14 PROSES DU XIIe SIECLE 2503503276, 9782503503271

Choisies parmi les nombreux chants liturgiques composés au Moyen Age en l'honneur de Marie, quatorze proses parisie

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14 PROSES DU XIIe SIECLE
 2503503276, 9782503503271

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Quatorze proses du XIIe siècle à la louange de Marie

SOUS LA REGLE DE SAINT AUGUSTIN Collection dirigée par Patrice Sicard

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ADAM DE SAINT-VICTOR Quatorze proses du XIIe siècle à la louange de Marie Présentation, traduction et notes par Bernadette jollès

BREPOLS

© 1994 Brepols

Irnpritné en Belgique Dépôt légal: novembre 1994 D/199410095/29 ISBN 2-503-50327-6

AU rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retricval sysytern, or transmittecl, in any form or by any n1cans, electronic, mechanical, photocopying, recorcling or othenvise, without the prier permission of the publisher.

INTRODUCTION

Les proses ou séquences parisiennes du xne siècle, dont beaucoup sont associées au nom d'Adam de Saint-Victor, comptent parmi les plus belles œuvres poétiques du Moyen Age latin. A cette époque, elles contribuèrent à rendre illustre l'abbaye de Saint-Victor de Paris, fondée en 1108 par Guillaume de Champeaux, archidiacre de Paris et écolâtre de Notre-Dame. Le fondateur prit l'habit de chanoine régulier de saint Augustin et continua son enseignement à Saint-Victor, dont il voulut faire un foyer de la réforme augustinienne. On sait que la nouvelle abbaye dut aussi son rayonnement à des personnages contemporains d'Adam, tels que Hugues et Richard de Saint-Victor pour ne citer que les figures les plus marquantes de ce temps: ils y enseignèrent et laissèrent un grand nombre d'écrits philosophiques, théologiques et spirituels'. Adam de Saint-Victor La vie de celui qui semble être le principal auteur des séquences parisiennes du xne siècle est restée, jusqu'à récemment, enveloppée d'un certain mystère. Sur la foi 1 Sur les origines et l'organisation de la communauté de Saint-Victor de Paris, consulter, dans J. Longère (1991), les articles de R.H. Bautier (p. 23-52) et de L. Jocqué (p. 53-95). L'étude de la théologie, de la philosophie et de la spiritualité des maîtres de Saint-Victor au XIIe siècle a pris un nouvel essor il y a une quarantaine d'années grâce, en particulier, aux travaux du chanoine J. Châtillon, de J. Ribaillier et de R. Baron. A l'heure actuelle, des livres et articles, tels que ceux de J. Jolivet, R. Berndt, P. Sicard, P. Gautier Dalché ... , continuent d'enrichir nos connaissances sur l'enseignement pratiqué à Saint-Victor au Moyen Age (voir les titres de quelques publications dans la bibliographie à la fin de l'ouvrage).

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INTRODUCTION

de chroniqueurs victorins tardifs, la paternité de ces séquences fut longtemps attribuée à un certain Adam Brito (originaire de Grande ou de Petite Bretagne), chanoine de Saint-Victor mort, assez obscurément semble-t-il, à la fin du XIIe siècle 2 . Depuis 1984 cependant, de nouveaux travaux fondés avant tout sur les plus anciens manuscrits qui transmettent les proses, sur les «familles» de séquences unies autour d'une même suite mélodique ainsi que sur les différentes compositions musicales assignées à une même séquence selon le lieu, tendent à prouver que le véritable auteur serait en fait un autre Adam, dont on retrouve la trace dans les cartulaires et les notices nécrologiques de la Cathédrale de Paris. Cet Adam fut Maître de Chapelle à Notre-Dame de 1107 à 1134 environ, dès ce temps en liaison étroite avec Saint-Victor car tout acquis à la cause de la réforme augustinienne. C'est en cette abbaye qu'il aurait ensuite vécu et qu'il serait mort vers 1146 3 . Les conclusions de cette étude ont le mérite de mieux s'accorder avec plusieurs données de manuscrits du xne siècle, lesquels seraient trop anciens pour que des œuvres d'Adam Brito puissent y figurer. Elles correspondent en outre davantage à l'idée que l'on peut se faire d'un poète-composite ur de talent. Enfin, du fait de la double appartenance del' auteur à Notre-Dame et à Saint-Victor, elles abolissent les réserves opposées à l'authenticité des proses contenues dans les seuls manuscrits de la Cathédrale.

Origine et nature des proses La poésie chrétienne, en Occident, naît durant le ive siècle, avec les hymnes d'Hilaire de Poitiers et surtout celles d'Ambroise de Milan. Le rythme de création des 2 Cf., par exemple, L. Gautier (1858) LXVIII-LXIX, ou F. Wellner (1937) 15-17.

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M.E. Fassler (1984) 264-269, et (1993) 206-210.

INTRODUCTION

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œuvres poétiques s'accélère avec le temps et aboutit, au Moyen Age, à des poèmes en grand nombre que l'on peut ranger dans des catégories fort diverses, liturgiques et nonliturgiques, les compositions non-liturgiques se développant surtout au cours du Moyen Age tardif. Parmi les chants liturgiques qui prennent naissance au IXe siècle, commentant en quelque sorte les pièces grégoriennes antérieures, se trouvent, avec les tropes et les prosules, les proses ou séquences dont l'apparition est donc bien postérieure à celle des hymnes proprement dites. Ces proses furent créées pour remplacer par des poèmes chantés les vocalises (mélismes) souvent très longues et difficiles à mémoriser, développées sur le dernier a de l'alleluia du graduel et qui portaient le nom de séquences alleluiatiques, ou encore de jubili. Sur la foi d'un récit du célèbre Notker le Bègue, moine et poète de l'abbaye de Saint-Gall, la toute première production de proses est le plus souvent attribuée aux moines de l'abbaye de Jumièges. Selon ce récit, lors de la dévastation de cette dernière abbaye par les Normands au IXe siècle, un moine de Jumièges, apportant avec lui son antiphonaire, trouve refuge à l'abbaye de Saint-Gall. Là, à défaut des proses de Jumièges elles-mêmes qui, paraîtil, étaient médiocres, l'idée même des proses est trouvée excellente. Notker en compose, qui méritent de traverser les siècles, il est suivi bientôt par beaucoup d'autres. Ce qu'il faut ajouter ici au récit de Notker, sans en rien retrancher, c'est que certains monastères, notamment en France et en Aquitaine, possèdent dès le IXe siècle, à l'instar de Jumièges, des répertoires de proses. A la fin du xe siècle les proses sont déjà nombreuses, notamment à SaintMartial de Limoges et à Saint-Gall dans la Suisse actuelle. Au XIe siècle, elles prospèrent en Angleterre (Winchester) et en Italie du Nord (Monza). Rome et l'Espagne manifestent plus de réticences à les introduire dans leur liturgie. Leur apogée est atteint aux xme-x1ve siècles: jusqu'au xv1e siècle, beaucoup sont encore chan-

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INTRODUCTION

tées, et ce n'est qu'après le concile de Trente que seules quatre d'entre elles subsistent dans le Missel, pour les fêtes de Noël, de Pâques, de la Pentecôte et du SaintSacrement. Plusieurs autres, cependant, perdurent en tant qu'hymnes de l'Office 4 . Les historiens répartissent les proses en plusieurs catégories selon les lois de versification utilisées, et non pas strictement, comme le laisseraient penser les noms des catégories, selon le siècle où ces proses ont vu le jour. Ils distinguent, en effet, les proses de la première époque exemptes des lois de la métrique, de la rythmique et de la rime, dont les proses de Notker sont le type: l'influence byzantine s'est exercée sur ces œuvres sans symétrie, sans alternance de strophes et formant un chant d'ensemble continu; on en composait encore au XIe siècle. Celles de la seconde époque, au contraire, ont pour caractéristiques l'accent, le syllabisme, la rime et la césure. Entre les deux, il y a place pour une catégorie de séquences qui ne sont qu'en partie rimées et rythmées, elles sont appelées par certains auteurs «proses de l'époque de transition». Les deux dernières sortes de séquences sont écrites de façon que chaque strophe puisse être chantée par deux chœurs alternés, d'où le parallélisme nécessaire entre les demistrophes sur le plan de la versification comme sur celui de la musique: la ligne mélodique chantée par le premier chœur est reprise par le second, la mélodie ne change que d'une strophe à l'autre. L'alternance des deux chœurs est mise en évidence dans certaines éditions modernes par une disposition en demi-strophes 5 .

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Sur la naissance et le développement des séquences en Europe, consulter L. Gautier (1858) CXXV-CXXXVII, E. Costa (1975) 28-34.

5 Pour la classification des séquences, voir, entre autres, L. Gautier (1858) CXXXVll-CLIX; Cl. Blume et H.M. Bannister (1915) AH 54, V-VII; H. Leclercq, DACL 151, 1297; M.E. Fassler (1984) 237 n. 20.

INTRODUCTION

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Les séquences parisiennes dont la composition est liée au nom d'Adam de Saint-Victor sont des chants liturgiques qui suivent à peu près parfaitement les règles du rythme, de la rime, du syllabisme, de la césure et du parallélisme évoquées ci-dessus: elles font donc partie des proses dites «de la seconde époque». Les lois combinées du syllabisme et du rythme imposent de ne retenir de la métrique ancienne que l'iambe (une syllabe atone suivie d'une syllabe accentuée), et le trochée (une syllabe accentuée suivie d'une syllabe atone). Si le poète victorin marque sa préférence pour le vers trochaïque octosyllabique combiné au vers heptasyllabique, il ne craint pas non plus d'utiliser d'autres modes de versification. Nous aurons plusieurs fois l'occasion de le constater. Ajoutons que à peu près au même moment, de nombreuses et très belles séquences de la seconde époque ont été également produites en d'autres pays, en particulier dans certaines abbayes bénédictines ou augustiniennes d'Autriche, d'Allemagne du Sud et d'Italie. Les séquences à thèmes marials attribuées au poète victorin

Les proses parisiennes du xne siècle ont été si fortement associées au nom d'Adam de Saint-Victor qu'on lui en a attribué manifestement plus qu'il n'était légitime de le faire: leur nombre s'est élevé jusqu'à quatre-vingt-onze! A la suite d'études critiques qui en ont rejeté plusieurs comme appartenant à d'autres temps ou à d'autres lieux, les auteurs modernes n'en comptent plus désormais qu'une cinquantaine6. Encore n'est-il pas exclu que l'on ait mis sous le nom du plus célèbre d'entre eux quelques créations d'autres poètes parisiens, contemporains d'Adam ou légèrement postérieurs. Si l'on doit reconnaître que peu d'autres noms semblent susceptibles d'assu6

Voir E. Misset (1881), ainsi que L. Gautier (1894).

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INTRODUCT ION

mer la paternité de telle ou telle prose, et si l'on sait qu'Adam de Saint-Victo r lui-même a sûrement composé des séquences rimées et rythmées parmi les plus belles, il demeure néanmoins toujours quelque doute sur l'authenticité d'une prose déterminée 7 . Ces considérations valent aussi pour les proses à caractère marial étudiées dans ce livre. La double appartenan ce de notre poète à NotreDame et à Saint-Victo r, révélée récemment , rend sans doute plus plausible l'attributio n à Adam de quelques séquences ne figurant que dans des livres parisiens non victorins, comme nous l'avons dit plus haut. Remarquon s que l'identifica tion de l'auteur n'est rendue facile, ni par le mode de rédaction des livres liturgiques qui, en général, ne mentionne nt pas les auteurs des pièces qu'ils contiennen t, ni par le délai qui sépare la création d'une œuvre de son introductio n dans un livre liturgique: rappelons que les séquences d'Adam de Saint-Victo r ne sont officiellement admises dans la liturgie qu'au ive Concile du Latran en 1215. Ceci explique que très peu nombreux sont les manuscrits du xne siècle qui contiennen t les proses du poète victorin. Saint Augustin considère les vocalises ou mélismes composés sur le a final de l'alleluia du graduel comme une musique très agréable à Dieu, musique à la fois des anges et des hommes qui s'unissent ainsi pour louer leur Seigneur8 . Succédant à ces joyeuses trilles et destinées à les remplacer, les séquences, par leurs mélodies et par leurs paroles, se doivent de créer la même atmosphère d'allégress e: elles sont composées pour être chantées aux fêtes du Seigneur, à celles de Marie et à celles des Saints, et ces différentes affectation s sont retrouvées dans les séquences attribuées généralem ent à Adam de Saint-

7 En AH 54 et 55, Cl. Blume et coll. ne sont jamais totalement affirmatifs sur l'attribution d'une prose à Adam de Saint-Victor.

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Voir sur le sujet M.E. Fassler (1993) 31-34.

INTRODUCTION

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Victor9 . Nous avons choisi de n'étudier dans ce livre que celles dans lesquelles il est fait mention de Marie. Ceci implique cependant de considérer, non seulement les proses destinées à des fêtes mariales déterminées ou les proses dites De Beata, mais aussi celles qui correspondent aux fêtes de l'enfance du Christ, où Marie est étroitement associée à son Fils, louée et implorée avec lui: c'est le cas des fêtes de Noël, de la Circoncision, de !'Épiphanie. Ainsi arrivons-nous au nombre de quatorze séquences qui, par ordre alphabétique, sont les suivantes: Ave, mater Jesu Christi Ave, Virgo singularis (Mater) Ave, Virgo singularis (Porta) Gratulemur in hac die ln excelsis canitur ln Natale Salvatoris Jubilemus Salvatori Lux advenit veneranda

AMJ AVS(M) AVS(P)

Nato nabis Salvatore 0 Maria stella maris

NNS OMS

Salve mater Salvatoris

SMS

Splendor Patris et figura Templum cordis adornemus Virgo, mater Salvatoris

SPF TCA VMS

GHD IEC INS JS LAV

De beata Assomption Assomption Assomption Circoncision Noël Noël Purification, Nativité, De beata Noël Assomption, De beata Annonciation, Assomption, Nativité Noël Purification Épiphanie

Cette liste montre que nombreuses sont les proses composées en l'honneur, exclusif ou non, del' Assomption de Marie: reflet, sans doute, de la dévotion spéciale de la Cathédrale de Paris à l' Assomption de Notre-Dame. En 9 Parmi les auteurs modernes ayant publié un certain nombre de séquences attribuées à Adam, on peut citer L. Gautier ( 1894); M. Legrain (1899); E. Misset et P. Aubry (1900); Cl. Blume et H.M. Bannister, AH 54 (1915); Cl. Blume, AH 55 (1922); F. Wellner (1937); H. Spitzmuller (1971).

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INTRODUC TION

revanche, relevons la faible mention de l' Annoncia tion alors même que l'un des principaux thèmes traités dans ces proses mariales est celui de l'Incarnation lié à celui de la maternité divine et virginale. A vrai dire, la plus célèbre des séquences d'Adam Salve mater Salvatoris était bien chantée dans l'Église de Paris, entre autres fêtes, pour l' Annonciation, mais seulemen t si le 25 mars était un dimanche ou se situait après Pâques 10 . Cela signifie que la fête n'était que rarement solennisée. Ellen' ad' ailleurs pas donné lieu à la composition de beaucoup de séquences: dans les Analecta Hymnica 11 , on ne relève que quatre séquences de l 'Annonci ation, contre cinquante-deux pour l'ensembl e des trois autres fêtes mariales et soixante-dix-sept proses De beata.

Contexte et sources: tradition chrétienne et inspiration poétique Le texte et la traduction française des séquences étudiées dans ce livre sont accompag nées de nombreus es notes. Celles-ci ont généralem ent pour but de relier un passage d'une séquence donnée à des écrits antérieurs ou contemporains. Elles renvoient le plus souvent à ! 'Écriture ou à des textes anciens et médiévaux: parmi ces derniers, une place spéciale est faite aux textes liturgiques et particulièrement aux chants présents dans des manuscrits dont la date de rédaction ne dépasse pas le XIIIe siècle. De même, un grand nombre d'auteurs en prose sont cités: la plupart des Pères de l'Église et écrivains chrétiens anciens de l'Occiden t, ainsi que beaucoup d'auteurs médiévaux antérieurs au XIIIe siècle. La recherche entreprise ici n'entend pas être exhaustive: elle ne peut l'être en raison d'une part de l'abondan ce des documents marials et, d'autre part, des moyens actuellem ent disponibles pour une

°Cf. M. Fassler (1993) 397 et L. Gautier (1894) 185.

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Cl. Blurne et H.M. Bannister, AH 53 (1911) et AH 54 (1915).

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recherche d'identités et de similitudes (s'il existe déjà, en CD-ROM, un regroupement de certains auteurs en prose anciens et médiévaux, bien des écrivains ne sont pas, pour l'instant, répertoriés, et rien n'est fait encore dans le domaine de la poésie). Ce caractère incomplet du recours aux textes a pour corollaire immédiat d'empêcher toute affinnation péremptoire selon laquelle certains thèmes, mots et expressions d'une séquence seraient privés de correspondance dans la littérature plus ancienne ou contemporaine. Il semble néanmoins qu'un nombre raisonnable d'écrits en plusieurs domaines suffise, au moins dans un premier temps, pour établir le contexte dans lequel les séquences victorines ont dû être composées et éventuellement pour attribuer à certains documents une valeur probable de sources. Notre recherche a en réalité permis, d'abord de mieux saisir à l'aide de textes parallèles ce qu'un poète exprime forcément de manière condensée, ensuite de mettre en lumière le fait qu'Adam de SaintVictor n'apporte d'idées nouvelles ni en doctrine ni en spiritualité mariales et que son symbolisme est généralement très classique. En ces domaines, il assume toute une tradition biblique, liturgique, patristique et médiévale qui lui fournit ses cadres de pensée et même parfois la façon de s'exprimer. Il met au service de cette tradition son art de grand poète, n'ayant manifestement pas d'autre ambition que celle de redire la foi telle qu'elle lui est enseignée par l'Église de son temps. Il veut faire connaître et aimer les mystères chrétiens en les présentant sous des langages variés toujours empreints de clarté et de beauté. Il n'y a donc pas lieu de lui faire grief d'un manque d'originalité de pensée: la nature de son œuvre ne comporte pas l'exigence d'une telle originalité 12 ! Le contenu des notes laisse apercevoir combien le poète est familier, directement ou à travers les textes liturgi-

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Voir, par exemple, Rémy de Gourmont ( 1930) 284.

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INTRODUCTION

ques et les commentaires scripturaires, avec les nombreux textes bibliques se rapportant à ce qu'il veut souligner. L'index scripturaire ainsi que l'index thématique relatif au symbolisme, en fin de volume, sont éloquents à ce sujet, ils montrent l'étendue de la culture biblique de l'auteur13. Celui-ci connaît les passages de l'Ancien ou du Nouveau Testament qui, traditionnelleme nt, concernent Marie, ceux qui relatent les événements mêmes où elle est impliquée comme ceux qui sont considérés depuis longtemps comme des prédictions et des préfigurations de !'Incarnation. D'une manière générale, et parce que le symbolisme en grande partie biblique occupe une place importante dans nos proses, les livres de l'Ancien Testament sont plus souvent cités que ceux du Nouveau. Parmi ces livres, les Psaumes, le Cantique des Cantiques et Isaïe pour l' AncienTestamen t, les évangiles de Luc et de Jean ainsi que les lettres de Paul pour le Nouveau, sont les plus fréquemment mentionnés. Il faut remarquer en particulier le nombre de figures de Marie tirées du Cantique des Cantiques. Nous reviendrons sur ce point. Des pièces liturgiques, telles qu' oraisons, antiennes, invitatoires et répons sont signalées dans les notes 14 . Elles reprennent souvent des versets bibliques ou des passages d'auteurs anciens et ont de tout temps contribué à familiariser le fidèle chrétien avec la Tradition. L'auteur de nos proses était très certainement imprégné du contenu de la plupart de ces pièces. Il l'était aussi des hymnes, au sens large de compositions liturgiques en vers. Bien qu'il ait été impossible de les recenser toutes, ces hymnes sont pré-

13 Pour les indications des livres bibliques, nous avons suivi la Vulgate dans l'édition critique de R. Weber (1969), à partir de laquelle B. Fischer ( 1977) a établi ses Concordances. 14 Les pièces liturgiques citées ici sont antérieures au XIIIe siècle. Les oraisons sont reprises du livre de P. Bruylants (1952). Les antiennes, invitatoires et répons proviennent des volumes d' Antiphonaires de la Messe et de ]'Office de R.J. Hesbert (1935 et 1968).

INTRODUCTION

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sentes, nombreuses, dans nos notes. Leur production s'étend du ive siècle au xne siècle inclus, et c'est merveille de voir la similitude de pensée, l'identité de la symbolique utilisée et parfois même de l'expression, entre des poèmes écrits en des lieux et des temps fort divers 15 . Parmi les poètes anciens, les noms d'Ambroise de Milan, de Prudence et de Sedulius apparaissent souvent en référence. Il en est de même pour des auteurs plus tardifs tels que Ambroise Autpert, Fulbert de Chartres ou Hermann Contract. Il faudrait citer aussi plusieurs proses anonymes présentes dans des manuscrits français ou italiens du x1e_ xne siècle. En ce qui concerne les œuvres poétiques contemporaines d'Adam, grand est le nombre de références, d'une part au long poème à la gloire de la Trinité composé par Hildebert de Lavardin, successivement évêque du Mans et évêque de Tours et ami des Victorins, d'autre part au Mariale avec ses innombrables Rhythmi attribué à Bernard de Morlas, moine de Cluny. Les proses anonymes mentionnées trois fois ou plus dans nos notes proviennent surtout des monastères de Saint-Florian et de Seckau (Autriche actuelle), lesquels semblent avoir eu, au XIIe siècle, des relations privilégiées avec Notre-Dame et Saint-Victor. Il est vrai que les contacts étaient nombreux entre les diverses Églises et monastères de l'Europe occidentale. Dom J. Leclercq a décrit ces tournées effectuées à !'occasion d'événements importants et permettant aussi les échanges de documents 16 . Il faut y ajouter le fait de la grande mobilité des religieux eux-mêmes d'un bout à l'autre de l'Europe. Pour ne parler que de noms célèbres, si nous ignorons le pays où naquit Adam, nous savons que Hugues de Saint-Victor venait de Saxe et que Richard était originaire d'Écosse ou d'Irlande. Au siècle précédent, saint Anselme, né à Aoste, devenait abbé du Bec15 Sur l'histoire des hymnes en Occident et sur l'hymnologie mariale au Moyen Age, se reporter aux publications de J. Szi:ivérffy indiquées dans la bibliographie.

16

J. Leclercq (1957) 170-191.

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INTRODUCTION

Hellouin, puis archevêque de Cantorbéry. En changeant de pays, les religieux faisaient sans doute profiter leurs nouveaux compagnons des usages liturgiques qu'ils avaient pu connaître. Enfin, les notes font souvent référence à des passages d'œuvres en prose de divers auteurs chrétiens, anciens et médiévaux. La littérature mariale est fort riche dès les premiers siècles de l'Église, tant en Orient qu'en Occident. Les écrits orientaux ne sont guère mentionnés ici, alors même qu'on retrouve des idées et formules voisines de celles de nos séquences, par exemple dans certaines homélies de saint Germain de Constantinople et de saint Jean Damascène 17 , mais il n'est pas prouvé que de tels écrits aient été connus des lettrés occidentaux du xne siècle. En Occident, du grand nombre d'auteurs de textes marials, quelques noms émergent, remarqués par les historiens, davantage cités dans nos notes: ce sont les écrivains chrétiens qui, au cours des douze premiers siècles, ont collaboré plus que d'autres au développement de la doctrine mariale, ont trouvé des formules plus adaptées, plus justes, plus pertinentes pour énoncer cette doctrine. Mentionnons d'abord saint Augustin, non seulement pour son apport marial non négligeable en ce qui concerne le rôle de la grâce dans la sainteté personnelle de Marie, mais aussi en raison de l'autorité particulière qu'il a exercée sur toute la littérature postérieure et spécialement sur celle des chanoines augustins. Il faut signaler, au vne siècle, saint Ildefonse de Tolède qui met en relief la souveraineté de la Vierge. Un nom du VIIIe siècle est à retenir, celui d'Ambroise Autpert, abbé de Saint-Vincent de Vultume près du Mont-Cassin, dont la grande dévotion à Marie s'exprime en de nombreuses formules et en des phrases originales telles que celle-ci: Quos in Uno genuisti (Ceux 17 Pour saint Germain, citons son homélie pour la fête de la Présentation (PG 98, 306-310) et, pour Jean Damascène, ses homélies sur la Nativité de la Vierge et sur la Dormition, SC 80 ( 1961 ).

INTRODUCTION

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que tu as enfantés en ton Unique) 18 , exprimant toute la réalité de la maternité spirituelle de Marie; on lui attribue actuellement la paternité de l'hymne Ave maris stella 19 . Citons aussi Paschase Radbert, abbé de Corbie au IXe siècle, auteur de divers traités théologiques, de commentaires scripturaires et de quelques longues lettres: parmi celles-ci se trouve la fameuse épître Cogitis me traitant de l' Assomption de la Vierge 20 , écrite sous le nom de saint Jérôme sans doute pour en accroître l'influence. Ce n'est que dans les temps modernes que cette épître a été restituée à son véritable auteur21 . Il n'a souvent été retenu d'elle que la prudence qu'elle manifeste au sujet de l'assomption corporelle de Marie 22 , mais elle est également remplie d'une profonde vénération pour la Vierge, qui se traduit par des formulations si heureuses que plusieurs passages ont été trouvés dignes, au Moyen Age, de figurer à l' Office de l' Assomption23 . On relèvera dans les séquences attribuées à Adam quelques similitudes d'expressions avec l'œuvre de Paschase Radbert. Nommons encore, au début du XIe siècle, l'évêque Fulbert de Chartres, dont les hymnes et les sermons sont plusieurs fois cités dans nos notes; il est considéré comme le précurseur du nouvel élan marial, à la fois doctrinal et spiri18

Sermon pour la fête de la Purification, CM 27B, 992.

l9

Voir H. Lausberg (1976).

2

°Cf. CM 56 C, 109-162

21

Dom G. Morin avait proposé dès 1888 le nom de Paschase Radbert comme celui de l'auteur de la lettre. En 1934, dom C. Lambot a confirmé cette attribution grâce à une lettre inédite de l'évêque Hincmar de Reims. 22 23

Voir, par exemple, H. Holstein (1961), 281-283.

Dom C. Lambot (1934) dit à propos de l'épître Cogitis me: «En France, à l'époque carolingienne, elle jouissait d'un prestige extraordinaire; en nombre d'églises monastiques, elle fournissait à !'Office de l' Assomption le texte des huit premières leçons de Matines et parfois aussi celui des quatre dernières; plusieurs antiennes et répons du même Office en furent tirées à peu près textuellement» (p. 265).

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INTRODUCT ION

tuel, de ce temps 24 . Les textes marials de saint Anselme, abbé du Bec-Hellouin puis archevêque de Cantorbéry, mort en 1109, ont contribué eux aussi au développement de la réflexion sur Marie, et nous verrons leur influence profonde sur la pensée et la manière de s'exprimer du poète victorin25 . Enfin, deux grands noms de la première moitié du XIIe siècle sont à citer: d'abord Rupert de Deutz en Rhénanie qui, le premier, fait un commentaire exclusivement marial du Cantique des Cantiques26 ; son explication concernant l'Ecce mater tua de l'évangile de saint Jean met l'accent sur la maternité spirituelle que Marie assuma dans la douleur au Calvaire 27 . Ensuite saint Bernard: ses œuvres mariales sont constituées principalement par des sermons, dont certains forment de véritables traités. Nombreuses sont les références au docteur marial dans nos notes, tout particulièrement à ses quatre homélies réunies sous le titre In laudibus Virginis Matris 28 et au sermon De aquœductu pour la fête de la Nativité de Marie 29.

Un univers symbolique Les nombreux symboles dont Adam de Saint-Victor émaille ses proses relèvent de deux univers, celui de la Création et celui de la Révélation car, comme le dit Jean Scot: «La Lumière éternelle se révèle au monde de deux

24

Voir J. Leclercq (1954), 126.

25

Les textes marials de saint Anselme consistent essentiellement en quelques Prières: cf. M. Corbin et H. Rochais (1988) 278-299.

26

CM 26.

27

CM 9, 743-744.

28

J. Leclercq (1966) 13-58; voir aussi SC 390 (1993).

29

J. Leclercq (1968) 275-288.

INTRODUCTION

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manières, à savoir par !'Ecriture et par la créature» 30 . Hugues de Saint-Victor, reprenant semble-t-il un passage d'un auteur plus ancien, affirme que «tout l'ensemble de ce monde est comme un livre écrit par le doigt de Dieu, c'est-à-dire créé par la puissance divine, et tous les êtres qui le composent sont comme autant de figures, non pas inventées par l'ingéniosité humaine, mais instituées par la volonté divine, afin de manifester et de signifier en quelque sorte les attributs cachés de la divinité» 31 . Dans les séquences d'Adam que nous avons choisi d'étudier, les figures appartiennent aux domaines les plus divers: l'index thématique I en fin de volume constitue un essai de classement de ces symboles en fonction de la personne à laquelle ils s'appliquent et en fonction de la sphère à laquelle ils sont empruntés. Les références bibliques de cet index peuvent aussi bien signaler les passages relatifs à des événements présents dans l'Ancien Testament et perçus par les chrétiens comme des préfigurations de l'Incarnation, que correspondre à de simples réalités du monde visible, déjà utilisés symboliquement dans !'Écriture pour désigner des réalités plus hautes (comme, par exemple, les figures du Cantique des Cantiques). Les représentations du Christ, de Marie et de la vie éternelle par des êtres de ce monde sont autant d'agréables réalités qui constituent ce qu'on peut imaginer de meilleur dans le domaine choisi. Parfois même, l'auteur ne se sert de ces symboles que pour déclarer que le Christ ou Marie leur sont, sans comparaison possible, supérieurs:

30 Homélie sur le Prologue de Jean, PL 122, 289C [cité dans H. de Lubac (1959) 11, 121]. 31 Ce passage de Hugues de Saint-Victor, cité par H. de Lubac (ibid.) comme un extrait du Didascalicon (PL 176, 814B) appartient en réalité à un traité de Hugues intitulé De tribus diebus. On y retrouve, avec des variantes, quelques lignes d'un Commentaire du livre de Nahum, d'auteur incertain (PL 96, 723B).

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INTRODUCTION

Ave, virgo gloriosa, Plus obryzo pretiosa, Fragrans super lilia.

Salut, Vierge glorieuse, Plus précieuse que l'or affiné, Exhalant une odeur surpassant celle des lis. (AMJ 37-39)

Super vinum sapida, Super nivem candida, Super rosam roscida,

Plus savoureuse que le vin, Plus blanche que la neige, Elle est, plus que la rose, humide de rosée, Et, plus que la lune, brillante De la lumière du vrai soleil. (LAY 56-60)

Super lunam lucida Veri salis lumine.

Cinnamomi calamum Tu surpasses en odeur suave Myrrham, thus et balsamum La canne du cannelier, Superas fragrantia. La myrrhe, l'encens et le baume. (SMS 16-18)

Ce qui est destiné à symboliser la vie humaine, ses dangers, le monde, le péché, Satan, est généralement moins plaisant. On ne peut cependant dénier une certaine grandeur aux figures nautiques plusieurs fois utilisées, dans le sillage d'une tradition qui remonte à l'antiquité gréco-latine et que les Pères ont reprise: ceux-ci ont vu dans le navire secoué par la tempête l'image de l'Église, barque de Pierre, ils ont identifié l'homme pécheur au naufragé 32 : Sœvit mare, fremunt venti,

La mer est déchaînée, les vents mugissent Fluctus surgunt turbulenti... Les flots agités se dressent... Post abyssos nunc ad cœlum Après l'abîme, c'est maintenant vers le ciel Furens undafert phaselum, Que l'onde en furie porte l'esquif Nutat malus, fluit velum ... Le mât oscille, la voile glisse ... [AVS(M) 9-10,17-19]

32

H. Rahner a longuement écrit sur l'histoire du symbolisme issu du monde marin dans son livre Symbole der Kirche (J 964).

INTRODUCTION

21

Lors même qu'ils n'ont pas été empruntés à !'Écriture, les symboles présents dans nos proses n'ont pour ainsi dire jamais été inventés par notre poète: dans l'immense majorité des cas et malgré le caractère non exhaustif des recherches, on en retrouve la trace chez un auteur plus ancien. Il faut savoir qu'il a existé toute une littérature ecclésiastique, ancienne et médiévale, centrée sur le symbolisme de la nature, qu'il s'agisse de traités entiers ou de certains chapitres d'œuvres diverses 33 . F.J.E. Raby34 , dans son étude sur le symbolisme médiéval et tout spécialement sur celui concernant la Vierge Marie en liaison avec les séquences victorines, se réfère au Bestiaire médiéval, qui n'est autre que la traduction de l'antique Physiologus grec 35 . Dom J. Leclercq36 fait également remonter ce genre de dictionnaires de symboles aux anciens naturalistes dont saint Isidore et Bède le Vénérable se sont fait les relais, et il explique ainsi la remarquable constance de l'interprétation symbolique des réalités de ce monde à travers les siècles. L'Ancien Testament, comme il a été dit plus haut, relate certains événements considérés dès le temps des Pères de l'Église comme des préfigurations du mystère de l'Incarnation. Il contient quelques prédictions, exprimées en symboles, qui sont, elles aussi, rapportées à la venue du Christ.L'Ancien Testament est ainsi jugé, non seulement comme la préparation mais également comme le symbole du Nouveau. Il est, comme l'explique Dom 33 L'un de ces traités, qui a fait couler beaucoup d'encre et que nos devanciers de la période romantique ont largement utilisé, est intitulé La Clef, dite de saint Méliton (évêque de Sardes au ne siècle). Il fut édité au XIXe siècle par le cardinal Pitra ( 1855), il a été traduit récemment par J.P. Laurant (1988). Ce traité est tenu par beaucoup pour une compilation de textes de différents auteurs anciens. 34

F.J.E. Raby (1927), 355-375.

35

Cf. E. Mâle (1922) 331-332.

36

J. Leclercq (1957), 77-78.

22

INTRODUCTIO N

Leclercq, «signe et figure du Nouveau parce qu'il en est l'image ... L'Ancien Testament est une anticipation typique du Nouveau parce qu'il participe à l'œuvre qui s'y accomplit... La figure contenait la vérité en la cachant, la vérité dévoile la figure et en livre le sens; une fois révélée, la figure, à son tour, éclaire la vérité» 37 . Saint Augustin affirmait déjà que l'Ancien Testament est révélé dans le Nouveau et que celui-ci est caché dans l'Ancien; que la grâce du Nouveau Testament, cachée dans la Loi, est révélée dans l'Évangile 38. Dans le Prologue de son traité De Sacramentis, Hugues de Saint-Victor dit, de l'interprétation allégorique de l'Écriture, qu'elle consiste en ce que, par un fait décrit, est signifié un autre fait soit passé, soit présent, soit futur39 . Ainsi, l'Ancien Testament prédit et contient en figures les événements du Nouveau: à l'ombre de l'Ancien succède la lumière du Christ. Idée exprimée dans certaines séquences pascales attribuées à Adam de Saint-Victor : Lux succedit tenebris ... Umb ram fugat veritas, Vetustatem novitas.

Figuram res exterminat Et umbram lux illuminat.

La lumière succède aux ténèbres, La vérité met l'ombre en fuite, Ce qui est nouveau chasse ce qui est ancien. (Ecce dies celebris, AH 54, n.144) La réalité chasse la figure Et la lumière éclaire l'ombre. (Lux illuxit dominica, AH 54, n.145)

Dans les proses ici étudiées, l'annonce de l'Incarnation par «la loi et les Prophètes» est plusieurs fois affirmée :

17

Id., 80-81.

38

Augustin, Enarr. in Ps. 106et143; SL 40, 1576 et 2073. Pour d'autres références, voir H. de Lubac (1959) 11, 334 ss.

39

Cf. PL 176, 185A.

INTRODUCTION

23

Lex et psalmi consonant La Loi et les Psaumes sont en harmonie Prophetarum paginis. Avec les écrits des Prophètes. (IEC 43-44) Complens in se prophetiam Accomplissant en lui la prophétie Et legis mysteria Et les mystères de la Loi. (NNS 23-24)

Outre cette affirmation à caractère général, le poète victorin chante ici les événements particuliers de l'Ancien Testament, préfigurations de l'Incarnation: ainsi sont rappelés les épisodes du buisson ardent (Ex 3, 2-3), du rameau d'Aaron (Nb 17, 8), de la toison de Gédéon (Jg 6, 36-37), du trône de Salomon (3R 10, 18), de la porte fermée du Temple (Ez 44, 2), du songe de Nabuchodonosor (Dn 2, 34), épisodes auxquels s'ajoute la prédiction d'Isaïe concernant le rameau issu de la racine de Jessé (/s 11, 1). Nous citons, à titre d'exemple, un passage de la prose GHD pour la fête de l' Assomption : Te per thronum Salomonis, Te per vellus Gedeonis Prœsignatam credimus, Et per rubum incombustum, Testamentum si vetustum Mystice perpendimus... De te, virga, progressurum Florem mundo profuturum Isaias cecinit...

C'est toi que, par le trône de Salomon, Par la toison de Gédéon, Et par le buisson non consumé Nous croyons préfigurée, Si nous considérons symboliquement L'Ancien Testament... Que, de toi le rameau, Devait sortir une fleur utile au monde, Isaïe l'a prédit... (GHD 43-47, 55-57)

Les notes soulignent la présence fréquente de ces figures vétérotestamentaires du Christ et de Marie dans les écrits antérieurs et en particulier dans la liturgie. De nombreuses figures de Marie sont tirées du livre du Cantique des Cantiques, comme il a été dit ci-dessus. Or, si des écrivains aussi anciens que saint Ambroise ou saint Jérôme, si entre le vme et le x1e siècles des auteurs comme Ambroise Autpert, Paschase Radbert, Pierre Damien,

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INTRODUCTION

si beaucoup de chants et d'oraisons liturgiques du haut Moyen Age appliquent déjà ponctuellement à Marie certaines expressions de ce livre, nous avons vu qu'il faut attendre Rupert de Deutz au début du XIIe siècle pour trouver un commentaire exclusivement marial du Cantique. Pour les auteurs anciens et même pour la plupart des médiévaux, l'épouse du Cantique est avant tout la figure de l'Église et, par voie de conséquence, celle de toute âme humaine dont est composée l'Église. La raison de la priorité de l'interprétation ecclésiale sur l'interprétation mariale paraît résider dans le fait que l'exégèse chrétienne a succédé d'une manière logique à l'interprétation juive du Cantique. Or les juifs voyaient en l' épouse la figure du peuple élu. Et, tout naturellement, l'Église, nouveau peuple élu, est devenue l'épouse du Cantique dans l'esprit des chrétiens 40 . L'intense utilisation mariale de ce Livre par Adam de Saint-Victor incline à penser que le poète est là plus proche d'auteurs de son temps comme Rupert de Deutz que d'écrivains plus anciens. A notre époque, le symbolisme des séquences attribuées à Adam de Saint-Victor, et en particulier leur symbolisme biblique, risque de surprendre plus d'un lecteur. Nos notes révèlent cependant la prudence de l'auteur dans ce domaine: il s'est conformé aux écrits des saints et savants auteurs qui l'ont précédé, et il s'est gardé généralement de toute originalité de mauvais aloi sur un terrain où les dérapages sont faciles 41 . En agissant ainsi, il a transmis ce qui fait partie du plus authentique patrimoine chrétien: car il y a une vérité profonde dans cette manière de montrer

40 41

Voir H. Coathalem (1954), 82-85; H. de Lubac (1968), 291-302.

Il faut reconnaître que la "démultiplication du symbolisme", pour parler comme M.D. Chenu (1951) 24, telle qu'elle existe en SPF 35-40 et 51-53, où les différentes parties d'une plante ou d'une noix figurent très exactement les divers rôles ou les divers éléments de la personne du Christ, paraissent dépasser quelque peu les limites dans lesquelles "joue sainement" le symbolisme.

INTRODUCTION

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la continuité des deux Testaments, ce passage de l'ombre de l'ancienne Loi à la lumière du Christ, cette correspondance entre les faits de l'une et de l'autre Alliance, en somme dans cette interprétation christologique, et mariale par voie de conséquence, des Écritures. En outre, l'enseignement des mystères du Christ par des événements ou des prédictions symboliques qui s'adaptent bien à sa venue et à son action a une efficacité pédagogique que l'on nous permettra de comparer à l'enseignement par paraboles: les deux manières d'instruire fixent l'attention du disciple sur ce qui est commun aux réalités concrètes présentées et aux mystères qu'elles sont censées représenter. Et nous répétons ici la dernière phrase de J. Leclercq citée plus haut: «Une fois révélée, la figure, à son tour, éclaire la vérité». Cet éclairage laisse des zones d'ombre, et les symboles évoquent les mystères en leur laissant leur part de mystère. La poésie, elle aussi, loin de tout dire, suggère: c'est peut-être la raison de la connivence profonde entre symbolisme et poésie. Le succès des séquences d'Adam de Saint-Victor au Moyen Age ne serait-il pas dû, pour une part au moins, au fait qu'un symbolisme traditionnel y est exprimé pour être chanté par tous, dans un langage poétique simple et si beau qu'il amène à la contemplation et à l'amour de la réalité du mystère? Ces proses n'auraient-t-elles pas aussi contribué à réintroduire dans les arts plastiques, après une longue absence de trois siècles, ce symbolisme qui, selon E. Mâle 42, resurgit vers 1140 à Saint-Denis au temps de Suger et que nous admirons encore?

Foi et spiritualité dans les proses d'Adam Un autre trait des proses d'Adam est leur richesse doctrinale: ce n'est pas là, au vu des autres œuvres poétiques du xne siècle ou des siècles antérieurs, une caractéristi42

E. Mâle (1922) 158.

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INTRODUCTION

que originale. Saint Ambroise ne disait-il pas déjà au ive siècle, parlant de ses fidèles chantant ses hymnes: «Tous rivalisent de zèle à professer leur foi; ils savent proclamer en vers le Père, le Fils et l 'Esprit-Saint; voici donc tous passés maîtres ceux qui pouvaient à peine être des disciples»43. Les poètes chrétiens successeurs d'Ambroise ont rarement négligé d'exposer dans leurs œuvres des éléments pouvant nourrir la foi des fidèles. L'index thématique II donne un résumé des insistances doctrinales des séquences. Que la place réservée au Christ soit grande, même dans les chants plus spécialement consacrés à Marie, n'est pas pour surprendre: il est aussi peu concevable de parler de Marie sans évoquer le Christ, que ne sont pensables des proses du temps de Noël ou de ! 'Épiphanie qui ne proclameraient quelque vérité sur Marie. Les rappels de doctrine sont toujours brefs en raison de la nature même de l'œuvre. Certains sont remarquables de densité lorsque, par le choix des mots, l'auteur réussit à dire en deux ou trois lignes l'essentiel d'un mystère. Donnons quelques exemples concernant à la fois la Trinité et l'Incarnation: Verbum Patri coœquale Corpus intrans virginale Fit pro no bis corporale ...

C'est le Verbe égal au Père Qui, entrant dans ton corps virginal, Pour nous se fait chair... [AVS(M) 29-31]

Verbum Patris sine matre Devenue mère sans le concours d'un père, Facta mater sine patre Elle a mis au monde dans le temps Genuit in tempore. Le Verbe du Père engendré sans mère. [AVS(P) 28-30]

Le nombre de points abordés est grand. Les enseignements concernant le Christ doivent être d'abord soulignés. Si, dans les proses que nous étudions, il s'agit avant tout du mystère de l'Incarnation, du Verbe ayant revêtu la chair 43

Sermon contre Auxence, PL 16, 1017-1018; trad. J. Fontaine (1992) 22.

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dans le sein de la Vierge Marie, il y a un débordement naturel de ce mystère sur celui de la Trinité d'une part, sur celui de la Rédemption et de la naissance de l'Église d'autre part. Il faut remarquer ce souci d'exactitude des termes concernant le Verbe incarné, ce Verbe qui est le Fils unique du Père (et non de Dieu puisqu'il est Dieu luimême) et en même temps le Fils de Marie, laquelle est donc vraiment mère 'de Dieu. Ce Verbe incarné réalise le passage de l'invisibilité à la visibilité de Dieu, il est éternel et temporel, immense et dans les limites d'un lieu, une seule personne et deux natures. Les séquences le chantent comme Sauveur, Médiateur, Consolateur, Vie, Lumière, Nourriture, Joie, Remède ... Beaucoup d'entre elles, dans leurs strophes finales, le désignent et le prient comme Celui qui donne accès à la vie éternelle. Signalons aussi l'insistance marquée de ces séquences sur l' œuvre de Satan dans le monde et la détresse qui en résulte: le diable est cité, sous des noms divers dont le plus commun est celui d'Ennemi (hostis), dans six de nos proses. Quant à la misère du monde, elle est présente dans la plupart d'entre elles; chez certaines, elle est décrite longuement, on pourrait même dire pesamment: la prose OMS est un modèle du genre, mais AMJ et A VS(M) consacrent aussi de nombreuses lignes à décrire le malheur des hommes. Quoiqu'il paraisse, cette insistance est justifiée dans des poèmes à la gloire de l'Incarnation du Verbe: l'auteur, en effet, veut dire et redire la raison de cette Incarnation du Fils de Dieu, à savoir que celui-ci vient combattre un personnage par nature plus fort et plus rusé que l'homme, et libérer ce dernier de Satan et de la misère qu'il engendre. Mais c'est de la théologie mariale se dégageant de nos poèmes que nous voudrions davantage parler. On notera, et ceci ne surprendra personne, que toutes les séquences chantent plus ou moins longuement, en langage propre comme en langage figuré, la maternité divine de Marie, et

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INTRODUCTION

presque toutes font allusion à sa maternité virginale. Ces deux thèmes sont particulièremen t développés dans les proses de l' Assomption A VS(P) et GHD, le second étant en outre très présent dans une troisième prose de l 'Assomption A VS(M), en LAV et dans les séquences du temps de Noël: IEC, JS et SPF. Il est peut-être plus étonnant de constater l'insistance de nombre de nos séquences, non seulement sur cette maternité hors normes de Marie, mais aussi sur sa sainteté personnelle, sur la plénitude de ses vertus et sur ses mérites: dans ce domaine, la palme revient sans aucun doute à la célèbre prose Salve mater Salvatoris (SMS) qui proclame l'impeccabilité de Marie spina carens, ses nombreuses vertus, en particulier sa chasteté et sa charité, et son mérite tout à fait unique lui valant d'être élevée par Dieu au-dessus des chœurs célestes : 0 Maria, stella maris, Dignitate singularis, Super omnes ordinaris Ordines cœlestium.

0 Marie, étoile de la mer, D'un mérite sans pareil, Tu es placée au-dessus De tous les ordres célestes. (63-66)

La séquence A VS(M) redit d'une manière plus évidente encore la liaison entre les mérites de Marie et sa place prééminente dans le Royaume : 0 Maria, pro tuorum Dignitate meritorum Supra choros angelorum Sublimaris unice.

0 Marie, en raison De la valeur de tes mérites, Tu es élevée de façon unique Au-dessus des chœurs des anges. (41-44)

Il faudrait pouvoir relever tout ce qui est dit sur ces sujets en GHD, LAV et TCA. La prose AMJ, quant à elle, relie l'éminente sainteté de Marie à son triomphe sur l'antique ennemi, le «serpent» du livre de la Genèse. Marie est la femme forte et sage du livre des Proverbes, elle s'oppose à Ève qui s'est laissée séduire, parce qu'elle-

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même s'est gardée de la morsure du serpent, lui a broyé la tête et a brisé sa force (cf. AMJ 25-37). Toutes ces considérations affirment ce que certains auteurs ont nommé à l'époque moderne la sainteté positive de Marie, la distinguant ainsi de sa sainteté négative constituée par la préservation du péché originel dont elle fut bénéficiaire. De plus, l'auteur des proses met fortement l'accent sur l'action de Marie auprès des hommes: il proclame le fait essentiel que Marie a donné au monde un Sauveur en la personne du Verbe incarné, mais il insiste aussi sur son rôle unique d'avocate, de médiatrice, de guide, de mère spirituelle qui peut nous libérer de la mort du péché et nous conduire à la communion avec son Fils: Nos in hujus vitœ mari Non permitte naufragari, Sed pro nabis salutari Tuo semper supplica ... Tu nos, Mater spiritalis, Pereuntes Zibera.

Sur la mer de cette vie Ne nous laisse pas faire naufrage, Mais supplie toujours pour nous Ce Sauveur qui est tien ... Toi, Mère spirituelle, Délivre-nous, nous périssons. [A VS(M) 5-8 et 23-24]

Nabis opemfer desursum Et post hujus vitœ cursum Tuo Junge Filio.

D'en haut porte-nous secours Et, après le cours de cette vie, Unis-nous à ton Fils. (GHD 28-30)

Nos a morte Zibera.

Délivre-nous de la mort. (OMS 33)

Par deux fois, Marie est dite post Deum spes singularis ou post Deum summa spei, c'est-à-dire notre unique ou notre plus haute espérance après Dieu. En outre, si le poète affirme souvent la primauté du don gratuit de Dieu à Marie, il insiste néanmoins avec force sur la participation volontaire de Marie à ce don durant toute sa vie: cette femme a su résister à Satan par le fait

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même qu'elle aime ce Dieu qui l'a choisie d'avance, qu'elle choisit ce Dieu qui l'a aimée le premier: A dilecto prœelecta, Femme choisie d'avance par un Dieu aimé, Ab electo prœdilecta Femme aimée d'avance Deo muliercula. Par un Dieu choisi. (TCA 34-36)

Adam voit une triple conséquence à cette exceptionnelle réponse d'amour à la grâce de Dieu. C'est d'abord la grandeur des mérites de Marie, et l'on ne s'étonnera pas de les voir si souvent mentionnés dans nos proses. C'est ensuite l 'inhabitation remarquable de Marie en Dieu: Sic laus Deo decantatur, Ut in eo collaudatur Mater ejus nobilis.

Que cette louange ne cesse d'être chantée à Dieu De manière telle qu'en lui soit louée Sa noble mère. (LAV 12-16)

et celle de Dieu en Marie, non seulement et très spécialement celle du Verbe du Père, mais aussi celle de la Trinité tout entière: Et totius Trinitatis Nobile triclinium.

Et noble triclinium De la Trinité tout entière. (SMS 58-59)

Enfin, c'est la puissance d'intervention de Marie en notre faveur. Tout ce qu'Ève nous avait fait perdre en détachant sa volonté de celle de Dieu, nous a été redonné par Marie en raison de sa totale union à Dieu (le parallèle Ève-Marie est présent dans trois de nos séquences: A VS(P), NNS, SPF). L'union remarquable entre le Créateur et sa créature Marie, la sainteté de celle-ci, sont toutefois, dans l'une des proses, un motif de crainte: Marie, dans son horreur du péché, ne serait-elle pas amenée à mépriser les pécheurs que nous sommes ?

INTRODUCTION

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Nec sic spernas peccatores Et ne méprise pas les pécheurs Ut non cernas precatores. Au point de ne pas voir ceux qui te prient. (LAV 78-80)

Cette crainte, qui paraît de nos jours quelque peu étrange, est assez fréquemment exprimée au Moyen Age, et des arguments sont avancés sur un ton parfois rude pour que Marie ne se détourne pas de nous : Nec abhorre peccatores

Ne prends pas les pécheurs en aversion, Sine quibus nunquamfores Sans eux jamais tu n'aurais été digne Tanta dignajilio. D'un tel Fils.

Si non essent redimendi, Nulla tibi pariendi Redemptorem ratio.

S'ils n'avaient été à racheter, Tu n'aurais eu aucune raison De mettre au monde le Rédempteur. (Tibi cordis in a/tari, AH 54, n. 279, V-VI)

Cependant, des propos plus sereins au service de la même idée sont tenus à la même époque par Aelred de Rievaulx: «Car si nul pécheur n'avait existé, ni un DieuHomme, ni la mère de Dieu elle-même n'auraient existé» 44. Nos proses sont les témoins de la foi chrétienne du XIIe siècle. Dans les domaines trinitaire et christologique, celle-ci est déjà pleinement définie par les grands conciles des premiers siècles et n'est pas affectée profondément par les controverses christologiques postérieures (celles des théologiens du xne siècle, auxquelles les maîtres victorins ont pris une si grande part, ne trouvent pas d'écho dans les séquences d'Adam). En revanche, le développement de la doctrine mariale est une beaucoup plus longue histoire. Les auteurs des premiers siècles considèrent 44

Sermon 45 in Assumptione S.M.; CM 2A, 353.

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INTRODUCTION

Marie avant tout dans sa dimension historique de mère du Sauveur, c'est-à-dire comme celle par qui est venu le salut, celle qui nous a valu la grâce en mettant au monde la source de la grâce. Assez rapidement cependant, et plus tôt en Occident qu'en Orient, la sainteté de la vie de Marie est soulignée. Mais il faut attendre les environs du vme siècle pour que le rôle éminent de Marie au ciel soit reconnu, rôle d'intercesseur, d'avocate et de médiatrice entre son Fils et nous. Or, si Marie est unique en tant que mère du Sauveur signifiant mère de toute grâce, elle ne l'est plus, ni sur le plan de la sainteté, ni sur celui de la distribution des dons de son Fils, car l'Église, elle aussi, est sainte et distributrice des grâces du Seigneur: les Pères avaient souligné ces prérogatives ecclésiales dès les premiers siècles. De là vient que, d'abord, seule l'Église est appelée la femme forte et sage du livre des Proverbes, la mère spirituelle des fidèles ... , tandis que par la suite tous ces titres sont donnés à Marie aussi bien qu'à l'Église. Cette dernière considère alors Marie comme son «type», c'est-à-dire sa figure, et en même temps comme le premier de ses membres et son modèle 45 . Les séquences mariales attribuées à Adam de Saint-Victor prennent acte de ce développement doctrinal et nous avons vu qu'elles insistent aussi bien sur la maternité divine et virginale que sur l'éminente sainteté de Marie et sa sollicitude puissante et efficace envers nous. Le poète suit les chemins bien tracés de la foi enseignée à son époque, et les quelques formules nouvelles relevées dans nos proses, ou du moins nouvellement appliquées à Marie, telles que celle de mater spiritalis [AVS(M) 23] ne constituent pas pour autant des nouveautés doctrinales: la maternité de Marie à notre égard, par exemple, qui ne peut être qu'une maternité spirituelle, est depuis longtemps reconnue46 . 45 46

Voir sur le sujet H. Coathalem (1954) 57-86.

Sur le concept de la maternité spirituelle de Marie en Occident, voir par exemple G. Jouassard (1959) ou J.M. Salgado (1990). Cf. aussi, cidessous, la note 11 de la séquence AVS(M).

INTRODUCTION

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Il faut admettre qu'Adam de Saint-Victor n'aurait sans doute pas changé grand-chose à la formulation de sa mariologie s'il avait connu les dogmes, qui lui sont de beaucoup postérieurs, de l'immaculée Conception et de l' Assomption. En effet, des expressions telles que jlos carens spina, spinœ nescia ou carens ruga macula figurant dans les proses SMS (8 et 12) et TCA (33), auxquelles peuvent être ajoutés beaucoup d'autres passages évoquant la plénitude des vertus chez Marie, montrent la croyance de l'auteur en la sainteté parfaite de la mère de Dieu. La sainteté de toute la vie consciente de Marie est d'ailleurs affirmée nettement à Saint-Victor, même si, à la suite de saint Augustin et comme saint Bernard le soutient, on pense que le péché originel n'a pas épargné sa conception. Quant aux proses faisant allusion à l' Assomption de la Vierge [AVS(M) et GHD], elles suggèrent fortement, quoique cela ne soit pas dit de manière explicite, que Marie est montée au ciel corps et âme. A l'époque d'Adam, la question est débattue car grande est alors l'influence de l'épître Cogitis me, dont il a été parlé plus haut, composée sous le nom de saint Jérôme par Paschase Radbert, et qui se refuse à ratifier la position de certains écrits apocryphes affirmant l'assomption corporelle de Marie. Cependant, un fort courant existe alors en sens contraire, appuyé sur un texte d'un pseudo-Augustin, et les Victorins du XIIe siècle encouragent la pieuse croyance en la mort et la résurrection de Marie, en la glorification de son corps comme de son âme 47 . Ils ne sont pas les seuls: en Angleterre, à peu près à la même époque, Aelred de Rievaulx, dans son très beau sermon pour la fête de l' Assomption48 , met en avant des arguments pertinents en faveur de la résurrection de Marie.

Outre leur richesse en représentations symboliques et en enseignements doctrinaux, il faut souligner la grande 47

Voir A. Sage (1952) 692-693.

48

CM 2A, 352-365.

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INTRODUCTION

valeur spirituelle de nos séquences. Celles-ci, en effet, sont destinées, comme toute œuvre liturgique, à provoquer chez ceux qui les chantent ou les écoutent une élévation du cœur vers Dieu et tous les «citoyens du ciel», pour reprendre une expression fréquente dans les textes médiévaux. Il est possible d'affirmer qu'elles réussissent pleinement dans ce domaine. A des siècles de distance, elles continuent d'inciter à l'admiration, à la louange, à la célébration des mystères dans la joie et l'action de grâce. Elles suscitent, ou du moins renouvellent, le désir ardent de voir en pleine clarté ce Dieu révélé Père, Fils et Esprit, ainsi que l'aspiration à une communion totale avec le Christ dans l'assemblée des saints, avec l'aide de ces derniers et, spécialement ici, de la Vierge Marie. L'espérance d'une telle vision, d'une pareille communion, en même temps qu'elle est porteuse d'une joie profonde, fait prendre une conscience particulière de tout ce qui, en nous, empêche son aboutissement, et c'est elle qui pousse à reconnaître nos fautes et l'impérieux besoin d'une aide à notre faiblesse. Rien d'étonnant donc que les séquences, d'une manière générale, parlent aussi bien de joie, de louange et d'action de grâce que d'humilité et de repentir, reconnaissent la misère humaine et demandent au Christ et à ses saints de nous libérer de Satan et de nos maux. C'est dans un but unique que toutes ces insistances spirituelles sont développées, et ce but est la vie éternelle dans la clarté de la vision trinitaire. Mais revenons à chacun des aspects concourant à ce but à l'aide de quelques exemples.

Un coup d'œil sur l'index thématique III en fin de volume permet d'apercevoir combien sont fréquentes dans les proses mariales choisies les incitations à la joie, à l 'acclamation, à la célébration, à l'action de grâce, à l'admiration des desseins de Dieu dans l'Incarnation: Gratulemur in hac die ... Dies ista, dies grata ...

Rendons grâce en ce jour... Jour de grâce celui-là ... (GHD 1, 4)

INTRODUCTION

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Felix dies hodiernus ... Felix dies et jucundus ... Quam subtile Dei consilium!

Heureux le jour d'aujourd'hui ... Heureux et joyeux jour ... Comme il est subtil le dessein de Dieu! Quam sublime rei mysterium! Comme il est sublime le mystère de la chose! (INS 7, 10, 49-50)

Jubilemus Salvatori... Mirajloris pulchritudo ...

Acclamons avec joie le Sauveur ... Elle est merveilleuse, la beauté de cette fleur .. (JS 1, 25)

Hujus lœta lux diei Festum refert matris Dei

La lumière joyeuse de ce jour Se rapporte à la tète de la mère de Dieu, Fête qui doit être consacrée à ses louanges. (LAV 4-6)

Dedicandum laudibus.

Les appels à la conversion du cœur sont également nombreux.L'auteur insiste particulièrement sur le thème augustinien du plein accord entre ce qui est dit et chanté et ce qui est pensé et la séquence TCA pour la fête de la Purification demande une harmonie parfaite entre le geste et l'attitude intérieure d'amour: Si concordent linguis mentes ... Si nos esprits sont en accord avec nos paroles (GHD 16) Vox exultet modulata, Mens resultet medullata, Ne sit laus inutilis.

Christum tenens per amorem

Que la voix exulte mélodieuse, Que l'esprit y fasse écho très profondément, Pour que la louange ne soit pas vame. (LAV 7-11) Celui qui tient le Christ dans son amour

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INTRODUCTION

Bene juxta festi morem Gestat lumen cereum.

Porte à bon droit, selon la coutume de la fête, Le cierge qui est lumière.

(TCA 25-27)

Les louanges au Christ et surtout à Marie ne peuvent être toutes citées. Il s'agit non seulement de qualificatifs, mais aussi de titres élogieux, et ces derniers relèvent souvent du monde des symboles. Ces louanges sont particulièrement belles et nombreuses dans certaines proses: évoquons plus spécialement les proses de l 'Assomption A VS(M), A VS(P), GHD, ainsi que LAV. Mention spéciale doit être faite de la séquence SMS: la majeure partie du poème n'est, sous diverses formes, qu'une louange à Marie. Signalons aussi la séquence de la Purification TCA dans laquelle la seconde moitié, remplie de symboles empruntés au domaine de l'eau, est axée sur la louange de la pureté de Marie, en même temps que sur la demande de son aide purificatrice. Plusieurs passages, très longs dans certaines proses comme A VS(M) et OMS, ont trait à notre misère humaine et à notre impérieux besoin de salut. C'est en langage symbolique que, souvent, l'aveu de nos fautes et de notre impuissance ainsi que la demande de libération de Satan et du péché sont exprimés: Nos in hujus vitœ mari Non permitte naufragari ... Navis currit, sed currenti Tot occurunt obvia : Hic sirenes voluptatis, Draco, canes cum piratis...

Sur la mer de cette vie Ne nous laisse pas faire naufrage ... La nef file, mais dans sa course Elle rencontre tant d'obstacles: Là se trouvent sirènes de volupté, Dragon, chiens, pirates aussi ... (AVS(M) 5-6, 9-14)

0 salutis nostrœ porta, Nos exaudi, nos conforta Et a via nos distorta Revocare propera ; Te vacantes de profundo,

0 porte de notre salut, Exauce-nous, fortifie-nous, Et hâte-toi de nous retirer Des chemins tortueux ; Par ta prière délivre-nous

INTRODUCTIO N

37

Navigantes in hoc mundo, Nos ab haste furibundo Tua prece libera.

De l'ennemi furibond, Nous qui, naviguant en ce monde, T'appelons depuis l'abîme. (GHD 69-76)

0 Maria, stella maris, Post Deum spes singularis Naufragantis sœculi, Vide quam nos fraudulenter, Quam nos vexant violenter Tot et tales œmuli.

0 Marie, étoile de la mer,

Nos spinetum, nos peccati Spina sumus cruentati.

Après Dieu l'unique espérance D'un monde qui fait naufrage, Vois comme tant d'ennemis si grands Nous persécutent, vois comme ils sont Fourbes et violents. (INS 59-64) Nous, le buisson, par l'épine du péché Nous sommes tout ensanglantés. (SMS 10-11)

D'après ces quelques citations que l'on pourrait facilement multiplier, on voit que la conscience profonde du péché de l'homme aux prises avec Satan va de pair, dans l'esprit de l'auteur des séquences, avec un besoin irrésistible de salut, et elle est accompagnée d'une confiance non moins grande à l'égard du Christ qui nous donne ce salut et de Marie qui nous donne le Christ. D'où les demandes pressantes pour la libération du péché et des ruses de Satan. Cependant, deux autres types de demandes peuvent être encore distinguées, qui, nécessitant la purification demandée, vont encore plus loin. Marie, en effet, est priée plusieurs fois dans nos proses de nous confier ou de nous joindre à son Fils : Nos commenda (adsigna) Confie-nous à ton Fils. tuœ proli. (AVS(M) 55; INS 68; SMS 68) Tuo Junge filio.

Unis-nous à ton Fils.

Tuo siste filio.

Place-les près de ton Fils. (LA V 86)

Christo nos adnumera.

Rattache-nous à lui.

(GHD 30)

(OMS36)

38

INTRODUCTION

En outre, il est demandé au Christ de nous donner la vie éternelle. Demande suprême! La vision en pleine clarté du Christ et de la Trinité tout entière, la participation à la vie même de Dieu sont, en effet, l'objet d'un désir ardent et peuvent seuls combler l'âme religieuse: Tu post vitam hanc mortalem Sive mortem hanc vitalem, Vitam nabis immortalem Clementer restitue. Da perenne gaudium.

Après cette vie mortelle Ou plutôt cette mort qui conduit à la vie, Dans ta clémence redonne-nous La vie éternelle. (IEC 55-58) Donne la joie éternelle. (INS 76)

Fac nos simplœ Trinitatis Post spemfrui specie.

Donne-nous, après l'espérance, la jouissance De la vision de la Trinité Une. (OMS 47-48)

Et nos tuœ claritatis Configura gloriœ.

Et conforme-nous A la gloire de ta clarté. (SMS 79-80)

Splendor Patri coœterne, Nos hinc transfer ad paternœ Claritatis gaudia.

Splendeur coéternelle au Père, Transporte-nous d'ici-bas Vers les joies de la clarté du Père. (SPF 66-68)

Et ab haste sic ereptos

Et, nous ayant ainsi arrachés à l'ennemi, Qu'il nous reçoive dans les cieux. (VMS 71-72)

In cœlis recipiat.

Présentation des séquences d'Adam et abréviations utilisées Le texte latin est, sauf exception, celui des Analecta Hymnica (voir note 9). Toutefois la présentation des

INTRODUCTION

39

séquences est, non pas en demi-strophes, mais en strophes comme l'est celle de L. Gautier (1894) ou de M. Legrain (1899), avec les débuts des lignes formant retrait lorsque les vers ne sont pas octosyllabiques. S'il est bien connu que toute traduction est une trahison, cette affirmation paraît encore plus vraie lorsqu'il s'agit d'œuvres poétiques, dont la beauté ne résiste pas au changement de la langue. «Ce qu'il y a de poésie dans un poème reste intraduisible» 49 . Dès lors, pourquoi donner une traduction? C'est avant tout et seulement pour que le sens des phrases soit compris sans trop de peine par ceux à qui la langue latine n'est pas très familière. Cependant, le sens du texte une fois perçu, nous supplions le lecteur de retourner au texte latin qui seul permet de savourer la beauté et la grandeur du poème. Nous avons opté pour une traduction littérale qui ne fasse pas écran au texte original, sans recherche de rimes ou de nombre régulier de syllabes. Seul a été conservé le nombre de lignes par strophe. Chaque séquence est munie de notes en bas de pages, dont l'utilité est indiquée ci-dessus. Elle est suivie d'un commentaire en plusieurs paragraphes. Les paragraphes I à IV donnent les noms de quelques éditeurs et traducteurs de la prose considérée, signalent sommairement la présence de celle-ci dans les anciens manuscrits et sa diffusion à travers l 'Europe 50 , ainsi que sa place dans la liturgie. Le paragraphe V résume et commente les données scripturaires, liturgiques et littéraires des notes. Quant aux paragraphes VI, VII et VIII, ils font ressortir, pour chaque prose, ses figures symboliques, ses insistances doctrinales et spirituelles.

49 50

H. Brémond (1926) 172.

Les indications concernant les manuscrits eux-mêmes sont à rechercher dans CI. Blume et H.M. Bannister (1915) AH 54, et chez M.E. Fassler (1993) 390-409.

40

INTRODUCTION

La bibliographie est présentée après les séquences. Un index scripturaire et trois index thématiques y font suite, ces derniers regroupant et classant les éléments relatifs au symbolisme, à la doctrine et à la spiritualité. Les abréviations utilisées concernent : - d'une part, les séquences mariales désignées par les initiales des deux ou trois premiers mots de la séquence: ces sigles sont indiqués, ci-dessus, p. 11 ; - d'autre part, des volumes appartenant à des collections ainsi qu'un certain nombre d'ouvrages de référence: leurs abréviations sont données en premières pages de la bibliographie, à la fin du volume. Je tiens à remercier tout particulièrement le Père P. Sicard, chanoine de Saint-Victor, qui a ouvert à ces séquences la collection «Sous la Règle de saint Augustin». Il a accepté le dur labeur de revoir l'ensemble du livre, qu'il a enrichi de ses nombreuses et précieuses suggestions. Je suis reconnaissante à Monsieur Joseph Trinquet p.s.s. de la documentation qu'il a mise à ma disposition, ainsi que de son aide pour la traduction française des séquences et pour la solution de quelques problèmes scripturaires. Que Monsieur Luc Jocqué soit remercié de ses réponses aimables à mes demandes de renseignements. Enfin, que le Père M. Albaric o.p. et toute l'équipe de la Bibliothèque du Saulchoir trouvent ici l'expression de ma gratitude pour leur accueil généreux et compétent. Il est difficile d'écrire sur un religieux de l'abbaye de Saint-Victor ayant vécu au xne siècle, sans que ne surgisse le souvenir de l'éminent spécialiste des auteurs et textes victorins de ce temps que fut en outre Jean Châtillon, décédé en 1988. Ce savant fut en plus le maître qui m'a permis d'apercevoir les trésors intellectuels et

INTRODUCTION

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spirituels de nombreux auteurs médiévaux, et ceux des grandes figures de Saint-Victor en particulier. A ce double titre, il a droit à toute ma reconnaissance. Et peut-être aurait-il aimé qu'une étude soit consacrée à des œuvres moins austères que celles de Richard ou d' Achard, telles ces séquences attribuées au «personnage mystérieux» qu'était à ses yeux le poète victorin. Et maintenant, laissons-nous charmer par la lecture suivie de ces séquences mariales du XIIe siècle. Elles reprendront déjà vie dans le silence d'une telle lecture. Souhaitons cependant davantage: que retentissent à nouveau dans nos églises leurs chants joyeux pour célébrer la Mère de Dieu ! Nam te sine sicut Deus Non venit ad hominem, Sic homo sine te ad Deum Nunquam perveniet.

Car de même que, sans toi, Dieu n'est pas venu vers l'homme De même, sans toi, L'homme ne parviendra jamais à Dieu.

Godescalc de Limbourg (XIe siècle) 51

51

AH 50, n. 266, Sb.

A VE, MATER JESU CHRISTI

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AVE, MA TER JESU CHRISTI

1. Ave, mater Jesu Christi, Qme de crelo concepisti, Non camis commercio; A contactu viri pura Concepisti paritura Gaudium cum gaudio 1• 2. Peperisti medicinam Non humanam, sed divinam 2 Pereunti sreculo; Totus mundus in languore, Totus erat in dolore, Totus in periculo. 3. Mundi languor error ejus, Quo languore nihil pejus, Nihil tam pestiferum; Hostis totum possidebat, Quia totus defluebat Per abrupta scelerum 3 .

10

15

1. Les lignes 5 et 6 sont sans doute une allusion à l'enfantement sans douleur de la Vierge. Le même thème est explicité en A VS(M) lignes 37-40 et fait l'objet de la note 17 de cette prose. Ce qui est à souligner ici, c'est la relation établie entre cette joie dans l'enfantement et la conception virginale, celle-ci étant mentionnée deux fois dans cette première strophe, aux lignes 2-3 et aux lignes 4-5. Une telle relation est décrite par un grand nombre d'auteurs anciens et médiévaux. Dès cette première strophe, deux mots se répètent: concipere et gaudium. Dans les strophes suivantes, on relevera bien d'autres répétitions: totus, cinq fois (strophes 2 et 3), mundus, deux fois (strophes 2 et 3), languor, trois fois (strophes 2 et 3), sexus, deux fois (strophe 6),jugis, quatre fois (strophe 8), suspirium, deux fois (strophes 8 et 9), tu, te, quatre fois (strophe 9),juvare, deux fois (strophe 10). Ces répétitions sont fréquentes dans les proses victorines.

2. Medicinam ... divinam. La prose victorine de Noël NNS, étudiée cidessous, désigne aussi le Christ comme medicina (ligne 26) tandis qu'en TCA (ligne 53), le même mot signifie Marie. La formule même de medicina divina existe déjà chez saint Augustin (cf. Contra Faustum, 32, 14; CSEL 25 1, 774) et chez d'autres auteurs anciens, où elle

AVE, MATER JESU CHRISTI

1.

Salut, mère de Jésus-Christ, Qui as conçu de par le ciel, Non par un commerce charnel; Pure du contact de l'homme Tu as conçu, et tu vas enfanter La Joie dans la joie.

2.

Tu as procuré un remède, Non pas humain mais divin, A un monde en perdition. Le monde entier était malade, Tout entier dans la douleur, Tout entier dans le danger.

3.

Ce dont le monde souffrait était d'être égaré, Rien de pire que cette maladie, Rien d'aussi pernicieux; L'ennemi possédait le monde entier, Car tout entier ce monde glissait Sur la pente rapide des crimes.

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10

15

représente souvent la doctrine chrétienne. Saint Bernard appelle le Christ lui-même medicina (Sermon 15 sur le Cantique; Leclercq I, 86). Pour Hugues de Saint-Victor, Dieu est le médecin (medicus) qui applique le remède (medicina) aux malades que sont les hommes (De sacramentis, II, 4; PL 176, 323BC). L'expression medicina divina figure également le Christ dans le Mariale attribué à Bernard de Morlas (AH 50, n. 323, Rhythmus V, 9; IX, 4; XV, 16). Quelques oraisons anciennes utilisent les expressions voisines de medicina cœlestis (BOr 85) et medicina cœlestis gratiœ (BOr 746). 3. Hostis: les imaginations juives et chrétiennes ont multiplié les noms et expressions pour désigner Satan. Dans cette seule prose, quatre autres termes sont employés: serpens et anguis (lignes 26 et 31 ), impius (ligne 36), nequam spiritus (ligne 52). Serpens vient de !'Écriture, et pas seulement du livre de la Genèse: cf. Gn 3,1-4 et 13-14; Le 10,19; 2Co 11,3; Ap 12,9 et 14-15; ibid., 20,2. Nequam spiritus est présent en JR 16,14, Mt 12,45 et Le 11,26, ainsi qu'en Ac 19,12et15: cette formule est souvent utilisée par saint Augustin et saint Grégoire le Grand. Per abrupta scelerum: cf. saint Augustin, Confessions II; BA 13, 334.

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A VE, MA TER JESU CHRISTI

4.

5.

Nondum semen venerat, Quod nobis promiserat Deus ab initio, Semen ex muliere 4 Sine camis opere, Sine matris vitio. Mulier eligitur, Cujus serpens nititur Pungere calcaneum; Sed fortis et sapiens, Hosti non consentiens, Pnecavet aculeum.

6. Caput anguis h::ec contrivit5 , Cujus cami coünivit Se majestas Filii 6 ; Sexus ante fragilis, Sexus seductibilis 7 Vires frangit impii.

20

25

30

35

4. Les quatre premiers vers de la strophe 4 sont très proches de Rm 1,2-3: (evangelium) quod ante promiserat (Deus) de Filio suo, quifactus est de semine David, ainsi que de Ga 3, 19 et 4,4: donec veniret semen cui promissum est... misit Deus Filium suum, factum ex muliere. 5. Continuant les emprunts bibliques, mais ici vétérotestamentaires, l'auteur reprend dans les strophes 5 et 6 certains termes de Gn 3,15: ipsa (mulier) conteret caput tuum (.çerpentisl et tu insidiaberis calcaneum ejus. Dans le Speculum virginum (CM 5, 125), les formules mêmes des lignes 29 à 31 de AMJ sont retrouvées.

A VE, MA TER JESU CHRISTI

4.

5.

6.

Elle n'était pas encore venue, La descendance à nous promise Par Dieu dès le commencement, Descendance issue de la femme, Sans œuvre de chair, Sans altération de la mère. Une femme est choisie, Dont le serpent s'efforce De piquer le talon ; Mais, forte et sage, N'accordant rien à l'ennemi, Elle se garde de l'aiguillon. C'est elle qui a broyé la tête du serpent, C'est à sa chair que s'est unie La majesté du Fils; Le sexe autrefois fragile, Le sexe qui s'était laissé séduire Brise les forces de l'impie.

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25

30

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L'expression mulier... fortis et sapiens (lignes 25 et 28) rappelle le livre des Proverbes: Mulieremfortem quis inveniet? (Pr 31,10) ... Sapiens mulier œdificat domus suum (ibid.. 14,3). Ces formules de mulier fortis, mulier sapiens désignent l'Église dans la littérature chrétienne ancienne: voir, par exemple, saint Augustin sermon 37 (SL 41, 455). En revanche des auteurs du XIIe siècle, comme Rupert de Deutz (Commentaria in Canticum VII; CM 26, 163) ou saint Bernard (In laudibus VM., hom. 2,5; SC 390, 138), en font une application mariale. 6. Majestas.filii: cf. Mt 19,28 et 25,31; Le 9,26 et 21,27. 7. Cf. Gn 3,13: serpens decepit me, et 2Co 11,3: sicut serpens Evam seduxit astutia sua.

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A VE, MATER JESU CHRISTI

7. Ave, virgo gloriosa 8 , Plus obryzo pretiosa9 , Fragrans super lilia; Tibi cedit laus herbarum, Florum decor et gemmarum Libanique gloria 10 . 8. 0 Maria, maris stella 11 , Pro conservis interpella Jugi prece Filium : Quia jugis est assultus, Jugis noster est singultus Et juge suspirium.

40

45

8. Virgo gloriosa. L'attention portée à l'aspect glorieux de la Vierge au Ciel est très présente dans de nombreux documents liturgiques anciens. Signalons d'abord le Communicantes du Canon romain, texte de haute antiquité et d'origine encore obscure: in primis (memoriam) gloriosœ semper Virginis Mariœ ... La sixième strophe de l'hymne mariale Quem terra,pontus, œthera (AH 50, n. 72), encore chantée aujourd'hui à !'Office, et longtemps attribuée à Venance Fortunat, en tous cas antérieure au vme siècle (cf. A. Lentini, Te decet hymnus, 253-254), commence par 0 gloriosa femina .. Enfin, parmi les innombrables antiennes et répons évoquant la gloire de Marie dans les cieux, mentionnons ! 'une des plus connues Ave regina cœlorum qui, à la cinquième ligne, dit à la Vierge Gaude Virgo gloriosa . 9. Cf. Is 13,12: Pretiosior erit vir aura et homo mundo obryzo. 10. Libani gloria: voir Is 35,2 et 60,13. La gloire du Liban, c'est «la magnificence (ou la splendeur) de ses forêts de cèdres» (Bible OstyTrinquet, notes ad lac.). 11. L'expression maris stella revient dans cinq autres proses victorines étudiées ici: en AVS(M) 3, AVS(P) 2, INS 65, OMS 1 et SMS 63. La formule évoque d'abord l'hymne bien connue Ave maris stella [celleci, selon H. Lausberg (1976), aurait pour auteur Ambroise Autpert].

A VE, MATER JESU CHRISTI

7.

8.

Salut, Vierge glorieuse, Plus précieuse que l'or affiné, Exhalant une odeur qui surpasse celle des lis; S'effacent devant toi les plantes renommées, La beauté des fleurs et des pierres précieuses Et la gloire du Liban. 0 Marie, étoile de la mer, Adresse une prière incessante à ton Fils En faveur de la famille de tes serviteurs : Car continuel est l'assaut, Continuels sont nos sanglots Et continuels nos soupirs.

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40

45

Mais déjà saint Jérôme (Liber interpretationis hebraicorum nominum, SL 72, 137; PL 23, 842) expose les significations possibles du nom hébreu (Mirjam) de Marie: illuminatrix, zmyrna maris, stilla (stella) maris et amarum mare, et ne retient que les deux dernières. Saint Isidore de Séville (Etymol. VII,10; PL 82, 2898) et Raban Maur (Comment. in Mt; PL 107, 7448) soutiennent l'interprétation stella maris. L'expression se retrouve très fréquemment dans les hymnes et les proses des IX0 -XII° siècles: citons seulement l'hymne très célèbre de Fulbert de Chartres Solemjustitiae (AH 50, n. 217) dont le début a servi de répons à !'Office et à la messe de la fête de la Nativité de Marie (cf. HR 7677): Salem justitiae regem paritura supremum /Stella Maria maris hodie processif ad ortum. Au milieu de références innombrables, choisissons encore d'évoquer l'antienne bien connue, chantée tous les jours à !'Office de]' Avent et du Temps de Noël, Alma Redemptoris mater, qui pourrait avoir pour auteur Hermann Contract (XIe siècle), moine de Reichenau, auteur plus certain d'une hymne pour la fête de !'Assomption Ave prœclara maris stella (AH 50, n. 241). Nombreux aussi sont les auteurs en prose à parler de Marie ou à l'invoquer comme maris stella: rappelons seulement ici l'un des textes les plus célèbres «véritable hymne que Bernard composa en l'honneur de l'étoile de la mern dans sa deuxième homélie In laudibus VM. (SC 390, 168-170). Sur le sujet, voir J. Szôvérffy (1985) 14-16.

50

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9. Te preces, te suspiria 12 , Te nostri tangant gemitus, Tu virtutis potentia Nequam refrena spiritus 13 : 10. Ne camis nos lubricitas Resolvat in flagitia, Nec mundi juvet vanitas Christi juvante gratia 14 .

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12. A propos du terme suspirium (-a), présent ici deux fois de suite, Dom J. Leclercq (1990, p. 61) remarque qu'il y a, dans le monachisme médiéval, toute une littérature de suspiria: il note que ces soupirs ne sont pas des signes de tristesse, mais d'aspiration à une vie où l'on peut jouir éternellement de Dieu.

AVE, MATERJESU CHRISTI

9.

Que t'émeuvent nos prières, Nos soupirs, nos gémissements, Toi, par ta force puissante, Dompte les esprits mauvais :

10. Pour que l'inconstance de la chair Ne nous fasse pas tomber dans la débauche, Et qu'avec l'aide de la grâce du Christ La vanité du monde ne nous charme pas.

51

50

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13. Virtutis potentia: expression utilisée par saint Paul à propos du Christ (Ep 1,19 et 6,10). Nequam spiritus: cf., ci-dessus, note 3. 14. On trouve deux fois le verbe juvare dans les deux dernières lignes de la prose. Mais il n'est pas possible de rendre cette répétition dans la traduction française car le verbe n'a pas le même sens dans les deux cas: sens de charmer ou plaire à la ligne 55, sens d'aider à la ligne 56.

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AVE, MATER JESU CHRISTI

I- Editions:

L. GAUTIER (1858), II, n. 75, p. 210-213. L. GAUTIER (1894, p. 242-245. Cl. BLUl\Πet H.M. BANNISTER (1915), AH 54, n. 251, p. 394-396. F. \VELLNER(1937),n.52,p. 342-346. II- Traductions:

L. GAUTIER (1858), II, p. 213-215 (tr. française du XVe siècle). F. \VELLNER (1937), n. 52, p. 343-347 (tr. allemande). III- Présence de la prose dans les manuscrits antérieurs au XIVe siècle. Attribution et diffusion.

On trouve AMJ dans deux livres parisiens du XIIIe siècle (tropaire et missel), ainsi que dans un graduel d' Aix-la-Chapelle de la même époque. Présente dans un graduel victorin des xme-xive siècles, elle est cependant absente d'autres livres victorins de la même époque, d'où la réticence de quelques auteurs modernes à attribuer la prose à Adam. Néanmoins, Cl. Blume et H.M. Bannister (AH 54, 396) soulignent que l'œuvre est originaire de France et qu'elle est en tous points digne du poète victorin. M. Fassler (1993) la donne comme étant d'origine parisienne, venant de Notre-Dame. Dans sa troisième édition des séquences, L. Gautier (1894) considère que l'attribution est très probable et F. \Vellner (1937) intègre AMJ dans sa liste des proses d'Adam. AMJ a connu une certaine diffusion tant en France que dans les pays limitrophes. IV- Utilisations liturgiques.

Dans les Analecta hymnica, AMJ figure parmi les séquences De beata, sans attribution à une fête spéciale de Marie. La prose, en effet, semble avoir été chantée en diverses occasions: Purification, Assomption, Nativité (et Octave), Conception ... Il faut souligner que rien en AM.T n'évoque une fête particulière: prose de louanges et de demandes, de reconnaissance de notre misère, elle peut s'intégrer à plusieurs liturgies festives.

AVE, MA TER JESU CHRISTI

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V- Conclusions sur les références présentes dans les notes.

Les passages bibliques signalés concernent aussi bien l' Ancien Testament (Genèse, Isaïe) que le Nouveau (Matthieu, Luc, Paul). Les citations liturgiques se rapportent surtout à des hymnes au sens large du terme. Les données bibliques et liturgiques ne se recoupent guère et, vraisemblablement, ce n'est pas à travers la liturgie que l'auteur, dans cette séquence, a fait des emprunts à la Bible. Parmi les auteurs en prose, les plus fréquemment cités sont saint Augustin, puis saint Bernard. Nous trouvons en AMJ, à propos de l'expression mulier fortis et sapiens issue du livre des Proverbes, un premier exemple d'une formule d'abord prise dans un sens ecclésial (cf. saint Augustin, Bède le Vénérable ... ), puis appliquée à Marie par les auteurs du XIIe siècle (Rupert de Deutz, saint Bernard ... ). VI- Symbolisme. Il s'agit, en AMJ, d'un symbolisme relativement discret. 1. Le Christ est le remède divin (lignes 7-8). 2. Marie est l'étoile de la mer (ligne 43). 3. Satan est nommé, comme il est dit dans la note 3, de diverses manières. Parmi ces noms, un seul constitue vraiment une figure: celle du serpent (lignes 26 et 31 ). 4. Certaines réalités spirituelles sont exprimées par des réalités matérielles comme par autant de symboles: ainsi le talon de la femme (ligne 27) et la tête du serpent (ligne 31) peuvent représenter respectivement la faiblesse humaine et l'esprit dévoyé de Satan. A la strophe 7, quelques réalités terrestres de grand prix, telles que l'or, les plantes renommées, les fleurs, les pierres précieuses et le cèdre du Liban (lignes 38 à 42), sont là pour signifier des réalités spirituelles que Marie possède au plus haut degré. VII- Insistances doctrinales.

1. Le Christ est le Fils (du Père) incarné en Marie (lignes 3233). Son caractère divin est confirmé par l'affirmation de sa conception de cœlo (ligne 2), ainsi que par son appellation de medicina divina (ligne 8).

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A VE, MA TER JESU CHRISTI

2. Le Christ est la Joie (ligne 6) et le remède divin pour un monde en perdition (lignes 7-9): la naissance du Christ apporte bonheur et salut. 3. Marie est la mère de Jésus-Christ, le Fils (du Père) (lignes 1 et 33). Elle est une mère vierge. Par deux fois, deux vers sont consacrés à exprimer cette maternité virginale de Marie (lignes 3-4 et 23-24). Aucune des proses mariales victorines n'oublie de mentionner ce thème fondamental, tandis que plusieurs le développent davantage en insistant sur la virginité perpétuelle de la mère de Dieu (cf. AVS(P), LAV et SMS). 4. Marie a rejeté activement et totalement Satan. Sainteté personnelle de Marie. Elue par Dieu (ligne 25), Marie est la femme dont il est question en Gn 3,15, celle qui évite les attaques du serpent, s'applique à lui broyer la tête et à briser ses forces (lignes 30-31 et 36). Elle est la mulier fortis et sapiens du livre des Proverbes (lignes 26-31 ). Ainsi nous est-il enseigné qu'à Marie n'a pas été épargnée l'épreuve de la tentation, et qu'elle est sortie victorieuse de son combat avec l'ennemi du genre humain. La sainteté personnelle de Marie, ses mérites et ses vertus, sont exposés dans d'autres proses étudiées ici: cf. A VS(M), GHD, OMS, SMS et TCA. 5. Marie est pour nous la mère du salut (lignes 7-9). Elle nous guide en cette vie (ligne 43). Elle est notre médiatrice auprès de son Fils (lignes 44-45). Elle est puissante pour nous fàire rejeter les sollicitations du démon (lignes 51-52). Il s'agit de thèmes que nous retrouverons fréquemment dans les autres séquences mariales victorines. 6. La personne de Marie est annoncée par l'Ancien Testament: d'après la traduction latine de Gn 3,15 par la Vulgate, c'est la femme qui écrasera la tête du serpent. En AMJ (lignes 19-31), comme dans beaucoup d'écrits anciens et médiévaux, cette femme est Marie, la mère du Messie. 7. Satan est continuellement à l 'œuvre dans le monde, lequel a grand besoin d'être sauvé de son emprise. Dans le monde entier qu'il possède (lignes 16-18) travaille l'ennemi qui suscite égarement, douleur, dangers (lignes 10-15) et cherche constamment notre perte (lignes 46-47). VIII- Insistances spirituelles.

En AMJ, alternent les salutations et les louanges à Marie, la reconnaissance de notre misère humaine et les demandes de

A VE, MATER JESU CHRISTI

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secours. Malgré l'allusion au Christ-Joie et à l'enfantement joyeux de la Vierge (lignes 5-6), malgré cette si belle strophe 7 toute tournée vers la louange désintéressée de Marie, il faut reconnaître l'atmosphère lourde et plaintive de nombreux vers de la séquence très centrés sur les malheurs du monde. 1. Les salutations sont formulées par le mot Ave, présent deux fois (lignes 1 et 37): dans chaque cas, les propos qui suivent renseignent à la fois sur le motif de la salutation et sur celui de la louange qui en découle. Aux lignes 1-9, il s'agit de saluer et de louer la maternité virginale qui procure à l'homme joie et salut. Les lignes 37-42 constituent, quant à elles, une salutation et une louange de la sainteté de Marie, laquelle vient d'être décrite (strophes 5 et 6) comme victorieuse du démon: ces lignes, dont le langage symbolique convient si bien à cet éloge, invitent à la contemplation de la beauté de Marie. 2. Pas moins de seize lignes sont consacrées à la reconnaissance de notre profonde misère humaine qui n'épargne pas les serviteurs de Marie (lignes 9-18, 46-48, 53-55): cris de ceux qui se sentent dépassés et envahis par le malheur spirituel et qui humblemnt se tournent vers Marie. 3. Aussi les demandes à Marie se font-elles pressantes. Que, à la fois mère du Fils et notre guide, elle intercède pour nous auprès du Christ pour faire cesser l'assaut continuel du démon (lignes 43-46). Qu'elle utilise sa force puissante pour dompter en nous les esprits mauvais qui nous font glisser sur la pente des vices et nous livrent aux séductions de ce monde (lignes 51-54). Et c'est parmi les demandes à Marie que se trouve cette sollicitation de la grâce du Christ qui nous aide à vaincre les tentations (ligne 56).

AVE, VIRGO SINGULARIS (MATER) (Assomption)

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AVE, VIRGO SINGULARIS (MATER)

1. Ave, Virgo singularis1, Mater nostri salutaris 2 Qure vocaris stella maris 3 , Stella non erratica4 ; Nos in hujus vitre mari 5 Non permitte naufragari, Sed pro nobis salutari Tuo semper supplica.

1. Les séquences victorines font grand usage de l'adjectif singularis pour qualifier la Vierge, ses titres et ses attributs. Il apparaît onze fois dans l'ensemble des proses étudiées dans ce livre, trois fois pour la seule et célèbre prose Salve mater Salvatoris. Une autre séquence de l 'Assomption, AVS(P), commence par un vers identique à celui de AVS(M). L'expression Virgo singularis n'est pas originale, elle est déjà présente dans l'hymne Ave maris stella (strophe 5), on la retrouve dans plusieurs proses mariales, par exemple dans une séquence largement diffusée, originaire d'Allemagne du Sud, Ave spes mundi Maria (AH 54, n. 217, 2), dans une autre en proyenance d'Autriche Salve nobilis puerpera (Ibid. 9, n. 78, 2a), etc. Parmi les auteurs en prose, citons saint Pierre Damien (Sermon 45; CM 57, 272), Maurille de Rouen (Oraison 49; PL 158, 948A) ... 2. La Vulgate emploie comme substantifl'adjectif salutaris qui signifie alors salut (cf. Ps 64,6; 67,20; 78,9; 84,5; 94,1). D'autre part, dans plusieurs manuscrits bibliques latins, salutaris est utilisé là où d'autres manuscrits donnent salvator (cf. B. Fischer, Concordances, V, 4560-4561 ). En Le 1,47, 1 Tm 2,3, Tt 2, 10, le terme salutaris de la Vulgate est très généralement traduit en français par Sauveur, traduction adoptée ici. L'expression mater salutaris est alors l'équivalent de celle de mater salvatoris: celle-ci est très fréquente dans la littérature chrétienne depuis saint Jérôme et saint Augustin, elle est présente à la ligne 1 des proses victorines SMS et VMS étudiées ci-dessous. 3. Stella maris: cf. la note 11 de la prose AMJ. 4. «Sénèque donne aux planètes le nom de stella erratica» [M. Legrain (1899) 136, note de la ligne 4], parce que leur mouvement apparent ne suit pas celui des étoiles. «En astronomie, on appelle planète erratique une comète» (ibid.). Ici, par stella non erratica, on entend plus qu'une étoile ordinaire: Marie est un repère fixe pour l'homme à la façon de l'étoile polaire dont le mouvement dans le ciel est à peine sensible, étant donné sa proximité de l'axe idéal autour duquel tourne la voûte

A VE, VIRGO SINGULARIS (MA TER)

1.

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Salut, Vierge sans pareille, Mère de notre Sauveur, Toi qu'on appelle étoile de la mer, Etoile qui n'erre pas; Sur la mer de cette vie Ne nous laisse pas faire naufrage, Mais supplie toujours pour nous Ce Sauveur qui est tien.

céleste, et qui servait de ce fait à la navigation nocturne. C'est ainsi que Fulbert de Chartres, un siècle avant Adam, décrit Marie dans un sermon pour la Nativité de la Vierge (Sermon 4; PL 141, 322AB): Oportet universos Christicolas, inter jluctus hujus sœculi remigantes. attendere maris stellam hanc, id est Mariam, quœ supremo rerum cardini Deo proxime est. Marie est un point de repère parce qu'elle est toute proche de Dieu, pôle suprême des choses. 5. L'appellation de Marie comme stella maris introduit une longue comparaison (lignes 5 à 24) qui décrit notre vie comme une navigation dangereuse sur une mer houleuse, comparaison réapparaissant dans la dernière strophe (lignes 66 à 71) et évoquée brièvement dans d'autres proses mariales victorines: cf. GHD 74 et 84, INS 61 et OMS 6. Ce symbolisme existe déjà dans les écrits anciens grecs et latins, il a été repris et adapté au christianisme par les auteurs chrétiens des premiers siècles comme Tertullien, Origène, Grégoire de Nysse. Dans son traité sur le Baptême, Tertullien écrit: «Cette barque (de Pierre) préfigurait l'Église qui, sur la mer du monde, est secouée par les vagues des persécutions et des tentations» (SC 35, 84 ). Les écrivains du Moyen Age n'ont pas abandonné ce symbolisme: la nef représente l'Église qui se heurte à beaucoup d'obstacles, mais dont le Christ est à la fois le timonier et le port, comme le dit Hugues de Saint-Victor dans le De archa Noe (PL 176, 629D-630A): «lpsa Ecclesia archa est, quam summus Noe, id est Dominas noster Jesus Christus, gubernator et portus, inter procellas hujus vitœ regens perse ducit ad se». Richard de Saint-Victor, dans son sermon 4 pour la Nativité de Marie (PL 177, 91 OD-91 IA), après avoir décrit avec beaucoup de détails ce que figurent les différentes parties du navire, cite in extenso les strophes 2, 3 et 9 de AVS(M), qualifiant le poète, sans le nommer, de egregius versificator. Dans son hymne à Marie, étoile de la mer, saint Bernard ne parle pas de l'Église, mais demande à tout homme, secoué par les tempêtes de la vie, de lever les yeux vers cet astre qu'est Marie (In laudibus V.M., hom.2; SC 390, 168-171).

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AVE, VIRGO SINGULARIS (MATER)

2. Srevit mare, fremunt venti,

Fluctus surgunt turbulenti, Navis currit, sed currenti Tot occurrunt obvia: Hic sirenes voluptatis 6 , Draco, canes cum piratis7 ; Mortem prene desperatis Hrec intentant omnia8 . 3. Post abyssos nunc ad crelum Furens unda fort phaselum, Nutat malus, fluit velum 9 , Nautre cessat opera. Contabescit in his malis Homo noster animalis 10 ;

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6. Cf. ls 13,22: et sirenœ in delubris voluptatis. 7. Draco, le dragon, animal fabuleux, symbole du Diable: cf. Ps 73, 14; Ap 12,9; 13,16-17; 20,2; voir J.P. Laurant (1988) 229. Canes, les chiens, représentent aussi bien les apôtres par la fidélité qu'ils symbolisent que, par le mal qu'ils peuvent faire, les persécuteurs, les Juifs, les Gentils, les hérétiques et les pécheurs de toutes sortes [cf. Dt 23, 18; Ps 21,17 et 21; Ph 3,2; Ap 22, 15; Spicil. Sol., Ill, 75; J.P.Laurant ( 1988) 227]. Piratae: les hérétiques sont «comme des pirates qui s'efforcent de dépouiller les trésors de l'Église» [M. Legrain (1899) 137, note de la ligne 14]. 8. Mortem ... intentant omnia. Selon M. Legrain [(1899), 13 7, note de la ligne 16), il s'agirait d'une réminiscence de Virgile (Enéide, 1, 91; éd. H. Goelzer, p. 9): Prœsentemque viris intentant omnia mortem. 9. Richard de Saint-Victor, dans son sermon 4 ln Nativitate B.M. déjà cité à la note 5, explique ce que signifient les termes de navis, malus, velum. Navis, la nef, représente la foi de l'Église qui grandit avec le nombre des croyants. Malus, le mât dirigé vers le haut, signifie !' espé-

AVE, VIRGO SINGULARIS (MATER)

2.

3.

La mer est déchaînée, les vents mugissent, Les flots agités se dressent, La nef file, mais dans sa course Elle rencontre tant d'obstacles: Là se trouvent sirènes de volupté, Dragon, chiens, pirates aussi; Pour ceux qui sont au bord du désespoir Tout cela est menace de mort. Après l'abîme, c'est maintenant vers le ciel Que l'onde en furie porte l'esquif, Le mât oscille, la voile glisse, Le nautonier renonce à agir. En ces maux se consume L'homme charnel que nous sommes;

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rance. La charité est représentée par la voile (velum), qui se déploie vers l'avant dans le désir des biens à venir, vers la droite dans l'amour des amis, vers la gauche dans l'amour des ennemis. On reconnaîtra là un exemple de «démultiplication du symbolisme» (cf. Introduction, p.24)! 10. Le Psaume 106 (v.23-30) relate de manière non symbolique les aléas de la navigation maritime, les cris que font monter vers le Seigneur ceux qui sont exposés à la mort, et leur libération par Dieu qui, calmant les tempêtes, les amène jusqu'au port. Certaines expressions rencontrées dans le Psaume sont proches de celles de la strophe 3 (vers 17, 21-22) et de la dernière strophe (vers 66, 70-71): ascendunt in cœlum et descendunt in abyssos, anima eorum in adflictione consumitur... statue! turbinem in tranquillitatem et silebunt jluctus ejus ... et deducet eos ad portum quem voluerunt. Homo noster animalis. Cf. JCo 2,14: animalis autem homo non percipit ea quœ sunt Spiritus Dei. Les Bibles traduisent homo animalis par homme psychique, c'est-à-dire l'homme laissé aux seules ressources de sa nature, incapable de percevoir les réalités spirituelles (cf. Bible OstyTrinquet, note ad !oc.).

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A VE, VIR GO SINGULARIS (MA TER)

Tu nos, mater spiritalis l l, Pereuntes libera. 4. Tu perfusa cœli rore 12 • Castitatis salvo flore 13 Novum florem 14 novo more Protulisti sœculo; V erbum Patri coœquale Corpus intrans virginale

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11. Le contraste est heureux entre homo animalis et mater spiritalis, et l'on peut se demander si l'utilisation de cette expression si juste et si belle de mater spiritalis pour qualifier Marie ne s'est pas imposée, chez le poète victorin, par la recherche d'une formule faisant pendant à homo animalis. Marie est bien celle qui peut nous libérer de nos entraves d'hommes psychiques et nous conduire à l'état d'hommes spirituels (cf. JCo 2,14-15; 15,44-46 et, ci-dessus, la note 10). Selon les historiens, l'expression mater spirita lis appliquée à Marie n'apparaît pas avant le XII° siècle, et notre séquence est peut-être le premier texte l'utilisant: d'après H. Barré [(1959) 105-116], elle est également repérée dans un sermon anonyme du XII 0 siècle. Il faut néanmoins ajouter que saint Augustin en était déjà bien proche lorsque, dans son traité sur la Virginité, il disait que Marie est mater spiritu des membres du Christ (BA 3, 204-205). Ambroise Autpert, au VIII° siècle, a des formules très belles pour signifier la maternité spirituelle: dans un sermon pour la fête de la Purification, Marie est interpellée en tant que mater credentium, mater electorum et les chrétiens sont ceux quos in Uno genuisti (CM 27B, 992). Soulignons aussi que l'expression exacte de mater spiritalis est bel et bien déjà présente, mais appliquée à /'Église, chez saint Augustin (Epître 34,3, CSEL 34 2, 24; sermon Mai 92, MA I, 333), ainsi que chez Quodvultdeus (De symbolo, sermon 3; SL 60, 363). 12. Perfusa cœli rare: expression figurée de la conception virginale, venue du ciel. C'est l'analogue symbolique de AMJ, ligne 2: Quœ de cœlo concepisti. Il y a là sans doute une réminiscence del' épisode biblique où seule la toison de Gédéon recueillit la rosée du ciel (cf. Jg 6,38): cet épisode est devenu très tôt chez les chrétiens un symbole marial, il est évoqué dans la liturgie (cf. HA 4441, HR 6408, 7546 et plusieurs hymnes) et par de nombreux auteurs. Quatre autres proses victorines du

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Toi, Mère spirituelle, Délivre-nous, nous périssons. 4.

Toi, tout imprégnée de la rosée du ciel, Sans perdre la fleur de la chasteté Tu as offert au monde, d'une façon nouvelle, Une nouvelle fleur. C'est le Verbe égal au Père Qui, entrant dans ton corps virginal,

2s

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corpus que nous étudions mentionnent aussi toison et rosée (cf. GHD 44 et 49, INS 52, LA V 39, SPF 32). La rosée du ciel désigne souvent, comme ici, le Christ lui-même, en tant que Fils et Verbe du Père prenant chair en Marie. Mais elle peut signifier aussi le Christ en tant que dispensateur de grâce: Ros (est Christus) cœlesti gratia, lit-on dans la séquence victorine de Noël SPF (vers 40). 13. L'expression fias castitatis est présente dans le Mariale attribué à Bernard de Morlas (Rhythmus VI, 21; AH 50, n. 323): Nec sicfiorem vel decorem / Castitatis perdidit. Les deux formules fias castitatis et !ilium castitatis semblent équivalentes, la dernière est utilisée dans une autre prose victorine (cf. AVS(P) 23-24) et également dans plusieurs séquences originaires d'Allemagne du Sud et d'Autriche (cf. AH 54, n. 217, 224, 234, 240, 285). 14. Flos: désigne généralement le Christ. Cette figure prend appui sur deux données bibliques: d'une part, sur Nb 17,8, où l'on voit le bâton (virga) d' Aaron fleurir miraculeusement, symbole de Marie vierge concevant le Christ; d'autre part, sur Is 11, 1 prophétisant qu'un rameau (virga) et une fleur sortiraient de la racine de Jessé, c'est-à-dire de David. En AVS(M), il n'est pas fait mention du nom de virga à propos de Marie. En revanche, beaucoup d'autres séquences victorines retenues dans ce livre, comme de nombreux chants liturgiques et œuvres en prose, associent virga etfios. C'est pourquoi nous renvoyons à la note 15 de A VS(P) qui fournit des références pour ce couple de symboles, et donc aussi pour fias représentant le Christ. Cependant,fios peut désigner aussi, quoique moins fréquemment, la Vierge Marie. Nous en avons un exemple, ci-dessous, à la ligne 50 de AVS(M): Flos et vitis et oliva, et également en SMS 8-9: Flos de :Spina, spina carens, /Flos, spineti gloria ...

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AVE, VIRGO SINGULARIS (MATER)

Fit pro nobis corporale 15 Sub ventris umbraculo. 5. Te prrevidit et eligit· Qui potenter cuncta regit, Nec pudoris claustra fregit Sacra replens viscera 16 . Nec pressuram nec dolorem Contra primœ matris morem Pariendo Salvatorem Sensisti, puerpera 17.

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15. Trois lignes (29 à 31) réussissent à résumer parfaitement ce que nous pouvons connaître du mystère de !'Incarnation rédemptrice, de la conception virginale, ainsi que du rapport du Verbe au Père. Le terme coœqualis est utilisé aussi à propos de !'Esprit-Saint dans la très belle prose de la Pentecôte, attribuée à Adam: Qui procedis ab utroque (AH 54, n.155, 24). On le retrouve, appliqué au Fils, chez Hildebert de Lavardin dans son poème sur la Trinité (AH 50, n. 318, 35). Ildefonse de Tolède associe les deux qualificatifs de coœternus et coœqualis pour celui qui est envoyé par le Père (De perpetua Deiparœ virginitate, PL 96, 72A). Paschase Radbert utilise plusieurs fois ce terme à propos du Christ dans son Commentaire sur Matthieu (CM 56A, 885 et 56B, 1103, 1386 et 1430). 16. Cette élection ou préélection de Marie par Dieu, énoncée aux lignes 33-34, est un thème apparaissant en plusieurs proses victorines: en AMJ 25, GHD 31, TCA 34-36. L'élection est associée, soit comme ici au fait que Marie était «prévue», soit à la prédilection de Dieu pour Marie (cf. TCA). Que Marie soit l'élue et l'aimée, plusieurs antiennes et répons pour les fêtes de la Vierge le chantent (cf. HA 3414, 4425 et 5063; HR 7298 et 7726). L'expression electa ut sol d'une antienne de !'Assomption (HA 4425) qui reproduit Ct 6,9 a sans doute inspiré Hermann Contract dans son hymne Ave praeclara maris stella, où il décrit Marie comme prœelecta ut sol (AH 50, n. 241, 2b). On pourrait citer aussi le Mariale attribué à Bernard de Morlas (AH 50, n. 323, Rhythm. III, 6; X, 1; XIII, 2): le Rhythmus III, 6 est particulièrement proche des lignes 33 et 34 de notre séquence, lorsqu'il dit: Quam (filia regis David) elegit rex, qui regit /Et creavit omnia. Les textes en prose sont nom-

AVE, VIRGO SINGULARIS (MA TER)

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Pour nous devient corporel Dans l'ombre de ton sein. 5.

D'avance il t'a vue et choisie, Celui qui régit tout avec puissance, Et il n'a pas brisé la barrière de pudeur Quand il emplit tes entrailles saintes. En enfantant le Sauveur, Tu n'as ressenti, jeune mère, Ni pression, ni douleur, contrairement Au statut donné à notre première mère.

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breux sur le sujet (cf., par exemple, la fameuse épître Cogitis me de Paschase Radbert sur !'Assomption, CM 56C, 123), ou bien le sermon 45 de Pierre Damien: hœc eadem beatissima Virgo ... ante constitutionem mundi in consilio œternœ Sapientiœ electa et prœelecta (CM 57, 273). D'autres références concernant cette préélection de Marie sont données dans la note 14 de la séquence TCA. Claustra pudoris: cf. l'hymne de Noël de saint Ambroise Intende qui regis Israël (strophe 4): A/vus tumescit virginis / Claustrum pudoris permanet. Plusieurs auteurs, tels que Quodvultdeus, Léon le Grand, Paschase Radbert, Rupert de Deutz, reprennent, en les commentant, les termes mêmes de l'hymne d'Ambroise. 17. «Il est de tradition dans! 'Église que la Vierge n'eut point à souffrir les douleurs de l'enfantement» (L. Gautier (1858) 141). De fait, cette tradition remonte au moins à saint Ambroise et de nombreux auteurs s'en sont fait l'écho. La liturgie du temps de Noël la consacre: voir, par exemple, HA 3877 et4060, HR 7212, et plusieurs proses parmi lesquelles on en mentionnera deux en provenance de manuscrits de l'abbaye Saint-Martial de Limoges, Mater misericordiœ (AH 9, n. 68, 13a) et Beata tu Virgo Maria (AH 7, n. 113, 7b), ainsi qu'une troisième d'origine autrichienne Ave plena gratiœ (AH 54, n. 223,13). C'est à cet enfantement sans douleur que font sans doute allusion d'autres séquences victorines (cf. AMJ 6 et NNS 12), lorsqu'elles parlent de la joie accompagnant pour Marie la naissance du Christ. Le terme de puerpera pour désigner Marie enfantant le Sauveur est très courant dans la littérature patristique et médiévale; on le retrouve en SMS 21.

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6. 0 Maria, pro tuorum Dignitate meritorum Supra choros angelorum Sublimaris unice 18. Felix dies hodiema, Qua conscendis ad supema! Pietate tu materna Nos in imo respice. 7. Radix sancta, radix viva 19 , Flos et vitis et oliva20 , Quam nulla vis insitiva Juvit ut fructificet; Lampas soli, splendor poli, Qme splendore prrees soli,

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18. L'élévation de Marie au-dessus des chœurs des anges et, plus généralement, la primauté de la Vierge sur toutes les créatures sont beaucoup évoquées dans la liturgie, spécialement à l'occasion de la fête de !'Assomption. Voir, par exemple, HI 1076, HA 1566, 2762, 2763 et 4698, HR 6131, 6165 et 6684; on pourrait citer aussi de nombreuses hymnes. Dans presque tous les documents, la phrase est la suivante: super choros ange/arum exaltata es; c'est d'ailleurs celle que l'on trouve dans une autre prose attribuée à Adam et chantée elle aussi à la fête del' Assomption (cf. GHD 7-8). La littérature mariale relate dans les mêmes termes cette élévation sublime de Marie. Dans son épître Cogitis me, déjà citée à la note 16, Paschase Radbert traite abondamment ce thème: Meruit (Maria) exaltari super choros ange/arum ... (CM 56C, 125; voir aussi 127). Saint Bernard dira: il/a quœ Deum habuit filium, super omnes etiam choros exaltabitur ange/arum (In laudibus VM., hom.1,7; SC 390, 122). Le verbe sublimare est repéré, dans un contexte analogue, chez Richard de Saint-Victor: prœ omnibus creaturis se sublimatam vidit (Sermon 47; PL 177, 1026D). Remarquons bien que la séquence AVS(M), de même que l'épître de Paschase Radbert et plusieurs autres textes, établissent une relation étroite entre les mérites de Marie et son exaltation au-dessus des créatures les plus hautes: le poète victorin reviendra sur ces mérites de la Vierge, que signifie aussi le seul mot de dignitas, en d'autres séquences mariales, telles que GHD 78, LAV 16-18 ou SMS 51 et 64. Les vers 41 à 44 de A VS(M) reflètent la même pensée que les vers 63 à 66 de SMS, où sont également associés les mérites de Marie et son élévation sans pareille. 19. Le terme de radix appliqué à la Vierge évoque l'antienne Ave regina cœlorum: au Moyen Age, on chantait dans cette antienne, non

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0 Marie, en raison De la valeur de tes mérites, Tu es élevée de façon unique Au-dessus des chœurs des anges. Heureux jour d'aujourd'hui Où tu montes vers le ciel! Avec ta tendresse maternelle Retourne-toi et regarde en bas, vers nous. Racine sainte, racine vivante, Fleur, vigne, et olivier Que nulle force greffée N'a aidé à fructifier; Flambeau de la terre, splendeur du ciel Qui en éclat l'emporte sur le soleil,

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pas salve radix, salve porta, mais salve radix sancta (cf. HA 1542; voir aussi HA 4440). Marie est dite racine parce qu'elle est à l'origine du salut par le Christ. Cependant, généralement et pour suivre la prophétie de Is 11,1 (cf., ci-dessus, note 14), radix signifie plutôt l'ancêtre de Marie, le roi David (radix Jesse), la Vierge étant représentée par le rameau (virga) provenant de cette racine. Voir la note 15 de AVS(P). 20. Les symboles de la ligne 50 représentent dans les trois cas une réalité qui porte du fruit. Flos s'applique ici, non au Christ, mais à Marie (cf., ci-dessus, note 14). Vitis est le nom que le Christ se donne à lui-même en Jn 15,I: Ego sum vitis vera, et saint Ambroise en fera le même usage (cf. Expositio evangelii secundum Lucam, II, 67; SL 14, 60). Vitis et oliva sont également, pour saint Jérôme, des figures du Christ (cf. Tractatus in Ps 127; SL 78, 267). Cependant Richard de Saint-Victor, dans son sermon 55 In festo beatœ Mariœ (PL 177, 1062A), reprend le verset du Siracide (24,23): Ego quasi vitis fructificavi suavitatem odoris et l'applique à Marie; la vigne a donné la grappe (le Christ) qui nous enivre du vin pur de sa grâce et, au ciel, du vin de sa gloire. «La vigne est la glorieuse mère de Dieu, la Vierge Marie très pure, car c'est elle qui a produit pour nous le raisin dont nous buvons le sang très purn (cf. J.B. Pitra (1884) II, 453). Enfin, se référant encore au Siracide (24,19): Quasi oliva speciosa in campis dans son· sermon 47 In Assumptione (PL 177, 1028A), Richard de Saint-Victor dit quel' olivier est l'image de la miséricorde et qu'il peut donc à bon droit représenter Marie. Oliva, c'est l'olivier franc qui porte du fruit, non l'olivier sauvage infécond qui a pour nom oleaster. Une séquence de I' Assomption Veneremur virginem (Per cujus), présente dans des manuscrits du xne siècle (AH 54, n. 207, 9) appelle la Vierge olivafructifera.

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A VE, VIRGO SINGULARIS (MA TER)

Nos adsigna tme proli, Ne districte judicet21 . 8. In conspectu summi regis22 Sis pusilli memor gregis 23 , Qui transgressor datce legis 24 Prcesumit de venia. Judex mitis et benignus, Judex jugi laude dignus Reis spei dedit pignus Crucis factus hostia25 . 9. Jesu, sacri ventris fructus, Nobis inter mundi f1uctus Sis via, dux et conductus Liber ad ccelestia26 ; Tene clavum, rege navem,

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21. Nos adsigna tuœ proli. Un des plus vieux manuscrits connus renfermant la prose A VS(M) (il s'agit d'un prosaire de Citeaux du Xll"-XIIIe siècle) donne pour la ligne 55 Nos commenda tuœ proli: le sens n'est pas changé, et il semble que commenda ait été plus usité que adsigna dans cette phrase employée dans plusieurs hymnes et proses médiévales, et en particulier dans les séquences victorines INS 68 et SMS 68 étudiées ci-après. Ne districte judicet. Le thème du Christ juge sévère est présent également en AVS(P) 60 (voir la note 23 de cette dernière séquence) alors que, ci-dessous, aux lignes 61-62 de A VS(M), le Christ est qualifié de juge indulgent et bienveillant. Cette attitude à la fois de crainte et de confiance, qui bascule entièrement du côté de la confiance en raison du rôle de Marie, est retrouvée en particulier chez saint Anselme qui écrit dans l'oraison 6 (Corbin, V, 278): ante districtijudicis omnipotentem justitiam et dans l'oraison 7 (ibid., 294):judex noster est frater noster... factus per Mariamfrater noster.

A VE, VIRGO SINGULARI S (MA TER)

Confie-nous à ton fils Pour qu'il ne nous juge pas sévèrement. 8.

9.

En présence du Roi très haut Souviens-toi du petit troupeau Qui, transgresseur de la loi donnée, Escompte le pardon. Le juge indulgent et bienveillant, Le juge digne d'une louange continuelle A donné aux coupables un gage d'espérance Quand il s'est fait victime de la croix. Jésus, fruit d'entrailles saintes, Au milieu des flots du monde Sois pour nous le chemin, le guide Et le sauf-conduit vers le ciel; Tiens la barre, dirige le navire,

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22. Expression vétérotestamentaire: cf., par exemple, 1R 24,3; Tb 3,24; Ps 97,6. 23. Cf. Le 12,32: Nolite timere pusillus grex. 24. Cf. Je 2,9 et 11: redarguti a lege quasi transgressores ... factus es transgressor legis. 25. Cf., ci-dessus, la note 21 au sujet des qualificatifs divers, voire opposés, attribués au Christ juge. L'auteur donne, dans les deux dernières lignes de la strophe, la raison de notre confiance en l'indulgence du juge: pour nous sauver, le Christ s'est fait victime sur la croix. Dans l'oraison 7 citée dans la note 21, saint Anselme lie également le thème du jugement à celui de la Rédemption, en disant que le Christ est notre frère, comme juge et comme Sauveur du monde. 26. Via ad caelestia: en LAV 66, c'est Marie qui est appelée via cœli, de même que dans le Mariale attribué à Bernard de Morlas (AH 50, n. 323; Rhythmus VII, 30).

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AVE, VIRGO SINGULARIS (MATER)

Tu procellam sedans gravem Portum nobis da suavem 27 Pro tua clementia.

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27. Les lignes 66 à 71 reprennent le symbolisme de la mer et de la navigation difficile pour figurer la vie humaine, symbolisme qu'avaient exploité les trois premières strophes de cette prose (cf., ci-dessus, la note 5). Mais ici ce n'est pas Marie qui est priée de nous libérer du naufrage et de tous nos maux; c'est au Christ que nous demandons de conduire sûrement et fermement le navire jusqu'au port. Tertullien, dans son traité sur la Pénitence, dit que le pécheur est un naufragé plongé dans les flots du péché et pour qui la pénitence est la planche de

AVE, VIRGO SINGULARIS (MATER)

Toi qui apaises la violente tempête Procure-nous un port agréable En raison de ta clémence.

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salut qui conduit le pécheur in portum divinœ clementiœ (SC 316, 156157). Le Sermon de Fulbert de Chartres, dont un passage est transcrit ci-dessus dans la note 4, enseigne que celui qui prend comme guide Marie, étoile de la mer, arrivera sain et sauf ad portum quietis œternœ. Pour Hugues de Saint-Victor, le Christ est à la fois le timonier et le port (voir le texte cité à la note 5): dans cette perspective, le portus suavis de notre prose est indissociablement le Christ et la vie éternelle.

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A VE, VIR GO SINGULARIS (MA TER)

I- Editions:

L. GAUTIER (1858), II, n. 66, p. 134-137. L. GAUTIER (1894), n. 33, p. 160-164. P. GUÉRANGER (1894), XIII, p. 540-543. M. LEGRAIN (1899), n. 26, p. 136-140. Cl. BLUME et H.M. BANNISTER (1915), AH 54, n. 204, p. 323324. F. WELLNER(1937),n.38,p.252-256. H. SPITZMULLER (1971), p. 672-676. II- Traductions: L. GAUTIER (1858), II, p.138-140 (tr. française du XVe siècle). P. GUÉRANGER (1894), XIII, p. 540-543 (tr. française). F. WELLNER (1937), p. 253-257 (tr. allemande). H. SPITZMULLER ( 1971 ), p. 673-677 (tr. française). III- Présence de la prose dans les manuscrits antérieurs au XIVe siècle. Attribution et diffusion. A VS(M) est présente dans plusieurs missels et graduels du XIIIe siècle en provenance de Saint-Victor et de Notre-Dame. On trouve également la séquence dans un tropaire de Nevers et un prosaire de Citeaux du XIIe-XIIIe siècle, ainsi que dans un graduel d'Aix-la-Chapelle du début du XIIIe siècle. Elle ne semble pas avoir connu une grande diffusion. Elle a été attribuée à Adam de Saint-Victor par de nombreux auteurs anciens et modernes. Signalons qu'une partie de A VS(M) a été transcrite dans un sermon de Richard de Saint-Victor datant de 1150 environ, le poète y étant mentionné sous le nom de egregius versificator (cf., ci-dessus, la note 5). IV- Utilisations liturgiques. AVS(M) est une séquence du temps del' Assomption. D'après L. Gautier, elle était chantée à Saint-Victor le dimanche dans !'Octave de la fête, et dans l'Église de Paris le quatrième jour après cette fête. Plus tard, les missels imprimés indiquent son utilisation le jour même de!' Assomption. L'évocation directe de la fête à l'intérieur de la prose tient en deux lignes (45-46); cependant, la mention de l'élévation de Marie au-dessus des chœurs des anges (41-44) se rattache nettement aux autres élé-

AVE, VIRGO SINGULARIS (MATER)

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ments de la liturgie de l' Assomption (cf. note 18). Dom P. Guéranger, renouant avec l'antique tradition de l'Église de Paris, en fait une séquence du quatrième jour dans !'Octave de l 'Assomption. V- Conclusions sur les références indiquées dans les notes.

Les références bibliques sont issues, à peu près à parts égales, de!' Ancien et du Nouveau Testament. Isaïe d'une part, saint Paul d'autre part, sont les auteurs le plus fréquemment cités. Les mentions d'œuvres liturgiques sont nombreuses, chants de !'Office, hymnes et séquences: plusieurs, parmi ces dernières, sont attribuées au poète victorin, et l'on y enregistre des similitudes d'expressions, voire de phrases entières, avec AVS(M). Ceci pourrait constituer un argument supplémentaire en faveur de leur composition par un seul et même auteur, si!' on ne savait aussi combien les poètes médiévaux s'inspirent sans contrainte les uns des autres. Les citations d'auteurs en prose sont multiples, elles auraient pu être encore plus nombreuses: en particulier, il a paru inutile de mentionner trop de noms à propos de thèmes marials revenant très fréquemment dans la littérature ancienne et médiévale. Disons seulement que des auteurs comme Tertullien, saint Ambroise, Paschase Radbert, saint Anselme, Fulbert de Chartres, Pierre Damien, saint Bernard et les deux victorins Hugues et Richard figurent plusieurs fois dans nos notes. VI- Symbolisme. A VS(M) est probablement l'une des proses mariales victorines les plus riches en données symboliques, mais celles-ci ne sont pas toutes, tant s'en faut, d'origine biblique. 1. Dans cette prose de l' Assomption, il est sans doute norn1al de ne trouver que de rares figures du Christ, au demeurant très classiques: d'une part, se présentent les symboles de la rosée (ras) venue du ciel en Marie (ligne 25) et de la fleur (/los) offerte au monde par Marie (lignes 27-28); d'autre part le Christ est, pour nous, le chemin et le sauf-conduit vers le ciel (via, conductus liber, lignes 67-68), il est aussi le timonier du navire qu'est ! 'Église, figure plus que suggérée par la ligne 69: tene clavum,

rege navem. 2. Les figures de Marie sont plus nombreuses: étoile de la mer (stella maris, ligne 3) qui nous guide; racine (radix viva, radix

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A VE, VIRGO SINGULARIS (MA TER)

sancta, ligne 49), fleur, vigne, olivier franc (jlos, vitis, oliva, ligne 50), elles représentent celle qui met au monde le Christ. Les expressions flambeau de la terre et splendeur du ciel (lampas soli, splendor poli, ligne 53) signifient que Marie est maintenant dans la gloire du ciel et que cette gloire est pour nous lumière. 3. Le symbolisme de la prose éclate dans la représentation nautique de la vie humaine chrétienne, aux prises avec Satan, mais sauvée par le Christ et par Marie. Reprenons rapidement les symboles: - La mer, les flots (lignes 5 et 66), la mer déchaînée, les vents furieux (lignes 9-10) sont les figures du monde présent avec ses tentations, ses souffrances, ses catastrophes. - Le navire (lignes 11 et 69), avec mât, voile (ligne 19) et barre (ligne 69) représente l'Église sur terre, peuplée d'hommes pécheurs, ayant bien du mal à ne pas faire naufrage. Elle a besoin de guide et de secours célestes. - Les sirènes de volupté, le dragon, les chiens, les pirates (lignes 13 et 14) sont les figures de nos tentations induites par Satan (draco). Celui-ci, entre autres méfaits, pousse les nonchrétiens (canes) contre les chrétiens et sème les hérésies (piratœ) dans l'Église (cf. note 7). - Le port agréable (ligne 71), enfin, c'est la vie éternelle, c'est-à-dire le Christ qui est aussi le chemin vers cette vie. 4. Mentionnons encore l'expression imagéejlos castitatis signifiant la chasteté intégrale de Marie dans sa maternité. VII- Insistances doctrinales.

1. Le Christ est le Verbe «coégal» au Père et le Fils de Marie. La divinité du Christ est affirmée, le mystère de son incarnation dans le sein d'une vierge, ainsi que le but de cette incarnation, sont énoncés avec une exactitude et une concision remarquables (lignes 29-31 ): Verbum Patri coœquale I Corpus intrans virginale I Fit pro nabis corporale. Le Christ-Sauveur a Marie pour mère (lignes 2, 25-32, 35-41, 65). 2. Le Christ vient donc pour nous (ligne 31), c'est-à-dire pour notre salut (lignes 2, 7, 39) et il nous sauve par la croix (ligne 64). Il est la voie conduisant au ciel et le dispensateur de la vie éternelle (lignes 66-72). Le poète victorin n'oublie pas cependant de dire que le Christ est aussi notre juge: celui-ci aurait toutes les raisons d'être sévè-

AVE, VIRGO SINGULARIS (MATER)

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re (lignes 56 et 59), mais en fait il est indulgent et bienveillant à qui demande son pardon et il est digne de louanges (lignes 6162) car il vient pour nous sauver par la croix (lignes 63-64). Comme il est dit dans les notes 21 et 25, ces propos rappellent ceux de saint Anselme: notre juge, notre Sauveur est notre frère. 3. Marie est la mère du Fils de Dieu Sauveur, elle a été prévue et choisie par Dieu. Dès la ligne 2 de notre prose, Marie est dite mère du Sauveur. A la strophe 5 (lignes 39-40), elle est à nouveau reconnue comme telle. Ce titre, très ancien dans la littérature chrétienne, apparaît encore dans la première ligne de deux autres séquences mariales victorines (SMS, VMS), et il transparaît dans une troisième (TCA 13-14). Le thème de Marie prévue et choisie par Dieu (ligne 33) est également celui de GHD 31 et TCA 34-36. 4. Marie est une mère vierge. Ellen 'a pas connu les douleurs de l'enfantement Pas moins de neuflignes, en AVS(M), sont consacrées au thème de la maternité virginale de Marie (25-28, 30, 35-36, 51-52) et souvent, comme on l'a vu ci-dessus(§ VI), de manière symbolique. L'insistance sur la maternité virginale est commune à la plupart des proses victorines étudiées ici, à l'exception de NNS, OMS et TCA. En revanche, l'enfantement sans douleur de la Vierge, donnée traditionnelle dans l'Église ancienne et médiévale (cf. note 17), n'est vraiment mentionné de manière explicite par le poète victorin qu'en cette séquence A VS(M) (lignes 37-40). 5. Marie est montée au ciel. L'emploi de l'expression conscendere ad superna (ligne 46) ne permet pas d'affirmer que le poète victorin croit à !'Assomption de Marie corps et âme. En GHD ligne 5, la proposition de terris est translata in cœlum est plus évocatrice d'une assomption corporelle (voir Introduction p.33 et commentaires GHD §VII, 1). 6. La primauté de Marie est liée à ses mérites. Si Marie est élevée au-dessus des anges, c'est en raison de la valeur de ses mérites (lignes 41-44). L'auteur ne fait ici qu'une allusion à ces mérites, mais il y revient suffisamment, en A VS(P), GHD, LAV, SMS, pour que nous comprenions que ces mérites sont éminemment le fruit d'une vie pleine d'amour ardent, une vie d'union à Dieu, une vie vertueuse au plein sens du terme. 7. Maries 'occupe de notre salut: elle est, non seulement notre avocate auprès du Christ, mais un guide sûr vers le ciel, une mère spirituelle.

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AVE, VIRGO SINGULARIS (MA TER)

Marie est notre avocate auprès du Christ, son fils, pour nous sauver des dangers de toutes sortes (lignes 6-8) et pour nous obtenir le pardon (lignes 55-60). Elle est aussi l'étoile de la mer qui nous guide, nous évite le naufrage (lignes 3-6) et nous libère de la perdition (ligne 24). L'auteur semble résumer toute cette sollicitude à notre égard en appelant Marie «mère spirituelle» (ligne 23), ce qui suggère, outre un rôle de guide, une fonction éducatrice de Marie qui détourne de tout ce qui est contraire au Christ et nous amène à Lui, voie de salut et vie éternelle. Comme l'a signalée la note 11, l'expression mater spiritalis appliquée à Marie apparaît, semble-t-il pour la première fois, au XIIe siècle et peut-être même dans notre prose. Cependant, redisons ici que l'expression elle-même n'est pas une nouveautè, elle a été utilisée pour qualifier l'Église depuis saint Augustin. Nous avons déjà vu et nous verrons d'autres exemples où une formule a servi d'abord à désigner l'Église avant de recevoir une application mariale. 8. Le monde est un lieu de perdition. L'Église elle-même est menacée de naufrage, elle a besoin du Christ et de Marie. Sur soixante-douze lignes, A VS(M) en consacre vingt-huit à ce thème, traité de manière symbolique (lignes 5-24, 65-72). Ce thème est d'ailleurs repris dans d'autres proses mariales victorines, spécialement en AMJ (seize lignes) et en OMS (dix-neuf lignes), mais aussi en GHD (lignes 71-76, 80-84), INS (lignes 13, 61-64), TCA (lignes 70-76), IEC (lignes 53-54). La représentation de Marie par !'étoile qui guide le navigateur et lui redonne courage, liée à celle de l'Église par la nef livrée aux caprices de la mer, laquelle est la figure de ce monde, reflète sans doute les rapports, établis dès avant le xne siècle mais entérinés par les auteurs de cette époque, entre Marie et l'Église. 9. Satan est à l 'œuvre dans le monde et le mène à sa perte. Représenté par le dragon, comme dans l 'Apocalypse, Satan se fait aider par la cohorte de ceux qu'il a déjà perdus, cohorte figurée par les sirènes, les chiens et les pirates (lignes 12-14: cf. les notes 6 et 7). C'est lui qui est à la source de tous les maux, symbolisés par la mer, les vents furieux (lignes 17-22) et par la tempête (ligne 70). VIII- Insistances spirituelles.

1. Salutation à Marie (ligne 1) et joie attachée à la fête de !'Assomption (lignes 45-46) tiennent vraiment très peu de pla-

A VE, VIRGO SINGULARJS (MATER)

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ce dans cette séquence: les premières strophes, révélant la situation catastrophique du monde, ne nous incitent pas particulièrement à chanter la gloire de Dieu. Et cependant, les louanges à Marie sont finalement nombreuses dans cette prose. La salutation de la première ligne introduit, en effet, une série d' appellations: Virgo singularis, mater nostri salutaris, stella maris non erratica, qui sont autant d'éloges. Aux strophes 4, 5 et 7, la description des hauts faits de Dieu réalisés en Marie dans le mystère de l'Incarnation nous tourne résolument vers la Vierge Mère, d'autant plus qu'est utilisé ici le style direct: Marie est constamment interpellée (Tu, Te, 0 Maria) à propos des choses inouïes survenues lors de la naissance du Christ, élection, maternité virginale sans douleur, virginité féconde. La strophe 6 chante les mérites de la mère de Dieu et son élévation au ciel. Enfin, les vers 53 et 54 de la strophe 7 culminent dans la louange: Marie, ayant atteint la lumière de gloire, est maintenant flambeau de la terre et splendeur du ciel. 2. Si les strophes 4 à 7 se préoccupent surtout du mystère de l'Incarnation, d'autres sont consacrées à la reconnaissance de notre misère humaine: celle-ci est exprimée, aux lignes 5-6, 922 et 66, par une symbolique nautique et, aux lignes 58-60, dans un langage non figuratif. Cette reconnaissance amène avec elle une série de demandes à Marie. A la strophe 1, en tant que stella maris, la Vierge doit nous sauver du naufrage. Après la description cataclysmique de la vie chrétienne aux strophes 2 et 3, une demande urgente de secours est adressée à Marie mater spiritalis pour qu'elle nous libère de la mort. Plus calmement, les fins de strophes 6 et 7 demandent à celle dont on fête la montée au ciel de ne pas oublier de regarder en bas vers nous et de dire à son Fils, qui est aussi notre Juge, de ne pas se montrer sévère à notre égard. 3. C'est aussi dans le contexte de la reconnaissance de nos faiblesses et des dangers du monde (lignes 63 et 66) que nous adressons nos demandes au Christ, juge indulgent, bienveillant et digne d'une louange continuelle (ligne 62). Dans la dernière strophe, reprenant l'image du navire dans la tempête, le poète prie le Fils de Marie de tenir la barre, de diriger le navire et de nous amener à bon port (lignes 69-71 ). Dans un langage différent, aux lignes précédentes ( 67-68), il invite le Christ à être pour nous chemin, guide et passeport pour le ciel. Dans les prières et les chants liturgiques, une telle demande finale d' accès à la vie éternelle, qui est un autre nom de la vie dans le Christ

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A VE, VIRGO SINGULARIS (MA TER)

et la Trinité tout entière, est fréquente et tout à fait dans la ligne de la spiritualité monastique du Moyen Age. On retrouve des prières similaires en beaucoup d'autres proses victorines étudiées dans ce livre (voir la finale des séquences GHD, IEC, INS, LAV, OMS, SMS, SPF et VMS).

AVE, VIRGO SINGULARIS (PORTA)

(Assomption)

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1. Ave, Virgo singularis 1, Porta vitre 2 , stella maris 3 , Ave, decus virginum4 ; Tota virgo, sed fecunda, Casta corde, came munda 5 , Gignens Christum Dominum. 2. Mater ejus, qui creavit, Qui distinxit et omavit6 Crelum, terram, maria, Vivit, regnat, dominatur7 , Cujus nullo terminatur Fine regni gloria8 .

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1. La prose précédente A VS(M) commence par la même salutation: voir la note 1 de cette prose. 2. Comme le dit une très belle antienne de la Nativité de Marie (HA 4176}, Marie est la porte du Roi éternel, donc la porte de la Vie. Les antiennes bien connues Ave regina cœlorum et Alma Redemptoris mater appellent respectivement Marie porta et porta cœli (expression de l'hymne Ave maris stella). Porta vitae existe dans quelques proses anciennes de l'abbaye de Saint-Martial de Limoges (cf. AH 7, n. 101, 2b et n. 114, 2b). En GHD, séquence victorine de ]'Assomption étudiée ci-dessous, c'est la formule porta salutis qui est utilisée (ligne 69). Saint Anselme désigne Marie comme porta vitœ etjanua salutis (Oraison 7; Corbin V, 288). Rappelons enfin les très belles lignes écrites par Hugues de Saint-Victor sur Je rôle médiateur de Marie entre le Christ et nous, intitulées Maria porta [cf. R. Baron ( 1955) 271]. 3. Stella maris: cf. la note 11 de la prose AMJ. 4. Ave decus virginum. On repère une salutation similaire en SMS ligne 19: Salve de eus virginum. L'expression de eus virginum n'est rare, ni dans les chants liturgiques, ni dans la littérature chrétienne mariale; plusieurs séquences la contiennent (cf., par exemple, AH 7, n. 99, 6b; ibid. 27, n. 83, l; ibid. 54, n. 249, 3 et n. 254, 3), on la retrouve dans une oraison de Maurille de Rouen (Oraison 49; PL 158, 9470), dans le Speculum virginum, c.5 et 7 (CM 5, 126 et 212), etc. 5. Tota virgo sedfecunda: les auteurs anciens, tels que saint Ambroise, saint Augustin, Quodvultdeus ... , admirent la fécondité virginale, à la fois celle de Marie et celle de ! 'Église. Au IXe siècle, Paschase Radbert insiste sur cette virginité liée à la fécondité chez Marie, dans son traité De partu virginis, I (CM 56C, 70) comme dans son épître Cogitis me

AVE, VIRGO SINGULARIS (PORTA)

1.

Salut, Vierge sans pareille, Porte de la vie, étoile de la mer, Salut, gloire des vierges; Totalement vierge, mais féconde, Chaste de cœur, pure de corps, Mettant au monde le Christ Seigneur.

2.

Mère de celui qui a créé, Séparé et peuplé Le ciel, la terre, les mers, Qui vit, règne, commande, Dont le règne de gloire Ne connaît pas de fin.

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10

(CM 56C, 116-117). Une application mariale similaire de virgofecunda est faite par saint Bernard (In laudibus VM., hom. 1,7 et 3,8; Leclercq IV, 41; SC 390, 122 et 188). Voir aussi Hugues de Saint-Victor, De B.M. Virginitate, PL 176, 869B. Casta corde, carne munda: on peut rapprocher cette ligne 5 de la ligne 27 ci-dessous: Virgo mente, corpore (voir la note 13). Une très vieille oraison du missel romain (BOr 1168) demande à Dieu que nous le servions casto corpore et que nous lui plaisions mundo corde: la pureté du cœur et la chasteté du corps sont sans doute des expressions plus usuelles que, comme ici, la chasteté du cœur et la pureté du corps. Enfin, notons qu'un passage du Mariale attribué à Bernard de Morlas est assez proche des lignes 4 et 5 de notre prose: Semper munda et fecunda / Virgo et puerpera (AH 50, n. 323, Rhythmus Ill, 12). 6. L'auteur rappelle ici les trois œuvres de Dieu telles qu'on les découvre au premier chapitre de la Genèse: création (v. l ), séparation (v. 4, 67, 14, 18), peuplement (v. 1], 20, 24, 26). Parmi les commentateurs de ce chapitre, citons plus particulièrement Hugues de Saint-Victor, auteur des Sententiae de divinitate [cf. A.M. Piazzoni (1982)], dont la première partie De creatione mundi reprend la trilogie énoncée ci-dessus. L'expression mater ejus est également suivie de l'évocation de Celui qui régit le monde, dans le Mariale cité à la note 5 (Rhythmus XI, 2): Mater ejus, mundi hujus /Qui gubernat machinam. 7. Cœlum.. dominatur. Juxtaposition de six termes, sans aucune conjonction: l'asyndète n'est pas rare dans les séquences victorines, et AVS(P) en fournit d'autres exemples (cf., ci-dessous, les lignes 16-17, 27, 46-47). 8. Cf. Le 1,33: et regni ejus non eritjinis, phrase reprise dans le Credo de Nicée-Constantinople, incorporée dans plusieurs antiennes et répons

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AVE, VIRGO SINGULARIS (PORTA)

3. Cujus? Ejus - quid dieemus? Quibus verbis explieemus Nomen tanti numinis? Ejus quippe magnitudo, Virtus, honor, pulchritudo Cor exeedit hominis. 4. Res mutando die, natura, Die, ubi sunt tua jura9? Virgo parit filium 10, Qu~ eoneeptu Veritatis Ineorrupt~ eastitatis Non amittit lilium 11 .

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20

del' Avent, de Noël et del' Annonciation (cf. HA 2093, 2423, 2501; HR 6576). Une certaine similitude existe entre les lignes 9-12 de notre prose et les vers 64 à 66 du Carmen Paschale de Sedulius: (Regem) qui cœlum terramque tenet per sœcula, cujus / Nomen et œterno complectans omnia gyro / Imperium sine fine manet (CSEL 10, 48). 9. La transgression des lois de la nature (jura naturœ) lors de la conception et de la naissance du Christ est également mentionnée dans une séquence victorine de Noël étudiée dans ce livre: Super tali genitura / Stupet usus et natura (SPF 23-24; voir la note 6 de cette prose). D'autres œuvres poétiques non victorines évoquent aussi cette transgression à propos de l'Incarnation, ainsi la séquence Salve, nobilis puerpera (AH 9, n. 78, 4a): Solo nutu spiritali / Paruit ordo naturae / Regi regum nova jure, / Ut in partu demonstratur, ou encore la séquence Potestate non natura (AH 54, n. 96, 4): Argumentum geniturae / Hujus nescit jus naturae / Suae legisfracto jure/ Stupet de potentia. Mentionnons encore le Mariale attribué à Bernard de Marias, Rhythmus Vlll, 40 (AH 50, n. 323): Sic natura vincijura /Novo stupet

AVE, VIRGO SINGULARIS (PORTA)

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3.

[Mère] de qui? De celui-ci - que dirons-nous? Par quels mots exprimerons-nous Un nom d'une telle majesté? 1s Car sa grandeur, sa puissance, Sa gloire, sa beauté, Dépassent le cœur de l'homme.

4.

Lorsqu'il change le cours des choses, Dis-nous, nature, dis-nous, où sont tes lois? Une vierge enfante un fils, Et, en concevant la Vérité, Elle ne perd pas le lis D'une chasteté non altérée.

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ordine / Rerum usus est exclusus / Pariente virgine. C'est au sujet des miracles de l'Ancien Testament que le Carmen Paschale de Sedulius, déjà mentionné à la note précédente, s'exprime dans des termes et dans un style très semblables à ceux de A VS(P): Die, ubi sunt, natura, tuœ post talia leges /Qui totiens tibijura tulit? (CSEL 10, 32).

1O. Cf. Is 7, 14: Ecce virgo concipiet et pariet }ilium. Cf. aussi Mt 1,23 et Le 1,31. Nombreux sont les antiennes et répons qui reprennent le texte d'lsaïe pour la fête de !'Annonciation et le temps de !'Avent: cf. HA 2499, 2557, 2558, 3863, 4028; HR 6466, 6579, 7170, 7508 ... , et plusieurs hymnes anciennes s'en font aussi l'écho: par exemple, Virginis virginum (AH 7, n. 100, 7); Mysterium ecclesiae (AH 51, n. 128, 3). 11. Lilium castitatis: voir la note 13 de AVS(M), prose qui utilise l'expression équivalente flos castitatis (ligne 26). En A VS(P) 80, il sera question de decor castitatis, formule qui, d'après le Mariale attribué à Bernard de Morlas (Rhythmus VI, 21; AH 50, n. 323), a le même sens que flos castitatis: Nec sic florem vel decorem / Castitatis perdidit.

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AVE, VIRGO SINGULARIS (PORTA)

5. Virgo fuit ante partum Et dum parit, et post partum 12 , Virgo mente, corpore 13 ; V erbum Patris sine matre Facta mater sine patre Genuit in tempore 14 .

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12. Virgo ante partum, dum parit, postpartum. La virginité perpétuelle de Marie, dans la conception, dans l'enfantement et après la naissance du Christ, le semper virgo des latins, le aeiparthenos des grecs, est l'objet d'une ferme croyance chez les chrétiens d'Orient et d'Occident depuis les premiers siècles, croyance qui est mise en lumière par les répliques vigoureuses des grands évêques des ive et ve siècles, ainsi que de saint Jérôme, aux écrits de ceux qui nient cette virginité [cf. G. Jouassard (1949), 100-114]. Plus tard, Ildefonse de Tolède (De virginitate perpetua SM.; PL 96, 60AB), Paschase Radbert (De partu virginis, CM 56C, 70) et d'autres auteurs emboîtent le pas aux Pères. Plus près d'Adam, citons à titre d'exemples Rupert de Deutz dans son Commentaire sur l'évangile de saint Jean (CM 9, 28) et Hugues de SaintVictor dans son traité sur la Virginité de Marie (PL 176, 872D-873A). Aussi n'est-il pas étonnant de retrouver abondamment l'évocation de ce thème dans la liturgie médiévale des fêtes de la Vierge et de Noël, que ce soit dans les antiennes et les répons (cf. HA 1293, 4268, 5456; HR 6051, 6163, 7394, 7635, 7869 ... ) ou dans plusieurs hymnes: l'une des plus anciennes, dont l'attribution à Raban Maur est douteuse mais qui est certainement carolingienne, est encore chantée aux Vêpres de la Purification; il s'agit de l'hymne Quod chorus vatum (AH 50, n. 155), où l'on peut lire dans la deuxième strophe: Hœc Deum cœli Dominumque terrœ ! Virgo concepit peperitque virgo, / Atque post parfum meruit manere / Jnviolata. Il faut renoncer à mentionner ici les innombrables semper virgo de la liturgie; un exemple suffira, celui de! 'hymne Ave maris stella (ligne 3). Notons encore, pour terminer, l'expression Virgo prius ac posterius de l'antienne bien connue Alma Redemptoris mater.

5.

AVE, VIRGO SINGULARIS (PORTA)

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Vierge elle fut avant l'enfantement, Et pendant, et après celui-ci, Vierge d'esprit, vierge de corps; Devenue mère sans le concours d'un père, Elle a mis au monde dans le temps Le Verbe du Père engendré sans mère.

2s

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13. Virgo mente, corpore. Ce vers paraît être directement inspiré du De virginibus (II, 2, 7; PL 16, 209A), où saint Ambroise donne Marie en exemple: Virgo erat non solum corpore sed etiam mente. Les propos de saint Ambroise sont cités par saint Augustin dans son traité De doctrina christiana (IV, 21, 48; BA 11, 511), Paschase Radbert les reprend dans son épître Cogitis me (CM 56C, 115). Ils sont répétés par saint Pierre Damien (Sermon 46; CM 57, 287) et saint Bernard (In Laudibus VM., hom. 2, 4; Leclercq IV, 23; SC 390, 136; Sermo in Nativitate B.M., 9; Leclercq V, 280). Le poète victorin insiste sur l'harmonie régnant entre l'esprit et le corps chez la Vierge Marie (à la ligne 5, celle-ci était déjà qualifiée de casta corde, carne munda). Dans l'avant-dernière strophe (lignes 8081), ainsi qu'en d'autres séquences, l'auteur insistera sur la nécessité de cultiver chez nous cette même harmonie: Marie sert donc ici de modèle. Voir, ci-dessous, la note 29. 14. Ces trois lignes (29-31) résument le mystère de l'Incarnation temporelle du Verbe éternel du Père. Le parallélisme entre la génération éternelle du Verbe à partir du seul Père et sa génération temporelle à partir d'une mère vierge n'a pas attendu le xne siècle pour être établi: Generatio Christi a Patre sine maire; generatio Christi a maire sine paire ... Prima generatio œterna. secunda temporalis, disait déjà saint Augustin (Sermo 4 de Natali Domini; MA 1, 211). La liturgie ancienne s'en fait l'écho (cf. HR 6084, 7029: Christum ... cujus mater virgo est, cujus Pater feminam nescit). Un contemporain d'Adam, Hildebert de Lavardin, dont les liens avec les premiers victorins sont connus, emploie dans l'hymne de Noël Salvefesta dies (AH 50, n. 319, 17) des expressions très voisines de celles de notre poète: (Christw,) cui sine maire pater, cui paire manet sine mater.

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6. Virga :florem, stella solem, Coretemam Patri prolem Virgo mater genuit 15 ; Sol et lumen et decorem,

15. Il y a une ressemblance étroite entre les termes des lignes 31-33 de AVS (P) et ceux d'une prose d'origine autrichienne trouvée dans plusieurs manuscrits du xne siècle Ave candens !ilium (AH 54, n. 228, 10): Stella solem I Virgo prolem I Virga florem I Christum germinas. Selon Cl. Blume et H.M. Bannister, cette prose techniquement parfaite pourrait être antérieure à celles composées à l'abbaye de Saint-Victor de Paris. Une autre séquence, probablement autrichienne elle aussi, présente également dans des manuscrits du xne siècle, Ave plena singulari gratia (AH 54, n. 222, 12), offre les mêmes associations: Homo Deum, virgo prolem, I Virgaflorem, stella solem I Fersferentem omnia. Ces deux proses sont pour nous très intéressantes dans la mesure où elles unissent dans la même strophe, comme en A VS(P), les réalités de la Vierge et de son Fils à des symboles identiques. Le rameau (virga) qui fleurit, représentant la Vierge qui enfante le Christ, a pour sources deux passages de l'Ancien Testament: Nb 17 ,8 et ls 11, 1, comme il a été dit dans la note 14 de A VS(M). La liturgie semble avoir surtout retenu la prédiction d'Isaïe: Egredietur virga de radice }esse et jlos de radice ejus ascendet. Tel est le cas de HI 1068; HA 4036; HR 6641, 7709, ainsi que de nombreuses hymnes anciennes. Déjà Prudence (!Ve-ve siècles) se référait à cette prophétie dans son hymne de !'Epiphanie (Cathemerinon XII; SL 126, 66): Jamjlos subit Davidicus I Radice Jesse editus. L'hymne de Noël Agnoscat omne sœculum (AH 50, n. 71, 2 et 4), longtemps attribuée à Venance Fortunat, la rappelle, ainsi que l'hymne pour la Nativité de Marie Solemjustitiœ de Fulbert de Chartres (Ibid., n. 217, 2), dont la seconde strophe est reprise dans le répons 7709 évoqué ci-dessus: Stirps Jesse virgam produxit virgaque jlorem I Et super huncflorem requievit spiritus a/mus.! Virgo Dei genitrix virga est,flos filius ejus. A l'intérieur même des proses victorines, c'est bien à Isaïe que se réfërent GHD 55-57: De te, virga. progressurum I Florem mundo profuturum I Lsaias cecinit. ainsi que IEC 25-27 et JS 18-24. Il ne faut pas négliger pour autant l'autre source biblique du virga .. jlorem, à savoir Nb 17,8, où il est question du bâton d' Aaron qui fleurit pour confirmer la fonction sacerdotale de son propriétaire: lnvenit germinasse virgam Aaron.. et turgentibus gemmis eruperant flores (cet événement est rappelé en He 9,4). La prose mariale d'un manuscrit du XII" siècle en provenance de Saint-Florian (Autriche) Salve proies Davidis parle de virga florens Aaron (AH 54, n. 224, 6); il semble, d'autre part. que la prose victorine SPF 43-44 se réfère bien au livre des

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6.

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Le rameau a fait naître la fleur, l'étoile le soleil, La Vierge mère a mis au monde Le fils coétemel au Père; Le soleil a donné et la lumière et la beauté,

Nombres lorsqu'elle dit que les Juifs, qui refusent la naissance virginale, ont bien admis qu'un rameau sec ait pu être fertile. En INS 51, LA V 42, SPF 29-30 et VMS 5, où il est également question de virga et dejlos, la source biblique n'est pas repérable. Les références fournies ici, en dehors de celles de l'Ancien Testament, sont avant tout liturgiques. Mais il ne faut pas oublier qu'un très grand nombre d'auteurs en prose, depuis Tertullien jusqu'à saint Bernard et Richard de Saint-Victor en passant par saint Jérôme, Ambroise Autpert et bien d'autres, ont appliqué à Marie et au Christ les symboles bibliques du rameau et de la fleur, parfois n'hésitant pas à recopier simplement des textes plus anciens. C'est ainsi, par exemple, que saint Bernard reproduit textuellement, sans référence explicite, Fulbert de Chartres: Virgo Dei genitrix virga est, jlosfilius ejus (cf. Sermon 2 pour le temps de!' Avent; Leclercq IV, 173). L'image de l'étoile produisant le soleil, stella genuit solem, est présente dans beaucoup d'hymnes et de proses médiévales, dont les plus anciennes sont contenues dans des manuscrits remontant aux xe-xre siècles (voir, par exemple la prose Ave Maria gratia plena, AH 54, n. 216, 6, ainsi que la prose de Noël Lœtabundus exultet jidelis chorus, Ibid., n. 2, 3, etc.). Notre poète victorin n'a donc pas inventé cette image relativement fréquente dans la littérature antérieure au xne siècle, et l'on peut seulement s'étonner que, contrairement au symbole précédent du rameau produisant la fleur, il ne l'ait utilisée que dans AVS(P), à moins d'admettre, comme l'ont suggéré quelques-uns, que la prose Dies ista celebratur (fête de la Conception de la Vierge), dans laquelle on retrouve les couples Virgaflorem ... /Stella solem ... (Ibid., n. 180, 5), soit aussi l'œuvre d'Adam. Dans les très courtes lignes du Maria porta, Hugues de Saint-Victor désigne ainsi Marie et le Christ: Maria stella, Christus sol [cf. R. Baron (1955) 271]. La figure du soleil pour représenter le Christ a pour origine la prophétie de Malachie: Timentibus Deum orietur sol justitiœ (Ml 3,20). L'image de l'étoile issue du livre des Nombres: orietur stella ex Jacob (Nb 24,17) et reprise dans la liturgie de !'Avent et de !'Annonciation, désigne également le Christ. Coœternus Patri: Adam de Saint-Victor paraît aimer cette formule pour qualifier le Christ, il l'utilise, en effet, encore deux fois dans les proses étudiées dans ce livre: en INS 8 et SPF 66. Le fait est à souligner car nous n'avons guère retrouvé cette expression dans les sources liturgiques, si ce n'est dans une hymne mozarabe ancienne, Sacer octava-

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Flos et fructum et odorem 16 Toti mundo pnebuit. 7. Hic est enim ipso teste V erum lumen 17 et cœleste, Cibus indeficiens, Panis vivus, manducantis, Sed credentis et amantis, Animam reficiens 18 . 8. Eva mater per reatum Stola vitœ spoliatum Morti dedit hominem. Culpa perit, mors recedit, Datur salus, vita redit Per Mariam virginem 19.

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rum dies (AH 27, n. 8, 1). Cependant, la formule diffère peu de celle utilisée dans l'hymne célèbre de saint Ambroise Intende qui regis Israël, où le Christ est appelé œqualis œterno Patri. Dans les textes en prose, l'usage de coœternus est plus fréquent: saint Augustin appelle le Christ œternus de œterno, coœternus (Sermo 4 de Natali Domini, MA 1, 211). Citons encore le pseudo-Augustin (Solutiones ... ; SL 90, 157), Ildefonse de Tolède (De perpetua virginitate ... , PL 96, 72A), Agobard de Lyon (Adversum dogma Felicis, CM 52, 85), Rathier de Vérone (Prœloquia, CM 46A, 120) ... 16. Le symbole de la fleur (le Christ) donnant au monde son fruit et répandant son parfum est repéré dans une autre de nos proses, en JS lignes 34-35. L'association fleur, fruit, parfum n'est pas rare dans les antiennes ou les hymnes de Noël et des fêtes de la Vierge; on la trouve, par exemple, en HA 3565, dans l'hymne de Hildebert de Lavardin Salvefesta dies (AH 50, n. 319, 15): Virgaferensjlorem cumfructu spiral odorem, ou encore dans le Mariale attribué à Bernard de Morlas (Ibid., n. 323; Rhythmus Ill, 12 et 13): Mater alma, velut palma/ Florens et fructifera /Cujus flore vel adore/ Recreari cupimus. 17. Cf. Jn 1,9 et JJn 2,8. 18. Les lignes 39 à 42 sont tout imprégnées du chapitre 6 (v. 27-59) de l'évangile de saint Jean sur le pain de vie: nourriture qui demeure pour la vie éternelle (v. 27, 50-51, 54, 58), pain de vie (v. 35, 48-51, 58) qui doit être mangé (v. 50, 53-58), mais qui nécessite impérieusement la foi dans le Christ (v. 36) et l'amour pour Celui qui veut établir en nous sa

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La fleur a donné et le fruit et le parfum Au monde entier. 7.

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Car il est, lui-même l'atteste, La vraie et céleste lumière, La nourriture inépuisable, Le pain vivant qui restaure l'âme De celui qui le mange, S'il croit et s'il aime. Eve notre mère, convaincue de péché, A voué à la mort l'homme Dépouillé de la robe de vie. La faute est détruite, la mort se retire, Le salut est donné, la vie revient Grâce à la Vierge Marie.

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demeure (v. 56-57). Ces lignes résument admirablement à la fois les bienfaits de !'Eucharistie et ses exigences fondamentales. Dans sa prière pour recevoir le Corps et le Sang du Seigneur, saint Anselme redit en d'autres termes les mêmes exigences: Fac me, Domine, ita ea ore et corde percipere atque fide et affectu sentire (Oraison 3; Corbin V, 10). Le contenu eucharistique de la strophe 7 de notre prose, faisant suite à l'annonce de l'Incarnation de la strophe 6, indique la continuité établie par le poète entre la venue du Christ en Marie et sa venue en qui le reçoit dans !'Eucharistie. L'un des plus beaux thèmes de la littérature monastique médiévale est bien que tout chrétien doit, comme Marie, par la foi et par l'amour, porter et faire naître en lui le Christ, ce Christ qui est en même temps sa nourriture. L 'Eucharistie est, en effet, reficiens animam; ce dernier aspect est amplement souligné par les postcommunions les plus anciennes: voir, par exemple, BOr 958, 961-964, 1053, 1101, 1103. 19. Les premiers écrits connus établissant un parallèle entre Eve et Marie remontent au Ile siècle (Justin, Irénée, Tertullien). Le thème a été repris et approfondi par de nombreux Pères de l'Eglise, parmi lesquels on peut citer Ambroise, Jérôme, Augustin, Pierre Chrysologue pour l'Occident, Ephrem pour l'Orient... (cf. E. Druwé (1949), 460-517 et G. Philips (1964), 376-385), et par les auteurs médiévaux. Ce parallèle a inspiré bien des antiennes et répons des fêtes de la Vierge (HA 2997 et 4214, HR 7726) et de nombreuses hymnes, dont l'une des plus anciennes fut longtemps attribuée à Venan ce Fortunat, Quem terra, pontus, uethera (AH 50, n. 72, 7): Quod Eva tristis abstulit /Tu reddis almo ger-

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9. Virgo potens et benigna, Angelorum laude digna20 , Plena Dei gratia, Laudes tuas decantamus, Corde tibi supplicamus, Dele nostra vitia. 10. Pœnitentes confitemur Mala21 , quibus promeremur Iram Dei vindicem22 ; Tu miserta tui gregis, 0 regina, mater Regis, Placa nobis Judicem23 .

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mine. Dans les proses victorines étudiées dans ce livre, le parallèle ÉveMarie apparaîtra encore deux fois: en NNS 7-12 et en SPF 11-13. Parmi les séquences médiévales, citons la prose largement diffusée Virgini Mariœ laudes (AH 54, n. 18, 2), qui reprend exactement les termes du Quem terra .. ., ainsi que la prose Virginis in laude (Ibid., n. 258, 3 et 4): Prima parens perdidit / Ista vitam reddidit / Virgo sacra/ Per Evam quœ periit / Per Mariam rediit / Mundi vita. Mentionnons encore les séquences des manuscrits autrichiens Ave candens /ilium (Ibid., n. 228, 8 et 9) et Omnis agerscripturarum (AH 9, n. 79, lb), cette dernière comportant aussi, en 2a, l'expression sa/us datur de notre ligne 47. D'autre part le Mariale attribué à Bernard de Marias (AH 50, n. 323) évoque le thème à plusieurs reprises: cf. Rhythm. VllI, 7 et 15; IX, 7; XI, 8; XV, 17.

20. Les lignes 50 et 51 rappellent le début du récit de ]'Annonciation (Le 1,28). Le poète victorin n'a pas été le seul à souligner le caractère insolite de la salutation respectueuse et élogieuse de Gabriel à Marie, c'est-à-dire d'un archange à une créature humaine: dans les autres récits bibliques comportant une intervention d'anges (cf., par exemple, l'apparition de l'ange à Zacharie en Le 1,13), ceux-ci délivrent leur message sans aucune marque de déférence. Marie est seule digne de la louange des anges. Le victorin donne la raison de cette salutation et de cette louange: Marie est pleine de la grâce de Dieu. Les références liturgiques à la salutation angélique sont innombrables, mais cette expression angelorum laude digna n'est pas tellement fréquente. Elle apparaît cependant dans une vieille prose attribuée à Notker Stirpe Maria regia (AH 53, n. 95), on peut la voir également dans une prose d'origine autrichienne Ave plena gratiœ (AH 54, n. 223, 3). La formule Laude digna singulari, sans mention des anges, est celle des séquences Ave

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Vierge puissante et bienveillante, Digne de la louange des anges, Remplie de la grâce de Dieu, Nous chantons sans cesse tes louanges, Nous t'en prions de tout notre cœur, Détruis nos vices.

10 Nous avouons, repentants, Le mal qui nous mérite Le courroux de Dieu qui fait justice; Mais toi, pleine de pitié pour ton troupeau, 0 reine, mère du Roi, Apaise pour nous le Juge.

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plena singulari gratia (Ibid., n. 222, 3) et Dies ista celebratur (Ibid.. n. 180, 16). 21. Le début de la strophe 10 fait penser à certains passages de l'oraison 6 de saint Anselme: Homo ... pœnitet et confitetur... Homunculwn. .. ma/a sua cum mœrore confitentem. (Corbin V, 280 et 282). 22. Cf. Rm 13,4: vindex in iram. Traduire littéralement ira vindex par colère vengeresse n'est peut-être pas la meilleure façon de rendre l'expression latine, car la signification des mots français est plus forte que celle des mots latins et l'on peut difficilement attribuer à Dieu colère et vengeance. Ira paraît mieux rendu ici par courroux. En face d'une situation d'injustice, le courroux de Dieu appelle et effectue le rétablissement de la justice; vindex qualifie d'abord le défenseur du droit et non pas celui qui tente de se venger. 23. L'évocationdujugement de Dieu a sa place au milieu de ces lignes 54 à 63 où le péché et la demande de pardon sont très présents. La confiance du poète victorin en Marie est telle qu'il la charge d'apaiser le courroux de Dieu s'élevantjustement contre le mal que nous faisons, et qu'il la prie d'implorer notre pardon (lignes 56-57, 60 et 62-63). Nous trouvons un autre exemple de demande d'intercession pour le pardon des péchés en AVS(M) 55-56 et 58-62 (voir la note 21 de cette prose). Saint Maurille de Rouen prouve la même foi dans le pouvoir de la Vierge lorsqu'il écrit: Quœ ergo potentior meritis ad placandam iram Judicis quam tu, quœ meruisti mater esse ejusdem Redemptoris et Judicis? (Oraison 49; PL 158, 947C). Une oraison médiévale, longtemps attribuée à saint Anselme, contient une phrase très semblable à celle de la ligne 60 de notre prose: Placa precibus Judicem (Oraison 55; PL 158, 962C).

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11. Cara Deo 24 , semper ora Pro misellis et implora Peccatomm veniam; Servis tuis Jesu Christi, Quem tu, Virgo, genuisti, Tu25 reforma gratiam. 12. 0 Maria, Redemptoris Creatura, Creatoris Genitrix 26 magnifica, Per te nobis reparatrix, Per te fiat consolatrix Tua proles unica. 13. Donet no bis rectam mentem, ln adversis patientem, In secundis humilem, Fidem puram, spem securam, Caritatem permansuram Qua nihil est melius 27 .

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24. Cara Deo: 1' expression revient deux fois dans le Mariale attribué à Bernard de Morlas (AH 50, n. 323, Rhythm. VII, 30 et XI, 19). 25. Dans les strophes 10, li et 12 apparaît un double mouvement de reconnaissance de la grandeur de Marie et de demande d'intercession. Une alternance remarquable a lieu entre les formules de louange et les prières en notre faveur; elle est souvent soulignée par les mots: 0, tu, ou par l'expressionper te. 26. Les mots finissant en trix ne sont pas très nombreux dans les proses victorines: parmi celles qui sont étudiées dans ce livre, on relève lmperatrix et Superatrix en LA V 61 et 63, Mediatrix en SMS 20. Il est d'autant plus surprenant d'en rencontrer ici trois dans la même strophe! L'expression Genitrix Creatoris existe déjà chez Fulgence de Ruspe (Epître 17; SL 91A, 567), elle est retrouvée dans l'hymne del' Assomp-

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11. Aimée de Dieu, prie sans cesse Pour les misérables que nous sommes et implore Le pardon de nos péchés; Que, chez tes serviteurs, par toi soit restaurée La grâce de Jésus-Christ que toi, Vierge, 65 Tu as mis au monde. 12. 0 Marie, créature Du Rédempteur, mère glorieuse Du Créateur, Que par toi ton fils unique Devienne pour nous le Sauveur, Et par toi notre consolateur. 13. Qu'il nous donne un esprit droit, Patient dans l'adversité, Humble dans la prospérité, Une foi pure, une espérance ferme, Une charité persévérante Qui vaut mieux que tout,

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tion Exulta exaltata (AH 50, n. 266, 2a) de Godescalc de Limbourg. Saint Anselme, avec d'autres, utilise la formule Mater Creatoris (Oraison VII; Corbin V, 286), et le fait que Marie a porté et mis au monde le Créateur de l'univers est souligné dans un répons pour la fête de la Purification (cf. HR 6163). 27. Les demandes présentées dans les vers 73-75 rejoignent les conseils de la morale antique, que les chanoines victorins ont repris volontiers à leur compte: voir Hugues de Saint-Victor, De arrha animœ, PL l 76,968A, et De archa Noe III, ibid., 657C. La strophe entière n'est pas sans rappeler les exhortations des versets 9 à 13 de Rm 12, concernant la charité et l'espérance. L'apôtre recommande aussi, comme le poète victorin, d'être in tribulatione patientes.

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14. Opus verœ pietatis Et decorem castitatis 28 Intus et exterius 29 : Ut sit vita speciosa, Sit mors nostra pretiosa In conspectu Domini30 . 15. Deo Patri Filioque, Procedenti ab utroque3 1 • Sed non temporaliter, Regnum, decus et potestas, Honor, virtus et majestas Nunc et œtemaliter.

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28. Cf., ci-dessus, note 11. 29. Notons, dans cette prose, l'insistance du poète victorin sur l'harmonie qui doit régner entre ce qui paraît à l'extérieur et ce qui constitue notre être profond: dans les lignes 5 et 27 (cf. note 5), il était déjà question de qualités qui devaient être présentes aussi bien dans le cœur (ou l'esprit) que dans le corps. Intus et exterius soulignent la même nécessité et, dans deux autres séquences victorines étudiées ici, nous trouvons le couple intus ... foris (cf. TCA 32 et VMS 3). En GHD 16 et LAV 7-11, selon la même ligne de pensée, l'auteur souligne la concorde intime qui doit exister entre l'esprit et la parole (voir la note 3 de GHD). Un accent semblable est donné dans d'autres séquences attribuées à Adam, telle celle de la Pentecôte Lux jucunda lux insignis (AH 54, n. 154, 2), ou celle en l'honneur de saint Jean l'évangéliste Gratulemur ad festivum (AH 55, n. 191, 2 et 5), ou encore celle de la fête de saint Léger Cordis sonet ex interna (Ibid., n. 220, 4): Non discorde!/ Os a corde I Sint concordes I Hœ tres chordas I Lingua, mens et actio. Dans cette dernière séquence est demandée une triple harmonie, celle du cœur, de la parole et des œuvres. Une autre prose en l'honneur de Marie, présente dans des manuscrits du tout début du xne siècle et très diffusée au Moyen Age, attribuée parfois à Adam, Hodiernœ lux diei (AH 54, n. 219, 4), reflète la même pensée: Psalle, psalle nisu toto I Cordis oris, voce, voto ... Une prière du sacramentaire gélasien ancien s'adresse en ces termes à celui qui va recevoir l'office de psalmiste: Vide quod ore contas, corde credos, et quod corde credis, operibus probes (DD 4230). Voir

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14. Que cette œuvre de vraie tendresse Nous donne aussi la beauté de la chasteté Au-dedans et au-dehors: Afin que notre vie soit belle, Que notre mort soit précieuse Aux yeux du Seigneur. 15. A Dieu Père et Fils, A celui qui procède de l'un et de l'autre Mais non dans le temps, Règne, gloire et pouvoir, Honneur, puissance et majesté Maintenant et pour l'éternité!

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aussi BOr 221, 313, 832 ... On pourrait multiplier les références: l'insistance sur cet accord fondamental entre extérieur et intérieur n'est pas nouvelle, elle est déjà largement présente chez saint Augustin qui utilise fréquemment le couple intus ... foris dans ses œuvres, suivi en cela par nombre d'auteurs, en particulier les auteurs victorins. Richard de Saint-Victor, par exemple, dans son Sermon 9 pour la fête de la Conception de la Vierge (PL 177, 918-920), rappelle que la beauté de l'homme vertueux doit être, comme celle de Marie, indissociablement intus et foris. 30. Cf. Ps 115,15: Pretiosa in conspectu Domini mors sanctorum ejus. Le verset est repris dans la liturgie, par exemple en HA 4370, 4371, en HR 7428, 7429, ainsi que dans une prose de la fête de saint Jean-Baptiste, quelquefois comptée parmi les proses d'Adam, Prœcursorem summi regis (AH 55, n. 179, 16). 31. L'expression Procedenti ab utroque évoque immédiatement la dernière strophe (cinquième ligne) du Pange Zingua de saint Thomas d'Aquin. Ce dernier aurait pu emprunter cette formule à d'autres auteurs: le poème à la Trinité de Hildebert de Lavardin (mort en 1133) la contient également (AH 50, n. 318, 68). Cependant, l'emprunt au poète victorin paraît plus probable, car une séquence de la Pentecôte attribuée à Adam commence ainsi: Qui procedis ab utroque I Genitori genitoque (AH 54, n.155, 1-2), lignes où l'on reconnaît, non seulement la cinquième, mais aussi la première ligne de la dernière strophe du Pange Zingua.

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I- Editions :

L. GAUTIER (1858), II, n. 92, p. 351-355. L. GAUTIER (1894), n. 34, p. 165-169. M. LEGRAIN (1899), n. 27, p. 141-147. CL BLuME et H.M. BANNISTER (1915), AH 54, n. 206, p. 326328. F. \VELLNER(l937),n.37 ,p.244-350. II- Traduction : F. \VELLNER (1937), n. 37, p. 245-251 (tr. allemande). III- Présence de la prose dans les manuscrits antérieurs au XIVe siècle. Attribution et djfusion. AVS(P) n'étant repérée, au XIIIe siècle et même au XIVe siècle, que dans les missels et graduels victorins, elle est de toute évidence d'origine victorine. Malgré quelques fautes de versification, qui peuvent être des erreurs de copistes, cette séquence est généralement attribuée par les auteurs anciens et modernes à Adam de Saint-Victor. M. Fassler la considère cependant comme une pièce victorine tardive, ajoutée probablement au répertoire de l'abbaye au début du XIIIe siècle. La prose ne semble pas avoir connu une grande diffusion. IV- Utilisations liturgiques. AVS(P) était chantée à Saint-Victor durant l'octave de l' Assomption. D'après L. Gautier d'une part, CL Blume et H.M. Bannister d'autre part, elle était utilisée plus précisément le samedi après l' Assomption. Il faut constater que la prose ne contient pas la moindre allusion à la fête, et l'on a supposé (cf. AH 54, 328) qu'originellement elle constituait une séquence «à la Mère de Dieu», toute à la louange de la maternité virginale de Marie.

V- Conclusions sur les références contenues dans les notes. Les notes contiennent des références bibliques et liturgiques nombreuses. A l'exception de la référence néotestamentaire Rm 13, 4 (note 22), toutes les références bibliques sont doublées par des références liturgiques. Citons spécialement les cas de Nb 17, 8 et Js 7,14 (floraison du rameau d'Aaron et prédiction de la venue d'une fleur issue d'un rameau de la souche de Jessé) et

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celui de Is 11, 1 (prédiction de la conception et de !'enfantement chez une vierge): la liturgie a repris abondamment ces passages (voir les notes 10 et 15). Plusieurs œuvres poétiques d'auteurs plus anciens que notre poète victorin sont signalées: parmi elles, le Carmen Paschale de Sedulius (V0 siècle) semble avoir inspiré certains vers de notre séquence (voir les notes 8 et 9). Très abondantes sont les citations d'hymnes et de proses composées par Adam lui-même et par des auteurs contemporains d'Adam, ou présentées anonymement dans des manuscrits des XIIe et XIII 0 siècles. Parmi ces poèmes, certains semblent privilégiés: ainsi en est-il du Mariale attribué à Bernard de Morlas, et de quelques proses contenues dans des manuscrits d'Autriche ou d'Allemagne du Sud. D'autres similitudes avec les mêmes œuvres sont retrouvées dans la plupart des séquences mariales victorines ici présentées. Il faut encore relever dans les notes les nombreuses références à de grands auteurs anciens et médiévaux, tels qu' Ambroise, Jérôme, Augustin, Paschase Radbert, Pierre Damien, Anselme, Maurille de Rouen, Bernard, sans compter les deux victorins Hugues et Richard. Cette accumulation des noms les plus prestigieux de l'Église ancienne et médiévale est à mettre en relation avec la richesse doctrinale de la séquence. En constatant la conformité du contenu de la prose avec ce que disent ces auteurs, nous touchons du doigt combien le poète victorin a été soucieux de transmettre, en faisant œuvre belle, la Tradition de l'Église.

VI- Symbolisme. Le symbolisme est surtout présent aux strophes 6 et 7, auxquelles il convient d'ajouter les lignes 2, 24 et 44. 1. Le Christ est désigné sous les termes de flos, sol (lignes 31, 34-35), verum lumen, cibus indeficiens, panis vivus (lignes 3840). Toutes ces figures appartiennent, soit à l'Ancien, soit au Nouveau Testament (voir les notes correspondantes). 2. Marie est représentée par les images de porta vitae, stella maris (ligne 2), virga, stella (gignens solem, ligne 31 ). Parmi ces représentations, seul le rameau (virga) est une figure biblique. 3. Deux autres images se rapportent, l'une à la chasteté pour en montrer la beauté: !ilium castitatis (ligne 24 ), l'autre à la vie éternelle pour indiquer que l'homme en avait été revêtu: stola vitae (ligne 44 ).

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AVE, VIRGO SINGULARIS (PORTA)

Les notes étudiant ces représentations disent assez que le poète victorin n'a pas utilisé ici de symboles originaux mais qu'il a repris des figures tirées, soit de la Bible, soit d'œuvres liturgiques ou non liturgiques. Soulignons, d'autre part, la discrétion du symbolisme dans cette longue séquence. VII- Insistances doctrinales.

Comme il a été dit plus haut(§ V), A VS(P) est extrêmement riche en thèmes doctrinaux. Ajoutons que, si toutes les séquences victorines en! 'honneur de Marie parlent du Christ, peu d'entre elles consacrent autant de place que AVS(P) à la louange du Verbe incarné et aux demandes à lui adressées. Aucune d'entre elles n'évoque pareillement !'Eucharistie avec ses exigences fondamentales de foi et d'amour. 1. La prose affirme avec force que Jésus-Christ, le fils de Marie, est Dieu: il est Dieu Créateur (lignes 7-18 et 68), il est le Verbe, la Vérité, le Fils coéternel au Père au sein de la Trinité (lignes 22, 28, 32 et 85), il est Seigneur et Roi (lignes 6 et 59). 2. Juge des hommes (ligne 60), il est aussi le Rédempteur, le Sauveur de ceux qui demandent leur pardon. Il est le consolateur, la vie, la lumière et la nourriture des hommes s'ils croient et s'ils aiment. Il est la source de la grâce, la source d'une vie féconde (lignes 2, 34, 37-40, 47, 51, 64-67, 70-71et73-84). 3. Marie est glorifiée pour sa virginité totale et perpétuelle, sa maternité virginale, sa maternité divine. Remarquons d'abord que le terme virgo appliqué à Marie revient neuf fois dans la prose (lignes 1, 4, 21, 25, 27, 33, 48, 49 et 65), ce qui représente le maximum que l'on puisse trouver dans une prose mariale victorine: - est louée sa maternité divine: la Vierge Marie est mère du Verbe incarné, de Dieu fait homme (lignes 6-12, 22, 28-30, 3233, 59, 68-69). Maternité divine qui est une maternité virginale (lignes 4, 21-24, 29-30, 33 et 69). - est louée sa virginité perpétuelle, avant, pendant et après l'enfantement (lignes 25-26; cf. note 12). - est louée la virginité totale de Marie, de corps et d'esprit (lignes 4-5 et 27; cf. notes 5 et 13). Selon les auteurs cités dans la note 13, la virginité d'esprit est synonyme d'humilité. 4. La puissance de médiation de Marie est soulignée. Mais il faut constater qu'un rappel des titres de Marie précède toujours soit l'affirmation de ce qu'elle fait pour nous, soit une demande d'intercession:

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- la Vierge sans pareille, vierge mère du Christ, est pour nous porte de vie, étoile de la mer (lignes 1-2 et 6), - que Marie, pleine de grâce, puissante et digne de la louange des anges, détruise nos vices (lignes 49-51 et 54), - que, reine et mère du Roi, elle apaise le juste courroux de Dieu envers les hommes pécheurs (lignes 55-60), - que, aimée de Dieu, elle prie pour les pécheurs et implore le pardon de leurs fautes (lignes 61-63 ), - que, mère de Jésus-Christ, elle restaure chez les hommes la grâce de son fils (lignes 64-66), - que, créature du Rédempteur, mère du Créateur, elle soit pour nous médiatrice de salut et de consolation (lignes 67-72). Cet équilibre entre les titres donnés à Marie et les secours venus d'elle, outre qu'il témoigne d'une certaine perception du mystère du salut et du rôle qui y échoit à la Vierge Marie, affirme avec force que tout ce qui nous est donné par Marie vient de son Fils, et que tout ce que le Fils donne vient à nous par Marie. Ceci est dit d'une manière très explicite aux lignes 64-66 où il est question de la grâce de Jésus-Christ restaurée en nous par sa mère, ainsi qu'aux lignes 70-71 où le salut et la consolation du Fils sont donnés par Marie. 5. Notons le parallèle établi dans notre prose (strophe 8), comme aussi en NNS et en SPF, entre les couples Ève-mort et Marievie, parallèle connu de la littérature chrétienne dès les premiers siècles (voir la note 19). 6. L'Ancien Testament annonce l'Incarnation. Il n'y a en notre prose que peu de mots concernant ce thème. La ligne 31 évoque cependant nettement, d'une part le rameau et la fleur en référence à Nb 17,8 ou Js 11,1, d'autre part l'astre et le soleil, prédits en Nb 24, 17 et Ml 3,20. VIII- Insistances spirituelles.

1. A VS(P) est une séquence où la louange tient une grande place. Cette louange s'adresse, non seulement à Marie (lignes 15, 23-27, 48-53, 59-60, 67-69), mais aussi à Dieu, en tant que Créateur (lignes 7-18), Fils incarné, lumière et nourriture données au monde (lignes 34-42), Dieu trinitaire (lignes 85-90). En tout, quarante-huit lignes de louange sur quatre-vingt-dix lignes de prose! Cependant, on doit remarquer que cette abondance d'éloges ne s'accompagne pas de ce caractère joyeux que l'on est en droit

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d'attendre d'une séquence; la musique qui lui est liée, rapide et allègre, tente, il est vrai, de remédier à ce manque. 2. L'aspect moral de la vie humaine personnelle est bien développé. En effet, on trouve en A VS(P) une certaine insistance sur le mal, sur le péché initié par la faute d'Ève, sur la nécessité du jugement, du pardon et de la grâce de Dieu pour le salut (lignes 43-46, 54-66 et 70-71). De nombreux vers sont consacrés à la description d'une vie morale parfaite que seul peut nous valoir le Christ (lignes 73-84). Insistons sur le fait qu'il s'agit ici, non pas du monde ni de l'humanité en général comme dans la plupart des autres séquences mariales, mais de l'homme en tant qu'individu: il n'y a aucune allusion au monde en perdition, ni à l'auteur du péché c'est-à-dire à Satan, personnage que l'on rencontre souvent et sous des noms divers dans d'autres proses victorines. 3. Il est demandé beaucoup au Christ et à Marie en A VS(P). Marie est implorée directement pour que nos vices soient détruits (ligne 54), qu'elle apaise le courroux de Dieu, qu'elle obtienne pour nous son pardon (lignes 58-63), et qu'elle nous redonne la grâce de Jésus-Christ (lignes 63-65). A son Fils et par elle, sont demandés le salut et la consolation (lignes 70-72), la rectitude de l'esprit et la perfection des vertus théologales (lignes 73-77), la chasteté de corps et d'esprit (lignes 80-81 ), en un mot tout ce qui, aux yeux du Seigneur, donne à la vie sa beauté et à la mort son prix (lignes 82-84). La confiance en la puissance et la bonté de Marie et de son Fils éclate dans cette séquence.

GRATULEMUR IN HAC DIE (Assomption)

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GRATULEMUR IN HAC DIE

1. Gratulemur in hac die, In qua sanctœ fit Mariœ Celebris assumptio; Dies ista, dies grata 1, Qua de terris est translata In cœlum cum gaudio. 2. Super choros exaltata Angelorum est prœlata Cunctis cœli civibus 2 ; In decore contemplatur Natum suum, et precatur Pro cunctis fidelibus. 3. Expurgemus nostras sordes, Ut illius mundicordes Assistamus laudibus: Si concordent linguis mentes 3, Aures ejus intendentes Erunt nostris vocibus.

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1. Gratulemur in hac die ... dies ista, dies grata. Il existe ici une ressemblance de termes et de ton avec deux vers d'une prose del' Assomption présente dans un missel manuscrit de Saint-Florian (Autriche) du XIIe siècle, Sacra mundo jitlget dies (AH 9, n. 69, 1b-2a): Gaudeamus in hac die .../ Dies ista, dies lœta ... Fit ... celebris: tournure passive en deux temps, utilisée à la place de celebratur. A l'actif, l'auteur utilise esse avec le participe présent comme, ci-dessous, in/endentes erunt pour intenderunt (lignes 17-18). 2. Au sujet de l'expression exalta/a super choros angelorum, voir A VS(M) note 18. L'idée que Marie a été placée au-dessus de tous les élus est reprise, par exemple, dans le Mariale attribué à Bernard de Morlas (AH 50, n. 323, Rhythmus XI, 42): Sunt cœlestes chori testes/ Quibus es prœposita /Te cunctorum electorum / Transcendisse merita.

GRA TULEMUR IN HAC DIE

1.

Rendons grâce en ce jour Où est célébrée l' Assomption De sainte Marie; Jour de grâce celui-là Où, depuis la terre, elle a été transportée Vers le ciel, dans la joie.

2.

Elevée au-dessus des chœurs des anges, Elle a été mise à la tête De tous les citoyens du ciel; Elle contemple son fils dans la gloire, Et prie Pour tous les fidèles.

3.

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Purifions-nous de nos souillures Pour que, d'un cœur pur, Nous prenions part à ses louanges: Si nos esprits sont en accord avec nos paroles, Ses oreilles seront attentives A nos voix.

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Cœli cives est une expression très en faveur chez le poète victorin: on la retrouve en IEC 38 et dans une autre prose des saints Apôtres attribuée à Adam Cor angustum dilatemus (AH 55, n. 2, 25). Elle est présente dans des antiennes et répons (cf. HA 3094; HR 7575 et 7847), dans le Mariale cité plus haut (Rhythmus XV, 5 et 20), et dans quelques séquences (cf., entre autres, Pretiosœ gloriosœ Christi matris, AH 54, n. 22, 10). Des auteurs en prose comme saint Bernard (In laudibus V.M., hom. 2, 2; SC 390, 132) l'utilisent également. 3. Sur l'harmonie nécessaire entre ce qui relève de l'esprit (ou du cœur) et ce qui appartient au corps, voir la note 29 de AVS(P). Au si concordent de la ligne 16 de GHD répond le nunc concordes de la ligne 19. La strophe 3 énonce les conditions d'une vraie louange: pureté du cœur, accord entre l'esprit et la parole.

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GRA TULEMUR IN HAC DIE

4. Nunc concordes hanc laudemus Et in laude proclamemus: Ave, plena gratia; Ave, virgo, mater Christi, Qme de sancti concepisti Spiritus prœsentia4 . 5. Virgo sancta, virgo munda, Tibi nostra sit jucunda Vocis modulatio; Nobis opem fer desursum Et post hujus vitœ cursum Tuo junge filio.

6. Tu a sreclis prœelecta Litterali diu tecta Fuisti sub cortice; De te Christum genitura Prœdixerunt in Scriptura Prophetœ, sed typice 5 .

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4. Les lignes 21 à 24 sont inspirées de Le 1, 27-35. 5. L'élection ou la préélection de Marie, affirmée ici à la ligne 31, apparaît plusieurs fois dans les séquences victorines (cf. AMJ 25; AVS(M) 3 3; ICA 34-36): c'est un thème fréquent chez les auteurs de textes marials (voir la note 16 de AVS(M). Saint Bernard utilise une expression voisine de celle de GHD: a sœculo electam (In laudibus V.M., hom. 2,4; Leclercq IV, 23; SC 390, 136). Le rappel de la préélection de Marie sert d'introduction aux préfigurations vétérotestamentaires de l'Incarnation, décrites en détail dans les strophes 8, 9 et 10. Dans la strophe 6, c'est d'une manière générale que ces préfigurations et prédictions sont traitées. Marie a été cachée sous l'écorce de la lettre (de !'Ecriture). Le poète Yictorin parlera, dans une séquence de la Pentecôte, de frons litteralis, du feuillage de la lettre dissimulant le sens spirituel que la venue du Christ fait éclater au grand jour (cf. Simplex in essentia, AH 54, n. 156, ligne 11 ). On pourrait joindre à ces séquences d'Adam celle de l' Annonciation attribuée parfois à Abélard Mittit ad virginem (Ibid., n. 191, 6), où la formule velamen veteris literœ est utilisée.

GRA TULEMUR IN HAC DIE

4.

5.

6.

Louons-la maintenant en parfaite harmonie Et proclamons en cette louange: Salut, pleine de grâce; Salut, vierge, mère du Christ, Qui as conçu par la présence De !'Esprit-Saint. Vierge sainte, vierge pure, Que te soient agréables Nos voix mélodieuses; D'en haut porte-nous secours, Et, après le cours de cette vie, Unis-nous à ton fils. C'est toi qui, choisie depuis toujours, As été longtemps cachée Sous l'écorce de la lettre; C'est toi, devant mettre au monde le Christ, Que les prophètes, dans !'Ecriture, Ont annoncée, mais en figures.

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On trouve chez saint Bernard la phrase suivante: sub uno litterœ cortice diversos p/erumque sapientiœ intellectus tegere (Spiritus) consuevit (In Cant., 47,2; Leclercq II, 63). Cette phrase, qui traite des différents sens de !'Ecriture, contient les mots sub /itterœ cortice tegere qui sont pratiquement identiques à ceux des lignes 32-33 de GHD. Origène, lui aussi, parle de l'ineffable bonté de Dieu quœ in Scripturœ /ittera semper tegitur (In Num., hom. 9,7; PG 12, 633B). Enfin, Rupert de Deutz, dans son Commentaire sur Gn 24,67, signale la distinction à faire entre le cortex litterœ et la medulla sensus spiritualis (CM 21, 427). La lecture symbolique del' Ancien Testament est d'un usage courant au Moyen Age, dans les domaines de la christologie, de l 'ecclésiologie ou, comme ici, de la mariologie; les auteurs ont d'ailleurs bien souvent puisé à la source des écrivains chrétiens des premiers siècles. li n'y a guère de traités ou d'homélies marials anciens et médiévaux qui ne contiennent au moins quelques-unes de ces figures bibliques qui se répètent d'une œuvre à l'autre. Voir, sur le sujet, H. de Lubac (1959) 11, 119-128, 305- 363.

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7. Sacramentum patefactum Est, dum Verbum caro factum 6 Ex te nasci voluit, Quod sua nos pietate A Maligni potestate Potenter eripuit. 8. Te per thronum Salomonis, Te per vellus Gedeonis Prxsignatam credimus Et per rubum incombustum, Testamentum si vetustum Mystice perpendimus. 9. Super vellus ros descendens Et in rubo flamma splendens, Neutrum tamen lxditur7, Fuit Christus camem sumens, In te tamen non consumens Pudorem, dum gignitur.

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6. Cf. Jn 1, 14. L'expression Verhum caro factum a été reprise abondamment dans la liturgie et spécialement dans les hymnes anciennes d'Ambroise, Sedulius, Paulin d' Aquilée, Raban Maur... Cependant, dans ce livre où, à côté des proses plus spécialement dédiées à la Vierge, sont introduites aussi les proses du temps de Noël et de !'Epiphanie, elle n'apparaît qu'ici. 7. Les strophes 8 et 9 décrivent trois figures bibliques de l'Incarnation, rencontrées fréquemment dans la littérature et la liturgie médiévales: - Le Christ est le nouveau Salomon qui s'est préparé un trône (Marie) digne de lui (cf. 3R l 0, 18) un grand trône d'ivoire qu'il recouvrit d'or affiné (traduction Osty-Trinquet, ad !oc.). La plus célèbre des proses mariales d'Adam, Salve mater Salvatoris (SMS, 37-42), développe cette image de Marie en donnant la signification de l'ivoire (la chasteté de la Vierge) et de l'or (sa charité). Dans la séquence Verbum bonum et suave (AH 54, n. 218, 3), court et beau poème présent dès le Xie siècle dans des manuscrits de Moissac, Marie est saluée du titre de mater Salomonis. Enfin, la séquence d'origine autrichienne Omnis ager scripturarum (AH 9, n. 79, Sb) la nomme lectus Salomonis, expression très proche de celle de Ct 3, 7 lectulum Salomonis.

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7.

8.

9.

Le mystère a été dévoilé Quand le Verbe devenu chair A voulu naître de toi, Lui qui, dans sa bonté, Du pouvoir du Malin Avec puissance nous a arrachés. C'est toi que par le trône de Salomon, Par la toison de Gédéon, Et par le buisson non consumé Nous croyons préfigurée, Si nous considérons symboliquement L'Ancien Testament. La rosée descendant sur la toison Et la flamme brillant dans le buisson, Sans pourtant abîmer ni toison ni buisson, C'était le Christ prenant chair, Sans cependant détruire chez toi la pudeur Tandis qu'il est mis au monde.

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- Le Christ est la rosée descendant sur la seule toison de Gédéon (cf. Jg 6, 37), toison par laquelle Marie est représentée. Les mêmes symbo-

les de la toison et de la rosée sont repris dans plusieurs des proses d'Adam étudiées ici, en INS 52, LA V 39 et SPF 32, ainsi que dans d'autres séquences du xne siècle. La figure peut provenir aussi de Ps 71,6 qui annonce la venue du Messie en ces termes: (filius regis) descendet ut pluvia super vellus. Le verset du psaume est repris par des antiennes et répons du temps de l' Avent et de Noël, des fêtes de la Purification et del' Annonciation (cf. HA 4441; HR 6408 et 7546). - Le Christ est la flamme que Moïse vit briller dans le buisson (cf. Ex 3, 2-3; l'épisode est rappelé en Ac 7,30). Le buisson que le feu ne consume pas est la figure de Marie restant vierge dans sa maternité divine. Les mêmes images du feu et du buisson intact sont présents en JS 14-15 et LAY 27-29, ainsi qu'en de nombreux poèmes liturgiques et textes en prose. Antiennes et répons de Noël, des fêtes de la Purification et de !'Assomption y font allusion (voir, par exemple, HA 4669 et HR 6131).

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10. De te, virga, progressurum Florem mundo profuturum Isaias cecinit, Flore Christum pnefigurans 8 , Cujus virtus semper durans Nec cœpit, nec desinit. 11. Fontis vitre tu cistema9 , Ardens lucens es lucema 1o, Per te nobis lux supema 11 Suum fudit radium: Ardens igne caritatis, Luce lucens castitatis, Lucem summre claritatis Mundo gignens filium.

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8. La strophe 10 donne un quatrième couple de représentations de Marie et du Christ: celui du rameau et de la fleur (virga-jlos) se référant explicitement, non à un événement, mais à une prédiction (Is 11, 1). Nous renvoyons à la note 14 de A VS(M) et à la note 15 de A VS(P) pour les références concernant ces images que les proses victorines utilisent abondamment. 9. Dans une prose victorine étudiée plus loin (voir TCA 54), Marie est appelée fontis vivi vitœ vena. L'expressionfons vitœ désigne le Christ, comme le dit avec véhémence saint Bernard: Quis vero Jons vitœ, nisi Christus Dominus? (Sermon pour la Nativité de Marie De aquœductu, Leclercq V, 277). Cette expression est d'origine biblique: on la trouve en particulier dans les livres sapientiaux (Ps 35,10; Pr 13,14; 14,17; 16,22; Si 21,15) pour désigner le Seigneur Dieu, sa loi, la crainte qu'il doit inspirer ... Une prière de la Vigile de la Pentecôte demande que nous ayons soif de la source de vie (cf. BOr 138). Les mots cisterna et vena, appliqués à Marie, sont bien difficiles à traduire adéquatement en français. Ils signifient qu'à Marie a été confié le Christ, source de vie et que, par Marie, cette source répand la vie de la grâce dans tous les hommes. Saint Bernard nomme Marie l'aqueduc, c'est-à-dire ce qui reçoit et achemine l'eau. D'autres auteurs, tel Amédée de Lausanne (Homélies mariales, SC 72, 192-193), évoquent le puits de Ct 4, 15 (puteus aquarum viventium ). Saint Pierre Damien emploie pour Marie le même terme que pour le Christ: elle est fans fontis vivi (Sermon 46; CM 57, 281).

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1O. Que, de toi le rameau, Devait sortir une fleur utile au monde, Isaïe l'a prédit, Par la fleur préfigurant le Christ Dont la puissance éternelle Ne commence ni ne cesse. 11. Toi qui reçois les eaux de la source de vie, Tu es la lampe qui brûle et qui brille, Par toi la lumière d'en haut A émis pour nous son rayon: Lampe qui brûle du feu de la charité, Qui brille de la lumière de la chasteté, Qui met au monde un fils Lumière d'une insigne clarté.

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1O. «Paravi lucernam christo meo» (Ps 131, 17). «Ille erat lucerna ardens et /ucens» (Jn 5, 35): dans l'Évangile, /ucerna désigne JeanBaptiste, et un répons pour la fête de ce saint reprend le verset évangélique (HR 7148). Une prose victorine sur le Précurseur s'inspire aussi de ce verset (cf. Ad honorem tuum Christe, AH 55, n.178, 15-16). Adam l'applique ici à Marie, en expliquant aux lignes 65-66 pourquoi cette lampe (lucerna) est ardente et brillante. Il est intéressant de noter qu'on retrouve les mêmes associations feu-charité et lumière-chasteté (ou pureté) dans une séquence victorine consacrée à Jean l'Évangélist e (Gratulemur ad festivum, AH 55, n.191, 5): Intus ardens caritate / Foris lucens puritate. La célèbre séquence d'Adam Salve mater Salvatoris, étudiée ci-dessous, associe également l'image du feu à la charité de Marie: Ardor indeficiens !lmmortali s caritas (lignes 55-56). 11. Le Verbe «lumière» rappelle Jn 1, v. 4-5 et 9. La prose victorine pour la fête de saint Jean-Baptiste, Prœcursoris et baptistœ (AH 55, n.180), offre à la strophe 19 deux vers qui s'achèvent par les mêmes mots que ceux de GHD 62-63: Quem dum replet lux superna / Verœ lucisjit lucerna. C'est également le cas d'une autre prose très largement diffusée dès le XII' siècle et probableme nt originaire d'Allemagn e du Sud Ave spes mundi Maria (AH 54, n. 217, 7): Ave, virginum lucerna / Per quamfulsit lux superna.

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12. 0 salutis nostne porta 12 , Nos exaudi, nos conforta Et a via nos distorta Revocare propera; Te vacantes de profundo 13 , Navigantes in hoc mundo, Nos ab hoste furibundo Tua prece libera 14 . 13. Jesu, nostrum salutare 15 , Ob meritum singulare 16 Ture matris visitare In hac valle nos dignare 17 Ture dono gratire 18 · Qui neminem vis damnari 19, Sic directe conversari Nos concedas in hoc mari 20 , Ut post mortem munerari Digni simus requie.

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12. Dans sa première édition des proses d'Adam (II, 151 ), L. Gautier dit à propos de porta salutis: «Porta, uterus Virginis (Clef de saint Méliton) ... Ce sein est la porte où a passé pour venir à nous le Sauveur, et par conséquent le salut». Dans les proses victorines, Marie est plusieurs fois appelée porta: porta vitœ en AVS(P) 2 (voir note 2), porta clausa (Ez 44, 2) en LA V 36 et en SMS 13. Très nombreux sont les chants liturgiques ou textes en prose qui utilisent le terme de porta (ou celui de janua) pour désigner Marie. 13. Cf. Ps 129, 1: De profundis clamavi ad te Domine. 14. On retrouve, dans les lignes 73 à 75, les mêmes images nautiques de l'Église, du monde et de Satan, que celles vues plus haut en A VS(M) strophes 1, 2 et 3, où elles sont beaucoup plus développées (voir la note 5 de cette prose). Comme AVS(M) 24, GHD 76 contient une demande pressante de libération à Marie. 15. Cf. la note 2 de AVS(M) au sujet de l'utilisation de l'adjectif salutaris dans le latin chrétien. Les séquences INS 71 et NNS 25 emploient la même expression que GHD 77, mais au masculin au lieu du neutre Jesu noster salutaris: elle est alors mieux rendue par Jésus notre Sauveur. Une séquence pour la Dédicace des églises originaire d' Allemagne du Sud, Hierusalem urbs beata (AH 55, n. 34, 15), utilise la formule Christus noster salutaris.

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12. 0 porte de notre salut, Exauce-nous, fortifie-nous, Et hâte-toi de nous retirer Des chemins tortueux; Par ta prière délivre-nous De l'ennem i furibond, Nous qui, naviguant en ce monde, T'appelo ns depuis l'abîme.

13. Jésus, notre salut, En raison du mérite sans pareil De ta mère, daigne dans cette vallée Nous visiter Du don de ta grâce. Toi qui veux que personne ne soit damné, Accorde-nous sur cette mer De nous conduire avec droiture, De telle sorte qu'après la mort Nous soyons dignes d'être gratifiés du repos.

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16. Saint Anselme évoque, lui aussi, les mérites de Marie qui nous permettent de retrouver les bienfaits dûs à la grâce de son Fils (Oraison 7; Corbin V, 286). 17. Visitare nos dignare: même supplique, dans les mêmes termes, dans la prose victorine de la Pentecôte Qui procedis ab utroque, ligne 64 (AH 54, n. 155). In hac va/le, voir Ps 83,7: in valle lacrimarum. En OMS 7, on lit: in hac va/le lacrimarum, expression identique à celle de l'antienne Salve Regina. 18. Cf. Ep 3, 7: secundum donum gratiœ Dei. L'expression donum gratiae Dei est fréquente dans les oraisons anciennes: voir, par exemple, BOr 166, 243, 401, 450, 1031... 19. Cf. JTm 2, 3-4: (Deo) qui omnes homines vult salvosjieri. Une oraison solennelle du Vendredi-Saint pour les hérétiques, remontant au VIIIe siècle, commence ainsi: Omnipotens sempiterne Deus, qui sa/vas omnes et neminem vis perire ... (BOr 799). Saint Bernard reprend le texte même de l'épître de saint Paul (In laudibus V.M., hom. 4,11; Leclercq IV, 57; SC 390, 236). 20. In hoc mari: cf., ci-dessus, note 14. Cette expression symbolique pour désigner la vie terrestre est passée de la littérature profane ou paléo-chrétienne à la littérature médiévale qui l'a abondamment utilisée.

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I- Editions: L. GAUTIER (1858), Il, n. 65, p. 127-133. L. GAUTIER, (1894), n. 35, p. 170-174. P. GUÉRANGER (1894) XIII, p. 583-586. M. LEGRAIN (1899), n. 28, p. 148-153. Cl. BLUME et H.M. BANNISTER (1915), AH 54, n. 205, p. 325-

326. F. \VELLNER(l937),n.39,p.258-264. II- Traductions: P. GUERANGER (1894) XIII, p. 583-586 (tr. française).

F. \VELLNER (1937), n. 39, p. 259-265 (tr. allemande). III- Présence de la prose dans les manuscrits antérieurs au XIVe siècle. Attribution et diffusion.

GHD se trouve dans trois graduels manuscrits victorins du XIIIe siècle et n'a pas été, jusqu'à présent, repérée dans d'autres manuscrits de cette époque. Originaire de Saint-Victor de Paris, la séquence ne semble pas avoir eu d'utilisation liturgique endehors de cette abbaye, si ce n'est, au xv1e siècle, dans le diocèse de Bayeux. Elle est généralement attribuée à Adam de Saint-Victor, malgré quelques fautes de rythme qui peuvent être imputées à de mauvaises transcriptions.

IV- Utilisations liturgiques. Selon L. Gautier (première édition) d'une part, Cl. Blume et H.M. Bannister d'autre part, GHD était chantée le jour de !'Octave de la fête de !'Assomption, jour retenu par Dom Guéranger dans son Année liturgique. V- Conclusions sur les références présentes dans les notes.

Les passages bibliques cités dans les notes ont été, dans leur quasi-totalité, repris par la liturgie ancienne (voir, par exemple, les notes 7 et 8 relatives aux préfigurations de Marie dans l 'Ancien Testament), au point que les références liturgiques recoupent ici dans une large mesure les références bibliques. On peut donc supposer que l'auteur s'est fortement inspiré de la liturgie pour composer certaines strophes de cette séquence: il s'agit, non seulement d'antiennes et de répons, mais aussi de poèmes

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liturgiques. Il faut remarquer en particulier le nombre de références renvoyant à d'autres séquences attribuées à Adam de Saint-Victor. Des textes en prose, en assez grand nombre, sont également cités: parmi leurs auteurs, le nom de saint Bernard est le plus fréquemment mentionné. VI- Symbolisme. Les cinq premières strophes sont entièrement dépourvues de symbolisme. Celui-ci, en revanche, amené par la strophe 5, est très présent dans les strophes 8 à 10, qui décrivent les préfigurations du Christ et de Marie dans l'Ancien Testament. C'est le vocabulaire biblique lui-même qui fournit les symboles: - le Christ est Salomon, Marie est le trône (ligne 43), - le Christ est la rosée, Marie est la toison (lignes 44 et 49), - le Christ est la flamme, Marie est le buisson (lignes 46 et 50), - le Christ est la fleur, Marie est le rameau (lignes 55 et 56). On rencontre ces figures bibliques du Christ et de Marie dans d'autres proses étudiées dans ce livre, même si GHD est la seule à les réunir toutes: cf. AVS(P) 31; IEC 25-26, 30 et 32; INS 51- 52; JS 14-15 et 23-24; LAV 27-28, 39 et 42; SMS 36; SPF 29-30 et 32; VMS 5. En GHD, les notes 7 et 8 soulignent que ces préfigurations de Marie et du Christ furent en usage dans l'Eglise bien avant le temps du poète victorin, comme elles ont continué à !'être pendant plusieurs siècles après lui. D'autres images sont évoquées dans les dernières strophes deGHD: - le Christ est lux superna (ligne 63 et note 11 ), lux summœ claritatis (ligne 67), - Marie est cisterna (ligne 61 et note 9), elle est aussi lucerna ardens lucens (ligne 62 et note 10) parce que sa charité est ignis (ligne 65) et sa chasteté est lux (ligne 66). Enfin, Marie est porta (ligne 69 et note 12), - le monde est va/lis (ligne 80 et note 17) et mare (ligne 84 et note 20). Remarquons enfin, dans la strophe 6, l'expression imagée sub cortice litterali (lignes 32-33 et note 7), signifiant que le texte littéral del' Ancien Testament, comparé à une écorce, doit être «gratté» pour en trouver le sens mystique qui annonce l'Incarnation. Comme il ressort de la note 5, la formule n'est pas inédite au temps du poète victorin.

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VII- Insistances doctrinales.

1. En GHD, séquence qui consacre ses deux premières strophes à!' Assomption de Marie, il n'est pas dit explicitement que Marie a été transportée au ciel corps et âme, mais cela est fortement suggéré par le choix du verbe «transferre» dans la proposition «de terris est translata in cœlum» des lignes 5-6. En AVS(M) 46, la proposition (dies) qua conscendis ad superna évoquait beaucoup moins l'assomption corporelle, sans l'exclure toutefois. Rappelons que les chanoines victorins de l'époque d'Adam font partie de ceux, nombreux, qui croient à la résurrection anticipée de la mère de Dieu. 2. Marie est élevée au-dessus de toutes les créatures (lignes 7-9 et note 2): thème toujours très présent dans les textes sur l' Assomption, ainsi que dans ceux évoquant les mérites de Marie. 3. La vie de Marie au ciel consiste à contempler la gloire de son Fils et à le prier pour tous les fidèles (lignes 10-12): c'est parce que Marie est ardens igne caritatis (ligne 65) qu'elle réalise cette vie de charité parfaite envers Dieu et envers nous. 4. Marie, choisie de toute éternité par Dieu (ligne 31) pour être la mère du Christ, est préfigurée et prédite par l'Ancien Testament (lignes 31-58). Le poète relie ainsi la Nouvelle Alliance à !'Ancienne par quatre couples de figures représentant le Christ et Marie, figures déjà étudiées dans les notes 7 et 8 et, ci-dessus, à propos du symbolisme. Par l'emploi des expressions ou mots sub cortice litterali (lignes 32-33), typice (ligne 36), sacramentum (ligne 37), mystice perpendere (ligne 48), l'auteur insiste sur le caractère symbolique de l'annonce de l'Incarnation dans l'Ancien Testament (cf. note 5). 5. Cette interprétation symbolique est destinée à magnifier la maternité divine et virginale de Marie, maternité à laquelle sont consacrées de nombreuses lignes de GHD (lignes 22-25, 34, 38-39, 52-56, 62-68). Alors qu'il s'agit ici d'une prose del' Assomption, le thème de cette maternité divine et virginale est beaucoup plus développé que celui de !'élévation de Marie au ciel: en cela, GHD ressemble aux autres proses mariales victorines. 6. L'accent est également mis, en GHD, sur la sainteté personnelle de Marie: Marie est remplie de la grâce de Dieu (ligne 21 ), elle est une vierge sainte et pure (ligne 25), la charité et la chasteté brillent en elle (lignes 62, 65-66). D'où cette idée peu

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souvent exprimée, concernant la raison de l'efficacité de Marie à notre égard: la strophe 13 (lignes 77-81) présente Marie comme celle qui, par son mérite sans pareil, nous vaut la grâce de Jésus-Christ. Elle ne se contente pas, si !'on peut dire, de nous donner la source de la grâce en mettant le Christ au monde, mais elle nous mérite cette grâce par la sainteté même de sa vie. Placée à la tête de tous les élus (lignes 7-9), elle est, comme eux et plus qu'eux, capable de susciter pour nous la grâce de son Fils. 7. Satan est à l'œuvre dans le monde: le poète se garde de minimiser son rôle, il évoque sa puissance, il l'appelle le Malin (ligne 42) et l'ennemi furibond (ligne 75). VIII- Insistances spirituelles.

1. Le premier mot de la première ligne de GHD est une invitation à rendre grâce: Gratulemur! C'est en raison de l' Assomption de Marie que nous devons remercier le Seigneur: elle est transportée dans la joie vers le ciel! A l'action de grâce (strophe 1) s'unit la louange: louange très fournie à l'adresse de la mère de Dieu. Dans les strophes 3 et 4, le mot taus et le verbe laudare reviennent trois fois (lignes 15, 19 et 20). Les lignes 21et22, commençant toutes deux par une salutation (Ave), sont suivies, dans les strophes 4, 5, 6, 811, de l'énumération des nombreux titres de gloire de Marie, dont le principal est celui d'avoir donné au monde le Christ. Une telle atmosphère de louange n'est pas rare dans les proses mariales victorines, c'est celle de AVS(P), LA V et SMS; dans cette dernière séquence, comme en GHD, la louange est non seulement abondante mais aussi désintéressée, en ce sens qu'elle n'est pas liée à une demande nous concernant. Marie est ici louée, tout simplement parce que nous l'aimons et que nous l'admirons: de ce fait, notre plus grand plaisir consiste à la contempler et à en faire l'éloge. 2. La séquence évoque, dans la strophe 2, les œuvres de Marie au ciel, à savoir la contemplation de son Fils et la prière d'intercession pour les fidèles: par là, Marie nous est proposée comme modèle de vie spirituelle. 5. Notre état de pécheur est reconnu, sur le ton vigoureux de celui qui veut réellement s'en sortir par une nécessaire purification et par le recours à Marie (lignes 13-18, 28, 70-76). Nous avons besoin du salut par le Christ (lignes 40-42, 56, 77, 79-86)

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pour nous défendre contre le Malin, !'Ennemi furibond qui nous mène à la perdition (lignes 42 et 75). 6. Nos paroles doivent être en plein accord avec ce que nous pensons: cette harmonie fait partie de la pureté de cœur nécessaire pour être entendus de Marie (lignes 13-18). Comme le dit la note 29 de A VS(P), cette exigence d'un plein accord entre l'esprit et la voix, entre l'intérieur (infus) et l'extérieur (joris) est très augustinienne. 7. Enfin, la requête suprême, adressée successivement à Marie et au Christ, concerne la vie éternelle, la vie après la mort. A Marie est demandé de nous unir à son Fils post hujus vitœ cursum (ligne 30), et au Christ de nous donner, post mortem, le repos (lignes 85-86).

IN EXCELSIS CANITUR (Circoncision)

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IN EXCELSIS CANITUR

1.

In excelsis canitur Nato regi gloria, Per quem teme redditur Et crelo concordia 1•

2.

Jure dies colitur Christi natali tia, Quo nascente nascitur2 Novre legis 3 gratia.

3. Mediator nobis datus In salutis pretium4 Non naturre sed reatus Refugit consortium5 .

10

4. Non amittit claritatem

Stella fundens radium Nec Maria castitatem Pariendo filium 6 .

15

1. La strophe 1 est une réécriture de Le 2, 13-14. Beaucoup de chants du Missel et de !'Office ont repris les termes du récit évang~lique.

2 Trois mots de même racine sont utilisés aux lignes 6 et 7: natalitia, nascente, nascitur, à quoi s'ajoute en allitération l'adjectif novœ de la ligne 8. 3. Les proses victorines parlent plusieurs fois de nova !ex. expression souvent associée à novus rex: cf., par exemple, Stola regni laureatus (AH 55, n. l, 9); Ad honorem tuum Christe (AH 55, n. 178, 7); Prœcursoris et baptistœ (AH 55, n. 180, 20), séquences auxquelles on peut joindre Prœcursorem summi regis (AH 55, n. 179, 1), parfois comptée au nombre des proses d'Adam, ainsi que la prose mariale d'origine autrichienne Ave cella novœ legis (AH 54, n. 227, l). Dans la séquence plus tardive Lauda Sion Salvatorem, de saint Thomas d'Aquin, les deux premiers vers de la strophe 4 se terminent également par le couple novi regis ... novœ legis, peut-être emprunté au poète victorin. 4. Cf. ITm 2, 5: Unus enim Deus, unus et mediator Dei et hominum, homo Christus Jesus.

IN EXCELSIS CANITUR

1.

Au plus haut des cieux, on chante Gloria au roi qui vient de naître, Lui par qui la concorde est rétablie Entre la terre et le ciel.

2.

C'est à bon droit qu'est honoré Le jour de la naissance du Christ: Lorsqu'il naît, avec lui apparaît La grâce de la loi nouvelle.

3.

Le médiateur qui nous est donné Pour prix du salut Se refuse d'avoir part, non à notre nature, Mais à notre état de pécheur.

4.

L'étoile ne perd pas son éclat En dispensant son rayon, Ni Marie sa chasteté En enfantant un fils.

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10

15

5. Les lignes 11et12 forment un écho de l'épître aux Hébreux (4,15): «Lui (Jésus, Fils de Dieu) qui a été éprouvé en tout d'une manière semblable (à nous), hormis le péché» (traduction Osty-Trinquet). Dans le missel actuel, la quatrième prière eucharistique dit: «li a vécu notre condition d'homme en toutes choses, excepté le péché». Consortium naturœ: dans ! 'hymne Laus tibi Christe, attribuée à Godescalc de Limbourg (XIe siècle), le Christ est appelé consors naturœ humanœ (AH 50, n. 273, 5a). 6. On pourra rapprocher la strophe 4 de IEC, d'une part des strophes 5 et 6 d'une prose de Noël très répandue au Moyen Age, Lœtabundus exulte! fidelis chorus, présente dans les manuscrits dès le XIe siècle et probablement originaire d'Italie du Sud (AH 54, n. 2, 5-6): Sicut radius radium / Profert virgo filium /Pari forma / Neque sidus radio /Neque mater filio I Fit corrupta, d'autre part d'un passage de saint Bernard: Sicut sine sui corruptione sidus suum emittit radium, sic absque sui lœsione Virgo parturit Filium. Nec sideri radius suam minuit claritatem, nec Virgini Filius suam integritatem (In laudibus VM., hom. 2,17; Leclerq IV, 34; SC 390, 168-169). La comparaison est aussi utilisée par un contemporain d'Adam, Geoffroy de Vendôme (Sermo 8 in omnifestivitate B.M. Matris Domini, PL 157, 266D).

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5. Quid de monte lapis cœsus Sine manu7 , nisi Jesus, Qui de regum linea 8 Sine camis opere De came puerperœ Processit virginea ? 6.

Solitudo floreat Et desertum gaudeat9 ! Virga Jesse floruit ; Radix virgam, virga florem, Virgo profert Salvatorem, Sicut lex prœcinuit 10 .

20

25

7. Abscissus est lapis de monte sine manibus (Dn 2,34): il s'agit, dans le songe de Nabuchodonosor, de la pierre qui se détache toute seule de la montagne et qui vient frapper la grande statue et la broyer; la pierre devient montagne et remplit toute la terre. Le poète a repris les mots du texte biblique. Déjà saint Augustin développait cette image de la pierre détachée de la montagne sans l'aide d'aucune main pour désigner le Christ et Marie (cf. Enarratio in Ps 4 7, 2; SL 38, 539) et, à la suite d'Augustin, d'autres auteurs l'ont utilisée. Une antienne de !'Assomption (HA 2752) mentionne cette figure du Christ, laquelle est également attestée dans une hymne du IXe siècle, d'un auteur inconnu empruntant à Sedulius la première strophe A salis ortus cardine et à Prudence d'autres vers, et dont certaines strophes sont reprises dans le bréviaire actuel pour la fête de Marie Mère de Dieu (cf. AH 27, Il. 82 II, 7; A. Lentini (1984), n. 85): Lapis de monte veniens / Mundumque replens gratia / Quem non prœcisum manibus / Vates vetusti nuntiant. D'autres hymnes médiévales, d'origines française, autrichienne ou allemande, évoquent aussi le même passage biblique pour saluer la venue du Christ. A titre d'exemple, citons l'hymne Virgo Maria digna parens Dei (AH 51, n. 211, 13), les proses Ante torum virginalem (AH 54, n. 97, 8), Promissa mundo gloria (Ibid., n. 95, 7), et Omnis ager

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5.

Qu'est-ce donc, cette pierre détachée de la montagne Sans l'aide d'aucune main, sinon Jésus Qui, d'une lignée de rois, Sans œuvre de chair, 20 Est sorti de la chair virginale De sa jeune mère?

6.

Que la steppe fleurisse Et que le désert se réjouisse ! Le rameau de Jessé a fleuri; 2s La racine émet un rameau, le rameau une fleur, La Vierge un Sauveur, Comme l'a prédit la Loi.

scripturarum (AH 9, n. 79, !Ob). Cette dernière séquence, issue d'un missel manuscrit de Seckau (Autriche) du xne siècle, reprend à peu près toutes les images que l'on peut tirer de l'Ancien Testament pour représenter Marie et le Christ. 8. Cf. Le 1, 32: et dabit illi (Jesu) Dominus Deus sedem David patris ejus. 9. Réminiscences de deux passages d'Isaie, d'une part Is 35, 1: laetabitur deserta ... et exultabit solitudo et flore bit quasi !ilium, d'autre part Is 51, 3: et panel desertum quasi delicias et solitudinem ejus quasi hortum Domini, gaudium et lœtitia invenietur in ea. 1O. De nombreuses proses victorines étudiées dans cet ouvrage utilisent le couple virga-flos pour désigner Marie et le Christ: ainsi A VS(P) 31, GHD 55-56, INS 51, JS 23-24, LAY 42, SPF 29-30, VMS 5. Ce couple fait, en partie, l'objet de la note 15 de AVS(P), où sont indiqués les deux passages bibliques à l'origine de ces figures: Nb 17, 8 et ls 11, 1. Ici, d'après le contexte, comme dans la prose Jubilemus Salvatori étudiée ci-après, il s'agit de la prédiction d'Isaïe qui, seule, parle de la racine de Jessé. Dans cette strophe 6 et contrairement à la strophe 9, !ex désigne l'Ancien Testament en général.

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7. Radix David typum gessit, Virga matris, qme processit Ex regali semine 11 ; Flos est puer nobis natus 12 , Jure flori comparatus Pne mira dulcedine. 8. In pnesepi reclinatur, Cujus ortus celebratur Oelesti pneconio. c~li cives 13 jubilant, Dum pastores vigilant Sub noctis silentio 14 .

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35

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11. Le Nouveau Testament ne présente pas de données permettant

d'affirmer l'ascendance royale de Marie, seules sont explicites les filiations davidiques de Joseph (Mt 1, 16 et 20) et du Christ (Le 1,32). La thèse selon laquelle Marie descend, elle aussi, du roi David est cependant largement répandue dans l'Eglise ancienne et médiévale: déjà saint Irénée dit, dans sa Démonstration ... , 36 (SC 62, 89-90): «Et ce roi, c'est le Christ, le Fils de Dieu devenu fils d'homme, c'est-à-dire issu, comme un fruit, de la Vierge qui tenait sa descendance de David» (voir aussi Adv. Heer. Ill, 16; SC 211, 297). Cette assertion est très souvent reprise dans les textes postérieurs (voir, entre autres, Pierre Damien, sermon 45; CM 57, 273). Plusieurs antiennes et répons y font écho (cf., par exemple, HA 1266, 3108, 3850, 4048, 4591; HR 6184, 6854, 7198, 7200, 7298, 7519 ... ), ainsi qu'une hymne de Noël de Raban Maur Lumen clarum rite fidget (AH 50, n. 135, 3) et de nombreuses hymnes contenues dans des manuscrits des xe-xne siècles. Notre prose, qui est la seule parmi celles que nous étudions à évoquer cette ascendance royale de Marie, la met en relation avec la prophétie d'Isaïe (11,1): Egredietur virga de radice Jesse et .flos de radice ejus ascendet.. Le rameau, virga Jesse (ligne 25) désigne Marie; la racine dont sort le rameau (ligne 26), c'est David (ligne 29), ce qui implique la filiation

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7.

8.

La racine représente David, Le rameau figure la mère Issue de sang royal; La fleur, c'est l'enfant qui nous est né, A bon droit comparé à une fleur En raison de sa merveilleuse douceur. Il est couché dans une crèche, Celui dont la naissance est célébrée Par une louange céleste. Les citoyens des cieux l'acclament avec joie, Tandis que les bergers veillent Dans le silence de la nuit.

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royale de Marie (ligne 31). Salve proies Davidis: c'est par cette salutation à Marie que commence une prose de Saint-Florian repérée dans un manuscrit de la fin du x1e siècle (AH 54, n. 224 ). 12. La ligne 32 Puer nabis natus est à rapprocher de la ligne 9 Mediatar nabis datus, l'ensemble évoquant /s 9, 6: Parvulus natus est nabis, filius datus est nabis, que reprend la liturgie de Noël. 13. Voir la note 2 de GHD au sujet de l'expression cadi cives. 14. La strophe 8 emprunte de nombreux mots au récit de Le 2, v.7-8 et 13-14: et reclinavit eum in prœsepia ... et pastares erant in regiane eadem vigilantes et custadientes vigilias nactis supra gregem suum. Les chants liturgiques privilégient la formule jacet in prœsepia (cf., par exemple, HA 3088, 3272, 4048; HR 7274, 7297), ou pasitum in prœsepia (cf. HR 6576, 7756). Parmi les hymnes, il faut citer ici celle de Paulin d' Aquilée pour la fête de Noël Glariam Dea in excelsis hadie (AH 50, n. 99): la première strophe est, comme la strophe 8 de IEC, une réécriture de Le 2, 13-14, et la strophe 9 évoque les bergers \'eillant sur leurs troupeaux dans les termes utilisés ici aux lignes 39-40, avec en particulier la même expression nactis sub silentia.

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9.

Cuncta laudes intonant Super partum Virginis ; Lex et psalmi consonant Prophetarum paginis 15 .

1O. Angelorum et pastorum, Stella:: simul et magorum Concordant indicia ; Reges currunt Orientis Ad pra::sepe vagientis, Gentium primordia 16 .

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15. Les deux premiers vers de la strophe 9 rappellent la deuxième strophe de l'hymne de saint Ambroise pour Noël Intende qui regis Israël [J. Fontaine (1992) 273]: Ostende parfum Virginis / Miretur omne sœculum. La Loi, les Psaumes et les Prophètes: il s'agit de tout l'Ancien Testament, désigné à la ligne 28 sous le seul nom de !ex. Le poète victorin reprend ici de manière générale ce qui a été développé aux strophes 5, 6 et 7: les livres del 'ancienne Loi contiennent des préfigurations et prédictions concernant la venue du Christ, c'est-à-dire la naissance de «la grâce de la Loi nouvelle» comme le disent déjà les lignes 7-8. Sur le sujet, voir la note 5 de GHD. 16. Plusieurs répons de la liturgie de !'Épiphanie, après avoir mentionné selon Mt 2, v.1-2 et 9-11 la venue des mages avec leurs présents, continuent avec les versets 10 et 11 du Psaume 71 : Reges Tharsis et

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9.

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Tout retentit des louanges Sur l'enfantement de la Vierge; La Loi et les Psaumes sont en harmonie Avec les écrits des Prophètes.

1O. Concordent aussi les indications Des anges des bergers Et de l'étoile des mages. Les rois de l'Orient accourent, Prémices des nations, Vers la crèche du nouveau-né.

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insulœ munera offerent. reges Arabum et Saba dona adducent. Adorabunt eum omnes reges terrœ (voir, par exemple, HR 7314, 7522-7523, 7700, 7777, 7864 ... ). La strophe 10 de IEC reprend les deux termes de magi et de reges: le rapprochement entre le passage d'évangile et les versets du psaume est peut-être à l'origine de l'expression les rois mages. En outre, on repère dans une hymne ambrosienne, présente déjà dans un manuscrit du rxe siècle, une strophe dont le vocabulaire est proche des lignes 46-4 7 et 50 de notre prose: Sic Magi ab ortu salis/ Per stellœ indicium /Portantes typum gentium / Primi offerunt munera (Mysterium ecclesiœ, AH 51, n. 128, 7). Les mages sont appelésprimitiœ gentium par Fulgence de Ruspe (Sermon 4; SL 91A, 911-912) et Rupert de Deutz (ln Joh., CM 9, 542), primi legati gentium par Raban Maur (hymneVenit Deusfactus homo, AH 50, n. 139, 2) ...

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11. Jesu, puer immortalis, Ex retemo temporalis 17 , Nos ab hujus vitre malis Tu potenter erue. Tu post vitam hanc mortalem Sive mortem hanc vitalem 18 Vitam nobis immortalem Clementer restitue.

55

17. Les deux expressions Jesu puer immortalis et Ex œterno temporalis sont reprises dans deux proses victorines étudiées dans cet ouvrage, la première en JS 31, la seconde en INS 22. Puer immortalis veut signifier que cet enfant qui naît est le Verbe incarné éternel, immortel par sa nature même, capable de redonner aux hommes la vie immortelle (cf. vers 57-58), dans la ligne de ce qu'attestent les sermons de Fulgence de Ruspe: Puer iste Verbum Dei est, puer iste Virtus et Sapientia Dei est (Sermon 4; SL 91A, 913), et encore: unus idemque immortalis ex Patre, mortalis ex matre (Ibid., 914). La formule ex œterno temporalis peut être rapprochée de deux vers

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11. Jésus, enfant immortel, D'éternel devenu temporel, Arrache-nous avec force Aux maux de cette vie. Après cette vie mortelle Ou plutôt cette mort qui conduit à la vie, Dans ta clémence redonne-nous La vie immortelle.

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ss

d'une ancienne hymne de !'Avent, Christi caterva clamitet (AH 27, n. 3, 4): A maire natus tempore / Sed sempiternus a Patre. Mais c'est encore un sermon de Fulgence de Ruspe qu'il faut évoquer ici (Sermon 2; SL 91A, 900): on y trouve, en effet, pour qualifier le Christ, la formule temporalis de œterno qui est bien proche de celle de notre ligne 52. Enfin, citons le poème sur la Trinité de Hildebert de Lavardin, où le Christ est qualifié de Sempiternus temporalis / Moriturus immortalis (AH 50, n. 318, lignes 41-42). 18. Le terme vitalis est utilisé par saint Anselme pour qualifier la mort du Christ (Oraison 7; Corbin V, 290).

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I- Editions:

L. GAUTIER (1858), I, n. 2, p. 18-23. L. GAUTIER (1894), n. 4, p. 16-19. P. GUÉRANGER (1897), III, p. 196-198. M. LEGRAIN (1899), n. 2, p. 9-13. Cl. BLVME et H.M. BANNISTER ( 1915), AH 54, n. 104, p. 160161. F. WELLNER (1937), n. 9, p. 70-74. H. SPITZMULLER (1971), n. 3, p. 668-672. M. F ASSLER (1993), p. 286-288. II- Traductions:

P. GUÉRANGER (1897), vol. 3, p. 196-198 (tr. française). F. WELLNER (1937), n. 9, p. 71-75 (tr. allemande). H. SPITZMULLER (1971), n. 3, p. 669-673 (tr. française). M. FASSLER (1993), p. 286-288 (tr. anglaise). III- Présence de la prose dans les manuscrits antérieurs au XIVe

siècle. Attribution et difjitsion. On trouve IEC dans plusieurs manuscrits victorins à partir du

XIIIe siècle, ainsi que dans des livres parisiens. La séquence ne semble pas avoir connu une grande diffusion en France ou audelà des frontières. Elle a été très généralement attribuée à Adam de Saint-Victor. IV- Utilisations liturgiques. IEC est donnée comme prose de la Circoncision par l'ensemble des éditeurs et traducteurs cités plus haut. Cependant, comme le fait remarquer F. Wellner, le contenu de la prose ne fait pas allusion à l'événement. IEC est plutôt une prose de !'Octave de Noël (coïncidant avec la Circoncision): elle évoque une nouvelle fois la naissance du Christ, en langage clair comme en langage symbolique, elle anticipe aussi sur la fête de !'Épiphanie. V- Conclusions sur les références contenues dans les notes.

Les allusions bibliques font appel, de façon à peu près égale, à!' Ancien et au Nouveau Testament. Comme on peut s'y attendre pour une prose du temps de Noël, Isaïe et Luc sont le plus souvent cités. Les notes 7 et 10, relatives aux strophes 5 et 6 et

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commentant les images de Marie et du Christ issues de!' Ancien Testament, contiennent des références tant bibliques que liturgiques, et l'on peut supposer que le poète victorin s'est largement inspiré de ses devanciers dans le choix des images vétérotestamentaires. En revanche, il n'est guère besoin d'envisager de tels emprunts à propos de la reprise des récits mêmes de Luc et Matthieu (voir les notes 1, 14 et 16). En ce qui concerne les auteurs en prose auxquels il est fait référence, retenons surtout Irénée, Augustin, Fulgence de Ruspe, Pierre Damien, Anselme et Rupert de Deutz.

VI- Symbolisme. Il s'agit, en IEC, d'un symbolisme le plus souvent tiré de !'Ancien Testament dont quelques passages préfigurent la venue du Christ par Marie et dont certaines prédictions s'appliquent, en un langage imagé, à Marie et son Fils. Ce symbolisme vétérotestamentaire se limite aux strophes 5, 6 et 7 de notre prose, où apparaissent les images suivantes: - en relation avec Dn 2,34, mans et lapis, signifiant Marie et le Christ (cf. les lignes 17-18 et la note 7), - en relation avec Is 11, 1, radix, virga etflos, préfigurant respectivement David, Marie et le Christ (cf. les lignes 25 à 32 et la note 10). Remarquons que, tandis que les figures provenant de Js li, 1 apparaissent dans plusieurs des proses victorines que nous étudions, les représentations issues de Dn 2,34 ne sont trouvées qu'ici et, par allusion seulement, en LAV 46. Cependant, comme l'indique dans la note 7, l'usage du passage biblique était traditionnel dans les écrits en prose ou en vers depuis saint Augustin. En revanche, sont absentes de IEC les images, bibliques elles aussi, de la toison de Gédéon, du buisson ardent, du trône de Salomon, de la porte fermée .. ., qu'utilisent d'autres proses victorines. Relevons aussi les images de la steppe qui fleurit et du désert qui se réjouit (réminiscences de Is 35, 1 et 51,3), qui symbolisent la vie et la joie accompagnant la venue du Christ sur notre terre aride. Enfin, il y a lieu de noter, à la strophe 4, la comparaison entre l'intégrité de l'éclat de l'étoile lorsqu'elle émet son rayon et la permanence de la virginité chez Marie enfantant son fils, comparaison que le poète victorin n'est pas le premier à établir (voir la note 6).

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VII- Insistances doctrinales.

IEC est une prose du temps de Noël, et l'attention se porte ici davantage sur l'enfant nouveau-né que sur sa mère. 1. La séquence insiste sur les caratéristiques du Christ, enfant nouveau-né. - Cet enfant, qui advient dans le temps, appartient à l'éternité (puer immortalis ex œterno temporalis, lignes 51-52), c'està-dire il est Dieu et il se fait homme (voir la note 17). Cette idée de l'intrusion de l'infini dans le fini sera davantage développée dans la quatrième strophe de INS. - Il prend notre nature, et non notre péché (lignes 11-12). Dans la même séquence INS, la cinquième strophe reprend ce thème issu de He 4,15. - Il unit le ciel et la terre dans une louange commune: il est chanté par le ciel et reconnu comme Roi (lignes 1-2 et 37), il est honoré et loué sur terre en raison de la grâce et du salut qu'il apporte (lignes 5-10, 27 et 53-54). - Il fait le lien entre l'Ancien et le Nouveau Testament: les strophes 5, 6 et 7 montrent comment, par les prédictions et par certains événements qu'il relate, l'Ancien Testament s'accomplit lors de la naissance du Christ. Ce dernier est vraiment, comme le dit Fulgence de Ruspe (Sermon 4; SL 91A, 911), la pierre angulaire qui rapproche les deux «murs» que sont les deux Testaments. Il n'est pas indifférent que le Christ soit, humainement, de la lignée des rois d'Israël (ligne 19). - La naissance même de cet enfant est entourée de signes qui en font un événement hors du commun: ce sont les indicia de la ligne 47, manifestation des anges aux bergers, apparition de l'étoile aux mages. Ces signes, non seulement annoncent la naissance du Christ, mais affirment aussi la volonté de Dieu qui les suscite, à savoir que les humbles bergers de Bethléem et les mages de la Gentilité soient les premiers à être informés de la naissance du Messie. - Il est déjà, ce nouveau-né, le Médiateur (ligne 9) et le Sauveur (ligne 27), il vient nous arracher aux maux de cette vie et nous redonner, après la mort, la vie immortelle (lignes 53 à 58). 2. Marie est louée avant tout dans sa maternité virginale (voir les lignes 15-16, 20-22, 27 et 41-42).

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VIII- Insistances spirituelles.

1. En étant celui par qui est rétablie l'harmonie entre Dieu et nous, en apportant avec lui la grâce de la loi nouvelle, le Christ suscite les chants qui disent sa gloire et lui rendent hommage (strophes 1 et 2). Si les chants et la joie des habitants des cieux sont particulièrement soulignés (lignes 1-2 et 36-38), la terre est invitée, elle aussi, à participer à la louange due à la naissance du Christ (lignes 41-42). Une seule qualité de l'enfant est ici relevée, à savoir sa merveilleuse douceur (ligne 34). 2. Notre misère humaine (notre péché) et notre besoin de salut sont mentionnés à la strophe 3, mais ils sont comme immergés, à l'intérieur de cette strophe de quatre vers seulement, dans l'annonce de la Rédemption: le Christ, exempt de péché, vient comme médiateur pour nous sauver. Dans la dernière strophe, les lignes 53-54 parlent des