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French Pages 318 [316] Year 2003
Table of contents :
TABLE DES MATIÈRES
La percée des Recherches logiques et la phénoménologie: une introductionpar Denis Fisette
Le général et l'abstrait: sur la maturation des Recherches logiquesde Husserlpar Robert Brisart
Carnap, Husserl, Euclid et l'idée d'une géométrie matériellepar Rene Jagnow
Représentations. Husserl critique de Twardowskipar Denis Fisette
Principe de priorité et principe du contexte chez Bolzano et Husserlpar Sandra Lapointe
La théorie des intuitions chez Bolzanopar Paul Rusnock
Index
Collection Zêtêsis Sous la direction de Jean-Marc Narbonne
,Série
«
Instruments»
La Pensée philosophique d'expressionfrançaise au Canada. Le rayon nement du Québec, édité par Raymond Klibansky et Josiane B oulad Ayoub ( 1 998). Série
«
Textes et essais»
La Métaphysique. Son histoire, sa critique, ses enjeux, coédition Les Presses de l 'Université Laval / Librairie Philosophique J. Vrin ( 1999). Actes du XXVIIe Congrès de l 'Association des Sociétés de Philosophie de Langue Française (A.S.P.L.F. ). La Métaphysique. Son histoire, sa critique, ses enjeux, coédition Les Presses de l 'Université Laval / Librairie Philosophique J. Vrin (2000). Une philosophie dans [ 'histoire. Hommage à Raymond Klibansky (2000).
Claude Lafleur. Pétrarque et l 'amitié. Doctrine et pratique de [ 'amitié chez Pétrarque, à partir de ses textes latins, coédition Les Presses de l'Université Laval / Librairie Philosophique J. Vrin (2000). Roberto Miguelez. Les R ègles de l 'interaction. Essai en philo sophie sociologique, coédition Les Presses de l 'Université Laval / L'Harmattan (2001 ). Boniface Kaboré. L 'Idéal démocratique entre l 'universel et le parti culier. Essai de philosophie politique, coédition Les Presses de l 'Uni versité Laval / L' Harmattan (2001 ) . Maurice Lagueux. Actualité d e la philosophie d e l 'histoire, Les Pres ses de l ' Université Laval (2002). André Désilets. Les Tensions de l 'errance, Les Presses de l ' Univer sité Laval (2002).
AUX ORIGINES DE LA PHÉNOMÉNOLOGIE HUSSERL ET LE CONTEXTE DES RECHERCHES LOGIQUES
COLLECTION ZÈTÊSIS Série
«
Textes et essais»
édité par
Denis FISETTE et Sandra LAPOINTE
PARIS
LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN 6, Place de la Sorbonne, ve QUÉ B EC
LES PRESSES DE L'UNIVERSITÉ LAVAL Cité universitaire, Sainte-Foy, G I K 7P4 2003
Les Presses de l 'Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des A rts du Canada et de la Société d 'aide au développement des entreprises culturelles du Québec une aide financière pour l 'ensemble de leur programme de publication. Nous reconnaissons l 'aidefinancière du gouvernement du Canada par [ 'entremise de son Programme d 'aide au développement de l 'industrie de [ 'édition (PADIÉ ) pour nos activités d 'édition.
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TABLE DES MATIÈRES
La percée des Recherches logiques et la phénoménologie: une introduction
par Denis Fisette
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Le général et l'abstrait: sur la maturation des Recherches logiques de Husserl
par Robert Brisart
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Carnap, Husserl, Euclid et l'idée d'une géométrie matérielle
par Rene Jagnow
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Représentations. Husserl critique de Twardowski
par Denis Fisette
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Principe de priorité et principe du contexte chez Bolzano et Husserl
par Sandra Lapointe
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93
La théorie des intuitions chez Bolzano
par Paul Rusnock
1 11
... .....................................................................................
Nécessité, phénoménologie et essence dans les Recherches Logiques
par Jimmy Plourde
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125
L'ontologie dans les limites de la simple phénoménologie: Husserl et le primat de la théorie phénoménologique de la connaissance
par Bruce Bégout.
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149
Évidence et justification chez Husserl
par Dagfinn F�llesdal
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179
8
DENIS FISETTE . SANDRA LAPOINTE
Husserl et Daubert sur la notion d'état de choses
par Guillaume Fréchette
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205
Husserl contre le psychologisme et le cognitivisme: la «naturalisation superficielle» et la psychologie d'un style nouveau dans les Recherches logiques
par Wioletta Miskievicz
221
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Husserl, Wittgenstein et l'impossibilité d'une pensée illogique
par Jocelyn Benoist
241
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Les Recherches logiques et le réalisme britannique
par Mathieu Marion
Bibliographie Index
255
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287 307
LA
DES RECHERCHES LOGIQUES ET LA PHÉNOMÉNOLOGIE
Une introduction 1 Les études colligées dans le présent ouvrage ont pour objet les Recherches logiques de Edmund Husserl. La plupart de ces études sont issues du colloque « Les Recherches logiques d'Edmund Husserl, origines et postérité de la phénoménologie ( 1 900/ 1 ) >> qui a eu lieu à Montréal au mois de mai 200 1 . Le prétexte à cet événement était de marquer le cente naire de la publication de l ' ouvrage séminal de la phénoménologie par une réflexion sur sa signification actuelle, ses origines et sa postérité. Cette réflexion s ' impose d'el le-même devant cet ouvrage monumental non seulement en raison de sa complexité, mais encore de son importance dans l 'évolution de la pensée de Husserl et de la place qui lui revient dans l 'histoire de la philosophie. D ' où la première difficulté qui concerne le sens et l ' unité de cet ouvrage qui se présente d'entrée de jeu comme une série de recherches dont le thème central n 'est pas la phénoménologie en tant que telle mais bien la logique. De plus, les Recherches logiques occu pent une place transitoire dans l' œuvre de Husserl entre son premier ouvrage Philosophie de l 'arithmétique ( 1 89 1 ) et le premier livre des Idées directrices ( 1 9 1 3), qui représente le premier exposé systématique de la phénoménologie transcendantale. Témoignent en effet des changements qui ont marqué l'évolution de la pensée du philosophe de Gottingen les remaniements importants apportés à l 'ouvrage dans la deuxième édition des Recherches logiques ( 1 9 1 3) . Or, si le nom de Husserl a été détermi nant dans le cours de l'histoire de la philosophie depuis la publication des Recherches logiques, ce n'est pourtant pas à cet ouvrage qu'il est associé, du moins pas pour les lecteurs francophones formés dans la tradition dite continentale. Le père de la phénoménologie aura été avant tout l 'auteur 1. Je remercie le CRSH pour son soutien financier et Gaétan Piché qui a assuré la mise en page de cet ouvrage.
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DENIS FISETTE
des Méditations cartésiennes, ouvrage traduit en français au début des années 1 930 par Emmanuel Lévinas ; il l' aura été ensuite du premier livre des Idées directrices dont on doit la traduction française en 1 950 et le commentaire important qui l ' accompagne à Paul Ricoeur ; son nom n' aura finalement été associé au titre français Recherches logiques que près de soixante années après la parution de l 'original. Et ce n 'est que depuis le début des années 1 990 que l ' on remarque un certain intérêt pour la pensée des Recherches logiques comme pour la question de ses origines au dix-neuvième siècle et celle de son rôle dans le développement du mouvement phénoménologique. Les études réunies dans le présent ouvrage sont autant d'efforts visant à nourrir un tel intérêt. Les Recherches logiques sont divisées en deux parties : la première comprend le premier tome de l ' ouvrage intitulé Prolégomènes à la logique pure dont la fonction est d' introduire les six recherches qui forment le corps du deuxième tome. Ce dernier a pour titre Recherches pour la phénoménologie et la théorie de la connaissance et il comprend six études sur des thèmes qui sont directement liés à l' idée d'une logique pure. Ces titres donnent certes une mince idée des analyses riches et origi nales que Husserl y développe dans un peu plus de mille pages, mais ils indiquent on ne peut plus clairement les deux thèmes principaux des Recherches logiques, soit la logique pure ou ce qu' il appelle aussi dans le premier tome la doctrine de la science ( Wissenschaftslehre), et la théorie de la connaissance. Pour le dire en quelques mots, les Prolégomènes proposent une esquisse très générale de cette théorie de la science alors que les six recherches du deuxième tome se présentent comme autant d' études gnoséologiques visant notamment l ' élucidation des concepts fondamentaux de la logique comprise comme doctrine de la science et la j ustification de la connaissance. Nous parlons bien ici d' une esquisse parce que la majeure partie des Prolégomènes est en fait consacrée non pas à l 'exposition de son idée de logique pure comme l ' annonce pourtant le titre, mais bien plutôt à une critique radicale de ce qu' il appelle le psychologisme logique. Le psychologisme, que Husserl y attribue à plusieurs de ses contemporains, est la doctrine suivant laquelle la logique avec ses lois, principes, propositions, etc., seraient réductibles aux lois et principes de la psychologie comprise comme science naturelle. Nous pourrions dire aussi que le psychologisme est la thèse suivant laquelle la psychologie, comprise comme une science naturelle, se fait philosophie première. Compris en ce sens, le p sychologisme n ' est q u ' une forme parmi d ' autres de naturalisme philosophique et Husserl s'emploie à dénoncer les conséquences absurdes du psychologisme sur des questions philosophiques telles la justification de la connaissance, par exemple. Les Prolégomènes énumèrent plusieurs arguments contre le psychologisme
INTRODUCTION
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logique, notamment celui de l 'idéalité des lois de la logique, et ces argu ments reconduisent à l ' idée d' une logique pure et d ' une théorie de la science qui s'apparente à la mathesis universalis de Leibniz et à la doctrine de la science de B olzano. Il s ' agit l à d'un des acquis importants des Recherches logiques si l ' on en juge par l 'importance qui lui revient dans l' œuvre de Husserl j usque dans ses derniers travaux, notamment dans Logique formelle et logique transcendantale et dans la Krisis (§ 9). Quelques-unes des six études du deuxième tome mettent en œuvre la première tâche assignée à la théorie de la connaissance, soit l' élucidation des concepts fondamentaux de la logique. C' est le cas de la première étude dont la tâche consiste à accomplir le travail préparatoire visant à délimiter le thème proprement dit de la logique, soit la signification qui est conçue dans cet ouvrage comme une entité idéale au même titre que les Gedanken de Frege ou les Siitze an sich de Bolzano. Cependant, cette idéalité est comprise comme une essence d'acte ou species, un concept que Husserl s ' emploie dans la deuxième recherche à démarquer de la conception empiriste de l ' abstraction préconisée par Berkeley et Hume en particulier. C ' est le cas également des Recherches III et IV qui portent respectivement sur la théorie des touts et des parties et sur la morphologie de la signification ou grammaire logique, laquelle morphologie repré sente le soubassement de la logique pure. Ces deux études sont intime ment liées puisque cette grammaire universelle repose en dernière analyse sur la distinction mise en place dans la troisième entre le concept de signi fication dépendante, qui est ergiinzungsbedüiftig ou requiert un complé ment, et celui de signification indépendante qui constitue « la signification pleine et entière » d'un acte concret de signification (par exemple, le nom propre et la proposition). Restent donc les cinquième et sixième Recherches logiques qui, comme le signale Husserl dans sa présentation de l' ouvrage l, représentent les Hauptuntersuchungen du deuxième tome en ce qu' elles mettent en place les distinctions fondamentales dans lesquelles « prennent source les différences logiques les plus primitives ». La cinquième étude est en fait l'élaboration de sa théorie des actes que Husserl conçoit comme vécus intentionnels alors que la sixième, la plus volumineuse, ébauche les éléments d' une élucidation phénoménologique de la connaissance. La question du rapport de ces deux recherches avec l' ensemble de l ' ouvrage soulève deux difficultés que n' ont pas manqué de commenter les spécialistes de Husserl. La première concerne le rôle de la phénoménologie dans cet ouvrage et la seconde diffi culté concerne la tension qui traverse tout l ' ouvrage entre la position apparemment antipsy chologiste des Prolégomènes et cette phénoménologie des deux dernières 1. Hua XIX/2, p. 780-78 l .
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DENIS FISETTE
études que Husserl définit comme « psychologie descriptive » . La pre mière difficulté s ' évanouit lorsqu' on considère que c ' est à la phéno ménologie que ressortissent les tâches traditionnellement assignées à la théorie de la connaissance, en particulier de la justification de la connais sance et de l ' analyse conceptuelle. Il en va autrement de la deuxième difficulté, soit la question de savoir si cette phénoménologie de l a connaissance n e rechute pas dans une forme o u une autre d e psycholo gisme, qui, suivant le diagnostic que portera Husserl quelques années après la parution des Recherches logiques, est insurmontable à moins de distinguer, sinon de dissocier phénoménologie et psychologie descriptive. C'est exactement ce que fera Husserl dès 1 903 même si la psychologie descriptive, confinée désormais au rôle apparemment subsidiaire d' on tologie régionale, n ' en continuera pas moins d' occuper une place centrale dans la pensée de Husserl ! . La parution des Recherches logiques en 1 900/ 1 marque à la fois la fin d'une période dans l 'œuvre de Husserl, celle de son séjour à Halle ( 1 8861 90 1 ) , et le début de son enseignement à Gottingen ( 1 901 - 1 9 1 6). C ' est durant cette deuxième période, en 1 9 1 3 plus précisément, que Husserl fait paraître une deuxième édition de l ' ouvrage et on mesure le chemin parcouru depuis Halle aux modifications importantes que lui apporte cette nouvelle édition ainsi que la critique qu' il lui oppose dans les nombreux écrits de cette période. L'ouvrage le plus significatif à cet égard est l'esquisse d' une longue préface qu' il destinait à la deuxième édition mais qui est demeurée posthume 2• Ces modifications, comme le rappelle clairement la préface à la deuxième édition, touchent d' abord le traite ment réservé à certains points de la doctrine comme la signification et l' intentionnalité, par exemple, mais elles concernent par-dessus tout la perspective philosophique que Husserl défend dans Jdeen J. Plusieurs commentateurs de Husserl ont vu là un tournant et certains l 'expliquent en attribuant au philosophe de Gottingen une conversion à une forme d'idéalisme transcendantal dont le principe serait proche de l 'idéalisme classique. Quoi qu' il en soit de cette interprétation qui n'a d'ailleurs jamais réussi à faire consensus, il est clair que l ' adoption de la perspective transcendantale en philosophie l 'amena à jeter un regard différent sur la phénoménologie des Recherches logiques. Depuis Gottingen, cet ouvrage est qualifié de Werk des Durchbruchs, c ' est-à-dire, d'une part, un ouvrage par lequel il a réussi à surmonter nombre de problèmes qui le préoccu1 . C ' est ce que démontrent les leçons de 1 925 publiées récemment en traduction française. (PhPsy) 2. Cf. Entwurf. Signalons que les nombreux manuscrits contenant les remaniements importants apportés à la sixième des Recherches logiques en vue de l'édition de 1 92 1 ont été rassemblés par U. Melle et devraient paraître bientôt dans les Husserliana.
INTRODUCTION
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paient depuis s a thèse d ' habilitation ( 1 8 87), a u premier chef les prob lèmes logique-mathématiques et gnoséologiques que nous avons mentionnés ; d' autre part, en l ' absence des résultats obtenus dans cet ouvrage, les « idées » des Idées directrices ne seraient que vaines spécula tions. C'est à ce double titre que ce livre fait œuvre de percée. Husserl ne dira-t-il pas, sur le tard, que les Recherches logiques représentent au bout du compte son Hauptwerk ? Cette double perspective sur les Recherches logiques et le passage de l'environnement de Halle à celui de Gottingen est comparable dans une certaine mesure à la différence qui existait à l ' époque entre la philosophie pratiquée par les Autrichiens et celle préconisée par ceux qui, en Allemagne, se réclamaient du kantisme. Bien que le philosophe de Halle ne se soit jamais réclamé de la philosophie autrichienne, il y a un sens à dire que, tant par le style des Recherches logiques que par ses préoccupa tions philosophiques, ses objets de prédilection et surtout ses principaux interlocuteurs, le jeune Husserl a plus d' affinités avec l 'esprit viennois de l ' époque qu' avec la philosophie pratiquée à M arburg, par exemple. Idéologie mise à part, les deux thèmes directeurs des Recherches logiques, soit le programme d ' une doctrine de la science et la tâche gnoséologique que Husserl confie à la psychologie descriptive, sont largement inspirés de deux philosophes qui ont marqué la philosophie autrichienne, soit Bernard Bolzano et Franz Brentano. Mathématicien de formation, étudiant de Weierstrass et de Kronecker, Husserl était familier avec les écrits des mathématiciens de l 'époque dont ceux de Bolzano et de Frege qui l' ont influencé. Mais là où l ' influence de Bolzano se fait le plus sentir, c ' est sans aucun doute sur la conception de la logique qu'il conçoit comme théorie de la science, et ce à partir du milieu des années 1 8901• Cette dette est dûment reconnue dans les Prolégomènes et on en mesure l ' importance au rôle insigne que continuera de jouer cette théorie de la science j usque dans les derniers écrits. Sur le plan phénoménologique, la figure la plus marquante est certainement Brentano dont Husserl a suivi les enseignements à Vienne entre 1 8 84- 1 886. Brentano et ses étudiants sont ses interlocuteurs les plus importants durant la période de Halle, tant et si bien qu' il est tentant de voir dans ce volet des Recherches logiques une contribution directe à la psychologie descriptive. En tout cas, dans ses « Erinnerungen an Franz Brentano », Husserl reconnaît que l 'ouvrage dédié à Stumpf est davantage marqué du sceau de cette philosophie qui part d ' en bas que par le constructivisme kantien. Husserl ne partageait peut-être pas la conception 1. Je pense ici à l ' important manuscrit de 1 894 «lntentionale Gegenstande » (IG). Voir aussi HuaM 1.
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DENIS FISETTE
de l ' histoire que défend Brentano dans sa conférence de 1 895 intitulée « Les quatre phases de la philosophie et sa situation actuelle » , mais il souscrivait à ses j ugements parfois sévères à l ' endroit de Kant et de l ' idéalisme allemand 1. Le j ugement de Brentano s' appuie sur la distinc tion au sein de chacune des trois grandes périodes de l ' histoire de la philosophie entre quatre phases ou moments, la première étant ascendante et les trois autres décadentes. Les deux critères qui guident Brentano dans cette classification sont fort simples : une volonté ou désir de connais sance qui caractérise la philosophie guidée uniquement par des intérêts théoriques ( par opposition à des intérêts pratiques) ; l'usage d'une méth ode qui soit conforme à la nature. Pour ce dernier critère, B rentano renvoie souvent à sa quatrième thèse soutenue en 1 866 lors de son habili tation à l 'université de Würzburg et suivant laquelle « la véritable méthode de la philosophie n ' est autre que celle des sciences,de la nature » . En fait, ce principe témoigne de la volonté de Brentano et de ses étudiants de s' éloigner des grands systèmes spéculatifs pour se rapprocher touj ours davantage des sciences. Non pas que la philosophie doive se mettre au service de la science, mais en ce sens peut-être plus aristotélicien que la philosophie doit devenir science rigoureuse pour reprendre le mot de Husserl. D ' où la place qui revient aux trois idéalistes que sont Fichte, Schelling et Hegel dans la conception brentanienne de l'histoire, à savoir que la philosophie arrive alors « au stade d'extrême dégénérescence». Tout comme Carl Stumpf, Kasimir Twardowski, Alexius Meinong, et Anton Marty, Husserl partageait l ' attitude de B rentano à l ' égard de l ' idéalisme classique, quoique avec certaines réserves 2. L'ironie de l' his toire, c ' est qu' il revient à la critique constructive des Prolégomènes par le 1. Husserl (EFB, p. 1 58) dit explicitement avoir été influencé par le jugement sévère de Brentano et son peu d'estime à l'endroit de l 'idéalisme classique. 2. Il convient ici de nuancer la position de Husserl face au kantisme. On pourrait comparer deux des versions de la phénoménologie que l'on retrouve dans l ' œuvre de Husserl, soit celle des Recherches logiques où elle est comprise comme psychologie descriptive, et la version transcendantale qui s ' impose dès après la publication des Recherches logiques, aux deux grandes tendances inspirées de Kant, soit l'idéalisme et ce que Erdmann a appelé le « psychologisme » pour désigner l ' interprétation psychologique du criticisme. À ces deux versions de la phénoménologie correspondent deux chemins qui mènent au kantisme : le premier passe précisément par la psychologie et il va de Karl Reinhold à la phénoménologie des Recherches logiques, en passant bien sûr par Jacob F. Fries, Friedrich Eduard Beneke et Johann Friedrich Herbart. Le deuxième, la voie royale si l ' on en croit les commentateurs qui se sont penchés sur la question, passe par l 'idéalisme et il va directement de Fichte à la philosophie transcendantale qui domine la pensée de Husserl après les Recherches logiques. On sait que Karl Reinhold est reconnu comme étant le premier à avoir fait du thème psychologique chez Kant un problème, lui qui a dénoncé l 'usage non critique par Kant de ses concepts psychologiques fondamentaux, notamment celui de représentation. C'est dans cette perspective qu' i l introduisit la notion de phénoménologie, dans un sens proche de Husserl, pour désigner cette discipline fondamen tale dont la tâche consiste précisément à décrire les modes de donation de la conscience. Il
INTRODUCTION
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néo-kantien Paul N atorp d ' avoir convaincu Husserl q u e s o n idée d e logique pure gagnerait à se rapprocher d e certaines idées d e Kant 1 . E t en effet, à partir de 1 903 , Kant et Fichte, par exemple, deviendront des inter locuteurs privilégiés de Husserl dans l ' élaboration de sa philosophie trans-cendantale 2• C'est sur cette voie que s'engagera la phénoménologie de Gottingen. La question qui se pose dans le présent contexte n ' est pas celle de savoir quelles sont les motivations philosophiques qui l ' auraient poussé dans cette direction, encore moins si Husserl a vraiment adhéré à une forme ou à une autre d' idéalisme, mais bien dans quelle mesure il est j ustifié phénoménologiquement de se détacher des positions philoso phiques des Recherches logiques et quel serait alors le prix à payer. En tout cas cet ouvrage a trouvé des défenseurs redoutables parmi ses premiers lecteurs, et d' abord chez quelques jeunes étudiants de Theodor Lipps à Munich qui ont formé ce qu' on a appelé le Cercle de Munich. Il s ' agit principalement de Adolf Reinach, Alexander Pfander, Moritz Geiger et de Johannes Daubert, le philosophe le plus singulier du groupe et surtout le plus critique, lui qui, pour avoir laissé de nombreux manu scrits derrière lui, n ' a j amais publié une seule ligne 3. Quelques rencontres ont eu lieu entre Husserl et les membres de ce groupe, et d' abord en 1 902 avec Daubert qui, comme on le sait, fit le trajet (à bicyclette) de Munich à Gottingen afin de discuter de l ' ouvrage. En 1 904, Husserl se rendit à Munich pour y discuter avec T. Lipps du reproche de psychologisme que Husserl lui avait adressé dans les Prolégomènes (§ 1 7) et, apparemment, Lipps se serait rendu à ses arguments. Beaucoup plus importante pour l' histoire de la phénoménologie est la rencontre qui eût lieu l' année sui vante à Seefeld. Cette phrase, que je tire de la correspondance de 1 904 de faudra attendre son étudiant Jacob F. Fries et un groupe de philosophes, également inspirés par la philosophie kantienne, mais défendant une position plus proche de l 'empirisme que de l ' idéalisme d'un Fichte, pour parler d'une contribution à la psychologie scientifique. Deux noms importants ici, non seulement pour leur contribution à la psychologie, mais surtout parce qu' ils sont des interlocuteurs privilégiés de Husserl dans les Recherches logiques, sont Herbart et Beneke. Ce sont les membres de ce groupe qui ont influencé le développement de la psychologie scientifique et qui ont convaincu plusieurs philosophes au dix-neuvième siècle du caractère non fondé des arguments de Kant contre la possibilité de développer la psychologie comme une véritable science, comme psychologie mathématique pour Herbart et comme psychologie expérimentale pour Beneke. Bref, Herbatt et ceux que Erdmann qualifie de psychologistes sont au réseau de références des Recherches logiques ce que Fichte est pour la philosophie husserlienne après 1903. 1. La traduction française de la recension de Natorp (2000) est parue récemment sous le titre « Sur la question de la méthode logique en rapport aux Prolégomènes à la logique pure d'Edmund Husserl ». 2. Voir à ce propos Kern 1 964. 3. Les Archives de Munich possèdent de nombreux manuscrits sténographiés de Daubert que K. Schuhmann, en 1 976, a réussi à déchiffrer. Sur la phénoménologie de Daubert et sa critique de l' idéalisme, on consultera Schuhmann ( 1 989) et Schuhmann/Smith ( 1985).
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DENIS FISETIE
Husserl avec Daubert, donne une bonne idée d' un des sujets importants de discussion : sont singulières, il est tout aussi certain que parmi celles-ci, il y en a au moins quelques-unes qui sont tout à fait simples. Car la représentation toute nue désignée par le mot « ceci » sera certainement une représentation tout à fait simple dès que nous écartons toutes sortes de clauses complémentaires comme : « ce qui est en train de se dérouler en moi », « ce que je suis en train de voir ou entendre », [ . . . ] l , etc . . . Néanmoins, l ' objet que cette représentation représente demeure toujours le même et reste unique, que nous y ajoutions par la pensée ces clauses complémentaires ou non. Car considérées de plus près, toutes ces clauses n' énoncent rien d' autre que certaines propriétés de cet objet unique dont nous nous formons présentement la représentation. Elles lui appartiennent précisément dans la mesure même où c ' est cet objet-là et aucun autre, de sorte que notre représentation ne se limite pas à cet objet unique exclusivement en vertu de ces clauses complémentaires ; ces clauses rendent seulement la représentation en question redondante 2.
Cela veut dire que le fait d'éprouver une douleur, que c ' est moi qui l ' éprouve, et que je l 'éprouve actuellement, découle de la circonstance toute particulière désignée par le ceci. Tout ce qui est donc requis pour de tels jugements de perception est une représentation qui a cette expérience pour seul objet. Or, il est tout à fait possible que cette représentation soit simple. Bolzano prétend que cette possibilité est réalisée et que des intuitions se présentent en fait en nous chaque fois que nous formons un jugement de perception. Selon lui, la sensation est non seulement l 'objet de l ' intu ition, mais aussi la cause immédiate de la présence de l ' intuition dans notre esprit (et l' intuition, en tant qu' effet immédiat, est nécessairement simple selon lui). En effet, ce rapport étroit entre l ' intuition et son objet explique comment une représentation simple peut n ' avoir qu' un seul objet 3• On n' aurait pas tout à fait tort de douter du bien-fondé de ces derniers arguments. Bolzano aurait peut-être mieux fait de se contenter de dire que les jugements de perception exigent des représentations singulières sans aucun contenu descriptif et que par conséquent nous n ' avons aucune raison de croire qu'elles ne sont pas simples.
1. Bolzano ajoute : « ce que je suis en train d'indiquer par mon doigt» ce qui semble être une erreur, étant donné ce qu' il écrit ailleurs au sujet des objets des intuitions. 2. Bolzano ( 1 975, § 6.4) ; Bolzano ( 1 935, p. 1 4- 15) ; Bolzano ( 1 837, § 278). 3. Bolzano ( 1 837, § 74. 1 ). -
LA THÉORIE DES INTUITIONS CHEZ BOLZANO
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On pourrait toutefois se demander si la représentation désignée par « ceci » n' est pas en fait complexe et si elle n' aurait pas bien plutôt la forme d' une description définie. Mais à quoi ressemblerait une telle description ? On pourrait penser à : « la sensation que j 'éprouve actuelle ment » ? Mais on fait alors face au problème d' expliquer quelles représen tations sont désignées par les indexicaux «je » et « actuellement » . Étant donné la notion bolzanienne du moi comme « ce quelque chose qui est conscient de certaines représentations » l, on voit que la description nous ramène une fois de plus à la représentation [ceci] . Car afin de me représenter le «je » particulier que je suis, il faudra que je détermine d'une manière ou d' une autre les représentations dont je suis conscient. Comment puis-je le faire sans me représenter cette représentation-ci ou celle-là ? L' expression « actuellement », pour sa part, entraîne encore d' autres difficultés. Car Bolzano n' admettrait jamais que l 'esprit est inca pable d'éprouver plus d' une chose à la fois. Il faudra donc dire laquelle des sensations actuellement présentes dans mon esprit est [ceci] et on voit bien qu'on ne fait que tourner en rond. *
Nous avons vu que les sensations peuvent être objets d ' intuitions . D' autres événements dans l' esprit comme les représentations subjectives, les jugements, etc. peuvent également être objets des intuitions. Mais c ' est tout2• Du point de vue franchement cartésien de B olzano, la représentation immédiate des particuliers ne dépasse pas les limites de l' esprit3• É tant donné que les intuitions, puisqu' elles en sont les effets, ont des rapports particulièrement intimes avec leurs objets et parce que ces obj ets sont des événements réels qui n ' arrivent qu' une seule fois, les intuitions ne se produisent elles-mêmes aussi qu' une seule fois chaque occurrence ayant son propre type4• On ne saurait ni penser deux fois la même intuition objective, ni la communiquer. Les intuitions sont au demeurant les seuls éléments parmi nos représentations qui ont cette propriété toutes les autres peuvent êtres répétées et communiquées. On n' exclut pas par là les représentations incommunicables mixtes, celles qui ont comme parties non seulement des concepts mais aussi des intuitions. 1 . Bolzano ( 1 837, § 44.2). 2. Bolzano ( 1 837, § 74. 1 ) . 3 . Des considérations méthodologiques o n t sans doute joué u n rôle ici. Bolzano se trou vait forcé de reconnaître l 'existence des intuitions subjectives dans le cas des jugements de perception. En même temps, des considérations d'économie théorique lui dictaient qu'il devrait en effet en rester là. 4. Bolzano ( 1 837, § 75. 1 ).
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PAUL RUSNOCK
Selon B olzano, les représentations qui répondent aux noms propres de même que certaines occurrences des termes des espèces naturelles sont de ce genre 1. Il me semble évident, malgré que Bolzano n'en parle pas, que la représentation du moi doit l 'être aussi 2.
4. REPRÉSENTATIONS D ' INDIVIDUS Considérons les représentations qui correspondent aux noms propres, c'est-à-dire les représentations singulières de la logique traditionnelle. De telles représentations engendrent des problèmes apparemment insolubles pour les théories modernes de la logique. Dans les théories modernes, on assume en effet que toute représentation est une somme de caractères, et que chaque combinaison finie de caractères constitue une représentation générale. En d' autres termes, les philosophes modernes croyaient qu' à chaque représentation pensable peuvent correspondre plusieurs objets. Dans le cas où il n'y aurait qu' un seul objet dans l ' univers qui corre sponde à une représentation donnée, on ne serait j amais en mesure de le savoir. Leibniz, pour sa part, en conclut que seule une représentation infinie peut représenter un individu - conclusion q u ' on retrouve à quelques détails près chez Brentano et Meinong 3• Kant se sentit quant à lui obligé de postuler une espèce distincte des représentations des indi vidus, ses intuitions4• Bolzano est d' accord avec ces philosophes en ce qui concerne les représentations purement conceptuelles : en général, nous ne pouvons pas savoir combien d' objets représente une telle représentation. Mais dès qu' on admet les intuitions, on dispose d' un moyen pour représenter des individus, notamment en utilisant des représentations qui répondent aux descriptions définies et qui contiennent des intuitions. Par exemple, la 1. Bolzano ( 1 837, §75). 2 . Perry (2000, p. 1 5) rejette la conception du moi incommunicable à l'aide de l ' argu ment suivant : « Supposons que M soit une signification privée et incommunicable, qui sert de manière analogue à la signification de « je » quand je pense à moi-même. M ne peut pas être une signification complexe qui résulterait de la composition des significations plus simples et communicables. Car il semble évident que pour saisir le résultat d' une telle composition il suffit de saisir les significations qui sont combinées en elle. M doit donc être, comme l'a dit Frege, primitive. » Perry continue en présentant cette dernière opinion comme peu plausible. Mais il y a un saut ici : du fait qu' une signification complexe et incommuni cable du moi doit contenir une partie incommunicable, il ne s 'ensuit aucunement que cette partie doit être elle-même une représentation du moi. « l'être qui pense ceci», par exemple, serait selon Bolzano une représentation du moi incommunicable qui ne contient aucune partie incommunicable qui représenterait le moi. 3. Brentano ( 1995, p. 320) ; Meinong ( 1972, p. 1 96s). 4. Cf. Kant ( 1 804, 1, § I l , § 1 5).
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représentation : [l' objet physique (c' est-à-dire l a collection de substances) qui est la cause de ceci ( une intuition qui a pour son objet une sensation actuellement présente dans mon esprit)] serait une représentation indi viduelle de cette espèce 1 . =
5 . PROPOSITIONS ET SCIENCES PUREMENT CONCEPTUELLES ET EMPIRIQUES
Le concept d' intuition nous permet aussi de distinguer deux classes de propositions, celles qui comptent au moins une intuition parmi leurs parties (les propositions empiriques) et celles qui ne contiennent que de purs concepts (les propositions purement conceptuelles). Puisqu ' une science n' est autre chose pour Bolzano qu' une collection de propositions organisées de manière systématique, on peut diviser les sciences de la même manière. La distinction bolzanienne entre les propositions et scien ces empiriques et les propositions et sciences purement conceptuelles remplace en effet la distinction traditionnelle entre l ' empirique et l ' a priori2• Dans les sciences purement conceptuelles, par exemple e n math ématique pure, on ne fait aucune mention des particuliers existants dans les propositions, pas plus que dans leurs démonstrations. Toute démon stration doit y procéder sur la base des seuls concepts, sans recours à l ' ex périence, et toute proposition peut y être exprimée sans indexicaux ou démonstratifs 3. C ' est pourquoi une science conceptuelle pure prend la forme d ' un système formalisé au sens de Tarski. C ' est aussi pourquoi il n'y a aucune place pour les intuitions en mathématique4•
1. Cette solution a vraisemblablement été redécouverte par Russell ( 1 956). 2. Bolzano ( 1 837, § 1 33) ; Bolzano ( 1 975, § 7). 3. Bolzano développe donc une double réfutation de l'idée kantienne selon laquelle les démonstrations mathématiques reposent nécessairement sur des intuitions. Premièrement il n ' y a pas d' intuition qui réponde aux exigences de la théorie de Kant et, surtout, il n' y a pas d' intuition pure. Deuxièmement, même s ' il existe des représentations qui méritent le nom d'intuitions, celles-ci ne jouent aucun rôle dans les démonstrations mathématiques. 1 . Cf. Bolzano ( 1 975, § 1 2) : « Dans celles des disciplines mathématiques qui ne conti ennent que des concepts purs, on ne doit pas être satisfait avant d'avoir trouvé une démon stration qui déduit la proposition affirmée uniquement de propositions conceptuelles pures, au moyen d 'inférences parfaites, c ' est-à-dire ni d' après la simple règle de la probabilité, encore moins par un raisonnement fallacieux. Cela ne veut pas dire que, faute de mieux, l ' on ne doive pas utiliser les inférences de simple probabilité, comme celles d ' une induction incomplète, mais seulement que l ' on ne devrait pas en rester là. Et on ne le doit pas parce
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6. INTUITIONS ET LANGAGE 1 La théorie des représentations de B olzano ne vise pas l ' élaboration d'une théorie sémantique pour les langues naturelles. Cependant, l ' archi tecture de sa théorie est quasi-linguistique et cette dernière présente des similarités patentes avec une théorie sémantique. Il vaut la peine p ar conséquent de considérer certains rapports entre les intuitions et le langage. Bolzano fait état de sa position dans une lettre à Exner : Les intuitions ne sont pas inconnues, elles sont simplement innommées 4• Chaque fois que nous ressentons une douleur ou entendons un son, et que nous portons un j ugement là-dessus, il y a une intuition dans notre esprit. Rien n' est plus ordinaire. Cependant, puisque les intuitions sont incommunicables, les langues naturelles ne possèdent pas de mots qui les désignent. Bolzano suggère que lorsque nous ressentons le besoin d'exprimer une intuition, nous avons recours aux expressions contenant des indexicaux comme « ceci, que j ' éprouve actuellement » ou même le simple démonstratif simple « ceci ». Les intuitions sont-elles donc alors des démonstratifs ? Cette question semble reposer sur une erreur catégorielle, car les intuitions ne sont ni des expressions, ni des types d 'expressions. En revanche, on peut noter quelques points de similitude entre intuitions et démonstratifs. Les intui tions objectives, en tant que représentations simples, sont individuées uniquement par leur extension. On peut dire d' une certaine manière qu'elles ont toutes le même sens (le sens dont on parle indiquerait tout simplement qu' il s' agit d'un terme singulier et rien d' autre), mais que ce sens ne suffit pas pour déterminer l 'extension. (Il faut cependant recon naître que, pour Bolzano, le cas des concepts simples n'est pas différent. Les concepts simples sont, eux aussi, individués uniquement par leur extension.) Chaque occurrence de ce type a une extension différente. On peut aussi dire que l ' extension est déterminée par le contexte de son occurrence, car l 'objet est supposé être la cause de l ' intuition. Nous avons vu que Bolzano soutient que toute représentation d'un particulier existant contient forcément une intuition. Puisque les langues naturelles ne possèdent pas de mots désignant des intuitions et qu' elles utilisent plutôt des démonstratifs et des indexicaux, nous pouvons inter préter la thèse de Bolzano comme une affirmation de l ' impossibilité de qu'il faut supposer avec certitude que la proposition dont il s ' agit, si elle est vraie, doit aussi ' se laisser déduire par des inférences parfaites. » 1 . Pour une discussion détaillée de l a théorie bolzanienne dans la perspective d e la philosophie de langage voir Textor ( 1 996), surtout le chapitre 2. 2. Bolzano ( 1 935, p. 34).
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faire abstraction des éléments démonstratifs dans les langues naturelles, impossibilité à laquelle on est confronté à chaque fois qu' on parle des individus existants. Enfin, tout comme la « nouvelle sémantique » des années soixante-dix, la théorie bolzanienne suggère qu ' il existe des affinités profondes entre le comportement des indexicaux, des noms propres, et de certaines occurrences des termes d' espèces naturelles.
7 . CONCLUSION La théorie des intuitions est typique d ' une réalisation bolzanienne. Bolzano ne visait pas à formuler de nouvelles thèses, mais plutôt à trou ver des. fondements sûrs pour ce qui lui semblait juste dans les opinions reçues. Conservateurs en apparence, de tels projets avaient très souvent des conséquences révolutionnaires entre les mains du philosophe pragois . O n sait o ù il fut conduit, e n mathématique, e n s'efforçant d e démontrer ce qui était évident. On trouve des résultats semblables dans sa théorie des représentations. Tout en ne cherchant rien de plus que l' élucidation de thèses admises, Bolzano a élaboré une théorie d' une rare subtilité qu' on devrait même qualifier à maints égards de post-fregéenne. PAUL RUSNOCK
Université d'Ottawa
NÉCESSITÉ, PHÉNOMÉNOLOGIE ET ESSENCE DANS LES RECHERCHES LOGIQUESl
§ 1 INTRODUCTION Dans son introduction à la troisième de ses Recherches logiques « De la théorie des touts et des parties », Husserl nous dit aborder la question de la signification d'une distinction « d' une si grande importance pour toutes les recherches phénoménologiques qu' il apparaît indispensable de la soumettre au préalable à une analyse approfondie » 2. La distinction en question est celle que Carl Stumpf avait remarquée et établie entre les contenus dépendants et indépendants et que Husserl avait reprise dans la seconde recherche comme étant celle entre les contenus abstraits et les contenus concrets. L'étude de cette question amena Husserl à traiter « des idées ressortissant à la catégorie de l 'objet » , ce qui fait dire à Husserl que sa discussion de cette question relève de « la théorie pure Ca priori) des objets comme tel s » 3. Ainsi, contrairement à ce qui prévaut dans les autres recherches, le champ thématique des considérations de la troisième recherche ne se limite pas à celui de la conscience, de ses actes et de la connaissance, mais intègre celui de la théorie de l 'objet ou de l 'ontologie. 1. Une version préliminaire écourtée de ce texte été présentée à Trois-Rivières lors du colloque « Action, Attitudes et Décision» organisé par Denis Fisette et Daniel Vanderveken en hommage à Nicolas Kaufmann. J 'aimerais remercier les participants du colloque qui y sont allés de leurs commentaires et de leurs suggestions, en particulier Sandra Lapointe, Claude Panaccio, Jean-Luc Petit et Ed Zalta. Avant et pendant la rédaction de ce texte, j ' ai aussi pu bénéficier de discussions fructueuses avec Fabrice Correia, Mathieu Marion, Denis Fisette et Kevin Mulligan. Ce dernier a d'ailleurs grandement approfondi les questions rela tives aux modalités chez Husserl ces dernières années et sera bientôt, s'il ne j ' est pas déjà, en possession d'une interprétation systématique et exhaustive de la position de Husserl sur les modalités, une position qui dépasse largement le cadre des questions dont il sera ici ques tion. 2. RL Il, p. 225. 3 . « Loc. cit. ».
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En thématisant de la sorte les notions de « partie » et de « tout » et en abor dant la question de leurs propriétés et de la nature des relations qui sub sistent entre les différents touts et les différentes parties, Husserl élabore une partie importante de sa théorie de l ' objet et propose une première théorie ou un premier embryon de théorie méréologique de la réalité. A l' intérieur de cette théorie, la notion de nécessité est appelée à jouer un rôle important. Pour Husserl, certaines des propriétés et des relations que sa théorie des objets étudie peuvent être qualifiées de « nécessaires ». « Socrate est nécessairement un homme » et « Ce rouge est distinct de ce vert » constituent deux exemples d'énoncés où l ' on a affaire à un rapport de nécessité entre le sujet de l ' assertion et les entités concernées, l ' un étant exprimé explicitement à l' aide de l 'expression adverbiale « néces sairement », l ' autre étant implicitement nécessaire. De plus, certaines des notions les plus fondamentales de la théorie de Husserl sont définies à l ' aide de la notion de nécessité. Par exemple, en ce qui concerne ce dernier point, Husserl caractérise dans la troisième recherche la dépen dance et l' indépendance ontologiques à l ' aide de la notion de nécessité. Pour Husserl, dire d'un certain contenu, disons a, qu'il dépend existen tiellement d'un autre contenu, disons �, c' est dire d' a qu' il ne peut pas exister si � n ' existe pas. Autrement dit, dire d' a qu' il dépend ontologiquement de �, c' est dire qu'il est nécessaire que � existe pour que a existe. Ceci étant, il n'est pas exagéré de dire que l ' on ne peut véritablement comprendre et apprécier à leur j uste valeur les considérations ontolo giques de la troisième recherche que si on comprend bien ce que Husserl entend par « nécessité » . Dans ce qui suit, je n ' aurai d' autre but que de clarifier cette question. Pour ce faire, je présenterai d ' abord quelques positions typiques qu' il est possible d' adopter sur cette question (§ 2). Ensuite, je formulerai et examinerai l 'hypothèse suivant laquelle Husserl adhérerait à ce que j ' appelle une forme de conception subjectiviste de la nécessité (§ 3). Puis, je formule et examine, dans la foulée des travaux de Kit Fine et de Kevin Mulligan sur la question, l ' hypothèse selon laquelle Husserl adhérerait à ce que j ' appelle une conception objectiviste et essen tialiste de la nécessité (§ 4). Enfin, je tire un certain nombre de conclu sions relatives à la notion de nécessité et des rapports qu' elle entretient avec les notions de subjectivité et d' essence (§ 5).
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§ 2 NÉCESSITÉ ET THÉORIES DE LA NÉCESSITÉ. La notion de nécessité peut être dite de diverses choses et entendue en divers sens. Nous disons de certains énoncés qu' ils sont nécessairement vrais ou encore de certains énoncés de nécessité tels que « Socrate est nécessairement un homme » qu' ils sont vrais. De même, nous disons des choses telles que le fait que Socrate est un homme qu' il s' agit de quelque chose de nécessaire ou de quelque chose qui est nécessairement le cas. Or, que disons-nous lorsque nous affirmons de tels énoncés ? A quel type d'énoncés avons-nous alors affaire et quelle est la signification de « être nécessairement . . . » dans chacun de ces cas ? Si l ' on prend ces énoncés au pied de la lettre, il semble bien qu' on ait affaire ici à des énoncés descrip tifs dans lesquels il est dit d'une certaine chose x qu' elle a une certaine propriété ou qu' elle entretient nécessairement une certaine relation avec un autre objet y ou encore que l 'énoncé exprimant cet état de choses est nécessairement vrai. On parlerait alors d' une nécessité s ' appliquant et valant pour les objets réels dont il est question dans les énoncés de néces sité, c ' est-à-dire d' une forme de nécessité de re ou de nécessité méta physique. De tels énoncés auraient donc la prétention de décrire la réalité objective et seraient vrais ou faux en vertu de cette réalité et de l 'état des objets réels concernés. Si une lecture littérale des énoncés de nécessité semble être la plus naturelle, l' idée de notion de nécessité métaphysique peut toutefois sem bler problématique. Elle soulève en fait de nombreuses questions qui méritent d' être examinées sérieusement avant d'accepter une telle notion. Elle semble impliquer notamment que les objets du monde réel obéissent à une certaine forme de nécessité et que c ' est en vertu du fait que certains objets sont effectivement soumis à une telle nécessité que les énoncés de nécessité sont vrais . Mais est-ce bien le cas ? Une telle thèse est-elle défendable ? En fait, l' idée qu' il puisse y avoir une notion sensée fiable de nécessité métaphysique telle qu ' elle a été vaguement caractérisée ici, soulève quatre questions majeures, à savoir : ( 1 ) A quel type d'énoncé a-t-on affaire lorsqu'on rencontre un énoncé dans lequel il est dit de quelque chose qu'il est « nécessaire ment . . . » ? (2) Que veut dire être (d'un point de vue métaphysique) nécessaire ment le cas ? (3) Le fait d'employer des modalités métaphysiques à l'intérieur d'énoncés descriptifs (c'est-à-dire d'énoncés censés dire le vrai ou le faux au sujet d'entités du monde dans lequel nous vivons) nous contraint-il à soutenir qu'il y a de la modalité objective, c'est-à-
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dire, à soutenir qu'il y a, dans la réalité et dans les entités qui la constituent, quelque chose comme de la modalité et, partant, de la nécessité ? (4) Qu'est-ce qui rend vrais nos énoncés modaux ? Une réponse cohérente à ces questions nous fournit ce que j ' appellerai une théorie de la nécessité métaphysique ou encore, par souci de brièveté, une théorie de la nécessité. Face à ces questions, plusieurs types de stratégies sont envisageables. A chacun de ces types de stratégies correspond un type de théorie de la nécessité. Selon une première stratégie, on peut penser que l 'idée même de nécessité est dépourvue de sens. Pour le tenant de cette position, il n ' y a rien d e tel que des énoncés d e nécessité o u des énoncés nécessairement vrais qui sont des énoncés descriptifs et sensés. Pour lui, des expressions telles que « être nécessairement le cas », « être nécessairement vrai » et « être nécessairement . . . » sont tout simplement dépourvues de sens. A première vue, de telles expressions semblent dire quelque chose, elles semblent marquer une différence réelle dans le langage. Toutefois, lorsqu ' on y regarde de plus près, on s ' aperçoit que ces expressions ne veulent rien dire, que leur présence dans le langage descriptif soulève davantage de difficultés, de paradoxes et de zones d' ombres qu' elle ne l 'enrichit. Pour les tenants de cette position, les questions ( 1 ), (2), (3) et (4) sont des pseudo-questions pour lesquelles il n ' y a pas de solution. C'est là la position sceptique. Aux côtés du scepticisme, on trouve, au nombre des positions cri tiques à l 'égard de la notion de nécessité, celle des réductionnistes. Moins radicaux que les sceptiques, les réductionnistes soutiennent que les expressions « être · nécessairement vrai » et « être nécessairement . . . » ne sont pas complètement dénuées de sens. Ainsi, pour eux, il y a bien un sens à demander ce que ces expressions signifient. Toutefois, on aurait tort de penser que le fait de reconnaître et d' admettre la nécessité comme une notion sensée ne nous contraigne à admettre qu'il y a de la modalité objective et que ces énoncés sont vrais ou faux en vertu de la réalité ou de l 'état du monde dans lequel on vit. Pour les partisans du réductionnisme, si ces notions ont quelque sens, si elles expriment quelque chose de sensé, ce ne peut pas être parce que les objets réels sur lesquels les énoncés modaux portent ont nécessairement telle ou telle autre propriété. En fait, pour eux, une telle thèse est inadmissible et on ne peut rendre cette notion intelligible qu' en traduisant les expressions par lesquelles on l 'exprime par des expressions équivalentes qui ne nous contraignent pas à soutenir qu'il y a, au sens fort du mot, de la nécessité, c' est-à-dire de la nécessité
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objective qui subsiste dans la réalité et les objets réels qui nous permettent d'éviter d' avoir à rendre compte de la vérité ou de la fausseté des énoncés de nécessité en faisant appel à des faits concernant la nature ou l ' état actuel de certaines entités réelles. Pour ce faire, les réductionnistes ont privilégié, dans l ' histoire de la philosophie, deux grands types de réduction ou deux grands types d'analyse. Le premier de ces deux types consiste à analyser la nécessité en termes de propriétés linguistiques des énoncés de nécessité. L' analyse de la nécessité de Carnap en termes d' analyticité constitue un bon exem ple de ce type de traduction. Pour Carnap, lorsque je dis qu' il est néces saire que p, je dis bien quelque chose de sensé. Toutefois, lorsque je dis qu' il est nécessaire que p, je ne dis pas que les entités sur lesquelles porte l' énoncé « p » sont, objectivement et nécessairement telles qu'elles sont dites être dans « p ». En fait, on dit plutôt, selon Carnap, que, étant donné une propriété de l' énoncé « p », « p » est tel qu' il ne peut pas être faux. La propriété en question est ce que Carnap appelle la propriété d' analyticité. Un énoncé « p » est analytique pour Carnap lorsqu' il a la propriété séman tique d'être L-vrai, c'est-à-dire la propriété d'être vériconditionnellement vrai s ' i l s ' agit d' un énoncé non-atomique ou encore, s ' i l s ' agit d ' un énoncé atomique d'un langage descriptif donné, la propriété d'être vrai en vertu de la signification des termes qui le composent comme c ' est le cas de l'énoncé « Aucun célibataire n'est marié » . Pour Carnap, on peut donc analyser la nécessité métaphysique comme suit : (5) Il est nécessaire que p . . . « p » est analytique. En posant cette équivalence, on est en mesure de traduire et donc de remplacer toute expression exprimant la nécessité par une occurrence non-contraignante sur les plans ontologique et métaphysique. Le deuxième grand type de position réductionniste consiste à réduire la nécessité métaphysique à une forn1e de nécessité épistémologique ou subjective. Selon cette seconde position, que je qualifierai de position ou de théorie subjectiviste, lorsqu' on dit qu' il est nécessaire que p, on ne veut rien dire d' autre en fait qu' il est inconcevable que p ne soit pas le cas. Concrètement, on obtient donc l 'analyse suivante de la nécessité : (6) Il est nécessaire que p . . . Il est inconcevable que non p Selon les partisans de ce type de théorie réductionniste, ce que l ' on veut dire donc lorsqu' on dit de quelque chose qu' il est nécessaire que cette chose soit ainsi et pas autrement, c 'est que, les être humains étant ce qu' ils sont, ils ne peuvent concevoir ladite chose autrement que de la façon dont ils la conçoivent. Au vingtième siècle, Rescher a développé et
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soutenu une position de ce type 1 . Le premier à l ' avoir endossée ou à avoir endossé une position très proche est sans doute Hume lorsqu' il affirme, dans un célèbre passage du Traité de la nature humaine, que la notion de nécessité ou de connexion nécessaire inhérente aux notions de cause et d'effet n ' a d' autre fondement qu' une habitude subjective de concevoir ce que l ' on appelle « cause » et « effet » comme étant liés l ' un à l' autre 2. Contre les sceptiques et contre les réductionnistes, il y a des philosophes qui, pour reprendre une expression popularisée par Kevin Mulligan pour les désigner, « prennent la modalité au sérieux » et soutien nent que les modalités telles que la nécessité métaphysique s'expriment dans des expressions sensées du langage que nous utilisons pour décrire la réalité. Selon les philosophes qui prennent la modalité au sérieux, les énoncés de nécessité tels que ceux mentionnés précédemment décrivent bel et bien la réalité. Ce sont des énoncés descriptifs qui ont la prétention d'énoncer quelque chose qui est vrai ou faux de la réalité ou des objets réels sur lesquels ils portent. Pour eux, il y a bel et bien quelque chose, dans la réalité, qui rend les énoncés de nécessité vrais ou faux. Il y a, pour reprendre une expression usitée dans l 'école de Brentano, des « porteurs de modalités » dans la réalité objective, des entités qui rendent vrais les énoncés de nécessité. En raison de leur adhésion à la thèse selon laquelle les énoncés de nécessité énoncent quelque chose qui est rendu vrai ou faux par les entités subsistant dans la réalité obj ective, j ' appellerai « objectivistes » les partisans de ce type de théories de la nécessité. S ' il est vrai que les énoncés de nécessité doivent être compris en ter mes objectivistes, quel est le sens de « être nécessairement . . . » ? Que veut dire cette expression ? Sur cette question, les objectivistes ne sont pas tous d' accord. Certains pensent qu' on ne peut y apporter de réponse satis faisante car on a affaire ici à des expressions primitives du langage qui n' admettent pas, par conséquent, de définition ou de traduction dans des termes plus primitifs et mieux connus. Selon les partisans de cette posi tion, on ne peut donc analyser clairement en termes bien connus ce que les expressions modales telles que être nécessairement . . . » signifient. En fait, on ne peut qu' en donner un compte rendu approximatif et partielle ment circulaire nous permettant d ' en faire saisir l ' idée. Ainsi, pour les 1. Sur cette question, cf. Rescher ( 1 975). 2. Le passage en question se lit comme suit : « Thus as the necessity, which makes two times two equal to four, or three angles of a triangle to two right ones, lies only in the act of understanding, by which we consider and compare these ideas ; in like manner the necessity or power, which unites causes and effects, lies in the determination of the mind to pass from the one to the other. The efficacy or energy of causes is neither plac'd in the causes them selves, nor in the deity, nor in the concurrence of these two principles ; but belongs entirely to the soul, which considers the union of two or more objects in aU past instances » . Hume, ( 1 95 1 , p. 1 66).
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tenants d e cette position, force est d ' admettre que l ' expression « être nécessairement . . . » et toutes celles au moyen desquelles on exprime la nécessité métaphysiques sont irréductibles. Suivant Kit Fine, je qualifie de modalistes les tenants de cette position 1 . D ' autres obj ectivistes pensent quant à eux qu' on peut analyser les modalités à l ' aide d ' expressions plus primitives. Ces obj ectivistes adhèrent ainsi à une position que l ' on pourrait qualifier de non-modaliste. Parmi ces obj ectivisites non-modalistes, certains sont d ' avis que l ' on peut, dans la foulée des sémantiques des mondes possibles, analyser la nécessité en termes de quantification sur tous les mondes possibles. Ainsi, étant donné un objet x, une propriété F et un monde m, quelconques, on peut analyser le fait pour x d'être nécessairement F comme suit : (7) x est nécessairement F . . 'v'm dans lequel x existe (x est F dans m) .
L'expression « x est nécessairement F » peut, dès lors, être remplacée par « Fx est vrai dans tous les mondes possibles dans lequel x existe » . Néanmoins, contrairement à c e qui s e passe dans l e cas o ù o n a affaire à une position réductionniste, les énoncés modaux expriment bien de la modalité métaphysique en ce sens qu' ils sont vrais en vertu de la réalité objective. Dans le cadre d' une théorie de ce type, c ' est parce qu' il y a, dans la réalité objective, des choses telles qu'un individu possible subsis tant dans un monde possible m distinct du monde actuel mû que certains l énoncés de nécessité sont vrais. Une telle position a été très en vogue au cours des quarante dernières années. Elle a compté en David Lewis un de ses représentants les plus illustres 2. Une autre forme possible de théorie objectiviste non-modaliste con siste à expliquer les modalités en faisant appel non pas à des entités non actuelles, mais à la nature des entités actuelles. Pour les partisans de ce type de théories, ce qui, dans le monde, rend les énoncés de nécessité vrais, ce ne sont pas des entités subsistant dans divers mondes possibles, mais bien plutôt des propriétés ou des faits concernant la nature des objets du monde dans lequel on vit. Ainsi, pour les partisans de cette position, la notion de nécessité s ' analyse comme suit : (8) « x est nécessairement . . . » . . . « x est essentiellement . . . » Récemment, Kit Fine a soutenu une position de ce type concernant la nécessité métaphysique 3.
1 . S u r ce, cf. Fine, ( 1 977, p. 1 16). 2. Sur ce, cf. Lewis, ( 19 86) et Loux, ( 1979). 3. Sur ce, cf. Fine, ( 1992).
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