Asmara: La Petite Rome africaine. Balades dans la capitale de l'Érythrée 2343056846, 9782343056845

En 1935, Mussolini décide de faire d'Asmara la vitrine coloniale du régime fasciste. Un programme d'envergure

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Asmara: La Petite Rome africaine. Balades dans la capitale de l'Érythrée
 2343056846, 9782343056845

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Asmara La Petite Rome africaine

Antoinette Jeanson-Martin Paul-Antoine Martin

Asmara La Petite Rome africaine Balades dans la capitale de l’érythrée

© L’Harmattan, 2015 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.harmattan.fr [email protected] ISBN : 978-2-343-05684-5 EAN : 9782343056845

Sommaire Introduction Repères

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Un peu d’Histoire...

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Asmara : des origines à nos jours

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Balades dans la petite Rome Naissance de l’Asmara italienne

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Au fil de Harnet Avenue

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L’Asmara où se mêlent les cultures

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En se promenant vers la fontaine Mai Jah Jah

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La zone industrielle

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La cité-jardin

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Autour du palais présidentiel

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Dans les faubourgs d’Asmara

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Asmara en gros plan

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Nichée au cœur des hauts plateaux de la corne de l’Afrique, la ville d’Asmara, capitale de l’Érythrée, offre au visiteur un ensemble d’architecture moderniste qui soutient sans rougir la comparaison avec le célèbre quartier Art Déco de Miami Beach en Floride. Au début du XXe siècle, Asmara est encore la modeste capitale d’une colonie endormie. Tout change en 1935 quand Mussolini décide de transformer la ville pour en faire la vitrine coloniale du régime fasciste. Un programme démesuré de construction et de colonisation est lancé pour créer de toutes pièces une petite Rome sous le soleil d’Afrique. À son apogée en 1940, Asmara est une ville moderne, habitée par plus de 55 000 Italiens. La splendeur sera néanmoins de courte durée. À la suite de la défaite italienne lors de la deuxième guerre mondiale, l’Érythrée est annexée par l’Éthiopie et les colons italiens s’exilent. Cependant, les Érythréens se lassent de la domination autoritaire des Éthiopiens et se soulèvent en 1961 pour gagner leur indépendance. La guerre de libération se déroulera dans l’indifférence du reste du monde pendant 30 ans jusqu’à l’indépendance de l’Érythrée en 1991. Par chance, Asmara a été épargnée par les combats, ce qui laisse son patrimoine architectural quasiment intact.

Les Asmarinos ont conservé un style de vie qui évoque l’Italie de Fellini : de vieux messieurs élégants en conversation autour d’un macchiatto, la jeunesse se rendant à la passeggiatta du soir sur l’avenue principale pour se retrouver autour d’une pizza. De la guerre de libération, les Asmarinos ont aussi gardé une méfiance vis-à-vis des étrangers mais passée cette froideur apparente, ils partagent volontiers avec le voyageur leurs souvenirs et la fierté de leur patrimoine unique. Aujourd’hui, Asmara souffre durement des difficultés économiques et de l’isolement de l’Érythrée mais son âme perdure. A travers quelques balades dans les quartiers de cette Petite Rome, vous découvrirez les trésors architecturaux et les ambiances hors du temps qui survivent cachés dans ce coin reculé de la corne de l’Afrique.

Aujourd’hui encore, les larges avenues, les bars et les villas cossues ouvrent au voyageur une fenêtre sur une ambiance surannée, mélange de Dolce Vita et d’Afrique de l’est, quelque part entre les années 1930 et 1950. Asmara n’est pas seulement une ville-musée figée dans le temps, c’est aussi une ville animée où habitent plus de 700 000 Asmarinos issus de toutes les ethnies du pays, qui ont su s’approprier cette ville unique après le départ des colons italiens.

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Repères Superficie : 117 600 km² Population : 6,3 millions en 2014 répartis en 9 groupes ethniques : les principaux étant le Tigrinya (55% de la population) et le Tigré (30% de la population) Villes principales : Asmara 712 000 habitants et Keren 145 000 habitants Religion : 58% de chrétiens orthodoxes, 37% de musulmans et 5% de catholiques Langues officielles : tigrinya, arabe et anglais. L’italien est encore largement pratiqué par la population âgée

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Un peu d’Histoire... L’Érythrée est un État jeune, dont les frontières ont été fixées à la fin du XIXe siècle par les puissances coloniales. Avant cette date, ce territoire est, pendant des siècles, le terrain d’affrontement du monde musulman et du christianisme orthodoxe éthiopien. Sa position stratégique le long de la route des Indes et du canal de Suez finira par attirer l’attention des grandes puissances qui se livreront à une compétition féroce pour prendre pied dans la région. Un territoire très tôt convoité : le pays de Pount La première mention de l’Érythrée dans l’Histoire nous provient de l’Égypte Antique. Le pays fait alors partie du pays de Pount, région d’où les Égyptiens tiraient de grandes richesses. Au prix de mille dangers, les expéditions maritimes envoyées par les pharaons rapportent les produits de luxe prisés par l’aristocratie : or, encens, ivoire ou peaux de léopards. Pour les Égyptiens, accomplir la traversée jusqu’à cette contrée lointaine est un tel exploit qu’il est immortalisé sur les bas-reliefs des tombes des pharaons. Ces expéditions prennent fin avec la chute du nouvel empire au XIe siècle avant J-C. Au IIIe siècle avant J-C, des marchands grecs fondent le port d’Adoulis sur la côte érythréenne pour exploiter les richesses des hauts plateaux de l’intérieur. La ville est idéalement placée le long de la route commerciale qui relie le monde romain antique à l’Inde. Adoulis s’enrichit et devient une escale prisée par les marchands qui se risquent au long et périlleux trajet pour obtenir les produits d’Inde tels que la soie, les épices ou les

pierres précieuses. Cette richesse insolente attire l’attention d’un puissant voisin alors en pleine expansion : le royaume d’Axoum. L’âge d’or du royaume Axoumite Les débuts du royaume d’Axoum sont nimbés de mystères mais sa fondation remonterait au Ve siècle avant J-C. Le royaume se développe autour de la ville éponyme d’Axoum, située dans les hauts plateaux de la région du Tigray, au nord de l’Éthiopie actuelle. Au Ier siècle après J-C, le royaume d’Axoum s’empare de la ville d’Adoulis et de sa position d’intermédiaire incontournable sur la route des Indes antique. Axoum devient alors un partenaire privilégié de l’Empire Romain. L’apogée de ce royaume se situe aux IIIe siècle et IVe siècle après J-C durant lesquels son autorité s’étend sur une région couvrant le nord de l’Éthiopie, l’Érythrée et une partie de la côte yéménite. La richesse d’Axoum se matérialise par des villes monumentales. Le site de la ville d’Axoum en Éthiopie, témoigne encore aujourd’hui de la grandeur de cette civilisation. Elle laissera aussi une trace en Érythrée avec les sites de Qohaito et de Keskese, principales ville-étapes entre Adoulis et Axoum.

Bas-relief représentant les richesses du pays de Pount ramenées par l’expédition de la reine Hatchepsout au XVe siècle avant JC

En 325, le roi Ezana se convertit au christianisme orthodoxe grâce à l’action du missionnaire syrien Frumentius. Cette conversion entraîne la construction d’un vaste réseau d’églises et de monastères en Éthiopie et en Érythrée sous le parrainage des rois d’Axoum. Ce tissu dense de lieux cultes perdure encore largement dans la région. Le monastère de Debré Libanos fondé au VIe siècle dans le centre de l’Érythrée est le lieu de culte le plus ancien du pays.

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Trois siècles plus tard, en 632, l’arrivée de l’islam va avoir des conséquences fatales pour Axoum. D’abord chassé de la péninsule arabique, Axoum va recevoir un coup mortel quand ses alliés byzantins sont chassés d’Égypte en 641 par l’armée musulmane. Coupé des routes commerciales qui ont fait sa richesse, le royaume d’Axoum connaît un déclin économique très rapide. Affaibli, il est également attaqué par des califats indépendants venus du Soudan et des îles Dahlak. Aucun document n’a survécu pour nous éclairer sur l’agonie d’Axoum, qui restera aussi mystérieuse que sa naissance. Il est probable que cet État se disloque en plusieurs royaumes indépendants au Xe siècle. Malgré une disparition brutale, l’héritage de la civilisation d’Axoum imprègne profondément la région. Outre la religion chrétienne orthodoxe majoritaire à 58% en Érythrée, la langue d’Axoum, le ge’ez, donnera naissance au tigrinya qui est la langue maternelle de plus de la moitié des Érythréens. Les luttes religieuses marquent durablement l’identité de la région Obélisque dans les ruines d’Axoum

La chute d’Axoum permet aux califats de prendre pied sur la côte et l’ouest de l’Érythrée et d’islamiser les populations présentes. En parallèle, des tribus arabes venues du Soudan et de la péninsule arabique s’installent dans la région. Dans les hauts plateaux du centre de l’Érythrée et d’Éthiopie, les petits royaumes qui ont survécu restent fidèles à la religion chrétienne. Située à la frontière entre ces deux mondes, l’Érythrée hérite de cette époque son caractère multi-confessionnel et multi-ethnique.

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Entre le XIe et le XVIe siècle, la lutte continue entre califats et royaumes chrétiens de l’intérieur. De l’un de ces royaumes émerge au XIIe siècle l’empire Éthiopien qui unifie la résistance chrétienne sous la direction de la dynastie Zagoué. Après plusieurs siècles de statu quo, l’Éthiopie est envahie en 1531 par les armées du sultanat d’Adal parties de Djibouti. Le salut éthiopien viendra d’alliés aussi précieux qu’inattendus après des siècles d’isolement. La fin de l’isolement et l’arrivée des Portugais En 1488, le navigateur Bartholomée Dias double le cap de Bonne Espérance et ouvre la route de l’Océan Indien aux Portugais. Ces derniers s’emparent de la suprématie navale au détriment des Ottomans et imposent leur monopole sur le très lucratif commerce des épices. En 1508, les Portugais établissent le premier contact avec l’Éthiopie. Les liens diplomatiques établis constituent le premier contact de l’Éthiopie avec un royaume chrétien depuis le temps d’Axoum. Afin de libérer l’Éthiopie de l’emprise du sultanat d’Adal, les Portugais envoient un corps expéditionnaire qui parviendra à chasser les troupes d’Adal en 1543. L’échec de la réplique ottomane L’Empire Ottoman est déterminé à reprendre le contrôle de la route des épices. Vaincus sur mer, ils vont attaquer les Portugais par la terre en s’emparant des bases portugaises en mer Rouge et dans le Golfe Persique. En 1557, les troupes d’Özdemir Pasha parviennent jusqu’à la ville de Massaoua et s’emparent de toute la côte érythréenne.

Epuisées et trop éloignées de leur base arrière, les troupes ottomanes ne parviendront plus à avancer. Le commerce des épices reste donc dans les mains des Portugais. Dès lors, il ne subsiste à Massaoua qu’une petite garnison ottomane qui se borne à effectuer des raids saisonniers dans les hauts plateaux chrétiens pour ramener des esclaves et du bétail. À partir du XVIIe siècle, l’essor du commerce transatlantique porté par la traite négrière marginalise la route des épices historique. La côte érythréenne voit sa prospérité millénaire décliner et les villes marchandes d’autrefois s’assoupissent. L’irruption de l’impérialisme égyptien Au XIXe siècle, le déclin de l’Empire Ottoman aiguise l’appétit d’hommes ambitieux qui cherchent à se tailler leur propre domaine. Né dans l’Albanie ottomane en 1769, Méhémet Ali est de la trempe de ces hommes-là. Envoyé en 1801 en Égypte pour y rétablir la souveraineté ottomane après le retrait de l’armée napoléonienne, Méhémet Ali profite de la situation pour se faire reconnaître comme gouverneur d’Égypte par le Sultan ottoman. Travailleur infatigable et visionnaire, Méhémet Ali veut faire de l’Égypte un État moderne et puissant, au service de son ambition personnelle. Il lance un grand programme de développement des infrastructures et met sur pied une armée nombreuse et bien équipée. Cette armée permet à l’Égypte de se lancer à la conquête du Soudan en 1820 puis de gagner son indépendance vis-à-vis des Ottomans. En 1839, Méhémet Ali obtient le droit d’installer sa propre dynastie sur le trône égyptien.

Méhémet Ali meurt en 1849 mais ses successeurs continueront son œuvre d’expansion vers le sud. Son petit-fils, Ismaël le Magnifique, intronisé en 1863, décide de conquérir l’Éthiopie pour contrôler les sources du Nil. Pour ce faire, il rachète Massaoua et la côte érythréenne aux Ottomans, heureux de se débarrasser d’une possession lointaine et coûteuse. Ismaël se lance ensuite à l’assaut d’une Éthiopie prise en étau entre Massaoua et le Soudan. En 1871, les Égyptiens parviennent à conquérir l’est de l’Érythrée actuelle avec la ville de Keren. Le coup d’arrêt à l’expansion égyptienne est porté en 1876 à Gura où les troupes éthiopiennes de l’empereur Yohannes IV écrasent les Égyptiens, figeant la frontière entre les deux pays. L’Érythrée sous domination égyptienne sort de sa torpeur grâce aux travaux d’infrastructures et la mise en place d’une administration dédiée à la collecte de l’impôt. L’objectif des autorités coloniales égyptiennes est de faire participer le territoire érythréen au financement de la ruineuse politique de conquête de l’Égypte. En effet, les finances d’Ismaël sont au plus bas. Le coût des guerres successives combiné aux dépenses astronomiques engagées pour la construction du canal de Suez grèvent sérieusement les finances du royaume. Avec un pays en déficit chronique, Ismaël aura de plus en plus de mal à maintenir son autorité sur des territoires fraîchement conquis.

La ville de Massoua comporte encore de nombreux bâtiments de l’époque ottomane

Le canal de Suez redistribue les cartes Le 17 novembre 1869, le canal de Suez est officiellement inauguré par Ismaël le Magnifique et l’impératrice française Eugénie. L’œuvre de Ferdinand de Lesseps est une révolution pour le commerce international mais redonne également un

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intérêt stratégique à une région oubliée des grandes puissances depuis le XVIIe siècle. La mer Rouge retrouve une position stratégique le long d’une route des Indes moderne qui ne convoie plus d’épices mais relie le Royaume-Uni au joyau de son Empire : le Rajh des Indes, passé sous tutelle anglaise en 1858. La protection de l’artère jugulaire de l’Empire devient l’obsession des Britanniques qui se rendront maîtres du canal de Suez en 1875 en rachetant les parts d’Ismaël, réduit à vendre ses bijoux de famille pour boucler son budget. Déjà présents à Aden depuis 1839, les Anglais sont maîtres des détroits de la mer Rouge. À ce titre, ils exercent un droit de regard sur les puissances qui voudraient s’établir dans la région. Pour éviter une incursion des rivaux français, ils soutiennent à grands frais les Égyptiens présents en Érythrée depuis 1865.

Francesco Crispi (1819 - 1901), le père de l’impérialisme italien

Cependant, l’Égypte est à bout de souffle et c’est du Soudan que viendra le coup de grâce. Mécontents du joug brutal de l’administration égyptienne, les peuples soudanais se révoltent en 1881 sous la férule de Muhammad Ahmad Al-Mahdi qui se proclame Mahdi de l’islam. L’insurrection réussit à chasser les forces égyptiennes du Soudan et à créer un État théocratique indépendant qui coupe les possessions égyptiennes en Érythrée de la mère patrie. L’état Mahdiste survivra à la mort de son fondateur en 1885 et restera un facteur de déstabilisation de toute la région pendant une décennie. Dans l’intervalle, la situation financière de l’Égypte est devenue intenable ; afin d’éviter la faillite, elle en est réduite à devenir protectorat britannique en 1882. Pour apurer son passif, l’Égypte est contrainte de renoncer à ses conquêtes : l’Érythrée tenue par les Égyptiens est donc évacuée en 1884.

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Cet effondrement crée un appel d’air qui ne laisse pas insensible les puissances européennes, alors en plein « grand jeu » pour se tailler un empire colonial en Afrique et en Asie. Afin de bloquer l’expansion des Français qui occupent déjà Djibouti depuis 1883, les Anglais, privés de la carte égyptienne, vont favoriser une jeune nation ambitieuse mais pauvrement dotée jusqu’à présent. Une Italie ambitieuse et déterminée L’Italie est alors une nation jeune dont l’unité remonte à 1870. Comme en Allemagne, les forces vives italiennes ont été mobilisées pour mener à bien le grand dessein de l’unification et le pays aborde le début des années 1880 en position de faiblesse dans le « grand jeu » colonial. Frustrée par la France de ses prétentions sur la Tunisie, l’Italie cherche à tout prix à obtenir sa « place au soleil ». La cause impérialiste est défendue avec passion par un avocat et homme politique au caractère volcanique, Francesco Crispi. Président du conseil de 1887 à 1891 puis de 1893 à 1896, Crispi fut le Jules Ferry italien, partisan inlassable de l’expansion coloniale comme sésame pour accéder au statut de grande puissance. L’opportunité érythréenne est une occasion en or pour l’Italie qui décide de consacrer des moyens considérables à la conquête. La première étape a lieu dans le sud de l’Érythrée avec le rachat en 1882 de la baie d’Assab par le gouvernement italien à la compagnie génoise Rubattino. Les Italiens s’emparent ensuite du port de Massaoua en 1885 grâce au soutien logistique des Britanniques.

Après la conquête de la côte, les Italiens se lancent en 1887 à l’assaut des hauts plateaux de l’intérieur mais se heurtent à l’empereur éthiopien Yohannes IV. Après plusieurs succès, le corps expéditionnaire italien est bloqué à Dogali par le général Ras Aloula. Frustrés de ce qui devait être une victoire facile sur des « sauvages », les Italiens préparent leur revanche en portant leur corps expéditionnaire à 20 000 hommes et intriguent pour affaiblir Yohannes IV.

Naissance de la colonie et coup d’arrêt à l’expansion italienne

Le souverain éthiopien est alors dans une situation délicate, son empire étant menacé de toutes parts. Outre les Italiens, il est confronté aux razzias des Mahdistes et aux ambitions de Menelik, un noble éthiopien qui convoite ouvertement le trône impérial. Pour prendre le pouvoir, ce dernier décide de se tourner vers les Italiens. Ceux-ci s’empressent de le reconnaître comme empereur légitime, espérant en faire leur marionnette pour affaiblir l’Éthiopie.

Dès le départ, Crispi veut faire de l’Érythrée une colonie de peuplement pour détourner les candidats à l’émigration à destination des États-Unis ou de la France vers une terre considérée comme italienne. Les autorités confisquent la majeure partie des terres arables aux populations locales pour les réserver aux colons.

La mort au combat de Yohannes IV en mars 1889 contre les Mahdistes permet à Menelik d’accéder au trône sous le nom de Menelik II. En reconnaissance de leur soutien, les Italiens se voient accorder la souveraineté sur l’Érythrée par le traité de Wouchalé signé le 2 mai 1889. Cependant, l’interprétation de ce traité est sujette à controverse. La traduction italienne fait de l’Éthiopie un protectorat italien alors que la version éthiopienne est bien plus vague, Menelik II n’entendant pas devenir le jouet des Italiens. Ce désaccord fondamental porte en germe la reprise des hostilités. En dépit de ces malentendus, l’Italie tient enfin sa première conquête coloniale et le 1er janvier 1890, le roi Umberto Ier proclame l’Érythrée colonie italienne. L’Érythrée est la colonia primogenata, la première colonie, et à ce titre, elle occupera une place spéciale dans l’imaginaire colonial italien.

Les premières années de la colonie sont marquées par la pacification de la région. L’armée italienne doit intervenir contre les Mahdistes qui menacent l’ouest de l’Érythrée et réprimer les rébellions qui éclatent dès la proclamation de la domination italienne.

Cette politique de spoliation déclenche une rébellion immédiate dans le centre de l’Érythrée. Sous le commandement de Bahta Hagos, un ancien auxiliaire (ascari) de l’armée italienne, 1 600 paysans et soldats se dressent pour chasser les Italiens de la colonie et s’emparent de la ville de Segeneiti le 15 décembre 1894. Leur succès est de courte durée car l’armée italienne intervient rapidement et écrase les rebelles. Bahta Hagos est tué au combat et sa dépouille est jetée dans une fosse commune. Cette rébellion sans espoir le fait néanmoins rentrer au panthéon du nationalisme érythréen.

Menelik II, empereur d’Éthiopie de 1889 à 1913

Ce soulèvement est d’autant plus préoccupant pour les Italiens que la guerre reprend avec l’Éthiopie. En 1893, une fois son pouvoir assuré, Menelik II s’empresse de dénoncer l’encombrant traité de Wouchalé. Ce geste constitue un casus belli pour les Italiens qui se décident à en finir avec ce souverain peu docile. Les hostilités démarrent en 1895 mais les Italiens sous-estiment gravement leur adversaire. Souverain éclairé, Menelik II a lancé un programme de modernisation

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de son pays et a constitué une armée puissante. Il est ainsi capable d’aligner 80 000 hommes équipés de fusils et d’artillerie alors que le corps expéditionnaire italien sous les ordres du général Oreste Baratieri ne compte que 18 000 hommes. Au vu de ce déséquilibre, l’avance italienne est prudente et Baratieri cherche à user la vaste armée éthiopienne. Le gouvernement Crispi, mécontent de ces maigres résultats, décide de forcer la main au général Baratieri et d’engager l’armée dans une bataille décisive autour de la ville d’Adoua. Cette bataille mal préparée tourne au désastre pour les Italiens qui subissent une défaite écrasante le 1er mars 1896. La bataille d’Adoua est la première défaite d’une puissance européenne face à une armée africaine. Cette humiliation marque au fer rouge l’orgueil de la jeune nation italienne. Des émeutes éclatent alors dans les grandes villes de la péninsule pour réclamer la tête des coupables. Après avoir sacrifié en vain le général Baratieri, c’est finalement un Crispi discrédité qui doit démissionner le 10 mars 1896.

Le général Oreste Baratieri

Menelik, conscient de la fragilité de son pays resté largement féodal, préfère conclure une paix définitive avec les Italiens. Le traité d’Addis-Abeba signé le 23 octobre 1896 consacre l’indépendance de l’Éthiopie mais reconnaît la souveraineté italienne sur l’Érythrée. C’est la fin du premier acte entre Éthiopiens et Italiens. Consolidation de l’emprise italienne en Érythrée La disgrâce de Crispi met fin à la politique de spoliation qui avait cours depuis 1890. Sous l’impulsion du gouverneur Martini (1897 – 1907), commence une phase de consolidation qui durera jusqu’en 1932. Les autorités italiennes adoptent une approche plus souple et plus respectueuse des structures sociales en place. Partout

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où il est possible, elles s’appuient sur les potentats locaux pour maintenir l’ordre et lever les impôts. L’administration prend soin de respecter les coutumes et les croyances des différents groupes ethniques, qu’ils soient chrétiens orthodoxes ou musulmans. L’objectif des Italiens est de créer les conditions pour voir émerger une classe marchande prospère et pouvoir recruter sans difficulté des ascaris pour la conquête et la pacification des autres colonies italiennes de Libye et de Somalie. Les autorités encouragent la création d’un système de plantations, principalement dans les plaines côtières. Parallèlement, la colonie se dote d’un réseau routier et ferroviaire de qualité pour faciliter les échanges. C’est également à cette époque qu’Asmara devient la capitale lorsque le gouverneur Martini choisit de quitter la fournaise de Massaoua pour le climat plus clément des hauts plateaux. À la fin de cette période, la colonie est pacifiée et la prospérité s’installe mais le rêve d’une grande colonie de peuplement a vécu. Seuls 4 700 Italiens, principalement des fonctionnaires, sont présents dans la colonie en 1931. Cependant, le désir ardent du régime mussolinien de laver l’affront d’Adoua va bouleverser le destin de l’Érythrée. Le nouvel Empire Romain Si l’avènement du fascisme en 1922 n’a eu que peu d’impact en Érythrée, la situation change radicalement à partir de 1932. Mussolini décide de faire de la corne de l’Afrique le centre de l’expansion italienne. La raison est double : Mussolini souhaite venger dans le sang la défaite d’Adoua et créer un ensemble territorial d’un seul tenant : l’Afrique Orientale Italienne (AOI), réunissant l’Éthiopie et les colonies italiennes de Somalie et d’Érythrée. Dans

la vision mussolinienne, l’AOI sera le nouvel empire Romain, où le génie italien triomphant pourra exprimer la supériorité du modèle fasciste. Pour faire aboutir son projet, Mussolini ne regarde pas à la dépense. Entre 1932 et 1940, l’Italie va consentir à un effort considérable en hommes et en matériel. L’Érythrée devient la base arrière de l’agression fasciste, une campagne militaire qui promet d’être massive et sans pitié. L’afflux de colons et d’investissements entraîne un développement économique accéléré avec la construction d’infrastructures supplémentaires : réseau téléphonique, routes asphaltées... Des villes comme Asmara ou Dekemhare sont repensées selon des schémas directeurs d’urbanisation qui utilisent les concepts les plus modernes de planification. C’est à cette époque que les architectes italiens transforment Asmara en petite Rome africaine, vitrine du modernisme italien. Dans le nouvel empire Romain, les Érythréens n’ont qu’un rôle subalterne à jouer et doivent se contenter d’être soldats ou ouvriers. À partir de 1932, un apartheid strict est mis en place pour séparer physiquement les Italiens des « sauvages » : création de quartiers indigènes, ségrégation dans les transports en commun ou les restaurants. Parallèlement, les Érythréens se voient refuser l’enseignement au-delà du cycle élémentaire pour éviter la formation d’élites capables de développer une revendication nationaliste. En octobre 1935, Mussolini déclare la guerre à l’Éthiopie de l’empereur Hailé Sélassié. 600 000 hommes équipés d’avions et de tanks vont affronter l’armée éthiopienne restée au temps de Menelik II. Malgré une résistance acharnée, les Éthiopiens succombent face aux Italiens qui n’hésiteront pas à bombarder les civils et à employer des gaz de combat, pourtant prohibés par la convention de Genève. Tout au

long de cette campagne, les Ascaris érythréens seront en première ligne et subiront des pertes importantes. Le 2 mai 1936, l’empereur Hailé Sélassié prend la route de l’exil tandis que les Italiens occupent Addis-Abeba. Le 1er juin 1936, Mussolini peut enfin annoncer la création de l’Afrique Orientale Italienne. La défaite d’Adoua a été effacée dans le sang, au prix de milliards de lires et d’une guerre cruelle. Au sein de l’AOI, l’Érythrée est choisie pour devenir une puissance industrielle. Les investissements massifs de la métropole continuent après 1936 pour créer un tissu industriel dense, en s’appuyant sur l’arrivée continuelle de colons italiens. Leur nombre passe de 4 700 en 1935 à 65 000 en 1939.

Autorail type Littorina à la gare d’Asmara dans les années 1930

À cette date, l’Érythrée est l’un des pays les plus modernes du continent : le taux d’urbanisation est de 20% et 2 000 usines produisent des biens allant des pâtes aux paires de chaussures, en passant par les cigarettes. Cependant, l’entrée de l’Italie dans la seconde guerre mondiale va ruiner ce rêve de grandeur. La fin du rêve impérial En juin 1940, l’entrée de l’Italie dans la deuxième guerre mondiale entraîne le début des hostilités avec les Britanniques en Afrique Orientale. Les troupes italiennes sous le commandement du vice-roi Amédée de Savoie-Aoste profitent de l’impréparation britannique pour s’emparer de petites ville-frontières au Soudan et au Kenya. Mais ces succès sont sans lendemain. Coupés de la métropole et sans espoir de ravitaillement, les Italiens sont contraints de passer rapidement à la défensive. La défaite des Italiens à Keren le 6 mars 1941 fait sauter le verrou qui protégeait l’Érythrée

Ces autorails sont toujours en fonctionnement plus de 80 ans après

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et entraîne l’effondrement de l’armée italienne. Amédée de Savoie-Aoste doit se rendre le 18 mars 1941.

grandes puissances (URSS, USA, Britanniques et Français) pour statuer sur son sort.

À peine cinq ans après sa proclamation, c’est déjà la fin de l’Afrique Orientale Italienne. Victorieux, les Anglais rétablissent Hailé Sélassié sur le trône éthiopien et mettent en place une administration militaire pour diriger l’Érythrée en attendant la victoire finale. Dès le départ, l’administration britannique se veut provisoire et cette dernière veillera à limiter les coûts d’occupation au minimum.

L’Érythrée rentre alors dans une période trouble mélangeant violence politique et violence crapuleuse. Les partisans de l’indépendance (principalement musulmans) et ceux du rattachement à l’Éthiopie (majoritairement chrétiens) n’hésitent pas à recourir à des attentats pour faire avancer leur cause. Parallèlement, les campagnes connaissent un mouvement de brigandage d’ampleur qui s’en prend aux colons italiens. Confrontée à ces troubles, la commission des quatre puissances est incapable de statuer et se dessaisit de ce dossier insoluble au profit de l’ONU en 1948. Les tergiversations continuent jusqu’en 1950, personne ne sachant que faire de ce petit territoire si divisé.

Les autorités anglaises mettent cependant fin aux injustices les plus criantes en supprimant le système d’apartheid et en ouvrant totalement l’enseignement aux Érythréens. Ils créent également un cadre législatif permettant l’émergence d’une vie politique libre : légalisation des partis et des syndicats, proclamation de la liberté de la presse. L’Érythrée découvre alors l’exercice de la démocratie moderne. Les premiers partis politiques érythréens se forment rapidement, la plupart sur des bases confessionnelles chrétiennes ou musulmanes.

L’Afrique Orientale Italienne est un thème majeur de la propagande mussolinienne

Surpris par le niveau de développement et la qualité des infrastructures, les Anglais, sous couvert de réparations de guerre, se livrent à un pillage en règle. Usines et infrastructures sont démontées pour être envoyées dans les colonies anglaises, principalement au Kenya. Ce pillage handicape durablement l’économie érythréenne pour les décennies à venir. L’indépendance volée et le mariage forcé avec l’Éthiopie Après la victoire finale en 1945, les Alliés redessinent les frontières des pays vaincus. Le tour de l’Érythrée vient en 1947 avec la création d’une commission réunissant les quatre

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Finalement, la solution vient des États-Unis qui veulent faire de l’Érythrée un pion dans la Guerre Froide qui vient de commencer. Les Américains proposent que l’Érythrée soit rattachée à l’Éthiopie sous la forme d’une fédération laissant une large autonomie aux Érythréens. Derrière cette démarche, les États-Unis veulent empêcher qu’une Érythrée indépendante passe dans l’orbite de l’URSS. La solution de la fédération permet de faire passer une région stratégique sous le contrôle de l’Éthiopie, un allié sûr qui ne manquera pas de se montrer reconnaissant. Le 2 décembre 1950, la résolution 390 votée par l’ONU entérine la solution américaine. Contrairement aux autres colonies italiennes, l’Érythrée se voit donc refuser l’indépendance et contracte un mariage forcé avec son voisin éthiopien.

Le début du soulèvement national

La lutte contre le régime d’Hailé Sélassié

La fédération est proclamée le 15 septembre 1952 après une période transitoire. L’Érythrée est dotée d’un drapeau et d’un parlement distinct qui a autorité sur les affaires locales et la police. De la part des Éthiopiens reconnaissants, les États-Unis héritent de la base radio de la marine italienne à Asmara qui deviendra l’un des centres d’écoute les plus importants de la Guerre Froide.

Les dix premières années de lutte voient les rangs de l’ELF se grossir d’Érythréens de toute provenance, au-delà de la base initialement musulmane de l’ELF. Les autorités éthiopiennes accentuent leur politique de répression des populations civiles, ce qui pousse de nombreux Érythréens à s’enfuir au Soudan pour s’entasser dans des camps de réfugiés.

Satisfaits de leur dotation, les Américains laissent à Hailé Sélassié les mains libres en Érythrée. Ce dernier gouverne alors en despote un empire resté largement féodal et entreprend de mettre au pas sa nouvelle conquête. Les libertés civiles sont suspendues et l’autonomie érythréenne est peu à peu étranglée par la terreur. Une fois l’opposition détruite, Hailé Sélassié peut alors procéder à l’annexion pure et simple de l’Érythrée en 1962 dans le silence de l’opinion mondiale qui se désintéresse complètement de la région. La domination éthiopienne provoque une réaction nationaliste dès les années 1950. Aux premières manifestations pacifiques, le régime répond par une répression sanglante. Cette réponse brutale convainc les patriotes érythréens que seule la lutte armée pourra rendre l’indépendance volée. Les premiers nationalistes érythréens sont des musulmans formés à l’école pan-arabe du nassérisme et du FLN algérien. Ces derniers forment le Front de Libération Érythréen (ELF) en juillet 1960. Le 1er septembre 1961, les premiers coups de feu sont tirés par des guérilleros de l’ELF contre des forces de police. C’est le début d’une lutte armée sans merci qui durera 30 ans.

Cependant, les dissensions ethnico-religieuses croissantes au sein de l’ELF entraînent l’explosion du mouvement et la création d’un groupe concurrent en 1973 : le Front de Libération du Peuple Érythréen (EPLF), sous la houlette d’Isaias Afeworki. La guerre civile qui s’ensuit entre les deux mouvements aboutit finalement sur une réconciliation et un partage du pays : à l’EPLF Keren et le nord, à l’ELF tout le reste. A cette époque, les deux mouvements de libération se sont affranchis du nassérisme et adoptent une idéologie proche de la Chine communiste, professant le dépassement des divisions ethniques et religieuses et la révolution agraire. Cependant, le soutien extérieur fait défaut et aucun pays ne s’engage officiellement à soutenir la lutte pour l’indépendance. A l’inverse, l’Éthiopie est soutenue à bouts de bras par les États-Unis qui fournissent du matériel de guerre et des cadres à l’armée éthiopienne. Malgré ce soutien, l’armée éthiopienne commence à reculer sous les coups de la guérilla, d’autant que la répression et son cortège d’exactions prive le régime de tout soutien dans la population érythréenne.

Hailé Sélassié (1892 - 1975), empereur d’Éthiopie

La décomposition de l’armée éthiopienne en Érythrée se double d’une décomposition politique en Éthiopie. En 1975, les mouvements nationalistes sont tout près de la victoire.

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Le « repli stratégique » et la victoire finale Lassée du pouvoir autocratique et brutal d’Hailé Sélassié, la société éthiopienne est en pleine effervescence. De nombreuses manifestations éclatent à Addis-Abeba tout au long de l’année 1974. Profitant de l’état d’anarchie du pays, des officiers militaires proches du marxisme et regroupés en comité (le Derg) organisent un coup d’état qui renverse Hailé Sélassié le 12 septembre 1974 et porte Hailé Mariam Mengitsu au pouvoir. En Érythrée, les mouvements nationalistes parviennent à profiter de la déliquescence éthiopienne pour libérer 95% du pays en 1975 et assiéger Asmara, dernière étape avant la victoire finale. Cependant, le Derg parvenu au pouvoir en Éthiopie n’entend pas abandonner la partie. Mengitsu décide de rejoindre le bloc soviétique et reçoit en échange d’énormes quantités de matériel militaire russe et plusieurs centaines de conseillers militaires.

Cette photo est devenue l’icône de la lutte pour l’indépendance

Fort de ce soutien, le Derg lance à partir de 1976 une série d’offensives très dures contre les nationalistes érythréens. En 1978, l’offensive la plus importante parvient à détruire l’ELF tandis que l’EPLF doit effectuer sa version de la « Longue Marche » pour se replier sur son bastion de Nacfa dans les montagnes du nord-ouest érythréen. C’est à Nacfa que l’EPLF parviendra à résister aux offensives éthiopiennes qui se succèdent. Le nom de cette ville deviendra le symbole de la résistance et du courage des Érythréens. L’EPLF profite de cette période pour prendre l’ascendant sur un ELF affaibli. Une deuxième guerre civile en 1982 permet de chasser l’ELF qui se réfugie au Soudan et doit cesser toute activité en Érythrée. Cette guerre civile est menée en coopération avec les forces du Front de Libération du Peuple

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Tigray (TPLF), un mouvement du nord de l’Éthiopie également en lutte contre le régime du Derg et qui se révèlera un allié précieux par la suite. Sur le terrain, l’EPLF crée un réseau administratif et éducatif souterrain qui prend en main la vie des villages et des villes sous occupation. L’EPLF y impose son programme avec un certain succès : partage des terres, démocratie, égalité des sexes et alphabétisation, qui deviennent des thèmes familiers aux Érythréens. En 1986, le régime du Derg est à bout de souffle et le statu quo s’installe. La guerre et les sécheresses répétées ont créé une situation humanitaire effroyable : 365 000 Érythréens ont fui au Soudan où ils s’entassent dans des camps insalubres. En Érythrée, l’aide humanitaire est détournée par le Derg pour nourrir ses soldats. A cette date, l’EPLF est devenu une force redoutable. Privé de soutien extérieur, le mouvement a mis sur pied des ateliers clandestins qui fabriquent ou réparent tous les produits nécessaires à la guerre, de la sandale à la Kalachnikov en passant par les radios. En 1988, l’EPLF brise le statu quo en remportant une victoire décisive à Afabet qui permet de libérer le nord et l’ouest de l’Érythrée. En février 1990, c’est au tour de la ville de Massaoua d’être libérée. L’ultime bataille est livrée le 21 mai 1991 à Dekemhare et permet de chasser complètement l’armée éthiopienne d’Érythrée. Le 24 mai, les forces de l’allié éthiopien, le TPLF, rentrent à Addis-Abeba et chassent Mengitsu du pouvoir, ouvrant la voie à l’indépendance érythréenne. En juillet 1990, l’EPLF forme le gouvernement provisoire qui préparera l’indépendance obtenue de haute lutte après 30 ans de combats et au prix de 65 000 morts.

La construction d’une nouvelle nation Déjà indépendante de facto depuis sa victoire en 1990, l’Érythrée cherche à obtenir la reconnaissance de l’ONU qui impose la tenue d’un référendum. Le vote a lieu en avril 1993 et 99,8% des votants se déclarent en faveur de l’indépendance qui est proclamée le 24 mai 1993. L’indépendance de l’Érythrée suscite de grands espoirs, l’EPLF apparaît alors comme une force pragmatique, attachée aux principes démocratiques. Mais le pays est en ruine et les infrastructures sont détruites : les routes ont été minées et les rails de chemin de fer arrachés. Le peu d’industries subsistantes ont été détruites par l’armée éthiopienne et 85% des Érythréens dépendent de l’aide alimentaire pour survivre. La tâche qui attend l’EPLF et son chef Isaias Afeworki, désormais président de la République, est immense. L’EPLF décide de quitter ses habits militaires en 1994 et se transforme en Front du Peuple pour la Démocratie et la Justice (PFDJ). Le parti s’installe au pouvoir pour une période transitoire avant la mise en place d’une constitution et la tenue d’élections libres. Une fois au pouvoir, le parti n’arrive pas à se défaire d’une certaine méfiance vis-à-vis de l’étranger. Alors que le besoin de reconstruction est immense, le pouvoir restreint l’action des organismes internationaux et préfère recourir à ses propres forces. En 1994, un service national obligatoire est mis en place pour enrôler tous les Érythréens dans les travaux de reconstruction. Sur le plan politique, les travaux sur la constitution démarrent en 1995 mais excluent les partis rivaux du PFDJ, toujours considérés comme illégaux. En 1997, la constitution est rédigée et des élections sont prévues pour l’entériner. Cependant, le

regain de tension avec l’Éthiopie entraine un report sine die des élections. En effet, les relations avec l’Éthiopie du TPLF se tendent considérablement dans les années 1990. Les points de friction se multiplient, le plus symbolique étant le remplacement du Birr éthiopien par la monnaie érythréenne, le Nakfa, en 1997. En mai 1998, des affrontements dans la ville-frontière de Badme dégénèrent en guerre ouverte. Cette guerre durera jusqu’en 2000 et les affrontements auront un prix humain élevé : 80 000 morts et 750 000 déplacés du côté érythréen. L’accord d’Alger en décembre 2000 met fin au conflit sous la médiation de l’ONU. La guerre a porté un coup mortel à la fragile économie érythréenne et casse tout espoir de développement. Les ports de Massaoua et d’Assab ont été ruinés par la diversion durable du trafic maritime éthiopien vers Djibouti. L’état d’urgence né de la guerre sert de prétexte à un raidissement du pouvoir. Le 19 septembre 2001, profitant de l’émotion soulevée par les attaques du 11 septembre aux États-Unis, le président Afeworki décide de verrouiller le pays. Les membres réformateurs du PFDJ et les journalistes indépendants sont jetés en prison. La plupart ne survivront pas à des conditions d’emprisonnement très dures. Plus aucune voix dissidente ne peut s’élever contre le régime.

Isaias Afewerki, président de l’Érythrée indépendante

Depuis 2001, l’Érythrée d’Isaias Afeworki est mise au ban par la communauté des nations pour son régime répressif. L’économie est à l’arrêt et de nombreux jeunes Érythréens bravent les horreurs de l’émigration clandestine pour échapper à un service militaire à durée indéterminée et aux pénuries du quotidien. La jeune république prometteuse de 1990 est devenue l’une des dictatures les plus fermées au monde.

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Asmara en 1929

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Asmara : des origines à nos jours Les premières traces d’occupation régulière sur l’emplacement d’Asmara remontent au Xe siècle après J.C. Des villages sont édifiés au sommet des quatre collines qui dominent le site mais ne constituent pas un ensemble urbain d’un seul tenant. Ce territoire fait alors partie de l’empire éthiopien et constitue un poste-frontière avec les sultanats musulmans de la côte. Le nom d’Asmara trouve son origine dans la légende qui entoure sa fondation. Selon la tradition, Asmara est fondée le 21 juin 1515 quand les femmes des quatre villages forcent les hommes à s’unir en une seule cité pour les protéger du brigandage. La nouvelle cité est baptisée Asmara, « les villages des femmes qui ont apporté l’harmonie » en langue tigrinya. La ville devient rapidement un centre caravanier important sur la route entre le port de Massaoua et les hauts plateaux. La prospérité est cependant de courte durée car les troupes du sultanat d’Adal détruisent la ville en 1534. Asmara ne se relèvera pas de ce coup brutal et restera un village peu important jusqu’au XIXe siècle. La renaissance intervient en 1884 quand l’empereur Menelik II envoie son général Ras Aloula construire un poste fortifié sur le site d’Asmara pour bloquer l’expansion italienne. Le verrou saute le 3 août 1889 quand les Italiens du général Baldissera occupent la ville. Asmara est alors une petite ville de 2 000 âmes. Le premier bouleversement survient en 1900 quand le gouverneur Martini décide de transférer la capitale de la colonie de Massaoua à Asmara pour profiter de la douceur du climat et de l’abondance des sources d’eau. En 1911, l’ouverture du chemin de fer reliant Asmara au port de Massaoua permet de désenclaver la ville et de faciliter les échanges avec la métropole. En ce début de XXe siècle, le développement d’Asmara est lent mais régulier. La ville est construite selon un plan à damier mais l’absence de direction architecturale se traduit par un grand éclectisme. En 1931, Asmara compte 3 000 Italiens et 5 500 Érythréens.

Le second bouleversement a lieu en 1932 quand Mussolini décide de fonder un nouvel empire Romain dans la corne de l’Afrique. Asmara est choisie pour devenir la Rome africaine et refléter la grandeur de l’Empire fasciste. Pour transformer la ville, le régime déverse des milliards de lires et pousse 50 000 colons italiens à s’installer sur place entre 1932 et 1940. Pour créer une Petite Rome en Afrique, les autorités font appel aux techniques de planification urbaine les plus modernes. La ville est divisée en aires fonctionnelles pensées selon la politique d’apartheid en vigueur, chaque race étant soigneusement séparée. La zone italienne est construite avec soin : assainissement moderne, avenues larges et fleuries et constructions de grande qualité. En revanche la ville indigène est largement délaissée et reste marquée par la désorganisation et le manque d’hygiène. Cette période de construction effrénée constitue le terrain de jeu idéal pour les courants architecturaux modernistes qui fleurissent dans l’Italie fasciste. Les jeunes architectes vont bénéficier à Asmara d’une liberté de création sans commune mesure avec la métropole. Trois courants majeurs vont laisser une empreinte durable sur l’architecture d’Asmara. Le plus emblématique de tous est le Futurisme. Né en 1909 avec le manifeste du Futurisme de Filippo Tommaso Marinetti, ce mouvement glorifie la machine, la violence et la guerre. Après la première guerre mondiale, il devient le compagnon de route du fascisme dont il partage la rhétorique guerrière et l’exaltation du progrès. Le courant futuriste veut adapter l’architecture Art Déco, jugée trop universaliste, à l’idéologie fasciste. Cela se traduit par un style dépouillé, aux antipodes du flamboyant Art Déco américain de la même époque. Le Futurisme d’avant-guerre célèbre l’automobile et l’aviation, symboles de modernité et de vitesse. Ce courant a signé l’un des plus beaux exemples de réalisation futuriste au monde : la station-service Fiat Tagliero en forme d’avion. (voir pp 104-107)

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La résidence Novocomum à Côme par Giuseppe Terragni en 1929, une des réalisations phares du mouvement rationaliste

Le courant du Novecento est également bien représenté à Asmara. Né à Milan en 1922 avec Giovanni Muzio en figure de proue, il rejette l’avant-gardisme au profit d’une adaptation contemporaine de l’architecture néo-classique italienne du XVe siècle et XVIe siècle. Les architectes de ce courant recourent aux lignes néo-classiques et utilisent abondamment des décorations extérieures élaborées.

Sous la domination éthiopienne, chômage et pauvreté deviennent massifs tandis que les derniers Italiens émigrent. L’arrivée du Derg au pouvoir en 1974 et de sa politique de terreur va pousser de nombreux habitants à l’exil vers les camps de réfugiés du Soudan. En 1977, on ne dénombre plus que 90 000 habitants à Asmara contre 200 000 trois ans plus tôt.

Le dernier-né des courants modernistes est le Rationalisme. Fondé en 1926 par de jeunes architectes qui cherchent une voie médiane entre Novecento et Futurisme. Ce courant est attaché à l’aspect fonctionnel du bâtiment et promeut un esthétisme géométrique débarrassé de toute décoration superflue. Les rationalistes sont associés à des projets d’envergure en Italie comme la construction du quartier de l’exposition universelle (EUR) à Rome. Ils laisseront également leur empreinte sur de nombreux bâtiments d’Asmara. Ce mouvement connaîtra une postérité prestigieuse, inspirant des architectes comme Le Corbusier et Niemeyer.

Paradoxalement, les malheurs d’Asmara vont protéger son patrimoine architectural unique au monde. L’appauvrissement de la ville bloque tout projet urbain susceptible de défigurer l’héritage des années italiennes. Revers de la médaille, le manque de moyens empêche l’entretien des bâtiments qui commencent à se dégrader sérieusement à partir des années 1970. Asmara a également la chance de rester à l’écart des combats de la guerre d’indépendance et ne subira pas de destructions importantes.

La croissance d’Asmara continue jusqu’à l’entrée en guerre de l’Italie en juin 1940. A cette date, 55 000 Italiens et près de 120 000 Érythréens y habitent. La Petite Rome est devenue réalité : les avenues fleuries et les nombreux bars recréent la Dolce Vita de la Mère Patrie. La ville est devenue en quelques années une vitrine du modernisme architectural.

Le Palazzo Mutton à Asmara s’inspire du Novocomum

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La défaite italienne et l’occupation d’Asmara le 1er avril 1941 par les Britanniques met un terme au fabuleux développement de la ville. Sous couvert des réparations de guerre, les occupants se livrent à un pillage industriel qui détruit une grande partie du potentiel économique de la ville. Cet appauvrissement et les violences politiques qui apparaissent en 1945, déclenchent l’émigration de la communauté italienne.

Après l’indépendance, le nouveau pouvoir prend rapidement conscience de l’intérêt culturel et touristique que revêt le centre-ville d’Asmara. Malgré les impératifs de reconstruction du pays, le gouvernement déclare le centre-ville d’Asmara zone historique et lance un programme de rénovation à grande échelle. La ruineuse guerre de 1999-2000 contre l’Éthiopie entraîne l’arrêt de ce programme. Aujourd’hui, le centre historique se dégrade toujours faute de fonds. Malgré les vicissitudes de l’Histoire, ce patrimoine exceptionnel a traversé plusieurs décennies et permettra à Asmara de devenir une destination touristique phare en Afrique une fois le pays stabilisé.

Station-service FIAT Tagliero (voir pp 104-107), un des plus beaux exemples au monde d’architecture futuriste

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Naissance de l’Asmara italienne

Le premier quartier à être aménagé par les Italiens à leur arrivée en 1889. Proche du camp militaire, ce quartier s’organise autour de la Piazza Roma qui était le coeur de la ville avant d’être supplantée par la via Mussolini en 1935. Avec leur style éclectique, les bâtiments de ce quartier témoignent de l’époque où Asmara n’était que la capitale modeste d’une colonie endormie.

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Hôtel Albergo Italia, 1899 Un des plus vieux bâtiments d’Asmara encore debout. Cet hôtel de luxe a été entièrement restauré en 2010 en respectant l’esprit d’origine. C’est aujourd’hui encore l’une des meilleures adresses de la ville. 27

À gauche : Construite en 1915, cette ancienne banque abrite aujourd’hui une annexe de l’université. Elle donne sur l’ancienne Piazza Roma, le cœur de l’Asmara du début du XXe siècle. L’architecture évoque le style néo-baroque pourtant peu représenté à Asmara.

À droite : Bâtiment commercial datant de 1905 situé sur l’une des avenues partant de la Piazza Roma. Le mélange d’influences mauresques et Art Nouveau est typique des réalisations de cette époque à Asmara. 28

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À gauche : Entrée du bureau de poste d’Asmara, construit en 1916.

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À droite : Vue de la poste depuis l’entrée

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À gauche : Les guichets sont décorés de marbre et l’éclairage est assuré par des fenêtres de verre coloré.

À droite en haut : L’entrée est décorée de fresques présentant les richesses agricoles des principales villes d’Érythrée. À droite en bas : La distribution du courrier s’effectue encore dans ces boîtes postales louées à l’année par les Asmarinos. 33

Bar Vittoria, début du XXe siècle Un des plus vieux bars d’Asmara, réputé pour ses brioches à l’ancienne.

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Theâtre national d’Asmara, 1920 Situé à une extrémité de l’artère principale d’Asmara, ce théâtre était jusqu’en 1935 le plus grand édifice de la ville. Converti en cinéma en 1937 sous le nom de Cinema Asmara, le théâtre a aujourd’hui retrouvé sa fonction d’origine. 37

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À gauche : L’entrée du théâtre abrite un bar.

À droite : Portique inspiré de l’architecture romaine classique. 39

À gauche : La salle du théâtre s’étend sur trois niveaux.

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À droite : Le plafond est décoré par une fresque d’inspiration Art Nouveau représentant des danseuses entourées de paons.

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Au fil de Harnet Avenue

L’avenue Harnet (« indépendance » en tigrinya) est l’endroit où bat le cœur d’Asmara. Petite rue calme au début du XXe siècle, l’ancienne via Mussolini est devenue en 1935 l’artère principale de la ville, concentrant une large part des bâtiments les plus emblématiques. Aujourd’hui, elle reste le rendezvous des Asmarinos de tous âges pour la promenade du soir, la fameuse passeggiata.

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Ministère de l’éducation, construit en 1928 et modifié en 1940. Le bâtiment d’origine abritait le siège du parti fasciste en Érythrée (Casa del Fascio), séparé de l’avenue par des jardins. Le frontispice portait une dédicace au frère de Mussolini, Arnaldo. En 1940, les autorités décident d’ajouter une façade monumentale pour exalter la puissance guerrière du régime. La partie rouge de la façade figure un F couché en hommage au fascisme. Le bâtiment est à peine achevé lors de l’occupation britannique d’Asmara en 1941. En 1952, l’édifice est choisi pour abriter le parlement érythréen dans le cadre de la fédération avec l’Éthiopie. L’annexion pure et simple de l’Érythrée en 1962 le laisse sans usage. A l’indépendance, le ministère de l’Education s’installe dans ce bâtiment. Pour marquer la naissance du nouvel État, l’horloge de la façade est figée à 12h45, l’heure à laquelle le drapeau érythréen a été hissé sur Asmara libérée.

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Palazzo Faletta, 1938 Construit sur le modèle d’un château fort, cet édifice compte une tour à chaque angle.

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Le rez-de-chaussée est occupé par des commerces et des bureaux tandis que les étages abritent des appartements de standing aujourd’hui en mauvais état.

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À gauche : Cour intérieure du Palazzo Falletta. Les cages d’escalier se situent dans les quatre tours d’angle.

À droite : Au centre de la cour intérieure, une coupe Medicis donne une touche résolument italienne. 49

Cathédrale Saint Joseph, consacrée en 1923 La cathédrale catholique se trouve au coeur d’un vaste complexe regroupant une mission, une école et un monastère. Cet édifice est un très bel exemple d’architecture néo-romane lombarde. Le campanile de style gothique offre le plus beau point de vue sur Asmara du haut de ses 52 mètres.

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À gauche : Immeuble de style rationaliste construit en 1939.

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À droite : Bâtiment donnant sur Harnet Avenue construit dans les années 1940.

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Cinéma Impero, 1937 Construit par l’architecte Mario Messina. Sa façade est l’un des meilleurs exemples de l’architecture moderniste à Asmara. Le nom de Cinema Impero fait directement référence à l’empire colonial italien dont l’Érythrée était le joyau.

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Palazzo Mutton, 1944 Le style rationaliste est un hommage à la résidence Novocomum réalisée en 1929 par l’architecte Giuseppe Teragni à Côme en Italie. Ce bâtiment comporte aujourd’hui des appartements, un supermarché et une fabrique de chaussures.

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Bowling d’Asmara, années 1950 Construit dans un style qui rappelle les bowlings américains de l’époque, c’est aujourd’hui l’un des derniers bowlings manuels au monde. Les quilles sont remises en place par des enfants qui trouvent là l’occasion de gagner un peu d’argent de poche après l’école.

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L’Asmara où se mêlent les cultures

Symbole d’une ville où différentes ethnies et religions cohabitent, le quartier du marché abrite la grande mosquée d’Asmara et la cathédrale orthodoxe. Véritable poumon économique de la ville, ce quartier a été aménagé de manière grandiose par les Italiens en 1938. Le marché s’anime chaque matin quand les fermiers des alentours installent leurs échoppes tandis que retentissent les appels à la prière du muezzin et les cloches de la cathédrale. 61

À gauche : Habitation de 1937 d’inspiration rationaliste.

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À droite : Maison futuriste bâtie en 1938. L’allure générale du bâtiment rappelle la forme d’une locomotive.

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Place du marché aux grains, aménagée au début du XXe siècle et rénovée en 1938. La place est utilisée comme marché dès le début du siècle. En 1932, lorsque la politique de ségrégation est introduite, le marché devient la seule zone où peuvent se côtoyer Italiens et Érythréens. En 1938, la municipalité lance un vaste projet pour transformer la zone du marché en place monumentale, digne de la Rome Antique. La modeste colonnade du début du siècle (en arrière-plan) devait être entièrement remplacée par des arcades majestueuses (au premier plan). Ce chantier n’a pas pu être terminé avant l’occupation britannique de 1941 et est resté inachevé depuis.

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À gauche : Immeuble rationaliste des années 1940.

À droite : Maison de style nautique inspiré des paquebots des années 1930. 66

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À gauche : Grande mosquée Al Khulafa Al Rashiudin construite par les Italiens lors de la rénovation du quartier du marché en 1938.

À droite : Immeuble de 1938, les arcades rappellent le marché aux grains voisin. 69

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Marché aux légumes et aux poissons, 1937 Ce bâtiment est une annexe située au sud du marché aux grains. L’architecture employée reprend le thème des colonnades qui devait marquer l’ensemble de la zone de marché. Un dôme de style mauresque (à gauche) permet d’éclairer l’intérieur.

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À gauche : Scène de rue au nord du marché.

À droite : Le besoin de rénovation de certains bâtiments du centreville historique d’Asmara se fait sentir. 73

Cathédrale orthodoxe Nda Mariam, 1938 Construite sur le site originel de l’Asmara du Moyen-Âge, cette cathédrale utilise la technique de construction traditionnelle des hauts plateaux érythréens, marquée par l’alternance d’une couche de pierres et d’une couche de mortier.

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En se promenant vers la fontaine Mai Jah Jah

Les habitations au sud-est de Harnet Avenue se font progressivement moins denses à mesure que l’on se rapproche de la fontaine. L’agitation du centre-ville laisse peu à peu place au calme d’un quartier résidentiel bourgeois.

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À gauche : Immeuble de 1944. Bien que tardif, cet édifice utilise reprend les angles arrondis à la mode dans les années 1930.

À droite : La cage d’escalier de cet immeuble évoque la forme d’une coquille d’escargot.

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À gauche : Bar-discothèque construit dans un style typiquement Art Deco.

À droite : À leur départ, les colons italiens ont confié leurs petits commerces à leurs employés érythréens.

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Ci-dessus : Siège du monopole des tabacs construit en 1938. Il est aujourd’hui occupé par la société British American Tobacco qui fabrique et commercialise les cigarettes en Érythrée. 82

À droite : La décoration à l’aide de briques apparentes n’est pas très répandue à Asmara.

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À gauche : Maison de la fin des années 1930 qui utilise les formes rondes populaires à l’époque.

À droite : Villa Grazia (1942), l’une des dernières villas construites pour les colons italiens. 84

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À gauche : Maison de style rationaliste.

À droite : Habitation de la fin des années 1940. 86

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Fontaine Mai Jah Jah, 1938 Le nom de la fontaine signifie « eau courante » en tigrinya. Elle se situe au milieu d’un parc étagé qui marque l’entrée dans le quartier populaire de Gheza Banda. La fontaine est hors-service depuis plusieurs années.

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La zone industrielle

Lors de la planification urbaine de 1935, le sud d’Asmara a été réservé aux activités industrielles. Cette zone a connu un fort développement avec l’industrialisation rapide du pays entre 1935 et 1940 et une chute tout aussi rapide à partir des années 1960. Cependant, ce quartier possède un intérêt touristique majeur grâce à la présence du bâtiment le plus emblématique du modernisme à Asmara : la station-service FIAT Tagliero. 91

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Siège de la compagnie Alfa Romeo, 1937 Cet édifice abritait le siège d’Alfa Romeo en Érythrée.

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Bar Lodi, fin des années 1930 Situé en face d’Alfa Romeo, il s’y dégage un charme suranné propre aux nombreux bars d’Asmara.

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À droite : Le quartier comporte de nombreux garages, partiellements reconvertis en petits commerces. 96

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Garage FIAT, début des années 1930 Ce complexe abritait le garage central de la marque FIAT en Érythrée. L’établissement était dirigé par les frères Alberto et Giovanni Tagliero qui donneront leur nom à la station-service proche. (pp 104-107)

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À gauche : Vue générale du garage. Au début des années 1940, le garage devait devenir une chaîne d’assemblage pour produire des voitures pour le marché local. Le pillage industriel organisé par les Britanniques a empêché la réalisation de ce projet.

À droite en haut : Vue des postes de réparation. Le garage se charge encore de l’entretien des nombreuses voitures FIAT anciennes qui roulent toujours à Asmara.

À droite en bas : Le stock de pièces détachées est encore géré de manière manuelle et contient des pièces pour des modèles vieux de plus de 50 ans. 101

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À gauche : Siège de l’IRGA construit en 1961. Cet édifice construit tardivement reprend néanmoins les codes de l’architecture rationaliste.

À droite : Le système d’adduction d’eau date de l’époque italienne. Le besoin de rénovation est criant. 103

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Station-service FIAT Tagliero, 1938 Construit par l’architecte Giuseppe Pettazzi, ce bâtiment est l’un des édifices les plus audacieux de l’architecture futuriste dans le monde. Inspiré de la forme d’un avion, cette station-service s’inscrit dans la droite ligne des oeuvres de Frank Lloyd Wright. Les ailes de béton de plus de 30 mètres d’envergure constituent un exploit d’ingénierie pour l’époque. La légende veut que l’architecte ait forcé les ouvriers à retirer les poteaux de soutènement sous la menace d’un revolver, tant leur crainte était grande que le bâtiment s’effondre. Cet édifice unique est le symbole du patrimoine architectural d’Asmara. Il a fait l’objet d’une restauration complète en 2006.

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À droite : Le nom Tagliero vient des frères qui exploitaient la marque FIAT dans les années 1930 à Asmara. (pp 98-101) 107

La cité-jardin

Le quartier situé immédiatement au sud de Harnet Avenue est le plus chic de la ville et abrite de nombreuses villas construites pour les entrepreneurs et les hauts fonctionnaires italiens. Ecrin de l’élite de la société coloniale, cette zone a été construite comme une cité-jardin où devait se retrouver la douceur de vivre de la métropole.

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Villa Spinelli, 1936 Cette villa de style cubiste a été construite pour l’homme d’affaires Spinelli, propriétaire des entrepôts du même nom. (pp 148-150) C’est aujourd’hui l’un des hôtels les plus agréables d’Asmara.

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À gauche : Vue depuis le jardin de la villa Spinelli qui offre une vue sur le centre-ville d’Asmara et le Palazzo Falletta.

À droite : Façade fleurie dans le quartier des villas. 112

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Cinéma Odéon, 1937 Le style moderniste de la façade rappelle celui du Cinema Impero. La salle Art Déco comporte deux niveaux. Le masque de comédie au dessus de la scène est un rappel de la Rome Antique, modèle esthétique du régime fasciste.

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Page précédente : Maison de plain pied représentative des bâtiments construits au début du XXe siècle dans la zone italienne. À gauche : Immeuble d’habitation de la fin des années 1930.

À droite : Cet immeuble des années 1940 est surnommé le « Spaghetti Building » par les Asmarinos en raison de la décoration de ses balcons qui ressemble à des pâtes en train de sécher. 119

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Albergo Hamasien, 1919 Deuxième hôtel construit à Asmara après l’Albergo Italia, cet édifice à l’architecture alpine tranche avec le reste des bâtiments d’Asmara. 121

Autour du palais présidentiel

La zone autour du palais présidentiel (ex-palais des gouverneurs) n’a été aménagée qu’à partir de la fin des années 1930. Ce quartier est moins densément peuplé et abrite de nombreux bâtiments officiels ainsi que des clubs de loisirs destinés initialement aux fonctionnaires et militaires italiens.

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Bristol Pension, début des années 1940 Ce bel exemple d’architecture Art Déco a fait la Une d’un magazine de Chicago spécialisé dans les années 1990. L’édifice abrite un hôtel depuis sa construction. 124

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Cinéma Roma, 1937 Initialement dénommé Cinema Excelsior, ce cinéma se distingue par l’emploi du marbre en façade sur lequel se détachent les lettres ROMA. Comme tous les cinémas de l’époque, il abrite un bar dans le hall d’entrée. La salle comprend deux niveaux, l’étage étant réservé aux sièges de première classe. Le cinéma a été récemment modernisé et accueille de nombreux évènements culturels.

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Bar Zilli, fin des années 1930 La forme particulière de ce bâtiment s’inspire des postes de radio de l’époque. 128

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Piscine municipale, 1944 Cet édifice est la première réalisation de l’architecte asmarino Arturo Mezzedimi, à seulement 22 ans. Il devient par la suite l’architecte préféré de Hailé Sélassié et signe de nombreuses réalisations majeures à Addis-Abeba. La construction, très moderne pour l’époque, est de grande qualité. Le système de filtration de l’eau est toujours en service plus de 70 ans après. La piscine a été restaurée en 2012.

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À gauche : Ancien quartier général de la police coloniale, érigé en 1938. Le bâtiment de style Novecento abrite aujourd’hui le ministère de la Santé.

À droite : Ancienne chambre de commerce italienne, bâtie dans les années 1930. Elle est aujourd’hui occupée par le ministère de l’industrie. 133

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Cinéma Capitol, 1937 Le plus grand cinéma d’Asmara est aujourd’hui en très mauvais état. La salle est interdite au public par crainte d’un effondrement.

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À gauche : Le bar du Cinema Capitol est toujours ouvert.

À droite : Entrée de service du cinéma. 137

Dans les faubourgs d’Asmara

Ici se trouvent les habitations de la classe moyenne des colons qui travaillait dans les nombreux garages et entrepôts de la zone industrielle. Un peu excentré, ce quartier calme tranche avec l’activité frénétique de la ville.

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Bar Aquila, fin des années 1930 Comme dans la plupart des bars d’Asmara, le mobilier et la machine à café remontent à l’époque italienne. Les Asmarinos pratiquent encore le billard italien (cinque birilli) qui consiste à renverser des quilles dans un ordre précis en lançant les boules à la main.

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À gauche : Maison des années 1930.

À droite : Maison d’angle 143

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Garage Dal Re, fin des années 1930 145

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À gauche : Immeuble rationaliste abritant des logements et un garage 147

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Page précédente et à gauche : Entrepôt érigé à la fin des années 1930 pour la société Spinelli. Il a la particularité d’être totalement circulaire.

À droite : Villa de style Art Déco construite pour un riche entrepreneur italien. Le bâtiment abrite aujourd’hui les bureaux de la Banque Mondiale. 150

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Asmara en gros plan

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Bibliographie Histoire de l’Érythrée et d’Asmara LUGAN B., Histoire de l’Afrique, des origines à nos jours, Paris, Ellipses Marketing, 2009, 1245 p. MANTRAN R. (Dir.), Histoire de l’empire Ottoman, Paris, Fayard, 2003, 810 p. CONNELL D., KILLION T., Historical dictionary of Eritrea, Lanham, Scarecrow Press, 2010, 688 p. CONNELL D., Against all odds, a chronicle of the Eritrean Revolution, Asmara, Red Sea Press, 1995, 340 p. CONNELL D., Building a New Nation: Collected Articles on the Eritrean Revolution (1983-2002), Asmara, Red Sea Press, 2004, 472 p. CONNELL D., Taking on the Superpowers: Collected Articles on the Eritrean Revolution (1976-1983), Asmara, Red Sea Press, 2005, 550 p.

Pour aller plus loin sur l’architecture coloniale italienne MCLAREN B., Architecture And Tourism in Italian Colonial Libya: An Ambivalent Modernism, Washington, University of Washington Press, 2006, 360 p. FULLER M., Moderns Abroad: Architecture, Cities and Italian Imperialism, Oxon, Routledge, 2006, 273 p.

Crédits photos Histoire de l’Érythrée et d’Asmara Hans Bernhard © By SA - p.5 Ondřej Žváček © By SA - p.8 Shabait © By SA - p.15

Balades dans la petite Rome Toutes les photos sont la propriété d’Antoinette Jeanson-Martin et de Paul-Antoine Martin.

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