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Les Etats-Unis sont bien souvent encore considérés comme un " Eldorado ", et font l'objet de nombreuses i

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Bien communiquer avec vos interlocuteurs américains
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Table of contents :
Sommaire
Introduction
1. Les États-Unis d’Amérique
1.1 Une géographie incroyable
1.1.1 Un pays abondant
1.1.2 Des différences régionales
1.2 Un pays sans histoire ? Pas vraiment…
1.2.1 Survol des deux derniers siècles
1.2.2 Une très vieille démocratie
2. Des spécificités culturelles parfois déroutantes
2.1 Le puritanisme
2.1.1 L’origine du puritanisme
2.1.2 La place particulière de la religion
2.1.3 Le mensonge
2.2 L’argent
2.2.1 Un héritage culturel avec une origine religieuse
2.2.2 Toutefois la crise brouille les cartes
2.2.3 L’Amérique terre d’élection des milliardaires
2.3 Un pays de droit… au nom de la loi
2.3.1 La loi et l’esprit de la loi
2.3.2 Le contexte de ces dérives judiciaires
2.3.3 Très peu d’affaires donnent lieu à procès
2.3.4 Un engouement pour l’éthique
2.4 Le rôle de l’État
2.4.1 Une idéologie libérale
2.4.2 Une approche individuelle
2.5 Une superpuissance économique
2.5.1 Une suprématie économique ancienne
2.5.2 La Chine : un invité surprise
2.5.3 L’Amérique n’est pas préparée à se voir détrônée
3. La langue est-elle la difficulté ?
3.1 La langue
3.1.1 L’américain
3.1.2 La difficulté de s’exprimer dans une seconde langue
3.1.3 L’espagnol, seconde langue la plus parlée
3.2 Le fond et la forme
3.2.1 Formé à la prise de parole dès la maternelle
3.2.2 Les idées doivent être vendues
3.3 Approche conceptuelle versus approche pragmatique et pratique
3.3.1 Deux approches très différentes
3.3.2 Mais également des raisons économiques
3.4 Une certaine appréhension des différences
3.4.1 Un pays plutôt tourné sur lui-même
3.4.2 Un cadre législatif ancien et pourtant …
4. Gestion des conflits
4.1 Le conflit
4.1.1 Le conflit peut être une source de progrès
4.1.2 Que représente un conflit dans une entreprise ?
4.1.3 Différentes attitudes face au conflit au sein de l’entreprise
4.2 La satisfaction client
4.2.1 Pourquoi la satisfaction du client est importante
4.2.2 Des conceptions différentes
4.3 Le développement d’un groupe, ou team building
4.3.1 Un concept venu des États-Unis
4.3.2 Une mise en oeuvre évoluant selon le contexte
4.4 Le politiquement correct
4.4.1 L’origine de l’expression
4.4.2 Ne pas affecter les minorités ou offenser la conscience
4.4.3 Une façon de penser et d’être… mais attention
4.5 La responsabilité sociale des entreprises
4.5.1 Une conduite de pensée américaine
4.5.2 La réalité de la responsabilité sociale
5. L’emploi
5.1 Un environnement très diffèrent
5.1.1 Précarité et protection sociale
5.1.2 La mobilité
5.1.3 Votre employabilité est mesurée, l’emploi est un marché
5.2 La rotation de personnel
5.2.1 Conséquences des spécificités du marché de l’emploi américain
5.2.2 Un coût exorbitant
5.2.3 L’équilibrage du marché
5.3 La rémunération
5.3.1 Variabilité et performance
5.3.2 Niveau de rémunération
6. L’autorité
6.1 La hiérarchie
6.1.1 Différente culture, différente approche
6.1.2 Approche collaborative
6.1.3 Qu’attend-on d’un manager ?
6.2 Les règles
6.2.1 Les règles permettent de limiter le flou
6.2.2 Le règlement est suivi à la lettre
6.3 L’exercice de l’autorité
6.3.1 Dépend de la structure
6.3.2 L’autorité formelle et les relations informelles
6.3.3 L’autorité s’exerce
7. La négociation
7.1 Principe du gagnant-gagnant
7.1.1 Un concept récent
7.1.2 Des principes simples basés sur le respect
7.1.3 Des pratiques variées
7.2 Comment convaincre
7.2.1 Préjugés à éviter
7.2.2 Des différences d’approche
7.3 Le temps
7.3.1 Pas de perte de temps
7.3.2 Un moyen de pression
7.3.3 L’importance du temps
7.4 Le contrat
7.4.1 Négociation des contrats
7.4.2 Aspects particuliers des contrats
8. Les clichés
8.1 Clichés sur les Américains
8.1.1 Superficiels
8.1.2 Peu cultivés
8.1.3 L’argent comme seule valeur
8.2 Clichés sur les Français
8.2.1 Arrogants
8.2.2 Donneurs de leçons
8.2.3 Rigidité
Conclusions
Expressions et termes utiles
Bibliographie

Citation preview

Travailler

efficacement aux États-Unis

Les États-Unis sont bien souvent encore considérés comme un « Eldorado », et font l‘objet de nombreuses idées préconçues. C’est un pays fascinant et très attachant, dont la réalité de la vie quotidienne est très différente des clichés communément véhiculés. Vus de France, les salaires américains sont exorbitants et la vie y est agréable et confortable. En réalité, les États-Unis sont un pays ou vous pouvez perdre votre emploi en deux minutes, percevoir des allocations chômage insignifiantes, recevoir des soins médicaux à des tarifs pharamineux et très peu couverts par la sécurité sociale… Réussir son intégration professionnelle aux États-Unis – ou commercer avec des entreprises américaines – suppose de bien percevoir et intégrer les différences culturelles ainsi que les codes professionnels. Cet ouvrage ambitionne de donner un certain nombre de clés afin de mieux comprendre cet environnement. Il est illustré d’un certain nombre d’anecdotes qui le rendent vivant et ludique.

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ISBN : 978-2-12-465391-1 www.afnor.org/editions

Marc Jungerman

Bien communiquer

avec vos interlocuteurs

américains

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Français vivant aux États-Unis depuis douze ans, Marc Jungerman partage avec tous ceux qui doivent travailler avec l’Amérique du Nord, ou envisagent de s’y installer son expérience riche en enseignements : il a écrit le livre qu’il aurait souhaité trouver avant de partir !

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M. Jungerman

Bien communiquer avec vos interlocuteurs américains

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30/11/2012 10:52:45

L’auteur Franco-Américain, Marc Jungerman est expert-comptable doublement diplômé en France et aux États-Unis. Il a complété sa formation par un MBA obtenu aux États-Unis auprès de McCombs Business School. Après avoir travaillé pour PriceWaterhouseCoopers en France pendant plus de onze ans, Marc Jungerman a rejoint Essilor d’abord en France, puis aux États-Unis. Son travail à l’international l’a amené à diriger des missions en France, au Maroc, au Canada, aux États-Unis et au Brésil. Il a créé aux États-Unis une startup dans le domaine agroalimentaire dédiée aux produits frais pour une distribution sélective dite « gourmet ». Après avoir vécu plus de douze ans aux États-Unis, Marc Jungerman est très sensible aux relations interculturelles et est persuadé que leur compréhension est indispensable à l’établissement de relations professionnelles durables.

© AFNOR Éditions 2012 Couverture : création AFNOR Éditions - Crédit photo © Fotolia ISBN 978-2-12-465391-1 Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans le présent ouvrage, faite sans l’autorisation de l’éditeur est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d’une part, les reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, les analyses et courtes citations justifiées par le caractère scientifique ou d’information de l’œuvre dans laquelle elles sont incorporées (loi du 1er juillet 1992, art. L 122-4 et L 122-5 et Code pénal, art. 425). AFNOR – 11, rue Francis de Pressensé, 93571 La Plaine Saint-Denis Cedex Tél. : +33 (0) 1 41 62 80 00 – www.afnor.org

Sommaire Introduction.............................................................................................

XI

1 Les États-Unis d’Amérique.............................................................. 1 1.1 Une géographie incroyable........................................................ 2 1.2 Un pays sans histoire ? Pas vraiment…..................................... 11 2 Des spécificités culturelles parfois déroutantes......................... 27 2.1 Le puritanisme............................................................................ 28 2.2 L’argent........................................................................................ 33 2.3 Un pays de droit… au nom de la loi........................................... 37 2.4 Le rôle de l’État .......................................................................... 44 2.5 Une superpuissance économique.............................................. 48 3 La langue est-elle la difficulté ?...................................................... 53 3.1 La langue.................................................................................... 54 3.2 Le fond et la forme ..................................................................... 58

VI

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3.3 Approche conceptuelle versus approche pragmatique et pratique................................................................................... 63 3.4 Une certaine appréhension des différences.............................. 66 4 Gestion des conflits......................................................................... 73 4.1 Le conflit..................................................................................... 74 4.2 La satisfaction client................................................................... 79 4.3 Le développement d’un groupe, ou team building..................... 83 4.4 Le politiquement correct............................................................. 85 4.5 La responsabilité sociale des entreprises.................................. 89 5 L’emploi.............................................................................................. 93 5.1 Un environnement très diffèrent................................................. 93 5.2 La rotation de personnel............................................................. 100 5.3 La rémunération......................................................................... 107 6 L’autorité............................................................................................ 113 6.1 La hiérarchie............................................................................... 114 6.2 Les règles................................................................................... 119 6.3 L’exercice de l’autorité................................................................. 125 7 La négociation.................................................................................. 131 7.1 Principe du gagnant-gagnant..................................................... 132 7.2 Comment convaincre.................................................................. 135 7.3 Le temps..................................................................................... 139 7.4 Le contrat.................................................................................... 143

Sommaire

VII

8 Les clichés......................................................................................... 149 8.1 Clichés sur les Américains......................................................... 150 8.2 Clichés sur les Français............................................................. 158 Conclusions............................................................................................

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Expressions et termes utiles................................................................

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Bibliographie...........................................................................................

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Je dédie ce livre à ma plus belle histoire, mon épouse Karine et mes enfants, Nelly, Élodie, Sacha et William. Mes remerciements vont à mes premiers lecteurs : Karine et William Jungerman et le docteur Nadia Ceccotti.

Introduction Parler anglais n’a jamais été l’une de mes priorités. J’ai toujours réussi à évoluer professionnellement sans jamais devoir parler anglais. Après avoir rejoint un groupe international et ayant de nombreux contacts avec mes homologues étrangers, j’ai réalisé à quel point il était difficile de convaincre sans pouvoir communiquer ! J’ai donc décidé de prendre des cours d’anglais sans réellement progresser et ai enfin demandé à être envoyé en mission dans un pays anglophone afin d’acquérir rapidement cette compétence indispensable. Je faisais partie de ces Parisiens arrogants qui pensaient qu’au-delà des périphériques, nous étions en province. J’étais très attaché à Paris et à la France. La France est, d’ailleurs, le centre du monde quand on ouvre un atlas français ! Lorsqu’une expatriation de deux ans aux États-Unis m’a été proposée, j’avais la ferme détermination de revenir, et pensais même que vingt-quatre mois seraient longs. Je suis parti depuis douze ans… Depuis, j’ai appris que les États-Unis sont aussi au centre du monde, quand on ouvre un atlas américain. Ce paradoxe est intéressant mais n’est pas nouveau. Nous avons eu en France le Roi Soleil, la Chine se nomme l’Empire du centre alors que le Japon est connu comme le pays du soleil levant. Les États-Unis sont bien souvent considérés comme un Eldorado. Il existe de nombreuses « vraies » fausses idées au sujet des États-Unis. C’est définitivement un pays fascinant et très attachant, mais la réalité de la vie quotidienne est

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très différente des clichés communément admis. Quelle que soit la réalité de la vie quotidienne aux États-Unis, en tant qu’expatrié, vous serez considéré bien souvent par votre famille et vos amis français comme un privilégié. C’est ainsi que je suis devenu l’oncle d’Amérique… Vus de France, les salaires américains sont exorbitants et la vie y est agréable et confortable. En réalité, les États-Unis sont un pays ou vous pouvez perdre votre emploi en deux minutes, percevoir des allocations chômage insignifiantes, recevoir des soins médicaux à des tarifs pharamineux et très peu couverts par la sécurité sociale. Les meilleures éducations sont généralement dispensées par les écoles privées à des tarifs astronomiques, le coût des études secondaires constitue une réelle entrave à l’éducation, de nombreuses personnes de plus de soixante-dix ans sont contraintes de travailler faute d’une retraite suffisante et de couverture sociale… Réussir son intégration professionnelle aux États-Unis ou pouvoir commercer avec des entreprises américaines suppose de bien comprendre et d’intégrer les différences culturelles ainsi que les codes professionnels. Cet ouvrage ambitionne non pas d’expliquer en détail et de manière exhaustive les codes professionnels aux États-Unis, mais de donner un certain nombre de clés afin de mieux comprendre cet environnement. Il sera illustré par un certain nombre d’anecdotes afin de le rendre vivant et ludique.

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Droit public

La troisième partie de cet ouvrage rassemble des matières distinctes, présentées comme partie intégrante du droit public, appartenant au droit administratif spécial. Les modifications profondes que connaissent actuellement les trois domaines rassemblés ici, à savoir la fonction publique, le droit des biens et le droit des finances publiques, sont guidées par un même principe, celui de la recherche de l’efficacité. Dès lors, des rapprochements sont initiés, surtout du fait de la consécration de nouveaux principes financiers. La loi organique relative aux lois de finance du 1er août 2001 (LOLF) y est pour beaucoup. Il s’agit plutôt ici de donner une vision d’unité quant aux ressources dont dispose l’administration (au sens large) lorsqu’elle doit mettre en œuvre ses missions d’intérêt général. Elle doit pour se faire disposer de moyens financiers, de biens, et en premier lieu de personnels.

1 Les États-Unis d’Amérique Lorsque l’on parle des États-Unis, on croit se trouver en terrain connu car nous avons été bercés par la musique américaine, les productions hollywoodiennes, les hamburgers et la couverture médiatique omniprésente de cette superpuissance. Mais ceci n’est qu’une façade qui ne doit en rien laisser présumer que les cultures française et américaine sont proches. Pour comprendre ces différences culturelles, il est important de survoler les spécificités géographiques des États-Unis et leur histoire. Il s’agit d’une information nécessaire qui sera réutilisée à différentes reprises au cours des chapitres qui vont suivre.

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Figure 1.1 Comme disent les Américains, nothing is what it seems (les apparences sont trompeuses) – Iceberg au Groenland en 2009 Source Wikimedia Commons photographie de Algkalv ©

1.1 Une géographie incroyable 1.1.1 Un pays abondant La taille d’un continent La population américaine est aujourd’hui d’environ 310 millions d’habitants pour la troisième plus grande superficie au monde après la Russie et le Canada. La Chine est la quatrième plus grande superficie au monde pour une population d`environ 1 340 millions d’habitants ! Le territoire des États-Unis est comparable au continent européen ou à dix-sept fois la taille de la France métropolitaine. Le Texas à lui seul représente un peu moins d’une fois et demi la taille de la France métropolitaine.



Les États-Unis d’Amérique 3

Figure 1.2 Les États-Unis se composent de cinquante États séparés en trois ensembles géographiques Source Wikimedia Commons ©

–– Les quarante-huit États d’un seul tenant constituent le Mainland, dont la forme évoque un pentagone. C’est l’ensemble le plus étendu : il s’étire sur quatre fuseaux horaires. 4 500 kilomètres séparent la côte atlantique à l’est et la côte pacifique à l’ouest. Il faut parcourir 2 500 kilomètres pour relier le Canada au Mexique. L’ensemble Missouri-Mississippi parcourt plus de 6 000 kilomètres, l’équivalent du cours de l’Amazone en Amérique du Sud. –– L’Alaska forme le deuxième ensemble : racheté à l’Empire russe en 1867 pour 7,2 millions de dollars, cet État a rejoint l’union en 1959 et a ajouté 1,5 million de km² supplémentaires au pays. L’Alaska dispose de ressources naturelles importantes, 80 % des revenus de l’État proviennent de l’exploitation de champs pétroliers.

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Figure 1.3 Paiement des États-Unis à la Russie pour l’achat de l’Alaska Source Wikimedia Commons ©

–– Enfin, l’archipel d’Hawaï constitue le dernier ensemble américain, au milieu de l’océan Pacifique, dont l’attrait est essentiellement militaire et stratégique. La majeure partie de la population américaine se concentre sur les côtes, y compris celles des Grands Lacs. Les plus grandes villes s’y trouvent (New York sur la côte atlantique, Los Angeles et San Francisco sur le Pacifique, Chicago sur le lac Michigan). La hiérarchie des aires urbaines aux États-Unis est dominée par New York et Los Angeles qui se trouvent dans des mégalopoles. On trouve ensuite quarante-et-une villes de plus d’un million d’habitants. Compte tenu de sa superficie et de son étalement en latitude (49° N/25° N), le territoire américain se présente comme une mosaïque de climats. La majeure partie du pays se trouve dans la zone tempérée, ce qui n’empêche pas les phénomènes climatiques extrêmes. Seuls l’État d’Hawaï, le sud de la Floride et de l’Alaska sont situés en dehors de cette zone.

Des infrastructures très développées et des ressources abondantes Le réseau autoroutier comprend quatre-vingts mille d’autoroutes mais il est inégal selon les régions. Les espaces peu peuplés de l’Ouest sont moins bien desservis. Les chemins de fer sont essentiellement utilisés pour le transport des matières premières, des lieux d’extraction aux zones de production. Aujourd’hui, les Américains parcourent leur pays grâce à l’avion, tant les distances sont grandes. Parmi les dix premiers aéroports au monde (en nombre de passagers),



Les États-Unis d’Amérique 5

cinq sont américains. Le pays est ouvert sur l’extérieur par l’intermédiaire de ses trois interfaces maritimes, de ses ports et de ses fleuves. Les États-Unis disposent de ressources naturelles considérables : –– Ils sont ainsi la première puissance énergétique du monde  : ils possèdent 25,5 % des réserves mondiales de charbon, 5,3 % des réserves de pétrole et 4,6 % des réserves de gaz. Le centre du pays est la principale zone de production d’énergie. La plupart des ressources minières sont présentes dans le sous-sol américain : les États-Unis se classent ainsi au deuxième rang pour la production du cuivre et au cinquième rang pour le fer. Ils possèdent également des réserves de zinc, d’uranium, de métaux précieux, de soufre et de phosphate, mais manquent de certains métaux indispensables, notamment pour l’industrie militaire (comme le titane). Les ressources biologiques sont également abondantes et variées : –– La moitié de la surface des États-Unis (hors Alaska) est cultivable. De façon générale, les sols sont riches et fertiles. En 2011, les États-Unis sont le premier exportateur agricole au monde1. –– Les trois cents millions d’hectares de forêts présentent des essences variées (des conifères comme le séquoia sur la façade pacifique, des feuillus, comme le chêne au nord, et des espèces subtropicales au sud). –– Le potentiel fluvial et lacustre est énorme. Il fournit eau, énergie et constitue des voies de transport. –– Les différentes façades maritimes ont permis le développement de la pêche (côtes atlantique et pacifique, façade du Golfe du Mexique tournée vers l’Amérique latine).

1.1.2 Des différences régionales Évoquer les États-Unis, c’est aussi imprécis que de parler de l’Europe. Il s’agit d’un patchwork d’une diversité incroyable sur les plans historique, géographique et culturel. Il faut également comprendre la dynamique économique des différentes régions. On peut globalement découper les États-Unis en trois grandes régions économiques.

1 Source : Global Trade Atlas 2011.

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Figure 1.4 Carte des États-Unis faisant apparaître la Manufacturing Belt et la Sun Belt Source Wikimedia Commons ©

La Manufacturing Belt La Manufacturing Belt (ceinture de l’industrie), située au nord-est des ÉtatsUnis, concentre 40 % de la production industrielle. C’est dans cette région que se sont développées les premières industries liées aux révolutions industrielles (métallurgie et sidérurgie à Pittsburg et Chicago, automobiles à Detroit). Cette région dispose du réseau ferroviaire le plus dense des États-Unis. Il est intéressant de noter que cette région relativement petite, comparée à l’ensemble du territoire américain, a été le berceau du développement industriel et qu’elle comprend pourtant parmi les plus petits États des ÉtatsUnis en termes de superficie avec certes une densité de population assez forte (Maryland, Massachussetts, New Jersey ou encore Connecticut). Ces activités industrielles sont de nos jours en déclin, c’est pourquoi on appelle aussi cette région la Rust Belt (ceinture de la rouille), à cause des friches industrielles occasionnées par la fermeture d’entreprises parties s’installer ailleurs (généralement en Asie).



Les États-Unis d’Amérique 7

Figure 1.5 Usine abandonée (Illinois), photographie d’Alexander Kaiser Source Wikimedia Commons ©

La région s’adapte à cette situation et développe des emplois tertiaires de haute technologie, ce qui lui permet de garder un fort pouvoir directionnel. Des zones industrielles associant recherche en laboratoire ou en université, et entreprises de haute technologie ont été créées. Toutes les grandes villes américaines en possèdent afin de stimuler et développer l’innovation. Vous trouverez dans la Manufacturing Belt une concentration étonnante d’universités de renommée mondiale (Harvard, MIT, Columbia, Yale, University of Pennsylvania, Princeton…). Les grands centres universitaires sont entre autres à Boston, New York, Philadelphie et Chicago. Les centres universitaires ont un rôle prépondérant dans le développement et le rayonnement économique des régions, à savoir : –– Le partenariat entre le secteur privé et l’université est très développé aux États-Unis. Les universités sont considérées comme des pépinières de talents. Les professeurs sont très impliqués dans le secteur privé et dans les projets de leurs étudiants. Toutes les grandes universités américaines ont des structures destinées à faciliter la création d’entreprise. Ces structures offrent conseil et financement aux jeunes entrepreneurs. C’est une différence importante avec la France où l’université est généralement isolée et les professeurs peu disponibles.

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–– Les universités entretiennent leur réseau d’anciens élèves, ce qui leur donne un accès privilégié à grand nombre de décideurs sous couvert d’une solidarité intergénérationnelle entre étudiants. Ces réseaux d’anciens élèves (alumni) sont très actifs et contribuent au rayonnement de l’université. Ils sont sollicités, entre autres, pour collecter des fonds et offrir aux jeunes diplômés des opportunités professionnelles sous forme de job fairs (salons de l’emploi). Les grandes villes de la Manufacturing Belt sont généralement cosmopolites, ouvertes sur le monde et constituent également des centres culturels et artistiques. Les musées nationaux (gratuits) de Washington sont exceptionnels. Philadelphie est le berceau de la constitution américaine. Quant à New York, connue comme une place financière de premier ordre, elle est également un marché international de l’art et historiquement l’une des grandes portes d’entrée des émigrants.  Ces villes, très différentes les unes des autres, ne sont pourtant distantes que de quelques centaines de kilomètres. On dit généralement de manière caricaturale que l’une des premières questions que l’on vous pose à New York c’est combien vous gagnez, à Boston de quelle université vous êtes diplômé, à Washington qui vous connaissez et enfin, à Philadelphie, de quelle famille vous faites partie. Bien entendu, ce sont des clichés. Le nord-est est aussi une région agricole dynamique basée, entre autres, sur l’élevage (production de lait) et le maraîchage.

La Sun-Belt La Sun Belt (ceinture du soleil) inclut les États du Sud et concentre 50 % de la production industrielle américaine. Cette région est caractérisée par la douceur (relative) de son climat, la forte croissance de la population (quatre Américains sur dix y vivent) et un remarquable dynamisme économique porté par les industries de pointe, et le tourisme.



Les États-Unis d’Amérique 9

Figure 1.6 Signe emblématique d’Hollywood (Los Angeles) Source Wikimedia Commons ©

En raison de son dynamisme économique et de sa situation géographique (États frontaliers avec le Mexique), la Sun Belt connaît la plus forte émigration. La population se concentre dans un chapelet de métropoles bien reliées entre elles et avec le reste du monde, mais séparées par des vides. C’est dans cette région que l’on trouve le plus de technopoles, on citera pour l’informatique la Silicon Valley en Californie mais également Austin au Texas (bien moins connue et pourtant de premier ordre). Les secteurs d’activité les plus développés sont : –– l’informatique (Microsoft, Hewlett Packard, Texas Instruments, Apple, Intel) ; –– le divertissement (Hollywood, les jeux vidéo qui représentent une industrie plus importante que Hollywood…) ; –– l’aéronautique (Boeing, Lockheed, McDonnell Douglas) et l’aérospatiale avec la NASA ; –– la pétrochimie (Texaco, Exxon) au Texas et en Californie. Les grands centres universitaires de cette partie des États-Unis sont San Francisco et Austin (deux technopoles) ainsi qu’Orlando et Miami. Les trois États moteurs sont : la Floride, le Texas et la Californie. Les différences culturelles entre ces trois États côtiers du sud sont très importantes. La Californie est une

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porte d’accès à l’Asie et au Mexique. Le Texas, ancien territoire mexicain, fait l’objet d’une émigration massive en provenance du Mexique. Plus de 50 % de la population vivant au Texas parle espagnol. Enfin, la Floride offre un accès aux Caraïbes, l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud. San Francisco, Los Angeles, Houston, Dallas et Miami ont toutes un charme certain et sont très différentes des villes du Nord-Est. L’agriculture intensive et irriguée caractérise la Sun Belt (fruits, agrumes, coton). Cette agriculture est capitaliste, c’est-à-dire que les surfaces agricoles sont le plus souvent détenues par de très grandes entreprises (Coca-Cola, Philip Morris, Unilever) et non par des paysans indépendants.

La diagonale intérieure La diagonale intérieure (ou diagonale du vide) regroupe le reste du territoire et est principalement rurale et peu peuplée.

Figure 1.7 Parc national de Monument Valley entre les États de l’Utah et de l’Arizona Source Wikimedia Commons©

L’intérieur du continent juxtapose d’immenses espaces, « greniers » agricoles des États-Unis et du monde, dans les Grandes Plaines ou le « Vieux Sud », et d’autres quasiment vides (tels les Rocheuses) parsemés d’îlots miniers, agricoles ou touristiques et de parcs naturels. Une poignée de métropoles concentre les industries et les services comme Kansas City, Denver et Salt Lake City. Ces villes ont un rayonnement régional, voire national, ainsi bien qu’elles aient toute un aéroport dit « international », les vols directs vers l’Europe sont assez exceptionnels. Elles ne peuvent pas être comparées à des villes comme Chicago ou San Francisco au rayonnement international avec des portes d’accès notamment aériennes très développées.



Les États-Unis d’Amérique 11

On peut opposer l’Est et l’Ouest : –– Les grandes plaines de l’est sont le domaine des grandes exploitations agricoles modernes qui appartiennent de plus en plus à de grandes entreprises. Les paysans propriétaires sont en recul (2 % de la population active agricole). Les productions sont variées (blé, maïs, soja). Les parcelles agricoles sont découpées en sections géométriques de forme carrée. L’élevage bovin s’effectue à très grande échelle. –– Dans les régions montagneuses de l’ouest américain, l’agriculture est plus extensive. C’est une région d’élevage sur de grandes surfaces (ranching), mais aussi de culture de céréales en dry-farming (culture sèche qui consiste à retourner la terre pour la maintenir humide). Il s’agit d’une zone rurale avec des centres universitaires de second plan. Les relations d’affaires sont généralement très courtoises et s’entretiennent à moyen terme. Si vous venez de New York, vous serez considéré comme un homme de la « ville » et si vous êtes français, vous serez sans doute considéré comme une attraction. Si la diagonale intérieure est assez peu développée économiquement, elle compte parmi les plus beaux paysages des États-Unis. Cette région comprend ce que l’on nomme les grands espaces américains, des parcs naturels dont la beauté est à couper le souffle et permet un certain éloignement de la frénésie de consommation américaine. Vous pouvez y rouler en voiture pendant plusieurs heures sans voir un centre commercial, bien souvent, les stations essence font également office d’épicerie. Il y a peu de chance que vos affaires vous amènent dans ces régions épargnées, en revanche les visiter ne vous laissera pas indifférent.

1.2 Un pays sans histoire ? Pas vraiment… 1.2.1 Survol des deux derniers siècles L’Amérique fut peuplée par des Amérindiens venus d’Asie en passant par le détroit de Behring aux alentours de 20000 avant J.-C. Les premières traces de peuplement sont trouvées en Alaska, puis en 16000 avant J.-C sur la côte Est des États-Unis et en 13000 avant J.-C. au Nouveau-Mexique.

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Le point commun entre tous ces peuples, c’est leurs croyances spirituelles. Animistes, les Amérindiens croient aux forces de la nature comme la pluie, le vent, le soleil et vénèrent un Dieu créateur qu’ils nomment le « Grand Esprit ». La danse et l’usage du tabac sont très courants dans les rites sacrés.

La colonisation En 1620, une centaine de colons fuyant l’Angleterre à bord du Mayflower débarquent sur les côtes du Massachusetts et fondent la ville de Plymouth. L’arrivée du Mayflower est considérée par les historiens américains comme le point de départ de la colonisation. De nombreux colons protestants, ne pouvant pratiquer librement leur religion, arrivent d’Angleterre. Les villes de Boston et Providence sont fondées et le commerce s’établit entre la Nouvelle-Angleterre et l’Europe. La Virginie devient  la première colonie royale en 1624. Les populations amérindiennes étant décimées, les colons font venir des esclaves noirs d’Afrique qui travailleront dans les champs de tabac puis de coton, c’est le début du commerce triangulaire (entre l’Europe, l’Afrique et les Amériques). La même année, les Hollandais fondent la Nouvelle-Amsterdam pour y établir un comptoir commercial. Des colons suédois s’installeront ensuite au Delaware et en Pennsylvanie, mais ils ne tarderont pas à être dominés par les Hollandais. Avec l’arrivée des catholiques britanniques fuyant la persécution qui règne dans leur pays, Lord Baltimore fonde en 1632 la colonie du Maryland. Mais ceux-ci doivent encore subir la pression des colons protestants qui finiront par dominer la colonie. Six ans plus tard, la colonie de Rhode Island voit le jour. En 1664, les Anglais prennent la ville de New York qui avait été fondée par les Hollandais. Puis, en 1682, la colonie de Pennsylvanie est fondée par William Pen et accueillera des luthériens allemands et des baptistes irlandais et gallois qui vivront en bonne entente dans ce nouveau territoire. Peu à peu, les Français prennent pied dans le nouveau territoire occupé jusqu’alors par les Britanniques. Ils s’implantent dans le Mississippi, le Michigan, l’Alabama, l’Ohio et la Louisiane.



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En 1686, l’Angleterre décide de supprimer les chartes accordées aux colons pour prendre le contrôle de la Nouvelle-Angleterre, les colons ne reconnaissant pas cette souveraineté, des émeutes éclatent.

L’indépendance et l’émancipation des États-Unis La couronne anglaise augmente les impôts des colons et crée de nouvelles taxes destinées à financer l’armée. En réaction, les commerçants américains décident d’organiser le boycott des produits venant d’Angleterre. Des émeutes éclatent à New York et à Boston. En 1767, une taxe sur le thé est imposée aux treize colonies. Six ans plus tard, à Boston, des colons américains déguisés en Indiens jettent par-dessus bord la cargaison de thé d’un navire britannique. Ce sera l’un des événements les plus connus du début de la rébellion américaine contre le pouvoir britannique. Le mouvement radical politique actuel Tea Party a choisi son nom en référence à ces évènements. En représailles, l’Angleterre ferme le port de Boston, le Massachussetts voit ses pouvoirs réduits et de nouvelles lois plus restrictives sont imposées à la population. Suite à ces entraves au commerce, les treize colonies se montrent plus virulentes et signent, le 4 juillet 1776 à Philadelphie, la Déclaration d’indépendance rédigée par Thomas Jefferson. Ami de Benjamin Franklin, Lafayette débarque à Philadelphie en juin 1777 et offre ses services aux insurgés. Il est chargé par George Washington de convaincre le roi de France d’envoyer des troupes importantes pour faire face aux Anglais. En 1780, Georges Washington donne à Lafayette le commandement des troupes de Virginie, il participe à la bataille de Yorktown le 19 octobre 1781 qui va conduire à la capitulation du général anglais Charles Cornwallis. Deux ans plus tard, le 3 septembre 1783, l’Angleterre reconnaît l’Indépendance des États-Unis d’Amérique en signant le Traité de Paris. La toute jeune fédération est alors dirigée par George Washington, premier président élu par le Congrès Américain. En 1803, Napoléon vend aux États-Unis la Louisiane qui représentait quinze États actuels et deux provinces canadiennes pour moins de trois centimes de l’acre. L’esclavage est aboli en 1808 et la conquête de l’Ouest commence.

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Mais la jeune nation américaine ne s’est pas débarrassée définitivement des Anglais. Présents au Canada, les Britanniques déclarent la guerre le 18 juin 1812. En dépit du traité de Gand signé en 1813, les troupes anglaises brûlent la capitale des États-Unis, Washington, en 1814. La paix sera signée aussitôt après. Le Mexique attaque fort Alamo en 1836. Ce conflit durera jusqu’en 1848, année de la signature du traité de Guadalupe Hidalgo qui va faire perdre au Mexique la moitié de son territoire (le Texas, le Nouveau Mexique, l’Arizona et la Californie).

Figure 1.8 Fort Alamo à San Antonio au Texas Source Wikimedia Commons ©

Durant cette période, l’industrie américaine se développe considérablement. Avec ces réserves minières, ces forêts immenses et un réseau hydrographique très important, le pays ne manque pas de ressources. Pittsburgh devient un centre sidérurgique de tout premier ordre, l’industrie textile et l’agriculture se développent et la population américaine est multipliée par quatre en moins de soixante ans. Des milliers d’immigrants arrivent d’Europe, fuyant la famine et la misère, utilisant les premiers transatlantiques à vapeur qui relient les deux continents.

La guerre de Sécession et les problèmes raciaux Mais la révolution industrielle ne se fait pas sans heurts. Des grèves et des émeutes se produisent dans les grandes villes comme Baltimore et New York. En 1860, le pays doit faire face à une grève générale. On assiste aux revendications



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féministes, aux conflits entre les différentes doctrines religieuses et à la fondation du Ku Klux Klan en 1864, dans le Tennessee. Le racisme s’étend dans les États du Sud. Dans le même temps, la conquête de l’Ouest va prendre de l’ampleur avec la mise en place de diligences qui assurent des liaisons transcontinentales puis les lignes ferroviaires mises en service en 1869. Les Indiens sont dépossédés de leurs terres. Des guerres meurtrières seront conduites par les Américains, massacrant les Indiens par milliers. La Résistance indienne prend fin en 1886 avec la reddition du chef apache Geronimo et le massacre de quatre-cents Sioux et de leur chef Big Foot en 1890. La constitution américaine interdit l’esclavage au nord du trente-sixième parallèle. Au Kansas, les partisans de l’esclavage et les abolitionnistes s’affrontent. Abraham Lincoln, candidat du parti Républicain fraîchement constitué (en 1854) par les abolitionnistes, en fait son cheval de bataille et est élu président en 1860. Ceci n’est pas du goût des États du Sud qui décident de faire sécession en créant les États confédérés d’Amérique. La guerre éclate le 12 avril 1861 à la suite du bombardement de Fort Sumter, en Caroline du Sud, par les confédérés. En 1862, à la tête des Nordistes, le général Grant parvient à prendre la Nouvelle-Orléans. En juillet 1863, les Sudistes perdent la bataille de Gettysburg en Pennsylvanie et le 1er septembre 1864, c’est au tour d’Atlanta de tomber. Le 31 janvier 1865, le général Lee est nommé général en chef des armées sudistes, mais il doit capituler à Appomattox (Virginie) le 9 avril 1865, laissant la victoire définitive aux Nordistes. Abraham Lincoln (du parti Républicain) est réélu président en 1865 et rédige le treizième amendement qui abolit l’esclavage. Il sera assassiné le 15 avril 1865 par un extrémiste confédéré. Les sudistes conservent de l’amertume vis-à-vis du Nord, les droits des anciens esclaves noirs sont bafoués et malheureusement le resteront. Les Républicains tentent d’obtenir le droit de vote pour les Noirs. Sous l’initiative du Ku Klux Klan, qui se montre de plus en plus virulent, des violences se font de plus en plus vives contre les Noirs. Leurs droits constituent un frein au rapprochement du Nord et du Sud. En 1877, Rutherford Hayes est élu président et signe un compromis avec les États du Sud aux dépens des Noirs. La ségrégation raciale est appliquée dans le sud, le pays s’enfonce dans une bataille d’amendements à ce sujet. Ce ne sera qu’en 1965 que cette bataille constitutionnelle s’achèvera avec une loi qui mettra fin définitivement à la

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ségrégation raciale. Soit exactement un siècle après l’abolition de l’esclavage, ce qui est une honte en soi ; nous reviendrons sur la suite de cette histoire car son dénouement est plein d’enseignements.

La révolution industrielle et les guerres mondiales En 1893, un coup d’État dirigé par les États-Unis a lieu à Hawaï, pour préserver les intérêts économiques et militaires du pays. Hawaï sera annexé en 1898. La même année, une guerre oppose l’Espagne aux États-Unis qui aboutira à la perte des dernières colonies espagnoles et la prise de contrôle de Cuba, des Philippines, de l’île de Guam et de Porto Rico. En 1903, les États-Unis entrent en guerre contre la Colombie pour contrôler Panama où se construit un canal important pour le commerce maritime. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, les États-Unis se déclarent neutres. Ils entrent en guerre aux côtés des alliés en 1917 après que les sousmarins allemands ont pris pour cibles des navires civils américains. L’armistice est signé en 1918 ; le traité de Versailles signé en 1919 impose des sanctions très dures à l’Allemagne, mais le Sénat américain refuse de le ratifier. Ce traité de paix, perçu comme une injustice par les Allemands, est aussi l’une des causes profondes de la Seconde Guerre mondiale. Quelle aurait été la seconde partie du XXe siècle si les alliés et surtout la France avaient prêté l’oreille aux suggestions américaines concernant les sanctions envers l’Allemagne ? À l’issue du traité de Versailles, la Société des Nations est créée sur proposition des États-Unis afin de préserver la paix en Europe. Les États-Unis, n’ayant pas ratifié ce traité, n’en feront jamais partie. La Société des Nations est dissoute en 1946 et l’ONU sera créée en 1945. Les États-Unis bénéficient des conséquences de la Guerre qui a détruit une partie de l’Europe. New York devient la première place financière et le commerce maritime décolle. L’industrie aéronautique est en plein développement avec la création de la TWA, de American Airlines et de United Airlines. Charles Lindbergh devient le premier pilote à accomplir la traversée de l’Atlantique aux commandes du Spirit of Saint-Louis en trente-trois heures et trente minutes, le 21 mai 1927. C’est aussi le moment où sont érigés à New York d’immenses gratte-ciel comme l’Empire State Building, le Chrysler Building et le Rockfeller Center qui incarnent la vitalité économique et la puissance des États-Unis.



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Figure 1.9 Construction de l’Empire State Building Source Wikimedia Commons ©

Cette période est également marquée par les lois de la Prohibition qui interdisent la fabrication et la vente d’alcool de 1919 à 1933. Des gangs se répartissent les grandes villes en territoires afin d’organiser le commerce de l’alcool. Le plus connu est celui l’Al Capone.

Figure 1.10 La prohibition Source Wikimedia Commons ©

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Le 24 octobre 1929, les cours de la bourse s’effondrent, entraînant un krach boursier sans précédent à la Bourse de New York. Les banques se déclarent en faillite, la crise contamine l’Europe. Commence alors la grande dépression caractérisée par un chômage important (25 %) et la politique du président Hoover en faveur de grands travaux pour relancer l’activité.

Figure 1.11 American Union Bank en 1929 Source Wikimedia Commons ©

Cette politique interventionniste échouera. En 1932, Franklin Roosevelt est élu président et applique une politique keynésienne qui vient en aide aux plus démunis et réglemente le monde des affaires ainsi que le secteur bancaire. L’économie américaine se redresse lentement mais concrètement. La crise économique qui a frappé les États-Unis a eu de graves répercussions en Europe. En 1933, Les Allemands, désemparés face à l’effondrement de leurs revenus, élisent Adolf Hitler. En 1939, la France et la Grande-Bretagne déclarent la guerre à l’Allemagne qui menace la sécurité de ses voisins. Les États-Unis refusent d’entrer en guerre mais supportent l’effort des Alliés en fournissant des armes. Le 7 décembre 1941, les Japonais déclarent la guerre aux États-Unis en menant un raid aérien meurtrier sur Pearl Harbor qui détruit la flotte américaine du Pacifique. Cela sera la seule et unique attaque militaire de la Seconde Guerre



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mondiale sur le sol américain ayant conduit à des pertes humaines. L’amiral japonais Isoroku Yamamoto qui a mené l’attaque a dit : « J’ai peur que nous ayons réveillé un géant endormi. »

Figure 1.12 USS West Virginia Pearl Harbor 1941 Source Wikimedia Commons ©

Pour la seconde fois, après s’être déclarés neutres, les États-Unis entrent dans le conflit aux côtés des alliés suite à une agression. Si l’apport des forces américaines a été décisif dans la résolution du conflit face à l’Allemagne nazie, les États-Unis ne parviennent pas à prendre le dessus sur le Japon et font usage de la bombe atomique sur les villes de Nagasaki et Hiroshima. La capitulation de l’Allemagne permet aux États-Unis de se positionner en Europe en établissant des bases militaires en Allemagne et chez ses alliés.

Une politique interventionniste En 1961, John Fitzgerald Kennedy est élu président des États-Unis. La guerre froide avec l’URSS a pour conséquence la prolifération des armes nucléaires. Les tensions s’amplifient en 1962 suite à la prise du pouvoir à Cuba par Fidel Castro. Cuba, situé à quelque deux cents kilomètres des côtes de la Floride,

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accepte l’installation sur son sol de missiles Russes à ogive nucléaire. C’est un danger que les Américains ne peuvent tolérer. Le conflit est évité grâce aux négociations menées par Kennedy et Kroutchev. Kennedy signe le traité d’interdiction des essais nucléaires, en 1963, considéré comme le premier pas vers le désarmement. John Fitzgerald Kennedy entreprend ensuite un plan pour lutter contre la pauvreté aux États-Unis. Le 22 novembre 1963, alors qu’il est en campagne pour sa réélection, John Fitzgerald Kennedy est assassiné à Dallas (Texas).

Figure 1.13 J.F Kennedy à Dallas en 1963 Source Wikimedia Commons ©

En 1964, le président Johnson implique les États-Unis dans le conflit qui oppose le nord et le sud du Vietnam. La présence américaine dans cette région du sudest asiatique atteint en 1968 un contingent de plus de 500 000 soldats. Les États-Unis s’enlisent dans ce conflit lointain, mal compris par les Américains et aux pertes humaines importantes. Quatre ans plus tard, Richard Nixon est élu président et amorce le désengagement des forces américaines au Vietnam, tout en permettant au sud Vietnam d’avoir une armée suffisamment robuste pour contrer les avancées du Nord. Mais le massacre des populations civiles vietnamiennes continue. Nixon décide alors d’intervenir au Cambodge en 1970 pour pourchasser les Nord-Vietnamiens qui s’y réfugiaient. Face au désastre humain et militaire, les



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États-Unis sont contraints de se retirer du Vietnam en 1973, laissant le champ libre aux troupes nord-vietnamiennes qui prennent le contrôle de tout le pays en 1975. Ce sera la seule guerre que les États-Unis n’ont pas gagnée.

Figure 1.14 Vietnam 1968 Source Wikimedia Commons ©

Ronald Reagan est élu président en 1981, il poursuit la politique militaire de ses prédécesseurs. Il accélère le déploiement des missiles Pershing II en Allemagne et lance le programme de la Guerre des étoiles. En 1989, George Bush gagne les présidentielles au moment où la chute du mur de Berlin met fin à la guerre froide. Il poursuit la politique interventionniste des États-Unis, notamment en débarquant à Panama, dans l’île de la Grenade et en déclarant la guerre à l’Irak suite à l’invasion du Koweït. Bill Clinton est président de 1993 à 2001, il tente une politique plus sociale pour combattre les inégalités toujours plus importantes. Cependant, il ne déroge pas à la politique interventionniste menée par ses prédécesseurs et fait envoyer des militaires américains en Somalie, en Haïti et au Kosovo. C’est le fils de George Bush, George Walker Bush, qui est élu président en 2001. Le 11 septembre 2001, à New York, deux avions de ligne percutent les tours jumelles du World Trade Center, qui s’effondrent quelques minutes plus tard. Un autre avion s’écrase sur le Pentagone à Washington et un quatrième en plein champ. Ces attentats terroristes seront la seconde attaque d’envergure sur le sol américain après Pearl Harbor en 1941. Il est important de noter que

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contrairement à Pearl Harbor, les cibles sont civiles et hautement symboliques, d’où le traumatisme profond au sein de la population américaine. Cet acte est considéré comme une déclaration de guerre. Les interventions militaires des États-Unis pour lutter contre le terrorisme vont se multiplier, d’abord en Afghanistan en octobre 2001, puis en Irak en 2003. Quel que soit le parti au pouvoir (démocrate ou républicain), les États-Unis ont mené une politique interventionniste, se positionnant en superpuissance incontestée. Toutefois, les conditions économiques changent !

1.2.2 Une très vieille démocratie La constitution Américaine ratifiée le 4 mars 1789 commence par We the people… que l`on peut traduire par : « Nous, le peuple… » Il ne s’agit pas du premier article de la constitution mais de son préambule définissant le cadre de la constitution. Symboliquement, ce préambule est reproduit sur la feuille du passeport américain qui porte la signature de son détenteur.

Figure 1.15 Premier paragraphe de la Constitution américaine Source Wikimedia Commons ©

Voici la traduction de ce préambule : « Nous, le Peuple des États-Unis, en vue de former une Union plus parfaite, d’établir la justice, de faire régner la paix intérieure, de pourvoir à la défense commune, de développer le bienêtre général et d’assurer les bienfaits de la liberté à nous-mêmes et à notre postérité, nous décrétons et établissons cette Constitution pour les États-Unis d’Amérique. »



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Ces trois premiers mots sont forts en portée et définissent bien les ÉtatsUnis. La constitution fut ensuite amendée vingt-sept fois. Les dix premiers amendements que l’on désigne par bill of rights définissent les droits des citoyens et furent ratifiés le 15 décembre 1791. Parmi ces amendements, certains sont techniques, d’autres liés à l’époque (fin de la guerre de Sécession). Les amendements suivants méritent notre attention : –– Le premier amendement, ratifié le 15  décembre 1791, définit la liberté d’expression, la liberté d’exercice d’une religion, la liberté de la presse, la liberté de se réunir paisiblement et la liberté d’adresser une pétition au gouvernement. Cet amendement est certainement le plus connu et il est volontiers considéré comme fondateur des États-Unis. Il a grandement contribué à établir la réputation de terre de liberté à laquelle les citoyens américains sont tant attachés. La presse est considérée comme le quatrième pouvoir aux États-Unis, elle est capable de faire tomber les présidents (comme Richard Nixon). Imaginez la modernité de cet amendement. En France, la liberté de la presse ne fut établie que par une loi du 29 juillet 1881, soit quatre-vingt-dix ans plus tard ! –– Le deuxième amendement, ratifié également le 15 décembre 1791, garantit pour tout citoyen américain le droit de porter des armes. Si cet amendement pouvait se comprendre dans le contexte américain de la fin du XVIIIe siècle, il est bien difficile à admettre dans une démocratie moderne. On en voit aujourd’hui les dérives au travers de faits divers sanglants. Vous noterez qu’après ces drames, il n’y a toujours pas de débat politique aux ÉtatsUnis sur le bien-fondé du deuxième amendement. Lorsque vous conduisez aux États-Unis, ayez conscience qu’un grand nombre de conducteurs sont armés. Par exemple, on estime qu’un conducteur sur trois est armé au Texas. Après une guerre civile, il est souvent mentionné l’urgence de désarmer les populations afin de rétablir un ordre stable. Eh bien, aux États-Unis, la population est armée depuis plus de deux siècles ! –– Le treizième amendement, ratifié le 6  décembre 1865, abolit l’esclavage. Toutefois, en 1896, la Cour suprême légitimise la ségrégation raciale qui perdure aux États-Unis jusque dans les années soixante. En 1967, la Cour suprême juge anticonstitutionnelles les lois interdisant les mariages mixtes entre individus de couleurs différentes. Cela prendra un siècle pour en terminer avec la ségrégation. Depuis, les historiens ont fait leur travail, les enseignants

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ont instruit plusieurs générations qui ont élu un président de couleur en 2008, soit un peu plus d’une quarantaine d’années plus tard seulement ! L’Amérique est définitivement le pays du pire et du meilleur, un pays de paradoxes ! –– Le dix-neuvième amendement, ratifié le 18 août 1920, accorde le droit de vote aux femmes. Dès la fin du XIXe siècle, les femmes ont obtenu graduellement le droit de vote à certaines élections locales et régionales (au niveau des États). En France, les femmes obtiennent le droit de vote le 21 avril 1944, soit presque vingt-quatre ans plus tard ! Bien que la France fasse d’énormes progrès afin de réduire les inégalités entre hommes et femmes, les États-Unis restent en comparaison définitivement en avance. Certaines attitudes grivoises voire machistes de certains députés français siégeant à l’Assemblée nationale envers les députés du sexe opposé n’ont simplement pas cours aux États-Unis et ne sauraient en aucun cas être acceptées. La constitution des États-Unis définit les contours d’une démocratie représentative garantissant une société ouverte et égalitaire. Elle concilie le pouvoir des États avec le pouvoir fédéral centralisateur, tout en garantissant les institutions. Les États-Unis ont été constitués directement sur un modèle démocratique, ce qui fut une transition plus aisée compte tenu de leur passé. En effet, bâtir une démocratie dans un pays au long passé monarchique comme la France ou même l’Espagne est bien plus compliqué. Imaginez la modernité de la constitution américaine, dans son ensemble, qui fut rédigée en 1789 et dont les fondements sont encore en vigueur à ce jour. À titre comparatif (sans tenir compte des modifications multiples), la France a connu, depuis 1791 une quinzaine de constitutions et a expérimenté des constitutions monarchiques, bonapartistes et républicaines (au nombre de cinq). Ce ne fut pas le cas pour les États-Unis, dont le modèle démocratique est resté inchangé. La démocratie, en France, a commencé à s’établir en 1848 par l’instauration de la Seconde République suite à un soulèvement populaire. De nombreux changements sont apparus à ce moment-là, tels l’abolition des ordres religieux, l’égalité civique devant l’impôt, la justice, les emplois administratifs, la fin de la monarchie absolue et l’apparition de constitutions, la distinction entre le pouvoir exécutif et législatif, la désignation d’un président élu au suffrage universel masculin. Vivant dans des démocraties stables et bien établies, nous avons tendance à penser qu’elles sont nécessairement anciennes. Eh bien pas forcément, ainsi par exemple, la démocratie s’est établie en 1919 en Allemagne, en 1946 au Japon, en 1947 en Italie, en 1977 en Espagne. Par contre, l’Angleterre a une



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très longue histoire démocratique. La démocratie prend forme au XVIIe siècle, lorsque la prospérité de l’Angleterre (grand empire colonial) est confiée à un parlement souverain. Il ne faut pas oublier que les États-Unis furent constitués de treize colonies anglaises, cette culture démocratique américaine est donc dans une certaine mesure l’un des héritages de l’Angleterre. Déjà au XIXe  siècle, Abraham Lincoln (seizième président américain) disait à propos de la démocratie : « La démocratie, c’est le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. » On retrouve bien dans cette citation l’esprit des trois premiers mots de la constitution américaine : We the people… Il est vrai que les États-Unis ont une histoire récente comparée à la France, et de manière générale à l’Europe. Toutefois, l’histoire américaine est inscrite dans une démocratie ancienne et étonnamment moderne. Il s’agit non pas de l’histoire de la royauté comme en France, mais de l’histoire du peuple parsemée de grands combats et d’une volonté de corriger les injustices passées, avec comme limite le sacrosaint libéralisme économique. Ce pays a été bâti par des immigrants, des pionniers, qui sont venus chercher sur ces terres prospères l’espoir d’un lendemain meilleur ou encore des libertés qu’ils n’avaient pas dans leurs pays. La liberté individuelle est un concept fondateur des États-Unis, qui dans certains cas peut même être discutable comme la liberté de se défendre, protégée par le deuxième amendement de la constitution. Dans ce contexte particulier, le libéralisme économique américain doit être analysé comme la défense d’une liberté individuelle. Les Américains sont très patriotes et très fiers de leur pays. Ce ressenti que l’Amérique appartient aux Américains et a été faite par les Américains (issus de l’émigration) est très fort. Bien entendu, c’est l’esprit des trois premiers mots de la constitution américaine. Mais cela va bien au-delà, l’appropriation de l’Amérique par le peuple américain est très forte. Les symboles de l’Amérique sont respectés, vous serez probablement frappés, en roulant en voiture aux États-Unis, de voir le nombre de drapeaux américains flotter un peu partout et pas seulement devant les édifices publics. Dans le même esprit, avant chaque événement sportif, l’hymne national est chanté. Les stades généralement gigantesques deviennent silencieux alors que l’ensemble des spectateurs se lèvent et chantonnent la main droite sur le cœur. En France, le patriotisme apparaît souvent relever plus du chauvinisme que de la fierté nationale. Les Français ont tendance à être plus ouvertement critiques envers la France que les Américains ne le sont envers les États-Unis.

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Figure 1.16 Un militaire de la Navy qui s’apprête à chanter l’hymne national dans un stade Source Wikimedia Commons ©

2 Des spécificités culturelles parfois déroutantes Les États-Unis sont peuplés d’émigrants. Le processus d’immigration et d’intégration qui est décrit comme le melting pot (le creuset) depuis la fin du XVIIIe siècle a résulté d’un grand nombre de spécificités. La culture américaine est une culture complexe, que l’on apprend à découvrir et apprécier avec le temps. Il est impossible de décrire les particularités de cette culture en quelques pages, ainsi seuls les aspects les plus importants dans un cadre professionnel seront abordés.

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Figure 2.1 Statue de la liberté à New York Source Wikimedia Commons ©

2.1 Le puritanisme 2.1.1 L’origine du puritanisme Le terme « puritanisme » ne désigne pas une Église particulière, ni même une doctrine cohérente et définie. Historiquement, c’est une forme du protestantisme issue idéologiquement du calvinisme genevois et affirmée en Angleterre à partir de 1560, en réaction à l’anglicanisme officiel jugé trop proche de « l’idolâtrie » catholique. C’est aussi, plus généralement, un état d’esprit religieux marqué par l’austérité des mœurs et la notion de la responsabilité individuelle devant Dieu. On désigne comme puritains ceux qui se proclament du puritanisme.



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L’esprit puritain imprègne profondément les Églises presbytériennes, méthodistes, baptistes, et beaucoup d’autres florissantes aux États-Unis. Pour les puritains, la danse était acceptée mais sans connotation sexuelle. L’alcool était accepté mais pas l’ivrognerie. Les puritains croyaient au mariage et condamnaient fermement l’adultère. Ils étaient opposés à toute corruption. Les cent deux passagers du Mayflower sont à l’origine du puritanisme américain. Ils appartenaient à un groupe de puritains du comté de Nottingham qui, plutôt que de supporter la hiérarchie ecclésiastique de la couronne d’Angleterre, s’étaient d’abord installés en Hollande (dès 1608), et y avaient été rejoints par d’autres dissidents. Mais, soucieux de voir leurs enfants perdre leur langue et leur identité en devenant hollandais, ils décidèrent en 1620 de partir pour l’Amérique, où ils pourraient exprimer librement leurs aspirations religieuses. Les puritains n’étaient pas connus pour leur tolérance. On se souviendra des puritains du Massachusetts qui se laissèrent aller à des gestes extrêmes, telle la chasse aux sorcières qui, en 1692, fit trembler les habitants de la petite ville de Salem et s’étendit ensuite à l’ensemble de la colonie. Les puritains ont contribué à former la société américaine telle que nous la connaissons aujourd’hui, à savoir le désir d’une réussite économique tout en préservant une éthique de vie et un statut social. Les puritains croyaient en l’autodétermination et donc à la capacité de chacun à faire le bien. Ainsi, on peut penser que le mouvement puritain a contribué à créer cette approche moralisatrice que l’on rencontre par exemple dans les médias américains.

2.1.2 La place particulière de la religion Les observateurs de la vie américaine sont généralement frappés par la place qu’occupe la religion dans la société. Déjà Tocqueville, en 1835, remarquait que les références à la Bible faisaient partie du langage courant dans toutes les classes sociales et que personne ne professait ouvertement l’athéisme, contrairement à la société française de la même époque. Cette place éminente tenue par la religion aux États-Unis va d’ailleurs de pair avec la liberté de conscience et de culte, inscrite dans le premier amendement de la Constitution. Jusqu’en 1850, le protestantisme, sous ses diverses formes, a dominé le paysage religieux américain, avec une forte coloration puritaine.

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L’arrivée massive d’immigrants irlandais, puis italiens, dans la deuxième moitié du XIXe  siècle, puis enfin mexicains au XXe  siècle, a introduit une puissante communauté catholique, d’ailleurs fort variée de par ses origines géographiques diverses. La part de la population protestante décroît mais représente encore 2 aujourd’hui 51 % de la population américaine. Lorsque vous circulerez en voiture aux États-Unis, vous serez probablement surpris par le nombre de lieux de culte et surtout par leur taille. Les lieux de culte sont puissants et très organisés. Ils permettent de favoriser la vie communautaire et sont parfois un palliatif à l’éloignement familial qui existe en raison de la mobilité professionnelle. Ce serait simplifier que de penser que tous les Américains sont férus de théologie et brûlent d’une foi ardente. Mais les citations des dirigeants de pays sont assez révélatrices. Ainsi lorsque Mrs. Roosevelt demandait à son mari s’il croyait fermement à tout ce qu’il avait appris au catéchisme, il répondit : « Franchement, je n’y ai jamais beaucoup pensé. Je ne crois pas qu’il soit bon de trop penser à ces choses-là. » Eisenhower a pour sa part dit : « Notre gouvernement ne peut tenir debout sans reposer sur une foi religieuse, mais peu importe laquelle. » Chaque président (et la plupart des politiciens) termine son allocution par : « God Bless You and God Bless USA. » (Que Dieu vous protège et protège les États-Unis). Mais on ne précise jamais de quel dieu il s’agit !

Figure 2.2 Billet de un dollar américain Source Wikimedia Commons ©

2 Source AFP, 25 février 2008.



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Depuis 1956, l’Amérique a adopté comme devise nationale officielle In God We Trust, que l’on peut traduire par « En Dieu nous croyons », ou encore « Nous avons confiance en Dieu ». Cette devise figure sur tous les billets de banque et pièces de monnaie américains, et est à comparer avec la devise nationale française « Liberté, Égalité, Fraternité ». Il s’agit d’une différence importante. Dans bien des cas, le puritanisme américain vous fera sourire et vous pourrez le juger excessif ou hypocrite. Méfiez-vous de ce jugement de valeur qui peut souvent mettre les Français en grande difficulté. Par exemple, il m’est arrivé en société d’évoquer la théorie de l’évolution de Darwin, qui me semblait être un sujet d’ordre scientifique. Après quelques minutes, et de manière très polie, l’on m’a fait remarquer que ce sujet n’était pas approprié car il remettait en cause la création de l’homme par Dieu. 85 % des Américains déclarent croire en Dieu contre 15 % en France. Ceci est d’autant plus accentué dans les États du Sud comparé aux États du Nord des États-Unis. Les Américains sont très mobiles et n’hésitent pas à déménager pour poursuivre une opportunité professionnelle. Il n’est pas rare qu’ils vivent loin de leur famille proche (parent, sœur, frère…). La religion et notamment les communautés religieuses ont un rôle important dans l’intégration sociale des individus. Enfin, pour beaucoup d’habitants, l’identité ethnique est liée à l’identité religieuse. Ainsi, les minorités se retrouvent dans les lieux de culte. En société, et a fortiori dans un cadre professionnel, il y a deux sujets que l’on n’aborde généralement pas (ou peu) : la religion et la politique !

2.1.3 Le mensonge Aux États-Unis, dans cette culture protestante et puritaine, le mensonge est considéré comme absolument inacceptable. En 1998, Bill Clinton a failli être destitué comme président au terme d’une procédure d’impeachment (mise en accusation), car il s’était rendu coupable de parjure dans l’affaire Monica Lewinsky. Certes, il lui était reproché d’avoir eu une relation sexuelle avec son assistante, mais surtout d’avoir menti à ce sujet. On se rappelle également les séances d`excuses publiques de Bill Clinton ou de Tiger Woods. Il vous est généralement donné l’occasion de dire la vérité et de ne pas mentir par incompréhension, non-dit ou omission. L’un des exemples les plus marquants pour ceux d’entre nous qui se sont rendus aux États-Unis est le formulaire vert

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(I-94W) qui était distribué aux passagers, dans l’avion, et à remettre au contrôle de l’émigration. Ce formulaire, supprimé depuis 2010 (car repris dans un autre formulaire), comportait sept questions auxquelles le voyageur devait répondre par oui ou non. Les sept questions étaient : –– « Êtes-vous atteint d’une maladie contagieuse, de troubles mentaux ou physiques ? Faites-vous usage de stupéfiants ? Êtes-vous toxicomane ? –– Avez-vous été arrêté ou condamné pour un délit ou un crime réprouvé par la morale publique, ou enfreint la loi en matière de substances contrôlées ? Avez-vous été arrêté ou condamné à une peine totale d’emprisonnement de cinq ans ou plus pour deux délits ou plus ? Avez-vous été impliqué dans le trafic de substances contrôlées ? Demandez-vous l’entrée aux États-Unis dans l’intention de vous livrer à des activités criminelles ou immorales ? –– Avez-vous autrefois été impliqué, ou êtes-vous maintenant impliqué, dans des activités d’espionnage, de sabotage, de terrorisme, de génocide, ou, entre 1933 et 1945, avez-vous participé en aucune façon à des persécutions perpétrées au nom de l’Allemagne nazie ou de ses alliés ? –– Avez-vous l’intention de chercher du travail aux États-Unis ? Avez-vous déjà été refoulé ou expulsé des États-Unis ? Avez-vous autrefois été reconduit à la frontière des États-Unis ? Avez-vous obtenu ou cherché à obtenir un visa ou admission aux États-Unis par voie de fraude ou de fausses déclarations ? –– Avez-vous retenu, volontairement ou par la force, un enfant dont le droit de garde avait été confié à un ressortissant américain, ou avez-vous empêché ledit ressortissant d’exercer son droit de garde ? –– L’octroi d’un visa ou l’admission aux États-Unis vous a-t-il déjà été refusé ? Est-ce qu’un visa d’entrée aux États-Unis qui vous avait été octroyé a été annulé ? En cas de réponse affirmative, quand ? Où ? –– Avez-vous déjà demandé à être exonéré de poursuites judiciaires en échange de votre témoignage ? » Certaines de ces questions vous ont fait sourire… mais elles sont assez révélatrices de l’approche américaine. Il ne s’agit pas d’être naïf, mais plutôt transparent. Les questions sont posées de manière simple et directe. S’il est



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prouvé que vous mentez, votre crédibilité est remise en cause sur ce que vous avez dit avant et ce que vous direz ensuite. Il n’y a pas de tolérance vis-à-vis du mensonge. En France, le rapport à la vérité est moins absolu qu’aux ÉtatsUnis. On n’assimile pas, ou du moins pas encore, le mensonge fait à sa femme au mensonge fait à son pays. Les circonstances de la vie sont considérées et surtout on fait, en France, la différence entre vie publique et vie privée. Toutefois, les mentalités semblent évoluer sur ce sujet. Les définitions des sphères publiques et privées sont très différentes en France et aux États-Unis. Ainsi, ce qui est considéré comme relevant du domaine privé en France ne l’est pas forcément aux États-Unis. Par exemple, si les Américains évoquent assez librement leur appartenance à une religion, ils ne discutent que rarement de leur foi. En France, les relations conjugales sont généralement considérées comme intimes et donc faisant partie de la sphère de la vie privée. Aux États-Unis, il s’agit d’un sujet plus librement débattu et partagé, notamment avec ses collègues de travail. Cette différence culturelle est très importante et crée dans certains cas, auprès des Français, une mauvaise interprétation (et/ou incompréhension) des relations qu’ils ont avec des Américains. Considérant le mensonge, il est intéressant de noter qu’aux États-Unis, contrairement à la France, on jure sur la Bible pour prêter serment.

2.2 L’argent 2.2.1 Un héritage culturel avec une origine religieuse Il existe une grande différence entre la place de l’argent en France selon la tradition judéochrétienne et en Amérique selon la tradition protestante. Les différences d’approche sont d’ordre culturel, avec une origine religieuse. Pour les catholiques, l’argent est vil ; nécessaire mais vil. Le pauvre représente en quelque sorte le Christ souffrant. La bible condamne la pratique du prêt à intérêt ou usure. En France deux autres facteurs doivent être considérés : –– Le marxisme qui a imprégné les mentalités d’une grande partie de la gauche française en associant le profit à l’exploitation. –– La culture paysanne des Français dans laquelle on ne parlait pas d’argent mais où l’on l’économisait pour se mettre à l’abri d’une éventuelle mauvaise récolte à la saison prochaine.

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Figure 2.3 Caisse enregistreuse de la fin du XIXe siècle Source Wikimedia Commons ©

En France, il est difficile de parler d’argent sans se rapporter directement ou indirectement aux notions de riches et de pauvres et donc de classes sociales. Pour les protestants, au contraire, la richesse et la réussite en affaires sont des signes d’élection divine. Pour Calvin, Dieu a choisi les hommes qui étaient destinés à être sauvés depuis l’origine du monde, ce qu’on appelle la prédestination. Ceci laisse peu de place pour le libre-arbitre, bien sûr. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’un protestant ignore s’il est élu et qu’il cherche des signes d’élection. Un succès professionnel est considéré alors comme un signe : « Les affaires marchent bien, c’est donc que Dieu m’aime. » En 1904, Max Weber dans un livre intitule L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, considéré comme l’une des œuvres fondatrices de la sociologie moderne, développe la théorie que l’origine de l’esprit capitaliste ne se trouve pas dans des idées de réforme de la culture et de la société mais exclusivement dans un souci de salut des âmes. Cette analyse a toutefois été critiquée depuis, car l’esprit du capitalisme était déjà présent à la Renaissance, voire au Moyen Âge, dans le bassin méditerranéen de l’Europe, à savoir les grandes villes italiennes catholiques. Néanmoins, dans le contexte historique américain, il est indéniable que la place de l’argent a été fortement influencée par la tradition protestante.



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2.2.2 Toutefois la crise brouille les cartes Afin d’illustrer cette différence culturelle, prenons l’exemple de la rémunération. En France, elle est considérée par rapport à ce que vous coûtez ou gagnez. Aux États-Unis, elle est considérée par rapport à votre contribution ou à ce que vous rapportez. Ainsi, la rémunération des grands capitaines d’industrie aux États-Unis n’est pas un sujet de conversation en soi (même si beaucoup la trouvent excessive) tant que les dirigeants contribuent de manière décisive au développement des sociétés qu’ils président. Selon le principe de libre entreprise, l’État n’intervient pas et n’essaie aucunement de réglementer ou de moraliser ces relations entre dirigeants et actionnaires. Par contre, si la rémunération du dirigeant est supérieure au prix du marché ou n’est pas justifiée compte tenu des résultats obtenus, il y a de fortes chances pour qu’il soit purement et simplement remplacé sans délai. L’argent n’est pas vil mais considéré comme la contrepartie d’une contribution. La promesse du rêve américaine repose sur l’ascension sociale accessible à tout un chacun. Aux États-Unis, il n’existe en effet pas de jalousie sociale liée à l’argent. Toutefois, la situation évolue. Les Américains ne critiquaient pas la richesse de leurs voisins car ils savaient qu’ils pouvaient aussi eux-mêmes devenir riches. Tant que l’ascenseur social fonctionnait, qu’il était possible de devenir riche, il n’y avait pas de tabou sur l’argent. Le changement que l’on observe aujourd’hui provient de la crise économique et sociale qui ébranle les valeurs du pays depuis 2007-2008. Les États-Unis sont entrés dans une période de doute, qui intervient alors que nous sommes dans un monde qui est lui-même devenu post-américain. Prenons par exemple les attaques sur la richesse de Mitt Romney (candidat républicain aux élections présidentielles de 2012). Elles représentent une nouveauté. Logiquement, il devrait pouvoir insister sur le fait d’être un homme d’affaires richissime et mettre en avant son patrimoine sur le mode : « Si je me suis enrichi, je vais aussi enrichir le pays si je suis élu. » Or, il est (au mieux) gêné quand il utilise cet argument ; au pire, il doit même cacher ses signes extérieurs de richesse. Ces attaques ont été formulées initialement par les républicains (donc par son propre camp) lors des primaires et non par les démocrates !

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L’Amérique s’interroge donc aujourd’hui sur son modèle et notamment sur l’idée de décence vis-à-vis de l’argent. Faut-il dire que cette tendance se confirmera lorsque les effets de la crise seront effacés et oubliés, pas sûr… Il ne faut pas oublier que l’Amérique s’est bâtie sur une promesse, celle de l’ascension sociale dans un pays de liberté. La dernière crise d’une telle ampleur remonte à 1929, elle n’a pas altéré la croyance des Américains en l’ascension sociale.

2.2.3 L’Amérique terre d’élection des milliardaires Selon le classement Forbes 2011, les États-Unis restent le pays qui compte le plus grand nombre de milliardaires (413 milliardaires), ce qui représente 33 % des milliardaires de la planète, contre 40 % en 2010 et 50 % en 2001. L’Europe continentale est en troisième place (détrônée de la seconde place par la zone Asie-Pacifique) avec trois cents milliardaires. Il faut rapporter ces chiffres aux populations respectives des États-Unis (environs 310 millions d’habitants) et de l’Europe (environ 730 millions d’habitants). En 2010, Bill Gates et Warren Buffett, respectivement première et seconde plus grandes fortunes des États-Unis, ont convaincu 40 milliardaires de donner au moins la moitié de leur fortune à titre philanthropique. L’appel a été entendu, la liste des généreux membres du mouvement baptisé The Giving Pledge s’est allongée à soixante-neuf donateurs avec, entre autres, l’arrivée de Mark Zuckerberg, le jeune fondateur de Facebook. Warren Buffett a également précisé qu’il léguerait 99 % (soit environ 47 milliards de dollars) de sa fortune à des œuvres caritatives. Cette philanthropie peut être expliquée par la combinaison de plusieurs facteurs : –– Les milliardaires américains ont généralement créé leur fortune par euxmêmes, elle n’a pas été le fruit d’un héritage. Ceux qui ont construit leur puissance tout seuls considèrent souvent l’héritage comme un frein à la création de nouvelles richesses. Ils ne lèguent à leurs enfants et proches que des sommes jugées raisonnables. –– Certains milliardaires considèrent avoir été privilégiés et être redevables à la communauté. Leur philanthropie est, selon eux, un juste retour à la collectivité qui leur a permis de s’accomplir.



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–– Depuis la récession, les riches américains sont à la recherche de nouveaux symboles de prestige. Être assez riche et généreux pour avoir son nom dans la liste The Giving Pledge pourrait rapidement devenir un signe distinctif de prestige. –– Enfin, c’est une manière pragmatique de trouver un usage utile à ces ressources financières colossales qu’ils ont su créer et qu’ils n’utiliseront probablement jamais. En d’autres termes, l’argent pour l’argent n’a aucun sens s’il n’est pas considéré comme un moyen d’accomplir quelque chose. Quelle qu’en soit la raison, les sommes collectées sont astronomiques, Bill Gates et Warren Buffett souhaitent former un fond de 600 milliards de dollars qui constituerait de loin le plus important fond philanthropique jamais constitué. À titre comparatif, le budget 2012 de la France s’établit à 362 milliards d’euros3. Cette démarche très particulière n’a pas son égale en France ni en Europe. En France, la fondation la mieux dotée est celle de Liliane Bettencourt, qui totalise environ 760 millions d’euros. Les français ont tendance, semble-t-il, à respecter la maxime tant de fois répétée qu’elle en est usée : « Le bruit ne fait pas de bien, le bien ne fait pas de bruit. » Contrairement aux États-Unis, il est généralement considéré en France que c’est l’impôt qui assure la redistribution et l’État l’intérêt général.

2.3 Un pays de droit… au nom de la loi 2.3.1 La loi et l’esprit de la loi Les États-Unis sont un pays de droit régi par des lois au sens strict du terme. Ainsi, tout ce qui n’est pas explicitement interdit est autorisé. La France est également un État de droit régi par des lois, mais l’esprit de la loi est pris en considération. Cela semble être une simple nuance mais cela fait toute la différence.

3 Source projet loi de finance 2012.

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Figure 2.4 Badge de Police de l’État de New York Source Wikimedia Commons ©

Pour s’en convaincre, on peut rappeler les résultats de certains procès américains qui nous ont fait sourire, nous les Français : –– Stella Liebeck : en 1992, Stella a reçu 2,9 millions de dollars d’indemnités de la part de McDonald’s pour s’être brûlée en buvant son café. Le vendeur avait en effet omis de lui dire que le café était chaud ! Impardonnable… –– Terrence Dickson et le plus original des cambriolages : en 1998, il gagna 500 mille dollars d’indemnités pour torture morale. L’interrupteur de la porte du garage de la maison qu’il était en train de cambrioler fonctionnant mal, il s’est retrouvé enfermé dans le garage, jusqu’au retour de vacances des propriétaires, huit jours plus tard. Ne survivant que grâce à un stock de bouteilles de Pepsi Cola et de nourriture pour chien. Si on ne peut plus cambrioler tranquillement… –– M. Grazinski et son cruise control (régulateur de vitesse) : en 2000, celui-ci acheta un Motor Home Winneba Go (grand camping-car à l’américaine). Une fois son engin de dix mètres de long lancé à 110 km/h sur l’autoroute et enclenché le mode cruise control, M. Grazinski va se préparer un petit café à l’arrière. Après un nombre de tonneaux indéterminé, il gagna 1 750 000 dollars d’indemnités, Winneba Go ne l’ayant pas prévenu que sur la route, il était préférable de rester au volant de son véhicule… –– Kathleen Robertson et son fils : en 2000, celle-ci se foula la cheville en tombant dans un supermarché, trébuchant sur un enfant en bas âge qui courait entre les rayons. Un jury lui accorda 780 000 dollars d’indemnités. Les propriétaires du magasin furent surpris par ce jugement sachant que le trouble-fête était le propre fils de Mme Robertson…



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2.3.2 Le contexte de ces dérives judiciaires Les actions de justice en droit civil représentent la bagatelle de 200 milliards de dollars par an pour l’ensemble des États-Unis. Il est notoire qu’il s’agit du pays des procès. Mais pourquoi y en a-t-il autant ? Tout d’abord, il y a l’absence de filet social qui fait que, lorsque vous avez un problème sérieux, l’obtention de dommages et intérêts est souvent la seule option pour les victimes. Ensuite, il y a la nature du droit américain. Les États-Unis sont un pays qui se fonde sur la jurisprudence, c’est-à-dire sur les décisions antérieures qui ont été prises lors de procès similaires ou approchants. On se base sur des précédents pour faire valider son point de vue. Ce n’est pas comme en France où la décision est basée avant tout sur la loi, la jurisprudence couvrant surtout les cas non prévus par la loi. Aux USA, toute décision de justice sur un cas particulier est susceptible de s’étendre à d’autres cas grossièrement similaires. Cela multiplie les procès. Enfin, et surtout, il y a l’organisation de la justice : –– La Constitution donne aux avocats un pouvoir important. Le juge n’est qu’un arbitre qui contrôle le bon déroulement de la procédure. Toute l’organisation du procès repose sur les parties civiles et donc sur les avocats. Ce sont eux qui choisissent et rémunèrent leurs experts, ce qui pose le problème de l’impartialité. –– Il existe des mécanismes qui facilitent l’action judiciaire. Ainsi, le pacte quota litis autorise l’avocat à percevoir des honoraires proportionnels aux dommages et intérêts perçus par son client. Cette disposition permet à un plaignant, même sans grands moyens financiers, de se lancer dans une action qu’il sait coûteuse. Ainsi, il est souvent considéré non pas le préjudice en tant que tel mais la capacité à payer de la partie adverse. –– Le droit américain est très conciliant sur les conditions permettant d’aller au contentieux. En effet, il admet les recours collectifs et la possibilité de demander des dommages et intérêts (astronomiques) quand il y a lieu. Toutefois, cette situation a également des avantages car la peur d’une action judiciaire peut permettre de résoudre certains problèmes dans les plus brefs délais. Je me souviens de cette soirée à laquelle nous avions invité quatre-vingt personnes et que nous avions préparée de longue date. Deux jours avant la

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date fatidique, un orage très violent nous plonge dans le noir. Généralement, les coupures de courant sont rétablies assez rapidement. Malgré mes appels répétés à la compagnie d’électricité, le jour de la soirée le courant n’était toujours pas rétabli. Un ami américain, me voyant complètement démoralisé, me conseilla d’appeler, à nouveau, la compagnie d’électricité en précisant que la ligne électrique était à même le sol et que des enfants couraient le risque d’être blessés. Afin d’éviter un accident annoncé par l’un de leur clients, la compagnie a envoyé, trente minutes plus tard, deux équipes de dépannage.

2.3.3 Très peu d’affaires donnent lieu à procès Comme partout, procès rime avec temps et argent. Les honoraires des avocats et les frais liés aux différents auxiliaires de justice et experts sont tels que même un procès gagné peut entraîner la ruine. Les sommes accordées sont parfois tellement exorbitantes que la peur du procès tétanise tous ceux qui ont une profession à risque. Ainsi, on voit des obstétriciens qui refusent de procéder à des accouchements. Ou encore, des procédures très strictes imposées aux professeurs comme aux élèves dans les écoles ou les universités, tant la peur d’être accusé de harcèlement sexuel est devenue obsédante. Ce qui n’évite pas les dérapages, d’un côté comme de l’autre. En 2008, un enfant de six ans a été accusé par la direction de son école de harcèlement sexuel et dénoncé à la police parce qu’il avait touché les fesses d’une copine de classe ! Pourtant, moins de 10 % des affaires civiles donnent lieu à un procès. La grande majorité des demandes au civil se termine par une transaction, c’est-à-dire un accord à l’amiable, tandis que d’autres vont à la médiation, une technique de règlement des différends très développée aux États-Unis. En matière pénale, plus de 95 % des affaires, même les crimes les plus graves, peuvent faire l’objet d’une négociation entre le procureur et l’avocat de la défense, ce qu’on appelle le « plaider coupable ». Le résultat est une reconnaissance de culpabilité en échange d’une peine allégée. Cela marche plutôt bien, à condition toutefois d’avoir un bon avocat. Ce qui n’est pas toujours le cas. C’est peut-être là la véritable faille du système : il est très inégalitaire, particulièrement au pénal. En effet, si l’accusé est pauvre, l’avocat est nommé par le juge et est peu rémunéré. Son implication dans l’affaire de son client est souvent minime et le verdict est souvent sévère. Reste pour l’accusé à



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contester la décision rendue, en invoquant une défense inefficace, par exemple parce que l’avocat s’est endormi à l’audience ou qu’il n’a pas fait l’effort minimum de recherche d’éléments ou de circonstances atténuantes. Mais en dépit d’une jurisprudence favorable, les juridictions d’appel ne sont guère enclines à ouvrir les vannes de ce type de recours. Le monde judiciaire américain est très puissant et ne doit pas être sous-estimé. Il faut avoir été mis en justice et devoir se défendre en utilisant des avocats payés de 500 à 1 000 dollars de l’heure pour le comprendre. De nombreux avocats attaquent en justice, même sur des cas discutables, en espérant un arbitrage de la partie adverse motivée par la volonté de limiter les éventuels frais de justice. En d’autres termes, l’action judiciaire est utilisée comme une stratégie. Dans certains cas, la négociation commerciale est plus rapide et simple que la négociation contractuelle, généralement menée par l’intermédiaire des avocats.

2.3.4 Un engouement pour l’éthique Aux États-Unis, tout ce qui n’est pas explicitement interdit est autorisé. Ce principe de base a conduit à d’innombrables dérives dans un État de droit stricto sensu. Le législateur en a corrigé certaines et des cours d’éthique sont devenus obligatoires dans un très grand nombre de cursus universitaires et d’examens professionnels (expert-comptable, avocat, etc.). Les règles professionnelles d’éthique sont assez déroutantes. En effet, ce qui semble être du bon sens voire du sens commun en France, fait l’objet d’une norme professionnelle très officielle aux États-Unis. Nous n’évoquerons ci-dessous que les éléments les plus importants dans un cadre professionnel.

L’export et le paiement de dessous de table Le Foreign Corrupt Practices Act (ou FCPA), voté en 1977, s’applique aux activités internationales visant essentiellement à améliorer la transparence des transactions financières en interdisant toute forme de corruption. Le FCPA tend à empêcher la corruption de fonctionnaires étrangers associés à la sollicitation ou la rétention de marchés en dehors des États-Unis.

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Le FCPA est une loi qui s’applique aux activités internationales des entreprises américaines. Elle peut également s’appliquer aux activités des personnes et des entreprises étrangères aux États-Unis. De nombreuses dispositions de la loi concernent aussi les filiales étrangères des sociétés américaines cotées en bourse. Tout comme nos règles de conduite des affaires, le FCPA s’applique aux dirigeants sociaux, directeurs, employés, consultants et agents de la société et de ses filiales américaines et étrangères, ainsi qu’à toute personne agissant en quelque capacité que ce soit pour le compte de la société ou de ses filiales. Le FCPA est un outil puissant d’action concertée contre la corruption, mais il autorise toutefois certaines exceptions. Toutes les transactions, y compris celles bénéficiant du statut d’exception, doivent être entrées dans les registres de la société conformément à ses procédures comptables.

La dénonciation est régie dans un cadre légal En 2001, le scandale financier Enron conduit à la faillite du géant de la fourniture d’énergie ainsi qu’à la disparition de son commissaire aux comptes Arthur Andersen, l’un des cinq plus grands cabinets d’audit au monde. Enron fut alors la plus importante faillite de tous les temps aux États-Unis, avec des actifs de plus de 63 milliards de dollars… jusqu’à la faillite de Worldcom un an plus tard ! Les États-Unis sont alors confrontés à la réalité d’une course effrénée à la performance financière qui conduit d’importantes sociétés à se prêter à des manipulations. De nombreux petits porteurs et employés en ont malheureusement souffert et subi les conséquences. En 2002, le législateur américain réagit avec le Sarbanes-Oxley acts (ou SOX). Cette législation importante dans le monde financier comprend, entre autres, le mécanisme de whistleblowing (dénonciation). La loi SOX impose aux entreprises cotées en Bourse à New York, et à toutes leurs filiales même étrangères, de mettre en place un système d’alerte professionnelle, qui permet aux salariés d’effectuer de façon confidentielle et anonyme des remontées d’informations concernant les fraudes ou les malversations comptables ou financières dont ils auraient pris connaissance.



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Figure 2.5 Silhouette d’une espion designe par Setreser Source Wikimedia Commons ©

Une nouvelle loi américaine, le Dodd-Frank Act, promulguée en 2010, vient compléter et significativement modifier le régime du whistleblowing. Cette loi prévoit le paiement d’une prime aux personnes qui auront volontairement transmis aux autorités américaines des informations originales ayant permis des condamnations pour violation des lois en matière financière. Les autorités ont un pouvoir discrétionnaire pour déterminer le montant de cette prime. La loi encadre toutefois le montant de cette prime entre un minimum de 10 % du montant des sommes que le gouvernement a pu obtenir aux termes de la procédure et un maximum de 30 % du montant des sommes obtenues. Le montant de la prime est déterminé en prenant en considération plusieurs facteurs. Dans certains cas, les autorités peuvent également refuser de la verser (si la personne est elle-même condamnée…). Beaucoup de commentateurs américains pensent que cette loi (qui est susceptible de s’appliquer à des entreprises françaises cotées en bourse aux USA) va augmenter considérablement les signalements de faits aux autorités, compte tenu de l’importance croissante du montant des pénalités financières auxquelles sont astreintes les sociétés condamnées par la justice américaine. Certaines pénalités pouvant se chiffrer en milliards de dollars, les primes versées aux personnes pourraient atteindre des centaines de millions de dollars ! Il est probable qu’une telle rémunération incite certaines personnes (conseillées, le cas échéant, par leurs avocats…) à se montrer plus bavardes et à devenir de véritables « chasseurs de primes ».

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En tout état de cause, une telle loi s’inscrit très clairement dans une tendance marquée vers la responsabilisation de tout un chacun dans la lutte contre les infractions économiques et financières. À défaut pour les autorités de pouvoir tout contrôler dans des univers souvent opaques et complexes, la loi fait de chaque salarié un adjoint de la justice chargé d’une mission de contrôle... Aux États-Unis, la dénonciation est perçue comme vertueuse. On peut ainsi lire à l’arrière de certains camions un panneau avec la question «  Comment trouvez-vous ma conduite ? », suivi d’un numéro de téléphone. Dans le même esprit, il est fréquent dans les quartiers résidentiels, qu’une signalisation incite à la délation d’activités suspectes. En revanche, les mentalités en France demeurent hostiles à des pratiques qui restent associées au régime de Vichy. Même si les choses sont en train de changer…

2.4 Le rôle de l’État La constitution américaine préserve la notion que les États-Unis sont une fédération d’États souverains et que les pouvoirs non spécifiquement délégués au gouvernement fédéral restent aux États. Ceux-ci ne sont donc pas seulement des provinces ou des subdivisions de l’administration fédérale. Les gouvernements des États sont relativement puissants, chaque État possède ainsi son propre droit pénal, son propre code civil et gère, par son gouvernement, ses affaires internes.

2.4.1 Une idéologie libérale En France, il est généralement admis que l’allocation des ressources dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la recherche, des arts et de l’environnement ne peut relever uniquement d’une analyse en termes de coûts et de bénéfices. L’État, qui est la première institution de la société, a pour mission fondamentale de maintenir une cohésion sociale, laquelle repose en grande partie sur la justice distributive, c’est-à-dire sur la répartition équitable des fruits de l’activité économique. Les gouvernements agissent sur l’économie sous diverses formes (taxation, dépenses et réglementation). La frontière entre l’intervention et la non-intervention de l’État va varier en fonction des fondements idéologiques.



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Aux États-Unis, le courant de pensée est libéral (comme en Grande-Bretagne) et anti-interventionniste par principe. Le marché, le privé, est a priori la meilleure solution. Cette idéologie est fermement défendue par les Américains. Selon un sondage réalisé par l’institut Gallup et publié en décembre 2011, le constat est implacable : 64 % des Américains estiment qu’un État trop présent et dépensier est la principale menace à laquelle les États-Unis font face.

Figure 2.6 « Si vous ne vivez pas ici, vous n’avez rien à y faire. » (photographie de Kelapstick, îles Hawaï) Source Wikimedia Commons ©

Les deux principaux objectifs de l’impôt sont d’une part de payer les dépenses de l’État et, d’autre part, de redistribuer les richesses. Les Américains, dans leur majorité, souhaitent que les dépenses de l’État soient les plus réduites possible et que la redistribution des richesses s’effectue individuellement, et non collectivement, sur une base participative. Une approche libérale suppose que le marché se régulera de lui-même et que l’État ne fera jamais aussi bien que le marché. Et pourtant ! Prenons l’exemple de la santé…

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Selon l’OCDE4, en 2007, les États-Unis ont consacré 16 % de leur PIB (produit intérieur brut) aux dépenses de santé. Cette part, de loin la plus élevée des pays de l’OCDE, est supérieure de plus de sept points de pourcentage à la moyenne de l’OCDE (8,9 %). Même la France et l’Allemagne, pays qui consacrent la plus forte proportion du PIB à la santé après les États-Unis, connaissent un écart de plus de cinq points de pourcentage avec ceux-ci (respectivement 11 % et 10,4 %). Toutefois, la quasi-totalité des pays de l’OCDE, à l’exception des ÉtatsUnis (ainsi que du Mexique et de la Turquie), assurent une couverture maladie à leurs citoyens. En 2007, les dépenses de santé américaines se sont élevées à 7 290 dollars par habitant, soit environ 2,5 fois plus que la moyenne de l’OCDE. Ainsi, les États-Unis dépensent plus du double des pays européens relativement riches comme la France ou l’Allemagne sans pour autant offrir à ses concitoyens une couverture sociale comparable. Le vieillissement de la population ou le tabagisme (l’un des plus faibles des pays de l’OCDE) n’expliquent pas le niveau des dépenses de santé américaines. Certes, les taux très élevés de surpoids et d’obésité coûtent déjà très cher et continueront à faire grimper les dépenses de santé aux États-Unis dans les prochaines décennies. Toutefois, les Américains ne sont pas plus susceptibles de tomber malades que les Européens ou les Japonais. La raison est plus simple. Le système de santé est un des échecs du libéralisme américain, que la reforme passée par Barack Obama tente en partie de corriger. Mais combien de décennies cela prendra-t-il ?

2.4.2 Une approche individuelle L’éducation et la santé sont des domaines essentiellement privés. Les Américains ne souhaitent pas être taxés pour financer les besoins de la collectivité. Ils préfèrent un niveau de taxation le plus bas possible avec une très faible intervention de l’État sur l’économie. Par conséquent, le niveau du système éducatif ou de santé publique est assez faible. La logique est de payer individuellement selon vos besoins respectifs et donc les ressources que vous consommez. Une famille américaine paie pour les dépenses d’éducation de ses enfants (si elle souhaite utiliser le système privé) alors qu’un célibataire sans enfant n’aura pas à supporter ce type de dépenses. 4 L’Observateur de l’OCDE N° 276-277, décembre 2009-janvier 2010.



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C’est une différence importante entre les fondements respectifs des sociétés française et américaine. La France s’est construite sur une définition forte de la collectivité. Ainsi, l’école est républicaine, l’accès aux soins est gratuit, et la retraite est établie par répartition. Par contre, les autoroutes, jugées moins fondamentales, sont en général payantes. Aux États-Unis, l’approche est individualiste. Ainsi, même s’il existe des écoles et des hôpitaux publics, l’enseignement ou les soins de qualité sont privés et la retraite est individuelle. Par contre, l’usage des infrastructures autoroutières est gratuit. Est-ce à dire que la voiture est considérée comme un signe extérieur de richesse en France et un bien de consommation aux États-Unis ? Ou plus simplement que l’automobile est reine aux États-Unis, sous pression d’un lobbying de longue date ? Cette différence d’approche peut également expliquer l’importance de la philanthropie aux États-Unis. Les plus riches n’ont généralement pas d’objection à redistribuer une partie de leurs ressources, mais ils souhaitent le faire d’euxmêmes et en garder le contrôle. Le meilleur exemple est l’initiative lancée par Bill Gates et Warren Buffett qui n’a pas d’équivalent en France ni en Europe. Selon le Hartsook Institute, la philanthropie privée représente 212 milliards de dollars en 2011 aux États-Unis (à comparer au budget de l’État français de 2012 de 362 milliards d’euros), soit une progression de 2,7 % par rapport à 2010. Ce qui est intéressant en pleine crise ! La philanthropie permet également au donateur de laisser son nom à la postérité. Ainsi, aux États-Unis, de nombreux bâtiments universitaires et galeries dans les musées portent le nom d’un philanthrope. L’Université de Harvard gère une réserve de 32 milliards de dollars5 provenant de donations privées. La redistribution de ressources étant réalisée de manière individuelle et non coordonnée ou planifiée, certaines universités telles que Harvard ou Yale sont trop dotées, et d’autres moins anciennes et moins réputées sont au contraire insuffisamment financées. Aux États-Unis, la collecte de fonds (fund raising) est une industrie à part entière. Cette démarche n’est pas nouvelle. En Europe, l’un des cas les plus connus est Alfred Nobel, inventeur de la dynamite et marchand d’armes, qui créa le prix Nobel afin de changer son image face à la postérité.

5 Source Harvard management company endowment report (septembre 2011).

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2.5 Une superpuissance économique 2.5.1 Une suprématie économique ancienne La prédominance économique américaine est ancienne. Dès la fin du XIXe siècle, les États-Unis ont accédé au rang de première puissance industrielle du monde. En 1913, ils représentaient déjà plus du tiers de la production industrielle mondiale. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale commence une période faste qu’on peut qualifier d’American dream (le rêve américain). Enfin, au milieu des années soixante, les États-Unis ont repris le rôle de chantre du libre-échange, de fournisseur en ressources financières et d’ordonnateur du système monétaire. Un rôle longtemps assuré par l’Angleterre.

Figure 2.7 Bourse de New York à Wall Street Source Wikimedia Commons ©

Les firmes américaines multiplient alors implantations et rachats à l’étranger, le dollar accède au statut de devise étalon et de monnaie d’échange internationale. Cette superpuissance économique permet d’assurer également une importante



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présence militaire à l’étranger, qui renforce à son tour la présence économique américaine dans le monde. Les alliés sont aussi la plupart du temps des clients. Les années quatre-vingt-dix ont propulsé la puissance américaine à un niveau tel qu’elle a permis le lancement de la « révolution capitaliste » sur la quasi-totalité de la planète, relayée dès le milieu de la décennie par un essor économique et des succès technologiques conséquents. Toutefois, l’endettement des États-Unis ne cesse de grossir pour atteindre des sommets vertigineux. Non seulement le pays est endetté, mais il ne peut pas faire appel à l’épargne domestique pour trouver des crédits (contrairement au Japon par exemple). Les ménages américains sont, eux-mêmes, très endettés (plus de 100 % du revenu disponible). En tout état de cause, l’« hyperpuissance américaine » n’a pas d’autre choix que de faire appel à des bailleurs de fonds étrangers. Or, aujourd’hui, ces bailleurs sont aussi les puissances susceptibles à terme de remettre en cause le leadership américain, à commencer par la Chine. La première économie du monde se finance de plus en plus aux frais de pays plus pauvres parce qu’elle représente, en tant que marché, le principal débouché pour ces économies en forte croissance. Le paradoxe de l’économie américaine, c’est qu’elle n’a cessé sur le long terme de conférer aux États-Unis une influence grandissante dans les affaires du monde. Et aujourd’hui, l’économie apparaît comme le premier domaine dans lequel les États-Unis subissent, et de facto acceptent, une entrave à leur souveraineté vis-à-vis du reste du monde. Il faut se rendre compte qu’en 2011 le GDP (gross domestic product, indicateur essentiel de l’économie et de la création de richesses) américain est de 15 094 milliards de dollars, alors que le GDP cumulé des sept autres membres du G8 (Allemagne, Canada, France, Royaume-Uni, Russie, Italie et Japon) est de 20 423 milliards de dollars.

2.5.2 La Chine : un invité surprise Après que les États-Unis ont perdu leur triple A en 2011, la Chine estime être en droit d’exiger que l’État fédéral américain s’attaque à son problème structurel de dette. En effet, il faut savoir que la Chine est le plus gros détenteur d’obligations américaines dans le monde, et de loin, avec 1 160 milliards de dollars de bons du Trésor américain. Quel retour de situation !

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Figure 2.8 Shanghai en Chine de nos jours Source Wikimedia Commons ©

Si l’on considère le GDP, la Chine a connu une croissance de 69,60 % entre 2007 et 2010 alors que pour la même période, les États-Unis ont progressé de 4,20 %6. Il faut toutefois préciser que le GDP américain représentait, en 2010, 2,46 fois le GDP global chinois et plus que 2,06 fois le GDP Chinois en 20117. Justin Lin (économiste en chef à la Banque Mondiale) estime qu’en 2030, l’économie chinoise pourrait dépasser celle des États-Unis si elle maintient une croissance annuelle d’au moins 8 %. Entre 1990 et 2010, le taux de croissance moyen de la Chine fut de 10,4 %. Autre indicateur instructif, en 2011, le nombre de millionnaires asiatiques a dépassé pour la première fois celui de l’Amérique du Nord8 (États-Unis et Canada réunis). Selon les projections de croissance à l’horizon 20509, la Chine pourrait représenter au milieu du siècle 33  % de l’économie mondiale, soit presque autant que l’Union européenne (12 %), les États-Unis (9 %), l’Inde (8 %) et 6 Source World development indicators. 7 Source FMI. 8 Étude annuelle sur la richesse mondiale publiée par Capgemini et le canadien RBC Wealth Management. 9 Publiées mardi 14 février 2012 par le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII).



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le Japon (5 %) réunis. À prix constants, les économies chinoise et indienne seraient chacune multipliées par 800 % de 2008 à 2050, alors que l’américaine et l’européenne progresseraient respectivement seulement de 80 % à 90 %. Certains économistes prédisent que le renminbi (monnaie chinoise) va égaler, ou remplacer, le dollar en tant que devise de réserve, bien plus tôt que ce que supposent la plupart des gens. Cette prédiction n’est pas sans conséquences, car le statut incontesté du dollar en tant que devise de réserve permet le financement de la dette américaine par la «  planche à billet  ». La Chine se révélera être de loin la plus grande puissance commerciale de la planète, donc la devise chinoise suivrait le commerce. Il n’y a rien de surprenant à cette prédiction sachant que le dollar est devenu monnaie de réserve et de référence dans des circonstances similaires.

2.5.3 L’Amérique n’est pas préparée à se voir détrônée L’Amérique se retrouve un peu dans la situation des grandes puissances européennes, telles le Royaume-Uni, lorsque leur empire colonial s’est effondré. Ces superpuissances du passé ont continué à se comporter comme de grandes puissances, puis ont dû apprendre à accepter leur nouvelle position dans l’ordre mondial. La grande différence entre les États-Unis d’une part et le Royaume-Uni d’autre part tient à la taille de ces pays et à leur ouverture respective sur le monde. Même si les États-Unis vont sans doute perdre leur statut de première puissance économique mondiale, le pays restera toujours une puissance de premier plan. Enfin, la population anglaise a compris que le monde était grand et complexe. Les Américains, d’une manière générale, et pour diverses raisons, n’ont pas encore cette ouverture d’esprit. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les programmes de maîtrise des écoles de commerce américaines (MBA) qui proposent tous un ou plusieurs cours sur la globalisation et la mondialisation de l’économie. Ces sujets sont essentiels et doivent être enseignés, toutefois les étudiants sont d’abord mis à niveau sur des principes de base tel que la diversité d’approche et de culture. A-t-on besoin en Angleterre d’expliquer à un étudiant de vingt-cinq ans, qui a déjà travaillé trois ans, que les cultures française, italienne et allemande sont différentes ?

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Après la Seconde Guerre mondiale, le Royaume-Uni a découvert qu’un déclin de la puissance nationale était parfaitement compatible avec une augmentation du niveau de vie de la classe moyenne et avec le maintien de la sécurité nationale. Le déclin ne signifie pas nécessairement la fin de la paix et de la prospérité. En revanche, cela implique de faire des choix et de forger de nouvelles alliances. Dans une ère de déficits budgétaires massifs et d’augmentation de la puissance chinoise, les États-Unis devront réfléchir plus profondément à leurs priorités. Les dépenses militaires, aujourd’hui astronomiques, sont un stigmate de cette situation, notamment pour le camp républicain qui en appelle à la « grandeur » des États-Unis. Ceux qui refusent d’accepter toute discussion sur le déclin risquent en fait d’en accélérer le processus. Accepter de reconnaître avec réalisme que la position des États-Unis dans le monde est en danger devrait stimuler une action déterminée. Certains débats à Washington reflètent la conviction que la position des États-Unis à la tête du monde est si imprenable qu’ils peuvent se permettre des excès et un quasi-défaut de paiement de la dette. Une absence de débat sur le déclin relatif des États-Unis risque également de laisser l’opinion publique américaine mal préparée à une nouvelle ère. Sans nul doute l’Amérique intégrera cette nouvelle « donne économique ». Mais, de manière très pratique, lorsque vous travaillez avec une entreprise américaine (et avec des interlocuteurs américains), ne soyez pas offusqué par une confiance abusive ou une ignorance de ce qui se passe outre-Atlantique (ou outrePacifique). Ce n’est généralement pas un déni de ce que vous représentez, mais dû à une ignorance foncière de la situation économique globale. Par exemple, les Américains ignorent généralement que le GDP global de la communauté Européenne est supérieur à celui des États-Unis. Certes, si on le rapporte par habitant, les États-Unis conservent tout de même leur première place. Il faut comprendre qu’après avoir ouvert la porte aux délocalisations par la politique ultralibérale menée par Ronald Reagan, les principaux manufacturiers des États-Unis sont devenus des argentiers et seront bientôt plus puissants grâce à l’émergence de leur marché intérieur supportée par une population galopante (1,3 milliard en Chine et 1,2 milliard en Inde). L’Amérique et surtout les Américains ne sont pas préparés à perdre leur statut de première puissance économique, mais ce processus semble inexorable !

3 La langue est-elle la difficulté ? C’est en décembre 1999 que j’effectue mon premier voyage professionnel en Floride. Je n’avais que de vagues souvenirs de mes cours d’anglais datant de la terminale. Pour être tout à fait honnête, je ne parlais pas anglais. Je suis arrivé à destination au milieu de la nuit, fatigué, en plein décalage horaire et affamé. Sur ma route, je me suis arrêté en terrain connu pour me ravitailler. J’ai poussé la porte d’un McDonald dont j’étais le seul client. Les menus sont numérotés de un à huit, j’ai choisi le menu numéro trois et j’ai passé commande. En anglais, comme en français, la prononciation est importante. Trois mots sont assez proches : trois qui correspond à three, arbre qui se dit tree et gratuit qui se traduit par free. Après avoir passé commande, le serveur me regarde avec un air gêné et me dit, après quelques secondes d’hésitations, que malheureusement tout est payant ! L’Amérique est un pays occidental, nous avons été abreuvés en France par ses modèles et une partie de sa culture (musique, films…). De manière très légitime, vous pouvez donc être amené à considérer que la principale différence ou difficulté est d’ordre linguistique. Pas tout à fait…

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3.1 La langue 3.1.1 L’américain Aux États-Unis, on parle l’anglais ou plutôt l’américain. L’américain est moins formel que l’anglais des Britanniques et comprend des formulations plus simples et directes. Les formules de politesse très employées en France ou en Angleterre ont bien moins cours aux États-Unis. Ce pays a été composé d’immigrants et a (du moins sur le papier) une grande tradition d’accueil et d’intégration. L’accent, contrairement à l’Angleterre, ne préfigure pas de votre éducation ou de votre niveau social. Nombreux sont ceux qui croient que l’anglais doit son pouvoir d’attraction à sa prétendue facilité d’apprentissage. Le degré de difficulté d’une langue demeure toujours une question très discutable et arbitraire, parce que l’on doit se placer du point de vue de la personne qui l’apprend comme seconde langue. On apprend, en général, l’anglais ou plutôt l’américain pour des raisons pratiques, mais surtout pour espérer communiquer avec le monde. Pour beaucoup de peuples, l’anglais est perçu comme une langue difficile, à la grammaire parfois incohérente, à la prononciation exotique et à l’orthographe très capricieuse. Ce n’est pas à ses qualités intrinsèques que l’anglais doit sa fortune, mais à la puissance de la Grande-Bretagne, puis à celle des États-Unis. Une langue gagne le statut de langue internationale pour une raison principale : la puissance politique et économique de ceux qui la parlent. Le grec était la langue des communications au Moyen-Orient, il y a 2 000 ans, car elle était véhiculée par les armées d’Alexandre. Le latin s’est répandu en Europe par la puissance des légions de l’Empire romain. L’histoire d’une langue internationale peut être revécue à travers les victoires de ses soldats ou de ses explorateurs. Et l’anglais ne fait pas exception à cette règle. Plus près de nous, il est intéressant de noter que l’Inde, qui reconnaît vingt-deux langues officielles (et je ne parle pas des dialectes qui sont plusieurs centaines), considère l’anglais et l’hindi comme langue commune officielle. Certes, l’Inde est une ancienne colonie anglaise, mais il est probable que l’enseignement de l’anglais ait été perpétué en raison de son rayonnement international. L’anglais parlé aux États-Unis d’Amérique se distingue de l’anglais britannique essentiellement par la prononciation et le vocabulaire, mais aussi par l’orthographe et certaines règles de grammaire. Ascenseur se dit ainsi lift en anglais



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britannique, mais elevator en anglais américain. Pavement signifie trottoir en Angleterre, mais se dira sidewalk aux États-Unis. Tandis que pants signifiera pantalon à New York, mais slip à Londres ! L’orthographe des mots peut également différer, il en est par exemple de la plupart des mots se terminant par -our en anglais britannique et qui se terminent en -or en anglais américain (colour/color). Les mots ayant la terminaison -tre ou -bre en anglais britannique ont la terminaison -ter ou -ber en américain (theatre/theater). Bref, comme le disait George Bernard Shaw : « The British and Americans are divided by a common language. » (« Les Britanniques et les Américains sont séparés par un langage commun ») !

3.1.2 La difficulté de s’exprimer dans une seconde langue S`exprimer dans une langue étrangère est une épreuve car la tendance naturelle est de se concentrer sur la forme du message (le langage) plutôt que le fond (le message). Les Américains sont généralement polis et très courtois, ils ne vous feront pas remarquer qu`ils ne vous comprennent pas (contrairement aux Britanniques). Ils essayeront de comprendre ce que vous essayez de dire plutôt que ce que vous dites.

Figure 3.1 Affiche de James Montgomery en 1917 pour recruter des forces armées Source Wikimedia Commons ©

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Bien entendu, il vous faudra maîtriser l’anglais ou plutôt l’américain mais vous pourrez atteindre une certaine aisance en appliquant les principes simples suivants : Privilégiez des phrases courtes en utilisant des temps simples (présent, passé ou futur). Un mode d’expression direct est généralement de mesure. Dites ce que vous avez à dire de la manière la plus simple qui soit. Bien entendu, soyez humble et poli. –– Naturellement, vous voudrez montrer à votre interlocuteur que vous maîtrisez l’américain et aurez tendance à parler trop vite. À moins d’être parfaitement bilingue et d’avoir un accent impeccable, parler rapidement peut accroître votre difficulté à communiquer. En parlant plus vite, vous vous laissez moins de temps pour peser vos paroles et vous risquez de perdre votre auditoire. Par ailleurs, une personne qui s’exprime lentement est généralement plus écoutée, donc son message a plus de portée. –– Votre accent sera dans bien des cas un atout s’il n’entrave pas la compréhension de vos interlocuteurs. Les Américains dans leur majeure partie ne parlent qu’américain et respecteront les efforts que vous ferez pour vous exprimer dans leur langue. Si vous souhaitez gommer votre accent, vous n’aurez qu’à vous rendre à l’université la plus proche et prendre contact avec un professionnel de la diction. Vous n’êtes pas le premier immigrant aux États-Unis, il existe donc une industrie dédiée à l’accueil des immigrants, ainsi qu’à la maîtrise du langage et de sa prononciation. –– L’intonation joue un rôle important dans la compréhension. En français, nous portons notre intonation (sauf exception) sur la deuxième syllabe d’un mot. En américain, l’intonation est portée sur la première syllabe. Prenons par exemple un mot que vous ne manquerez pas de prononcer, le mot dollar. En Français, l’intonation est appuyée sur la deuxième syllabe -llar alors qu’en américain nous soulignerons la première syllabe do-. Ceci paraît anodin, mais il est assez difficile de changer votre intonation selon la langue utilisée ! –– N’hésitez pas à fixer vos interlocuteurs dans les yeux (mais pas de manière insistante) lorsque vous parlez afin d’avoir confirmation qu’ils vous comprennent bien. Bien que vos interlocuteurs américains vous féliciteront souvent ou complimenteront à la fin de votre réunion, cela ne signifie pas pour autant qu’ils vous auront compris. Par ailleurs, les Américains étant très attentifs au mode de communication, auront tendance à assimiler cette attitude à une marque de confiance en soi.



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Vos difficultés d’expression pourront dans certains cas tourner à votre avantage. Les États-Unis sont un pays de communication où parfois la forme est plus importante que le fond. Dans certaines circonstances, vos interlocuteurs pourraient être tentés d’associer votre agilité intellectuelle à votre agilité verbale. Bien entendu, vous réfléchissez bien plus vite que vous ne parlez, mais vos interlocuteurs pourraient avoir tendance à vous sous-estimer. N’en soyez pas offusqué, cela peut même constituer un atout non négligeable notamment dans le cadre de négociations.

3.1.3 L’espagnol, seconde langue la plus parlée L’expansion de l’espagnol est inéluctable. En plus d’être la troisième langue la plus utilisée sur Internet, c’est également la plus demandée dans les universités américaines. Une étude publiée en décembre 2010 par la Modern Language Association (Association de langues modernes d’Amérique) révèle que les étudiants universitaires nord-américains sont plus nombreux dans les cours d’espagnol que dans ceux de toute autre langue étrangère. Ce rapport démontre que malgré l’augmentation notable du nombre d’étudiants qui s’inscrivent à des cours d’arabe, de chinois et de coréen, l’espagnol reste de loin la langue la plus étudiée dans les universités. Près de 50 % des inscriptions universitaires aux cours de langues étrangères se concentrent dans les classes d’espagnol. Environ 850 000 étudiants sont inscrits à des cours d’espagnol, suivis de 210 000 qui étudient le français, 198 000 l’allemand, 74 000 le japonais et 61 000 le chinois. Vous aurez noté la place du français.

Figure 3.2 Aqui hablamos español (« ici on parle espagnol » dit de Español patriota) Source Wikimedia Commons ©

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En ces périodes de restrictions budgétaires, il est probable que les universités nord-américaines vont supprimer d’autres cours de langues moins plébiscitées, mais qu’elles conserveront l’espagnol. Cette tendance devrait se maintenir à l’avenir car, tous groupes ethniques confondus, les étudiants voient l’espagnol comme une langue qui leur ouvre des possibilités professionnelles. Les États-Unis comptent un peu plus de 40 millions10 de personnes qui parlent espagnol, ce qui en fait l’un des principaux pays hispanophones au monde. Aujourd’hui, la quasi intégralité des grands services téléphoniques (téléphonie, banque, assurance…) sont proposés aux clients à la fois en anglais et en espagnol. L’image de la culture hispanique aux États-Unis s’est complètement transformée. L’industrie hispanophone est florissante et les médias (chaînes de télévision, journaux…) sont très nombreux. Les employés bilingues sont mieux rémunérés que les monolingues, à postes équivalents, et les Hispaniques n’abandonnent plus l’espagnol pour l’anglais comme ils le faisaient auparavant. L’Amérique centrale et l’Amérique du sud représentent des marchés d’exportation de prédilection pour les entreprises américaines. En 1994, les États-Unis, le Canada (parlant anglais et français) et le Mexique (parlant espagnol) ont signé un accord de libre-échange commercial, le NAFTA (North American Free Trade Agreement) créant ainsi l’un des plus grands marchés au monde. Aujourd’hui, le Canada et le Mexique représentent les deux premiers pays d’exportation des entreprises américaines. Bien que le Canada soit le premier partenaire commercial en raison de sa proximité culturelle et linguistique, le Mexique dispose à court et moyen terme d’un potentiel plus important pour les entreprises américaines.

3.2 Le fond et la forme Il n’est pas question d’opposer le fond et la forme, si le savoir-faire est important, le faire savoir l’est tout autant. Victor Hugo disait : « La forme, c’est le fond qui remonte à la surface. » On peut penser que la forme est un point de vue sur le fond, un angle d’attaque, une manière de voir, une facette de la réalité. D’une certaine manière, la forme est un regard, une manière de regarder le monde et de le comprendre. 10 Source Bureau de recensement américain.



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3.2.1 Formé à la prise de parole dès la maternelle Dès la maternelle, les enfants aux États-Unis sont formés à la prise de parole en public. Il s’agit d’un exercice qui se nomme show and tell qui se traduit par « montrer et dire ». Les enfants, à tour de rôle, apportent à l`école une chose qui leur appartient, la montrent à la classe et expliquent en quoi elle est importante pour eux. S’agissant d’un objet que l’enfant connaît bien, son attention se porte non plus sur le message mais sur la manière de le délivrer, de convaincre et surtout de partager son intérêt. Plus tard, au lycée les étudiants sont amenés à faire de nombreuses présentations et à participer, chaque année, à une pièce de théâtre afin de continuer à perdre cette timidité et l’appréhension de la prise de parole en public. Enfin, à l’université la notation, dans chaque matière repose en partie sur la participation en classe de l’étudiant afin de privilégier les débats improvisés. Ainsi, lorsqu’ils arrivent sur le marché du travail, les Américains sont parfaitement à l’aise pour s’exprimer en public et savent donc bien se mettre en valeur. Dans bien des cas, vous pourrez être dérouté par l’aisance d’expression dont les Américains font preuve. Les Américains aiment généralement se mettre en scène. Il semble qu’ils le fassent sans effort. Toutefois, rappelez-vous que nous avons été formés à différentes écoles. Il s’agit d’une différence d’approche qu’il ne faut pas négliger, car si en France nous souhaitons être convaincus par le fond aux États-Unis nous souhaitons être convaincus à la fois par la forme et le fond. En d’autres termes, une bonne idée mal présentée pourra faire son chemin en France, mais n’aura que très peu de chances d’aboutir aux États-Unis. Les Américains considèrent que vous avez à leur vendre votre idée qu’ils sont enclins à acheter en bons consommateurs. Il existe également cette croyance que ce qui se comprend bien s’explique bien. Ceci n’est pas faux dans l’absolu.

3.2.2 Les idées doivent être vendues Que ce soit à un client, à un employeur, à un employé ou à un collègue, les idées doivent être vendues. En premier lieu, l’idée doit démontrer qu’elle résout un problème ou, du moins, qu’elle améliore une situation. Les États-Unis sont assez sophistiqués en techniques de vente et en sont généralement en grande partie les précurseurs.

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Berceau du marketing Nous nous sommes attachés à considérer les pratiques concrètes associées au marketing et non uniquement l’usage historique du terme « marketing ». Par exemple, si l’usage de marques pour désigner des marchandises constitue une pratique très ancienne qui remonte à l’Antiquité, les agences de publicité qui ont contribué à en transformer l’usage sont apparues bien après. Il ne s’agit donc pas seulement de comprendre l’émergence des pratiques commerciales, mais aussi des institutions et organisations qui ont participé à ces changements.

Figure 3.3 Chariot Heinz en 1890 pour la promotion des cornichons doux Source Wikimedia Commons ©

Dans ce contexte, les pratiques du marketing trouvent leurs origines au XIXe siècle en Angleterre et aux États-Unis. À cette époque, le revenu disponible était faible et la tradition s’opposait le plus souvent à une augmentation de la consommation (conservatisme social). Les industriels étaient contraints d’agir fortement pour stimuler la demande, sans quoi les productions ne trouvaient pas preneur.



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Pour développer les marchés, l’activité de production devait donc nécessairement s’accompagner d’activités commerciales (marketing) voire d’activités sociétales destinées à rendre compatible la consommation avec les valeurs de l’époque. Les premières agences de publicité sont créées en Angleterre dès le début du XIXe siècle, en 1841 aux États-Unis (Volney B. Palmer), puis quelques décennies plus tard dans les autres pays d’Europe de l’Ouest, notamment la branche publicité de l’agence Havas en 1920 (soit quasiment quatre-vingts ans plus tard). Les États-Unis ont été bâtis sur le modèle de la consommation. La communication doit être attrayante, même si parfois le fond n’est pas aussi solide que la forme. En un mot, votre communication doit être vendeuse, à ne pas confondre avec racoleuse. L’idée n’est pas récente, Confucius disait  : «  Trois dixièmes de la beauté sont dus à la nature, sept dixièmes à l’apparence. » Aux États-Unis, si vous n’avez pas grand-chose à dire, dites le mieux ! Cette approche est à l’origine d’un certain nombre de « rituels » que vous rencontrerez aux États-Unis dans le cadre professionnel. Lors d’une réunion, les Américains aiment créer un climat détendu et amical avant de commencer, en discutant de sujets informels. Il s’agit du small talk (petite conversation). Un Américain va généralement détendre l’atmosphère au début de sa présentation afin d’établir une ambiance cordiale mais également pour gagner la sympathie de son auditoire et donc son écoute. Dans une réunion commerciale avec un client, les Américains considèrent que votre message doit être simple et concis, c’est ce qu’ils appellent le pitch que l’on peut traduire par « argument de vente ». Il est intéressant de noter que pitch est également le lancé de balle au baseball !

Berceau du lobbying Le mot anglais lobby signifie littéralement « vestibule ou couloir ». Les premières utilisations courantes de ce terme dans un sens politique datent des années trente, en Angleterre et aux États-Unis. Le terme lobby désignait les couloirs de la Chambre des communes britannique, où les membres de groupes de pression pouvaient venir discuter avec les Members of Parliament. Aux ÉtatsUnis, le lobby désignait des pièces de la Maison Blanche accessibles aux groupes d’intérêt.

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Figure 3.4 Pinocchio dessiné par Walt Disney en 1940, illustrant bien le marionnettiste, aspect des lobbyistes Source IdJackson.net

« Le lobbying est une activité qui consiste à procéder à des interventions destinées à influencer directement ou indirectement les processus d’élaboration, d’application ou d’interprétation de mesures législatives, normes, règlements et plus généralement, de toute intervention ou décision des pouvoirs publics » 11 (F.J. Farnel ). Ainsi, le lobbying vise surtout à agir sur le pouvoir législatif et réglementaire des États afin de préserver des intérêts particuliers. On peut par exemple citer le lobby des marchands d’armes qui défend le second amendement de la Constitution relatif à la détention d’armes. 35 000 lobbyistes sont officiellement déclarés à Washington en 2005 (le nombre d’agences a plus que doublé entre 2000 et 2005) et plus de 2 milliards de dollars sont dépensés chaque année pour ces activités12. Le lobbying fait partie intégrante du paysage politique américain. À titre comparatif, en France, d’après une liste publiée en 200613, il y aurait cinquante lobbies disposant d’un badge permanent de circulation dans les couloirs de l’Assemblée nationale, parmi lesquels des syndicats tels que la FNSEA, la CFDT ou Force ouvrière, mais aussi Total-Fina-Elf, Canal +, France Télécom, GDF et quelques autres.

11 Auteur de Le lobbying : stratégies et techniques d’intervention, éditions d’Organisation, 1994. 12 Lobbying et associations professionnelles aux États-Unis, Mission économique de l’Ambassade de France à Washington, mars 2008. 13 D’après Intelligence-Economique-Lobbying info : http://ie-lobbying.info/wiki/index



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La puissance des lobbyistes repose sur les contacts dont ils disposent. Ce sont souvent d’anciens membres du Congrès ou du Gouvernement, capables de mettre à profit leur carnet d’adresses. On estime, aux États-Unis, que la moitié des élus quittant le Congrès deviennent lobbyistes. Ce phénomène s’est illustré en 2007 lors du classement des cabinets d’avocats et de lobbying en fonction du nombre d’anciens membres du Congrès qu’ils comptent dans leur équipe. Les États-Unis ont encadré le lobbying dès 1946 par le Federal Regulation of Lobbying Act qui établit un registre pour tous les acteurs rémunérés pour influencer les membres du Congrès. Cette réglementation a été renforcée à plusieurs reprises depuis. En d’autres termes, le lobbying est reconnu et l’information est publique. Il n’existe pas de telle législation en France… intéressant !

3.3 Approche conceptuelle versus approche pragmatique et pratique 3.3.1 Deux approches très différentes En France, nous démontrons d’abord le bien-fondé de nos idées puis nous évoquons leur mise en œuvre. Nous considérons que si la cause est juste, le chemin pour y arriver est secondaire. Aux États-Unis l’approche est diamétralement opposée. L’aspect conceptuel est certes important mais c’est le réalisme de la mise en œuvre qui est crucial. Cette différence peut s’observer au niveau de l’enseignement des mathématiques dans les deux pays. En France, l’apprentissage se fait essentiellement à travers les démonstrations et la compréhension des concepts. C’est le raisonnement que l’on nous enseigne, ainsi un élève peut obtenir une assez bonne note si le raisonnement est juste et les résultats erronés. De plus, les formules mathématiques dans le système français sont d’abord démontrées puis appliquées. Aux États-Unis, les mathématiques sont enseignées comme un outil que l’on utilise, les formules ne sont pas démontrées mais seulement appliquées. C’est leur utilisation qui est enseignée et non la compréhension de ses concepts.

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En fin d’étude, aux États-Unis, vous êtes formé et avez une approche pratique de vos connaissances, ce qui permet une insertion professionnelle plus simple et rapide. En France nous avons des connaissances bien plus théoriques que pratiques donc nous disposons en fin d’études d’un potentiel qu’il convient de révéler au cours de notre insertion professionnelle. On « n’accroche » pas un client aux États-Unis de la même façon qu’en Europe, voire en France. Si par exemple vous souhaitez vendre un équipement à un Allemand, vous lui expliquerez comment il est fabriqué, quelles sont ses caractéristiques techniques… Si vous souhaitez vendre le même équipement à un américain, il faudra le convaincre, par exemple, que la date de livraison annoncée sera tenue. Car son ROI (return on investment  ; ou retour sur investissement) est un facteur qui conditionne son investissement et qui dépend de la date de démarrage de la production. À défaut, il n’atteindrait pas ses objectifs financiers, ce qui pourrait le mettre en mauvaise posture. Ne croyez pas que vos interlocuteurs de chaque côté de l’Atlantique ont le même profil. Aux États-Unis, vos interlocuteurs raisonnent avec des paramètres essentiellement financiers et commerciaux, l’argumentaire technique est important, mais il demeure secondaire. Ayez à l’esprit que les principaux dirigeants d’entreprises aux États-Unis ont une formation financière, marketing ou juridique. En France, la tendance est inversée avec une majorité d’ingénieurs. Aux États-Unis, il est préférable que vous mettiez en avant votre produit en termes financiers (rotation de stocks, amélioration des temps de cycle, etc.), ainsi que ses avantages compétitifs et votre capacité à livrer en temps et en heure. Gardez à l’esprit que le bonus de votre interlocuteur dépend, dans bien des cas, de résultats à court terme.

3.3.2 Mais également des raisons économiques Contrairement à l’Europe, les États-Unis sont un marché unique depuis sa création. En effet, les États-Unis se sont construits sur un modèle fédéral, autour d’une langue et d’une devise uniques. Les entreprises américaines ont très vite intégré l’importance de la standardisation et de la simplification de leur modèle en vue de les mettre en œuvre rapidement à grande échelle. Un marché domestique gigantesque en termes de besoin et de pouvoir d’achat, mais également assez attaché au made in USA a constitué un environnement protégé très propice au développement des entreprises américaines.



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L’un des exemples le plus connu de la standardisation des produits ou services est le McDonald. Partout dans le monde, le Big Mac est identique. Vous pouvez aimer ou non le Big Mac, mais vous avez la certitude que de Pékin à San Francisco, votre Big Mac aura exactement la même apparence et le même goût. À un tel point que le Big Mac est utilisé par la revue The Economist afin d’apprécier les différences de pouvoir d’achat d’un pays à l’autre selon le prix de vente du Big Mac. Il s’agit de l’indice Big Mac dont les usages sont multiples :

Figure 3.5 Sandwich BigMac de McDonald, vendu dans plus de cent pays a plus de 50 milliards d’exemplaires depuis sa création en 1967 Source Wikimedia Commons ©

Les Américains sont pratiques avant tout. Prenez par exemple la maison type américaine. Elle est fonctionnelle et pratique par excellence. Les portes de garage électriques ont été mises au point aux États-Unis en 1926 par M. Johnson, et sont depuis 1970 largement répandues. Cela peut être considéré comme un gadget, mais cela est très utile et fonctionnel. Le garage fait généralement partie de la maison et donne sur le vestibule ou la cuisine, ce qui est très pratique lorsque vous apportez vos courses. Nous pouvons continuer ainsi en mentionnant les cuisines américaines, généralement spacieuses et ouvertes, ou encore les systèmes d’arrosage automatiques des jardins. Il existe également une raison purement économique au pragmatisme des Américains et à leur attachement à l’aspect pratique. L’idée sous-jacente est la suivante : ce qui répond à un besoin de manière simple, se fabrique facilement et donc à un moindre coût. La standardisation permet également de réduire de manière substantielle les coûts de production.

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La littérature fournie des écoles de commerce américaines peut se résumer, dans le cadre d’une création d’entreprise, à la formulation suivante : « Trouver un besoin ou un problème non solutionné (en d’autres termes un marché) et apportez une solution simple, pratique et au coût le plus bas possible (en d’autres termes un produit ou un service compétitif). » Cela semble évident, vous pouvez même vous demander comment il peut en être autrement. Et pourtant… Le pragmatisme et la simplicité sont des armes commerciales redoutables car très difficiles à contrecarrer. Prenez par exemple Microsoft et Apple, ces deux entreprises ultrapuissantes, en position dominante dans leur domaine respectif, ont bâti des empires sur la même idée : simplifier l’accès et l’usage des outils informatiques. Toutefois, ne vous y trompez pas, il est très difficile de faire les choses simplement. Les Américains sont passés maîtres en la matière. L’un de mes professeurs américains nous conseillait d’expliquer nos leçons sur les modèles économiques à nos enfants, afin de nous assurer que nous en avions bien assimilé les principes. Par la suite, il m’est souvent arrivé d’utiliser l’un ou plusieurs de mes enfants comme auditoire et de leur présenter en quelques minutes une idée ou un projet professionnel. C’est un exercice assez difficile car, par définition, ils ne connaissent pas le contexte et n’ont pas de connaissance technique du sujet. Si je n’arrive pas à les convaincre en trois à cinq minutes (car ensuite, je perds leur attention), soit il ne s’agit pas d’une bonne idée, soit il me reste du travail à effectuer. L’approche est simple mais très efficace.

3.4 Une certaine appréhension des différences 3.4.1 Un pays plutôt tourné sur lui-même Des raisons Le cliché des Américains nuls en géographie, incapables de placer les pays du monde sur une carte, a la peau dure, et il est d’ailleurs justifié dans bien des cas. Dans une nation qui érige les self-made men en héros, le système éducatif est surtout là pour façonner des individus efficaces. L’enseignement est très américano-centré, le tronc commun réduit à sa plus simple expression, et le lycée n’encourage pas vraiment le développement de la culture générale.



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L’histoire internationale, par exemple, n’a droit qu’à six petits mois dans le cursus des élèves, par contre l’histoire de l’État (Texas, New York, Floride, etc.) dans lequel l’étudiant vit est largement couverte. Le SAT, l’un des équivalents du baccalauréat, ne porte que sur trois matières : compréhension de texte (qui comprend aussi une partie sur le vocabulaire), écriture (qui comprend une dissertation et des questions de grammaire), et mathématiques. Ensuite, vous intégrez l’université pour acquérir une éducation spécialisée. L’Amérique est définitivement un pays ouvert, mais les Américains sont ouverts… sur eux-mêmes. Prenez par exemple le journal télévisé dans le cadre des Jeux olympiques, en France le résultat d’une compétition sera annoncé, que les Français aient gagné ou non. Bien entendu la couverture des athlètes Français sera plus importante. Aux États-Unis, dans la majeure partie des cas, seuls les résultats des athlètes américains seront annoncés. Il sera donc assez difficile de suivre les compétitions d’escrime, par contre vous ne pourrez que difficilement vous soustraire à la compétition de basketball. Au quotidien, l’actualité internationale est assez peu couverte sur les chaînes de télévision nationales, sauf s’il s’agit d’un événement majeur ayant une incidence sur les États-Unis. Dans le cadre de relations professionnelles, il est souhaitable de bien connaître son auditoire et de ne pas lancer des sujets qui semblent être de culture générale et peuvent mettre mal à l’aise vos interlocuteurs. Généralement, en discutant des événements sportifs américains (football, basketball, baseball) vous ne vous exposerez pas à ce type de problème. Daniel Pennac a dit : « On ne force pas une curiosité, on l’éveille. » Cette citation peut être interprétée de différente manière de chaque côté de l’Atlantique. Une chose est certaine, nous ne disposons pas de la même approche, ni de la même définition de la culture générale. La connaissance est importante, mais ce que l’on en fait l’est tout autant. L’American Enterprise Institute, un centre de recherches, a conduit une enquête auprès de 1 200 jeunes en 2008. Ils devaient répondre à trente-trois questions de culture générale. Près d’un quart d’entre eux ne savaient pas dire qui était Adolf Hitler et quelque 20 % des jeunes ne savaient pas contre qui combattaient les États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale. Par contre, 90 % savaient qui a prononcé le discours I have a dream (Martin Luther King). Il est intéressant de noter que si les Américains sont tournés sur eux-mêmes, ils ont une exceptionnelle capacité à tirer rapidement les leçons de leur histoire. L’Amérique, lorsqu’elle reconnaît ses erreurs, met rapidement à jour ses livres

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d’histoire et éduque ses générations à venir. Il existe aux États-Unis cette volonté d’utiliser le passé pour bâtir un meilleur futur. L’histoire ne fait pas seulement partie de la culture générale, l’histoire a un sens, et même mieux : un but. L’histoire est considérée comme un enseignement au sens noble du terme. L’histoire est commentée, analysée, critiquée, ce qui est sans nul doute le signe d’une démocratie sereine et mature. Franklin Delanoe Roosevelt a dit : « Les livres sont la lumière qui guide la civilisation. » Cinquante ans après l’assassinat de Martin Luther King (en 1968), les Américains élisaient Barack Obama. Chapeau bas !

Figure 3.6 Martin Luther King à Saint Paul University Source Wikimedia Commons ©

Des conséquences Seulement 30 % des citoyens américains disposent d’un passeport. Les responsables de l’industrie touristique américaine expliquent cette situation par le fait que les Américains sont à l’aise dans leur propre environnement. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation : –– Une diversité géographique et de climat permettant de satisfaire les plus exigeants et ne nécessitant pas de voyager en dehors du pays. Rappelez-vous que le territoire des États-Unis est aussi grand que le continent Européen.



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–– Seulement deux semaines de congés payés annuels et pas de RTT. Sur ces deux semaines, bien souvent une est consacrée à passer Thanksgiving ou Noël en famille. –– La barrière des langues ; les Américains ne sont pas de grands linguistes. L’une des blagues les plus connues à ce sujet aux États-Unis est la suivante : « Comment appelle-t-on un touriste qui ne parle qu’une langue… un Américain ! » –– Une tendance14 à sélectionner la destination afin de rendre visite à des amis ou à la famille (pour Thanksgiving ou Noël) plutôt que pour l’attrait géographique, historique, ou climatique. Dû à leur mobilité géographique pour raisons professionnelles, il n’est pas rare que les familles (frères, sœurs, parents, etc.) vivent dans différentes villes, voire différents États, donc les occasions de se réunir sont rares. Vos interlocuteurs dans le monde professionnel auront dans bien des cas cette même attitude de repli et se sentiront d’autant plus à l’aise que vous comprendrez et intégrerez leur culture. Vos efforts en ce sens seront appréciés par vos interlocuteurs. Ils seront flattés que vous vous intéressiez à leur culture (et donc à eux-mêmes) et auront généralement tendance à vous aider. De toutes manières, c’est à vous de faire l’effort de comprendre la culture américaine et non aux Américains de comprendre la vôtre. Si l’on considère les entreprises américaines, elles se sont développées sur un marché unique et mature de plus de 310 millions d’habitants. Elles atteignent généralement une taille importante sur leur marché domestique avant de ressentir le besoin de poursuivre leur croissance à l’exportation. En France, les entreprises bénéficient d’un marché domestique de 65 millions d’habitants et sont donc confrontées assez rapidement aux nécessaires ajustements permettant de se développer à l’exportation. Ainsi les entreprises françaises, et plus largement européennes, sont généralement mieux préparées à l’exportation que les entreprises américaines car elles sont confrontées à ces problématiques de diversité bien plus tôt dans leur parcours économique. Donc, il n’est pas dit que l’équipe dirigeante d’une entreprise américaine réalisant plusieurs milliards de dollars de chiffre d’affaires soit nécessairement ouverte sur le monde.

14 Source FhoCusWright 2011.

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Pour l’ensemble de ces raisons, et bien d’autres, les Américains ont une certaine appréhension de ce qui est différent ou qu’ils ne comprennent pas. En tant qu’employé ou fournisseur, vous serez considéré comme faisant partie de leur équipe ou de leur cercle professionnel. Ils chercheront à pouvoir s’identifier, voire se retrouver à travers vous. Ces phases d’observation sont nécessaires, c’est une façon pour les Américains de se rassurer et d’acquérir un certain niveau de confort dans leurs relations professionnelles. Dans certains cas, ils vous inviteront à prendre un verre ou à dîner, acceptez ces invitations car ces temps de détente après le travail s’inscrivent dans une relation professionnelle. Les Américains chercheront ainsi à mieux vous connaître et donc à être plus l’aise pour traiter avec vous. Être à l’aise se traduit par to be comfortable en américain. Si vous entendez cette expression soyez attentif à ce que votre interlocuteur dit car il vous révèle son ressenti. Bien que les Américains traitent leurs affaires de manière pragmatique et raisonnée, il est important qu’ils se sentent en confiance. Passer outre ce plafond de verre peut prendre un certain temps, mais cela est indispensable pour établir une relation sur le long terme. L’adage « qui se ressemble s’assemble » trouve tout son sens aux États-Unis. N’est-ce pas l’idée fondatrice des réseaux sociaux qui utilisent la connectivité qu’offre Internet pour mettre en relation des personnes ou des groupes de personnes qui ont des centres d’intérêts communs ? Ce phénomène de société qui se répand comme une traînée de poudre nous vient… des États-Unis.

Figure 3.7 Logo des principaux réseaux sociaux américains Source Wikimedia Commons ©



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3.4.2 Un cadre législatif ancien et pourtant … Les États-Unis sont fondamentalement attachés à la notion d’égalité des chances. Comme toujours, aux États-Unis, un fondement important est décrit et surtout défendu (ou autorisé selon le cas) par la loi. Ainsi nous pouvons citer, parmi une législation assez fournie, les trois exemples suivants : –– Equal Credit Opportunity Act (ECOA), voté en 1974, rend illégale toute discrimination d’accès au crédit selon la race, la religion, la couleur, le sexe, le statut matrimonial, la nationalité ou l’origine, et enfin l’âge. –– Equal Education Opportunities Act (EEOA), voté en 1974, sur l’égalité des chances dans le domaine de l’éducation stipule qu’aucun État ne doit refuser l’égalité des chances en éducation pour quiconque en raison de sa race, de sa couleur, de son sexe ou de son origine. –– Equal Employment Opportunity Commission (EEOC), voté en 1965, rend illégale toute discrimination dans le cadre de l’emploi selon la race, la couleur, la nationalité ou l’origine, la religion, le sexe, l’âge, le handicap, ou toute information d’ordre génétique. Cette loi fut amendée à de nombreuses reprises et plus récemment en 2010. Est-ce à dire comme l’a écrit Voltaire (dans Candide ou l’optimisme) que « tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possible » ? Certes non. Malgré ce cadre législatif, vous vous heurterez dans bien des cas à la préférence nationale. Une entreprise américaine préfèrera généralement embaucher un Américain, ou acheter un produit américain à qualification, prix ou spécifications équivalentes. Les raisons avancées seront diverses et variées, par exemple pour un salarié il sera indiqué dans la description de poste qu’une parfaite expression orale et écrite est requise. Par conséquent, tous ceux qui ne sont pas nés aux ÉtatsUnis ou ont un accent peuvent s’abstenir. Pour un produit, le service après-vente ou la garantie sera évoqué. Donc si vous ne disposez pas d’opérations (site de fabrication) aux États-Unis, il vous sera demandé de garantir un stock de produits et de pièces détachées assez important pour répondre à la demande sans délai. Bien entendu, il s’agit de non-dit, mais cette préférence existe. Cette attitude n’est pas vraiment spécifique aux États-Unis.

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Les Français travaillant aux États-Unis pour une société américaine voire française, ont généralement bien conscience de cette situation. Vous seriez en droit de penser que vos compatriotes pourraient faire contrepoids et vous soutenir. Soyez prudent sur ces jugements hâtifs, dans certains cas, vos compatriotes seront vos plus grands détracteurs. En effet, ils voudront être considérés comme impartiaux par leurs collègues américains et surtout ne pas donner la préférence à une société française ou à un Français. Il ne faut pas s’offusquer de cette situation, mais l’intégrer comme un des paramètres de marché et organiser votre communication ou argumentaire de vente en conséquence.

4 Gestion des conflits Il est important de comprendre comment un pays, une culture, gère et résout ses conflits. L’histoire des États-Unis est constituée de conflits. Les Américains ont une capacité étonnante pour se révolter et se mobiliser lorsqu’ils croient la cause juste. Ainsi, les États-Unis constituent une société très moderne quand il s’agit du droit de vote des femmes et très rétrograde lorsqu’il s’agit de la discrimination des personnes de couleur. Les États-Unis ont une longue tradition du conflit. John Kennedy disait : « Ceux qui rendent les révolutions pacifiques impossibles rendent les révolutions violentes inévitables. » Si les conflits sont ouverts et publics lorsqu’il s’agit de problèmes de société, ils sont plutôt à demi-mot lorsque l’on intègre le monde de l’entreprise. L’opposition aux situations est mesurée. Il est inconcevable de voir aux États-Unis des grèves générales paralyser le pays comme on a pu le voir en Europe. Les délocalisations, les plans de licenciement, et les restructurations s’effectuent en un temps record sans (ou peu de) luttes sociales. Les maîtres mots dans le monde du travail sont « marché » et « flexibilité » pour s’adapter rapidement au changement de conditions.

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Cette opposition de la gestion du conflit est très intéressante car il s’agit au fond des mêmes citoyens dans le même pays. Seules les circonstances changent. Il faut donc considérer les conditions de l’emploi très particulières aux États-Unis qui seront exposées dans le prochain chapitre.

4.1 Le conflit 4.1.1 Le conflit peut être une source de progrès Rosa Parks est l’une des personnalités féminines américaines les plus connues. Son histoire est enseignée en primaire, elle est devenue un symbole, une icône. Si l’on évoque le conflit comme une source de progrès, il convient de rappeler l’histoire de cette femme anonyme qui, par refus de la bêtise, a changé l’histoire. Elle décida de s’asseoir, pour se lever contre l’injustice.

Figure 4.1 Bus utilisé par Rosa Parks Source Wikimedia Commons ©

En 1955, les Noirs de Montgomery (État d’Alabama) étaient de plus en plus excédés par les bus de la compagnie et leurs conducteurs insolents. En l’espace de dix mois, cette année-là, trois Noirs défièrent dans les bus  les réglementations discriminatoires Jim Crow : tous trois furent arrêtés par la police et jetés en prison. Mais les autorités de la ville se contentaient de classer l’affaire ou accusaient les prévenus de désordre sur la voie publique. Le jeudi



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1er décembre au soir, Rosa Parks, couturière dans un grand magasin du centreville, avait pris place dans l’autobus sur le premier siège libre derrière la section des blancs. Le bus se remplissant, le conducteur ordonna à Rosa Parks de laisser sa place à un Blanc qui venait de monter. Rosa Parks refusa de bouger. Elle avait fait ses courses après son travail et avait mal aux pieds. Fatiguée comme elle l’était, elle ne pouvait se faire à l’idée d’effectuer tout le trajet debout. Le conducteur menaça d’appeler la police. « Allez-y, appelez-la », soupira Rosa Parks. Elle en avait assez de passer sa vie à assurer le confort des Blancs, de travailler à leur bien-être, sans même avoir le droit d’être traitée en être humain. Elle ne bougea pas, c’était juste, Mme Parks était dans son bon droit et pourtant, dans le contexte social de l’époque, elle fit preuve d’un courage exemplaire. Deux policiers la traînèrent au commissariat où l’on rédigea contre elle un procèsverbal pour avoir enfreint la réglementation des autobus urbains. Elle appela E. D. Nixon, l’un des dirigeants des sections de Montgomery de la NAACP (Association nationale pour le progrès des gens de couleur, créée en 1909), qui accourut pour payer la caution afin qu’elle soit relâchée. C’était la première fois qu’un noir était accusé d’avoir enfreint les règlements ségrégationnistes de la ville.

Figure 4.2 Rosa Parks et Martin Luther King en 1955 Source Wikimedia Commons ©

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Nixon vit dans cet impair historique le cas exemplaire pour porter cette affaire devant la Cour suprême, tout en organisant un boycott des bus. Martin Luther King proposa son église comme lieu de réunion et un appel au boycott fut décidé pour le lundi 5 décembre. Le 20 décembre 1956, l’ordonnance de la Cour suprême des États-Unis déclara anticonstitutionnelles les lois de la ville et de l’État de l’Alabama imposant la ségrégation raciale dans les autobus. C’est ainsi que fut enfin abolie la ségrégation dans les bus à Montgomery. L’histoire des États-Unis regorge d’avancées ayant pour cause le conflit sous différentes formes. Il suffit de se rappeler la lutte pour la reconnaissance des droits des femmes, des droits des Amérindiens ou encore les droits des homosexuels.

4.1.2 Que représente un conflit dans une entreprise ? Le conflit représente le danger, la peur, l’angoisse de l’inconnu, mais aussi un élément d’ouverture. Lao Tseu15, père fondateur du taoïsme, a dit : « Connaître les autres relève de l’intelligence. Se connaître soi-même est la vraie sagesse. Dominer les autres relève de la force. Se maîtriser soi-même est le vrai pouvoir. » Plusieurs facteurs sont propices aux conflits, les plus couramment rencontrés dans les relations professionnelles sont : l’incompatibilité des buts et des moyens, l’augmentation de la charge de travail, les pressions créées par l’urgence des tâches et les échéances, ou encore la confusion ou l’incompatibilité dans les objectifs ou attentes formulées. Les conflits peuvent être perçus de manière négative car ils mettent leurs protagonistes mal à l’aise, menacent la stabilité de la relation de groupe, et empêchent de travailler. Enfin, ils suscitent la peur de perdre et donc une perte de confiance. Toutefois, les conflits comportent également des avantages, à savoir  : l’occasion de régler les vrais problèmes (se parler franchement), l’opportunité d’apporter des changements positifs (idées d’amélioration), un terrain propice à la créativité et l’innovation (amélioration des décisions). 15 Lao Tseu (philosophe du VIIe siècle avant J.-C.), fondateur du taoïsme, est une des figures mythique de la Chine ancienne au même titre que Confucius. Le tao a pour objectif, à travers la méditation d’épurer l’homme et de le conduire vers la juste voie et la vertu.



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Figure 4.3 Grève usine Laurence au Massachussetts en 1912 Source Wikimedia Commons ©

D’après une toute récente étude mondiale menée par OPP16, la question des conflits au travail touche 85  % des salariés, quel que soit leur niveau hiérarchique. Les entreprises doivent trouver un équilibre entre les limites à la performance engendrées par les conflits et le changement qu’ils impulsent. En effet, le conflit est destructeur dans la mesure où il met en péril la coopération et l’esprit d’équipe. Le conflit est généralement accompagné de son lot de démotivations, de colères rentrées, d’insomnies ou encore d’états dépressifs pour les uns, voire d’excitation pour les autres. Enfin, cette étude révèle que la moitié des salariés rompus aux techniques de gestion de conflit considèrent qu’il n’y a rien à en tirer. Ainsi, beaucoup s’épuisent en combats perdus d’avance, ou bien, passent leur temps à contourner les conflits ou à faire mine de les ignorer. Une attitude qui nuit à la productivité, favorise l’agressivité et entretient les guerres de chapelle. Dans certaines circonstances, éviter un conflit est pire que le conflit lui-même.

16 OPP est un cabinet européen spécialiste de la psychologie du travail et des tests psychométriques. L’étude fut réalisée en 2009 auprès de cinq mille salariés de neuf pays (Allemagne, Belgique, Brésil, Danemark, États-Unis, France, Irlande, Pays-Bas et Royaume-Uni).

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4.1.3 Différentes attitudes face au conflit au sein de l’entreprise Face au conflit, plusieurs approches peuvent être adoptées selon les situations rencontrées, les forces en présence, et les enjeux. Les différentes approches sont : –– L’évitement : si un conflit dont les enjeux sont substantiels est consciemment évité, c’est que les protagonistes ne souhaitent pas faire face à la situation (ou l’une des parties ne pense pas pouvoir gagner) et veulent rester neutres sans devoir gérer les conséquences relationnelles d’une telle situation. –– L’accommodation  : dans ce cas de figure, toute la place est donnée aux intérêts des autres afin d’aplanir les différences et de maintenir une harmonie superficielle. Dans ce cas, généralement, l’une des parties reconnaît avoir tort, ou que l’enjeu est plus important pour l’autre ou encore que l’autre est plus fort. Enfin, l’une des parties peut tout simplement privilégier l’harmonie. –– L’autocratie : elle consiste à aller à l’encontre de l’autre afin de lutter pour dominer (relation perdant-gagnant). Dans bien des cas, l’autorité est utilisée pour parvenir à une solution avantageuse. Ce scénario sera plutôt considéré dans des situations d’urgence ou pour prendre des décisions impopulaires mais nécessaires. –– Le compromis : il a pour objectif de satisfaire (au moins partiellement) les intérêts de toutes les parties en recherchant des solutions acceptables plutôt qu’optimales. Cette situation sera plus généralement rencontrée lorsque les buts à atteindre ne sont pas importants, ou que les parties ont un pouvoir similaire (ni la collaboration, ni la force ne fonctionnent) ou enfin pour des solutions temporaires ou urgentes. –– L’approche démocratique : son objectif est de satisfaire pleinement les intérêts de toutes les parties en éliminant les désaccords et de trouver une solution dans laquelle tout le monde puisse sortir gagnant. Ce scénario sera utilisé lorsque les intérêts individuels sont compatibles et que l’on peut tirer avantage de plusieurs parties. La méthode choisie pour résoudre un conflit dépend de la situation mais également de la culture. Aux États-Unis, dans les entreprises, il n’est généralement pas considéré que le conflit puisse être positif. Ainsi, le résultat



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obtenu n’est pas toujours à la hauteur des potentielles séquelles et frustrations (ou conséquences) en résultant. On dit généralement  : «  La fin justifie les moyens. » Eh bien pas toujours, et surtout pas partout ! Dans le cadre des relations professionnelles, le conflit doit être considéré eu égard aux conditions de précarité d’emploi et aux faibles mécanismes de couverture sociale. Par conséquent, bien plus qu’en France, le conflit en entreprise fait prendre à ses protagonistes un risque élevé et rapide de perte de leur emploi.

4.2 La satisfaction client 4.2.1 Pourquoi la satisfaction du client est importante Mettre tout en œuvre afin de s’assurer qu’un client est satisfait est un moyen d’éviter un conflit externe. La satisfaction du client est généralement l’objectif ultime des compagnies américaines. Ce critère est dans bien des cas considéré (avec d’autres) pour la mesure des performances et l’attribution des bonus ou autres rémunérations variables.

Figure 4.4 Logo d’Amazone le leader mondiale du commerce en ligne Source Wikimedia Commons ©

Certaines compagnies telles Amazon font de la satisfaction client leur principal objectif au point d’en faire un avantage compétitif. Amazon, créée en 1994, a un revenu de 48 milliards de dollars en 2011 ! Ce modèle a été souvent copié mais jamais égalé. Il existe de nombreuses raisons économiques à cette attention particulière dédiée à la satisfaction du client : –– Un client satisfait est un client qui reste fidèle et qui ne partira donc pas vers la concurrence. Le coût d’acquisition d’un client est huit fois plus élevé (source Gartner) que son coût de rétention. Ce coût d’acquisition, à savoir l’investissement à effectuer pour acquérir un client, est d’autant plus élevé

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que vos compétiteurs fournissent un produit et un service de qualité. A contrario, le coût d’acquisition de parts de marché par vos compétiteurs est d’autant plus élevé que vous apportez satisfaction à vos clients. Cela semble une lapalissade et pourtant l’acquisition de parts de marché est la condition de la croissance ! –– Les clients sont les marqueteurs de la société et de ses produits. La réputation d’une société ou de ses produits constitue une barrière d’entrée, pour ses concurrents, sur son marché. Prenez par exemple BMW  : ces voitures à connotation sportive employant les dernières technologies ont une réputation de fiabilité justifiant un prix supérieur au marché. Aux États-Unis, la garantie constructeur BMW est de quatre ans, ou cinquante mille miles. Hyundai est le seul constructeur qui gagne d’année en année des parts de marché aux États-Unis grâce à ses prix abordables mais également à une garantie constructeur de dix ans ou cent mille miles. Hyundai reconnaît ne pas avoir la réputation de solidité de BMW, donc pour rassurer ses clients, l’entreprise garantie les produits qu’elle sait fiable. À ce jour, aucun constructeur européen ou américain n’offre une telle garantie. –– Les entreprises ont parfois des problèmes de qualité, soit au niveau de leurs produits soit au niveau de leurs services. Ces situations génèrent l’insatisfaction des clients et donc fragilisent l’entreprise. Toutefois, elles peuvent devenir, selon la manière dont la situation est gérée, un avantage compétitif. En effet, la majeure partie des personnes comprennent que des problèmes peuvent arriver et que l’entreprise n’a pas souhaité ces situations. Ce qui importe, ce sont les actions correctrices que l’entreprise prend pour satisfaire son client. Les services client ou services après-vente sont généralement très puissants et efficaces au sein des entreprises américaines. Il n’est pas rare que ces services soient joignables 24h/24 et 7j/7. –– Au-delà de l’impact sur la performance d’une entreprise, la satisfaction du client influence directement l’emploi. Ainsi, des clients satisfaits sont un gage de création d’emplois ou d’emplois préservés. A contrario, des clients non satisfaits pourraient se solder par un ou plusieurs emplois en moins, et ceci d’un jour à l’autre. Cette dimension de « survie collective » est comprise et partagée par les clients comme par les employés. Un employé aux États-Unis a conscience que son emploi, et son évolution dans l’entreprise, dépendent du niveau de satisfaction client. Ceci alimente des comportements personnels et managériaux totalement dédiés au client que les français qualifieraient sans doute d’excessifs, voire de totalement déroutants.



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Il est important de comprendre cette approche client qui est bien plus développée aux États-Unis qu’en France. Si vous êtes en position de vendre vos produits ou services à une compagnie américaine, elle s’attendra à ce que vous portiez autant d’attention à vos clients qu’elle en porte aux siens. Votre service client, et donc votre engagement à satisfaire vos clients, sera généralement un important argument de vente et un critère de choix. Dans certaines situations, vous pourrez penser que cette notion est poussée à l’extrême, la vraie question étant de considérer ce que vos interlocuteurs américains entendent par « satisfaction client ». Aux États-Unis, le service client, ou plus généralement la satisfaction client, est un argument de vente et une différenciation commerciale considérée par le consommateur comme une valeur ajoutée justifiant un prix plus élevé.

4.2.2 Des conceptions différentes Accenture17 a réalisé, en 2010, une étude sur la perception client des services. Pour l’ensemble du panel mondial étudié, 54 % des consommateurs ne transigent pas sur les niveaux de service et sur ce critère, les Français culminent à 60 %, ce qui est au-dessus de la moyenne générale et le plus élevé des pourcentages dans les pays dits matures ! Cela veut-il pour autant dire que les Français sont plus exigeants sur la notion de service que leurs homologues des autres pays ? Tout est relatif et a priori lié aux contextes. La perception du service au client reste très liée à la culture nationale et locale et à la nature des pratiques de service développées. Prenons pour exemple la grande distribution en France et aux États-Unis. En France, la majorité des clients indiquent avoir constaté au cours des dernières années de nets progrès quant à la prestation de service délivrée, à l’écoute et la satisfaction du client, le temps d’attente écourté, l’ergonomie des magasins, le service après-vente, le e-service et le self-service. Aux États-Unis, le client est accueilli à l’entrée du magasin (ouvert 7j/7 et parfois 24h/24) par un employé qui va lui souhaiter la bienvenue et lui demande s’il a éventuellement besoin d’aide (chariots adaptés, localisation des rayons, service annexe, brochures…). Le client va être interpellé positivement tout au long de son déplacement dans les espaces de vente par chaque employé qu’il croisera afin de s’assurer qu’il n’a pas besoin de conseil ou d’assistance. À la caisse, il n’attendra pratiquement pas car un manager veille en direct à la fluidité des 17 insight-accenture-customer-satisfaction-survey-2010

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passages. Il y sera accueilli par un caissier qui le saluera et qui lui demandera si tout s’est bien passé. Tandis que les produits sont scannés par le caissier, un autre employé procédera à l’emballage des marchandises et les placera dans le chariot. Après avoir été payé le caissier souhaitera au client une bonne journée, et proposera un accompagnement jusqu’à son véhicule pour y charger les marchandises achetées et rapatrier le chariot. Eh oui, un monde de différence ! Aux États-Unis, si vous êtes insatisfait d’un bien ou d’un service contactez le service client ou le responsable et partagez votre opinion et votre mécontentement. Restez ferme sur les faits et compréhensif sur la situation. Il est important de faire preuve de respect vis-à-vis de votre interlocuteur et de dissocier les faits et le service client qui tente d’y remédier. Cela semble une évidence, mais parfois, sous l’emprise de la colère, on peut être tenté d’adopter un certain laisser-aller. Si de plus vous faites l’éloge de l’entreprise en invoquant que vous êtes un client fidèle, il y a de fortes chances pour que l’on vous propose un dédommagement (remplacement du produit, service gratuit pour un certain temps, bon d’achat, etc.). Il vous appartient d’amener l’entreprise à comprendre la valeur économique que vous représentez afin de justifier un effort commercial. Si à l’inverse, vous réclamez une compensation, il y a de fortes chances pour que vous n’obteniez rien, ou moins que si vous amenez vos interlocuteurs à vous le proposer d’euxmêmes. En somme, si vous faites état d’un problème, laissez le bon rôle à l’entreprise, qui vous proposera une solution. Nous avions accès à trois cents chaînes de télévision (dont TV5 Monde) et n’étions pas satisfaits du service (mauvaise réception, déconnection, etc.). J’avais contacté le service client et fait part de mon mécontentement. Après quelques minutes, l’agent m’a proposé une remise de cinquante dollars sur ma prochaine facture. Je l’en ai remercié mais lui ai dit qu’une remise de cent dollars serait plus appropriée. Il accepta de m’allouer une réduction de cent dollars et transmit mon appel au service technique pour apporter une solution. Ces exemples sont nombreux, il faut juste respecter un certain code (non écrit) qui permet d’obtenir sans demander. Il s’agit d’une différence d’approche du service. Aux États-Unis, l’attention et le respect du client priment sur tout le reste, sous couvert bien-sûr de concurrence forte et de maximisation des profits. Les employés ont pleinement conscience de la valeur du client dans le sens où leur emploi dépend de la prestation de service et de la satisfaction du client qui en résulte. Enfin, le respect d’autrui, l’attention à l’autre, sont largement dominants dans les échanges avec un soubassement culturel fortement ancré autour du « politiquement correct ».



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Lorsque vous disposez d’un passeport américain et que vous entrez aux États-Unis, l’officier de l’émigration, après avoir contrôlé votre passeport, vous regarde, vous sourit et vous dit : Welcome home (que l’on traduit par : « Bienvenue chez vous »). Cela paraît anodin et probablement puéril, mais ces deux mots sont doux à entendre et tranchent avec le placide « suivant » de l’agent d’émigration français.

4.3 Le développement d’un groupe, ou team building 4.3.1 Un concept venu des États-Unis « Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose... Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer. » Antoine de Saint-Exupéry

Si l’idée est partagée depuis longtemps, sa modélisation dans un contexte professionnel fut développée aux États-Unis des décennies plus tard. En 1965, Bruce Tuckman, un psychosociologue américain, a proposé un modèle de construction de la cohésion d’un petit groupe (team building) après de nombreuses observations de groupes dans différents environnements. Initialement décrit en quatre phases, ce modèle fut enrichi en 1977 par une cinquième et dernière phase. Les cinq phases du modèle de Bruce Tuckman sont : –– La phase individualiste consiste à définir les objectifs, apprendre à bien saisir la situation, apprendre à connaître les autres, définir et vérifier les règles. –– La phase de frustration inclut l’éventuel désaccord relatif aux priorités et aux tâches à accomplir, l’hostilité, les tensions, la résistance et la remise en question du leadership.

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–– La phase d’harmonie voit apparaître le consensus, l’acceptation du leadership, le partage, la confiance, le sentiment d’appartenance, des rôles stables, la coopération et la standardisation. –– La phase d’intégration se caractérise par l’intimité et l’ouverture, la flexibilité, l’entraide, et la bonne performance résultant de la résolution des problèmes. –– La phase de dissolution intervient lorsque l’objectif est atteint et donc les membres du groupe se désengagent.

Figure 4.5 F 16 Survolant New York en 2005 Source Wikimedia Commons ©

4.3.2 Une mise en œuvre évoluant selon le contexte Ce qui est intéressant dans cette modélisation développée aux États-Unis, c’est la notion d’accomplissement grâce au groupe. En d’autres termes, la réalisation personnelle passe par celle des objectifs du groupe. Toutefois, cette approche est courageuse et repose sur une gestion des conflits pour souder le groupe. La phase de frustration n’était peut-être pas abordée de la même manière en 1965 (année de publication de ce modèle) qu’elle ne l’est aujourd’hui. En effet, le chômage représentait aux États-Unis 5,2 % de la population active en 1965 contre 9 % en 2011, et par conséquent les risques de perte d’emploi n’étaient pas les mêmes.



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Il existe aujourd’hui aux États-Unis une réelle tendance à minimiser la phase de frustration, afin d’atteindre au plus vite les phases d’harmonie et d’intégration qui positionnent nécessairement les membres du groupe dans une situation plus confortable et stable en terme d’emploi. Ces phases permettent d’atteindre un bien-être collectif réconfortant. Nul n’est dupe, mais pour être productif et positif, le conflit – ou du moins la phase de frustration – doit être partagé par les différents membres du groupe afin d’identifier les problèmes et avoir par la suite une remise à plat constructive. Le conflit suppose qu’il y ait des antagonistes qui souhaitent s’y engager, convaincus du bien-fondé de leur position et de la nécessité de faire évoluer ou non une situation. Le conflit suppose une prise de risque. Sachant que ce ressenti (éviter les conflits ouverts par soucis de sécurité) est généralement partagé par l’ensemble des membres du groupe, il existe un objectif commun individuel sous-jacent qu’il est important de considérer dans le cadre de relations professionnelles avec des équipes américaines. Les conflits sont donc dans la mesure du possible évités. Par conséquent, le scénario d’autocratie (décrit ci-dessus) n’est généralement pas retenu ou utilisé avec grande prudence. Bien entendu, s’il existe des liens hiérarchiques entre les parties, l’autocratie sera probablement plus utilisée aux États-Unis qu’en France. Il semble clair que la notion d’équipe de travail appelle à des définitions et notions assez différentes de chaque côté de l’Atlantique. Il convient, là encore, d’observer et d’éviter tout jugement hâtif. À défaut, vous pourriez mal interpréter les réelles motivations de vos interlocuteurs et surtout employer les mauvais arguments pour essayer de les convaincre. Aux États-Unis, les dynamiques de groupe sont bien souvent différentes car les motivations et les non-dits le sont. Afin de convaincre un groupe de personnes, il vous faudra tout en parlant au groupe trouver individuellement les arguments appropriés.

4.4 Le politiquement correct L’idée de la surveillance du langage rectifiant les écarts linguistiques commis, nous provient des premières heures des pays de l’Est. C’est ce que l’on a appelé couramment la langue de bois.

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L’Amérique est le berceau du « politiquement correct » que nous connaissons aujourd’hui. L’idée de fond reste la même, celle d’une maîtrise du langage personnel pour satisfaire une norme collective. La différence avec la langue de bois est qu’il ne s’agit plus de répondre aux besoins d’un pouvoir policier, mais plutôt d’être la clef nécessaire à une volonté d’égalité.

4.4.1 L’origine de l’expression L’expression  politically correct est utilisée aux États-Unis dès la fin du XVIIIe siècle. Au début des années soixante-dix, l’expression est utilisée par Toni Cade Bambara dans un essai intitulé The black Woman18, dans lequel il écrit : « Un homme ne peut être politiquement correct et chauviniste. » Dans les années soixante-dix et quatre-vingts, le mouvement féministe américain va s’approprier ce terme et l’utiliser de manière sarcastique. Une féministe pouvait dire  : «  Tiens, ce n’est pas très politiquement correct, mais j’aime bien mettre du vernis à ongles. » S’il semble que cette formule ait été remise au goût du jour par le mouvement féministe américain, toute une partie des États-Unis va cependant s’enquérir d’une prise de conscience jusque-là inexistante, en décidant de se pencher sur les minorités oubliées de l’histoire (au début notamment les Indiens, les Noirs, et les Hispaniques). L’idée prend alors forme sur les campus universitaires suite aux réflexions communes de professeurs et d’élèves, représentant l’élite intellectuelle. À l’époque, l’Université de Harvard, se voulant exemplaire, poussa le zèle en organisant des stages de political correctness où l’on luttait contre toute pensée inadmissible grâce à la prolifération à l’écrit des guillemets, signes d’avertissement ou de prévention. En France, on utilise d’ailleurs dans le langage courant la même formulation en disant «  entre guillemets  »… ou en apposant le signe des guillemets. Fondée sur une pensée humaniste, l’idée sous-jacente était de légitimer les différents peuples qui subissaient une double exclusion, celle de la société, mais aussi celle de la langue, considérée comme plus douloureuse encore. Très vite, le concept va s’étendre en quittant le milieu universitaire.

18 Washington Square Press, 2005.



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4.4.2 Ne pas affecter les minorités ou offenser la conscience À l’automne 1991, l’expression « politiquement correct » est lancée dans les médias et prend comme un feu de paille. Les films ou émissions télévisées conseillés vont être ceux affichant clairement ces nouvelles idées, et pour les diffuser, on va privilégier le langage qui va avec. L’expression annonce un droit louable à la différence. Le discours politiquement correct va affirmer le droit d’existence de toute minorité. La règle d’or va alors être de ne rien dire qui puisse affecter les minorités ou offenser la conscience de quelque communauté que ce soit. L’expression s’est formée sur le principe de reconnaissance des exclus. Aujourd’hui, les homosexuels se déclarant victimes, on commence à parler du «  sexuellement correct  ». Quelles que soient ses formes, l’expression prend donc ses racines dans la lutte menée aux États-Unis par les intellectuels, les politiques et les différentes minorités, contre un langage jugé discriminatoire, qui n’a désormais plus lieu d’être. L’expression fait, semble-t-il, son entrée dans le vocabulaire courant américain dès 1991, à la suite d’un article de Richard Bernstein publié dans le New York Times. Être politiquement correct consisterait à adhérer à une nouvelle orthodoxie en vogue sur les campus, à un conformisme imposé par des minorités. Très vite pris au sérieux, le mouvement s’étend et devient une composante intégrale de la société américaine. Tout le monde se prend au jeu et pèse ses mots, puisque toute expression susceptible de suggérer la moindre infériorité d’une minorité devient automatiquement politiquement incorrecte.

4.4.3 Une façon de penser et d’être… mais attention Le politiquement correct se transforme en une façon de penser et d’être, faisant référence à un style de vie prônant la sensibilité, la tolérance et le respect vis-àvis de la race, du sexe, de l’orientation sexuelle, de la nationalité, de la religion, de l’âge, des handicaps physiques et de toute autre caractéristique. L’extrême rapidité de diffusion de ce phénomène a d’abord surpris, puis s’est imposée comme une évidence, et ce même au-delà des frontières américaines. Mais attention, le politiquement correct peut devenir une censure pure et simple. Ainsi, par exemple, Aristote est proscrit dans certaines universités américaines car il justifie l’esclavage et tient la femme pour inférieure à l’homme. Dans

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ce cas, la liste des auteurs et des livres mal pensants s’allongera vite et l’on préférerait des œuvres, en apparence, remplies de bons sentiments ou encore écrites par nos contemporains (hors incidences contextuelles). Ainsi, la société américaine se trouve sous une certaine tyrannie de l’opinion définie par le bien et le mal. Il est important de rappeler la liberté de penser, de dire et d’écrire. À défaut, même animé par l’intention de défendre la tolérance et le respect de l’autre, le politiquement correct a ses travers. Le politiquement correct s’applique dans les relations professionnelles. Une entorse à cette règle non écrite serait considérée par les Américains comme un manque de professionnalisme. Par ailleurs, et selon la gravité de l’entorse, l’entreprise peut être amenée à licencier l’employé indélicat afin de se dissocier des propos tenus. À défaut, il pourrait être considéré que l’entreprise cautionne les propos de l’employé indélicat, ce qui pourrait même conduire à une attaque en justice. Le politiquement correct est également utilisé en entreprise afin d’éviter de froisser qui que ce soit dans un contexte professionnel incertain. À titre d’exemple, il est généralement considéré comme politiquement incorrect pour un salarié de critiquer la stratégie du président de la société. On n’est pas censé l’approuver, mais il est risqué d’émettre des doutes. En fait, l’expression englobe également dans le cadre de l’entreprise des tactiques et des politiques politiciennes. Les entreprises américaines sont très attentives au politiquement correct dans le cadre de leur communication. La majeure partie des sites internet comprendra des photographies mettant en scène des équipes de l’entreprise incluant des représentants des principales minorités et une parité entre hommes et femmes. Est-ce pour autant que dans les faits, il existe une égalité de traitement et de chances ? Difficile à dire, mais comme toujours, aux États-Unis, les apparences sont préservées et le message très lisse. Le politiquement correct est une sorte de discours codé, qui joue sur un flou général. Dans une certaine mesure, il s’agit d’un langage utilisé par un groupe social qui fait appel à des mots ou des expressions incompréhensibles pour des non-initiés. Ainsi, aux États-Unis, dans un certain nombre de situations, le nondit ou l’interprétation de ce qui est dit est bien plus important que le message lui-même. Il est politiquement très correct d’être enthousiaste et optimiste. Aux États-Unis, bien que la différence de traitement selon l’ethnicité soit interdite, l’appartenance ethnique est recensée et utilisée de manière ouverte



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par les administrations, les entreprises au niveau des ressources humaines dans le cadre de questionnaires préalables à l’embauche mais également par les services du marketing pour segmenter un marché.

Figure 4.6 Analyse des fumeurs de cigarette effectué par le ministère de la Santé en 2010 Source Wikimedia Commons ©

Donc l’information aux États-Unis est connue, collectée et utilisée mais ne doit pas faire l’objet de ségrégation. En France, il est interdit de faire un quelconque dénombrement par groupe ethnique, ce qui ne veut pas dire qu’il y ait pour autant une égalité des chances.

4.5 La responsabilité sociale des entreprises 4.5.1 Une conduite de pensée américaine La responsabilité sociale des entreprises (RSE) nous vient des États-Unis. En 1953, Howard Bowen (un économiste américain) fut le premier à ouvrir la réflexion sur la responsabilité sociale de l’entreprise (Social Responsabilities of the Businessman).

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La RSE s’explique par les conflits d’intérêts entre actionnaires (shareholders) et les parties prenantes (stakeholders). Pour Milton Friedman (1962), « la seule responsabilité de l’entreprise est de faire du profit dans l’intérêt des actionnaires » ou shareholders. En 1984, E. R. Freeman crée un nouveau concept : les stakeholders, et étend la responsabilité de l’entreprise à tous les acteurs ayant un intérêt dans l’entreprise, c’est-à-dire aux salariés, aux fournisseurs, aux sous-traitants et même aux clients. L’idée étant que le profit résulte d’une coopération entre dirigeants, actionnaires (shareholders) et parties prenantes (stakeholders). La RSE vise à moraliser les conduites salariales et environnementales des firmes et suscite, depuis les années quatre-vingt-dix, un intérêt grandissant. Plus d’un millier d’entreprises publient des rapports sociaux et plus nombreuses encore sont celles qui ont souscrit à des chartes de bonne conduite dans le domaine du respect des droits de l’homme, des pratiques salariales et de la performance environnementale. La charte la plus importante, le Global Compact des Nations unies, rassemble à elle seule plus de deux mille entreprises signataires. Des fonds d’investissements éthiques (bien plus puissants aux États-Unis qu’en Europe) et des services de consulting en RSE interviennent sur pratiquement tous les marchés boursiers. Un certain nombre d’initiatives se sont développées afin d’informer les consommateurs. Good Guide en est l’un des exemples. Il s’agit d’une plateforme comparative indépendante, créée en 2009 aux États-Unis. Good Guide rassemble plus de cent vingt mille produits évalués selon environ six cents critères classés en trois domaines clés : –– l’impact sur la santé comme la présence d’ingrédients nocifs, le détail des listes d’ingrédients fournis, l’évaluation des risques sanitaires, etc. ; –– l’impact sur l’environnement, à savoir l’empreinte carbone, l’impact sur la biodiversité, la consommation d’énergie, le traitement des déchets, les systèmes de recyclage, etc. ; –– l’impact social tel que l’éthique, l’engagement dans la communauté, les conditions et les droits du travail, la formation interne des employés, etc. De plus, une récente application Good Guide pour iPhone permet au consommateur de scanner le produit pour savoir s’il correspond à ses propres critères de choix responsable !



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4.5.2 La réalité de la responsabilité sociale Les actions des associations de consommateurs ont sans aucun doute forcé de nombreuses firmes multinationales à améliorer notablement leurs pratiques. Il y a seulement une quinzaine d’années, on pouvait compter sur les doigts d’une main les entreprises qui admettaient devoir veiller au bien-être des travailleurs employés par leurs fournisseurs du tiers-monde. Selon des sondages effectués aux États-Unis, plus de 70 % des consommateurs affirment que la réputation et les pratiques d’une firme en termes de RSE orientent leur décision d’achat. Mais dans les faits, ils sont seulement une poignée, au moment de remplir leur caddie, à garder en tête leurs convictions sociales. Les décisions de consommation demeurent essentiellement déterminées par le prix, la qualité et le confort. Les fournisseurs du tiers-monde assument par ailleurs une part disproportionnée des pratiques salariales exigées par les militants des pays riches. Les firmes occidentales exercent de fortes pressions sur de petites entreprises indépendantes pour qu’elles améliorent les conditions de travail alors que, dans le même temps, elles les obligent à maintenir leurs prix au plus bas. Et si elles sont promptes à rompre leurs contrats avec des fournisseurs qui violeraient les codes de bonne conduite, bien peu sont disposées à payer une prime pour le respect de ces normes. Plus encore, peu de donneurs d’ordres sont disposés à renouveler les contrats s’ils trouvent à se fournir à un meilleur prix, ce qui limite un peu plus la capacité financière des fournisseurs à améliorer les conditions de travail. Wal-Mart est le leader mondial de la grande distribution et également le plus grand employeur privé au monde avec 2,1 millions d’employés. Au début des années 2000, plusieurs scandales ont éclaté concernant les conditions de travail des employés de l’entreprise ainsi que ceux de ses fournisseurs, et notamment l’utilisation de la main-d’œuvre enfantine. De nombreuses associations de consommateurs avaient appelé à boycotter Wal-Mart. En 2006, Wal-Mart annonce à grands frais un plan pour devenir la société la plus green (verte) au monde. Est-ce à dire que les problèmes relatifs aux conditions de travail ont été résolus ? Pas sûr !

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Figure 4.7 Logo de Wal-Mart leader mondiale de la grande distribution Source Wikimedia Commons ©

Selon le journaliste Andy Kroll (article dans Mother Jones d’avril 2012), cet objectif green est communiqué aux fournisseurs de Wal-Mart sans pour autant relâcher la pression sur les prix (réduction des prix de 3 à 5 % chaque année). Des audits sont organisés, sachant que les entreprises auditées sont généralement volontaires. De plus, les fournisseurs sous-traitent jusqu’à 50 % de leurs opérations à des compagnies qui ne seront pas auditées, puisque non fournisseurs de Wal-Mart !

5 L’emploi Les conditions et la définition de l’emploi aux États-Unis sont très particulières. L’emploi est considéré comme un marché à part entière, ce qui suppose une grande flexibilité et un ajustement entre l’offre et la demande. Les Américains sont très peu protégés en tant qu’employés. Les amortisseurs sociaux (allocation chômage, préavis et conditions de licenciement, etc.) sont d’ordre symbolique. L’ensemble de ces conditions met en exergue les intérêts personnels des employés. Il convient de comprendre cette situation qui a des conséquences tant au niveau de la gestion d’une équipe américaine que dans le cadre de la négociation de contrats commerciaux.

5.1 Un environnement très diffèrent 5.1.1 Précarité et protection sociale La « précarité de l’emploi » n’est pas une notion transposable dans le contexte des États-Unis, du moins pas dans le sens où on l’entend en France. En effet, dans un pays où la liberté de licencier est grande, le risque de perdre son

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emploi est potentiellement élevé pour tous et il n’y a donc pas véritablement de statut stable qui puisse être utilisé pour évaluer la précarité. Sur le marché du travail américain, le degré de précarité ou de sécurité est surtout fonction de la capacité des individus à sortir rapidement du chômage en cas de perte de leur emploi et de retrouver la protection sociale associée au travail. Cette capacité est non seulement déterminée par l’employabilité, mais aussi par l’état du marché du travail. En 2005, l’OCDE a évalué la rigueur globale de la législation sur la protection de l’emploi (LPE). Les États-Unis sont le pays où elle est la plus faible. Pour comprendre cette situation, il est nécessaire de considérer les éléments suivants : –– La législation en matière de travail et d’emploi est issue de la crise de 1929 et du pacte social mis en place par l’administration Roosevelt. Ainsi, le principe d’un salaire minimum, comme celui de la majoration des heures supplémentaires, ont été fixés par le Fair Labor Standard Act de 1938. L’assurance chômage et les programmes d’assistance sociale proviennent du Social Security Act de 1935. Depuis, l’Amérique a connu assez peu d’avancée sociale. Barack Obama a mis en place un système de sécurité sociale et il sera intéressant d’observer si la crise de 2008 sera propice à de nouvelles avancées sociales comme cela fut le cas après la crise de 1929. –– Le droit du travail américain est avant tout orienté vers l’entreprise, considérée comme créatrice de richesse et symbole de la liberté d’entreprendre. Ainsi, le droit du travail vise davantage à préserver la paix industrielle, garante de la prospérité de l’entreprise, qu’à assurer la protection des travailleurs. –– La place de la jurisprudence dans le système de Common Law américain, est, à bien des égards, créatrice de droit. –– Il est essentiel de distinguer selon que l’entreprise est, ou n’est pas, syndicalisée (unionised). Si elle l’est, la négociation collective peut engendrer une assez forte protection de l’emploi. Si elle ne l’est pas, ce qui constitue aujourd’hui l’immense majorité des cas, c’est alors le pouvoir patronal qui prime. En effet, aux États-Unis, la référence à un contrat de travail écrit est l’exception, notamment pour les ouvriers et les employés. Dans ce cas, les conditions de licenciement ne sont pas précisées, c’est l’employeur qui les fixe unilatéralement, souvent dans le petit livret traditionnellement distribué au moment de l’embauche pour définir les conditions de travail applicables



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(employee handbook). Et si aucun document de référence n’existe, l’employeur (comme le salarié) peut a priori mettre fin à la relation de travail sans raison particulière, sans préavis et sans indemnité. Les changements de situation sont fulgurants. Certaines grandes compagnies américaines gèrent même la précarité. American Airlines a connu plusieurs restructurations au cours de son histoire, la dernière annoncée en février 2012 concernait treize mille employés. Ces licenciements, pour le personnel de bord, s’effectuent selon plusieurs critères comprenant celui de l’ancienneté. Lorsque la société embauche à nouveau, les postes sont proposés en priorité aux anciens employés licenciés qui doivent rembourser tout ou partie de leurs indemnités de licenciement. La précarité, dans ce cas de figure, est utilisée comme outil de flexibilité. Il faut se rappeler que le chômage partiel n’existe pas aux États-Unis. Aux États-Unis, temple du libéralisme, il semble qu’un faible taux de syndicalisation, une faible protection légale des travailleurs, un niveau décentralisé de négociations collectives, une stagnation du salaire minimum.., sont considérés comme les ingrédients permettant un fonctionnement plus efficace du marché du travail. Bien entendu, on peut approuver ou désapprouver cette conception libérale, mais force est de reconnaître qu’aux États-Unis, si les entreprises n’ont pas peur de licencier, elles n’ont pas non plus peur d’embaucher. La précarité de l’emploi aux États-Unis influence de manière très sensible les relations professionnelles. Une collaboration professionnelle peut être remise en cause en l’espace de quelques jours, voire quelques heures. Cette situation a contribué à promouvoir le « politiquement correct » et de manière plus générale une attitude prudente et mesurée. Les Américains assimilent très souvent une attitude aux émotions contenues et lissées à du professionnalisme, une notion qui n’a peut-être pas le même sens de chaque côté de l’Atlantique.

5.1.2 La mobilité L’une des conséquences de la précarité du travail aux États-Unis est la mobilité des employés. De tout temps, les Américains ont été mobiles, rappelez-vous par exemple de la ruée vers l’Ouest. La mobilité est facilitée, entre autres, par une langue commune et un système social unique. 

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Figure 5.1 Camion de déménagement U-Haul Source Wikimedia Commons ©

La mobilité représente également une industrie dont U-Haul est l’un des symboles. U-Haul fut créé en 1945 sur le concept de location de camions et de remorques de déménagement en aller simple. L’entreprise comprend aujourd’hui seize mille points de vente répartis sur tout le territoire des États-Unis et du Canada. La société a connu un essor considérable dans les années cinquante grâce à un programme d’investissement original et avant-gardiste permettant à des investisseurs particuliers d’acheter jusqu’à trente équipements que la société exploitait pour leur compte. Ainsi, en 1959, U-Haul disposait de plus de quarante-deux mille remorques et camions en tous genres. Aujourd’hui, il est très fréquent, sur les interminables autoroutes linéaires américaines, de voir des familles déménager dans les camions blancs et orange U-Haul traversant les États-Unis à moindre coût et en quelques jours. Aux États-Unis, la mobilité est beaucoup plus importante qu’en Europe. Ainsi un travailleur qui perd son travail dans l’Ohio peut se rendre en Californie pour en retrouver un autre. Les taux de chômage s’ajustent d’un État à l’autre (si on exclut l’Alaska et Hawaï, à cause de leur éloignement).



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En période de crise, les licenciements sont bien plus importants aux ÉtatsUnis en l’absence d’un cadre législatif protecteur et de dispositions sociales. Toutefois, la mobilité permet d’ajuster l’offre d’emploi et sa demande. En France, l’ampleur des licenciements est amoindrie par un cadre législatif plus protecteur et des mesures sociales telles que le chômage partiel. Toutefois, la mobilité en France et au sein de l’Europe est limitée et donc insuffisante pour jouer un rôle régulateur entre l’offre et la demande d’emploi. Cette situation contribue, en Europe, à un ajustement à la baisse des salaires dans les pays les plus touchés par la crise (la Grèce, l’Espagne, etc.). Au même titre que la précarité, la mobilité doit être considérée dans le cadre des relations professionnelles. De nombreuses études ont été publiées afin de comprendre les raisons de la mobilité aux États-Unis. La principale raison est l’ajustement du marché du travail entre les États. De plus en plus, les entreprises s’attachent à retenir leurs talents et donc à satisfaire les attentes de leurs employés. Dans la vaste majorité des cas, les raisons évoquées par les employés pour être restés dans une entreprise sont : l’intérêt du travail, l’appréciation du travail fourni et le cadre du travail. Ces résultats sont sans surprise, ce qui est plus surprenant est le fait que la rémunération ne soit plus mise en avant. L’aspect pécuniaire est un facteur important pour justifier la mobilité. Il est toutefois perçu différemment selon l’âge et le type d’emploi. De manière générale, il doit être significatif (augmentation estimée entre 10 à 20 %) pour justifier un changement d’emploi, voire de région. La crise et le vieillissement de la population active américaine tendent à réduire la mobilité de la population. Toutefois, cela reste l’une des spécificités américaines qui influence le marché du travail et bien entendu les relations professionnelles. De manière positive, la mobilité des employés, au sens large, permet d’éviter des situations de blocage dramatique au sein des entreprises. Ainsi selon le Secrétariat américain au travail, 251 cas de suicide au travail ont été recensés en 2008 sur le sol américain. Ce qui représente une augmentation de 28 % par rapport à 2007, essentiellement attribuée à la crise économique et financière et aux licenciements massifs qui en ont résulté. En France, en 2008 le syndicaliste CGT Jean François Naton (conseiller en charge des négociations sur la santé et le travail) estimait le nombre de suicides au travail entre 300 et 500.

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5.1.3 Votre employabilité est mesurée, l’emploi est un marché L’employabilité Le concept d’employabilité est apparu dans les sociétés anglo-saxonnes au début du XXe siècle. Depuis, il a évolué au cours du temps. On peut distinguer trois grandes phases d’élaboration ayant abouti à la conception actuelle : –– Jusque dans les années quarante, le concept sert à faire une séparation, dans les sociétés américaines et britanniques, entre les individus aptes à l’emploi, auxquels un emploi stable peut alors être proposé, et les autres. –– Dans les années cinquante, il est institué aux États-Unis une catégorisation. –– À partir de la fin des années quatre-vingts, l’approche contemporaine de l’employabilité, dynamique et interactive, se fait jour, prenant en compte les dimensions individuelles et collectives du concept. En particulier l’employabilité et la performance attendue sur le marché du travail, qui renvoient à la notion de revenu. Être employable c’est posséder des compétences recherchées et être à même de saisir les occasions d’emploi appropriées pour les mettre en œuvre. L’employabilité renvoie à une capacité de « veille d’emploi du salarié ». Il s’agit d’avoir la capacité de se maintenir en état de trouver un autre emploi que le sien. L’employabilité exige l’apprentissage du changement. Bien entendu, la conjoncture économique détermine aussi l’employabilité. Ainsi, une bonne conjoncture économique augmentera les besoins de main-d’œuvre sur le marché du travail, et améliorera l’employabilité d’un travailleur (loi de l’offre et de la demande). De manière très pratique, l’employabilité a des conséquences au sein de l’entreprise. Une personne hautement employable sera mutée de manière régulière. Par contre, une personne qui a une faible employabilité restera au même poste de nombreuses années. Ainsi, une employabilité faible renvoie à une inertie forte dans l’occupation d’un emploi ou d’une fonction donnée. On peut analyser ce phénomène à la fois comme une gestion appropriée des compétences ou comme une gestion du risque de démission des employés à forts potentiels.



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La principale limite de cette appréciation est qu’elle se fonde uniquement sur les perceptions des managers de proximité, ce qui peut être considéré comme insatisfaisant car trop subjectif, et finalement trop déconnecté d’une grille d’évaluation de l’employabilité véritable. Toutefois, un recruteur américain considérera cet aspect lors d’une embauche et donc reposera son jugement sur la perception de vos précédents managers ! L’employabilité est une notion sournoise dont les conséquences sont importantes si vous souhaitez effectuer une partie de votre carrière aux États-Unis.

L’emploi est un marché Le marché du travail aux États-Unis est considéré comme un marché, au sens littéral du terme, sur lequel le demandeur d’emploi est un produit qu’il convient de négocier au meilleur prix, si ce n’est au juste prix. Les départements de ressources humaines établissent des descriptions de poste plus ou moins normées ou standardisées afin de pouvoir ensuite en définir le prix de marché en comparant les salaires octroyés dans des conditions similaires. Cette technique se nomme le benchmark. Le benchmarking permet de définir la rémunération selon les conditions de marché. Cette démarche se justifie par plusieurs facteurs : –– Les ressources humaines n’ont pas nécessairement la compétence pour estimer le niveau de rémunération associé au poste tant l’échelle de compétences utilisé par l’entreprise est vaste. Il s’agit d’une approche pragmatique qui associe à une description de poste interne des éléments de marché externes. –– Le souci de maintenir au sein de l’entreprise une certaine cohérence des politiques salariales afin d’éviter des conflits potentiels entre salariés. Toutefois, si le salaire des nouveaux entrants se fait aux conditions de marché, l’hypothèse sous-jacente est que les employés bénéficiant d’une certaine ancienneté ont eu leurs salaires revalorisés annuellement pour rester aux conditions de marché. Or ceci n’est pas toujours le cas. –– Dans une certaine mesure, le benchmark fourni des éléments d’informations externe considérés comme vérifiables et impartiaux. Cette approche est également utile, à l’entreprise et aux ressources humaines, afin de se protéger d’éventuelles critiques discriminatoires (sexe, religion, origine, etc.).

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Toutefois, vous noterez que cette approche ne tient pas compte du potentiel du candidat. L’entreprise considère dans cette logique le niveau de rémunération pour remplir les fonctions décrites et non le potentiel que le demandeur d’emploi peut avoir. C’est au demandeur d’emploi de trouver un poste qui correspond à ses qualifications et à son potentiel. L’entreprise paie l’employé, non pas selon son profil mais pour les seules compétences qu’elle utilise, évaluées selon une valeur dite « de marché ». C’est pour cette raison que les promotions sont dans la majeure partie des cas associées à une revalorisation du salaire de l’employé (en général de l’ordre de 10 %). Il s’agit d’une approche à court terme qu’il convient de mettre en relation avec les spécificités du marché de l’emploi américain à savoir : la précarité et la mobilité. Cette approche assez particulière ne choque personne aux États-Unis, c’est une vision libérale d’un marché soumis somme toute à assez peu de contraintes. Ainsi, de nombreux salariés utiliseront également un benchmark pour négocier une actualisation de leur rémunération. Ce benchmark peut être fourni par l’une des innombrables bases de données disponibles sur le marché, ou une offre d’embauche. Il faut savoir qu’environ un tiers des démissionnaires sont retenus par leur employeur. Ceci est un indicateur intéressant de la nature des dialogues sociaux au sein des entreprises ainsi que de l’approche utilisée lors des négociations.

5.2 La rotation de personnel 5.2.1 Conséquences des spécificités du marché de l’emploi américain La rotation du personnel est soit volontaire (démission) soit forcée (licenciement). Les licenciements représentent en moyenne 40 % des causes de départs selon les statistiques du ministère du Travail américain. Le SHRM (Society for Human Resource Management) a observé une corrélation entre l’importance des licenciements dans une entreprise ou un secteur d’activité et le niveau des départs volontaires. Dans bien des cas, les raisons d’une démission sont simples et peuvent être connues à l’avance. Il convient d’être attentif et à l’écoute des employés. Au mieux, les employés apporteront une perspective nouvelle, au pire le cadre sera perçu comme un dirigeant attentionné, prévenant et respectueux. Le véritable engagement entraîne l’adhésion, la participation, la loyauté et l’excellence.



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Figure 5.2 Les démissions sont rapides et les préavis très courts

Pensez-vous que ces principes ronronnants sont moins bien compris et appliqués au pays du « politiquement correct » ? pays dont les sociologues ont développé une grande partie de ces concepts contemporains ? En 2005, l’ancienneté moyenne19 était de 6,6 ans aux États-Unis et 11,7 ans en France. En 2011, le SHRM estimait l’ancienneté moyenne aux États-Unis à 6,6 ans et de 7 ans entre 1980 et 2000. Par conséquent, l’ancienneté moyenne ne peut pas être liée au contexte conjoncturel. Si cet indicateur est stable, il n’en reste pas moins vrai que l’ancienneté moyenne en France représente quasiment le double de celle des États-Unis. Cette situation structurelle est liée aux différentes particularités du marché du travail à savoir : la précarité de l’emploi, la mobilité de la population active américaine et enfin l’employabilité.

5.2.2 Un coût exorbitant Le ministère du Travail américain estime que la rotation de personnel coûte 33 % du coût salarial total (salaire et charges sociales) d’une entreprise. Le SHRM (Society for Human Resource Management) a quant à lui estimé, en 2008, que le coût de remplacement d’un employé pouvait représenter entre 90 et 200 % de son salaire annuel. Ces estimations tiennent compte de la perte 19 Auer Peter et Gazier Bernard, L’introuvable sécurité de l’emploi, Flammarion, 2006.

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de compétence, des coûts de recrutements internes et externes (recruteur, annonces, etc.) ainsi que de la formation du nouvel arrivant. La rotation du personnel doit être analysée de manière précise afin de dissocier les employés ayant atteint leur seuil de compétence, et les employés à fort potentiel ou expertise métier. La rotation du personnel peut avoir des effets positifs lorsqu’elle concerne des employés associés à la première catégorie. Toutefois, ces effets sont désastreux lorsqu’il s’agit d’employés de la seconde catégorie que les entreprises s’attachent à retenir et dont le coût de remplacement est le plus élevé. D’une manière générale, ce sont les employés à fort potentiel qui auront tendance à partir les premiers, car leur employabilité est la plus importante. Dans le cas de licenciements collectifs pour raisons économiques, les salariés doivent recevoir une notification soixante jours à l’avance. Aucune loi fédérale ne régit, aux États-Unis, le préavis de licenciement individuel. Néanmoins, la pratique courante est un préavis de deux semaines. Autant dire qu’en deux semaines vous n’avez pas le temps de trouver un remplaçant et d’assurer une transition en bonne et due forme. Il n’est pas rare aux États-Unis que vous soyez en contact vendredi après-midi avec une personne et que lundi on vous annonce qu’elle ne fait plus partie de la société. Ces situations semblent lunaires vues de France. Ceci est une cause majeure de désorganisation, de perte de productivité et de compétence au sein des entreprises américaines. Ainsi, à défaut de remplaçant, la charge de travail des postes vacants est répartie sur le reste de l’organisation. Si la cause de la rotation est un problème managérial, les employés restants s’en trouvent d’autant plus frustrés que leur loyauté est récompensée par la demande d’un effort supplémentaire. Ensuite, lorsque le poste est pourvu, c’est encore aux employés restants d’assurer la formation du nouveau venu. Par conséquent, la rotation de personnel désorganise le travail et crée en soi un climat propice au mécontentement des employés restants, pouvant les amener à démissionner. Il s’agit donc d’un cercle vicieux assez difficile à endiguer. Ceci est l’une des raisons pour lesquelles les organisations américaines sont si attentives aux capacités managériales de leurs cadres. Sous cet éclairage, on comprend mieux l’attachement au concept de team building. Dans bien des cas, les Américains disent que l’on ne quitte pas son travail mais son patron !



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5.2.3 L’équilibrage du marché Le coût de la rotation du personnel est exorbitant et peut mettre rapidement une entreprise en difficulté. Au-delà du coût que l’on peut chiffrer, cette situation peut avoir une influence sur la relation clientèle, la qualité des produits ou des services, en bref sur l’image externe de l’entreprise. On met des années à bâtir une réputation et quelques minutes suffisent à la détériorer. La qualité d’une entreprise dépend avant tout de la qualité des personnes qui la composent, les Américains en ont parfaitement conscience. Ainsi de nombreuses entreprises commencent à considérer leur personnel comme un actif (asset) qu’il convient de préserver ou plutôt de retenir.

Des solutions internes La qualité des managers d’une entreprise est donc essentielle à sa performance. Toutefois, la taille des équipes doit être considérée. En effet, plus l’équipe est importante et plus les effets de la rotation de personnel seront aisés à gérer. Dans certains cas, les entreprises entretiennent ce que l’on appelle un bench (banc en français) qui consiste à avoir en formation un ou plusieurs professionnels prêts à prendre un poste vacant. En d’autres termes, la rotation est anticipée et gérée comme un impondérable. Il est moins coûteux de gérer un sureffectif prévisionnel que de subir les coûts de recrutement et de formation dans l’urgence post-rotation. Les entreprises mettent en œuvre un certain nombre d’outils pour retenir leurs employés. Hors contexte, lorsque vous y serez confronté, vous pourrez penser que certains d’entre eux relèvent plus du folklore. Ne vous y trompez pas, au contraire, c’est très sérieux et très étudié car les enjeux sont cruciaux. L’idée générale est de porter attention aux employés, de leur témoigner leur importance et de reconnaître leur contribution. Afin d’illustrer le propos nous pouvons citer les outils de rétention suivant : –– Un programme de reconnaissance des employés (Employee Reward Program) visant à reconnaître périodiquement et publiquement deux ou trois employés particulièrement méritants. Si l’entreprise dispose d’un journal interne, ils feront l’objet d’un article. La récompense peut être monétaire ou

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un cadeau. Il s’agit, ni plus ni moins, de l’idée de l’employé du mois affiché dans chaque McDonald. Dans ce cas, l’entreprise considère et reconnaît l’effort et la compétence. –– Un plan de carrière (Career Development Program) afin de rassurer chaque individu sur son futur et définir un plan de formation approprié. Il s’agit d’une relation à moyen et long terme gagnant/gagnant pour l’entreprise et l’employé permettant de développer le potentiel humain. Les formations éventuellement externes pourront être payées en totalité ou en partie par l’entreprise sous condition que l’employé demeure au sein de l’entreprise pour une certaine période. –– Le bonus, dans la mesure où il est payé l’année suivante. –– La recommandation, par les salariés, de candidats à des postes vacants (Employee Referral Plan) permet d’impliquer les employés dans le processus de recrutement tout en limitant les coûts liés à la recherche de candidat. Il s’agit ni plus ni moins d’un système de parrainage permettant de responsabiliser les employés. Un bonus peut être versé au nouvel arrivant et à son parrain après une période de mise à l’épreuve (entre six et neuf mois). –– Un bonus de fidélité (loyalty bonus) afin de reconnaître la persévérance de certains salariés ayant acquis une ancienneté et s’étant distingués dans l’exercice de leurs fonctions. Ce bonus peut être monétaire, un cadeau ou encore la possibilité d’accéder à une autre position. Il s’agit en fait de reconnaître la performance de vos meilleurs éléments. –– Impliquer vos employés les plus expérimentés, dans leur domaine respectif, dans le processus de décision (Giving a voice to the Knowledge Banks). Ainsi, vous reconnaissez que vos employés font partie des atouts de la société et qu’ils doivent être impliqués dans son devenir. Il ne s’agit pas pour les cadres dirigeants de perdre leurs prérogatives, mais plutôt d’établir une relation collaborative sur le respect et la reconnaissance des compétences de chacun. –– Organiser des activités de groupe (Employee Recreation) afin de mieux apprendre à se connaître dans un cadre non professionnel. Il est très important que les cadres dirigeants y participent. Cela peut prendre la forme d’un barbecue le vendredi ou le week-end. Les employés et les cadres dirigeants sont généralement invités à venir en famille. Dans ce cas, l’entreprise souligne l’appartenance à un groupe et, implicitement, ce que cela implique comme droit et obligation pour chaque membre vis-à-vis des autres.



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–– Des cadeaux pour des occasions particulières telles qu’une naissance ou un mariage. Dans certaines entreprises, les anniversaires sont célébrés une fois par mois pour l’ensemble des employés ayant le même mois d’anniversaire. Encore une fois, l’idée est d’individualiser l’approche et de faire savoir à l’employé qu’il est important pour l’entreprise et pas seulement un numéro. –– Pratiquer la politique de la porte ouverte à chaque échelon et rendre chaque employé responsable pour les tâches qui lui sont confiées. Ceci permet à l’ensemble de l’organisation d’avoir la possibilité de s’exprimer et de devenir une force de proposition. Cette approche permet également de gérer les problèmes avant qu’ils ne se transforment en conflits pouvant générer des rotations de personnel. –– Des sondages (Surveys) peuvent être effectués auprès des salariés afin de recueillir leurs impressions et suggestions sur leurs conditions de travail (la cantine, le parking, etc.). S’agissant d’améliorer les conditions de travail, il semble pragmatique et judicieux d’interroger les principaux concernés. Cette démarche renforce l’impression d’appartenance et permet aux salariés, par leur implication, de participer à certaines prises de décisions. Pourquoi Google met-il un soin tout particulier au confort de ses employés ?

Figure 5.3 Logo de Google dont le moteur de recherche sur Internet est le de plus utilisé au monde Source Wikimedia Commons ©

Les bureaux sont décorés. Il y a des mini-cafétérias gratuites avec fruits frais, gâteaux et boissons. Le site comprend des salles de jeux avec baby-foot, des salles de massage, des coiffeurs (pour lesquels les employés doivent payer une petite somme), une garderie pour les enfants, un centre de gym, un sauna, des pièces de relaxation avec musique douce et aquariums... La raison est simple : attirer et retenir les meilleurs talents afin de maintenir sa position de leader. Il ne s’agit donc pas d’une approche philanthropique. Si vous accédez à une position de manager aux États-Unis, il est important d’être à l’écoute de vos équipes et d’utiliser certains leviers afin de les retenir et les motiver. Comparées à la France, les erreurs managériales ont des répercussions rapides et importantes. Cette différence contextuelle ne doit surtout pas être sous-estimée.

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L’externalisation Sujet stratégique et brûlant, l’externalisation (outsourcing) focalise l’attention des managers, des consultants et des chercheurs. Rares sont les fonctions de l’entreprise qui ne sont pas touchées par ce phénomène. Depuis une quinzaine d’années, l’externalisation est considérée comme un moyen rapide d’améliorer la performance des entreprises, de réduire les coûts et d’accroître la flexibilité. Elle est vue comme un choix stratégique majeur, à long terme, permettant aux entreprises de se recentrer sur leur cœur de métier et de redéfinir leurs frontières. L’externalisation permet à l’entreprise de déplacer certains risques chez le prestataire de services et d’augmenter ainsi sa performance économique. Il s’agit principalement des risques liés à la gestion des stocks et aux investissements dans l’appareil de production ou la formation des salariés. La majorité des entreprises qui externalisent le font principalement pour transformer leurs coûts fixes en coûts variables et pour acquérir une plus grande flexibilité. L’externalisation confère à l’entreprise une plus grande flexibilité et accroît par conséquent sa réactivité. La flexibilité dans le cadre de l’externalisation est obtenue grâce à une modification des structures organisationnelles. Ces structures subissent un allégement considérable puisque l’on se sépare de services entiers, d’ateliers et parfois même d’usines. La flexibilité résulte également du fait que l’entreprise prestataire supporte la charge de la variation d’activité de l’entreprise externalisatrice ainsi que les effets de la rotation de personnel. C’est une obligation de résultat qui lie les deux entreprises. Par exemple, aux États-Unis, la rotation du personnel des centres d’appel téléphonique était comprise entre 60 % et 80 % par an, ce qui correspond à une ancienneté moyenne comprise entre 1,2 et 1,6 ans. Le coût de la formation des employés d’un centre d’appel est important, car ils doivent répondre en temps réel, dans des conditions évolutives et utilisant des systèmes complexes. Le coût de la rotation du personnel qui s’est amplifié a définitivement favorisé le développement de l’externalisation d’abord sur le sol même des États-Unis, puis en Asie. On estime à environ 250 000 le nombre d’emplois relatifs aux centres d’appels précédemment localisés aux États-Unis et externalisés aujourd’hui en Asie. Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Aux Philippines, l’industrie des centres d’appel, principalement anglophone, emploie 900 000 personnes et génère un revenu de 11 milliards de dollars. L’archipel se félicite d’avoir 10 % du marché mondial des centres d’appel et prévoit d’employer plus d’un millions de personnes en 2012.



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Figure 5.4 Plate-forme téléphonique aux Philippines Source Wikimedia Common ©

5.3 La rémunération 5.3.1 Variabilité et performance Si la rémunération des cadres est généralement fixe en France, la variabilité selon les performances individuelles ou collective est très répandue aux ÉtatsUnis. La variabilité des rémunérations est plus élevée aux États-Unis qu’en France. Selon une étude comparative entre les deux pays20, en France comme aux États-Unis, les salariés les mieux rémunérés (du fait de caractéristiques individuelles ou de la politique de rémunération de l’établissement) sont employés dans des entreprises où la productivité du travail est la plus élevée. Toutefois, une rémunération plus élevée, due à la politique de rémunération propre à l’entreprise, est associée à une profitabilité élevée en France et, au contraire, faible aux États-Unis. Là encore, on notera le caractère individualiste de la société américaine. Enfin, le secteur d’activité joue un rôle plus important 20 Politiques salariales et performances des entreprises  : une comparaison France/ États-Unis Abowd John M., Kramarz Francis, Margolis David N. et Troske Kenneth R.

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aux États-Unis qu’en France dans la détermination de la performance des entreprises, alors que c’est l’inverse pour la rémunération. La plus forte compétitivité du marché du travail aux États-Unis pourrait expliquer ces résultats.

Figure 5.5 John Reynolds en 1917 à Washington Source Wikimedia Commons ©

Ainsi, il n’est pas rare que la rémunération des cadres comprenne outre un salaire fixe (Base salary) une part variable dont l’importance dépend du niveau de responsabilité (plus le niveau de responsabilité est important et plus la proportion de la part variable le sera). Il existe une grande variété de rémunérations variables. Aussi, nous ne pouvons pas en dresser une liste exhaustive, les plus communes sont :  –– Le bonus annuel qui peut être une combinaison d’objectifs individuels, de groupe (un service ou un département) et d’entreprise. Dans bien des cas, les entreprises le versent en mars ou avril de l’année suivante aux seuls salariés présents tout ou partie de l’année précédente et présents le jour du paiement. Il s’agit d’une mesure de rétention des salariés qui, généralement, attendent le versement de leur bonus avant de démissionner. –– Un bonus basé sur des objectifs à moyen terme (long term incentive) qui peuvent, selon les cas, être définis sur la base d’objectifs individuels ou collectifs. Ce type de bonus est généralement proposé aux cadres supérieurs



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faisant partie des comités de direction. Comme le bonus annuel, ces bonus à moyen terme sont également utilisés comme mesure de rétention des cadres supérieurs. –– Pour les entreprises cotées, des stock-options seront proposées. Pour les entreprises non cotées un plan d’achat d’actions à des conditions particulières peut être proposé selon le type d’actionnaires. Par exemple, les groupes d’investissement dont l’objectif est de valoriser et revendre leur acquisition proposeront ce type de rémunération qui permet, de plus, de s’assurer de la fidélité de l’équipe dirigeante jusqu’à la cession. Ces techniques de rémunération variables, et bien d’autres, sont largement utilisées aux États-Unis, notamment dans le cadre de start up afin de faire coïncider la rémunération et le cash flow ou encore la rémunération et la création de valeur. Ainsi, par exemple, une grande partie des trois mille employés de Facebook sont devenus millionnaires après l’introduction en bourse de la société. La variabilité des rémunérations est un paramètre essentiel à prendre en compte dans la gestion interne de l’entreprise. Un mauvais alignement entre les objectifs de l’entreprise et les critères d’attribution des rémunérations variables peut avoir des effets dramatiques. Dans le cadre de relation externe, ne perdez pas de vue qu’une partie de la rémunération de vos interlocuteurs dépend de leur performance. Il est généralement judicieux, lorsque cela est possible, d’essayer de comprendre leurs réelles motivations ou plutôt comment leur performance est évaluée. Vous pourriez être surpris d’apprendre que, dans bien des cas, le prix n’est pas le critère le plus important. Par ailleurs, votre calendrier n’est pas forcément partagé par vos interlocuteurs qui généralement sont motivés par des objectifs plus à court terme qu’à moyen terme.

5.3.2 Niveau de rémunération À fonction équivalente, les niveaux de rémunération sont bien plus élevés aux États-Unis qu’en France. Cette situation a grandement contribué au mythe des expatriés américains aisés. Toutefois, il convient de préciser que si la France offre à ses concitoyens une solution « tout compris », les États-Unis proposent une formule « à la carte ». En d’autres termes, vous devez payer pour tout ce que vous consommez, les systèmes sociaux et l’intervention de l’État étant réduits

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au minimum. Ainsi, le niveau de rémunération américain doit être corrigé en fonction des dépenses importantes liées à la retraite, à la santé et à l’éducation. Pour donner un ordre de grandeur, il n’est pas rare qu’un médecin généraliste en début de carrière ait accumulé pour financer ses études un crédit de 300 à 500 000 dollars qu’il doit rembourser dès son entrée dans la vie active. De nombreux Américains sont contraints de continuer à travailler passé soixantedix ans pour pouvoir bénéficier d’une certaine couverture sociale. L’APEC (l’Agence pour l’emploi des cadres) a publié en 2005 une étude comparant le salaire cumulé aux États-Unis et en France, pour une carrière identique. Cette étude est certes un peu ancienne et n’a pas été actualisée, toutefois les tendances sont intéressantes. En salaire brut cumulé, les cadres de la production gagnaient 17 % de plus aux États-Unis qu’en France. L’écart atteignait même 29 % pour la fonction vente. Cependant, on travaillait plus chez l’oncle Sam, donc à temps de travail équivalent, les différences se réduisaient à 3 % seulement pour la production, et 16 % pour la vente. Enfin, si vous considérez les différences liées aux régimes de retraite, de santé et de couverture des frais de scolarité, vous êtes sur des bases comparables, voire plus favorables en France dépendant de votre situation familiale (nombre d’enfants à scolariser, etc.). Bien entendu, l’étude de l’APEC ne couvre pas les cadres supérieurs et dirigeants qui sont d’une manière générale bien mieux rémunérés aux ÉtatsUnis qu’en France. Les États-Unis est le pays des extrêmes, et ceux-ci frisent parfois l’indécence. Succéder à Steve Jobs à la tête d’Apple n’est pas une mince affaire, mais le poste à ses avantages. Tim Cook, le directeur général d’Apple, a été le patron américain 21 le mieux payé en 2011 avec une rémunération annuelle de 377,98 millions de dollars (un salaire de base de 900 000 dollars, une prime de performance de 900 000 dollars et le reste en actions). Il est précisé que les actions correspondent à une distribution exceptionnelle pour une durée de dix ans. David Simon, CEO (chief executive officer) de Simon Property group (le plus important propriétaire de centres commerciaux aux États-Unis), devait recevoir en 2012 une rémunération totale de 134 millions de dollars, représentant 342 fois le salaire de Barack Obama et environ 4 489 fois le salaire moyen américain ! Cette rémunération devait correspondre à un salaire de base de

21 Wall Street Journal du lundi 22 mai 2012



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1,32 millions de dollars et une remise d’action estimée à 132 millions de dollars. Fort heureusement, les actionnaires ont refusé cette disposition. Le fondateur et directeur général d’Oracle, Larry Ellison apparaît en deuxième place, avec 76 millions de dollars (un salaire de base de 13,3 millions de dollars et des stock options évalués à 62,7 millions de dollars). Sommes-nous là dans la démesure ? C’est une des caractéristiques des ÉtatsUnis, il n’existe pas, ou très peu, de limites. Les logiques sont appliquées jusqu’à l’aberration.

6 L’autorité

En tant que Français, nous partageons une culture assez particulière quant à l’autorité et son exercice. Nous avons tendance à penser que les règles sont faites pour être détournées. Aux États-Unis, c’est l’inverse, la règle est respectée, parfois même à outrance. Dans bien des cas, cette situation pourra au pire vous exaspérer, au mieux vous amuser. Il est important de comprendre la manière dont la hiérarchie fonctionne au sein des entreprises américaines. L’approche et la légitimité du manager sont très différentes. Même si en apparence les relations sont détendues, il existe de réelles spécificités et nuances qu’il faut comprendre et intégrer. Enfin, la façon et les raisons pour lesquelles les règles sont respectées doivent également être comprises.

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6.1 La hiérarchie 6.1.1 Différente culture, différente approche Geert Hofstede, psychologue néerlandais, s’est intéressé aux différences culturelles entre les habitants de différents pays, et a tenté de classifier les différences comportementales selon des critères bien précis. Il a pour cela interrogé, dans les années soixante et soixante-dix, plus de 100 000 salariés d’IBM situés dans différents pays, les soumettant à un même questionnaire, sur leur degré de satisfaction, leur perception du travail, leurs buts personnels, etc. Les résultats permettent de mettre en évidence une différenciation des pays participants selon quatre critères : –– la distance hiérarchique ; –– le contrôle de l’incertitude ; –– l’individualisme ; –– la masculinité. Dans le cadre de cet ouvrage, nous ne nous intéresserons qu’à la notion de distance hiérarchique aux fins d’expliciter l’incidence des différences culturelles. La distance hiérarchique est définie par Hofstede comme «  la perception du degré d’inégalité du pouvoir entre celui qui détient le pouvoir hiérarchique et celui qui est soumis ». La distance hiérarchique est donc le degré d’acceptation culturelle des inégalités de statuts et de pouvoir entre les individus. Cette dimension révèle le niveau de respect dont font preuve les gens vis-à-vis de leur hiérarchie et de l’autorité. Les pays d’origine latine, dont la France, ont une forte distance hiérarchique. Elle s’exprime dans l’organisation d’entreprise par une structure pyramidale très lourde, avec des directeurs difficiles à joindre. Les signes extérieurs du niveau hiérarchique sont importants, tels que : la secrétaire, la voiture, le téléphone, l’ordinateur portable. On constate aussi une séparation assez nette entre les cols blancs et les cols bleus. Souvent, dans un pays à distance hiérarchique forte, il est possible de connaître le rang social de son interlocuteur avant que celui-ci ait eu à se présenter.



L’autorité 115

À l’inverse, les pays anglo-saxons (dont les États-Unis) et nordiques, ont une distance hiérarchique plutôt faible. Dans ces pays, la structure pyramidale est aplatie, l’organisation est décentralisée. La direction encourage vivement le personnel à donner son avis. L’approche participative est vivement encouragée. Dans la culture anglo-saxonne et nordique, la récompense, la compétence, ou la légitimité permettent d’obtenir l’autorité. L’autorité se mérite et s’acquiert. Les Américains sont, ou du moins semblent, conviviaux. Sur le lieu de travail, il est fréquent qu’entre collègues, avec ses supérieurs ou même dans une relation client-fournisseur (du moins dans un second temps), on s’appelle par son prénom en évitant les sir ou miss. De plus, l’américain est une langue qui ne comprend pas le vouvoiement. En dépit de cette bonhomie apparente, votre marge d’erreur est souvent très faible. Les rapports à la hiérarchie sont très différents aux États-Unis. Pour un Français cette souplesse apparente peut être un signe de laxisme, il n’en n’est rien. La hiérarchie a une réelle signification et utilité, les employés ont également de réelles attentes envers leur hiérarchie. D’une certaine manière, le manager doit justifier de sa position autant vis-à-vis de son équipe que de sa propre hiérarchie afin de gagner et de conserver sa légitimité. Peut-être de manière plus marquée qu’en France. Et c’est bien là la spécificité des organisations américaines. Ce n’est pas pour autant que l’autorité est ouvertement critiquée aux ÉtatsUnis. D’une part, les critiques mettent à risque ceux qui les prononcent dans un pays dont la précarité de l’emploi est grande. D’autre part, les réunions en tête à tête (one to one) avec son manager seront plus appropriées pour ce type de suggestion afin de limiter les éventuelles conséquences d’une telle approche.

6.1.2 Approche collaborative L’aspect collaboratif des organisations américaines est très marqué au quotidien. Ainsi, par exemple, dans bien des cas les réunions sont organisées afin d’apporter les éléments d’analyse et parvenir à une décision collégiale, ou à celle du responsable lorsque chacun aura eu l’opportunité de s’exprimer. En France, les réunions sont bien plus une information délivrée aux décisionnaires, qui peuvent ou non trancher en séance. L’approche participative est fortement encouragée dans les organisations américaines afin de stimuler chaque employé en lui offrant l’opportunité d’influencer à son niveau les décisions de l’entreprise. Elle permet également

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une appropriation par l’équipe de travail d’une problématique et de la mise en œuvre des solutions choisies. Dans ce contexte, il est difficile de demander aux employés de s’impliquer et de ne pas tenir compte de leurs points de vue. Cette attitude aurait un effet contreproductif et démotiverait les employés concernés. Cette conception du processus de décision aura des implications nombreuses. Nous pouvons en donner les exemples suivants : –– Si vous postulez à un poste dans une société américaine, vous devez au cours de vos entretiens convaincre chacun de vos interlocuteurs et pas seulement celui à qui vous allez être rattaché hiérarchiquement. En effet, il y a de grandes chances que la décision d’embauche soit prise de manière collégiale et que votre responsable hiérarchique n’aille pas à l’encontre du point de vue du reste de l’équipe. À défaut, il les aurait impliqués dans le processus mais ne tiendrait pas compte de leur opinion. –– Lorsque vous essayez de vendre vos produits ou services à une entreprise américaine, la réunion comprendra le ou les décisionnaires, ainsi qu’un représentant des principaux départements concernés de l’entreprise. Il sera tout autant déterminant de convaincre les décisionnaires que les autres parties prenantes. Là encore, la décision se prendra de manière collégiale suite à une réunion interne dites de debriefing. Cette démarche peut sembler parfois déroutante, mais elle prend tout son sens lorsque vous considérez l’environnement américain. À savoir, les spécificités des organisations américaines, la nécessité d’impliquer et de valoriser vos employés dans un marché où la rotation de personnel est importante, et enfin les qualités attendues d’un manager américain.

6.1.3 Qu’attend-on d’un manager ? Nothing personal (rien de personnel). L’expression n’est pas seulement un leitmotiv de films hollywoodiens, elle recouvre une réalité de la vie des entreprises américaines. Les egos s’effacent devant l’intérêt général, qui est en fait un intérêt particulier. En cas de problème avec un collègue, les Américains auront tendance à aller boire une bière après le travail pour en parler. Une certaine proximité est entretenue entre collègues afin d’éviter, voire de surmonter les problèmes. Il s’agit d’une approche simple et pragmatique basée sur le fait que l’on a tendance à être plus tolérant et aider naturellement les personnes que l’on connaît.



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Le mot d’ordre est d’éviter à tout prix que les choses ne dégénèrent car cela peut devenir dangereux. Même si l’un des protagonistes obtient gain de cause, ses collègues, et d’une manière générale l’organisation, s’en souviendront et pourraient considérer qu’il s’agit d’une personne avec laquelle il est difficile de travailler. À quoi cette perception de la personne correspond-elle ? S’agitil d’une personne avec qui les relations professionnelles sont difficiles, par exemple à cause de son caractère  ? Ou bien s’agit-il d’une personne qui ne respecte pas les règles non écrites et qui fait prendre le risque du conflit à ses collègues pour des raisons qui lui semblent justes ? Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une connotation négative, les Américains diront de cette personne qu’elle n’est pas team oriented ou a team player (qu’elle manque d’esprit d’équipe). Mais si cette situation se produit quand même, les salariés américains dégainent leur arme absolue : la hiérarchie. Ils n’hésitent pas à pousser la porte du bureau du patron et à lui exposer le problème. Les Américains considèrent qu’à chaque niveau hiérarchique sont associés un devoir et une responsabilité. C’est sur ce principe que la hiérarchie est légitimée et acceptée. Par conséquent, il appartient au manager de régler les problèmes que l’employé n’a pas pu solutionner. Cette approche indirecte, permet également d’éviter un conflit ouvert entre les protagonistes. Le manager décide et ses subalternes prennent acte. Il n’est pas rare qu’en cas de litige avec un collègue d’un autre département, l’employé aille voir son supérieur hiérarchique et le supérieur hiérarchique de son collègue dans l’autre département. Cette démarche pourrait être considérée comme un aveu de faiblesse en France. Toutefois, les Américains ne voient aucun inconvénient à impliquer le management. D’une certaine manière, aux États-Unis, c’est le patron qui est au service des salariés, pas l’inverse. Le manager a la responsabilité de mettre en place et maintenir des conditions propices au succès. L’indécision ou l’inaction du manager pourrait conduire à remettre en cause sa légitimité et son autorité. Malgré les nombreuses études et théories à ce sujet effectuées aux États-Unis, Google22 s’est posé la question de ce qu’était un bon manager, et a mis en œuvre une étude au sein de ses équipes pour le déterminer. Les résultats sont sans surprise.

22 Article du New York Times du 12 mars 2012 intitule : « Google’s Quest to Build a Better Boss ».

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Un manager doit, par ordre d’importance : –– savoir être un bon coach (dans le sens de mentor), ce qui signifie donner aussi bien des commentaires (feedback) positifs et constructifs que négatifs. Il s’agit également d’avoir avec les membres de son équipe des entretiens individuels réguliers (one to one) ; –– savoir motiver son équipe et ne pas micro-manager. Le manager doit trouver le bon équilibre entre autonomie et contrôle de ses équipes. –– démontrer à ses équipes l’intérêt qu’il porte à leur réussite et à leur bienêtre. Cette notion comprend la connaissance personnelle des membres de l’équipe, ainsi que l’intégration de nouveaux membres ; –– être productif et orienté vers les résultats ; –– savoir communiquer et être à l’écoute de son équipe ; –– les aider dans le développement de leur carrière ; –– avoir une vision pour l’équipe, notamment en fixant et en communicant des objectifs clairs et en l’informant de la stratégie choisie ; –– avoir les compétences techniques nécessaires pour comprendre et soutenir le travail de ses équipes. Alors que retient-on de cette étude ? Être un bon manager est avant tout basé sur le relationnel, la communication, l’écoute et le leadership. L’expertise technique, comme le note Google, vient uniquement en second lieu et n’est pas une compétence indispensable pour assurer un bon management. Certes il faut connaître le sujet, mais il est plus important de savoir comment motiver une équipe. Les entreprises qui marchent le mieux sont celles où règne, à tous les échelons, un état d’esprit enthousiaste et coopératif, ouvert à la critique. La constatation est valable pour les multinationales comme pour les PME. Quand l’ambiance est agréable et la créativité encouragée, les performances prennent l’ascenseur. Cette approche du management est si fondamentale, qu’une industrie du coaching de management s’est développée aux États-Unis afin de permettre aux décideurs de repenser leur mode d’action, en bénéficiant du soutien d’un expert extérieur à l’entreprise. Les coaches aident également à clarifier la mission et les objectifs d’une équipe, à gérer des conflits internes et à favoriser une dynamique de changement au sein du groupe.



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6.2 Les règles 6.2.1 Les règles permettent de limiter le flou Aux États-Unis, tout ce qui n’est pas spécifiquement interdit est autorisé. Ce principe renforce l’importance des lois et règlements qui sont partout et s’appliquent à tous (et à tout).

Figure 6.1 Panneaux d’interdictions à Santa Cruz en Californie Source Wikimedia Commons ©

Les écoles et universités ont chacune leur propre règlement intérieur. Au niveau des universités, le règlement intérieur ou le code de conduite est même défini par académie. Ainsi, il peut devenir difficile, voire impossible, de suivre deux maîtrises en même temps dans deux académies différentes faisant partie de la même université. En effet, chaque académie vous demandant (souvent par écrit) de vous engager à respecter leur règlement intérieur, il sera considéré que vous ne pouvez simultanément « prêter allégeance » à deux règlements différents. Bien entendu, ces règles sont différentes d’une université à une autre. Le cas des universités est intéressant car vous pourriez être tenté de croire qu’elles sont de par leur nature plus ouverte. En fait, l’éducation est un « business » et il n’est pas rare que les universités comptent plus de dix mille étudiants et développent une bureaucratie à en faire perdre son calme.

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La majorité des entreprises d’une certaine taille disposent, comme en France d’ailleurs, de leur propre règlement intérieur. La différence est qu’aux ÉtatsUnis, ce règlement est appliqué à la lettre. Bien entendu, les administrations disposent également de leur propre règlement. Aux États-Unis, le règlement a plusieurs vertus : –– Définir ce qui est autorisé de manière claire et donc sans exception. Toutefois, les règlements sont compliqués et deviennent opaques. Dans bien des cas, ils sont revus par des avocats. L’objectif affiché étant, autant que possible, de couvrir toutes les situations pour ne pas laisser place à l’interprétation. Si vous pratiquez la plongée sous-marine aux États-Unis et que vous lisez attentivement tout ce qu’il vous est demandé de signer avant de plonger… vous changerez probablement d’avis. –– S’appliquer à tout un chacun et donc sans exception ni passe-droit. Le menu est affiché et l’on ne sert que le menu. Ceci permet de limiter les risques de discrimination mais également dans certains cas de s’exposer à des risques non assurés en cas de problème. Ainsi, de nombreuses salles de sport disposant d’une piscine n’accueillent pas dans leur bassin les enfants de moins de seize ans même accompagnés. Votre enfant peut faire de la natation en compétition et ne pas être autorisé à se baigner bien que vous présentiez sa licence sportive. –– Éviter la gestion des exceptions, car rappelez-vous qu’aux États-Unis, une exception peut devenir une règle (sinon comment la justifier  ?). La gestion d’une exception est considérée dans bien des cas comme contreproductive. Il faut gérer l’exception elle-même, puis les conséquences du précédent créé. Pour cette dernière raison, l’exception à la règle est très rare. –– Ne laisser aucune place, ou le moins possible, au libre arbitrage pour les personnes chargées d’appliquer ou faire appliquer la règle. Les entreprises, par exemple, définissent des règles et procédures (SOP ou standard operating procedures) pour leurs différents procédés. Dans le cadre du monde professionnel, ces pratiques permettent également d’atténuer les conséquences de la rotation du personnel. La transmission de la connaissance n’est plus verbale mais écrite. Dans la vie quotidienne, de nombreuses règles de vie sont non écrites. Elles permettent d’éviter une tension inutile dans un certain nombre de situations.



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Nous pouvons, entre autres, prendre les exemples suivants qui, en comparaison avec la France, vous parleront sûrement : –– Lorsque vous arrivez dans un restaurant, vous vous faites connaître auprès de l’hôtesse chargée de l’accueil et attendez d’être placé. Il n’est pas nécessaire de rester près de l’hôtesse ou de s’attendre avec anxiété à ce que quelqu’un passe avant vous. Vous serez placé selon votre ordre d’arrivée et bien entendu selon les places disponibles. Si vous devez vous placer vousmême, une pancarte vous l’indiquera explicitement. –– Si les feux rouges tombent en panne, cela crée un ralentissement mais pas d’embouteillage. Les voitures passent les unes après les autres en suivant l’ordre des aiguilles d’une montre. Personne ne force le passage et cela ne crée pas d’accidents. –– Si plusieurs personnes attendent devant un comptoir de renseignement, il est généralement respecté une certaine distance de courtoisie afin de ne pas importuner la personne qui se renseigne. Dans bien des cas, cette distance est marquée au sol par une ligne jaune. –– Lorsque vous êtes dans une file d’attente, il est très rare que quelqu’un vous passe devant. Si vous visitez les parcs d’attractions et que, pour une raison quelconque, vous n’avancez pas dans la file, personne ne vous poussera ou vous passera devant. L’un de mes fils est passionné de robotique. Avec deux de ses amis, nous l’avons inscrit à une compétition nationale de robotique sous l’égide de la marine américaine (la Navy). Chaque équipe devait, à partir d’un kit et d’un budget additionnel limité à vingt dollars, élaborer un robot sous-marin. La compétition comprenait deux épreuves en milieu sous-marin. L’une axée sur l’agilité et la manœuvrabilité du robot et, l’autre, sur sa puissance de traction. Ces deux épreuves étaient antinomiques, car pour gagner en puissance, il fallait faire des concessions en manœuvrabilité. Donc, mon fils et ses amis ont travaillé pendant plusieurs mois pour trouver le meilleur compromis. Arrivés à la compétition, nous nous sommes aperçus que certaines équipes avaient construit deux robots en utilisant deux kits différents. Bien entendu, ces équipes ont réalisé les meilleures performances. Une réclamation a été déposée et les juges ont répondu que l’utilisation de plusieurs kits n’étant pas spécifiquement interdite dans le règlement, elle était par conséquent autorisée.

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6.2.2 Le règlement est suivi à la lettre Une attitude très prononcée Le Pew Research Center est un think tank (groupe de réflexion) américain indépendant et impartial qui fournit et publie des études sur des sujets relatifs aux attitudes et tendances qui influencent les États-Unis et le monde. Le Pew Research Center 23 a réalisé une étude sur le respect des règles dans différents pays. Les résultats sont présentés ci-dessous :

Japon

15,5

38,4

Allemagne

24

21,7

38,6

Angleterre

43,2

Suede

36,8

Etats-Unis

56,5

France 0%

46,1 51,7 36,1

23,5 29,3

25,7

Ne respecte pas la règle selon les circonstances Ne decide pas sur l'application ou non de la règle Respecte la règle en toute circonstance

38

22,3 16,3

27,2

Sans opinion

20% 40% 60% 80% 100% Figure 6.2 Respect des règles dans différents pays Source Pew Research Center

Cette étude est très intéressante dans la mesure où elle confirme qu’aux ÉtatsUnis, les exceptions à la règle ne seront considérées que dans 36,8  % des cas, et 56,5 % des cas en France. En France, nous disons bien souvent que : « L’exception confirme la règle. » Eh bien aux États-Unis, l’application de la règle est généralement de mise. Vous noterez que de ce point de vue, l’Allemagne et le Japon sont encore plus disciplinés. 23 Source “When China Rules The World” de Martin Jacques, Penguin Press, 2009 (page 61).



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Bien entendu, un Français pourra arguer que la limite de la règle est le libre arbitre et le bon sens, afin d’éviter des situations absurdes ou injustes. Il s’agit là d’une différence d’approche importante entre les cultures américaine et française. Argumenter sur ce type de sujet est généralement épineux et vous vaudra d’être qualifié d’individualiste, voire d’arrogant. En effet, il pourrait être perçu que vous remettez en cause le système… auquel ils croient. Aux États-Unis, les règles et leur respect sont considérés comme un gage d’impartialité et d’efficacité.

Des conséquences regrettables Il vous appartiendra d’accepter cette rigidité si ne voulez pas faire monter votre tension artérielle. Dans certaines situations, la règle est appliquée bien que les personnes qui l’appliquent sachent qu’elle est inappropriée. En d’autres termes, vous vous retrouverez dans des situations qui frisent le comique, sauf que c’est vous qui aurez à les subir. J’ai passé l’équivalence de mes diplômes français aux États-Unis. Bien que ces diplômes soient des certifications nationales délivrées par des ordres professionnels, j’ai dû suivre plusieurs cours de mise à niveau à l’université. Pour m’inscrire, il m’a été demandé des copies certifiées conformes par le ministère de l’Éducation nationale française de mes diplômes d’État. Je leur ai apporté l’original de mes diplômes mais cela n’était pas suffisant. J’ai argumenté que je souhaitais uniquement prendre des cours et ne me présentais à aucun diplôme universitaire, mais cela n’a fait aucune différence. J’ai donc perdu mon calme, ce qui n’a rien arrangé ! Les règles sont appliquées jusqu’à l’absurde avec des conséquences regrettables. Prenons les exemples suivants : –– Un homme attrapé lorsqu’il tente de voler un ordinateur est mené à l’arrière du magasin où il sort un revolver. Les quatre travailleurs qui l’on maîtrisé ont été licenciés car le règlement intérieur de la chaîne de magasin Wal-Mart stipule que les travailleurs ne pouvaient être impliqués dans des faits d’arme. Retenir un voleur armé n’est pas dans le règlement intérieur de Wal-Mart ! –– Une employée achète avec sa carte de réduction (réservée au personnel) pour environ 1 000 dollars de jouets qu’elle remet à un pompier volontaire qui organise une tombola pour récolter des fonds destinés à une bonne œuvre. En utilisant cette carte, la jeune femme a bénéficié d’une réduction de 108 dollars. Le magasin la menace d’une plainte pour vol, l’oblige à rembourser et la licencie. Utiliser la carte de réduction pour des bonnes œuvres n’est pas dans le règlement intérieur de Wal-Mart !

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–– Une plage divisée en plusieurs portions est surveillée par des sauveteurs. Thomas Lopez, l’un des sauveteurs, secourt un homme qui se trouvait dans une portion surveillée par un autre sauveteur. Thomas Lopes est licencié pour manque de responsabilité. Deux autres sauveteurs de la même plage qui ont protesté contre cette décision absurde de l’employeur sont également licenciés. Thomas Lopez a perdu son travail pour avoir sauvé un homme ! –– Accusée de terrorisme, une jeune fille a été débarquée en 2012 d’un avion de la compagnie Jetblue Airways à l’aéroport de Fort Lauderdale, en Floride. Elle se trouvait sur la liste des passagers indésirables, une liste noire comprenant des milliers de noms considérés comme pouvant porter atteinte à la sécurité des États-Unis. Cette dangereuse jeune fille n’avait en réalité que dix-huit mois. Elle voyageait avec ses parents qui ont pu descendre de l’avion pour rester avec leur fille. Aux États-Unis, on ne rigole pas avec la sécurité ! Pensez-vous que la proportion de « psychorigides » soit supérieure au pays des hamburgers ? Pas vraiment, il y a même fort à parier que les personnes qui ont fait appliquer ces règles n’en sont pas forcément fières. Elles auraient même pu envisager une exception au règlement. Mais elles ne l’ont pas fait. Les raisons pour lesquelles les règlements sont appliqués sont simples : –– L’employé qui ne fait pas appliquer les règles pourrait lui-même en subir les conséquences. C’est une chaîne de commande qui assure une exécution des taches conforme aux procédures. L’efficacité est définie par la standardisation des taches et des situations. Comment arrive-t-on à avoir un Big Mac identique de Pékin à San Francisco si ce n’est par le respect de normes et procédures strictes  ? Le règlement interne et son application reposent sur la même idée. On demande dans bien des cas à un employé d’exécuter des tâches, au sens littéral du terme. –– L’employé qui fait appliquer les règles n’a pas autorité pour les changer ou faire une exception. Ainsi, si vous vous trouvez dans une situation absurde, plutôt que de perdre patience, demandez à parler au manager qui, peut-être, aura l’autorité pour vous donner satisfaction. L’employé ne s’en offusquera pas, il sait qu’il ne peut déroger à la règle et sera même heureux de ne pas avoir à subir votre frustration. D’une manière générale, perdre son calme aux États-Unis détériore la situation car votre interlocuteur n’en sera pas impressionné et perdra toute envie de vous aider.



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6.3 L’exercice de l’autorité 6.3.1 Dépend de la structure Toute structure suppose l’existence d’un pouvoir, c’est-à-dire la mise en place de relations stables d’autorité. Cette autorité peut s’exercer sur les tâches (un subordonné dépend de plusieurs chefs compétents chacun dans leur spécialité), ou sur les personnes (c’est la position hiérarchique du chef).

Figure 6.3 Sergent instructeur de l’armée américaine Source Wikimedia Commons ©

L’autorité peut également être partagée entre une ligne hiérarchique investie d’un pouvoir général de commandement et une ligne de conseil formée de fonctionnels. Remarquons enfin que l’autorité peut apparaître d’un point de vue formel ou informel dans la structure de l’entreprise. Plusieurs types de structure peuvent être identifiés : –– La hiérarchie fonctionnelle, mise en place par l’américain Frederick Winslow Taylor (fin du XIXe siècle/début du XXe siècle), repose sur le principe de division fonctionnelle de l’autorité. Tout salarié dépend de plusieurs chefs, chacun n’ayant d’autorité que dans son domaine propre. Cette structure a pour avantage de favoriser la spécialisation, principe de base de la conception taylorienne. Elle pose cependant des problèmes de coordination des activités, elle peut également favoriser certains abandons de responsabilité, et constituer une source de conflits (multiples commandements).

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–– La hiérarchie linéaire, proposée par le Français Henri Fayol en réaction au modèle Taylorien, repose sur le principe d’unité du commandement (chaque salarié ne dépend que d’un seul chef). Le découpage des responsabilités peut se faire par fonction, par produit... La structure hiérarchique allie simplicité et clarté dans la définition des responsabilités. Elle freine cependant la circulation de l’information, et établit un cloisonnement entre les différents services, ce qui nuit à la coordination de l’entreprise. –– La structure staff and line, développée aux USA durant les années soixantedix, partage l’autorité entre les chefs opérationnels qui agissent, et les chefs fonctionnels qui conseillent et influencent. Elle tente donc de cumuler les avantages des deux structures précédentes en associant des organes hiérarchiques (line) à des organes fonctionnels (staff). Cette structure repose sur le principe d’unicité du commandement et sur la nécessité de recourir à des organes de conseil composés de spécialistes pour la préparation des décisions et le contrôle de leurs applications. Cette structure élève cependant les coûts de fonctionnement, et peut être à l’origine de conflits entre opérationnels et fonctionnels. Ces débats concernant la structure pour l’exercice de l’autorité et plus largement l’efficacité sont très ancrés aux États-Unis. Toutes les écoles sont représentées. Le choix de la structure est généralement justifié par la culture de l’entreprise, les conditions économiques ou encore les choix de structure organisationnels des compétiteurs. Dans de nombreux cas, et de manière cyclique, les entreprises américaines procèdent à des restructurations internes. Les types de structure dépendent également des phases économiques de l’entreprise (acquisition et croissance, consolidation, etc.). La structure est importante aux États-Unis, car elle définit le lien hiérarchique. Même si la hiérarchie est moins pyramidale et plus aplatie, le lien hiérarchique est crucial. En effet, le manager mesure la performance de l’employé et donc impacte sa rémunération (dont la variabilité peut-être importante) et son devenir. Dans ce cas, les Américains disent de leur manager qu’il est on the food chain, ce qui est une image de son autorité, en référence à la loi de la nature (les plus petits se font manger par les plus grands) sur le futur de l’employé. Vous entendrez parler de solid line ou dot line qui correspondent respectivement à un rattachement hiérarchique et à un rattachement fonctionnel. Toutefois, de nombreux conflits internes ont pour cause le rattachement hiérarchique afin de



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s’assurer du contrôle de l’employé ou de l’équipe concernée. Aux États-Unis, quelle que soit l’organisation mise en œuvre, celui qui contrôle la rémunération a autorité sur l’employé.

6.3.2 L’autorité formelle et les relations informelles L’autorité formelle est le résultat d’un processus décisionnel établissant une hiérarchie entre les différents services ou membres de l’organisation. Le travail au sein de l’entreprise est divisé, sa réalisation est effectuée par plusieurs services hiérarchisés dont les relations et actions doivent être coordonnées afin d’atteindre les objectifs de l’organisation. Même si l’organigramme constitue une description discutable de la structure de l’entreprise, il donne une image exacte de la division du travail (en postes) et du regroupement de ceux-ci, mais aussi du flux d’autorité reconnue. L’organisation informelle est rarement représentée par un organigramme ou un schéma, mais elle joue cependant un rôle important. Le sociogramme est une carte des communications et des réseaux d’influence au niveau de la structure d’une organisation. Il s’agit ainsi de prendre en compte les réseaux de relations informelles (discussions de couloir, intérêts partagés, etc.), les normes et les règles officieuses (habitudes de travail, culture d’entreprise), et les relations d’autorité non prévues (forte compétence ou personnalité d’un membre de l’organisation). Les relations informelles permettent une meilleure circulation de l’information et contribuent à rendre l’organisation plus performante en palliant les insuffisances de la structure formelle. Elles peuvent également prendre le pas sur la structure formelle et rendre l’organisation inefficace. Les relations informelles et les réseaux professionnels sont très importants. Il existe des soutiens qui se tissent au sein de l’entreprise (ou même entre entreprises) qu’il faut identifier et bien comprendre. Ce phénomène existe également au sein des entreprises françaises. Toutefois, aux États-Unis, il est exacerbé en raison de la précarité de l’emploi. Ainsi les employés tentent de se constituer une sorte de réseau de soutien ou d’entraide. Cette spécificité est à intégrer dans le processus de décision car les positions des différents intervenants dépendent aussi d’intérêts personnels directs et indirects.

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6.3.3 L’autorité s’exerce Aux États-Unis, l’autorité s’exerce tant pour régler un problème que pour montrer au reste de l’organisation sa capacité à régler un problème. L’autorité hiérarchique est associée à une responsabilité, celle de régler les problèmes que les employés n’ont pu résoudre eux-mêmes. La performance du manager sera donc en partie appréciée sur ce critère. Les décisions et leur application peuvent être fulgurantes. Cette situation est certes facilitée par un cadre législatif assez peu protecteur des salariés. Mais la précarité existant à tout niveau de la hiérarchie, si le problème n’est pas réglé promptement, le manager qui a laissé la situation se détériorer sera également sanctionné. En tant que Français, nous pouvons dans bien des cas être surpris, voire indigné par certaines décisions. Il faut comprendre que dans ce type de situation, la mise en œuvre et l’exécution des solutions choisies par le manager sont bien souvent perçues comme des actes de survie. Dans ces circonstances, les Américains ont une expression : « It is not personal, it’s just business. » (Ce n’est pas personnel mais seulement les affaires.) Il s’agit d’une manière de prendre de la distance vis-à-vis de la situation et surtout de l’aspect émotionnel des décisions. La vitesse de mise en œuvre des décisions peut surprendre également tant elle est rapide. Toutefois, dans le contexte, un problème non réglé qui persiste est perçu comme une incompétence de la part du manager et une perte d’efficacité de l’équipe. Les situations pouvant se dégrader très rapidement, les incidences en termes de rotation du personnel ou de satisfaction client peuvent rapidement être importantes. Donald Trump est l’un des milliardaires américains les plus médiatisés qui anima une émission sur une grande chaîne nationale mettant en compétition plusieurs équipes pour la réalisation d’un projet professionnel. À la fin de l’émission, l’un des équipiers de l’équipe perdante était exclu du jeu par Donald Trump qui, en le regardant droit dans les yeux, lui signifiait en disant froidement : « You are fired! » (Vous êtes viré.) La popularité de Donald Trump s’envola car de nombreux Américains appréciaient l’analyse impartiale faite, et la rapidité de la solution apportée. Cette décision était rendue nécessaire afin de mettre l’équipe perdante en position de gagner lors de la prochaine émission. En d’autres termes, on solutionne le



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problème en se séparant d’un des membres de l’équipe pour le bien collectif. Certes, il s’agit d’un reality show, mais cela est assez révélateur ! Un excès d’autorité sera autant sanctionné qu’un manque d’autorité. En effet, l’excès d’autorité aura pour conséquence de démotiver l’équipe et donc potentiellement d’en réduire la productivité et accroître l’éventuelle rotation de personnel. Bien entendu, l’autorité permet de limiter les contestations et dans certaines situations conjoncturelles (crise économique, bassin d’emploi, etc.) les effets des excès d’autorité seront grandement atténués. Si vous êtes fournisseur d’une entreprise américaine, vous n’aurez que très peu droit à l’erreur. Par exemple, j’avais comme client une chaîne de la grande distribution avec laquelle nous avions connu des problèmes de qualité. J’ai appelé l’acheteur pour m’excuser et lui assurer que ce type de problème ne se reproduirait plus. Il a compris la situation qui était exceptionnelle et involontaire mais a refusé de passer de nouvelles commandes. Il se justifia en invoquant le nombre de responsables de magasins mécontents qui l’avait contacté. Par conséquent, il ne souhaitait pas prendre le risque, vis-à-vis de ces clients internes, d’apparaître comme conciliant avec ses fournisseurs. Il est très important de faire en sorte qu’en tant qu’employé (ou fournisseur), votre manager ou votre client ne soit pas en mauvaise posture. Contrairement au contexte français, qui est différent, il aura assez peu de marge de manœuvre et devra donc agir en utilisant son autorité.

7 La négociation

La manière et les règles de négociation sont très liées à la culture d’un pays. L’ouverture du négociateur aux différences culturelles améliorera considérablement sa capacité à convaincre ses interlocuteurs. Les négociateurs poursuivent généralement des objectifs tant à titre individuel (mesure de leur performance) que collectif (intérêt de l’entreprise). Il existe une ambiguïté certaine entre le souci d’établir une relation commerciale équilibrée sur le moyen terme en aboutissant à un accord équitable. Et, d’autre part, la nécessité d’atteindre des objectifs de profitabilité à court terme. En France, les litiges commerciaux se gèrent généralement à l’amiable entre les parties. Aux États-Unis, les conflits sont portés devant les tribunaux. Ainsi, un des aspects très particulier de la négociation aux États-Unis réside dans la contractualisation à outrance et le rôle omniprésent des avocats.

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7.1 Principe du gagnant-gagnant 7.1.1 Un concept récent Deux Américains, Roger Fisher et William Ury, ont publié en 1981 un ouvrage intitulé Comment réussir en négociation (en anglais Getting to Yes) qui pose les bases de la négociation raisonnée plus connue sous l’appellation « gagnantegagnante  ». Roger Fisher et William Ury font partie du Harvard program on negotiation qui est un centre de recherche et d’enseignement de l’Université d’Harvard ayant pour objectif de développer et de faire connaître des méthodes éprouvées de négociation. Ils sont partis du constat que la négociation conventionnelle présente des limites, dont la principale est de sacrifier le long terme (la qualité de la relation entre les parties en présence) au profit d’un bénéfice de court terme (la maximisation des gains). D’autres problèmes peuvent être énoncés : –– Les rapports de forces et les techniques de négociation s’imposent aux dépens d’une analyse sur le fond du désaccord. –– L’accord est rarement satisfaisant pour toutes les parties en présence, ce qui crée des insatisfactions et parfois un esprit de revanche. –– Les solutions sont rarement originales, la recherche du court terme bloque l’imagination. Ainsi les accords font l’objet de renégociations à répétition. –– La complaisance ou la fermeté entraînent des réactions négatives en retour. –– Quand les parties en présence sont nombreuses, le jeu des alliances et des blocages compromettent le résultat. Ainsi, les relations entre les parties peuvent être durablement compromises. C’est ce qui a conduit de nombreux négociateurs à rechercher une alternative. Cette méthode ne vise pas à faire en sorte que chacune des parties en présence obtienne la complète satisfaction de ses revendications, mais plutôt qu’un accord jugé équitable par tous soit adopté sans avoir recours à des moyens de pression ou à des astuces particulières, au terme d’un processus d’écoute mené dans le respect des personnes. Il s’agit donc de rechercher un compromis situé à égale distance des attentes des parties en présence, qui respecte les besoins fondamentaux de chacun et qui préserve leur intégrité. Il s’agit donc plutôt d’une négociation « sans perdant ».



La négociation 133

Figure 7.1 Exemple d’une relation gagnante - gagnante photographie d’Alex Brollo Source Wikimedia Commons ©

7.1.2 Des principes simples basés sur le respect Ce type de négociation repose sur les principes suivants : –– Négocier à partir des intérêts, car ils sont le moteur silencieux de l’action. Il faut refuser de négocier sur les positions initiales (je veux…, je ne veux pas…), non pas en opposant une fin de non-recevoir, mais en tentant de les dépasser et d’identifier tant les intérêts des adversaires que les siens. Pour identifier les intérêts, il est nécessaire de décrire et d’analyser posément le problème, repérer les différents enjeux, analyser de manière objective les faits, vérifier les données. Pour cela, il existe des outils : l’écoute active et la reformulation. Il faut commencer par écouter son adversaire avec une volonté sincère de le comprendre (sans forcément adhérer à son argumentation), c’est-à-dire de se mettre à sa place et d’essayer de voir les choses comme il les voit. Durant cette phase d’écoute, il ne faut pas interrompre ni contredire l’autre, ne pas le juger ni minorer ses propos. Il faut en revanche l’inviter à expliciter son point de vue, à décrire sa situation, à préciser ce qui est important pour lui. Se mettre en capacité d’écoute permet de demander une attitude similaire de la part de son adversaire. –– Rechercher des solutions gagnant-gagnant suppose de ne pas remettre en cause les besoins exprimés par les autres parties, mais de les considérer comme légitimes (même si on ne les partage pas) et leur faire comprendre

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qu’on accepte ces besoins. En échange, on peut s’attendre à ce que ses propres besoins soient admis comme légitimes. Les solutions à rechercher doivent dépasser les revendications initiales de chacun et laisser place à l’imagination. Elles doivent satisfaire les intérêts fondamentaux de chacun. Les concessions éventuelles doivent être équilibrées pour que l’accord paraisse juste. Il faut finalement s’enquérir de la satisfaction de chacun envers l’accord obtenu. Une solution gagnant-gagnant, est un accord librement consenti et jugé équitable, et non pas un accord déséquilibré obtenu sous la pression. –– Considérer le conflit comme un problème à résoudre en coopération. Deux dimensions se superposent : le problème lui-même et les relations entre les individus. Il faut concentrer son énergie sur la résolution du problème et, pour cela, séparer le traitement du problème et les relations avec les personnes. Il convient de rechercher des issues non seulement pour soi mais aussi pour les autres. C’est la satisfaction de tous, et non pas seulement d’un seul, qui donnera de la force à l’accord. –– Être conciliant avec les personnes en étant ouvert aux logiques des autres parties et tenter de les comprendre. Pour ce faire, il faut s’informer sur leur situation et le contexte de leur action en les invitant à les décrire, éviter tout jugement hâtif, ne pas projeter ses propres préjugés et s’assurer d’avoir bien compris en reformulant leurs propos. Il faut reconnaître qu’il y a diverses formes de rationalité et diverses échelles de valeur, admettre que ce qui est important, c’est la perception de la réalité et non la réalité en soi, faire preuve d’empathie et de bienveillance envers les autres. Il est important de préserver l’amour-propre de l’autre et lui permettre de ne pas perdre la face.

7.1.3 Des pratiques variées Le gagnant-gagnant ne fonctionne qu’à deux conditions : chaque partie doit rentrer dans cette optique, et chacune doit y gagner quelque chose. Ce type d’approche fait parfaitement sens dans le cadre de négociations entre employeur et employé, ou entre différents services d’une même entreprise. Dans le cadre de la négociation commerciale, vous vous retrouverez dans des situations où la négociation raisonnée n’a pas cours (ou alors est utilisée de manière légèrement différente). Une des négociations les plus instructives à mener aux États-Unis est l’achat d’un véhicule. Les techniques de négociation sont très étudiées et reposent sur un principe assumé de rapport de force. Ainsi, la négociation prend plusieurs heures



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car à chaque demande le vendeur doit, soit disant, en référer à son manager ce qui prend du temps. L’idée est de vous faire perdre patience. Ensuite, les véhicules sont généralement suréquipés, par le concessionnaire, afin de vous faire monter en gamme et en prix. Les meilleures remises sont obtenues en fin de mois, car le commercial souhaitant atteindre ses objectifs de commission est plus enclin à faire des concessions. Ou mieux encore, en fin de trimestre civil, car les concessionnaires obtenant des fabricants des remises de volume vendront certains véhicules à bas prix afin d’atteindre ces objectifs trimestriels. En entreprise, si les rapports de force entre le client et le fournisseur sont a priori équilibrés, la règle générale sera la négociation raisonnée afin de préserver la relation à long terme. Mais s’agit-il d’une démarche volontaire et sincère, tel que décrite en 1981 par Roger Fisher et William Ury ? ou plutôt d’une manière de communiquer afin, in fine, de poursuivre des intérêts personnels ? Il faut se rappeler que de la Grande dépression de 1929 à la crise économique de 2008, les États-Unis ont évité les fluctuations économiques de grande ampleur. À la différence de la plupart des pays européens dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, les États-Unis n’ont pas connu un chômage se maintenant à un niveau élevé. Ainsi l’approche de la négociation raisonnée a été développée (en 1981) dans un contexte économique stable et plutôt favorable. Depuis, la crise économique a fait rage et les discussions sur le prix sont de plus en plus âpres rendant une négociation gagnant-gagnant de plus en plus difficile. Il est peut-être plus juste de dire que chaque partie essaie d’être gagnante à sa façon tout en faisant croire qu’elle a un intérêt partagé. Vos interlocuteurs américains seront pris entre l’envie d’établir une relation commerciale s’inscrivant dans le moyen et le long terme et la nécessité d’améliorer les résultats à court terme, qui sont généralement la base de leur bonus et de l’appréciation de leur performance.

7.2 Comment convaincre 7.2.1 Préjugés à éviter Nous sommes très exposés à une certaine culture américaine par les films, les séries TV et les informations politiques. Ces représentations américaines telles la série de l’inspecteur Harry (avec Clint Eastwood) sont aussi « vraies » – ou « fausses » – que celles de notre pays dans le film Le fabuleux destin d’Amélie Poulain.

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Figure 7.2 Marilyn Monroe dans les hommes préfèrent les blondes en 1953 Source Wikimedia Commons ©

Négocier avec un Américain présente un double piège potentiel. D’abord vous pouvez avoir la fausse impression de connaître sa culture, et il est susceptible de supposer que votre culture est identique à la sienne. Il nous faut prendre du recul et accepter de reconsidérer la question sans préjugé. Même si vous êtes très informé vis-à-vis des États-Unis, il y a de fortes chances pour que votre interlocuteur américain ne le soit pas concernant la France et il assumera que vous partagiez les mêmes codes. Les Français ont de nombreux codes forgés au cours de l’histoire, qui sont bien souvent implicites. A contrario, les Américains utilisent des codes plus directs et donc explicites. Il en est d’ailleurs de même de notre communication, en France les sous-entendus sont légion, aux États-Unis le mode direct est de mise.

7.2.2 Des différences d’approche Approche collaborative Les Américains font par nature confiance aux autres, vous pouvez le prendre pour de la naïveté, mais il n’en est rien. C’est une façon d’être, une ouverture d’esprit et une manière de vous donner votre chance. Dans ce contexte assez particulier, le partage d’informations dans le cadre d’une négociation prend tout son sens et représente la culture de la communication américaine qui privilégie le mode direct.



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Ainsi aux États-Unis, un client ou un fournisseur expliquera vraisemblablement ouvertement ses objectifs et sa position actuelle, voire comment vous pouvez l’aider à atteindre les premiers et améliorer la seconde. Vous resterez peut-être perplexe devant tant de franchise et pourriez penser que votre interlocuteur essaie soit de vous piéger soit de vous prendre pour un simple d’esprit. Il n’en est rien, il essaie au contraire, en se dévoilant, de mener avec vous une négociation gagnant-gagnant. Il vous donne une occasion de l’aider, et donc d’ouvrir positivement les négociations. A contrario, en France, nous avançons plutôt pas à pas et ne nous découvrons que progressivement. Cette attitude qui prend son sens dans un cadre français peut au contraire agacer vos interlocuteurs américains qui considéreront peutêtre que vous ne participez pas à la recherche de solution. Par conséquent, ne soyez pas étonnés par une entrée en matière rapide, il s’agit de mettre sur la table les problématiques afin d’entamer dans les plus brefs délais l’élaboration des solutions. Cette approche collaborative se pratique de longue date. Pour l’illustrer, prenons l’exemple de la négociation, en 2000, entre Wal-Mart et Rubbermaid. Wal-Mart (leader mondial de la grande distribution) a la réputation de négocier avec ses fournisseurs des contrats dont les volumes sont importants, et les marges faibles. Lorsque le prix du pétrole a commencé à grimper en flèche au printemps 2000, les faibles marges de Rubbermaid (un des leaders des produits d’entretien) sont devenues nulles voire négatives en raison de la hausse du 24 coût des matières premières. Rubbermaid renégocia son contrat avec WalMart en présentant une demande rationnelle supportée par des faits. Wal-Mart accepta d’augmenter les prix de détail des produits Rubbermaid, cependant il enleva aux produits Rubbermaid leur position dominante dans les magasins et les remplaça par les produits d’un compétiteur.

Approche directe La démarche américaine pour évaluer un produit ou une solution est résumée par la formule suivante : « What does it do for me?  » (Qu’est-ce que cela m’apporte ?) C’est une approche à connotation individuelle, très pragmatique et directe qui peut être estimée à différents niveaux (monétaire, avantage compétitif, intérêt immédiat ou différé, impact direct ou indirect, etc.).

24 New York Times, 2000.

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Il est préférable d’utiliser une argumentation basée sur votre compréhension de la situation et des faits. Cette approche a l’avantage de rallier (ou pas) votre interlocuteur à votre vision et de l’amener à faire des concessions. En fait, vous apportez à la partie adverse des raisons de faire des concessions. Il n’est donc pas nécessaire de noyer ses interlocuteurs sous les détails, mais de pouvoir répondre à cette question. Un pitch (texte court et simple) sera plus efficace. Si, par exemple, dans le cadre d’un contrat avec un producteur, des problèmes de qualité sont connus avant que la livraison intervienne, un Américain abordera le sujet de manière très directe (« Et si on en parlait ? ») afin que le problème soit réglé dans les plus brefs délais. La culture américaine individualiste encourage à faire passer les intérêts personnels en priorité, et à agir rapidement pour remédier à des situations qui menacent les résultats espérés. L’inconvénient avec l’approche directe est qu’elle transforme rapidement la discussion en reproches et donc le problème peut s’élargir en prenant une dimension personnelle. Si vous utilisez ce mode direct, il vous appartiendra de choisir une communication appropriée afin de préserver vos relations avec votre interlocuteur. À l’inverse, si des Américains utilisent avec vous une approche directe, n’en soyez pas offusqué. C’est dans ces situations, qui peuvent être assez cinglantes, que l’expression américaine « It is not personal it’s just business » trouve tout son sens. Dans un cadre professionnel, les Américains sont très détachés de l’affectif et de l’émotionnel. Cette attitude est considérée comme du professionnalisme. Cela peut créer des situations déroutantes pour un Français issu d’une culture plus latine. Toutefois, si un Américain utilise une approche directe envers vous, il s’attend à ce que vous répondiez sur les faits sans signe d’humeur particulier. Concentrez-vous sur le fond même si la forme peut laisser à désirer.

Approche pratique Généralement, les priorités sont également différentes. Les Américains sont pratiques avant tout. Ils se concentrent sur l’intérêt du produit ou du service du point de vue du consommateur. L’un des exemples les plus marquants est la stratégie de Steve Jobs qui souhaitait rendre intuitive l’utilisation des produits Apple, vendus sans notice d’emploi. Ils seront également très attentifs aux tâches de mise en œuvre et à leur faisabilité.



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Figure 7.3 Image de Mathieu Riedle (CC-B4) Source Wikimedia Commons ©

L’exécution est très importante car un produit, même technologiquement avancé, qui n’est pas de qualité ou qui n’est pas livré en temps et en heure peut créer l’insatisfaction au niveau du client final. La dernière chose que votre interlocuteur sera enclin à accepter, c’est un potentiel impacté sur son client, ou encore, sur sa réputation d’acheteur au sein de l’entreprise. Les Français ont plutôt tendance à voir les détails dans un second temps, lorsque les principes fondateurs ont été mis en place. La mise en œuvre est bien souvent considérée comme du détail. Les pressions et incitations à la performance sont différentes. Un des charmes de la relation d’affaires aux États-Unis est la vitesse de décision et la taille des contrats pouvant être passés. Là où un Européen testera un nouveau produit pendant un an avant d’en acheter un second, l’Américain mis en confiance est capable de passer une énorme commande car, par définition, « time is money », et le marché intérieur, complètement intégré, est gigantesque. La démonstration par l’exemple est répandue aux États-Unis. Ainsi, votre client acceptera assez facilement de faire un essai sur un périmètre restreint qu’il peut contrôler et dont les résultats sont mesurables. Si les résultats sont concluants, un déploiement à grande échelle de votre produit ou de votre service sera envisagé. Le respect de vos engagements concernant la qualité et le délai de livraison est essentiel pour pouvoir prétendre au « rêve américain » !

7.3 Le temps Le temps c’est de l’argent, traduction du proverbe anglais : « Time is money », caractérise assez exactement l’activité dévorante du peuple américain.

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Figure 7.4 Devant l’impossibilité d’arrêter le temps Source Wikimedia Commons ©

On rencontre déjà cette maxime dans un écrit de Benjamin Franklin (1706-1790) intitulé Conseils à un jeune artisan (1748). « N’oubliez pas, disait ce sage, que le temps est de l’argent (« Remember that time is money »). Celui qui dans un jour peut gagner dix schellings par son travail et qui va se promener ou qui reste oisif la moitié de la journée, quoiqu’il ne dépense que six sous durant le temps de sa promenade ou de son oisiveté, ne doit pas compter cette seule dépense  ; il a réellement dépensé ou plutôt prodigué cinq schellings de plus. »

7.3.1 Pas de perte de temps Lors d’une négociation, les Américains essaieront au début de la réunion, ou lors d’une pause, de passer un peu de temps pour mieux vous connaître. L’idée est de trouver des points communs pouvant ensuite être utilisés pendant la négociation comme éléments modérateurs. Vous devrez vous mettre en position d’écoute pour comprendre comment votre client fonctionne et essayer d’identifier ses motivations personnelles. Ces quelques minutes seront précieuses et généralement très fructueuses car la communication sera informelle. Dans bien des cas, lors de ces discussions en aparté, des messages importants vous seront délivrés, généralement de manière intentionnelle. Quoi qu’il en soit, vous apprendrez à mieux connaître votre client et il appréciera que vous en fassiez l’effort.



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Vous pourriez être surpris par l’usage du temps lors d’une négociation aux ÉtatsUnis. Ces techniques sont très éprouvées et on laissera rarement le temps au temps. La perte de temps n’est pas une pratique, le temps est toujours utilisé dans un but précis. Si vous avez une impression de perte de temps, observez attentivement la situation, car il est probable que quelque chose vous échappe.

7.3.2 Un moyen de pression Dans certains cas, on vous laissera une quinzaine de minutes pour votre pitch (accroche commerciale). En vous mettant sous contrainte de temps, on espère que vous irez droit à l’essentiel et que vous débuterez votre négociation avec des objectifs revus à la baisse afin «  d’accrocher  » votre interlocuteur. Vous vous rendrez compte que cette contrainte de temps si importante initialement, pourra ne plus être évoquée par la suite. Cette approche est généralement utilisée lorsque les rapports de force sont déséquilibrés entre fournisseurs et clients. Bien entendu, nous pouvons citer l’exemple de la grande distribution, toutefois à cet égard les techniques utilisées en France sont peut-être encore plus agressives qu’aux États-Unis. Le temps est souvent utilisé comme un moyen de pression pour arriver à des concessions et un accord. Il existe des situations dans lesquelles les parties sont sous la même contrainte de temps (deadline), dans ce cas le négociateur avec le plus grand pouvoir, c’est-à-dire le plus grand nombre d’options alternatives, aura un avantage. La partie qui a le moins d’options aura intérêt à négocier en avance afin de ne pas se retrouver sous la contrainte du temps. Les Américains sont très aguerris à ce type de négociations. Par exemple, si vous devez prendre un avion à 6 heures du soir, ne l’annoncez pas ou pondérez cette contrainte par la possibilité de prendre le prochain vol. À moins que vous ne souhaitiez mettre sous contrainte de temps la partie adverse. Si vous voyagez, votre interlocuteur vous demandera l’heure de départ de votre avion. À défaut d’une certaine souplesse affichée, vous pourriez être amené à faire des concessions de dernière minute que vous n’aviez pas envisagées initialement. Si vous vous retrouvez sous la pression du temps, vos interlocuteurs américains vont s’attacher à des détails afin de vous faire perdre votre temps et que l’essentiel soit traité en fin de réunion, lorsque vous serez sur le point de conclure et donc plus vulnérable. De nombreuses études montrent que l’essentiel des

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concessions sont obtenues en fin de meeting. Certains s’aventurent même à énoncer une « loi » des 20/80 où 80 % des concessions seraient obtenues dans les 20 % du temps en fin de négociation. D’autres énoncent une loi de 10/90, selon laquelle 90 % du temps de la négociation est consacré à des aspects mineurs représentant 10 % de l’accord. Ces règles n’ont pas réellement d’importance, il faut par contre bien comprendre l’enjeu de la gestion du temps. Une manière assez simple de gérer ce paramètre est d’établir un ordre du jour partagé par l’ensemble des parties et organisé selon l’importance des sujets. Il vous appartient ensuite, si vous ne souhaitez pas communiquer sur l’allocation du temps de la réunion, de fixer pour vousmême des plages de temps pour aborder chacun des sujets. Contrairement à ce que l’on peut penser, tout se négocie aux États-Unis. Il suffit de demander, le seul risque que vous prendrez est que l’on vous dise non. Aux États-Unis, un certain nombre de négociations dans la vie courante sont très formatrices quant à la gestion du temps. Nous pouvons citer par exemple l’achat d’un véhicule, d’une literie (dans les grandes chaînes nationales) ou enfin d’un forfait pour un téléphone mobile. Dans tous ces cas de figure, le vendeur essaiera de vous mettre sous pression en terme de temps en vous faisant croire que l’offre « exceptionnelle » qu’il vous fait n’est que temporaire.

7.3.3 L’importance du temps La question est de savoir pourquoi cette dimension est si importante aux ÉtatsUnis. Plusieurs raisons peuvent être évoquées : –– Il existe une incompressible perte de temps en début de négociation, il s’agit d’une phase d’observation (un tour de chauffe) pendant laquelle les parties vont tenter d’aborder des sujets d’accord, afin d’établir une ambiance détendue et collaborative nécessaire pour aborder les vrais sujets de désaccord. –– Afin de trouver une solution, les parties doivent parfois accepter de modifier leur position. Le changement et l’acceptation prennent un certain temps qu’il faut respecter afin d’obtenir un consentement durable. Les susceptibilités doivent également être ménagées dans ce cas de figure, il faut donc donner le temps au temps pour obtenir des concessions. Par ailleurs, une concession accordée trop rapidement n’est pas forcément valorisée par la partie adverse. Il existe une corrélation entre le temps nécessaire à la concession et son importance.



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–– Mener une négociation est un investissement en temps au niveau personnel et au niveau de l’entreprise. Par conséquent, quitter la table des négociations sans accord peut être considéré comme un échec. Un bon négociateur est une personne qui obtient un accord favorable dans la majeure partie des cas. Ne pas conclure diminue la performance du négociateur. Bien entendu, cela peut arriver de temps à autre, mais un négociateur qui se montre inflexible ou incapable d’amener l’autre partie à la raison n’a pas forcément un grand avenir. Ainsi, les négociateurs utilisant cette dimension temps ont également, in fine, un intérêt commun à conclure un accord. Le temps est une dimension très importante dans le cadre de la négociation, c’est presque un rituel. Si vous apprenez à en jouer selon les règles américaines, vous aurez de fortes chances d’attirer la sympathie de vos interlocuteurs qui d’une part apprécieront que vous ayez fait l’effort de comprendre la situation culturelle, et, d’autre part, auront un certain plaisir à négocier avec vous. La négociation, comme toute chose, comprend une part de séduction. En négociation, l’expression « time is money » trouve tout son sens !

7.4 Le contrat Dans bien des cas, la négociation aux États-Unis (comme en France) se concrétise par la signature d’un contrat. Le parallèle s’arrête là, car la contractualisation est très différente. Rappelez-vous, comme règle générale, que tout ce qui n’est pas interdit est autorisé. Par conséquent, aux États-Unis si les choses semblent être évidentes, n’hésitez toutefois pas à les écrire. Concernant le contrat de travail, la législation européenne fait obligation d’un contrat écrit. Mais en France, il est admis que le premier bulletin de salaire en fasse office (sauf pour les contrats à durée déterminée ou à temps partiel). Aux États-Unis, historiquement, l’emploi est gouverné par la doctrine du atwill employment. Cette doctrine toujours en vigueur dans de nombreux États considère qu’à moins de dispositions expressément contraires incluses dans le contrat de travail, l’employeur ou l’employé peut mettre fin à tout moment au contrat, sans avoir à en justifier la raison. La notion de contrat à durée indéterminée est par conséquent quasi inexistante dans le secteur privé américain (elle existe à l’Université pour les professeurs titulaires, sous le nom

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de tenure). Des contrats de travail sont négociés pour les cadres dirigeants, notamment concernant les éléments de la rémunération (dont la variabilité peut être importante), les conditions de départ (notion de golden parachute) et la clause de non-concurrence. Par conséquent, nous n’évoquerons que les contrats commerciaux.

Figure 7.5 Signature en 1919 du contrat United Artists avec Charles Spencer Chaplin (assis) et Douglas Fairbanks (debout à droite) Source Wikimedia Commons ©

7.4.1 Négociation des contrats Les juristes américains sont habitués à rédiger des contrats détaillés et complets où les obligations respectives des parties sont déterminées avec précision. Cette approche permet en cas de litige de ne laisser, a priori, aucune place à l’interprétation. Bien entendu, il est impossible d’imaginer contractuellement toutes les situations. Ainsi, un contrat aux États-Unis doit être rédigé de sorte que les parties, le juge ou l’arbitre puissent le comprendre et l’interpréter facilement en cas de litige. Ceci est d’autant plus important que les cocontractants américains n’hésitent pas à aller devant le tribunal s’ils doivent régler un différend. Contrairement à la France, le système judiciaire américain permet une indemnisation assez proche du préjudice subi.



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Quel que soit le type de contrat, il est fortement recommandé de se faire assister d’un avocat. Les avocats d’ailleurs interviennent très en amont dans le processus de négociation. Si en France ils formalisent l’accord, aux États-Unis ils participent aux négociations. Bien entendu, il s’agit d’un coût non négligeable qu’il faut prévoir dans son budget. N’hésitez pas à demander à votre ou à vos avocats un devis à l’avance afin d’éviter toute mauvaise surprise. Les honoraires d’avocats, comme toute autre chose, se négocient. Dans certains cas, les avocats et leur volonté de couvrir leur client dans le maximum de situations créent une ambiance de négociations peu propice à un accord durable. En effet, ils auront une tendance naturelle à envisager l’ensemble des situations pouvant remettre en cause la bonne exécution du contrat. Ceci crée une ambiance négative dans le cadre de la négociation, car il est rare qu’un avocat soit désavoué par son client. Par ailleurs, la partie adverse peut utiliser les arguments juridiques extrêmes de son avocat pour monnayer des contreparties et concessions ou encore vous faire supporter une part importante des risques liés au contrat. Enfin, les honoraires étant substantiels, les avocats doivent les justifier et se montrer intraitables au risque de faire échouer la négociation. La signature d’un contrat est généralement une seconde négociation. Vous vous mettez d’accord sur une base commerciale, mais sa réalisation explicitée dans le contrat peut réduire votre intérêt pour l’accord commercial négocié, voire vous faire quitter la table des négociations. Tant qu’un contrat n’est pas signé en bonne et due forme, la négociation n’est pas close. Les avocats de la partie adverse ne s’attacheront pas aux aspects commerciaux (le prix, les quantités, etc.) mais aux risques supportés par leur client, qu’ils essaieront de vous transférer. Par exemple, dans le cadre de la négociation d’un contrat de distribution, l’avocat du distributeur avait défini la notion de cas de force majeure de manière très large en incluant par exemple «  la grève, le manque d’effectifs, le manque d’équipements, le manque de fournitures, l’insuffisance de moyen de transport ». Dans ce type de situation, soit effectivement l’avocat est très pointilleux alors même que le cas de force majeure est très bien décrit tant dans le droit français que dans le droit américain, soit il s’agit d’un leurre afin que vous vous épuisiez en négociations vaines au lieu de vous concentrer sur les points essentiels. Dans ce type de situation, vous obtiendrez probablement gain de cause, mais la

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partie adverse vous aura fait perdre un temps précieux et vous fera remarquer qu’il s’agit d’une concession importante (bien qu’anticipée et prévue). Bien entendu, il n’est pas possible de faire des généralités, mais si le projet de contrat est établi par la partie adverse, sa lecture vous donnera une indication de leur intention de négocier qui sera d’autant plus importante que le contrat sera déséquilibré. Il est généralement prudent de se garder une marge de manœuvre en termes de concession pour aborder sereinement cette dernière ligne droite. Bien entendu, comme en France, le rédacteur du contrat dispose d’un avantage certain.

7.4.2 Aspects particuliers des contrats Les contrats types sont peu utilisés aux États-Unis dans la mesure où chaque contrat doit prendre en compte les données propres de la transaction envisagée. En effet, en cas de problèmes d’interprétation ou d’exécution, un contrat mal adapté est en général source de difficultés. Ainsi, une attention toute particulière doit être apportée aux contrats dits « standard » car s’ils sont standards pour la partie qui vous le propose c’est que dans bien des cas, il est à leur avantage. Lorsque vous lisez un contrat, prêtez attention aux définitions qui apparaissent le plus souvent au début ou à la fin du contrat, dont l’objectif est de clarifier. Il en est de même, par exemple, pour les clauses relatives au droit applicable (droit français, droit d’un État américain dans la mesure où le domaine des contrats est régi par le droit étatique) et à la résolution des litiges (tribunaux ou arbitrage). Dans le cadre des contrats commerciaux, il est impossible d’être exhaustif tant les possibilités sont grandes. Toutefois, les particularités des contrats les plus courants peuvent être abordées. Il ne s’agit pas d’une revue juridique, mais des quelques conseils pratiques à considérer avec vos conseillers. Le contrat de vente dans lequel l’exportateur (la société française) n’a pas toujours le contrôle de la négociation. Par exemple, les grandes sociétés de distribution américaines imposent en général leurs conditions générales d’achat qu’il convient d’examiner avec le plus grand soin. Le fabricant français désireux d’exporter aux États-Unis doit notamment veiller à aménager contractuellement sa responsabilité en incluant des clauses limitatives de garantie ainsi que des clauses limitatives, voire exclusives, de responsabilité. Soyez vigilant vis-à-vis de ces aspects et ayez à l’esprit les indemnités parfois pharaoniques accordées par les tribunaux américains.



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Le contrat de représentation et de distribution pour lequel une attention particulière doit être portée aux dispositions relatives aux droits de propriété intellectuelle. En particulier, l’entreprise française doit absolument éviter d’autoriser son représentant ou son distributeur à enregistrer sa ou ses marques aux États-Unis. Le contrat peut en revanche prévoir une licence de la marque détenue aux États-Unis par l’entreprise française. Il s’agit d’un problème assez classique de protection des marques, et les Américains prêtent une attention toute particulière à ces sujets. Le contrat de licence pour lequel il est utile de rappeler que, pour conférer une licence d’un droit de propriété intellectuelle aux États-Unis, il faut avoir préalablement acquis ce droit aux États-Unis. Ainsi, une marque enregistrée en France doit aussi l’être aux États-Unis. Dans bien des cas, les grandes chaînes de distribution (alimentaires ou spécialisées) demanderont à un fabricant de produire une ligne de produits dédiés sous une marque dédiée. Il s’agit d’un private label. Dans ce cas, il est important pour le fabricant d’être détenteur de la marque en l’enregistrant. Cet aspect particulier fera sans aucun doute l’objet de négociations acharnées, car il influence les rapports de force à moyen terme entre producteur et distributeur.

8 Les clichés Il est toujours intéressant de comprendre les perceptions. À ce genre d’exercice, dans un sens ou dans l’autre, se mêlent beaucoup d’idées reçues, d’images d’Épinal, de fantasmes, de ce que l’on voudrait être, de ce que l’on ne voudrait pas être… C’est intéressant, mais aussi un peu déstabilisant. On voudrait parfois éviter certaines remarques sur nos travers. Dans d’autres cas, on aimerait argumenter ou nuancer. Quoi qu’il en soit, cela donne une parcelle de vérité qu’il faut considérer, et même s’il s’agit d’une fausse idée, il convient de la prendre en considération car votre interlocuteur croit que ce cliché est fondé. Certaines idées ou plutôt clichés ont la vie dure. Lorsque vous décidez de travailler ou de commercer dans un pays étranger, il faut bien entendu comprendre autant que possible les différences culturelles et d’approche. Mais il faut également avoir conscience de la manière dont vos interlocuteurs vous perçoivent. Il s’agit d’une notion bien plus suggestive qui peut heurter certains, car pour ce faire la généralisation doit être utilisée.

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Figure 7.6 The Terrace de Brett Jordan et David MacDonald Source Wikimedia Commons ©

Sans nul doute, la généralisation est la science des imbéciles qui pousse aux exclusions, au racisme et à la peur de l’autre. L’objet ici est de décrire certains ressentis de part et d’autre et surtout d’offrir une des explications possibles à leur origine et la manière de rassurer votre interlocuteur. Il ne s’agit pas de changer ce que l’on est, mais bien plus d’avoir conscience d’un certain nombre de sensibilités afin de ménager vos interlocuteurs américains ou du moins de minimiser les faux pas involontaires. Comme disait Albert Einstein : « Il est plus facile de désintégrer un atome qu’un préjugé. » En aucune manière, il n’est question de porter un jugement car c’est la différence qui fait la richesse de l’expérience.

8.1 Clichés sur les Américains Les États-Unis sont et restent pour les Français l’espoir d’une réussite ou d’un accomplissement. L’Amérique évoque les grands espaces, la démesure et un mode de vie confortable. Nous avons été bercés par le rock’n’roll américain



Les clichés 151

et les grandes productions hollywoodiennes. Lorsque vous visitez pour la première fois New York, vous avez cette impression bizarre de vous promener dans un décor de cinéma à ciel ouvert. Il en sera de même pour les grandes villes américaines (Boston, Washington, etc.) ou encore lorsque vous explorez le pays en voiture. Si vous visitez l’Utah (qui est un État somptueux et terre d’élection des Mormons), vous croirez revivre les grands westerns américains avec John Wayne !

Figure 7.7 Drive in au Wisconsin Source Wikimedia Commons ©

Bien que la France soit un pays de grande gastronomie, les Français sont les deuxièmes plus grands consommateurs de hamburgers en Europe25. Certes, un bon hamburger est appréciable, mais il faut avoir vécu hors de France pour réaliser qu’un sandwich « saucisson sec, beurre, cornichon » dans une baguette fraîche n’a pas son pareil. Bien que la France soit un haut lieu de la mode, le style décontracté (sportswear) est essentiellement inspiré des États-Unis (jeans, chaussure de sport, style californien, etc.). Le mode de vie américain fascine en France. La France n’est pas une exception en la matière. Les Chinois dont la culture, la tradition et l’art de vivre sont très différents et raffinés prennent également l’Amérique comme modèle en termes de mode de vie. Vous auriez pu penser que l’Europe de par sa diversité, et son histoire pourrait constituer un modèle de mode de vie occidentale mieux approprié pour la Chine. Eh bien non, j’avais posé cette question à un éminent économiste chinois qui m’avait simplement répondu que tout le monde souhaitait 25 Express le 18/7/2012.

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vivre comme un Américain ! Plutôt court comme réponse et argumentaire, mais cela illustre bien le pouvoir des clichés. Les États-Unis sont gigantesques, avec des différences culturelles très marquées entre les côtes (la côte Est étant très différente de la côte Ouest), le Sud et le Nord, les États du centre et leurs grands espaces qui ne peuvent pas être comparés aux États du Massachussetts ou de la Californie… Si les clichés sont très simplificateurs, les Français ne font aucune distinction selon les régions, à part peut-être la Californie, New York et le Texas. Ils ont généralement des points de repère assez succincts concernant des États-Unis. Ainsi, New York est associée à Wall Street et donc à la finance, Chicago à la prohibition notamment à cause d’Al Capone alors que c’est avant tout un des berceaux de la révolution industrielle, San Francisco à l’informatique à cause de la Silicon Valley, Los Angeles au septième art, et Dallas au pétrole à cause de la série télévisée Dallas alors qu’en fait Houston est la ville de la pétrochimie. Les États-Unis sont vastes comme un continent constitué d’un patchwork culturel et historique très varié. Il n’est pas question d’en connaître les infinies subtilités, mais uniquement d’en avoir conscience afin de prendre un certain recul par rapport aux idées reçues. Généralement, les Français prennent les Américains pour des personnes au revenu très confortable. D’où l’expression de prendre quelqu’un pour un « Américain ». Et, par extrapolation, les Français vivant aux États-Unis pour des « oncles d’Amérique ».

8.1.1 Superficiels Les Américains ont une culture du relationnel très développée. Ils feront en sorte que leurs relations quotidiennes soient cordiales. Ainsi, il est d’usage de saluer ses voisins et d’échanger quelques phrases. Il n’est pas rare que des personnes dans la rue vous demandent comment vous allez ou vous souhaitent une bonne journée. Lorsqu’un piéton souhaite traverser, vous vous arrêtez, non pas au dernier moment, mais suffisamment en avance pour ne pas l’effrayer. Le piéton traverse et vous remerciera de la main, par un signe de la tête ou par un sourire. Bien entendu, il existe de nombreuses nuances, ainsi les New-Yorkais sont réputés pour être plutôt impolis alors que les habitants des États du sud pour être plutôt accueillants. Vous pourriez faire exactement la même remarque concernant la France entre les Parisiens et les habitants de la côte méditerranéenne.



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Ces petits détails et attentions font partie du savoir-vivre américain. Les entreprises d’une certaine taille emploient une hôtesse d’accueil. La majeure partie des Américains, en arrivant le matin, dira bonjour à cette employée en l’appelant par son prénom. Vous avez vu ce type de scène des dizaines de fois dans des films américains. Pensez-vous qu’il en soit de même en France ? Les Américains ont cette capacité incroyable de se rappeler des prénoms de leurs interlocuteurs. Ainsi, ne soyez pas surpris si lors de votre première rencontre, ils vous font répéter votre prénom et nom de famille et le prononcent éventuellement eux-mêmes afin de s’assurer qu’ils vous comprennent bien. Faites de même et mémorisez leur nom et surtout leur prénom car lors de votre deuxième rencontre, ils vous accueilleront en prononçant parfaitement votre nom et prénom (selon le type de relation professionnelle que vous aurez). Le plus étonnant est que plusieurs mois (voire des années) après, s’ils vous les croisent dans la rue, ils vous appelleront par votre prénom ! C’est une manière de personnaliser les relations et surtout de montrer que vous êtes important, c’est une des facettes de la culture relationnelle américaine. Vous n’êtes pas amis pour autant, mais cela permet de réduire les distances conventionnelles jugées dans bien des cas inutiles aux États-Unis. Dans le cadre professionnel, les Américains n’hésitent pas à partager certains aspects de leur vie privée. En France, on pourrait considérer que ces relations sont une preuve d’amitié, aux États-Unis il n’en est rien, c’est juste une forme d’accessibilité et d’ouverture. Il est commun aux États-Unis de côtoyer ses relations professionnelles le week-end avec conjoint et enfants. La séparation entre vie professionnelle et vie privée n’est pas aussi étanche. Cette démarche permet aux Américains d’apprendre à mieux se connaître dans un contexte extraprofessionnel afin de mieux aborder et surmonter d’éventuelles difficultés professionnelles. Les Américains parlent généralement d’activités de team building ou de networking. Parfois, certains Français considèrent que cette façon d’être est superficielle et donc que les Américains sont superficiels. Créer une réelle amitié avec un Américain comme avec un Français prend bien plus de temps. Il est vrai que saluer son voisin est superficiel, mais il s’agit d’une relation cordiale. Est-il nécessaire de rendre les choses difficiles, voire impersonnelles lorsque cela n’est pas nécessaire ? Il convient de prêter attention et de respecter ces codes de vie informels, car les Américains y sont très attachés. Il ne s’agit pas d’établir des relations d’amitié mais plutôt des relations cordiales. Par ailleurs, il est très agréable d’être agréable !

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Les Américains cultivent une certaine harmonie relationnelle. Il s’agit d’un mode de vie ancré profondément dans la société américaine. Prenez par exemple les lotissements types aux États-Unis. Les jardins ne sont généralement pas clôturés et chacun entretient le sien avec soin. Dans bien des cas, la partie du jardin donnant sur rue est mieux entretenue que celle à l’arrière de la maison. Vos voisins n’hésiteront pas à vous féliciter et vous diront combien il est agréable pour eux de voir votre jardin. Des jardins entretenus et agréables augmentent indéniablement la valeur de chaque maison car cela crée un voisinage plus agréable et convivial. J’ai eu un grave accident aux États-Unis et ai failli perdre ma main gauche en essayant de bâtir avec mon fils une cabane perchée dans un arbre. Quelques semaines après ma première opération, une Américaine que je connaissais à peine me contacte et me propose que son mari et ses amis viennent finir la cabane que j’avais commencée. Elle m’explique au téléphone que la vie se poursuit, et que la cabane, si je le décidais, pouvait être terminée. Elle m’indique également que la promesse que j’avais faite à mon fils devait être tenue. Je n’ai pas voulu que quelqu’un d’autre finisse ce projet que je voulais finir moi-même avec mon fils. Nous n’avons jamais construit cette cabane mais avons posé une tyrolienne. Mais ce jour-là, cette femme que je connaissais à peine, m’a fait une offre d’une générosité et d’une spontanéité incroyables. Aucun des Français dont je pensais être l’ami, et que je côtoyais régulièrement en famille, n’a eu ce type d’attention. Pour être tout à fait honnête, j’ai très vite compris que mon seul point commun avec ces Français était de vivre aux ÉtatsUnis. Bien évidemment, il ne s’agit que d’une expérience personnelle dans des conditions particulières. Toutefois, les expériences difficiles vous permettent d’acquérir un regard plus exacerbé et de prendre un certain recul. Dans le cas présent, j’utilise mon vécu afin de contrebalancer un tant soit peu, un cliché trop répandu quant aux relations superficielles qu’entretiennent les Américains. Donc effectivement, l’attitude des Américains peut paraître superficielle, mais ce jugement hâtif relève d’une incompréhension, voire d’une méconnaissance de leur mode de vie en société. Par ailleurs, dans bien des cas, vous pourriez être surpris par leurs sollicitudes et leurs attentions. De nombreux Français ont eu à rentrer en France suite à un deuil dans leur famille. À leur retour, le perron de leur maison était jonché de plantes vertes déposées par leurs voisins. En effet, il est d’usage aux États-Unis d’offrir une plante verte en signe de compassion et de soutien moral.



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Là encore, parler des Américains dans leur ensemble est très réducteur et approximatif. La proportion de personnes bien intentionnées est probablement identique de chaque côté de l’Atlantique, les codes sociétaux et la manière de l’exprimer sont juste différents.

8.1.2 Peu cultivés Bien souvent, les Français reprochent aux Américains de ne pas être très cultivés. Il existe de nombreux reportages ou sondages illustrant le peu de culture générale des Américains. Un reportage d’ABC, Stupid in America 26 rappelait que les élèves américains âgés de quinze ans n’étaient classés qu’au vingt-cinquième rang dans un classement des quarante pays les plus industrialisés. Selon un sondage Gallup de 1999, un cinquième des sondés n’avait aucune idée de quel pays les États-Unis s’étaient émancipés au cours de la Révolution américaine. Il est clair que le niveau de culture générale des Américains est en moyenne plus faible qu’en France. Cette situation est probablement due aux programmes scolaires. Rappelez-vous que l’équivalent du baccalauréat (le SAT) ne comprend que trois matières (critical reading, mathematics, et writing) et aucun test sur l’histoire, la géographie, ou encore la philosophie ni les langues. Par ailleurs, le système éducatif de qualité, essentiellement privé, a un coût exorbitant. Il faut enfin faire une distinction entre les villes très cosmopolites comme New York, Boston ou Washington et celles dont le rayonnement est plus national comme Minneapolis, Kansas City ou encore Denver. Dans certains cas, on reproche aux Américains de ne pas connaître notre histoire ou encore nos grands écrivains ou peintres. Il est certain qu’un tableau de Miro ou de Dali sera généralement assez bien reconnu par un Français. Alors qu’il n’est pas sûr qu’un Américain ait déjà entendu parler de ces artistes. Toutefois, combien de peintres, ou écrivains américains sont connus des Français ? Cela veut-il dire qu’il n’en existe pas ? Les plus célèbres de ces peintres et écrivains sont connus du grand public américain. Certes, peut-être, dans une moindre mesure qu’en France pour les grands artistes européens. Donc le manque de culture générale avéré des Américains est également accentué par un manque de connaissance de la culture américaine par les Français et vice versa. 26 ABC, janvier 2006.

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Les États-Unis ont plus de deux siècles d’histoire que nous avons déjà évoqués brièvement. Ce qui est marquant, c’est l’usage de l’histoire. En France, l’histoire fait partie de la culture collective. Aux États-Unis, l’histoire est analysée, digérée et enseignée le plus tôt possible afin d’éduquer les futures générations et de s’assurer que l’on n’oublie pas, que l’histoire ne se répète pas. Lorsque les États-Unis acceptent leur histoire, un réel effort de mémoire collective est réalisé. Ainsi les Indiens d’Amérique (Amérindiens), après avoir été massacrés disposent d’un statut particulier et privilégié. N’oublions pas non plus que le président élu en 2008 est un homme noir. La culture est une notion assez vague et bien souvent comprise différemment selon les pays. Il est parfois préférable dans une expérience interculturelle de faire l’effort de la compréhension de la culture de l’autre, plutôt que de la comparer à la sienne. Ainsi, si par exemple la connaissance des grands exploits sportifs n’est pas considérée comme faisant partie de la culture générale en France, elle l’est aux États-Unis. Il s’agit même d’un des sujets de discussion que les hommes américains affectionnent tout particulièrement en société. Il est assez étonnant que, d’une manière générale, les Américains aient une connaissance assez développée de l’histoire récente des États-Unis. La notion du temps nécessaire pour considérer qu’un évènement passé fait partie de l’histoire est bien plus courte aux États-Unis qu’en France. En France, il est généralement considéré que les historiens ne peuvent faire leur travail que lorsque les passions se sont apaisées, soit plusieurs décennies après les faits. Aux États-Unis, cette retenue n’a pas cours. Bien des explications peuvent être apportées, mais il est probable que les libertés d’expression et de la presse, qui n’ont pas leurs pareilles en France, n’y sont pas étrangères. Avant de juger le niveau de culture générale de vos interlocuteurs américains, demandez-vous quel est votre connaissance de leur culture.

8.1.3 L’argent comme seule valeur Il est vrai que l’argent est un sujet de discussion assez libre aux États-Unis, voire de plaisanterie dans bien des cas. L’argent n’est pas tabou ni associé à une quelconque opposition des classes. L’argent est clairement un signe de réussite dont on ne se cache pas. Ce qui est étonnant est qu’en France, on ne parle pas d’argent mais on le montre ou l’on en fait état de manière sousentendue.



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Aux États-Unis, l’argent n’est pas nécessairement une barrière sociale, ainsi des personnes très fortunées peuvent sans distinction côtoyer des personnes aux revenus modestes. Cette particularité provient sans doute du fait qu’une majorité des millionnaires et milliardaires américains ont fait leur fortune d’eux-mêmes. Il ne s’agit pas d’un héritage. À bien y réfléchir, on peut se demander quelle situation est la plus indécente, celle d’un millionnaire qui vous fait comprendre ce qu’il a et surtout ce que vous n’avez pas, ou celle d’un millionnaire qui vous dit ce qu’il a sans que votre situation personnelle soit une entrave à votre relation sociale. L’argent est d’autant plus important qu’aux États-Unis la redistribution de richesse est réduite au minimum. Ainsi, une grande partie des services sont privés (accès à une éducation ou à des soins médicaux de qualité, retraites, etc.). De plus, les amortisseurs sociaux (protection de l’emploi, assurance chômage) sont également minimalistes. Par conséquent, en cas de difficultés, vous vous appauvrissez à une vitesse prodigieuse. La France dispose d’un modèle social doté de systèmes, certes coûteux, mais quasiment inégalés (surtout aux États-Unis). Il faut se transposer dans un contexte américain incertain, précaire et essentiellement géré par le secteur privé pour comprendre le rapport à l’argent des Américains. Ces derniers ne sont pas forcément plus vénaux par nature que les Français, mais le système plus individualiste positionne l’argent comme le principal facteur de sécurité. L’argent est une valeur importante aux États-Unis, mais il serait très réducteur de penser que c’est l’unique valeur. Bien entendu, il existe le cliché du trader de Wall Street, avide de gains, sans foi ni loi. Toutefois, vous trouverez le même profil à Londres, et ce n’est pas pour autant que les Anglais n’ont que l’argent comme seule valeur. Il s’agit de clichés assez réducteurs et surtout simplistes qui ne considèrent aucunement la diversité de la société américaine. Les aspirations des Américains vivant dans les grandes villes sont très différentes de celles des Américains vivant dans les villes de petite et moyenne taille, l’argent et surtout son importance sont également appréciés de manière très différente. Dans bien cas, les Américains vivant le long des côtes ou dans des régions majestueuses (les Rocheuses par exemple) seront plus sensibles à leur cadre et à leur qualité de vie qu’au simple gain pécuniaire. Il sera donc généralement assez difficile de les faire déménager pour des raisons professionnelles, sauf s’ils n’ont aucun autre choix, ou que l’offre est très alléchante.

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Devant l’argent, les Américains n’ont pas autant de réticences que nous pourrions en avoir. Il s’agit d’un sujet décomplexé. Toutefois, ils ont parfois une attitude ou des pratiques qui vous déconcerteront. Nous sommes arrivés aux États-Unis avec quatre enfants en bas âge. Il était assez courant que des personnes âgées approchent ma femme, généralement dans un supermarché, et lui demandent d’accepter un ou deux dollars pour les enfants. Les premières fois, elle refusa, gênée d’accepter de l’argent d’un ou d’une inconnue, ne comprenant pas ce geste. Toutefois, elle comprit par la suite que c’était fait de bon cœur et surtout de manière spontanée, ainsi elle finit par accepter, ne voulant surtout pas froisser ces bienfaiteurs inattendus. Elle considéra cet argent comme un cadeau et dépassa nos préjugés et conception quant à l’argent. En retour, ces bienfaiteurs étaient ravis. Je me rappellerai toujours ce déjeuner pris en Louisiane avec mon épouse et nos quatre enfants dans un restaurant à hamburgers. Nous voyagions et nous nous sommes arrêtés dans ce restaurant en bord de route, attirés par son design blanc et rouge rappelant les années soixante. Après nous être restaurés, je demande l’addition, la serveuse m’indique que c’est déjà payé. Ayant à l’esprit que mon fort accent pouvait être difficile à comprendre, j’insiste et lui dis qu’elle fait sûrement erreur. Elle me répond qu’un des clients, ayant déjà quitté le restaurant, avait trouvé que nous formions une belle famille et avait payé notre note ! Bien entendu, cela ne vous arrive pas tous les jours, mais c’est également cela l’Amérique. N’oubliez pas la redistribution de richesse organisée par les milliardaires américains. Les États-Unis sont dans bien des cas le pays « du meilleur et du pire ». L’argent ne fait pas exception. Dans un pays bâti sur la liberté individuelle, l’argent est définitivement considéré comme un des moyens d’acquérir une certaine liberté. Certes, l’argent ne doit pas être l’unique valeur, mais il faut être soit utopiste soit très à l’aise financièrement pour ne pas en reconnaître l’importance, surtout dans le contexte américain.

8.2 Clichés sur les Français Tout d’abord, il faut distinguer la France des Français. Les Américains ont une vénération pour la France. Ils aiment les villes, l’histoire, la culture, la nourriture, la mode, le luxe, la langue… Rappelez-vous que la seconde langue



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la plus étudiée au États-Unis est, après l’espagnol, le français. Les Américains perçoivent le français comme la langue du romantisme. C’est pour cette raison qu’ils seront généralement assez indulgents avec une personne ayant un accent français prononcé à condition que cela n’entrave pas la compréhension.

Figure 7.8 Caricature d’un français (ou du moins tel que les américains le perçoive) Source Wikimedia Commons ©

Cela en est parfois risible, mais les produits avec un drapeau français se vendent mieux. La France est vectrice de qualité et de raffinement. Bien entendu, la presse française communique amplement sur l’interdiction du foie gras dans l’État de Californie, mais personne ne voit en contrepartie l’engouement pour les produits « made in France ». Ainsi, les frites aux États-Unis sont françaises (french fries), alors que nous savons tous qu’elles sont belges (ou finalement françaises, car le pérennité de la frite est un vieux débat !). La moutarde est de Dijon, mais vous trouverez aussi de la mayonnaise de Dijon, alors qu’elle est attribuée à la ville de Mahon en Espagne.

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La vérité, je pense, est que les Américains ont une relation très affective et profonde avec la France. Les États-Unis se sont battus à plusieurs reprises aux côtés des Français, ont envoyé leurs troupes en France à deux reprises et disposent de nombreux cimetières militaires en métropole. Les Américains, d’une certaine façon, s’approprient la France, certes à leur manière. Bien entendu, ils pensent nous connaître car ils boivent du Bordeaux et apprécient nos fromages. Il s’agit, là aussi, d’un effet d’illusion car nos différences culturelles sont réelles. Les Français font l’effort de s’exprimer en anglais et non l’inverse, ce qui n’est pas à leur avantage, car dans bien des cas, ils font des erreurs liées à leur maîtrise approximative de la langue ou des codes sociaux. Malheureusement, les Français ne sont pas réputés pour être les meilleurs linguistes d’Europe et ont généralement un niveau d’anglais assez faible même si cela tend à changer petit à petit. Cet aspect a probablement contribué à développer certains clichés. D’une manière générale, les Français n’ont pas bonne presse aux États-Unis. Pour s’en convaincre, il suffit de voir le rôle des Français dans les grandes productions hollywoodiennes qui sont malheureusement stéréotypées (béret, baguette, fort accent, etc.). Certaines positions de nos gouvernements successifs dans le cadre de conflits internationaux (Irak pour n’en citer qu’un) ont été très mal comprises par la population américaine. Dans ce type de situation, l’impression reste en mémoire même si par la suite l’opinion publique américaine change quant au conflit. Il est probable que les Français ont parfois une attitude hautaine ou du moins considérée comme telle. Cette image est suffisante pour alimenter des clichés bien ancrés. Toutefois, cette situation n’est pas nouvelle. Au XVIIe siècle, Jean de La Fontaine disait déjà : « Se croire un personnage est fort commun en France. »

8.2.1 Arrogants Les Américains considèrent les Français comme arrogants. Ce ressenti dépend d’une attitude, d’un état d’esprit ou plutôt de la manière dont nos réactions sont perçues. Les Français ne sont pas plus arrogants que les Américains, mais parfois nos modes d’expression ou attitudes peuvent être interprétés comme tels. Prenons l’exemple de la forme, à laquelle les Français sont très attachés. Il s’agit d’une marque de respect et d’éducation qui peut être interprétée par les Américains comme du snobisme, ou comme un certain détachement.



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Par exemple, dans une relation commerciale, un Français s’adressera généralement à son client en utilisant son nom de famille précédé de monsieur ou madame. Ce n’est qu’un usage qui souligne la considération et le respect de son interlocuteur. Aux États-Unis, l’utilisation du nom de famille et de monsieur ou madame est généralement de très courte durée (première réunion, etc.), ensuite une relation plus informelle s’établit assez naturellement. Si un Français ne s’adapte pas à ces usages et continue à s’adresser à ses interlocuteurs en utilisant leurs noms de famille, il pourrait être considéré comme hautain ou arrogant. Les Américains sont très positifs. Dès le plus jeune âge, à l’école, même si vous échouez, on vous gratifie d’un encouragement sous la forme d’un « good job » (qui se traduit par « bon travail »). Le système de notation à l’école part de zéro pour arriver à cent (car la notation se fait sur cette base et non sur vingt comme en France). En France, dans bien des cas, la notation est soustractive (en partant de vingt pour arriver à zéro). Ainsi l’erreur est sanctionnée, alors que dans le système américain, les bons résultats sont récompensés. Rappelezvous la notation des dictées de votre enfance ! En entreprise, on vous félicite toujours d’abord pour ce que vous avez bien fait (pour l’effort) puis on vous indique ce que vous pourriez améliorer. Mais on commence toujours par vous mettre en valeur. En France, on vous indique directement ce qui doit être amélioré et ce qui reste à faire. On parle rarement des choses qui vont bien ou qui marchent, des « trains qui arrivent à l’heure ». Il est sous-entendu que vous êtes déjà rémunéré pour l’effort fourni. Votre motivation ou encore votre envie que votre travail et vos efforts soient reconnus ne fait pas partie des considérations. En allant directement à la critique, l’intention est, dans une certaine mesure, de vous aider à progresser et à vous améliorer. Lorsque vous travaillez avec des Américains, rappelez-vous qu’ils aiment être félicités, encouragés, vous devez leur «  taper sur l’épaule  ». Au début, vous pouvez trouver cela stupide, voire superficiel, mais il s’agit de mettre votre interlocuteur en confiance afin qu’il accueille de manière positive vos commentaires et critiques à venir. Rappelez-vous également que le marché du travail américain est très fluide, ainsi vous devez, dans une certaine mesure, répondre aux attentes des membres de votre équipe afin de la maintenir motivée et surtout éviter des démissions inopportunes. L’Amérique est une superpuissance économique, les Américains sont très fiers de leur pays et surtout de sa puissance. Dans certains cas, vous pouvez être amené à commercer avec des Américains qui s’identifient à la puissance de leur pays. Dans ce cas, vous n’avez pas à jouer aux plus évolués. Soyez

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humble, flattez leur ego, et généralement vous obtiendrez satisfaction. D’une manière générale, ayez à l’esprit que la France, vue des États-Unis, est un pays lointain de la vieille Europe dont les gloires font partie du passé. Certes la France est la cinquième puissance économique mondiale, mais elle se place très loin derrière les États-Unis. Il est certain que la France, comme l’Angleterre d’ailleurs, est synonyme d’une certaine culture et d’un certain raffinement. N’en faites pas trop état, même si les Américains tentent de vous amener sur le terrain de la comparaison des deux pays. La meilleure approche est celle du profil bas (low profile), car vous ne savez pas toujours avec qui vous conversez et surtout cela peut être pris pour de l’arrogance. Rappelez-vous que les Américains, comme les Français, sont très fiers de leur pays et qu’ils acceptent assez difficilement la critique. Dans certains cas, la franchise afin de susciter un débat d’idées sera un écueil à éviter car comme vous le savez déjà, « toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire » ! Très souvent, on me demande si je préfère la France ou les États-Unis. Je réponds que « c’est ni mieux ni moins bien, c’est juste diffèrent ». Je le crois réellement, mais je pense aussi que c’est une bonne réponse qui permet de ne froisser personne et surtout de mettre en exergue le meilleur de chaque pays.

8.2.2 Donneurs de leçons Les Français sont bien plus portés, du moins en apparence, par leurs principes que les Américains. Ainsi pouvons-nous parfois être tentés, poussés par des jugements hâtifs, d’émettre des commentaires malheureux. La définition du bien et du mal, des principes et dans une certaine mesure de la morale, varient d’une culture à une autre. Prenez le cas de la délation, il s’agit d’une démarche vertueuse aux États-Unis et honteuse en France. Après avoir vécu plus de douze ans aux États-Unis, je comprends les ressentis de chaque côté de l’Atlantique, je garde mes convictions, mais j’évite de juger de manière trop hâtive. Les Français seront certainement agacés par l’hypocrisie vertueuse et puritaine des Américains. On peut citer en l’occurrence les tabous vis-à-vis de la sexualité, ou encore l’interdiction de consommer de l’alcool avant vingt-et-un ans. Les adolescents sont très surveillés par leurs parents jusqu’au lycée. Puis, généralement, ils quittent le foyer familial pour étudier à l’université. Les campus



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universitaires sont le théâtre d’excès incroyables. Les adolescents passent de l’interdit à une liberté quasi-totale. L’un des exemples de ces excès sont les beuveries pour spring break dont les plus retentissantes s’effectuent hors du territoire, à Cancun au Mexique. Vous pourriez être tenté de discuter cette hypocrisie avec des Américains, plus poussé par le désir de comprendre que celui de sermonner ou de juger. Toutefois, bien des Américains considéreront que vous êtes un « donneur de leçons ». Les exemples d’hypocrisie sont nombreux, mais font partie du paysage. Bien que beaucoup d’Américains en aient conscience, ils ne souhaitent pas que vous les leur fassiez remarquer. Si vous étiez dans la situation inverse, à savoir qu’un ou plusieurs Américains vivant en France se lancent avec vous dans une discussion critique de la société française, il y a fort à parier que vous défendriez, voire à l’excès, les travers typiquement français qui en temps normal, vous excèdent. Il n’y a pas lieu de changer ses principes mais bien plus d’avoir une approche tolérante et ouverte. Il n’existe pas une vérité unique, les points de vue doivent être respectés même si l’on n’y adhère pas. Nous sommes tous très attachés à nos principes, les critiquer, c’est nous critiquer de manière très personnelle. En France, assez curieusement, même si nous n’avons pas une culture du débat public aussi développée qu’aux États-Unis, nous avons un réel goût pour la confrontation d’idées. Nous n’aurons aucun problème à aborder en société des sujets graves. Nous serons intéressés par les arguments apportés et pourrons par la suite passer à une discussion plus légère sans pour autant nous être fâchés. Globalement, la logique est très appréciée. On se fait volontiers « l’avocat du diable » pour alimenter le débat. Nous donnons généralement notre avis sur tout et ce sans même qu’on ne nous le demande. Parfois, nous pensons même devoir prendre une position d’arbitre. Lorsque vous êtes en société aux États-Unis, il existe des sujets que l’on n’aborde jamais tels la religion, la politique, la libre circulation des armes à feux, etc. Si par maladresse, vous abordez toutefois ce type de sujet, votre interlocuteur pourra s’en trouver très offusqué, car il considérera que vous attaquez ses convictions et que vous lui donnez une leçon. En d’autres termes, ce que nous prendrions comme une attitude d’ouverture et de dialogue sera considérée comme une approche agressive ou irrespectueuse. Ayez conscience que ce qui vous semble important ne l’est peut-être pas pour un Américain, et vice versa. Prenez l’exemple du droit de détenir une arme. Pour bien des Français,

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c’est un débat d’un autre temps. Aux États-Unis, c’est un sujet qui a trait à une liberté individuelle et représente donc un tabou qu’aucun homme politique n’ose aborder malgré des faits divers sanglants et nombreux. Il existe des sujets que l’on n’aborde pas, vos désirs de compréhension et de découverte d’une culture différente devront être refrénés. Il ne s’agit pas d’une visite de musée guidée. Il vous faudra observer, apprendre à écouter ce que l’on vous dit et, surtout, ce que l’on essaie de vous dire ou de ne pas vous dire. Bien entendu, vous ferez vos propres erreurs comme j’ai fait les miennes. Le pays de l’Oncle Sam est également le pays de la tolérance, lorsque vous faites un faux pas et que vous vous en rendez compte, excusez-vous en. Ces petites maladresses ne sont pas si importantes, veillez seulement à ne pas offusquer vos interlocuteurs. Les Français sont très attachés à leur histoire, la référence au passé glorieux de la France est omniprésente. Dans certains cas, les Français apparaissent comme tournés vers le passé et non le futur. C’est un peu l’idée de la vieille Europe endormie… Les Français sont très souvent considérés (à juste titre) comme étant chauvins, à propos de leur langue, et aussi dans leurs habitudes. Lorsque vous travaillerez aux États-Unis, la France et vos racines vous manqueront. Par conséquent, vous aurez tendance à en parler assez souvent. Dans certains cas, cette nostalgie pourra être considérée comme une comparaison des cultures et des modes de vie français et américain. Au lieu de parler de la France, parlez de votre famille qui, probablement, vous manque tout autant. Cela vous permettra d’exprimer cette nostalgie bien naturelle sans prendre le risque de froisser vos interlocuteurs. Cela créera également une relation professionnelle plus personnelle et efficace.

8.2.3 Rigidité Les classes sociales sont bien plus hiérarchisées et verrouillées en France qu’aux États-Unis. Un certain nombre de notions telles que l’aristocratie, la haute bourgeoisie et la petite bourgeoisie n’ont simplement pas court. En France, la ou les écoles fréquentées, le cercle d’amis et la naissance sont importants et peuvent parfois constituer une entrave à l’ascension sociale, ou la faciliter. Aux États-Unis, la compétence et l’argent permettront de gravir les échelons de l’échelle sociale. Bien entendu, il existe aux États-Unis un certain élitisme selon les universités fréquentées, mais sans comparaison avec le corporatisme français.



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Les Français sont très formels. Notamment en ce qui concerne les formes de communication. On apprécie qu’un courrier ou un mail soit bien écrit et que des marques de politesse figurent aux endroits appropriés. On s’attend à ce que les Américains par « politesse et éducation » utilisent la même forme de communication. À défaut, on peut s’en offusquer, et la forme prend le pas sur le fond, créant une incompréhension qui peut être dommageable. Dans ce cas de figure, vous assumez à tort que vos codes professionnels sont partagés par les Américains. Chez les Français, le savoir-vivre, l’esprit, la répartie, le style et le panache (voyez le personnage de Cyrano de Bergerac) sont importants. Les Français ont le sens de l’honneur très développé, bien entendu selon leur propre standard et code de valeurs. Parfois, ils pourront avoir une interprétation erronée des situations et se draper dans leurs principes et valeurs s’ils les jugent bafouées. Par exemple, il est assez commun aux États-Unis qu’un fournisseur invite son client et son conjoint à un match (de football, baseball ou basketball). Généralement, cela se déroule dans une loge qui comprend un bar et plusieurs fauteuils. Les billets sont bien souvent très chers. C’est l’occasion de parler affaires mais surtout de partager un moment agréable. Certains Français refusent ce type d’invitation, pensant qu’il s’agit d’une manœuvre partisane du fournisseur. En fait, c’est juste une pratique répandue qui peut au demeurant améliorer les relations commerciales et bénéficier tant au fournisseur qu’au client. Dans le cadre de l’entreprise, les salariés français sont perçus comme étant indépendants face à la hiérarchie. Généralement, aux États-Unis, les subordonnés français ne sont pas faciles à gérer car les définitions de l’autorité et de la hiérarchie sont très différentes. Ainsi, les Français peuvent avoir certaines difficultés à accepter la volonté du groupe, ou alors à se plier aux règles et aux procédures qu’ils chercheront bien souvent à contourner. Cette attitude peut être interprétée par un Américain comme de l’indépendance ou de la rigidité, alors que vous ne chercherez qu’à apporter une contribution constructive. Dans bien des cas, les Américains ont du mal à s’y retrouver en France entre le secteur public et le secteur privé. En effet, aux États-Unis, le secteur public est bien moins important et la sécurité de l’emploi est un concept peu connu. Ainsi, les Américains sont assez confus et perplexes devant les grèves générales ou encore les grèves des transports français. Cette forme d’expression et de gestion des conflits est quasi inexistante au temple du libéralisme économique.

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Ainsi, les français ont donc bien souvent une étiquette de contestataire ou de râleurs difficiles à contrôler. Ce que les Américains pourraient qualifier de rigidité, les français pourraient le considérer comme de l’intégrité. Bien entendu, ces définitions peuvent être assez différentes de chaque côté de l’Atlantique. Il s’agit d’une intégrité au regard d’un certain code de valeur. Il n’est pas question de changer votre code de valeur, mais d’assouplir vos positions afin d’accepter le code de valeur de vos interlocuteurs qui est tout aussi honorable et respectable que le vôtre. En France, dans le cadre de l’entreprise, on pense contribuer à une équipe en apportant des idées nouvelles, en questionnant les solutions proposées afin d’en éprouver la robustesse. Aux États-Unis, cette attitude peut être considérée comme contreproductive ou comme un signe d’individualisme. Par ailleurs, vous risquez de faire perdre la face à certains de vos collègues. Ce ressenti est négatif au pays du team building. Au contraire, supporter les solutions collectives est considéré comme une contribution. Compte tenu des conditions d’emploi aux États-Unis, ce type de sujet est très sensible.

Conclusions Les États-Unis nous semblent très familiers mais ils sont en réalité culturellement très différents. Vus de l’extérieur, les Américains peuvent vous paraître superficiels, vénaux et imbus de leur puissance économique. En fait, la culture américaine peut être comparée à un oignon, composée de différentes couches séparées les unes des autres mais formant un ensemble. Toutefois, vous n’avez pas à pleurer en l’épluchant ! L’Amérique reste le pays de tous les excès et de la démesure. C’est également un pays constitué de pionniers et de bâtisseurs qui ont réussi à en faire à l’aube du XXe siècle une puissance économique, industrielle et technologique. Cet état d’esprit de bâtisseur tourné vers l’avenir est bien présent de nos jours, il transpire au sein des modes de fonctionnement de la société américaine et de la manière de commercer. Lorsque vous demandez à des Français installés aux États-Unis leur ressenti, ils vous disent qu’« ici tout est possible ». Cet état d’esprit de pionnier a été bien résumé par Antoine de Saint-Exupéry qui disait : « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible. » Comme toute expérience culturelle, vous devrez l’aborder avec une réelle humilité. Il vous faudra apprendre et comprendre, et à la suite d’une première immersion vous vous prêterez peut-être au jeu et aurez de plus en plus de

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plaisir à peler lentement cet oignon si différent. La différence est une richesse, apprenez à l’identifier et à vous en servir. Les Américains ont une culture de la relation dans leur vie privée et professionnelle qui est tout aussi sophistiquée que la nôtre. Les clichés, tant sur les Américains que sur les Français, ont la vie dure. Il faut être prudent, car les États-Unis recouvrent en réalité d’innombrables différences. Il s’agit de cinquante États et d’une diversité assez étonnante. Il ne faut pas confondre le stéréotype du New-Yorkais avec l’Américain moyen du Tennessee. Chaque État, voire chaque région, a ses propres spécificités. Il est certainement plus prudent de comparer les États-Unis avec l’Europe. Les différences culturelles en Europe sont plus marquées d’un État à un autre qu’aux États-Unis d’un État à un autre. Toutefois, les différences culturelles américaines d’un État à un autre sont plus marquées que les différences d’une région française à une autre. Souvent, lorsque l’on évoque les États-Unis, on pense à l’expression « time is money » ; c’est probablement une excellente façon de résumer et de caractériser ce pays étonnant pour son impatience. Aux États-Unis, vous pouvez perdre votre emploi en deux minutes, vous pouvez connaître une véritable ascension professionnelle en quelques mois ou encore faire fortune en quelques années. Le temps est une dimension très différente, les idées telles que « donner le temps au temps » n’ont pas cours. Ce pays est tourné vers l’avenir et l’action, le passé est considéré comme un point de départ pour le futur. Cette approche volontaire est assez bien résumée par Woody Allen qui dit : « Je m’intéresse à l’avenir car c’est là que j’ai décidé de passer le restant de mes jours. » L’argent est une dimension très importante. Aux États-Unis, vous assurez généralement votre responsabilité civile (et celle de votre famille) en tant que particulier pour plusieurs millions de dollars. Si par malheur vous avez de sérieux problèmes de santé, et que vous n’êtes pas suffisamment couvert, vous vous appauvrissez à une vitesse prodigieuse, sans compter que vous aurez perdu votre emploi. Si par chance vous vous en remettez, lors de vos entretiens d’embauche, il est préférable de ne pas évoquer ces problèmes de santé car bien des entreprises ne vous embaucheront pas de peur que le coût de leur mutuelle augmente. Nous n’évoquons même pas ici les problèmes inhérents à l’éducation ou aux retraites. Donc, effectivement, dans un tel contexte, l’argent est important.



Conclusions 169

Une chose est certaine, on reste ce que l’on est. Les souvenirs de votre enfance, les odeurs du pain frais, les écoles publiques et laïques aux cours de récréation carrées et bétonnées, ou encore le système D sont autant de souvenirs que vous portez en vous. En travaillant aux États-Unis, vous vous adapterez, vous deviendrez probablement plus ouvert et curieux, mais vous resterez avant tout Français. J’ai mis très longtemps à comprendre qu’en réalité, j’avais quitté la France, mais que la France ne m’avait jamais quitté.

Expressions et termes utiles Ball park correspond à une estimation approximative. Cette expression est généralement utilisée pour fixer les ordres de grandeur. L’expression provient du baseball. Catch 22 décrit une situation dans laquelle la solution aurait pour conséquence de créer une situation qui ne serait pas meilleure que la situation de départ. L’expression provient d’un livre écrit par l’humoriste Joseph Heller en 1961. So far so good peut se traduire par « jusqu’à présent tout va bien ». Cette expression a une connotation positive dans le cadre de ce qui est connu. You can lead a horse to water, but you can’t make it drink : l’idée est que les personnes comme les chevaux ne font que ce qu’elles ont décidé de faire. Ce proverbe est considéré comme l’un des plus anciens proverbes anglais encore en vigueur dans le langage courant. On estime qu’il est apparu au XIIe siècle. Kill two birds with one stone : il s’agit d’une image pour signifier que l’on résout deux problèmes avec une action. En Français nous dirions : faire d’une pierre deux coups. Piece of cake veut dire « une part de gâteau ». Cette expression désigne une activité plaisante voir facile. En Français familier, nous dirions : « Les doigts dans le nez. » Mais, n’essayez pas de la traduire de manière littérale en anglais car ils ne vous comprendraient pas.

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FYI correspond à For your information, c’est-à-dire « pour votre information ». ASAP correspond à as soon as possible, c’est-à-dire « le plus tôt possible » (ou « dès que possible »). Keep me posted peut se traduire par « tiens/tenez-moi au courant. » Time is money signifie «  le temps c’est de l’argent  ». Ce proverbe anglais caractérise assez exactement l’activité dévorante des peuples anglais et américain. On rencontre déjà cette maxime dans un écrit de Benjamin Franklin (1706-1790) intitulé : Conseils à un jeune artisan, écrits en 1748. « N’oubliez pas, disait ce sage, que le temps est de l’argent (remember, that time is money). Celui qui dans un jour peut gagner dix schellings par son travail et qui va se promener ou qui reste oisif la moitié de la journée, quoiqu’il ne dépense que six sous durant le temps de sa promenade ou de son oisiveté, ne doit pas compter cette seule dépense ; il a réellement dépensé ou plutôt prodigué cinq schellings de plus. » It is not personal it’s just business se traduit par « ce n’est pas personnel mais professionnel ». Cette phrase très connue est passée à la postérité dans une forme un peu différente dans le film culte Le parrain avec Marlon Brando (« It’s just business nothing personal... » – Mario Puzo). Généralement, lorsqu’elle est utilisée, ce n’est pas pour annoncer une bonne nouvelle. Excuse my french peut se traduire mot à mot par « excusez mon français ». On estime que l’expression provient du XIXe siècle, lorsque les Anglais utilisaient des mots français au cours de la conversation et qu’ils s’en excusaient auprès de ceux qui ne parlaient pas français. Le sens actuel de l’expression provient des années quarante, au cours desquelles elle était utilisée pour s’excuser d’un langage grossier ou osé. Break a leg peut se traduire mot à mot par « casse-toi une jambe ». Cette expression provient du milieu théâtral et était utilisée pour souhaiter bonne chance aux comédiens avant leur entrée sur scène. La superstition du milieu artistique voulait que l’on souhaite l’inverse de ce qu’on espérait vraiment. Depuis, cette expression est entrée dans le langage courant. Cream of the crop se traduit par «  la crème de la récolte  ». En français, l’expression équivalente est : « La crème de la crème. » Deadline correspond à « la date limite ». L’expression provient des prisons lors de la guerre de sécession, qui comprenaient pour les prisonniers une ligne



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située à 19 feet (soit 5,7  mètres) du mur de d’enceinte et qui constituait une zone interdite aux prisonniers, afin d’éviter les évasions. Les prisonniers qui passaient cette ligne pouvaient être pris pour cible par les geôliers. Golden parachute que l’on peut traduire mot à mot par « parachute doré ». En 1961, l’un des employés de la TWA obtient un contrat de travail prévoyant le paiement d’une somme en cas de perte d’emploi. Depuis, l’expression est restée et est utilisée de la même manière en France et aux États-Unis. Glass ceiling qui correspond à « plafond de verre ». L’expression décrit une limite invisible à l’évolution professionnelle. Cette limite peut dépendre de la compétence de l’individu, de sa formation ou encore de son caractère. Dans bien des cas, du fait du « politiquement correct », l’individu en question n’en sera pas averti directement. Number cruncher que l’on peut traduire mot à mot par : « Broyeur de chiffre. » L’expression désigne une personne très à l’aise avec les chiffres. Waiting in the wings qui se traduit littéralement par « attendre dans les ailes » est une expression qui provient du monde théâtral et qui décrit l’attente des acteurs en coulisse sur les côtés (les ailes) de la scène avant de faire leur entrée. Dans un cadre professionnel, cette expression est utilisée pour désigner une personne qui attend l’opportunité d’agir pour remplacer quelqu’un. Walking paper peut être traduit par « feuille de route ». L’expression est utilisée pour designer la notification par écrit d’un licenciement. To Xerox fait référence à la marque de photocopieurs Rank Xerox et signifie faire une photocopie. At the eleventh hour correspond à « la onzième heure ». L’origine est biblique et fait référence à des ouvriers qui ont commencé à travailler dans un vignoble à la onzième heure du jour et qui ont été payés le même montant que ceux qui ont travaillé une journée entière de douze heures. Il s’agit d’une métaphore pour décrire quelque chose qui est fait à la dernière minute. On the bread line peut se traduire mot à mot par « sur la ligne du pain ». En 1876, Louis Fleischmann ouvre sa boulangerie, la « Vienna Bakery » à Broadway afin de faire découvrir aux New-Yorkais le pain et les pâtisseries européennes. Le succès fut foudroyant. Un jour, monsieur Fleischmann se rendit compte que des vagabonds admiraient sa vitrine et humaient l’odeur du pain et des pâtisseries fraîches. Il décida de leur distribuer du pain frais. Rapidement, une file d’attente

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composée de vagabonds se forma devant la pâtisserie providentielle. Monsieur Fleischmann fit école et d’autres bread lines se sont ouvertes pour venir en aide aux nécessiteux. L’expression désigne les personnes qui ont de faibles moyens. L’expression Cash cow correspond à « vache à lait ». Elle fut apportée en Angleterre par les soldats revenant d’Inde. Elle se réfère aux usages hindouistes qui consistaient à faire une offrande au temple sous la forme d’une vache sacrée. Cette expression est également une référence aux vaches laitières qui produisent du lait et donc un revenu sans interruption. Elle est connue pour son usage dans une matrice développée par le BCG (Boston Consulting Group) qui désigne une situation idéale qui maximise la profitabilité économique. L’expression est également utilisée de manière sarcastique pour décrire une organisation qui ne maîtrise pas ses dépenses (généralement gouvernementales). Blue chip company qui se traduit mot à mot par : « Une entreprise de valeur sûre. » Les joueurs de poker utilisaient des jetons de couleur dont le bleu avait la valeur la plus élevée. L’expression fut utilisée par Oliver Gingold en 1923 lorsqu’il identifia plusieurs actions en bourse dont la valeur était comprise entre 200 et 250 dollars et qu’il surnomma « bleu chip ». Depuis, l’expression est restée pour identifier des sociétés à la solidité exemplaire.

Figure C-1 Figure représentant les neuf points et la solution

L’expression Outside of the box se traduit par « hors de la boîte ». Elle provient du test de logique qui consiste à relier neuf points d’un carré en utilisant uniquement quatre droites et dont la solution est d’utiliser les points situés en bordure et de faire dépasser les droites du carré (de la boîte). Dans la vie courante, cette expression désigne une personne qui raisonne en dehors des chemins battus.



Expressions et termes utiles 175

Sticking point correspond à « point de friction ». Deep pocket se traduit par « poche profonde », dans le sens « moyens financiers importants ». Kick back se traduit par « dessous de table ». On a shoestring correspond à « un lacet de chaussure ». À la fin du XIXe siècle en Angleterre, les prisonniers faisaient descendre une de leurs chaussures attachée par des lacets jusqu’aux passants afin de faire l’aumône. Depuis, l’expression est restée et correspond aux personnes qui agissent avec très peu d’argent. Close but no cigar se traduit littéralement par « presque, mais pas de cigare ». Au milieu du XXe siècle, aux États-Unis, de nombreux événements étaient organisés (carnaval, fêtes foraines, etc.) comprenant généralement des jeux dont les prix étaient des cigares. Aujourd’hui, cette expression est utilisée pour reconnaître un effort dont le résultat n’a pas atteint l’objectif escompté. Make cold calls correspond à « faire des appels froids », dans le sens de contacter des clients potentiels sans avoir une quelconque introduction. Cutting edge se traduit par « le bord tranchant ». L’expression fait référence au tranchant des épées. Il s’agit d’une métaphore utilisée pour décrire un état très avancé, voire novateur, du développement d’un produit ou d’un service, ou encore une industrie de pointe.

Bibliographie Arthur Michael B. et Rousseau Denise M., The Boundaryless Career, A new Employment Principle for a new Organizational Era, Oxford University Press, New York. 1996. Auer Peter, Gazier Bernard, L’introuvable sécurité de l’emploi, Flammarion, 2006. Barjou Bruno, Vendre ses idées et ses projets : des clefs pour obtenir l’accord, Collection Formation Permanente, Paris, 2003. Crystal David, English as a global language, Cambridge University Press, Cambridge UK, 1997. Delmotte Axel, L’indispensable de la culture générale : Les États-Unis, Éditions Studyrama, Paris, 2003. Farnel Franck J., Le lobbying : stratégies et techniques d’intervention, Éditions d’Organisation, Paris, 1994. Freedman Edward R., Strategic management: A stakeholders approach, Pitman, Boston, 1984. Freeman Richard B., Le modèle économique américain à l’épreuve de la comparaison, Actes de la recherche en sciences sociales, Paris, 1998.

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efficacement aux États-Unis

Les États-Unis sont bien souvent encore considérés comme un « Eldorado », et font l‘objet de nombreuses idées préconçues. C’est un pays fascinant et très attachant, dont la réalité de la vie quotidienne est très différente des clichés communément véhiculés. Vus de France, les salaires américains sont exorbitants et la vie y est agréable et confortable. En réalité, les États-Unis sont un pays ou vous pouvez perdre votre emploi en deux minutes, percevoir des allocations chômage insignifiantes, recevoir des soins médicaux à des tarifs pharamineux et très peu couverts par la sécurité sociale… Réussir son intégration professionnelle aux États-Unis – ou commercer avec des entreprises américaines – suppose de bien percevoir et intégrer les différences culturelles ainsi que les codes professionnels. Cet ouvrage ambitionne de donner un certain nombre de clés afin de mieux comprendre cet environnement. Il est illustré d’un certain nombre d’anecdotes qui le rendent vivant et ludique.

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