de la jeunesse 4 devenir « comme

les parents ». Ces personnages sont d’hier et sans doute encore de demain, mais ils ne représentent pas fous

les jeunes. ils ne sont pas exemplaires, ils ne sont pas montés (montrés) en épingle. au contraire : c’est Ic cinéma qui s’abat sur eux et dans le cinéma, ils jovenr leur rdle. Acteurs non-professionnels pris sur le tas. filmés la ot ils sont et comme ils vivent, ne représentant qu’eux-mémes : c’est un des points forts du film, qui fait qu'il s‘impose immédiatement et que les person-

hages atteignent aussitét une dimension plus générale, fantastique, proprement cinématographique.

Le

cinéma n’émeut pas seulement pour le sujet qu'il se donne, mais par la capacité qu'il a de donner a voir, comme si c'était la premiére fois, de fagon simple et condensée, les choses les plus banales du monde : I*his-

toire de la fille facile qui se range par amour sous la banniére du couple, l"histoire de celle qui se marie

par raison en laissant son ceeur ailleurs, les histoires du dragueur et de son inévitable copain qui recolle les pots cassés, autant d'histoires et de figures qui ont alimenté le cinéma depuis toujours et que Pialat recrée pour son film, comme si c’était la premiere fois

La premiére fois, c’est-a-dire en partant d'un point zéro, avec des acteurs vierges de cinéma. Le film commence sur des plans de graffiti inscrits— incrustés - sur des tables d’école; ce sont des mar-

ques ou des traces de désir, d’amour, de jalousic ou de haine, tout simplement des appels de fiction dans lequels Pialat s’engouffre pour filmer Passe ton hac d’abord, avec les corps de ces jeunes acteurs comme mati¢re premiére.

Car ces jounes accédent au statut d’acteur non pour leur photogénie, ou leur bonne « nature », mais par

la capacité quils ont (ou qu'ils n’ont pas) de plier leur corps aux impératifs d’une fiction qui les prend comme sujet(s), leur capacité de jouer ct de faire émerger la vérité de leur propre personnage.

Dans Passe ton bac dabord. les jeunes ne font pas ce qu‘ils font d’habitude (en dehors du cinéma): il ne se lévent pas 16t le matin, ne prennent pas leurs petits