Biodiversité et évolution du monde animal: Une brève histoire des animaux 9782759820313

Que savons nous des animaux ? Quand sont-ils apparus sur Terre ? Notre défiance à leur égard ne met-elle pas en péril l’

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French Pages 352 [353] Year 2016

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Biodiversité et évolution du monde animal: Une brève histoire des animaux
 9782759820313

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Biodiversité et évolution du monde animal

Cet ouvrage de la collection Les cahiers de la biodiversité, s’adresse à un large public passionné par les animaux et la préservation de la biodiversité. Il est également destiné aux étudiants en biologie, aux enseignants, chercheurs et vétérinaires qui y trouveront des informations de base pour aller plus loin dans leurs travaux.

notre planète, il n’est pas trop tard pour partager notre territoire avec cet ami et redéfinir les conditions d’équilibre à notre survie commune.

Prix : 39 euros Isbn : 978-2-7598-1931-7

9 782759 819317

Biodiversité et évolution du monde animal

Que savons nous des animaux  ? Quand sont-ils apparus sur Terre  ? Notre défiance à leur égard ne met-elle pas en péril l’avenir de l’humanité  ? Quel regard devons-nous porter et transmettre aux générations futures concernant la cause animale ? Ils apparaissent soudainement il y a 550 millions d’années et leur destin a failli basculer à plusieurs reprises, sans jamais cesser de se diversifier. Notre histoire semble intimement liée à celle des animaux. Alors que ces derniers se sont toujours passés des humains, nous sommes incapables de vivre sans eux. Depuis des millénaires nous leurs sommes redevables de notre nourriture, de nos vêtements, de nos outils et de notre développement. Leur domestication va autant bouleverser leur vie que la nôtre. Ils ont participé à la révolution néolithique et nous ont accompagnés dans nos migrations sur toute la planète. Nous avons même noué des relations privilégiées avec certaines espèces qui sont devenues des animaux de compagnie. Trop longtemps considérés comme de vulgaires machines-outils, nous avons négligé leur sensibilité sans vraiment tenter de communiquer avec eux. Il faudra attendre le xxe siècle pour que l’on s’intéresse à leur comportement, à leur souffrance, à leur bien-être et que le législateur tende enfin à leur accorder en ce début de millénaire le statut « d’êtres vivants doués de sensibilité ». Ils peuvent être nos meilleurs alliés comme nos pires ennemis. Ils nous ont permis de découvrir des médicaments majeurs pour combattre la douleur, l’hypertension, les infections virales ou le cancer. Nous avons aussi découvert à nos dépens qu’ils étaient de véritables réservoirs parasitaires, bactériens ou viraux, capables de nous transmettre des maladies à l’origine d’épidémies dévastatrices au cours de notre Histoire. Aujourd’hui certains moustiques sont encore responsables de plus d’un million de décès chaque année, mais sont-ils les vrais coupables de leur multiplication à outrance ? Si certaines espèces peuvent devenir invasives et menacer la biodiversité du fait de conditions climatiques devenues inappropriées à leur développement, la plupart des espèces animales sont partout menacées de disparition par l’Homme. L’HOMME, devenue l’espèce qui menace toutes les autres. Nous vous invitons à plonger dans ce monde animal qui nous fascine depuis l’enfance à travers les mythes, les contes et les légendes. Donnons lui aujourd’hui la place qu’il mérite sur

la biodiversité

Jean-Christophe Guéguen

« Une brève histoire des animaux »

Jean-Christophe Guéguen est docteur en pharmacie, pharmacien industriel et consultant en ressources végétales. Naturaliste passionné et aquarelliste, il a réalisé les illustrations de nombreux ouvrages scientifiques et historiques.

Les cahiers de

Jean-Christophe Guéguen

Biodiversité et évolution du monde animal « Une brève histoire des animaux » Jean-Christophe Guéguen

Préface de Hubert Reeves Illustrations de Jean-Christophe Guéguen



Les cahiers de la biodiversité

Biodiversité et évolution du monde animal « Une brève histoire des animaux » Jean-­Christophe Guéguen

Préface d’Hubert Reeves Illustrations : Jean-Christophe Guéguen

I

Dans la même collection : Biodiversité et évolution du monde vivant, D. Garon, J.-C. Gueguen et J.-P. Rioult 2013, ISBN : 978-2-7598-0838-0 Biodiversité et évolution du monde végétal, D. Garon et J.-C. Gueguen 2014, ISBN : 978-2-7598-1093-2 Biodiversité et évolution du monde fongique, D. Garon et J.-C. Gueguen 2015, ISBN : 978-2-7598-1761-0

Figure de couverture : Raton laveur (Procyon lotor) et portrait au crayon de Konrad Lorenz (J.-C. Guéguen). Figure quatrième de couverture : Écureuil roux (J.-C. Guéguen).

Imprimé en France ISBN : 978-2-7598-1931-7

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.

© EDP Sciences 2016

L’auteur Jean-Christophe Guéguen est docteur en pharmacie, diplômé de la Faculté de Pharmacie Paris V René Descartes et pharmacien industriel. Il a travaillé sur la recherche de substances naturelles d’intérêt pharmacologique (microbiennes, végétales et animales). Il est conférencier dans plusieurs universités où il enseigne la chimie des substances naturelles, la biodiversité et l’évolution. Naturaliste passionné, il est auteur, co-auteur et illustrateur de plusieurs ouvrages sur l’évolution, la botanique, les plantes médicinales, les champignons et les plantes à parfums.

Jean-Christophe Guéguen.

– À ma grand-mère Adrienne qui m’a emmené voir les dinosaures de la galerie de paléontologie du Muséum national d’Histoire naturelle. Elle a fait naître ma vocation de naturaliste au cours de nos promenades corréziennes. – Cet ouvrage est respectueusement dédié à la mémoire de Jean-Marie Pelt, professeur de botanique et de pharmacognosie. Il avait eu la gentillesse de réaliser la préface du premier volume de la collection. Je garde toujours en mémoire la série documentaire L’Aventure des plantes, qui m’a conforté dans mon choix de me consacrer à l’étude du vivant. L’auteur tenait à remercier Madame Chantal Oliviero, ainsi que son épouse pour leur travail de relecture, Monsieur Cyrille Guéguen pour toutes les photographies des illustrations et son travail informatique de retouche, Monsieur Daniel Reisdorf pour la photo du lémurien, ainsi que Monsieur Michel Lebœuf pour ses précieux conseils.

Sommaire

Sommaire Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Introduction générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

IX XI 1

L’Homme face au monde animal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

2 Le tardigrade invisible et immortel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 L’ours brun, l’éternel nounours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 La baleine et le mythe de Jonas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 Equus caballus, la plus noble conquête de l’homme . . . . . . . . . . . . . . . . 9 L’ornithorynque, chimère, canular zoologique ou créature composite ? 12

Le monde fascinant des animaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 Tout le vivant est en nous . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 Particularités du monde animal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 Expliquez-moi les animaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 La classification des animaux en plein bouleversement . . . . . . . . . . . . . . 22

Importance des animaux dans la biosphère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 Les chaînes trophiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 Répartition de la biodiversité animale dans les océans . . . . . . . . . . . . . . 24 Le plancton en péril . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 Les hotspots de la biodiversité, des zones menacées . . . . . . . . . . . . . . . 27

Bilan des espèces animales recensées, la bibliothèque du vivant . . . 28 L’arche de Noé revisitée par Carl Linné . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 L’inventaire du vivant face à l’érosion de la biodiversité . . . . . . . . . . . . 30 Le « code barre » du vivant au secours de l’inventaire du vivant . . . . 32

Le « Guinness des records » du monde animal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 Les vertébrés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 Les invertébrés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 V

BIODIVERSITÉ ET ÉVOLUTION DU MONDE ANIMAL

Espèces découvertes ou redécouvertes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 Le saola, la « licorne asiatique » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 Le nouveau cœlacanthe indonésien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 L’olinguito, ours ou chat ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

Espèces en danger, espèces menacées, vers la sixième extinction . . . 38 La Terre malade de l’homme, la sixième extinction a commencé . . . . . 38 L’humanité vit à crédit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 Des effets dominos incontrôlables. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40 L’axolotl, un petit « monstre néoténique » en danger d’extinction . . . 41 Le déclin du tigre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 Plaidoyer pour les pandas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43 Le requin : un seul prédateur, l’homme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 Le gorille et le tantale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 Le règne menacé du monarque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 La corne d’abondance du rhinocéros . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46

Les animaux dans l’histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 La Genèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48 L’apport du monde arabe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 Naturalistes et bestiaires fantastiques du Moyen Âge . . . . . . . . . . . . . . 51 Le mystère de la sirène enfin dévoilé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 Les secrets de la licorne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 La Renaissance de la zoologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 Guillaume Rondelet et Pierre Belon : une même passion, les poissons 59 Linné le «  Prince des descripteurs ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 Buffon et la zoologie descriptive : un évolutionniste avant l’heure . . . 62 L’effervescence évolutionniste du xixe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63 Cuvier l’inventeur de la paléontologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64 Darwin et la sélection naturelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 L’héritage de Darwin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67

Éléments de bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68

Diversité des modes de vie chez les animaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 Des rapports étranges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70 Le parasitisme, moteur de l’évolution des espèces . . . . . . . . . . . . . . . . 70 Le mythe de l’« Alien » revisité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72 Associations de malfaiteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72 Les malheurs d’une grenouille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73

Le Mutualisme ou quand l’union fait la force . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74 Le secret des coraux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74 VI

Sommaire

Le monde de Nemo revisité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 Une salamandre photovoltaïque  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76

L e commensalisme, ou comment manger à la même table… sans rien payer ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77 Les Stratégies de défenses contre les prédateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . 78 Le camouflage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 La stratégie du char d’assaut . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80 Défenses chimiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 La coloration d’avertissement  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 Le mimétisme ou comment sauver sa peau en trichant . . . . . . . . . . . . . . 83 L’effet papillon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84

L’animal écosystème . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85 Pourquoi le paresseux descend-il pour faire caca ? . . . . . . . . . . . . . . . . . 85

L’animal ingénieur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88 Les ingénieurs de la mer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88 Les ingénieurs de la forêt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 Les ingénieurs du sol . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91

Les stratégies de reproduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94 Pourquoi le sexe ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94 Les goûts, les couleurs… et les cris . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 Êtes-vous r ou K ? Huître ou gorille ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99

Et l’animal inventa l’outil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102 Quand l’outil ne fait plus l’homme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102 Chez les vertébrés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102 Chez les invertébrés aussi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105

Éléments de bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106

Évolution du monde animal. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108 Premiers brouillons de vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 Les fossiles énigmatiques du Gabon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 La faune « pneumatique » d’Ediacara . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112 Les schistes de Burgess ou le Big Bang de l’évolution . . . . . . . . . . . . . . . 113 Un bestiaire de créatures fantastiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116 Anomalocaris le super prédateur des mers cambriennes . . . . . . . . . . . . 117 Herpetogaster, un estomac rampant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117 Aysheaia pedunculata, le brouteur d’éponges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118 Hallucigenia, un casse-tête zoologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118 VII

BIODIVERSITÉ ET ÉVOLUTION DU MONDE ANIMAL

Odongriphus, ancêtre des mollusques ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120 Pikaia et Yunnanozoon, « premiers de chordé » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120

Le Paléozoïque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122 « La grande diversification ordovicienne » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122 « Du Silurien au Dévonien : l’âge d’or des poissons » . . . . . . . . . . . . . . 124 Des poissons qui ne « manquent pas d’air » ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126 L’expansion des écosystème terrestres au Dévonien . . . . . . . . . . . . . . . 129 Du Dévonien au Carbonifère, la longue marche des tétrapodes . . . . 129 Les arthropodes géants du Carbonifère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133 Les étonnants requins des mers du Carbonifère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134 L’essor des reptiles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135 La radiation des reptiles mammaliens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139 Les premiers reptiles marins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143 La grande crise d’extinction du Permien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143

Le Mésozoïque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144 Les rescapés du Trias . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144 Être mammifère : une affaire de lait et de dents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147 L’apparition de la lactation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147 Une affaire de dents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148 Monotrème, placentaire ou marsupial ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149 Vivre à l’ombre des géants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150 Quand les dinosaures régnaient sur Terre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152 Les dinosaures au Guinness des records . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154 Les innovations du Crétacé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154 Les géants des océans et des airs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156 L’avènement des oiseaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157 La crise K/T ou la fin d’un règne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159

Le Cénozoïque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160 Les mammifères aux commandes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160 Des espèces géantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161 La spécialisation des dents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162 L’Éocène, l’aube des temps nouveaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162 Messel, « la Pompéi » de la paléontologie  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163 Elle s’appelait Ida . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163 Quand les baleines avaient des jambes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164 Comment ressembler à un poisson ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166 La « Grande coupure » ou la transition Éocène-Oligocène . . . . . . . . . . 168 Des requins géants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168 Dernières nouvelles de l’évolution des primates et des grands singes 169 VIII

Sommaire

La mégafaune du Pléistocène . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171 Le grand échange interaméricain et la traversée de la Béringie . . . . . . 172 Les extinctions de l’Holocène : Ecce Homo ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 174 Les extinctions dans les îles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176 Vers une sixième extinction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178

Éléments de bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179

Des animaux pour le meilleur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181 L’animal domestiqué . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182 L’homme, chasseur et cueilleur d’animaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182 Les raisons d’une domestication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182 Élevage, domestication ou apprivoisement : une frontière est ­difficile à appréhender . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183 Le cas de particulier de « l’abeille domestique » . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185 Les principaux foyers de domestication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187 La domestication du chien, « le meilleur ami de l’homme » . . . . . . . . . 188 L’hypothèse du loup . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189 Chacal, coyote ou dingo ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 190 Et le gagnant est : le loup ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191 Bébé loup est néoténique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191 Les renards de Novossibirsk, le processus de domestication vérifié . 192 Les autres visages du chien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193 150 millions de chiens errants en Europe, le « meilleur ami » pointé du doigt ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194 Le chien de protection des troupeaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194 Les caprins et les ovins ouvrent le bal de la domestication . . . . . . . . . . 194 Sa « majesté » le chat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195 La domestication du bœuf . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197 La domestication du cheval et de l’âne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199 La domestication des camélidés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200 Le cochon qui ne venait pas d’Inde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201 Le pays des lapins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202 Du sanglier au porc, il n’y a qu’un pas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204 N’oublions pas la basse-cour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205 Tentatives et échecs de domestication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207 Les conséquences inattendues de la domestication . . . . . . . . . . . . . . . . . 209

L’animal source de médicaments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211 L’opothérapie ou l’animal thérapeute . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211 Le retour en grâce des asticots . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212 IX

BIODIVERSITÉ ET ÉVOLUTION DU MONDE ANIMAL

La sangsue en chirurgie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214 Les vertus insoupçonnées de la bave d’escargot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215 Dans le cochon tout est bon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 216 Une pharmacie sous la mer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217 Un océan de molécules . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217 Des éponges pour lutter contre les virus et les cancers . . . . . . . . . . . . . 218 Le hareng et le sida . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218 Une ascidie contre le cancer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218 La limule : le sang bleu qui sauve l’humanité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220 Un venin d’un escargot stupéfiant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221 Le requin au secours de l’homme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 222 Le sang de l’arénicole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223

L’animal parfumeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225 Entre attraction et répulsion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225 L’ambre gris « du vomi de cachalot » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 226 Quand le castor devient parfumeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 226 Le chevrotain porte-musc, une espèce qui a failli disparaître . . . . . . . . 228 La civette « un chat musqué » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 228 La cire d’abeille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229 L’hyraceum « la pierre noire d’Afrique » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229

Éléments de bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230

Des animaux pour le pire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231 Quand le danger vient de l’animal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232 Le palmarès inattendu des animaux les plus meurtriers . . . . . . . . . . . . . . 232 L’Apocalypse des pestes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232 Les parasitoses humaines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235 Les maladies parasitaires à transmission vectorielle . . . . . . . . . . . . . . . . . 235 La fragile « paix armée »  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236 Maladies transmises par les arthropodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236 Le paludisme, première maladie parasitaire mondiale . . . . . . . . . . . . . . . 237 Chikungunya, dengue et Zika des maladies vectorielles en pleine expansion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 238 La maladie de Chagas et la maladie du sommeil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241

Maladies transmises par les tiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243 Maladies transmises par les vers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246 Les maladies ectoparasitaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251

Les invasions biologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253 La biodiversité en crise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253 X

Sommaire

L’homme accélérateur des invasions depuis 10 000 ans . . . . . . . . . . . . . 254 La crise du phylloxéra et celle du doryphore . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255 Les migrations lesseptiennes, ou la mondialisation des échanges . . . . . 256 DAISIE au chevet des invasions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 258 Petit inventaire de la faune invasive de France métropolitaine . . . . . . . 259

Les animaux venimeux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 272 Les venins dans l’histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 272 La découverte de l’anaphylaxie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 272 Le rôle des venins et des toxines, une fonction universelle . . . . . . . . . . 273 Les invertébrés venimeux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 275 Les vertébrés venimeux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 283 Des oiseaux et des mammifères venimeux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288 Un odieux trafic en guise d’épilogue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 293

Éléments de bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 294

Épilogue pour un statut de l’animal. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 295 Animal, vous avez dit animal ? « Un être doué de sensibilité » . . . 296 Le droit d’être « bête », un long chemin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 297 Les prémices de l’éthologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 301 Pas si bête… l’inné et l’acquis chez l’animal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 303 L’animal d’élevage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305 L’animal de compagnie ou la France aux 63 millions d’amis... . . . . . . . . 307 La tentation des NAC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 308 Le trafic animal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 309 La maltraitance animale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 310 L’abattage rituel au cœur du débat social, nous mangeons ce que nous sommes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 312 La question de l’expérimentation animale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 314 Conclusion pour des cosmétiques éthiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315

Éléments de bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 316

Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 317

XI

Préface

Préface Sur la planète Terre, la vie est apparue… Peut-être ailleurs aussi mais nous n’en n’avons pas (encore) de preuves. En tous cas, sur Terre, l’évolution de la vie a donné naissance à différents mondes. Le monde végétal a déjà fait l’objet d’un ouvrage, et fort logiquement voici, entre vos mains, celui qui traite du monde animal qui, lui aussi, s’est diversifié en d’innombrables espèces. Pour nous présenter ce monde et faire prendre conscience de sa richesse et de ses particularités, l’auteur a choisi, non pas de les classer de l’âne au zébu, non pas d’écrire un traité de zoologie, mais d’opérer des regroupements thématiques dans un ordre arbitraire très personnel puisque, malgré le titre du livre, l’évolution du monde animal n’est pas le premier. On ne lui reprochera pas car il introduit ses chapitres en prenant en compte les sujets qui font l’actualité comme l’ours brun pour lequel ses partisans et adversaires se font la guerre, la baleine dont les derniers chasseurs prétendent œuvrer pour la science… Et ce parti pris lui fait aborder la domestication qui ajoute une biodiversité due aux humains à celle qui lui préexiste naturellement. Même si le chapitre s’intitule « Des animaux pour le meilleur », cet enrichissement a parfois des inconvénients  : ainsi, par exemple, «  sa majesté le chat  », livré à elle-même, opère des prélèvements préjudiciables aux petits oiseaux sauvages en déclin… Si nul ne se plaint de «  la plus belle conquête de l’homme  », «  le meilleur ami de l’homme », quand il est errant et s’attaque aux moutons, est honni des bergers. Depuis ma décision de m’investir pour la défense du vivant, le ver de terre est l’animal que je célèbre quand tant d’autres font du tigre ou de l’éléphant leurs vedettes. Qu’un texte soit consacré à cet «  ingénieur du sol  » n’est pas pour me déplaire. Tout n’est pas pour le mieux pour nous dans le monde animal. Il arrive que certains humains affirment préférer l’animal à l’homme. C’est leur opinion mais qu’ils n’oublient pas les moustiques propagateurs de maladies parfois mortelles ! Et si le lombric est un ver, tous les vers ne sont pas des lombrics et certains ne XIII

BIODIVERSITÉ ET ÉVOLUTION DU MONDE ANIMAL

nous font pas de bien… Le chapitre «  Des animaux pour le pire  » servira de piqûre de rappel… mais, bien sûr, tout est à relativiser. Le dernier thème abordé, « Le statut de l’animal », grave ce sujet dans nos pensées, et il y reste bien après la fermeture du livre. Nous l’avions ouvert sur des sujets d’actualité, nous le refermons sur un problème de conscience. Notre Code rural dispose : tout animal étant un être sensible, doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. Ma conclusion personnelle serait plutôt : qu’il ait ou non un propriétaire, tout animal est, à des degrés divers, un être sensible. Hubert Reeves Astrophysicien Président d’honneur d’Humanité et Biodiversité

À l’heure où nous imprimons cet ouvrage, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages adoptée le 20 juillet 2016, a été publiée au Journal Officiel le 9 août 2016. L’une des mesures phares de la nouvelle loi est la création d’une Agence française de la biodiversité (AFB), un organisme, parrainé par l’astrophysicien Hubert Reeves. Cette loi inscrit dans le Code civil le préjudice écologique. Cette notion reprend l’idée d’une remise en état du milieu dégradé par celui qui en est jugé responsable, selon le principe du « pollueur payeur ». Une autre bonne nouvelle à saluer dans ce texte est l’interdiction à partir de 2018, des pesticides néonicotinoïdes, toxiques pour les abeilles. La promulgation de cette loi est une avancée majeure dans l’harmonisation des rapports entre l’homme et le monde vivant.

XIV

Avant-propos

Avant-propos

«  Si j’écris pour les savants, pour les philosophes qui tenteront un jour de débrouiller un peu l’ardu problème de l’instinct, j’écris aussi, j’écris surtout, pour les jeunes, à qui je désire faire aimer cette histoire naturelle... » Jean-Henri Fabre (1823-1915), naturaliste, philosophe, écrivain, et aquarelliste

Le mot de l’auteur Les animaux m’ont toujours fasciné. Ils ont sans cesse partagé ma vie, depuis ma petite enfance qui s’est déroulée au milieu des chats et des volailles de la basse-cour de ma grand-mère. À la maison, et selon les saisons, il y avait XV

BIODIVERSITÉ ET ÉVOLUTION DU MONDE ANIMAL

constamment un élevage de blattes, d’araignées, de vers de terre ou de coccinelles. Des générations de chats et de hérissons ont partagé ma vie. Aujourd’hui, près de cinquante ans plus tard, rien n’a changé, et chaque soir je me surprends à découper des quartiers de pommes pour la souris grise qui a élu domicile dans notre garage. Ce livre est à la fois une forme de célébration des animaux, ainsi qu’une invitation à mieux les connaître et à nous réconcilier avec eux.

Figure 1 : Tu joues avec moi ?

Que savons-nous des animaux ? À quand remonte leur apparition sur Terre ? À quoi ressemblait le premier animal ? Comme chacun le sait, la zoologie (du grec zôon, animal, et logos, discours) est la science qui étudie les animaux. Le paradoxe réside dans le fait que c’est une espèce animale, l’homme (Homo sapiens) qui est, à ce jour, la seule capable d’étudier et de discourir sur le monde animal  ! Cet avantage lui a longtemps conféré le privilège de se hisser sur un piédestal par rapport aux animaux. Comme le cite à juste titre l’anthropologue Pascal Picq : « L’homme selon lui n’est pas le seul animal à penser, mais il est le seul à penser qu’il n’est pas un animal », un beau sujet pour un baccalauréat en philosophie ! Quelle que soit l’importance de l’homme dans cet ouvrage, écrit par un homme, pour d’autres hommes, il fallait s’attacher à montrer le caractère indissociable de notre espèce avec la gent animale. Le « continent » animal L’animal semble avoir fasciné notre espèce depuis toujours, comme en témoigne l’art rupestre, l’expression artistique la plus ancienne de l’humanité. Il n’y a qu’à emmener un enfant au zoo pour voir ses yeux s’émerveiller. Qui XVI

Avant-propos

n’a pas rêvé un jour dans son enfance de devenir vétérinaire ou gardien d’une réserve naturelle ? Qui ne craque pas devant une peluche d’ours ou de panda ? Comment résister au regard d’un chiot ou d’un chaton dans une animalerie  ? Comment ne pas s’indigner devant les pratiques barbares de la corrida ou de l’abattage rituel qui se poursuivent de nos jours ? Retracer l’histoire des animaux c’est aussi évoquer notre propre histoire, car nous sommes incapables de vivre sans eux, alors que l’inverse est faux. Nous entretenons pourtant une relation ambiguë avec eux, il y a ceux que l’on cajole, ceux que l’on mange et ceux que l’on utilise pour l’expérimentation scientifique. Pourquoi le fait d’être découpé dans une barquette sous cellophane ne procure pas la même impression que celle d’un chien abandonné sur le bord de la route ? Comme l’évoque la journaliste Karine Lou Matignon dans La plus belle histoire des animaux, «  choyer les uns nous donnerait-il plus de courage pour tuer et manger les seconds ? » Impossible donc d’échapper aux animaux, ils sont présents partout autour de nous et selon leur famille, leur taille, leur aspect, nous les détestons ou les chérissons. Nous les avons domestiqués il y a bien longtemps, sous la forme d’un fidèle compagnon à quatre pattes qui héberge sans le savoir d’autres animaux comme des vers, des puces ou des tiques. Une maison individuelle abrite une cinquantaine d’espèces d’arthropodes (fourmis, poissons d’argent, mouches, araignées, coléoptères…). Dans chaque recoin de nos habitations, vivent d’inoffensives araignées, souvent source de phobies pour certains. Sans le savoir, tous les arachnophobes cohabitent avec des acariens, de minuscules arachnides comme les Demodex qui se nichent dans les pores de la peau du visage, au niveau des glandes sébacées ou des follicules pileux de nos cils et sourcils. Rassurez-vous, ils se nourrissent de cellules mortes ou de sébum, et selon le dicton, la petite bête mange rarement la grosse ! (Figure 2).

Figure 2 : Un acarien qui colonise notre peau, le Demodex.

Dès le matin, l’animal vous accompagne, depuis les graisses du savon de votre douche, en passant par l’allantoïne des cosmétiques et jusqu’à votre dentifrice qui renferme de la gélatine. L’animal agrémente votre petit déjeuner sous la forme de lait, de beurre ou d’un œuf. Il est aussi omniprésent dans votre habillement, depuis votre pull en laine, vos chaussures en cuir, votre ceinture, sac ou portefeuille. XVII

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Quand vous sortez de votre habitation, l’animal est encore là, vous entendez les insectes bourdonner autour de vous et les oiseaux chanter dans les arbres. Asseyez-vous dans l’herbe, c’est tout un zoo que vous avez sous les fesses, il est peuplé d’acariens, de collemboles, de lombrics et autres myriapodes, à concurrence de 150 grammes d’animaux par mètre carré de sol ! C’est encore par son approche pluridisciplinaire où les sciences naturelles se mêlent avec les sciences humaines, que cet ouvrage va aborder le « continent animal ». Depuis qu’elle est apparue il y a 200 000 ans, notre espèce a entretenu des relations étroites avec le monde animal. Tout a commencé avec la prédation et le parasitisme à une époque où l’animal avait une emprise sur l’homme. Cette période a laissé beaucoup de traces dans l’imaginaire des premières sociétés humaines. Finir sous les crocs d’une panthère ou d’une hyène n’avait rien de réjouissant. Nous avons ensuite chassé les animaux pour leur viande et leur peau. À partir du Néolithique, avec la domestication, c’est l’homme qui prend le contrôle du monde animal. Sans l’aide des animaux, les grandes civilisations n’auraient sans doute jamais vu le jour. Ils ont participé à l’économie, aux conquêtes, et à la guerre. Au cours le l’histoire de l’humanité, l’animal a tantôt été déifié, tantôt craint, voir même diabolisé. On les a même longtemps considérés comme de simples outils ou des machines vivantes que l’on pouvait jeter quand elles étaient usées ou cassées. Connaître le monde animal, c’est non seulement apprendre à le respecter, mais également faire un pas vers la connaissance de nous-mêmes, nous interroger sur nos origines, notre avenir. C’est aussi savoir rester humble et respectueux devant les autres espèces. Nous espérons que vous prendrez plaisir à découvrir le monde animal que nous vous livrons à travers ces pages très illustrées. Alors laissez-vous emporter dans cet univers fascinant ! Les cahiers de la biodiversité : un esprit de collection Cette nouvelle collection éditée par EDP Sciences a vu le jour en 2013 avec Biodiversité et évolution du monde vivant. Elle a été complétée en 2014 par Biodiversité et évolution du monde végétal, puis s’est enrichie en 2015 avec Biodiversité et évolution du monde fongique. L’esprit de cette collection est de s’adresser tout autant à un large public passionné par la beauté du monde vivant, qu’aux étudiants, chercheurs, ingénieurs, techniciens et enseignants qui peuvent y trouver des informations précises. Les deux premiers cahiers s’adressent aux étudiants de première année commune des études de santé (PACES UE7, UE spécifiques) ainsi qu’à tous ceux qui suivent un cursus médical, pharmaceutique, biologique, ou d’ingénieur. La XVIII

Avant-propos

collection s’ouvre ensuite à un large public moins spécialisé, mais tout aussi attentif à la diversité du vivant et à ses implications dans notre vie quotidienne et future Le sujet traité étant très vaste, nous proposons au lecteur une collection constituée par un ensemble de cahiers indépendants, mais complémentaires. Nous avons essayé de dresser un panorama global de l’extraordinaire richesse du monde vivant, tout en privilégiant une approche pluri- et transdisciplinaire. Il restait enfin à donner à cette collection la dimension qu’elle méritait, celle des sciences humaines. Les cahiers de la biodiversité sont une invitation à découvrir, mieux comprendre, et préserver le monde vivant qui nous entoure. Ce dernier ne doit pas être considéré comme une simple préoccupation réservée à des cercles restreints, il est l’affaire de tous et notre passeport pour le futur. Les ouvrages de la collection Les cahiers de la biodiversité portent sur les thèmes suivants.

Biodiversité et évolution du monde vivant (2013) L’objectif de ce premier volet est de présenter un panorama général des êtres vivants qui constituent la biodiversité. Notre connaissance du monde vivant est récente, elle s’est forgée il y a 150 ans avec la découverte que les espèces se sont transformées au cours des temps géologiques. Outre les notions de base sur les origines de la vie, la notion de vivant et la répartition du monde vivant, la place de l’homme, une espèce parmi les autres dans le processus de l’évolution, y est redéfinie à travers les découvertes les plus récentes. Un chapitre entier est consacré à l’étude de la biodiversité et les enjeux stratégiques que représente la préservation des espèces pour l’avenir de l’humanité et de notre planète.

Biodiversité et évolution du monde végétal (2014) Le deuxième volet est consacré au monde végétal et à ses implications, au quotidien, pour l’espèce humaine. C’est grâce à la photosynthèse que les végétaux captent le dioxyde de carbone de l’air et produisent des composés organiques. Un chapitre entier est consacré à l’évolution des végétaux. Depuis la nuit des temps, l’homme utilise les plantes pour se nourrir, s’abriter, se chauffer, se soigner ou se vêtir. Confrontées à l’éternel impératif d’une quête alimentaire, les populations ont appris, et souvent à leurs dépens, à différencier les plantes dangereuses, des plantes utiles et comestibles. Dans ce livre, le lecteur retrouvera des notions de bases du monde végétal, comme l’autotrophie. Nous avons également tenu à souligner l’importance du métabolisme chez les plantes. Les XIX

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plantes sources de médicaments majeurs et les plantes sources d’intoxications ou d’allergies sont également largement développées dans ce cahier.

Biodiversité et évolution du monde fongique (2015) Qu’ils soient macroscopiques ou microscopiques, les champignons constituent un monde encore mal connu. La diversité fongique est un élément incontournable, tant pour la biosphère que dans notre vie quotidienne. Les champignons sont indispensables aux processus d’humification en décomposant de la matière organique du sol. Leurs associations symbiotiques avec les racines des plantes (mycorhizes) sont au cœur du fonctionnement de nombreux écosystèmes. Certaines espèces seront redoutées pour leur pouvoir pathogène ou leur capacité de parasitisme. Dans cet ouvrage, le lecteur trouvera des notions de base sur les particularités du monde fongique. Un chapitre est consacré aux nombreuses applications des champignons, dans l’alimentation (fromage, vin, bière…), ainsi qu’en matière de santé, avec la production de médicaments majeurs pour l’industrie pharmaceutique (antibiotiques, corticoïdes, hypocholestérolémiants, immunosuppresseurs…). Un chapitre porte sur les risques liés à certains champignons en présentant les principales intoxications fongiques (intoxications causées par les macromycètes ou les moisissures productrices de mycotoxines).

Biodiversité et évolution du monde animal : une brève histoire des animaux (2016) Ce quatrième volet aborde la diversité animale, son évolution et son rôle dans la biosphère. L’évolution du monde animal a connu une «  explosion de diversité  » il y a 540 millions d’années pendant le Cambrien où presque tous les embranchements modernes ont fait leur apparition. Cinq épisodes d’extinctions massives ont remodelé le monde animal au cours des temps géologiques. Le livre explore les liens que nous entretenons avec les animaux depuis leur domestication au Néolithique. Après avoir donné au lecteur des notions de base et dressé un bilan de la biodiversité animale et des menaces qui pèsent sur elle, le livre explore la manière dont les animaux ont nourri notre imaginaire et nos fantasmes. Il évoque aussi son statut dans notre société où l’animal trop longtemps considéré comme un outil, possède désormais des droits, et doit être respecté. Un chapitre est également consacré aux nouveaux médicaments que l’on peut extraire d’animaux marins ou terrestres (anticancéreux, antiviraux, anticoagulants, analgésiques, etc.). Les effets des espèces invasives sur l’environnement et des maladies vectorielles sur notre santé ne sont pas oubliés.

Biodiversité et évolution de l’homme (sortie prévue en 2017) C’est peut-être l’un des aspects les plus difficiles à appréhender dans cette collection, car notre propre espèce, Homo sapiens, fait partie de la biodiversité et elle est la seule à pouvoir en parler. Elle a donc la lourde charge d’inventorier XX

Avant-propos

les autres espèces, mais aussi de les respecter et de les protéger. L’ouvrage fait le point sur les dernières avancées en paléontologie humaine. Les grandes étapes du peuplement des continents et les origines de leurs populations y sont expliquées. Il montre les différents impacts de l’homme sur la biosphère. Avec bientôt neuf milliards d’humains à nourrir, le partage et la gestion des ressources, tout comme la préservation de la biodiversité seront les enjeux majeurs du futur. En moins de 10 000 ans, nous sommes devenus l’espèce qui menace toutes les autres et risque d’entraîner ce que l’on appelle déjà la sixième extinction.

Biodiversité et évolution du monde microbien Le monde microbien, inconnu il y a encore 150 ans, va connaître son essor grâce aux progrès de la microscopie et aux travaux de Louis Pasteur qui met fin au dogme de la génération spontanée. Une nouvelle science voit le jour, la microbiologie. Les microorganismes sont des éléments clés de la biodiversité et comportent à la fois des procaryotes et des eucaryotes. On les retrouve dans tous les milieux, même les plus hostiles. Ils sont à la base de nombreux processus écologiques et à l’origine de la majorité des maladies infectant l’homme, les animaux et les plantes. Ils font aussi partie de notre organisme en formant ce que l’on appelle le microbiote. Cet ouvrage dresse le panorama de ce réservoir énorme de diversité qui est encore mal connu. Il présente aussi les microorganismes utilisés comme producteurs de médicaments (antibiotiques, antifongiques, anticancéreux…).

Espèces invasives, bio-indicatrices et bioremédiatrices Ce cahier aborde trois sujets où la biodiversité est directement liée aux activités humaines. Chaque année, en France métropolitaine et dans les DOM-TOM, on assiste à l’installation d’espèces invasives animales ou végétales. Ces dernières, une fois installées dans une nouvelle niche écologique, tirent leur épingle du jeu et érodent la biodiversité. Les espèces bio-indicatrices sont souvent considérées comme des alliées de l’homme dans la surveillance et la préservation de la biodiversité. La présence, la diversité et la fluctuation de ces espèces sont des indicateurs des conditions environnementales locales et de l’état sanitaire de l’écosystème. Les espèces bioremédiatrices mobilisent différents acteurs du monde vivant,  tels que des microorganismes (bactéries, moisissures) ou des plantes pour décontaminer des milieux pollués (eaux usées, sols ou sédiments contaminés par des déchets industriels, agricoles ou pétroliers). Nous avons choisi une présentation enrichie de citations et abondamment illustrée pour faciliter la compréhension des différents thèmes développés dans ces cahiers. Certaines illustrations ont été volontairement simplifiées pour XXI

BIODIVERSITÉ ET ÉVOLUTION DU MONDE ANIMAL

aider à la compréhension du texte. Des encadrés illustrés par des pictogrammes présentent les définitions majeures. L’objectif de cette collection est aussi d’apporter au lecteur un panorama général du monde vivant et des notions de base qui lui permettront d’aller plus loin dans sa réflexion tout en suscitant sa curiosité et son esprit critique. Le monde vivant qui nous entoure ne doit pas être considéré comme une simple préoccupation réservée à des cercles restreints, il est l’affaire de tous et notre passeport pour le futur !

Définition généraliste

Définition dans le domaine de la zoologie

Définition dans le domaine de la taxonomie

XXII

Chapitre

« Dans la longue histoire du genre animal, ce sont ceux qui ont appris à collaborer et à improviser efficacement qui l’ont emporté » Charles Darwin (1809-1882), naturaliste

Introduction générale

Propithèque de Verreaux (d’après une photographie de Daniel Reisdorf).

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L’HOMME FACE AU MONDE ANIMAL « L’animal miroir de l’homme » Vouloir raconter le monde animal, c’est se placer devant un miroir et envisager les relations que nous entretenons avec ceux que nous appelons «  les animaux  », leur histoire étant intimement liée à la nôtre. Cette histoire est le témoin, depuis des millénaires, de nos rapports avec la nature et avec toutes ces « bêtes » qui nous ont précédés et sans lesquelles nous ne serions pas là pour raconter cette brève histoire. N’oublions pas que notre propre espèce, Homo sapiens n’a que 200 000 ans alors que les premiers animaux sont apparus il y a 700 à 800 millions d’années dans les océans. Ils ont explosé en une extraordinaire diversité de formes, avant d’entreprendre la conquête de la terre ferme il y a 420 millions d’années. Pendant des centaines de millions d’années, les animaux se sont passé des humains, et brusquement, nous avons surgi sur la scène du vivant. Avec l’acquisition de la bipédie, une fois nos membres supérieurs libérés de la fonction de locomotion, nous nous sommes crus les nouveaux maîtres des lieux. C’était sans compter sur certains moustiques qui ont ponctionné notre sang, ou les parasites qui nous ont rongés de l’intérieur, quand nous ne finissions pas sous la dent d’un prédateur. Doté d’une pensée, associée à un langage articulé, ce drôle d’animal humain a joué à l’apprenti sorcier en modifiant profondément son environnement. Depuis que la vie existe sur Terre, aucune autre espèce n’y était parvenue. Ivres de ce nouveau pouvoir, nous avons rompu les liens qui nous unissaient avec la nature. Avec nos règles, nos lois, nos dogmes, notre morale, nous avons dirigé la marche des espèces en oubliant que nous appartenions au même cycle biologique. Gardons bien en mémoire que nous ne pouvons pas nous passer des animaux alors que l’inverse n’est pas vrai. « Ils sont tout à la fois nos pères, nos frères, nos enfants, nos dieux, nos maîtres, nos esclaves » comme le cite Robert Delort dans Les animaux ont une histoire. Comme nous l’avons expliqué dans Biodiversité et évolution du monde vivant, il ne fait plus de doute, depuis Charles Darwin (1809-1882), que l’homme s’inscrit dans le processus global de l’évolution des espèces animales. Que cela plaise ou non aux adversaires de la Théorie de l’évolution, notre espèce, ainsi que nos cousins primates, sont tous issus d’un même ancêtre commun. Descendons de notre piédestal, observons-nous dans ce miroir, et nous y verrons que nos comportements ne sont pas loin de ceux que nous nommons animaux. Expliquer l’histoire du monde animal, c’est aussi expliquer notre histoire. À travers quelques exemples, certes un peu anecdotiques, mais représentatifs de l’approche transdisciplinaire de cette collection, nous allons essayer d’illustrer le caractère indissociable de l’homme et du monde animal. 2

Introduction générale

Le tardigrade invisible et immortel C’est en 1777 que le biologiste italien Lazzaro Spallanzani (1729-1799) découvre sous l’objectif de son microscope une bien étrange créature translucide. L’animal ressemble grossièrement à un petit ours doté de huit pattes griffues. Comme il se déplace lentement et de façon pataude sous son objectif, le naturaliste le qualifie «  marcheur lent  » (Tardigrada). Les tardigrades sont des invertébrés qui se sont adaptés à tous les écosystèmes de la planète. Ils ont une prédilection pour les zones humides des forêts et des toundras peuplées de mousses et de lichens, ces derniers constituant leur nourriture préférée. On les retrouve également dans le milieu marin jusqu’à 4  000  m de profondeur. Difficiles à classer, on a dû créer pour eux un embranchement zoologique à part entière : le phylum Tardigrada très proche de celui des arthropodes. Leur corps, long d’un millimètre en moyenne, est composé de cinq parties : une tête bien définie, et quatre segments dotés chacun d’une paire de pattes griffues. Leur anatomie et leur physiologie sont similaires à celles d’animaux plus gros. Leur corps est rempli d’un fluide au contact de toutes les cellules, assurant des échanges nutritifs et gazeux efficaces sans recours à un appareil circulatoire et respiratoire. Le tardigrade est eutélique, ce qui signifie qu’une fois adulte, le nombre de ses cellules va rester constant (on en compte environ un millier), elles augmentent alors leur volume pour permettre à l’organisme de grandir (Figure 1-1).

Figure 1-1 : Un tardigrade en imagerie 3D. 3

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Leur durée de vie normale est de l’ordre de quelques mois, mais ils sont capables d’arrêter leur métabolisme et de devenir ainsi presque « immortels » en entrant en état de stase (cryptobiose). Si les conditions se détériorent, ils replient leurs huit pattes, perdent 99  % de leur eau, et la remplacent par un sucre, le tréhalose, véritable antigel naturel qui protège leurs structures cellulaires. Ils s’entourent d’une boule de cire que l’on nomme tonnelet. À ce jour, on a réussi à les maintenir huit années en hibernation, puis les ramener à la vie. Mais leur fantastique résistance ne s’arrête pas là, ils sont capables de survivre à des températures extrêmes, à savoir - 273 °C soit quasiment le zéro absolu, aussi bien qu’à 150 °C. Ils résistent également au contact de gaz toxiques, comme le dioxyde de carbone ou l’hydrogène sulfuré. Les impressionnantes capacités de survie des tardigrades intéressent les astrobiologistes de la NASA et de l’Agence spatiale européenne, qui se sont interrogés sur une origine extraterrestre de ces créatures. On les a même emmenés dans l’espace, dans la station spatiale internationale, où ils ont été soumis à un rayonnement ultraviolet 1 000 fois supérieur à celui reçu sur Terre. Leur ADN s’en est trouvé altéré, mais certains ont survécu en parvenant à le régénérer  ! Décrypter ce mécanisme de résistance pourrait ouvrir de nouvelles perspectives thérapeutiques dans les traitements anticancéreux. Imaginons que nous soyons capables de réparer nos cellules à l’infini, nous deviendrions immortels comme les tardigrades  ! Les petits «  oursons d’eau  » nous réservent encore bien des surprises ! L’ours brun, l’éternel nounours «  Nul animal n’avait affaire dans ces lieux que l’ours habitait ; Si bien que, tout ours qu’il était, il vint à s’ennuyer de cette triste vie. » Jean de La Fontaine (1621-1695) Fables, VIII, 10

Parmi les animaux qui ont suscité nombre de mythes et légendes, l’ours arrive dans le peloton de tête. Qu’il soit brun, blanc, noir, à collier ou à lunettes, le plantigrade ne laisse personne indifférent. Depuis la douce peluche qui a veillé sur notre sommeil, aux éternelles polémiques de sa réintroduction dans son milieu naturel, en passant par les innombrables contes pour enfants, l’ours fait partie de notre vie. Il y a 30 000 ans, des hommes le dessinaient sur les parois de la grotte Chauvet dans l’Ardèche. Cette même grotte a livré des milliers d’ossements d’ours des cavernes (Ursus spelaeus) qui dressé sur ses pattes arrières, a griffé les murs à plus de 3,5 mètres de hauteur. On a même retrouvé un crâne, posé sur un rocher, ce qui a laissé penser à certains préhistoriens qu’il aurait existé un culte de l’ours. Les mythologies européennes sanctifient le plantigrade. Artémis, déesse de la chasse souvent qualifiée de « déesse aux ours », transforma en ours sa servante Callisto, ainsi que son fils Arcas, fruit des amours incestueux avec Zeus. Afin de 4

Introduction générale

les protéger des chasseurs, le roi des dieux changea Callisto en constellation de la Grande Ourse, tandis qu’Arcas devenait la Petite Ourse. Chez les Celtes, et les peuples germano-scandinaves, l’ours était un animal totem, symbole de force et de virilité. Jusqu’au Moyen Âge, l’ours était considéré comme le roi des animaux en Europe. La fin de son hibernation annonçait le retour du printemps, et le deux février, jour de la Chandeleur, est à l’origine une fête païenne, la fête du « Chant de l’ours », qui correspond à la sortie de sa tanière du plantigrade. Pour occulter cet événement, la chrétienté a inventé la « fête des Chandelles ». La tradition chrétienne va détrôner l’ours pour lui préférer le lion. En perdant ses lettres de noblesse, voici l’ours affublé de tous les péchés capitaux comme la luxure, la goinfrerie, la colère, l’envie et la paresse. Surnommé « Brun » dans le Roman de Renart, il apparaît comme un goinfre, aussi sot que maladroit. Il est la victime des facéties du goupil, avant de finir en quartiers dans le saloir d’un paysan. À cette époque, on représente souvent le Diable sous la forme d’un ours velu et griffu. La pression démographique, l’augmentation des terres cultivables et la déforestation, associées à l’ouverture de voies de communication vont réduire en peau de chagrin le territoire de l’ours brun (Ursus arctos) (Figure 1-2). Chassé en battue, il est considéré comme un « nuisible ». Si sa viande est appréciée sur les tables, c’est surtout sa graisse que l’on recherche pour préparer des pommades contre la douleur ou pour faire repousser les cheveux. Les populations sibériennes comme les Evenks, Toungouses, Samoyèdes ou Lakoutes pensent que l’ours possède une âme, et pour eux l’animal est sacré. Les chamanes dansent revêtus d’une peau d’ours pour atteindre le monde des esprits. Des capitales comme Berlin et Berne on fait de l’ours leur emblème.

Figure 1-2 : L’ours brun, tout un symbole. 5

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À la fin du xviiie siècle, l’ours brun disparaît des Vosges, vers 1860, c’est au tour de l’Auvergne et du Jura. Dans les Alpes, le dernier spécimen est abattu en 1940 dans le Vercors. Bientôt, il ne lui restera plus que les Pyrénées comme sanctuaire. L’ours y déchaîne alors toutes les passions, entre les bergers qui veulent sa peau et les associations de protection de la nature, qui œuvrent pour sa sauvegarde. Bien que l’animal soit protégé par arrêté ministériel, en 1995, il ne restait plus que six individus. Un programme de réintroduction est engagé en 1996 avec des ours originaires de Slovénie. Son retour a souvent provoqué des remous dans l’opinion publique : les populations locales ont dû réapprendre à vivre et cohabiter avec lui. Il reste environ 50 000 à 60 000 ours bruns en Europe, répartis très inégalement sur l’ensemble du territoire : la situation varie en effet dans chaque pays, en fonction de son histoire et des politiques menées. Nous ne pouvions oublier l’ours en peluche, jouet incontournable des petits et des grands, qui se vend toujours aussi bien au moment des fêtes de Noël. Inventé simultanément en 1903 en Allemagne et aux États-Unis, le « nounours » reste la star des peluches, et il veillera encore longtemps sur notre sommeil  ! L’enfant trouve en lui son premier compagnon, son confident, son ange gardien. L’ours retrouve son rôle de protecteur comme dans les sociétés primitives. Une belle revanche sur les hommes qui l’avaient banni ! (Figure 1-3).

Figure 1-3 : L’enfant et son nounours. 6

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La baleine et le mythe de Jonas « Et dieu parla du poisson. Et du fin fond du froid et des profondeurs noires, la baleine remonta vers les agréments du Soleil et vers les délices de l’air et de la terre. Et elle vomit Jonas sur la terre sèche. » Herman Melville (1819-1891), écrivain, Moby Dick, 1851

Qui ne connaît pas Moby Dick, l’incontournable et monumental roman de l’écrivain américain Herman Melville (1819-1891) où un monstrueux cachalot blanc, incarnation du mal, est poursuivi dans une chasse folle, par un capitaine monomaniaque (Figure 1-4).

Figure 1-4 : La tragique fin du capitaine Achab.

La taille gigantesque des baleines a depuis toujours fasciné l’homme. Surnommée «  grand poisson  », «  Léviathan  », «  souffleur  », «  monstre marin  », «  baleine du Diable », ce cétacé dont on connaît très mal le mode de vie est entouré de mythes et de légendes. Le fantastique se mêle si bien à la peur, qu’elle devient une hantise chez les marins, le mot « baleine » devient tabou et il est interdit de le prononcer sous peine de terribles sanctions. On l’a dit cruelle et attirée par la chair humaine.

Poisson ou mammifère ? C’est dans la Bible que l’on trouve un premier récit, avec l’infortuné Jonas, jeté à la mer par les marins pour calmer une tempête qui menace leur embarcation. 7

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Avalé par un grand poisson, Jonas est régurgité trois jours plus tard sur la berge. Dans d’autres textes, la Bible évoque un monstre marin, le Léviathan qui fait bouillonner les abysses. Le naturaliste Pline l’Ancien (23-79), dans son Histoire naturelle, évoque un énorme poisson appelé Physeter (pour le «  souffleur» en grec, ancien nom du cachalot), et qui hante l’océan des Gaules. Dans la mythologie grecque, la princesse Andromède attachée à un rocher et offerte au monstre marin, est sauvée in extremis par Persée. Un récit scandinave du xiiie siècle, le Speculum regale, décrit diverses espèces de cétacés vivant dans les mers autour de l’Islande. Les baleines y côtoient l’orque ou le narval qui y sont décrits comme de monstrueux poissons. Il faudra attendre le xvie siècle pour que les scientifiques établissent la vraie nature des cétacés. Comme l’avait proposé Aristote (- 384, - 322), il s’agit de mammifères. Le naturaliste suédois Carl Linné (1707-1778) les rangera à la classe des mammifères dans son Systema naturae. Au xixe siècle, le paléontologiste français Georges Cuvier (1769-1832) décrit la baleine comme «  un mammifère sans jambes arrière  ». En reconstituant leurs squelettes dans les musées, on s’interroge sur leur anatomie qui laisse à penser qu’ils descendent d’ancêtres terrestres. L’évolution des cétacés est décrite dans le chapitre III consacré à l’évolution.

La baleine bleue, reine de tous les records La baleine bleue (Balaenoptera musculus), appelée aussi grand rorqual bleu, est une espèce de mammifère marin appartenant au sous-ordre des baleines à fanons encore appelées mysticètes. Selon l’état de nos connaissances actuelles, c’est le plus gros animal ayant vécu sur Terre avec ses 30 mètres de long pour un poids de 170 tonnes. Par comparaison, les dinosaures sauropodes géants découverts en Amérique du Sud comme l’Argentinosaurus accusent « seulement » 70 à 80 tonnes sur la balance ! Ce cétacé se nourrit exclusivement de krill, un terme générique qui regroupe des petites crevettes des eaux froides. Les mâchoires qui peuvent dépasser les sept mètres, sont les plus longues du règne animal. Elles permettent à la baleine bleue d’absorber quatre tonnes de nourriture par jour. Le baleineau à sa naissance pèse déjà deux tonnes pour une longueur de sept mètres. Il absorbe au quotidien 500 litres du lait maternel le plus riche au monde, ce qui lui permet de grossir de 100 kilogrammes par jour. La baleine bleue émet des sons à basses fréquences pouvant atteindre 180 décibels, et capables de se propager sur des centaines, voir des milliers de kilomètres. Aucun autre animal n’est doté d’un organe plus sonore (Figure 1-5). C’est au Moyen Âge, le long de la côte basque, que la chasse aux grands cétacés trouve ses origines en Europe. Chaque saison, des baleines venaient mettre bas dans le golfe de Biscaye. On utilisait de frêles chaloupes pour les harponner et les ramener à la côte afin de les dépecer. La raréfaction des prises va, dès le xvie siècle, entraîner les chasseurs à partir en mer de plus en plus 8

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Figure 1-5 : Rorqual bleu et son baleineau.

loin, jusqu’au Groenland, sur des voiliers chargés de tonneaux, où l’on stocke la graisse fondue (27 tonnes pour un rorqual de 25 mètres). La viande de baleine est alors un mets très apprécié à la table royale. Au xixe siècle, les voiliers sont supplantés par des navires à vapeur, équipés pour poursuivre les cétacés et les tuer à l’aide d’un canon lance-harpon. L’huile de baleine sert alors à éclairer les rues de Paris et des grandes villes d’Europe. Le déclin de l’espèce est en route, il va s’accélérer avec les navires-usines du xxe siècle. On utilise les fanons pour confectionner les armatures des corsets ou des parapluies (c’est l’origine de l’expression « baleine de parapluie » issu du mot « baleen », traduction de « fanon » en anglais.) Le collagène des os est recyclé pour fabriquer des films photographiques. La savonnerie et les cosmétiques utilisent les sous-produits. Ces prélèvements excessifs ont fait chuter les populations jusqu’au bord de l’extinction, avant que sa chasse ne soit interdite en 1966. Certains estiment que 400 000 spécimens ont été abattus. Aujourd’hui, il resterait moins de 10 000 individus, ce qui en fait une espèce menacée. Une Commission baleinière internationale (CBI) a bien été créée par la Convention de Washington (1946), dans un contexte de surexploitation des grands cétacés, mais des pays comme le Japon, la Norvège ou l’Islande ne cessent de contourner les décisions, tout comme les moratoires. Depuis 1986, elle est interdite par un moratoire international. Mais trois pays continuent de chasser les cétacés : la Norvège, l’Islande et le Japon. Equus caballus, la plus noble conquête de l’homme La nature est plus belle que l’art. Les chevaux sauvages ont « ce que donne la nature, la force et la noblesse ; les autres n’ont que ce que l’art peut donner, l’adresse et l’agrément. » Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon (1707-1788), l’Histoire naturelle, tome quatrième, 1753

De toutes les espèces domestiquées, le cheval (Equus caballus) est sûrement celle qui a fait couler le plus d’encre. L’homme en a fait sa plus noble conquête 9

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comme le cite Buffon (1707-1788) dans son Histoire naturelle. Depuis l’Antiquité, cet animal est auréolé de prestige. Il a accompagné l’homme partout sur le globe au cours de ses batailles ou de ses voyages. En 1519, Hernán Cortés (1485-1547) débarque au Mexique avec seulement seize chevaux. Ces animaux avec leurs cavaliers vont terroriser les populations Aztèques qui ne connaissent pas cet animal. La fascination est à la hauteur de l’enjeu, ces « monstres » ne peuvent être que des dieux qui se séparent en deux nouvelles créatures lorsque le cavalier en armure brillante descend de sa monture (Figure 1-6).

Figure 1-6 : Alexandre le Grand sur son cheval Bucéphale à la bataille d’Issos.

L’arbre évolutif des équidés prend ses racines en Amérique du Nord, il y a 53-55 millions d’années pendant l’Éocène. Les premiers représentants n’étaient guère plus grands qu’un renard. Équipés de quatre doigts à la patte antérieure et de trois à la postérieure, ces petits mammifères broutaient les feuilles des arbres (cf. « Biodiversité et évolution du monde vivant », chez le même éditeur). Leur arbre évolutif est si buissonnant que l’on ne saura jamais combien de lignées d’équidés ont prospéré au Nouveau Monde. On a déjà dénombré pas moins de seize espèces qui se côtoyaient il y a 15 millions d’années. Parmi elles, on note la présence d’un micro-cheval, Nannihippus de la taille d’une gazelle et apparu il y a dix millions d’années, pour disparaître il y a deux millions d’années. Il a donc cohabité avec Equus (le cheval actuel) apparu il y a quatre millions d’années. Equus va traverser le détroit de Béring asséché (la Béringie), il y a 700 000 ans pour se répandre en Asie, puis en Europe au Pléistocène. Il va se diversifier en espèces aussi variées que l’hémione, le zèbre, le tarpan, le cheval de Prjevalski 10

Introduction générale

ou le cheval domestique (Equus caballus). Nous n’avons que peu d’informations sur la manière dont cette spéciation s’est faite. Comme le cite le paléontologue Stephen Jay Gould (1941-2002) dans L’éventail du vivant  : que resterait-il de notre glorieuse histoire de chevaux si Nannihippus avais survécu et qu’Equus fût mort  ? La réponse est simple, Il faudrait récrire toute l’histoire de l’humanité, exit les conquêtes d’Alexandre le Grand, de Gengis Khan ou de Tamerlan ! Dans ce scénario d’histoire fiction, les centaures, Pégase, le cheval de Troie, les quatre cavaliers de l’Apocalypse n’ont jamais existé. Le cheval vapeur, unité du système international est à changer et votre carte grise devient obsolète, faute de cheval fiscal. Quand à Henri IV, privé de son destrier blanc, il redevient un simple piéton sur le Pont-Neuf !

Figure 1-7 : Les chevaux fossiles de la grotte Chauvet et le cheval de Prjevalski.

Les équidés semblent avoir fasciné nos ancêtres comme en témoignent les peintures rupestres de la grotte Chauvet (30 000 ans), de Lascaux (27 000 ans) ou de Niaux (13 000 ans) où l’on peut voir évoluer des chevaux sauvages fossiles (Equus gallicus). Ces animaux devaient être chassés pour leur viande au moment de leur migration. Leur museau court indique une adaptation au froid, et l’étude des os montre que cet équidé était un médiocre coureur. Il s’agissait d’un animal trapu, robuste, plus petit que notre cheval actuel, avec une taille de 1,50 mètre au garrot. Il devait ressembler à un poney Fjord. Nous sommes loin d’un coursier d’hippodrome ! D’autres espèces de chevaux sauvages parcouraient les steppes quand le climat a commencé à se réchauffer il y a 12  000 ans  : le cheval de Prjevalski (Equus przewalskii) en Asie et le Tarpan (Equus ferus) en Europe centrale. Ce dernier s’est éteint en 1889, et le cheval de Prjevalski au bord de l’extinction, 11

BIODIVERSITÉ ET ÉVOLUTION DU MONDE ANIMAL

provient d’une quinzaine de reproducteurs capturés au début du xxe siècle, métissés avec des chevaux modernes dans les parcs zoologiques, et réintroduits en milieu naturel. Le modèle du cheval de Prjevalski extrêmement bien adapté à la course sur sol dur, dans un environnement de steppes ne colle pas avec les représentations rupestres, la génétique fait remonter ses origines à plus de 300 000 ans. Il n’est donc pas l’ancêtre des premiers chevaux domestiques et leur véritable origine est encore sujette à controverse. Certains auteurs pensent que les chevaux n’auraient pas survécu sans leur rencontre avec les hommes qui les ont domestiqués, il y a environ 5 000 ans dans les steppes du Kazakhstan sur le site de Botaï. Les chevaux de Botaï ressemblent tout à fait aux chevaux sauvages de l’ère glaciaire, dont on a retrouvé les restes fossilisés. Selon, Véra Eisenmann, paléontologue au Muséum national d’Histoire naturelle, les plus anciennes traces de domestication sont des chariots inhumés dans les steppes de l’Oural, il y a environ 4 000 ans. 500 ans plus tard, les témoignages de domestication abondent au Moyen-Orient ou en Égypte. L’ornithorynque, chimère, canular zoologique ou créature composite ? Dans les enluminures du Moyen Âge, on trouve tout un bestiaire de monstres, de créatures fantastiques et de chimères auprès desquelles l’ornithorynque (Ornithorhynchus anatinus) pourrait figurer en bonne place. À l’époque de sa découverte, les chimères faisaient recette sur les champs de foire, à l’instar des monstres des freak shows de Phineas Barnum (1810-1891) au milieu du xixe siècle. Imaginez la stupeur du zoologiste britannique George Kearsley Shaw (1751 -1813) lorsqu’il a ouvert dans son laboratoire de Londres en 1798, un paquet en provenance d’Australie (Nouvelle-Galles du Sud) renfermant la peau naturalisée et les croquis d’un bien étrange animal. Si l’envoi n’avait pas porté le sceau du gouverneur de cette province, il aurait pu penser à une mauvaise farce ou se dire que le Créateur avait de l’humour. Le spécimen était ahurissant : s’agissaitil d’un castor doté d’un bec de canard, ou d’un canard exhibant une queue de castor ? Shaw, armé d’un scalpel chercha en vain des traces de couture au niveau du bec ou de la queue, il dut se rendre à l’évidence, il ne s’agissait pas d’une contrefaçon. Pourtant, un mammifère à bec de canard restait une anomalie de la nature. Shaw en fera une première description dans Naturalist’s Miscellany en 1799. Pour pimenter le sujet, Georges Cuvier (1769-1832) découvrira quelques années plus tard, qu’il s’agit d’un mammifère capable de pondre des œufs  ! Baptisé ornithorynque, il a fallut créer un nouvel ordre chez les mammifères, celui des Monotrèmes (Figure 1-8). Examinons l’ornithorynque  : de la taille d’un chat, il a l’apparence d’une loutre par son épaisse fourrure dense et ses pieds palmés, équipés de puissantes griffes. Cela permet à cette espèce semi-aquatique de se déplacer dans l’eau, 12

Introduction générale

sur un sol vaseux, ou de se hisser sur les berges pour y creuser des terriers. Sur le sol, il est plutôt maladroit, avec une démarche de lézard : les pattes étant situées sur les côtés du corps, au lieu d’être en dessous comme chez les autres mammifères. Chez les mâles, les pattes arrières sont équipées d’un ergot capable de secréter un venin dangereux, ce qui en fait l’un des rares mammifères venimeux (cf. Chapitre V de cet ouvrage). L’ornithorynque est un carnivore nocturne qui se nourrit de vers, de larves, d’insectes, de crustacés et de petits poissons. Comme il ferme hermétiquement ses yeux et ses oreilles quand il nage, il doit donc utiliser un système particulier pour capturer ses proies  : l’électrolocalisation. L’électrolocalisation est la capacité à localiser les proies en détectant le champ électrique produit par leurs contractions musculaires ; cette capacité est uniquement connue chez les Monotrèmes et chez les requins. Nous terminerons par son mode de reproduction qui ne manque pas d’originalité. Après l’accouplement qui se déroule dans l’eau, la femelle couve pendant une dizaine de jours. Les bébés éclosent nus et aveugles. Ils sont nourris par le lait qui suinte le long des poils du ventre de la femelle, cette dernière ne possédant pas de mamelles. Le séquençage de son génome a été l’objet d’un article de la revue Nature en mai 2008. Les analyses génétiques ont permis d’établir que les monotrèmes s’étaient séparés plus tôt (il y a environ 166 millions d’années) des autres mammifères, placentaires et marsupiaux, qui se sont eux-mêmes séparés il y a 148 millions d’années.

Figure 1-8 : Un ornithorynque.

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Chapitre

«  Si l’homme veut bien changer son regard sur son approche de la nature, il découvrira qu’elle peut recevoir tous les prix de l’innovation et qu’il suffit de lire en elle pour apprendre et innover. La nature serait-elle éligible au prix Nobel  ? À chacun de nous de savoir y puiser la connaissance. Si nous le faisons, il n’y aura plus de collision entre croissance et nature. » Idriss ABERKANE, professeur chargé de cours à Centrale-Supélec

Le monde fascinant des animaux

Tout le vivant est en nous . . . . . . . . . . . . . . 16

Espèces découvertes ou redécouvertes . . . 36

Particularités du monde animal . . . . . . . . . . 17

Espèces en danger, espèces menacées, vers la sixième extinction . . . . . . . . . . . . 38

Importance des animaux dans la biosphère 23 Bilan des espèces animales recensées, la bibliothèque du vivant . . . . . . . . . . . . . 28 Le « Guinness des records » du monde animal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33

Les animaux dans l’histoire . . . . . . . . . . . . . . 47 Éléments de bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . 68

BIODIVERSITÉ ET ÉVOLUTION DU MONDE ANIMAL

TOUT LE VIVANT EST EN NOUS « Dieu dit : Que la Terre produise des animaux vivants selon leur espèce, du bétail, des reptiles et des animaux terrestres, selon leur espèce. Et cela fut ainsi. » Genèse 1-24 «  Dieu fit les animaux de la Terre selon leur espèce, le bétail selon son espèce, et tous les reptiles de la Terre selon leur espèce. Dieu vit que cela était bon. » Genèse 1-25 « Puis Dieu dit : Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la Terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la Terre. » Genèse 1-26

Selon la Genèse (premier livre de la Bible), au cinquième jour, Dieu après avoir créé le ciel, la Terre, les plantes, se préoccupa d’installer les espèces animales, sauvages et domestiques. Il ne restait plus qu’à y placer l’homme à qui il a confié la responsabilité de donner un nom à toutes les créatures. L’évolution des animaux semble avoir suivi ce «  schéma directeur  », les plantes ont bien précédé les animaux dans la conquête des continents. Pour la suite de notre histoire, c’est une question d’échelle de temps, ou l’unité ne se compte plus en jours mais en millions d’années. Notre espèce est une des dernières à fouler ce « jardin d’Éden » dont elle a maintenant la lourde responsabilité. Vous est-il arrivé de vous poser la question du nombre de gènes que vous partagiez avec le ver de terre que vous venez de trouver en bêchant votre jardin ? Même si de prime abord, nous n’avons rien en commun, nous descendons pourtant tous d’un ancêtre commun et nous partageons tout de même 35  % de nos gènes avec cet annélide. Avec une abeille domestique, le chiffre passe à 45  %, et à 85  % avec le toutou qui partage notre vie. En revanche, comme nous l’avions développé dans le premier cahier, nous partageons plus de 98 % de notre génome avec notre cousin chimpanzé. Tous les animaux, les champignons et les plantes descendent d’un ancêtre commun qui remonte à près de 1,5 milliard d’années. Chaque lignée des descendants de ce progéniteur a conservé quelques spécificités de son génome. Tout le vivant est en nous, car nous partageons tous un héritage commun qui devrait nous laisser humble (Figure 2-1). 16

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Figure 2-1 : Pourcentages de gènes en commun entre l’homme, le chimpanzé, le chien, l’abeille et le ver de terre.

Si nous ne ressemblons plus beaucoup au lombric, c’est que nous utilisons différemment les gènes que nous avons en commun. Nous allons vous montrer dans les pages qui suivent l’extraordinaire richesse du monde animal.

PARTICULARITÉS DU MONDE ANIMAL Expliquez-moi les animaux Animal (du latin anima, principe vital) : être vivant organisé, doué de sensibilité, capable de se déplacer et n’ayant ni chlorophylle ni paroi cellulosique. Cette définition zoologique, certes un peu basique, est celle que l’on retrouve le plus fréquemment dans les dictionnaires. Si le terme « animal » nous semble facile à définir à première vue, il n’en est cependant rien. Souvent utilisé pour distinguer les humains du reste du monde animal, on parle souvent de «  bêtes  » pour qualifier les animaux. Il est aussi utilisé de façon péjorative pour qualifier un humain qui se comporte de façon bestiale (comportement brutal). Gardons en mémoire que d’un point de vue évolutif et biologique, nous appartenons au règne animal, ce qui devrait nous inciter à plus de modestie. La science qui étudie les animaux se nomme la zoologie. Nous allons voir que les animaux se définissent par leur structure, leur mode de nutrition et 17

BIODIVERSITÉ ET ÉVOLUTION DU MONDE ANIMAL

leur développement. Les animaux sont des organismes vivants Eucaryotes*, pluricellulaires et hétérotrophes* contrairement aux plantes et aux algues qui utilisent un mode de nutrition autotrophe. Comme nous l’avons expliqué dans le premier cahier Biodiversité et évolution du monde vivant, la cellule eucaryote provient très vraisemblablement de la phagocytose de protéobactéries et de cyanobactéries par une cellule hôte eucaryote primitive. Ce phénomène appelé endosymbiose serait à l’origine des mitochondries (impliquées dans la respiration et le métabolisme) et des chloroplastes (siège de la photosynthèse) retrouvées chez les eucaryotes végétaux actuels (Figure 2-2).

Figure 2-2 : Évolution de la cellule eucaryote par des endosymbioses successives.

Tous les animaux descendent de cet organisme ancestral qui aurait réalisé la première endosymbiose avec une bactérie hétérotrophe aérobie. Il restait encore une grande étape à franchir, celle de la vie pluricellulaire. Ces organismes appelés métazoaires* sont apparus entre un milliard et 600 millions d’années dans le milieu marin. Les métazoaires regroupent plus d’un million d’espèces décrites à ce jour, et réparties dans tous les milieux, y compris les plus inhospitaliers, comme les fonds abyssaux, les pôles ou les déserts. On admet aujourd’hui que le règne animal est monophylétique, c’est-à-dire que toutes les lignées DÉFINITIONS Eucaryote Ensemble des organismes unicellulaires ou multicellulaires présentant un noyau délimité par une enveloppe, ainsi que des organites, mitochondries, appareil de Golgi, réticulum… Le matériel génétique est porté par plusieurs chromosomes.

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Hétérotrophe Ce terme qualifie un organisme incapable de synthétiser lui-même ses composants et qui recourt donc à des sources de matières organiques exogènes. Les animaux, les champignons et la plupart des bactéries sont hétérotrophes. Par opposition aux végétaux qui sont autotrophes.

Le monde fascinant des animaux DÉFINITION Métazoaires (Metazoa) Le terme de métazoaire (du grec meta « après » et zõon « animal »), par opposition aux protozoaires qui sont unicellulaires, désigne des organismes pluricellulaires, eucaryotes, mobiles et hétérotrophes. Le taxon des métazoaires est considéré comme un groupe monophylétique et correspond aux animaux (Animalia). Les métazoaires regroupent environ 35 embranchements.

animales sont issues d’un même ancêtre. À ce jour, environ 1 200 000 espèces de métazoaires ont été décrites. Si on y trouve de nombreuses espèces d’intérêt agronomique ou médical, ainsi que de l’espèce humaine, il ne s’agit là que d’une fraction infime de la biodiversité. Les animaux utilisent l’ingestion comme principal mode de nutrition. Les animaux aquatiques filtrent les aliments aux niveaux de leurs branchies (huitres) ou de leurs fanons (baleines). Des insectes comme les pucerons ou les punaises aspirent leurs aliments, de la même façon qu’un colibri qui se nourrit de nectar. La plupart du temps, l’ingestion se fait en vrac par absorption de gros morceaux de nourriture ou d’organismes entiers, grâce à des structures anatomiques spécialisées, comme les mâchoires, dents, pinces, crochets pour tuer et déchiqueter la nourriture. Certains animaux vivent même à l’intérieur de leur nourriture comme les chenilles, les lombrics ou des vers parasites comme le ténia. Les animaux sont donc tributaires d’un flux régulier de composés organiques (glucides, lipides, protides). Ces nutriments proviennent d’autres organismes (animaux, plantes, champignons, protozoaires, bactéries, matières organiques en décomposition…). À la différence des cellules végétales et des cellules de champignons, les cellules animales ne sont pas entourées par une paroi cellulaire qui renforce leur structure comme la cellulose et la paroi pecto-cellulosique chez les plantes ou la chitine chez les champignons. Leur taille et leur forme varie selon la fonction, mais on n’y retrouve pas de vacuole ou de plaste. En revanche, les cellules animales sont soudées par des protéines structurales dont la plus commune est le collagène (Figure 2-3). Il s’agit de la protéine la plus abondante du règne animal. De nature fibrillaire, elle est présente dans la matrice extracellulaire et peut représenter un quart de la masse protéique d’un mammifère. L’hydrolyse du collagène est à la base de la préparation de la gélatine alimentaire. Une autre caractéristique propre au monde animal est la capacité à synthétiser et stocker le glycogène comme source d’énergie. Il s’agit d’un polymère de glucose qui joue le même rôle que l’amidon chez les plantes. Il est stocké dans le foie ou les muscles chez les vertébrés, l’hépatopancréas chez différents invertébrés et les insectes. Une autre particularité des animaux est la présence d’un tissu nerveux (conduction d’influx nerveux) et d’un tissu musculaire (mouvement). 19

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Figure 2-3 : Comparaison entre une cellule végétale (A) et une cellule animale (B).

Les animaux sont aussi caractérisés, pour une grande partie, par une reproduction sexuée. Chez la majorité des espèces, un petit spermatozoïde flagellé et mobile féconde un ovule volumineux et immobile. Cela donne un zygote diploïde qui va subir une série de divisions mitotiques (segmentation) pour aboutir à un stade multicellulaire appelé blastula, ayant la forme d’une sphère creuse. Arrive ensuite l’étape de gastrulation, pendant laquelle se forment les tissus embryonnaires destinés à constituer les futurs tissus de l’organisme adulte.

Les premiers métazoaires et l’horloge moléculaire Les éponges sont les métazoaires les plus simples que l’on connaisse à ce jour. La comparaison des séquences de gènes (phylogénie moléculaire), grâce à l’utilisation de l’horloge moléculaire* a permis de reconstruire l’histoire évolutive des animaux. La séparation entre plantes, animaux et champignons remonte à plus d’un milliard d’années et s’est produite dans le milieu marin. On admet aujourd’hui que le règne animal est monophylétique, c’est-à-dire que toutes les lignées animales sont issues d’un même ancêtre. La date d’apparition DÉFINITION Horloge moléculaire Cette méthode permet de dater la distance temporelle qui sépare deux espèces et de remonter à leur ancêtre commun. Elle se base sur le nombre de mutations survenues dans le génome, qui se produisent à une vitesse à peu près constante au cours des temps géologiques. Pour exemple, le principe de l’horloge moléculaire appliqué à la séparation entre la lignée des humains et des chimpanzés, donne une distance génétique estimée entre cinq et sept millions d’années

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exacte des premiers animaux est toujours l’objet de vifs débats. On a trouvé en Namibie des microfossiles d’une éponge, Otavia antiqua, de la taille d’un grain de sable et datées de 760 millions d’années. Cette découverte a fait reculer de 150 millions d’années la date d’apparition des premiers animaux. Cela correspond à la période où la Terre était entièrement recouverte de glace (Terre boule de neige). Otavia devait se nourrir de bactéries et d’algues. La théorie la plus communément admise aujourd’hui est que les métazoaires descendraient de colonies d’eucaryotes à flagelles. Le manque de fossiles pertinents a conduit les chercheurs à étudier des organismes primitifs existants. Nos éponges actuelles corroborent parfaitement cette hypothèse : elles sont constituées d’un amas simple de cellules agglomérées entre elles par des fibres de collagène, parmi lesquelles on trouve des cellules endodermiques à un flagelle, appelées Choanocytes (le flagelle ou fouet permet de rabattre les aliments). Ces dernières ressemblent beaucoup à des cellules eucaryotes mono-flagellées de protistes, appelées Choanoflagellés. Ces protistes minuscules sont formés d’un seul flagelle entouré d’un collier contractile et posés sur un pédoncule (Figure  2-4). Ils se nourrissent par phagocytose de bactéries et sont considérés comme étant les plus proches parents vivants des premiers animaux. Ces organismes vivent en milieu marin, dans les lacs et les étangs avec une répartition mondiale. Ils peuvent être planctoniques ou fixés sur des algues. L’étroite relation entre les Choanoflagellés et les animaux a été confirmée par la grande homologie du récepteur à la tyrosine kinase des Choanoflagellés et des éponges (ce récepteur est impliqué dans le mécanisme de phosphorylation).

Cellule individuelle

Pédoncule

Figure 2-4 : Colonie de Choanoflagellés actuels. 21

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Figure 2-5 : Hypothèse de l’évolution des premiers animaux à partir de protistes flagellés.

Ce type d’organisme primitif se serait ensuite transformé en un animal aux cellules spécialisées, disposées en deux ou trois feuillets (Figure 2-5). La classification des animaux en plein bouleversement L’ancienne classification classique ou traditionnelle reposait sur des critères de ressemblance morphologiques, anatomiques et embryonnaires des animaux. L’arrivée de la systématique moléculaire depuis une trentaine d’années a remis en cause bon nombre de relations phylogéniques que l’on croyait immuables. La classification phylogénétique remplace désormais la classification traditionnelle qui ne reflétait pas correctement les proximités évolutives entre espèces. La classification phylogénétique est un système de classification des êtres vivants, qui a pour objectif de rendre compte des degrés de parenté entre les espèces et permet donc de comprendre leur histoire évolutive (phylogénie). Elle est fondée sur de nouvelles connaissances scientifiques en anatomie comparée, en embryologie, en biochimie, en biologie moléculaire, en génétique et même en paléontologie. Ce sont les gènes de l’ARN ribosomique 18S qui sont les plus fréquemment utilisés par les analyses phylogénétiques et pour reconstruire l’histoire évolutive des animaux. Actuellement, on reconnaît l’existence, selon les auteurs, de 35 ou 36 phyla (pluriel de phylum), anciennement appelés embranchements, dont plusieurs ne comportent que peu d’espèces souvent méconnues du public (espèces marines de très petite taille, parasites…). Certains phyla ne comportent même qu’une seule espèce, alors que d’autres comme les arthropodes sont riches de plus d’un million d’espèces. Résultat, l’arbre phylogénétique du monde animal (nous devrions dire les arbres phylogénétiques) est en plein bouleversement. La phylogénie n’étant pas une science immuable, nous risquions de publier une version 22

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déjà obsolète, au risque de mécontenter certains et de frustrer les autres. Nous avons choisi de présenter de la façon la plus simple et la plus synthétique, la place des animaux dans le monde vivant pour rester en harmonie avec le précédent ouvrage de la collection (Figure 2-6). Pour ceux qui veulent aller plus loin dans ce domaine, nous conseillons au lecteur la Classification phylogénétique du vivant, aux éditions Belin, de Guillaume Lecointre et Hervé Le Guyader qui reste la référence en matière de classification.

Figure 2-6 : Place des animaux dans le règne vivant.

IMPORTANCE DES ANIMAUX DANS LA BIOSPHÈRE Les chaînes trophiques Les animaux sont présents dans la plupart des écosystèmes, depuis le simple tardigrade de 500 micromètres, jusqu’au rorqual bleu qui peut dépasser les 30 mètres, en passant par les vers tubicoles des abysses et les manchots de l’Antarctique. L’étude de la distribution spatiale de la biodiversité est une étape préliminaire à la compréhension de ses déterminants et par la suite à la planification de sa conservation. Pour étudier la dynamique et la répartition des populations animales, il faut tout d’abord se baser sur la productivité primaire qui est la somme des biomasses 23

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fabriquées par l’ensemble des organismes chlorophylliens autotrophes, en un lieu donné, par unité de surface et par unité de temps (par exemple en tonnes de carbone par hectare et par an). Les deux principaux producteurs primaires sont le phytoplancton des océans et les forêts. La productivité primaire d’un désert sera donc très faible comparée à celle d’une lagune. Les organismes chlorophylliens n’ont besoin pour se nourrir que de matière minérale : dioxyde de carbone, eau et sels minéraux. Ils produisent de la matière organique à condition de recevoir de la lumière par le biais de la photosynthèse. Tous les autres êtres vivants sont des producteurs secondaires. Ils se nourrissent toujours de matière minérale et de matière organique provenant d’autres êtres vivants. Les animaux ont des régimes alimentaires différents suivant la nature de leurs besoins. Les ressources végétales sont consommées par des animaux phytophages hétérotrophes. Ces animaux phytophages sont ensuite consommés par les animaux zoophages, de niveau trophique supérieur. Il ne faut pas oublier les animaux détritivores ou décomposeurs qui jouent un rôle important dans la circulation du carbone et de l’azote. Les relations alimentaires entre les êtres vivants d’un milieu sont organisées en chaînes alimentaires. Dans ce même milieu, plusieurs chaînes alimentaires s’entrecroisent pour former un réseau alimentaire. Ainsi chaque maillon du réseau peut faire partie de plusieurs chaînes différentes. L’ensemble de ces chaînes alimentaires forme des réseaux trophiques*. Répartition de la biodiversité animale dans les océans Le plancton est à la base de nombreux réseaux trophiques. Le mot plancton qui signifie «  errant  », désigne tout organisme microscopique dérivant au gré des courants. Il est constitué de phytoplancton et de zooplancton. Le phytoplancton (producteur primaire) est à l’origine de la moitié de la matière organique produite sur Terre. Il est constitué d’organismes en suspension, incapables de lutter contre le courant (bactéries, algues unicellulaires, diatomées, dinophycées) qui sont consommés par le zooplancton phytophage (protozoaires, crustacés copépodes,) qui à son tour est mangé par le zooplancton zoophage (larves de méduses, de crustacés, d’échinodermes ou de mollusques). DÉFINITION Réseaux trophiques Ce terme désigne l’ensemble des chaînes alimentaires qui relient les organismes dans un écosystème et dans lesquelles l’énergie et la matière circulent. Certains êtres vivants peuvent appartenir à plusieurs chaînes alimentaires et à plusieurs niveaux trophiques. On y distingue les producteurs, les consommateurs et les décomposeurs (détritivores) entre lesquels on observe des échanges de carbone ou d’azote.

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Parmi les animaux pluricellulaires du zooplancton les plus représentés, on trouve les crustacés, tant en nombre d’espèces, qu’en termes de biomasse. Ils peuvent représenter jusqu’à 70 à 90 % de la masse totale. Si les crustacés copépodes (Figure 2-7) dominent la biomasse, on rencontre aussi de petits crustacés euphausiacées à l’allure de petites crevettes (10 à 40  mm) et pourvus d’organes lumineux. Ils constituent le krill. La production annuelle moyenne de krill est de l’ordre de 0,6 à 1,5 milliards de tonnes. On trouve aussi des méduses, des siphonophores, ainsi que des larves de crabes ou d’oursins qui mènent une vie pélagique en attendant que l’augmentation de leur poids ne les fasse retomber par effet de gravité sur le fond marin pour mener une vie benthique.

Figure 2-7 : Quelques représentants typiques du zooplancton : crustacé copépode (A), larve d’oursin (B), méduse (C).

Le plancton est donc le maillon clé des réseaux trophiques marins. Il représente une source de nourriture aussi bien pour des organismes fixés comme les coraux, que pour le requin-baleine ou la baleine, le plus gros locataire des lieux. Le plancton en péril « Les effets combinés de la pêche, de la détérioration des habitats, de la pollution et du changement climatique sont une menace pour la diversité de la vie océanique. » Pierre Le Hir, journaliste scientifique

On trouve les zones à forte productivité secondaire calquées sur les zones à productivité primaire. La carte de la figure 20, réalisée par le satellite SPOT, montre que le phytoplancton (couleur verte) est le plus riche dans les eaux froides, très riches en dioxyde de carbone (CO2). Le phytoplancton absorbe le dioxyde de carbone et rejette l’oxygène que nous respirons. C’est donc dans ces zones que l’on retrouve une importante biomasse de zooplancton. Ces eaux, 25

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également très riches en poissons, sont une manne pour l’industrie de la pêche. Un hectare d’océan produit annuellement, et sans ajout d’engrais ni de pesticides, de 200 kilogrammes à plus de deux tonnes de carbone selon les régions, contre deux tonnes pour un champ de maïs. Les océans sont des pompes à carbone et le plancton est un important puits de carbone*. A contrario, les eaux chaudes (couleur bleue) sont pauvres en phytoplancton, car le dioxyde de carbone est plus soluble dans l’eau froide que dans l’eau chaude (Figure 2-8).

Figure 2-8 : Représentation de la biomasse de phytoplancton et de zooplancton dans les océans (Satellite SPOT). Une couleur verte correspond à une eau riche en plancton.

On comprend ici que le plancton est le socle de l’écosystème marin et que sa disparition peut mettre en péril toute les chaînes alimentaires. La diversité des espèces végétales et animales marines est intimement liée à la température des océans. Depuis un siècle, le phytoplancton s’est dramatiquement raréfié, et selon toute vraisemblance, c’est encore le réchauffement climatique qui en serait à l’origine. On assiste à un réchauffement général des eaux de surface. Selon une étude canadienne parue dans la revue Nature en juillet 2010, au cours du siècle passé, la biomasse planctonique a régressé à l’échelle du globe, de 1 % par an en moyenne. «  C’est le carburant des écosystèmes marins, une DÉFINITION Puits de carbone Ce terme désigne l’ensemble des réservoirs (océans, estuaires, sols, forêts) qui absorbent et stockent le dioxyde de carbone atmosphérique. Le phytoplancton, véritable « pompe biologique », fixe le carbone et joue un rôle clé dans la limitation de l’effet de serre et le réchauffement climatique.

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baisse du phytoplancton affecte toute la chaîne alimentaire, y compris les humains » explique le biologiste Daniel Boyce de l’université d’Halifax, l’un des coauteurs de l’étude. Les hotspots de la biodiversité, des zones menacées Si la vie animale est présente quasiment partout sur Terre, elle reste très inégalement répartie. En 1988, le concept de « hotspot » ou « point chaud de biodiversité » est formulé par l’écologiste et environnementaliste britannique Norman Myers. Pour être qualifiée de hotspot, une région doit répondre à deux critères principaux : – présenter un nombre élevé d’espèces endémiques (au moins 1 500 espèces animales et végétales recensées) ; – avoir déjà subi une importante destruction de son habitat d’origine avec une perte de 70 % des espèces d’origine, en raison de la présence humaine (anthropisation). En 1989, l’ONG Conservation International a complété la liste des points chauds de Norman Myers, qui est passée de 25 à 34 et en a établi une carte. La surface totale des points chauds ne représente que 16 % de la surface de la Terre. À l’heure actuelle, les 34 zones référencées comme des points chauds sont réparties de façon très inégale. Si les îles sont des hauts lieux de biodiversité, dans les hautes et basses latitudes (60°), il n’y a pas de points chauds (Figure 2-9). Plus de 50  % des plantes vasculaires et 42  % des espèces de vertébrés terrestres vivent dans ces zones. Selon le ministère de l’Écologie, les «  hotspots  » reposent principalement sur deux notions  : l’endémisme* et le degré de menace qui pèse sur les espèces. C’est le cas des milieux insulaires qui restent les plus menacés, car sans cesse soumis à l’arrivée d’espèces invasives. Selon Renan Aufray du CNRS, chargé de mission à la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), la France, avec sa communauté d’outremer, est un des pays les plus concernés par ces points chauds (Bassin méditerranéen, Antilles, Polynésie, Nouvelle-Calédonie et océan Indien). Notre pays arrive au quatrième rang mondial pour son patrimoine de biodiversité. DÉFINITION Endémisme Ce terme désigne la présence naturelle d’espèces qui vivent exclusivement sur un lieu géographique délimité et souvent isolé (île, montagne, cordon littoral). Les îles sont des lieux privilégiés où l’on trouve le plus d’espèces endémiques. Le taux d’endémisme est un critère permettant d’évaluer la biodiversité. Les lémuriens sont des primates endémiques de Madagascar, tandis que le Kiwi est un oiseau endémique de Nouvelle-Zélande. Les espèces endémiques ont très peu de possibilité de se déplacer et sont de ce fait fragilisées.

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Figure 2-9 : Répartition des principaux points chauds de la biodiversité.

L’identification de ces zones menacées permet de préserver les espèces et les territoires les plus fragilisés, tout en diminuant l’impact de l’homme. On comprend ici toute l’importance de la surveillance et de la gestion des points chauds pour la sauvegarde des espèces. Il est cependant impossible de gérer tous les points chauds de la même façon. Selon l’endroit, les enjeux géopolitiques, économiques et surtout humains sont à prendre en considération. Un état pauvre qui héberge un point chaud aura beaucoup plus de mal à le gérer qu’un état riche. N’oublions pas que les populations locales qui vivent dans ces zones à protéger ne comprennent pas toujours la démarche globale. La carte de la figure 21 révèle aussi que les zones où la variété des espèces est la plus riche, sont aussi celles où l’effet des activités humaines est le plus marqué, et où les écosystèmes se détériorent le plus vite (pollution, emprise des sols, surpêche…). La gestion de la biodiversité à l’échelle mondiale reste un exercice difficile !

BILAN DES ESPÈCES ANIMALES RECENSÉES, LA BIBLIOTHÈQUE DU VIVANT « La nature, ça fait quatre milliards d’années qu’elle fait de la Recherche et Développement (R&D). Et du coup ses solutions sont juste époustouflantes ! » Idriss ABERKANE, professeur chargé de cours à Centrale-Supélec 28

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L’arche de Noé revisitée par Carl Linné «  Ce même jour entrèrent dans l’arche de Noé, tous les animaux selon leur espèce, tout le bétail selon son espèce, tous les reptiles qui rampent sur la terre selon leur espèce, tous les oiseaux selon leur espèce, tous les petits oiseaux, tout ce qui a des ailes. » La Bible. Genèse 7

Si Noé ne connaissait ni les lémuriens, ni les baleines bleues, ce texte extrait de la Genèse illustre une volonté d’entretenir des relations privilégiées avec le monde animal. Chassés du Paradis où ils vivaient en harmonie avec l’homme, les animaux retrouvent dans le milieu clos de l’Arche un microcosme idyllique où ils vont échapper à la mort et en ressortir purifiés symboliquement. L’Arche est un intermède qui rappelle une dernière fois l’harmonie du Paradis perdu. Si elle symbolise aussi la puissance de l’homme sur le monde vivant, on peut aussi y voir la première « belle histoire » de la préservation des espèces. Une question restera sans réponse : Noé s’était-il interrogé sur le nombre d’espèces qui peuplaient la Terre à son époque ? Pourtant de tout temps, l’homme a cherché à identifier, nommer et classer les espèces qui l’entouraient. Les premières classifications étaient utilitaires, comme classer les organismes en comestibles, non-comestibles, voire vénéneux, ou bien distinguer les espèces pacifiques de celles pouvant être agressives. Il faudra attendre le xviiie siècle pour assister à la création d’un système capable de nommer et décrire formellement une espèce. On le doit au naturaliste suédois Carl Von Linné (1707-1778) qui est considéré comme le père de la taxonomie*. Son Système de la nature propose une méthode de classement hiérarchisé des êtres vivants. Il va permettre d’établir les bases de la classification traditionnelle du vivant. Cette classification qui semblait immuable, sera comme nous l’avons évoqué, chamboulée par l’avènement de la génétique moléculaire. Nous reviendrons sur Carl Linné dans la dernière partie de ce chapitre consacrée aux animaux dans l’Histoire (Figure 2-10). DÉFINITION Taxonomie (ou taxinomie) Cette discipline a pour objet de décrire les organismes vivants et de les regrouper en entités appelées taxa (taxon au singulier) afin de les identifier, puis de les nommer, et enfin de les classer. La classification taxonomique range le vivant dans une hiérarchie pyramidale, classée de la base au sommet en espèce, genre, famille, ordre, classe, embranchement, règne et domaine.

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Figure 2-10 : La guerre des classifications chez les taxonomistes.

L’inventaire du vivant face à l’érosion de la biodiversité « Avoir connaissance du nombre d’espèces qui peuplent la planète est important pour comprendre pleinement le processus écologique et évolutif. Cela permet également de mettre en valeur les services écosystémiques indispensables à l’humanité. » Robert May, Zoologiste

Combien notre planète abrite-t-elle d’espèces vivantes  ? Si les spécialistes s’accordent aujourd’hui sur le chiffre de 1,9 million d’espèces décrites, les spéculations vont bon train quant au nombre qu’il reste encore à découvrir. Comme nous l’avions évoqué dans le premier cahier Biodiversité et évolution du monde vivant, les chiffres varient entre trois millions et 50 millions, selon les auteurs et les méthodes de calcul. Ces chiffres excluent les bactéries et les virus dont l’inventaire restera encore longtemps incertain, mais qui profitent de l’érosion de la biodiversité pour accélérer la transmission de maladies pathogènes. Tous les chiffres concernant l’inventaire du vivant restent controversés, alors qu’il n’existe aucune méthode d’estimation réellement fiable. Une autre question importante concerne l’évaluation de l’érosion actuelle de la biodiversité. Concrètement, nous sommes en train de perdre des espèces avant même de pouvoir les nommer. Ce génocide du vivant hypothèque tout simplement l’avenir de l’humanité, car chaque espèce qui disparaît, c’est un ouvrage de la bibliothèque du vivant qui part en fumée. C’est par exemple un 30

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invertébré produisant un nouveau médicament contre le cancer ou une plante comestible que l’on ne découvrira jamais, puisque ces espèces auront disparu avant même que l’on ait pris conscience de leur existence. En ce début de troisième millénaire où le réchauffement climatique est devenu une priorité planétaire, une question se pose : qu’est-ce qui vit sur Terre ? On peut aussi la poser de cette façon : qu’est-ce qui vivra sur Terre à la fin de ce siècle, alors que des prédictions les plus alarmistes évoquent la disparition probable des deux tiers des espèces vivantes ? Selon une estimation réalisée sur des bases taxonomiques par une équipe internationale, et publiée en 2011 dans la revue scientifique américaine PLoS Biology, les chiffres se sont un peu resserrés. Notre planète compterait environ dix millions d’espèces vivantes, dont 2,3 millions vivraient en milieu aquatique. L’inventaire du vivant est encore loin d’être achevé car 80 % de la biodiversité terrestre et 90 % de la biodiversité marine restent à découvrir. La multi-nationalité de l’équipe démontre une volonté de réussir ce challenge. Les insectes constituent plus de 70 % de la biodiversité spécifique connue du règne animal. Les coléoptères (scarabées, coccinelles, charançons…) et les lépidoptères (papillons) sont actuellement les deux ordres les plus riches en nombre d’espèces identifiées : entre 350 000 et 400 000 pour les coléoptères ; entre 150  000 et 170  000 pour les lépidoptères. Les invertébrés et plus particulièrement les insectes sont donc les maîtres de la Terre. Les vertébrés (poissons, amphibiens, reptiles, mammifères) ne représentent que 45 000 espèces, ce qui constitue tout de même une belle biodiversité. Quant aux mammifères dont nous faisons parti, on en compte environ 5 000 espèces. La biodiversité connaît aujourd’hui l’une de ses plus importantes crises : les taux actuels d’extinction des espèces animales sont de 100 à 1  000 fois supérieurs à ceux enregistrés dans les archives paléontologiques. Ils concernent tous les types d’espèces  : mammifères, DÉFINITION batraciens, oiseaux, reptiles, insectes. Liste rouge UICN L’UICN (Union internationale pour Chaque espèce ou sous-espèce peut la conservation de la nature) a être classée dans l’une des neuf catépublié une liste rouge* qui comprend gories suivantes : éteinte (EX), éteinte à l’état sauvage (EW), en danger critique 77 340 espèces évaluées, dont 22 784 (CR), en danger (EN), vulnérable (VU), sont menacées d’extinction. Une quasi menacée (NT), préoccupation espèce animale ou végétale dispamineure (LC), données insuffisantes raît toutes les 20  minutes, soit (DD), non 26  280 espèces disparues chaque évaluée (NE) année. Près d’un quart des espèces (source UICN). animales et végétales pourrait disparaître d’ici le milieu du siècle en raison des activités humaines. 31

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La perte et la dégradation des habitats représentent les menaces les plus importantes pour 85 % de l’ensemble des espèces décrites par la liste rouge ; le commerce illicite et les espèces envahissantes sont également des causes majeures du déclin des populations. 41 % des amphibiens, 13 % des oiseaux et 25 % des mammifères sont menacés d’extinction au niveau mondial. C’est également le cas pour 31 % des requins et raies, ainsi que 33 % des coraux constructeurs de récifs. Toujours selon l’UICN, la France figure parmi les dix pays hébergeant le plus grand nombre d’espèces menacées : au total, 1 069 espèces menacées au niveau mondial sont présentes sur son territoire, en métropole et en outre-mer. Le « code barre » du vivant au secours de l’inventaire du vivant Depuis de nombreuses années, on assiste à une diminution drastique des chercheurs formés à la taxonomie. Les suppressions de laboratoires, les diminutions des budgets de recherche, associées au non-renouvellement de postes universitaires sont à l’origine d’un « désert » dans cette profession, où l’on trouvait des botanistes et des entomologistes. Au rythme actuel de 18 000 nouvelles espèces répertoriées environ chaque année, vouloir décrire la totalité des espèces qui restent à découvrir en utilisant les approches classiques (anatomomorphologiques souvent peu spécifiques) demanderait 1 200 années de travail et la mobilisation de plus de 300 000 taxonomistes, pour un coût exorbitant de 364 milliards de dollars (252 milliards d’euros). Le « code-barres génétique » du vivant ou barcoding moléculaire (DNA barcoding) semble la meilleure alternative pour identifier efficacement les nouvelles espèces. C’est une méthode qui tente de caractériser les espèces animales et végétales par le minimum de séquences d’ADN, à partir d’un gène du génome mitochondrial. Grâce à cette méthode, on est capable de dire quel animal a été utilisé pour fabriquer le cuir d’un blouson, d’une paire de chaussures ou pourquoi pas d’une spécialité charcutière. Citons le célèbre cas d’une charcuterie du terroir corse, le saucisson à la viande d’âne. En période estivale, les tests ont révélé qu’il s’agit le plus souvent d’un « attrape-touriste » contenant de la viande d’âne en provenance d’Amérique du Sud. Le code-barres génétique sert ainsi comme identifiant unique pour une seule espèce (Figure 2-11).

Figure 2-11 : La généralisation du code-barres génétique dans l’identification des espèces. 32

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Le gène mitochondrial utilisé est celui de la cytochrome oxydase ou COI. Le génome d’une mitochondrie est cinq à dix fois plus spécifique que le génome nucléaire, et on en trouve 100 à 10  000 copies dans une seule cellule. Cette technique récente est devenue en quelques années le nouvel outil pour faire l’inventaire de la biodiversité. Le séquençage à haut débit permet d’obtenir une grande quantité de code-barres à partir d’échantillons (individu, fragment d’individu, selles...). Ces codes-barres sont identifiés à l’espèce en les comparant à des séquences d’une bibliothèque de référence, en utilisant des algorithmes de calcul. Ces bibliothèques contiennent des séquences d’ADN générées à partir de spécimens formellement identifiés. La séquence codebarres d’une espèce non identifiée peut être comparée aux séquences qui sont déjà en stock dans la bibliothèque de référence, pour déterminer l’identité du spécimen. La méthode rapide, fiable et peu coûteuse permet d’épauler la taxonomie classique. Aujourd’hui, lorsque vous faites vos achats dans une grande surface, vous avez accès en entrant à tout le stock de l’établissement. En passant vos achats à la caisse, la caissière armée d’un lecteur, lit le code-barres inscrit sur chaque article qui est transmis à la base de données du magasin et correspond à un seul produit et à un seul prix qui s’affiche sur votre facture. Le stock du magasin se met automatiquement à jour. Il arrive qu’un produit ne possède pas de code, il faut alors qu’elle recherche dans une liste, où qu’elle appelle pour demander de l’aide pour déterminer l’identité et le prix de ce produit, et lui attribuer un code-barres. C’est un peu comme si vous aviez découvert une nouvelle espèce  ! Le travail du naturaliste consiste à identifier cet article inconnu (la nouvelle espèce) en le comparant à une banque de données. Comme l’explique le biologiste Hervé le Guyader dans le magazine Pour la Science de février 2006 (n° 340), le « naturaliste » travaillant sur le terrain « lit » le codebarres de l’organisme qui l’intéresse ; puis, en interrogeant la base de données du Muséum, il saura tout de suite si l’espèce à laquelle appartient l’organisme est répertoriée et, si oui, il accédera aux informations sur l’espèce. Si le codebarres n’est pas connu, il saura que l’espèce n’est pas enregistrée au Muséum de Paris. Allons encore plus loin et imaginons que les bases de données de tous les muséums du monde soient interconnectées. Un code-barres inconnu indiquera alors au naturaliste qu’il détient le spécimen d’une espèce nouvelle pour la science.

LE « GUINNESS DES RECORDS » DU MONDE ANIMAL Les vertébrés Quand on évoque les records de taille dans le monde animal, c’est presque toujours l’image du dinosaure qui nous vient à l’esprit. Un homme atteindrait à peine les genoux d’un tyrannosaure aujourd’hui disparu. Notre faune actuelle 33

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est aussi pourtant riche d’espèces détenant des records de gigantisme ou de nanisme. Dame Nature nous réserve souvent des « surprises de taille ». Si tout un chacun connaît l’éléphant ou le rorqual bleu qui comptent parmi les plus gros mammifères actuels, on connaît moins le pachyure étrusque (Suncus etruscus), une minuscule musaraigne. Ce mammifère lilliputien qui vit dans le Sud de la France, a une taille comprise entre trois et cinq centimètres pour un poids qui n’excède pas 2,5 grammes (Figure 2-12). Longtemps considérée comme le plus petit mammifère au monde, elle a été détrônée en 1974 par la chauve-souris bourdon ou kitti à nez de porc (Craseonycteris thonglongyai) qui affiche un poids de deux grammes seulement. Ce chiroptère vit à la frontière entre la Birmanie et la Thaïlande. Si vous vous demandez quel est le plus petit carnivore au monde, la réponse est la belette (Mustela nivalis), un mustélidé bien présent partout dans notre pays qui détient ce record avec un poids moyen de 50 grammes (Figure 2-13). En janvier 2012, la revue scientifique PLoS ONE annonçait la découverte en Nouvelle-Guinée-Papouasie d’une minuscule grenouille, Paedophryne amauensis. C’est cet amphibien qui décroche la palme du vertébré le plus petit du monde, avec une taille inférieure à huit millimètres pour un mâle ; assez pour tenir à quatre pattes sur une pièce de deux centimes d’euros ! Cet amphibien qui se nourrit d’invertébrés, ne passe pas par le stade têtard ; ce sont des adultes qui éclosent des œufs. Malgré sa taille, cette grenouille est capable de sauter une longueur de trente fois sa taille (Figure 2-14).

Figure 2-12 : Le rorqual bleu et le pachyure étrusque. 34

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Figure 2-13 : La belette le plus petit carnivore.

Figure 2-14 : Paedophryne amauensis, le plus petit vertébré au monde.

Les invertébrés Côté invertébrés, les records ne sont pas en reste. Le calmar géant (Architeuthis dux) reste un des plus mystérieux habitants qui hante les abysses. Longtemps considéré comme une légende, ce sont les échouages d’animaux morts et les prises dans les filets des chalutiers qui ont permis d’étudier ce monstre avant 2012, année où il a été enfin filmé dans son milieu naturel. Ce céphalopode a 35

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le plus gros œil du règne animal, avec 25 centimètres de diamètre, soit la taille d’un ballon de foot, et un bec énorme avec lequel il déchiquette ses proies. Sa taille est estimée à 20 mètres. Le crabe royal du Kamtchatka (Paralithodes camtschaticus) pèse jusqu’à 12 kilogrammes pour une envergure de deux mètres. L’insecte le plus lourd et le plus volumineux est le scarabée goliath d’Afrique (Genre Goliathus). Il a une envergure équivalente à la main d’un enfant et peut peser jusqu’à 100 grammes. Le bombyx atlas (Attacus atlas) est le plus grand papillon de nuit. Ce magnifique lépidoptère asiatique possède des ailes dont l’extrémité évoque des têtes de serpent. Déployées, leur envergure peut atteindre 30 centimètres. Quand il vole, ce géant fait penser à un oiseau ou à une chauve-souris plutôt qu’à un papillon. Le plus grand ver de terre du monde (Megascolides australis), est originaire d’Australie. Celui que l’on surnomme « le ver géant de Gippsland » peut atteindre trois mètres de long pour un diamètre de deux centimètres. Un bel appât pour aller à la pêche ! La nature n’a pas fini de nous surprendre !

ESPÈCES DÉCOUVERTES OU REDÉCOUVERTES Comme nous l’avons signalé, environ 18 000 espèces sont découvertes chaque année, ce qui donne une moyenne de 50 par jour. Il s’agit pour une grande partie d’insectes, alors que la découverte d’un mammifère reste exceptionnelle. En 2009 pour 10 000 insectes découverts, on a identifié seulement 41 mammifères. À l’heure du décryptage du génome et de l’exploration de la planète Mars en quête de traces de vie, nous connaissons très peu notre biosphère, et certaines découvertes ou redécouvertes font l’objet d’un scoop dans la presse. Le saola, la « licorne asiatique » En 1993 la description d’un nouveau mammifère de 100 kilogrammes dans la revue Nature a défrayé les médias. Il s’agissait d’un bovidé, le saola (Pseudoryx nghetinhensis), qui vit dans les forêts de la cordillère annamitique au Vietnam. Baptisé « licorne asiatique », il a un long cou, une petite tête et mesure environ 1,50 mètre de long pour 90 centimètres au garrot. Le saola porte des cornes légèrement recourbées en arrière qui peuvent atteindre 45 centimètres chez les mâles. Son profil effilé lui permet de se déplacer rapidement à travers son habitat forestier. Trop longtemps chassé par les populations locales, il ne resterait aujourd’hui que deux cents individus en liberté. Aucun spécimen n’a survécu en captivité. L’UICN a donc classé l’espèce qui n’était pas protégée en danger critique d’extinction. C’est aujourd’hui l’un des animaux les plus rares de notre planète et qui pourrait bien disparaître si son habitat n’est pas préservé (Figure 2-15). 36

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Figure 2-15 : Le soala menacé d’extinction.

Le nouveau cœlacanthe indonésien En 1998, un pêcheur remonte dans ses filets un étrange poisson qu’il a capturé sur les flancs de l’île volcanique Manado Tua au Sulawesi, en Indonésie. Le Dr  Mark Erdmann biologiste à l’université de Berkeley reconnaît un spécimen de cœlacanthe. Ce poisson était connu par les pêcheurs locaux, sous le nom de rajah laut ou « roi des mers ». Une question s’est immédiatement posée : que faisait cet animal à 9 000 kilomètres de son habitat naturel, où l’on avait capturé le premier cœlacanthe vivant (Latimeria chalumnae) en 1938 dans le canal du Mozambique  ? Tout laissait penser que cette espèce unique vivait quasi exclusivement dans l’archipel des Comores. L’analyse morphologique et l’étude de l’ADN mitochondrial ont montré qu’il s’agissait d’une nouvelle espèce qui sera nommée Latimeria menadoensis en 1999. L’horloge moléculaire a confirmé que Latimeria menadoensis et Latimeria chalumnae se sont différenciés il y a environ 1,5 millions d’années, un évènement relativement récent au regard de l’évolution des premiers cœlacanthes qui remonte au Dévonien à près de 370 millions d’années. Le cœlacanthe qui peut atteindre deux mètres de long pour un poids de 100 kilogrammes, a bien mérité son surnom de « poisson fossile ». L’olinguito, ours ou chat ? En aout 2013, la presse faisait état de la découverte d’un charmant petit animal « mi-ours, mi-chat », à l’allure de raton-laveur. L’animal a été découvert dans les montagnes de l’Équateur. Nommé olinguito (Bassaricyon neblina), il 37

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appartient à la famille des Procyonidés dont le raton-laveur fait partie. De mœurs nocturnes, cette espèce vit perchée dans les branches à 30 mètres du sol et se nourrit principalement de fruits. Les forêts de la cordillère des Andes toujours recouvertes de nuages et situées à plus de 1 500 mètres d’altitude constituent son habitat naturel, ce qui explique qu’il a longtemps échappé aux naturalistes. En fait, il s’agissait d’une redécouverte de l’espèce en milieu naturel. Des spécimens naturalisés étaient connus depuis un siècle dans les collections du Field Museum de Chicago. Ils avaient été mal identifiés et attribués à une espèce voisine. Les prélèvements ADN effectués sur place et le code-barres génétique ont permis de faire une révision taxonomique (Figure 2-16).

Figure 2-16 : L’olinguito redécouvert.

ESPÈCES EN DANGER, ESPÈCES MENACÉES, VERS LA SIXIÈME EXTINCTION «  En détruisant son environnement, l’homme scie la branche sur laquelle la nature l’a assis. » Dominique Boscher, écrivain

La Terre malade de l’homme, la sixième extinction a commencé Depuis l’apparition de la vie il y a 3,8 milliards d’années, notre planète a connu cinq grandes crises d’extinction de masse. La dernière, et la plus médiatisée, 38

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concerne la disparition des dinosaures à la fin du Crétacé. Aujourd’hui, la communauté scientifique estime que nous sommes en train de vivre la sixième extinction (encore appelée extinction Anthropocène). Ce sera peut-être la plus dévastatrice de toutes, et cette fois ce n’est pas une catastrophe naturelle qui est incriminée, puisque notre espèce en est la cause. Les principales menaces sont la dégradation des habitats du fait de la déforestation, de l’urbanisation et de l’agriculture. La chasse, le trafic d’espèces et la surpêche sont aussi des facteurs d’érosion de la biodiversité. Les effets de la pollution et du réchauffement climatique se font sentir chaque jour un peu plus. Les maladies et l’arrivée d’espèces invasives impactent fortement la biodiversité. Ces menaces sont aussi liées à l’augmentation de la population qui a déjà presque triplé depuis 1950, pour atteindre sept milliards en 2011, et devrait encore augmenter à 9,6 milliards en 2050 pour peut-être atteindre les 11 milliards en 2100 ! L’humanité vit à crédit Chaque année, nous vivons un peu plus au-dessus de nos moyens. En prélevant sur nos écosystèmes davantage que ce qu’ils peuvent générer euxmêmes, c’est notre avenir que nous hypothéquons. Selon le WWF (World Wide Fund ou Fond mondial pour la nature) dans son rapport Planète Vivante de 2014, la pression exercée par l’humanité sur les écosystèmes est telle qu’il nous faut chaque année l’équivalent d’une Terre et demie pour satisfaire nos besoins en ressources naturelles. Le déclin enregistré de la biodiversité est sans précédent. Une étude de 2014 réalisée par des ONG comme Global Footprint Network (GFN) et Water Footprint Network (WFN) indique que les effectifs des espèces sauvages ont décliné de 52 % entre 1970 et 2010. Des études récentes affirment que 37  % des espèces de la planète auront disparu d’ici 2050 sous l’effet du réchauffement climatique. Toujours selon les calculs de Global Footprint Network, bâtis sur des estimations de consommation énergétique, alimentaire et de croissance démographique, il faudra en 2050, l’équivalent des ressources écologiques renouvelables de trois planètes pour répondre aux besoins de consommation et absorber la pollution. C’est ce que la journaliste au journal Le Monde, Laetitia Van Eeckhout nomme la « dette écologique » qui ne cesse de s’alourdir. Chaque année, le jour où nous vivons à crédit, ou «  jour de dépassement  », qui correspond à la date où nous avons consommé théoriquement nos ressources renouvelables, arrive de plus en plus tôt. Au milieu des années 1990, il tombait en novembre, en 2000, c’était le 1er  octobre, en 2015, c’était le 13 août. À compter du 14 août, et jusqu’à la fin de l’année 2015, l’humanité a vécu en quelque sorte «  à crédit  »  : pour continuer à boire, manger, se chauffer, se déplacer et à produire. 39

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Des effets dominos incontrôlables. L’image de l’ours blanc isolé sur son glaçon dérivant au milieu de l’océan Arctique est devenue une icône emblématique, si bien médiatisée qu’elle est semble presque normale à nos yeux. Le réchauffement climatique entraîne une fonte de plus en plus importante de la banquise qui est le terrain de chasse de l’ours, dont la subsistance est basée sur la viande de phoque. La baisse de la population d’ours a pour conséquence une augmentation de la population des phoques qui mangent de plus en plus de poissons. La diminution des poissons entraîne une raréfaction de la nourriture pour les phoques, mais également une prolifération des méduses, tout comme une raréfaction du plancton qui se nourrit aussi des œufs de poissons et est à la base de toute une chaîne alimentaire comme nous l’avons décrit dans ce chapitre. C’est ce que l’on appelle l’effet domino. On peut comparer ce phénomène aux maillons d’une chaîne. La rupture ou la faiblesse d’un maillon entraîne l’effondrement de tout le système. Le principe est le même dans le monde vivant  ; un écosystème ne peut être solide que si tous ses maillons sont sains. Le «  syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles » en est un autre exemple. Rien qu’en France, c’est 300 000 colonies qui disparaissent chaque année. Selon le pays, 70 à 80 % des ruches sont touchées en Europe. L’utilisation massive de pesticides est pointée du doigt. N’oublions pas que 40  % de nos récoltes sont pollinisées par les abeilles et 75  % des productions agricoles reposent sur la pollinisation des champs par les insectes. Depuis vingt ans, la population de papillons en Europe a diminué de 50 %. Avec la disparition de certains insectes, la chaîne alimentaire dans son ensemble est menacée. Le déclin des insectes, c’est aussi le déclin des oiseaux, dont plus de la moitié sont insectivores, s’alarme François Ramade, chercheur à l’université Paris-Sud. S’il reste encore des esprits septiques, je les encourage à aller visiter la salle des espèces menacées et disparues de la grande galerie de l’Évolution du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris. On peut y observer les dépouilles d’espèces disparues à l’échelle de l’histoire de l’humanité. Les spécimens naturalisés qui y sont exposés sont mis en scène pour permettre au visiteur de prendre conscience du nombre d’animaux qui ont été rayés à jamais de la surface de la Terre. On y trouve aussi des espèces comme le bouquetin des Pyrénées, ou même le loup que l’on a exterminé en prétextant qu’il était nuisible. Le canidé revenu en France depuis 1992, nous a fait un pied de nez ! Ces « génocides » sont tous liés à l’activité humaine et ils se répètent au quotidien, à croire que nous ne retenons jamais les leçons du passé. Les quelques exemples suivants ont pour but de pointer du doigt certaines espèces menacées connues ou moins connues. 40

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L’axolotl, un petit « monstre néoténique » en danger d’extinction L’axolotl (Ambystoma mexicanum) intrigue les scientifiques depuis sa découverte par l’explorateur et naturaliste allemand Alexandre von Humboldt (1769-1869) au Mexique en 1804. En nahuatl (langue aztèque), il signifie « chien d’eau  ». On le surnomme parfois le «  monstre aquatique  », pour ses yeux sans paupière, ainsi que ses branchies externes en houppes, réparties en deux groupes, de part et d’autre de la tête. Cet amphibien urodèle a la capacité de passer toute sa vie à l’état larvaire d’une salamandre sans jamais se métamorphoser (la conservation de caractéristiques juvéniles chez les adultes d’une espèce porte de nom de néoténie). Il est donc capable de se reproduire à un stade juvénile. L’animal fascine les biologistes qui étudient sa programmation cellulaire étonnante. Outre une grande résistance au cancer, il peut régénérer certaines parties de son cerveau ou même un organe (patte, œil). Si vous coupez la patte d’un axolotl, vous verrez se former une petite bosse de cellules indifférenciées. Ce sont des cellules souches qui forment un « blastème de régénération » qui sera à l’origine d’un nouveau membre identique au précédent en quelques semaines. La régénération cellulaire chez cette espèce intéresse beaucoup les chercheurs, qui ont l’espoir de pouvoir utiliser un jour cette fonction chez l’homme. Cette espèce est en voie de disparition dans son habitat naturel, les labyrinthes aquatiques de Xochimilco, vestiges de Tenochtitlan, la Mexico de l’ère préhispanique. L’eau y est polluée par les égouts et les pesticides. L’UICN a inscrit l’axolotl dans sa liste rouge des espèces menacées d’extinction. Des tentatives de sauvetage sont en cours pour que ce « Peter Pan » amphibie conserve encore longtemps son « apparente jeunesse éternelle » (Figure 2-17).

Figure 2-17 : L’axolotl « un monstre néoténique ». 41

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Le déclin du tigre « Si nous prenons le nombre de tigres comme un indicateur, nous devons admettre que nous avons lamentablement échoué et que nous continuons à échouer. » Willem Wijnstekers, secrétaire général de la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction)

Selon le WWF, Il ne resterait plus que 3  200 tigres en liberté, alors qu’en 1920, on en comptait quelque 100 000 spécimens. La plupart des sous-espèces survivantes de tigres (Pantera tigris) sont menacées de disparition et classées en danger par l’UICN. Le tigre de Java, le tigre de Bali et le tigre de Caspienne ont disparu dans les années 1980. Quant au tigre blanc, il aurait disparu à l’état sauvage. La cause principale de sa raréfaction est le trafic de ses organes (os, moustaches et dérivés), très prisés en médecine traditionnelle chinoise pour leurs propriétés aphrodisiaques. Si le commerce a été interdit en 1975, le commerce illicite perdure dans des pays comme le Népal qui sert de plaque tournante à ce marché noir lucratif. Leur fourrure a également une très grande valeur marchande en Asie (Figure 2-18). Le tigre est une espèce typiquement forestière que l’on rencontre aussi bien dans une forêt de sapins sibérienne par -  40  °C, que dans les jungles équatoriales de Malaisie. En revanche, il est incapable de survivre en zone déboisée. Il a besoin de cachettes, d’endroits couverts pour chasser et mettre bas. Les conditions nécessaires à son existence n’étant plus réunies, le tigre abandonne la place. Il aurait ainsi perdu 93 % de son territoire depuis la fin du xixe siècle. La réduction de son habitat forestier est la principale menace qui pèse sur l’espèce. L’homme, par ses activités et son emprise, empiète sur l’habitat naturel de ce félin, ce qui fait chuter drastiquement sa diversité génétique. Protéger le tigre passe donc

Figure 2-18 : Le regard du tigre. 42

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par une protection de son espace de vie. L’Inde a lancé un programme de sauvegarde de cette espèce emblématique. Depuis 2008, l’association Global Tiger Initiative (GTI) regroupe sous l’égide de la Banque mondiale les pays où le tigre est encore présent. Elle coordonne les actions de protection. Plaidoyer pour les pandas Il existe deux espèces de panda, le panda géant (Ailuropoda melanoleuca) et le panda roux ou petit panda (Ailurus fulgens). Leur allure de peluche les rend très populaires. Dans leur milieu naturel, ces deux espèces sont menacées par la régression de leur habitat qui entraîne des risques de consanguinité (Figure 2-19).

Figure 2-19 : Le panda géant et le panda roux.

Le panda géant (Ailuropoda melanoleuca) est l’emblème de l’organisation WWF et symbole de la protection de la nature dans le monde entier. Cet animal vit à l’état sauvage dans les montagnes du Sud-Ouest de la Chine. Si l’espèce par elle-même est aujourd’hui protégée, c’est encore son habitat qui est menacé par la déforestation intensive qui a détruit en 25 ans, plus de la moitié de son espace vital. Les espaces naturels forestiers ont été dégradés par l’agriculture, l’exploitation du bois de construction, la récolte de bois pour le chauffage et la cuisine, ou la construction d’infrastructures (routes, centrales, habitations) permettant de faire face à une démographie en pleine croissance. Le panda géant est tributaire des bambous pour la subsistance. Or, le bambou possède un cycle de reproduction particulier, car il ne fleurit en moyenne qu’une fois tous les 20 à 100 ans, puis meurt. Les pandas dont c’est l’unique nourriture, ont de moins en moins de bambous à se mettre sous la dent (la consommation journalière peut atteindre 35 kilogrammes). Ils ne peuvent donc pas coloniser de nouveaux territoires pendant les périodes où leur source de nourriture se régénère. Le réchauffement climatique risque aussi d’aggraver la situation en faisant diminuer l’aire de distribution des bambouseraies. Des populations sauvages isolées dans des îlots, au milieu de terres agricoles, font face à un risque de consanguinité élevé qui peut conduire à une plus faible 43

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résistance face aux maladies, ou à des problèmes de reproduction. Depuis une dizaine d’années, la Chine qui mène une « diplomatie du panda » a lancé des programmes de conservation qui semblent porter leurs fruits avec un recensement en hausse de 17 %. Il y resterait un peu moins de 2 000 pandas sauvages. Le requin : un seul prédateur, l’homme On estime que chaque année plus de 10 millions de requins sont tués sur le globe. Avec 380 espèces recensées, ces poissons cartilagineux ont réussi une formidable radiation dans tous les océans depuis leur apparition, il y a 420 millions d’années. Selon l’UICN, un tiers des espèces sont menacées pour cause de surpêche, ou d’élimination comme espèce « nuisible ». Les ailerons, la peau, les dents, les cartilages sont également commercialisés dans la fabrication de médicaments aux vertus aphrodisiaques. On utilise même leur peau en maroquinerie. En 1975, le film Les Dents de la mer, du réalisateur Steven Spielberg, a fini de diaboliser l’espèce et plus particulièrement le grand requin blanc (Carcharodon carcharias). Les requins sont victimes d’une réputation aussi surfaite qu’injustifiée, où le « gentil surfeur » est toujours l’innocente proie du méchant Léviathan ! Au palmarès des quinze espèces d’animaux les plus mortels de la planète, notre requin pointe en dernière position avec dix attaques fatales par an (cf. Chapitre V), bien loin derrière les moustiques, les chiens ou l’homme ! Rassurez-vous, le « mangeur d’homme » n’apprécie guère notre chair, sinon il y a belle lurette que la baignade serait impossible sur toutes les plages de la planète. Un bon phoque bien gras ou un thon constitue son ordinaire. Gardons en mémoire que l’envahisseur du biotope du requin c’est encore notre espèce ! (Figure 2-20).

Figure 2-20 : Le requin blanc entre mythe et réalité. 44

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Le gorille et le tantale Aujourd’hui, il ne reste que 110  000 gorilles (Gorilla sp.) répartis en deux espèces, l’une vivant dans l’Est (Gorilla gorilla) et l’autre dans l’Ouest de l’Afrique (Gorilla beringei). Nous partageons 97 % de nos gènes avec ce grand singe de la famille des hominidés. Ceci en fait l’une des espèces les plus proches de la nôtre, après le chimpanzé et le bonobo. Toutes les espèces de gorilles sont considérées comme en danger d’extinction par la CITES. La destruction de leur habitat, la chasse pour la viande de brousse, les prétendus pouvoirs médicinaux de leurs organes, et le trafic des bébés sont à l’origine de cette situation. Les dernières épidémies liées au virus Ébola ont aussi tué plusieurs milliers de gorilles. Le gorille des montagnes (Gorilla beringei beringei) est la sous-espèce de gorille la plus rare et la plus menacée. Popularisé par l’éthologue et primatologue américaine Diane Fossey (1932-1985), assassinée pour son engagement dans la cause des primates, ce gorille vit dans la forêt tropicale humide qui couvre la chaîne des monts Virunga, à cheval sur le Rwanda, l’Ouganda et la République démocratique du Congo. Insensibles aux évènements politiques, les gorilles passent d’un pays à l’autre pour trouver leur pitance, ce qui les rend encore plus vulnérables. Le trafic du coltan en Afrique centrale attire tous les appétits. Ce minerai permet de produire le tantale (Ta) qui équipe les condensateurs de nos téléphones portables, ordinateurs et multiples appareils électroniques. Le gorille n’a aucune chance de résister aux exploitations illégales qui extraient le précieux minerai et qui financent au passage les guerres civiles (Figure 2-21).

Figure 2-21 : Le gorille victime du tantale. 45

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Le règne menacé du monarque Le papillon Monarque (Danaus plexippus) est facilement reconnaissable aux couleurs vives de ses ailes orange, noires et blanches. Ce lépidoptère de 500 milligrammes est célèbre pour sa migration exceptionnelle, la plus longue jamais observée chez un insecte. Chaque année, plus de deux cents millions d’individus parcourent près de 5 000 kilomètres pour migrer d’Amérique du Nord, depuis le Canada, jusqu’au Mexique, où l’espèce prend ses quartiers d’hiver. C’est dans la région forestière et montagneuse du Michoacán que le monarque passe la saison froide, à l’abri dans le feuillage de sapins oyamels (Abies ­religiosa) (Figure 2-22).

Figure 2-22 : Le papillon monarque et sa chenille.

La survie de l’espèce est menacée par une déforestation massive (coupes illicites de pins et sapins), malgré des efforts de préservation, comme la création de la réserve de biosphère du papillon monarque classée Patrimoine mondial par l’Unesco depuis 2008. Son habitat d’été est également en danger pour cause d’une agriculture intensive pratiquée aux Canada et aux États-Unis. La monoculture et l’utilisation de pesticides et d’herbicides les privent des végétaux sur lesquelles ils se nourrissent et se reproduisent. Ces papillons sont tributaires d’une plante herbacée l’asclépiade (Asclepias sp.), sur laquelle ils pondent leurs œufs et qui sert de nourriture aux chenilles. C’est cette même plante qui permet au monarque de se protéger des prédateurs, car elle contient des substances toxiques (alcaloïdes) pour les vertébrés. Ainsi, si un oiseau gobe une chenille, il sera pris de vomissements et la recrachera aussitôt. La survie de l’espèce dépend donc de l’équilibre de son habitat naturel. La corne d’abondance du rhinocéros Le braconnage est l’une des plus grandes menaces pesant sur la survie des rhinocéros africains, espèces particulièrement importantes en termes de biodiversité, mais aussi de revenus provenant du tourisme. C’est le marché asiatique qui achète cette corne pour des vertus thérapeutiques et aphrodisiaques qui n’ont jamais été prouvées. On lui attribue même des rémissions de certains 46

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cancers. La corne se négocie autour de 30 000 dollars le kilogramme. Selon le WWF, on estime qu’il y a 150 ans, plus d’un million de rhinocéros blancs et noirs sillonnaient les savanes africaines. Malgré les mesures drastiques prises par les états, le braconnage est toujours en pleine expansion. Le rhinocéros noir d’Afrique de l’Ouest (Diceros bicornis longipes) a été déclaré officiellement éteint en novembre 2011 par l’UICN. Le rhinocéros blanc du Nord (Ceratotherium simum cottoni), vivant en Afrique centrale, est au bord de l’extinction, quant au rhinocéros de Java (Rhinoceros sondaicus), dont le dernier spécimen vietnamien a récemment disparu, sa situation est critique. Seul le rhinocéros indien (Rhinoceros unicornis) voit ses effectifs augmenter ces dernières années (Figure 2-23).

Figure 2-23 : Le rhinocéros blanc en danger d’extinction.

LES ANIMAUX DANS L’HISTOIRE «  Celui qui connaît vraiment les animaux est par là même capable de comprendre pleinement le caractère unique de l’homme. » Konrad Zacharias Lorenz (1903-1989), biologiste, prix Nobel de médecine 1973, L’Agression, une histoire naturelle du mal, 1966

Pour bien comprendre l’importance du monde animal dans notre société, il faut retracer son histoire, ou plus exactement l’histoire de la zoologie, la 47

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science qui étudie le monde animal. Dans toutes les civilisations, on note l’émergence, selon l’historien Robert Delort, d’une « conscience zoologique » chez l’homme. Certes, on ne regardait pas les animaux avec les mêmes yeux et on n’avait pas les mêmes préoccupations qu’aujourd’hui. L’animal était source de nourriture, on utilisait le cuir de sa peau ou sa fourrure, et sa préservation n’était pas à l’ordre du jour. On se contentait de décrire et d’expliquer les particularités de tel ou tel animal. L’approche était souvent dépourvue de préoccupation d’ordre zoologique, et on recherchait de façon plus prosaïque à repérer le bel étalon, la vache la plus féconde, ou le veau le plus gras. Ce qui ressort toujours des textes anciens, c’est que l’homme avait lié l’animal à son destin, car il savait que la chasse ou l’élevage étaient incontournables pour sa survie. Faire de la zoohistoire n’est pas toujours chose simple. Il faut aller « pêcher » dans des sources religieuses ou littéraires, dans les annales ou les chroniques, des notes, des allusions, des réflexions, qui nous ramènent au monde animal, même si de prime abord, elles sont dépourvues de préoccupations zoologiques. Ainsi Montesquieu, dans L’Esprit des lois, oppose la fécondité des animaux qui est constante, à celle de l’espèce humaine soumise aux contraintes des passions, de la beauté, des caprices, ou de la gestion d’une famille nombreuse. La Genèse La Genèse présente les animaux, créatures de Dieu, comme des proches parents de l’homme, et créés pour lui éviter les désagréments de la solitude (Figure 2-24). Dans l’Ancien Testament, les animaux sont classés selon des critères morphologiques, écologiques ou éthologiques. Les animaux domestiques occupent une place de choix. On y distingue les bovins (taureau, génisse, vache, veau), du petit bétail (bélier, brebis, agneau, bouc, chèvre) et des bêtes de somme (âne, cheval, mulet, chameau). Les animaux sauvages sont souvent cités, à l’instar du lion, du chacal, de la gazelle, de la biche, de l’ours ou du renard. Parmi les oiseaux, on retrouve la colombe, l’aigle, le vautour ou le corbeau. On y parle des montres marins et du « grand poisson » de Jonas (Figure 2-25). Parmi les insectes, l’abeille, le taon, la sauterelle ou la mouche reviennent souvent. Comme le cite le théologien Albert Hari dans l’Écologie de la Bible, le serpent y est omniprésent et les grenouilles font partie des plaies de l’Égypte. Les textes anciens relatifs à la zoologie restent cependant rares. C’est en Inde, pendant la période védique, il y a 2 500 ans, que l’on retrouve un texte extrait de l’Atharva-véda décrivant la cochenille kermès (Dactylopius coccus) ou « insecte à laque » qui permettait d’obtenir des colorants écarlates comme la laque cramoisie (ou rouge carmin). C’est ce colorant qui fera plus tard la réputation des étoffes de la ville de Montpellier. La Chine nous a légué aussi des textes traitant de l’abeille ou de la cochenille écrits au troisième siècle de notre ère. Si la domestication du ver à soie ou bombyx du mûrier (Bombyx mori) remonte à 4 500 ans, les premiers textes ne sont datés que du xiie siècle. 48

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Figure 2-24 : La création des animaux par Raphaël (1483-1520).

Figure 2-25 : Jonas et le « grand poisson ».

Les premiers ouvrages zoologiques apparaissent en Grèce avec Anaximandre de Milet (610-545 av. J.-C). Le philosophe s’interroge sur les origines de la vie, avec une conception darwinienne très audacieuse pour l’époque. Il explique que les être vivants ont une origine aquatique et qu’ils se sont modifiés pour s’adapter à la terre sèche. Les premiers hommes étaient recouverts d’écailles, et se réfugiaient dans la bouche de gros poissons, ce qui nous ramène encore 49

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au mythe de Jonas (Figure 2-25). Avec le médecin et philosophe Empédocle du ve siècle av. J.-C., on retrouve l’idée que seuls les organismes les plus adaptés ont survécu. Une idée teintée d’animisme prend naissance, nous serions apparentés aux animaux, si bien qu’en les tuant, ou en les mangeant, nous commettons un acte d’impiété, car nous détruisons nos propres congénères. Son enseignement encourage le végétarisme. Démocrite (460-370 av. J.-C.) estime quant à lui que l’homme descendrait du vermisseau, qui descendrait lui-même du limon, ce qui sous-entend une évolution des espèces. Il rejette une intervention divine. Il faut attendre Aristote (384-322 av. J.-C.) et son Histoire des animaux pour trouver un premier texte fondateur de la zoologie. Ses écrits feront référence pendant plus de vingt siècles. L’homme rassemble et coordonne les connaissances de son époque. Il se livre à des enquêtes minutieuses auprès des paysans, éleveurs, chasseurs, ou pêcheurs. Après avoir décrit l’homme comme un être à part car doué de raison, il définit une première approche de la notion d’espèce : les animaux s’accouplent entre eux et leur accouplement est fécond. On retrouve une description précise du développement de l’embryon de l’œuf de poule. Aristote décrit plus de 500 animaux en les divisant entre animaux sanguins et non-sanguins, qui correspondent respectivement aux vertébrés et aux invertébrés. Il démontre que c’est le milieu qui façonne l’animal. Les voyages d’Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C.), son élève, vont lui permettre d’observer et de décrire des animaux venant de contrées lointaines comme l’éléphant d’Asie (Elephas maximus). Aristote classe les espèces selon une échelle de complexification graduelle, la Scala naturæ, depuis les êtres les moins organisés (invertébrés) jusqu’à l’homme (Figure 2-26). Aristote était fixiste,

Figure 2-26 : La Scalae naturæ selon Aristote. 50

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il pensait que les espèces étaient éternelles et immuables. Au Moyen Âge, la scolastique va adopter cette idée et la christianiser : les espèces ont été créées en une seule fois et de manière séparée, elles sont éternelles et immuables. Les textes d’Aristote seront traduits en arabe et en latin. Élève d’Aristote, Théophraste (372-287 av. J.-C.), est également un fin observateur passionné de la nature. Il se démarque de son maître en attribuant une vie psychologique aux animaux. Selon lui, ils peuvent raisonner, sentir, et ressentir des émotions. Théophraste se bat contre la consommation de viande qui selon lui prive injustement l’animal de sa vie. Bien avant l’éthologue Karl von Frisch (1886-1982), il décrit le mode de vie des abeilles. On lui doit également une contribution à l’étude des maladies parasitaires des plantes avec la description du cycle de vie d’un papillon, la piéride du chou (Pieris brassicae). Les auteurs du monde romain auront bien du mal à égaler les Grecs. Au premier siècle, à Rome, Pline l’ancien (23-79) rédige une œuvre colossale, l’Histoire naturelle, forte de 37 volumes et qui fait la somme des connaissances de son époque. Dans un désordre digne d’un fourre-tout, on y retrouve les animaux présentés sous un aspect fantastique, souvent mêlé de légendes incroyables, où le côté critique est absent. Pline apporte cependant des notions intéressantes et réelles sur la vie des abeilles, leur reproduction ou la production du miel. On lui doit une première description du dauphin ainsi que de l’orque, qui était présente en Méditerranée à cette époque. L’apport du monde arabe La zoologie doit également beaucoup aux savants du monde arabe. Ce sont eux qui ont traduit et transmis les textes des auteurs grecs antiques comme Aristote ou Théophraste. L’encyclopédiste Al-Jahiz (776-867  ?) est l’auteur du Livre des animaux (Kitāb al-hayawān), imprégné de l’œuvre d’Aristote. Plusieurs centaines d’animaux y sont décrits. On y retrouve une vision prémonitoire de la théorie de la sélection naturelle. Des espèces comme le chat, le sanglier, l’éléphant ou l’ours y sont décrites avec précision. L’Histoire des animaux d’Aristote sera plusieurs fois traduite et commentée par de grands savants arabes comme Averroès (1126-1198) ou Avicenne (980-1037) qui feront connaître les écrits du savant grec à l’Occident. Naturalistes et bestiaires fantastiques du Moyen Âge Au tout début de l’ère chrétienne, on trouve des textes rédigés en grec qui racontent des histoires d’animaux sous la forme de fables et qui sont autant de leçons de théologie chrétienne destinées aux premiers croyants. Dans l’ensemble de ces manuscrits que l’on nomme Physiologus, le monde animal sert de faire-valoir à la morale. Ces textes regroupés en «  collections  » associent des citations de la Bible à des descriptions d’animaux. Ils seront traduits dans 51

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de nombreuses langues. Plus tard, enrichis d’enluminures et d’iconographies animales, ils deviendront les bestiaires. Ils préfigurent les fables et les satyres du Moyen Âge. Isidore de Séville (vers 560-630), plus connu pour son rôle actif dans la persécution et la conversion forcée des juifs alors qu’il était évêque de Séville, est l’auteur des Éthymologies, dont l’objectif est de rassembler les connaissances de l’Antiquité. Parmi les vingt ouvrages rédigés, le livre XII, De animalibus, (Des animaux) est consacré à la zoologie. L’ouvrage s’inspire du Physiologus ainsi que de L’Histoire naturelle du naturaliste Pline dont on a évoqué plus haut le manque de cohésion. Si certaines descriptions sont justes, il va reprendre les erreurs de Pline et c’est de cette façon que des données zoologiques erronées vont se répandre. Comme l’explique Robert Delort dans Histoire des animaux, Isidore de Séville va léguer au Moyen Âge chrétien un fatras de connaissances remplies de lacunes et d’erreurs qui seront tenus pour parole d’évangile et propagées pendant des siècles.  Pour une vision plus rationaliste, il faudra attendre les écrits de l’abbesse bénédictine Hildegarde de Bingen (1098-1179), considérée comme la première zoologue du Moyen Âge. Dans son Physica (le livre des subtilités des créatures) consacré à la description et au recensement du monde animal de sa Rhénanie, on trouve des monographies riches et précises comme pour le castor, la loutre, le lynx ou le bison. Elle évoque aussi la licorne, animal imaginaire traitée de façon poétique. De son foie, on tire un onguent qui guérit la lèpre. À cette époque, les livres consacrés aux animaux regorgent de licornes, de dragons, de sirènes, et autres monstres marins. Le dominicain Vincent de Beauvais (1190-1264) réalise une somme des connaissances du Moyen Âge à la demande de Louis IX (Saint Louis). Son Miroir de la nature (Speculum naturale) est une référence d’informations éditée en 32 volumes. Quatre sont consacrés aux animaux avec des descriptions d’espèces sauvages ou domestiques. Malheureusement, le religieux ne doit guère sortir de ses retraites, et certaines descriptions manquent d’esprit critique, à l’instar de celle de l’agneau de Tartarie, une créature mi-plante, mi-animal, qui ressemble à un mouton qui aurait surgit du sol. Cette créature hybride fera la gloire des cabinets de curiosité du xviiie siècle, et c’est seulement au xixe siècle, que l’on réalisera qu’il s’agit du rhizome d’une fougère polypode (Clitobium barometz). Au xiiie siècle où le merveilleux et le fantastique se teintent de superstitions, on ne s’étonne pas de l’existence de telles créatures. L’agneau de Tartarie sera même un prétexte pour consommer de la viande d’agneau pendant le carême, en arguant de son origine végétale ! (Figure 2-27). C’est un autre dominicain célèbre, Albert le Grand (1193-1280), philosophe et alchimiste, inspiré par les écrits d’Aristote, qui publie une véritable encyclopédie, Des Animaux (De animalibus) composée de vingt-cinq ouvrages. Ce 52

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Figure 2-27 : Représentation imaginaire de l’agneau de Tartarie.

travail colossal condense les textes grecs et latins commentés et complétés par les savants arabes. L’auteur y ajoute ses propres critiques et observations. Les dix-neuf premiers rapportant les données antiques, tandis que les sept derniers sont les fruits inédits de ses observations et de ses recherches sur le terrain. Il a enquêté auprès de chasseurs de castors, de chasseurs de baleines et de fauconniers. Ses descriptions d’animaux sont précises, ce qui en fait une référence pour l’époque (Figure 2-28).

Figure 2-28 : Figure extraite de De animalibus d’Albert le Grand.

Les bestiaires du Moyen Âge, encore appelés livres des natures des animaux, sont des manuscrits regroupant des fables et des moralités sur les «  bêtes  », animaux réels ou imaginaires. Les bestiaires sont destinés à l’éducation des chrétiens. L’appellation « bestiaire » englobe une variété de textes ayant comme texte de base le Physiologus du début de l’ère chrétienne cité plus haut, et aussi de l’Histoire naturelle de Pline. Dans ce nouveau genre littéraire, les textes sont écrits sous la forme de fables, où la moralité l’emporte sur la réalité scientifique. Ils suivent les préceptes de la Genèse, où l’homme est une créature de Dieu qui préside à la destinée des autres créatures. Ils sont ornés de riches enluminures et de miniatures qui complètent et agrémentent le texte. 53

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Ces manuscrits apparaissent en Angleterre au xiie siècle, à destination du monde aristocratique. Puis ils se répandent en France par le Nord et la Normandie. Les bestiaires écrits en latin sont destinés aux clercs  ; ceux écrits en français, à l’aristocratie laïque. Dans une société féodale où les déplacements restent limités, on comprend mieux pourquoi les lecteurs sont incapables de faire la distinction entre les animaux réels et les fantaisistes, entre le vrai et le faux : qui pourrait prétendre que le rhinocéros ou l’éléphant existent, et que la licorne, le griffon, le dragon, la sirène ou le phénix sont des animaux imaginaires, alors que personne n’a vu ni les uns, ni les autres ? Il faudra attendre le xve siècle pour que l’engouement pour les créatures fantastiques commence seulement à passer de mode.

Figure 2-29 : La licorne et le phénix, miniatures extraites de bestiaires.

Gardons en mémoire que les animaux sauvages sont omniprésents dans la vie quotidienne de cette époque. On cohabite avec l’ours, le loup, le lynx, l’auroch ou le sanglier qui peuplent les forêts. C’est également la période où l’on n’hésite pas à faire des procès aux animaux. On juge, on torture, on brûle, ou on pend des porcs ayant dévoré des enfants. En 1266, un pourceau est brûlé vif en public à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine) pour avoir dévoré un enfant. On cite le cas de mouches excommuniées, dont le bourdonnement troublait les sermons de l’abbaye de Foigny (Aisne), ou de moineaux également excommuniés à cause de leurs déjections qui souillaient l’église Saint-Vincent de Mâcon. Même sentence pour des anguilles qui mangeaient des poissons dans le lac Léman. On ne compte plus les rats, limaces et autres chenilles sur lesquels l’anathème est jeté. Le mystère de la sirène enfin dévoilé Les stèles, chapiteaux, tombeaux et enluminures du Moyen Âge regorgent de sirènes qui personnifient l’âme des morts. Les bestiaires les décrivent comme 54

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des femmes « de la tête aux cuisses », et poissons de « là jusqu’en bas ». Dans le bestiaire du moine Philippe de Thaon, écrit en langue française vers 1121, on peut lire : «  Et de la femme elle a les traits jusqu’à la ceinture, et des pieds de faucon, et une queue de poisson  ». Dans l’imaginaire, la sirène séduit les pêcheurs en mer et les entraîne sous les eaux. Depuis le récit du voyage d’Ulysse dans l’Odyssée au conte de l’écrivain danois Hans Christian Andersen (1805-1875), les sirènes ont une attirance envers les humains. On pense qu’à l’origine de cette légende, il y a un animal lui bien réel, le lamantin (Trichechus sp.). Ces mammifères de l’ordre des siréniens sont de véritables géants aquatiques pouvant peser jusqu’à 500  kg. Ils fréquentent les estuaires et les eaux côtières tropicales de l’Atlantique. On en connaît trois espèces qui vivent en Afrique et en Amérique. Leurs cousins asiatiques s’appellent les dugongs. Ce sont des animaux herbivores paisibles et peu farouches, qui à l’instar de sirènes éprouvent une «  véritable passion  » pour l’homme et s’entichent rapidement des nageurs qui leur prodiguent des caresses. Les lamantins communiquent beaucoup en poussant des cris, des gémissements et des sifflements. Vous associez ces lamentations plaintives (qui lui ont valu son nom), au fait que les femelles ont les glandes mammaires situées sous les bras, et vous imaginez alors les fantasmes des marins après des mois d’isolement en mer ! Vous n’avez plus qu’à ajouter une nageoire caudale, plate et horizontale, et vous avez fabriqué le mythe de la sirène  ! Ici s’arrête la comparaison, car les lamantins sont des espèces menacées par l’homme qui n’a cessé de réduire leur habitat (Figure 2-30).

Figure 2-30 : La sirène et le lamantin de Floride Trichechus manatus. 55

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Les secrets de la licorne La licorne est sans doute l’animal imaginaire le plus fréquent des bestiaires du Moyen Âge et de la Renaissance. Dans les miniatures, elle apparaît sous la forme d’un être hybride, entre un cheval élancé et une chèvre blanche. La bête aux sabots fendus arbore une barbe de bouc et une longue corne spiralée sur son front. Elle a été immortalisée sur les tapisseries exposées au Musée national du Moyen Âge à Paris (musée de Cluny). Elle orne les armoiries, le blason et les pièces de monnaie (Figure 2-31). Créature mythique et fabuleuse, douce et pacifique, la licorne ne connaît ni la haine, ni la colère. Elle symbolise la pureté de l’âme, l’amour sincère, et la chasteté. Pour l’appâter, on utilise les charmes d’une jeune vierge dont l’odeur attire le quadrupède. La licorne incapable de résister à l’appel de l’amour pur vient étendre docilement sa tête sur les genoux de la vierge. Il ne reste qu’à lui placer une bride d’or autour du coup pour l’apprivoiser (Figure 2-32).

Figure 2-31 : La licorne se contemple dans un miroir tenu par la dame, cinquième tapisserie de l’allégorie des cinq sens (musée de Cluny).

On s’échange à prix d’or la corne et la graisse de cet animal, réputées pour guérir toutes les maladies. On raconte que lorsqu’elle plonge sa corne dans de l’eau souillée et infestée de vermine, celle-ci devient potable. La poudre de corne de licorne est donnée comme antidote contre les poisons. La légende de la licorne se retrouve aussi bien en Asie qu’en Europe. Le rhinocéros indien (Rhinoceros unicornis) est peut-être à la source de la légende en Inde. En Europe, c’est le narval (Monodon monoceros) encore appelé, licorne 56

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des mers qui alimente la légende. Chez ce cétacé qui fréquente les eaux arctiques, l’incisive supérieure gauche du mâle est allongée en une défense torsadée qui peut atteindre trois mètres de long. On ne connaît pas exactement le rôle de cet organe qui intrigue les scientifiques. Très riches en terminaisons nerveuses, cette dent agirait comme un organe sensoriel, capable d’analyser la salinité de l’eau, ou de détecter à distance les femelles. C’est cet attribut qui va forger la légende de la licorne. Les navigateurs danois la revendaient à un prix exorbitant, alors que le lien avec le narval ne sera établi qu’au xviiie siècle. L’espèce est aujourd’hui menacée par l’expansion des activités humaines et le réchauffement climatique. On estime qu’il ne resterait que 50 000 spécimens. En Chine, en Russie et en Perse, la légende de la licorne serait liée à un rhinocéros fossile géant eurasien l’Elasmothérium. Cet animal de cinq tonnes portait une corne de deux mètres de long. Il s’est éteint il y a 16 000 ans. Il a donc été contemporain des populations de chasseurs-cueilleurs qui vivaient a son contact, ce qui pourrait expliquer les légendes transmises à son sujet. Au xe siècle, le voyageur arabe, Ibn Fadlan, le décrit comme encore vivant dans l’actuel Iran (Figure 2-32).

Figure 2-32 : Jeune fille vierge et licorne, fresque de Domenico Zampieri (1581-1641). Le narval et l’Elasmotherium.

La Renaissance de la zoologie La faune de Conrad Gessner

À la Renaissance, tandis que fleurissent les arts, les lettres, ou l’architecture, l’esprit de l’Antiquité est encore bien présent. Des naturalistes animés par un réel esprit scientifique et une soif de vérité vont sortir de leur cabinet pour aller travailler sur le terrain. L’observation rigoureuse sera leur point commun. 57

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Conrad Gessner (1515-1565), médecin et naturaliste suisse, est l’auteur de l’Histoire des animaux, Historia animalium, une somme de 4  500 pages qui résume toutes les connaissances de zoologie et constitue la première encyclopédie du monde animal de l’époque. Chaque espèce y est décrite par ordre alphabétique avec son anatomie, sa physiologie. On y trouve des détails sur son origine, son habitat. Les aspects littéraires et historiques ne sont pas oubliés. De nombreuses gravures au nombre de 1500, illustrent le traité et doivent permettre d’identifier les espèces citées (Figure 2-33). Les gravures sur bois sont de la main de Lucas Schan ou de Leonhardt Fuchs (1501-1566). Ce dernier va même recopier des gravures comme celle du célèbre rhinocéros d’Albert Dürer (1471-1528). Ce travail colossal lui vaudra le surnom de «  Pline suisse ». Le naturaliste fait de nombreux voyages et il est l’un des premiers à s’intéresser à la flore et aux minéraux alpins. Malgré la rigueur de ce travail, la licorne figure encore en bonne place dans son œuvre !

Figure 2-33 : Le lièvre, gravure sur bois rehaussée de couleurs, extrait de Historia animalium.

Les dragons Ulysse Aldrovandi 

Le naturaliste italien, Ulysse Aldrovandi (1522-1605), découvre sur le tard les sciences naturelles. Cela ne l’empêchera pas d’être encore plus prolifique que Conrad Gessner. Dans son Histoire naturelle, riche de plus de 7 000 pages, le naturaliste s’intéresse tout particulièrement à l’ornithologie, avec une description de nouvelles espèces originaires du Nouveau Monde. La qualité de l’iconographie est supérieure à celle de Gessner, et Aldrovandi s’intéresse aussi bien à l’entomologie, qu’à l’herpétologie. L’homme lèguera ses immenses collections à l’université de Bologne, permettant ainsi la création d’un Muséum d’Histoire naturelle, l’un des premiers en Europe. 58

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En 1640, Serpentum et Draconum historiæ libri duo sera publié à titre posthume. Le dragon créature mythique y est décliné sous toutes ses formes (Figure 2-34). On retrouve cette créature, représentation terrestre de Satan, décrite dans l’Apocalypse de Saint Jean.

Figure 2-34 : Le dragon dans Serpentum et Draconum historiæ libri duo, d’Ulysse Aldrovandi.

Guillaume Rondelet et Pierre Belon : une même passion, les poissons La France de la Renaissance a aussi ses naturalistes talentueux qui travaillent et observent sur le terrain. Nous citerons ici Guillaume Rondelet (1507-1566) et Pierre Belon (1517-1564). Ce sont les poissons qui ont fait la renommée du premier. Guillaume Rondelet n’hésite pas à faire le ménage dans les textes des Anciens, et son Histoire entière des poissons qui paraît en 1558 est une référence, car on peut aisément identifier les espèces sur les magnifiques gravures dont l’auteur reste inconnu. Il profite de tous ses déplacements pour étudier les poissons et sera le premier à décrire la vessie natatoire. Il fera une description détaillée de la dissection du dauphin, et y voit un «  quadrupède aquatique  » plutôt qu’un poisson. Rondelet reste fidèle au dogme de la génération spontanée (cf. encadré) en affirmant que les carpes naissent spontanément dans le limon des lacs. Pierre Belon entreprend plusieurs voyages au Levant (Égypte, Turquie, Palestine, Sinaï, Arabie). Comme Rondelet, il se passionne pour les poissons. Son travail vise aussi à répertorier les espèces que l’on peut consommer pendant le carême. À cette époque, le terme de poisson regroupe tous les animaux marins, ce qui explique la description d’espèces comme la baleine, l’otarie, l’hippopotame, le crocodile ou la loutre dans le même registre (Figure 2-35). Pierre Belon décrit pour la première fois, de nombreux animaux qui étaient encore inconnus. 59

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Ses descriptions de dissections sont toujours précises. Le naturaliste va également s’intéresser aux oiseaux, aux serpents et aux mammifères. Sa formation d’apothicaire sera aussi à l’origine de nombreux travaux dans le domaine de la botanique. La génération spontanée Cette théorie encore appelée « abiogenèse » était un dogme bien établi depuis l’Antiquité, selon laquelle, les êtres vivants, souris, rats, mouches, vers, naîtraient spontanément de la matière inerte, de minéraux ou d’organismes en décomposition. Vers 1610, le bruxellois Jean-Baptiste Van Helmont (1579-1644) avait démontré cette théorie à l’aide d’une expérience simple  : il avait «  fabriqué  » des souris en comprimant des chemises salles dans des jarres remplies de blé. En 1842, le biologiste Félix Archimède Pouchet (18001872), dans une note à l’Académie des Sciences, affirmait encore que des organismes végétaux ou animaux microscopiques pouvaient naître spontanément dans l’air. Au temps de Louis Pasteur (1822-1895), le doute ne portait plus que sur la naissance des êtres microscopiques  : moisissures, animalcultes (animaux microscopiques), infusoires (organismes unicellaires dans de l’eau), ferments (levains)… Grâce à ses expériences de stérilisation en laboratoire, Louis Pasteur démontre que la vie ne peut surgir spontanément de l’inanimé.

Figure 2-35 : L’hippopotame et le crocodile de Pierre Belon.

John Ray, le pourfendeur de monstres

Rien à l’origine ne prédisposait cet ecclésiastique anglais à faire une carrière de naturaliste. En refusant de prêter serment à l’Église d’Angleterre en 1662, John Ray (1627-1705) se tourne vers l’observation de la nature. Pendant trois années, il voyage et observe la flore et la faune d’Europe. Un siècle avant Carl 60

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von Linné (1707-1778), il propose une vraie définition de l’espèce. Il sera le premier à affirmer que deux individus d’espèces différentes ne peuvent avoir une descendance viable et fertile. Selon lui, l’adaptation des animaux à leur environnement est l’œuvre du Créateur. Côté zoologie et plus particulièrement en entomologie, ses observations sont pertinentes et il propose des premières bases de classification basées sur la métamorphose. John Ray s’intéresse aux organismes fossiles figés dans la roche comme les ammonites. Il y voit les restes d’organismes disparus, ce qui le conduit à remettre en cause le dogme biblique d’une création unique et universelle. En revanche, John Ray pense que les espèces ne se sont pas modifiées depuis la création du monde, il est résolument fixiste. Il mènera une guerre sans merci aux créatures imaginaires qui peuplent encore les ouvrages de zoologie de son époque. Avec le xviie siècle, les connaissances en zoologie vont rapidement progresser, avec notamment la généralisation de l’utilisation du microscope. Côté dissection, on ose contredire les thèses anatomiques de Galien (129-216) et les progrès en seront sensibles. Le médecin anglais, William Harvey (1578-1657), découvre la circulation sanguine en 1628. Son Essai anatomique sur le mouvement du cœur et du sang chez les animaux restera un événement majeur dans l’histoire de la médecine humaine et vétérinaire. Les informations diffusent plus rapidement dans les milieux scientifiques. La compilation d’observations minutieuses fait voler en éclat la vision aristoclétienne du monde vivant qui avait régné sur la zoologie durant plusieurs siècles. Au xviiie siècle, la zoologie continuera de progresser avec des naturalistes comme Carl Von Linné ou Buffon. Linné le « Prince des descripteurs ». « Nous comptons aujourd’hui autant d’espèces qu’il en fut créé à l’origine. » Carl Von Linné (1707-1778), naturaliste, Genera plantarum (1737)

Carl Von Linné (1707-1778) reste la figure incontournable de l’histoire naturelle. Ce naturaliste suédois est persuadé qu’il existe un ordre souverain dans la nature et qu’il reste à en découvrir la clé. Linné va imposer un système descriptif rationnel et universel, valable aussi bien pour les végétaux que pour les animaux et les minéraux. Comme nous l’avions expliqué, il va établir les bases de la classification traditionnelle du vivant. Son Systema Naturae ou Système de la nature (publié entre 1735 et 1758) est un système binominal, composé du nom, du genre et du nom de l’espèce, dérivés du latin ou de la forme vernaculaire latinisée, ou encore du nom du découvreur latinisé. Prenons l’exemple du renard roux. Ce nom vernaculaire devient avec le système de Linné Vulpes vulpes. Chaque espèce porte donc 61

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un nom unique et tout zoologue amateur ou spécialiste peut retrouver cet animal, dans n’importe quel ouvrage, dans tous les pays du monde ! Le renard roux appartient à la famille des canidés, à l’ordre des carnivores, à la classe des mammifères, à l’embranchement des chordés (Vertébrés) et enfin au règne animal (Figure 2-36). Grâce à ce système, tout animal rencontré peut être identifié et classifié. Le système hiérarchisé de Linné (espèce, genre, famille, ordre, classe, embranchement et règne) est toujours en usage aujourd’hui. À partir du xviiie siècle, chaque expédition maritime embarquera un ou plusieurs naturalistes qui vont entreprendre l’inventaire des espèces de la planète. Plus tard, on verra les naturalistes se rassembler dans des « sociétés linnéennes ». Profondément croyant, Linné souhaitait rendre accessible à tous ce qu’il nommait Le Grand Œuvre du Créateur, d’où l’expression « Dieu a créé, Linné a classé ».

Figure 2-36 : Classification taxonomique du renard roux ((Vulpes vulpes).

Buffon et la zoologie descriptive : un évolutionniste avant l’heure Georges-Louis Leclerc, plus connu sous le nom de Comte de Buffon (1707-1788) est considéré comme un des grands artisans de la zoologie descriptive. À partir de 1749, et pendant le reste de sa vie, le naturalise se consacre à une encyclopédie de zoologie intitulée Histoire Naturelle, générale et 62

Le monde fascinant des animaux

particulière, avec la description du Cabinet du Roi, qui paraît en quarante quatre volumes dont les huit derniers seront édités après sa mort. Cet ouvrage sera aussi célèbre que l’Encyclopédie de son contemporain Denis Diderot (1713-1784). Les magnifiques illustrations d’animaux du dessinateur/graveur Jacques de Sève (1742-1788) mettent le texte en valeur. Buffon définit aussi l’espèce comme un groupe d’animaux étant capables de se reproduire entre eux. Sa vision des temps géologiques le conduit à penser que les espèces se sont transformées lentement depuis la création de la Terre. Pour lui «  le grand ouvrier de la nature c’est le temps  ». Il avancera même le chiffre de deux millions d’années pour le calcul de l’âge de la Terre, alors que le seul dogme de la Création, reconnu à l’époque par l’Église, donne à notre planète un âge de 6  000 ans. Son statut élevé dans la noblesse lui permettra d’écrire de tels propos. Condamné par la faculté de théologie de la Sorbonne, il se rétractera sans oser exposer totalement ses thèses. L’effervescence évolutionniste du

xixe

siècle

Une nouvelle conception de la nature est en train de voir le jour en ce début de xixe siècle. Les scientifiques réussissent peu à peu à s’affranchir du carcan imposé par les dogmes monothéistes. Dans toutes les religions monothéistes, l’homme n’est sur Terre que pour un bref séjour afin de gagner un « ticket de passage » pour un monde meilleur où il trouvera tout à profusion. On comprend mieux l’expression « après moi le Déluge » : pourquoi se préoccuper de l’avenir de ce monde où l’on ne fait que passer ? Le résultat en a été que l’homme s’est coupé peu à peu de la nature, en considérant sa planète comme un «  supermarché aux ressources inépuisables », et dans lequel on pouvait puiser à l’infini sans se préoccuper du lendemain. On prend enfin conscience que le monde vivant n’est plus un ensemble figé et régi par des textes bibliques et on s’interroge sur son passé comme son avenir. Dans cette ébullition intellectuelle qui bouscule des siècles d’idées reçues, les sciences et les techniques font un bond prodigieux. On commence aussi à réfléchir sur l’impact des activités humaines sur l’environnement, et sur la nécessité de retrouver l’unité perdue entre l’homme et la nature. Au cours du xviiie et au début du xixe siècle, les grandes puissances maritimes multiplient les expéditions à travers le monde dans le but de développer les relations et le commerce. Ces missions embarquent de plus en plus de naturalistes et de dessinateurs, qui ont la charge de faire l’inventaire du vivant. On essaie de comprendre comment les espèces se sont adaptées aux conditions différentes qu’offrent les nouvelles régions explorées et comment elles s’y répartissent. Au cours d’un voyage de cinq années en Amérique du Sud, le naturaliste allemand Alexandre von Humboldt (1769-1869), accompagné du botaniste français Aimé Bonpland (1773-1858), entreprend d’étudier les relations entre l’environnement et les organismes vivants. Les deux scientifiques étudient la distribution géographique des animaux et des plantes selon l’altitude et la latitude. 63

BIODIVERSITÉ ET ÉVOLUTION DU MONDE ANIMAL

C’est la première fois que l’on s’attache à appréhender la nature comme un tout, incluant la Terre et l’ensemble des interactions entre les êtres vivants, y compris les sociétés humaines. Une nouvelle discipline vient de naître, la biogéographie. Toujours en ce début de siècle, l’idée de transformation et d’évolution des espèces va peu à peu s’imposer dans le monde scientifique avec des précurseurs, comme le zoologiste Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829), qui imagine une « chaîne d’être vivants » qui se sont transformés au cours du temps, depuis l’organisme le plus simple jusqu’à l’homme. Lamarck va classer les animaux en vertébrés et invertébrés. Son contemporain, le naturaliste Étienne Geoffroy Saint-Hilaire (1722-1844,) mettra en évidence des ressemblances fondamentales existant dans le règne animal  : il démontre par le principe d’homologie, qu’il y a un plan général d’organisation chez les animaux (Figure  2-37). Cette thèse est développée dans son ouvrage Philosophie anatomique paru en 1818.

Figure 2-37 : Planche extraite de Philosophie anatomique, montrant les similitudes entre les plans corporels d’espèces de vertébrés (singe, poisson, oiseau, et échidné).

Cuvier l’inventeur de la paléontologie Les idées de Lamarck et de Saint-Hilaire seront taillées en pièces par le naturaliste et homme politique Georges Cuvier (1769-1832) qui nie toute continuité entre les espèces. L’homme se fera connaître pour ses travaux sur l’anatomie comparée des animaux, il est également le père fondateur d’une nouvelle discipline la paléontologie. Cette science étudie les restes fossiles des espèces 64

Le monde fascinant des animaux

disparues au cours de temps géologiques. Cuvier va décrire les fossiles retrouvés dans les carrières de gypse de Montmartre. La mise à jour en 1805 d’un petit mammifère marsupial de l’Éocène, la sarigue de Montmartre (Peratherium cuvieri) va servir de test pour la méthode d’anatomie comparée qu’il vient de mettre au point. Cuvier comprend l’importance de sa découverte, car les marsupiaux ne sont plus présents qu’en Amérique et en Australie (Figure 2-38). Comment expliquer la présence d’une espèce disparue ? Fidèle aux préceptes bibliques et fervent fixiste, le naturaliste n’imagine aucune alternative au dogme de la Création des espèces. Il va néanmoins remettre en question l’idée d’une création unique afin d’expliquer la présence de fossiles d’espèces disparues. Il admet que des espèces ont disparu après des séries de catastrophes, les fossiles constitueraient les restes des espèces anéanties au cours de ces évènements naturels (inondations, séismes). En 1825, il publie Les Révolutions de la surface du Globe où il expose sa théorie du Catastrophisme. Selon lui, la Terre a connu une série de catastrophes, il en dénombre vingt-sept, le Déluge étant la dernière. La présence dans les couches géologiques d’espèces éteintes peut enfin s’expliquer. Toute sa vie, Cuvier restera opposé aux idées évolutionnistes naissantes.

Figure 2-38 : Reproduction du squelette de la sarigue de Montmartre (Peratherium cuvieri) et sa reconstitution.

Darwin et la sélection naturelle Comme nous l’avions détaillé dans Biodiversité et évolution du monde vivant, le naturaliste anglais, Charles Darwin (1809-1882), à son retour de cinq années passées autour du monde, avait commencé à douter de la fixité des espèces. Il avait noté que certaines espèces distinctes comportaient des caractéristiques 65

BIODIVERSITÉ ET ÉVOLUTION DU MONDE ANIMAL

très proches, qui ne pouvaient qu’être attribuées à l’environnement naturel dans lequel elles vivaient. Il pensait que toutes les espèces avaient une ascendance commune, puis s’étaient modifiées graduellement au cours des temps géologiques. Selon lui, ce processus avait nécessité des millions d’années. Après plus de vingt années de travail, il publie en 1859 L’origine des espèces, où il décrit les mécanismes de l’évolution du vivant. L’évolution est le résultat de l’action de l’environnement sur les populations d’individus présentant tous de légères variations. Elle va favoriser les individus présentant une modeste adaptation qui leur permet de survivre dans l’environnement. La sélection et l’accumulation de ces variations sur des temps géologiques longs, sont à l’origine d’une nouvelle descendance, présentant des caractéristiques qui existaient de façon aléatoire chez quelques individus. À partir d’un ancêtre commun, les espèces peuvent se transformer et donner des espèces radicalement différentes. Le résultat en est l’extraordinaire diversité du monde vivant. Les oiseaux capturés aux îles Galápagos en 1835, que l’on nomme aujourd’hui «  pinsons de Darwin  » vont servir à étayer sa théorie (Figure 2-39). Les îles

Figure 2-39 : Les pinsons de Darwin (on notera la forme des becs qui reflète le régime alimentaire de chaque espèce).

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Le monde fascinant des animaux

Galápagos constituent un chapelet d’îlots volcaniques récents qui n’ont jamais été reliés au continent distant de 1 000 km. Treize espèces de pinsons peuplent les îles Galápagos et une réside sur les îles Cocos. Elles sont issues d’un ancêtre commun granivore, qui vivait entre un et cinq millions d’années sur le continent américain, et est arrivé en volant dans l’archipel. Ses descendants se sont ensuite adaptés. La forme et la taille de leur bec a évolué avec leur régime alimentaire pour donner l’éventail des pinsons actuels. Darwin explique qu’une nouvelle espèce apparaît quand la sélection naturelle, s’exerçant au fil des générations modifie une population au point que les croisements deviennent impossibles avec une population voisine apparentée. La théorie de l’évolution des espèces par le moyen de la sélection naturelle aura l’effet d’une bombe dans la conception du monde vivant de l’époque. Les critiques virulentes vont venir aussi bien des milieux religieux que du monde scientifique. L’Église anglicane est scandalisée par une telle théorie, qui met à mal le dogme de la Création. Quant aux scientifiques, ils reprocheront à son auteur de ne pouvoir étayer de preuves certaines à ses thèses. À cette époque, Darwin était en effet incapable de démontrer le mécanisme des mutations et de l’hérédité des variations. Il faudra attendre 1865, et la découverte par le moine Johann Grégor Mendel (1822-1884) de la transmission des caractères acquis. Mendel va poser les bases théoriques de la génétique et de l’hérédité moderne, mais ses travaux ne seront redécouverts et reconnus qu’au début du xxe siècle. On les nomme aujourd’hui les lois de Mendel. L’héritage de Darwin Il faudra encore attendre les années 1940 pour voire apparaître une synthèse de la théorie de l’évolution. La vision darwinienne va profiter des progrès de la biologie, de la génétique, de la paléontologie et de la géologie pour devenir la Théorie synthétique de l’évolution. La découverte de l’ADN en 1953, par James Watson et Francis Crick (1916-2004), puis l’avènement de la biologie moléculaire seront autant de facteurs déterminants pour expliquer les mécanismes de l’évolution. Depuis la publication de L’Origine des espèces, les partisans de l’évolution et les défenseurs du créationnisme s’affrontent à travers des procès et les médias. Les détracteurs viennent aussi bien des milieux fondamentalistes chrétiens, de certains états conservateurs des États-Unis, que des créationnistes issus de milieux musulmans. Poser l’homme comme étant un animal parmi les autres animaux, dérange encore certains esprits, quand cela ne provoque pas des réactions de rejet. Lorsqu’en 2001, le génome humain fut séquencé, on nous trouva 30 000 gènes. Trois ans plus tôt, le séquençage du génome de Caenorhabditis elegans, un minuscule ver d’un millimètre de long avait permis de montrer que cet animal était riche de 19  000 gènes. Nous n’avions que 40  % de plus de gènes que 67

BIODIVERSITÉ ET ÉVOLUTION DU MONDE ANIMAL

Caenorhabditis elegans, dont la plupart des gènes ont des équivalents dans le patrimoine génétique humain. Le biologiste anglais, Armand Marie Leroi, a eu ce commentaire humoristique qui aurait bien plu à Charles Darwin  : nous ne sommes que des vers, mais en plus grand  ! De quoi rester humble devant le monde animal, car les ancêtres de ce ver ainsi que ceux des hommes ne se sont séparés qu’il y a 550 millions d’années. Nous avons tout à apprendre du monde animal !

ÉLÉMENTS DE BIBLIOGRAPHIE AMEISEN Jean-Claude, 2011. Dans la lumière et les ombres. Darwin et le bouleversement du monde. Paris, Fayard/Seuil. BLANDIN Patrick, 2010. Biodiversité, l’avenir du vivant. Paris, Albin Michel. BOYCE, DG., Lewis, MR., Worm, B., 2010. Global phytoplankton decline over the past Century, Nature 466, 591-596. BURTON Maurice, Burton Robert, 1975. La grande histoire du monde animal. Genève, Éditoservice. DARWIN Charles, 1985. Autobiographie, La vie d’un naturaliste à l’époque victorienne. Paris, Belin. DAWKINS Richard, 2010. Il était une fois nos ancêtres. Paris, Pluriel. DELORT Robert, 1984. Les animaux ont une histoire. Paris, Seuil. GARON David, GUÉGUEN Jean-Christophe, RIOULT Jean-Philippe, 2013. Biodiversité et évolution du monde vivant. Les Ulis, EDP Sciences. GOULD Stephen-Jay, 2001. L’éventail du vivant. Paris, Le Seuil. GRUNDMANN Emmanuelle, 2010. Demain, seuls au monde ? Paris, Calmann-Lévy. LECOINTRE Guillaume, Le Guyader Hervé, 2006. Classification phylogénétique du vivant. Paris, Belin. LE GUYADER Hervé, (dir.). 2003. L’évolution. Paris, Éditions Belin-Pour la Science. MELVILLE Hermann, 1996. Moby Dick. Paris, Gallimard. MORA, C., Tittensor, DP., Adl, S., Simpson, B., Worm, B., 2011. How many species are there on Earth and in the Ocean? PLoS Biology 9, (8): e1001127. PELT Jean-Marie, 1999. La cannelle et le panda. Paris, Fayard. ROBINOT-BICHET Marie-Hélène, 1999. Le roman de renart. Paris, Hachette. THOMAS Frédéric, (Dir.) 2010. Biologie évolutive. De Boeck-CNRS. WARREN, W.C., 2008. Genome analysis of the platypus reveals unique signatures of evolution, Nature 453, 175-183.

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Chapitre

«  Celui qui connait vraiment les animaux est par là même capable de comprendre pleinement le caractère unique de l’homme. » Konrad Zacharias Lorenz, (1903-1989), biologiste, prix Nobel de médecine 1973, L’Agression, une histoire naturelle du mal, 1966

Diversité des modes de vie chez les animaux

Des rapports étranges . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70

L’animal écosystème . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85

Le parasitisme, moteur de l’évolution des espèces . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70

L’animal ingénieur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88

Le Mutualisme ou quand l’union fait la force . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74 Le commensalisme, ou comment manger à la même table… sans rien payer ! . . . . 77 Les Stratégies de défenses contre les prédateurs . . . . . . . . . . . . . . . . 78

Les stratégies de reproduction . . . . . . . . . . . 94 Et l’animal inventa l’outil . . . . . . . . . . . . . . . . 102 Éléments de bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . 106

BIODIVERSITÉ ET ÉVOLUTION DU MONDE ANIMAL

DES RAPPORTS ÉTRANGES Tout animal vivant dans un biotope est soumis aux lois de la sélection naturelle. Pour assurer sa survie et sa descendance, il doit se nourrir, se reproduire pour perpétuer l’espèce, et se protéger d’éventuels agresseurs ou prédateurs. Face à un danger, il peut s’enfuir, se camoufler ou disparaître.

Comme tous les animaux doivent trouver une source de nourriture pour survivre, deux stratégies s’offrent à eux : – soit ils mènent une vie libre, ce qui entraîne une quête de nourriture dans leur environnement. L’animal sera ainsi carnivore, herbivore, omnivore ou détritivore. Il pourra soit se déplacer de façon active pour trouver sa subsistance, soit rester immobile comme le fait une huitre qui filtre les nutriments ; – soit, ils s’associent avec une autre espèce, et on parle alors de symbiose au sens large. On distingue trois grandes associations possibles entre les êtres vivants symbiotiques, le parasitisme, le mutualisme et le commensalisme. Nous allons exemplifier ces trois modes de vie. Remarque

Le botaniste allemand Heinrich A. de Bary inventa, en 1879, le terme « symbiose » pour qualifier la relation qui unit, au sein d’un lichen, un champignon et une microalgue. Ce terme s’est ensuite généralisé. Il regroupe les associations entre espèces, des plus simples aux plus complexes.

LE PARASITISME, MOTEUR DE L’ÉVOLUTION DES ESPÈCES Le parasitisme est une association symbiotique dans laquelle un organisme, le parasite se nourrit aux dépens de son hôte et lui porte préjudice de façon plus ou moins grave. Pendant une partie ou la totalité de son existence, il puise dans son hôte les éléments nutritifs indispensables à sa survie. Un équilibre fragile doit s’établir entre les deux partenaires, car le parasite ne doit pas tuer trop vite ou totalement son hôte, faute de nourriture. Certains auteurs n’hésitent pas à qualifier de phénomène de « paix armée ». Le parasite peut vivre à l’intérieur des tissus de l’hôte comme le ténia ou ver solitaire (Taenia solium), on parle alors d’endoparasite. D’autres parasites font un court séjour sur la surface externe de leur hôte comme les moustiques, les puces, les poux ou les tiques. Ils sont appelés ectoparasites. 70

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Le parasitisme peut aussi se présenter sous la forme du parasitisme de ponte ou parasitisme de couvée chez les oiseaux. On a recensé 236 espèces pratiquant ce type de mode de vie. La femelle coucou (Cuculus canorus) est capable de pondre son œuf en quelques secondes, profitant du moindre moment d’abandon du nid ou d’inattention par son propriétaire légitime. L’œuf pondu est, le plus souvent, pratiquement identique aux œufs de l’hôte qui a bien du mal à le repérer. Le biologiste et parasitologue Claude Combes explique que le parasitisme a joué un rôle moteur dans l’évolution du vivant : L’hôte et son parasite sont en effet toujours en compétition, le second pour exploiter le premier, le premier pour se débarrasser du second. Ainsi, ils évoluent : quand l’un trouve une nouvelle arme, l’autre doit également en inventer une (Figure 3-1).

Figure 3-1 : Bébé coucou installé dans un nid de rouge gorge.

Le parasitisme reste une remarquable stratégie de survie évolutive, sachant que son auteur ne retirerait aucun avantage de la mort de son hôte. Dans les mécanismes de co-évolution, les parasites ont un avantage dans la « course aux armements  », car ils ont souvent des temps de générations plus courts et des effectifs plus importants. Nous reviendrons sur ce sujet dans la partie consacrée aux maladies parasitaires dans le chapitre V. 71

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Le mythe de l’« Alien » revisité Dans ce chapitre, nous ne pouvions pas omettre d’évoquer les parasitoïdes, des organismes (insectes, vers, champignons…) qui se développent à l’intérieur de leur hôte. Les proies des parasitoïdes sont presque exclusivement des insectes ou des larves d’insectes. Les espèces parasitoides les mieux décrites sont des insectes et plus particulièrement des guêpes. L’exemple le plus courant est celui de la guêpe Cotesia congregata qui pond ses œufs sur le dos de la chenille du sphinx du tabac (Manduca sexta). La chenille sert alors de garde-manger aux larves de la guêpe. La victime meurt lorsque les larves, ayant atteint un stade de maturité suffisant, s’expulsent de l’incubateur flasque de leur hôte pour se métamorphoser en adultes ailés (Figure 3-2).

Figure 3-2 : La chenille du sphinx du tabac transformée en incubateur vivant.

Associations de malfaiteurs Certaines guêpes poussent encore plus loin la stratégie comme l’espèce Dinocampus coccinellae capable de transformer son hôte, une coccinelle, en véritable zombie. La femelle pond un unique œuf dans l’abdomen du coléoptère préalablement paralysé par le venin. Dans le même temps, elle injecte un virus qui va manipuler le comportement de la coccinelle. Une larve en éclot qui se nourrit des tissus de la coccinelle, puis finit par sortir de son abdomen. La larve tisse alors un cocon entre les pattes du coléoptère. Si la coccinelle a survécu à la «  césarienne  », elle va le «  couver  » durant plusieurs jours, sans jamais le quitter. Zombifié par le virus, l’infortunée coccinelle devenue à son insu 72

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« garde du corps » est même prise de spasmes musculaires et de soubresauts pour simuler qu’elle est bien vivante à d’éventuels prédateurs. La larve manipule son hôte pour que celui-ci la protège entre ses pattes. La couleur vive de la coccinelle (coloration aposématique) a aussi pour but d’éloigner les prédateurs. Après six à neuf jours, une nouvelle guêpe émerge de son cocon et le cycle est bouclé. Nolwenn Dheilly, chercheuse au laboratoire Interactions hôtes-pathogènes-environnements de Perpignan, a montré que le changement de comportement de la coccinelle est bien le fait du virus injecté par la guêpe et qui se développe dans le système nerveux du coléoptère (Figure 3-3). Si cette relation parasitique est majoritairement mortelle, environ 25  % des infortunées «  mères porteuses  » récupèrent après l’éclosion du parasitoïde et reprennent une activité normale, leur système immunitaire s’étant débarrassé du virus. On ne peut qu’être admiratif devant l’efficacité de cette « association de malfaiteurs », guêpe/virus, qui est le résultat de millions d’années de coévolution. Les insectes ne nous ont pas attendus pour inventer les armes biologiques !

Figure 3-3 : La coccinelle zombifiée, couve le cocon de la guêpe.

Les malheurs d’une grenouille Le ver parasite trématode Ribeiroia ondatrae est responsable des difformités observées sur certaines grenouilles nord-américaines. Ces trématodes ont un cycle de vie complexe, puisqu’ils affectent successivement trois types d’espèces d’hôtes. La forme adulte vit dans les intestins de plus de 40 espèces d‘oiseaux et de mammifères. Les larves du parasite infectent des escargots aquatiques qui vivent dans les mares et les étangs. Elles se transforment en une forme mobile qui va infecter les têtards, en s’enkystant au niveau de l’ébauche des futures pattes postérieures. Le développement normal des pattes est perturbé, 73

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avec une croissance de pattes surnuméraires, qui handicapent l’infortunée grenouille. Cette dernière devient alors une proie facile pour les hérons qui vont à travers leurs déjections propager le parasite dans les mares voisines. Le cycle recommence (Figure 3-4).

Figure 3-4 : Grenouille parasitée par le ver plat Ribeiroia ondatrae.

LE MUTUALISME OU QUAND L’UNION FAIT LA FORCE Dans ce type de relation symbiotique les deux espèces bénéficient de la relation qui les lie, on parle d’une interaction à bénéfice réciproque. C’est dans ce cas que l’on peut vraiment parler de symbiose car les espèces concernées, les symbiotes (ou symbiontes) et leurs hôtes respectifs, vivent en contact direct les uns avec les autres. Nous avons choisi de développer trois exemples comme les coraux et leur algues, l’anémone et le poisson-clown, et la salamandre maculée. Le secret des coraux Nous avons expliqué que l’hétérotrophie était une des principales caractéristiques du monde animal. Force est de constater que certains organismes marins comme les cnidaires (anémones de mer, coraux…) vivent en association symbiotique avec des algues photosynthétiques autotrophes qui leur fournissent des glucides comme source d’alimentation. C’est le cas des coraux formés de polypes qui secrètent un exosquelette de carbonate de calcium. Ils se nourrissent de plancton. La couleur des coraux est due à la présence d’algues unicellulaires microscopiques colorées qui secrètent des pigments protecteurs contre le rayonnement ultraviolet. Ces organismes sont des algues zooxanthelles du genre Symbiodinium. Elles consomment les déchets azotés et phosphatés du polype comme source d’éléments minéraux. Elles favorisent aussi la précipitation du carbonate de calcium et l’élaboration du squelette calcaire, principal constituant des récifs coralliens. Il s’agit donc d’une symbiose avec extrême dépendance, car la mort des algues entraîne la disparition des polypes associés. C’est le phénomène du « blanchiment du corail » (Figure 3-5). 74

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Figure 3-5 : La symbiose chez les polypes, l’algue Symbiodinium existe sous deux formes : une forme libre flagellée (A) et une forme insérée dans les cellules du polype (B).

Le monde de Nemo revisité Lorsque l’on évoque le mot symbiose dans le monde animal, une image revient souvent, celle du poisson-clown à trois bandes ((Amphiprion ocellaris) et de l’anémone (Figure 3-6). Les 29 espèces de poissons-clowns sont principalement

Figure 3-6 : Poisson-clown à trois bandes (Amphiprion ocellaris) à l’abri dans l’anémone Heteractis magnifica.

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connues pour la relation qu’ils entretiennent avec une dizaine d’espèces d’anémones de mer. Assez mauvais nageurs, ils doivent trouver un refuge pour échapper aux prédateurs. Les tentacules de l’anémone sont venimeux et secrètent un venin urticant qui paralyse les proies. Le poisson-clown est enduit d’un mucus qui le protège, et il s’immunise progressivement en se frottant à l’anémone. En contrepartie, le poisson clown peut servir de leurre pour attirer des proies vers l’anémone. La vie des poissons-clowns est très hiérarchisée, et les jeunes immatures sont tous asexués. Chacun devra attendre son tour avant de devenir d’abord mâle, puis au final une femelle, ce que le dessin animé, Le monde de Nemo des studios Disney a omis de nous dire. Si la femelle disparaît, le mâle devient femelle et l’immature doté de la plus grande taille devient mâle. Les poissons-clowns ont inventé la « famille recomposée ». L’anémone tout comme ses hôtes colorés est carnivore. Elle n’a pas d’yeux, pas d’oreilles et même pas de cerveau. Elle a seulement une bouche entourée de tentacules qui lui servent à tuer les proies et à manger. Le poisson nettoie l’anémone en mangeant les bouts de tentacules morts et les restes de poissons morts abandonnés. Il refoule au passage les poissons-papillons, amateurs de tentacules d’anémones. L’anémone en profite pour finir les débris des repas de ses locataires. L’anémone pourrait survivre sans le poisson mais chacun y trouve avantage. La relation entre le bailleur et les locataires ne semble menacée que par l’homme qui prélève ces beaux poissons peu farouches pour les mettre en aquarium. Chaque année, plus de 150 000 poissons-clowns sont vendus. Cette popularité risque à moyen terme de faire disparaître l’espèce alors que le dessin animé de Disney visait à sensibiliser le public sur la fragilité de cette espèce ! Une salamandre photovoltaïque  Voici encore un exemple où la photosynthèse se met au service du monde animal. La salamandre maculée (Ambystoma maculatum) est une espèce fouisseuse originaire de l’Est des États-Unis. On s’interrogeait depuis longtemps sur la jolie teinte verte des œufs de cet urodèle. Des chercheurs canadiens ont découvert que des algues unicellulaires (Oophilia ambystomatis) semblent faciliter le développement des embryons de cette espèce. Elles sont capables de coloniser l’intérieur même des cellules du jeune embryon de salamandre. Ces algues, qui vivent dans le cytoplasme, s’accolent aux centrales énergétiques cellulaires que sont les mitochondries. Les mitochondries qui assurent la respiration des cellules embryonnaires utilisent alors l’oxygène produit par les algues au cours de la photosynthèse. En retour, l’algue profite des déchets azotés rejetés par l’embryon. Sans la microalgue, les œufs des salamandres se développent moins vite ; de même, l’algue pousse moins bien sans les embryons. C’est la première fois que l’on met en évidence la présence d’un organisme végétal dans un œuf de vertébré. Jusqu’à cette découverte, on pensait que cette 76

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association ne pouvait pas exister chez les vertébrés où le système immunitaire rejette toute endosymbiose. Les chercheurs ont même trouvé l’ADN de l’algue dans les organes reproducteurs des salamandres. Il est donc possible que cette endosymbiose soit transmise entre générations. L’algue est à l’origine des taches jaune/vert de l’amphibien. La salamandre maculée et son algue ont inventé le Pacs, la vie est belle ! (Figure 3-7).

Figure 3-7 : La salamandre maculée.

LE COMMENSALISME, OU COMMENT MANGER À LA MÊME TABLE… SANS RIEN PAYER ! Dans le commensalisme (du latin cum, avec, et mensa, table) qui signifie « manger à la même table », l’association est avantageuse pour une espèce, sans pour autant causer de préjudice ni de dommage à l’autre. L’un des partenaires se nourrit le plus souvent des déchets de l’autre. Le cas du héron-garde-bœuf (Bubulcus ibis) illustre bien ce type d’association, car l’échassier recherche sa nourriture à proximité d’un gros animal en pâture (bovin, cheval) qui perturbe l’environnement. Le héron peut alors facilement capturer une grande variété de proies (vers de terre, sauterelles, grillons, araignées, grenouilles…) dérangées par le piétinement. 77

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Le commensalisme peut aussi intervenir sous la forme d’une espèce hôte qui en transporte une autre. On parle alors de phorésie. Le cas des balanes est bien connu. Il s’agit de crustacés cirripèdes qui se fixent sur la carapace des tortues ou sur la peau des baleines. Certaines espèces de poissons comme les rémoras ou poissons pilotes possèdent une ventouse leur permettant de se fixer sur les requins, les raies ou les tortues. Ces poissons pilotes se nourrissent soit des crustacés qui parasitent leur hôte, soit des restes de nourriture de ce dernier, ou encore en filtrant les nutriments au travers leurs dents lorsqu’ils sont fixés sur leur hôte. Enfin, un autre aspect du commensalisme se nomme l’inquilisme. Dans ce cas, l’organisme le plus petit vit à l’intérieur d’une cavité naturelle de son hôte, cavité communiquant avec le milieu ambiant. C’est le cas du crabe pinnothère (Pinnotheres pisum) qui se cache dans le manteau des moules et des huîtres. En séjournant dans la cavité palléale des lamellibranches, ils captent les microorganismes et le plancton entraînés par le courant d’eau. C’est ce squatter qui craque sous votre dent quand vous dégustez une assiette de moules frites !

LES STRATÉGIES DE DÉFENSES CONTRE LES PRÉDATEURS Afin d’échapper à leurs prédateurs, les animaux adoptent différentes stratégies comme des défenses passives consistant à se cacher, ou des défenses actives qui se traduisent par un combat ou la fuite. La fuite devant un prédateur est la stratégie la plus courante, mais elle ne s’avère pas toujours payante, car nécessitant beaucoup d’énergie, sauf si la proie peut se dissimuler rapidement dans un abri. Le combat est souvent engagé pour défendre la progéniture comme c’est le cas chez les pies bavardes (Pica pica) qui défendent leurs œufs contre les corneilles noires (Corvus corone). Les pies utilisent des cris d’alarme qui vont rallier d’autres congénères pour venir harceler les agresseurs (Figure 3-8).

Figure 3-8 : Corneille noire versus pie bavarde. 78

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Le camouflage De nombreuses espèces utilisent un moyen de défense passif, en adoptant une coloration de camouflage. Cette coloration leur permet d’imiter un support inerte comme l’écorce d’un arbre (papillon phalène), une brindille (phasme), une feuille (phasme), une algue (baudroie, hippocampe) ou une pierre (poisson-pierre). On parle alors d’homochromie qui est le mimétisme des couleurs. L’exemple le plus classique est celui du phalène du bouleau (Biston betularia), un papillon nocturne aux ailes claires tachetées de sombre, qui le rendent très peu visible sur l’écorce d’un bouleau (Figure 3-9). Le camouflage a une double fonction  : rendre la proie invisible pour le prédateur, mais aussi rendre le prédateur invisible de sa proie.

Figure 3-9 : Le phalène du bouleau, les variations naturelles de l’espèce lui permettent de se camoufler sur les écorces.

S’il existe un maître du camouflage, c’est bien le caméléon : ce lézard dispose de cellules aux couleurs changeantes, les chromatophores, contrôlées par des cellules nerveuses du cerveau. Ces animaux qui chassent à l’affût ont un mode de vie arboricole. L’homochromie leur permet de se dissimuler dans le feuillage pour capturer leurs proies à distance, avec l’aide de leur langue protractile. Des études ont montré que cette capacité à changer de couleur est principalement un moyen de communication sociale. La couleur s’assombrit lorsque l’animal est en colère. Les céphalopodes comme les calmars, les seiches, ou les pieuvres utilisent également des chromatophores pour se fondre dans leur milieu (Figure 3-10). 79

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Figure 3-10 : Le caméléon en chasse.

La stratégie du char d’assaut Certains animaux possèdent des défenses mécaniques ou chimiques qui vont repousser les agresseurs. C’est le cas du hérisson qui se met en boule pour devenir une pelote d’aiguilles. Les quelques 5 000 piquants vont dissuader l’agresseur. Posséder une carapace est aussi un bon moyen pour les tortues et les tatous de se protéger des agressions. La tortue rentre sa tête, ses pattes et sa queue à l’abri, tandis que le tatou se roule en boule. C’est la même tactique qu’adopte un cloporte en face de son agresseur (Figure 3-11).

Figure 3-11 : Défenses mécaniques : hérisson, tatou et cloporte. 80

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Défenses chimiques L’arme chimique est aussi un excellent moyen de repousser les agresseurs. La moufette (Mefitis mefitis), petit mammifère américain, projette sur ses agresseurs un liquide fortement malodorant produit par ses glandes anales. Ce spray sert à aveugler l’agresseur, un couguar ou un coyote, qui n’y reviendra plus, car il va diffuser une épouvantable odeur tenace pendant plusieurs jours. La couleuvre à collier (Natrix natrix) quand elle se sent inquiète, fait la morte à s’y méprendre. Figée comme un cadavre raide mort depuis plusieurs jours, la bouche ouverte, la langue sortie, elle exhale même une odeur pestilentielle. N’oublions pas notre crapaud commun (Bufo bufo), qui à l’instar d’autres crapauds européens, utilise ses glandes à venin comme système de défense (glandes parotoïdes et pustules). Les glandes cutanées secrètent des molécules toxiques comme la bufotoxine, des catécholamines (adrénaline, sérotonine) et ainsi que la bufoténine, un alcaloïde aux propriétés hallucinogènes. Si nous ne risquons rien à le prendre dans nos mains, il n’en est pas de même pour nos animaux de compagnie qui peuvent le saisir dans leur gueule. En pressant le crapaud sur les muqueuses buccales, les toxines passent dans le sang. L’ingestion de crapauds par les chiens est responsable de troubles digestifs, nerveux et cardiaques qui peuvent s’avérer fatals (Figure 3-12).

Figure 3-12 : Défenses chimiques : crapaud commun et mouffette.

La coloration d’avertissement  Les animaux qui utilisent des défenses chimiques passives ont souvent la particularité d’arborer des couleurs vives qui agissent comme un signal d’avertissement 81

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envers les prédateurs. On parle alors de coloration aposématique ou de coloration d’avertissement. C’est le naturaliste anglais Alfred Russel Wallace (1823-1913) qui a été le premier à penser qu’il s’agissait d’un mécanisme évolutif. Les prédateurs apprennent à associer la couleur avec la toxicité qui va souvent de pair avec un goût désagréable. On rencontre cette stratégie adaptative aussi bien chez les invertébrés que chez les vertébrés. On retrouve par exemple l’association du noir et du jaune chez les guêpes, les doryphores et les salamandres. Les insectes présentent une riche gamme de colorations aposématiques (Figure 3-13). Tout le monde se méfie de la guêpe germanique (Vespula germanica) qui rôde autour du melon en été. La couleur de son abdomen strié est là pour nous avertir de la présence de son dard venimeux.

Figure 3-13 : L’aposématisme chez quelques insectes, coccinelle, doryphore, guêpe, écaille du séneçon, pyrrhocore.

Chez les vertébrés, certains amphibiens sont les champions de la coloration d’avertissement comme les salamandres et les grenouilles dendrobates. Ces dernières sont originaires d’Amérique centrale ou du Sud et ont toutes en commun un corps aux couleurs vives et la capacité de secréter des toxines au niveau de leurs glandes cutanées (Figure 3-14). Certaines tribus amérindiennes récoltent ce poison sur la peau de ces « venimeuses beautés » pour en enduire la pointe de leurs flèches, ce qui leur a valu le surnom de « grenouilles à flèches empoisonnées ». L’étude des poisons a permis de découvrir une nouvelle molécule la batrachotoxine. Certaines grenouilles du genre Phyllobates sont bien connues pour secréter ce poison violent qui peut s’avérer mortel pour l’homme. 82

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La batrachotoxine est un alcaloïde stéroïdique qui fait partie des poisons les plus violents du monde vivant. Elle perturbe le fonctionnement nerveux et musculaire, et peut entraîner une arythmie, une fibrillation et la mort par arrêt cardiaque. Ce poison est capable de tuer un mammifère de la taille d’un tapir. On retrouve ce poison chez des passereaux de Nouvelle-Guinée-Papouasie (cf. Chapitre V).

Figure 3-14 : Deux beautés venimeuses, Phyllobates terribilis et Phyllobates bicolor.

Le mimétisme ou comment sauver sa peau en trichant Dans l’ouvrage De l’autre côté du miroir de Lewis Carroll (1832-1898), la Reine Rouge entraîne Alice dans une course effrénée, où de manière paradoxale, le paysage semble immobile. Alice s’en étonne et la reine lui réplique qu’il faut courir vite pour rester sur place, autrement dit évoluer pour continuer à survivre. La coévolution entre les espèces traduit cette course sans fin à l’adaptation pour survivre et donc garder sa place. La complexification du vivant est le fruit de cette «  course  ». Elle a donné lieu à une théorie évolutive, la théorie de la Reine Rouge (cf. « Biodiversité et évolution du monde vivant », chez le même éditeur). Le mimétisme est une stratégie de survie originale qui permet d’échapper à la vue des prédateurs. Il diffère du camouflage décrit plus haut, car il fait appel à un mécanisme de coévolution où trois espèces sont impliquées, celle servant de modèle, l’imitatrice et la dupée. Le modèle est l’espèce qui sert de référence par sa forme et sa couleur. Le mime est celui qui imite l’espèce de référence pour échapper au prédateur qui joue ici le rôle de dupe, incapable de faire la différence entre le modèle et le mime. C’est le naturaliste et explorateur britannique Henry Walter Bates (1825-1892) qui a émis le premier une théorie sur le mimétisme en observant des papillons au cours d’un voyage en Amazonie. Il constate à plusieurs reprises qu’une espèce inoffensive profite de sa 83

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ressemblance avec une espèce toxique. À l’époque, cette observation fournira une confirmation de la théorie de l’évolution à Charles Darwin (1809-1882). L’effet papillon Le mimétisme entre le papillon monarque (Danaus plexippus) et le papillon vice-roi (Limenitis archippus) illustre parfaitement ce que l’on appelle le mimétisme batésien. Le monarque, à la coloration aposématique, est imprégné de métabolites toxiques qui lui assurent une protection contre des oiseaux prédateurs (les dupés), qui associent la coloration à une toxicité potentielle. L’inoffensif viceroi mime l’aspect et la coloration vive du monarque, ce qui renforce ses chances de survie. L’oiseau qui a « goûté » le poison de l’un évite l’autre (Figure 3-15).

Figure 3-15 : Exemple de mimétisme batésien entre le monarque (A) espèce modèle, et son mime le vice-roi (B).

Le mimétisme de divertissement est caractéristique du lézard des murailles (Podarcis muralis) qui abandonne une extrémité de queue frétillante à son agresseur. Trompé, ce dernier croit tenir sa proie qui a filé (Figure 3-15). Certaines chenilles pratiquent le mimétisme d’intimidation. C’est le cas de la larve du papillon sphinx Hemeroplanes ornatus, qui lorsqu’elle se sent menacée, gonfle sa tête et son thorax pour prendre l’aspect d’une vipère. Les yeux, les écailles et la tête triangulaire d’un serpent sont si parfaits que l’agresseur est bluffé. La chenille est même capable de simuler un mouvement d’attaque et n’hésite pas à mordre son agresseur pour assumer jusqu’au bout son rôle de serpent venimeux ! (Figure 3-16). Une autre forme de mimétisme est le mimétisme müllérien, développé par le biologiste allemand Fritz Müller (1821-1897). Parfois, deux espèces toxiques ou venimeuses qui se ressemblent revêtent les mêmes couleurs d’avertissement. C’est le cas de guêpes qui ressemblent à des abeilles. Le fait d’avoir la même apparence permet de bénéficier réciproquement de la répulsion de leur prédateur respectif et d’améliorer ainsi l’efficacité de leur stratégie de défense. Ce mimétisme croisé de leur apparence avantage les deux espèces car les prédateurs apprennent plus vite à les éviter. C’est ce que le biologiste Thierry Lodé nomme la supercherie du monde animal. 84

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Figure 3-16 : Le lézard des murailles et la chenille du sphinx Hemeroplanes ornatus.

L’ANIMAL ÉCOSYSTÈME Pourquoi le paresseux descend-il pour faire caca ? Afin d’illustrer un écosystème animal original, nous avons choisi celui d’un animal arboricole, le paresseux à trois doigts. Depuis les extinctions de la période glaciaire (cf. Chapitre III), l’ordre des Xénarthres n’est plus représenté que par les tatous, les fourmiliers et les paresseux. Parmi les six espèces de paresseux encore existantes, nous allons nous intéresser au paresseux à trois doigts (Bradypus tridactylus), exclusivement herbivore. Encore appelé bradype tridactyle, il est connu localement sous le nom d’aï, en raison de son cri. Il passe le plus clair de son temps dans la canopée des forêts humides d’Amérique latine, où on le surnomme le « mouton paresseux » (Figure 3-17). L’espèce est menacée par l’emprise humaine qui morcelle son habitat par des déboisements, des routes ou des lignes électriques sur lesquelles il s’électrocute. Les chiens et les enfants le maltraitent au point qu’il a fallu créer des refuges. Accroché aux branches en position dite du « hamac », il mène une vie au ralenti, où chaque calorie durement produite est économisée. Cette position a entraîné de profondes modifications de la position de ses organes (foie, estomac) pour répondre aux contraintes de la gravité. Il dort une dizaine d’heures par jour et ne respire que six à huit fois par minute. Son estomac s’est complexifié avec des diverticules qui lui permettent d’assimiler la cellulose et d’optimiser ainsi une 85

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nourriture pauvre en calories. Ce régime alimentaire explique sa faible activité et fait de lui un mammifère hautement spécialisé. Le paresseux n’est donc pas si feignant et ne devrait pas être affligé du nom de l’un des sept péchés capitaux !

Figure 3-17 : Le bradype tridactyle en train de remonter dans la canopée.

Son mode de vie « à l’économie » est sa meilleure stratégie de défense contre les prédateurs que sont les aigles, le jaguar ou l’ocelot. Comme l’explique le professeur Arnaud Lardé dans le magazine Espèces (n°12), le paresseux atteint la vitesse vertigineuse d’une dizaine de mètres par minute ce qui lui permet d’échapper aux prédateurs chez lesquels la chasse à vue est basée sur le mouvement. Le bradype tridactyle est un véritable écosystème à lui seul, où le mot symbiose prend toute sa valeur. Le paresseux entretient des relations intimes avec de nombreux partenaires que nous allons vous présenter. Dame Nature étant économe chacun y trouve son intérêt. Observez la figure 3-17, vous pourrez constater la couleur verdâtre de la longue fourrure, elle est due à la présence d’algues vertes. Si ce pelage participe au camouflage du paresseux, les algues sont bien à l’abri dans les fentes et craquelures des poils qui retiennent l’eau de pluie indispensable à leur survie. En plus de ces partenaires chlorophylliens, les poils sont colonisés par des acariens, des tiques, et des coléoptères. Toute cette faune produit des déchets azotés qui aident les algues à proliférer. Le paresseux tridactyle héberge également une prodigieuse population de mites (petits papillons du genre Cryptoses sp.) qui trouvent un abri idéal dans sa fourrure. Lorsque le paresseux se lèche les poils pour se nettoyer, il absorbe les algues qui lui apportent une source d’énergie riche en lipides essentiels. Ces 86

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matières azotées servent aussi de nourriture à des champignons de la famille des Ascomycètes qui profitent aussi du pelage. C’est donc un véritable « zoo suspendu » qui vit accroché aux branches de la canopée ! Avec son métabolisme hyper lent, le paresseux ne défèque qu’une fois par semaine. Il va descendre au sol et faire un trou à l’aide de sa queue, près de son arbre, avant de se soulager dedans, puis d’enterrer ses volumineux excréments. Au final, il recouvre ensuite le tout avec des feuilles et remonte sans se presser. Notons au passage que cette opération de descente et de remontée à un coût énergétique, car le bradype tridactyle brûle 10 % de ses calories journalières et perd du poids (Figure 3-18).

Figure 3-18 : Le paresseux et ses mites.

Alors pourquoi descend-il pour faire caca  ? C’est la question qui laissait les spécialistes perplexes. En fait, notre bradype assure le cycle des matières azotées. Au moment de la défécation, les mites quittent les poils pour aller déposer leurs œufs sur les excréments qui serviront de nourriture à leurs larves coprophages. Après l’éclosion, la nouvelle génération de papillons remonte vers la canopée pour s’installer dans la fourrure et apporter de l’azote aux algues et aux champignons qui entretiennent le cycle. Quant au paresseux, il a fertilisé son arbre hôte ! La relation tripartite entre l’animal, les papillons et les algues est la clé écologique de l’énigme ! 87

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Une étude de 2014 des communautés d’Ascomycètes a révélé que certaines souches isolées présentaient des activités antibactériennes, antiparasitaires et anticancéreuses.

L’ANIMAL INGÉNIEUR Certains animaux, de part leur présence et leur activité dans un milieu, sont capables de modifier de manière significative leur environnement. On les qualifie alors d’espèces ingénieur ou d’ingénieurs écologiques. En modifiant physiquement un écosystème, ils créent des ressources pour les autres espèces. Certains animaux peuvent construire des habitats pour d’autres espèces à l’instar du castor, qui abat des arbres et construit des barrages, modifiant de façon significative l’environnement terrestre et aquatique. On parle aussi d’espèces clé de voûte pour qualifier celles qui permettent par leur seule présence et leurs activités, l’installation d’autres espèces. La disparition d’une espèce clé de voûte entraîne la disparition de toutes les autres espèces qui en dépendent pour survivre. Il existe deux types d’ingénieurs : – les ingénieurs autogéniques : ce sont les espèces qui changent l’environnement par l’intermédiaire de leurs propres structures physiques. Le corail en est un exemple, tout comme un arbre qui par sa seule présence, procure de l’ombre à son pied et crée un microclimat qui va participer à la survie de nombreux organismes ; – les ingénieurs allogéniques  : ils modifient le biotope par leur action et leurs échanges. Ces espèces sont capables de transformer les matériaux qu’elles trouvent dans l’environnement, en les faisant passer d’un état à un autre. Les termites ou les fourmis qui cultivent des champignons pour leurs apports alimentaires ou les vers de terre qui « labourent » le sol, illustrent cette fonction ingénieur. Les ingénieurs de la mer La grande barrière de corail, le plus grand animal au monde

Avec une superficie égale aux trois quarts de celle de la France, la Grande Barrière de corail au large des côtes australiennes, est le plus grand récif corallien au monde. Cette formation est considérée comme la plus grande structure créée par des organismes vivants sur Terre. On la qualifie de « plus grand animal vivant du monde » et elle est visible depuis l’espace. En réalité, elle est constituée de milliards de colonies de minuscules animaux, les polypes qui sécrètent un squelette constitué de carbonate de calcium. La survie du polype comme nous l’avons vu est assurée par une symbiose avec des microalgues photosynthétiques, les zooxanthelles. Les coraux en s’accumulant forment de vastes ensembles, les récifs, qui sont de véritables oasis de vie. Ces écosystèmes procurent des niches 88

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écologiques à de nombreux animaux qui y trouvent nourriture, refuge, protection et abri. Ils concentrent une incroyable biodiversité : herbiers, éponges, anémones, oursins, mollusques, crustacés, tortues, et bien sûr, d’innombrables poissons aux couleurs éclatantes qui attirent deux millions de touristes chaque année. Le réchauffement climatique menace cet ensemble vivant car si l’eau se réchauffe, le polype expulse ses microalgues, le corail blanchi et meurt. La grande barrière de corail est inscrite depuis 1981 au patrimoine de l’humanité (Figure 3-19).

Figure 3-19 : La Grande Barrière de corail (image satellite NASA).

Les ingénieurs de la forêt Quand le geai replante la forêt

Si l’Europe s’est retrouvée rapidement recouverte de forêts de chênes pédonculés (Quercus robur) après le dernier épisode glaciaire, on le doit en partie à un oiseau de la famille des corvidés, le geai des chênes (Garrulus glandarius). Il peut stocker quatre ou cinq glands dans une poche située sous son bec. Après avoir sélectionné les glands mûrs et en bonne santé, il les cache ensuite sous des racines ou dans le la mousse afin de se constituer des réserves pour l’hiver. Pour retrouver ses réserves, il est capable de mémoriser des points de repère en plaçant des cailloux à côté de ses cachettes. Malgré son excellente mémoire, il en oublie certaines et contribue ainsi à propager la chênaie (Figure 3-20). 89

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Figure 3-20 : Le chêne pédonculé et le geai.

Le sanglier réhabilité

Le sanglier (Sus scrofa), souvent décrié, fait aussi partie des « espèces ingénieur  ». Comme les vers de terre, il pratique la bioturbation en aérant et retournant le sol, à la recherche de tubercules et de champignons. Il disperse au passage les spores de ces derniers, et plus particulièrement celles de la truffe des cerfs (Elaphomyces granulatus), un champignon souterrain qui joue un rôle important dans l’équilibre de la forêt. Capable de parcourir 20 à 30 kilomètres chaque nuit, il transporte dans ses poils et la boue qui y adhère, des graines qu’il « sème » à des dizaines de kilomètres à la ronde. Il fait de même avec les graines non digérées rejetées avec ses excréments. Ce mécanisme de dissémination porte le nom de zoochorie (Figure 3-21).

Figure 3-21 : Le sanglier au chevet de la forêt. 90

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Les pics, les ambassadeurs de la forêt

Le mode de vie des pics est un exemple typique d’espèce ingénieur allogène, dont l’activité permet à d’autres espèces de s’installer. Ces oiseaux font partie de l’environnement auditif d’une forêt avec leur son de tambour rythmé, qui martèle les troncs d’arbres à la recherche de larves et d’insectes. Pour nidifier, ils creusent des cavités dans les troncs qui serviront de logis à d’autres espèces d’oiseaux ou de petits mammifères. Avec leur orteil pivotant et leur queue rigide, ils peuvent se déplacer sur un tronc en position verticale, à la recherche d’insectes cachés sous l’écorce. Leur tête est équipée d’un système amortisseur original, qui leur permet d’encaisser chocs et vibrations. Ces espèces « clés de voûte » sont des acteurs indispensables à la survie d’autres espèces, ce qui en fait des « ambassadeurs de la forêt » (Figure 3-22).

Figure 3-22 : Le pic vert et le pic épeiche deux espèces clé de voute.

Les ingénieurs du sol Les termites et les cycles géochimiques

Les invertébrés du sol présentent une extraordinaire diversité taxonomique (on estime qu’ils représentent 23 % des espèces vivantes actuellement décrites). Parmi cette faune, les termites jouent un rôle important. Alors que certaines espèces construisent des nids souterrains, d’autres, édifient une partie aérienne à l’allure de cheminée, formée à partir d’argile malaxée en boulettes mélangées à de la salive. Cette structure sert d’aérateur et de régulateur thermique (Figure 3-23). De part leur activité, ces insectes modifient leur biotope. Certaines espèces sont capables de dégrader la cellulose du bois grâce aux enzymes présentes 91

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dans leur système digestif. D’autres espèces dites « champignonnières » accumulent les feuilles et les débris de bois qui sont transformés en une pâte servant de substrat pour la culture de champignons. Le champignon assure la prédigestion de la cellulose afin de la rendre assimilable par l’insecte. Dans tous les cas, la présence d’une termitière est signalée par une modification de la végétation de l’environnement. En accumulant de la matière organique et des éléments minéraux (azote, nitrates), la colonie crée des « îles de fertilité » qui profitent à certaines espèces de plantes et de champignons. Dans les zones désertiques ou les savanes, ces plantes sont une source de nourriture providentielle pour les herbivores. En Namibie, les termites des sables sont à l’origine de formations nommées « cercle de fées », de deux à douze mètres de diamètre. Il s’agit de véritables oasis en miniature, qui permettent de recueillir l’eau pour la colonie et d’élever des plantes nourricières.

Figure 3-23 : Termitière et termite.

Le lombric, la star de la prairie

Au xixe siècle, les vers de terre étaient considérés comme des animaux nuisibles et c’est encore le naturaliste Charles Darwin (1809-1882), au crépuscule de sa vie, qui va combattre cette idée reçue en démontrant que l’énorme quantité 92

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de terre remuée par ces animaux, est profitable aux plantes, et plus particulièrement à l’agriculture. La Formation de la terre végétale par l’action des vers de terre sera le dernier ouvrage qu’il publiera en 1881, un an avant sa mort. Les lombrics, comme le ver de terre commun (Lumbricus terrestris), sont des espèces « clé » de la structuration et de la productivité des sols. Ces annélides jouent un rôle majeur dans l’aération du sol (bioturbation), et son enrichissement en matières organiques azotées. Les galeries creusées permettent un drainage avec une meilleure absorption de l’eau. Ces vers se nourrissent de matière organique en décomposition et de bactéries du sol, qu’ils rejettent à la surface sous la forme de turricules ou tortillons (Figure 3-24). Une pelouse recouverte de turricules à l’automne est le signe d’une pelouse en bonne santé. On peut dénombrer jusqu’à 1 000 individus au mètre carré dans une prairie fertilisée avec du fumier. Les vers de terre constituent la première biomasse animale terrestre avec environ une tonne en moyenne pour un hectare. Travailleurs infatigables, ils font transiter dans leur système digestif entre 300 et 600 tonnes de terre sur ce même hectare. Cette espèce ingénieur est indispensable au recyclage de la matière organique et à l’enrichissement naturel des sols. On l’utilise avec succès pour régénérer les sols pollués ou surexploités par l’agriculture intensive.

Figure 3-24 : Lombric et turricule. 93

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LES STRATÉGIES DE REPRODUCTION «  Les sexualités inventives des animaux étaient là bien avant qu’on veuille les voir. Pour ce faire, il fallait accepter que l’animal, en matière de sexe, ne soit pas plus économe que l’homme, et que si tout est dans la nature, rien n’est contre elle. » Vinciane Despret, philosophe

Pourquoi le sexe ? La reproduction est la fonction par laquelle les êtres vivants perpétuent leur espèce en donnant naissance à de nouveaux individus. Lorsque l’on évoque la reproduction chez les animaux, c’est souvent l’image de la parade nuptiale des oiseaux, du chant des grenouilles, des miaulements plaintifs du chat ou du brame du cerf qui nous viennent à l’esprit. C’est-à-dire la reproduction sexuée. L’invention du sexe remonte à environ un milliard d’années. Elle a constitué un facteur déterminant en accélérant l’évolution. En favorisant le brassage des gènes, elle fut à l’origine de la variabilité des espèces et donc de la biodiversité que l’on observe aujourd’hui. Il a fallu mettre au point des organes spécialisés, notamment pour la production de gamètes. Les premiers gamètes étaient expulsés dans le milieu aquatique, et seul le hasard, présidait à leur rencontre. La fécondation interne est ensuite apparue chez plusieurs groupes, augmentant la probabilité de rencontre des gamètes. Comme nous allons le voir dans le chapitre consacré à l’évolution, l’invention de l’œuf amniotique et de l’amnios, cette membrane qui isole l’embryon et lui permet de poursuivre son développement dans un milieu aqueux, a constitué une étape décisive. En se libérant du milieu aquatique pour leur reproduction, les reptiles, les oiseaux et les mammifères ont fait la conquête des continents. Si la viviparité est apparue chez différents groupes comme les reptiles, les requins ou les amphibiens, les mammifères ont amélioré le concept avec le placenta qui permet les échanges entre la mère et l’embryon. Séduire et être séduit est devenu une évidence, et la présence de sexes séparés a conduit à une spécialisation comportementale et morphologique. Le dimorphisme sexuel est un caractère présent chez de nombreuses espèces. On peut citer l’exemple d’un coléoptère comme la lucane cerf-volant (Lucanus cervus). C’est le plus grand coléoptère d’Europe et les mâles sont dotés d’une impressionnante paire de mandibules (Figure 3-25). Tous les goûts étaient dans la nature. Toutes les pratiques aussi. La séduction et la sexualité inventive se présentent sous de très nombreuses formes dans le monde animal, la finalité de toute espèce étant de transmettre ses gènes à sa descendance. 94

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Figure 3-25 : Le dimorphisme sexuel chez la lucane, femelle grande biche (à gauche) et lucane cerf volant mâle (à droite).

N’oublions pas ici la reproduction asexuée ou multiplication asexuée qui est une reproduction sans intervention de gamètes. La reproduction asexuée consiste à produire un ou plusieurs nouveaux individus à partir d’un seul parent. Les descendants sont identiques sur le plan génétique, aussi bien entre eux, qu’avec leur unique parent. La reproduction asexuée peut aussi résulter du fractionnement de l’organisme en plusieurs parties. Si vous coupez un ver de terre en deux, les tronçons peuvent se régénérer. Chez les animaux, il peut aussi s’agir de parthénogenèse* de bourgeonnement*. DÉFINITIONS Parthénogenèse En biologie, la parthénogenèse correspond à la reproduction indépendante de toute sexualité permettant le développement d’un individu à partir d’un ovule non fécondé. Ce phénomène s’observe naturellement chez certaines espèces animales comme des pucerons, des crustacés, des requins ou des lézards. Les abeilles en sont un exemple classique : les mâles proviennent des oeufs non fécondés, alors que les oeufs fécondés produisent des ouvrières ou des reines.

Bourgeonnement En biologie, le bourgeonnement correspond à un mode de reproduction non sexuée, ou un individu produit sur une partie de son corps, une masse cellulaire qui évolue peu à peu pour former un autre individu semblable au premier. C’est le cas des hydres, des bryozoaires, des cnidaires, ou des polypes (corail).

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Les goûts, les couleurs… et les cris – Le cri est un moyen d’attirer les partenaires pour l’accouplement. C’est la principale signification du chant des oiseaux qui sert tout autant à appeler les femelles, qu’à dissuader les autres mâles de s’approcher de leur territoire. De même, le brame du cerf élaphe (Cervus elaphus) est à la fois un signal d’appel pour les biches, et un message destiné à éloigner les éventuels rivaux. Chez les insectes, on pratique la sérénade en période de reproduction. Les sons sont créés par la vibration des ailes, par la friction des pattes ou par le contact avec le sol, un rocher ou une écorce. Les sauterelles, criquets, grillons ou cigales sont des adeptes de ces chants nuptiaux. – Les odeurs jouent un rôle primordial, notamment chez les mammifères. Ainsi, chez les cervidés pendant la période du rut, l’odeur de la femelle en chaleur signale qu’elle est prête pour l’accouplement. Le mâle marque son territoire à l’aide de glandes spécialisées, qui secrètent des molécules odorantes, les phéromones*. On peut remarquer chez les rongeurs, les canidés, les félins, les équidés ou encore les cervidés, une attitude particulière du mâle pendant le rut, c’est le flehmen. L’animal relève la lèvre supérieure et ouvre sa gueule d’une manière reconnaissable en forme de «  sourire  » en inspirant puissamment. Il se sert de son organe voméronasal ou organe de Jacobson, qui se situe sur le palais sous la surface inférieure du nez. Cet organe est capable d’analyser les odeurs émises dans l’environnement. L’odeur est ensuite décryptée et mémorisée (Figure 3-26).

Figure 3-26 : Organe voméronasal chez le rat. DÉFINITION Phéromone Il s’agit de signaux chimiques ou d’un mélange de molécules produites par des glandes spécialisées le plus souvent exocrines. Ces messagers chimiques odorants agissent à grande distance et à des doses infinitésimales. Certaines phéromones peuvent servir d’attractant sexuel chez les animaux.

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Les papillons sont aussi capables de détecter la présence d’une femelle distante de plusieurs kilomètres, toujours grâce aux phéromones émises et analysées au niveau des antennes. On se sert de ces phéromones pour réaliser des appâts (pièges à phéromones), qui permettent de limiter la multiplication d’insectes ravageurs ou invasifs. – La couleur peut aussi être un moyen d’attirer le partenaire comme chez les oiseaux, où il arrive souvent que le plumage du mâle soit plus coloré que celui de la femelle (dimorphisme sexuel). En période de reproduction, les mâles chez certains oiseaux, poissons, ou arthropodes se parent de couleurs vives. Pour attirer l’attention d’une femelle, ils sont prêts à tout. La parade nuptiale du paon bleu (Pavo cristatus) est un classique du genre, quand il exhibe les longues plumes de sa queue aux couleurs chatoyantes. Des couleurs vives sont le signe d’un partenaire en bonne santé, et elles lui assurent de meilleures chances pour s’accoupler. Chez la frégate superbe (Fregata magnificens), le mâle arbore un sac gulaire rouge-orangé sous la gorge. Celui-ci se gonfle pour atteindre la taille d’un ballon lors de la période nuptiale et devient rouge vif. Au cours de la parade, il porte la tête rejetée en arrière, en glougloutant, et en étendant les ailes. À ce jeu, le gagnant qui emporte les faveurs de la femelle, est celui qui possède le sac le plus coloré et qui reste le plus longtemps gonflé (Figure 3-26). L’araignée paon (Salticus volans) est une araignée sauteuse australienne minuscule, dont la taille ne dépasse pas quatre millimètres. Les mâles arborent un abdomen coloré de couleurs vives, tel que le bleu, le rouge, le jaune. La composition rappelle celle d’un masque tribal. Ils exécutent une chorégraphie nuptiale complexe pour signifier à la femelle qu’ils sont prêts pour l’accouplement et aussi pour éloigner les rivaux. La parade amoureuse s’effectue avec deux pattes en l’air et l’abdomen bien relevé. De cette manière, la femelle peut étudier attentivement les couleurs, et juger si son partenaire est en bonne santé. Seul le mâle qui possède les attributs les plus visibles a des chances de séduire la femelle au cours d’une brève danse de séduction. La sélection naturelle faisant le reste, les couleurs vives ont plus de chance de se transmettre d’une génération à l’autre (Figure 3-27). – Le cadeau nuptial est aussi un bon moyen de séduire la «  belle  », il se pratique aussi bien chez les araignées que chez les oiseaux. Chez la pisaure admirable, une araignée européenne commune, le cadeau semble répondre à une double fonction : obtenir les faveurs sexuelles de la femelle tout en évitant de se faire dévorer. La proie est enveloppée dans un cocon de soie tissée, pour garder l’effet de surprise ! Ce cadeau alimentaire peut prendre différentes formes : proies capturées, abandon d’une partie de son corps, qui constitue une stratégie adaptative contre le cannibalisme des femelles (par exemple chez certaines araignées ou chez les mantes), 97

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Figure 3-27 : Quelques exemples de signaux attractant sexuels, la couleur chez le frégate et l’araignée paon, le cri et l’odeur chez le cerf élaphe.

De nombreux oiseaux pratiquent le rituel de l’offrande nuptiale. La nourriture reste le cadeau le plus courant. Le mâle offre une proie, insecte, chenille, petit mammifère, poisson, serpent ou autre, selon l’espèce et ses comportements alimentaires. Chez les grèbes huppés (Podiceps cristatus), les partenaires s’offrent mutuellement de la végétation après une danse élaborée au cours de laquelle le mâle et la femelle sont face à face et bougent alternativement la tête et le cou. Les corbeaux et les pies ont l’habitude de s’offrir un objet coloré ou brillant comme une capsule en aluminium, un bouton ou une pièce de Lego® (Figure 3-28). Le comportement le plus spectaculaire pour attirer une femelle est celui observé chez les « oiseaux jardiniers » qui construisent une structure nommée berceau ou tonnelle. Il s’agit d’un nid en forme d’arche constitué de deux rangées de brindilles et de tiges entrelacées. Chez le jardinier satiné (Ptilonorhynchus violaceus), le mâle utilise uniquement des objets du même bleu que son plumage (Figure 3-28). Véritable architecte d’intérieur, il dépose sur le sol divers ornements tels que plumes, fleurs, cailloux, baies, ailes de papillon, morceaux de plastique, capsules de bouteilles, capuchons de stylos et même des pinces à linge. Les femelles visitent plusieurs berceaux et observent les parades des mâles afin de choisir le meilleur d’entre eux. Revers de la médaille, une fois l’accouplement 98

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Figure 3-28 : La parade nuptiale des grèbes huppés.

consommé, le nid où seront déposés les œufs sera construit par madame qui élèvera seule les jeunes tandis que le beau jardinier polygame tentera d’attirer d’autres femelles dans sa garçonnière qu’il entretient durant plusieurs années. Au jeu de la séduction, tout le monde n’est pas gagnant ! (Figure 3-29).

Figure 3-29 : Le jardinier satiné devant son berceau décoré.

Êtes-vous r ou K ? Huître ou gorille ? Selon l’environnement dans lequel un animal évolue, Il existe deux formes fondamentales de stratégie de reproduction sexuée. Dans les années 1960, le mathématicien et écologue Robert MacArthur (1930-1972) avec le biologiste 99

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Edward Osborne Wilson ont proposé un modèle évolutif qui relie les stratégies de reproduction et les conditions environnementales. Dans ce modèle appelé r/K, on distingue les espèces à stratégie r, des espèces à stratégie K. Une petite explication s’impose donc : – chez certains animaux, la production d’œufs ou de formes larvaires est très importante, mais l’investissement en énergie des parents est très faible. Les œufs et les larves sont livrés à eux-mêmes. C’est une stratégie de quantité, elle porte le nom de stratégie « r » ; – chez d’autres animaux, la production d’œufs est très faible mais les parents s’investissent énormément en apportant protection et soins aux jeunes, depuis leur éclosion jusqu’à leur maturité. C’est une stratégie de qualité, elle porte le nom de stratégie « K ». On observe ainsi un exemple extrême d’une stratégie «  r  » chez l’huître, capable de donner naissance à près de 500 millions d’œufs chaque année. Leur mortalité énorme est bien adaptée à des milieux changeants. L’huitre étant immobile et ne pouvant apporter de soins à sa descendance, elle augmente ses chances de survie en tant qu’espèce, en produisant un maximum de larves. Cette stratégie lui a permis de ne pas disparaître. L’autre exemple opposé et extrême d’une stratégie « K » est celui du gorille, du chimpanzé ou le l’orang-outang qui ne donnent naissance qu’à un petit tous les cinq ou six ans. Leur durée de vie est longue et leur reproduction rare et tardive. On comprend qu’une espèce adoptant la stratégie « r » présente une taille réduite, une maturité précoce, une durée de vie courte, et ne pratique que peu ou pas de soins parentaux (Figure 3-30). Bien que la stratégie de l’huitre soit utilisée par de nombreuses espèces, en général, la nature choisit des conditions moins extrêmes. Lorsque les animaux ont connu leur essor évolutif au Cambrien, d’autres choix se sont offerts à eux et

Figure 3-30 : Le « r » et le « K », deux stratégies de reproduction dans le monde animal. 100

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dès qu’ils se sont dotés d’une colonne vertébrale et d’un cerveau, ils ont commencé à se diversifier. Les poissons ont appris à fabriquer des nids pour abriter leurs œufs et certains comme les hippocampes leur offrent même la protection d’une poche incubatrice. Les crocodiles construisent des nids de feuilles et de branches qu’ils surveillent jusqu’à l’éclosion. Ils aident alors les jeunes à s’extraire du nid. Les dinosaures étaient capables de soins parentaux comme en témoignent la disposition de certains nids fossilisés de Protoceratops, retrouvés dans le désert de Gobi. Les juvéniles, dont l’émail des dents présentait des traces d’usure, ont été retrouvés dans leur nid, orientés dans la même direction, probablement ensevelis par une tempête de sable. Les parents devaient leur prodiguer des soins et leur apporter de la nourriture au nid. Ces reptiles se situaient dans une position intermédiaire entre le « r » et le « K ». C’est peut-être ce qui explique la longévité remarquable de leur lignée. Pendant plus de 145 millions d’années, des milliers d’espèces de dinosaures, aux adaptations plus variées les unes que les autres, se sont succédées. L’essor rapide des mammifères s’explique peut-être par le fait qu’ils manifestent tous une tendance « K ». Cette stratégie se retrouve le plus souvent chez les animaux de grande taille, avec une maturité sexuelle tardive, nécessitant des soins parentaux à la progéniture. Elle implique également une durée de vie longue. La stratégie « K » a aussi ses limites car elle reste très sensible aux événements extérieurs, aux prédateurs, aux famines et aux maladies qui font des ravages. Quand une maman gorille perd un petit après cinq ou six ans d’investissement intensif, la perte est autrement plus conséquente que celle d’une larve d’huitre. Si le phénomène se reproduit plusieurs fois chez une même femelle, c’est tout une souche de gènes qui disparaît à jamais. Des désastres à répétition peuvent aboutir à la disparition de l’espèce si elle est déjà fragilisée par d’autres facteurs. Nous mesurons ici que la stratégie reproductive « K » privilégiée par la lignée des primates et donc par l’homme a ses limites, la progéniture demandant de plus en plus de soins attentifs.

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D’une manière pratique, les animaux appliquent en général une stratégie reproductive intermédiaire entre ces deux extrêmes. On constate que lorsqu’un milieu a subi une perturbation comme un incendie, une éruption volcanique ou une inondation, ce sont toujours les espèces à stratégie «  r  » qui sont les premières à s’installer.

ET L’ANIMAL INVENTA L’OUTIL Quand l’outil ne fait plus l’homme Pendant très longtemps, on a considéré que l’outil était l’apanage exclusif de l’homme. Ne disait-on pas «  l’outil fait l’homme  »  ? On a retrouvé des outils (galets grossièrement taillés) sur un site éthiopien proche de celui qui abrite les restes fossiles d’Australopithecus garhi, et attribués à un hominidé non identifié, daté de 2,6 millions d’années. Ces traces seraient une preuve indirecte de l’une des plus anciennes utilisations d’outils connues. Si la condition humaine est inséparable de la conception d’outils, l’homme n’est pas la seule espèce à utiliser des techniques. Il est certain, à ce jour, que l’outil n’est plus une exclusivité humaine. Chez les vertébrés

Le bâton-outil du chimpanzé Dans les années 1960, la primatologue Jane Goodall avait observé que les chimpanzés (Pan troglodytes) effeuillent soigneusement des brindilles avant de les insérer dans une termitière ou une fourmilière. Ils n’ont plus qu’à retirer le bout de bois auquel sont accrochés les insectes riches en protéines et les aspirer. Ils conservent ensuite cet « outil » en quête d’une nouvelle termitière. La primatologue avait aussi observé que cette connaissance était transmise aux membres du groupe. Cette découverte a ébranlé la vision que l’homme se faisait de l’animal. Parmi les nombreux cas d’utilisation d’outils dans le monde animal, nous avons choisi quelques exemples (Figure 3-31). Les gorilles (Gorilla gorilla) ont été observés en République du Congo, en posture bipède, s’aidant de bâtons pour traverser une mare. Une femelle a ramassé une branche dénudée pour sonder la profondeur et s’équilibrer dans cet élément instable. Ce qui est le plus intéressant ici, c’est que dans ce cas, l’outil n’est pas utilisé pour une quête de nourriture. Les éléphants d’Afrique (Loxodonta africana) utilisent aussi régulièrement des outils pour prendre soin de leur corps. Ils se servent ainsi de bâtons pour se gratter ou de branches pour enlever ou éloigner les parasites, tels que les mouches. Ils arrachent les feuilles d’une branche pour obtenir une tapette à 102

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mouches plus efficace. Ils sont capables de creuser des trous pour accéder à l’eau et de les recouvrir d’un couvercle en écorce pour éviter l’évaporation. Leurs facultés cognitives ne sont plus à démontrer. On a pu montrer qu’ils peuvent se mettre mentalement à la place de l’un de leur congénère en détresse et faire preuve de compassion. On les a observés caressant avec leur trompe les crânes des squelettes de leurs semblables disparus.

Figure 3-31 : Chimpanzé utilisant un bâton-outil pour attraper des termites.

On peut aussi citer le cas des loutres de mer (Enhydra lutris), grandes consommatrices de bivalves, d’ormeaux et d’oursins qui utilisent des pierres plates comme enclume. Sous chacune de leurs puissantes pattes avant se trouve une poche de peau qui sert à stocker les proies et les pierres. L’animal fait la planche, place le galet plat sur son ventre, et frappe sa proie dessus.

Le dauphin jette l’éponge Les dauphins figurent parmi les animaux les plus intelligents. En plus de leurs exceptionnelles capacités de communication ou d’apprentissage, on vient de découvrir qu’ils avaient mis au point une technique originale pour capturer des proies indétectables par leur système d’écholocalisation. Leur rostre sert ordinairement à fouiller les sédiments, avec le risque de se faire des entailles sur les rochers enfouis. Pour éviter tout risque de blessure, ils protègent leur museau avec une éponge en forme d’entonnoir. Cette stratégie leur permet de dénicher des poissons enfouis dans le sable (Figure 3-32). 103

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Figure 3-32 : Le dauphin enfile une éponge sur son rostre pour fouiller le fond marin.

Le corbeau calédonien (Corvus moneduloides) est capable à lui seul de confectionner deux types d’outils : – pour le premier, l’oiseau détache des arbustes, de fines brindilles en forme de cure-dent, puis il les effeuille soigneusement avec son bec, les dépouille de leur écorce, et s’en sert pour déloger les chenilles, les araignées et autres insectes qui se cachent dans les creux des écorces ; – le second outil est fabriqué avec les feuilles longues, plates et coriaces du Pandanus, l’oiseau découpe la marge des feuilles avec son bec pour former des entailles. En introduisant ensuite cet outil dans des cavités, il y « pêche » les larves et les vers.

Ingénieuses mésanges Le Royaume-Uni possède un système traditionnel de livraison à domicile de lait en bouteille de verre. Au début du xxe siècle, les bouteilles n’avaient pas de couvercle et les oiseaux pouvaient facilement accéder à la crème formée à la surface. Dans les années 1920, les laiteries ont équipé les bouteilles de capsules en aluminium ou en carton. Imaginez la surprise des personnes qui se lèvent pour aller prendre leur bouteille de lait devant leur porte. Elles constatent que les capsules sont déchirées, que le lait est déjà entamé et qu’en particulier, la couche de crème à la surface a disparu (c’est le fameux nuage de lait que l’on ajoute au thé). Certaines espèces de mésanges comme les mésanges à tête bleue (Cyanistes caeruleus) avaient réussi à enlever les capsules  ! Le phénomène s’est répandu dans toute l’île jusqu’en Écosse et en Irlande en une vingtaine d’années, si bien qu’il a fallu changer le procédé d’ouverture des bouteilles. Certaines mésanges avaient aussi fait la distinction entre les bouteilles de lait demi-écrémé (coiffées d’un bouchon argenté) et celles de qualité supérieure (bouchon doré), qu’elles préféraient. Elles ont rapidement 104

Diversité des modes de vie chez les animaux

été imitées par leurs congénères dans tout le pays  ! Des questions restent sans réponse : de quelle manière ont-elles appris à déchirer les capsules et comment ont-elles transmis ce comportement aux autres  ? Des études réalisées dans les années 1980 ont montré que ces oiseaux réussissent à enlever la capsule par imitation ou par simple apprentissage, ce qui pourrait soutenir l’existence de véritables processus culturels chez les animaux. L’intelligence animale semble sans limite ! Chez les invertébrés aussi

La pieuvre coco et son mobil-home Dans les années 1990, des chercheurs australiens ont observé un étrange manège dans les eaux des côtes indonésiennes : des poulpes récupéraient des coquilles de noix de coco jetées par les hommes afin de s’en servir comme abri contre les prédateurs. La «  pieuvre noix de coco  », appelée aussi pieuvre veinée (Amphioctopus marginatus), transporte son drôle de mobil-home « une pièce » sur les fonds sableux. Ce céphalopode utilise des débris de toutes sortes pour se fabriquer une protection. Elle a une nette préférence pour des coquilles de noix de coco qu’elle stocke et assemble afin de les utiliser comme protection. Elle est même capable de conserver six de ses tentacules dans l’abri improvisé et d’utiliser les deux derniers libres pour se déplacer sur le sable, en donnant l’illusion que le courant déplace la noix de coco. C’est le premier et le seul invertébré à être admis à ce jour dans le club très sélect des animaux capables de faire usage d’outils au quotidien (Figure 3-33).

Figure 3-33 : La pieuvre veinée et son « mobile-home ». 105

BIODIVERSITÉ ET ÉVOLUTION DU MONDE ANIMAL

ÉLÉMENTS DE BIBLIOGRAPHIE Combes Claude, 2006. Darwin dessine-moi les hommes. Paris, Éditions le Pommier. Combes Claude, 2010. L’art d’être parasite, les associations du vivant. Paris, Flammarion Champs sciences. Garon David, Guéguen Jean-Christophe, 2014. Biodiversité et évolution du monde végétal. Les Ulis, EDP-Sciences. Higginbotham, S., Wong, WR., Linington, RG., Spadafora, C., Iturrado, L., Arnold, AE., 2014. Sloth hair as a novel source of fungi with potent anti-parasitic, anti-cancer and anti-bacterial bioactivity. PLoS One. 2014 Jan 15; 9(1). Lardé Arnaud, 2014. Le paresseux ou l’éloge de la lenteur. Espèces (n°  12), Avapessa, Kyrnos Publications. Lodé Thierry, 2011. La biodiversité amoureuse, sexe et évolution. Paris, Odile Jacob. Lodé Thierry, 2013. Pourquoi les animaux trichent et se trompent ? Paris, Odile Jacob.

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Chapitre

«  On est obligé à présent de regarder l’imposant spectacle de l’évolution de la vie comme un ensemble d’événements extraordinairement improbables, impossibles à prédire et tout à fait non reproductibles. » Stephen Jay Gould (1941-2002), paléontologue, La vie est belle

Évolution du monde animal

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108

Le Mésozoïque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144

Premiers brouillons de vie . . . . . . . . . . . . . . . 111

Le Cénozoïque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160

Le Paléozoïque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122

Éléments de bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . 179

BIODIVERSITÉ ET ÉVOLUTION DU MONDE ANIMAL

«  Les espèces qui survivent ne sont pas les espèces les plus fortes, mais celles qui s’adaptent le mieux aux changements. » Charles Darwin (1809-1882), naturaliste, L’origine des espèces (1859)

INTRODUCTION Ce chapitre a pour objectif de résumer les principales étapes de l’évolution du monde animal. L’histoire des animaux est concomitante de celle des plantes et des champignons décrite dans les deux précédents ouvrages. Les débuts de la préhistoire animale sont très mal connus et on estime que les premiers animaux sont apparus il y a 700-800 millions d’années dans les océans. Il s’agissait d’organismes mous et minuscules qui devaient ressembler à des vers. Force est donc de constater que leur apparition est plus tardive que celle des algues ou des champignons. De plus, la structure molle de leurs tissus n’a que rarement permis la fossilisation, rendant lacunaires les archives paléontologiques comme nous l’avons souligné au chapitre I. Lorsque les premiers animaux apparaissent à la fin du Protérozoïque, 85 % de l’histoire de la Terre se sont déjà écoulés. On peut donc parler d’une brève histoire des animaux. Ils se sont d’abord hautement diversifiés dans les océans pour suivre de près les plantes dans leur conquête du milieu aérien, il y 420 millions d’années. Les premiers à « prendre pied » sur la terre ferme sont de minuscules insectes (arthropodes) proches de nos actuels collemboles. Leurs formidables capacités d’adaptation vont ensuite leur permettre de coloniser presque tous les biotopes de la planète. Pour étudier les fossiles enfouis dans les roches et témoins du passé de la Terre, une nouvelle science a été créée au xixe siècle, la paléontologie*. Elle nous raconte le journal de l’écorce terrestre. Vouloir faire tenir toute l’évolution du monde animal dans un unique chapitre est un exercice qui relève de l’impossible tant le sujet est vaste. Afin de faciliter la compréhension du lecteur, nous avons choisi de prendre DÉFINITION Extinctions de masse Crises biologiques majeures ayant entraîné la disparition en masse de très nombreuses espèces. Ces événements observés à l’échelle de la planète touchent des organismes vivants variés et se produisent sur un temps bref d’un point de vue géologique. On en distingue cinq (les «  Big Five  »)  : fin de l’Ordovicien, fin du Dévonien, fin du Permien, fin du Trias, fin du Crétacé. Actuellement ? nous vivons la sixième extinction de masse qui a la particularité d’être causée principalement par notre propre espèce.

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Évolution du monde animal

la lignée des vertébrés comme fil conducteur de ce chapitre. Après les grands bouleversements évolutifs du Cambrien, nous suivrons l’évolution des poissons, puis celle des amphibiens qui vont peu à peu quitter l’élément aquatique pour coloniser les milieux aériens. Ils nous conduiront des reptiles, avec l’invention de l’œuf amniotique, jusqu’aux premiers mammifères. Nous suivront alors les 200  millions d’années de leur extraordinaire réussite écologique. DÉFINITION Comme nous l’avions souligné dans les Paléontologie trois précédents ouvrages, et afin de déliLa paléontologie désigne la discimiter les grands évènements géologiques, pline qui étudie les fossiles, l’âge de la Terre a été découpé en divic’est-à-dire les restes des êtres vivants du passé, enfouis dans les sions nommées ères. La délimitation de couches géologiques. Elle est née ces ères est basée sur des évènements au XIX  siècle en France, avec des géologiques majeurs comme la formation savants comme Georges Cuvier de chaînes de montagnes, l’ouverture (1769-1832), fondateur de la d’un océan ou une variation du niveau paléontologie des vertébrés, Jean des océans. Les ères sont subdivisées Baptiste de Lamarck (1744-1829) fondateur de la paléontologie des en périodes, puis en étages. Certaines invertébrés, mais également en grandes coupures (entre les ères ou entre Angleterre avec Richard Owen les périodes) correspondent à des événe(1804-1892). ments liés à des disparitions d’espèces. Elles sont associées à des crises profondes de la biodiversité appelées extinctions de masses*. Les 540 derniers millions d’années de l’histoire de notre planète sont divisés en quatre ères géologiques (Tableau 4-1) : – le Paléozoïque ou ère primaire (- 540 à - 250 millions d’années) ; – le Mésozoïque ou ère secondaire (- 250 à - 65 millions d’années) ; – le Cénozoïque ou ère tertiaire (- 65 à - 2,6 millions d’années). L’ère quaternaire (-  2,6 millions d’années à aujourd’hui) est depuis 2009 considérée comme une période du Cénozoïque. e

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BIODIVERSITÉ ET ÉVOLUTION DU MONDE ANIMAL Tableau 4-1 : Grandes périodes géologiques et principales innovations du monde animal.

MÉSOZOÏQUE ou ÈRE SECONDAIRE (- 250 à - 65 Ma)

CÉNOZOÏQUE (- 65 Ma à aujourd’hui)

TEMPS GÉOLOGIQUES (Ma : millions d’années) Quaternaire (- 2,6 Ma à aujourd’hui) Néogène (- 23 Ma à 2,6 Ma)

Succession d’épisodes glaciaires et de phases de réchauffement du climat. Extinction de la mégafaune. Évolution de la lignée humaine. Grande coupure. Évolution des primates.

Paléogène (- 65 Ma à 23 Ma)

Les cétacés retournent à l’océan. Radiation des mammifères.

CRÉTACÉ

Extinction des dinosaures, des reptiles marins et des ptérosaures. Apparition des oiseaux. Coévolution des insectes et des plantes à fleurs.

JURASSIQUE TRIAS PERMIEN

PALÉOZOÏQUE ou ÈRE PRIMAIRE (- 540 à - 250 Ma)

Événements géologiques et innovations animales

CARBONIFÈRE

Le règne des dinosaures sauropodes géants. Premiers mammifères. Premiers dinosaures. Crise du Permien. Radiation des reptiles mammaliens. Premiers vertébrés terrestres. L’âge d’or des poissons.

DÉVONIEN SILURIEN ORDOVICIEN

Premiers poissons à mâchoire. Premiers poissons agnathes. Faune de Burgess (505 Ma), premiers vertébrés. Faune de Chengjiang (525 Ma). Faune d’Ediacara (575-541 Ma).

CAMBRIEN

PRÉCAMBRIEN (- 4 550 à - 540 Ma)

PROTÉROZOÏQUE (- 2 500 à - 540 Ma) ARCHÉEN (- 3 850 à - 2 500 Ma)

Macrofossiles pyritisés du Gabon (2,1 Ga). Séparation des champignons et des animaux. Formation des stromatolithes. Premières cyanobactéries photosynthétiques. Naissance de la vie. Dégazage et formation d’une atmosphère primitive.

HADÉEN (- 4 550 à – 3 850 Ma)

Refroidissement de la croûte terrestre. Formation de la Terre.

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Évolution du monde animal

PREMIERS BROUILLONS DE VIE Si la Terre s’est formée il y a environ 4,6 milliards d’années, les premiers indices de vie sont détectés vers 3,8 milliards d’années. Dans les océans qui recouvrent la planète, apparaissent des molécules organiques qui forment les premières «  briques complexes  » dont l’élément de base est le carbone. Elles vont se combiner en macromolécules, dont certaines deviendront les supports de l’information génétique pour donner naissance aux premières cellules microscopiques porteuses de la vie. Il s’agit de bactéries anaérobies, des êtres unicellulaires dépourvus de noyaux, les procaryotes. Très vite, des cyanobactéries photosynthétiques seront capables de tirer leur énergie de notre étoile, le Soleil, grâce à la photosynthèse et à un pigment, la chlorophylle. Le résultat sera une énorme production de dioxygène (O2) qui va se répandre dans l’atmosphère et les océans. Une couche d’ozone se forme, ce qui rendra la vie possible plus tard sur la terre ferme. Ce phénomène est plus connu sous le nom de grande oxydation. Cet accroissement de la teneur en oxygène, il y a 2,5 milliards d’années, aura pour conséquence directe l’apparition de bactéries aérobies, mais aussi des premiers organismes eucaryotes chez lesquels l’ADN (acide désoxyribonucléique) est compartimenté dans un noyau. Les premiers organismes pluricellulaires, dotés d’un métabolisme plus intense, vont inventer l’échange et la coopération (cf. «  Biodiversité et évolution du monde vivant  », chez le même éditeur). Les fossiles énigmatiques du Gabon

La vie pluricellulaire existait déjà il y a deux milliards d’années. C’est ce que révèle une publication de juillet 2010 dans Nature, suite à la découverte d’un étonnant écosystème marin près de Franceville au Gabon. L’équipe d’Abderrazak El Albani, du laboratoire d’hydrogéologie de l’université de Poitiers, a mis à jour des macrofossiles les plus anciens jamais découverts. Il s’agit de plaques ondulées, pyritisées de deux à 17  cm de largeur et de un à 10 mm d’épaisseur. La microtomographie à rayons X a dévoilé la structure interne de ces organismes, en montrant une organisation spatiale complexe. Ces fossiles ressemblent à des draperies entaillées par des sillons radiaux (Figure 4-1). On ne connaissait aucun fossile visible à l’œil nu dans cette période géologique. Ce caractère suggère une structure pluricellulaire déjà dotée d’un degré d’organisation. Ces êtres ne présentent aucune ressemblance avec quoi que ce soit de connu à ce jour. Les chercheurs pensent que ces formes de vie ont, sans doute, bénéficié de l’augmentation significative de la concentration en oxygène dans l’atmosphère et qu’elles pourraient avoir disparu ensuite sans descendance. Les fossiles gabonais seraient des eucaryotes pluricellulaires coloniaux. En 2014, le CNRS a confirmé l’âge de 2,1 milliards d‘années de ces fossiles, ce qui a fait reculer de plus de 500 millions d’années les 111

BIODIVERSITÉ ET ÉVOLUTION DU MONDE ANIMAL

premiers scénarios de complexification du vivant. Cette découverte soulève de nombreux débats dans la communauté scientifique et certains auteurs y voient de simples tapis microbiens.

Figure 4-1 : Reconstruction en 3D par microtopographie d’un macrofossile du gisement de Franceville au Gabon.

L’apparition des premiers animaux pluricellulaires (Métazoaires) est beaucoup plus tardive et remonte à 700-800 millions d’années avec la découverte de microfossiles d’éponges, comme nous l’avons indiqué au chapitre I. On ne sait toujours pas si les premiers animaux sont apparus soudainement ou de façon progressive. Il s’agissait d’organismes marins à corps mou, vivant dans les sédiments et qui avaient peu de chance de se fossiliser, ce qui laisse à penser que leur apparition pourrait être encore plus précoce. Des glaciations successives, associées aux mouvements des plaques tectoniques, ont remodelé les marges sédimentaires des continents et les chances de retrouver des preuves fossiles sont infimes. La faune « pneumatique » d’Ediacara Dans les années 1960, en Australie, on a mis à jour des fossiles d’animaux insolites dans le gisement des collines d’Ediacara Hills, daté de 600 millions d’années. La communauté scientifique s’interroge toujours sur l’origine de ces organismes connus sous le nom de « faune d’Ediacara ». Retrouvée par la suite sur plusieurs sites répartis en divers point du globe (en Russie, en Namibie et au Canada), cette faune représente une véritable étape dans le développement de la vie animale sur Terre. Il s’agit d’organismes marins mous à la silhouette énigmatique, matelassée, étalée en forme de disque, d’édredon ou de matelas pneumatique. Ces métazoaires dotés d’une symétrie bilatérale avec une structure rayonnante, vivaient sur des fonds sablonneux et certains atteignaient la taille d’un mètre. On pense que ces organismes se nourrissaient des biofilms 112

Évolution du monde animal

secrétés par des cyanobactéries. Il ne semble pas y avoir d’individu à squelette minéralisé. Ces organismes ont laissé de nombreuses empreintes fossilisées sur le sol. Lorsqu’une surface était ainsi « nettoyée », l’animal se déplaçait un peu plus loin créant une nouvelle empreinte (Figure 4-2). On note aussi la présence d’autres organismes tout aussi étranges à l’aspect de plume matelassée, fixés par un crampon, et qui devaient se balancer au rythme des courants. Pour certains auteurs, il s’agirait d’un seul type d’organisation anatomique exprimé de façon diverse, le matelassage, constituant peutêtre un squelette hydraulique. Alors que certains auteurs les considèrent comme les ancêtres possibles des cnidaires, voire de vers ou d’arthropodes, d’autres pensent que la faune d’Ediacara constitue une expérience totalement distincte dans l’histoire de la vie. Ils y voient l’invention d’une organisation anatomique qui ne ressemble à aucune de celles que nous connaissons actuellement. Il semblerait que cette faune particulière ait disparu pour une raison encore inconnue, sans avoir de descendants, nous laissant perplexes devant les traces fossiles d’un premier brouillon de la vie animale !

Figure 4-2 : Reconstitution de la faune d’Ediacara. On voit, au premier plan, se déplacer Yorgia qui broute le film bactérien sur le fond sableux. Au fond, on aperçoit des éponges et des organismes en forme de plume du genre Charnia.

Les schistes de Burgess ou le Big Bang de l’évolution ll y a environ 510 millions d’années, au Cambrien, se produit une explosion évolutive animale connue sous le nom d’explosion cambrienne*. Elle se traduit par une apparition soudaine, dans les couches géologiques, des grands groupes zoologiques actuels. Cette brusque apparition de fossiles dans les strates rocheuses 113

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du Cambrien avait déjà intrigué Charles Darwin (1809-1882) au moment de la publication de L’Origine des espèces en 1859 : Il y a une autre difficulté… je fais allusion à la manière dont nombre d’espèces du même groupe apparaissent brusquement dans les roches fossilifères les plus anciennes connues. À cette époque, de la vie se développe dans les écosystèmes marins littoraux aux eaux chargées en nutriments. On voit apparaître des coquilles et des carapaces, signe que les prédateurs sont présents. Les arthropodes* se diversifient. Leur exosquelette rigide assure une protection, et des membres articulés leur permettent de nouveaux modes de locomotion. On trouve en particulier des trilobites, une classe d’arthropodes marins fossiles qui s’est largement diversifiée du Cambrien au Permien (Figure 4-3). Ces organismes de l’explosion cambrienne sont connus par la faune de Burgess découverte au début du xxe siècle. Le gisement des schistes de Burgess, daté de 505-510 millions d’années, est situé à 2 400 mètres d’altitude dans les montagnes de Colombie-Britannique (parc national Yoho, Canada). Très difficile d’accès, il n’est dégagé que quelques mois par an. Il sera découvert au cours de l’été 1909, par le paléontologue Charles Doolitlle Walcott (18501927). Walcott met à jour dans ces sédiments marins du Cambrien moyen, transformés en schiste, un véritable trésor. Il s’agit de fossiles de dizaines de milliers d’invertébrés recouverts de carapaces. Walcott pense alors avoir affaire à des crustacés. Il récolte aussi des mollusques, des brachiopodes, des cnidaires, des vers priapuliens fouisseurs et des éponges. C’est la signature d’un écosystème complexe bien en place. L’exceptionnel état de conservation des spécimens laisse à penser que les animaux ont été brusquement ensevelis par des coulées de boue. Les particules sédimentaires, en s’infiltrant dans les corps, ont permis de préserver, en trois dimensions, la forme de leurs parties molles. Un fait rarissime en paléontologie. DÉFINITIONS L’explosion cambrienne Elle désigne l’apparition soudaine, à l’échelle des temps géologiques, d’organismes dotés d’anatomie entièrement nouvelle annonçant déjà les grands groupes d’animaux actuels (par exemple  : des phyla tels que les arthropodes et les vertébrés). Cet événement évolutif sans précédent, attesté par de nombreuses archives paléontologiques retrouvées sur différents sites du globe, marque un tournant décisif dans l’évolution de la vie. Son apogée semble culminer entre 520 et 540 millions d’années.

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Arthropodes L’embranchement des arthropodes représente actuellement la moitié des espèces recensées. Il regroupe les insectes, les crustacés, les araignées et les myriapodes ainsi que des groupes fossiles comme les trilobites. Le mot «  arthropode  » vient du grec arthron («  articulation ») et podos (« pied »). Les arthropodes sont caractérisés par un corps segmenté, une structure chitineuse dure (exosquelette) et des membres articulés. Ces animaux possèdent un cœur, un cerveau et un système nerveux très développé.

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Figure 4-3 : Un trilobite.

Walcott ne sait pas encore qu’il vient de faire une des découvertes paléontologiques les plus sensationnelles de tous les temps. Bien que moins impressionnants que les dinosaures, ces fossiles sont la preuve qu’il y a 500 millions d’années, existait une faune animale extrêmement riche et variée. Malheureusement, en cherchant à classer ses fossiles dans des groupes déjà connus de son temps, Walcott va passer à côté d’une découverte majeure. Dans les années 1960-1970, des travaux de réinterprétation des fossiles de Burgess seront entrepris par deux paléontologues Harry Whittington (19162010) et Simon Conway Morris. Leur étude va révéler que les principaux plans de base d’organisation anatomique de nos animaux actuels sont apparus très rapidement dans ce Big Bang de la vie. Ils vont aussi découvrir des plans d’organisation anatomique très différents de ceux de nos animaux actuels. Certaines espèces découvertes sont si déroutantes que l’on ne sait pas dans quel embranchement les ranger. Il a fallu créer une vingtaine de nouvelles classes d’arthropodes, et pas moins d’une dizaine de nouveaux embranchements. On y trouve des organismes immobiles qui filtrent le flux de particules alimentaires qui traversent la surface du fond marin, à côté d’organismes qui s’enfouissent dans les sédiments. Des nageurs sillonnent les eaux à la recherche de proies. Les arthropodes se sont déjà bien spécialisés dans cet écosystème. On assiste à une véritable «  course aux armements » entre les prédateurs et leurs proies cuirassées. Ces travaux ont été popularisés par le paléontologue américain Stephen Jay Gould (1941-2002) dans son ouvrage La vie est belle. En 1984, ce site a été inscrit au patrimoine 115

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mondial de l’UNESCO. Depuis cette étude, on a trouvé d’autres sites identiques en Chine, au Groenland, en Australie ou au Maroc, prouvant au passage que la faune de Burgess avait une répartition mondiale. C’est le cas du site fossilifère de Chengjiang en Chine, daté de 525 millions d’années, il est donc plus ancien que celui de Burgess, il a permis de mettre à jour des archives exceptionnelles et extraordinairement bien préservées témoignant aussi d’une diversification rapide de la vie sur Terre. Un bestiaire de créatures fantastiques Le schiste de Burgess a livré une incroyable galerie d’animaux dont l’aspect dépasse notre imagination. Nous sommes dans un environnement maritime peu profond, des falaises sous-marines instables s’effondrent en libérant des coulées de boue et de vase qui ensevelissent brusquement les animaux et s’accumulent en strates. À l’abri de l’oxygène et des prédateurs, la fossilisation fait le reste. Les conditions anoxiques ont permis l’exceptionnel état de conservation des parties fines et molles comme les antennes, les branchies ou les organes internes. Sur certains spécimens, on peut même analyser le contenu de leur tube digestif et identifier les espèces avalées. 500 millions d’années plus tard, un fabuleux bestiaire s’offre à nous (Figure 4-4). Nous n’avons pas pu résister à vous présenter quelques-unes de ces créatures.

Figure 4-4 : Reconstitution de la faune des schistes de Burgess. 116

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Anomalocaris le super prédateur des mers cambriennes Au coté d’éponges aux formes classiques qui tapissent les fonds, certains animaux semblent tout droit sortis d’un film de science-fiction à l’image d’Anomalocaris canadensis qui était l’espèce prédatrice régnant en maître dans les eaux de Burgess (Figure 4-5). La reconstitution de ce « géant du Cambrien » qui pouvait atteindre deux mètres de longueur a pris du temps, les premiers spécimens se présentant sous la forme d’un puzzle de «  pièces détachées  » inexploitables. Il s’agit d’un lointain parent des arthropodes. La découverte récente de spécimens aux organes en connexion a permis de reconstituer un animal au corps profilé pour la nage et équipé d’appendices préhensifs hérissés d’épines. Les mouvements ondulatoires des palettes natatoires latérales propulsaient l’animal dans son élément. Ce prédateur possédait des pièces buccales munies de nombreuses dents très tranchantes. C’est aussi le premier animal découvert présentant des yeux composés comme les insectes.

Figure 4-5 : Reconstitution d’Anomalocaris.

Herpetogaster, un estomac rampant On a donné le nom «  d’estomac rampant  » à ce petit invertébré de trois centimètres à symétrie bilatérale, doté de deux tentacules et fixé par un pédoncule au substrat. Herpetogaster collinsi devait capturer ses proies à l’aide de ses deux tentacules ramifiés. Il pourrait représenter un ancêtre des échinodermes et des chordés. 117

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Figure 4-6 : Reconstitution d’Herpétogaster et d’Aysheaia.

Aysheaia pedunculata, le brouteur d’éponges

Aysheaia est un organisme vermiforme doté de paires de prolongements qui ressemblent à des pattes hérissées de pointes. Comme il a été retrouvé associé à des restes d’éponges, on imagine qu’elles pouvaient lui servir d’abri ou de source de nourriture. Les affinités phylogénétiques de cet invertébré sont encore controversées. Il pourrait faire partie de l’embranchement des onychophores modernes qui sont des animaux segmentés vivant dans le milieu aérien en zone tropicale. Comme de nombreux animaux de la faune de Burgess, ses liens de parenté restent obscurs. Hallucigenia, un casse-tête zoologique S’il fallait choisir un seul animal pour mettre en valeur la biodiversité de Burgess, Hallucigenia arriverait largement en tête de part son aspect, qui justifie le nom qui lui a été attribué. Cela fait plus d’un siècle que l’on ne savait distinguer le haut du bas, ni l’avant de l’arrière, de cette créature. Les plus grands spécimens qui mesurent 2,5 centimètres présentent une symétrie bilatérale et un corps vermiforme long et mince. L’animal possède sept paires de tentacules se terminant par des « pinces », alignées d’un côté, et sept paires d’épines jointes de l’autre. Comme les piquants sont enchâssés dans le corps et forment 118

Évolution du monde animal

des béquilles, la première idée était qu’il se déplaçait sur ces pointes rigides (Figure  4-7). Mais à quoi pouvaient servir des tentacules ne pouvant atteindre l’extrémité céphalique ? On s’est aussi posé la question s’il ne s’agissait pas d’un fragment ou de l’appendice d’un animal plus gros encore inconnu. On le rangea parmi les lobopodes ou « vers à patte ». Dans les années 1990, les nouveaux spécimens exhumés ont montré que les tentacules étaient associés par paire et en retournant l’animal, on obtenait alors une reconstitution plus plausible. Les épines de ce «  ver cuirassé  » servaient de protection contre les prédateurs. Une nouvelle étude menée sur 165 spécimens, et publiée en juin 2015 dans la revue Nature, a enfin donné une tête à Hallucigenia. La microscopie électronique a révélé une tête allongée, des yeux et une bouche garnie de dents. Hallucigenia pourrait appartenir au clade des ecdysozoaires, des organismes dont le développement s’effectue par une série de mues (Figure 4-7).

Figure 4-7 : Au-dessus, première reconstitution d’Hallucigenia, en dessous, reconstitution actuelle.

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Odongriphus, ancêtre des mollusques ?

Odontogriphus omalus, littéralement « énigme dentée », a aussi fini par livrer ses secrets (Figure 4-8). Cet animal limaciforme de 12 centimètres de longueur, au corps entièrement mou, ovoïde et comprimé dorso-ventralement, rampait sur les fonds marins il y a 500 millions d’années et serait en fait le plus vieil ancêtre connu des mollusques. Exhumé des schistes de Burgess par Walcott, il était en attente de classification depuis plus d’un siècle. Entre 1990 et 2000, 189 spécimens de nouveaux fossiles très bien conservés ont permis à des paléontologues canadiens de l’université de l’Ontario, de discerner la présence d’une radula, une langue munie de deux rangées de dents, spécifique des mollusques. L’intérieur du corps contient un grand estomac conservé, et un intestin étroit et rectiligne débouchant sur un anus. Odontogriphus était un brouteur qui utilisait ses dents pour prélever et ingérer sa nourriture qui devait se composer de tapis de cyanobactéries.

Figure 4-8 : Reconstitution d’Odongriphus omalus.

Pikaia et Yunnanozoon, « premiers de chordé » Impossible de refermer ce bestiaire fantastique sans présenter Pikaia gracilens, l’espèce la plus emblématique de Burgess. Il s’agit d’un petit animal de cinq centimètres de long, en forme de ruban comprimé latéralement et longtemps considéré comme un ver polychète (Figure 4-9). À la fin des années 1970, une étude détaillée de Pikaia gracilens, effectuée par le paléontologue britannique Simon Conway Morris, a révélé la présence d’un tube nerveux dorsal creux appelé chorde et de nombreuses bandes dorsales (myomères, myotomes). Cette chorde préfigure la colonne vertébrale, qui comme elle, est située en position dorsale par rapport au tube digestif. Cet organe en a fait « le plus ancien chordé connu », et toujours selon Conway Morris, l’un des ancêtres les plus anciens des vertébrés. Les reptiles, les oiseaux, les poissons ou les 120

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mammifères partagent tous un point commun, ce sont des chordés. Cette découverte a été l’objet de nombreuses polémiques et controverses. En 2013, Simon Conway Morris et Jean-Bernard Caron de l’université de l’Ontario ont publié une étude détaillée réalisée sur 144 spécimens de Pikaia. Un traitement physico-chimique leur a permis de déterminer la position des principaux organes. Ils ont confirmé la présence d’une chorde dorsale, d’un tube digestif, et d’un vaisseau sanguin ventral. Cette étude a été comparée à celle d’un fossile du site de Chengjiang, Yunnanozoon, animal énigmatique que l’on range aussi parmi les chordés (Figure 4-10). Pikaia, tout comme Yunnanozoon, pourrait se situer à la base de l’arbre des chordés. Ces découvertes repoussent l’origine des vertébrés au Cambrien inférieur, apportant ainsi des informations-clés qui alimentent un débat qui fait rage depuis plus d’un siècle, entre les biologistes qui débattent de l’origine des vertébrés, cet embranchement auquel appartient notre espèce.

Figure 4-9 : Reconstitution de Pikaïa gracilens Walcott, céphalocordé fossile du schiste de Burgess.

Figure 4-10 : Reconstitution de Yunnanozoon céphalocordé fossile du site de Chengjiang. 121

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Les causes de ce soudain bouillonnement de la vie au Cambrien ne sont pas complètement identifiées, mais on soupçonne entre autres, un accroissement important du taux d’oxygène dans l’atmosphère et dans les océans. On assiste à une émergence extrêmement rapide des structures anatomiques essentielles au développement des lignées animales actuelles. Au-dessus de cette période de 540-520 millions d’années, peu d’innovations majeures sont constatées, et l’apparition de nouveaux plans d’organisation reste rare. Rien ne semble expliquer pourquoi des lignées ont survécu alors que d’autres se sont éteintes sans descendance. «  L’Histoire est écrite par les vainqueurs, dit-on. Dans l’histoire de la vie, il n’y a pas de vainqueurs, mais des survivants provisoires. » Mikael Benton, paléontologue

LE PALÉOZOÏQUE « La grande diversification ordovicienne » La grande biodiversification ordovicienne (the Great Ordovician Biodiver­ sification Event) ou radiation* ordovicienne est la période de l’histoire de la Terre pendant laquelle la biodiversité de la vie, en milieu marin, a le plus augmenté. À l’Ordovicien (- 489 à - 440 millions d’années), les océans se « remplissent » de vie avec une multiplication extraordinaire de familles d’organismes. Après l’éclatement du supercontinent du Précambrien, la Rodinia, la séparation des continents a atteint son maximum, avec des plateformes continentales très étendues, favorisant l’expansion de la biodiversité marine. Cette période a aussi connu une intense activité volcanique favorisant la disponibilité d’éléments nutritifs dans les océans. L’énorme production de phytoplancton a eu pour conséquence une diversification du zooplancton. Les grandes chaînes alimentaires se mettent en place, elles vont permettre l’apparition des premiers poissons et des premiers céphalopodes qui se sont ensuite diversifiés. Les trilobites sont variés et nombreux, tout comme les mollusques (gastéropodes, mollusques, bivalves, nautiloïdes). Les échinodermes se diversifient également avec les premières étoiles de mer, avec leurs cinq bras (symétrie pentaradiale) et leur endosquelette. D’immenses récifs de coraux se forment, permettant la fixation du dioxyde de carbone atmosphérique sous forme de carbonate de calcium. Ils deviennent des oasis de vie. DÉFINITION Radiation Évolution rapide, à partir d’un ancêtre commun, conduisant à une grande diversité d’espèces qui vont réussir à coloniser de nombreux milieux (niches écologiques). On parle aussi de radiation adaptative.

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Les céphalopodes atteignent des tailles gigantesques à l’instar des nautiloïdes, des prédateurs longs de dix mètres comme Orthoceras qui sillonnent les mers ordoviciennes. Si les premiers nautiloïdes possédaient des coquilles droites, des espèces à coquille enroulée en spirale ne vont pas tarder à apparaître avec les ancêtres de nos actuels nautiles (Nautilus sp.) (Figure 4-11). Les nautiloïdes se nourrissaient de scorpions marins qui pullulaient dans les océans. À cette période, les continents sont encore des déserts inhospitaliers que seules des espèces pionnières comme des lichens ou des cyanobactéries ont commencé à coloniser (cf. «  Biodiversité et évolution du monde végétal », chez le même éditeur). La fin de l’Ordovicien est marquée par une période de glaciation qui se traduit par l’installation d’une calotte glaciaire au pôle Sud. Le corollaire de cet épisode glaciaire est une diminution des plateformes continentales qui va ruiner la biodiversité de ses niches écologiques. La Terre subit sa première crise de la biodiversité qui fera disparaître 60 % des espèces marines.

Figure 4-11 : Un nautile actuel et un nautiloïde fossile géant (Orthoceras).

À cette même période, on voit apparaître les premiers poissons cuirassés appelés ostracodermes. Dépourvus de mâchoires (agnathes), ils ont le corps recouvert d’une armure de plaques osseuses. Ces espèces devaient remuer les sédiments à la recherche de nourriture. Arandapsis dont les fossiles on été retrouvés en Australie et datés de 450 millions d’années est typique de ces premiers agnathes. Ce poisson de 15 centimètres, au corps fuselé, encore dépourvu de nageoires, 123

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possède un simple orifice buccal avec lequel il suce et aspire sa nourriture sur le fond boueux. La tête et le corps sont recouverts d’un bouclier osseux, percé d’orifices pour les yeux et d’une série de fentes branchiales. Ce poisson à l’allure de « boîte rigide » se déplaçait en exécutant des battements latéraux de sa queue (Figure 4-12). Leurs seuls représentants actuels des agnathes sont les lamproies et les myxines qui ressemblent morphologiquement aux anguilles. Arandapsis sera l’ancêtre de toute la lignée des vertébrés. On remarquera au passage, que de Pikaïa, le petit chordé gracile, à Arandapsis, le poisson cuirassé, il ne s’est seulement écoulé que 30 millions d’années, La chorde s’est transformée en éléments osseux, reliés entre eux pour former une colonne dorsale. La colonne vertébrale est rattachée au crâne et elle offre un site d’attachement aux muscles et aux futurs membres. Cette cuirasse qui protège le corps augmente les chance de fossilisation, c’est à partir de cette période que les paléontologues peuvent suivre plus facilement l’évolution des vertébrés. Ces derniers se diversifient pendant tout le Silurien (- 440 à - 419 millions d’années).

Figure 4-12 : Reconstitution d’Arandapsis, un des premiers poissons agnathes.

« Du Silurien au Dévonien : l’âge d’or des poissons » À la fin du Silurien, on voit apparaître les premiers poissons dotés de mâchoires et de nageoires comme les placodermes et les acanthodiens (des poissons de petite taille ressemblant à des requins et qui s’éteindront au Permien). Les placodermes, au squelette externe constitué d’épaisses plaques osseuses, deviennent le groupe dominant du Dévonien (-  420 à -  359 millions d’années) pour s’éteindre au Permien. On voit également apparaître à cette même période les grandes classes de nos poissons actuels : – les chondrichthyens* ou poissons cartilagineux, comme les raies et les requins ; – les ostéichthyens qui se divisent en deux classes : • les sarcoptérygiens* ou poissons à nageoires charnues, comme les dipneustes, d’où émergeront plus tard, les vertébrés terrestres pourvus de membres que l’on nomme tétrapodes, 124

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• les actinoptérygiens* ou poissons osseux, qui sont les poissons à nageoires rayonnées (comme la dorade ou le mérou) et qui apparaissent aussi à la fin du Silurien. Ce sont eux qui dominent les océans de nos jours. Le Dévonien est souvent sur­ nommé «  l’âge d’or des poissons ».

DÉFINITION Les chondrichtyens Ce sont les poissons cartilagineux comme les requins, les raies et les chimères. Leur squelette interne est cartilagineux. Lorsque l’on croque dans le cartilage d’une aile de raie au beurre noir, on est surpris de sentir quelque chose crisser sous la dent, ce sont de minuscules grains d’un minéral, le phosphate de calcium, qui tapissent la surface du cartilage. Ceci rappelle que leur ancêtre, il y 400 millions d’années, a perdu la capacité de produire de l’os. Cela explique aussi que l’on ne retrouve que rarement des fossiles, excepté les dents et les épines.

C’est aussi au Silurien que les premières plantes comme les trachéophytes réalisent la « sortie des eaux » comme nous l’avons décrit dans Biodiversité et évolution du monde végétal. Les continents jusque là désertiques vont peu à peu se couvrir de végétation. De minuscules arthropodes terrestres vont suivre de très près la conquête des continents par les plantes. Ils ont acquis des structures anatomiques et des fonctions physiologiques qui leur permettent de vivre hors de l’eau. Dans ces premiers biotopes aériens, on trouve des acariens, des mille-pattes et des collemboles qui recyclent la matière organique et participent à la formation des premiers sols. Au Dévonien, les placodermes réalisent une radiation dans tous les océans du globe. Les placodermes étaient des poissons typiquement de petite taille, aplatis et vivant sur le fond marin. Quelques espèces carnivores sont devenues gigantesques avec de puissantes mâchoires leur permettant de broyer leurs DÉFINITIONS Les sarcoptérygiens Ce sont les poissons à nageoires charnues comme les dipneustes ou les cœlacanthes. Même s’ils sont peu nombreux aujourd’hui, ils ont laissé une descendance nombreuse avec les tétrapodes. Les vertébrés terrestres, incluant l’homme, sont en effet des sarcoptérygiens «  dérivés  », des tétrapodes qui ont réussi la «  sortie des eaux  », au Carbonifère.

Les actinoptérygiens Mangez-vous de l’actinoptérygien  ? S’il vous arrive de déguster du saumon, de la morue, du thon, du bar, ou de la dorade, alors la réponse est oui  ! Ce sont les poissons à nageoire rayonnées. Derrière ce mot, se cachent en effet tous les poissons dotés de nageoires à rayons, ce qui englobe tous les poissons actuels à l’exception des requins, raies ainsi que les quelques rares poissons sarcoptérygiens. 29  000 espèces ont été décrites et ils représentent 50  % des vertébrés.

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proies. Ce sont les super-prédateurs du Dévonien et les plus grands vertébrés de l’époque, à l’instar de Dunkleosteus qui atteignait une longueur de 10 mètres pour un poids estimé à quatre tonnes (Figure 4-13). Leurs mâchoires s’ouvrent d’une étrange façon, dans la mesure où c’est la tête qui se soulève. Ils n’étaient pas équipés de dents mais de deux paires de plaques gnathales, tranchantes comme des lames de rasoir. À ce jour, si de nombreux crânes cuirassés ornent les musées, on ne connaît ni la queue, ni l’épine dorsale de ces géants, ce qui laisse à supposer qu’elles étaient de nature cartilagineuse. On pense que les placodermes sont reliés aux requins, le squelette cartilagineux des requins et des raies est une évolution du squelette osseux des placodermes.

Figure 4-13 : Reconstitution de Dunkleosteus, un placoderme géant (l’homme donne l’échelle).

Des poissons qui ne « manquent pas d’air » ! Les sarcoptérygiens qui apparaissent à la fin du Silurien vont évoluer dans les milieux côtiers (deltas, estuaires, lagunes). Leurs structures anatomiques (narines internes, nageoires paires pectorales et pelviennes en forme de palette natatoire, poumons…) annoncent la conquête du milieu terrestre et l’avènement des tétrapodes*. Les dipneustes se diversifient fortement au Dévonien. Le mot dipneuste signifie « à double respiration » car ils sont équipés de branchies et de poumons. Cette adaptation a fait dire au paléontologue Sébastien Steyer dans La terre DÉFINITION Tétrapode Les tétrapodes forment une super-classe d’animaux vertébrés caractérisés par la présence de deux paires de membres locomoteurs articulés, munies de doigts (initialement six à huit, aujourd’hui cinq). Un tel membre se nomme chiridien. La respiration à l’aide de deux poumons est aussi une caractéristique de ces animaux. Les tétrapodes actuels peuvent être aquatiques ou terrestres. Ils regroupent les amphibiens, les oiseaux, les mammifères, et le groupe communément appelés reptile. Il faut attendre la fin du Dévonien pour trouver des squelettes que l’on peut sans conteste attribuer à des tétrapodes. Chez les serpents, les pattes ont disparu (Figure 16).

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avant les dinosaures, que ces poissons ne manquaient pas d’air ! De nos jours, six espèces sont présentes en Afrique, en Australie et en Amérique du Sud. Les dipneustes sont capables de respirer à l’air libre grâce à leurs poumons, de ramper dans la boue et passent la saison sèche dans un terrier creusé dans la vase. Une fois installés, ils secrètent un mucus qui les isole dans un cocon, et ils respirent alors par de petits orifices creusés dans le terrier (Figure 4-14). Comme ces animaux étaient proches des tétrapodes, on leur a donné le nom de tétrapodomorphes. Certaines lignées ont évolué de façon parallèle aux premiers tétrapodes, ce qui complique la recherche de l’ancêtre commun aux premiers tétrapodes. Ce n’est que 10 ou 15 millions d’années plus tard, au Carbonifère, que les membres des tétrapodes seront enfin capables de les hisser sur la terre ferme.

Figure 4-14 : Un dipneuste et son terrier.

Un second groupe de poissons à nageoires lobées émerge au Dévonien, celui des cœlacanthes. Ils n’ont que peu évolué morphologiquement depuis 350 millions d’années et se sont peu diversifiés, a tel point que l’on a cru qu’ils s’étaient éteints il y a 60 millions d’années à la fin de l’ère secondaire. Leur «  redécouverte  » dans les années 1930 a fait l’effet d’un scoop dans la communauté scientifique. Aujourd’hui, les cœlacanthes sont représentés par deux espèces, Latimeria chalumnae (Comores et Afrique du Sud) et Latimeria menadoensis (Célèbes). Il ne s’agit en aucun cas de « fossiles vivants », mais d’espèces qui ont traversé le temps sans voir leur morphologie externe se modifier (Figure 4-15). La figure 16 résume de façon synthétique les relations de parenté entre les tétrapodes et les poissons. 127

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Figure 4-15 : Empreinte fossile de cœlacanthe (au-dessus) et une espèce vivante, Latimeria chalumnae (en dessous).

Figure 4-16 : Cladogramme de parenté entre les tétrapodes et les « poissons », d’après Sébastien Steyer 2009.

Les placodermes qui disparaissent à la fin du Dévonien cèdent la place aux poissons osseux (actinoptérygiens) et cartilagineux (chondrichtyens), qui vont repeupler les niches écologiques vacantes. 128

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L’expansion des écosystème terrestres au Dévonien Minuscules et très dépendants des milieux humides du début du Dévonien, les arthropodes deviennent plus imposants dès le Dévonien moyen. On y trouve les premiers fossiles de scorpions terrestres, des araignées primitives, de gros millepattes de plusieurs centimètres, et de nombreux insectes encore dépourvus d’ailes. Ces derniers ressemblent aux insectes aptères qui peuplent nos habitations plus connus sous le nom de poisson d’argent (Lepisma saccharina). Des arthropodes détritivores prospèrent dans ces écosystèmes, tout comme les annélides (vers de terre) qui devaient grouiller dans l’humus, et dont on a retrouvé de nombreux terriers fossilisés. Les premiers escargots terrestres font leur apparition, seul groupe de mollusques à avoir conquis le milieu aérien. Au cours du Dévonien, la diversité végétale s’accroît très vite et on assiste à ce que les paléontologues nomment « l’explosion végétale du Dévonien ». Les mousses, les lycopodes, les prêles et les fougères se répandent dans tous les écosystèmes humides et leur taille augmente de façon importante. Cette expansion va entraîner une modification des flux de carbone. L’effet de serre diminue par piégeage du dioxyde de carbone dans l’humus des sols. Une évapotranspiration intense produite par cette végétation exubérante augmente le rythme des précipitations et de l’érosion. Les racines qui pénètrent dans le sol altèrent les roches et un flux de sels dissous se déverse dans les fleuves et les océans. Ce phénomène est à l’origine d’une anoxie des océans et il coïncide avec un refroidissement général de la planète. La crise du Dévonien correspond à une crise d’extinction de masse qui touche 70 % des espèces vivantes et plus particulièrement les espèces marines. Les coraux, les brachiopodes et les trilobites sont fortement impactés. Les poissons agnathes et placodermes sont particulièrement touchés. Ce phénomène ne semble pas affecter les premiers vertébrés tétrapodes qui vont entreprendre la conquête du milieu aérien. Du Dévonien au Carbonifère, la longue marche des tétrapodes Les premiers tétrapodes ou tétrapodomorphes ont évolué à partir des poissons sarcoptérygiens, durant le Dévonien. En s’affranchissant peu à peu de l’élément liquide, ces animaux ont été soumis aux contraintes de la vie à l’air libre. Ils ont dû mettre au point des innovations anatomiques pour respirer, se nourrir ou se reproduire. À la différence d’un poisson qui se déplace en nageant, grâce aux mouvements latéraux de l’ondulation, chez un amphibien tétrapode qui se déplace sur le sol, les forces sont dirigées vers le bas. Des muscles puissants doivent maintenir la tête et renforcer le ventre, afin de soutenir les organes internes et éviter l’écrasement des côtes. D’autres muscles permettent à la colonne vertébrale de ne pas s’affaisser. De nombreuses questions restent ouvertes  : comment s’est effectuée la transition entre la nageoire et la patte, ou entre les branchies et les poumons  ? On sait que les premiers tétrapodes étaient aquatiques, équipés de branchies et d’une nageoire caudale (comme 129

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chez les tritons). La figure 17 résume les différentes étapes qui ont conduit les tétrapodomorphes vers les tétrapodes. Une des premières étapes de leur évolution nous ramène chez des poissons sarcoptérygiens, avec le genre Eusthenopteron. Ce représentant du Dévonien supérieur a été retrouvé dans une falaise fossilifère datée de 385 millions d’années, dans le parc national de Miguasha, en Gaspésie, au Québec. Lors de sa découverte à la fin du xixe siècle, il faisait office de « chaînon manquant » entre les poissons et les amphibiens. Ses os crâniens et ses nageoires pectorales et pelviennes possèdent des structures osseuses proches de celles des tétrapodes. Des reconstitutions anciennes le présentaient même en train de se hisser sur les berges. Force a été de constater que même le fait de posséder des ébauches de membres, n’est pas suffisant pour marcher, et Eusthenopteron, de par son allure pisciforme, devait se contenter de hanter le fond des lagunes (Figure 4-17).

Figure 4-17 : Cladogramme de l’évolution des tétrapodes depuis le sarcoptérygien, Eusthenopteron jusqu’au tétrapode Pederpes qui lui était capable de marcher.

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La découverte dans les années 1940 du tétrapodomorphe Panderichtys (-  380 millions d’années), dépourvu de nageoire et au crâne plat, avec des orbites situées au-dessus de ce dernier a relancé le débat : pouvait-il marcher ? Des études récentes montrent qu’il devait se déplacer sur le fond des lagunes et qu’il n’est jamais sorti de l’élément liquide. En 2006, la publication dans la revue Nature par une équipe de paléontologues américains d’un nouveau fossile de poisson sarcoptérygien, découvert dans l’arctique canadien, vient le positionner en parent immédiat des premiers tétrapodes du Dévonien. L’aspect général fait immédiatement penser à une chimère entre un alligator et un poisson. Nommé Tiktaalik rosae par ses découvreurs, il vivait il y a 375 millions d’années, dans les eaux peu profondes d’un delta, au nord de la Laurasie, continent situé à l’époque sur l’équateur. Tiktaalik, dont le nom en Inuit signifie « grand poisson des rivières », est considéré comme le sarcoptérygien le plus proche des tétrapodes. Le crâne est large et aplati, les yeux sont situés sur le sommet du crâne, ses côtes sont élargies et orientées latéralement. Il reste néanmoins un « poisson », avec des nageoires pelviennes, qui portent des rayons. Bien qu’incapable de marcher, on pense qu’il pouvait se soulever sur le sol sur ses nageoires, à la manière d’un phoque, et croquer les arthropodes des berges. Tiktaalik est devenu un élément de transition clé dans la lignée qui mène aux tétrapodes.

Le doigt qui change tout. Acanthostega et Ichthyostega restent les deux tétrapodes les plus complètement connus et leurs nombreuses reconstitutions en font les stars des ouvrages de paléontologie. Ils ont même longuement été représentés campés sur leurs quatre pattes, en quête de nourriture sur la terre ferme. Les deux genres ont été découverts dans les années 1930 dans des couches géologiques du Dévonien supérieur du Groenland (-  360 millions d’années) et pendant longtemps on a considéré qu’ils étaient des animaux terrestres (Figure 4-18). Dans les années 1990, la paléontologue anglaise, Jennifer Clarck, a procédé à un réexamen minutieux des fossiles. Elle a constaté que la colonne vertébrale d’Ichthyostega ne lui permettait d’effectuer que des mouvements ondulatoires. En outre, ses membres antérieurs ne pouvaient réaliser des flexions-extensions, tandis que les membres inférieurs avaient une forme de palettes natatoires orientées vers l’arrière comme ceux d’un phoque. Quant aux quatre membres d’Acanthostega, dix années de travail ont été nécessaires pour nettoyer la roche qui emprisonnait les os. Elle a pu alors vérifier que ses membres étaient encore bien rigides et peu adaptés à la marche. Il devait tout au plus être capable de se hisser sur des racines immergées (Figure 4-18). En poussant plus en avant l’étude anatomique, force a été de constater que le plan d’organisation des doigts d’Acanthostega ne correspondait pas à celui d’un tétrapode classique, qui possède cinq doigts aux membres antérieurs. C’est ce plan d’organisation pentadactyle que l’on connaît actuellement chez 131

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Figure 4-18 : Reconstitution d’un paysage de la transition Dévonien/Carbonifère. On aperçoit au premier plan Acanthostega en train de se hisser sur un tronc immergé de sigillaire.

tous les tétrapodes, qu’il s’agisse de la nageoire de la baleine, de l’aile du moineau, du sabot du cheval ou de la main de l’homme. À la transition entre le Dévonien et le Carbonifère, les tétrapodes possédaient des doigts supplémentaires, Ichthyostega possèdait sept doigts et Acanthostega en avait huit ! Ce standard cinq doigts ou en dessous ne s’est stabilisé qu’au Carbonifère pour ne plus changer. Les tétrapodes utilisaient leurs membres à la manière de pagaies et ils ont développé des doigts avant que leurs poignets ou chevilles ne soient fonctionnels. Ces organes ne leur servaient pas pour marcher, mais pour nager ou ramper dans la boue. On pense qu’ils pouvaient aussi servir à maintenir la femelle pendant l’accouplement. Par la suite, l’aptitude à la marche s’est traduite par une exaptation* de la faculté de nager. Une question reste sans réponse : pourquoi les tétrapodes sont-ils sortis de l’eau ? Nul ne le sait, nous dit Jennifer 132

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Clarck. Comme le souligne Sébastien Steyer, nous avons une vision anthropocentrique et cartésienne de l’évolution, avec «  des pattes pour marcher  » ou « des nageoire pour nager ». La Nature est économe et elle bricole avec les pièces qu’elle a à sa disposition. En 2002, Jennifer Clark a enfin trouvé son Graal avec le squelette complet de Pederpes, le premier amphibien tétrapode capable de marcher à la manière d’un crocodile. Il devait partager son temps entre l’eau et la terre ferme. Il est daté de 345 millions d’années au Carbonifère. La paléontologue n’a pas eu à le chercher bien loin, car il « dormait » dans les collections du Muséum d’Histoire naturelle de Cambridge depuis 1971, où il avait été confondu avec… un poisson ! Cette découverte importante a permis de combler un « vide paléontologique » dans les archives fossiles des vertébrés. Cette lacune encore appelée « lacune de Romer » couvre 15 millions d’années entre la fin du Dévonien et le Carbonifère. Les arthropodes géants du Carbonifère Au Carbonifère (- 360 à - 299 millions d’années), les continents commencent à se rassembler pour former une masse continentale plus ou moins continue qui deviendra la Pangée au Permien. En Europe et en Amérique du Nord, on a retrouvé de nombreux restes fossilisés d’animaux dans les bassins houillers qui étaient situés à l’époque sur l’équateur. C’est l’exubérante flore houillère du Carbonifère qui sera à l’origine des immenses dépôts de charbon qui ont permis l’essor industriel du xixe siècle. Les arthropodes se diversifient dans cet écosystème tropical qui grouille de vie. Dans l’humus gorgé d’eau, on rencontre des scorpions terrestres, des araignées, des blattes. Les insectes prennent leur envol à la fin du Dévonien et se diversifient. Des libellules comme Meganeura, de la taille d’un goéland, traquent leurs proies entre les troncs géants des sigillaires et des lépidodendrons. Dans l’humus, déambulent des mille-pattes géants comme Arthropleura long de plus de deux mètres. Pour impressionner ses agresseurs, il pouvait redresser l’avant de son corps à la manière d’un cobra. Dans les mers du Paléozoïque, les scorpions géants Euryptérides connaissent un grand succès évolutif et atteignent des tailles gigantesques. Les trilobites qui ont survécu à la crise du Dévonien connaissent également une phase de diversification au début du Carbonifère et DÉFINITION L’exaptation Il s’agit d’une adaptation «  détournée  » de sa fonction originelle. La fonction actuellement remplie par l’adaptation n’était pas celle remplie initialement et l’évolution ne manque pas d’exemples. C’est aussi le cas de la plume chez les dinosaures qui n’est pas apparue en relation avec le vol. Elle a d’abord joué un rôle dans la régulation de la température corporelle, puis a été réutilisée dans le vol (cf. « Biodiversité et évolution du monde vivant », chez le même éditeur).

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certaines espèces retrouvées au Portugal dépassent les 90 centimètres. Plusieurs explications ont été avancées pour expliquer ces formes géantes : l’absence de prédateur, ou un taux record en oxygène proche de 30-40  % alors qu’il est actuellement de 21 % (Figure 4-19).

Figure 4-19 : Les arthropodes géants du Carbonifère : scorpion marin, mille-pattes géant (Arthropleura), libellule géante (Meganeura) et un trilobite. Homo sapiens donne l’échelle des tailles.

Les étonnants requins des mers du Carbonifère Les requins, apparus au Dévonien, vont se diversifier sous des formes étonnantes au Carbonifère. Ces animaux sont dotés d’un squelette cartilagineux qui leur donne une légèreté accrue, mais présente l’inconvénient de très mal se fossiliser. Ce sont leurs dents que l’on retrouve la plupart du temps. Nous avons choisi de vous présenter deux espèces qui semblent sortir d’un film d’horreur, comme Helicoprion avec sa mâchoire en forme de scie circulaire. C’est cette mâchoire en forme de spirale que les paléontologues ont retrouvé en premier, laissant la porte ouverte à de nombreuses spéculations, souvent farfelues, pour reconstituer l’animal dès la fin du xixe siècle. C’est finalement des études en imagerie aux rayons X, qui ont permis de comprendre comment s’organisait la gueule du mystérieux requin. Helicoprion ressemblait à un requin lutin (Mitsukurina owstoni). La spirale de dents était portée par la mâchoire inférieure et venait s’encastrer dans une mâchoire supérieure privée de dents. On ne sait toujours pas de quoi pouvait s’alimenter ce « requin scie » (Figure 4-20). Stethacanthus surnommé le requin enclume possédait quant à lui une nageoire dorsale en forme de brosse ou d’enclume. Elle était recouverte tout comme le sommet de 134

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son crâne de denticules. On pense qu’il s’agit d’un dimorphisme sexuel réservé aux mâles qui pouvaient s’en servir dans les joutes pendant la saison des amours ou pour repousser des prédateurs (Figure 4-20).

Figure 4-20 : Helicoprion le « requin scie », et Stethacanthus le « requin enclume ».

L’essor des reptiles

La révolution est dans l’œuf Durant le Carbonifère (- 360 à - 299 millions d’années), les amphibiens* se diversifient tout en restant tributaires de l’élément aquatique, notamment pour y pondre leurs œufs. L’adaptation des premiers tétrapodes (on les appelle aussi stégocéphales) à l’environnement terrestre sera très lente, puisqu’elle semble avoir requis plus de 100 millions d’années, après l’acquisition du membre chiridien pourvu de doigts. D’autres acquisitions anatomiques seront nécessaires comme la modification de l’oreille interne pour capter les sons véhiculés par l’air. L’innovation la plus importante permettant aux tétrapodes de s’éloigner des lacs, des mares ou des rivières, pour explorer les terres, a été l’invention DÉFINITION Les amphibiens Autrefois appelés batraciens, ils forment une classe de vertébrés tétrapodes. La sous-classe des lissamphibiens est le seul groupe survivant de la classe des amphibiens. Elle comprend les anoures (grenouilles et crapauds), les urodèles (tritons et salamandres), et les gymnophiones (amphibiens apodes). 7 000 espèces ont été identifiées.

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de l’œuf cléidoïque (pour clos) plus connu sous le nom d’œuf amniotique, d’après le nom de la membrane, l’amnios, qui protège l’embryon. L’œuf est délimité par une membrane souple ou par une coquille semi-perméable qui autorise les échanges gazeux. L’embryon baigne dans le liquide amniotique. Il puise sa nourriture dans un sac vitellin et évacue ses déchets métaboliques dans un autre sac, l’allantoïde. Ainsi protégé de la dessiccation, l’œuf n’a plus besoin d’être pondu dans l’eau (Figure 4-21). Le nouvel animal qui en résulte est appelé amniote. Son cycle vital change complètement. Chez les amphibiens, les œufs sont pondus dans l’eau en grande quantité, puis fécondés de façon externe, il en sort des larves (têtards) qui se métamorphosent en adultes. Chez les reptiles (amniotes), la fécondation est interne, le sperme qui est introduit dans la femelle n’est pas gaspillé. Les reptiles pondent moins d’œufs, et il n’y a pas de stade larvaire, car la réserve nutritive de l’œuf est suffisante. Les premiers amniotes sont des reptiles qui émergent au Carbonifère supérieur.

Figure 4-21 : L’œuf amniotique, la « révolution du Carbonifère ».

La révolution est dans l’œuf. Dès leur apparition, les reptiles amniotes sont représentés par leurs deux groupes principaux : les sauropsides* et les synapsides* (Figure 4-22). DÉFINITIONS Les synapsides Ces vertébrés amniotes ont un crâne qui ne possède qu’une seule fosse temporale en arrière de la fosse orbitale. les Synapsides constituent un clade. Il regroupe les mammifères et tous les anciens synapsides fossiles qui ne sont pas des mammifères et que l’on qualifie de reptiles mammaliens. Nous sommes donc des synapsides !

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Les sauropsides Ces vertébrés amniotes ont un crâne qui possède deux fosses temporales, en arrière de la fosse orbitale. Les sauropsides constituent un clade qui regroupe les dinosaures ainsi que tous les oiseaux et les reptiles actuels.

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– Les sauropsides constituent un groupe dont l’un des plus anciens fossiles connus à ce jour remonte à 315 millions d’années avec Hylonomus lyelli. Les sauropsides représentent la majorité des amniotes. On y trouve les reptiles, les oiseaux et des groupes éteints comme les dinosaures, les ptérosaures, les reptiles marins (ichtyosaures, mosasaures…). – Les synapsides forment également un groupe très ancien dont le plus vieux fossile identifié est Archaeothyris daté de 310 millions d’années. On y trouve les mammifères et des groupes éteints apparentés comme les reptiles mammaliens. Si les amniotes sont relativement peu abondants pendant le Carbonifère, ils connaissent une radiation pendant le Permien, dernière période du Paléozoïque pendant laquelle ils supplantent la plupart des autres groupes de tétrapodes amphibiens dans les écosystèmes terrestres.

Figure 4-22 : Arbre phylogénétique simplifié regroupant les amniotes et leurs liens de parenté.

L’un des plus anciens vertébrés sauropsides connus depuis le xixe siècle est Hylonomus Lyelli. Ses restes ont été retrouvés piégés dans le creux d’un tronc DÉFINITION Les anapsides Ces vertébrés amniotes ont un crâne qui ne possède aucune ouverture en arrière de la fosse orbitale. C’est chez les anapsides que l’on trouve les ancêtres des tortues.

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de lycopode fossilisé en Nouvelle-Écosse, au Canada, et daté de 315 millions d’années. Ses dents pointues indiquent un régime insectivore. Le corps est mince et mesure une vingtaine de centimètres. Les doigts des mains et des pieds sont très longs comme ceux des lézards actuels. On a retrouvé de nombreux squelettes bien conservés dans des souches en décomposition, qui fournissaient un asile aux insectes, mille-pattes et autres escargots mangeurs de détritus. Ces cavités servaient de refuge et de garde-manger aux reptiles et amphibiens qui se sont trouvés piégés par des inondations et se sont noyés (Figure 4-23).

Figure 4-23 : Reconstitution de Hylonomus Lyelli piégé dans une souche de sigillaire.

Le plus ancien synapside connu est Archaeothyris, un autre fossile en provenance de roches de Nouvelle-Écosse datées de 306 millions d’années. D’une taille de 50 centimètres, il ressemble un peu à un iguane ou à un varan (Figure 4-24). Les deux groupes, sauropsides et synapsides, vont connaître une radiation évolutive. 138

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Figure 4-24 : Archaeothyris, le plus ancien synapside connu.

La radiation des reptiles mammaliens Au Permien, les deux supercontinents du Nord et du Sud, la Laurasie et le Gondwana se rassemblent en une masse continentale unique appelée Pangée. Ce supercontinent s’étendait d’un pôle à l’autre avec des climats extrêmes. La partie centrale de la Pangée étant située à des milliers de kilomètres de l’océan, il y pleuvait rarement, de sorte que le paysage devait ressembler à un désert inhospitalier. L’atmosphère était néanmoins plus humide, et les températures plus clémentes sur le pourtour de ce supercontinent, et une vie végétale et animale pouvaient s’y épanouir en abondance. Le régime des pluies devait ressembler à celui de la mousson qui arrose aujourd’hui l’Inde. L’histoire des synapsides a commencé au Carbonifère il y a 300 millions d’années. Ces vertébrés vont être à l’origine de la radiation des «  reptiles mammaliens » du Permien (- 299 à - 251 millions d’années) au Trias (- 252 139

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à - 203 millions d’années). Parmi eux, les pélycosauriens sont les plus anciens représentants de cette famille qui compte le célèbre Dimetrodon, une grosse bête à l’allure de lézard, longue de trois mètres (Figure 4-25). Ce carnivore possédait une superbe voile dorsale soutenue par les longues épines neurales issues des vertèbres dorsales. Richement irriguée en vaisseaux sanguins, on pense qu’elle faisait office d’un « radiateur » de thermorégulation qui absorbait ou rejetait les calories selon les besoins de l’animal. Le Dimétrodon qui était ectotherme (il ne produisait pas de chaleur interne) pouvait très vite faire remonter sa température corporelle en « lézardant » au soleil ! La voilure que l’on imagine colorée devait également jouer un rôle de reconnaissance entre les individus, pour l’intimidation ou les parades sexuelles. Un autre pélycosaurien herbivore, Edaphosaurus, exhibait une semblable voilure. Malgré leur allure spectaculaire, les pélycosauriens ne sont pas des dinosaures, ils se déplaçaient comme un lézard, le ventre au ras du sol, en ondulant de la queue. Les pélycosauriens vont disparaître sans descendance au milieu du Permien.

Figure 4-25 : Reconstitution d’un Dimetrodon du Permien.

Pendant la deuxième partie du Permien, on assiste à un développement de nombreuses lignées de reptiles mammaliens, encore appelés thérapsides et comprenant aussi bien des herbivores que des omnivores ou des carnivores. Ils vont quitter les latitudes équatoriales pour se disperser sur toute la Pangée, ce qui indique qu’ils possèdent une plus grande résistance aux fluctuations climatiques que les autres reptiles. Les reptiles mammaliens vont balayer les autres vertébrés du Permien dans une course à la domination des écosystèmes. Cette lignée sera à l’origine des premiers mammifères (Figure 4-26). 140

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Figure 4-26 : Reconstitution d’un paysage du Permien supérieur avec deux thérapsides gorgonopsiens carnivores.

Les thérapsides présentent un bon nombre de «  traits mammaliens  », avec une large fenêtre derrière chaque orbite oculaire. L’os dentaire qui porte les dents de la mâchoire inférieure s’est renforcé, annonçant l’arrivée de plusieurs types de dents, chacune spécialisée dans des fonctions particulières. Chez les reptiles, toutes les dents sont identiques, et repoussent au fur et à mesure qu’elles tombent. Certains spécimens fossilisés de peau montrent qu’ils avaient abandonné leurs écailles pour un épiderme riche en glandes proches des glandes sudoripares. Il y aussi tout lieu de croire que ces animaux avaient un comportement grégaire. La sécurité par le nombre permettait de structurer un groupe. La chasse en meute et les soins parentaux chez les thérapsides évolués annoncent aussi des comportements mammaliens. Les thérapsides donneront naissance aux mammifères, sans en être eux-mêmes (Figure 4-26B). Parmi les reptiles mammaliens, on rencontre des carnivores parfaitement adaptés à la course comme les Gorgonopsiens qui devaient occuper la niche écologique de félins ou des canidés actuels. D’autres comme les Dicynodontes sont équipés d’un bec tranchant qui leur permet de couper les tiges coriaces. Au Permien supérieur, les Cynodontes apparaissent, ils possèdent de nombreux traits qui anticipent ceux des mammifères comme des dents différentiées (canines, molaires). On se pose toujours la question de savoir s’ils étaient recouverts de poils, et possédaient un sang chaud. Certains Cynodontes vont survivre à l’extinction de la fin du Permien. Les premiers mammifères sont leurs descendants. Des carnivores gorgonopsiens comme Inostrancevia avaient la taille d’un grand ours (jusqu’à quatre ou cinq mètres de long) et un crâne d’environ 45 centimètres de longueur. Les gorgonopsiens se rapprochent davantage des mammifères que des reptiles, par leurs pattes, leurs jambes et les os de leurs oreilles. 141

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Figure 4-26B : Arbre phylogénétique simplifié des reptiles mammaliens.

Selon le paléontologue Michael Benton, des indices anatomiques laissent à penser qu’ils pouvaient être recouverts de poils, de fourrure et donc réguler leur température interne (sang chaud). Ces animaux qui avaient migré dans le Sud de la Pangée s’étaient habitués aux conditions hivernales (Figure 4-27). Ils avaient développé des dents en forme de sabre qui leur permettaient de percer la carapace de leurs proies. Leurs mâchoires pouvaient s’ouvrir à plus de 90° pour planter des canines de 12 centimètres dans la peau de leurs proies et les immobiliser.

Figure 4-27 : Reconstitution du gorgonopsien Inostrancevia.

Ces féroces carnivores s’attaquaient à des herbivores de la famille des pariéasaures qui avaient développé des carapaces parsemées de clous. Leurs crânes étaient ornés de pointes et de cornes. Ces « chars d’assaut » devaient vivre en groupe de plusieurs individus à proximité des points d’eau. Le Scutosaurus mesurait plus de trois mètres de long et pesait une tonne. On a retrouvé ses restes associés à ceux du carnivore Inostrancevia. Ce reptile Anapside pourrait être à l’origine de nos tortues actuelles (Figure 4-28). 142

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Figure 4-28 : Reconstitution de Scutosaurus.

Les premiers reptiles marins Certains reptiles sauropsides vont retourner dans l’élément aquatique, c’est le cas du Mesosaurus, aux longues dents pointues, au squelette gracile et au crâne à l’allure de crocodile. Ce petit reptile long d’un mètre est un des premiers amniotes aquatiques. Il capturait des petits poissons dans les mers du Permien. Les squelettes ont été retrouvés en Afrique du Sud, au Brésil, ainsi qu’en Amérique du Sud, ce qui montre que les masses continentales étaient soudées. On assistera plus tard au Trias, à une radiation de la lignée des reptiles marins (Figure 4-29).

Figure 4-29 : Reconstitution de Mesosaurus, un des premiers amniotes aquatiques.

La grande crise d’extinction du Permien Avec le Permien (- 299 à - 251 millions d’années), le Paléozoïque se termine par la plus grande extinction de masse que la Terre ait connue. Ce cataclysme sans précédent touche 96 % des espèces marines. Sur les continents, 70 % des vertébrés 143

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disparaissent. Cette crise permo-triasique reste la plus meurtrière de l’histoire de la vie sur Terre, et ses origines restent toujours mal connues. Dans les océans, on voit disparaître les trilobites, les scorpions marins, les graptolithes, et certains radiolaires qui constituaient une grande partie du plancton. Sur les continents, les fougères à graines et les lycopodes géants qui régnaient sur les forêts du Carbonifère régressent. De nombreuses familles d’insectes sont rayées de la liste du vivant. Les tétrapodes, amphibiens et amniotes sont fortement impactés. Un pic fongique a été détecté, signant au passage la présence d’une énorme quantité de biomasse en décomposition (cf. « Biodiversité et évolution du monde fongique », chez le même éditeur). Plusieurs évènements peuvent être à l’origine de cette hécatombe. Comme nous l’avons signalé plus haut, les terres émergées sous l’action des plaques lithosphériques étaient réunies en un seul supercontinent. Ceci a eu pour résultat, une fermeture des mers épicontinentales (mers peu profondes comme la Manche) et une baisse générale du niveau des océans. Il en a résulté une diminution des bandes côtières et des plateaux continentaux, ce qui a rendu ces écosystèmes encore plus vulnérables. En Sibérie et en Chine, de gigantesques éruptions volcaniques ont déversé dans l’atmosphère, des quantités énormes de gaz à effet de serre, comme le dioxyde de carbone (CO2) acidifiant les océans qui sont devenus anoxiques. Les chaînes alimentaires ont été durablement perturbées. Les cendres et les poussières qui se sont répandues dans la stratosphère ont modifié le climat. On évoque aussi la collision avec un bolide extraterrestre tombé dans l’océan indien il y a 250 millions d’années. De quoi alimenter les discussions sur cette crise qui fait entrer l’histoire de la vie dans le l’ère Mésozoïque !

LE MÉSOZOÏQUE Les rescapés du Trias Comme nous l’avions évoqué dans Biodiversité et évolution du monde végétal, au Trias (- 252 à - 201 millions d’années), première période du Mésozoïque, on assiste à une redistribution des «  cartes de la biodiversité  ». Les niches écologiques vacantes vont peu à peu se regarnir avec les groupes survivants du Permien. La restauration de la biodiversité prendra une bonne dizaine de millions d’années, surtout dans les océans. Les continents sont encore regroupés et le climat général est chaud. Côté végétation, si la flore à Glossopteris a traversé la crise, les lycopodes, les fougères et les prêles ne vont plus subsister qu’à l’état de plantes herbacées. Les grands gagnants sont les Gymnospermes qui vont régner en maîtres sur tous les continents. Les reptiles mammaliens seront les principales victimes de cette crise PermienTrias. Quelques espèces de Cynodontes et de Dicynodontes vont survivre à l’hécatombe. C’est le cas du Lystrosaurus un petit herbivore Dicynodonte d’un mètre de long, au corps trapu, qui devait occuper la niche écologique de nos hippopotames actuels. Des groupes importants devaient rester vautrés 144

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sur les berges. Ses défenses, son bec de tortue et ses pattes antérieures puissantes laissent à penser qu’il s’agissait d’un animal fouisseur. La distribution des fossiles de Lystrosaurus répartis sur trois continents différents (Afrique du Sud, Amérique du Sud et Antarctique), séparés aujourd’hui les uns des autres par des océans, a servi à étayer la théorie de la dérive des continents et l’existence d’un supercontinent, la Pangée, soutenue par le météorologue allemand Alfred Wegener (1880-1930), dans les années1910 (cf. encadré et Figure 4-30).

Figure 4-30 : Reconstitution de Lystrosaurus et de la flore à Glossopteris, avec leur répartition sur le Gondwana au moment de la crise Permien-Trias.

La théorie de la dérive des continents La dérive des continents est une théorie proposée au début du siècle par le physicien-météorologue Alfred Wegener (1880-1930) qui publie en 1915, Die Entstehung der Kontinente und Ozeane (L’origine des continents et des océans). En observant la complémentarité des lignes côtières entre l’Amérique du Sud et l’Afrique, Wagener émet l’idée qu’autrefois, l’Afrique et l’Amérique ne constituaient qu’un seul et même bloc qui se serait ensuite séparé. Il s’appuie sur plusieurs observations telles que le parallélisme des côtes de l’Atlantique, les traces d’anciennes glaciations ou de certaines structures géologiques. Il note aussi la répartition de certains fossiles comme Glossopteris, une « fougère à graines » retrouvée dans des zones géographiques actuelles très éloignées, ou des fossiles de Lystrosaurus, présents sur trois continents actuels. L’hypothèse d’un supercontinent rassemblant l’essentiel des terres émergées il y a 250  millions, avant de se morceler au Trias, permet d’expliquer ces découvertes. Cette théorie novatrice et très controversée à l’époque, sera ensuite enrichie de nouvelles observations et découvertes, et prendra dans les années 1960, le nom de théorie de la tectonique des plaques.

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Les sauropsides encore discrets au Paléozoïque, car concurrencés par les synapsides, vont prendre leur essor à l’ère secondaire. On voit également apparaître les premières tortues (anapsides). Les reptiles marins que l’on avait évoqués avec les mésosaures du Permien, connaissent une radiation avec les ichtyosaures, les nothosaures et les plésiosaures. Tous les reptiles marins du Trias étaient probablement des prédateurs. Certains reptiles marins comme les ichtyosaures présentent l’adaptation la plus poussée à la vie marine en haute mer, et sont un exemple remarquable de convergence évolutive avec les poissons et les cétacés. Les contraintes hydrodynamiques du milieu ont favorisé les mêmes réponses adaptatives  : corps fuselé et ramassé, nageoire caudale propulsive, nageoire dorsale stabilisatrice, nageoires latérales assurant les changements d’orientation (Figure 4-31). À l’instar de nos thons actuels, ils devaient se déplacer très rapidement. Les ichtyosaures s’étaient tellement affranchis du milieu terrestre qu’ils étaient devenus vivipares. On pense qu’ils devaient s’échouer sur les plages comme les baleines.

Figure 4-31 : Convergence évolutive entre une espèce éteinte l’ichtyosaure (au centre) et deux espèces actuelles le requin et le dauphin.

N’oublions pas le groupe des Archosauriens, dans lequel on rassemble les ptérosaures, les dinosaures (ainsi que les oiseaux) et les crocodiles. C’est au Trias moyen que les premiers dinosaures font leur apparition. Ils présentent une innovation anatomique majeure, la posture érigée. Les membres sont tendus à la verticale sous le corps et non plus arqués sur les côtés. Les premiers 146

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représentants sont bipèdes. La posture érigée est peut-être la clé de la réussite des dinosaures. Leur taille reste cependant réduite durant tout le Trias. C’est aussi à cette période que les premiers ptérosaures (reptiles volants) prennent leur envol dans les airs. Pour la première fois, un vertébré est capable d’effectuer un vol battu. Les ptérosaures vont se diversifier au Jurassique et au Crétacé. Gardons en mémoire que ces reptiles volants ne sont ni des dinosaures ni les ancêtres des oiseaux. Être mammifère : une affaire de lait et de dents Pour tout un chacun, le mot mammifère évoque l’allaitement et la lactation, ce qui semble à première vue, nous éloigner de la problématique de ce chapitre. Pourtant, si l’allaitement est l’apanage des mammifères, les soins aux jeunes ne le sont pas. Le nourrissage des jeunes est bien connu chez les hippocampes ou les oiseaux, et les archives fossiles montrent que chez certaines espèces de dinosaures, la pratique des soins maternels et du nourrissage existait déjà. Le lait est produit par des glandes spécialisées, appelées glandes lactéales ou galactophores. Les glandes mammaires sont dérivées de glandes cutanées sudoripares qui se sont respécialisées dans la production de lait (ce qui illustre à nouveau le principe d’exaptation déjà évoqué). Des fragments de peau fossilisés de thérapsides du Trias montrent que certains reptiles mammaliens possédaient déjà de telles glandes. Leur rôle premier était de produire des lipides pour limiter les pertes d’eau, mais également de secréter un mucus riche de deux enzymes aux propriétés antibactériennes, comme la xanthine ­oxydoréductase (XOR) et le lysozyme. L’apparition de la lactation Dans L’origine des espèces, Charles Darwin (1809-1882), pour expliquer l’origine de la lactation et de l’allaitement, avait imaginé que les femelles gardaient les jeunes contre elles pour leur assurer une protection. Les bébés au contact de la peau avaient ingéré accidentellement les secrétions des glandes cutanées. Progressivement, ces dernières avaient assuré un rôle nourricier. À ce jour, si nous sommes incapables de dater le premier mammifère capable d’allaiter, nous pouvons grâce à la génétique, à l’embryologie et à l’anatomie comparée, comprendre comment ces glandes sont devenues fonctionnelles. Le gène de l’alphalactalbumine (protéine du lait qui intervient dans la biosynthèse du lactose dans la glande mammaire) provient d’une duplication du gène du lysozyme C survenue il y a environ 400 millions d’années. Ce même lysozyme protège les œufs des infections chez la plupart des vertébrés pondeurs (amphibiens, oiseaux…). On peut alors imaginer le scénario évolutif suivant : les différents types de glandes cutanées se sont associés autour du poil ou autour d’un canal, qui plus tard contiendrait le poil. Les glandes à mucus deviendront 147

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les glandes sudoripares et les glandes à lipides, les glandes sébacées. Chez les Monotrèmes, la glande lactéale est encore associée à un poil dans une position qui rappelle celle d’une glande sudoripare ordinaire de la peau chez un mammifère placentaire comme l’homme. Le mode de sécrétion du lait par les cellules des galactophores est semblable à celui de la sueur produite par les glandes sudoripares, associées à un follicule pileux. Chez la femelle ornithorynque, le lait suinte le long de ses poils, et pour « téter » les petits doivent tout simplement lécher les poils de leur mère. On peut imaginer que chez les premiers mammifères, le même mécanisme s’est progressivement mis en place (Figure 4-32).

Figure 4-32 : Anatomie comparée d’une coupe de poil chez l’homme (A) et d’une glande lactéale chez l’ornithorynque (B).

Une affaire de dents C’est à ce niveau de notre raisonnement qu’intervient le deuxième facteur clé qui caractérise un mammifère, sa dentition. Il est facile de comprendre que dans la mesure où le bébé mammifère est assuré d’être nourri, il peut naître avec les gencives lisses. Une première génération de «  dents de lait  » s’installe les premières semaines, elle sera remplacée à l’âge adulte par la denture définitive spécialisée (incisives, canines, molaires définitives), quand l’os mandibulaire aura acquis la taille requise. Les bébés chauve-souris font exception à cette règle, car ils ont besoin de s’agripper à l’abdomen maternel au cours des déplacements nocturnes. Chez les reptiles qui doivent assurer leur subsistance dès la sortie de l’œuf, plusieurs générations de dents se succèdent au fur et à mesure de la croissance et toute la durée de la vie. C’est à ce travail sur les dents des fossiles que s’attachent tout particulièrement les paléontologues pour définir la nature reptilienne ou mammalienne 148

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d’un spécimen fossile mis à jour. Pour ce faire, il faut disposer d’une grande quantité de crânes de jeunes individus, sachant comme le cite le paléontologue Jean-Louis Hartenberber dans Une brève histoire des mammifères que « la transition entre le mode d’élevage reptilien et mammalien n’a pas dû se faire du jour au lendemain ». Monotrème, placentaire ou marsupial ? Apparus au début de l’ère secondaire (-  245 à -  65 millions d’années), les premiers mammifères sont datés de 200 millions d’années. Ils vont rester discrets pendant plusieurs dizaines de millions d’années, dissimulés à « l’ombre des dinosaures ». La petite taille est un excellent moyen de garder en réserve des options évolutives. Petit, il est plus facile de courir, sauter, grimper, creuser ou même nager en fonction des exigences. Plus vous êtres gros et plus vous devez vous spécialiser. Plus vous êtes spécialisé et plus il est difficile de s’adapter aux modifications du milieu extérieur. Plus vous êtes petit et plus vous devez consommer de l’énergie proportionnellement à votre taille (la musaraigne étrusque doit consommer chaque jour deux fois son poids en nourriture). Les premiers mammifères du Mésozoïque étaient insectivores et n’importe quelle bestiole (larves, vers, insectes, mille-pattes) pouvait constituer leur repas. 150 millions d’années de pression sélective vont donner aux mammifères de grandes aptitudes olfactives et auditives. Les fossiles des premiers vrais mammifères sont extrêmement rares, en raison de leur très petite taille qui avoisine celle d’une souris ou d’une musaraigne actuelle. – Les monotrèmes ou prothériens constituent un ordre de mammifères caractérisé par le fait qu’ils sont à la fois ovipares et mammifères. Ils pondent des œufs et allaitent leurs petits. On ne connaît pas le berceau d’origine des monotrèmes dont il ne reste seulement que deux familles, l’ornithorynque qui est un carnivore/insectivore aquatique et deux espèces d’échidnés, ressemblant grossièrement à des hérissons, au régime insectivore terrestre, et au corps recouvert de piquants creux. La femelle monotrème pond des œufs à paroi molle de petite taille (un centimètre et demi) puis les couve. Les jeunes après l’éclosion, lèchent le lait qui s’écoule des poils de la mère. – Les marsupiaux ou métathériens comme les kangourous, les koalas, les wombats présentent une poche marsupiale chez les femelles, permettant au petit, une larve marsupiale de deux centimètres, de survivre et de se nourrir. La larve rampe sur le ventre de sa mère, pénètre dans la poche marsupiale et saisit de sa bouche l’une des tétines qu’elle enfonce jusque dans son pharynx. L’embryon va terminer son développement fœtal attaché à la mamelle de sa mère. Chez les opossums d’Amérique du Sud, la femelle ne possède pas de poche marsupiale, les jeunes restent accrochées au ventre de leur mère. – Les placentaires ou euthériens regroupent tous les autres mammifères. Ils ont colonisé tous les milieux terrestres et certains sont retournés à la 149

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vie aquatique. Le jeune se développe dans l’utérus de la mère jusqu’à un stade de développement avancé. Il y est nourri par l’intermédiaire d’une structure mixte à la fois maternelle et embryonnaire : le placenta. On a recensé aujourd’hui environ 5 000 espèces de mammifères. Les espèces terrestres ont conquis tous les milieux, des déserts aux forêts équatoriales, en passant par les régions polaires. Cétacés, phoques et siréniens sont retournés au milieu aquatique, tandis que les chauves-souris (qui représentant 10 % des espèces de mammifères) ont pris leur envol. Vivre à l’ombre des géants L’aventure des mammifères commence avec Morganucodon, qui vivait au Trias supérieur il y a 205 millions d’années. On a retrouvé ses restes en Europe, en Chine et en Afrique du Sud. Avec son allure de musaraigne pour un poids de 15 à 20 grammes, il a tout du candidat à l’ancêtre possible commun à tous les mammifères actuels. Les spécialistes s’affrontent cependant pour savoir s’il a vraiment franchi la frontière reptilienne. Côté dentaire et articulation maxillaire, il a tout d’un mammifère. Mais on ne retrouve pas les trois osselets de l’oreille moyenne qui en feraient un vrai mammifère. On le qualifie de mammaliforme, ce qui veut dire qu’il en est très proche, tout en présentant encore des caractères de reptiles mammaliens Cynodontes. Cependant, les juvéniles sont dotés de dents de lait, ce qui laisse à penser que la mère allaitait ses petits. Un vrai casse-tête, même pour un paléontologue averti ! (Figure 4-33).

Figure 4-33 : Reconstitution de Morganucodon, reptile ou mammifère ? 150

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Patientons encore quelques millions d’années et examinons maintenant Hadrocodium, une petite bestiole âgée de 195 millions d’années et grande comme un trombone, pour un poids plume de deux grammes ! Nous sommes arrivés au Jurassique et Hadrocodium présente toutes les caractéristiques du mammifère. Mais comment s’imposer en étant si petit  ? La réponse est à chercher dans une vie nocturne, Hadrocodium est recouvert de poils pour éviter de perdre des calories, il a une vision nocturne parfaite, ses oreilles à trois osselets captent les fréquences aigues, et ses moustaches lui confèrent un excellent toucher. Il est parfaitement adapté pour vivre à l’ombre des dinosaures ! On pense que la femelle devait pondre des œufs et allaiter les jeunes (Figure 4-34).

Figure 4-34 : Reconstitution d’Hadrocodium.

Avec Juramaya sinensis (de Jura, « Jurassique » et Maia, « mère » en Grec) découvert dans les dépôts de Liaoning, en Chine, et daté de 165 millions d’années, nous sommes en présence du premier mammifère placentaire euthérien. Il devait peser entre 15 et 17 grammes. Les membres antérieurs semblent adaptés à un mode de vie arboricole. Quant aux dents, elles indiquent un régime insectivore. C’est à partir de ce type de petit mammifère aux mœurs nocturnes que vont se diversifier tous les mammifères placentaires pour faire la conquête de la Terre. Nous sommes les descendants de ce petit mammifère (Figure 4-35). 151

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Figure 4-35 : Reconstitution et squelette de Juramaya sinensis.

Quand les dinosaures régnaient sur Terre Nous avions laissé les reptiles sauropsides au Trias avec le groupe des Archosauriens, dans lequel on rassemble les ptérosaures, les dinosaures* ainsi que les oiseaux et les crocodiles. Les premiers dinosaures font leur apparition au Trias moyen. Ils présentent une innovation anatomique majeure, la posture érigée avec les membres tendus à la verticale sous le corps et non plus arqués sur les côtés comme chez les amphibiens, les crocodiles ou les reptiles mammaliens. Certaines formes vont rapidement acquérir une posture bipède. Le plus étudié des premiers dinosaures est Herrerasaurus, un carnivore bipède de trois mètres de long, à l’allure élancée, découvert en Argentine, et daté de 225 millions d’années. Ses longs membres antérieurs sont terminés par des « mains » préhensibles aux doigts griffus. Une longue queue équilibre le corps (Figure 4-36). Ces premiers dinosaures devaient partager l’écosystème des reptiles mammaliens et des crocodiles rhynchosaures (ancêtres de nos crocodiles actuels). À la fin du Trias, ils se diversifient. La fin de cette période est caractérisée par DÉFINITION Les dinosaures L’étymologie de ce mot, du grec deinos pour «  terrible  » et sauros pour « lézard » a été proposée en 1842 par le paléontologue britannique Richard Owen (1804-1892). Les dinosaures sont des animaux terrestres. Contre toute attente et de nombreuses idées reçues, tous les grands reptiles du Mésozoïque n’étaient pas des dinosaures. C’est le cas des grands reptiles marins comme les ichtyosaures ou les mosasaures. Pas plus que les reptiles volants ou ptérosaures dont certains représentants avaient une envergure de 15 mètres.

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des extinctions qui touchent les reptiles mammaliens. On n’en connaît pas la cause exacte, mais des événements volcaniques sont évoqués. Les dinosaures profitent des niches vacantes et selon le paléontologue américain Paul Serono, ils auraient été les « vainqueurs par forfait ».

Figure 4-36 : Reconstitution d’Herrerasaurus.

Remarque

On notera sur la figure 4-36 le côté dynamique de l’animal. Jusque dans les années 1970, les dinosaures étaient représentés comme des animaux balourds, aussi lents que stupides et qui devaient vivre immergés dans l’eau, à l’image des créatures du dessin animé Fantasia de Disney (1940). Ils sont toujours représentés avec leur queue trainant sur le sol, alors que l’on n’a jamais retrouvé de trace de queue ayant labouré le sol. Pour compléter ce tableau déjà bien sinistre, les artistes de l’époque les affublent de couleurs verdâtres ou grisâtres. Nous avons choisi de vous les présenter avec des couleurs plus vraisemblables à l’image de nos animaux actuels. Enlevez ses rayures à un zèbre ou à un tigre, ils perdront vite leur statut dans leur niche écologique, faute de camouflage ! Si les premiers dinosaures triasiques étaient surtout des carnivores bipèdes de taille moyenne, les suivants, les carnivores comme les herbivores, seront de toutes tailles, avec une extraordinaire diversification de formes bipèdes et quadrupèdes. Très vite, ils se séparent en deux branches selon l’anatomie de la ceinture pelvienne, les saurischiens et les ornithischiens : – les saurischiens « à bassin de reptile » ont l’os pubien dirigé vers l’avant comme chez les crocodiles actuels. Les saurischiens vont évoluer en deux groupes, les sauropodomorphes (comprenant les prosoraupodes et les sauropodes) et les théropodes (le plus connu étant le tyrannosaure). C’est chez les saurischiens que l’on retrouve les plus grands sauropodes géants du Jurassique comme le brachiosaure ou le diplodocus ; – les ornithischiens « à bassin d’oiseau » ont le pubis dirigé vers l’arrière. On y retrouve des herbivores ornithopodes comme les dinosaures à bec de canard et les iguanodons. Les stégosaures, triceratops et autres ankylosaures sont aussi des ornithopodes. 153

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Les dinosaures au Guinness des records Au Jurassique, le dinosaure moyen pèse environ une tonne. Si le plus petit comme le Microraptor a la taille d’un corbeau, à l’opposé l’Argentinosaurus dépasse les 70 tonnes  ! (un semi-remorque pèse 44 tonnes) (Figure  4-37). Les sauropodes géants (littéralement «  pieds de reptiles  ») ont compté dans leurs rangs, les plus grands animaux terrestres de tous les temps. Le célèbre Diplodocus avait une longueur de 27 mètres pour un poids estimé à 15 tonnes. Les sauropodes étaient construits à la manière d’un pont suspendu. Des ligaments gros comme des câbles couraient le long du cou, du dos et de la queue. D’énormes excroissances sur les vertèbres permettaient aux muscles de s’ancrer. Le mode de vie de ces géants pose de nombreuses questions qui ne sont toujours pas résolues. Les dinosaures vont exploiter toutes les niches écologiques, puis disparaître mystérieusement à la fin du Crétacé. On a décrit plus de 700 espèces dans un inventaire qui s’enrichit chaque année. La sortie, en 1993, du premier volet de «  Jurassic Park » réalisé par Steven Spielberg sera à l’origine d’une «  dinomania  » dans les médias comme dans le public. Les dinosaures sont à la mode pour longtemps.

Figure 4-37 : Un bouquet de sauropodes géants (l’homme donne l’échelle le long de la patte d’Argentinosaurus).

Les innovations du Crétacé Le Crétacé (- 145 à - 65 millions d’années) annonce la dernière période de l’ère secondaire. Les continents continuent de se fragmenter et de s’éloigner les uns des autres. Les sauropodes géants du Jurassique ont laissé la place à des dinosaures moins imposants comme les ornithopodes (les iguanodons et 154

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les dinosaures à «  bec de canard  »). Les cératopsiens dont le plus connu est le triceratops se diversifient. Les théropodes, carnivores bipèdes, évoluent en plusieurs formes de très grande taille, aux membres antérieurs atrophiés. Tout un chacun connaît le fameux Tyrannosaurus rex découvert en Amérique du Nord. Ce carnivore de six tonnes mesurait 14 mètres de long et promenait à six mètres du sol, son énorme crâne d’un mètre et demi. Sa mâchoire était garnie d’une soixantaine de dents acérées et pouvant atteindre chacune 18  centimètres de long. Une vue stéréoscopique lui permettait d’enregistrer le moindre mouvement sur un large champ de vision. À ce jour, si seulement une quinzaine de spécimens ont été mis à jour, il reste le dinosaure le plus connu du public et chaque enfant est capable de prononcer son nom sans l’écorcher ! Seul bémol, certains spécialistes affirment que, contrairement à l’idée établie que le tyrannosaure était un redoutable prédateur, celui-ci n’était en fait qu’un charognard opportuniste. Le débat reste ouvert (Figure 4-38).

Figure 4-38 : Reconstitution de l’affrontement entre Tyrannosaure rex et un ankylosaure.

Le début du Crétacé coïncide avec l’apparition des Angiospermes, plus connues sous le nom de plantes à fleurs. L’aspect des paysages et des écosystèmes de toute la planète en seront modifiés. Les angiospermes vont devenir les espèces végétales dominantes, et prendre le pas sur les conifères. C’est un saut évolutif majeur dans l’histoire des plantes, et l’apparition de la fleur sera à l’origine d’une coévolution sans précédent entre végétaux et animaux (insectes, oiseaux, mammifères). On assiste en quelques millions d’années, à une diversification et une radiation de certains ordres d’insectes comme les coléoptères, les lépidoptères ou les hyménoptères qui vont former des couples « animauxvégétaux » pour assurer la pollinisation (Figure 4-39). 155

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Figure 4-39 : Coévolution et diversification des insectes pollinisateurs après l’apparition des plantes à fleurs (d’après Labandeira et Eble, 2000).

Les géants des océans et des airs Alors que les ichtyosaures dominent encore les océans au début du Jurassique, le groupe des plésiosaures se diversifie en deux branches, les plésiosaures au sens strict, à long cou, et les pliosaures, au cou plus court. Certains atteignent des tailles impressionnantes. Un des plus grands pliosaures retrouvé à ce jour est le Liopleurodon, qui atteignait 12 à 15 mètres de long, c’est-à-dire la taille d’un tyrannosaure. Le crâne long de deux mètres et demi portait des dents acérées comme des rasoirs, et il se déplaçait grâce à quatre énormes nageoires. Les ichtyosaures et autres plésiosaures devaient constituer ses principales proies. La dispersion des fossiles découverts laisse à penser que l’espèce était présente dans toutes les mers du globe, comme certains groupes de nos baleines modernes. Les plésiosaures qui vont se diversifier du début du Jurassique jusqu’à la fin du Crétacé, devaient consommer des poissons ou des céphalopodes, comme en témoignent leurs dents fines et pointues. La taille imposante des reptiles marins implique une reproduction vivipare, car un retour sur la terre ferme se serait traduit par un échouage fatal (Figure 4-40). Les ptérosaures (« lézards ailés ») sont présents dans les airs, dès la fin du Trias avec le groupe, les Rhamphorhynchoïdés, dont les représentants de petite taille, sont déjà parfaitement capables d’un vol battu. Ils possèdent une queue qui faisait probablement office de gouvernail. Ils s’éteindront à la fin du Jurassique et seront remplacés par le groupe des Pterodactyloïdés, des reptiles de plus grande envergure, probablement capables de voler sur de grandes distances. Privés de queue, mais souvent pourvus d’une crête osseuse, 156

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Figure 4-40 : Liopleurodon en train de capturer un plésiosaure.

ils s’épanouissent au Crétacé. Certaines familles comme les Azhdarchidae sont frappées de gigantisme. Ces espèces se distinguent des autres ptérosaures par leurs longues mâchoires, leur grande tête et un cou extrêmement long, mesurant parfois plus de trois mètres. Les plus célèbres sont Quetzalcoatlus et Hatzegopteryx, deux géants de plus de 12 mètres d’envergure, aussi grands qu’une girafe. Quand Hatzegopteryx se tenait à quatre pattes sur le sol, il devait atteindre une hauteur de six mètres (la longueur de son crâne avoisine les trois mètres de long). Son poids est évalué à 100 kilogrammes, ce qui est peu par rapport à sa taille les ailes ouvertes. Ces animaux se déplaçaient au sol en prenant appui sur leurs quatre membres, à l’instar des chauves-souris actuelles. Les ptérosaures comme les reptiles marins disparaissent à la fin du Crétacé (Figure 4-41). L’avènement des oiseaux Bien que les impressionnants dinosaures du Mésozoïque se soient à tout jamais éteints, tous n’ont pas vraiment disparu. Nous sommes environnés par de petits théropodes volants qui nous offrent leurs chants tous les matins. Quand vous observez une mésange, vous avez devant vous un oiseau, un groupe survivant des dinosaures du Crétacé. Avec près de 20 000 espèces connues, on ne peut plus vraiment dire que les dinosaures ont disparu ! 157

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Figure 4-41 : Comparaison entre Quetzalcoaltus et une girafe.

Des dinosaures à plumes, capables au moins d’un vol plané, sont déjà présents à la fin du Jurassique. Le plus célèbre d’entre eux, Archaeopteryx, fait toujours couler de l’encre. Était-il capable de voler comment un vrai oiseau ? Cette question divise depuis longtemps les scientifiques. Avec ses griffes au niveau des ailes, Archaeopteryx pouvait grimper aux arbres et s’agripper aux branches. Il pouvait ensuite pratiquer un vol plané entre deux cimes, mais on considérait qu’il était incapable de voler, car il lui manquait le bréchet, cet os sur lequel viennent s’insérer les puissants muscles pectoraux nécessaires au vol. C’est sur cet os que vous prélevez les « blancs » d’un poulet. On l’avait rangé avec les Deinonychosaures où l’on retrouve le terrible Vélociraptor, encore popularisé dans le film Jurassic Park de Steven Spielberg. Il avait donc était relégué au rang de simple « dinosaure à plume ». La découverte en 2013 par l’équipe de Pascal Godefroit (Institut royal des Sciences naturelles de Belgique), d’un nouveau dinosaure-oiseau nommé Aurornis, a relancé le débat (Nature 2013). Plus primitif qu’Archaeopteryx, il  n’en est pas moins un oiseau. Pour le moment, c’est l’oiseau le plus ancien connu au monde a précisé l’auteur des travaux. Il était capable de courir, mais 158

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pas de voler. Ces travaux replacent donc Archaeopteryx parmi les oiseaux, et précisent que le vol battu est apparu plus tard et une seule fois dans l’évolution (Figure 4-42). N’oublions pas que les chauves-souris qui volent parfaitement ne possèdent pas de bréchet, tout comme l’Archaeopteryx. Comme le souligne le paléontologue Michaël Benton  : pourquoi aurait-il eu des plumes et des ailes s’il ne volait pas  ? Les prochaines découvertes de fossiles apporteront peut-être une réponse. Les oiseaux descendent des premiers dinosaures volants. Dans les années 1990, on a commencé à exhumer des fossiles de dinosaures recouverts de plumes, en Chine et en Sibérie. Pour la plupart, il s’agissait d’animaux herbivores ou carnivores, dont le poids ou la constitution excluait toute possibilité de vol. Cette découverte a relancé le débat sur l’origine des plumes et leur rôle. Comme les poils, les écailles ou les ongles, les plumes sont des phanères, constituées de kératine, une protéine fibreuse. Retrouver des plumes sur des dinosaures du Jurassique indique que ces phanères servaient comme moyen de thermorégulation à l’instar des poils chez les mammifères. Ces plumes pouvaient également avoir un rôle dans la séduction ou l’intimidation, au cours de parades sexuelles, tout comme chez nos oiseaux actuels. On a même fait l’hypothèse que l’ancêtre commun à tous les dinosaures était peut-être recouvert de plumes. Exit la vision académique du grand lézard recouvert d’écailles, le tyrannosaure faisait peut-être la roue comme un paon ! Cette découverte montre aussi que la plume n’a pas été inventée de prime abord pour le vol. Sous la pression de la sélection naturelle, elle a été réutilisée chez des dinosaures qui s’en sont servi pour voler (on parle à nouveau d’exaptation).

Figure 4-42 : Reconstitution d’Aurornis (à gauche) et d’Archaeopteryx (à droite).

La crise K/T ou la fin d’un règne Le Crétacé se termine par une crise biologique majeure (on parle de crise K/T pour Crétacé/Tertiaire). Les dinosaures, les ptérosaures et les reptiles marins disparaissent tout comme les ammonites et les bélemnites. Cette extinction de masse a généré plus de recherches que les autres crises et pourtant on ne sait toujours pas pourquoi les dinosaures ont disparu. L’hypothèse d’un impact avec 159

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un astéroïde de dix kilomètres de diamètre avait déclenché un regain d‘intérêt en 1980 avec la publication dans la revue Science de l’article de Luis Alvarez (1911-1988), prix Nobel de physique et de son fils Walter, géologue. L’article décrivait la présence d’une mince couche d’iridium (un élément du groupe du platine que l’on trouve principalement dans les météorites et le système solaire, alors qu’il n’existe qu’en très faible quantité sur Terre), datée de 65 millions d’années et présente sur tous les continents à la limite entre le Crétacé et le Tertiaire. Sa concentration était 30 à 150 fois supérieure à celle des couches sous et sus-jacentes. Il s’agissait donc d’un phénomène mondial. Cette couche signait l’impact avec un météore qui aurait soulevé de colossales quantités de poussières et à l’origine d’un « hiver nucléaire » perturbant durablement toutes les chaînes alimentaires. La zone d’impact a été identifiée en 1991 dans le Yucatan, au Mexique (cratère de Chicxulub). La découverte d’un volcanisme intensif dans les trapps du Deccan en Inde, a par la suite concurrencé l’hypothèse d’Alvarez et la théorie d’une cause unique est devenue obsolète. D’autres sites d’impact coïncidant avec cette période ont été également découverts en Inde et en Ukraine. Aujourd’hui, on privilégie l’association de plusieurs causes (impacts de météorites, volcanisme) qui auraient agi de manière concomitante sur une période plus longue qu’on ne le pensait. Gardons en mémoire que de nombreux groupes d’organismes ont franchi la limite Crétacé-Tertiaire. Les crocodiles, les tortues ou les oiseaux ont tiré leur épingle du jeu, tout comme les mammifères que leur petite taille a peut-être sauvé. Les plantes à fleurs sont aussi les gagnantes de cet épisode d’extinction massive.

LE CÉNOZOÏQUE Les mammifères aux commandes L’importance de la disparition des dinosaures sur la biosphère est tellement considérable que l’on ne peut la comparer qu’à l’impact qu’aurait, aujourd’hui, la disparition de l’humanité sur les autres espèces et sur l’environnement. Les mammifères du Mésozoïque pèsent environ entre trois grammes et 15 kilogrammes, pour un poids moyen de 100 grammes. Très vite, ils vont reconquérir les niches écologiques, se diversifier et leur taille va augmenter considérablement. Le Paléogène (Paléocène, Éocène et Oligocène) est une période de radiation évolutive ou de « reconquête » pour beaucoup de groupes zoologiques continentaux et marins. Au Paléocène (- 65 à - 55 millions d’années), première époque de l’ère tertiaire (Cénozoïque), le climat devient chaud et humide et une flore tropicale remonte jusqu’à 50° de latitude dans l’hémisphère nord. Les plantes à fleurs se diversifient dans d’immenses forêts tropicales humides qui profitent de l’absence de grands prédateurs herbivores. Cet environnement forestier profite aussi à l’essor des oiseaux. 160

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Des espèces géantes Les premiers mammifères ne présentent pas de dents adaptées à un régime herbivores. Ils profitent de la végétation pour y chasser les insectes. Les principaux représentants des mammifères placentaires sont les multituberculés, un groupe apparu au Crétacé. Ils ressemblent à nos rongeurs actuels. Les marsupiaux très affectés par la crise Crétacé-Tertiaire se développent en Amérique du Nord, puis passent en Amérique du Sud et en Antarctique. Ils migreront par la suite en Australie, via l’Antarctique. Comme nous l’indiquions plus haut, l’évènement majeur du Cénozoïque est l’accroissement en taille des mammifères qui va se poursuivre sur 25 millions d’années après la crise du Crétacé, puis se stabiliser. Ce gigantisme va conduire à des animaux comme Baluchitherium grangeri (ou Indricotherium), le plus grand mammifère qui ait jamais marché sur la terre. Cette espèce éteinte de rhinocéros sans corne pesait environ dix-sept tonnes et mesurait plus de cinq mètres de haut. Ce géant vivait il y a 34 millions d’années au Pakistan, et en Eurasie (Figure 4-43). L’accroissement en taille est aussi conditionné par différentes contraintes de l’habitat, plus le mammifère est grand et plus la densité de sa population est faible. Plus la longévité s’accroît et plus l’élevage des jeunes est prolongé. Le Baluchitherium devait se reproduire lentement et la gestation de la femelle est estimée à deux ans. Cette faible capacité de reproduction rend l’espèce très sensible à tout changement de l’environnement (cf. Chapitre II). Pendant longtemps,

Figure 4.43 : Baluchitherium, comparé à la taille d’un éléphant, d’un homme et d’une musaraigne, le plus petit mammifère.

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on a pensé que cet animal, à l’instar d’autres mammifères géants de cette période, avait atteint une certaine limite biomécanique. Une étude réalisée par la biologiste américaine Felisa Smith, de l’université du Nouveau-Mexique, et parue dans Science en 2010, explique que les limites supérieures en taille ont probablement été fixées par la température des milieux et les surfaces terrestres disponibles. La spécialisation des dents Une autre innovation du Paléocène réside dans les modifications des dents des mammifères. Elle est liée à l’évolution et la diversification de leurs régimes alimentaires. Les dents vont se modifier, tant par leur forme que par la structure de la couche protectrice d’émail qui va se renforcer. Chez les espèces frugivores ou granivores, on voit apparaître des incisives coupantes. On note l’apparition d’une nouvelle cuspide aux molaires supérieures, l’hypocône qui va permettre une mastication plus efficace des aliments végétaux, et sera à l’origine d’une radiation sans précédent de nouvelles lignées de mammifères herbivores. L’autre innovation importante soulignée par le paléontologue Jean-Louis Hartenberger dans Une brève histoire des mammifères (2001) est l’apparition d’un émail plus dur, dit « émail à structure décussée » et beaucoup plus résistant à l’abrasion des aliments. C’est également à cette époque qu’apparaissent les premiers prédateurs armés de dents carnassières spécialisées. Ce sera la base du succès de l’ordre placentaire des carnivores qui ne va cesser de se diversifier jusqu’à aujourd’hui. Forts de toutes ces innovations, les mammifères ont pu reconquérir toutes les niches écologiques L’Éocène, l’aube des temps nouveaux À l’Éocène (-  56 à -  34 millions d’années), les températures s’élèvent alors que le climat reste peu contrasté. Ce réchauffement global de la planète s’accompagne d’une homogénéisation des faunes nord-américaines, européennes et asiatiques. On assiste à l’apparition des principaux groupes actuels de mammifères et même de certaines familles vivant encore aujourd’hui, comme les ongulés* modernes qui sont divisés en périssodactyles (chevaux, rhinocéros) et artiodactyles (bovins, chameaux, antilopes). DÉFINITION Les ongulés L’étymologie de ce mot vient du grec onykos, et du latin ungula, « ongle ». Ces espèces possèdent un ou plusieurs sabots à l’extrémité de leurs membres. Cette formation enveloppe et protège de doigt sur le sol. On les divise en artiodactyles, des ongulés à nombre de doigts pair comme les cochons, les chameaux, ou les bovins, et en périssodactyles, des ongulés à nombre de doigts impair comme les chevaux, les rhinocéros, les tapirs. Avec les données de la génétique et de la taxonomie, les cétacés on été replacés au sein des artiodactyles formant ainsi les cétartiodactyles.

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On assiste aussi à la diversification des proboscidiens (éléphants), des siréniens (lamantins), des premiers cétacés, des chiroptères (chauves-souris), des carnivores modernes (Miacidés), des rongeurs (souris), des lagomorphes (lapins) et des vrais primates, dont nous descendons. L’ensemble des grands plans adaptatifs de nos mammifères actuels sont présents  : fouisseurs, insectivores, carnassiers, omnivores et herbivores. Les placentaires ont réussi la conquête de tous les continents à la seule exception de l’Australie, qui reste réservée aux marsupiaux. Les milieux aériens sont colonisés par les chiroptères, tout comme les milieux aquatiques avec les cétacés et les siréniens (vaches marines). Messel, « la Pompéi » de la paléontologie  Le site de Messel, près de Darmstadt en Allemagne, est une ancienne fosse minière à ciel ouvert d’exploitation de schistes bitumineux, où l’on pratiquait l’extraction de l’huile de schiste et de paraffine. En devenant l’un des plus importants gisements de fossiles au monde, son étude a ouvert une formidable fenêtre sur la vie à l’Éocène. Les schistes bitumineux de l’ancien lac renferment des fossiles de végétaux et d’animaux dans un exceptionnel état de conservation (les couleurs de coléoptères sont préservées, de même que le contenu stomacal des vertébrés). Des mouvements géologiques provoquaient, épisodiquement, la remontée d’importantes quantités de gaz toxiques (dioxyde de carbone, sulfure d’hydrogène) qui contaminaient l’atmosphère des berges, expliquant au passage la découverte de nombreux fossiles non aquatiques, comme des insectes, des chauves-souris, des oiseaux et des animaux terrestres. La plupart des fossiles sont des insectes et des poissons, les mammifères ne représentant que 2 % des spécimens. On trouve aussi des serpents, des crocodiles et des amphibiens. Plus de mille espèces inventoriées nous donnent un aperçu très complet des écosystèmes lacustres et palustres. L’eau anoxique a permis la parfaite conservation de spécimens. Messel n’a pas fini de livrer ses secrets et comme l’explique le chercheur Stéphane Doyen, il faudra encore 40 à 50 000 ans pour en faire l’inventaire. Elle s’appelait Ida Il y a 48-50 millions d’années, la région était couverte d’une forêt pluviale luxuriante tropicale constituée de palmiers, de cyprès, d’ifs, de noyers, où alternaient lacs et marais. Des traces de cendre attestent d’un volcanisme actif. Une fois la carrière fermée en 1971, des hordes d’amateurs sont venues piller le site pour éparpiller les fossiles dans des collections privées. En 1995, le site a été inscrit au patrimoine mondial par L’UNESCO. C’est ainsi qu’un fossile de primate prélevé sur place en 1983, mais révélé au public seulement en 2009, a fait sensation dans la presse, tout en suscitant de nombreux débats. D’abord classé parmi les lémuriens, des études approfondies ont conduit à le rapprocher de la 163

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lignée des singes. 2009 étant le bicentenaire de la naissance de Charles Darwin (1809-1882), la nouvelle espèce a été nommée Darwinius masillae et datée de 47 millions d’années. Il s’agit d’une femelle primate surnommée Ida qui mesurait un mètre de long (queue comprise) pour un poids de 900 grammes. L’excellente conservation du fossile permet de distinguer ses poils et les restes de son dernier repas. Ida consommait des feuilles et des fruits. Comme les singes, elle possède des ongles et un pouce opposable. Si elle a été présentée dans les médias comme le « chaînon manquant » entre les lémuriens et les singes, l’auteur de l’étude, le paléontologue allemand Jenz Franzen, estime qu’elle n’est pas notre ancêtre direct, mais plus une tante qu’une grand-mère. Ida semble plus proche des lémuriens que des singes, elle a été classée dans la famille des Adapidae (Figure 4-44).

Figure 4-44 : Reconstitution et squelette d’Ida (Darwinius masillae).

Quand les baleines avaient des jambes Les premiers cétacés apparaissent à l’Éocène. En l’espace de quelques dix millions d’années, des animaux quadrupèdes terrestres gagnent le milieu aquatique, où leur morphologie se transforme radicalement. Tous les cétacés se 164

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reproduisent et mettent bas dans l’eau. Ils sont incapables de vivre à l’air libre et les échouages leur sont toujours fatals. Pour expliquer la rapidité de leur essor, il faut faire un retour sur leurs ancêtres qui sont à rechercher parmi des animaux terrestres. L’histoire des baleines, cachalots, narvals, orques et autres dauphins prend ses racines parmi des mammifères artiodactyles du Paléocène qui ont donné naissance aux groupes modernes. Les cétacés descendent donc d’un même ancêtre, un petit mammifère, ongulé, à doigts pairs qui était adapté à la course et à un régime carnivore (on constatera au passage qu’aucun cétacé moderne n’est herbivore). Ces mammifères vont effectuer un retour à la vie marine. Si on se doutait, depuis le xixe siècle, que les lointains ancêtres des baleines étaient des mammifères terrestres, leur origine restait nimbée de mystère. Comment leurs membres s’étaient-ils transformés en nageoires  ? Pendant des décennies, les paléontologues n’ont disposé que de fossiles d’animaux qui étaient déjà des « baleines ». C’est seulement à partir des années 1980, que des fouilles fructueuses ont permis de reconstituer le puzzle de l’évolution des cétacés. Ces découvertes sont décrites dans l’ordre de la séquence évolutive des cétacés.

Premiers chaînons manquants, de Bambi à Moby-Dick Il faudra donc attendre l’année 1983, avec la découverte au Pakistan des restes de Pakicetus (baleine du Pakistan), un ongulé daté de 50 millions d’années. De la taille de celles d’un loup, ses dents dénotent un régime carnivore, même s’il est équipé de sabots. Il devait chasser ses proies dans le lit des rivières. La forme de ses orbites montre qu’il pouvait s’aventurer dans l’eau pour se nourrir de petits animaux, voire de plantes. Des ossements parfaitement conservés de l’oreille interne montrent une structure intermédiaire entre celle des cétacés et des ongulés. Cette espèce qui devait vivre dans l’eau, n’était pas encore capable d’y entendre des sons. Chez Pakicetus, les orifices nasaux se situent au bout du museau. Ils ont ensuite commencé à migrer vers le sommet du crâne chez ses descendants. Une campagne de fouilles au Cachemire, en 2007, a livré les squelettes d’un petit animal ressemblant à un chevreau et daté de 50-48 millions d’années. Nommé Indohyus (porc de l’Inde), ce petit ongulé d’une dizaine de kilos devait passer une partie de son existence dans l’eau pour échapper aux prédateurs. Ces os lourds devaient lui servir de lest dans l’élément aquatique, à l’instar des hippopotames. Comme les baleines, il possède déjà un épaississement de l’oreille interne. Indohyus et Pakicetus sont considérés comme les premiers ancêtres des cétacés actuels (Figure 4-45). En 1994, une autre campagne de fouilles, au Pakistan, permet de mettre à jour les ossements d’un animal inconnu jusque-là dans des strates de 48 millions d’années. Il mesure trois mètres de long, sa queue est aplatie, ses pattes avant sont puissantes, ses pattes arrière se sont raccourcies et élargies, sa silhouette s’est allongée, il est parfaitement adapté à l’élément aquatique avec des dents de cétacé. Le nom qu’on lui donne est Ambulocetus pour «  la baleine qui 165

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marche  ». Il s’agit d’un proche parent de Pakicetus qui vivait dans la même région. Comme les crocodiles, il devait rester tapi dans l’eau à guetter ses proies. Ses puissantes dents servaient à écraser et découper la chair de ses proies. Encore capable de se déplacer sur la terre ferme, il était néanmoins plus à l’aise dans l’eau où il devait se mouvoir en ondulant son dos comme une loutre. Le puzzle se complète encore en 2008 avec la découverte de restes fossiles complets de Georgiacetus, vieux de 45 millions d’années et exhumé en Alabama. Il montre que ce lointain ancêtre de nos baleines possédait encore des pattes. Il ne possédait pas de nageoire caudale mais bel et bien une paire de pattes, comme on peut le voir sur la figure 4-45. Avec ses larges membres, il nageait en produisant des ondulations de haut en bas. Georgiacetus était adapté aussi bien à la nage dans les estuaires, que dans le milieu marin Dans des couches plus récentes de l’Alabama et du Mississipi, datées de 40 millions d’années, on a découvert Basilosaurus. Il mesurait 18 à 25 mètres de long et pesait six à dix tonnes. Les premiers spécimens découverts au xixe siècle avaient été confondus avec des reptiles d’où le surnom de « lézard royal ». Doté d’une vision exceptionnelle, Basilosaurus possède un corps long et mince, ce qui lui permet de se déplacer en ondulant comme une anguille. Ce cétacé était sans conteste le plus grand prédateur des mers de l’Éocène supérieur. Avant lui, les océans étaient dominés par les requins. En avril 2005, des paléontologues américains et égyptiens ont mis au jour en Égypte, dans le site d’Ouadi Al-Hitan (la vallée des baleines), le fossile le plus complet de Basilosaurus. À la grande surprise des chercheurs, l’animal qui ressemble au serpent de mer des légendes, est doté d’une ceinture pelvienne et de petites pattes fonctionnelles. On y a vu une possible utilisation lors de l’accouplement et peut-être un dimorphisme sexuel. Comment ressembler à un poisson ? Pour résumer 50 millions d’années d’évolution, des animaux ongulés carnivores sont devenus piscivores, et ont ensuite acquis des adaptations qui en ont fait les baleines, cachalots ou dauphins qui sillonnent aujourd’hui nos océans. Des fleuves où vivait Pakicetus, ses descendants ont fréquenté les estuaires, avant de gagner la haute mer. Les membres se sont réduits, puis transformés en palette natatoire. L’oreille s’est adaptée à la perception des sons dans l’eau. La pilosité a pratiquement disparu au cours de l’adaptation au milieu aquatique. On assiste aussi à l’apparition d’un organe, le melon, situé dans le front des odontocètes (baleines à dents), c’est une structure graisseuse qui focalise les sons produits par l’animal et permet l’écholocation. Les baleines à fanons ou mysticètes comme le rorqual bleu, la baleine à bosse ou la baleine franche, apparaissant au milieu du Miocène, elles se différencient ainsi des autres cétacés, appelés baleines à dents ou odontocètes comme les cachalots, les dauphins, les marsouins, le beluga ou le narval. On estime que cet organe a régressé chez les mysticètes. La mise en place des fanons a permis l’exploitation par filtrage de 166

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nouvelles sources de nourriture comme le plancton et le krill. Elle a impacté la transformation du crâne des premiers mysticètes, le melon n’étant plus compatible avec la morphologie des fanons. Les membres postérieurs des cétacés sont devenus internes et réduits. Ils ne servent plus que comme supports pour les muscles des organes génitaux. La figure 4-45 résume l’évolution des cétacés.

Figure 4-45 : L’évolution des cétacés sur 50 millions d’années. 167

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La « Grande coupure » ou la transition Éocène-Oligocène Il y a 34 millions d’années, le début de l’Oligocène (- 34 à - 23 millions d’années) est marqué par une nouvelle crise globale qui touche les populations végétales et animales et plus particulièrement les mammifères, connue sous le nom de Grande coupure ou « The Terminal Eocene Event » (TEE). Sur une période inférieure à un million d’années, on assiste à une baisse rapide des températures de 4 à 6 °C, avec l’installation d’un climat plus aride. L’Amérique du Sud et l’Antarctique se séparent en ouvrant le détroit de Drake, laissant le passage à un courant circumpolaire. En Antarctique, on assiste à l’installation d’une calotte polaire qui persistera jusqu’à nos jours. Le passage qui se crée entre le Groenland et la Norvège ouvre une communication entre les océans Arctique et NordAtlantique. De façon générale, le mode de circulation des courants océaniques est perturbé et les masses continentales sont refroidies aux hautes latitudes. Les zones de végétation tropicale sont comprimées vers l’équateur, tandis qu’aux latitudes plus élevées on voit alterner, pour la première fois, des saisons sèches et humides. Les contrastes thermiques étant plus marqués, les premières forêts tempérées s’installent, composées à la fois de conifères et d’arbres à feuilles caduques. Si toute la faune de l’Oligocène est touchée par cette phase d’extinction, ce sont les populations de mammifères des latitudes élevées qui sont les plus affectées. Des hivers froids interrompent le processus de croissance de la végétation et donc des ressources alimentaires. Les fruits et les baies ne sont plus disponibles toute l’année. Les herbivores exclusivement dépendants de ces ressources alimentaires disparaissent. Ceux qui subsistent voient leurs dents se couvrir d’un émail épais pour s’adapter à une nourriture plus coriace contenant davantage de fibres. Le développement de la calotte polaire entraîne une baisse générale des océans (régression marine) et l’assèchement de la mer de Turgaï entre la Russie et l’Europe. Cela va permettre aux mammifères asiatiques de migrer vers l’Europe. Mieux adaptés aux nouvelles conditions, ils vont supplanter les espèces indigènes qui disparaissent. Les populations de primates vont se réfugier dans les zones équatoriales, où ils vont pouvoir retrouver des fruits tout au long de l’année. On voit apparaître les premiers chameaux et rhinocéros ainsi que les lapins et les équidés. Les carnivores actuels comme les félins, les canidés ou les ours font leur apparition. Si le début de l’Oligocène est marqué par une disparition d’espèces de grande taille, ces dernières redeviennent abondantes à la fin de cette période. On peut dire que la Grande coupure a modernisé la faune mammalienne. À la fin de l’Oligocène, pratiquement toutes les familles de mammifères modernes sont établies. Des requins géants C’est aussi à partir l’Oligocène, que les requins géants de la famille des Carcharhinidae apparaissent dans les océans. Le plus célèbre par sa taille est le mégalodon (Carcharodon megalodon), qui a vécu de l’Oligocène au Pléistocène. 168

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Ce requin géant est principalement connu par des dents fossilisées (plus de 17 centimètres) et quelques vertèbres, plus rares. Comme nous l’avons signalé plus haut, les requins ont un squelette cartilagineux, qui se fossilise très mal. Les dernières évaluations indiquent qu’un mégalodon adulte devait mesurer environ 20 mètres pour un poids pouvant avoisiner les 40-50 tonnes. Cette taille hors norme fait de cet animal le plus grand prédateur marin fossile connu. On pense qu’il devait ressembler à une version géante du requin blanc (Carcharodon carcharias), popularisé par Steven Spielberg dans Les dents de la mer. À ce jour, on n’explique toujours pas les raisons de l’extinction de cette espèce. On imagine qu’une perturbation de la chaîne alimentaire a été à même d’entraîner la disparition d’un tel prédateur. En Australie, de nombreuses histoires circulent quant au fait que l’espèce ait été observée à plusieurs reprises. Aucune preuve formelle n’a permis de vérifier à ce jour les informations (Figure 4-46).

Figure 4-46 : Reconstitution d’un mégalodon comparé à la taille d’un requin blanc et d’un humain.

Dernières nouvelles de l’évolution des primates et des grands singes Nous avions laissé les primates à l’Éocène avec Ida (Darwinius masillae) découverte sur le site de Messel. L’ordre des primates remonte à une période située entre le Crétacé supérieur (Maastrichtien) et le début du Paléocène. L’absence de fossile rend la datation incertaine. Ils ont évolué à partir d’ancêtres insectivores. Les premiers primates étaient inféodés aux milieux forestiers des régions tropicales, leur régime alimentaire étant basé sur la consommation de feuille et de fruits riches en sucres. Il existe une théorie qui explique qu’ils auraient co-évolué avec les Angiospermes (plantes à fleurs) apparues au Crétacé. Les 169

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premiers primates auraient été des espèces omnivores capables de se nourrir de fruits, de feuilles, de fleurs, de nectars et des insectes qui vivaient dans les branchages. Ce biotope leur aurait permis de développer une vision stéréoscopique et une capacité de préhension des objets. C’est par la suite un régime frugivore qui leur a fait perdre la capacité de synthétiser la vitamine C (acide ascorbique). De cet héritage du Cénozoïque, nous avons conservé cette addiction au sucre et le risque permanent d’être carencé en vitamine C. Dans ce paragraphe, nous allons brosser un portrait synthétique des primates. Nous invitons le lecteur à consulter le cahier 5 qui sera consacré à l’homme et aux grands singes. Les primates* représentent un ensemble assez hétérogène en termes de taille et de mode de vie  : du petit microcèbe de 13 centimètres et d’un poids de 30 grammes, au gigantesque gorille de 1,75 mètre pour un poids de 250 kilogrammes. L’ordre des primates se subdivise en de nombreuses ramifications. Pour résumer, il existe cinq grands ensembles de primates actuels : les lémuriens, les loris, les tarsiers, les singes du Nouveau et de l’Ancien Monde (respectivement les platyrrhiniens et les catarhiniens) et les grands singes, dont fait partie l’espèce humaine (Figure 4-47). Les premiers ancêtres des primates sont à rechercher parmi des petits mammifères du Paléocène, les Adapides et les Omomyides. Les Adapides étaient de petits mammifères arboricoles, folivores et frugivores qui ressemblaient à nos lémuriens actuels. Leurs orbites étaient adaptées à une vision diurne. Ida, décrite plus haut, fait partie des Adapides. On ne sait toujours pas s’ils sont les vrais ancêtres des lémuriens. Les Omomyides était plus petits que les Adapides, leur mode de vie était nocturne (leurs yeux étaient particulièrement développés). Leur régime alimentaire folivore et frugivore n’excluait pas la consommation d’insectes. Certains auteurs pensent qu’ils pourraient être les ancêtres de nos tarsiers actuels. L’apparition des singes anthropoïdes au sein des primates, s’est produite au cours de l’Éocène. On y distingue les Platyrrhiniens (singes du Nouveau Monde) et les Catarhiniens (singes de l’Ancien Monde) avec les Cercopithecoïdes (babouins, mandrills) et les Hominoïdes (gibbons, chimpanzés, gorilles, orangoutang, homme) (Figure 4-47). DÉFINITION Les primates L’étymologie de ce mot vient du latin primas, atis, signifiant « celui qui occupe la première place ». Les primates constituent un ordre au sein des mammifères placentaires. Ils possèdent des ongles, et non des griffes, des pieds et des mains à cinq doigts, avec chez certains un pouce opposable. Leurs orbites sont orientées vers l’avant, permettant une vision binoculaire et stéréoscopique. Tous présentent des aptitudes à la vie arboricole, bien que quelques espèces préfèrent vivre au sol. Ils disposent pour la plupart d’un cerveau plutôt volumineux leur permettant de résoudre des tâches complexes.

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Figure 4-47 : Arbre évolutif des primates.

La mégafaune du Pléistocène Le Quaternaire, dernière période des temps géologiques, est subdivisé en deux époques géologiques : le Pléistocène (2,6 millions d’années à 12 000 ans) et l’Holocène (de 12 000 ans jusqu’à aujourd’hui). Cette période est caractérisée par un retour des glaciations, l’apparition du genre Homo et l’extinction de la mégafaune. Plus récemment, dans les années 1990, une troisième époque a été proposée : l’Anthropocène, pour caractériser l’époque de l’histoire de la Terre où les activités humaines ont eu un impact global significatif sur l’écosystème terrestre, c’est-à-dire à partir du xviiie siècle. À ce jour, elle n’a toujours pas été retenue par les associations géologiques car jugée trop anthropocentrique. Le Pléistocène est connu par sa riche mégafaune, des mammifères géants presque tous éteints aujourd’hui. Qui ne connaît pas le mammouth, le mastodonte, le félin à dents de sabre, le Megatherium (paresseux géant), ou le rhinocéros laineux, qui ornent les ouvrages de sciences de la vie ou de paléontologie ? Tous ces grands mammifères se sont éteints sans que l’on soit capable de déterminer la cause exacte de leur disparition. Ce phénomène a touché aussi bien l’Amérique du Nord, que l’Eurasie, ou l’Australie. Plusieurs théories s’affrontent : explosion d’une supernova, changement climatique, chasse intensive liée à l’explosion démographique de notre espèce. C’est la théorie du changement climatique qui a longtemps fait l’unanimité pour expliquer ces disparitions brutales qui se sont multipliées à partir du Pléistocène. Depuis quelque deux millions et demi d’années, on observe une alternance de périodes glaciaires et interglaciaires selon un cycle de 100  000 ans. Il y a 171

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20 000 ans, le climat s’est lentement réchauffé pour aboutir à la période interglaciaire actuelle dans laquelle nous vivons et que l’on nomme Holocène. Il y a 13 millions d’années, on assiste à l’entrée en contact de l’Amérique du Nord avec l’Amérique du Sud avec pour résultat le relèvement de l’isthme de Panama. La collision de deux plaques tectoniques, celle des Caraïbes et celle du Pacifique, va conduire la seconde à plonger sous la première. Ce phénomène va prendre du temps et les conséquences seront à la fois climatiques et biologiques : – formation du Gulf Stream qui a entraîné l’installation d’une calotte glaciaire au Groenland. On assiste à la mise en place de la circulation méridienne de retournement atlantique (AMOC), pour Atlantic Meridional Overturning Circulation. Ce phénomène aura pour conséquence l’installation d’un âge glaciaire ; – fermeture de l’isthme de Panama qui sera à l’origine d’un échange sans précédent des faunes et des flores. Cet événement biologique porte le nom de grand échange interaméricain. Le grand échange interaméricain et la traversée de la Béringie

Le choc des Amériques L’Amérique du Sud était restée une «  île-continent  » pendant une grande partie du Tertiaire, et toute une faune endémique de mammifères, tant marsupiale que placentaire y avait prospéré. Tout comme en Australie à la même période, les marsupiaux y occupaient la plupart des niches des prédateurs carnivores. L’Amérique du Sud abritait également une faune placentaire qui avait évolué, isolée du reste du monde. La formation de l’isthme de Panama sera à l’origine de migrations d’espèces responsables de compétitions et d’extinctions. Les félins placentaires nord-américains vont pénétrer en Amérique du Sud et supplanter la faune marsupiale et plus particulièrement les grands marsupiaux carnivores. Dans son ensemble, la faune marsupiale sera incapable de supporter la concurrence avec les placentaires. Aujourd’hui, les seuls survivants de cette hécatombe sont des petits marsupiaux omnivores comme les opossums. Des tatous géants comme les glyptodontes à la queue hérissée de pointes, vont remonter vers le nord. Les paresseux terrestres géants vont même atteindre l’Alaska. La famille des camélidés (lamas, alpagas, vigognes…) va se répandre, tant en Amérique du Sud, qu’en Asie, via le détroit de Behring asséché pour donner les chameaux de Bactriane en Mongolie et les dromadaires adaptés aux déserts chauds (on donne le nom de Béringie à ce pont terrestre qui s’est formé à plusieurs reprises entre l’Alaska et la Sibérie). L’immense lignée des chevaux qui avait essentiellement évolué en Amérique du Nord va disparaître du continent pour gagner l’Asie, puis l’Europe et au final l’Afrique. Les premiers amérindiens qui ont dû croiser les chevaux lors de leur arrivée au «  Nouveau Monde », ne les reverront qu’avec les premiers conquistadors au xvie siècle. Les 172

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mammouths et mastodontes qui avaient gagné le continent américain, depuis l’Eurasie, via la Béringie, au début du Pléistocène vont disparaître également, peut-être victimes des premiers amérindiens. Parmi les autres victimes sud-américaines de cet échange, on peut citer l’exemple des grands carnivores marsupiaux comme Thylacosmilus. Ce carnivore avait l’allure d’un gros chat d’une centaine de kilogrammes, doté de canines hyper-développées. Il ressemblait aux félins à dents de sabres comme le Smilodon, mais sans aucun lien de parenté avec eux. Le Smilodon était un énorme prédateur placentaire nord-américain de 450 kilogrammes. En traversant l’isthme de Panama, il va entrer en concurrence avec la faune sud-américaine. Ses canines de 20 centimètres de longueur lui valent le nom de « tigre à dents de sabre ». Comme Thylacosmilus, il devait s’en servir pour poignarder ses victimes. Ces félins placentaires vont supplanter leurs homologues marsupiaux. On notera ici que l’on retrouve ces curieux attributs dentaires à la fois chez un placentaire et chez un marsupial. L’évolution les avait déjà sélectionnés chez des reptiles mammaliens comme les gorgonopsiens. Ce caractère acquis porte le nom de convergence évolutive (Figure 4-48).

Figure 4-48 : Reconstitution de Smilodon, placentaire (A), de Thylacosmilus, marsupial (B) et d’un reptile Gorgonopsien (C). On remarquera le phénomène de convergence évolutive de dents en forme de sabre

Les autres victimes de ce grand échange interaméricain seront les xénarthres, anciennement appelés édentés. Ces mammifères placentaires dont il ne reste aujourd’hui que les fourmiliers, les tatous, et les paresseux connaissent un essor sans précédent en Amérique du Sud où ils atteignent des tailles gigantesques. La famille des Megatheriidae comprenait des paresseux géants terrestres dont le plus connu est le Megatherium (bête géante) long de six mètres, à la queue épaisse et aux lourdes pattes postérieures. Lorsqu’il s’asseyait sur la queue, cet animal de trois tonnes pouvait arracher les branches des arbres grâce à des griffes de 30 centimètres. Cette arme devait aussi être précieuse pour éloigner les félins aux dents de sabre. Aujourd’hui, les seuls paresseux survivants sont des 173

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espèces arboricoles de petite taille. La scène était aussi occupée par la famille des Glyptodontidae, des tatous géants recouverts d’une carapace. Certains spécimens, de la taille d’une petite voiture, dépassaient les trois mètres, pour un poids de deux tonnes. Les glyptodontes disparaissent il y 11 000 ans en même temps que les paresseux géants. Leurs descendants actuels sont les tatous (Figure 4-49).

Figure 4-49 : Reconstitution de mammifères xénarthres, Glyptodonte (A), tatou (B), Megatherium (C), Eremotherium (D) et Megalonyx (E).

La série de dessins animés, l’Âge de glace (20th Century Fox) a largement contribué à populariser cette mégafaune avec Manny, le mammouth, Sid, le paresseux et Diego, le tigre aux dents de sabre. Les extinctions de l’Holocène : Ecce Homo ! En Europe, les géants de l’âge glaciaire du Pléistocène comme le mammouth laineux, le lion, l’ours des cavernes, le cerf des tourbières ou le rhinocéros laineux nous sont familiers à travers les peintures rupestres. Ils faisaient partie de l’environnement des hommes préhistoriques du Paléolithique qui les ont observés, chassés et dessinés. Même si les causes de l’extinction de ces grands mammifères sont toujours sujettes à de nombreuses controverses, on invoque souvent les contraintes climatiques. Si l’on raisonne sur la base de la taille, ces mammifères étaient avantagés par un grand volume qui évite la déperdition de chaleur. Une grande 174

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taille permet aussi de stocker plus de graisse de réserve pour la saison froide. Côté inconvénient, et comme nous l’avons vu, un gros animal a besoin de plus de nourriture, sa période de gestation est plus longue, et il a plus de mal à s’adapter aux brusques modifications environnementales. À cette époque, si les calottes glaciaires jouaient au yoyo, le climat n’explique pas tout, une nouvelle espèce était en train de se répandre sur presque tous les continents, l’homme moderne, plus connu sous le vocable d’Homo sapiens. Le rythme des extinctions s’est accéléré il y a 50 000 ans au moment de l’arrivée de nos ancêtres. On estime qu‘au cours de cette période, au moins 50 genres de mammifères se sont éteints. Seule l’Afrique semble avoir été épargnée par cette hécatombe. Selon le paléontologue Jean-Louis Hartenberger, 80 % des mammifères de plus de 60 kg ont été rayés du monde vivant. En Europe, les ours des cavernes (Ursus spelaeus) qui avaient cohabité avec les Néandertaliens pendant 300 000 ans, disparaissent il y a 25 000 ans. Idem pour les mammouths laineux (Mammuthus primigenius), dont les derniers spécimens ont disparu il y a 10 000 ans. Ces nouveaux arrivants bipèdes avaient acquis des capacités de prédation, d’innovations techniques, d’adaptation et d’organisation collective qui vont leur permettre d’exploiter les ressources du milieu à une vitesse jamais égalée auparavant (Figure 4-50).

Figure 4-50 : La fin du mammouth laineux.

L’exemple le plus frappant est celui de l’Australie où aucun homme n’avait posé le pied avant 40  000 ans. À partir de cette date, la moitié de la faune marsupiale disparaît. Le même phénomène s’est produit il y a 14 000 ans, quand l’homme a pénétré sur le continent américain. Une espèce comme le mastodonte (Mammut americanum) qui avait prospéré pendant 2,5 millions d’années, disparaît brusquement il y a 9 000 ans. 175

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Il y a 10  000 ans en Europe, s’éteint le cerf géant ou grand cerf des tourbières (Megaloceros giganteus) dont les bois dépassaient les 3,50 mètres et dont on retrouve la représentation à Lascaux. Les modifications de l’environnement comme l’expansion des forêts, ajoutées à la chasse et à la pratique agricole ont eu raison de cette espèce. On peut encore citer l’exemple de la famille des rhinocéros comme le rhinocéros laineux (Coelodonta antiquitatis) ou l’Elasmothérium (Elasmotherium sibiricum) qui s’éteignent brusquement. Le changement climatique de cette période n’explique pas entièrement leur disparition (Figure 4-51).

Figure 4-51 : Reconstitution de la mégafaune, mammouth (B), mastodonte (C), Elasmotherium (D), Megaloceros (E). L’homme et l’éléphant (A) donnent l’échelle des tailles.

Toutes les dernières études réalisées démontrent que l’arrivée de l’homme sur les continents et les îles a coïncidé avec des vagues d’extinctions très localisées dans le temps (Figure 4-52). Les extinctions dans les îles On a tous entendu parler de l’histoire du dodo de l’île Maurice (Raphus cucullatus), décimé par l’homme au xviie siècle. En revanche, on connaît moins les conséquences de l’arrivée de notre espèce sur de grandes îles comme Madagascar ou la Nouvelle-Zélande. Ces écosystèmes abritaient de grands oiseaux coureurs incapables de voler qui ressemblaient à des émeus géants. En 176

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Figure 4-52 : Extinctions de la faune en Afrique, Australie, Amérique du Nord et à Madagascar. L’arrivée de l’homme est indiquée par une flèche rouge.

Nouvelle-Zélande, vivait le Dinornis maximus, connu sous le nom de Moa et qui mesurait au moins trois mètres de haut. L’homme qui a été contemporain de cet oiseau, a très probablement contribué à son extinction, lors de son arrivée au xve siècle. Sur une île où les ressources alimentaires étaient limitées, ces oiseaux constituaient un gibier de premier ordre pour les peuplades maories qui s’aventurèrent sur ces rivages. De ces géants, ne subsistent plus que des histoires que l’on raconte aux touristes (Figure 4-53). La grande île africaine de Madagascar a possédé aussi, à la même époque, un oiseau gigantesque, l’Œpyornis maximus, dont on a surtout retrouvé les oeufs énormes (qui se négocient à plus de 100  000 euros aux enchères). C’était un herbivore qui mesurait trois mètres en moyenne, pour un poids de 500 kilos. À l’arrivée des humains, il y a environ 2 000 ans, ces oiseaux ont été exterminés, tout comme les espèces de lémuriens géants qui avaient la taille d’un grand singe. L’Œpyornis maximus, que les populations surnomment l‘oiseau-éléphant, ne subsiste plus que dans les mémoires. Nous refermerons ce triste inventaire avec le grand pingouin (Pinguinus impennis) qui a disparu a tout jamais en 1844, alors que son espèce avait à 177

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peine 100  000 ans d’existence. À l’origine, son aire de répartition s’étendait des eaux côtières européennes, de la France à l’Islande, et jusqu’au Groenland, aux États-Unis et à Terre-Neuve. Il est même représenté à trois reprises dans la faune de la grotte Cosquer. C’était une précieuse source de nourriture pour les Amérindiens. Comme ses autres cousins, il était incapable de voler, ce qui causera sa perte avec l’avènement de la marine à voile. Un simple coup de pagaie et les marins avaient de la viande fraîche à leur disposition. Au large de Terre-Neuve, l’île Funk abritait une colonie de 30  000 oiseaux et constituait le « garde-manger » des pêcheurs. Ces oiseaux étaient de précieux indicateurs pour repérer les « Grands Bancs » de morues. L’espèce ne résista pas à l’appétit de l’homme et à la cupidité des collectionneurs d’œufs. Le grand pingouin ne survit plus que dans les ouvrages anglophones de littérature enfantine (Figure 4-53).

Figure 4-53 : Oiseaux éteints : Moa (A), dodo (B), grand pingouin (C).

Vers une sixième extinction La vague d’extinction que l’on connaît depuis le milieu du xxe siècle s’inscrit dans la continuité de celle de l’Holocène et n’en constitue qu’une accélération. Aujourd’hui, la communauté scientifique s’inquiète des signes alarmants d’une 178

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nouvelle crise qui serait la sixième extinction dans l’histoire de la Terre. Toutes les espèces sont concernées par cette vague d’érosion de la biodiversité. Depuis le xvie siècle, plus de 320 espèces de vertébrés terrestres se sont éteintes et les grands vertébrés terrestres sont particulièrement affectés (éléphants, rhinocéros, ours polaires…). Les invertébrés sont également touchés avec un déclin de 45  % depuis les cinquante dernières années. Ici encore, le climat et la perte des habitats sont encore pointés du doigt. N’oublions pas que les insectes assurent 75  % de la pollinisation des cultures mondiales, et qu’ils jouent un grand rôle dans la décomposition et le recyclage de la matière organique. Si les cinq crises précédentes avaient une cause naturelle, l’actuelle disparition d’espèces est imputée à l’activité humaine. Partout, la densification humaine entraîne un phénomène de défaunation. L’absence d’herbivore favorise la prolifération d’espèces végétales invasives. L’absence de prédateur favorise la prolifération de rongeurs, porteurs d’ectoparasites, vecteurs de germes pathogènes, aggravant au passage le risque de transmission de nouvelles maladies infectieuses.

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Chapitre

« La relation existant entre l’humanité et la nature doit être faite de respect et d’amour, non de domination. » René Dubos, médecin et biologiste (1901-1982)

Des animaux pour le meilleur

L’animal domestiqué . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182

L’animal parfumeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225

L’animal source de médicaments . . . . . . . . . 211

Éléments de bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . 230

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L’ANIMAL DOMESTIQUÉ L’homme, chasseur et cueilleur d’animaux L’homme est resté longtemps dépendant des animaux pour se nourrir, se vêtir, fabriquer ses abris ou ses outils. Au début, l’animal nous était hostile et nous n’étions pour lui que de vulgaires proies dont on a parfois retrouvé les restes fossilisés. Mais très vite, un rapport homme-animal hiérarchisé s’est imposé avec l’exploitation de l’animal par l’homme. En devenant chasseur, et en mangeant la chair de l’animal tué, l’homme a commencé à prendre le pouvoir sur le monde vivant et son environnement. Plus tard, notre espèce a dépassé son simple besoin de nourriture, pour tirer d’autres profits de l’animal. Des matériaux durs comme l’os, la corne, l’ivoire sont devenus des armes ou des outils, tandis que d’autres, comme les intestins ou les tendons, servaient à assembler les fourrures. Les cuirs, peaux et fourrures ont fourni des vêtements. D’autres cuirs ont servi de tentes, de canoës, d’outres ou de sacs. Les plumes, les perles, les coquillages, les écailles, la nacre ou le corail ont été une source de bijoux et de parures. L’homme a appris à extraire le pourpre du murex ou le vermillon de la cochenille. L’ambre gris du cachalot récolté sur les plages a peut-être été un de ses premiers parfums. Les graisses animales ont permis à nos ancêtres de s’éclairer ou à lier les pigments destinés à représenter l’animal dans l’art pariétal. Dans son activité de chasseur-cueilleur, il lui était facile de «  cueillir  » les espèces les plus lentes, comme les escargots ou les mollusques, ramasser sur l’estran moules, huitres, ormeaux, palourdes, oursins… Les œufs d’oiseaux, de tortues, ou les oisillons venaient améliorer l’ordinaire, tout comme les insectes et leurs larves riches en protéines. Les poissons coincés à marée basse dans les trous d’eau, ou pendant les périodes d’étiage des rivières, venaient compléter le menu de nos ancêtres. Les raisons d’une domestication «  Les raisons de la domestication sont apparues une fois la domestication réalisée. » Jean-Pierre Digard, ethnologue

La domestication des animaux a constitué une étape clé dans l’histoire de l’humanité. Elle a autant bouleversé la vie de l’homme que celle des animaux. Elle va fournir aux premières civilisations une opportunité pour se développer, en participant à l’essor de l’économie, tout comme aux conquêtes militaires. Une question reste toujours sans véritable réponse  : qu’elle est la raison qui a poussé notre espèce à pratiquer la domestication ? 182

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Comme l’explique l’ethnologue Jean-Pierre Digard dans La plus belle histoire des animaux, en voyant un cheval ou un aurochs (l’ancêtre de notre bœuf), l’homme du Néolithique ne pouvait pas de prime abord penser qu’il en ferait un animal de trait, voire une monture. On peut aussi citer le cas du mouflon qui ne produit pas de laine, et il est pourtant l’ancêtre du mouton. Quant aux oiseaux en liberté, ils ne pondent pas au rythme d’une poule d’élevage. Le sanglier est un pilleur opportuniste, devenu le cochon, une fois domestiqué. Quand on cultive un champ de quelques centaines de mètres carrés, l’utilisation possible de la force animale ne vient pas forcément à l’esprit. Une réponse à cette question peut venir de notre insatiable curiosité intellectuelle à tenter des expériences. C’est aussi notre besoin inné de dominer la nature qui a joué. On sait que l’homme a essayé de domestiquer bon nombre d’espèces, et que certaines tentatives se sont soldées par des échecs. Nous sommes aussi toujours attirés vers les petits des animaux, avec leurs gros yeux attendrissants et leur allure pataude. Il est tentant de recueillir des bébés, de les nourrir et de les conserver auprès de soi. La première domestication remonte à la fin du Paléolithique, il y a plus de 30 000 ans avec le loup, ancêtre du chien. Elle a donc précédé de plusieurs milliers d’années la domestication des autres espèces. Les principales domestications ont suivi de peu la sédentarisation et l’agriculture au Néolithique (cf. «  Biodiversité et évolution du monde végétal », chez le même éditeur). Les champs et les déchets produits par les premiers villages ont attiré les espèces herbivores (chèvres) tout autant que les espèces carnivores (loups, chats) ou les espèces omnivores (sangliers). Élevage, domestication ou apprivoisement : une frontière est d ­ ifficile à appréhender Depuis 10  000 ans, nous avons tenté de domestiquer avec plus ou moins de succès, près de deux cents espèces animales. De nos jours, des animaux comme l’autruche, l’éléphant, le dromadaire, le daim, le lapin ou le renne comptent aussi bien des espèces sauvages que des espèces domestiquées. D’autres animaux comme le guépard, la gazelle, la hyène, la genette ou la couleuvre, autrefois domestiqués, ne le sont plus aujourd’hui. Des espèces domestiquées comme le chien, le cheval, le lapin, ou le bœuf peuvent également retourner à l’état sauvage. Ce phénomène porte le nom de marronnage. C’est le cas du dingo (Canis lupus dingo), ce chien sauvage originaire d’Asie du Sud-Est et également présent en Australie, est un exemple typique de marronnage. Les Mustangs nord-américains ou les Brumbies australiens descendent de chevaux échappés, ou quelquefois égarés au cours des différents épisodes de colonisation. 183

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«  Domestiquer un animal, c’est l’habituer à vivre et à se reproduire dans les demeures de l’homme ou auprès d’elles. » Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, naturaliste, (1805-1861)

Cette phrase d’Étienne Geoffroy Saint-Hilaire demande quelques explications. Le naturaliste fait ici allusion au mot domus pour maison ou demeure en latin. On y comprend que la reproduction se fait sous le contrôle de l’homme. Le mot «  domestique  » appliqué aux animaux qui vivent près de l’homme, vient du latin domesticus, signifiant « de la maison », et il n’apparaît qu’à partir du Moyen Âge. En revanche, on retrouve très tôt le mot peku, à la racine indoeuropéenne, qui désignait le bétail, tout comme la richesse ou un bien mobilier. Il sera latinisé en pecunia, qui désigne un bien ou une monnaie. Domestiquer a donc représenté de tout temps une source de richesses pour celui qui « possède » l’animal. La distinction entre domestique et apprivoisé est également floue, car l’apprivoisement précède le plus souvent la domestication. Un animal apprivoisé est un animal qui a été accoutumé à vivre avec les hommes, sans qu’il y ait eu contrôle de la reproduction. Vous pouvez apprivoiser un chat errant ou un hérisson, en lui donnant à manger, il ne nous rendra jamais de comptes sur sa vie privée ! Un animal domestique est un animal qui se reproduit sous le contrôle de l’homme, et qui se distingue de l’espèce sauvage, par l’action d’une sélection artificielle prolongée de certains caractères. Son habitat est inféodé à celui de l’homme. À force de vivre à notre contact, certains animaux ont accédé au statut d’animal de compagnie. Pour citer un exemple, pensez à un yorkshire, ce tout petit chien, vif et têtu, résultat de milliers d’années de sélection. On a un peu de mal à y retrouver son lointain ancêtre, le loup. Attention, la domestication crée des liaisons particulières entre l’homme et l’animal. Le chat est encore un exemple de ce lien bizarre. Au fil du temps, il est devenu un animal de compagnie, même si vous avez quelques fois l’impression d’habiter chez lui et de le déranger en rentrant à votre domicile ! Enfin, si vous possédez un python, un caméléon, une tortue de Floride, une mygale ou un perroquet, il s’agit d’un nouvel animal de compagnie (NAC), un animal élevé par l’homme, pour sa présence, sa beauté, ses talents et aussi quelques fois pour impressionner l’entourage. Gardons en mémoire que plus de la moitié des foyers français (53 %) possèdent un animal domestique ou de compagnie. On estime à 63 millions la population de ces animaux (Figure 5-1). 184

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Figure 5-1 : Pierre Auguste Renoir (1841-1919), Femme au chat 1875.

Le cas de particulier de « l’abeille domestique » Il est impossible de savoir exactement quand l’homme s’est intéressé à ce que l’abeille récolte ou produit elle-même. Il est probable qu’en observant le comportement d’animaux friands de cet aliment sucré, comme les ours ou les oiseaux, nous sommes devenus des pilleurs de ruches d’abeilles sauvages, pour accéder au miel et à la cire. La preuve de notre intérêt pour la production des abeilles se retrouve dans l’art pariétal. On retrouve depuis plus de 10 000 ans, des dessins d’abeilles en Espagne, au Sahara, en Inde ou en Australie. En Espagne, la peinture rupestre de la Cueva de la Araña (grotte de l’araignée), près de Valence, représente un humain accroché à des lianes en train de récolter du miel. Des abeilles bourdonnent autour de lui (Figure 5-2). Pourtant « l’abeille à miel domestique » (Apis mellifera), à la différence du chien, n’est nullement domestiquée. Le lien entre l’homme et cet hyménoptère procède d’une adaptation technique à son mode de vie, à son comportement et à son milieu naturel, et non d’une sélection de l’animal pour répondre aux besoins humains comme l’explique le sociologue Gilles Tétart dans Le sang des fleurs (Odile Jacob, 2004). L’abeille est un animal sauvage, et son essaimage est là pour nous le rappeler. Si l’essaim s’évade dans un arbre creux, il redevient sauvage, mais s’il est « capturé » par l’apiculteur, il redevient domestique. Ce qui 185

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Figure 5-2 : Peinture rupestre (datée entre 8 000 et 6 000 av. J.-C.), grotte « de l’Araignée », en Espagne.

ne signifie pas pour autant « domestiqué ». Selon l’apiculteur Michel Ricard, auteur de Je fais mon miel (Hachette, 2010), si les mots apprivoisé ou domestiqué sont à proscrire, on peut considérer que l’abeille a été « colonisée » par l’homme. Il y a plusieurs milliers d’années, en lui proposant un tronc d’arbre évidé, l’homme offrait sa première ruche à cet insecte laborieux (Figure 5-3). A contrario, le bombyx du murier, plus connu sous le nom de ver à soie (Bombyx mori), est entièrement dépendant de l’homme pour sa survie. Domestiqué depuis plus de 4 500 ans, son existence est entièrement artificielle. Les œufs sont incubés dans des couveuses à une température bien définie. Les chenilles sont nourries de feuilles de murier par l’homme et le papillon n’a que quelques heures de vie pour se reproduire. Le jour où l’homme cessera 186

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Figure 5-3 : Abeille domestique, ouvrière (A), reine (B), faux bourdon (C).

l’exploitation de la soie naturelle, l’espèce disparaîtra dans les jours qui suivront (Figure 5-4). N’oublions pas qu’une seule chenille est capable de tisser un cocon de 500 à 1 500 mètres de fil de soie. Quand nous portons un vêtement en soie, nous nous enveloppons dans deux protéines fibreuses, la fibroïne et la séricine.

Figure 5-4 : Le bombyx du murier.

Les principaux foyers de domestication Le croissant fertile n’est pas l’unique lieu de domestication des espèces animales comme on a trop tendance à le croire. La domestication a été pratiquée presque simultanément dans plusieurs régions du globe, y compris en Indonésie ou en Amérique. Les diverses migrations humaines ont ensuite permis de diffuser les espèces domestiquées sur tous les continents (Figure 5-5). Les pages qui suivent décrivent l’histoire de la domestication des principales espèces que nous connaissons. 187

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Figure 5-5 : Principaux foyers de domestication.

La domestication du chien, « le meilleur ami de l’homme » «  Le chien est le seul animal dont la fidélité soit à l’épreuve  ; le seul qui entende son nom et qui reconnaisse la voix domestique. » Georges-Louis Leclerc, Comte de Buffon (1707-1788), naturaliste

Buffon (1707-1788) dans son Histoire naturelle, estime que les trois causes de variation (on ne parlait pas encore d’évolution) de l’animal sont le climat, la nourriture et la domestication ; il est persuadé que chaque espèce domestique possède un ancêtre sauvage qui a ensuite dégénéré. Il situe le chien entre le renard et le loup. Selon lui, le chien de berger est l’espèce sauvage d’origine qui a par la suite dégénéré pour donner toutes les différentes races. Le chien est sans doute l’animal qui a le plus marqué notre vie quotidienne et notre vocabulaire. Ne dit-on pas qu’une dame a du chien, qu’elle nous garde un chien de sa chienne, ou qu’elle nous a reçus comme un chien dans un jeu de quilles ? De la constellation du Chien, au toutou à sa mémère, en passant par la canicule ou les îles Canaries, le « meilleur ami de l’homme  » est présent partout dans notre langage, jusque dans le mot cynisme qui dérive du mot chien en grec ! L’origine du chien a fait l’objet de nombreux débats ces dernières années, notamment avec l’apport de la génomique. 188

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L’hypothèse du loup Aucune autre espèce que le chien ne rassemble un si grand nombre de races, de différences anatomiques et de comportements. Le chien une énigme biologique, c’est le titre de l’article de synthèse du journaliste Olivier Postel-Vinay, paru dans le magazine La Recherche (n°  375) en 2004. Depuis le chihuahua de deux kilogrammes au saint-bernard de 100 kilogrammes, en passant par le boxer, tout chien serait le descendant de loups domestiqués par les chasseurs du Paléolithique. Selon une étude suédoise de 2015, les dates de la domestication, même si elles sont sujettes à des débats, remonteraient à environ 30 000 ans. Les chasseurs-cueilleurs, comme les loups, devaient traquer les gros animaux au cours de leurs migrations saisonnières. Les chasseurs avaient tout le loisir d’observer les techniques de chasse en meute du canidé, avec qui ils étaient en compétition pour leur survie. Cette situation de concurrence a peut-être rapproché les deux espèces. Le bipède étudiait la technique de chasse du quadrupède, tandis que ce dernier était tenté de se rapprocher des campements pour profiter des reliefs des repas (Figure 5-6).

Figure 5-6 : Le loup, animal mythique.

Des bébés d’adultes tués ont pu être ainsi recueillis. Qui n’a jamais craqué devant un petit animal abandonné  ? Les femmes ont peut-être allaité les louveteaux, comme c’est encore la pratique de nos jours chez des peuples de chasseurs-cueilleurs, où les petits mammifères abandonnés, sont nourris d’aliments prémastiqués, voire élevés au sein. On ne gardait que les plus dociles qui faisaient la joie des enfants. De pilleurs, ils sont devenus les éboueurs des 189

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campements. Ces loups apprivoisés rendaient des services à la communauté, l’alertant sur la présence d’un danger, lui permettant de repérer du gibier et l’aidant à le traquer et le chasser. Les enfants jouaient avec les jeunes, le loup devenait agneau  ! La sélection artificielle, orientée vers des caractères précis (comme la docilité), a fait le reste. Le premier « loup-chien » nous a peut-être assimilé à un chef de meute. Il y a 10  000 ans, quand les hommes commencent à se sédentariser, notre chien (Canis lupus familiaris) était déjà bien installé dans notre quotidien Afin de s’adapter à la nouvelle alimentation humaine, il va acquérir la capacité à digérer l’amidon. Autour des premières habitations, il continue à jouer son rôle d’éboueur. On a retrouvé des squelettes de chiens en Russie, datés de 12  000  ans. Les restes de chiens découverts dans des fouilles se multiplient à partir de 9 000 av. J.-C. Les études génétiques montrent qu’il y aurait eu plusieurs foyers de domestication, étalés dans le temps, notamment en Amérique à l’arrivée des premiers amérindiens. Avec l’accélération des migrations humaines et des échanges, les croisements se sont multipliés, aboutissant à la diversité des races actuelles. Dans toutes ces races, on retrouve des qualités héritées du loup : attention et observation, communes aux chiens de garde et de défense, olfaction, propre aux chiens de chasse. Selon le lieu de domestication, ces premiers chiens ont été sélectionnés et utilisés pour des tâches précises (gardiennage, défense). On a retrouvé des vestiges de traîneaux tirés par des chiens datés de 6 000 av. J.-C., au nord de la Sibérie. Comme le fait justement remarquer l’historien Robert Delort  : de la caverne à la niche 10  000 générations de chiens se sont succédées. Chacal, coyote ou dingo ? Pendant longtemps, on a aussi recherché l’origine du chien chez d’autres canidés comme le chacal, le coyote ou le dingo, en évoquant de possibles hybridations. Le chacal (Canis aureus) qui était un animal sacré dans l’ancienne Égypte a été pressenti comme un ancêtre possible, car l’animal est docile, facile à apprivoiser, et présente des similitudes morphologiques avec le chien. Les études génétiques et les différentes découvertes archéologiques n’ont toutefois pas confirmé cette hypothèse. On a également envisagé le coyote (Canis latrans), capable de s’accoupler avec le loup ou le chien domestique, mais la génétique a très vite écarté cette hypothèse. Le scénario du dingo (Canis lupus dingo) a été également évoqué. Il s’agit d’une espèce de chien sauvage que l’on rencontre depuis l’Asie du Sud et jusqu’en Australie. Le dingo ressemble aux plus anciens restes de chiens trouvés en Europe du Nord. On constate, chez les chiens bâtards, une tendance à retrouver la même forme générale de type roux, proche du dingo. Selon les dernières études génétiques, le dingo aurait donc pour 190

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origine des chiens domestiques retournés à l’état sauvage (marronnage). Aujourd’hui, ce canidé est classé comme espèce vulnérable par l’UICN, les spécimens de race pure sont devenus rares avec 90 % de métissage avec les chiens domestiques. Et le gagnant est : le loup ! À la lumière des dernières découvertes, le « scénario du loup  » s’est vu confirmé avec une étude publiée en novembre 2013 dans la revue Science. Les travaux du biologiste américain Robert Wayne et de son équipe ont montré que notre chien domestique est très probablement issu d’un groupe de loups, aujourd’hui éteints, qui peuplaient le continent européen il y a 18 800 à 32 000 ans. Pour cela, ils ont analysé l’ADN mitochondrial présent dans les ossements d’espèces présentant des caractéristiques anatomiques analogues à celles du loup moderne, et des ossements issus d’animaux anatomiquement proches du chien moderne. Les spécimens les plus récents dataient d’un millier d’années, et les plus anciens de 32  000 ans. Ce matériel génétique a été comparé à celui de loups modernes, de coyotes et de chiens domestiques. Notre chien est relié à une espèce de loup aujourd’hui éteinte et qui vivait en Europe, alors que l’on a longtemps pensé que la souche d’origine était asiatique. Bébé loup est néoténique Quand on observe les espèces domestiquées, on s’aperçoit que l’homme a souvent sélectionné leurs traits juvéniles. Tout se passe comme si l’animal adulte domestiqué avait conservé des traits propres aux bébés de l’espèce ancestrale. Le cerveau du chien est plus petit que celui du loup et on a souvent cherché à conserver la tête ronde, avec de gros yeux de chiot, des oreilles tombantes ou une queue pointée en l’air, comme celle d’un louveteau (Figure 5-7). Le chien joue, remue la queue, pleurniche et est sans cesse en quête d’affection, ce qui n’est pas le cas du loup. La sélection artificielle a donc accumulé et amplifié les caractères juvéniles, que l’on qualifie de néoténiques*. Le Boxer et le Shih tzu de la figure 5-8 sont le résultat d’une sélection poussée à l’extrême. Ils illustrent bien ces caractères que l’homme a cherché à conserver (Figure 5-8). DÉFINITION Néoténie En biologie, la néoténie correspond à la conservation de caractéristiques juvéniles chez les adultes d’une espèce. L’exemple le plus connu est l’axolotl (cf. Chapitre II) qui conserve ses branchies, typiques du stade larvaire, à l’état adulte. Les chats sauvages adultes ne ronronnent plus et ne jouent plus, alors que les chats domestiques le font souvent jusqu’à la vieillesse.

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Figure 5-7 : Le loup et le louveteau.

Figure 5-8 : Le Boxer et le Shih tzu illustrent la sélection des caractères juvéniles ou néoténiques.

Les renards de Novossibirsk, le processus de domestication vérifié Dans les années 1950, le biologiste russe Dmitri Beliaïev (1917-1985) a mis en place une expérimentation à grande échelle de domestication du renard commun (Vulpes vulpes). Il a sélectionné préalablement 30 renards mâles et 100 femelles. Son critère de sélection principal était la docilité à l’égard de l’être humain. Son hypothèse était que la sélection des animaux les plus dociles s’accompagnerait peut-être de modifications morphologiques. Après dix générations de croisement, il a constaté des premières modifications morphologiques 192

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stables : modification du pelage devenu multicolore, oreilles tombantes, queue enroulée. L’objectif d’accélérer et de reproduire le processus de domestication du chien sur le renard, en sélectionnant rigoureusement la docilité, était gagné. Il avait prouvé qu’en partant d’un animal sauvage, on pouvait «  refabriquer  » notre «  toutou favori  ». Les renards de Beliaïev remuent la queue, gémissent de plaisir, et vous lèchent le visage. Les travaux ont été poursuivis à la mort de Beliaïev. Depuis, 35 générations de renards ont vu le jour, mais avec la crise de 2008, le programme n’est plus subventionné et la suite de l’expérience risque d’être compromise. Quelques renards ont été achetés par des familles fortunées, russes ou américaines, comme nouvel animal de compagnie (NAC) moyennant la coquette somme de 5 300 euros le renardeau. Les autres renards de Novossibirsk attentent un futur maître. Si cette expérimentation confirme les hypothèses de domestication du chien, on peut se demander si notre espèce ne joue pas à «  l’apprenti sorcier  »  en essayant de fabriquer des peluches vivantes ? (Figure 5-9).

Figure 5-9 : Le renard et le renardeau au regard attendrissant.

Les autres visages du chien Le chien est devenu un partenaire incontournable de notre vie, il est guide d’aveugle, il repère les victimes des tremblements de terre ou des avalanches. C’est un précieux auxiliaire des douanes, de la police et de l’armée, comme chien d’assaut ou pour la recherche d’explosifs, de stupéfiants. Les chiens du RAID sont capables de détecter plus de 80 explosifs. Depuis quelques années, les chiens sont devenus de précieux alliés en diagnostic médical, pour la détection de certains cancers, de l’épilepsie ou du diabète. 193

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150 millions de chiens errants en Europe, le «  meilleur ami  » pointé du doigt ! Le meilleur ami de l’homme fait malheureusement l’objet d’abandons, et plus particulièrement en été, au moment des départs en vacances. On estime que 100 000 chiens (et chats) sont abandonnés chaque année en France. Tous ne sont malheureusement pas pris en charge par les fourrières ou la SPA, certains retournent à la vie sauvage et deviennent des chiens errants qui s’attaquent aux troupeaux de brebis. Ces attaques sont souvent masquées par les autorités et les médias, qui mettent toujours en avant les mêmes boucs émissaires à savoir le loup et l’ours. Une fois ensauvagés, les chiens errants peuvent aussi s’hybrider avec le loup et leurs meutes suivent celles des loups. Si un mouton tué par un loup ou un ours donne lieu a une indemnisation, dans le cas d’un chien rien n’est prévu. On comprendra l’omerta qui entoure les chiens errants, et la difficulté d’estimer les pertes ou les attaques selon les sources. On comprendra aussi pour le berger, le drame des cadavres de brebis déchiquetés ou l’agonie de ses bêtes, à laquelle il doit mettre fin. Ce que l’on oublie encore, ce sont les chiens de résidences secondaires, qui oubliant leur vie domestique, « prennent le maquis » et battent la campagne pour s’en prendre aux volailles ou au bétail. On retrouve alors des dizaines de bêtes sur le carreau, et un propriétaire dans le déni d’accepter que son meilleur ami soit devenu divagant. Le chien de protection des troupeaux Si le loup n’est devenu berger que dans une fable de Jean de la Fontaine, on a créé les chiens de protection qui ne bénéficient d’aucun dressage propre, mais d’un apprentissage comportemental, résultant d’une séparation précoce d’avec leur mère et les humains. Ce chien de protection est dissuasif et autonome. Il s’est socialisé avec les brebis depuis qu’il est chiot et seul son attachement au troupeau le pousse à intervenir en cas d’agression. Le rôle de l’éleveur se limite à nourrir le chien. Il est devenu capable de vivre des années avec les brebis sans contact avec l’homme. Tout le monde connaît le montagne des Pyrénées dit « Patou des Pyrénées », ce grand chien blanc qui reste avec les moutons, sans leur faire de mal et qui repousse tous les agresseurs potentiels comme les loups ou les ours. Les caprins et les ovins ouvrent le bal de la domestication La chèvre et le mouton sont les deux premières espèces à avoir été domestiquées presque simultanément, il y a 10 500 ans pour la chèvre, et 9 000 ans pour le mouton. Ces deux espèces ont joué un rôle clé dans l’économie des premiers systèmes agricoles qui se mettaient en place. La chèvre (Capra Hircus) est originaire de deux foyers de domestication, la zone des monts Zagros en Iran, et l’Anatolie en Turquie. Les chèvres sauvages 194

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se sont rapprochées des premières cultures qui leur offraient une source de nourriture providentielle. Cet animal peu exigeant pouvait se garder en troupeaux sous l’œil des enfants et fournissait viande et peau. L’utilisation du lait est apparue plus tard dans le bassin méditerranéen. Cet animal va profondément modifier la physionomie des paysages où il a été domestiqué. Le mouton (Ovis aries) a un ancêtre unique, le mouflon sauvage (Ovis orientalis) ou mouflon oriental, qui vivait en Asie mineure et qui ne produit pas de laine. On peut imaginer que le mouflon faisait l’objet de chasse et que des agneaux ont été capturés puis adoptés. Plus besoin alors de chasser pour avoir de la viande à disposition. Cette transformation des mouflons sauvages en moutons domestiques a pris plus de 6  000 ans (Figure 5-10). Les premiers moutons qui étaient de couleur foncée, ont d’abord été domestiqués pour leur viande, bien avant que les humains ne commencent à exploiter leur laine et leur lait il y a 4 000 ans. Cette espèce prolifique et facile à élever, a permis de doper la croissance des populations du Néolithique. La possibilité d’obtenir de la laine et des races claires ou sans corne, est le résultat de sélections et de croisements. Cette laine convient parfaitement au filage et au tissage. Notons au passage que le mouflon corse (Ovis musimon) est en fait le descendant d’un mouton primitif amené dans l’île il y a 8 000 ans et retourné à l’état sauvage (marronnage).

Figure 5-10 : Le mouflon et le mouton.

Sa « majesté » le chat « Il vit au plus proche de l’humain, hantant volontairement ses lieux les plus intimes, mais il demeure dans le même temps volontairement ailleurs. » Florence Burgat, philosophe, La cause des animaux

Le chat est à lui seul un vrai mystère, et on est en mesure de se demander si ce n’est pas lui qui nous a domestiqué comme se plaisait à le dire le sociologue 195

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Marcel Mauss (1872-1950). Comment une espèce si indépendante en est arrivée à côtoyer notre espèce si remuante ? Sans Dieu, ni maître, le greffier a trouvé une parade en restant un « sauvage apprivoisé » qui a des goûts de luxe, tout en restant d’une indépendance farouche. La conquête du monde par le chat domestique (Felis silvestris catus) est relativement bien décrite. Cet animal aurait été domestiqué dans le croissant fertile voici 10  000 ans, à partir du chat sauvage d’Afrique ou chat ganté (Felis silvestris lybica). L’hypothèse la plus probable est que le félin a été attiré par les rongeurs qui lorgnaient du côté des céréales stockées par l’homme. Les déchets produits par l’homme devaient aussi représenter une aubaine pour ce rodeur nocturne. Les cultivateurs ont accueilli les chats et leur ont même donné de la nourriture pour les attirer et contrôler les populations de rongeurs. Ce félin de petite taille était peu couteux à nourrir, de plus les chatons avec leur tête ronde, et leurs gros yeux ronds étaient attendrissants (on revient encore à la néoténie !) et ne demandaient qu’à être adoptés. L’homme a dû à nouveau sélectionner les individus les plus dociles. Si l’on se base sur l’expérience des renards décrite plus haut, la «  domestication  » a pu être rapide. Les matous ont ensuite suivi l’homme dans ses migrations. Une molaire de chat, datée de 9 000 ans, a été mise au jour en Israël, et une autre dent, vieille de 4 000 ans, retrouvée dans des fouilles au Pakistan. Une statuette en ivoire datée de 3 700 ans a été découverte en Israël. Dans l’ancienne Égypte, le chat est considéré comme une divinité sous les traits de la déesse Bastet. On ne compte plus les momies du félin que l’on a retrouvées dans les tombeaux. Avec le commerce, le chat va passer en Grèce, puis dans l’Empire romain. Il va aussi se répandre en Inde, puis en Chine, où plusieurs races de chats orientaux vont naître : Siamois, Birman, Mandarin. Il restait au greffier à faire la conquête du Nouveau Monde avec les premiers colons. Les chats vont jouer un rôle important dans le contrôle de la population des rats sur les navires. En 1609, à Jamestown, première colonie britannique en Virginie, ils ont même servi de plat de résistance avec les chiens et les chevaux, lors de ce terrible hiver où la famine a même conduit les colons à pratiquer le cannibalisme. Avec l’arrivée en Europe au xviiie siècle du rat brun ou surmulot (Rattus norvegicus), plus gros et plus agressif que le rat noir (Rattus rattus), le chat va peu à peu perdre son statut de prédateur, pour devenir un animal de compagnie (Figure 5-11). Aujourd’hui, on a recensé pas moins de 60 races de chats domestiques. En 2007, le séquençage complet du génome d’un chat a permis de comprendre les mutations qui correspondent à la couleur de la robe ou la longueur des poils. À la différence du chien, très différent de ses ancêtres d’un point de vue morphologique, le chat a une morphologie très proche du chat sauvage (Felis sylvestris) à la robe tabby fauve. Son tube digestif s’est allongé pour digérer la variété des restes de repas que l’homme lui offre, cette modification avait déjà été décrite par Charles Darwin (1809-1882) dans son ouvrage L’Expression des émotions chez l’homme et les animaux, paru en 1872. 196

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Figure 5-11 : Le chat, le rat noir (A), le rat surmulot (B).

Notre greffier n’a rien perdu du côté débrouillard de ses ancêtres, capable de survivre sans aide comme le prouve le chat haret, retourné à l’état sauvage. Il a renoncé à la compagnie des humains et aux avantages de la vie bourgeoise. Le chat haret est redevenu un petit fauve qui rôde dans nos campagnes. Quand vous voyez un chat en forêt, c’est un chat haret, le chat sauvage est bien trop discret pour se montrer. Le chat haret a tellement proliféré en Australie avec une population estimée à 18 millions d’individus, qu’il pose de graves nuisances aux espèces indigènes. Il ne faut pas le confondre avec le chat errant, résultat de l’abandon par l’homme. On dénombre près de douze millions de chats domestiques en France, et plus de 600 millions dans le monde. La domestication du bœuf Le bœuf (Bos taurus) a été domestiqué au Proche-Orient il y a 9  000 à 10 000 ans. Son ancêtre sauvage est l’aurochs (Bos primigenius). Les dimensions de ce bovin étaient imposantes : entre 1,6 et 1,8 mètre de hauteur à l’épaule (1,50 mètre pour la femelle) pour un poids de 800 à 1  000 kilogrammes. Ces bovidés vivaient en troupeaux regroupant les vaches, les taureaux et les veaux. On le retrouve en majesté dans la salle des Taureaux de la grotte de Lascaux. L’aurochs a peu à peu été décimé par l’homme, victime de l’extension des terres agricoles. Il était encore présent en France au xiiie siècle. Le dernier spécimen 197

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est mort en 1627, en Pologne. Des travaux de 2012, portant sur l’ADN mitochondrial, montrent que la domestication a eu lieu en un seul endroit et que la population de nos bœufs descend d’un cheptel de 80 vaches (Figure 5-12). Ces résultats sont en contradiction avec l’idée ancienne que la domestication s’était faite en plusieurs endroits. Les bœufs ont ensuite suivi les migrations de l’homme jusqu’en Europe où ils se sont métissés avec des aurochs sauvages. Les races actuelles sont les descendantes de ce métissage. Le panthéon égyptien a déifié la vache Hathor déesse du ciel et le taureau Apis symbole de fertilité et de force. L’étude des momies, des bas reliefs et des textes a permis de montrer que les anciens égyptiens avaient fait une distinction entre bêtes de boucherie, bêtes de service et bêtes à traire. Le bœuf deviendra vite indispensable, il sert de monture, il porte des charges, tire des chariots et même les ancêtres des charrues. Le bœuf donne un cuir de qualité exceptionnelle, incontournable dans l’habillement, l’armement, ou l’harnachement des chevaux. Le zébu (Bos taurus indicus) est un autre bovidé domestiqué au Pakistan, il y a 8 000 ans. Cette espèce de climat tropical a été transportée ensuite en Afrique d’où elle a gagné Madagascar. Le Yak (Bos grunniens mutus) qui vit actuellement sur les hauts plateaux du Tibet aurait été domestiqué en Chine il y a 5 000 ans. Dans les années 1920, des biologistes allemands ont voulu recréer l’aurochs disparu. En croisant différentes races domestiques de bovins qui présentaient des caractères rustiques, ils ont obtenu un animal qui ressemble physiquement à un aurochs, et qui porte le nom d’aurochs de Heck. Il est plus petit et ses cornes sont moins imposantes. Cet animal ressemble aux vaches de la race Herens, originaires du Valais en Suisse et réputées pour être des lutteuses hors pair (Figure 5-12).

Figure 5-12 : L’aurochs de Heck et une vache de race Herens. 198

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La domestication du cheval et de l’âne La domestication du cheval ayant été traitée dans l‘introduction de cet ouvrage, ce paragraphe sera plus particulièrement consacré à l’âne. C’est en Afrique de l’Est qu’il faut chercher l’origine de l’âne domestique (Equus asinus), issu de la domestication de l’âne sauvage d’Afrique (Equus africanus). Cet équidé a été domestiqué il y a plus de 5 000 ans, et depuis, de nombreuses races ont été sélectionnées. Leurs oreilles, plus longues que celles des autres équidés sont très vascularisées et permettent dans un habitat désertique, d’optimiser la régulation thermique. Les études de l’ADN mitochondrial montrent que nos baudets ne descendent pas de l’âne sauvage d’Asie encore appelé hémione ou onagre (Equus hemionus). On pense que l’assèchement du Sahara est à l’origine de sa domestication par les populations pastorales du Nord-Est de l’Afrique qui cherchaient un moyen de transporter du matériel. L’âne est le second animal domestiqué pour le transport, après le bœuf, mais sa charge est limitée à 50-100 kilogrammes. Son usage va se répandre au ProcheOrient et en Mésopotamie pour acheminer le grain, les épices, ou l’encens à travers le désert. Ce fidèle compagnon accompagne l’homme depuis les temps anciens, les égyptiens l’associaient au dieu Seth. On le retrouve en bonne place dans les fables d’Ésope (vie siècle avant J.-C.) qui vont inspirer celles de Jean de La Fontaine (16211695). Estimé au début du monde chrétien, on le retrouve en bonne place dans la crèche de la Nativité, ou comme humble monture du Christ. Il sera ensuite associé à la lubricité, à la bêtise, à l’ignorance et à l’entêtement. Il retrouve ses lettres de noblesse en accompagnant l’écrivain écossais Robert Louis Stevenson (1850-1894), dans Voyage avec un âne dans les Cévennes, et devient même « savant » sous la plume de la comtesse de Ségur (1799-1874) dans Les mémoires d’un âne.

Figure 5-13 : Le cheval et l’âne. 199

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La mule et le mulet sont les petits d’un âne et d’une jument. Ce croisement déjà connu dans l’Antiquité donne un hybride stérile. Le mulet est très puissant, courageux et intelligent, il possède la force du cheval et la résistance de l’âne. Il est capable de transporter des charges lourdes et ne rechigne pas à marcher dans les terrains montagneux. L’expression « chargé comme une mule » est liée à la force de cet animal. Le bardot (féminin bardote) est issu du croisement entre une ânesse et un cheval, ce croisement ne donne pas une bête aussi puissante que le mulet. La domestication des camélidés La lignée des camélidés a évolué depuis 50 millions d’années en Amérique du Nord où elle s’est diversifiée. Il y a cinq millions d’années les ancêtres des chameaux ont migré vers l’Eurasie et l’Afrique, tandis qu’une autre branche descendait en Amérique du Sud, franchissant l’isthme de Panama pour donner les lamas. À l’instar des chevaux, les camélidés s’éteignent en Amérique du Nord il y a 12 000 ans. Le chameau de Bactriane (Camelus bactrianus) et le dromadaire ou chameau d’Arabie (Camelus dromedarius) ont été domestiqués il y a 3 000 ans respectivement en Asie centrale pour le chameau, et dans la péninsule arabique pour le dromadaire. Il reste moins d’un millier de chameaux sauvages en Mongolie (désert de Gobie), alors que l’espèce compte 1,4 million d’individus domestiqués. Selon l’UICN, les chameaux sauvages sont en danger critique d’extinction. C’est un animal de bât utilisé également pour sa viande, son lait et sa laine. Les excréments servent de combustible dans le désert. Le chameau de Bactriane peut s’hybrider avec le dromadaire, on obtient un turkoman. En Amérique du Sud, on rencontre quatre espèces de camélidés, le lama (Lama glama), l’alpaga (Vigugna pacos), le guanaco (Lama guanicoe) et la vigogne (Vicugna vicugna). Gardons en mémoire que les populations amérindiennes n’avaient à leur disposition que des camélidés comme animaux de bât. Elles vont domestiquer le lama il y a 6 000-7 000 ans, puis l’alpaga, 2 000 ans plus tard. Originaire des Andes, le lama est le seul camélidé capable de porter des charges d’une vingtaine kilos, mais ne peut être monté. On utilise aussi sa viande et sa laine. L’alpaga, plus petit, a été domestiqué il y a près de 5 000 ans par les bergers andins par le croisement de vigognes et de guanacos. C’est sa laine qui a fait la valeur de cet animal, déjà très appréciée des Incas, et aujourd’hui produite un peu partout dans le monde. C’est également un fabuleux animal de compagnie, très doux et docile, que l’on utilise même comme gardien des troupeaux d’oies ou de moutons. La vigogne est une espèce sauvage, et sa laine est considérée comme un produit de luxe qui atteint 400 dollars le kilogramme, ce qui explique que l’espèce 200

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est menacée. Dans les magasins de luxe d’Italie ou du Japon, un manteau en laine de vigogne peut se négocier 24 000 euros. L’espèce est pourtant protégée. Au Pérou, la population qui avait chuté de façon drastique dans les années 1980 est estimée à 200 000 individus. Malgré ces campagnes de protection, des braconniers équipés de 4x4 massacrent au fusil les vigognes et laissent les carcasses tondues sur place. Quant au guanaco apparenté au lama, il n’a pas non plus été domestiqué, l’espèce est également en danger car chassée pour sa viande ou comme simple trophée. Le cochon qui ne venait pas d’Inde On estime que la domestication du cochon d’Inde (Cavia porcellus) remonte à environ 7 000 ans, dans les régions montagneuses du Pérou. Cette espèce est issue du cobaye sauvage (Cavia aperea) qui vit en colonie dans les zones herbeuses. Toujours dans les régions andines, des croisements ont permis de sélectionner le cobaye géant ou cuy élevé pour sa viande. Quoiqu’il en soit, cinquante ans après la découverte de l’Amérique, le cochon d’Inde était déjà connu dans presque toute l’Europe et apprécié comme animal de compagnie dans les milieux aisés. En anglais, on le nommait guinea pig, pour « cochon valant une guinée », la guinée étant une ancienne monnaie anglaise. L’animal au caractère docile, aux couinements attendrissants, va ensuite se démocratiser grâce à des éleveurs passionnés et se répandre sur tous les continents. De nombreuses races ont été sélectionnées (poils courts, longs, lisses…) (Figure 5-14). Le petit rongeur commence sa carrière scientifique de sujet d’expérience ou « cobaye », au xixe siècle, dès lors que l’on cherche un modèle pour reproduire les maladies infectieuses en laboratoire. Il faut un animal peu couteux, peu volumineux, facile à entretenir, et qui se reproduit rapidement. Le lapin, le campagnol, la souris, la poule et le cochon d’Inde répondent à ces critères. Ces animaux vont participer à tous les essais médicaux développés au xixe siècle. Le médecin allemand Robert Koch (1843-1910) va choisir cet animal pour ses expériences sur Mycobacterium tuberculosis, la bactérie responsable de la tuberculose (qui sera appelée plus tard bacille de Koch). L’animal est en effet très sensible à cette bactérie. Le cochon d’Inde sera un facteur déterminant au début du xxe siècle pour la découverte de la vitamine C, car tout comme nous, il est incapable de la synthétiser. L’utilisation de l’animal, à des fins expérimentales, sera à l’origine de toute une polémique sur la vivisection. Le mot « cobaye » ou encore « cobaye humain » est rentré dans notre langage commun. Il désigne un sujet d’expérience pour la recherche médicale, ou pour tester une expérience quelconque. Peu de chercheurs utilisent encore le Cavia porcellus, comme le souligne le journaliste au magazine Slate, Daniel Engber, sur 50 000 études cliniques, 36 000 utilisent des rats et seulement 1 300 le cochon d’Inde. 201

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Figure 5-14 : Le cochon d’Inde.

Le pays des lapins Le lapin commun ou lapin de garenne (Oryctolagus cuniculus) vivait à l’origine dans la péninsule ibérique, où l’espèce s’était réfugiée au cours de la dernière glaciation. Lorsque les Phéniciens débarquèrent sur les côtes de cette région il y a plus de 4 000 ans, ils furent surpris de voir de petits animaux qui vivaient en colonies dans des terriers comme les damans (Hyrax syriacus) de leur pays. Ignorant qu’il s’agissait de lapins, ils nommèrent les lieux terre des damans où I Shaphan Im. Ces termes transposés en latin donnèrent Hispania, le pays des lapins, quand les Romains s’y installent à la fin du iiie siècle avant Jésus-Christ. En latin, cet animal se nomme Cuniculus. C’est l’écrivain Catulle (87-54 av. J.-C.) qui qualifiera même l’Espagne de Cuniculosa, pour « pleine de lapins ». L’empereur Hadrien (76-136) fera frapper une monnaie d’un denier où un lapin figure au verso. Au contact des Ibères, les Romains découvrent les laurices, un plat culinaire très apprécié chez ces populations, qui consistait à cuisiner des fœtus ou des lapereaux nouveau-nés. Ce plat sera très vite adopté par les Romains et s’invitera sur les tables les plus raffinées de Rome. Le lapin va ensuite se répandre d’abord en Gaulle méridionale, puis dans tout l’Empire. Sa progression repousse le lièvre de son habitat naturel. L’espèce sera vraiment domestiquée au Moyen Âge dans les monastères, où les moines les élèvent dans des cages (clapiers) pour les consommer aussi sous forme de laurices. Pendant le Carême, cette viande était autorisée parce que d’« origine aquatique ». La cuniculture commence à se populariser en France, aussi bien pour la viande que pour la fourrure (Figure 5-15). 202

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Figure 5-15 : Le lapin domestique.

Plus tard, les lapins seront l’apanage du seigneur féodal qui les élève dans sa garenne (ou varenne), une réserve privée et fermée, où il a seul droit de chasse, et où les dames peuvent s’exercer à les tirer avec des flèches «  mouchées  » destinées seulement à les toucher, sans les blesser (Figure 5-16).

Figure 5-16 : Dame chassant le lapin, enluminure extraite du Taymouth Hours,

xive

siècle.

203

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On assiste au xvie siècle à une multiplication des races qui ne seront stabilisées qu’au xixe siècle. C’est à cette époque que les populations rurales ont commencé à migrer, pour aller travailler dans les usines en milieu urbain. Dans le petit jardin souvent annexé à leur logement, ces nouveaux ouvriers implantent de petits élevages de volailles et de lapins. Ces animaux peu exigeants permettent de valoriser les déchets de la cuisine et du jardinage. Le xxe siècle sera celui de l’élevage rationnel jusqu’à l’arrivée de la myxomatose en 1952, qui ravagera les petites exploitations et les élevages familiaux. Le résultat sera une demande de viande de lapin, qui sera alors assurée par des élevages spécialisés. La propagation du lapin de garenne hors de son biotope habituel sera à l’origine de catastrophes écologiques, notamment dans les milieux insulaires comme les îles écossaises, les Kerguelen ou l’Australie, qui abrite aujourd’hui plus de 30 millions de lapins. Le lapin est aussi devenu un animal de compagnie très prisé de nos jours. On ne peut que déplorer son élevage pour la fourrure (lapin angora) ou comme animal de laboratoire. Du sanglier au porc, il n’y a qu’un pas Le porc (Sus scrofa domesticus), a été domestiqué il y a plus de 10 500 ans dans plusieurs régions, l’Europe, l’Inde, la Chine, et l’Asie du Sud-Est, à partir du sanglier (Sus scrofa). Le sanglier étant présent dans tout l’hémisphère nord, y compris l’Indonésie, ceci explique les nombreux foyers de domestication. Depuis des millénaires, l’homme et le sanglier ont partagé une relation étroite et complexe, comme en attestent les peintures rupestres des grottes d’Altamira. Le sanglier était alors un gibier apprécié, chassé par l’homme, qui n’a pas hésité à le transporter par bateau dans l’île de Chypre plus de mille ans avant sa domestication. Un bon moyen d’avoir de la nourriture sur pied disponible à la demande  ! Des études génétiques ont montré que notre cochon actuel domestique descend du sanglier européen et non pas d’une espèce asiatique. Les premières races étaient noires et velues, le cochon est devenu rose comme une tirelire au xviiie siècle, par une sélection opérée sur des sujets atteints d’albinisme (Figure 5-17). Cette espèce fascine l’homme depuis l’Antiquité. Les Chinois en ont fait un signe de leur calendrier astrologique et le héros grec Hercule exécute son troisième travail en capturant le sanglier d’Erymanthe. En Gaulle préromaine, considéré comme un animal farouche et courageux, il figure sur nombre d’ornements de casques ou d’emblèmes guerriers. Enfin, l’arbre associé au sanglier était évidemment le chêne sacré, puisque le suidé (son nom de famille) raffole de ses glands. Avec la bande dessinée de Goscinny (1926-1977) et Uderzo, il est difficile d’imaginer la Gaule festive sans sanglier ! Pourtant le sanglier s’est fait dérober sa place d’honneur par le coq lors de la conquête romaine, puisqu’en latin Gallus désigne à la fois les habitants de la Gaule et le coq. 204

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Figure 5-17 : Le sanglier et le cochon.

Gardons en mémoire que le cochon truffier a été pendant très longtemps le seul moyen de repérer le «  diamant noir  » du Périgord. Le comportement du cochon domestique est très proche de celui du sanglier, les deux espèces peuvent d’ailleurs se croiser. Le cochon peut sans problème retourner à l’état sauvage comme le cochon de Corse qui vient quémander de façon brutale et agressive de la nourriture aux touristes effrayés. N’oublions pas la basse-cour Les volailles sont domestiquées depuis des milliers d’années. Le terme de volaille englobe les Gallinacés (poules, pintades, dindes, paons, faisans…) et les Palmipèdes (canards, oies, cygnes…). Quand on évoque le mot volaille, c’est la poule (femelle) ou poulet domestique et le coq (mâle) (Gallus gallus domesticus) qui sont les plus représentatifs de cette gent à plume des basse-cours. Notre poulet a pour ancêtre le coq doré ou coq sauvage (Gallus gallus), originaire le l’Inde et du Sud-Est asiatique, où il a été domestiqué il y a 8 000 ans. Il est probable que ce volatile a d’abord été élevé pour des combats avant même d’être destiné à l’alimentation (viande et œufs). Il arrive en Europe à l’âge de Bronze. Aujourd’hui, deux types de poulet domestique ont été développés, l’un pour ses œufs, l’autre pour sa chair. En 2004, le génome de la poule a été le premier génome d’oiseau à avoir été séquencé. C’est à l’occasion de la Révolution de 1789 que cet oiseau fut choisi pour remplacer le lys, symbole de la royauté. Le coq est le symbole des fédérations sportives depuis 1909. Le coq gaulois est un des motifs retrouvé sur les monuments aux morts de la Grande Guerre. 205

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Le dindon domestique (Meleagris sp.) est originaire du Mexique où il a été domestiqué il y a plus de 5 000 ans, son ancêtre étant le dindon sauvage (Meleagris gallopavo). Cependant, tous les peuples amérindiens consommateurs de dindon ne l’ont pas tous domestiqué, à l’instar de ceux des forêts de Virginie ou du Massachusetts qui préféraient le chasser. Il passe de la table des Mayas à celle des colonisateurs de l’Amérique centrale qui apprécient sa chair. Surnommé « poule d’Inde » par les espagnols, il arrive en Europe au début du xvie siècle. Le mot « poule d’Inde » se transformera en dinde. Très vite, la dinde figure à la table royale comme un mets de choix. La dinde est devenue le plat symbolique et central du Thanksgiving (action de grâce), à la fin du mois de novembre, en référence au premier « repas de moisson » des pèlerins (pilgrims) du Mayflower (Figure 5-18).

Figure 5-18 : Coq, canard et dindon. 206

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Le canard colvert (Anas platyrhynchos) est généralement considéré comme l’ancêtre des canards domestiques. On pense que les Romains sont à l’origine de sa domestication. La pintade commune (Numida meleagris), originaire d’Afrique de l’Ouest, a été ramenée par les Grecs et les Romains. Des pintades sauvages vivent en Afrique, au sud du Sahara. En France, les élevages sont de type intensif, axés sur la production des œufs et de la chair. Les oies domestiques (Anser Anser domesticus) descendent de l’oie sauvage grise d’Europe (Anser Anser) et de l’oie cygnoïde d’Asie (Anser cygnoides). D’une taille supérieure à celle de leurs ancêtres, elles ne volent plus. Les Égyptiens ont réalisé leur domestication il y a 4 000 à 5 000 ans pour les gaver et consommer leur foie comme en attestent des fresques. Ces volatiles brouteurs étaient utilisés pour désherber les champs de coton. Le palmipède est lié à de nombreuses légendes. On pense au conte L’oie d’or des frères Grimm ou au Merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède de Selma Lagerlöf (1858-1940). Si les oies du Capitole ont sauvé Rome d’une invasion gauloise en 390 av. J.-C. par leurs cris, tout le monde connaît le célèbre jeu de l’oie. Avec la dinde et le chapon, l’oie figure en tête des menus des fêtes de fin d’année. Tentatives et échecs de domestication Parmi toutes les tentatives de domestication, certaines ont été abandonnées ou se sont soldées par un échec avec le retour de l’animal à sa vie sauvage. Parmi ces espèces, on peut citer la genette européenne ou genette commune (Genetta genetta), un petit viverridé à la fourrure tachetée, ramené d’Afrique du Nord par les Romains et les Maures, et par la suite naturalisé pour chasser les rongeurs, dans les habitations ou protéger les récoltes. On redécouvre l’animal en France, sous Charles Martel (690-741), car elle fait partie du butin de la bataille de Poitiers. En France, à la cour de François 1er (1494-1547), la mode est d’exhiber une genette. On lui préférera le chat par la suite et elle sera alors chassée pour sa fourrure. De la même façon, les Romains avaient domestiqué la couleuvre d’Esculape (Zamenis longissimus) pour traquer les souris. On pense que c’est cette même couleuvre qui orne le bâton d’Asclépios, emblème des médecins et la coupe d’Hygie, caducée des pharmaciens. N’oublions pas le grillon (Acheta domestica) et la cigale (Lyristes plebejus) historiquement élevés en Chine ou au Japon pour le simple plaisir de les entendre chanter. Des dames de la cour impériale de Chine enfermaient des grillons dans des cages en or ou en ivoire, et s’endormaient bercées par leur chant. La cigale était un symbole de fertilité et d’abondance. Certaines domestications «  pour le plaisir  » ont conduit à notre poisson rouge ou Cyprin doré (Carassius auratus) que l’on laisse tristement végéter dans son bocal. C’est encore à la Chine et au Japon que l’on doit cette espèce d’aquarium. Il y a plus de 4 000 ans, on a commencé à sélectionner des mutants 207

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colorés, ou présentant des formes boursouflées, ou des nageoires anormales. Ces spécimens ornaient les bassins des mandarins et des empereurs. Coté aquariophile, les Romains n’étaient pas en reste, ils élevaient des carpes en bassin d’eau douce et des murènes communes (Muraena helena) dans d’autres remplis d’eau de mer. Apprivoisés, ces animaux pouvaient être nourris à la main. De quoi tordre le coup à cette légende tenace qui raconte que les esclaves condamnés à mort étaient jetés en pâture aux murènes. La murène constituait un mets de choix, et on raconte que 6 000 murènes furent servies au banquet du triomphe de César. En revanche, l’élevage des huîtres et des escargots qui étaient déjà pratiqués dans l’Antiquité ont perduré de nos jours (Figure 5-19).

Figure 5-19 : Mosaïque romaine avec carpes.

La domestication du guépard (Acinonyx jubatus), comme auxiliaire de chasse, avait commencé en Mésopotamie il y a plus de 4 000 ans. Au Moyen Âge, on l’utilisera pour la chasse à courre, du fait de sa docilité et de son exceptionnelle rapidité (pointes de vitesse à 110 kilomètres/heure). Pour la bourgeoisie de la Renaissance, le fait de posséder un guépard était un signe d’opulence. Le caractère doux de cet animal aurait même permis d’en faire un animal domestique. Malheureusement, le félin se reproduit mal en captivité et la chasse pour sa fourrure a réduit de façon alarmante les populations. Certaines domestications semblent difficiles à réaliser, à l’exemple du bœuf musqué (Ovibos moschatus), une relique de la faune de l’ère glaciaire. Ce 208

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ruminant des zones arctiques du Canada, de l’Alaska et du Groenland n’a rien à voir avec le bœuf puis que c’est un capriné, donc un cousin de la chèvre. Il possède une laine d’une qualité exceptionnelle (juste derrière celle de la vigogne), la laine de Qiviut, surnommée la « toison d’or de l’arctique » car dix fois plus chaude que la laine de mouton. Les tentatives d’élevage des années 1950 ont presque toutes fait faillite. Il ne reste plus aujourd’hui qu’un seul élevage en Alaska. D’autres domestications ont été abandonnées comme celles de la gazelle dorcas (Gazella dorcas) ou de la hyène (hyaena hyaena), en Égypte antique. Citons encore le cas de l’élan (Alces alces) utilisé comme monture en Suède jusqu’au xviie siècle ou celui de l’éléphant d’Afrique (Loxodonta africana) au Congo belge au début du xxe siècle et rapidement abandonné au profit de la traction automobile. Les conséquences inattendues de la domestication Le paysage change

Il y a 8 000 à 11 000 ans dans des régions comme le Proche-Orient, le Sahel, la Chine, la Nouvelle-Guinée, l’Amérique centrale et jusque sur la chaîne des Andes, des populations de chasseurs-cueilleurs apprennent à domestiquer des plantes et des animaux sauvages. Cette innovation est un des évènements majeurs de l’histoire de l’humanité. Pour la première fois, l’homme va produire plus qu’il ne peut consommer. Cette «  révolution néolithique  » a entraîné de profonds changements démographiques et socio-économiques. Il en a résulté un bouleversement de la biodiversité, avec des espèces qui ont été éliminées, jugées peu rentables ou peu productives, et d’autres qui ont été créées. Les activités humaines ont peu à peu fragmenté les habitats naturels (déforestation, assèchement de zones marécageuses…). Toutes les espèces animales sauvages se sont trouvées impactées par l’essor de l’agriculture et du pastoralisme. Outre la destruction des forêts, la progression de l’élevage a provoqué une fragmentation des paysages, doublée d’une érosion des sols et d’une disparition d’espèces végétales et animales. En contrepartie, le pâturage extensif traditionnel, tel qu’il a été pratiqué depuis l’Antiquité, a permis de conserver des espaces hétérogènes et ouverts. Dans les zones arides, semi-arides, méditerranéennes, où la biomasse végétale se renouvelle difficilement, le pâturage intensif et le piétinement ont conduit à une fragmentation du couvert herbacé et une augmentation de la surface de sol nu. Au ive siècle av. J.-C., Platon déplorait déjà la destruction des forêts en Grèce : Notre terre est demeurée, par rapport à celle d’alors, comme le squelette d’un corps décharné par la maladie. Les parties molles et grasses de la terre ont coulé tout autour, et il ne reste plus que la carcasse nue de la région. La forêt méditerranéenne qui couvrait encore la Grèce d’Homère et des bergers d’Arcadie, il y à trois millénaires, avait disparu sous la dent des chèvres et des moutons, 209

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comme le souligne Jean-Marie Pelt (1933-2015) dans le Tour du monde d’un écologiste. De nouvelles maladies apparaissent

Les rapports entre l’homme et le monde animal seront profondément modifiés par la domestication. Comme le fait remarquer le médecin anthropologue René Zammit, le chasseur-cueilleur du Paléolithique n’avait avec les bêtes qu’un rapport conflictuel court et étroit : animal repéré, traqué, abattu, dépecé, consommé. C’est ce que fait un tigre dans son habitat naturel. La pratique du champ cultivé a nécessité que les hommes se rassemblent en villages de plus en plus grands au gré de l’augmentation de la démographie. Le début de la domestication a nécessité de garder captifs les animaux dans un espace restreint, le plus proche possible de celui de l’homme. Cela s’est traduit par une proximité toujours plus intime avec l’animal, en passant de l’enclos à l’étable. En confinant le bétail, on confine également les excréments qui polluent les lieux. L’augmentation de la taille des populations et des villages n’a fait qu’amplifier ce phénomène. L’homme va continuer à «  entasser  » près de lui des animaux en captivité et les réserves de grains. Il va en résulter ce que les anthropologues appellent la « catastrophe écologique du néolithique ». Les germes qui affectaient à l’origine les animaux seront la cause de maladies contagieuses et d’épidémies car ils vont franchir la barrière du réservoir animal, pour infecter l’homme. Les souches des maladies épidémiques actuelles (virus, bactéries, parasites, prions pathogènes) proviennent de la mutation de souches animales, qui affectaient les premiers animaux domestiqués. Ces germes pathogènes sont à l’origine de zoonoses*. Les cinq principales espèces d’animaux domestiquées sont à l’origine de ce que les scientifiques nomment la « Pentade de Pandore » : – le bœuf est à l’origine d’épidémies comme la variole, la lèpre, la tuberculose, les salmonelloses, la fièvre typhoïde ou le ténia (ver plat) ; – le chien est le vecteur de la rage, mais il peut aussi transmettre la leptospirose, la teigne, la leishmaniose, l’ascaris (ver rond) ou le ténia (ver plat) ; – le mouton ou la chèvre sont les vecteurs de la fièvre charbonneuse appelée autrefois charbon ; DÉFINITION Zoonose Du grec zôon, «  animal  » et nosos, «  maladie  ». Il s’agit d’une maladie infectieuse dont les agents se transmettent naturellement des animaux vertébrés à l’homme et réciproquement. De nos jours, 75 % des maladies humaines émergentes sont zoonotiques comme le virus Ébola transmis par les chauvessouris. Les zoonoses émergentes pourraient résulter des modifications profondes que l’homme apporte à son environnement : barrages, déforestation, élevage intensif, monoculture, etc.

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– le cochon comme le poulet sont les réservoirs du virus de la grippe. Ces virus ont la capacité de se recombiner et de circuler rapidement entre les hommes, les porcs et les oiseaux migrateurs. On estime que plusieurs pandémies de grippe aviaire mutée ont touché les hommes du Néolithique ; – le cheval pour le tétanos. Ces dernières années ont vu se développer une nouvelle science, la paléopathologie humaine ou l’étude des maladies anciennes. Chargée d’étudier les maladies et les traumatismes de nos ancêtres, elle fait appel à plusieurs disciplines comme l’anthropologie, la biologie, la chimie, la biologie ou la génétique. Les chercheurs mènent leurs enquêtes sur le terrain, avec la rigueur et les méthodes de la police scientifique. La microscopie, la radiographie, l’endoscopie, la densitométrie osseuse et les tests ADN sont couramment utilisés. Les zoonoses ont eu un impact majeur sur l’histoire de l’humanité qui pourrait s’écrire en termes d’épidémies. Comme on pourra le constater, les maladies dues aux agents infectieux que nous avons « empruntés » aux animaux sont toujours d’actualité, car la plupart des nouvelles maladies infectieuses émergentes* sont liées à des réservoirs animaux. La rapidité des échanges de marchandises sur de longues distances (plantes ou animaux), l’augmentation des flux humains (émigrations), ou le réchauffement climatique sont autant de facteurs de mondialisation des maladies émergeantes dont le nombre a été multiplié par quatre en 50 ans. Le Chikungunya, la maladie de Lyme ou le virus Zika en sont les exemples concrets. Entre 1940 et 2005, 335 nouvelles zoonoses sont apparues. Ces thèmes seront développés dans le chapitre VI.

L’ANIMAL SOURCE DE MÉDICAMENTS « Partout la nature nous comble de ses bienfaits. » Pline l’Ancien, (23-79) naturaliste

L’opothérapie ou l’animal thérapeute Quand on pense à un médicament, la première chose qui nous vient à l’esprit est le plus souvent le traditionnel comprimé d’aspirine, un médicament de synthèse, fabriqué à grande échelle par l’industrie pharmaceutique. On en DÉFINITION Maladie émergente Elle se définit comme une infection nouvelle ou une maladie non encore signalée. Elle peut également être causée par l’évolution ou la modification d’un agent pathogène ou d’un parasite existant. La plupart des maladies émergentes apparues récemment sont d’origine animale

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oublierait quasiment que ce produit est inspiré de l’acide salicylique, lui même extrait de plantes médicinales, comme le saule ou la reine des prés, qui permettaient déjà à nos ancêtres de traiter les douleurs ou les fièvres. En revanche, ce que l’on sait moins, c’est que bon nombre de nos médicaments sont extraits d’animaux et que ces derniers occupent une place importante dans notre arsenal thérapeutique. Dès la préhistoire, l’animal est devenu une source de nourriture et la consommation de viande sera à l’origine de «  l’animal médicament  ». En mangeant certains animaux, on assimilait leur force. L’utilisation thérapeutique d’organes ou d’extraits d’organes d’animaux porte le nom d’opothérapie. Le mot nous vient du grec opos, suc, et therapia, traitement. L’idée était que les viscères séparés du corps conservent leurs propriétés. Ceci a conduit à utiliser la bile, le foie, ou les testicules pour soigner diverses affections. Dans l’Antiquité, la chair de vipère était réputée pour guérir la lèpre, tandis que les testicules d’ours ou de cheval traitaient l’impuissance. Au Moyen Âge, on n’hésitait pas à utiliser les excréments de chiens ou de chauve-souris. Le sang ou la graisse des suppliciés étaient considérés comme des remèdes souverains. Plus tard, Madame de Montespan (1640-1707) fera une cure de poudre de taupe et de sang de chauve-souris pour conserver les faveurs du Roi. On abusait aussi de la poudre de cantharide (un coléoptère) réputée pour ses propriétés aphrodisiaques. Peu à peu, la médecine s’est élevée contre cette forme d’empirisme médical et au xixe siècle, l’opothérapie va retrouver ses lettres de noblesse avec la médecine expérimentale de Claude Bernard (1813-1878) et surtout la découverte de l’endocrinologie. On prépare des extraits de thyroïde ou de pancréas pour pallier aux déficiences métaboliques. Au xxe siècle, on commence à isoler des hormones comme l’insuline ou la cortisone à partir d’organes d’animaux, mais la production est longue et coûteuse. Dans les années 1990, l’essor des biotechnologies va permettre de produire différentes hormones et facteurs de croissances à partir de cultures cellulaires. Puis ce sera l’utilisation d’organismes génétiquement recombinés pour produire ces mêmes protéines qui prendra le relais. Si on utilise encore de nos jours des animaux entiers comme médicaments, les progrès en matière de chimie extractive permettent d’aller chercher les médicaments du futur dans le venin des serpents ou chez des invertébrés marins. Le retour en grâce des asticots Connaissez-vous l’asticothérapie encore appelée larvothérapie  ? Il s’agit d’une méthode originale de désinfection des plaies qui utilise des larves de mouche verte (lucilia sericata) qui se nourrissent exclusivement des tissus nécrosés. Ne faites pas la grimace, la technique est connue depuis l’Antiquité. De grands noms de la chirurgie comme Ambroise Paré (1510-1590) ou Dominique Larrey (1766-1842) l’ont pratiquée avec succès sur les champs de bataille. Ils avaient constaté que les plaies des soldats non traitées grouillaient 212

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d’asticots. Le plus surprenant c’est que, quelques fois, ces blessés échappaient à la gangrène, tandis que leurs plaies cicatrisaient. Les mêmes observations seront renouvelées sur les champs de bataille de la Grande Guerre. L’utilisation rationnelle des larves de mouche se développe ensuite aux États-Unis avec la vente de « larves chirurgicales » par des laboratoires. Les asticots viendront en aide aux soldats français blessés, coincés dans la cuvette de Diên Biên Phu en Indochine, en 1954. Les antibiotiques vont éclipser un temps l’asticothérapie. Ce sont ces mêmes antibiotiques utilisés en masse, et à l’origine de maladies nosocomiales, qui vont faire revenir les asticots sur le devant de la scène hospitalière. Les asticots œuvrent comme des équipes de microchirurgiens, en dévorant les tissus en décomposition au micromètre près. Ces larves travaillent pendant plusieurs jours, là où le chirurgien est limité par l’effet de l’anesthésie. La cicatrisation est accélérée et la douleur atténuée. En plus des enzymes secrétés (carboxypeptidases, collagénases, protéases), les asticots semblent produire des facteurs de croissance qui stimulent le développement des cellules cicatricielles. Le mode d’action détersif des larves reste encore imparfaitement connu. On a

Figure 5-20 : La mouche verte lucilia sericata, et ses larves sur une plaie. 213

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mis en évidence que les larves produisent de l’allantoïne qui a un effet calmant sur la peau (c’est ce que l’on ajoute dans les crèmes de rasage). La larvothérapie a pu éviter de nombreux cas de septicémie, voire d’amputations. Cette thérapie est autorisée en France depuis 2006. Elle ne dispose pas encore d’une AMM (autorisation de mise sur le marché) mais seulement d’une ATU (autorisation temporaire d’utilisation). Si l’élevage de la mouche verte et la production de larves restent relativement simples, une production à usage thérapeutique impose des normes d’hygiène et de sécurité bactériologique. Les œufs stérilisés sont élevés dans des couveuses certifiées et stériles. Les larves sont placées en sachets de gaze stérile très fine, qui seront posés directement sur les plaies. Le sachet est laissé cinq jours au maximum (Figure 5-20). La sangsue en chirurgie Les sangsues sont des vers annélides hermaphrodites qui vivent dans les lieux humides ou aquatiques (rivières, lacs, marécages). Seulement quelques espèces se nourrissent de sang. Leur corps mou, doté d’une élasticité exceptionnelle permet de les étirer de façon démesurée. Les seuls organes visibles de l’extérieur sont une ventouse antérieure, contenant l’ouverture de la bouche, et une ventouse postérieure, servant à la fixation. La sangsue connaîtra ses heures de gloire dans l’Antiquité avec Pline l’Ancien (23-79) qui préconise son emploi dans le traitement des phlébites et des hémorroïdes. Au Moyen Âge, des médecins comme Avicenne (980-1037), les jugent plus efficaces que les ventouses (Figure 5-21). Hirudo medicinalis, la sangsue médicinale, est la seule espèce utilisée en santé humaine. Elle absorbe le sang après avoir pratiqué une incision de la peau, grâce à trois mâchoires entourant sa bouche. La morsure de la sangsue est quasiment indolore. Les propriétés anticoagulantes, anti-inflammatoires, vasodilatatrices et anesthésiques de sa salive en font un précieux allié en médecine humaine et vétérinaire. Sa salive renferme une protéine, l’hirudine qui a le pouvoir d’empêcher la coagulation en agissant sur la thrombine (la protéase qui provoque la transformation du fibrinogène en fibrine). Dans les services de chirurgie, il n’est plus rare de recourir aux sangsues. L’application des sangsues se fait dans des cas de varices ou de thrombophlébites superficielles. Ces annélides sont également utilisés en cas d’engorgement veineux après des réimplantations d’organes. Ce sont aussi de précieux auxiliaires suite à des accidents traumatiques (doigt, orteil ou oreille amputée) ou lors de la réalisation de lambeaux cutanés. Les sangsues facilitent la reprise de la microcirculation des capillaires et soulagent l’inflammation après une greffe de peau. Comme la larvothérapie, l’hirudothérapie est soumise à une ATU. 214

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Figure 5-21 : La sangsue médicinale, gravure du xviie siècle de Guillaume van den Bossche, représentant une femme en train d’appliquer une sangsue sur une plaie.

Les vertus insoupçonnées de la bave d’escargot Pour tout un chacun, l’escargot de Bourgogne (Helix pomatia) se consomme cuit avec force assaisonnements pour masquer son côté insipide. Quant à ses propriétés thérapeutiques, elles redeviennent en vogue. On ne fait que redécouvrir des vertus empiriques connues depuis l’Antiquité et le Moyen Âge. Révolue l’époque où l’on avalait des limaçons crus pour augmenter le volume de la poitrine des dames, quand on ne les consommait pas sous forme de vin ! L’hélicidine est une mucoglycoprotéine extraite de la bave d’escargot, Helix pomatia, commercialisée dans les toux dites sèches non productives sous forme de sirop (Hélicidine®). La préparation d’extrait de mucus est simple, on fait dégorger les mollusques dans du chlorure de sodium à un pour cent. Le mucus est recueilli, décanté, filtré et concentré à sec. Depuis les années 1990, les secrétions du gastéropode se vendent aussi en crèmes, gels ou sérums. Ce sont des élevages chiliens qui alimentent le marché européen et la précieuse sécrétion se négocie plus de 1 000 euros le kilogramme. Comme toute ses « sœurs cosmétiques », cette crème est vendue comme « un élixir de jouvence » qui gomme les rides, les cicatrices, les vergetures, les brûlures, l’acné et les taches dues au soleil. Des études récentes ont montré que cet extrait nommé Snail Secretion Filtrate (SSF) augmente la production de collagène. Sans aller au Chili, on a montré que la bave de limaces aurait les mêmes propriétés. Les mollusques ont de l’avenir en cosmétique (Figure 5-22). 215

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Figure 5-22 : L’escargot et la limace au secours des rides.

Dans le cochon tout est bon Les héparines sont des molécules d’origine naturelle aux propriétés anticoagulantes utilisées depuis 70 ans en thérapeutique. Il s’agit d’un mélange complexe de polysaccharides que nous ne détaillerons pas ici. On les classe en « Héparines non fractionnées » (HNF) et en « Héparines de bas poids moléculaire » (HBPM) en fonction de leur structure. Ce sont des anticoagulants très efficaces qui empêchent la formation de caillots dans les vaisseaux sanguins. Les héparines sont principalement utilisées pour traiter les thromboses, les phlébites, les complications circulatoires du diabète, le traitement de l’infarctus, ou de façon préventive en chirurgie orthopédique. Chaque année, 500 millions de doses sont injectées dans le monde. La matière première qui permet d’extraire ce médicament est le mucus intestinal de porc. Ce mucus fait parti de ce que l’on nomme le cinquième quartier dans le cochon. Comme tout médicament d’origine animale, sa production doit être strictement contrôlée pour éviter des contaminations par des agents tels que les prions pouvant entraîner des encéphalopathies spongiformes transmissibles (EST). Cette infection avait été à l’origine de la crise sanitaire de la « vache folle » dans les années 1990. C’est la raison pour laquelle les tissus bovins ou ovins sont écartés pour la production. Depuis cette crise, seule l’héparine porcine est autorisée en Europe et aux États-Unis. Les mesures de traçabilité ont été renforcées. La production d’héparine porcine exige de traiter le mucus d’un intestin complet pour fabriquer une seule dose injectable. La production d’un kilogramme et demi d’héparine nécessite le traitement de dix tonnes de mucus. Un demi-milliard de cochons sont nécessaires à la fabrication annuelle d’héparine dans le monde. 216

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Une pharmacie sous la mer Pour les générations d’enfants qui ont été confrontées à l’épreuve d’huile de foie de morue, la mer était le symbole de la grimace de dégoût qu’ils faisaient en avalant l’écœurante préparation destinée à combattre le rachitisme « C’est pour ton bien leur disait-on ! ». Vendue aujourd’hui sous la forme de capsules molles « l’huile maudite » s’est refait une santé auprès du public. Riche en vitamine A, en vitamine D et en Oméga-3, son efficacité dans la prévention de l’ostéoporose n’est plus à prouver. Nous allons voir que les océans sont en passe de devenir la pharmacie du futur. Un océan de molécules La vie est apparue dans les océans il y a 3,8 milliards d’années, et depuis plus de 700 millions d’années, le milieu marin est le théâtre d’une course aux armes chimiques, et de luttes incessantes entre proies et prédateurs, ou entre colonisateurs et colonisés. Animaux, végétaux, champignons et bactéries produisent des molécules naturelles appelées métabolites secondaires qui ont un rôle dans les mécanismes de colonisation, compétition, communication, défense ou de reproduction. L’eau de mer permet à ces molécules de diffuser rapidement dans l’environnement. Des invertébrés fixés à leur support peuvent envoyer et recevoir des signaux chimiques sur de très longues distances. On peut parler d’un véritable «  web chimique  » qui connecte toutes les espèces du milieu marin. Après des centaines de millions d’années de coévolution, les organismes marins ont constitué un arsenal chimique d’une grande richesse. L’étude de ces interactions porte de nom d’écologie chimique (cf. «  Biodiversité et évolution du monde végétal  », chez le même éditeur). Parmi toutes ces molécules produites, certaines présentent des propriétés pharmacologiques intéressantes. C’est dans cet océan de molécules que depuis les années 1950, un nombre croissant d’équipes de scientifiques, tout comme des grands groupes pharmaceutiques, recherchent les médicaments du futur. À ce jour, 500 000 espèces marines ont été identifiées, mais seulement 1 % ont été soumises à des tests pour étudier leurs propriétés thérapeutiques. Les invertébrés (éponges, bryozoaires, tuniciers, ascidies, gorgones, mollusques…) intéressent tout particulièrement les biologistes. Comme ces organismes mous n’ont pas de moyens de défense physique pour se protéger des agressions, ils secrètent des molécules biologiquement actives qu’ils utilisent pour attaquer des proies ou repousser les prédateurs. La diversité chimique des molécules produites est représentative de la biodiversité du monde marin. Aujourd’hui, plus de 20 000 molécules ont été isolées, pour seulement une dizaine commercialisées. Gardons en mémoire qu’il faut compter en moyenne quinze ans entre l’identification d’un produit actif et sa commercialisation comme médicament. La recherche de produits marins n’en est qu’à ses débuts. 217

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La principale difficulté réside dans l’approvisionnement, des prélèvements importants pourraient mettre en danger d’extinction une espèce, dans le cas d’un éventuel développement industriel. Les chercheurs se tournent alors vers la synthèse qui s’avère souvent difficile au regard de la complexité de certaines molécules naturelles. L’aquaculture est aussi une alternative pour éviter l’érosion d’une espèce. En France, l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) est très impliqué dans la recherche de produits naturels d’origine marine. Des éponges pour lutter contre les virus et les cancers Les éponges ont été les premiers organismes à fournir des médicaments dans les années 1950. Comme ces animaux sont immobiles, ils secrètent des molécules toxiques pour leur propre défense. Leur étude a permis de découvrir des antiviraux et des antitumoraux. En 1951, le chimiste américain Werner Bergmann isole d’une éponge (Cryptotethya crypta) pêchée sur les côtes de Floride, des nucléosides inhabituels chez qui le traditionnel ribose (un sucre) est remplacé par un arabinose. Deux molécules de synthèse seront ensuite développées en s’inspirant des métabolites extraits des éponges : – l’Ara-A (ou Vidarabine) pour son activité antivirale sur l’herpès et le zona ; – l’Ara-C (ou Cytarabine) pour ses propriétés antitumorales contre certaines formes de leucémies et certains lymphomes. Les deux premiers médicaments d’origine marine venaient de voir le jour, d’autres allaient suivre. Le hareng et le sida Dans cette même famille des nucléosides, nous nous devions de parler de l’Azt (azidothymidine ou Zidovudine), extraite du sperme de hareng (Clupea harengus) en 1964. Désormais obtenu par synthèse, il a été le premier médicament antirétroviral utilisé dans le traitement du sida. Cette molécule est commercialisée depuis 1987 sous le nom de Retrovir® mais aussi, en association avec d’autres antirétroviraux dans les trithérapies. Une ascidie contre le cancer Les ascidies sont des invertébrés filtreurs en forme d’outre, qui vivent fixés sur un support au stade adulte (rochers, algues, cordages, pontons, etc.). Elles peuvent être solitaires ou vivre en colonies. Ces organismes appartiennent au sous-embranchement des tuniciers (Tunicata), appelés ainsi car la paroi de leurs corps sécrète une enveloppe, ou tunique, composée à 60 % de cellulose, ce qui est unique dans le règne animal, puisque la cellulose est un polymère 218

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de glucose propre aux végétaux. Grâce à un siphon inhalant, les tuniciers filtrent l’eau pour en extraire les divers organismes planctoniques dont ils se nourrissent. Une fois filtrée, l’eau est rejetée par un deuxième siphon (appelé siphon exhalant). L’ascidie, Ecteinascidia turbinata, est une espèce coloniale que l’on trouve en abondance dans les mangroves de la mer des caraïbes. Cette espèce présente l’avantage de pouvoir être propagée en aquaculture (Figure 5-23).

Figure 5-23 : Une colonie d’Ecteinascidia turbinata.

Ecteinascidia turbinata produit une famille de molécules anticancéreuses. C’est dans les années 1960 que son activité in vivo exceptionnelle a été mise en évidence sur des souris atteintes de cancers ovariens. Deux décennies ont été nécessaires pour faire la structure de cette molécule très complexe. L’ectéinascidine ou ET743 a été isolé dans les années 1980 par les chercheurs de la société espagnole PharmaMar. La molécule a reçu l’autorisation de mise sur le marché (AMM) en 2007. Elle est commercialisée sous le nom de Yondelis®, et réservée dans le traitement des patients atteints d’un sarcome des tissus mous évolué. C’est le premier médicament d’origine marine de cette classe thérapeutique à être commercialisé. C’est l’aquaculture qui a permis de produire les premiers lots nécessaires aux essais cliniques. On obtient après extraction, puis purification, un gramme de médicament pour une tonne de tunicier. Il a donc fallu faire appel à la chimie pour l’approvisionnement commercial. 219

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La limule : le sang bleu qui sauve l’humanité « Les limules sont des êtres uniques, venus de la préhistoire pour nous délivrer un simple message : la mer est votre plus grande richesse, vous le savez et pourtant vous êtes en train de la détruire. » Hugo Verlomme, journaliste et écrivain

Dans le film Alien le huitième passager, réalisé par Ridley Scott en 1979, on peut voir une créature aux pattes multiples qui s’accroche au visage de ses victimes. L’artiste suisse Hans Rudi Giger (1940-2014) s’est librement inspiré de l’aspect d’un l’arthropode marin, la limule (Limulus polyphemus), pour façonner la créature extraterrestre. Pour ceux qui n’ont jamais entendu parler de la limule, ils vont y voir un petit monstre se déplaçant sur des pattes articulées, disposées en dessous d’une carapace en forme de casque ou de sabot de cheval. Ce curieux invertébré qui ressemble à un crabe n’est pourtant pas un crustacé, il est apparenté aux araignées et aux scorpions. Voici un petit « bijou de l’évolution » qui a résisté aux grandes extinctions de ces dernières 500 millions d’années. L’espèce qui se nourrit d’invertébrés marins et de petits poissons vient pondre ses œufs dans le sable des côtes de l’Amérique du Nord (du Canada au golfe du Mexique). C’est à ce moment qu’elle est vulnérable. Elle a même failli disparaître, car pendant des décennies elle a servi d’appâts pour la pêche. On les ramassait également sur les plages, à l’aide de pelles et de bennes, pour les broyer et en faire de l’engrais  ! L’espèce était au bord de l’extinction quand dans les années 1960, on a découvert que le sang de ce rescapé de la préhistoire valait de l’or (Figure 5-24). Le sang bleu de cet invertébré (bleu à cause de son pigment, l’hémocyanine, riche en cuivre) a des propriétés incroyables  : la limule ne possédant pas de

Figure 5-24 : Une limule. 220

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système immunitaire, son hémolymphe contient des éléments réactifs qui vont immédiatement coaguler au contact d’un agent pathogène pour le neutraliser. Ce phénomène fut découvert aux États-Unis par deux biologistes américains, Frederik Bang et Jack Levin qui observèrent que des bactéries injectées dans le système sanguin de la limule provoquaient une coagulation massive. Son hémolymphe renferme des cellules mobiles (amoebocytes) qui se précipitent sur l’agent pathogène et le coagulent sous la forme d’un gel. On dispose ainsi d’un formidable outil pour détecter d’infimes contaminations bactériennes, dans des médicaments injectables comme les vaccins, mais aussi le matériel chirurgical, les pacemakers, ou le matériel de dialyse. Cet outil de diagnostic porte le nom de test LAL (pour lysat d’amébocytes de limules). Le test est effectué en 45 minutes, là où il faudrait deux jours chez les mammifères. Toutes les préparations injectables commercialisées par les laboratoires pharmaceutiques de la planète sont testées sur le sang de limule. 500 000 spécimens sont pêchés chaque année pour préparer le réactif, et les limules sont remises à l’eau après le prélèvement de 30  % de leur hémolymphe. Il faut compter 11  000 euros pour un litre du précieux sang bleu. Un venin d’un escargot stupéfiant La prévention et l’amélioration de la prise en charge de la douleur reste une priorité et un enjeu de santé public. Si la lutte contre la douleur est inscrite dans la loi de santé publique de 2004, à ce jour, aucun examen, aucune prise de sang, aucun scanner, ne permettent d’objectiver la douleur, et toute nouvelle piste thérapeutique est une avancée dans ce domaine. Des mollusques marins, proches de leurs cousins escargots terrestres, attirent toutes les convoitises de l’industrie pharmaceutique. Il s’agit de coquillages appelés cônes (Conus geographus ou Conus magus), des gastéropodes à la coquille décorée de motifs géométriques. Ces invertébrés sont bien connus des collectionneurs de coquillages et des plongeurs, car ils secrètent un venin capable de tuer un homme (Figure 5-25). Ces mollusques prédateurs sont équipés d’une fine trompe charnue, rétractile, le proboscis. Ce sont de redoutables chasseurs piscivores, qui à la manière d’un archer, projettent sur leurs proies un harpon barbelé, chargé de substances neurotoxiques. Les cônes chassent la nuit sur le sable à la recherche de proies. Leurs toxines agissent sur les récepteurs du système neuromusculaire, avec un effet foudroyant et bloquent l’activité motrice. La proie est neutralisée en quelques secondes, un poison idéal pour un animal extrêmement lent ! Son venin est un des plus redoutables du monde marin, le plongeur touché décède en moins de deux heures, sans que l’on dispose d’antidote. Il n’en fallait pas moins pour exciter la curiosité des biologistes, car ce venin présente un éventail de propriétés exploitables à des fins thérapeutiques. 221

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Ils ont ainsi isolé une famille originale de peptides, les conotoxines. Elles constituent une famille de plusieurs centaines de molécules bioactives parmi lesquelles il a fallu faire un tri. L’une des plus connues est le ziconotide, synthétisé à partir de l’ω-conotoxine, un peptide de 25 acides aminés isolé du venin du cône Conus magus. Le ziconotide agit à la jonction entre le nerf et le muscle en se liant spécifiquement aux canaux calciques qui sont abondants dans les neurones sensoriels nociceptifs de la corne dorsale de la moelle épinière. Le ziconotide a une meilleure affinité que la morphine, et un effet antalgique 1  000  fois supérieur, sans toutefois présenter les effets secondaires de cette dernière. Il est commercialisé sous le nom de Prialt® par la firme pharmaceutique Elan Pharmaceuticals pour le traitement des douleurs chroniques. Cette nouvelle classe thérapeutique de médicaments permet de soulager les formes les plus sévères de douleurs chroniques actuellement très difficiles à traiter (diabète, sclérose en plaques, sida, cancer). Cette découverte laisse présager une extraordinaire exploitation des toxines des mollusques marins à de nouvelles fins thérapeutiques dans le futur. D’autres conotoxines sont à l’étude, pour le traitement de l’épilepsie et de la schizophrénie.

Figure 5-25 : Le cône géographique et son dard.

Le requin au secours de l’homme Qui aurait pu imaginer que le requin, ce prédateur aussi mal aimé que mal connu, pouvait être une source d’espoirs en thérapeutique. C’est pourtant à partir du foie d’un petit requin appelé aiguillat commun ou chien de mer 222

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(Squalus acanthias) qu’un médecin américain, le professeur Michael Zasloff (université de Georgetown), a extrait dans les années 1990 la squalamine. Cette molécule naturelle, intervient dans le système immunitaire du requin qui ne développe que très rarement des tumeurs et semble à l’abri des infections (Figure 5-26).

Figure 5-26 : Le chien de mer.

La squalamine s’est révélée être un composé à large spectre antimicrobien en présentant une puissante activité in vitro et in vivo contre les bactéries Gram négatives et Gram positives, mais également les champignons, les protozoaires et de nombreux virus. La squalamine présente également une activité anti-­angiogénique en bloquant la prolifération rapide systémique des vaisseaux sanguins qui alimentent une tumeur cancéreuse. L’angiogénèse est un processus qui aboutit à la formation de néo-vaisseaux, en favorisant la croissance des cellules tumorales, leur prolifération et les métastases. La squalamine est en cours d’évaluation dans plusieurs essais cliniques humains contre le cancer, également de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), la rétinopathie diabétique et la mucoviscidose. Des essais complémentaires laissent espérer que cette substance pourrait avoir des applications chez l’homme pour combattre différents types de virus comme la dengue, la fièvre jaune ou les hépatites B et D. La molécule a été synthétisée avec succès en laboratoire, ce qui évite de prélever des requins dans leur milieu naturel. Comme le cite le professeur Jean-Michel Kornprobst, nous n’avons rien inventé car les Vikings considéraient déjà « l’huile de foie de requin » comme le « remède qui guérit tout »  ! Le sang de l’arénicole Le sang a toujours été une denrée aussi rare que précieuse en milieu hospitalier. C’est ce qui motive de nombreuses équipes de chercheurs de part le monde, à rechercher des substituts capables de remplacer le sang humain. C’est dans cet esprit que travaille, depuis 2007, la société de biotechnologies Hemarina (Morlaix, Finistère), fondée par le biologiste Franck Zal. En 2002, alors qu’il essaie de comprendre comment un ver marin annélide, l’arénicole 223

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marine ou arénicole des pêcheurs* survit enfouie dans le sable entre deux marées, il découvre que cet invertébré possède une hémoglobine extracellulaire capable d’acheminer 50 fois plus d’oxygène que l’hémoglobine humaine. Plus intéressant encore, l’hémoglobine de cet annélide est extracellulaire, alors que chez l’homme elle est enfermée dans les globules rouges. Tout ceci en fait un bon candidat comme substitut au sang humain car il n’y a pas de risques liés aux incompatibilités des groupes sanguins (Figure 5-27).

Figure 5-27 : L’arénicole des pêcheurs. DÉFINITION L’arénicole des pêcheurs Arenicola marina est un ver annélide marin, mesurant entre 10 et 15 centimètres, dont on connaît surtout les petits tortillons visibles sur les plages du littoral atlantique. De couleur rouge-orangé, il est très prisé des pêcheurs, car il constitue un appât de choix. Ce ver s’enfonce entre 10 et 20  cm de profondeur dans le sable. Il aménage un système en forme de U dans lequel il fait circuler l’eau, ce qui lui permet de respirer l’oxygène par ses branchies externes. Quand la marée est basse, il est capable de respirer l’oxygène de l’air. Cette animal participe par fouissage au remaniement des sédiments et peut constituer 30 % de la biomasse d’une plage.

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Avec ce transporteur d’oxygène universel, Hemarina développe des produits destinés à la préservation et à la conservation d’organes affectés aux greffes. Son utilisation devrait permettre à l’avenir de conserver les greffons dans de meilleures conditions, et ainsi de doubler la durée de vie d’un cœur, d’un foie ou d’un rein. Le transporteur d’oxygène HEMO2life® a fait l’objet d’un essai clinique fin 2015, sur plusieurs centres hospitaliers. Cette hémoglobine donne aussi de bons espoirs pour le traitement des ulcères dus au diabète ainsi que des escarres. L’approvisionnement est réalisé par aquaculture dans l’île de Noirmoutier en Vendée. Un beau projet quand on sait qu’il manque 100 millions de litres de sang par an pour satisfaire les besoins de la population mondiale !

L’ANIMAL PARFUMEUR Entre attraction et répulsion Si de nos jours la récolte des glandes d’alligator, de crocodile, de rat musqué ou de mouffette est tombée en désuétude, certaines matières premières animales restent incontournables en parfumerie. C’est le cas de l’ambre gris, de l’hyrax, de la cire d’abeille et des sécrétions de castor, de civette ou de cerf porte-musc. Les changements de mode, les difficultés d’approvisionnements, les coûts, mais surtout la protection d’espèces menacées sont autant de raisons pour expliquer la diminution des matières premières animales dans la palette du parfumeur. Pourquoi ces notes animales aux relents fétides d’animalerie ou de transpiration sont-elles teintées d’érotisme ? Chez les animaux qui les produisent, elles sont impliquées dans la reproduction et servent de marquage de territoire. Ces odeurs sexuelles réveilleraient-elles «  la bête  » qui sommeille en chacun de nous ? Les nez, les biologistes et les chimistes ne savent que penser de ces fragrances animales. Aussi fortes que tenaces, et utilisées en très faibles quantités, elles soulignent et renforcent d’autres notes présentes dans les compositions parfumées. Ce sont des notes de fond aux tonalités à la fois chaudes et sensuelles qui donnent un certain caractère au parfum  et participent à son sillage. Elles sont devenues au fil du temps indispensables à la parfumerie où elles sont utilisées comme fixateur (cf. «  L’odyssée des parfums, de la thérapeutique à l’esthétique », 2006, du même auteur). Comme on pourra le constater, l’élevage de certaines espèces menacées d’extinction a été le moyen de les préserver. La chimie qui permet de reconstituer des notes complexes en laboratoire est aussi une excellente façon de préserver des espèces en danger. N’oublions pas que des plantes comme le ciste, la vanille, le jasmin, le narcisse ou le genêt sont également d’excellents fixateurs en parfumerie. 225

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Nous avons choisi de décrire quelques matières premières animales encore utilisées en parfumerie. L’ambre gris « du vomi de cachalot » « Qui pourrait penser que des femmes et des hommes si raffinés puissent s’enthousiasmer pour une essence que l’on trouve dans les entrailles d’une baleine malade  ! Pourtant, c’est le cas. » Herman Melville (1819-1891), écrivain, Moby Dick

Pour un parfumeur, l’ambre gris est la matière mythique par excellence, quand on sait que son prix peut dépasser les 150 000 euros pour un seul kilogramme. Sa présence dans le système digestif du cachalot (Physeter macrocephalus) sous la forme d’une concrétion intestinale fait l’objet de nombreuses spéculations. Cette substance pourrait avoir une origine pathologique et permettre au cétacé de cicatriser les plaies occasionnées par les becs des calamars qui constituent sa principale nourriture. Noirâtre, molle et nauséabonde quand elle est fraîchement expulsée, le flottage dans l’eau de mer l’affine, elle prend alors une teinte gris argent, tandis que l’odeur devient plus suave, presque agréable. C’est sous cette forme que l’on récolte l’ambre gris, échoué sur les plages. Après une étape de broyage, on prépare des teintures dans l’alcool, qu’il faut laisser bonifier au moins trois ans. La maison Guerlain l’utilise dans de nombreuses compositions aux notes orientales restées célèbres comme « Shalimar », « Samsara », ou « Habit rouge ». Le cachalot produit également le spermaceti, ou « blanc de baleine », une substance huileuse blanche que l’on trouve dans sa cavité crânienne. On peut en extraire jusqu’à une tonne par spécimen. Cette substance a été longtemps utilisée en cosmétique, dans la confection de bougies ou comme excipient en pharmacie. Cette matière première a malheureusement largement contribué à la raréfaction des cachalots dont la chasse est interdite depuis 1982 (Figure 5-28). Quand le castor devient parfumeur Le castoréum est la sécrétion d’un rongeur amphibie, le castor. Il existe deux espèces du genre Castor : Castor fiber en Eurasie et Castor canadensis en Amérique du Nord. Le castoréum se présente sous l’aspect d’une substance cireuse-huileuse, sécrétée par deux glandes abdominales (poches piriformes). Cette sécrétion lui sert à graisser et lustrer son poil afin de le rendre imperméable. Elle a également un rôle de phéromone, pour marquer son territoire. Le castoréum a été utilisé en médecine depuis l’Antiquité jusqu’au xviiie siècle, notamment pour lutter contre les maux de tête, la fièvre et les douleurs. On sait aujourd’hui qu’il renferme de l’acide salicylique (un précurseur de l’aspirine). La présence de notes similaires à la vanille, le fait rentrer parfois dans la composition des arômes artificiels de vanille (Figure 5-28). 226

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Figure 5-28 : Le cachalot, le castor, la civette et le chevrotain porte-musc.

C’est essentiellement la parfumerie qui utilise cette substance en teinture, où l’on décèle l’odeur du cuir souple et chaud, du goudron de bois, de la fourrure, de la fumée, voire même une pointe d’huile d’olive « fruitée noir ». On retrouve le castoréum en note de fond dans la composition de « Magie Noire » de Lancôme, aux notes orientales. Il apporte des notes de fumée et de cuir au parfum « Opium » d’Yves Saint Laurent. Il entre aussi dans des créations masculines, comme « Antaeus » de Chanel, ou « Bel ami » d’Hermès, où la virilité s’immerge dans des notes cuir et animal, de quoi faire succomber les dames ! La récolte des glandes nécessite malheureusement le sacrifice de l’animal dont l’espèce ne semble pas menacée. Les Canadiens sont obligés de prélever chaque année un quota de castors pour éviter la surpopulation dans certaines régions. La chimie est venue heureusement au secours de ce sympathique animal, et des produits de synthèse tendent heureusement à remplacer les extraits des poches de castor. Le castoréum, comparativement au musc, à l’ambre et à la civette, est peu coûteux (environ 500 à 700 euros le kilogramme contre plusieurs milliers d’euros pour les autres). 227

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Le chevrotain porte-musc, une espèce qui a failli disparaître Le musc est produit par des petits ruminants de la famille des Moschidés, comme le cerf porte-musc ou chevrotain porte-musc (Moschus moschiferus). On rencontre ces animaux en zone montagneuse, en Birmanie, au Cachemire, au Népal, au Tibet et jusqu’en Sibérie. Si ces animaux sont dépourvus de bois, ils exhibent des canines supérieures allongées et les mâles possèdent une glande en forme de poche interne située entre la verge et l’ombilic. Cette poche pèse 20 à 30 grammes et contient 10 à 20 grammes de musc. Les secrétions jouent un rôle d’attractants sexuels au moment du rut. Cette matière première odoriférante attire les convoitises des braconniers depuis des siècles, et l’espèce, chassée pour son musc, a même failli disparaître. Le musc a connu ses heures de gloire à la Renaissance, sa puissante odeur permettait de masquer les odeurs corporelles dues au manque d’hygiène (Figure 5-28). La matière première qui résulte du curetage de la glande évite le sacrifice de l’animal. Elle se négocie autour de 150 000 euros le kilogramme, ce qui explique que la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction ou Convention de Washington) limite sa chasse. La Chine a lancé des programmes d’élevage pour préserver le chevrotain et les quotas d’importation sont réglementés. On prépare des teintures alcooliques qui bonifient après plusieurs années de stockage. Le musc présente une senteur animale et boisée qui capture l’âme d’un parfum et prolonge sa vie sur la peau. Il rentre en note de fond comme fixateur dans de nombreuses compositions comme «  L’Air du temps  » de Nina Ricci ou « Trésor » de Lancôme. La civette « un chat musqué » Les civettes sont des petits mammifères solitaires appartenant à la famille de Viverridés. On les rencontre au Sahara, en Afrique, Éthiopie, Asie, Indochine, Inde et en Malaisie. La civette africaine (Civettictis civetta) ou civette d’Abyssinie est la plus connue avec ses rayures noires et blanches. Il s’agit de la principale espèce fournissant la matière première utilisée en parfumerie (Figure 5-28). La matière première produite par les mâles et les femelles, et secrétée au niveau de glandes péri-anales, est appelée « civette ». Utilisée comme fixateur en parfumerie, elle exhale une odeur lourde, fécale, assez repoussante. La civette entrait déjà, il y a 2  000 ans, dans la composition du parfum de la reine Cléopâtre. Chez des animaux d’élevage, on récupère par curetage hebdomadaire des poches, une substance blanchâtre dégageant une puissante odeur fécale. Cette technique évite le sacrifice de l’animal. Après une étape d’extraction par des solvants volatils, on obtient un extrait de couleur rouge. L’analyse chimique a mis en évidence une lactone macrocyclique, la civettone. Le caractère agressif de l’odeur disparaît après dilution et apporte une chaleur animale et sensuelle aux compositions orientales, comme « Jicky » ou « Shalimar » de Guerlain. 228

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On utilise aussi ce petit mammifère pour préparer le «  Kopi Luwak  », le café le plus cher au monde que l’on récolte dans les excréments de la civette asiatique après que ces animaux aient mangé la chair des cerises de café et rejeté les graines indigestes. Ce café peut se vendre plus de 1 000 euros pour un kilogramme. La cire d’abeille La cire d’abeille est récoltée directement dans les ruches. Elle est ensuite extraite avec des solvants volatils pour produire une concrète qui, lavée à l’alcool, donne l’absolue de cire d’abeille, ou absolue de brèche d’abeille. Cette préparation est souvent employée pour agrémenter des extraits floraux en parfumerie. On récupère parfois la cire de vieilles ruches pour obtenir une odeur plus puissante. Elle apporte une note miellée avec une odeur douce, suave, cireuse, moelleuse, voire gourmande où le tabac se mêle au foin. Elle peut être combinée aux notes florales (rose, jasmin, tubéreuse) pour leur donner un accent plus animal. Elle apporte une touche chaude, sucrée et animale aux accords orientaux ou chyprés, comme « Gentleman » de Givenchy, « Poison » de Dior ou encore « L’Eau d’Issey » d’Issey Miyake. On la retrouve aussi en parfum dans les savons. La cire d’abeille a été un produit très recherché depuis l’Antiquité, car elle servait et sert toujours, à confectionner des bougies pour l’éclairage. L’hyraceum « la pierre noire d’Afrique » Cette matière première est produite par le daman du Cap ou daman des rochers (Procavia capensis), un petit mammifère social à l’allure massive d’une marmotte et faisant penser à un lapin qui aurait perdu sa queue. L’hyraceum est le résultat de la transformation des urines cristallisées. L’urine du daman a l’aspect d’une gelée, le peu d’eau qu’elle contient s’évapore, et une cristallisation intervient. Comme ces animaux ont inventé les latrines communes, l’hyraceum s’amasse au cours des décennies et des siècles, devenant toujours plus dur pour donner «  la pierre noire d’Afrique  ». Les strates ainsi accumulées sur des centaines d’années peuvent atteindre un mètre d’épaisseur. Très réputée en médecine locale pour son action sur l’épilepsie, la parfumerie l’utilisait sous la forme d’une teinture alcoolique. Cette composition est aujourd’hui tombée en désuétude.

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ÉLÉMENTS DE BIBLIOGRAPHIE Bobs Laurence, 1991. Les neuf vies du chat. Paris, Gallimard découvertes. Carbone Geneviève, 1991. La peur du loup. Paris, Gallimard découvertes. Delort Robert, 1984. Les animaux ont une histoire. Paris, Seuil. Dousset Jean-Claude, 1985. Histoire des médicaments. Paris, Payot. Heckman, DS., Geiser, DM., Eidell, BR., Stauffe,r RL., Kardos, NL. 2001. Molecular Evidence for the Early Colonization of Land by Fungi and Plants. Science 293 (5532), 1129-1133. Helmer Daniel, 1992. La domestication des animaux par les hommes préhistoriques. Paris, Masson. Hostettmann Kurt, 2006. Tout savoir sur les poisons naturels. Lausanne, Favre. Laffon Martine et Caroline, 2002. Médecines d’ailleurs. Paris, La Martinière. Pelt Jean-Marie, 1990. Le tour du monde d’un écologiste. Paris, Fayard. Picq Pascal, Digard Jean-Pierre, Cyrulnik Boris, Matignon Karine Lou, (dir.), 2000. La plus belle histoire des animaux. Paris, Seuil. Plotkin Mark, 2000. Les médicaments du futur sont dans la nature. Paris, First Éditions. Potier Pierre, 2001. Le magasin du bon Dieu. Paris, JC. Lattès. Ricard Michel, 2010. Je fais mon miel. Paris, Hachette nature. Thalmann, O., Shapiro, B., Wayne R. K. 2013. Complete Mitochondrial Genomes of Ancient Canids Suggest a European Origin of Domestic Dogs. Science 342 (6160), 871-874. Tétart Gilles, 2004. Le sang des fleurs : Mythologie de l’abeille et du miel. Paris, Odile Jacob. Wailly Philippe de, 2015. Ces animaux qui nous guérissent. Paris, Le courrier du livre.

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Chapitre

«  L’autre jour au fond d’un vallon, un serpent piqua Jean Fréron. Que pensez-vous qu’il arriva ? Ce fut le serpent qui creva. » Voltaire, Satires, 1762

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Quand le danger vient de l’animal . . . . . . . . 232

Les animaux venimeux . . . . . . . . . . . . . . . . . 272

Maladies transmises par les tiques . . . . . . . 243

Éléments de bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . 294

Les invasions biologiques . . . . . . . . . . . . . . . 253

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QUAND LE DANGER VIENT DE L’ANIMAL Le palmarès inattendu des animaux les plus meurtriers Quel est l’animal le plus meurtrier de la planète  ? À cette question, vous entendez souvent revenir le nom du requin, considéré comme un tueur féroce, bien plus dangereux qu’un inoffensif escargot d’eau douce. Les apparences et les idées reçues sont parfois trompeuses. Malgré son aspect terrifiant et sa réputation injustifiée, le requin reste l’un des animaux les moins dangereux pour l’homme. Cet animal n’aime pas la chair humaine, sinon il y a bien longtemps que plus personne ne pourrait se baigner  ! Les résultats du palmarès des animaux tueurs sont le fruit d’une enquête réalisée par la Fondation Bill et Melinda Gates et les chiffres sont éloquents ! Contre toute attente, l’animal le plus meurtrier est le moustique. Ce minuscule insecte qui ne pèse qu’un à deux milligrammes est responsable de 725 000 décès chaque année. La deuxième place du podium est occupée par l’homme, avec 475  000 morts. À la troisième position, on trouve des escargots d’eau douce, qui transmettent la bilharziose, une maladie parasitaire qui fait 100 000 victimes. Loin derrière, mais en bonne place, ce sont les serpents avec 50  000 décès par morsure. Le chien qui fait 25  000 victimes, arrive en cinquième position. Les punaises et la mouche tsé-tsé pointent ensuite à égalité avec 10 000 morts. Le crocodile et l’hippopotame suivent avec respectivement 1 000 et 500 victimes. Quant au lion, on peut lui imputer une centaine de décès à l’année. Tout au bas de ce « palmarès morbide », figurent en bons derniers et ex aequo, le loup et le requin avec « seulement » dix décès recensés (Figure 6-1). Comme vous pourrez le constater, personne ne parle dans les média des serpents, des crocodiles ou des hippopotames. En revanche, le thème récurrent du « méchant requin » et du « malheureux surfeur » est toujours plus vendeur. La femme africaine qui se fait happer par un crocodile en allant chercher de l’eau à la rivière ne fait pas d’audimat au JT de 20 heures ! Question danger dans l’Hexagone, vous ne risquez pas grand-chose avec ce bestiaire meurtrier, car les requins n’ont jamais fait de victimes sur les côtes françaises, atlantiques et méditerranéennes, et à ce jour, les loups comme les ours des Pyrénées ne se sont attaqués à aucun humain. Attention cependant aux abeilles et aux guêpes, responsables chaque année d’une quinzaine de décès sur des personnes allergiques (sources : ministère de l’Écologie). L’Apocalypse des pestes De nos jours, trois maladies parasitaires  : le paludisme, la bilharziose, la trypanosomiase, véhiculées par l’homme et les animaux domestiques, font chaque année plus d’un million de victimes. L’homme n’a pas inventé les maladies infectieuses et parasitaires, et les insectes hématophages existaient bien avant 232

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Figure 6-1 : Le palmarès des animaux les plus meurtriers (sources Fondation Bill et Melinda Gates).

l’arrivée des mammifères et des hommes. Ils se nourrissaient auparavant sur des amphibiens et des reptiles. Sous l’effet de la sélection naturelle et de mutations, ils se sont adaptés aux animaux à sang chaud. L’homme était le dernier au menu, sur leur liste, et ces pathologies infectieuses ont dû frapper nos ancêtres chasseurscueilleurs, qu’ils soient Habilis, Erectus, Ergaster, Sapiens ou Neandertalis. Comme nous l’avons vu au chapitre IV, la révolution agricole du Néolithique fût à l’origine de nombreuses maladies infectieuses. Des germes pathogènes sont passés des animaux domestiqués à l’homme, entraînant de multiples épidémies (variole, rougeole, tuberculose). L’histoire de nos maladies restera toujours lacunaire car des maladies comme la peste ou la variole ne laissent pas de traces sur un squelette. En revanche, une fois l’écriture inventée, on possède les récits et les témoignages d’épidémies et de contagions souvent désignées sous le vocable commun de «  peste  ». Des épidémies sont relatées chez les anciens Égyptiens, dans l’Ancien Testament ou dans les textes antiques grecs. L’augmentation constante de la densité humaine et les déplacements de populations vont favoriser la transmission des maladies contagieuses. Ces pandémies vont marquer durablement la mémoire collective, sans que l’on puisse déterminer exactement l’agent 233

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infectieux en cause. Faute de connaissances médicales, on invoquait toujours la fatalité ou la punition divine. Au xive siècle, l’épidémie de peste noire est restée célèbre par son ampleur en touchant toute l’Europe. L’épidémie semble avoir démarré en Asie centrale où elle frappa les populations mongoles au début des années 1330. Elle va ensuite suivre la route des caravanes, atteindre les comptoirs de Crimée en 1347 et se répandre en Méditerranée, pour pénétrer en France en 1348, par le port de Marseille et ensuite diffuser rapidement dans toute l’Europe. On évalue la mortalité due à la peste noire à 23 millions d’habitants sur une population de 75 millions avant l’épidémie (sept millions de victimes sur les 17 millions de Français de l’époque). La saignée démographique aura de nombreuses conséquences psychologiques, économiques et politiques. Il faudra attendre 1894 pour que le médecin bactériologiste Alexandre Yersin (1863-1943) isole la bactérie responsable qui porte son nom, le bacille de Yersin ou Yersinia pestis. Aujourd’hui, on sait que deux animaux sont impliqués dans la propagation de cette maladie, le rat noir (Rattus rattus) et son parasite, une puce (genres Nosopsyllus, Xenopsylla, Ctenocephalides…). Ces insectes hématophages se nourrissent sur les mammifères et les oiseaux à l’état adulte. Le bacille contenu dans le sang est ingéré par l’insecte, se multiplie et bloque la digestion. Affamée, la puce ne cesse de piquer et de régurgiter sur la peau de sa victime chez qui elle inocule les bactéries infectieuses. On parle de maladie infectieuse bactérienne à transmission vectorielle, le vecteur de transmission étant la puce (Figure 6-2).

. Figure 6-2 : Le rat noir et la puce. 234

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Les parasitoses humaines Les parasitoses ou maladies parasitaires englobent toutes les maladies induites par un parasite. Les parasites sont des organismes dont la survie et le développement dépendent de l’hôte qui les héberge. Dans le monde animal, le parasitisme correspond à un mode de vie particulier que nous avons développé dans le chapitre III. Nous nous limiterons ici à des informations de base, le lecteur pourra retrouver des ouvrages de référence dans la bibliographie. Chez l’homme, la taille d’un parasite peut varier de dix mètres pour un ténia à cinq micromètres pour un plasmodium (l’agent du paludisme). Les parasites humains se divisent biologiquement et morphologiquement en quatre groupes selon l’agent parasite : – les protozoaires qui sont des parasites unicellulaires capables de se déplacer par des flagelles, cils, ondulations, comme le trypanosome responsable de la maladie du sommeil. Ils peuvent être intra ou extracellulaires ; – les helminthes ou vers qui sont des métazoaires pluricellulaires. Ils se divisent en vers plats (cestodes comme le ténia, ou trématodes comme la douve du foie), et en vers ronds (oxyures, ascaris). Ils passent par des formes adultes, larvaires ou embryonnaires ; – les arthropodes, mollusques, pararthropodes et annélides qui sont des métazoaires pluricellulaires. Ils peuvent se présenter sous forme adulte, mâle ou femelle, œuf ou larve ; – les fungi ou micromycètes qui sont des champignons microscopiques, et qui constituent un règne à part entière. Leurs infections portent le nom de mycoses. Nous renvoyons le lecteur au cahier Évolution et biodiversité du monde fongique qui traite de ce type de maladies. On distingue les endoparasitoses (le parasite habite à l’intérieur de son hôte) et les ectoparasitoses (le parasite vit sur la surface corporelle de son hôte). Les maladies parasitaires à transmission vectorielle En médecine humaine ou vétérinaire, une maladie vectorielle ou maladie à transmission vectorielle est une maladie infectieuse causée par un agent parasite, et inoculée ou déposée par un vecteur vivant. Ce vecteur est un organisme qui ne provoque pas lui-même la maladie, mais qui est nécessaire à la dispersion de l’infection en transportant les agents pathogènes d’un hôte à l’autre (tiques, puces, moustiques, mollusques…). Chaque année, on enregistre plus d’un milliard de cas d’infection et plus d’un million de décès dans le monde, imputables à des maladies à transmission vectorielle telles que le paludisme, la dengue, le chikungunya, le virus Zika, la 235

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schistosomiase, la maladie du sommeil, la leishmaniose, la maladie de Chagas, la fièvre jaune, la fièvre du Nil, la dracunculose ou l’onchocercose. Les moustiques sont les vecteurs les plus courants, mais il en existe d’autres, comme les tiques, les punaises (réduves, triatomes), les mouches, les phlébotomes (moucherons), les puces, les crustacés (puces d’eau) et certains gastéropodes d’eau douce. Ces maladies vectorielles sont responsables de plus de 17 % des maladies infectieuses. La fragile « paix armée »  Un fois entré dans le corps, le conflit entre le parasite et son hôte commence. Il peut ne pas occasionner de signe clinique (asymptomatique), ou bien entraîner une maladie aiguë ou chronique. Depuis des millions d’années de coévolution, un équilibre nécessaire à la survie s’est établi entre les deux partenaires. C’est ce que le médecin épidémiologiste Edmond Sergent (1876-1969) appelait la « paix armée ». L’humain, une fois parasité, va réagir par des réactions inflammatoires, allergiques ou des réactions immunes humorales ou cellulaires. Chaque famille de parasite est diversement virulente, avec un pouvoir pathogène lié à la charge parasitaire et à la capacité du parasite à contrer les défenses de son hôte. Alors que les ectoparasites comme les puces ou les poux sont relativement bien supportés, les parasites du tube digestif, des organes fonctionnels ou des tissus le sont beaucoup moins. Les cas les plus sévères sont observés avec des parasites intracellulaires comme le plasmodium, agent pathogène de la malaria. On remarquera l’extraordinaire capacité d’adaptation et de coévolution d’un ver plat comme le ténia (Ténia saginata) capable de pondre plus de 100 millions d’œufs par an ! Les maladies parasitaires sont soumises à des cycles évolutifs dont la connaissance est cruciale pour comprendre les mécanismes d’infestation ou de prévention. Le cycle peut être direct et court, si le parasite passe directement du milieu extérieur à son hôte comme dans le cas des oxyures. Dans le cas d’un cycle indirect, le parasite passe par plusieurs hôtes intermédiaires ou vecteurs. Nous nous limiterons dans ce cahier à décrire quelques parasitoses d’actualité, liées aux insectes (arthropodes) et aux vers (helminthes). Maladies transmises par les arthropodes Les arthropodes hématophages sont responsables d’environ un million de décès chaque année. Les principaux vecteurs sont les moustiques, les mouches, les phlébotomes (moucherons), les punaises et les tiques. L’infection est transmise par le vecteur, après qu’il se soit lui-même infecté au cours d’un repas sanguin sur un hôte porteur de l’agent infectieux. Nous avons choisi de traiter ici quelques maladies illustrant les risques liés aux insectes et plus particulièrement, aux moustiques qui profitent du réchauffement climatique pour étendre leur aire d’infestation. 236

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Le paludisme, première maladie parasitaire mondiale Le paludisme ou malaria est une maladie parasitaire qui se transmet par la piqûre d’un moustique du genre Anopheles infecté par des protozoaires encore appelés hématozoaires, du genre Plasmodium. Cette maladie menace non seulement les populations de près de la moitié de la planète (3,2 milliards d’humains y sont exposés dans 97 pays), mais elle représente également un risque pour les personnes qui se déplacent dans la zone où sévit la maladie (zone d’endémie). Le paludisme a été responsable, en 2015, de 214 millions de nouveaux cas d’infections et d’environ 438 000 morts, essentiellement des enfants de moins de cinq ans (source OMS). L’Afrique subsaharienne est la zone la plus frappée. La plupart des populations touchées n’ont pas accès aux antipaludéens de synthèse qui restent hors de prix. Seuls les voyageurs dans les zones d’endémie peuvent se protéger au moyen d’une chimioprophylaxie qui supprime le stade sanguin de l’infection palustre, ce qui évite que la maladie ne se déclare (Figure 6-3). Le paludisme commence par provoquer de la fièvre, des frissons et un état de type grippal. Les crises alternent fièvre élevée, tremblements, sueurs froides et transpiration intense. Les formes sévères de paludisme peuvent causer la mort en quelques jours. Si elle n’est pas traitée, cette maladie peut entraîner de graves complications et la mort. Il existe quatre espèces de protozoaires parasites chez l’homme : Plasmodium falciparum, P. vivax, P. malariae et P. ovale. On connaît plus de 400 espèces de moustiques différentes du genre Anopheles, dont une trentaine représente des vecteurs très importants du paludisme. Ce sont les moustiques femelles qui sont dangereuses car elles ont besoin d’un repas sanguin pour la maturation de leurs œufs.

Figure 6-3 : Moustique Anophèles et sporozoïtes de Plasmodium. 237

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En 2015, l’Agence européenne des médicaments (EMA) a donné un avis favorable pour l’utilisation, en dehors de l’Europe, du vaccin expérimental Mosquirix® qui doit encore être évalué par l’OMS. Selon les ONG comme Médecins sans frontières (MSF), la pulvérisation d’insecticides à effet rémanent à l’intérieur des habitations et la généralisation de la moustiquaire imprégnée de pyréthrinoïdes sont plus efficaces que le vaccin. Grâce à l’utilisation de médicaments à base d’artémisinine (une armoise d’origine chinoise), le nombre de décès est à son niveau le plus bas depuis le début des années 2000. Chikungunya, dengue et Zika des maladies vectorielles en pleine expansion De nos jours, l’expansion des maladies à transmission vectorielle est la conséquence de l’intensification et de la mondialisation des échanges de biens et des mouvements de personnes. Les perturbations de l’environnement et le réchauffement climatique accélèrent également la propagation de ces maladies qui s’installent en Europe. La dengue, le chikungunya et le Zika, sont trois maladies virales tropicales, transmises par les moustiques du genre Aedes, notamment Aedes aegypti et Aedes albopictus. Ces moustiques, contrairement aux espèces nocturnes, qui véhiculent le paludisme, piquent pendant le jour et s’installent en zone urbaine (Figure 6-4). Aedes albopictus plus connu sous le nom de moustique tigre est présent depuis quelques années en Europe, et a été identifié pour la première fois en France métropolitaine en 2004 dans les Alpes-Maritimes. Depuis cette date, ce moustique a colonisé 22 départements du Sud de la France. Aujourd’hui, les insectes et leurs maladies traversent les océans en quelques heures, avec un

Figure 6-4 : Aedes aegypti (à gauche) et Aedes albopictus le moustique tigre (à droite). 238

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simple vol d’avion. Une fois arrivés en France, ils n’ont plus qu’à se multiplier dans les eaux stagnantes des pots de fleur et autres récipients abandonnés dans les décharges comme les pneus usagés. Ces mêmes pneus usagés font l’objet d’un commerce international entre l’Asie, l’Amérique du Nord et l’Europe. Stockés à ciel ouvert, ils représentent un gîte idéal pour les œufs et les larves aquatiques de ces moustiques. Le commerce des bambous d’ornements (canne chinoise ou «  Lucky Bamboo  ») très en vogue ces dernières années, a également favorisé le transport d’œufs, pondus dans les vases avant leur chargement depuis l’Asie, jusqu’aux États-Unis ou en Europe.

Le moustique tigre à la conquête du monde Le virus chikungunya est un arbovirus à ARN ou «  arthropod borne virus » transmis par le moustique tigre. La souche virale a été isolée pour la première fois en Ouganda en 1953, lors d’une épidémie survenue en Afrique de l’Est. Le mot «  chikungunya  » signifie «  l’homme qui marche courbé  » en référence aux courbatures qu’il occasionne. En juillet 2014, le chikungunya a frappé plus de 80 000 personnes comptabilisées dans les départements français des Antilles et d’Amérique du Sud (Martinique, Guadeloupe, Saint-Barthélemy et Guyane française). Lors d’une piqûre, la femelle moustique s’infecte en aspirant le virus dans le sang d’une personne infectée, le virus se multiplie à l’intérieur de l’insecte pendant une dizaine de jours et peut être transmis par une piqûre à une autre personne qui deviendra contaminante. Après quatre à sept jours d’incubation, la personne infectée présente une brusque montée de fièvre, accompagnée de douleurs articulaires (arthralgies) intenses, qui touchent les articulations des extrémités (poignets, chevilles, phalanges). Surviennent également des myalgies (douleurs musculaires), des céphalées (maux de tête) et une éruption maculopapuleuse. L’évolution est le plus souvent favorable, mais certains sujets peuvent souffrir d’arthralgies chroniques.

Quand la dengue explose La dengue, anciennement appelée «  grippe tropicale  », est une maladie infectieuse provoquée par le virus de la dengue qui est également un arbovirus. Elle est transmise à l’homme par les moustiques du genre Aedes (Aedes aegypti, mais aussi dans une moindre mesure, A. albopictus). Selon l’OMS, c’est l’arbovirose la plus répandue sur la planète avec 128 pays touchés. Quatre milliards de personnes sont exposées à cette maladie. Chaque année, on enregistre 400  millions de nouvelles infections, dont 100 millions présentent des manifestations cliniques, avec plus de 20  000 décès pour les formes sévères. La transmission de la maladie s’effectue de personne à personne via des moustiques infectés. L’homme est le principal réservoir naturel du virus, et c’est par lui que la maladie se propage. Cette maladie est en pleine expansion à l’échelle mondiale, et on estime que six milliards de personne seront exposées en 2085, 239

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en raison du réchauffement climatique. Une transmission locale a été rapportée pour la première fois en France en 2010. L’infection se décline selon plusieurs formes cliniques : – des formes asymptomatiques qui représentent 50 à 90 % des cas, le sujet contaminé ne ressent rien ; – des formes symptomatiques classiques, avec apparition d’une forte fièvre (40 °C) accompagnée de frissons, de céphalées sévères, de douleurs rétroorbitaires, musculaires, articulaires, de nausées, de vomissements, et d’une éruption cutanée ; – des formes sévères (anciennement appelée dengue hémorragique) avec des hémorragies des muqueuses et du tube digestif, accompagnées d’une fuite plasmatique et d’une thrombopénie. Cette forme peut se compliquer avec un syndrome de choc, qui se traduit par une défaillance circulatoire (hypotension, pouls rapide et faible) et une détresse respiratoire. La mort peut survenir dans les 24 à 48 heures suivant cette phase critique ; un traitement médical adapté est alors nécessaire pour éviter les complications et le risque de décès. Il n’existe pas de vaccin, ni de traitement spécifique de cette maladie. La seule lutte consiste en une prévention contre les vecteurs (utilisation d’insecticides, éviter toute eau stagnante et généraliser l’installation de moustiquaires).

Le virus Zika : un nouveau venu qui tire son épingle du jeu Le Zika est aussi une arbovirose transmise par les moustiques déjà cités plus haut (Aedes aegypti et Aedes albopictus). Le virus Zika a été isolé pour la première fois en Ouganda en 1947. Entre 2013 et 2014, le virus a circulé en Polynésie française, puis en Nouvelle-Calédonie et dans d’autres îles du Pacifique. En 2015, des cas ont été signalés en Guyane, Martinique et Guadeloupe. Un risque de transmission existe dans le Sud de la France métropolitaine via le moustique tigre. Après un repas sanguin, le virus se multiplie dans l’insecte pendant une dizaine de jours. Chez l’humain, les premiers signes cliniques sont une éruption maculo-papuleuse accompagnée quelques fois de fièvre. Les autres signes sont une fatigue persistante, des douleurs musculaires et articulaires, des maux de tête et des douleurs rétro-orbitaires. Au bout de quatre à sept jours, les signes disparaissent. En 2015, une étude a mis en évidence, au Brésil, une corrélation probable entre l’infection des fœtus et des anomalies du développement cérébral intrautérin, associé à un risque de microcéphalie. Selon l’OMS, le niveau d’alerte est extrêmement élevé et on déconseille aux femmes enceintes de voyager dans tout l’arc antillais. Une étude publiée par The Lancet, en mars 2016, montre que l’infection par le virus Zika est bien à l’origine de l’augmentation des syndromes 240

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de Guillain-Barré en Amérique latine (forme grave de paralysie des membres avec atteinte respiratoire). Il n’existe pas, à ce jour, de traitement spécifique contre cette maladie. La maladie de Chagas et la maladie du sommeil Les trypanosomiases humaines sont des maladies parasitaires endémiques dans deux régions du monde : l’Afrique et l’Amérique du Sud. L’agent responsable est un protozoaire, le trypanosome. Les trypanosomes sont des protozoaires flagellés fusiformes très mobiles, que l’on retrouve dans le sang, les ganglions et le liquide céphalorachidien. Le flagelle part vers l’avant, soulevant la membrane ondulante et constitue la partie antérieure du trypanosome (Figure 6-5). – En Afrique, il s’agit de la maladie du sommeil ou trypanosomiase africaine (THA), transmise par des diptères, les mouches tsé-tsé (Glossina sp.), vecteurs des parasites Trypanosoma brucei gambiense et Trypanosoma brucei rhodiesense. – Pour l’Amérique du Sud, il s’agit de la maladie de Chagas ou trypanosomiase américaine, transmise par des punaises hématophages, les triatomes (Triatoma infestans) vecteurs du parasite Trypanosoma cruzi (Figure 6-5).

Figure 6-5 : Les vecteurs de la trypanosomiase, mouche tsé-tsé (A), punaise triatome (B) et trypanosomes (C).

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La maladie du sommeil se rencontre dans 36 pays d’Afrique subsaharienne où vivent des diptères du genre Glossina, les mouches Tsé-tsé (Glossina sp., Glossina palpalis), vecteurs des protozoaires (T.brucei gambiense et T. brucei rhodesiense). Ces protozoaires sont transmis à l’homme par la piqûre de ces mouches hématophages, elles-mêmes infectées à partir d’êtres humains ou d’animaux porteurs de parasites pathogènes. Très fréquente par le passé, cette maladie est en régression, même si l’OMS estime à 20 000, les cas annuels enregistrés. À la suite d’une piqûre infectante, une réaction inflammatoire locale se développe, le chancre d’inoculation, parfois accompagné d’adénopathies satellites. Après une incubation de durée très variable, la maladie diffuse à tout l’organisme par voie lymphaticosanguine. La phase lymhaticosanguine est caractérisée par une fièvre intermittente « anarchique » résistante aux antibiotiques et aux antipaludéens. Le malade souffre de céphalées, d’asthénie et de troubles cardiovasculaires. Vient ensuite la phase méningoencéphalique, accompagnée de graves troubles neurologiques car les parasites ont traversé la barrière hématoencéphalique. Le malade est pris de troubles moteurs et psychiques. Le cycle du sommeil est perturbé, ce qui a donné le nom à cette maladie. En l’absence de traitement, la détérioration physique et mentale aboutit à la mort. Le malade est grabataire, décharné, léthargique, il sombre dans un coma d’évolution fatale. Il n’existe pas de vaccin, et les médicaments disponibles ne font pas l’unanimité, car les traitements sont longs et difficiles à mettre en œuvre. Les médicaments utilisés pour la deuxième phase doivent passer la barrière hématoencéphalique et sont toxiques. La principale stratégie vise à diminuer la population des mouches. La maladie de Chagas est une parasitose potentiellement mortelle provoquée par le protozoaire T. cruzi. Elle sévit dans 21 pays d’Amérique latine et selon l’OMS, six à sept millions de personnes sont porteuses du parasite. Cette maladie fait 10 à 13  000 victimes chaque année avec 300  000 nouveaux cas enregistrés. Elle est transmise par les déjections de punaises hématophages, les triatomes. Ces insectes nocturnes vivent cachés dans les habitations pendant la journée et sortent la nuit pour faire leur repas sanguin. C’est le visage qui est le plus touché car souvent découvert. Ils défèquent immédiatement après la piqûre. Lorsque la personne se gratte, elle fait pénétrer les parasites dans son organisme. La maladie se manifeste en deux phases : – une phase aiguë, souvent asymptomatique avec des signes bénins, de la fièvre, des céphalées, une pâleur, de l’anorexie, des douleurs musculaires. Les premiers signes visibles caractéristiques peuvent être une lésion cutanée (chagome), ou un œdème violacé des paupières d’un œil (signe de Romaña). Pendant cette phase les parasites circulent dans le sang ; 242

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– ces signes peuvent s’atténuer et laisser la place à une phase chronique, les parasites s’installent dans le muscle cardiaque ou les muscles digestifs. Le malade peut décéder d’une insuffisance cardiaque (myocardite).

MALADIES TRANSMISES PAR LES TIQUES La maladie de Lyme : quand les tiques attaquent ! Chaque été, au cours de balades forestières, les promeneurs sont confrontés aux piqûres d’un ectoparasite, la tique du chien ou tique du mouton (Ixodes ricinus). Il s’agit d’un parasite hématophage. Contre toute idée reçue, la tique n’est pas un insecte, elle possède huit pattes et appartient à l’ordre des arachnides acariens. Son corps est globuleux, dépourvu d’œil, et ce que l’on nomme « tête » est constitué de pièce buccales. On y distingue des chélicères faites pour découper les chairs et un rostre hérissé de pointes qui s’ancre dans la peau. La tique affectionne les litières humides et son pire ennemi est la sècheresse (Figure 6-6). Le cycle de reproduction comprend trois stades successifs (larve, nymphe, adulte) et fait intervenir trois hôtes successifs sur une période qui peut durer trois années. À chaque stade, la tique prend un unique repas sanguin, sur un hôte différent à chaque fois, et qui dure de deux à 15 jours suivant l’espèce et le stade. Chaque stade est séparé par une phase de métamorphose, qui se déroule sur le sol ou dans un terrier. Les tiques peuvent vivre jusqu’à trois à cinq ans et sont capables de jeûner cinq ans (Figure 6-6). Le mâle meurt, une fois son rôle de reproducteur assuré et c’est la femelle qui est le véritable fléau. Pour

Figure 6-6 : Tique femelle gorgée de sang (A), mâle (B), rostre enfoncé dans la peau (C). 243

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nourrir les 10  000 œufs qu’elle incube, elle devient vorace et chasse à l’affût posée sur une tige, une feuille ou cachée dans les hautes herbes. Elle est capable de détecter un hôte à partir des odeurs, des mouvements d’air, du dioxyde de carbone ou de l’acide butyrique produit au niveau de la peau. Ce sont les zones humides, chaudes et riches en vaisseaux qu’elle affectionne. Après avoir introduit son rostre dans la peau de sa victime, la tique injecte un cocktail de substances anticoagulantes et anesthésiantes qui rendent la piqûre indolore. Le festin du vampire peut commencer  ! En une seule «  prise de sang  », elle peut multiplier son poids par 200. À ce régime, vous pouvez imaginer un homme de 60 kg qui après quelques repas atteindrait 30 tonnes ! Après la ponte elle meurt (Figure 6-7).

Figure 6-7 : Cycle biologique de la tique du mouton.

Cet arthropode peut transmettre à l’homme plusieurs maladies dangereuses comme la maladie de Lyme ou borréliose de Lyme, dont l’agent infectieux est une bactérie du genre Borrelia ou l’encéphalite à Tique. La maladie de Lyme affecte environ 12 000 à 15 000 personnes chaque année en France. L’homme n’est qu’un « hôte accidentel » de cette bactérie, car il ne lui permet pas de se rediffuser après le repas sanguin. Attention, ce n’est pas parce qu’une tique vous a piqué qu’elle est contaminée, et que vous allez développer cette maladie  ! Sachez aussi que toutes les tiques ne sont pas forcément infectées. La meilleure lutte est la prévention. 244

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Il est conseillé de porter des vêtements couvrants et clairs et d’éviter les zones humides fréquentées par la petite bête. Après la balade, il convient de faire un examen minutieux de la peau et des cheveux devant un miroir. Il faut retirer la tique avec un tire-tique (ou une pince à épiler) et surveiller la zone de piqûre (apparition éventuelle d’un érythème au bout de quelques jours). Ne jamais utiliser d’alcool ou de produit désinfectant pour « anesthésier » la tique, vous risquez de provoquer une régurgitation de son contenu digestif et des bactéries pathogènes dans votre circulation sanguine. Enfin, il convient de signaler au médecin qu’il y a eu une piqûre de tique, devant toute fièvre, signe de fatigue ou maux de tête. Un traitement antibiotique précoce permet de traiter efficacement l’infection.

La méningo-encéphalite à tique, une maladie en progression en Europe Contrairement à la Maladie de Lyme (d’origine bactérienne), la méningoencéphalite à tiques (MET) est une maladie vectorielle d’origine virale affectant le système nerveux central. L’encéphalite à tiques est due à un virus, transmis par la morsure d’une tique lors de son repas sanguin. Le virus responsable de cette pathologie est un arbovirus, le virus TBEV (Tick Borne Encephalitis Virus). Elle est également transmise par la tique du mouton (Ixodes ricinus). Le réchauffement climatique expliquerait en grande partie l’extension du virus de la MET que l’on observe actuellement dans plusieurs pays d’Europe (Balkans, Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie, Yougoslavie, Allemagne, Suisse). En France, quelques cas ont été signalés dans l’Est, en Alsace et dans les Vosges. Les petits rongeurs comme la souris grise (Mus musculus) sont le réservoir de cette maladie qui progresse en Europe (Figure 6-8). L’homme est toujours un hôte accidentel.

Figure 6-8 : La souris grise réservoir de l’encéphalite à tiques. 245

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Les premiers symptômes ressemblent à un état grippal qui dure une semaine, ce qui fait confondre l’infection avec une grippe classique. Dans 10 % des cas, le virus peut envahir le système nerveux central et provoquer une méningite, une encéphalite, avec des paralysies des muscles scapulaires. Chez 1 à 2 % des cas, la maladie entraîne des séquelles permanentes au niveau du système nerveux central, avec des atteintes neuropsychiatriques et cognitives. Il n’y a pas de traitement spécifique de l’encéphalite à tiques. Une co-infection est également possible avec la maladie de Lyme. Maladies transmises par les vers Les parasitoses dues aux helminthes (vers plats ou ronds) restent un problème de santé majeur dans les pays tropicaux. On estime que le tiers de la population du globe est l’hôte de l’un des nombreux types de vers parasites. Ces parasites vivaient à l’origine aux dépens d’animaux sauvages qui leur servaient d’hôtes. Les premiers hommes ont commencé à s’infester en consommant le produit de leur chasse. Au Néolithique, le phénomène s’est accéléré avec la cohabitation avec le bétail. L’étude de la momie d’Ôtzi retrouvée en 1992 dans

Figure 6-9A : La momie d’Ötzi, trichine (a) et trichine enkystée dans un muscle (b). 246

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un glacier alpin, a mis en évidence la présence d’œufs de trichine (Trichinella spiralis), un vers rond (nématode). L’homme devait souffrir de crises de trichinose ou trichinellose, une parasitose tissulaire souvent due à la consommation de gibier. La contamination se fait par l’ingestion de viande crue, ou mal cuite. Les larves s’enkystent dans les tissus musculaires et sont à l’origine de violentes douleurs. Présentes dans tous les pays du monde, ces parasitoses ont une incidence majeure dans le domaine de l’hygiène et de la sécurité des viandes de boucherie. Cette maladie qui a longtemps sévi en France est aujourd’hui bien surveillée et contrôlée par les services vétérinaires. Le seul risque en France est la consommation de viande de sanglier non contrôlée. Sous nos latitudes, l’hygiène et les conditions de vie ont fait régresser d’autres vers parasites comme la douve du foie (Dicrocoelium dendriticum) ou l’ascaris (Ascaris lumbricoides). Les vers intestinaux les plus fréquents et les plus bénins sont les oxyures (Enterobius vermicularis) et les ténias (Taenia sp.) Il n’en est pas de même en zone tropicale et intertropicale où certains vers parasites sont de véritables fléaux comme la bilharziose que nous décrivons dans ce chapitre.

Les oxyures Les oxyures (Enterobius vermicularis) sont de petits vers ronds (nématodes), blancs très fins d’un demi à un centimètre de long. Ils vivent dans l’intestin grêle des personnes infectées. Les femelles vont pondre la nuit dans les plis de l’anus, ce qui occasionne de vives démangeaisons. Le patient le plus fréquent est un enfant, il se gratte, récupérant ainsi des œufs sur ses doigts et sous ses ongles. Il se contamine à nouveau en portant ses doigts à sa bouche et dissémine les œufs sur les objets de son environnement. Le sommeil peut être perturbé, et l’enfant agité et fatigué. Les risques de contamination concernent la famille et le milieu scolaire. Une bonne hygiène permet de les éviter facilement.

Les ténias Ces vers plats (plathelminthes) se transmettent via l’ingestion de viande infectée par des larves vivantes présentes dans du bœuf ou du porc, crus ou insuffisamment cuits (steak tartare, carpaccio). Deux espèces de ténia peuvent affecter l’homme : Tænia saginata (ténia du bœuf) et Tænia solium (ténia du porc). Ce dernier toucherait 0,5 % de la population française. La maladie se nomme le taeniasis, et en l’absence de traitement, le parasite forme un ruban qui atteint huit mètres de long dans le tube digestif et peut vivre 30 à 40 ans. Souvent, l’infestation passe inaperçue et n’est reconnue que lorsque l’on retrouve des anneaux dans les sousvêtements, les selles ou les draps. Les signes peuvent être une boulimie ou une anorexie, des alternances de diarrhées ou de constipation (Figure 6-9B).

Les bilharzioses La bilharziose (ou schistosomiase) est une maladie provoquée par un ver parasite présent dans les zones tropicales et subtropicales. L’infection se 247

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Figure 6-9B : Ténia du porc.

produit lors d’un contact de la peau avec des eaux douces infestées par plusieurs espèces de vers trématodes (vers plats nommés schistosomes ou bilharzies). La bilharziose infeste de manière chronique 260 millions de personnes, dans 78 pays. Elle est responsable de 100  000 à 200  000 morts par an, ce qui en fait la deuxième maladie parasitaire la plus mortelle après le paludisme, avec de graves conséquences socio-économiques. Avec 85  % des cas d’infections, le continent africain héberge le plus grand foyer de la maladie au monde. Cinq espèces du genre Schistosoma sont pathogènes pour l’homme, avec selon l’espèce un tropisme pour le système urogénital ou le système artérioveineux : – Shistosoma haematobium responsable de la bilharziose urogénitale (Afrique) ; – Shistosoma mansoni responsable de la bilharziose intestinale (Afrique, Antilles, Amérique du Sud) ; – Shistosoma japonica responsable de la bilharziose artérioveineuse (Asie) ; – Shistosoma mekongi responsable de la bilharziose intestinale et artérioveineuse (Thaïlande) ; – Shistosoma intercalatum responsable de la bilharziose rectale (Afrique équatoriale de l’Ouest). 248

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Un cycle infernal Nous décrivons ici, le cycle évolutif de la bilharziose urogénitale qui sévit en Afrique. La transmission se fait au moment ou l’homme, ou le bétail sont en contact avec des eaux stagnantes souillées par des déjections (péril fécal). Dans ces eaux, vivent des mollusques gastéropodes infectés par le parasite Shistosoma haematobium et qui libèrent des milliers de larves parasites, les cercaires. Très mobiles, elles sont capables de contaminer un humain ou les animaux au cours d’un bain ou d’un court séjour dans l’eau (les animaux et les humains qui viennent boire, ou puiser de l’eau sont des cibles idéales). Ces larves pénètrent la peau et rejoignent le système circulatoire de l’hôte pour poursuivre le cycle et passer au stade de schistosome adulte. Ces vers parasites sont hématophages. Les sexes sont séparés, le mâle (10 à 15 millimètres de long) a un corps plat dont les bords s’enroulent pour former une gouttière, le canal gynécophore, dans lequel vient se loger la femelle qui est un peu plus longue (15 à 30 millimètres) (Figure 6-10). La femelle est capable de pondre 1 000 œufs par jour. Certains sont piégés dans les tissus de l’organisme, provoquant une réaction immunitaire et des lésions évolutives dans les organes. Une partie des œufs sera évacuée avec les selles ou les urines et le cycle de vie parasitaire se poursuit. Si la personne infectée n’utilise pas de latrines, les œufs sont libérés dans l’eau d’une rivière ou d’un lac. Dans l’eau, ces œufs donnent une forme larvaire ciliée, le miracidium qui va nager pour contaminer un mollusque hôte (escargot) qui est le réservoir naturel de cette maladie. Un fois installée dans le mollusque, elle va se transformer en milliers de cercaires évacués par le gastéropode. Ces cercaires très mobiles sont attirés par la peau d’un mammifère (phénomène de chimiotactisme), le cycle infernal est bouclé (Figure 6-11).

Figure 6-10 : Couple de Shistosoma haematobium, la femelle est lovée dans le canal gynécophore du mâle.

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Figure 6-11 : Cycle évolutif de Shistosoma haematobium.

Les symptômes et les signes cliniques de la schistosomiase sont liés à la zone de tissus où les œufs pondus sont immobilisés (schistosomiase intestinal ou vésicale). Les œufs traversent la vessie ou le tube digestif provoquant de l’hématurie ou du sang dans les selles. Ils peuvent rester bloqués dans les tissus et provoquer un granulome bilharzien. Ces granulomes peuvent confluer et se nécroser. Ils peuvent aussi se calcifier dans la paroi vésicale et rigidifier la vessie. On peut assister à un rétrécissement de l’urètre et dans certains cas à une insuffisance rénale. L’installation de réseaux d’eau courante et de moyens efficaces pour éliminer les effluents, ainsi que l’éducation et la sensibilisation pour la santé, sont les meilleurs moyens de prévention. La lutte contre les mollusques à l’aide de plantes molluscicides ou de produits chimiques respectueux de l’environnement reste une priorité. La France n’est pas à l’abri de ces parasitoses. Un foyer de transmission autochtone de bilharziose urinaire à Schistosoma haematobium a été mis en évidence en Corse du Sud. En 2014, 12 cas d’infections ont été constatés après une baignade dans un torrent, le Cavu, proche de Porto-Vecchio. La présence de l’hôte intermédiaire nécessaire au cycle de transmission de Schistosoma haematobium, le bulin (Bulinus truncatus), un escargot d’eau douce, a été signalée. Si des personnes atteintes de la bilharziose se baignent et urinent dans les piscines naturelles contenant des bulins, elles peuvent propager la bilharziose aux autres baigneurs. 250

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Les maladies ectoparasitaires Les arthropodes (poux, morpion, gale, puces, tiques, aoûtats…) sont responsables de la plupart des maladies ectoparasitaires. Certaines espèces sont capables de nous transmettre des virus ou des bactéries pathogènes.

Les pédiculoses Les poux sont des insectes hématophages qui colonisent les zones recouvertes de cheveux ou de poils. Au cours de leur courte vie (deux mois), ils piquent leurs hôtes deux à quatre fois par jour. Les femelles pondent des œufs appelées lentes qui sont collés aux cheveux, aux poils, ou aux fibres des vêtements. Leur infection porte le nom de pédiculose. Le principal symptôme est toujours une démangeaison. En France, cette parasitose bénigne touche essentiellement les populations d’enfants au moment de la rentrée scolaire. Les proches doivent être dépistés, traités et de simples mesures d’hygiène doivent être prises (Figure 6-12). Trois espèces de poux peuvent parasiter l’homme : le pou de tête (Pediculus humanus capitis) responsable de la pédiculose du cuir chevelu  ; le pou du pubis (Phtirius inguinalis) plus connu sous le nom de morpion, responsable de la phtiriase humaine, une maladie sexuellement transmissible et le pou de corps (Pediculus humanus corporis) agent de la pédiculose humaine corporelle (Figure 6-12). Contrairement aux deux premiers, le pou de corps peut être vecteur de maladies septicémiques, comme le typhus, la fièvre des tranchées, ou la fièvre récurrente qui frappent des populations en situation à risque. Ces maladies sévissent dans les camps de réfugiés ou de prisonniers, où les conditions sanitaires dont dégradées (séismes, tsunamis, génocides, etc.). En France, les populations défavorisées (personne en grande précarité, sans domicile fixe) sont aussi des candidats à la transmission de la pédiculose à poux de corps qui est en pleine recrudescence.

Le grand retour de la gale humaine La gale humaine ou scabiose est une dermatose fréquente, très contagieuse, qui se transmet par contact humain direct. Elle est due à un acarien le sarcopte (Sarcoptes scabiei) qui pénètre la couche superficielle de la peau (Figure 6-12). Contrairement à certaines idées reçues, elle touche toutes les tranches d’âge, toutes les populations et tous les milieux socio-économiques. Il ne s’agit donc pas d’une maladie « honteuse », et tout un chacun peut être touché un jour. On estime qu’environ 300 millions de personnes sont concernées dans le monde. Cette maladie parasitaire est en pleine recrudescence en France avec plus de 200 000 cas chaque année. C’est la femelle sarcopte qui creuse dans l’épiderme des galeries où elle dépose ses œufs, provoquant un prurit aigu et de vives démangeaisons, premiers signes de cette maladie. Elle avance de un à deux millimètres par jour en se nourrissant de la couche cornée, au cours de sa progression elle pond un 251

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à deux œufs chaque jour. Cette parasitose est très facilement transmissible par le simple contact de deux épidermes. La dissémination du parasite est favorisée par la vie en collectivité : crèches, hôpitaux ou maisons de retraites sont des lieux de prédilection pour assurer sa dissémination. Du fait de la possible contamination sexuelle, la gale est aussi considérée comme une maladie sexuellement transmissible (MTS). Les zones de lésions de grattage se situent au niveau des espaces interdigitaux (entre les doigts), sur la face antérieure des poignets, sur les coudes, autour de l’ombilic, sur les fesses, sur la face interne des cuisses, sur les organes génitaux externes chez l’homme et au niveau du mamelon chez la femme. Ils convient de traiter le malade et tout son entourage. Le malade doit être isolé tant qu’il présente des lésions. Une désinfection des vêtements, de la literie et de l’habitat est indispensable (l’acarien ne résiste pas à une température de plus de 55 °C).

Figure 6-12 : Ectoparasites : pou de la tête (A), pou du pubis (B), sarcopte (C), puce (D) et Demodex (E).

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Les puces Les puces sont des insectes hématophages de petite taille (un à huit millimètres), qui vivent sur la surface corporelle des mammifères et se nourrissent du sang de leur hôte. Elles se déplacent en sautant, certaines espèces pouvant faire des bonds de 30 centimètres de hauteur. La piqûre et la salive des puces sont très irritantes, elles peuvent provoquer des démangeaisons, voire même induire un phénomène allergique. Ces insectes véhiculent de nombreux agents pathogènes comme le bacille de la peste (Yersinia pestis), l’agent du typhus murin (Rickettsia), ou des bartonelles (fièvre des tranchées) (Figure 6-12).

Quand les Demodex prennent notre visage pour un terrain de jeu Le Demodex (Demodex folliculorum) est un minuscule acarien (0,3 millimètre), fréquemment retrouvé au niveau de la peau grasse du visage (front, nez, joues, menton) et des cils. Cet ectoparasite encore mal connu, affectionne les follicules pileux et son rôle pathogène dans la genèse de la blépharite ou de la rosacée est sujet à controverse. Des estimations montrent qu’un seul visage pourrait abriter des millions d’acariens. Généralement, ils passent le plus souvent inaperçus, se nourrissant en toute discrétion de notre sébum. La particularité du Demodex est d’être privé d’anus, il ne peut donc pas se débarrasser de ses excréments. Son abdomen grossit de plus en plus et quand il meurt, il se décompose et libère tous les déchets accumulés, dans nos pores. Ces derniers sont expulsés des glandes avec le sébum ou disparaissent avec la chute des poils. Dans de rares cas, ce phénomène peut déclencher une réaction inflammatoire et des lésions de la peau. On peut trouver entre trois et six demodex par follicule pileux, sachant que nous possédons cinq millions de follicules pileux, notre corps est un véritable zoo  ! Rassurez-vous, ce sont d’efficaces nettoyeurs de notre peau, tout comme les millions d’autres acariens qui peuplent nos matelas.

LES INVASIONS BIOLOGIQUES «  Une invasion biologique survient quand une espèce constitue, hors de son aire de répartition initiale, une ou deux populations pérennes et autonomes dans les milieux naturels investis. » Pr. Mark Williamson, botaniste

La biodiversité en crise Les quatre principales causes d’érosion de la biodiversité sont le morcellement et la destruction des habitats  ; l’installation d’espèces invasives  ; la surexploitation des espèces vivantes, et le réchauffement climatique. Ces facteurs agissent soit séparément soit en synergie, augmentant 253

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le facteur d’extinction. Les invasions biologiques sont aujourd’hui considérées par l’UICN comme un problème majeur pour la survie du monde vivant. Lorsque des animaux, des plantes, des champignons ou des micro-organismes sont introduits dans un environnement naturel, où ils ne devraient normalement pas se trouver, ils peuvent perturber l’équilibre des espèces indigènes et causer des dégâts qui se chiffrent en millions d’euros. Une espèce sera décrite comme invasive lorsqu’elle se naturalise dans son milieu d’introduction, puis s’y propage, et que sa population atteint de telles densités qu’elle menace à terme tout l’environnement, et les autres espèces qui y vivent. Selon la règle des trois dizaines, énoncée par le biologiste Mark Williamson, sur 1 000 espèces qui sont introduites, 100 seulement survivent et s’installent, dix deviennent des espèces leader et une seule devient proliférante. Nous nous devions de donner au lecteur quelques explications liminaires sur le vocabulaire utilisé dans ce chapitre. On parle d’espèce native, indigène ou autochtone pour une espèce qui vit à l’état spontané dans une région précise. En revanche, pour une espèce introduite, qui a été déplacée volontairement ou non, hors de son habitat d’origine, on la qualifie d’étrangère, d’exotique ou encore d’allochtone. Lorsque cette espèce arrive à s’implanter et se reproduire dans son nouvel habitat, on dit qu’elle est naturalisée ou acclimatée. Si elle se met à proliférer de façon anarchique et échappe à tout contrôle, elle devient envahissante, exotique envahissante ou invasive. On parle alors d’invasion biologique, et leur corollaire c’est l’homme, qui est le maître d’œuvre de ces invasions. Pour résumer ce propos, c’est l’homme, l’espèce la plus invasive qui est la seule à même de gloser sur ce problème et d’y trouver des solutions ! L’homme accélérateur des invasions depuis 10 000 ans L’extraordinaire expansion de l’espèce humaine, au cours des derniers siècles, a eu pour conséquence le déplacement de nombreuses espèces animales et végétales. Quand l’homme a commencé à échanger et transporter le blé ou l’orge depuis le croissant fertile, vers des contrées plus septentrionales, des plantes exotiques comme le coquelicot, la nielle, la marguerite ou le bleuet ont fait le voyage avec les sacs de grains. Elles sont devenues des plantes messicoles longtemps qualifiées de «  mauvaises herbes  » invasives. Les souris, les campagnols, les mulots et les rats ont suivi cette migration. En traversant les océans à la recherche de nouvelles terres, les colons ont emmené dans les cales des navires, de façon volontaire ou involontaire, des animaux et des plantes, qui selon le cas, se sont acclimatés ou naturalisés, alors que d’autres sont devenus invasifs. C’est l’exemple des chèvres, des rats (surmulot et noir), des chiens, des porcs ou des lapins qui ont envahi des milieux insulaires fragiles. Au xviiie siècle, le lapin et le pissenlit ont ainsi fait la conquête des îles Kerguelen et Crozet, éliminant peu à peu toutes les espèces animales 254

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et végétales endémiques. Les lombrics sont arrivés au Nouveau Monde dans le ballast de terre ou de sable qui servait à équilibrer les navires en bois des premiers migrants. La mondialisation des invasions biologiques était en marche, elle allait encore s’accélérer au xixe siècle avec l’utilisation de la vapeur par la marine marchande. La crise du phylloxéra et celle du doryphore Au milieu du xixe siècle, l’importation de pieds de vigne américains dans le Gard sera à l’origine d’une catastrophe écologique et économique, qui va ravager des millions d’hectares de vignobles, bouleversant la culture traditionnelle de la vigne en Europe. Le coupable est un petit puceron jaune de 0,5 millimètre, le phylloxéra (Daktulosphaira vitifoliae), qui provoque la mort d’un cep en trois ans. Les formes ailées transportées par le vent vont infecter toute l’Europe à la vitesse de 30 kilomètres par an (Figure 6-13). Le doryphore (leptinotarsa decemlineata) est un insecte coléoptère phytophage également tristement connu pour l’invasion réussie de notre pays entre 1922 et 1935. Cet insecte est originaire du Mexique, où il se nourrissait sur des Solanacées sauvages. C’est lors de l’introduction de la pomme de terre aux États-Unis, vers 1850 que le doryphore trouve une nouvelle source d’alimentation providentielle. En 1876, il est signalé au Québec et dans certaines villes d’Europe. En France, l’infestation se produit en 1922 dans la région de Bordeaux avec des lots de pommes de terre importées par l’armée américaine en 19181919. Bordeaux est à l’époque le plus gros centre de transit de la pomme de terre. Redoutant une catastrophe identique au phylloxéra, le gouvernement de Raymond Poincaré (1860-1934) prend immédiatement des mesures de confinement des zones contaminées. Les négociants locaux et les notables touchés par ces mesures vont faire pression sur le gouvernement qui va finalement

Figure 6-13 : Phylloxéra et doryphore. 255

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céder en 1924. La porte est ouverte à la « bête du Colorado » qui se propage rapidement en France, progressant en moyenne de 50 kilomètres par an, et ce, malgré des campagnes de ramassage systématique des insectes par les élèves des écoles communales. L’utilisation massive de DDT dans les années 1940 sera à l’origine de l’apparition d’un phénomène de résistance à cet insecticide. Le doryphore est depuis arrivé en Sibérie, après avoir envahi une partie de l’Asie centrale. Le mot « doryphore » est même entré dans notre langage en milieu rural pour désigner des personnes de la ville qui viennent piller les ressources locales naturelles (pêche, chasse, fruits, champignons…) (Figure 6-13). Les migrations lesseptiennes, ou la mondialisation des échanges L’ouverture du canal de Suez en 1869, puis du canal de Panama en 1914, vont mettre en contact des espèces originaires de zones biogéographiques séparées depuis des millions d’années. C’est ainsi que le barracuda ou brochet de mer (Sphyraena sp.) a migré depuis la mer Rouge et s’est installé en Méditerranée, tout comme plusieurs centaines d’autres espèces qui sont venues le rejoindre et dont certaines se retrouvent sur les étals des marchés. On parle de migrations lesseptiennes, du nom de Ferdinand de Lesseps (1805-1894), architecte du canal de Suez. Les «  autoroutes océanes  », comme le cite le biologiste Jean-Claude Lefeuvre dans son ouvrage Les invasions biologiques, sont autant de corridors d’invasions que l’on a trop souvent négligés. Les coques des navires sont colonisées par de nombreuses espèces végétales et animales qui débarquent dans les ports à chaque escale (on nomme ce phénomène le fouling). D’autres, encore plus nombreuses, sont rejetées avec l’eau des ballasts. On utilise de l’eau de mer comme ballast, pour lester et équilibrer les cargaisons des cargos, ce qui facilite les opérations de ballastage et de déballastage. C’est ainsi que les microalgues ou des larves d’invertébrés, voyagent au long cours dans des «  aquariums flottants ». Vingt-deux millions de tonnes d’eau de mer sillonnent chaque jour les océans de la planète. Les axes de communications (routes, voies ferrées et canaux) sont devenus aussi de véritables corridors d’invasions, où les plantes et les animaux profitent des talus, bermes et berges pour se propager dans ces milieux perturbés. L’accélération des échanges aériens et terrestres a aussi fortement contribué à disperser les espèces indésirables dans un véritable chassé-croisé de millions de tonnes de marchandises. Des espèces qui vivaient aux antipodes les unes des autres se déplacent et se rencontrent dans les zones de fret. Des fruits, des légumes, des poissons et des mollusques vivants passent au-dessus de nos têtes dans des avions cargos. Ce transfert a aboli la saisonnalité des ventes de fruits et légumes, on trouve des melons, des haricots verts ou des cerises à Noël sur les étals, ce qui accélère encore l’introduction d’invertébrés parasites ou 256

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ravageurs en provenance de pays lointains. Si au décollage de certaines destinations, vous avez droit en cabine à la pulvérisation d’un insecticide, le melon élevé à contre-saison dans les Antilles ou les cerises du Chili échappent aux contrôles. Le moustique tigre est ainsi passé à travers les mailles du filet, tout comme la chrysomèle du maïs, détectée à proximité des aéroports de Roissy et d’Orly. La modification des habitats naturels et le réchauffement climatique ont également largement contribué à la propagation d’espèces exotiques. Ils entraînent une érosion de biodiversité, perturbent les écosystèmes et ont des incidences sur la santé humaine et l’économie. Deux types d’introductions doivent être différenciés  : les introductions intentionnelles et les introductions accidentelles : – les introductions intentionnelles sont les plus fréquentes, car elles répondent à un besoin alimentaire, thérapeutique, ornemental, récréatif ou économique. L’espèce est alors soit libérée dans l’environnement, soit elle s’échappe du lieu où elle était confinée (zoo, réserve, parc). C’est le cas de poissons ou d’oiseaux introduits pour des activités de loisir comme la chasse ou la pêche, d’insectes utilisés pour la lutte biologique, ou d’animaux de compagnie relâchés par des particuliers ; – les introductions accidentelles sont liées aux moyens de transports. Les marchandises, les bagages, les emballages, les conteneurs, les wagons, les bâches, les pneus peuvent abriter des insectes, des larves, des œufs ou des petits mammifères. Nous avons signalé plus haut les coques et les ballasts de navires qui sont autant de moyens de propagation. Si les conséquences sur l’environnement et l’économie sont souvent évoquées, il ne faut pas négliger les impacts sanitaires. De nombreuses espèces sont porteuses de virus, de bactéries ou de parasites qui peuvent affecter la santé humaine ou animale (malaria, dengue, schistosomiase…). Le seul moyen de lutter contre les invasions c’est la prévention, car l’éradication est pratiquement impossible. Le cas du frelon asiatique en est le plus bel exemple. Il y a encore une trentaine d’années, le problème des espèces invasives laissait les scientifiques et les politiques indifférents. Les seuls à s’en préoccuper étaient les agriculteurs qui protégeaient leurs cultures à grand renfort de pesticides. Aujourd’hui, tout le monde tire le signal d’alarme, et force est de constater que l’économie de marché, associée à la mondialisation des échanges, ont fait sauter les barrières géographiques, plus surement que les barrières douanières. Le phénomène des invasions biologiques est donc devenu un phénomène planétaire. 257

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DAISIE au chevet des invasions Il a fallu beaucoup de temps pour sensibiliser les instances gouvernementales à ce nouveau risque. Saluons ici l’initiative européenne Delivering Alien Invasive Species Inventory for Europe plus connue sous l’acronyme de DAISIE, qui a vu le jour en 2005. Ce travail financé par la Commission européenne, et qui s’est achevé en 2008, est un inventaire des espèces exotiques, animales et végétales, installées dans les milieux terrestres, d’eaux douces et marines de tout le continent européen. En 2015, la base de données était riche de 12 122 espèces exotiques enregistrées. Cet inventaire unique répertorie les espèces arrivées depuis l’an 1500, ainsi que la région d’origine de chacune. Le type de milieu envahi y est décrit, ainsi que les vecteurs et les voies d’introduction. On y trouve aussi un bilan des impacts écologiques, économiques et sanitaires. Chaque pays européen a mis en place des stratégies et des plans de lutte. C’est le ministère en charge de l’Écologie qui coordonne les plans d’actions réalisés par le Service du patrimoine naturel (SPN) et du Muséum national d’Histoire naturelle. Concernant les espèces introduites en Europe, il s’agit pour 71  % de plantes et pour 29  % d’animaux, dont 23 % d’arthropodes (insectes, crustacés, araignées…). On estime que 160 nouvelles espèces s’installent chaque année en Europe. 77 % des invertébrés arrivent avec des plantes décoratives comme le moustique tigre (Figure 6-14).

Figure 6-14 : Évaluation du nombre d’espèces exotiques introduites en Europe depuis le milieu du

258

xvie

siècle (d’après les sources du programme DAISIE).

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En janvier 2015, un nouveau règlement européen visant à combattre le problème des «  espèces exotiques envahissantes  » est entré en vigueur. Une liste des espèces invasives préoccupantes a été dressée par la Commission européenne sur l’environnement. Les espèces qui figurent sur cette liste ne pourront plus être importées, transportées, cultivées, vendues, conservées ou relâchées. Cette collaboration devrait permettre d’éviter de dépenser annuellement 12 milliards d’euros. L’objectif est d’arrêter l’érosion de la biodiversité à l’horizon 2020 (source Commission européenne). L’UICN a publié en 2007 la liste des 100 espèces les plus invasives au monde. On y trouve ainsi des espèces bien connues chez nous comme la souris grise, le rat noir, le renard roux, le chat domestique, la chèvre domestique, le sanglier, l’étourneau sansonnet ou la guêpe domestique qui sont des invasives dans nos territoires d’outre-mer ou dans d’autres pays du monde où elles ont été introduites. Le ragondin, la tortue de Floride, l’écrevisse de Louisiane, ou le moustique tigre sont quant à eux des espèces exotiques introduites dans notre pays. Petit inventaire de la faune invasive de France métropolitaine Le milieu aérien Les vertébrés

Le tamia de Sibérie, un nouveau vecteur de la maladie de Lyme Le Tamia rayé de Sibérie (Tamias sibiricus) est un écureuil de la famille des sciuridés originaire d’Asie. Il fait partie de ce que l’on appelle les NAC  : les nouveaux animaux de compagnie. Vendu sous le nom d’écureuil de Corée dans de nombreuses animaleries depuis les années 1960, il a été libéré volontairement dans la nature et constitue des populations pérennes dans notre pays, notamment en Île-de-France (forêts de Sénart, de Meudon, de Versailles…), ainsi qu’en Picardie (Figure 6-15). Les lâchés dans la nature sont souvent le fait de propriétaires lassés par ce petit animal hyperactif, qui n’hésite pas à vous croquer un doigt quand il se sent menacé. Comme il s’agit souvent d’un cadeau réclamé par les enfants et que la petite bête a une bouille sympathique, on lui laisse sa chance dans un parc ou une forêt. Le Muséum national d’Histoire naturelle estime la population à 20 000 individus, et sa compétition avec l’écureuil roux (Sciurus vulgaris) pourrait s’avérer problématique. Le petit mammifère pose également un problème sanitaire, car il héberge des tiques (Ixodes ricinus) qui en font un important réservoir de bactéries pathogènes, notamment celles responsables de la maladie de Lyme (Borrelia burgdorferi). 259

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Figure 6-15 : Le tamia de Sibérie et l’écureuil roux.

Le raton laveur, « le bandit masqué » Qui ne connaît pas le raton laveur ( Procyon lotor ), ce sympathique mammifère aux yeux masqués et qui ressemble à une peluche. On craque dès qu’on le voit. On le retrouve aussi bien dans l’Inventaire de Jacques Prévert (1900-1977), que comme personnage de dessin animé dans Pocahontas des studios Disney, quand il ne sert pas de couvre-chef au célèbre député du Tennessee, Davy Crockett (1786-1836). Originaire d’Amérique et longtemps piégé pour sa fourrure, il a été introduit en Allemagne dans les années 1930, toujours pour sa fourrure. Adopté comme mascotte par les troupes de l’OTAN, et à défaut de pouvoir ramener leur animal fétiche au pays, les militaires ont préféré le relâcher dans la nature. N’ayant pas de prédateur, il a proliféré et est arrivé en France. Actuellement, on en dénombre plus de 100 000 dans tout le pays ( Figure 6-16). Le raton laveur a un régime omnivore qui varie selon les saisons et les ressources du lieu. En milieu urbanisé, il trouve une abondante source de nourriture dans les poubelles et plus généralement autour des habitations qu’il fréquente. L’animal est perçu comme une menace pour la biodiversité lorsqu’il s’en prend aux nids, aux champs de maïs, et même aux ruches car il est protégé par son épaisse fourrure. Malgré un charme indéniable, ce mignon petit mammifère a été classé par le Conseil de l’Europe comme espèce invasive. On ne peut que déplorer la raréfaction des grands prédateurs comme le lynx (Lynx lynx) qui pourraient en réguler les populations. 260

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Figure 6-16 : Le raton laveur.

La perruche à collier L’envahisseur, comme nous venons de le voir, est parfois perçu avec indulgence eu égard à son côté esthétique, voire sympathique. C’est également le cas de la perruche à collier ou perruche de Kramer (Psittacula krameri), avec son magnifique plumage vert resplendissant, et sa longue queue turquoise. Cet oiseau exotique vole en escadrille et ponctue le ciel d’Île-de-France de ses cris bruyants. Cette perruche qui fréquentait, à l’état sauvage, les savanes et les zones cultivées d’Asie et d’Afrique est arrivée chez nous comme animal de compagnie. Des populations relâchées de façon accidentelle se sont parfaitement adaptées à notre climat. Fructivores et granivores, elles n’ont apparemment aucun problème pour trouver de quoi se nourrir durant la saison hivernale, et se reproduisent rapidement. Ces oiseaux nichent dans des anfractuosités ou des trous d’arbres, ce qui les met en compétition avec d’autres espèces occupant les mêmes nichoirs, comme les pics, les sittelles, les étourneaux, ou les écureuils. Avec 80 à 90 nids recensés en 2014, le parc de Sceaux situé dans les Hauts-de-Seine, est le plus grand site français de reproduction de l’espèce. La région parisienne accueille plus de 5 000 perruches, Bruxelles en compterait plus de 10  000 et Londres 30  000. Nombreux sont ceux qui offrent de la nourriture à ce psittacidé invasif, ce qui ne fait que favoriser son expansion. En Inde, cette perruche qui s’attaque aux cultures est classée comme nuisible (Figure 6-17). 261

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Figure 6-17 : la perruche à collier.

Les invertébrés

Nombreuses sont les espèces végétales qui souffrent des invasions d’insectes. On se souvient de la maladie de l’orme, ou graphiose de l’orme, due au champignon Ophiostoma ulmi et transmise par un coléoptère, le scolyte de l’orme (Scolytus scolytus). Elle a fait disparaître cette essence dans les années 1970. Des papillons comme la mineuse ou la sésie font des dégâts respectivement sur les marronniers ou les peupliers. Les pins maritimes et les pins d’Alep sont victimes de la processionnaire du pin. Quant aux palmiers, ils sont confrontés à l’attaque du charançon rouge (Rhynchophorus ferrugineus), originaire d’Indonésie, et qui sévit en région PACA et en Corse depuis 2006 où il a été identifié pour la première fois (Figure 6-18).

Figure 6-18 : Le charançon rouge. 262

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La processionnaire du pin « Les chenilles du pin peuvent nous donner, à cet égard, de précieux renseignements. N’en rougissons pas  : nos besoins matériels, la bête les partage ; elle lutte comme nous pour avoir sa part au banquet général des vivants ; et la manière dont elle résout le problème de l’existence n’est pas étude à dédaigner. Demandons-nous donc les motifs qui rendent le cénobitisme florissant chez la processionnaire. » Jean Henri Fabre (1823-1915), naturaliste, souvenirs entomologiques, série VI, chapitre 19

La processionnaire du pin (Thaumetopoea pityocampa) est un des plus grands ravageurs forestiers en France, ainsi que sur l’ensemble des pays méditerranéens. La chenille de ce papillon qui se nourrit d’aiguilles de pins et de cèdres, est à l’origine d’une défoliation massive de l’arbre. Elle provoque un ralentissement de sa croissance, le rend plus vulnérable aux maladies et aux autres ravageurs des forêts. C’est également un problème de santé publique, car les chenilles sont recouvertes de poils urticants dangereux pour l’homme et les animaux. Lorsque la chenille est dérangée, ou qu’elle se sent en danger, elle libère une poussière de milliers de poils urticants. Une seule chenille peut projeter 600 000 poils qui sont véhiculés par l’air et viennent s’accrocher à la peau. Les nids soyeux accrochés aux branches sont aussi une source de danger en cas de chute ou de manipulation. Le contact avec les soies urticantes entraîne des irritations de la peau, des yeux et des muqueuses. Les poils peuvent entraîner des allergies pulmonaires pouvant se compliquer de réactions générales chez les individus allergiques aux piqûres d’insectes (troubles cardiaques, neurologiques, choc anaphylactique). Un chien qui lèche ses démangeaisons ingère les poils et peut être victime d’une nécrose fatale de la langue (Figure 6-19). Cette espèce est en pleine expansion et elle remonte inexorablement vers le Nord, conséquence du réchauffement climatique. On la retrouve jusqu’en Bretagne et en Île-de-France. La pulvérisation d’un biopesticide à base d’une bactérie (Bacillus thuringiensis) sur les aiguilles des pins reste le moyen de lutte le plus efficace. Cette bactérie sans danger pour l’homme et les animaux, produit des toxines qui s’attaquent au système digestif de la chenille qui ne peut plus s’alimenter. Les autres techniques consistent à supprimer les nids à l’aide d’un échenilloir, à piéger les chenilles sur le tronc lors de leur migration, ou à utiliser des pièges à phéromones qui attirent les mâles et limitent ainsi les accouplements. 263

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Figure 6-19 : La chenille processionnaire du pin.

Le frelon asiatique Le frelon asiatique (Vespa velutina), ou frelon à pattes jaunes, est un hyménoptère invasif d’origine asiatique, dont la présence en France a été signalée pour la première fois dans le Lot-et-Garonne en 2004. Il a été introduit de façon involontaire dans des caisses de poteries destinées à un horticulteur. Ce frelon a pour origine le Nord de l’Inde, la Chine, et l’Asie du Sud-Est. Cette espèce est très facile à reconnaître, car c’est la seule guêpe en Europe à posséder une livrée aussi foncée. Sa tête est noire, la face jaune orangé, les pattes jaunes à l’extrémité. Il est un peu plus petit que notre frelon d’Europe (Vespa crabro) (Figure 6-20). Cette espèce construit un volumineux nid de cellulose mâchée, composé de plusieurs galettes de cellules entourées d’une enveloppe faite de larges écailles, striées de beige et de brun. Il peut atteindre un mètre de diamètre et abriter 2  000 individus. On peut en trouver partout  : dans des cavités souterraines, 264

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Figure 6-20 : Le frelon asiatique.

sous les toits, dans des greniers, dans des buissons, sur des façades de maisons, ou encore dans des arbres, jusqu’à plus de 20 mètres de hauteur. Depuis son lieu d’introduction, l’insecte s’est ensuite largement répandu dans une grande partie du Sud-Ouest de la France pour au final coloniser les trois quarts ouest du territoire en 2016. Il a commencé sa progression en Europe (Espagne, Portugal, Italie, Belgique) et a même été signalé en Europe de l’Est. Ses principales proies sont les mouches, les guêpes et les abeilles. Cette invasion biologique est très préoccupante pour la filière apicole car les abeilles domestiques constituent l’une des proies favorites de l’hyménoptère. L’abondance des ruchers favorise la multiplication du prédateur qui présente à la fois une menace écologique et économique. Le frelon se place en vol stationnaire en face des ruches puis il plonge sur sa proie, la saisit et la tue d’un coup de mandibules derrière la tête avant de l’emporter dans un arbre pour la dépecer. Après s’être débarrassé de la tête, des pattes, des ailes et de l’abdomen, il fait une boulette du thorax qu’il emporte jusqu’au nid pour en nourrir les larves de la colonie. Les adultes ne se nourrissent que de liquides sucrés (miellat, nectar, fruits mûrs). Un arrêté ministériel en décembre 2012 a classé le frelon asiatique « dans la liste des dangers sanitaires de deuxième catégorie pour l’abeille domestique 265

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Apis mellifera sur tout le territoire français.  ». Selon l’INRA, l’éradication du frelon à pattes jaunes doit maintenant être considérée comme un leurre. Son implantation géographique est trop étendue et les niveaux de population sont trop importants. La destruction des colonies reste aujourd’hui la méthode la plus efficace pour diminuer les populations du frelon asiatique qui n’a pas de réel prédateur dans son nouvel environnement. Une équipe du CNRS dirigée par Éric Darrouzet (CNRS/université François Rabelais de Tours) a mis en évidence en 2014, son parasitage possible par la petite « mouche » parasitoïde Conops vesicularis. Cette espèce européenne pond habituellement ses œufs dans l’abdomen des reines de frelons et bourdons, ses larves qui se nourrissent des chairs, entraînent la mort de l’hôte et la disparition de la colonie. Des pièges sélectifs à phéromones sont également à l’étude.

La mineuse du marronnier La mineuse du marronnier (Cameraria ohridella) est un microlépidoptère dont les chenilles s’attaquent au marronnier d’Inde (Aesculus hippocastanum), un arbre originaire des Balkans. Cette espèce était inconnue des entomologistes jusque dans les années 1980, où elle a été découverte en Macédoine près du lac Ohrid et décrite comme « espèce nouvelle » en 1986. Elle est apparue pour la première fois en France en 2000, en Alsace. Elle a envahi l’Europe en moins de quinze ans, principalement grâce au concours de l’homme et de son réseau routier. Les chrysalides « candidates à l’émigration » ont voyagé à la vitesse de 60 km par an, avec les feuilles mortes qui s’accrochent aux véhicules. Le trajet de l’invasion a suivi celui des grands axes routiers. La chenille s’installe entre les deux épidermes de la feuille. Les mines se présentent sous la forme de taches rousses à la surface supérieure des feuilles. La tache s’élargie au fur et à mesure que la chenille se développe dans le parenchyme des feuilles, provoquant le brunissement et la chute prématurée de ces dernières en plein été. Les dégâts sont aussi spectaculaires qu’esthétiques car l’ensemble du houppier prend alors une couleur brune ; les arbres sont souvent entièrement dénudés au milieu de l’été. La baisse de la photosynthèse a un impact sur les marrons dont le poids est divisé par deux. Dans les connaissances actuelles, la prophylaxie est la meilleure solution, il faut ramasser les feuilles tombées et les détruire systématiquement pour éliminer les mineuses qui vont hiverner pour remonter dans l’arbre au printemps suivant. On peut utiliser le broyage/compostage ou l’incinération. Ces méthodes permettent de diminuer l’impact de l’attaque à la nouvelle saison. Des pièges à phéromones sont commercialisés pour piéger les papillons mâles et limiter la prolifération. Quant aux insecticides disponibles dans le commerce, ils ne sont pas spécifiques. Le marronnier à fleurs rouges (Aesculus carnea) est moins sensible aux attaques de la mineuse (Figure 6-21). 266

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Figure 6-21 : La mineuse du marronnier (papillon et chenille).

Le milieu aquatique Les vertébrés

Le ragondin Le ragondin (Myocastor coypus) est un gros rongeur à la silhouette massive et au pelage brun (il peut peser jusqu’à dix kilogrammes), pourvu d’une grosse tête avec de toutes petites oreilles. Ses pattes arrière sont en partie palmées. La queue, écailleuse, est longue et cylindrique. Le bout du museau, le menton et la plupart des vibrisses sont blancs (Figure 6-22). Le principal critère d’identification réside dans la face externe de ses quatre incisives, de couleur rouge vermillon. Il affectionne les cours d’eau lents, les eaux stagnantes, les marais, les lagunes et les estuaires. Il a la fâcheuse habitude de creuser des terriers dans les berges qui sont alors fragilisées. C’est un végétarien qui se nourrit de roseaux et de joncs, mais ne dédaigne pas les céréales comme le blé ou le maïs, au grand dam des agriculteurs, car cette espèce consomme chaque jour 30 à 40 % de son poids en végétaux. En hiver, il complète son régime alimentaire avec des écorces et des racines. L’espèce, originaire d’Amérique du Sud, a été introduite en Europe au xixe  siècle pour l’exploitation de sa fourrure. L’animal se reproduisant vite, les 267

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élevages se sont multipliés. Bon nombres de ces animaux se sont échappés d’enclos mal adaptés. La crise de 1929 a ruiné les éleveurs qui les ont relâchés dans la nature. Cette espèce exotique a colonisé une grande partie de la France depuis les années trente. Le ragondin est désormais présent dans plus de 70  départements. On trouve même des colonies aux portes de Paris, dans le bois de Meudon (étangs de Vélizy), ou sur les berges de la Seine. La population actuelle est évaluée à plus de 400 000 individus mais ces chiffres sont sous-estimés. Le ragondin a été classé en tête des dix espèces exotiques les plus nuisibles d’Europe. En consommant la végétation aquatique des berges, il réduit la surface de roselières utilisées par diverses espèces d’oiseaux aquatiques pour les besoins de leur reproduction, et celle de frayères de poissons d’eau douce et de crapauds. Jusqu’en 2005, on utilisait des anticoagulants (bromadiolone) pour limiter les populations. Le produit ayant été jugé dangereux pour l’environnement, on lui préfère les cages-pièges, ou le tir au fusil. Depuis quelques années, on pratique même la chasse à l’arc du rongeur. Des études sont en cours pour la préparation d’appâts imprégnés d’hormones contraceptives destinés à limiter la population.

Figure 6-22 : Le ragondin. 268

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La tortue de Floride La tortue de Floride ou Trachémyde à tempes rouges (Trachemys scripta) est une espèce aquatique carnivore introduite en Europe dans les années 1970 comme animal d’agrément. Elle est facilement identifiable par la bande unique de couleur rougeâtre qu’elle a sur ses tempes (Figure 6-23). Les bébés tortues, de quelques centimètres, ont fait craquer les enfants tout comme les parents. Cette tortue vendue comme « naine », dans les magasins d’aquariophilie, s’est vite révélée encombrante dans son aquarium à l’âge adulte (30 centimètres de longueur, pour un poids moyen de 3,2 kilogrammes). Une fois relâchées dans la nature, elles ont colonisé les lacs et les étangs. Cette tortue à l’appétit gargantuesque consomme aussi bien des algues, que des poissons, des amphibiens ou des insectes. En l’absence de prédateur naturel, elle a proliféré pour vite devenir invasive. Une fois installée, elle est entrée en compétition avec l’habitante des lieux, la tortue aquatique européenne ou cistude d’Europe (Emys orbicularis), une espèce autochtone à la peau constellée de points jaunes (Figure 6-23). Cette espèce indigène, protégée depuis 1979, fréquente les marais, les étangs, les canaux ou les lacs, où elle se nourrit de poissons morts, de vers, de mollusques ou de crustacés. La cistude participe ainsi à l’équilibre écologique des zones humides. Face à l’avancée de la tortue de Floride depuis 40 ans, elle voit son territoire et ses ressources se réduire inexorablement. L’importation des tortues nord-américaines a été interdite par la Commission européenne en 1997, mais il était trop tard et déjà quatre millions d’individus avaient été commercialisés en France. La leçon n’a pas été retenue puisque de nombreuses autres espèces de tortues, notamment des genres Pseudemys, Graptemys et Chrysemys, ont été introduites dans la nature et peuvent poser à court terme, des problèmes écologiques similaires à ceux posés par la Trachémyde à tempes rouges. La détention de toutes les espèces de ces genres

Figure 6-23 : La cistude d’Europe indigène (à gauche) et la tortue de Floride invasive (à droite).

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est soumise à autorisation (arrêté ministériel du 10 août 2004). Pour compléter ce tableau déjà sombre, il faut savoir que la tortue de Floride est potentiellement porteuse de bactéries pathogènes, tels que Salmonella enterica, transmissibles à l’homme. Les invertébrés

L’écrevisse américaine L’écrevisse rouge de Louisiane (Procambarus clarkii) est un crustacé décapode d’eau douce, originaire du Mexique et du Sud-Est des États-Unis. On la reconnaît facilement aux « picots » qui hérissent ses pinces (Figure 6-24). Elle a été introduite en Europe à des fins commerciales. Les espèces indigènes comme l’écrevisse à pattes blanches (Austropotamobius pallipes), victimes de surpêche, étaient déjà en forte régression dans les ruisseaux. Une fois implantée, l’écrevisse rouge est vite devenue invasive, et n’a fait qu’accélérer la disparition des espèces autochtones. C’est une espèce omnivore qui peut s’attaquer aux têtards de grenouilles, aux pontes, aux petits poissons, aux larves. Elle se nourrit même de détritus. Elle s’adapte à tous les milieux et peut représenter une biomasse de 2,5 tonnes/hectare d’étang. Capable de creuser des galeries de quatre mètres de profondeur, elle augmente la turbidité de l’eau. Elle résiste longtemps hors de son élément naturel et peut traverser des routes goudronnées, pour parcourir jusqu’à trois kilomètres en une seule journée. L’introduction d’anguilles et de brochets est une alternative pour réguler les populations. Ce crustacé représente un énorme marché puisqu’on en consomme 50 000 tonnes chaque année dans le monde.

Figure 6-24 : L’écrevisse de Louisiane. 270

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Quand la crépidule débarque sur nos côtes La crépidule (Crepidula fornicata) est un mollusque gastéropode marin originaire de la côte Est des États-Unis et qui s’est invitée sur nos côtes, où elle prolifère depuis plusieurs décennies (Figure 6-25). Elle est tout d’abord arrivée dans les années 1920 sur les rivages de la Tamise, avec des naissains d’huitres américaines. C’est toujours dans cette zone que le matériel de préparation du débarquement des forces alliées a été stocké en vue de l’opération de débarquement de juin 1944. Les larves étaient accrochées aux barges et aux pontons qui servirent à construire les ports artificiels d’Omaha Beach et d’Arromanches en Normandie. La crépidule venait de débarquer de façon massive sur nos côtes. Ce mollusque fait preuve d’une grande adaptabilité et n’a pas de prédateur naturel. Il a pu se répandre avec la pêche à la drague ou au chalut, qui ont disséminé l’espèce. Des études menées par l’Ifremer ont révélé des bancs de crépidules évalués à 150  000 tonnes en baie du Mont-Saint-Michel, et à 250  000 tonnes en baie de Saint-Brieuc, avec des biomasses pouvant atteindre dix kilogrammes au mètre carré. Ce gastéropode filtreur entre en compétition pour la nourriture et l’espace avec les huitres, les pétoncles, les palourdes, les moules ou les coquilles SaintJacques. La biodiversité benthique s’appauvri avec des fonds uniformément recouverts de crépidules. De plus, le mollusque se fixe aux espèces conchylicoles (phorésie) et nécessite un surcroît de main-d’œuvre pour nettoyer les coquillages avant leur commercialisation. Les opérations de dragage sont inefficaces car les sites sont très vite réinfestés. Le broyage des coquilles et l’enfouissement dans les champs qui permet d’amender les sols est une alternative. La chair étant comestible, elle est commercialisée sous le nom de « berlingot de mer ». Des chefs étoilés et des écoles hôtelières rivalisent de recettes pour cuisiner ce nouveau « fruit de mer ». Le fléau deviendra-t-il une nouvelle manne ?

Figure 6-25 : La crépidule. 271

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LES ANIMAUX VENIMEUX «  Quand les chercheurs se mettent à transformer les toxines mortelles en molécules bénéfiques, tous les espoirs sont permis. » Pierre Potier (1934-2006), pharmacien, Le magasin du Bon Dieu, 2001

Les venins dans l’histoire L’intérêt pour les animaux venimeux et les venins remonte à l’Antiquité. Hippocrate au ve siècle av. J.-C s’intéressait déjà aux effets des morsures de vipère et il en avait codifié le traitement. Il considérait également le venin d’abeille comme un remède idéal pour traiter l’arthrite et les problèmes d’articulations. Un siècle plus tard, Aristote (384-322 av. J.-C.) dans son Histoire des animaux décrit les effets des piqûres d’abeilles, de scorpions ou d’araignées. À la Renaissance, les avancées dans les domaines de l’anatomie et de la physiologie permettent de rationaliser l’étude des venins et de l’envenimation. À la fin du xviie siècle, le biologiste italien Francisco Redi (1626-1697) décrit l’appareil venimeux de la vipère en distinguant le venin, de la glande qui le produit. Il constate que le venin peut être ingéré sans conséquence. Dans son Traité sur le venin de la vipère, l’abbé Felice Fontana (1730-1805) fonde ce que l’on appelle aujourd’hui la toxinologie, discipline qui traite spécifiquement de l’étude des toxines (structure et mécanisme d’action) et qu’il ne faut pas confondre avec la toxicologie qui étudie les effets sur l’organisme des produits toxiques et les moyens de les combattre. En 1843, le naturalise Charles-Lucien Bonaparte (1803-1857) isole par précipitation à l’alcool l’échidine, le principe actif du venin de vipère. La découverte de l’anaphylaxie C’est en étudiant les effets des toxines de cnidaires que Paul Portier (18661962) et Charles Richet (1850-1935) découvrent, en 1902, la réaction anaphylactique. En 1901, alors qu’ils participent à l’expédition océanographique du prince Albert Ier de Monaco, au large des Açores, ils réalisent des observations sur les physalies (Physalia physalis). Cette espèce de siphonophore provoque des allergies sur les membres des marins qui remontent les chaluts du bateau. Ils vont ensuite étudier l’action de leurs toxines sur les chiens. Les chiens immunisés avec la toxine une première fois, et ayant survécu, n’étaient pas protégés, mais au contraire, devenaient plus sensibles à une deuxième injection de la toxine. C’est ce que l’on nomme, aujourd’hui, un choc anaphylactique. Les deux savants ont appelé cette réaction l’anaphylaxie, le contraire de la phylaxie ou protection. Charles Richet recevra le prix Nobel de médecine et de physiologie 272

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en 1913. Ce mécanisme sera ensuite vérifié avec des abeilles ou des serpents. Au xxe siècle, on commence à isoler les toxines de différents venins. Le rôle des venins et des toxines, une fonction universelle On retrouve la fonction venimeuse aussi bien chez les invertébrés, que chez les vertébrés, dans les milieux terrestres, tout comme dans les milieux aquatiques. Les espèces venimeuses se rencontrent sous presque toutes les latitudes. Dans le monde vivant, le venin reste l’arme chimique la plus performante. Elle est utilisée aussi bien pour la prédation que pour la défense : – la prédation : l’animal se sert de son venin pour immobiliser sa proie et se nourrir, voire y pondre sa progéniture. C’est ce que l’on retrouve chez les méduses, les cônes, les anémones, les scorpions, les serpents, les araignées, ou les guêpes ; – la défense  : l’animal tente de se protéger contre des prédateurs ou des intrus. C’est le cas des abeilles, crapauds, grenouilles, poissons, mais également de certains oiseaux et mammifères. On notera ici que l’homme est souvent la victime involontaire de cette envenimation, car il en est rarement le destinataire. L’envenimation intervient le plus souvent par imprudence, par accident, ou lors d’une tentative de capture ou de manipulation. On distingue les animaux venimeux actifs des animaux venimeux passifs. Chez les premiers qui sont les plus nombreux, la glande à venin est reliée à un appareil inoculateur (crochet, dent, éperon, dard…) qui permet une introduction directe du venin dans la circulation sanguine. Dans de rares cas, c’est sa projection qui sera irritante pour les yeux ou la peau. Quant aux animaux venimeux passifs, ils sont dépourvus de dispositif d’inoculation. Le venin secrété au niveau de la peau, ou de la carapace, peut alors pénétrer par une blessure, ou en traversant une muqueuse (œil, bouche). Certains animaux venimeux passifs utilisent le venin pour dissuader les agresseurs, le plus souvent en développant, en parallèle des signaux visuels d’avertissement, comme une coloration aposématique (insectes, grenouilles, salamandres). Les venins sont pour la plupart composés de substances peptidiques (protéines), et plus rarement d’alcaloïdes. Ce sont de véritables cocktails de molécules d’une grande diversité (un venin comporte généralement entre 200 et 500 composants). Les substances peptidiques se répartissent en deux familles, les enzymes et les toxines : – les premières sont des catalyseurs biologiques comme des protéases qui détruisent les tissus et affectent la coagulation sanguine. Il peut s’agir de phospholipases qui dégradent les membranes cellulaires, de 273

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hyaluronidases qui augmentent la perméabilité des tissus (elles favorisent la diffusion du venin) ou de phosphatases. On comprend que ces enzymes peuvent conduire à la nécrose des tissus, mais également à des hémorragies ou des caillots selon leur activité catalytique. Comme le souligne le Docteur Jean Philippe Chipeaux de l’IRD (Institut de recherche pour le développement), l’action toxique peut se prolonger plusieurs jours après la pénétration de l’enzyme, avec des conséquences tardives ; – les secondes sont des protéines de petite taille, qui pénètrent rapidement dans l’organisme. Les toxines vont se lier à un récepteur* qui sera activé ou inhibé selon le cas, entraînant des dysfonctionnements de ce dernier. Les toxines sont des mélanges complexes de parfois plusieurs milliers de molécules pour un même venin. On les classe en cinq grandes catégories : • les neurotoxines qui s’attaquent au système nerveux en bloquant la transmission neuromusculaire. Elles vont fonctionner à la manière des curares, et peuvent entraîner un arrêt respiratoire, • les hémorragines, à l’origine d’hémorragies, mais aussi des coagulations intra-vasculaires, des hémolyses, ou des nécroses, • les cytolysines qui en détruisant la paroi des cellules, entraînent des nécroses cutanées parfois très importantes, pouvant pénétrer jusqu’à l’os, • les hémolysines, à l’origine de la destruction des globules rouges du sang, • les substances histaminiques, provoquant une réaction immunitaire et vasomotrice pouvant entraîner un choc et la mort. Le tableau clinique de l’envenimation est directement lié à la composition du venin et à la condition physique de la victime. L’action des toxines est multiple, elles vont provoquer des paralysies, des nécroses, des tétanies, des palpitations, etc. Ces réactions peuvent soit rester bénignes, soit entraîner des complications très graves, sinon mortelles, avec paralysie du système respiratoire, troubles de la coagulation, hémorragies, destruction des tissus, œdèmes, etc. DÉFINITION Récepteur En biochimie, un récepteur est une protéine de la membrane cellulaire, du cytoplasme ou du noyau cellulaire. Ce sont des macromolécules ayant pour fonction de reconnaître et de fixer des molécules venant de l’extérieur de la cellule. La molécule qui se fixe au récepteur est appelée ligand. En général, il s’agit d’hormones ou de neurotransmetteurs. Un récepteur peut être assimilé à une petite serrure dont les clés sont les hormones produites par notre organisme. Dans notre cas le ligand, c’est le venin que l’on peut représenter à l’image d’un grand trousseau de clés qui va « ouvrir » en même temps une énorme quantité de serrures, provoquant un bouleversement dans tout l’organisme de la personne envenimée.

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Remarque Il ne faut pas confondre les animaux venimeux avec les animaux vénéneux. Ces derniers concentrent dans leurs tissus des substances toxiques provenant de leur nourriture habituelle ou occasionnelle, et ne doivent pas être consommés, leur chair pouvant s’avérer toxique. L’animal vénéneux peut produire lui-même des substances toxiques s’accumulant parfois préférentiellement dans un organe (foie du poisson fugu contenant de la tétrodotoxine, muscles, etc.). Il peut aussi les séquestrer à partir d’un producteur qu’il consomme (papillon monarque ou doryphore se nourrissant sur une plante toxique). L’intoxication survient après ingestion de l’espèce vénéneuse. Les invertébrés venimeux

Les cnidaires Les cnidaires (du grec knidē,  ortie, urticant) sont des invertébrés marins comportant une cavité centrale en forme de sac, qui constitue leur système digestif et d’où sortent des tentacules armés de cellules urticantes. Ces invertébrés existent sous deux formes : les formes fixées ou polypes (corail, anémone de mer) et les formes libres (méduses). Les méduses et les anémones sont pourvues de tentacules recouverts de capsules urticantes appelées cnidoblastes ou cnydocytes. Chaque capsule renferme un filament équipé d’un harpon, le cnidocyste ou nématocyste. C’est ce nématocyste qui est expulsé et c’est aussi lui qui pénètre dans notre peau quand on touche les filaments ou les tentacules. Le venin contient des neurotoxines destinées à paralyser la proie. Dans le muscle cardiaque, les toxines vont libérer les ions calcium qui peuvent dans certains cas aboutir à un arrêt cardiaque. Les anémones de mer ou «  orties de mer  » portent des tentacules qui déclenchent des lésions urticariennes. Si les accidents restent rares, certaines espèces tropicales peuvent être à l’origine de nécroses mortelles. La physalie (Physalia physalis) ou Galère portugaise, citée plus haut, n’est pas une méduse mais une colonie de polypes. Elle se présente sous l’aspect d’un sac en forme de baudruche, gonflé de gaz, appelé « flotteur » ou « pneumatophore » qui lui permet de naviguer au gré des vents et des courants. Ce flotteur porte une ligne de crête aux couleurs irisées de l’arc-en-ciel. Les tentacules qui peuvent atteindre 50 mètres de longueur, se situent sous le flotteur et ils sont couverts de milliers de cellules urticantes (Figure 6-26). Les filaments conservent leur pouvoir urticant longtemps après un échouage. Les brûlures très douloureuses peuvent causer un choc anaphylactique et nécessitent une consultation. 275

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Figure 6-26 : Physalie (à gauche) et guêpe de mer (à droite).

En Méditerranée, on peut être confronté à la méduse Pelagie (Pelagia noctiluca) ou « piqueur mauve » dont les tentacules sont très urticants. La douleur vive et la sensation de brûlure vont croissant pendant 30 à 40 minutes. Certaines années, cette espèce peut pulluler sur des dizaines de kilomètres carrés et tuer toute la faune piscicole. Les méduses les plus venimeuses connues à ce jour, sont les méduses-boîtes également appelées cuboméduses. Elles doivent leur nom à la forme cubique de leur ombrelle. On les trouve dans les eaux de l’océan Indien et du Pacifique. Leur piqûre très douloureuse, peut causer la mort en quelques minutes. Les toxines contenues dans le venin s’attaquent au cœur, au système nerveux et aux cellules de la peau. Ainsi, les personnes piquées peuvent se noyer ou mourir d’un arrêt cardiaque avant même d’être sorties de l’eau. La cuboméduse d’Australie (Chironex fleckeri) ou «  guêpe de mer  » est présente sur le Nord du littoral australien (Figure 6-26). Cette méduse est transparente, ce qui la rend invisible. Ses tentacules urticants peuvent atteindre quatre mètres de longueur. Toutes les personnes touchées évoquent une douleur atroce. Les sauveteurs australiens ont toujours dans leur trousse de l’adrénaline et un kit de sérum anti-venin. Ses toxines en font un des animaux les plus dangereux de la planète. C’est aussi un chasseur actif qui se déplace à la recherche de petits poissons ou de zooplancton.

Les annélides Le principal danger vient d’une famille de vers polychètes comme Hermodice carunculata surnommé «  ver de feu  » dont les soies creuses peuvent rester 276

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fichées dans l’épiderme. Elles contiennent des neurotoxines à l’origine de prurit et d’urticaire. On peut les retirer à la pince à épiler, ou à l’aide d’une bande de tissu adhésif.

Les mollusques Ce sont surtout certaines espèces de cônes qui peuvent s’avérer extrêmement dangereux. Ces gastéropodes très appréciés des collectionneurs contiennent des substances neurotoxiques (les conotoxines) que le mollusque est capable de projeter à l’aide d’un harpon sur son agresseur. C’est ce qui arrive au plongeur qui le manipule. La victime est paralysée et l’envenimation peut être mortelle. Comme nous l’avons développé dans le chapitre IV, un médicament contre la douleur a été développé à partir des conotoxines du mollusque. Citons aussi la pieuvre à anneaux bleus (Hapalochlaena maculosa), un minuscule céphalopode de la taille d’une balle de golf, les tentacules repliés. C’est le seul céphalopode capable de tuer un humain. Il possède deux glandes venimeuses, produisant deux types de venin différents : le venin d’attaque qui sert à la chasse et le venin de défense pour se protéger des prédateurs. Cette beauté fatale produit un cocktail de neurotoxines pouvant entraîner la mort par détresse respiratoire en quelques minutes, et il n’existe pas d’antidote. La pieuvre à anneaux bleus est considérée comme l’un des animaux les plus venimeux, au monde. La victime doit être placée en assistance respiratoire le plus vite possible.

Les échinodermes La piqûre des oursins est rarement accompagnée d’une injection de venin. Elle entraîne une inflammation et des lésions locales souvent dues aux fragments restés sous la peau. Il conviendra de se méfier de certaines étoiles de mer dotées de piquants comme l’acanthaster pourpre ou « coussin de belle mère  » (Acanthaster planci). Le venin de cette espèce tropicale est composé de saponines qui détruisent les cellules sanguines et de toxines allergisantes et anticoagulantes. Les piquants peuvent traverser une combinaison de plongée.

Les insectes Parmi les insectes venimeux, figurent principalement les hyménoptères (abeilles, guêpes, frelons, bourdons, fourmis) qui arrivent en tête en raison des risques qu’ils nous font courir. Le fait de vivre en communauté pour certaines espèces augmente le risque d’envenimation par des piqûres multiples. C’est dans les pays développés que l’on rencontre le plus de personnes présentant une sensibilisation aux venins de guêpes ou d’abeilles (Figure 6-27). 277

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Figure 6-27 : Hyménoptères dangereux, abeille (A), fourmi (B), guêpe (C).

Les venins d’hyménoptères sont des mélanges complexes de protéines toxiques (apamine, mellitine), d’enzymes (hyaluronidases, phospholipases, protéases, cholinestérases), d’amines biogènes (histamine, sérotonine, tyranine), et de molécules issues des voies métaboliques de l’insecte. Chez l’abeille domestique (Apis mellifera), la mellitine (absente chez les autres hyménoptères) est un peptide de 26 acides aminés. C’est l’un des principaux composants toxiques du venin d’abeille, car elle représente entre 40 et 50 % du poids du venin d’Apis mellifera. Elle possède une activité hémolytique, ainsi qu’un effet hypotenseur, par vasodilatation capillaire et une action histaminolibératrice. Toujours chez l’abeille, on trouve de l’apamine (2 % du poids du venin), un peptide de 18 acides aminés à action neurotoxique. Cette molécule capable de franchir la barrière hémato-méningée peut avoir une action sur le système nerveux central. Le venin des guêpes et des frelons contient également des enzymes (essentiellement des phospholipases et des protéases), des peptides (kinines, mastoparans) et des amines, (sérotonine, dopamine, mais surtout l’histamine entraînant les réactions allergiques). La piqûre d’hyménoptère s’accompagne toujours d’une réaction locale érythémateuse et douloureuse au point d’inoculation du venin. Le risque le plus grave est toujours celui d’une réaction allergique (choc anaphylactique), car elle peut être déclenchée avec une seule piqûre. Les symptômes sont généralisés  : la rougeur et le gonflement ne sont plus limités à la zone de piqûre mais très étendus. Les signes cutanés de type urticaire généralisé et angio-œdème sont les plus courants. Le sujet est pris de détresse respiratoire, avec risque de collapsus cardiovasculaire (effondrement de la pression 278

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sanguine). En France, les piqûres d’hyménoptères tuent en moyenne une quinzaine de personnes par an. L’adrénaline est le médicament de secours le plus utile pour traiter le choc anaphylactique. L’adrénaline doit être injectée dès les premiers signes d’anaphylaxie grave par le patient lui-même (dispositif auto-injecteur d’adrénaline) ou par toute personne de son entourage. Pour les fourmis, c’est un peu différent, puisque le venin est composé à 90 % d’alcaloïdes (alkyl pipéridine). Ces molécules provoquent immédiatement un abcès et une rougeur qui évolue en une pustule stérile. N’oublions pas les lépidoptères qui peuvent être à l’origine d’intoxications. De nombreuses espèces de papillons ont des chenilles recouvertes de poils urticants. C’est le cas de la chenille processionnaire du pin (Thaumetopoea pityocampa) décrite dans les espèces invasives de ce chapitre. Chaque chenille porte plus de 600  000 poils urticants qui sont projetés en l’air à la moindre agression. Leur pouvoir urticant peut provoquer d’importantes réactions allergiques (érythèmes ou éruptions prurigineuses sur les mains, le cou, le visage), accompagnées d’atteintes oculaires ou respiratoires, voire des réactions allergiques plus graves telles qu’un œdème de Quincke ou un choc anaphylactique. Les poils peuvent rester urticants durant plusieurs années.

Les arachnides Les araignées et les scorpions sont les principales espèces dangereuses. Les scorpions disposent d’un aiguillon ou dard venimeux, avec lequel ils paralysent leurs proies, tandis que les araignées mordent leurs victimes avec leurs chélicères (pièces buccales terminées par un crochet) et injectent leur venin (Figure 6-28). Les

Figure 6-28 : Une araignée tégénaire et ses chélicères. 279

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araignées produisent deux sortes de venin : un venin pour paralyser leur proie, et un autre pour liquéfier l’intérieur de leur proie qui sera ensuite « sirotée ». Sur les 45 000 espèces d’araignées identifiées, près de 37 000 sont potentiellement dangereuses pour l’homme. Dans les pays tempérés, les envenimations sont assez rares, à l’exemple de quelques cas de morsures sans réelle gravité enregistrées avec l’argiope frelon (Argiope bruennichi), ou l’épeire diadème (Araneus diadematus). Nos espèces indigènes sont peu agressives à l’exception toutefois de la veuve noire et de ses espèces voisines (Latrodectus mactans ou L. hasselti). La malmignatte (Latrodectus tredecimguttatus) ou veuve noire d’Europe possède un venin très puissant à l’origine de troubles importants. On la retrouve dans le Sud de la France et en Corse. Elle est facile à identifier avec son corps noir ponctué de treize points rouges. Elle produit une neurotoxine qui s’attaque aux vésicules synaptiques. La morsure est peu douloureuse sur le moment, puis la douleur s’amplifie avec des myalgies et des contractures abdominales, des sueurs, des nausées, des vomissements. La pression artérielle est augmentée. Ce type de morsure nécessite une consultation ou un appel au Samu (Figure 6-29).

Figure 6-29 : Argiope frelon (A), épeire diadème (B), veuve noire (C) 280

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Les scorpions font plus de 5 000 victimes chaque année dans le monde. La morbidité et la mortalité sont les plus élevées en Afrique du Nord, en Amérique centrale et au Moyen-Orient. Dans le Sud de la France, on rencontre Buthus occitanus, le scorpion languedocien qui passe son temps sous une pierre, dans la garrigue à attendre une araignée sa proie favorite. Je vous renvoie une fois de plus à la lecture des Souvenirs entomologiques de Jean-Henri Fabre (1823-1915) qui a décrit cette espèce qu’il observait sur les pentes du mont Ventoux. La piqûre, bien que non mortelle, est très douloureuse. La présence de neurotoxines peut entraîner des complications chez des sujets sensibles, comme de la tachycardie, des sueurs, des nausées, des diarrhées et des vomissements. Attention aux endroits sombres comme les placards et les penderies où l’on cherche à tâtons  ! Lors d’un voyage dans un pays à risque, il convient de se renseigner sur les espèces locales dangereuses.

Figure 6-30 : Le scorpion languedocien Buthus occitanus.

Remarque Des études effectuées sur le venin d’un scorpion tunisien Scorpio maurus palmatus, ont conduit à l’isolement d’un peptide la maurocalcine (MCa). Cette toxine constituée de 33 acides aminés active la pénétration cellulaire. Couplée à la doxorubicine, un agent anti-tumoral, la maurocalcine peut rendre chimiosensibles des cellules cancéreuses devenues chimio-résistantes. La maurocalcine s’est avérée efficace pour la délivrance cellulaire de nanoparticules, ce qui laisse à présager de nombreuses applications biotechnologiques dans la délivrance des médicaments. 281

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Les myriapodes Les myriapodes sont des arthropodes terrestres souvent appelés à tort «  mille-pattes  ». Si les reportages animaliers sur les scolopendres géants d’Amérique du Sud, nous ont familiarisés avec ces animaux dont la morsure est très douloureuse, on connaît beaucoup moins nos espèces indigènes. En France, il convient de se méfier de certaines espèces venimeuses. Des diplopodes comme les Gloméris (Glomeris maginata) peuvent s’avérer dangereux. Ces animaux qui ressemblent aux cloportes (qui eux sont de vrais crustacés), ont le corps recouvert d’une carapace articulée et sont capables de se rouler en boule lorsqu’ils sont agressés. Ils secrètent de façon passive des substances toxiques comme la glomérine et l’homoglomérine. Ces animaux vivent dans la litière des feuilles (Figure 6-31). N’oublions pas une bestiole « pleine de pattes » qui fréquente nos maisons, c’est la scutigère véloce (Scutigera coleoptrata), dotée d’un corps articulé d’environ trois centimètres et de 15 paires de pattes aussi fragiles que du verre. Elle ne vous mordra qu’en dernier recours si vous l’agressez. Le venin provoque une réaction épidermique semblable à celle d’une piqûre de guêpe. On a signalé des cas d’allergies. Laissez la tranquille, son travail domestique consiste à vous débarrasser des blattes et autres « indésirables » (Figure 6-31).

Figure 6-31 : Deux myriapodes venimeux : le gloméris (à gauche) et la scutigère véloce (à droite).

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Les vertébrés venimeux

Les poissons On connaît quelques espèces de poissons possédant un appareil venimeux situé au niveau de nageoires épineuses sur lesquelles on se pique en voulant saisir le poisson, ou en marchant accidentellement dessus. C’est le cas sur nos côtes des rascasses (genre Scorpaena) et des vives, des poissons de roches qui entrent dans la composition de la célèbre bouillabaisse. Les vives sont des poissons qui fréquentent essentiellement les eaux tempérées. Deux espèces sont dangereuses : – la petite vive (Echiichthys vipera) ou vive vipère est très redoutée sur les côtes françaises en raison des piqûres douloureuses qu’elle inflige. Elle reste cachée dans le sable ; – la grande vive (Trachinus draco) qui peut mordre à l’hameçon d’un pêcheur et le blesser au cours d’une manipulation. Ces poissons passent une partie de leur existence, enfouis dans le sable, dans les eaux peu profondes. Quand ils se sentent menacés, ils redressent les aiguillons venimeux qui se trouvent sur leur dos et leur tête et injectent à leur victime un venin très puissant. Le pied est l’organe le plus touché car c’est lui que l’on pose par mégarde sur le poisson. La zone piquée peut être douloureuse pendant plusieurs semaines et il faut veiller à éviter tout risque de surinfection. Si dans la majorité des cas, ces accidents ne sont pas fatals, ils peuvent provoquer une syncope à l’origine de la noyade du sujet piqué. Même morts, ces poissons restent dangereux et les cuisiniers qui les accommodent pour préparer la bouillabaisse, doivent prendre de grandes précautions et utiliser des gants. Le poison reste actif même après une congélation ; le venin renferme un cocktail d’hémolysines, de lipases, de cholinestérases, de protéases, de sérotonine, et d’histamine. Cela explique la paralysie du membre et les troubles cardiaques et respiratoires. La toxine étant thermolabile, on peut pratiquer un « choc thermique » qui consiste à approcher une source de chaleur ponctuelle (cigarette, sèche cheveux) pendant deux à trois minutes, puis appliquer une source de froid (glaçons dans un linge, bouteille glacée) (Figure 6-32).

Figure 6-32 : Petite vive. 283

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Les amphibiens De nombreux amphibiens secrètent des substances neurotoxiques au niveau des glandes muco-sébacées de leur peau. C’est lors de la manipulation de ces animaux que nous risquons une intoxication. Le mucus reste sur les mains et l’envenimation passive se fait par contact des muqueuses (œil, lèvres) ou d’une blessure. En France, deux animaux peuvent s’avérer dangereux, le crapaud commun (Bufo bufo) et la salamandre commune ou salamandre tachetée (Salamandra salamandra). Lorsqu’il se sent menacé, le crapaud commun se dresse sur ses pattes en se gonflant et sécrète un venin irritant sur toute la surface de la peau. La peau porte des glandes (dites parotoïdes) derrière les yeux, et des « verrues » qui secrètent un venin toxique. Les principaux composés actifs sont des bufadiénolides, des molécules très proches des cardénolides présents dans la feuille de digitale pourpre (Digitalis purpuralis). Ce sont surtout les animaux de compagnie comme les chiens qui sont menacés, et dans une moindre mesure les chats. Les chiens s’enveniment en tenant dans la gueule le crapaud, même sans l’ingérer. Le premier signe d’une intoxication au venin de crapaud est une hypersalivation. Il s’en suit des vomissements, et de l’abattement, suivis éventuellement de signes d’atteinte nerveuse tels qu’une démarche anormale, des tremblements et des convulsions. Il faut rincer la gueule de l’animal immédiatement et si les symptômes apparaissent, contacter sans délai un vétérinaire. Pour un petit chien, l’intoxication peut être mortelle (Figure 6-32). La salamandre commune secrète plusieurs alcaloïdes neurotoxiques comme la samandarine qui peuvent générer des troubles comme des irritations cutanées, des nausées, des vomissements ou des difficultés respiratoires. Sur le côté de la tête, la salamandre tachetée possède également des glandes parotoïdes semblables à celles des crapauds. Ces glandes sont identifiables par la présence de nombreux pores excréteurs sombres (Figure 6-32). Les sécrétions cutanées des amphibiens servent principalement à protéger l’animal contre les infections bactériennes ou fongiques. La salamandre, animal légendaire, fascine l’homme depuis l’Antiquité par sa couleur noire et jaune et son apparition soudaine après la pluie. Les croyances populaires en ont fait un animal pouvant traverser les flammes sans se brûler. On l’accusait d’être venimeuse, d’empoisonner les ruisseaux, ou même de pouvoir éteindre le feu, par projection de son venin. Le roi François 1er (1494-1547) en a fait son emblème et sa devise Nustrico et extinguo « je nourris le bon feu et j’éteins le mauvais ». Les seuls amphibiens vraiment dangereux pour l’homme sont les grenouilles dendrobates d’Amérique du Sud en raison de la haute toxicité de leurs secrétions cutanées. Les grenouilles du genre Phyllobates secrètent des alcaloïdes stéroïdiques, les batrachotoxines. Ces substances naturelles sont 250 fois plus toxiques que la strychnine. Elles bloquent la transmission du signal électrique 284

Des animaux pour le pire

dans les muscles et peuvent entraîner une déficience cardiaque. L’origine de la toxicité est peut-être à rechercher dans le régime de ces grenouilles qui se nourrissent de petits coléoptères de la famille des Melyridées, chez qui on a retrouvé ces métabolites. Les toxines ingérées sont stockées au niveau des glandes de la peau. Les dendrobates élevés en captivité ne produisent pas ces toxines. Comme nous le verrons plus loin, des oiseaux originaires de Papouasie-Nouvelle-Guinée sont aussi capables d’utiliser les batrachotoxines comme poison de défense.

Figure 6-32 : Trois amphibiens venimeux, le crapaud commun, la salamandre tachetée et la grenouille Phyllodates bicolor.

Les reptiles On connaît des espèces de lézards venimeux appartenant au genre Heloderma, originaire du Sud des États-Unis, du Mexique et dont l’aspect général rappelle les varans. Ils secrètent un venin neurotoxique provoquant de violentes douleurs et un œdème en cas de morsure. La principale espèce incriminée est l’Héloderme horrible (Heloderma horridum). Les serpents sont, chaque année, la cause de plus de 50 000 décès. Parmi les 2 700 espèces recensées, 470 sont venimeuses. On trouve ces vertébrés sur tous 285

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les continents, à l’exception des zones Arctiques et Antarctiques. Des îles comme Madagascar ou la Nouvelle-Zélande n’hébergent aucune espèce venimeuse. Les serpents utilisent leur venin pour la chasse et nous en sommes les victimes involontaires, quand ils essaient de se défendre. Dame Nature étant économe, certaines espèces sont capables de mordre sans injecter de venin. D’autres espèces comme les crotales mobilisent plus de venin pour la défense que pour l’attaque. Le venin sert à immobiliser (ou à tuer) les proies et à les digérer. On regroupe les espèces venimeuses en deux familles, les Viperidae (vipères, crotales) et les Elapidae (cobras, serpents à lunette, mambas, serpents corail, et les serpents marins comme Enhydrina schistosa). Le venin, synthétisé dans une glande salivaire transformée en glande à venin, est injecté dans la victime à l’aide d’une paire de crochets, placée sur la mâchoire supérieure (Figure 6-33).

Figure 6-33 : Crochets venimeux d’une vipère.

En France, on enregistre environ 1  000 cas de morsures dues aux vipères chaque année. Un nombre relativement élevé qui nécessite de mieux connaître ces animaux. La plupart du temps, il s’agit de randonneurs mal informés sur les habitudes de ces reptiles. Les deux espèces de vipères les plus courantes sur les sentiers français sont la vipère péliade (Vipera berus) que l’on rencontre essentiellement au nord de la Loire (elle fréquente aussi le Massif central), et la vipère aspic (Vipera aspis) qui affectionne les contrées plus méridionales au sud de la Loire. La vipère n’attaque que si elle se sent menacée. Il y a seulement un à cinq décès par an qui touchent des personnes allergiques ou fragiles. Ces deux vipères ont des pupilles verticales et leur coloration est très variable. La vipère péliade a le corps et le cou plus massif que la vipère aspic. La tête de la péliade est plus ronde que celle de l’aspic qui a le nez retroussé (Figure 6-34). 286

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Le venin est composé de substances neurotoxiques qui vont paralyser la victime, et d’enzymes protéolytiques pour favoriser la digestion des proies après absorption. En cas de morsure chez l’homme, il se forme un œdème extensif autour de la morsure où l’on distingue les traces des crochets (deux points distants de 5 à 10 mm). Les principaux signes sont des nausées, vomissements, douleurs abdominales, diarrhées, le gonflement de la gorge et une chute de la pression artérielle qui entraîne en retour, une tachycardie. En cas de forte envenimation, l’œdème se propage jusqu’au thorax, touche les reins et les poumons et perturbe la coagulation sanguine. Le risque principal est toujours le choc anaphylactique. La plaie doit toujours être lavée et désinfectée pour éviter une surinfection. Il faut enlever les bagues et ne jamais installer un garrot. Il convient toujours d’appeler le Samu ou les pompiers. Le traitement est symptomatique, il faut injecter un sérum antitétanique et administrer une antibiothérapie. En Europe, les vipères sont responsables, chaque année, de 20  000 cas de morsure et une cinquantaine de décès. La mortalité, bien que difficile à apprécier, est faible et de loin inférieure à celle provoquée par les piqûres d’hyménoptères. Gardons en mémoire que nos vipères sont des « enfants de chœur » devant certains serpents tropicaux à l’instar du taïpan du désert (Oxyuranus microlepidotus), dont une seule morsure peut occire 250  000 souris ou une centaine d’humains.

Figure 6-34 : Vipère péliade à gauche et vipère aspic à droite (on remarquera le nez retroussé de l’aspic).

Du venin de serpent en vente en officine Les venins de serpents intéressent au plus haut point les pharmacologues, car ils renferment une liste incroyable de toxines, neurotoxines, cardiotoxines, myotoxines, toxines hémorragiques, etc. Ils renferment également des substances anticoagulantes ou coagulantes. Comme le faisait remarquer le Professeur Pierre Potier (1934-2006) dans Le magasin du Bon Dieu, c’est à partir du venin de naja que la neurologue italienne Rita Levi-Montcalcini (1909-2012) et le biologiste américain Stanley Cohen ont isolé le Nerve Growth Factor (NGF) qui participe au développement du cerveau. Ces travaux ont été couronnés par un prix Nobel en 1986. 287

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Ces recherches débouchent aussi sur des médicaments. Un médicament antihypertenseur majeur a été mis au point à partir des toxines du venin d’une vipère amazonienne, Bothrops jacarana. Dans les années 1960, des chercheurs ont isolé un petit peptide de neuf acides aminés. Son injection provoquait une dilatation des vaisseaux sanguins et une diminution de l’hypertension artérielle. Les chimistes ont synthétisé une molécule inspirée de la toxine, elle est commercialisée sous le nom de Captopril®.

Les venins au secours de la santé En 2011, le projet européen VENOMICS a vu le jour avec comme objectif de faire une banque de toxines destinée à valoriser les venins d’animaux de tous les continents. Des équipes de chercheurs issus du secteur public et du secteur privé en France, en Espagne, au Portugal, en Belgique et au Danemark, associées à des laboratoires pharmaceutiques ont déjà constitué une banque de 5 000 toxines. On estime que plus de 170 000 espèces animales, riches de 40 millions de toxines sont susceptibles d’être porteuses de molécules présentant un intérêt thérapeutique. À ce jour, seulement 2  000 protéines ont été identifiées. Il faut, par exemple, prélever le venin de 200 à 300 veuves noires afin d’obtenir un milligramme de venin sec. Dans ce gigantesque arsenal thérapeutique, on espère trouver des remèdes contre le diabète, l’obésité, le cancer, la douleur ou l’hypertension. Dans ces domaines thérapeutiques, la demande en médicaments innovants est énorme. Fortes d’un budget de six millions d’euros et grâce aux techniques les plus avancées, la génomique, le séquençage de l’ADN à grande échelle et l’étude des protéines, les équipes de chercheurs ont sélectionné une trentaine de molécules candidates. Comme les produits naturels isolés de plantes, de champignons, ou de bactéries, les venins animaux représentent un potentiel inexploité très important et une source d’innovation thérapeutique sans précédent. Des oiseaux et des mammifères venimeux Quand on parle d’animaux venimeux, on pense souvent aux serpents ou aux insectes évoqués plus haut, mais on imagine rarement que des oiseaux ou des mammifères soient capables de secréter des venins. Il existe pourtant quelques oiseaux et mammifères venimeux, certes peu nombreux, qui produisent du venin pour tuer, immobiliser des proies, ou bien pour se défendre. La communauté scientifique, souvent sceptique, a longtemps occulté cette possibilité que ces vertébrés puissent renfermer des espèces dangereuses. Nous décrivons ici quelques exemples d’espèces venimeuses.

Ne touchez pas ces volatiles ! Il aura fallu attendre les années 1980 pour que l’on découvre que des oiseaux pouvaient être venimeux. Dans un article, Les ailes du poison, paru en 1996 dans 288

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le magazine La Recherche, le journaliste scientifique Stéphane Deligeorges relate cette étrange découverte. C’est au cours d’une mission ornithologique, en Papouasie-Nouvelle-Guiné, que des membres de l’équipe du naturaliste américain John P. Dumbacher ont reçu des coups de becs et de griffes de spécimens de Pitohui bicolore (Pitohui dichrous) pris dans leurs filets. Alors qu’ils léchaient leurs blessures, ils se rendirent compte que leurs lèvres et leurs langues commençaient à picoter et à brûler. Peu à peu leur langue s’engourdissait. L’effet du poison dura plusieurs heures. Quant aux populations locales, elles prennent bien soin d’enlever la peau et les plumes avant de consommer ces passereaux. On va découvrir dans les plumes une molécule de la famille des batrachotoxines, l’omobatrachotoxine, sécrétée par la peau et les plumes de trois espèces de Pitohui, des passereaux endémiques. Des analyses microscopiques ont montré que les cellules dermiques et épidermiques du Pitohui bicolore avaient une morphologie unique parmi les vertébrés, leur permettant de stocker et de secréter les toxines. Ces molécules ont aussi été découvertes chez un autre passereau, l’Ifrita de Kowald (Ifrita kowaldi), qui vit également sur cette île. On constatera que, à l’instar des grenouilles dendrobates venimeuses, ces oiseaux arborent aussi des couleurs très vives, qui servent d’avertisseurs aux éventuels agresseurs (coloration aposématique). La présence de toxines dans les organes internes suggèrent que ces oiseaux consomment des insectes qui sont à la base de cette toxicité (Figure 6-35). On connaissait la convergence morphologique chez les animaux (comme par exemple le dauphin et le requin), ici on a mis en évidence une convergence moléculaire comme le fait remarquer Stéphane Deligeorges dans son article.

Figure 6-35 : Le pitohui bicolore. 289

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La botte secrète de l’ornithorynque L’ornithorynque (Ornithorynchus anatinus) fait partie des quelques mammifères venimeux, mais attention, il ne mord pas, il pique ! Le mâle possède un aiguillon (ergot) rétractile caché dans un repli juste au-dessus du talon des pattes postérieures, et qui peut libérer un venin capable d’infliger de vives douleurs. Les toxines sont produites par une glande (la glande crurale) située dans la cuisse. C’est au cours d’une chasse dans les années 1810, qu’un rabatteur a voulu saisir un animal blessé, il a ressenti une violente douleur à sa main. Son bras et son épaule ont gonflé et sont restés paralysés plusieurs jours. Cette glande à venin ne s’active chez les mâles que pendant la période du rut. L’analyse du venin a mis en évidence plus de 80 toxines dont certaines neurotoxines sont proches de celles des reptiles et des araignées. Des biologistes ont émis l’hypothèse que les protéines toxiques des venins dériveraient, chez tous les animaux, d’un « détournement » de protéines initialement utilisées pour d’autres fonctions biologiques. Quand on regarde ce petit animal, véritable bizarrerie de l’évolution, on se dit qu’il ne fait « rien comme tout le monde ». Dans le milieu scientifique, on dit parfois qu’il est la preuve que Dieu, ou Darwin ont de l’humour ! On rencontre encore des mammifères venimeux chez les insectivores comme les solénodons. Il en existe deux espèces, celui de Cuba (Solenodon cubanus), et celui d’Hispaniola (Solenodon paradoxus). Ils ressemblent à de très grosses musaraignes. Leur morsure est venimeuse, le venin est produit par des glandes salivaires et délivré via des canaux à l’intérieur de leurs secondes incisives inférieures (Figure 6-36).

Figure 6-36 : Le solénodon de Cuba. 290

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En Europe, deux musaraignes sont venimeuses, elles appartiennent au genre Neomys. Il s’agit de la crossope de Miller (Neomys anomalus) et la crossope aquatique (Neomys fodiens). Leur salive renferme des substances neurotoxiques. Dans la poursuite de notre inventaire, il ne fallait pas oublier notre taupe commune (Talpa europaea). Bien qu’aveugle, elle est capable de localiser un lombric à plusieurs mètres. Sa salive renferme des toxines capables de paralyser les vers de terre, ce qui permet à ces animaux de constituer un « garde manger de chair fraîche » pour les périodes de « vaches maigres » (Figure 6-37).

Figure 6-37 : La taupe commune.

Certaines chauves-souris peuvent être considérées comme venimeuses. C’est le cas de la chauve-souris vampire (Desmodus rotundus) dont les dents injectent une toxine anticoagulante produite dans la salive. On y a isolé une glycoprotéine nommée Desmodus Salivary Plasminogen Activator (DSPA) ou draculine. Cet anticoagulant, cent fois plus puissant que les autres anticoagulants connus, fait l’objet d’études pour ses propriétés pharmacologiques. Nos chauves-souris européennes quant à elles sont bien inoffensives et se contentent d’insectes qu’elles capturent en vol. On leur a toujours fait une mauvaise réputation alors qu’elles nous débarrassent de moustiques et autres suceurs de sang. Alors qui est le vampire ? (Figure 6-38). 291

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Figure 6-38 : Une chauve-souris bien inoffensive.

Figure 6-39 : Le loris paresseux.

Nous bouclerons cet inventaire des bêtes venimeuses avec un primate, car c’est bien là où l’on n’attendait pas un mammifère venimeux. Nous vous présentons un petit animal à la bouille bien attachante qui dissimule pourtant un poison redoutable. Chez le loris paresseux, ou loris lent, ou loris de la 292

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Sonde (Nycticebus coucang), le venin n’est pas produit dans la bouche mais par des glandes situées à l’intérieur du coude (glande brachiale). Pour sa défense, il lèche cette sécrétion et sa morsure devient redoutable. Il enduit même sa progéniture de cette salive empoisonnée pendant le toilettage afin de la protéger d’éventuels prédateurs. Quand il se sent menacé, il place ses mains sur sa tête et récupère le venin sur ses bras. La toxine est une glycoprotéine semblable à la protéine Fel d 1, le principal allergène du chat. Cette protéine est présente dans la salive du chat. Les personnes mordues par le loris développent une réaction anaphylactique avec des démangeaisons intenses, des convulsions et des problèmes respiratoires (Figure 6-39). Remarque Le biologiste Mark Dufton (université de Strathclyde) explique la rareté du venin chez les mammifères par le fait qu’ils n’en auraient simplement pas besoin. Ils seraient suffisamment efficaces pour tuer rapidement avec leurs dents ou leurs griffes, alors que le venin nécessite toujours un certain temps pour immobiliser la proie. Un odieux trafic en guise d’épilogue Avec leurs grands yeux écarquillés et leur aspect de peluche, les loris paresseux font craquer tous les adeptes du «  Net  » qui diffuse des vidéos sur ce primate. La réalité est toute autre, car chaque année, des milliers de ces primates sont braconnés dans les forêts d’Asie pour être vendus en guise de nouveaux animaux de compagnie (NAC). L’organisation International Animal Rescue (IAR) se bat pour dénoncer cet odieux trafic et la maltraitance que subissent ces animaux alors que les lois internationales en interdisent la commercialisation. Les loris paresseux sont même inscrits sur la liste rouge de l’UICN. En Indonésie, les braconniers tuent les mères pour capturer les jeunes. Ces animaux aux mœurs nocturnes sont ensuite exposés à la vente dans des cages. Pour éviter les morsures, leurs tortionnaires ont arraché ou coupé leurs dents sans aucune anesthésie, ce qui provoque des décès suite au stress. Voici le triste parcours de cet animal si attachant qui passe en boucle sur les réseaux sociaux !

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ÉLÉMENTS DE BIBLIOGRAPHIE ANOFEL (Association française des enseignants de parasitologie et de mycologie), 2007. Parasitoses et mycoses des régions tempérées et tropicales. Paris, Masson. Chapuis J.-L., 2002. Répartition du Tamia de Sibérie en France. Arborescences, 98 : 28-30. Chipeaux Jean Philippe, 2002. Venins de serpent et envenimations. IRD Orstom. Darrouzet, E., Gévar, J., & Dupont, S. 2014. A scientific note about a parasitoid that can parasitize the yellow-legged hornet, Vespa velutina nigrithorax, in Europe. Apidologie, 46(1): 130‑132. Decaudin Marie-Thérèse, 1970. Éléments de parasitologie pratique. Paris, SEDES. Deligeorges Stéphane,1996. Les ailes du poison. la Recherche N° 284, Paris, Sophia publications. Dumbacher, J.P., Spande, T. & Daly, J. W. 2000. Batrachotoxin alkaloids from passerine birds: A second toxic bird genus (Ifrita kowaldi) from New Guinea. Proc. Natl. Acad. Sci. 97, 1297012975. Dumbacher, J.P., Beehler, B.M., Spande, T.F., Garraffo, H.M. & Daly, J. W., 1992. Homobatrachotoxin in the genus Pitohui: chemical defense in birds? Science 258, 799–801. Lefeuvre Jean-Claude, 2013. Les invasions biologiques. Paris, Buchet-Chastel. Rollard Christine (Dir.), 2015. La fonction venimeuse. Paris, Lavoisier Tec et Doc. Williamson M. 1996. Biological invasions. New-York, Springer Science & Business Media.

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Chapitre

« Si vous êtes digne de son affection, un chat deviendra votre ami mais jamais votre esclave. » Théophile Gautier (1811-1872), poète et romancier «  La seule question qui vaille vraiment est de comprendre pourquoi les sociétés humaines sont fondées en si large part sur l’exploitation meurtrière des animaux et leur éradication. » Florence Burgat, philosophe

Épilogue pour un statut de l’animal

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ANIMAL, VOUS AVEZ DIT ANIMAL ? « UN ÊTRE DOUÉ DE SENSIBILITÉ » Le 28 janvier 2015, l’Assemblée nationale a voté en lecture définitive la loi sur le statut de l’animal domestique. Celui-ci est désormais reconnu comme un « être vivant doué de sensibilité » dans un nouvel article 515-14 du Code civil, et n’est désormais plus considéré comme un « bien meuble » (article 528 du Code civil). Ainsi, il n’est plus défini par sa valeur marchande et patrimoniale mais par sa valeur intrinsèque (Figure 7-1). « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens. » Article 515-14 du Code civil

Figure 7-1 : L’homme face à l’animal.

Une question reste toujours posée  : la condition animale trouvera-t-elle la place qui lui est due ? Si cette disposition a été saluée par de nombreuses associations de défense des droits des animaux comme la Fondation 30 millions d’amis, elle reste symbolique, car il s’agit juste d’une harmonisation du Code civil et les animaux pourront toujours être vendus, loués, exploités. Concrètement, on peut se demander ce qui va changer ? En fait, rien ou pas grand-chose ! Des pratiques choquantes comme la corrida, la chasse à courre, ou les combats de coqs ne sont pas concernées. L’abattage rituel ou l’élevage en batterie ne sont 296

Épilogue pour un statut de l’animal

pas non plus remis en cause car le Code pénal ne reconnaît pas encore l’animal comme un être sensible. Des espèces menacées, dont les effectifs déclinent, seront toujours chassées, à l’instar de la bécassine des marais, du tétras lyre, du vanneau huppé ou du courlis cendré. Comme le cite Jean-Marc Neumann, juriste et vice-président de la Fondation Droit animal, éthique et science (LFDA) : l’animal n’était déjà plus considéré comme un meuble au même titre qu’une chaise. Quand vous cassez le pied d’une table, il ne vous arrive rien sur le plan pénal, alors que quand vous cassez la patte d’un chien intentionnellement et de façon cruelle, vous encourez deux ans de prison et 30 000 euros d’amende. Force est de constater que le combat est loin d’être gagné et qu’il y a encore du travail à faire pour les défenseurs des causes animales (Figure 7-2).

Figure 7-2 : L’animal dans la balance de la loi.

Il reste que cette loi a le mérite d’essayer de gommer un peu cette vision dépassée de «  l’animal machine  » que l’on avait depuis René Descartes (1596-1650) et qui a trop souvent conduit à des abus, notamment dans l’expérimentation animale qui sera évoquée en fin de chapitre. Espérons que cette reconnaissance de la sensibilité pourra éviter des souffrances injustifiées. Le droit d’être « bête », un long chemin Nos ancêtres de la préhistoire ont été impressionnés à un tel point par les animaux qu’ils les ont peints ou dessinés sur les parois des grottes avec un réalisme bouleversant. Les chevaux, taureaux, bisons, aurochs, lions ou 297

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mammouths devaient s’animer sur les parois à la lumière tremblante des torches. L’homme entretient une relation dynamique avec l’animal, qui engendre la peur et le respect. L’animal prend aussi une dimension spirituelle, devient sacré, et l’homme s’approprie sa force en le dominant. C’est encore l’animal qui va socialiser l’homme, qui se partage sa viande après la chasse (Figure 7-3). Plus tard, l’animal devient fabuleux et entre dans toutes les mythologies. Il accompagne même l’homme dans son voyage vers l’au-delà. Transformés en monstres, en dragons, en chimères, des créatures animales aussi fantastiques qu’imaginaires expriment nos peurs et nos espoirs. Dans la Bible, les animaux deviennent même des instruments de justice divine comme les sauterelles envoyées pour détruire les récoltes.

Figure 7-3 : L’animal glorifié dans l’art pariétal.

Dans le monde romain, l’animal sauvage devient un simple objet de distraction. Une des façons de « s’amuser en public », introduite par les Romains, fut l’organisation de massacres au cours de chasses, ou de jeux organisés en amphithéâtre que l’on nommait venationes. Des textes font état de 9  000 animaux tués en une seule journée, à l’occasion de l’inauguration du Colisée sous l’empereur Titus (39-81). Ces chasses sanglantes se poursuivirent jusqu’au vie siècle et la pratique actuelle de la corrida en est fortement inspirée. L’Antiquité a pourtant été un âge d’or des animaux, car si les hommes les offraient en sacrifice aux dieux, ils s’accordaient sur leur statut d’êtres animés et avaient pour eux de la considération. Plutarque (46-125) s’élève 298

Épilogue pour un statut de l’animal

en défenseur de la cause animale, dans son ouvrage Manger la chair, Traité sur les animaux, l’auteur s’y s’interroge sur les raisons qui poussent l’humain à tuer puis manger les animaux : les premiers humains à manger de la chair l’ont fait par nécessité alors que nous, civilisés, nous qui vivons sur une terre cultivée, riche, abondante, nous n’avons aucune raison de tuer pour manger. Selon lui, l’âme des animaux est toujours vertueuse alors qu’ils ne reçoivent aucun enseignement. Des recherches laissent à penser que le philosophe était végétarien. Pline l’ancien (23-79), dans son Histoire naturelle, attribue des qualités morales aux animaux. Les fables d’Ésope au vie siècle, puis celles de Phèdre (14-50) vont mettre en scène des animaux stéréotypés destinées à pointer du doigt et critiquer le comportement humain. Elles animeront ensuite l’art et la littérature du Moyen Âge pour inspirer plus tard Jean de La Fontaine (1621-1695). Dans les textes du Physiologus, écrits au iie siècle après J.-C. et recopiés maintes fois par la suite, on attribue aux animaux un sens moral et spirituel. L’animal y est présent pour donner une image de l’homme et faire passer une morale. Pour l’Occident médiéval, l’animal étant une créature de Dieu, il doit être traité en égal à l’homme. Il doit donc être soumis aux lois des hommes, ce qui explique les nombreux procès intentés à un animal ayant blessé, tué des enfants ou détruit des récoltes. Comme nous l’avons décrit dans le chapitre II, l’animal jugé et déclaré coupable était puni ou exécuté selon son crime. C’est encore au Moyen Âge que l’animal pourra être accusé de crime de sorcellerie, sous prétexte que le Diable peut se réincarner en lui. Le chat en sera la principale victime, suspendu sur un bûcher à la Saint-Jean devant une foule en liesse. Sa mort conjurait le mal et assurait une bonne récolte. Alors que dans de nombreuses cultures, l’homme est censé se réincarner sous la forme d’un animal, les grandes religions monothéistes ont établi une hiérarchie entre l’homme et les animaux. Le christianisme les considère tout comme l’homme, comme des créatures de Dieu. Ce qui les en distingue, c’est le souffle de Dieu mis dans la gorge des hommes pour qu’ils parlent. Les animaux n’ont pas d’âmes, mais ils ont des responsabilités comme on l’a vu plus haut, ce qui peut leur valoir d’être excommuniés à l’instar de rats ou de chenilles qui dévorent les récoltes. En dévalorisant l’animal, il est plus facile de justifier son exploitation (Figure 7-4). À la Renaissance, dans les Essais de Michel de Montaigne (1553-1592), on trouve de nombreuses références en faveur des animaux. Montaigne qui s’est inspiré des auteurs de l’Antiquité, nous donne une vision étonnamment moderne du monde animal qui est totalement en porte-à-faux avec l’esprit de son époque. «  Quand je joue avec ma chatte, qui sait si je ne suis pas son passe-temps plutôt qu’elle n’est le mien ? Nous nous taquinons réciproquement. » 299

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Figure 7-4 : Procès d’une truie qui avait dévoré un enfant à Lavegny (Suisse) en 1457.

L’humaniste fait le constat que la violence contre les animaux est une base de la violence en général. Il sera un des premiers à reconnaître l’animal en tant qu’individu. Il évoque même l’idée de pouvoir communiquer avec eux. Montaigne ne place pas l’homme au sommet de l’échelle du vivant mais le replace au sein de la nature. L’homme y est animal parmi les animaux. «  Pourquoi les animaux ne se parleraient-ils pas entre eux, puisqu’ils nous parlent, et que nous leur parlons? De combien de façons parlons-nous à nos chiens  ! Et ils nous répondent  !... Nous conversons avec eux en usant d’un autre langage et d’autres mots que nous ne le faisons pour les oiseaux, les pourceaux, les bœufs, les chevaux : nous changeons d’idiome selon les espèces auxquelles nous nous adressons. » Les Essais II, chapitre XII, Apologie de Raymond Sebon

René Descartes (1596-1650) se positionnera totalement à l’encontre de Montaigne avec sa thèse de «  l’animal machine  ». Selon lui, les animaux seraient des assemblages de pièces et rouages, dénués de conscience ou de pensée. On est dans une logique où l’animal est considéré en tant qu’être inférieur et lorsqu’il est blessé, on le jette comme un outil cassé. Quant au philosophe Emmanuel Kant (1724-1804), il n’hésite pas à mettre dans le même sac, pommes de terre et animaux domestiques, qui ne sont que des créations de l’homme que l’on peut exploiter. 300

Épilogue pour un statut de l’animal

Soigner un animal restera longtemps contraire à la volonté de Dieu et la médecine humaine leur était refusée. Comme le cite l’éthologue Boris Cyrulnik dans La plus belle histoire des animaux : appliquer à l’animal une science découverte pour le bénéfice de l’homme a été interdit par le clergé pendant longtemps. C’est sous l’impulsion des encyclopédistes et de Claude Bourgelat (17121779) que les premières écoles vétérinaires vont voir le jour avec leur dimension scientifique et une approche étique. « La médecine de l’homme est utile à celle du cheval et réciproquement. » Claude Bourgelat

N’oublions pas le naturaliste Georges-Louis Leclerc de Buffon (17081788) qui a une vision moderne des relations homme-animal dans son Histoire Naturelle. Il ne se contente pas d’une simple description morphologique, mais il étudie le comportement de l’animal : S’il n’existait point d’animaux, la nature de l’homme serait encore plus incompréhensible. Les prémices de l’éthologie La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 énumère les droits naturels et inaliénables de l’homme, mais qu’en est-il des animaux ? Pour que l’on y fasse allusion, il faudra attendre le Premier Empire avec le Code Napoléon qui écrit noir sur blanc dans son article 528 : « Sont meubles par leur nature les animaux et les corps qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre, soit qu’ils se meuvent par eux-mêmes, soit qu’ils ne puissent changer de place que par l’effet d’une force étrangère.  » ce sont donc des choses sur lesquelles l’homme exerce un pouvoir sans limite. Leurs émotions ou leur souffrance ne sont pas encore d’actualité. La Société protectrice des animaux (SPA) voit le jour en 1845 sous l’impulsion de son fondateur Gabriel Delessert (1786-1858). En 1850, on sanctionne pour la première fois depuis le Code civil napoléonien, la maltraitance des animaux avec la loi Grammont. Le député Jacques Delmas de Grammont (1796-1862) sera le fondateur de la LFPC (Ligue française de protection du cheval) la même année. « Seront punis d’une amende de cinq à quinze francs, et pourront l’être d’un à cinq jours de prison, ceux qui auront exercé publiquement et abusivement des mauvais traitements envers les animaux domestiques. » Cette loi sera abrogée par le décret du 7 septembre 1959, qui sanctionne la cruauté envers les animaux y compris dans la sphère privée. En 1963, une loi établit l’acte de délit de cruauté envers les animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité. Deux siècles après la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la Déclaration universelle des droits de l’animal (OABA) est 301

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proclamée à Paris en 1978, à la Maison de l’Unesco. Elle est révisée en 1989 par la Ligue internationale des droits de l’animal. Au xixe siècle avec le courant naturaliste, on s’intéresse de plus en plus au comportement des animaux dans leur milieu naturel. Si le naturaliste Isidore Geoffroy Saint-Hilaire (1805-1861) définit le terme éthologie*, pour définir cette science du comportement, c’est surtout Charles Darwin (1809-1882) qui va jeter les bases de cette nouvelle discipline avec sa conception de la sélection naturelle et sa théorie de l’évolution, où le comportement est un élément clé pour la survie d’une espèce. Son ouvrage, L’expression des émotions chez l’homme et les animaux paru en 1874 est considéré comme le véritable point de départ de l’éthologie. Il va par la suite alimenter les courants anthropologiques et sociologiques. Parmi les autres précurseurs de cette discipline, nous ne pouvions pas oublier le naturaliste et poète Jean-Henri Fabre (1823-1915), connu pour ses observations de terrain et ses expériences sur les insectes qu’il a si bien décrites à travers ses Souvenirs entomologiques. Ses descriptions des guêpes fouisseuses capables de prodiguer des soins à leur progéniture ou des scarabées bousiers qui élèvent leurs petits dans des pelotes fécales sont restées célèbres. Les travaux de JeanHenri Fabre nous font rentrer dans le xxe siècle des fondateurs de l’éthologie qui deviendra une discipline scientifique à par entière (Figure 7-5).

Figure 7-5 : Charles Darwin et Jean-Henri Fabre. DÉFINITION Éthologie Cette discipline qui signifie « étude des mœurs » d’un point de vue étymologique, est une branche de la biologie qui s’intéresse au comportement animal. Cette discipline scientifique qui évolue sans cesse au gré des découvertes, a transformé la vision que l’on pouvait avoir de l’animal.

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Pas si bête… l’inné et l’acquis chez l’animal « La nouvelle éthologie ne se contente plus d’utiliser ou de manipuler l’animal en modèle de l’homme. Pendant longtemps, la psychologie expérimentale a obligé les bêtes à résoudre des problèmes humains. Désormais, elle décrit les bêtes comme des individus aux personnalités et aux développements différents. » Boris Cyrulnik

Karl von Frisch (1886-1982), Konrad Lorenz (1903-1989) et Nikolaas Tinbergen (1907-1988) peuvent être considérés comme les véritables fondateurs de la science du comportement comparé. Ils ont posé les bases de l’éthologie classique et seront récompensés par un prix Nobel en 1973, pour leurs travaux sur les comportements individuels ou sociaux des animaux. Karl von Frisch va décrypter le langage des abeilles et le mécanisme qui leur permet de s’orienter par rapport au ciel, au soleil ou au champ magnétique. Konrad Lorenz étudiera le comportement des animaux sauvages et domestiques. Tout un chacun a gardé en mémoire l’image du biologiste suivi par son troupeau d’oies. Quant à Nikolaas Tinbergen, il s’intéresse à l’apparition des comportements au cours de l’évolution (Figure 7-6).

Figure 7-6 : Konrad Lorenz.

N’oublions pas le rôle des femmes dans cette science du comportement avec les combats de Jane Goodall, de Diane Fossey (1932-1985) ou de Biruté Galdikas célèbres pour leurs travaux sur nos cousins que sont les grands singes. L’éthologie cherche à dégager des lois pour expliquer les comportements les plus simples comme les plus élaborés. Les comportements sont le résultat de 303

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l’évolution, ils ont certaines fonctions qui permettent aux animaux de survivre et de se reproduire, et chaque espèce a ses comportements qui lui sont propres. Nikolaas Tinbergen ajoutera une dimension biologique à l’éthologie en se basant sur les «  Four whys  » ou les « Quatre pourquoi », ces quatre questions qui posent les bases de cette science. Nous prendrons comme exemple le chant d’un oiseau mâle comme l’explique Mathieu Amy, chercheur à l’université Paris 10, dans Les quatre questions de Tinbergen (2007). 1. Quels sont les facteurs qui déclenchent un comportement  ? La vue d’une femelle ou le fait d’entendre un autre mâle chanter vont inciter le mâle à chanter. 2. À quoi sert un comportement ? En chantant, l’oiseau mâle défend son territoire et signale sa présence à d’éventuels rivaux. 3. Comment ce comportement apparaît ? L’oiseau va être soumis à l’apprentissage, avec une période d’initiation suivie d’une période d’imitation de ses parents, jusqu’à ce que son chant devienne fonctionnel. 4. Comment ce comportement est-il apparu aux cours de l’évolution ? Il n’y a pas d’archives paléontologiques de chants d’oiseaux. On peut imaginer qu’au cours du temps, les chants se sont sans cesse spécialisés à partir d’une espèce ancestrale. Les plus performants ont été sélectionnés et conservés. On comprend ici que l’éthologie est au carrefour de disciplines complémentaires comme les neurosciences, l’endocrinologie, la génétique, la biologie moléculaire, l’écologie ou la paléontologie. Il faut y rajouter l’éthologie cognitive, qui étudie l’intelligence animale. Les comportements se divisent en deux grands domaines éthologiques : – les comportements innés qui dépendent du patrimoine héréditaire de chaque espèce, ils sont inscrits dans les gènes, c’est ce que l’on appelle l’instinct. De la même façon que l’on n’apprend pas à rire ou à pleurer, une araignée n’apprend pas à tisser sa toile ; une fois adulte, elle sait comment entrelacer les fils de soie produits par ses glandes. Chaque espèce d’oiseau sait de façon innée construire son propre nid ; – les comportements acquis qui sont le résultat de l’expérience, du raisonnement, de l’apprentissage individuel (réflexes conditionnés). Un animal va apprendre des gestes réfléchis, comme les mésanges anglaises ont appris à ouvrir les capsules des bouteilles de lait posées devant chaque porte. Le chat apprend à faire ses besoins dans une litière. En France, l’une des principales figures de l’éthologie est le médecin Boris Cyrulnik. Dans un ouvrage de 1983, intitulé Mémoire de singe et parole d’homme, il montre les facettes inconnues d’un monde animal sensible et plein d’ingéniosité  : les animaux rencontrent les mêmes problèmes que nous «  les 304

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humains » et sont capables d’éprouver des souffrances psychiques et d’appréhender leur environnement. Les travaux sur les moutons réalisés par la primatologue et éthologue Thelma Rowell ont montré que ces ovins faisaient autant preuve d’intelligence qu’un chien ou même les babouins qu’elle a longtemps étudiés. Des mois passés au contact de ces animaux discrets, trop souvent considérés comme juste bons à transformer l’herbe en gigot, ont modifié sa vision ! L’éthologue explique qu’ils vivent dans une subtile organisation démocratique où se lient des relations d’amitié. Exit la vision trop réductrice du panurgisme ! Les moutons mémorisent nos visages et nos émotions et ils font preuve d’une grande capacité d’assimilation. Leurs conditions de vie dans «  l’enfance  » conditionnent leur comportement adulte. Des recherches montrent que ceux que l’on appelle des « bêtes » ressentent, à notre contact, le plaisir ou le mal-être. Ce sont des individus aux personnalités et aux développements très différents des nôtres et pratiquer l’anthropomorphisme avec eux ne nous aidera pas à les comprendre. Notre vision de l’animal est bel et bien en train de changer, on le respecte après l’avoir considéré comme une simple machine jetable. La frontière entre l’homme et l’animal est en train de s’effacer. Ce qui faisait autrefois la spécificité humaine, comme la fabrication d’outil, une société structurée et organisée ou une communication élaborée se retrouve dans le monde animal. Comprendre l’animal c’est aussi comprendre l’humain. En octobre 2014, 24 intellectuels français (dont l’astrophysicien Hubert Reeves, le moine bouddhiste Matthieu Ricard, les philosophes Michel Onfray et Élisabeth de Fontenay) ont signé un manifeste, rendu public sur le site de la Fondation 30 millions d’amis, pour réclamer que notre Code civil cesse de considérer les animaux comme des chaises ou de l’électroménager. La réponse sera la loi sur le statut de l’animal domestique de janvier 2015 citée plus haut et sa reconnaissance comme animal sensible. Reconnaître que l’animal possède des émotions est un moyen d’empêcher tout acte violent envers lui. L’animal d’élevage Selon les estimations, entre 60 et 100 milliards d’animaux sont tués pour être mangés par l’homme dans le monde chaque année. Pour la France, cela représentait en 2015, un milliard d’animaux sans compter les poissons. Cette énorme production nécessite un élevage intensif d’animaux pour une productivité qui n’est pas toujours en accord avec leurs conditions de vie. La liste ci-dessous détaille les espèces abattues annuellement dans notre pays : – 747 900 000 poulets ; – 76 100 000 canards, dont 37 300 000 canards gras ; – 45 900 000 dindes ; 305

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– 36 800 000 poules ; – 31 700 000 lapins ; – 25 100 000 pintades ; – 23 653 000 cochons ; – 4 642 600 bovins, dont 1 305 300 veaux ; – 3 685 900 agneaux ; – 714 600 chèvres ; – 544 800 moutons adultes ; – 300 000 oies ; – 17 100 chevaux. Au cours de sa vie, un français aura consommé la viande de 1 500 animaux. Depuis les années 1970, la consommation de viande est passée de 77  kg par personne et par an à 92  kg aujourd’hui. La viande bovine ne représente que 29 % de notre alimentation carnée. Bœufs, veaux et vaches ont perdu du terrain face aux viandes blanches. Les vaches de réforme constituent 60 % de la viande bovine consommée en France. Il s’agit de laitières en fin de carrière ou de races à viande qui ont épuisé leur capacité reproductive. On a produit, dans le monde, en 2012  : 302 millions de tonnes de viande, 754 millions de tonnes de lait et 1 180 milliards d’œufs. Les Français consomment en moyenne 230 œufs par personne et par an, dont 140 en coquille et le reste sous forme « d’ovoproduits » (pâtisseries, sauces, plats préparés, etc.). L’abattage d’animaux de boucherie, en dehors d’un abattoir, est en principe interdit. Qui de nos jours a assisté à la mise à mort d’un cochon ou d’un lapin dans la cour d’une ferme, à moins d’avoir des origines rurales  ? Les animaux des espèces caprine, ovine, et porcine peuvent être abattus en dehors d’un abattoir, par la personne qui les a élevés ou entretenus, lorsque cette personne en réserve la totalité à la consommation de sa famille. En revanche, les espèces bovine et équine ne peuvent, en aucun cas, être abattues en dehors d’un abattoir. Depuis que les abattoirs ont été externalisés des villes, une distance s’est installée entre l’animal de boucherie et nous. Une distance qui nous déculpabilise. Souvent élevé en batterie pour être abattu à la chaîne, il termine son existence conditionné sous forme d’un produit emballé et étiqueté. Le morceau d’animal sous cellophane nous a fait oublier l’être vivant à qui il appartenait. Sur les rayons du supermarché, l’existence et la mort disparaissent dans l’indifférence de l’étiquetage et des promotions. On oublie devant le filet mignon, la poire, la palette, ou la noix pâtissière, qu’il y avait un animal entier, sur pied, bien vivant, avec ses émotions, sa sensibilité et toute son ardeur de vivre. Tout semble fait pour que l’animal ne soit pas identifiable avec la bénédiction de la filière viande. Les campagnes publicitaires essaient de déplacer ou 306

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de sublimer le sujet. Comme le cite la philosophe Florence Burgat dans La cause des animaux, la publicité a pour tâche d’occulter les conditions de vie et de mort des animaux, voire cette mort elle-même. Et que dire de leur peau, source de vêtements, chaussures, articles de maroquinerie ou d’ameublement dont les médias nous abreuvent de campagnes publicitaires. L’animal de compagnie ou la France aux 63 millions d’amis...

Nos amis les bêtes « Le statut privilégié que nous accordons à « nos amis les bêtes « représente un antidote à la culpabilité que provoque en nous le traitement que nous infligeons aux animaux de rente.  » Cette phrase de l’anthropologue Jean-Pierre Digard montre bien toute la différence que l’on fait entre l’animal que l’on mange et celui que l’on cajole sur son canapé. Selon lui, toute l’affection que l’on porte aux animaux de compagnie est un moyen de se disculper du sort que l’on réserve aux animaux d’élevage. Notre pays compte près de 63 millions d’animaux domestiques, ce qui est presque équivalent à la population française estimée à 66,7 millions d’habitants selon l’Insee. Un foyer sur deux en possède un, et le chat a dépassé le chien (Figure 7-7).

Figure 7-7 : Le chat, l’animal de compagnie préféré des français.

Parmi eux, on compte 13 millions de chats, huit millions de chiens, six millions d’oiseaux, 35 millions de poissons et deux millions de petits animaux. C’est souvent les enfants qui jouent le rôle de prescripteurs auprès de leurs parents. 307

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Comme on peut le constater, l’animal de compagnie le plus répandu est le poisson (souvent rouge) représenté par près de 35 millions d’individus, qui vivent trop souvent dans les conditions inacceptables d’un minuscule «  bocal de souffrance » pour satisfaire un plaisir bien égoïste. Les oiseaux enfermés dans des cages exigües ne sont pas mieux lotis. Nous dépensons chaque année 4,5 milliards d’euros pour nos amis les bêtes. C’est un énorme marché bien relayé par le marketing, avec une guerre sans pitié entre fabricants qui vantent à qui mieux le produit qui va améliorer le bien-être de votre animal, voire allonger son espérance de vie. Il y a quelques années, le botaniste Jean-Marie Pelt (1933-2015) faisait le constat que dans notre monde hyper connecté, où la solitude n’a jamais été aussi présente, on comprend l’engouement pour les animaux de compagnie toujours prompts à donner de manière désintéressée de l’affection là où il n’y en pas toujours beaucoup. « On communique énormément, mais on communique peu avec l’esprit et le cœur. L’animal de compagnie apporte une paisible compagnie, il est toujours présent pour l’être vivant, il est proche du quotidien. » Jean-Marie Pelt, botaniste (1933-2015)

Le revers de la médaille, réside dans les 100  000 chats et chiens et autres infortunés, abandonnés chaque année dans notre pays. Un chiffre difficile à comprendre. Ils ont été souvent désirés, choyés, cajolés puis jetés comme un vulgaire produit de consommation. On les a aimés petits, mais ils ont grandi et sont devenus encombrants ; ils provoquent des allergies ; ils occasionnent des frais ; l’enfant qui avait tant désiré ce compagnon s’en désintéresse, et puis les vacances arrivent, que va t‘on en faire ? Alors, on le rapporte dans un refuge, quand on ne l’abandonne pas sur la voie publique. L’acte est cruel, on jette à la rue cet animal que l’on cajolait quelques heures plus tôt. L’abandon est passible de deux ans de prison et 30 000 euros d’amende. La Société protectrice des animaux (SPA) en recueille près de 43 000 à la sortie des fourrières. Si la crise a aussi un impact sur ces abandons, ceci montre que pour de nombreux esprits, l’animal n’est pas considéré comme un être vivant digne de respect. Adopter un animal engage son maître à une responsabilité. Nous avons critiqué Descartes plus haut et nous sommes en train de passer de l’animal machine à l’animal produit ! La tentation des NAC Les NAC (nouveaux animaux de compagnie) sont devenus très tendance en France. Il s’agit d’animaux de compagnie souvent qualifiés d’exotiques ou d’insolites. De nombreux foyers ont décidé d’accueillir un rongeur, un reptile, 308

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une grenouille, un scorpion ou encore une araignée. On estime qu’il y a environ cinq millions de NAC en France, dont trois millions et demi de petits mammifères et 1,4 million d’autres animaux (serpents, lézards, araignées…). Parmi les petits mammifères, on peut citer les lapins, chinchillas, souris, cochons d’Inde, gerbilles, écureuils de Corée, hamsters… Côté carnivores, le furet et le vison sont à la mode. On estime qu’il y a dans notre pays, 600 000 lapins, 500 000 hamsters et 400 000 cochons d’Inde. Les reptiles sont aussi très prisés à l’instar des iguanes, des caméléons, des boas ou des pythons. N’oublions pas les arthropodes comme les scorpions ou les araignées qui reviennent en force chez les passionnés. Attention, l’acquisition de ces NAC n’est pas anodine et des précautions doivent être prises notamment au niveau sanitaire. Nombre d’entre eux nécessitent des attentions et des soins particuliers. De plus, il faut tenir compte de leur mode de vie, un hamster est un animal nocturne, ce qui ne va pas dans le sens d’un achat pour un enfant. Des animaux sociaux qui vivent en colonies dans la nature sont vendus seuls, ce qui occasionne un stress et des troubles du comportement. L’animal pris de démangeaisons devient agressif. Certaines espèces ont besoin d’un hivernage. Quant à un serpent, il va falloir lui fournir des souris vivantes. Les vétérinaires voient défiler les propriétaires désabusés par leur nouveau compagnon qui ne remplit pas le « cahier des charges » d’un chien ou d’un chat. Les NAC font aussi partie des animaux les plus abandonnés. Sur les 100 000 animaux abandonnés en France, si les chats ou les chiens arrivent en tête de liste, les lapins sont en troisième position. Ces petits animaux réclament beaucoup de soins et de nettoyage de leur litière. Les NAC sont aussi victimes des effets de mode comme on a pu le constater avec le phénomène «  Tortue Ninja  ». Les parents ont acheté des milliers de tortues qui ont été relâchées dans des espaces verts ou tout simplement jetées aux toilettes ! Donc, attention au coup de tête, un animal de compagnie, fusse-t-il à poils, à écailles ou à plumes, n’est pas un produit de consommation ! Le trafic animal Le trafic d’animaux est le troisième trafic illicite mondial après les drogues et les armes, pour un « chiffre d’affaires » estimé à quelque 15 milliards d’euros par an. Selon la Fondation 30 millions d’amis, environ 100  000 animaux de compagnie entreraient illégalement sur le territoire français chaque année. Le trafic d’animaux est un des grands facteurs d’érosion de la biodiversité. Les jeunes sont arrachés à leurs parents, enfermés dans des conditions épouvantables. Le taux de mortalité est énorme, avec moins de 20 % qui atteignent l’âge de deux ans. On estime que 40 à 50 % des oiseaux sauvages capturés meurent avant même d’être exportés, du fait des méthodes employées pour les piéger, sans parler des conditions de transport et de détention, souvent épouvantables. 309

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L’achat de certains NAC reste un encouragement au braconnage, à la persécution, à l’exploitation, voire à la disparition d’espèces fragiles. Selon l’UICN, chaque année, 30 000 primates, 500 000 perroquets, 500 000 poissons d’aquarium et un nombre inconnu de reptiles et mammifères sont extirpés de leur milieu, pour alimenter un marché mondial en pleine expansion. Selon l’association Code animal, certains oiseaux sont placés dans des tubes cachés dans des valises pour le transport après que leur bec ait été scotché. Les perroquets et les tortues sont les animaux les plus fréquemment saisis par les douanes. Certains trafiquants avaient même des oiseaux attachés à leurs chaussettes. On retrouve des reptiles enfermés dans des bouteilles, l’imagination des trafiquants semble sans limite. Quant aux faux certificats, ils sont légion. Le fait de détenir des animaux non domestiques de façon illicite est qualifié de délit (article L415-3 du Code de l’environnement) et passible de sanctions pénales (jusqu’à six mois d’emprisonnement et 9 000 euros d’amende). La maltraitance animale Saint François d’Assise (1182-1226) était connu pour son amour infini pour les animaux  : il s’adressait aux oiseaux, aux abeilles, et même aux loups. On raconte qu’il était toujours pris de pitié pour les animaux souffrants. Depuis des siècles, nombreux sont les hommes d’esprit qui ont dénoncé les sévices que l’homme fait subir aux bêtes. Jules Michelet (1798-1874) dénoncera les injustices commises envers les animaux en arguant que c’est compromettre la démocratie que de les persécuter. Dans son ouvrage, Le silence des animaux, la philosophe Élisabeth de Fontenay nous montre que la manière dont nous les traitons est un indicateur de l’état de notre société. En février 2014, une vidéo postée sur Internet montrait un homme en train de jeter violemment un chaton contre un mur. Les internautes horrifiés dénoncent la cruauté de ces images. L’auteur des faits est vite retrouvé, arrêté, écroué et jugé en comparution immédiate. Il est condamné à un an de prison ferme. Une plainte a été déposée par la Fondation Brigitte Bardot pour « acte de cruauté et sévices graves » contre un animal. La mobilisation en ligne a également permis au propriétaire de retrouver son chaton de cinq mois, prénommé Oscar qui a été pris en charge par une clinique vétérinaire. Cet accident surmédiatisé ne doit pas faire oublier que la maltraitance animale est un délit pénal pouvant être puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amande (article 521-1 du Code pénal). La cruauté envers l’animal peut s’exercer de façon passive ou active : – dans le premier cas, c’est la négligence qui est en cause, l’animal souffre de la faim, de la soif, du manque de soins vétérinaires. Son abri est trop petit ou inadapté, et il subit les conditions météorologiques. Parfois, son propriétaire n’a pas les connaissances suffisantes ou les moyens pour s’occuper de l’animal ; 310

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– dans le second cas, où l’acte de cruauté est actif, la maltraitance est intentionnelle et vise directement l’animal. L’abandon délibéré de l’animal entre dans ce cas. Dans ces situations, il convient de prévenir les autorités qui sont les seules habilitées à intervenir. Les associations de protection animale peuvent aussi enquêter, réunir des preuves et rédiger un procès verbal. Comme les réseaux sociaux sont devenus les acteurs incontournables d’identification des actes répréhensibles, le ministère de l’Intérieur a mis à disposition des internautes un site dédié au signalement de « contenus ou de comportements illicites ». Dans le cadre général de cet ouvrage, nous ne pouvions pas traiter tous les sujets de maltraitance qui préoccupent les amoureux et les défenseurs des animaux et sont au cœur de nombreuses polémiques, à l’instar du gavage traditionnel, de la corrida, ou des combats de coqs, pour n’en nommer que quelques-uns. On se devait aussi d’évoquer les pratiques cruelles d’élevage, comme la séparation mère/petit. Les truies sont entravées dans les stalles et ne peuvent développer que des relations tronquées avec leurs petits. Des méthodes barbares comme la castration à vif des porcelets (afin de réduire le risque d’apparition de l’odeur de verrat dans la viande), l’ablation de leur queue ou le meulage de leurs dents sont toujours de mise. Pour « adapter » les poussins à la claustration, leur bec est coupé par une lame chauffée au rouge sans anesthésie pour éviter le picage, sans oublier le « dégriffage » de pattes de poulet ou de canard, quand on n’écorne pas les veaux (sources association L214 de défense du droit des animaux). Quant à la pratique du «  meurtre organisé  » de la corrida, elle suscite de vifs débats entre défenseurs et opposants. Le paradoxe c’est que si loi française réprime la cruauté envers les animaux, elle autorise les corridas « lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée ». Une mince consolation, en juin 2015, la corrida a été retirée du patrimoine culturel de la France, sur un arrêt de la cour administrative d’appel de Paris (Figure 7-8). Deux associations pro-corrida ont alors intenté un pourvoi devant le Conseil d’État. Le 27 juillet 2016, ce dernier a rejeté le pourvoi des organisations pro-corrida, qui contestaient la décision de la cour administrative de Paris. Cette pratique barbare d’un autre âge est définitivement radiée du Patrimoine immatériel de la France. À l’heure où ces lignes sont écrites, des faits de maltraitance dans les abattoirs se multiplient et l’on découvre sur le Net des images choquantes, filmées en caméra cachée, et dévoilées par l’association L214. Des animaux y sont égorgés alors qu’ils sont encore conscients. Ces images révèlent de multiples infractions aux règles de protection animale, des scènes de souffrance, ainsi que des violences de la part des personnels des abattoirs. Le ministère de l’Agriculture a réagi en ordonnant des contrôles inopinés dans tous les abattoirs de l’Hexagone. 311

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Figure 7-8 : La corrida, un meurtre organisé.

Nous ne pouvions pas non plus passer sous silence l’omerta sur l’industrie de la fourrure qui tue ou mutile chaque année 75 millions d’animaux (renards, ratons laveurs, visons, lapins...) pour le simple plaisir de porter un vêtement qui fait la une d’un journal de mode. Pour prélever leur fourrure, ils sont tués par gazage ou électrocution avant d’être dépecés. Nombre d’entre eux sont encore conscients à ce moment-là. Des milliers d’animaux victimes des pièges, y laissent un membre quand ils n’agonisent pas sur place pendant des jours. Derrière chaque manteau, chaque capuche, chaque étole, se cache la souffrance, 30 castors, 15 lynx, 15 renards, sept léopards, six phoques ou 40 ratons laveurs sont nécessaires pour fabriquer un seul manteau de fourrure. Et que penser de ces milliers d’ours noirs, attachés, l’abdomen perforé, à qui l’on prélève plusieurs fois par jour de la bile à l’aide d’un cathéter introduit dans leur vésicule biliaire  ? En Chine, la bile est vendue à prix d’or en médecine traditionnelle. L’association Animals Asia Foundation, présidée par Jill Robinson, se bat contre cette pratique barbare qui laisse lentement agoniser les plantigrades sans aucun soin, ni asepsie. Au final, l’animal quitte la « ferme à bile » pour la boucherie car sa viande est très appréciée en Chine. L’abattage rituel au cœur du débat social, nous mangeons ce que nous sommes « Toutes les précautions doivent être prises en vue d’épargner aux animaux toute excitation, douleur ou souffrance évitables pendant les opérations de déchargement, d’acheminement, d’hébergement, d’immobilisation, d’étourdissement, d’abattage ou de mise à mort. » Articles R. 214-65 et suivants du Code rural 312

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L’abattage rituel des animaux en France est au cœur d’une polémique qui ne cesse d’enfler. Cet abattage rituel concerne les viandes « casher » (rite juif) et « halal » (rite musulman). On distingue deux types d’abattage, l’abattage conventionnel avec étourdissement et l’abattage rituel sans étourdissement : – dans l’abattage conventionnel, les animaux sont étourdis avant la saignée. Un technicien leur plante des deux côtés de la tête des pinces à électronarcose, ce qui entraîne une perte de conscience et une insensibilité à la douleur. On utilise également un pistolet mécanique ou un caisson à gaz qui rend les animaux inconscients. On parle de technique d’étourdissement. L’animal est ensuite mis à mort par saignée (coupe de la peau du cou et des vaisseaux sanguins) ; – dans l’abattage rituel, l’animal est retourné sur le coté ou sur le dos, puis égorgé à vif alors qu’il est en pleine conscience : on lui sectionne la peau, les muscles, la trachée, l’œsophage et les vaisseaux au prix de souffrances supplémentaires. La pratique de l’abattage rituel est soumise à des dérogations dans la plupart des pays européens y compris la France. Il est en revanche interdit au Danemark, au Liechtenstein, en Islande, Norvège, Pologne, Suède et en Suisse. Dans ces pays, les viandes casher ou halal doivent être importées. En plus du côté particulièrement cruel de l’acte, la pratique de l’abattage rituel constitue également une importante dérogation aux règles relatives à l’hygiène alimentaire. Le fait de trancher l’œsophage peut provoquer des régurgitations gastriques et souiller la viande de bactéries. Le contenu pulmonaire risque aussi de se déverser sur la viande. Le risque est donc sanitaire. La réglementation prévoit que la tranchée et l’œsophage doivent rester intacts lors de la saignée.

Notre système d’élevage et d’abattage a désanimalisé les bêtes, c’est le triste constat que fait l’écrivain Franz-Olivier Giesbert dans son ouvrage L’animal est une personne. Il y dénonce que l’exception à l’étourdissement tend à devenir une règle en matière d’abattage des animaux de boucherie en France. Le halal est de fait plus simple à mettre en œuvre que la méthode conventionnelle, pas d’étourdissement signifie un poste de moins. L’abattoir n’a plus besoin de deux chaînes d’abattage distinctes, une autre source d’économie. Le halal est donc plus rentable pour un industriel lorsqu’il fait ses comptes ! Comme le fait remarquer 60 millions de consommateurs, il n’y a pas d’obligation de traçabilité en matière de mode d’abattage. Vous n’avez donc pas la possibilité de savoir si l’entrecôte que vous allez manger provient d’un bœuf abattu par égorgement, avec ou sans étourdissement. Comme aucun étiquetage n’est prévu : les consommateurs mangent donc, sans le savoir, de la viande pouvant provenir d’animaux qui étaient pleinement conscients lorsqu’ils ont 313

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été égorgés. En 2008, une enquête du ministère de l’Agriculture révélait que 274 abattoirs français, soit 59 %, pratiquaient l’abattage rituel. Nous invitons le lecteur à consulter sur Internet le rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux ; CGAAER n° 11167 de novembre 2011. On y trouve cette phrase : Alors que la demande en viande halal ou casher devrait correspondre à environ 10  % des abattages totaux, on estime que le volume d’abattage rituel atteint 40 % des abattages totaux pour les bovins et près de 60 % pour les ovins. On peut imaginer que depuis cette publication, les chiffres ont encore augmenté. La question de l’expérimentation animale Depuis de nombreuses années, les animaux utilisés pour la recherche sont au cœur d’un débat enflammé que dénoncent les associations antivivisection. En 2012, l’initiative citoyenne européenne (ICE), Stop Vivisection a lancé une pétition qui a recueilli 1,2 millions de signatures visant à mettre fin à l’expérimentation animale. En juin 2015, la Commission européenne a refusé d’abroger la directive sur la protection des animaux comme le demandait le mouvement Stop Vivisection. C’est la directive 63/UE* de 2010 qui autorise l’utilisation des animaux dans la recherche scientifique qui était visée. Quelques semaines auparavant, seize lauréats du prix Nobel avaient écrit une lettre ouverte à la Commission européenne pour défendre l’utilité de l’expérimentation animale. Ils estimaient que cela pourrait provoquer un énorme retour en arrière pour le bien-être des animaux et la recherche européenne. Le constat est que l’on ne peut pas impliquer éternellement les animaux dans la recherche, mais pour le moment, et à la lumière de nos connaissances, nous n’avons aucune solution à notre portée. La Commission a encouragé la recherche et la validation de méthodes alternatives à l’utilisation de l’animal. Les arguments contre la vivisection mettent souvent en avant l’utilisation de cellules ou de tissus in vitro pour remplacer les animaux de laboratoire. C’est l’approche générale utilisée par les laboratoires, car elle fournit des indications précieuses sur le métabolisme et le comportement de la cellule. Malheureusement, les données fournies par une simple cellule ne sont pas représentatives d’un organisme entier où les interactions entres les tissus et les différents organes DÉFINITION Directive 2010/63/UE Cette directive européenne du 22 septembre 2010 encadre la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques. Les principes de remplacement, de réduction et de raffinement plus communément connus sous le nom de « règle des 3Rs » sont étendus aux animaux élevés pour l’expérimentation. La directive place cette règle comme l’élément central de la protection des animaux.

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Épilogue pour un statut de l’animal

y sont multiples, avec des systèmes de communications complexes. Il en est de même des techniques de modélisations prédictives réalisées sur ordinateur. Aucune simulation informatique n’est capable de reproduire le modèle vivant. Les techniques in vitro et les modèles informatiques doivent donc être validés sur des organismes vivants. Comme le cite Catherine Jessus de l’Institut des sciences biologiques du CNRS, dans un entretien accordé au magazine La Recherche de février 2016 : arrêter l’expérimentation animale reviendrait à renoncer à comprendre les mécanismes du vivant. On ne peut pas valider un médicament testé uniquement sur des cultures cellulaires, puis le passer chez l’homme sans autre contrôle. On doit obligatoirement passer par des tests sur les animaux pour les phases précliniques d’efficacité et de toxicité. Aujourd’hui, l’arrêt de l’expérimentation animale signerait la fin de la recherche biomédicale. Catherine Jessus évoque le risque dans le futur d’une médecine aveugle et dangereuse. Force est de constater que nous sommes incapables de prévoir quand nous pourrons nous passer de l’expérimentation animale. En France, selon les chiffres du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, deux millions d’animaux de laboratoire sont utilisés chaque année pour la recherche. La mobilisation sans précédant de Stop Vivisection a eu le mérite de montrer que des hommes sont capables de se fédérer sur les sujets importants comme celui de la souffrance animale. N’oublions pas que jusque dans les années 1980, les conditions de vie et les souffrances des animaux ne faisaient pas partie des préoccupations des laboratoires. Il a fallu la mobilisation de nombreuses associations et de nombreuses campagnes, assorties d’images chocs diffusées sur les médias, pour que l’opinion bouge. Elles aboutiront en 1986, à la première directive européenne sur l’utilisation des animaux à des fins thérapeutiques, puis à celle de 2010 qui devrait être réexaminée en 2017. Sans vouloir faire l’éloge de l’expérimentation animale qui pose de vrais problèmes en matière d’éthique animale, nous sommes confrontés à un problème qui ne va pas se résoudre tant que nous n’aurons pas d’autres alternatives de validation. Conclusion pour des cosmétiques éthiques Nous terminerons sur une note optimiste concernant les tests effectués par l’industrie des cosmétiques. La plupart des grandes marques de cosmétiques font appel à des animaux pour tester leurs produits avant commercialisation. Selon l’association PETA (People for the Ethical Treatment of Animals), 2 700 animaux sont utilisés chaque année et plus particulièrement des lapins. Les tests consistent à appliquer les produits sur les yeux de l’animal afin d’évaluer leur toxicité. Certains produits sont versés dans les yeux ou encore appliqués sur la peau rasée du lapin. Cette histoire va bientôt appartenir au passé, suite à la découverte par une équipe anglaise que de simples protozoaires comme les paramécies, pourraient remplacer de façon fiable les tests animaux. Gageons 315

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que cette découverte en appelle d’autres  ! Tout ce qui peut être mis en œuvre en matière de recherche pour éviter la souffrance animale reste une priorité, et doit être surveillé et encadré.

ÉLÉMENTS DE BIBLIOGRAPHIE Burgat Florence, 2015. La cause des animaux. Paris, Buchet-Chastel. Cyrulnik Boris, Fontenay (de) Élisabeth, Singer Peter, Matignon Karine Lou, (dir.), 2013. Les animaux ont aussi des droits. Paris, Seuil. Digard Jean-Pierre, 2009. Comme une bête. Paris, Fayard. Fontenay (de) Élisabeth, 1998. Le silence des bêtes. Paris, Fayard. Giesbert Franz-Olivier, 2014. L’animal est une personne. Paris, Fayard. La Recherche, Février 2016. Expérimentation animale. Faut-il s’en passer ? Paris, Sophia Publications. Lorentz Konrad, 1971. Tous les chiens, tous les chats. Paris, Flammarion. Lorentz Konrad, 2009. Les fondements de l’éthologie. Paris, Flammarion. Pastoureau Michel, 2011. Bestiaires du Moyen Âge. Paris, Éditions du Seuil. Picq Pascal, Digard Jean-Pierre, Cyrulnik Boris, Matignon Karine Lou, (dir.), 2000. La plus belle histoire des animaux. Paris, Seuil. Tenck Jean-Luc et Servais Véronique, 2002. L’éthologie. Histoire naturelle du comportement. Paris, Seuil.

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Index A Abattage conventionnel 313 Abattage rituel 313 Abeille(s) domestique(s) 185, 265, 278 Acanthaster pourpre 277 Acanthostega 131 Acide désoxyribonucléique 111 Actinoptérygiens 125 Adapidae 164 Adapides 170 Aedes aegypti 238 Aedes albopictus 238 Agence européenne des médicaments 238 Agneau de Tartarie 52 Aiguillat commun 222 Aldrovandi, Ulysse 58 Alexandre le Grand 50 Al-Jahiz 51 Alpaga 200 Alvarez, Luis 160 Ambre gris 226 Ambulocetus 165 Amidon 19 Ammonites 61 Amniote 136 Amphibiens 135, 284 Amy, Mathieu 304 Anaphylaxie 272 Anapside 142

Ancien Testament 48 Âne domestique 199 Anémone 75 Anémones de mer 275 Âne sauvage d’Afrique 199 Âne sauvage d’Asie 199 Andersen, Hans Christian 55 Angiogénèse 223 Angiospermes 155 Animal 17 Animal de compagnie 184 Animaux vénéneux 275 Anomalocaris canadensis 117 Anopheles 237 Anthropocène 171 Anti-angiogénique 223 Apamine 278 Apis 198 Apprivoisé 184 Ara-A 218 Ara-C 218 Araignée paon 97 Araignées 279 Arandapsis 123 Archaeopteryx 158 Archaeothyris 138 Archosauriens 146, 152 Arénicole marine 223 Argentinosaurus 8, 154 Argiope frelon 280

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Aristote 8, 50, 272 Arthropleura 133 Arthropodes 114 Artiodactyles 162 Ascaris 247 Ascidies 218 Asclépiade 46 Asticothérapie 212 Aufray, Renan 27 Aurochs 183, 197 Aurochs de Heck 198 Aurornis 158 Autorisation de mise sur le marché 214 Autorisation temporaire d’utilisation 214 Autotrophe 18 Averroès 51 Avicenne 51, 214 Axolotl 41 Azt 218 B Bacillus thuringiensis 263 Bang, Frederik 221 Balanes 78 Baleine bleue 8 Baluchitherium grangeri 161 Barcoding moléculaire 32 Bardot 200 Barnum, Phineas 12 Barracuda 256 Basilosaurus 166 Bates, Henry Walter 83 Bâton d’Asclépios 207 Batrachotoxine(s) 82, 284 Belette 34 Beliaïev, Dmitri 192 Belon, Pierre 59 Benton, Michael 122, 142, 159 Bergmann, Werner 218 Bernard, Claude 212 Béringie 172 Bestiaires 53 Bilharziose 247 318

Biogéographie 64 Bioturbation 90, 93 Blanchiment du corail 74 Bœuf 197, 210 Bœuf musqué 208 Bombyx atlas 36 Bombyx du murier 186 Bonaparte, Charles-Lucien 272 Bonpland, Aimé 63 Bothrops Jacarana 288 Bourgelat, Claude 301 Bourgeonnement 95 Boyce, Daniel 27 Boxer 191 Bradype tridactyle 85 Brumbies 183 Buffon (comte de) 10, 62, 188, 301 Bulin 250 Burgat, Florence 195, 307 C Cachalot 226 Caenorhabditis elegans 67 Calmar géant 35 Calmars 79 Cambrien 101, 113 Caméléon 79 Camélidés 200 Canard colvert 207 Carbonifère 135 Caron, Jean-Bernard 121 Carroll, Lewis 83 Carpes 208 Castor 226 Castoréum 226 Catarhiniens 170 Catulle 202 Cellulose 19, 91 Céphalopodes 123 Cercopithecoïdes 170 Cerf élaphe 96 Cerf géant 176 Cerf porte-musc 228 Cétacés 164

Index

Chacal 190 Chameau d’Arabie 200 Chameau de Bactriane 200 Champignon de Paris 17 Charançon rouge 262 Charnia 113 Chat domestique 196 Chat ganté 196 Chat haret 197 Chat sauvage 196 Chat sauvage d’Afrique 196 Chauve-souris bourdon 34 Chênes pédonculés 89 Chengjiang 116 Chenille processionnaire du pin 279 Cheval 9, 183, 211 Cheval de Prjevalski 11 Cheval domestique 11 Chèvre 194, 210 Chien 183, 190, 210 Chien de mer 222 Chiens de protection 194 Chiens errants 194 Chikungunya 238 Chimpanzés 102 Chipeaux, Jean Philippe 274 Chiridien 126 Chitine 19 Chloroplastes 18 Choanocytes 21 Choanoflagellés 21 Chorde 120 Chromatophores 79 Cigale 207 Cire d’abeille 229 Cistude d’Europe 269 CITES 45, 228 Civette 228 Civette africaine 228 Clarck, Jennifer 131 Cloporte 80 Cnidaires 74, 275 Cnidoblastes 275

Cnidocyste 275 Cobaye géant 201 Cobaye sauvage 201 Coccinelle 72 Cochenille kermès 48 Cochon 183, 204, 211 Cochon de Corse 205 Cochon d’Inde 201 Cochon truffier 205 Code animal 310 Code-barres génétique 32 Cœlacanthes 37, 127 Coévolution 83 Cohen, Stanley 287 Collagène 19 Coltan 45 Combes, Claude 71 Commensalisme 70, 77 Commission baleinière internationale 9 Cônes 221, 277 Conops vesicularis 266 Conotoxines 222, 277 Conus magus 221 Convergence évolutive 173 Convergence moléculaire 289 Convergence morphologique 289 Conway Morris, Simon 115, 121 Coq 205 Coq doré 205 Corbeau calédonien 104 Corneilles noires 78 Corrida XVII, 296, 298, 311, 312 Cortés, Hernán 10 Coucou 71 Couleuvre à collier 81 Couleuvre d’Esculape 207 Coupe d’Hygie 207 Coyote 190 Crabe pinnothère 78 Crabe royal du Kamtchatka 36 Crapaud commun 81, 284 Crépidule 271 319

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Crétacé 154 Crick, Francis 67 Crise du Dévonien 129 Crise K/T 159 Crise permo-triasique 144 Crockett, Davy 260 Crocodiles 152 Crossope aquatique 291 Crossope de Miller 291 Cryptobiose 4 Cuboméduse d’Australie 276 Cuvier, Georges 8, 12, 64, 109 Cuy 201 Cycles évolutifs 236 Cyrulnik, Boris 301, 304 Cyprin doré 207 Cytarabine 218 Cytochrome oxydase 33 Cytolysines 274 D DAISIE 258 Daman du Cap 229 Damans 202 Darrouzet, Éric 266 Darwin, Charles 2, 65, 84, 92, 114, 147, 164, 196, 302 Darwinius masillae 164 Dauphins 103 DDT 256 De Bary, Heinrich A. 70 De Beauvais, Vincent 52 De Bingen, Hildegarde 52 Décomposeurs 24 De Fontenay, Élisabeth 305, 310 De La Fontaine, Jean 199, 299 de Lesseps, Ferdinand 256 Delessert, Gabriel 301 Deligeorges, Stéphane 289 Delivering Alien Invasive Species Inventory for Europe 258 Delmas de Grammont, Jacques 301 Delort, Robert 2, 48, 52, 190 De Milet, Anaximandre 49 320

De Montaigne, Michel 299 Démocrite 50 Demodex XVII Dengue 238, 239 De Sève, Jacques 63 De Séville, Isidore 52 Descartes, René 297, 300 Despret, Vinciane 94 De Thaon, Philippe 55 Détritivores 24 Dheilly, Nolwenn 73 Diderot, Denis 63 Digard, Jean-Pierre 182, 307 Dimetrodon 140 Dindon domestique 206 Dingo 183, 190 Dinosaures 136, 146, 152 Diplodocus 154 Dipneustes 126 Directive 63/UE 314 Divagant 194 Dodo 176 Domestication 182 Domestique 184 Doryphore 255 Douve du foie 247 Doxorubicine 281 Doyen, Stéphane 163 Draculine 291 Dragon 59 Dromadaire 200 Dubos, René 181 Dufton, Mark 293 Dugongs 55 Dumbacher, John P. 289 Dunkleosteus 126 Dupe 83 Dürer, Albert 58 E Ecdysozoaires 119 Échidnés 149 Écologie chimique 217 Écrevisse à pattes blanches 270

Index

Écrevisse rouge de Louisiane 270 Ecteinascidia turbinata 219 Ectéinascidine 219 Ectoparasites 70 Écureuil de Corée 259 Écureuil roux 259 Edaphosaurus 140 Édentés 173 Eisenmann, Véra 12 El Albani, Abderrazak 111 Élan 209 Elapidae 286 Elasmothérium 57, 176 Électrolocalisation 13 Éléphant 34 Éléphant d’Asie 50 Éléphants d’Afrique 102, 209 Embranchements 22 Empédocle 50 Encéphalite à Tique 244 Endémisme 27 Endocrinologie 212 Endoparasite 70 Endosymbiose 18 Engber, Daniel 201 Enzymes 273 Épeire diadème 280 Éponges 20 Equus gallicus 11 Equus 10 Erdmann, Mark 37 Ères 109 Escargot de Bourgogne 215 Escargots 208 Ésope 199, 299 Espèces clé de voûte 88 Espèces ingénieur 88 ET743 219 Étages 109 Éthologie cognitive 304 Étoiles de mer 122 Eucaryotes 18 Euryptérides 133 Eusthenopteron 130

Eutélique 3 Euthériens 149 Exaptation 132 Explosion cambrienne 113 Extinction(s) de masse 108, 109, 143 F Fabre, Jean Henri 263, 281, 302 Faune de Burgess 114 Faune d’Ediacara 112 Fel d 1 293 Fibroïne 187 Fièvre des tranchées 251 Fièvre récurrente 251 Flehmen 96 Fondation 30 millions d’amis 296 Fondation Bill et Melinda Gates 232 Fondation Brigitte Bardot 310 Fondation Droit animal, éthique et science 297 Fontana, Felice 272 Fouling 256 Fourmis 279 Fossey, Diane 45, 303 François 1er 207, 284 Franzen, Jenz 164 Frégate superbe 97 Frelon asiatique 264 Frelon d’Europe 264 Fuchs, Leonhardt 58 Fungi 230 G Galactophores 147 Gale humaine 251 Galdikas, Biruté 303 Galère portugaise 275 Galien 61 Gallinacés 205 Garenne 203 Gazelle dorcas 209 Geai des chênes 89 Génération spontanée XXI, 59 Genèse 29 321

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Genèse 16 Genette commune 207 Genette européenne 207 Georgiacetus 166 Gessner, Conrad 58 Giesbert, Franz-Olivier 313 Giger, Hans Rudi 220 Glandes lactéales 147 Global Footprint Network 39 Global Tiger Initiative 43 Glomérine 282 Gloméris 282 Glycogène 19 Glyptodontes 172 Godefroit, Pascal 158 Goodall, Jane 102, 303 Gorgonopsiens 173 Gorille des montagnes 45 Gorilles 45, 102 Goscinny 204 Gould, Stephen Jay 11, 115 Grande Barrière de corail 88 Grand échange interaméricain 172, 173 Grande coupure 168 Grande vive 283 Grand pingouin 177 Grand requin blanc 44 Grèbes huppés 98 Grenouilles dendrobates 82, 284 Grillon 207 Grotte Chauvet 11 Grotte Cosquer 178 Guanaco 200 Guépard 208 Guêpe germanique 82 Guêpes 72 Gulf Stream 172 Gymnospermes 144 H Hadrien 202 Hadrocodium 151 Hallucigenia 118 Hareng 218 322

Hari, Albert 48 Hartenberber, Jean-Louis 149, 162, 175 Harvey, William 61 Hathor 198 Hatzegopteryx 157 Hélicidine 215 Helicoprion 134 Helminthes 246 Heloderma 285 Héloderme horrible 285 Hemarina 223 Hemeroplanes ornatus 84 Hémione 199 Hémolysines 274 Hémorragines 274 Herens 198 Hérisson 80 Héron-garde-bœuf 77 Herpetogaster collinsi 117 Herrerasaurus 152 Hétérotrophes 18 Hippocrate 272 Hirudine 214 Hirudo medicinalis 214 Holocène 171, 172 Hominidés 45 Hominoïdes 170 Homochromie 79 Homoglomérine 282 Homo 171 Homologie 64 Homo sapiens 175 Horloge moléculaire 20 Hotspot 27 Huîtres 208 Hyaluronidases 274 Hyène 209 Hylonomus Lyelli 137 Hyménoptères 277 Hyraceum 229 I Ibn Fadlan 57

Index

Ichthyostega 131 Ida 164, 169, 170 Ifremer 218, 271 Ifrita de Kowald 289 Indohyus 165 Ingénieurs écologiques 88 Ingestion 19 Inostrancevia 141 Inquilisme 78 International Animal Rescue 293 Invasions biologiques 254 Iridium 160 J Jardinier satiné 98 Jessus, Catherine 315 Jour de dépassement 39 K Kant, Emmanuel 300 Kearsley Shaw, George 12 Koch, Robert 201 « Kopi Luwak » 229 Kornprobst, Jean-Michel 223 Krill 8, 25 L L214 311 « Lacune de Romer » 133 La Genèse 48 Lagerlöf, Selma 207 L’allantoïde 136 L’alphalactalbumine 147 Lama 200 Lamantin 55 Lamarck, Jean-Baptiste 64, 109 Lamproies 124 Lapin commun 202 Lapin de garenne 202 Lardé, Arnaud 86 Larrey, Dominique 212 Larvothérapie 212 Lascaux 11

Latimeria chalumnae 37 Lecointre, Guillaume 23 Lefeuvre, Jean-Claude 256 Le Grand, Albert 52 Le Guyader, Hervé 23, 33 L’éléphant d’Afrique 209 Lémuriens 170 Lentes 251 L’Éocène 162 Lépidoptères 279 Leroi, Armand Marie 68 Léviathan 8 Levi-Montcalcini, Rita 287 Levin, Jack 221 L’évolution 66 Lézard des murailles 84 Licorne 52, 56 Lièvre 202 Ligand 274 Limule 220 Linné, Carl 8, 29, 60, 61 Liopleurodon 156 Lodé, Thierry 84 Loi Grammont 301 Lombrics 93 Lorenz, Konrad 303 L’origine des espèces 66 Loris 170 Loris paresseux 292 Louis IX 52 Louis Pasteur XXI Loup 183 Loutres de mer 103 Lucane cerf-volant 94 Lynx 260 Lysozyme 147 Lysozyme C 147 Lystrosaurus 144 M MacArthur, Robert 99 Maladie de Chagas 241 Maladie de l’orme 262 323

BIODIVERSITÉ ET ÉVOLUTION DU MONDE ANIMAL

Maladie de Lyme 244, 259 Maladie du sommeil 241 Maladies infectieuses émergentes 211 Maladie vectorielle 235 Malaria 237 Malmignatte 280 Mammaliforme 150 Mammouths laineux 175 Marronnage 183 Marronnier d’Inde 266 Marsupiaux 149, 161 Martel, Charles 207 Mastodonte 175 Matignon, Karine Lou XVII Maurocalcine 281 Mauss, Marcel 196 Médecins sans frontières 238 Mégafaune 171 Mégalodon 168 Meganeura 133 Megascolides australis 36 Megatherium 173 Mellitine 278 Melon 166 Melville, Herman 7, 226 Mendel, Johann Grégor 67 Méningo-encéphalite à tiques 245 Mésanges à tête bleue 104 Mesosaurus 143 Messel 163 Métathériens 149 Métazoaires 18 Michelet, Jules 310 Microscope 61 Migrations lesseptiennes 256 60 millions de consommateurs 313 Mime 83 Mimétisme 83 Mimétisme batésien 84 Mimétisme de divertissement 84 Mimétisme d’intimidation 84 Mimétisme müllérien 84 Mineuse 262 324

Mineuse du marronnier 266 Mitochondries 18 Moa 177 Modèle 83 Monarque 46, 84 Monotrèmes 12, 149 Montespan (Madame de) 212 Montesquieu 48 Morganucodon 150 Morpion 251 Mouches tsé-tsé 241 Mouche verte 212 Moufette 81 Mouflon 183 Mouflon corse 195 Mouflon sauvage 195 Moustique tigre 238 Mouton 183, 195, 210 Mule 200 Mulet 200 Müller, Fritz 84 Multituberculés 161 Murènes communes 208 Musc 228 Mustangs 183 Mutualisme 70 Myers, Norman 27 Myriapodes 282 Mysticètes 166 Myxines 124 Myxomatose 204 N NAC (nouveaux animaux de compagnie) 159, 184, 193, 259, 308 Nannihippus 10 Narval 56 Nautiles 123 Nautiloïdes 123 Néoténie 41 Néoténiques 191 Nerve Growth Factor 287 Neurotoxines 274

Index

Neumann, Jean-Marc 297 Niaux 11 Noé 29 Notes de fond 225 Nothosaures 146 O Odontocètes 166 Odontogriphus omalus 120 Œuf amniotique 136 Oies domestiques 207 Oiseau-éléphant 177 Oiseaux 152 Oiseaux jardiniers 98 Oligocène 168 Olinguito 37 Omobatrachotoxine 289 Omomyides 170 Onagre 199 Ongulés 162 Onfray, Michel 305 Onychophores 118 Opossums 172 Opothérapie 212 Ordovicien 122 Organe de Jacobson 96 Ornithischiens 153 Ornithorynque 12, 149, 290 Orthoceras 123 Ostéichthyens 124 Ostracodermes 123 Ôtzi 246 Ours brun 5 Ours des cavernes 4, 175 Oursins 277 Owen, Richard 109, 152 Oxyures 247 P Pachyure étrusque 34 Paedophryne amauensis 34 Pakicetus 165 Paléocène 160

Paléogène 160 Paléontologie 64, 108 Paléopathologie humaine 211 Palmipèdes 205 Paludisme 237 Panda géant 43 Panda roux 43 Panderichtys 131 Pangée 133, 139 Paon bleu 97 Paramécies 315 Parasite 70 Parasitisme 70 Parasitisme de ponte 71 Parasitoïdes 72 Parasitoses 235 Paresseux à trois doigts 85 Paré, Ambroise 212 Paroi pecto-cellulosique 19 Parthénogenèse 95 Patou des Pyrénées 194 Pederpes 133 Pédiculose 251 Pelagie 276 Pélycosauriens 140 Pelt, Jean-Marie 210, 308 Pentade de Pandore 210 Périodes 109 Périssodactyles 162 Permien 137, 139 Perruche à collier 261 Peste 233 Peste noire 234 PETA 315 Petite vive 283 Phalène du bouleau 79 Phèdre 299 Phéromones 96 Phorésie 78 Phosphatases 274 Phospholipases 273 Photosynthèse 24 Phyla 22 325

BIODIVERSITÉ ET ÉVOLUTION DU MONDE ANIMAL

Phyllobates 284 Phylloxéra 255 Physalie(s) 272, 275 Physica 52 Physiologus 51, 299 Phytoplancton 24 Pics 91 Picq, Pascal XVI Piéride du chou 51 Pies bavardes 78 Pieuvre à anneaux bleus 277 Pieuvre noix de coco 105 Pieuvres 79 Pieuvre veinée 105 Pikaia gracilens 120 Pintade commune 207 Pisaure admirable 97 Pitohui bicolore 289 Placentaires 149 Placodermes 124, 125 Plancton 24 Plasmodium 237 Platon 209 Platyrrhiniens 170 Platyrrhiniens 170 Plésiosaures 146, 156 Pline l’Ancien 8, 51, 211, 214, 299 Pliosaures 156 Plutarque 298 Poincaré, Raymond 255 Point chaud de biodiversité 27 Poisson-clown 75 Poisson d’argent 129 Poisson rouge 207 Pompes à carbone 26 Porc 204 Portier, Paul 272 Postel-Vinay, Olivier 189 Potier, Pierre 272, 287 Pou de corps 251 Pou de tête 251 Pou du pubis 251 Poule 205 326

Poulet domestique 205 Prévert, Jacques 260 Prialt® 222 Primates 169, 170 Prions 216 Processionnaire du pin 262 Producteurs secondaires 24 Productivité primaire 23 Protéases 273 Prothériens 149 Protoceratops 101 Ptérosaures 152, 156 Puce 234 Puits de carbone 26 Q Quaternaire 171 Quetzalcoatlus 157 R Radiation 109, 122, 125, 126, 133, 135 Ragondin 267 Ramade, François 40 Rat noir 196, 234 Raton laveur 260 Ray, John 60 Récepteur 274 Réchauffement climatique 43 Redi, Francisco 272 Reeves, Hubert 305 Règle des 3Rs 314 Rémoras 78 Renard commun 192 Renard roux 61 Renoir, Pierre Auguste 185 Reproduction sexuée 20 Reptiles 136 Reptiles mammaliens 136, 137, 139 Reptiles marins 143 Requin blanc 169 Requin lutin 134 Requins 44 Réseaux trophiques 24 Révolution néolithique 209

Index

Rhinocéros blanc du Nord 47 Rhinocéros de Java 47 Rhinocéros indien 47, 56 Rhinocéros laineux 176 Rhinocéros noir d’Afrique de l’Ouest 47 Ribeiroia ondatrae 73 Ricard, Matthieu 305 Ricard, Michel 186 Richet, Charles 272 Rodinia 122 Rondelet, Guillaume 59 Rorqual bleu 34 Rostre 243 Rowell, Thelma 305 S Sac vitellin 136 Saint François d’Assise 310 Saint-Hilaire, Étienne Geoffroy 64, 184 Saint-Hilaire, Isidore Geoffroy 302 Salamandre commune 284 Salamandre maculée 76 Sanglier 90, 183, 204 Sangsue médicinale 214 Sangsues 214 Saola 36 Sarcopte 251 Sarcoptérygiens 124, 126 Sarigue de Montmartre 65 Saurischiens 153 Sauropsides 136 Scabiose 251 Scala naturæ 50 Scarabée goliath 36 Schan, Lucas 58 Scorpion languedocien 281 Scorpions 279 Scott, Ridley 220 Scutigère véloce 282 Scutosaurus 142 Ségur (Comtesse de) 199 Seiches 79

Sélection naturelle 67, 302 Sérénade 96 Sergent, Edmond 236 Séricine 187 Serono, Paul 153 Serpents 126 Shih tzu 191 Sida 218 Silurien 124 Sirènes 54 Sixième extinction 39 Smilodon 173 Smith, Felisa 162 Société protectrice des animaux 301, 308 Sociétés linnéennes 62 Solénodons 290 Souris grise 245 Spallanzani, Lazzaro 3 Speculum regale 8 Spermaceti 226 Sphinx du tabac 72 Spielberg, Steven 44, 154, 158, 169 Squalamine 223 Stégocéphales 135 Stethacanthus 134 Stevenson, Robert Louis 199 Steyer, Sébastien 126 Stop Vivisection 314 Stratégie « K » 100 Stratégie « r » 100 Substances histaminiques 274 Surmulot 196 Symbiodinium 74 Symbiose 70 Symbiotes 74 Synapsides 136 Syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles 40 Systema Naturae 61 T Tænia saginata 247 Tænia solium 247 327

BIODIVERSITÉ ET ÉVOLUTION DU MONDE ANIMAL

Taïpan du désert 287 Tamia rayé de Sibérie 259 Tantale 45 Tarpan 11 Tarsiers 170 Tatou(s) 80 Taupe commune 291 Taxonomie 29, 32 Ténias 247 Termites 91 Tétart, Gilles 185 Test LAL 221 Tétrapodes 124, 126 Tétrapodomorphes 127, 129 Théophraste 51 Théorie de la dérive des continents 145 Théorie de la Reine Rouge 83 Thérapsides 140 Théropodes 155 Thrombine 214 Thylacosmilus 173 Tigres 42 Tiktaalik rosae 131 Tinbergen, Nikolaas 303 Tique du chien 243 Titus 298 Tortue de Floride 269 Tortues 80, 142 Toxicologie 272 Toxines 273 Toxinologie 272 Trachéophytes 125 Trias 139, 144 Triatomes 241 Trichine 247 Trichinose 247 Trilobites 114 Truffe des cerfs 90 Trypanosome 241 Trypanosomiases 241 Turkoman 200 Turricules 93 328

Typhus 251 Tyrannosaurus rex 155 U Uderzo 204 UICN 31, 259 V Van Eeckhout, Laetitia 39 Venationes 298 VENOMICS 288 Ver à soie 48, 186 Ver de feu 276 Ver de terre commun 93 Verlomme, Hugo 220 Vertébrés 109 Veuve noire 280 Veuve noire d’Europe 280 Vice-roi 84 Vidarabine 218 Vigogne 200 Vipère aspic 286 Vipère péliade 286 Viperidae 286 Virus chikungunya 239 Vivisection 201 Volaille 205 Von Frisch, Karl 51, 303 Von Humboldt, Alexandre 41, 63 W Walcott, Charles Doolitlle 114 Wallace, Alfred Russel 82 Water Footprint Network 39 Watson, James 67 Wayne, Robert 191 Wegener, Alfred 145 Whittington, Harry 115 Wijnstekers, Willem 42 Williamson, Mark 253, 254 Wilson, Edward Osborne 100 WWF (World Wide Fund) 39, 43

Index

X

Z

Xanthine oxydoréductase 147 Xénarthres 85, 173

Zal, Franck 223 Zammit, René 210 Zasloff, Michael 223 Zébu 198 Ziconotide 222 Zidovudine 218 Zika 238, 240 Zoochorie 90 Zoohistoire 48 Zoologie XVI, 17, 47 Zoonoses 210 Zooplancton 24 Zooxanthelles 74

Y Yak 198 Yersin, Alexandre 234 Yersinia pestis 234 Yondelis® 219 Yorgia 113 Yorkshire 184 Yunnanozoon 121

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