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Table des matières Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
V
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1
Les indispensables sur la dépression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
4
La dépression, qu’est-ce que c’est ?
6
Faire le diagnostic
9
Leçon 1
Leçon 2
Leçon 3
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La dépression au fil de l’âge
18
L’évolution
18
Le traitement
23
Que nous apprennent les recherches scientifiques ? . . . . . .
32
Les grands architectes
34
Les processus cognitifs
39
Les schémas dépressogènes
45
Une démarche thérapeutique très efficace
49
Comment créer une bonne alliance thérapeutique avec un patient déprimé ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
54
Comprendre le discours du patient déprimé
56
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TABLE DES MATIÈRES
Leçon 4
VIII
Leçon 5
Leçon 6
L’attitude du thérapeute
59
Le style des questionnements
61
Le feedback
64
Le renforcement positif
68
Le discours psychoéducatif
68
La prescription des tâches
69
La structure des entretiens
70
Une relation de collaboration
73
L’alliance thérapeutique dans la 3e vague
75
Quand l’alliance thérapeutique a du mal à se mettre en place . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
78
Percevoir l’inadéquation dans l’alliance thérapeutique
80
L’utilisation stratégique du feedback
83
Les principes à retenir
84
Quand le trouble de la personnalité défie la thérapie
85
Les premiers entretiens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
94
Les entretiens préliminaires
96
Le premier entretien clinique
97
Les premières auto-observations
99
L’évaluation quantitative de la dépression
103
Interpréter les résultats
110
L’orientation thérapeutique immédiate
111
Comment poser une indication de TCC de la dépression ? . 114 L’analyse fonctionnelle
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116
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Table des matières
La conclusion de l’analyse fonctionnelle ou conceptualisation de la souffrance du patient
Leçon 7
Leçon 8
Leçon 9
Leçon 10
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128
Construire le contrat thérapeutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138 Le choix des objectifs
141
Les techniques possibles pour formuler des objectifs
144
La hiérarchisation des objectifs
147
Le choix des procédures thérapeutiques
147
Les techniques comportementales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150 Quand utiliser les techniques comportementales ?
152
Un programme thérapeutique modulaire
155
La planification des activités
157
Le séquençage en sous-étapes
158
La résolution de problème
159
L’affirmation de soi
161
La relaxation
162
Limites et résolution
162
IX
L’activation comportementale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164 Qu’est-ce que l’activation comportementale ?
166
Les pionniers de l’approche comportementale
167
L’activation comportementale aujourd’hui
167
Identifier les pensées négatives dépressives . . . . . . . . . . . . . 178 Le postulat cognitif
180
Expliquer les liens entre la situation, les émotions, les cognitions et le comportement
181
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TABLE DES MATIÈRES
L’identification des pensées dysfonctionnelles en rapport avec les symptômes
Leçon 11
Leçon 12
X
Leçon 13
Leçon 14
Leçon 15
Déjouer le piège des pensées négatives dépressives . . . . . . 192 L’enregistrement des pensées alternatives
194
L’examen de l’évidence
195
La recherche d’alternatives de pensée
201
La modification de l’intensité émotionnelle
204
La confrontation à la réalité
206
La poursuite de l’auto-enregistrement des pensées dépressives
208
Vaincre les difficultés
209
Déjouer les biais de pensée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212 L’identification des processus cognitifs
214
Les méthodes pour déjouer les biais de pensée
217
Identifier les schémas dysfonctionnels. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230 Les formes des schémas cognitifs
233
L’identification des schémas
233
Assouplir les schémas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 250 Comment assouplir les schémas ?
252
Les méthodes comportementales
255
Les techniques cognitives
260
Les techniques affectives et interpersonnelles
267
L’appropriation du nouveau schéma
272
Comment prévenir les rechutes ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 274 Les TCC et la prévention des rechutes dépressives
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184
277
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Table des matières
La thérapie comportementale et cognitive basée sur la pleine conscience
279
Et si la dépression s’associe à d’autres troubles psychiatriques ?
282
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285 Annexe — Guide d’auto-évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 287 Les cognitions
288
Les processus
288
Liste des encadrés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 290 Liste des tableaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 294 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 295
XI
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Préface Dr Alain GÉRARD
où les leçons se donnaient de vive voix n’est plus. La parole vive de l’oralité a dû s’adapter au monde de l’écrit, charge à la rédaction de demeurer vivante. Les quinze leçons proposées par Christine Mirabel-Sarron et Aurélie Docteur sont des exemples de rigueur, de clarté et de concision : pas de développements inutiles, pas de charabia, les définitions indispensables et des exemples cliniques éclairants.
L
A PÉRIODE HEUREUSE
La dépression est décrite comme un mal dont on dénonce l’inéluctable progression (en 2020, elle sera au second rang mondial des maladies affectant l’espèce humaine) mais qu’on refuse d’aborder comme une vraie maladie distincte du mal-être civilisationnel. Une maladie – au sens médical du terme – dont il faut sans passion ni idéologie dominante comprendre les causes multiples et particulières pour chaque sujet, et les mécanismes complexes mais identifiables. Une maladie qu’il est possible de prévenir et de guérir dès lors qu’on associe le traitement de l’épuisement biologique et le travail sur le sens, les antidépresseurs et les psychothérapies. Bien qu’il n’existe pas de modèle exclusif pour comprendre, traiter et prévenir, l’association antidépresseurs et psychothérapie a démontré scientifiquement une efficacité dans le traitement de la maladie dépressive. Il faut absolument se donner les moyens d’empêcher qu’un épisode initial de dépression-maladie ne se transforme inéluctablement en maladievie-entière... Soigner les déprimés avec les thérapies cognitives : oui. La technique, progressive, hiérarchisée, doit être apprise méthodiquement, elle fournira un cadre thérapeutique indispensable aux entretiens, aidera à définir la place de chacun. Garfiels disait en 1980 que « le thérapeute est un guérisseur sympathique, et non moralisateur qui manifeste envers son client beaucoup d’intérêt, de chaleur et de compréhension ». Ainsi, l’empathie, l’altruisme et les mécanismes de communication inconscients qui rendent les techniques efficaces sont tout aussi essentiels, mais peuvent-ils s’enseigner ou se transmettre ?
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PRÉFACE
C’est le second défi périlleux que cet ouvrage se propose de relever, car toute forme de psychothérapie est une technique doublée d’un art. Le Docteur Christine Mirabel-Sarron est une formidable pédagogue, plusieurs de ses ouvrages l’ont bien démontré. Elle est au-delà une extraordinaire thérapeute et cela, elle n’explique pas pourquoi. Sa modestie l’en empêche, mais ses patients eux le savent et nous le disent. Bonne lecture.
VI
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 1 — #13
Introduction on observe une forte progression de la demande de soins pour ce trouble de l’humeur qu’est la dépression. Elle témoigne tout à la fois d’un meilleur dépistage et d’une amélioration des connaissances sur les possibilités thérapeutiques actuelles. En effet, la dépression est une maladie qui se soigne et qui guérit. Depuis une quinzaine d’années, des critères cliniques permettent de mieux dépister les particularités de ce trouble, de mieux connaître son devenir évolutif, et d’en améliorer continuellement le traitement.
D
EPUIS CES DERNIÈRES DÉCENNIES,
Cet ouvrage se propose d’apprendre pas à pas à appréhender la personne déprimée en thérapie comportementale et cognitive (TCC). L’objectif est de permettre aux psychothérapeutes de prendre en charge leurs patients déprimés selon la méthodologie propre à ces thérapies. Ces dernières sont en effet aujourd’hui reconnues sur le plan scientifique pour leur efficacité dans le traitement de la dépression et la prévention des rechutes. Pensé comme un outil mis à disposition du praticien, cet ouvrage propose en 15 leçons une mise à jour des connaissances sur les éléments cliniques de dépistage de la dépression et les alternatives thérapeutiques offertes, avant d’aborder spécifiquement les thérapies cognitives. Chaque étape de la thérapie y est présentée de manière claire et didactique en vue d’une utilisation pratique immédiate. • La première leçon vise à réactualiser notre connaissance des aspects cliniques de
la dépression et des stratégies thérapeutiques actuelles. Les fausses croyances qui entourent ce trouble sont encore fortes et nombreuses, c’est pourquoi elles doivent être combattues. La dépression est une pathologie fréquente, fortement invalidante, qu’il faut soigner. Il existe aujourd’hui des moyens psychothérapeutiques qui, combinés à une prescription médicamenteuse, sont très efficaces dans sa prise en charge. • La deuxième leçon aborde plus spécifiquement, parmi les différentes options psychothérapeutiques proposées aujourd’hui aux patients déprimés, celle des thérapies comportementales et cognitives. Le rationnel scientifique de cette approche est aujourd’hui bien éprouvé, avec de nombreuses expérimentations menées dans le cadre de la psychologie expérimentale et cognitive ayant amené à l’élaboration de modèles TCC de la dépression. • La troisième leçon traite de la question de l’alliance thérapeutique, véritable pilier de la prise en charge. Elle vise à aider le thérapeute à l’élaboration d’une bonne relation avec le patient déprimé.
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INTRODUCTION
• La quatrième leçon a pour objectif de repérer les difficultés qui peuvent apparaître dans
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2
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l’alliance thérapeutique. Sont-elles dues au patient ? à ses cognitions ? à la présence de comorbidités ? à l’interaction thérapeute-patient ? Comprendre ces difficultés permet de mieux les désamorcer par la mise en place de stratégies adaptées. La cinquième leçon détaille le déroulement et le contenu des premiers entretiens avec le patient déprimé. N’oublions pas que le style du déprimé est particulier, son discours aussi. Le thérapeute doit donc adapter sa conduite des entretiens à celui-ci. La sixième leçon examine l’analyse fonctionnelle, ou comment poser une indication de TCC. Les principaux modèles d’analyse fonctionnelle y sont décrits, avec de nombreuses illustrations cliniques. La septième leçon aborde la notion de contrat thérapeutique et des difficultés rencontrées dans la formulation des objectifs. La huitième leçon traite des stratégies comportementales à mettre en place pour soigner la dépression : planification, formulation en sous-étapes, résolution de problème, toutes ces techniques seront appuyées d’exemples cliniques. La neuvième leçon aborde l’activation comportementale afin d’augmenter l’engagement du patient dans des activités adaptatives et dans l’apprentissage de la résolution de problème. Les dixième et onzième leçons visent à l’identification des pensées dépressives et à la mise en place de méthodes pour les dépasser. Le vécu de chaque situation est très personnel. Ainsi, deux personnes ne penseront pas, ne ressentiront pas et ne réagiront pas de la même manière dans une même situation. Mais la dépression colore négativement ces interprétations et leur accorde une valeur absolue. Ces chapitres visent à apprendre aux patients déprimés à repérer leurs pensées dysfonctionnelles, à faire le lien avec leurs symptômes, et à les mettre à distance à l’aide de techniques de décentration : examen de l’évidence, recherche d’alternatives de pensée. Encore une fois, de nombreux exemples et cas cliniques étayent le propos. La douzième leçon traite de la façon de déjouer les biais de pensée. Les treizième et quatorzième leçons détaillent l’identification des schémas cognitifs et les différentes méthodes d’assouplissement. Ce travail ne se pratique pas avec tous les patients, car il nécessite du temps et une réelle demande de la part de l’individu. Plusieurs alternatives existent : modifier radicalement le schéma, l’assouplir, le conserver. Chacune est abordée à la fin de l’ouvrage. La dernière leçon aborde le rôle de la TCC dans la prévention des rechutes dépressives ainsi que l’apport complémentaire d’autres démarches thérapeutiques ayant prouvé leur efficacité dans la prévention des rechutes, telles que la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience.
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 3 — #15
Introduction
À titre didactique, de nombreuses définitions, de larges illustrations cliniques et des résumés de synthèse se succèdent tout au long de la lecture. Ce livre, destiné aux psychothérapeutes sensibilisés ou non aux TCC, aux médecins, aux soignants, aux étudiants en sciences sociales, intéressera également les familles et les patients qui souhaitent mieux connaître la dépression et sa prise en charge en TCC.
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Leçon 1 Les indispensables sur la dépression 4
Objectifs Transmettre un savoir pratique sur la dépression Combattre les idées reçues sur la dépression et les traitements
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PLAN DE LA LEÇON
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La dépression, qu’est-ce que c’est ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
6
La dépression est une maladie qu’il faut soigner . . . . . . . . . . . . . . . .
6
Le suicide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
7
Quelques idées reçues sur la dépression et les antidépresseurs . .
8
Faire le diagnostic . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
9
Signes psychologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
13
Signes émotionnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
14
Signes comportementaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
14
Signes physiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
14
Des signes trompeurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
15
La dépression au fil de l’âge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
18
L’évolution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
18
De la dépression à la guérison . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
19
Quand la dépression ne s’améliore pas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
20
La rechute dépressive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
20
Le traitement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
23
Le traitement pharmacologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
23
Les thérapies comportementales et cognitives . . . . . . . . . . . . . . . . . .
26
Les indications de la thérapie cognitive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
27
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
« Nous avons deux oreilles et une bouche : deux raisons pour écouter et une pour se taire. » Alain Golay
LA DÉPRESSION, QU’EST-CE QUE C’EST ? « Une nuit, après mon vingt-neuvième anniversaire, je me réveillais aux petites heures avec une sensation de terreur absolue. Il m’était souvent arrivé de sortir du sommeil en ayant une telle sensation, mais cette fois-ci, c’était plus intense que cela ne l’avait jamais été. Le silence nocturne, les contours estompés des meubles dans la pièce obscure, le bruit lointain d’un train, tout me semblait si étrange, si hostile, et si totalement insignifiant que cela créa en moi un profond dégoût du monde. Mais ce qui me répugnait le plus dans tout cela, c’était ma propre existence. À quoi bon continuer à vivre avec un tel fardeau de misère ? Pourquoi poursuivre cette lutte ? En moi, je sentais qu’un profond désir d’annihilation, de ne plus exister, prenait largement le pas sur la pulsion instinctive de survivre. » Eckart Tolle, 2000
La dépression est un trouble psychiatrique caractérisé par une altération de l’humeur allant de la tristesse à la mélancolie. 6
La dépression est une maladie qu’il faut soigner Le point sur la dépression • Une personne sur cinq sera touchée une fois dans sa vie par la dépression. • En France, on estime que 9 millions de personnes entre 15 et 75 ans ont vécu ou • • • • • •
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vivront une dépression. Selon l’Organisation mondiale de la santé, la dépression est la première cause d’incapacité dans le monde (OMS, 2017). Il n’y a pas une dépression mais des dépressions, ce qui rend son diagnostic difficile. De fait, la moitié seulement des sujets déprimés entreprennent une démarche de soin dans les trois mois qui suivent les premiers troubles. Il s’agit d’un trouble universel, fréquent et grave. La dépression est deux fois plus fréquente chez les femmes. La dépression est dix fois plus fréquente qu’en 1960.
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1 • Les indispensables sur la dépression
Cette affection se rencontre avec une extrême fréquence au point qu’elle constitue la deuxième cause de handicap dans le monde. La France arriverait même en tête du classement mondial selon l’OMS, avec un taux de 21 %, devant les États-Unis qui ont un taux estimé à 19,2 %. On estime qu’elle atteindra ainsi un Français sur cinq un jour dans sa vie. Tous les âges, tous les milieux socioculturels sont concernés mais les femmes, davantage exposées, représentent les deux tiers des sujets déprimés, sans que l’on connaisse l’exacte raison de leur vulnérabilité. La dépression constitue une urgence médicale du fait du potentiel suicidaire, ce qui fait de la reconnaissance de la maladie une priorité absolue pour le personnel soignant. Il importe de mettre en œuvre le plus tôt possible un traitement médicamenteux antidépresseur efficace, voire une psychothérapie.
Le suicide La dépression est une cause importante de suicide (70 % environ des 12 000 suicides parmi 300 000 tentatives de suicides annuels).
Ce retard apporté au diagnostic initial se révèle d’autant plus préoccupant que la dépression est dotée d’un génie évolutif particulier, qui conduit dans la moitié des cas à une rechute de la maladie à court ou moyen terme. Au fur et à mesure des épisodes, il existe un raccourcissement des intervalles libres, avec un retour de plus en plus difficile vers l’état antérieur. Des taux de 50 % de récidive après le premier épisode dépressif, de 70 % après le deuxième et de 90 % après le troisième sont retenus.
7
Ainsi Judd en conclut que la dépression unipolaire est une maladie chronique qui dure toute la vie, dont le risque de récidive dépasse 80 %, le rendant ainsi plus vulnérable aux rechutes dépressives. Sur une période de suivi de 25 ans, les patients dépressifs unipolaires auraient en moyenne environ cinq autres épisodes. Dès lors s’impose la nécessité de mettre en place un véritable traitement contre la rechute dépressive. L’élaboration de cette aide passe par un élargissement de l’éventail des soins ouverts, par l’usage de prises en charges psychologiques. Parmi celles-ci les thérapies comportementales et cognitives (TCC) ont largement démontré leur efficacité dans l’accélération de la rémission clinique et la prévention des rechutes et récidives. Au-delà du diagnostic de la maladie, la prévention des rechutes et récidives dépressives constitue par conséquent la préoccupation de tout thérapeute.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Dans le cas particulier des patients bipolaires traités par stabilisateurs de l’humeur, 37 % d’entre eux conservent des fluctuations de l’humeur. L’objectif de cette approche préventive repose sur l’association d’un traitement pharmacologique et psychothérapique qui permet d’augmenter l’observance médicamenteuse, la connaissance de la maladie, la diminution du taux de récidives dépressives, l’amélioration de la qualité de vie en réduisant les conséquences psychosociales du trouble.
Quelques idées reçues sur la dépression et les antidépresseurs Idées reçues • La dépression n’est pas une maladie. • La dépression c’est uniquement dans la tête. • On ne peut rien faire contre la dépression. • Il n’existe qu’un type de dépression. • Sortir de la dépression, c’est une question de volonté. • La dépression c’est héréditaire. • Les antidépresseurs empêchent d’être soi-même. • Les antidépresseurs rendent dépendants.
8 La même conceptualisation de diminution des taux de rechutes et récidives dépressives est partagée dans l’indication des TCC pour les états dépressifs associés à un trouble pathologique de la personnalité ou encore associé à un trouble addictif. Les études scientifiques ont conduit à mieux connaître les facteurs de risque des rechutes dépressives : qualité de l’observance médicamenteuse, posologie des traitements antidépresseurs, composantes psychologiques personnelles. Ces travaux ont donné lieu à des recommandations internationales sur la conduite de la prescription de médicaments antidépresseurs et sur l’indication d’une psychothérapie pour prévenir les rechutes. Toutes ces informations guident les thérapeutes, tant dans la mise en œuvre d’un traitement pharmacologique que dans l’indication des TCC, dans le but de diminuer la vulnérabilité aux rechutes. L’origine de la dépression n’est pas exactement connue, mais aujourd’hui est évoquée une hypothèse multifactorielle intégrant des composantes biologiques, environnementales, psychosociales, des vulnérabilités psychologiques propres à l’individu.
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1 • Les indispensables sur la dépression
FAIRE LE DIAGNOSTIC « Il est important de garder à l’esprit le caractère clinique du diagnostic d’épisode dépressif caractérisé. C’est une bonne connaissance du patient, un temps de parole donné au malade dans la singularité de l’entretien psychiatrique et de la relation médecin-malade qui seuls permettront de poser le diagnostic de dépression. » Bindler et Mouchabac1
Le diagnostic de la dépression est des plus difficiles à faire, car ce trouble se manifeste souvent par un ensemble de symptômes banals, non spectaculaires. De plus, il existe des formes trompeuses qui peuvent accroître la difficulté du diagnostic. Cependant, quelle que soit sa forme, on retrouve de façon constante dans le tableau clinique des signes cardinaux toujours à rechercher. • De nombreuses classifications ont catégorisé les dépressions en différents sous-types. • Il y a quarante ans, les classifications traditionnelles des dépressions reposaient sur
des théories étiopathogéniques. Aujourd’hui elles sont athéoriques et reposent sur la description de symptômes aisément identifiables. • Ainsi, la communauté scientifique internationale cherche à définir des critères caractérisant les grandes maladies. Cette définition de critères cliniques unanimement reconnus par tous, quelle que soit la culture, permet de comparer les études et les enquêtes faites dans des pays différents.
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Les typologies récentes distinguent les états dépressifs, non pas sur des critères étiologiques, mais sur des indices plus quantitatifs (dépression d’intensité légère, modérée, état dépressif majeur ou caractérisé). Les références nosologiques les plus utilisées sont les critères du manuel diagnostique américain des troubles mentaux DSM-5) et ceux de la classification de l’Organisation mondiale de la santé, la CIM 10. Ces critères cliniques permettent de définir des catégories de maladies. Pour exemple, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a défini comme suit les critères qui conduisent au diagnostic de dépression caractérisée (dite majeure).
1. La dépression : 100 questions/réponses pour mieux comprendre la dépression, Ellipses, 2011.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Critères diagnostiques d’épisodes dépressifs majeurs selon la classification internationale des maladies mentales (Organisation mondiale de la santé) Critères généraux : • L’épisode dépressif doit durer au moins deux semaines. • Absence de symptômes hypomaniaques ou maniaques répondant aux critères d’un épisode maniaque ou hypomaniaque à un moment quelconque de la vie du sujet. • L’épisode n’est pas imputable à l’utilisation d’une substance psychoactive ou à un trouble mental organique identifié. Présence d’au moins deux des trois symptômes suivants : • Humeur dépressive à un degré nettement anormal pour le sujet, présente pratiquement toute la journée et presque tous les jours, dans une large mesure non influencée par les circonstances et persistant pendant au moins deux semaines. • Diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir pour des activités habituellement agréables. • Réduction de l’énergie ou augmentation de la fatigabilité.
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Présence d’au moins un des quatre symptômes suivants pour atteindre un total d’au moins quatre symptômes : • Perte de la confiance en soi ou de l’estime de soi. • Sentiment injustifié de culpabilité excessive et inappropriée. • Pensées de mort ou idées suicidaires récurrentes ou comportement suicidaire de n’importe quel type. • Diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer (signalée par le sujet ou observée par les autres) se manifestant, par exemple, par une indécision ou par des hésitations.
Toutes les grandes études sur le traitement des états dépressifs font référence à des mêmes formes de dépressions comme définies par ces classifications. • Les classifications évolutives distinguent les formes chroniques, qui durent au moins
deux années, et les formes avec ou sans caractéristiques saisonnières. • Les cliniciens complètent leur évaluation de la dépression par des mesures de psychopathologie quantitative. • Elles concernent l’évaluation de l’intensité, de la sévérité de la dépression. • On distingue alors des hétéro-évaluations et des auto-évaluations. Des échelles, questionnaires, permettent au clinicien et au chercheur d’estimer l’intensité d’un état dépressif.
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1 • Les indispensables sur la dépression
Pour vous aider à faire le diagnostic : L’encadré ci-dessous donne quelques questions types à poser au patient pour mieux repérer l’ensemble des signes évocateurs de dépression. Exemples de questions pour dépister la dépression « Avez-vous constaté un changement brutal de votre comportement, de votre attitude ? » « Vous dit-on que votre visage est moins expressif, que vous restez toujours dans votre coin ? » « Avez-vous du mal à lire des livres qui ne posaient pas de difficulté auparavant, à regarder un film jusqu’au bout ? » « Avez-vous du mal à suivre une conversation entre plusieurs personnes ? » « Vous trouvez-vous plus lent pour effectuer les gestes courants de la vie quotidienne ? » « Avez-vous des idées sombres, pensez-vous que vous êtes incapable ? » « Éprouvez-vous un sentiment de tristesse ? » « Avez-vous eu récemment des difficultés pour formuler des projets même à court terme ? » « Vous réveillez-vous au milieu de la nuit sans vous rendormir ? » « Ressentez-vous depuis peu et sans cause apparente des douleurs, des vertiges... ? » (D’après C. Mirabel-Sarron, Les dépressions, comment s’en sortir ? Paris, 2002)
Chacun de ces signes peut mettre la « puce à l’oreille » au clinicien, mais c’est avant tout leur association et leur persistance depuis au moins trois semaines qui doivent l’alerter. Toutefois, la suspicion éveillée par cet ensemble de signes doit être confirmée par l’entretien clinique et par tous les exemples apportés par le patient. Les idées suicidaires, présentes dans presque 80 % des cas, s’intègrent dans ce désespoir de la vie vécue, même si elles sont rarement exprimées. Elles prennent des formes et des intensités variables, et vont d’idées floues du style : « Si je pouvais ne pas me réveiller et m’endormir à tout jamais », jusqu’à des pensées plus organisées et de véritables projets suicidaires.
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Conséquences de la dépression à éviter à tout prix • L’altération de la qualité de vie • La faible adhésion au traitement antidépresseur • L’apparition de souffrances physiques, organiques • Le suicide
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Quelques personnages célèbres ayant connu la dépression • Charlotte Rampling
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« Un jour, on ne peut plus se battre, on est face au vide. » « Une terreur archaïque, comme si on portait toutes les peurs de nos ancêtres. » Muriel Robin « Lors de ma dernière dépression, mon cerveau, on aurait pu se coucher dedans, tellement il y avait de la place. » Michel Delpech « C’était comme un château de cartes qui s’écroule. J’ai été envahi par une lame de fond, je me suis retrouvé totalement déstructuré, paniqué. » Claude Berri « Depuis plus de six mois, je suis en dépression. Moi qui résistais à tous les malheurs. » « Je reprends des antidépresseurs. J’ai la tête dans du coton. Je ne me sens bien qu’à partir de 6 heures du soir. J’ai beau produire deux films, Le bison d’Isabelle Nanty et Les sentiments de Noémie Lvovsky, je ne fais rien de mes journées. Je reste allongé sur mon lit et je déprime. » Dalida (1933-1987) « La vie m’est insupportable. Pardonnez-moi. » Renaud, 51 ans « J’ai essayé de soigner ma dépression par de mauvais médicaments, les pastis mélangés à des antidépresseurs, des anxiolytiques et des neuroleptiques. » « Mentalement, j’étais une épave. » Jim Harrison, 66 ans « Au cours de mon existence, j’ai traversé sept dépressions que l’on peut qualifier de cliniques. » Mais aussi, Louis XV, Gérard de Nerval, Auguste Comte, Abraham Lincoln, Ray Charles, etc. Le Point, 18 janvier 2007
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1 • Les indispensables sur la dépression
Pour aider le clinicien nous pouvons dire que : – les symptômes apparaissent soit progressivement, soit brutalement, mais dans tous les cas il existe une métamorphose du comportement de l’individu, qui ne se reconnaît pas comme d’ordinaire. Il ne se dit pas déprimé et accuse le stress, ou un virus (état grippal, hépatite virale...). Ce changement, qui retentit sur l’univers familial, professionnel et social, est perceptible par l’entourage, désarçonné par cette franche rupture par rapport à l’état habituel du patient ; – globalement, ce changement est stable, même si des variations apparaissent entre le matin et le soir. Il s’accompagne toujours de signes émotionnels, cognitifs et comportementaux, qui serviront de révélateurs. Il existe quatre types de manifestations cliniques, à l’origine d’une myriade de symptômes, qu’il faut savoir rechercher systématiquement, y compris sur les jours précédents.
Signes psychologiques « Nous avons trop coutume de nous juger pendant nos moments d’abattement et de dépression. » Robert Johnson
L’humeur triste se caractérise par des pensées modifiées, marquée par une vision négative de l’existence et de soi-même (pessimisme, idées de mort) : « Je ne vaux rien », « Je ne suis plus capable de rien », « J’ai ruiné ma famille »... Ces pensées dépressives sont pour l’essentiel de tonalité négative pour plus de trois quarts d’entre elles. On parle d’un monologue intérieur dépressogène. Elles concernent pour une part la représentation que le sujet a de lui-même : « Je suis nul », sa représentation de l’entourage : « Je suis un boulet pour tout le monde », « Ils ne me comprennent pas » et une représentation du futur inenvisageable : « Je ne vois pas de solution », « Je ne sais pas de quoi sera fait demain. »
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Ces pensées négatives dépressives qui alimentent l’humeur triste amènent le patient à une attitude repliée et léthargique, « puisque rien n’est possible de toute façon ». Le cercle de la léthargie Les pensées négatives s’accompagnent souvent de sensations physiques pénibles : « Même une tâche toute simple, qui me paraissait anodine, apparaît aujourd’hui insurmontable », qui confortent le comportement d’inhibition, de prostration. Ensuite ce comportement de repli, « de vie à petite vitesse » valide les pensées négatives.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
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L’injonction : « Je ne suis plus capable de faire quoi que ce soit » est concrètement confirmée. Cette réaction en chaîne, les psychologues l’appellent le cercle de la léthargie, cercle qui est bien difficile à briser.
Signes émotionnels Le sujet déprimé n’a plus de goût à rien, n’a plus envie de rien, il ne ressent plus de plaisir pour les activités qui lui plaisaient auparavant, tout lui paraît insurmontable et la tristesse s’installe. Il a le sentiment que tout va mal, que tout est noir.
Signes comportementaux La difficulté à agir, les problèmes de concentration et de mémoire entraînent des difficultés à communiquer et un repli sur soi-même qui conduisent à un isolement douloureux. Le patient ne peut plus lire, ni écrire, ni regarder des émissions de télévision, ni de films au cinéma. La communication avec les autres lui semble tout aussi fatigante, il perd souvent le fil de la conversation, a le sentiment que les autres vont à un autre rythme et préfère alors annuler les rencontres ou se mettre en retrait.
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Signes physiques Un certain nombre de caractéristiques non verbales existent, assez subtiles, mais néanmoins perceptibles avec une certaine vigilance. Le patient a un faciès terne, une voix éteinte, des gestes plus rares, une démarche lourde, dénuée d’initiative. Son activité générale est ralentie, tout lui demande un effort car il se heurte, de façon quotidienne, à la fatigue, aux troubles du sommeil, aux douleurs physiques et aux sensations d’oppression. Identifier la singularité individuelle de la dépression Une fois reconnue la symptomatologie dépressive sur des faits d’observation et d’anamnèse, il convient de se placer au niveau de l’être singulier. Le clinicien doit cerner les caractéristiques de sa personnalité, puis évaluera son mode de relation avec l’environnement et son contexte général de vie. De ce fait, chaque dépression est unique. Si la nature, l’intensité et le groupement des symptômes sont variables d’un sujet à un autre, l’état dépressif impose à tous un traitement adéquat et spécifique en fonction de l’âge, du type de dépression, des autres troubles associés, de la personnalité de l’individu. Il repose sur la prescription de médicaments antidépresseurs combinés à une aide psychologique selon chaque cas.
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1 • Les indispensables sur la dépression
Des signes trompeurs D’autres symptômes trompeurs, déroutants peuvent être associés à ce tableau clinique comme des troubles anxieux spécifiques. Ainsi, les deux phobies les plus fréquemment associées à la dépression sont la peur des espaces vides (agoraphobie) et la peur des autres (phobie sociale). • La phobie des espaces vides se traduit par une peur de sortir seul dans la rue, d’appréhender
les espaces, les carrefours, les moyens de transport. Le sujet se retrouve confiné chez lui, à moins d’être accompagné par une personne connue et rassurante qui lui permette d’affronter plus sereinement tous ces lieux difficiles. Cette peur des espaces vides l’amène rapidement à ne plus pouvoir se rendre à son travail, ni même à faire ses courses pour s’alimenter. • La peur des autres mène le patient à éviter toute relation avec autrui. La fatigue, le « plus envie de rien » et la vision d’un monde entièrement négatif faisaient déjà du patient déprimé un être peu communicatif, mais cette peur du contact avec l’autre contribue à l’isoler encore davantage. Elle le rend « sauvage ». Il n’a plus envie de voir qui que ce soit, il trouve qu’il n’a rien à dire et qu’il n’est pas intéressant, alors à quoi bon... Dans le même temps, il est beaucoup plus sensible au regard, au jugement des autres. L’expérience d’un déprimé célèbre « J’avais soixante ans lorsque la maladie me frappa pour la première fois, dans sa forme unipolaire, qui précipite une chute brutale. » « J’avais abouti à cette conclusion que je souffrais d’une grave maladie dépressive... Entre autres atroces manifestations de la maladie – tant physiques que psychologiques – l’un des symptômes les plus universellement répandus est un sentiment de haine envers soi-même... Et à mesure qu’empirait le mal, je m’étais senti accablé par un sentiment croissant d’inutilité. » « Je me souviens en particulier de la lamentable et quasi-totale disparition de ma voix. Elle subit une étrange transformation, au point de devenir par moments faible, poussive et spasmodique – la voix d’un nonagénaire, comme le fit observer par la suite un de mes amis. La libido ne tarda pas elle aussi à défaillir, comme presque toujours dans les cas de maladies graves. Beaucoup de gens perdent tout appétit ; le mien était relativement normal, mais j’en étais à ne plus manger que pour survivre : la nourriture, comme tout ce qui est du ressort de la sensation, était totalement dépourvue de saveur. La plus lamentable de toutes ces débâcles instinctuelles était celle du sommeil, en même temps qu’une totale absence de rêves. » Extraits de William Styron, Face aux ténèbres : chronique d’une folie, Gallimard, 1990
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
La dépression forme avec la phobie sociale un duo complexe. La phobie sociale touche près des trois quarts des personnes déprimées. Comme l’ont montré trois études successives, menées durant les dix dernières années auprès de nombreux patients hospitalisés à Paris pour dépression, seuls 20 % environ conservent cette phobie après rémission de l’état dépressif, un pourcentage normal qui correspond à la moyenne nationale d’un Français sur cinq souffrant d’anxiété sociale. La dépression a donc pour effet de multiplier par quatre cet effet phobique, voire de l’induire chez certaines personnes qui ne connaissaient pas du tout la peur des autres avant d’être déprimées. Inversement, on sait que les sujets présentant une phobie sociale depuis plus de dix années ont deux fois plus de risque de faire une dépression que les autres. Bien évidemment, si d’autres phobies existaient avant la dépression, elles persisteront au fur et à mesure de l’évolution de la dépression. D’autres manifestations anxieuses, obsessionnelles et compulsives, peuvent également apparaître. Le besoin d’ordre, de propreté, de rangement est plus fort que d’habitude chez le sujet en début de dépression. L’anxiété et la dépression sont deux troubles psychologiques fréquents et souvent associés, sans qu’il faille pour autant les confondre. En effet, dans plus de 60 % des cas, le sujet déprimé présente des manifestations anxieuses invalidantes troublant le tableau clinique.
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Le sujet anxieux est une personne plutôt fébrile, sur le qui-vive, toujours aux aguets dans l’imminence d’une catastrophe éventuelle. Il a du mal à tenir en place et ne prend pas le temps de vivre. Il se projette toujours dans le futur en pensant aux obstacles qui pourraient se présenter. L’anxiété peut prendre chez le sujet déprimé des formes tellement multiples et variées que les manifestations dépressives pourront presque passer inaperçues derrière une anxiété massive, rendant le diagnostic d’autant plus difficile. Des troubles dépressifs ou anxieux très intenses pourront motiver des soins en milieu hospitalier. Le tableau 1.1 ci-contre résume les différences cliniques principales entre manifestations anxieuses et manifestations dépressives.
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1 • Les indispensables sur la dépression
Tableau 1.1. Dépression et anxiété Symptômes
Comportement général
Activités
Représentation du futur
Peurs
Troubles du sommeil
Dépression
Anxiété
Rupture franche dans les attitudes.
Le sujet a toujours été un inquiet. Son inquiétude varie en fonction des circonstances.
Il mène ses différentes Cessation des activités activités tant bien que mal, avec plus d’aisance habituelles, repli sur soi. quand l’anxiété est moindre. Absence de représentation du futur, qui semble sans issue ; les pensées se tournent davantage vers le passé.
Il se projette en permanence vers le futur, en évoquant les difficultés potentielles.
Il peut présenter des manifestations de peur Manifestations (comme la peur des éventuelles de peur espaces vides ou la peur (peur des espaces vides des autres), mais à ou peur des autres, par distance de ces exemple), mais le sujet situations stressantes reste en permanence précises, il se sent en triste et sans objectif. possession de toutes ses capacités. Réveil souvent au milieu de la nuit, voire encore au petit matin, sans pouvoir se rendormir ; au lever, la nuit passée n’a pas réduit la fatigue.
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Il a de grandes difficultés à s’endormir, repense à tous les petits soucis de la journée.
(D’après C. Mirabel-Sarron, 2002)
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
LA DÉPRESSION AU FIL DE L’ÂGE Les données de l’INPES (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé) publiées en 2010 indiquent que 7,5 % des 15-85 ans auraient vécu un épisode dépressif caractérisé au cours des 12 derniers mois, avec une prévalence deux fois plus élevée chez les femmes que chez les hommes. Ces chiffres varient en fonction des tranches d’âges : 6,4 % chez les 15-19 ans, 10,1 % chez les 20-34 ans, 9 % chez les 35-54 ans et 4,4 % entre 55 et 85 ans. Chez les hommes, la prévalence serait la plus élevée entre 45 et 54 ans, de l’ordre de 10,3 %. En 2017 (voir figure 1.1), le Baromètre santé a interrogé plus de 25 000 personnes âgées de 18 à 75 ans au cours de l’année. Les données ont été recueillies selon un sondage aléatoire par la méthode de collecte assistée par téléphone et informatique. L’épisode dépressif caractérisé (EDC) a été mesuré à l’aide du Composite International Diagnostic Interview-Short Form (CIDI-SF). Les résultats montrent que près d’une personne sur dix a vécu un EDC au cours des 12 derniers mois. Une augmentation de 1,8 points serait globalement observée sur la période 2010-2017. Alors que chez les hommes, cette prévalence resterait stable sur la période 2005-2017, elle augmenterait de 2,7 points pour les femmes entre 2010 et 2017. Selon l’âge, des augmentations sont observées entre 2010 et 2017 chez les 35-44 ans (+ 4.4 points) et chez les 65-75 ans (+ 2,6 points). 18
Les prévalences par âge auraient évolué différemment selon le sexe. Chez les hommes de 18-24 ans, alors que l’EDC avait diminué entre 2005 et 2010 (- 2,6 points) une augmentation de près de 4 points est constatée entre 2010 et 2017. Seule la prévalence de l’EDC chez les hommes de 45-54 ans a connu une diminution entre 2010 et 2017 (- 3,8 points) alors qu’elle avait augmenté de près de 7 points sur la précédente période. Chez les femmes, par rapport à 2010, une augmentation importante est constatée chez les 35-44 ans (+ 5,5 points) et chez les 65-75 ans (+ 3,3 points). L’EDC a progressé de près de 4 points chez les 55-64 ans par rapport à 2005.
L’ÉVOLUTION Une autre information clinique est fondamentale dans la prise en charge thérapeutique : l’évolution sous traitement d’un état dépressif est marquée, dans la moitié des cas, par des rechutes. Plusieurs études cliniques ont permis de mettre au jour les facteurs de risque des rechutes, et la prévention des récidives dépressives est une priorité pour tous.
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1 • Les indispensables sur la dépression
18 16
%
14,0
14 12
15,6
15,1
11,7
11,2
13,9 11,9
11,7 10,2
10 8,3
8,4
8
8,4
7,9
7,7 6,4
6
5,5 4,6
4
2,7
2 0 18-24 ans
25-34 ans
Hommes
35-44 ans
45-54 ans
Femmes
55-64 ans
65-75 ans
Ensemble
Figure 1.1. Prévalence de l’EDC déclaré au cours des 12 derniers mois chez les 18-75 ans, selon le sexe et la classe d’âge (données baromètre santé 2017) Mais avant d’analyser les résultats des différents travaux scientifiques, il importe de préciser le génie évolutif de la maladie dépressive, en définissant exactement les notions de guérison, rémission, récidive et rechute. 19
De la dépression à la guérison En général, l’amélioration de l’état dépressif vers la guérison se fait toujours selon le même schéma en trois étapes. Dans un premier temps, on constate une amélioration des symptômes de la dépression, qui se traduit par une diminution de l’intensité des troubles, voire la disparition de certains d’entre eux. Vient une période de convalescence, pendant laquelle le patient se sent mieux, même si certains symptômes persistent à faible intensité. Six mois plus tard, on peut parler de guérison, quand tous les troubles ont disparu. Il s’agit par conséquent d’un trouble qui évolue vers la guérison sous traitement, mais qui nécessite une thérapie assez longue pour obtenir une résolution complète des troubles. À compter de la phase du déclenchement aigu, les perturbations durent plusieurs mois et l’amélioration doit être surveillée en permanence. Classiquement, les troubles de l’humeur sont réputés de pronostic relativement favorable : 70 % des patients réagissent positivement dès la prescription du premier antidépresseur. La dépression s’améliore franchement entre quatre et huit semaines. Cependant, 30 à
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
50 % des patients peuvent présenter une intolérance physique et psychique au traitement ou ne voient pas ou peu d’amélioration après la première prescription d’antidépresseurs. La persistance de l’altération de l’humeur au-delà de trois mois de traitement conduit à instaurer un deuxième traitement avec un nouveau médicament. Plusieurs tentatives médicamenteuses sont susceptibles de se succéder. Le traitement est maintenu suffisamment longtemps, à dose d’efficacité pour lui laisser toute chance d’agir. Quand, malgré tout, on ne constate pas d’amélioration, on parle alors de dépression résistante.
Quand la dépression ne s’améliore pas Jusqu’à ces dernières années, on estimait qu’environ 20 % des sujets déprimés ne s’amélioraient pas malgré la prescription de deux médicaments antidépresseurs, soit après six mois de traitement chimique. Des études récentes démentent ces chiffres et l’on peut dire aujourd’hui que seules 3 % des dépressions deviendraient chroniques. En effet, la moitié des patients considérés comme résistantes au traitement antidépresseur ne prendraient pas de dose médicamenteuse assez efficace, soit par oubli du médicament, soit par réticence ou du fait des effets secondaires non tolérés. Pour l’autre moitié des cas considérés à tort comme résistants au traitement, la faute incombe à d’autres pathologies médicales ou psychiatriques interférant avec l’évolution de la dépression. 20
La rechute dépressive La probabilité de rechute dépressive est la plus importante dans les quatre à six premiers mois suivant la disparition des symptômes initiaux de la dépression. On parle alors de « récurrence », qui n’est jamais que le terme anglo-saxon pour signifier une « rechute ». Quelques définitions scientifiques sont partagées par tous les thérapeutes.
Rechute, récidive, rémission, rétablissement : quelques définitions pour s’y retrouver • Rechute : la réémergence des symptômes de la dépression suite à un certain temps de rémission mais avant le rétablissement. • Récidive : l’apparition d’un nouvel épisode de dépression après une longue période de rémission d’une durée suffisante pour supposer que le rétablissement a eu lieu. • Rémission : une période de temps (souvent définie comme deux mois ou plus) durant laquelle les symptômes se sont normalisés. (À noter que la rémission précède à la fois le rétablissement et la récurrence.)
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1 • Les indispensables sur la dépression
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• Rémission stable : un intervalle de temps prolongé durant lequel les symptômes
dépressifs sont absents ou assez minimes. • Rémission instable/partielle : intervalle de temps durant lequel un certain nombre de symptômes dépressifs sont présents (partielle) ou seulement sporadiques (instable). • Rétablissement : la fin de l’épisode dépressif suite à une longue période de rémission (par exemple 6 à 12 mois). Le patient ici n’est plus dans l’épisode dépressif. « La dépression résistante se définit habituellement comme l’absence ou l’insuffisance de réponse à deux antidépresseurs de mécanismes d’action différents utilisés à dose adéquate. [...] La résistance ne peut être considérée qu’après avoir contrôlé l’observance thérapeutique » (Millet, L’Encéphale, 2007, S703).
Le risque de récidive de la maladie dépressive est très élevé. Les études épidémiologiques montrent à l’évidence que l’évolution naturelle d’une dépression récidivante se fait vers la répétition des épisodes dépressifs majeurs avec raccourcissement des intervalles libres et avec un retour de plus en plus difficile vers l’état antérieur. Maj, en 1992, trouve sur une période de suivi de vingt à cent huit mois : 24 % de récidives dépressives à six mois, 37 % à un an et 75 % de récidives après cinq années. La poursuite du traitement antidépresseur est considérée comme le standard du traitement préventif des rechutes et récidives. Les facteurs de risque de récidives ont suscité beaucoup de travaux et de recherches. Tous ont fait ressortir des données épidémiologiques reconnues aujourd’hui comme des critères de vulnérabilité à la rechute dépressive. Entrent dans ce cadre des facteurs descriptifs très externes qui ne semblent pas relever nécessairement d’une même logique et n’ont pas apporté de compréhension sur les mécanismes psychologiques ni biologiques. Cependant, il s’agit de pistes qui conduiront peut-être dans quelque temps à une compréhension de cette sensibilité.
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Facteurs de risques de récidives – Le sexe : environ une femme sur cinq rechute après un épisode dépressif, contre un homme sur dix ; – L’âge : lorsqu’il est compris entre 30 et 40 ans lors du premier épisode dépressif ; – La situation de famille : les individus vivant seuls, qu’ils soient célibataires, veufs ou divorcés, sont plus vulnérables ; – Les antécédents familiaux de dépressions ; – L’absence d’une structuration sociale : habitat, emploi, entourage amical ; – Des événements stressants : la grossesse et l’accouchement, par exemple.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Le niveau social et économique ne semble pas entrer en ligne de compte de manière significative et on peut dire que l’argent ne protège pas de la dépression ni de la rechute. En fait, les facteurs de rechute sont suffisamment courants pour n’épargner personne. D’autres critères de vulnérabilité sont également bien connus des cliniciens comme la mauvaise observance du traitement médicamenteux antidépresseur, l’existence d’un trouble addictif associé, d’un trouble pathologique de la personnalité. Autant d’éléments qui éveilleront la vigilance du soignant.
! La dépression récurrente
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Le caractère récurrent fait partie des aspects cliniques de la dépression. Après un épisode dépressif caractérisé, le risque de rechute est de 50 %, il passe à 70 % après le second épisode et à près de 90 % après le troisième. La fréquence de survenue d’une récurrence dépressive serait de 64 % à 5 ans, de 80 % à 10 ans et de 85 % à 15 ans (Mueller et al., 1999). La répétition des épisodes dépressifs a des conséquences sur le plan clinique (qualité de vie, réponse au traitement, suicide, etc.) mais aussi sur le plan neurobiologique (sensibilisation au stress, modification hippocampique, etc.) et neuropsychologique (persistance de troubles mnésiques après rémission, etc.). Les facteurs de risque de ces récurrences seraient essentiellement cliniques, les deux principaux étant le nombre d’épisodes dépressifs antérieurs, avec un risque significativement augmenté à partie du troisième épisode et la persistance de symptômes résiduels (Hardeveld et al., 2010). D’autres facteurs seraient également impliqués, tels que les événements de vie stressants (les premiers épisodes étant davantage liés à des facteurs de stress aigu tels que deuils, séparations, pertes d’emploi, etc., le rôle de ces événements diminuant après chaque épisode), les caractéristiques de l’épisode index (sévérité de l’épisode, intensité de l’humeur dépressive, augmentation de l’appétit), l’existence de comorbidités psychiatriques (notamment la phobie sociale) ou encore le sevrage tabagique (Olié et Courtet, 2010).
! La dépression bipolaire L’intérêt porté aux épisodes dépressifs caractérisés survenant dans le cadre d’un trouble bipolaire est assez récent (Mirabel-Sarron et Leygnac-Solignac, 2015). Les EDC représenteraient les trois quarts de la durée des épisodes survenant dans le cadre d’un trouble bipolaire de type I et 90 % de la durée de ceux du trouble bipolaire de type II (Judd et al., 2003). Certaines études indiquent que des symptômes du trouble bipolaire peuvent être détectés pour approximativement un quart des patients diagnostiqués d’un trouble dépressif caractérisé. D’autres études suggèrent que la prévalence de caractéristiques d’un trouble bipolaire serait proche des 50 % chez les patients souffrant d’un trouble dépressif caractérisé (Angst et al., 2011). Les causes explicatives possibles de cette difficulté à établir un
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1 • Les indispensables sur la dépression
diagnostic correct pourraient inclure une difficulté pour le patient à percevoir les symptômes maniaques, la perception de l’hypomanie comme étant « normale », le fait d’omettre les membres de la famille dans l’entretien d’évaluation ou encore le fait de centrer l’observation clinique sur l’euphorie plutôt que sur l’irritabilité ou l’humeur dysphorique. Soulignons que la 5e édition du DSM ajoute les caractéristiques mixtes comme critère de spécificité des troubles dépressifs. Ainsi, un patient qui présente un épisode dépressif caractérisé avec au moins trois symptômes hypomaniaques sera diagnostiqué d’un trouble dépressif mixte. En termes de présentation clinique les dépressions bipolaires présenteraient plus fréquemment que les dépressions unipolaires (Henry, 2009) : – – – – – –
des symptômes atypiques ; des caractéristiques psychotiques ; des tableaux d’états mixtes dépressifs ; des dépressions agitées et anxieuses ; des dépressions « anergiques » ; des dépressions avec irritabilité et attaques de paniques.
En termes d’évolution, les dépressions bipolaires ont un âge de début plus précoce, des récurrences plus fréquentes et chez la femme une survenue en post-partum plus fréquente. Le sommeil et l’appétit seraient augmentés par rapport à la dépression unipolaire, et le ralentissement psychomoteur plus important. Toujours sur le plan évolutif, la dépression bipolaire serait caractérisée par une durée plus brève des épisodes, le caractère récurrent des épisodes dépressifs, une saisonnalité des dépressions, un premier épisode apparaissant plus précocement que dans le trouble unipolaire et une tendance à l’épuisement de l’effet des antidépresseurs.
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LE TRAITEMENT Le traitement pharmacologique Le traitement universellement employé et qui a largement fait ses preuves est le traitement pharmacologique basé sur la prescription de médicaments antidépresseurs. Ces médicaments agissent dans l’aire cérébrale, au niveau de la connexion entre les cellules cérébrales ou neurones en corrigeant les perturbations de la transmission du message chimique intercellulaire. Les antidépresseurs sont prescrits à tous les patients qui présentent un état dépressif, quelles qu’en soient l’origine et les circonstances de survenue.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Les représentations mentales associées aux médicaments psychotropes sont fort nombreuses et s’appliquent particulièrement au médicament antidépresseur. Certaines idées reçues ont la vie longue et peuvent encore constituer des blocages très dommageables à la prise du traitement. D’après l’Organisation mondiale de la santé, moins d’un patient sur deux observerait fidèlement la prescription de l’antidépresseur effectuée par le médecin. Cette information justifie que l’on accompagne la rédaction de l’ordonnance d’explications sur le mode d’action, sur le rôle et sur les effets secondaires possibles du médicament... Parmi les réflexions les plus fréquemment émises par le patient ou son entourage, il faut citer : « Je ne veux pas être dépendant d’un médicament » ; « Je ne veux pas être guidé par de la chimie » ; « Je ne veux pas être somnolent et abruti à longueur de journée » ; « Je ne veux pas que cela change ma personnalité » ; « Je ne veux pas faire comme tous les gens autour de moi » ; « Je préfère une aide psychologique » ; « Je préfère prendre des plantes, des choses douces. » Il est compréhensible de penser que personne n’a vraiment envie de prendre un médicament antidépresseur, mais il est indispensable si la dépression est avérée.
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L’attitude psychoéducative du prescripteur, sa disponibilité pour répondre à toutes les questions sont autant d’atouts pour aider le patient déprimé à suivre son traitement. De plus, les avancées de la recherche pharmaceutique ont contribué à augmenter cette observance grâce à l’apparition des nouvelles générations d’antidépresseurs, qui allient tout à la fois l’efficacité et la tolérance avec beaucoup moins d’effets secondaires. La prise régulière de l’antidépresseur est essentielle car son délai d’action est long. En moyenne, au moins une quinzaine de jours sont nécessaires avant que se traduisent les premiers effets favorables du traitement. Qu’appelle-t-on « médicament antidépresseur » ? • C’est une molécule chimique qui agit sélectivement au niveau cérébral dans l’espace
entre deux cellules, un lieu hautement actif en échanges chimiques. • Les médicaments antidépresseurs permettent l’augmentation du taux de sérotonine, de noradrénaline, rendant de nouveau efficace la transmission chimique entre les neurones. • Découverts dans les années 1960, ils portent des noms qui représentent leur caractéristique chimique ou leur mode d’action ; ils s’appellent successivement IMAO (pour inhibiteur de la monoamine oxydase), puis tricycliques et depuis une quinzaine d’années ISRS (pour inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine).
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1 • Les indispensables sur la dépression
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• Leur administration peut s’accompagner d’effets secondaires qui disparaissent le •
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plus souvent après quelques jours. Les nouveaux antidépresseurs sont des produits plus ciblés, aux actions spécifiques et donc moins efficaces pour tous, mais ils entraînent moins d’effets indésirables. Cette meilleure tolérance assure une bonne prise médicamenteuse. Ils doivent être pris suffisamment longtemps pour assurer une parfaite régulation du dysfonctionnement chimique. Leur prise n’entraîne aucun effet d’accoutumance ou de dépendance. Un temps de latence de huit à quinze jours est habituel avant que l’antidépresseur n’agisse, en attendant son effet spécifique sur la dépression.
Dans le choix de l’antidépresseur le prescripteur tiendra compte des critères suivants : 1. La sévérité de l’épisode dépressif (en particulier la suicidalité). 2. La présence de traits psychotiques. 3. Le retentissement fonctionnel (personnel, professionnel...). 4. L’existence d’une comorbidité psychiatrique et médicale. 5. Les préférences du patient. 6. Les effets secondaires du traitement. 7. L’expérience de prescription. La durée de prescription du traitement pharmacologique a été aussi plus codifiée, elle est différente s’il s’agit d’un premier épisode dépressif ou d’une récidive avec ou sans antécédent familial de dépression.
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La haute fréquence des récidives dépressives donne lieu à des guidelines internationaux ou « arbres de décisions » qui sont réactualisés régulièrement. Toujours dans le but de diminuer les récidives dépressives, une autre classe médicamenteuse peut s’avérer nécessaire, les stabilisateurs de l’humeur. Elle répond à des règles cliniques, elles aussi largement diffusées. Les médicaments régulateurs de l’humeur qui sont de plus en plus nombreux sont de véritables gains thérapeutiques. La diversité et la précision des critères de prescription et d’indication pharmacologique et psychothérapique sensibilisent chaque médecin aux moyens à mettre en œuvre pour prévenir les récidives dépressives. Le lithium peut être efficace en prévention des récidives d’épisode dépressif caractérisé du trouble dépressif unipolaire (ancienne classification) (utilisation hors AMM), en association avec les antidépresseurs et/ou la psychothérapie (HAS, 2009).
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Les thérapies comportementales et cognitives Les thérapies comportementales et cognitives de la dépression sont considérées comme un moyen efficace de traitement de la dépression, aux côtés des traitements antidépresseurs. Dès que la dépression est d’intensité modérée ou plus intense, la thérapie cognitive s’envisage en traitement combiné avec les antidépresseurs. Caractéristiques des thérapies comportementales et cognitives de la dépression • Ce sont des thérapies brèves et structurées. • Elles réduisent les comportements d’inhibition de la dépression. • Elles apprennent de nouvelles habiletés comportementales et cognitives. • Elles utilisent des stratégies apprises dans des contextes variés (après la thérapie). • Elles sont entreprises en phase d’état de la dépression en association avec une
autre thérapie, médicamenteuse ou psychologique. • Elles sont pratiquées chez un grand nombre de patients déprimés, y compris les adolescents et les sujets âgés.
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La thérapie cognitive a deux atouts dans l’approche thérapeutique de la dépression et de ses rechutes. À court terme elle accélère l’amélioration des symptômes lors de la phase aiguë du syndrome. À long terme, elle diminue le risque de rechute. Son effet bénéfique est démontré par des études internationales qui révèlent un moindre taux de récidive dépressive à 18 mois et à 2 ans d’environ 30 %. La thérapie cognitive est une thérapie verbale, brève dans son déroulement (une vingtaine de séances) et centrée sur des objectifs personnels du patient. Elle est une des seules aides psychologiques qui s’utilisent en phase aiguë de la dépression. Le patient apprend une démarche psychologique qui l’amène à mettre à distance ses pensées négatives dépressives, à obtenir un soulagement émotionnel et à récupérer une liberté d’action. Une deuxième partie de la thérapie se consacre à l’identification des vulnérabilités cognitives du sujet qui au côté des vulnérabilités biologiques, génétiques ou environnementales participent au processus de récidive dépressive. En pratique la thérapie apprend au patient déprimé à analyser chacune de ses situations de vie difficile, afin de ne pas tomber dans le piège de son négativisme excessif et de ne pas prendre de décision hâtive alors qu’il est en proie au pessimisme, mais seulement après un décryptage rationnel de quelques secondes de la situation.
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1 • Les indispensables sur la dépression
Cette démarche très interactive implique une alliance thérapeutique collaborative (cf. Leçon 6) et se déroule après élaboration d’un contrat thérapeutique déterminant les objectifs de la thérapie (cf. Leçon 5).
Les indications de la thérapie cognitive Les indications des thérapies comportementales et cognitives de la dépression se sont élargies depuis leur création, si l’on considère le critère type de dépression. L’encadré ci-après récapitule les indications premières des thérapies cognitives de la dépression à leurs débuts (selon Beck en 1976). Indications principales de la thérapie cognitive 1. Échec ou résistance à un traitement antidépresseur bien conduit. 2. Amélioration clinique partielle par un traitement antidépresseur prescrit à dose efficace. 3. Échec ou amélioration clinique partielle après un abord psychothérapique non cognitif. 4. Diagnostic d’état dépressif majeur. 5. État dépressif réactionnel à un stress environnemental. 6. Trouble émotionnel variable en relation avec des cognitions erronées.
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7. Perturbations physiques qui font l’objet de la consultation comme un trouble du sommeil, de l’appétit ou une variation de poids. 8. Bonne adéquation à la réalité. Il n’existe pas d’hallucinations ni d’idées délirantes. 9. Capacité de concentration minimale. 10. Incapacité à tolérer la prescription médicamenteuse, en raison soit d’effets secondaires importants, soit d’un risque médical.
Les indications actuelles se sont développées depuis les années 1980, en s’étendant notamment aux dépressions d’intensité majeure, hospitalisées. Par la suite, ces thérapies se sont adaptées pour d’autres troubles dépressifs tout en gardant la forme d’une thérapie brève et structurée, c’est le cas des dépressions bipolaires. Les contre-indications actuelles restent les épisodes mélancoliques, les dépressions délirantes et les dépressions associées à une détérioration mentale.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Tableau 1.2. Indications actuelles de la thérapie cognitive Traitements de première intention
Traitements adjuvants
– Dépression – Dépression sévère hospitalisée majeure non (1986) psychotique (1979) – Dépression avec troubles pathologiques de la personnalité (1991) – Dysthymies (1992, 2000) – Troubles bipolaires (1996, 2000) – Début de détérioration mentale avec troubles anxio-dépressifs associés
Contreindications – Épisode mélancolique – Délire aigu – État démentiel
En dehors de la forme clinique de la dépression, d’autres facteurs interviennent dans l’indication de la thérapie cognitive, comme la motivation du patient, sa capacité à s’auto-observer (cf. Leçon 5). Un certain nombre d’études évaluent l’effet des TCC à court et moyen termes sur le taux des rechutes et récidives dépressives. Toutes montrent un gain thérapeutique d’environ 30 % à un an. Le tableau 1.3 ci-contre présente les études principales. 28
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1 • Les indispensables sur la dépression
Tableau 1.3. Évaluation des thérapies comportementales et cognitives à long terme Premières études Auteur
Année
Durée du suivi
Traitement antidépresseur
Traitement antidépresseur et techniques cognitivocomportementales
Nombre de patients
Blackburn
1986
2 ans
78 %
21 %
140
Simons
1986
1 an
66 %
43 %
30
Miller
1989
6 à 12 mois
40 %
13 %
45
Bowers
1990
6 mois
80 %
20 %
Hospitalisés
Evans
1992
2 ans
50 %
32 %
31
Shean
1992
1 an et demi
50 %
–
37
Gloaguen
1998
Métaanalyse
60 %
29 %
66
(D’après C. Mirabel-Sarron, 2000)
29
Quelques recherches plus récentes se sont intéressées à des patients déprimés à haut risque de récidive en comparant différentes modalités de prise en charge, souvent originales. Les modalités de TCC envisagées ne sont pas comparables. Pour certains, elles comprennent peu de séances (Fava et al., 1998 ; Blackburn et Moore, 1997), mais chacune d’entre elles étant, dans la plupart des cas, très longue, d’autres tentent des propositions originales comme les programmes de MBCT (Mindfulness-Based Cognitive Therapy) qui démontrent leur franche efficacité chez les sujets déprimés ayant connu déjà au moins quatre récidives dépressives (Mirabel-Sarron, Docteur, Sala, Siobud-Dorrocant, 2012 ; Mason et al., 2000 ; Teasdale et al., 2000 ; Segal, Williams et Teasdale, 2001). Aujourd’hui, les programmes de thérapie cognitive tentent de se diversifier, d’évoluer pour encore mieux prévenir les rechutes et récidives dépressives. Pour conclure, la dépression est une expérience émotionnelle pénible, invalidante pour l’individu, aux multiples conséquences, qui nécessite d’être reconnue et traitée rapidement. Le traitement de première intention reste la prescription des antidépresseurs. L’association d’une thérapie psychologique « TCC », quand elle est possible, permet dans la majorité des cas d’obtenir une rémission plus rapide des troubles et une réduction des récidives dépressives.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
RÉSUMÉ DE LA LEÇON • Il n’y a pas de petite dépression. • Chaque dépression est singulière. • Il existe des signes trompeurs, des formes résistantes. • 70 % des patients s’améliorent sur le plan thymique avec la • • • •
prescription d’un premier antidépresseur. Non traitée ou non suffisamment, la dépression amène aux récidives, les récidives aux raccourcissements des intervalles libres. Quand la dépression ne s’améliore pas, il existe des solutions thérapeutiques (association médicamenteuse, psychothérapie). Quand il persiste des symptômes résiduels il faut impérativement les prendre en charge. Les TCC ont montré leur efficacité depuis de nombreuses années dans la prise en charge des dépressions résistantes.
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1 • Les indispensables sur la dépression
NOTES
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Leçon 2
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Que nous apprennent les recherches scientifiques ?
Objectifs Transmettre un savoir théorique et pratique Mieux comprendre et expliquer la démarche TCC
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PLAN DE LA LEÇON Les grands architectes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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L’impuissance apprise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Une extension de la théorie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
34
Les cognitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Les processus cognitifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Les processus le plus souvent mis en jeu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
40
Les mesures des processus cognitifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Les schémas dépressogènes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
45
Les caractéristiques des schémas cognitifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Une démarche thérapeutique très efficace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
« Apprendre sans réfléchir est vain. Réfléchir sans apprendre est dangereux. » Confucius
LES GRANDS ARCHITECTES L’impuissance apprise Seligman, dans les années 1970, estime que la dépression peut résulter de la perte du sentiment de contrôle d’un sujet sur son environnement. Les événements de vie sont alors perçus comme incontrôlables, et les renforcements positifs comme indépendants des comportements du sujet, d’où l’apparition d’un apragmatisme, d’une passivité, d’une résignation, et une diminution des conduites adaptatives. Ce modèle appelé d’« impuissance apprise » est démontré expérimentalement aussitôt chez le mammifère et reste un modèle de référence pour l’étude des médicaments antidépresseurs.
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Un parallèle est effectué par Seligman entre les comportements observés chez l’animal après l’impuissance apprise et la symptomatologie dépressive de l’être humain. L’auteur observe qu’il était possible de développer chez le chien un comportement très proche de celui de l’humain déprimé. Ce tableau est composé de passivité, de difficultés à apprendre, de perte de toute agressivité, d’amaigrissement... En effet, un chien mis dans l’incapacité d’éviter l’apparition d’une stimulation désagréable abandonne sans chercher à échapper à cette stimulation. L’animal a ainsi perdu la capacité d’initier une réponse. Cet abandon n’est pas sans rappeler la perte de motivation chez l’humain, après une agression à laquelle il n’a pas pu se soustraire (sévices répétés par exemple). La deuxième conséquence est la perte de la capacité à apprendre. L’animal, qui a acquis cet abandon de l’action par l’impossibilité de contrôle des situations défavorables, ne tirera pas profit d’une expérience positive de laquelle il arrive à s’échapper. De la même manière, un sujet déprimé évoque de multiples raisons pour ne pas agir de façon constructive, car de toute évidence il pense que rien ne réussira. Le signe principal de l’impuissance apprise est la passivité. Tout organisme qui a fait l’expérience d’événements défavorables incontrôlés présente des difficultés pour faire face à de nouveaux traumatismes.
Une extension de la théorie À cette même période les premières théories cognitives permettent de compléter cette conceptualisation. En 1978, Seligman reformule sa théorie en y incorporant la théorie sociologique de l’attribution (Abramson, Seligman et Teasdale, 1978). Dans ce modèle, la dépression pourrait être produite par les attributions que font les individus des événements
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2 • Que nous apprennent les recherches scientifiques ?
négatifs de leur vie. Les signes de dépression apparaîtraient lorsque le sujet subit ces expériences de vie négative qu’il croit ne pas pouvoir contrôler. En somme, au cours de cette expérience, le fait d’apprendre que le renforcement est indépendant de son comportement forge chez le sujet un sentiment d’incontrôlabilité. Abramson, Seligman et Teasdale (1978) distinguent trois dimensions aux attributions : 1. L’internalité : la cause est d’origine personnelle et non pas liée à une caractéristique de la situation. 2. La stabilité : la cause persiste dans le temps et n’est pas transitoire. 3. La globalité : la cause affecte d’autres événements et n’est pas liée uniquement à l’événement premier. Chacune de ces dimensions a ses conséquences propres. Ainsi l’internalité affecterait l’estime de soi, la stabilité influencerait la persistance de l’effet de l’impuissance apprise, maintenant ainsi la réaction dépressive dans le temps ; enfin la globalité entraînerait la généralisation des déficits acquis aussi bien aux niveaux motivationnel et cognitif qu’émotionnel. D’après ces auteurs, la dépression qui survient secondairement à des événements négatifs serait déterminée par des attributions causales destinées à rendre compte de ces événements. L’intensité de la symptomatologie dépressive est d’autant plus grande que le sujet effectue des attributions internes, stables et globales. Seligman précise l’effet du temps sur ce conditionnement. L’impuissance apprise peut disparaître avec le temps. Elle est d’autant plus longue à perdre qu’il existe un passé de situations traumatisantes inévitables. Chez l’être humain, on connaît la possibilité de voir disparaître dans un délai variable une dépression réactionnelle à un deuil.
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Tableau 2.1. Comparaison de la symptomatologie dépressive entre animal et être humain Animal
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Humain
Impuissance apprise à l’action
Passivité
Difficulté à apprendre une action
Conviction de l’incapacité de changer
Incapacité d’agression
Hostilité introjectée
Disparition avec le temps
Disparition avec le temps
Amaigrissement
Anorexie
Caractère inévitable du traumatisme
Croyance qu’agir est inutile
Thérapie directive
Retrouver la possibilité de croire qu’agir permet d’obtenir un renforcement
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Dès les années 1975, le nouveau prédicat théorique sur lequel repose la démarche de TCC est que dans les troubles thymiques, il existerait une modification du fonctionnement cognitif qui précéderait et interagirait avec le mouvement émotionnel. La TCC a pour objet d’agir sur certaines de ces modifications cognitives afin d’améliorer l’humeur dépressive. Elle agit en particulier sur trois composantes : les cognitions ou pensées dépressives négatives, les processus ou biais de raisonnement, et les schémas cognitifs (règles de pensées apprises au cours du développement de l’individu et qui guident ses comportements et ses interactions sociales). La pensée dépressive pessimiste est expliquée par une suite d’erreurs logiques effectuées dans le traitement des informations externes ou internes, le déprimé privilégiant involontairement les informations négatives au détriment des informations de nature positive ou neutre. Ces auto-verbalisations négatives appelées encore cognitions dépressives forment le monologue intérieur du sujet déprimé qui consolide sa tristesse. Toutes ces perturbations cognitives proviendraient de l’activation de schémas dépressogènes stockés dans sa mémoire à long terme.
Les cognitions 36
Dans ce modèle, la cognition est envisagée comme une pensée consciente ou une image mentale qui accompagne le vécu émotionnel de l’individu et interagit avec elle. Les premières cognitions étudiées sont celles de l’état dépressif, elles sont négatives, pessimistes et concernent tout à la fois, l’individu, les autres et le futur (Beck, 1979). Si une action thérapeutique permet d’agir sur les cognitions dépressives, négatives de l’individu alors les émotions de tristesse, de culpabilité et de désespoir diminueront. Élisabeth, 46 ans, déprimée, nous dit d’elle-même : « Je ne me sens pas très bien. J’ai du mal à parler, à me concentrer. J’ai des idées noires. Cela ne va peut-être pas très bien dans ma tête. J’ai beaucoup de difficultés à tout faire, cela m’inquiète. J’ai l’impression que c’est plus grave que de la dépression. J’ai peur de ne pas pouvoir m’en sortir. Je me sens très mal. »
Ce discours spontané, lentement prononcé, reprend les pensées, le monologue intérieur négatif que la patiente a dans la tête ou ressasse en permanence. Des travaux expérimentaux ont permis de mettre en évidence les cognitions les plus fréquemment reliées à un état émotionnel particulier. La liste de paires cognitions-émotions établie par Beck est la suivante (extrait) : – « Je ne suis pas à la hauteur » : déficience personnelle/humeur triste ; – « Je ne compte pour personne » : abandon/sentiment de solitude ;
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2 • Que nous apprennent les recherches scientifiques ?
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« Je ne suis pas à la hauteur » : idée d’infériorité/humiliation ; « Je suis responsable, c’est de ma faute » : idée de faute-culpabilité ; « Je vais craquer » : anticipation d’un événement-anxiété ; « Il ne tient même pas compte de ma proposition » : reproches envers autrui-colère.
Il est à noter que le vécu d’une situation est très personnel. Une même condition engendre de la tristesse chez une personne, de l’anxiété chez une autre, et de la colère chez une troisième. Exemple Au cours d’une conversation, votre interlocuteur fait une grimace : – un premier auditeur pourra penser : « Je le dégoûte » et ressentira de la tristesse et de la culpabilité ; – un deuxième auditeur se dira : « Il a mal quelque part » et suscitera l’inquiétude ou la peine ; – un troisième auditeur pourrait se dire : « Il se moque de moi » et sera en colère. Ces réactions cognitives et leur vécu émotionnel sont dépendants de chacun d’entre nous.
Ces cognitions déclenchent une boucle d’interaction. La pensée structure le vécu émotionnel qui à son tour influence le mode de pensée construisant petit à petit le discours intérieur du sujet. « Un cercle vicieux s’installe entre la pensée et l’émotion : elles s’attisent l’une l’autre. Le schéma de pensée crée une réflexion amplifiée de lui-même sous la forme d’une émotion qui continue d’alimenter la pensée d’origine. En ressassant mentalement des idées sur la situation, l’événement ou la personne ayant causé l’émotion, la pensée alimente l’émotion, qui à son tour déclenche la forme-pensée, et ainsi de suite. » E. Tolle
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Caractéristiques des cognitions dépressives • Spécifiques • Précises • Brèves : sorte de phrase en style télégraphique. • Involontaires : elles ne sont pas l’aboutissement d’une réflexion, d’un raisonnement
ou d’une délibération à propos d’un événement ou d’un sujet. • Autonomes : elles ne s’enchaînent pas logiquement. • Plausibles • Raisonnables : leur validité est acceptée sans confrontation avec la réalité.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
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• Négatives : les thèmes sont dominés par l’autocritique. • Douloureuses • Spontanées : elles apparaissent dans des circonstances qui contredisent leur
contenu. Même si l’expérience ne les valide pas, elles continuent à faire irruption dans la pensée du sujet jusqu’à la résolution de l’état dépressif. • Idiosyncrasiques : leur contenu est lié intimement aux problèmes du sujet.
Beck a recensé ces cognitions et en fournit un classement. Il décrit alors la « triade cognitive négative », en distinguant, dans l’ordre : 1. Les pensées qui concernent le sujet. 2. Les pensées qui intéressent le monde environnant. 3. Les pensées qui traitent du futur. Toujours dans le but d’identifier les phénomènes de cet étage superficiel des cognitions, Hollon et Kendall (1980, 1986) ont construit le questionnaire des pensées automatiques ou ATQ (Automatic Thoughts Questionnaire ; traduction française et validation de Bouvard et al., 1992), qui répertorie les cognitions dépressives (1991). Il comporte 30 items.
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Ce questionnaire comprend 21 pensées automatiques typiques du patient dépressif. Cet outil sert tout à la fois à évaluer la fréquence des cognitions et à les identifier en début de thérapie. Le score obtenu est une mesure des phénomènes cognitifs. Le total de cet auto-questionnaire va de 30 à 150. Un patient déprimé obtient des scores compris entre 90 et 130. L’encadré suivant présente un extrait de la version française de l’ATQ. Extrait du questionnaire des pensées automatiques ATQ Pour chaque pensée, veuillez indiquer à quelle fréquence la pensée a été la vôtre durant la dernière semaine. La cotation s’effectue sur une échelle allant de « Pas du tout » à « Tout le temps ». 1. J’ai la plus grande difficulté à faire face au monde. 2. Je ne suis pas bon. 3. Pourquoi je ne réussis jamais. 4. Personne ne me comprend. 5. J’ai laissé tomber les autres.
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2 • Que nous apprennent les recherches scientifiques ?
LES PROCESSUS COGNITIFS Beck (1971, 1976) propose une première typologie des erreurs de raisonnement rencontrées chez le patient anxieux ou dépressif. Il dénombre ainsi six variétés d’erreurs : la surgénéralisation, l’abstraction sélective et l’inférence arbitraire d’une part, la maximalisation, la minimisation et la personnalisation d’autre part. Pour lui, ces processus existent chez tous les êtres humains, mais il s’effectue dans la psychopathologie psychiatrique une dysrégulation quantitative avec une sur-utilisation de certains d’entre eux. Le thérapeute repérera assez vite ces biais de raisonnement, qui amènent le patient à une représentation partielle de la réalité. Au cours de la thérapie, il apprendra au sujet déprimé à repérer et à nommer ses mécanismes de raisonnements trop largement utilisés au détriment d’un jugement plus large. Les processus cognitifs définis par Beck ont été repris et développés par ses élèves, puisque Wright, Thase, Beck et Ludgate en ont décrit une vingtaine dans leur ouvrage sur la prise en charge cognitive des patients hospitalisés (1993). L’encadré suivant récapitule les processus cognitifs listés par Wright.
Processus cognitifs listés par Wright 1. Le raisonnement émotionnel : la conclusion du sujet se fait d’après son état émotionnel.
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2. La surgénéralisation : la conclusion évidente est tirée d’une seule expérience. 3. La pensée catastrophique : ce processus est un exemple extrême de généralisation dans lequel l’impact négatif de l’expérience est amplifié. 4. Le raisonnement dichotomique : ce processus complexe conduit à ne penser qu’en termes extrêmes, de façon manichéiste. 5. Devoir, falloir : ce raisonnement du sujet se fait en fonction d’impératifs catégoriques qu’il s’est fixés et qui organisent de manière rigide une forme de contrôle des événements extérieurs. 6. Prédiction négative : le sujet utilise le pessimisme pour prédire de manière prématurée l’échec dans une nouvelle situation. 7. Lecture de la pensée : les conclusions du sujet se basent sur des inférences négatives à propos des pensées, des intentions et des motifs des autres. 8. L’étiquetage : une caractéristique négative d’un événement ou d’une personne devient une caractéristique définitive du sujet.
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AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
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9. La personnalisation : l’interprétation d’une situation ou d’un comportement est mise en relation avec une caractéristique négative de soi-même. 10. L’abstraction sélective : des événements indésirables ou négatifs sont davantage rappelés que des événements neutres ou positifs. 11. L’évitement cognitif : les sentiments et les événements déplaisants sont perçus comme insurmontables, ils sont alors supprimés ou évités. 12. Focalisation somatique : le sujet a tendance à interpréter les stimuli internes (palpitations, souffle court...) comme des indicateurs fiables d’une catastrophe imminente, une attaque cardiaque, par exemple.
Les processus le plus souvent mis en jeu Les biais exagérés dans le traitement de l’information sont des processus inférentiels dont la terminologie a été déterminée par les cliniciens ; c’est pourquoi on ne retrouve pas d’analogie avec les termes utilisés en psychologie expérimentale.
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La terminologie clinique définie par Beck (1976) a le mérite d’aider le thérapeute cognitif débutant à identifier chacun de ces processus. Chaque terme illustre parfaitement le processus mis en jeu. En revanche, il est rare que le thérapeute utilise auprès du patient cette dénomination théorique. En effet, dans l’esprit même de la TCC le thérapeute est un guide qui aide le patient à identifier les processus cognitifs dysfonctionnels. Dans ce cadre, le patient est amené à nommer chaque processus qu’il repère avec ses propres termes, son vocabulaire habituel, par exemple : « Je me focalise », « Je me déclare toujours coupable »... Illustrons les processus le plus souvent cités dans les articles de la littérature et inclus d’ailleurs dans certains questionnaires d’évaluation comme le Cognitive Error Questionnaire ou CEQ.
! La surgénéralisation La surgénéralisation est le fait de considérer un cas singulier comme une règle générale. L’application de cette règle à toutes sortes de situations conduit le patient déprimé à construire des prédictions négatives pour le présent et le futur. Par exemple, un déprimé dont le dernier week-end passé chez des amis s’est fort mal déroulé déclare : « Je ne me rendrai plus jamais nulle part. » Devant une pensée globale formulée par un sujet déprimé, qui a la forme d’une conclusion du type « Je suis indigne », il est possible de rechercher la pensée primaire source de cette surgénéralisation.
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2 • Que nous apprennent les recherches scientifiques ?
Devant une surgénéralisation formulée par un patient, le thérapeute est amené à rechercher un syllogisme sous-jacent ayant donné forme à cette conclusion générale. Le syllogisme constitue un des modes de raisonnement privilégié de l’esprit humain. Il se constitue de deux prémisses, l’une mineure et l’autre majeure, qui additionnées mènent directement à la conclusion générale (voir « techniques syllogistiques », p. 236). Marie, 51 ans, explique au cours d’un entretien : « Je suis indigne. » Le thérapeute recherche, par un questionnement ouvert du type : « Qu’est-ce qui vous fait dire cela ? », d’autres pensées sous-jacentes susceptibles de former un syllogisme. Une première prémisse est isolée : « Si les autres ne m’aiment pas, je suis indigne. » La deuxième prémisse, plus spécifique, s’avère être : « Jean ne m’aime pas. » Aussitôt, le patient tire de cette dernière une conclusion générale : « Je suis indigne. » La première prémisse globale fait partie de la structure psychologique du sujet, elle est réactivée par une diversité de situations, tandis que la seconde prémisse est liée à un événement spécifique.
! L’abstraction sélective L’abstraction sélective est l’extraction d’un détail négatif d’une situation, puis son utilisation hors de son contexte initial. Cette perception sélective néglige d’autres aspects importants d’une situation vécue ; le sujet n’en perçoit pas la signification globale mais s’enferme dans sa première conclusion même si tous les éléments de réalité sont contraires. Laure, employée de bureau, s’énerve en cherchant un numéro de téléphone dans un fichier d’adresses. Elle ne le trouve plus alors qu’elle est convaincue de son existence et le retrouvera d’ailleurs sans peine dans le répertoire dès le lendemain. À partir de cette expérience négative ponctuelle, la patiente se dit : « De toute façon, je ne vois rien dans les magasins ni au marché. » Et rentre chez elle bredouille, lorsqu’elle sort pour faire quelques courses. Cette expérience personnelle l’intrigue, elle sait qu’il n’est pas possible de n’avoir rien trouvé sur les étalages du supermarché mais décrit très bien ce sentiment d’incapacité et de dévalorisation générale qu’elle ressent depuis la recherche vaine dans le carnet d’adresses.
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! L’inférence arbitraire L’inférence arbitraire est l’émission d’une conclusion sans lien logique avec la réalité. Jacques, déprimé, se dit : « Ma petite amie n’ose pas rompre et me faire de la peine. » Pourtant, aucun élément de réalité ne plaide en faveur d’une rupture prochaine.
! La personnalisation La personnalisation est l’attribution à soi-même de la responsabilité d’événements néfastes. Elle évoque un mécanisme d’attribution interne.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
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Hervé, déprimé depuis quelques mois, explique : « Si ma femme est restée tout le dimanche assise sur le canapé du salon, c’est parce que je suis déprimé. » En fait, l’immobilisme de son épouse pendant une partie de l’après-midi recevait bien d’autres explications : fatigue, préoccupations familiales, décision à prendre pour l’un de leurs enfants... Mais la première idée venue à l’esprit du patient est une pensée de responsabilité, qui l’implique personnellement négativement.
! La maximalisation La maximalisation est l’exagération d’un événement mineur pour le sujet. Maria est déçue par la couleur de l’imperméable qu’elle vient d’acheter. « Il ne convient pas à mon teint. » et regrette aussitôt son achat. Sa journée prend une tonalité dramatique. Tout va aller mal comme cet imperméable... Maria en est convaincue.
La maximalisation s’opère chez le patient déprimé pour des événements à connotation négative pour lui. Les expériences négatives de la journée sont alors largement amplifiées.
! La minimisation La minimisation est la moindre prise en compte des ressources personnelles et des réussites.
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Janine, retraitée, déprimée depuis une année environ, se plaint de ne plus avoir le goût de faire la cuisine : « Je ne fais plus d’effort et prépare tous les jours la même chose. » Or le compte rendu des journées passées par la patiente montre qu’elle réussit de temps en temps des préparations cuisinées passées sous silence, comme des tomates farcies que son mari a appréciées. « C’était facile » complète-t-elle...
Les moments agréables et les actions réussies sont, de ce fait, occultés, parce qu’allant de soi et étant très inférieurs à tout ce qu’elle savait faire auparavant.
! Les « erreurs de style » D’après Beck, deux autres dysfonctionnements appelés « erreurs de style » s’ajoutent aux erreurs de raisonnement et contribuent également à déformer la perception des choses. Il distingue : 1. Les erreurs sémantiques, qui consistent en l’utilisation de qualificatifs inexacts. Ces termes souvent globaux ont besoin d’être précisés comme : « Je suis un perdant. » On demande alors au patient de davantage expliciter sa pensée : « Que voulez-vous dire par là ? », « Sur quels éléments pouvez-vous affirmer que vous êtes un perdant ? »... Ces questions exploratoires permettront dans certains cas d’aboutir à une notion tout à fait autre : « Oui, après toutes vos questions, je me rends bien compte que je suis
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2 • Que nous apprennent les recherches scientifiques ?
trop naïf, que je fais trop souvent confiance aux autres » ; dans d’autres cas, il s’agit d’une conclusion trop rapide provenant d’un processus d’abstraction sélective au cours duquel le patient n’a pris en compte qu’une petite partie de la réalité, celle qui était négative en ignorant les autres facettes de la situation. Ces erreurs sémantiques sont, pour le thérapeute, très riches en informations aussi bien sur la représentation qu’à l’individu de lui-même que sur la nature des contextes de vie qui l’ont amené à tirer cette conclusion globale. 2. Le style dichotomique, qui est une forme de pensée manichéenne. Le sujet envisage les situations en termes extrêmes et absolus. Cette perception rigide et simplifiée des événements conduit à des attitudes radicales, tout en maintenant l’inhibition du déprimé. Les pensées prennent les formes suivantes : « Si je ne taille pas toute ma rangée de rosiers aujourd’hui, autant ne rien faire » ou « Je nettoie toute ma maison pour que cela ait un air propre ou je ne fais rien. » Ce raisonnement absolutiste confine le sujet déprimé dans l’inaction, car, pour lui, faire un peu ne sert à rien. Beaucoup de techniques thérapeutiques pendant la thérapie cognitive auront pour objet de déjouer ce mode de pensée extrême. Une stratégie comportementale classique est de séquencer l’action prévue et de réaliser une partie après l’autre jusqu’à obtenir au final la globalité de l’objectif. Ainsi Jean, 53 ans, déprimé après un licenciement économique, est déjà un peu amélioré sur le plan de l’humeur et souhaite reprendre une activité. Il envisage d’égaliser sa haie de conifères autour de sa maison. Cet objectif très ambitieux pouvant être source d’échec vu son ampleur, nous lui suggérons de segmenter son projet. Jean est rassuré par cette proposition et divise la réalisation prévue en sept tâches réparties en trois jours : louer la tronçonneuse, couper la haie avant droite, couper la haie avant gauche, ramasser les branches du devant, terminer la haie du côté droit et ramasser, finir la haie du côté gauche et ramasser, enfin, achever par la taille de la haie du fond du jardin. De plus, il accepte de demander de l’aide pour le ramassage puis pour le déblaiement à la déchetterie. Tout n’est pas simple. Jean ne s’était pas livré à une telle activité depuis plus de cinq ans et se fatigue, la seconde étape de la haie du demi-jardin droit se solde par des difficultés, le maniement de la tronçonneuse se révèle plus laborieux que prévu... Et Jean commence à avoir des pensées négatives du type : « Je ne finirai jamais au bout de mes trois jours de location du matériel. » Après ces débuts difficiles, Jean prend de l’assurance, et atteint tout juste son objectif le troisième jour, aidé par deux de ses voisins. Dès la deuxième étape, Jean, contrarié comme tout débutant qui se bat avec un nouvel engin, était de nouveau prêt à basculer dans le processus dichotomique. Sa pensée négative le menaçait et risquait de tout lui faire arrêter. Mais Jean était déjà à un stade de la thérapie (environ neuvième séance) qui lui permettait de déjouer les pensées pessimistes.
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! Les auto-injonctions volontaires Les auto-injonctions volontaires, appelées les « il faut, je dois » correspondent à l’emploi d’impératifs catégoriques. Les pensées sont formulées comme des obligations ou des devoirs. Le patient se contraint à réaliser des actions qu’il a du mal à accomplir ; il en découle une culpabilité et un sentiment d’incapacité et d’auto-dévalorisation. Retrouvons Jean qui nous dit : « Je dois avoir fini à la fin du troisième jour de location, tout doit être taillé, il faut que ma maison ait une allure correcte. » Dans la réalité, Jean pouvait donc prendre son temps bien davantage. Aucun événement ne le poussait à finir à une date fixe. Il pouvait louer la machine un jour supplémentaire ou encore la louer plusieurs fois en espaçant les coupes... Jean se créait seul cette obligation dans le temps.
On voit ainsi nombre de personnes dont le discours entier est ponctué par ces injonctions : il faut que je me lève, il faut que je m’habille, il faut que je mange... Le thérapeute amène ces patients à identifier ces impératifs catégoriques, puis à tester leur véracité dans la réalité. Dans la majorité des cas, ces obligations sont imposées par le sujet lui-même et constituent même dans certains cas un mécanisme de lutte contre l’inhibition dépressive. Malheureusement, les objectifs ainsi fixés sont démesurés. Le patient ne peut les atteindre du fait de sa dépression. Paradoxalement, ces impératifs l’enferment alors dans davantage d’inhibition. 44
Les mesures des processus cognitifs Les altérations de tous ces processus cognitifs sont, pour Beck, communes à toute la psychopathologie. La distinction entre chaque classe nosologique serait davantage d’ordre quantitatif (déterminée par la fréquence d’emploi) que qualitatif. Le processus le plus fréquemment retrouvé chez le déprimé serait celui de la personnalisation, suivi par la surgénéralisation. L’identification de ces erreurs logiques est un moment important dans la thérapie. Leur repérage permet au patient de modifier ses interprétations spontanées de la situation. La classification première historique reste utile au thérapeute, pour comprendre les processus cognitifs perturbés chez le patient déprimé et estimer de quelle manière le patient aboutit à des conclusions erronées concernant ses capacités, son univers relationnel et son futur. Si maints auteurs discutent la réalité psychologique de ces processus, dont la dénomination ne correspond pas à celle de la psychologie cognitive, cette classification simple, facile d’emploi permet une approche des processus cognitifs modifiés par la dépression.
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2 • Que nous apprennent les recherches scientifiques ?
Extrait du questionnaire des Distorsions Cognitives Cognitive Distortions Questionnaire1 CD-Quest Irismar Reis de Oliveira, MD, PhD Department of Neurosciences and Mental Health Federal University of Bahia, Brazil Chacun d’entre nous a des milliers de pensées par jour. Ces pensées sont des mots, des phrases et des images qui apparaissent dans nos têtes au moment où nous faisons les choses. Beaucoup de ces pensées sont exactes, mais beaucoup sont fausses. C’est pourquoi elles sont appelées des erreurs cognitives ou des distorsions cognitives. Fréquence Pas du tout (Cela n’est jamais arrivé)
Occasionnel (1-2 jours sur la semaine écoulée)
La plupart du temps (3-5 jours sur la semaine écoulée)
Presque tout le temps (6-7 jours sur la semaine écoulée)
Un peu (30 %)
1
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3
Beaucoup (31 % à 70 %)
2
3
4
Énormément (plus de 70 %)
3
4
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Intensité J’y ai cru...
0
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1. La pensée dichotomique (aussi appelé « en tout-ou-rien », « en noir et blanc », ou « pensée polarisée ») : Je considère une situation, une personne ou un événement en termes de « soit-ou », dans seulement deux catégories extrêmes au lieu d’un même continuum. Exemples : « J’ai fait une erreur, donc ma performance a été un échec », « J’ai mangé plus que prévu, donc j’ai complètement raté mon régime ». L’exemple de Paul : « Ce travail n’est pas bon du tout. S’il était bon, John n’aurait pas fait de corrections. »
LES SCHÉMAS DÉPRESSOGÈNES Dans sa modélisation théorique de la dépression, Beck isole un troisième niveau psychologique, sous-jacent aux deux premiers, responsable d’une vulnérabilité à la dépression et à ses rechutes. Il appelle ce niveau de dysfonctionnement cognitif : schéma cognitif, postulat
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 46 — #58
APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
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silencieux ou attitude dysfonctionnelle... Il s’agit d’une vulnérabilité interne, psychologique, intrinsèque à l’individu, qui vient s’ajouter à d’autres vulnérabilités environnementales pour générer la dépression.
Les caractéristiques des schémas cognitifs Le schéma serait une structure cognitive idiosyncrasique, latente la plus grande partie de la vie, susceptible d’être réactivée par certains événements vitaux. Ces schémas, une fois activés, modifient la perception de la réalité par le sujet. De ce fait, le déprimé contemple les événements, les interprète et les désigne au travers de ses schémas. Les schémas primaires, aussi appelés selon les auteurs, schéma central ou schéma inconditionnel, constituent la forme la plus enfouie des schémas cognitifs. De formulation globale, ils s’appliqueraient en permanence et se révéleraient stables, très robustes et résistants au changement. Ils contiennent des dires absolus sur soi-même, les autres ou le monde, tels que : « Je ne peux pas être aimé » ou « Les autres sont dangereux ». Modifier et développer de nouveaux schémas centraux pourra réduire la détresse émotionnelle du patient et sa vulnérabilité à la dépression ;
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Les schémas cognitifs secondaires, ou schémas conditionnels ou règles conditionnelles, sont plus malléables et prennent une forme conditionnelle. Leur activation serait liée à des contextes spécifiques et leur modification beaucoup plus facile. Ces affirmations sous-jacentes, distinguées depuis une dizaine d’années par les différents auteurs, ne sont pas évidentes à identifier, mais on peut généralement les inférer à partir des actions du patient. Elles prennent la forme littérale de « Si..., alors... » ou bien « Il faut que... ». Ce sont donc des règles qui guident les actions quotidiennes et les prédictions : « Je dois être le meilleur dans tout ce que j’entreprends. » En 1988, Segal et al. proposent une nouvelle définition des schémas, plus précise. Selon eux : « Ce sont des structures mnésiques cognitivo-affectives construites tout au long de l’existence. Ces schémas constituent des représentations émotionnelles qui vont influencer le niveau sensori-moteur, en guidant la perception et l’action. »
Ce modèle intégratif combine des données neurobiologiques et psychologiques et prend en compte les données de Piaget, qui montrent que l’enfant développe des structures mnésiques spécifiques à certaines réponses motrices. Ces structures mnésiques, appelées schémas émotionnels, associent des stimuli, des images mentales... et deviennent de plus en plus élaborées avec les années. En 1990, l’équipe de Segal tente de mettre en évidence l’effet éventuel des modifications des schémas opérés par une TCC sur le traitement de l’information. L’hypothèse générale de ce travail, qui utilise le test de Stroop et des techniques d’amorçage issus des neurosciences.
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 47 — #59
2 • Que nous apprennent les recherches scientifiques ?
Dans cet objectif, 55 sujets déprimés participent à l’étude et suivent pendant six mois une TCC à raison d’un entretien par semaine (programme de Beck). Les résultats montrent que le niveau d’interférence décroît significativement pour le matériel auto-référent chez les patients dont la TCC a été un véritable succès par rapport à la dépression. Pour les sujets très améliorés, le concept de soi négatif observé en phase dépressive apparaît donc moins marqué après le retour à la normothymie. Segal propose, pour l’interprétation des résultats expérimentaux, qu’il existerait une réorganisation des informations auto-référentes négatives dans la structure cognitive du sujet. Quand l’état de l’humeur influence l’accès aux schémas cognitifs... Les auteurs de ces théories font l’hypothèse que les schémas cognitifs sont bien des marqueurs de vulnérabilité à la dépression (schémas traits). Cependant la capacité cognitive de chaque individu à un moment donné dépendrait de son état thymique. Miranda et Person (1988) proposent le modèle du Mood State Dependence Hypothesis. L’hypothèse générale postule que les croyances, telles qu’elles sont évaluées par la DAS (Dysfunctional Attitude Scale ou échelle des attitudes dysfonctionnelles de Beck et Weisman) sont présentes chez les individus vulnérables à la dépression et sont inaccessibles jusqu’au moment où elles sont activées par une humeur négative comme la tristesse. La capacité des individus à avoir accès à leurs schémas dépendrait de l’état émotionnel dans lequel l’individu se trouve au moment du rappel.
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Plusieurs études se succèdent et confirment l’hypothèse que les sujets ayant connu l’expérience dépressive ont un plus haut niveau d’activation de leurs schémas cognitifs activés pendant la phase dépressive (pris sous la forme d’attitudes dysfonctionnelles évaluées par la DAS). Les études montrent qu’il existe plus de pensées dysfonctionnelles quand le patient se sent le plus mal. En revanche, quand le patient se sent mieux, il n’existe pas de réactivation de pensées dysfonctionnelles. La différence entre sujets déprimés et non déprimés ne résiderait donc pas dans leur manière de penser, mais dans leur procédure d’évaluation qui fait appel, chez les sujets ayant connu la dépression, à des croyances psychologiques personnelles facilement activables. La réactivité cognitive Quand ils se sentent tristes, les anciens déprimés réactivent des modèles de pensées qu’ils avaient déjà expérimentés pendant la dépression. Segal nomme cet effet « la réactivité cognitive » (2001).
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 48 — #60
APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Cette réactivité cognitive pourrait croître avec le nombre d’épisodes. Le mécanisme pourrait expliquer le constat fait en clinique : le premier épisode dépressif résolu est souvent précédé d’un épisode de vie stressant, mais progressivement les événements de vie stressants jouent un rôle moindre et les épisodes dépressifs ultérieurs sont de plus en plus faciles à déclencher (Ingram, Miranda et Segal, 1998). Il est ainsi constaté 45 % d’événements stressants avant le premier épisode dépressif, 35 % avant le deuxième épisode, 25 % avant le troisième épisode dépressif. La vulnérabilité cognitive serait abordée dans le processus de la TCC de deux manières : d’une part le repérage et l’évaluation des pensées négatives dépressives, d’autre part la confrontation au cours de la technique de « l’examen de l’évidence » qui constitue une des méthodes de recherche d’alternatives de pensées. Cette technique est apprise au patient dans la première moitié de la thérapie (cf. Leçon 6). Caractéristiques d’une thérapie comportementale et cognitive
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Le but est d’apprendre au patient déprimé certaines compétences psychologiques afin de l’aider à mieux faire face à ses problèmes. De ce fait est une démarche d’apprentissage pendant laquelle de nouvelles habiletés sont acquises pour mieux faire face aux émotions. La TCC est une thérapie verbale, brève dans son déroulement (et comporte une vingtaine de séances). Elle est centrée sur des objectifs personnels au patient. Elle est une des seules aides psychologiques qui s’utilisent en phase aiguë de la dépression.
Prenons un exemple typique de cette démarche cognitive : les techniques de distanciation, qui aident tant les patients déprimés. Elles permettent au patient de se questionner par rapport à la première pensée spontanée, dépressive, le plus souvent négative, qui fait aussitôt irruption dans son esprit lors d’une situation émotionnellement désagréable. Le patient est alors amené à rechercher d’autres interprétations possibles de la situation qu’il a vécue. Le sujet est engagé à étudier non seulement les alternatives de pensée allant dans le même sens que sa première appréciation, mais aussi les représentations de la situation allant dans une autre orientation afin de balayer des éventualités très larges et diversifiées, même si certaines emportent peu sa conviction première. Ces techniques permettent au sujet de regarder ses cognitions dépressives comme n’étant ni nécessairement vraies ni authentiques, ni encore le reflet exhaustif de lui-même. Dès ce moment, ces pensées font partie du passé, ne sont plus des réflexions nécessairement présentes, valides et ne restent plus des critères centraux de la définition et de l’évaluation du soi.
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2 • Que nous apprennent les recherches scientifiques ?
UNE DÉMARCHE THÉRAPEUTIQUE TRÈS EFFICACE De nombreuses études validées ont démontré l’efficacité des TCC sur l’amélioration des symptômes dépressifs des troubles unipolaires à court et moyen termes. Ces thérapies brèves ont montré leur efficacité dans l’accélération de la rémission clinique et la diminution du taux des récidives dépressives. Elles agissent au niveau des symptômes en augmentant le taux d’activités volontaires du patient ; au niveau des modes de pensées dépressifs en les confrontant à la réalité et au niveau des vulnérabilités psychologiques personnelles en identifiant des « schémas cognitifs » qui contribuent fortement à l’état dépressif et à ses rechutes. • Dobson en 1989 répertorie 28 études effectuées entre 1977 et 1987, et conclut sa
méta-analyse par un effet positif de la TCC chez 70 % des patients déprimés. • La même année commence la plus grande étude multicentrique sous l’égide du National Institute for Mental Health (NIMH), qui inclut le plus grand nombre de patients. Les sujets sont répartis aléatoirement en quatre groupes : TCC seule, thérapie interpersonnelle, Imipramine seule, placebo. Après 6, 12 et 18 mois, les patients des trois premiers groupes s’améliorent plus que ceux du groupe placebo. Les dépressions très sévères réagissent mieux aux antidépresseurs. Le groupe sous thérapie cognitive n’obtient pas de meilleurs résultats que le groupe sous thérapie interpersonnelle. De très nombreuses publications seront issues de cette étude, qui sert désormais de référence, afin d’identifier les différents processus de changement opérés par chaque démarche. • D’autres publications contemporaines ouvrent une nouvelle voie où les TCC deviennent une alternative efficace pour les patients qui ne répondent pas au traitement antidépresseur.
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Une deuxième série d’essais cliniques a pour objectif d’évaluer l’impact des thérapies comportementales et cognitives à moyen et long terme. • Gloagen et al. répertorient 78 études publiées entre 1985 et 1996. Ils excluent rapidement
30 études, la plupart non randomisées ou sans groupe contrôle. Les 48 études retenues montrent un effet préventif des TCC : en moyenne 29 % des patients ayant suivi une TCC rechutent à un an, contre 60 % des patients sous antidépresseurs. La revue montre que les patients qui bénéficient des deux approches combinées réduisent de 60 % le taux de rechutes et obtiennent ainsi un gain considérable. • Quelques années plus tard, Vittengl poursuit cette revue de littérature. Toutes les études constatent même après arrêt de la thérapie à un an, un taux de récidive très réduit, de 29 % à un an, et de 54 % à deux ans. • Ces taux peuvent être similaires à d’autres approches psychothérapiques, mais sont bien meilleurs qu’avec les traitements pharmacologiques seuls.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
• Jarrett et al., en 2001, conduisent la première étude qui compare l’efficacité de la TCC à
long terme sur deux années de suivi, en ajoutant ou non des entretiens de consolidation chez les patients répondeurs à la thérapie. 84 % des patients, répondeurs, sont répartis par randomisation en deux groupes, (un groupe contrôle et un groupe bénéficiant de dix séances supplémentaires de TCC). La phase d’entretien de la thérapie permet de réduire le risque de rechutes de manière significative : 10 % versus 31 % au premier re-test à huit mois. Ce résultat s’accentue à deux ans de suivi, avec un taux de récidive de 16 % pour le groupe avec TCC prolongée contre 67 % pour le groupe contrôle. • Un dernier résultat très intéressant pour les patients dont l’état de rémission (après la phase aiguë de thérapie) reste instable et précaire, la phase d’entretien de TCC permet de réduire significativement le risque de rechutes et de récidives (37 % versus 62 %). Une troisième vague d’études explore l’effet des TCC chez des patients à haut risque de récidive, en particulier des patients souffrant de symptômes résiduels. • Paykel et al. incluent 158 patients, en rémission partielle avec des symptômes résiduels
existants depuis deux mois jusqu’à 18 mois selon les sujets après randomisation en deux groupes : une prise en charge de soutien et de conseils ou une prise en charge TCC (méthode de Beck de 16 séances, réparties sur 20 semaines). Le traitement pharmacologique a été poursuivi à l’identique. Les taux de rechutes cumulés à 68 semaines de suivi sont de 47 % dans le groupe contrôle et de 29 % dans celui traité par TCC. 50
Les recherches actuelles s’orientent vers l’identification des bons répondeurs aux thérapies médicamenteuses ou psychothérapiques : quelle est la méthode psychothérapique la plus efficace pour quel type de patient ? Pour quelle forme de maladie ? • Pour exemple, Bagby et al. se proposent d’identifier des aspects de personnalité qui
favoriseraient l’indication et l’optimisation du traitement offert aux sujets déprimés. L’ensemble de ces travaux nous permet de conclure à une spécificité d’action des TCC qui s’illustre par : – une rémission plus rapide des symptômes dépressifs ; – une action initiale sur les contenus de pensée pessimistes, désespérés voire suicidaires ; – une action primaire cognitive puis physiologique inverse à celle des antidépresseurs. L’importance des changements précoces en TCC est confirmée par l’étude de Derubeis et al. Au cours des quatre premières semaines, l’amélioration du désespoir, de l’humeur et de l’estime de soi apparaît plus précocement que l’amélioration de la symptomatologie neurovégétative ou de la motivation, alors que pour le traitement pharmacologique aucune modalité temporelle caractérisant le changement n’a été remarquée.
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2 • Que nous apprennent les recherches scientifiques ?
L’hypothèse serait que la TCC implique une participation active du patient qui activerait dès le début de la thérapie des stratégies pour faire face à la réalité. La radio imagerie pour mieux comprendre Goldapple, Segal et Garson (2004) observent au cours d’une tomographie à émission de positrons chez 14 sujets déprimés bénéficiant d’une quinzaine de séances de thérapie comportementale et cognitive, et chez 13 patients recevant de la Paroxetine, des modifications fonctionnelles assez différentes. L’hypothèse serait alors que chaque modalité thérapeutique aurait son mode d’action spécifique qui pourrait s’adapter à certaines formes de dépressions ou encore à certains patients. De nombreuses équipes sont engagées aujourd’hui dans ce type de recherches et permettront de compléter les données sur les mécanismes neurophysiologiques impliqués dans la dépression et ses rechutes. En 2013, McGrath et al. ont pris des images de l’activité au repos de 63 patients présentant un épisode dépressif caractérisé d’intensité modérée ou sévère au moyen de la tomographie par émission de positrons (PET scan). Ces patients ont été randomisés dans 2 groupes : un groupe recevant un traitement par escitalopram (10 à 20 mg par jour) durant 12 semaines consécutives, l’autre groupe 16 séances d’une heure de thérapie comportementale et cognitive pour la dépression sur 12 semaines consécutives. Les résultats de cette étude ont montré que l’activité dans une zone spécifique permettait de prédire les résultats de la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) ou de l’antidépresseur. Une faible activité dans l’insula (aussi appelée cortex insulaire) antérieure de l’hémisphère droit signalait une probabilité significativement plus élevée de rémission avec la TCC et une faible réponse à l’escitalopram. Inversement, une hyperactivité dans l’insula prédisait la rémission avec l’escitalopram et une mauvaise réponse à la psychothérapie. Parmi plusieurs sites d’activité cérébrale, l’insula antérieure prédisait le mieux la réponse aux deux traitements. Cette région est connue pour être importante notamment dans la régulation des émotions, de la conscience de soi, de la prise de décision et d’autres activités cognitives. Sans attendre ces futures données de la recherche, ces travaux scientifiques récents viennent confirmer que nous avons à notre disposition des traitements de la dépression efficaces et dont l’impact neurophysiologique a pu être mis en évidence.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
RÉSUMÉ DE LA LEÇON • Il s’agit d’une thérapie psychologique issue de la psychologie
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scientifique dont les modalités s’enrichissent au fur et à mesure des données de la recherche actuelle. L’indication de thérapie est posée après plusieurs entretiens comportant une analyse fonctionnelle de la souffrance du sujet. Les objectifs personnels du patient sont définis en séances avec lui de manière à ce qu’ils soient réalistes, concrets, progressifs allant dans le sens de son bien-être. L’objectif principal des TCC est d’apporter au patient des moyens psychologiques permettant le changement, afin qu’il puisse les utiliser seul avec un gain manifeste. Une évaluation clinique et psychologique est réalisée au début et à la fin de chaque contrat thérapeutique, les résultats en sont donnés au patient. La multiplicité des outils thérapeutiques requiert une formation solide de chaque thérapeute d’au moins deux années. De nombreuses études ont montré leur efficacité à court et à long terme, aussi bien chez des enfants, des adultes ou des personnes âgées.
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2 • Que nous apprennent les recherches scientifiques ?
NOTES
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Leçon 3
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Comment créer une bonne alliance thérapeutique avec un patient déprimé ? Objectifs Développer une relation de collaboration Mettre en œuvre les techniques d’entretien propres aux TCC Avoir un discours éducatif
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PLAN DE LA LEÇON Comprendre le discours du patient déprimé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 Le discours comme reflet des dysfonctionnements cérébraux . . . .
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L’attitude du thérapeute . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Les caractéristiques générales du thérapeute . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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La construction d’une relation collaborative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Le style des questionnements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Le questionnement de type inductif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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La démarche socratique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Le feedback . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Le feedback de début d’entretien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Le feedback de milieu d’entretien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Le feedback de fin d’entretien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Le renforcement positif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Le discours psychoéducatif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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La prescription des tâches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 La structure des entretiens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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La structure générale de chaque entretien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Un cadre formel et informel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Une relation de collaboration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Les critères de qualité de la relation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Les impacts de la qualité de la relation thérapeutique sur le devenir évolutif de la thérapie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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L’alliance thérapeutique dans la 3e vague . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
« Le thérapeute est un guérisseur sympathique, et non moralisateur qui manifeste envers son client beaucoup d’intérêt, de chaleur et de compréhension. » Garfiels, 1980
COMPRENDRE LE DISCOURS DU PATIENT DÉPRIMÉ Les études linguistiques appliquées aux discours produits par les patients psychiatriques se sont largement multipliées tout en laissant le champ des troubles thymiques moins explorés. Les recherches menées sur les perturbations du langage chez les patients déprimés ont été caractérisées par l’hétérogénéité des méthodes d’analyse employées et par la diversité des hypothèses testées. Ces études ont observé le comportement verbal de déprimés recevant un traitement pharmacologique mais ont peu pris en considération des sujets déprimés poursuivant une thérapie verbale. Si unanimement les travaux reconnaissent que le discours du sujet dépressif est constitué de phrases courtes aux thèmes monocordes et redondants, peu d’études abordent les aspects quantitatifs. Historiquement, seul le travail mené par Andreasen (1976) apporte davantage de résultats. L’auteur confirme l’idée généralement admise que la structure syntaxique du discours du sujet déprimé n’est pas altérée. 56
La comparaison d’indices grammaticaux produits par des patients déprimés et par des patients maniaques montre que le déprimé utilise plus de pronoms personnels, la première personne du singulier, et plus de verbes d’états (verbe être, par exemple) que le maniaque. En revanche le patient maniaque se réfère plus aux objets du monde et s’exprime plus en verbes d’action. Enfin une analyse thématique du contenu verbal rend compte que le déprimé donne à entendre un discours de blâme et d’auto-dévalorisation. À l’opposé, le maniaque offre un discours de complétude, d’accomplissement, voire de mégalomanie. Caractéristiques de la relation soignant-soigné • Émetteur du message : le soignant • Le message : véhiculé par un ensemble de signes verbaux et non verbaux • Le récepteur : le patient déprimé, qui devient à son tour émetteur
Si nous nous tournons vers l’autre côté du miroir, le discours interne, que le sujet déprimé se tient à lui-même, sans le verbaliser à l’extérieur, est caractérisé pour Beck par un monologue intérieur constitué d’une succession de pensées pessimistes (cognitions ou « pensées automatiques »). Elles sont plausibles, spontanées et involontaires. Le sujet ne
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3 • Comment créer une bonne alliance thérapeutique avec un patient déprimé ?
peut empêcher leur survenue. Ces pensées spontanées, non précédées par un raisonnement, forment le mode de pensée dépressif. Ce mode de pensée pessimiste et désespéré est dangereux pour l’individu, qui adhère à ces raisonnements engendrés par la maladie dépressive, dans la mesure où ces pensées sont déduites de son système de croyances dépressif et à ses représentations négatives de lui-même. « La pensée passe des commentaires, fait des spéculations, émet des jugements, compare, se plaint, aime, n’aime pas, et ainsi de suite. Ce que cette pensée énonce ne correspond pas automatiquement à la situation dans laquelle vous vous trouvez dans le moment. Elle ravive peut-être un passé proche ou lointain ou bien alors imagine et rejoue d’éventuelles situations futures. Dans ces moments-là, “la voix intérieure” imagine souvent que les choses tournent mal et envisage des résultats négatifs. Cette bande sonore s’accompagne parfois d’images visuelles ou de “films mentaux”. Et même si ce que la voix dit correspond à la situation du moment, elle l’interprétera en fonction du passé. » E. Tolle
Les cognitions dépressives, en grande majorité de continu négatif, ont pour thèmes l’auto-dépréciation, le sentiment de perte ou de rejet par les autres, l’exagération des difficultés, l’exigence tyrannique envers soi-même. L’auto-dépréciation est le noyau à partir duquel s’organisent logiquement les autres cognitions. Une perception de soi-même diminuée conduit donc à ressentir exagérément les difficultés et à anticiper négativement l’avenir.
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Un patient déprimé dont le discours intérieur est envahi à plus de 75 % de pensées négatives du type « Je suis nul », « Je n’y arriverai pas », « Je ne suis décidément plus capable de faire quoi que ce soit » ne construira pas de projet, restera prostré dans une forme d’inaction qui a été appelée « le cercle de la léthargie ». Les cognitions dépressives du type « Je n’y arriverai plus jamais », « Je ne me reconnais pas », « Je suis devenue une autre personne » traduisent ces phénomènes. Les cognitions en vrai ou faux Les cognitions sont : • des phrases mentales, • automatiques, • rapides, • plausibles, • personnelles, • des idées que l’on se fait de la réalité.
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AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
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Les cognitions ne sont pas : • des réflexions, • contrôlées, • lentes, • celles des autres, • l’expression de faits réels.
Mirabel-Sarron et Blanchet étudient les modifications des discours de quatre patients déprimés tout au long de leurs douze séances de thérapie cognitive ; les entretiens 1, 4, 8 et 12, équidistants, étant enregistrés. Cette étude retient pour conclusion que l’amélioration de l’humeur après un traitement mixte (chimique et TCC) se traduit au niveau discursif par une augmentation significative dans l’emploi des verbes d’action, des temps verbaux du passé et de toutes les classes de conjonctions de coordination (joncteurs). Le discours du patient déprimé aux phrases courtes, au temps présent devient avec la thérapie cognitive plus diversifié, plus argumenté.
Le discours comme reflet des dysfonctionnements cérébraux 58
Il est généralement reconnu qu’en plus des modifications de l’humeur, la dépression se traduit par des troubles transitoires des fonctions supérieures affectant des domaines aussi variés que la mémoire, l’attention, les processus de prise de décisions ou les capacités de résolution de problèmes. L’évaluation de ces troubles cognitifs a donné lieu à de nombreux travaux qui ont démontré la prédominance des déficits mnésiques et des troubles des fonctions exécutives en termes de processus cognitifs. La plupart des auteurs s’accordent pour reconnaître que les fonctions exécutives sont impliquées dans les processus tels que l’inhibition, l’initiation, la flexibilité cognitive, la planification, la réalisation et le contrôle des activités motrices et cognitives. Concernant l’hétérogénéité des troubles exécutifs et cognitifs de la dépression, Cassens et ses collaborateurs (1990) proposent de distinguer 3 types neuropsychologiques de dépression. Un premier groupe de déprimés présenterait des déficits minimes, essentiellement d’ordre attentionnel. Le deuxième groupe serait constitué de patients aux capacités visuo-spatiales et mnésiques visuelles diminuées. Le troisième groupe comprendrait les malades avec des troubles neuropsychologiques étendus. Habituellement la réduction des symptômes dépressifs s’accompagne d’une amélioration des capacités cognitives associées aux épisodes dépressifs.
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Les futures recherches et les explorations menées par la radio imagerie nous permettront de mieux encore comprendre les dysfonctionnements cognitifs accompagnant l’état dépressif. Si les entretiens sont d’une durée habituelle de 45 minutes, ils peuvent être réduits au moins de moitié (15-20 minutes) et seront toujours fonction de la fatigabilité, des difficultés d’attention, de concentration du sujet déprimé.
Avant de prendre la parole chez l’émetteur • Activité de perception multi sensorielle • Attitude motivationnelle en fonction de l’état clinique du patient • Choix des codes de communication : sélection des signes pour transmettre le • • • •
message Vérification cognitive du message avant émission Le message non verbal est toujours traité en priorité par le récepteur Perception multi sensorielle du message perçu Interprétation du message ou étape du traitement de l’information
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L’ATTITUDE DU THÉRAPEUTE Face à un sujet déprimé, en proie à de nombreuses difficultés d’attention, de concentration et à toutes sortes d’inhibitions, le thérapeute développe une relation chaleureuse, sincère, qui traduit sa volonté d’aide.
Les caractéristiques générales du thérapeute ! L’empathie L’empathie se lie au respect des opinions, des croyances. L’empathie • On doit à Théodore Lipps, au début du XXe siècle, le transfert du néologisme
allemand Einfühlung, utilisé dans le domaine de l’esthétique, vers la psychologie.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
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• Puis, le psychologue E.B. Titchener inventa le terme d’empathie dans les années
1920, à partir du grec empatheia (sentir intérieurement). Pour lui, l’empathie dérive d’une sorte d’imitation physique de l’affliction d’autrui, imitation qui suscite les mêmes sentiments en soi. • D’un point de vue évolutionniste, on peut considérer que les concepts d’empathie, d’intuition, d’altruisme, de sensibilité sociale, de contagion des émotions et de communication non verbale impliquent tous un processus cognitif de communication directe et immédiate ou encore syncrétique et non conscient par opposition à un système de traitement de l’information.
! La créativité Au fil des séances, la spontanéité, la créativité et l’ingéniosité du thérapeute sont mises à contribution dans la sélection des techniques cognitives à utiliser. Même si cette thérapie est bien structurée, le thérapeute fait en effet largement appel à son intuition et à son expérience pour mettre en œuvre les approches qui lui semblent les plus pertinentes. Il peut ainsi faire part d’expériences personnelles au cours desquelles les cognitions ont amené des émotions désagréables, pour montrer que les stratégies thérapeutiques sont utiles pour tous, en veillant à ne pas dévoiler sa vie privée. Voici quelques exemples de patients déprimés qui illustrent concrètement les différents mécanismes cognitifs. 60
Exemples « J’étais en retard, j’ai vu le car arriver, j’ai couru mais il ne m’a pas attendu, j’étais en colère et je me suis dit que ce n’était vraiment pas mon jour. » « J’ai tenté de joindre un ami pour confirmer un rendez-vous, j’ai eu directement son répondeur, j’ai été déçue, et je me suis dit qu’il n’avait pas entendu son téléphone. »
Le patient se reconnaît le plus souvent dans ces témoignages qu’il complète alors par des expériences personnelles. Par ailleurs, le clinicien incite son patient à la patience. Il lui explique que l’acquisition de ces procédures demande du temps.
La construction d’une relation collaborative Le thérapeute s’emploie à établir une relation de collaboration acceptée par les deux parties, plutôt qu’une relation hiérarchisée. Il se montre concerné, direct et actif sans être trop ouvert, directif ni critique. Le patient est ainsi mis dans un climat de confiance où il ne se sent ni désapprouvé, ni jugé, ni trahi. Le thérapeute ne reste ni neutre, ni passif. Il tient
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3 • Comment créer une bonne alliance thérapeutique avec un patient déprimé ?
compte des croyances et des interprétations du patient sans le persuader de leurs éventuels illogismes. Au contraire, il amène le patient à confronter ses prédictions et ses cognitions avec la réalité afin d’établir leur niveau d’adéquation. En dehors de l’établissement de la relation d’aide, le thérapeute peut néanmoins se montrer momentanément directif au cours de l’abord de certaines stratégies thérapeutiques comme à l’identification des cognitions et des émotions jusqu’au moment où le patient utilise seul ces procédures ; dès lors le thérapeute est moins incitatif et poursuit avec le patient la démarche exploratoire vers les schémas cognitifs. Pour ce faire, dès les années 1970, Beck décrit un style relationnel propre aux thérapeutes cognitifs. Ce style constitue une base fondamentale, que le thérapeute utilise dès les premiers entretiens même si aucune indication de TCC n’est encore posée.
LE STYLE DES QUESTIONNEMENTS Ce mode d’approche psychologique se caractérise également par le type d’interventions du thérapeute cognitiviste. Celui-ci va procéder essentiellement par une suite de questions ouvertes, soit inductives pour la recherche d’informations, soit socratiques pour l’évaluation d’une pensée absolutiste. Ce style diffère des interprétations parfois utilisées dans les psychothérapies d’inspiration psychanalytique et du style plutôt réitératif des thérapies rogériennes.
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Différents types de questionnement Question ouverte : question pour laquelle il n’y a pas de réponses préétablies proposées au répondant, celui-ci est donc entièrement libre dans sa réponse. Question fermée : question pour laquelle la personne interrogée se voit proposer un choix parmi des réponses préétablies (par exemple oui/non). Question inductive : a pour point de départ des situations concrètes et accessibles à l’observateur et a pour but d’amener à dégager des concepts, des principes ou des règles applicables. Question déductive : a pour point de départ des concepts, des définitions, des principes, des règles à appliquer et a pour but de les mettre en pratique par des applications concrètes.
Le mode de questions inductives s’utilise principalement en début de thérapie. Il vise à recueillir des informations, tant sur l’histoire de la maladie dépressive que sur le mode de vie du patient : « Depuis combien de temps ne vous sentez-vous pas bien ? Quels sont les
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
comportements qui vous gênent le plus ? Décrivez-moi les relations que vous avez avec votre famille ?... » Ce questionnement reconstitue progressivement l’anamnèse, les antécédents et les facteurs de stress psychosociaux. Les entretiens suivants permettent de réaliser une analyse fonctionnelle des troubles et évaluent leurs conséquences internes, émotionnelles et externes sur la qualité des relations interpersonnelles. Enfin, ce type de questions permet d’apprécier certaines capacités du sujet : comment fait-il face à des situations problématiques pour lui ? Quel est son niveau de confiance en lui ? Comment peut-il mettre en place des alternatives de pensées sans s’enfermer dans une interprétation unique et absolue de la réalité ? Récapitulatif sur le style des questionnements
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Le questionnement ouvert constitue donc la trame des interventions du thérapeute en TCC. Ce questionnement ouvert est à la base de la démarche dite de « découverte guidée par le thérapeute » qui choisit chaque question afin de poursuivre son exploration cognitive et amener le patient à déduire ses fonctionnements propres. Le thérapeute débutant a souvent besoin de s’entraîner au maniement du questionnement ouvert afin de le manier aisément. Ce mode d’interaction thérapeutique n’est pas courant et diffère de la plupart des interventions spontanées d’un thérapeute. Dans le cadre, par exemple, du diagnostic clinique médical, il est classiquement utilisé des questions fermées (dont les réponses sont oui ou non) ou encore des questions-réponses dont le libellé contient tout à la fois la question et la réponse attendue : « Décrivez-moi votre inquiétude avant le rendez-vous. » ou encore « Je vois que cela va mieux aujourd’hui. »
Le questionnement de type inductif Un exemple de questionnement de type inductif est donné par ce fragment d’entretien. Le thérapeute fait préciser un problème global abstrait au patient. Il fait formuler d’une manière plus spécifique les problèmes du patient. Cette verbalisation plus concrète est utile pour des interventions ultérieures. PATIENT — Je n’arrive pas à terminer quelque chose. THÉRAPEUTE — Qu’est-ce que vous entendez par là ? P — Je suis fainéant. T — Que voulez-vous dire par ce terme fainéant ?
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3 • Comment créer une bonne alliance thérapeutique avec un patient déprimé ?
P — Le matin je tourne en rond chez moi, je n’arrive pas à commencer quelque chose et je reste assis dans mon fauteuil. T — Que pourriez-vous entreprendre ? P — J’ai tout le jardin à désherber. J’ai plein de bricolage à faire dans mon appartement. T — Sur quels critères jugez-vous que quelqu’un d’autre est un fainéant ? P — C’est quelqu’un qui se laisse aller, qui fait faire les choses par les autres. C’est une personne qui utilise les autres, qui s’économise. T — Parmi ces critères, lesquels appliquez-vous à vous-même ?
Le problème global s’envisage ainsi sous différentes facettes concrètes, ce qui soulage le patient, en proie à une émotion désagréable et floue. L’action du thérapeute est de faire formuler de façon spécifique le problème. Il fait expliciter les difficultés et obstacles rencontrés et fait préciser les termes vagues dans une démarche de concrétisation. Il conduit ainsi son patient à envisager un problème général qui lui semble insurmontable, en plusieurs composantes maîtrisables.
La démarche socratique Le dialogue d’inspiration socratique mène le patient à s’auto-évaluer et à argumenter ses prédictions. Le questionnement socratique se compose d’une succession de questions inductives ou déductives, choisies par le thérapeute, qui conduit le patient vers une conclusion plus générale. Le patient déprimé est guidé par le thérapeute vers une appréhension plus globale et plus argumentée des événements. Une situation donnée ne donne pas lieu à une seule interprétation, mais à une multitude de représentations possibles. Tout au long de cette progression, le patient découvre peu à peu des schémas de croyance sous-jacents, sortes de règles fondamentales qui influencent ses perceptions.
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L’exemple suivant est celui d’une femme d’une trentaine d’années souffrant d’une humeur dépressive et d’un trouble des conduites alimentaires. PATIENT — Je n’ai aucun contrôle de moi-même. THÉRAPEUTE — Qu’est-ce que vous entendez par-là ? À partir de quoi pouvez-vous dire cela ? P — Quand une personne m’offre des bonbons, je ne peux pas refuser. T — Combien de fois cela vous est-il arrivé cette semaine ? P — Je n’en ai mangé qu’en début de semaine. T — Comment se traduisait le fait que vous respectiez jusqu’à maintenant votre régime ? P — Je ne cédais pas à la tentation. Je ne mangeais pas de bonbons, excepté cette fois-là. Quand ils m’ont été offerts, j’ai pensé que je ne pouvais pas refuser.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
T — Si vous comptez le nombre de fois où vous avez cédé à la tentation, par rapport au nombre de fois où vous vous êtes contrôlée, quelle proportion cela représente-t-il ? P — Une fois sur vingt peut-être. T — Si vous vous contrôlez vingt fois et que vous cédez une fois, est-ce que cela veut dire que vous êtes faible ? P — Je ne crois pas. T — Qu’est-ce que vous pourriez en dire d’autre ?
Cette démarche permet de montrer à la patiente qu’en dépit de son humeur dépressive, elle a pu maintenir ses objectifs alimentaires, auxquels elle tient, et que sa fréquence « d’échecs » demeure faible.
LE FEEDBACK Il s’agit, par définition, d’une rétroaction opérée par le thérapeute ou par le patient, afin d’augmenter la probabilité d’émission d’un comportement. C’est donc un renforcement positif. Beck, dans son guide thérapeutique, utilise aussi ce terme dans un sens proche de celui de reformulation. Ce feedback, tel qu’il est défini par Beck, répond à plusieurs objectifs. 64
Il permet tout d’abord de s’assurer que thérapeute et patient suivent une même direction, qu’ils débattent bien du même problème, de développer la relation collaborative en proposant en fin d’entretien des interventions telles que : « Y a-t-il quelque chose que je vous ai dit au cours de la séance qui vous ait irrité, ou pour laquelle vous souhaitez plus d’éclaircissements ? » Le feedback opère encore une autre action fondamentale, celle d’améliorer la mémorisation des propos du thérapeute et par conséquent l’apprentissage des différentes techniques cognitives abordées en séance. L’utilisation régulière de cette rétroaction verbale favorise l’intégration des techniques cognitives apprises au patient. Plusieurs travaux scientifiques (Bandura, 1977) ont montré que la pratique active d’un résumé par celui qui observe, qui écoute, le rend bien plus apte à apprendre et à retenir les informations délivrées. Des scientifiques hollandais ont montré en 1993, à l’aide d’enregistrements d’entretiens de thérapies cognitives de patients déprimés, que le sujet s’approprie les feedbacks dès la sixième séance de thérapie. En effet, s’ils sont formulés en début de thérapie par le thérapeute, celui-ci propose peu à peu au patient de s’engager dans ces reformulations, qu’il utilise spontanément en fin de thérapie. Dernier atout, le feedback possède une fonction de renforcement positif, fondamentale dans la relation interpersonnelle, étant donné le processus décrit par Lewinsohn de perte
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3 • Comment créer une bonne alliance thérapeutique avec un patient déprimé ?
des renforcements positifs dans la dépression. Chaque intervention du thérapeute contribue à renforcer et à encourager les succès du patient déprimé, découragé, démotivé, voire désespéré et inhibé, afin qu’il puisse peu à peu reprendre confiance en lui et entreprendre des actions, si minimes soient-elles, en se sentant soutenu. Le terme « feedback » : tous ses sens dans la langue française • Action exercée sur les causes d’un phénomène par le phénomène lui-même. • Processus de régulation de la communication qui permet à l’émetteur originel de
savoir si le récepteur a bien compris le message et de l’adapter en conséquence. • Synonyme de rétroaction et de rétrocontrôle.
De façon générale, cette procédure de renforcement psychologique s’utilise volontiers en début et fin de séance, mais aussi après le développement d’un travail cognitif sur des prédictions liées à une situation. Au total, le feedback se pratique au moins à trois reprises au cours de l’entretien et chacune de ces différentes rétroactions possède une spécificité.
Le feedback de début d’entretien Le feedback de début d’entretien permet d’évaluer les résultats du travail personnel, défini à la séance précédente et réalisés à domicile :
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THÉRAPEUTE — Pouvez-vous me dire quels exercices vous aviez à réaliser depuis notre dernier entretien ? PATIENT — Je devais faire une liste d’amis proches et essayer de les contacter par téléphone. T — Pourquoi vous a-t-on demandé de faire cela ? P — Pour savoir si mes amis m’avaient rejetée ou non. T — Qu’est-ce qui vous avait fait penser cela et qui vous avait fait sélectionner ce point comme important à examiner ? P — Je n’avais pas eu de leurs nouvelles depuis trois semaines et je me disais, je suis rejetée du groupe, je n’aurai plus leur confiance. T — Qu’avez-vous décidé de faire alors ? P — J’ai appelé Cédric, mais il était à son travail, puis j’ai appelé Marilyne, qui m’a proposé d’aller chercher Véronique. Nous avons décidé ensemble de nous rendre à un concert. Cela m’a beaucoup plu. J’étais heureuse d’être avec elles. T — C’est bien. Vous êtes arrivée à réaliser cet exercice que vous aviez choisi pour tester vos prédictions. On pourrait dire que cette tâche a été bénéfique sur deux plans. D’une part, vous avez recontacté vos amis à qui vous n’osiez plus téléphoner, de peur d’être rejetée, et d’autre part vous avez pu les rencontrer avec plaisir et votre crainte d’être rejetée ne s’est pas confirmée.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
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AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Ce test vous a permis de constater le décalage qu’il peut y avoir entre la perception d’une situation et sa réalité. P — Oui, en effet. Le but de cet exercice était de savoir si mes amis ne voulaient plus me voir, comme je le supposais. Et en plus Marilyne m’a proposé une nouvelle sortie. Un deuxième exemple pour témoigner de la variété des situations possibles. Quelques jours avant le neuvième entretien de thérapie cognitive, alors que l’intensité de l’état dépressif est modérée. THÉRAPEUTE — Bonjour Monsieur. Comment s’est déroulée votre semaine ? PATIENT — Cette semaine, cela a été très bien jusqu’à dimanche et lundi, le grain de sable, je n’ai pas pu me rendre à mon travail. J’étais mal. Je ne me suis pas levé. T — Aujourd’hui nous sommes mercredi ; qu’avez-vous fait depuis lundi ? P — Je suis resté chez moi. Hier j’ai eu honte de retourner à mon travail. T — Nous allons examiner davantage cette situation dans quelques instants, ainsi que les pensées qui ont accompagné ces quarante-huit dernières heures. Que vous avais-je demandé de faire pour aujourd’hui ? P — Je devais travailler sur mon schéma, j’y ai beaucoup pensé mais je n’ai rien écrit. T — Qu’est-ce que je vous avais demandé d’autre ? P — De recontacter un ami d’enfance, un confident qui compte beaucoup pour moi. Je l’ai appelé et nous allons nous voir. T — C’est bien, vous avez pu reprendre ce contact qui vous était cher puisque vous avez le projet de vous rencontrer... En ce qui concerne le schéma, la dernière entrevue montrait votre hésitation entre plusieurs formulations : « Il faut que je sois le premier, sinon je ne vaux rien » ou bien encore : « Si je pense ne pas être le premier dans une entreprise, je préfère ne pas la commencer », etc. Souhaitez-vous aujourd’hui continuer ce travail sur la formulation de ce schéma ou un autre objectif vous paraît-il plus urgent ?
Du fait de la plus grande inhibition du patient, le feedback est dans ce deuxième exemple plus alternatif. Le patient effectue le rappel des prescriptions demandées et le thérapeute fait une synthèse très courte du dernier entretien. L’attitude du thérapeute est guidée par l’état émotionnel du patient déprimé. Il est fondamental de rester positif et d’encourager le patient dans ses moindres actions.
Le feedback de milieu d’entretien Le feedback de milieu d’entretien permet de reformuler une partie de la séance, l’évidence d’une situation ou la recherche de toutes les alternatives de pensées possibles suscitées par un événement. Il faut insister sur le fait qu’il s’agit d’alternatives de représentations
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mentales d’une situation et non pas d’alternatives de comportements ou d’actions. Ce n’est qu’après avoir envisagé les différentes facettes d’une situation que le sujet prend une décision d’action pour résoudre le problème. L’extrait suivant provient d’un sixième entretien de TCC. THÉRAPEUTE — En début de séance nous avions choisi comme objectif la pensée : « Mon mari est responsable de ma dépression. » Pourriez-vous me rappeler toutes les autres hypothèses, toutes les autres circonstances qui vous ont semblé participer à votre état dépressif ? PATIENT — Nous avons vu qu’à cette même période, je venais d’interrompre une thérapie que je suivais depuis quelques mois parce que je n’avais pas confiance. J’en ai aussi assez de mon travail, j’aimerais changer, trouver autre chose, je ne sais pas ce que je veux faire. T — Tout à fait. Vous aviez dit, il y a quelques instants, que certes vous aviez des difficultés de communication avec votre mari et un besoin affectif qui n’était plus satisfait. Mais d’autres facteurs se surajoutaient au contexte, comme l’arrêt de votre thérapie et votre lassitude professionnelle. Est-ce bien cela ? P — Oui. T — Pourriez-vous estimer à nouveau votre niveau de conviction par rapport à votre croyance initiale : mon mari est responsable de ma dépression ? P — 55 %. T — Votre conviction est passée de 100 à 55 % et notre démarche exploratoire vous a permis d’identifier d’autres facteurs liés à l’environnement et personnels. Vous avez pu réaliser tout à fait convenablement ce cheminement en dépit de votre concentration amoindrie. On peut penser que vous pourriez donc reproduire prochainement cette démarche.
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Le feedback de fin d’entretien Le feedback de fin d’entretien résume différents moments de l’entretien, de la relation thérapeutique et de la thérapie. Il dégage notamment les points importants travaillés au cours de la séance et aborde, si besoin, des attitudes de faible coopération ou de non-compréhension de la part du patient : « Est-ce que le problème abordé aujourd’hui avec tous les points de vue que nous avons évoqués vous pose d’autres questions ? », « Est-ce que, lors de nos différents échanges, les thèmes que nous avons abordés suscitent des questions ou des réactions qui ne vous étaient pas venues à l’esprit tout à l’heure ? ». Enfin le feedback permet d’aboutir à la formulation d’exercices à pratiquer en dehors des séances, pour tester le caractère plus ou moins adéquat de certaines cognitions. Cette procédure utilisée en fin d’entretien contribue au climat de confiance et à la collaboration active du patient. Les informations livrées par le patient aussi bien sur le contenu des échanges verbaux que sur ses réactions émotionnelles sont de nature à éviter des errances vers des croyances fausses, ce qui freinerait la thérapie.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
LE RENFORCEMENT POSITIF Le thérapeute s’attache à valoriser son patient. Dans son mode d’interaction avec un sujet déprimé, il se développe un rapport de coopération. Le patient déprimé est ainsi étayé par un climat de confiance et d’authenticité. Le sujet déprimé attend une compréhension de la part du thérapeute, parce qu’il se sent rejeté, incompris de son milieu familial, social ou professionnel. Son humeur dépressive et anxieuse lui fait envisager, au travers de ses cognitions, un avenir sans espoir, en proie à une maladie mentale irréversible. Il a besoin de se sentir écouté par un spécialiste de la dépression connaissant ses conséquences comportementales et cognitives. Le thérapeute favorise les renforcements positifs verbaux à chaque tâche réalisée, à chaque progrès effectué par le patient. Il reste dans son style interactionnel, toujours gratifiant, car de nombreux travaux, dont ceux de Lewinsohn, ont démontré combien le sujet déprimé subit douloureusement l’absence ou l’inaccessibilité aux renforcements positifs personnels ou environnementaux. De plus, sachant que le renforcement positif permet d’augmenter la probabilité d’émission du comportement renforcé, le patient poursuit plus aisément la réalisation des objectifs demandés ou encore ses auto-observations sur son carnet de thérapie. Ce processus aide le patient à se définir comme une personne capable de prendre en charge progressivement sa thérapie. 68
Une excellente occasion se présente au moment de la revue du travail personnel à effectuer entre les séances : « Je suis heureux pour vous que pendant cette soirée vous ayez pu prendre du bon temps. » « J’espère que vous approuvez que vous êtes capable de faire... » « Comme c’est formidable que vous ayez été capable de faire ce dont vous aviez besoin. » « C’est impressionnant comment vous n’avez pas suivi vos pensées négatives. »
LE DISCOURS PSYCHOÉDUCATIF • Il permet d’améliorer la qualité des informations cliniques transmises pour réagir
précocement devant des signes d’alerte. Les mots-clés en sont la collaboration, l’information et la confiance. • Il permet également de diminuer l’incompréhension de la maladie pour le bien-être psychologique du patient, le faisant passer d’une position de culpabilité à une position responsable avec acceptation de la nécessité du déroulement thérapeutique.
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3 • Comment créer une bonne alliance thérapeutique avec un patient déprimé ?
• Il permet d’augmenter l’adhésion au traitement, mais montre aussi au patient la capacité
qu’il a à agir sur sa dépression. Définition de la personne de confiance • Le patient peut identifier dans son entourage un référent ou plusieurs. • Le référent est une personne dans laquelle il a confiance et qui peut l’aider à
identifier de façon précoce les premiers symptômes dépressifs. Cette identification permet une intervention thérapeutique plus rapide. • Le référent doit avoir des connaissances minimums sur la dépression (lecture de brochures données par le thérapeute), avoir un contact quasi quotidien avec le sujet et être impartial. • Il aide le patient à poursuivre son travail thérapeutique.
Objectifs du discours éducatif • L’augmentation des connaissances et de la gestion des conséquences psychosociales • • • • • •
engendrées La prise de conscience de la maladie dépressive La détection précoce des symptômes L’observance du traitement La prévention des conduites suicidaires L’augmentation des activités sociales et interpersonnelles entre les épisodes L’abrasion maximale des symptômes résiduels pour améliorer le bien-être et la qualité de vie
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LA PRESCRIPTION DES TÂCHES La collaboration se poursuit en dehors des séances par l’intermédiaire d’exercices choisis d’un commun accord en fin d’entretien, afin de transférer les acquis des séances dans le milieu naturel. Le patient a en effet régulièrement des exercices d’auto-observation de ses pensées, de ses comportements : des « devoirs à la maison » où il réplique la démarche apprise pendant l’entretien avec le thérapeute. Ces exercices sont appelés « assignation de tâches à domicile ».
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Des exercices personnels écrits sur un carnet • La notion de « carnet de thérapie » est un support papier ou électronique utilisé
par le sujet pour prendre des notes libres pendant les séances, s’il le souhaite, puis effectuer entre chaque entretien les tâches demandées. • Ce carnet est strictement privé, il est la propriété du patient (il peut être écrit en langue étrangère, en sténo, vocalement...). • Il permet de réaliser le travail personnel entre les séances, mais aussi de prendre des notes libres en séance.
Un certain nombre d’étudiants sont sceptiques sur la prescription de ces tâches à domicile et sur la capacité du sujet déprimé à les effectuer. En fait, plusieurs éléments contribuent à leur réalisation : • En premier lieu, l’adaptation des exercices. Le patient déprimé est tout à fait capable de
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réaliser toutes ses tâches, car elles sont toujours adaptées à l’individu, si le travail est choisi en tenant compte des difficultés du sujet déprimé, de son ralentissement et de ce qui le préoccupe... Chez un patient déprimé hospitalisé dont la dépression est intense, les entretiens sont courts en durée, du fait de sa fatigue et de sa concentration limitée ; les exercices quotidiens seront également adaptés à ses aptitudes. Tous les exercices sont commencés en séance avec le thérapeute, afin que le patient ait un modèle à suivre, le « modeling participatif ». • En second lieu, et de manière tout aussi importante, vient le respect du travail accompli pour la séance de TCC. Le patient, qui a réalisé une tâche souvent difficile pour lui dans un esprit de collaboration et de confiance, sera sensible à la démarche faite par le thérapeute pour prendre connaissance du travail réalisé et pour lui poser des questions exploratoires complémentaires, afin de mieux comprendre encore son fonctionnement psychologique et cognitif.
LA STRUCTURE DES ENTRETIENS Buts de l’alliance collaborative avec le sujet déprimé • Augmenter l’apprentissage aux techniques psychologiques enseignées en cours
d’entretien. • Améliorer la mémorisation du contenu des échanges pour un patient qui, du fait de sa dépression, présente des difficultés d’attention et de concentration.
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3 • Comment créer une bonne alliance thérapeutique avec un patient déprimé ?
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• Engager le patient dans la prise en charge de sa thérapie, c’est-à-dire le conduire
à s’autonomiser progressivement du thérapeute, en devenant capable entre les séances de mieux gérer les situations émotionnelles et de reprendre des activités propres, jusque-là empêchées par la dépression.
La structure générale de chaque entretien • Cette structure formelle en trois temps est explicitée au patient déprimé, elle lui servira
de repère stable. • En effet, tous les entretiens possèdent une structure identique au sein de laquelle se développe la relation de coopération.
! Le début de séance Le choix du thème abordé dans la séance : « Quels problèmes devrons-nous noter sur la liste des sujets à discuter aujourd’hui ? » Le patient sélectionne la situation émotionnelle qu’il veut travailler en séance, parce qu’elle l’a particulièrement touché. De cette façon, il participe activement à l’organisation du contenu de la séance, appelé techniquement « l’agenda ». Chaque séance est ainsi consacrée plus spécifiquement à l’analyse précise d’une situation personnelle qui a fait souffrir le patient et que celui-ci choisit comme situation cible à travailler. L’interaction se manifeste, par exemple, dans le dialogue : « Quel est votre niveau de conviction par rapport à cette première pensée qui a surgi dans votre esprit : “Je ne vaux rien”, lorsque votre ami ne vous a pas salué ? »
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Chaque séance débute par l’établissement d’un agenda avec le patient, c’est-à-dire du choix de la situation-problème à examiner et de l’explicitation du programme de la séance de thérapie : « Aujourd’hui nous allons aborder ensemble cette idée : “Je ne vois pas le futur pour moi” et nous réserverons la fin de la séance pour faire le point sur votre prise médicamenteuse. » De ce fait, à l’agenda succède la prise en compte des événements survenus depuis la séance précédente et la réalisation des exercices prescrits. Le thérapeute demande au patient un relevé écrit de ses activités. Pendant toute la thérapie, l’auto-enregistrement par écrit des comportements, des émotions et des cognitions est préconisé. Ce relevé, réalisé sous forme d’emploi du temps par exemple, favorise non seulement la prise de conscience des activités quotidiennes réalisées, mais aussi la sensation de contrôle du patient sur sa vie.
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AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Ce début de séance est privilégié pour faire le point sur l’état du patient, pour mettre en évidence les moments de la vie quotidienne qui deviennent moins pénibles à affronter et pour renforcer le sujet dans ses progrès.
! Le milieu de séance La partie centrale de l’entretien est consacrée au travail sur les cognitions dépressives associées à différentes inhibitions. Thérapeute et patient deviennent alors co-examinateurs de tels processus mentaux.
! La fin de séance La fin de l’entretien est l’occasion de montrer la progression des points de vue par rapport à la cognition choisie comme objectif de séance. Thérapeute et patient définissent ensemble les exercices à réaliser hors entretiens. Le résultat de cette expérimentation permet au patient de confirmer ou d’infirmer sa prédiction et de réajuster son attitude par rapport à ses pensées pessimistes. Enfin le feedback de fin de séance contribue à lever les ambiguïtés de compréhension et à éclaircir éventuellement les attitudes émotionnelles du patient et du thérapeute apparues en cours de séance. 72
Un cadre formel et informel Ce cadre formel semi-structuré évolue en fonction du stade de la thérapie. Les premières séances visent à recueillir des données cliniques et anamnestiques, puis à expliciter le modèle de la thérapie. Aussi le thérapeute prend-il une part plus importante au début. Par la suite, les temps de parole du thérapeute et du patient vont s’inverser progressivement. Le patient devient plus actif, prend plus d’initiatives, son style verbal est plus narratif et plus argumenté (Mirabel-Sarron et Blanchet). L’aménagement du cadre formel porte également sur la durée des entretiens. Le temps imparti aux séances est d’une quarantaine de minutes environ. Cependant, si l’état dépressif est majeur et si le patient présente beaucoup de difficultés de concentration, diminuer la durée des entretiens de moitié est possible. Le patient sera reconnaissant au thérapeute de sa flexibilité, de sa compréhension, le climat de confiance s’établira plus facilement et la démarche thérapeutique n’en sera que facilitée plus tard. En somme, les points forts de cette thérapie tiennent aux qualités tout à la fois formelles et informelles du cadre. Côté informel, ce cadre semi-structuré laisse au thérapeute la possibilité d’exprimer son ingéniosité et sa créativité. Côté formel, la structure montre tout son intérêt
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3 • Comment créer une bonne alliance thérapeutique avec un patient déprimé ?
quand le thérapeute a tendance à dériver, en passant d’un style par questionnement à une attitude d’écoute active. S’il est emmené dans les différentes croyances du patient, il lui est toujours possible de se recentrer, de faire appel au canevas de la thérapie et de revenir à l’objectif défini en début de séance. La structure permet aussi au thérapeute de préparer les entretiens quelques minutes avant de recevoir le patient, en gardant, bien sûr, une ouverture pour les imprévus. Cette anticipation inclut les feedbacks pour s’assurer de la bonne compréhension entre thérapeute et patient et favorise l’apprentissage et la mémorisation des techniques cognitives. Définitions de l’alliance thérapeutique • Lien tissé entre le thérapeute et le patient qui permet d’établir un climat de
sécurité et de confiance. • Union par engagement mutuel. • Construction d’une relation dynamique entre un soignant et un soigné reposant sur
un ensemble de conditions : respect, engagement, solidarité, réciprocité, sentiment d’avoir été entendu par l’autre.
D’autres instruments, comme des échelles d’auto ou d’hétéro-évaluation, sont couramment proposés. Cette passation, renouvelée à intervalles réguliers (à chaque fin de séance, ou au maximum tous les quatre entretiens) permet une évaluation des processus de changement. Les résultats de ces estimations psychologiques et leurs interprétations sont donnés au patient.
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UNE RELATION DE COLLABORATION Cette relation collaborative est reconnue par plusieurs auteurs comme essentielle à la démarche thérapeutique cognitive. La collaboration permet au patient déprimé de moins se sentir diminué dans son estime de soi déjà très amoindrie par la dépression. Le patient sent qu’il a un rôle dans la relation thérapeutique. Patient et thérapeute partagent dans l’entretien leurs points de vue, leurs perceptions, leurs représentations et les émotions ressenties. « La pierre n’a point besoin d’être autre chose que pierre. Mais de collaborer, elle s’assemble et devient temple. » Antoine de Saint-Exupéry
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Les critères de qualité de la relation Cette qualité de la relation thérapeutique est considérée comme primordiale et dotée d’une valeur prédictive de bonne réponse à la thérapie cognitive. Safran et Segal ont même construit un questionnaire et une échelle spécifiques pour appréhender cette qualité de la relation thérapeutique. Un entretien semi-structuré est nécessaire pour pouvoir coter chacun de ces instruments. Bizzini et al. en ont effectué la traduction française et ont utilisé largement cette procédure dans leur unité de soin. La longueur de la procédure d’évaluation conduit malheureusement à ne considérer cet instrument que comme un outil de recherche. Néanmoins, les thèmes envisagés dans ces outils nous permettent une certaine réflexion sur les différentes dimensions proposées. Ces auteurs développent une échelle en 10 critères susceptibles d’évaluer la qualité de la relation initiale entre thérapeute et patient. 10 critères d’évaluation de la relation thérapeutique Un ou deux entretiens sont nécessaires pour évaluer : 1. L’accessibilité aux pensées automatiques. 2. La capacité de différencier certains types d’émotions. 3. L’acceptation d’une part de responsabilité personnelle au changement.
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4. L’acceptation d’une démarche rationnelle. 5. La qualité de l’alliance relationnelle au cours de la séance. 6. La qualité de l’alliance relationnelle en dehors de la séance (thérapies précédentes, réseau). 7. La chronicité des problèmes, qui nécessite une thérapie prolongée. 8. Les opérations de sécurité mises en œuvre par le patient pour se protéger. 9. La capacité du patient à se focaliser sur un problème. 10. Le degré d’attente vis-à-vis de la thérapie. Chaque proposition s’évalue de 0 (impossible) à 5 (grande facilité). Plus le score est élevé, meilleurs sont l’alliance thérapeutique et le pronostic de la thérapie.
Ces modalités d’entretien de la thérapie cognitive ne concernent jusqu’à présent que la pratique en thérapie individuelle.
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3 • Comment créer une bonne alliance thérapeutique avec un patient déprimé ?
Les impacts de la qualité de la relation thérapeutique sur le devenir évolutif de la thérapie De nombreux écrits mettent en exergue le rôle de la relation thérapeutique dans l’évolution du patient au cours d’une psychothérapie (Lecomte et Castonguay, 1987). Cette alchimie relationnelle dépend non seulement des caractéristiques du thérapeute (âge, sexe, personnalité, niveau d’implication positive...) et du patient (symptomatologie, capacités d’adaptation, attentes...), mais aussi du cadre thérapeutique et de tout un ensemble d’éléments verbaux et non verbaux mis en jeu dans la relation.
L’ALLIANCE THÉRAPEUTIQUE DANS LA 3E VAGUE Comme dans les TCC traditionnelles, la relation thérapeute-patient est très interactive, collaborative, dans laquelle chacun échange ses points de vue dans le but de résoudre au mieux les difficultés du sujet. Le thérapeute très empathique, ouvert et participatif construit avec le patient une alliance thérapeutique forte facilitant l’acquisition d’outils psychologiques utiles à la gestion émotionnelle. En revanche, les outils des deux premières vagues sont employés dans une démarche parfois différente. Par exemple l’exposition n’est pas utilisée pour réduire les émotions difficiles mais pour aider les patients à s’engager vers ce qui compte réellement pour eux. On ne recherche donc ni l’habituation ni l’extinction, comme c’est le cas pour les TCC classiques.
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En ce qui concerne le langage, il n’est pas proposé de modifier les pensées, mais de faire une défusion en lui redonnant sa place de convention arbitraire ; on ne recherche pas d’alternative de pensée. Le questionnement ouvert est utilisé mais cette fois-ci pour explorer le champ des conséquences et la confrontation aux valeurs de l’individu. Ici, le travail cognitif consiste à faire prendre conscience au patient de l’efficacité ou inefficacité de ses comportements sur les événements psychologiques qu’il cherche à contrôler. Le thérapeute guide le patient en lui posant des questions sur la durée passée à chercher des solutions à son « problème » et sur les différentes voies et méthodes qu’il a explorées. Il lui fait appréhender les conséquences de ses évitements au regard du but recherché : dans quelle mesure parvient-il au contrôle des événements ? Est-ce que chaque tentative de contrôle est efficace ? De façon définitive ? À quel prix ? À quoi doit-il renoncer pour être en accord avec ses valeurs ? Les trois grands modèles thérapeutiques (TCD, ACT et MBCT) recourent volontiers à des métaphores et des exercices pour essayer de diminuer l’emprise des processus verbaux. En effet, les métaphores ne comportent ni prescription, ni directive, elles ne nécessitent
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
pas d’adhésion rigide à des règles verbales. Cela permet de rendre accessibles des notions théoriques souvent difficiles à introduire par un discours linéaire et logique, et plus faciles à illustrer par des images. Il est plus facile de se rappeler une métaphore, si bien qu’elle pourra servir au patient dans de nombreux domaines et l’aider à changer. L’utilisation de la métaphore est un mode de relation thérapeutique. Les métaphores sont proposées au patient mais également créées, aussi bien par le patient que par le thérapeute. Le manuel thérapeutique en propose un grand nombre.
Le rôle de la relation thérapeutique est différent dans les approches de la troisième vague. Le thérapeute est également soumis à la philosophie contextuelle et il doit lui-même pratiquer l’acceptation, la pleine conscience et la distanciation, etc. – il est d’ailleurs nommé « instructeur » dans les démarches MBSR et MBCT. Dans l’alliance thérapeutique, le thérapeute a facilement recours à un moment de pleine conscience de deux minutes environ qu’il propose de faire avec le patient quand il sent que le patient se dissocie, se déconnecte, est effacé, se détache, ou se perd dans ses pensées. Il est souvent utile d’attirer l’attention là-dessus – et de mettre en évidence ce qui arrive à la relation avec le patient pendant ces moments-là. Par ailleurs l’ACT préconise au thérapeute d’exprimer ses propres valeurs au patient. 76
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Par exemple, « j’aimerais que vous sachiez que je suis ici dans ce cabinet à travailler avec vous dans un seul et unique but : vous aider à créer une vie meilleure, une vie qui vaut la peine d’être vécue à vos yeux », ou « je m’engage à vous aider à changer votre vie de sorte que vous y trouviez plus de sens, une finalité et un certain épanouissement ». Dit avec sincérité, cela devient un message puissant qui unit le thérapeute et le patient dans une cause commune – et incroyablement intéressante (Harris 2012).
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 77 — #89
3 • Comment créer une bonne alliance thérapeutique avec un patient déprimé ?
RÉSUMÉ DE LA LEÇON • Le style relationnel de l’entretien est adapté. • Chaque séance définit un objectif choisi par le patient, en fonction • •
•
• •
des difficultés engendrées par la dépression. Le thérapeute procède à des reformulations fréquentes, au nombre minimum de trois par séances. Ces reformulations permettent de définir un cadre et surtout d’augmenter la mémorisation des propos échangés : « Si je comprends bien... » Ces reformulations pratiquées principalement par le thérapeute en début de thérapies, sont prises en charge par le patient indéniablement à partir des séances 6-8. Le style relationnel est collaboratif, interactif, à partir de questions ouvertes du thérapeute. Cela permet au patient déprimé d’exprimer ses pensées, ses émotions, dont il a souvent honte. 77
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Leçon 4
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Quand l’alliance thérapeutique a du mal à se mettre en place
Objectifs Identifier les facteurs de résistance Amener le patient à devenir un collaborateur actif dans le processus thérapeutique
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PLAN DE LA LEÇON Percevoir l’inadéquation dans l’alliance thérapeutique . . . . . . . . . . . .
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Quand le problème vient du patient . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
80
Quand la difficulté vient de l’interaction thérapeute-patient . . . . .
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L’utilisation stratégique du feedback . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 En début de séance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
83
En fin de séance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Les principes à retenir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Quand le trouble de la personnalité défie la thérapie . . . . . . . . . . . . .
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Comment intervenir le plus efficacement ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Cas particuliers des troubles de la personnalité borderline . . . . . . .
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Poser des limites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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« La collaboration est un attelage à deux, où presque toujours, l’un tire plus que l’autre. » Jacques Normand
PERCEVOIR L’INADÉQUATION DANS L’ALLIANCE THÉRAPEUTIQUE Deux ouvrages se consacrent aux problèmes d’alliance thérapeutique avec le patient déprimé, celui de Judith Beck (2005) et celui de Robert Leahy (2007) nous proposent différentes stratégies thérapeutiques quand l’alliance avec le patient déprimé est difficile à mettre en place. Cette difficulté concernerait environ 30 % des sujets en période dépressive. Le thérapeute doit alors rendre prioritaire la construction de l’alliance thérapeutique même si cela nécessite plusieurs entretiens supplémentaires, avant même de construire quelque contrat thérapeutique que ce soit. Il est indispensable de comprendre et de conceptualiser quand le problème arrive : est-il est dû au thérapeute ? aux cognitions du patient ? à la combinaison des deux ?
Quand le problème vient du patient 80
Le thérapeute doit évaluer à quel point le problème psychologique du patient est sérieux. Est-il préférable d’ignorer le problème ? de l’affronter directement ? ou encore de l’aborder plus tard ? Certains problèmes dans la relation sont évidents Exemples de comportements manifestes • Le patient se plaint. • Il accuse les autres de ses souffrances. • Il refuse de répondre aux questions. • Il est furieux, en colère. • Il est critique. • Il est incapable de remettre en cause ses cognitions. • Il interrompt sans cesse le clinicien. • Il est inattentif à l’excès. • Il ment, élude des informations.
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4 • Quand l’alliance thérapeutique a du mal à se mettre en place
Le patient qui ment, celui qui doute de l’expertise du thérapeute, ou encore qui accuse le thérapeute de ne pas le prendre en charge ; tous ces cas prennent un sens le plus souvent en termes de symptômes. Dans les autres cas moins évidents, il est important d’être vigilant à l’expression émotionnelle du patient, l’émergence de ses affects durant la séance, le ton de sa voix, le choix des mots, l’expression faciale, etc. Certains comportements alerteront le clinicien. Exemples de comportements d’alerte • Le patient qui ne prend pas ou irrégulièrement ses médicaments. • Une consommation excessive d’alcool, ou de drogues. • Le patient qui a déjà interrompu précocement d’autres thérapies. • Le patient qui n’a eu que des prises en charges médicales de courte durée. • Les changements fréquents de thérapeutes (dans tous les domaines de la santé). • Les appels uniquement en cas de crise. • Le patient qui ne vient pas au rendez-vous, sans prévenir.
Ces comportements d’alerte sont très nombreux, ils doivent immédiatement attirer notre attention car ils vont fortement interférer sur la qualité de la relation thérapeutique. Des défauts de réponse du patient peuvent venir du style même du patient et non pas des carences de l’alliance thérapeutique comme nous l’avons vu précédemment.
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! Quand la difficulté vient des cognitions du patient déprimé Ces pensées automatiques peuvent être sur lui-même, sur le traitement, ou encore sur les difficultés liées à la dépression. Devant toute attitude verbale ou non verbale en rupture avec le reste de l’entretien, le thérapeute utilise alors des questions standards pour identifier les émotions et les pensées : « Qu’est-ce que vous êtes en train de ressentir en ce moment ? », « Qu’est-ce qui vous traverse l’esprit ? » Jean devient nerveux au milieu de la séance, il s’agite sur sa chaise, ne regarde plus le soignant, alors le thérapeute en l’interrogeant met à jour ce qu’il est en train de penser : « S’il découvrait ma vie sexuelle, il me jugerait. Il ne voudrait plus jamais me voir. »
D’autres patients vont plutôt penser : « Le thérapeute ne me comprend pas », « Il essaie de me contrôler », « Il me juge ».
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 82 — #94
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Il est important que le thérapeute reconnaisse que les pensées, les croyances du patient ont du sens dans l’expérience ; mais que le thérapeute qui est un observateur plus rationnel n’adhère pas nécessairement à ces pensées ou représentations.
! Quand le patient croit que le thérapeute est critique vis-à-vis
de lui-même
Comme cette difficulté est spécifique elle sera facile à changer. En revanche, si la croyance est générale et qu’elle concerne tous les individus alors elle interférera avec la démarche classique, standard de la thérapie cognitive. Dans ce cas, la solution est que le thérapeute utilise plusieurs techniques à la fois. Prenons le cas d’une personne présentant une pathologie narcissique déprimée qui croit qu’elle est inférieure et que les autres lui sont supérieurs. Elle pense constamment que les autres ne la respectent pas, mais aussi que les petits événements sont difficiles. Ce schéma s’active également dans la relation thérapeutique. Lorsqu’elle vient demander de l’aide en thérapie, elle se perçoit immédiatement comme étant dans une position inférieure. Elle surveille toutes les intentions du thérapeute, s’étonne de certains de ses propos, fait des demandes inappropriées – comme de proposer des rendez-vous en dehors des entretiens –, elle utilise un vocabulaire sophistiqué, n’évoque que ses succès professionnels, etc.
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Le thérapeute considère que si elle la confronte à ses remarques négatives, critiques, elle activera alors encore plus son schéma d’infériorité. « Dites-moi ce que faisait votre ancienne thérapeute, que je ne fais pas et qui vous aide plus ? » Quand elle blague au sujet de l’apparence de son bureau, elle rit avec lui. Elle montre ainsi que l’on peut recevoir des critiques, en rire, en faire une blague sans diminuer son estime de soi. Exemples de « résistances » dues aux croyances dysfonctionnelles (d’après Leahy) La validation du schéma Attention aux schémas de disqualification, d’assujettissement. Recherche des facteurs de consistances personnelles : schémas « je ne peux pas être aimé », « je ne peux pas être aidée ». La résistance morale « Les mauvaises choses arrivent aux mauvaises gens. » « J’ai raison de me sentir pas bien, vu comme il me traite. »
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4 • Quand l’alliance thérapeutique a du mal à se mettre en place
Quand la difficulté vient de l’interaction thérapeute-patient Beaucoup de patients sont perturbés quand leur thérapeute présente une conceptualisation inadéquate, ou qu’il présente une conceptualisation exacte, mais trop tôt dans la thérapie avant que le patient ait eu le temps de développer une véritable confiance, et accordé une valeur de vérité au thérapeute. • C’est le cas par exemple d’un patient effrayé quand le thérapeute évoque trop tôt une
hypothèse psychopathologique dans le traitement, il devient tellement furieux pour n’importe quel petit événement du fait de son refus d’être faible. • Ce genre de patient a une perception fragile de son self. • Le patient qui exprime de la colère, de l’agressivité à l’égard du thérapeute ; le patient si anxieux qu’il est irrespectueux, ou encore le patient qui domine toute la séance de telle sorte que le thérapeute ne peut pas suivre son chemin. Ces problèmes nécessitent une remédiation. Quand il y a un problème, est ce que le thérapeute sert de miroir ? Est-ce qu’il s’agit de l’activation de pensées dysfonctionnelles ? Ou des deux combinés ? • Si le thérapeute s’est aperçu qu’il a fait une erreur, il s’excuse auprès du patient. • S’il est en difficulté dans un feedback, il peut enregistrer l’entretien et le faire écouter à
un confrère. • Si un patient trouve une tâche trop difficile, il l’excuse, ce qui permet au patient de diminuer sa charge anxieuse.
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L’UTILISATION STRATÉGIQUE DU FEEDBACK En début de séance Le feedback peut être intéressant en début de séance quand le thérapeute a l’hypothèse que le patient a eu une réaction émotionnelle négative par rapport à la séance précédente : « Vous avez paru irritable, au cours de la dernière séance mais je ne vous l’ai pas dit. J’ai pensé qu’au cours du dernier entretien, je vous avais poussé au niveau de la recherche d’emploi. Est-ce que vous avez ressenti cela ? » Le patient est encouragé à donner du feedback, ce qui permettra d’identifier d’éventuelles pensées dysfonctionnelles.
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 84 — #96
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En fin de séance L’expression du feedback est essentielle en fin de séance. Identifier les réactions du patient augmente considérablement l’alliance thérapeutique : « Qu’est-ce que vous diriez à propos de notre séance d’aujourd’hui ? », « Qu’est-ce que dans la séance vous n’auriez pas compris ? », « Est-ce qu’il y a quelque chose que vous aimeriez approfondir ? ». Le patient résume le contenu et le processus de la thérapie.
LES PRINCIPES À RETENIR Pour construire cette alliance le thérapeute doit passer plus de temps sur la relation thérapeutique et en passer moins sur les problèmes de vie du patient. Une bonne alliance est un outil efficace pour modifier les croyances dysfonctionnelles du patient envers lui-même et envers les autres. • Utilisation du renforcement positif (cf. Leçon 3). • Utilisation du self disclosure, des exemples personnels.
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Par exemple, le patient relate sa difficulté par rapport au fait que son mari ait pris un poste mieux payé, mais il rentre plus tard et ne dîne plus avec sa famille. Le thérapeute peut intervenir en disant qu’il a dû faire face à la même situation il y a quelques années, et dire alors comment il a fait. Le patient apprécie le partage par le thérapeute d’informations personnelles, ce qui renforce le lien avec lui. Ce qui permet aussi au patient de prendre conscience qu’il n’est pas le seul à devoir faire face à une telle situation, et qu’il a la possibilité de penser la situation d’une autre manière pour se sentir mieux. • Réduire l’inégalité de la relation thérapeute-patient.
Un patient qui se sent toujours comme un perdant peut se sentir plus compétent dans la relation thérapeutique et moins inférieur quand son thérapeute lui pose des questions sur son travail ; le thérapeute lui disant par exemple combien il est impressionné de sa connaissance sur l’opéra lyrique. • Exprimer son désaccord avec le point de vue négatif qu’a le patient vis-à-vis de lui-même.
Le thérapeute peut exprimer le fait qu’il ne partage pas le même point de vue : « Je comprends pourquoi vous vous sentez désespérée, je suis sûre que si pareille chose m’arrivait je serais aussi désespérée, mais votre croyance comme quoi vous êtes quelqu’un de mauvais, je voudrais que vous sachiez que je ne croirais pas que vous êtes mauvaise, pas une minute. C’est évident que c’est perturbé par la dépression, que pensez-vous de cela ? »
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4 • Quand l’alliance thérapeutique a du mal à se mettre en place
• Produire des propos réalistes. • Exprimer directement de l’empathie et de l’entraide.
Par exemple : « Je suis désolée de ce qui vous arrive », « Personne n’aimerait vivre quelque chose comme cela », « Je suis contente que vous veniez me voir, comme cela je peux vous aider », « Je sais que vous ressentez beaucoup de peine, maintenant vous ne devez pas être désespérée car... ». • Exposer ses regrets au sujet des limites de la thérapie.
Par exemple : « Si j’avais pu, j’aurais été heureux d’être le thérapeute qui pourra vous aider. » • Aider le patient à reconnaître chez le thérapeute le sens du lien thérapeutique.
Par exemple : « J’ai pensé à vous cette semaine et il m’est apparu que cela pourrait vous aider si... » Le message transmis est que le thérapeute n’oublie pas le patient quand il est ailleurs, quand il n’est pas dans son bureau et qu’il pense beaucoup plus aux façons de l’aider qu’il ne le croit.
QUAND LE TROUBLE DE LA PERSONNALITÉ DÉFIE LA THÉRAPIE 85 Dépression et trouble de la personnalité • Premier épisode dépressif plus précoce. • Après rémission clinique plus de symptômes résiduels. • Plus de récidives dépressives. • Reconnaître les aspects cognitifs de ces symptômes à inclure dans l’évaluation. • Chaque trouble de la personnalité a ses propres troubles cognitifs.
Comment intervenir le plus efficacement ? Le thérapeute va modifier la structure, son style et ses interventions comme il en est besoin. De plus, beaucoup de patients ont des traits de personnalité pathologiques multiples. En prenant en compte cette approche catégorielle, on considère que la prévalence des troubles de la personnalité parmi les patients présentant un état dépressif majeur actuel est comprise entre 50 et 85 % pour les patients suivis en ambulatoire et entre 20 et 50 % pour ceux qui sont hospitalisés. Des études complémentaires ont évalué la prévalence de chaque trouble de la personnalité chez des patients présentant un état dépressif majeur.
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 86 — #98
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Tableau 4.1. Synthèse des études Type de personnalité
Patients ambulatoires Patients hospitalisés
Schizoïde
2%
2à5%
Schizotypique
6%
Variable, par exemple 1à9%
Antisociale
1 à 12 %
35 %
Borderline
8%
30 %
Histrionique
10 %
15 %
Narcissique
1à5%
Pas d’estimation
Évitant
30 à 50 %
5 à 15 %
Dépendante
50 %
5 à 15 %
Obsessionnellecompulsive
10 à 20 %
5% (Guelfi et al., 1999)
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Les valeurs concernant les patients déprimés hospitalisés sont très variables et ne sont citées dans ce tableau qu’à titre d’exemple. De nombreux travaux ont montré que ces troubles étaient corrélés à certains schémas cognitifs particuliers qui sont rassemblés dans le tableau suivant : Tableau 4.2. Correspondances entre les troubles de la personnalité, les stratégies comportementales et les schémas cognitifs de Beck
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Troubles
Stratégies
Schémas
Paranoïaque
Être sur ses gardes
Les gens sont des adversaires potentiels.
Schizoïde
Isolement
J’ai besoin de beaucoup d’espace.
Schizotypique
Excentricité Méfiance
Les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être.
Antisocial
Attaque
Les gens sont là pour être dupés.
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 87 — #99
4 • Quand l’alliance thérapeutique a du mal à se mettre en place
Borderline
Impulsivité
Je ne peux pas me contrôler.
Histrionique
Théâtralisme
Je dois faire impression.
Narcissique
Inflation de soi
Je suis exceptionnel.
Évitant
Évitement
Je pourrais être blessé.
Dépendant
Attachement
Je ne peux rien faire seul.
Obsessifcompulsif
Perfectionniste
Les erreurs sont catastrophiques.
Beaucoup de ses patients souffrent du sentiment de ne pas être bien considérés ni estimés par les autres. Ces patients ont tous des difficultés à maintenir des relations interpersonnelles en ayant la peur constante d’être blessés : « Les autres sont injustes », « Je suis constamment blessé », ou encore « Rien de ce que je fais n’a d’intérêt ». Ces différents schémas cognitifs du patient filtrent l’information verbale et non verbale en provenance du thérapeute et amènent le patient à des attitudes qui peuvent surprendre ou désorienter le soignant. Devant toute attitude contraire à la bonne mise en place de l’alliance thérapeutique, il est nécessaire d’élaborer des hypothèses sur les schémas potentiellement activés, et de se donner le temps pour discuter avec le patient de ses attitudes « contre-productives ».
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Pour faciliter cette discussion et aborder ces comportements sans pour autant renforcer un sentiment de « mise à l’écart » ou de critiques, il sera important d’être particulièrement empathique. Le thérapeute doit percevoir des indices verbaux et non verbaux qui témoignent de l’inconfort du patient. Si le patient perçoit la compétence et l’intimité, la relation sera bonne. Il est donc important d’évaluer le style du patient. Par exemple : – Un patient narcissique répondra mieux avec un thérapeute différent de lui. – Un patient dépendant appréciera un thérapeute directif qui le prend en charge dans la séance. – Cela ne sera pas le cas en revanche du patient obsessionnel. Les attentes des patients sont différentes ; certains se sentent plus à l’aise avec une approche académique, d’autres si on entre directement en résolution de problème, d’autres encore si le thérapeute est d’emblée empathique, en gérant la résolution de problème.
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 88 — #100
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Cas particuliers des troubles de la personnalité borderline La majorité des auteurs s’accorde à décrire la catégorie des patients borderline comme étant très hétérogène. Critères pour un diagnostic du trouble de la personnalité (selon le DSM-5) Les critères diagnostiques du DSM-5 pour le trouble de la personnalité borderline sont restés les mêmes que ceux du DSM-IV. Le diagnostic de trouble de la personnalité limite requiert dès lors la présence de 5 critères sur les 9 suivants : 1. Efforts effrénés pour éviter les abandons réels ou imaginés (exclure ici les comportements énumérés au point 5) ; 2. Mode de relations interpersonnelles instables et intenses, caractérisé par l’alternance entre des positions extrêmes d’idéalisation excessive et de dévalorisation ; 3. Perturbation de l’identité : instabilité marquée et persistante de l’image ou de la notion de soi ; 4. Impulsivité dans au moins deux domaines potentiellement dommageables pour le sujet (ex. dépenses, sexualité, toxicomanie, conduite automobile dangereuse, crises de boulimies : exclure ici les comportements énumérés au point 5) ;
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5. Répétitions de comportements, gestes, menaces suicidaires ou d’automutilations ; 6. Instabilité affective due à une réactivité marquée de l’humeur (ex. dysphorie épisodique intense, irritabilité ou anxiété durant habituellement quelques heures et rarement plus de quelques jours) ; 7. Sentiment chronique de vide ; 8. Colères intenses et inappropriées ou difficulté à contrôler sa colère (ex. fréquentes manifestations de mauvaise humeur, colère constante ou bagarres répétées) ; 9. Survenue transitoire, dans des situations de stress, d’une idéation persécutoire ou de symptômes dissociatifs sévères.
Face à l’hétérogénéité de ce trouble, certains auteurs proposent ainsi d’identifier des sous-catégories de patients. Gunderson (2001) propose l’existence de cinq catégories parmi les patients « états-limites ». Chacune des cinq catégories qu’il identifie (types affectif, impulsif, agressif, dépendant, et vide) a été élaborée à partir des hypothèses étiologiques développées dans les publications de ces quarante dernières années. L’auteur fait par ailleurs correspondre, à chacun des sous-types du trouble de la personnalité borderline, les deux critères actuels du DSM-IV qu’il présume être prototypiques de la catégorie concernée.
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 89 — #101
4 • Quand l’alliance thérapeutique a du mal à se mettre en place
Tableau 4.3. Sous-catégories du trouble de personnalité limite Type
Description et hypothèse(s) étiologique(s) correspondante(s)
Critères du DSM-IV présumés prototypiques
Affectif
Forme atypique de trouble de l’humeur : en partie héritée (vulnérabilité) et précipitée par les facteurs de stress environnementaux
Critère 6 : Instabilité affective due à une réactivité marquée de l’humeur
Critère 5 : Répétitions de comportements, gestes, menaces suicidaires ou d’automutilations
Impulsif
Forme de trouble du contrôle des impulsions : reflète un tempérament orienté vers l’action
Critère 4 : Impulsivité dans au moins deux domaines potentiellement dommageables pour le sujet
Critère 5 : Répétitions de comportements, gestes, menaces suicidaires ou d’automutilations
Agressif
Trait de tempérament ou réaction secondaire à un traumatisme précoce ou à des abus (maltraitance, négligence)
Critère 8 : Colères intenses et inappropriées ou difficulté à contrôler sa colère
Critère 6 : Instabilité affective due à une réactivité marquée de l’humeur
Critère 1 : Efforts effrénés pour éviter les abandons réels ou imaginés
Critère 6 : Instabilité affective due à une réactivité marquée de l’humeur
Dépendant Intolérance à la solitude : innée ou acquise
Vide
Absence de stabilité de Critère 7 : la notion de soi : Sentiment consécutive à une chronique de vide attitude parentale instable
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Critère 3 : Perturbation de l’identité : instabilité marquée et persistante de l’image ou de la notion de soi
(Oldham, 2006 ; d’après Gunderson, 2001)
Beck et al. (1990) présentent le profil cognitif du trouble de personnalité limite sous forme d’un tableau synthétique, reproduit ci-après (tableau 4.4).
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 90 — #102
APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Ce profil rend compte des caractéristiques centrales de la vision de soi et des autres, des principales croyances, ainsi que des stratégies comportementales typiques observées dans le trouble limite : de fait, Beck et al. postulent que l’interaction entre ces trois types de croyances (croyances principales, relatives à la vision de soi, et à la vision des autres) conduit à l’élaboration des principales stratégies comportementales. Tableau 4.4. Profil cognitif du trouble de la personnalité limite Vision de soi Vulnérable (au rejet, à la trahison, à la domination)
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Vision d’autrui Idéalisé(e) : – Puissant(e), – Aimant(e), – Parfait(e)
Principales croyances
Principale stratégie
Je ne peux pas faire Assujettir ses propres besoins face seul(e) pour maintenir le lien avec l’autre
Privé(e) Disqualifié(e) : (du support – Rejetant(e) émotionnel dont – Contrôlant(e) il/elle a besoin) – Traître – Abandonnant(e)
J’ai besoin de quelqu’un en qui je puisse avoir confiance
Protester de manière spectaculaire, menacer, et/ou devenir punitif à l’égard de ceux qui émettent les signaux d’un possible rejet
Impuissant(e)
Je ne supporte pas les sentiments négatifs
Diminuer la tension par un comportement d’auto-mutilation ou d’auto-destruction
Dénué(e) de tout pouvoir de contrôle
Si je fais confiance Commettre une à quelqu’un, je serai tentative de suicide pour fuir trahi(e), jugé(e) insuffisant(e) et abandonné(e).
Manquant de quelque chose Non susceptible d’être aimé(e) Mauvais(e)
Le pire serait d’être abandonné(e). Il m’est impossible de me contrôler. Je mérite d’être puni(e). (BECK et al., 1990)
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 91 — #103
4 • Quand l’alliance thérapeutique a du mal à se mettre en place
Stone (2000) a proposé pour sa part une synthèse de ce profil cognitif du trouble limite selon Beck et al. articulée autour de 9 schémas inadaptés : de par sa clarté, nous avons souhaité reproduire cette synthèse, et la présentons ci-après sous la forme d’un tableau : Tableau 4.5. Schémas cognitifs inadaptés dans le trouble de la personnalité limite Abandon et perte
Le sujet limite éprouve le sentiment qu’il sera toujours seul et non soutenu par les autres
Conviction de ne pouvoir être aimé(e)
Personne ne souhaiterait être proche de moi s’ils me connaissaient vraiment
Dépendance excessive
Subjugation
Le sujet limite croit qu’il doit se soumettre aux désirs des autres, sous peine d’être abandonné
Méfiance
Celle-ci s’accompagne de la crainte qu’autrui s’avère nuisible et prenne le dessus
Auto-contrôle inadéquat
Impulsivité et absence d’auto-contrôle
Crainte de perdre le contrôle émotionnel
91 Conviction d’être une mauvaise personne
Culpabilité Privation émotionnelle
Personne ne répond jamais à mes besoins
(D’après Stone, 2000, en référence à Beck et al., 1990)
Enfin, Beck et al. rappellent que, bien qu’un grand nombre de schémas cognitifs présents dans d’autres troubles de la personnalité sont actifs au sein du trouble limite, les 3 schémas cognitifs suivants sont considérés comme étant des présuppositions-clés chez les patients borderline : « Le monde est dangereux et malveillant » ; « Je suis impuissant et vulnérable » ; « Je suis fondamentalement inacceptable ».
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Devant cette souffrance hétérogène Beck et al. ont proposé une adaptation des stratégies interpersonnelles pour augmenter l’alliance thérapeutique.
Poser des limites Les comportements inacceptables, vis-à-vis du thérapeute (insultes ou menaces), du patient lui-même (passages à l’acte menaçant sa vie), ou de la poursuite de la thérapie, doivent être limités de manière ferme par le thérapeute. La nature de la relation thérapeutique est une collaboration ; le patient et le thérapeute travaillent ensemble sur des objectifs préalablement définis. À cet égard, Beck, Rush, Shaw et al. précisent que leur approche correspond plus à une attitude du type « C’est vous et moi contre les troubles » plutôt que « C’est moi qui vous traite ».
RÉSUMÉ DE LA LEÇON • Il est indispensable d’identifier d’où vient la résistance :
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du patient ? de ses cognitions ? des troubles associés ? de l’interaction thérapeute-patient ?
• Le thérapeute doit toujours observer son patient, ce qu’il dit, ce
qu’il fait, omet de dire ou ne fait pas. • Le thérapeute doit toujours être à l’écoute de ses cognitions. • Trois séances suffisent à donner un aperçu de l’alliance thérapeutique. • Adaptée, la relation thérapeutique avec le patient borderline est possible.
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4 • Quand l’alliance thérapeutique a du mal à se mettre en place
NOTES
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Leçon 5 Les premiers entretiens 94
Objectifs Évaluer la demande de soins Initier une prise de contact : établissement d’une relation positive de collaboration Vérifier les problèmes pour lesquels vient le patient Procéder à une évaluation quantitative par questionnaires et échelles Conclure sur l’orientation thérapeutique
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PLAN DE LA LEÇON Les entretiens préliminaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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La première étape : le recueil des informations . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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La deuxième étape : l’analyse fonctionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Le premier entretien clinique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 Les premières auto-observations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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L’emploi du temps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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L’emploi du temps « assisté » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101 Les dimensions thérapeutiques de l’auto-observation . . . . . . . . . . . 102
L’évaluation quantitative de la dépression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103 L’hétéro-évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103 L’auto-évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
Interpréter les résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110 L’orientation thérapeutique immédiate . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 95
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
« Le vrai génie réside dans l’aptitude à évaluer l’incertain le hasardeux, les informations conflictuelles. » Winston Churchill
LES ENTRETIENS PRÉLIMINAIRES La thérapie comportementale et cognitive d’un patient déprimé implique, au préalable, une évaluation. Celle-ci se déroule en 3 temps et s’effectue au cours des premiers entretiens. En moyenne, 3 entretiens préliminaires suffisent pour ces 3 phases, mais un plus grand nombre de séances peut néanmoins être requis, en fonction de la complexité de l’histoire clinique et de la souffrance dépressive du patient. Il ne faut pas hésiter à se laisser plus de temps, jusqu’à 7 séances.
La première étape : le recueil des informations
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La première phase est destinée au recueil clinique des données. Le thérapeute remonte le cours de l’histoire de la maladie dépressive, reconstitue l’anamnèse et s’enquiert des répercussions du trouble dépressif. Lors de ce premier entretien, il évalue non seulement la symptomatologie, mais aussi la demande du sujet. En fonction de ces deux dimensions, le thérapeute peut, comme à n’importe quel moment de la démarche évaluative, opérer une orientation thérapeutique, voire réfuter l’indication de thérapie du fait de la particularité des symptômes, de la nature de la demande du patient ou, tout simplement, du fait de son peu de motivation à entreprendre une démarche psychothérapique.
La deuxième étape : l’analyse fonctionnelle Elle permet une compréhension psychologique des différents facteurs qui contribuent à l’état dépressif et permet de poser alors une indication ou non de TCC pour état dépressif (cf. Leçon 2). Dans l’affirmative une troisième étape consiste en la construction d’un contrat thérapeutique (cf. Leçon 7).
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5 • Les premiers entretiens
LE PREMIER ENTRETIEN CLINIQUE Il s’agit d’un entretien clinique classique dont le style sera plutôt circonstancié et narratif. L’objectif de cet entretien est une prise de contact avec le patient. D’une part, il permet d’établir un diagnostic symptomatologique et, d’autre part, de faire préciser la souffrance du patient et ce qu’il attend de l’entrevue. Lors du premier entretien, l’attitude du thérapeute tendra à mettre le consultant en confiance et à favoriser la communication avec lui. • Le thérapeute, après avoir serré la main du patient et lui avoir donné le bonjour, se
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présente : « Je suis le Dr..., je suis psychiatre... dans cette institution et je m’occupe particulièrement des consultations de thérapies comportementales et cognitives. » Se nommer, donner sa fonction et son rôle dans une institution permet au patient de connaître un peu mieux son interlocuteur, ce qui diminuera des interrogations diverses du type : « Qui est-il ? », « Qu’est-ce qu’il fait ici ? », « C’est un médecin, je me suis peut-être trompé, c’est tellement grand cet hôpital... » Le thérapeute adoptera donc une attitude ouverte, à la fois verbale et non verbale. Sur le plan corporel, il se placera en face de son patient en le regardant sans le dévisager et sans se plonger dans son dossier. Son attitude globale fera preuve d’ouverture : souple, calme et congruente aux propos tenus par le patient. Sur le plan verbal, le thérapeute posera un certain nombre de questions ouvertes pour faciliter le discours de son interlocuteur : « Pourriez-vous me dire ce qui vous amène jusqu’à cette consultation de thérapie comportementale et cognitive ? Qu’est-ce qui vous gêne et qu’est-ce qui vous a motivé à venir consulter ? Par quel intermédiaire avez-vous eu notre adresse ? »
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Au fur et à mesure, le patient passera à des informations de plus en plus personnelles expliquant sa demande. Le thérapeute oriente ses questions et dirigera son entretien sans rigidité, mais en recueillant petit à petit les informations qui lui sont nécessaires pour analyser les difficultés du patient. Parfois, plusieurs entretiens sont nécessaires pour recueillir des données suffisantes. Le sujet déprimé • Il est toujours dans une grande souffrance. • Je reconnais sa dépression. • Je l’observe. • Je constate ce qu’il dit, ce qu’il fait, ce qu’il ne fait pas et ce qu’il ne dit pas.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
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• Je comprends comment il fonctionne. • J’identifie ses problèmes. • Je respecte sa souffrance.
L’évaluation lors de ce premier entretien doit prendre en compte quatre axes : des facteurs précipitants, des facteurs prédisposants, des éléments descriptifs de l’état dépressif et les facteurs de maintien. • Les facteurs précipitants sont aussi bien une diminution des sources actuelles de
renforcement dans l’environnement du sujet ou bien encore des traumatismes ; • Les facteurs prédisposants comprennent le faible niveau d’habileté sociale, mais aussi le niveau élevé d’exigences personnelles ou encore d’autocritique ; • La modification de l’affect qui succède à ces facteurs contribue à la constitution du tableau clinique de la dépression, qui associe la tristesse, l’inhibition psychomotrice et la survenue de troubles physiques qui entretiennent l’autodépréciation ; • Les facteurs d’entretien de la dépression sont à rechercher ; ils peuvent être de nature sociale, comme la sympathie soudaine de l’entourage du fait de la dépression, ou de nature environnementale comme l’évitement de l’activité professionnelle ou l’évitement d’actions désagréables. 98
Tous les éléments sémiologiques sont notés par le praticien. Il demandera au patient un travail personnel entre les séances qui permet de compléter les éléments cliniques recueillis pendant ce premier entretien. Ce travail personnel guidé par le thérapeute est intitulé « tâche au domicile », il fait partie de manière systématique de la procédure d’évaluation de cette souffrance thymique. La définition des tâches L’accompagnement du patient déprimé est indispensable pour toutes les tâches d’auto-observation qui lui sont demandées. Les tâches sont commencées en séance et le patient part avec un modèle personnalisé. Yasmine note pendant l’entretien : Situation agréable : Je m’allonge une nouvelle fois sur mon lit. Émotions : satisfaction. Pensée : Je suis au calme. Comportement : Je me blottis sous les couvertures. Situation désagréable : J’essaye de refaire mon lit, je n’y arrive pas. Émotions : tristesse et agacement. Pensée : Je ne serai plus jamais capable de faire quoi que ce soit. Comportement : Je suis assise au bord de mon lit, accablée.
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5 • Les premiers entretiens
LES PREMIÈRES AUTO-OBSERVATIONS Les sujets déprimés, malgré leur ralentissement, leur perte de goût pour leurs activités habituelles, sont participatifs dans l’échange relationnel : la conduite de l’entretien d’évaluation s’effectue aisément. La demande du travail personnel entre les séances est expliquée : son but, sa contribution à la compréhension de la souffrance dépressive, mais aussi sa flexibilité. Si une tâche est demandée pendant trois jours consécutifs, il vaut mieux un seul jour fait correctement, du mieux que le peut le patient, plutôt que trois jours réinventés dans la salle d’attente qui précède l’entretien. Il ne s’agit en aucun cas d’un devoir à bien faire, qui sera jugé, mais tout simplement le relevé d’une information concrète, telle qu’elle se déroule sur le moment, à l’instant. Pour faciliter les « tâches prescrites » • Vérifier la clarté de l’instruction. • Choisir une tâche la moins difficile possible. • Donner une tâche précise, spécifique. • Vérifier la bonne compréhension de la consigne. • Expliquer comment faire et à quelle fréquence. • Utiliser la technique de modeling participatif : « faire ensemble » la tâche par
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écrit, le patient part avec un modèle. • Expliquer l’utilité de la tâche. • Séquencer éventuellement, en différentes étapes, choisies par le patient.
Ce travail est primordial pour le patient déprimé, qui par ses réponses aux questions avec toute son authenticité, et sa bonne volonté est pris au piège de sa pensée dépressive, de son auto-dépréciation, et de ses biais de pensées qui excluent de son champ de conscience un certain nombre d’informations qui risquent d’être fort précieuses dans la thérapie. La première tâche d’auto-observation que Beck publie spécifiquement pour les sujets déprimés est la tâche de l’emploi du temps (Beck et al., 1979).
L’emploi du temps Le patient reporte sur un cahier les circonstances d’apparition de son comportement problème (heure, lieu, en compagnie de qui, durée du comportement, etc.). Ainsi est réalisée une ligne de base comportementale.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Il est classique de demander au sujet déprimé de noter son « emploi du temps », c’est-à-dire l’ensemble de ses occupations par tranche horaire sur une durée d’une semaine (activity scheduling de Beck et al., 1979). Cette auto-observation classique permet de connaître le taux d’activités du patient déprimé seul ou avec les autres. En effet, la grande majorité de ces patients présentent un ralentissement psychomoteur, des inhibitions, la perte d’envie à mener une action même sympathique, et la perte quasi-totale du plaisir même pour les activités jugées plaisantes avant la dépression. Du fait de la diminution des actions (fréquence de comportements), il est très important de connaître ceux qui subsistent : activités de toilette, d’habillage, domestiques, contacts téléphoniques... L’emploi du temps de Jeanne montre : « Lundi : – – – –
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– – – – – –
Sept heures : lever, petit-déjeuner avec son mari. Sept heures trente : toilette, habillage lent. Huit heures : une voisine vient bavarder avec elle, comme convenu trois fois par semaine. Midi trente : son mari rentre pour déjeuner, elle ne se sent pas la force d’aller se promener dans le quartier avec lui. Treize heures trente : départ du mari, elle se repose, assise à proximité du téléphone. Quatorze heures : couture simple, elle se trouve lente. Elle regarde la télévision le reste de l’après-midi. Dix-huit heures : visite d’une amie qui lui apporte des journaux. Dix-huit heures trente : préparation du repas très succinct. Télévision le soir. »
La patiente, par la tenue de son emploi du temps, apprend ainsi au thérapeute qu’elle effectue un certain nombre d’activités banalisées dans ses propos, voire totalement non mentionnées comme : toilette et habillage chaque matin, préparation des repas même s’ils sont très simples, couture et de temps à autre des mots fléchés. Pour gérer ses angoisses liées à sa solitude, la patiente est en fait entourée d’un certain nombre de personnes : le mari qui rentre spécifiquement déjeuner et dîne le soir avec elle, la voisine qui vient lui rendre visite et lui fait quelques courses, une femme de ménage qui vient deux fois par semaine, ses enfants qui passent à tour de rôle, des amis plus rarement et la mise en route de la télévision « qui lui fait une présence », dit-elle. Tous la sollicitent pour sortir, pour l’accompagner, mais sa fatigabilité, sa perception que toute chose est impossible la confinent chez elle. Elle rapporte que si elle pouvait sortir, un petit tour près de son domicile ne l’intéresserait pas. Elle aimait faire les boutiques, se rendre dans certains quartiers de Paris et préfère ne rien entreprendre plutôt que de tenter cette petite promenade auprès de son immeuble.
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5 • Les premiers entretiens
L’emploi du temps « assisté » Lorsque le patient est hospitalisé, l’emploi du temps peut être réalisé par un observateur externe, qui en donne une évaluation plus réaliste. En effet, certains patients ont tendance à minimiser ou au contraire à dramatiser leurs symptômes, du fait de leur vécu, de leurs perceptions, de leur anxiété et d’autres psychopathologies associées à leurs troubles. Un membre de l’équipe soignante notera en revanche très objectivement les différentes activités du patient, les contacts en salle à manger, les sorties à l’extérieur... Élisabeth est hospitalisée pour un premier épisode dépressif majeur apparu dans les suites d’un deuil. L’état dépressif est d’intensité majeure : pour Élisabeth tout est difficile, même de faire sa toilette. Elle inscrit, avec l’aide d’une infirmière, son emploi du temps : « Lundi : – Huit heures : distribution des médicaments, l’infirmière arrive, je suis réveillée depuis longtemps. – Huit heures trente : petit-déjeuner avec les autres malades, je n’ai pas faim, je reste peu de temps, ne parle pas. – Neuf heures jusqu’à onze heures : je reste dans mon lit, je somnole, je suis fatiguée. – Onze heures : l’infirmière vient me chercher et m’accompagner pour ma toilette ; si elle n’était pas là, je serais restée dans mon lit. – Midi et demi : déjeuner en salle à manger. Je prends le plat principal. J’écoute les autres, mais ne prends pas part à la conversation. – Treize heures : je me recouche et somnole. – Quinze heures : ma voisine de chambre a une visite, je reste sur mon lit, épuisée. Je pense au passé. – Dix-huit heures : dîner en salle à manger. Les autres patients me poussent à aller en salle de télévision, je reste quelques instants et repars dans ma chambre. »
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Nous apprenons par le relevé d’Élisabeth que, pour elle, toute activité est pénible et l’aide d’une tierce personne lui est indispensable pour l’accompagner lors de sa toilette et aux repas. En revanche, elle se rend aux activités collectives (repas, télévision) qui la fatiguent vite, elle les fuit assez rapidement, pour retourner sur son lit et repenser aux événements plus ou moins heureux du passé.
Facteurs de non-réalisation des tâches • Le perfectionnisme • Le besoin d’approbation • Croyance forte d’une origine organique aux problèmes • Sentiment d’être jugé, critiqué • Impression d’être contrôlé, de révéler sa vie personnelle
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
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• Raisonnement émotionnel • Distractibilité
Mais aussi : • Trop de tâches en même temps • Une prescription trop précoce • La non-vérification de la difficulté pour le patient • La non prise en connaissance des tâches réalisées par le patient
Les dimensions thérapeutiques de l’auto-observation Si l’auto-observation ne mène pas le sujet déprimé et ralenti à ne plus être déprimé ni ralenti, elle possède cependant une valeur thérapeutique. Cet échange autour de la souffrance intime du sujet allié à l’écoute attentive du thérapeute permet de nouer une collaboration interactive et de mettre en place une alliance thérapeutique où la relation de collaboration est fondamentale. L’auto-observation conduit le patient à noter dans ses fiches des comportements, des pensées, des vécus émotionnels et des situations sources de réactions pénibles. Elle précise de cette façon la nature des problèmes et permet au patient d’observer son niveau réel d’activité et de relation interpersonnelle. 102
Ainsi, une patiente lombalgique chronique déprimée est persuadée d’être seule, dans sa souffrance et dans son inactivité. L’auto-observation comportementale lui montre pourtant qu’elle reçoit chaque jour 3 visites, dont au moins une fois celle de l’un de ses enfants, que le kinésithérapeute vient deux fois par semaine pour des séances à domicile et qu’une voisine de palier lui rend visite toutes les fins d’après-midi. Elle prend ainsi conscience, grâce à l’auto-enregistrement, du réseau social tissé autour d’elle et des liens amicaux et chaleureux qui existent autour d’elle.
Ces fiches rendent le patient plus attentif à mieux préciser les comportements invalidants mais aussi ceux qui sont adaptés. Ainsi, il est thérapeutique de demander au patient déprimé de noter chaque jour pendant une semaine une situation émotionnellement satisfaisante et une situation émotionnellement non satisfaisante, sans rechercher la plus pertinente, ni la plus significative. En cela, l’auto-observation apporte par elle-même une modification positive du comportement. Enfin, dans la poursuite de la prise en charge thérapeutique, il faut aussi considérer que l’auto-observation constitue une source importante d’évaluation des changements opérés au cours de la prise en charge. Pour évaluer ces changements, il existe également des outils de mesure de l’état dépressif élaborés par certains pays, puis traduits, adaptés et validés dans différentes populations.
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5 • Les premiers entretiens
Ainsi, les différents instruments d’évaluation sont communément utilisés, et les résultats observés dans la population française bien connus. On distingue deux sortes d’outils d’évaluation, certains très cliniques, permettant d’évaluer l’intensité de l’état dépressif, d’autres beaucoup plus cognitifs, dont l’utilisation permet d’évaluer les dysfonctionnements psychologiques du sujet déprimé.
L’ÉVALUATION QUANTITATIVE DE LA DÉPRESSION L’hétéro-évaluation Tous ces instruments sont présentés et détaillés dans plusieurs ouvrages classiques d’outils d’évaluation clinique en psychiatrie. Le choix des échelles pour évaluer la sévérité de l’état dépressif est large, mais il faut citer notamment : L’échelle de dépression de Hamilton.
! L’échelle de dépression de Hamilton L’échelle de dépression de Hamilton ou Hamilton Depression Rating Scale est la plus utilisée dans le monde depuis sa création en 1960. Souvent intitulée HDRS, elle constitue une façon simple de quantifier la sévérité d’un état dépressif et de montrer des modifications sous traitement. Il ne s’agit pas d’un instrument à visée diagnostique.
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Elle a été conçue pour mesurer les changements d’intensité de la symptomatologie dépressive lors des essais cliniques d’antidépresseurs. Sans prétendre être un répertoire exhaustif des symptômes dépressifs, elle est constituée, d’une part, de symptômes très fréquemment observés dans les dépressions et, d’autre part, de symptômes éventuellement moins fréquents mais dont la présence indique une forme clinique particulière de dépression. Il existe plusieurs versions de cette échelle, la version originale contient 21 items. La version considérée définitive par l’auteur en comprend 17. L’échelle est remplie dans les minutes qui suivent un entretien au cours duquel le clinicien cherche à mettre en évidence d’authentiques symptômes dépressifs et non de simples fluctuations thymiques. Les questions sont posées au patient dans cette optique. Les données cliniques ainsi recueillies peuvent être complétées, si besoin est, par des informations fournies par l’entourage. La durée de l’entretien nécessaire est au minimum de trente minutes.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Les items de l’échelle sont cotés de zéro à deux ou de zéro à quatre. Les cotations de zéro à quatre correspondent à des symptômes absents, douteux, légers, moyens ou importants. La note totale de la version à 17 items varie de zéro à 62.
! L’échelle de Hamilton pour l’anxiété – L’échelle de Hamilton pour l’anxiété ou HARS est classique, c’est un des instruments d’évaluation les plus utilisés ; sous sa forme originale elle comprend 14 items. – Les items sont évalués à l’aide de cinq degrés de gravité, qui vont de l’absence jusqu’à l’intensité invalidante. La note globale va de zéro à soixante. Il existe une note d’anxiété psychique et une note d’anxiété somatique (items sept à treize). Une anxiété significative est régulièrement présente lorsque le score est supérieur à vingt (mais ce n’est pas un instrument diagnostic). – Il est demandé pour la passation de l’échelle d’effectuer un entretien libre, mais la liste de symptômes proposés constitue un guide utile et un mémento sémiologique.
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L’hétéro-évaluation n’est pas suffisante à elle seule pour estimer la souffrance du patient. L’utilisation conjointe d’une hétéro-évaluation et d’un auto-questionnaire est indispensable pour élaborer des hypothèses sur la souffrance émotionnelle du déprimé. En effet, les concordances et non concordances de résultats entre hétéro- et auto-évaluations n’amènent pas le thérapeute aux mêmes conclusions sur le fonctionnement psychologique du patient. En revanche, ces données seront très riches en informations et contribueront à l’élaboration d’hypothèses psychologiques. D’un point de vue statistique, les outils sont corrélés dans 60 % des cas. Pour les 40 % restants, deux cas de figure peuvent se présenter : Le score au BDI traduit une souffrance supérieure au score de l’HDRS : cela peut être dû à la présence d’un trouble anxieux ou d’un trouble de la personnalité ; Le score à l’HDRS traduit une souffrance supérieure au score du BDI : cela peut être dû à un phénomène de désirabilité sociale, ou de déni de la souffrance de la part du patient.
L’auto-évaluation Les auto-questionnaires se présentent sous forme d’un ensemble de propositions (ou items) mesurant les différents symptômes cliniques, comportementaux et cognitifs. Les documents écrits sont présentés au patient qui les remplit seul. Le score global de chaque questionnaire reflète l’intensité du trouble : – le questionnaire des pensées automatiques ; – le questionnaire de désespoir ; – l’inventaire pour la dépression de Beck ou BDI ; – l’échelle des attitudes dysfonctionnelles.
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5 • Les premiers entretiens
Ces quatre auto-questionnaires montrent des scores globaux d’autant plus élevés que la dépression est intense. Quelques définitions concernant les qualités métrologiques des questionnaires • La validité de contenu vise à vérifier si le contenu est représentatif du ou des
aspects théoriques qu’il doit aborder, de manière à la fois exclusive et exhaustive. • La validité de critère (ou validité convergente) vise à vérifier que la mesure de
l’instrument est en accord avec un critère connu comme mesure de référence (Gold Standard). Ce critère peut être un autre instrument, un questionnaire, une évaluation clinique, etc. qui est utilisé pour mesurer la même variable. • La validité de structure vise à caractériser la structure interne de l’outil. • La fidélité, vise à vérifier ce que vaut la mesure. Dans le cas où elle fait référence
à la stabilité temporelle de la mesure, elle est appelée fidélité test-retest et vise à vérifier que l’instrument mesure le même phénomène, avec la même précision, à des temps différents. • La consistance interne vise à évaluer la cohérence interne de l’outil. Autrement dit,
elle identifie la force des corrélations entre les différents items de l’outil.
Le choix de l’instrument est fonction des habitudes du thérapeute. Tous ces outils d’évaluation sont utilisés dans les protocoles de recherche chez les patients déprimés du fait de leurs qualités formelles et statistiques. En fonction de sa sensibilité, le questionnaire donne des résultats nettement différents d’un individu à un autre et varie chez le même individu à des moments différents de l’évolution de ses difficultés psychologiques et de son traitement. Leur fidélité permet de donner des résultats comparables dans des situations comparables. Et leur validité assure la mesure d’une dimension psychologique comme la dépression et non pas d’autre chose.
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! L’inventaire pour la dépression de Beck L’humeur dépressive est estimée par l’inventaire pour la dépression de Beck ou BDI (Beck Depression Inventory, Beck et al., 1961, 1974, 1988). Deux formes existent, à 13 ou 21 items. En pratique, il est demandé au sujet de remplir le questionnaire selon un principe simple : entourer le numéro qui correspond à la réponse choisie ; il peut entourer plusieurs numéros si plusieurs propositions lui conviennent dans une série. Dans l’inventaire pour la dépression de Beck, à chaque item correspondent quatre phrases décrivant quatre intensités croissantes d’un symptôme, notées de zéro à trois. Dans le dépouillement, il n’est tenu compte que de la note la plus forte dans une même série. Plus la note est élevée, plus le sujet est déprimé.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Pour la version à 13 items, le score global s’étend entre 0 et 39. Un état dépressif modéré est retenu pour un score supérieur à 10 et un état dépressif majeur pour une note supérieure à 19. Cet instrument, élaboré à partir de cognitions de sujets déprimés, est considéré comme une mesure cognitive. Le tableau suivant présente un extrait de l’inventaire pour la dépression de Beck. Tableau 5.1. Questionnaire de Beck (version abrégée) Instructions : Ce questionnaire comporte plusieurs séries de quatre propositions. Pour chaque série, lisez les quatre propositions, puis choisissez celle qui décrit le mieux votre état actuel. Entourez le numéro qui correspond à la proposition choisie. Si, dans une série, plusieurs propositions vous paraissent convenir, entourez les numéros correspondants.
A 106
Je ne me sens pas triste.
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Je me sens cafardeux ou triste.
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Je me sens tout le temps cafardeux ou triste, et je n’arrive pas à en sortir.
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Je suis si triste et si malheureux que je ne peux plus 3 le supporter.
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Je ne suis pas particulièrement découragé(e) ni pessimiste au sujet de l’avenir.
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J’ai un sentiment de découragement au sujet de l’avenir.
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Pour mon avenir, je n’ai aucun motif d’espérer.
2
Je sens qu’il n’y a aucun espoir pour mon avenir et que la situation ne peut s’améliorer.
3
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5 • Les premiers entretiens
C
Je n’ai aucun sentiment d’échec de ma vie.
0
J’ai l’impression que j’ai échoué dans ma vie plus que la plupart des gens.
1
Quand je regarde ma vie passée, tout ce que j’y découvre n’est qu’échecs.
2
J’ai un sentiment d’échec complet dans toute ma vie 3 personnelle (dans mes relations avec mes parents, mon mari, ma femme, mes enfants).
D
Je ne me sens pas particulièrement insatisfait(e).
0
Je ne sais pas profiter agréablement des circonstances.
1
Je ne tire plus aucune satisfaction de quoi que ce soit. 2
E
Je suis mécontent(e) de tout.
3
Je ne me sens pas coupable.
0
Je me sens mauvais(e) ou indigne une bonne partie 1 du temps Je me sens coupable.
107
2
Je me juge très mauvais, et j’ai l’impression que je ne 3 vaux rien.
En complément, l’état de désespoir, si souvent associé à l’état dépressif, peut être évalué par l’échelle de désespoir (Hopelessness Scale ou HS, Beck et al., 1974, traduction française par Bouvard et al., 1992). Il s’agit d’une mesure du pessimisme et de la potentialité suicidaire. Trois facteurs sont individualisés : les sentiments vis-à-vis du futur, la perte de motivation et les attentes vis-à-vis de l’avenir.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
! Le questionnaire du désespoir Il s’agit d’un questionnaire d’auto-évaluation de 21 items. Le sujet attribue un caractère vrai ou faux à chacun des items en cochant la colonne appropriée. Neuf items reflètent le pessimisme s’ils sont cotés faux et onze items le reflètent s’ils sont cotés vrais. Plus la note est haute, plus le pessimisme en termes de « vue négative du futur » est grand et plus le risque suicidaire est élevé. Le score total s’échelonne entre 0 et 20, un score de 13 a été retrouvé chez des sujets ayant commis une tentative de suicide. Ainsi le seuil de 12 est retenu communément pour représenter un seuil d’alerte du risque de passage à l’acte suicidaire. La définition du terme de cognitions n’a été remise en cause par aucun thérapeute du mouvement cognitif. Si d’autres questionnaires ou échelles ont été développés plus récemment pour d’autres symptomatologies, les deux questionnaires précédemment cités restent les outils principaux d’identification des cognitions dépressives, soit l’ATQ et la HS. Tableau 5.2. Échelle « H » Veuillez attribuer à chacune des affirmations ci-dessous la Vrai Faux caractéristique Vrai ou Faux en cochant la case correspondante.
108
1
J’attends le futur avec espoir et enthousiasme.
2
Je ferais mieux d’abandonner, car je ne puis rendre les choses meilleures pour moi.
3
Quand cela va mal, il m’est utile de savoir que cela ne durera pas toujours.
4
Je ne peux imaginer ce que ma vie sera dans dix ans.
5
J’ai assez de temps pour réaliser ce que je désire le plus faire.
D’autres échelles et questionnaires existent pour évaluer les troubles associés. Ils ne seront décrits ici qu’à titre d’exemple. Par exemple, il est habituel de remplir une échelle d’hétéro-évaluation et des auto-questionnaires concernant la souffrance anxieuse générale, si souvent associée à la souffrance dépressive (cf. Leçon 1).
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5 • Les premiers entretiens
! Le questionnaire d’anxiété état-trait Le STAI YA et YB (State Trait Anxiety Inventory), forme Y de Spielberger (1983), traduit en 1993 par Bruchon-Schweitzer et Paulhan, est une échelle d’auto-évaluation, en deux sous-échelles, de l’anxiété état et trait. La moyenne dans la population française est de 50 et l’écart-type de 10 (Bruchon-Schweitzer et Paulhan, 1993). Les indispensables sur les questionnaires • Utiliser des questionnaires validés et éprouvés en pratique TCC et traduits et validés • • • • • • • •
•
en langue française. Une valeur brute d’auto-questionnaires sans hétéro-évaluation et ininterprétables. Certains s’interprètent conjointement, c’est le cas par exemple du BDI et de la DAS. Certains ne sont pas interprétables lorsqu’il y a une souffrance dépressive, c’est le cas du RATHUS. Toujours vérifier si le patient est déprimé ou non, quel que soit le motif de sa consultation, cela changera totalement l’indication de thérapie. Rester vigilant au patient qui veut donner une bonne image de lui (phénomène de désirabilité sociale). Les faux négatifs sont souvent liés à l’anxiété et/ou aux troubles de la personnalité. Il ne faut pas répondre à la place du patient, même s’il est lent. Il est indispensable de savoir abandonner lorsque le remplissage prend trop de temps et qu’il implique trop de souffrance pour le patient (il va trop mal, est trop lent, a des difficultés de compréhension des items) et remettre à plus tard. Il est important de discuter des résultats et d’en faire un compte rendu écrit remis au patient.
109
Les limites des questionnaires • Ils sont souvent coûteux en temps. • L’interprétation requiert une formation. • Il est très important pour le thérapeute de rester vigilant à l’interprétation des
questionnaires. • Ils ne peuvent pas suffire à eux seuls à évaluer la souffrance du patient. • Ils n’ont aucune valeur diagnostique, même s’ils restent très informatifs sur
l’intensité de la souffrance du patient.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
INTERPRÉTER LES RÉSULTATS L’interprétation des résultats des échelles et questionnaires d’évaluation clinique et psychologique nécessite une formation. S’il est important de connaître les questionnaires utilisés, ses items, son système de cotation, ses normes mais aussi l’interprétation brute des résultats, il est tout aussi important de savoir les interpréter au regard d’un ensemble d’éléments cliniques et psychologiques propres à chaque patient. Ainsi par exemple, une valeur brute d’auto-questionnaire pour la dépression sans hétéroévaluation est ininterprétable, car le patient peut vouloir donner une bonne image de lui-même et sous-évaluer l’intensité de sa souffrance dépressive, parce qu’il est dans le déni de ses troubles ou bien ne veut pas inquiéter le thérapeute, pense que sa souffrance n’est rien comparée à celle des autres, etc... A contrario, il peut surestimer l’intensité de sa souffrance dépressive, du fait d’une souffrance anxieuse trop sévère, qui contamine l’ensemble du tableau clinique, ou encore de troubles de la personnalité. Aucun auto-questionnaire ou même hétéro-évaluation n’est diagnostique – il renseigne sur l’intensité de la souffrance telle qu’elle est perçue par le patient ou par le thérapeute mais ne remplace en aucun cas un diagnostic.
110
Il est aussi important de savoir que certains questionnaires s’interprètent conjointement, c’est le cas par exemple du BDI et de la DAS. Alors que le score de BDI renseigne sur l’intensité de la souffrance dépressive actuelle perçue par le patient, le score à la DAS est riche d’informations quant aux processus psychologiques liés à la dépression, en termes de pensées absolues sur soi-même, le monde et le futur. Lorsque le patient présente un score élevé au BDI, le score à la DAS l’est tout autant dans la majorité des cas. En revanche, un patient qui présente un score faible au BDI peut présenter un score élevé à la DAS. On peut alors évoquer une souffrance résiduelle d’un ancien épisode dépressif, en termes de modes de pensées un peu trop absolus qui peuvent constituer une vulnérabilité à une rechute dépressive. D’autres questionnaires ne sont pas interprétables lorsqu’il y a une souffrance dépressive, c’est le cas par exemple du questionnaire de RATHUS. En effet, la dépression altère qualitativement et quantitativement la relation aux autres. Les recherches ont montré qu’environ 80 % des patients déprimés présentaient des éléments d’anxiété relationnelle aux auto-questionnaires. Seuls 20 % de ces patients continueraient à présenter des éléments d’anxiété sociale une fois la dépression prise en charge. Il est donc très important pour le thérapeute de rester vigilant à l’interprétation des questionnaires. Dans tous les cas, ces résultats sont discutés à l’entretien avec le patient, qui pose toutes les questions nécessaires, et un compte rendu écrit lui est remis en main propre.
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5 • Les premiers entretiens
L’ORIENTATION THÉRAPEUTIQUE IMMÉDIATE Ces premiers entretiens, combinés à la passation d’échelles et de questionnaires, permettront de définir une stratégie thérapeutique pertinente et adaptée pour le patient, en fonction de l’intensité de la dépression. Face à la symptomatologie présentée, les stratégies thérapeutiques proposées pourront être différentes. Celles-ci devront toujours tenir compte de la sévérité du trouble et de l’urgence de la prise en charge. Ainsi sera-t-il proposé à certains, dans un premier temps, une hospitalisation. Il est recommandé d’envisager une hospitalisation soit d’emblée, soit au cours de l’évolution, devant les situations suivantes : • patient avec un scénario suicidaire construit imminent ; • patient avec un risque immédiat d’automutilation ; • patient avec un potentiel de violence ; • certaines formes sévères de dépression, en cas de symptômes psychotiques ou somatiques
sévères associés ; • présence d’une forte agitation anxieuse avec manque de contrôle émotionnel ou impulsivité ; • sevrage de substance psychoactive ; • à chaque fois qu’une situation particulière l’exige (HAS 2017).
111
Discussion de l’orientation psychothérapique Monique, 55 ans, adressée pour thérapie comportementale et cognitive dans un contexte de dépression chronique évoluant depuis 18 mois, n’est que très partiellement améliorée par le traitement pharmacologique antidépresseur. Pendant le premier entretien, elle relate longuement ses désaccords avec sa plus jeune sœur et ses nombreuses tensions avec sa mère. Elle n’a jamais pris le temps d’évoquer des problèmes avec qui que ce soit, mais elle ressent, avec sa dépression, le besoin de revenir là-dessus, même si sa mère est décédée et qu’elle ne voit plus sa benjamine depuis des années. L’explication apportée de la démarche TCC ne correspond pas à son attente, car elle souhaite prendre le temps de parler de tout cela. Monique sera orientée vers un autre confrère psychothérapeute.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
RÉSUMÉ DE LA LEÇON • L’évaluation procède en trois temps : recueil d’informations, • • • • •
analyse fonctionnelle, établissement d’un contrat thérapeutique. Le thérapeute peut se donner du temps si certains éléments lui semblent flous, et en parler à des pairs. La non-réalisation des tâches doit être explorée dès les premiers entretiens. L’utilisation de questionnaires et échelles d’évaluation est très informative. Elle nécessite une formation spécifique. L’orientation thérapeutique tient compte de la sévérité du trouble.
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5 • Les premiers entretiens
NOTES
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Leçon 6
114
Comment poser une indication de TCC de la dépression ? Objectifs Identifier les problèmes pour lesquels le patient vient consulter Mener une analyse fonctionnelle Établir des hypothèses avec le patient sur le ou les problèmes et établir des priorités Établir une hiérarchie des niveaux des problèmes
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PLAN DE LA LEÇON L’analyse fonctionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116 Une évaluation fonctionnelle minutieuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116 La démarche pratique de conceptualisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
La conclusion de l’analyse fonctionnelle ou conceptualisation de la souffrance du patient . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128 Première étape : liste des problèmes comportementaux . . . . . . . . . 132 Deuxième étape : formulation d’une hypothèse cognitive . . . . . . . 132 Troisième étape : lien avec le comportement problème . . . . . . . . . . 133 Quatrième étape : origines des schémas cognitifs . . . . . . . . . . . . . . . 134 Dernière étape : construction du programme thérapeutique . . . . . 134
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
« La raison consiste à analyser les choses et à les élaborer. » Epictète
L’ANALYSE FONCTIONNELLE Le pivot central de la démarche d’évaluation est l’analyse fonctionnelle, appelée aujourd’hui conceptualisation du cas clinique. Elle comprend deux temps : d’une part un entretien guidé par des grilles d’analyse fonctionnelle, et d’autre part, la formulation de l’hypothèse fonctionnelle ou conceptualisation, c’est-à-dire la compréhension de la souffrance de l’individu en fonction des mécanismes comportementaux et cognitifs. Il s’agit de l’application à la clinique des modèles théoriques expérimentaux (rappelés en Annexe 1). En pratique, une analyse fonctionnelle est menée pour chaque comportement invalidant. Ceux-ci sont hiérarchisés et un comportement cible est classé par le patient comme premier objectif du contrat thérapeutique. Une analyse fonctionnelle minutieuse, structurée, permet ainsi de poser une indication TCC spécifique et adaptée.
Une évaluation fonctionnelle minutieuse 116
L’analyse fonctionnelle, étape spécifique des thérapies comportementales et cognitives, requiert une formation et un entraînement particuliers (Vera et Mirabel-Sarron, 2011). Elle s’appuie sur des méthodes novatrices destinées à aborder en clinique l’analyse des altérations du comportement. Le travail consiste à analyser de manière diachronique et synchronique le comportement problème du patient. L’histoire de l’individu est explicitée, afin de comprendre comment son comportement s’est structuré. Cette historicité n’est cependant pas suffisante pour définir pourquoi le comportement pathologique se maintient aujourd’hui. L’analyse des éléments actuels est indispensable. Différents modèles ont été proposés afin de servir de canevas à cet entretien. L’analyse fonctionnelle est une conceptualisation interactive qui relie le comportement altéré aux cognitions, aux émotions ressenties, mais aussi à ses antécédents et à ses conséquences. Elle est indispensable pour définir une intervention thérapeutique efficace. De nombreuses études (Segal et Safran, 1990 ; Person, 1993) ont montré que la raison principale des échecs aux thérapies comportementales et cognitives provenait d’une analyse fonctionnelle partielle ou même non pratiquée.
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6 • Comment poser une indication de TCC de la dépression ?
! Le choix du comportement cible qui sera analysé La ligne de base comportementale Elle vise à identifier les situations problématiques et à recueillir les stratégies comportementales et cognitives mises en place. Émile, 61 ans, déprimé depuis six mois malgré un traitement médicamenteux bien prescrit, cite comme comportements problèmes un apragmatisme (ou impossibilité de mener une action), des difficultés de communication avec son fils aîné et une absence totale de relation avec le monde extérieur. L’objectif principal analysé sera l’apragmatisme qui est le plus invalidant pour le patient et dont la modification (dans le sens de l’amélioration) permettra la reprise de démarches pour sa recherche d’emploi, pour ses dossiers sociaux et pour reprendre des contacts divers.
Chacune des dimensions explorées (niveau d’anxiété, etc.) est évaluée par le patient sur une échelle subjective graduée de 0 à 100 : 0 pour « pas de difficulté » et 100 pour « anxiété extrême » (ou toute autre graduation facilitant le repérage par le sujet). Cette observation émotionnelle permet de préciser clairement les problèmes cibles choisis comme objectif de la thérapie. L’observation des symptômes a pour but d’obtenir une description précise et aussi objective que possible des comportements altérés, sources de souffrance. Yasmine, 35 ans, est hospitalisée pour une dépression. La plupart de ses contacts familiaux et amicaux ont été rompus. Elle ne se sentait plus capable de répondre au téléphone, elle n’ouvrait plus son courrier et avait profondément honte d’elle-même. Cependant elle doit appeler à présent sa sœur, ce qui lui paraît impossible. Nous lui proposons alors de réaliser en jeu de rôle cet entretien téléphonique, afin d’évaluer les différents niveaux de difficultés que représente cet appel. Le jeu de rôle pratiqué avec Yasmine révèle une augmentation forte de l’anxiété avant de téléphoner à sa sœur, avec l’apparition d’une cognition : « J’ai peur de déranger », « Elle va probablement comprendre cette nouvelle hospitalisation, mais pas son mari ». Une fois la communication téléphonique débutée, l’angoisse baisse brutalement et elle est soulagée d’avoir renoué contact avec sa sœur.
117
La méthode du « jeu de rôle » s’utilise pour reconstituer les situations sources de souffrances. Cette méthode exploratoire des vécus émotionnels et des cognitions est très employée. Elle se différencie de l’application du jeu de rôle utilisée dans certaines techniques thérapeutiques pour favoriser l’apprentissage, par exemple l’utilisation de certaines stratégies de communication.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Caractéristiques du jeu de rôle 1. Définir au patient ce qu’est le jeu de rôle et à quoi il sert. 2. Bien définir, en étroite collaboration avec le patient, les objectifs poursuivis. 3. Expliquer par oral la procédure au patient. 4. S’entendre sur un scénario court et précis. 5. Répéter si besoin avec différentes variantes. 6. Noter les résultats et en discuter : que ressent le patient ? Que pense-t-il ? 7. Utiliser le renforcement positif pour commenter le jeu de rôle. 8. Il est habituel d’inverser les rôles même à plusieurs reprises.
Fonctions du jeu de rôle 1. Vérifier la compréhension du patient par rapport aux explications du thérapeute. 2. Augmenter la compréhension d’une situation vécue. 3. Favoriser la résolution d’un problème. 4. Favoriser la reconnaissance des pensées à l’origine d’une émotion dysfonctionnelle. 5. Favoriser l’expression des émotions.
118
6. Favoriser l’utilisation de nouvelles techniques apprises (par exemple habiletés sociales). 7. Permettre au patient de se préparer à des situations difficiles.
! L’auto-enregistrement cognitif L’enregistrement comportemental permet d’établir une ligne de base appréciant le comportement avant tout traitement. Il est complété par un auto-enregistrement cognitif mené en parallèle. Le thérapeute demande au patient, au moment du comportement problème, de noter la qualité de l’émotion ressentie ainsi que le discours, la phrase ou l’image qui se présente aussitôt à son esprit. Ainsi Yasmine transcrit la situation pénible de ne pouvoir se lever, puis note une émotion de tristesse et de découragement et surprend l’idée : « Je ne m’en sortirai jamais. »
Pour faciliter cette identification le thérapeute pratique en séance cet exercice avec le patient en lui apprenant à distinguer toutes ces composantes psychologiques, notées selon un diagramme à quatre colonnes. La première colonne est consacrée à résumer la situation,
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6 • Comment poser une indication de TCC de la dépression ?
la deuxième colonne aux émotions, la troisième aux pensées spontanées, enfin la quatrième colonne rapporte le comportement immédiatement adopté. Si nous reprenons les éléments décrits par Yasmine ci-dessus dans un diagramme, nous pouvons ainsi observer la séquence suivante : Situation
Émotion
Cognition
Comportement
Je n’arrive pas à me lever.
Tristesse
Je ne m’en sortirai jamais.
Je reste dans mon lit.
Ce modeling permet de faciliter l’apprentissage à l’auto-observation du patient déprimé, qui doute tout le temps de lui et ne sait plus ce qu’il doit noter après que l’entretien soit terminé. Cette étape permet également d’approfondir sur le fonctionnement psychologique du patient déprimé. Elle correspond à la conclusion de l’analyse fonctionnelle en intégrant toutes les variables cognitives. Elle permet ensuite au thérapeute de construire un programme thérapeutique incluant des variables comportementales, cognitives et motivationnelles. Dans cette perspective, le patient n’est pas considéré comme une addition de symptômes ou de comportements problèmes, ni comme un diagnostic clinique dans une des classifications internationales des maladies mentales, mais est appréhendé dans son fonctionnement psychologique cognitif et comportemental global depuis son enfance. Doris vient en consultation à la suite de difficultés relationnelles avec son petit ami. En effet, ce dernier la questionne sur son passé et ses relations amoureuses antérieures dont elle se refuse à parler, par honte. À ce moment, le thérapeute a plusieurs choix possibles : il peut travailler, comme la patiente le suggère, sur les cognitions sous-jacentes au sentiment de honte ; à l’inverse, le thérapeute peut aider la patiente à parler de son passé sans se sentir honteuse, ou encore privilégier une autre piste. Le choix se fait en fonction de l’hypothèse formulée par le thérapeute après la démarche de conceptualisation. Les règles de pensées (attitudes dysfonctionnelles) relevées par le clinicien au cours de l’entretien et reliés par Doris à son problème sont : « Si quelqu’un en sait plus à mon sujet, alors il s’apercevra combien je suis horrible et il me rejettera. » Si cette hypothèse est retenue, une thérapie est proposée, centré sur la honte et vers un travail de reformulation du schéma cognitif. Le thérapeute peut s’attendre à une évolution de la formulation du schéma cognitif vers une ouverture du style : « Je peux avoir besoin des autres qui me sont très proches ; si je ne suis pas proche, alors ils risquent de me rejeter. » Plus tard au cours de l’entretien, Doris explique qu’elle ne se sent pas à l’aise pour partager ces informations avec son petit ami. L’hypothèse soulevée pour expliquer l’apparition de ce schéma cognitif est son éducation dans une famille stricte où la transgression des règles familiales entraînait le rejet du groupe et la
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
honte. Dans le passé, un premier événement a encore renforcé le schéma. Lorsque Doris s’est séparée de son premier petit ami, celui-ci ne lui a plus adressé la parole pendant deux années. Et cette attitude a étayé la croyance : « Si vous ne faites pas ce que nous voulons, alors nous ne voulons plus rien faire avec vous. » Le travail cognitif proposé consiste à aborder ces difficultés de discrimination de ses souhaits et de ceux des autres, des conséquences redoutées de rejet, puis à lui proposer des exercices sur son vécu de honte.
L’hypothèse générale du thérapeute lui sert à définir la direction de la thérapie et de ses interventions. Pour autant, le patient a également un rôle important dans le choix thérapeutique : il lui est proposé une certaine manière de travailler sur le problème motivant sa demande d’aide. Il doit comprendre et partager au moins en partie les hypothèses fonctionnelles apportées non seulement par le thérapeute, mais aussi par lui-même. En effet tous les exercices, tout le questionnement du thérapeute, toutes les auto-observations réalisées par le patient le guident vers une réflexion personnelle et une mise au jour de son fonctionnement psychologique, le plus souvent passé inaperçu jusqu’alors. Patient et thérapeute se mettent ainsi d’accord sur les grandes lignes de la thérapie. En somme, la conceptualisation du cas clinique vient compléter l’analyse fonctionnelle comportementale en émettant des hypothèses sur les grandes règles du fonctionnement cognitif sous-jacent. En effet, ces mécanismes cognitifs sont considérés comme des facteurs psychologiques qui maintiennent les comportements dépressifs. 120
Au cours des entretiens d’analyse fonctionnelle, le thérapeute note sur son dossier les différentes pensées pessimistes exprimées par le patient déprimé et ses différentes hypothèses de fonctionnement schématique. Dans l’exemple rapporté de Doris, il a été discuté de l’identification d’un schéma cognitif secondaire de forme règle conditionnelle « Si..., alors... ». Le reste de l’entretien et les suivants permettent l’identification de plusieurs schémas agissant en interaction. Chez un même patient coexistent, pour un problème de comportement donné, plusieurs schémas secondaires qui forment une constellation de schémas sous-jacents. En effet, dans l’esprit du sujet résident plusieurs règles de pensée qui organisent sa représentation de lui-même, des autres et du monde. Ils sont la résultante des événements de vie, de la personnalité... La reconnaissance de ces différentes règles est une des difficultés de cette démarche d’analyse fonctionnelle. Il n’est en effet pas possible d’identifier, en deux ou trois entretiens, l’ensemble du fonctionnement schématique, mais seulement les schémas cognitifs les plus actifs qui infiltrent en permanence le mode de pensée et les attitudes du patient.
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6 • Comment poser une indication de TCC de la dépression ?
La démarche pratique de conceptualisation ! Les modèles classiques d’analyse fonctionnelle Le modèle SORC Les initiales de ce modèle signifient : – – – –
S pour stimulus ; O pour organisme ; R pour réponses ; C pour conséquences.
Il s’agit sûrement du modèle le plus simple, mais il traduit en même temps des principes fondamentaux de l’approche comportementale de « renforcements » décrits par Skinner. Les expériences de Skinner mettent en évidence la notion de renforcement, c’est-à-dire le fait que le comportement de tout être vivant est modifié par les conséquences de ses actes. Ainsi lorsque varie le débit de renforcements disponibles, le comportement varie. Lorsque dans l’environnement les renforcements positifs sont moins nombreux, il y a de fortes probabilités pour que les réponses du sujet diminuent. Le renforcement positif, comme tout renforcement, peut être de nature variée (action, objet matériel, contact social...). Il permet l’augmentation de la probabilité du comportement. Sabine est déprimée, elle a de grandes difficultés à se préparer : se laver, s’habiller. Avec son thérapeute, elle construit un programme de planification d’activités de telle manière que chacune d’entre elles lui permette d’accéder à un renforcement positif, c’est-à-dire une activité qui lui plaisait avant sa dépression. Ainsi, en se préparant et en s’habillant, Sabine accède à la possibilité d’aller voir une amie dans l’immeuble voisin. Le renforcement que constitue la visite prévue augmente chez Sabine la probabilité de s’apprêter.
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Le renforcement négatif augmente la probabilité d’apparition du comportement. Il ne s’agit pas d’une punition qui ne fait, elle, qu’inhiber un comportement. Jean présente un état dépressif majeur qui l’a conduit à une hospitalisation, il a perdu beaucoup de poids ces deux dernières semaines et ne mange quasiment rien. Un système de renforcement est mis en place avec son thérapeute. Si Jean finit son repas qui est léger, il a un café, un vrai moment de plaisir pour lui avant sa dépression. En revanche, il ne peut avoir son café s’il ne termine pas son plat et son yaourt. Le café sert de renforcement pour augmenter chez Jean la prise d’un repas minimal régulier.
Pour un processus aversif, c’est la probabilité d’apparition d’un évitement ou d’un échappement qui est augmentée. La notion d’évitement est très importante à comprendre pour les réactions inadaptées et pour les stratégies comportementales qui peuvent en
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
découler. Le sujet phobique évite le plus souvent l’objet phobogène ; l’évitement lui est devenu habituel. Le sujet déprimé, pour sa part, fuit le plus souvent les autres par manque de confiance en lui, dévalorisation ou perte de tout élan vital... L’évitement des autres l’empêche d’être confronté aux autres personnes, dont il admet cependant le caractère inoffensif. Cela se traduit par une souffrance de phobie sociale chez plus des trois quarts des sujets déprimés en phase d’état de dépression. Après rémission de la dépression dans sa phase aiguë, moins d’un sujet déprimé sur cinq conserve une souffrance psychologique de type phobie sociale. Les informations recueillies par l’entretien permettent au thérapeute de tracer un diagramme avec des flèches d’interactions entre ces trois éléments que sont les stimuli, l’organisme et les conséquences. Cependant, au niveau des situations, on distingue la nature de la situation, les interprétations émises et les émotions associées qui, en termes de conséquences, vont entraîner des attitudes et des comportements.
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Jeanne, 42 ans, vient consulter parce qu’une peur de la solitude entraîne chez elle une sensation de mal-être ainsi que des idées suicidaires. À l’entretien, elle est triste, authentiquement déprimée, et décrit cette « phobie de la solitude » apparue en même temps que sa dépression. Découvrons l’analyse fonctionnelle menée selon le modèle SORC. Stimulus : quelles sont les situations de solitude, dans quels lieux, etc. ? Organisme : Quels sont les symptômes physiques ressentis, par quel mécanisme expliquer le comportement problème ? (conditionnement classique : un premier épisode de solitude a pu engendrer des manifestations physiques d’anxiété aiguë motivée par la crainte que le partenaire ait eu un accident, ce couple solitude-anxiété aiguë se répétant ensuite indissociablement). S’agit-il d’un conditionnement opérant dans un contexte de conflit conjugal où le mari refuse que sa femme sorte quand il est au travail, créant un ensemble de cognitions et d’émotions négatives entre les deux époux ? Réponses de la patiente : quelles sont sa conduite et ses cognitions avant d’être seule, comment prépare-t-elle ces moments ? Conséquences : la patiente est-elle assez renforcée lorsqu’il n’y a pas de manifestations d’angoisse un après-midi où elle se sent seule ? Quelles sont les conséquences sur le milieu extérieur ? Quelles sont les conséquences sur elle-même : alcoolisation, prise de médicaments, émotions négatives ? C’est le récit circonstancié de la patiente et celui de son mari qui nous permettront de compléter ce diagramme. Chacun des conjoints sera vu séparément, en commençant par la jeune femme qui a demandé cette consultation.
Dans une symptomatologie tellement liée au fonctionnement du couple, l’analyse des conséquences qu’aurait pour le patient et son entourage la modification du comportement problème est toujours à prendre en compte. En effet, le comportement constitue une réponse à l’intérieur d’un système qui risque d’être modifié par l’action thérapeutique. Il est fondamental d’estimer cette dimension en rencontrant les conjoints et en évaluant leur
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6 • Comment poser une indication de TCC de la dépression ?
plasticité aux changements. L’évaluation de cette dimension aura pour conséquence de poser ou non une indication de thérapie comportementale et cognitive. Modèle BASIC IDEA Le deuxième modèle, appelé BASIC IDEA, a été conçu en 1976 par Lazarus et complété par Cottraux (1985). Les initiales signifient : – B pour behavior, donc le comportement à explorer ; – A pour affect ou émotion, telles que la tristesse, le désespoir voire l’anxiété ; – S pour sensation, ou sensations physiques comme la fatigue, les céphalées, les lombalgies, les douleurs buccales... ; – I pour imagery, ou capacité à avoir une imagerie mentale ; – C pour cognitions ou pensées automatiques associées aux émotions de tristesse, de culpabilité exprimées dans le discours intérieur du patient : « Je suis un incapable », « Je ne vais pas m’en sortir » ; – I pour interpersonal ou capacité à nouer des relations interpersonnelles définissant un style affirmé, en retrait ou agressif ; – D pour drugs ou prise de drogues : le thérapeute évalue l’effet de la prise de psychotropes antidépresseurs ou anxiolytiques sur la dépression du patient et évalue également des conduites addictives à l’alcool ou toute autre substance psychoactive. Cottraux ajoute :
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– E pour expectations qui représente les attentes du patient ; – A pour attitude ou évaluation de l’attente de résultat thérapeutique par le thérapeute ou qu’espère-t-il comme résultat avec ce patient, compte tenu de tous les indicateurs précédents ? En pratique, le premier item comportement est complété de manière diachronique : facteurs historiques, facteurs déclenchants, événements précipitants. Selon cette démarche, Jeanne, la patiente ci-dessus, répond. B. Peur de rester seule avec mise en œuvre de tous les moyens pour éviter cette situation (invitation de sa sœur, ou d’amies, garde des petits voisins...). Ce comportement se renouvelle tous les jours et il est moins fréquent le week-end quand son mari ne travaille pas. A. Les émotions sont de type anxiété et tristesse secondaire. S. Les sensations sont physiques à type de tachycardie, de sensations d’oppression thoracique et de sensations vertigineuses qui l’obligent à cesser toute activité et à s’asseoir. I. Elle a peu de relations interpersonnelles, alors qu’elle les souhaiterait. Sa maison est isolée, elle ne conduit pas de voiture. C. Les cognitions qui tournent et retournent dans sa tête quand elle est seule : « Je ne vais pas tenir », « Je vais devenir folle », « Je vais me faire du mal ».
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
I. Elle a une bonne capacité d’imagerie mentale, on lui demande de chercher une image mentale agréable, sécurisante, qu’elle trouve aussitôt : elle s’imagine étendue, ses forces décroissent, comme si elle allait mourir sereine. D. Un traitement anxiolytique et antidépresseur est prescrit depuis plusieurs années et apporte un certain mieux-être. Il existe une automédication importante de prise de tranquillisants, surtout quand elle est seule et absorbe des doses massives pouvant potentiellement la mettre en danger. E. Elle attend beaucoup de cette démarche thérapeutique, dont elle a connu l’existence par des articles de presse. A. L’attente thérapeutique du thérapeute sera fonction de l’entretien avec le conjoint pour mieux comprendre la dynamique du couple, ainsi que d’une évaluation psychométrique de la personnalité de la patiente faite par un psychologue, même si l’entretien clinique permet de repérer des éléments en faveur de tel ou tel fonctionnement de personnalité.
Modèle SECCA Un troisième modèle est représenté par la grille SECCA proposée par Cottraux en 1985 : – – – – – 124
S pour situation ; E pour émotion ; C pour croyances personnelles ; C pour conséquences sur l’environnement ; A pour anticipations : ce que le patient redoute ou prévoit par rapport à la situation. Jeanne déclare, selon ce modèle : « Je vais devenir folle », « Je ne vais plus me contrôler », « Je suis capable de faire n’importe quoi ». S (ou situation), qui est de rester seule chez elle quand son mari est parti au travail. E (ou émotions), de type tristesse, désespoir et abandon. C (ou croyances personnelles) : « C’est épouvantable de ressentir ce mal-être, je ne peux rien contre. » Comportement observable : prostration, « Je me replie sur moi-même. » Cognitions : monologue intérieur : « Cette douleur est intenable, je ne vois plus de solution. » C ou (conséquences sur l’environnement) : son mari l’appelle régulièrement de son travail. Une voisine lui rend visite... A ou : « Je ne vais jamais m’en sortir, mon mari va en avoir assez et me quitter. »
Le patient prend davantage conscience des différents éléments psychologiques qui interagissent entre ses comportements, ses émotions, ses pensées et son environnement. Grille de Fontaine et Ylieff Une démarche originale est également proposée par Fontaine et Ylieff (1981), et ajoute les antécédents historiques sur la liste des paramètres analysés :
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6 • Comment poser une indication de TCC de la dépression ?
1. Antécédents historiques (innés ou acquis) biologiques, socioculturels ou traumatiques Jeanne a toujours été anxieuse sans manifestation phobique jusque-là. Elle est peu autonome, a interrompu sa scolarité assez tôt, a travaillé, puis s’est mariée. Depuis son mariage, elle n’a pas repris d’activité professionnelle. Sa vie est centrée sur son couple, elle fait toutes ses activités de loisir avec son mari.
2. Antécédents immédiats : environnement physique et social Il existe des tensions familiales récentes avec ses frères et sœurs.
3. Stimuli discriminatifs internes et externes La moindre perspective que le contact entre deux personnes qui l’accompagnent puisse mal se passer augmente son anxiété. L’augmentation de sa fréquence cardiaque après avoir monté quelques marches met Jeanne en état d’alerte. La moindre sensation physique inquiétante, même si elle est en compagnie, se traduit par des demandes de réassurance et une certaine fébrilité.
4. Comportement problème : topographie, fréquence, durée, intensité Jeanne ne peut plus rester seule chez elle, aussitôt apparaît une symptomatologie anxieuse invalidante, de jour comme de nuit.
5. Conséquences sur l’environnement : comportementales, cognitives, renforcement positif La patiente ne peut plus mener aucune de ses activités, elle guette le moindre symptôme d’angoisse, même quand elle n’est pas seule et que son mari est avec elle. Son mari est désemparé et las, il ne sait plus comment aider sa femme. Il est préoccupé et ne se concentre plus correctement dans son travail.
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6. Conséquences sur le sujet : comportementales, cognitives, somatiques, renforcement positif ou négatif La patiente est désespérée, elle ne voit plus comment elle va s’en sortir. Son accompagnement permanent renforce son évitement d’être seule. Depuis des mois elle n’est jamais restée seule quelque part, même quelques minutes. Le traitement pharmacologique qui, cependant, ne réduit pas tous ses symptômes est un renforçateur.
Grille de Kanfer et Saslow Le cinquième modèle, souvent méconnu à tort et pourtant un des premiers sur le plan historique, permet d’organiser l’entretien de manière très systématisée et de n’oublier aucun élément diachronique ni synchronique.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Le thérapeute adopte une attitude opératoire focalisée exclusivement sur le comportement. Pour réaliser cette analyse, Kanfer et Saslow (1969) proposent une démarche destinée non seulement à rechercher les facteurs actuels contrôlant un comportement donné, mais aussi à dégager un profil du répertoire comportemental du sujet. Cette analyse permet de spécifier quels comportements doivent être modifiés, de savoir dans quelles conditions ils ont été acquis, enfin de cerner les facteurs qui, actuellement, maintiennent ces comportements. Le programme d’analyse de Kanfer et Saslow comporte sept étapes : 1. Examen du problème spécifique : il consiste à préciser la fréquence, l’intensité, la durée et les différentes formes que peut prendre le comportement. Tout ce qui entoure le comportement sera minutieusement analysé. 2. Clarification de la situation problème : les différents facteurs qui contribuent à maintenir le comportement sont examinés et le thérapeute évalue les conséquences que peut avoir le comportement sur le patient lui-même et sur tout son environnement (famille, milieu professionnel, loisirs, réseau relationnel, etc.). 3. Analyse motivationnelle : au cours de cette analyse, le thérapeute recherche, en fonction de l’histoire du sujet, ce qui peut constituer un renforcement positif ou négatif pour le patient. La liste des renforcements obtenus pourra ultérieurement être utilisée dans un programme thérapeutique opérant.
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4. Analyse développementale : le thérapeute recueille l’anamnèse du patient, ses antécédents cliniques comme l’histoire de ses symptômes, et repère les différentes conduites qu’il a adoptées jusque-là. 5. Analyse de l’autocontrôle : le thérapeute s’enquiert des stratégies développées par le patient pour acquérir un autocontrôle dans des situations quotidiennes. Il estime ensuite quelles ont été les conséquences positives et négatives de l’adoption de telles stratégies. 6. Analyse des relations sociales : le thérapeute évalue la qualité du réseau social du patient ainsi que le mode relationnel qu’il entretient avec ses différents proches. Il essaie ainsi de connaître l’influence du contexte social et relationnel sur le comportement du patient. 7. Analyse de l’environnement socioculturel et physique : l’analyse de ces différents déterminants permet de relier le comportement problème à ses racines culturelles. Cette démarche en sept étapes permet un examen complet du comportement dans ses spécificités, son histoire et ses interactions avec autrui.
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6 • Comment poser une indication de TCC de la dépression ?
! Les grilles personnalisées En pratique, la grande majorité des thérapeutes ne suit pas à la lettre ces grands modèles formels d’analyse. Tous ont, avec l’expérience, élaboré un modèle correspondant davantage à leur démarche logique et à leur sensibilité. Ils s’intéressent à ce que le patient peut faire ou ne pas faire, quels comportements l’ont amené à consulter et dans quelles circonstances ce comportement s’accentue, diminue, voire disparaît. Chaque modèle ou grille personnalisée recueille un certain nombre d’informations qui, au final, sont similaires. Quelle que soit la démarche utilisée, l’objectif de l’analyse fonctionnelle est toujours de formuler des hypothèses fonctionnelles sur l’apparition, le maintien et les déterminants des comportements altérés. Si l’analyse fonctionnelle ne suit pas un grand modèle formel, le style du thérapeute au cours de ce deuxième entretien est plutôt de nature directive ; en menant l’exploration de manière systématisée, tout d’abord synchronique puis diachronique. La recherche d’informations est indispensable (où, quand, comment, combien de fois par jour, avec qui, avec quoi, qu’est-ce qui précède le comportement, qu’est-ce qui diminue le comportement, qu’est-ce qui l’augmente, qu’est-ce qui le fait disparaître, quelle est la relation entre le comportement et l’environnement...). Ce recueil clinique diffère bien d’un entretien clinique traditionnel, puisqu’il est sous-tendu par une démarche scientifique qui vise à émettre une hypothèse fonctionnelle sur l’apparition et le maintien des troubles.
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L’exemple de Jeanne illustre ce recueil directif. Il est composé de questions du type : « Combien de temps pouvez-vous rester seule chez vous ? » « À quels moments de la journée ? » « À quels endroits de votre maison ? » « Y a-t-il des jours où c’est plus facile ? » « Y a-t-il des moyens qui rendent cette solitude moins pénible ou plus pénible ? » « Le contact avec d’autres personnes rend-il la situation plus facile ou plus difficile ? » « Avec quel type de personnes ? » « Prenez-vous des tranquillisants ou tout autre médicament pour faire face à cette solitude, ou d’autres produits (tabac, alcool...) ? » « Si vous restez seule, comment vous sentez-vous ? » « À partir de quel moment commencez-vous à vous sentir mal ? » « Comment se passe cette solitude dans d’autres endroits que votre maison (salle d’attente, chez une amie...) ? » « Quand vous n’avez pas pu rester seule quelque part, comment vous sentez-vous ? » « Si vous pouviez rester seule dans un endroit comme votre maison, que pourriez-vous faire que vous ne faites pas aujourd’hui ? »
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Conséquences sur l’environnement : « Comment votre mari, votre entourage amical, familial considèrent-ils votre problème ? » « Comment réagissent-ils ? » « Comment votre problème retentit-il sur votre vie de couple ? » « Comment retentit-il sur les projets familiaux ? » « Ce comportement a-t-il des conséquences sur le budget familial ? » « A-t-il des conséquences sur l’emploi du temps de certaines personnes ? » « Si vous pouviez rester seule chez vous, qu’est-ce que cela changerait pour la vie de votre entourage ? »
En fonction de la nature du comportement problème, le thérapeute recherche les informations qui lui paraissent pertinentes et reformule ensuite au patient, en termes comportementaux et cognitifs, les situations qui lui ont été décrites. La dernière partie de l’entretien de l’analyse fonctionnelle consiste à formuler au patient le diagnostic fonctionnel développé. À partir de cette hypothèse fonctionnelle, le thérapeute propose un programme thérapeutique. Ensuite, il précise au sujet l’amélioration attendue du fait de la thérapie.
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Par exemple, devant une indication de thérapie cognitive pour un état dépressif peu amélioré par la chimiothérapie, le clinicien est amené à préciser que 70 % environ des patients souffrant de ce type de troubles dépressifs bénéficient de la thérapie. Ce résultat sous-entend par conséquent qu’un tiers d’entre eux n’en retire pas les bienfaits escomptés. Une évaluation prospective de l’apport de la thérapie est ainsi explicitée. Cet agrément entre thérapeute et patient est indispensable avant de construire un contrat thérapeutique.
LA CONCLUSION DE L’ANALYSE FONCTIONNELLE OU CONCEPTUALISATION DE LA SOUFFRANCE DU PATIENT Alain, 35 ans est enseignant. Il vient consulter en urgence pour une première récidive dépressive. Sa première dépression remonte à plus de cinq ans, à la fin de ses études universitaires. À cette époque, il avait traîné avant de consulter, accusant la fatigue, le stress des examens... Cette fois-ci ses symptômes sont très évocateurs et il demande une consultation en urgence à un spécialiste, se refusant à revivre le même cauchemar.
Conceptualisation du cas d’Alain : « Je suis inférieur aux autres » (fils unique, très protégé par sa mère, il se décrit comme un enfant très anxieux). Règles conditionnelles : « Je dois avoir la protection de quelqu’un de fort sur lequel je puisse compter », « Je dois tout faire parfaitement pour obtenir l’approbation des autres. » Comportements : il n’a que trois amis, connus il y a une quinzaine d’années ; il va faire régulièrement avec eux du sport en étant le plus parfait possible. Il est très apprécié
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6 • Comment poser une indication de TCC de la dépression ?
professionnellement, des missions lui étant confiées par le directeur. Ses amis d’aujourd’hui sont les amis de sa femme. Il évite davantage les autres, même ceux qu’il ne redoutait pas comme ses élèves, a le souci permanent de bien faire et refuse tout arrêt maladie malgré son état. Pensées automatiques : « Je suis généralement apprécié des gens », « J’ai toujours peur de ne pas savoir devant un examen, quand on me pose une question... », « Ma femme a du mal à prendre bien les choses, elle perd patience, elle va me quitter », « Je ne peux pas m’occuper de mes enfants, je me sens mal », « Mes amis m’aident, sans me le dire ouvertement. » Affects : dépression et anxiété. Dépression d’apparition récente avec réveil au milieu de la nuit, aboulie, sentiment d’incapacité, voire d’indignité. Déroulement thérapeutique : – J-0 : octobre. Premières consultations d’évaluation. Prescription d’un traitement antidépresseur. – J-21 : contrat thérapeutique comprenant des entretiens de thérapie cognitive selon le modèle de Beck. – J-60 : le patient est totalement asymptomatique. Poursuite de la thérapie cognitive et maintien du traitement antidépresseur. Pour résumer nous proposons une démarche pas à pas. Un cheminement en cinq étapes est proposé pour réaliser la conceptualisation comportementale et cognitive.
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Voici un autre exemple de conceptualisation. Cas clinique de dépression récurrente Jacqueline, 39 ans, mariée, consulte pour une 3e récidive dépressive. Cette patiente a bénéficié d’une approche mixte médicamenteuse et TCC. On parle de récidive ou récurrence quand la symptomatologie dépressive réapparaît six mois après la rémission de l’épisode précédent. Le risque de récidive de la maladie dépressive est très élevé. L’évolution naturelle d’une dépression récidivante se fait vers la répétition des épisodes dépressifs majeurs avec raccourcissement des intervalles libres et un retour de plus en plus difficile vers l’état antérieur. Pour plusieurs auteurs, environ 60 % des patients à risque stabilisés à l’issue de la phase initiale de traitement du premier épisode, récidivent dans l’année qui suit si le traitement antidépresseur n’est pas maintenu contre 10 % à 30 % si le traitement est maintenu. C’est devant une histoire clinique de dépression récidivante que se pose la question d’une indication d’une TCC pour améliorer l’humeur, et prévenir d’autres récidives. Le premier épisode dépressif de Jacqueline remonte à 1985 ; elle a 20 ans. L’état dépressif est majeur et nécessite la prescription d’un antidépresseur tricyclique, la rémission clinique est rapide. La dépression apparaît dans un contexte de séparation des parents. Âgée de 20 ans, elle
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
est l’aînée d’une fratrie de trois enfants. Elle vivra avec ses frères et sœurs chez sa mère. Il n’existe pas de notion de prise de boisson alcoolisée chez aucun des parents ni d’antécédent psychiatrique familial. La première récidive date de 1995 : état dépressif majeur, prescription du même antidépresseur qu’au cours du premier épisode. La rémission survient progressivement. La deuxième récidive apparaît au cours de l’été 1999 sans raison apparente. L’état dépressif majeur est d’intensité modérée moins intense que quatre ans auparavant. Les antidépresseurs prescrits sont changés du fait des nombreux effets secondaires ressentis (somnolence, troubles digestifs...). Ils ne peuvent donc pas être prescrits à dose efficace. Une rémission partielle de l’état dépressif est obtenue avec présence de symptômes résiduels anxieux. Une troisième récidive survient fin 2002 avec réapparition d’un état dépressif majeur d’intensité sévère faisant discuter une hospitalisation en milieu psychiatrique. Elle vit dans la région parisienne depuis un an après une mutation professionnelle souhaitée. Nous proposons une TCC et un traitement antidépresseur que la patiente accepte devant la répétition de ses dépressions. Analyse synchronique
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L’analyse synchronique montre par exemple comme situation douloureuse qu’elle exprime en entretien : « Je suis à mon travail, d’habitude mes collègues viennent me chercher pour aller au restaurant d’entreprise, je les attends, je ne comprends pas, elles sont en retard. Je finis par les appeler et j’apprends qu’elles y sont allées sans moi (situation problème). Je me dis alors (cognition) : “je suis inintéressante. Je suis un fardeau pour elles. Je n’ai rien à dire. Je ne mérite pas leur amitié.” » Jacqueline sombre alors dans une profonde tristesse (émotion), est prostrée devant son bureau (comportement) et ne va pas déjeuner. Autre situation : Jacqueline est débordée devant la charge de travail et ses difficultés à fixer son attention, à se concentrer, elle se dit : « Je ne peux pas demander de l’aide des collègues de l’autre service, elles vont penser que je suis nulle. Je sais qu’elles ont moins de travail en ce moment, mais elles risquent de refuser » (cognition). Elle se sent de plus en plus coupable (émotion) et a du mal à fixer son attention (comportement). Devant l’évocation de plusieurs situations difficiles pour Jacqueline, il ressort une modification du fonctionnement cognitif (cognitions pessimistes qui entraînent un comportement inhibé, apragmatique). Le discours de Jacqueline sur son histoire dépressive, sur ses relations aux autres au travail ou dans sa vie privée permettent de formuler des hypothèses quant à sa représentation psychologique d’elle-même (schémas cognitifs). Conceptualisation clinique Nous constatons, comme il est classique, que la répétition des états dépressifs majeurs se fait avec raccourcissement des intervalles libres et retour de plus en plus difficile vers l’état antérieur depuis la deuxième récidive. Dès lors la rémission est lente, partielle, avec apparition de symptômes résiduels et probablement une vulnérabilité acquise et progressive aux événements stressants d’abandon et de perte. Ces facteurs de stress précipitant les états dépressifs sont retrouvés pendant les entretiens. Il existe aujourd’hui une perturbation du traitement de l’information due à l’épisode actuel d’état dépressif majeur, qui fait deviner une vulnérabilité psychologique interne et ancienne (schémas
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6 • Comment poser une indication de TCC de la dépression ?
cognitifs – règles de pensées apprises au cours du développement de l’individu qui guident ses comportements et ses interactions sociales). Le contrat thérapeutique comporte une quinzaine de séances de thérapie cognitive, à raison d’une séance tous les quinze jours, suivies d’une période de consolidation de douze à dix-huit mois comprenant un entretien mensuel ou bimensuel consacré au travail sur les schémas cognitifs. La première étape est la présentation du modèle cognitif suivie par l’identification des pensées négatives dépressives. Jacqueline rapporte alors qu’elle est dans son lit, le réveil sonne pour qu’elle se lève afin de partir au travail, elle se dit alors : « Je n’en peux plus, cette journée me paraît impossible » ; elle se sent mal, triste et n’arrive pas à se lever malgré les encouragements de son compagnon. Jacqueline apprend ensuite à analyser ce type de situations pénibles, sources de blocage pour elle, avec des méthodes de décentration. Après une dizaine de séances, la patiente est en mesure d’identifier ses schémas cognitifs. Le thérapeute cognitif est comme un guide qui propose des moyens psychologiques que le patient utilise pour avancer dans sa démarche de gestion émotionnelle. Jacqueline découvre ainsi quatre schémas cognitifs : 1. « Je suis très exigeante avec moi-même pour donner une image parfaite aux autres. » 2. « Je recherche sans cesse l’approbation des autres avant de prendre toute décision personnelle ou non. » 3. « Si les autres ne me témoignent pas leur reconnaissance, je me sens rejetée. » 4. « Si je me sens moins intelligente, moins active, moins entreprenante, alors je me culpabilise de ne pas être à la hauteur. » Chaque schéma est ensuite travaillé individuellement dans le but de les assouplir. La patiente réfléchit ensuite sur l’interaction de ces quatre schémas entre eux et propose un modèle de fonctionnement afin de pouvoir définir des modalités pratiques pour sortir du système. Pendant deux années, la patiente travaille sur l’assouplissement de ces schémas, les entretiens ont lieu dorénavant une fois par mois.
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En conclusion Les facteurs de récidives ont été sa prise en charge thérapeutique discontinue, une tolérance et une observance thérapeutiques difficiles, une posologie de prescription pas toujours adéquate du fait des effets secondaires et l’existence d’une double vulnérabilité cognitive d’une part acquise face aux événements stressants d’abandon et de séparation, cette vulnérabilité cognitive dépressogène étant d’autre part intrinsèque et représentée par les schémas cognitifs. Les quatre schémas cognitifs de Jacqueline montrent combien la reconnaissance des autres, leur approbation, est cruciale, et qu’elle développe ainsi des comportements actifs, perfectionnistes, avec des exigences personnelles extrêmes pour ne pas les décevoir. Sa vulnérabilité dépressogène réside dans cette dépendance au regard de l’autre, à un regard externe approbateur sans lequel elle se sent culpabilisée, rejetée, abandonnée.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Première étape : liste des problèmes comportementaux Le thérapeute dresse avec le patient la liste des problèmes comportementaux dont il souffre, en commençant par cinq à huit comportements problèmes. Suit une description comportementale précise et concrète de chacune des situations douloureuses, ainsi que des cognitions associées transcrites sur papier avec la situation déclenchante, les émotions ressenties et les comportements adoptés. Par ailleurs, l’entretien clinique, les auto-enregistrements et les mesures directes effectuées par le patient apportent au clinicien des éléments psychologiques moins visibles, tels que les règles conditionnelles (ou une partie d’entre elles), voire les schémas cognitifs sous-jacents. Les résultats aux questionnaires et échelles d’évaluation apportent aussi des informations précieuses. Ariane vient consulter pour dépression. Son score à l’inventaire abrégé de dépression de Beck, de quinze points, reflète une dépression modérée. Elle a beaucoup de difficultés à prendre des décisions, sa cognition habituellement associée est : « Ce que je fais n’est jamais assez bien », croyance qui entraîne des émotions comme la tristesse, la culpabilité ou encore de l’irritabilité. Au travail, elle perd du temps, et se sent non performante. En dehors des périodes de forte autocritique, elle travaille correctement et il est important de lui faire repérer également ces moments de moindre autocritique.
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L’auto-enregistrement met en évidence que les forts moments de culpabilité et de dévalorisation sont secondaires à des circonstances où elle se sent critiquée par les autres, la critique étant toujours perçue et interprétée dans le sens d’une inefficacité personnelle. Comme le thérapeute TCC en a l’habitude, il fait noter à la patiente l’intensité et la fréquence de ses comportements problèmes, mais aussi les périodes où le comportement problème est absent ou diminué en intensité.
Deuxième étape : formulation d’une hypothèse cognitive Définition d’une hypothèse (Larousse) • Proposition visant à fournir une explication vraisemblable d’un ensemble de faits, et
qui doit être soumis au contrôle de l’expérience ou vérifiée dans ses conséquences. • Supposition, conjecture portant sur l’explication de faits passés ou présents ou sur
la possibilité de survenue d’événements futurs.
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 133 — #145
6 • Comment poser une indication de TCC de la dépression ?
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• Dans la logique traditionnelle, proposition particulière, comprise comme implicite
à la thèse, ou incluse à celle-ci ; dans la logique moderne, formule figurant en tête d’une déduction et qui, à la différence d’un axiome, n’a qu’un caractère transitoire.
Afin de pouvoir échafauder ses hypothèses cognitives, le thérapeute se pose les questions suivantes : « Qu’est-ce que tous ces problèmes ont en commun ? » « Quelles croyances aurait une personne qui a de tels comportements ? » « Quels sont les thèmes communs dans les pensées automatiques ? » « Quelle est la signification du problème principal ? » « Quels sont les antécédents et les conséquences du problème ? » Dans le cas d’Ariane, une première règle conditionnelle apparaît dès le premier entretien : « Si je ne fais pas tout parfaitement, alors je ne pourrai pas me réaliser dans ma vie. » Ses propos conduisent le thérapeute à lui proposer un ensemble d’hypothèses cognitives : « Je suis inadéquate, les autres me critiquent et abusent de moi, le monde n’est pas satisfaisant pour moi », « Je n’obtiens aucune approbation des autres, il y a quelque chose de mauvais en moi, je suis une méchante fille, on me l’a toujours dit, je ne peux qu’être rejetée... »
Toutes les hypothèses sont discutées avec le patient qui propose également les siennes. Une fois les hypothèses échafaudées, des vérifications et des modifications s’opèrent tout au long de la thérapie.
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Troisième étape : lien avec le comportement problème Le thérapeute explique au patient le lien entre l’hypothèse du schéma cognitif sous-jacent et les comportements problèmes qui l’ont amené à consulter. Pour Ariane, durant le deuxième entretien clinique, plusieurs liens ont été faits entre la règle conditionnelle : « Si je ne fais pas tout parfaitement, alors je ne pourrai pas me réaliser dans ma vie » et ses symptômes dépressifs d’incapacité et de culpabilité. Si le lien est apparu évident à la patiente sur le plan professionnel alors que son emploi lui demande une créativité et une productivité importantes en tant que chef de produit, elle n’a pas pris conscience du poids de cette règle conditionnelle dans ses loisirs. Dans sa vie familiale, son schéma retentit sur sa manière d’élever ses enfants, sur sa disponibilité auprès de son conjoint et sur ses relations avec leurs amis.
Cette règle d’exigence personnelle très élevée augmente encore le sentiment d’incapacité, de dévalorisation des performances, dû à la dépression.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Quatrième étape : origines des schémas cognitifs Le thérapeute explique au patient les facteurs précipitants de ses troubles en rapport avec son schéma et formule des hypothèses sur les origines des schémas cognitifs entrevus. Dans la vie d’Ariane, le thérapeute recherche les événements qui ont activé les processus cognitifs sous-jacents. Il retrouve, dans les semaines qui précèdent la survenue de l’épisode dépressif majeur, un conflit relationnel important au travail. Elle s’est trouvée confrontée à l’impératif de réduire le délai de préparation d’un projet pour des raisons de budgétisation. Seuls deux mois lui ont été accordés alors qu’elle devait disposer de six mois. Elle a essayé d’expliquer, de présenter ses arguments, mais la réponse de sa hiérarchie a été ferme et déterminée : si Ariane s’obstine dans son refus, le dossier sera confié à une autre personne. Ariane a l’impression d’être incomprise et désapprouvée. Elle se sent très mal, incapable de fonctionner et ne sait plus comment prendre son dossier.
L’hypothèse de circonstances de forte dévalorisation, comme activatrice d’un schéma cognitif dépressogène d’approbation, est retenue. Les premiers entretiens cliniques montrent que toute nouvelle activité pratiquée par Ariane suscitait dans sa famille un climat de critiques permanent. Ariane raconte qu’elle essayait de plus en plus de choses dans l’attente d’un encouragement, d’une reconnaissance de ses actions. Mais elle se sentait mal et se décourageait dès lors qu’elle constatait qu’il n’y avait aucune reconnaissance de ses actes.
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Dernière étape : construction du programme thérapeutique Le thérapeute propose et décrit le programme thérapeutique élaboré à partir de ces hypothèses. C’est à ce moment qu’il explique et discute des difficultés ou des problèmes susceptibles de survenir en cours de prise en charge. Il est ainsi proposé à Ariane une thérapie cognitive individuelle. Elle est incitée à construire un programme d’objectifs comportementaux à atteindre, afin de pouvoir réaliser les activités qu’elle souhaite. Elle est aussi encouragée à améliorer son réseau social, sans pour autant que ces activités soient orientées vers le fait d’obtenir l’approbation des autres.
Dès ce moment, le thérapeute peut anticiper la difficulté selon laquelle Ariane va rechercher son approbation de différentes manières au cours de la thérapie. Toute intervention du thérapeute ressentie ou interprétée comme une critique pourra entraîner chez elle un mouvement émotionnel pénible et se traduire par toute une variété d’attitudes. Dans cette dernière étape, notre conceptualisation est proposée au patient et discutée avec lui.
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6 • Comment poser une indication de TCC de la dépression ?
Elle se formule oralement, peut se compléter de schémas, de boucles d’interaction, ou encore faire l’objet d’un compte rendu écrit qui sera délivré au patient. Les réactions du patient sont diverses Jacques, cadre dans une entreprise, souffre d’un deuxième épisode dépressif. Lors du premier entretien, sa manière de parler de lui, de toutes ses obligations au travail, dans sa maison, dans sa famille ainsi que le fait qu’il vit sa dépression comme une faillite totale de sa personne, nous fait entrevoir dès ce moment deux règles de pensées : « Je dois donner toujours une bonne image de moi » et « Si je ne fais pas les choses parfaitement, alors je serai rejeté. »
L’énoncé de la deuxième hypothèse d’un perfectionnisme affectif a été approuvé par le patient, qui souligne que dans son environnement professionnel, cette rigueur est très appréciée et qu’elle a probablement aidé à sa carrière. En revanche, la première hypothèse de devoir toujours donner une bonne image de lui s’est accompagnée en quelques secondes d’un étonnement, d’un refus, puis d’une forte angoisse obligeant Jacques à se lever pour respirer profondément. Jacques explique qu’il éprouve des émotions très diverses et se sent « comme pris dans une contradiction très douloureuse ». Il est important alors d’expliquer au patient que ces hypothèses de travail sont reliées à des schémas émotionnels anciens, dont il n’a pour l’instant pas conscience, et qu’un des objectifs de la thérapie est justement d’identifier ces composantes affectives, vraisemblablement construites dans l’enfance, cela pour lui permettre d’être moins emprisonné par ces règles et de pouvoir prendre du recul par rapport à ces impératifs moraux.
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À ce stade des entretiens préliminaires, il s’agit d’hypothèses qui pourront se reformuler et se préciser tout au long de la thérapie. Jacques suit attentivement l’explication et convient de reparler de nouveau de cette expérience émotionnelle pénible. Une TCC lui est proposée. Elle conduit à l’identification de deux autres schémas complémentaires. La thérapie permet plus tard d’émettre des hypothèses de fonctionnement de ces quatre schémas entre eux. À l’opposé, Janine, 55 ans, rencontrée au décours de sa sixième récidive dépressive. Au début de son adolescence, alors qu’elle vivait entourée d’amies, elle a été mise dans un internat très strict, afin de pouvoir faire de meilleures études supérieures. Son baccalauréat réussi, elle a intégré une école de commerce et s’est mariée peu de temps après avec le fils d’amis de ses parents, qu’elle connaissait depuis peu. De présentation très classique et très sobre, elle se décrit comme ayant plein d’idées, de projets créatifs qu’elle ne réalisera jamais. L’ensemble du premier entretien, l’analyse de ses inhibitions, permet d’émettre deux hypothèses de schémas : « Si les gens me connaissaient vraiment, ils s’apercevraient que je ne suis pas quelqu’un de bien » et « Si je ne fais pas ce que les gens veulent, ils ne voudront pas de moi. » La patiente accepte ces hypothèses qui reflètent pour elle ses inhibitions globales et sa difficulté à aller vers les autres.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Au fil des entretiens, le premier schéma devient : « Je suis une mauvaise fille » et le second schéma : « Je n’ai aucune valeur » qui s’associe à un troisième : « Le monde me fait peur. »
Une troisième possibilité, qui ne doit pas nous paniquer, est la difficulté voire l’impossibilité de formuler une hypothèse satisfaisante au bout de ces trois voire cinq premiers entretiens avec le patient.
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Les symptômes dépressifs de Claude se révèlent brutalement dans les suites immédiates d’un licenciement économique. Très apragmatique, ce patient parle peu et répond pauvrement aux questions sur ses difficultés à agir. La culpabilité liée au chômage, la peur de mettre en danger l’avenir financier de sa famille qui n’a pas d’autres revenus, l’autodépréciation et l’aboulie sont au centre de son discours. En dehors des symptômes de dépression, l’auto-centration permanente dévoile des traits de perfectionnisme quand il parle de son ancienne activité professionnelle. La dévalorisation de soi et la culpabilité, très envahissantes, ne laissent pas entrevoir d’autres hypothèses. Ses enfants et sa femme sont décrits comme ayant beaucoup de courage de supporter cette situation. C’est seulement après une période de thérapie comportementale, c’est-à-dire après avoir constitué une liste d’objectifs à atteindre, établi des renforcements personnels et s’être remis en mouvement que le patient est capable d’exprimer des cognitions sur son environnement et sur ses premières expériences quotidiennes. L’élargissement des expériences concrètes fournit un ensemble de pensées automatiques qui conduisent, vers la huitième séance de thérapie, à des hypothèses sur ses schémas cognitifs. Le patient sort de son repli. Puis il décrit les différentes interactions familiales renforçant son apragmatisme et son désespoir. Trois schémas sont repérés : « Si je ne fais pas tout parfaitement, je ne suis rien », « Je dois être au top », « Les autres me sont hostiles. »
En séance, thérapeute et patient peuvent représenter graphiquement la boucle d’interactions entre les schémas, les cognitions, les comportements et les affects. Ces interactions sont décrites et expliquées au patient. Les bonnes conditions pour entreprendre une démarche pour soi 1. Prendre du temps pour soi. 2. Définir ses objectifs. 3. Être sympathique avec soi-même (réduire l’autopunition). 4. Utiliser les techniques cognitives. 5. Résoudre des problèmes concrètement. 6. Augmenter sa confiance en soi. 7. Planifier ses activités, définir des priorités. (D’après Butler, Hope, 1995)
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6 • Comment poser une indication de TCC de la dépression ?
RÉSUMÉ DE LA LEÇON • Le thérapeute doit mener une analyse fonctionnelle minutieuse, • • • •
quitte à y consacrer plus de trois séances. L’analyse fonctionnelle passe par la prescription de tâches à domicile, définies avec le patient. Le choix du modèle d’analyse fonctionnelle est laissé à l’appréciation du thérapeute. Le programme thérapeutique est défini et discuté avec le patient. Il est rédigé par écrit.
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Leçon 7 Construire le contrat thérapeutique 138
Objectifs Établir des hypothèses avec le patient sur le ou les problèmes et établir des priorités Proposer une méthode et des techniques et les expliquer Rédiger le contrat thérapeutique
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PLAN DE LA LEÇON Le choix des objectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141 L’objectif principal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142 Définir des limites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143
Les techniques possibles pour formuler des objectifs . . . . . . . . . . . . . 144 Technique de l’emploi du temps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144 Technique issue de la triade de Beck . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146 Technique des trois vœux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146 Utilisation du questionnaire Pleasant Events Scale de Lewinsohn et Mc Filamy . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146
La hiérarchisation des objectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147 Le choix des procédures thérapeutiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
« Se réunir est un début, rester ensemble est un progrès, travailler ensemble est la réussite. » Henry Ford
L
’ANALYSE FONCTIONNELLE et la conceptualisation de la souffrance clinique du sujet déprimé conditionnent le programme thérapeutique comportemental et cognitif proposé par le spécialiste. Histoire de l’analyse fonctionnelle (Larousse) L’histoire de l’analyse fonctionnelle, ainsi nommée par P. Lévy au début du XXe siècle, est assez récente. Son objet est d’étendre le champ de l’analyse à des espaces abstraits dont les éléments ne sont plus des nombres, mais des fonctions. La généralisation de notions telles que continuité, dérivation, différentiation, intégration, notions reposant sur le concept de limite, suppose la définition d’une topologie sur un espace fonctionnel, les propriétés étudiées dépendant de la topologie choisie.
Cependant, au-delà du choix judicieux et personnalisé de la procédure technique, certes déterminante pour permettre le changement psychologique, l’élaboration d’un contrat thérapeutique est une étape indispensable, comme dans toute TCC.
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L’élaboration de ce contrat qui comporte des objectifs, le choix des procédures thérapeutiques et le nombre approximatif d’entretiens est particulièrement difficile à construire avec un patient déprimé pour au moins trois raisons : 1. Le patient déprimé n’a plus de fonctions d’anticipation dans le futur, et ne se projette plus ni dans les semaines, ni dans les mois à venir. 2. Ses pensées internes fortement négatives, imprégnées d’auto-dépréciation et de désespoir amènent le patient à ne plus du tout croire en lui-même, tout lui semble impossible. 3. Il a de plus le sentiment de faire perdre du temps au thérapeute, un sentiment d’incurabilité, de honte, l’amène à se mettre en retrait. D’autres freins encore liés aux processus psychologiques de la maladie dépressive s’y rajoutent, c’est pourquoi nous allons présenter l’ensemble des procédures qui vous aideront à construire le contrat thérapeutique avec le patient déprimé. Caractéristiques des contrats thérapeutiques en TCC Il s’agit d’un consensus portant sur les rôles attendus et les objectifs du traitement. Ce contrat est construit en collaboration avec le patient. Il précise les objectifs concrets à atteindre et les moyens techniques pour y parvenir. Ces moyens techniques peuvent
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7 • Construire le contrat thérapeutique
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être soit des stratégies thérapeutiques comportementales ou cognitives bien codifiées, soit des entretiens reposant, par exemple, sur les principes du conditionnement opérant. Dans ce contrat figurent également un certain nombre d’éléments pratiques qui sont clairement explicités : – Quand (heure et rythme des séances, voire nombre total ou durée totale approximative) ; – Comment et où il prend place (dans un cabinet libéral, avec des séances d’une durée de 30 minutes par exemple) ; – Ce qu’il peut améliorer (contact avec les autres, pouvoir entrer chez un commerçant, voire affronter un groupe de personnes avec une moindre gêne) ; – Ce qu’il ne peut pas améliorer avec ce contrat (tendance perfectionniste, méticulosité, goût pour l’ordre) ; – Ce qui doit y être fait (un apprentissage à une méthode de relaxation afin de diminuer l’anxiété physique) ; – Quel traitement sera préconisé (du fait de l’anxiété importante, le maintien du traitement pharmacologique anxiolytique tout au long de l’apprentissage des stratégies thérapeutiques est discuté) ; – Sur combien de temps se déroulera la TCC ? – Les honoraires sont précisés, ainsi que les possibilités ou non de prise en charge. Le contrat pourra débuter si l’accord des deux participants est unanime.
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LE CHOIX DES OBJECTIFS Le contrat thérapeutique est l’aboutissement concret de la démarche d’analyse fonctionnelle et de la conceptualisation. Comme pour tout contrat thérapeutique, le contrat proposé au patient déprimé définit l’objectif principal de la thérapie, décliné ensuite en un ensemble d’objectifs personnalisés concrets. Il précise les moyens techniques thérapeutiques utilisés pour les atteindre (par exemple : prescription d’un traitement médicamenteux antidépresseur et thérapie cognitive en une vingtaine de séances environ). La rédaction définitive du contrat thérapeutique passe donc par une première étape : la définition des objectifs personnels.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
L’objectif principal L’objectif principal, cible de la démarche thérapeutique, découle de l’analyse des comportements altérés mentionnés par le sujet déprimé et ayant fait l’objet de l’analyse fonctionnelle. Ainsi pour Yasmine, Claude et Alain, l’impossibilité de faire, d’entreprendre, de réaliser la moindre tâche quotidienne est devenue l’objectif principal de la thérapie. En revanche pour Doris, Jacques et Janine, l’objectif premier est de rétablir une qualité de relation interpersonnelle.
Définition d’un contrat (Larousse) • Convention, accord de volontés ayant pour but d’engendrer une obligation d’une
ou de plusieurs personnes envers une ou plusieurs autres. • Quatre conditions sont nécessaires pour la validité du contrat : le consentement des parties, la capacité de contracter, un objet certain, une cause licite. Contrat de mariage, contrat de travail, contrat d’adhésion, contrat administratif, contrat d’apprentissage, contrat d’entreprise...
L’objectif principal est ensuite décliné en sous-objectifs concrets, personnalisés et adaptés à la vie de l’individu. 142
La liste d’objectifs permet de définir des buts motivants pour l’individu, d’appliquer les techniques cognitives apprises en séance et d’évaluer l’efficacité des techniques cognitives et comportementales. Elle sert de renforcement positif. Les sous-objectifs sont souvent plus difficiles à déterminer pour plusieurs raisons : – le sujet déprimé n’a envie de rien ; – il est incapable de se projeter dans le futur ; – tout lui semble impossible. Le thérapeute utilise plusieurs stratégies exploratoires afin de sortir le patient de son pessimisme et de lui donner la possibilité d’exprimer certains souhaits. Caractéristiques des objectifs – – – – –
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S comme Spécifique M comme Mesurable A comme Acceptable R comme Réaliste T comme Temporellement défini
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7 • Construire le contrat thérapeutique
Définir des limites La définition d’objectifs concrets dans la thérapie est primordiale. En effet, au cours de la thérapie, l’amélioration des difficultés du patient entraîne de sa part une surenchère et une demande de changements multiples non prévus dans le contrat initial et généralement impossibles à aborder dans cette phase. Le thérapeute replace alors le patient dans le cadre défini actuel, note sa demande et évaluera celle-ci à la fin du contrat thérapeutique en cours. Les thérapies comportementales ou cognitives ont en effet des objectifs précis : il ne s’agit pas d’un abord global de l’individu sur une durée thérapeutique si brève. THÉRAPEUTE — Quelles sont les difficultés que vous ressentez aujourd’hui, qui sont liées à la dépression et que vous souhaiteriez voir s’améliorer ? PATIENT — Tout d’abord c’est d’être en paix avec moi-même. J’ai du mal à me lever. Je n’ai pas envie de manger. J’ai envie de ne rien faire. Je pense que lorsque les autres gens se lèvent, ils ont envie de plein de choses. Je n’ai plus la force de garder le contact avec mes amis. T — À partir de ce que vous venez de dire, quels objectifs concrets pourriez-vous atteindre ? P — Si je pouvais reprendre mes activités, la lecture, le bricolage, l’écriture. T — Nous pouvons définir des objectifs par rapport à vous-même. Qu’est-ce que vous aimiez faire avant la dépression et que vous n’avez plus envie de faire ou que vous vous sentez incapable de réaliser en ce moment ? P — Mes amis sont si gentils. Ils m’ont appelé à l’hôpital. Je ne peux pas leur téléphoner, je suis mal, je ne veux pas qu’ils me voient comme cela. T — Pourrait-on envisager un objectif concernant votre entourage, quand vous vous sentirez un peu mieux, que vous aurez repris un peu d’activités ? P — J’aimerais recontacter mes anciens collègues, mais j’ai honte. J’aimerais bien retourner au club de sport pour les regarder jouer. Je devrais faire des promenades avec mon chien. T — Ces objectifs comportementaux sont très intéressants, ils définissent exactement ce que vous ne pouvez plus faire actuellement et que vous aimeriez recommencer dès que ce sera possible. Nous allons dans un instant les reprendre un à un pour encore mieux les préciser. De plus, par rapport à l’avenir, que pourriez-vous définir comme objectif ? P — Je serai peut-être mort d’ici là. T — Qu’entendez-vous par là ? P — Je n’ai pas d’idée noire, ce n’est pas cela, mais nous sommes tous mortels. T — Il est vrai que tous les hommes sont mortels ; pour autant, ne nous interdisons pas de formuler des projets pour un avenir proche, voire plus lointain, nous ne connaissons pas le jour de notre disparition. P — Je ne vois pas le futur. T — Vous me disiez au dernier entretien que votre projet de retraite était de vivre à la campagne pendant la belle saison et de résider à Paris pendant l’hiver. P — J’aimerais aller à la campagne, revoir mon jardin, faire un tour en forêt. C’est impossible avec cette fatigue.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
T — Je comprends bien que tout cela vous paraisse impossible aujourd’hui, que c’est difficile, mais il est important de définir ensemble des buts à moyen et long terme. Nous reviendrons sur ce sujet dans quelques instants. Si je reprends déjà les objectifs que vous avez déjà cités, ils sont au nombre de quatre : – – – –
téléphoner à d’anciens collègues ; aller promener votre chien ; retourner dans votre jardin ; faire un tour en forêt.
Je vous propose de revenir sur chacune de ces possibilités.
LES TECHNIQUES POSSIBLES POUR FORMULER DES OBJECTIFS Technique de l’emploi du temps
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La première possibilité est de faire relater au patient une journée type de semaine, puis une journée type de week-end avant l’apparition de son épisode dépressif. Le thérapeute arrête quelques instants le patient sur chacune de ses activités pour lui faire préciser leur déroulement et le niveau de plaisir associé. Il est aussi demandé au sujet si une telle activité peut être envisagée de nouveau dans le futur quand sa dépression ira mieux, même si elle paraît tout à fait impossible aujourd’hui. Olivia en est à son quatrième épisode dépressif. Elle relate en séance une semaine type lorsqu’elle n’est pas déprimée. En voici un extrait : « Jeudi : – – – – – – – – – – –
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8 h 00 : Lever. Je prends ma douche et m’habille 8 h 20 : Petit-déjeuner. Je me prépare un jus d’orange maison 9 h 00 : Départ pour le travail en vélib 9 h 30-12 h 30 : Matinée au travail. Réunion avec les collaborateurs, résolution du problème de lancement de la nouvelle ligne. Appels téléphoniques 12 h 30-13 h 30 : Déjeuner avec Marine et Jeanne 13 h 30-18 h 00 : Travail. Réunion avec les collaborateurs 18 h 10 : Rendez-vous chez l’esthéticienne 19 h 00 : Je rentre à la maison en vélib 19 h 30 : Télévision 20 h 15 : Préparation d’un gratin 21 h 00 : Repas
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7 • Construire le contrat thérapeutique
– 21 h 20 : Télévision – 23 h 20 : Coucher. Lecture Vendredi – – – –
8 h 00 : Lever. Je prends ma douche et m’habille 8 h 30 : Petit-déjeuner rapide 9 h 00 : Départ pour le travail en vélib 9 h 30-12 h 30 : Matinée au travail. Cartons pour le futur déménagement. Réunion. Appels téléphoniques 12 h 30-13 h 30 : Déjeuner avec Marine et Jeanne 13 h 30-18 h 00 : Travail 18 h 30 : Rendez-vous avec Léa. Séance de cinéma 20 h 30 : Dîner à l’extérieur avec Léa et d’autres amis 01 h 20 : Coucher
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Samedi – – – – – – – – – – – – –
10 h 30 : Lever. Petit-déjeuner 11 h 10 : Arrosage des plantes 11 h 30 : Douche. Habillage 12 h 10 : Marché aux légumes et fleuriste 13 h 30 : Repas chez les parents 15 h 00 : Retour à la maison en vélib 15 h 30 : Sieste 18 h 00 : Cours de pilates avec Léa 19 h 30 : Café avec Léa 20 h 30 : Retour à la maison 21 h 00 : Repas 21 h 30 : Télévision 00 h 00 : Coucher. Lecture »
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Quelques réactions de patients à la technique de l’emploi du temps « « « « «
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C’était difficile. » Je me suis rendu compte qu’en fait je faisais des choses. » Ça m’a un peu déstabilisé. » J’ai eu du mal, je trouve ça très intime. » C’était facile. »
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Technique issue de la triade de Beck Le thérapeute demande au patient de définir au moins un objectif, même très simple, le concernant lui-même, un en rapport avec les autres, son entourage, ses amis, et un dernier concernant le futur dans un délai qui peut-être de plusieurs mois ; l’ensemble des objectifs s’envisage pour l’année à venir, même si la thérapie se termine avant. Par exemple, Jeanne, déprimée, a une symptomatologie marquée par de l’inhibition comportementale. Elle décrit les objectifs suivants : « Objectif concernant le soi : me maquiller les yeux tous les jours. » « Objectif concernant les autres : appeler Léa tous les trois jours. » « Objectif concernant le futur : refaire la peinture de mon salon. »
Technique des trois vœux Le thérapeute prie le patient de formuler trois vœux qui lui semblent inimaginables et lui demande quelle forme prendraient ces objectifs s’il pouvait les réaliser. Les trois vœux d’Aladdin
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« Mon premier est de devenir un prince. » « Mon second est de me sauver de la noyade. » « Mon troisième est de te libérer génie. »
Si nous reprenons le cas de Jeanne : « Me lever de mon lit : sortir de mon lit au plus tard à 11 h 30 tous les matins. » « Rencontrer quelqu’un : accepter au moins une sortie tous les quinze jours. » « Refaire mon appartement : repeindre ma chambre. »
Utilisation du questionnaire Pleasant Events Scale de Lewinsohn et Mc Filamy Cet auto-questionnaire, traduit en langue française, a été spécialement conçu dès l’origine pour favoriser la définition d’objectifs comportementaux pour les sujets déprimés allant entreprendre une TCC de type Lewinsohn. Il propose plusieurs dizaines d’activités ludiques, pratiquées seul ou avec les autres.
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7 • Construire le contrat thérapeutique
Exemples de difficultés dans la formulation des objectifs : – – – – – – –
l’absence d’anticipation vers le futur liée à la souffrance dépressive ; la formulation d’objectifs provenant de l’entourage et non du patient ; la formulation d’objectifs perçus chez le thérapeute ; des objectifs formulés directement en rapport avec les schémas du patient ; le désespoir qui inhibe ; identifier les objectifs qui sont sous son contrôle et ceux qui ne le sont pas ; identifier les objectifs que le patient voudrait pour les autres personnes, et qu’il pourrait accomplir lui-même ; – aider le patient à exprimer ses insatisfactions envers certains objectifs qu’il s’imposerait ; – être davantage dans le contrôle quand il voit que les objectifs peuvent être dommageables dans l’alliance.
LA HIÉRARCHISATION DES OBJECTIFS À l’aide de ces procédures, le sujet déprimé formule une dizaine d’objectifs, classés dans l’ordre du plus facilement accessible au plus difficilement accessible, pendant la séance avec le thérapeute. Chaque objectif est ensuite repris, afin que le patient puisse en définir la fréquence minimale. Le but n’est pas de revenir à un taux d’activité identique à la période précédant la dépression, mais de pouvoir reprendre progressivement des activités qui lui faisaient habituellement plaisir. La fréquence et la durée définies avec le thérapeute sont considérées par le sujet comme le minimum acceptable.
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LE CHOIX DES PROCÉDURES THÉRAPEUTIQUES Le contrat thérapeutique comprend l’objectif principal, suivi de la liste des objectifs personnels et complété par les techniques thérapeutiques utilisées. Ce contrat de TCC est préparé en deux exemplaires, patient et thérapeute conservant un exemplaire chacun. Ce contrat n’est pas une liste de vœux idéalisés. Il sera revu au minimum toutes les trois séances afin de mesurer l’avancement, les difficultés, et y trouver des solutions. Un exemple de contrat thérapeutique Reprenons l’exemple de Jeanne. L’analyse fonctionnelle a permis de mettre au jour une importante inhibition comportementale comme étant le problème cible actuel.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Aussi son objectif principal vise-t-il à réinstaurer des activités. L’objectif secondaire est de développer de nouvelles activités qu’elle avait toujours souhaité faire depuis des années. Les objectifs thérapeutiques, définis au cours puis en dehors des séances, sont les suivants, classés du moins difficile au plus difficile : 1. Me maquiller les yeux tous les week-ends. 2. Appeler Léa tous les trois jours. 3. Me lever au plus tard à 11 h 30 tous les matins. 4. Aller au marché au moins une fois par semaine. 5. Accepter une sortie au moins une fois tous les quinze jours. 6. Repeindre ma chambre. 7. Me rendre à un cours de danse salsa une fois par semaine. 8. Trouver un emploi...
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Cette liste n’est pas exhaustive Parallèlement à cette liste, Jeanne a également exprimé des objectifs non comportementaux, centrés sur son hyper-perfectionnisme. Les techniques thérapeutiques incluront une étape psychoéducative pour améliorer sa connaissance de la dépression, des techniques comportementales (planification, séquençage en sous-étapes et résolution de problème), afin d’apprendre et de développer des stratégies pour lutter contre l’inhibition, et des techniques cognitives pour lutter contre les postulats perfectionnistes. La durée de la thérapie proposée est de 12 séances de 45 minutes, à l’issue desquelles une réévaluation sera proposée. Le contrat est ensuite daté et signé par le patient, mais aussi par le thérapeute.
RÉSUMÉ DE LA LEÇON • Un contrat thérapeutique précède toujours une TCC. • Il est élaboré pendant trois séances avec le patient déprimé. • Il s’élabore à partir des difficultés personnelles qu’il explicite
et comprend un ensemble d’objectifs que le patient aimerait atteindre. • Les objectifs au départ impossibles à atteindre par le patient serviront de repères à la thérapie, comme des bornes qui jalonnent un chemin. • Ils permettront d’aborder les problèmes un à un dans l’ordre souhaité par le patient, à son rythme, afin de lui apprendre progressivement des outils TCC qui lui permettront de passer d’étape en étape.
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7 • Construire le contrat thérapeutique
NOTES
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Leçon 8 Les techniques comportementales 150
Objectifs Mettre en œuvre un programme de changement La planification des activités Le séquençage en sous-étapes La résolution de problème L’affirmation de soi La relaxation
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PLAN DE LA LEÇON Quand utiliser les techniques comportementales ? . . . . . . . . . . . . . . . . 152 Un programme thérapeutique modulaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155 La planification des activités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157 Le séquençage en sous-étapes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158 La résolution de problème . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159 L’affirmation de soi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161 La relaxation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162 Limites et résolution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
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« Et qui change une fois peut changer tous les jours. » Pierre Corneille
QUAND UTILISER LES TECHNIQUES COMPORTEMENTALES ? Un programme structuré d’activités est proposé par Lewinsohn en 1974. Le principe consiste à augmenter la probabilité de survenue des événements agréables et renforcements positifs, et à diminuer la probabilité de survenue des événements pénibles. La démarche comporte 12 séances très structurées : la période initiale est l’évaluation du contenu hédonique et de la fréquence des événements jouant un rôle dans l’existence du sujet ; puis le patient se centre sur l’apprentissage d’habiletés spécifiques permettant de modifier ses interactions avec l’environnement : relaxation, affirmation de soi, techniques de contrôle de pensée, planification de l’activité. Cette stratégie, basée sur le conditionnement opérant, intègre en fait des méthodes telles que : l’entraînement aux habiletés sociales, la mesure des caractéristiques subjectives du plaisir ressenti et de l’accomplissement perçu de l’action. Cinq études contrôlées évaluent l’efficacité de ce programme, mais la disparité des échantillons et des méthodes de recherche ne permet pas de conclure quant à son efficacité (Blackburn et Cottraux, 2001). En pratique ces programmes sont très utilisés, très bien acceptés par les individus déprimés. 152
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Dans le but de mesurer ces événements plaisants, Lewinsohn construit une échelle, la Pleasant Events Schedule (PES ; Lewinsohn, Mc Filamy, 1975 ; traduction par Cottraux, 1985). Cet auto-questionnaire propose une liste de 120 situations pour lesquelles il est demandé d’évaluer le niveau de plaisir ressenti et le niveau d’accomplissement de l’action.
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8 • Les techniques comportementales
Tableau 8.1. Liste des événements agréables (PES - Pleasant Events Scale) Consignes : Nous vous demandons tout d’abord de remplir la colonne « fréquence » (Colonne F) en répondant à la question suivante : le mois dernier, combien de fois avez-vous réalisé les activités suivantes ? Pour chaque item, mettre une croix dans la colonne de votre choix : 0 = « Cela ne m’est jamais arrivé », 1 = « Cela m’est arrivé un peu » (de 1 à 6 fois), 2 = « Cela m’est arrivé souvent » (7 fois et plus). Ensuite, reprendre la liste des événements et remplir la colonne « Plaisir » (Colonne P) selon le niveau de plaisir : 0 = « C’était désagréable », 1 = « C’était parfois désagréable » (modérément plaisant), 2 = « C’était plaisant » Nous vous demandons de remplir la colonne P pour chaque activité de la liste. Si vous n’avez pas eu l’occasion de pratiquer une activité durant le mois qui vient de s’écouler, cotez-la en fonction de ce que vous imaginez pouvoir ressentir en la réalisant. Faites une moyenne en cas d’items à plusieurs activités.
F 0
1
P 2
0
1
FxP 2
1 Passer du temps à la campagne.
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2 Se mettre en tenue de soirée ou porter des vêtements chics. 3 Faire une contribution à une cause religieuse, humanitaire ou autre. 4 Parler de sports. 5 Rencontrer une nouvelle connaissance.
L’analyse de ce modèle précise la nature des causes de la dépression, qu’elles soient liées au milieu ou à l’individu. Le facteur causal le plus important est sans doute la diminution de renforcements venant du milieu. Cette perte de renforcement peut être occasionnelle, par exemple un déménagement, qui rompt le contact avec les amis et les voisins et conduit la personne à se sentir coupée de ses habitudes. De même, un individu qui change de travail n’a plus d’interactions avec ses anciens collaborateurs, ses chefs, ses subordonnés. Mais il
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peut s’agir de la perte réelle de la source des renforcements, à l’occasion d’une séparation, d’un divorce ou d’un deuil... Par ailleurs, l’inhibition est préjudiciable au déprimé, dans la mesure où il perd l’occasion d’obtenir de son entourage des stimulations agréables de la vie courante. De ce fait, le déprimé engage moins souvent la conversation, il n’encourage pas au bon moment l’attitude favorable d’un proche et il diminue le nombre de ses interlocuteurs à un moment où il est plus dépendant du renforcement social qu’un autre individu. Les différents types de renforcements Nous parlons communément de renforcement lorsque l’accomplissement d’une conduite est suivi de l’apparition ou de la disparition d’un stimulus ou d’un événement. Il y a renforcement lorsque cette situation augmente la probabilité que ce comportement soit répété. • Le renforcement positif : celui-ci consiste à encourager la poursuite d’un com-
portement ou d’une conduite, c’est-à-dire de faire en sorte que la probabilité qu’un comportement réapparaisse augmente en ajoutant un stimulus dans l’environnement. • Le renforcement négatif : il consiste à l’élimination ou au retrait d’un stimulus suite à l’émission d’un comportement désiré.
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Les renforcements, leurs natures • Physiologiques : anxiété, stress • Matériels : argent, cadeau • Symboliques : reconnaissance • Affectifs : amour...
Popeye et les épinards Tout le monde connaît cette série animée où Popeye ingurgite des épinards quand il est en difficulté pour se doter d’une super-force et combattre Brutus qui tente par tous les moyens de séduire sa fiancée Olive. Lors de sa sortie aux États-Unis, la popularité de ce dessin animé a renforcé les ventes des épinards. Il n’était pas rare d’ailleurs d’entendre certaines mamans dire à leurs enfants : « Mange des épinards, tu seras fort comme Popeye. »
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8 • Les techniques comportementales
UN PROGRAMME THÉRAPEUTIQUE MODULAIRE La thérapie proposée par Lewinsohn vise à restaurer les renforcements positifs en augmentant le niveau, la qualité et l’étendue des activités et des rencontres du sujet. Différentes d’un individu à l’autre, les techniques comportementales utilisées dépendent des circonstances responsables du faible taux de renforcements positifs d’une personne. Un programme d’actions est construit avec le patient, il comprend des objectifs à atteindre, utiles ou plaisants, choisis par le sujet déprimé car ils sont peu ou pas du tout effectués avec la dépression. Chaque objectif déterminé permettra, quand il sera atteint, d’accéder soit à un plaisir propre à la personne soit à un contact, une interaction avec les autres très satisfaisante donc renforçante. Les techniques comportementales comprennent un entraînement aux habiletés sociales et une programmation d’activités plaisantes. Le sujet évalue la progression de ses comportements par l’intermédiaire du questionnaire PES. Au total, la thérapie comprend une dizaine de séances. Par la suite, Lewinsohn a fait évoluer son programme thérapeutique (1980) en y intégrant les dernières données de la psychologie cognitive sous forme d’une approche systématisée des pensées pessimistes engendrées par la dépression. Il propose ainsi un programme structuré multimodal, composé de douze séances, incluant les étapes suivantes : le contrôle de l’anxiété, à partir de l’apprentissage à la relaxation, l’entraînement aux habiletés sociales, l’initiation aux techniques cognitives, l’abord des techniques de gestion du temps et l’introduction progressive des activités plaisantes.
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Il amène également le patient à distinguer deux notions psychologiques souvent confondues chez le déprimé : l’accomplissement d’une tâche et le vécu de plaisir ressenti à effectuer cette tâche. Définitions du terme « plaisir » (Larousse) • État de contentement que crée chez quelqu’un la satisfaction d’une tendance, d’un
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besoin, d’un désir : Cette musique lui procure un immense plaisir. Éprouver du plaisir à lire. Ce qui plaît, divertit, procure à quelqu’un ce sentiment agréable de contentement : Le plaisir de la table. S’emploie dans des formules de politesse pour exprimer un quelconque consentement, agrément : Quel plaisir de voyager avec vous ! Jouissance sexuelle, volupté : Donner du plaisir à son partenaire. Oublie roulée en cornet.
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Définitions du verbe « accomplir » (Larousse) • Mener une fonction, une période jusqu’à leur terme, les achever : Accomplir son
mandat. • Réaliser, exécuter un projet, une action : Accomplir la volonté de quelqu’un.
La majorité des sujets déprimés évaluent ces deux composantes très négativement. Lorsqu’on leur demande d’apprécier par une note A l’accomplissement de l’action et par une note P le plaisir ressenti, la majorité d’entre eux accordent en effet une note basse à ces deux dimensions, même si la tâche souhaitée a été réalisée. Jacqueline, 56 ans, décide de préparer pour la première fois depuis le début de sa dépression un plat cuisiné très simple pour le déjeuner du dimanche avec son mari. Sur son carnet de thérapie, elle s’attribue les notes : pour A de 3 sur 10 et pour P de 3 sur 10 également, alors que le plat était réalisé, qu’elle reconnaissait qu’il était plutôt réussi et qu’elle s’était détendue pendant une partie de la préparation. Comme Jacqueline n’a pas ressenti de plaisir, l’acte de préparation du plat a donc été démesurément minimisé. Le thérapeute lui demande, après une discussion reprenant avec elle les différents temps de l’expérience, de réévaluer cette notation. Elle s’attribue alors une nouvelle note de 8 sur 10 pour l’accomplissement et gardera sa note de 3 pour le plaisir associé.
Pour d’autres sujets déprimés, l’accomplissement conditionne le plaisir ressenti. 156
Anne est hospitalisée pour dépression. Elle choisit dans son programme comportemental de téléphoner à son cousin germain habitant dans la région. Elle rapporte une note de 0 pour l’accomplissement et de 0 pour le plaisir associé. En reprenant pendant l’entretien de thérapie l’appel téléphonique, il s’avère que, contre toute attente, Anne s’est bien rendue à la cabine téléphonique, qu’elle a fait plusieurs tentatives d’appel, qu’entre chaque appel, elle a discuté avec d’autres personnes, mais que la ligne est restée occupée durant plus d’une heure. Si pour Anne, l’objectif de joindre son cousin s’est soldé par un échec, en revanche toute la démarche comportementale a été menée convenablement, avec insistance même. L’exemple montre à Anne qu’elle a effectué correctement toutes les actions menant à l’appel téléphonique, mais il arrive, comme dans le cas présent, que le résultat soit cependant négatif. Pour autant, Anne ne doit pas conclure au non-accomplissement. Les notions d’accomplissement et de résultat sont bien distinctes. Après ce long échange, pendant la séance Anne réévalue ses notes pour l’accomplissement comme pour le plaisir, et celles-ci atteignent cette fois respectivement 10 et 7.
Pour beaucoup de personnes déprimées, le plaisir reste toujours faible voire inexistant du fait de la dépression encore active. Le sujet déprimé, de plus, imagine que l’autre éprouve des plaisirs beaucoup plus forts...
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8 • Les techniques comportementales
En faisant l’expérience de l’accomplissement, même si elle ne ressent pas de plaisir associé, la personne reprend confiance petit à petit. De cette façon, elle reproduit les mêmes activités de manière plus détendue et le plaisir se réinstalle progressivement. Des techniques classiques de thérapie comportementale peuvent être utilisées, le cas échéant. Le clinicien y a recours davantage en début de thérapie, et de façon privilégiée chez le sujet déprimé ralenti, apragmatique et anhédonique. La plupart des stratégies comportementales peuvent être employées, mais certaines se révèlent particulièrement utiles. En corollaire, elles ne sont pas utilisées toutes à la fois dans la prise en charge.
LA PLANIFICATION DES ACTIVITÉS En collaboration avec le thérapeute, le patient programme les activités qu’il pourra envisager dans les jours suivants. Ces activités sont abordées dans le sens d’une difficulté croissante. Le choix des activités tient compte de leur fréquence dans la vie du sujet, de leur opportunité de réalisation, de leur niveau de difficulté et de leur apport de satisfaction, voire de plaisir. Cet enregistrement présente plusieurs intérêts. Il montre au sujet que, pour certaines activités, il peut éprouver un certain plaisir ; il lui permet également de confronter sa croyance anticipatoire à la réalité. Bien que le sujet présente généralement une conviction absolue vis-à-vis du contenu de sa « pensée automatique », il n’en connaît pas en fait sa validité. Le fait de confronter sa prédiction à l’expérience lui permet de définir les limites de sa prédiction et de modifier secondairement son comportement.
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Le déprimé qui ne souhaite plus du tout rentrer à son domicile du fait de la croyance : « Je suis incapable de rester seul chez moi » va tester cette affirmation par une série de tâches progressives. Dans un premier temps, il a pour objectif de rester seul une heure chez lui, de prendre son courrier et des papiers qui lui manquent. Au bout de trois semaines, le patient passe un week-end seul chez lui, qui se déroule agréablement et découvre certains voisins dans l’immeuble passés inaperçus auparavant. Les séjours de plus en plus prolongés à son domicile lui permettent de connaître les différentes situations difficiles et de développer des stratégies pour y faire face. Dans cette démarche, il est possible de s’aider de jeux de rôles préparatoires ou de séances de répétition en imagination.
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Difficultés rencontrées lors de la planification des activités • Sauter des étapes de réalisation • Ne pas respecter la hiérarchie • Vouloir avancer trop vite • Trouver que c’est trop compliqué, trop coûteux • Ne pas faire le lien avec la dépression
LE SÉQUENÇAGE EN SOUS-ÉTAPES Cette technique permet au sujet de définir des sous-étapes de réalisation d’un objectif qu’il s’est fixé, en accord avec le clinicien. Pourquoi des sous-étapes ? Parce que la dépression altère et fige la planification, une fonction cérébrale qui se met en place vers l’âge de 11-12 ans. En procédant par sous-étapes, l’individu oblige son cerveau à réutiliser cette fonction de planification. En effet, elle n’est pas perdue, mais par contre, la dépression en altère le fonctionnement automatique. 158
Par exemple, Gilles a ressenti la veille des difficultés dans la réalisation de son objectif « mettre la table une fois par semaine au dîner ». Alors qu’il se trouvait devant le buffet de sa salle à manger, il a ressenti une forte angoisse en se disant qu’il « se sentait incapable ». Le comportement immédiat a alors consisté à rester sur sa chaise, recroquevillé.
Une façon de dépasser ce problème consiste à utiliser le séquençage en sous-étapes intermédiaires. Par exemple, ici, il a été décidé en accord avec Gilles qu’une première sous-étape à son objectif pourrait consister à poser quatre jeux de couverts sur la table. Il s’agit ici de la sous-étape la moins difficile pour lui car « les couverts se trouvent dans le buffet situé juste à côté de la table » et qu’ils ne « risquent pas de se briser ». Une fois à l’aise avec cette étape de résolution sur une certaine période de temps, il pourra alors passer à l’étape suivante, qui consiste à poser quatre assiettes sur la table, etc. Fanny, quant à elle, a choisi de regarder une vidéo de Tai Chi. Le séquençage en sous-étape consistera à regarder de courts extraits de vidéo sur internet (5 minutes), puis un quart d’heure d’un DVD, etc. Enfin, Annie a décidé de se lever à 7 h 00 une fois par semaine. La difficulté est qu’elle se lève actuellement à 12 h 00. Aussi, elle décide de commencer par « se lever au plus tard à 11 h 00 » une fois par semaine, puis une fois que la réalisation sera confortable pour elle, de passer à « au plus tard 10 h 00 », etc.
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8 • Les techniques comportementales
Dans certains cas, le séquençage en sous-étapes ne permet pas de résoudre tous les problèmes. Il sert principalement en cas de blocage et d’inhibition. En revanche, certains problèmes concrets nécessitent une prise de décision assez rapide et ne relèvent pas toujours de la démarche en sous-étapes. On utilise alors la technique de résolution de problème.
LA RÉSOLUTION DE PROBLÈME Selon les auteurs, la technique de résolution de problème est considérée comme une tâche comportementale ou cognitive. La démarche même de la thérapie cognitive est un apprentissage à la résolution de problèmes, fondé sur des stratégies comme la décentration, l’élaboration de réponses alternatives... La résolution de problème comporte classiquement sept étapes : 1. Définir et préciser le problème à résoudre. Faire expliciter le problème de manière concrète, précise, spécifique et connaître le contexte de survenue. 2. Rechercher toutes les solutions possibles, quel que soit leur degré de pertinence. Il est important que le nombre de solutions apportées soit le plus large possible, même si certaines peuvent apparaître non conventionnelles au regard du patient. Ces solutions doivent cependant être réalistes. En lister au moins 8 le plus spontanément possible. 3. S’entraîner, toujours par écrit, et répéter la démarche régulièrement (durée : 10 à 20 minutes).
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4. Reprendre chacune des solutions proposées et examiner leurs avantages et leurs inconvénients. Chaque avantage et chaque inconvénient est noté sur 100. (À quel point cette solution représente un avantage pour moi ? À quoi point celle-ci représente-t-elle un inconvénient ?) Évaluer l’éventualité de leur mise en application par le sujet et les conséquences qui en découleraient. 5. Hiérarchiser les solutions, de la plus confortable à la moins confortable. 6. Mettre en œuvre la solution la plus confortable. 7. Estimer les résultats en regardant comment le patient a pu résoudre son problème initial par la mise en œuvre de la solution choisie. Si les résultats obtenus sont peu satisfaisants, choisir une seconde solution de la liste et la mettre en œuvre. À titre exceptionnel, redéfinir le problème en fonction des aspects qui restent non résolus... Et reprendre le même programme avec ces six étapes.
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Cas de Nathalie Étape 1 – Problème cible Reprendre la photographie Étape 2 – Liste des solutions possibles Faire un safari-photo avec ma fille Prendre des photos dans la maison Toujours garder l’appareil photo sur moi Prendre l’appareil photo pour me rendre au travail Faire des photos dans les expositions et les musées Faire des photos dans le quartier Étape 3 – Avantages et inconvénients de chaque solution Safari-photo avec ma fille : Avantage : sortie avec ma fille (90 %) Inconvénient : coût (70 %) Prendre des photos dans la maison (chats, etc.) : Avantage : facile (100 %) Inconvénient : ennuyeux (80 %) Toujours garder l’appareil photo sur moi :
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Avantage : occasion de faire des photos (70 %) Inconvénient : lourdeur de l’appareil (80 %) Prendre l’appareil photo pour me rendre au travail : Avantage : beaucoup de sujets (90 %) Inconvénient : lourdeur de l’appareil (80 %) Faire des photos dans les expositions et les musées : Avantage : nouvelles œuvres (70 %) Inconvénient : loin du domicile (90 %) Faire des photos dans le quartier : Avantage : facile (100 %) Inconvénient : vite limité (50 %) Étape 4 – Hiérarchisation Faire des photos dans le quartier Prendre des photos dans la maison Faire un safari-photo avec ma fille Prendre l’appareil photo pour me rendre au travail Toujours garder l’appareil photo sur moi Faire des photos dans les expositions et les musées
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 161 — #173
8 • Les techniques comportementales
Étape 5 – Choix de la solution la plus confortable Faire des photos dans le quartier Étape 6 – Constat Plaisir de l’accomplissement. Elle décide finalement de procéder ainsi une fois par semaine, le samedi, durant 1 heure.
Rappel des 6 étapes de la résolution de problème • 1re étape : définir le problème. • 2e étape : faire la liste de toutes les solutions possibles. • 3e étape : reprendre chacune des solutions et rechercher pour chacune les avantages
et les inconvénients, avec un pourcentage pour chacune des solutions et chacun des inconvénients. • 4e étape : choisir la solution la plus confortable pour soi et la mettre en œuvre. • 5e étape : la mettre en œuvre. • 6e étape : constater.
L’AFFIRMATION DE SOI
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La dépression s’accompagne d’une baisse de l’estime de soi qui a pour conséquence une diminution, voire un évitement des relations interpersonnelles. De plus, un certain nombre de sujets déprimés, malgré un traitement antidépresseur bien conduit et une amélioration clinique, restent passifs et évitent le contact social. Une thérapie d’affirmation de soi, qui comprend un apprentissage de la communication verbale et non verbale, et permet l’expression d’une plus large palette émotionnelle, est tout à fait légitime chez les sujets qui ne parviennent pas à exprimer leurs idées ou leurs sentiments, une fois la dépression améliorée. Au cours de la TCC, le thérapeute peut être amené à prescrire des tâches ponctuelles d’affirmation de soi en tant qu’épreuve de réalité. Bruno, jeune homme déprimé, n’ose pas se rendre à une réunion de travail, il se dit : « Je n’ai rien d’intéressant à leur apporter, je vais passer pour un imbécile. » Un travail cognitif de recherches d’alternatives de pensées, couplé à des jeux de rôle d’entraînement à l’expression verbale, permettra au patient de se rendre plus aisément à la réunion et, sur place, de se rendre compte des capacités d’expression de chacun.
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LA RELAXATION L’avis d’une indication de relaxation chez un sujet déprimé est très partagé selon les auteurs. Certains évaluent favorablement son apport sur la diminution de l’anxiété associée à la dépression. Pour d’autres, sa pratique semble déconseillée du fait de l’émergence accrue d’idées négatives qui deviennent envahissantes, voire dangereuses en raison d’un risque accru de passage à l’acte suicidaire.
Autres techniques comportementales D’autres techniques comportementales sont usuellement associées. Outre celles déjà mentionnées, Williams (1985) cite pour la dépression les thérapies comportementales du soir, qui représentent une gestion de tout le contexte de l’endormissement : ne se servir de son lit que pour dormir, ne pas pratiquer des activités qui stimulent le psychisme l’heure précédant l’endormissement, dîner au moins deux heures avant le coucher...
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L’évaluation des résultats des exercices prescrits est faite par le clinicien et par le patient à partir de critères comportementaux bien définis, pour pallier les difficultés spécifiques du dépressif.
LIMITES ET RÉSOLUTION Une fois revue la liste des objectifs, le thérapeute demande à Claire de classer les objectifs dans leur ordre d’importance. Elle choisit de vouloir s’engager dans des activités plus plaisantes pour elle. Écrire, regarder des sites liés à ces centres d’intérêt sur internet... Le clinicien lui donne le choix sur le thème de discussion de la séance : qu’est-ce qu’elle envisage cette semaine, qu’est-ce qu’elle prévoit comme tâche au domicile. Claire indique à la séance suivante qu’elle a entrepris plusieurs activités. Après quelques améliorations, la patiente va activer la croyance suivante : si je vais mieux, mon mari et le psy auront des attentes encore plus grandes vis-à-vis de moi. Une technique de résolution de problème et de jeu de rôle sera alors utilisée pour déjouer cette pensée.
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8 • Les techniques comportementales
RÉSUMÉ DE LA LEÇON • Le thérapeute a davantage recours aux techniques comportemen-
tales en début de thérapie. • Elles sont abordées selon leur difficulté croissante. • Le choix des activités tient compte de : – – – –
leur fréquence dans la vie du sujet ; leur possibilité de réalisation ; leur niveau de difficulté ; leur apport en termes de satisfaction et/ou de plaisir.
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Leçon 9 L’activation comportementale 164
Objectifs Transmettre un savoir théorique et pratique sur l’activation comportementale d’hier et d’aujourd’hui Proposer des techniques et les expliquer Le monitoring des activités et de l’humeur La planification d’activités La place des valeurs
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PLAN DE LA LEÇON Qu’est-ce que l’activation comportementale ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166 Les pionniers de l’approche comportementale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 L’activation comportementale aujourd’hui . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 Les programmes disponibles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168 Les outils thérapeutiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170 Les études d’efficacité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
’ACTIVATION COMPORTEMENTALE en tant qu’approche psychothérapeutique dans le traitement de la dépression n’est pas nouvelle, mais ces dernières années ont connu un regain d’intérêt pour cette démarche. Cette vague d’intérêt plus récente s’inscrit dans le contexte d’une longue histoire de recherches et de pratiques cliniques, qui n’ont eu de cesse d’évoluer depuis les premiers modèles développés par Lewinsohn et ses collaborateurs.
L
QU’EST-CE QUE L’ACTIVATION COMPORTEMENTALE ? Bien que Lewinsohn et ses collaborateurs aient été pionniers dans le développement d’un modèle comportemental et dans la mise en œuvre de stratégies d’activation comportementale dans le traitement de la dépression, le terme d’activation comportementale n’apparaît que bien plus tard. Selon Dimidjian et al. (2011), sa première utilisation en psychothérapie apparaît en 1990 (Hollon et Garber, 1990) et est définie comme « un ensemble de procédures cliniques utilisées dans la thérapie cognitive pour la dépression ». En 2011, Dimidjian et ses collaborateurs précisent cette définition.
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L’activation comportementale est alors définie comme une approche thérapeutique brève, structurée, qui vise à : – augmenter l’engagement de l’individu dans des activités adaptatives (qui sont souvent celles qui sont associées à une expérience de plaisir ou de maîtrise) ; – diminuer l’engagement de l’individu dans des activités qui maintiennent la souffrance dépressive ou qui augmentent le risque de favoriser la dépression, etc. ; – apprendre la résolution de problèmes qui limitent l’accès aux récompenses et réguler les conduites d’aversion. Ainsi, elle diminue l’engagement dans des activités qui maintiennent la souffrance dépressive ou qui risqueraient de favoriser la dépression. Le traitement cible directement ces objectifs ou se concentre sur les processus psychologiques qui les inhibent (par exemple l’évitement). Dans ce but, plusieurs techniques comportementales peuvent être proposées, telles que le monitoring des activités et de l’humeur, la planification d’activités, la résolution de problème, etc. Ces quarante dernières années ont vu apparaître de nombreuses articulations de cette démarche, qui s’est considérablement enrichie au fil des ans.
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9 • L’activation comportementale
LES PIONNIERS DE L’APPROCHE COMPORTEMENTALE Dès 1971, Lewinsohn propose un premier modèle comportemental pour la dépression basé sur l’hypothèse selon laquelle l’absence relative d’éléments renforçants dans l’environnement de l’individu jouerait un rôle essentiel dans le développement et le maintien de la dépression. La diminution de renforcement résulterait de la combinaison de quatre facteurs : 1. Une diminution de la quantité de situations qui ont un potentiel renforçateur pour un individu donné ; 2. Une diminution de la disponibilité de ces éventuels renforçateurs dans l’environnement ; 3. Le manque d’habiletés qui permettent de vivre les contingences de renforcement (comme c’est le cas par exemple des habiletés sociales) ; 4. Une augmentation de l’exposition à des situations stressantes ou pénibles (Lewinsohn, 1974 ; Lewinsohn, Sullivan et Grosscup, 1980). Ainsi, lorsque les sources de renforcements positifs sont perdues, l’individu ne s’engage plus dans des activités qui lui procurent du plaisir et de la satisfaction, et la dépression apparaît. Si ces sources essentielles de renforcement sont perdues, alors la prise en charge doit se focaliser sur le rétablissement de contacts avec ces renforcements positifs (avec la planification d’activités) et l’apprentissage de compétences nécessaires pour obtenir et maintenir un contact avec ces sources de renforcements positifs (avec un entraînement aux compétences sociales).
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Lewinsohn est ainsi le premier auteur à proposer un programme TCC incluant la reprise d’activités agréables, génératrices de plaisir et de satisfaction, pour augmenter les renforcements positifs personnels et interpersonnels de l’individu déprimés.
L’ACTIVATION COMPORTEMENTALE AUJOURD’HUI En 1996, une étude publiée par Jacobson et ses collaborateurs relance l’intérêt pour l’approche comportementale, qui recevait alors moins d’attention. Les auteurs ont évalué l’impact des différentes composantes de la TCC auprès de 152 patients déprimés. Trois prises en charge thérapeutiques sont comparées : 1. Activation comportementale (AC), incluant la planification d’activité ; 2. TCC avec AC et modification des pensées automatiques dysfonctionnelles ; 3. TCC avec AC, modification des pensées automatiques dysfonctionnelles et modification des schémas.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Les résultats de cette étude ont montré que le groupe de patients ayant suivi un programme d’activation comportementale seul obtenaient d’aussi bons résultats en termes de diminution de la symptomatologie dépressive, des pensées négatives et des attributions dysfonctionnelles que les deux autres groupes. Une étude de suivi à 2 ans (Gortner et al., 1998) confirme des bénéfices maintenus à deux ans, avec des résultats équivalents pour les trois groupes. Ces résultats ont ainsi suggéré qu’une prise en charge purement comportementale pouvait être efficace et qu’elle ne l’était pas davantage en ajoutant des techniques cognitives. Il serait ainsi possible que les techniques comportementales soient aussi efficaces dans la modification des pensées dysfonctionnelles que les techniques visant directement à modifier les pensées. Suite à cette étude jalon, la composante comportementale a été développée de manière à constituer une prise en charge à part entière et plusieurs programmes sont apparus.
Les programmes disponibles Le premier programme « d’activation comportementale » est directement issu des travaux de Jacobson et al. (1996). La composante activation comportementale de l’étude publiée en 1996 comprenait 20 séances incluant un certain nombre de stratégies, dont :
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– le monitoring des activités du quotidien ; – l’évaluation du niveau de plaisir et de maîtrise dans la mise en œuvre d’activités ; – la prescription de tâches hiérarchisées en termes de difficultés ayant pour but de réengager les sentiments de plaisir et de maîtrise ; – un travail cognitif durant lequel le patient est amené à s’imaginer s’engager dans différentes actions dans le but d’identifier les obstacles aux sentiments de plaisir et de maîtrise attendus de ces actions ; – une discussion autour de problèmes spécifiques (par exemple des difficultés à s’endormir) et l’abord de techniques comportementales pour contourner ces difficultés ; – un travail sur les habiletés sociales. Sur la base de ce premier protocole élaboré par Jacobson et al (1996), Martell, Addis et Jacobson (2001) élaborent par la suite un manuel de thérapie plus complet sur l’activation comportementale, qui s’intéresse plus particulièrement à l’évitement comportemental ainsi qu’à une série d’autres stratégies afférentes liées de façon plus indirecte à l’activation comportementale. Le modèle d’activation comportementale propose que l’inactivité constituerait une stratégie de coping pour éviter les circonstances environnementales qui produisent un faible niveau de renforcement positif et un niveau élevé d’aversion.
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9 • L’activation comportementale
L’objectif de l’activation comportementale est de déterminer les circonstances de vie qui ont précipité la dépression, de déterminer les mécanismes d’adaptation qui maintiennent les symptômes et finalement de développer un plan d’intervention visant à l’amélioration des stratégies d’adaptation et favorisant l’accès à plus de renforcements positifs (Martell, Addis et Jacobson, 2001). Les auteurs ont ainsi proposé un programme non structuré en 12 à 20 séances durant lequel le patient apprend à repérer ses évitements, à identifier leurs fonctions et à mettre en place d’autres comportements. Par rapport à cette approche élargie de l’activation comportementale, Lejuez, Hopko et Hopko (2001) développent une démarche plus intensive en 12 séances qui se limite uniquement aux composantes directement liées à l’activation comportementale, dont : le suivi quotidien, la recherche de soutien social, la sélection et la planification d’activités et la récompense lorsque les activités ont été menées à bien. Les mêmes auteurs publient une nouvelle version en 2010, le BATD-R en 10 séances, incluant un certain nombre de changements structuraux par rapport au programme de 2001, dont notamment : – une diminution du nombre de séances (10 séances au lieu de 12 initialement) ; – une augmentation de l’importance accordée à la logique thérapeutique et notamment à la relation thérapeutique ; – une clarification des domaines de vie (qui passent de 2 à 10), des valeurs et des activités. En 2006, Provencher développe un programme TCC pour la prévention des rechutes dépressives qui intègre un ensemble de stratégies d’activation comportementale commencées dès le début de la prise en charge et proposées en continu sur l’ensemble du programme.
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Ce programme comprend 12 séances hebdomadaires, qui peuvent être proposées en groupe ou en individuel. Cinq ingrédients composent ce programme : – une activation comportementale en continu ; – un travail d’identification des pensées dépressives dysfonctionnelles et de distanciation cognitive ; – l’abord de la résolution de problème ; – l’identification des distorsions cognitives ; – un travail de sensibilisation aux schémas. Ce programme est aujourd’hui disponible en ligne, le contenu de chaque séance décrit en détail.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Les outils thérapeutiques ! Une psychoéducation très active L’entretien dans sa structuration et dans la relation thérapeute-patient est typiquement TCC. L’organisation de la séance respecte donc le format des TCC, avec les ingrédients suivants : – – – – –
la revue des tâches ; le choix de l’agenda de séance ; l’utilisation fréquente des renforcements positifs ; les feedbacks ; la prescription de tâches entre chaque séance.
L’intervention du thérapeute se fait sous forme de questions ouvertes, d’un questionnement socratique et de psychoéducation. Il s’agit de mettre en place une relation active et collaborative à la recherche de solutions, en tenant compte des buts personnels que le patient va définir.
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La psychoéducation consiste à expliquer au patient que dans toutes situations, la motivation passe par l’action. C’est en agissant que l’on devient motivé à en faire plus, que le sentiment d’efficacité personnelle se développe et que l’estime de soi se restaure peu à peu.
Cette première étape du traitement vise à identifier les comportements actuels du patient afin d’observer son niveau d’activité, ses comportements d’évitement et de rumination, et d’évaluer les liens entre son humeur et ses activités au quotidien. Cette phase s’appuie le plus souvent sur une grille d’auto-observation, ou monitoring des activités quotidiennes, remplie par le patient durant la semaine, comprenant l’ensemble de ses activités sur la journée et l’humeur associée à chaque activité.
! Le monitoring des activités Il s’agit d’une composante clé de l’activation comportementale. Le patient est amené à noter toutes les activités réalisées sur une journée, du lever au coucher. Le format de ce monitoring est déterminé en collaboration avec le patient. Il peut s’agir d’un journal tenu par le patient sur son cahier de thérapie, d’un agenda, d’un calendrier ; il peut aussi être réalisé sur la base d’un document préparé par le thérapeute. Le plus important est que ce monitoring permette d’obtenir toutes les informations nécessaires pour que le thérapeute ait une ligne de base des activités du patient et
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9 • L’activation comportementale
comprenne le contexte dans lequel ces activités sont réalisées. Ce relevé se fait heure par heure, sur une journée de la semaine, et est prescrit durant minimum 3 semaines. D’autres évaluations peuvent être ajoutées, comme l’humeur, afin d’identifier les états émotionnels, la coloration d’humeur associée à chaque activité, de constater les fluctuations de l’humeur, en fonction du type d’activité, du moment de la journée, etc. Exemple de feuille de monitoring des activités et de l’humeur Feuille d’auto-enregistrement activité-humeur Semaine du ________ au ________ Cette formule sert à faire le suivi de votre niveau d’activité et de votre humeur. Indiquez dans chaque case votre activité principale pendant cette période et votre humeur dépressive (0 à 10) vécue lors de la période concernée. Il est important de remplir cette formule au moins une fois par jour et surtout de ne pas attendre la fin de la semaine pour le faire. Heure
Lundi
Mardi
Mercredi
Jeudi
Vendredi Samedi Dimanche
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11-12 12-13 13-14 14-15 15-16 16-17 17-18 18-19 19-20 20-21 21-22 22-23 23-00 00-01
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
D’autres évaluations intègrent une appréciation du niveau de plaisir et de maîtrise associé à l’activité réalisée. Plaisir et maîtrise : les consignes 1. Prenez en note ce que vous faites heure par heure. 2. Donnez à chacune des activités une note entre 0 et 10 pour le plaisir (P) et le sentiment de maîtrise (M). Le plaisir fait référence au bien-être que procure l’activité. La maîtrise, quant à elle, fait référence au sentiment d’accomplissement que l’activité a créé chez vous. Une note (P10) signifie que vous avez eu énormément de plaisir à faire cette activité. Une note (P0) signifie que vous n’avez eu aucun plaisir à faire cette activité. Une note (M10) signifie que vous avez eu le sentiment de vous être dépassé lors de cette activité et que vous la maîtrisiez vraiment bien. Une note (M0) signifie que vous ne maîtrisez pas vraiment bien l’activité et que vous n’avez pas l’impression de vous être dépassé dans cette situation.
En fonction de ce qui est amené par le patient, ce monitoring peut cibler de manière plus précise certains comportements (par exemple, le temps passé au lit) ou encore certains états émotionnels qui accompagnent les activités (par exemple, tristesse en regardant la télévision).
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! La planification d’activités Une étape fondamentale de l’activation comportementale vise à déterminer ce que le patient souhaiterait mettre ou remettre en place dans sa vie, en tenant compte du niveau d’activité actuel. Dans le programme de Martell, Addis et Jacobson (2001), cette planification cible des comportements précis liés à des évitements propres à l’individu. Dans le programme de Lejuez et al. (2002, 2010), ces activités visent des objectifs à long terme que le patient se fixe. La planification de l’action se base sur un objectif choisi en fonction des valeurs de l’individu, de ce qui est important pour lui actuellement. Cet objectif est ensuite transformé en objectif SMART. Il est rendu spécifique, mesurable, accessible aujourd’hui, reproductible et temporellement défini. Les difficultés dans la mise en œuvre de cet objectif et les solutions possibles sont envisagées. La planification est envisagée en détail : ce que le patient va faire précisément, à quel moment, etc. Elle a l’avantage de présenter la journée en plusieurs petites tâches fractionnées, surmontables pour l’individu.
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9 • L’activation comportementale
! La place des valeurs Une façon d’amener le patient à identifier des activités qu’il souhaiterait mettre en place dans sa vie est de lui proposer de réfléchir aux domaines de vie importants pour lui, à identifier les valeurs dans chacun de ces domaines et à traduire ces valeurs en activités à mettre en œuvre. Les domaines de vie correspondent à ce qui est important dans la vie de l’individu, les valeurs à la façon dont il souhaiterait vivre sa vie dans ces domaines et les activités à la manière dont il va expérimenter concrètement ces valeurs. Les valeurs constituent le point de départ du choix des activités, mais une fois les activités sélectionnées, ce sont ces dernières qui font l’objet du travail thérapeutique. La meilleure façon d’atténuer les symptômes de la dépression serait donc de prendre conscience des éléments suivants : – les domaines de vie qui sont les plus importants pour le patient ; – les valeurs dans chaque domaine de vie ; – les activités possibles à mettre en œuvre pour vivre en accord avec ces valeurs. On peut citer parmi les domaines de vie importants : les relations (familiales, sociales, amoureuses), le travail, la formation, les activités sportives et récréatives, le travail bénévole, etc. Par exemple si la valeur choisie par un patient est d’être un bon parent, alors les activités pourraient être : prendre du temps pour jouer avec les enfants, leur lire quelque chose ou discuter avec eux.
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Une fois que ces domaines de vie et valeurs sont identifiés, le patient s’en sert pour définir, planifier et mener à bien des activités quotidiennes. Les 10 domaines de vie (BATD-R, 2010) 1. Relations familiales : quel genre de frère/sœur, fils/fille, père/mère voulez-vous être ? Quelles sont les qualités importantes dans votre relation avec les membres de votre famille ? Qu’est-ce qui est important pour vous en ce qui concerne la famille ? 2. Relations sociales : comment imaginez-vous l’amitié idéale ? En quoi les relations avec vos amis pourraient-elles être meilleures ? Qu’est-ce que vous aimez et appréciez dans vos relations d’amitié ? En quoi de nouvelles amitiés amélioreraientelles votre vie ? 3. Relations amoureuses : qu’est-ce qui est important pour vous dans votre relation/mariage ? Comment voudriez-vous que soient les moments que vous passez
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
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AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
avec votre partenaire ? Si vous n’avez pas de partenaire, quel genre de partenaire souhaiteriez-vous ?
4. Études/formation : voudriez-vous poursuivre des études ou suivre une formation spécialisée ? Y a-t-il un sujet sur lequel vous désirez en apprendre davantage ? Qu’est-ce qui est important pour vous en matière d’études et de formation ? 5. Emploi/carrière : quel genre de travail aimeriez-vous faire ? Quel genre de travailleur aimeriez-vous être ? Qu’est-ce qui est important pour vous concernant le travail ? 6. Hobbies/loisirs : y a-t-il des centres d’intérêt spécifiques que vous voudriez développer ou de nouvelles activités auxquelles vous souhaiteriez vous adonner ? Qu’est-ce qui est important pour vous en termes de loisirs ? 7. Bénévolat/bienfaisance/activités sociales : quelles contributions souhaiteriez-vous apporter à la collectivité ? 8. Problème de santé physique et psychologique : qu’est-ce qui est important pour vous en matière de santé générale, de régime alimentaire, de sommeil, d’activité physique ? 9. Spiritualité : êtes-vous une personne spirituelle ? Si oui, que représente la spiritualité pour vous ? Que signifie une vie spirituelle pour vous ? 10. Responsabilités : quelles nouvelles responsabilités quotidiennes vous procureraient un sentiment d’accomplissement ?
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Exemples d’objectifs choisis en fonction des valeurs • Reprendre soin de moi : aller à la piscine au moins une fois par semaine pendant trente minutes. • Reprendre mes activités artistiques : lire au moins trente minutes par semaine un livre de
peinture. • Améliorer mon hygiène de vie : préparer au moins une fois par semaine un plat avec des produits frais. • Être une bonne mère : consacrer au moins une demi-heure une fois par semaine à mes enfants quand ils rentrent de l’école.
L’objectif réalisé est ensuite évalué en termes de plaisir et d’accomplissement.
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9 • L’activation comportementale
Synthèse : les 5 étapes de l’activation comportementale • 1re étape : écrire une journée d’activités. Pour chacune de ces activités, attribuer • • •
•
une note d’humeur durant chaque heure entre - 10 et + 10. 2e étape : choisir un objectif à partir de ces valeurs. 3e étape : transformer l’objectif en objectif spécifique, mesurable, atteignable et reproductible « SMART ». 4e étape : planifier et réaliser l’objectif puis lui donner une note d’accomplissement et une note de plaisir, selon un grade en dix points. Il se peut que l’activité ne soit pas aussi plaisante qu’auparavant ou encore qu’elle ne soit pas aussi plaisante que vous l’auriez souhaité, mais ce n’est pas l’objectif principal. Le but est de s’activer. 5e étape : identifier les obstacles. Comment faire pour les contrecarrer une prochaine fois ?
Les études d’efficacité Depuis l’étude jalon de Jacobson et ses collaborateurs en 1996, l’activation comportementale a fait l’objet de plusieurs travaux visant à évaluer son efficacité comparativement à d’autres prises en charge, médicamenteuses et non médicamenteuses. Ainsi, Dimidjian et al. (2006) comparent l’efficacité respective de 4 prises en charge (activation comportementale, thérapie cognitive, traitement pharmacologique par paroxétine et traitement pharmacologique par placebo) auprès de 241 patients souffrant d’un épisode dépressif caractérisé d’intensité modérée ou sévère. Les résultats montrent que l’activation comportementale serait aussi efficace que le traitement pharmacologique par paroxétine et plus que la thérapie cognitive. Comparée au traitement pharmacologique par paroxétine, l’activation comportementale amènerait davantage le patient à une rémission clinique et le maintiendrait plus longtemps engagé dans le traitement.
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En 2008, Ekers, Richards et Gilbody comparent dans une méta-analyse les prises en charge suivantes : activation comportementale, traitement usuel (suivi habituel avec le psychiatre), thérapie cognitive et thérapie brève. Les résultats suggèrent que l’activation comportementale serait plus efficace qu’un traitement usuel ou qu’une thérapie brève sur le score de dépression, mais ne trouvent cependant pas de différence en termes d’efficacité entre activation comportementale et thérapie cognitive. D’autres études sont apparues au fil des années – plus d’une quinzaine sont disponibles aujourd’hui, contrôlées, randomisées, qui concluent à une forte efficacité de l’activation comportementale.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
RÉSUMÉ DE LA LEÇON • L’activation comportementale a pour but d’augmenter l’engage-
ment de l’individu dans des activités associées à un sentiment de plaisir et/ou de maîtrise et de diminuer l’engagement dans des comportements qui maintiennent les affects négatifs ou qui en augmentent les risques. • Réactualisée par la troisième génération des TCC, l’activation comportementale a été enrichie par des interventions qui valorisent les valeurs personnelles du patient par les comportements à accomplir. • Il s’agit d’une thérapie brève, structurée, pouvant être évaluée. • L’effet bénéfique de cette approche a été démontré dans le traitement de différentes formes cliniques de dépression avec une efficacité supérieure aux conditions « liste d’attente », « traitement usuel de la dépression », « psychothérapie placebo » et « traitement pharmacologique par antidépresseur » (Dondé et Carre, 2018). 176
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9 • L’activation comportementale
NOTES
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Leçon 10 Identifier les pensées négatives dépressives 178
Objectifs Établir un agenda de séance Faire choisir un problème (récent, typique, fréquent) Définir les déclencheurs et les émotions Optimiser l’identification des cognitions
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PLAN DE LA LEÇON Le postulat cognitif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 180 Expliquer les liens entre la situation, les émotions, les cognitions et le comportement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181 L’identification des pensées dysfonctionnelles en rapport avec les symptômes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184 L’identification par questionnement direct . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186 L’auto-enregistrement des cognitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188 La représentation d’une scène émotionnellement pénible en imagination . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188 Le jeu de rôle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
« Connais-toi toi-même. » Socrate
LE POSTULAT COGNITIF Les données de la littérature s’accordent sur le postulat selon lequel la dépression résulte d’une altération de la logique du sens. Ce trouble de l’humeur génère une vision altérée, déformée négativement, de soi-même et des événements. Définitions du terme « postulat » (Larousse) • Proposition que l’on demande d’admettre avant un raisonnement, que l’on ne peut
démontrer et qui ne saurait être mise en doute. • Principe de base, qui ne peut être mis en discussion : Les postulats politiques de la gauche. • En Suisse, vœu qu’un parlementaire transmet au pouvoir exécutif après qu’il a été approuvé par la majorité de l’assemblée. • Temps qui précède le noviciat, dans une communauté religieuse.
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La TCC fait prendre conscience au patient déprimé de son discours intérieur, composé d’une succession de cognitions pessimistes, pour les soumettre à un examen critique et en dégager une représentation du monde plus rationnelle qu’émotionnelle. Elle est aujourd’hui séparée en deux grandes parties bien individualisées. La première partie consiste à identifier et à examiner rationnellement les pensées dépressives pessimistes. Elle permet à tout individu déprimé d’acquérir une mise à distance émotionnelle et un contrôle de ses pensées douloureuses de dévalorisation, d’incapacité, de culpabilité, sources de tristesse voire de désespoir... Cette partie comprend une dizaine de séances après l’analyse fonctionnelle et la proposition du contrat thérapeutique. Les étapes de la thérapie cognitive 1. Présentation du modèle cognitif de l’interaction situation-cognition-émotioncomportement. 2. Définition et identification des pensées automatiques négatives. 3. Argumentation des pensées dépressives, initiation aux méthodes de décentration. 4. Identification des biais cognitifs. 5. Initiation aux techniques des tâches graduées, de la répétition cognitive.
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10 • Identifier les pensées négatives dépressives
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6. Identification des schémas cognitifs. 7. Techniques de modification, d’assouplissement des schémas cognitifs. 8. Entretiens de consolidation.
EXPLIQUER LES LIENS ENTRE LA SITUATION, LES ÉMOTIONS, LES COGNITIONS ET LE COMPORTEMENT Afin que le patient saisisse et s’approprie la logique de la démarche thérapeutique, le principe théorique de la thérapie est expliqué, c’est-à-dire les relations étroites et interdépendantes entre la perception d’une situation, la pensée dépressive (cognition), les émotions ressenties et le comportement immédiat. Ces explications sont facilitées par l’utilisation d’exemples pris à partir d’éléments rapportés par le client en entretien. Définitions du terme « émotion » • Selon le dictionnaire du Larousse, une émotion est une réaction affective transitoire
d’assez grande intensité, habituellement provoquée par une stimulation venue de l’environnement. • Pour un physiologiste comme Dantzer (2002), « le terme d’émotion désigne des sentiments que chacun de nous peut reconnaître en lui-même par introspection ou prêter aux autres par extrapolation ». • Pour un psycho-comportementaliste comme Ekman (1992) les émotions sont des entités psychophysiologiques et comportementales discrètes en nombre fini : les émotions de base qui ont en commun un déclenchement rapide, une courte durée, une survenue spontanée, une évolution automatique, et des réponses cohérentes. • Les « émotions » désignent aujourd’hui pour un grand nombre de spécialistes, uniquement les émotions dites « primaires » : la peur, la surprise, la colère, la joie, la tristesse, et le dégoût.
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Le clinicien a trois possibilités pour expliquer ces interactions : débuter par la pensée biaisée négative, le vécu émotionnel, ou le comportement souvent inhibé ou bloqué. Il peut formuler le modèle ainsi : « Vous êtes aujourd’hui déprimé, votre humeur est triste, voire sombre. Pour certains psychiatres, un des facteurs de vulnérabilité à la dépression, facteur qui aurait contribué à votre état émotionnel actuel, est un système de pensées fortement négatif qui pilote vos états émotionnels et vos comportements.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Imaginez, par exemple, que vous perceviez un bruit sec de claquement dans la nuit. La pensée “C’est peut-être un voleur qui essaye de fracturer la porte” va induire une réaction anxieuse, qui vous amène à vous barricader solidement chez vous. En revanche, la pensée “Ma maison tombe en ruine” entraîne une émotion de tristesse ; “C’est le volet que je ne suis pas capable de réparer depuis un mois” et vous vous blottirez sous votre couette, tétanisé. Ou encore si vous pensez au moment du bruit : “Ce sont encore les voisins qui font du bruit”, vous ressentirez de la colère et peut-être appellerez-vous la police pour tapage nocturne. Ces pensées qui traversent rapidement l’esprit et emportent votre adhésion ne sont en fait qu’une des interprétations possibles de la situation. C’est aussi ce qui se passe lorsqu’on perçoit l’éclat de lumière émis par une pierre précieuse. L’éblouissement occulte les autres reflets de la gemme. Il suffit pourtant de faire pivoter la pierre pour en apprécier les différents reflets. Dans la thérapie, nous procéderons de même et envisagerons la situation concrète sous tous les angles possibles, c’est-à-dire avec toutes ses alternatives de pensées. L’apprentissage de cette ouverture de pensée a pour conséquence un soulagement émotionnel lié à une représentation plus élargie de la réalité. Les derniers entretiens de cette thérapie ont pour objectif de dévoiler vos schémas de pensée sous-jacents, l’un de vos “talons d’Achille” pour la dépression. Sous une apparente simplicité, cette démarche a l’avantage d’être structurée. Vous pourrez la reproduire seul, même à distance de la thérapie. Souhaitez-vous que nous reprenions ensemble certains aspects de cette présentation ? »
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Dans le souci d’établir le plus précocement possible la relation de collaboration, le thérapeute s’enquiert d’éventuelles réactions du patient vis-à-vis d’un modèle psychologique dont la démarche est novatrice. Caractéristiques des émotions de base (selon Ekman, 1992) 1. Elles sont universelles. 2. Leurs expressions sont comparables chez l’humain et chez les autres Primates. 3. Chaque émotion s’appuie sur un contexte physiologique spécifique. Il existerait des tableaux spécifiques de mise en action du système nerveux autonome, démontrés au moins pour la colère, la peur, le dégoût et la tristesse. 4. Les événements déclencheurs sont universels. Les situations inductrices ont des points communs : c’est un certain type de situations et de problèmes vitaux fondamentaux qui provoque telle ou telle réaction. 5. Les réactions émotionnelles sont cohérentes. Il y a congruence entre l’expérience émotionnelle et son expression, et réciproquement. 6. Leur déclenchement est rapide. Les réactions physiologiques peuvent survenir en une fraction de seconde et les mimiques en quelques millisecondes (Ekman et Friesen, 1978).
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10 • Identifier les pensées négatives dépressives
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7. Leur durée est limitée. D’après Ekman, les émotions de base durent quelques secondes, non des minutes et encore moins des heures ou des jours. 8. Le mécanisme de perception est automatique. Quand l’émotion surgit, elle le fait brusquement. 9. La survenue est spontanée. Elle n’est pas délibérément choisie et elle est difficile à éviter.
Deux autres modalités de présentation du fonctionnement cognitif sont possibles, soit en partant du vécu émotionnel, soit en débutant par le comportement du sujet inhibé, piégé par ses cognitions. Pour Teasdale (1985) et Fennell et Teasdale (1987), la connaissance didactique du modèle de la thérapie par le patient est une composante thérapeutique à part entière. Cette étape est importante pour activer la motivation et l’adhésion du sujet à la thérapie. Elle donne au sujet une compétence indispensable à sa participation active aux entretiens et lui permet d’acquérir une autonomie par rapport aux techniques utilisées. Cette connaissance favorise l’intériorisation et l’intégration des interventions thérapeutiques, que le sujet sera amené à reproduire seul plus tard (auto-thérapie). Le modèle psychologique lui est explicité selon la chronologie rencontrée au cours de la thérapie, qui met en évidence tout d’abord les cognitions, puis les processus cognitifs et enfin les schémas. La thérapie est conditionnée par l’approche évaluative de l’analyse fonctionnelle qui amène à définir les objectifs. Ce temps évaluatif nécessite entre trois et cinq séances jusqu’à la proposition du contrat thérapeutique et sa rédaction définitive. La précipitation du thérapeute nuit toujours à la thérapie. Le soignant a besoin de prendre son temps afin d’expliquer au patient les différentes étapes, de le faire participer aux entretiens, et de tenir compte de ses difficultés d’attention et de concentration. Il s’adapte par conséquent au rythme de l’individu et privilégie la construction d’une alliance thérapeutique forte, nécessaire à la suite de la TCC.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
L’IDENTIFICATION DES PENSÉES DYSFONCTIONNELLES EN RAPPORT AVEC LES SYMPTÔMES Le thérapeute consacre donc plusieurs séances pour apprendre au patient à repérer ces cognitions, difficiles à « capturer », parce que fugaces. Souvent l’individu n’est conscient que des situations déclenchantes et des réactions émotionnelles associées, sans avoir pris le temps d’identifier la cognition intermédiaire. Cependant l’expérience clinique montre que les sujets acquièrent, au fil des séances, la capacité d’être de fins observateurs de leurs propres pensées ; ils deviennent de vrais experts d’eux-mêmes. En 1987, Beck définit un ensemble de cognitions qu’il intègre dans une liste, la CCL (Cognitive Check List, traduite en langue française par Hautekeete et al., 1992). Elle répertorie des cognitions, leurs contextes pathologiques de survenue et la tonalité émotionnelle associée. Les cognitions liées à des affects dépressifs y sont différenciées de celles liées à des états anxieux.
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Ainsi, les affects dépressifs sont engendrés par des cognitions telles que : « Personne ne peut m’aider, je ne mérite pas d’être aimé, plus personne ne me respecte, je ne surmonterai jamais mes problèmes. » En revanche, l’état anxieux est précédé de propos tels que : « Qu’arrivera-t-il si j’échoue ? Je suis en train de perdre la raison, quelque chose pourrait arriver qui ruinerait mon apparence, quelque chose d’horrible va arriver. » L’encadré suivant ne représente qu’une partie de ce questionnaire. Le questionnaire complet détaille les 43 cognitions de la CCL et l’état émotionnel associé. Extrait du questionnaire CCL 1. Vous vivez une situation d’inconfort ou de douleur physique, vous vous dites : – Je suis en train de devenir un être humain déficient ou dépressif. – Il y a quelque chose de très mauvais en moi. – Je vais avoir un accident. – Je vais être blessé. – Je vais être pris au piège. – Je ne suis pas une personne en bonne santé. – Personne ne viendra à temps pour m’aider. – Qu’adviendra-t-il si je deviens malade ou invalide. – Je vais avoir une crise cardiaque. 2. Dans votre évaluation des choses, vous vous dites : – La vie ne vaut pas la peine d’être vécue. – Rien ne pourra plus jamais m’aider.
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– Je ne pourrai jamais surmonter mes problèmes. – Je suis devenu non séduisant. – Je pourrais blesser quelqu’un, je fais attention. – Quelqu’un pourra me prendre ce qu’il veut. – Je suis en train de perdre la raison. – Quelque chose pourrait arriver qui ruinerait mon apparence physique. – Quelque chose pourrait arriver à quelqu’un, je fais attention. 3. Dans des situations sociales, vous vous dites : – Je ne serai jamais aussi bon que les autres. – Il n’y a pas de signe d’encouragement, je suis sûr d’échouer. – Je veux savoir quoi dire. – Je suis indigne. – Je suis en situation d’échec. – Je pourrais me comporter comme un imbécile. – Les autres pourraient rire de moi.
Le questionnaire comporte dans sa forme usuelle une échelle numérique. Pour chaque item, il est demandé au patient d’évaluer la fréquence de ses cognitions entre 0 (jamais) et 4 (toujours présentes). La somme des scores donne des totaux différenciés. Cette liste peut servir de guide pour distinguer les divers contextes émotionnels. • D’après ces items, la dépression est évoquée par : « Personne ne peut m’aider » ; « je
suis indigne » ; « je n’ai jamais été aussi performant que les autres personnes » ; « la vie ne vaut pas la peine d’être vécue » ; « je ne mérite pas d’être aimé » ; « personne n’a envie de me revoir » ; « rien ne viendra plus jamais m’aider » ; « plus personne ne me respecte » ; « je ne mérite pas l’attention ou l’affection des autres » ; « je ne surmonterai jamais mes problèmes » ; « je suis devenu non séduisant » ; « je suis indigne » ; « je suis une épave sociale » ; « j’ai perdu le seul ami que j’avais » ; « personne ne peut m’apporter de soins » ; « soit je vis soit je meurs » ; « je suis devenu un être humain déficient ». • L’état anxieux est suggéré par : « Je suis en train de retomber en arrière » ; « il n’y a pas de signe d’encouragement » ; « je suis sûr d’échouer » ; « je veux savoir quoi dire » ; « j’aime avoir assez de temps pour faire un bon travail » ; « qu’arrivera-t-il sur mon chemin si j’échoue ? » ; « il sera irrité par moi » ; « je suis en train de perdre la raison » ; « je pourrais faire une erreur » ; « je me conduis comme un imbécile » ; « les autres se moqueront de moi » ; « quelque chose pourrait arriver qui ruinerait mon apparence physique » ; « il y a des choses qui sont mauvaises en moi » ; « je vais avoir un accident » ; « quelque chose d’horrible va arriver » ; « je vais être blessé » ; « quelque chose va arriver à quelqu’un » ; « je fais attention » ; « je pourrais être pris au piège » ; « je ne suis pas une personne en bonne santé » ; « que se passera-t-il si personne ne vient me chercher à temps pour m’aider ? » ; « qu’arrivera-t-il si je deviens malade et invalide ? » ; « je vais avoir une crise cardiaque ».
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Les cognitions de la liste non répertoriées dans l’anxiété ou la dépression ont moins de spécificité. Un répertoire de techniques permet au thérapeute et au patient d’observer les cognitions. Une auto-observation prolongée est nécessaire avant l’emploi d’autres stratégies complémentaires.
L’identification par questionnement direct Exemples de questions-clés • À quoi pensiez-vous quand vous avez eu cette émotion ? • Quelle était la pensée la plus immédiate ? • Quelle pensée est venue automatiquement à votre esprit ?
La situation même de l’entretien engendre chez le sujet des cognitions que le thérapeute cherche à mettre en évidence par des questions inductives du type : « Comment ressentezvous le fait de rencontrer un psy ? », « Comment appréhendez-vous la situation de venir dans mon bureau ? », « Comment vous êtes-vous imaginé cet entretien alors que vous m’attendiez ? »
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Émotions et cognitions • L’interprétation de la façon dont s’organise le processus émotionnel constitue un
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des thèmes de prédilection des recherches et théories d’inspiration cognitive et a ouvert des débats qui sont loin d’être clos. James et De Lange en ont marqué l’origine : le sujet confronté à la situation émotionnelle réagit corporellement et c’est de la perception de cet état physiologique que naîtra l’émotion. À cette conception s’oppose celle de Cannon qui affirme que c’est d’abord la perception centrale de la situation qui déterminera l’émotion. En fait, le vrai débat sera ouvert par les expériences de Schachter et Singer en 1962, qui vont être reprises et développées par de nombreux auteurs avec le résultat suivant : un état émotionnel résulte de la conjonction d’une activation physiologique et de la ou des cognition(s) appropriée(s) pour rendre compte de cette activation et permettre de trouver des réponses adaptées. En sens inverse, si les cognitions déterminent les émotions, ces dernières orientent et influencent quant à elles les cognitions : elles jouent un rôle dans l’attention sélective, la mémorisation à long terme, la prise de décisions...
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L’humeur dépressive et anxieuse des patients s’accompagne de réponses comme : « Je me suis dit que cette thérapie ne pouvait rien faire pour moi. Qu’est-ce que je fais là ? » Le thérapeute souligne que c’est ce discours intérieur tenu par l’individu (« Je me dis que... ») qui constitue le matériel de base de la thérapie. Il transcrit aussitôt ces pensées négatives sur une feuille d’enregistrement des cognitions. Différencier l’émotion de l’humeur • Les termes d’émotion et d’humeur sont habituels, ils sont souvent utilisés de
manière interchangeable et confuse. Comment les distinguer ? • La dépression, par définition, implique un abaissement de l’humeur. L’humeur est définie comme un état affectif qui bouge lentement sur un ou deux jours, et faiblement lié à des objets ou situations spécifiques. • À l’opposé, les émotions sont des réactions adaptatives, rapides, qui interviennent en réponse à de multiples stimuli spécifiques. Leur expression est subjective, physique (tachycardie, sueurs...) et comportementale. Les émotions représenteraient un mode biologique d’adaptation aux changements environnementaux. Elles permettent à l’être humain de faire face aux situations « extrêmes » et assurent sa survie.
« Les émotions naissent au point de rencontre du corps et du mental. Une émotion est la réaction de votre corps à votre mental, ou encore le reflet de votre mental dans le corps. Par exemple, une pensée agressive ou hostile crée dans le corps une accumulation d’énergie que nous appelons colère. Le corps s’apprête à se battre. La pensée d’être menacé physiquement ou psychologiquement occasionne une contraction dans le corps. C’est l’aspect physique de ce que nous appelons la peur. Les recherches ont prouvé que les émotions fortes peuvent même modifier la biochimie du corps. Ces modifications biochimiques constituent l’aspect physique ou matériel de l’émotion. Bien sûr, vous n’êtes généralement pas conscient de tous vos schèmes de pensée et ce n’est souvent qu’en observant vos émotions que vous pouvez les amener à la conscience. c’est qu’une émotion est fortement reliée au physique et que vous la ressentirez principalement dans le corps, alors qu’une pensée se loge dans la tête. Vous pouvez alors permettre à l’émotion d’être là sans être contrôlé par elle. Vous n’êtes plus l’émotion : vous êtes le témoin. » E. Tolle
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
L’auto-enregistrement des cognitions Cette feuille est séparée en quatre colonnes, la première est destinée à la description de la situation, la deuxième au relevé des émotions, la troisième à l’identification des cognitions associées. On y ajoute volontiers une quatrième colonne stipulant le comportement immédiatement adopté. Voici la présentation de la feuille d’auto-enregistrement en quatre colonnes de Beck, décrivant la situation précédente : Situation
Émotions
Pensées associées
Comportement
Je suis dans le bureau avec le psy, l’entretien débute.
Désarroi Tristesse
Je me dis que cette thérapie ne peut rien faire pour moi. Qu’est-ce que je fais là ?
Je me tais
Le relevé produit en cours d’entretien est donné au patient, il lui servira de modèle pour l’inciter à observer ses cognitions. 188
Plusieurs techniques aident le soignant et le soigné dans leur quête.
La représentation d’une scène émotionnellement pénible en imagination Une technique consiste à refaire l’expérience de la situation émotionnelle en imagination et de livrer spontanément à voix haute son discours intérieur. Le thérapeute suggère à son patient ce type d’approche quand ce dernier n’est pas parvenu à observer ses cognitions. Le principe est simple : il est demandé au sujet de s’installer confortablement dans un fauteuil, de se relâcher. Puis il décrit l’expérience vécue. Il se représente alors la scène pas à pas par imagerie mentale et exprime oralement les pensées qui surgissent dans son esprit au cours de l’évocation de l’incident.
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10 • Identifier les pensées négatives dépressives
Le jeu de rôle La technique du jeu de rôle s’utilise dans le cas où la situation problème inclut une relation interpersonnelle. Thérapeute et patient reproduisent la scène et là encore le sujet livre à voix haute les pensées engendrées par la mise en situation. Claude, âgé de 52 ans, présente un épisode dépressif majeur et est hospitalisé. C’est au début du quatrième entretien, au moment de la lecture des feuilles d’auto-enregistrement des cognitions qu’il décrit une situation de détresse : alors qu’il était en contact avec un groupe de personnes, il n’a pas pu identifier ses cognitions tellement l’émotion de désespoir le submergeait. La description de la scène est la suivante : Claude contourne dans le couloir un groupe de personnes (trois personnes, lui semble-t-il). Il se sent envahi très rapidement d’une grande tristesse et pleure. La nouvelle mise en situation lui fait dire : « Je ne compte pour personne. » Afin de poursuivre l’observation du lien entre la situation, l’émotion et la cognition, le soignant est amené à demander : « Quels sont les éléments, les détails de la situation qui vous ont fait dire : je ne compte pour personne ? » PATIENT — C’était un malade avec sa famille, sûrement. Je me suis senti très seul. Personne ne vient me voir. THÉRAPEUTE — Sur quels éléments avez-vous pu dire qu’il s’agissait d’un malade en compagnie de membres de sa famille ? P — Je ne sais pas. Je ne les ai pas regardés. Le questionnement lui montre l’interprétation sélective qu’il a opérée de la situation en se persuadant, arbitrairement, que le groupe de personnes croisées dans le couloir ne pouvait qu’être constitué que d’un patient et de ses familiers.
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Cet exemple illustre l’utilité du jeu de rôle dans l’observation des cognitions produites en situation de relations sociales.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
RÉSUMÉ DE LA LEÇON • Le thérapeute reprend le paradigme TCC en expliquant au patient
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le lien entre la perception d’une situation, les émotions ressenties, les pensées dépressives et le comportement immédiat. Cette explication est facilitée par l’utilisation d’exemples amenés par le patient au cours de l’entretien. Ce lien peut-être expliqué en débutant par la pensée, le vécu émotionnel ou bien encore par le comportement (souvent inhibé du fait de la dépression). Le thérapeute y consacre plusieurs séances afin que le patient se familiarise avec cette démarche de repérage des pensées douloureuses associées à la dépression. Plusieurs stratégies existent pour repérer les cognitions : par questionnement direct au cours de l’entretien, par questionnaires, par auto-enregistrement, à l’aide de jeux de rôle ou encore en imaginant une scène émotionnellement pénible. Ce travail de repérage des cognitions dépressives amorce le travail de mise à distance avec l’abord de techniques de décentration.
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10 • Identifier les pensées négatives dépressives
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Leçon 11
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Déjouer le piège des pensées négatives dépressives Objectifs Se décentrer des pensées automatiques négatives en recherchant d’autres alternatives Enregistrement des pensées alternatives Examen de l’évidence Examen de l’évidence pour et contre Éléments du scénario Recherche d’alternatives de pensées
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PLAN DE LA LEÇON L’enregistrement des pensées alternatives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194 L’examen de l’évidence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195 Examen de l’évidence « pour et contre » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 198 Les éléments du scénario . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199
La recherche d’alternatives de pensée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201 La modification de l’intensité émotionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204 L’évaluation du niveau de conviction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204 L’évaluation des émotions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205
La confrontation à la réalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206 La poursuite de l’auto-enregistrement des pensées dépressives . . 208 Vaincre les difficultés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
« Nous ne pouvons pas changer le monde, mais nous pouvons changer d’idée. » Gérald Jampolsky
’AUTO-ÉVALUATION de ses pensées dépressives réalisée, le processus thérapeutique se poursuit en déjouant le piège des cognitions vraisemblables et en se tournant vers l’argumentation des « pensées automatiques » par la recherche d’autres interprétations possibles de l’événement source. Cette étape de recherche est appelée analyse logique de la situation. Le but est d’ouvrir le mode de pensée de l’individu, en lui faisant utiliser ses capacités de raisonnement logique.
L
« Formuler l’erreur la plus fondamentale, celle d’assimiler la pensée à l’être et l’identité à la pensée. Le penseur compulsif, c’est-à-dire presque tout un chacun, vit dans un état d’apparente division, dans un monde déraisonnablement complexe où foisonnent perpétuellement problèmes et conflits, un monde qui reflète l’incessante fragmentation du mental... Le mental est un magnifique outil si l’on s’en sert à bon escient. Dans le cas contraire, il devient très destructeur. Plus précisément, ce n’est pas tant que vous utilisez mal votre “mental”. C’est plutôt qu’en général vous ne vous en servez pas du tout, car c’est lui qui se sert de vous. Et c’est cela la maladie, puisque vous croyez être votre mental. C’est cela l’illusion. La liberté commence quand vous prenez conscience que vous n’êtes pas cette entité, c’est-à-dire le penseur. » E. Tolle
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Comme pour l’identification des pensées dépressives, la recherche des pensées alternatives débute en séance avec le clinicien, pour être poursuivie par le sujet en dehors des entrevues.
L’ENREGISTREMENT DES PENSÉES ALTERNATIVES Pour la réalisation pratique de cet enregistrement des alternatives, thérapeute et patient ajoutent une cinquième colonne à la feuille d’auto-enregistrement des cognitions. Les quatre premières colonnes gardent la même fonction : relevé de la situation, des émotions et des pensées concomitantes, du comportement ; sur la cinquième subdivision sont inscrites les réponses rationnelles possibles. Qu’entend-on par « rationnel » ? (Larousse) • Propre à la raison : Principes rationnels. • Qui est conforme à la raison, repose sur une bonne méthode : Organisation
rationnelle du travail.
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11 • Déjouer le piège des pensées négatives dépressives
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• Qui paraît logique, raisonnable, conforme au bon sens ; qui raisonne avec justesse :
Un esprit rationnel.
La distanciation des pensées négatives dépressives s’opère par l’utilisation de plusieurs démarches argumentatives. Parmi ces méthodes de prise de distance par rapport à la pensée première, le patient utilisera le cheminement de l’examen de l’évidence et de recherche de pensées alternatives en les combinant éventuellement.
L’EXAMEN DE L’ÉVIDENCE L’examen de l’évidence se pratique de différentes manières, soit par questionnement direct, soit par évocation en imagerie mentale de la situation pénible. Envisageons ces deux démarches. Claude présente une dépression sévère avec un total apragmatisme. Vers le septième entretien de thérapie cognitive, il choisit de réaliser sur sa liste d’objectifs comportementaux une activité plaisante pour lui avant la dépression et qui lui semble abordable aujourd’hui : passer l’aspirateur. La séance suivante, le patient arrive effondré et très pessimiste. Il explique dans le feedback de début d’entretien : « Je ne suis vraiment capable de rien. » Le clinicien lui propose de revenir sur cette pensée. THÉRAPEUTE — Vous me dites, si j’ai bien compris, que « vous n’êtes capable de rien », comme résumé des jours écoulés depuis la dernière séance de thérapie ? PATIENT — Oui. J’avais décidé en fin d’entretien de passer une fois l’aspirateur dans la semaine, dans le salon, ça me semblait facile. Je n’y suis pas arrivé, je suis totalement découragé. T — Je vous propose que nous reprenions plus en détail cette situation et, pour mieux la comprendre, je vous propose de reprendre cette journée où vous aviez décidé de passer l’aspirateur dans votre salon. P — Mardi matin en me levant, je me sentais bien et je me suis dit : aujourd’hui je vais passer l’aspirateur dans la salle à manger. Le matin, je me suis levé, habillé, je me sentais en forme. T — Qu’avez-vous fait durant cette matinée ? P — Des petites choses de la maison, comme tout le monde. T — Qui était avec vous à ce moment-là ? P — J’étais tout seul, ma femme avait décidé d’aller chez une amie. T — Qu’en avez-vous pensé ? P — J’étais d’accord, elle a besoin de souffler, ce n’est pas drôle pour elle de me voir toujours mal. Je me sentais mieux et capable de rester seul. T — Que s’est-il passé dans la matinée ? P — Je me suis senti dynamique et j’ai décidé pour la première fois de me faire à manger.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
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AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
T — Qu’avez-vous fait ? P — J’ai pour la première fois pris un plat dans le congélateur que j’ai chauffé. T — Que faites-vous habituellement ? P — Je bricole, un yaourt, un fruit, sans appétit. T — Ensuite qu’avez-vous fait ? P — J’ai déjeuné tranquillement. J’ai rangé la cuisine. Je me suis senti fatigué. Je suis monté dans le salon. Je me suis allongé sur le canapé et j’ai dormi. T — Qu’avez-vous pensé de cette sieste ? P — Je m’étais beaucoup bougé depuis le matin, j’étais fatigué. T — Qu’avez-vous fait par la suite ? À l’issue de votre sieste, il était quelle heure environ ? P — Seize heures environ. Je me suis dit : tu vas passer l’aspirateur. Je me suis levé. Je me suis rendu au placard de l’aspirateur. Je n’ai pas pu. T — Dites-moi précisément ce qu’il s’est passé ? P — J’ai ouvert le placard où sont tous les balais, l’aspirateur... J’ai regardé l’aspirateur. Je me sentais très las. J’ai refermé le placard. Je suis retourné m’asseoir sur le canapé, accablé. T — Qu’avez-vous pensé devant le placard de l’aspirateur ? P — Je me suis dit : tu dois passer l’aspirateur, tu l’avais prévu, c’est juste à côté et toutes les forces me manquaient, j’avais l’impression que je n’allais plus tenir debout. T — Si je peux résumer ces premières informations, vous avez en quelques heures pensé : « Je suis en forme », « Pour la première fois je me fais à manger », « Je me sens capable de rester seul », « Je prévois de passer l’aspirateur », « Je fais un tas de bricoles chez moi, comme tout le monde » et parce que vous n’avez pas réalisé l’objectif que vous aviez prévu, vous concluez que vous n’êtes capable de rien ? P — Oui. C’est exagéré. Je me sentais tellement bien le matin, que je pensais que tout redevenait possible. J’avais presque oublié la fatigue, la dépression. T — Que pourriez-vous dire maintenant avec ce résumé du début de journée ? P — J’avais fait beaucoup de choses depuis le matin, qui n’étaient pas prévues, qui sont venues toutes seules. J’ai pensé alors que l’aspirateur serait facile aussi. Je m’en étais fait un devoir. J’ai été tellement déçu. Mais je vois aujourd’hui que j’ai fait de cette journée une journée noire du fait de l’échec de l’objectif, alors que j’avais fait beaucoup de choses inhabituelles et avec succès. Il réactive ainsi un ensemble d’autres représentations possibles de la scène qu’il a vécue.
Dans quelques cas, l’émotion est tellement vive que le patient n’arrive pas à suivre cette démarche pas à pas ; il est possible de travailler alors par imagerie mentale. Cécile, 42 ans, arrive effondrée en consultation, me disant qu’un événement catastrophique est survenu, son mari ne lui a pas dit bonsoir comme tous les autres soirs. Il va la quitter. Sa conviction est absolue et elle signale qu’elle en a parlé à sa voisine, elle-même divorcée, qui partage son sentiment. Toute démarche par auto-questionnement est impossible et nous l’invitons à reprendre l’épisode en imagination.
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11 • Déjouer le piège des pensées négatives dépressives
THÉRAPEUTE — Je vous propose que nous reprenions ensemble le déroulement de cette soirée. Vous m’indiquiez que la situation a eu lieu au retour de votre mari, imaginez le début de cette soirée, fermez les yeux, quelle heure était-il ? PATIENTE — Environ 20 heures peut-être. T — Que faisiez-vous avant l’arrivée de votre mari ? P — Je préparais le dîner, dans ma cuisine. T — Que s’est-il passé ? P — Je finissais de préparer le repas, mon mari n’était pas rentré, il était en retard, je m’inquiétais. T — À quelle heure rentre votre mari les autres soirs ? P — Il rentre très régulièrement le soir, vers 19 heures, mais en ce moment je sais qu’il a beaucoup de réunions. T — Si je me permets de résumer le début de cette soirée, vous me dites être convaincue que votre mari veut vous quitter, car il ne vous a pas dit bonsoir comme tous les autres jours en rentrant de son travail. P — Oui. Ce n’est pas normal, il m’a toujours embrassée chaque soir en rentrant... T — Que fait-il habituellement, quand il rentre à votre domicile ? P — Il me dit toujours bonsoir, et là il n’est pas passé me voir, il est allé directement dans son bureau, je suis sûre qu’il va me quitter. T — Que fait-il habituellement le soir ? P — Il me dit bonsoir, puis va dans son bureau. T — Que fait-il dans son bureau le soir ? P — Il travaille à ses dossiers et nous dînons quand il a fini ; là je n’en pouvais plus, je suis allée directement me coucher meurtrie. T — Souvenez-vous quand il est rentré, qu’est-ce qu’il vous a dit, quel était le son de sa voix ? P — Il ne m’a rien dit, il est allé immédiatement dans son bureau et a téléphoné, à son fils je crois, d’après ce que j’ai entendu. T — Que vous souvenez-vous d’autre ? P — Il avait un pas saccadé, il s’est enfermé dans son bureau. J’ai compris qu’il ne voulait pas que je le dérange. Il veut me quitter. T — Que pouvez-vous me dire sur son fils ? P — Il m’avait téléphoné dans l’après-midi pour joindre son père de façon urgente. Il a beaucoup de soucis de travail, en ce moment. T — Que pourriez-vous en dire ? P — Mon mari est toujours très soucieux pour son fils, il a déjà eu beaucoup d’ennuis. En ce moment cela tombe mal, avec toutes ses réunions de fin d’année, il est déjà très fatigué, il m’en a parlé, il n’y a pas assez d’effectifs en ce moment à son bureau. Le travail en imagerie mentale lui a permis de remettre en place tous les éléments du contexte interagissant avec elle. Après ce travail d’une bonne quinzaine de minutes, elle conclut qu’elle ne s’était concentrée que sur elle-même en se sentant abandonnée, en ne prenant en compte ni la surcharge de travail de son mari, ni les soucis avec son fils, ni les réunions exceptionnelles de
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
fin d’année... Elle s’enfermait dans ses raisonnements sans du tout accéder aux informations de contexte qui sont cependant là.
Ces deux démarches procèdent de la découverte guidée : le patient reprend comme un film, image après image, toutes les séquences de l’action, afin de reconstituer l’ensemble de la représentation mentale de la situation émotionnelle. Il réactive ainsi pas à pas différentes facettes, émotions, que la cognition principale a laissées dans l’ombre. Le thérapeute propose, après cette démarche en séance qui est le plus souvent immédiatement comprise, de reproduire avec une autre situation cet examen de l’évidence, dans la semaine qui suit. Cette démarche de découverte guidée de l’ensemble des représentations mentales attachées à une situation de détresse demande du temps, et un examen de l’évidence, comme cité ci-dessus, requiert généralement une bonne vingtaine de minutes. Au cours d’une séance de thérapie, un seul examen de l’évidence peut être pratiqué, par questionnement direct ou par imagerie mentale, car cette démarche pragmatique est longue. Le cheminement du sujet est lent, toujours guidé par le questionnement ouvert et socratique du soignant. Cependant le patient obtient un réel soulagement émotionnel et saura assez vite répliquer seul cette démarche d’investigation concrète. D’autres méthodes de l’examen de l’évidence sont aussi possibles et procèdent d’une démarche plus directive, plus brève. 198
Examen de l’évidence « pour et contre » Le thérapeute demande au client de rechercher cinq arguments qui vont dans le même sens que sa première cognition notée dans son carnet de thérapie ; puis de trouver cinq autres arguments qui vont dans le sens inverse de la cognition dépressive. Cela est appelé recherche de l’évidence pour et recherche de l’évidence contre. Olivier, cadre en entreprise, déprimé dans un contexte professionnel de stress, pratique ainsi un examen des arguments pour et contre. 1. Identifier la situation émotionnelle « Mon directeur m’appelle pour la cinquième fois sur mon portable, on est dimanche. » 2. Identifier les émotions « Colère et dépit. » 3. Pensée immédiate « Il exagère. »
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11 • Déjouer le piège des pensées négatives dépressives
4. Analyse logique de la situation – Examen de l’évidence pour : « Depuis trois ans, il m’appelle tous les jours, tous les week-ends sur mon portable ; il entre dans mon bureau n’importe quand sans prévenir ; il ose me donner de temps à autre des diminutifs familiers ; il m’appelle souvent pour des choses qui peuvent attendre au moins le lendemain ; tout le monde en a peur, je ne supporte pas les gens qui crient, qui explosent de colère. » – Examen de l’évidence contre : « Je suis venu réaliser cette émission parce que le projet était intéressant ; je n’ai pas choisi ce directeur, il a changé après ma nomination ; j’ai des propositions ailleurs auxquelles je vais répondre ; j’ai un haut niveau d’expertise professionnelle, je suis depuis plus de quinze ans dans le métier et je ne suis pas un débutant ingénu, mon équipe m’apprécie ; j’ai une vie personnelle en dehors de mon métier. » 5. Reformulation de la pensée initiale « J’ai travaillé durement, je suis reconnu en tant que bon réalisateur, je n’ai pas à trembler, ni à me soumettre à un colérique qui ne respecte personne. » 6. Conséquences concrètes et développement de stratégies de résolution de problème « Faire le point le vendredi pour le lundi matin, mettre mes téléphones sur messagerie, rappeler si le motif est urgent, ne prendre en compte que les sujets qui concernent l’émission... »
Comme le montre cet exemple, l’analyse logique de la situation émotionnellement pénible, quelle que soit la méthode utilisée, se conclut en sélectionnant l’interprétation de la situation la plus rationnelle et en tirant une conclusion comportementale : « Si cette situation se reproduit, qu’est-ce que je décide aujourd’hui de faire ? », afin de développer des stratégies de coping.
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Les éléments du scénario Une dernière procédure d’examen de l’évidence par auto-questionnement, moins usitée, consiste en la recherche des éléments fondamentaux qui structurent la scène émotionnelle. Marc est déprimé, il vit seul ; le matin, avant de partir pour son travail, il prend son café à la brasserie en face de chez lui. Il signale la brutale tristesse qui l’a envahi un matin alors qu’il regardait dans la rue les passants, assis devant son café. Les éléments principaux qui structurent la scène psychologique sont de trois ordres : 1. Marc prend son café. 2. Contexte : tôt le matin, dans une brasserie de son quartier. 3. Il regarde les passants.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Ces éléments primaires sont ceux que l’on dessinerait en premier, s’il fallait reproduire la situation évoquée par le patient sous forme d’un cartouche de bande dessinée. Ce sont les éléments fondamentaux structuraux qui donnent un sens à la situation et qui doivent être présents pour comprendre la situation sans explication. La première étape est donc de définir les facteurs principaux, puis de rechercher par facteur au moins deux points de vue possibles. Marc nous propose alors : • Pour le facteur 1 :
« Il y a plein de personnes seules comme moi. » « Je n’ai pas envie de discuter avec le serveur. » • Pour le facteur 2 :
« Tous les gens ont l’air triste. » « Il fait très froid ce matin. » • Pour le facteur 3 :
« La jeune femme m’évoque une ancienne amie, c’est du gâchis. » « Tous les gens se dépêchent comme des automates. »
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Cet examen de l’évidence met au jour des pensées pessimistes, mais aussi des pensées relatives au passé, à une expérience amoureuse qu’il regrette et à son point de vue sombre sur les hommes et la société.
Sous l’effet de l’émotion, la focalisation de la pensée sur un point de vue unique et tout à fait convaincant lui a fait oublier tous les autres éléments qui interviennent dans la scène psychologique. Mais cette reconstruction du contexte personnel, environnemental, lui permet un réancrage dans la réalité et construit un ensemble de points de vue plus rationnels qu’émotionnels. Remettre en contexte... Un nouveau patient dit à son psychanalyste : « Docteur, venez-moi en aide. Je suis persuadé que je suis un oiseau. – Tenez, perchez-vous là, en mangeant quelques graines de millet. J’enferme mon chat dans la pièce à côté et vous allez me siffler toute votre histoire. » Dans « uneblague.com »
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11 • Déjouer le piège des pensées négatives dépressives
LA RECHERCHE D’ALTERNATIVES DE PENSÉE La pratique de décentration permet également de mettre en lumière d’autres points de vue. La recherche de ces alternatives de pensées s’effectue par le biais de questions du type : « Qu’est-ce que je pourrais penser d’autre ? » Ce questionnement personnel pratiqué par le sujet déprimé lui permet de se décentrer de son premier point de vue négatif, pessimiste. Une pensée n’est pas un fait... Visitant un asile d’aliénés sous la conduite du directeur, une dame se trouve face-à-face avec un homme, agité de tics, qu’elle questionne avec douceur : « Dites-moi, mon ami, êtes-vous bien, ici ? Vous ne vous ennuyez pas trop ? La nourriture est bonne ? » Au bout d’un moment, le directeur se met à rire. « Savez-vous, demande-t-il, qui vous venez d’interroger ? Ce n’est pas un fou, c’est notre directeuradjoint. – Eh bien, dit la dame, vexée, je vous jure qu’à l’avenir je ne me laisserai plus jamais prendre aux apparences. » Dans « uneblague.com »
La démarche organisée et structurée le conduit non seulement à se décentrer de lui, mais aussi à se décentrer dans le temps. Au total, toutes sortes de formes de décentration sont proposées par l’intermédiaire d’un auto-questionnaire de vingt questions, mis au point dans les années 1980 par Beck et ses collaborateurs dont nous présentons ci-dessous un extrait traduit et modifié par nous.
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En pratique, il ne paraît pas nécessaire d’utiliser complètement cet auto-questionnaire, long et compliqué. Mais il est possible de sélectionner avec le sujet quelques questions utiles, en particulier le troisième item du questionnaire. Grâce à cette version adaptée, le patient expérimente différentes décentrations et prend conscience de l’importance exagérée qu’il a accordée à sa pensée initiale. Questionnaire de décentration Vingt questions pour vous aider à traiter les pensées négatives. 1. Est-ce que je confonds une pensée avec un fait réel ? 2. Est-ce que je juge, je conclus trop hâtivement ? 3. Est-ce que je prétends que la façon dont j’entrevois les choses est la seule possible ? 4. Qu’est-ce que je veux ? Quels sont mes buts ?
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
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5. Est-ce que je pose des questions auxquelles on ne peut répondre ? 6. Pourquoi ne suis-je pas différent ? Pourquoi cela n’arrive qu’à moi ? Pourquoi la vie est-elle si injuste ? 7. Est-ce que je pense en termes de tout ou rien ? 8. Est-ce que j’utilise une forme d’ultimatum dans mes pensées ? 9. Est-ce que je me condamne comme personne sur la base d’un seul élément ? 10. Est-ce que je me concentre sur mes faiblesses, oubliant mes côtés forts ? 11. Est-ce que je me blâme pour quelque chose dont je ne suis pas responsable ? 12. Est-ce que je considère comme personnel quelque chose qui a peu ou pas à voir avec moi. 13. Est-ce que j’attends de moi d’être parfait ? 14. Est-ce que j’utilise une double évaluation ? 15. Est-ce que je ne considère que le côté noir des choses ? 16. Est-ce que j’exagère les risques de désastre ? 17. Est-ce que je m’inquiète de la manière dont devraient être les choses plutôt que de les accepter et de les traiter telles quelles sont réellement ? 18. Est-ce que je suppose que je ne peux rien faire pour changer ma situation ? 19. Est-ce que je cherche à prédire l’avenir plutôt que simplement à l’expérimenter ?
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En pratique, cette liste est trop longue à utiliser pour un sujet déprimé, fatigué, à qui il reste des troubles de concentration ; mais le soignant peut s’en inspirer pour aider son patient à prendre du recul par rapport à ses pensées dépressives négatives et culpabilisantes. Citons un exemple illustratif. Christophe, âgé de 38 ans, se débat avec sa deuxième récidive dépressive. Parvenu à la huitième séance, il note sur une de ses feuilles d’auto-enregistrement : Situation : « J’attends dans un magasin, on ne vient pas me servir. » Émotions : « Désespoir. » Pensée : « Je n’existe pour personne. » Alternatives : « Je vais me manifester pour que l’on s’occupe de moi. » « Cela ne fait que quelques minutes que je suis entré dans cette boutique, le commerçant est probablement occupé. » « Je regarde en attendant ce qu’il y a dans la boutique pour bien préciser mon choix. » La recherche de ces alternatives de pensées n’est pas facile pour un individu qui est souvent absorbé par ses pensées négatives. Le thérapeute peut façonner cette démarche à l’aide du questionnaire suivant :
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11 • Déjouer le piège des pensées négatives dépressives
– Que pourrais-je penser dans cette même situation ? Ce sont les réponses livrées dans l’exemple ci-dessus. Cependant l’argumentation peut être élargie. – Que penserais-je d’autre, dans une situation analogue ? Notre patient recherche d’autres situations où une émotion analogue a été ressentie. Christophe se souvient alors que ce même sentiment s’est reproduit lors d’une attente dans un bar-tabac et lors d’une attente dans un pressing. Il recherche alors d’autres pensées. – Que pourrais-je penser d’autre globalement dans toute situation d’attente ? – Que penserait quelqu’un d’autre face au même événement ? Ce dernier exemple illustre la décentration de personne. Il lui est demandé de prendre la place d’une autre personne – d’une personne qu’il connaît et dénomme dans son esprit : père, mère, femme, mari. Il se rend compte qu’il tenait peu compte de l’observation des individus et qu’il concentrait son attention uniquement sur lui-même. Notre patient se met à la place de son épouse et il se rend compte que celle-ci penserait : « Je suis contente de venir m’acheter de nouvelles chaussures », ou « Il y a de merveilleuses choses dans cette boutique », ou encore « Si je ne trouve pas ce que je souhaite ici, il a plein d’autres possibilités dans le quartier. » Une autre question à se poser est : – Si j’étais un observateur externe à cette situation, comme si j’étais un cameraman qui filme cette scène, qu’est-ce que j’en penserais ? Il trouve pour réponses : « Cet homme a du mal à se décider, il semble hésitant » ; « Il ne trouve rien à son goût » ; « Quelque chose n’a pas l’air de lui convenir. » Dernière question possible : – Si j’avais quinze années de moins, qu’est-ce que j’aurais pensé dans la même situation ? « Ils ne sont pas commerçants, je vais aller dans une autre boutique » ; « J’ai tout mon temps, aujourd’hui j’ai pris mon après-midi » ; « Je profite de cette attente pour laisser un message sur le portable de ma fille. »
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Pendant les deux premières séances d’apprentissage, le sujet dépressif a du mal à prendre du recul critique par rapport à sa première pensée négative. Quand le patient est en difficulté, le thérapeute propose les stratégies de modeling participatif et cherche avec lui les différents points de vue possibles de la situation problème. Il peut ainsi proposer son point de vue à chacune des questions posées, en alternance avec lui. Grinberger et Padevski comparent ce travail quotidien de décentration avec l’apprentissage d’une langue étrangère. Élaborer les premiers essais, les premiers mots, les premières phrases semble tout aussi laborieux que trouver des alternatives de pensées. Parler la langue étrangère sera toujours un acte volontaire, de la même manière que se décentrer dans une situation émotionnellement pénible. Mais, plus l’exercice de la langue est quotidien, plus il est facile de construire des phrases et d’acquérir certains automatismes. Et, comme pour le langage, avec de l’entraînement, il trouvera des alternatives de tête en quelques secondes et en ressentira le bienfait immédiat.
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 204 — #216
APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Compte tenu de la difficulté de l’apprentissage, le soignant utilise au départ non seulement le modeling participatif, mais aussi l’entraînement entre les séances, sur une seule situation de la semaine, soit à distance de l’expérience émotionnelle difficile, soit quelques heures après. Quand il met en pratique ces stratégies de décentration, il peut alors faire la démarche par écrit, toujours dans les trente minutes qui suivent la situation. Marthe dira : « C’est comme un ballon qui se dégonfle brutalement, toute ma tension intérieure disparaît. » Le patient éprouve ainsi physiquement l’impact du travail cognitif sur son vécu émotionnel. Quelques semaines plus tard, il recherche les alternatives de pensée de tête, sur le vif de la situation, mais certains ressentent encore le besoin d’écrire, si l’émotion est trop forte, afin de poser et de résoudre la crise. Grinberger et Padevski estiment qu’il est nécessaire de répéter cette démarche de décentration entre 50 à 60 fois avant qu’elle ne devienne efficace, facile à réaliser et ne s’automatise.
LA MODIFICATION DE L’INTENSITÉ ÉMOTIONNELLE
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Les méthodes de décentration ont pour but de mieux gérer les émotions de tristesse, de culpabilité, de désespoir du sujet déprimé. Cet effet émotionnel est mesuré lors d’une étape d’évaluation de ses pensées et de ses émotions, où le patient estime son niveau d’adhésion à ses cognitions et apprécie le niveau d’intensité de ses émotions. L’auto-évaluation a pour but de montrer au soigné comment sa démarche cognitive d’ouverture de pensée a tout à la fois modifié le niveau de conviction associé à la cognition négative de départ et transformé son niveau de ressenti émotionnel.
L’évaluation du niveau de conviction Le patient commence par apprécier son niveau de conviction, sur la troisième colonne, où est notée la pensée dysfonctionnelle associée à un événement pénible. Cette estimation peut utiliser une échelle en pourcentage de 0 à 100 % (aucune conviction jusqu’à la conviction absolue). Elle peut se faire également à partir d’une échelle analogique visuelle, ou une échelle graduée en cinq points sur laquelle le sujet place son appréciation. Chaque argument va être affecté d’un coefficient reflétant soit sa force psychologique en cotant l’adhésion du sujet (degré de conviction), soit son poids logique en estimant sa validité (probabilité ou valeur de vérité de l’argument). Le niveau de probabilité est évalué pour chaque alternative de pensée identifiée.
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 205 — #217
11 • Déjouer le piège des pensées négatives dépressives
Pour apprécier son évolution, il réestime son niveau d’adhésion à sa première cognition en la notant sur ses feuilles d’auto-enregistrement dans une cinquième colonne. Cette dernière colonne ajoutée au relevé personnel du patient inclut donc le nouveau niveau de conviction associé à la cognition initiale ainsi que la nouvelle estimation du niveau émotionnel.
L’évaluation des émotions Dans son auto-enregistrement par triple colonne, le sujet évalue quantitativement la part des émotions associées à la situation déclenchante. Là encore, cette estimation peut faire appel aux pourcentages ou aux échelles chiffrées. Quelques émotions • Joie : gaieté, plaisir, contentement, amusement, euphorie, satisfaction, fierté,
entrain, excitation, optimisme... • Tristesse : accablement, découragement, solitude, désespoir, abandon, désarroi,
chagrin, mélancolie... • Colère : haine, rage, mécontentement, mépris, aversion, frustration, jalousie, irritation, rancune, énervement... • Peur : crainte, nervosité, anxiété, appréhension, effroi, terreur, méfiance, panique, inquiétude, tension... • Honte : remords, embarras, regret, humiliation, culpabilité...
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Après l’identification des pensées alternatives, le patient réévalue son niveau émotionnel qui, dans notre expérience clinique, est généralement diminué de moitié. Extraits d’auto-enregistrement en cinq colonnes Denise, âgée de 25 ans, vit une expérience pénible dans son contexte professionnel, pour lequel elle a utilisé le relevé à 5 colonnes dans un but thérapeutique de soulagement émotionnel. Situation : Après avoir présenté un dossier en réunion, il m’est dit que le travail rapporté est décevant. Émotions : Tristesse (100 %). Incompréhension (40 %). Pensée associée : Je ne sais rien faire (conviction 80 %). Comportement : Analyse logique : J’ai déjà présenté bien d’autres dossiers qui ont été appréciés (80 %) ; Dans le service où je travaillais précédemment, j’étais félicitée pour la qualité de mon travail (80 %) ; Le chef de service est nouveau et préfère peut-être une autre forme de présentation des données (40 %) ;
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 206 — #218
APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
J’ai inclus dans les conclusions des convictions personnelles qui étaient superflues, mais que j’avais envie de formuler (40 %) ; Je peux m’être trompée et avoir établi de mauvaises estimations (20 %) ; Je reprendrai ce dossier pour en voir les failles une prochaine fois (20 %). Nouvelle estimation de la croyance associée à la cognition initiale : 25 % ; Nouvelle estimation du niveau émotionnel : Tristesse (20 %). Irritabilité (20 %). Le travail cognitif se poursuit en appliquant hors séance des exercices qui font partie intégrante de la thérapie.
LA CONFRONTATION À LA RÉALITÉ « Le plaisir peut s’appuyer sur l’illusion, mais le bonheur repose sur la réalité. » Chamfort
Les prescriptions d’exercices définis en collaboration avec le patient ont deux objectifs. Le premier est la confrontation à la réalité des prédictions ou des conclusions émises par le sujet déprimé. Le deuxième objectif, qui découle du premier, est la reprise d’activités inhibées par certaines cognitions.
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Ces exercices étaient donc le processus de modification des pensées dysfonctionnelles. Définis d’un commun accord, ils doivent être expliqués quant à leurs buts à long terme, mais aussi guidés dans leur réalisation pratique. Ainsi, il est souvent souhaitable que le sujet se fixe des rendez-vous avec lui-même pour réaliser ces épreuves ou bien qu’il définisse une unité de lieu et de temps (« Je le ferai le soir chez moi et j’y consacrerai une quinzaine de minutes »). Si l’exercice semble trop difficile ou s’il s’avère non réalisable en pratique, soignant et patient définissent alors des sous-étapes. Cette procédure a été suivie par Claude et la tâche en illustration a été demandée à la fin du troisième entretien. À cette époque, elle ne faisait plus face aux activités domestiques. Le clinicien lui a demandé de faire la vaisselle une fois dans la semaine, prescription qui a suscité les propos suivants au quatrième entretien : THÉRAPEUTE — Vous aviez pour exercice de faire une fois la vaisselle au cours de la semaine et vous venez de me dire que cela a été impossible du fait d’une idée permanente : « et tout va se briser ». Comment avez-vous abordé cet exercice ? Qu’avez-vous pu réaliser ? PATIENT — J’ai rassemblé la vaisselle sur la table et je n’ai rien pu faire d’autre. Je pensais que j’allais tout casser par maladresse. T — Pouvons-nous envisager cette situation en trois sous-étapes ? La première est de rassembler la vaisselle sur la table, ce que vous avez tout à fait bien réalisé. La deuxième étape est l’empilement de la vaisselle dans le bac de l’évier. Enfin la troisième étape est le lavage de la vaisselle.
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 207 — #219
11 • Déjouer le piège des pensées négatives dépressives
P — Oui. T — Nous allons examiner ensemble, au cours de cet entretien, votre idée que tout va vous échapper des mains et se casser et, une fois que cette pensée sera pour vous moins floue, moins invalidante, vous pratiquerez la première, puis la deuxième étape de la vaisselle. P — D’accord.
Cet exemple simple reflète bien les problèmes quotidiens des sujets déprimés. L’exécution de cette activité élémentaire a redonné confiance à cette patiente, qui a repris spontanément bon nombre d’initiatives dans sa maison, sans être guidée par le soignant. Même si le travail cognitif et comportemental est quelquefois lent, le bénéfice se généralise rapidement à plusieurs secteurs de la vie de l’individu. S’il existe un blocage dans la réalisation d’un exercice en dépit de son abord gradué, il est possible d’utiliser la technique de répétition en imagination. En cours de séance, le thérapeute fait visualiser mentalement l’expérience difficile, afin d’identifier les blocages. Cette scène est visualisée le nombre de fois nécessaire pour qu’elle ne soit plus source de pensées inhibitrices. C’est à partir du moment où la situation est imaginée sans gêne qu’il est demandé au patient de la réaliser concrètement. L’encadré suivant résume les différentes étapes de la démarche thérapeutique du combat des pensées négatives dépressives. Récapitulatif du travail sur les pensées dépressives
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1. Je repère mes pics émotionnels. 2. J’apprends à nommer mes émotions pendant huit jours. 3. J’effectue chaque jour le relevé des situations émotionnellement agréables et désagréables en décrivant la situation, les émotions, la pensée immédiate et l’attitude adoptée. 4. Pendant huit jours environ, j’effectue sur mon carnet de thérapie cette transcription en quatre colonnes. 5. J’apprends à déjouer mes pensées négatives par l’examen de l’évidence. 6. Je complète par la recherche d’autres points de vue possibles. 7. Je choisis le comportement que j’adopterai la prochaine fois que cela se produit. 8. J’évalue l’effet du combat des pensées dépressives sur mon vécu émotionnel. 9. Je déjoue de plus en plus le piège des pensées dépressives même de tête, sans écrire. 10. Déjouer le piège des pensées négatives devient facile au bout de trois à quatre semaines et me permet d’atteindre beaucoup plus facilement les objectifs comportementaux choisis au début de la thérapie.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
LA POURSUITE DE L’AUTO-ENREGISTREMENT DES PENSÉES DÉPRESSIVES En dehors des séances, le patient poursuit l’auto-observation et l’identification de ses cognitions. Le soignant le guide dans la distinction entre une pensée automatique et d’autres pensées réfléchies. Le critère principal est que la pensée automatique dépressive n’est pas le fruit d’un discours réfléchi, ni d’un raisonnement conscient. Si la cognition a une forme très générale et globale, si elle se présente comme une conclusion : « Le suicide est ma seule solution » ou bien encore « Je suis un perdant », on recherche l’enchaînement de pensées qui a conduit à cette dernière affirmation pour remonter à la première pensée automatique. Le clinicien s’aide d’exemples pour illustrer la différence entre cognition et pensée raisonnée. Cette dernière a une forme beaucoup plus élaborée et reflète les thèmes ou sujets de réflexion du sujet déprimé.
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Le sujet est incité à pratiquer ce relevé par écrit. Cette procédure s’intitule l’autoenregistrement des cognitions. Ce relevé des situations pénibles, sources d’émotions et de pensées pessimistes, débute en séance avec le thérapeute. Il se trouve alors en possession de plusieurs exemples des derniers jours. Ces exemples travaillés en séance éliminent les doutes et les incertitudes qui envahissent le patient après la séance comme : « Je ne sais plus ce que le psy m’a dit de faire, je ne sais plus ce qu’il appelle cognition ou pensée associée, est-ce bien ce type de pensée qu’il veut ? » Le clinicien donne au sujet d’autres situations fréquemment rencontrées par le sujet déprimé, dont voici quelques illustrations. Situation
Émotions
Pensée associée
Il est huit heures, je refais mon lit et je n’y arrive pas.
Irritabilité Tristesse Découragement
Décidément je ne serai jamais capable de faire quelque chose de mes mains.
Je reste dans mon lit sans pouvoir me lever.
Tristesse
Mon cerveau ne fonctionne plus.
Je suis invitée à dîner et je reste prostrée dans un fauteuil à mon domicile.
Tristesse Dégoût
Je suis laide.
Au-delà d’une auto-observation, il s’agit déjà d’une technique thérapeutique, outil du changement. L’auto-enregistrement des pensées a pour première conséquence de faire adopter par le patient un point de vue plus objectif par rapport à ses processus de pensée. En effet, au commencement de la thérapie, il ne s’interroge pas sur la validité de ses prédictions et
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11 • Déjouer le piège des pensées négatives dépressives
il établit une absence de correspondance absolue entre ses interprétations et la réalité. Mais l’auto-enregistrement des cognitions établit une première mise à distance vis-à-vis des conclusions absolues émises.
VAINCRE LES DIFFICULTÉS Face à cette démarche psychologique nouvelle où la participation active du patient est demandée, certaines interrogations peuvent surgir. Certains sujets redoutent de voir leur état dépressif s’aggraver, en se concentrant sur leurs pensées négatives. Il est nécessaire alors de redéfinir la démarche cognitive et de leur montrer que celle-ci va, au contraire, faciliter le développement des alternatives de pensées et la mise à distance émotionnelle. L’auto-enregistrement des cognitions est toujours amorcé par des illustrations propres au sujet. Cependant, certains n’aiment pas écrire, ou n’arrivent pas à exprimer par écrit ce qu’ils ressentent, ou encore en ressentent de la honte. Par son attitude ouverte et chaleureuse, le clinicien aide le sujet déprimé dans son observation. Pour faciliter encore l’identification des cognitions, le thérapeute peut faire appel, si besoin, à une liste des cognitions les plus habituellement retrouvées au cours de la dépression, à l’aide du questionnaire des pensées automatiques (Hollon et Kendall, 1980). L’individu se sert de cette liste comme « pense-bête ». Pendant plusieurs jours, il coche sur cet inventaire les pensées qui viennent à son esprit le plus fréquemment. Par la suite, il établit sa propre liste de cognitions négatives et évalue quotidiennement la fréquence de chacune d’entre elles à l’aide d’une échelle graduée allant de zéro à dix (zéro pour absente et dix pour constante). Cette stratégie offre une évaluation à la fois qualitative et quantitative de la production des cognitions. Toutefois le patient est encouragé à identifier seul ses pensées dysfonctionnelles, pour obtenir un contrôle accru de lui-même et une meilleure intégration de la démarche psychologique.
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Une autre difficulté rencontrée vient du fait qu’il est possible (mais exceptionnel) que les pensées du sujet soient très nombreuses et dépassent les moyens cités : « Dans ma tête, cela tourne à toute vitesse et tout est négatif. Je ne peux plus rien contrôler. Je ne peux rien noter, parce que cela va à une telle vitesse qu’il faudrait que je note soixante choses par minute. » Une pareille constatation est surtout observée chez les patients bipolaires, même en phase dépressive ou mixte. Une solution possible est d’enregistrer sur bande audio le monologue intérieur qui se déroule. Il n’est pas nécessaire de réaliser un enregistrement continu, mais quelques échantillons de discours intérieurs suffisent. L’usage du magnétophone est également proposé à tous ceux
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
qui présentent des gênes physiques altérant l’écriture. Par exemple, les sujets qui souffrent de tremblements des extrémités des membres supérieurs par anxiété ou par effet iatrogène (effet secondaire de certains antidépresseurs) ou par maladie organique (Parkinson). Cet auto-enregistrement est considéré quelquefois comme l’explicitation de pensées intimes que le patient souhaite garder secrètes. Ces écrits sont alors conservés par le soignant. Dans un ordre d’idée similaire, l’auto-enregistrement des cognitions se transforme parfois en la rédaction d’un journal prolixe. Le patient peut conserver ce mode rédactionnel dont il a ressenti le besoin ; toutefois il lui est demandé, quelques instants avant son entretien, de souligner les passages qui correspondent aux pensées dépressives. Au cours des entretiens consacrés à l’identification des pensées dysfonctionnelles, le thérapeute a une attitude ouverte, compréhensive et encourageante. L’initiation à cette approche d’auto-observation quotidienne est à renforcer parce qu’inhabituelle et distante d’une recherche de liens de causalité.
RÉSUMÉ DE LA LEÇON • Le thérapeute présente le modèle cognitif de l’interaction
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situation-cognition-émotion-comportement en prenant le plus possible les exemples du sujet. Il est préférable d’avoir une boucle d’interaction sur la journée écoulée. Le clinicien identifie les pensées automatiques négatives du patient. Il l’initie aux méthodes de décentration. Il repère les biais cognitifs. Il l’initie aux techniques des tâches graduées.
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NOTES
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Leçon 12 Déjouer les biais de pensée 212
Objectifs Aider au repérage des processus cognitifs Utilisation du discours socratique Recherche des processus d’attribution dysfonctionnelle Identification des processus à partir d’exemples du carnet de thérapie Identification des processus à partir de questionnaires
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PLAN DE LA LEÇON L’identification des processus cognitifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214 Les méthodes pour déjouer les biais de pensée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217 Utilisation du discours socratique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217 Recherche des processus d’attribution dysfonctionnelle . . . . . . . . . 221 Identification des processus à partir d’exemples du carnet de thérapie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224 Identification des processus cognitifs à partir de questionnaires 225
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
« Penser est une affaire intime. » Marie Desplechin
L’IDENTIFICATION DES PROCESSUS COGNITIFS La démarche de thérapie cognitive poursuit sa progression avec l’identification des biais cognitifs inhérents à la dépression. On aborde ici le deuxième niveau de dysfonctionnements cognitifs, celui des processus cognitifs utilisés en excès pour certains ou insuffisamment pour d’autres. Tableau 12.1. Définition et exemples de biais cognitifs (liste non exhaustive) N°
Définition
Exemple
1
Pensée dichotomique (appelée aussi « toutou-rien » ou « noir ou blanc »)
Je vois une situation, une personne, ou un événement comme tout-ou-rien, en les plaçant dans seulement 2 catégories extrêmes au lieu d’un continuum.
« J’ai fait une erreur, je suis donc un échec. » « J’ai mangé plus que prévu, donc j’ai gâché complètement mon régime. » Mon exemple :
2
Prédiction du futur (diseuse de bonne aventure)
Je prédis l’avenir en termes négatifs et je crois que ce qui se passera sera tellement horrible que je ne serai pas en mesure de le supporter.
« Je vais être tellement bouleversé que je ne serai pas en mesure de me concentrer à l’examen. » Mon exemple :
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Distorsion cognitive
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12 • Déjouer les biais de pensée
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Disqualification Je disqualifie et des aspects écarte les positifs expériences ou événements positifs, insistant sur le fait qu’ils ne comptent pas.
« J’ai réussi à l’examen, mais je n’ai eu que de la chance. » « Aller au collège n’est pas grand-chose, n’importe qui peut le faire. » Mon exemple :
4
Raisonnement Je crois que mes émotionnel émotions reflètent la réalité et les laisse guider mes attitudes et mes jugements.
« J’ai l’impression qu’elle m’aime, ça doit donc être vrai. » « J’ai très peur de l’avion, donc voler doit être dangereux. » Mon exemple :
5
Étiquetage
« Je suis un perdant. » « Il s’agit d’une personne pourrie. » « C’est une connasse. » Mon exemple :
6
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Je mets une étiquette fixe, globale, le plus souvent négative, sur moi-même ou sur les autres.
Maximalisation/J’évalue moi-même, minimisation les autres, et les situations, en grossissant les points négatifs et/ou en minimisant les aspects positifs.
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« J’ai eu zéro. Cela prouve à quel point je suis inférieur. » « J’ai eu un 10. Ça ne veut pas dire que je suis intelligent. » Mon exemple :
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
7
Abstraction sélective (appelée aussi « vision en tunnel »)
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Je fais attention à un ou peu de détails et je ne parviens pas à voir la situation entière.
« Mon patron m’a dit qu’il avait aimé ma présentation, mais il a corrigé une diapositive, je sais qu’il n’a pas dit la vérité. » « Même si le groupe a dit que mon travail était bon, une personne a signalé une erreur, alors je sais que je vais être viré. » Mon exemple :
La thérapie a commencé depuis au moins huit séances, le patient déprimé sait désormais utiliser efficacement les différentes modalités de décentration, et gère rapidement, efficacement, ces moments émotionnels pénibles en « désamorçant » l’émotion dévastatrice. 216
Il reprend confiance en lui petit à petit, il avance dans sa liste d’objectifs écrits dans son contrat thérapeutique, son humeur dépressive est en cours d’amélioration, et il remarque, comme le soignant, qu’un certain nombre de situations pénibles se répète, toujours sur le même mode, et que pourtant il aurait pu agir ou réagir autrement, il en avait les moyens. L’identification des biais cognitifs permet de répondre en grande partie à cette question. Elle amène le patient à identifier les mécanismes opérants dans ces répétitions. Qu’entend-on par « observer le penseur » ? « Il vous est certainement déjà arrivé de croiser dans la rue des déments qui parlent sans arrêt tout haut ou tout bas. En réalité, ce n’est pas très différent de ce que vous et tous les gens « normaux » faites, sauf que vous le faites en silence. La voix passe des commentaires, fait des spéculations, émet des jugements, compare, se plaint, aime, n’aime pas, et ainsi de suite. Ce que cette voix énonce ne correspond pas automatiquement à la situation dans laquelle vous vous trouvez dans le moment. Elle ravive peut-être un passé proche ou lointain ou bien alors imagine et rejoue d’éventuelles situations futures... Et même si ce que la voix dit correspond à la situation du moment, elle l’interprétera en fonction du passé. » Eckart Tolle
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12 • Déjouer les biais de pensée
Si tous les auteurs s’accordent à constater ces altérations, seule la méthode thérapeutique de Beck et de ses élèves intègre un temps spécifique pendant lequel le patient déprimé apprend à repérer ses processus cognitifs les plus dysfonctionnels, puis développe des moyens pour les réguler. Dans ces approches, trois méthodes principales sont utilisées : l’identification en cours d’entretien par l’utilisation du discours socratique ; la recherche en cours et en dehors des séances des processus d’attribution perturbés, et la technique d’auto-identification à partir des situations émotionnelles déjà travaillées sur le carnet de thérapie.
LES MÉTHODES POUR DÉJOUER LES BIAIS DE PENSÉE Utilisation du discours socratique Le sujet déprimé détermine l’agenda en choisissant le thème qu’il souhaite travailler pendant la séance, issu des expériences de la semaine. Le thérapeute, en collaboration avec le patient, l’amène à confronter sa cognition dépressive aux éléments de la réalité en utilisant un questionnement socratique. Cette pratique évalue le degré d’adéquation de la pensée aux éléments de réalité puis met à jour le processus cognitif de traitement de l’information activé.
217
Sabine vient de rencontrer le directeur du personnel de sa société. Elle a noté sur ses feuilles d’auto-enregistrement des cognitions : – Situation : Rendez-vous avec le directeur du personnel. – Émotions : Morosité. – Pensées : J’ai fait échouer tout ce que j’ai entrepris jusqu’à maintenant. La patiente demande au thérapeute d’examiner avec elle cette pensée qui l’a surprise dans sa formulation. Elle pense qu’au cours d’une discussion avec une autre personne, elle n’aurait pas ainsi résumé sa vie. Mais à ce moment précis du rendez-vous, cette pensée a émergé. THÉRAPEUTE — Sur quels éléments de votre vie vous basez-vous pour formuler une telle affirmation ? PATIENT — J’ai tout échoué professionnellement et sentimentalement. T — Si nous prenons en considération un premier aspect : votre passé professionnel, qu’est-ce qui vous fait dire que vous avez tout échoué ? P — J’ai tout arrêté à dix-huit ans. T — Qu’avez-vous fait jusqu’à dix-huit ans ? P — Je me suis amusée. Je n’ai pas travaillé. T — Quels examens avez-vous passés à cette période ?
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
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AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
P — J’ai eu le baccalauréat par hasard. T — Qu’avez-vous fait par la suite ? P — Je suis allée à la faculté. Mes amis ont intégré des facultés plus renommées, certains ont fait les classes préparatoires aux grandes écoles. T — Vous avez poursuivi vos études jusqu’à quel âge ? P — Jusqu’à 23 ans. T — Même si vous n’avez pas intégré une grande école, vous avez poursuivi vos études jusqu’à 23 ans et vous avez un niveau d’études universitaires, qu’avez-vous fait par la suite ? P — J’ai trouvé par hasard mon premier travail. Ils avaient surestimé mes compétences. J’occupais un poste qui n’était pas à ma mesure. Je n’avais pas confiance en moi. J’ai fini par demander mon transfert dans un autre service. T — Quel âge aviez-vous ? P — J’avais 25 ans. T — Par la suite que s’est-il passé ? P — Je travaillais dans une petite filiale qui a eu de grosses difficultés financières et je me suis retrouvée trois ans plus tard au chômage économique. T — Combien de personnes ont été licenciées ? P — Toutes. T — Si nous reprenons les différentes étapes de votre parcours professionnel, vous avez eu la capacité de poursuivre des études jusqu’à un niveau universitaire, ensuite vous avez eu deux expériences professionnelles. Seul votre premier emploi, tel que vous l’avez décrit, pourrait évoquer un manque d’efficacité personnelle. Mais cette première expérience prouve aussi que vous inspiriez confiance, puisqu’on vous a recrutée tout de suite à un haut niveau. Elle montre aussi que vous étiez capable d’initiatives personnelles, car c’est de votre propre chef que vous avez demandé un transfert. Après cette observation, que pensez-vous de votre idée première : j’ai toujours tout fait échouer professionnellement ? P — Elle s’applique exclusivement à ma première expérience professionnelle que je n’aurais peut-être pas dû accepter au départ. Le questionnement du clinicien permet d’étudier la validité d’une pensée globale abstraite, qui devient plus spécifique et plus concrète. Cette investigation progressive montre au patient les éléments de réalité qu’il a pris en considération et ceux dont il n’a pas tenu compte. Dans notre dernier exemple, la patiente a fait usage d’un processus d’abstraction sélective. Elle s’est centrée sur un détail, en l’occurrence son premier emploi. Ainsi la patiente s’est fondée sur un seul incident pour construire son affirmation. L’événement spécifique (la première expérience professionnelle) est interprété en termes de concept large surgénéralisé (j’ai toujours tout fait échouer professionnellement).
Découvrons une seconde vignette clinique qui illustre le processus de maximalisation des événements négatifs. THÉRAPEUTE — Vous me dites que cette semaine, vous avez eu une pensée qui revenait continuellement : « Je n’ai pas eu de chance dans la vie » et que vous souhaitez en parler
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12 • Déjouer les biais de pensée
aujourd’hui. D’accord ! Examinons cette pensée ensemble. Sur quels éléments pouvez-vous fonder cette conclusion ? PATIENT — Je ne sais pas. T — Quels sont les moments de votre vie qui vous font dire cela ? P — Déjà tout petit, j’étais en très mauvaise santé, c’est ce que me disaient mes parents. Je suis né prématuré. T — Quels autres événements sont intervenus ? P — J’ai tout le temps été malade des intestins. C’est toujours pareil, le médecin n’a toujours rien trouvé de grave depuis des années que je vais le voir. Il me dit que j’aurai toujours ces problèmes. J’ai aussi une très mauvaise dentition. J’ai perdu mes dents les unes après les autres. T — D’accord, vous avez eu des problèmes de santé dans l’enfance, puis des troubles intestinaux chroniques et de nombreux soins dentaires. Certes vous avez eu divers soucis de santé, mais pensez-vous qu’une personne arrivée à la cinquantaine n’a pas accumulé divers ennuis de santé perturbants, mais sans grande gravité ? P — Non. Je n’ai pas eu une belle existence. J’ai eu des problèmes professionnels. Je ne suis pas tout seul à avoir été mis en préretraite, mais j’aurais pu passer au travers. En fait, ce qui m’a fait le plus de mal, c’est d’avoir arrêté de travailler au moment où j’avais un très bon poste. T — Y a-t-il eu encore d’autres événements de vie pénibles qui confortent votre idée : « Je n’ai pas eu de chance dans la vie ? » P — Non. T — Est-ce que des préoccupations de santé certes quasi permanentes et l’arrêt de votre activité professionnelle sans votre plein accord sont des éléments qui permettent d’aboutir à cette conclusion si grave : je n’ai pas eu de chance dans ma vie ? Ces problèmes de santé qui ont probablement rendu votre vie pénible et votre cessation d’activité à un moment où vous étiez épanoui dans votre travail : ce sont des éléments à prendre en considération, mais citez-moi également les éléments plus positifs, plus heureux de votre vie. La poursuite de « l’examen » de l’évidence montre que Monsieur P a tendance à maximiser les événements négatifs survenus dans sa vie et à minimiser la portée des événements positifs (une vie de couple en harmonie, des enfants qui ne posent pas de problèmes, un travail qui l’a passionné toute sa vie et quelques activités de loisirs où il aime se retrouver au calme). Cet examen systématique aide le patient à prendre conscience de la disproportion émotionnelle engendrée par les événements négatifs de sa vie. Il envisage désormais sa situation en tenant compte de tous les éléments positifs, qui lui permettront d’aboutir à une conclusion plus nuancée.
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Bien que les processus cognitifs soient vraisemblablement infinis et variables avec les individus, un certain nombre d’entre eux semblent se retrouver plus fréquemment dans la pratique clinique chez les patients déprimés. En conséquence, la mise en évidence des biais cognitifs opérants peut être facilitée par les questions suivantes : – Est-ce que je ne fais attention qu’aux mauvais côtés des choses ? (Abstraction sélective où le sujet se centre sur un détail hors du contexte.)
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
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– Est-ce que je ne me rends pas responsable de quelque chose qui n’était pas de mon fait ? (La personnalisation est la surestimation de l’étendue des liens entre des événements particuliers et l’individu.) – Est-ce que je me condamne sur la base d’un seul événement ? (La surgénéralisation est une conclusion tirée à partir d’un seul événement.) – Est-ce que cette vision des choses est la seule possible ? (L’inférence arbitraire représente des conclusions formulées à partir d’informations inadéquates.) – Est-ce que je n’envisage pas la situation en des termes opposés et extrêmes ? (Le style dichotomique de pensée répartit les informations en couples d’opposés : succès-échec, bon-mauvais.) – Est-ce que je n’envisage pas la situation de façon démesurée, est-ce que je ne donne pas trop d’importance à l’événement ? (La maximalisation tend à ne faire envisager que les conséquences désagréables qui peuvent apparaître dans une situation.) – N’y a-t-il pas d’autres facteurs responsables de la situation ? Dans un troisième extrait, le patient observe la disproportion entre sa prédiction dépressive et certains comportements. Cette stratégie peut suffire à faire reprendre au patient des activités interrompues. 220
Marie-Pierre est très gênée par une agoraphobie très invalidante apparue au moment de son épisode dépressif, elle a pour conséquence une claustration à son domicile. En accord avec la patiente, le thérapeute évalue avec elle les représentations mentales associées à cette phobie. Sur l’auto-enregistrement de ses cognitions, Marie-Pierre a noté : Situation : J’ai besoin d’aller faire une course et je me sens incapable de sortir. Émotions : Tristesse. Accablement. Pensée associée : Je suis lâche. Comportement : Je reste chez moi. À partir de ce relevé, le dialogue entre thérapeute et patient s’engage ainsi : THÉRAPEUTE — Que se passerait-il si vous sortiez ? PATIENTE — Je m’évanouirais dans la rue. T — Que se passerait-il si vous vous évanouissiez dans la rue ? P — Je pense que personne ne se porterait à mon secours. T — Que se passerait-il alors ? P — Les pompiers seront peut-être alertés et je serai emmenée dans un hôpital anonymement. T — Que se passerait-il alors ? P — Je serais abandonnée.
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En aboutissant à cette conclusion, la patiente change d’expression. Jusqu’alors, elle était très sombre et crispée, elle devient beaucoup plus détendue en ajoutant : « Ma vision des événements était démesurée. S’il m’arrivait quelque chose à l’extérieur, il existe des assistances d’urgence qui préviendraient ma famille. » La patiente observe non seulement une maximalisation des conséquences négatives de la situation, mais une présentation dichotomique extrême des arguments. La confrontation de la réalité avec ses représentations anticipatoires lui a permis de dédramatiser la situation et d’envisager des sorties non accompagnées. Afin d’assurer une continuité avec ce travail cognitif, l’examen de l’évidence se poursuit par la prescription d’exercices. Marie-Pierre programme une sortie de son domicile. Thérapeute et patiente ont construit ensemble la liste des sorties possibles, par ordre de difficultés croissantes : 1. Sortie pour me rendre à la boulangerie acheter du pain. 2. Aller à la poste chercher un paquet en instance...
La démarche cognitive couplée à la définition d’objectifs pratiques permet une remise en confiance des patients qui reprennent leurs activités.
Recherche des processus d’attribution dysfonctionnelle La technique d’identification des processus en cours d’entretien et de réattribution de la responsabilité est présentée à part, bien que faisant partie des méthodes d’ouverture du mode de pensée dépressif. Elle peut être utilisée au moment où le sujet recherche ses processus cognitifs dans la quatrième colonne de sa feuille d’auto-enregistrement.
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Si Beck cite l’emploi de cette procédure au sein de la démarche de la thérapie cognitive, la paternité en revient à Abrahmson. La technique est sous-tendue par un constat : le patient déprimé a tendance à attribuer certains événements à ses propres déficiences. Son objectif est d’établir un mode plus élargi d’attribution de la responsabilité pour réduire l’autodépréciation du patient. Le style d’attribution du dépressif est interne, stable et global, nous le définirons ci-après. Le clinicien apprend donc au sujet à repérer son mode d’attribution. L’exemple de Marine montre comment l’humeur influence le style attributionnel. Âgée de 27 ans, elle pense avoir échoué à un concours en raison d’une mauvaise épreuve de mathématiques... Elle se dit alors : « Je suis incapable en toutes choses. »
Ce mode d’attribution est interne, parce qu’elle relie l’échec à une incompétence personnelle. De plus, cette attribution est stable, parce qu’elle relie l’échec à un trait personnel. Enfin cette attribution est globale, parce qu’elle peut être utilisée et expliquer des échecs dans
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
bon nombre de situations personnelles. Ce mode d’attribution a pour conséquence un vécu émotionnel de tristesse et de désespoir : l’échec n’est dû qu’à soi-même, il n’y a pas d’ouverture possible. Si cette même patiente déprimée avait réussi son épreuve de mathématiques, elle se serait plutôt dit : « C’est parce que les sujets étaient particulièrement faciles. » Cette attribution du succès aurait été externe, parce que, dans ce cas, le succès est lié à des critères qui ne sont ni personnels ni internes. Cette attribution n’est pas stable, parce que le choix des sujets n’est pas un trait constant. Enfin cette attribution n’est pas globale mais spécifique, parce qu’elle ne peut pas être utilisée dans d’autres circonstances pour expliquer la réussite d’une autre entreprise. Ce processus va minimiser la valeur des succès et contribuer à maintenir désespoir et dépression. Une fois montré le lien entre attribution mal adaptée et vécu émotionnel, et après avoir donné au patient plusieurs illustrations concrètes, le thérapeute examine en collaboration avec lui son mode d’attribution.
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Revenons à Sabine qui, au cours d’une situation d’entretien avec son directeur du personnel, a eu la pensée douloureuse : « J’ai toujours tout échoué professionnellement et sentimentalement. » L’examen de l’évidence a circonscrit l’événement précis, source de ce constat négatif. Par la suite, le clinicien propose d’évaluer la part de responsabilité attribuée au patient dans cet événement. THÉRAPEUTE — Si nous reprenons votre pensée resituée dans le contexte de votre premier emploi : « J’ai toujours tout échoué professionnellement et affectivement », pourriez-vous me citer les facteurs qui ont conduit à cet échec personnel et à votre demande de transfert ? PATIENTE — J’ai accepté un poste de trop grande envergure. T — Quels ont été les autres facteurs ? P — Je suis arrivée dans un secteur financier que je ne connaissais pas du tout. La charge de travail était très importante et j’ai accumulé du retard. T — Quels sont encore les autres éléments de ce contexte de travail ? P — C’était une société étrangère qui demande un rendement quasi immédiat, tout le monde est stressé et, comme le contexte économique commençait à devenir difficile, il fallait davantage débattre les affaires. T — Nous venons de voir que si, à cette époque, vous étiez stressée, d’autres éléments ont également contribué à ce sentiment de ne plus faire face et d’échouer. En effet, vous n’aviez pas toutes les compétences pour ce poste et le contexte de rentabilité et la nécessité de négocier de nouvelles affaires ne vous permettaient pas une adaptation progressive.
C’est la recherche collaborative des facteurs qui ont contribué au sentiment d’échec. La part de responsabilité du sujet est ajustée et réestimée. Un autre exemple illustre la stratégie de réattribution à partir d’une pensée dépressive.
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12 • Déjouer les biais de pensée
Marthe rentre chez elle pour une première sortie au cours de son hospitalisation. THÉRAPEUTE — Vous venez de me dire, d’après vos notes sur votre carnet de thérapie, que vous avez passé un week-end morose en famille et que l’idée qui vous est venue est : « Je rends tout mon entourage triste. » Je vous propose d’examiner cette pensée à moins que vous ne souhaitiez aborder un autre sujet ? PATIENTE — Non. Ce week-end a été très triste. Nous avons passé le dimanche dans le salon, personne ne parlait. Mon mari et un de mes fils étaient assis sur le canapé sans dire un mot. Je le vois bien, je rends toute ma famille triste. T — En dehors de votre humeur triste, citez-moi les autres facteurs, les autres événements qui ont rendu votre mari préoccupé ? P — Mon mari venait d’apprendre qu’un de nos enfants ne s’était pas rendu à l’école le vendredi et s’était promené avec des copains. Pour lui, les études comptent beaucoup. Il ne comprend pas cette attitude. T — Y avait-il d’autres problèmes ? P — Il est toujours soucieux de notre situation financière, parce que nous avons un lourd crédit pour payer la maison. On doit faire attention. T — Avait-il encore d’autres sujets de préoccupations ? P — Je ne souris pas. Je parle peu. Tout mon aspect extérieur n’aide pas à la communication et je viens encore d’être hospitalisée. T — Donc votre mari est soucieux à cause de votre tristesse, des contraintes financières qui obligent la famille à se restreindre et de l’attitude d’un de vos fils vis-à-vis de l’école. Y a-t-il encore d’autres faits ? P — Non. T — Qu’est-ce qui expliquerait l’attitude de votre fils maintenant ? P — Mon fils a des difficultés scolaires ; il ne sait pas ce qu’il fera plus tard. T — Y aurait-il encore d’autres facteurs à envisager ? P — Non. T — Pourriez-vous, après l’examen de tous ces éléments ayant contribué à cette ambiance morose du week-end, évaluer en pourcentage votre responsabilité ? P — Peut-être 40 %. T — Sur vos feuilles d’auto-enregistrement, vous aviez noté un niveau d’adhésion de 100 % à la cognition : « Je rends tout mon entourage triste. » Le réexamen de votre part de responsabilité aboutit en fait à une attribution personnelle de 40 %. Comment ressentez-vous émotionnellement cette situation ? P — Je me sens moins triste. Je ne suis pas seule en cause. T — J’aimerais que vous reproduisiez ce type de démarche quand vous vous attribuez la responsabilité d’un événement, afin de vérifier que cette attribution n’est pas limitée à un seul facteur sans tenir compte de tous les paramètres.
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 224 — #236
APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Identification des processus à partir d’exemples du carnet de thérapie L’identification des processus cognitifs à partir des relevés du patient repose sur la confrontation de plusieurs situations analysées dans le but de faire émerger une tendance principale. Le patient repère ses biais de pensée engendrés par la dépression et il stoppe le processus en n’appliquant pas davantage ses « règles » à d’autres situations. Madeleine observe au travers de ses écrits que sa tendance principale est d’endosser la responsabilité de tous les événements qui tournent mal. Pour mettre à distance ses pensées négatives culpabilisantes, elle analyse rationnellement la situation, étape par étape. Elle tente ainsi de mieux comprendre les événements associés à son biais de pensée habituel et de lutter contre ce mécanisme. Madeleine a noté : Situation : J’appelle mon fils pour lui demander des nouvelles, il se dit fatigué. Émotion : Gêne, culpabilité. Pensée première : Je n’aurais pas dû l’appeler, je l’ai fatigué, je l’ennuie avec toutes mes questions. Comportement : Je raccroche rapidement.
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Madeleine a repéré dorénavant qu’elle se sent en permanence responsable de tout ce qui arrive, qu’il s’agisse de son fils, de ses petits-enfants, de son immeuble, sans pour autant être véritablement concernée... Son hyper-responsabilisation l’épuise et la confine chez elle, où, là encore, elle n’est pas tranquille. Hier les boîtes aux lettres de l’immeuble ont été visitées et Madeleine s’est demandé si elle n’était pas responsable en partie de cela. « Avait-elle bien fermé à clé le panneau des boîtes aux lettres il y a trois jours, la dernière fois qu’elle est descendue dans le hall de l’immeuble ? »
Le sujet repère quel est le mécanisme privilégié presque en permanence et lui donne un nom, avec ses propres mots. Pour faciliter cette approche, le thérapeute peut proposer au patient de répondre aux questions suivantes : « Comment appellerais-je le mécanisme qui explique que la première pensée qui me vient est celle-là, par comparaison avec les autres pensées fournies ? » Le soignant aide le patient à repérer ce ou ces processus, par un questionnement déductif. Cela consiste à identifier rapidement le processus cognitif utilisé en excès, puis de le bloquer : « Je te reconnais, tu es le piège dans lequel je tombe sans cesse en ce moment. Je ne te crois plus et j’examine de plus près la situation. » Ce blocage et cette analyse systématique des événements feront disparaître en quelques semaines l’utilisation excessive de ce mécanisme trop courant.
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 225 — #237
12 • Déjouer les biais de pensée
Identification des processus cognitifs à partir de questionnaires À notre connaissance, il n’existe pas aujourd’hui en France d’outil pour évaluer les processus cognitifs des patients déprimés. Un auto-questionnaire, le Cognitive Distortion Questionnaire, a été développé par le Professeur De Oliveira(2015). Le Cognitive Distortion-Questionnaire (CD-Quest) est un auto-questionnaire qui a pour but d’être utilisé par les patients ayant un trouble dépressif afin de faciliter la perception du lien entre les erreurs cognitives et leurs conséquences sur l’état émotionnel. Aussi, il a été créé pour aider les thérapeutes à suivre quantitativement l’évolution clinique des patients. Cette échelle comprend 15 items qui correspondent à 15 distorsions cognitives classiques à savoir : la pensée dichotomique (aussi appelée pensée en tout ou rien, en noir et blanc, ou pensée polarisée), la prédiction du futur (également appelé « catastrophisme »), la disqualification du positif, le raisonnement émotionnel, l’étiquetage, la maximisation/minimisation, l’abstraction sélective (aussi appelée filtre mental et vision en tunnel), la lecture de pensée, la surgénéralisation, la personnalisation, les injonctions du type « je dois » ou « je devrais », les conclusions hâtives (appelées aussi inférence arbitraire), le blâme (envers les autres et soi-même), le « Que se passerait-il si... ? » et enfin les comparaisons injustes. Chaque item est évalué sur une échelle en 5 points qui prend en compte la fréquence de la distorsion ainsi que son intensité. Un extrait de ce questionnaire est présenté ci-contre (traduction libre de Mirabel-Sarron, Docteur, Sala et Goujon).
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 226 — #238
APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Extrait du questionnaire des distorsions cognitives (© 2015) Cognitive Distortions Questionnaire (CD-Quest) Irismar Reis de Oliveira, MD, PhD Department of Neurosciences and Mental Health Federal University of Bahia, Brazil Chacun d’entre nous a des milliers de pensées par jour. Ces pensées sont des mots, des phrases et des images qui apparaissent dans nos têtes au moment où nous faisons les choses. Beaucoup de ces pensées sont exactes, mais beaucoup sont fausses. C’est pourquoi elles sont appelées des erreurs cognitives ou des distorsions cognitives. Par exemple, Paul est un journaliste compétent qui avait sa dizaine de pages de travail évaluée par John, le rédacteur en chef d’un journal local important. John a modifié un paragraphe et fait quelques suggestions de moindre importance. Bien que John ait approuvé le texte de Paul, Paul est devenu anxieux et s’est mis à penser : « Ce travail n’est pas bon du tout. S’il était bon, John n’aurait pas fait de corrections. » Pour Paul, le travail est soit bon soit mauvais. Ce genre d’erreur de pensée est parfois appelé la pensée dichotomique. Comme cette pensée revient à l’esprit de Paul à plusieurs reprises du vendredi au dimanche (3 jours) et que Paul y a cru à au moins 75 %, il a entouré le chiffre 4 dans la 4e colonne de la grille ci-dessous. Fréquence Pas du tout (Cela n’arrive jamais)
Occasionnel (1-2 jours sur la semaine écoulée)
La plupart du temps (3-5 jours sur la semaine écoulée)
Presque tout le temps (6-7 jours sur la semaine écoulée)
Un peu (30 %)
1
2
3
Beaucoup (31 % à 70 %)
2
3
4
Énormément (plus de 70 %)
3
4
5
226 Intensité J’y ai cru...
0
1. La pensée dichotomique (aussi appelé « en tout-ou-rien », « en noir et blanc », ou « pensée polarisée ») : Je considère une situation, une personne ou un événement en termes de « soit-ou », dans seulement deux catégories extrêmes au lieu d’un même continuum. Exemples : « J’ai fait une erreur, donc ma performance a été un échec », « J’ai mangé plus que je prévu, donc j’ai complètement raté mon régime ». L’exemple de Paul : « Ce travail n’est pas bon du tout. S’il était bon, John n’aurait pas fait de corrections. » S’il vous plaît, tournez cette page et évaluez votre propre style de pensée.
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 227 — #239
12 • Déjouer les biais de pensée
Questionnaire des distorsions cognitives (CD-Quest) Irismar Reis de Oliveira, MD, PhD Nom : ................................
Date : ................................
S’il vous plaît, entourez le numéro correspondant à chaque option ci-dessous, en indiquant les erreurs cognitives ou distorsions que vous avez faites au cours de la semaine écoulée. Lors de l’évaluation de chaque distorsion cognitive, s’il vous plaît, indiquez à combien vous y avez cru à ce moment (non pas à combien vous y croyez maintenant), et à quelle fréquence au cours de la semaine écoulée. S’il vous plaît, donnez vos propres exemples pour les items où vous avez entouré 3 ou plus. AU COURS DE LA SEMAINE ÉCOULÉE, J’AI PENSÉ DE CETTE FAÇON : 1. Pensée dichotomique (aussi appelée en tout-ou-rien, en noir et blanc, ou pensée polarisée) : Je considère une situation, une personne ou un événement en termes de « soit-ou », dans seulement deux catégories extrêmes au lieu d’un même continuum. Exemples : « J’ai fait une erreur, donc ma performance a été un échec » ; « J’ai mangé plus que prévu, donc j’ai complètement raté mon régime ».
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Mon exemple :......................................................................................... Fréquence Pas du tout (Cela n’arrive jamais)
Intensité J’y ai cru...
Occasionnel La plupart Presque tout (1-2 jours sur du temps le temps la semaine (3-5 jours sur (6-7 jours sur écoulée) la semaine la semaine écoulée) écoulée)
0
Un peu (30 %)
1
2
3
Beaucoup (31 % à 70 %)
2
3
4
Énormément (plus de 70 %)
3
4
5
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 228 — #240
APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
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2. Divination (aussi appelé dramatisation) : Je prédis l’avenir de manière négative et je crois que ce sera tellement terrible que je ne serai pas en mesure de le supporter. Exemples : « Je vais échouer et ce sera insupportable » ; « Je vais être tellement bouleversé que je ne serai pas en mesure de me concentrer à l’examen ». Mon exemple :......................................................................................... Fréquence Pas du tout (Cela n’arrive jamais)
Intensité J’y ai cru...
Occasionnel La plupart Presque tout (1-2 jours sur du temps le temps la semaine (3-5 jours sur (6-7 jours sur écoulée) la semaine la semaine écoulée) écoulée)
0
Un peu (30 %)
1
2
3
Beaucoup (31 % à 70 %)
2
3
4
Énormément (plus de 70 %)
3
4
5
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RÉSUMÉ DE LA LEÇON • Le thérapeute repère les processus cognitifs altérés par la
dépression. • Il aide le patient à identifier les plus dysfonctionnels. • Il lui apprend des méthodes pour les réguler : – repérage par l’utilisation du discours socratique ; – recherche des processus d’attribution dysfonctionnels ; – entraînement à l’auto-identification à partir des situations émotionnelles déjà travaillées.
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12 • Déjouer les biais de pensée
NOTES
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 230 — #242
Leçon 13 Identifier les schémas dysfonctionnels 230
Objectifs Repérer les règles de fonctionnement dysfonctionnel Mettre en pratique des techniques d’identification des schémas cognitifs
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 231 — #243
PLAN DE LA LEÇON Les formes des schémas cognitifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233 L’identification des schémas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233 Technique d’identification des thèmes récurrents sur le carnet d’auto-enregistrement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233 Recherche de la signification d’un événement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 234 Généralisation à partir d’exemples spécifiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 234 Relevé des schémas à partir des auto-injonctions automatiques . 236 Techniques syllogistiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236 Technique de la flèche descendante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237 Catégorisation des cognitions notées dans le carnet de thérapie 238 Expression du sens implicite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241 Identification de schémas cognitifs par auto-questionnaires . . . . 241
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 232 — #244
APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
« Ainsi, vous voyez et jugez dorénavant le présent avec les yeux du passé et vous en avez une vision totalement déformée. » Eckhart Tolle
’IDENTIFICATION d’une vulnérabilité cognitive personnelle aux rechutes dépressives est un temps principal de la thérapie. Cette étape concerne principalement les dépressions récurrentes ou les dépressions associées à un trouble pathologique de la personnalité. Il s’agit de la troisième étape de la thérapie. Elle débute après le travail sur les cognitions dépressives, et sur les biais de pensées. Elle consiste en l’identification de « schémas cognitifs », ou règles psychologiques apprises qui régissent les perceptions du patient déprimé.
L
À terme, la personne développe des stratégies d’adaptation, de coping par rapport aux situations de stress personnel, et prévient ainsi les récidives dépressives. Le sujet connaît mieux les facteurs individuels, situationnels, contextuels qui précipitaient jusqu’à présent les rechutes. Le « coping » (selon Lazarus et Folkman, 1984) Le coping constitue l’ensemble des efforts comportementaux et cognitifs que déploie l’individu pour répondre à des demandes internes et/ou externes spécifiques, évaluées comme étant très fortes et dépassant les ressources adaptatives du sujet.
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La vulnérabilité cognitive à la dépression prend la forme de schémas de pensée, de croyances sur soi, l’environnement, le monde et le futur qui se sont construites pendant l’histoire de l’individu et régulent tous ses comportements. Ces schémas cognitifs adoptent différentes formulations. Dans la dépression, Beck parle de « schémas dépressogènes ». Dans la mémoire à long terme, les schémas dépressogènes s’articulent avec d’autres schémas cognitifs anxiogènes, de troubles de la personnalité... Différentes propositions de l’organisation de ces schémas ont été proposées : ils peuvent se structurer entre eux et constituer des constellations autour d’éléments communs ; quand ces constellations sont encore plus développées et représentent une manière caractéristique de traiter l’information, on peut parler de « mode ».
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 233 — #245
13 • Identifier les schémas dysfonctionnels
LES FORMES DES SCHÉMAS COGNITIFS Les uns sont de type conditionnel : « Si je ne fais pas tout parfaitement, je n’aurai pas l’amour des autres », d’autres se présentent comme des injonctions : « Il faut que je fasse tout de sorte à obtenir l’approbation des autres, sinon je ne suis rien », d’autres enfin encore ont une forme inconditionnelle : « Je veux qu’on m’aime. » Mais quel que soit leur type, c’est la rigidité et l’inflexibilité des schémas liées à leur caractéristique arbitraire, exagérée et irraisonnable qui les rendent inadaptés à la vie quotidienne actuelle du patient. C’est cette inadéquation aux expériences de vie du sujet qui amène la souffrance émotionnelle dépressive et/ou anxieuse. Ces nombreux schémas de pensée se structurent en constellations, et il est habituel de distinguer des schémas secondaires périphériques de schémas centraux primaires. Au cours de la TCC, le patient déprimé identifie tout d’abord des schémas secondaires. Par la suite, il détermine, à partir de ces formulations, la règle générale sous-jacente, nommée schéma central.
L’IDENTIFICATION DES SCHÉMAS Comme pour l’abord des cognitions, une première étape d’identification s’impose avant les phases d’évaluation puis de modification. Le thérapeute cognitif a à sa disposition de nombreuses voies pour dévoiler les schémas cognitifs, tout en respectant l’état d’esprit de la découverte guidée.
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Technique d’identification des thèmes récurrents sur le carnet d’auto-enregistrement L’identification des schémas est une recherche du sens implicite des cognitions dans les situations difficiles pour le patient. Les pensées automatiques reflètent la manière dont le sujet se représente lui-même, ou les autres, ou le monde. La répétition fréquente de certains types de pensées automatiques dans le carnet de thérapie cognitive témoigne probablement d’un rapport avec les schémas. Cela revient à se poser la question suivante : « Qu’est-ce qui fait que j’ai eu cette réaction émotionnelle et comportementale dans cette situation ? »
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 234 — #246
APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Prenons l’exemple de Paul qui recopie à partir de son carnet toutes les situations fortement émotionnelles et les pensées automatiques associées. Il constate que toutes ces pensées sont d’ailleurs négatives. Les situations de départ sont très variées : alors qu’il déjeune chez ses parents, chez sa sœur, auprès de clients au cours de rendez-vous extérieurs... C’est l’ensemble de ces situations, très éprouvantes pour Paul, et les pensées associées qui lui permettront d’obtenir une formulation de schéma : « Tout ce que je fais doit servir aux autres. »
Recherche de la signification d’un événement La pratique d’une déduction logique à partir d’une situation émotionnelle typique pour le sujet est utile quand celui-ci note peu de chose sur son carnet de thérapie. Il réalise alors que d’autres événements, passés inaperçus, provoquent la même qualité émotionnelle que l’événement majeur déstabilisant. Éléonore prépare durement un concours qu’elle réussit, mais elle n’est pas satisfaite se disant : « Dans la vie, je n’ai fait que travailler durement. » Elle entrevoit pour règle implicite : « Si je travaille durement, quitte à fournir beaucoup d’effort, alors j’accéderai à une situation qui me rendra heureuse. » Éléonore constate que beaucoup d’autres situations engendrent la même insatisfaction émotionnelle : la pratique de cours de danse, l’investissement dans un bénévolat d’alphabétisation...
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« Ces pensées appartiennent au conditionnement mental, qui est le fruit de toute votre histoire personnelle et celui de l’état d’esprit collectif et culturel dont vous avez hérité. Ainsi, vous voyez et jugez dorénavant le présent à travers les yeux du passé et vous en avez une vision totalement déformée. Il est fréquent que, chez une personne, cette voix intérieure soit son pire ennemi... Écoutez aussi souvent que possible ces pensées. Prêtez particulièrement attention aux schémas de pensée répétitifs, à ces vieux disques qui jouent et rejouent les mêmes chansons peut-être depuis des années. C’est ce que j’entends quand je vous suggère d’observer le penseur. » E. Tolle
Généralisation à partir d’exemples spécifiques Le clinicien demande au patient d’établir la liste des cognitions qui sont pour lui les plus importantes ou les plus fréquentes. À partir de cette énumération, le patient effectue une synthèse en se posant une question du type : « Quel est le point commun à toutes ces pensées ? » L’explicitation de ce trait commun est petit à petit précisée au cours des semaines. À chaque situation quotidienne source d’émotions, le patient évalue en quoi cette réaction est liée
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 235 — #247
13 • Identifier les schémas dysfonctionnels
à son schéma. Cette évaluation au quotidien par méthode « d’essai-erreur » aboutira à la formulation d’un schéma cognitif pertinent pour la personne. Ainsi Violette parvient à sa douzième séance de thérapie cognitive. Pour cet entretien, elle apporte la liste des cognitions qui lui ont paru les plus importantes. Ce sont : « Mon travail n’a pas d’intérêt. » « Je ne peux pas lire. » « Je suis incapable de faire une conférence. » « Je ne peux pas exécuter de travail de synthèse. » « Je n’arrive pas à aborder les autres. » « Je suis seule. » « Mon cerveau ne marche plus. » La patiente précise que ces idées ont un rapport pour elle avec un niveau de performance professionnelle à conserver, qui secondairement va influencer le jugement des autres. Plusieurs propositions de schémas sont suggérées par Violette. Elles seront examinées une à une. Ce sont : « Si j’exécute ce travail avec autant de doute et de difficultés, c’est pire que de ne pas travailler », « Si j’ai tant de difficultés à faire mon travail, ça ne vaut pas la peine de garder ce poste », « Si je n’accomplis pas mon travail avec succès, je ne peux pas aller vers les autres. » Exemples de thèmes de schémas dépressogènes (selon Beck) • Amour • Approbation • Omnipotence • Perfectionnisme
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• Réussite • Désir d’être approuvé • Droit à la considération • Code moral propre au sujet • Autonomie
Ce repérage demande plusieurs semaines. La présentation formelle du schéma secondaire est une phrase ou un ensemble de phrases qui prennent souvent la forme d’une condition : « Si je ne réussis pas tout parfaitement, je ne vaux rien », « Je ne peux pas être à la fois une femme et une mère de famille. » Bien au-delà des neuf thèmes de schémas dépressogènes cités par Beck, l’expérience clinique montre qu’il existe une grande variété de postulats. Plus leur formulation est personnalisée, meilleur est le développement de la mise à distance et de la nouvelle manière de gérer le schéma.
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 236 — #248
APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Relevé des schémas à partir des auto-injonctions automatiques Cette technique est identique à la précédente, à une différence près : le patient ne relève dans son carnet que les cognitions apparentées à des impératifs personnels : « Je dois... », « Il faut... », « Il faudrait... » Jacqueline relève dans ses notes : « Il faut que je sois prête, je dois être à la hauteur, il faut que ce soit propre, il faut tenir le coup... » À partir d’une dizaine d’exemples, elle suggère comme point commun : « Je fais tout en fonction du regard des autres. »
Techniques syllogistiques Le syllogisme est une forme de style, un raisonnement logique, étudié dans les cours de philosophie, qu’Aristote a été le premier à formaliser. Il se compose de trois éléments : une prémisse mineure, une prémisse majeure et une conclusion. L’exemple le plus connu est : Prémisse mineure : Socrate est un homme ; Prémisse majeure : tous les hommes sont mortels ; Conclusion : donc Socrate est mortel. 236
Les recherches en sciences cognitives montrent que le raisonnement humain fonctionne naturellement avec des syllogismes. Ils nous permettent de déduire bon nombre de conclusions sans que nous ayons besoin de tout expliciter. Exemples de syllogismes « Toute injustice est défendue ; or, l’usure est une injustice ; donc l’usure est défendue. »
« Aucun chien n’est un oiseau ; Médor est un chien ; donc Médor n’est pas un oiseau. »
En thérapie cognitive, Beck, dès 1976, propose d’utiliser le mode de raisonnement syllogistique pour identifier les schémas cognitifs. Dans cette démarche, la prémisse mineure est la situation de départ notée sur le carnet de thérapie ou rapportée en séance par le patient. La conclusion est la pensée automatique. La prémisse majeure est le schéma cognitif recherché. Prenons l’exemple d’Anne. Prémisse mineure : Jean, son petit ami, ne répond pas à ses textos affectueux. Conclusion : « Je suis nulle. »
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 237 — #249
13 • Identifier les schémas dysfonctionnels
Autre exemple. Prémisse mineure : « Un certain nombre de mes élèves n’ont pas eu de bonnes notes malgré tout mon investissement. » Conclusion : « Je suis en tort, mon directeur va mal me juger. » Anne note comme prémisse majeure : « Même si je fais tout ce qui doit être fait, les autres ne me récompensent pas et je me remets en cause. »
Cette méthode est utile quand le patient note peu de choses sur son carnet. La difficulté réside dans le choix de situations qui sont traitées par la même prémisse majeure. En effet, chaque patient a plusieurs schémas secondaires activés. Le thérapeute oriente vers le choix de deux ou trois situations qui auraient, dans le traitement de l’information, la même prémisse majeure.
Technique de la flèche descendante La technique de la flèche descendante est une méthode interactive d’identification du schéma, qui ne se sert pas du carnet de thérapie. Thérapeute et patient progressent dans la mise à jour du schéma à l’aide d’un dialogue d’inspiration socratique. La flèche descendante poursuit le sens des pensées automatiques au lieu de les corriger et ainsi le postulat apparaît. Le dialogue ci-dessous illustre cette démarche. Il est extrait du dixième entretien de la thérapie cognitive de Marie-Pierre. Sur ses feuilles d’auto-enregistrement de la semaine, la patiente recueille la pensée : « Je suis fainéante » un matin où elle a beaucoup de difficultés pour se lever. La flèche descendante part de cette cognition, qui l’a rendue triste. THÉRAPEUTE — Si votre pensée : « Je suis fainéante » était vraie, qu’est-ce que cela voudrait dire pour vous ? PATIENTE — Cela voudrait dire que je ne pourrais pas aider les autres. T — Si c’était vrai, qu’est-ce que cela voudrait dire pour vous ? P — Je n’aurais plus d’objectifs dans ma vie. T — Si vous n’aviez plus l’objectif de vous occuper des autres, qu’est-ce que cela voudrait dire ? P — Ma vie n’a plus aucun sens, elle ne vaut pas la peine de se poursuivre. Ainsi la patiente aboutit à la formulation d’un postulat du type : « Si je ne m’occupe pas des autres, je ne suis rien. »
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C’est par l’intermédiaire d’un questionnement rationnel que le thérapeute et le patient mettent en cause ce contrat personnel inflexible. La flèche descendante est proposée chez le déprimé avec une grande prudence, car le schéma mis à jour est quelquefois difficile à vivre et quelquefois source d’un grand désespoir.
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 238 — #250
APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Autre illustration : l’exemple de Janine PATIENTE — Je me sens inférieure, je suis paniquée à l’idée de ranger la maison avant que nos amis n’arrivent. THÉRAPEUTE — Et si vous êtes inférieure aux autres, que cela signifie-t-il pour vous ? P — Je ne peux pas être aimée. T — Et si effectivement vous ne pouvez être aimée, que cela signifie-t-il pour vous ? P — Je n’existe plus. T — Peut-on dire alors : « Si je ne suis pas aimée des autres, alors je n’existe pas ? »
Les formulations aussi abruptes des schémas sont susceptibles de réactiver les pensées de suicide, même chez un patient qui allait mieux. De ce fait, beaucoup de thérapeutes préfèrent utiliser chez le patient déprimé une autre des nombreuses procédures pour isoler les schémas cognitifs. Une autre de ses limites, comme pour toutes les méthodes précédentes, est une identification ponctuelle d’un schéma parmi d’autres, qui ne permet pas de visualiser l’ensemble des schémas secondaires.
Catégorisation des cognitions notées dans le carnet de thérapie 238
Il s’agit d’une méthode progressive dont la réalisation nécessite au moins deux entretiens de thérapie pour elle seule. Elle requiert la prise de notes régulière de cognitions dans le carnet de thérapie et n’est utilisable que si une petite centaine de pensées automatiques, au minimum, ont été transcrites depuis le début des entrevues. Liste des cognitions extraites du carnet de thérapie de Marthe : – – – – – – – – – – – –
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Je ne vais pas m’en sortir. Il ne va pas m’aider. Je ne vais pas trouver d’idées. Que faut-il faire pour lui faire plaisir ? Elle a de la chance. Je n’ai plus de travail. À la maison ce sera pareil. Elle ne s’intéresse même pas à ce que je fais. Elles sont distantes. Elles se protègent de tout sentiment. Je vais me faire attraper. Je n’ai rien à me mettre avec ma prise de poids.
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13 • Identifier les schémas dysfonctionnels
– – – – – – – – – – – – – – – – – – – –
Je me sens rassurée par la présence des pompiers. Je ne retrouverai jamais une vie normale. Vais-je y arriver ? Ma mère, je l’envie. Je prends à cœur le problème des autres. Il faut que je fasse plus d’efforts. Vais-je m’en sortir ? En ai-je le courage ? C’est dur de revenir à la normale. Je n’aime pas l’entendre, il m’agace. Je renonce à sortir, j’espère être plus détendue. Je n’ai plus goût à ce genre d’aventure, moi qui étais si dynamique et intrépide. Je ne sortirai pas de la journée. Je suis incapable de surmonter mon anxiété. Je finis par me sentir à l’aise. Vais-je arriver à faire tout cela ? J’avais l’impression que j’allais le laisser là. Il faudra que je sois chez moi pour les aider (mon mari et mon fils). Cela me paraît long. Je me sens piégée.
Nous lui demandons de regrouper ces pensées en familles selon l’instruction : « Mettez ensemble les pensées qui vont ensemble d’après vous. » Le patient détermine ainsi des familles de pensées automatiques qu’il nomme par lettre ou par chiffre. Les individus déprimés repèrent en moyenne trois à six groupes. Le sujet recopie ensuite chaque famille de pensée séparément. Au cours du deuxième entretien, il lit toutes les pensées d’une même famille, puis résume sous forme d’une phrase le point commun à toutes ces verbalisations. À cette étape, il propose souvent deux ou trois formulations qui constituent des hypothèses de travail. La formulation des schémas est faite par le patient avec ses propres mots. Reprenons le travail de Marthe et examinons les trois catégories qu’elle a définies.
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Catégorie 1 : – – – – – – –
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Je ne vais pas m’en sortir. Je ne vais pas trouver d’idée. À la maison cela sera pareil. Je n’ai plus de travail. Je n’ai rien à me mettre avec ma prise de poids. Je ne retrouverai jamais une vie normale. Vais-je y arriver ?
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
– Cela me paraît difficile. – Je prends à cœur le problème des autres. – Vais-je m’en sortir ? Résumé de la patiente : « Si je ne suis pas épaulée par quelqu’un je n’ai aucune confiance en moi. » Catégorie 2 : – – – – – –
Elle ne va pas m’aider. Elle ne regarde pas mon ouvrage. Elles sont distantes. Je vais me faire attraper. Il y croit toujours. Il oublie mes difficultés.
Résumé de la patiente : « Je vis en fonction des autres et de leur regard. » Catégorie 3 :
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– – – – – – –
Il faudrait que je fasse plus d’efforts. C’est dur de revenir à la normale, même avec la thérapie. Je n’aime pas l’entendre. Je suis anxieuse. Il faudrait que je sois chez moi pour les aider. Je me sens prise au piège. Il ne semble pas comprendre la progression de ma thérapie.
Résumé de la patiente : « Je fais tout par devoir. »
La difficulté de cette méthode est qu’il ne s’agit en aucun cas de regrouper les cognitions en fonction de leurs thèmes. Dans notre dernier exemple, Marthe aurait alors trouvé pour thèmes : elle-même, sa mère, son mari, ses enfants, son travail... Il s’agit là de catégories psychologiques du patient, intuitives, incompréhensibles de l’extérieur et dont on ne peut suivre la logique. Les schémas répertoriés sont des schémas secondaires. Certains sont des vulnérabilités dépressogènes, d’autres des vulnérabilités anxiogènes et pour d’autres encore ce sont des schémas de personnalité. Les schémas de personnalité seront beaucoup plus longs à modifier que tous les autres schémas.
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13 • Identifier les schémas dysfonctionnels
Expression du sens implicite Une des techniques d’identification des schémas, isolée dans les premiers ouvrages techniques, est appelée « verbalisation du sens implicite ». Cette méthode consiste à repérer dans certaines cognitions le sens implicite véhiculé. Certains individus, en relisant leur carnet cognitif au thérapeute, effectuent ce deuxième niveau de lecture. C’est le cas de Jacques, qui, après avoir lu trois pensées automatiques de la semaine issues de situations professionnelles pénibles, s’exclamera : « C’est incroyable, je suis complètement entier : si je ne me perçois pas comme convaincant, alors je me sens rejeté. »
D’une certaine façon, le patient, à la lecture des situations émotionnelles et de chaque cognition inhérente, effectue un raisonnement syllogistique et résout spontanément l’énigme du maillon manquant.
Identification de schémas cognitifs par auto-questionnaires Il est tentant pour beaucoup de thérapeutes de faire appel à des questionnaires pour identifier les schémas. Ces outils sont des auto-questionnaires, que le patient remplit seul. Ils ont pour objectif d’identifier les schémas, mais n’échappent pas à divers phénomènes psychologiques comme la dramatisation, la minimisation, la perte de face sociale... Par conséquent, leur interprétation doit être prudente. En pratique, si les questionnaires sont utiles, ils viennent en complément d’autres techniques.
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Les principaux sont : le questionnaire des attitudes dysfonctionnelles pour les schémas dépressogènes et les questionnaires de Young pour les schémas précoces inadaptés.
! Le questionnaire des attitudes dysfonctionnelles ou DAS
(Dysfunctional Attitude Scale) de Weismann et Beck (1980) Cette mesure a été construite pour identifier les postulats silencieux d’après la définition de Beck (1963, 1967). Elle a été traduite en langue française (Cottraux, 1985). Le questionnaire comporte 40 items et l’analyse factorielle permet de distinguer sept attitudes dysfonctionnelles chez les sujets déprimés. Les thèmes en sont : « approbation », « amour », « réussite », « exigence », « omnipotence », « perfectionnisme » et « autonomie ».
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Par exemple : – Attitudes liées à l’approbation : le questionnaire évalue la façon dont les individus mesurent leur estime de soi. Une estime de soi tributaire de l’approbation des autres indique que les individus sont dépendants de ce que les gens pensent et disent d’eux ; – Attitudes liées à l’amour : les patients mesurent leur valeur en fonction de l’amour que les autres leur témoignent. L’amour est un besoin dont l’absence de satisfaction rend la vie de l’individu intolérable ; – Attitudes liées à la réussite : l’individu considère que le travail est une façon d’augmenter son estime de soi et sa satisfaction ; – Attitudes liées au perfectionnisme : le DAS permet de mesurer les exigences de perfection absolue des individus. Les erreurs sont jugées comme intolérables ; – Attitudes liées aux exigences et aux obligations : le sujet attend que tous ses besoins soient satisfaits par les autres ; – Attitudes liées à l’omnipotence : l’individu a tendance à se considérer comme centre de l’univers et responsable de ce qui arrive. Il se sent alors souvent envahi par un sentiment de culpabilité ; – Attitudes liées à l’autonomie : le questionnaire mesure la capacité à trouver le bonheur, par exemple en soi-même.
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Cependant, malgré ces différents facteurs, si le score global de l’échelle permet de distinguer les sujets déprimés des autres, cet instrument évalue le taux d’attitudes dysfonctionnelles. Il guide le patient vers la découverte du libellé de chacun de ses schémas. En pratique, son utilisation est soumise à certaines conditions. En effet, les difficultés d’attention et de concentration de l’individu déprimé peuvent l’empêcher de comprendre les items et de compléter seul la totalité du questionnaire. Extrait de l’échelle des attitudes dysfonctionnelles Lisez attentivement chaque affirmation proposée dans ce questionnaire et évaluez à quel point vous êtes en accord ou en désaccord avec cette affirmation. Donnez votre réponse en plaçant une croix dans la colonne qui décrit le mieux votre façon de penser. Vous ne pouvez choisir qu’une seule réponse pour chaque affirmation. Il n’y a ni vraie ni fausse réponse du fait que les personnes sont toutes différentes. Pour décider si une affirmation correspond bien à votre façon de voir, prenez simplement en considération votre façon d’être habituelle : – Il est difficile d’être heureux à moins d’être beau ou belle, intelligent, intelligente. – Mon bonheur tient plus à ce que je pense de moi qu’à ce que les autres pensent de moi. – Je serai diminué dans l’esprit des autres si je fais une erreur.
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13 • Identifier les schémas dysfonctionnels
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– Si je ne réussis pas tout le temps, les gens ne me respecteront pas. – Prendre même un risque léger est ridicule, car perdre est susceptible d’être un désastre.
! Le questionnaire SAS (Sociotropy Autonomy Scale),
Beck et al. (1987)
Ce questionnaire a été traduit en langue française par Bouvard et Mollard en 1991. Il contient 60 items qui se répartissent en deux dimensions : l’autonomie et la sociotropie. Ces deux dimensions sont considérées comme des traits de vulnérabilité à la dépression. La sociotropie se définit comme le fait de rechercher des gratifications dans les relations interpersonnelles, comme le partage, l’affection, la compréhension et l’approbation des autres. L’autonomie mesure le degré de dépendance de l’individu dans des domaines de la vie comme la réalisation personnelle, le développement de ses capacités... Chacune des deux dimensions se sépare en trois facteurs. On note ainsi pour l’autonomie : individualisme, libération du contrôle et préférence pour la solitude, et pour la sociotropie : inquiétude par rapport à la désapprobation, inquiétude par rapport à la séparation et souci de plaire aux autres. Différentes études montrent qu’un haut niveau de sociotropie crée une vulnérabilité générale aux événements stressants. L’autonomie donne des résultats contradictoires. L’hypothèse est que des facteurs précipiteraient les sujets autonomes et sociotropes vers la dépression. Des études ont validé la sociotropie comme une vulnérabilité à la dépression, alors que l’autonomie apparaîtrait davantage comme une vulnérabilité globale.
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En pratique, ce questionnaire est peu utilisé, et souvent méconnu.
! Le questionnaire des schémas de Young L’auto-questionnaire construit par Young se présente en trois versions, celle de 1990, celle de 1994 appelée SQ2 (Schéma questionnaire 2e version) et la dernière présentation de 2003. Ils mesurent la structure hiérarchique des schémas précoces inadaptés, comme ils sont définis dans la théorie de Young. La première version SQ1 voulait étudier les schémas de personnalité regroupés en trois grands facteurs : autonomie, liens interpersonnels et valeur. La deuxième version SQ2 est à la fois un outil d’évaluation des schémas et un outil thérapeutique. Ce questionnaire comprend 205 items qui correspondent à 16 modes cognitifs et recouvrent six grands facteurs de personnalité. Citons les facteurs principaux de ce questionnaire :
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
– Facteur 1 : instabilité et perte de lien interpersonnel Trois modes y sont associés (l’abandon et l’instabilité, la déprivation émotionnelle, l’abus et la méfiance) ; – Facteur 2 : manque d’autonomie Trois modes associés (la dépendance fonctionnelle, la vulnérabilité au danger et à la maladie, l’interdépendance émotionnelle ou la fusion) ; – Facteur 3 : non désirabilité Trois modes associés (la déficience personnelle, l’indésirabilité sociale, l’échec dans les réalisations personnelles) ; – Facteur 4 : expression de soi limitée Deux modes associés (assujettissement, inhibition émotionnelle) ; – Facteur 5 : auto-gratification Trois modes associés (attitude d’auto-sacrifice, idéaux exigeants, négativité et pessimisme) ; – Facteur 6 : manque de limites Deux modes associés (droits personnels exagérés, auto-contrôle insuffisant). Le dépouillement de cet auto-questionnaire donne pour chaque individu un score global par mode.
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Dans sa dernière formulation, le questionnaire de Young permet d’isoler 18 schémas précoces inadaptés, tout en sachant que ce nombre de schémas dysfonctionnels n’est pas limité. Dans cette présentation, Young distingue des schémas primaires et des schémas secondaires, appelés également schémas de base et schémas stratégiques. Certains sont appris par conditionnement parental et d’autres se développent pour assurer des fonctions palliatives. – Premier schéma de base : l’abandon C’est le schéma cognitif le plus difficile à modifier, l’objectif de la thérapie est davantage d’apprendre à mieux le gérer ; – Deuxième schéma primaire : méfiance et abus C’est l’impression que les autres vont abuser de vous : enfant blessé, enfant humilié, enfant trompé, manipulé... La lecture des faits conclut à un abus volontaire, à un tort intentionnel plutôt qu’à une négligence ; – Troisième schéma de base : carence affective Elle se décline en carence affective, carence d’empathie ou encore carence de protection ; – Quatrième schéma : imperfection C’est le fait d’être indésirable, inférieur ou invalide. Il représente la conviction non seulement de ne pas être aimé, mais surtout de ne pas pouvoir être aimé, de ne pas avoir de quoi mériter cet amour. Ce schéma engendre un sentiment d’imperfection, une émotion de honte, chez des personnes très sensibles au blâme, à la critique.
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13 • Identifier les schémas dysfonctionnels
Les quatre premiers schémas de base confinent à un niveau de détresse du type « enfant vulnérable » qui procure anxiété, tristesse... – Cinquième schéma : punition – exclusion Il y a une opposition excessive du père, avec des critères d’exigence élevée de la part du parent. Ceci induit un sentiment de terreur, d’impuissance, par rapport à cette personne qui évoque donc le parent par son aspect physique ou moral. Le patient se met en position de victime et s’auto-dénigre ; – Sixième schéma : échec La personne a le sentiment d’être inadéquate par rapport aux autres ; – Septième schéma : dépendance Dans la définition de Young, il ne s’agit pas du tout de la notion psychologique de dépendance affective, mais de la dépendance fonctionnelle, c’est-à-dire l’incapacité à gérer ses problèmes quotidiens, à s’organiser dans la vie sans l’aide des autres ; – Huitième schéma : vulnérabilité C’est la peur d’être frappé à tout moment par un événement imprévisible : la maladie, la perte de contrôle émotionnel, les accidents, l’agression physique, les catastrophes naturelles... ; – Neuvième schéma : fusion de soi atrophié Quand la relation entre deux personnes est trop fusionnelle, leur proximité est excessive, au détriment d’une individuation ; – Dixième schéma : tout m’est dû Il s’agit d’un schéma primaire, inconditionnel, acquis dans le modèle de « l’enfant gâté ». Le sujet qui a ce schéma impose tout : ses horaires... et ne comprend pas pourquoi on lui fait une remarque négative... – Onzième schéma : discipline de soi La maîtrise de soi est insuffisante, il manque de discipline, avec une importante intolérance à la frustration.
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Deuxième catégorie : les schémas stratégiques ou schémas conditionnels. Ils ne seront cités ici que les schémas de stratégie les plus fréquents, mais il peut y en avoir d’autres. – Schéma 1 : exigence élevée Il compense le plus souvent le schéma d’imperfection ; – Schéma 2 : capitulation Il prend généralement trois formes : l’assujettissement, le sacrifice de soi et la recherche d’approbation. Le sujet laisse tomber alors ce qui lui est personnel, ce qui est important pour lui de peur de devoir faire face à des conséquences négatives importantes ; – Schéma 3 : Assujettissement C’est le contrôle excessif de soi, de son comportement, qui se traduit par une abdication
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 246 — #258
APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
des décisions personnelles, afin que l’autre personne ne se fâche pas ou n’abandonne pas ; – Schéma 4 : Sacrifice de soi Il correspond au besoin démesuré de répondre aux besoins des autres, au détriment de ses propres besoins. Il s’agit d’une forme d’assujettissement par abnégation ; – Schéma 5 : Besoin d’approbation C’est le besoin excessif d’obtenir la reconnaissance des autres au détriment d’un soi plus autonome. L’estime de soi repose alors essentiellement sur la réaction des autres. Le sujet va constamment s’organiser pour plaire aux autres. La troisième stratégie, les schémas d’inhibition émotionnelle. Il s’agit ici de stratégies d’évitement. Elles ont toutes pour but de diminuer l’intensité affective. En cas d’évitement émotionnel il n’y a pas moyen d’identifier les schémas cognitifs de base. À côté de ces 18 schémas, Young distingue dix modes, dont huit inadaptés sur lesquels il préconise de travailler, surtout en cas de non-identification des schémas. Tableau 13.1. Récapitulatif des modes et schémas selon Young Modes Séparation et rejet
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Schémas 1. Abandon-instabilité 2. Méfiance-abus 3. Carence affective 4. Imperfection-honte 5. Isolement-aliénation
Dans le programme thérapeutique proposé par Beck, l’identification des schémas et leur modification ne sont abordées que dans la deuxième partie de la thérapie (soit vers la dixième séance environ). Le patient déprimé identifie ses schémas secondaires, puis évalue l’activation respective de chacun de ses schémas. Cette étape est intitulée l’identification du taux d’activation des schémas.
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13 • Identifier les schémas dysfonctionnels
Caractéristiques des schémas Ils sont : – – – – – –
stables ; construits à partir d’expériences de la petite enfance ; des règles morales ; inconditionnels ; permanents ; pas directement accessibles...
Dans tous les cas, il est important de connaître le taux d’activation des schémas cognitifs identifiés à ce stade de la thérapie. Pendant la thérapie cognitive, il est usuel de demander au sujet d’observer sur une période d’environ quatre semaines le taux d’activité de ses schémas. Pour réaliser ce projet, le patient note sur un bristol le libellé de chaque schéma, puis repère, chaque fois qu’il est confronté à une situation désagréable, lequel des schémas est à l’origine de son émotion et de sa cognition. Chaque identification est notée sur le bristol par un bâtonnet. À l’issue de ce mois d’observation, il est habituel de constater qu’un ou deux schémas sont très actifs, alors que les autres sont beaucoup moins opérants. Le travail de gestion puis d’assouplissement des schémas débute par les schémas les plus activés et qui gênent donc encore considérablement le traitement de l’information du sujet.
247
Pour résumer, le schéma est une croyance très forte à propos de soi-même, qui a été apprise à un âge précoce. La croyance est si puissante qu’elle est vécue comme vraie. Le schéma est ressenti généralement comme confortable et rassurant, si l’on ne tient pas compte des conséquences négatives qu’il entraîne dans la vie de la personne. Le but de la thérapie est d’identifier l’ensemble des schémas activés par l’humeur dépressive. Et si le patient voulait arrêter après cette dizaine de séances ? Il est important d’en discuter et de pouvoir répondre aux questions suivantes, avant de donner un conseil. Un arrêt précoce de la thérapie : quelles questions se poser ? • Quels avantages de poursuivre le traitement ? • Le patient fait-il encore des progrès ? • Ses symptômes ont-ils disparu ? • Est-ce qu’il identifie facilement ses cognitions ? ses distorsions cognitives ? ses
schémas ? • Est-il capable d’utiliser seul les outils cognitifs ?
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
RÉSUMÉ DE LA LEÇON • Les schémas sont des structures stables et rarement exprimées • • • • •
directement par le patient. Ils sont automatiques et non contrôlés. Ils amènent à une représentation de soi et du monde très sommaire. Chez les personnes dépressives, ils aboutissent à une vision « en tunnel » du monde et de l’avenir. Ils ne laissent pas de place à la nuance. Le rôle du thérapeute est de permettre au patient de prendre conscience de ces schémas et de l’amener à envisager des alternatives, plus rationnelles afin de développer des comportements moins stéréotypés.
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13 • Identifier les schémas dysfonctionnels
NOTES
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 250 — #262
Leçon 14 Assouplir les schémas 250
Objectifs Se familiariser avec les techniques comportementales et cognitives d’assouplissement des schémas cognitifs Méthodes comportementales Techniques cognitives Techniques affectives et interpersonnelles
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 251 — #263
PLAN DE LA LEÇON Comment assouplir les schémas ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252 La reformulation totale du schéma . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253 La reformulation partielle du schéma . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253 La mise à distance du schéma . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254 Aucune reformulation, aucune prise de distance . . . . . . . . . . . . . . . . . 255
Les méthodes comportementales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255 La technique de pondération . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 256 La remise en question des contrats personnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257 La technique de l’évidence pour et contre le schéma . . . . . . . . . . . . 257 La technique de l’utilité à court terme et de l’utilité à long terme 258 La méthode d’auto-exposition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 258 La construction d’une expérimentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259
Les techniques cognitives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260 La technique du continuum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260 Le test d’historicité du schéma . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261
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La technique cognitive du camembert de responsabilisation . . . . 265 L’avocat du diable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 266
Les techniques affectives et interpersonnelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267 L’exploration des expériences vécues dans l’enfance . . . . . . . . . . . . . 267 La mise à jour du scénario de vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 270
L’appropriation du nouveau schéma . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 272
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 252 — #264
APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
« Observez le penseur. » Eckhart Tolle
COMMENT ASSOUPLIR LES SCHÉMAS ? Les stratégies utilisées pour modifier les schémas cognitifs ont pour but de rendre plus flexibles ces règles mentales, afin qu’elles ne puissent plus être source de souffrance émotionnelle pour l’individu. Différentes approches comportementales, cognitives, affectives ou interpersonnelles sont utilisables. La réécriture du schéma en schéma reformulé, ou nouveau schéma, précède une confrontation à la réalité actuelle, avant une phase d’ajustement et d’appropriation. Notre pratique clinique nous incite à nous montrer mesuré quant à la possibilité de reformulation et à préférer parler de meilleure gestion des schémas, présumant que certains ne pourront pas être reformulés. À cet égard, Beck et Freeman considèrent quatre stades de modification des schémas, que nous décrivons ci-après dans l’encadré. La force des schémas vient du fait que leur maintien instaure un comportement rigide. L’individu amplifie les événements qui sont congruents à son schéma et amoindrit ceux qui ne le sont pas. Le schéma lui paraît inflexible et réel. 252
Pour rendre les conséquences de son schéma moins douloureuses, le patient a recours à différentes stratégies cognitives, en particulier des évitements cognitifs, affectifs et comportementaux. Ainsi, il ne peut identifier ses pensées dans certaines situations émotionnelles. Il développe des stratégies de compensation à l’encontre des prédictions du schéma, donnant l’illusion d’un comportement adapté. C’est l’ensemble de ce fonctionnement schématique, marqué tout à la fois par des stratégies d’adaptation, d’évitement et de compensation qui constitue, pour Beck, la vulnérabilité dépressogène à l’origine de la rechute dépressive. Beck suggère que le travail psychothérapeutique sur les schémas cognitifs dépressogènes réduit significativement le taux de rechutes dépressives, en diminuant l’importance d’un des facteurs de vulnérabilité cognitive. La différenciation des changements possibles du contenu des schémas par la TCC montre des possibilités fort différentes, allant du stade 1 « remplacement du schéma », qui correspond à une réécriture totale du schéma cognitif, au stade 4, « camouflage du schéma ». Dans ce dernier cas, le schéma n’est pas modifié dans son contenu, mais le thérapeute a pu apprendre au patient des stratégies d’adaptation différentes de celles induites par le schéma, entraînant moins de souffrance.
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 253 — #265
14 • Assouplir les schémas
Les quatre stades de modification des schémas (selon Beck et Freeman) • Remplacement (reformulation complète) • Reformulation partielle • Assouplissement • Camouflage
À ces différents stades de changement est proposée une métaphore architecturale. • Si le schéma dysfonctionnel est comparé à une vieille masure, la réécriture totale du
schéma au stade 1 correspond à la démolition de la vieille maison et à la reconstruction d’un nouvel habitat plus fonctionnel. • Le stade 2 correspond à de grandes modifications structurelles de la construction, tous les murs extérieurs sont conservés, mais les murs, les cloisons intérieures sont modifiées, démolies, repoussées. • Le stade 3 correspond à un embellissement intérieur de la maison qui devient plus confortable, plus sereine, mais les murs extérieurs, les cloisons internes, la disposition des pièces n’ont pas changé. Cependant la décoration interne, les peintures et d’autres réfections ont eu lieu. • Quant au stade 4 de camouflage, la vieille maison reste identique dans sa structure externe et interne, mais quelques plantations, quelques haies disposées autour de la construction lui donnent bien meilleure apparence.
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La reformulation totale du schéma Après discussions avec le thérapeute, le patient propose une nouvelle formulation du schéma complètement différente. Exemple de reformulation globale Une première formulation : « Si je perçois les autres hostiles à mon égard, je peux perdre le contrôle de moi-même » devient le schéma reformulé : « Si j’arrête de solliciter les autres sans cesse pour qu’ils me témoignent de l’affection, quelles que soient les circonstances, alors je pourrai mieux poursuivre mes propres objectifs. »
La reformulation partielle du schéma Une partie du schéma reste identique, alors qu’une autre partie est complètement réélaborée.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Exemple de reformulation partielle Le schéma : « Si je fais tout parfaitement, alors j’aurai l’amour des autres » entraîne dans toutes les circonstances de sa vie, professionnelle, sociale, amicale, affective, un hyper-perfectionnisme du sujet, sous-tendu par le désir d’obtenir l’amour des autres. Ce schéma pourra être reformulé sous la forme : « Si je fais tout parfaitement, alors j’aurai la satisfaction du travail bien accompli, sans obtenir pour autant ni l’attention, ni l’approbation des autres. »
La mise à distance du schéma Le schéma cognitif reste dans sa formulation originale, mais le patient développe un esprit critique, une distanciation qui lui permet de ne plus prendre cette croyance pour argent comptant. Il n’est plus prisonnier de la subjectivation du schéma et a développé une objectivation plus rationnelle. S’il n’est pas possible de modifier la formulation du schéma, il reste à développer d’autres stratégies psychologiques. Exemple de mise à distance Le schéma : « Si je ne fais pas tout pour les autres, je ne suis rien. » De cette façon, à chaque fois qu’il ressent un sentiment de culpabilité dont il perçoit le rapport avec la règle psychologique, le patient critique son hyper-culpabilisation et la contrôle.
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Cette règle prise en exemple peut être reformulée totalement chez les uns et pas du tout chez les autres. Tout dépend des circonstances qui ont mené à l’acquisition de ce schéma et des différents facteurs de maintien. La nature et le contenu du schéma ne prédisent donc pas la possibilité de reformulation. Changer radicalement sa vision des choses... Deux copains se rencontrent dans la rue. « Alors, comment ça va ? demande le premier. – Pas fort, je souffre d’incontinence. Je n’arrête pas de pisser au lit. – Et t’as déjà été voir un médecin ? – Ben oui j’en viens mais le résultat ne change pas. – Va voir un kiné, il pourra peut-être t’aider. – Ouais, d’accord. » Une semaine plus tard les deux copains se retrouvent. « Et alors ce kiné. Il a pu t’aider ? demande le premier. – Ben non, je pisse toujours autant au lit. Une véritable inondation. – Va voir un psy. Le problème vient peut-être de là. – OK, je vais essayer ! » répond le second. Trois semaines plus tard les deux copains se retrouvent à nouveau. « Et alors ce psy ? il a pu régler ton problème ? demande le premier.
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14 • Assouplir les schémas
– Oui ! – Ah ! Et tu pisses plus au lit alors ? – Non je pisse toujours autant mais maintenant je m’en fous ! » Dans « blagues.net »
Aucune reformulation, aucune prise de distance Combien de psychiatres faut-il pour changer une ampoule ? Un seul, mais encore faut-il que l’ampoule veuille être changée. Dans « forum-depression.com »
Dans ce cas, le clinicien apprend au patient essentiellement des techniques comportementales qui servent de « camouflage » au schéma cognitif et lui permettront de mieux vivre son quotidien. Exemple de « camouflage » Le schéma « Je dois toujours obtenir l’approbation des autres, dans toutes circonstances, même s’il s’agit de mon mari et de mes enfants. » Cependant l’acquisition de certaines techniques comportementales d’affirmation de soi lui permet d’être moins à la recherche de l’approbation à tout prix dans ses comportements.
Les méthodes de modification du contenu du schéma sont fort variées et se sont largement développées grâce à différents auteurs. Chacun d’entre eux partage le même prédicat de la thérapie cognitive, mais propose des outils différents et complémentaires afin de modifier les schémas cognitifs.
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Comme nous l’avons déjà mentionné, parmi tous ces schémas qui se révèlent, il existe aussi bien des schémas dépressogènes, anxiogènes que ceux associés à des troubles de la personnalité. Ces derniers, plus rigides, nécessitent plus de temps pour s’assouplir.
LES MÉTHODES COMPORTEMENTALES Pour tous les auteurs (Beck, Young, Weiss, etc.) une première étape consiste à faire le bilan des conséquences du schéma. Il s’agit d’établir la liste des avantages et inconvénients de conserver cette règle psychologique en l’état. Pour ce faire, la technique de pondération est utilisée.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
La technique de pondération La technique de pondération est encore communément appelée « méthode des avantages et désavantages du schéma ». Il faut rappeler que le schéma cognitif a été utile au sujet à un moment donné de sa vie pour adapter ses attitudes et ses comportements au contexte relationnel de son environnement. Le thérapeute examine alors avec le patient, pour chacun de ses champs d’activité (famille, santé, loisirs, travail, amis...), l’intérêt de maintenir un tel système de croyances.
« La raison ne connaît pas les intérêts du cœur. » Vauvenargues
Chaque argument est accompagné du niveau de conviction de la personne exprimé en pourcentage, ou selon une échelle chiffrée. Son estimation se fait par écrit sur une feuille séparée en deux colonnes, l’une pour coter le pour et l’autre pour coter le contre. Par exemple, Liliane, architecte, a entrepris une thérapie cognitive au cours d’un deuxième épisode dépressif. Elle identifie deux schémas très activés encore, dont : « Je dois tout réussir parfaitement pour avoir l’approbation des autres. »
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Avantages
Inconvénients
Chaque activité que j’entreprends est Même en souhaitant réussir tout généralement réussie et reconnue par parfaitement, je suis rarement les autres (dîners, travail...) : 80 %. satisfaite de ma réalisation : 40 %. Vouloir faire les choses parfaitement me prend beaucoup de temps et limite mes actions : 50 %. Si j’ai un tout petit échec, je suis effondrée et j’ai honte de me montrer aux autres : 60 %.
Ensuite le total des croyances positives et négatives est effectué pour chaque colonne. Pour cette patiente, le schéma représente 80 % d’avantages et 150 % d’inconvénients. Devant ce bilan beaucoup plus négatif que positif, elle prend conscience des limites imposées par cette croyance absolue. Ce constat la pousse à développer un questionnement sur elle-même et les autres : qu’est-ce que l’approbation des autres ? Comment se manifeste l’approbation des autres, comment est-ce que je manifeste mon approbation ? À quelle fréquence, dans quels
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14 • Assouplir les schémas
domaines, cette approbation m’est-elle plus nécessaire et dans quels autres domaines a-t-elle moins d’importance ? Si je n’ai pas cette approbation, que cela signifie-t-il ? Par le biais de ce questionnement mené en collaboration avec le thérapeute, elle découvre qu’elle peut obtenir l’approbation des autres par bien d’autres manières, et même, à l’extrême, qu’elle peut tout à fait s’en passer dans certains secteurs de sa vie (faire les commissions, emmener ses enfants au sport...).
Dans cette démarche d’assouplissement du schéma, le sujet est généralement encouragé par ses proches qui observent une meilleure adaptabilité de ses conduites. De tels renforcements sociaux assureront la continuité du changement.
La remise en question des contrats personnels Une fiche de remise en question des schémas est proposée pendant et en dehors des entretiens. Le patient peut ainsi tester son postulat à chaque fois qu’il le repère. Prenons l’exemple de la remise en question de ce contrat personnel : « Si je fais tout parfaitement, alors j’obtiendrai l’affection ou l’amour des autres. » THÉRAPEUTE — Ce que vous me dites me donne l’impression d’être un contrat obligatoire que vous auriez signé : Si je fais tout parfaitement, je serai aimé de tous ; et donc sans l’approbation de tous, vous ne pouvez pas être heureux. Est-ce que j’ai bien compris ? PATIENT — Oui, je crois que j’ai toujours cru cela depuis que je suis enfant. Ma mère disait toujours : « Si tu le fais bien, je te ferai un beau cadeau. » T — Vous avez donc rédigé ce contrat alors que vous étiez enfant. Mais maintenant que vous êtes adulte, pensez-vous que ce contrat est encore pertinent ? P — Je ne l’ai jamais pensé comme cela. Je n’ai jamais pensé que je continuais à appliquer un contrat de mon enfance. T — Les contrats ne sont pas nécessairement permanents, ils peuvent être modifiés, améliorés, amendés. Votre contrat n’est plus applicable parce qu’il est trop général, trop absolu. Combien de personnes devront vous témoigner leur affection après que vous avez réalisé bien les choses, pour que vous soyez heureux ?
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Le thérapeute amène ainsi l’individu à prendre conscience de ses contrats imposés, de leurs origines et de leurs restrictions induites dans la vie d’adulte.
La technique de l’évidence pour et contre le schéma « Deux excès : exclure la raison, n’admettre que la raison. » Blaise Pascal
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Après avoir fait la liste des arguments en faveur du schéma et des éléments en sa défaveur, il est demandé au patient de réévaluer la proportion de vérité contenue dans le schéma, qui au départ reste encore élevée. Ainsi pour Liliane, le jugement des autres reste important, mais elle développe plus d’actions sans en tenir compte.
La technique de l’utilité à court terme et de l’utilité à long terme La technique de l’utilité à court et à long termes estime le degré d’utilité du schéma cognitif dans chaque secteur de vie du patient.
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Cette technique permet à Pierre de faire l’analyse suivante : « Dans le champ professionnel, cette attitude est, tout compte fait, à mon désavantage. Ainsi, la recherche à tout prix de l’affection de mes collègues ou de mes supérieurs hiérarchiques m’a amené à prendre cette année des dossiers avec lesquels je n’étais pas d’accord. J’ai intérêt à chercher à rendre mes attentes moins rigides, moins exigeantes. Dans le champ affectif, cette croyance m’a conduit à adopter des attitudes extrêmes, sans prendre le temps d’apprécier mes amis pour eux-mêmes. En revanche, cette règle n’est pas dénuée d’intérêt à court terme. Elle m’oblige par exemple à bien tenir mon intérieur, toujours impeccable. Mes amis peuvent venir à l’improviste. Il en est de même pour ma voiture et je peux raccompagner de manière impromptue un collègue sans crainte. » Mais au total, Pierre constate vite que son schéma est peu utile aussi bien à court terme qu’à long terme.
La méthode d’auto-exposition La méthode d’auto-exposition s’inspire des principes mêmes des thérapies comportementales. Bien qu’il s’agisse d’une des premières méthodes décrites historiquement, elle reste cependant très utilisée pour son efficacité dès lors qu’elle peut s’appliquer. Elle est souvent choisie si le schéma se présente sous forme d’impératif : « Il faut que... » Le patient commence par décrire les conséquences qui pourraient advenir s’il enfreignait cette règle morale. Une fois ces prédictions établies, il évalue le niveau de probabilité de survenue pour chacune d’elles. Enfin, quand il se sent prêt, il transgresse cette règle dans des situations de sa vie tout d’abord très simples et sans danger. Ces exercices de transgression sont construits en collaboration avec le soignant, en prenant le temps. L’expérimentation débutera quand le patient se sentira prêt.
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14 • Assouplir les schémas
Cette technique lui permet de mesurer les conséquences réelles du non-respect du schéma. Le sujet se constitue un nouveau répertoire de comportements qu’il peut envisager sans crainte pour le futur. Retrouvons Pierre : « Si je ne fais pas tout parfaitement, je ne serai pas aimé des autres. » Il établit la liste des situations où ce schéma l’amène à des comportements extrêmes. La première situation de cette liste, estimée par le patient potentiellement modifiable, est l’invitation de ses copains d’enfance à dîner chez lui. En effet, ils sont cinq amis à avoir gardé des contacts depuis l’adolescence et, à tour de rôle, chaque mois, ils s’invitent réciproquement. Pierre prend ce jour-là une journée de congé annuel pour faire les courses au marché, prépare sa maison et le repas afin que tout soit parfait le soir. En discutant de cette situation, de son vécu intérieur, le patient explique que si tout n’était pas ainsi, ses amis remettraient en cause probablement leur amitié et ne viendraient plus chez lui. Il réalise également que sa conclusion est peut-être exagérée et qu’une amitié de plus de vingt ans ne peut être remise en cause pour un repas. Il décide, après plusieurs semaines de réflexion et de travail cognitif avec le thérapeute, de choisir comme exercice de transgression du schéma : renoncer à sa journée de congé annuel, traditionnellement dédiée à la préparation du dîner, et de commander un repas tout prêt. Pierre propose avec angoisse des pizzas et des glaces. Ses amis sont très contents, le complimentent et lui disent que c’est beaucoup plus agréable, un repas où il reste à table avec eux, qu’il est plus détendu et qu’ils profitent davantage du plaisir d’être ensemble. Très surpris par ces conséquences positives, Pierre continuera ses expérimentations de transgression du schéma, à son rythme, sur plusieurs autres situations définies et travaillées préalablement avec le thérapeute.
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La construction d’une expérimentation La construction d’une expérimentation a pour but de modifier les schémas. Chacune d’entre elles est préparée avec le patient, choisie par lui-même, répétée en imagination ou en jeu de rôle, avant son exécution dans la réalité. Sabine pense qu’elle ne peut pas être aimée des autres. Elle tente alors l’expérimentation de sourire à au moins cinq personnes dans la journée. Elle note sur un relevé quotidien sa prédiction attendue d’après son schéma négatif, par exemple : « Il ne me regardera même pas. » Elle renouvelle les expérimentations afin de constater la progression des résultats. Elle est de plus en plus à l’aise, constate que les personnes répondent à ses sourires, et sa croyance négative sur elle-même se modifie. Sabine passe du schéma : « Je ne peux pas être aimée par les autres » à « Je ne suis pas appréciée par certaines personnes, mais visiblement appréciée par d’autres. » La nouvelle formulation du schéma est à son tour éprouvée. Le patient pratique de nouvelles expérimentations, jusqu’à conforter le schéma reformulé. Il est habituel d’estimer qu’une bonne vingtaine de répétitions de l’expérimentation sont nécessaires pour consolider le nouveau schéma.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
LES TECHNIQUES COGNITIVES À la différence des techniques précédentes, qui visent à mieux gérer le schéma, les techniques cognitives ont pour objectif d’en modifier davantage le contenu.
La technique du continuum Définitions de « continuum » (Larousse) • Continuité dans l’espace ou le temps. • Ensemble de valeurs que peut prendre une grandeur dont les variations sont
continues.
La technique du continuum est d’utilisation usuelle pour modifier les schémas. Elle ne peut être mise en œuvre qu’après avoir défini avec le patient les termes qui reflètent sa représentation de lui-même. Elle porte sur le thème principal de la croyance.
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Par exemple, pour le schéma : « Si je fais tout parfaitement, alors j’obtiens la reconnaissance des autres », la discussion porte tout d’abord sur le terme de reconnaissance : que signifie ce concept de reconnaissance, comment cela se présente-t-il pour l’individu, qu’est-ce qu’il en attend ? Pour le schéma : « Si je ne peux pas participer à une discussion, cela signifie que je suis un incapable », là encore la discussion porte tout d’abord sur la notion d’incapacité, qu’est-ce que le sujet entend par cette valeur ? Avec le schéma : « Si je ne peux pas être disponible et aider les autres, alors je ne vaux rien », la discussion portera sur le concept de valeur de soi. La prise en compte de cette dernière proposition conduit à demander au patient de construire un segment de droite avec deux extrémités. L’une des extrémités représente une personne sans valeur et l’autre extrémité une personne qui vaut quelque chose. Ce segment de droite constitue un bipôle de la valeur de soi, qui est ensuite gradué de dix en dix. Il est ensuite demandé au patient de se situer sur cette graduation. Murielle, à qui nous avons emprunté ce schéma, se situe le jour de l’entretien à 10 sur cent, car une amie à qui elle avait adressé un courrier électronique ne lui a pas répondu. Elle pense : « Je n’ai pas été assez gentille, j’aurais dû lui écrire plus tôt. » On demande alors à la patiente de choisir différentes personnes de sa famille, ou d’autres personnages, et de les situer sur le continuum de valeur personnelle. Murielle place à une aussi piètre évaluation le directeur administratif de son entreprise, mais situe très positivement des amis et des collègues de travail.
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14 • Assouplir les schémas
Il est demandé ensuite à Murielle de nous indiquer quelle valeur sur le continuum elle aimerait atteindre, et elle nous indique la graduation 60. Cette valeur peut nous apparaître comme faible, mais beaucoup de patients déprimés, ou en rémission de dépression depuis peu de temps, présentent une faible estime d’eux-mêmes et ne peuvent donc pas se projeter dans une représentation personnelle très positive. Nous demandons alors à Murielle de définir par des adjectifs ce qu’elle entend par « pas de valeur » ; elle nous décline alors les adjectifs égoïste, égocentrique, susceptible. Pour chacun de ces qualificatifs, elle établit de nouveaux bipôles dont les scores vont de zéro à cent, par exemple : zéro pour jamais susceptible jusqu’à cent pour toujours susceptible. Muriel s’évalue sur chacun de ces bipôles. Elle note alors respectivement 60 pour la susceptibilité, 30 pour l’égoïsme et 20 pour l’égocentrisme. La valeur moyenne pour ces trois qualificatifs donne une note d’environ 37, nettement supérieure à l’appréciation globale de la valeur d’elle-même située vers 10. Cette discordance dans sa propre évaluation permet au patient de poursuivre son investigation intérieure sur la définition de la valeur de soi, sur la définition de ses propres critères, voire la définition de nouveaux critères. Elle prend peu à peu conscience de la généralisation dans laquelle l’entraîne son schéma. Murielle évalue quotidiennement sur les mêmes bipôles sa valeur globale et son évaluation d’après les trois qualificatifs. Chaque fois également qu’une circonstance contredit le schéma, elle s’évalue de nouveau sur les quatre bipôles. Peu à peu Murielle développe un point de vue plus nuancé de sa valeur personnelle et ne la relie plus systématiquement au bien ou à l’aide qu’elle peut apporter aux autres.
Le test d’historicité du schéma Une autre procédure additionnelle de changement, le test d’historicité, consiste à faire la liste des événements du passé qui supportent la formulation du schéma ; et de ceux qui contredisent la prédiction.
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La consigne donnée au patient est la suivante : « En vous référant à différentes étapes de votre vie, recherchez par tranche d’âge d’environ dix années, des situations, des exemples concrets, des souvenirs qui d’une part confortent le schéma cognitif et d’autre part qui le contredisent. Vous pouvez vous aider en en parlant avec des amis, des parents, en regardant quelques photos d’époque... » Prenons l’exemple de Maryse dont le schéma central est : « Je ne peux pas être aimée », avec pour schéma secondaire : « Si je suis sympathique avec les autres et que je vais vers eux, ils vont me rejeter. » Maryse cherche les circonstances qui confirment le schéma et celles qui le contredisent. Circonstances qui confirment le schéma : – Entre zéro et dix ans : Je suis souvent chez ma grand-mère, presque tous les week-ends et tous les jours jusqu’au dîner. – Quand ma mère vient me chercher, elle discute longuement avec sa mère.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
– – – – – – –
Il y a souvent des disputes entre ma mère et ma grand-mère. Ma mère me dit toujours que je suis sage, que je ne demande rien. Entre dix et vingt ans : J’ai peu le droit d’inviter des amies à la maison. Plusieurs filles se sont moquées de mon poids, elles me disent que je suis grosse. Je me sens moins bien que les autres de ma classe. Je ne me sens pas comme les autres. Je ne suis pas gaie. Je n’ose pas mettre de vêtements à la mode. Je me sens isolée dans ma classe au début du lycée. – Entre vingt et trente ans : J’ai peu d’amies au travail. – Mes collègues racontent leurs aventures extraordinaires avec les garçons. – Tout semble réussir à mes collègues, elles ont du succès.
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Circonstances qui contredisent le schéma : – Entre zéro et dix ans, sur les photos, j’étais adorable. – Ma grand-mère m’avait donné pour surnom « chérie d’amour ». – Les voisins disaient toujours à mes parents que je pouvais rester chez eux quand je voulais. – J’étais très souvent invitée par des amies. – J’ai été très proche d’une de mes institutrices de maternelle. – Entre dix et vingt ans : j’étais invitée à de nombreuses occasions, j’avais de bonnes amies à l’école. – J’ai eu mon premier flirt, je ne savais pas s’il m’aimait, mais vraisemblablement je lui plaisais. – Entre vingt et trente ans : j’ai connu mon mari. – J’ai eu mon premier enfant, j’ai une relation fortement affectueuse avec lui. – J’ai une amie très confidente avec qui j’échange beaucoup.
Cette technique est en fait le prolongement plus structuré de la technique de recherche de l’évidence pour et de l’évidence contre. De la même façon, en trouvant peu à peu des arguments opposés au schéma, le patient réalise que toute l’argumentation contraire n’a pas été prise en compte dans sa manière d’appréhender la réalité. Cette démarche n’est pas aisée pour le patient qui spontanément trouve pléthore d’arguments soutenant positivement le schéma. Mais, en l’aidant à rechercher systématiquement des exemples contraires à divers moments de sa vie et dans différentes circonstances, il avance pas à pas. Par exemple : avec les amis, à l’école, dans sa relation avec les instituteurs, avec ses parents, avec ses frères et sœurs, dans sa pratique de loisirs, dans ses hobbies... Le questionnement ouvert, inductif ou déductif guide cette recherche. Cette quête des arguments négatifs reste beaucoup plus lente et occupe probablement un voire deux entretiens. Le patient est surpris de l’ensemble des exemples trouvés qui s’oppose au schéma.
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14 • Assouplir les schémas
Par l’intermédiaire de cette démarche, le sujet est amené à comparer des informations provenant de sa mémoire autobiographique (ou mémoire épisodique) qu’il a répertoriées par tranche d’âge, et des données issues de sa mémoire sémantique, sous la forme du libellé du schéma, qui est une généralisation. La mémoire autobiographique « La mémoire autobiographique est une mémoire à très long terme qui joue un rôle majeur dans la construction et le maintien de notre identité. Elle emmagasine les informations et les souvenirs personnels d’un individu, accumulés depuis son plus jeune âge, à l’origine du sentiment de continuité dans le temps. » (p. 349) Guilleri-Girard, Quinette, Piolino, Desgranges et Eustache1
Cette comparaison d’une donnée généralisée à des données discrètes recherchées dans l’histoire de vie consiste à rapprocher les idées générales issues des différentes relations avec l’entourage à des souvenirs spécifiques. Le patient peut apprécier le degré de concordance de ces deux types de représentation et constate que le schéma le conduit à « surgénéraliser » sans tenir compte d’un certain nombre d’éléments autobiographiques chargés de sens psychologique. Le niveau plus ou moins élevé de concordance de ces informations permet de juger de la cohérence représentationnelle du sujet (cité par Miglovitz, 2002). Les défauts de concordance permettent au sujet de facilement restructurer le schéma et de créer une nouvelle formulation plus opérationnelle et fidèle de la vision de lui-même.
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Ces schémas ou surgénéralisations qui se perpétuent depuis l’enfance sont considérés par le patient comme des vérités sur lui-même, que le test d’historicité permet de discuter puis de reformuler. Pour favoriser cette reformulation, il est demandé dans un premier temps au patient de relire attentivement tous les événements autobiographiques en accord avec le schéma, puis de le reformuler sous forme d’une phrase unique reflétant le processus psychologique commun. D’une même manière, il est demandé ensuite d’effectuer la même procédure avec tous les exemples historiques qui contredisent le schéma et de les résumer également sous forme d’une phrase : « Autrefois..., aujourd’hui... » Le patient constate alors que les deux phrases ne se ressemblent plus du tout, qu’elles ne contiennent pas les mêmes ingrédients psychologiques. Pour expliquer ce processus, nous pouvons aider le patient par différentes métaphores :
1. « Mémoire et fonctions exécutives », in Lechevalier, Eustache et Viader, Traité de Neuropsychologie Clinique : Neurosciences cognitives et cliniques de l’adulte, Belgique, De Boeck, 2008.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
« C’est comme l’eau de l’Océan atlantique, elle est affichée à une certaine température comme si elle était une masse homogène et cette température peut vous dissuader complètement d’aller vous y baigner. Cependant, si vous entrez dans cette mer, vous constatez que si la plus grande partie est en effet à une température modérée, des courants vraiment chauds, très différents, s’y entremêlent ; mais de l’extérieur ou au travers d’une information de température globale, vous ne discernez pas courant froid et courant chaud. Il est en de même pour les schémas. Apprendre à repérer le courant chaud, bon pour vous, et l’exploiter pleinement permettra d’appréhender autrement cet océan. » La reformulation globale du schéma intègre ces deux processus. Liliane effectue un travail sur l’un de ses schémas : « Ils ne me reconnaissent pas à ma juste valeur. » Éléments positifs consolidant la règle
Éléments négatifs en contradiction avec la règle
De 0 à 5 ans
Je me posais beaucoup de questions. Ma mère me disait souvent « Tu m’as l’air ceci ou cela » quand je cherchais à comprendre. J’avais l’impression de ne pas être importante car je ne connaissais rien. Sur les photos où je suis enfant, je me trouve très petite.
« Elle est mignonne », disaient de temps en temps les amis de mes parents ou maintenant quand ils parlent de moi à cette époque.
De 6 à 11 ans
Ma mère me rabaissait sans arrêt : « Tu es grosse. » Elle me comparait tout le temps, jamais mes notes n’étaient bien. Toujours : « Combien ont eu les autres ? »
À la gymnastique, je n’étais pas mauvaise. Je me mettais toujours avec des copines drôles.
Âge
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Mon frère est fier de moi De 11 à Ma mère n’a jamais pu me faire travailler. Elle criait et me disait que et dit à ses amis que je 15 ans j’étais nulle. joue bien au tennis.
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 265 — #277
14 • Assouplir les schémas
Au lycée certains élèves, des surveillants, voire des professeurs me rabaissent. De 15 à J’ai très peu d’amis, mes parents ne Le prof de biologie en 1re 18 ans veulent pas que je fasse d’invitations. me trouve très douée. Je ne suis pas habillée à la mode, ma mère continue à me faire mes vêtements. En cours (DEUG...), quand je pose une question, j’ai l’impression De 19 à d’entendre des reproches de poser des 21 ans questions. Je réagis violemment. Je n’arrive pas à écrire et à prendre des notes en écrivant proprement.
J’ai mon DEUG avec mention AB et suis reçue au concours d’entrée dans une école d’infirmières.
De 21 à 25 ans
Je travaille et ça marche bien.
Après avoir établi ce tableau, Liliane formulera deux autres schémas : Le schéma issu des événements qui confirment la règle première est : « Mon entourage ne se soucie pas de mes besoins, de mes souhaits, et critique chacun de mes comportements et chacune de mes attitudes qui ne correspondent pas à ce qu’ils veulent, de manière injuste. » Le deuxième schéma résumant toutes les situations qui contredisent le schéma premier est : « Certaines personnes m’apprécient, j’aime à les fréquenter et j’ai pu prouver mes capacités. » Liliane déduit un nouveau schéma reformulé qui devient : « Aujourd’hui je recherche sans cesse l’attention bienveillante des autres, dans n’importe quelles circonstances. » Liliane est passée d’un schéma de représentation des autres, à un schéma reformulé de représentation d’elle-même, dans lequel elle a pu identifier une dynamique : elle part en quête des autres.
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Nous faisons l’hypothèse avec Liliane que cette recherche effrénée d’approbation des autres est probablement encore un schéma secondaire palliatif dissimulant un schéma primaire d’imperfection, de vulnérabilité ou autre que cette jeune patiente verbalisera quelques entrevues plus tard.
La technique cognitive du camembert de responsabilisation La méthode du camembert de responsabilité évalue le taux de participation personnelle. Dans le traitement de l’information, le patient déprimé utilise volontiers le processus
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
cognitif de personnalisation et des modes d’attribution interne, stable et globale de la responsabilité des événements négatifs. Certains schémas cognitifs et certaines histoires de vie vont accentuer ce vécu des responsabilités. Marc nous rapporte qu’il a souvent entendu que sa mère considérait s’être sacrifiée pour les élever, pour qu’ils fassent de bonnes études et qu’ils arrivent à de bonnes situations. Par un questionnement inductif, le thérapeute invite le patient à réfléchir sur les différentes parts de responsabilités. Il commence par s’interroger sur la vie de sa mère : quel âge avait-elle ? Comment a-t-elle pris cette décision d’arrêter sa carrière professionnelle ? Quelle était l’attitude de son père ? Que faisait son père à l’époque ? Quel était le projet familial de sa mère ? Que faisait sa mère en dehors de la maison ? Quelles étaient ses relations avec les autres ? Quel discours tenait-elle avec son frère et sa sœur ? Le patient réattribue sa part de responsabilité dans le sacrifice maternel. Les réponses fournies par Marc permettent de montrer que le sacrifice de sa mère est en rapport avec sa solitude dans une grande maison à la campagne en périphérie de la ville, la perte de ses relations professionnelles, l’absence relative de son mari qui est très pris dans son travail et qui rentre toujours très tard. Le patient se rappelle que son père rentrait toujours bien après son coucher... Marc reprend chacun de ces facteurs explicatifs et leur attribue un pourcentage de responsabilité ; la part prise par la naissance de Marc ne représente plus que 15 % de responsabilité, alors qu’en début d’entretien, le patient s’accordait la responsabilité entière du sacrifice maternel.
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L’avocat du diable La technique dite de « l’avocat du diable » poursuit le travail de reformulation du schéma. Le thérapeute entreprend une discussion avec le patient en prenant parti pour le schéma. Le patient doit alors défendre un nouveau point de vue, en prenant parti contre le schéma. Dans l’exemple de Marc, le thérapeute pourrait dire : « Eh oui, Marc, vous n’auriez pas dû naître, votre mère aurait pu faire une belle carrière professionnelle. » PATIENT — Elle aurait pu reprendre par la suite son activité professionnelle, rester en contact avec ses collègues, mais ne l’a pas fait. THÉRAPEUTE — Elle s’est sacrifiée pour vous élever. P — Elle a choisi de nous élever, de s’occuper de nous à temps plein en restant à la maison. Elle aurait pu faire un autre choix, maintenir son activité et nous faire garder. Elle aurait au moins pu maintenir des contacts. T — Elle n’avait pas le temps. Elle devait s’occuper de vous. P — Non parce que même plus tard lorsque nous avons grandi, elle est restée seule à la maison, sans rien faire, sans voir personne. Elle n’a pas cherché à reprendre des contacts ou à faire de nouvelles activités pour rencontrer de nouvelles personnes...
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14 • Assouplir les schémas
Le patient argumente alors sa position après un travail préliminaire sur le contenu et les origines de son schéma. Cette méthode permet d’évaluer si une modification du schéma commence à s’opérer.
LES TECHNIQUES AFFECTIVES ET INTERPERSONNELLES Elles sont surtout utilisées à visée de modification des schémas cognitifs de personnalité. Ces schémas de personnalité sont considérés comme plus stables, plus globaux et plus rigides et méritent d’être abordés non seulement avec toutes les techniques comportementales et cognitives citées ci-dessus, mais également par l’intermédiaire d’approches plus émotionnelles. Une exploration des expériences vécues dans l’enfance est ainsi souvent nécessaire.
L’exploration des expériences vécues dans l’enfance En effet, pour comprendre la construction de schémas précoces, il est important d’obtenir les étapes du développement de l’enfant, ses relations avec son entourage, ainsi que le récit d’événements marquants pour le jeune enfant. Au cours de la constitution du tableau d’historicité du schéma, un bon nombre de souvenirs d’événements émergent, mais, pour un certain nombre de patients, ce tableau historique par tranche d’âge, détaillé précédemment, ne suffit pas à explorer toutes les expériences émotionnellement pénibles. Il est alors important de faire raconter par différents exemples les relations précoces de l’enfant avec ses parents et les adultes proches dans la vie de tous les jours : accompagnements, jeux, acquisition de l’autonomie, de la propreté, bain, repas, coucher, école, week-ends...
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Cette exploration systématique fait évoquer par le patient beaucoup de scènes affectives qu’il critique peu généralement au cours du récit. Cependant, à cette étape de la thérapie, il relie assez facilement ces scènes de l’enfance aux schémas cognitifs identifiés. Cette évocation permet d’établir une cohérence forte entre les représentations de soi découvertes par la thérapie et des expériences précoces émotionnelles, interpersonnelles. Ces expériences précoces ont eu lieu avant que le patient ait eu la capacité cognitive de mentaliser, de développer un esprit critique vis-à-vis de ces conduites. Ces événements sont stockés en mémoire à long terme sous forme d’images mentales et/ou sous forme de sensations. Si le questionnement inductif du clinicien concernant la vie quotidienne, l’intimité avec ses parents, n’évoque pas d’images particulières, le thérapeute peut avoir recours à l’imagerie
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mentale, en demandant au patient de fermer les yeux, de penser au passé : des images peuvent remonter spontanément. L’utilisation des sensations physiques est également un excellent médiateur, nous l’avons constaté chez un bon nombre de personnes. Olivier identifie comme prédicats personnels : « L’image de moi dépend du regard des autres. » « Je veux être le premier. »
L’établissement du tableau des avantages et inconvénients du schéma cognitif a fait surgir pendant l’entretien une émotion très forte, très pénible pour le patient, qu’il intitule un vécu d’humiliation. Ce vécu troublant s’associe pendant la séance de thérapie à une sensation physique très pénible qui l’envahit dans tout son corps. Le patient se souvient avoir ressenti cette même sensation corporelle dans bien d’autres moments et il revient sur deux ou trois exemples vus au cours de la thérapie. La mémoire de cette sensation pénible, très caractéristique pour le patient, lui rappelle pendant le même entretien d’autres circonstances de son adolescence, de son enfance, toujours en relation avec son père qui utilisait des mots méprisants à son égard.
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La mémoire des sensations physiques, émotionnelles, sur lesquelles le patient n’était pas en mesure à l’époque de mettre des mots, permet à l’âge adulte de remonter à des expériences douloureuses émotionnellement, souvent à des expériences traumatiques (verbalisations parentales disqualifiantes, gestes violents des parents non compréhensibles sans rapport avec le comportement de l’enfant, discours de menaces...). L’utilisation de la métaphore est une autre technique qui permet au patient de mieux visualiser son postulat psychologique pour ensuite le modifier. Young propose ainsi comme analogie au schéma précoce inadapté d’imaginer un virus qui se réveille de temps en temps. Prenons la métaphore du virus de la varicelle qui se stocke dans le corps au niveau des racines rachidiennes et qui se réveille dans certaines circonstances sous forme d’éruption de zona, ; ce sera sinon le virus herpétique qui se ravive soudainement sous forme impressionnante d’éruption cutanée fort douloureuse. La thérapie représente le moyen d’augmenter l’immunité de l’individu, qui se défendra mieux contre la réactivation virale. Le patient développe de nouveaux moyens pour mieux se défendre et gérer autrement son schéma. Définitions de « métaphore » (Larousse) • Emploi d’un terme concret pour exprimer une notion abstraite par substitution
analogique.
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14 • Assouplir les schémas
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• Chez Lacan, processus qui consiste à substituer un signifiant à un autre, qui en
devient refoulé.
Bien sûr d’autres métaphores sont possibles, plus spécifiques au contenu du schéma. La réinterprétation des expériences de l’enfance est effectuée par le patient avec son regard d’adulte. Le sujet peut constater qu’il a joué un rôle pendant qu’il était enfant, rôle qu’il n’avait pas compris à l’époque ou qui n’était pas forcément dans son propre intérêt, mais qui remplissait une fonction pour ses parents comme la fonction de confident, ou la fonction de réassurance, ou la fonction encore de protection de l’un des parents... Mais cette fonction l’a privé de l’attention privilégiée de l’un de ses parents qui a été peu empathique avec lui. Il est souvent utile, pour poursuivre ce travail sur les expériences passées, de pratiquer des jeux de rôle au cours desquels des conversations imaginaires avec les parents ont lieu, le thérapeute jouant alternativement le parent, puis l’enfant (technique des deux chaises, par exemple). Dans la technique des deux chaises, le thérapeute joue le rôle du parent, le patient celui de l’enfant. Souvent, ces rôles sont inversés quand le sujet a du mal à prendre le rôle de l’adulte ou de l’enfant, même si à la fin de l’exercice, le patient doit adopter le rôle d’enfant. Par exemple, pour Marc, la technique des deux chaises pourrait commencer par : « Revoyons ensemble la scène que vous avez évoquée la dernière fois. Vos parents se disputent, vous entendez votre mère dire qu’elle a tout sacrifié pour vous. Comment vous sentez-vous à ce moment-là en temps qu’enfant, Marc ? » PATIENT — J’ai peur. J’ai peur qu’elle s’en aille à cause de moi, qu’elle nous quitte. THÉRAPEUTE — Et qu’aimeriez-vous dire à votre mère à ce moment-là ? P — Je ne sais pas. Rien. J’aimerais rentrer dans un trou de souris. T — Je vais faire le petit Marc : « Tu me fais peur maman. Tu cries et moi je suis un enfant, ça me fait peur. J’ai besoin que tu me rassures. » Comment votre mère réagirait-elle alors ? P — Elle se mettrait en colère. Elle dirait qu’elle se sacrifie suffisamment comme ça, que je devrais avoir honte de lui dire ça après tout ce qu’elle a fait pour moi. T — Que ressentiriez-vous alors ? P — De la colère. Je trouverais ça injuste. Et de la peur aussi, la peur qu’elle ne m’aime plus. T — Et que voudriez-vous lui dire en tant que petit Marc ? P — Que c’est injuste. Que c’est elle la maman. Que c’est son rôle de me rassurer, que je ne suis qu’un enfant et que j’ai peur, que j’aimerais qu’elle me prenne dans ses bras et me dise qu’elle m’aime. T — Comment réagirait-elle alors ? P — Je ne sais pas. Elle resterait bouche bée je pense...
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La mise à jour du scénario de vie L’identification des schémas est progressive. Les schémas secondaires sont tout d’abord identifiés. Le thérapeute fait progresser le patient vers un schéma primaire, qui quelquefois découle directement de l’un des schémas secondaires. Les différents schémas repérés peuvent aussi bien être de nature dépressogène que de structuration de personnalité. Ces différents schémas ont des liens entre eux que le patient recherche. Son observation met en évidence l’organisation globale des schémas entre eux. Il en découle ou non la formulation d’un schéma central. Cette constellation a un sens pour l’individu. La recherche de ce sens dans l’histoire de vie s’intitule « les scénarios de vie ». Tous ces éléments sont donc, en fin de compte, intégrés dans une conceptualisation cohérente que le thérapeute demande au patient de construire à partir de tous les schémas énoncés. L’exemple de Marc illustre la mise à jour d’un scénario de vie.
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La thérapie cognitive a permis l’identification de quatre schémas secondaires. Ils sont présentés dans leur forme originale, puis dans leur reformulation. Après l’identification, le patient émet une hypothèse quant aux rapports entretenus entre ces quatre schémas dont un dénominateur commun lui apparaît clairement, qu’il nomme schéma central. Cette interrelation entre ces schémas secondaires lui évoque plusieurs souvenirs. À partir de ses éléments autobiographiques, le patient rédige son scénario de vie dans lequel les différents schémas cognitifs prennent sens. Les schémas cognitifs de Marc : – Schéma 1 : si j’estime qu’une chose est bonne pour l’autre, alors je la lui impose sans tenir compte de ses souhaits. – Schéma 1 reformulé : je ne dois pas vouloir faire à tout prix le bonheur des autres contre leur gré. – Schéma 2 : si je me sens remis en cause, alors je rejette l’autre et je deviens agressif. – Schéma 2 reformulé : je ne me sens pas remis en cause trop facilement et uniquement par des indices comportementaux des personnes. Alors je ne m’attribue plus dorénavant la responsabilité exclusive de leur contact froid ou distant. – Schéma 3 : si je suis investi dans une cause sociale, de groupe, alors je me bats pour obtenir la reconnaissance de ses droits. – Schéma 3 reformulé : avant de me lancer dans une cause sociale qui m’est proposée par mon environnement proche, j’évalue ma disponibilité et mes priorités. – Schéma 4 : si j’ai des désirs, des besoins ou des aspirations personnelles, je suis alors incapable de les exprimer et je préfère me consacrer aux autres. – Schéma 4 reformulé : lorsque je prends conscience d’un souhait, d’un besoin personnel, je mets en œuvre ce qu’il faut pour y parvenir.
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14 • Assouplir les schémas
Définitions de « constellation » (Larousse) • Groupe d’étoiles voisines sur la sphère céleste, présentant une figure convention• • • •
nelle déterminée, à laquelle on a donné un nom particulier. Région du ciel dans laquelle se trouve ce groupe d’étoiles. Ensemble de satellites de télécommunications placés sur des orbites polaires circulaires, dans des plans différents, de manière à couvrir l’ensemble du globe. Groupe de choses éparses : « Une constellation de taches sur un habit. » Littéraire. Groupe de personnes illustres, éminentes : « Une constellation de savants. »
Il est alors possible de construire une hypothèse dynamique du fonctionnement des schémas cognitifs entre eux. Le patient formule une hypothèse dynamique qui lui rappelle aussitôt des « patterns interpersonnels » connus dans son histoire. Dès que le patient a isolé ce pattern comportemental, affectif et cognitif relationnel, il lui est demandé d’autres exemples, y compris dans la vie quotidienne dans laquelle il répète toujours ce schéma d’interaction. En observant ses quatre schémas, qui peuvent apparaître contradictoires pour un observateur externe comme le thérapeute, Marc postule que le quatrième et dernier schéma est à l’origine de ses difficultés émotionnelles et relationnelles. À partir de cette hypothèse, il estime que les schémas 1 et 3 sont des stratégies de lutte qui le protègent. Le schéma 2 témoigne des processus de personnalisation, d’attribution interne et globale du patient déprimé qui ne se sent pas comme les autres. Cette même règle exprime la sensibilité au rejet potentiel de l’autre, qui maintient également le schéma de non-expression de ses besoins propres. Le schéma central proposé par Marc : « Je n’ai aucune valeur personnelle. » l’amène à ne pas respecter ses besoins propres et l’entraîne dans une quête de reconnaissance des autres. Les schémas 1 et 3 sont considérés comme des schémas stratégiques de contre-attaques, où Marc s’investit pour les autres, pour des causes sociales, pour le bien-être d’autrui en s’oubliant lui-même. Ces éléments constituent là encore des facteurs de maintien du schéma central. Ce travail de mise en question des schémas évoque de nombreux souvenirs à Marc dans toutes les tranches d’âge de sa vie. Il rédige à partir de ces données personnelles son scénario de vie. Le travail se poursuit dans la recherche de l’impact de ses schémas sur ses épisodes dépressifs récurrents.
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Le scénario de vie rédigé comme une rédaction autobiographique permet au sujet de mettre en évidence des interactions répétitives dans lesquelles il est amené à jouer certains rôles. De fait, le sujet est conduit à se poser différentes questions : « Comment changer ce rôle, y renoncer ? » Là encore le patient évaluera les avantages et les inconvénients de la poursuite
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de ce système interpersonnel, puis réfléchira sur les composantes qu’il souhaiterait changer pour se sentir plus libre et interrompre la répétition du scénario.
L’APPROPRIATION DU NOUVEAU SCHÉMA Après ces différentes étapes de questionnement des schémas cognitifs, vient sa reformulation. Une phase de consolidation du nouveau schéma est nécessaire, qui s’appuie sur deux méthodes essentielles : • La méthode du continuum : la personne relit plusieurs fois par semaine son nouveau
schéma et note, par une croix sur une échelle analogique, son degré de conviction dans sa nouvelle croyance et son évolution. • Le journal des expériences positives : le journal des expériences positives est tenu par le patient, sur son carnet, dans un relevé en trois colonnes. La première recueille les situations redoutées, la deuxième colonne la prédiction selon le nouveau schéma reformulé et la dernière colonne résume les résultats de la situation. Le soignant encourage le patient à maintenir ce travail quotidiennement pendant un bon mois, à la fin duquel il lui est demandé de réévaluer le niveau de croyance envers l’ancien schéma et le niveau de croyance envers le nouveau schéma. 272
Bien souvent le sujet poursuit plus longuement ce travail d’écriture. Il objective que les résultats obtenus dans la gestion de situations redoutées autrefois, à cause de son ancien schéma, se déroulent maintenant favorablement ; ainsi le degré de confiance augmente peu à peu. Le travail d’assouplissement des schémas cognitifs réduit la vulnérabilité du sujet à la dépression et, en corollaire, minimise le risque de rechutes. Il peut s’échelonner sur plus d’une année, avec des entretiens beaucoup plus espacés (1 fois par mois environ). Cette période est appelée par certains « phase de consolidation ». Il est même conseillé de suivre le patient sur une période de temps global de 18 mois à 2 ans, afin de développer les stratégies de prévention des rechutes dépressives. On peut s’attendre avec le travail sur les schémas cognitifs à un résultat encore plus important sur la vulnérabilité cognitive. En effet toutes les études d’évaluation internationales des TCC sur la dépression reposent sur une prise en charge de douze séances en moyenne, un temps rendant impossible le travail sur les schémas. Les résultats de ces études sont extrêmement favorables à court et long termes sans le travail sur ces postulats psychologiques. Il est donc légitime de penser, conformément aux théories cognitives de la dépression, qu’un travail complémentaire d’identification et d’assouplissement des schémas apporterait encore un gain dans l’efficacité du soin.
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14 • Assouplir les schémas
Le secret du succès Un jour, on demanda à un grand professeur de médecine : « Professeur, quel est le secret de votre succès ? — Deux mots : bonnes décisions. — Mais, comment prenez-vous les bonnes décisions ? — Un mot : l’expérience. — Hum... et comment acquérez-vous de l’expérience ? — Deux mots : mauvaises décisions. » Dans « Centre-Psychothérapie.fr »
RÉSUMÉ DE LA LEÇON • Les schémas sont rarement verbalisés : on parle de « postulats • • • •
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silencieux ». Le thérapeute doit utiliser certaines techniques pour les mettre au jour lors de la thérapie. Le thérapeute doit amener le patient à faire un rapport coûtbénéfice de ses schémas cognitifs. L’exploration et l’assouplissement des schémas prennent du temps. Elle peut nécessiter plus d’un an de travail.
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 274 — #286
Leçon 15 Comment prévenir les rechutes ? 274
Objectifs Optimiser la prévention des rechutes dépressives Faire le point des études internationales concernant la TCC pour patients déprimés Envisager les démarches complémentaires
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PLAN DE LA LEÇON Les TCC et la prévention des rechutes dépressives . . . . . . . . . . . . . . . . . 277 Les effets à court et moyen termes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 277 Les effets à long terme : la nécessité d’entretiens de consolidation 277 Les effets chez les patients à haut risque de récidive . . . . . . . . . . . 278
La thérapie comportementale et cognitive basée sur la pleine conscience . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 279 Et si la dépression s’associe à d’autres troubles psychiatriques ? . 282
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des récidives dépressives a influencé les prescriptions médicamenteuses et psychothérapiques. Selon les guides internationaux de bonne pratique clinique, les TCC représentent la forme de thérapie qui a accumulé le plus de données probantes confirmant son efficacité dans le traitement de la dépression caractérisée, incluant la dépression sévère. Cette thérapie brève a notamment un taux de prévention des rechutes supérieur à celui des antidépresseurs. La TCC est particulièrement efficace à long terme, car elle aide à acquérir des moyens psychologiques pour faire face aux symptômes dépressifs et prévenir les rechutes. Les derniers travaux visent à définir la meilleure stratégie TCC en fonction des caractéristiques du patient déprimé.
L
A TRÈS GRANDE FRÉQUENCE
Les dernières publications utilisent la classification proposée par Cosci et Fava, qui publient un modèle intégratif en cinq stades de la dépression unipolaire. 1. Le stade 1 représente les prodromes avec les symptômes liés à l’humeur qui ont un retentissement modéré sur l’individu ; 2. le stade 2 représente l’épisode dépressif dans sa phase aiguë ; 3. le stade 3 correspond à la phase résiduelle marquée par la culpabilité, le désespoir, la dysthymie, les troubles du sommeil, etc. ; 4. le stade 4 correspond à des dépressions récurrentes, de la double dépression ; 5. le stade 5 est celui de la dépression chronique telle qu’elle est définie par les critères du DSM. 276
Les interventions qui visent à réduire les rechutes et récidives peuvent se mettre en place dès les deux stades des phases aiguës. Ces interventions psychologiques ont des effets préventifs au moins sous trois aspects : – d’une part, l’intervention psychologique en phase aiguë (stade 2) a un effet préventif (délivrer une TCC en phase aiguë montre un effet réellement protecteur par rapport au processus de rechute) ; – la prise en charge psychologique doit être continuée chez les patients répondeurs pendant la phase d’état (la continuation des entretiens psychologiques montre un effet sur la réduction du taux de risque de rechute) ; – l’indication privilégiée est posée chez des patients aux symptomatologies résiduelles, qui sont au stade 3. Enfin, les stratégies de thérapies comportementales et cognitives basées sur la pleine conscience (ou MBCT) chez le patient en rémission le protègent de futures récidives et peut-être encore contre d’autres effets du trouble thymique (Mirabel-Sarron, Provencher, 2018).
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✐ “Mirabel-Sarron-Docteur_NE79886_BAT” (Col. : Workbook) — 2020/8/28 — 16:42 — page 277 — #289
15 • Comment prévenir les rechutes ?
LES TCC ET LA PRÉVENTION DES RECHUTES DÉPRESSIVES En phase aiguë de la dépression, le patient apprend une démarche psychologique qui l’amène à mettre à distance ses pensées négatives dépressives, à obtenir un soulagement émotionnel et à récupérer une liberté d’action. En phase de rémission partielle de la dépression, une deuxième partie de la thérapie se consacre à l’identification des vulnérabilités cognitives pour réduire la probabilité des rechutes, par l’identification de facteurs de vulnérabilités tels que les schémas cognitifs. De très nombreuses études ont évalué ces gains, nous les présenterons en trois groupes.
Les effets à court et moyen termes Une première série d’études est analysée par Gloagen et al. Ils répertorient 78 études publiées entre 1985 et 1996. Ces auteurs excluent rapidement 30 études, la plupart non randomisées ou sans groupe contrôle. Les 48 études retenues montrent un effet préventif des TCC : en moyenne 29 % des patients ayant suivi une TCC rechutent à un an, contre 60 % des patients sous antidépresseurs. La revue montre que les patients qui bénéficient des deux approches combinées réduisent de 60 % le taux de rechutes et obtiennent ainsi un gain considérable. En 2007, Vittengl et al. dans leur méta-analyse qui inclut 28 études, soit 1880 adultes déprimés, dont 16 essais se concentrent sur la mesure de la rechute, ont montré que même si la démarche TCC est circonscrite en une douzaine d’entretiens, ses effets se poursuivent à long terme sans nécessiter d’entretiens supplémentaires, conformément au modèle théorique de Beck. Ainsi, après 68 semaines, ceux qui avaient suivi une TCC antérieurement avaient un taux de rechute de 39 %, à comparer aux témoins sous antidépresseurs seuls (61 %).
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Ainsi même dans une stratégie de discontinuité, les patients déprimés qui ont répondu positivement à une TCC de durée brève ont moins de chance de rechuter que ceux qui ont reçu uniquement un traitement pharmacologique.
Les effets à long terme : la nécessité d’entretiens de consolidation Un second groupe d’études évalue la pertinence d’ajouter des entretiens de consolidation pour réduire encore le taux de rechutes et récidives. Jarrett et al., en 2001, conduisent la première étude qui compare l’efficacité de la TCC à long terme sur deux années de suivi, en ajoutant ou non des entretiens de consolidation chez les patients déprimés répondeurs à la TCC.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
84 % des patients, répondeurs, sont répartis par randomisation en deux groupes (un groupe contrôle et un groupe bénéficiant de dix séances supplémentaires de TCC). Ils constatent que la phase d’entretien de la thérapie permet de réduire le risque de rechutes de manière significative : 10 % versus 31 % au premier test à huit mois. Ce résultat s’accentue à deux ans de suivi, avec un taux de récidive de 16 % pour le groupe avec TCC prolongée contre 67 % pour le groupe contrôle. Enfin, chez les patients dont l’état de rémission (après la phase aiguë de thérapie) reste instable et précaire, avec persistance de symptômes résiduels, la phase d’entretien de TCC permet de réduire significativement le risque de rechutes et de récidives (37 % contre 62 %). Ainsi, l’association d’entretiens pendant la phase aiguë et pendant la phase d’entretien (30 séances au total) permet de faire reculer franchement les taux de rechutes et récidives.
Les effets chez les patients à haut risque de récidive
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Une troisième vague d’études explore l’effet des TCC chez des patients à haut risque de récidive, en particulier des patients souffrant de symptômes résiduels. Pour Fava et al. (1998), les symptômes résiduels pourraient évoluer vers des signes « prodromaux » de rechutes dépressives. Ainsi, ces auteurs avancent l’hypothèse que la lutte contre ces symptômes résiduels grâce à la TCC permettrait de faire reculer les taux de rechutes et de récidives dépressives. Cette hypothèse est confirmée par plusieurs études, dont celles, précédemment citées, menées par Jarrett et al. (2001, 2008). Paykel et al. incluent 158 patients, en rémission partielle, avec des symptômes résiduels présents depuis 2 à 18 mois. Après randomisation en deux groupes, il est proposé soit une prise en charge de soutien et de conseils, soit une prise en charge de TCC (méthode de Beck de 16 séances, réparties sur 20 semaines). Le traitement pharmacologique a été poursuivi à l’identique. Les taux de rechutes cumulés à 68 semaines de suivi sont de 47 % dans le groupe contrôle et de 29 % dans celui traité par TCC. Au total, ces études nous apprennent que la thérapie TCC de Beck suffit à elle seule à prévenir les rechutes dépressives, sous réserve que le patient ait acquis les stratégies de décentration. D’autre part, la thérapie est fortement indiquée chez les sujets traités pharmacologiquement, et présentant des symptômes résiduels. Il est même conseillé pour eux de poursuivre la thérapie avec des entretiens de consolidation mensuels ou trimestriels qui permettent de les protéger encore mieux.
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15 • Comment prévenir les rechutes ?
LA THÉRAPIE COMPORTEMENTALE ET COGNITIVE BASÉE SUR LA PLEINE CONSCIENCE En 2001, Segal et deux autres ténors de la recherche sur les processus psychologiques de la dépression, Teasdale et Williams, proposent une nouvelle démarche thérapeutique TCC, toujours dans le but d’améliorer le taux de guérison et de diminuer le taux de rechutes dépressives chez des sujets multi-récurrents : c’est la démarche MBCT (pour Mindfulness-Based Cognitive Therapy), initiée par Segal, Teasdale et Williams. La prise de conscience du moment présent (mindfulness) et l’acceptation sont les pierres angulaires de cette approche qui vise à réduire la réactivité cognitive aux contenus de pensée, ou à des émotions associées à des patterns dépressifs anciens. Teasdale et Williams (2002) sont partis du constat que le moteur cognitif de la dépression est une certaine forme de rumination mentale. Dans une période de fragilité, l’individu active certaines pensées concernant sa valeur, son état d’humeur, son avenir. Si ces pensées sont de nature verbale (plutôt qu’imagée), abstraite (plutôt que concrète), orientée vers le passé ou le futur (plutôt que vers le présent), un processus de bouclage cognitif se met automatiquement en place : ces pensées générales alimentent un schéma dépressif, qui lui-même active en retour ces mêmes pensées. Une rétroaction s’installe entre pensées générales et schémas dépressifs, installant un mode ruminatif qui détériore l’humeur. Dans l’esprit de Segal et ses collaborateurs, l’entraînement à la pleine conscience est un véritable antidote à ce fonctionnement. L’apprentissage d’un ensemble d’outils favorise la prise de conscience des processus mentaux automatiques (les ruminations et pensées) et augmente la capacité à se désengager volontairement de ces automatismes néfastes. De fait, différentes études ont montré que l’entraînement à la pleine conscience améliorait les capacités de flexibilité mentale et diminuait les ruminations abstraites. Outre cet entraînement cognitif, la pleine conscience implique un développement des capacités d’acceptation émotionnelle. En permettant de rester présent aux sensations, pensées et émotions pénibles (plutôt qu’en les évitant), la pratique de la pleine conscience entraîne la capacité de tolérer ces expériences aversives. Une forme d’exposition remplace donc la réponse spontanée d’évitement expérientiel.
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Un autre processus développé par ce programme est la conscience des sensations corporelles, de la respiration, des marqueurs corporels de nos émotions. Il en résulte une plus grande prise de conscience de ses émotions. Un nouveau rapport se met en place entre la personne et tous ses vécus mentaux et émotionnels, lui permettant de choisir les actions les plus justes pour elle.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Tableau 15.1. Programme de thérapie comportementale et cognitive basée sur la pleine conscience Séances
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Thèmes « pivot »
Séance 1
La conscience et le pilotage automatique
Séance 2
Savoir autrement
Séance 3
Revenir chez soi dans le présent (« rassembler l’esprit dispersé »)
Séance 4
Reconnaître l’aversion
Séance 5
Laisser être et lâcher prise
Séance 6
Les pensées ne sont pas les faits
Séance 7
Comment prendre soin de moi au mieux (« utiliser adroitement l’action »)
Séance 8
Exercer et élargir les compétences nouvellement acquises (« plan d’actions pour une nouvelle façon d’être »)
Le programme de thérapie comportementale et cognitive basée sur la pleine conscience comporte un total de huit séances (tableau 15.1 ci-dessus). Ces séances, d’une durée de deux heures, respectent toutes les règles de base en TCC (agenda de séance, apprentissage de nouveaux outils, prescription de travail personnel au domicile...). Cependant, cette démarche sera spécifique de la troisième vague des TCC : en mettant l’accent sur l’acceptation, davantage que sur les notions de changement. Les pensées sont prises en compte comme des pensées, telles qu’elles apparaissent dans notre tête, dans leur nature éphémère et transitoire, sans chercher à les comprendre, ni trouver leur cause, ni les changer, etc. C’est apprendre à repérer, nommer, lâcher prise et quitter ses pensées afin d’être tout simplement là dans le moment présent. Le but n’est pas d’avoir « la tête vide » – c’est mission impossible –, mais pouvoir apporter du repos, un temps de pause ou profiter de chaque petit moment, de chaque petit bonheur. Insistons également sur le fait que la pleine conscience (mindfulness) demande patience et persévérance au cours des huit semaines d’apprentissage et pendant des mois après. Chaque
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15 • Comment prévenir les rechutes ?
participant est amené à devenir plus conscient de ses propres signes personnels précurseurs d’une dépression, des signes d’alerte de rechutes et de toute variation émotionnelle pour mieux y faire face. Cela nécessite donc un engagement ferme, et ne s’envisage qu’en période d’euthymie. Un programme de TCC en deux phases Les huit séances du programme sont réparties en deux phases : 1. « Faire attention à tout moment » est au centre des séances 1 à 4. Le patient devient alors conscient du peu d’attention qu’il accorde habituellement à sa vie quotidienne, il observe la vitesse avec laquelle son esprit saute d’un sujet à un autre. Cette prise de conscience de son vagabondage mental, qui ouvre la porte aux pensées et aux sentiments négatifs, est l’étape initiale indispensable. Au cours de ces séances, il apprend toutes les pratiques de base qui lui permettent d’aborder la seconde partie. 2. « Gérer les mouvements de l’humeur » est l’objectif de la deuxième partie, intitulée « faire face » (séance 5 à 8). Quand une pensée ou un sentiment négatif surgit, des instructions sont apprises afin de permettre d’être tout simplement là avant de « réagir » et d’y répondre adéquatement avec des stratégies spécifiques.
Le sujet peut choisir sa manière de répondre au mieux à la situation difficile, maintenant ou plus tard, par exemple en la voyant comme une pensée ou un sentiment et en la regardant passer, ou encore en notant quelle partie du corps est affectée. Les participants apprennent à être pleinement conscient de la pensée ou du sentiment, puis à l’accueillir sans lutte, et sans jugement.
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Ce programme de TCC, qui se combine à des méditations de pleine conscience et à de nombreux exercices de la psychologie cognitive, a montré son efficacité dans la prévention des rechutes dépressives. Une méta-analyse réalisée par Piet et Hougaard en 2011 incluant 6 études, soit 593 participants, montre que la démarche MBCT a un effet de prévention des rechutes chez des patients en rémission de la dépression avec un gain de 34 %, et de 43 % pour ceux qui avaient connu dans le passé au moins trois épisodes dépressifs, un an après la fin de la démarche. Ces études montrent que des interventions psychologiques en phase de rémission augmentent encore la qualité de rémission des patients en diminuant leurs taux de rechutes.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
ET SI LA DÉPRESSION S’ASSOCIE À D’AUTRES TROUBLES PSYCHIATRIQUES ? La probabilité d’une rechute dépressive augmente considérablement si l’état dépressif est associé à une autre souffrance psychiatrique. Tout particulièrement, la personne qui présente également un trouble pathologique de la personnalité est plus soumise au risque de récidive. Parmi ces troubles de l’axe II, les troubles limites de la personnalité sont très exposés. Un programme de TCC spécifique leur est consacré afin de prévenir ces rechutes : c’est la thérapie cognitive dialectique ou TCD de Linehan. Sa théorie bio-sociale (Linehan et Schéarin, 1994) pose l’hypothèse d’un dysfonctionnement primaire du système de régulation des émotions qui serait à l’origine du trouble de personnalité « borderline », et en permettrait le maintien. Cette dysfonction aurait pour origine un tempérament vulnérable, un environnement invalidant avec leurs interactions. L’environnement invalidant serait celui où l’enfant n’aurait pas appris à cataloguer et moduler ses excitations, à tolérer la détresse et à croire en ses propres réponses émotionnelles comme à des interprétations valides des événements. Il n’aurait pas non plus appris à l’enfant à se décentrer par rapport à sa propre expérience, et à rechercher à l’extérieur des réponses sur la façon d’agir et de penser.
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Par exemple, un comportement suicidaire ou une automutilation aurait pour fonction de diminuer des émotions douloureuses qui ne peuvent être régulées ou tolérées autrement. Ce serait une compensation par carence de régulation émotionnelle. Selon Linehan la personnalité limite aurait une dysrégulation à quatre niveaux : 1. une dysrégulation émotionnelle prédominante ; 2. une dysrégulation interpersonnelle ; 3. une dysrégulation comportementale ; 4. une dysrégulation cognitive. Le cœur du programme thérapeutique est l’apprentissage de la régulation des émotions qui n’aurait pas pu se faire du fait des traumatismes précoces et de l’invalidation des émotions de la personne par son environnement. Typiquement, l’environnement invalidant requérait de l’enfant qu’il exprime de façon dramatique ses émotions avant qu’on ne lui prodigue l’aide et les soins dont il avait besoin. Dans ce programme, les outils thérapeutiques sont empruntés à divers courants psychothérapeutiques (Linehan, 2000), où l’acceptation et la pleine conscience sont utilisées dans le but de développer la tolérance aux émotions pénibles et la régulation émotionnelle en général.
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15 • Comment prévenir les rechutes ?
La durée totale de ce programme multifocal est d’environ une année (avec 2 heures en groupe et 1 entretien individuel hebdomadaire). De nombreuses études attestent de son efficacité. Pour conclure, les études cliniques et protocoles de recherches continuent à développer de nouvelles démarches en TCC pour encore mieux prévenir les rechutes dépressives, en tenant compte à la fois du nombre de rechutes et de la singularité du patient. Aujourd’hui le terme « TCC » ne représente pas un modèle théorique ou thérapeutique unique, mais plutôt une large famille de théories et d’interventions qui incluent à la fois les modèles traditionnels et ceux qui sont basés sur l’acceptation et la pleine conscience. Ainsi, comme toutes les disciplines scientifiques, les TCC ne sont pas statiques, mais en évolution. L’ensemble des publications nous permet de conclure à une spécificité d’action des TCC qui s’illustre par une rémission plus rapide des symptômes dépressifs ; une action préventive sur le taux de rechutes dépressives est largement confirmée ; une phase de continuation des entretiens faisant passer la thérapie de 12 à 20 entretiens représente encore un gain dans la prévention, plus encore chez les sujets à haut risque de récidives. Les stratégies récentes du type MBCT augmentent encore le pouvoir préventif de la TCC initiale et s’envisagent quand le sujet est en rémission clinique. Cet ajout de huit séances optimise la consolidation. Que ce soit la TCC ou la MBCT, elles opèrent toutes deux sur les opérations cognitives du sujet déprimé, de manière privilégiée sur les schémas cognitifs, mais aussi sur les différentes opérations de régulation des émotions. L’hypothèse actuelle serait que la TCC, comme la MBCT, permettrait un accès aux schémas cognitifs devenu impossible du fait des rechutes successives.
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APPRENDRE À SOIGNER LES DÉPRESSIONS
AVEC LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
RÉSUMÉ DE LA LEÇON • La TCC est très efficace à long terme dans la prévention des • • • •
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rechutes dépressives. L’intervention TCC en phase aiguë de l’épisode dépressif a un effet préventif. Elle doit être continuée en phase d’état chez les patients répondeurs. L’indication privilégiée concerne des patients présentant des symptômes résiduels. Les stratégies de TCC basées sur la pleine conscience chez le patient déprimé en rémission ont un effet protecteur contre les futures récidives. Des entretiens de consolidation sont indispensables pour diminuer les taux de rechutes et récidives, surtout pour les patients à haut risque de récidive. Des programmes spécifiques à certaines comorbidités existent, notamment la thérapie comportementale dialectique de Linehan lorsque s’associent un trouble dépressif caractérisé et un trouble de personnalité borderline.
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Conclusion universel, fréquent, récurrent, aux retentissements multiples sur la sphère familiale, sociale et professionnelle de l’individu qui en souffre. Il s’agit d’une maladie, qui doit être prise en charge rapidement. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de petite dépression, et que le risque de rechute augmente après chaque épisode.
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A DÉPRESSION EST UN TROUBLE
Nous l’avons vu dans ce livre, plusieurs approches médicamenteuses spécifiques ont montré leur efficacité. La recherche progresse aussi quant à un meilleur dépistage des signes cliniques : la moindre réticence des patients à venir consulter, la meilleure connaissance des traitements et une plus grande considération du patient comme acteur-collaborateur de sa prise en charge y contribuent largement. Les thérapies comportementales et cognitives permettent, aux côtés d’un traitement pharmacologique bien suivi, de travailler sur les vulnérabilités psychologiques personnelles à la dépression et à ses rechutes. Ce livre, tout au long des 15 leçons qui le structurent, a voulu retracer la démarche thérapeutique concrète menée en TCC avec des patients déprimés. La recherche continue ses progrès, et en attendant les futurs résultats, de nombreux travaux scientifiques ont pu largement démontrer l’efficacité de la TCC dans la dépression, autant sur le plan clinique que psychologique, cognitif ou neurophysiologique.
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Annexe Guide d’auto-évaluation
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ANNEXE
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E GUIDE D’AUTO-ÉVALUATION
par questionnaire, présenté ci-après sous forme de fiches, permet au patient après la thérapie de reproduire la démarche cognitive. Ce questionnaire explore successivement les trois niveaux du fonctionnement cognitif : les cognitions, les processus et les schémas.
LES COGNITIONS
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– Ne suis-je pas en train de confondre une idée avec sa réalisation ? (Avoir la croyance qu’un fait est vrai ou va arriver ne signifie pas qu’il est vrai ou qu’il va arriver nécessairement.) – Est-ce que ma pensée serait jugée pertinente par une autre personne ? – Quels sont les éléments de la réalité qui sous-tendent ma cognition ? (Ma pensée peut être vraie, mais je ne peux pas la considérer comme une conclusion absolue sans avoir examiné minutieusement l’évidence, la réalité sous ses différents angles.) – Est-ce que mon point de vue est le seul possible ? (Comment pourrais-je analyser cette situation autrement ?) – Comment aurais-je analysé cette situation avant d’être déprimé ? (Comment une autre personne percevrait-elle cette situation ?) – Quelle est l’influence de ma pensée sur mon comportement ? (Est-ce que je fais ce que je veux ? Est-ce que cette pensée va dans le sens de mon épanouissement, des objectifs que j’ai fixés dans ma vie ? Est-ce que ma manière de penser va dans le sens de ce que je veux ? Quels sont les avantages et les inconvénients de ce mode de pensée ? Si les conséquences négatives de ma pensée sont supérieures aux conséquences positives, comment puis-je envisager l’événement sous tous ses angles et reformuler l’importance de ma pensée initiale ?)
LES PROCESSUS – Est-ce que j’ai tendance à formuler ma pensée en tout ou rien ? – Est-ce que j’ai tendance à utiliser certains mots quand je parle ? (Comme : « toujours », « jamais », « tout le monde », « personne » ou à avoir des évaluations moins tranchées et plutôt sous une forme plus modérée du type « quelquefois », « certains ».)
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Guide d’auto-évaluation
– Est-ce que je ne me condamne pas à partir d’un seul événement ? (Est-ce que je ne tiens compte que de mes faiblesses et non pas de mes atouts dans l’évaluation d’une situation ?) – Est-ce que je suis en train de m’attribuer la responsabilité d’un fait dont je ne suis pas la seule cause ? – Est-ce que j’attends de moi une attitude parfaite dans mes actes, alors que ce n’est tout simplement pas possible continuellement. – Est-ce que je me suis construit des normes d’appréciation trop élevées, incluant beaucoup trop d’exigences ? – Est-ce que j’attends de moi plus que ce que j’attends des autres, comme si je possédais en fait deux niveaux différents d’évaluation ? (Si j’étais quelqu’un d’autre, comment évaluerais-je mon comportement, mon attitude ?) – Est-ce que j’envisage les situations comme des désastres, comme si je ne pouvais pas changer le cours des événements ? – Est-ce que j’exagère l’importance de certaines attitudes ? (Évaluer les conséquences d’un tel comportement sur sa vie aussi bien sur une semaine, quelques mois que sur toute la vie.) – Est-ce que je pense que rien ne peut changer ma situation ? (ou : Est-ce que j’envisage le futur comme une nouvelle expérience ? Ce que j’ai pu faire ou ce que j’ai pu vivre dans le passé n’est pas nécessairement lié à ce que je vais faire et à ce que je vais vivre dans le futur.) Cette auto-évaluation permet au sujet d’élaborer une réflexion critique sur ses propres cognitions, afin de lui permettre de prendre une certaine distance par rapport à ses activités cognitives. Ces interrogations permettent une restructuration cognitive.
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Liste des encadrés Le point sur la dépression, p. 6 Idées reçues, p. 8 Critères diagnostiques d’épisodes dépressifs majeurs, p. 10 Exemples de questions pour dépister la dépression, p. 11 Conséquences de la dépression à éviter à tout prix, p. 11 Quelques personnages célèbres ayant connu la dépression, p. 12 Le cercle de la léthargie, p. 13 Identifier la singularité individuelle de la dépression, p. 14 L’expérience d’un déprimé célèbre, p. 15 L’évolution de la dépression : définitions, p. 20 Facteurs de risques de récidives, p. 21 Qu’appelle-t-on « médicament antidépresseur » ? p. 24 Caractéristiques des thérapies comportementales et cognitives de la dépression, p. 26 Indications principales de la thérapie cognitive, p. 27 Caractéristiques des cognitions dépressives, p. 37 Extrait du questionnaire des pensées automatiques ATQ, p. 38 Processus cognitifs listés par Wright, p. 39 Extrait du questionnaire des Distorsions Cognitives, p. 45 La réactivité cognitive, p. 47 Caractéristiques d’une thérapie comportementale et cognitive, p. 48 La radio imagerie pour mieux comprendre, p. 51 Caractéristiques de la relation soignant-soigné, p. 56
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Liste des encadrés
Les cognitions en vrai ou faux, p. 57 Avant de prendre la parole chez l’émetteur, p 59 L’empathie, p. 59 Différents types de questionnement, p. 61 Récapitulatif sur le style des questionnements, p. 62 Le terme « feedback » : tous ses sens dans la langue française, p. 65 Définition de la personne de confiance, p. 69 Objectifs du discours éducatif, p. 69 Des exercices personnels écrits sur un carnet, p. 70 Buts de l’alliance collaborative avec le sujet déprimé, p. 70 Définitions de l’alliance thérapeutique, p. 73 10 critères d’évaluation de la relation thérapeutique, p. 74 Exemples de « résistances » dues aux croyances dysfonctionnelles, p. 82 Dépression et trouble de la personnalité, p. 85 Critères pour un diagnostic du trouble de la personnalité, p. 88 Le sujet déprimé, p. 97 Pour faciliter les « tâches prescrites », p. 99
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Facteurs de non-réalisation des tâches, p. 101 Quelques définitions concernant les qualités métrologiques des questionnaires, p. 105 Les indispensables sur les questionnaires, p. 109 Les limites des questionnaires, p. 109 Caractéristiques du jeu de rôle, p. 118 Fonctions du jeu de rôle, p. 118 Les bonnes conditions pour entreprendre une démarche pour soi, p. 136 Histoire de l’analyse fonctionnelle, p. 140 Caractéristiques des contrats thérapeutiques en TCC, p. 140 Définition d’un contrat, p. 142 Caractéristiques des objectifs, p. 142 Quelques réactions de patients à la technique de l’emploi du temps, p. 145
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LISTE DES ENCADRÉS
Les trois vœux d’Aladdin, p. 146 Exemples de difficultés dans la formulation des objectifs, p. 147 Les différents types de renforcements, p. 154 Les renforcements, leurs natures, p. 154 Popeye et les épinards, p. 154 Définitions du terme « plaisir », p. 155 Définitions du verbe « accomplir », p. 156 Difficultés rencontrées lors de la planification des activités, p. 158 Rappel des 6 étapes de la résolution de problème, p. 161 Autres techniques comportementales, p. 162 Définitions du terme « postulat », p. 180 Les étapes de la thérapie cognitive, p. 180 Définitions du terme « émotion », p. 181 Caractéristiques des émotions de base, p. 182 Extrait du questionnaire CCL, p. 184 292
Exemples de questions clés, p. 186 Émotions et cognitions, p. 186 Différencier l’émotion de l’humeur, p. 187 Qu’entend-on par « rationnel » ? p. 194 Questionnaire de décentration, p. 201 Quelques émotions, p. 205 Récapitulatif du travail sur les pensées dépressives, p. 207 Qu’entend-on par « observer le penseur » ? p. 216 Le « coping », p. 232 Exemples de thèmes de schémas dépressogènes, p. 235 Exemples de syllogismes, p. 236 Extrait de l’Échelle des Attitudes Dysfonctionnelles, p. 242 Caractéristiques des schémas, p. 247 Un arrêt précoce de la thérapie : quelles questions se poser ? p. 247
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Liste des encadrés
Les quatre stades de modification des schémas, p. 253 Définitions de « continuum », p. 260 La mémoire autobiographique, p. 263 Définitions de « métaphore », p. 268 Définitions de « constellation », p. 271
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Liste des tableaux Dépression et anxiété, p. 17 Indications actuelles de la thérapie cognitive, p. 28 Évaluation des thérapies comportementales et cognitives à long terme, p. 29 Synthèse des études, p. 86 Correspondances entre les troubles de la personnalité, les stratégies comportementales et les schémas cognitifs de Beck, p. 86 Sous-catégories du trouble de personnalité limite, p. 89 Profil cognitif du trouble de la personnalité limite, p.90 Schémas cognitifs inadaptés dans le trouble de la personnalité limite, p. 91 Liste des événements agréables (PES - Pleasant Events Scale), p. 153 Récapitulatif des modes et schémas selon Young, p. 246 Programme de thérapie comportementale et cognitive basée sur la pleine conscience, p. 280
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